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HISTOIRE GÉNÉRALE
DES
AUTEURS SACRÉS
ET ECCLËSIASTIOUES.
ANGERS. — IMPRIMERIE DE COSNIER ET LACHÈSE.
HISTOIRE GÉNÉRALE
y
DES
AUTEURS SACRÉS
ET ECCLÉSIASTIQUES
QUI CONTIENT
LEUR VIE, LE CATALOGUE, LA CRITIQUE, LE JUGEMENT, LA CHÎIONOLOGIE, L'aNALYSE
ET LE DÉNOMBREMENT DES DIFFÉRENTES ÉDITIONS DE LEURS OUVRAGES;
CE QU'ILS RENFERMENT DE PLUS INTÉRESSANT SUR LE DOGME, SUR LA MORALE ET SUR LA DISCIPLINE DE L'ÉGUSE,
L'HISTOIRE DES CONCILES TANT GÉNÉRAUX QUE PARTICUUERS, ET LES ACTES CHOISIS DES MARTYRS,
PARLER.P.DOMREMYaEILLIER
y
Bénédictin de la (Congrégation de Saint-Vannes et de Saint-Hydiilphe, Coadjuteur de Flavignj.
NOUVELLE ÉDITION
SOIGNEUSEMENT REVUE, CORRIGÉE, COMPLÉTÉE ET TERMINÉE PAR UNE TABLE GÉNÉRALE DES MATIÈRES,
PAR IJJV DIRECTEIIK DE CiRAlVU SÉI«II]«A1KE: ,
DÉDIÉE
AU CLERGÉ CATEOLIQUE FRANÇAIS
HONORÉE DES SDFERAGES DE PLUSIEURS ÉVEQUES,
i plusieurs ïicaires Généraux, Directeurs de SémiuQires et d'un grand nomke de personnages
de la France et des pays étrangers.
,uas
%i
TOME NEUVIEME
PARIS
CHEZ LOUIS VIVES, LIBRAIRE^ ÉDITEUR
3, RUE DELAMBRE, 5.
1861
TABLE
DES ARTICLES ET PARAGRAPHES
CONTENUS DANS CE VOLUME
QUATRIEME ET CINQUIEME SIECLES
Pafes
Art. I". Histoire de la vie de saint Augustin. 1
Akt. II. Des écrits contenus dans le premier
tome des œuvres de saint Augustin. . . 23
§ I. Des deux livres des Rétraclations. . . 23
§ II. Des Confessions de saint Augustin. . . 24
§ III. Des livres de saint Augustin contre les
académiciens 37
§ IV. Du livre de la Vie bienheureuse . . . iO
§ v. Des deux livres de l'Ordre 41
§ VI. Des Soliloq'ues, et des livres de l'Im-
mortalité et des grandeurs de l'âme. . . 43
§ VII. Des livres de la Musique et dumaître. il
§ VIII. Des trois livres du Libre arbitre. . . 49
§ is. Des deux livres de la Genèse contre les
manichéens. _ . . 54
§ X. Des deux livres des Mœurs de l'Église
catholique, contre les manichéens. . . 36
§ XI. Du livre de la Vraie religion et de la Rè-
gle de saint Àiigustin 61
' § XII. De quelques ouvrages faussement attri-
bués à saint Augustin 64
Art. m. Second tome des œuvres de saint Au-
gustin 65
§ I. Des lettres de la première classe. ... 65
§ II. Des lettres de la seconde classe. ... 75
§ III. Troisième classe des lettres de saint Au-
gustin m
§ IV. Quatrième classe des lettres de saint Au-
gustin 183
§ y. Des lettres faussement attribuées à saint
Augustin 194
Art. IV. Des écrits contenus dans le troisième
tome 194
§ I. Des quatre livres de la Doctrine chrér
tienne 19*
IX.
Pages
§ iT. Du livre Imparfait sur la Genèse. . . 201
§ III. Des douze livres sur la Genèse à la
lettre 202
§ IV. Des Façons déparier des sept premiers
livres de la Bible, des Questions sur la Ge-
nèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres,
le Deutéronome, Josué et les Juges. . . 208
§ V. Des Notes sur Job et du Miroir tiré de
l'Écriture 214
§ VI. De l'Accord des évangélistes et du Ser-
mon sur la montagne 216
§ VII. Des deux livres des yMesHMissMj-gttei-
ques endroits de l'Evangile. ..... 220
§ VIII. Des traités sur l'Évangile et l'Epitre
de saint Jean 220
§ IX. De l'Explication de l'Épître aux Ro-
mains et aux Galates 228
§ X. Des ouvrages faussement attribués à
saint Augustin 229
Art. V. Des écrits contenus dans le quatrième
tome. Explication des Psaumes .... 229
Art. VI. Des écrits contenus dans le cinquième
tome 235
§ I. Des sermons sur l'Écriture 235
§ II. Des sermons du temps 239
§ m. Des sermons sur les fêtes des saints. . 240
§ IV. Des sermons sur divers sujets. . . ■ 241
§ V. Des sermons qu'on doute être de saint
Augustin 243
§ VI. Des sermons contenus dans l'Appendice
du cinquième tome 244
Art. VII. Des ouvrages contenus dans le sixième
tome 245
§ I. Des Quatre-vingt-trois questions. . . 245
§ II. Des deux livres à Simplicien 249
§ III. Des Questions à Dulcitius 252
a
VI
TABLE DES ARTICLES.
Pages
§ IV. Des livres de la Croyance des choses
qu' onne voit pas ; de laFoi et du symbole;
de la Foi et des bonnes œuvres 2S4
§ V. Du Manuel à Laurent ou du traité de
la Foi, de l'Espérance et de la Charité'. . 258
§ VI. Du Combat chrétien et de la manière
d'enseigner les principes de la religion. . 263
§ VII. Des livres de la Continence, du, bien
du mariage et de la sainte virginité. . . 266
§ VIII. Des livres du Bien de la virginité, et
des mariages adultères 271
§ i.x. Des deux livres du Mensonge et contre
le mensonge 274
§ X. De l'Ouvrage des moines, des Prédictions
des démons, du Soin qu'on doit avoir pour
les morts et de la Patience 277
§ XI. Des sermons du Symbole, dtla. Culture
de la Vigne du Seigneur, du Déluge, de la
Persécution des barbares, de \a. Discipline.
de VUtilité du jeûne, de la Prise de Rome
et du Nouveau Cantique 283
§ XII. Des ouvrages faussement attribués à
saint Augustin 286
Abt. VIII. Des ouvrages contenus dans le sep-
tième tome. — Des livres de la Cité de
Dieu 288
Abt. IX. Des ouvrages contenus dans le hui-
tième tome 330
§ t. Du traité des Hérésies et contre les
Juifs 339
§ II. De VUtilité de la foi et du livre des Deux
âmes et contre Adimanle 332
§ III. Livre contre l'Épître du fondement,
et contre Fauste le manichéen 338
§ IV. Des deux livres contre Félix le mani-
chéen, des livres de la Nature du bien et
contre Secondin 349
§ V. Des livres contre l'Adversaire de la loi
et des prophètes 353
§ VI. Livre à Orose contre les priseillianistes
et les origénistes 356
§ vu. Des écrits contre les ariens. • . . . 3S7
§ VIII. Des livres sur la Trinité. . . . .361
§ IX. Des ouvrages faussement attribués à
saint Augustin 36s)
Art. X. Des ouvrages contenus dans le hui-
tième tome 371
g I. Psaume de saint Augustin contre le parti
de Donat, et livre contre Parménien. . . 374
§ II. Des sept livres du Baptême contre les
Pages
donatistes 380
§ m. Des trois livres contre les lettres de
Pétilien 389
§ IV. Livre de l'Unité de l'Église ou épître
contre les donatistes 394
§ V. Des quatre livres contre Cresconius . . 399
§ VI. De l'Unité du baptême contre Pétilien . 402
§ VII. Abrégé de la conférence contre les do-
natistes. — Livres aux Donatistes après la
conférence 404
§ VIII. Du discours ou de la conférence en
présence d'Émérite 410
§ IX. Des deux livres contre Gaudence. . . 413
§ X. Des ouvrages faussement attribués à
saint Augustin 413
Art. XI. Des ouvrages contenus dans le dixième
tome 417
§ I. Des livres des Mérites, des péchés et de
leur rémission, ou du baptême des enfants. 417
§ II. Du livre de l'Esprit et de la lettre. . 427
§ III. Du livre de la Nature et de la Grâce
contre Pelage 433
§ IV. Du livre de la Perfection de la justice
de l'homme 442
§ V. Du livre des Actes de Pelage 442
§ VI. Des livres de la Grâce de Jésus-Christ
et du péché originel 448
§ VII. Des livres du Mariage et de la concu-
piscence .
457
§ VIII. Des quatre livres de l'Ame et de son
origine. ..-.., 466
§ IX. Des r|ua[re livres à Boniface, contre les
pélagiens 474
§ X. Des s\-x. livres contre Julien 483
§ XI. Du livre de la Grâce et du libre arbitre. 512
§ XII. Du livre de la Correction et de la
Grâce 518
§ XIII. Des livres de la Prédestination des
saints et du don de la persévérance. . . S24
§ XIV. De l'Ouvrage imparfait contre Julien. 538
§ XV. Des écrits faussement attribués à
saint Augustin, et de quelques ouvrages
qui regardent l'histoire des pélagiens. . 558
Art. XII. Des ouvrages perdus de saint Augus-
tin. — De ceux de Possidius 559
Art. xiii. Doctrine de saint Augustin. . . .564
Art. XIV. Jugement des ouvrages de saint Au-
gustin, éditions qu'on en a faites. . . .808
Lettre du R. P. D. Ceillier 820
Suppléments ^^8
FIN DE LA TABLE DES ARTICLES ET PARAGRAPHES.
r y
HISTOIRE GENERALE
DES
AUTEURS SACRÉS
ET ECCLÉSIASTIQUES.
AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
[suite des IV et V' SIÈCLES.]
■ — ^3II>^HiïB:—
Saint Augustin, évêqne d'Hippone et docteur de l'Eglise.
ARTICLE I".
HISTOIRE DE SA VIE '.
1. Tagaste, en Afrique % ville de la pro-
vince de Numidie " , près de Madaure et
d'Hippone', fut le lieu où saint Augustin prit
naissance , le treizième de novembre de l'an
354 ^ Celte ville, engagée^ auparavant tout
entière dans le schisme des donatistes , était
revenue depuis peu à l'unité catholique, inti-
midée par les lois des empereurs. Orose '' et
Mamert Claudien donnent à saint Augustin
le nom d'Aurèle , sous lequel il fut connu
plus ordinairement depuis que sa réputation
se fut établie dans le monde. Son père, qui
se nommait Patrice, était bourgeois de Ta-
gaste *. n avait assez de naissance pour être
admis à toutes les charges de la ville , mais
peu de biens. Il fut longtemps ' sans croire
en Jésus-Christ , et ne se convertit que sur
la fin de sa vie. Monique , sa femme , fut
mère de notre Saint, plus encore selon l'es-
prit que selon la chair. Elle eut encore de
Patrice d'autres enfants, puisque saint Au-
gustin " parle d'un frère qu'il avait avec lui
à Ostie en 388, lorsque sa mère mourut. On
croit que c'était Navige, le même qui se trou-
vait avec lui l'an 386, à la campagne, chez
1 On peut consulter sur ce point les œuvres de
saint Augustin , et surtout Ees_ Confessions , ses Be-
tractations, tom. I^r, et ses Épîtres, tom. II; — la
Yie de saint Augustin, par saint Possidius, évêque
de Calame, tom. X; — de saint Augustin, de l'é-
dition Bénédictine ; — les œuvres de saint Jérôme
et surtout ses épîtres et ses dialogues contre les
Pélagiens; — saint Prosper d'Aquitaine, et surtout
sa Chronique; — Gennade, le livre des Ecrivains
ecclésiastiques, chap. xxxviii; — la Vie de saint
Aiigustin, par les Dénédictias, tom. XI de l'édition
de Paris ; — Cuper et Stilting, Acta Sanctorum,
28 août, tom. XIV d'août; — Berti, Commenta-
rius de rébus gestis S. Àugustini librisqii.e ab eo
conscriptis, Venise, no6, in-i; — Poujoulat, His-
toire de saint Augustin, sa vie, ses œuvres, Paris,
IX.
1843, 3 vol. in-S; — BnschjLibrorum S. Augustini
recensus plane novus, Dorpat, 1822, in-4; —Saint
Augustin, par le docteur Kloth, 2 vol., Aix-la-Cha-
pelle, 1840. — Vie de saint Augustin, par Binde-
man, Berlin, 1844. {L'éditeur.}
^ Possidius, in Vita August., cap. i.
3 August., Epist. 7, cap. m, num. 6.
* August., lib. II Confess., cap. m, num. 5.
i» Prosp., in Chron., et Possid., in Vita, cap. xxxi.
5 August., Epist. 93, num. 17.
■^ Rid., in Vita August., pag. 434, et Mam., lib. II
de Statu animai, cap. x.
8 Possid., in Vita, cap. i.
3 August., lib. IX Confess., cap. ix, num. 22.
1» Lib. IX Confess., cap. xj, num. 27.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Véréconde ', et qui prenait part aux entre-
tiens de philosophie que le Saint y avait avec
ses amis, et où l'on écrivait tout ce qui se
disait.
Son (!du- 2. Aussitôt après la naissance d'Augais-
cst'"ait caî t"^ ^ Monique, sa mère, eut soin de le faire
léchuinÈiiu. marquer du signe de la croix et de lui faire
goûter ce sel divin et mystérieux, qui est la
figure de la vraie sagesse, en le mettaiat au
nombre des catéchumènes. C'est ce qui lui a
fait dire ' qu'avant d'être manichéen, il était
chrétien catholique. Comme on s'aperçut *
bientôt qu'il ne manquait ni d'esprit ni de
mémoire, on pensa à l'appliquer à l'étude de
l'éloquence, et on l'envoya pour cet effet
à Madaure, qui était une ville voisine. D
trouva plus de goût dans cette étude ^ qu'il
n'avait fait dans les premières instructions
oii l'on apprend à lire , à écrire et à comp-
ter , quoique plus utiles ; et il prenait plaisir
dans l'étude des belles-lettres, à cause des
fables et des fictions des poètes dont elles
sont remplies. Mais , bien que ces mêmes
contes se trouvassent également dans les
poètes grecs comme dans les latins, il avait
mie extrême aversion pour les premiers, par
suite de celle qu'il se sentait pour la lan-
gue grecque, dont l'étude mêlait comme une
espèce d'amertume dans la douceur de ces
fables, d'ailleurs si ingénieuses et si char-
mantes. Il fallut néamnoins vaincre cette ré-
pugnance pour le gre^c : et, à force de me-
naces et de châtiments, on l'obligea à l'ap-
prendre ; mais il avoue qu'il ne le posséda
jamais parfaitement , et qu'il n'en savait ^
pas assez pour entendre les livres que les
Grecs ont écrits sur la Trinité. Ses progrès
dans les autres sciences l'engagèrent insen-
siblement dans les désordi'es que produit la
vaine gloire ; et il avait honte '' de n'être pas
aussi enchanté de l'amour de la vanité et du
monde, et aussi perdu que les autres,
[.'oisiveté 3. n était âgé d'environ qranze ans lors-
Ic fjit tom- ..."
bLT, en s^o. quil revmt de Madaure à Tagaste, où il
passa la seizième année de son âge en la
maison de son père, c'est-à-dire l'an 370.
Occupé de la chasse des oiseaux et de toute
auti-e chose que de ses études, il en inter-
rompit même le cours jusqu'à ce que l'on
eût amassé l'argent nécessaire pour les lui
faire continuer à Cartilage. Pendant ce temps
de vacances, les volujjtés commencèrent à le
dominer tyranniquement *. Il courait dans
le précipice avec un tel aveuglement, qu'il
commettait le crime non-seulement pour y
trouver du plaisir, mais encore pour être
loué de l'avoir commis. Cependant il deman-
dait à Dieu la chasteté'; mais, ajoutait -il,
que ce ne soit pas encore si tôt : car il crai-
gnait que le Seigneur ne fût trop prompt à
l'exaucer, et qu'il ne le guérît plus tôt qu'il
ne voulait de la maladie d'impm'eté , aimant
bien mi£ux le plaisir de la satisfaire , que le
bonheur d'en être délivré.
4. Étant arrivé à Car'hage sur la fin de
l'an 370 , il y étudia la rhétorique sous un
nommé Démocrate , et tint bientôt le pre-
mier rang " parmi ceux qui étudiaient dans
la même école ; ce qui lui causait une joie
mêlée de présomption, et le rendait tout en-
flé d'orgueil. A l'ambition d'exceller parmi
ceux de son école, se joignirent les feux de
l'amour infâme, que le changement de lieu
n'avait point éteints. « Je n'aimais pas en-
core, dit-il, mais je désirais d'aimer. Et je
tombai enfin dans les filets où je souhaitais
tant d'être pris : je fus aimé, et j'arrivai
même à la possession de ce que j'aimais :
mais quels efl'ets de votre miséricorde et de
votre bonté ne me fîtes -vous point sentir,
ô mon Dieu, par le fiel et par les amertumes
que vous répandîtes sm' ces fausses dou-
ceurs ! Car ces malhem-eux liens où je m'é-
tais jeté si volontiers, ne servirent qu'à me te-
nir exposé aux traits ardents de la jalousie,
des soupçons, de la crainte, de la colère, des
querelles et des démêlés. » Mais, quelque
penchant qu'il se sentît pour le plaisir, il mit
une espèce de règle " dans ses désordres,
car il ne vit c[u'une seule femme sous le titre
de concubine, et lui garda la fidélité, quoi-
qu'elle ne lui fût pas jointe par un mariage
légitime. Il en eut un fils nommé Adéodat,
doué d'excellentes qualités *^
5. L'amice avant la naissance d'Adéodat,
c'est-à-dire en 371, saint Augustin, qui était
Il perd
son jjùrc ,
rn 371 11
> August., Ijb. de B. Yita, uum. 7 et 14. — ^ Lib. I
Confess., cap. si, num. 17.
3 August., De Utilit. credendi, cap. i, num. 2.
'■ August., lib. I Confess., cap. is, num. 14,
et lib. 11, cap. m, num. H.
'^ Lib. I Confess., cap. xiir, num. 20 cl 21.
" August., lib. 111 De Xrinit., num. 1.
' Lib. 1 Confess., cap. xiii et six. — « Lib.
Confess., cap. m, num. G et 7.
9 Lib. VllI Confess., cap. vu, num. 17.
1" Lib. 111 Confess., cap. m, uum. 6.
11 Lib. IV Confess., cap. ii.
1- Lib. IX Confess., cap. vi.
[TV" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
alors dans la dix-septième année de son âge,
perdit son père. Mais sa mère ' continua à
fournir à ses entretiens, de même cpieRoma-
nien, le plus considérable des habitants de
Tagaste, qui, depuiê son séjour àCarthage, lui
avait prêté toute sorte de secours. En 373,
il arriva, selon l'ordre que l'on tenait ordi-
nairement pour apprendre l'éloquence, à la
lecture du livre de Cicéron, intitulé Hor-
tence ^. Ce livre, qui est une exhortation à
la philosophie ^ le toucha de manière qu'il
changea toutes ses affections. Il ne le lisait
pas pour polir son style, mais pour nourrir
son esprit. Une chose * le refroidissait clans
l'arderu' qu'il se sentait pour la lecture de
ce livre : c'est qu'il n'y voyait point le nom
de Jésus -Christ profondément gravé dans
son cœur, parce qu'il l'avait sucé avec le
lait. Il résolut donc dès-lors de s'appliquer
à lire l'Ecriture sainte pour en prencbe con-
naissance. Mais il n'était pas encore capable
d'entrer dans des secrets impénétrables aux
superbes. A l'âge d'environ vingt ans ^ il lut
seul le livre des Catégories d'Ai'istote, et en
comprit tout le sens, aussi bien que ceux qui,
pour l'entendre, avaient eu recours aux plus
excellents maîtres. Il entendit de même,
sans le secours de personne, tous les livres
des arts libéraux qui lui tombèrent entre les
mains. Enfin il était instruit de l'astrologie
judiciaire, et savait ^ ce que les philosophes
ont écrit siu' cette matière. Mais, au heu
de tirer avantage de ses talents et de ses
connaissances ', il ne s'en servit que pour se
perdre.
6. Accoutumé par les Catégories d'Aris-
tote à raisonner de Dieu comme des corps, il
le cherchait, non par la lumière de l'esprit,
mais par les organes des sens, et ce fut ce
qui le retint longtemps dans l'hérésie des
manichéens, où il tomba vers l'an 374; ne
pouvant concevoir une substance spirituelle,
il ne pouvait dissiper les fantômes ' et toutes
les chimères de ces hérétiques. Ce qui le fit
tomber dans leurs errem's, fut la peine où
il était de connaître l'origine du mal'. Son
esprit, fatigué par les recherches qu'il en
faisait, se laissa aUer à croire avec eux que
le mal avait un principe réel et éternel,
opposé à Dieu comme au principe du bien. .
L'avidité'" qu'il avait de connaître la vérité
par une lumière claire et certaine, servit en-
core à l'engager dans les rêveries des mani-
chéens : car le nom de la vérité était conti-
nuellement sur leurs lèvres ", et ils en par-
laient sans cesse, bien qu'elle ne fût point
avec eux. Un autre motif '- le poussa à mé-
priser la religion qui lui avait été inspirée
dès son enfance par ceux dont il tenait la vie,
pour suivre les manichéens et les écouter
avec tant de soin; dans l'Église catholique,
disaient-ils, on effrayait les fidèles par des su-
perstitions, et on leur commandait de croire
sans les instruire par la raison ; et eux, au
contraire, ne pressaient personne de croire,
qu'après lui avoir fait connaître la vérité et
lui avoir levé tous ses doutes. Les objec-
tions que ces hérétiques élisaient contre les
généalogies que saint Matthieu et saint Luc
font de Jésus -Christ troublèrent également
l'esprit de saint Augustin qui, n'ayant encore
aucune connaissance des divines Écritures,
donnait sans peine dans des sentiments dont
il ne pouvait apercevoir la fausseté. C'est ce
qu'il confessa depuis avec beaucoup d'humi-
lité dans un discours qu'il fit à son peuple,
et où il attribue tous ses égarements à l'or-
gueil dont il était dominé dans sa jeunesse.
« Vous pouvez m'en croire, disait-il ", lors-
que je vous parle du respect avec lequel
nous devons recevoir ce que nous apprend
la sainte Écriture : car je ne vous le dis
qu'après avoir été autrefois trompé i")ar les
manichéens, lorsqu'étant encore jeune, je
voulais examiner les divines Éci'itures, avant
d'en avoir demandé l'intelligence avec piété.
Aussi je ne faisais que me fermer moi-même
la porte de mon Seignem- par une conduite
si déraisonnable. Je devais frapper afin qu'on
m'ouvrît, et je me la fermais de plus en plus.
J'étais assez hardi de chercher avec orgueil
ce que l'humilité seule peut faire trouver. »
Après avoir été ainsi trompé, il n'oublia ïien
pour tromper les autres. Il troubla la simpli-
cité de plusieurs personnes ignorantes par
la vaine subtilité de ses questions. Il enga-
• Lib. III Confess., cap. vn, num. 7, et lib. II
Acad., cap. ii, num. 3.
^ Lib. 111 Confess., cap. iv, iiuiii. 7, et lib. VI,
cap. XI, uum. IS.
3 Ce livre n'esiste plus depuis longtemps. [L'é-
diteur.) — ' Lib. ll[ Confess., cap. iv, iium. 8.
^ Lib. IV Confess., cap. xvi, num. 28.
fi Lib. V Confess., cap. iii. — ' Lib. VI Confess.,
cap. XVI, uuin. 30. — ^ Lib. V Confess., cap. siv.
f Lib. III Confess., cap. vu, num. 12.
1» August.,iJe Utilit. cred., cap. i, num. 2.
>' Lib. VIII Confess., cap. vi, num. 10.
12 De Utilit, cred., cap. i, num. 2.
13 August., Serm. 51, cap. v, num. 6.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
manicliéeus
gea même dans ses erreurs Alypius, le plus
illustre de ses amis ; Romanien , dont il avait
reçu tant de bienfaits, et un nommé Ho-
norât ', qui n'avait fait jusqn'alors aucune
profession du christianisme.
" cTsô ^' ^^^ familiarité avec ces hérétiques lui fit
ii^fii >■ _^^L's bientôt apercevoir ^ qu'ils combattaient avec
beaucoup plus d'éloquence les opinions des
autres, qu'ils ne prouvaient la leur avec
force et avec solidité : ce qui l'empêcha de
s'attacher entièrement à eux. Il ne les suivit
donc qu'avec précaution et réserve, se con-
tentant d'être da nombre de leurs auditeurs,
sans participer à lem's infâmes mystères ^ Il
voyait aussi avec peine qu'ils ne célébraient
la fête de Pâques ' que peu ou point , sans
veilles, sans jeûne extraordinaire, sans au-
cune solennité , et qu'ils n'en rendaient au-
cune bonne raison. Enfin le peu d'assin-ance
qu'il trouva parmi eux, et le désir de son
avancement dans le monde, ralentirent beau-
coup l'ardeur qu'il avait eue pour les écou-
ter. Il n'abandomia néanmoins leur parti
qu'après l'avoir suivi pendant neuf ans, c'est-
à-dire depuis l'an 374 jusqu'en 383, qui était
la vingt-huitième année de son âge. 11 semble
même qu'il ne le quitta entièrement qu'en
385, ou même en 386, lorsqu'il se convertit
tout-à-fait. Comme sa mère était pénétrée
d'une vive douleur de le voir tombé dans
une hérésie si détestable ^ elle priait toutes
les personnes qu'elle en croyait capables, de
conférer avec lui pour combattre ses erreurs
et l'instruire de la vérité. Un saint évêque à
qui elle faisait la même prière, refusa d'ob-
tempérer à sa demande en disant que la lec-
ture des livres des manichéens le détrom-
perait. Comme elle ne laissait point de le
presser , il lui dit : « Allez '^ , continuez de
prier pour lui, car il est impossible qu'un
fils pleuré avec tant de larmes périsse ja-
mais. »
Dieu promit encore à Monique le salut de
son fils en diverses autres manières, et en
particulier, par un songe dans lequel une
personne, la voyant afQigée de la perte de
son fils, lui dit : « Tenez-vous en repos, ne
voyez-vous pas que ce fUs que vous pleurez
est où vous êtes '. » En effet, la pieuse mère
ayant regardé à côté d'elle, vit son fils sur
la même règle où elle se tenait. Saint Au-
gustin, à qui eUe raconta ce rêve , préten-
dait qu'il marquait que sa mère serait un
jour de son sentiment; mais elle répondit
sur-le-champ : « Cela ne peut être; il ne
m'a pas été dit : Vous êtes où il est, mais : //
est où vous êtes '. n
8. Ce songe consola tellement sa mère , ii ensei-
qu'elle lui permit de demeurer avec ' elle uîage! '^eû
et de manger à sa table, ce qu'elle ne souf- *'*■
frait plus depuis quelque temps , tant elle
avait en horreur l'hérésie des manichéens.
On met cet événement à Tagaste, environ
vers l'an 373. Pendant qu'il euseignait la
rhétorique en cette viUe, il eut pour auditeur
Alypius'", qui, dans un âge peu avancé, fai-
sait paraître beaucoup d'inchnation pour la
vertu ; ils lièrent entre eux une amitié très-
étroite. Saint Augustin s'unit" aussi étroi-
tement avec un autre jeune homme de son
âge, avec lequel il avait été nourri dès l'en-
fance et fréquenté les écoles; mais à peine
y avait-il un au qu'il goûtait la douceur de
cette amitié, que Dieu lui enleva son ami .
et le tira de ce monde. La douleur que cette
mort lui causa, l'obhgea de quitter son pays
et de passer à Carthage, où il enseigna la
rhétorique '^ vendant l'art de vaincre l'es-
prit de l'homme par la parole, et étant lui-
même vaincu parla passion de l'intérêt et de
l'honneur. Pendant son séjour à Carthage,
il fit connaissance avec un célèbre médecin
nommé Yindicien, qui s'était autrefois ap-
pliqué comme lui à l'astrologie judiciaire.
C'était un homme âgé , convaincu par la
raison et par l'expérience qu'il n'y a point
de science humaine capable de prévoir les
choses futures. Ce fut '^ de lui dont Dieu se
sei-vit pour détromper saint Augustin. Il se
persuada enfin que quand les prédictions
des astrologues se trouvent véritables, cela
vient, non pas du hasard, comme le disait
Yindicien, mais de l'ordre de Dieu même "
qui, gouvernant tout l'univers avec ime jus-
tice suprême et une sagesse incomparable,
fait, par de secrets mouvements, que, sans
1 Lih. III Confess., eap. xii. — 2 August, De UHlit.
cred., cap. i, num. 2. —^ August., De Utilit. cred.,
oap. I, num. 2. — * August., lib. III Confess., litt.
Potitian. , cap. xvii.
s August., Confess., Epist. manich., cap. vin.
" A\igust., lib. III Co»/ess., cap. si, uum. 19.
' Ibid., cap. XII. — ^Ibid., cap. xi, uum. 20.
9 Lib. III Confess., cap. xi, num. 19. — '" Lib. VI
Confess., cap. vu, num. il.
" Lib. IV Confess., cap. iv, num. 7.
*- Possid., in Vita, cap. i, et August., lib. IV
Confess., cap. 11, mim. 2.
'■■' Lib. IV Confess., cap. m, num. 4 et 5.
1'- Lib. VII Confess., cap. vi, uum. 8 et 10.
[iV« ET V° SIÈCLES.'
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
que les astrologues, ni ceux qui les consul-
tent, sachent ce qui se passe clans eux, les
uns rendent des réponses et les autres les
reçoivent telles qu'ils le méritent, selon la
corruption qui est cachée dans le fond des
âmes et selon l'abîme impénétrable de ses
divins jugements. Nébridius ', son ami, n'ai-
da pas peu à le faire entrer dans ces senti-
ments.
9. Saint Augustin demeura à Cartilage
jusqu'à ^ la vingt-neuvième année de son
âge, c'est-à-dire jusqu'en 383, attendant
avec impatience la venue de Fauste le Ma-
nichéen. Il avait parmi ceux de sa secte le
nom d'évêque, et il y était regardé comme
un homme descendu du ciel, quoique d'une
vie très-voluptueuse '. Ses discours avaient
du feu et de la vivacité ', et il expliquait ses
pensées en des termes fort propres. C'était
à quoi se terminait son savoir, car il ne fai-
sait d'ailleurs que conter les mêmes fables
que les autres manichéens. Saint Augustin,
qui en était déjà las et rebuté, ne les trouvait
pas meilleures potu- être mieux dites, ni plus
vraies pour être racontées avec plus d'élo-
quence. Il proposa néanmoins à Fauste ^
une conférence où il pût lui représenter ses
doutes dans une liberté tout entière. Mais
aussitôt qu'il les lui eut proposés, Fauste
refusa modestement d'y répondre, et ne se
voulut point charger d'un fardeau trop pe-
sant pour lui , ne rougissant point d'avouer
qu'il ignorait la science sur laquelle rou-
laient ces difficultés. C'était sur les supputa-
tions mathématiques. Saint Augustin voulait
voir si ce qu'il avait lu dans les livres des
manichéens valait mieux que ce qu'on en
lisait dans d'autres livres. La modération"
d'esprit de Fauste lui plut et lui parut plus es-
timable que les choses mêmes dont il désirait
d'acquérir la connaissance. Cette conférence
lui fit néanmoins perdre l'espérance de pou-
voir trouver de la satisfaction en s'expliquant
avec les autres docteurs des manichéens, ce-
lui-ci, qui était si célèbre parmi eux, lui ayant
paru si ignorant. Ainsi, par un effet extraordi-
naire de la Providence divine, ce Fauste qui ''
avait été pour tant d'autres un piège mortel,
commença, sans le savoir et sans le vouloir,
à tirer saint Augustin de celui où il était re-
tenu depuis tant d'années. Il partit de Car-
thage vers la fin de 383, inquiet et incertain
du parti qu'il devait prendre, et vint à Rome
dans le dessein d'y enseigner la rhétorique ;
il logea' chez un auditeur des manichéens,
où il assembla quelques écoliers. Mais, averti
que plusieurs d'entre eux conspiraient en-
semble pour ne rien donner à ceux qui pre-
naient la peine de les instruire, et choqué de
cette bassesse, il passa de Rome à Milan, qui
manquait d'un professeur en éloquence '.
C'était en 38i; saint Ambroise, alors évêque
de cette ville '°, le reçut en père et témoigna
se réjouir de sa venue avec une charité di-
gne d'an vrai pasteur. Cette bonté le gagna.
Il allait l'écouter avec grand soin lorsqu'il
enseignait le peuple, moins toutefois pour
s'instruire lui-même, que pour éprouver si
son éloquence répondait à sa réputation ;
mais il ne laissait pas d'être attentif pour
s'assurer s'il ne disait rien qui faA-orisât
ou qui combattît l'hérésie des manichéens.
Dieu", qui voulait le retirer de son erreur
et lui apprencbe la science d'où dépendait
la solution de ses difficultés, portait ce saint
évêcpie à résoudre incidemment celles que
les manichéens faisaient sur divers endroits
de l'Ecriture. Ce fut par cette voie que saint
Augustin apprit insensiblement la vérité, et
que son erreur s'évanouit peu à peu et par
degrés. D'abord '^ il lui sembla que la doc-
trine de saint Ambroise pouvait se soutenir,
et que, pour lui, il avait eu tort de croire
qu'on ne pût sans témérité défendi-e la foi
catholique contre les arguments des mani-
chéens. Voyant ensuite avec quelle clarté
ce saint évêque expliquait les passages les
plus difficiles de l'Ancien Testament, il se
persuada de plus en plus qu'il n'était pas im-
possible de répondre aux calomnies par les-
quelles les manichéens déchiraient cette par-
tie de l'Ecriture , qu'ils n'interprétaient que
selon la lettre qui tue, au Meu que saint Am-
broise l'expliquait comme il convenait, selon
le sens spirituel et allégorique. Il souhaitait
encore de pouvoir couA'aincre de fausseté
' Lib. IV Confess., cap. in, num. 6. — "^ Lib. V
Confess., cap. vu.
' Augiist., lib. Cont. Faust., cap. v et vu.
'• Lib. V Confess., cap. vi, num. 10.
■' Ibirl, cap. vi, uum. 11. — « ibid., lib. V, cap. vu,
uum. 12.
' Lib. V Confess., cap. vu, num. M. — s Lib. V
Confess., cap. vni et x, num. 14.
" Ibid., cap. xHi.— 1» Lib. III Confess., cap. xui,
nuin. 23.
" Possid., in Vila August., cap. i.
12 August., lib. V Confess., cap. xiv, num. 24.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
1! demeu-
re cal(!cliu-
luèllC llilllS
l'Es'ise cu-
rhnlique, en
335.
les opinions des manichéens. Dans cette vue,
il compara ce qu'ils disaient touchant ce
monde élémentaire et toutes les parties de
la nature qui peuvent tomber sous le sens ,
avec ce qu'en ont dit les philosophes , et il
trouva que plusieurs d'entre ces derniers en
avaient parlé avec plus de vraisemblance et
plus de solidité. Cela lui fit prendre la réso-
lution d'abandonner entièrement les mani-
chéens, ne croj-ant point devoir demeurer
dans une secte dont la doctrine lui parais-
sait moins probable que celle de beaucoup
de philosophes.
10. Ilprit donc le parti de demeurer' caté-
chumène dans l'Église catholique que ses
parents lui avaient tant recommandée. Ce-
pendant sainte Monique, sa mère, après avoir
essuyé divers périls, vint le trouver à Milan.
Quand saint Augustin lui eut dit qu'il n'était
plus manichéen, quoiqu'il ne fût pas encore
catholique '\ elle lui répondit avec un esprit
Irancpiille et plein de confiance, qu'eUe s'as-
surait en Jésus-Christ de le voir fidèle catho-
lique, avant qu'eUe sortit de ce monde. Aly-
pius etNébridius, tous deux amis intimes de
saint Augustin, l'avaient suivi à Milan, dans
le dessein ' de chercher ensemble la vérité.
Ils voulaient même vivre en commun avec
quelques autres, du nombre desquels était
Romanien ''. Mais comme quelques-inis d'eux
avaient déjà des femmes, et que d'autres
pensaient à se marier, ils ne crurent pas que
la vie commune pût leur convenir. Saint
Augustin était de ceux qui pensaient au ma-
riage, et sa mère aA'ait trouvé^ une personne
qui lui pouvait convenir, mais si jeune qu'il
faUait attendre environ deux ans. La con-
cubine qu'il entretenait étant un obstacle à
son mariage , elle s'en retourna en Africp^ie ,
où elle fit vœu de continence pour le reste
de ses jours. Il n'eut point le courage de
l'imiter, et il prit une autre concubine pour
le peu de temps qui restait juscpi'à son ma-
riage. Tout ceci se passait en l'an 383. Le
premier jom- de cette année, Augustin avait
prononcé '^ devant une assemblée puljlicpie
très-nombreuse le panégyrique de Bauton,
alors consul.
il. L'année suivante, il commença à lii-e
l'Écriture sainte avec une ardeur extraor-
dinaire : mais il ne goûtait rien tant que les
Épitres de saint Paul. Cette lecture répandit
dans son âme ' une liunière qui lui fit voir
la vertu dans sa beauté. Tovitefois , il était
encore dans l'incertitude ^ du genre de vie
qu'il embrasserait. En cet état, il s'adressa
au prêtre Simphcien, homme d'une grande
vertu et père spirituel (""e saint Ambroise ^;
il lui raconta tout le cours de ses erreurs et
tous les égarements de son âme. Simphcien,
apprenant de lui qu'il avait lu quelcpes li-
vres de Platoniciens, traduits en latin par
le rhéteur Victorin , en prit occasion de lui
rapporter " de quelle manière " ce Victorin
s'était converti. Augustin en fut sensiblement
touché , et désirait ardemment de l'imiter,
non-seulement en recevant le baptême, mais
en renonçant comme lui à la profession de
la rhétorique. Un jom- qu'il était seul avec
Alypius, un africain, du nom de Pontitien,
officier de l'empereur '-, vint les trouver.
Us s'assirent pour s'entretenir; et Pontitien
ayant aperçu un livre sur la table qui était
devant eux, l'ouvrit, et trouva que c'étaient
les Épîtres de saint Paul. Sm-pris de trouver
là ce seul hvre, au lieu de quelqu 'autre qui
regardât la profession d'un orateur, il jeta
les yeirx sur Augiistin avec un sourire qui
marquait sa joie et en même temps son ad-
miration : car il était chrétien et faisait sou-
vent de longues prières dans l'église. Après
qu'Augustin lui eut avoué qu'il s'occupait
avec grand soin à la lecture de ce livre,
Pontitien commença à parler de saint An-
toine, solitaire d'Egypte, dont le nom, quoi-
qiie célèbre presque partout , avait jusqu'a-
lors été inconnu à Augustin et à Alypius. Il
lem' en raconta la vie, et leur parla de cette
grande midtitude de monastères dont l'E-
gypte était remplie; de la sainte manière de
vivre de ces saints solitaires, et des effets
merveilleux que la grâce opérait en eirs.
Comme ce récit les remplissait d'étonne-
ment, il leur raconta aussi la conversion de
deux ofliciers de l'empereur, qui, pendant
le séjour de la cour à Trêves , furent si tou-
Sa con-
version, en
380.
' Lih. V Confess-, cap. xiv et xxiv. — 2 August.,
lib. VI Confc.ts., cap. i.
' Lib. VI Confess., cap. vu et x.
* Ibid., cap. XIV. — » Ibicl-, cap. xui, xv et xvi.
" August., lib. 111 Cont. lut. PeliUan., cap. xxv,
nuni. 30.
' August., lib. Il Àcad., cap. 11, uuiu. 5 et G.
8 Lib. VIII Confess., cap. i, num. 1. — ^ Ibid.,
num. 2. — '» Lib. Vlll Confess., cap. u et v.
" Victorin avait abaucbmué sa chaire de rhéto-
rique eu suite d'une défense que Julien l'Apostat
fit aux chrétiens d'enseigner les lettres humaines.
1- Lib. Vlll Confess., cap. vi, num. 14.
[lye j.,p ye giÈCLES.
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
elles de la vie de saint Antoine qu'ils trouvè-
rent chez des moines du voisinage de cette
ville, qu'ils embrassèrent sur-le-champ la
vie monasticfue. Pendant que Pontitien par-
lait, Augustin se sentait déchirer le cœur ',
et il était rempli d'une horrible confusion,
en vo3"ant qu'il ne lui restait plus d'excuse
pour sui'STe la vérité qu'il cherchait depuis
douze ans, et que ses amis avaient trouvée.
Il se leva donc aussitôt après le départ de
Pontitien, et, s'adressant à Alypius, il lui dit
avec émotion, le visage tout changé, et d'un
ton de voix extraordinaire, qui faisait bien
mieux connaître que ses paroles ce qui se
passait dans son âme : a Qu'est-ce ceci? Que
faisons-nous ? Que dites-vous de ce que nous
venons d'entendre ? Les ignorants ravissent
le ciel; et nous, avec toute notre science, in-
sensés que nous sommes, nous demeurons
toujours ensevelis comme des bêtes dans la
chair et le sang : est-ce à cause qu'ils nous
précèdent dans la voie de Dieu, que nous
avons honte de les sui-sTC ? Ne devons-nous
pas plutôt rougir de honte de n'avoir pas
même le courage de les suivre ? » Alypius le
regarda sans rien dire, étonné de ce chan-
gement , et le suivit pas à pas dans le jar-
din où l'emporta le trouble qui l'agitait. Ils
s'assirent au lieu le plus éloig-né de la mai-
son. Augustin, frémissant d'indignation de
ne pouvoir se résoudre à ce qui semblait ne
dépendre que de sa volonté, s'arrachait les
cheveux, se frappait le front et s'embras-
sait les genoux avec les mains jointes. Aly-
pius ne le quittait point, attendant, sans lui
rien dire, quelle serait la fin de cette agita-
tion extraordinaire. Mais Dieu rompit enfin
toutes ses chaînes par un miracle qu'il i-a-
conte ainsi : « Après qu'une profonde médi-
tation eut tiré des plus secrets replis de mon
âme et exposé à la vue de mon esprit toutes
mes misères et tous mes égarements , je
sentis s'élever dans mon cœur une grande
tempête, qui fut suivie d'une grande pluie
de larmes ; et afin de la pouvoir verser tout
entière avec les gémissements dont elle était
accompagnée, je me levai et je me séparai
d'Alypius, jugeant que la solitude me serait
plus propice pom' pleurer à mon aise; et je
me retirai assez loin et à l'écart, afin de
n'être point troublé par la présence d'un si
cher ami. Je me couchai par terre sous un
figuier, et ne pouvant plus retenir mes lar-
1 August., lib. VIII Confess., cap. vu et viii.
mes, il en sortit de mes yeux des fleuves
et des torrents que vous reçûtes , Seignem-,
comme un sacrifice agréable. Je vous dis
plusieurs choses ensuite, sinon en ces mê-
mes termes, du moins en ce même sens :
Jusqu'à quand? jusqu'à quand serez-vous en
colère contre moi? Oubliez, s'il vous plaît,
mes iniquités passées : car je connaissais
bien que c'étaient elles qui me retenaient,
et c'est ce qui me faisait dire avec une voix
lamentable : Jusqu'à quand? jusqu'à quand
remettrai -je toujours au lendemain? Pour-
quoi ne sera-ce point tout à cette heure,
pourquoi mes ordures et mes saletés ne fini-
ront-elles pas dès ce moment?Comme je par-
lais de la sorte et pleurais très-amèrement
dans une profonde affliction de mon cœur,
j'entendis, d'une maison voisine, une voix ,
comme d'un jeime garçon ou d'une fille ,
qui disait et répétait souvent en chantant :
Prenez et lisez, prenez et lisez. Je chan-
geai de visage dans le moment, et je com-
mençai à penser en moi-même si les enfants
n'avaient point coutume de chanter dans
certain jeu quelque chose de semblable; et
il ne me souvint point de l'avoir jamais re-
marqué. J'arrêtai donc le cours de mes lar-
mes, croyant que Dieu me commandait d'ou-
vrir le livre des Épîtres de saint Paul, et
de lire le premier endroit que je trouverais;
car j'avais appris que saint Antoine étant
im jour entré dans l'éghse , lorsqu'on lisait
l'Evangile, avait écouté et reçu ces paroles
comme s'adressant à lui-même : Allez, ven- M^mii.,
dez tout ce que imis avez: donnez-le aux pau- ^^^' ' '
vres, venez et vie suivez, et que, par cet oracle
qu'il entendit, il fut dans le même moment
converti. Je retournai donc promptement
au lieu où Alypius était demeuré ; je pris le
livre que j'y avais laissé, je l'ouvi'is, et dans
le premier endroit que je rencontrai, je lus
tout bas ces paroles : Ne vivez pas dans les Rom.,
festins et dans l'ivrognerie, ni dans les impu- ■^"'' '''
dicités et les débauches , ni dans les contentions
et les envies; mais revêtez-vous de notre Sei-
gneur Jésus-Christ, et ne cherchez pas à con-
tenter votre chair en ses désirs. Je n'en voulus
pas lire davantage ; et aussi n'en était-il pas
besoin, puisque je n'eus pas plutôt achevé de
lire ce peu de lignes, qu'il se répandit dans
mon cœur comme une lumière qui le mit
dans un plein repos et dissipa entièrement
toutes les ténèbres de mes doutes. Puis,
ayant marqué cet endroit du livre, je le fei'-
mai , et, avec un visage tranquille, je fis
8
HISTOIRE GEiNERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Il se
relire à la
campngne,
Sf's occupa-
lions.
entendi'e à Alypius ce qui m'était arrivé. »
Alypius désira de voir le passage, en fit
remarquer la suite à saint Augustin, qui n'y
r.om,,jiiv, avait point pris garde : Assistez celui qui est
faible dans la foi, et s'appliqua à lui-même
ces paroles. Ils rentrèrent dans la maison ,
et vim'ent dire à sainte Monique de quelle
manière tout s'était passé, sachant bien que
i-ien ne pouvait lui faire plus de plaisir. En
même temps Augustin résolut de renoncer
au mariage et à toutes les espérances du
siècle, et de commencer par abandonner son
école de rhétorique. Il voulut néanmoins le
faire sans éclat; et comme il ne restait que
trois semaines environ jusqu'aux vacances
que l'on donnait pour les vendanges, il remit
à ce temps-là à se déclarer. Sa conversion
arriva donc dans le mois d'août ou de sep-
tembre de l'année 386.
12. Le jour des vacances arrivé , il se re-
tira en un lieu nommé Cassiaque ou Cassi-
ciaque ', dans la maison d'un ami nommé
Vérécundus, citoyen de Milan, et profes-
seur de grammaire. Il y fut suivi de sa mère ,
de son frère Navigius, de son fils Adéodat,
d'Alypius , de Nébridius, et de deux jeunes
hommes, ses disciples, Trygétius et Licen-
tius, dont le dernier était fils de Romanien.
Pendant cette retraite , saint Augustin com-
posa divers ouvrages : le premier, contre
les Académiciens; le second, de la Vie heu-
reuse; le troisième, de V Ordre, et le qua-
trième , les Soliloques. On y voit de qpielle
manière ils vivaient ensemble dans cette
campagne. Quoique sainte Monique fût char-
gée des soins du ménage ^ saint Augustin
ne laissait pas d'entrer dans qiiclques dé-
tails des aflïiires domestiques ', et il était
quelquefois occupé des journées entières ou
à écrire des lettres ', ou à régler des affai-
res. 11 ne se levait pas ordinairement avant
le jour ; mais il s'était accoutumé depuis
longtemps à veiUer près de la moitié de la
nuit ", pour méditer sur les difficultés qu'il
rencontrait. Après s'être levé, il rendait à
Dieu SCS vœux ordinaires ^, et répandait
tous les jours devant lui les humbles plain-
1 Lib. IX Confess., cap. m, num. S. — ^ i^h. Il
Acad,, cap. v, num. i3.
^ Lib. 1 Acad., cap. v, num. 15, et lib. II, cap. iv,
num. 10. — '• Ibid., lib. II, cap. xi, num. 25, et lib.
III, cap. n, num. 2.
» August., lib. I de Ordin., cap. m, num. 6.
* Ibid., cap. YUi, num. 25.
' Ibid., cap. V, num. 13. — ^ j^ji,. | dg Ordin.,
cap. n. — ' Ibid., lib. I, cap. vrii.
tes de son ignorance et de sa misère'. De
là il allait se promener à la campagne avec
ceux de sa compagnie *. Mais lorsqu'il fai-
sait mauvais ', ils allaient s'entretenir dans
des bains qui étaient assez beaux. Il ne pre-
nait de nourriture dans ses repas qu'autant
qu'il en faUait pour apaiser la faim '", sans
rien diminuer de la liberté de l'esprit, et ne
se couchait qu'après avoir prié Dieu". Mais
il était quelquefois lon;-temps à méditer et
à s'entretenir avec lui-même. Trygétius et
Licentius couchaient dans la même cham-
bre que lui. Comme il avait pour eux une
extrême affection, i\ prenait un très-grand
soin '^ de foimer leurs mœm's et de les ins-
truire dans les belles-lettres. Il y réussit si
bien, que ceux qui les avaient connus aupa-
ravant , avaient peine à concevoir " qu'ils
fussent devenus si ardents à approfondir les
vérités les plus relevées, et qu'étant si peu
avancés en âge, ils eussent ainsi déclaré la
guerre aux voluptés. Depuis que saint Au-
gustin eut commencé à se donner à Dieu,
la lecture des psaumes le touchait sensible-
ment ", et il séchait de douleur en pensant
aux écrits que les manichéens opposaient à
ces divins cantiques. Ce fut dans le même
temps '^ qu'il comprit combien le parjure est
dangereux, et qu'il entreprit de se défaii'e
de la mauvaise coutume qu'il avait prise de
jurer. «J'ai combattu '% dit-il, cette habi-
tude, et non-seidement je l'ai combattue,
mais j'ai prié le Scignem- de m'aider à la
surmonter. Il m'a accordé son secom-s, et
présentement rien ne m'est plus facile que
de ne pas jurer ; car, en combattant un vice,
on le lie pour ainsi dire, et on le resserre " :
en le liant , on le rend languissant : la lan-
gueur le fait enfin mourir et l'on acquiert
mie bonne habitude, en se corrigeant d'une
mauvaise. » Ce fut aussi dans sa retraite qu'il
éprouva le secours de Dieu dans un mal de
dents si violent *', que jamais il n'avait res-
senti de si vives doulem-s. Quand le mal fut
anivé à un tel excès qu'il ne pouvait plus
parler, il lui vint en esprit d'avertir ses amis
qui étaient présents de prier Dieu pour lui.
1» Lib. II Acad., cap. vi, num. 1-1. — " August.,
Ejnst. 3, pag. 6.—'^ August., lib. I de Ordin., cap. x,
num. 29, et cap. vni, num. 2i.
'3 Lib. H de Ordin., cap. s, uum. 29.
1'' Lib. IX Confess., cap. iv.
•'•i August., Serm. 180, cap. ix, num. 10.
'^ Serm. 307, cap. iv, uum. 5.
'"' Serm 180, uum. 10. — '8 Lib. IX Confess.
cap. IV, uum. 12.
SAINT AUGUSTL\, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
[IV« ET V° SIÈCLES.]
Pour leur faire entendre sa pensée , il l'écri-
vit sur des tablettes qu'il leur donna à lire :
et aussitôt qu'ils se furent mis à genoux, la
douleur s'évanouit. Cet effet si miraculeux
grava profondément dans le cœur de saint
Augustin le pouvoir de la volonté de Dieu ,
et sa foi lui en donnant de la joie , il loua
le saint nom du Seigneur. Mais cette foi ne
lui permettait pas d'être sans inquiétude
dans le souvenir de ses péchés qui ne lui
avaient pas encore été remis par le saint
baptême.
Il re';oit 13. Le temps étant donc ' venu pom' se
à^MUan^'en iicttre au nombre des compétents et se pré-
387- parer à recevoir ce sacrement, il quitta la
campagne et revint à Milan avec Alypius et
son fils Adéodat, qui voulaient participer à
la même grâce. C'était au commencement
du carême de l'an 387. 11 nous apprend lui-
même dans quelle disposition il était alors,
dans un ouvrage qu'il composa longtemps
après, et où il parle de lui et des autres en
ces termes : «Faisons-nous si peu d'attention
sur nous-mêmes, que ' nous ne nous souve-
nions pas avec quelle application, quel soin
et quel respect nous écoutions les instruc-
tions de ceux qui nous enseignaient les prin-
cipes de la religion, lorsque nous deman-
dions à être admis au baptême, et que pour
cette raison, on nous appelait compétents. »
Il reçut ce sacrement des mains de saint Am-
broise ', la veille de Pâques, qui, cette année
387, se rencontra le septième des calendes
de mai, c'est-à-dire le 25 d'avril. Aussitôt *
qu'il eut été baptisé, l'inquiétude que lui don-
nait le souvenir de sa vie passée s'évanouit ,
et il ne pouvait en ces premiers jours se ras-
sasier de la consolation singulière qu'il rece-
vait, en considérant quelle est la profondeur
des conseils de Dieu en ce qui regarde le
salut des hommes. Il renonça plus que ja-
mais ^ à tout ce qu'il eût pu espérer dans
le siècle, et se résolut à ne servir, lui et les
siens, que Dieu seul.
14. Ayant examiné en quel lieu il pom-rait
exécuter plus aisément son dessein, ils se
résolurent, lui et les siens, de retourner en
Afrique ^ avec un jeune homme nommé
Evodius, qui était aussi de Tagaste. Arrivés
à Ostie '' , ils s'y reposèrent du long chemin
qu'ils avaient fait depuis Milan, et se prépa-
raient à s'embarquer. Un jour, étant appuyé
sm- mie fenêtre ^ avec sa mère qui regardait
le jardin de la maison où ils logeaient, ils
s'entretinrent ensemble avec une extrême
consolation sur la félicité éternelle, oubliant
tout le passé pour ne s'occuper que des biens
à venir. Alors sainte Monique lui dit : « Mon
fils , pour ce qui me regarde , je n'ai plus
aucun plaisir en cette vie. Je ne sais ce que
je fais encore ici, ni pourquoi j'y suis. La
seule chose qui me faisait souhaiter d'y de-
meurer, était de vous voir chrétien catho-
lique avant de mom-ir. Dieu m'a donné plus :
je vous vois consacré à son service, ayant
méprisé la félicité temporelle. » Au bout de
cinq joiu's elle tomba malade de la fièA're, et
moui'ut au bout de neuf. Saint Augustin lui
ferma les yeux ' et se sentit en même temps
frappé d'une douleur qui voulait se répan-
dre au dehors par des ruisseaux de larmes :
mais il les retenait avec mie extrême vio-
lence. On porta le corps, et on offrit pour la
défunte le sacrifice de notre rédemption. On
fit encore des prières auprès du sépulcre,
suivant la coutume, en présence du corps,
avant de l'enterrer. Saint Augustin, écrivant
dans la suite toutes les circonstances de cette
mort , priait les lecteurs de se souvenir au
saint autel de son père Patrice et de Moni-
cpie, sa mère. Elle avait elle-même demandé
cette grâce mi moment avant sa mort, en
disant à son fils '" et à Navigius : « Mettez
ce corps où il vous plaira , et ne vous en
inquiétez point : je vous prie seulement de
vous souvenir de moi à l'autel du Seigneur,
quelque part que vous soyez. » Saint Au-
gustin était alors dans la trente-troisième
année de son âge " : ainsi il faut mettre la
mort de sa mère vers le commencement du
mois de novembre de l'an 387.
15. Soit que la saison fût trop avancée,
soit qu'il n'ait plus trouvé d'occasion favora-
ble pom- s'embarquer, soit enfin qu'il appré-
hendât les troubles qu'avait causés en Afri-
que l'invasion de Maxime, saint Augustin ne
partit d'Itahe qu'après la mort de ce prince,
c'est-à-dii'e au mois d'août ou de septembre
de l'an 388. Il passa tout ce temps à Rome,
comme il nous en assure lui-même, et l'em-
II retour-
ne en 4fri-
quo,cn3X8.
Il donne
son bien
aux p a u-
vres.
1 Lib. IX Confess., cap. vi. —2 August, de Fid.
et oper., num. 9. — ^ Possid. ,mVitaÀugust., cap. i.
* Lib. IX Confess., cap. vi.
^ Possid., in Vita, cap. ii. — « Possid., iu Vita,
cap. lo.
^ Lib. IX Confess., cap. xi, uum. 27 et 28.
s Lib. IX Confess., cap. xi, num. 27 et 28.
3 Ibid., cap. xn, num. 29.
1» Ibid., cap. XI, uum. 27. — " Lib. IX Confess.
cap. ."il.
10
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
ploya ' à composer divers livres, savoir celui
des Mœurs de VEglise catholiqve, et celui des
Mœurs des manichéens ; celui de la Grandeur de
l'âme, et les trois du Libre arbitre. Il aborda
à Cartilage ^ et s'y arrêta quelque temps avec
Alypius, logeant chez un nommé Innocent,
qui avait exercé la charge d'avocat au siège
du vicaire de la Préfecture. Les chirurgiens
traitaient alors Innocent de certaines fistu-
les qu'il avait eu grand nombre en la partie
où viennent les hémorrhoïdes. Ils y avaient
déjà appliqué le fer, et prétendaient le gué-
rir par des remèdes extérieurs. Mais il était
demeuré ime fistule qu'ils n'avaient point
aperçue d'abord ; en sorte qu'ayant manqué
à l'ouvrir, les autres étant guéries, celle-là
demeurait toujours. Après bien du temps,
on fut d'avis qu'il fallait en venir à une se-
conde incision.
Le malade la craignait comme une mort
certaine, et toute la maison était dans une
extrême affliction. « Dans cette extrémité,
nous nous disposâmes à prier, dit saint Au-
gustin, nous nous mîmes à genoux, et nous
nous prosternâmes en terre, comme c'est la
coutume; Innocent s'y jeta lui-même avec
tant d'impétuosité, qu'il semblait que quel-
qu'un l'eût poussé rudement. Il commença à
prier : mais qiii pourrait exprimer de quelle
manière, avec quelle ardeur, quel trans-
port , quel torrent de larmes , quels gémis-
sements et quels sanglots? Tous ses mem-
bres en étaient agités, et il pouvait à peine
respirer. Je ne sais si les autres priaient,
et si ce spectacle ne les en détournait point.
Pour moi, je ne le pouvais faire, et je disais
seulement en moi-même : Seigneur, quelles
prières de vos serviteurs exaucerez-vous, si
vous n'exaucez celles-ci ? car il me semblait
qu'il ne s'y pouvait rien ajouter, sinon d'ex-
pirer en priant. Nous nous levâmes donc;
et après avoir reçu la bénédiction de l'évê-
quc qui était présent, nous nous retirâmes.
Le lendemain les médecins revinrent : on
mit le malade sur son lit, on ùta les ban-
dages, on découvrit l'endroit , et le chirur-
gien, tenant le rasoir, regardait, cherchant
de l'œil et de la main la fistule qu'il de-
vait ouvrir. Mais, après avoir bien regardé
et bien cherché, il trouva une cicatrice
très-ferme et le mal entièrement guéri. »
De Carthage, saint Augustin passa à Ta-
gaste, et se retira avec ses amis dans les
terres qu'il avait ^ près de cette ville. Il y
demem'a environ trois ans, dégagé de tous
les soins du siècle, ne vivant que pour Dieu,
s'y exerçant au jerine, à la prière et aux
bonnes œuvres, méditant nuit et jour la loi
du Seigneur, et instruisant les autres par
ses discours et ses écrits. II vendit même ses
terres et en distribua l'argent aux pamTcs,
ne se réservant rien du tout, afm de servir *
Dieu dans une entière liberté. On voit par
les ouvrages qu'il composa dans cette re-
traite, soit pour expliquer l'Écriture sainte,
soit pour défendre la doctrine de l'Église,
qu'il y étudiait avec grand soin, non-seule-
ment lesLivres saints, mais encore les écrits
des auteurs ecclésiastiques qui , avant lui ,
avaient traité les matières dont il souhai-
tait de s'instruire. Il ypratiqnait" aussi avec
ses amis tous les exercices de la vie reli-
gieuse.
16. Tandis qu'il s'occupait ainsi, et qu'il f^n ,,fii"è
ne songeait qu'à vivre inconnu et dans la ^'Ij'j'ji'j""'''
dernière place, le Seigneur l'engagea dans
le ministère ecclésiastique, pour lequel il
avait tant d'éloignement ^ Voici quelle en
fut l'occasion : un agent ' de l'empereur à
Hippone, ville maritime du voisinage de Ta-
gaste, homme vraiment chrétien et craignant
Dieu, ayant été informé de sa vertu et de
son savoir, souhaita fort de le voir et d'en-
tendre la parole de Dieu de sa bouche. Il
assurait même que les instructions qu'il re-
cevrait de lui poiuTaient le faire renoncera
toutes les Amanites «t à toutes les prétentions
du siècle. Saint Augustin, espérant de le
gagner à Dieu et de l'engager même avenir
demeurer avec lui dans sa retraite, vint à
Hippone, eut plusieurs entretiens avec lui,
et le pressa extrêmement d'accomplir ce
qu'il avait promis à Dieu. Mais il ne put lui
persuader de l'exécnter alors. Valère gou-
vernait en ce temps-là l'Église d'Hippone ^
C'était LUI homme de piété et plein de la
crainte de Dieu, mais Grec de naissance, de
sorte qu'il avait peine de s'énoncer en la-
tin. Se voyant donc par là moins utile à
son Eglise, il demandait souvent à Dieu de
' Lib. I RelracL, cap. vu, uum. 1, cap. viii,
num. 1, et cap. ix, num. 1.
2 August., lib. XXII de doit., cap. viii, iiuiii. 3.
" Possid. , in Vitci, cnp. iii, et lili. I.\ Confess.,
cap, V, nuiu. 13.
'• Epist. 12fi, nnm. 7.— s Possid., iuTïta, cap. ni.
" Aiiyust., Scnii. 335, cap. i, num. 2, et, EpisL.2l,
uum. 1.
' Possid., in Vila, cap. ni. — ^^ Po-^sid., iii Vila,
cap V.
[iv" ET V" SIÈCLES-] SAINT AUGUSTIN,
lui donner un homme capable d'édifier son
peuple par sa parole et par sa doctrine. Un
joiu- qu'il parlait aussi à son peuple du be-
soin qu'il avait d'ordonner un prêtre pour
son Église, le peuple qui connaissait la vertu
et la doctrine de saint Augustin, et qui l'ai-
mait ', ayant appris comment il avait aban-
donné son bien poiu- se consacrer à Dieu, se
saisit ^ de lui au milieu de l'église où il était
venu sans se douter de l'ien, et le présenta,
selon la coutume , à l'évêque , le priant tous
unanimement et avec beaucoup d'empres-
sement de l'ordonner prêtre. Saint Augustin
fondait en larmes dans la rae des dangers '
et des traverses auxquels le gouvernement
d'une Église allait l'exposer. Quelques-uns
de ceux qui s'aperçurent de ses larmes, et
qui n'en pénétraient point la cause, lui di-
saient pour le consoler, comme s'il eût été
affligé de n'être que prêtre : « Il est \Tai que
vous méritez une plus grande place, mais la
prêtrise approche de l'épiscopat. « Le désir
du peuple fut accompli , et saint Augustin
ordonné prêtre malgré sa résistance, vers
le commencement de l'an 391. Il reconnaît
dans une de ses lettres '* que l'Église d'Hip-
pone avait eu le droit de l'arrêter et de le
faire prêtre , parce que celle de Tagaste où
il était né, ne l'avait point chargé du minis-
tère ecclésiastique. Il est vrai que, dans im
concile de Carthage ° en 349, il fut ordonné
que l'on pourrait imposer les mains à un
laïque d'un autre diocèse , sans l'aveu de
son évêque ; mais ce canon ne fut pas si
tôt observé; et dans les aiitres conciles,
on s'était contenté de défendi'e d'ordonner
ceux qui étaient déjà clercs dans quelque
Église.
Pour apprencke à exercer utilement les
fonctions ecclésiastiques, saint Augustin de-
manda à Valère la permission de se retirer
dans la solitude ^ quelque peu de temps,
et au moins jusqu'à Pâques, afin d'étudier
l'Écriture sainte : et il y a tout lieu de croire
que ce saint évêque se rendit à ses instan-
ces. C'était alors la coutume ' des Églises
d'Africjue, de ne point laisser prêcher les
EVEQUE D'HIPPONE.
11
prêtres. Mais Valère fit très-souvent prêcher
saint Augustin en sa présence, ne craignant
point de passer par - dessus cette pratic[ue,
que saint Jérôme appelle une très-méchante
coutume ', parce qu'elle donnait motif de
croire cpie les évêques portaient envie à la
réputation de leurs prêtres, ou qu'ils dédai-
gnaient de les écouter et d'apprendre quel-
que chose d'eux. Quelques évêcpies en mur-
murèrent : mais ce sage et vénérable vieil-
lard, qui savait qu'il était ordinaire ^, dans
les Églises d'Orient, de voir les prêtres prê-
cher en présence des évêques, crut devoir
se mettre moins en peine de ces murmures,
que du service qu'il rendait à son Eglise, en
lui donnant par un prêtre les instructions
qu'il ne se voyait pas en état de lui faii'e par
lui-même. Bientôt d'autres évêques'" suivi-
rent l'exemple de Valère, et chargèrent les
prêtres d'annoncer aux peuples la parole du
Seigneur.
17. Saint Augustin, depuis son ordination,
conserva l'amour de la retraite et se résolut
de vivre à Hippone dans im monastère,
comme il avait fait auprès de Tagaste. Va-
lère ", le voyant dans cette disposition, lui
donna un jardin de l'église, où il rassembla
diverses personnes qui avaient, comme lui,
le désir de se donner entièrement à Dieu,
n y menait avec eux la même vie '^ que les
premiers chrétiens à Jérusalem du temps
des Apôtres. Ceux d'entre eux qui avaient
du bien le vendaient et en distribuaient le
prix aux pauvres '', ne se réservant d'autre
fonds que Dieu même. On met au nombre
de ses disciples, Alypius, Evodius, Possidius,
et plusiem's autres qui furent depuis tirés de
ce monastère pour être élevés à l'épiscopat.
Saint Augustin y recevait aussi des enfants ''*,
des esclaves '° et de simples catéchumènes.
La continence était observée de tous "^. D fit
pour les vierges la même chose qu'il avait
faite pour les hommes, et établit pour eUcs
un monastère à Hippone, dont sa sœur fut
supérieure ", et qu'elle gouverna longtemps
et jusqu'à sa mort, servant Dieu dans une
sainte viduité. Les fiUes " de son frère et
Tl élablit
un monns-
t'ire à U p-
• August., Epist. 126, num. 7. — ^ Possid., in Vita,
cap. IV. — 3 August., Epist. 21, num. 2.
' August., Epist. 126, num. 7.
s Tom. Il Concil., pag. 713.— ^ August., Episf. 21,
num. 2.
1 Possid., in Vita, cap. v.
8 Hieronym., Epist. ad Nepotian. — ' Possid., in
VUa, cap. V. — i" Ibid.
n August., Epist. 258, num. 5. — '^ possid., in
Vita, cap. V.
" August., Epist. 238, num. 5.
''' August., lib. XII de Gen. ad litt., cap. xvii,
num. 37. — 1» Lib. de Oper. monach., cap. x.xi,
num. 33.
18 August., de Geai, et lib. arbit., cap. vn.
" Possid., in Vita, cap. xxvi. — ^^ Ibid-
12
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
de son oncle y étaient aussi. C'est ans reli-
gieuses de ce monastère qn'il adressa sa
deux cent onzième lettre.
Il écrit à 18. Aurèle, qui n'était que diacre de Car-
cariiingeaii tliage lorsque saint Augustin revint d'Italie
atapcs. "^^ ^^ 388, en fut fait évéque après la mort de
Généthlius, vers l'an 392. Aussitôt après son
oixlination, il en écrivit ' à saint Augustin,
avec qui il était depuis longtemps lié d'ami-
tié : il se recommandait à ses prières, et se
réjouissait de ce qu'Alypius demeurait avec
lui. Saint Augustin, ravi de cette lettre, parce
qu'il y voyait les marques d'une affection
véritablement sincère et cordiale, fut néan-
moins longtemps sans savoir comment y ré-
pondre. Enfin, s'abandonnant à l'esprit de
Dieu, dans l'espérance qu'il le rendrait ca-
pable de répondre à cet évèque ce qui con-
venait, il l'assura d'abord des prières que
lui et ses frères oflraient à Dieu, afin cju'il
fit sentir à son Eglise, par son ministère, les
effets de sa miséricorde. Il l'exhorta ensuite
à réformer l'abus de certains festins qui se
faisaient en Afrique dans les cimetières et
sur les tombeaux des martyrs, sous prétexte
de religion. « Quand ce désordre, lui disait-
il, régnerait par toute la terre, aussitôt que
* l'Afrique commencerait à l'abolir, son exem-
.ple mériterait d'être suivi de tous les autres
pays. Mais puisqu'on ne le voit ni dans la
meilleure partie de l'Italie, ni dans la plupart
des Eglises d'outre-mer, dans les unes parce
qu'il n'y a jamais eu de lieu, et dans les au-
tres parce que de saints évoques l'ont ou
étouffé dès sa naissance, ou arraché des lieux
où il était le plus enraciné, hésitons-nous en-
core sur les moyens de corriger cet abus ? »
Il parlait aussi dans cette lettre sur la Ama-
nite et le désir des louanges , moins pour
l'instruction d' Aurèle, que pour s'encourager
lui-même à combattre cet ennemi, dont on
ne connaît la force que quand on lui a dé-
claré lagueri'e. « Je lui résiste, dit-il, aiitant
que je puis, et toutefois, il me fait souvent
des plaies, ne pouvant m'empêcher de res-
sentir de la joie dans les louanges cpie l'on
me donne. » On ne sait point si ce saint évè-
que fut assez heureux poiu' arrêter les dé-
bauches cjui se commettaient dans les cime-
tières des martyrs à Carthage ; mais saint
Augustin nous apprend dans une letti'e qu'il
éci'ivit, n'étant encore cp.ie prêtre, par con-
séquent en 395 au plus tard, cpie cette an-
née-là même cet abus fut aboli à Hippone-.
Cet événement eut lieu un mercredi, second
jour de mai, veille de la fête de l'Ascension.
Comme on avait lu ce jour-là l'endroit de
l'Évangile où il est dit: Ne donnez point le
Saint aux chiens, il s'en servit pour montrer
combien il était honteux de commettre dans
l'église des excès pour- lesquels ceux qui s'en
étaient rendus coupables dans l'intérieur
de leur maison, méritaient d'être privés de
la communion des saints mystères. Son dis-
cours fut applaudi, mais comme il y avait
eu peu de monde, il reprit la même matière
le lendemain. Il accompagna son discours
des marques de la plus vive douleur, et,
mêlant ses larmes aux menaces, aux repro-
ches et aux prières, il vint à bout d'abolir
cette mauvaise coutume. Saint Augustin ne
fit en cela que se conformer à la disposition
du concile d'Iîippone qui, en 393, avait or-
donné par son canon 31", que l'on détourne-
rait le peuple de ces sortes de festins, autant
qu'il serait possible. Quelqucs-rnas disaient:
Pourquoi abolir maintenant cette coutume ?
à quoi saint Augustin répondait : « Abolis-
sons du moins à présent ce que l'on aiirait
dû abolir il y a si longtemps. » Néanmoins,
de peur qu'il ne semblât accuser ceux qui
l'avaient soufferte, il fit entendre au peuple
qu'on avait eu des raisons d'user de cette
condescendance ; que ces raisons étaient,
vraisemblablement, qu'après la paix rendue
à l'Éghse, les païens qui se convertissaient
en foule, ayant peine à renoncer aux festins
qu'ils faisaient aux jours de fêtes en l'hon-
neur de leurs idoles, on avait eu égard à leur
faiblesse, et onleur avait permis de célébrer
les fêtes des martyrs par des festins, en at-
tendant qu'ils fussent capables des joies pu-
rement spirituelles. On lui objectait encore
l'exemple de l'église de saint Pierre à Rome,
où ces festins se célébraient tous les jours.
Saint Augustin répondit cpi'il savait cpi'onles
avait souvent défendus, et que ce qui avait
empêché qu'on ne vînt à bout d'arrêter un
si grand désordre, c'est que le lieu où il se
commettait était fort éloigné du logement
de l'évêque; que, dans une si grande ville,
il y avait une quantité d'hommes charnels,
et que le nombre en augmentait par cette
foule d'étrangers qui abordaient sans cesse
à Rome, et qui s'attachaient d'autant plus
opiniâtrement à cette malheureuse coutume,
' .\ljud August., Episl. -li, uum. 4.
.\iigust., Episl. 29, uiuu. 2 et seq.
[IV° ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
13
qu'ils étaient plus grossiers et moins ins-
truits. Voyant donc tout le peuple d'accord
pour abolir ces festins, il les exhorta à se
trouver à midi aux lectui-es et au chant des
Psaumes. L'assemblée y fut nombreuse : on
lut et on chanta alternativement , jusqu'à
l'heure où le clergé revint avec l'évêque.
Saint Augustin fut obligé, par les ordres de
Valère, de parler encore au peuple ; ce qu'il
fit en peu de mots, montrant l'intérêt qu'il y
a de s'attacher à ce qui ne périt point, et à se
dégager des choses sensibles, en s'élevaut
par la pm-eté d'esprit à ce qui est au-dessus
des sens.
Il est fait 19. Vers la fin de la même année 393,
<ï'Hippone, l'évêque Valère se sentant accablé de vieil-
"" ^^^' lesse et d'infirmités, et craignant qu'on ne
lui enlevât saint Augustin pour le faire
évêque , écrivit secrètement ' à Am'èle de
Carthage de le faire ordonner évêque pour
l'Église d'Hippone, comme son coadjuteur.
La réponse d'Am'èle ayant été favorable,
Valère pria Mégalius, évêque de Calame,
primat de Numidie, de venir visiter l'Église
d'Hippone. Sa présence ou du moins son
consentement était nécessaire pour ordonner
mi évêqae. Quand Mégalius fut arrivé, Valère
lui déclara son intention, ainsi qu'aux autres
évêques qui se trouvèrent présents, à tout
le clergé de la ville et au peuple. Tous géné-
ralement reçurent cette proposition avec une
extrême joie, et le peuple demanda^ avec de
grandes acclamations qu'elle fût exécutée.
Saint Aug-ustin seul et Mégalius s'y oppo-
sèrent. Celui-ci, pressé par le concile ^ de
prouver une accusation qu'il avait formée
contre saint Augustin, ne put le faire. Il en
demanda même pardon, et reconnut si bien
son innocence, qu'il lui imposa les mains.
Saint Augustin refusait d'accepter l'ordina-
tion épiscopale ', soutenant qu'il était contre
la coutume de l'Éghse de mettre un évêque
où il y en avait encore mi vivant. Mais on
l'assura ^ que c'était une chose ordinaire, et
on lui en aUégua plusieurs exemples tant
dans les Églises d'Africpie que dans celles de
deçà la mer. Ne trouvant donc plus d'excuse,
et craignant de résister à l'ordre de Dieu, il
consentit malgré lui à accepter le soin et
les marques de la dignité épiscopale. On ne
laissa pas de trouver à redire à cette oi-di-
nation ; le Saint avoua depuis ^ de bouche et
par écrit, qu'elle était contraire au huitième
canon du concile de Nicée. Mais lorsqu'il fut
choisi évêcfue, ni lui ni Valère ne savaient
point ce que le concile de Nicée avait or-
donné à cet égard. C'est pom'quoi saint Au-
gustin fut d'avis', dans la suite, que l'on éta-
blit pour règle, dans les conciles, que quand
on ordonnerait une personne , l'ordinateur
lui lirait tous les décrets des Pères. Ce dé-
cret se trouve ^ dans le troisième concile de
Carthage, en 397.
20. Tant qu'il ne fut que prêtre , saint Sa cfn-
Augustin demeura ' dans un monastère do tiant soîî
religieux cpi'il avait établi à Hippone : mais "^P'^<^"i«"-
voyant c[u'en qualité d'évêque, il ne pouvait
se dispenser de recevoir '" continuellement
des étrangers, il voulut avoir avec lui dans
la maison épiscopale les prêtres, les diacres
et sous-diacres qui desservaient son Église.
D. menait avec eux, autant qu'il lui était pos-
sible, la vie des premiers chrétiens de Jérusa-
lem ", qui avaient tout en commun; c'était
la loi à laquelle s'engageaient tous ceux qui
entraient dans son clergé : et il n'ordonnait
aucun clerc '- qui ne consentit à demeurer
avec lui à condition de ne rien posséder en
propre. Ceux qui avaient du bien étaient
obligés "ou de le donner aux pau^Tes, ou de
le mettre en commun. Mais ceux qui n'ap-
portaient rien, n'étaient point distingués '*
de ceux qui avaient donné quelque chose à
la communauté. Quant à sa personne, il s'a-
donna '° au ministère de la prédication avec
encore plus de ferveur qu'il n'avait fait étant
prêtre, et il continua " cette fonction de
son ministère jusqu'à la mort avec la même
assiduité, la même force, la même vivacité et
le même jugement. Il était vêtu ", chaussé et
meublé d'une manière fort modeste, n'ayant
rien de trop beau, ni de trop méprisable, et
gardant en tout la médiocrité sans affecta-
tion. «Voulez-vous, disait-il"*, qu'on dise que
1 Possid., in Yita, cap. vill. — ^ August., Epist. 41,
num. 4.-— 3 August. , lib. III cont. Crescon., cap. lsxs.
* Possid., iu Vita, cap. vin.
5 Possid., ibid., et August., cap. xxxi, num. 4.
^ August., Epist. 213, num. 4.
■> Possid., cap. viii.
8 Tom. Il Concil., p. 1167. — ^ Possid., in Vita,
cap. V.
1» August., Serm. 233, cap. i, num. 2. — " Au-
gust., Serî)i-. 333, cap.l, num. 2, et Serm. 336, num. l.
»- Ibid., num. 6. — '^ Serm. 333, cap. i, num. 2.
1* Serm. 356, num. 8. — '^ possid., in Vita,
cap. IX.
1^ Possid., in Yita, cap. xxxi.
" Possid., in Vita, cap. xxii. — '^ Serm. 336,
num. 13. , ,
u
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
j'ai trouvé dans l'Église le moyen d'avoir
des habits plus riches que je n'en eusse pu
avoir cliez mon père, ou dans l'emploi que
j'avais dans le siècle : cela me serait lionteux.
Il faut que mes habits soient tels que je les
puisse donner à mes frères, s'ils n'en ont
point. Je n'en veux point d'autres que ceux
que peut porter un prêtre, un diacre, un
sous-diacre, parce que je reçois tout en com-
mtui avec eux. Si l'on m'en donne de plus
chers, je les vendrai, afin que si ces habits
ne peuvent servir à tous, l'argent qu'on en
aura tiré y serve. Si l'on souhaite que je
porte ceux que l'on me donne, que l'on m'en
donne qui ne me fassent point rougir. Car, je
vous l'avoue, un habit de prix me fait rougir,
parce qu'il ne convient point à ma profes-
sion, à l'obligation que j'ai de prêcher, à un
corps cassé de vieillesse, et à ces cheveux
blancs que vous me voyez. » Sa table élait
servie frugalement ' ; outre les herbes et
les légumes, on y servait quelqiiefois de la
viande pour les étrangers et les infirmes;
mais il y aA'ait toujours du vin : car il ne
craignait pas l'impureté des viandes, comme
les manichéens, sachant que toutes les créa-
tures de Dieu sont bonnes et sont sanctifiées
par la parole de Dieu et par la prière. 11
y avait un nombre de verres ^ réglé pour
ceux qui mangeaient avec lui : si quelqu'un
de ses clercs avait juré, il perdait un verre.
On servait à sa table des cuillers d'argent '■';
mais toutes les autres choses étaient de
terre, de bois, ou de marbre : ce que saint
Augustin faisait uniquement par amour de
la pauvreté et de la modestie. 11 faisait lire
pendant le repas, ou examiner quelques
questions : et pour exclure de sa table la
médisance, il avait fait écrire ces deux vers
dans son réfectoire :
Toi qui, saus charité, déchires les absents,
Apprends qu'à cette table on hait les médisants.
Aucune femme '• ne logeait cbez lui, pas
même sa sœur, quoique veuve et fidèle ser-
vante de Dieu. La raison qu'il en donnait
était que, quoique l'on ne pût concevoir de
mauvais soupçons, en ne voyant chez lui
que sa sœur ou ses nièces , comme elles ne
pouvaient se passer d'autres femmes, tout ce
commerce pouvait être aux faibles un sujet
de scandale, et aux ecclésiastiques qui de-
meuraient avec lui une occasion de tenta-
tion. Il confiait ^ l'administration des biens
de l'Église à ceux de ses clercs qu'il croyait
les i^lus propres à cet emploi, et leur faisait
rendre compte chaque année des recettes
et des dépenses. Quoiqu'il n'eût point de
trésor pour y conserver de l'argent, il avait
une espèce de tronc ^ pour recevoir les au-
mônes et les oblations des fidèles, dont il
usait en faveur des pauvres. Quelques-uns
murmuraient '' de ce qu'il faisait difficulté
de recevoir des successions, mais il s'en
mettait peu en peine; et, croyant qu'il fal-
lait en ces rencontres user de beaucoup de
discrétion, il ne recevait point les donations
qui étaient honteuses à l'Église, ou qui lui
auraient pu être à charge, se contentant de
recevoir celles qui étaient saintes *. Il ex-
hortait ^ même les fidèles à compter Jésus-
Christ au nombre de leurs enfants, et à lui
laisser une part dans leur succession.
21. S'il n'aimait '° point à faire de nou-
veaux édifices à cause de l'embarras qui en
revient, il n'empêchait pas les autres de bâ-
tir, à moins qu'ils ne donnassent dans l'ex-
cès. Nous lisons dans un de ses discours, qu'il
commanda " au prêtre Léporius de cons-
truii'e un hôpital pour les étrangers, de l'ar-
gent que l'on avait donné à l'Eglise pour
cet effet, et que, du reste de cet argent, Lé-
porius en bâtit aussi par son ordre la basili-
que des Huit-Martyrs. Il donnait '- souvent
aux pauvres du fonds môme d'où il prenait
sa subsistance et cefie de sa communauté : et
quand l'argent lui manquait, il en avertissait
le peuple, afin d'avoir toujours de quoi don-
ner aux pauvres. C'est ce qui parait par un
discours " qu'il fit le jour de son ordination,
et par un autre qu'il finit en ces termes:
« Je suis mendiant pom- les mendiants '' ; et
je veux bien l'être, afin que vous soyez du
nombre des enfants de Dieu. » Saint Augustin
parle dans un autre discernas d'une coutume '*
qu'il avait établie parmi son peuple , de
vêtir tous les ans les pauvres. Comme on y
manqua une fois '"pendant son absence, il en
* Possid., in Vita, cap. xxii. —^Ibid., cap. sxvui.
2 Possid., ibicl., cap. x.xii.
'' Possid., in Vila, cap. xxvi.
" Possid., in Yita, cap. xxiv. — " August., Serin.
333, uum. 13.
' Ibid,, cap, m, num. 4. — s jud, _ s ji,i,i.
1" Possid., in Vita, cap. xxiv. — n August.,
Serm. 33S, uum. 6.
" Possid., in Yita, cap. xxiu. — '^ Serm. 339,
cap. m, iinni. 3.
'• Serm. 330, nnm. la. - '» Epist. 122, uiim. 2.
" lîpisl. 122, num. 2.
[IV" ET y" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE DTIIPPONE.
15
reprit aussitôt son clergé et son peuple, par
une lettre qu'il leur écrivit. Enfin sa com-
passion pour les misérables * alla jusqu'à lui
faire rompre les vaisseaux sacres et les faire
fondre, pour en assister les pauvres et les
captifs.
Sa cou- 22. Suivant exactement les règles que saint
vers les [lé- Paul prescrivait à Timothée, il reprenait pu-
diuuis. bliquement ^ ceux dont les crimes étaient
publics, afin de donner de la crainte aux
aiitres. Il y avait néanmoins certains vices '
qu'il ne combattait que comme en riant *,
quoiqu'ils fussent publics, dans la crainte de
porter les pécheurs à la colère et de passer
pour un novateur. Telles étaient les obser-
vations superstitieuses des jours, qui, quoi-
que condamnées par saint Paul, étaient si
communes en Afrique , qu'on les pratiquait
ouvertement et sans aucun scrupule. Quant
aux péchés secrets , lorsqu'ils étaient consi-
dérables, comme les homicides, ou les adul-
tères '% il avertissait en secret ceux qui en
étaient coupables, et ne négligeait rien pour
leur persuader d'en faire pénitence. Quel-
quefois il refusait de manger avec cerlains
chrétiens d'une vie déréglée, afin de leur
faire confusion et de les engager par là à
rentrer'dans leur devoir : et au contraire , il
mangeait ^ souvent avec des païens et des
impies, en les recevant à sa table, plutôt
qu'avec les mauvais catholiques, se con-
formant en cela au précepte de saint Paul.
11 employait l'excommmiication envers les
pécheurs^ qui le méritaient, autant que la
paix de l'Église le pouvait souffrir, et qu'il
jugeait cette censure utile pour leur salut.
Mais il n'osait en user de même à l'égard de
ceux qui étaient sujets à l'ivrognerie, quoi-
qu'ils le méritassent, parce que ' n'étant pas
persuadé de la grandeur de leurs fautes, ce
châtiment am'ait peut-être contribué à les
rendre pires. Il était plus sévère envers les
maris qui ne gardaient pas la foi conjugale,
et avertissait ceux qui savaient que leurs
désordres lui étaient connus, de s'abstenir
de la communion ^ , de peur que s'ils s'y
présentaient , il ne les fit chasser de l'autel.
Quelques personnes ayant violé un serment
qu'ils avaient fait sur les Évangiles, s'étaient
réfugiées dans l'église -pom' éviter la peine
de leur parjin-e : le magistrat, nommé Classi-
cien, vint à l'église trouver l'évêque du lieu,
nommé Auxilius, pour le prier de ne point
protéger ces personnes ; Auxilius prétendant
apparemment que Classicien avait violé l'a-
sile de l'église, l'excommunia avec toute sa
famille. Classicien s'en plaignit à saint Au-
gustin, qui en écrivit à Auxilius ^ pour sa-
voir de lui s'il avait quelques raisons pour
montrer qu'il fût permis d'anathématiser une
maison tout entière, pour la faute de quel-
que particulier ; il ajoutait que s'il n'en avait
point, il avait eu tort d'excommunier Clas-
sicien avec toute sa famiUe. Il le priait de se
réconcilier avec ce magistrat, et de biffer le
procès-verbal qu'il avait fait contre lui. <( Et
ne croyez pas, ajoute-t-il, que, dès là qu'on
est évêque , on soit incapable d'être surpris
par aucun mouvement de colère injuste.
Songeons, au contraii-e, que tant qu'on est
homme, on est exposé de toules parts à la
tentation et au péril de se perdre. » 11 avait
pour maxime, et il pouvait l'avoir apprise
de saint Ambroise '", qu'un homme consacré
au service de Dieu ne doit point se mêler de
faire des mariages, de peur que les mariés,
venant à se quereller , ne maudissent celui
qui leur avait procuré un engagement où ils
se trouvaient malheureux ; ni appuyer de ses
recommandations ceux qui veulent entrer
dans les offices de la cour, de crainte que
s'ils ne réussissent pas, on ne jette la faute
sur celui qui les a produits; et également
qu'il doit s'abstenir d'aller manger chez per-
sonne dans le lieu de sa demeure, parce que
l'occasion s'en présentant souvent, il se met-
tait en danger de s'accoutumer à passer les
bornes de la tempérance. Si, toutefois, les
deux parties priaient un évêque de se trouver
à leurs noces, saint Augustin était d'avis que
l'évêque devait y aller, pour confirmer et
pour bénir les promesses et l'accord qu'elles
faisaient mutuellement. H ne recevait à la
communion ceux qui faisaient profession
de l'astrologie judiciaire, qu'après les avoir
obligés à la pénitence publique, qu'il ne leur
accordait même qu'après beaucoup de de-
mandes et de délais. « Il est bon que vous
sachiez, dit - il " à son peuple, en parlant
d'un homme qui avait exercé cette profes-
1 Possid., in Yita, cap. sxiv. — ^ Possid., iu Vita,
cap. XIX. — ^ Sertn. 17, cap. m, nuui. 3.
'■ Expos. Ejnst. ad Galat-, muii. 33.
5 Serm. 82, cap. vn et vni.
" In psal- c, num. 8. — ' Serai. 17, cap. m,
num. 3. — 8 Serm. 392, cap. v, uum. 5.
^ August., Epist. 230, num. 2. — i" Possid., in
Yila, cap. xxvn. — " In psal. lix, num. 23,
16
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
sion, qu'il y a longtemps cju'il frappe à la
porte de l'église, et qu'il y est venu clierclier
le remède à ses maux dès devant Pâques.
Mais comme l'art dont il faisait profession
le rendait m\ peu suspect de mensonge et
de tromperie, nous avons cru qu'il était bon
de ditîérer à le recevoir, dans la crainte qu'il
ne nous tentât. Mais enfin nous l'avons reçu,
de peur qu'il ne fût plus dangereusement
tenté lui-même. Priez donc Jésus-Christ pour
lui. Offrez à son intentionles prières que vous
allez faire aujourd'hui au Seigneur notre
Dieu : car nous savons et nous nous tenons
assurés que vos prières effaceront toutes ses
impiétés. »
Ses ira- 23. Ce fut par le ministère de saint Au-
Vaux contre '- -, -, ■ n -n n nr
les ennemis gustm que les païens habitant la ville de Ma-
etpnuri'E^ dauie ' se convcitirent à la religion chré-
giisc. tienne, et que Longinien, qui était également
païen ^ et, selon toute apparence, pontife du
paganisme, reconnut qu'il fallait adorer le
seul Dieu qui est notre souverain bien et le
créateur incompréhensible de toutes choses ;
le saint évêque travailla aussi avec succès
contre les tertullianistes ' qui se trouvaient
à Carthage, et contre certains autres héré-
tiques nommés Abélonieus*, du nom d'A-
bel, qui s'étaient établis dans quelques vil-
lages du diocèse d'Hippone. La suite de son
histoire nous fera voir ce qu'il fit encore
contre les manichéens, contre les donatistes
et les pélagiens. En 397 , il se trouva au
troisième concile de Carthage, et à la plu-
part de ceux que l'on tint de son vivant
dans l'Afrique.
Il dépose 24. Le vingt -septième de décembre de
liusenaoï. l'an 401, il jugea '■^ l'aflaire d'Abondantius,
prêtre d'un lieu appelé Straboniane, dans
le diocèse d'Hippone, convaincu d'avoir pré-
variqué dans son ministère. La première
faute dont on l'accusa et sur laquelle il ne
put se justifier, fut qu'ayant eu en dépôt
chez lui l'argent d'un paysan, il ne put dire
ce que cet argent était devenu. 11 ne put
aussi nier qu'étant parti le jour du jeûne de
Noël sur les onze heures du matin de chez
un curé, pour s'en retourner chez lui, il s'é-
tait arrêté, sans être accompagné d'aucun
clerc, dans la maison d'une femme du même
lieu, qui était mal famée, d'y avoir diné et
soupe, quoique la paroisse de ce heu jeûnât
ce jour-là aussi bien que les autres Églises,
et d'avoir couché chez cette femme. Sm-
l'aveu qu'en fit Abondantius, saint Augustin
lui ôta le soin de l'Église qu'on lui avait
confié, et lui permit par compassion de se
retirer chez un curé dans le territoire et
la plaine de Bulle, d'où il était, à condition
néanmoins de n'y exercer aucune fonction
du sacerdoce.
25. Il y avait à Hippone un évêque pour .Les doua,
les donatistes, nommé Proculcien. Saint Au- tent^ à' sa
gustin essaya '^ plus d'une fois de conférer ^"'
avec lui amiablement, pour tâcher de le ra-
mener, lui et les siens, à l'unité de l'Église,
sans pouvoir y réussir. Mais s'il trouva de la
résistance dans les évêques de ce parti, les
laïques donatistes se rendirent à ses raisons,
et il en ramena un grand nombre à l'Église.
Les circoncellions en furent extrêmement
irrités, et pour se venger, ils ch^essèrent plu-
sieurs fois des embûches au saint évêque ^,
lorsqu'il allait à son ordinaire visiter et ins-
truire les paroisses catholiques. Il arriva '
un jour qu'ils le manquèrent, parce que son
guide s'étant égaré, avait quitté, sans y pen-
ser, le droit chemin. H rendit grâces à Dieu
d'une erreur si salutaire ; mais voyant qu'ils
continuaient à exercer leurs violences dans
la campagne autom- d'Hippone, il en écri-
vit à Cécilien \ vicaire d'Afrique, le priant,
non de punir ces excès avec sévérité, mais
de les empêcher, en réprimant par la crainte
des châtiments ceux qui les commettaient.
Cette lettre est de l'an 403. Cécilien avait
déjà donné un édit très-rigoureux contre les
donatistes; mais cet édit n'avait pas encore
eu d'exéculion à Hippone ni dans les autres
lieux de la Numidie qui en étaient proches.
L'emperem- Honorius fît aussi contre les do-
natistes des lois extrêmement sévères, ce
qui fut cause '" qu'un grand nombre de per-
sonnes qui ne demeuraient dans le schisme,
ou que par la crainte des mauvais traite-
ments des circoncellions, ou par considéra-
tion pour leurs proches, ou parce qu'ils y
avaient été élevés, ou qu'ils y étaient nés,
rentrèrent dans la communion de l'Église.
(c Ces lois, dit saint Augustin ", en ont ra-
mené et en ramènent tous les jom'S plusieurs,
» August., Epist. 232, mini. 2, 3 et7. — 2 Epist.
234, inim. l et seq.
^ Aiipust., de Ilœres., inun. 8(i.
* Ibid., uuni. 87. — " August., Epist. G5, mim. i
et seq. — " August., Epist. 33 et 3i; Epist. 103, et
Possid., in Vila, cap. xii. — ' August., in Enchind.,
cap. XVII, prig. 201, tom. VI. — •* Ibid. — » August.,
Epist, 86. — «> Epist. 183. — " Ibid.
[IV' ET V'= SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EYEQUE D'HIPPONE.
17
qui rendent grâces à Dieu de se voir revenus
d'une fureur si pernicieuse, qui aiment ce
qu'ils haïssaient, qui, depuis qu'ils sont gué-
ris, se louent de la violence salutaire dont ils
se plaignaient si fort dans l'accès de leur fré-
nésie, et qui, pleins de la même charité que
nous avons eue pour eux, se joignent pré-
sentement à nous pour demander qu'on ti'aite
aussi comme eux, ceux qui résistent encore,
et avec qui ils se sont vus en danger de périr.
L'expérience nous a appris et nous fait voir
encore tous les jours, qu'il a été plus salu-
taire à plusieui-s d'être forcés par la crainte,
et même par quelque peine ; et que c'est ce
qui les a mis en état de s'instruire de la vé-
rité, ou de la suivre lorsqu'ils la comiais-
saient. n
Les persécutions que les donatistes firent
souffrir aux catholiques furent même en
quelque sorte utiles à l'Église, a Elle eut la
consolation ', continue saint Augustin, de
voir comme un fi-uit de tous ces maux, que les
lieux oii ces excès avaient été commis furent
ceux où l'imité de Jésus-Christ fit le plus de
progrès. »
Cependant, Stilicon ayant été tué en 408,
les païens et les donatistes ^ publièrent en
Aû'ique, que les lois données du vivant de
ce ministre étaient mortes avec lui, comme
pubhées par sa seule autorité, à l'insu, ou
même contre la volonté de l'empereur Ho-
norius, et qu'ainsi il ne fallait plus s'arrêter
à tout ce qai avait été ordonné contre eux.
Les donatistes ' feignirent même et publiè-
rent xme indulgence de ce prince en leur fa-
veur. Ces faux bruits répandus en un moment
par toute l'Afrique, y excitèrent de grands
troubles *, et exposèrent les évêques à de
nouvelles persécutions. C'est ce qui les obli-
gea de s'assembler à Carthage, le 13 d'oc-
tobre de la même année , et de députer à la
cour, contre les païens et les hérétiques,
les évêques Restitute et Florent. Comme
saint AngTistin ne s'était point trouvé à cette
assemblée, il écrivit à Olympius ° qui avait
succédé à Stilicon dans la charge de maître
des offices, et qui était devenu le premier
ministre et le maître de toutes les aâaires de
la coiu-, pour lui représenter le besoin que
l'Eglise d'Afrique avait de son assistance. Il
lui envoya en même temps, par un prêtre du
diocèse de Milève, mi mémoire pour le re-
mettre entre les mains des évoques Resti-
tute et Florent, quand ils seraient arrivés. Il
écrivit encore à Donat, proconsul d'Afri-
que ^, pour l'exhorter à faire promptement
savoir airs donatistes, par son édit, que les
lois données contre leur erreur subsistaient
dans toute leur force. Mais il le conjurait en
même temps d'une manière très-pressante,
de ne point condamner à mort ceux qui
avaient usé de violence contre l'Éghse. Il le
priait aussi, si quelque donatiste était arrêté,
de souffrir que les catholiques travaiUassent
à l'instruire et à le retirer de son erreur.
« Car , ajoutait-il , quoiqu'on tâche de leur
faire quitter un grand mal pour leur faire
embrasser un grand bien, c'est un travail
plus odieux que profitable de ne réduire les
hommes que par la force, au lieu de les ga-
gner par la voie de l'instruction et de la
persuasion. »
26. La prise de Rome, arrivée le 24 août
de l'an 410, et les maux que les barbares
causèrent dans l'Empire, touchèrent vivement
saint Augustin, et lui firent souvent répandre
des larmes sm' les souffrances que les fidèles
avaient endurées dans cette occasion. Il fit
divers discom's ' sur ce sujet, où il montre
que ces sortes d'accidents sont toujours des
eflets de nos péchés. Il marque dans un de
ces discours , qu'il prononça hors de son
diocèse et peu après la prise de Rome ", et
on voit par une de ses lettres, qu'il ne revint
à Hippone qu'en hiver ' ; mais nous ne trou-
vons nuUe part quelle occasion il eut de
quitter son Église dans im temps où les
malheurs de l'Empire rendaient, ce semble,
sa présence plus nécessaire. L'année suivante
411, voyant que l'administration des biens de
l'Église était une occasion à quelques-uns de
mal parler des ecclésiastiques qui en étaient
chargés, il déclara à '" son peuple que bien
loin d'aimer le soin et le gouvernement des
biens et des terres de l'Église, il était prêt
à lem' céder tout, résolu de vivre, lui, ses
ecclésiastiques et les moines, des offrandes
et des aumônes, comme les ministres de
l'autel dans l'Ancien Testament. Mais les
laïques refusèrent d'accepter sa proposition.
27. Après la prise de Rome , la vierge
Démétriade, fille d'Olybrius, consul en 393,
Il est long-
temps ab-
sent,et veut
quitter le
mniiiement
des biens fie
l'Eglise, en
410 et au.
Jl exJMrie
Diîméiiiade
à la virgi-
» August., Epiet. 183. — ^ m., Epist. 97, num. 2,
et Epist. 100, uum. 2. — 3 Id., Epist. 103, cap. n,
num. 6. — ' Cod. can. Afric, cap. cvi. — s Id.,
Epist. 97.
^ August., Epist. 100, num. 2 et seq.— ' Id., serm.
De Urb. excid., cap. n, num. 3. Serin. 103, cap. ix
et X. — 8 Serm. De Urb. excid., pag. 622. — ^ Id.,
Epist. 122. — 1» Possid., in Vila, cap. xxiii.
18
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
nité, en ftii se réfugia à Carthase ' avec sa mère Julienne
et Proba son aïeule. Saint Augustin qui fit,
en 4:11, plusieurs fois le chemin de Carthage,
les y vit toutes trois ^, et répandit dans leurs
cœurs la semence des instructions salutaires
qu'il avait apprises de Dieu. Démétriade
profitant de celles qu'il lui donna en particu-
lier, prit secrètement la résolution de consa-
crer à Dieu sa virginité, préférant la chaste et
céleste aUiance de Jésus-Clu'ist à l'époux ter-
restre aucpiel Julienne et Proha la voulaient
marier. Elles auraient néanmoins mieux aimé
lui voir embrasser la virginité, mais elles
n'osaient attendi-e d'elle une si grande per-
fection. Aussitôt donc qu'elles furent infor-
mées de la résolution où était Démétriade
de demem-er vierge, elles la présentèrent à
Jésus-Christ et à l'évéque Aurèle '\ qui lui
mit le voile sm' la tête après l'invocation du
nom de Dieu. Elles en donnèrent * en même
temps avis à saint Augustin, et lui envoyèrent
un présent pour marque de la solennité de
sa consécration, l'assurant cpie ce grand
don de Dieu était l'efiet de ses travaux et de
ses exhortations. Ce saint évêque ° se réjouit
extrêmement de ce grand miracle de la
grâce : et la renommée s'en étant répandue,
non-seulement dans toutes les. Églises d'Afri-
que ^ et dans toutes les villes qui sont entre
cette province et l'Italie, mais encore dans
l'Orient, on y releva partout le triomphe de
gloire que la religion chrétienne remportait
dans la personne de Démétriade. Saint Au-
gustin '' proposa son exemple, soit aux filles
d'une condition médiocre, soit à celles d'une
condition illustre, les exhortant à prendre
pour modèle mie ^^erge plus élevée par son
humilité que par toute la splendeur de sa
nc^BmiKatê naissance. Il se conduisit d'une manière toute
(icquittcrio opposée à l'égard du comte Boniface, l'un
u-n. des plus grands hommes que l'Empire romain
eut alors. Ce comte possédait les premières
dignités de l'Empire, et sa piété le rendait
aussi considérable aux saints évoques de son
temps, (pe sa grandeur humaine le faisait res-
pecter des autres. A sa prière, saint Augiistin
lui écrivit une lettre pour son édification ',
dans laquelle il lui donna plusieurs avis tou-
chant sa conduite, mais en lui disant ^ que
ses avis étaient moins la règle de ce qu'il
devait faire, cpie le miroir pour voir ce qu'il
pratiquait déjà. Boniface souhaitait de passer
au-delà de ce que saint Augustin lui avait
prescrit, et quoiqu'il eût une femme et une
ËUe, il voulait se retirer du monde, pour
vivre en moine et ne servir que Dieu seul.
Sa femme étant morte depuis, il découvrit
son désir à saint Augustin et à saint Alypius,
mais ils ne furent pas d'avis qu'il l'exécutât '°,
lui représentant qu'il était très-utile à l'Église,
dans l'état où il se trouvait, pom-vu qu'il
n'employât ses armes que pour la faire jouir
de la paix, en réprimant les incursions des
barbares ; qu'il ne cherchât rien en ce monde
que ce qui était nécessaire pom' son entretien
et celui de ses gens ; et que pom* se fortifier
dans la vertu, il observât une exacte conti-
nence. Cet avis de ces deux saints n'eut pas
le succès qu'ils en attendaient, Boniface
obligé, par ordre de l'Empereur, de passer
en Espagne , s'y remaria avec ruie femme
alliée aux rois des Vandales. Aëtius, le plus
puissant des capitaines romains après Boni-
face ", prit prétexte de cette alliance pour le
calomnier auprès de l'impératrice Placidie
qui gouvernait pendant le bas âge de son fils
Valentinien. On déclara la guerre à Boniface
qui, dans la nécessité de se soutenir, traita
avec Gontharis et Genseric, princes des Amen-
dâtes. Ce traité portait qu'ils partageraient
l'Afrique en trois ; que chacun en aurait un
tiers ; mais que si on les attaquait, ils se dé-
fendraient en commun. Les Vandales passè-
rent donc en Afi'ique et la ravagèrent, tuant,
brûlant tout ce qu'ils rencontraient et déso-
lant surtout les églises, car ils étaient ariens.
Saint Augustin essaya de faù'e rentrer le
comte Boniface en lai-même par une assez
longue lettre qu'il lui écrivit, dans laquelle
il le faisait souvenir du dessein qu'il avait eu
de se retirer et de passer le reste de ses jours
dans la continence. Il lui représentait les
maux qui avaient suivi ce malhem-eux ma-
riage, c'est-à-dire, sa révolte contre l'Em-
perem'; et ajoutait : « Vous ne poiivez nier
devant Dieu que l'amour des biens de ce
monde ne vous ai fait faire tout ce mal.
Vous en faites peu par A'ous-même , mais
vous domiez occasion d'en faire beaucoup à
tant de gens qui ne songent qu'à parvenir
par votre moyen : ainsi loin de réprimer votre
cupidité, vous êtes réduit à contenter celle
» llieron., Epist.S. —^ August., Epîs£.188,num. 1.
— 3 Hicron., Epist. S. — ^ August., Epist. 130 et 143,
num. 1. — 5 Id., Epist. 130.
s Eieron., Epist.S, et Aug., Epist. dSO. — ' August.,
Epist. 130.-8 id,, Epist. 189. — s Ibid. — i»/6îd.,
cap. ccxx. — " Procop., lib. I De Sel. Yand,, cap. ni.
[rp' ET V° SIÈCLES.]
d'autrui. Vous direz que vous avez de bonnes
raisons, et qu'il faut plutôt s'en prendre à
ceux qui vous ont rendu le mal pour le bien :
c'est de quoi Je ne suis point juge, parce
que je ne puis entendre les deux parties;
mais jugez -vous vous-même à l'égard de
Dieu. Si l'Empire romain voas a fait du bien,
ne rendez pas le mal pom* le bien : si on vous
a fait du mal, ne rendez pas le mal pour le
mal. »
11 corn- 28. Dès l'an 412, saint Augustin, informé
bal les pii- ' r • 1
lagiens, en des orrcurs que Pelage et ses disciples repan-
IH2CISU1V. jjf^jgj-^|. jij^jjg l'Égiige, commença à les com-
battre, et de vive voix et par écrits, et il ne
leur donna aucun relâche, jusqu'à ce que
l'Orient et l'Occident réunis ensemble pour
percer d'un seul trait le dogme impie que cet
hérésiarque voulait établir ^ prononcèrent
une même sentence contre lui et contre ses
sectateurs. Ce fut en 418. La même année
.^i?''" arriva l'affaire d'Appiarius dont nous avons
tom. IX, \. ^ ^
parlé ailleurs. Nous avons dit aussi ce qui se
passa à l'égard d'Antoine, évêque de Fus-
sale, que saint Augustin fut obligé de dépo-
ser de l'épiscopat en 422.
29. Deux ans après, ce saint évêque ayant
reçu des reliques de saint Etienne à Hippone,
les plaça dans une chapelle de son église ,
et fit graver à la voûf e de cette chapelle ^
quatre vers, qui apprenaient à tout le monde
que c'est à Dieu qu'il faut rappoi'ter les mi-
racles éclatants qui se faisaient alors par
l'intercession et par les reliques de ce saint
martyr. Pour publier ces miracles , saint Au-
gustin introduisit en Afrique ' la coutume que
ceux en faveur de qui ils avaient été faits ,
en donnassent un mémoire qu'on lisait en-
suite devant tout le peuple. En moins de
deux ans il y eut environ 70 de ces mémoires
à Hippone : et il en voulait faire lire un de
cette sorte lorsqu'il fit le sermon 319, le jour
même que Paul, jeune homme natif de Cé-
sarée en Cappadoce, affligé d'un tremblement
horrible de tous les membres, fut guéri en
priant devant le heu où reposaient les reli-
ques de saint Etienne, et tenant les balustres
qui l'environnaient. Mais saint Augustin *
crut que la présence de ce jeune homme
servirait de mémoire, et qu'il ne fallait point
d'autre écrit que son visage, qui était connu
à Hippone. 11 arriva en 424.que Janvier, prê-
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
19
tre d'Hippone, mourut, ayant fait un testa-
ment ^ où il disposait d'une somme d'argent
comme étant à lui. Cette infidélité causa une
extrême douleur à saint Augustin, voyant
qu'elle ruinait la bonne odeur " et l'édifica-
tion que son clergé donnait à tout le monde.
Loin donc d'accepter le legs que Janvier avait
fait en faveur de l'Église d'Hippone, ill'aban-
donna aux enfants de ce prêtre, pour en dis-
poser comme ils voudraient. Seulement il
ordonna que l'Église garderait cette somme,
jusqu'à ce qu'ils fussent majeurs. Ensuite il
déclara à tous ses ecclésiastiques ' qui pou-
vaient avoir quelque prétention dans le siècle,
ou pour n'avoir pas encore partagé avec leurs
frères, ou pour n'avoir pas été en âge de
disposer de leurs biens, que s'ils voulaient
continuer de vivre avec lui, ils devaient ven-
dre ce qu'ils avaient, ou le donner, soit à la
communauté, soit à telles personnes qu'ils
voudraient : il leur prescrivit pour cela le
terme de l'Epiphanie de l'an 425. Cette fête
passée *, il rendit compte à son peuple,
comme il le lui avait promis, de l'état de ces
ecclésiastiques, et fit l'apologie de ceux que
l'on croyait faussement n'avoir pas encore re-
noncé entièrement à lem's biens. Il justifia en
particulier la conduite du prêtre Léporius ^,
soutenant qu'il l'avait chargé lui-même de
toutes les dépenses qu'il avait faites, soit
poiu' la construction d'un hôpital, soit pour
celles de l'Église des Huit-Martyrs; en mr
mot, que ce prêtre n'avait à lui, ni argent ni
maison.
30. La sœur de saint Augustin étant morte
après avoir gouverné longtemps un monas-
tère de filles à Hippone, les religieuses eu-
rent pour supérieure une ancienne de la
maison nommée Félicité, formée sous sa con-
duite. Après lui avoir longtemps obéi '", il
s'éleva parmi elles quelque division qui
mit le trouble dans la maison en y excitant
des contentions, des animosités et des mur-
mm'es. Tout ce bruit était contre la supé-
rieure; elles demandaient qu'on la destituât
et qu'on leur en donnât une autre. Elles
souhaitaient que saint Augustin les vint voir;
mais, dans la crainte que sa présence n'aug-
mentât la sédition, et qu'il ne se trouvât
obligé d'user de plus de sévérité qu'il n'eût
voulu , au lieu de les aller voir, il aima mieux
I.etircs
aux reii -
pieuses
d'Hippone.
1 Celest., Epist. ad Nestor., tom. III, Conc, pag. * Serm. 319.— ^^ August., Serm. 355.—" Serm. 350.
353. — 2 August., Serm. 318, cap. viii, num. 18. — — ' Serm. 355.— ^ Serm. 356. — " August, Serm.
5 Lib. XXII De Civit., cap. vni, num. 20. 356. — '" Id., Epist. 214, nuin. 4.
20
HISTOmE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
répandre son cœur devant Dieu pour elles ,
et traiter, non par des paroles, mais avec
Dieu par des larmes, une affaii'e où il y al-
lait de tout pour elles. Il écrivit toutefois à
Félicité ', et à Rustique supérieur de ce mo-
nastère, pour les consoler et les encourager
à faire leur devoir en travaillant avec soin à
conserver l'unité d'esprit par le lien de la
paix. U écrivit aussi en pai'ticulier aux reli-
gieuses ^ une lettre mêlée de sévérité et de
charité, où il les exhorte à persévérer dans
le bien, les assui'ant cpi'après cela elles ne
songeront plus à changer de supérieure.
« Parmi eUes, dit-il, il n'y en a aucune qui,
en entrant dans le monastère, ne l'y ait
trouvée, ou servant Dieu avec beaucoup d'é-
dification, sous ma sœur qni était supérieure
avant elle, ou déjà en charge, et qui n'ait été
reçue par elle; c'est sous sa conduite qu'elles
ont été instruites, qu'elles ont reçu le voile,
et que le monastère est devenu si nombreux;
on n'a rien changé chez elles, et il n'y a rien
de nouveau que le prêtre Rustique qu'on
leur a donné pour supérieur, et s'il est l'oc-
casion de leur révolte contre lem' supérieure,
elles doivent demander son éloignement plu-
tôt que la révocation de la supérieure. » Il
finit sa lettre en demandant à Dieu de paci-
fier et de calmer l'esprit de ces filles, et de
ne pas souffrir que l'ouvrage du démon
prévale et se fortifie en eUes, mais de faire,
au contraire, régner la paix de Jésus -
Christ dans leur cœur. Ets'ach-essant à elles :
« Prenez garde, leur dit-il, que le dépit de ne
pas obtenir ce que vous voudriez, ou la honte
d'avoir voulu ce que vous ne deviez pas vou-
loir, ne vous précipite dans la mort. Rani-
mez, au contraire, votre première vertu par
une sincère pénitence. Imitez les larmes de
saint Pierre et non pas le désespoir de Ju-
das. »
Il iiési- 31. Sévère, évêque de Milève, qui mourut
dius évù- vers le commencement de l'an 426 , avait,
pone. ^'^' avant sa mort, désigné celui qu'il souhaitait
avoir pour son successeur. Mais au lieu de
communiquer son dessein au peuple, comme
il devait, il se contenta d'en faire part à son
clergé '. Ce défaut fit appréhender, quand
Sévère fut mort, qu'il n'y eût quelque trou-
ble parmi le peuple, ce qui engagea le clergé
de Milève de prier saint Augustin d'y venir
pom' empêcher ce désordi-e. En effet, quel-
ques-uns du peuple témoignèrent du mécon-
tentement de ce que Sévère avait désigné
son successem' sans leur en parler; mais,
quand on le leur eut fait connaître , ils l'a-
gréèrent très-volontiers et il fut ordonné d'un
consentement unanime. Cet événement fit
faire à saint Augustin une nouvelle réflexion
sm- les troubles dont il avait va souvent les
autres Églises agitées après la mort de leurs
évêques, par l'ambition des uns et par l'es-
prit contentieux des autres. D. prit donc le
parti de pourvoir à la sùi"eté de la sienne en
nommant celui qui devait lui succéder. Ce-
lui sur lequel il jeta les yeux se nommait
Érachus, et était le dernier des prêtres d'Hip-
pone; mais d'une vertu si éprouvée, que le
peuple qui le connaissait, l'eut de lui-même
préféré à tout autre. Le samedi , 2a sep-
tembre de l'an 426, saint Augustin pria le
peuple d'Hippone de s'assembler le lende-
main en grand nombre dans l'église de la
Paix, pour quelque chose d'important qu'il
avait à leur dire. Il y vint avec deux autres
évêques, Religien et Martinien, et sept prê-
tres. Saturnin, Léporius, Barnabe, Fortuna-
tien. Rustique, Lazare et Éraclius. D. ne fit
point d'instruction à l'ordinaire, se doutant
bien que l'impatience de savoir ce qu'il avait
promis de dire, empêcherait qu'on n'eût d'at-
tention pour le reste. Ainsi, venant au fait,
il leur déclara que sa volonté, qu'il croyait
être de Dieu, était que le prêtre Éraclius fût
son successeur. Le peuple l'agréa par de
grandes acclamations, et quand on eut fait
silence, saint Augustin ajouta : « Il n'est pas
besoin de m'étendre sur ses louanges, j'aime
sa sagesse et j'épargne sa modestie; il suffit
que vous le connaissiez, et que je veuille ce
que vous voulez. » Les notaires de l'église,
qui étaient présents, écrivirent les paroles de
saint Augustin et les acclamations du peu-
ple, afin que ce fût un acte authentique; le
peuple y souscrivit par de nouvelles accla-
mations. Ensuite saint Augustin les exhorta
à se joindi-e à lui pour prier Dieu de con-
firmer ce qu'il avait fait lui-même en eux, et
pom' lui demander qu'il lui plût de conserver
à Éraclius la vie et la santé, avec une ré-
putation sans aucune tache. Saint Augustin
était alors dans la soixante-douzième année
de son âge. En déclarant Éraclius son suc-
cesseur, il le laissa dans l'ordi-e de prêtre,
regardant comme une faute de ce qu'il avait
été ordonné évêque lui-même du vivant de
Epist. 210. — "^ Epist. 2H.
8 August., Epist. 213.
[lye ET v" siÈcxES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE,
21
Valère son prédécesseur, et avait tenu le
siège épiscopal avec lui, contre la disposition
du concile de Nicée. 11 se déchargea néan-
moins sur Éraclius de tout le poids de ses
occupations, priant le peuple de s'adressera
lui dans toutes les affaires cpii arriveraient.
« Quand il aura besoin de mon conseil ,
ajouta saint Augustin, je ne le lui refuserai
pas. Je ne prétends pas même donner à la
paresse le peu de temps qui me reste à vivre,
mais à l'étude de l'Ecriture sainte, dont mes
frères les évêques ont bien voulu me charger
en deux conciles; de Numidie et de Car-
tilage. »
11 tra- 32. L'étude de l'Écriture sainte ne fut pas
apaiser les sa scule occupation, comme il se l'était pro-
(rAdrumet- ™s, et sa charité l'engagea, en 427, à apai-
le, en !i27. ger les troubles * qui s'étaient élevés dans le
monastère d'Adrumette , métropole civile
de la Byzacène, au sujet de la grâce. La
même année, il travailla efficacement à re-
tirer le moine Léporius des erreurs dans les-
quelles il était tombé cJhtre les Mystères de
l'Incarnation et de la Grâce '^
Les vaii- 33. En 428 , les Vandales, étant passés
«laies en- ' ' '^
irent in d'Espagne en Afrique, trouvèrent cette pro-
'^"'"^" vince dans le repos et l'abondance ; mais ils
en changèrent bientôt la face, pillant, rava-
geant, brûlant, massacrant tout ce qu'ils ren-
contraient. Ils exercèrent particulièrement
leur cruauté contre les églises, les cimetières
et les monastères, employant toutes sortes de
supplices pour obliger les évêques et les prê-
tres à donner l'or et l'argent qu'ils avaient,
soit en propre, soit à l'église. Plusieurs mou-
rurent dans la riguem' des supplices. Saint
Augustin découvrant, au milieu de ces ra-
vages ', des maux et des dangers beaucoup
plus terribles que ceux qui frappaient la
plupart du monde, et prévoyant les périls
auxquels les incursions de ces barbares
exposeraient les âmes, pleurait sans cesse ; et
ses larmes lui devinrent, selon l'expression
du Prophète, un pain dont il se nourrissait
le jour et la nuit. Mais l'extrême douleur
qu'il ressentait des maux de l'Afrique ne di-
minuait en rien sa foi et sa générosité épis-
copales. Consulté par un évêque de cette
province, s'il était permis à ceux qui étaient
chargés du soin des peuples, de les laisser
fuir, et de se retirer eux-mêmes pour éviter
1 August., Epist.2ie et i94.— ^ Cassian.,lib.Z)e In-
carn., cap. iv et August., Epist. 219. — 3Possid.,m
>ita, cap. XTfm.—'' Epist. 228.
le danger, il répondit que les évêques * ne
devaient point empêcher ceux du peuple qui
voudraient se retirer, mais cpi'enx-mêmes ne
pouvaient abandonner leurs églises, ni rom-
pre les liens par lesquels la charité de Jésus-
Christ les avait liés à leur ministère; et
qu'ainsi, tant que leur présence serait né-
cessaire à leurs peuples, ils ne pouvaient
faire autre chose que de se remettre à la vo-
lonté de Dieu avec une pleine confiance en
son secours.
3-4. Cependant, le comte Boniface '^ rentra sainiAu-
,,. , , . „, . ,. gusiin tom-
en grâce avec limperatnce Placidie , par be maïaue
l'entremise du comte Darius. Mais il ne put ^" ''^''■
persuader aux Vandales de quitter l'Afrique.
Ils se plaignirent même de lui, en sorte qu'il
fut obligé de prendre les armes contre eux
pour les obliger par force d'en sortir. Le
contraire arriva; il fut vaincu dans le com-
bat et contraint de se retirer à Hippone, qui
était alors une place forte. Les Vandales,
conduits par lem' roi Genséric, vinrent assié-
ger cette viUe, vers la fin (Te mai ou au com-
mencement de juin de l'an 430 ; ce qui aug-
menta ^ beaucoup la douleur que saint Au-
gustin avait ressentie de la ruine des autres
villes d'Afrique. Pendant tout le siège de
cette ville, et au milieu même des assauts
que les Vandales donnaient, il eut la conso-
lation d'avoir avec lui plusieurs évêques'',
et entre autres, Possidius de Calame, l'un de
ses plus illustres disciples. Ils mêlaient en-
semble leur doulem- ', leurs gémissements
et leui's larmes, et ils en faisaient un sacri-
fice au Père des miséricordes et au Dieu de
toute consolation, pour le prier de les se-
courir et de les délivrer des maux qu'ils
souffraient et qu'ils craignaient. Saint Augus-
tin ^ demandait à Dieu, en particuher, qu'il
lui plût de délivrer Hippone des ennemis
qui l'assiégeaient, ou du moins de donner à
ses serviteurs la force de supporter les maux
dont ils étaient menacés, ou enfin de le re-
tirer du monde et de l'attirera lui. En effet,
il tomba malade " de la fièvre le troisième
mois du siège, et on vit par là que Dieu n'a-
vait point rejeté la prière de son serviteur.
33. Pendant sa maladie ", il fit écrire et ?'"'' /f^
mettre contre la muraille auprès de son ht, gusiin eu
les Psaumes de David cpii sont sur la péni-
tence, et les lut en répandant des torrents
^Pvocop.,DeBel.randMh.l,eiPossid.,inVita,cg.r-
xxvm.—^Ibid.—''Ibid., cap. xxi}i.—'* Ibid.—^Ibid.,
cap. XXIX.— "> Ibid., cap. xxxi. — " Ibid., cap. xviii.
22
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
de larmes. Tout occupé des choses du salut,
il pria, dix jours avant sa mort , ses plus in-
times amis et les évêques mêmes , que per-
sonne n'entrât dans sa chambre , sinon lors-
que le médecin le venait voir, ou qu'on lui
apportait de la nourriture , employant à la
prière tout le temps qui lui restait aii-delà.
Enfin , son dernier jour étant arrivé , Possi-
dius et les autres de ses disciples ou de ses
amis vinrent joindre leurs prières aux sien-
nes , qu'il n'interrompit que lorsqu'il s'en-
dormit en paix , ayant jusque là conservé
l'usage de tous ses membres, sans que ni
son ouïe , ni sa vue , se fussent affaiblis.
Comme il avait embrassé la pauvreté volon-
taire, il ne fit point de testament, n'ayant
rien à laisser à personne. Mais il recom-
manda que l'on conservât avec soin la bi-
bliothèque de l'Église et tous les livres qu'il
pouvait avoir dans sa maison pour ceux qui
viendi-aient après lui. Possidius raconte S
que la ville d'Hippone ayant été quelque
temps après incendiée , cette bibliothèque
fut conservée au milieu des flammes et des
barbares ariens. On met la mort de saint
Augustin au vingt-huitième jour d'août de
l'an 430. H avait vécu 76 ans , et servit - l'E-
glise près de 40 ans en qualité de prêtre ou
d'évêque ^. L'empereur Théodose le Jeune
ayant dessein de convoquer, en 1431 , un
concile œcuménique à Éphèse pom- le jour
de la Pentecôte, fit écrire pour cela à tous
les métropolitains, et envoya par un ofilcier
de la Cour un rescrit adressé en particulier à
saint Augustin plutôt qu'à l'Évêque de Car-
thage, demandant que lui nommément vou-
lut bien venir au Concile : ce qui fait voir
que ce saint évêque n'était pas moins révéré
en Orient qu'en Occident. Sa mémoire était
honorée en France dès le vi" siècle , comme
on le voit par la vie de saint Césaire d'Arles,
où nous lisons qu'étant malade *, il demanda
si la fête de saint Augustin était proche , es-
pérant que Dieu ne lui refuserait pas d'unir
sa mort à celle d'un saint dont il avait si
fort aimé la doctrine très-catholique. On le
trouve ' toujours vivant après sa mort même
dans ses ouvrages, où l'on voit quel il a été
par le don de Dieu, et le rang éminent qu'il
a tenu dans l'Eglise. Toute l'EgUse catholi-
que y voit évidemment que cet évêque si
agréable à Dieu, a connu les vertus saintes
de la foi , de l'espérance et de la charité ,
autant qu'il est permis à des hommes de les
pénétrer avec le secours de la lumière que
la vérité leur donne. C'est ce que reconnais-
sent ceux qui profitent de la lecture de tant
d'ouATages qu'il a composés sur les choses
de la religion. Ceux qui ont eu le bonheur
de le voir et de l'entendre parler lui-même
dans l'église , ont eu encore de plus grands
avantages pour profiter de ses lumières ; mais
ils en ont eu moins que ceux qui ont été té-
moins de ses actions et de sa conduite, puis-
qu'il n'a enseigné aux autres que ce qu'il
avait pratiqué lui-même. C'est ce que dit
Possidius, son disciple, et témoin oculaire de
la plus grande pai-tie de ses actions.
36. n joignit '^ à la vie qu'il composa de vraies. °'
cet excellent pontife de Jésus-Christ ' et de
1 Ibid., cap. XXXI. — " Les reliques de saint
Augustin, d'abord mises dans l'Église de saint
Etienne à Hippone, en furent transférées cin-
quante six ans après la mort du saint évêque
en Sardaigne. En 710 Luitpraud racheta ces pré-
cieuses reliques aux Sarrasins et les fît placer à
Pavie dans l'Église de saint Pierre, où on éleva
un magnifique monument au saint docteur. En
1832 les reliques et les monuments furent placés
dans la cathédrale de Pavie. En 1842 le bras
droit de saint Augustin fut transporté en Afri-
que et placé provisoirement dans la chapelle de
B6ne, et quelques jours après au lieu où fut jadis
Hippone dans un monument élevé à la mémoire
du saint docteur et orné de sa statue. Voyez Pou-
joulat, Histoire de saint Augustin, tom. III, page
313 et suiv. ; Histoire des saints par le père Giry,
nouvelle édition, tom. 111, note 33, col. 1,499.
(L'éditeur.)
3 Tom. m Conc, p. 438, 529., et 532. — '• Surlus,
ad diem. 27 August., pag. 293.
s In libris quibus dono Dei qualis quantusque
in Ecclesia fueril noscittir, et in his semper vi-
vere a fidelibus invenitur... Et in suis quidem
scriptis ille Deo acceptui et charus sacerdos ,
quantum lucente veritate videre conceditur,
recte de sane, fidei, spei et charitatis, catholicœ
Ecclesiw vixisse manifestatur : quod agnoscunt
qui eum de divinis scribentem legentes profi,-
ciunt; sed ego arbitror plus ex eo prnficere
potuisse , gui eww et loquentem in ecclesia
prœsentem audire et videre potuerunt, et ejus
prœsertim inter homines conversationem non
ignoraverunt. Erat enim non solmn erudi-
tus scriba in regno cœlorum... verum etiam
ex iis ad gwos scriplum est : Sic loquimini,
et sic facile ; et de quibus Salvator dicit : Qui
fecerit et docuerit sic homines, liic magnus voca-
bitur in regno cœlorum. Possid., in Yita August.,
cap. XXXI.
8 Isidorus Hispal., De Scrip. écoles., cap. viii. et
Cassiod., Instit. divin., cap. xvi.
7 Beaiissimus Aiigustinus Hipponensis Ecclesiob
elegantissimus Christi sacerdos doctorque prœ-
cipuus morte placida quievit. Marcel., cornes in
Chronic, ad annuLn429.
[lY^ ET v" SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
ce docteur si éminent entre les autres ', une
table de ses ouvrages, de ses lettres et de ses
sermons, qui, tous ensemble , se montaient,
dit-il, à 1,030 écrits : sans parler de ceux
qui ne se pouvaient pas compter, parce que
saint Augustin n'en avait point marqué le
nombre. Dans son second livre des Rétrac-
tations , saint Augustin n'énonce ' lui-même
que quatre-vingt-treize ouvrages distribués
en deux cent trente-deux livres : mais il n'y
comprend ni ses lettres, ni ses sermons. On
a recueilli le tout en dix volumes, dont le
premier fut imprimé à Paris en 1689.
[Plusieurs suppléments , dont nous par-
lerons dans la suite , ont été publiés depuis
cette édition.]
ARTICLE n.
DES ÉCRITS CONTENUS BANS LE PREMIER TOME.
En quel
ordiL' ils
suiu écrits.
§1-
Des deux livres des Rétractations.
1. Le premier tome des œuvres de saint
Augustin renferme ce qu'il écrivit étant en-
core jeune, et avant qu'il fût élevé au sa-
cerdoce. On a cru néanmoins devoir y faire
entrer ses deux liM.'es des Rétractations qu'il
composa suj la fin de sa vie , comme pour
servir d'introduction à ses autres ouvrages,
et les treize livres de ses Confessions, qu'il
ne publia que pendant son épiscopat, afin
que le lecteur vit dans le premier de ses
ouvrages , combien saint Augustin avait de
modestie et d'amour pour la vérité ; et dans
l'autre , quelle était sa douleur de s'êti'e
écarté si longtemps des voies du salut.
2. Le dernier livre dont il parle dans ses
Rétractations, est celui de la Correction et
de la Grâce , fait vers l'an 427 : ainsi , l'on
ne peut mettre ces Rétractations qu'en cette
année au plus tôt, ou vers le commencement
de l'an 428. Il avait depuis longtemps ' conçu
le dessein de repasser tous ses ouvrages qui
étaient devenus publics, soit ses traités, soit
ses lettres, soit ses sermons , et de marquer
dans un ouwage exprès, avec la sévérité
d'un juge, tout ce qu'il y trouverait à re-
preiadre , ne pouvant en corriger les défauts
que par une censm^e publique; mais il en
1 On trouve cette table à la suite de la vie de
saint Augustin par Possidius, à la fin du dixième
tome de ses œuvres.
2 August., lib. II Retract., cap. lxvh. — ' Id., in
Prolog., Retract., tom. J, pag. 1.
23
avait toujours été détourné par diverses oc-
cupations pressantes. Il se trouva plus de
loisir après qu'U se fut déchargé siu- Éra-
clius du soin des affaires, et de juger les pro-
cès, et il y a toute apparence qu'il commença
dès lors , c'est-à-dire dès l'an 426 , à revoir
ses ouvrages.
3. Il en fît une liste, et les mit, autant qu'il
lui fut possible * , selon l'ordi'e des temps
auxquels il les avait écrits, afin que ceux qui
les voudraient lire dans cet arrangeuïent ,
pussent voir le progrès qu'il avait fait dans
la science de l'Église , à mesure qu'il écri-
vait. « Car, je crois, dit-il % cjue par la misé-
ricorde de Dieu, j'ai profité depuis que j'ai
commencé à écrire, et je suis bien éloigné
de dire que j'ai été parfait dès le commen-
cement. Si je prétendais même être arrivé à
la perfection dans l'âge où je suis, en sorte
que je sois incapable de me méprendre dans
ce que j'écris, il y aurait en cela de la vanité
et de la présomption. Mais il faut distinguer
entre les fautes, soit poiu- leurs qualités, soit
pom' les matières où l'on se trompe , et sur-
tout entre ceux qui reconnaissent leurs fau-
tes et s'en coi-rigent volontiers , et ceux qui
les défendent avec opiniâtreté. On a sujet
de bien espérer pour celui qui va toujours
en profitant jusqu'au dernier jour de sa vie.
n n'y aura plus qu'à ajouter ce qui manquait
à son avancement, et il paraîtra devant le
Juge pour recevoir non la peine de sa né-
gligence et de sa paresse , mais son entière
perfection. »
4. Cet ouvrage est divisé en deux livres. Ce qu'ils
T • i 1 ' . 1 , . . , conlit'l) -
Le premier est employé a la révision des ncnt.
écrits de saint Augnistin jusqu'à son épisco-
pat , et même ceux qu'il composa avant son
baptême; le second comprend tout le reste
de ses ouvrages , jusqu'au temps où il avait
achevé celui qui a pour titre : De la Correc-
tion et de la Grâce. Le saint docteur marque
avec soin ' sur chaque ouvrage ce qu'il trouve
à y reprendre , jusqu'aux moinckes expres-
sions, expliquant ce qui paraissait obscm- et
pouvait donner lieu à de mauvaises interpré-
tations, et condamnant ^ tout ce qu'il croyait
y avoir mis contre la doctrine de l'Église ,
lorscju'il n'en était pas encore assez instruit.
Il crut devoir ' se juger ainsi lui-même en la
* August., in Prolog., Retract., tom. I, pag. 4.
— ^ Id., De Dono ijersev., cap. xxr, p. 832, tom. X.
— ^ Id., in Prolog., Retract., pag. i etseq.
' Possid., in Vita, cap. xxviii. — * August., in
Prolog., pag. 2.
24
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
présence de Jésus-Clu-ist , pour éviter d'en
être jugé, peu inquiet du jugement qu'en
pouvaient faire les personnes peu judicieu-
ses, et persuade que les personnes sages ne
le blâmeraient point de s'être ainsi condamné
lui-même.
Quel en S. Il ne faut pas néanmoins s'imaginer
sein!" ''^^' 1^^'3 *^^'''^^ ^^^ deux livres des Rétractations ,
saint Augustin ne fasse autre chose que ré-
tracter des erreurs dans lesquelles il serait
tombé, ou corriger des fautes qu'il am^ait
commises dans ses écrits : il ne fait le plus
souvent que s'expliquer lui-même, afin qu'on
n'abusât pas de quelques termes moins clairs;
ou bien il renvoie, pour l'explication de quel-
ques passages de l'Écriture, à un traité, dans
lequel il en avait donné une meillem'e que
dans un autre. Par exemple , dans le chapi-
tre quatorzième du premier livre , il préfère
ce qu'il avait dit dans le livre de l'Esprit et
de la Lettre, pour l'explication de cet endroit
de saint Paul : La lettre tue et l'esprit donne
la vie, à ce qu'il avait dit sur le même pas-
sage, dans le traité intitulé : De l'utilité de
la foi ; mais il ajoute qu'on ne doit pas pour
cela mépriser l'explication qu'il en avait
donnée dans ce dernier ouvrage. Au reste,
comme il retoucha ' dans ces li\Tes tous les
endroits qui lui déplaisaient ou qui pouvaient
déplaire aux autres , il y en a aussi qu'il y
défend et qu'il y explique, en montrant com-
ment on doit les entendre.
6. Son exactitude va jusqu'à marquer sur
chaque ouvrage quelle en a été l'occasion,
son titre, la matière qui y est traitée, de com-
bien de livres il est composé, les paroles
par où il tÉiJii^nce, et souvent même en
quel lieu il a été écrit , si c'a été pendant son
épiscopat, ou lorsqu'il n'était que prêtre ; si
c'a été avant son baptême ou depuis. jQ'est
ce qui donne une grande facilité pour dis-
tinguer ses véritables écrits d'avec ceux qui
lui sont supposés.
7. Après avoir repassé tous ses ti'aités, il
commença la révision de ses Lettres, mais
sans en rien mettre par écrit. Il fut même
obligé de l'interrompre pour répondre à un
écrit que Julien avait composé contre lui
plusieurs années auparavant, sans qu'il fût
encore venu à sa connaissance. Néanmoins-
il n'employa pas tout son temps à réfuter le
livre de ce pélagien ; il se contenta d'y tra-
vailler de jom", employant la nuit à la revue
de ses Lettres ^, lorsqu'il n'avait point d'oc-
cupations extraordinaires.
8. Prosper et Hilaire ayant appris dans
les Gaules que saint Augustin travaillait à
revoir ses ouvrages, le prièrent, avant même
qu'il en parût rien en public, de leur envoyer
ce qu'il aurait fait sur cette matière. La lettre
d'Hilaire est de l'an 429. Ainsi les deux livres
des Rétractations n'avaient pas encore été
alors rendus pirblics dans les Gaules. Il est tou-
tefois certain qu'aux instances réitérées de
ses frères, il les donna au public, sans atten-
dre qu'il eût revu ses Lettres et ses Sermons,
ce qu'il commença de faire en 428, comme on
le voit par sa lettre ' au diacre Quodvultdeus.
Possidius les a intitulés * : Revue des livides;
mais ils portent le titre de Rétractations dans
tous les manuscrits, et c'est sous ce titre qvie
saint Augustin les marque en divers endroits
de ses ouvrages, et après lui saint Prosper *,
Cassiodore et saint Fulgence; ce terme, au
sens de ces auteurs, signifie non pas corri-
ger, mais revoir et retoucher. La seule er-
reur que saint Augustin ait rétractée dans
ces deux livi'es est celle des demi-pélagiens.
Il en usa ainsi, afin que le respect qu'on lui
témoignait, n'empêchât point qu'on ne l'a-
bandonnât en ce point avec liberté.
9. Cassiodore ^, parlant des livi'es des ^e- Esiinit
tractations, s'exprime de la sorte : (( Celui r;,'i"tc"(ic ccî
qui veut apprendre à pailer exactement et ''^■'«s.
à ne point s'égarer par une témérité trom-
peuse, doit lire avec soin ces livres; il y
trouvera un excellent modèle à imiter pour
arriver à la perfection, et il y connaîtra à
quelle éminence de sagesse la divine misé-
ricorde avait élevé ce grand homme, lors-
qu'il le verra si sévère envers lui-même pom*
ne rien laisser échapper, lui que nul autre
n'aurait peut-êti-e osé entreprencke de cen-
surer. »
§n.
Des Confessions de saint Augustin.
d. De tous les ouvrages de saint Augustin, commcm
il n y en a point eu qui aient été mieux re- om étj re-
çus ', et qui aient eu plus de cours que celui '<"*•
de ses Confessions. Aucun aussi n'est plus ,
rempH du feu de l'amour de Dieu, ni plus |
< August., Epist. 224. — 2 Epist. 22G. — ^Epist. 22i
* PossUl., in Vita, cap. xxvii. — "August., iipîs^. 221,
cap. m et iv.
et De Prœd. sanct ..
2 Prosp., ad ex cerpt. Cent., cap. i; Cassiod., Tnsf.
div., cap. XVI; Fulgput., Upist. 14. — « Cassiod.,
Iiist.,cap. XVI.— 7 August., lib. De Don. pers., cap. xx.
[iv" ET v° SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
25
propre à l'allumer dans les cœurs, et c'est
de tous les Im-es, le plus capable de dégoû-
ter l'homme de toiites les choses vahies et
passagères qne le monde nous présente. On
y apprend en même temps ce que fait pour
Dieu un cœur pénétré de reconnaissance
des grâces qu'il en a reçues. Car saint Au-
gustin y représente ce qu'il avait été avant
de recevoir la grâce, et ce qu'il était depuis
qu'il l'avait reçue '. Le but qu'il se proposa ^
en écrivant ses Confessions , fut d'empêcher
que, sur ce qu'on pouvait avoir entendu dire
de lui, on n'en eût une trop bonne opinion,
et qu'on ne le crût autre que ce qu'il sa-
vait être. C'est pourquoi en les envoyant
au comte Darius qui les lui avait deman-
dées ', il lui parle en ces termes : « Regar-
dez-moi dans ce livre, et apprenez-y ce que
je suis, si vous voulez ne pas me louer au
delà de ce que je mérite. C'est à moi-même,
et à ce que je dis de moi dans cet ouvrage,
qu'il faut vous en rapporter, et non pas à ce
cpi'en disent les autres. Considérez bien le
portrait que vous y verrez de moi, ce que
j'étais de moi-même et par moi-même. Que
si vous trouvez présentement en moi quel-
que chose qui vous plaise, louez-en avec
moi Celui que j'ai prétendu qu'on louât de
ce qu'il a fait en moi. Car c'est à sa gloire
que j 'ai parlé de moi , et non pas à la mienne .
C'est lui qui nous a fait ce que nous sommes,
et non pas nous, qui n'avions fait que nous
perdre et nous défigurer '-. Lors donc que
A'ous m'aurez connu dans cet ouvrage, tel
que je suis, priez pour moi, afin qu'il plaise
à Dieu d'achever ce qa'il a commencé en
moi, et qu'il ne permette pas que je le dé-
fasse. »
Eik's ru- 2. Saint Augustin après avoir parlé dans
icni écriii s i ,. , n ,, , ■ 5 i i ■
VIS l'an son second livre des Rétractions ", de celui
^'"'" qui a pour titre : Be la Doctrine chrétienne, et
des deux livres qu'il avait fait contre le
parti de Donat, et qui ne sont pas venus
jusqu'à nous, met ses Confessions « qui vont,
dit-il, louer la justice de Dieu, de tous les
maux par où il a permis que j'aie passé ; et
la bonté dont il m'a donné des preuves,
par tous les biens qu'il m'a faits. » Ce Père
place ensuite son ouvi-age contre Fauste le
manichéen, qu'il composa étant déjà évêque.
Ce qui nous engage à mettre les Confessions
vers l'an 397 ou 400 : car l'époque n'en est
pas certaine.
3. Elles sont divisées en treize livres. Dans diviséM°en
le premier, après avoir reconnu que le Sei- ^^^^If ""
gneur nous a créés pour lui-même, et que
notre cœur est toujoui's agité de trouble et
d'inquiétude jusqu'à ce qu'il retrouve son
repos en Dieu, saint Augustin invoque cet
Être suprême pour le faire venir en lui.
«Mais, ajoute-t-il, qu'y a-t-il en moi où mon
Dieu puisse venir, et qui puisse le contenir ?»
n explique de quelle manière Dieu est par-
tout, comment il faut concevoir son immen-
sité, et montre que de toutes les choses que
Dieu remplit, il n'y en a aucune où il ne
soit tout entier, sans néanmoins qu'elles le
contiennent et qu'elles l'enferment. E. donne
de la nature et de la grandeur de Dieu l'idée
la plus magnifique que l'on s'en puisse for-
mer. Infiniment grand, infiniment bon, in-
finiment miséricordieux, infiniment juste ;
nulle beauté n'est comparable à la sienne ;
rien ne résiste à sa force, rien ne borne sa
puissance; présent partout, sans paraître
nulle part, il est toujours le même, il se pré-
sente toujours pour ainsi dire, sous la même
forme à ceux cpii le considèrent, sans qu'on
puisse jamais arriver à le compreiidi'e. Au-
teur de tous les changements qui arrivent
dans le monde, il ne change jamais lui-
même ; incapable de renouvellement, il re-
nouvelle toutes choses. Toujom-s en action,
et toujours en repos, donnant à chacun l'ê-
tre, l'accroissement efla perfection. Il aime,
mais sans passion ; il est jaloux, mais sans
trouble ; il se repent, mais sans se rien re-
procher; il entre en colère, mais il n'en est
pas plus ému; il change ses opérations,
mais jamais ses desseins ; il exige du profil
de ses dons, mais sans être avare. Saint Au-
gustin fait ensuite à Dieu un humble aveu
1 Possid., Prol. in vitam. —^Ihid. — 'August.,
Epist. 23i, Tium. 6.
'Salut Augustin fait Ici allusion aux expressions
du Psaume xcix, 3 ; 11 dit donc : k Quoniam ipse fecit
nos et nonipsinos: nos autem perdideramus nos ;
sed qui fecit, refecit. » Refecit, c'est-à-dire a reparé
en nous son ouvrage par le secours de sa grâce.
{L'éditeur.)
5 Retract., lib. Il, cap. vi. — s Saint Augustin
parle des enfants qui, fâchés de ce qu'on ne fait pas
ce qu'ils veulent, frappent ceux qui leur résistent et
s'efforcent ainsi de leur nuire autant qu'ils le peu-
vent : Feriendo noeere nisi quantum potest ; il de-
mande si c'est là un bien, et il conclut qu'en pa-
reil cas ce n'est pas la disposition de leur cœur, mais
la faiblesse même de leurs membres qui est inno-
cente : Ita imbedllitas membrorum infantibus
innocens est, non animus infantium. [L'éditeur.)
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
de ses misères , et tout confus du comman-
dement qu'il a fait aux hommes de l'aimer,
il s'écrie : « Que vous suis-Je, ô mon Dieu!
pour que vous daigniez me commander que
je vous aime, et pom' ne pouvoir souffrir que
j'y manque, sans me menacer de grandes
misères ? Et n'en est-ce pas une assez grande
que de ne vous pas aimer ?» Il commence
après cela à parler de sa naissance et de son
enfance, jusqu'à la quinzième année de son
âge, décrivant d'une manière admirable ce
que font les hommes dans les premiers
temps de l'enfance, et faisant remarquer les
merveilles de la bonté et de la providence
de Dieu envei's l'homme dès le commen-
cement de sa vie, et dans le cours de son
enfance. Il fait voir que les enfants mêmes
ne sont pas exempts de péché, et que la coi--
ruption de l'homme paraît dès ses premières
années : « C'est donc, conclut-il, seidement
par l'impuissance de nuire, qu'on peut dire
qu'il y a de l'innocence dans les enfants, et
non pas par la disposition de leur cœur. J'en
ai vu un, ajoute-t-il, qui ne parlait pas en-
core, et qui était si transporté d'envie et de
jalousie contre un autre qai tétait la même
nourrice, qu'il en était tout pâle, et qu'il ne
regardait ce fi'ère de lait qu'avec des yeux
de haine et de colère. » Il passe de là au
temps où la raison commence à se déve-
lopper, et montre quel malheur c'est aux
enfants d'avoir à dépendre des fausses opi-
nions de ceirx qui les élèvent, et combien
sont vaines et frivoles les raisons pom- les-
quelles la plupart des parents font étudier
leurs enfants. Il se loue du grand soin que
sa mère avait eu de l'élever dans la piété,
et remarque que la raison qu'on avait eue
de différer son baptême après être revenu
d'une maladie dangereuse, fut que l'on
comptait que s'il avait encore à vivre, il ne
manquerait pas de se souiller de nouveau
par le péché ; et parce que l'on savait que
les fautes que nous commettons après le
baptême sont beaucoup plus grandes et
plus dangereuses que celles que l'on a com-
mises auparavant. Mais doutant depuis de la
validité de ces raisons, il disait à Dieu. « Je
voudrais bien, si c'était votre bon plaisir, que
vous me fassiez connaître dans quelle vue
l'on différa de me baptiser, et si c'a été un
bien pour moi que l'on m'ait ainsi laissé la li-
berté de pécher. Car n'est-ce pas me l'avoir
laissée, que d'avoir différé mon baptême ?
et ne le voyons-nous pas clairement par ce
que nous entendons dire tous les jours sur le
sujet de la plupart des enfants? Laissez-le
en repos, dit-on, qu'il fasse ce qu'il voudra,
il n'est pas encore baptisé. Parle-t-on ainsi
quand il est question de la santé du corps ;
et trouve-t-on quelqu'un qui dise : Qu'im-
porte qu'il se fasse de nouvelles plaies, il
n'est pas encore guéri. »
Il met au nombre des péchés l'aversion
que les jeunes gens ont pour l'étude lors-
qu'elle leur donne occasion de se révolter
contre ceux qui les pressent de s'y appli-
quer ; mais il ne croit pas que ceux-là soient
exempts de faute qui n'ont point d'autres
vues dans ce qu'ils font apprencbe aux en-
fants, que de les mettre en état de contenter
cet appétit insatiable de ce que les hommes
appehent des biens et des honneurs, et qui
n'est, en effet, qu'indigence et ignominie. Il
blâme l'usage où l'on est d'apprendre des
fables aux enfants, au lieu de les apphcpier
de bonne heure à apprendre les premiers
éléments des lettres, et dit que l'aversion que
les enfants ont pour les langues étrangères
vient uniquenient de la difficulté qu'il y a à
les apprendre. Il s'élève particuUèrement
contre la coutume pernicieuse où l'on est de
mettre entre les mains des jeunes gens les
livres de poètes, remplis de tant de choses
capables de corrompre ; et cela sous le pré-
texte que c'est dans ces livres que l'on ap-
prend l'usage de la signification des termes
et que l'on puise cette éloquence si néces-
saire pour bien exprimer ce que l'on pense,
et poiu' l'insinuer aux autres. « Quoi donc,
dit-il, si Térence ne nous avait représenté
un jeune débauché qui s'excite à contenter
sa passion par l'exemple de Jupiter, et par
la vue d'un tableau où ce dieu, sous la fi-
gure d'une pluie d'or qu'il fait tomber sur
Danaé, trouve moyen de la surprendi-e ,
n'aurions-nous jamais pu apprendre l'usage
et la signification des termes que ce poète
emploie dans cette malheureuse desci-ip-
tion ? Voyez de quelle manière ce jeune
homme sut profiler des leçons d'impudicité
que ce prétendu maître du ciel lui faisait par
cette action. Qu'on ne dise donc plus que rien
n'est phis propre que celte infâme descrip-
tion, pour nous apprendre l'usage des ter-
mes que Térence y emploie, mais plutôt que
l'usage qu'il en fait poiu- peindre rmc action
si honteuse est la chose du monde la plus
capable de faire passer par-dessus l'horreur
du mal.» Sainl Augustin ne désapprouve pas
[lye ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN ,
moins qu'on oblige les jeunes gens à expri-
mer en prose ce qiie Virgile fait dire à Ju-
non dans le transport de la douleur et de la
colère où eUe était de ne pouvoir empêcher
le roi des Troyens d'aborder en Italie. « N'y
a-t-il donc pas d'autres sujets d'exercer leur
esprit et leur langue ? N'en trouve-t-on point
dans les saintes Écritures, où tout retentit
des louanges de Dieu? Et n'est-ce pas là
qu'il faudrait chercher de quoi exercer l'ac-
tivité et fixer la mobilité de leur esprit au
lieu de le remplir de chimères. » 11 fait re-
marquer combien grande est la dépravation
des hommes d'observer avec tant de soin les
lois arbitraires par lesquelles ceux qui les
ont devancés ont réglé la prononciation des
lettres et des syllabes, et de fouler aux pieds
les lois immuables que Dieu a étabhes, et qui
sont la seule voie par où nous puissions al-
ler au salut. (( Cet excès, dit-il, se remarque
même dans le barreau où nous voyons tous
les jours des gens qui aspirent à une vaine
réputation d'éloquence , prendre garde avec
la dernière exactitude, de ne pas blesser les
lois delà grammaire par quelques mauvaises
constructions dans des discours enflammés,
où ils poursuivent à outrance la condamna-
tion de quelqu'un qu'ils ont pris en haine,
et comptent pour rien de violer la loi éter-
nelle, par la fureur avec laquelle ils cher-
chent à faire périr leurs semblables. » Saint
Augustin parle ensuite des défauts ordinaires
aux enfants, et soutient que lem-s amuse-
ments mêmes et leurs jeux marquent visi-
blement ce même fond de corruption et
d'injustice qui éclate dans la suite de l'âge ;
il finit ce premier livre par ces paroles :
« Ce qu'il y a en nous de déréglé, et qui pa-
raît dès cet âge-là, ne vient que de nous-
mêmes, et il n'y a que Dieu seul en qui nous
puissions trouver nos délices, notre gloire et
notre confiance. »
Analyse 4. En Commençant le secoud livre, le Saint
livre, p. 81 DoctcuT repasse dans toute l'amertume de
" ^""'' son cœur les désordres de sa jeunesse, afin
que ce souvenir amer et cuisant serve à lui
faire goûter plus sensiblement les douceurs
ineffables qu'il trouve en Dieu. Les désor-
dres dont il y parle, sont ceux dans lesquels
il se jeta en la seizième année de son âge,
où désoccupé et livré à lui-même, sans que
personne cherchât à mettre un frein à la
malheureuse impétuosité qui l'emportait, il
ne mit aucune borne à ses passions. H re-
connaît néanmoins qu'en abandonnant Dieu
ÉVEQUE D'HIPPONE.
27
de la sorte, il n'évita point ses châtiments,
et qu'au milieu des plaisirs criminels aux-
quels il s'abandonnait. Dieu était toujours siu"
lui la verge à la main, mais avec une verge
de miséricorde, par les amertumes qu'U. ré-
pandait sur ses dérèglements, afin de l'obli-
ger à chercher des plaisirs pm-s et sans mé-
lange, n rejette les fautes en partie sur la
facilité que ses parents avaient pour lui ,
et qui était telle , qu'elle tenait la porte ou-
verte à tout ce que l'ardem- de ses passions
pouvait lui inspirer. II se juge lui-même avec
beaucoup de sévérité siu' un vol qu'il fit la
nuit avec ses compagnons, convenant qu'il
ne vola des fi'uits avec eux que pom' le plai-
sir de voler, et n'en voulant qu'au mal qu'il
y avait de les prendre. Il fait voir à cette oc-
casion que, dans les vices, il y a toujours
quelqu'apparence de bien qui séduit, ne fût-
ce qu'un air d'indépendance et de liberté à
faire quelque chose de défendu. Il avoue
aussi qu'il s'abandonna à ce larcin par le
plaisir d'entrer en société de crime avec
ceux qu'il eut pour complices dans cet ac-
tion; d'où il conclut que les amitiés et les
sociétés que forment entre eux les jeunes
gens n'ont ordinairement d'autres effets que
de se corrompre les uns les autres et qu'à
faire dans la raison un renversement qui
passe toute croyance. Il déteste toutes les
fautes dans lesquelles il était tombé, et re-
connaît que c'est la grâce de Dieu qui l'a
empêché de faue tout le mal qu'il n'avait
point fait; puis, convaincu que la vraie féli-
cité n'est qu'en Dieu seul, il s'écrie : « C'est
vous que je veux, justice éternelle, innocence
souveraine, beauté divine, dont les grâces
sont les délices des yeux chastes et dont la
jouissance comble l'âme d'un plaisir céleste
sans aucun dégoût , c'est dans vous que l'on
trouve une paix profonde et une vie exempte
d'agitation et de trouble. »
3. Il raconte, dans le troisième livre, ce Analyse
quiluiarrivaàCarthagedansladix-septième, me livre,
la dix-huitième et la dix-neuvième année de ''^°" *^"
son âge. « Mon cœur alors n'était, dit-il, tou-
ché d'aucun désir pour la nourriture incor-
ruptible, et ce dégoût ne venait pas de ce
qu'U en fût rassasié, mais de ce qu'il en était
trop vide. » Se livrant donc à l'ardeur de ses
passions il mit son plaisir surtout, dans ce-
lui d'être aimé aussi bien que d'aimer, et il
fut assez malheureux pour réussir dans l'un
et dans l'autre. Il avait en même temps une
passion extraordinaire pour les spectacles
28
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
des théâtres, dont les représentations étaient
comme autant d'hnile que l'on jetait sur le
feu de l'amour impur dont il était embrasé.
« Ce qui fait que l'on aime ces spectacles,
dit-il, c'est qu'on a l'esprit malade. » Ce qu'il
prouve par l'expérience qui nous apprend
qu'on est plus ou moins touché des repré-
sentations du théâtre, selon qu'on a des pas-
sions plus ou moins vives dans le cœur. Ce-
pendant, il ne laissait pas de s'appliquer à
l'étude de l'éloquence, et il se flattait même
de l'espérance d'y exceller et d'y acquérir
cette malliem-euse gloire, qui se mesm-e par
l'adresse que l'on a à déguiser la vérité.
« Car les hommes , dit-il, sont assez aveu-
gles pour juger ainsi des choses et même
pom? faire vanité d'un tel aveuglement. » La
lecture d'un livre de Cicéron intitulé : Horten-
siiis, et qui n'est proprement qu'une exhor-
tation à la philosophie, commença à lui chan-
ger le cœm' et lui donna des vues et des pen-
sées toutes nouvelles, en sorte qu'il adi'essa
dès lors à Dieu des prières bien diflërentes
de celles qu'il lui faisait auparavant. Il se
trouva tout d'un coup n'ayant plus que du
mépris pom* les vaines espérances du siècle
et embrasé d'un amour incroyable pour la
véritable sagesse. De la lecture de ce livre,
il passa à ceUe de l'Écritm'e sainte; mais
son cœur était encore trop enflé d'orgueil
pour s'accommoder de cette sagesse appa-
rente de style, et n'avait pas d'assez bons
yeux pour pénétrer ce qu'elle cache aux su-
perbes et ne découvre qu'aux humbles et
aux petits à mesure qu'ils avancent. Il au-
rait même été bien fâché de s'abaisser et de
devenir humble, quoique la grandeur dont
il se flattait ne fût qu'enflure et vanité. Il
était dans cet état lorsqu'il tomba entre les
mains des manichéens les plus extravagants,
et, en même temps, les plus orgueiUeux des
hommes. Dominés par les impressions de la
chair et du sang jusqu'à ne pouvoir rien con-
cevoir que de corporel, ils croyaient que le
mal même était mie substance corporelle ;
conteurs d'impertinences et de fables, tous
leurs discours étaient autant de pièges de
Satan ; ils se servaient pour surprendre les
âmes d'un appât composé du saint nom de
Dieu, de celui de notre sauveur Jésus-Clu'ist
et de celui du Saint-Esprit, ou pour mieux
dire, des syllabes qui entrent dans ces noms
adorables ; criant sans cesse : Vérité, vérité,
ils ne lui promettaient que vérité, quoiqu'il
n'y en eût pas en eux, comme saint Augus-
tin le fait voir. Ce qui le fit tomber dans
les erreurs et les extravagances des mani-
chéens , fut principalement son ignoraace
sur la natm'e du mal et sur celle de Dieu,
sm' la véritable justice et sur la manière dont
on peut accorder l'immutabilité de Dieu
avec la diversité des pratiques qu'il a ordon-
nées en divers temps, ne prenant pas garde
que cette justice éternelle n'est pas en eUe-
même demeurée moins invariable, quoique
ses ordonnances aient varié selon la diver-
sité des temps, et qu'il y a une différence
essentielle entre ce qui n'est mauvais que
par rapport aux circonstances des temps et
entre ce qui l'est en soi-même. S'il y a des
choses qui ne sont justes ou injustes que se-
lon certaines circonstances des temps et des
lieux, il y en a aussi qui sont tellement justes
par elles-mêmes, qu'en quelque temps et en
quelque lieu que ce soit, on n'a jamais pu y
manquer sans injustice : comme d'aimer
Dieu de tout son cœur, de tout son espi-it et
de toute son âme, et le prochain conune
soi-même. Mais dans ce qui n'est crime que
parce qu'il est contraire aux mœurs et à l'u-
sage de quelque pays ou de quelque peuple,
la règle qu'on doit suivre est de se confor-
mer à l'usage reçu et pratiqué dans les heux
où l'on se rencontre. Car chaque état sub-
siste sur de certaines conventions générales
qu'A n'est pas permis aux citoyens ni aux
étrangers de violer , puisque toute partie qui
s'éloigne du rapport qu'eUe doit avoir avec
son tout, est vicieuse et déréglée. Si toutefois
Dieu ordonnait quelque chose de contraire
aux mœurs ou aux conventions mutueUes de
quelque peuple que ce fût, il faudrait le faire,
quoicpi'ilne se fûtjamais fait; l'établir, quoi-
qu'il ne fût point encore établi, ou le réta-
blir si on avait cessé de le pratiquer. En gé-
néral, il faut faire tout ce que Dieu ordonne,
de quelque nature que soit la chose qu'il or-
donne : il ne s'agit que de la bien connaître.
« Il y a, ajoute saint Augustin, plusieurs
actions que les hommes jugent dignes d'être
condamnées et que Dieu autorise par son
approbation, comme il y en a plusieurs qu'ils
approuvent avec éloge et que Dieu con-
damne par l'équité de ses jugements, parce
que souvent l'intention secrète et les circons-
tances particulières des temps rendent une
action tout autre qu'elle ne semble être à
ceiLX qui ne la considèrent que par l'appa-
rence. » Il en donne ailleurs un exemple tiré A"iî,- ^'"''■
du commandement que Dieu fit à son peu-
[IV« ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
29
lib. XXII, pie, d'emporter tout ce qu'il pourrait des
c:i|i. Ml. richesses des Egyptiens. Car ce qui aurait été
un crime sans cet ordre exprès de Dieu, de-
vint une action légitime , et les Israélites
auraient même péché, s'ils avaient manqué
de faire ce que Dieu leur ordonna de faire
en cette occasion.
Analyse 6. Dans le quatrième livre, saint Augustin
!l!l.''"i'i'!,'r'i^' fait paraître la confusion où il était d'avoir
p:ig. 97. passé neuf ans entiers attaché aux erreurs
des manichéens, et d'en avoir infecté les
autres; d'avoir recherché les fumées d'une
gloire populaire, et les acclamations du
théâtre, en disputant aux autres le prix de
la poésie ; de s'être attaché avec opiniâtreté
à une science aussi abusive et aussi vaine
que celle de l'astrologie judiciaire; et d'a-
voir excédé dans la douleur que lui avait
causée la mort d'un de ses amis intimes. Il
reconnaît qu'il n'y a de vraie amitié que
celle que Dieu forme entre ceux qui l'aiment,
et qui sont unis par le lien de cette charité
que répand dans nos cœurs le Saint-Esprit
qui nous est donné ; et que ce qui fait que
dans les amertumes de la vie, nous trou-
vons quelque douceur à nous plaindre, à gé-
mir, à pleurer, à soupirer, c'est que nous
nous sentons quelque espérance secrète que
Dieu nous exaucera. « Mais cela n'est vrai,
ajoute-t-il, que des larmes que nous versons
dans la piière, puisqu'elles ont un but où
nous désirons d'arriver; et non de celles que
fait répandre une douleur comme celle où
j'étais d'avoir perdu mon ami. L'amitié qui
était enti'e nous, ajoute-t-il, avaitfaitquenos
deux âmes n'en étaient qu'une ; et ce qui fai-
sait que je craignais de mourir après l'avoir
perdu, c'était peut-être la peur que celui
que j'avais tant aimé achevât de perdre un
reste de vie que j'avais encore en lui.» Mais
dans le second livre de ses Rétractations, il dé-
sapprouve ces façons de parler, et les traite
de déclamations frivoles, « qui n'auraient
pas dû, dit-il, trouver place dans un ou-
vrage aussi sérieux que celui où je confesse
mes misères. » Il entre dans le détail de ce
qui fait l'amitié entre les hommes, et con-
seille à ceux qui ne veulent point perdre
leurs amis, de ne les aimer qu'en Dieu :
« Car on est sûr, dit-il, de ne perdre aucun
de ceux qu'on aime, quand on ne les aime
qu'en celui qu'on ne saurait perdre. Et qui
est celui-là, sinon notre Dieu, le Dieu qui a
fait le ciel et la terre ? » Pour s'engager lui-
même à ne s'attacher qu'à Dieu , il envisage
le monde et toutes les choses qui passent
par tous les endroits qui peuvent nous en
donner du mépris, voulant que l'on n'aime
rien, soit beauté corporelle, soit beauté spi-
rituelle, qu'en Dieu même ; en effet, c'est
seulement en lui et par lui, que les âmes
mêmes , comme toutes les autres créatures ,
sont quelque chose de fixe et de stable ; et
s'il ne les soutenait , elles périraient et re-
tomberaient dans le néant. (( C'est une folie
aux hommes de chercher le repos dans les
créatures, puisque le vrai repos n'est qu'en
Dieu, comme c'est en lui seul qu'est la vie
heureuse. Aussi, nous crie-t-il d'une voix
forte, que nous sortions d'où nous somnies,
et que nous remontions vers lui, jusques
dans cette lumière secrète où il habite, et
d'où il est venu vers nous, en se revêtant,
dans un sein virginal, d'une chair mortelle
comme la nôtre, pour nous rendre partici-
pants de son immortahté. » Saint Augustin
avoue, que faute d'avoir connu toutes ces
vérités, il avait laissé aller son cœur à
des beautés qui ne sont que passagères. Il
parle d'un ouvrage qu'il composa alors sous
le titre : De la Beauté et de la Convenance. Nous
ne l'avons plus, et nous savons seulement
qu'il l'avait dédié à un orateur de la ville de
Rome appelé Hiérius, qui, quoique Syrien
de naissance, s'était rendu si habile dans la
langue latine, qu'il se faisait admirer de
ceux qui la savaient le mieux. Il définissait
dans cet ouvrage, le terme de beauté, une
chose qui plaît par elle-même ; il appelait
convenance, ce qui fait qu'une chose plaît par
le rapport qu'elle a à quelque autre chose.
Sur la fin du quatrième livre, il parle de la
facilité qu'il avait pour toutes les sciences
humaines, et convient qu'il ne trouvait au-
cune difficulté dans ce que les meilleurs es-
prits mêmes et les plus appliqués n'enten-
daient qu'avec peine : mais il avoue aussi
quêtons ces avantages d'esprit ne lui avaient
servi de rien, puisqu'on ce qui regarde la
piété et le culte de Dieu, il était tombé, en
se livrant aux imaginations des manichéens,
dans des extravagances qui am-aient dû lui
faire autant de honte que d'horreur.
7. Le cinquième livre renferme l'histoire de
ce qui lui arriva dans la vingt-neuvième année iiu c'intfi/iè"
de son âge, où, ayant reconnu l'ignorance "38.107?'
de Fauste le manichéen dans les conférences
qu'il eut avec lui à Cartilage, il commença à
se désabuser des erreurs de cette secte. Les
inquiétudes lui paraissent inséparables d'un
Analyse
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
30
cœur IhTé à l'inicjpiité. On y voit que Dieu
sait faire usage de la malice même des pé-
cheurs pour accomplir ses desseins siu- eux;
qu'en vain ils fuient Dieu, rien de ce qu'il a
fait ne pouvant échapper à sa justice, et,
par une prérogative qui lui est particuhère,
étant présent à ceux mêmes qui s'enfuient
le plus loin de lui. « Qu'ils se convertissent
donc à vous, ajoute le saint Docteur, et
qu'ils vous cherchent, puisque vous êtes si
près d'eux, et que vous ne vous retirez pas
de vos créatures, comme elles se retirent de
vous. Dès qu'ils se tourneront vers vous, et
qu'ils vous chercheront, ils vous trouveront
dans leur cœm\ Car vous êtes dans le cœur
de tous ceux qui vous confessent leur mi-
sère, et qui, après un égarement lassant et
accablant, viennent enfin se jeter entre vos
bras et pleurer dans votre sein. Votre main
paternelle essuie leiu-s larmes, mais ils en
répandent toujours de plus en plus, et ils en
font leur plaisir et leur joie , parce que c'est
leur Créateiu' même qui prend soin de les
consoler, et non pas les hommes, qui ne
sont que de chair et de sang. » Ce n'est pas
par la connaissance des sciences humaines
que l'on parvient à plaire à Dieu; on a beau
être instruit, on est malheureux si l'on ne
connaît point Dieu, et, au contraire, on est
heureux si on le connaît, quelque étranger
que l'on soit dans les sciences profanes. La
piété est incompatible avec le mensonge et
l'imposture ; les choses ne sont ni plus ni
moins vraies, pour être bien dites, ni plus ni
moins fausses, pour l'être mal ; et la vérité
et la fausseté sont comme des mets, les uns
salutaires et les autres nuisibles et empoi-
sonnés, qui peuvent être servis dans toute
sorte de plats, soit d'argent, soit de terre.
Saint Augustin entre dans le détail des rai-
sons qui l'engagèrent à quitter Carthage
pour aller à Rome, dans le dessein d'y en-
seigner la rhétorique ; il parle de la maladie
dont il fut attaqué, des assiduités qu'il con-
tinua à y rendre aux manichéens ; de ses pei-
nes sm- certains endroits de l'Écriture ; des
infidéhtés de ses écoliers: Il ajoute un récit
de la manière dont saint Ambroise le reçut
à Milan, et de l'impression que les discoiu-s
de ce saint évêque firent sur son cœur.
8. On trouve le trait suivant dans le sixième
livre. Sa mère était venue le trouver à Milan ;
s'étant présentée aux Tombeaux des Saints
avec des oblations de pain et de vin, comme
on le pratiquait en Afrique, le portier de l'é-
glise ne voulut pas le lui permettre, parce que
saint Ambroise l'avait défendu. Monique se
rendit aisément à cette raison, sachant sur-
tout que ce saint évêque n'avait défendu ces
sortes d 'oblations que parce qu'elles tenaient
des pratiques en usage chez les païens aux
funéraiUes de leurs proches, et qu'elles pou-
vaient être une occasion d'intempérance à
plusieurs. Depuis ce temps-là, au lieu d'une
corbeille pleine des productions de la terre,
elle apprit à ne plus porter aux Tombeaiix
des Martyrs qu'un cœur plein d'une autre
sorte d'offrande bien plus pure, se réservant
à distribuer d'une autre manière ce qu'elle
était en état de domier aux pau\Tes. Saint
Augustin parle, dans le même livre, des
grands eflorts qu'il faisait pour découvrir la
vérité, mais sans avoir recours à la prière ;
de la témérité avec laquelle il avait con-
damné la doctrine de l'Église sans la con-
naître, et de la manière dont cette doctrine
commença à lui paraître préférable à celle
des manichéens. « Quoiqu'elle voulût \ dit-
il, que l'on commence par croire, soit qu'elle
n'eût pas de quoi prouver ce qu'elle ensei-
gne, soit qu'elle ne trouvât point d'esprit
capable de ses preuves, son pi-océdé était
bien plus l'aisonnable et moins suspect de
tromperie que celui des hérétiques qui, pro-
mettant de ne rien enseigner que de clair et
de bien prouvé, avancent néanmoins sans
preuve inie infinité d'absurdités et de fables.
La main douce et invisible de votre miséri-
corde, changeant peu à peu les plis de mon
cœm-, je vins à considérer combien je croyais
de choses que je n'avais point vues, et qui
s'étaient même passées avant que je fusse
au monde , comme tout ce que l'on trouve
dans les histoires profanes, sans compter ce
que j'avais ouï dire de plusieurs villes et de
plusieurs pays où je n'avais jamais été;
combien j'en avais cru sm- la foi de mes
amis, des médecins et de plusieurs autres,
du sixièini
livre, pa;^.
in.
> M. Moreau traduit ainsi : « Toutefois je pré- de démonstration possible) , tandis que leurs
ferais dÈs lors la doctrine catholique, jugeant
qu'elle commande avec plus de modestie et
une entière sincérité de croire ce qui n'est point
démontré (soit qu'on ait à faire à qui ne peut
porter la démonstration, soit qu'il n'y est point
téméraires promesses de science, appât déri-
soire à la crédulité, ne sont qu'un amas de
fables et d'absurdités qu'ils ne peuvent soutenir
et dont ensuite ils inifwsent la créance. » {L'ddi-
teur.) ^'
[IY« ET ?= SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
dont le témoignage sert de fondement à
presque tout ce que l'on fait dans la vie ; en-
fin, combien je croyais fermement que j'étais
né d'un tel père et d'une telle mère, sans
en rien savoir néanmoins que par le témoi-
gnage de ceux à qui je l'avais ouï dire. Ce
fut par ces sortes de rétlexions que vous me
fîtes comprendre que l'autorité de vos saintes
Ecritui-es, étant aussi grande et aussi éta-
blie qu'elle l'est parmi tous les peuples de
la teri-e, ce sont ceux qui refusent de croire
qu'il faut blâmer, et non pas ceux qui croient ;
et ceux qui me voudraient dire : D'oùsavez-
vous que ces livres ont pour auteiir le seul
Dieu véritable et source de toute vérité, et que
c'est lui qui les a inspirés à ceux qui les ont
mis entre les mains de tous les hommes ? ne
mériteraient pas d'être écoutés. » Ce qui en-
gagea encore saint Augustin à se soumettre à
l'autorité de l'Écriture, fut l'impuissance où
il vit qu'était l'homme d'arriver à la connais-
sance de la vérité par la voie de l'inteUigence
et de la raison. Il comprit que Dieu n'aurait
jamais permis que l'écriture se fût acquis une
aussi grande autorité c[u'eUe en a par toute
la terre, s'il n'avait voulu que ce fût par eUe,
que l'on crût en lui, et que l'on cherchât aie
connaître. Son autorité lui paraissait même
d'autant plus digne d'une soumission reli-
gieuse, qu'en même temps qu'elle se rend ac-
cessible à tout le monde, par la simphcité de
son style, eUe cache la majesté de ses mys-
tères sous une profondeur qu'on a peine à
percer.
Le reste de ce livre est employé à racon-
ter divers événements ariivés à Milan, soit
à lui-même, soit à Alypius, soit à Nébridius;
de combien de mouvements différents son
cœur était agité , lorsque balançant entre
Dieu et le monde, il voulait accorder l'un avec
l'autre; et l'aveuglement dans lequel il avait
été jusque-là sur la nature des plaisirs qui
peuvent faire le bonhem- de l'homme. « 0
voies égarées, dit-il, malheur à l'âme auda-
cieuse qui, en s'éloignant de vous, espère
trouver quelque chose de meilleur que vous !
En vain, elle se tourne et se retourne de
tous côtés , elle ne trouve partout que des
inquiétudes et des déplaisirs, parce que vous
seul, ô mon Dieu, êtes son repos. »
Analyse 9. On voit dans le septième livre quelle
cinquiè- , . . . . -, . , . _
livre, était la situation de saint Augustin en la
'■ *■ trentième année de son âge, et comment,
après de grands eflbrts pour se défaire des
fausses idées qu'il avait de la nature de Dieu
31
et de celle du mal, il vint enfin à bout d'ap-
procher de la vérité. Il conçut que ce qui est
incorruptible valant mieux que ce qui est
coiTuptible, il s'en suivrait que si Dieun'était
pas incorruptible , on pourrait concevoir quel-
que chose de meilleur que Dieu ; que l'excel-
lence de son être surpasse infiniment toutes
les choses créées, et qu'étant bon de sa na-
ture, il ne peut avoir rien créé que de bon.
Il raconte , dans le même livre , que s'étant
mis à lire les livres des platoniciens, il y
trouva toutes les grandes vérités que la foi
nous enseigne touchant le Verbe de Dieu et
qu'on lit dans le premier chapitre de saint
Jean; mais qu'il n'y trouva point que ce
Verbe , ce Fils de Dieu, se soit anéanti, en
prenant la forme de serviteur ; qu'il se soit
humilié et rendu obéissant jusqu'à la mort,
et qu'en récompense. Dieu l'ait ressuscité
d'entre les morts et lui ait donné un nom
qui est au-dessus de tout autre nom. « C'est-
là, ajoute-il, ô mon Dieu, ce que vous avez
caché aux sages, mais révélé aux hum-
bles et aux petits. » Il ne s'attacha donc qu'à
profiter de ce qu'il y avait de sagesse et de
vérité dans les livres de ces philosophes , et
il profita surtout de ce qu'il y avait lu , que
pour trouver Dieu, il fallait rentrer en soi-
même. Car étant rentré jusque dans la par-
tie la plus intime de son âme , il y découvrit
la lumière éternelle et immuable, et connut
avec le secours de la grâce que l'objet qu'il
cherchait, existait; qu'on ne peut pas dire
des créatures qu'elles sont , puisqu'elles ne
sont pas ce qu'est Dieu et que rien n'existe
véritablement que ce qui est immuable. Il
connut encore avec le même secours qu'il
n'y a point de substance que Dieu n'ait faite ;
qu'il n'a rien fait que de bon, et que, quoique
tout ce qu'il a fait ne soit pas du même degré
de bonté, chaque chose est bonne dès-là
qu'elle existe ; et que comme il n'y en a au-
cune qui ne soit bonne, le tout qu'elles com-
posent toutes ensemble est quelque chose
de très-bon : que ce qu'on appelle mal n'est
que la disconvenance de certaines choses ,
qu'il n'est rien moins qu'une substance, et
que ce n'est que la dépravation d'une âme,
dont la volonté se détourne de Dieu, pom- se
porter à la créature. Saint AugTistin nous
apprend ensuite qu'il passa de la lecture des
livres des platoniciens à celle des Epîtres de
saint Paul, et qu'il y trouva, non-seulement
tout ce qu'il avait appris de vrai dans les
livres des philosophes, mais de plus , qu'en
32
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
même temps que ceux des auteurs inspirés
de Dieu, nous pi-oposent les vérités, ils ont
soin de nous mettre sa grâce devant les yeux
et de nous en marquer le prix et la force,
afin que celui qui voit ce qu'il faut voir,
prenne bien garde de ne pas s'en glorifier,
comme si ce qu'il connaît ne lui avait pas
été donné.
A"'')y;e 10. Le livre huitième est le plus bel en-
me \'!vJc, droit de la vie de saint Augustin; on y reu-
pa?. 1(13.
contre, en effet, l'iiistoire de sa conversion ,
qui arriva en la trente -deuxième année
de son âge. Nous en avons rapporté plus
haut les principales circonstances , et nous
nous contenterons de remarquer ici ce qu'il
dit de la peine qu'il eut à rompre ses liens,
parce qu'on y voit une image de celle qu'ont
tous les péclîeurs de se défaire de leurs an-
ciennes habitudes. « Je soupirais vers vous,
dit-il, ô mon Dieu, étant encore attaché, non
par des fers étrangers, mais par ma propre
volonté, qui était plus àaxe que le fer. Le
démon la tenant en sa puissance, en avait
fait comme une chaîne dont il m'avait lié très-
étroitement. Car en se déréglant dans la vo-
lonté, on s'engage dans la passion ; en s'a-
bandomiant à. la passion, on s'engage dans
l'habitude; et en ne résistant pas à l'habi-
tude, on se fait une nécessité de demeurer
dans le vice. C'est de cette suite de désor-
dres, qui sont comme autant d'anneaux en-
lacés les uns dans les autres, dont était for-
mée cette chaîne avec laquelle j'étais détenu
captif dans une crueUe servitude. J'avais
bien une volonté nouvelle de vous servir
avec un cœur très-pur, et de jouir de vous,
mon Dieu, en qui se trouve l'unique joie qui
soit solide ; mais cette volonté qui ne faisait
que de naître, n'était pas capable de vaincre
la volonté ancienne qui s'était fortifiée par
une longue habitude dans le mal. Aiusi, j'a-
vais deux volontés , l'une ancienne et char-
nelle, et l'autre nouvelle et spirituelle, qui
se combattaient en moi, et qui en se com-
battant déchiraient mon âme. Il semblait
que j'eusse moins de part dans ces désor-
di'es, puisque je les souflTais plutôt contre
mon gré, que je ne m'y portais volontaire-
ment ; mais néanmoins, c'était moi-même
qui avais rendu ma mauvaise habitude si
forte contre moi-même; et c'était ma propre
volonté qui m'avait réduit en cet état, dans
lequel j'arirais bien voulu ne pas être,
de sorte qu'on ne peut pas dire que je ne
méritasse justement la peine due à un pé-
cheur. Comme j'étais encore esclave de mes
passions, j'appréhendais de me domier tout
entier à votre sen'ice , et je craignais autant
de me voir dégagé de tous ces engagements,
comme on doit craindre d'y être engagé.
Les pensées que j'avais de me convertir à
vous étaient semblables aux efforts de ceux
qui se voulant éveiller, sont surmontés par
le sommeil et retombent dans leur assou-
pissement. Ainsi, mon Dieu, quand vous me
disiez : Éveillez-vous, vous qui dormez, le-
vez-vous d'entre les morts, et Jésus-Christ vous
éclairera, je ne savais que vous répondre,
sinon ces paroles d'un homme paresseux et
endormi : Tout à cette heure ; laissez-moi
encore \m moment ; mais cette heure ne
venait jamais , et ce moment durait tou-
jours. »
11. Le neuvième livre commence par mi
sacrifice de louange que saint Augustin offre
à Dieu, en reconnaissance de ce que, par un
effet de sa miséricorde et de sa toute-puis-
sance, il l'avait tiré de l'abîme de mort où il
était plongé, et avait purgé son cœur des
impuretés dont il était rempli. On y voit en-
suite la conversion de Vérécundus et de Né-
bridius, et avec quelle joie saint Augustin,
retiré à la campagne dans la maison de Vé-
récundus, lisait les Psaumes de David, ces
divins cantiques si propres à guérir l'cnllure
de l'orgueil ; on y voit aussi quelles ardeurs
ils excitaient dans son cœur. De la lecture
des Psaumes, il passa à celle du prophète
Isaïe ; mais voyant qu'il n'y entendait rien, il
en lenvoya la lecture à un temps où il serait
un peu plus avancé et plus accoutumé au
langage des saintes Écritures. Il remarque
en passant qu'il n'y avait guères plus d'un
an que l'on avait établi la psalmodie dans
l'Église de Milan , et dit quelle en fut l'occa-
sion. L'impératrice Justine, mère du jeune
Valenlinien, qui était alors en cette ville avec
toute sa cour, par le transport d'un faux zèle
pour l'hérésie arienne, dont elle s'était laissé
prévenir, persécutait le saint évèque Am-
broise et l'avait obligé de se retirer dans son
éghse. Son peuple, dont il était tendrement
aimé, se tenait auprès de lui, disposé à mourir
avec son évèque. Comme les choses tiraient
en longueur, et qu'on craignait que ce peu-
ple, retiré dans l'église, ne succombât enfin
à l'ennui, on eut lecom's au chant des Psau-
mes, ;ï l'imitation des Églises d'Orient ; et
depuis ce temps-là, cette sainte institution a
toujours subsisté dons l'Église de Milan , et
[IV^ ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE-
33
dans presque toutes les Églises du monde.
« Ce fut dans le même temps, ajoute saint Au-
gustin que Dieu fit connaître par révélation
à ce saint évêque, le lieu où reposaient
les corps des saints martyrs Gervais et Pro-
tais ; lorsqu'on les portait à la Grande Église
avec tout l'honneur qui leur était dû, des
possédés furent délivrés des démons qui les
tourmentaient, et un homme aA'eugle depuis
plusiem's années, qui était de Milan même
et connu de toute la ville, recouvra la vue. »
Saint Augustin fait ensuite un précis de la
vie de sa mère , marquant en même temps
et les défauts auxquelles elle avait été sujette,
et ses vertus. Quelque vertueuse qu'il la crût,
il ne laissait pas de prier pour elle après sa
mort, n'osant assm-er que depuis qu'elle
avait été régénérée par le saint baptême, il
ne lui fût échappé aucune parole, par où
elle eût violé les commandements de Dieu.
Livre 12. Le saint Docteur montre dans le dixième
ig. 'ii\.' livre ce qu'il était dans le temps qu'il écrivit
ses Confessions et par quels motifs il les avait
rendues publiques. C'était pour réveiller les
pécheurs qui les liraient ou qui en enten-
draient parler; afin qn'au lieu de s'endormir
dans le mal, de désespérer de leur guérison,
et de se dire à eux-mêmes qu'ils ne pourraient
jamais se tirer de leur mauvais état, ils sor-
tissent de cet assoupissement, se confiant
dans la miséricorde de Dieu et dans la dou-
ceur de sa grâce, qui donne des forces aux
plus faibles, lorsque par un effet de cette
même grâce, ils viennent à reconnaître leur
faiblesse. « Les justes mêmes , ajoute saint
Augustin, seront bien aises de connaître les
maux de ceux que vous avez guéris : non que
le mal leur plaise , mais par la joie qu'ils au-
ront, que ceux qui ont été méchants ne le
sont plus. » Tenant ensuite à l'état où il se
trouvait alors, il ne craint point d'assurer, sur
le témoignage de sa conscience, qu'il aimait
véritablement Dieu, et qu'il l'avait aimé dans
le moment même où il s'était converti. D'où
il prend occasion d'examiner par quelle fa-
culté de l'âme il faut chercher ce que c'est
que Dieu, l'objet de notre amour. Dans ce
dessein, il parle assez au long de toutes nos
facultés intellectuelles, et sm-tout de la mé-
moire, dont il fait une belle et ample descrip-
tion, marcpiant la manière dont les choses
s'y conservent, celles qui y ont place, et en
combien de manière cette faculté est admi-
rable. Il soutient que Dieu étant d'tjn genre
tout différent des autres choses dont la mé-
moire nous conserve le souvenir, y tient aussi
une place toute différente : mais il ne peut
examiner en quel lieu c'est. « 11 suffit, lui
dit-il, que je sache que vous y êtes. Et ne le
sais-je pas parfaitement, puisque depuis que
je vous ai connu, je ne vous ai point oublié,
et que c'est là que je vous trouve toutes les
fois que je veux penser à vous ?» H enseigne
que nous tirons de nous-mêmes et de tous
les êtres créés la première notion de Dieu,
et témoigne son regret d'avoir commencé si
tard à connaître et à aimer une beauté si
ancienne , mais toujours nouvelle , et de
s'être attaché trop longtemps à des beautés
extérieures qui ne sont que -l'ouvrage de
ses mains. Il déclare après cela comment il se
trouvait à l'égard des tentations qui naissent
des trois branches de la cupidité, sur les-
quelles il donne d'excellentes règles. Il dit
qu'il a appris du Seigneur à ne prendre les
aliments que comme des remèdes, mais qu'il
ne laissait d'être tous les jours aux prises
contre les tentations et contre les pièges de
la cupidité à l'égard du boire et du manger,
il témoigne qu'il était beaucoup plus indiffé-
rent pour le plaisir des odeurs ; mais qu'ayant
été autrefois beaucoup attaché au plaisir de
l'oreille, il en était encore touché lorsqu'il
entendait chanter les Psaumes dans l'égfise,
et quand ils étaient chantés par quelqu'un
qui avait la voix belle, et qui savait chanter.
Il ne doute pas que ce ne soit une faute digne
de châtiment, lorsqu'il arrive qne le chant
touche davantage que les paroles saintes
que l'on chante. C'est pourquoi il lui parais-
sait qu'il serait plus sûr de s'en tenir à la
pratique de saint Athanase, évêque d'Alexan-
drie, qui faisait chanter les Psaumes avec
si peu d'inflexion de voix, que c'était plutôt
les réciter que les chanter *. H se plaint
de ce qu'il était encore attaqué tous les
* Saint Augustin ajoute immédiatement : « Et
cependant quand je me rappelle ces larmes que
les chants de votre Église me firent répandre aux
premiers jours où je recouvrai la foi et qu'aujour-
d'hui même je me sens encore ému, non de ces
accents, mais des paroles modulées avec leur ex-
pression juste par une voix pure, je reconnais de
IX.
nouveau toute l'utilité de cette institution. Ainsi
je flotte entre le danger de l'agréahle et l'expé-
rience de l'utile, et j'incline plutôt, sans porter
toutefois une décision irrévocable au maintien du
chant dans l'Église, afin que le charme de l'oreille
élève aux mouvements de la piété l'esprit trop
faible encore. Mais pourtant, lorsqu'il m'arrive
à
34
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
l.'i.
Anal
i'n 0117.K'
livre, 11
1!.5.
jours par cette autre espèce de plaisir qui toii-
che les yeux du corps ; mais il dit en rnèrne
temps qu'il tâcliait de se tenir en garde
contre les séductions auxquelles les yeux
servent d'occasion, craignant que ses pieds
ne se prissent dans ces filets que l'ennemi
lui tendait pour tâcher d'arrêter le mouve-
ment par où il s'efforçait de se porter vers
Dieu. Il regarde une troisième sorte de
concupiscence qui nous porte à nous venger
de ceux qui nous font du miil , et dont il re-
connaît que Dieu avait commencé de le
guérir, comme un sentiment qui nous éloi-
gne entièrement de l'amour que nous devons
à Dieu. Il s'avoue sensible aux louanges des
hommes, de manière toutefois qu'il se croyait
encore touché davantage de la vérité : «Car,
dit-il, si on me demandait lequel j'aimerais
le mieux d'être dans l'erreur, et cependant
loué et estimé de tout le monde, ou d'être
établi dans la vérité et dans la vertu, quoi-
que blâmé et condamné de tout le monde,
je vois bien le parti que je prendrais, n L'or-
gueil lui semble d'autant plus à craindre qu'il
nous arrive souvent de tirer vanité du mé-
pris même que nous faisons de la vaine gloire,
et finit son dixième livre en montrant que
Jésus-Christ est le vrai médiateur, et qu'il
l'est en tant qu'homme. Ses maux lui parais-
saient alors si grands et en si grand nom-
bre, qu'effi^ayé de ses péchés et accablé du
poids de ses misères, il avait eu quelcpies
pensées de tout quitter, et de se retirer dans
la solitude ; « mais vous m'en avez empêché,
dit-il à Dieu, et vous m'avez rassuré par
cette parole de votre Apôtre : Jésus-Christ
V, n'est mort pour tous, qu'afin que ceux qui vi-
vent, ne vivent plus pour eux-mêmes , mais
•pour celui qui est mort pour eux. »
jsi- 13. Persuadé que Dieu, en nous donnant
■Ig^' les Écritures, a voulu que les fidèles s'appli-
quassent à découvrir les trésors qui y sont
enfermés, saint Augustin, dans le onzième
livre, demande au Seigneur, par d'instantes
prières, de lui en donner l'intelligence. En-
suite , il commence par examiner ce que si-
gnifient les premières paroles de la Genèse :
u II ne faut qu'ouvrir les yeux, dit-il , pour
voir que toutes les créatures ne sont que
parce qu'elles ont été faites, et qu'elles ne
se sont point faites elles-mêmes , puisqu'il
aurait fallu pour cela qu'elles eussent été
avant que d'être. C'est donc le Seigneur qui
les a faites, et eUes ne sont bonnes que parce
qu'il est bon. Mais de quel instrument, dira-
t-on , Dieu s'est-il servi pour- former le ciel
et la terre, et avait-il quelque matière entre
les mains dont il ait pu les faire ? Il n'en est
pas de Dieu comme des hommes. Quand un
ou'^i'ier fait quelque ouvi'age , il se sert d'un
corps pour travailler sur un autre corps , et
pour lui donner la forme qu'il veut, et dont
il a l'idée en lui-même. Mais Dieu n'a eu qu'à
parler, et toutes choses ont été faites; c'est
par la parole qu'il a tout fait, sans avoir eu
besoin d'une matière préexistante. Car d'où
serait venue cette matière qu'il n'aurait point
faite et dont il aurait fait quekpie chose ? Son
existence n'est-elle pas le seul et unicpie prin-
cipe de celle de toutes les autres choses.
Quelle est , dira-t-on encore , la parole par
laquefie Dieu a créé l'univers? Est-ce quel-
que chose d'approchant de ce que les apô-
tres entendirent à la Transfiguration de Jé-
sus-Christ , lorsque , du fond d'une nuée ,
Dieu fît sortir cette voix : C'est là mon fils
bien-aimé? Non , sans doute : cette voix ne
fit que passer, et à peine avait-eUe commencé
qu'elle cessa. Ce ne fut donc qu'un mouve-
ment passager de quelque chose de créé ,
dont Dieu se servit pour exprimer ce qu'il
voulait faire entendre ; mais la parole par
laqueUe l'Écritiu^e dit que Dieu a créé le
monde, est le Verbe ou la parole éternelle
de Dieu. C'est par cette parole ineflable qu'il
a fait toutes choses , non en les disant l'une
après l'autre , mais tout à la fois et éternel-
lement : puisque toutes les choses ne com-
mencent et ne cessent d'être qu'au point où
la raison éternelle , dans laquelle rien ne
commence ni ne finit, voit que chacune doit
commencer et finir. Voilà quel est le com-
mencement ou le principe, dans lequel ou
par lequel il est dit que Dieu a fait le ciel et
la terre. C'est par son Verbe, par son Fils
qu'il les a faits. C'est par lui que Dieu parle
et qu'il agit d'une manière inefl'able : car,
qui peut faire cntendi'C ou comprendre une
telle merveiUe? »
Quelques-uns demandaient ce que Dieu
faisait avant d'avoir créé le ciel et la terre?
Saint Augustin répond que. si par ce ciel et
cette terir, dont il est parlé au commence-
ment de la Genèse, il faut entendre tout ce
d'être moins touché du verset que du cliaiit, c'est
un pcjclié, je l'avoue, (jui mérite iiéuiteneo, je vou-
drais alors ne pas entendre chanter. » (L'édileur
d'après M. Moreau.)
[iV" ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
35
qu'il y a de ci'éé , il dit hardiment, qu'avant
d'avoir fait le ciel et la terre, Dieu ne fai-
sait rien. En effet, ce qu'il aurait pu faire
auparavant ne saïu-ait être que créature :
or, avant qu'il fit ce qui comprend toute
créature, il ne s'en faisait aucuire. Il ajoute
que c'est se tromper que de se figurer im
nombre innombrable de siècles avant la créa-
tion du monde, que Dieu aurait laissé passer
sans travailler à ce grand ouvrage. Comment,
en efl'et, se serait-il écoulé un nombre in-
nombrable de siècles , avant que Dieu eût
fait le ciel et la terre, puisqu'il est l'auteur
et le créateur de tous les siècles, et cpi'il
n'en avait point encore fait? Pour nous don-
ner une idée de l'éternité, saint Augustin
nous dit que toutes les années de Dieu ne
sont qu'un seul jour; que ce n'est point une
suite de plusieurs jours, mais un aujourd'hui
perpétuel, qui ne passe point pour faire place
au lendemain , et qui n'a point eu d'hier, à
quoi il ait succédé; et que cet aujourd'hui
est l'éternité; que c'est pour cela que dans le
Psaume deuxième. Dieu dit à son Fils, qu'il
engendre de toute l'éternité : Je vous ai en-
gendré aujourd'hui. Ce Père fait ensuite une
longue dissertation sur la nature du temps, et
convient d'abord, que c'est la chose la plus
difficile à expliquer bien que ce soit la plus
connue. « Ce que je sais, dit-il, c'est que si
rien ne passait , il n'y aurait point de temps
passé, et que si rien ne survenait, il n'y
aurait point de temps à venir; et qu'à l'é-
gard du présent, s'il était toujours présent,
ce ne serait plus un temps, mais l'éter-
nité. » Il donne divers exemples de la ma-
nière dont on peut mesurer le temps : cela
se fait par l'impression que les choses que
nous mesurons font sur notre esprit , loi's-
qu'elles sont présentes, et qui y subsistent
après même qu'elles sont passées. « Quand
j'ai, dit-il, dessein de réciter un psaume que
je sais par cœur, il est tout entier dans mon
attente jusqu'à ce que j'aie commencé de le
prononcer, et alors ce que j'en prononce, et
qui n'appartiendra plus qu'au passé lorsqu'il
sera prononcé , entre dans ma mémoire à
mesm^e cjue je le prononce. Ainsi, cette ac-
tion s'étend, partie dans ma mémoire, à l'é-
gard de ce que j'ai déjà prononcé , et partie
dans mon attente, à l'égard de ce qui me
reste à prononcer. Cependant, mon atten-
tion qui est comme le passage par où ce cpii
me reste à prononcer de ce psaume doit en-
trer de l'avenir dans le passé , demeure tou-
jours présente ; et à mesure que je continue
de le prononcer, ce qu'il en restait dans
mon attente diminue, et ce qu'il y en avait
déjà dans ma mémoire augmente d'autant,
jusqu'à ce qu'enfin, toute mon attente se
trouve épuisée par l'écoulement entier de
toute cette action dans ma mémoii'e. » Il se
sert du même exemple pour nous faire com-
prendre la difierence de la manière dont
Dieu connaît le passé et l'avenir, de celle
dont les hommes les peuvent connaître.
« Lorsque nous récitons, dit-il, ou que nous
entendons réciter quelque chose que nous
savons, le souvenir de ce qui est déjà pro-
noncé, et l'attente de ce qui reste encore à
prononcer, sont autant de mouvements dif-
férents, qui partagent notre esprit et notre
imagination. Mais la manière dont Dieu voit
couler l'avenir dans le passé est toute autre,
parce qu'il est tout autre chose que nos es-
prits , étant immuable et éternel. »
14. Il continue, dans le douzième livre ,
l'explication du commencement de la Ge-
nèse. Par le ciel que Dieu créa d'a-
bord , il faut entendre les créatures spiri-
tueUes et intellectuelles, qui contemplent
sans cesse la face du Seigneur; et par la
terre, qui fut aussi créée dans le commen-
cement, on doit entendre la matière informe
d'où toutes les créatures corporelles ont été
formées. Quoique cette interprétation lui
semble bonne; néanmoins il convient qu'on
peut en donner d'autres qui ne sont pas à re-
jeter. Comme l'Ecriture , en parlant de la
création des natures spirituelles , ne fait au-
cune mention ni du jour ni du temps , saint
Augustin croit que la raison en est, que leur
mutabilité naturelle étant fixée par le bon-
heur qu'elles ont de contempler Dieu sans
cesse, elles participent par là à son éternité,
et ne peuvent par conséquent être mesurées
par le temps, qui n'est autre chose que les
changements qui arrivent aux choses dont
cette terre informe était la matière, et qui
font qu'elles passent d'une forme à une au-
tre. Voici à quoi ce Père réduit tout ce qu'il
établit dans l'explication qu'il donne des
premières paroles de la Genèse : c'est Dieu
qui a fait le ciel et la terre, et sa sagesse est
le principe par lequel il a fait tout ce qui
existe ; le ciel et la terre étant les deux prin-
cipales parties dont ce monde visible est
composé, les mots de ciel et de teti'e com-
prennent en abrégé toutes les diverses es-
pèces de créatures. Dans tout ce qui est
Analyse
fin (ifuizit-
nii; livre ,
pag. 209 el
suiv.
36
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
sujet au changement, il y a quelque chose
d'informe, qui est comme la base de sa forme
et qui le rend capable de passer d'mie forme
à une autre. Il n'y a aucune vicissitude,
ni conséquemment aucun temps à l'égard
des substances spirituelles, parce qu'encore
que par leur nature eUes soient sujettes au
changement, eUes ne changent pourtant
jamais. Suivant les manières ordinaires de
parler des hommes, il est permis de donner
à une chose , qui sert de matière à une au-
tre, le nom de cette autre chose qui en doit
être tirée ; et ainsi, quelle que soit cette ma-
tière informe dont le ciel et la terre ont été
faits, l'Écriture a pu lui donner les noms de
ciel et de terre. Entre toutes les choses qui
ont déjà quelque forme , rien n'approche
davantage de ce qui n'en a point encore,
que ce que nous appelons la terre et Vabhne.
Dieu est l'auteur non-seulement de ce qui a
déjà sa forme , mais aussi de tout ce qui est
capable d'en recevoir quelqu'une ; enfin ,
tout ce qui a été tiré de cpelque chose d'in-
forme , était informe lui-même , avant qu'il
eût reçu la forme qu'il a présentement. Saint
Augustin rappoi'te après cela différentes ex-
plications du pi-emier verset de la Genèse ,
D'après ce Père, ce qui fait que chacun est at-
taché au sens qu'il donne aux paroles de l'E-
criture , c'est que chacun aime le sentiment
qu'il a une fois adopté, non parce qu'il est
vrai , mais parce que c'est le sien , au lieu
qu'on devrait aimer tout autant celui des
autres comme également vrai. Il convient
néanmoins, qu'on peut donner aux paroles
de l'Ecriture plusieurs sens différents , et
tous conformes à la vérité : mais il souhaite
que la vérité même entretienne la paix et
l'union entre ceux qui sont ainsi partagés
sur le sens qu'on peut leur domier : « Car,
pourquoi , ajoute-t-il, ne croirions-nous pas
que Dieu ait tellement conduit la plume de
Moïse, que les paroles sacrées qu'il a écrites
exprimassent toutes les différentes vérités
que chacun y voit? Ce que nous devons
donc demander sur l'intelligence de l'Écri-
ture , c'est que nous soyons assez heureux
pour rencontrer la pensée de l'écrivain sa-
ci'é ; ou si nous ne la rencontrons pas , du
moins de ne dire que ce qu'il aura plu à
Dieu de nous dire lui-même par les paroles
de cet auteur sacré. En général, on peut re-
garder comme le vrai sens d'un auteur ce-
lui qui l'emporte sur les autres par l'éclat
de la vérité et par le fruit que nous en vou-
lons tirer. » Saint Augustin veut que pour
entendre aisément ce qui est dit dans le
commencement de la Genèse , on distingue
quatre sortes de priorités, et il donne un
exemple de chacune : une priorité d'éter-
nité, comme celle par laquelle Dieu précède
toutes choses ; une pi'iorité de temps, comme
celle par laquelle la fleur précède le û'uit;
une priorité de préférence et de valeur, comme
celle par laquelle le fruit précède la llem", et
une pjriorité de nature et d'origine, comme
celle par laquelle le son précède le chant , à
quoi il sert de matière.
13. Après avoir fait l'emarquer combien Anaiy
la bonté de Dieu se fait admirer, soit dans me uvr
la production, soit dans la perfection de ton- '"'°" ^"^"
tes les créatures qu'il a tirées du néant sans
en avoir besoin pour sa gloire ni pour sa
béatitude, il fait voir que l'on trouve les trois
personnes de la sainte Trinité dans les pre-
miers versets de la Genèse ; le Père tout-
puissant qui a créé le ciel et la terre ; le Fils
qui est le principe ou le commencement
dans lequel ou par lequel le Père fait toutes
choses ; et le Saint-Esprit qui était porté sur
les eaux. En expliquant cette élévation ou
cette suspension du Saint-Esprit au-dessus
des eaux, il veut que nous éloignions toute
image corporelle ; eUe doit ne s'entendi-e
que de la suréminence de la divinité au-des-
sus de toutes les choses sujettes au change-
ment. S'il est dit seulement du Saint-Esprit,
qu'il était porté sur les eaux, c'est que lui
seul en particulier est appelé notre père '
et qu'ilnous retire parla charité dont il nous
remplit, de l'abîme où le poids de notre
corps nous avait précipités, pom" nous élever
vers Dieu. Il exphque des anges les paroles
suivantes : Que la lumière soit faite ; «c'est
par la force de cette parole, ajoute-t-il, que
ces bienheureux esprits sont devenus lu-
mière. » Comme il trouvait de grandes diffi-
cidtés à faire comprendre comment il y a un
Dieu en trois personnes, il fait voir qu'il y a
quelque chose dans l'homme qui peut lui
donner une idée de ce mystère, savoir Vètre
le connaître et le vouloir. «Je suis, je connais,
1 II n'est pas aisé de découvrir ce que D. Ceil-
lier a voulu dire ici. Saint Augustin ne dit point
que le Saint-Esprit est noire pire, mais qu'il est
le don de Dieu ; que c'est dans ce don que nous
trouvons notre repos, et que dans la bonuo vo-
lonté qu'il forme en nous, se trouve noire paix.
Apparemment D. Ceillier a voulu dire noire paix.
{L'éditeur.)
[IV'' ET V" SIÈCLES.]
SAIiNT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
37
et je vexix. Je suis cette même chose qui con-
naît et qui veut; je coma ?'s que je suis et
quejeveux; et jeyeïuètre et connaître. Tout
cela se rencontre dans une seule substance
vivante, dans une seule âme, dans une seule
essence ; et quelque réelle que soit la diffé-
rence qu'il y a entre ces trois choses, elles
sont absolument inséparables. » Ensuite
saint Augustin entreprend de montrer qu'en
expliquant le commencement de la Genèse
dans un sens allégorique, on y trouve toute
l'économie de l'établissement de l'Église, et
de la sanctification de l'homme, qui est la
fin à laquelle tous les ouvrages de Dieu se
rapportent. Par le firmament il entend nos
saintes Écritures, qui surpassent en vertu
toutes les autres. » Ce sont elles qui nous
ctaljlissent et qui nous affermissent dans la
vérité : et il n'y a aucun livre qui soit capa-
ble comme ceux-là de détruire l'orgueil et
d'abattre les ennemis de Dieu; c'est-à-dire,
ceux qni voudraient s'excuser dans leurs pé-
chés, et qui par là ne font qu'éloigirer leur
réconciliation avec Dieu. Ce sont ces livres
saints qui nous font pher sous le joug du
Seigneur, qui nous portent à confesser nos
misères, et qui nous apprennent à servir
Dieu d'un culte tout gratuit. » Par les eaux
qui sont au-dessus du firmament il croit qu'on
peut entendre les anges qui sont au-des-
sus de nous ; et dit qu'ils n'ont pas besoin
comme nous de s'instruire par la lecture des
livres saints, puisqu'ils voient à découvert
la lumière ineffable de Dieu; et que ce li'STe
qui n'est point composé de paroles et de syl-
labes, étant sans cesse ouvert devant eux, ils
y lisent ce que la volonté éternelle demande
d'eux. Il explique des désirs déréglés des
hommes, ce qui est dit des eaux ramassées
en un seul endroit, en sorte qu'elles ne peu-
vent s'étendre qne jusqu'à un certain point.
Ses autres explications sont dans le même
goût : il les termine par ce qui est dit du re-
pos du septième jour, « qui marque, dit-il,
l'éternité, » et ajoute en s'adressant à Dieu :
« Vous vous reposerez alors en nous, de la
même manière que vous opérez maintenant
en nous; et ce repos dont nous jouirons, sera
votre repos, parce que vous nous en ferez
jouir, comme les bonnes œuvres que nous
faisons présentement sont vos œiivres, parce
que c'est vous qui nous les faites accomplir. »
§111.
Des livres de saint Augustin contre les
Académiciens.
1. Saint Augustin retiré à la campagne , ^" i'""'
o La temps ces
quelque temps ' après sa conversion, c'est- ''Y'-''* <">'-
à-dire, en 386, s'y occupait avec ses amis et sl's.'^"'"''"'
ses disciples de diverses matières, et avait
soin de faire tout rédiger par écrit afin de ne
rien ^ laisser perdre de ce qu'on y avait dit
de bon. C'est de ces conférences que sont
venus la plupart des ouvi-ages qu'il fit vers
ce temps-là. Le premier de tous ceux qui
nous reste est intitulé : Des Académiciens. Ces
philosophes ne voulaient pas qu'un homme
sage se laissât persuader d'aucune chose
comme certaine et évidente; mais, au con-
traire, que tout lui parut obscur et dou-
teux : ce qui était cause qne beaucoup de
personnes à qui ils avaient inspiré leurs sen-
timents , désespéraient de pouvoir jamais
trouver la vérité. Saint Augustin était de
ce nombre, et l'impression que les académi-
ciens avaient faite sur son esprit par leurs
raisonnements n'en était pas entièrement
eflacée : seulement ', tandis que ces philo-
sophes soutenaient qu'il était plus probable
qu'on ne pouvait trouver la vérité, il croyait
plus probable qu'on pouvait la trouver. La
question * était d'une extrême importance
pour le salut, et c'est ce qui engagea ^ saint
Augustin à combattre le sentiment de ces
philosophes par toutes les raisons que son
esprit put lui fournir, voyant bien qu'en lui
ôtant l'espérance de pouvoir jamais trouver
la vérité, ils lui fermaient la porte de la vé-
rité. Mais avant de rien écrire sur cette ma-
tière, il l'examina beaucoup seul et avec ses
amis, et il en fit même le sujet d'une dispute
entre deux de ses disciples c[u'il avait amenés
avec lui à Cassiaque ou Cassisiaque, et qui
étaient tous deux de Tagaste, Trigétius et
Licentius. Le dernier soutenait le parti des
académiciens, et l'autre le combattait. Cette
dispute à laqueUe saint Augustin , son frère
Navigius, et saint Alypius étaient présents
avec quelques autres, commença ^ vers le
neuf ou le dix de novembre de l'an 386, et
continua les deux jours suivants, quoiqu'Aly-
pius eût été obligé de s'absenter pour quel-
que voyage.
' August., lib. 1 Cont. Acad., cap. i, — 2 jd.^
ibid. — 3 Iil., lib. m, cap. ;ii.
* August., lib. II, cap. ix. — ^Id., lib. 1 Retract.,
cap. II. — s id., lib. I Cont. Acad., '^ap. i.
38
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Analyse
du preinitT
livre cunirc
les Acailii-
itiiciens, p.
2Il9,
2. Ce qui fat dit dans cette conférence fait
la matière des trois livres contre les acadé-
miciens. Ils sont adressés à Romanien, ce
riche bourgeois de Tagaste, qui logea chez
lui saint Augustin et qui l'entretint de tout à
Cartilage, lorscju'il y étudiait l'éloquence.
Ces trois livres sont écrits en forme de dia-
logues, à l'imitation de ceux de Cicéron. La
dispute commence par Licentius, fils de ce
Romanien et Trigétius , après quoi saint
Alypius et saint Augustin premient la jia.-
role. Dans le premier dialogiie, Augustin,
après avoir fait remarquer à Romanien cpe
ni les honneurs, ni les richesses, ni tout ce
cpi'on appelle Liens de la fortune ne peu-
vent rencke les hommes heureux, à caase de
lem" fi'agilité, de leur inconstance, et que ces
biens sont toujours mêlés de beaucoup d'ad-
versité, il l'exhorte à se donner tout entier à
l'élude de la sagesse, pour laquelle il savait
cju'il avait de l'amour, et dont il avait déjà
goûté les douceurs. Ensuite U lui fait un dé-
tail des trois conférences ou disputes que
Licentius et Trigétius avaient eues sur la na-
ture do la Ijéatilude. Le premier soutenait,
avec les académiciens, cjue pour être heu-
reux il suffit de chercher la vérité, et appuyait
son sentiment de l'autorité des plus illustres
philosophes de cette secte, et en particulier
de Carnéades et de Cicéron , qui non-sciûe-
ment devaient être regardés comme des gens
qui avaient été heureux, mais qui avaient
encore fait consister la vraie béatitude dans
la recherche seule de la vérité. Le second
prétendait , au contraire , cjue pour être vé-
ritablement heureux , il ne suffisait pas de
rechercher la vérité , mais qu'il fallait aussi
la connailro parfaitement. Comme ils conve-
naient néanmoins tous deux que la sagesse
est ce qui fait le bonheur de l'homme, la dis-
pute tomba sur la définition de la sagesse.
Trigétius en l'apporta plusieurs, et une entre
autres, où il disait qu'elle était le droit che-
min qui conduit à la vérité. Licentius les
rejeta toutes et soutint que la sagesse con-
sistait dans la science et dans la recherche
de la vérité, disant que celui-là est sage qui
la recherche, et que dès qu'il est sage, il est
heureux. Saint Augustin , après les avoir
ouïs l'uu et l'autre, dit qu'il eût pu ter-
miner leur dilfércnd en peu de paroles , s'il
n'eût eu principalement en vue de les exer-
cer, et de voir leurs inclinations et la force
> August., lib. II Cont. Àcad., cap. ix.
de leur esprit, et il conclut de tout ce qu'ils
avaient dit que, puisque nous ne pouvons
être heureux qu'en connaissant ou qu'en
cherchant la vérité, nous devons mépriser
tout le reste pour nous appliquer unique-
ment à la rechercher.
3. Vers le dix-huitième ou le dix-neuvième
du même mois de novembre de l'an 386,
saint Augustin reprit ses conférences sm' les
académiciens. Licentius y défendit quelque
temps le sentiment de ces philosophes contre
Trigétius et contre saint Augustin même;
mais cédant la place à saint Alypius, saint
Augustin traita avec lui cette matière avec
beaucoup d'exactitude ', et l'obligea de con-
venir cpie l'opinion des académiciens n'était
point soutenable. Cette dispute, qui dura trois
jours de suite, fait le sujet du second livre.
Ce saint Docteur y exliorte encore Romanien
à l'étude de la philosophie, témoignant qu'il
ne pouvait mieux que par-là reconnaître la
générosité extraordinaire dont il avait usé
envers lui, en fom-nissant à tous ses besoins
depuis la mort de son père. Ensuite il rap-
porte les trois autres conférences dans les-
quelles Licentius et Alypius exposent les
sentiments des anciens, et ce en c[uoi ils dif-
fèrent des nouveaux académiciens. Comme
ceux-ci soutenaient que malgré l'impossi-
bilité de connaitre la vérité, il y avait tou-
tefois des choses cp^ie l'on pouvait croire
comme vraisemblables, saint Augustin fait
voir le ridicule de cette opinion, par l'impos-
sibilité de connaitre si une chose est sem-
blable à la véiité, sans connaitre la vérité
même ; et il demande que l'on recherche
avec plus de soin ce cjue c'est que vraisem-
blance et probabilité, suivant les principes
de ces philosophes; s'ils ont eu un senti-
ment certain touchant la connaissance de la
vérité, ou s'ils n'ont pas encore voulu le faire
connaitre.
4. Saint Augustin fait dans le troisième
livre le récit de ce qui se passa dans deux
autres conférences tenues vers le 21 ou le
22 du même mois. Il commence ce livre par
diverses réllexions sur ce qu'on appelle for-
tune, et par montrer que quoiqu'elle puisse
aider un homme dans la recherche de la
vérité, elle n'est pas néanmoins nécessaire
au sage; et qu'il en est à peu près des biens
de la fortune comme des mamelles à l'égard
des petits enfants dont ils se passent dans
un âge plus avancé. Il montre à cette occa-
sion cp.i'il y a cette ditierence entre le sage
Analys
du deiiMi
uv; M"'
pag. 2ul,
[IV° ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
39
et celui cpii désire de l'être, que le premier
est du moins instruit de la science et qu'on
ne peut donner le nom de sage à celui qui
ne sait rien. Mais il soutient -qu'on ne peut,
sans le secours de Dieu, connaître la véiité.
Alypius, qui jusque-là avait soutenu le parti
des académiciens , l'ayant abandonné sur ce
qu'Augustin avait dit pour le réfuter, le Saint
en continua la réfutation dans un fort long
discours qui termina toute cette dispiite. Il
y fit voir contre Cicéron et les autres acadé-
miciens, qu'il était absurde de dire qu'on
ne connaissait rien et qu'il ne fallait rien
affirmer : c'étaient deux de leurs axiomes;
et montra par des exemples sensibles qu'il
y avait des choses dont nous étions assurés,
comme de l'existence d'un monde et de plu-
sieurs autres choses semblables, sur les-
quelles nos sens, quelque faibles qu'ils soient,
ne peuvent nous tromper : qu'il y a aussi
plusieurs vérités incontestables dans la dia-
lectique, telles que sont celles-ci : L'âme ne
peut mourir et être immoiielle ; l'homme ne
peut pas être en même temps heureux et
malheureux ; ainsi de toutes les propositions
disjonctives dont l'une est vraie et l'autre
fausse : que du moins on ne peut disconvenir
que le sage ne connaisse la sagesse, et qu'en
la concevant, il ne donne son consentement
à ce qu'elle lui propose. Il combat après cela
la pernicieuse maxime de ceux qui assu-
raient qu'on ne péchait point en suivant une
opinion probable, et dit qu'elle ouvre la
porte aux adultères, aux parricides, aux sa-
crilèges et à toiites sortes de ci-imes que les
juges ne laisseraient pas de punir sévère-
ment, sans avoir égard aux sentiments des
philosophes sur ce point. Il tâche de mon-
trer que ni les académiciens anciens, ni
môme Cicéron, n'ont autorisé cette maxime,
et que leurs véritables sentiments n'étaient
pas de croire qu'on ne pût connaître la vé-
rité; que, quoiqu'ils la connussent, ils ont
affecté de passer comme pour ne l'avoir pas
connue, afin que leurs successeurs la cher-
chassent comme un trésor caché, et que pro-
bahle et vraisemblable était la même chose
dans leurs sentiments. Il remarque que de
son temps, toutes les diverses sectes des
philosophes étaient réduites en une, ayant
un système composé des sentiments de
Platon et d'Aristote , excepté quelques cyni-
ques que l'amour du libertinage et la licence
retenaient encore dans leurs anciennes opi-
nions. Saint Augustin ^ attribue à la miséri-
corde de Dieu l'avantage qu'il eut de con-
fondre dans cette conférence les partisans
des académiciens, celui de se convaincre lui-
même qu'il pouvait trouver la vérité, et
d'avoir reconnu que l'autorité et la raison
étant les deux sources de nos connaissances,
il devait s'attacher inséparablement à l'au-
torité de Jésus-Christ comme à la plus forte
de toutes , et chercher dans Platon des vé-
rités conformes à la doctrine des auteurs sa-
ci'és, avec l'espérance même de les appro-
fondir par la lumière de l'intelligence. C'est
par cette dernière réflexion qu'il finit ses
livres contre les académiciens. Lorsqu'il en
fit la revue, il se condamna d'y avoir donné
trop d'éloges à Platon et à ses disciples, de
s'y être servi trop souvent du terme de for-
tune, quoique par-là il n'eût entendu aucune
divinité, mais seulement l'événement fortuit
des choses de la vie, soit pour le bien, soit
pour le mal, et d'y avoir dit que le souverain
bien de l'homme consiste dans l'âme , au lieu
de le mettre dans Dieu , qui seul rend l'âme
heureuse lorsqu'elle jouit de lui comme du
souverain bien. Il y reprend encore quelques
autres manières de parler qui lui étaient par-
donnables dans un ouvrage purement phi-
losophique, et écrit dans im temps où il était
moins instruit des vérités de la religion. Un
de ses amis , nommé Hermogénien , ayant
vu ces trois livres, lui écrivit - qu'il avait
vaincu les académiciens. Cette approba-
tion fit d'autant plus de plaisir à saint Au-
gustin, qu'il croyait Hermogénien plus ca-
pable que personne d'en juger, et son amitié
sans déguisement. C'est pourquoi il le pria,
en répondant à sa lettre, d'examiner avec
plus d'attention ce qu'il y disait du véritable
sentiment des académiciens et de lui mar-
quer ce qu'il en pensait. Il cite lui-même ces
livres dans son Manuel à Laurent ', et dans
son quinzième livre de la Trinité '', où il dit
que ceux qui les liront ne seront point ébran-
lés par le grand nombre des arguments dont
les académiciens appuient leurs opinions. Ils
sont écrits avec toute la justesse et toute
l'élégance possible, et les matières y sont
traitées avec beaucoup de méthode et de
netteté.
1 Lib. I Retract., cap. i. — ^ August., Efifit. ad.
Herinog.
' Enchirid, cap. xx.
* Lib. XV de Trinit.
cap. xir.
40
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
§IV.
Du livre de la Vie bienheureuse.
C" livre 1. Lc livi'e de la Vie bienheureuse est de
r^j^etrueii j^ n;iême année que les pi-écédents, c'est-à-
dire , de 386. C'est le fruit des conférences
que saint Augustin eut avec ses amis et ses
parents pendant les sept jours qui s'écou-
lèrent depuis celles cp.\i font la matière du
premier livre contre les académiciens , jus-
qu'aux autres qui font le sujet du second.
Saint Alypius ne s'y trouva pas , parce qu'il
était absent : c'est pourquoi il n'y est rien
dit de lui. La première de ces conférences
se tint le 13 de novembre, jour de la nais-
sance de saint Augustin. Il avait donné ce
jour-là à tous ceux qui demeuraient avec
lui un dîner si frugal, qu'il laissait à l'esprit
la liberté entière de ses fonctions. Ayant
donc, après dîner, rassemblé toute sa com-
pagnie, du nombre desquels étaient sa mère
et son fils Adéodat, il leur fit diverses ques-
tions touchant la béatitude , dans le dessein
de leur procurer le moyen d'y arriver. Il
s'entretint avec eux sur la même matière
les deux jours suivants, savoir, le 14 et le 13
de novembre, et finit ces entretiens par un
discours sur la Trinité. Ce Uvre est adressé
à un nommé Théodore Manlius, le même qui
fut préfet des Gaules et d'Italie , puis consul
en 399.
2. Dans le prologue , saint Augustin dis-
tingue trois sortes de personnes. Les unes ,
pour éviter les troubles dont cette vie est
sans cesse agitée, se l'etirent dans le port,
aussitôt cju'elles ont atteint l'usage de raison,
pour y passer leurs jours dans le repos et
la tranquillité ; les autres , après avoir été
enveloppées quelque temps dans les orages
du siècle , et séduites par leurs passions , se
trouvent heureusement repoussées dans le
port par quelques vents contraires; et les
dernières, au milieu des tempêtes, ont tou-
jours fixé leur vue sur quelque astre , dans
le dessein de revenir dans lem- patrie, et
sont, en effet, ramenées par quelque adver-
sité temporeUe. Le plus grand écueil qui se
rencontre dans cette navigation lui semble
celui de la vaine gloire, où il est très-dillicile
do ne pas y faire naufrage. S'appliquant ces
réflexions à lui-même , il l'eprésejite com-
ment, après avoir été longtemps enveloppé
dans les erreiu's des manichéens, puis agité
par les incertitudes de la philosophie aca-
démicienne, il était enfin abordé au port de
la philosophie, ayant trouvé une heureuse
étoile, dont la lumière lui avait fait connaître
la vérité dans les discours de l'Évêque Am-
broise et de Théodore lui-même : il prie ce
dernier par le lien et le commerce que les
âmes ont entre elles, de l'aimer, et de s'as-
sm'er que de son côté il l'aime et le chérit.
<( C'est vous, lui dit-il, que je regarde comme
le seul qui puissiez me donner le secours
dont j'ai besoin. Si j'obtiens cette faveur de
votre vertu, j'arriverai très -facilement, avec
un peu d'efforts, au calme de la vie heureuse,
dont je crois que vous jouissez déjà. »
3. Entrant ensuite en matière, il pose pour
principe qu'étant composé de corps et d'âme,
ces deiix parties ont également besoin de
nourriture ; comme le corps , lorsqu'il ne
reçoit pas une nourriture convenable et
suffisante , devient infirme et sujet aux ma-
ladies, de même l'âme qui n'est pas nour-
rie dans les sciences, n'est remplie que de
vices et de mauvaises aûections ; l'esprit
a ses dégoûts comme le corps a les siens;
et en vain il entreprendrait de nourrir les
esprits de ceux qui l'écoutaient, s'ils ne le
souhaitaient eux-mêmes. Tous ayant té-
moigné être bien disposés , saint Augustin
proposa le sujet de la conférence. « Puisque
tous les hommes , dit-il , souhaitent d'être
heureux , il est question de savoir si ceux-là
sont heureux, qui n'ont pas ce qu'ils veu-
lent : ou si l'ayant, ils le sont en effet. » A
l'égard de la première proposition , tous
convinrent qu'on ne peut être heureux sans
avoir ce qu'on désire. Sur la seconde, la
mère de saint Augustin ayant dit que ceux
qui ont tout ce qu'ils souhaitent sont heu-
reux, pourvu que ce qu'ils souhaitent soit
bon , il lui répliqua aussitôt qu'elle avait
trouvé le plus grand secret de la philoso-
phie. Mais comme parmi les choses créées
qui sont toutes bonnes, il y en a même dont
la possession est légitime, saint Augustin
demanda si elles pouvaient rendre l'homme
hcui-eux : et il fut convenu que non, parce
qu'étaiat fragiles et périssables , il j a tou-
jom-s lieu de craindre qu'on ne vienne à les
perdre. D'où on conclut que pour être véri-
tablement heureux , il fallait souhaiter et
posséder un bien permanent , et qui ne pût
nous être enlevé. Or, ce bien est Dieu seul.
Ainsi, l'on doit dire que celui qui possède
Dieu est heureux, et que celui-là le possède
qui vit bien, c'est-à-dire, qui fait sa volonté.
[IV" ET V° SIÈCLES.
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
41
L'académicien, au contraire , ne peut passer
pour heureux, puisqu'il n'a pas la vérité
qu'il cherche; et dès là qu'il n'est pas heu-
reux, il ne peut être regardé comme sage,
puisqu'il est inouï que celui-là soit sage qui
n'est pas véritablement heureux. Saint Au-
gustin traite la même matière dans la se-
conde conférence , et après y avoir répété
ce dont on était convenu dans la première ,
que celui-là possède Dieu, qui fait sa vo-
lonté, qui vit bien, et qui n'est point possédé
de l'esprit impur, il s'arrête sur ce dernier
point, et distingue deux sortes de mauvais
esprits, l'un , qui trouble l'âme et les sens ;
l'autre, qui consiste dans la mauvaise dis-
position de l'âme lorsqu'elle se trouve souil-
lée par le vice et par l'erreur. On chasse le
premier par l'imposition des mains et parles
exorcismes qui se font en conjurant le mahn
esprit par tout ce qu'il y a de plus sacré.
Pour se défaire du second, il faut vivre chas-
tement, ce qui demande que l'on s'abstienne
non-seulement des péchés d'impureté , mais
encore de tout autre péché , parce qu'il n'y
en à point qui ne souille l'âme. Or, celui-là
vit chastement qui pense à Dieu et qui ne
s'attache qu'à lui. Comme donc tout homme
qui a trouvé Dieu, et à qui Dieu est propice,
doit passer pour heureux ; celui-là , au con-
traire, qui, par ses vices et ses péchés s'é-
loigne de Dieu, non-seulement n'est point
heureux, mais il n'a pas même Dieu pro-
pice.
On examine dans la troisième conférence,
comment il est vrai que tout homme qui est
dans l'indigence soit malheureux , et com-
ment tout malheureux est dans l'indigence.
Le riche, à ne regarder que les biens tem-
porels, est même plus misérable que le pau-
vre, en ce que, non-seulement il est toujours
avide de nouvelles richesses , mais encore
dans la crainte et l'inquiétude de perdre
celles qu'il a : dernière espèce de misère
dont le pauvre n'est point affligé. De toutes
les indigences, la plus grande est de man-
quer de sagesse ; au contraire, celui qui pos-
sède la sagesse, ne peut avoir besoin de rien
« Or, continue-t-il, il n'y a point de sagesse
véritable sinon celle de Dieu, puisqu'il est
lui-même la sagesse et la vérité, selon
qu'il nous en assure dans le chapitre xiv
de saint Jean. Celui donc qui ne possède
pas la sagesse ne possède pas Dieu, et par
I Lib. II fie Ord., cap. xv, num. 43.
conséquent n'est pas heureux ; et celui-là,
au contraire, est heureux qui possède la
sagesse , parce qu'il possède Dieu. » Il finit
cette conférence , en exhortant ceux qui
étaient présents à chercher Dieu avec toute
l'ardeur possible , afin de parvenir à le con-
naître parfaitement, en quoi consiste la sa-
tiété de l'esprit et la vie bienheureuse.
Saint Augustin, en écrivant son premier
livre des Rétractations , corrigea cet endroit
et quelques autres semblables, où il avait
mis la béatitude dès cette vie, en la faisant
consister dans l'âme seule , en quelque état
que fût le corps; et il convient que, suivant
la doctrine de l'Apôtre, l'homme ne pouvant
connaître Dieu parfaitement qu'en l'autre
vie, lorsque son corps, devenu incorruptible
et immortel sera parfaitement soumis à l'es-
prit , il ne pouvait être entièrement heureux
en cette vie. Il se repent, dans le même li-
vre, d'avoir ti'op donné à Théodore, en di-
sant de lui qu'il jouissait déjà de la vie heu-
reuse, et de s'être trop souvent servi du terme
de fortune. Il y dit encore qu'il n'avait point
entier le livre de la Vie bienheureuse; toutes
les copies qu'il en avait , et celles des au-
tres s'étant trouvées imparfaites , en sorte
qu'il y manquait quelque chose qui en in-
teiTompait la suite. On n'y remarque au-
jourd'hui aucune interruption.
§v.
Des deux limbes de VOrdre.
1. Les deux livres de VOrdre suivent, dans , i.ivrcs
les Rétractations de saint Augustin, celui de faits on 'ssa!
la Vie bienheureuse. Aussi ce Père fit le pre-
mier de ces deux livres avant de travailler
au second contre les académiciens , c'est-à-
dire, avant le dix-huit ou dix-neuvième de
novembre de l'an 386. Mais il ne commença
le second livre de VOrdre qu'après avoir
achevé le troisième contre les académiciens,
qui y est cité '. Ces deux hvres sont encore
un fruit des conférences qu'il faisait avec
ses deux disciples Licentius et Trigétius. Sa
mère s'y trouva quelquefois : et Alypius qui
n'avait pu assister à celles qui font la ma-
tière du premier livre, fut présent à celles
dont le second livre est composé. Ils sont
adressés l'un et l'autre à Zénobius, ami de
saint Augustin, et avec lequel ce saint Doc-
teur s'était souvent entretenu sur la matière
qui s'y est traitée. Zénobius était homme de
/i2
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Anîiiyse
rlii prcniiLT
livre, pag.
315.
Analyse
du f.ccodd
livre, rag.
5:9.
beaucoup d'esprit ' , et grand amateur de
tout ce qu'il y avait de beau.
2. Le premier livre de l'Ordre renferme
ce qui se passa dans deux conférences sur
cette matière. On voit dans la première, que
tous les biens et tous les maux sont compris
dans l'ordre de la Providence, en sorte cju'il
ne se passe rien dans le monde, sans cpie
la providence de Dieu n'y ait part. On y fait
voir aussi cpae les sciences humaines ont
leur utilité, et qu'elles servent beaucoup à
former l'esprit, poui-vu cpi'on en use sage-
ment. On recherche, dans la seconde confé-
rence, ce cjue c'est que l'ordre, et on l'y
définit ce par quoi on fait toute chose en la
manière que Dieu l'a ordonné ^ Saint Au-
gustin y dit en passant, quelcpie chose contre
l'amour de la vaine gloire, et il y parle
aussi de la manière dont on doit modérer
l'ardeur de l'émulation et de la vanité cpii
se trouvent d'ordinaire parmi les jeunes
étudiants. Pendant qu'il en faisait l'apphca-
tion à Licentius et à Trigétius, qui s'étaient
laissés aller à quelques légèretés, sainte Mo-
nique entra et saint Augustin en prit occa-
sion de démontrer que l'on ne devait pas
interdire aux femmes l'étude de la sagesse ;
qu'il y avait eu des femmes chez les anciens
qni s'étaient mêlé de philosopher; et que les
divines Ecritures ne condamnent point en
général tous les philosophes, mais seidement
ceux de ce siècle, c'est-à-dire, les faux sa-
ges. Afin cpie sa mère n'ignorât point ce que
le terme de philosophie signifie en grec, il
lui rendit ce terme en latin, et dit qu'il si-
gTiiflait Vamoïir de la sagesse.
3. Le second livre est aussi composé de
deux conférences. Dans la première, on
examine Ja définition de l'ordre; ce c[ue c'est
qu'être avec Dieu et dans l'ordre de Dieu ;
et en qnel sens on peut dire que le sage de-
meure avec Dieu sans pouvoir être ébranlé.
« Eti'C avec Dieu, c'est être gouverné par
lui, c'est le comprendre. Le sage le com-
prend, il s'en occupe seul ou lorsqu'il con-
verse avec les hommes. 11 ne suit pas de 1;\
que la folie soit aussi avec Dieu, parce que
le sage la comprend ; la folie est à l'égard
de l'Ame ce que les ténèbres sont à l'égard
des yeux, qui ne les voient pas, quelque
sains qu'ils puissent être. Quoicpie les in-
sensés agissent contre l'ordre, leurs actions
ne laissent pas d'entrer dans l'ordre de la
Providence ; et beaucoup de choses qui ne
nous paraissent pas dans l'ordre, y sont
néanmoins et concourent également à la
beauté de l'univers, suivant les règles de la
loi éternelle, cpioique nous en jugions autre-
ment. Qu'y a-t-il de plus cruel et de plus
odieux qu'un boiu-reau ? Quoi de plus dés-
honnête que les femmes publiques ? L'un
est nécessaire pour le maintien de la police;
les autres empêchent de plus grands désor-
dres. » Il y a deux voies que l'on doit suivre
j)our s'éclairer sur la vérité des choses, lors-
cp'elles nous paraissent obscures : la raison
et l'autorité : l'autorité est la révélation par
laquelle Dieu nous fait connaître les mys-
tères que notre raison seule ne pourrait dé-
couvrir. Dans la seconde conférence, le saint
Docteur- traite de la justice qu'il dit consister
à rencU'e à chacun ce qui lui est d\à. Quoi-
que Dieu ne l'ait exercée cpie depuis qu'il y
a des bons et des mauvais, il était néan-
moins juste avant qu'il y en eût, parce qu'il
pouvait distinguer le bien du mal, s'ils eus-
sent existé. Le mal s'est introduit contre
l'ordre de Dieu, mais la justice divine l'a
soumis à ses ordres.
De ces questions métaphysiques, il passe
aux préceptes de morale, et pi-escrit, en ces
termes, la manière dont ses disciples doivent
se conduire, soit dans leurs mœm's, soit
dans les emplois où ils pourraient être occu-
pés à l'avenir. « Qu'ils évitent, dit-il, les dé-
bauches et les excès ; qu'ils méprisent les
parures et les ajustements immodestes;
qu'ils ne perdent pas leur temps au jeu, ou
h des amusements inutiles ; qu'ils ne soient
ni paresseux, ni adonnés au sommeil, ni
jaloux, ni envieux, ni ambitieux, ni avides
de louanges ; qu'ils regardent l'amour de
l'argent comme le poison le plus dangereux
dont leurs cœurs puissent être infectés;
qu'ils évitent également d'être lâches et té-
méraires. S'il arrive qu'ils soient offensés
par quelques-uns des leurs , qu'ils retien-
nent leur colère, en sorte qu'il n'en paraisse
rien ; qu'ils ne haïssent personne ; cpi'il n'y
ait aucun vice qu'ils ne prennent à tâche de
corriger ; qu'ils ne soient ni trop sévères, ni
trop complaisants ; qu'ils ne punissent que
• Lib. I De Ord., rap. ir. — ^ Le texto porte
ordn est per qnem agunlur omnia quœ Deus
constiiuit. Ou pourrait traduire : « L'ordre est ce
par quoi est couduit tout ce que Dieu a établi, u
Saint Augustin domie en elTct une définition sem-
blable de l'ordre, au livre 11, cliap. i, num. 2. et au
livre IV, chap. x, num. 28. (L'cdiicHr.)
[IV' ET \' SIÈCLES.]
SAL\T AUGUSTL\, EYEQUE D'HIPPOXE.
43
pour qu'il en arrive un bien, et que leui' dou-
ceur n'aille jamais à autoriser le vice ; qu'ils
regardent comme à eux ceux sur qui ils ont
autorité ; qu'ils rendent service aux autres,
de manière qu'ils aient honte de dominer
sur eux, et qu'ils déminent de telle sorte,
qu'ils soient prêts à servir; cpi'ils évitent avec
soin toute inimitié ; qu'ils la supportent pa-
tiemment ; s'il leur en arrive quelqu'une,
qu'ils y mettent fin au plutôt; dans toute leur
conduite et dans les atïaires qu'ils ont avec
les autres, que cette maxime de la loi natu-
relle leur serve de règle : Xe faites point à
autrui ce que vous ne voudriez point qu'il
vous fut fait ; qu'ils ne prennent point de part
aux aû'aires publiques, s'ils n'ont beaucoup
d'habileté ; qu'ils ne négligent rien pour en
acquérir, même de bonne heure, c'est-à-dire
dans lem" jeunesse ; qu'ils se fassent des
amis dans toute leur vie, en tout lieu et en
tout temps ; qu'ils servent ceirx qui en sont
dignes, sans même en être prévenus, et
lorsqu'ils s'y attendent le moins ; cpi'ils
se mettent peu en peine des orgueilleux;
qu'Us vivent d'une manièi'e réglée; qu'ils
honorent Dieu ; qu'ils pensent à lui ; qu'ils le
cherchent parla foi, par l'espérance et par la
charité ; qu'ils donnent une certaine étendue
à lem-s études, et qu'ils se procurent, à eux-
mêmes, à leurs amis et à tous ceux qu'ils
poiuTont, une vie paisible et tranquille. »
Saint Augustin leiu- prescrit ensuite des
règles particuhères pour leurs études, et dit
que l'on apprend par autonté et par raison.
Il disting-ue deux sortes d'autorité : l'une
divine, qui ne nous propose jamais rien que
de vrai; l'autre humaine, qui est sujette à
l'erreur. La raison est une action de l'esprit
qui unit les choses suivant le rapport qu'elles
ont ensemble , ou qui les sépare suivant
lem- disconvenance. C'est elle qui nous aver-
tit de ne rien faire témérairement; qui a
inventé les sciences, la grammaire, la dia-
lectique, la rhétorique, la géométrie, l'arith-
métique, l'astronomie. Suint Augustin fait
vou- l'utilité de toutes ces sciences, quels en
sont les objets et quel oi'dre Ll faut tenir
dans l'étude qu'on en fait; et il ajoute que,
lorsqu'on les possède, on mérite le nom de
savant et qu'on peut dès ce moment s'appli-
cpicr à des sciences supérieures , savoir à
la connaissance de l'âme et de Dieu, en quoi
consiste, selon lui, la véritable sagesse. 'Il
veut qu'on la demande à Dieu, et que pour
l'obtenir on vive bien , parce que Dieu
n'exauce pas les prières de ceux dont les
mœurs ne sont point réglées.
§ VI.
Des Soliloques, et des livres de l'Immortalité
et de la Grandeur de l'âme.
Les Soliloques suivirent de près les livres Les soiuo-
contre les Académiciens, ceux de la Vie 1^n%si^"ou
bienheureuse et de l'Ordre ; puisque saint ^■''''•
AugTislin les composa étant encore dans la
campagne de Cassiaque, d'où il sortit avant
le carême de 387. On peut donc les mettre
ou au commencement de cette année, ou à
la fin de la précédente. Il était alors dans sa
trente-troisième année'. La méthode qu'il
suivit dans cet ouvrage est différente de
cehe qu'il avait suivie dans les précédents,
car tandis que dans ceux-là il fait parler ses
disciples et ses amis, et dispute avec eux,
dans celui-ci, il s'entretient seul avec lui-
même. C'est pour cela qu'il l'intitula Solilo-
ques, terme ^ nouveau et d'ime prononcia-
tion assez dure, mais très-propre à signifier
la chose qu'il marque, a H n'y a point, dit-il,
de meilleure manière de chercher la vérité
cpie par des demandes et des réponses ; mais
parce qu'il se trouve peu de personnes qui
n'aient honte de se voir convaincues , il arrive
souvent qu'après qu'on a proposé une ques-
tion pour l'examiner et qu'on a commencé
à la bien traiter, les contestations inutiles
que l'opiniâtreté produit, la font perdre de
vue. On s'échauffe, on crie, on en vient jus-
cpi'à l'aigreur, que l'on dissimule ordinaire-
ment, mais que l'on laisse aussitôt paraître
tout ouvertement. J'ai donc cru, continue-
t-il, que pour trouver la vérité et conserver
mon esprit tranquille , je ne pouvais rien
faire de mieux que de chercher cette vérité
avec le secours de Dieu, en m'interrogeant
et en me répondant moi-même. » C'est donc
avec sa raison et avec lui-même, comme si
c'étaient deux personnes, que saint Augustin
parle dans cet ouvrage.
2. 11 est divisé en deux liM-es. Le but que ,,„ pnmwi-
le saint Docteiu' s'v propose est de se perfec- '"'■'= "'''^
tionner dans la connaissance de Dieu et de p. 355.
son âme. Il commence le premier par une
longue et excellente prière à Dieu. Après
avoir reconnu que Dieu est la vérité , la sa-
August., lib. I Soliloq., cap. x.
Lib. II Soliloq., cap. vu.
44
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
gesse, la vie, la béatitude et que c'est par
lui que tous ces biens sont communiqués
aux hommes; que c'est lui qui nous l'e-
tire de l'erreur et qui nous fait entrer dans
la voie du salut; que celui-là périt qui est
abandonné de lui ; qu'il est le souverain bien,
que personne n'a cherché comme il faut,
qu'il ne l'ait trouvé ; il lui demande de le
convertir entièrement à lui, et d'éloigner
tous les obstacles qui pourraient l'empêcher
d'aller vers lui. Il se demande ensuite à
lui-même quelle est la fin de ses désirs et
de la prière qu'il vient de faire à Dieu, et ré-
pond que c'est de connaître Dieu et son
âme. « Je ne serais pas content, ajoute-t-il,
si quelqu'un me disais : Je vous ferai con-
naître Dieu comme vous connaissez Alypius ;
je ne le serais pas même, si je ne le connais-
sais que de la même manière que je connais
les vérités les plus certaines des mathéma-
tiques, ni enfin, si je n'en savais que ce que
Platon et Plotin en ont dit. La foi, dit-il, l'es-
pérance et la charité ne sont pas moins né-
cessaires pour s'élever à la connaissance de
Dieu que pour l'aimer. » Se demandant en-
suite à lui-même s'il aimait quelque chose
outre la connaissance de Dieu et de lui-
même : (( Je pourrais répondre, dit-il, suivant
la disposition où je me sens actuellement,
que je n'aime rien davantage; mais je vois
bien, pour le plus sûr, que je suis obhgé d'a-
vouer que je n'en sais rien. Car j'ai souvent
l'cmarqué que lorsque je croyais être insensi-
ble à tout le reste, il me venait des choses
dans l'esprit qui m'y faisaient une impres-
sion toute autre que je ne l'aurais cru. D'au-
tres fois, si les pensées qui m'attaquaient ne
m'abattaient pas, elles me troublaient néan-
moins plus que je ne m'y étais attendu.
Mais à présent, il me semble qu'il n'y a que
trois choses dont je puisse être touché : de la
perte de mes amis, de la crainte de la dou-
leur et de l'appréhension de la mort. » Il re-
connaît qu'il n'était plus possédé ni de l'a-
mour des richesses, ni des honneurs, ni des
plaisirs de la bouche, et que s'il usait des
autres avec quelque satisfaction, il s'en pas-
sait sans peine, et que dans ce qui regardait
les besoins du corps, il n'en prenait que ce qui
était nécessaire pour sa santé; qu'à l'égard
du mariage, il s'était imposé la loi de ne dé-
sirer, de ne chercher, de n'épouser jamais
de femme ; et que l'espérance de voir cette
beauté éternelle après laquelle il soupirait
ardemment, s'augmentant de jour en jour
en son âme, tous ses plaisirs , toutes ses
inclinations se portaient vers elle. Il avoue
néanmoins qu'il sentait encore quelquefois
des mouvements de cette passion qui l'avait
autrefois dominé avec tant de violence ; mais
que lorsque cela lui arrivait , il en versait
des larmes avec tant d'abondance qu'elles
nuisaient à sa santé , et que son soulage-
ment, dans ces occasions, était de recourir
à Dieu et de se jeter dans ses bras : « Ce-
lui-là même, disait-il, que je souliaite si ar-
demment de voir, sait quand je pourrai être
guéri. Qu'il fasse ce qu'il lui plaira, qu'il se
montre à moi quand il le trouvera à propos,
je m'abandonne entièrement à sa miséri-
corde et me remets à ses soins. C'est assez
que je sente qu'il ne peut manquer de se-
courir ceux qui sont dans cette disposition. »
Saint Augustin traite ensuite de la manière
dont on peut connaître l'âme, et convient que
c'est seulement par la vérité : ce qui l'en-
gage à examiner si le vrai et la vérité sont
deux choses diflerentes. 11 soutient l'affirma-
tive, et dit que comme un homme chaste
peut mourir sans que sa chasteté meure, de
même aussi, ce qui est vrai peut périr sans
que la vérité périsse.
3. Dans le second livre, saint Augustin au;.
traite de l'immortalité de l'âme, et prouve u'rc^Jl
que, l'âme étant la demeure de la vérité ^^^•
et la vérité étant immortelle, l'âme ne peut
mourir. Il y fait diverses réflexions sur la
vérité et la fausseté, et parle de deux per-
sonnes qui écrivaient alors sur l'immortalité
de l'âme, l'une en prose à Milan même, c'é-
tait apparemment saint Ambroise, et l'autre
dans les Gaules. On croit que c'était Zéno-
bius, à qui sont adressés les deux livres de
l'Ordre. Il témoigne, dans ses Rétractations ',
ne point approuver ce qu'il avait dit dans le
premier li%Te des Soliloques -, que Dieu ne
permet qu'à ceux qui sont puis de connaître la
vérité ; puisqu'on peut dire que plusieurs de
ceux qui ne sont pas purs savent beaucoup
de choses qui sont vraies. Il y reprend aussi
quelques expressions peu correctes, entre
autres celle-ci : Celui qui engendre et celui
qu il a engendré est un, au lieu de dire sont
un, ainsi que parle la Vérité même dans l'É-
Lib. I SolUoq., cap. i.
Lib. I. Rctract., cap. iv,
[IV" ET V' SIÈCLtS.]
SAINT AUGUSTIiN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
vangile selon saint Jean ' : Moi et mon Père,
nous sommes un.
vimmorta- ^- Saint Augiistin, de retour à Milan, après
nié (ici'â- avoir quitté la campagne vers le carême de
l'an 387, écrivit le livre de V Immortalité de
l'âme, comme un mémoire ^ pour achever
ses Soliloques qui étaient demeurés impar-
faits. Il dit qu'il ne sait comment ce livre est
devenu public malgré lui , en sorte qu'on
l'ait compté parmi ses ouvrages. Les raison^
nements en sont serrés et exprimés avec tant
de précision, qu'ils fatiguent le lecteur et
demandent une grande attention; lui-même
convient qu'il avait peine à les entendre; il
y a un endroit dont il avoue qu'il ne com-
prenait pas le sens. Voici quelques-uns des
principes dont il se sert poiu- établir l'im-
mortalité de l'âme.
, Aiia!y:c o. L'âme est la demeure de la science :
lie ce livre, , .
p.ig. 887. or, la science sera toujours ; car u sera tou-
jours vrai, par exemple, qu'une ligne tirée
par le milieu d'un cercle sera plus grande
que les autres lignes qui se couperont sans
passer par le centre : donc, l'âme doit aussi
dm'er toujours. La raison et l'âme sont une
même chose : or, la raison est immuable et
immortelle, l'âme l'est donc aussi. La science
et l'art sont immuables , et ils ne peuvent
être que dans l'esprit ; l'esprit est donc im-
muable et conséquemment immoi'tel : car on
ne peut pas dire que l'art et la science ne
puissent être que dans un sujet vivant. Tant
que l'esprit ne sera pas séparé de la raison,
il demeurera : or, il n'en saurait être sé-
paré, puisqu'on ne peut assigner aucune
cause de cette séparation : donc il subsistera
toujoui'S. L'âme n'est pas de pire condi-
tion (jue la matière : or, quelque division
que l'on fasse de la matière , elle ne peut
être réduite au néant : donc l'âme ne peut
non plus y être réduite. Comme rien ne se
peut créer, puisqu'il faudrait être avant que
l'on fût , ce qui est absurde , rien aussi ne
peut s'anéantir soi-même. Si cela est vrai du
corps, à plus forte raison l'est-il de l'âme.
La vie est l'essence de l'âme : elle ne peut
donc en être privée , autrement ce ne serait
plus une âme. L'âme ne consiste point dans
l'arrangement des parties du corps , puisque
plus l'on s'efforce de la dégager des sens,
plus l'on a de facilité à comprendre les choses,
n n'y a rien qui soit contraire à la vérité su-
prême, ni conséquemment à l'âme qui en
est une émanation; elle est donc immortelle,
n'y ayant rien qui puisse la détruire , puisque
rien ne lui est contraire. L'âme ne peut être
changée en corps : il faudrait pour cela, ou
qu'elle voulût ce changement , ou qu'elle pût
y être contrainte par le corps. Or, l'un et
l'autre sont également absurdes : elle n'est
point soumise au corps : il ne peut donc la
contraindre, et elle ne veut le corps que pour
l'avoir en sa puissance et pour le vivifier. L'es-
prit ne peut point être affaibli par le sommeil
qui n'assoupit que les sens pour donner du
repos au corps ; si l'esprit se souvient d'avoir
raisonné pendant le sommeil et d'avoir donné
de bonnes raisons, c'est une preuve qu'il
peut faire ses fonctions spirituelles dans le
temps même qu'il n'a pas l'usage des sens
du corps auquel il est uni ; l'union de l'âme
avec le corps n'est point locale, quoique le
corps soit dans un lieu ; le corps ne subsiste
qu'en tant qu'il est animé par notre âme;
eUe ne peut être changée en une âme irrai-
sonnable , parce qu'il faudrait qu'elle chan-
geât d'espèce et qu'elle prit celle d'une chose
qui lui est infériem'e, et que, comme la ma-
tière , eUe occupât un espace , ce qui ne se
peut dire , puisque l'âme est toute entière
dans tout le corps et dans chaque partie du
corps ; la matière , au contraire , n'est toute
entière que dans le tout, et non pas dans
chaque partie du tout. Saint Augustin, dans
ses livres des Rétractations ', corrige quel-
ques endroits de celui de l'Immortalité de
l'âme, en particulier, l'endroit où il avait
dit que l'esprit de l'homme ne peut être sé-
paré de la raison éternelle , parce qu'il ne
lui est pas uni localement : et il reconnaît
qu'en cela il n'a pas parlé conformément à
ce que nous lisons dans le prophète Isaïe :
Vos péchés vous sépa7-ent de Dieu. D'où il cou- i3ai.,ux,
dut que l'on peut admettre une séparation '
entre les choses qui ne sont pas unies loca-
lement, mais d'une manière spirituelle.
6, Il témoigne, dans les mêmes livres des , Hy^ '''-■
lietractations \ que ce fut à Rome qu'il écri- tâuei-ûmc,
vit celui de la Quantité ou de la Grandeur "" ^^^'
de l'âme, peu de temps après qu'il eut quitté
Milan, et lorsqu'il avait déjà reçu le baptême.
Il avait fait auparavant, dans la même ville,
les livres des iVœurs de l'Eglise catholique et
des Mœurs des manichéens, qui devraient con-
séquemment être placés avant celui de la
Grandeur de l'âme. Mais on l'a mis dans cet
' Joan. X, 30. — - Lib. Retract., cap.
' Lib. I Retract., cap.
- ' Ibid., cap. VIII.
46
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
endroit , parce qri'il traite de la même ma-
tière que ceux dont nous venons de joarler,
et c'est le rang qu'il tient dans les anciennes
éditions comme dans la nouvelle, quoique
saint Augustin n'en parle dans ses livres des
Rétractations, qu'après avoir parlé de ceux
qui traitent des mœurs de l'Eglise et de cel-
les des manichéens. On met celui de la Gran-
deur de l'âme vers le commencement de l'an
388. Il est en forme de dialogue. Évodius y
propose les difEcultés , et saint Augustin les
résout. Au lieu d'Évodius , on lit Adéodat
dans les éditions ordinaires et dans quelques
manuscrits , mais qui ne sont pas anciens.
C'est une faute que l'on a cori-igée dans la
nouvelle édition, où l'on s'est fondé sur ce
que saint Augustin ' reconnaît lui-même
dans sa 162= lettre à Évodius-, que c'était
avec lui qu'il s'entretenait dans ce livre.
D'ailleurs, celui qui parle dans ce dialogue
avec saint Augustin, se présente ' comme
étant dans l'âge viril, d'où l'on passe à la
vieillesse : ce qui ne se peut dire d'Adéodat,
qui n'était âgé pour lors que d'environ 16 ans.
7. Saint Augustin agite dans ce dialogue
plusieiu's questions au sujet de l'âme , sur
son origine et sur sa nature, si elle est éten-
due, pourquoi elle a été unie avec le corps,
quel changement il lui ariive, en quel temps
elle entre dans le corps, et quand elle en
sort. Mais il s'arrête principalement à exa-
miner si elle est étendue, afin de montrer
que la grandeur de l'âme n'est point une
quantité ou une grandeur corporelle, quoi-
que l'âme soit quelque chose de grand et
de relevé. C'est ce qui a fait intituler ce
livre : De la Grandeur de l'âme. A la première
question d'Évodius, qui regarde l'origine de
l'âme, saint Augustin répond que cette ques-
tion peut s'entendre en deux manières : où
est la demeure de l'âme? et quelle est la
matière dont elle est composée? La demeure
de l'âme et sa patrie est Dieu qui l'a créée.
Pour ce qui est de sa nature , on ne peut la
nommer ni l'expliquer, n'étant point com-
posée de parties sensibles comme sont les
corps. Elle est unique dans son espèce. Evo-
dius demande, en second lieu : Quelle est
l'âme? Saint Augustin lui répond qu'elle est
semblable à Dieu. Bien qu'elle soit faite à
sou image, elle ne peut pas pour cela faire
ce que Dieu fait; ce qui n'est pas surpre-
nant, puisque la représentation ou l'image
de notre corps n'a pas la même vertu ni le
même pouvoir que notre corps même. Sur
la troisième question , si l'âme est étendue ,
saint Augustin répond : l'âme n'a point d'é-
tendue, si par ce terme on entend une éten-
due corporelle ; elle est d'autant plus pré-
cieuse, qu'elle n'a aucun des attributs qui
conviennent à la matière, et, n'aj'ant aucune
des dimensions corporelles, elle ne laisse pas
d'être une substance, différente toutefois du
corps , et même de l'air, qu'on ne peut nier
être matériel. Saint Augustin donne pour
maxime qu'il est plus sûr à la multitude,
lorsqu'il s'agit d'examiner la nature des
choses, de s'en rapporter plutôt à l'autorité
qu'aux lumières de la raison. Il entre dans
le détail des figures de mathématique, et
parce que l'esprit en conçoit toutes les pro-
priétés qui sont invisibles, il en infère qu'il
est incorporel , et qu'on le peut définir, une
substance raisonnable destinée à gouverner
le corps. Mais, dira-t-on, si l'âme n'a aucune
des dimensions corporelles, comment peut-
on dire qu'elle croît avec l'âge et que la rai-
son se perfectionne ? Saint Augustin l'épond
que ce n'est qu'une façon de parler méta-
phorique, et qu'on ne peut réellement attri-
buer aucun accroissement à l'âme. Car si de
ce qu'un enfant apprend peu à peu, on en
pouvait conclure que son âme en reçoit des
accroissements avec l'âge, il faudrait dire
aussi qu'elle diminue , lorsque , dans un âge
avancé, on oublie ce qu'on avait appris étant
jeune. L'âme naît donc avec toutes ses con-
naissances, et quand on dit qu'elle apprend
quelque chose, cela ne signifie autre chose
sinon qu'elle se rappelle ' ce qu'elle savait
déjà. Le saint Docteur, retouchant cet en-
droit clans son premier livre des Rétracta-
tions, dit qu'il ne faut pas l'entendre comme
si l'âme, suivant les principes de la métemp-
sycose , avait appris, soit dans un corps dif-
férent de celui qu'elle anime actuellement,
soit hors du corps et dans un autre monde,
et qu'il faut expliquer ce qu'il dit ici de la
capacité de l'âme , des choses purement in-
tellectuelles. (( Car, ajoutc-t-il, eUe n'a pas
apporté avec elle la connaissance de tous les
arts '', de ceux-là en particiûier qu'on ne
1 August., Epist. IfiS, nmii. 2. — ^ C'est la lOf
(les anciennes odilious, mais la 102» de celle des
Béuédictins. [L'éditeur.)
2 Lib. De Quant, anim., cap. xxiv.
' Lili. De QiuDit. anim., p. 417.
■^ Lib. 1 lielract., cap. vin.
[IV= ET V" SIÈCLES.]
peut apprendre sans le secours des sens,
comme de la médecine et de l'astrologie,
dont l'âme ne sait que ce qu'elle en a appris
depuis son union avec le corps, n II fait voir
ensuite comment l'âme se sert des nerfs
comme d'instruments pom' donner le mou-
vement au coi'ps, et comment elle n'est point
étendue comme le corps, quoiqu'elle sente
dans toutes les parties du corps. Il parle des
cinq sens , et distingue entre la raison et le
raisonnement ; la raison est le regard de
l'âme, et le raisonnement, la recherche de
la raison. Il marque la différence de l'âme
de l'homme de celle des hôtes, à qui il ac-
corde des sensations sans connaissances. Il
convient que leurs sensations surpassent les
nôtres, mais que nous les surpassons en es-
prit, en raison et en science. La sensation
se fait par le sentiment, et la science s'ac-
quiert par la raison. Ce que nous connais-
sons par le moyen du corps s'appeUe senti-
ment, et on donne le nom de science à ce qui
est connu par la raison.
Saint Augustin fait après cela le dénom-
brement des qualités excellentes de l'âme
de l'homme, soit qu'on la considère par rap-
port au corps , soit en elle-même , soit par
rapport à Dieu, et les réduit à sept chefs ou
degrés. Le premier consiste en ce que l'âme
anime le corps et en empêche la dissolution,
en faisant distribuer également à tous les
membres les aliments nécessaires. Le se-
cond, en ce que tous les sens font impression
sm' elle; en sorte que par le toucher, par
exemple , elle sent et distingue ce qui est
chaud, froid, rude, doux, et ainsi des autres.
Le troisième degré regarde l'étendue prodi-
gieuse de la mémoire, qui lui rappelle des
choses si variées et en si grand nombre. Le
quatrième la jette dans un combat continuel
au sujet des adversités et des plaisirs du
monde, dans l'obligation où elle est de se
préférer elle-même non seulement à son
corps , mais aussi à toutes les choses corpo-
relles. Épurée par ces combats et victorieuse
de tous ces obstacles avec le secours de la
souveraine justice, l'âme se réjouit en elle-
même et n'a plus rien à craindre. Se voyant
donc tranquille , elle s'applique avec con-
fiance à la contemplation de la vérité su-
prême, et parvient enfin à jouir du vrai et
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
47
Livre de
la Musi -
que , écrit
cil 3S9.
du souverain bien. C'est ce qui constitue les
cinquième, sixième et septième degrés. De
tant d'excellentes qualités dont l'âme est or-
née, saint Augustin conclut que de toutes
les créatures, l'âme est celle qui approche
le plus de la nature de Dieu. Elle est aussi
douée du libre arbitre , et rien ne peut l'en
priver. Il ne répond point aux trois autres
questions d'Évodius , mais il finit ce traité
par une réflexion sui' la véritable rehgion,
qu'il fa't consister dans le retour de l'âme à
Dieu, dont elle s'était séparée par le péché.
§ vn.
Des livres de la Musique et du Maiti'e.
i. Pendant le séjom- que saint Augustin
fit à IMilan * pour se disposer au baptême , il
travailla à divers ouvrages sur les belles-
lettres et les sciences. Mais il n'y acheva que
celui de la grammaire , ayant laissé impar-
faits ceux qui traitaient de la logique , de la
rhétorique, de la géométrie, de l'arithméti-
que, de la philosophie et de la musique. De
retour en Afrique, après son baptême ^, vei'S
l'an 389, il reprit ce qu'il avait commencé
sur la musique, et composa six livres sur
cette matière. Ils sont en fonne de dialogue
entre le maître elle disciple, ou comme por-
tent divers manuscrits , entre lui et son dis-
ciple Licentius, cpii avoue dans le troisième
livre ', ne savoir pas alors queUes syllabes il
fallait faire longues ou brèves. Saint Augustin
fit cet ouvrage comme un jeu d'esprit dans
les moments * que d'autres soins plus impor-
tants lui laissaient vides. Il n'y traite que
cette seule partie de la musique, qui regarde
le temps et le mouvement, se réservant à
faire ° encore six autres livres sur la modu-
lation quand il en aurait le loisir. Mais les
soins de l'épiscopat lui firent tomber des
mains tous ses amusements agréables.
2. Le but de cet ouvrage est de montrer
comment, par le moyen des nombres mua-
bles '^, soit corporels, soit spirituels, on peut Qm.i en usi
arriver aux nombres immuables qui ne se '■= '''^s*'^'"-
trouvent que dans la vérité incapable de
changement, et connaître les merveilles in-
visibles de Dieu par ses ou-^Tages visibles.
Les cinq premiers hvi-es sont très-difficiles à
entendre ', à moins qu'on n'ait quelqu'un qui
DilTiculté
qu'il y a
d' entendre
livres.
* Augiist., lib. I Retract., cap. vi. — ' Ibid.
' Aujïiist., lib. III, de ilnsic, nuui. 3, i). 474.
* August., Epis t. 101 ad Mentor. — ^ Ibid.
^ August., lib. I Retract., cap. rr. — ' August.,
Epist. 101.
HISTOmE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
puisse non-seulement distinguer ce que ce
Père fait dire à chacun des interlocuteurs,
mais encore faire sonner les longues et les
brèA^es, en sorte que les différentes propor-
tions des nombres s'entendent et frappent
l'oreille. Ce qui est d'autant plus difficile
que les sons des mots qui sont apportés en
exemple sont entremêlés de certains silences
mesurés , qu'on ne saurait aperceA'oir à
moins d'être aidé par un homme qui pro-
nonce selon les règles. C'est pourquoi il ne
croit pas qu'ils vaillent la peine qu'on les lise,
ni qu'on se fatigue pour les entendre, d'au-
tant que l'on trouvera massé dans le sixième
livre S tout le fruit que l'on peut tirer des au-
tres : c'est ce qui rendit ce livre le plus cé-
lèbre de tous ^. Saint Augustin a surtout en
vue les jeunes gens, et les autres même plus
âgés, qui ont de l'esprit et de l'amour pour
les belles-lettres, et il s'y applique à leur faire
comme un degré de ce qu'ils aiment, pour
s'élever peu à peu jusqu'à celui que nous
devons seul aimer, afin qu'ils s'attachent à lui
par l'amom" de la vérité immuable. « Celui
donc, dit-il ^, qui lira ces cinq livres, recon-
naîtra que nous nous y entretenons avec
ceux qui aiment les lettres et la poésie, non
pour nous arrêter avec eux , mais pour nous
avancer ensemble. Et quand il sera venu au
sixième livre, si Dieu me fait la grâce, comme
je l'espère et comme je l'en supplie, de se-
conder mon dessein et mon intention, il ju-
gera que le chemin si bas où nous marchons
est pour arriver à quelque chose de fort grand
et sublime , et qu'ainsi, si nous aimons
mieux prendre une route si basse avec les
faibles, plutôt que de les précipiter en leur
faisant prendre un trop grand effort, ils ju-
geront ou que nous n'avons pas péché en
cela, ou que notre faute est légère. » Il dit
ailleurs, que ceux qui n'ont pas l'esprit assez
subtil pour suivre le chemin qu'il trace dans
ses livres de la musique et qui néanmoins
vivent de la foi de Jésus-Christ, font ce même
chemin, non en y marchant avec peine et
avec fatigue, mais en y volant en quelque
sorte, soutenus par les ailes de la charité ;
que sans avoir besoin de la lueur et du faible
éclat des raisonnements humains, ils arrivent
à cette bienheureuse fin par la force et la
puissance du feu de leur charité qui les pu-
rifie et qu'ils pai'viennent enfin après cette
vie , au lieu où ce feu de la charité con-
duit, mais, d'une manière plus sûre et plus
heureuse que les autres ; que ceux , au con-
traire, qui ont assez d'intelligence pour en-
tendre ces raisonnements, se perdent mal-
heureusement avec toute leur science, s'ils
ne sont conduits par la foi du Médiateur. Li-
centius * et l'évêque Mémorius ^ demandè-
rent à saint Augustin ses six livres de la mu-
sique, et il promit de les envoyer à ce dernier
quand il les aurait corrigés : en attendant il
lui envoya le sixième, l'aj^ant trouvé correct,
et ne le croyant pas indigne de son atten-
tion ". On ne sait s'il lui fît part des cinq au-
tres. [Angelo Maï a publié dans le troisième
volume des Scrrptores w^eres (llG-lSo) un
abrégé des six livres de la musique. Cet
abrégé, publié d'après un manuscrit très-an-
cien, offre quelques variantes à l'ouvrage
entier de saint Augustin et est par consé-
quent bon à pubher pour les nouveaux édi-
teurs.]
Dans le premier livre, saint Augustin traite des '"vrcs
de la musique en général, qu'il définit la qui!""îiBg.'
science de chanter avec harmonie et avec me- "''•
sure. Il y parle aussi des divers nombres qui
servent à la mesiu'e des temps et de leur pro-
portion. Dans le second, il traite des syllabes
et des pieds mesurés, c'est-à-dire, composés
de longues et de brèves, dont il rapporte
vingt-huit espèces. Il montre dans le troisième
quelle différence il y a entre rliythme, mesure
et vers ; après quoi il traite en particulier du
rhythme ou cadence; puis il commence à
parler de la mesure des vers ; il y emploie
encore tout le quatrième hvre. Le cinquième
renferme ce qui regarde les vers et leurs dif-
férentes espèces. Dans le sixième, il fait voir
que la musique doit contribuer à élever le
cœur et l'esprit à une harmonie toute céleste
et toute divine. C'est pourquoi il y traite des
nombres muables, soit corporels, soit spiri-
tuels, comme étant des degrés pour parvenir
aux nombres immuables qui ne se trou-
vent que dans la vérité immuable. Il y fait
voir que l'on ne peut A'aincre l'amour des
choses temporelles que par la doucem' et
l'avant-goût des biens éternels, et que l'âme
est rappelée à l'amour de Dieu par le bel
ordre et l'arrangement qu'elle aime dans les
choses créées. D. y dit aussi quelque chose
des quatre vertus qui rendent en ce monde
1 Augn&L, Epist. dOl.
Beiract. cap. ii.
- Ibid. — " Aiigust., lib. ' Angiist., lib. VI de Music. ,cip. l. — ^ IJ., Epist.
39. — "'•i Epist. 101. — ' Ibid.
flV° ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
49
l'âme parfaite , savoir : la tempérance , la
force, la justice, la prudence. Par la tempé-
rance , qui consiste à nous détacher des
choses inférieures et à combattre nos an-
ciennes habitudes, nous nous mettons en état
de pouvoir résister aux puissances aérien-
nes jalouses de notre bonheur. La force fait
que , dans les affaires du salut , nous ne
craignons ni adversités, ni la mort même.
La justice nous apprend à ne servir et à
n'adorer que Dieu. La prudence nous fait
distinguer les choses temporelles et infé-
rieures des supérieures et des éternelles, et
nous enseigne en même temps à ne nous
servir des premières que par rapport aux se-
condes. Ces quatre vertus se trouvent aussi
dans les bienheui'eux, mais d'une autre ma-
nière que dans nous. En examinant si l'âme
souffre quelque chose de la part du corps et
comment se font ses sensations, saint Au-
gustin dit que l'âme n'anime le corps que
par l'intention de celui qui l'a créé ; qu'elle
ne souffre rien de la part du corps ; qu'elle en
dispose et agit dans lui comme l'ayant reçu
de Dieu en subjection ; qu'elle y opère avec
plus ou moins de facilité, selon qu'elle trouve
dans le corps plus ou moins de résistance,
que cette résistance est proportionnée aux
mérites ou démérites de l'âme , c'est-à-dire
à proportion de ce qu'elle en réprime les
mouvements déréglés, ou qu'elle ne les ré-
prime pas. Tous les objets extérieurs ne
font point d'impression sur l'âme, mais sur
le corps; mais ce qui fait son plaisir ou sa
douleur, vient de la différente manière dont
son corps est frappé au dehors. H dit à ceux
qui liront cet ouvrage qu'il l'a composé seu-
lement pour les faibles et non pour ceux qui,
appuyés de l'autorité de la foi en un Dieu
suprême, adorent la consubstantielle et im-
muable Trinité, et sont purifiés, non par les
étincelles des raisonnements humains, mais
par le feu ardent de la charité. Il n'eût pas
même, ajoute-t-il, osé prendre cette voie
pour les instruire, s'il n'eût eu l'exemple de
plusieurs catholiques de mérite qui l'avaient
employée avant lui, pour réfuter les héréti-
ques, faisant servir à cela les talents et les
facultés qu'ils avaient acquises par l'étude
des lettres humaines.
5. Saint Augustin écrivit le livre du
Maître ' , lorsqu'Adéodat était dans sa Hfatirc, ce
seizième année, la seconde depuis qu'ils î'i'ènt "^"cr?
avaient reçu le baptême, c'est-à-dire vers le |,a„" j^,' '
milieu de l'an 389. Il n'y avait pas longtemps
qu'il avait achevé ses livres de la Musique :
c'est pourquoi il place le Uvre du Maître im-
médiatement après ceux-là, dans son pre-
mier livre des Rétractations \ Il est écrit en
forme de dialogue entre lui et Adéodat, son
fils, et il proteste ^ que toutes les pensées qui
y sont écrites au nom d'Adéodat, sont effec-
tivement de lui, quoiqu'il n'eût encore que
seize ans. « J'ai même vu , ajoute-t-il, des
choses encore plus admirables de cet en-
fant, et la grandeur de son esprit m'éton-
nait. » n traite dans cet ouvrage de la force
et de la signification des mots, et fait voir
par divers raisonnements et par l'autorité de
l'Ecriture que ce ne sont pas les paroles que
les hommes font retentir à nos oreilles qui
enseignent la science à l'homme, mais que
la vérité éternelle, Jésus-Christ, le Verbe de
Dieu est notre seul et véritable maître, et
que la vie bienheureuse consiste à l'aimer et
à le connaître,
§ vm.
Des trois livres du Libre arbitre.
I. Les trois livres du Libre arbitre ne sont .'-ivre du
pas de la même année. Saint Augustin corn- 't!-7^ "rag."
mença le premier étant à Rome en 388, et les ,"" 'jg^y
deux autres ne furent achevés qu'en 393 , et
après qu'il eut été fait prêtre *. Il envoya cet
ouvrage à saint Paulin, en lui disant ^ qu'il
souhaiterait que la question importante y fût
traitée avec une clarté et une solidité qui ré-
pondit à la grosseur de leur volume. Quelque
temps après, il écrivit à Secondin, manichéen
de Rome, que s'il voulait lire ces livres ^ il
les trouverait à Noie chez saint Paulin. Il y
renvoya encore Evodius ', le même avec qui
il s'y entretient, car ils sont en forme de dia-
logue. Marcellin ^ ayant trouvé à redire à un
endroit du troisième livre, saint Augustin en
prit la défense, mais aprèsavoir déclaré qu'il
reconnaissait sans peine que ses ouvrages
n'étaient point exempts de fautes, et que ceux
qui lui montreraient celles qu'il ne voyait pas
lui feraient plaisir. «Voilà, lui dit-il, ce que
je pense de mes ouvrages. » Venant ensuite
i August., lib. IX Confes., cap. vi. — ^ Idem,
lib. I Hetract cap. sn.— s Lib. IX Confes., cap. vr.
— 3 Lib. I Reiract., cap. is.
IX.
* August. Epist. 31, num. 7. — ^ Lib. Cent.
Secund. — ^ Epiât. 1C2, num. 2.
■^ E2nst. 143.
4
HISTÛIIIE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
50
à l'endroit auquel on avait trouvé à redire ,
et où on lisait que l'âme qui, par un effet de
l'ordre qu'il a plu à Dieu d'établir, a été atta-
chée à une nature si fort aa- dessous de la
sienne , c'est-à-dire à la nature corporelle , ne
gouverne pas tout à fait son corps comme elle
voudrait, et n'en dispose qu'autant que les
lois générales de l'ordre, établies de Dieu, le
permettent ; il répond : « Si ceux qui préten-
dent que je me suis déterminé par-là à ime
opinion fixe sur l'origine de l'âme, et que j'ai
voulu dire, ou qu'elle passait des pères dans
les enfants, ou que c'est une punition de cer-
tains péchés commis dans je ne sais quelle vie
qui ait précédé ceUe-ci, qu'elle est jetée et en-
fermée dans le corps; si ceux-là, dis-je, veu-
lent bien examiner ce que je dis dans cet en-
droit-là, ils verront qu'en me tenant à ce qui
est certain, que, depuis le péché du premier
homme, les autres hommes sont nés et naî-
tront jusqu'à la fin des siècles, dans une chair
de péché pour la guérison de laquelle Jésus-
Christ est venu dans une chair semblable à
ceUe du péché; j'ai choisi et mesuré mes pa-
roles de teUe sorte qu'on n'en saurait tirer de
préjugé contre aucune des quatre opinions
sui' l'origine de l'âme que je propose dans
ce lieu-là, sans en établir, ni même en appro-
fondir aucune. Je les ai toutes laissées à part
pour n'étabfir que ce que j'avais entrepris,
qui est que de quelque côté que fût la vérité
entre les quatre, nous avions toujours sujet
de louer Dieu et de le remercier. »
Saint Augustin, écrivant depuis à saint Jé-
rôme ', lui marque de quelle manière il avait
parlé dans ses livres de l'origine de l'âme dans
le corps, sans songer aux prisciUianistes dont
il n'avait pas encore ouï parler. H lui dit aussi
qu'il ne s'y était pas beaucoup étendu sur le
baptême des enfants, et qu'il n'avait point
parlé de leur damnation lorsqu'ils meurent
sans baptême, parce que cela n'entrait point
dans son sujet. Ces trois livres sont, comme on
vient de le dire, écrits en forme de dialogue,
où saint Augustin s'entretient avec Evodius.
Le sujet de lem-s discours ^ est de chercher
la cause et l'origine du mal , et ils s'efforcent
l'un et l'autre de découvrir par les lumières
de la raison ce que l'autorité divine, àlaquelle
ils avaient soumis leur esprit , les avait déjà
obligés d'en croire. Comme après cet examen,
ils convinrent que le mal ne venait que du li-
bre arbitre, ils intitulèrent ainsi les trois livres
qui contiennent ce qui fût dit dans leurs en-
tretiens, n se présenta pendant qu'ils discou-
raient ensemble diverses autres questions, ou
difficiles à résoudre, ou qui demandaient une
trop longue discussion , mais ils ne voulurent
point s'y arrêter; et saint Augustin se con-
tenta de montrer que, quelque sentiment
qu'on eût sur ces questions, on ne pouvait
disconvenir que Dieu ne fût toujours louable
dans ses œuvi'es. 11 ne parle pas non plus de
la grâce par laquelle Dieu prépare la volonté
de ses élus, et s'il en dit quelque chose , ce
n'est qu'en passant; parce qu'il n'en était pas
question , vu qu'il y a de la différence entre
savoir d'où vient le mal, et chercher comment
on peut recouvrer le bien qu'on a perdu ou
en acquérir un plus grand. Les pélagiens qui
n'établissaient le libre ai'bitre que pour dé-
truire le mystère de la grâce, en voulant que
Dieu la donnât selon les mérites , ne pou-
vaient donc tirer avantage de ce que saint
Augustin avait dit dans ses trois livres en fa-
veur du libre arbitre. Pelage les cite toutefois,
prétendant que saint Augustin y avait ensei-
gné, tant dans le pi-emier livre que dans les
deux suivants , que la grâce se donnait selon
les mérites, et que le fibre arbitre se suffisait
à lui-même pour éviter le péché. Ce fut pour
lui répondre , que saint Augustin écrivit le
livre qui est intitulé : De la Nature et de la
Grâce, et il y fit voir ' que , dans les endroits
mêmes cités par Pelage , il détruisait le mau-
vais sens que cet hérésiarque donnait à ces
paroles; ajoutant que si Pelage voulait con-
fesser tout ce qui était dans les endroits qu'il
citait, on n'aurait plus rien à lui dire sur ce
sujet. Car quoique les trois livres du Libre ar-
bitre îussenï écrits contre les manichéens, et
non contre les pélagiens dont les erreurs n'é-
taient pas encore connues , saint Augustin ne
laisse pas de les détruire suffisamment. En
effet, il enseigne dans le second livi'e ' que
les moindres biens , de même que les plus
• Epist. 166, num. 18. — ' Lib. I Reiract.,
cap. IX. — ' August., lib. de Natura et Gra-
tta, cap. 6 et 7.
* Abundantia et magniludo bonitatis Dei non
solum magna, sed etiam média et minima bona
esse prœstUit... Tuautem pietatcm inconcussam
tene, et nuUum tibi bonum vel senlienli, vel
inteUigenti vel quoqno modo cogitanti occu^r-
rat, quod non sit ex Deo... sed qtioniam non
sicut homo sponte cecidit, ita etiam' sponte sur-
gere potest, porrectam nobis desuper dexleram
Dei, id est, Doininwn nostrum Jesunt, Christum,
firnia fide teneamus. August., lib. 11 de Lib. arb.
cap. xix, uum. 50, et cap. xx, num. 39.
\IX' ET Y" SIÈCLES. 1
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
51
grands sont de Dieu; que toute bonne pen-
sée ne vient que de Dieu; que l'honime ne
peut se relever de sa chute, si Dieu ne lui tend
et ne lui prête la main, et il se sert dans ses
livres des Rétractations ' de ce qu'il avait dit
dans ceux du Libre arbitre, pour montrer que
longtemps avant l'hérésie pélagienne, ilavait
enseigné que tout bon mouvement du libre
arbitre est un don de Dieu.
Analyse 2. Dans le premier livre, saint Augustin
!rr^")a" explique la question difficile de l'origine du
0. mal qui avait autrefois si longtemps agité son
esprit, et l'avait fait tomber dans l'hérésie des
manichéens. «Dieu étant, dit-il, bon par lui-
même , il ne peut être l'auteur du mal ; cha-
cun est l'auteur du mal qu'il fait; et on ne
peut pas dire que celui qui pèche ait vu naître
celui qnii lui ait appris à mal faire. » Le mal
tire son origine du libre-arbitre, qui suit vo-
lontairement les mouvements de cette cupi-
dité criminelle qu'on appelle convoitise, et
qui est l'amour de toutes les choses qu'on
peut perdre contre son gré. Nous avons en
nous-mêmes une impression de la loi éter-
nelle, qui veut que toutes choses soient par-
faitement dans l'ordre, et cette loi est si im-
muable , qu'il n'y a ni violence , ni hasard ,
ni aucun renversement dans le monde, cpii
puisse jamais empêcher qu'il ne soit juste
que tout soit exactement dans l'ordre , et cet
ordre demande que l'homme lui soit toujours
soumis. La raison qui distingue l'homme des
bêtes doit toujours dominer en lui; il n'est
contraint par aucun endroit d'obéir à la cu-
pidité sur laquelle il a un véritable empire ;
s'il y obéit, il mérite d'en être puni, parce
qu'il y obéit de son plein gré ; comme il est
en son pouvoir de faire le mal , il peut aussi
faire le bien s'il le veut; en sorte que c'est
notre volonté qui nous rend heureux ou mal-
heureux. Par conséquent , tout homme ^ qui
veut vivre dans la justice et dans l'honnê-
teté , s'il veut cela plus qu'il ne veut tous
les biens passagers et fugitifs, parviendra à
ce bien véritable avec tant de facilité qu'il
ne lui en coûte rien auti-e chose pour avoir
ce qu'il veut, que de le vouloir. « Ce n'est pas
que tous les hommes ne veuillent être heu-
reux: les bons et les méchants le souhaitent;
mais avec cette différence, que les bons s'en
rendent dignes par leurs bonnes actions, et
que les mauvais ne font pas ce qu'ils de-
vraient faire pour être hem^eux. Ceux-là
obéissent à la loi éternelle qui nous défend de
nous attacher aux biens temporels ; ceux-ci ,
au contraire, n'aiment point cette loi, et sont
attachés à tout ce qu'elle défend, à l'amour
des richesses, des honneurs et des voluptés.
N'attachons point, comme eux, notre affection
aux biens de la terre, en sorte qu'ils devien-
nent comme des membres et des parties de
notre cœur, ce qui est le propre effet de l'a-
mour ; de crainte que si ces biens nous sont
ravis, ils n'ensanglantent, pour ainsi dire,
et ne rouillent notre âme par la plaie qu'elle
en souffrira ; mais élevons-nous tout entiers
au-dessus de ces biens terrestres, afin d'être
prêts à les avoir et en user, s'il est néces-
saire , et encore plus prêts à les pei'dre et à
en être privés. »
3. Le second livre commence par cette Analyse
question d'Evodius : Pourquoi Dieu a accordé wwe, i ag.
à l'homme la liberté de pécher, qui lui est si ^^'''
préjudiciable ? Saint Augustin répond : «Nous
ne devons point croire que Dieu ait donné à
l'homme le libre arbitre , précisément parce
que c'est par le libre arbitre que nous pé-
chons ; mais parce que sans lui l'homme ne
peut bien vivre. Dès le moment que l'on con-
vient qu'il est un don de Dieu, il n'a pu nous
être donné d'une autre manière quil nous a
été donné : celui de qui nous l'avons reçu
n'étant répréhensible en aucune des choses
qu'il a faites. » Pour éclaircir davantage la
question d'Evodius , le saint Docteur s'en
propose trois autres ; la première , comment
il est évident qu'il y a un Dieu ; la seconde,
si tous les biens, quels qu'ils soient, vien-
nent de lui; la troisième, si l'on doit compter
la liberté de notre volonté parmi les biens.
Pour résoudre la première question, il entre
dans le détail de tout ce qu'il y a de grand
dans l'homme, et relève surtout la raison
dont son âme est douée. Ensuite, il fait voir
qu'il y a un être plus parfait que notre âme,
et que cet être est la vérité même, la bonté
même et la sagesse même, c'est-à-dire notre
Dieu , qui nous a délivrés de la mort et de
1 Ecce antequampelagiana hœresis exstitisset,
sic dispuiavimus : cum enim omnia bona dice-
rentur ex Deo... sequitur ut ex Bto sit etiam
bonus usus liberœ voluntatis. Aug., lib. I Relract.
cap. XI, num. 5.
- Ex quo conficitur ut quisquis recte, hones-
teque vtiU vivere. si id velle prœ fugacibus bo-
nis velit, assequatur tantam rem tanta felici-
tate, ut nil aliud «i quam ipstim velle, sit ha-
ijfij'e quod voluit. Lib. I, cap. xiii, num. 29.
52
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
la servitude du péché. Notre liberté consiste
à être soumis à cette Térité, et c'est elle aussi
qui fait notre bonheui-, parce que nous en
jouissons avec assurance de ne le point per-
dre. H répond à la seconde question, en mon-
trant que tout bien et toute perfection vien-
nent de Dieu ; il distingue pour cela trois
sortes de biens; les plus grands, qui sont les
vertus qui nous font bien vivre ; les plus pe-
tits, qui sont les idées des objets corporels
sans lesquels on ne peut bien vivre; et les
médiocres, parmi lesquels il met les puissan-
ces de l'âme, t'on ne saurait mal user des
premiers, c'est-à-dire de la vertu, parce que
le propre effet de la vertu est de nous faire
bien user des choses dont nous pourrions
abuser; mais on peut mal user des seconds
et des derniers. Le libre arbitre est du nom-
bre des biens médiocres , quoiqu'on puisse
s'en servir pour faire le mal; et c'est ce que
prouve saint Augustin pour répondre à la
troisième question. La raison principale qu'il
en donne , est la même qu'il avait déjà don-
née plus haut, savoir, que rien ne peut se
faire de bien que par le même libre arbitre
de la volonté , et que c'est surtout pour le
bien que Dieu nous l'a donné. Lorsque cette
volonté s'attache au souverain bien, l'homme
peut s'assurer qu'il possède la béatitude, mais
quand il s'en éloigne , pour s'attacher aux
biens extérieurs et terrestres , elle y trouve
son malheur et pèche. Ce n'est donc ni la
volonté en eUe-môme,ni les objets auxquels
elle s'attache qui sont des maux , c'est l'é-
loignement de Dieu et l'attachement aux
choses créées qui font tout le mal et tout le
péché. Or, cet éloignement de Dieu et cet
attachement aux choses créées ne viennent
pas de Dieu même , ils ont leur cause dans
la volonté.
Analyse 4. Mais d'où vient le mouvement par le-
nl'e "iwi'ë; cjuel la volonté s'éloigne de Dieu et s'attache
v-'s- 'i09- ;^ la créature ? C'est ce que saint Augustin
exphque dans le troisième livre. Si ce mou-
vement était naturel, U serait nécessaire, et
l'homme, en le suivant, ne pécherait pas,
parce qu'où la nature et la nécessité domi-
nent, il n'y a point de péché. Puis donc que
ce mouvement est coupable, il n'est pas na-
turel. U est coupable, puisqu'il déplaît. Il est
volontaire, puisque notre âme ne peut deve-
nir esclave de la cupidité que par sa propre
volonté , étant injuste qu'elle soit contrainte
au vice par un être supérieur ou par son égal,
n'y ayant point d'être d'une nature inférieure
à la sienne qui ait du pouvoir sur elle. Mais
comment accorder la liberté de l'homme avec
la prescience de Dieu? Car c'est, ce semble,
une suite nécessaire que je sois pécheur, si
Dieu a prévu mon péché. Saint Augustin
fait sentir la fausseté de ce raisonnement par
celui-ci : « Si Dieu a prévu que vous serez
heureux, vous le serez donc nécessairement
et malgré vous ; votre volonté n'aura aucune
part à votre béatitude. » Ensuite il pose ce
principe certain, que rien n'est plus en notre
pouvoir que notre vouloir, d'où il tire cette
conséquence : Comme la prescience de Dieu
touchant notre béatitude ne nous ôte pas la
volonté d'être heureux, la volonté que nous
avons de pécher n'en est pas moins volonté,
parce que Dieu a préATi notre péché ; sa pres-
cience n'ôte pas le vouloir, elle le suppose.
La prescience de Dieu ne nous imposant au-
cune nécessité de pécher, c'est aA^ec justice
qu'il punit en nous des actions dont il n'est
pas auteur. Mais ne doit-on pas imputer au
Créateur les fautes de lacréatare? «Non, ré-
pond saint Augustin, nous ne lui devons que
des actions de gTâces pour nous avoir créés
dans l'état même où nous sommes, c'est-à-
dire sujets au péché et à la misère. » On dira,
peut-être, que les hommes seraient bien plus
parfaits s'ils eussent été tout d'un coup créés
dans l'état où sont les anges et les bienheu-
reux, qui ne peuvent être séparés de l'amour
de Dieu. « Mais, dit saint Augustin, s'ensuit-
il que Dieu ait été obligé de nous créer plus
parfaits que nous ne sommes , parce que
nous concevons un état plus parfait que le
nôtre? ou plutôt, ne devons-nous pas croire
qu'il a eu ses raisons pour ne nous pas créer
plus parfaits? Ne nous plaignons donc point:
Dieu , en nous créant , ne nous a pas obligé
de pécher, mais il nous a laissé le pouvoir
de faire ce que nous voudrions. Il y a deux
différentes sortes de perfections. Si c'est le
souverain bonheur d'une créature de jouir,
espérer de recouvrer la béatitude que l'on a
perdue par le péché, est un avantage beau-
coup au-dessus de celui d'une créature qui
serait dans une nécessité éternelle de pécher.
Ce dernier état est le plus misérable de tous,
et toutefois, on ne peut accuser Dieu d'injus-
tice pour avoir donné l'être à des créatures
qu'il connaissait devoir être éternellement
malhem'euses. Dieu n'est point la cause du
péché de l'homme, et soit que l'homme pè-
che de son plein gré , ou à l'instigation du
démon, son péché est toujours volontaire. Il
flV" ET V° SIÈCLES.]
est vrai que Dieu a fait des créatures qui de-
vaient persévérer dans la vertu et dans la
justice, et qu'il en a fait d'autres qui devaient
pécher; mais il n'a pas créé ces dernières afin
qu'elles péchassent effectivement; son des-
sein n'a été que de les faire servir à la per-
fection de l'miivers , soit qu'elles voulussent
pécher ou ne pas pécher. Nous ne pouvons
donc faire retomber nos péchés sur Dieu :
ils n'ont point d'autre cause que notre vo-
lonté même , qui se porte librement et avec
connaissance à faire le mal. Car, si nous ne
pouvions résister au péché, si nous ne pou-
vions le connaître ni l'éviter, nous ne péche-
rions pas. Nous péchons néanmoins; nous
pouvons donc éviter le péché. Pourquoi
donc, demande saint Augustin, Dieu punit-il
les péchés d'ignorance ? Que veulent dire ces
paroles de l'Apôtre : Je ne fais pas le bien que
je veux, mais le mal que je ne veux pas? Tontes
ces choses , répond-il , arrivent à des hom-
mes, qui, en naissant, sont enveloppés dans
une condamnation de mort. Si elles étaient
de la nature de l'homme et non pas sa peine,
ce ne seraient pas des péchés. Toute peine,
si elle est juste, est la peine d'un péché et
s'appelle mi supplice ; si la peine est injuste
et qu'on ne doute pas que ce n'en soit une ,
il faut qu'elle soit imposée à l'homme par
quelque injuste domination. Or, comme il y
aurait de la folie à douter de la justice de
Dieu, celte peine est donc juste, et n'est
imposée que pour quelque péché. L'on ne
doit pas s'étonner que l'ignorance empêche
l'homme d'avoir une volonté libre de faire
le bien , ni qae , par la résistance habituelle
de la chair , il voie ce qu'il faudrait faire et
qu'il le veuille sans le pouvoir accomplir.
Car il est de l'ordre dans la punition du pé-
ché que l'homme soit privé d'un bien dont
il n'a pas voulu faire bon usage, l'ayant pu
si aisément, s'il eût voulu, c'est-à-dire que
celui qui n'a pas fait le bien en le connais-
sant soit privé de la connaissance de ce qui
est bien , et que celui qui n'a pas voulu le
faire quand il l'a pu n'en ait pas le pouvoir
quand il le veut. Ce sont là les deux châti-
ments de l'âme qui a péché, l'ignorance et
la difficulté. De l'ignorance vient l'erreur,
qui nous dégrade et nous déshonore ; de la
difficulté vient le tourment, qui nous afflige.
Car, abandonner la vérité pour le mensonge,
dans le temps même qu'on cherche la vérité,
et malgré les tourments et les doulem's que
fait sentir la dureté des liens de la chair; ne
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE. 53
pouvoir résister à ses passions, cela n'est
point de la première institution de l'homme,
mais de la peine à laquelle il a été con-
damné. »
5. Saint Augustin se propose ensuite la Suite <ie
plus forte objection des manichéens contre iroisitme
le péché originel et celle que faisaient tous 23l' ''''°'
ceux qui avaient coutume de rejeter sur
d'autres la faute de leurs péchés. Si Adam
et Eve ont péché, qu'avons-nous fait, misé-
rables que nous sommes , pour naître dans
les ténèbres et dans la douleur, en sorte,
qu'encore que nous voulions nous soumettre
aux préceptes, nous ne le pouvons, arrêtés
par la résistance inévitable de la concupis-
cence? Peut-être, répond ce Père, auraient-
ils raison de se plaindre, s'il n'y avait aucun
homme qui triomphât de l'erreur et de la
convoitise; mais comme Dieu, par l'entre-
mise de ses créatures, rappelle à lui en mille
manières différentes ceux qui s'en sont éloi-
gnés, qu'il enseigne celui qui croit, qu'il
console celui qui espère, qu'il anime celui
qui aime, qii'il aide celui qui fait effort, qu'il
exauce celui qui prie ; on ne vous impute pas
comme une faute, ni d'être dans l'ignorance
malgré vous , mais de négliger de connaître
ce que vous ignorez ; ni de ne pouvoir faire
agir des membres infirmes et malades, mais
de mépriser celui qui veut vous guérir. Il
n'est défendu à aucun homme de savoir
qu'il y a de l'utihté à chercher à connaître
ce qu'on ignore sans aucune utilité , et qu'il
faut humblement confesser sa faiblesse, afin
qu'en la confessant et en cherchant , on soit
secom'u de celui qui ne se trompe , ni ne se
fatigue pas quand il nous aime. Au reste,
quand il arrive que quelqu'un fait mal par
ignorance , ou que , voulant faire le bien , il
ne le peut, cela s'appelle péché, parce que
cela tire son origine du péché du premier
homme , dont la volonté était parfaitement
libre : car c'est ce premier péché qui a mé-
rité d'être suivi de tous ces autres péchés.
Une difficulté non moins considérable était
de savoir pourquoi une âme innocente de-
vient sujette au péché par son union avec le
corps. Pour la résoudre, saint Augustin rap-
porte quatre opinions différentes que l'on
avait alors sur l'origine des âmes. La pre-
mière est qu'elles sont formées par celles des
parents ; la seconde , que Dieu en crée de
nouvelles à la naissance de chaque corps;
la troisième, que les âmes étant déjà créées.
Dieu ne fait que les envoyer dans les corps ;
54
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
la quatrième , qu'elles y descendent d'elles-
mêmes. Il ne veut point décider laquelle est
la meilleure, disant qu'elle n'a pas encore
été éclaiixie, comme elle l'aurait dû être,
par aucun écrivain catholique , ou du moins
qu'il n'a encore vu les écrits d'aucun sur ce
sujet. Mais il soutient que , quelque opinion
que l'on embrasse sur l'origine de l'âme, on
peut montrer qu'il n'était pas contre la jus-
tice, que les pénalités, c'est-à-dire l'igno-
rance, la diliiculté de faire le bien et la mor-
talité passassent du premier homme à ses
descendants. Il se fonde sm' la justice qu'il
y avait de la part de Dieu à punir l'homtoe
dès sa naissance, afin que dans la suite il lui
fit sentir les effets de sa miséricorde , en le
délivrant de ses péchés; sur l'équité qu'il y
avait qu'Adam n'engendrât pas des enfants
meilleurs que lui-même, et sur ce que le
Créateur aidant l'homme à se racheter du
supphce, en se convertissant à Dieu, fit voir
avec quelle facihté le premier homme pou-
vait conserver l'innocence dans laquelle il
avait été créé, puisque ses descendants effa-
cent même la tache du péché dans lequel
ils sont nés. Il ajoute que l'âme, en quelque
état qu'on la considère, soit avant, soit depuis
son péché, a toujours des motifs de rendre
grâces à son Créateur, parce qu'elle a une
origine beaucoup meilleure que le corps le
plus parfait et que ces qualités sont plus ex-
cellentes. « Ce n'est pas peu , dit-il , avant
tout mérite d'aucune bonne œuvre, d'avoir
reçu un discei-nement naturel par lequel elle
préfère la sagesse à l'erreur et le repos à la
peine pour y parvenir, sinon dès sa nais-
sance , du moins par ses désirs et par ses
efforts. Que, si l'homme n'en veut rien faire,
c'est avec l'aison qu'on le traitera en crimi-
nel pour n'avoir pas fait un bon usage du
don qu'il avait reçu. Car, quoiqu'il soit né
assujetti à l'ignorance et au travail , il n'est
pas néanmoins pressé ' par quelque néces-
sité de demeurer dans l'état où il est né.
Suiic (le 6. Il restait une autre question à résoudre
fi'ôîsiùmc" touchant les enfants qui meurent aussitôt
hue, pag. après Icur naissance. Quelle place auront-ils
au jour du jugement? Ils ne peuvent être
placés parmi les justes, puisqu'ils n'ont rien
fait de bien, ni parmi les méchants, puisqu'ils
n'ont point fait de mal. Saint Augustin ré-
pond qu'on ne peut pas dire que les enfants
qui meurent aussitôt après lem- naissance ont
été créés inutilement , puisque dans l'ordre
de la Providence une feuiUe d'arbre n'a pas
même été créée sans raison, mais que c'est
inutilement que l'on se propose des questions
touchant les mérites de ceux qui n'ont rien
mérité, puisque n'y ayant point de miheu
entre une bonne action et une mauvaise, il
ne se peut non plus que le juge n'ordonne
ou la récompense ou le supplice. Il dit en-
suite à l'égard des enfants qui ont reçu le
baptême, quoique sans connaissance, qu'on
croit assez pieusement et avec assez d'é-
quité " que la foi de ceux qui présentent
l'enfant pour être baptisé lui est utile. Ce
qu'il prouve par l'exemple de la veuve, qui
par sa foi, mérita la résurrection de son fils.
Quant aux peines que les enfants souffrent
sans les avoir méritées par aucun péché,
dont leur âge n'est pas capable. Dieu a ses
desseins en cela. Le premier homme, quoique
créé sage ou capable de sagesse, a pu néan-
moins être séduit ; ayant péché volontaire-
ment, c'est avec justice que Dieu l'a puni de
son péché ; c'est le démon qui l'a fait tomber
en lui inspirant l'orgueil pour lequel il avait
été condamné lui-même, et c'est pour cela
que la peine dont Dieu l'a châtié, ne va point
aie faire mourir, mais à le corriger.
§IX.
Des deux livres de la Genèse contre les
manichéens.
l. Saint Augustin ' met les deux livres sur , i^^c
la Genèse contre les manichéens , entre ceux ^"'' '•' ce
tliiSC VCF'
qu'il fit étant en Afrique avant sa prêtrise. Il l'an 339.
semble dire '' que ce furent les premiers
écrits qu'il fit ouvertement contre ces héré-
tiques : ce qu'il faut sans doute entendre de
leur théologie , car au commencement du
premier de ces livres, il dit qu'il en avait
déjà écrit d'autres contre les manichéens, et a
nous verrons dans la suite, qu'il composa à
Rome celui qui a pour titre : Des Mœurs des
manichéens. Quelques personnes '' instruites
' Quamquam enim in ignoranlia et difficultate
nata sit, non lame:i ad permanendum in eo quod
nata est, atiqua necessitate comprimitur. Au-
gust., lib. III De Lib. arb-, cap. xx, nuni. B6.
2 (Jua in re saLispie recieque credUur prodesse
parvido eorum /Idem a quibus consecrandus
offertur. Ibid., cap. xxin, num. 67.
5 August., lib., 1 Retract., cap. x.
* Ibtd.
' August., lib. l De Gènes., cap. i, pag. 646.
que
[IV" ET V= SIÈCLES.]
dans les belles-lettres, mais véritablement
chrétiennes, ayant lu ces premiers ouvrages,
remarquèrent qu'ils ne pouvaient être en-
tendus qu'avec peine de ceux qui n'avaient
que peu de science. Elles avertirent donc
saint Augustin par l'affection qu'elles avaient
pour lui, que s'il voulait retirer les plus
grossiers de l'erreur des manichéens, il ne
devait point écrire d'une manière relevée
que les ignorants n'entendaient pas, mais
demeurer dans le style simple et ordinaire,
qui est intelligible aux savants et à ceux qui
ne le sont pas. Profitant de cet avis \ il en-
treprit de montrer la vanité et la faiblesse
des manichéens, non par un discours orné et
élégant, mais par des preuves claires et
évidentes. Cassiodore ^ qui avait lu ces deux
livres, dit que saint Augustin explique le
texte de la Genèse avec tant de soin qu'il n'y
laisse presque rien d'obscur. « Ainsi, ajoute-
t-il , ces hérétiques nous ont procuré un
grand bien sans le vouloir, puisque la néces-
sité de réfuter leurs erreurs, a engagé saint
Augustin, pour les vaincre, à nous donner
d'excellentes instnictions. »
2. Dans le premier livre, ce Père explique
le commencement de la Genèse, jusqu'au
verset où il est dit que Dieu se reposa le
septième jour. Il suit dans cette explication
le sens allégorique, n'osant pas ' encore s'at-
tacher au sens propre et naturel; ce qu'il
eût cependant beaucoup mieux aimé. Mais
il déclare en même temps *, que les sens al-
légoriques qu'il donne n'étaient point du
tout pour préjudicier à une meilleure expli-
cation, s'il plaisait à Dieu d'en découvrir une
soit par son ministère, soit par d'autres. « Car
si quelqu'un, ajoute-t-il, peut donner aux
paroles de la Genèse un sens littéral qui soit
conforme à ce que la foi catholique nous en-
seigne, non-seulement il ne faut pas s'oppo-
ser à lui par un mouvement d'envie, mais on
doit même le louer et l'honorer comme un
excellent interprète. » En effet, il entreprit
lui-même depuis une explication littérale du
livre de la Genèse ^, quoiqu'il fasse profes-
sion, en l'expliquant contre les manichéens,
de suivre le sens allégorique, il ne laisse pas
de temps en temps d'en donner le littéral. IJ
remarque sur l'ouvrage du sixième jour que
les manichéens se plaignaient de ce que
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE. 53
Dieu avait fait tant d'animaux, ou très-inuti-
les, ou souvent incommodes et pernicieux
aux hommes. Ceux qui parlaient de la sorte,
dit-il, ne considéraient pas que toutes les
créatures ont leur beauté et leur utilité dans
l'art et l'intelligence du Créateur qui sait
pourquoi il les a faites, et le rang qu'elles
tiennent dans la distribution de toutes les
parties du monde, afin qu'elles conspirent
chacune, selon le degré d'être qu'il leur a
donné, à la beauté et à la perfection de l'u-
nivers. Il donne diverses explications au re-
pos du septième jour, et dit entre autre que
ce repos de Dieu, après avoir fait tout ses
ouvrages qui étaient très-bons, ne signifie
autre chose que le repos qu'il doit un jour
nous donner après toutes nos œuATes, si
elles sont bonnes.
3. Le second livre commence par l'expli-
cation du
Ce que
contient le
verset quatrième du chapitre ^"'•"'' '';
deuxième de la Genèse, et finit par celle du oa»!
vingt-quatrième verset du chapitre suivant,
où il est dit que Dieu chassa Adam du para-
dis, et qu'il mit devant ce jardin de délices
un chérubin qui faisait étinceler une épée de
feu pour défendi-e l'approche de l'arbre de
vie. Il y a deux endroits remarquables dans
ce livre. Le premier est celui où saint Au-
gustin ^ dit que tous les hérétiques trompent
le monde en leur promettant la science et
en condamnant la simplicité de la foi ; mais
qu'il n'y en a point qui fassent l'un et^l'autre,
ni plus souvent, avec plus d'ostentation que
les manichéens; ainsi ils sont, dit-il, claire-
ment marqués par le serpent qui perdit Eve
en lui persuadant de manger du fruit de la
science, dans l'espérance que ses yeux se-
raient ouverts et qu'elle serait comme Dieu
qui sait tout. « Cette promesse, ajoute-t-il,
leur convient encore parfaitement, puisqu'ils
ont la témérité de prétendre que leur âme
est de la même nature que Dieu. « Le se-
cond est la solution que saint Augustin
donne aux objections des manichéens tou-
chant le péché du premier homme. Pour-
quoi, disaient ces hérétiques, Dieu a-t-il créé
le premier homme , puisqu'il savait qu'il
devait tomber dans le péché ? Pourquoi Dieu
a-t-il permis au démon de tenter la femme '
et de la surprendre ; ou pourquoi même
créait-il la femme, puisqu'il prévoyait qu'elle
' Ibid. — ' Cassiod., Inst., cap. i. — s Lib. 1 Be-
tract., cap. xvni. — * August., lib. Il De Gènes,
cont. manieh , cap. ir, num. 3.
^Uh.ïRetract., cap. svui. —«Lib. U De Gènes,
cont. manieh., cap. 25, num. 8.—' Lib. Il De Gènes,
cont. manieh., cap. 28, num. 42.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
56
devait se laisser séduire et qu'elle entraîne-
rait avec elle dans la même faute le premier
homme, qui sans elle n'aurait pas été séduit
et n'aurait point péché s'il eût été seul ? Saint
Augustin répond à la première objection,
que Dieu a créé le premier homme parce que,
comme il prévoyait sa chute et les maux qui
la devaient suivre , il prévoyait aussi les
grands biens qu'il en devait tirer et qu'il
gouvernerait cette multitude d'hommes nés
pécheurs d'un père pécheur, par une sagesse
si profonde et si incompréhensible, que sans
avoir la moindre part à la malice et au dé-
règlement de leur cœm' , il ferait éclater la
sévérité de la justice dans les uns et les ri-
chesses de sa grâce et de sa miséricorde
dans les autres. Il résout la seconde en di-
sant que la femme s'est tentée et trompée
elle-même. Dieu l'ayant créée si pure et si
forte qu'elle n'avait rien dans elle qui la put
porter le moins du monde à s'écarter de ce
qu'elle devait à Dieu et qu'elle pouvait, au
contraire, si elle eût voidu, surmonter le dé-
mon avec beaucoup de facilité. Sur la troi-
sième, il dit que Dieu a créé la femme parce
qu'elle est elle-même un bien et un si grand
bien, que saint Paid l'appelle la gloire de
l'homme. Il ajoute que si elle eût été aussi
dépendante d'Adam qu'elle devait être, elle
se fut bien gardée de se rendre aux pro-
messes trompeuses du démon avant d'avoir
consrdté celui qui lui tenait lieu de chef et
de conducteur; et que se conservant dans
les avantages que Dieu lui avait donnés en
la créant, elle ne fut point devenue la source
du maUieur d'Adam et de la ruine générale
de toute sa race. « Pourquoi, ajoutaient les
manichéens, Dieu a-t-il créé le démon puis-
qu'il savait que cet esprit de malice devait,
non-seulement se révolter contre lui, mais
encore engager toute la nature humaine
dans son péché? Saint Augustin répond que
rien ne devait empêcher la création du pre-
mier ange , puisque Dieu l'a créé dans une
beauté et une sainteté parfaites ; s'il est de-
venu démon , ça été par son orgueil et par
une malice toute volontaire. Si l'on s'étonne,
ajoute ce Père , de ce que Dieu lui a permis
de tenter Adam et Eve, pourquoi ne consi-
dérera-t-on pas qu'il lui a permis de tenter
sahit Pierre, de tenter saint Paul, et qu'il lui
permet généralement de tenter tous les fi-
dèles? Cependant Dieu use avec une si ad-
' Lib. I Retract., cap x
mirable sagesse et une puissance si invinci-
ble de tous les effoiis que fait le démon pour
perdre les hommes, qu'il s'en sert comme
d'un moyen le plus propre pour fortifier les
faibles, pour perfectionner les forts, et pour
augmenter la gloire et multiplier les cou-
ronnes des plus grands saints.
Saint Augustin fait à la fin du second livi-e
ime antithèse des erreurs des manichéens
touchant la Divinité, avec la doctrine de l'É-
glise. Comme ces hérétiques, par un blas-
phème inouï, attribuaient à Dieu toutes les
misères de la nature humaine, il leur répond
au nom des catholiques : « Il n'y a dans la
misère d'autre nature que celle que Dieu a
faite de rien ; elle n'y a pas même été con-
trainte, mais eUe s'y est engagée volontaire-
ment par le péché ; poiu- effacer ses péchés,
eUe est obhgée d'en faire pénitence ; elle en
obtient le pardon, si elle les quitte pour se
convertir à Dieu; si elle est changée, c'est
par sa volonté ; aucun péché ne nuit à au-
cune natm'e, sinon ceux qui lui sont propres ;
toutes les natures sont bonnes, ce qui n'em-
pêche point qu'il n'y ait entre elles différents
degrés de bonté, comme il en a été ordonné
parle Créateur, qui fait tous les biens volon-
tairement, et n'est jamais nécessité à souffrir
le mal.
4. Ce que dit ici saint AugTistin, qu'il n'y a
point de péché qui nuise à aucune nature, as deux i
smon ceux qui lui sont propres, pouvait seiTir
d'argument aux pélagiens contre l'existence
du péché originel. Mais ce saint Docteur '
s'est expliqué lui-même siu' cet endroit dans |
ses Rétractations, où il dit que la nature
humaine ayant péché dans le premier hom-
me , on pouvait dire que les enfants mê-
mes ont péché en lui , puisqu'ils appartien-
nent à la nature humaine. Il dit encore que
les pélagiens ne pouvaient se prévaloir de
ce qu'il avait dit dans le chapitre troisième
du premier livre, que tous les hommes peu-
vent, s'ils le veident, accomplir les comman-
dements de Dieu : n Car, dit-il, rien n'est
plus A'rai , que tous les hommes le peuvent
s'ils le veulent ; mais c'est Dieu qui prépare
la volonté. »
§X.
Des deux livres des Mœurs de l'Église
catholique et des manichéens.
1. Il n'y avait pas longtemps que saint Au- ,. cc^ (tni
gustin avait recule baptême, lorsqu'il écrivit m émi
les doux livres des Mœurs de l'Eglise ca-
ques
[IV« ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
3S8 et pu- tholique, et des mœurs des manichéens. Il dit
70.''' "' lui-même ', qu'il était encore à Rome lors-
qu'il les composa, et on sait qu'il y demeura
quelque temps après son baptême avant de
passer en Afrique. Il les écrivit donc sur la
fin de l'an 387 ou au commencement de 388.
C'est de ces livres dont il parle dans le pre-
mier de la Genèse ^ contre les manichéens.
Mais il faut qu'il les ait revus depuis son re-
tour en Afrique en 389 , puisque dans celui
qui a pour titre : Des Mœurs de l'Église catho-
lique, il fait mention de son explication sur
la Genèse contre les manichéens ', qu'il ne
fit que vei's ce temps-là. Le but des deux li-
vres intitulés : Des Mœurs des chrétiens et des
manichéens, est de faire voir combien la fausse
vertu dont ces derniers se glorifiaient était
éloignée de la vertu des vrais disciples de
Jésus-Clu:ist. Il y oppose donc les mœurs des
vrais fidèles à celles des manichéens. Ces
hérétiques usaient de deux artifices pom'
tromper les simples : l'un, en vomissant des
injures contre la loi, c'est-à-dire contre l'An-
cien Testament; l'autre, en faisant profes-
sion d'une vie pure. Saint Augustin déclare
que son dessein est seulement de faire voir
qu'ils ne possédaient pas la véritable vertu ,
et qu'elle ne se trouve que dans l'Église ca-
tholique.
Analyse 2. Daus le premier livre, il pose nom- un
liviv, \y.\'i. pnncipe avoue de tout le monde, qu il n y a
"^^ ■ personne qui ne désire d'être heureux; ce
qui lui donne occasion d'examiner en quoi
le bonheur de l'homme consiste. Selon saint
Augustin ce bonheur n'est que dans la pos-
session du souverain bien, et ce souverain
bien doit, pour nous rendre heureux, avoir
deux qualités : l'une, qu'il n'y ait point d'au-
tre bien au-dessus de lui, autrement il ne se-
rait pas le souverain bien; l'autre, qu'il soit
tel qu'il ne puisse nous être ravi contre notre
gré. Comme ces deux qualités ne se trouvent
qu'en Dieu, ce Père prouve, par divers pas-
sages de l'Évangile et des Épîtres de saint
Paul que les manichéens recevaient, que lui
seul est notre souverain bien et la fin à la-
quelle nous devons rapporter toutes nos
pensées et tous nos desseins. Viennent aussi
quelques endroits de l'Ancien Testament,
semblables à ceux du Nouveau, et qui font
voir aux manichéens la conformité des deux
Testaments. Les manichéens, abusant de
quelques passages du Vieirs Testament pris
' August., lib. I Relract., cap. vu. — ' Lib. I De
Gènes, cont. manich., cap. i, num. 1.
57
à la lettre, attribuaient aux catholiques des
erreurs grossières touchant la nature de cet
Être suprême. Le saint Docteur y fait une
digression sur la nature de Dieu. «L'Église,
dit-il, enseigne que c'est une folie de s'ima-
giner que Dieu est renfermé dans un lieu ou
par quelque espèce de quantité ; et eUe fait
un crime de croire qu'il se meuve et passe
d'un lieu à un autre. Elle condamne aussi
comme une extravagance , de penser que
Dieu puisse souffrir quelque altération et
quelque changement dans sa nature et dans
sa substance , en quelque manière que ce
puisse être. Si donc il se trouve parmi nous
quelques enfants qui se représentent Dieu
sous une figure humaine, il se trouve aussi
beaucoup de vieillards qui regardent sa ma-
jesté , non-seulement comme élevée au-des-
sus des corps, mais encore comme régnante
dans un état incorruptible et immuable. »
Mais en quoi consiste le désir de la fé-
licité? à chercher Dieu, pour le posséder.
(( Or, nous le cherchons, continue saint Au-
gustin, en l'aimant, et nous le possédons,
non en devenant ce qu'il est, mais en nous
unissant à lui d'une manière admirable. »
U revient aux deux qualités du souverain
bien, et conclut du précepte qui nous com-
mande de l'aimer plus que toute chose, qu'il
n'y a rien au-dessus de lui. L'endroit de
VÉintre aux Romains , où saint Paul dit que
ni la mort ni la vie, ni quelque créature que
ce soit, ne pourront jamais le séparer de
l'amour de Dieu, montre que nous ne pou-
vons le perdre malgré nous. « Quel autre,
ajoute ce Père, peut être le souverain bien
de l'homme, sinon celui dans l'union duquel
il trouve sa béatitude? et quel est celui-là,
sinon Dieu, auquel nous ne saurions être
unis que par la charité et par l'amour, c'est-
à-dire par la vertu, qui n'est autre chose
qu'un souverain amour de Dieu ? n
Saint Augustin traite des vertus, de la
tempérance, de la force, de la justice, de la
prudence, et rapporte les passages de l'An-
cien et du Nouveau Testament qui regardent
ces vertus. Elles sont des expressions de l'a-
mour que nous avons pour Dieu ; la tempé-
rance est un amour qui se conserve pur et
incorruptible pour Dieu ; la force est un
amour cjui soutïre tout pour Dieu; la justice
est un amour qui ne sert que Dieu et qui, en
conséquence, commande le bien à toutes les
s Lib. I Be Morib. Eccles,, cap. i, num. 1.
S8
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Suiie de
l'analyse du
premier li-
vre , cap.
xxvviii, p.
708.
créatures qui lui sont soumises ; la prudence
est un amour qui distingue entre ce qui est
utile pour conduire à Dieu, et ce qui peut
l'empêcher. L'amour même du prochain
n'est bon qu'autant qu'il se rapporte à Dieu.
Puis, s'adressant aux manichéens, saint Au-
gustin leur déclare que l'Église catholique ne
leur découvrira pas l'excellence et la profon-
deur de ses mystères, tant qu'ils les combat-
tront avec opiniâtreté, et qu'ils aboieront
contre elle comme des chiens. Il les exhorte
à chercher dans les Écritures, tant ancien-
nes que nouvelles, la règle qu'ils doivent
suivre dans leurs mœurs, les assurant qu'ils
y trouveront que l'on doit rapporter toutes
choses à Dieu. Il les conjure aussi d'écouter
les hommes savants de l'Eglise catholique :
et afin de ne leur rien laisser ignorer des
principes de la morale chi-étienne, illem- fait
une peinture des vertus qui se pratiquaient
dans l'Eglise.
3. Viennent d'abord les insti'uctions géné-
rales que l'Eglise donnait à tous ses enfants:
(( Elle leur ordonne dit-il, de servir Dieu d'un
cœur pur, et d'aimer le prochain d'un amour
si bien réglé, que l'on se soulage mutuelle-
ment dans tous les besoins. Elle enseigiie
et exerce les enfants avec indulgence, en
s'accoromodant à lem- faiblesse ; les hommes
parfaits, avec une fermeté pleine de vigueur,
et les vieillards avec une gravité pleine de
sagesse. EUe soumettes femmes à leurs ma-
ris, en les obligeant de leur rendi-e les de-
voirs d'une chaste et fidèle obéissance. EUe
établit la domination des maris sur lem^s
femmes, non pour traiter le sexe le plus fai-
ble avec mépris, mais pour le dominer selon
les lois d'une pure et sincère affection. Elle
assujettit les enfants à leurs pères par une
servitude volontaire, et donne aux pères un
empire de douceur et de bienveillance sur
leurs enfants. EUe unit les frères ensemble
par le lien de la rehgion, qui est beaucoup
plus fort que celui du sang. EUe lie d'ruie
amitié réciproque ceiix qui sont joints par
la parenté ou par l'aUiance, conservant ainsi
l'union de la nature et des volontés. EUe en-
seigne aux serviteurs à s'attacher plus à
leurs maîtres par la nécessité de leur condi-
tion, que par le plaisir de les servir. EUe
oblige les maîtres à traiter doucement lem-s
serviteurs, en considération de leur maître
commun qui est Dieu, et fait qu'ils sont plus
portés à les instruire qu'à les châtier. EUe
joint les citoyens avec les citoyens, les peu-
ples avec les peuples, et généralement les
hommes avec les hommes, non-seulement
par une société mutueUe, mais par une es-
pèce de fraternité en mémoire du premier
père dont ils sont tous descendus. EUe ex-
horte les rois à bien gouverner leurs peuples,
et les peuples à obéir à leurs rois. EUe en-
seigne avec soin quels sont ceux que l'on
doit honorer, aimer, respecter, craindre,
consoler, instruire, exhorter, reprendi-e, cor-
riger, punir ; apprenant aux hommes, et que
l'on ne doit pas toutes choses à tous, et que
l'on doit la charité à tous, et que Tonne doit
l'injustice à personne. On sait dans l'Eglise
que c'est un plus grand crime de pécher
lorscpi'on connaît la loi, que lorsqu'on l'i-
gnore. Chez eUe, il y a des personnes hos-
pitalières, charitables, miséricordieuses, sa-
vantes, chastes, saintes, et en grand nombre.
Il y en a même dont la vertu est montée
jusqu'à un tel point, qu'au jugement de quel-
qnes-ims, eUe a besoin d'être retenue et
comme réduite dans les bornes de la nature
humaine. Il y en a d'autres qui après avoir
méprisé les plaisirs du monde, vivent en
commim d'une manière toute chaste et toute
sainte, employant le temps à prier, à lire et
à conférer ensemble ; qui vivent dans une
parfaite concorde, occupés de la contempla-
tion des grandem's divines, et d'actions de
grâces pour tous les bienfaits qu'ils ont reçus
de Dieu. Nul d'entre eux ne possède rien en
propre, nul n'est à charge à personne. Ils oc-
cupent leurs mains à des travaux suflîsants
pour la nourriture de lem-s corps, sans dé-
tom-ner l'esprit de penser à Dieu. Ils don-
nent lem-s ouvrages à ceux qu'Us nomment
doyens, parce qu'Us en gouvei-nent dix, et ce
sont ces doyens qui prennent soin de leur
nourriture et de leurs vêtements, corome de
toutes leurs autres nécessités corporeUes,
soit durant la santé, soit en maladie. C'est à
eux à ordonner les choses dont la faiblesse
de la nature a besoin, rendant néanmoins
compte de tout à celui qu'ils appeUent Père,
qui est ordinairement un homme saint et
très-habUe en la science divine. »
Saint Augustin décrit la manière de vivre
de ces solitaires, ce qui se passe dans leurs
assemblées et de queUe manière Us sont
nourris, remarquant qu'ils ne souffrent ja-
mais qu'il demeure rien chez eux qui ne
leur soit absolument nécessaire. Il parle en-
suite des femmes qui menaient une vie toute
semblable, servant Dieu avec autant de zèle
i
[IV" ET V° SIÈCLES.]
que de cliasteté; vivant séparées et éloi-
g-nées des hommes autant que la bienséance
l'exige, et se nourrissant du travail de leurs
mains. Il passe delà aux exemples de piété
que plusieurs évéques, prêtres et autres ec-
clésiastiques donnaient de son temps, et qu'il
connaissait particulièrement. Leur vertu lui
semble d'autant plus admirable et plus di-
gne d'éloge, qu'il est plus difficile de la con-
server parmi le commerce des hommes et
dans le trouble de la vie commune. « Car, dit-
il, ils ne gouvernent pas tant des personnes
guéries que des malades qu'il faut guérir. Il
faut qu'ils tolèrent le mal avant de le chas-
ser, ce qui fait qu'il ne leur est pas aisé de
demeurer fermes dans une vie sainte. » Il re-
lève aussi la vertu de quelques chrétiens qui
menaient dans les viUes une vie religieuse
sous la conduite d'un prêtre, vivant du tra-
vail de leurs mains. «Lorsque j'étais, dit-il,
à Milan, j'ai vu une maison de saints qui
étaient en assez grand nombre, et qui avaient
pour supérieur un prêtre très-savant et très-
vertueux. J'en ai vu aussi beaucoup à Rome
dont les supéi'ieurs possédaient avec émi-
nence la gravité, la sagesse et la science di-
vine. Ils ne sont à charge à personne, mais
ils vivent du travail de lem-s mains, selon la
coutume de l'Orient et l'exemple de saint
Paul. Quelques-uns d'entre eux font d'ordi-
naire de si longs jeûnes qu'ils peuvent passer
pour incroyables, ne se contentant pas de
ne manger qu'une fois le jour, et seulement
à l'entrée de la nuit, ce qui est très-ordinaire
partout, mais passant fort souvent trois jours
entiers, et même quatre, sans prendre au-
cune nourriture, ni aucun breuvage. Ils sont
imités dans ce genre de vie par des commu-
nautés de veuves et de vierges, qui vivent de
la laine qu'elles filent et de la toile qu'elles
font. EUes sont gouvernées par celle d'entre
elles qui est la plus sage et la plus éprouvée,
en qui on connaît mie suffisance nécessaire
pour régler les mœurs et pour instruire les
esprits. Parmi tous ces exercices de piété, on
ne force personne à des austérités qu'il ne
peut porter, on n'ordonne rien à personne
qu'il refuse d'accomplir, et on n'est pas mé-
prisé des autres pour ne pas les imiter, quand
on reconnaît que l'on n'en a pas la force; c'est
la charité qui règle tout parmi eux ; et leur
soin ne va pas à rejeter certaines viandes
comme mauvaises, mais à dompter la concu-
piscence et à conserver l'amour entre tous
les frères. Ceux qui ne mangent point de
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
59
chair et ne boivent point de vin, ne croient
pas pour cela que ni l'un ni l'autre soient
impurs, et ils s'accordent étant malades ce
qu'ils se sont refusé en santé. »
4. « Ne m'objectez pas, dit saint Augus- ],jfn"',j!;e^u
tin aux manichéens, les vices de ceux qui premier li-
" vre.
font profession ouverte de la foi chrétienne,
et qui, ou ne savent pas les obhgations de
cette foi, ou n'y satisfont pas. N'alléguez
point les erreurs et les dérèglements d'une
multitude ignorante qui, dans la vraie reli-
gion même, ne laisse pas d'être superstitieu-
se, ou qui s'est tellement plongée dansles
voluptés et les débauches qu'elle ne se sou-
vient plus de tout ce qu'elle a promis à Dieu,
n y en a beaucoup, je le sais, qui adorent
des tombeaux et des peintures, qui boivent
sur les morts jusqu'à l'intempérance, croyant
que ces actions honteuses sont des actes de
religion; il y en a encore beaucoup qui ont
renoncé de parole au inonde, et qui souhai-
tent néanmoins qu'on les charge des soins
et des ajffaires du monde. On ne doit pas s'é-
tonner que, dans une si grande multitude de
peuples, vous trouviez assez de personnes dont
vous puissiez blâmer la vie, et que, par ces in-
vectives, vous trompiez les simples et les dé-
tourniez d'embrasser la religion catholique,
où ils pourraient faire leur salut, puisque,
dans votre petit nombre, lorsqu'on vous de-
mande un homme qui garde seulement les
préceptes de votre secte, vous ne pouvez pas
en trouver parmi ceux mêmes que vous ap-
pelez élus. » Saint Augustin, en blâmant ici le
culte que quelques personnes ignorantes et
qui se ressentaient encore des superstitions
païennes rendaient aux tombeaux et aux pein-
tures, ne condamne point les peintures, ni la
vénération que l'Eglise a pour les reliques
des saints, et nous verrons ailleurs qu'il fait
mention des peintures où Jésus-Christ était
représenté avec saint Pierre et saint Paul,
et qu'il témoigne que Dieu avait approuvé
le culte des reliques par un grand nombre
de miracles. « On doit considérer l'Eglise,
ajoute-t-il, non par les mauvais chrétiens,
mais par les bons qui y sont en grand nom-
bre. » Il montre aux manichéens qu'en pré-
tendant que les baptisés ne pouvaient se
marier ni posséder aucun revenu, ils ensei-
gnaient une doctrine contraire à celle de
l'Apôtre qui permet l'un et l'autre. « Avec
quel front, leur dit-il encore, osez-vous de-
mander que les plus faibles d'entre les ca-
tholiques soient dans un état parfait, pour
60
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
en prendre sujet de porter les simples à
quitter l'Eglise, puisque ceux que vous en
avez tirés jusqu'ici n'ont point ce degré de
perfection? » Il finit ce livre en disant qu'il
allait en commencer un autre, où il décou-
vrirait aux yeux de tout le monde les
précoptes qpie les manichéens prenaient
pour règle de leur vie, et leur pureté tant
vantée.
AnMyse S. Daus le socond livre, qui est intitulé :
n'vrc^'^F.g.' ^^^ Mœurs des manichéens, saint Augustin
■"5. combat d'abord leur erreur principale tou-
chant la nature et l'origine du mal, qu'ils di-
saient être une substance réelle, et avoir un
principe différent de' l'auteur du bien. Se-
lon ce Père, le mal n'est pas une substance,
mais un simple défaut , ou une privation des
choses essentielles à la nature d'un être dont
Dieu, qui est si bon de sa natui-e, ne peut
être auteur. La distinction que les mani-
chéens faisaient de deux principes indépen-
dants l'un de l'autre ne pouvait se soutenir :
car si le bon principe, qu'ils appelaient Dieu
et auteur du bien, est immuable de sa na-
ture, comme il doit l'être, s'il est le souve-
rain bien, à qui le mauvais principe nuira-t-
il? Ensuite, saint Augustin examine ce qu'ils
appelaient les trois sceaux de la bouche, de
la main et du sein, qui comprenaient toutes
leurs abstinences. Ils se vantaient d'avoir un
sceau sur la bouche, parce qu'ils s'abste-
naient du vin, des viandes, du lait et du
poisson, les regardant comme impurs; d'en
avoir un sur la main, parce qu'ils faisaient
scrupule d'arracher des herbes et de cueillir
des fruits ou des feuilles ; d'en avoir un sur
le sein, parce qu'ils faisaient profession d'une
entière chasteté. Il leur demande si l'homme
ne pèche donc que par ces trois endroits ;
s'il ne pèche pas par la vue, par l'ouïe et par
d'autres parties de son corps. Puis, déve-
loppant leurs blasphèmes, leurs impuretés
et les autres crimes dont ils étaient convain-
cus, il leur prouve que leur bouche, leurs
mains et leur sein n'étaient pas moins cor-
rompus cjue les autres parties de leurs corps.
Ules défie même de montrer un seul de leurs
élus qui observât les règles de leur secte, et
déclare que, pendant neuf ans qu'il avait été
leur auditeur, il n'en avait pas connu un
seul qui ne fût ou convaincu ou soupçomié
de crimes. En combattant les superstitions
des manichéens qui, tout en s'abstenant du
vin et de la chair, comme aliments mauvais
en eux-mêmes, se livraient avec excès à
toutes sortes d'autres viandes et de boissons
par manière de rehgion, il établit pour prin-
cipe que l'abstinence des viandes et autres
aliments tire son prix et son mérite du mo-
tif pour lequel on s'en abstient. Ce qui n'em-
pêche pas qu'il ne témoigne de l'estime pour
toutes les abstinences qui se pratiquaient
dans l'Éghse, ne doutant point qu'elles n'eus-
sent un saint motif.
§X.
Du livre de la Vraie Religion et de la Règle de
saint Augustin.
1. Le livre de la Vraie Religion ^ est mis, cc livrc
par saint Augustin, au nombre de ceux qu'il ^^,!;"' ^"^^
composa n'étant pas encore prêtre. D. l'écrivit soo.
donc avant 391, auquel il fut honoré de cette
dignité, et apparemment vers l'an 390. Quel-
ques années auparavant, écrivant contre les
Académiciens ', il avait promis à Romanien,
son concitoyen et son bienfaiteur, de com-
poser un ouvrage sur cette matière ; et, dans
la lettre qu'il lui écrivit en 390, il lui mar-
quait ' qu'il l'avait achevé, et qu'il le lui en-
verrait le plus tôt qu'il pourrait. Il renvoya *,
en 415, Evodius à ce livre, pour juger que
la vei'tu ne peut pas démontrer que Dieu
doit être nécessairement, à cause de la
différence qu'il y a entre être, comme Dieu
est, et devoir être. Il paraît aussi que le
livre de la Vraie Religion était un des cinq
qu'Alypius envoya à saint Paulin, et qui
étaient écrits contre les manichéens. Du
moins l'éloge qu'en fait saint Paulin con-
vient-il à ce livre autant qu'à tout autre écrit
de saint Augustin. Car, quoique celui-ci ne
fût entré que depuis peu de temps dans la
connaissance des mystères de la religion
chrétienne, et qu'il n'eût point encore d'au-
tre qualité dans l'ÉgUse que celle de simple
fidèle, il y parle néanmoins d'une manière
si noble et si élevée de ces mystères, et il y
détruit avec tant de solidité les erreurs des
manichéens qu'on am-ait pu, dès lors, le re-
garder comme un docteur accompli et comme
un évêque plein de zèle et de courage. « 0
vrai sel de la terre, dit de lui saint Paulin,
qui pénétrez divinement nos cœurs, et les
1 August., lib. I Retract., cap. xiii. — - Idem,
lib. II Cont. Acad., cap. ni, uura. 2.
' Aiigust., Epist. lo ad Roman.—'' Epist. 162 ad
Ecod., Bum. 2,
Analyse
[iv' ET V" SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN
rendez incorruptibles au milieu de la conta-
gion du siècle ! 0 lampe si dignement élevée
sur le chandelier de l'Église ' ! Vous répan-
dez la lumière des sept dons du Saint-Esprit
sur toutes les villes catholiques ; vous dissi-
pez heureusement les épaisses ténèbres de
l'hérésie et vous écartez par vos savants dis-
com"s ces noires vapeurs qui obscurcissent
l'éclat de la vérité. » Saint Augustin y adresse
quelquefois la parole à tous les hommes,
mais ordinairement il y parle à Romanien.
Il dit, dans le chapitre quatorzième, que le
péché est si nécessairement volontaire, qu'une
action ne serait pas péché, si elle n'était volon-
taire; maxime qui, comme il le remarque ^
dans ses Rétractations , pourrait paraître
fausse, mais qui est néanmoins véritable, si
on l'examine bien, et si l'on entend par pé-
ché ce qui l'est en effet, et non pas ce qui
n'est que la peine du péché. Pour donner à
cette maxime plus de précision, il ajoute que
les péchés qui se font par ignorance ou par
cupidité sont, en quelque façon, volontaires,
puisqu'ils ne peuvent être commis en tout
sans la volonté; celui en effet qui pèche,
même par ignorance, fait volontairement
une action qui n'est point à faire, mais qu'il
croit permise. « Le péché originel est, dit-il
encore, volontaire, parce que c'est la volonté
du premier homme qui l'a rendu volontaire ^
à tous ses descendants. » Saint Augustin
veut que l'on ne prenne point, à la rigueur,
ce qu'il dit dans le chapitre 25 : Qu'il n'y
avait plus de miracles de son temps, de peur
que les hommes ne s'attachassent toujours aux
choses sensibles, reconnaissant qu'il se faisait
encore alors des miracles dans l'Eglise *, et
qu'il en avait vu lui-même à Milan.
2. Le premier principe que saint Augustin
établit dans cet ouvrage est, que la religion
qui nous apprend à n'adorer qu'un Dieu est
la seule chose qui puisse nous conduire à la
vérité, à la vertu et à la félicité; d'où il in-
fère que ceux-là ont été visiblement dans
l'erreur , qui ont mieux aimé adorer plu-
sieurs dieux qu'un seul. Il remarque que les
philosophes païens qui pensaient différem-
ment du peuple sur la Divinité, ne laissaient
pas de lui être unis dans le culte extérieur
, ÉVÊQUE D'HIPPONE. 61
qu'ils rendaient en commun aux dieux. Il
rapporte ce que Socrate a pensé des fausses
divinités, et dit que Platon n'eût pas fait dil-
ficulté de reconnaître et de suivre la religion
chrétienne s'il eût vécu depuis son établis-
sement, voyant que les maximes les plus éle-
vées de sa philosophie, touchant la Divinité
et la nécessité de purifier son âme, qu'il dé-
sespérait pouvoir persuader aux païens, était
non-seulement prêchée par toute la terre,
mais encore suivie par une infinité de chré-
tiens. Il cite à ce sujet l'exemple des martyrs
qui ont souffert les feux et les tortures, et
celui de plusieurs milliers de jeunes hommes
et de jeunes vierges qui, pleins d'éloigne-
ment pour le mariage, ont passé leur vie
dans la chasteté. Il dit que les philosophes
ne peuvent s'empêcher de reconnaître que
c'est Dieu qui opère toutes ces merveilles et
croire à lui sans s'arrêter aux opinions de
leurs prédécesseurs, qu'ils croiraient eux-
mêmes, s'ils revenaient au monde et qu'ils
vissent les églises remplies, tandis que les
temples sont déserts. «Du moins, ajoute-t-il,
ne ucit-on pas chercher la vraie religion chez
des philosophes, qui approuvent par leurs
actions un culte qu'ils condamnent dans
leurs discours. On ne doit pas non plus la
chercher dans la confusion du paganisme,
ni dans l'impureté de l'hérésie, ni dans la
langueur du schisme, ni dans l'aveuglement
du judaïsme; elle ne se trouve que dans
l'Église catholique, qui est répandue généra-
lement par toute la terre et qui fait servir l'é-
garement des autres à son propre bien. Elle
se sert des païens comme de la matière dont
elle fait ses ouvrages ; des hérétiques, comme
d'une preuve de la pureté de sa doctrine ;
des schismatiques, comme d'une marque de
sa fermeté, et des juifs, pour relever son
éclat et sa beauté. Elle invite les païens, elle
chasse les hérétiques , elle abandonne les
schismatiques, elle passe et s'élève au-des-
sus des juifs ; leur ouvrant néarunoins à tous
l'entrée des mystères et la porte de la grâce,
soit en formant la foi des premiers, ou en
réformant l'erreur des seconds, ou en remet-
tant les autres en son sein, ou en admettant
les derniers à la société de ses enfants. »
1 Paul., Epist. it ad Àugust. — « Lib. I Retract.,
cap. XIII.
^ Le texte des Bénédictina porte : Via ex prima
(peut-être primi) hominis mala voluntate con-
tractum factmn est quoclam modo hcereditarium.
Dans l'édition de Louvain on lit à la marge ob vo-
luntarium.T). Ceillier a réuni les deux idées dans
la traduction. Mais, il a omis les mots quodam modo
qui pourtant ne sont pas inutiles. [L'éditeur.)
* Lib. I Retract., cap. xiii.
62
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Suite. 3. Pour les chrétiens charnels , c'est-à-
dire pour ceux qui vivent ou qui pensent
d'une manière charnelle, l'Eghse les souffre
poiir un temps; comme la paille qui met à
couvert le froment dans l'aire, eUe souffre
ceux qui sont dans le péché ou dans l'erreur
jusqu'à ce qu'ils se soient accusés, ou qu'ils
défendent lem-s fausses opinions avec une
animosité opiniâtre. Quant à ceux qui ont été
retranchés de l'Eglise, ou ils y retournent
par la pénitence, ou emportés par leur mal-
heureuse liberté , ils s'abandonnent au vice,
ou ils font schisme, ou ils forment quelque
hérésie. Telle est la fin des chrétiens char-
nels que l'Eglise n'a pu ni corriger, ni souf-
frir dans leurs désordres. La providence de
Dieu permet même souvent que des hommes
vertueixx; soient chassés de la communion
de l'Eglise par des troubles et des tumul-
tes que des personnes charnelles excitent
contre eux; mais après qu'ils ont souffert
avec une patience extraordinaire cette igno-
minie pour conserver la paix de l'Eglise
sans faire aucun schisme contre elle et sans
foi-mer aiicune nouvelle hérésie , ils sont
couronnés en secret par le Père qui les
voit dans le secret. « Ces exemples parais-
, sent rares, dit saint Augustin ; mais il y en a
néanmoins et plus qu'on ne saurait croire;
Dieu en usant ainsi pour l'instruction des
chrétiens de toute sorte d'état. »
Suite. 4. Après avoir montré que l'on doit reje-
ter toutes les fausses religions dont il vient de
parler, il conclut qu'il faut s'en tenir à la re-
ligion chrétienne et à la communion de cette
Eghse qui est cathohque, et qui est appelée
catholique, non-seulement par les siens, mais
aussi par tous ses ennemis qui, parlant de
l'Eghse catholique soit entre eux, soit avec
les étrangers, ne l'appellent pas autrement
que catholique. Le premier fondement de
cette religion est l'histoii'e et la prophétie
qui nous découvrent la conduite de la di-
vine Providence dans le cours des temps
pour la réparation et la réformation du genre
humain et pour lui procui'er la vie éternelle.
Le second, ce sont les préceptes divins qui
doivent régler notre vie et purifier notre es-
prit, afin de le i-endre capable des choses
spirituelles, c'est-à-dire capable de connaître
qu'il n'y a qu'un Dieu en trois personnes :
le Père, le Fils et le Saint-Esprit qui ont,
sans aucun partage, créé le monde et tout
ce qu'il contient , l'incarnation et tous les
mystères qui en sont une suite. « L'Eglise,
ajoute saint Augustin, tire même quelque uti-
lité des hérétiques, non qu'ils la servent en
enseignant la vérité qu'ils ignorent, mais en
donnant sujet aux cathohcfues qui sont char-
nels de la rechercher et aux spirituels de la
découvrir. » Viennent ensuite les erreurs des
manichéens , touchant les deux principes
qu'ils admettaient et touchant les deux âmes
qu'ils disaient être dans chaque corps, dont
l'ime avait Dieu pour auteur, l'autre le prince
des ténèbres ; mais le saint Docteur ne s'ar-
rête que peu ou point à les réfuter, l'ayant
déjà fait, et promettant de le faire encore
en une autre occasion. Il fait voir que la
vraie religion ne peut être ni réparée , ni
soutenue qpie de Dieu, et que s'il ne demeu-
rait toujours immuable dans son être, il n'y
am"ait aucune des natures muables qui pût
subsister dans le sien. Il exphque de quelle
manière l'âme devient, poui- ainsi dire, ter-
restre et charnelle en aimant le corps, et
comment elle sort de cet état malheureux
en s'élevant à Dieu et en surmontant avec
la grâce de Dieu les désirs déréglés; et com-
ment l'âme établie en Dieu et jouissant de
lui dans le ciel, animera le corps après la ré-
surrection. Elle n'aura point cette vertu par
elle-même, mais par la vérité immuable qui
est le Fils de Dieu, par qui toutes choses
subsistent. La chute des anges dont il traite
ensuite, a eu, selon lui, pour cause leur or-
gueil; ils ont voulu être plus qu'ils n'étaient,
et, s'aimant plus qu'ils n'aimaient Dieu, ils
n'ont pas voulu lui être soumis. Le pé-
ché doit être volontaire, comme le prouve
le consentement unanime de tous les doc-
teurs et même de ceux qui ne le sont pas;
et, d'ailleurs, si nous ne faisons pas le mal
volontairement, les exhortations et les ré-
primandes deviennent inutiles , et consé-
quemment toutes les lois de la religion chré-
tienne. La mort, la faiblesse du corps et la
douleur sont des peines du péché ; mais elles
ne sont pas inutiles, parce que les peines
doivent nous guérir et nous instraire par
leur amertume , comme les biens iufériem'S
nous ont trompés par leur douceur.
5. n reprend ensuite la matière de l'incar- suiie.
nation qu'il avait entamée plus haut. « La
bonté de Dieu envers les hommes, dit-il, n'a
jamais tant éclaté que dans ce mystère ; le
Fils unique de Dieu consubstantiel et coéter-
nel au Père, a bien voulu se faire chair pour
sauver l'homme entier, aj-ant même voulu
naître d'une femme, afin qu'aucun des deux
TV° ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
63
sexes ne se crût méprisé de son créateur ;
il n'a point employé la violence pour attirer
les hommes à lui, mais la persuasion ; il s'est
montré Dieu par des miracles et homme
par ses souffrances ; il nous a appris par son
exemple à aimer la pauvreté et les oppro-
bres en se privant volontairement de toutes
les choses dont le désir nous empêchait de
bien vivre et en souffrant toutes celles dont
l'aversion nous détournait de l'amour et de
la recherche de la vérité. Car on ne saurait
piécher qu'en deux manières, ou en souhai-
tant ce que Jésus-Christ a méprisé, ou en
fuyant ce qu'il a souffert. Sa vie a été une
instruction continuelle pour le règlement de
nos mœurs, et en ressuscitant d'entre les
morts, il nous a appris que rien ne périt
de la nature humaine, et que nous devons
espérer d'être un jour délivrés de toutes
sortes de peines. » Saint Augustin donne cette
règle pour l'intelligence de l'Écriture : « Ce
qui est obscur dans ce qui regarde les mys-
tères se règle et s'explique par ce qu'il y
a de clair. » La raison de cette obscurité,
c'est que s'il n'y avait rien dans l'Écriture
que de clair et de facile à entendre, on
n'aurait pas tant d'ardeur à y chercher la
vérité, ni tant de plaisir à l'y trouver. La
différence entre les deux Testaments est cel-
le-ci : Sous la loi, le peuple juif était lié par
la crainte et chargé d'un grand nombre de
cérémonies, et que maintenant, dans la loi
nouvelle, la piété commence par la crainte
et s'achève par l'amour. Le Fils de Dieu,
en se faisant homme, nous a délivrés de la
servitude de la loi, a aboli les ordonnances
légales et n'a établi que peu de sacrements,
mais très-salutaires pour entretenir la so-
ciété du peuple chrétien. Si les chrétiens
n'ont pas les mêmes sacrements qu'avaient
les Juifs, il ne s'ensuit pas que les deux Tes-
taments ne soient pas d'un même Dieu. Un
père de famille très-équitable ne donne-t-il
pas des ordres plus sévères à des domesti-
ques qui ont besoin d'être traités plus dure-
ment, qu'à d'autres qu'il veut bien adopter
pour ses enfants? Si l'on objecte que les pré-
ceptes de la loi ancienne sont moins consi-
dérables que ceux de la loi nouvelle, qu'ainsi
ils ne peuvent être d'un même législateur,
on peut répondre : Dieu en a agi comme un
médecin qui soulage les plus faibles par ses
ministres et les plus forts par lui-même.
6. Saint Augustin prouve que toutes les
choses créées sont boimes en elles-mêmes ,
mais qu'elles ne sont pas le souverain bien,
parce qu'elles sont sujettes au changement
et aux vicissitudes. Pour lui, le premier vice
de l'âme raisonnable est dans la volonté de
faire ce qui lui est défendu par la vérité sou-
veraine et intérieure, et elle pèche en se dé-
tournant du bien éternel pour s'attacher au
bien temporel , et en quittant le bien spiri-
tuel pour le corporel. D'où cette conclusion :
Les créatures sont des biens que l'âme rai-
sonnable ne peut aimer sans péché , parce
qu'elles sont d'un ordi-e qui est au-dessous
d'elle. Ce que le saint Docteur n'entend que
de ceux qui aiment les créatures à l'exclu-
sion de Dieu ou d'un amour déréglé. « Les
créatures mêmes, ajoute-t-il, qui sont aimées
par ime âme qui néglige de servir Dieu, en
deviennent le supplice , et l'engagent dans
plusieurs misères en la repaissant de plai-
sirs trompeurs ; parce qu'elles ne demeurent
jamais au même état, elles ne la satisfont
pas pleinement, au contraire, elles l'affligent
en la tourmentant sans cesse. Il n'en est pas
de même du juste , rien ne lui déplaît dans
l'administration de l'univers. »
Saint Augustin traite ensuite de la na-
tm^e du mal qu'il dit consister dans l'atta-
che vicieuse de la volonté aux créatures
corporelles. Il distingue deux voies qui con-
duisent au salut,' l'autorité et la raison , en
remarquant qu'elles s'accordent ensemble :
car , en suivant , dit-il , l'autorité , on ne
laisse pas de sui\Te la raison , lorsqu'on
considère à qui l'on doit croire. L'autorité
réside dans les Livres saints et dans le témoi-
gnage de ceux qui ont cru à l'Évangile par la
vue des miracles dont Dieu s'est servi pour
l'étabhr dans toute la terre. La raison avertit
l'homme de se détacher des créatures pour
ne s'attacher qu'à Dieu, mais elle ne l'en
avertit qu'aidée eUe-même des lumières de la
suprême vérité qui est Dieu. L'attachement
aux biens du ciel guérit l'homme de la triple
convoitise dont parle saint Jean. « Celui, dit-
il, qui se nom-rit intérieurement de la parole
de Dieu, ne cherche point de plaisir dans le
désert de cette vie; celui qui n'est soumis
qu'à Dieu seul , ne cherche point de sujets
de vanité dans les grandeurs de la terre ; et
celui qui se tient attaché à la contemplation
éternelle de la vérité immuable, ne se préci-
pite point par ses yeux dans la connaissance
trop curieuse des choses basses et temporel-
les. » Vient ensuite le détail de cette triple
convoitise , et l'on voit que les vices mêmes
64
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
auxquels elles nous portent doivent, par leur
laideur, nous engager à embrasser la vertu,
sui c. 7. Ici se présentent divers préceptes très-
utiles, tant poui' nous apprendre ce qui doit
être l'objet de noti-e amour que pour la ma-
nière de l'aimer. En général, celui qui s'est
rendu victorieux de ses vices, ne peut être
vaincu par aucun homme , car il ne le peut
être que lorsque son ennemi lui ravit ce qu'il
aime ; si donc il n'aime que ce qui ne peut
lui être ravi, c'est-à-dire s'il aime Dieu de
tout son cœur et le prochain comme soi-même,
il est invincible. Une autre règle générale de
l'amour que nous devons au prochain, est de
lui souhaiter tous les biens que nous nous
souhaitons à nous-mêmes, et de ne vouloir
pas qu'il lui arrivât ce que nous ne voudrions
pas qu'il nous arrivât. Mais il n'est pas per-
mis d'aimer son prochain autrement que soi-
même ; ainsi, celui-là pèche qui n'aime dans
son prochain que quelque chose de corporel,
parce qu'aloi^s il n'aime pas l'homme en la
manière qu'il doit être aimé. On ne doit point
non plus s'aimer comme les frères charnels,
les personnes mariées, les pai-ents, les conci-
toyens s'aiment les uns les autres, parce que
cette espèce d'amour est purement temporel.
Saint Augustin donne des règles pour l'in-
telligence des divines Écritures, dont il re-
commande la lecture à l'exclusion des poètes
et des pièces de théâtre. « Nourrissons, dit-
il, par l'étude des Écritures divines, notre
esprit qui est lassé par la faim et tom-menté
par la soif d'une curiosité inutile, dans la-
quelle il tâche en vain de se contenter et de
se rassasier par des fantômes trompeurs,
comme par des viandes qui ne sont qu'en
peintm-e. » Il finit en exhortant tous les hom-
mes à embrasser la véritable religion, à n'ai-
mer ni le monde ni ce qui est dans le monde,
puisque tout s'y réduit à la concupiscence de
la chair, à la concupiscence des yeiix et à
l'orgueil de la vie ; à n'aimer point les spec-
tacles des théâtres , de peur que s'éloignant
de la vérité et n'en aimant que les ombres,
on ne soit précipité dans les ténèbres; à ne
rendi'c aucun culte aux ouvrages faits de la
■ main des hommes ; à n'adorer aucun homme
mort , eût-il bien vécu , puisqu'on n'adore
pas même les anges et qu'on ne leur bâtit
» Lib. I 'Retract., cap. vi. — ^ Le cardinal Mai a
puilié dans le tom. I Bibl. Nov. Patr. II part., pag.
165-181, une grammaire latine de saint Augustin d'a-
près deux manuscrits estimables du ix<! ou x= siècle
adressés à Pierre de Milan. Elle est différente de celle
dont parle ici l'auteur il y a plusieurs choses uou-
point de temples, mettant la religion à adorer
un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit.
8. On convient que la Bègle aux serviteurs r.fgic de
de Dieu que l'on a mise à la fin du premier guMin.ilsl
volume des œuvres de saint Aug-ustin est de ''^^•
lui , mais qu'il l'avait composée pour des
filles et non pour des hommes. En effet, elle
se trouve dans la lettre 211 qui est adressée
à des religieuses qui vivaient en commun
dans un même monastère. Mais il y a long-
temps qu'on l'a appropriée à des hommes,
comme on le voit dans la liègle de Tarnate
dont elle fait partie, comme aussi de celle
de saint Césaire : dans un manuscrit de Cor-
bie de plus de mille ans, on la trouve déjà
appropriée à des rehgieux. Ceux qui en ont
pris le soin ne l'ont pas même faite avec
exactitude , puisqu'ils y ont laissé la distinc-
tion entre le prêtre et le supérieur, et la su-
bordination de celui-ci à celui-là , ce qui est
bon dans un monastère de filles et non dans
un monastère d'hommes. Nous détaillerons
cette règle dans l'analyse des lettres de saint
Augustin.
§XL
De quelques ouvrages faussement attribués
à saint Augustin.
1. Saint Augustin fait mention dans son i-ivrc iii
premier livre des Rétractations , d'un livTe ' maire.
de la Grammaire et de quelques traités sur p-ig",'; '
la dialectique, la rhétorique, la géométrie,
l'arithmétique et la philosophie, et dit qu'il
les avait composés en forme de dialogue et
qu'il se servait de ces sciences pour élever
l'homme vers son Créateur. Il n'y a rien de
tout cela dans le livre de la Grammaire : il
n'est ni en forme de dialogue , ni propre à
élever l'esprit de l'homme vers son Créateur.
Ce qui a pu donner lieu de l'attribuer à saint
Augustin, c'est qu'il commence par les mê-
mes mots qu'avait employés saint Augustin
en commençant le sien : mais comme ils ne
se trouvent point dans les anciens exem-
plaii-es, il n'y a point de doute que ces mots
n'aient été ajoutés par l'imposteur, qui a
voulu faire passer son ouvrage sous le nom
respectable de ce Père. ^
velles et utiles à noter sur la grammaire et les lexi-
cographes; elle est écrite d'un très-bon style. On y
remarque le mot punique délias qui signifie carex
et qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Ou sait que
le saint Docteur emploie souvent dans ses ouvrages
des mots euipruntésàlalanguepunique. {L'édilcur.)
[IV" ET V' SIÈCLES.^
SAINT AUGUSÏLN, EYEQUE D'HIPPONE.
65
Livres des
i\ Ca lègu-
es, pag.
Les Prin-
pes (le
létorique
35.
Liires 2. Le liwe qui a pour titre : Principes de
■s AeliA- dialectique, n'est pas non plus écrit en forme
ciii|»e, p. (jg (JialogTie , et on n'y voit rien du but que
saint Augustin s'était proposé en écrivant
sur cette matière.
3. Il faut dire la même chose de l'écrit in-
titulé : Les dix Catégories; d'aiUeurs, saint
Augustin ne dit nulle part qu'il ait écrit sur
ce sujet. On peut ajouter que l'auteiu de
cet écrit fait un grand cas de la philosophie
d'Aristote, et qu'il dit avoir eu bien de la
peine d'entendre son livre des Catégories
avec le secours de Thémistius; saint Augus-
tin , au contraire , ne les estimait pas beau-
coup, comme on le voit par son cinquième
livre * contre Julien , et il les avait comprises
aisément et sans maître, ainsi qu'il le dit dans
le quatrième livre ^ de ses Confessions. Le
nom d'Adéodat que l'on a mis dans les im-
primés, ne se lit point dans les manuscrits.
4. L'écrit intitulé : Principes de rhétoi'ique,
est en forme de discours ordinaire ; ainsi ,
ce ne peut être celui de saint Augustin, qui
était en forme de dialogue. L'auteur y met
aussi en grec tous les termes dont il donne
des définitions, méthode que ce Père ne suit
pas ordinairement dans ses écrits.
3. La Règle aux Clercs est adressée aux
moines dans le code des Règles d'Holsté-
nius; elle leur convient, en effet, puisqu'il y
est dit qp'ils résidaient dans des monastères.
Personne ne doute aujourd'hui qu'elle ne soit
supposée. On juge de même de celle qui est
intitulée : Seconde Règle, qui, dans un ancien
manuscrit de Corbie, sert d'introduction à la
Règle de saiut Augustin, que nous avons dit
avoir été appropriée aux hommes. Il y a dans
cette Seconde Règle diverses choses qui pa-
raissent tirées de la Règle de saint Benoît.
6. La même Règle est citée deux fois de
suite en termes exprès dans le livre qui a
pour titre : De la Vie érémitique. Il ne peut
donc être de saint Augustin. Holsténius en
fait auteur le bienheureux Jîlvède , abbé de
Revesby, en Angleterre, cpii vivait vers
le milieu du xii'^ siècle. Ce livre se trouve, en
effet, dans le catalogue des œuvres de cet
abbé, rapporté dans la seconde centurie des
écrivains d'Angleterre, au nombre de qua-
tre-vingt-dix-neuf, sous ce titre : De l'Institu-
tion des recluses. Il y en a une partie et envi-
ron le tiers parmi les œuvres de saint Ansel-
me, savoir, les méditations xv", xvi'^ et xvii°.
Règles
IX Clercs.
Livre de
Vie éré-
■iiique, p.
ARTICLE m.
SECOND TOJtE DES ŒUVRES DE SAINT AUGUSTIN.
Le second tome contient les lettres de saint
Augustin, disposées suivant l'ordi-e chrono-
logique, et divisées en quatre classes. La
première comtient celles que saint Augustin
écrivit avant son épiscopat, c'est-à-dire de-
puis l'an 386 jusqu'en 395, en quoi les édi-
teurs se sont conformés à la méthode que
ce saint a suivie lui-même dans la distri- .
bution de ses ouvrages, ayant revu de suite,
dans le premier livre de ses Rétractations,
tous ceux qu'il avait composés aA'ant d'être
évêque. La seconde comprend celles qui fu-
rent écrites depuis l'an 396, jusqu'au temps
de la conférence de Carthage et de la dé-
couverte de l'hérésie pélagienne en Afrique,
c'est-à-dire jusqu'en l'an 410; la troisième,
celles qu'il a écrites depuis l'an 411, jusqu'à
sa mort, qui arriva en l'an 430; la quatrième,
celles dont l'époque n'est pas certaine, quoi-
que l'on sache qu'elles n'ont été écrites cpie
depuis son épiscopat. Il y en a en tout deux
cent soixante-dix, àuxqueUes on en a, depuis
l'édition de Paris, en 1688, ajouté deux qui
ont été trouvées dans les bibliothèques d'Al-
lemagne et imprimées en 1734 à Paris. On a
trouvé parmi ces lettres quelques traités qui
s'y trouvaient déjà dans les anciennes édi-
tions, quoique saint Augustin les appelle Li-
vres dans ses Rétractations. De ce nombre est
le livre De la Vision de Dieu, que l'on compte
poiu' la lettre 147 à Paulin.
§1-
Des Lettres de la première classe.
l . La lettre à Hermogénien fut écrite quel- '• i-eifc
que temps après les trois livres contre les nicn , en
Académiciens, c'est-à-dire sui- la fin de l'an ^^o, pag.i.
386, ou au commencement de 387. Saint
Augustin explique à Hermogénien dans quel
dessein il avait écrit ces trois livres; savoir,
pour montrer que l'homme est capable de
connaîti'e quelque chose avec certitude. Il
ne se flatte pas néanmoins d'avoir vaincu
ces philosophes, comme Hermogénien l'en
avait assuré ; mais il se sait bon gré de s'être
mis au-dessus du désespoir de trouver la
vérité qui est, dit-il, la nourriture de l'esprit,
et d'avoir par là rompu cette chaîne impor-
Lib. I Retract.
IX.
cap xiVi
Ibid., cap. XVI.
66
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
tune qui l'empêchait de s'appliquer à la vraie
philosophie.
II. i..'iire 2. Il écrivit vers le même temps à Zéno-
eifsso.'pag." bius, pour lui témoigner le déplaisir que lui
^' causaient son absence et l'impatience où il
était de le revoir, pour résoudre ensemble
une question qu'ils avaient commencé d'exa-
miner. Ce Zénobius était, ce semble, le môme
à qui il adressa ses livres de l'Ordre. Il dit
au chapitre vu du second livre , qu'il s'était
souvent entretenu avec Zénobius sui' cette
question importante : si tous les maux et tous
les biens sont compris dans l'ordi^e de la
Providence. Comme il n'avait pu décider la
question, vu que Zénobius avait été obhgé
de quitter pour des affaires pressantes, c'est
pour cela qu'il lui témoigne un grand désir de
le revoir, afin de fixer ensemble ce qu'ils de-
vaient penser sur ce sujet. On voit dans cette
lettre comment saint Augustin était à l'égard
de ses amis. « Comme j'ai, dit-il, de la peine
à me voir éloigné de mes amis, je suis bien
aise aussi qu'ils en aient à se voir éloignés
de moi : mais je prends garde, autant qu'il
m'est possible, à ne rien aimer que ce qui
ne me saurait être enlevé malgré moi. »
,„ ,ç|. 3. L'année suivante 387, saint Augustin
ire il ^(!bri- étant eucore à Cassiaque écrivit à Nébridius,
tliiis, en , ^ , . . T
ii.1- l'un de ses amis. C était un jeune homme
d'auprès de Carthage, qui l'était venu cher-
cher jusqu'à Milan : ayant lu ses livres contre
les Académiciens, et celui qui est intitulé :
De la Vie bienheureuse, il en fut si charmé,
qu'en lui écrivant, il l'avait appelé heureux
d'avoir tant de savoir et de connaissances.
Ce Saint, dans sa réponse, lui dit qu'on ne
peut l'estimer heureux, puisqu'il ignorait
tant de choses, entre lesqpielles il met ceUes-
ci : « Pourquoi le monde est-il de la gran-
deur dont il est? Ne pourrait-il pas être plus
ou moins grand? Pourquoi est-il où il est,
plutôt qu'ailleurs? » Il convient que la ma-
tière est divisible à l'infini, en sorte qu'on ne
peut pas dire de quelque corps que ce soit,
qu'il est le plus petit qu'il puisse être; mais
qu'il n'en est pas ainsi des nombres , que
l'on peut bien augmenter à l'infini, mais non
pas diminuer à proportion, parce qu'il n'y a
rien au-dessous de l'unité. C'est encore à
Cassiaque qu'il écrivit la lettre suivante à
Nébridius. Celui-ci l'avait prié de lui rendre
compte de son progrès dans la contemplation
des choses éternelles pendant sa retraite.
Sur quoi saint Augustin lui dit que, comme
les fausses opinions s'enracinent d'autant
plus dans l'esprit qu'on s'en occupe davan-
tage et qu'on se les rend plus familières, la
même chose arrive, et à plus forte raison,
en matière de vérités : «mais, ajoute-t-il, cela
se fait par un progrès presque insensible. »
Il lui propose ce raisonnement, en le priant
de voir s'il avait quelque chose à y opposer :
« L'intelhgence est au-dessus de cette faculté
grossière qui aperçoit les choses sensibles ;
et par conséquent ce que nous connaissons
par l'intelligence, a plus d'être et de vérité
que ce que nous voyons. »
4. On voit, par la lettre précédente, que I'it'"» s
Nebridius et saint Augustin s écrivaient tre- briiiius 6
quemment, mais la plupart de lem's lettres gu's'iln,vu"rs
sont perdues. Il ne nous en reste que trois ^'*' ^"s- ">■
de Nébridius, dont la première est plutôt ma
billet qu'une lettre. Il y plaint saint Augustin
de ce que les affaires des particuhers consu-
maient son loisir et le détournaient de la .
contemplation de la vérité. «Quoi! lui dit-
il, ni Romanien, ni Lucinien ne sauraient-
ils faire entendre à ces gens-là ce que vous
aimez avec tant d'ardem'? Qu'ils m'écoutent
au moins. -Je leui- dirai, je leiu- protesterai
que vous n'aimez que Dieu, que vous ne vou-
lez servir que lui, ni vous attacher qu'à lui. »
Cette lettre fut écrite sur la fin de l'an 388.
Dans la seconde, qui est du commencement
de l'année suivante, il témoigne à saint Au-
gustin qu'il gardait ses lettres comme ses
propres yeux : « car il n'y a rien, dit-il, de
plus grand, non par l'étendue, mais par les
choses qui y sont. Il me semble que j'y en-
tends parler et Platon, et Plotin, et Jésus-
Christ même. J'y trouve une éloquence qui
charme l'oreille, mie brièveté qui fait qu'elles
ne lassent point, un fond de lumière et de
sagesse où l'on trouve toujours de quoi pro-
fiter. » Il le prie de lui éclaircir ces deux
questions : la première, si la mémoire peat
agir sans l'imagination; la seconde, si ce
n'est pas des sens, mais d'elle-même cpie
l'imagination tire les images des choses.
5. Saint Augustin répondit la même an- Sciniè-
née aux deux questions de Nébridius. Il dit, iNùbiiiiius ,
sur la première, que l'on se souvient de cer- àsu' pat'.' s!
taines choses qui ne peuvent être présentées
par aucune image sensible, et il cite pour
exemple l'idée de l'éternité; d'où il conclut
qu'il y a une mémoire qui ne dépend en
aucune manière de l'imagination. Il résout
ainsi la seconde : il y a trois sortes d'images
ou de fantômes dans notre imagination; les
uues ont été transmises par les sens, les au-
llV" ET V'' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
67
très sont formées par rimagination , et d'au-
tres sont nées de la considération de quel-
ques vérités spéculatives. Les images du
premier genre sont celles qui représentent
tout ce que nous avons yu et senti autrefois,
soit qu'il subsiste encore ou qu'il ne subsiste
plus : un ami, ime ville, et autres choses sem-
blables. Les images du second genre sont
celles par lesquelles nous nous représentons
ce que nous n'avons point vu, mais que
nous nous imaginons être ou avoir été de
telle et teUe manière. C'est ainsi que nous
nous représentons le visage de Médée avec
ses dragons volants. 11 faut mettre dans le
troisième genre les images qui se forment en
nous par l'étude des nombres et des dimen-
sions; les unes ont, dans la nature, quelque
chose qui leur répond, comme lorsqu'à force
de penser et de raisonner, on trouve quelle
est la figure du monde, et qu'on se la repré-
sente telle qu'elle est en effet; et les autres
ne ressemblent à rien de subsistant, mais
nous représentent seulement ce que nous
avons appris ou par des figures dans l'étude
de la géométrie, ou par les valeurs et les ca-
dences des sons dans celle de la musique.
Quant aux images du premier genre, on ne
peut disconvenir qu'elles ne viennent des
sens. On doit aussi convenir que celles du
second tirent encore lem' origine des sens.
<( A l'égard des dernières, continue saint
Augustin, bien qu'elles semblent nées de
raisons et de principes qui ne conduisent
point à l'erreur, dès là, néaimioins, que je
me les représente comme quelque chose
d'étendu et de corporel, ces mêmes raisons
m'en découvrent la fausseté. Comment ar-
rive-t-il donc que nous nous représentons
ce que nous n'avons jamais vu? C'est sans
doute par une certaine faculté naturelle de
l'âme, qui la rend capable d'augmenter ou
de diminuer les images qui lui restent de ce
qu'elle a vu. C'est ainsi, par exemple, qu'en
se mettant devant les yeux de l'esprit l'image
d'un corbeau, que la vue de ces sortes d'oi-
seaux a formée en nous, on en fera, à force
d'ajouter ou de diminuer, une autre sorte
d'image qui ne ressemblera à rien de ce que
nous avons vu. » H appelle la réminiscence
de Platon une très-belle découverte, et sem-
ble dire, comme de lui-même, que l'âme a
vu autrefois la vérité et s'en est séparée en
s'unissant au corps. Il dit à peu près la même
1 Lib. I, cap. vin.
Li;ttre S
de Ncbri ■
3S9,
10.
pag
Lettres 0,
10, II, î£,
13 et Kl, à
Nébridiiîs ,
pair. 11 et
chose dans le livre de la Grandeur de l'âme ;
mais, dans ses Rétractations \ il explique sa
pensée, et ne veut pas que l'on croie que
l'âme ait jamais vécu sans le corps dans le-
quel elle est une fois entrée.
6. Nébridius proposa quelque temps après
une autre question à saint Augustin, sur un miisTsiiint
sujet à peu près semblable, savoir : <( Com- vcrs"''"raiî
ment les puissances de l'air, c'est-à-dh-e les
démons, peuvent agir sur notre âme, lui im-
primer des pensées, et nous faire voir en
songe ce qu'il leur plaît. »
7. Le Saint lui dit tout d'abord cpi'une pa-
reille question l'avait eflrayé, et qu'il fallait
non pas une lettre, mais un entretien de vive
voix, ou un liwe entier pour y répondre.
Il ajoute qu'il se contentera de découvrir
comme les sources de ce que l'on pouvait
dire sur cette matière, ne doutant pas que
Nébridius n'en tirât de quoi résoudre cette
difficulté, et de l'expliquer d'une manière
du moins vraisemblable. 11 dit ensuite que les
démons excitent en nous des pensées ou des
songes en remuant les parties du corps qui
peuvent faire quelque impression sur l'âme,
de la même manière que les joueurs d'ins-
truments de musique excitent en nous cer-
taines pensées, certaines passions et certaines
affections. Il trouve même beaucoup plus de
facilité dans les démons à remuer les parties
intérieures du corps, que n'en ont les joueurs
d'instruments à remuer les parties extérieu-
res, parce que les démons ont une subtilité
naturelle que les autres n'ont pas. Il parle
d'une lettre de Nébridius que nous n'avons
plus, dans laqueUe Nébridius se plaignait de
sa solitude et d'être comme abandonné de
ses amis ; il lui répond sur cela qu'il ne peut
lui conseiller autre chose que d'élever au-
tant qu'il pourrait son esprit à Dieu, « en
qui, dit-il, vous nous trouverez, et d'une ma-
nière bien plus solide que dans les images
corporelles. « Les- lettres suivantes jusqu'à
la quinzième, sont encore adressées à Nébri-
dius, et paraissent être des réponses à celles
que saint Augustin avait reçues de lui. Né-
bridius lai avait écrit pour savoir s'il n'y au-
rait pas moyen qu'ils puissent vivre ensem-
ble. Saint Augustin lui répondit ^ qu'il ne lui
était pas possible de quitter les personnes
avec qui il demeurait, et que n'y ayant point
d'apparence que Nébridius voulût quitter sa
mère, qui relevait de maladie, il ne voyait
' August., Epist. 10, pag. 12.
G8
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
point d'autre moyen de le contenter, que
d'aller le voir souvent. « Mais ce n'est là,
dit-il, ni vivre ensemble, ni vivi'e comme
nous avons résolu ; car il y a assez loin d'ici
chez vous : faire un voyage et entreprendre
de le faire souvent, ce n'est pas là ce repos
et ce loisir que nous cherchons. D'ailleurs,
passer sa vie à disposer des voyages qu'on
ne saurait faire sans peine et sans embarras,
cela ne convient guère à quiconcpie pense à
ce dernier voyage, qu'on appelle la mort,
qui seule, comme vous savez, mérite qu'on y
pense et qu'on s'en occupe. » Il convient que
Dieu fait quelquefois la grâce à certaines
personnes, choisies pour le gouvernement
des Églises, de conserver le calme et la tran-
quillité d'esprit dans les voyages qu'elles
sont obligées de faire pour la visite de leurs
troupeaux ; mais il ne croit pas que ceux qui,
n'ayant cherché dans les charges ecclésias-
tiques que les honneurs qui y sont attachés,
se jettent dans l'embari'as des affaires, puis-
sent espérer de Dieu de se familiariser avec
la mort, au milieu du tumulte et de l'agita-
tion des voyages et des affaires. « C'est donc
à vous, ajoute saint Augustin, à chercher de
votre côté comment nous pourrions vivre en-
semble. » Il lui insinue de quitter sa mère, si
cela se pouvait, en laissant auprès d'elle son
frère Victor. Nébridius lui récrivit aussitôt '
qu'il irait chez lui dès qu'il le pom'rait. Saint
Augustin ne craignant donc plus de quitter
sa sohtude pour aller voir Nébridius, ne s'oc-
cupa plus qu'à répondre aux questions qu'il
lui avait proposées. Mais, passant sm' celles
qui ne regardaient point la religion, il s'appli-
qua à résoudre ce qu'il avait proposé sur le
mystère de l'Incarnation, et à expliquer, au-
tant qu'il lui était possible, comment les ac-
tions des trois personnes divines étant insé-
parables, nous devons croire que le Fils seul a
pris l'humanité, et non pas le Père ni le Saint-
Esprit. La fm et l'effet de l'union de la na-
ture divine et de la nature humaine étant de
nous donner des règles de bien vivre, c'est
avec beaucoup de raison qu'on attribue par-
ticulièrement cette union au Fils, puisque
c'est lui qui, par ses paroles et par ses exem-
ples, nous a donné ces règles. Ce qui regarde
le salut des hommes s'opère, il est vrai, en
commun par les trois pei-sonnes divines , mais
il fallait nous le montrer séparément, à cause
de notre faiblesse. La même question ^ avait
été touchée dans une autre lettre à Nébri-
dius, mais elle n'est pas venue entière jusqu'à
nous. Nébridius lui avait encore demandé si
l'âme, outre le corps auquel elle est unie n'en
avait pas encore un autre plus subtil et ré-
pandu par tout le monde, que quelques-uns
appelaient véhicule ? Saint Augustin lui ré-
pond ^ que cette question est non-seulement
inutile, mais qu'il n'est pas même possible
de la résoudre, nos sens ne pouvant aper-
cevoir ce corps subtil, et la raison ne nous
le faisant pas connaître. Dans une autre let-
tre à Nébridius '', il traite deux autres ques-
tions : l'une, pourquoi les hommes ayant tant
d'actions qui leur sont communes, ceUes du
soleil ne sont communes à aucun autre astre ;
l'autre est, si la sagesse suprême comprend
l'idée de chaque homme en particulier, ou
seulement celle de l'homme en général. Il
dit sur la première, que si nous faisons des
choses qui nous sont communes avec les
autres hommes, le soleil en fait aussi qui lui
sont communes avec les autres astres; et que
s'il en fait qui lui soient particulières , nous
en faisons aussi qui nous le sont. Le soleil
se meut, et les autres astres aussi; il luit, et
les autres astres aussi; il tourne, et les autres
astres aussi ; mais aucun astre que le soleil
ne fait le jour. Il dit sur la seconde, que Dieu,
dans la création, n'a eu en vue que l'idée gé-
nérale de l'espèce, mais que néanmoins les
idées de tous les hommes qui ont été et qui
seront produits dans la succession de tous les
temps, subsistent et se conservent en Dieu.
Comme cette solution pouvait paraître obs-
cure, il l'éclaircit par cet exemple : a L'idée
que j'ai, dit-il, de l'angle , est unique , aussi
bien que celle que j'ai du carré; ainsi, quand
je veux faire entendre un angle, il ne s'en pré-
sente à moi qu'une seide idée; mais quand
je veux décrire mi carré, il faut que j'aie dans
l'esprit l'idée de qiiatre angles assemblés.
C'est ainsi que chaque liomme en particidier
a été fait sur l'idée générale de l'honune : mais
lorsqu'il est question de la création de tout
un peuple, quoiqu'il n'y intervienne qu'une
seule idée , ce n'est plus l'idée singidière
d'un homme, c'est l'idée générale de plu-
sieurs, XTis et conçus tout à la fois. » On doit
rapporter à la retraite de saint Augustin ,
toutes les lettres qu'il écrivit à Nébridius,
puisque celui-ci mourut peu de temps après
la conversion et le baptême de ce Saint.
Epist. 11, p:ig. 14. — 2 Epis t. 12, pag. 16.
Epist. 13, pag. 16. — * Epist. 14, pag. 17.
[IV« ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
69
i.dire 15 8. La lettre qui est adressée à Romanien
niin, paft. fut édite loi'squB saint Augustin avait déjà
19, en 090. a(;];ievé son livre De la véritable Religion, qu'il
n'acheva que peu de temps avant la prêtrise,
c'est-à-dire vers l'an 390. Il promet à Roma-
nien de le lui envoyer, et l'exhorte à profiter
du loisir que Dieu lui procurait pour penser
à quelque chose de meillem-e qu'à ce qui l'oc-
cupait auparavant, à détacher son esprit des
biens de la terre et à en faire un bon usage.
(( Plus l'abeiUe, lui dit-il, a de miel, plus ses
ailes lui sont nécessaires, parce que son pro-
pre miel est pour elle une glu qui la fait
mourir, quand elle s'y enfonce trop avant.»
Lettre 16 9. Dans le temps que saint Augustin était
de Maxime. . i m x
Lciire n à en retraite auprès de Tagaste , un nomme
39(>'","'pag". Maxime , grammairien d'une ville voisine ,
î"*' appelée Madaure ', homme d'un esprit agréa-
ble, raiUeur et enjoué, quoique déjà vieux,
lui écrivit une lettre en réponse à celle qu'il
avait reçue de lui au sujet de la religion. Il y
reconnaît qu'il n'y a qu'un Dieu souverain,
sans commencement, dont les autres dieux
sont, dit-il, les différentes vertus, et comme
les membres. Il regarde comme une fable
tout ce que les Grecs ont dit de la demeure
des dieux sur le mont Olympe : mais il sou-
tient qu'on ne peut contester que la place
publique de Madaure ne soit habitée par un
grand nombre de divinités, et il eii donne
pom- preuve le secom-s et l'assistance qu'elles
accordaient tous les jours à cette ville. Pas-
sant du culte des faux dieux à celui que l'on
rendait à quelques martyrs de Madaure, il
témoigne ne pouvoir souffrir qu'on les mette
au-dessus de Jupiter, de Junon, de Minerve
et autres divinités, qu'il appelle immortelles ;
ni que les chrétiens, oubliant ce qu'ils doi-
vent aux mânes de leurs ancêtres, honorent
les tombeaux de ces martyrs. 11 prie saint
Augustin de lui exposer nettement quel était
ce Dieu que les chrétiens prétendaient n'ap-
partenir qu'à eux seuls. C'est qu'il avait ouï
dire confusément quelque chose du mystère
de l'Eucharistie ; mais il lui demande en
même temps de ne point se servir, dans sa
réponse, de l'éloquence qui l'avait rendu
célèbre partout, ni de ces arguments serrés
comme ceux de Chrysippe, qui étaient ses
armes ordinaires , ni de la dialectique qui
rend tout également probable. Saint Augus-
tin, en répondant à cette lettre, fait voir à
Maxime qu^il y avait donné grand lieu de
montrer combien le paganisme était ridicule,
puisqu'il avait parlé lui-même comme en se
raillant, des fausses divinités, et qu'il sem-
blait s'être moqué, autant que font les chré-
tiens, de tout ce qui l'ait l'objet de la re-
ligion païenne. Mais, laissant à part tout ce
qu'il aurait pu dire pour en faire sentir le
faible, il dit à Maxime de plaider la cause
de ses dieux , de telle sorte qu'il ne paraisse
pas un prévaricateur qui fom-nit de quoi les
attaquer, plutôt qu'un homme qui cherche
à les défendre. « Et afin, ajoute-t-il, qu'il
ne vous arrive pas de tomber sans y penser
dans des calomnies sacrilèges, sachez que,
parmi les catholiques, dont vous avez vous-
même une église dans votre ville, on n'adore
point les morts, et on ne rend les honneurs
divins qu'au seul Dieu qui a créé toutes
choses. »
10. Dans les trois lettres suivantes, saint ^^'■."'■''5.'*
Augustin ne prend pas encore la qualité de i9, àOius.
pretre, d ou on mfere qu il ne refait pas, et nin,cn390,
qu'elles fuirent écrites vers l'an 390. Dans i*"»' ^'"
celle qui est à Célestin, il divise les êtres en
trois classes ou en trois natures : la première
est muable par rapport au lieu, aussi bien
qu'au temps; et c'est le corps. La seconde
est muable par rapport au temps, mais non
pas au lieu; et c'est l'âme. La ti'oisième n'est
muable ni par rapport au lieu, ni par rap-
port au temps ; et c'est Dieu. Ce qui est donc
muable, de quelque manière que ce puisse
être, est créature ; et ce qui est immuable,
c'est le Créatem-. Cet Être souverain est la
félicité par essence, et l'âme ne saurait être
heureuse que quand elle se porte vers lai.
Il parait que saint Augustin avait convaincu
Gaïus de la vérité de notre religion dans
quelque dispute , et ce fut pour le confirmer
apparemment dans ses bons sentiments qu'il
lui envoya ses ouvrages. « Il y en a beau-
coup , lui dit-il ; mais je sais que , pensant
de moi comme vous faites , il n'y en saurait
trop avoir. Si ce que vous y trouverez mé-
rite votre approbation et vous paraît vrai, ne
le regardez pas comme venant de moi, mais
' comme m'ayant été donné ; et élevez-vous
vers celui qui vous a donné à vous-même ce
qui vous l'aura fait approuver. Car quand
1 Les ruines de Madaourouche , à 28 kilomètres
au sud de Souk-Arras, nous représentent la posi-
tion de la ville où saint Augustin commença à
étudier les belles-lettres. Madaure avait le titre de
colonie ; ses vestiges sont assez considérables.
(L'éditeur.)
70
HISTÛRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
nous disons quelque chose de vrai , ce n'est
ni le liTi'e, ni l'auteur même qui nous le fait
trouTer vrai, c'est une impression, c'est un
rejaillissement que nous portons en nous-
mêmes de la lumière éternelle de la vérité.
La lettre à Antonin est un éloge de sa vertu.
Saint Augustin y établit cette maxime : « C'est
un grand bien pour nous que d'aimer le
bien ; et c'est s'aimer que d'aimer quelqLi'im
parce que nous le croyons bon , soit qu'il le
soit véritablement ou non. II n'y a sur cela,
ajoute -t-il, qu'à prendre garde à ne point
se méprendre , non en jugeant bien d'un
homme, mais en ne jugeant pas selon la
vérité de ce qui est le bien de l'homme. » Il
témoigne un grand désir de voir toute la
maison d'Antonin dans l'union d'une même
foi et dans la piété véritable, « qui ne se
trouve, dit-il, nulle part ailleurs que dans
l'Église cathohcpie. » Il lui offre d'y contri-
buer par ses soins et son travail, et l'exhorte
à ne perdre aucune occasion d'inspirer à sa
femme une crainte de Dieu solide et vérita-
ble, et de l'engager à cet effet à la lecture
de l'Ecriture sainte.
i,citre 21 II. La lettre à Valère, évêque d'Hippone,
^ VaiLTe.en , , , . .
.^01 , pat:, est une espèce de requête que samt Augus-
'^' tin lui présenta aussitôt après son élévation
au sacerdoce, poiu- lui demander permission
de se retirer quelque temps, afin d'étudier
rÉcritm'e sainte et de se préparer aux fonc-
tions de ce saint ministère. Ainsi elle fut
écrite en 391. Voici d'abord ce qu'on y ht:
n Comme il n'y a rien de plus agréable cpie
les dignités d'évéque, de prêtre et de diacre,
ni rien de plus doux et de plus aisé que d'en
remplir les fonctions, quand on veut s'en ac-
quitter avec quekfue sorte d'indifférence et
flatter les hommes dans leurs désoi'dres ; il
n'y a rien aussi de plus malheureux et de
plus odieux devant Dieu; et au contraire, il
n'y a rien de plus saint, mais en même temps
de plus pénible, quand on veut faire les fonc-
tions de ces mêmes dignités suivant les règles
du christianisme. « 11 raconte ensuite com-
ment il avait été ordoimé malgré lui, et il dit
les larmes qu'il avait versées dans le temps
de son ordination , ne se croyant pas digne
d'un si saint ministère et mancpiant des qua-
lités nécessaires pour le bienremphr. Il prie
donc Valère de lui permettre de recourir à
tout ce qu'il y a de remèdes et de confortatifs
da-:îs les saintes Écritures , pour eu tirer des
forces proportionnées à un emploi si péril-
leux. «J'y trouverai sans doute, dit-il, des
instructions salutaires, qui peuvent rendi-e
le ministre de Jésus-Christ capable d'exercer
utilement les fonctions ecclésiastiques, et de
se comporter de telle sorte au miheu des
méchants, qu'il y vive avec la paix de sa con-
science, ou qu'il y meure pour ne pas perdre
cette vie qui est l'unique objet des soupirs
d'un cœur plein de la douceur et de l'humi-
lité de Jésus-Christ. Comment A-ient-on à ce
point-là, sinon en demandant, en cherchant,
en frappant à la porte, c'est-à-dire à force de
lectures, de prières et de larmes ? Qu'aurai-je
à répondre au Seignem- quand il me jugera?
Lui dirai-je qu'étant une fois embarqué dans
les emplois ecclésiastiques, il ne m'a plus été
possible de m'instruire de ce qui m'était né-
cessaire pour m'en bien acquitter ? Riais ne
me répondi'a-t-il pas : Mauvais serviteur,
si quelqu'un avait voulu s'emparer des fonds
de l'Église, dont on recueiUe les revenus avec
tant de soin, n'auriez-vous pas, de PaAis de
tout le monde, et par l'ordre même de quel-
ques-ims, quitté l'héritage spirituel que j'ai
arrosé de mon sang, pour aller défendre de-
vant le juge l'héritage temporel ? et si le pre-
mier juge avait prononcé contre vous, n'au-
riez-vous pas même passé la mer pom- faire
casser son jugement? Se plaindrait-on, quand
vous seriez absent de votre ÉgUse, un an ou
davantage, pour en consei-ver les biens tem-
porels ? Comment pouvez-vous donc vous
excuser sur ce que le loisir vous a manqué
pour vous rendre savant dans l'agriculture
spirituelle? » 11 conjm'e Valère par tous ces
motifs de lui laisser le peu de temps qu'il y
avait jusqu'à Pâques, pour se rench'e capa-
ble de l'emploi dont on l'avait chargé, et de
l'aider aussi de ses prières.
12. Il n'y avait pas longtemps qii'Aru'èle , f";",^!: 22
avait été fait évêque de Carthage , lorsqu'il caniKiscs
écrivit à saint Augustin pour lui demander le 27. ' "''""'
secours de ses prières et de ses conseils. Ils
étaient déjà liés ensemble. Saint Augustin,
ravi de cette lettre où il voyait des marques
d'une affection sincère, fut quelque temps
sans j répondre, ne sachant comment le
faire d'une manière convenable ; mais enfin
il s'abandonna à l'esprit de Dieu, dans l'es-
pérance qu'il lui ferait faire une réponse di-
gne du zèle cp^i'ils avaient l'un et l'autre pour
le bien et l'honneur de l'Église. Après donc
l'avoir remercié au nom d'Alypius et de tous
ceux cp.ii vivaient avec lui en communauté,
de l'amitié qu'il leur témoignait, il l'exhorte
à corriger l'abus qui s'était introduit en Afri-
[IV" ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
que, dans les festins que l'on faisait en l'hon-
neur des martyrs, sous prétexte de religion,
non-seulement les fêtes, mais tous les jours,
et même dans les églises. Il lui fait remar-
quer que des trois vices condamnés par
saint Paul dans son Épître aux Romains, sa-
voir : l'ivrognerie, l'impureté et la division,
on punissait seulement l'impureté; qu'on
tolérait les autres, et qu'on croyait même
honorer les martyrs en buvant avec excès
sur leurs tombeaux. « Ces désordres, ajoute-
t-il, n'ont jamais été dans les Éghses d'Italie,
ni dans la plupart de deçà la mer ; ou, s'ils y
ont été, les évêques vigilants les ont réfor-
més. » Valèi'e, son évêque, ne manquait ni
de zèle, ni de science pour les abolir dans
son diocèse ; mais ces dérèglements étaient
si invétérés, qu'il n'y avait pas lieu d'espérer
qu'on pût les réformer, sinon par l'autorité
d'un concile ; et que si quelque Eglise parti-
culière devait le faire, c'était à celle de Car-
thage à commencer. « Mais il faut, continue-
t-il, s'y prendre doucement : car on n'ôte
pas un abus durement, ni d'une manière im-
périeuse : c'est plutôt en enseignant qu'en
commandant, plutôt en avertissant qu'en me-
naçant. C'est ainsi qu'on doit agir avec la
multitude; au lieu qu'on peut en user avec
sévérité contre les péchés des particuliers.
Si nous faisons donc quelques menaces, que
ce soit en gémissant et en employant celles
del'Écritiu'e, afin que ce ne soit pas nous et
notre puissance, mais Dieu que l'on craigne
dans nos discours. De cette manière, les spi-
rituels seront touchés les premiers, et ils
entraîneront la multitude par leur autorité.
Et parce que les festins dissolus qui se font
dans les cimetières, sont considérés par le
peuple grossier et ignorant, non- seulement
comme honorables aux martyrs, mais en-
core comme procurant du soulagement aux
morts, je crois que l'on pourra plus facile-
ment les en détourner, si, en les leur dé-
fendant par l'autorité des divines Écritures,
on prend soin en même temps que les obla-
tions que l'on reçoit dans l'église pour les
morts, se fassent avec modestie et avec peu
de dépenses, n Saint Augustin se plaint en-
suite des querelles, des animosités et des
fourberies qui régnaient plus encore dans
le clergé que dans le peuple. Selon lui, le
71
seul moyen de les combattre, est de tâcher
d'inspirer aux ecclésiastiques la crainte de
Dieu et la charité par des exhortations fré-
quentes et tirées de l'Écriture sainte. Mais
celui qui l'entreprendra doit être lui-même
un exemple de patience et d'humihté, et
il faut que l'on voie qu'il exige toujours bien
moins de respect qu'on ne lui en veut ren-
dre. Le saint Docteur marque ensuite jus-
qu'à quel point et dans quelle vue les mi-
nistres de l'Église peuvent s'attirer du res-
pect, bannissant dans eux tout appareil ex-
térieur, et ne leur en permettant qu'autant
qu'il sera nécessaire pour le bien et le salut
des autres. H donne aussi des règles sur la
manière de recevoir les louanges , voulant
que nous reconnaissions Dieu pour le prin-
cipe de toutes les bonnes pensées qui nous
viennent. Mais il avoue avec beaucoup d'hu-
milité que, quoique toujours en garde contre
l'ennemi, il en recevait souvent des blessu-
res,, ne pouvant s'empêcher de sentir quel-
que plaisir dans les louanges qu'on lui don-
nait.
13. On ne sait pas au juste en quelle année Le irc 23
la lettre à Maximin de Sinite fut écrite : on vpis'^ '""n
sait seulement que saint Augustin n'était en- jJi* • '"'=•
core que prêtre. Il l'écrivit à l'occasion d'un
diacre de l'Église de Mutugenne ', dépen-
dante de celle d'Hippone, qui s'était laissé
rebaptiser par Maximin, évêque donatiste.
Le fait n'était pas certain, et saint Augustin
avait d'autant plus lieu d'en douter, que plu-
sieurs personnes l'avaient assuré que Maxi-
min n'était point, à l'égard de la rebaptisa-
tion, dans les mêmes sentiments que ceux de
sa secte. Toiitefois, comme le crime du diacre
de Mutugenne lui causait une extrême dou-
leur, il alla lui-même sur les lieux pour s'as-
surer si ce qu'on lui en avait dit était vérita-
ble, n ne trouva pas ce diacre, mais il apprit
de ses parents que les donatistes l'avaient
aussi fait diacre parmi eux. Non content de
ce témoignage, il voulut savoir la chose de
source, et pria Maximin de lui mander s'il
l'avait eflectivement rebaptisé. Le commen-
cement de la lettre cpi'il lui écrivit est re-
marquable ; car , quoique Maximin fût sé-
paré de l'Église par son schisme, saint Au-
gustin ne laisse pas de le qualifier son très-
cher seigneur et très-vénérable frère. Il rend
> L'emplacement précis de cette ville ne nous
est pas connu, mais c'était évidemment dans le
voisinage d'Hippone. On sait (jue les restes d'Hip-
pone se trouvent à un quart de lieue de la ville
de Bone. {L'éditeur.)
72
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
raison de toutes ces qualifications; ill'appelle
son seigneur, parce qu'il ne lui écrit que dans
des sentiments de charité et dans la vue de
lui rendre service ; il l'appelle son très-cher,
parce qu'il lui souhaitait les mêmes biens
qu'il se souhaitait à lui-même ; il lui donne le
titre de ti'ès-vénérable, non qu'il le reconnût
pour évêque , mais parce qu'étant homme ,
et l'homme étant fait à l'image de Dieu, il
mérite du respect et de l'hounçur, d'autant
qu'il n'j' avait point à désespérer de son sa-
lut tant qu'il vivrait; enfin, il l'appelle son
frère, suivant en cela l'ordi'e que Dieu nous
donne de traiter de frères ceux mêmes qui
ne veulent pas être nos frères. Il lui témoigne
ensuite sa douleur de la chute de ce diacre
et de le voir lui-même tombé dans un crime
dont il ne le croyait pas capable, le priant
instamment de lui marquer s'il l'avait re-
baptisé ou non. « Si vous ne rebaptisez pas,
ajoute -t-il, armez-vous de la liberté d'un
clirétien , et que le souvenir de ce que vous
devez à Jésus-Christ vous mette au-dessus
de tout ce que les hommes, c'est-à-dire les
donatistes, vos confrères, sont capables de
dire et de faire. Les honneurs et le faste de
ce siècle passent, et devant le tribunal de
Jésus-Christ, où chacun sera accusé par sa
propre conscience et jugé par celui qui en
connaît le fond , de quel secours nous pour-
ront être ces trônes élevés de tant de mar-
ches, ces chaires couvertes d'un dais, et ces
ti-oupes de vierges consacrées à Dieu, qui
viennent au-devant de nous en chantant des
hymnes et des cantiques? Nos honneurs de
maintenant deviendront pour nous des far-
deaux qui nous accableront. S'il est vrai que,
bien loin de rebaptiser ceux qui l'ont été
dans l'Église catholique, vous approuviez son
baptême comme celui de la seule véritable
Mère qui ouvre son sein à toutes les nations
pour les régénérer, pourquoi ne vous en dé-
clarez-vous pas hautement? Dites publique-
ment les raisons qui vous en empêchent, et
loin de craindi-e de me l'écrire, réjouissez-
vous d'avoir une occasion de vous en expli-
quer. Ne vous laissez pas épouvanter par
tout ce que peuvent faire ceux de son parti.
Si cela leur déplaît , ils ne sont pas dignes
de vous avoir, et s'il n'y a rien en cela qui ne
leur plaise, il faut espérer de la miséricorde
de Dieu qu'on verra bientôt la paix entre
nous. » n l'exhorte à examiner avec lui, dans
nn esprit de paix, la vérité de l'Eglise , pour
tâcher d'étouU'er un si fâcheux schisme, et
le prie de trouver bon que les lettres qu'ils
s'écriraient mutuellement sur ce sujet, fus-
sent lues publiquement au peuple de part et
d'autre. (( Mais quand vous ne le voudriez
pas, ajoute-t-il, je ne pourrai me dispenser
de le faire, de mon côté, pour l'instruction
des catholiques ; si vous ne daignez pas me
faire réponse, je ne laisserai pas de leur lire
mes lettres , afin de lein^ faire voir combien
vous vous défiez de la honte de votre cause,
et combien il serait honteux après cela d'al-
ler se faire rebaptiser chez vous. » R promet
néanmoins à Maximin de ne rien lire au
peuple qu'après que les soldats, qui étaient
alors à Hippone et dans les environs, en se-
raient soiiis, de peur Cfu'on ne crût qu'il cber-
chait à exciter du tumulte, plutôt qu'à paci-
fier les choses et contraindre les donatistes
à entrer malgré eux dans la communion de
l'Église catholique, ce qui était très-éloigné
de son dessein, qui ne tendait qu'à éclaircir
les choses dans un esprit de paix. On croit
que Maximin, à qui cette lettre est adressée,
est le même dont il est parlé dans la lettre
cent cinquième et au vingt-deuxième livre
de la Cité de Dieu, chapitre viii. Il se réunit à
l'Église catholique, et les donatistes, en haine
de son retour à l'unité, publièi-ent contre lui
ce décret : Quiconque sera lié de communion
avec Maximin, on brûlera sa maison.
14. En 39i et 395, saint Augustin reçut
deux lettres de saint Paulin, et une de Li-
centius, son ancien disciple. Celui-ci joignit
à sa lettre, qu'il écrivit de Rome, un poème
pour demander à saint Augustin ses livres
de la Musique. Il l'assurait que son plus vif
désir était de demeurer auprès de lui, et
qu'il quitterait tout pour s'y rendre aussitôt
qu'il le lui commanderait. Mais il ne lui dissi-
mulait pas qu'il était près de s'engager dans
le mariage et de se laisser entraîner au tor-
rent du siècle. Saint Augustin, extrêmement
touché du danger où ce jeune homme était
exposé, lui fit une réponse d'autant plus
remplie du feu de sa charité, qu'il avait pour
lui une affection plus particulière et plus
tendre, u Sans doute, dit -il, il en coûte à la
nature pour rompre ses liens et se donner
à Dieu ; mais ces peines sont bien récom-
pensées par les douceurs dont elles sont sui-
vies. Il en est tout au contraire des chaî-
nes qui nous attachent au monde : l'on n'y
trouve rien de plus réel que leur pesanteur,
et rien de plus imaginaire que leur douceur;
rien de plus certain que la douleur cju'elles
[lV° ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÈQUE D'HIPPONE.
73
font soufîiir, et rien de plus dur que la peine
qu'on a de les porter, et rien de plus fra-
gile que le repos qu'on y trouve; enfin rien
de plus effectif que la misère qu'on y souf-
fre, et rien de plus vain que le bonheur que
l'on s'en promet. » Il se sert des vers mêmes
que Licentius lui avait envoyés, pour le con-
vaincre de la vanité du siècle. Profitant de
l'éloquence qu'il avait affectée, il lui repro-
che tacitement de souffrir dans son cœur un
désordre et un dérangement qu'il n'aurait
pu souffrir dans ses vers. « Vous m'avez
écrit, lui dit-il, que je n'ai qu'à commander.
Je vous le commande : Donnez-vous donc à
moi, mon cher Licentius ; donnez-vous à mon
Seigneur, qui est le vôtre comme le mien.
Car, que suis-Je, qu'un homme né pour vous
servir par lui, et pour le servir avec vous?
Ne vous commande-t-il pas lui-même ce que
je désire, et ne dit-il pas à haute voix dans
l'Évangile : Venez à moi, vous tous qui pliez
sous le poids des afflictions, et je vous soula-
gerai? Si vous n'écoutez pas ces paroles, ou
qu'elles ne touchent que vos oreilles, que
peut- on attendre du commandement que
vous pourrait faire celui qui n'est que ser-
viteur, non plus que vous? » Il renvoie Li-
centius au grand exemple de vertus que
donnait saint Paulin dans la campagne de
Rome ; à la paix et à la joie dont ce saint
homme jouissait, après avoir foulé aux pieds
tout le faste et toute la grandeur mondaine.
Venant après cela au parti qu'il était prêt à
prendre dans le monde : « Pourquoi, lui dit-
il, ces inquiétudes qui vous déchirent ? Pour-
quoi prêtez-vous plutôt l'oreille au murmure
trompeur des voluptés qui vous flattent, qu'à
la voix de celui qui vous parle? Tout cela
meurt et précipite dans la mort : il n'y a que
Jésus-Christ qui soit la vérité. Allons à lui,
pour n'être plus exposés aux peines qui nous
travaillent; et si nous voulons qu'il nous dé-
lasse,prenons son joug sur nous : il est doux,
et son fardeau léger. »
i.ctirc 21 dS. La lettre à saint Paulin est un éloge
i?'" TCrs presque continuel de ses vertus. Saint Au-
n 395 , gustin y relève aussi beaucoup la lettre qu'il
avait reçue de lui ; il lui dit qu'elle avait été
lue de tous les frères , et qu'ils ne se las-
saient point de la relire dans l'admiration
des grands dons et des mérites excellents
dont il avait plu à Dieu de combler ce saint
homme. Romanien fiit porteur de la lettre
de saint Augustin; et comme il portait en
même temps tous les ouvrages que ce Père
avait faits jusque-là, soit contre les héréti-
ques, soit pour l'instruction et l'édification
des catholiques, il dit à saint Paulin qu'il en
pourra demander la communication à Roma-
nien. Mais il le pria de les lire avec exacti-
tude pour en remarquer les défauts et l'en
avertir. (( Si vous en faites une sévère criti-
que, lui dit-il, vous jugerez de mon peu de
capacité en ce que vous n'agréerez pas; mais
si vous y trouvez quelque chose qui vous
plaise, l'esprit de Dieu qui vous anime doit
vous porter à louer et à aimer celui qui est la
source de la vie. Ce sont ces sentiments que
j'ai moi-même quand je relis mes ouvrages ;
je gémis lorsque j'y trouve ce qui tient du
vieux levain de ma faiblesse, et quand j'y
rencontre quelque chose qui a découlé dtes
soin-ces toutes pures de la vérité , je m'en
réjouis dans le Seigneur, mais avec crain-
te, car qu'avons- nous qui ne nous ait été
donné?» Il promet à saint Pauhn un écrit
sur la vie de l'évêque Alypius , que saint
Paulin avait demandé à Alypius même. L'af-
fection que ce saint évêque avait pom' lui le
portait à lui obéir; mais son humilité et sa
modestie le retenaient. Saint Augustin le
voyant donc balancer entre la pudeur et
l'amitié, se chargea de cet écrit à la prière
d'Alypius. Il l'aurait envoyé à saint Paulin
par Romanien, si celui - ci ne se fût pas tout
d'un coup résolu à partir. Nous n'avons au-
cune connaissance de cette Vie, et nous ne
connnaissons Alypius que par ce que saint
Augustin en dit dans ses Confessions.
16. Ce fut encore vers l'an 395, que saint i.piiie 28
Augustin, ayant appris par Alypius et par romc ,' ^ciî
d'autres l'appHcation continuelle de saint Je- ^^^ ' ""s-
rôme à l'étude des saintes lettres , lui écrivit
pour le prier de traduire en latin les meil-
leurs interprètes grecs sur ' l'Écriture, plu-
tôt que de la traduire de nouveau sur l'hé-
breu. Il lui fait cette prière au nom de toutes
les personnes studieuses des Églises d'Afri-
frique, et il ajoute : « Car, pour ce qui est
d'une nouvelle version de l'Écriture, il vous
suffirait de marquer les endroits où vous
traduiriez autrement que les Septante, dont
la version est celle qui a le plus d'autorité. »
Il lui donne plusieiurs raisons pour le détour-
• Ou mieux de l'Écriture sainte. Il s'agit ici
non des conimentateurs, mais de ceux qui ont
traduit en grec rÉ'îriture sainte. {L'éditeur.)
74
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
lier d'une nouvelle traduction sur l'hébreu,
appuyant principalement sur ce qu'il n'était
pas croyable qu'il y eût encore des choses
dans le texte hébreu, qui eussent échappé à
tant d'interprètes si versés dans la connais-
sance de cette langue. H lai témoigne sa
douleui' sur l'explication qu'il avait donnée
de l'endroit de l'Épître aux Galates où saint
Paul dit qu'il reprit saint Pierre de la dissi-
mulation dont il usait envers les gentils.
Ce n'est qu'avec peine qu'il voit saint Jé-
rôme se déclarer partisan du mensonge.
«Rien de plus dangereux, dit- il, que d'en
admettre quelqu'un, fat-il léger et officieux,
en cpielque endroit que ce soit de l'Écri-
ture, n lui serait facile, ajoute-t-il, de mon-
trer que tous les passages dont on abuse
pour prouver qu'il est quelquefois bon de
mentir, doivent se prendre tout autrement
qu'on ne les prend, et qu'il n'y en a pas un
que l'on ne puisse justifier , l'Écriture sainte
étant aussi éloignée de favoriser le mensonge
que d'en user. En effet, continue-t-il, si l'on
admet une fois que les auteurs canoniques
peuvent avoir usé de mensonges officieux
dans les livres qu'ils nous ont laissés, il n'y
aura plus rien que de chancelant dans l'au-
torité de l'Ecriture, et chacun sera maître
de croire ou de ne pas croire ce qu'il lui
plaira, à moins qu'on ne puisse donner des
règles sûres pour distinguer les endroits où
le mensonge peut avoir lieu. Si vous nous
en pouvez donner, dit -il en s'adressant à
Jérôme, qu'elles soient, je vous prie, de
celles qui ne supposent rien de faux ni de
douteux. )) n témoigne qu'il serait bien aise
de conférer avec lui sur les études chré-
tiennes auxqueUes ils s'appliquaient l'un et
l'autre, et lui envoie en même temps quel-
ques-uns de ses ouvrages parProfuturus, en
le priant de les corriger avec cette sévérité
charitable qu'on doit avoir pour ses frères.
^ i.curc 20 17. On ne peut mettre plus tôt qu'en 394,
Cil 395,''p,ig'. la lettre à Alypius, puisqu'il y est qualifié
?rc' 30 'de évêquo, et qu'il ne le fut pas avant cette an-
saiiu Pau- née-Ià, ni plus tard qu'en 393, car saint Au-
gustin l'écrivit étant encore prêtre. Il y ra-
conte comment il était venu à bout d'abolir
dans l'Eglise d'Hippone l'usage des festins
sur les tombeaux des martyrs, et même dans
les églises. Le peuple de cette ville avait
coutume d'en faire en un certain jour qu'on
appelait la Réjouissance : c'était, selon le titre
de la lettre, le jour de la fête de saint Léonce,
évêque d'Hippone. Quelque temps avant
lin.
cette fête, on fit défense au peuple de la cé-
lébrer en la manière ordinaire. Cette défense
excita du murmure qui aUa toujours en aug-
mentant jusqu'au mercredi, veille de l'As-
cension, qu'on lut dans l'église cet endroit de
riCvangile : ^Ye donnezpoint le saint aux chiens,
etc. Saint Augustin en prit occasion de mon-
trer combien il était honteux de faire, dans
un lieu aussi saint que l'église, des excès
que l'on punirait dans des maisons particu-
lières, par l'excommunication ou par la pri-
vation des choses saintes. Son discours fut
bien reçu : mais comme l'assemblée n'avait
pas été nombreuse , il reprit le même su-
jet le jour de la fête, où on lut l'évangile
cpii raconte comment Jésus-Christ chassa du
temple ceux qui vendaient des animaux. 11
fit voir que l'ivrognerie était beaucoup plus
contraire à la sainteté du temple de Dieu,
que le commerce des animaux nécessaires
pour les sacrifices. Il ajouta divers endroits
de l'Écriture pour montrer combien l'ivro-
gnerie est un crime infâme et dangereux, et
que, loin qu'on en puisse faire un acte do
religion, ni l'exercer dans les fieux sacrés,
saint Paul ne voulait pas même qu'on y
fit les repas les plus modestes. Les gémis-
sements et les marques de douleur dont il
accompagna son discours, les prières A'ives
et réitérées qu'il fît à son peuple, les châti-
ments dont il le menaça de la part de Dieu,
tirèrent des larmes des yeux de ses audi-
teurs, et il ne put s'empêcher d'y mêler
les siemies. Croyant avoir emporté ce qu'il
désirait, il cessa de parler pour rendre grâ-
ces à Dieu. En eflet, dès ce jour -là, cette
mauvaise coutume fut abolie. Il arriA-a néan-
moins le lendemain, qui était la fête de saint"
Léonce, que quelques-uns "de ceux mêmes
qui avaient assisté la veille à sou sermon,
murmurèrent encore, se plaignant qu'il était
bien tard de leur défendre des choses qu'on
leur avait toujours permises, et qui se pra-
tiquaient tous les jours dans l'église de saint
Pierre de Rome. Saint Augustin, erabarrassé
sur cela, prit le parti de lire à ces obstinés
l'endroit d'Ézéchiel sur le devoir des senti-
nelles, et ensuite de secouer ses vêtements
et de ne pas se trouver ce jour-là à l'office.
Mais Dieu eu disposa autrement. Ceux qui
s'étaient plaints le vinrent trouver avant qu'il
montât à l'autel et eu chaire, et ils cédèrent
aussitôt qu'il leur eut parlé. L'heure du ser-
mon étant venue, il se contenta de dire qu'on
ne devait pas s'étonner de ce changement.
[IV" ET y" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
Cet usage avait toujours été mauvais ; si on
l'avait toléré quelque temps, c'était parce
que ceux qui sortaient du paganisme au-
raient eu peine à se résoudre d'embrasser
d'abord une modestie aussi grande qu'était
celle que demandait Jésus - Christ ; ainsi
l'on n'avait souffert qu'ils célébrassent les
fêtes des saints en la manière qu'ils célé-
braient auparavant celles des idoles, qu'a-
fin qu'ils cessassent d'abord d'être idolâtres,
et que l'on prît insensiblement les porter à,
une vie plus chrétienne. Il représenta aussi
l'exemple des Églises d'outre-mer, qui n'a-
vaient jamais été dans cet abus, ou qui l'a-
vaient con-igé par le moyen des bons évê-
ques. A l'égard des festins qui se faisaient,
disait-on, dans l'égHse de saint Pierre de
Rome, il répond : <( On les a souvent défen-
dus ; si cette défense n'a pas toujours eu lieu,
c'est à cause du grand nombre de chrétiens
charnels qui sont dans cette ville et qui y
viennent de tous côtés , et encore parce que
les évêques de Rome demeuraient fort loin
de cette église; mais il faut, ajoute-t-il, avoir
moins d'égard à ce qui se pratique dans cette
ville, qu'à ce que saint Pierre nous enseigne
dans une de ses épîtres. » Il lut un grand
passage de cette épître '. Voyant le peuple
tranquille et convaincu, il l'exhorta à reve-
nir après midi entendi-e les lectures et les
psaumes, afin de célébrer la fête d'une ma-
nière vraiment chrétienne. L'évêque Valère
l'obligea de parler encore au peuple. Il le
fit et l'exhorta à rendre grâces à Dieu. Un
grand nombre d'hommes et de femmes étant
restés après l'oflQce de vêpres , continuèrent
à chanter des hymnes jusqu'à ce qu'il ne fit
presque plus jour. Saint Augustin se hâta
de mander un si heureux succès à Alypius,
qu'il savait être très-inquiet sur cette affaire.
U lui marque, sur la fin de sa lettre, que les
circonceUions avaient fait une irruption dans
l'église d'Hippone, qu'ils en avaient brisé
l'autel, et que l'on poursuivait cette affaire.
Cette lettre, qui ne se lit que dans la nou-
velle édition de saint Augustin, a été don-
née sur un manuscrit du monastère de
Sainte-Croix-en-Jérusalem à Rome.
§. 11.
Des Lettres de la seconde classe.
31 1 . Saint Paulin, incertain si les lettres qu'il
' Cap, iv,H , 2, 3.
avait envoyées en Afrique avaient été re- asaimPau-
çues, en écrivit une seconde à saint Augustin, p;]g. 55 ; et
où, en lui protestant de son amitié, il témoi- j';,-']'" W^t
gnait un grand désir de le voir. Romain et ""•
Agile, qu'il envoyait dans ce pays -là pour
quelque œuvre de charité, furent porteui's
de cette lettre. Saint Augustin les reçut avec
d'autant plus de joie, qu'il croyait voir saint
Paulin dans ses enfants spirituels. R les ap-
pelle une seconde lettre dans celle qu'il lui
récrivit, et déclare qu'il avait appris par leur
bouche plus de choses de sa vie, qu'il n'eût
pu en demander lui-même, « Ces lettres vi-
vantes, ajoute-t-il, nous ont représenté les
sentiments de votre esprit et de votre cœur,
d'une manière qui nous a fait voir qu'elles
étaient une parfaite copie de vos grâces et
de vos vertus. » Il marque à saint Paulin qu'il
ne pouvait plus songer à l'aUer voir en Italie,
parce que Valère venait de le charger d'une
partie de son fardeau, en le faisant son co-
évêque. Il le supplie, comme étant moins
occupe par les affaires de l'Église, de vouloir
bien venir en Afrique , « non-seulement, dit-il,
pour ma satisfaction particuhère, non-seule-
ment même pour l'édification des personnes
qui ont su comme vous avez quitté vos gran-
deurs et vos richesses pour vous consacrer
au service de Jésus , mais principalement
pour le salut de ceux qui n'ont point encore
ouï parler de vous, ou qui ont peine à croire
ce que vous avez fait, et qui pourraient en
être touchés, s'ils en étaient pleinement per-
suadés en vous voyant. Je suis persuadé,
ajoute-t-il, que vous attribuez à la grâce de
Jésus-Christ le changement qui s'est fait en
vous, plutôt qu'à vos propres forces, et que
vous lui en l'apportez toute la gloire. Je ne
doute pas aussi qu'ayant autant de lumières
et de piété que vous en avez, vous ne soyez
en garde contre les embûches de l'ennemi,
et que vous n'ayez soin de vous tenir dans
la douceur et l'humilité de cœur que Jésus-
Christ recommande à ses disciples. Car il se-
rait plus avantageux de conserver ses biens
avec l'esprit d'humilité, que de les quitter par
un sentiment de vanité et d'orgueil. » Il lui
marque qu'il lui envoie ses trois livres du
Libi^e arbitre, et le prie de lui faire part de
ce qu'il avait écrit contre les païens, et de lui
envoyer les ouvrages de saint Ambroise où ce
Père réfutait solidement l'orgueil et l'igno-
rance de ceux qui osaient soutenir que Notre-
Seigneur avait beaucoup appris des livres
de Platon. C'était le livre intitulé des Sacre-
76
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Le tire 33
ft Piocnlicu
en 395, pag.
62.
Lcllri'S
34 et 35 à
Kiist'bc, l'ii
396, pag.
f6.
tneiits : nous ne l'avons plus. Saint Augustin
lui dit encore : « Nous vous envoj'ons un pain
qui deviendra un pain de bénédiction, si vous
avez la bonté de l'agréer. »
2. Évodius, ami intime de saint Augustin,
s'étant un jour rencontré dans une maison
avec Proculien, évéque donatiste, l'entretien
tomba sur l'espérance des fidèles, c'est-à-
dire sur l'héritage et l'Église de Jésus-Christ.
Evodius défendit la vérité avec ardeur. Pro-
culien se croyant offensé par quelques termes
injurieux s'en plaignit; mais il témoigna en
même temps qu'il serait bien aise de conférer
aA'ec saint Augustin en présence de quelques
personnes d'honneur. Ce saint évêque l'ayant
appris par Évodius, écrivit une lettre fort
civile à Proculien, où, après avoir rejeté sur
l'amour qu'Évodius avait pour l'Éghse, la
vivacité qu'il pouvait avoir témoignée dans
la dispute, il offre à Proculien la conférence
qu'il souhaitait, l'assurant que, de sa part, il
éviterait de rien dire quipiitle choquer. ((Elle
se fera, ajoute-t-il, en présence de qui vous
voudrez : mais il faut qu'on écrive tout ce
que nous dirons, afin que nous ne parlions
pas en vain. Nous éviterons par là le trouble
et le désordre dans notre conférence ; et s'il
nous arrivait de ne nous pas souvenir de ce
que nous aurions dit, il n'y aura qu'à lire
pour le retrouver. Si vous voulez même, nous
commencerons par conférer en particulier
par lettres, ou de vive voix et avec les livres
sur la table, en quel lieu il vous plaira. Si
vous aimez mieux que nous conférions par
écrit, nous pourrons lire nos lettres au peu-
ple de part et d'autre, afin de parvenir ainsi
à cette union tant désirée, qui ne fera plus
qu'ian même peuple de nous tous. » Il l'as-
sure, sans hésiter, que l'évêque Valère, qui
était pour lors absent, agréera avec joie tout
ce qu'ils arrêtei'ont ensemble, et le conjure
de préférer l'amour de la paix, à la considé-
ration de tous les honneurs et de tous les
avantages humains. (( Les hommes, dit-il,
nous traitent de saints et de serviteurs de
Dieu, lorsqu'ils ont recours à nous pour faire
juger leurs aU'aires temporelles, qui se trai-
tent tous les jours devant nous. Ne songe-
rons-nous jamais à traiter entre nous l'affaire
de notre salut et du leur ? »
3. Il y avait à Hippone un jeune homme
qui battait souvent sa mère, et dont la fu-
reur était si impie, qu'il ne cessait pas même
de la maltraiter dans les saints jours où les
lois épargnent les plus infâmes scélérats et
suspendent leur supplice, c'est-à-dire, les
jours de dimanche et dans la quinzaine de
Pâques. Saint Augustin le reprit de sa faute.
Ce jeune homme voyant que l'Église catho-
lique l'empêchait de satisfaire son impiété,
dit tout en furie à sa mère qu'il allait se met-
tre parmi les donatistes , et qu'ensuite il la
ferait mourir. Ce furieux, altéré du sang de
sa propre mère , fut en effet reçu par ces
schismatiques. Ils l'habillèrent de blanc, le
placèrent au dedans du balustre afin de le
montrer à toute l'assemblée ; et pendant que
tout le monde gémissait de son crime , ils
l'exposèrent en vue comme un homme re-
nouvelé par le Saint-Esprit. Saint Augustin,
vivement touché d'une action de cette na-
ture, crut qu'il ne pouvait moins faire que de
parler et de se plaindre avant que la huitaine
de ce misérable néophyte fût achevée. Il fit
dresser des actes authentiques de ce sacri-
lège, et écrivit àEusèbe,homme de qualité,
mais donatiste de communion et ami de Pro-
culien, ne doutant pas que, sage et modéré
comme il était , il ne dût désapprouver cette
action. Il le prie dans sa lettre, comme il
avait déjà fait par des personnes d'honneur,
de savoir s'il était vrai que Victor eût fait,
sans l'ordre de Proculien , ce qu'il avait fait
mettre dans les actes pubhcs ; ou si ceux qui
tiennent les actes y avaient mis autre chose
que ce que Victor leur avait dit. Eusèbe, dans
sa réponse, avoua à saint Augustin qu'il n'ap-
prouvait point qu'on eût re(;ii ce fils qui bat-
tait sa mère, ajoutant que si Proculien le sa-
vait, il le séparerait de sa communion : que,
du reste, il s'étonnait que saint Augustin
l'eût voulu rendre juge des évêques. Le saint
Docteur écrivit une seconde lettre à Eusèbe
pour lui marquer qu'il n'avait pas prétendu le
constituer juge entre des évêques, que toute-
fois il n'y avait rien dans la question présente
dont il ne pût être juge. Il lui répète donc
ce qu'il lui avait dit dans sa première lettre,
c'est-à-dire qu'il voulait savoir de Procu-
lien, s'il avait ordonné à son prêtre Victor ce
que les officiers publics disaient que Victor
leur avait rapporté , ou s'ils avaient mis dans
leurs registres autre chose que ce que portait
le rapport de Victor; et de s'informer en ou-
tre dans (juelle disposition était Proculien sur
la conférence. (( Quant à ce que vous dites,
ajoute-t-il, que si Proculien avait su jus-
qu'où allait la fureur de ce jeune homme
qui battait sa mère, il ne l'aurait pas reçu
dans sa communion, je vous répondrai en
[lye j.^ ye gj^cLES.
SAL\T AUGUSTLN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
77
deux mots, qu'il faut donc qu'il l'eu chasse
présentement qu'il le sait. » Il dit encore à
Eusèbe que Procidien ne pouvait se dis-
penser de retrancher de sa communion un
nommé Primus , auparavant sous-diacre ca-
tholique de l'Église de Spagnane, mais qui,
ayant été déposé pour crime d'impudicité ,
avait embrassé le parti des donatistes, et
reçu d'eux im second baptême. Il ajoute
que Proculien doit, aussi bien que lui , ne
pas recevoir, autrement que par la péni-
tence, ceux qui sortent de l'Eglise pour ne
pas subir la rigueur de sa discipline. Il fait
des plaintes de ce que les donatistes avaient
séduit la fille d'un paysan sujet de l'Église,
pour l'engager à recevoir d'eux le baptême,
et de ce qu'ils lui avaient donné l'habit et la
bénédiction de vierge , et prie Eusèbe de
faire savoir toutes ces choses à Proculien,
ou qu'il les lui ferait signifier par les formes
de justice,
^iire 36 4. Saint Augustin n'était évêque que de-
"asulan, . ^ ,.,,..,_
396 ou puis peu de temps, lorsqu il écrivit les deux
^''°' lettres dont nous venons de parler : ainsi ce
fut eu 396. Sur la fin de la même année , ou
au commencement de la suivante, un prêtre
nommé Casulan, ami de saint Augustin, lui
envoya une grande dissertation qu'il avait
reçue de Rome, dans laquelle l'auteur pré-
tendait prouver qu'il fallait sui-\Te la cou-
tume de cette ville touchant l'observation du
jeûne du samedi. Il traitait d'une manière in-
jurieuse ceux qui ne s'y conformaient pas,
c'est-à-dire presque toute l'Église. Les raisons
sur lesquelles il s'appuyait n'étaient nulle-
ment fondées, et toute sa dissertation consis-
tait en de grands éloges du jeune et en in-
vectives contre les débauches, ce qui ne tou-
chait point la question. Quelquefois même,
il condamnait ceux qui ne jeûnaient pas
tous les jours; en quoi il attaquait l'Église
romaine comme les autres. Casulan ne vou-
lut point nommer l'auteur de cet écrit, se
contentant de l'appeler un certain Romain.
Saint Augustin, accablé d'affaires, oublia de
le réfuter, comme Casulan l'en avait prié;
mais, ayant l'eçu une seconde lettre où Ca-
sulan l'interpellait par le droit de la charité
fraternelle de lui faire enfin réponse , il ne
différa pas plus longtemps. Voici le contenu
de cette réponse : S'il n'était jamais permis
déjeuner le samedi. Moïse, ni Élie, ni Jésus-
Christ, n'auraient pas jeûné quarante jours
de suite. Ce raisonnement prouve aussi qu'il
n'a pas toujoiu's été défendu de jeûner le
dimanche. Mais si l'on voulait aujoiu-d'hui
jeûner ce jom--là, comme quelques-uns jeû-
nent le samedi, l'Église s'en trouverait scan-
dalisée ; car, dans les choses qui ne sont
point décidées dans l'Écriture, les coutumes
reçues parmi les chi-étiens ou établies par
nos pères, doivent tenir lieu de loi ; et l'on
ne doit point contester sur ces matières, ni
condamner ce qui se pratique ailleurs, sous
prétexte qu'il est contraire aux lois établies
dans l'endroit où nous demeurons. L'auteur
de la dissertation n'a donné aucune raison de
l'obhgation de jeûner le samedi, et n'a pas
même touché le fond de la question. Le jeûne
nous est pi'escrit par l'Évangile et par les
écrits des Apôtres, c'est-à-dire par tout le
Nouveau Testament, dit saint Augustin, ex-
pliquant sa propre pensée ; mais ni Jésus-
Christ, ni les Apôtres, n'ont point déterminé
les jours où l'on doit jeûner, ni ceux où on
ne le doit pas ; il parait plus à propos de ne
pas jeûner le samedi, non que ce soit une
chose nécessaire au salut , mais afin que ce
relâche que nous nous accordons nous soit
une marque du repos éternel qui est le véri-
table sabbat ; toutefois, soit que l'on jeûne ou
que l'on ne jeûne pas le samedi, on doit, pour
entretenir la paix, observer ce précepte de
l'Apôtre : Que celui qui mange, ne méprise
point celui qui n'ose manger, et que celui-là ne
condamne point celui qui mange. Il n'y a pas
grand inconvénient à observer le jeûne du
samedi, puisque l'Église romaine l'observe,
de même que quelques autres Églises voisi-
nes, et quelques-unes même assez éloignées,
quoiqu'on petit nombre ; mais de jeûner le
dimanche, ce serait un scandale, surtout de-
puis la naissance de l'hérésie des mani-
chéens , qui affectent de prescrire à ceux
qu'ils appellent leurs auditeiu-s, de jeûner le
dimanche, et qui regardent ce jour-là comme
particulièrement consacré au jeûne, a Ceux-
là, néanmoins, ajoute-t-il, sont pardonnables
de jeûner le dimanche , qui peuvent pousser
le jeûne au delà d'une semaine entière sans
manger, pour approcher d'autant plus du
jeûne de quarante jom-s, comme nous savons
que quelques-uns l'ont pratiqué. Nous avons
même appris de personnes dignes de foi,
ç[u'il s'en est trouvé un qui a poussé son
jeune jusqu'aux quarante jours. » Ces sortes
d'exemples ne tirent point à conséquence
contre la coutume générale ; mais il est d'avis
que quand il faut interrompre le jeûne dans
l'étendue de la semaine, le dimanche est le
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
78
jour où on le peut faire le plus à propos. 11
réfute les priscilliunistes, qui préteudaient
qu'on devait jeîmcr le dimanche, se fondant
siu- un passage des Actes où nous lisons que
le premier jour de la semaine, les disciples
étant assemblés pour rompre le pain, saint
Paul se mit à leur parler, et continua son
discours jusqu'à minuit. Cette assemblée se
fit ou à la fin du jour du sabbat et au com-
mencement de la nuit suivante, qui apparte-
naient déjà à ce jour de la semaine que nous
appelons le dimanche ; ou, si elle se fit à
l'entrée de la nuit qui suit le dimanche, on
doit dire c[ue cène fut pas le jeûne qui obli-
gea saint Paul de différer si long-temps la
fraction du pain, mais parce qu'il voulait don-
ner aux fidèles , avant de partir de Troade ,
les instructions dont ils avaient besoin. Quoi-
que, dès lors, la pratique fût de ne point
jeûner le dimanche, saint Paul pouvait, sans
scandale, dans la nécessité où il se trouA'ait,
passer tout le dimanche jusqu'à minuit et
même jusqu'au point du jour suivant sans
prendre de nourriture. « Mais présentement
que les hérétiques, par un dogme arrêté
entre eux, se font une pratique de religion
de jeûner le dimanche, je ne crois pas, dit
ce Père, que, même dans une nécessité pa-
reille à celle où se trouva saint Paul, on dût
faire ce qu'il fit, car il y aurait à craindre que
le scandale qui en arriverait ne causât plus
de mal que la prédication de la parole de
Dieu ne pourrait faire de bien. » Sa décision
est donc, qu'à moins de s'être obligé par
vœu à passer de suite un grand nombre de
jours sans manger, le dimanche n'en est pas
un où l'on doive jeûner. Ce qui fait que l'on
a accoutumé dans l'Eglise de jeûner le mer-
credi et le vendi'edi, c'est qu'il paraît, par
l'Évangile, cpie ce fut le mercredi cpie les
Juifs tinrent conseil pour faire moiu'ir Jésus-
Christ, et que le vendredi fut le jour de sa
passion. Son coi-ps ayant reposé la nuit dans
le sépulcre, cela a donné heu aux uns de ne
pas jeûner en ce jour-là, pour marquer le
repos auquel il est consacré ; d'autres, au
contraire, comme l'Église de Rome et quel-
ques auti'es Églises d'Occident, observent le
jei\ne en mémoire de l'humiliation et de la
mort du Seigneur. Mais les mis et les autres
s'accordent pour le jeûne du samedi qui pré-
cède la fête de Pâques, et ceux mêmes qui
dînent tous les autres samedis de l'année,
jeûnent très-dévotement celui-là en mémoire
tle la douleur où furent les disciples pendant
tout ce jour. Il finit cette lettre en rapportant
une règle excellente qu'il avait apprise de
saint Ambroise, étant à Milan avec sa mère.
« Comme elle ne savait point, dit-il, s'il fal-
lait jeûner le samedi selon la coutume de la
ville d'où nous sommes, ou ne pas jeûner
selon celle de Milan, je fus trouver l'homme
de Dieu pour la tirer de peine, et voici la
réponse que j'en eus. Je ne puis, me dit ce
saint évêque, vous prescrire sur cela que ce
que je fais moi-même. Quand je suis ici, je ne
jeûne point le samedi ; mais quand je suis à
Rome, je jeûne cejoui--là. Ainsi, dans quel-
que Église que vous vous trouviez, suivez-
en les coutumes, si vous voidez ne causer
de scandale à personne, et que personne ne
vous en cause. » Mais parce cpi'en quelques
endroits de l'Afrique , et entre les Églises
d'une même contrée, et même entre les fi-
dèles d'une même Éghse, il y en avait qui
jeûnaient le samedi, et d'autres qui ne jeû-
naient point, saint Augustin conseille à Casu-
lan de se conformer à ceux qui ont le gou-
vernement spirituel des peuples, et de ne
point résister sur cela à sou évêque.
5. La lettre à l'évêque Simplicien est une
réponse que saint Augustin lui fait pour le
remercier de l'estime qu'il témoignait de
ses ouvrages. Il les soumet entièrement à sa
censure, particulièrement ceux qui regar-
daient les questions que Simplicien l'avait
chargé de traiter. Dans la lettre qu'il écrivit
à Profuturus, saint Augustin parle de la pa-
tience que l'on doit conserver dans la mala-
die. Il en était attaqué lui-même si fortement,
qu'il était obligé de garder le lit ; mais il met-
tait en pratique les maximes cpi'il avance dans
cette lettre : « Quoique je souffre, je suis
bien, puisque je suis comme Dieu veut que
je sois. Car, quand nous ne voulons pas ce
qu'il veut, c'est nous qui sommes en faute,
et non pas lui, qui ne saurait rien faire ni
permettre que de juste. » Yoici une autre
maxime qui n'est pas moins utile et regarde
la manière dont on doit prévenir la colère
et empêcher la haine de se former dans
le cœur. « Ce qui donne entrée à la haine,
c'est que chacun croit sa colère juste, et
cette justice qu'il y trouve la lui faisant gar-
der avec quelque sorte de plaisir dans son
cœm-, elle s'aigrit par le séjour qu'elle y fait,
et infecte le cœur par son aigreur. Ainsi il
est bien plus sûr de ne se mettre jamais en
colère, quelque sujet qu'on en puisse avoir,
que de s'exposer, sous prétexte d'une juste
[IV" ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
79
colère, au danger d'en venir jusqu'à la liaine,
en quoi toute colère dégénère facilement.
Il vaut, sans comparaison, mieux fermer la
porte de notre cœur à une colère juste qui
se présente, que de la laisser entrer au ris-
que de ne la pouvoir chasser, et de la trou-
ver en moins de rien passer de la grosseur
d'un filet à celle d'une poutre ; car elle croît
avec une vitesse incroyable lorsqu'elle n'est
plus resserrée par la honte et qu'on a une
fois laissé coucher le soleil sur elle. »
Lciirt 39 g_ Saint Jérôme avant écrit une lettre de
saint Je- '^ ■ • T
IMS (lo a politesse en 397, par le diacre Présidais, à
vers saint Augustin, ce saint évêque lui demanda
". su.^ ' ^'^^^ sa réponse quel était le vrai titre du
livre des Ecrivains ecclésiastiques, que l'on
avait rapporté en Afrique sous le titre d'^-
pitaphe. Ce qui engageait saint Augustin à
lui faire cette question, c'est qu'il ne voyait
pas que le nom d'Epitapke convînt à un ou-
vrage où l'on parlait de plusieurs écrivains
qui vivaient encore. H lui témoigne ensuite
sa peine sur son explication de l'Epltre aux
Galates, soutenant qu'il est de la dernière
conséquence de n'admettre aucun mensonge
officieux, en quelque endroit de l'Écriture
que ce soit, et. qu'il n'y eut ni jeu ni feinte
dans la correction que saint Paul fit à saint
Pierre. Il l'exhorte donc à corriger son pro-
pre ouvrage et à chanter hautement la pali-
nodie, puisque la vérité des chrétiens a, sans
comparaison, plus de charmes que l'Hélène
des Grecs. Il lui demande pourquoi, en fai-
sant mention des écrivains hérétiques, il
n'avait pas aussi marqué leurs erreurs, et le
prie de lui donner une énumération abré-
gée de tous les dogmes des hérétiques qui,
par orgueil, par ignorance ou par opiniâ-
treté, ont tâché de coiTompre la pureté de
notre foi. Il témoigne en particulier souhai-
ter de connaître toutes les erreurs par les-
quelles un aussi grand homme qu'Origène
s'est écarté de la vraie foi.
.iitiieûi 7. Vers le commencement de son épisco-
à saint pat, saint Augustin écrivit tant en son nom
1 "''39"'^ qu'en celui d'Alypius, à Aurèle de Carthage,
;. 87 et pour le congratuler d'avoir, en préférant le
bien de l'Éghse à l'honneur de l'épiscopat,
permis, contre la coutume de son pays, à des
prêtres de prêcher en sa présence la parole
de Dieu. Il le prie de lui envoyer quelques-
uns de ces sermons. On met vers le même
temps la lettre qu'il écrivit à saint Paulin
pour lui demander une seconde fois son ou-
vrage contre les Païens. Il le lui demande
encore dans sa lettre quarante-cinquième.
8. Sur la fin de l'an 397, ou au commen- Lettre 'li
cernent de 398, il écrivit cà Glorius, Éleusius, eic'''"''«rs
Félix et Grammaticus , tous quatre du parti '''i» ' ^^s ,
des donatistes, pour leur faire voir qu'ils n'a- '"'°'
valent aucune raison de persévérer dans leur
schisme après avoir été convaincus si sou-
vent de la fausseté des prétextes dont ils pré-
tendaient l'autoriser. Il leur parle de ce fait :
étant en conférence avec eux dans leur ville,
et leur parlant de réunion, ils lui avaient
présenté les actes de la condamnation de
Gécihen et de Félix d'Aptonge, son ordina-
teur, par le concile de Cartilage; mais il
leur fit voir en même temps les défauts de
ce concile, pt comment sa sentence avait été
cassée par le concile de Rome, composé d'é-
vêques nommés par Constantin, à la requête
même de donatistes, par le concile d'Arles,
par Constantin même à qui ils avaient ap-
pelé, et par la sentence que le proconsul
avait rendue en faveur de Félix. N'ayant pas
tous ces actes en main, il les avait envoyé
chercher ; ils étaient arrivés au bout de deux
jours, et il leur en avait donné lecture, leur
laissant une entière liberté de les examiner
et même de les copier. Saint Augustin con-
jure Glorius et ceux cà qui il écrit de faire at-
tention à tous ces actes, qui font si bien voir
la nullité des procédures contre Cécilien : et
parce qu'ils auraient pu se plaindre en par-
ticulier de l'autorité que l'êvêque de Rome
s'était donnée dans cette affaire, il prévient
cette objection en cette manière : « Dira-t-on
que l'êvêque de Rome, Melchiade, n'a pas
dû s'attribuer la connaissance d'une affaire
une fois jugée en Afrique par un concile
de soixante -et -dix évêques, ayant le pri-
mat à leur tête? Mais ce n'est pas lui qui se
l'est attribuée : c'est l'Empereur qui, à la
prière des donatistes mêmes, nomma des
évêques pour en connaître avec celui de
Rome et la juger selon la justice. Nous le
prouvons, et par la requête des donatistes,
et par la déclaration de l'Empereur : vous
avez ces pièces en mains. » Il relève ensuite
la modération de la sentence rendue par Mel-
chiade : « Quand il vint, dit-il, à prononcer la
sentence définitive, combien y fit-il paraî-
tre de douceur, d'intégrité, de sagesse et de
soin de conserver la paix ? Car il ne voulut
point rompre de communion avec ceux de
ses collègues contre lesquels il n'y avait
rien eu de bien prouvé ; et se contentant de
charger Donat, qu'il avait reconnu pour prin-
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
80
cipal auteur de tout le mal, il laissa les autres
en état de •revenir, s'ils avaient voulu. Mais
quand nous demeurerions d'accord, leur dit
encore saint Augustin, que les ëvêques qui
jugèrent l'aflaire à Rome, ont été de mau-
vais juges, on pouvait encore examiner la
cause dan^ un concile plénier de toute l'E-
glise, avec ceux qui l'avaient jugée, afin que,
s'il se fût trouvé qu'ils eussent mal jugé, leur
sentence eût été cassée. Que les donatistes
prouvent qu'ils ont eu recours à ce moyen :
nous lem' montrerons aisément qu'ils ne
l'ont pas employé ;■ et il n'en faut point d'au-
tre preuve que ceUe-ci, que le monde en-
tier ne communique pas avec eux. Cette
séparation même fait voir encore que s'ils
ont eu recours à un concile plénier, ils y
ont été convaincus et condamnés. » Saint
Augustin examine toutes les autres procédu-
res dans lesquelles Cécilien fut déclaré inno-
cent, et les donatistes condamnés ; puis il se
plaint amèrement de ce qa'ils rebaptisaient
les membres de l'Église, et qu'en étant eux-
mêmes séparés, ils continuaient d'offrir le
sacrifice ; de ce qu'ils saluaient les hommes
par le souhait ordinaire de la paix, en même
temps qu'ils leur fermaient l'entrée de la
paix et du salut ; de ce qu'ils rompaient l'u-
nité de Jésus-Christ, et trouvaient mauvais
que les puissances séculières les châtiassent
de tous ces crimes par quelques peines tem-
porelles, pour tâcher de les garantir des
éternelles, que méritent leurs sacrilèges.
« Pour nous, continue ce Père, nous leur
reprochons la fm'eur qui les tient dans le
schisme, et nous lem- faisons voir dans les
livres qui sont les leurs aussi bien que les
nôtres, des Églises dont ils lisent tous les
jours les noms, et avec lesquelles ils n'ont
point de communion. Ils nous objectent des
crimes supposés de gens qui ne sont plus,
ne prenant pas garde que dans ce que nous
leur l'cprochons, il n'y a inen dont chacun
d'eux en particulier ne soit coupable ; au
lieu que ce qu'ils nous reprochent, ne tombe
que sur la paiUe de l'aire du Seigneur et ne
regarde point le froment. Ils ne veulent pas
comprendre qu'encore qu'on demeure uni
de communion avec les méchants, ce n'est
qu'en approuvant le mal qu'ils font, que l'on
communique avec eux , et que ceux qui ne
l'approuvent point et ne peuvent y mettre
ordre, n'y participent point, bien cju'ils de-
meurent avec eux dans la même commimion.»
II rapporte plusieurs exemples de l'Ecriture,
où nous voyons que les saints ont toujours
supporté les méchants, sans se séparer de
leur communion ; il en cite aussi des dona-
tistes, et finit cette lettre en disant à Glorius :
« Ce discoiu's que Dieu m'a fait la grâce de
vous faire avec un amour pour la paix et
une charité pour vous qui n'est connue que
'de lui, sera, si vous le voulez, l'instrument
de votre conversion, ou malgré vous, le titre
de votre condamnation. »
9. Comme saint Augustin n'avait écrit à
Glorius et à Éleusius, que parce qu'il les
croyait dans la disposition de chercher sincè-
rement la vérité pour s'y rendre ; ce fut dans
la même persuasion qu'il leur écrivit une
seconde lettre, adressée aussi à deux autres
donatistes, nommés Félix. Il leur fait le rap-
port d'une conférence que lui et Alypius
avaient eue en passant à Tubursique, avec
Fortuuius qui y était évèque pour les dona-
tistes. Fortunius voulut d'abord soutenir dans
cette conférence que la communion des do-
natistes s'étendait par toute la terre : mais
saint Augustin, pour le convaincre du con-
traire, lui demanda s'il pouvait lui donner
de ces lettres de communion, qu'on appelle
ordinairement lettres formées, pour quelque
Église que ce fût, offrant de sou côté, s'il le
souhaitait, d'écrire de ces sortes de lettres
aux Églises dont il est fait mention dans
l'Écriture, et que l'on sait avoir été fondées
par les Apôtres, c'est-à-dire à celle de Rome,
d'Antioche et de Jérusalem; et Fortunius
voyant qu'il ne pouvait accepter- la proposi-
tion, se jeta sur les persécutions que les do-
natistes avaient souffertes de la part de Ma-
caire. Mais saint Augustin lui fit remarquer
que quand Jésus-Christ a dit : Heureux ceux
qui souffraient perséaition , il a ajouté, po?/?' la
justice ; qu'ainsi, si Macaire ne les avait per-
sécutés que depuis leur schisme, comme cela
était vrai, ils n'en pouvaient tirer aucun
avantage. Fortunius avança qu'ils avaient
communiqué avec toutes les Églises jusqu'à
Macaire, et pour le prouver, il produisit un
certain livre par lequel il paraissait que le
concile de Sardique avait écrit à des évêques
africains du parti de Donat. En eflet, on
trouvait dans ce livre le nom de Donat entre
les autres évéqpies à qui le concile de Sardi-
que avait écrit. Saint Augustin ayant vu dans
cette lettre, qu'elle condamnait saint Atha-
nase et le pape Jules, reconnut qu'elle ne
pouvait venir que des ariens, et non du
véritable concile de Sardic[ue. Elle était en
Li'ltrc
aux «lêiii
et aux ilet
Félix , I
398 , liii
101.
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
jn'" ET V" SIÈCLES.]
affet du concile de Pliilippopolis, qui prenait
le nom de celui de Sardiqûe. Il pria Fortunius
de lui permettre d'emporter ce livre pour
l'examiner davantage; mais Fortunius s'en
excusa, et ne voulut pas même souffrir qii'il
y fit quelque marque de sa main; ce que
saint Augustin avait souhaité, de peur
qu'ayant besoin de cette pièce, on ne lui en
substituât ime autre. Continuant à montrer
que la persécution n'est point une preuve
suffisante de la justice d'une cause, le saint
évêque allégua l'exemple de Maximien do-
natiste, que ceux de ce parti persécutèrent
jusqu'à renverser son église de fond en com-
ble, (( quand même, ajouta-t-il, on aurait eu
tort de persécuter les donatistes, ils devaient
plutôt souffrir ce mal dans l'Église, que d'a-
bandonner l'Église; puisque Jésus-Christ a
toléré Judas, et lui a donné le sacrement de
son corps et de son sang. » Après quelques
autres contestations Fortunius vint à louer la
doucear de Généthelius, évêque de Carthage
avant Aurèle. Saint Augustin profitant de
l'occasion répondit que selon les principes
des donatistes, il aurait fallu rebaptiser cet
évêque. Fortunius l'avoua, disant que c'était
une règle établie de rebaptiser ceux qui ve-
naient à eux; ce qu'il dit d'une manière à
faire entendre qu'il n'approuvait point cette
règle. Comme ils n'avaient point touché la
question du schisme, saint Augustin conjura
Fortunius de travailler avec lui dans im es-
prit de paix et de tranquillité à la terminer.
Fortmiius le promit; et étant venu le lende-
main voir saint Augustin, ils s'entretinrent
encore sur le même sujet, mais assez peu de
temps, parce que saint Augustin avait envoyé
quérir le ministre des célicoles pour lui par-
ler, et qu'il était pressé de partir pour Cirthe.
On ne sait ce que c'était que ces célicoles ;
saint Augustin qui les connaissait n'en parle
pas dans son Traité des hérésies. On cite une
loi de l'empereur Honorius ' qui les soumet
aux peines décernées contre les hérétiques,
si dans un an ils ne se convertissent à la
religion chrétienne. Il paraît donc qu'ils n'é-
taient pas chrétiens, et que c'était une es-
pèce de secte assez semblable à celle des
hypsistaires. Dans le Code Théodosien ^, les
célicoles sont joints avec les juifs et les sa-
maritains, comme ayant quelque rapport
avec eux en certains points, quoiqu'ils en
81
fussent différents en d'autres. Saint Augus-
tin écrivant tout ceci à éleusius et aux autres
donatistes, les conjure par le sang du Sei-
gneur de faire souvenir Fortunius de sa pro-
messe ; pour éviter le tumulte, son avis est
que l'on s'assemble dans quelque bourgade
médiocre où il n'y ait point d'église, mais
qui soit habitée par des catholiques et des
donatistes ; que l'on y porte les saintes Écri-
tures, et toutes les pièces que l'on voudra
produire de part et d'autre, afin que l'on
s'applique uniquement à discuter cette af-
faire, et à la terminer.
10. Vers la même année 398, Publicola, Littrc ds
que l'on croit avoir été le fils de Mélanie la, vèUraiï
l'ancienne, et père de la jeune, homme d'une \f^ '^^ 'J^,^-
conscience timorée, écrivit à saint Augustin
pour lui demander la solution de dix-huit
difficultés sur lesquelles il était embarrassé.
Elles roulaient sur le serment que l'on faisait
faire à des barbares païens par leuis dieux,
pour les obliger de garder avec fidélité les
û'uits que Publicola avait dans ses terres si-
tuées dans les Arzuges ', qu'ils n'auraient
pas gardés fidèlement, si on ne les y eut
obligés par serment ; sur l'usage des viandes
et des autres choses immolées aux idoles, et
sur le meurtre de celui qui nous attaque, ou
qui veut nous voler. Saint Augustin répond,
qu'il n'est point défendu d'exiger le serment
d'autrui ; que ceux qui jurent par de fausses
divinités pèchent doublement quand ils se
parjurent; savoir, pour avoir fait un jure-
ment détestable, et pour s'être parjuré ; que
Publicola ne pouvait exiger le serment des
barbares, mais qu'il lui était libre de se ser-
vir d'eux quand ils auraient prêté le serment,
pour%'Ti qu'il n'y ait point eu de part. Quant
aux viandes immolées aux idoles, il le ren-
voie aux règles que l'Apôtre a prescrites sur
ce sujet ; si un chrétien en voyage pressé de
la faim ne trouve rien à manger que des cho-
ses offertes aux idoles, certain qu'elles ont
été effectivement offertes, U fera mieux de
s'en abstenir par une générosité chrétienne,
quand même personne ne le verrait ; mais
s'il est certain qu'elles n'ont pas été immo-
lées , ou s'il ne sait ce qui en est, il peut en
user sans scrupule. A l'égard de la dernière
question, saint Augustin n'est pas du senti-
ment de ceux qui croient qu'un homme en
peut tuer un autre de peur d'être tué lui-
1 Cod. Theod., tom. IV, pag. 163, 234. — 2 md.,
pag. 235.
IX.
' C'était un pays barbare du midi des états de
Tunis et de Tripoli. {L'éditeur.)
82
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
même \ « à moins que ce ne soit, dit-il, un
soldat, ou quelque autre personne qui en
ayant une autorité légitime, le fasse pour dé-
fendre les autres ; » mais il approuve qu'on
repousse par la terreur ceux qui nous atta-
quent.
Lctire (is 11. On rappoi'te à la même année la let-
Tcrs i'aiî tre à Eudoxe, abbé d'im monastère situé
lit.' ''°°' ^^^^ 1'^^^ ^^ Caprarie. Saint Augustin ayant
ouï parler de la piété de cet abbé et de ses
moines, lui écrivit pour l'exhorter, lui et ses
religieux , à employer utilement le repos
dont ils jouissaient, en sorte, néanmoins,
qu'ils ne le préférassent point au besoin de
l'Église, si elle les appelait à son ministère.
« Car si tous les gens de bien s'étaient ex-
cusés, leur dit-il, de l'assister dans les tra-
vaux de l'enfantement, vous n'auriez pu
naître de la naissance spirituelle qui vous a
fait ses enfants. »
U'tire iio 12. La lettre à Honorât, évêque donatiste,
à Honorât , . ......
011 398,iias. est du même temps. Il avait mvite samt Au-
gustin à traiter par lettres, l'affaire du schis-
me. Ce Père accepte le parti, et prie Honorât
de lui répondre sur l'article de l'Église, et de
lui dire comment elle peut être renfermée
dans une partie de l'Afrique, et comment il
est arrivé que l'héritage de Jésus-Christ, ré-
pandu par toute la terre, suivant l'accom-
plissement des prophéties , se soit trouvé
tout d'un coup réduit à une seule province,
qu'il ne possède pas même toute entière. En
attendant sa réponse, il lui fait sentir qu'il
ne peut appeler du nom de catholique, l'é-
glise des donatistes , puisqu'il ne pouvait
nier que leur parti ne s'appelât le parti de
Donat, et qu'il était connu sous ce nom par-
tout où leur communion était répandue,
i.curoso 13. L'année suivante 399, soixante chré-
laiis de Sur- tiens ayant brisé une statue d'Hercide à Suf-
vm' SM^ fecte, colonie romaine dans la province Bi-
pag. 11 u. zacenne^, les païens se jettèrent sur eux et
les massacrèrent. Saint Augustin en ayant
été averti, écrivit aux chefs de cette colonie
pour leur reprocher leur cruauté , et le mé-
pris qu'ils avaient fait des lois romaines. Car
l'année précédente , l'empereur Honorius
avait ordonné que l'on démolirait tous les
temples, et que l'on en briserait les idoles,
tant dans l'Afi-ique que dans le reste de
l'Empire. Saint Augustin fait remarquer aux
païens le ridicide, et de l'idole que l'on
avait brisée, et du. culte qu'ils lui rendaient,
en leur promettant de lem- rendre incessa-
ment un autre dieu bien sculpté et bien co-
loré , « afin, dit-il, qu'il ne manque rien de
tout ce qui peut relever l'éclat de vos fêtes
et de vos cérémonies. »
14. La lettre 51, est touchant le schisme
des donatistes. Saint Augustin y propose
quelques arguments à Crispin, évêque de
ce parti à Calame. Il insiste particulièrement,
sur ce qu'il n'avait eu aucmie raison de se
séparer de l'Église , pas même en supposant
que Cécilien était coupable ; parce que le
schisme est un plus grand crime, que d'a-
voir livré les saintes Écritures, qui était le
seul reproche que les donatistes faisaient à
Cécilien , ou plutôt à son ordinateur. (( Vous
avez, ajoute-t-il, coutume de nous repro-
cher d'employer l'autorité des puissances
séculières pour vous persécuter. Mais si
cette prétendue persécution est un crime,
pourquoi avez-vous persécuté Maximien et
ceux de son parti? Pourquoi vous êtes-
vous servi contre eux de l'autorité des ju-
ges, et avez-vous été jusqu'à employer la
force des soldats pour les chasser des égli-
ses dont ils étaient en possession dès la
naissance du schisme? Vous nous reprochez
encore que nous n'avons pas le baptême de
Jésus-Chiist, et qu'il n'est nulle part hors de
votre communion. Si cela est, pom'quoi
avez-vous admis et approuvé le baptême
des maximianistes, en recevant Féhcien et
Prétextât, avec beaucoup d'autres, qui,
quoique baptisés hors de votre communion
pendant le schisme, n'ont pas néanmoins été
rebaptisés? Peut-on dire que pendant que le
baptême des maximianistes est reçu, le bap-
tême de l'Église répandue par toute la terre,
soit anéanti et compté pour rien ? )) Saint Au-
gustin ramasse tous les points de contesta-
tion entre l'figlise et les donatistes , et prie
Crispin de faire voir s'il le peut, qu'il y ait
encore la moindre difficulté à la réunion, et
à faire finir un schisme plus criminel que ce-
lui que les donatistes se vantaient d'avoir
condamné dans les maximianistes. Cette
lettre fut écrite après la mort d'Optat de Ta-
mugade, arrivée en 399, et avant celle de
Prétextât d'Assur, qui ne vivait plus, lors-
' Le sentiment commun des théologiens sou-
tenus par l'antoritc! de saint Thomas est contraire
au sentiment de saint Augustin. [L'éditeur.)
s Cette province est aujourd'hui de la régence
de Tunis. [L'éditeur.)
[rv* ET V* SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
83
que saint Augustin achevait ses livres contre
Parménien, vers l'an 400.
15. Ce fut à peu près vers ce temps-là, que
Séverin donatiste, parent de saint Augustin,
lui écrivit comme s'il eût été dans la disposi-
tion de se réunir à l'Église catholique. C'est
du moins ce que ce saint évêque conjectura
en apprenant que Séverin avait envoyé un
homme exprès à Hippone, pom' porter sa
lettre. Il lui témoigne dans sa réponse, com-
bien il gémissait de voir, qu'étant frères selon
la chair, ils n'étaient pas unis ensemble dans
le corps de Jésus-Christ. Pour l'engager à
quitter le parti de Donat, il lui représente qu'il
ne s'étendait pas hors de l'Afrique , que c'é-
tait une branche morte et retranchée de la
racine des Églises d'Orient, d'où l'Évangile à
été porté en Afrique ; et qu'en même temps
que ces schismatiques adorent la terre de
ces heureuses contrées quand on leur en
apporte , ils rebaptisent les chrétiens de ces
Églises, qui viennent chez eux, comptant
pour rien le caractère qu'ils ont reçu au bap-
tême. « Si le crime dont les auteurs du schis-
me voulurent charger leurs confrères eût été
véritable, ajoute-t-il, ils auraient gagné leur
cause devant les Églises d'Outre -mer; au
contraire, les accusés sont demeurés dans
la communion des Églises apostoliques , tan-
dis que les accusatem's en sont exclus. »
16. Il semble que Prétextât d'Assur, n'é-
tait pas encore mort , lorsque saint Augustin
écrivit conjointement avec deux de ses col-
lègues, Fortunat et Alypius, à Générosus,
catholique de Constantine. Voici quelle fût
l'occasion de cette lettre : Un prêtre dona-
tiste de Cirthe, s'avisa d'écrire à Générosus,
qu'un ange lui avait apparu, et lui avait
commandé d'instruire Générosus de l'ordre
du véritable christianisme de l'Église de Cir-
the, et de l'avertir d'entrer dans le parti de
Donat, comme Pétilien, évêque du lieu, l'en
instruirait dans sa lettre. Ce prêtre vantait
aussi à Générosus la succession des évêques
de ce siège, et faisait en particulier un grand
éloge de Silvain. Générosus ne doutant point
que cette apparition ne fût une fiction du
prêtre donatiste, se moqua de sa lettre, et
l'envoya à Fortunat, évêque cathohque de
Cirthe, à Alypius et à saint Augustin qui se
trouvaient peut-être alors ensemble en cette
ville. Ces trois évêques répondirent à Géné-
rosus , et le prièrent d'envoyer leur letti-e à
ce prêtre pour- tâcher de le convertir. Ils y
font voir que le parti des donatistes ne peut
être la véritable Église, et ils en domient
plusieurs raisons. La première est qu'ils
n'ont point de succession d'évêques depuis
les Apôtres, au lieu qu'elle est évidente dans
l'Église catholique. Pour le prouver, saint
Augustin , qui fut apparemment chargé de
cette réponse, rapporte la succession des
évêques de Rome depuis saint Pierre, que *
Jésus-Christ regardait comme la figure de
toute l'Église , lorsqu'il lui dit : Je bâtirai
mon Église sur cette pierre, jusqu'à Anastase
qui remphssait alors le Saint-Siège. « Dans
toute cette suite d'évêques, ajoute-t-il, il ne
s'en trouve point de donatistes ; et ces schis-
matiques n'ont point eu d'autre évêque à
Rome, que celui qu'ils y envoyèrent après
l'avoir ordonné en Afi'ique , pour gouverner
dans cette ville un petit nombre des leurs,
connus sous le nom de montagnards. » Il
fait voir en second lieu, par le témoignage
des actes faits devant Munatius-Félix, sous
le consulat de Dioctétien et de Maximien,
que Silvain, qui a été le prédécesseur de l'é-
vêque donatiste de Cirthe , fut convaincu
d'avoir livré les saintes Écritures. Il oppose
en troisième lieu, tous les jugements rendus
contre les donatistes, soit dans les Gaules,
soit à Rome : et fait voir enfin, qu'ils avaient
tort de reprocher ■ aux catholiques , l'exis-
tence des méchants dans lem- Église , puis-
qu'ils avaient eux-mêmes reçu dans lem*
commimion, les maximianistes et les pri-
mianistes, après les avoir condamnés de leur
propre bouche comme des scélérats et des sa
criléges comparables aux premiers schisma
tiques que la terre engloutit tout vivants. Saint
Augustin ne dit rien de la lettre de Pétilien ps. cv,
17
citée par le prêtre donatiste, apparemment
parce qu'il ne l'avait pas encore réfutée.
17. Nous en avons deux à Janvier, dont Lcitie sa
la seconde est la plus longue : saint Au- ters""!^aiî
gustin, à cause de leur longueur, les a J^^- v»°-
mises au nombre de ses livres dans ses
Rétractations '. Il dit , qu'ayant traité de
plusieurs choses qui regardent les sacre-
ments, dont quelques-unes s'observent uni-
formément dans toute l'Église et d'autres
avec quelque différence en certains lieux , il
n'a pu les marquer toujours, s'étant borné à
celles qui suffisaient pour résoudre les ques-
tions proposées. En parlant de la manne,
il avait dit que chacun y trouvait le goût
qu'il voulait ; «je ne vois pas, ajoute-t-il,
* Aiigust., lib. I Retract., cap. ir.
84
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
qu'on puisse le prouver autrement, que par le
livre de la Sagesse, auquel les Juifs ne recon-
naissent point une autorité canoniqne. » H
veut que l'on entende ce qu'il a dit sui' ce
sujet, des fidèles et des saints d'entre les
Juifs , et non pas de ceux qui murmurèrent
contre Dieu; puisque, s'ils eussent pu trouver
dans la manne le goût qu'ils auraient sou-
haité, ils n'auraient pas désiré d'autre viande.
Janvier, dont on ne sait autre chose , sinon
qu'il faisait profession de piété, avait prié
saint Augustin de lui marquer comment il
devait se conduire dans les usages qui n'é-
taient point uniformément observés dans
tous les pays et dans toutes les églises. Saint
Augustin lui donne pour maxime fondamen-
tale que le joug que Jésus-Christ nous a im-
posé étant très-doux, il n'a donné au peuple
de la nouvelle alliance , pour lien de lem'
société , qu'un très-petit nombre de sacre-
ments , et' très-faciles à observer : comme le
baptême qui se donne au nom de la Tri-
nité, la communion de son corps et de son
sang, et les autres qui sont recommandés
dans les Écritures du Nouveau Testament.
« Quant à ce que nous observons, dit-il, par
tradition , si on l'observe par toute la terre ,
nous devons croire qu'il a été ordonné par
les Apôtres ou par les conciles généraux ,
dont l'autorité est grande dans l'Éghse :
comme la célébration annuelle de la Passion,
de la Résm'rection, de l'Ascension de Jésus-
Christ et de la Descente du Saint-Esprit. Mais
ce qui s'observe diflëremment en divers lieux ,
comme de jeûner le samedi ou de ne pas
jeûner; de communier tous les jours au corps
et au sang du Seigneur, ou seulement à cer-
tains jom'S ; d'offrir tous les jours, ou bien le
samedi et le dimanche , ou le dimanche seu-
lement : on est libre sur ces choses-là et sur
tontes les autres de cette natiu-e ; et il n'y a
point de meilleure règle pour un chrétien
sage , que de suivre ce qu'il voit pratiquer
daus l'Église où il se trouve. Car tout ce qui
n'est ni contre la foi , ni contre les bonnes
mœm-s , doit passer pour indilférent , et être
observé pour le bien de la société. » Il rap-
porte sur ce sujet la réponse que lui fit saint
Ambroise lorsqu'il alla le consulter, de la
part de sa mère, sur le jeûne du samedi.
(( Quand je suis à Rome, lui répondit ce saint
évèque, je jeûne le samedi, mais non pas
quand je suis à Milan. C'est ainsi que vous
devez faire, suivez ce qui se pratique dans
l'Église où vous vous trouverez. « Saint Au-
gustin approuve ceux qui ne communient
pas tous les jours par respect , et ceux qui
communient tous les jours par d'autres mo-
tifs de respect, pourvu qu'ils ne communient
pas dans le temps qu'il faut s'éloigner de
l'autel pom- faire pénitence par l'autorité de
l'évêque. ((Mais, dès que les péchés d'un
homme , ajoute-t-il, ne sont pas de la nature
de ceux pourlescjuels on le juge digne d'être
privé de la participation des mystères, le
corps du Seigneur est un remède quotidien
dont il ne doit pas se priver. » Mais il ap-
prouve encore plus celui qui voyant de la
contestation entre ceux qui s'approchent
souvent de l'Eucharistie, et ceux qui s'en ap-
prochent rarement, les exhorte à demeu-
rer dans la paix de Jésus-Christ , nonobstant
la diversité de leur conduite , (( puisque ni les
uns ni les autres, dit-il, ne profanent le corps
et le sang du Seigneur; et qu'au contraire,
ils s'efforcent à l'envie de l'honorer. Aussi
ne voyons -nous point que Zachée, qui reçut
avec joie le Seigneur dans sa maison, et le
Centenier cpii ne se jugea pas digne (ju'il en-
trât dans la sienne , aient contesté ensemble
sur la manière différente et contraire en
quelcjue sorte , dont chacun d'eux avait ho-
noré le Sauveur; ni qu'ils se soient voulu
élever l'un au-dessus de l'autre, sachant bien
qu'ils étaient l'un et l'autre accablés sous la
misère du péché, et qu'ils avaient reçu misé-
ricorde l'un et l'autre. »
Saint Augustin parle ensuite des diflerents
usages des Églises sur le jeûne, sur le sacri-
fice et sur le bain. En quelques endroits on
ne rompait pas le jeûne, et on ne se baignait
pas même le jeudi; en d'autres, on ne jeû-
nait point tous les jeudis de carême, et ou se
baignait aussi. Quelques-uns offraient deux
fois le sacrifice le Jeudi-Saint , le matin et le
soir après souper ? Il répond à Janvier, que
ces usages n'étant point établis générale-
ment dans l'Église , ni déterminés dans l'E-
critm-e , chacun devait suiwe sur cela la
pratique établie dans les Églises où il se
rencontrait puisqu'il n'y a rien dans ces dif-
férents usages (jui blesse la foi ni les mœurs.
(( Or, ajoute-t-il, on ne doit changer daus les
pratiques établies, qu'autant que le bien des
mœurs ou l'intérêt de la foi le demandent;
car les changements, mêmes utiles, ne lais-
sent pas d'apporter cpiekjue trouble par la
nouveauté ; et ce trouble fait que dès cpie le
changement n'est point utile, il est nuisible. »
Il dit que hors le jour du Jeudi-Saint, la cou-
[iv^ ET Y° SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN , ÉVÉQUE D'HIPPONE
tume de recevoir l'Eucharistie à jeun , était
85
dès lors universelle dans l'Église. Il paraît
persuadé, , que ce cjue l'Église entière ob-
serve à cet égard avec une parfaite unifor-
mité , a été établi par saint Paulj et que c'est
une des choses qu'il avait promis de régler
avec les Corinthiens, lorsqu'il serait avec
eux. n croit même que l'usage de célébrer le
sacrifice le matin et le soir le jour du Jeudi-
Saint , ne s'est introduit dans quelques Égli-
ses, que parce que dans la plupart des lieux
on prenait les bains ce jour-là. On offrait les
saints mystères le matin , en faveur de ceux
qui dînaient , parce qu'ils ne pouvaient por-
ter tout à la fois le jeune et les bains; on les
offrait le soir, en faveur de ceux qui jeû-
naient. Selon ce Père , la coutume de se bai-
gner le Jeudi-Saint, venait vraisemblable-
ment de ceux qui, devant être baptisés, s'y
disposaient par cette propreté extérieure ,
n'osant pas se présenter aux Fonts Sacrés le
corps couvert de la crasse qu'ils avaient con-
tractée par l'observation du carême.
18. Dans la seconde lettre, saint Augustin
répond aux autres questions de Janvier. La
première était : Pourquoile jour où l'on célè-
bre tous les ans la Passion de Notre-Seigneur
n'est-il pas toujours le même comme celui
où l'on célèbre sa naissance ? « C'est, répond
le saint évêque, que le jour de la Pâque ne
contient pas la simple mémoire, mais la si-
gnification des mystères qui s'y sont accom-
plis, au lieu que la fête de Noël ne renferme
aucune signification mystérieuse, et qu'elle
n'est établie que pour nous remettre en mé-
moire que Jésus-Christ est né pour notre sa-
lut. » Il donne, à cette occasion, plusieurs
raisons mystiques du mot Pâques, et expli-
que ce que cette fête représente , c'est-à-
dire le passage de cette vie mortelle à une
autre vie où l'on ne meurt pas. C'est à cause
de cette nouvelle vie que le premier mois de
l'année, qui est appelé dans l'Écriture le
mois de renouvellement, a été choisi pour cé-
lébrer ce mystère , et on doit le célébrer
après le quatorzième jour de la lune, parce
que cet astre, commençant dès ce jour-là à
tourner vers le ciel sa patrie, nous marque
le mouvement qui doit détourner notre cœur
des choses visibles et extérieures, et le tour-
ner vers celles qui sont invisibles et inté-
rieures. Saint Augustin donne des raisons
semblables de la résurrection de Jésus-Christ,
le troisième jour d'après sa mort et des au-
tres mystères qui en ont été des suites. Les
astrologues, à qui l'on reprochait lem'S vaines
fictions, reprochaient à leiu^ tour aux chré-
tiens de régler le temps de la célébration
de la Pâque sur la position de la lune et du
soleil ; mais si saint Paul défend d'observer
les jours et les temps, ou comme les Juifs
assujettis aux cérémonies de l'ancienne loi,
ou comme les païens, qui croyaient des jours
heureux et malheureux pour les actions or-
dinaires de la vie, il ne nous défend pas de
nous servir des divisions du temps pour ré-
gler prudemment notre conduite, a On peut
donc bien, ajoute le saint évêque, observer
les astres, ou par rapport aux diverses cons-
titutions de l'air, comme font les laboureurs
et les mariniers , ou par rapport à la situa-
tion des parties du monde, comme font les
pilotes et ceux qui marchent dans les dé-
serts ; ou pour en emprunter des figures pro-
pres à faire entendre quelque chose d'utile. »
Il explique ensuite, et toujours dans un sens
mystique, pourquoi, dans la célébration de
la fête de Pâques, on prend garde qu'elle
soit précédée du jour du Sabbat, figure du
repos éternel ; ce que nous représentent les
trois jours consacrés parle crucifiement, par
la sépulture et par la résurrection de Jésus-
Christ ; ce que signifient toutes les parties
de la croix à laquelle Jésus-Christ fut atta-
ché, et pourquoi l'on célèbre le carême avant
Pâques. Il fait voir que ce que nous appe-
lons Carême ou jeûne de quarante jours, est
autorisé par l'Écriture, où nous voyons que
Moïse, Élie et Jésus-Christ ont jeûné qua-
rante jours ; que l'on ne pouvait prendre un
temps plus convenable pour ce jeûne que
celui qui aboutit à la Passion de Jésus-Christ,
puisqu'elle nous représente la vie laborieuse
que nous menons ici-bas et qui doit être ac-
compagnée d'une tempérance qui nous prive
des fausses douceurs du monde.
Saint Augustin trouve encore des signifi-
cations mystérieuses dans le nombre de qua-
rante jours, pendant lesquels Jésus-Christ
conversa avec ses disciples, depuis sa Résur-
rection jusqu'à son Ascension ; et dans celui
des cinquante jours depuis Pâques jusqu'à
la Pentecôte, où Dieu envoya le Saint-Esprit
qu'il avait promis. Ces jours représentant un
temps de repos et de joie, le jeûne cesse, on
prie debout, on chante Alléluia. On prie
aussi debout tous les dimanches, cette pos-
ture étant la marque de la résurrection. L'ob-
servation du carême avant Pâques était une
chose établie par la pratique de l'Église aussi
86
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
bien que la célébration des huit jours sui-
vant la fête de Pâques, pendant lesquels les
nouveaux baptisés portaient la robe blan-
che; mais la coutume de ne chanter Y Allé-
luia que depuis Pâques jusqu'à la Pente-
côte n'était pas générale , et il y avait des
lieux où on le chantait en d'autres temps.
Pour ce qui est de prier debout, même pen-
dant le temps pascal, il n'était pas constant
si cet usage était généralement observé et
s'il l'était dans tous les dimanches. Le lave-
ment des pieds était en usage, et le temps le
plus propre à le mettre en pratique était ce-
lui de la Passion de Jésus-Christ; il y en
avait plusieurs qui n'étaient pas d'avis d'en
faire un usage ordinaire, de peur que cette
cérémonie ne fût regardée comme faisant
partie du baptême qui se confère dans le
même temps ; d'autres l'avaient abolie entiè-
rement pour la même raison , et d'autres
aussi, pour la distinguer du baptême, la cé-
lébraient ou le troisième jour dans l'octave
du baptême, ou le jour même de l'octave.
Voici la règle qu'il donne pour les nouvelles
pratiques : « Quand nous voyons établir une
chose qui va à nous porter à mieux vivre, et
qui dès-là ne doit êti'e contraire ni à la foi,
ni aux bonnes mœurs, ou que nous appre-
nons qu'elle est étabhe quelque part que ce
puisse être, bien loin de la condamner, il
faut la louer et la pratiquer, à moins qu'on
ne soit arrêté par la crainte de blesser les
faibles et de faire par là plus de mal que de
bien. Car dès qu'il y a plus de bien à espé-
rer pour ceux qui auraient soin d'en profiter,
que de mal à craindre pour ceux qui en fe-
raient du bruit , il le faut faire sans hésiter,
surtout quand ce sont des choses que l'Ecri-
ture autorise, par exemple, l'usage de chan-
ter des hymnes et des psaumes , qui est
fondé sur l'exemple aussi bien que sur les
préceptes des Apôtres et de Jésus -Christ
même. » Saint Augustin remarque néan-
moins que l'usage de chanter des psaumes
n'était pas uniforme dans toutes les Églises ;
il y en avait en Afrique où on n'en chantait
que rarement, jusque-là que les donatistes
reprochaient aux catholiques de chanter so-
brement les cantiques des prophètes dans
leurs églises. Il blâme les nouvelles pratiques
que l'on voulait introduire sans aucune uti-
lité ; quand elles n'auraient rien de contraire
à la foi, il suffit, pour les rejeter, qu'elles
chargent notre sainte religion , et nous fas-
sent retomber dans une servitude pire que
celle des Juifs. « L'Église toutefois se voit,
ajoute-t-il, obligée de tolérer bien des cho-
ses, mais sans approuver ce qu'elle trouve
de contraire à la foi et aux bomies mœurs. En
général, on doit retrancher sans aucune dif-
ficulté toutes les pratiques qui ne sont ni
conteziues dans l'Écriture , ni ordonnées par
les conciles, ni confirmées par l'usage uni-
versel de l'Église et dont on ne voit point de
raison. » Il condamne ceux qui s'abstenaient
de chair parcequ'ils la regardaient comme
quelque chose d'impur, ou réglaient leurs
affaires temporelles par les paroles qui se
présentaient au hasard à l'ouvertm-e du
livre de l'Évangile. « Car, quoiqu'il vaille
mieux, dit-il, qu'ils s'en tiennent là que d'al-
ler consulter les démons, je ne puis approu-
ver une coutume qui détom-ne à des usages
profanes les oracles de Dieu même, qui n'a
parlé que pour la vie éternelle que nous at-
tendons. » Il prie Janvier d'user de la science
comme d'une machine propre à élever l'édi-
fice de la charité , qui demeure éternelle-
ment, quoique la science soit détruite ; il le
prie encore de se souvenir qu'en rapportant
la science à la charité, elle est très-utile, au
lieu que par elle-même, et sans rapport à
cette fin , elle est , non-seulement inutile ,
mais pernicieuse, comme l'expérience le fait
voir.
19. Celer ', à qui les lettres 56 et 57 sont
adressées, avait prié saint Augustin de lui
donner quelques instructions sm* le schisme
des donatistes dans lequel il était, ce sem-
ble, engagé; mais ce saint évêque n'ayant
pu le satisfaire aussitôt qu'il l'eût voulu ,
pria un prêtre nommé Optât d'instruire Ce-
ler sur ce qu'il demandait. Depuis, aj^ant
fini la visite des églises de son diocèse et
trouvant quelque loisir, il écrivit lui-même à
Celer pour l'exhorter à cesser tout commerce
avec les donatistes, et lui envoya en même
temps un livre où il montrait que ces schis-
matiques n'avaient point dû se séparer de
l'Église catholique. Il le fait souvenir dans
la même lettre que cette vie, n'étant qu'une
vapeur qin se dissipe en un instant, rien ne
devait l'y attacher, ni les l'ichesses, ni la
place honorable qu'il occupait dans le
monde.
Dans la seconde lettre, saint Augustin lui
56 el
CiSlcr,
Tan
pas. 1'
Ce Celer est peut-être le luême ijui l'ut pro- consul en Afrique dans l'année 429. [L'éditeur-)
l-iv" ET v« SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN ,
promet que si, après avoir lu l'ouvrage qu'il
lui avait envoyé, il lui restait encore quel-
ques difScultés à propos du schisme des do-
natistes, il était tout prêt à les résoudre. H
insinue néanmoins assez clairement que Ce-
ler ne leur était plus attaché, puisqu'il le
prie de recommander l'union catholique aux
sujets qu'il avait dans le diocèse d'Hippone.
Il lui demande sa médiation pour se remet-
tre avec une personne qui était alors sur ses
terres; mais il ne marque pas le sujet de
leur mésintelligence. On met ces deux let-
tres vers le commencement de l'épiscopat
de saint Augustin et avant la conférence de
Carthage , dont , en effet, il n'y est point
parlé.
20. Celle qui est à Pammaque fut écrite
sur la fin de l'année 401 , et portée par les
députés du concile de Carthage. C'est un
éloge de ce sénateur romain qui, plein de
zèle pour la religion, avait porté, par ses
lettres , les donatistes qu'il avait dans ses
terres, situées au milieu de la Numidie, à em-
brasser l'unité de l'Eglise. Aussitôt que saint
Augustin en eût reçu la nouvelle , il en té-
moigna sa joie à Pammaque , en des termes
qui marquent combien son cœur était péné-
tré d'amour pour l'Église. «Entrez, lui dit-il,
par votre pensée jusque dans le fond de
mon cœur, et voyez ce qui s'y passe sur vo-
tre sujet. Car l'œil de la charité pénétre jus-
que dans ce sanctuaire dont nous fermons
la porte aux vanités tumultueuses du siècle ,
lorsque nous nous y retirons pour adorer
Dieu. C'est là que vous verrez quelle est ma
joie de cette œuvre excellente cpie vous avez
faite, et quelles flammes le feu de mon
amour pousse vers le ciel, lorsque j'offre
pour vous un sacrifice de louanges à celui
qui vous a inspiré ce dessein , et qui vous a
donné les moyens de l'accomplir. Combien y
a-t-il de vos collègues, enfants de l'Église
comme vous, qui pourraient faire en Afrique
ce que vous venez de faire, et qui nous don-
nent autant sujet de gémir de ce qu'ils ne le
font pas, que nous en avons de nous réjouir
de ce que vous l'avez fait. » Il ajoute, qu'il
n'osait les y exhorter, de crainte que s'ils
ne faisaient pas ce qu'il leur aurait conseillé,
les ennemis de l'Église n'en prissent occa-
sion de l'insulter, comme si elle avait été
vaincue par leur crédit. Mais il prie Pamma-
que de leur lire la lettre qu'il lui écrivait,
en lui disant qii'il ne négligeait peut-être
de travailler à la conversion de leurs su-
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 87
jets, que parce qu'ils la croyaient impossible.
21. Dans le même temps, c'est-à-dire sur
la fin de 401 , saint Augustin reçut une lettre
de Victorin , dans laquelle il prenait le titre
de primat de Numidie. Elle était circulaire
pour la convocation d'un concile , tant de la
Numidie que des deux Maïu'itanies ; et toute-
fois on n'y lisait le nom d'aucun des évêques
des Mauritanies, quoique ces deux provinces
eussent leurs primats, et qu'elles ne dépen-
dissent point du primat de Numidie. Elle
n'était pas même adressée aux principaux
évêques d'entre eux; et saint Augustin, quoi-
qu'un des plus jeunes évêques y était nommé
le troisième. Il en fut fâché, et le fut surtout
de n'y point trouver le nom de Xantippe,
qui devait être mis le premier, comme le plus
ancien. Il était évêque de Tagoce, et dis-
putait la primatie à Victorin. Toutes ces rai-
sons firent appréhender à saint Augustin,
que la lettre qu'on lui avait adressée de la
part de Victorin, ne fût fausse ; il était d'ail-
leurs fort indisposé lorsqu'il la reçut , et re-
tenu par de pressantes nécessités. Il prit
donc le parti d'écrii'e à Victorin, pour le
prier de l'excuser, et, avant toutes choses,
d'examiner avec Xantippe, à qui d'eux deux
appartenait la primatie et le droit de convo-
quer le concile, ou plutôt de le convoquer
tous les deux ensemble sans préjudice de
leur droit , jusqu'à ce qu'il y eût été décidé
par les plus anciens évêques de la province ,
qui était le premier , ou de Victorin , ou de
Xantippe. Il y a bien de l'apparence que
Xantippe fut reconnu primat, puisque dans
une lettre que saint Augustin lui écrivit l'an-
née suivante 402, il s'adresse à lui comme
au primat de Numidie. Il est bon de remar-
quer qu'en Afrique la dignité de primat se
réglait par l'antiquité de l'ordination, et non
par la qualité du lieu , qui n'était quelquefois
qu'une bourgade.
22. Saint Augustin avait dans son monas-
tère deux ù'ères , dont l'un se nommait Do-
uât. La vanité les porta à en sortir, sous
prétexte d'aller servir à Carthage, où il
semble qu'ils étaient nés, et y faire les fonc-
tions de la cléricature. L'évêque Aurèle
croyant qu'ils n'étaient venus en cette ville
qu'avec l'agrément de saint Augustin , éleva
Donat à la cléricature. Le saint évêque en
ayant été averti, écrivit à Aurèle que c'était
exposer les moines à une grande tentation et
faire affront au clergé, que d'élever à la clé-
ricature les moines déserteurs ; qu'on n'y
Lettre 59
à Victorin,
enîiOl, pag.
1S5.
Lettre 60
à Aurf;le
sur la fia
deïiOljpag.
1^7,
88
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
admettait ordinairement que les plus excel-
lents d'entre eux , les meillem's mêmes n'é-
taient pas quelquefois propres pour la cléri-
ricature; puisque s'ils avaient d'un côté la
piété nécessaire , ils manquaient souvent
d'instruction. « Donat, ajoute -t-il, était
sorti de son monastère, quelques efforts qu'il
eût fait pour l'en empêcher; mais ayant été
ordonné avant la défense du concile, tenu le
13 septembre 401, Aurèle pouvait, s'il le ju-
geait à propos, le laisser dans la cléricature,
pourvu qu'il ne fût plus possédé de l'esprit
d'orgueil ; » à l'égard de son frère, qui avait
été la principale cause de la sortie de Donat,
il ne veut point s'expliquer sur son sujet,
n'osant contredire les sentiments d'un homme
aussi sage et aussi plein de charité qu'était
Aurèle. Le canon, dont saint Augustin fait
ici mention, porte : « Que si un évêque en-
(( treprend d'élever à la cléricature un moine
« d'un monastère qui n'est point de son
« diocèse , ou de le faire supérieur dans un
« de ses monastères, il sera privé de la com-
(( munion de tous les autres évêques , et le
« moine ne demeurera ni clei'c ni supérieur.»
^ i.ctirc Gi 23. Un nommé Théodore, homme de con-
vcrs"'ia iii! sidération, avait demandé à saint Augustin,
lie 1 an Ml. comment il recevrait les clercs donatistes
qui voudraient se réunir à l'Église catholi-
(jue; ce saint évêque, qui l'avait déjà assuré
de vive voix, qu'il les recevrait dans leurs
degrés, lui écrivit encore de sa main, afin
qu'il les en assurât, et leur laissât même sa
lettre, s'ils le souhaitaient. 11 rend ainsi rai-
son de cette indulgence : «Nous ne condam-
nons en eux cjue leur séparation, qui les
rend schismatiques ou hérétiques, et qui les
tient hors de la vérité et de l'unité de l'É-
glise catholique, en ce qu'ils ne sont point
unis par le lien de la paix et de la commu-
nion avec le peuple de Dieu, répandu par
toute la terre, et qu'ils ne reconnaissent et
ne respectent point le baptême de Jésus-
Christ dans ceux qui l'ont reçu. Mais en
même temps que nous rejetons ces maux
comme des obstacles à l'union, nous em-
brassons nos fi'ères pour demem-er unis tous
ensemble par l'unité de l'esprit et le lieu
de la paix. Nous reconnaissons donc eu
eux ce qu'il y a de bon et qui vient de Dieu,
c'est-à-dire le baptême, l'ordinalion, la pro-
fession de continence et de virginité, comme
nous y reconnaissons la foi de la Trinité et
les autres choses de cette sorte qui étaient
en eux, à la vérité, mais qui leur dcmcu-
Lelti-
02 et 6^
raient inutiles, tant que la charité n'y était
pas. Or, qui peut dire qu'il ait la charité de
Jésus-Christ, tandis qu'il ne demeure point
dans son unité? »
24. Les deux lettres à Sévère, évêque de
Milève, sont au sujet d'un nommé Timothée sévère, s'
cfui avait lu publiquement les Écritures à 40;, pa
Subsane, dans une églige du diocèse d'Hip- '"'■
pone : ce qui faisait qu'on pouvait le regar-
der comme lecteur, et ainsi hoi's d'état de
pouvoir plus passer en une autre Église. Il
témoigna néanmoins à Sévère le désir de
l'aller trouver à Milève ; mais Sévère lui dé-
fendit, à moins qu'il n'en obtînt l'agrément
de Carcédoine, qui était apparemment le
curé de Subsane. Timothée, nonobstant cette
défense, et sans avoir obtenu le consente-
meiit de Carcédoine, alla à Milève, et pro-
testa avec serment à Sévère qu'il ne le quit-
terait pas. Il retourna cependant à Subsane.
Quelque temps après, le curé du lieu et un
nommé "Vérin, le firent ordonner sous-dia-
cre à l'iusu de saint Augustin. Ce saint évê-
que étant venu à Subsane, avec saint Aly-
pius et l'évêque Samsucius, reprirent Timo-
thée d'avoir été trouver Sévère, et firent
aussi des reproches au curé et à Vérin, de
l'avoir fait ordonner sous-diacre. Tous
avouèrent leur faute, en demandèrent pai-
don et l'obtinrent. Mais comme on voulait
persuader à Timothée de rester à Subsane,
il déclara qu'il ne le pouvait, attendu le ser-
ment qu'il avait fait, de ne point quitter Sé-
vère. Saint Augustin et les autres évêques,
qui étaient avec lui, firent voir à Timothée
que si Sévère, qui ne s'était engagé à lui
par auciui serment, le dégageait du sien, il
pourrait, sans se rendre coupable de par-
jure, demeurer à Subsane : et sur cela il
promit de suivre tout ce dont ils convien-
draient avec Sévère. Saint Augustin et les
autres évêques mandèrent à Sévère tout ce
qu'ils avaient fait, et le conjurèrent, par la
charité de Jésus-Christ, de dispenser Timo-
thée de son serment. Cet évêque, ofi'ensé de
ce qu'on avait ordonné Timothée sous-dia-
cre pour l'Eglise de Subsane, témoigna par
sa réponse être surpris de ce qu'on tolé-
rait cette ordination, au lieu qu'on pouvait
corriger la faute qui avait été faite, en lui
renvoyant 'J'imothée. Saint Augustin crut
donc que, pom' conserver avec Sévère le
lien de la charité, il ne pouvait faire autre
chose que de lui renvoyer Thimotliée. Car-
cédoine eut peine à y consentir, mais, re-
[IV° ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HÎPPONE.
89
gardant Jésus-Christ en la personne de Sé-
vère, il céda enfin à son désir, et pressa
même saint Augustin de lui renvoyer Timo-
thée. Comme saint Augustin ne s'autorise
point dans ces deux lettres, d'un canon du
concile de Milève, tenu le 27 août 402, qui
déclare que, quiconque aura lu une seiûe
fois, ne poui-ra point éti'e retenu pour le
clergé d'une autre Église, on en infère qu'il
les écrivit avant la tenue de ce concile, sur
la fin de l'année précédente,
i.ciirc 04 25. Un joui- ou deux avant Noël de la même
sur" la fin' année 401, saint Augustin reçut une lettre
pag.^'isi'' ^'^^ prêtre nommé Quintien, qui gouvernait
l'Église de Badesile dans le diocèse ou du
moins dans la province d'Am'èle. Il se plai-
gnait, dans cette lettre, de ce que saint Au-
gustin avait reçu dans son monastère, un
jeune homme nommé Privatien qui, ayant
lu une fois dans l'Église de Badesile , devait
passer pour lecteur. Il se plaignait encore
de ce qu'Aurèle ne jugeait pas le diiïérend
qu'il avait avec lui, pour avoir fait lire, dans
son église, quelques Uvres qui n'étaient point
compris dans le canon des Écritures, et qui
passaient pour apocriphes. Enfin , il priait
saint Augustin de s'entremettre pour faire
recevoir ses justifications à Aurèle, et d'é-
crire au peuple de Badesile, avant que cet
évêque y vînt. Saint Augustin fit réponse à
Quintien, que Privatien, qui n'avait lu que
des livres apocryphes, ne pouvait être con-
sidéré comme lecteur, et qu'ainsi il n'était
pas compris dans le canon qui défendait de
recevoir les clercs d'un autre diocèse. IL
n'était pas même fait mention de monastère
dans ce canon, et il ne défendait autre chose
sinon qu'aucun évêque ne reçut les clercs
d'un autre évêque. Le saint l'exhorte à souf-
fiir avec patience le traitement que lui fai-
sait Aoi'èle, l'assurant que s'il différait à le
juger, ce n'était par aucune animosité, mais
faute de loisir : il le blâme absolument d'a-
voir fait lire dans son église des livres apo-
cryphes, dont les hérétiques, et surtout les
manichéens, avaient coutume de se servir
poiu: tromper les peuples. Il cite un canon
d'un concile tenu depuis peu, où il avait été
ordonné que ceux qui se retireraient d'un
monastère, ou qui en am'aient été chassés,
ne seraient point admis à la cléricature dans
un autre diocèse, et qu'on ne les ferait pas
supérieurs dans d'autres monastères. C'est
le concile de Carthage, du 23 septembre
401,
26. n y avait, dans le diocèse d'Hippone Lettre 65
un prêtre d'assez mauvaise réputation nom- pe en"î'2|
mé Abundantius, qui gouvernait le peuple ^''°' "'''■
d'un lieu appelé Straboniane. Saint Augus-
tin voulant savoir par lui-même ce qui en
était, découvrit que ce prêtre avait eu en
dépôt l'argent d'un paysan, et qu'il ne pou-
vait dire ce que cet argent était devenu ; en
sorte qu'il y avait lieu de croire qu'il l'avait
volé. Abundantius fut aussi convaincu d'a-
voir mangé le matin et le soir un jour de
jeûne, et d'être couché chez une femme mal
famée. C'en fut assez à saint Augustin pour
ne pas lui laisser le soin d'une Église qui
était toute environnée d'hérétiques. Il le dé-
posa donc du sacerdoce. La sentence qu'il
rendit était du 27 décembre cent jours avant
Pâques, qui, en 402, était le 6 avril. Saint
AugTistin écrivit à Xantippe comme au pri-
mat de la province, pour lui rendre raison
de ce qu'il avait fait; et comme Abundantius
pouvait se pourvoir dans l'année, et faire
juger sa cause en dernière instance par six
évêques , il dit à Xantippe , que si, dans ce
jugement , on ne trouvait pas qu'Abundan-
tius méritât la déposition, quiconque le vou-
drait, poiuTait lui confier la desserte d'une
église de son diocèse ; mais que, pour lui, il
ne le pouvait pas, de peur de se rendre cou-
pable du mal qui pourrait en arriver. Cette
lettre fut écrite sur la fin de l'an 401, ou au
commencement de 402, pour le plus tard.
27. La même année 402, saint Augustin L^-tireGC)
ayant appris que Crispin, évêque donatiste eii(in2t'iK''s'
de Calame', avait contraint environ quatre- ^^^'
vingts personnes d'une terre nommé Mappa-
lie , qu'il avait achetée du domaine de l'Em-
perem', de se laisser rebaptiser, il lui en
écrivit pour se plaindre, et l'avertir de pren-
dre garde au compte qu'il aurait à rendre à
Dieu de l'action qu'il avait faite. « Si ce
sont, lui dit-il, les Mappaliens eux-mêmes
qui ont embrassé votre communion de leur
propre volonté, conférons nous deux en leur
présence ; on écrira ce que nous dirons, et
après avoir signé ce que nous aurons écrit,
on l'expliquera à ces paysans en langue pu-
nique, et on leur laissera ensuite la liberté
de choisir quelle communion ils voudront. »
Saint Augustin ajoute, que, s'il y avait des
donatistes qui fussent passés dans la com-
munion catholique, par la crainte de leur
seigneur, il consentait qu'on fit à leur égard
' Aujourd'hui Glielma. {L'éditeur.)
90
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Lettres
67 et 68 à
saint Jérô-
int?, en ^02,
pag. 155.
Lettre 69
à Castorius,
en 002, pag.
157.
Lettre 70
à Naiicé -
lion,enCi02.
ce qu'il demandait pour les Mappaliens, et
le conjure, par Jésus-Christ, de lui faire ré-
ponse sur cela.
28. La lettre que saint Augustin écri-vit
en 402, à saint Jérôme, était pour le prier
de répondre à celle qu'il lui avait écrite
en 397. Celle-ci avait couru longtemps à
Rome et dans l'Italie avant d'être rendue à
saint Jérôme, à qui l'on avait dit que saint
Augustin avait envoyé un livre à Rome con-
tre lui. Elle combattait le sentiment de saint
Jérôme sur la dispute de saint Pierre et de
saint Paul. Le solitaire de Bethléem répon-
dit à cette lettre dès qu'il l'eut reçue, mais
en doutant qu'elle fût de saint Augustin.
29. La suivante est au nom de saint Au-
gustin et de saint Alypius. Castorius, à qui
elle est adressée, avait un frère évêque de
l'Église de Vagine , nommé Maximien , qui
voyant qu'il ne pouvait conserver l'honneur
de l'épiscopat, sans troubler l'Église par une
dissension honteuse , renonça à sa dignité
par l'amour de la charité et de la paix.
Après sa cession, Castorius son frère fut élu
pour lui succéder; et dans la crainte qu'il ne
refusât l'épiscopat, on envoya des personnes
pour l'arrêter. Saint Augustin et saint Aly-
pius qui connaissaient ses belles (jualités, lui
écrivirent pour l'exhorter à accepter la di-
gnité qu'on lui offrait , et à faire voir au
peuple de Vagine, par son application à le
bien gouverner, que son frère n'avait pas
quitté cette Église par la fuite du travail,
mais pour lui donner la paix.
30. La lettre à Nancélion est une réponse
à celle que Nancélion avait écrite à saint Au-
gustin et à saint Alypius. Il leur avait mar-
qué que Clarence, évêque donatiste, n'avait
osé nier dans la conférence que Félicien de
Musti n'eût été condamné par les donatistes,
et rétabli ensuite par eux-mêmes dans sa di-
gnité. Il ajoutait, qu'ils prenaient le parti de
dire qu'il était innocent, lorsqu'ils le con-
damnèrent, et que bien loin d'avoir été en-
tendu, il n'avait pas même été présent lors-
qu'on le condamna. Par cette conduite, ré-
plique saint Augustin, les donatistes faisaient
assez voir qu'ils n'avaient pas condamné
moins témérairement les catholiques, qu'ils
avaient autrefois accusés d'avoir hvré les
saintes Écritures aux païens ; et la manière
dont ils s'étaient comportés à l'égard de Féli-
cien de Musti, condamnait celle qu'ils tenaient
à l'égard de toute la terre. Quand mê-
me Félicien aurait été innocent lors de sa
condamnation , les donatistes ne pouvaient
le regarder que comme coupable , depuis
qu'il avait communiqué avec Maximien.
« Cependant, ajoute-t-il, combien de monde
n'a-t-il pas baptisé étant dans la communion
de Maximien ? Son baptême était-il bon ou
mauvais ? S'il était bon , quoique donné par
un homme uni de communion avec Maxi-
mien et par conséquent dans le schisme ,
pourquoi les donatistes rejettent-ils le bap-
tême qui se donne par toute la terre ? S'il
était mauvais, comment en rétablissant Féli-
cien, ont-ils reçu tous ceux qu'il avait bapti-
sés, sans en rebaptiser aucun ? »
31. Nous avons parlé à l'article de saint
Jérôme, de la lettre que saint Augustin lui
écrivit pour le détourner du dessein où il
était de traduire de nouveau sur l'hébreu,
les livres de l'Ancien Testament, et de celles
qu'ils s'écrivirent mutuellement, soit dans
l'affaire de Ruiin d'Aquilée, soit au sujet de
la dispute de saint Pierre et de saint Paul,
rapportée dans VEpître aux Galates.
32. Saint Augustin voyant qu'après plu-
sieurs invitations les évoques donatistes re-
fusaient d'entrer en conférence avec les ca-
tholiques , s'adressa par lettres à tous les
schismatiques en général, pour les prier, au
nom de l'Église catholique, d'ouvrir les yeux
de leur cœur et de voir dans toute la terre
l'accomplissement des prophéties en faveur
de cette Église. Il leur fait une récapitulalion
de l'histoire de la naissance et du progrès de
leur schisme, et montre, par les trois juge-
ments rendus en favem" de Cécilien , par les
crimes d'Optat de Thamugade, qu'ils regar-
daient comme martyr , et par la condescen-
dance avec laquelle ils avaient traité les maxi-
mianistes et Félicien de Musti, que la vérité et
le salut ne se trouvaient que dans l'Église ca-
tholique. «Si vos évêques, ajoute-t-il, neveu-
lent pas conférer avec nous, que les laïques
d'entre vous les pressent au moins de leur
répondre à eux-mêmes sur tout ceci. Mais
si votre salut vous touche tant soit peu, que
pouvez-vous penser de ce qu'ils ne veulent
pas entrer en conférence avec nous ? Si les
loups sont convenus entre eux de ne point ré-
pondre aux pasteurs, à quoi songent les brebis
de demeurer dans les cavernes des loups?»
33. On croit que ce fut pendant la tenue
du concile de Carthage, en 404, qu'arriva
l'affaire de Boniface et de Spés. Celui-ci de-
meurait dans le monastère de saint Augus-
tin, celui-là était prêtre et résidait dans la
Lettres
71, 72, 7.^
74, 75, SI
et 82 ,\ sailli
J'Tôme ei â
saint Au-
gustin, pag
IGO.
Leilre 7(
aux (lona
ti^ile-;, ver.
l'an .'i03 oi
liO'i , pag
179.
I.ettie 1
i FOlix, 7
au clerg
(Pilippone
Tcr> l'a;
'iiii. pag
ISl.
[IV" ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
9!
maison du saint évêque. Boniface avait ac-
cusé Spés, qui était un jeune homme, d'un
crime infâme. Spés, au contraire, jetait la
faute sur Boniface. Saint Augustin ne trou-
vant de quoi convaincre ni Tun ni l'autre , se
résolut de laisser la chose à Dieu , jusqu'à
ce que Spés, qui lui était suspect, lui donnât
quelque sujet légitime de le chasser de son
monastère. Soit que Spés s'en aperçut, soit
par son ambition naturelle, il pressa saint
Augustin de le promouvoir à la cléricatm^e,
ou de lui donner des lettres de recomman-
dation pour être ordonné ailleurs. Le saint
évêque ne voulant ni lui imposer les mains,
ni en charger aucun de ses confrères, Spés
demanda que , puisqu'on lui refusait la clé-
ricature, on ne permit pas non plus au prê-
tre Boniface de garder son rang. Boniface y
consentait, aimant mieux être privé devant
les hommes de l'honneur du sacerdoce, que
de donner occasion à Spés de troubler inu-
tilement l'Église par le bruit qu'il ferait, et
qui pourrait donner occasion aux donatistes
d'accuser les catholiques de retenir, dans le
sacerdoce, un homme qu'ils croiraient aisé-
ment être coupable, parce qu'il n'aurait pas
eu le moyen de justifier son innocence. Mais
saint Augustin prit un milieu, persuadé qne
Dieu obligerait le coupable à confesser sa
faute, il les fit convenir tous les deux par
écrit, qu'ils iraient en quelque endroit célè-
bre par des miracles. Ce qui l'engagea à pren-
dre ce tempéramment, fut qu'il avait vu à
Milan un semblable miracle ; un voleur étant
venu à un tombeau de saint, pour faire un
faux serment , fut contraint d'avouer son
crime. Comme le tombeau de saint Félix de
Noie était célèbre par un grand nombre de
miracles, et que saint Augustin était assuré
d'apprendre par saint Paulin qui y demeu-
rait, avec plus de certitude qu'en tout autre
lieu, ce qui leur serait arrivé, il leur dit d'al-
ler à saint Félix de Noie. Boniface, quoique
prêtre, ne prit point de lettre qui témoignât
le rang qu'il tenait dans l'Église, afin d'être
traité également avec sa partie dans une
ville où ils étaient tous deux également in-
connus. Jusque-là la chose était demeurée
secrète, et saint Augustin en avait dérobé
la connaissance à son Église , pour éviter
le scandale. Mais elle fut divulguée malgré
lui, et causa le scandale qu'il avait prévu. Le
peuple en fut d'autant plus fâché qu'il avait,
quelque temps auparavant, tiré vanité de ce
que l'on ne voyait point les clercs de saint
Augustin tomber dans des fautes, comme
ceux de Proculien, évêque donatiste d'Hip-
pone. On ne se contenta pas de murmurer ;
on demanda encore que l'on effaçât le nom
de Boniface du catalogue des prêtres que
l'on avait coutume de réciter à l'autel, pour
ôter, disait-on, occasion aux donatistes d'ac-
cuser l'Église de laisser les crimes impunis.
Saint Augustin ne voulait pas en venir à
cette extrémité, dans la crainte de prévenir
le jugement de Dieu auquel on avait ren-
voyé ce prêtre. Il craignait aussi d'agir con-
tre la disposition des septième et huitième
canons du troisième concile de Carthage, en
397, où il est défendu de suspendre un ec-
clésiastique de la communion , jusqu'à ce
qu'il ait été convaincu, à moins qu'il n'ait
manqué de se présenter en jugement. Il
écrivit donc à Félix et à HiJarin, deux des
principaux du peuple catholique d'Hippone,
qui lui avaient écrit sur cette affaire; il
leur manda qu'il ne fallait point s'étonner
que l'on fit courir de semblables bruits con-
tre les serviteurs de Dieu ; n'ayant reconnu
Boniface coupable d'aucun crime, il ne pou-
vait se résoudre à ôter son nom d'entre les
prêtres ; et comme la cause était remise au
jugement dé Dieu, un tel préjugé lui ferait
injure : dans les jugements séculiers, le juge
inférieur n'ose rien attenter au préjudice de
l'appel. 11 écrivit aussi une lettre à son cler-
gé, aux anciens et à tout le peuple de son
Église, pour les consoler dans la douleur que
leur causait ce scandale , en les avertissant
néanmoins de prendre garde à ne pas tom-
ber eux-mêmes sous la puissance du démon,
en jugeant leur frère par de faux soupçons.
Il leur dit pourquoi il n'avait pas cru devoir
effacer le nom de Boniface du catalogue des
prêtres, ni défendre qu'on le lut publique-
ment. « Mais si vous trouvez plus à propos,
ajoute-t-il, qu'on ne le nomme point avec
les autres prêtres, afin d'ôter toute occasion
à ceux qui ne cherchent que des prétextes
pour ne pas entrer dans le sein de l'Éghse,
cela ne nous sera pas imputé, mais à ceux
à cause de qui nous le ferons. Car , du
reste , qu'importe à ce prêtre de n'être pas
inscrit sur cette tablette , où des hommes
qui ne sont que ténèbres et ignorants ,
ne peuvent souffrir son nom , pourvu que
par la pureté de sa conscience, il demeure
écrit sur le livre de vie ? » Cette tablette est
ce que l'on entendait communément sous le
nom de sacrés diptiques. Il y en avait une
92
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
pour les évêques morts en la communion de
l'Église catholique ; une autre pour les vi-
vants, et une troisième pour les morts en
général. Dans la seconde, étaient écrits les
noms des clercs , et même celui de l'Em-
pereur et des autres persozmages considé-
rables. Saint Augustin dit à son clergé :
« Dieu à la vérité est partout et doit être
adoi'é en esprit et en vérité, mais ce n'est
pas à nous à sonder la profondeur de ses
conseils, ni à demander pourquoi il ne se
rend sensible qu'en certains lieux par les
miracles qui s'y font, et pourquoi on ne voit
rien de semblable ailleurs. Car de la même
manière que dans la naissance de l'Église,
le don des giiérisons miraculeuses n'était
pas commun à tous , de même dans ces
temps-ci, celui qui distribue ses dons à cha-
cun comme il lui plaît, ne veut pas qu'il ar-
rive de ces merveilles dans tous les lieux où
les corps de ses saints sont honorés. » Il les
reprend de ce qu'ils insultaient les dona-
tistes à cause de la chute de deux de leurs
diacres : « On ne doit, dit-il, i-eprocher aux
hérétiques que de n'être pas catholiques , »
afm de ne pas imiter les accusations, fausses
pour la plupart , qu'ils répandent contre l'É-
glise. Il les exhorte aussi à ne pas blâmer
les monastères parce qu'il s'y trouve quel-
ques méchants ; il prend Dieu à témoin que,
depuis qu'il s'était consacré à son service,
comme il n'avait guère trouvé de meilleurs
sujets que ceux qui ont bien vécu dans les
monastères, aussi n'en avait-il point trouvé
de plus mauvais que ceux qui y sont tombés.
Boniface et Spés partirent pour Noie ; mais
on ne sait point quelle fin eut leur affaire.
On trouve un Boniface ami de saint Augus-
tin, évêque de Carthage , vers l'an 408.
Lcurc 7'j 34. La lettre suivante est adressée à un
b 1111 prêlro . • -, , . . ,
niiuiichien, prêtre manichéen, qui se vantait de ne point
In", pu''", craindre la mort. On croit que ce pourrait
^'*''- être ce Félix avec qui saint Augustin disputa
étant évêque, comme il avait disputé n'étant
encore que prêtre , avec Fortunat, dont il
parle dans cette lettre, et qu'il avait réduit
à ne pouvoir i-épondre. Il propose donc le
même ai-gument à Félix, en le sommant ou
d'y répondre, ou de s'en aller, de peur que
la puissance divine ne le couvrit de confu-
sion d'une manière qu'il n'attendait pas.
i.ciirc8o 35. 11 prie saint Paulin, dans la lettre qu'il
i'i.r',"'Tcr"s ^"li écrivit vers le mois de mars de l'an 403,
l'an M3 , (Iq 2ui mander comment on pouvait connaî-
pag. 135. ■*■
tre la volonté de Dieu pour distinguer entre
plusieurs actions qui sont bonnes, celles qu'il
demande de nous, et que nous devons pré-
férer aux autres pour suivre sa volonté. Se-
lon le saint Docteur, il convient que siu" ce
point il est difScile de ne pas se tromper, et
de ne pas faire des fautes par ignorance ; et
c'est sur cela que nous avons le plus de su-
jet de nous écrier avec le Prophète : Qui est-
ce qui connaît la multitude des péchés ? Il donne
deux exemples de l'attention qu'ont les saints
à faire la volonté de Dieu plutôt que la leur,
même dans les choses qui sont bonnes. Le
premier est celui de saint Pierre; cet apô-
tre, selon la parole de Jésus-Christ, se laissa
lier et mener où il aurait voulu ne pas al-
ler, et où il n'alla que parce que Dieu le
voulait. Le second est celui d'Abraham, ce
patriarche ayant la volonté de nourrir son
fils et de le conserver autant qu'il dépen-
drait de lui, changea tout d'un coup lorsque
Dieu lui commanda de le sacrifier. « Sa pre-
mière volonté, dit saint Augustin, n'était pas
mauvaise , mais elle aurait commencé à
l'être, s'il y avait persisté après l'ordre que
Dieu lui donna de sacrifier Isaac. »
36. Les habitants de Thiare ayant renoncé . '■em-ças
au schisme des donatistes, on leur donna c» aos.'pà's'
pour les gouverner un prêtre du monastère "''^*
de Thagaste, nommé Honorât, qui s'était
fait moine sans se défaire de son bien. Après
sa mort ceux de Thiare prétendirent que le
bien d'Honorat leur appartenait. Saint Aly-
pius soutenait au conti'aire qu'il appartenait
à son monastère , parce qu'Honorât y avait
d'abord été moine , et qu'un moine n'ayant
plus rien en propre, tout ce qu'il avait eu au-
paravant appartenait à son monastère; et
que si l'on croyait les moines capables de
posséder quelque chose , c'était leur donner
lieu de différer autant qu'ils pourraient , de
se défaire de leurs biens. Saint Augustin, %
consulté sur cette affaii^e, et n'ayant [pas le
temps de l'examiner à fond , s'opposa à la
prétention de ceux de Thiare , et approuva,
ce semble, la pensée de saint Alypius, de
partager le bien d'Honorat, d'en donner la
moitié à ceux de Thiare , et l'autre aux pau-
vres, c'est-à-dire au monastère de Thagaste.
Ce parti n'ayant pas satisfait les habitants
de Thiare , saint Augustin , de retour à Hip-
pone, examina l'aiïaire avec plus d'attention,
et trouva que ce pai-tage d'un argent con-
testé, marquait plus d'amour pour un intéi'èl
pécuniaire , que pour la justice. 11 crut qu'il
était d'une extrême importance de persua-
[n' ET V" SIECLES.]
der aux peuples que les évêcjues n'agissaient
nullement pour l'argent, en ces sortes de
rencontres, et qu'il fallait d'autant plus con-
vaincre de cette vérité ceux de Thiare,
qu'ils s'étaient réunis depuis peu à l'Eglise.
11 écri-snt donc à saint Alypius qu'en ne lais-
sant aux habitants de Tliiare que la moitié
du bien d'Honorat , cette seule moitié étant
regardée comme lui appartenant légitime-
ment, ce serait toujours une tentation pour
ceux qui se retirent dans les monastères , de
différer autant qu'ils pourraient à vendi'e
leurs biens; qu'il trouvait qu'il y avait moins
de danger à ne rien donner du tout à ceux
de Thiare , mais que le mieux était de se ré-
gler en cette occasion sur les lois civiles,
selon lesquelles les moines étaient maîtres
de leurs biens jusqu'à ce qu'ils l'eussent
vendu, ou qu'ils en eussent fait une dona-
tion. «Or, ajoate-t-il, le bien dont il s'agit,
appartient si certainement à Honorât , selon
ces lois-là, que quand il n'aurait point été
ordonné prêtre, et qu'il serait mort dans le
monastère de Thagaste , tout le bien dont il
n'aurait pas disposé par vente ou par dona-
tion aurait passé à ses héritiers. » Saint Au-
gustin donne pour exemple Émilien , qui hé-
rita de son frère Privât, mort dans le monas-
tère d'Hippone. 11 trouve fort bon qu'on oblige
les moines à disposer de leur bien avant d'ê-
tre reçus dans le monastère; « mais s'ils
meurent, dit-il , sans l'avoir fait , il faut en
passer par ce que les lois civiles ordonnent ,
afin d'éviter, non-seulement tout ce qui est
mal, mais tout ce qui en peut avoir l'appa-
rence , et de conserver la bonne réputation
qui est si nécessaire aux ministres de Jésus-
Clurist. » L'évêque Samsucius, à qui saint
Augustin proposa la difiâculté, fut d'avis d'a-
bandonner aux habitants de Thiare la suc-
cession d'Honorat. Nous n'avons plus la lettre
cjue saint Augustin leur écrivit sur ce sujet.
Il l'envoya d'abord à saint Alypius, en le
priant de la signer, et àe la leur faire passer
au plus tôt. Il lui marqua en même temps les
raisons qu'il avait eues de changer de senti-
ment sur cette affaire. Mais comme il s'était
engagé à récompenser le monastère d'Aly-
pius de la moitié qu'il avait consenti de lais-
ser à ceux de Thiare , il dit que si cet évè-
que croit que la répétition en soit juste, il
s'acquittera de cette dette , lorsqu'il lui sera
venu quelque aumône assez considérable,
pour être partagée entre le monastère d'Hip-
pone et celui de Thagaste.
SALNT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
93
37. Saint Augustin avait dans son diocèse , '-ctircsa
un diacre nommé Lucille, qu'il estimait beau- vers ra.i
coup à cause des services qu'il rendait à son
Église , par la facilité avec laquelle il parlait
la langue punique. Novat, frère de Lucille ,
voi.dait l'avoir auprès de lui pour s'en servir
aussi dans les besoins de son diocèse, qu'on
croit avoir été celui de Stèfe, capitale d'une
des Mauritanies. Saint Augustin, pour enga-
ger Novat à lui laisser Lucille, lui représente
que la dispensation des trésors de l'Évangile
était beaucoup retardée dans son diocèse
d'Hippone, par la disette où on y était d'ou-
vriers qui sussent la langTie piinique ; au lieu
que l'usage de cette langue était familier dans
le diocèse de Novat. Il le presse encore par le
sacrifice qu'il avait fait lui-même d'un de
ses clercs, pom- le service d'une autre Église
que la sienne. Enfin, il lui dit : « Croyez-
vous que ce serait aimer le salut des fidèles,
de nous priver d'un homme qui possède un
talent dont nous avons un si grand besoin,
et que nous trouvons si rarement? Le Sei-
gneui", en qui vous avez mis toute l'affection
de votre cœur, donnera à vos travaux une
bénédiction qui vous récompensera du bien
que vous nous ferez. »
38. Paul, à qui est adressée la lettre sui- ;, Pa^^'^vLTs
vante, avait été engendré en Jésus - Christ '';'^> ""s,
par saint Augustin, et avait reçu de lui une
éducation chrétienne. Élevé à la dignité
d'évêque dans la Numidie, il donna lieu par
ses mœurs déréglées à diverses plaintes que
l'on en fit à saint Augustin. Ce saint évêque
ne croyant pas devoir se taire , donna à Paul
tous les avis qu'il jugea nécessaires; mais
ils fui-ent inutiles : en sorte que saint Augus-
tin se crut obligé de se séparer de sa com-
munion. Paul lui écrivit pour la lui rede-
mander, se plaignant qu'il ajoutait trop de
foi à ses ennemis. La réponse que lui fit ce
saint évêque , est également pleine de force
et de charité. Il y prend Dieu à témoin du
bien qu'U souhaitait à Paul, et dit que la seule
chose qui l'empêchait de communiquer avec
lui, c'est qu'il ne pouvait se résoudre à le
flatter. «Comme c'est moi, ajoute-t-il, qui
vous ai engendré par l'Évangile, je suis obligé
plus qu'aucun autre de ne vous épargner au-
cune des amertumes salutaires que la vérité
et la charité peuvent faire sentir; et la joie
que j'ai eue autrefois de la grâce que Dieu
nous a faite de ramener tant d'âmes à l'É-
glise, ne m'ôte point le sentiment de la dou-
leur que j'ai de voir que vous lui en fassiez
94
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
perdre beaucoup plus par la plaie que vous
avez faite à l'Église d'Hippone, et qui ne se
peut guérir à moins que Dieu ne vous fasse
rentrer dans une vie qui soit digne d'un
évêque, en vous affranchissant de tous les
engagements et de tous les soins des affaires
temporelles. L'épiscopat ne doit pas être re-
gardé comme un établissement, et un moyen
de nous procui'er les fausses douceurs de
cette vie. »
Lciire 80 39. La lettre à Cécilien , gouverneur de
iiiMb.pag! Numidie, en 405, et préfet du prétoire en
^'*^' 409, est pour le prier d'employer l'autorité
qu'il avait en Afrique , non poiu' punir avec
excès les persécutions que les donatistes fai-
saient souffrir aux catholiques des environs
d'Hippone , mais pour réprimer leur orgueil
par une terreiu' salutaire qui les fit rentrer
en eux-mêmes,
i-euic 87 40. On voit par la lettre à Émérite, dona-
hoiiati'stc'° tiste ', que saint Augustin ne le connaissait
l'ci^^ '"" 1^^ ^^ réputation. 11 passait pour un homme
208." ' d'un bel esprit , instruit dans les lettres hu-
maines, bien élevé, ennemi des violences
ordinaires à ceux de sa secte , et en un mot
pour un homme de bien autant qu'il le pou-
vait être dans le schisme. Toutes ces belles
qualités engagèrent saint Augustin à lui
écrire deux fois, sur l'assurance que des
personnes dignes de foi lui donnèrent, qu'É-
mérite lui répondrait, s'il lui écrivait. La
première des deux lettres de saint Augustin
est perdue : nous n'avons que la seconde, où
il fait voir à Émérite qu'il n'avait aucune
raison de demeurer dans le schisme, lui
montrant en particulier, par l'exemple d'Op-
tat le Gildonien, évêque de Tamugade, qu'on
n'est point souillé par les crimes les plus
publics de ceux de la même communion,
lorsque des raisons légitimes obligent de les
tolérer. Voici son raisonnement : « Pouvez-
vous dire que vous ne chassiez personne de
votre communion, ou que les méchants que
vous en jugez indignes, soient chassés dès le
moment qu'ils ont commis les fautes qui
vous oHigent de ne les y pas souffrir? Leur
crime ne demeure-t-il pas quelque temps
caché, avant que vous puissiez le découvi'ir,
et condamner les coupables? Je vous de-
mande donc si les crimes de ces gens-là
vous rendaient coupable pendant qu'ils
étaient cachés? nullement, me dites-vous:
1 Émérite était évêque donatiste à, Césarée , au-
jourd'hui Cherchell. [L'éditeur.)
ils ne vous auraient donc jamais rendu cou-
pable tant qu'ils seraient demeurés cachés.
Il y en a dont les crimes ne se découvrent
qu'après leur mort : personne ne se croit
souillé pour avoir communiqué avec eux
pendant leur vie. Pourquoi donc avez-vous
été si téméraire que de vous séparer par un
schisme si sacrilège, delà communion d'une
infinité d'Églises d'Orient, qui n'ont jamais
rien su et qui ne savent encore rien des cho-
ses que vous dites s'être passées en Afrique,
au sujet de Cécilien? Il est même certain que
les méchants, même ceux que l'on connaît,
ne nuisent pas dans l'Égiise aux gens de
bien qui n'ont pas le pouvoir de les en chas-
ser, ou qui en sont empêchés par l'intérêt
qu'ils ont de conserver la paix. » C'est ce
que saint Augustin prouve par divers en-
droits de l'Écriture, où l'on voit les prophètes
gémir sur les péchés qui se commettaient
au miheu d'eux par le peuple de Dieu; il
le prouve encore par l'exemple de saint
Paul, qui a toléré des faux frères qui lui
étaient très-connus. « Et il faut, ajoute-t-il
en s'adressant à Émérite , que vous demeu-
riez d'accord de ce principe, qu'on n'est
point souillé pour vivre parmi les méchants,
autrement vous seriez tous aussi criminels,
que vous saviez qu'était Optât dans le temps
même ou vous communiquiez avec lui. Si
pour votre justification vous répondez que
ses crimes vous étaient inconnus, à combien
plus forte raison les Églises d'Orient doivent-
elles être reçues à dire qu'elles ne savent
point ce qu'étaient les évêques d'Afrique que
vous condamnez? Cependant vous vous te-
nez séparé par un schisme sacrilège de la
communion de ces Églises, dont vous lisez
tous les jours les noms dans les hvres cano-
niques. )) Ces Églises étaient celles de Coriu-
the, d'Ephèse, de Colosses, dePhilippes, de
Thessalouique, d'Antioche, de Pont, de Ga-
latie, de Cappadoce, et plusiem's autres fon-
dées par les Apôtres en diverses parties du
monde. Saint Augustin attaque avec la même
solidité les autres raisons que les donatistes
alléguaient pour légitimer lem- séparation
d'avec l'Église cathohque, et il conjure Émé-
rite de lui faire réponse , et de lui déclarer
son sentiment sur la question principale du
schisme, savoir : si l'Église de Jésus-Christ
est celle des donatistes ou celle des catholi-
ques.
41. Au mois de janvier de l'an 406, les Lcme ss
donatistes, dans la vue d'obtenir quelques '"* •''"■"'"
[IV'' ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
95
• modifications des lois faites contre eux par
les empereurs, comparurent devant le pré-
fet du prétoire nommé Longinien, par quel-
ques-uns de lem-s évêques, à qui ils défen-
dirent, avec beaucoup d'instances, d'entrer
en conférence avec les catholiques, nommé-
ment avec Valentin, évêque de Vaiane, qui
se trouvait alors à la cour. Cependant leurs
circoncellions continuaient à maltraiter les
ecclésiastiques d'Hippone. Ceux-ci, pour faire
cesser ces violences, résolurent de se plain-
dre aux donatistes mêmes, et s'adressèrent
à Janvier, évêque de Casesnoires, que ceux
de son parti regardaient comme primat de
Numidie, parce qu'en effet il était le plus
ancien évêque de cette province. Us lui font
voir dans leur lettre, par les pièces justifi-
catives de ce qui se passa devant l'empereur
Constantin, dans l'affaire de Cécilien, évêque
de Carthage, que les donatistes étaient les
premiers qui eussent engagé les princes à
se mêler de cette affaire ; qu'ainsi ils ne pou-
vaient se plaindre des lois que ces princes
avaient faites contre eux, ni en charger les
catholiques. « Ne voyez-vous pas, lui disent-
ils, que quand vous en prenez sujet de crier
contre l'Église catholique, c'est comme si
ceux qui avaient fait jeter Daniel dans la
fosse aux lions, et qui y furent jetés eux-
mêmes après qu'il en eût été délivré, avaient
voulu crier contre Daniel ? » Es détaillent les
violences et les cruautés des donatistes,
montrant qu'elles ont occasionné les lois
d'Honorius, et les ont rendues nécessaires;
que toutefois l'Église catholique n'en avait fait
presque aucun usage ; et qu'elle n'y aurait
pas recours, si leurs circoncelhons, et les
violences de leurs clercs, ne l'avaient obligée
d'y revenir et de les faire renouveler. Ils
n'oublient pas la chaux et le vinaigre dont
ces furieux se servaient pour brûler les yeux
aux catholiques, et les autres inhumanités
qu'ils leur faisaient souffrir, même sans épar-
gner les prêtres. Pour mettre fin à ces désor-
dres et à la division qui les occasionnait, il fal-
lait, disent-ils, que les évêques des deux partis
conférassent ensemble à l'amiable, et qu'on
envoyât le résultat des conférences à l'Em-
pereur, signé des uns et des autres, afin qu'il
jugeât lui-même l'affaire sm* l'exposé qu'on
lui fera de ce qu'il aura été dit. Si les dona-
tistes ne veulent point conférer de cette sorte,
sous préteste que les lois des empereurs
leur défendent de se mêler en quoi que ce
soit avec les évêques catholiques ; du moins,
qu'ils viennent à Hippone, écouter avec les
donatistes de la ville, ce que les catholiques
ont à leur dii-e, soit pour les convaincre qu'ils
sont dans l'erreur , soit pour les informer
des cruautés qu'y commettent leurs circon-
celhons. Es finissent ainsi : « Si vous mépri-
sez nos plaintes, nous ne nous repentirons
pas pour cela d'avoir voulu prendre avec
vous les voies de douceur et de paix, et nous
espérons de la protection que Dieu donne à
son Éghse, que vous aurez sujet de vous re-
pentir d'avoir méprisé nos soumissions et
nos remontrances. » Le style de cette lettre
fait voir qu'elle est de saint Augustin.
42. Celle qu'il adressa la même année 406, Lettre so
à Festus, officier de l'Empire, qui avait de M^s^'^pat"
grands biens dans le territoire d'Hippone, -"•
regarde encore les donatistes. Il y fait voir
qu'en vain ils se glorifiaient des persécutions,
qu'ils souffraient, disaient-ils, de la part des
cathohques ; puisque ce n'est pas le supplice
mais la cause qui fait le martyr, et que l'hé-
résie est un motif suffisant pour punir ceux
qui en sont coupables. Il fait une récapitu-
lation de tout ce qui se passa dans l'affaire
de Cécilien, et montre que quand il y aurait
eu erreur dans le jugement, ce n'était pas
une raison aux donatistes de se séparer de
l'Église catholique, et de prononcer ana-
thème contre toute la terre, sans l'avoir en-
tendue. Il ne peut croire ce qu'on disait
d'eux : qu'ils enseignaient que le baptême
n'est véritable et ne peut passer pour le bap-
tême de Jésus-Christ, que lorsqu'il est donné
par un homme juste, car ce serait mettre
alors son espérance en l'homme ; ce qui est
défendu par les prophètes sous peine de ma-
lédiction, et contredit formellement l'Écri-
ture, qui nous assure que c'est Jésus-Christ
qui baptise. «Ainsi, quel que soit le ministre xvii'.T
de son baptême, de quelque péché qu'il ssf^"" '*
puisse être chargé, ce n'est pas le ministre
qui baptise, c'est celui sm- lequel le Saint-
Esprit descendit en forme de colombe, en
un mot, c'est Jésus-Christ. Quel que soit le
ministre qui baptise, le baptême est égale-
ment bon, parce que c'est Jésus-Christ qui
baptise. C'est pour cela que nous n'avons
point d'horreur des sacrements des donatis-
tes, parce qu'ils nous sont communs avec
eux; et que ce sont des institutions qui vien-
nent de Dieu, et non pas des hommes. Mais
ce qu'il faut leur ôter, c'est l'errem-. » Il prie
Festus de travailler avec lui à la conversion
des sujets donatistes qu'il avait dans le ter-
Jéréii:.,
96
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
ritoire d'Hippone, et lui en marqua la ma-
nière, en l'avertissant que les lettres qu'il
leur avait écrites sm' ce sujet, ne les avaient
pas retirés du schisme.
Leitn's 43. Le premier jom' de juin de l'an 408,
Cl' loli (i« les païens de Calame, au mépris des lois,
à'^r\ocl;?ire. célébrèrent une de leurs fêtes avec tant d'in-
223''et'237.' solence, qu'ils passèrent dansant en tz-oupes
dans la rue, et même devant la porte de l'E-
glise; ce qu'ils n'avaient jamais fait, pas
même sous le règne de Julien l'Apostat.
Quelques ecclésiastiques voulurent s'oppo-
rer à une action si indigne ; mais les païens
jetèrent des pierres contre l'Église. Environ
huit jours après, l'évêque du lieu fit de nou-
veau signifier au corps de la ville les lois
contre les idolâtres, sm-tout celle du mois de
novembre de l'an 407 ; et comme on parais-
sait vouloir la mettre en exécution , l'Église
fut encore attaquée à coups de pierres. Le
lendemain les chrétiens se présentèrent aux
magistrats pour demander justice : mais l'au-
dience leur fut refusée. Le même jom' il
tomba un grosse grêle , qui semblait en-
voyée du ciel pom' les épouvanter : mais
elle ne fut pas plutôt passée , qu'ils revin-
rent une troisième fois à coups de pierres
contre l'Église, et enfin y mirent le feu. Ils
tuèrent un servitem- de Dieu qu'ils ti'ouvè-
rent en chemin, les autres fidèles se sauvè-
rent comme ils purent. L'évêque se cacha
dans un trou, d'où il entendait les cris de
ceux qui le cherchaient pour le tuer, et qui
se reprochaient de n'avoir rien gagné à faire
tant de mal, puisqu'ils ne l'avaient pu trou-
ver. La sédition dura depuis quatre heures
du soir jusque bien avant dans la nuit, sans
qu'aucun de ceux qui avaient de l'autorité
sur le peuple , se mit en devoir de l'empê-
cher. Il n'y eut qu'un étranger qui tira de
leurs mains quelques chrétiens qu'ils étaient
près de faire mourir, et qui lem' arracha
beaucoup de choses qu'ils avaient pillées
dans le monastère que Possidius avait éta-
bli à Calame. Saint Augustin, averti de ce
désordie, vint quelque temps après en cette
ville pom- consoler les chrétiens. Les païens
souhaitèrent de le voir. Il leur parla et leur
donna des avis, non-seulement pour se tirer
de la peine dont ils ci-aignaient que la sédi-
tion ne fût suivie, mais encore pour cher-
cher le salut éternel. Ils le prièrent d'être
lem- médiatem- : mais comme ils craignaient
toujours les suites de cette sédition, il lui
firent écrire par un d'entre eux, nommé
Nectaire, païen comme eux, quoique son
père eût été chrétien. C'était un vieillard
vénéi-able et homme de lettres. Il traite
saint Augustin de frère, lui représente que
c'est l'amour de la patrie qui le fait agir, et
convient que la ville de Calame mérite selon
les lois un châtiment rigoureux. « Mais il
est, ajoute-t-il, du devoir d'un évêque, de ne
faire que du bien aux hommes : de n'entrer
dans leurs affaires que pour les rendre meil-
leurs; et d'intercéder auprès de Dieu pour
obtenir le pardon de leurs fautes. » Ce té-
moignage est remarquable dans la bouche
d'un païen. « Je vous conjure donc, ajoute-
t-il, avec toute la soumission possible, que
si la faute de ceux de Calame ne souffre
pas d'excuse, au moins elle ne soit pas
punie avec la dernière rig-ueur, et que l'in-
nocent ne soit pas confondu avec le coupa-
ble. Le dommage est aisé à réparer, pourvu
qu'on nous remette la peine que nous mé-
ritons. »
Saint Augustin loue dans sa réponse l'af-
fection de Nectaire pour sa patrie, et en
prend occasion de lui l'épréseuter que rien
ne peut mieux entretenir la société des
hommes , ni rendre une viUe plus floris-
sante, que la religion chrétienne, qui en-
seigne la frugalité, la tempérance, la foi con-
jugale, et les bonnes mœurs, comme rien
au contraire n'est plus capable de détruire
la société civile, que la corruption des
mœurs, qui est une suite nécessaire de l'i-
dolâtrie. C'est ce qu'il prouve par le témoi-
gnage de ceux d'entre les païens' qui ont
cherché avec beaucoup de soin ce qui pou-
vait rendre parfaites les républiques de la
terre. Ils ont cru que pour former la jeu-
nesse , il lui fallait proposer en exemple les
hommes qui leur ont paru distingués par
leurs vertus, plutôt que leurs propres dieux,
dont la vie ne pouvait sei'vir qu'à autoriser
les adidtères, et toutes sortes de désordres.
Venant ensuite à la sédition de Calame, il
convient des points suivants : il est de la
doucem- cpiscopale de tâcher de garantir
les hommes des derniers supplices, et de
leur procurer le salut et le véritable bien,
qui consiste dans la bonne vie, et non dans
la licence de mal faire ; ils doivent aussi de-
mander à Dieu le pardon des fautes d'au-
trui, aussi bien que des leurs, mais ils ne
sauraient l'obtenir que pour ceux qui sont
convertis, et qui ont changé de vie ; dans le
cas présent, il est nécessaire de pmiir les
[lyc ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
97
coupables , pour empêcher les autres villes
de suivre un si mauvais exemple ; mais la
punition qu'on tirera d'eux, n'ira pas à leur
ôter la vie, ni les moyens de la soutenir,
mais elle se bornera à leur retrancher ce
qui leur donnait le moyen de vivre mal.
Quant aux pertes que les chrétiens ont souf-
fertes, ou ils les prennent en patience, ou
elles seront réparées par d'autres clirétiens.
« Nous ne voulons, dit saint Augustin, que
les âmes; c'est là ce que nous cherchons au
prix de notre sang- ; c'est la moisson que
nous voudrions faire à Calame. »
Nectaire fut près de huit mois sans répon-
dre à la lettre de saint Augustin, espérant
apparemment qu'après la mort de Stilicon,
les lois faites pendant qu'il était en autorité
seraient abolies , et qu'ainsi la condition des
païens de Calame deviendrait meilleure.
Son espérance fut vaine; l'emperem' Ho-
norius, à la requête, ce semble, des députés
du concile de Carthage , publia , au mois de
janvier 409, une loi par laquelle il ordon-
nait à tous les juges de suivre celle qui
avait été faite contre les donatistes et les
autres hérétiques, de même que celle qui
était contre les juifs ou les païens, et leur
prescrivit d'avoir une application particu-
lière à faire exécuter ces décrets. Nectaire
recom'ut donc à saint Augustin, et répondit
au mois de mars 409, à la lettre qu'il en
avait reçue longtemps auparavant, lui par-
lant néanmoins comme s'il lui eût écrit aus-
sitôt après l'avoir reçue. Il donne de gran-
des louanges à ce saint évêque, avec quel-
que espérance de se convertir, insiste tou-
jours sm' une indulgence générale pour tous
les coupables, sans aucune distinction , et
suppose faussement avec (juelques philoso-
phes, que tous les péchés sont égaux , et
que dès que les coupables en demandent
pardon, leurs péchés sont effacés.
Saint Augustin reçut cette lettre le 29 de
mars de la même année 409. Dans la ré-
ponse qu'il y fit, il demande à Nectaire si
Possidius avait obtenu quelque rescrit trop
rigoureux, afin qu'il pût chercher les moyens
d'en empêcher l'exécution. Mais il persiste
à vouloir que les coupables soient punis
d'une manière qui marque la douceur de
l'Éghse. « Nous ne prétendons point, dit-il,
qu'ils perdent la vie , ni qu'ils souffrent des
tourments ou aucune peine corporelle ; nous
ne voulons pas même les réduire à une telle
pauvreté , qii'ils manquent du nécessaire ;
IX.
mais seulement lem' ôter les richesses qui
les mettent en état de mal faire , comme
d'avoir des idoles d'argent, qui sont cause
qu'ils mettent le feu à l'église, qu'ils don-
nent au pillage à la populace la subsistance
des pauvres , et répandent le sang innocent.
Est-ce aimer vos concitoyens de vouloir que
par une impunité pernicieuse on leur laisse
ce qui sert d'aliment à leur audace et à leur
fureur? Trouvez bon du moins qu'ils crai-
gnent pom' leur superflu, eux qui ne son-
gent qu'à brûler et piller notre nécessaire ;
et que nous puissions faire ce bien à nos en-
nemis, de leur épargner des crimes qui leur
sont nuisibles, par la crainte de perdre des
choses, dont la perte n'est point un mal. »
n réfute ce que Nectaire avait dit, que dès
qu'on demande pardon, il ne faut plus pren-
dre garde à la qrialité du crime. « Cela se-
rait bon, dit-il, si on n'avait en vue que de
punir les hommes, et non pas de les corri-
ger ; et c'est uniquement à quoi songent les
chi-étiens. Car, à Dieu ne plaise ! qu'aucun
d'entre eux demande la punition de per-
sonne pour le seul plaisir de se venger ; ou
qu'ayant été offensé , il manque de pardon-
ner dès qu'on lui demandera pardon et,
avant même qu'on le lui demande. Le repen-
tir, sans doute, obtient le pardon, et efface
le péché ; mais le repentir qui produit cet
effet, est celui qu'inspire la vraie religion,
par la considération du jugement que Dieu
doit prononcer contre le monde; et non
pas celui qu'on témoigne aux hommes dans
le moment, qui n'est souvent qu'une feinte,
et qui ne va pas à purger l'âme de son pé-
ché pour toujours, mais à éviter le pérU pré-
sent. » n se moque de la doctrine des
stoïciens touchant l'égalité des péchés, et
demande à Nectaire, qui semblait l'avoir
adoptée, si c'est un aussi grand crime de
rire avec excès , que de mettre sa patrie à
feu et à sang , et si l'envahissement du bien
d'autrui était un péché égal à tous les au-
tres ? On ne sait point qu'elle issue eut cette
affaire.
44. Nous avons deux lettres de saint Au- L'élire 92
gustin à une dame romaine nommée ItaU- cndôsSl
que, la même à qui saint Chrysostôme écri- ef/ioy'pag.'
vit, pour l'engager à apaiser autant qu'il se- ^''^•
rait en elle, le trouble de l'Église d'Orient.
Comme il n'est rien dit, dans la première
lettre de saint Augustin, du siège de Rome
par Alaric, on en infère qu'elle fut écrite en
408, avant que la nouvelle de ce siège fût
98
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
passée en Afrique. Cette dame avait témoi-
gné souhaiter par ses lettres, et par celui qui
en avait été le porteur, des motifs de conso-
lation sm- la mort de son mari, a Ce qui doit
vous consoler, lui répond le saint Doctem',
c'est votre foi et votre espérance, et surtout
cette charité que le Saint-Esprit répand dans
les cœurs des fidèles. Pouvez-vous vous re-
garder comme abandonnée, puisque vous
possédez Jésus-Christ par la foi, et qu'il ha-
bite dans votre cœur ? Et devez-vous vous af-
fliger comme les gentils qui n'ont point d'es-
pérance ; ayant une confiance appuyée sur
le fondement inébranlable des promesses de
Dieu, que de cette vie nous passerons à ime
autre, où nous retrouverons ceux qui, en
sortant de ceUe-ci, nous ont devancés plu-
tôt qu'ils ne nous ont quittés ; et où nous
les aimerons sans aucune crainte de les per-
dre, et où ils nous seront d'autant plus chers
qu'ils nous seront plus intimement et plus
parfaitement connus? Lorsque le jour du
Seignem- sera venu , alors notre prochain
n'am-a plus rien de voilé pour nous ; il n'y
aura plus rien à confier à nos amis, plus
rien de caché aux étrangers, parce que cha-
cun ne trouvera là que des amis, et plus
d'étrangers ; la lumière qui nous découvrira
alors tout ce qui est caché présentement,
n'est autre chose que Dieu même; mais
cette lumière sera visible seulement pour les
âmes pures et non pas aux yeux du corps. »
Il réfute ceux qui disaient qu'on pouvait voir
Dieu des yeux du corps, et qui soutenaient
que tous les saints, après la résurrection, et
même les réprouvés, verraient la Divinité
des yeux du corps, a Ils n'en seront, dit-
il, non plus capables dans le ciel que sur
la terre, puisqu'ils ne peuvent voir que ce
qui occupe quelque espace, ce qu'on ne
peut dire de Dieu. D'ailleurs, il est constant,
comme le dit l'apôtre saint Jean, que nous
ne veiTons Dieu qu'autant que nous serons
semblables à lui; par conséquent, comme
ce n'est pas par notre corps que nous de-
vons être semblables à Dieu, mais par notre
homme intérieur, c'est-à-dire par notre âme
et par notre esprit, ce n'est que par là aussi
que nous verrons Dieu. » Il prouve qu'on
ne pouvait dire des impies qu'ils verront
Dieu après la résurrection; selon l'Évangile,
ce privilège est réservé à ceux qui ont le
CQjur i)ur. Jésus-Christ même n'a pas vu la
^ Jh.iih ,v, Divinité des yeux du corps, car il n'y a pas
plus de raisons d'accorder cette prérogative
à un sens qu'à un autre, à la vue qu'à l'ouïe.
Saint Augustin dit à Italique de lire sa lettre
à ceux qui viendraient encore lui débiter de
semblables rêveries.
Dans la seconde lettre, écrite depuis les
ravages qu'Alaric avait commencés en Italie,
c'est-à-dire sur la fm de 408, ou au commen-
cement de 409, saint AugTistin salue les en-
fants d'Italique, et dit qu'ils pouvaient déjà
voir dans ce qu'ils souffraient en un âge
si tendre, et dans les calamités publiques
qu'ils avaient devant levu's yeux, combien il
est pernicieux d'aimer le monde. Il ajoute
qu'il ne pouvait accepter la maison qu'on lui
ofirait, celle qu'on demandait en échange,
faisant partie de l'ancien fonds de l'éghse à
laquelle elle était jointe.
45. On rapporte à l'an -108, la lettre à Vin-
cent, surnommé le Rogatiste, parce qu'il
était devenu comme le chef du schisme que
Rogat, évêque donatiste de Cartonne \ avait
fait parmi les donatistes. Il fut le successeur
de Rogat dans le siège de cette ville, et con-
nut saint Augustin pendant qu'il étudiait à
Carthage. Ayant appris depuis qu'il avait
embrassé la rehgion chi'étienne, et qu'il te-
nait même un rang considérable parmi les
catholiques, il lui écrivit pour se plaindre
de ce que l'on employait l'autorité des lois
pour contraindre les donatistes à embrasser
l'unité. Il formait dans sa lettre beaucoup
d'autres difficxdtés, auxquelles saint Augus-
tin répondit fort au long. Il lui dit en pre-
mier lieu : Il est très à propos de réprimer
les donatistes, aussi inquiets qu'ils le sont,
par l'autorité des puissances étabhes de
Dieu ; on en a fait revenir par ce moyen à
l'unité cathohque, plusieurs qui sont très-
reconnaissants de la grâce que Dieu leui- a
faite de les avoir retirés de l'errem'; il a
faUu la terreur des puissances séculières
pour rompre leurs chaînes, sans quoi Os ne
se seraient jamais appliqués à la considéra-
tion de la vérité ; c'est cette terreui- qui les a
rendus capables de recomiaître l'Église ré-
pandue dans toutes les nations, selon les
promesses de l'Écriture ; ainsi il n'a pas dû
empêcher ses collègues de recourir à l'auto-
rité des lois, pom" l'amener les donatistes à
l'unité de la foi. Le moyen, disaient quel-
ques donatistes, de nous défaire d'une doc-
trine cjui est passée en nous de père en fils î
Saint Augustin répond que parmi ceux
1 Aujourd'hui Tiincs. {L'éditeur.)
Lellre
à Viuc
le Uo;
liste ,
208, p
230.
[IV° ET V" SIÈCLES.'
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
99
qui tiennent ce langage, il y en a qui savent
gré de ce qu'on les a pressés par la rigueur
des lois, de rompre les chaînes que la force
de la coutume avaient formées en eux,
avouant que sans cela ils seraient péris in-
failliblement. Il convient qu'il y en a aussi
sur lesquels on ne gagne rien par cette voie :
« mais, répondit-il, faut-il abandonner la mé-
decine, parce qu'il y a des malades incura-
bles ? » n veut toutefois qu'on mette en usage
tout ensemble la terreur et l'instruction, afin
que l'une rompe les chaînes de la coutume,
pendant que l'autre dissipe les ténèbres de
l'erreur. Il appuie ce qu'il dit de l'utilité de la
Proveib. terreur des lois, sur l'endroit des Proverbes
Lucjxivi où nous lisons que la sévérité de ceux qui
'■ nous aiment, nous est plus salutaire que les
caresses affectées d'un ennemi ; sur la para-
bole de l'Évangile où le père de famiUe
commande à ses gens de forcer d'entrer au
festin tous ceux qu'ils rencontreraient; et
sur la manière dont saint Paul embrassa la
vérité. Les donatistes objectaient qu'on ne
trouvait point dans l'Évangile, ni dans les
écrits des apôtres, qu'ils aient jamais eu
recours aux rois de la terre contre les enne-
mis de l'Église. « Cela est vrai, dit saint Au-
gustin, mais c'est parce cpie cette prophétie :
Psaim. Il, Ecoutez, rois de la terre, et servez le Seigneur
avec crainte, n'était pas encore accomplie,
c'est-à-dire que les princes n'avaient pas
encore embrassé la religion chrétienne. » Il
dit aux donatistes qu'ils approuvaient aussi
bien que les catholiques, les lois des empe-
reurs contre les sacrifices païens : « Et tou-
tefois, ajoute-t-il, eUes portent des peines
bien plus sévères que celles qu'on a faites
contre vous, et dans lesquelles on a songé
à vous tirer de l'erreur, plutôt qu'à punir
votre crime. » Il loue ceux du parti de Vin-
cent, c'est-à-dire, les rogatistes, de ce que
non-seulement ils n'avaient point de cir-
concellions, comme les donatistes, mais en-
core de ce qu'ils exerçaient moins de vio-
lences. Il semble néanmoins rejeter cette
modération sur l'impuissance où leur petit
nombre et la crainte des peines , les met-
taient de faire le mal. Pom- donner à Vincent
des preuves que les donatistes avaient soUi-
cité des lois auprès des empereurs contre les
schismatiques, et qu'il les avaient fait exé-
cuter, il le fait souvenir de la violence avec
laquelle ils avaient présenté les maximia-
nistes, et même ceux du parti de Rogat ; et
de la requête qu'ils présentèrent contre les
catholiques à Juhen l'Apostat, dans laquelle,
par un mensonge infâme, ils disaient que ce
prince n'était touché que de la justice, et que
nulle autre chose n'avait pouvoir sur lui. H
lui fait aussi un précis de l'affaire de Céci-
lien, portée par les donatistes au tribunal de
l'empereur Constantin ; et il ajoute : « Que
Cécihen ait été coupable, ou qu'il ait été in-
nocent, cela n'influe en rien sur des églises
qui n'avaient aucune part à ce dont il était
accusé ; le crime d'autrui, surtout quand il
est inconnu, ne pouvant souiller personne. »
Saint Augustin rapporte sur cela divers
exemples de toléi-ance dans l'Église. Jésus-
Christ a souffert le traître Judas dans sa
compagnie; les Apôtres ont toléré ceux à
qui la seule envie faisait annoncer Jésus-
Christ ; saint Cyprien ne ne se sépara pas de
quelques-uns de ses collègues convaincus
d'avarice. « Il ne faut donc pas. ajouta-t-il,
regarder si l'on force, mais à quoi l'on force :
c'est-à-dire si c'est au bien ou au mal. Ce
n'est pas que personne devienne bon par
force ; mais la crainte de ce qu'on ne veut
point souffrir dissipe l'entêtement : elle fait
ouvrir les yeux à la vérité ; et en faisant re-
jeter l'erreur dont on était prévenu, et
chercher le vrai qu'on ne voyait pas, elle
dispose à vouloir ce qu'on ne voulait point. »
n dit qu'il pourrait rapporter un grand nom-
bre d'exemples, non-seulement des particu-
liers, mais des villes entières qui ont passé
du parti des donatistes à l'Église catholique,
et qui reconnaissent en être redevables aux
lois faites contre les schismatiques. « C'est
par ces exemples, continue-t-il, que mes
collègues m'ont fait revenir à leur sentiment.
Car ma pensée était autrefois qu'on ne devait
forcer personne de revenir à l'unité de Jésus-
Christ, qu'il ne fallait point employer d'au-
tres armes que les discours et les raisons,
et qu'autrement ce serait faire des catholi-
ques déguisés. Mais après avoir résisté aux
raisons, je me suis enfin rendu à l'expé-
rience : on m'a fait voir celui de la même
ville d'où je suis, qui était autrefois toute do-
natiste, et que la crainte des lois des empe-
reurs a fait revenir à l'unité catholique ; en
sorte qu'à voir de queUe manière eUe déteste
présentement votre opiniâtreté, on ne croi-
rait pas qu'elle eût jamais été dans un pareil
entêtement. On m'en a cité beaucoup d'au-
tres où la même chose est arrivée, et cela
m'a fait comprendre, qu'on peut appliquer
à ce qui se passe entre nous, cette parole de
100
HISTOIRE GÉNÉRALE DES ACTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Prnvcri)., l'Écriture : Donnez occasion à celui qui est
'*' *■ déjà sage de le devenir encore plus, et il n'y
manquera pas. Car combien en connaissons-
nous qui étant convaincus par l'évidence de
la vérité, auraient bien voulu être catholi-
ques, mais qui diiteraient de jour en jour,
parce qu'ils i-edoutaient les violences de ceux
de leur parti. Qaand le glaive des puissan-
ces temporelles attaque la vérité, il est pour
les forts une épreuve glorieuse, et pour les
faibles une dangereuse tentation : mais
quand, il est tiré contre l'erreur, il est poui'
ce qu'U y a de gens sages parmi ceux qui
y sont engagés, un avertissement salutaire,
et pour les autres une tribulation infruc-
tueuse. »
Saint Augustin prouve ensuite par divers
endi'oits de l'Écritui-e, que l'Église doit être
étendue par toute la terre, et montre que
Vincent ne pouvait, sans démentir tous ces
témoignages si authentiques et si clairement
accomplis, soutenir que cette Église pouvait
s'éteindre dans le reste du monde, et de-
meurer renfermée dans une province, ou
plutôt dans un coin de la Mauritanie césa-
rienne.
Ce rogatiste alléguait pour le montrer, ce
que dit saint Hilaire, que la foi était pres-
que entièrement éteinte de son temps dans
toute l'Asie. Il ajoutait encore, comme s'il
eût été bien informé de ce qui se passait
dans le monde, que ce qu'il y avait de pays
où la foi chrétienne était connue, ne faisait
qu'une très-petite' partie de la terre ; que le
nom de catholique ne convenait pas à la com-
munion répandue par tout le monde, mais
à celle qui avait tous les sacrements, et qui
observait tous les préceptes de Jésus-Chi-ist,
telle qu'était, disait-il, celle des rogatistes.
Il alléguait aussi l'autorité de saint Cyprien
et d'Agrippin son prédécesseur, pour mon-
trer que le baptême donné hors de l'Église
est nul. Il demandait pom-quoi les catho-
liques recherchaient avec tant d'empresse-
ment ceux du parti de Donat, s'ils étaient
méchants et hérétiques.
Saint Augustin répond que saint Hilaire
dans l'endroit objecté, qui est tiré du Livre
des Synodes, ne parlait que du mauvais
grain mêlé paimi le bon dans les dix pro-
vinces de l'Asie, c'est-à-dire de beaucoup de
petits esprits , qui, trompés par des expres-
sions obscures, s'étaient laissé persuader
que la foi des ariens n'était point différente
de la lem-; ou qui ne marchant pas di'oit se-
lon la vérité de l'Évangile, avaient fait sem-
blant d'approuver la doctrine des ariens,
quoi qu'ils en connussent le venin. « C'est à
ce mauvais grain de ces dix provinces d'Asie,
dit ce Père, que s'adresse la correction d'Hi-
laire, ou peut-être même au bon grain qui
était en danger de se corrompre , et que ce
saiut homme ne pouvait voir dans ce danger,
sans l'en avertir d'une manière d'autant plus
salutaire , qu'elle était plus forte. C'est ainsi
qu'en usent les autem-s mêmes canoniques :
quand il s'agit de reprendre, nous voyons
qu'ils parlent comme si leur discours s'a-
dressait à tout le monde, quoiqu'il ne re-
garde que quelques particuliers. » C'est ce
que saint Augustin fait voir par plusieurs
passages de l'Écriture. Il ajoute, qu'il y a
une grande différence entre l'autorité des
livi-es canoniques, et celle des éci-ivains ec-
clésiastiques ; qu'il ne faut pas croire que
ce qu'on en lit ou qu'on en cite, nous doive
tenir lieu de loi, et qu'il ne soit pas permis
d'être d'un sentiment contraire sm* des
choses où ils pomTaient en avoir eu de con-
traires à la vérité. Et comme Vincent lui
avait aUégué l'autorité de saint Cyprien :
« Que ne le suivez-vous, lui répondit-il, et
en ce qu'il a fait voir qu'il n'y a rien de plus
vain que de craindre d'être souillé des pé-
chés d'auti'ui; et en ce qu'il n'a voulu ni
condamner ni priver de sa communion les
évêques qui ne se trouvaient point de son
sentiment. Mais que saint Cyprien ait eu sur
la matière du baptême des sentiments con-
traires à ce qui est enseigné et pratiqué dans
l'Église, c'est ce que nous voyons seulement
dans ses écrits, et dans les actes d'un con-
cile : et quoicpi'on ne trouve point qu'il ait
changé de sentiment, il est ci'oyable qu'il
est revenu de cette erreur. » Saint Augus-
tin remarque que quelques-uns soutenaient
même qu'il ne l'avait jamais enseignée ;
mais deux raisons l'empêchent d'embrasser
cette opinion : la première, que les endroits
des liwes de saint Cyprien que l'on cite pour
la rebaptisation sont si visiblement de son
style, qu'on ne les saurait méconnaître. La
seconde, que la cause des catholiques en
est d'autant plus invincible contre les dona-
tistes, qu'ils n'avaient d'autres prétextes de
séparation que la crainte d'être souillés par
les péchés des autres. Car il paraît, par les
livi-es de saint Cyprien, que l'on demeiu-ait
uni avec les pécheurs dans la participation
des mêmes sacrements. Sur quoi le saint
[iV' ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
101
évêque d'Hippone fait ce raisonnement :
(( Ou saint Cyprien n'a point cru ce que
vous prétendez, ou les règles de la vérité
l'en ont fait revenir; ou cette petite tache
d'un cœur d'ailleurs si pur et si saint, c'est-
à-dire son erreur sur la rebaptisation, a été
couverte par l'abondance de cette charité
qui lui a fait maintenir juqu'à la fin le lien
de la paix, et soutenir fortement l'unité de
l'Église. » Il rapporte un passage de ce
Père ', pour montrer aux donatistes com-
bien ils étaient inexcusables de vouloir, sous
prétexte de leur propre justice, se séparer
de l'unité de l'Égiise, que Dieu selon la cer-
titude immuable de ses promesses nous fait
voir aujourd'hui répandue par toute la terre.
Il résultait de ce passage, que les méchants
étaient mêlés parmi les bons : et c'est ce
que saint Augustin fait voir encore par l'au-
torité de Tichoiius, quoique donatiste.
Quant à l'objection faite par Vincent que
les catholiques faisaient rechercher les do-
natistes avec empressement : « La réponse
est bien courte et bien aisée, dit saint Au-
gustin. Nous vous recherchons, parce que
vous périssez, et que nous voudrions pou-
voir nous réjouir de votre retour, au lieu de
nous attrister de votre perte. Si nous vous
traitons d'hérétiques, c'est pendant que vous
refusez de revenir à l'unité cathohque, et
que vous êtes encore engagés dans l'erreur.
Mais dès que vous rentrez parmi nous, vous
cessez d'être ce que vous étiez. Baptisez-
moi donc , dites-vous. Je le ferais si vous
n'étiez pas déjà baptisés ; ce n'est pas le sa-
crement de Jésus-Christ qui vous manque,
et ce n'est point par là que vous êtes héré-
tiques, mais par la malice de votre sépara-
tion. Tous les sacrements de Jésus-Christ,
viennent de l'Éghse catholique : vous ne
les donnez et vous ne les avez que comme
vous les y avez reçus avant d'en sortir ; et
quoique vous en soyez sortis, vous ne lais-
sez pas d'avoir encore ce qui en vient. Vous
dites que saint Paul a rebaptisé après saint
Jean. Mais est-ce avoir rebaptisé après un
hérétique ? Si saint Paul a rebaptisé quel-
ques-uns de ceux qui l'avaient été par saint
Jean, c'est qu'ils n'avaient pas le baptême
de Jésus-Christ, mais seulement celui de
Jean. »
Vincent avait dit dans sa lettre qu'il avait
appris de plusieurs que saint Augustin s'é-
' Epist. Ad Àncon,
tait converti à la foi chrétienne. Ce Père
tire avantage de cet aveu, et lui dit : « Si
vous avouez que je me suis converti à la foi
chrétienne, moi, qui ne suis ni donatiste ni
rogatiste, dès là vous avouez et vous déci-
dez qu'il y a une foi chrétienne, hors de la
communion des uns et des autres. C'est cette
même foi que nous voudrions vous obliger
de reconnaître avec nous dans toutes les na-
tions où elle est répandue , et qui toutes ont
été bénies dans la race d'Abraham , sui-
vant les promesses faites à ce saint patriar-
che, n
46. Possidius, évêque de Calame, ayant été
obligé d'aller à la cour sur la fin de l'an 408
ou au commencement de 409, saint Augus-
tin le chargea d'une lettre pour saint Paulin ;
il y répondait à la lettre qu'il en avait reçue,
et dans laquelle saint Paulin lui avait pro-
posé ses pensées sur l'occupation des bien-
heureiLX après la résurrection. Il y avait dit
aussi à saint Augustin , qu'au lieu de cher-
cher comment nous serons dans le ciel , il
valait mieux s'instruire de la manière dont
nous devons vivre sur la terre. Saint Augus-
tin s'arrêtant à ces deux considérations com-
mence par diverses réflexions sur la vie pré-
sente, « qui doit, dit-il, être réglée de telle
soi'te qu'elle nous prépare à la vie immor-
telle. » Il expose l'embarras où nous nous
trouvons ordinairement lorsqu'il s'agit de
décider comment nous devons nous conduire
envers ceux avec qui nous avons à vivre.
« n y a, dit-il, beaucoup à craindre qu'ayant
pour eux des complaisances jusque dans
leurs défauts, nous ne contractions par là,
une poussière et une boue, qui, en appesan-
tissant notre âme , l'empêche de s'élever à
Dieu, et de mourir de la mort évangélique,
qui conduit à la vie de l'Évangile. Et il y a
même beaucoup de danger pour ceux qui
font quelques progrès dans la vertu, à cause
de la vanité à laquelle on se trouve exposé
lorsque l'on entend au dedans de soi-même
une voix qui nous crie : Courage, courage. Le
danger de ceux qui gouvernent les autres
n'est pas moins considérable, par la diffi-
culté qu'il y a de savoir quelle mesure on
doit garder dans les châtiments , non-seule-
ment par rapport à la quantité et à la qua-
lité des fautes , mais aussi par rapport à la
force et à la disposition des esprits ; ce qui
augmente encore le danger c'est de savoir
ce que chacun est en disposition d'accepter
ou de refuser, afin que les peines que l'on
Lettre 94
Ile S. Pau-
lin, et 95 à
S. Paulin ,
un ïi08 ou
••OO , pag.
2ô0.
102
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
ordonne profitent au lieu de nuire. Quel
chagrin pour un pasteur lorsqu'il se trouve
que s'il punit le coupable, il le fait périr; et
que s'il ne le punit point , il en fait périr
d'autres? Que d'incertitudes et de sujets de
crainte dans l'explication des divines Écri-
tures ? N'y a-t-il pas un très-grand nombre
de textes qui scandaliseraient les faibles,
s'ils étaient expliqués à la lettre par un
homme même spirituel, et sur lesquels il
serait aussi dangereux de dire ce que l'on
pense, qu'il est dur de ne le pas dire, et
très-pernicieux de dire le contraire? Quel
danger de s'expliquer sur ce que l'on n'ap-
prouve pas dans les écints , ou dans les dis-
cours de ses frères et de ses amis ? Ne dit-
on pas que c'est l'envie plutôt que l'amitié
qui nous fait parler? N'est-ce pas de là que
naissent les inimitiés irréconciliables entre
les personnes qui vivaient auparavant dans
une parfaite intelligence? N'arrive-t-U pas
que chacun prenant parti pour quelqu'un
de ceux qui sont en contestation, on se dé-
vore l'un l'autre, et on se met en péril de se
perdre mutuellement ? »
Après avoir exposé les dangers que l'on
court dans le monde, saint Augustin prescrit
le genre de vie que l'on doit y mener, afin
d'acquérir la vie éternelle. « Je sais , dit-il ,
qu'il faut réprimer les désirs de la chair , et
ne nous accorder de tout ce qui peut plaire
à nos sens que ce qui est nécessaire pour
entretenir la vie naturelle. Je sais qu'il faut
supporter courageusement et avec patience,
pour la gloire de Dieu, pour le salut du pro-:
chain et notre propre sanctification, toutes
les afflictions temporelles qui peuvent nous
arriver. Je sais que la charité que nous de-
vons à notre prochain nous oblige à contri-
buer de tous nos soins, pour le porter à
vivre maintenant d'une manière qui le con-
duise à la vie éternelle. Je sais que nous de-
vons préférer les biens de l'âme à ceux du
corps, et ceux qui doivent toujours durer à
ceux qui sont périssables. Enfin, je sais que
tout ce que je viens de dire est plus ou moins
possible à l'homme , selon qu'il est plus ou
moins assisté de la grâce de Dieu par Jésus-
Cluist Notre-Seigneur. Mais pourquoi celui-
là est-il assisté de cette sorte, et celui-ci l'est-
il d'une autre ? C'est ce que je ne sais point.
Mais je sais que Dieu ne fait rien eu cela,
que par une très-grande justice qui n'est
connue qu'à lui seul. «
Il prie saint Paulin de lui communiquer les
maximes qu'il pouvait avoir sui' la manière
dont on doit se conduire avec les hommes,
dans les occasions et les difficultés qu'il ve-
nait de marquer, et de conférer sur cela
avec quelque homme de Dieu, soit de Noie,
soit de Rome. Il traite ensuite de l'état des
corps après la résurrection : « Ce qu'il y a
de certain, dit-il, c'est qu'ils ne seront plus
sujets à la corruption, et n'auront plus be-
soin des aliments corruptibles dont nous
usons présentement ; ils pourront toutefois
en prendre et les consumer, » ce qu'il prouve
par l'exemple de Jésus-Christ après sa résur-
rection. Il ne veut pas décider si les anges
ont des corps ou si ce sont de purs esprits ;
mais il ne doute pas que dans la cité céleste
les hommes que la grâce de Jésus-Christ
aura tirés de la corruption du monde, ne
soient mêlés parmi les anges. Là, les pen-
sées se feront connaître par des voix per-
ceptibles aux sens corporels, et tous les
bienheureux connaîtront réciproquement
les secrets de leurs cœurs. Tous les saints,
intimement unis de cœur et d'esprit, chan-
teront les louanges de Dieu dans un parfait
concert qui unira les voix de leurs corps ,
devenus spirituels , aussi bien que les senti-
ments de leurs cœurs.
47. Paul, évêque de Cataqua dans la Nu-
midie, avait acheté, d'un argent qui appar-
tenait au fisc, quelques terres et en avait
joui sous le nom de son Égiise, sans même
payer les droits annuels que ces terres de-
vaient à l'épargne. Boniface, son successeur,
ne voulant pas profiter de cette fraude, dé-
clara comment la chose s'était passée, et de-
manda à l'Empereur comme une grâce la
jouissance des mêmes terres, aimant mieux
les tenir de la fibéralité de ce prince, que
de l'injustice secrète de son prédécesseur. Il
obtint, ce semble, quelque rescrit de l'Em-
perem' sur ce sujet; mais l'affaire ayant ap-
paremment été l'envoyée à Olympius, maître
des Offices et premier ministre de la coiu%
depuis la mort de Stilicon, arrivée le 13
août 408, saint Augustin lui écrivit pour le
prier d'obtenir à Boniface la grâce qu'il de-
mandait, ou bien de demander ces teri'es
pour lui-même, et de les domier ensuite à
à l'Église de Cataqua. Il dit dans cette lettre
qu'une fraude faite au trésor public n'est
pas moins fraude que si elle était faite à un
particulier. Il y dit encore qu'il vaut mieux
que ceux qui servent Dieu vivent dans la
pauvreté que de jouir des biens donnés à
letti
96 et y
Oljinpiu
en dOS, [i,-
260.
[iv= ET v= siÈcxEs.] SAINT AUGUSTIN,
l'Église, lorsqu'ils savent que l'acquisition
n'en a pas été légitime.
Saint Augustin écrivit la même année -408,
au même Olympius pour l'exhorter à main-
tenir la vigueur des lois publiées en Afrique
contre les hérétiques et les païens du vivant
de Stilicon; et à faire entendre aux en-
nemis de l'Église que ces lois, ayant été
faites du propre mouvement de l'Empereur,
devaient subsister dans toute lem- force.
« Nous avons déjà la joie, lui dit-il, de voir
que, par le moyen de ces mêmes lois, un
grand nombre de ceux pour le salut éternel
desquels nous exposons notre vie tempo-
relle , sont revenus et solidement établis dans
la foi, dans la paix et l'unité catholique. »
Leiue 9s i8. On croit que c'est au même Boniface
'n^i'i'is.pag; <ïue s'adresse la lettre suivante. Boniface
'*'^- avait poposé, par écrit, deux questions à
saint Augustin : la première était de savoir
si les pères et mères peuvent nuire à leurs
enfants lorsqu'ils emploient des remèdes su-
perstitieux et des sacrifices profanes pour
leur guérison. La raison qu'il avait d'en dou-
ter était qu'il ne voyait pas pom-quoi la foi
des parents servait à leurs enfants lorsqu'ils
les présentaient au baptême, si leur infidé-
lité ne pouvait leur nuire. La seconde ques-
tion consistait à savoir comment les pères
et mères, en présentant leurs enfants au
baptême, pouvaient répondre pour eux à
toutes les interrogations qu'on lem" fait or-
dinairement. Cette question lui paraissait
difficile, à cause de l'aversion qu'il avait
pour le mensonge. 11 prie saint Augustin de
lui répondre en peu de paroles, en se ser-
vant de raisons et de preuves, et non pas
d'usage ni d'autorité.
Voici ce que l'Évêque d'Hippone répond à
la première question de Boniface : « La ver-
tu du baptême est si grande cpae, dès qu'un
enfant a été régénéré, il ne peut plus con-
tracter aucun péché par la volonté d'autrui,
si la sienne n'y donne son consentement;
aussi l'àme d'un enfant baptisé ne pèche
point lorsque ses parents ou quelqu'autre per-
sonne que ce puisse être, lui appliquent des
remèdes sacrilèges, et s'efforcent de le gué-
rir par l'invocation des démons. D. n'en est
pas de même du péché que nous avons tiré
d'Adam : nous y avons participé, parce que
nous n'étions qu'un avec lui dans le temps
qu'il a commis ce péché que nous tenons de
lui. Si nous sommes régénérés par le se-
cours d'une volonté étrangère, cela se fait
ÉVÊQUE D'HIPPONE. io3
par l'opération du seul esprit qui est le prin-
cipe de notre régénération, et nullement par
la volonté des parents ou par la foi des pa-
rents ou des ministres. Car il n'est pas dit
qu'on doive être régénéré par leur volonté,
mais par l'eau et le Saint-Esprit. L'eau re-
présente extérieurement le mystère et la
grâce ; et le Saint-Esprit en produit l'effet
intérieur, en brisant les hens du péché, et
en réconciliant cà Dieu ceux qui ne tirent
leur origine que du seul Adam. Cela n'em-
pêche pas qu'n ne soit vrai de dire que la
volonté des parrains est utile à l'enfant
qu'ils présentent au baptême , parce qu'ils
agissent par le même esprit qui agit dans
cet enfant. Il est vrai encore que ceux qui,
par des superstitions sacrilèges tâchent
d'engager au démon les enfants des autres
ou les leurs propres, en sont les meurtriers,
parce qu'il ne tient pas à eux que la vie ne
leur soit ôtée. » Saint Augustin se sert de
cette distinction pour exphquér quelques
endroits de saint Cyprien. Il montre ensuite
que le baptême ne laisse pas de pi'oduire
son effet dans un enfant qui est présenté à
ce sacrement par des personnes qui n'ont
aucune intention de le faire régénérer.
« C'est par toute la société des saints, dit-il,
et des fidèles que les enfants sont présentés
pour être faits participants de la grâce spi-
rituelle du baptême, plutôt que par ceux
qui les portent entre lems bras, quoiqu'ils
le soient aussi par ceux-là mêmes, lorsque
ce sont de véritables fidèles, car il faut com-
prendi-e qu'ils sont présentés par tous ceux
qui aiment et qui désirent cette présenta-
tion, et dont la charité, qui est la même en
tous, concourt à lem- procurer le don du
Saint-Esprit. Toute l'Église que compose la
multitude des saints agit donc en cela,
puisque c'est toute l'Éghse qui engendre à
Jésus-Christ, non-seulement la société en-
tière des fidèles, mais aussi chaque fidèle
en particuher. » Le saint Docteur se sert de
cette raison pour montrer que le baptême
donné par les hérétiques est bon, parce que
c'est toujours le baptême de Jésus-Christ.
A l'égard de la seconde question, il fait
voir qu'il n'y a point de mensonge dans les
réponses que les parrains font pour l'enfant;
ce qu'il prouve d'abord par cette compa-
raison : « Aux approches de la fête de Pâ-
ques ne disons-nous pas : Ce sera demain,
ou dans deux jours, la Passion de Jésus-
Christ , quoiqu'il ait souffert il y a tant d'an-
104
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
nées , et qu'il n'ait souffert qu'une fois ? Ne
disons-nous pas le jour de Pâques : C'est au-
jourd'hui que Jésus-Christ est ressuscité ,
quoiqu'il y ait si longtemps qu'il le soit? Il
n'y a personne néanmoins qui nous accuse
de mensonge quand nous parlons ainsi ,
parce que ces jours -là nous représentent
ceux où les choses dont nous parlons sont
arrivées. » Il rapporte encore poui' exemple
celui que fomniit l'Eucharistie : « Comme le
sacrement du corps de Jésus-Christ, dit-il,
est son corps en quelque manière \ et comme
le sacrement de son sang est son sang : de
même le saci'ement de la foi est la foi. Or,
c'est croire que d'avoir la foi ; ainsi, quand
•on dit qu'un enfant qu'on présente au bap-
tême croit et se convertit à Dieu, quoiqu'il
n'ait pas encore le sentiment de la foi, on
ne veut dire autre chose, sinon qu'il a le sa-
crement de la foi et de la conversion à Dieu,
et on ne le dit que parce qu'il est de la célé-
bration même du sacrement de le dire, en
répondant au ministre qui le confère. Ainsi,
quoique l'enfant qu'on baptise ne soit pas
fidèle de cette sorte de foi qui consiste dans
un mouvement de la volonté de celui qui
croit, il l'est par le sacrement de la foi.
Aussi ne répond -on pas seulement qu'il
croit, on dit même qu'il est fidèle, non pour
avoir aquiescé à la foi par un mouvement de
son esprit, mais pour en avoir reçu le sacre-
ment. »
Lettre 100 49. La loi qu'Honorius publia contre les
VoTOmui' donatistes et les Juifs fut adressée en parti-
ïérr'''"'an culier à Donat, proconsul d'Afrique. Saint
MO, pag. Augustin en ayant eu nouvelle, écrivit aus-
sitôt à Donat pour le prier de faire savoir aux
donatistes, par son édit , que les lois faites
par les empereurs contre leur schisme sub-
sistaient dans toute leur force, quoiqu'ils
publiassent qu'elles étaient abohes. Mais il
le conjure en même temps de leur épargner
la vie, quelques plaintes qu'il reçût contre
eux au sujet des violences qu'ils faisaient
contre l'Église. « Car outre, lui dit-il, que
nous ne devons jamais cesser de travailler à
vaincre le mal à force de bien, remarquez
qu'il n'y a que les ecclésiastiques qui pren-
nent soin de porter devant vous les affaires
de l'Église. De sorte que si vous punissez de
mort les coupables, vous nous ôterez la li-
berté de nous plaindre; et dès qu'ils s'en
269,
apercevront, ils s'en déchaîneront plus har-
diment contre nous , nous voyant réduits à
la nécessité de nous laisser ôter la vie plu-
tôt que de les exposer à la perdre par vos
jugements. Du reste, vous nous soulageriez
fort dans les peines auxquelles nous som-
mes exposés, si en réprimant par les lois
cette orgueilleuse secte , vous tâchiez d'ôter
à ceux qu'on punit tout prétexte de se flatter
que c'est pour la vérité et pour la justice
qu'ils souffrent persécution. » Il ajoute :
« Quelque grand que soit le mal qu'on veut
faire quitter et le bien qu'on veut faire em-
brasser, c'est un travail plus importun que
profitable, de n'y réduire les hommes que
par la force , au heu de les gagner par
l'instruction. » Cette lettre est de la fin de
408 ou du commencement de 409.
50. Vers le même temps l'évêque Mémor,
père de Julien qui se rendit depuis si fameux
parmi les pélagiens, écrivit à saint Augustin
une lettre pleine de témoignages d'amitié et
d'estime, pour lui demander ses six livres &
la Musique. Accablé de quantité d'affaires,
saint Augustin ne se trouva pas assez de loi-
sir pour les revoir avant de les envoyer.
Ainsi il se contenta de lui envoyer le sixième
livre, dont il chai'gea Possidius, qui allait au
lieu où Mémor demeurait. Celui-ci avait en-
core prié le saint évêque de lui dire qu'elle
était la mesure des vers de David : saint
Augustin lui avoue ingénuement qu'il n'en
savait rien, parce qu'il n'avait pas appris
l'hébreu ; mais qu'au rapport de ceux qui
étaient instruits dans cette langue, il y avait
quelques mesures dans les Psaumes.
51. Il parle dans son second livre des
LclIrolO
à iMOmor
vers l'<i
109 , pas
270
Lettre 10
Rétractations, de celui qu'il avait composé à nc^ogratia!
vers l'a
(lOS, pas
275.
la prière d'un prêtre nommé Déogratias, le
même, comme l'on croit, à qui il adressa un
traité intitulé : Catéchisme ou manière de ca-
téchiser les ignorants. Dans ce livre il ré-
pondait à six questions que Déogratias lui
avait envoyées de Carthage. Il remarque que
sur la seconde, il avait dit que la religion
chrétienne, qui seule peut procurer le salut,
n'a jamais manqué à aucun de ceux qui en
ont été dignes : « Mais je n'ai pas voulu dire
par-là, ajoute-t-il, que personne en ait été
digne par ses propres mérites ; je l'ai dit
dans le sens de ces mots de l'Apôtre : Ce
n'est pas en considération des œuvres, mais de
• C'est comme s'il disait, le signe visible du
corps de Jésus-Christ est en quelque manière le
corps de J.-C. parce que les figures prennent le
nom des choses figurées.
[iv" ET V SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
105
la vocation de Dieu, qu'il a été dit, que le pre-
mier né serait assujetti au puîné : c'est-à-dire,
de cette sorte de vocation, qui est selon le
décret de Dieu, et dont le même apôtre
Tiinjih. parle, qaiand il dit, que nous n'avons pas été
appelés selon nos œuvres, mais selon le décret
de la volonté et de la grâce de Dieu. Le prêtre
qui proposa à saint Augustin les sis questions
expliquées dans ce livre, était son ami, et
assez habile homme pour les résoudre lui-
même ; mais il aima mieux en demander la
solution à ce saint évêque. La première est
touchant la résurrection. Il y en avait qui se
préocuppaient de savoir, et qui demandaient
quelle était la résurrection cpii nous est pro-
mise ; si elle doit être comme celle de Jésus-
Christ, ou comme celle de Lazare. Saint
Augustin répond : « Notre résurection aura
rapport à celle de Jésus-Christ, plutôt qu'à
ceUp de Lazare, parce que Lazare n'est res-
sucité que pour mourir encore une fois, au
lieu que Jésus-Christ ressuscité ne mourra
plus, n n'importe que Jésus-Christ soit né
d'une manière différente de nous, puisqu'il
n'en est pas moins véritablement mort, et
qu'il n'est pas mort d'une autre mort que la
nôtre. Il est vrai qu'après sa résurrection,
son corps était entier et exempt de pourri-
ture, tandis que les nôtres étant confondus
par la pourriture avec le reste de la matière,
il faudra les démêler de cette masse ; mais
ce qui n'est pas possible aux hommes, est
facile à Dieu, qui, par sa seule volonté res-
sucitera aussi facilement les corps les plus
consumés par la longueur du temps, que
ceux qui seraient encore dans leur entier.
Du reste, il n'y a rien de contraire en ce que
nous disons, que Jésus-Christ a mangé de-
puis sa résurrection, et qu'après la nôtre
nous n'aurons plus besoin de manger, puis-
que nous lisons que des anges mêmes ont
mangé très-réellement, et toutefois sans be-
soin, mais par un effet de la vertu de leur
nature. Jésus-Christ pouvait, s'il avait voulu,
ne pas conserver les cicatrices des plaies
qu'il avait reçiies dans sa Passion ; mais il
les conserva à dessein, afin de faire voir à
ses disciples que le corps qu'il leur montrait,
était celui-là même qu'ils avaient 'sti crucifié,
et non pas un autre. »
La seconde question regarde le temps où
la religion chrétienne a paru dans le monde.
Si Jésus-Christ, disait-on, est la voie, la
grâce et la vérité, et qu'il n'y ait de retour à
l'innocence et à l'immortafité que par lui.
qu'ont fait ceux qui ont vécu dans les siè-
cles qui l'ont précédé ? Avant de répondre
à cette question, saint Augustin demande
à ceux qui la faisaient si le culte des dieux
a été de quelque utilité pour les hommes :
« Car on sait , précisément, dit-il, le temps
aucfuel il a été établi. S'ils répondent qu'il
n'a servi de rien pour le salut, dès là ils dé-
truisent ce culte. S'ils soutiennent qu'il a été
utilement institué , c'est à eux de dire que
sont devenus ceux qui sont morts avant son
institution. S'ils répondent : Les dieux ont
toujours été et ont pu sauver ceux qui les
servaient, mais comme ils savaient ce qui
convenait aux divers états où le monde s'est
trouvé, ils ont voulu être servis diS'éremment
selon la différence des temps et des lieux ;
pourquoi donc attaquent-ils la religion chré-
tienne par une objection dont ils ne sauraient
se tirer, lorsque nous la leur faisons sur le
culte de leurs dieux, sans nous fournir de
quoi leur répondre quand ils nous la font ?
car la réponse qu'ils y font n'est pas moins
forte pour nous que pour eux. Comme la
variété des sons dont on est obligé de se
servir pour se faire entendre à des gens de
différents pays et de différentes langues,
n'est d'aucune importance, pour^Ti que ce
que l'on dit soit vrai ; de même la variété du
culte extérieur qui con\'ient aux diverses
circonstances des temps et des lieux, n'est
d'aucune conséquence, pour-sni que ce qu'on
adore soit saint.» Après avoir montré que les
païens (car c'était de leur part que Déogra-
tias proposait ces six questions) n'étaient pas
moins embarrassés sur cette objection que
les chrétiens, saint Augustin répond que
Jésus-Christ étant le Verbe de Dieu, par qui
toutes choses ont été faites, et dans la parti-
cipation duquel consiste le bonheur de toute
âme raisonnable, tous ceux qui ont cru en
lui depuis le commencement du monde, et
qui ont vécu dans la piété en gardant ses
préceptes, ont été sauvés par lui en quelque
temps, et en quelque lieu du monde qu'ils
aient vécu. « Car de même que nous croyons
au Fils de Dieu, venu au monde revêtu d'un
corps, les anciens croyaient en lui et subsis-
tant dans son Père, et devant prendre un
corps pom* se montrer aux hommes. Quoi-
que la diversité des temps fasse qu'on an-
nonce présentement l'accompHssement de
ce qui n'était alors que prédit, on ne peut
pas dire pour cela que la foi ait varié, ni
que le salut soit autre chose que ce qu'il
106
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
était. En effet, de ce qu'une chose est an-
noncée et prédite différemment sous diffé-
rentes pratiques de religion, on ne doit pas
en conclure qu'elle est différente non plus
que le salut qu'elle apporte. Quant au temps
où s'est dû accomplir ce qui a été et qui
sera toujoiurs l'unique principe de la déli-
vrance et du salut des fidèles, c'est à Dieu
d'en ordonner et à nous d'obéir. Ainsi quoi-
que la religion de Jesus-Christ ait paru au-
trefois sous un autre nom et sous une autre
forme, qu'elle ait été autrefois plus cachée
qu'à présent, et qu'elle soit présentement
plus développée, et connue d'un beaucoup
plus grand nombre d'hommes qu'elle ne
l'était dans les premiers siècles, c'est tou-
jours la même religion. Jésus-Christ n'a
voulu paraître dans le monde, et n'y faire
prêcher sa doctrine que dans les temps et
dans les lieux où il savait que devaient être
ceux qui croiraient en lui. Car il prévoyait
que, dans les autres temps et dans tous les
autres lieux où son Évangile n'a pas étéprê-
ché, les hommes devaient être tels, quand
même il leur eût été annoncé, qu'ont été la
plupart de ceux qui, ayant vu Jésus-Christ
lui-même pendant sa vie mortelle, sont de-
meurés dans l'incrédulité après des morts
ressuscites, et après avoir vu d'autres mira-
cles. »
Les demi - pélagiens ne manquèrent pas
d'abuser de cet endroit. Mais saint Augustin
en ayant été averti par Hilaire, leur répon-
dit, dans le livre de la Prédestination des
saints, qu'il ne s'était servi du seul mot de
prescience, que parce qu'il avait cru que
cela suffisait pour convaincre l'infidélité des
païens, qui faisaient l'objection à laquelle il
répondait; il avait laissé en son entier ce qui
est caché dans les conseils de Dieu, des mo-
tifs de cette conduite, et même ce que nous
en pourrions connaître ; en disant donc que
Jésus-Christ n'a voulu se montrer et faii'e
prêcher l'Évangile que dans les lieux et dans
les temps où il a su que devaient être ceux
qui croiraient en lui, c'est comme s'il avait
dit que Jésus-Christ ne s'est montré aux
hommes et ne leur a fait prêcher la doc-
trine que dans les lieux et dans le temps où
il a su que devaient croire ceux qui ont été
élus avant la création du monde.
Par la troisième question, les païens de-
mandaient pom'quoi les clu"étiens condam-
naient les sacrifices et la manière de les
offrir, les victimes, l'encens et beaucoup
d'autres choses qui ont été en usage dès les
premiers temps. Saint Augustin répond :
« Si Caïn et Abel ont offert à Dieu des fruits
de la terre et les prémices des troupeaux, ce
n'est pas qu'il en eût besoin; et s'il les exi-
geait et les acceptait , c'était uniquement
pour le bien de ceux; qui les lui offraient. Si
les faux dieux, c'est-à-dire les démons, en
ont exigé de leurs adorateurs, c'est qu'ils sa-
vaient qu'ils ne sont dus qu'au seul vrai
Dieu, en sorte qu'au lieu que ces sacrifices
soient un acte de religion lorsqu'on les offi-e à
Dieu, ils deviennent des sacrilèges quand on
les offre au démon. Suivant la différence des
temps, les sacrifices ont changé; mais ce
changement avait été prédit. Le Nouveau
Testament est établi sur la vraie victime du
souverain prêtre, c'est-à-dire sur l'effusion
du sang de Jésus-Christ ; et présentement
nous tous qui portons le nom de chrétiens,
dont la profession et la religon se marquent
et s'expliquent par ce nom-là , nous offrons
un sacrifice qui convient à la manifestation
de la nouvelle alliance, »
La quatrième question combat l'éternité
des peines. Voici comme raisonnaient les
païens : (( Il est écrit : Vous serez mesurés à la
mesure avec laquelle vous aurez mesuré. Or,
toute mesure est bornée à un certain espace
de temps. Que veulent donc dire ces menaces
d'un supplice qui ne finira jamais? » Saint
Augustin répond : « Il y a d'autres mesures
que celles du temps ; et l'on dit tous les
jours qu'un homme sera traité comme il
aura traité les autres, quoiqu'il ne reçoive
pas précisément le même traitement. Ces
paroles de Jésus-Christ : Vous serez mesurés
à la mesure dont vous aurez mesuré ne signi-
fient donc autre chose , sinon que les hom-
mes seront récompensés ou punis par la
même volonté qui lem' aiu-a fait faire le bien
ou le mal ; c'est-à-dire par ces mêmes af-
fections de la volonté, qui sont la mesure de
tout ce que nous faisons de bien et de mal.
Car, comme c'est elle qui jouit du plaisir
qu'elle trouve dans le péché, c'est elle aussi
qui soufl're dans le supplice dont il est pimi ;
et comme elle a jugé sans miséricorde, elle
est aussi jugée sans miséricorde. Ce qui
fait encore que les péchés , quoique de peu
de durée , peuvent être punis des supplices
éternels, c'est que comme le pécheur au-
rait voulu jouir éternellement du plaisir qu'il
a trouvé dans son péché, il est juste qu'il en
soit puni éternellement. »
|Malt
eltrcl05
s doiia-
:i'S , cil
[IV" ET y' SIÈCLES.]
Dans la cinquième question , les païens
demandent s'il est vi-ai que Salomon ait dit
qu'il n'y a point de Fils de Dieu. Saint Au-
gustin répond que le contraire se trouve
dans les livres qui sont de lui, et en particu-
lier dans les Proverbes , dont il rapporte plu-
sieurs passages.
L'histoire du prophète Jonas fait la ma-
tière de la sixième question. Les païens se
moquaient de ce qu'on lisait que ce pro-
phète avait été englouti par une baleine, et
qu'il était resté trois jours dans les entrailles
de ce poisson. Ils demandaient aussi ce que
voulait dire cette citrouille qui crut en si peu
de temps au-dessus de la tête de Jonas pen-
dant qu'il dormait. Saint Augustin répond :
(c Ce qui, dans ce miracle peut paraître in-
croyable, c'est que le dissolvant du ventre
de ce poisson ait pu être tempéré de telle
sorte, qu'un homme y soit demeiu-é vivant ;
mais, ajoute-t-il, n'est-il pas beaucoup plus in-
croyable que les trois enfants, dont parle Da-
niel, jetés dans la fournaise ardente, se pro-
menassent au milieu des flammes sans en être
endommagés ? Si ce qui est écrit de Jonas,
se disait de quelqu'un de cens qui sont en
honneur parmi les païens, comme d'Apulée
de Madaure, ou d'Apollonius de Thiane, dont
ils content mille prodiges qui ne sont attestés
d'aucun auteur digne de foi, ils en triomphe-
raient, tandis qu'ils se moquent de ce qui est
dit de Jonas. « Il appuie la vérité de ce qui
était arrivé à ce prophète par l'autorité de Jé-
sus-Christ, et trouve les trois jours depuis la
mort du Sauveur jusqu'à sa résurrection ,
en prenant partie d'un chacun pour son tout ;
en sorte que depuis le premier jusqu'au der-
nier, on trouve les trois jours avec leurs
nuits, n fait un comi parallèle entre Jésus-
Christ et Jonas, et donne une explication al-
légorique de la citrouille que Dieu fit naître
pom' couvrir la tète du Prophète : « Cette
plante, dit-il, qui le couvrait de son ombre
représentait les promesses de l'Ancien Testa-
ment, qui étant, selon l'Apôtre, des ombres
des biens à venir, servaient de défense
aux hommes dans la terre de promission
contre l'ardeur cuisante des maux de cette
vie.»
52. La lettre qui est adressée en général
à tous les donatistes, est non-seulement pour
les exhorter à rentrer dans l'unité, mais sur-
tout pour leur faire voir que les lois faites
contre eux par les empereurs, étaient non-
seulement justes, mais nécessaires. Pour
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
107
les convaincre , il leur rappelle le souvenir
des violences de leurs circonceUions, et, en
particulier, celles qu'ils venaient d'exercer
contre Marc, prêtre de Casphalie qui avait,
de sa bonne volonté, quitté leur parti pour
se faire catholique. Il leur cite encore divers
autres exemples tout récents de leurs cruau-
tés , et leiu' dit que les empereurs ne com-
mandent, à l'égard de l'unité, que ce que
Jésus-Christ même commande. Cette lettre
fut donc écrite avant la hberté de conscience
qu'Honorius accorda sur la fin de l'an 409.
Il leur fait voir ensuite que la sainteté et la
vertu du baptême étant l'effet de la grâce
de Dieu et non pas celui de la sainteté de ses
ministres, ils ne pouvaient, sans sacrilège,
réitérer ce sacrement, quand.il aurait été
conféré par quelque ministre dont la probité
ne leur serait pas connue. Il se plaint de ce
que leurs évêques n'ont jamais voulu entrer
en conférence avec les catholiques, sous le
faux prétexte qu'on ne doit pas même par-
ler aux pécheurs, et les réfute sur ce point
par les exemples de saint Paul et de Jésus-
Christ même , qui n'ont pas dédaigné de
conférer et de traiter certaines questions
avec les plus grands pécheurs. Il rapporte
après cela un grand nombre de passages de
l'un et l'autre Testament , pour prouver
l'universalité de l'Éghse , et qu'elle ren-
ferme dans son sein les bons et les mauvais,
sans que pour cela les justes participent aux
péchés des méchants , parce que ce n'est
qu'en y consentant et en y contribuant que
l'on y participe. « Nous les tolérons, dit-il,
comme l'ivraie mêlée avec le bon grain,
dans le champ de l'Évangile, qui nous re-
présente l'Église catholique répandue par
toutes les nations; ou comme de la paille
mêlée avec du froment dans cette aire de
l'Évangile qui représente la môme Église ;
et nous devons les tolérer jusqu'au jour où
le champ doit être moissonné et l'aire net-
toyée ; autrement, nous nous mettrions en
danger d'arracher le bon grain, en pensant
arracher l'ivraie. » Il presse donc les dona-
tistes de ne pas prendre occasion de ce mé-
lange pour se séparer de l'Église, a Nous
avons tous, leur dit-il, les mêmes Écritures ,
et comme c'est par là que nous reconnais-
sons Jésus-Clmst, c'est parla aussi que nous
reconnaissons l'Église. »
S3. La même année saint Augustin ayant l.iipg
appris que Macrobe, évêque donatiste à Hip- jjg' ^ jj^l
pone, se disposait à rebaptiser un soudiacre ^^lf^\^^ '^°^
ÛOO,
304.
108 HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
pjg. catholique qui s'était jeté dans le parti des
donatistes , lui écrivit pour le prier d'épar-
gner à ce soudiacre le crime dont il allait
se souiller, et de s'épargner à lui-même
celui qu'il voulait commettre. Il lui objecte
que les donatistes n'ayant rebaptisé aucun
de ceux que Félicien et Primien avaient
baptisés dans le schisme , il n'avait pas plus
de droit de rebaptiser ceux qui avaient déjà
reçu le baptême dans l'Église catholique.
Maxime et Théodore , que saint Augustin
avait chargés de rendre cette lettre à Ma-
crobe, et de lui en rapporter la réponse , lui
écrivirent que Macrobe ne leur avait dit au-
tre chose, sinon qu'il ne pouvait s'empêcher
de recevoir ceux qui venaient à lui, et de
leur donner la foi qu'ils demandaient ; qu'à
l'égard de Primien, il le respectait comme
son père, sans vouloir le juger. Cette ré-
ponse engagea saint Augustin à écrire une
seconde lettre à Macrobe, où il lui dit ce qui
suit : « L'engagement que vous avez pris
parmi les donatistes, n'était pas un motif
qui dût vous retenir dans un si mauvais
parti ; votre réponse, au lieu de satisfaire à
la difi] culte touchant le baptême donné par
Félicien et par Maximien, renverse de fond
en comble tous les prétextes de votre sé-
paration , et toutes les calomnies dont vous
prétendez l'autoriser ; il est fort surprenant,
que n'osant juger de la conduite de Primien,
que vous connaissiez, vous ne fassiez au-
cune difficulté de juger de celle de Cécilien,
que vous ne pouviez connaître , ni de con-
damner tous les chrétiens qui ne jugent
pas comme vous cet ancien évêque de Car-
thage. n Saint Augustin le presse de nouveau
sur l'affaire de Primien et de Maximien ,
dont le baptême avait été reconnu pour bon
par les donatistes, quoique l'un et l'autre
eussent été regardés, par ceux de cette
secte , comme déserteurs de la vérité et re-
belles à l'Église. Il rapporte toutes les au-
torités de l'Ecriture que les donatistes allé-
guaient contre les catholiques , faute d'en
bien comprendi-e le sens ; entre autres
celle-ci : Abstenez-vous de l'eau étrangère,
et répond que l'eau du baptême n'est point
une eau étrangère , quoiqu'elle soit parmi
les étrangers ; que c'est pour cela que les do-
natistes ayant eux-mêmes reconnu que
l'eau donnée par Maximien n'était point une
eau étrangère, ils ne s'en étaient point abs-
tenus. Saint Augustin répond de même à
tous les autres passages qu'ils avaient cou-
tume d'alléguer touchant le baptême. Quant
aux autres dont ils se servaient pour colorer
leur séparation, il fait voir qu'on ne par-
ticipe aux péchés d'autrui, qu'en y consen-
tant, et qu'il n'y a aucun mal de demeurer
avec les méchants dans la communion des
mêmes sacrements. C'est ce qu'il prouve par
plusieurs exemples, par ceux des apôtres,
de Jésus-Christ, et de saint Cyprien, dont
il rapporte un passage où nous lisons, ce
qui suit : « Quoique nous voyions de l'ivraie
dans l'Église , cela ne doit point altérer
notre foi ni notre charité; cette ivraie ne
doit donc pas nous faire sortir de l'EgMse ,
et nous devons seulement travailler à
être du bon grain. » Les donatistes ap-
phquaient sans cesse aux catholiques ce
passage du Prophète : Ils sont toujours
prêts à répandre le sang. Saint Augustin
répond que ce serait aux catholiques à
en faire l'application aux donatistes ; et il
donne pour preuve, non-seulement les vio-
lences de leurs clercs et de leurs circoncel-
lions, mais encore leur concile de Bagaïe,
qui dans la sentence contre Maximien et ses
sectateui's , les fait passer pour gens tou-
jours prêts à répandre le sang. Il prend
Jésus-Christ à témoin du désir sincère où
il était de voir Macrobe dans l'miité de l'É-
glise, et l'exhorte à bien examiner l'affaire
de Maximien , et de répondre aux consé-
quences que l'on tirait naturellement , et
qu'au cas qu'il ne le put, il le conjure de
ne pas préférer l'engagement du parti où
il est , à la crainte de Dieu et à son salut.
Il fait, à cette occasion, un long dénombre-
ment de toutes les fâcheuses suites du
schisme , auquel il oppose les avantages
de l'unité. « Ouvrons les yeux, lui dit -il,
reconnaissons ce que demande de nous la
paix de Jésus-Christ ; tenons-nous y l'un et
l'autre ; travaillons ensemble autant qu'il
plaira à Dieu de nous en faire la grâce, à
être du nombre des bons, et même à cor-
riger les méchants , autant que nous le
pourrons , sans rompre l'unité. Recon-
naissons que l'Église est l'arche dont celle
de Noé n'était que la figure : soyons en-
semble dans cette arche comme des ani-
maux purs ; mais ne trouvons pas mauvais
qu'elle en porte d'immondes avec nous jus-
qu'à la fin du déluge. Il n'y eut que le cor-
beau qui s'en retira, et qui abandonna avant
le temps cette demeure commune. Aussi
n'était-il pas de ces animaux purs qui
[rye j,j ye SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
109
étaient dans l'arche sept de chaque es-
pèce ; mais de ces animaux immondes
dont il n'y en avait que deux de chacun.
Ayons donc en horreur son impureté et
sa séparation , qui seule rend condamna-
bles ceux mêmes dont les mœurs seraient
d'ailleurs aussi pures que les vôtres. » Il
manque environ vingt-sept lignes à la fin
de cette lettre, dans le manuscrit du Vati-
can d'où eUe a été tirée.
Leiircios S4. On voit par la lettre de Sévère, évé-
ïiio'^rs'^ que de Milève, à saint Aug-ustin, combien
tèic (le Mi- Sévère trouvait de plaisir dans la lecture
ève, vers ^
l'an 409, des œuvres de ce Père. 11 ne put s'empê-
jîl. "^ cher de le lui témoigner par écrit, et il le
fît d'une manière qui ne lui fait pas moins
d'honneur qu'à saint Augustin : tant sa let-
tre est pleine d'esprit et de piété. Nous n'en
rapporterons qu'un endroit où il s'adresse à
ce saint Docteur, en ces termes : « 0 sainte
« et industrieuse abeille de Dieu, qui savez
« former des rayons pleins d'un miel tout
« céleste et tout divin, d'où distille la misé-
(( ricorde et la vérité, où mon âme trouve
« toutes ses délices, et dont elle se nourrit
« comme d'une source de vie, pour en tii'er
« de quoi remplir son vide et soutenir sa fai-
0 blesse. En prêtant à Dieu votre voix et
« votre ministère , vous faites qu'on bénit
n son nom. Vous écoutez ce que le Seigneur
(( chante dans votre cœur, et vous y répon-
« dez parfaitement par votre voix. Ainsi ce
« qui se répand jusque sur nous de la plé-
« nitude de Jésus-Christ, nous devient plus
« doux et plus agréable, en passant par un
(( si excellent canal, et nous étant présenté
(( par un ministre si saint , si digne , si pur,
« si fidèle. Vous relevez tellement ces véri-
« tés par le tour que vous leur donnez, et le
<( jour où vous les mettez, que la beaut^ de
(( votre esprit nous éblouirait et arrêterait
« nos yeux sm- vous, si vous n'étiez toujours
« appliqué à nous faire regarder le Seigneur,
(( et à nous faire rapporter à lui tout ce que
« nous admirons en vous, afin que nous re-
(( connaissions qu'il vient de Dieu, et qne tout
« ce qu'il y a de bon, de pur et de beau en
« vous, n'y est que par participation de sa
« bonté, de sa pureté, de sa beauté. » L'hu-
milité de saint Augustin l'empêcha de se re-
connaître dans l'éloge que Sévère avait fait
de lui; mais ne pouvant d'aiUem's le regar-
der comme un flatteur, il lui dit dans sa ré-
ponse : « Je ne puis douter que vous ne
pensiez ce que vous dites de moi ; mais
comme je ne me reconnais point dans le
portrait que vous en faites, il se peut faire
que vous ne disiez pas vrai, quoique vous
parliez très-sincèrement. » Il témoigne un
fond d'estime et de vénération pour Sévère,
mais il le prie, en même temps, de ne point
le charger de nouveaux travaux, et de dé-
tourner même les autres qui voudraient l'y
engager. Ces deux lettres sont de l'an 409.
53. Vers le mois de novembre de la mê- Lettre m
me année, saint Augustin répondit à la let- enS09,i)aa!
tre que le prêtre Victorien lui avait écrite, ^*®'
au sujet de quelques calamités semblables
à celles qui afQigeaient alors presque toutes
les parties du monde. Les barbares avaient
tué des serviteurs de Dieu, apparemment
des moines ; emmené captives des vierges,
et commis beaucoup d'autres excès, qui
donnaient occasion aux païens de blasphé-
mer contre Dieu, et d'attribuer les malheurs
de l'Empire à la religion chrétienne. « Ces
malheurs ayant été prédits , l'effet qu'ils
doivent produire, dit saint Augustin, est
que ceux qui demeuraient dans l'incré-
dulité, tandis qu'ils se contentaient d'en
lire la prédiction dans les Hvres saints ,
doivent cesser d'être incrédules présen-
tement qu'ils les voient s'accomplir de-
vant leurs yeux; si les impies en mur-
murent contre la Providence , les fidè-
les et les saints en prennent occasion d'a-
dorer sa justice et d'implorer sa miséri-
corde ; si , comme le disaient les païens ,
on n'avait pas entendu parler de sembla-
bles malheurs avant la prédication de l'É-
vangile , c'est qu'il est juste que les chré-
tiens qui continuent à faire le mal depuis
qu'ils ont connu la vérité, soient plus rude-
ment châtiés, qu'ils ne l'auraient été avant
qne de la connaître. Pour les autres, quel-
que saints qu'ils fussent , ils ne devaient pas
prétendre l'être davantage que Daniel et
les jeunes hommes qui furent jetés dans
la fournaise , ni que les saints Machabées,
qui, dans toutes leurs afltlictons, avaient re-
connu ne rien souffrir, qu'ils ne l'eussent
mérité par leurs péchés. » fi prie donc Vic-
torien de veiller sur lui-même, afin qu'il ne
lui arrivât point de mm^murer contre Dieu
dans ces calamités : et d'avertir les autres
d'y prendre garde. « Ce sont, dites-vous,
de très-gens de bien, des fidèles, des ser-
viteurs de Dieu, des saints qui ont été mis
à mort par les barbares, mais qu'importe
que ce soit le fer ou la fièvre qui les ait déli-
no
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
ILcltre H2
^ Umiut, t'i)
Ii09 ou aïo,
pag. 320.
vrés de le prison de leurs corps ? Ce que Dieu
regarde dans la mort de ses serviteurs, ce
n'est pas ce qai les fait mourir, mais ce qu'ils
sont quand ils meurent. Que savons-nous,
ajoute-t-il, si Dieu ne veut point qae ces fem-
mes , emmenées par les barbares , devien-
nent dans leurs pays des instruments de ses
merveilles ? Ce que vous avez à faire, c'est de
prier devant Dieu pour elles, de tâcher d'en
apprendre des nouvelles, et de leur procurer
tous les secours et toutes les consolations
qui dépendent de vous. » Il rapporte qu'une
vierge consacrée à Dieu, nièce de l'évêque
Sévère, ayant été emmenée captive par les
bai'bares, il ai-riva que dans la maison où
elle servait, ses maîtres, qui étaient trois
frères, furent tout d'un coup frappés d'une
maladie dangereuse. Leur mère voyant que
cette fille servait Dieu, et croyant que ses
prières pourraient tirer ses eufants du pé-
ril où ils étaient, la conjura de prier pour
eux, lui promettant que s'ils guérissaient,
on la rendrait à ses parents. Elle jeûna, elle
pria et fut exaucée. Les barbares sensibles
à la miséricorde de Dieu , conçurent de
grands sentiments d'admiration pour cette
vierge et la renvoyèrent avec honneur. A
l'égard de celles qui depuis peu avaient été
emmenées captives, saint Augustin dit avec
confiance que Dieu, qui a coutume d'assis-
ter les siens, ne permettra pas que les bar-
bares entreprennent rien contre leur chas-
teté, ou que s'il le permet, il ne leur sera
rien imputé. « Car, dit-il, quand le cœur
demeure pur, et qu'il ne consent point au
crime, il ne se peut rien passer dans le
corps de criminel, et quoique puisse entre-
prendre un impudique sur une personne
chaste qui n'y donne point de lieu, et qui
n'y prend point de part, le crime n'est que
pour lui seul. A l'égard de l'autre, c'est une
violence qu'elle souffre, mais non pas une
tache qui la souille. »
56. La lettre à Donat, qui sortait de la
charge de proconsul, est poui' l'exhorter à se
dépouiller de tout le faste de la vanité hu-
maine, pour s'élever vers Jésus-Christ, dont
la doctrine porte non à une grandeur trom-
peuse et apparente , mais solide et toute cé-
leste, ceux qui se convertissent à lui. Comme
Donat avait rempli sa charge avec beaucoup
d'honneur et de probité , saint Augustin lui
dit que si quelque chose nous donne de la joie
dans l'approbation des hommes , ce ne doit
pas être de voir qu'ils approuvent ce que
nous avons fait, mais d'avoir sujet de croire
que nous avons fait ce qu'il fallait faire.
Car le prix des bonnes actions vient d'elles-
mêmes, et non pas de ce qu'en peuvent dire
les hommes, dont l'esprit n'est que ténèbres;
et quand il leur arrive d'improuver ce qui
est bien, ce sont eux qui sont dignes de com-
passion, et non pas celui qui est condamné
pour avoir bien fait ; et, par la même raison,
lorsque le bien que nous faisons est ap-
prouvé, le prix de nos bonnes actions n'aug-
mente pas pom- cela ; puisqu'il dépend uni-
quement du fond de la vérité , et qu'il ne
subsiste que sur le témoignage de la bonne
conscience.
57. Un nommé Faventius avait pris à ferme
ime forêt. Comme il craignait quelque chose
de fâcheux de la part de celui à qui elle ap-
partenait, il eut recom's à l'Église d'Hip-
pone, et s'y réfugia. U s'y tint comme avaient
accoutumé ceux qui recouraient à la protec-
tion des Églises, attendant que son affaire
pût être réglée par l'entremise de saint Au-
gustin. La chose tramant en longueur, sa
crainte diminua peu à peu, et il devint
moins soigneux de se tenir dans les bornes
de son asile ; de sorte qu'un soir, comme il
revenait de souper chez un de ses amis, il
fut arrêté et enlevé. A la première nouvelle
qu'en eut saint Augustin, il en écrivit à Cres-
conius, et ensuite à Florentin, puis à Fortu-
nat, évêque de Cirthe, et enfin à Générosus,
gouverneur de la Numidie. Il demande dans
ces lettres qu'on accorde du moins à Faven-
tius le délai de trente jours que les lois ac-
cordaient à ceux que l'on emprisonnait pour
dettes ; mais aussi qu'en ne lui permettant
pas de sortir de la ville où il serait arrêté ,
on ne le gardât pas de trop près , afin qu'il
pût mettre ordre à ses affaires et trouver de
l'argent.
58. Saint Augustin était malade lorsqu'on
vint lui apporter une lettre d'un jeune homme
de naissance nommé Dioscore , qui ne vou-
lait pas retourner en Grèce sans avoir reçu
de lui la solution de plusieurs difficul-
tés qu'il lui proposait, touchant divers sen-
timents des anciens philosophes, et sur
quelques livres de Cicéron, en particulier
sur ceux qui sont intitulés : De l'Orateur.
Comme toutes ces questions n'étaient que de
curiosité, saint Augustin ne crut pas devoir
s'occuper à les examiner, d'autant qu'il n'a-
vait pas même à Hippone les livres nécessai-
res à cette discussion. Dioscore la regardait
Leilre
113, lia,
115 et 116
pour Fa -
ventius, co
ÛIO, pag
325.
[IV'' ET V° SIÈCLES.]
néanmoins comme indispensable , et la rai-
son qu'il en donnait était qu'il craignait de
passer dans son pays pour ignorant et pour
stupide, s'il ne pouvait pas y répondre.
Saint Augustin lui fait voir que ce qu'il ap-
pelait nécessité indispensable, était une pure
vanité, à laquelle des évêques ne devaient
avoir aucun égard. « Cette vanité, ajoute-t-
11, est même sans fondement, puisque ni à
Rome , ni en Afiique , ni ailleurs , personne
ne s'amuse plus de pareilles questions ; on
n'est plus curieux de la doctrine d'Anaxi-
mène ou d'Anaxagore; les sectes des stoï-
ciens et des épicuriens venus longtemps de-
puis, sont tellement éteintes, qu'il n'en
est presque plus question; mais tout re-
tenti des faux dogmes d'une infinité d'hé-
rétiques. » Saint Augustin les nomme, et ne
dit rien des pélagiens, ce qui fait voir que
cette lettre fut écrite avant l'an -411. 11 ex-
horte Dioscore à s'instruire plutôt des er-
reurs de ces hérétiques, par intérêt pour
la religion chrétienne, que de réveiller par
une vaine curiosité d'anciennes disputes de
philosophes ; et il l'engage de s'appliquer à
chercher les moyens par où l'on peut arri-
ver à la vie heureuse, c'est-à-dire, à la pos-
session du souverain bien. Il rapporte les
sentiments des philosophes sur ce souverain
bien, et remarque que Platon qui l'étabhs-
sait dans la sagesse immuable et dans la
vérité permanente et toujours égale à elle-
même, est celui de tous dont la doctrine ap-
proche le plus du christianisme. 11 dit à Dios-
core , que l'humilité est la seule voie pour
arriver à la connaissance de la vérité ; que
cette vertu doit précéder, accompagner et
suivre tout ce que nous faisons de bien; que
les sciences humaines sont contraires à l'hu-
milité , enfin que cette vertu est ce qu'il y a
de plus important à observer dans la religion
chrétienne. Saint Augustin lui dit ensuite
quelque chose de la génération du Verbe,
qu'il représente beaucoup au-dessus de tou-
tes les autres générations; et pom* le conten-
ter en quelque sorte, il résout en peu de
mots quelques-unes de ses questions de phi-
losophie. Après lui avoir fait remarquer dans
combien d'absurdités les anciens philosophes
sont tombés; il prouve que l'autorité de Jé-
sus-Christ est la seule voie pour amener les
hommes à la vérité. «Nous devons, ajoute-il,
nous rendre d'autant plus volontiers à son
autorité, que nulle erreur n'ose plus se pro-
duire , ni entreprendre de faire des partis et
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
m
de chercher des sectatem's , même parmi les
simples et les ignorants, qu'en se couvrant
du nom de Jésus-Cln-ist; et que les juifs, qui
sont de toutes les anciennes sectes les seuls
qui subsistent encore, mais dont nous voyons
des conventicules sous un autre nom que ce-
lui de Jésus-Christ, portent les Écritures qui
annoncent ce même Jésus-Christ , quoiqu'ils
ne l'y veuillent pas voir. C'est une témérité
ordinaire à tous les hérétiques, de promettre
à ceux qu'ils veulent séduire, de les con-
duire par la raison, voyant bien que s'ils
entreprenaient de les mener par autorité, ils
tomberaient eux-mêmes dans le mépris,
ceUe qu'ils ont n'étant rien en comparaison
de l'autorité de l'Église catholique; mais
Jésus-Christ ne s'est pas contenté de mettre
son Église à couvert sous la forteresse de
l'autorité, dont les sièges apostoliques, et le
consentement de tant de peuples et de na-
tions très-célèbres, sont comme autant de
remparts ; il l'a encore munie par le minis-
tère de quelques personnages également
pieux, savants et spirituels, de tout ce que
la raison peut fournir de plus invincible. Ce-
pendant la conduite la plus régulière est
que les faibles se tiennent à couvert sous le
boulevard de la foi ; et que pendant qu'ils y
sont en sûreté , on combatte pour eux avec
toutes les forces de la raison. La doctrine de
Jésus-Christ ayant commencé à se répandre
par toute la terre, plusieurs platoniciens, re-
connaissant que ce divin Sauveur était cet
Homme-Dieu, en qui la vérité et la sagesse
immuable s'était incarnée , et par la bouchç
de qui elle avait parlé aux hommes, se ran-
gèrent sous ses étendards, n Saint Augustin
dit à Dioscore qu'il n'avait pas jugé à propos
de répondre à ses questions sur les livres de
l'Orateur, n'étant pas dignes d'occuper un,
évêque; que pour celles auxquelles il avait
répondu, il en trouverait la solution à la
marge des mémoires qu'il lui avait envoyés
par Cerdon.
59. Un autre'laïque , nommé Consentius, Lctire
qui demeurait dans les îles, vivant appliqué ,ii''a,ns!.n°
à l'étude , et à composer même des ouvra- Jj„|^s,.,'i[iu/'
ges, en adressa quelques-uns à saint Au- f" ''OS «à
gustan, avec une lettre qui servait de pre- 3m.
face, dans laquelle il le priait, non-seule-
ment de les lire, mais encore de les corriger,
et de l'affermir lui-même dans les agitations
de la foi. Il le priait aussi de lui donner ses
instructions par écrit, parce que dans les
îles où il demeurait, il y avait plusieurs per-
il2
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
sonnes dans la même erreur que lui; et
parce qu'il ne serait pas content, si ses frè-
res ne trouvaient le moyen de sortir de leur
égai'ement. Consentius fit connaître son des-
sein à saint Alypius, et le pria d'obtenir
de saint Augustin la grâce qu'il souhaitait.
Dans l'impatience où il était de s'instruire, il
yint lui-même trouver le saint évêque; mais
il ne put le voir, parce qu'il n'était point à
Hippone. Il prit donc le parti de lui écrire
et de lui marquer ses doutes, ce qu'il fait
avec beaucoup d'humilité. « Comme vos dé-
cisions, lui dit-il, sont comme une ancre qui
nous tiendra d'autant plus fermes qu'elle
entrera plus avant dans mon cœur, pourquoi
feriez-vous difficulté, vous qui possédez la
doctrine de Jésus-Christ dans toute sa per-
fection, de reprendre publiquement un fils
qui est en faute, et qui a mérité d'être re-
pris? » Il lui parle ainsi, parce que saint Au-
gustin s'était offert de l'instruire en secret.
Mais Consentius qui ne trouvait point d'a-
mertume dans un remède qu'il espérait de-
voir procurer même aux autres la vie du
ciel, voulut être repris publiquement : car il
ne s'agissait pas d'une question peu impor-
tante, et il était en danger avec tous ceux
des îles où il demeurait, de tomber dans
l'idolâtrie.
Saint Augustin satisfit donc à son désir,
par une grande lettre où il répond à toutes
les questions que Consentius ]ui avait propo-
sées sur la Trinité. Il approuve ce que Con-
sentius avait dit dans sa lettre, que dans une
matière comme celle qui regarde le mystère
de la Trinité, le principal point de notre foi,
il valait mieux se contenter de suivre l'auto-
rité des saints que de vouloir tâcher à force
de raisons, de s'en procurer l'inteUigence ;
mais il soutient que la soumission où nous
devons être sur tout ce qui fait partie de la
foi, ne"doit pas nous empêcher de chercher
et de demander raison de ce que nous
croyons , puisque nous ne pourrions pas
même croire si nous n'étions capables de
raison. Le prophète en disant : Si vous rie
croyez, vous ne comprendrez point , nous con-
seille de commencer par croire , afin de
pouvoir comprendre ce que nous croirons.
La foi doit donc marcher devant : ce qui
n'empêche pas que la foi ne soit aussi fondée
sur la raison , parce que la raison nous per-
suade qu'il faut croii-e ; et en ce sens , elle
marche aussi devant , ce qui doit s'entendre
de la vi'aie raison ; car il y en a de fausses ,
comme celles qui ont fait croire à quelques-
uns, que dans la Trinité, qui est le Dieu que
nous adorons, le Fils n'est pas coéternel au
Père, ou qu'il est d'une autre substance, ou
que le Saint-Esprit est dissemblable en quel-
que chose, et par conséquent inférieur au
Père , ou que le Père et le Fils sont d'une
même substance, mais non pas le Saint-
Esprit. C'est par des raisons qu'on persuade
ces erreurs ; mais des raisons qu'il faut reje-
ter, non parce qu'elles sont raisons, mais
parce qu'elles sont fausses; car si elles
étaient vraies, eUes ne conduiraient pas à
l'ei-reur.
Saint Augustin s'étend sur la manière de
connaître les choses visibles et invisibles, et
sur la nature et la substance de la Trinité,
en prescrivant à Consentius, ce qu'il en fal-
lait croire. « Vous devez, lui dit-il, croire
d'une foi inébranlable, que le Père, le Fils
et le Saint-Esprit, sont ce que nous appe-
lons la sainte et adorable Trinité , quoi-
qu'ils ne soient qu'un seul Dieu ; et vous ne
devez pas croire que la Divinité soit comme
une quatrième chose qui soit commune à
tous les trois; elle n'est autre chose que
cette même Trinité indivisible et ineffa-
ble : le Père seul engendi-e le Fils ; le seul
Fi] s est engendré du Père; et le Saint-
Esprit est l'esprit du Père et du Fils. Quand
vous élèverez vos pensées jusqu'à ce mys-
tère, tout ce qui se présentera à vous de
semblable au corps, chassez4e, écartez-le,
désavouez-le, rejetez-le. Car, en attendant
que nous soyons capables de connaître ce
que Dieu est, ce n'est pas être peu avancé
dans cette connaissante, que de savoir au
moins ce qu'il n'est pas. Quand nous disons
à ce Dieu adorable : Notre Père qui êtes dans
le ciel, cela ne veut pas dire qu'il soit là
sans être ici, puisque par une présence qui
ne tient rien de celle du corps, il est tout
entier partout ; mais nous voulons dire par
ces paroles, qu'il ha])ile en ceux dont il
anime et soutient la piété, et que ceux-là
sont proprement dans le ciel : nous y vivons
et nous y conversons vraiment dès à présent,
si notre bouche est sincère, quand, dans la
célébration des saints mystères, nous répon-
dons au ministre, que notre cœur se tient
élevé vers le ciel. »
Saint Augustin réfute ceux qui voudraient
prendre dans un sens grossier et charnel,
ces paroles du prophète Isaïe : Le ciel est
mon trûne, et la terre l'escabeau de mes pieds,
[rv" ET V' SIÈCLES.]
par ces autres du même propliète : Sa main
étendue es( la mesure du ciel, et la terre tient
dans le creux de sa main. Car comment être
assis sur la grandeur de sa main étendue ?
Et comment poser son pied sur ce qu'on en-
ferme dans le creux de sa main? La con-
ti'adiction cpie renferment donc ces passages
de l'Écriture, en les prenant littéralement,
nous avertit qu'il faut concevoir les choses
spirituelles d'une manière toute spirituelle.
Ainsi, quoique nous nous représentions sous
une forme humaine et avec des membres
comme les nôtres, le corps de Jésus-Christ,
qu'il a élevé dans le ciel, après l'avoir fait
sortir du tombeau, nous ne devons pas croire
pour cela, que ce qui est dit dans le Symbole,
qu'il est assis à la droite du Père, signifie
qu'il ait le Père assis à sa gauche ; car dans
cet état de béatitude qui surpasse tout ce
que les hommes en peuvent concevoir, il
n'y a point de gauche : tout est à la droite ;
et ce mot ne signifie autre chose que le bon-
heur même de cet état.
Il explique aussi, dans un sens spirituel,
ces paroles de Jésus-Christ ressuscité à la
Madeleine : Ne me touchez pas, car je ne suis
pas encore monté à mon Père, disant que Jé-
sus-Christ ne peut être touché, comme il
désire de l'être, que par cette foi salutaù-e
par laquelle on croit qu'il est égal à son
Père. Il rejette comme une erreiu-, de dire
qu'il n'y a que la divinité qui soit dans le
ciel et partout ailleurs, et que le Père n'est
dans le ciel qu'autant qu'il est une personne
de la Trinité : « Comme si, dit-il, autre chose
était le Père, autre chose la divinité, qui
lui est commune avec le Fils et le Saint-
Esprit. Vous savez, ajoute-t-il, que c'est une
vérité constante de la foi catholique, que ce
qui fait que le Père, le Fils et le Saint-Esprit
ne sont qu'un seul Dieu, quoique ce soient
trois personnes distinctes, c'est qu'ils sont
d'une même et indivisible substance ou es-
sence, comme parlent ordinairement les au-
teurs grecs. Quant à ce que vous dites, qu'il
vous semblait autrefois que la justice n'est
point une substance vivante, et qu'ainsi vous
ne sauriez concevoir que Dieu, qui est une
substance vivante, soit quelque chose de
semblable à la justice : je ne veux pom' vous
convaincre, que vous demander si l'on peut
dire que la vie qui fait vivre tout ce que
nous pouvons appeler véritablement vivant,
n'est rien de vivant. » L. lui fait voir que
les âmes des justes seules peuvent passer
IX.
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
H3
pour vivantes, et çpie les âmes appelées
mortes dans l'Ecriture, sont celles des im-
pies. Cette justice qui donne la vie est
Dieu, qui étant vie et justice par lui-même,
devient notre vie et notre justice, lorsque
nous participons en quelque sorte à son
essence, et qu'étant unis à lui, nous me-
nons une vie juste et sainte ; mais comme
notre justice dans ce monde, où elle est seu-
lement commencée, est d'avoir faim et soif
de cette souveraine justice, la consommation
de notre justice dans l'éternité sera d'en
être rassasiés.
60. Des trois lettres suivantes, la première Lettres
est de saint Paulin à saint Augustin, pour lôs'&iitcs
lui proposer quelques questions sur divers \\\^ jj","
endroits des Psaumes, de l'Évangile et des sss.'
Épitres de saint Paul; la seconde est un
biUet de saint Jérôme, écrit en termes énig-
matiques, où il attaque un évêque qui sou-
tenait en secret des erreurs condamnées.
D'autres veulent que ce Père y parle de la
prise de Rome et de l'aveuglement de cette
ville, qui ne voulait point reconnaître la
main de Dieu dans les afflictions qui l'acca-
blaient. La troisième est de saint Augustin
à son clergé d'Hippone. On y voit que ceux
de cette ville, alarmés des malhem-s de l'I-
talie, et craignant qu'AJaric, après avoir
pillé cette province, ne vînt aussi se rendre
maître de l'Afi^ique, s'étaient relâchés de
leiu- piété, et commençaient à négliger l'u-
sage où ils étaient depuis plusieurs années
de vêtir les pauvres. Saint Augustin en
ayant eu avis pendant son absence, leur
écrivit avec beaucoup de douceur, pour les
exhorter non-seulement à continuer, mais
même à redoubler leurs bonnes œuvres.
« Comme on se hâte, dit-il, de sortir d'une
maison dont les murs commencent à s'é-
branler, et d'en tirer ce qu'on y a de plus
précieux pom^ le mettre en sûreté ; ainsi, à
mesure que les tribulations que nous éprou-
vons, et qui deviennent tous les jours plus
fréquentes, nous font voir que le monde
menace ruine, les vrais chrétiens doivent se
hâter de mettre en sûreté dans les trésors
de Jésus-Christ, les biens qu'ils ne son-
geaient qu'à laisser en terre. Par là, s'il
nous arrive quelque accident, nous aurons
la joie de nous être mis nous et nos biens
en sûreté, et de ne les pas voir enveloppés
dans les ruines du monde; et quand il ne
nous arriverait rien de fâcheux, songeons
que nous devons mom'ir tôt ou tard, et nous
8
114
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
I.cttrfs
12(1, 125 L'i
126 iwUbiiie
et i Ali •
pins, vers
l'un un ,
pag. 363.
n'aurons point de regret d'avoir mis nos
biens en dépôt entre les mains d'un Dieu
immortel, où nous espérons de les retrouver
un jour. »
§in.
troisième classe des lettres de saint Augustin.
1 . Quelque temps avant le siège de Rome
par Alaric, Albine, Pinien son gendre et
Mélanie la jeune, sa fille, quittèrent le sé-
jour de cette ville, pour passer en Afrique,
afin de se soustraire, par la fuite, aux mal-
heurs dont leur patrie était menacée. Ils
arrivèrent à Carthage, et de là à Tagaste,
où ils firent divers présents à l'Eglise. Leur
dessein, dans un si long voyage, était de
voir saint Augustin, qui souhaitait aussi ar-
demment de les voir, parce qu'ils n'étaient
pas moins recommandables par leur piété,
que par leur naissance et leurs richesses ;
mais le froid excessif de l'hiver, qui était
extrêmement contraire à son tempéram-
ment, l'empêcha d'aller à Tagaste ; il crai-
gnit même qu'en faisant ce voyage, le peu-
ple d'Hippone, qui s'était déjà scandalisé de
son absence sur la fin de 410, ne témoignât
un nouveau mécontentement, s'il se fut ab-
senté sitôt après. Il se contenta donc de leui-
écrire pour leur faire ses excuses, et se
recommander à leurs prières. Ils vinrent eux-
mêmes à Hippone ; et il paraît que saint Aly-
pius, évêque de Tagaste, les accompagna.
Comme ils étaient dans l'église, le peuple
se jeta sur Pinien , demandant avec de
grands cris qu'il fût ordonné prêtre de leur
église. Saint Augustin dit qu'il ne l'ordon-
nerait point malgré lui, qu'il lui en avait
donné parole et qu'il quitterait plutôt l'épis-
copat, que de rien faire de contraire à sa
promesse. Pinien et Mélanie son épouse,
avec laquelle il vivait depuis longtemps en
continence, s'opposaient à cette ordination,
prétendant que le peuple d'Hippone ne la
souhaitait que par intérêt, et pour- acquérir
à cette église et aux pauvres de la ville les
richesses qu'ils distribuaient avec profusion.
Saint Augustin disait encore, qu'ordonner
Pinien malgré lui, c'était le vrai moyen de
l'obhger à se retirer après son ordination;
qu'ainsi on n'y gagnerait rien. En effet,
Pinien lui envoya dire qu'il voulait jurer au
peuple, que si on l'ordonnait malgré lui, il
sortirait absolument de l'Afrique. Saint Au-
gustin qui craignait que ce serment n'aigrit
encore plus le peuple, n'en dit rien ; mais il
quitta son siège pour aller parler à Pinien
qui l'en avait prié. Comme il y allait, on
vint lui dire, de la part de Pinien, qu'il de-
mem'erait, si on ne l'engageait point à
entrer malgré lui dans le clergé. Saint Au-
gustin en fit rapport au peuple, qui demanda
que Pinien ajoutât à sa promesse, que si ja-
mais il consentait à entrer dans le clergé,
ce ne serait que dans l'église d'Hippone.
Pinien y consentit, et le peuple fut content.
Le diacre lut à haute voix le sei-ment de
Pinien, qui le confirma lui-même. Il sortit
d'Hippone le lendemain, y étant contraint
pour quelque affaire : ce qui causa de l'é-
motion parmi le peuple ; mais quand on eut
appris le sujet de son départ et le dessein
où il était de i-evenir, l'émotion cessa. Albine
sa belle-mère, qui ce semble n'était pas à
Hippone lorsque tout cela se passa, se plai-
gnit de la violence qu'on avait faite à son
gendre, soutenant qu'on n'en voulait qu'à
son bien, et que le serment qu'il avait fait
par force et par la crainte de la mort, ne
pouvait l'obliger. EUe en écrivit à saint
Augustin, pour se plaindre de ce qu'il ne
l'avait pas empêché de s'engager par ser-
ment à ce que le peuple d'Hippone avait
exigé de lui. Saint Alypius lui écrivit aussi
pour lui dire qu'il fallait examiner pnsemble
ce qu'on devait penser de ces sortes de ser-
ments où la violence avait eu part. Il disait
néanmoins^ dans un mémoire joint à la let-
tre, que son sentiment était que Pinien
devait demeurer à Hippone, et qu'il fallait
interpréter les serments, non à la lettre,
mais suivant l'intention de ceux à qui on les
a faits.
Saint Augustin lui répondit qu'après les
exemples que les anciens Romains avaient
donnés au sujet du serment, c'était une
chose honteuse de délibérer seulement si
Pinien observerait le sien ou non ; qu'on ne
pourrait plus se fier à la parole des évêques,
si l'on prenait le parti de souffrir qu'un aussi
saint homme que lui violât la sienne. « Tout
ce qu'il y a donc à faire, ajoute-t-il, c'est de
suivre l'avis que vous lui donnez dans votre
réponse, c'est-ù-dire de garder la promesse
qu'il a faite de se tenir à Hippone comme
nous nous y tenons, moi et les habitants de
cette viUe, à qui il est libre d'en sortir et
d'y revenir. » Il établit pom- maxime qu'un
serviteui' de Dieu doit plutôt s'exposer à une
mort certaine, que de promettre avec ser-
[IV'= ET V* SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIiN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
115
ment une action défendue ; parce qu'il ne
pourrait accomplir son serment que par un
crime ; mais que celui qui a promis une
chose permise par la crainte d'un mal in-
certain, corome Pinien, doit accomplir sa
promesse plutôt que de commettre un par-
jm-e certain. Il ajoute qu'il est convaincu
que la foi du serment est seulement gardée
quand on remplit, non ce que signifient à la
rigueur les paroles dans lesquelles le ser-
ment est conçu, mais l'attente de celui à
qui on l'a fait, quand on l'a connue en le
faisant. D'où cette conclusion; quoique l'on
mette en exécution tout ce que signifient à
la lettre les termes du serment, on est par-
jure si l'on trompe l'attente de ceux à qui
on l'a fait, et, dès qu'on la remplit, on
n'est point parjure, quoique, d'ailleurs, on
n'exécute pas à la lettre tout ce qu'emporte
la signification des termes du serment. Il té-
moigne à saint Alypius qu'il ne croyait pas
qu'aucun des clercs ou des moines d'Hip-
pone eût eu part aux injures qu'il disait
avoir reçues en cette viUe; et il marque
qu'il lui envoie, avec sa lettre, une copie
de l'acte que Pinien avait signé.
Saint Augustin, dans sa réponse à Albine,
lui rend un compte exact de tout ce qui s'é-
tait passé à Hippone au sujet de Pinien, son
gendre. Puis il fait voir que les libéralités
(ju'on pouvait attendre de Pinien, ne regar-
dant point le peuple, on ne pouvait le soup-
çonner de l'avoir voulu retenir par intérêt.
« Ce n'est pas, lui dit-il, votre argent qui les
a touchés, mais le mépris que vous avez
pour l'argent. Ce qui leur a plu en moi ,
c'est qu'ils savaient que j'avais quitté pom*
servir Dieu, quelques petits héritages de
mon patrimoine ; et ils ne les ont pas en-
viés à l'église de Tagaste, où je suis né ;
mais conune elle ne m'avait point engagé
dans la cléricature, ils m'y ont fait entrer
quand ils ont pu. A combien plus forte rai-
son ont-ils été touchés, de voir en notre
cher Pinien, le mépris de tant de richesses
et d'espérances? Plusieurs trouvent que loin
de quitter les richesses, j'y suis parvenu;
mon patrimoine étant à peine la vingtième
partie de cette église. Mais Pinien , quand il
serait évéque en quelque église que ce soit,
principalement d'Afrique, ne saurait être que
pauvi'e en comparaison des biens avec les-
quels il est né. »
Après avoir ainsi justifié le peuple d'Hip-
pone, il se justifie lui-même du soupçon
d'intérêt, de même que son clergé, parce
qu'on les regardait l'un et l'autre comme
les maîtres du bien de l'église dont ils
avaient l'administration. « Dieu m'est, dit-il,
témoin que, loin d'aimer, comme l'on croit,
cette adminish-ation, elle m'est à charge; et
que je ne m'y soumets que par la crainte de
Dieu et par la charité que je dois à mes frè-
res; en sorte que je voudrais m'en pouvoir
décharger, si mon devoir me le permettait. »
Il ajoute qu'il ne lui était pas possible d'imi-
ter les apôtres dans le travail des mains
pour avoir de quoi subsister; et que, quand
il le pourrait, ses occupations ne le lui per-
mettraient pas. Comme Albine lui avait de-
mandé si l'on était obligé de tenir un ser-
ment extorqué par force, il lui demande à
elle-même ce qu'elle en croyait, et soutient
qu'un clirétien menacé d'une mort cer-
taine, ce que Pinien n'avait aucun sujet de
craindre, ne peut faire servir à une trompe-
rie le nom de Dieu, ni l'appeler à témoin
d'une fausseté, lui qui, quand même il ne
serait point question de serment, et qu'on
ne le menacerait de la mort que pour lui
faire rendre un faux témoignage, devrait se
laisser ôter la vie plutôt que de la souiUer
d'un tel crime.
2. Rome venait d'être ravagée parles bar- , Lciirei27
bares, lorsqpie samt Augustm écrivit à Ar- laîre ei à
mentaire et à Pauline sa femme. C'était donc vcrs"'"ràn
vers l'an 411. IL avait appris par Ruflférius 3,3; P""-
leur allié , qu'ils avaient fait l'un et l'autre
vœu de se donner entièrement à Dieu et d'em-
brasser la continence. Pauline y était entiè-
ment disposée, mais Armentaire en différait
l'exécution. Ce fut pour le presser d'accom-
plir ce vœu sans délai, que saint Augustin
écrivit la lettre dont nous parlons , où il
s'adi-esse presque toujours à Armentaire : "^
u Quand vous ne vous seriez pas, lui dit-il,
consacré à Dieu par un vœu, que vous au-
rait-on pu conseiller autre chose, et qu'est-
ce cfue l'homme peut faire de mieux que de
se donner tout entier à celui qui lui a donné
l'être, et surtout après que Dieu a signalé
l'amour qu'il nous porte, jusqu'à envoyer
son Fils rmique , afin qu'il mourût pour
nous?» Il lui représente que si, pour la con-
servation de cette vie qui doit finir, on ne
craint point d'essuyer tout ce qu'il s'y ren-
contre de peines, à plus forte raison doit-on
s'exposer à tout pour la vie éternelle ; que
ce n'est pas trop exiger d'im chrétien qu'il
ait pour la vie éternelle un amour aussi vif
lie
HISTOffiE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
que les mondains en ont poiu' le monde. Il
fait une peinture des calamités et des inquié-
tudes de la yïe présente; puis, venant au
vœu qu'Armentaire avait fait à Dieu, il le con-
jure de le lui rendre sans différer. La raison
qu'il lui en donne, c'est que l'homme se doit
tout entier à Dieu, et que pour être hem-eux
il faut qu'il se donne à celui qui lui a donné
l'être. « Avant votre vœu, dit-il à Armentaire,
il vous était libre de vous placer dans un
plus bas degré de mérite ; mais maintenant
que vous êtes lié et engagé , il ne vous est
plus permis de vivTe autrement que vous l'a-
vez promis. Ce qui reste à faire , est de vous
mettre en garde contre un aussi énorme pé-
ché que serait celui de manquer à votre
vœu. Tenez donc ferme ; accomplissez ce que
vous avez promis; celui qui l'exige de vous,
vous aidera à le lui rendre. Heureuse est
la nécessité qui nous porte à ce qu'il y a de
meiUem" et de plus parfait. Une seule chose
pourrait m'empècher de vous exhorter à
garder votre vœu, et m'obligerait même à
vous le défendre : ce serait que l'infirmité
de votre femme se trouvât assez grande,
de la part de l'esprit ou du coi'ps, pour
l'empêcher d'y consentir. Car cette sorte
de vœu ne se peut faire par des person-
nes mariées que d'un commim consente-
ment; et quand un des deux l'a fait mal à
propos, il doit songer à se corriger de sa té-
mérité plutôt qu'à garder sa promesse, puis-
que Dieu défend de disposer de ce qui ap-
partient à autrui, bien loin d'exiger ce qu'on
n'a pu lui promettre qu'au préjudice de cette
défense. Mais comme j'apprends que votre
femme est tellement prête à faire la même
chose de son côté, que rien ne la retient
que la crainte de vous voir user de votre
'' di'oit, rendez l'un et l'autre, ce que vous
avez voué l'un et l'autre , et faites-en un sa-
crifice à Dieu. Votre consentement sur ce
point sera une offrande k présenter au pied
du trône de Dieu, et deviendra même entre
vous un lien d'affection et de charité, d'au-
tant plus fort qu'il sera plus saint, et que
vous serez plus affranchis de tout ce qui tient
de la cupidité. » Il remai-que que le sexe le
plus faible était le plus disposé à embrasser
la continence.
Leiircs 3. Ouoicrue les deux lettres suivantes
128 et l'>9 " ^ i
àMarceiiin, soient signées par Aurèle de Carthage et par
cn^<iH,i)as. gjjYj^j^ ^e Zomme, doyen et primat de Nu-
midie, il est aisé de voir au style qu'elles
sont l'une et l'autre de saint Augustin. Elles
sont adressées àMarcellin, tribun et notaire,
à qui l'empereur Honorius avait envoyé mi
rescrit portant que les évêques donatistes
s'assembleraient à Carthage dans quatre
mois avec les catholiques, afin que les évê-
ques choisis de part et d'autre pussent con-
férer ensemble. Ce rescrit, qui était daté de
Ravenne, la veille des ides d'octobre, sous
le consrdat de Varane, c'est-à-dire le 14 oc-
tobre 410, menaçait les donatistes d'être dé-
possédés de lem's églises, s'ils ne se trou-
vaient point à Carthage après avoir été ap-
pelés trois fois. Il établissait aussi Marcel-
liu juge de la conférence , et pour exécuter
ce qui était porté par ce rescrit et les autres
lois données en faveur de la religion catho-
liques, l'Empereur donnait à Marcellin pou-
voir de prendre entre les officiers du pro-
consul, du vicaire du préfet du prétoire et
de tous les autres juges, les personnes né-
cessaires pour l'exécution de sa commis-
sion. MarceUin, avant de la commencer, fit
deux ordonnances; l'une, pour indiquer le
jour et le lieu de la conférence, et l'autre,
pour en régler la manière et les conditions,
et pour obliger les évêques de part et d'au-
tre, de déclarer par écrit s'ils les accep-
taient. Ce fut pour y satisfaire que les évê-
ques catholiques lui écrivirent, avec pro-
messe d'exécuter tous les ordres qu'il avait
prescrits. Dans la première de leurs lettres,
ils consentent poiu: se conformer à la de-
mande de Marcellin, que le nombre de ceux
qui devaient assister à la conférence fût ré-
glé ; que ceux qui seraient nommés pour
conférer signassent toutes lem's demandes ;
que Marcellin eût par devers lui l'écrit por-
tant leurs pouvoirs ; de souscrire à tout ce
que les députés feraient et de lui laisser l'é-
crit qu'ils auraient signé. Ils promettent,
dans la même lettre , d'empêcher que les
peuples ne parussent dans le lieu de l'as-
semblée, afin qu'elle fût plus paisible et plus
cahne, et déclarent, par la confiance qu'ils
avaient dans la force de la vérité, que si les
donatistes peuvent prouver que l'Église est
réduite à lem* communion , ils se soujnet-
tront absohunent à eux sans prétendi-e rien
conserver de la dignité épiscopale ; que
si les catholiques montrent, au contraire,
comme ils l'espèrent , que les donatistes
ont tort , ils leur conserveront l'honnem- de
l'épiscopat ; en sorte que dans les lieux mê-
me oii il se trouvera im évêque catholique
et un donatiste, ils seront alternativement
[iv= ET v° SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
117
assis dans la chaire épiscopale; ou bien, qiie
l'un aura une église, et l'autre une autre,
et cela jusqu'à ce que, l'un des deux étant
mort, l'autre demeure seul évêque ; ou que
si les peuples chrétiens ont trop de peine à
voir deux évêqnes dans une même église,
tous les deux se démettront. « Car pourquoi,
disent-ils, ne ferions-nous pas à notre Ré-
dempteur ce sacrifice d'humilité, lui qui
nous a rachetés ? Il est descendu du ciel et a
pris un corps semblable au nôtre , afin que
nous fussions ses membres, et nous ne vou-
drions pas descendre de nos chaires pour ne
pas laisser ses membres se déchirer par un
cruel schisme? 11 nous suffit, pour nous-
mêmes, d'être des chrétiens fidèles et sou-
mis à Jésus-Christ. C'est ce que nous devons
être aux dépens de toute chose. Si avec cela
nous sommes évêqnes , c'est pour le service
du peuple chrétien. Usons donc de notre
épiscopat en la manière qui est la plus utile
au peuple pour y établir l'union et la paix de
Jésus-Christ. Si nous cherchons le profit de
notre Maître, pouvons-nous avoir de la peine
qu'il fasse un gain éternel aux dépens de
de nos honneurs passagers ? La dignité de
l'épiscopat nous sera bien plus avantageuse
si, en la quittant, nous réunissons le trou-
peau de Jésus-Christ, que si nous le dissi-
pions en la conservant. Serions-nous assez
impudents pour prétendre à la gloire que
Jésus-Christ nous promet dans l'autre vie, si
notre attachement à la gloire du siècle était
un obstacle à la réunion des fidèles ? »
Saint Augustin, après avoir fait lire dans un
sermon une partie de cette lettre, assura ses
auditeurs que quand ont vint à proposer le
parti de la démission aux évêqnes catholi-
ques, qui se trouvaient environ trois cents
dans le concile, tous l'agréèrent d'un commun
consentement et s'y portèrent même avec
ardeur, prêts à quitter l'épiscopat pour l'u-
nité de Jésus-Christ, croyant, non le perdre,
mais le mettre plus sûrement en dépôt entre
les mains de Dieu même. (( Il n'y en eut, dit-il,
que deux à qui cela fit de la peine ; l'un qui
était fort âgé, encore changea-t-il de senti-
ment aux reproches que lui firent ses con-
frères, et l'autre changea aussi dévisage.»
Il ajoute qu'une si sainte résolution fut si-
gnée de tous ces évoques, et sanctifiée par la
prière que tout le Concile adressa à Dieu pour
ce sujet. Suivant l'ordonnance de Marcellin,
il ne devait se trouver à la conférence qu'un
certain nombre d'évêques de chaque parti ,
choisis par tous les autres. Mais les évéques
donatistes, voulant y assister tous, déclarè-
rent publiquement leurs prétentions sur ce
point. C'est ce qui donna occasion aux évê-
qnes catholiques d'écrire une seconde lettre
à Marcellin, où ils lui témoignent leur in-
quiétude sur la difficulté que faisaient les
donatistes de se soumettre à ce qu'il avait si
sagement ordonné. « Si ce n'est, disent-ils,
que touchés d'an mouvement de crainte de
Dieu, ils veulent tous assister à la confé-
rence, pour se réunir tous à la foi. Ils ont
dit que leur intention, en venant tous à l'as-
semblée, était de montrer leur grand nom-
bre et de convaincre de mensonge leurs ad-
versaires; si les nôtres ont dit quelquefois
que les donatistes étaient peu nombreux,
ils ont pu le dire très - véritablement des
lieux où nous sommes beaucoup plus nom-
breux , et principalement dans la province
proconsulaire, quoique dans les autres pro-
A'inces d'Afrique, excepté la Numidie consu-
laire , ils soient aussi beaucoup moins nom-
breux que nous. Du moins avons-nous raison
de dire qu'ils sont en très-petit nombre par
rapport à toutes les nations qui composent
la communion catholique. Pourquoi donc "
vouloir assister tous à la conférence ? Quel
trouble n'apporteront-ils pas en parlant, ou
qu'y feront-ils sans parler? Quand on ne
crierait point, le seul murmure d'une telle
multitude suffira pour empêcher la confé-
rence. Craignant donc qu'ils n'aient des-
sein de causer du tumulte, nous consentons
qu'ils y assistent tous ; mais , de notre part,
il y aura seulement le nombre que vous
avez jugé suffisant, afin que s'il arrive du
tumulte, on ne puisse l'imputer qu'à ceux
qui auront amené une multitude inutile pour
une affaire qui ne se peat traiter qu'entre
peu de personnes. Mais si la multitude est
nécessaire pour la réunion , nous nous y
trouverons tous quand ils voudront ; nous
courrons au-devant d'un si grand bien, avec
la grâce de celui qui en sera l'auteur, et nous
leur dirons, tout transportés des joies : Vous is
êtes nos frères. » *'
Les évêques catholiques témoignent en-
core à MarceUin , qu'il leur est d'autant plus
sensible de voir les donatistes divisés d'avec
les catholiques, qu'ils ont les uns et les autres
les mêmes Écritures, où il est clairement éta-
bli que l'Éghse de Jésus-Christ doit être ré-
pandue par toutes les nations et dans toutes
les parties du monde, et que les promesses
118
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
ï,5.
faites à cet égard , ont commencé à avoir
leur accomplissement, aussitôt après la pu-
blication de l'évangile , comme on le voit
dans les actes et les épîtres des apôtres,
où nous lisons les noms des lieux , des villes
et des provinces où l'Église s'était répandue,
et d'où elle a passé en Afrique, non en ces-
sant d'être où elle était, mais en s'étendant
toujours de plus en plus.
Leitres 4. Les feux que les Goths avaient allumés
Pro'ba, 'en dans Rome n'étaient pas encore éteints,
pgg''382j^' lorsque Proba, qui craignait qu'Alaric ne re-
vint en cette ville, la quitta avec Julienne sa
bru et sa fiUe Démétriade pom* passer en
Afrique. EUes s'y firent connaître à saint
Augustin par leurs lettres, et c'est de ce
commerce que nous est venue l'excellente
instruction que ce saint évêqiie nous a lais-
sée sur les devoirs des veuves et sur la
prière. Proba lui avait demandé cette ins-
truction, sachant que, suivant l'avis de saint
Paul, la principale affaire d'une veuve est
i.Timoiii. de vaquer à la prière jour et nuit. « Une si
sainte pensée, lui dit saint Augustin, ne peut
venir que de Dieu : car, comment seriez-vous
si soigneuse de le prier, si vous n'aviez mis
votre espérance en lui ; et comment l'y au-
riez-vous mise, si vous faisiez votre bonheur
d'une chose aussi peu solide que les riches-
ses de la terre ? » Proba était une des plus
illustres dames romaines, et extrêmement
riche : toutefois saint Augustin veut qu'à
force d'aimer et de désirer la véritable vie,
eUe se regarde comme abandonnée et sans
consolation dans celle-ci, quelque heureuse
qu'elle y fût. La raison qu'il en donne, c'est
qu'il n'y a de véritable consolation que celle
que Dieu pi'omet par ses Prophètes, c'est-à-
isai. Lvii, dire une paix qui est au-dessus de toute paix,
qui ne se trouve ni dans les richesses ni dans
les dignités temporelles, mais dans la vie de
l'âme et dans la pureté de cœur. « Ne vous
estimez donc pas davantage, lui dit-il, pour
avoir en abondance tout ce qui fait les déli-
ces de la vie. Ne regardez toutes ces choses
qu'avec. mépris, et n'en prenez que ce qui
est nécessaire pour conserver votre santé.
Car les besoins de la vie vous obligent d'en
avoir soin, en attendant que ce corps mor-
tel soit revêtu d'immortalité. U y a eu un
grand nombre de personnes saintes, qui ont
abandonné tous leui'S biens, et les ont distri-
bués aux pauvres pour s'assurer un trésor
dans le ciel. Si la tendresse que vous avez
pom' votre famille vous empêche d'en faire
18.
autant ; c'est à vous à régler vos comptes
avec Dieu sur ce sujet. Mais il est du devoir
d'une veuve chrétienne, qui se trouve com-
me vous dans l'abondance des biens et des
délices, de prendre garde que son cœur ne
s'y attache, et qu'en s'engageant dans la
corruption , il n'y trouve la mort ; au lieu
qu'il doit se tenir élevé vers le ciel, pour y
trouver la véritable vie. A l'égard de la prière
sur laquelle vous me demandez avis, je n'ai
qu'à vous en dire deux mots, que la vie
heureuse est ce que vous devez demander
dans vos prières. »
Saint Augustin fait voir que cette vie
heureuse , qui est désirée des méchants
comme des bons, ne consiste pas à vivre
comme l'on veut, ni même à avoir tout ce
que l'on veut, si ce n'est lorsqu'on ne veut
rien qui ne soit dans l'ordre. Celui-là ne
fait rien contre l'ordre qui souhaite des
honneurs et des dignités, s'il les souhaite
comme des moyens de faire du bien à ceux
qui seront sous sa charge, et non pas pour
les dignités même; il n'est pas non plus
contre l'ordre de souhaiter, soit pour soi,
soit pour ses amis, ce qui est nécessaire à
la vie , pourvu qu'on ne veuille rien davan-
tage ; qu'on peut aussi désirer l'amitié et la
santé. Le saint Évêque entend, par la santé,
non-seulement la conservation de la vie et
la bonne disposition du corps, mais encore
celle de l'esprit ; et par l'amitié, ce qui nous
lie à tous ceux que nous devons aimer et
qui les embrasse tous, quoique le cœur se
porte plus volontiers vers les uns que vers
les autres. « Nous pouvons, dit-U, demander
à Dieu toutes ces choses dans nos prières,
quand nous ne les avons pas, et lui en de-
mander la conservation quand nous les
avons. Mais ce n'est pas là ce qui fait la vie
heureuse ; comme il ne nous est utile de vi-
vre, dans le temps, que pour mériter de
vivre dans l'éternité, c'est à cette seule vie,
qui nous fera vivre de Dieu et avec lui, que
se doit rapporter tout ce qu'il nous est pei'-
mis de désii-er dans ceUe-ci : c'est cette
vie, que les égards que nous avons pour les
autres et nos propres besoins nous obligent
de rechercher. C'est donc en vain, continue-
t-il, que la crainte de ne pas prier comme il
faut, nous fait parcourir tant de choses pour
chercher ce que nous devons demander dans
nos prières, et nous n'avons qu'à dire avec
David : Je n'ai demandé qu'une seule chose à ps:
mon Dieu, et je la lui demanderai sans cesse ; '"" '
salin
[iv° ET v^ SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
H9
c'est que je puisse hnbiter tous les jours de ma
vie dans la maison du Seigneur, afin d'y goû-
ter ses délices, et de l'adorer dans son temple.
Ce n'est pas à force de parler que nous som-
mes exaucés; Jésus-Christ en disant dans
l'Évangile qu'il faut toujours p)ner, et ne s'en
lasser jamais, n'avoidu direautre chose, sinon
que nous devons désirer sans cesse ; parce
qu'un désir continuel formé par la charité,
et soutenu par la foi et par l'espérance , est
une prière continuelle. Il faut néanmoins
prier même vocalement à certaines heures
réglées, afin que les paroles nous rappellent
ce que nous devons désirer, et que, ren-
trant en nous-mêmes, nous puissions connaî-
tre si nous profitons , si nos désirs vont en
augmentant; et qu'eafin nous travaillions sans
cesse à les rendre plus vifs et plus ardents.
Saint Augustin donne un même sens à ces
paroles de l'Apôtre : Priez sans cesse, et les
explique du désir continuel que nous devons
avoir de la vie heureuse, qui n'est autre que
la vie éternelle. « Les prières des solitaires
d'Egypte étaient fréquentes, ajoute-t-il, mais
courtes, de peur que la ferveur de l'esprit,
qui est si nécessaire dans la prière ne vînt à
se relâcher si l'on priait trop longtemps; ils
nous faisaient assez voir par-là, que comme
il ne faut pas, si l'on sent qu'elle ne puisse
durer, se mettre au hasard de l'affaiblir en
allongeant la prière ; aussi ne doit-on pas l'in-
terrompre tant qu'elle peut se soutenir. C'est
seulement à nous-mêmes que les paroles sont
nécessaires dans la prièi'e, pour nous re-
mettre dans l'esprit ce que nous avons à de-
mander, et non pas pour fléchir Dieu, ni
pour lui apprendre ce que nous désirons;
ainsi, lorsque nous lui disons : Que votre nom
soit sanctifié, c'est pour nous avertir nous-
mêmes, que nous devons désirer que le nom
de Dieu, qui ne saurait jamais cesser d'être
saint, soit regardé comme saint et toujours
respecté parmi les hommes. Nous disons :
Que votre règne arrive, pour nous exciter à le
désirer. Quand nous disons à Dieu : Que votre
volonté soit faite, nous lui demandons qu'il
nous fasse obéir à sa sainte volonté, afin
qu'elle s'accomplisse par nous sur la- terre,
comme les saints anges l'accomplissent dans
le ciel. Par le pain de chaque jour , nous lui
demandons, non-seulement ce qui est néces-
saire pour notre subsistance, désignée par le
pain qui est le principal aliment, mais encore
le sacrement des fidèles, dont nous avons
besoin en cette vie pour acquérir la félicité
éternelle. Quand nous lui disons : Pardonnez-
nous nos offenses, comme noies pardonnons, nous
nous remettons devant ks yeux ce que nous
devons demander, et ce que nous avons à
faire pour l'obtenir. Par ces paroles : Ne nous
livrez point à la tentation, nous sommes aver-
tis de lui demander que sa grâce ne nous
abandonne point , de peur qu'en étant aban-
donnés, nous ne succombions à la tentation.
Enfin, lorsque nous lui disons : Délivrez-nous
du mal, c'est pour nous faire souvenir que
nous ne sommes pas encore dans cet heu-
reux état où nous n'aurons aucun mal à souf-
frir. »
Toutes les prières des saints de l'Ancien
Testament se rapportent à l'Oraison domini-
cale qui est comme un mémorial des choses
que nous avons à demander. La vie heu-
reuse qui doit être l'unique objet de nos
prières consiste dans la vision de Dieu;
elle consiste à vivre éternellement avec lui ,
ce que prouvent ces paroles du Psaume 143 :
Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu.
Le jeûne et la privation volontaire des plai-
sirs de la vie, donnent beaucoup de force à nos
prières. Les afflictions sont aussi très-utiles
pour nous guérir de l'enflure de l'orgueil,
ou pour exercer notre patience par des
épreuves qui augmentent notre récompense
et notre gloire, ou pour nous châtier, ou nous
purifier de nos péchés. C'est à l'égard de ces
afllictions que l'Apôtre a dit, que nous ne sa-
vons si ce que nous demandons dans nos
prières, est ce qu'il faut demander. Car
dès là qu'elles sont dures et fâcheuses à no-
tre faiblesse, la pente générale de la volonté
nous porte à demander à Dieu qu'il nous en
délivre : mais ce ne doit être qu'avec une
soumission parfaite aux ordres de sa provi-
dence et de sa sagesse. L'impatience de
quelques-uns a fait que Dieu, par un effet
de sa colère, leur a accordé ce qu'ils deman-
daient; comme, au contraire, ça été par un
effet de sa miséricorde, qu'il a refusé d'exau-
cer les prières de saint Paul. Il accorda aux
Israélites dans le désert ce qu'ils lui avaient
demandé ; mais leur cupidité ne fut pas plu-
tôt rassasiée, que leur impatience fut très-
sévèrement punie. Quand nous lisons dans
l'Épître de saint Paul aux Romains, que le
Saint-Esprit prie pour nous , nous ne devons
pas nous imaginer que ce divin Esprit, qui
étant une des personnes de la sainte Trinité,
n'est qu'un même Dieu éternel et immuable
avec le Père et le Fils, prie poiu les saints.
120
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
comme pourrait faire quelqu'autre intelli-
gence , qiii ne serait pas une même chose
avec Dieu; c'est comme si cet apôtre avait
dit,C]Tiele Saint-Esprit fait prier les saints, n
Saint Augustin exhorte Proba à se sou-
venir sans cesse de ce qu'il venait de lui
dire; et pour l'engager à prier avec une foi
vive et une ardente charité, comme il con-
venait à une veuve chrétienne, il lui pro-
pose l'exemple de deux saintes femmes ;
l'une mariée, qui était la mère de Samuel ;
l'autre veuve, que l'Évangile appelle la pro-
phétesse, louées toutes les deux dans l'Écri-
ture, pour la ferveur et l'assiduité de leurs
prières. « Souvenez -vous, ajoute-t-il, de
beaucoup prier aussi pour moi; car Je serais
fâché que sous prétexte de respecter ma di-
gnité, qui m'expose à mie infinité de périls,
vous me refusassiez vm secours dont je sens
que j'ai tant de besoin. »
Dans une autre lettre, saint Augustin dit
à Proba, qu'elle avait eu raison de lui
écrire, que la nature est impuissante pour
s'élever à Dieu, étant toute penchée vers la
terre, au lieu de s'élever en haut vers l'uni-
que objet de son bonheur; mais que Jésus-
Christ est venu pour la relever, et mettre le
chrétien au point de n'entendre pas en vain
cette parole qui se dit dans la célébration
des saints mystères : Que nos cœurs s'élèvent
en haut, et de dire vrai quand il répond,
qu'il tient le sien élevé vers Dieu. Il la loue
de ce qu'elle s'armait de l'espérance de la
vie future, pour se rendre supportables les
maux de celles-ci, et lui fait voir qu'ils de-
viennent des biens, quand on en fait bon
usage, et que l'on rend également grâces à
Dieu dans l'adversité comme dans la pros-
périté,
i.ciiic 132 5. La lettre à Volusien, oncle de la jeune
iiiai2,p;ig.' Mélanie, est du commencement de l'année
3D5- 4,12. On y voit que sa mère, qui était une
femme sainte, souhaitait extrêmement le
salut de son fils. Saint Augustin, qui ne le
souhaitait pas moins qu'elle, écrivit à Vo-
lusien, pour l'exhorter à s'appliquer à l'étude
de l'Ecriture sainte. « Vous n'y trouverez
rien, lui dit-il, que de solide et de wai : ce
n'est point par des discours fai-dés, et des
façons de parler étudiées qu'elle s'insinue
dans l'esprit; ses paroles ne sont point de
celles qui ne font cpie du bruit et qui sont
vides de sens. Elle touche beaucoup ceux
qui cherchent des choses, et non pas des
mois : eUe les frappe et les étonne, mais
c'est pour les mettre ensuite dans une par-
faite sécm'ité. » Il lui conseille de lire parti-
culièrement les écrits des apôtres, qui lui
feront naître le désir de lire aussi les pro-
phètes, que les apôtres citent fort souvent,
n lui promet de répondre par écrit sur
toutes les difficultés qui pourront lui surve-
nir, soit en lisant, soit en méditant ce qu'il
aura lu.
6. Comme les circonceUions et les clercs i.eiireisG
donatistes, continuaient leurs violences à unj'^\à%'.
Hippone et dans les environs, plusieurs ^l^ringius*
d'entre eux furent déférés à la justice et p-'s- ^si
convaincus de mem-tres et de mutilation. Sur
l'avis qu'en eut saint Augustin, il écrivit, en
412, au tribun Marcellin, pour le prier de ne
point les punir selon la sévérité des lois, qui
allaient à lem- faire souffrir ce qu'ils avaient
fait souffrir aux autres. Il le prie de se con-
tenter, sans toucher à leur vie ni à leurs
corps, de leur ôter la liberté de mal faire,
en les tenant en prison ou en les envoyant
travailler à quelque ouvrage public, qui, en
les mettant hors d'état de nuire aux autres,
les mettrait même dans la nécessité de faire
quelque chose de bon et d'utile. « Souve-
nez-vous, lui dit-il, que vous êtes un juge
chrétien, et qu'en faisant le devoir de juge
vous devez faire l'office de père. Consei'vez-
en les sentiments, et gardez dans le sup-
plice la même douceur que vous avez gar-
dée dans la question, où vous n'avez em-
ployé, ni les ongles de fer, ni le feu ; mais
seulement les verges, qui sont une soi'te de
châtiments dont les pères se servent en-
vers leurs enfants, et souvent même les
évêques dans les affaires qui se traitent de-
vant eux. » Il lui représente que l'Apôtre
ne nous recommande pas seulement la dou-
ceur, mais qu'il veut encore que nous la
fassions éclater aux yeux des hommes, et
il lui propose l'exemple de celle que David
exerça envers Saiil. Il l'assure même que
l'indulgence dont il usera en cette occasion,
sera utile à l'Église catholique, ou du moins
à ceUe d'Hippone.
Saint Augustin écrivit en même temps à
Api-ingius, qui était proconsul et frère de
Marcellin, croyant que cette afiaire pourrait
bien tomber entre ses mains. Il lui fait le
détail des crimes dont ces circonceUions
étaient coupaljles, et de la manière dont ils
les avaient avoués; et il le conjure de ne pas
employer contre eux le supplice de mort.
11 convient que les juges du siècle sont les
[iv» ET r SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
ministres de Dieu pour la punition de ceux
qui font le mal : « Mais autres, dit-il, sont
les intérêts de la société civile, et autres
ceux de l'Église; l'mie demande une grande
sévérité ; l'autre ne cherche qu'à signaler
sa douceur. Les souffrances de ceux qui
servent Dieu dans l'Église catholique, doi-
vent être à tout le monde des leçons et des
exemples de patience, dont il faut se bien
garder de ternir le lustre par le sang des
mem'triers. Si le dernier supplice était la
seule peine établie par les lois, pour répri-
mer l'audace des méchants, peut-être, se-
rait-on forcé d'en venir là ; nous aimerions
mieux néanmoins qu'on les laissât aller,
que de voir répandre le sang pour venger
la mort de nos frères. Mais puisqu'il y a
des moyens pour accorder l'un et l'autre,
c'est-à-dire, pour signaler ^la douceur de
l'Église , et réprimer en même temps la
cruauté de ses ennemis ; pourquoi ne pren-
dre pas le parti de la douceur, puisque par
là, on pourvoit à tout, et que les juges ont
ce pouvoir dans les causes mêmes qui ne
regardent point l'Église ? »
- 'f"/"^ 7. Volusien charmé de la beauté du style
1, 136 et •'
T Ile vo- et de l'élévation des pensées de la lettre de
arn'iiiiî,'' saint Augustin, la lut à Marcellin et à beau-
^fî'n'.pag.' coup d'autres personnes. Il y répondit par
9,tisuiv. une lettre très-polie, et profitant de l'offre
que le saint Évêque lui avait faite de résou-
dre ses doutes sur la religion, il lui fait le
récit d'une conférence où il s'était trouvé,
dans laquelle un des assistants avait proposé
quelques difficultés sur l'Incarnation, qui
tendaient à montrer qu'elle était indigne de
celui qui a créé toutes choses. Il prie saint
Augustin de répondre à toutes ces difficul-
tés, et il le fait en des termes qui marquent
combien la réputation du saint Docteur était
grande dans l'Église. « Il y va, dit-il, de vo-
tre honneur, de résoudre ces questions : l'i-
gnorance se tolère en quelque sorte dans les
autres évêques, sans que la religion en souf-
fre ; mais quand on vient à l'évêque Augus-
tin, on compte que tout ce qu'il se trouvera
ignorer, n'est pas de la loi chrétienne. »
Comme Volusien avait témoigné à Marcel-
lin qu'il avait encore beaucoup d'autres dif-
ficultés sur lesquelles il aurait souhaité
d'être éclairci, comme sur le changement et
l'abolition des cérémonies de l'Ancien Tes-
tament, et sur l'incompatibilité que les pré-
ceptes les plus parfaits du Nouveau Testa-
ment paraissent avoir avec la vie civile et le
121
bien public des États, écrivit à saint Au-
gustin pour le prier de répondre non-seu-
lement aux difficultés que Volusien lui avait
proposées sur l'Incarnation, mais encore à
celles qu'il lui proposait de sa part, et de ré-
futer surtout ce que les païens osaient dire,
qu'Apollonius de Tyanne, Apulée et quelques
autres magiciens avaient fait de plus grands
miracles que Jésus-Christ. L'objection que
l'on formait contre l'Incarnation, était conçue
en ces termes : ce Peut-on croire que le
(( Maître du monde, qui l'a fait et qui le
« gouverne, se soit renfermé dans le sein
« d'une viei'ge pendant neuf mois ; qu'elle
« l'ait enfanté au terme ordinaire de la gros-
ci sesse des femmes , et que tout cela se soit
« passé en elle sans intéresser sa virginité ?
« Quoi ! ce Maître de toutes choses a été si
(( longtemps absent du trône d'où il pré-
ce side à l'univers ; le soin et le gouverne-
ce ment du monde ont été transportés dans le
« corps d'un enfant ! On a vu cet Homme-
« Dieu se laisser aller au sommeil comme
« les autres hommes; soutenir sa vie par
c( les aliments, et éprouver tout ce qui fait
« impression sur une nature mortelle, sans
« qu'il se soit fait connaître pour ce qu'il
« était, par aucun signe proportionné à une
« si grande majesté ; car les démons chas-
(( ses, les malades guéris, et les morts res-
« sucités, sont peu de chose pour un Dieu,
(( puisque d'autres en ont fait autant. »
Pour répondre à cette objection, saint
Augustin fait voir que ceux qui la proposent
ont de fausses idées sur l'Incarnation de
Jésus-Christ, de même que sur l'immensité
de Dieu ; selon lui la source de ces fausses
idées ne vient que de ce qu'ils ne sont pas
capables de distinguer les propriétés des
substances spirituelles, d'avec celles des
substances corporelles. <( Quand on dit que
Dieu est par tout, et qu'il remplit tout le
monde, ce n'est pas, dit-il, comme l'eau,
l'air, ou la lumière même le pourrait remplir ;
en sorte qu'une plus petite partie de la subs-
tance de Dieu, remplit une plus grande par-
tie de l'univers. Dieu est partout sans qu'au-
cun lieu le contienne. Il vient sans sortir
d'où il était, il s'en va sans sortir d'où il
vient; cela étonne l'espi'it de l'homme, et
parce qu'il ne le comprend pas, peut-être
qu'il ne le croit pas. Mais s'il méconnaît son
Dieu, qu'il se considère lui-même ; que son
âme s'élève un peu, s'il est possible, au-
dessus du corps, et de ce qu'elle aperçoit
122
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
par le corps; et qu'elle voie ce qu'il est, elle,
à qui le corps sert d'instrument pour agir. »
Saint Augustin examine de quelle manière
se font en nous les sensations par le moyen
de l'union de l'âme avec le corps. « Ce qui se
passe à cet égard de merveilleux, dit-il, doit
nous convaincre que ce que la foi nous ap-
prend de l'union du Verbe avec la nature hu-
maine n'est pas incroyable ; il a pu prendre
un corps dans le sein d'une vierge et se ren-
dre semblable aux hommes, sans rien perdre
de son immortalité, et sans qu'il soit arrivé
aucun changement à son éternité ; le Vei'be
de Dieu demeure toujours ce qu'il est; il
est tout entier partout ; ainsi, quand on dit
qu'il vient ou qu'il s'en va, cela ne veut dire
autre chose sinon qu'il se montre ou qu'il
se cache; car soit qu'il soit visible ou caché,
il est toujours présent partout, comme la lu-
mière est présente aux yeux d'un aveugle
aussi bien qu'à ceux d'un homme qui voit
clair. Il ne faut pas que le peu d'étendue du
corps de Jésus-Christ enfant, nous fasse
craindre qu'une aussi grande majesté que
celle de Dieu y ait été resserrée, puisque la
grandeur de Dieu n'est pas une grandeur
d'étendue, mais de vertu et de puissance, et
qu'il s'est plû à faire paraître ses merveilles
dans les plus petites choses, comme dans les
fourmis et les abeilles qui ont un sentiment
plus exquis que les chameaux et autres ani-
maux semblables ; et comme dans les petites
graines qui se ti'ouvent dans les figues, dont
il fait naître d'aussi grands arbres que les
figuiers, au lieu que d'autres semences
beaucoup plus grosses ne produisent que des
plantes beaucoup plus petites. C'est par la
grandeur de cette même puissance qu'il a
rendu une vierge féconde, sans que rien
d'extérieur ni d'étranger ait contribué à la
faire devenir mère ; c'est par cette même
puissance qu'ayant uni une âme raisonnable
au corps qu'il a formé dans le sein de cette
vierge, il s'est uni lui-même à cette âme et à
ce coi'ps ; et que sans aucun changement qui
le dégrade, il a bien voulu, par un etfet de sa
bonté, faire part à cet homme auquel il s'est
uni, du nom et de la dignité de Dieu. C'est
encore par cette même puissance , qu'au
bout de neuf mois, il a fait sortir le corps
formé dans le sein de la vierge Marie, sans
aucune lésion de sa virginité, par une mer-
veille semblable à celle par laquelle ce même
corps devenu grand, est entré dans le Cé-
nacle les portes fermées. Or, dans tout cela,
il n'y aurait plus rien d'admirable, si on en
pouvait rendre raison, ni rien de singulier,
s'il y en avait des exemples. Concevons que
Dieu peut faire des choses qui nous sont
incompréhensibles, et qu'il n'y a point d'au-
tres raisons à rendre de ces merveilles, que
la puissance de celui qui les a opérées. Si
Jésus-Christ s'est assujetti à tous les besoins
des autres hommes, c'a été pour les con-
vaincre qu'il était véritablement homme, et
que pour avoir été uni à la nature humaine,
il n'a pas perdu la nature divine. »
A ceux qui demandaient comment il avait
pu se faire que Dieu et l'homme s'unissent
assez étroitement, pour n'en faire qu'une
même personne ; saint Augustin répond que
c'est à eux à expliquer comment une âme et
un corps sont unis assez étroitement, pour
n'en faire qu'une. La première de ces deux
unions ne s'est faite qu'une fois ; la seconde
se fait tous les jours. Mais elles ont cela de
semblables, que comme ce qui fait un hom-
me est un corps et une âme unis en unité
de personne, ainsi, ce qui fait le Christ, c'est
Dieu et l'homme unis de même en unité de
personne.
Il rapporte les motifs de l'Incarnation ,
qu'il dit avoir été arrêtée avant tous les siè-
cles, afin de fournir aux hommes les secours
nécessaires pour arriver au salut éternel.
Ces motifs sont ceux-ci : Jésus-Christ est
venu confirmer et sceller pour ainsi dire,
par sa présence et par son autorité, non-
seulement ce qui avait été dit par les pro-
phètes , mais encore par les philosophes ,
dans les ouvrages desquels on ne peut nier
qu'il ne se trouve des vérités parmi un grand
nombre de faussetés. Une telle autorité était
principalement nécessaire à ceux qui n'au-
raient su découvrir ni distinguer les vérités
particulièi'es dans cette vérité primitive où
elles résident, c'est-à-dire, aux moins éclai-
rés, qui, par la vertu des leçons toutes divi-
nes de Jésus-Christ, sont présentement per-
suadés que l'âme est immortelle , et qu'il y
a une autre vie après celle-ci. Les prophè-
tes ont fait de semblables miracles à ceux
que l'Évangile rapporte de Jésus-Christ, et
en particidier, ils ont rendu la vie à des
morts ; mais il soutient qu'Apulée et les au-
tres magiciens du paganisme , n'ont rien
fait de semblable ; et que Moïse , par la
seule invocation du nom de Dieu , rendit
inutiles tous les eflorts des magiciens d'E-
gypte dont les merveilles n'étaient qu'ap-
[IV= ET Y" SIÈCLES.]
parentes. Si Jésus-Christ, continue ce Père ,
a fait des miracles de même genre qu'é-
taient cetix des prophètes, c'est qu'il était
à propos qu'il fit par lui-même ce qu'U
avait fait par eux. Mais il en a dû faire
aussi qui lui fussent particuliers, comme
de naître d'une "\aerge, de ressusciter et
de monter au ciel. Si c'est peu de chose
pour un Dieu, je ne sais ce qu'on peut dé-
sirer de plus. Voudrait-on qu'il eût fait ce
qu'il n'a pas dû faire étant revêtu de chair ?
C'est lui qui a créé le monde ; fallait -il
qu'après s'être uni à notre nature, il créât
un autre monde pour nous convaincre que
c'était par lui que le monde avait été fait ?
Mais au lieu d'un nouveau monde qu'il
n'était pas à propos de faire, il a fait dans
le monde des choses toutes nouvelles. Car
faire naître d'une vierge l'homme auquel
il s'est uni, passer de la mort à une vie
qui ne finit point, et s'élever au-dessus
des cieux ; c'est peut-être quelque chose
de plus grand que d'avoir fait le monde.
Pom* convaincre ceux qui refusaient de
croire le mystère de l'Incarnation , il ne
faut que leur faire considérer toute la suite
des choses depuis le commencement jus-
qu'à la consommation de ce mystère, c'est-
à-dire leur faire voir que tous les oracles
des prophètes se sont accomplis dans la
naissance, dans la vie, dans la mort, dans
la résurrection et dans l'ascension de Jésus-
Christ, de même que dans l'établissement
de son Église.
Saint Augustin fait une peinture de la
naissance de cette Eglise et de son progrès
en ces termes : « Jésus-Christ envoie le
« Saint-Esprit, il en remplit les fidèles as-
« semblés en une maison. Tout remplis
« de ce divin esprit ils parlent toutes sortes
« de langues ; ils attaquent courageuse-
ce ment les erreurs ; ils prêchent les véri-
K tés qui nous sauvent ; ils exhortent les
« hommes à la pénitence , et leur promet-
« tent le pardon de leurs péchés, et non-
« seulement ils prêchent la véritable reli-
« gion, mais ils en confirment la vérité par
« les mh-acles les plus capables de l'établir.
« Quoiqu'en petit nombre , ils parcourent
« toute la terre ; ils convertissent toutes les
« nations avec une facilité admirable, ils
« croissent au miheu de lem-s ennemis, et se
« multiplient à force de persécutions ; tous
<( les maux qu'on leur fait souffrir ne ser-
« vent qu'à les répandi-e jusqu'aux extrémi-
SAJjNT AUGUSTLN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
123
« tés du monde. D'une poignée de gens
^'« qu'ils étaient, grossiers, ignorants et mé-
« prisés, ils se trouvent tout d'un coup éclai-
« rés, et célèbres par tout le monde, etmul-
« tiplient avec une vitesse incroyable, faisant
« plier sous le joug de Jésus-Christ les plus
« grands esprits, les plus éloquents, les plus
« subtils et les plus savants hommes du
« monde, dont ils font, non -seulement des
« sectateurs, mais des prédicateiu?s de la
« doctrine du salut et de la véritable piè-
ce té. Les nations impies et infidèles fré-
« missent contre l'Éghse ; mais elle de-
ce meure victorieuse par sa patience , et
c( par un attachement fidèle et inviolable
c( à sa foi, malgré les cruautés de ses per-
ce sécuteurs. Dès que la vérité commence
ce à paraître, les sacrifices de la loi ancienne
ce s'abolissent , et le temple même , qui
ce était le seul lieu où on les pût 'offrir est
ce détruit , parce (ju'Us n'étaient que des
ce figures de cette vérité. Le peuple juif, ré-
ce prouvé pour son incrédulité , est chassé
ce de son propre pays, et dispersé çà et là
ce par le monde, afin qu'il porte de toute
ce part les livres saints, et qu'on ne puisse
ce pas dire que les prophéties qui prédisent
ce Jésus-Christ et son Église sont des pièces
ce fabriquées après coup par les chrétiens,
ce Les idoles et les temples des démons se
ce détruisent peu à peu, et tout le culte sa-
ce crilége qu'on leur rendait s'abolit, ainsi
ce qu'il avait été prédit. Il s'élève des héré-
ee sies contre le nom de Jésus-Christ, qui se
ce couvrent néanmoins du même nom de Jé-
ce sus-Christ ; et cela arrive comme il a été
ce prédit, pom' donner lieu à l'Église de ma-
ce nifester de plus en plus les trésors de la
ce sainte doctrine dont elle est dépositaire. »
Après cette suite de preuves de la vraie
religion, saint Augustin fait voir que la doc-
trine de Jésus-Christ est beaucoup au-des-
sus de tout ce qu'ont enseigné les anciens
philosophes, et que ses préceptes ne sont
pas moins salutaires aux états qu'aux par-
ticuliers; (jue nos divines Écritures sont
d'un style cjui les rend accessibles à tout le
monde, cjuoicju'il s'y trouve des profondeurs
que peu d'esprits peuvent pénétrer; cjue
toutefois ce qu'elles nous cachent dans les
passages obscurs, n'est cjue ce cpi'elles nous
expriment clairement dans les autres. Il
répond à ceux qui disaient que la doctrine
chrétienne était préjudiciable au bien de la
république ; qu'ils ne pensaient ainsi, (jue
124
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
TjCtIre
138 Cl 139,
à Marccllîn,
parce qu'ils souhaitaient que la république
subsistât par l'impunité du vice plutôt que
par la pratique solide de la vertu. « Mais il
n'en est pas, leur dit-il, de Dieu comme des
rois de la terre, ou des magistrats à l'égard
de qui tous les péchés sont impunis dès
qu'ils sont communs. La justice de Dieu ne
laisse rien d'impuni. »
8. Dans la lettre suivante, le saint Doc-
teur répond aux difficultés que MarceUin
«ïo cumv'. ^^^i ^"^^^t proposées de la part de Volusien.
La première regarde le changement et l'a-
bolition de la loi ancienne. Pour y répon-
dre, il rapporte divers exemples de change-
ments dans la nature, tous fondés sur la
raison, et il en conclut qu'il n'est pas vrai,
que ce qui a été une fois bien établi ne
doive jamais changer, car souvent, lorsque
le temps a changé l'état des choses, la
droite raison veut que l'on change ce qui
avait été auparavant très-bien établi. Les
sacrifices ordonnés dans l'ancienne loi con-
venaient à ces premiers temps, mais ils ne
conviennent plus à celui où nous sommes,
puisque Dieu qui connaît sans comparaison
mieux que l'homme ce qu'il y a de propre
pour chaque temps, en a ordonné d'autres
pour celui-ci. Il avait institué les sacrifices
de l'ancienne loi pour être des signes de ce
qui nous vient d'en haut, et qui va ou à
nous enrichir du don des vertus, ou à nous
faire acquérir le salut éternel, et pour être
aux hommes un exercice de piété très-utile
et très-salutaire. Le changement de ces sa-
crifices avait été résolu et arrêté dans les
conseils de la sagesse de Dieu, les prophètes
l'avaient prédit : Le temps viendra, dit le
Seigneur, dans Jérémie, que je ferai avec la
maison de Jacob, une nouvelle alliance, toute
différente de celle que je fis avec leurs pères,
lorsque je les tirai d'Egypte. Ce qui arrive
donc de nouveau dans le temps n'est point
nouveau à l'égard de celui qui a fait les
temps. Saint Augustin donne pour raison
du changement des sacrifices et des sacre-
ments de la loi ancienne, qu'il était à pro-
pos que les sacrements qui devaient nous
marqiier cpie Jésus-Christ était venu, fus-
sent différents de ceux qui n'étaient que des
prédictions de sa venue.
La seconde objection, proposée par Mar-
ceUin, était touchant la doctrine de Jésus-
Christ, qu'on disait être contraire au bien
de l'état, parce qu'elle défend de rendre le
mal pour le mal. Le saint Docteur la résout,
en faisant voir que cette maxime était même
admise chez les Romains, qui, au rapport de
Saluste, aimaient mieux pardonner les in-
jures que de s'en venger ; qu'une des louan-
ges que Cicéron donne à César, c'est qu'il
n'oubliait que les injures ; et si l'on suivait
la doctrine de Jésus-Christ en ce point, on
établirait, on conserverait, on affermirait,
on augmenterait la répubhque, beaucoup
mieux que n'ont su faire, ni Romulus, ni
Numa, ni Brutus, ni tout ce qu'il y a eu de
grands hommes parmi les Romains. La
preuve qu'il en donne, c'est que cette doc-
trine a pour but l'union des cœurs, et que
cette union fait le bien d'une république.
En effet, la patience avec laquelle Jésus-
Chi'ist veut que nous supportions les inju-
res, ne tend qu'à faire que les méchants
soient vaincus par les bons, et qu'ils soient
ramenés à leur devoir et à la paix. Le
précepte de tendre l'autre joue lorsqu'on
a été frappé, regarde plutôt la préparation
du cœm', que ce qui se passe au dehors ; et
il ne va qu'à nous faire conserver au de-
dans la patience et la charité, nous laissant
au surplus la liberté de faire au dehors ce
qui nous paraîtra de plus utile pour ceux
dont nous désirons le bien. Le saint rapporte
sur cela l'exemple de Jésus-Christ et de saint
Paul ; et il ajoute, qu'il n'est pas contre la
doctrine de Jésus-Christ, de punir les mé-
chants par une sévérité charitable ; qu'on
peut même faire la gueiTO dans cet esprit,
en ne cherchant la victoire que pour le bien
des vaincus, c'est-à-dire, pour les empêcher
de faire le mal.
Une troisième objection était celle-ci : Les
empereurs chrétiens avaient fait beaucoup
de mal aux affaires de l'Empire. Saint Au-
gustin y répond, en montrant que la déca-
dence de - la république romaine , venait
principalement du dérèglement et de la coi-
ruptiou des mœurs des Romains, et il cite sur
cela une satire de Juvénal. C'est aux per-
sonnes et non à la doctrine, ajoute-t-il, qu'il
faudrait imputer cette décadence, ou plutôt
ce n'est pas tant aux empereui-s mêmes
qu'il faudrait s'en pi-endre, qu'à ceux qui
agissent sous leurs ordi'es, et dont ils ne
sauraient se passer. La comparaison que
l'on veut établir entre Apollonius, Apulée
et Jésus-Christ, est une chose digne de ri-
sée ; Apulée avec toute sa magie n'a ja-
mais pu non-seulement se faire roi, mais
même arriver à aucune soi'te de magislratm'e
[IV» ET V» SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
dans la république, ni à se faire dresser une
statue dans la ville où il s'était marié, quel-
ques efforts qu'il eût faits à cet égard.
Saint Augustin écrivit une autre lettre au
même Marcellin pour le prier de rendi-e pu-
blics les actes du procès de quelques dona-
tistes convaincus de crimes atroces par leui'
propre aveu. Mais il le prie en même temps
et pour le repos de sa conscience, et par
l'intérêt que l'Église catholique a de signa-
ler sa douceur, qu'ils ne soient pas punis de
mort. « Car, lui dit-il, le principal avantage
que nous pouvons tirer de leur aveu, c'est
qu'il donne lieu à l'Église catholique de
marquer la modération qu'elle garde, même
envers ses plus cruels ennemis. » Il le fait
souvenir qu'en matière de crimes , il est au
pouvoir des juges de condamner à moins
que ce qui est prescrit par les lois ; et il lui
cite l'exemple de l'Empereur , qui consentit,
à la prière des catholiques , que l'on ne pu-
nit point du dernier supplice les païens qui
avaient mis à mort des clercs du Val-d'A-
naune , révérés depuis comme martyrs. C'é-
taient saints Sisinnius, Martyrius et Alexan-
dre. Il fait mention des livres du Baptême
des enfants, de l'Abrégé de la Conférence de
Carthage, des deux lettres précédentes, de
celle aux donatistes , et d'un livre auquel il
travaillait actuellement, pour répondi-e à
cinq questions qu'un catéchumène, nommé
Honorât, lui avait proposées,
.etirei'io g_ p^j, jj^ première. Honorât demandait
ai2,pag! ce que veulent dire ces paroles de Jésus-
Christ : Mon Dieu, mon Dieu , pourquoi m'a-
vez-vous abandonné ? Par la seconde, com-
ment il faut entendre ce que dit l'Apôtre :
Je prie Dieu , qu'étant enracinés et fondés dans
la charité, vous puissiez comprendre avec tous
les saints, quelle est la largevr, la longueur,
la hauteur et la profondeur. Par la troisième,
quel est le sens de la parabole des dix
vierges de l'Évangile, dont les unes sont
folles et les autres sages. La quatrième, re-
gardait l'explication des ténèbres extérieures,
dont il est parlé en saint Matthieu ; et la
cinquième, comment il faut entendre ce
qu'a dit saint Jean, que le Verbe a été fait
chair. Saint Augustin, prenant occasion de
ces questions pour attaquer les pélagiens
qui commençaient à se multiplier, en ajouta
une sixième, qui avait pom' but de montrer
quelle est la grâce du Nouveau Testament.
Il s'appliqua même particulièrement à l'exa-
miner, et y fit revenir toutes celles qu'Ho-
123
norat lui avait proposées : d'où vient que ce
livre est intitulé : De la Grâce du Nouveau
Testament. Il y mêla encore l'explication du
Psaume xxi, dont les premières paroles sont
la matière de la première question d'Hono-
rat. Il parle de cette lettre dans le chapitre
XXXVI du second livre des Rétractations, où
il l'appelle \m Livre. Elle mérite, en effet, ce
titre par sa longueur : il en est parlé dans
Cassiodore '.
On y trouve ces observations :
« Il y a deux sortes de vies et de félicités qui
partagent les hommes ; la première ne cher-
che que ce qui flatte le corps, la seconde ne
s'occupe que des plaisirs qui touchent l'es-
prit; cette différence vient de ce que les
hommes, qui ont tous une âme douée de
raison, ne font pas de cette raison un usage
égal , les uns ne s'en servant que pour se
porter aux biens qui touchent les sens ;
les autres , pour en rechercher qui ne
regardent que l'esprit ; l'âme peut toutefois
faire un bon usage de la félicité même tem-
porelle, en n'en usant que pour le service
du Créateur : car toutes les substances que
Dieu a créées, soit corporelles, soit spiri-
taelles, étant bonnes de leur nature, c'est
un bien d'en user selon l'ordre établi de
Dieu, comme c'est un mal d'en user contre
l'ordre. Dieu a accordé la félicité temporelle
aux anciens patriarches, mais en annonçant
sous le voile de ces avantages temporels la
nouvelle alliance : en sorte que ces saints,
quoique ministres de l'ancienne loi qui con-
venait à leur temps, appartenaient néanmoins
à la nouvelle ; et que la félicité temporelle
dont ils jouissaient , leur représentait la vé-
ritable félicité qui ne finira jamais. La grâce
qui était aussi demeurée cachée sous les
voiles de l'ancienne alliance, s'est mani-
festée dans la plénitude des temps ; le Verbe
de Dieu par qui toutes choses ont été faites,
s'étant uni à l'homme pour être vu des
hommes, afin de les guérir de leur corrup-
tion et de leur aveuglement par le moyen
de la foi , et pour les mettre en état de voir
ce qu'ils n'étaient pas capables de voir au-
paravant. Ceux qui l'ont reçu sont devenus
les enfants de Dieu ; enfants, non par na-
ture comme Jésus-Christ, mais enfants d'a-
doption par la grâce. Comme le Verbe ne
s'est fait homme que pour nous manifester
ce qui a rapport à la vie éternelle, et non
1 Cassiod., Instit, divin., cap. xvi.
126
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
pas à celle que nous menons ici-bas, il n'a
rien dû paraître en lui d'heureux ni de dé-
sirable selon le monde ; de là viennent ses
abaissements, sa passion ; les fouets, les cra-
chats, les outrages, les croix, les plaies et
la mort même, où il a paru aux yeux du
monde, comme vaincu et succombant sous
la force de ses ennemis ; tout cela afin que
ses fidèles apprissent ce qu'ils doivent es-
• pérer et demander pour récompense de
leur piété, à celui dont ils ont été fait les
enfants ; et qu'ils ne regardassent pas la fé-
licité de cette vie comme quelque chose de
grand. Aussi voyons-nous que Dieu, par une
disposition salutaire de sa providence, fait
part aux impies mêmes de la félicité de
cette vie, de peur que les bons ne la recher-
chent comme quelque chose de grand prix.
Telle est l'économie de la nouvelle al-
liance , que saint Augustin explique fort au
long. Pour la prouver, il donne l'explication
du Psaume xxi tout entier, montrant que ces
mots : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-
vous abandonné? qui faisaient le sujet de la
première question d'Honorat, sont comme
tout le reste de ce Psaume, un langage que
Jésus-Chi-ist a emprunté de notre infirmité,
qui le rendait sujet à la mort qu'il allait
souffrir sur la croix. Il s'applique surtout,
dans cette explication, à faire voir que nous
devons mépriser tous les biens de cette vie,
et ne faire d'estime que de ceux dont nous
jouirons dans l'autre, l'amour des biens
éternels étant la seule fin de la nouvelle al-
liance. (( Que l'infirmité humaine, ajoute-t-il,
se garde donc bien de croire que ce soit
le Verbe de Dieu qui parle dans ce Psaume ;
qu'elle y reconnaisse au contraire, le lan-
gage de cette chair, qui est comme tout le
reste, l'ouvrage de ce même Verbe. Qu'elle
entende la voix d'une chair mortelle, de-
venue par son union avec le Verbe le re-
mède qui guérit notre aveuglement. Jésus-
Christ a exprimé par ces paroles, le senti-
ment de ces martyrs, qui, selon la nature,
auraient voulu ne pas mourir, et qui, en ce
sens, ont paru abandonnés de Dieu pour un
temps, en ce qu'il n'a pas fait pour eux ce
qu'ils auraient désiré selon la nature ; mais
si l'on reconnaît la voix des martyrs dans
cette plainte de Jésus-Christ à son Père, on
ne la reconnaît pas moins dans ces autres
qu'il lui adresse aux approches de sa Pas-
sion : Que votre volonté se fasse et non pas la
mienne, n
Saint Augustin exphque du diable et de
ses anges ce qui est dit des ténèbres exté-
rieures, et dit qu'on pourrait encore les
entendre des maux du corps que souffriront
les damnés. Quant aux quatre dimensions
dont parle saint Paul, il montre qu'elles
conviennent à la charité. Car, tantôt elle
s'exerce dans les bonnes œuvres, cherchant
de toutes parts à faire le bien , et s'étendant
à tous les besoins auxquels elle peut subve-
nir : et c'est là sa largeur. Tantôt elle sup-
porte les adversités de cette vie avec une
patience qui ne se lasse pas, persévérant
courageusement dans ce que la vérité lui
fa'it embrasser : et c'est là sa longueur. Or,
dans l'un et dans l'autre, elle a pour objet
la vie éternelle qui lui est promise dans le
ciel: et c'est là sa hauteur. EUe vient d'un
principe caché qui nous est impénétrable,
c'est-à-dire, des richesses de la sagesse et
de la science de Dieu : et voilà sa profon-
deur. La doctrine renfermée dans la para-
bole des dix vierges, tend encore à nous
inspirer l'amour des biens éternels : les
lampes ardentes que tiennent les vierges
sages, ne signifiant autre chose que les
bonnes œuvres qu'elles font , tant pour glo-
rifier notre Père céleste que pom* édifier
les hommes et acquérir la vie immortelle.
L'Évangile nomme folles, celles qui, touchées
des louanges des hommes, ne songent qu'à
s'en procurer par le bien qu'elles font ; au
lieu que les vierges sages mettent toute leur
gloire dans le bon témoignage de lem" cons-
cience.
Saint Augustin combat les pélagiens, mais
sans les nommer, se contentant de montrer
qu'en suivant leur nouvelle doctrine, il n'é-
tait pas possible qu'on eût un grand amour
pour Dieu, ni qu'on ne se glorifiât qu'en lui,
puisqu'ils ne connaissaient point la justice
qui vient de Dieu, et qu'ils croyaient tenir
d'eux-mêmes ce qu'ils avaient de bon. En
pai'lant du sacrifice de la Messe, il n'en ré-
vèle pas le mystère, disant à Honorât qu'il
saurait, après avoir reçu le baptême, en quel
temps et de quelle manière on l'offrait.
10. La lettre aux donatistes est signée de Lenrei
Silvain, de Valentin, d'Aurèle, de saint Au- ustcs,
gustin et de quatre autres évèques du nom- J^g/ '''
bre de ceux qui avaient assisté au concile
de Zerte, en 412. Mais saint Augustin recon-
naît, dans son second hvre des Réti^actations,
que ce fut lui qui la composa, quoiqu'on ne
la mît pas au rang des siennes, ayant été
[vi= ET- v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
127
faite de l'avis et au nom du Concile. On y
voit, en abrégé, ce qui s'était passé de plus
important dans la conférence de Carthage,
et comment les évêques donatistes y avaient
été convaincus de schisme.
,çiir(ii2 II Celle gui est adressée à Saturnin et à
bntlirnill ^
lEuphia- Euphrate qui étaient, ce semble, prêtres
'(,61. ' d'Hippone, mais attachés au parti des dona-
tistes, est pour les congratuler, ainsi que
d'autres clercs de la même communion, de
ce qu'ils étaient revenus à la paix et à l'unité
de Jésus-Chi'ist. Saint Augustin les exhorte
à y demeurer fermes, et à s'acquitter fidèle-
ment, et avec ime sainte joie, de leur minis-
tère, dans la vue de plaire à Dieu, à qui
nous devons rendre compte de toutes nos
actions.
eiirciïiS 12. Marcellin lui avait écrit par l'évêque
4i2,pag. Boniface, pour lui demander comment les
magiciens de Pharaon avaient pu trouver
en Egypte, de l'eau qu'ils pussent convertir
en sang à l'imitation de ce qu'avait fait
Moïse, puisque, par le miracle de ce législa-
teur, toute l'eau d'Egypte était déjà changée
en sang. Saint Augustin dit que l'on peut
répondre en deux manières à cette dilE-
culté; 1° ces magiciens s'étaient fait appor-
ter de l'eau de la mer; 2° ce qui paraît plus
vraisemblable, les plaies d'Egypte n'avaient
eu leur effet que dans les lieux où habi-
taient les Égyptiens, et non dans ceux où
étaient les enfants d'Israël.
Par une seconde lettre, que le prêtre Ur-
bain avait apportée à saint Augustin, Mar-
cellin lui proposait une autre dilEculté tirée
du troisième de ses livres du Libi'e arbitre,
où, parlant de l'âme raisonnable, il disait
que, par un effet de l'ordre qu'il a plu à
Dieu d'établir, elle a été unie à une nature
si fort au-dessous de la sienne, c'est-à-dire
au corps, qu'elle ne le gouverne pas tout à
fait comme elle voudrait, et n'en dispose
qu'autant que les lois générales de l'ordre
établi de Dieu le permet. Le Saint répond
premièrement, qu'il se croyait très-capable
de faire des fautes, et qu'on ne lui faisait
point plaisir de parler de lui d'une autre
manière. « Car ce serait, dit-il, s'aimer d'un
amour bien déréglé, si, pour cacher ses er-
reurs, on voulait laisser errer les autres.
N'est-il pas utile à tout le monde, non-seule-
ment que les lecteurs ne se méprennent point
où l'auteur s'est mépris ; mais que l'auteur
même soit redressé par les lecteurs, ou que
s'il ne veut pas entendre raison, du moins
il erre tout seul. » Il dit en second lieu, que
ses livres ayant été écrits avec précipitation,
il était dans le dessein de les revoir tous,
pour marquer, dans un écrit qu'il publierait
exprès, ce qu'il y aurait à redire, et faire
voir à tout le monde combien il se flattait
peu lui-même. Il remarque ensuite qu'on
ne doit point approuver la louange que Ci-
céron a donnée à une personne, en disant
qu'il ne lui était jamais échappé un seul mot
qu'elle eût voulu n'avoir pas dit, cette louan-
ge ne pouvant convenir qu'à des hommes
tout divins, par qui le Saint-Esprit a parlé,
n fait voir, après cela, qu'on ne pouvait rien
reprendre dans l'endroit de ses livres du Li-
bre arbitre qu'on objectait, puisqu'il n'y
avait rien décidé touchant l'origine de l'âme
et qu'il était certain que, depuis le péché
d'Adam, l'âme ne gouvernait pas son corps
avec un pouvoir égal à celui qu'elle aurait si
Adam n'eût pas péché. Il dit à ceux qui lui
faisaient cette objection (on croit que c'é-
taient les pélagiens) de décider eux-mêmes
ce que l'on devait penser sur l'origine
de l'âme, sur laquelle ni l'Écriture ni la
raison ne dictaient rien de certain. Il mar-
que à Marcellin, qui le pressait de donner
au public ses ouvrages sur la Genèse et sur
la Trinité, qu'il ne les donnera qu'après
qu'il aura eu le loisir de les corriger.
Comme Volusien avait témoigné n'être
pas convaincu que la bienheureuse Marie
ait pu concevoir et enfanter Jésus-Christ,
sans cesser d'être vierge, saint Augustin ré-
pond que si ce qu'il en avait dit ne persua-
dait pas la possibilité de ce miracle, il fallait
nier aussi tout ce qui s'est jamais fait de mi-
raculeux sur les corps.
13. Ce saint évêque étant à Cirthe en 412, ,^ ^^l'^^
donna tous ses soins à la conversion des do- cinue,
natistes , qui étaient en si grand nombre , aei.'
qu'ils formaient le corps de la ville. Ses tra-
vaux n'eurent pas d'abord le succès qu'il
aurait souhaité ; mais après qu'il fut sorti
de Cirthe, presque tous les donatistes qui
y étaient embrassèrent l'union. Persuadés
que Dieu avait opéré leur conversion par le
ministère de saint Augustin, ils lui écrivirent
pour lui en apprendre la nouvelle, et le prier
de venir les visiter. Le Saint leur répondit
qu'ils devaient regarder leur conversion
comme l'ouvrage de Dieu et non comme ce-
lui des hommes ; qu'il était bien vrai, com-
me ils le disaient dans leur lettre, que Po-
lémon, homme débauché, avait été changé
14'l
(le
ea
128
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
tout d'un coup par les discours de Xéno-
crate, mais qu'il ne l'était pas moins qu'on
devait attribuer ce changement à Dieu mê-
me. « Car ce serait, dit -il, le comble de
l'orgueil et de l'ingratitude, de s'imaginer
que la beauté du coi"ps, la force et la santé,
sont des dons de Dieu, et que la chasteté,
qui fait partie de la beauté de l'âme, puisse
être l'ou^'rage de l'homme?» 11 exhorte donc
ceux de Cirthe à reconnaître que c'était à
Dieu qu'ils devaient rendre grâces. (( Crai-
gnez-le, ajoute-t-il, si vous ne voulez pas
tomber; aimez-le, si vous voulez avancer. »
Il leur dit quelque chose de l'affaire de Cé-
cihen, dont s'autorisaient ceux de lem- vUle,
qui résistaient encore à la vérité, et leur fait
entendre que cet évèque, ayant été trouvé
innocent , les donatistes ne pouvaient en
prendre occasion de se séparer de l'Éghse
catholique.
Lettre 1(15 14. Là lettre suivante est encore une ré-
cn "un'oà ponse de saint Augustin à un de ses amis
ull.' """^ nommé Anastase, qui se trouvait au milieu
des troubles et des malheurs dont le monde
était alors accablé. C'est pour cela qu'il
lui fait les observations suivantes : « Les
peines de cette vie ne peuvent nous être
qu'utiles, puisqu'à mesure qu'elles se mul-
tiplient, elles nous font désirer plus forte-
ment le repos éternel de l'autre; le monde
est plus dangereux quand il nous caresse
que quand il nous tom-mente, parce que ses
caresses en inspirent insensiblement l'a-
mour, au heu que ses disgrâces ne peuvent
nous en donner que du dégoilt et de l'hor-
reur. L'amour des biens de la terre se ghsse
tellement dans notre cœur pendant cette vie,
qu'il a toujours quelque part à nos meil-
leures actions ; on ne peut s'en défendre, à
moins que la grâce de Dieu ne vienne au
secours de la volonté, qui ne peut être re-
gardée comme libre ', tant qu'eUe est do-
minée et maîtrisée par la cupidité ; la loi
sert à découvrir à l'homme sa propre fai-
blesse, afin que la connaissant il ait recours
â Jésus-Christ; ainsi la loi conduit à la foi
qui nous obtient l'efi'usion du Saint-Esprit,
c'est-à-dire la charité qui accomplit la loi ;
• et en vain on se croit victorieux du péché,
lorsqu'on ne s'en abstient que par la crainte
du châtiment. « Quoiqu'on n'aiUe pas, dit-il,
1 Saint Augustin ea disant nec libéra dicenda
est, n'a pas prétendu nier que la volonté perde
alors toute liberté, mais seulement qu'elle n'est
pas pleinement libre, comme le prouve le texte
jusqu'à l'action extérieure de ce que la cu-
pidité demande, le désir secret qu'on a dans
le cœur de faire le mal, qui n'est retenu que
par la crainte de la peine, est un tyran dont
on demem'e esclave. Ainsi, l'on peut dire
que celui qui ne s'abstient de pécher que
par la crainte du châtiment est ennemi de
la justice ; mais qu'il en sera l'ami, quand
l'amour de cette même justice l'empêchera
de pécher : car alors il craindra véritable-
ment de pécher. Tant qu'il n'y a que la
crainte de l'enfer qui retient le pécheur, il
ne craint pas de pécher, mais de brûler :
au lieu que celui qui a une véritable crainte
de pécher n'a pas moins d'horreur pour le
péché que pour l'enfer , et c'est là cette
crainte du Seigneur, cette crainte chaste
qui demeure éternellement. Mais pour la
crainte qui n'a d'autre objet que la peine,
elle en est toujours accompagnée, elle n'est
point dans la charité, et la charité parfaite
la chasse dehors. « Nous ne haïssons donc le
péché , dit saint Augustin , qu'autant que
nous aimons la justice, et ce qui nous la
peut faire aimer, ce n'est pas la lettre de
la loi, mais l'esprit qui nous guérit par la
grâce. )) Il fait voir que ce n'est pas non
plus la crainte du châtiment , mais l'amour
qui nous tient unis à Jésus-Christ, et que cet
amour n'est autre que l'amour de la justice,
n combat encore l'hérésie des pélagiens sans
la nommer, et il en usa ainsi jusque vers
l'an 416. Cette hérésie donnait tout à la vo-
lonté de l'homme, comme si elle n'eût be-
soin que de connaître la loi pour l'observer ,
sans être aidé du secours de la grâce. D'où
ce saint évêque infère que c'était donc en
vain que Jésus-Christ nous avait ordonné de
prier pour ne point tomber dans la tenta-
tion, puisque suivant les principes de cette
nouvelle doctrine, il était au pouvoir de la
volonté de vaincre la tentation sans le se-
cours de la grâce.
15. Quoique la lettre que saint Augustin ^'^^'^"J
écrivit à Pelage, vers le commencement de ennis.pj
l'an 413, ne fût qu'une réponse de civilité, ''^^'
il ne laisse pas , sachant qu'il combattait
la grâce de Jésus-Christ, de lui en parler
brièvement. « Priez, lui dit-il, pour moi,
afin que le Seigneur me rende tel que
vous croyez que je suis. Je le prie qu'il lui
même de l'Évangile qu'il allègue pour développer
sa pensée. Si vos fiUus liberaverit, vere liberi
eritis. (L'éditeur.)
[IV= EX V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONË.
l2d
îpist.92.
lallli. V,
Joan.
■>.
CcnèS.
.11, 30.
Mdilh.
Il, 10.
plaise de vous rendre agréable à ses yeux. »
16. Il parle dans son second livre des
Réti-actations, des deux lettres suivantes :
l'une à Pauline, et l'autre à Fortunatien,
évèque de Sique, et les met après les livres
composés en 412. Il remarque que dans la
première, qui est intitulée : De la Vision de
Dieu, il n'avait pas voulu entrer dans la
question : si Dieu, qui est un pur esprit,
peut être vu par les yeux mêmes d'un corps
devenu spii'ituel, comme" seront ceux des
saints après la résurrection, et de quelle ma-
nière cela se peut faire ; mais qu'ayant pro-
mis de composer quelques traités particu-
liers sur ce point, il l'avait en effet examiné
et suffisamment éclairci, dans le dernier
livre de la Cité de Dieu. L'occasion de cette
lettre à Pauline, lui vint de ce qu'il avait dit
dans une autre lettre assez courte, que les
yeux de notre chair ne peuvent voir Dieu
présentement, et ne le pourront pas même
après la résurrection. Il s'y était encore servi
de ces paroles : Que la chair , plongée dans
des pensées toutes charnelles, écoute ce que
dit Jésus-Christ : Dica est esprit. On trouve à
peu près les mêmes termes dans la lettre à
Italique. Pauline ayant vu cette lettre pria
saint Augustin de lui expliquer avec éten-
due, ce qui regardait la vision de Dieu, et
de traiter fort au long la question, si Dieu
peut être vu des yeux du corps. Le Saint ne
put lui refuser cette grâce ; mais ses occu-
pations, et la difficulté de la matière, ne lui
permirent pas de satisfaire sitôt un si saint
désir. Il ne le fit que vers l'an 413, quoiqu'il
en eût été prié longtemps auparavant.
Il prie Pauline de ne pas se faire une loi
de croire tout ce qu'il lui dira sur ce sujet,
à moins qu'elle ne le voie appuyé de l'auto-
rité de l'Écriture, ou qu'elle ne la comprenne
par la lumière intérieure de la vérité. En-
suite il pose pom- un principe avéré, qu'on
peut voir Dieu, puisqu'il est dit dans l'Evan-
gile : Heureux ceux qui ont le cœur pur, car
ils verront Dieu. Et encore : Nous savons que
lorsqu'il viendra à paraître nous serons sem-
blables à lui, parce que nous le verrons tel
qu'il est. El pose un autre principe également
établi dans l'Écriture, que personne n'a ja-
mais vu Dieu. « Cependant, ajoute-t-il, Ja-
cob dit dans la Genèse : J'ai vu Dieu face à
face, et il ne m'en a point coûté la vie : et on
lit dans l'Évangile que les anges mêmes
voient sans cesse le visage du Père céleste. »
n rapporte plusieurs autres passages de
LX.
l'Écriture, où il est dit que Dieu a été vu
d'Abraham, d'Isaac, et de plusieurs autres
anciens; et un du livre de Job, où il est dit
que le diable se présenta devant Dieu avec
les bons anges ; d'où quelques-uns tiraient
cette conclusion : Les impies mêmes verront
Dieu. Saint Augustin s'efforce d'accorder
ces passages ; selon lui les uns regardent
l'avenir, et les autres le passé; et encore
que personne n'ait jamais vu Dieu, cela
n'empêche pas que ceux qui deviendront
enfants de Dieu par la pureté de leur cœur,
ne doivent le voir un jour. Saint Jean ne
dit pas, nous avons vu Dieu tel qu'il est,
mais nous le verrons ; quand le même Apôtre
dit que personne n'a vu Dieu, il parle des
hommes et non des anges ; Dieu a été vu
des saints de l'Ancien Testament, non dans
sa propre essence, mais sous la figure qu'il
lui a plus de paraître ; figiu'e qu'il a for-
mée, non de sa substance, qui est inaltéra-
ble et incapable de changement, mais qu'il
a choisie par sa volonté. C'est en cette ma-
nière que Moïse a vu Dieu, puisque s'il l'a-
vait vu dans sa propre nature, ce Prophète
ne lui aurait pas dit : Montrez-vous à moi, et
faites que je vous voie; et il n'aurait pas reçu
cette réponse : Nul homme vivant ne saurait
voir Dieu. Nous le verrons lorsque élevés
par les illustrations ineffables qui émanent
du Fils unique, au point de pureté qui puisse
nous rendre capables de le voir, nous se-
rons pénétrés de cette vue ineffable. On ne
doit pas croire que le diable ait vu Dieu
lorsqu'il se présenta devant lui avec les an-
ges : «Car, dit le saiiat évêque, nous voyons
bien ce qui se présente devant nous, mais
il ne s'en suit pas que nous en soyons vus.
Aussi l'Écriture ne dit pas qu'ils aient vu
Dieu, mais seulement qu'ils parurent devant
Dieu. Dieu, conclut ce Père, est donc invi-
sible par sa nature ; mais il se fait voir
cpiand il lui plaît, comme il lui plaît ; et il a
été vu de plusieurs, non tel qu'il est, mais
sous la forme qu'il lui a plu. Si notre âme
et notre intelligence, qui est ce qu'il y a
de plus excellent en nous , est invisible
à nos yeux, comment ce qui est infini-
ment plus excellent, pourrait être visible à
ces mêmes yeux? Mais quelque invisible
que soit Dieu, les cœurs purs ne laisseront
pas de contempler sa substance : c'est même
en cela que consistera la grande et ineffable
récompense, que le Fils de Dieu a promise
à ceux qui aiment Dieu et qui le sei-vent. »
9
130
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
;i Fintiin.'i-
lii'n i-n 'lis,
p;ig, ^9ii.
Saint Aiignstin appuie tout ce qu'il dit
sur la A'ision de Dieu, des paroles de saint
Ambroise sur la même matièi-e, mais en
avertissant Pauline qu'il ne l'oblige pas à
avoir autant de déférence pour les pensées
de ce Père, qu'elle en a pour les saintes
Écritures. Il s'objecte : « Que verront donc
les yeux du corps dans la vie future, s'ils
sont incapables de voir Dieu? Seront-ils
comme ceux des aveugles dans une entière
incapacité de rien voir, ou les aurons-
nous sains et entiers pour n'en faire aucun
usage? Cette difficulté, répond-il, ne doit
faire aucune peine. Car s'il n'y a point de
corps dans le ciel, comme le prétendent
ceux qui la font, il n'y aura point d'yeux
par conséquent , et dès là leur objection
tombe d'elle-même. Si au contraire il doit y
avoir des corps, il y aura de quoi faire usage
des yeux du corps. »
i7. Saint Augustin traite encore la ques-
tion de la vision de Dieu, dans un mémoire
adressé à Fortunatien, évéque de Sique.
Voici quelle en fut l'occasion. Dans un let-
tre sur la même matière, il avait dit que
Dieu n'est point visible des yeux du corps,
ni sur la terre , ni dans le ciel. L'évêque
qu'il réfutait dans cette lettre, et qui n'é-
tait pas éloigné de l'erreur des antropomor-
pliites, se trouva choqué de quelques ter-
mes qui avaient échappé à saint Augustin
dans la chaleur de la composition. Le saint
se condamna lui-même au lieu de s'excu-
ser, et pria cet évêque de lui pardonner
cette faute, en considération de leur ancienne
amitié. L'évêque le refusa. Ce qui enga-
gea saint Augustin à lui faire écrire par
une personne vénérable , à prier Fortuna-
tien de le voir de sa part, et de l'assurer,
que loin de le mépriser, il l'honorait sin-
cèrement et craignait Dieu en sa personne.
En attendant la réussite de cette médiation,
il envoya à Fortunatien le mémoire dont
nous parlons, où, soutenant toujours la mê-
me vérité qu'il avait défendue dans sa let-
tre : il montre qu'on ne peut dire en aucune
manière que Dieu puisse être vu des yeux
du corps même glorieux, en la manière
que nous voyons les choses sensibles. C'est
ce qu'il prouve par les témoignages de saint
Ambroise, de saint Jérôme, de saint Atha-
nase, et de saint Grégoire, évêque dans l'O-
rient, c'est-à-dire de Grégoire d'Elvire *. Il
consent d'examiner avec son collègue, dans
un esprit de paix, quelle sera cette qualité
spirituelle qu'auront les corps après la ré-
surrection, et dit que s'il croit qu'elle sera de
nature à leur faire voir les choses mêmes
intectuelles, il est prêt d'écouter avec beau-
coup de docilité les raisons qu'il aura à lui
dire de son sentiment. «Du reste j'avoue,
dit-il, que je n'ai encore rien trouvé nulle
part qui m'ait paru suffisant , ni pour ins-
truire les auti'es, ni pour me fixer moi-
même sur ce que seront ces corps spirituels
que nous ain-ons après la résurrection ; jus-
ques à quel point ils seront transformés et
changés en mieux; si cela ira jusqu'à la pu-
reté et la simphcité de la nature spirituelle,
en sorte que l'homme tout entier ne soit
plus qu'esprit; ou, ce que je croirais plus
volontiers , -jans oser pourtant le donner
pour certain, si nos corps ne seront spiri-
tuels qu'à raison de l'agilité et de l'activité
ineffables qu'ils auront, quoique d'ailleurs
la substance corporelle demeure corporelle,
sans avoir, non plus qu'ici-bas, de vie ni de
sentiment par elle-même , mais seulement par
l'esprit qui l'anime, et qui s'en sert comme
d'un instrument. » 11 explique en quel sens on
doit entendre les endroits de l'Écriture, qui
parlent de Dieu comme de quelque chose de
corporel. « Comme par les ailes que l'Écriture
lui attribue, nous n'entendons autre chose,
dit-il, que sa protection; de même, quand
elle parle de ses mains , nous ne devons en-
tendre que son opération; par ses pieds,
que ce qui nous le rend présent ; par ses
yeux, que la connaissance qu'il a de tou-
tes choses ; par son visage , que celle que
nous avons de lui, et ainsi de toutes les au-
tres expressions dont l'Écriture se sert en
parlant de Dieu, et que je ne doute point
qu'on ne doive prendre dans un sens qui
ne convienne qu'aux purs esprits. Je ne suis
ni le seul qui le croie, ni le premier qui l'ait
cru : c'est un sentiment commun à tous
ceux cjTii ayant eu l'intelligence assez épu-
1 Cette citation est tirée de la 49» oraisou de
saiut Grégoire de Nazianze; mais d'aprt'S l'opinion
qui a prévalu chez les savants, cette 49^ oraisou
n'est pas de saint Grégoire de Nazianze ni d'aucun
Père grec; elle appartient à un écrivain latin dont
le nom est resté douteux. D'autres prétendent qu'il
s'agit vraiment d'un évêque d'Orient, parce que
saint Augustin s'appuie ici sur l'autorité des Pères
grecs. [L'éditeur.)
[tV" ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EYEQUE D'HIPPONE.
131
l'ée pour comprendre quelque chose de la
nature spirituelle de Dieu , ont combattu
ceux qui veulent qu'il ait un corps comme
le nôtre , et à qui on a donné pour cette
raison le nom à'antropomoiyhites. Soit que
nous trouvions ou non ce que ce sera que
cette qualité spirituelle des corps après la
résurrection, nous devons croire sans hési-
ter que nous verrons Dieu, et il suffit, pour
nous le faire croire, que dès cette vie nous
voyions des yeux de l'esprit, la charité, la
paix, la sainteté, et les autres choses pure-
ment spirituelles , plus ou moins selon qu'ils
sont plus ou moins purs. »
'■''' 18. Saint Paulin avait proposé diverses
questions à saint Augustin sur les Psaumes,
les Épitres de saint Paul et les Évangiles. Ce
fut pour y satisfaire, que le saint évêque lui
écrivit la lettre cent quarante -neuvième ,
dont on met l'époque en 414. Selon lui le sens
le plus naturel de ces paroles du psaume 16 :
Chassez-les de la terre, est celui-ci : Chassez
les Juifs de la terre que vous leur aviez
donnée, et dispersez-les parmi les nations :
c'est en effet ce qui est arrivé, lorsque ayant
été vaincus et désarmés par les Romains,
leur répubhque fut entièrement ruinée. Ce
qu'ajoute le Psalmiste : Leurs entrailles ont
été remplies de ce que vous aviez de caché, veut
dire, qu'ils ont été visiblement séparés de
l'Église, par un effet des secrets jugements
de Dieu, et qu'ils ont encore ressenti dans
le fond de lem- conscience , les châtiments
secrets, dont Dieu punit invisiblement les
méchants. Par les paroles suivantes : Ils ont
été rassasiés de leurs propres enfants, saint Au-
gustin entend les œuvres des méchants,
qui sont comme les enfants de leur cœur.
Et pour ce qui est dit ensuite : Ils ont laissé
leurs restes à leurs petits enfants, il croit que
c'est l'accomplissement de ce que les Juifs
demandaient eux-mêmes à la Passion de
Jésus-Christ, disant que son sang retombât
sur eux et sur lem's enfants : car il est vrai
qu'ils ont laissé à leiirs enfants les restes de
leurs péchés, et les suites funestes de leurs
œuvres criminelles, n dit qu'au lieu que
nous lisons dans le psaume i.o : Il a rendu
toutes ses volontés admirables au milieu d'eux,
on doit lire comme s'il y avait, en eux; et
que cet endroit doit s'entendre des saints qui
sont dans la terre du Seignexir, c'est-à-dire
* Dans l'ancienne Vulgate on lisait legis tuœ
au lieu de poptili mei qu'on y lit aujourd'liiii.
dans son Église. Il entend des Juifs ces pa-
roles du psaume 58 : Ne les exterminez point,
et ne permettez pas qu'ils oublient votre loi '.
Le Prophète demande ici à Dieu que cette
nation, quoique vaincue et détruite par ses
ennemis, ne se laisse point aller à la su-
perstition et à l'idolâtrie de ses vainqueurs ;
mais qu'elle demeure toujours attachée à
l'observance de sa loi, afin qu'elle soit un
témoin irréprochable de la vérité de la
sainte Écriture , dans toutes les parties du
monde , d'où Dieu devait assembler son
Église. Car les juifs nous servent d'une
prouve invincible , pour persuader aux
païens que ce n'a pas été par une inven-
tion humaine, ni par l'industrie d'un im-
posteur, que le nom de Jésus-Christ s'est
acquis tout à coup une si grande autorité
parmi toutes les nations, qu'on le regarde
comme l'objet de notre vénération, et com-
me l'espérance du salut éternel; mais que
cela s'est fiiit par les ordres de Dieu, qui
avaient été écrits et publiés longtemps au-
paravant. En effet, ne pouvait-on pas dire
que ces prophéties ont été forgées par les
chrétiens, si nous n'en justifiions la vérité,
par les livres mêmes de nos ennemis? C'est
pour cela que le Prophète dit à Dieu : Ne
souffrez pas que cette nation périsse abso-
lument, ni qu'elle oublie votre loi , comme
il serait arrivé, si les Juifs avaient été con-
traints d'embrasser la rehgion des Romains,
et qu'ils n'eussent pas eu la liberté d'exer-
cer une partie de la leur. Le Prophète ajou-
te : Dispersez-les par votre puissance, parce
que s'ils demeuraient tous dans un même
endroit, ils ne pourraient pas contribuer è
faire recevoir les vérités de l'Évangile, qui
devait être prêché avec fruit par tout le
monde, en faisant connaître par les livres
sacrés, que ces vérités y étaient prédites. Il
fallait donc que Dieu, par sa puissance, les
dispersât par toute la terre , pour déposer
en faveur de celui qu'ils ont rejeté, persé-
cuté et mis à mort ; faisant voir que toutes
ces choses étaient prédites dans les livres
de la loi, qu'ils n'oublient point, quoique ce
souvenir leur soit inutile. Car autre chose
est d'avoir la loi de Dieu dans la mémoire,
et autre chose d'en pénétrer l'obligation, et
les mystères qu'elle contient.
A l'égard de ce que dit saint Paul, que
Le texte original porte populi mei. {L'éditeur.)
132
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Dieu a établi dans son Église, les uns apôtres,
les autres prophètes , saint Augustin s'expli-
que ainsi : « Par ce mot de prophètes, il faut
entendi-e ceux qui dans les premiers temps
du christianisme avaient reçu le don de pro-
phétie, comme Agabus; et non pas les an-
ciens Prophètes qui ont prédit l'incarnation
de Jésus-Christ. Saint Paul n'a distingué au
même endroit les évangélistes des apôtres,
que pour nous faire connaître que saint
Marc et saint Luc, qui sont évangélistes,
n'ont point été apôtres. Les noms de pas-
teurs et de docteurs conviennent à la même
personne , et l'Apôtre n'a ajouté le mot de
docteur à celui de pasteur, que pour appren-
dre aux pasteurs qu'ils sont obligés d'ensei-
gner. Le saint évoque s'étend beaucoup à
montrer la différence qu'il faut faire entre les
supphcations et les prières dont parle saint
Paul. Par le mot de supplications, nous de-
vons entendre toutes les cérémonies qui se
font, et les paroles qui se prononcent par les
ministres de l'Église, avant la bénédiction de
ce qui se met sur la table du Seigneur ; et
par celui de prières , ce qui se fait et se dit
pendant que l'on bénit ces oblations, qu'on
les sanctifie , et qu'on les partage pour les
distribuer aux fidèles; ce qui se termine,
selon la pratique de presque toutes les
éghses, par l'Oraison dominicale. Quant au
mot a: interpellât ions, que les exemplaires
de saint Paulin rendaient par celui de de-
mandes, le sentiment de saint Augustin est
que ce sont les prières que l'on fait quand
on bénit le peuple, et que les évoques
étendant les mains sur lui, l'offrent à la
miséricorde de la toute -puissance ' de
Dieu. « Après toutes ces saintes cérémonies,
dit -il, vient l'action de grâces, qui se fait
lorsque l'on a participé à ce grand sacre-
ment, qui est comme la conclusion de tout
le reste. L'Apôtre, après avoir marqué ces
diverses sortes de prières, commande de
les offrir pour les rois, et pour tous ceux qui
sont élevés en dignité, de peur que, par un
effet de la faiblesse humaine , quelqu'un ne
crût qu'il ne fallait point prier pour ceux
qui persécutaient l'Église ; et parce qu'il sa-
vait que dans toutes les conditions il y a des
membres de Jésus-Clirist à rassembler ^. De
crainte aussi que quelqu'un ne s'imaginût
1 Le texte porte misericordissimœ potestali.
{L'éditeur.)
2 Saiut Augustin rapporte ici les paroles de
saint Paul, 1 Tiinoth., cap. n, v 3, i. Hoc cnim
qu'une vie pure et innocente suffit avec le
culte du seul Dieu véritable pour arriver au
salut, et qu'il n'est point nécessaire de parti-
ciper au corps et au sang de Jésus-Chi-ist,
l'Apôtre dit immédiatement après, que com-
me il n'y a qu'un Dieu, il n'y a aussi qu'un
médiateur entre Dieu et les hommes, qui est
Jésus-Christ; afin que l'on comprît que ce
qu'il venait de dire, que Dieu veut que tous
les hommes soient sauvés, ne s'accomplit
que par le médiateur, c'est-à-dire par Jésus-
Christ. »
Saint Paulin avait demandé ce que si-
gnifiaient ces paroles de l'Épître aux Ro-
mains : Quant à l'Evangile , ils sont ennemis
à cause de vous; pourquoi, disait-il : Quant à
l'Évangile? « C'est, répond saint Augustin,
qu'il fallait pour notre rédemption que le
sang de Jésus-Christ fût répandu ; et il ne le
pouvait être que par ses ennemis. Voilà l'u-
sage que Dieu sait faire des méchants mê-
mes poiu- le salut des bons. Mais quant à
l'élection, continue l'Apôtre, ils sont chéris à
cause de leurs pères, c'est-à-dire ceux d'entre
eux qui appartiennent au nombre des élus,
et non pas ceux qu'il venait d'appeler enne-
mis, quoiqu'il se soit exprimé indéfiniment,
selon la manière ordinaire de l'Écriture, qui
parle souvent d'une partie comme du tout.
Autres sont donc ceux que saint Paul appelle
ennemis, et autres ceux qu'il appelle chéris
et bien-aimés : mais comme ils étaient tous
d'un même peuple, il en parle comme si c'é-
taient les mêmes. Or, parmi ceux -mêmes
qu'il appelle ennemis, parce qu'ils avaient
crucifié Jésus-Christ, il y en a eu plusieurs
qui se sont convertis, et qui n'ont commencé
de paraître éhis que par cette conversion qui
a été le commencement de leur salut; mais
ils étaient élus à l'égard de la prescience de
Dieu dès avant la création du monde. Ainsi
on peut dire que ceux que saint Paul appelle
ennemis et ceux qu'il appelle bien-aimés sont
les mêmes en deux manières, c'est-à-dire et
à l'égard du même peuple, auquel les uns
et les autres appartenaient, et à l'égard de
ceux-mêmes qui, après avoir été ennemis
de Jésus-Christ, en sont devenus les bien-
aimés, à raison d'une élection secrète, qui
n'a commencé de se manifester, que lors-
qu'ils ont été convertis. L'Apôtre dit que ces
bonum est et acceptum coram salvatore nostro
Dec, qui omiies homines vuU sakws fieri et in
agnitionem verilatis venire. [L'éditeur.)
[IV« ET V* SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
133
bien-aimés le sont à cause de leurs pères, parce
qu'il fallait que ce qui avait été promis aux
anciens patriarches fût accompli. Il ajoute :
Les dons et la vocation de Dieu sont immua-
bles; et Une s'en repent point ; ce qui montre,
que par ceux qu'il appelle bien-aimés, il
n'entend que ceux d'entre les juifs , qui sont
du nombre des prédestinés, dont il avait dit
plus haut que Dieu les a appelés selon son
décret. Or , les élus ne sont que ceux-là mê-
mes qui ont été appelés selon ce décret de
Dieu et de cette vocation immuable. Ainsi,
ceux qui ne persévèrent pas jusqu'à la fin
n'appartiennent point à cette sorte de voca-
tion, et ne sont point du nombre de ces
prédestinés appelés selon le décret de Dieu :
car s'ils en avaient été. Dieu pouvait les
enlever avant que la malice eût changé lem-
cœur. Mais pourquoi ceux-ci sont-ils pré-
destinés et appelés de cette sorte, et non
pas ceux-là? C'est ce que nous ne savons
point : la cause en est cachée ; mais elle ne
saurait être que juste : et l'Apôtre a eu soin
de nous marquer que cela n'aiTive que par
un efiet des jugements de Dieu, afin que
personne ne crût qu'il y eût en cela injus-
tice et témérité. »
Saint Augustin, après avoir expliqué
quelques autres difficultés sur les Épitres
de saint Paul, passe à celle que saint Pau-
lin lui avait proposée, sur ce qui est dit
dans l'Évangile, que plusieurs personnes
de l'un et de l'autre sexe, à qui Jésus-Christ
se montra après sa résurrection, et de qui il
était très-connu durant sa vie, le méconnu-
rent d'abord qu'il leur apparut, quoiqu'il eût
après sa résurrection le même corps qu'il
avait auparavant ; il répond ainsi : « Puisque
le Sauveui", dit-il, dans sa transfigm-ation re-
leva la couleur et l'éclat de son visage, jus-
qu'au point de paraître brillant comme le so-
leil, on peut admettre, sans aucun inconvé-
nient, que parun effet de la même puissance,
il y a changé quelque chose aux traits de ce
même visage dans les premiers moments
de ses apparitions après sa résurrection ,
afin qu'on ne le reconnût pas d'abord; et
qu'il reprit sa forme naturelle , comme il
reprit sa couleur naturelle après sa trans-
figuration. » Le saint évêque ne doute point
que le pain que Jésus -Christ rompit aux
disciples d'Emmaiis, ne fût le sacrement
qui nous unit dans la connaissance de
Jésus- Christ; et que par l'épée dont l'â-
me de la sainte Vierge devait être trans-
Lcltri! 150
à Prulja 1 1
à Julienne,
percée, il ne faille enteudre la vive douleur
dont son cœm- fut transpercé en voyant son
Fils attaché à la croix.
■19. Démétriade, fille de Julienne, pro-
fitant des instructions que saint Augustin
lui avait données avec saint Alypius, fit pro- ^'.'^ "'' °"
fession de virginité, préférant l'aUiance de sui.
Jésus-Christ à l'époux terrestre auquel on
voulait la marier; Proba et Julienne s'em-
pressèrent de domier avis de cette nouvelle
à saint Augustin , ne doutant pas qu'elle ne
ne lui causât beaucoup de joie. EUes lui
envoyèrent en même temps un présent pour
marque de la solennité de sa consécration,
en l'assurant que la résolution de Démé-
triade était le fruit de ses travaux et de ses
exhortations. On voit par la réponse que
saint Augustin leur fit , combien cette nou-
velle lui avait été agréable ; il ne trouve
point de paroles assez énergiques pour leur
faire comprendre combien il leur était plus
glorieux et plus utile, selon Jésus-Christ, de
lui avoir donné pour épouse une vierge de
leur sang, qu'il ne l'est, selon le monde,
d'avoir eu des consuls pour époux. « Car s'il
y a, dit-il, quelque chose de beau et de
grand à voir le cours des années marqué du
nom de son mari, il est beaucoup plus beau
et plus grand de s'acquérir par l'intégrité
du corps aussi bien que de l'esprit un mé-
rite et un bonheur sur lequel les années ne
peuvent rien. Jouissez donc, continue-t-il , à
Démétriade, de ce qui manque à la perfec-
tion de votre état. Pour elle , elle n'a qu'à
persévérer jusqu'à la fin dans l'alliance
qu'elle a contractée avec celui dont le rè-
gne n'a point de fin. Que celles qui la ser-
vent suivent son exemple, et que ceUes qui
sont dans quelque sorte d'élévation selon le
monde imitent cette humilité qui la relève
si fort; et qu'au lieu d'aspirer à ce qu'elles
voient de grandeur dans sa maison, elles
aspirent à ce qu'eUes y voient de sainteté, n
20. En 413 , saint Augustin fit un voyage
à Carthage , et il arriva que pendant son sé-
jour en cette ville, le comte Marin, gagné par
les donatistes, fit arrêter le tribun Marcellin,
à qui ils en voulaient depuis la conférence
de Cai'thage. Comme ils étaient encore mé-
contents d'Apriugius son frère, mais pour
d'autres raisons. Marin le fit aussi arrêter.
Saint Augustin et les autres évêques firent
tout ce qui était en eux pour empêcher que
Marin ne causât à l'Église une douleur ex-
ti'ême par la mort de ces deux frères, sur-
Lri:re 151
à Cf'cilieii,
en kiZ ou
l>Vi, pag.
517.
134
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
tout de Marcellin, et qu'il ne tuât lui-même
son âme par un si grand crime. Cécilien se
Joignit aux évêcpies pour solliciter en faveur
de Marcellin : Marin donna même de belles
paroles, et Cécilien, dans une visite qu'il
rendit à saint Augustin, lui fit espérer la dé-
livrance des prisonniers. Mais, dans le temps
que ce saint évêque se tenait comme assuré
qu'ils auraient leur grâce, on vint lui dire
qu'ils étaient déjà exécutés à moi't. Une si
cruelle perfidie ne lui permit pas de rester
plus longtemps à Carthage ; de sorte que
Cécilien étant venu pour le voir , on lui dit
qu'il n'était plus dans la ville. Cécilien prit
donc le parti de lui écrire. On voit par la ré-
ponse que lui fit saint Augustin, que quoiqu'il
eût tout lieu de croire qu'il avait eu quelque
part à la moii de ces deux frères, le saint
ne l'en croyait pas néanmoins coupable.
Tout ce qu'il lui demande, c'est que pour
se justifier devant tout le monde d'un crime
dont ses liaisons avec le comte Marin le fai-
saient soupçonner, il renonce à sa familia-
rité et n'ait plus pour lui qu'une affection
purement spirituelle qui, faisant paraître au
dehors l'horreur qu'il avait de son crime, le
porte à en faire pénitence. « Détestez-le, lui
dit-il, si vous l'aimez. Ayez-le en bori-em% si
vous voulez qu'il évite les supplices éternels.
Voilà ce que vous pouvez faire de mieux, et
pour votre réputation, et même pour l'avan-
tage de votre ami : car vous aurez pour lui
une amitié d'autant plus véritable, que vous
aurez plus de haine pour son crime. » Saint
Augustin donne dans cette lettre de grands
éloges à Marcellin, et relève surtout la pu-
reté de ses mœurs et son amour pour la vé-
rité. Il raconte de lui qu'étant en prison, son
frère A^ringius lui dit : « Si ce sont mes
péchés qui m'ont attiré cette disgrâce, par
où avez-vous méi'ité d'y tomber, vous dont
nous savons que la vie a toujours été si chré-
tienne, et qui avez toujours eu tant de zèle
pour tous les devoirs de la piété? » Sur quoi
Marcellin lui fit cette réponse : <( Quand ce que
vous dites de moi serait véritable, et quand
l'état où je suis devrait aller jusqu'à me
faire perdre la vie, n'est-ce pas une grande
miséricorde de Dieu sur moi, de me l'avoir
envoyé pour me châtier ici de mes péchés,
et de n'en pas réserver la punition au jour
de son jugement. » On pourrait croire, sur
ce discours, que Marcellin se sentait coupa-
ble de quelques péchés secrets d'impureté :
(I Mais voyez, dit saint Augustin, ce que
Dieu a permis, pour ma consolation, que
j'aie su de sa propre bouche. Comme j'é-
tais seul avec lui dans sa prison, je lui fis
entendre que l'état où Dieu permettait qu'il
fût tombé, me faisait craindre qu'il n'eût
besoin de satisfaire à sa justice, par quelque
pénitence plus sévère et plus publique. Ce
soupçon seul le fit rougir, quoiqu'il ne se
sentît point coupable ; mais il n'en reçut pas
moins bien ce que je lui disais ; et, me ser-
rant la main droite entre les deux siennes,
il me dit avec un souris modeste : Je prends
à témoin les saints mystères que cette main
ofire à la majesté de Dieu, que, ni avant
ni depuis mon mariage, je n'ai jamais ap-
proché d'aucune femme que de la mienne.
La mort, continue saint Augustin, n'a donc
fait aucun mal, elle n'a pu faire au contraire
que beaucoup de bien à un homme dont
l'âme, ornée de tant d'excellents dons, a pas-
sé de cette vie dans le sein de celui qui les
lui avait départis. » Aussi l'Église l'honore
publiquement comme un martyr, le sixième
d'avril, quoiqu'il fût mort le 13 septembre.
Les évéques catholiques avaient envoyé un
d'entre eux en cour pour la justification de
Marcellin, qui y fut pleinement déchargé,
en sorte qu'on ne trouva pas même qu'il fal-
lût des lettres de rémission, et que si Marin
n'eût pas pi'écipité le jugement et l'exécu-
tion de Marcellin, il eût été renvoyé absous.
Marin, convaincu de mensonge dans l'ordre
qu'il supposait avoir reçu de la cour, au su-
jet de Mai'cellin, fut rappelé d'Afrique et
dépouillé de toutes ses charges. Cécilien, à
qui cette lettre est adressée, avait été vicaire
du préfet du prétoire en Italie, en 404, et
préfet du prétoire en 409, mais on ne voit
point qu'il ait eu de charge en 413. Comme
il n'était encore que catéchumène, saint Au-
gTistin l'exhoi'te à ne point diftërer à rece-
voir le baptême.
21. Macédonius, vicaire d'Afrique en 414,
souhaitant lier amitié avec saint Augustin et
recevoir de ses lettres, lui en écrivit une
très-obligeante, où, en lui demandant raison
pourquoi il s'était intéressé pour une per-
sonne, il le priait de lui dire, si c'était une
chose conforme au devoir du christianisme ,
que des évoques intercédassent ainsi pom'
des coupables. Les raisons que ce magistrat
avait d'en douter étaient que Dieu défend
si sévèrement le péché, qu'on n'est pas mê-
me reçu à la pénitence après une première
fois; que c'est autoriser le crime'ct l'approu-
Oros, lili
Ml. cap
Lclln
152 Cl i;
(le Macédi
ni IIS el
M,ici(l0-|
iiiiiA,
lilii, pal
523.
[rv" ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
135
ver, que de ne vouloir pas qu'il soit puni; et
que les choses étaient portées jusqu'au point
que les coupables voulaient tout à la fois
et qu'on leurs épargnât la peine due à leurs
fautes, et qu'on les laissât jouir de ce qui les
avait portés à les commettre. Macédonius
priait en même temps saint Augustin de lui
envoyer les écrits qu'il lui avait promis ,
afin qu'il pût se nourrir de sa doctrine, puis-
qu'il ne pouvait pas avoir le plaisir de con-
véi'ser avec lui.
Le Saint lui envoya ses trois premiers li-
vres de la Cité de Dieu. Quant à la difficulté
qu'il lui avait proposée, il répond : « L'a-
mendement n'ayant lieu que dans cette vie,
et dans l'autre chacun demeurant chargé
pour jamais de ce qu'il emporte de celle-ci,
l'amour que nous avons pour les hommes
nous oblige d'intercéder pour les criminels,
de peur que du supplice qui finit en faisant
finir leur vie, ils ne tombent dans un sup-
plice qui ne finit point. Cette conduite est
autorisée de Dieu même, qui, selon que le
dit l'Évangile , fait lever son soleil sur les
méchants comme sur les bons , quoiqu'il
voie parfaitement ce que chacun est et ce
qu'il doit être; et si les évêques par leurs in-
tercessions ont soustrait quelques-uns à la
sévérité des jugements, ils ont eu soin de
les séparer de la participation du saint Au-
tel, afin de les mettre en état d'apaiser par
la pénitence celui qu'ils ont méprisé et of-
fensé par leurs péchés. S'il y en a qui, après
avoir fait pénitence , après avoir été récon-
ciliés et rétablis dans la participation des
saints mystères, retombent dans les mêmes
désordres et encore dans de plus grands,
l'Église ne les reçoit plus à faire pénitence,
de peur qu'un remède qui est d'autant plus
salutaire qu'on l'expose moins au mépris
des pécheurs, ne perdit sa vertu, s'il deve-
nait plus commun; mais eUe ne désespère
pas pour cela de leur salut, qu'ils peu-
vent obtenir par la miséricorde de Dieu, en
se convertissant et en changeant de vie. »
Saint Augustin montre par divers exem-
ples tirés de l'Écriture, qu'il n'est point dé-
fendu d'intercéder pom* les criminels, que
c'est im devoir d'humanité ; et que Macédo-
nius avait lui-même intercédé pour im clerc
qui s'était attiré la colère de son évêque. Il
avoue néanmoins que la puissance souve-
raine des princes, le droit de vie et de mort
qu'ils confient aux juges, les épées des sol-
dats, les ongles de fer qui arment la main
des bomTeaux et tout ce que l'autorité pu-
blique emploie pour imprimer de la ter-
reur aux scélérats, sont des choses utiles, et
aux bons, et même aux méchants, qui, se
voyant les mains liées, par la crainte des
supphces, peuvent invoquer Dieu et changer
de mal en bien. Car on ne peut les mettre
au rang des bons, tandis qu'il n'y a que la
crainte qui les empêche de faire le mal. Ce
n'est pas par la crainte qu'on est bon, mais
par l'amour de la justice. Comme il y a des
rencontres où c'est être miséricordieux que
de punir, il y en a aussi oîi c'est être cruel
que de pardonner; et c'est de ce principe
même que l'on conclut que pour châtier les
méchants d'une manière qui leur soit utile,"
il ne faut pas aller jusqu'à leur ôter la vie,
puisque ce châtiment ne saurait être utile à
celui qui n'est plus. Quoiqu'il puisse arriver
que la grâce obtenue pour un criminel ait
des suites toutes contraires à cèdes que s'en
promettaient les intercesseurs, en sorte que
celui à qui ils auraient sauvé la vie, l'ôte
lui-môme à plusieurs, ces maux ne doivent
pas leur être imputés, et l'on ne doit mettre
sur leur compte que le bien qu'ils ont eu
en vue, en s'employant auprès des magis-
trats pour le coupable. On ne peut nier que
la sévérité des lois n'ait son utilité , puis-
qu'elle assure le repos public; ni qu'elle ne
soit agréable aux gens de bien , puisque
saint Paul menace les hommes de l'épée
même que portent les magistrats ; ni que les
intercessions qui tempèrent cette sévéï'ité
n'aient aussi leurs avantages, puisqu'elles
peuvent engager les coupables à faire péni-
tence de leurs crimes et à se corriger.
Saint Augustin établit ensuite plusieurs
règles touchant la restitution des biens vo-
lés ou mal acquis. « C'est se moquer, dit-il,
et non pas faire pénitence, de ne pas rendre,
quand on le peut, le bien qui n'est acquis
que par le crime. Dieu ne remet point le
péché qu'on ne rende ce que l'on a pris,
lorsqu'on est en état de le rendi-e. Celui qui
veut ravoir son bien peut, sans injustice,
faire mettre le voleur à la question, quand
il est bien persuadé que ce voleur a de quoi
rendre. Car encore qu'il ne pourrait rendre
ce qu'il a pris, il serait juste qu'il fût puni
de l'avoir pris, par les peines mêmes qu'on
lui ferait souffrir pour l'obhger de le rendre.
Mais il n'est point contre la charité que l'on
doit à celui qui a souffert le tort, d'intercé-
der pour celui qui l'a fait, comme pour les
136
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
autres criminels. En intervenant alors, ce
n'est pas pour s'opposer à la restitution ,
que celui qui a perdu son bien a droit
de demander , mais pour empêcher qu'on
n'exerce des cruautés inutiles contre un
homme qu'on croit n'avoir pas de quoi ren-
dre, ou n'être pas convaincu de vol. Il vaut
mieux courir le risque de laisser son bien
à un voleur, qui l'a peut-être, mais qui le
nie, que de s'exposer à le tourmenter et à
le faire peut-être mourir inutilement, s'il
ne l'a pas. En pareil cas, c'est plutôt auprès
des parties qu'il faut intercéder qu'auprès
des juges, qui ne peuvent se dispenser d'u-
ser de leur autorité pour faire rendre ce
■ qui est dû à un chacun. Car ce serait être
complice du vol et du crime, que de vouloir
empêcher par nos intercessions que les vo-
leurs ne rendissent ce qu'ils ont pris, et mê-
me de ne les y pas obliger autant que nous
pouvons le faire honnêtement, lorsqu'ils se
réfugient dans nos églises. Il ne s'ensuit pas
néanmoins que nous puissions employer les
tourments et la torture pour forcer les vo-
leurs à rendre, ni les livrer à ceux qui les
y veulent apphquer. Nous faisons auprès
d'eux ce que des évêques peuvent faire ,
nous tâchons de leur imprimer la terreur des
jugements de Dieu, et quelquefois même des
jugements des hommes. Nous les séparons
même quelquefois de la communion du saint
autel, à moins que la crainte de quelque
chose de pis ne nous en empêche. »
Le saint Docteur ne croit pas que tout ce
qu'on prend de quelqu'un malgré lui , soit
toujours pris injustement. « Il y en a, dit-il,
qui ne paient les médecins et les ouvriers
que malgré eux. Cependant, bien loin qu'il
y ait de l'injustice aux uns et aux autres
de vouloir se faire payer, il y en a à leur
refuser le salaire qui leur est dû. Il en est
de même des avocats et des jurisconsultes.
Mais quoi qu'ils puissent vendre , les uns ,
une juste défense et les autres un conseil lé-
gitime, il ne s'ensuit pas qu'un juge puisse
vendre un juste jugement, ni un témoin un
témoignage véritable. Car, tandis que les
avocats prennent parti et se donnent tout en-
tiers à la cause do l'une de leurs parties, le
juge doit être neutre, et en état de tout exa<-
miner de part et d'autre pour trouver la vé-
rité. Ils sont encore bien plus criminels lors-
qu'ils prennent de l'argent, l'un pour dépo-
ser faux et l'autre pour rendre une sentence
injuste; puisque ceux mêmes qui donnent
de l'argent pour cela ne sont pas exempts
de crime , quoiqu'ils le donnent volontaire-
ment. On est aussi en droit de dire à un
avocat : rendez ce que vous avez reçu pour
avoir appuyé l'iniquité, pour avoir trompé
le juge, pour avoir fait succomber une bonne
cause, pour avoir fait triompher la fausseté
et le mensonge. Il y a d'autres sortes de
personnes de plus bas étage, qui prennent
de l'argent des deux pnrties, comme les ser-
gents, les archers et ceux qui les comman-
dent et qui les font travailler pour les affai-
res des particuliers. On peut leur faire ren-
dre ce que leur avarice leur fait exiger, mais
non pas ce qu'on leur donne volontairement
et qu'un usage supportable fait regarder
comme leur étant légitimement acquis. Quant
aux biens acquis par des vols, des rapines,
des calomnies , des oppressions , des violen-
ces et par toutes les autres voies qui sont
contraires aux lois de la société humaine,
on doit les rendre à ceux à qui on les a pris,
plutôt que de les donner aux pauvi'es, suivant
ce que l'Evangile nous enseigne par la bouche
de Zachée qui, ayant reçu Jésus-Christ chez
lui, et se trouvant tout d'un coup changé,
et dans la disposition de mener à l'avenir
une vie sainte, lui dit : Je donne aux pauvres Luc. mi,
la moitié de mon bien, et si j'ai fait tort à
quelqu'un, je lui rendrai le quadruple. Les
usuriers ne sont pas moins obligés à restitu-
tion, attendu qu'il y a plus de cruauté à con-
sumer tout le bien d'un pauvre honune par
des intérêts, qu'à dérober ou à prendre même
quelque chose dé force à un homme riche. »
Saint Augustin soutient même que l'on
peut dire , en un sens, que les infidèles
ne possèdent rien légitimement et que tout
appartient aux fidèles. Voici son raisonne-
ment : « Tout bien qu'on n'a pas droit de
posséder, est le bien d'autrui ; on n'a droit
de posséder que ce qu'on possède justement,
et l'on ne possède justement que ce qu'on
possède comme il faut. Tout ce qu'on ne
possède pas comme il faut est donc le bien
d'auti'ui ; ce n'est pas posséder le bien com-
me il faut, que de n'en pas bien user. Ainsi,
les méchants ne possèdent jamais de bien
comme il faut ; les bons au contraire le pos-
sèdent d'autant plus légitimement, qu'ils l'ai-
ment moins. » Ce Père se fonde sur un pas-
sage du livre des Proverbes cité par beau-
coup d'anciens, mais qui ne se trouve que
dans la version des Septante et dans l'a-
rabe. Voici ce passage : Que le monde entier ^vit, b"^"^ '"
[IV' ET Y" SIÈCLES.
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
137
Lettre
et 155
Macc-
iius et
Macédo-
cn
pas
est anx fidèles, et que les infidèles n'ont pas
même une obole. Mais il est à remarquer ' que
saint Augustin ne prend pas ce passage au
pied de la lettre , ni selon toute l'étendue
des termes dans lesquels il est conçu. Il ne
dit pas que les infidèles ou les méchants ne
possèdent rien légitimement, mais au con-
traire qu'ils possèdent légitimement tout ce
dont ils font un bon usage. Ce qu'il leur con-
teste, c'est de ne posséder pas bien les cho-
ses dont ils usent mal. D'où il en infère qu'ils-
peuvent pour cette raison être convaincus
de posséder le bien d'autrui, Dieu qui est
l'auteur et le distributeur de tous les biens,
ne les donnant à personne pour en mal user,
mais seulement pour en faire un bon usage.
Mais il ne s'ensuit pas de là qu'il soit permis
d'ôter aux méchants ni aux infidèles les
biens qu'ils possèdent : c'est à Dieu et non
aux hommes qu'ils sont comptables de l'em-
ploi qu'ils en font. « On tolère, ajoute saint
Augustin, l'iniquité de ceux cpii ne possèdent
pas comme il faudrait les biens de ce monde :
on a même établi des lois qui en règlent la
possession, et qu'on appelle les lois civiles,
parce qu'elles font subsister la société ci-
vile, non en faisant que ceux qui possèdent
de ces sortes de biens en usent comme il
faut, mais en ne souffrant pas qu'ils en abu-
sent jusqu'à l'oppression des autres. Nous
avons égard à ces lois humaines et tempo-
relles, et nos intercessions ne vont jamais
à empêcher qu'on ne rende ce qui est mal
acquis selon ces mêmes lois. »
22. Macédonius, en donnant avis à saint
Augustin qu'il avait accordé la grâce à la
personne ^ pour qui il s'était intéressé, fait
un éloge magnifique des trois premiers
livres de la Cité de Dieu, que ce Père lui
avait envoyés, et de la prudence dont il ac-
compagnait ses remontrances qpiand il in-
tercédait pour des malheureux. « Je suis, lui
dit-il, merveilleusement touché de la sa-
gesse qui reluit et dans les livres que vous
avez mis au jour, et dans ce que vous avez
la bonté de m'écrire quand vous intercédez
pour des criminels. Je vois dans les uns tant
d'esprit, de science et de sainteté, qu'on ne
peut rien désirer aa delà ; et dans les autres
tant de retenue, que si je ne vous accordais
pas ce que vous demandez, je me condam-
nerais moi-même, sans me pouvoir excuser
sur la difficulté des choses que vous me
demandez. La plupart de ceux de ce pays-
ci pressent et veulent à quelque prix que
ce soit, qu'on leur accorde tout ce qu'ils
demandent. Mais vous n'en usez pas de
même : vous vous bornez à ce qu'il vous pa-
raît qu'on peut demander à un juge chargé
de tant de soins ; et vous le demandez par
forme d'avis et de remontrances, jointe à
une modestie, qui viendrait à bout des
choses les plus difficiles, parce que rien n'a
plus de force sur le cœur de ceux qui ont de
l'honneur. J'ai donc fait sur le champ ce
que vous avez désiré. J'ai lu vos hvres d'un
bout à l'autre : car ce ne sont pas de ces ou-
vrages froids et languissants qu'on peut quit-
ter, lorsqu'on en a commencé la lecture,
et qui laissent en état de songer à autre
chose; ils ne m'ont point donné de repos,
et ils m'ont attaché d'une manière qui m'a
fait oublier toute autre affaire. Aussi vous
puis-je protester que je ne sais ce qu'on y
doit admirer davantage ; si c'est ou la sain-
teté parfaite et vraiment épiscopale qu'on y
voit, ou les dogmes philosophiques, ou la
profonde connaissance de l'histoire, ou l'a-
grément de l'éloquence qui touche de telle
sorte les plus ignorants, qu'ils ne sauraient
s'empêcher d'aller jusqu'au bout ; et que
quand ils ont achevé de les lire, ils vou-
draient recommencer. »
Saint Augustin répondit aux politesses de
Macédonius par une excellente instruction,
où il lui met devant les yeux les principaux
devoirs d'un chrétien, et surtout d'un ma-
gistrat. Après y avoir réfuté ce que les an-
ciens philosophes ont dit de la sagesse et de
la béatitude, il fait voir que la véritable sa-
gesse dans cette vie consiste dans le culte
du vrai Dieu, dont nous recueillerons pour
fruit dans l'autre, la véritable félicité qui
sera dans le ciel le partage des saints, com-
me la piété persévérante est le leur sur la
terre ; que l'on n'est point heureux même en
cette vie, par l'amas de tout ce qui compose
une féhcité temporelle ; qu'il n'y a que les
enfants étrangers, c'est-à-dire ceux qui
n'ont point de part à la régénération par la-
quelle nous sommes faits enfants de Dieu,
qui mettent en cela leur félicité ; mais que
les enfants de Dieu la font consister avec
David à être uni à Dieu et à l'aimer. C'est
1 Voyez l'apologie
pag. 419.
de la Morale-, des Pères,
^ D. Ceillier a sans doute voulu dire aux per-
sonnes. {L'édileur.)
138
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECGLESIASTIQ TES.
pourquoi il dit à Macédonius, que si dans
les fonctions de sa charge il n'avait pour
but que de garantir les hommes de tout ce
qui pourrait les faire souffrir selon la chair,
et non pas de les engager à rendre à Dieu
le culte qui lui est dû, toutes ses peines ne
lui serviraient de rien pour la vie où se
trouve la véritable félicité. Il fait consister
la vertu dans l'amour de Dieu. « La vertu,
dit-il, n'est autre chose dans cette vie que
l'amour de ce qu'il faut aimer : en savoir
faire le choix, c'est ce qu'on appelle pru-
dence ; n'en pouvoir être détourné par aucun
mal, par aucun plaisir, par aucun orgueil,
c'est ce qu'on appelle force , tempérance
et justice. Que pouvons-nous choisir pour
objet principal de notre amour, que le plus
grand de tous les biens ? et quel est-il? C'est
Dieu, qui est tellement notre souverain bien,
que d'aimer quelque autre chose ou plus
ou autant que lui, c'est ne savoir pas nous
aimer nous-mêmes : car notre état est d'au-
tant meilleur, que nous nous portons avec
plus d'impétuosité vei's ce qu'il y a de meil-
leur. Mais ce ne sont point nos pas, c'est
notre amour qui nous porte vers ce bien-là ,
et il nous sera d'autant plus intimement pré-
sent, que l'amour qui nous y porte sera plus
pur. Nul espace ne contient ni n'enferme ce
bien ineffable; comme il est présent partout,
et tout entier partout, ce ne sont point nos
pieds qui nous portent vers lui, mais nos
mœurs ; et nos mœurs dépendent non de la
qualité de nos connaissances, mais de celle
de notre amour. Car elles ne sont bonnes ou
mauvaises, que selon que nous sommes pos-
sédés d'un bon ou d'un mauvais amour. » 11
ajoute , qu'une suite de cet amour est de
porter de toutes nos forces vers ce souve-
rain bien, ceux que nous aimons comme
nous-mêmes, c'est-à-dire, notre prochain :
ce qui comprend non-seulement ceux qui
nous sont unis par le lien du sang, mais
tous ceux à qui nous tenons par le don com-
mun de la raison , qui lie tous les hommes
dans une même société. Or, nous pouvons
les porter à aimer et à servir Dieu, soit en
leur faisant du bien, soit en les instruisant,
soit en les châtiant autant qu'il est en
nous.
Leiires 23. Saint Jérôme, dans SOU troisième livre
d'iiiioire e'i Contre les Pélagiens, fait mention d'une let-
eii in'p'ig! ^''^ ^® ^tàni Augustin à Hilaire , comme
51*2. écrite depuis peu, ce qui montre qu'on la
doit mettre à la lin de l'an 414, puisque
saint Jérôme écrivit en 413, ces livi'es
contre ces hérétiques. L'hérésie pélagienne
qui se répandait partout, tant en Orient
qu'en Occident, et qui causait particulière-
ment des troubles à Syracuse, donna occa-
sion à Hilaire d'écrire à saint Augustin , par
quelques personnes d'Hippone qui s'en re-
tournaient de Syracuse en leur pays, et de
le consulter sur les propositions suivantes :
L'homme peut être sans péché ; il peut gar-
der aisément les commandements de Dieu,
s'il le veut. Un enfant mort sans baptême ne
peut périr justement, parce qu'il est né sans
péché. Un riche demeui-ant dans ses ri-
chesses, ne peut entrer au royaume de
Dieu , s'il ne vend tous ses biens ; et s'il
en use pour accomplir les commandements,
cela ne lui sei't de rien. Il ne faut pas jurer
du tout. L'Eglise dont il est écrit, qu'elle est
sans ride et sans tache, est celle où nous
sommes à présent, et elle peut être sans pé-
ché.
Hilaire ne prend aucun titre dans sa let-
tre, et saint Augustin lui donne dans sa ré-
ponse celui de fils, ce qui fait croire qu'il
était laïque, et que c'est le même cpii écrivit
depuis à saint Augustin la lettre deux cent
vingt-sixième , contre les semi-pélagiens.
En effet , le style de ces deux lettres est fort
semblable.
Saint Augustin répond dans la sienne à
tous les ai'ticles qu'Hilaire lui avait propo-
sés, et dit en premier lieu qu'il n'y a per-
sonne qui soit exempt de péché en cette
vie. Si nous disons qxie nous sommes sans pé- ï ^oai
ché , dit l'Apôtre saint Jean , nous nous trom-
pons nous-mêmes, et la vérité n'est point en
nous. Ne faut-il pas, que suivant le précepte
de Jésus-Christ, chacun dise à Dieu : Par- Matih.
12.
donnez-nous nos offenses comme nous pardon-
nons à ceux qui nous ont offensés. Si les apô-
tres mêmes ont été obligés de faire à Dieu
cette prière , y a-t-il quelqu'un assez parfait
pour n'avoir pas besoin de la réciter en tout
ou en partie. Daniel en parlant à Dieu, lui
confessait non-seulement les péchés de son
peuple, mais les siens propres : qui est plus r>a"
sage que Daniel? En second lieu, ou ne sau- ' ei
rait s'empêcher de dire anathême à ceux *^"
qui enseignent que l'homme sans être aidé
de la grâce de Dieu et du don du Saint-
Esprit, peut, par les forces de son libre arbi-
tre accomplir la loi de Dieu. Le libre arbitre
peut faire ^de bonnes œuvres, s'il est aidé
de Dieu ; ce qui se fait en priant humble-
[IV° ET Y' SIÈCLES.]
SAIiNT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
139
inent et en travaillant. Mais s'il est aban-
donné du secours de Dieu , quelque science
de la loi qui le relève, il n'aura aucune so-
lidité de justice, mais seulement l'enflure de
l'orgueil. C'est ce que l'Oraison dominicale
nous apprend ; car en vain prions-nous Dieu
de ne nous pas laisser succomber à la tentation,
s'il est tellement en notre pouvoir de nous
en empêcher, que nous n'ayons besoin pour
cela d'aucun secours de Dieu.
Saint Augustin fait voir que la grâce ne
ruine point le libre arbitre, et que c'est au
contraire parce qu'il n'est pas détruit, qu'il
est en état d'être secouru. Celui qui disait à
Psaim. Dieu : Soyez mon aide et mon secours, nous
^* ' ■ montre tout à la fois, et qu'il voulait accom-
plir ce que Dieu nous commande, et qu'il
avait besoin de recourir à lui pour le pou-
voir accomplir. Le sage, ayant connu que
sap. Mil, personne ne saurait avoir la continence, si Dieu
ne la donne, s'est tourné vers Dieu et a im-
ploré son secours : il voulait sans doute, mais
de quoi cette volonté aurait-elle été capable
sans cette grâce qu'il demandait ?
Les nouveaux hérétiques soutenaient
qu'un enfant quoique prévenu de la mort
avant le baptême ne pouvait périr, parce
qu'il était né sans péché. Saint Augustin
montre fort au long que cette doctrine ne
iioin. V, s'accordait pas avec-celle de saint Paul. Ze
péché, dit cet Apôtre, est entré dans le monde
par un seul homme, et la mort par le péché ;
et c'est ainsi qu'elle a passé dans tous les hom-
mes, tous ayant péché par un seul ; et un peu
plus bas , par le jugement de Dieu nous avons
été condamnés pour un seul péché, au lieu que
nous sommes justifiés par la grâce après pht-
• sieurs péchés. « Quel est ce péché, demande
saint Augustin, pour lequel l'Apôtre dit que
nous avons tous été condamnés, sinon le
péché d'Adam ? Et pourquoi, ajoute-t-il, que
nous sommes justifiés par la grâce après
même plusieurs péchés, sinon parce que la
grâce de Jésus-Christ efface non-seulement
"ce péché commun, avec lequel naissent
tous les descendants d'Adam, mais encore
tous les autres péchés que ces criminels,
venant à croître, ajoutent à celui-là par leur
mauvaise vie? Voilà donc l'Apôtre qui dé-
clare que ce seul péché qui infecte tout ce
qui descend d'Adam par la voie ordinaire de
la propagation, suffit pour encourir la con-
damnation. Dès là le baptême est néces-
sfiire aux enfants mêmes , et ils ont besoin
que la grâce de la régénéi-ation les délivre
de cette condamnation à laquelle les assu-
jettit la manière dont ils ont été engendrés.
En effet, comme il n'y a point d'homme qui
n'ait été engendré d'Adam selon la chair,
il n'y en a point qui soit régénéré spirituel-
lement que ceux qui le sont par Jésus-Christ.
Mais tandis que la génération charnelle ne
nous rend sujets à la condamnation que par
un seul péché, la régénération spirituelle
efface non-seulement ce péché, pour lequel
on baptise les enfants, mais tous les autres
que les hommes peuvent avoir ajouté à
celui dans lequel ils ont été engendrés. Di-
ra-t-on que l'Apôtre n'a voulu dire autre
chose, sinon que le péché a commencé par
Adam, et que comme les autres hommes ne
pèchent qu'à son imitation, il est vrai de dire
que c'est ce premier péché qui les entraine
dans le jugument et la condamnation, puis-
que ce n'est qu'à l'exemple de celui-là qu'ils
commettent les autres péchés par lesquels
ils s'attirent la condamnation ? n
C'est l'objection que ce Père se fait de la
part des pélagiens. Il y répond, par le paral-
lèle que saint Paul fait d'Adam et de Jésus-
Christ, dans lequel il nous met devant les
yeux, l'un comme le principe de la géné-
ration charnelle, et l'autre comme celui de
la régénération spirituelle ; l'un comme
ayant attiré sur les hommes, par un seul pé-
ché, la condamnation, et l'autre comme leur
ayant procuré, même après plusieurs péchés,
la grâce de la justification. Comme donc, dit n
cet Apôtre, c'est par le péché d'un seul que tous
les hommes sont tombés dans la condamnation
[dont les enfants ont par conséquent autant
besoin que les autres d'être délivrés par le
baptême ] : de même c'est par la justice d'un
seul que tous les hommes reçoivent la justifica-
tion et la vie. Si l'Apôtre s'était expliqué
ainsi uniquement pour nous faire entendre
que les hommes ne sont pécheurs par Adam
que parce qu'ils sont imitateurs de son pé-
ché, et non par aucun péché qui passe
de lui en eux, il aurait allégué l'exemple du
démon plutôt que l'exemple d'Adam ; car le
démon est le premier pécheur, et encore
qu'il ne passe rien de lui en nous par voie
de propagation, il ne laisse pas d'être ap-
pelé dans l'Evangile, le père des impies,
parce que les méchants suivent son exemple ^"'
quand ils pèchent. De même aussi quoique
nous ne descendions point d'Abraham selon
la chair, l'Écriture ne laisse pas de l'appeler g,
notre père, parce que nous sommes les ^5'
ip. II.
140
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
I Timo
imitateurs de la foi, comme ceux qui suivent
le parti du diable sont les imitateurs de son
péché. On ne peut objecter qu'Adam ayant
été le premier pécheur d'entre les hommes,
l'Apôtre a dû dire, cpie c'est lui que nous
imitons lorsque nous péchons, et que c'est à
lui qu'appartient tout ce qu'il y a eu de pé-
cheurs parmi les hommes. Si cela était, il
aurait donc dû aussi mettre Abel à la tête
des justes, et dire que tous les justes lui
appartiennent, puisqu'il est le premier des
justes. Mais ce n'est pas Abel qu'il oppose à
Adam, c'est Jésus-Christ : parce que de la
même manière que ce premier homme a
infecté sa postérité par son péché, de môme
ce Dieu-Homme sauve par sa justice ceux
qui composent son héritage : celui-là en
faisant passer sa souillure en nous par la
propagation de la chair, ce que le diable ne
pouvait faire avec toute sa malice ; et celui-ci
en communiquant l'esprit de grâce, ce qu'A-
bel ne pouvait faire avec toute sa justice.
Saint Augustin remarque que Gélestius,
disciple de Pelage, cité à Carthage devant
les évéques du Concile, avait été contraint
d'avouer que l'on baptise les enfants, parce
qu'ils ont besoin comme les autres de la
rédemption de Jésus-Christ, ponr être sans
doute tirés de la puissance du démon où
les a mis le péché originel. En résumé,
voici la réponse de saint Augustin à la ques-
tion proposée sur les riches : Pour être
sauvé il n'est pas nécessaire de quitter tous
ses biens, ni de se réduire à une extrême
pauvreté ; le riche de l'Évangile, qui après
sa mort fut précipité dans les tlammcs, au-
rait obtenu miséricorde, s'il l'avait lui-même
exercée envers ce pauvre couvert d'ulcères,
qu'il voyait étendu devant sa porte, et
qu'il négligeait de secourir. Jésus- Christ
ne dit pas à ce riche qui le consultait sur
ih. ce qu'il avait à faire pour être sauvé : Allez
et vendez tout ce que vous possédez, mais
seulement, gardez les commandevients. Saint
th. Paul, en parlant des riches de ce monde,
leur ordonne seulement de n'être point or-
gueilleux, de ne mettre point leur confiance
dans leurs richesses, d'en faire part à ceux
qui sont dans le besoin, afin de pouvoir ar-
river à la véritable vie. Les préceptes qu'il
donne aux pères et aux mères pour l'éduca-
tion de leurs enfants, ne pourraient même
être réduits en pratique, s'ils ne conser-
vaient ni biens ni maisons. Jésus-Christ en
disant qu'il est bien difficile qu'un riche entre
dans le royaume du ciel, ne condamne pas J^'aith
pour cela les richesses, mais seulement l'at-
tadiement que l'on y pourrait avoir; et s'il
ordonne de les quitter, c'est dans le même
sens qu'il veut que l'on quitte jusqu'à sa
femme, ses enfants, ses parents, ses frères
et ses sœiu's, ce qui -signifie qu'un riche
doit mettre sa coufiance en Jésus-Christ, et
non dans ses richesses , en faire un saint
usage , les donner et les répandre volon-
tiers, et être même prêt à les abandonner
dès qu'il ne pourra plus les conserver sans
perdre Jésus-Christ, comme il abandonnerait
en pareil cas son père, sa mère, ses enfants,
ses frères et sa propre femme. Ceux qui
ont suivi ce conseil de Jésus-Christ, comme
l'Apôtre l'a suivi lui-même par le secours
de la grâce : Allez, vendez tout ce que vous jiaiiii
avez, et donnez-le aux pauvres, ne condamnent '"^' ^'
point ceux qui ne se sont point élevés à ce
degré de perfection, mais qui usent de leurs
richesses comme la religion le prescrit.
Pour répondre à ce qu'Hilaire lui avait
demandé touchant l'Écriture, saint Augustin
dit qu'il faut nécessairement qu'elle porte
jusqu'à la fin les méchants aussi bien que
les bons. Il l'exhorte à éviter le jurement,
autant qu'il lui sera possible, car le meilleur
est de ne point jurer du tout, pas même des
choses vraies, puisque quand on a la cou-
tume de jiirer, on se trouve à tout moment
sur le bord du parjure, et l'on y tombe sou-
vent. Il est vrai que l'Apôtre a juré quelque-
fois dans ses Épitres, comme lorsqu'il dit :
Par la gloire qui me revient en Jésus-Christ, icor.
et encore : Je prends Dieu à témoin contre {[ cor.t
mon âme ; mais nous ne devons pas pour ^*-
cela nous faire un jeu du jurement, et le
plus sûr pour nous est de n'avoir dans la
bouche que le oui et le non, selon le con-
seil de Jésus-Christ ; non que ce soit un
péché de jurer d'une chose vraie, mais
pai'ce que c'est un horriljle péché de jurer
d'une chose fausse, et que ceux qui ont
coutume de jurer, sont plus en dangers de
faire de faux serments.
24. Évodius, évêque d'Uzale, très-uni à i-ciirc.
saint Augustin depuis qu'ils avaient reçu d'Evo'iius
ensemble le baptême, lui proposa une autre J-JlnJ" '^"'
question qui n'était pas peu embarrassante : ?'^> l'^S'
c'était de savoir, si l'âme n'avait point un
corps après la mort. Ce qui lui fit naître le
dessein de s'instruire sur ce sujet, fut l'ap-
parition d'un diacre mort depuis quatre ans,
à une veuve nommée Urbique, qui passait
[IY= ET V° SIÈCLES.]
pour une fidèle servante de Dieu. Voici
quelle en fut l'occasion. Évodius avait au-
près de lui en qualité d'écrivain un jeune
homme, fils d'Arménus, prêtre de Mélone,
qui après avoir été prompt et turbulent jus-
qu'à sa vingt-deuxième année, devint alors
extrêmement posé et modeste, menant une
vie pure et réglée. Il souhaitait même d'être
dégagé des liens du corps pour s'unir à Jé-
sus-Christ. Dans ces sentiments, il tomba
malade, et pendant les seize jours que dura
sa maladie, il avait presque sans cesse à
la bouche des endroits de l'Écriture qu'il
savait par cœur. Le jour qu'il mourut, il de-
manda son père pour l'embrasser, ce qu'il
fit juscpi'à trois fois, lui disant à chaque
fois : Èlon père rendons grâces à Dieu, et il
l'oHigea de remercier Dieu avec lui, comme
s'il eût voulu l'exhorter à passer avec lui à
une meilleure vie. En effet, son père le suivit
au bout de sept jours. Le fils sortit de cette
vie comme un homme que l'ont vient cher-
cher pour passer à une autre : car dans ce
même temps un autre de ses condisciples,
mort depuis environ huit mois , lecteur
comme lui, et qui écrivait aussi pour Évo-
dius, apparut en songe à quelqu'un, qui lui
demanda ce qu'il venait faire ; le jeune
homme répondit, qu'il venait chercher son
ami. Comme il approchait de sa fin il chan-
Psaiiii. t'^'t à haute voix ces paroles de David : Mon
■»""'' 2. âme brûle d'ardeur et d'impatience d'être dans
„ , la maison du Seiqneur. Et ces autres : Vous
II, 5. avez répandu sur ma tête un parfum exquis, et
je m'enivre délicieusement de la coupe que vous
me présentez. Lorsqu'il fut sur le point d'ex-
pirer, il fit le signe de la croix sur son front,
et il baissait la main pour le faire aussi sur
sa bouche, lorsque son âme, qu'il avait eu
si grand soin de renouveler de jour en
jour, se détacha de son corps. « Nous lui
fîmes, dit Evodius, des obsèqnes fort hono-
rables, et dignes d'une telle âme : car nous
chantâmes des hymnes à la louange de
Dieu sur son tombeau trois jours durant, et
le troisième nous offrîmes le Sacrement de
notre rédemption. Le second jour de sa
mort, une très-honnête femme de la viUe de
Figes, veuve depuis douze ans, vit en songe
un certain diacre, qui, avec d'autres séna-
teurs et servantes de Dieu, vierges et veu-
ves, préparait et ornait un grand palais. La
pariu'e en était si riche et si magnifique qu'il
brillait de toute part, et paraissait tout d'ar-
gent. Comme cette veuve demandait pour
SALNT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
IM
qui on préparait ce palais, le diacre lui ré-
pondit : C'est pour ce jeune homme qui
mourut hier, et qui était fils du prêtre Ar-
ménus. Elle vit ensuite dans le même palais
un vieillard vêtu de blanc, qui donna ordre
à deux autres, qui étaient vêtus de la même
manière, d'aller au sépulcre de ce jeune
homme, d'en tirer son corps, et de le porter
dans le ciel ; après qu'il y eut été porté, elle
vit sortir de son tombeau des tiges de rosiers
chargés de roses vierges, c'est-à-dire qui
n'étaient pas encore épanouies. »
Evodius raconte encore quelques autres
apparitions dont il avait ouï parler, et quel-
ques-unes dont il avait été témoin, comme de
celle de Profuturus, de Privât et de Servilius ,
« qui m'ont, dit-il, parlé depuis leur mort,
et m'ont dit des choses qui n'ont pas man-
qué d'arriver. » Il prie donc saint Augustin
de lui expliquer comment se font ces appa-
ritions, et si l'âme n'a point un corps après
la mort.
Saint Augustin répond qu'il ne croit pas
que l'âme sorte du corps avec un corps, et
que quant aux visions où l'on apprend mê-
me quelque chose de l'avenir, on ne saurait
exphquer comment eUes se font, à moins de
savoir auparavant par où se fait tout ce qui
se passe en nous quand nous pensons : « Car,
dit-il, nous voyons clairement qu'il s'excite
dans notre âme un nombre innombrable d'i-
mages qui nous représentent ce qui a frappé
nos yeux ou nos autres sens : nous l'expé-
rimentons tous les jours et à toute heure.
Dans le moment même que je dicte cette
lettre, je vous vois des yeux de mon esprit,
sans que vous soyez présent, ni que vous en
sachiez rien; et je me représente par la con-
naissance que j'ai de vous, l'impi'cssion que
mes paroles feront sur votre esprit, sans sa-
voir néanmoins, et sans pouvoir comprendre
comment tout cela se passe en moi. Tout ce
que j'en sais, c'est que ce n'est point par des
mouvements corporels, ni des qualités corpo-
relles; cpioiqu'il y ait en cela quelque chose
de fort ressemblant à des corps. » Il ren-
voie Evodius à ce qu'il avait dit sur cette ma-
tière dans son ou\Tage sur la Genèse. ((Vous
y trouverez, lui dit-il, un grand nombre de
semblables histoires , les unes dont je suis
témoin, et les autres que j'ai apprises d'une
personne digne de foi. » Pour lui faire com-
prendre que l'âme peut voir sans le secours
du corps, il lui rapporte ce qui était arrivé
à un médecin nommé Gennadius, qui vivait
Ii2
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
encore, et demeurait à Cartilage, après avoir
exercé son art à Rome avec beaucoup de
réputation. Quoicpi'il eût beacoup de vertu,
il doutait qu'il y eût une autre vie après
celle-ci. Dans ce doute , il vit une nuit en
songe un jeune homme d'une grande beauté
qui lui dit : « Suivez-moi. » Gennadius le
suivit, et arriva ainsi dans une ville, où il
ne fut pas plutôt entré, qu'il entendit à sa
droite une musique d'une douceur et d'une
harmonie qui surpassait tout ce qu'il avait
jamais entendu. En peine de savoir ce que
c'était, le jeune homme qui le conduisait lui
dit : « Ce sont les hymnes des saints et des
bienheureux. » Il vit aussi quelque chose à
sa gauche : «Mais j'ai oublié, dit saint Au-
gustin, ce que c'était. » S'étant éveillé, le
songe s'évanouit et Gennadius ne le regarda
que comme un songe. La nuit suivante ce
même jeune homme lui apparut encore , et
lui demanda s'il le reconnaissait, et où il
l'avait vu. Gennadius répondit affirmative-
ment, et comme il avait la mémoire toute
fraîche de ces hymnes des saints dans le lieu
où ce jeune homme l'avait conduit, il n'eut
pas de peine à répondre sur cet article.
« Mais ce que vous me marquez-là, lui dit le
jeune homme , l'avez-vous vu en songe ou
éveillé? En songe, répondit Gennadius. Il
est vrai, reprit le jeune homme, c'est en
songe que vous l'avez vu : et ce qui se passe
encore présentement, ce n'est qu'en songe
que vous le voyez. Gennadius en demeura
d'accord. Et où est actuellement votre corps,
répliqua le jeune homme qui l'instruisait?
Dans mon lit, répondit Gennadius. Savez-
vous bien, ajouta le jeune homme, que vos
yeux corporels sont présentement fermés et
sans action , et que vous n'en voyez point ?
Je le sais, dit Gennadius. De quels yeux me
voyez- vous donc, reprit l'autre? » Comme
Gennadius hésitait à cette question, et ne
voyait pas bien ce qu'il avait à répondre, le
jeune homme lui fit comprendre à quoi
aboutissaient toutes ces questions, en lui
disant : « Vous reconnaissez donc, qu'encore
que les yeux de votre corps soient fermés et
sans action pendant que vous êtes an lit, et
que vous dormez, vous en avez d'autres
dont vous me voyez, et dont vous découvrez
tout ce qui vous parait maintenant. De même
quand vous serez mort, quoique vos yeux
corporels n'aient plus d'action, vous demeu-
rerez vivant, et capable de voir et de sentir.
Gardez-vous bien de douter jamais dans la
lo:.
suite qu'il y ait une autre vie pour les hom-
mes après la mort. Voilà, ajoute saint Au-
gustin, par où Gennadius, cet homme si vé-
ritablement chrétien, dit qu'il a été tiré du
doute où il était sur ce sujet. »
Le saint Docteur s'expUque encore sur les
apparitions, dans un autre lettre à Évodius,
où il dit que quand l'âme est occupée de ces
visions qui nous viennent en dormant, eUe
n'est plus dans les yeux du corps, elle en
est absente et ne leur prête plus la même
action qu'elle faisait en veillant. « La mort
même, ajoute-t-il, n'est qu'une absence à
peu près de même natm-e, mais causée par
quelque chose de plus fort qae le sommeil,
et qui dérobe aux yeux, qui sont comme la
lumière du corps ou aux autres facultés,
tout le secours que l'àme lem' prête. L'àme
en passant de l'exercice du sens de la Yue
aux visions qui arrivent en dormant, n'em-
porte aucun corps avec elle ; il ne faut pas
s'imaginer non plus que dans cette autre
jilus grande absence de l'âime que nous ap-
pelons la mort, il y ait quelque corps qui se
détache de ce corps grossier, et que l'àme
emporte avec elle. Car si cela était, il fau-
drait dire que dans le soleil même, où elle
se retire des yeux du corps, et les abandonne
jusqu'à un certain point , elle emporterait
aussi avec elle d'autres yeux plus subtils, à
la vérité , mais toujours corpoi'els , ce qui
n'est pas néanmoins, quoiqu'elle en em-
porte d'autres par le moyen desquels eUe
voit des choses très-semblables à des corps,
mais qui n'en sont pas, non plus que les
yeux dont eUe les voit. »
25. Évodius proposa beaucoup d'autres
difficultés à saint Augustin, entre autres sur
la Trinité et sur la colombe qui avait repré- 'i"",
sente le Saint-Esprit au baptême de Jésus-
Christ ; sur ce que c'est que Dieu et la rai-
son ; sur un endroit de sa lettre à Volusien ;
sur l'origine de l'àme de Jésus-Christ et sur
l'endi'oit de l'Épitre de saint Pierre, où il est
dit que Jésus-Christ a prêché en esprit aux
esp?'its retenus dans la prison, et qui avaient été
incrédules autrefois, lorsque la patience de Dieu
les attendait au temps de Noé. Saint Augustin
qui avait traité plusieurs de ces questions
dans ses livres de la Trinité, du Libre arbi-
tre, de la Qualité de l'âme et de la Vraie
religion, y renvoie Évodius, n'ayant pas
le loisir de les traiter en particulier, à
cause de divers autres ouvrages auxquels il
était alors occupé. Il les interrompit néan-
r.etir
lOO , 10
102, 163
164 d'Ev
£\oiniis,
liiti on AI
papr. 566
suiv.
I Pcir. I
19.
[IV° ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
143
moins pour le satisfaire sur quelques-unes
de ses demandes. Il avait dit, en parlant
dans sa cent trente - septième lettre à Vo-
lusien, contre ceux qui ne voulaient pas
que l'on crût que Jésus-Christ fût né
d'une vierge, demeurée vierge après l'a-
voir mis au monde, que si on pouvait ren-
dre raison de cette naissance, il n'y aurait
plus rien d'admirable. Il dit à Evodius que,
par cette façon de parler, il n'a pas pré-
tendu que cet événement n'ait pas sa rai-
son, mais seulement qu'elle est inconnue à
ceux à qui Dieu a voulu qu'il fût admirable.
« Quant à ce que j'ai ajouté, dit-il, que si on
pouvait apporter des exemples de cette nais-
sance miraculeuse, elle ne serait plus singu-
lière, c'est vainement que vous croyez en
avoir trouvé dans les vers qui se forment
dans les cœurs des fruits, et dans les arai-
gnées dont le corps demeure vierge en quel-
que sorte, quoiqu'elles en tirent les filets
dont elles composent leurs toiles. Ce sont
des comparaisons trouvées avec esprit. Mais
enfin Jésus-Christ seul est né d'une vierge ;
et je pense que vous voyez bien que c'est
ce qui m'a fait dire que sa naissance est
sans exemple. » Quant à la difficulté qui re-
garde l'endroit de la première Épître de
saint Pierre, saint Augustin répond ainsi :
« 1° Personne ne peut douter que Jésus-
Christ, mort en sa chair, ne soit descendu
aux enfers. 2° Il n'en a pas délivré tous les
hommes, mais seulement ceux qu'il a ju-
gés dignes d'être délivrés. 3° Presque toute
l'Éghse croit qu'il en a délivré le père com-
mun de tous les hommes, quoiqu'il n'en soit
rien dit dans les livres canoniques, si ce
n'est dans celui de la Sagesse, où nous li-
X, sons : C'est elle qui a conservé le premier'
homme, père de tout le genre humain, quoi-
qu'il eût été créé tout seul, et qui, l'ayant
tiré de son péché , l'a rendu capable de su?'-
monter toutes les adversités. 4° Il y en a qui
croient que le même bienfait a été accordé
aux premiers saints, comme Abel, Seth,
Noé et sa famille, Abraham, Isaac, Jacob,
et autres patriarches et prophètes : mais
qu'il est plus vraisemblable qtt'ils étaient
dans un autre lieu de repos appelé le sein
d'Abraham. S" Les justes qui ressuscitè-
rent à la mort de Jésus-Christ, ne repri-
rent leur corps que pour mourir une se-
conde fois , aiitrement il ne serait pas vrai
que Jésus-Christ soit le premier né d'entre
les morts, comme le dit saint Paul. 6° L'on
ne peut pas dire que Jésus-Christ ait an-
noncé l'Évangile à ceux qui furent incré-
dules au temps de Noé, puisqu'on ne lit
j)as qu'ils soient revenus en vie, et qu'ils
aient repris leurs corps. 7° Le passage de
saint Pierre ne doit pas s'entendre des es-
prits ou des âmes retenues dans les enfers,
mais des esprits de ceux qui vivaient du
temps de Noé, que le Verbe a éclairés dès
lors ; en sorte que le sens de cet endroit de
saint Pierre, n'est pas que Jésus-Christ soit
descendu aux enfers pour y prêcher l'É-
vangile à ceux qui avaient été incrédules
du temps de ce patriarche, mais que Jésus-
Christ après être mort pour nous en sa
chair, a été ressuscité par le même Esprit,
par lequel il prêcha à ceux-mêmes qui fu-
rent autrefois incrédules dans le temps que
Noé fabriquait l'arche. Car depuis qu'il est
venu revêtu de chair pour mourir pour
nous, ce qu'il n'a fait qu'une seule fois,
comme saint Pierre le marque, il est venu
plusieurs fois en esprit pour éclairer et
instruire ceux qu'il lui a plu par diverses
sortes de visions, et de la manière qu'il a
jugée convenable. Il venait alors dans le
même esprit par lequel il est ressuscité
après la mort qu'il avait souiferte dans sa
chair. »
Pour ce qui est de l'origne de l'âme de
Jésus-Christ, saint Augustin, sans entrer
dans la discussion des différentes opinions
sur l'origine de l'âme en général , assure
que celle de Jésus-Clmst , par-dessus le don
de l'immortalité commun à toutes les autres,
a reçu cette prérogative de n'éprouver ni la
mort que le péché donne, ni la condamna-
tion qui en est une suite; qu'ainsi on ne
saurait entendre de l'âme de Jésus-Christ,
ce que dit saint Pierre, qu'il a été vivifié ou
ressuscité par l'esprit, puisqu'il n'y a eu en
lui rien de vivifié que ce qui avait perdu la
vie, c'est-à-dire sa chair, qui se retrouva vi-
vante par le retour de son âme, comme elle
avait éprouvé la mort quand son âme la
quitta.
26. La lettre suivante est déplacée, ayant Leurcs
été écrite vers l'an 410; mais on l'a mise iot 'de saint
ici à cause du rapport cj;u'elle a avec celle ■'^'s"i"1 j,*;'
de saint Augustin , qui traite de l'oriffine '{"'"^ ■ , ,'"
r, , .'llO et dlD,
de lame. Cette lettre est de samt Jérôme pas. ssi.
et adressée à Marcellin et à Anapsyquie
sa femme, qui l'avaient consulté sur l'ori-
gine de l'âme. Ce Père leur fait remar-
quer dans sa réponse que cette question est
144
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
une des plus importantes de toute la science
ecclésiastique, et dit qu'il y a sur ce sujet
diverses opinions. «Quelques-uns, dit-il,
comme les pitagoriciens, les platoniciens et
Origène, ont cru que l'âme descendait du ciel.
Elle est, selon les stoïciens, les manichéens
et les prisciUianistes, ime portion de la subs-
tance même de Dieu. Plusieurs se sont
imaginés que Dieu tient toutes les âmes
comme eu réserve dans ses trésors , d'où
il les envoie, chacune dans le corps qui lui
est destiné; et cette opinion n'a pas déplu
à quelques catholiques. D'autres sont pei-
suadés que Dieu les crée journellement pour
les envoyer dans les coi'ps. Ils s'appuient
Joan. V, sur Cette parole de l'Evangile : Mon Père
n'a point cessé d'agir depuis le commence-
ment du monde, et agit encore présente-
ment, et moi avec lui. Enfin Tertullien et
Apollinaire , et la plupart des occidentaux
sont du sentiment que les âmes passent des
pères aux enfants par voie de propagation,
en sorte que les âmes produisent les âmes,
comme les corps produisent les corps , et
que nos âmes sont, à cet égard, de même
condition que celle des bêtes. « Saint Jé-
rôme ne dit point ici quel est son sentiment.
H renvoie MarceUin à. ce qu'il avait dit sur ce
sujet dans la Réfutation du livre de Ruffin,
adressée au pape Anastase. Il le renvoie
aussi à saint Augustin , « qui pourra, dit-il,
vous instruire de vive voix sm- cette matière,
et vous apprendre mon sentiment en vous
disant le sien. »
Le traité du saint évêque, sur l'Origine de
l'âme , est adressé à saint Jérôme , à qui il
l'envoya en 415, par Orose, qui était venu
cette année-là d'Espagne en Afrique. Mais
au lieu d'y décider ce que l'on doit penser
sur l'origine de l'âme, il se contente de pro-
poser les différentes opinions, priant saint
Jérôme de lui marquer à laquelle il faut s'en
tenir, et de queUe manière on peut se dé-
fendre contre les pélagieus, quand on suit
celle qui veut que les âmes soient crées à
mesure qu'il vient quelqu'un au monde.
Cette opinion était celle que saint Jé-
rôme semblait approuver le plus; et c'est
celle-là que saint Augustin combat le plus
fortement. » S'il est vrai, lui dit-il, que les
âmes se créent journellement, apprenez-
moi oîi les âmes des enfants pour qui Dieu
les crée ont péché , et par où elles se trou-
vent coupables du péché d'Adam, de qui
dérive la chair de péché ; en sorte que pom-
être déhvi'ées de ce péché, elles aient be-
soin du sacrement de Jésus-Christ. Si eUes
n'ont point péché, apprenez-moi comment
la justice du Créateur leur peut imputer un
péché étranger, pour cela seul qu'elles se
trouvent liées à une chair qui descend de
celui qui l'a commis, et le leur imputer
de telle sorte, qu'à moins qu'elles ne soient
secourues par l'Église, elles tombent dans
la damnation, quoiqu'il ne dépende point
d'eUes de se procurer le remède du bap-
tême ? Par quelle justice. Dieu peut-U dam-
ner les âmes de tant de milliers d'enfants
morts avant l'âge de raison, et sans avoir
reçu la grâce du sacrement qui nous fait
chrétiens, s'il est vrai qu'elles n'aient été
crées que sm* le point d'être renvoyées cha-
cune dans le corps qui lui était destiné, et
que ce ne soit en punition d'aucun péché
précédent qu'elles y soient envoyées par la
volonté du Créateur, qui savait fort bien que
ce ne serait point par leur faute qu'elles sor-
tiraient du corps sans avoir recule baptême.
Comme donc nous ne saurions dire, ni que
Dieu jette les âmes par force dans le péché,
ni qu'il punisse ce qui est innocent ; comme
d'ailleurs la foi ne nous permet pas de dou-
ter que les âmes des enfants mêmes qui
sortent de cette vie sans baptême, ne tom-
bent dans la damnation ; dites-moi, je vous
prie , par où se peut soutenir cette opinion ,
qui prétend que les âmes ne viemient point
de celle d'Adam, et qu'elles sont toutes
crées de nouveau pour chacun, comme
celle du premier homme le fut pour lui. »
Saint Augustin réfute aussi l'opinion de
ceux qui voulaient que l'âme fut une partie
de la substance de Dieu. «S'il en était ainsi,
dit-il, l'âme serait totalement immuable et
incorruptible , et par conséquent , elle ne
pom'rait non plus changer en mieux qu'en
pis, ce qui est conti-e l'expérience , qui nous
apprend que l'âme change souvent de senti-
ments et d'affections. Ce serait en vain que
l'on dirait que les faiblesses et les infirmi-
tés qu'elle éprouve lui viennent du corps ,
puisque si elle était immuable de sa nature,
il ne pourrait lui arriver aucun change-
ment, de quelque part que ce pût être. »
Il montre ensuite que l'âme étant toute
entière dans les plus petites pai-ties du corps,
elle ne peut être corporelle, parce qu'il est
de la nature du corps d'être plus ou moins
grand à proportion de l'espace qu'il rem-
plit. « L'âme n'est point dans le corps, dit-
[lye ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
US
il, par une extension locale; mais par une
certaine action de vie, qui la rend présente
à toutes les parties du corps qu'elle anime ;
en sorte qu'elle est toute en chacune aussi
bien qu'en toutes, quoique son action soit
moins vive dans les unes que dans| les autres.
Ce qui fait voir que l'âme est toute entière
dans chaque partie , c'est que toute l'âme
sent ce qui ne se passe qu'en une partie
de son corps. Aussi, quelque petit endroit
de la chair vive que l'on puisse toucher,
quand ce ne serait qu'un point, toute l'âme
s'en ressent , quoique ce point , bien loin
d'être tout le corps, soit presque impercep-
tible dans le corps. Or, d'où vient cette im-
pression? On ne peut pas dire que ce qui
se passe en cet endroit, soit porté par tout
le corps , puisque l'âme ne le sent que dans
ce seul endroit ; mais c'est qu'elle est toute
entière où la chose se passe , sans cesser
néanmoins d'être présente aux autres par-
ties du corps où il ne se passe rien de sem-
blable. Car dès qu'elles sont vivantes, il faut
que l'âme y soit présente, puisqu'elles ne le
sont que par la présence de l'âme.» Quelque
peine qu'ait saint Augustin d'adopter l'opi-
nion de la création journalière des âmes, il
convient qu'il est fort embarrassé', quand il
fait réflexion sur les peines de la damna-
tion où tombent les enfants après cette vie,
s'ils meurent sans avoir participé à la grâce
de Jésus-Christ par le baptême, ne conce-
vant pas qu'ils puissent être punis de cette
sorte, s'ils ne sont coupables de péché. Une
l'est pas moins en considérant que si ce n'é-
tait que pour le bien du corps et non pour
celui de l'âme que l'on baptise les enfantsj,
on baptiserait également les morts et les
vivants. C'est pourquoi il consent à prendre
cette opinion pour la sienne jusqu'à nouvel
éclaircissement , d'autant plus qu'il trouve
les mêmes difficultés dans l'opinion de ceux
qui veulent que les âmes ayant été créées
dès le commencement du monde , et mises
en réserve, Dieu les envoie dans les corps.
« Car on leur demandera, dit-il, pourquoi
les âmes des enfants qui meurent sans
baptême, sont punies, s'il est vrai qu'elles
sont innocentes quand elles entrent dans
les corps ? Quant à ceux qui prétendent
que Dieu envoie [les âmes dans les corps
' Je ne vois pas comment Tricalet, Bliblioth.
portative, tom. V, nouvelle édition, pag. 130, s'élève
contre cette phrase, et prétend que D. Geillier a
omis quelque chose où s'est mépris. D. Geillier
IX.
selon qu'elles ont mérité dans je ne sais
(juelle vie précédente , ils ne peuvent pas
mieux se tirer de cette difficulté : car il
y a une grande différence entre avoir
péché en Adam , en qui l'Apôtre dit que
tous ont péché, et avoir mérité par un
péché commis quelque part ailleurs qu'en
Adam , d'être jetés dans une chair qui
descend d'Adam, comme dans une espèce
de prison. » H ne s'arrête point à exa-
miner l'autre opinion, qui veut que toutes
les âmes tirent leur origine de celle d'A-
dam. Pour lui, jusqu'à ce qu'il sache à la-
quelle de ces opinions il faut s'attacher, il
dira que ceUe-là est la véritable', qui n'en-
seigne rien de contraii'e à la foi constante
et inébranlable, par laquelle l'Éghse croit
que les enfants , non plus que les autres, ne
sauraient être délivrés de la damnation
qu'au nom de Jésus-Christ et par la grâce
enfermée dans ses sacrements. Il demande
en même temps à saint Jérôme, quel était
le sens de ces paroles de saint Jacques :
Quiconque ayant gardé toute la loi, la viole en
un seul point, est coupable comme l'ayant toute
violée. Il en donne lui-même une explica-
tion , mais en la somnettant au jugement de
ce Père. Le sentiment général des philo-
sophes , était que sans l'assemblage de
toutes les vertus , on ne pouvait bien vivre ;
mais les stoïciens seuls avançaient, que tous
les péchés étaient égaux.
Saint Augustin combat ces deux opi-
nions : d'un côté , la vertu n'étant autre
chose que l'amour de ce qu'on doit aimer,
on peut avoir plus ou moins de cet amour,
et quelquefois point du tout; de l'autre, le
dogme de l'égalité des péchés est contraire
au sentiment des auteurs canoniques , ou
plutôt à la vérité même , puisque c'est elle
qui a parlé par leur bouche ; car quoique là
où il n'y a point de vertu, il n'y ait rien que
de défectueux, ce qui l'est, le peut être plus
ou moins. Celui donc qui viole la loi en un
seul chef, est coupable comme s'il l'avait
violée en tout, parce qu'en tout péché, on
fait quelque chose contre ce qui comprend
toute la loi, c'est-à-dire , contre cette double
charité pour Dieu et pour le prochain, qui
nous est ordonnée par ces deux préceptes
où la Loi et les Prophètes sont compris. Mais
rend bien le texte de saint Augustin qui est em-
barrassé sur la question des supplices des enfants
morts sans baptême. {L'éditeur.)
10
Jac. 11,10.
146
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
il ne suit pas de là que tous les péchés
soient égaux, parce cjiie, quoique par clia-
qne péché particulier que l'on commet, on
■viole la charité d'où dépend la loi, cela
n'empêche pas que l'on ne soit plus ou
moins coupable , selon que les péchés com-
mis sont plus ou moins grands.
Saint Jérôme ayant reçu ces deux let-
tres ', témoigna beaucoup d'estime de la
manière dont saint Augustin y avait expli-
qué la question de l'origine de l'âme , et les
paroles de saint Jacques; mais il s'excusa
de répondre à ses difficultés sur son peu de
loisir, et sur ce que l'intérêt de l'Eglise de-
mandait qu'ils . ne pai'ussent pas divisés de
sentiment, même dans les moindres choses.
Cependant, saint Augustin espérant toujours
que saint Jérôme y répondrait, ne voulut
pas publier ces deux lettres tant qu'il vécut,
se réservant de les donner avec ses ré-
ponses. Il ne voulut pas même en donner
de copies, ni les envoyer à ses plus in-
times amis. Depuis la mort du solitaire de
Bethléem, il les rendit publiques toutes
deux ; la première , afin que ceux qui la li-
raient, ou s'abstinssent de rechercher d'où
vient l'âme que Dieu donne à chacun de
nous quand nous venons au monde , ou du
moins n'adoptassent sur cette question que
les solutions qui peuvent s'accorder avec ce
que la foi catholique enseigne du péché ori-
ginel ; et la seconde, afin que l'on vît de
quelle manière il croyait qu'on pouvait ré-
soudre la question qu'il y propose sur ce
qu'on lit dans l'Épitre de saint Jacques, que
celui qui viole la loi en un seul point, est cou-
pable comme l'ayant toute violée. Il donne à
ces deux letti'es le titre de Livre, dans le se-
cond de ses Rétractations ^. Elles sont citées
toutes deux par saint Fulgence ', qui loue
l'éloquence , l'esprit , la profondeur des rai-
sonnements , et le grand nombre des auto-
rités avec lesquelles saint Augustin exa-
mine la question de l'oingine de l'âme ;
mais particulièrement, la modération qu'il
y fait paraître, en ne voulant rien détermi-
ner sur une difficulté qui lui paraissait très-
obscure. Il ne faut pas omettre ce que saint
Augustin dit dans le second livre, à l'occa-
jac. Il, 2. sion de ces autres paroles de saint Jacques :
Nous manquons tous en bien des choses. <( Il
est vrai, dit-il, que nous manquons tous,
mais les uns plus considérablement, les
autres moins, selon que cbacun pèche plus
ou moins ; et chacun pèche plus ou moins,
selon qu'il a plus ou moins d'amour pour
Dieu et pour le prochain. Ainsi il y a en
nous d'autant plus de péché , qu'il y a
moins de charité ; et quand il ne nous res-
tera plus rien de notre infirmité, ce sera
alors que nous serons parfaits dans la cha-
rité. Or je ne ci'ois pas que ce soit un pé-
ché léger, que d'asservir la foi de Notre-
Seigneur Jésus-Christ à des égards pour la
condition des personnes, du moins en ce
qui regarde le choix de ceux qu'on doit
élever aux dignités ecclésiastiques : car qui
peut souffrir qu'on y élève un homme riche
préférablement à un pauvre qui sera plus
habile et plus saint ? L'Apôtre saint Jac-
ques, après nous avoir averti que nous man-
quons tous en bien des choses, nous indique le
remède que Jésus-Clu'ist même nous donne
poiu- l'appliquer journellement à nos fautes
journalières , qui quoique légères, sont tou-
jours des taches et des blessures. Cehci,
dit-il , qui n'aura point fait miséricorde ,
sera jugé sans miséricorde , ce qui re-
vient à ces paroles du Sauveur : Pardon-
nez, et il vous sera pardonné : car la miséri-
corde , continue saint Jacques , s'élèvera au-
dessus du jugement. Il ne dit pas que la mi-
séricorde sera victorieuse du jugement, car
l'un n'est pas contraire à l'autre ; mais
qu'elle s'élèvera au-dessus de la justice ri-
goureuse du jugement, parce que plusieurs
qui devraient subir ce jugement, seront re-
cueillis par miséricorde. Qui seront ceux-là?
ce seront ceux qui auront fait miséricorde,
selon cette parole de Jésus-Christ : Heureux
sont les miséricordieux , parce qu'ils recevront
miséricorde. Le même Apôtre nous marque
ensuite, comment on expie les péchés jour-
naliers dont on n'est point exempt en cette
vie. Si l'homme, dit saint Augustin, négli-
geait de les effacer par ces remèdes, il ar-
riverait au pied du tribunal du souverain
Juge, chargé d'un amas de péchés qui l'ac-
cablerait ; et, n'ayant point fait de miséri-
corde aux autres, il n'en trouverait point
pour lui-même ; au lieu que s'il a soin de
donner et de pardonner, il méritera le par-
don de ses péché et l'eflet des promesses de
Dieu. »
28. La lettre de Timasius et de Jacques,
est un remercîment qu'ils font à saint Au- sai
Loltrt l
ïimasi
Ht Ail
1 Hier. Êpist. 172. «pwdAugust. — 2 Lib. II iîcJra^c, cap. xly.
cap. xvn,.
[IV" ET V° SIÈCXES.]
SAINT AUGUSTIN, EVÊQUE D'HIPPONE.
147
"aV. co°."'' gustin , du livre de la Nature et de la Grâce
qu'il leur avait envoyé. Ils lui témoignent
qu'ils l'ont lu avec beaucoup de joie et de
satisfaction , et que quoiqu'ils eussent dès
auparavant abandonné l'erreur de Pelage,
ils lui étaient néanmoins fort obligés de leur
avoir fourni dans cet écrit, des armes pour
combattre cette nouvelle hérésie dans les
autres.
Leiire 109 29. Dans la lettre à Évodius, saint Augus-
a Evodius, en ^ ' o
415, fag. 603. tin répond à deux questions que cet évéque
lui avait faites depuis quelque temps ; l'une
sur la Trinité, l'autre sur la colombe sous la
forme de laquelle le Saint-Esprit parut lors-
que Jésus-Christ reçut le baptême. La pre-
mière question l'engage dans un détail très-
exact de ce que la foi de l'Église nous en-
seigne sur la Trinité : « Si l'Écriture, dit-il,
parle en plusieurs endroits de chaque per-
sonne comme de quelque chose de séparé
des autres, c'est afin de nous faire entendre
que cette Trinité, quoique inséparable, est
toujours Trinité. Car de même que pour dé-
signer les trois personnes par des paroles,
il faut nécessairement les exprimer l'une
après l'autre, quoiqu'elles soient insépara-
bles; de même aussi l'Écriture en divers
endroits les exprime séparément, et par di-
vers symboles de choses créées ; le Père, par
exemple, par cette voix qui se fit entendre
Luc. m, 22. au baptême de Jésus-Christ : Vous êtes mon
Fils bien-aimé ; le Fils, par l'homme auquel
il s'est uni ; et le Saint-Esprit sous la figure
d'une colombe. Pour nous aider à compren-
dre une chose si élevée , nous nous servons
d'ordinaire de l'exemple de la mémoire , de
l'entendement et de la volonté : car quoique
nous exprimions ces trois facultés séparé-
ment, nous ne saurions en nommer aucune,
ni agir par aucune, sans que les deux autres
y concourent. Il ne faut pas néanmoins s'i-
maginer, ajoute-t-il, que la comparaison
que nous en faisons avec la Trinité, soit juste
en toutes ses parties. Elle est elle-même
défectueuse en plusieurs choses, première-
ment, en ce que la mémoire, l'entendement
et la volonté sont dans l'âme , mais ne sont
pas l'âme ; au lieu que la Trinité n'est pas
en Dieu, mais elle est Dieu; et c'est ce qui
fait cette simplicité ineffable, que nous ad-
mirons en Dieu, en qui l'être, l'intelligence
et toutes les autres choses que nous y recon-
naissons, ne sont qu'une même chose. Mais
à l'égard de l'âme, autre chose est d'être, et
autre chose de faire quelque action d'intelli-
gence, puisqu'elle peut être sans entendre
et sans concevoir. Secondement, qui oserait
dire que le Père n'est point inteUigent par
lui-même, mais par le Fils, comme la mé-
moire n'est point intelligente par elle-même,
mais par l'entendement? On n'a donc re-
cours à cette comparaison que pour faire
entendi-e en quelque sorte, que de la même
manière que le nom de chacune des trois
facultés de l'âme, quoiqu'on les exprime sé-
parément , ne se peut énoncer que toutes
les trois n'y concourent, puisque lorsqu'on
l'énonce, il faut et qu'on s'en souvienne,
qu'on l'entende et qu'on le veuille énoncer;
de même, le Père, le Fils et le Saint-Esprit
agissent conjointement et indivisiblement
dans la production des choses créées, quoi-
que l'Écriture nous les représente sous di-
vers symboles. »
En parlant de l'Incarnation, il dit que le
Fils de Dieu s'est uni d'une manière ineffa-
ble et singulière à l'humanité sans rien per-
dre de l'immutabilité de sa nature, en sorte
que l'homme a été élevé jusqu'à être uni au
Verbe; sans que le Verbe en s'unissant à
l'homme ait été changé en homme. Il est
demeuré immuablement ce qu'il était; ainsi,
ce qu'on appelle le Fils de Dieu , c'est et le
Verbe et l'homme auquel il s'est uni ; d'où
il résulte , que le Fils de Dieu est immuable
et coéternel à son Père , mais à raison du
Verbe seul; qu'il a été crucifié, mis à mort et
enseveli, mais à raison de l'humanité seule.
Ainsi, quand on parle du Fils de Dieu, il
faut prendre garde à raison de quoi, ce que
l'on en dit, lui convient: car l'incarnation n'a
pas multiplié les personnes divines; la Tri-
nité est toujours demeurée Trinité; et dans
Jésus-Christ le Verbe et l'homme ne font
qu'une même personne, comme dans tous
les autres hommes, l'âme et le corps n'en
font qu'un.
Sur la seconde question d'Évodius, saint
Augustin dit que la voix qui fut entendue au
baptême de Jésus-Christ, la colombe qui pa-
rut dans la même occasion, et les langues de
feu qui se posèrent sur chacun des disciples
au jour de la Pentecôte, n'étaient que des
choses passagères, produites en signe et en
figure de quelque autre chose; qu'il faut
donc bien se garder de croire que la subs-
tance du Père, du Fils et du Saint-Esprit,
soit capable de changement, et puisse deve-
nir quelque autre chose que ce qu'elle est ;
et que de même que cette voix put se faire
148
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
LcUro 170
h MaxiniQj on
I Cor. .\i.i,
■u.
Eeal. Ti,
Sap.vil,26.
GcD,i, 1.
entendre par la seule obéissance de la ma-
tière à la volonté de Dieu, la colombe a pu
paraître par un effet de la même volonté,
sans qu'elle ait été rien de vivant, ni d'a-
nimé, quoiqu'elle ait eu la forme et le
mouvement d'une véritable colombe. Il
parle dans cette lettre de deux divers ou-
vrages qu'il avait composés depuis peu,
et de ceux auxquels il était actuellement
occupé.
30. Maxime, à qui est adressée la lettre
suivante, y est qualifié médecin. Engagé de-
puis longtemps dans l'bérésie arienne, il en
avait même infecté plusieurs personnes de
sa famiUe par ses persuasions; et c'était
chez lui que ceux de cette secte tenaient or-
dinairement leiu's assemblées. Dieu le re-
tira de Terreiu' dans un âge avancé, et il se
réunit à l'Église catholique en présence de
saint Augustin et de saint Alypius qui en re-
çurent ime grande joie avec tout le peuple
de Dieu. Les parents de Maxime qu'on es-
pérait voir suivre son changement, n'en pa-
rurent point touchés : comme il n'avait pas
assez d'ardeur pour ramener à la vérité ceux
qu'il en avait détoiirnés, saint Augustin et
saint Alypius lui écrivirent pour animer son
zèle, et le confirmer lui-même dans la foi de
la divinité du Fils et du Saint-Esprit. Ils
montrent par un passage de la première aux
Corinthiens, que le culte de latrie que nous
sommes obligés, suivant l'Écriture , de ren-
dre à Dieu, est également dû au Saint-Esprit
comme au Père et au Fils, puiscjue le Saint-
Esprit a dans nous un temple, ce qui est la
marque de la divinité. Ils font voir ensuite en
quelle manière le Père est le principe du
Fils, et comment le Fils est coéternel au
Père. « C'est, disent-ils, de sa propre subs-
tance qu'U a engendré son Fils, au lieu qu'il
a tiré du néant les créatures; et ce n'est
point dans le temps qu'il l'a engendré, puis-
que c'est par lui qu'il a fait les temps; mais
comme entre la flamme et la splendeur
qu'elle cngendi"e , il n'y a nulle priorité de
temps, il n'y en a point non plus entre le
Père et le Fils, et jamais l'im n'a été sans
l'autre. Car le Fils est cette sagesse du Père
que l'Écritm'e appelle la splendeur de la lu-
mière éternelle ; il faut donc que cette splen-
deur soit coéternelle à la lumière qui en
est le principe et qui n'est autre chose cpie le
Père. C'est pourquoi l'Écriture ne dit pas
que Dieu a fait son Verbe au commence-
ment, comme elle dit, qu'a;/, commencement
Dieu a créé le ciel et la terre ; mais elle dit ,
qu'07( commencement était le Verbe. Le Saint-
Esprit n'est pas non plus une créature tirée
du néant, mais il procède du Père et du Fils,
sans avoir été fait ni par le Père ni par le Fils.
Cette Trinité n'a qu'une même nature et une
même substance . qui n'est ni moindre en
chacune des personnes que dans toutes, ni
plus grande en toutes que dans chacmie ; il y
en a tout autant dans le Père seul, ou dans le
seul Fils que dans tous les deux; et tout au-
tant dans le Saint-Esprit seul, que dans le
Père, le Fils et le Saint-Esprit pris ensemble.
Le Père engendre son Fils de sa substance,
mais sans aucune diminution de cette même
substance. Il en est de même du Saint-Es-
prit, qui laisse en son entier le principe d'où
il procède. Ces trois sont donc un, sans con-
fusion, et trois sans division; comme lem*
unité n'empêche pas que ce ne soient trois
choses distinctes, leur distinction n'empêche
pas non plus qu'il n'y ait entre eux une par-
faite unité. Les noms de Père et de Fils
dira-t-on, sont néanmoins différents, et ne
le sont que parce qu'ils expriment des cho-
ses difierentes. Il est vrai, mais ce n'est pas
lanatm-e qu'ils expriment, c'est l'affinité ou
la relation qui se trouve entre ces deux per-
sonnes : or, comme la relation qui se trouve
entre plusieurs choses de même natm-e ,
peut-être la même , elle peut aussi être dif-
férente. Elle est la même de frère à fi-ère ,
d'ami à ami ; mais elle est différente de
père à fils et de fils à père, parce que le fils
n'est pas au père, ce que le père est au fils.
Cependant, qui dit et père et fds, dit homme ;
ainsi ce qu'il y a de différent entre eux, c'est
la relation et non pas la nature. Vous voyez
donc, disent-ils ensuite à Maxime, que ceux
de l'erreur de qui Dieu vous a délivré , ne
parlent pas raisonnablement , quand ils
avancent qu'il faut bien que la natru-e du
Père soit différente de celle du Fils, puisque
l'un est Père et l'autre Fils : car qui peut ne
pas voir que ce n'est pas la nature que ces
mots expriment précisément, mais les per-
sonnes et les relations de l'une à l'autre.
Les ariens n'ont pas moins tort quand ils
disent, qu'U faut bien que le Fils soit d'mie
autre nature que le Père, puisque le Fils
vient du Père, et que le Pèi'e ne vient point
d'un autre Dieu; car le Fils n'en est pas
moins Dieu pour venir du Père; ces termes
de Père et de Fils n'étant pas institués pour
exprimer la substance, mais l'origine, c'est-
I, I.
[iv° ET Y'= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
U9
Lellre 171
i Pérégrin,en
à-dire, pour marquer non ce que sont en
elles-mêmes les personnes divines, mais que
l'une est d'elle-même, et que l'autre a son
origine. Nul homme n'a été le principe d'A-
dam; celui-ci a donné la naissance à Abel:
ils sont néanmoins l'un et l'autre de même
nature et de même substance. Que si le Fils
de Dieu attribue à son Père tout ce qu'il a
et tout ce qu'il peut, c'est parce qu'il n'est
pas par lui-même , mais par son Père, quoi-
que d'aiUem-s il lui soit égal : mais il tient
cela même du Père, non pour avoir reçu
cette égalité sans l'avoir eue auparavant,
mais pour être né avec elle. Car comme il
est né sans commencement, cette égalité
n'a pas commencé. Il ne faut donc pas
s'imaginer qu'il soit né moindre que son
Père. Cette égalité est un apanage de sa
naissance, son Père l'ayant engendré par-
faitement égal à lui et sans aucune diffé-
rence. S'il dit dans l'Évangile que son Père
est plus grand que lui, c'est parce qu'il s'est
anéanti non en perdant la forme de Dieu,
mais en prenant celle de serviteur, selon la-
quelle il s'est fait, non-seulement moins que
son Père, mais moins que lui-même et moins
que le Saint-Esprit; et non-seulement moins
que toute l'adorable Trinité, mais moins que
les anges mêmes et en quelque sorte moins
que les hommes, ayant été soumis à Joseph
et à Marie. »
31. Saint Augustin et saint Alypius, écri-
virent peu de temps après à l'évêque Péré-
grin, pour savoir de lui si Maxime avait bien
reçu leur lettre, et si elle avait servi de quel-
que chose. Ils le priaient aussi d'informer
Maxime, qu'en écrivant de si longues let-
tres, soit à des laïques de leurs amis, soit
même à des évêques, ils avaient coutume
de leur donner la même forme qu'ils avaient
donnée à la sienne; parce que c'était plutôt
fait, et que les lettres de cette sorte se li-
saient plus commodément. Quand on écri-
vait à des personnes de considération, c'é-
tait l'usage de n'écrire que d'un côte du pa-
pier, ou des tablettes, ce qui obUgeait à
prendre un plus grand papier. Mais quand on
écrivait à des amis, on se dispensait de cette
formalité. H y a apparence que saint Augus-
tin et saint Alypius avaient écrit à Maxime
en cette dernière manière, et que c'est ce
qui les inquiétait, dans la crainte que ce
nouveau converti n'en fut formalisé.
32. Il arriva vers l'an 416, qu'un nommé
Donat, prêtre donatiste, de la bourgade de
Mutugenne , dans le diocèse d'Hippone, fut
pris et amené dans cette ville avec un autre
prêtre donatiste , pour avoir fait tomber
beaucoup de personnes dans le schisme.
Donat refusa le cheval qu'on lui présentait
pour faire le voyage; il se jetta même à
terre si violemment qu'il en fut blessé; et
étant arrivé à Hippone , il se précipita dans
un puits où il se serait noyé, si les catholi-
ques ne l'en eussent retiré malgré lui. Son
opiniâtreté dans le schisme était telle, qu'il
disait sans cesse : « Je veux demeurer dans
mon ei'rem-, je veux y périr,» et autres cho-
ses semblables. Saint Augustin , touché sen-
siblement de l'état malhem-eux de ce prê-
tre, lui écrivit une lettre très -touchante ,
mais très-forte, pour tâcher de l'en retirer.
«Vous trouvez mauvais, lui dit-il, qu'on
vous fasse violence pour vous faire rentrer
dans la voie du salut ; mais avez vous ou-
blié avec quelle violence vous avez entraîné
dans l'erreur un si grand nombre des nô-
tres ? Que voulions-nous autre chose, sinon
qu'on vous prît et qu'on vous amenât ici
pom- vous empêcher de périr ? Que si vous
croyez qu'on n'a pas dû le faire, parce que
d'après vous il ne faut forcer personne, non
pas même à faire le bien, souvenez-vous
qu'il y en a plusieurs à qui l'on a fait vio-
lence pour accepter l'épiscopat , qui , selon
l'Apôtre, est un bien. On les prend, on les
emmène par force , on les tient enfermés
jusqu'à ce qu'on leur ait fait accepter ce
bien-là. Vous dites que Dieu ayant fait les
hommes maîtres d'eux-mêmes par le libre-
arbitre qu'il leur a donné, on ne doit pas
plus les forcer au bien qu'au mal. D'où vient
donc qu'on en force d'accepter l'épiscopat?
N'est-ce pas les forcer au bien? Et le plus
grand eifet de la bonne volonté des bons,
n'est-il pas de redresser la mauvaise volonté
des méchants? S'il faut toujours abandon-
ner la mauvaise volonté à sa liberté na-
tm'elle, pourquoi Saul n'a-t-il pas été aban- aci. or. ix,
donné à la fureur qui lui faisait persécuter
l'Église ? Pourquoi a-t-il été renversé par
terre et aveuglé , afin qu'il changeât de
sentiment? Pourquoi l'Écritiwe ordonne- pr„v. x,„,
t-elle aux pères d'employer les coups poiu- '*'
dompter l'opiniâtreté de leurs enfants et
les contraindre à une bonne vie? L'Écri- iKrca,. isiv,
tm'e ne reprocbe-t-elle pas aux pasteurs né- '"
gligents, de n'avoir pas ramené au troupeau
la brebis qui s'égarait, et de ne l'avoir pas
été chercher après l'avoir perdue? Ne di-
150
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Joon.
cl G8.
tes donc plus : Je veux me peindre, car nous
sommes obligés de vous en empêcher au-
tant que nous le pouvons. Quand vous vous
êtes jeté dans un puits , vous avez suivi vo-
tre volonté, mais pour vous perdre ; ceux
qui vous en ont retiré malgré vous , ont
forcé votre volonté , mais pour vous sau-
ver. Si donc, lors même qu'il n'est question
que de la vie du corps, on doit aimer les
hommes jusqu'au point de la leur conserver
malgré eux, que ne doit on point faire lors-
qii'il s'agit de leur conserver la vie de l'âme,
et qu'on les voit en danger de périr éternel-
lement? J'apprends que vous dites qu'il est
permis, selon saint Paul, d'attenter à sa pro-
pre vie , mais si vous comprenez bien le sens
de ses paroles, vous verrez que son sentiment
n'est pas qu'on se jette dans le feu, pour
éviter la persécution d'un ennemi , mais que
quand on nous propose de faire du mal ou
d'eu souffrir, nous devons prendre tou-
jours le parti d'en souffrir plutôt que d'en
faire. Et voj'ez ce que l'Apôtre ajoute : Si je
n'ai la charité, tous les autres dons ne me ser-
viront de rien : c'est à cette charité qu'on
vous appelle. Croyez-vous donc qu'il vous
oiit servi de quelque chose de vous être ôté
la vie à vous-même, puisque tant que vous
serez ennemi de la charité, il ne vous servi-
ra de rien de mourir pour le nom de Jé-
sus-Christ ? Étant hors de l'Église comme
vous êtes, et séparé de l'unité et de la cha-
rité qui en est le lien, vous n'auriez que
l'enfer pour partage cpiand on vous ferait
brûler tout vif pour ce saint nom. »
Les évêques donatistes avaient avoué dans
la conférence de Carthage, que personne ne
peitt préjudicier à un autre. Donat les dé-
savouait en ce point, et prétendait qu'il
pourrait soutenir la cause de son parti en
ôtant cet aveu; sur quoi saint Augustin
lui fait voir que si les paroles des évêques
donatistes , dites si soleimellement, ne peu-
vent lui préjudicier, à lui, qui n'est qu'un
simple prêtre, ce que Cécilien avait fait ou
pu faire ne pouvait, à plus forte raison, pré-
judicier à toute l'Église. Donat s'appuyait
sur ce passage de l'Évangile, que soixante-
dix disciples se retirèrent de Jésus-Christ,
et que non-seulement il les laissa aller, mais
qu'il dit même aux douze autres qui res-
i taient : Ne voulez-vous pas aussi vous en aller?
((iSIais vous ne prenez pas garde, lui répond
saint Augustin, que dans ce temps-là, l'É-
glise n'était que comme une plante qui com-
mence à sortir de terre et qu'on n'avait
pas encore vu l'accomplissement de cette
prophétie : Tous les rois de la te7-re l'adore-
ront, et toutes les nations le serviront. C'est ce
qui s'accomplit tous les jours à vos yeux, et
à mesure que l'Église va croissant, elle agit
aussi avec plus d'autorité; elle ne se con-
tente pas de convier au bien , elle y force.
C'est ce que Jésus-Christ, ajoute-t-il, nous
montre dans cette parabole du festin, où
après que ■ les conviés eurent refusé de ve-
nir, le maître dit à ses gens : Allez dans les L'ic.îu-,2i,
rues et dans les places de la ville, et faites en-
trer ici les pauvres, les estropiés, les aveugles.
Et comme il y avait encore des places vides,
le maître ajouta : Allez le long des haies et des
grands chemins, efforcez d'entrer ceux que vous
rencontrerez, afin que ma maison 'se remplisse.
Quand il n'est question que des premiers,
Jésus-Chris* ne dit pas forcez-les, mais faites-
les entrer; parce que ceux-là marquent le
commencement de l'Église, qui devait croî-
tre et venir peu à peu au point de pouvoir
forcer les hommes d'entrer dans le festin de
l'éternité, ceux-là surtout, qui usent de
cruauté et de violence contre l'Église catho-
lique, comme font les donatistes. »
33. Saint Augustin ne put achever que lch™ m
dans sa vieillesse, les livres de la Trinité, carihiV,
qu'il avait commencés étant jeune, encore ' ''''°'
ne les acheva-t-il qu'aux instances réitérées
de ses amis. Ce qui l'avait dégoûté de con-
tinuer l'ouvrage, c'est qu'on en avait pu-
blié les premiers lÎA'res avant qu'ils les eût
corrigés. Il les revit dans la suite et y en
ajouta d'autres jusqu'au nombre de douze,
qu'il envoya à Aurèle de Carthage, en le
priant de faire mettre cette lettre à la tête de
l'ouvrage, de manière néanmoins, qu'il ne
semblât pas qu'elle en fit partie. Il y dit que
s'il avait pu suivre son premier dessein, ces
livres seraient tout autres, non pour le fonds
de la doctrine qui serait toujours le même,
mais pour la manière d'expliquer les cho-
ses, qu'il aurait bien mieux démêlées.
3-4. Nous avons parlé dans l'article du Loiuef
pape saint Innocent , des lettres que les cou- nifèm, ci m
ciles de Carthage et de Milève et saint Au-
gustin lui écrivirent au sujet de Pelage et
de Célestius, et des réponses qu'ils en reçu- «• '^^'^
rent. Saint Augustin fit aussi savoir à Hi-
laire, qu'on croit être l'évêque de Narhonne,
à qui Zozime écrivit en 417, qu'il s'était élevé
de nouveaux hérétiques, ennemis de la grâce
de Jésus-Christ, qui croyaient que l'homme,
ù Ililau-
416, |.ag. or
cl eau ; cl loi
1res ISl, 182
183 ol 18«
[lV° ET V° SIÈCLES.]
par les seules forces de son libre arbitre ,
peut ne point pécher et vaincre toutes les
tentations. Il lui manda en même temps ,
que les évêques de la province de Carthage,
avaient donné un décret contre cette héré-
sie, le priant de se tenir en garde contre
ceux qui s'efforçaient de la répandre.
35. Comme Jean, évêque de Jérusalem,
passait pour un ami de Pelage , saint Au-
gustin crut devoir lui écrire, pour le prier
de l'aimer tellement, qu'on ne l'accusât pas
de s'être laissé tromper par cet hérésiarque.
Pour lui montrer qu'il avait raison de lui
donner cet avis, il lui envoyait le livre de
Pelage sur les Forces de la nature, avec celui
de la Nature et de la Grâce, qu'il avait fait
pour y répondre, afin que Jean pût voir plus
aisément, combien les dogmes de Pelage
étaient dangereux. 11 disait dans son hvre
sur les Forces de la nature , que l'homme
peut, avec les forces natm'elles de' son libre-
arbitre , accomplir tous les commandements
de Dieu et remplir tous les devoirs de la jus-
tice chrétienne. Saint Augustin fait remar-
quer à Jean que Pelage détruit par -là cette
grâce dont l'Apôtre parle, quand après avoir
dit : Malheureux que je suis, qui me délivre-
ra du corps de cette mort, il ajoute : Ce sera
la grâce de dieupar /e'sMS-CAri's^? qu'il anéantit
le divin secours que Jésus-Christ nous oblige
de demander par ces paroles de l'Oraison
dominicale : iVe nous laissez point succomber
à la tentation; qu'il rend vaine la prière que
Jésus-Christ fit poiir saint Pierre, puisque
cet Apôtre pouvait, selon Pelage, empêcher
de lui-même que sa foi ne s'éteignît ; et les
bénédictions par lesquelles les évêques de-
mandent à Dieu de faire croître leurs peu-
ples de plus en plus dans la charité qu'ils
doivent avoir les uns pour les autres et- en-
vers tous, de les combler de joie dans la foi,
d'augmenter leur espérance, et de les ani-
mer de plus en plus par la vertu de son es-
prit. Il avertit Jean de l'abus que Pelage
fait du nom de grâce, sous lequel il n'entend
autre chose que la faculté naturelledu libre
arbitre, et le prie de travailler à luifaire con-
fesser clairement et sincèrement la nécessité
de la grâce du Sauveur, qui opère la déli-
vrance et le salut de tous ceux qui sont sau-
vés et délivrés , comme aussi à confesser le
péché originel; le reste des erreurs qu'on lui
objectait, se pouvant plus aisément tolérer
jusqu'à ce qu'il s'en corrigeât. H. le prie en-
core de lui envoyer, à lui et aux autres évê-
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
151
ques d'Afrique, les véritables Actes du synode
de Diospolis dont ils n'avaient qu'une con-
naissance fort confuse, parce que Pelage, au
lieu de leur envoyer ces Actes, comme il au-
rait dû faire , ne leur avait communiqué
qu'un écrit où il répondait à quelques objec-
tions qui lui avaient été faites par des évê-
ques des Gaules. C'étaient Héros et Lazare ,
le premier évêque d'Arles, le second d'Aix.
Saint Augustin fait voir que Pelage , en
avouant dans cet écrit que les premiers
temps de la A'ie de l'homme n'étant point
sans péché , ne s'accorde pas avec ce qu'il
avait dit dans le livre intitulé : Des Forces de
la nature; qu'il y a des hommes dont toute
la vie a été absolument exempte de péché,
comme Abel. Comme Pelage pouvait pren-
dre le parti de désavouer ce livre, ou de
soutenir que cet endroit n'y était pas, saint
Augustin dit qu'il sait de Timasius et de
Jacques qu'il en est l'auteur, et que le pas-
sage qu'il en vient de rapf>orter, s'y trou-
ve. Il écrivit cette lettre en latin, quoique
Jean de Jérusalem ne l'entendît pas, mais il
y avait en cette ville des personnes qui l'en-
tendaient. On croit qu'il n'en reçut point
de réponse non plus que d'une autre lettre
qu'il lui avait écrite précédemment, cet évê-
c[ue étant mort apparemment avant qu'elles
lui eussent été rendues.
36. On voit par la lettre à Océanus, l'un
des plus intimes amis de saint Jérôme, que
ce Père s'était enfin rendu au sentiment de
saint Augustin touchant le sens que l'on
doit donner à l'endroit de l'Épître aux Ga-
lates, où il est dit que saint Paul résista en
face à saint Pierre. Mais comme Océanus
tenait encore pour le mensonge ofBcieux,
comme il paraissait par ses lettres , saint
Augustin répond aux raisons sur lesquelles
il prétendait s'appuyer. « .Vous croyez, lui
dit-il, pouvoir autoriser votre sentiment par
l'exemple de Jésus-Christ même, à cause
qu'il a dit dans l'Évangile, que le temps du
jour du jugement n'était connu ni des an-
ges, ni du Fils même, mais du Père seul. 11
ne me paraît pas qu'une façon de parler
figurée se puisse appeller un mensonge : et
saint Hilaire a fait voir que ce que Jésus-
Christ appelle à son égard ne savoir pas, c'é-
tait vouloir cacher les choses, et faire qu'on
ne les sut pas. C'est par-là que cet évêque,
bien loin . d'excuser le mensonge que d'au-
tres pourraient trouver dans cette façon de
parler, montre au contraire, qu'il n'y en a
Lellrc 180
à OccaDus, en
U6, I>af. 633.
1S2
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
point, non-seulement dans ces figures moins
usitées, mais même dans celle qu'on ap-
pelle métaphore, et qui est si commune dans
le langage ordinaire, que tout le monde la
connaît. Quand nous disons qu'au prin-
temps la yigne commence à se couvrir de
perles, dira-t-on que ce soit mentir, sous
prétexte qu'on ne voit point de véritables
perles sur la vigne ? » Il fait voir à Océanus,
que ces paroles de l'Épître aux Galates :
Comme je vis qu'il ne marchait pas droit selon
la vérité de l'Evangile, je dis à Pierre devant
tout le monde : Si tout Juif que vous êtes, vous
vivez à la manière des gentils et^ non pas à
celle des Juifs , pourquoi forcez-vous les gentils
de judaïser ? ne contiennent point de figure
qui fasse aucune obscurité ; qu'elles doivent
se prendre dans leur signification natui'elle ;
qu'on n'y trouve rien qui puisse choquer,
ni dans le courage vraiment apostolique,
avec lequel saint Paul redressa son collè-
gue, ni dans le gi'and exemple d'humilité
que donna saint Pierre, par la manière ad-
mirable dont il reçut la correction. Il prie
Océanus de lui faire part de ce qu'il pouvait
avoir appris de saint Jérôme, touchant l'ori-
gine de l'âme, et de lui envoyer un livre de
ce père, oîi il traitait de la résurrection de
la chair.
Lcitre !8o 37. Dans le temps qu'il écrivait son hvre
417, pag. m. des Actes de Pelage, c'est-à-dire, en 417, le
comte Boniface , importuné souvent par les
Lit. II donatistes , le pria de lui mander ce qu'ils
Relr. cup. . 11 TfY>/ «1 -1
sLviii. étaient, et quelle diilerence il y avait entre
eux et les ariens. Voici la réponse de saint
Augustin : (( Ceux-ci disent que le Père, le
Fils et le Saint-Esprit sont de différente subs-
tance : les donatistes, au contraire, recon-
naissent la substance du Père, du Fils et du
Saint-Esprit comme étant la même ; et si
quelques-uns d'eux ont dit que le Fils était
moins que le Père, ils n'ont pas nié pour
cela que le Père et le Fils fussent de mê-
me substance ; la plupart protestent qu'ils
croient sur le Père, le Fils et le Saint-Es-
prit, tout ce que croit l'Église cathohque. Ce
n'est qu'au sujet de l'unité de communion,
qu'il s'éloignent de cette Église ; ils n'en
veulent qu'à l'unité de Jésus-Christ, et leur
erreur ne consiste que dans l'éloignement
qu'ils ont pour eUe.» Il dit à Boniface : «Leur
aveuglement est tel , qu'en même temps
qu'ils reçoivent les témoignages de l'Écri-
ture touchant Jésus-Christ , ils ne veulent
point la l'ecevoir dans ce qu'elle dit de son
Église ; au lieu de reconnaître cette Église
aux marques par lesquelles elle est désignée
dans les Livres saints, ils s'en font une fausse
idée qui n'a pour fondement que le men-
songe et la calomnie ; ils reconnaissent Jé-
sus-Clu"ist dans ces paroles du psaume xxi.
Ils ont compté tous mes os, et ils ne veu-
lent point reconnaître l'Église dans celles
qui suivent : Toutes les parties de la lettre se
souviendront du Seigneur et se convertiront à
lui, et toutes les nations du monde lui r'endront
leurs hommages. Ces paroles, continue-t-il,
en môme temps qu'elles montrent que Jé-
sus-Christ est mort pour nous , font voir que
son Église n'est pas resserrée dans l'Afri-
que, comme ils le prétendent, mais qu'elle
est répandue par toute la terre. » Saint Au-
gustin le prouve par beaucoup d'autres pas-
sages tant de l'Ancien que du Nouveau Tes-
tament. Il remonte à l'origine de leur schis-
me, et prouve par les actes de la conférence
de Cartilage, que les donatistes avaient été
confondus sur tous les chefs dont ils s'auto-
risaient. Il s'étend sur la justice, l'utilité et
la nécessité des lois que l'empereur Hono-
rius avait faites contre eux, faisant voir par
divers exemples de l'Écriture, que comme
les lois que les princes font pour le men-
songe contre la vérité, servent à éprouver
les gens de bien et à leur mériter des cou-
ronnes quand ils soutiennent la bonne
cause jusqu'au bout : de même celles que
les princes font pour la vérité contre le men-
songe, servent à réprimer les entreprises de
ceux [qui sont dans l'erreur, et à ramener
ceux d'entre eux qui ont encore quelque
reste de sens et de droiture. C'est ce qu'il
justifie par un grand nombre de donatistes
que la tei-reur des lois avait fait réunir à
l'Église catholique, et qui en témoignaient
hautement leur joie. Quant à ce que disaient
ceux qui demeuraient obstinés dans le schis-
me : Que l'ICglise ne persécute personne ,
saint Augustin répond : « Comme il y a une
persécution injuste, qui est celle que les mé-
chants font à l'Église de Jésus-Christ, il y a
une persécution juste, qui est celle que l'É-
glise de Jésus-Clu'ist fait aux méchants. L'É-
glise ne persécute que par amour et pom*
faire du bien; les impies, au contraire, per-
sécutent par haine et pour faire du mal ;
celle-ci pour corriger, ceux-là pour perver-
tir ; celle-ci pour retirer de l'erreur, ceux-là
pom- y jeter. » Il décrit les excès de cruau-
té , que les donatistes commettaient contre
[IY« ET v= SiÈCtES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HtPPONE.
133
les catliolicpies , et contre eux-mêmes , et
il en infère cpie c'est donc leur faire une
grande cliarité, que d'employer l'autorité
même des empereurs pour les retirer d'une
secte, où ils ont appris i'i exercer de sembla-
bles violences. «En vain nous objectent-ils,
dit ce Père, que les apôtres n'ont jamais eu
recours aux rois de la terre ; ils ne prennent
pas garde que dans ces premiers temps , il
n'y avait point de princes qui fussent en
état de faire des lois pour le service de Dieu
et en faveur de la piété contre l'impiété.
Cela n'est arrivé que quand les rois de la
Psaim. Il, terre se sont assujetis au Seigneur avec
crainte, suivant l'expression du Prophète,
c'est-à-dire, lorsqu'ils ont embrassé la reli-
gion chrétienne. Or, comment est-ce que les
rois servent le Seigneur avec crainte, sinon
en défendant et en punissant avec une sainte
sévérité, ce qui se fait contre ses ordres ?
Car autre est le service qu'ils rendent à Dieu
comme hommes , et autre celui qu'ils lui
rendent cemme rois : en tant qu'hommes, ils
le servent en vivant en vrais fidèles; mais
en tant que rois, ils ne le servent qu'en éta-
blissant et en faisant obsei'ver avec fermeté
des lois justes qui vont à faire faire le bien,
et à empêcher le mal. »
Saint Augustin rapporte les lois qu'Ézé-
cliias, Josias et divers autres princes ont
faites pour détruire l'impiété et établir le
culte du vrai Dieu , et il ajoute : <( Quoi ! les
princes auront soin de faire vivre les hom-
mes selon les lois de l'honnêteté et de la
pudeur , sans que personne leur ose dire
que cela ne les regarde pas , et on osera
leur dire que ce n'est pas à eux de prendre
connaissance si dans leurs étafs on suit les
lois de la véritable religion, ou si l'on s'a-
bandonne à l'impiété et au sacrilège ! Si dès
là que Dieu a donné à l'homme le libre ar-
bitre, le sacrilège lui doit être permis, pour-
quoi punira-t-on l'adultère ? L'âme qui viole
la fîdéhté qu'elle doit à son Dieu est-elle
donc moins criminelle que la femme qui
viole celle qu'elle doit à son mari? » Les
donatistes objectaient cette maxime de Té-
rence : Il vaut beaucoup mieux tenir ses en-
fants dans le devoir, en leur inspirant des
sentiments honnêtes, que de les mener par
la crainte. « Nous en convenons, dit saint
Augustin ; mais quoique ceux qui se con-
duisent par douceur et par amour valent
beaucoup mieux que les autres, ils ne font
pas le plus grand nombre, et il y en a sans
comparaison davantage dont il n'y a que la
crainte qui puisse en venir à bout. C'est
pourquoi chez le même Térence, un de ses ^ ,:^,,''^''7,"i''f
interlocuteurs, dit à l'autre : «Vous ne fe- s'^'o-i-
riez jamais rien de bien si l'on ne vous y
forçait. »
Ce Père rapporte plusieurs passages de
l'Ecriture, qui nous aprennent que les mé-
chants ne se corrigent que par la crainte
et par les verges. Les donatistes avaient
eux-mêmes employé la force pour faire en-
trer dans leur parti plusieurs catholiques :
pourquoi l'Eglise ne pourrait-elle pas em-
ployer la terreur salutaire des lois pour les
en retirer? «Il est vrai, dit saint Augustin,
qu'avant que ces lois eussent été publiées
en Afrique, je croyais qu'il n'en fallait pas
demander de précises contre cette hérésie,
et qui allassent à l'abolir, en ordonnant des
peines contre ses sectatem-s, et que l'on de-
vait se contenter d'en obtenir qui missent à
couvert de la fureur des donatistes, ceux qui
prêcheraient la vérité catholique ; c'était aus-
si le sentiment de beaucoup d'autres de nos
fi'ères, et il fut arrêté dans un concile de
Carthage , qu'on ne demanderait rien autre
chose aux empereurs, à qui l'on envoya des
députés à cet effet. Mais Dieu ne permit pas
qu'ils réussissent : car l'Emperem', sur de
grandes plaintes qu'il avait reçues contre les
donatistes, avait déjà publié une loi qui or-
donnait contre eux le supplice de mort. Dès
qu'elle fut publiée en Afrique, ceux qui ne
cherchaient que l'occasion de se convertir,
et qui n'étaient retenus que par la crainte
de s'attirer ces furieux, ou d'encourir l'indi-
gnation de leurs proches, rentrèrent dans la
communion de l'Eglise. Plusieurs autres qui
ne demeuraient dans le schisme, que parce
qu'ils y étaient nés, sans avoir cherché le
sujet de cette séparation, commencèrent à
s'en informer; et la trouvant mal fondée, se
firent catholiques. L'exemple et les persua-
sions de ceux-ci, en gagnèrent d'autres
moins capables d'examiner les choses par
eux-mêmes, et de comprendre en quoi con-
sistait le diflférence de l'erreur des donatis-
tes et de la vérité catholique ; mais d'autres
plus endurcis, s'obstinèrent davantage dans
l'erreur, et continuèrent à faire souffrir aux
catholiques , surtout aux clercs et aux évê-
ques, des maux horribles, crevant les yeux
aux uns, massacrant les autres, coupant les
mains et la langue à quelques-uns, pillant
et brûlant les maisons et les églises. Ils se
lo4
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
plaignaient que par ces lois, les catlioliques
n'en voulaient qu'à leurs biens. « Si cela
était, leur répond saint Augustin , emploie-
rions-nous l'autorité de ces lois pour les faire
rentrer dans notre communion? Qu'ils voient
si ceu.K de leur parti, qui sont présentemenl
parmi nous, ne sont pas en possession, non-
seulement de leurs propres biens, mais en-
core de ce qu'ils n'avaient pas et qui pour-
rait nous appartenir, ou aux pauvres. Car
si nous avons de notre chef de quoi nous en-
tretenir, ces biens-là ne sont point à nous ;
ils sont aux pauvres, nous n*en sommes que
les administratem-s , et nous nous gardons
bien de nous les approprier, parce que
nous ne saurions le faire sans une usurpa-
lion condamnable. 11 est vrai que les lois
des empereurs ont réuni à l'Église catholi-
que celles du parti de Donat, avec tout ce
qu'elles avaient de bien; mais les pauvres
de ces mêmes Églises à qui l'on faisait part
de ses biens, sont rentrés parmi nous. »
Saint Augustin réfute l'opinion des donatis-
tes, qui faisaient dépendre l'efi'et du bap-
tême de la sainteté du ministre, montrant
qu'il n'y a que Dieu qui soit tout à la fois et
juste et principe de justice. Il les réfute
aussi dans ce qu'ils disaient que leur Égiise
était sans ride et sans tache, ce qui ne pou-
vait s'accorder avec l'Oraison dominicale,
Maitb. VI, O'ii nous disons à Dieu : Pardonnez -nous nos
' '■ offenses; ni avec ses paroles de saint Jean :
ijnaii.1,8. Si nous disons que nous sommes sans péché , la
vérité n'est point en nous. «Cependant, ajoute
saint Augustin, il est vrai de dire que Jésus-
Ei.hos, V, Christ purifie son Église par la parole de vie
"' daiis le baptême de l'eau; premièrement parce
que le baptême efface toutes les taches de
nos péchés passés, pourvu que ce soit dans
l'unité que l'on en porte le caractère, et
qu'on l'ait reçu dans l'Éghse même ; ou que
si on l'a reçu dehors, on y rentre; et en se-
cond lieu, parce que les péchés mêmes que
l'infirmité humaine nous fait contracter de-
puis le baptême, nous sont remis en consi-
dération de ce même |baptême. Car il ne
sert de rien à ceux qui ne sont point bapti-
sés de dire : Remettez-nous nos dettes. » Les
donatistes disaient encore : «Pourquoi vou-
lez-vous nous avoir, si nons sommes des
méchants? C'est, lem* réplique saint Augus-
tin, afin que vous ne le soyez plus. » Il leur
fait voir ensuite que si l'Église en les rece-
vant, leur consen'ait la dignité de la clérica-
tiu-e, et même de l'épiscopat, l'intérêt de la
paix et de l'unité lui faisait relâcher en cela
quelque chose de la sévérité de sa disci-
pline, qui exclut de la cléiicature, tous ceux
qui auraient besoin, comme les donatistes,
d'expier leui-s crimes par la pénitence ;
qu'elle en a agi de même dans certaines
rencontres où il s'agissait de tirer des peu-
ples entiers de la mort, c'est-à-dire du
schisme et de l'hérésie. Il cite pom- exem-
ple l'indulgence que l'Église accorda à ceux
qui s'étaient laissés infecter du venin de
l'hérésie arienne. Lucifer ne le trouva pas
bon, mais il perdit, bientôt après, la lumière
de la chai-ité, et tomba dans les ténèbres du
schisme. Enfin il fait voir qne le péché con-
tre le Saint-Esprit n'est ni l'erreur, ni le
blasphème, puisqu'il s'en suivrait de là que,
pas un hérétique n'en pourrait obtenir la
rémission; mais qu'il faut entendre par-là
une dureté de cœur, qui subsiste jusqu'à la
fin de la vie, et qui fait qu'on s'obstine à
ne vouloir pas chercher la rémission des
péchés dans l'unité du corps de Jésus-
Christ; et qu'ainsi les donatistes, n'ayant
point péché contre le Saint-Espi'it en rebap-
tisant les catholiques , ni ne devaient croire
leur faute irrémissible, ni en prendre pré-
texte de ne pas se réunir à l'Église catholi-
que. Saint Augustin les recommande à Bo-
niface au nom de l'Église , le priant de tra-
vailler à les corriger et à les guérir , soit en
les instruisant lui-même , soit en les adi'es-
sant aux évêques et aux docteurs catholi-
ques. 11 le prie aussi de lire l'abrégé qu'il
avait fait des actes de la conférence de Car-
thage, qu'Optât devait avoir, ou qu'il pou-
vait aisément faire venir de l'Éghse de
Stefie.
38. L'hérésie des pélagiens ne lui tenait
pas moins au cœur que le schisme des dona-
tistes. Ayant donc appi-is que saint Paulin
avait eu de l'amitié pour Pelage, et que dans
son clergé ou du moins dans la Aille de Noie,
il y avait des personnes qui combattaient la
doctrine du péché originel, il lui écrivit tant
en son nom qu'au nom de saint Alypius,
pour qui il savait que saint Paulin avait beau-
coup de considération. Son but, dans cette
leltre, est de réfuter les pélagiens, et d'éta-
blir la doctrine de la grâce et de la prédes-
tination. Pelage, soit dans son livre sur
les Forces de la nature, soit dans ses lettres,
enseignait , à la vciité , que nous tenons
du Créatem- la possibilité de A'ouloir et d'a-
gir, sans laquelle nous ne saurions faire ni
Lrll
S Paulin,
117, pag, -
[IV° ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
153
désirer le bien; mais il réduisait cette grâce
du Créateur au seul libre arbitre , en sorte
que, selon lui, il n'y avait point d'autre
grâce cpie celle qui est commune aux païens
et aux chrétiens, aux saints et aux impies, aux
fidèles et aux infidèles. D'où il suivait que
la justice pouvant s'acquérir par les seules
forces de la nature, c'était en vain que Jé-
sus-Christ avait souffert la mort. Cette doc-
trine pei'nicieuse fut combattue dès sa nais-
sance par les conciles, par les papes et par
les évèques, qui déclarèrent que c'est la
grâce de Dieu par Jésus-Christ notre Sei-
gneur, qui fait passer les enfants nouvelle-
ment nés, aussi bien que les adultes, de la
mort que nous avons encourue par le pre-
mier Adam, à la vie que le second Adam
communique ; et que cela ne se fait pas
seulement par la rémission des péchés, mais
par un secours qui fait éviter le mal et faire
le bien à ceux qui sont en âge d'user de leur
libre arbitre; en sorte que, sans ce secours,
nous ne saurions ni accomplir ni vouloir
aucune action de piété et de justice, puis-
que, comme le dit saint Paul, c'est Dieu qui
opère en nous le vouloir et le faire selon ce
qu'il lui plait.
Saint Augustin marque à saint Paulin,
qu'il lui envoie des copies de tous les écrits
où cette doctrine se trouvait établie. Il l'é-
tablit lui-même dans ectte lettre, mon-
cor. 1,1, trant par l'autorité de l'Écriture, que nous ne
sommes pas capables de fonner de nous-mêmes
aucune bonne pensée, comme de nous-mêmes;
mais que c'est Dieu qui nous en rend capables;
que ce n'est qu'en reconnaissant que notre
Psaiiii. force vient de Dieu, que nous la conservons ;
tvin, 10. ' ^ '
que c'est Dieu qui est notre protecteur et
Psaim. notre soutien , puisqu'il est écrit : Si le Sei-
gneur ne garde lui-même une ville, c'est en vain
que veillent ceux qui la gardent ; que c'est
par la grâce que l'homme est justifié, et non
en considération de ses œuvres, puisque
autrement la grâce ne serait plus grâce.
Rora.^in, « Assurément, dit saint Augustin, les bon-
nes œuvres ne demeurent pas sans récom-
lora. II, c. pense , puisqu'il est écrit que Dieu rendra à
chacun selon ses œuvres, mais les œuvres vien-
nent de la grâce et non pas la grâce des
œuvres. Si, on dit que nous méritons par la
foi la grâce de faire le bien, c'est une vérité
que nous confessons volontiers ; mais comme
"• ■'"'• c'est Dieu qui distribue à chacun la mesure
de la foi comme tout le reste, il n'y a aucun
mérite de la part de l'homme, qui précède
Psalm.
I.viil, 10.
la grâce, lorsqu'il obtient la justification par
la foi ; mais c'est la grâce même qui mérite
que Dieu la fasse croiti'e, afin qu'étant ac-
crue, elle mérite qu'il la porte à sa perfec-
tion; la volonté en étant la compagne et non
pas le guide, et ne faisant que la suivre, au
lieu de la prévenir. D'où vient que David ne
se contente pas de dire : Ce sera en reconnais-
sant que toute ma force vient de vous . ô mon
Dieu, que je la conserverai ; » mais il reconnaît
encore , qu'avant la grâce il n'y avait rien
de bon en lui qui la pût mériter; Mon Dieu, ibn.ters.ii
s'écrie-t-il, votre miséricorde me préviendra ;
c'est-à-dire quelque haut que je remonte
pour chercher des mérites antécédents, je
me trouverai prévenu par votre miséricorde.
Mais où la grâce paraît le plus visiblement
gratuite , c'est dans les enfants que Dieu
prévient tellement de ses miséricordes, que
s'ils viennent à mourir après avoir reçu le
baptême, ils commencent dès-lors à jouir du
royaume des cieux en vertu d'une grâce
qu'ils ont reçue sans la connaître.
Saint Augustin nous assm-e, que telle est
la doctrine qu'il a reçue des anciens, et qu'il
est si peu possible qu'il y ait rien dans les
enfants, qui précède les dons de Dieu, que
la grâce par laquelle Dieu les leur commu-
nique, agit même sans que leur volonté
l'accompagne ni la suive , bien loin de la
prévenir. Au contraire, ils résistent en quel-
que sorte au bien qu'on leur procure, et se
défendent ; ce qui les rendrait coupables de
sacrilège, si leur volonté était en état de les
faii'e agir. Il fait voir, par ces paroles de l'A-
pôtre. Tous sont tombés par un seul dans la Rom. v, ic
condamnation, que les enfants naissent sujets
à la punition, et que c'est un effet de la mi-
séricorde de Dieu, et non pas de leurs mé-
rites, quand ils renaissent en Jésus-Christ
par la grâce. Car autrement la grâce n'est
plus grâce, si ce n'est point un don et mie
opération gratuite de Dieu en nous, et si
elle n'est que la récompense des mérites
humains. Les pélagiens prétendaient que les
enfants usaient de leur libre arbitre dans le
sein de leur mère. « Voilà, disaient-ils, Esaû
et Jacob qui luttent dans le ventre de leur
mère, et lorsqu'ils en sortent, l'un est sup-
planté par l'autre, et le dernier vient au
monde tenant le pied de son frère avec la
main comme étant encore aux prises. Com-
ment donc peut-on dire que des enfants qui
sont capables de faire de telles choses n'ont
point encore l'usage de leur libre arbitre,
156
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
pour se porter au bien ou au mal, et pour
mériter ainsi par avance, la récompense ou
le châtiment qu'ils ont reçu? » Saint Augus-
tin leur répond : « Le libre arbitre n'a eu au-
cune part aux mouvements extraordinaires
de ces deux enfants qui semblaient se com-
battre l'un l'autre ; ce qui arriva alors n'é-
tait qu'une figure de l'avenir ; et l'Apôtre,
au lieu de croire que le premier né des deux
avait été assujetti en considération des œu-
vres de l'un ou de l'autre, s'est au contraire
servi de l'exemple de ces deux jumeaux,
pom- faire voir que la grâce est toute gra-
^^r.om. 11,11 tuite, nous déclarant qu.' avant qu'ils fussent
nés, et qu'ils eussent encore fait ni bien ni mal,
il fut dit, afin que le décret de Dieu demeurât
ferme, selon son élection éternelle, non à cause
de leurs œuvres, mais à cause du choix et de la
vocation de Dieu, que le premier né serait assu-
jetti à celui qui naîtrait le dernier. Par où il
est visible que l'élection, dont parle l'Apô-
tre, n'est pas une élection fondée sur les mé-
rites de la volonté , ni sur les qualités de la
nature, puisque ces deux jumeaux étaient
tous deux également dignes de la mort et
de la damnation ; mais une élection de grâ-
ce, qui ne trouve pas les hommes dignes
d'être choisis, mais qui les en rend dignes.
« Comment, disaient ces hérétiques, se peut-
il faire qu'il n'y ait point d'injustice en Dieu,
si c'est par un effet de sa bienveillance,
qu'entre des hommes qu'aucun mérite ne
distingue les uns des autres, il choisit les
uns plutôt que les autres? L'Apôtre s'est lui-
même proposé cette objection, répond saint
Augustin ; et pour y réponcbe, il n'a pas dit
que Dieu fonde ses jugements sur les œu-
vres ou sur les mérites qui se tiouvent dans
les enfants, quoiqu'ils soient encore dans le •
sein de leiu's mères, mais il se contente de
Rom. IX. dire : Dieu a dit à Mo'ise, jefei^ai miséricorde
xlx'ni, lo? ' à qui il me plaira de faire miséricorde, et j'au-
rai pitié de qui il me plaira d'avoir pitié, vou-
lant nous apprendre par-là que, d'être retire
de cette masse d'Adam, qui ne mérite que
la mort, c'est im bienfait de la miséricorde
de Dieu, et non pas un effet des mérites des
hommes ; qu'ainsi il n'y a point d'injustice
en Dieii, puisqu'il n'y en a aucune, ni à exi-
ger, ni à remettre ce qui est justement dû. »
Le même Apôtre a prévenu une autre objec-
tion des pélagiens contre l'élection gratuite,
rum. .xi, en disant: 0 homme, qui êtes-vous pour con-
tester avec Dieu ? Un vase d'argile peut-il dire
à celui qui l'a fait, pourquoi m'avez-vous fait
ainsi ? N'est-il pas libre au potier de faire de la
même masse, un vase destiné à des usages hono-
rables, et un vase destiné à des usages vils et
honteux? Si cette masse était comme dans
un certain milieu entre le bien et le mal, en
sorte qu'elle ne méritât ni récompense ni
châtiment, il pourrait sembler injuste qu'on
en formât des vases d'ignominie ; mais comme
elle est tombée toute entière dans la con-
damnation, par le libre arbitre du premier
homme , quand Dieu en forme des vases nom.
d'honneur, c'est sans doute par un pur effet
de sa miséricorde, et non pas de la justice
de l'homme ; puisqu'avant la grâce, il n'y a
aucune justice dans l'homme ; et quand il
en forme des vases d'ignominie, c'est un effet
de ses justes jugements, et non d'aucune in-
justice qui soit en lui ; car comment y aurait-
il en Dieu de l'injustice?
Mais, ajoutaient les pélagiens, Esaû n'a-t-
il pas été condamné sans l'avoir mérité,
comme il n'y a eu de la part de Jacob au-
cunes bonnes œuvres qui aient précédé son
élection? « Non, répond saint Augustin, il
n'y a eu de la part de l'un ni de l'autre, ni
bonnes œuvres ni mauvaises, c'est-à-dire qui
fussent proprement et personnellement les
leurs ; mais l'un et l'autre étaient coupables
en celui par qui tous sont devenus dignes
de mort, parce que tous ont péché en lui :
Car tous les hommes qui devaient sortir de
celui-là étaient alors tous réunis en lui. Son
péché n'eût été que pour lui seul, s'il n'eût
point eu de descendants ; mais comme il n'y
a personne qui ne tire de lui la nature qui
nous est commune, il n'y a personne aussi
qui soit exempt de la corruption dont elle
a été infectée. Voilà de quelle manière ces
deux jumeaux, qui n'étaient encore capa-
bles de faire aii bien ni mal, n'ont pas laissé
de naîti-e coupables par la tache de leur ori-
gine. Que celui qui est délivré bénisse donc
la miséricorde de celui qui le sauve, mais
que celui qui est condamné n'accuse pas le
jugement qui le punit. » Saint Augustin veut
qu'on réponde à ceux qui dix-aient: N'am'ait-
il pas été mieux que l'un et l'autre eussent
été délivrés ? 0 homme, qui êtes-vous poiir Rom.
contester avec Dieu? Dieu sait très-bien ce
qu'il fait; il sait quel doit être en premier
lieu le nombre des liommes , et puis quel
doit être celui des saints aussi bien que des
anges, des astres et des autres crcatiu'cs.
Or comme tout ce qu'il a fait est bon, ne
pourrions-nous pas dire ou penser qu'il eût
[IV" ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
1S7
été mieux que Dieu eût doublé et même
multiplié encore au-delà le nombre de tou-
tes choses? De même, soit que la justifica-
tion de l'impie soit un pur effet de la grâ-
ce, soit qu'il y ait quelque chose qui pro-
cède du libre arbitre , ne pourrait-on pas
toujours dire : Pourquoi Dieu a-t-il créé
ceux dont il a prévu très-certainement que
les péchés l'obligeraient de les condamner
au feu éternel ? Mais qui sommes-nous pour
coiitester avec Dieu ? »
Saint Augustin presse encore les péla-
giens par les paroles suivantes : Qui peut se
plaindre de Dieu, si voulant montrer sa juste
colère, et faire éclater sa puissance, il souffre
avec une patience extrême, les vases de colère pré-
parés pour la perdition , afin de faire d'autant
mieux éclater les richesses de sa gloire sur les va-
ses de miséricorde. « Il voit, dit ce Père , dans
sa prescience, le nombre certain et déter-
miné de ses saints, au bien desquels tout
contribue , parce qu'ils aiment Dieu ; les
ayant appelés selon son décret, après les
avoir connus et prédestinés. Ce sont ceux-là
qui sont les enfants de la promesse et les
vases de miséricorde. Pour tous les autres
qui n'appartiennent point à cette société
bienheureuse. Dieu qui a vu dans sa pres-
cience ce qui en devait arriver, les a créés
pour faire voir en eux de quoi était capable
sans sa grâce, le libre arbitre de ceux qui
l'abandonnent, et afin que le supplice dont
ils seront punis , et qui leur est si justement
dû, servît à faire voir aux vases de miséri-
corde, quelle est la grandeur du bienfait
qu'ils ont reçu. » Selon saint Augustin, tous
ceux qui enseignent une autre doctrine tou-
chant la prédestination, sont confondus par
ce qui se passe à l'égard des enfants, dont
les ims sont choisis de Dieu, et les autres
rejetés même avant leur naissance et avant
qu'ils aient fait ni bien ni mal. Pelage, après
avoir anathématisé devant les évoques de la
Palestine , cette proposition : Le péché d'A-
dam n'a fait tort qu'à lui-même, n'avait pas
laissé de la soutenir dans ses derniers ou-
vi-ages. On disait qu'il y avait encore des
gens si opiniâtres à la soutenir, que plutôt
que d'y renoncer, ils étaient prêts d'aban-
donner Pelage même qu'ils avaient su l'a-
Toir anathématisée. Saint Augustin rapporte
douze articles que les mêmes évêques de
Palestine objectèrent à Pelage, et qu'il fut
obligé d'anathématiser, et en propose douze
autres cpxe « l'Église catholique , dit-il , a
toujours tenus, savoir : Adam ne fût point
mort, s'il n'eût point péché ; son péché lui
a fait tort et à tout le genre humain. Les en-
fants, quoique nouvellement nés, ne sont
point dans l'état où était Adam avant sa dé-
sobéissance ; ainsi, ce que l'Apôtre dit, que la
mort est venue par un homme , les regarde
aussi bien que les autres; c'est de là qu'il ar-
rive que les enfants morts sans baptême, non-
seulement ne sauraient posséder le royau-
me du ciel, mais qu'ils ne sauraient même
avoir la vie éternelle. Les riches ne sont
point exclus du royaume de Dieu, quoicju'ils
ne renoncent point à leurs richesses après
leur baptême, pourvu qu'ils soient tels que
l'Apôtre les décrit dans sa première Épître
àThimothée. La grâce est un secours donné
à chaque action; cette grâce ne nous est
point donnée en considération d'aucun mé-
rite et que c'est là ce qui fait qu'elle est
vraiment grâce, c'est-à-dire donnée gratui-*
tement. L'on peut appeler enfants de Dieu
ceux mêmes qui lui disent tous les jours :
Pardonnez-nous nos offenses, ce, qu'ils ne pon-
raient dire sincèrement, s'ils étaient absolu-
ment sans péché. Le Hbre 'arbitre ne laisse
pas d'être véritablement libre, quoiqu'il ait
besoin du secours de Dieu. Dans les com-
bats que nous soutenons contre les tenta-
tions et les mauvais désirs, quoique notre
volonté agisse , ce n'est pourtant pas par
elle , mais par le secours de Dieu (jue nous
demeurons victorieux ; autrement l'Apôtre
n'aurait pas dit vrai, quand il a dit que cela
ne vient ni de celui qui veut , ni de celui qui
court, mais de \Dieu qui fait miséricorde.] En
fm, c'est par grâce et par miséricorde que
Dieu accorde le pardon aux pénitents , et
non pas en considération de leurs mérites,
puisque l'Apôtre en disant de quelques-uns,
que peut-être Dieu leur donnera un jour l'es-
ptrit de pénitence, nous apprend que la péni-
tence même est un don de Dieu. »
Saint Augustin remarque que Pelage, qui
semblait avoir rétracté ses erreurs dans le
concile de Diospolis, n'avait pas été cons-
tant dans sa rétractation , puisque dans les
écrits publiés depuis, il balance tantôt avec
une telle égalité le pouvoir de la volonté,
qu'il assure qu'elle a autant de pouvoir pour
pécher que pour ne pas pécher; par où il
exclut entièrement le secours de la grâce,
sans laquelle nous disons que le libre ar-
bitre n'a aucune force pour ne point pé-
cher. Tantôt il convient qu'il faut que nous
1S8
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
soyons sans cesse assistés du secours de la
grâce de Dieu, mais en soutenant toujours
que notre libre arbitre a toute la force né-
cessaire pour éviter le péché ; en sorte que
le secours de Dieu, selon lui, ne nous serait
donné que par surabondance, pour faire le
bien avec une plus grande facilité. 11 rap-
porte un assez long témoignage d'une lettre
de saint Paulin , pour le convaincre par lui-
même qu'il doit rejeter et condamner Pe-
lage. Il ajoute que Janvier, porteur de sa let-
tre, lui expliquera plus au long ce qu'il avait
appris de ceux qui combattaient à Noie la
doctrine du péché originel, et qui étaient
des personnes d'un esprit subtil et émi-
nent.
Leiire 187 39. Qq fyt aorès la tenue du concile de
û Darctanus, ^
6°8.*"' ''°^' Diospolis, et pendant l'été de l'an 417, que
saint Augustin répondit aux questions de
Dardanus, le même, comme l'on croit, à qui
•saint Jérôme écrivit, et qui était préfet des
Gaules et patrice. La première était de sa-
voir comment on doit entendre cette parole
^L..c.Mxiii, de Jésus-Christ au bon larron : Vous serez
aujourd'hui avec moi en paradis. La seconde,
si les enfants n'ont point quelque notion de
Dieu dès le ventre de leurs mères, comme
il semble qu'on le peut inférer de ce que
saint Jean tressaillit dans le sein de sainte
Elisabeth, à la présence de Jésus-Christ.
Dardanus souhaitait encore de savoir si le
baptême donné aux femmes enceintes n'o-
Lib. II père point aussi sur leurs enfants. Saint Au-
Retracl. cap. , i . i n < • ^
iLi.v. gustm parlant dans ses Rétractations de sa
réponse à ces questions , dit que son but
principal était d'y saper l'hérésie péla-
gienne, quoiqu'il ne l'y ait pas nommée.
Sur la première question, il croit qu'on peut
dire que, comme Dieu est partout, et que
Jésus-Christ homme est uni à Dieu , Jésus-
Christ homme est aussi partout, et que c'est
ainsi qu'il a pu être le jour même de sa
mort avec le bon larron dans le paradis. Il
croit aussi que l'endi'oit où Jésus-Christ
avait promis au bon larron qu'il serait ce
jour-là même avec lui, peut s'entendre du
lieu où étaient les âmes des justes, connu
sous le nom de sein d'Abraham, et où en
effet Jésus-Christ descendit, suivant l'Écri-
tui'e ; heu que l'on peut nommer le paradis,
qui, en général, signifie tous les lieux de re-
pos. Mais il est persuadé que le sens le plus
simple et le plus naturel des paroles de Jé-
sus-Christ au bon larron, c'est de ne les en-
tendre que de Jésus-Christ Dieu. Car au lieu
que Jésus-Christ homme devait être ce jour-
là dans le sépulcre qpiant à son corps , et
dans les enfers quant à son âme, Jésus-
Christ Dieu est toujours partout, puisqu'il
est cette lumière qui luit dans les ténèbres
mêmes, quoique les ténèbres ne l'aperçoi-
vent point. Ainsi, quelque part que soit le
paradis, les bienhem^eux n'y sauraient être
qu'avec celui qui est partout. Il prend de là
occasion de traiter de l'immensité de Dieu,
et de la manière dont il est partout et tout
entier partout. « Dieu, dit-il, est vraiment
partout, car, dans toute l'universalité des
choses, il n'y a rien où il ne soit présent, et il
est vraiment tout entier partout , car il n'est
pas présent à chaque chose par parties ; en
sorte qu'une partie plus ou moins grande de
l'être de Dieu réponde à chaque paiiie plus
ou moins grande de la chose; mais il est
présent tout entier, non - seulement à l'u-
nivers entier, mais à chaque partie de l'u-
nivers aussi bien qu'à toutes ensemble.
Cela n'empêche pas qu'on puisse dire que
Dieu n'habite pas également dans tous les
saints, et qu'il n'y ait des hommes qui sont
loin de Dieu, car les saints ne sont à l'égard
de Dieu que comme des vases, en qui il est
plus ou moins, selon leur plus ou moins
grande capacité. Quant à ceux qu'on dit être
loin de Dieu : cela ne s'entend que de l'ha-
bitude de pécher, par laquelle ils se sont
rendus dissemblables à lui ; comme l'on dit
au contraire, qu'ils s'en approchent, lorsque
par une sainte vie ils deviennent ses ima-
ges. » Le saint évêque dit à l'égard de Jé-
sus-Christ : « Comme on ne doit point douter
qu'en tant que Dieu il ne soit présent par-
tout, on ne doit point douter non plus que
son corps ne soit en quelque partie du ciel,
dans un espace proportionné à son éten-
due. »
Sur . la seconde question de Dardanus ,
saint Augustin répond (( Le mouvement
extraordinaire de saint Jean dans le sein de
sa mère, fut pi-oduit miraciileusement par
la toute-puissance de Dieu; mais il n'est pas
dit dans l'Évangile, que ce tressaillement se
fit par un mouvement de foi de la part de
cet enfant, ce qui supposerait de la connais-
sauce, mais seulement qu'il tressaillit de joie.
D'ailleurs ce qui est arrivé à saint Jean, ne
doit pas se prendre pour règle de ce qu'on
doit penser des autres enfants, et il est
hors de vraisemblance que les enfants aient
dans le sein de leurs mères quelque notion
[lV° ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
139
de Dieu, dans le temps qu'ils n'ont pas même
les connaissances qui sont les plus familiè-
res aux hommes.
Il dit sur la troisième question, que la sanc-
tification qui nous rend le temple de Dieu,
n'est que pour ceux qui ont 'été régénérés ;
que la régénération suppose la naissance. En
effet, nous ne disons pas qu'un enfant vient
de renaître quand il est sorti du ventre de sa
mère, comme s'il était déjà né, dès qu'il est
conçu, et que ce fut naître une seconde fois
que d'en sortir ; mais nous disons qu'il vient
de naître, ne comptant pas la conception
pour une naissance. Quand nous naissons ,
ce n'est donc que lorsque nos mères nous
mettent au monde ; c'est après être nés de
cette sorte que nous sommes en état d'être
régénérés par l'eau et le Saint-Esprit, et si
l'homme pouvait être régénéré par la grâce
du Saint-Esprit dès le ventre de sa mère, il
serait vrai de dire qu'il renaîtrait avant que
de naître , ce qai ne se peut dire.
Saint Augustin fait voir que la foi qui nous
sauve était la môme dans l'ancienne alliance
comme dans la nouvelle, et que la différence
qu'il y a entre les anciens patriarches et
nous, c'est qu'ils croyaient comme une chose
à venir le mystère de l'Incarnation, que nous
croyons comme une chose déjà accomplie.
La lettre à Dardanus est intitulée : De la pré-
sence de Dieu, parce que saint Augustin s'y
étend beaucoup à montrer comment la na-
ture divine est présente en toutes choses, et
Fuig.Episi, comment elle habite dans les saints. Elle
h! n R?- est citée par quelques anciens, qui l'appel-
Lvi'. ' lent Livre. Saint Augustin la qualifie ainsi
dans ses Rétractations.
Lettre 1S8 40. La lettre à Julienne est au nom de
n ou «8, saint Alypius et de saint Augustin. Ils lui en
avaient écrit une autre pom- l'avertir de ne
point prêter l'oreille à ceux qui corrom-
paient la foi par leurs discours , et par des
ouvrages pleins de venin. Julienne leur
avait témoigné dans sa réponse, qu'elle
n'avait aucun commerce avec ces gens-là;
qu'elle ne les laissait pas même approcher
de sa maison ; et que toute sa famille avait
toujours été si inviolablement attachée à la
foi catholique, que personnen'y était jamais
tombé dans aucune hérésie, non pas même
dans celles dont les erreurs paraissaient les
plus légères. Saint Alypius et saint Augus-
tin lui écrivirent la lettre dont nous parlons,
où après avoir dit que, comme ils avaient
l'un et l'autre contribué à la profession de
sa fille Démétriade, on ne pouvait trouver
mauvais qu'ils prissent la liberté de lui par-
ler de son salut, et de l'avertir de se tenir
sur ses gardes contre les ennemis de la
grâce; ils la priaient de leur mander ce
qu'elle savait d'un livre adressé à Démé-
triade, qui contenait des erreurs très-dan-
gereuses; de qui était ce livre; si elle l'a-
vait lu , et comment Démétriade l'avait
reçu. Ils lui font remarquer le danger qu'il
y avait de laisser entre les mains de Démé-
triade, un livre où l'auteur lui parlait ainsi :
a Vous avez en cela même un avantage qui
vous élève au-dessus des autres , ou plutôt
c'est pour cela même que vous méritez le
plus de leur être préférée. Car la noblesse et
les richesses que vous possédez, viennent plu-
tôt de vos ancêtres que de vous-même; mais
pour vos richesses spirituelles, elles n'ont pu
venir que de vous. C'est donc de celles-là
que vous méritez d'être louée ; c'est par là
qu'on vous doit mettre au-dessus des au-
tres; puisque ces sortes de biens sont en
vous et ne peuvent venir que de vous. » Ils
font sentir à Julienne tout le venin qui était
caché sous ces paroles, en lui faisant voir
que la continence virginale qui faisait la
sainteté de l'état de sa fille, était un don de
Dieu. Sur quoi ils allèguent l'autorité de Maiih. xn,
Jésus-Christ, de saint Paul et de saint Jac- "/<" "'''-X
ques. « Nous voulons bien, ajoutent-ils,
que Démétriade dise avec David : Ce que je P-=ain-. lv,
vous ai voué est en moi, et je le conserverai à
la louange de votre nom; mais comme cela
ne vient pas d'elle, quoiqu'il soit en elle,
qu'elle se souvienne de dire aussi : C'est Psaim.ixiï,
vous, Seigneur, qui par votre bon plaisir,
m'avez enrichie de ces dons, et c'est votre force
qui me les conserve. Car quoiqu'il soit vrai de
dire que ce bien-là vient aussi d'elle à rai-
son de son libre arbitre , sans quoi nous ne
faisons aucun bien, il n'est pas vrai qu'il ne
vienne que d'elle, puisque si la grâce de
Dieu ne vient au secours du libre arbitre , il
ne saurait même y avoir de bonne volonté
dans l'homme. C'est Dieu, dit l'Apôtre , ^wi Pwiip. ■■,
opère en nous le vouloir et le faire, selon son
bon plaisir, non en nous éclairant simple-
ment, pour nous faire connaître nos devoirs,
comme les pélagiens le prétendent, mais
en nous inspirant la charité, afin de nous
faire aimer le bien que nous avons appris. »
Us témoignent ensuite être pleinement per-
suadés , que Démétriade , nourrie comme
elle l'avait été, dans l'humilité chrétienne,
160
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
ne se sera pas laissée frapper des paroles de
cet auteur; et que, si elle les a lues, elle
n'aura pu le faire sans gémir, sans frapper
sa poitrine et même sans verser des larmes,
convaincue que c'est de Dieu qu'elle tient
tous les biens qui la rendent bonne, et que
c'est aussi de lui qu'elle espère tous ceux
qui la rendront encore meilleure. Ils con-
viennent qu'il y a dans ce livre quelques
endi'oits où l'auteur semble en quelque
façon reconnaître la grâce de Dieu. « Mais
si vous y regardez de près, disent-ils à Ju-
lienne , vous y trouverez tant d'ambiguité ,
que ce qu'on y dit se peut entendre ou des
facultés naturelles, ou des instructions,
ou de la rémission des péchés. » Car c'est
à cela que les pélagiens réduisent ce que
Dieu nous a donné de grâces et de se-
cours pour le bien. Comme ce livre était
écrit avec élégance , ce qui faisait que
beaucoup de personnes le lisaient , ces deux
saints évéques témoignent souhaiter que
l'auteur reconnaisse la grâce prêchée par
l'Apôtre, et qu'il déclare que chacun n'a
de foi qu'autant qu'il a plu à Dieu de lui en
départir. Mais ils n'y trouvaient rien qui
approchât de cette doctrine. L'auteur n'y
avait pas mis son nom, ni le nom de celle
à qui il l'adressait, ni celui de Juhenne,
quoiqu'il y déclarât qu'il l'avait écrit à la
Aur.iib.De prière de la mère d'une vierge. On sut certai-
uT^ài"",,; nement dans la suite que c'était Pelage. Il se
ai»i"b°'' '° découvrit lui-même en citant quelques en-
droits de ce livre pour montrer qu'il recon-
naissait sans ambiguïté la grâce de Jésus-
Chi'ist qu'on l'accusait de nier.
Loiire 189 41. La lettre au comte Boniface, est une
en 4i°8°' pagl instructlon sur la manière dont il devait se
conduire dans la profession des armes. Saint
Augustin lui recommande de s'avancer de
jom- en jour, à force de prières et de bonnes
œuvres, dans la pratique du double précepte
de l'amour de Dieu et du prochain, parce
que la foi opère par la charité; c'est par
elle que tous les saints ont été agréables à
Dieu, et que les martyrs ont répandu leur
sang. 11 ne croit pas qu'il soit impossible de
plaire à Dieu dans la profession des armes,
et il en donne pour exemple dans l'Ancien
Testament le roi David â qui l'Écriture rend
un témoignage si avantageux; et dans le
Nouveau, Corneille le centenier à qui Dieu
envoya un ange, pour lui dire qu'il avait
agréé ses aumônes et exaucé ses prières. Il
s'autorise aussi de ce que saint Jean ne dit
point aux soldats cpii étaient venus lui de-
mander le baptême , de cesser de porter
leurs armes, mais seulement de ne faire ni
fraude ni violence à personne, et de se con-
tenter de leur paie. Mais il conseille à Boni-
face de ne manquer de foi envers personne,
pas même envers les ennemis de la répu-
blique, après la leur avoir promise, et de
conserver toujours dans sa volonté le désir
de la paix, lors même qu'il se trouvera
dans la nécessité de faire la guerre. Il veut
même qu'il n'y ait que la nécessité toute
seule qui fasse ôter la vie à l'ennemi, et que
la volonté n'y ait jamais de part. « Gomme
on l'accable par la force quand il résiste,
ou qu'après s'être rendu il se soulève, on
doit, dit saint Augustin, lui faire grâce dès
qu'il est pris ou vaincu, surtout lorsqu'on
n'a pas heu d'en rien appréhender qui
puisse troubler la paix. » Ce Père recom-
mande encore à Boniface la pudicité conju-
gale, la sobriété et la frugaUté, et lui con-
seille de se bien garder de chercher du bien
par de mauvaises actions ; de mettre , au
contraire, le sien en dépôt dans le ciel, par
de bonnes œuvres, un cœur ferme et véri-
tablement chrétien, ne devant ni s'enfler
pour voir augmenter son bien, ni se laisser
abattre pour en perdre. « Comme vous au-
rez, ajoute-t-il, toujom's besoin de pardon
tant que vous serez revêtu de ce corps
mortel, ayez soin de pardonner prompte-
ment dès que ceux qui vous auront offensé,
vous demanderont pardon ; afin que vos
prières étant sincères, vous puissiez obtenir
que Dieu vous pardonne vos péchés. »
42. Un évêque nommé Optât, avait fait un ^^ ^^l",
livre sur l'origine de l'âme, sans être néan- *"'P=s-'
moins convaincu si elle venait par propaga-
tion de celle que Dieu a créée poui* le pi'e-
mier homme, ou si Dieu en crée toujours
de nouvelles pom' chacun en particuher.
Comme il souhaitait extrêmement de savoir
à quoi s'en tenir, il en écrivit à quelques-uns
de ses amis, et sa lettre arriva à Alger '
pendant que saint Augustin y était. Un
serviteur de Dieu nommé René, chargé ap-
paremment de cette lettre, la mit entre les
mains de ce saint Évêque, et le pressa avec
tant d'instance d'y répoudre, qu'il ne put
s'en défendre, quoique occupé à d'autres
1 Le teste porte César ée; c'est la ville nommée
aujourd'hui Cherchell. {L'éditeur.)
[iv^ ET v-^ SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
161
choses. Il écrivit donc à Optât, que n'ayant
jamais osé se prononcer définitivement sur
cette matière, il n'était ni assez hardi, ni
d'assez mauvaise foi, pour donner aux au-
tres comme constant ce qui ne l'était pas
encore pour lui-même. Ensuite il établit di-
vers principes qui pouvaient , sinon lever
toute sorte de doutes sur cette matière, du
moins empêcher qu'on ne décidât rien té-
mérairement. 1° Suivant les divines Écritures
on ne peut douter que, comme de tous les
descendants d'Adam il n'y en a aucun qui
ne naisse engagé dans le péché et dans la
condamnation, nul n'en est délivré qu'en
renaissant par Jésus-Christ ; 2° Quoique l'on
puisse ignorer sans danger qu'elle est l'o-
rigine de l'âme , on doit néanmoins tenir
pour certain qu'elle n'est pas une partie de
la substance de Dieu, mais qu'elle est une
créature ; qu'elle est un esprit et non pas
un corps ; et si elle se trouve engagée dans
ce corps corruptible, ce n'est point en pu-
nition d'aucun péché qu'elle ait commis
dans quelque autre vie ; 3° Personne ne peut
être justifié que par la foi en Jésus-Christ,
les justes mêmes qui ont vécu avant son
Incarnation , n'ont été sauvés que par la
foi en cet Homme-Dieu. C'est ce que saint
Augustin prouve par plusieurs endroits de
l'Ecriture. Après quoi il fait voir que les
paroles de saint Paul sur l'infection de toute
la masse par Adam, suffisent pour satisfaire à
toutes les difficultés que l'on fait ordinaire-
ment sur le mystère de la prédestination.
« Si toute la masse, dit-il, n'était pas tom-
bée dans la condamnation par Adam, on
aurait raison de trouver injuste que Dieu en
fît des vases de colère pour la perdition;
mais comme elle est condamnée toute en-
tière et très-justement, c'est par une grâce
toute gratuite, que de ce qui sort de cette
masse, il fait les uns des vases de miséri-
corde , et les autres des vases de colère par
une juste punition. Or, on est vase de colère
par la seule naissance, mais on n'est vase
de miséricorde que par la régénération. Si
Dieu laisse venir au monde tant de milliers
de personnes qu'il sait ne point appartenir
à sa grâce, c'est afin de î'aire voir à ceux
qui sont rachetés de la condamnation , que
toute la masse méritait le traitement que la
justice de Dieu fait à la plupart, parmi les-
quels ils voient, non-seulement ceux qui
ont ajouté plusieurs péchés à celui de leur
naissance, mais encore un grand nombre
IX.
d'enfants qui , n'étant coupables que de ce-
lui-là seul, sont enlevés de cette vie sans
avoir participé à la grâce du Médiateur. Car
la masse entière tomberait dans la damna-
tion qui lui est justement due , si Dieu, qui
n'a pas moins de miséricorde que de jus-
tice, ne faisait des ^ases d'honneur d'una
partie de cette masse, par un pur effet de sa
grâce, et sans rien devoir à ceux-là non
plus qu'aux autres. »
Après s'être expliqué sur la prédestina-
tion, saint Augustin dit que, si on rejette
l'opinion de Tertulhen sur la nature de l'â-
me, qu'il croyait corporelle, on peut admet-
tre l'opinion qui enseigne que les âmes
viennent par la propagation ; elle lui semble
mieux s'accorder que les autres avec la doc-
trine du péché originel, quoiqu'elle ait de
grandes difficultés. Cette opinion était la
plus commune en Occident; et il la croit
plus probable que celle de saint Jérôme,
qui était pour la création journalière ; mais
il n'ose rien décider là-dessus, n'ayant rien
trouvé de clair dans l'Ecriture, sur l'origine
de l'âme. IL avertit Optât de se mettre en
garde contre la nouvelle hérésie des péla-
giens, qui avait pour auteurs Pelage et Cé-
lestius déjà condamnés, dit-il, par les papes
Innocent et Zozime, qui ont si dignement
remph le Siège apostohqae, et par un grand
nombre d'évêques assemblés en deux conci-
les. 11 lui fait remarquer que leur hérésie ne
consiste pas à dire que les âmes de ceux
qui naissent journellement, ne viennent
point de cette âme qui a péché la première
de toutes , mais en ce qu'ils en tirent une
conséquence contre le péché originel, sou-
tenant que les âmes, ne venant point d'A-
dam, ne participent pas non plus à son
péché, et qu'il n'y a rien en elles qui ait
besoin d'être expié par les eaux du bap-
tême. 11 ajoute, que quelque soit l'origine
des âmes , et soit qu'elles viennent de
celle d'Adam, ou qu'elles soient créées de
nouveau pour chacun, on doit tenir pour
certain qu'aucun péché n'a passé d'Adam
dans l'âme du Médiateur. Car s'il a bien pu
nous délivrer de nos péchés, on ne saurait
nier qu'il n'ait pu tirer aussi pour lui une
âme sans péché, l'eùt-il tirée même de cette
source corrompue, lui qui a tiré des seuls
trésors de sa toute-puissance celle dont il a
animé le corps d'Adam qu'il avait formé de
terre. Il parait qu'Optât ne se contenta pas
de cette lettre, puisque saint Augustin lui
H
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
162
en écrivit deux autres sur le même sujet '.
Letirc 131 43. Le bruit qui avait couru que le prêtre
en u1°'p4" Sixte qui fut depuis pape, favorisait à Rome
'™' l'erreur des pélagiens, s'étant trouvé faux,
saint Augustin l'en félicita, en répondant à
la lettre qu'il avait reçue de lui sur ce sujet,
et où Sixte se déclarait ouvertement pour la
grâce. Il le prie de s'intéresser dans le châ-
timent de ceux qui répandaient des erreurs
si pernicieuses, de travailler à mettre en
sûreté beaucoup d'esprits faibles, aisés à se
laisser surprendre ; et d'empêcher ceux qui
ne cessent de les répandre en secret, en
s'insinuant dans les maisons. « Car combien
en connaissez-vous, lui dit-il, qui se décla-
raient hautement pour cette doctrine em-
poisonnée, avant quelle eût été proscrite,
comme elle l'a été solennellement, et par le
jugement même du Siège apostolique ? On
les a vns tout d'un coup prendre le parti du
silence ; mais quoiqu'on ne puisse encore
s'y fier, il faut les traiter doucement, sans
cesser toutefois d'user envers eux des remè-
des nécessaires, puisque leurs plaies, pour
être cachées, ne laissent pas d'être des
plaies ; ces remèdes sont les instructions
qii'il leur faut donner, et qu'ils sont d'autant
plus en état de recevoir, que la crainte du
châtiment a préparé les voies à la vérité. »
Il est parlé dans cette lettre de celle que
Sixte écrivit au primat Aurèle en faveur de
la doctrine de la grâce.
Leiire 152 44. Saiut Augustin, de retour à Hippone,
di^crefenus; après uH voyago en Mauritanie ^ en 418, y
pag. 710. trouva diverses lettres qu'on lui écrivait d'I-
talie, auxquelles il répondit par l'acolyte
Albin, n y en avait une de Célestin qui n'é-
tait alors que diacre de l'Église de Rome,
mais qui en fut depuis évêque après la mort
du pape Boniface. Ce n'était qu'un compli-
ment d'amitié.
Saint Augustin, dans sa réponse, l'entre-
tient des devoirs de la charité, dont il dit
qu'on demeure toujours redeA'able, quoi-
qu'on s'en acquitte, parce qu'il n'y a point
de temps où l'on soit dispensé de les rem-
plir. Il distingue entre la charité qu'on doit
à ses ennemis, et ceUe qu'on doit à ses
amis. A l'égard des ennemis, c'est une
avance que l'on fait et que l'on est obligé
de faire avec réserve et avec précaution ; et
» Fulg. lib. m De Prœd , cap. xviil.— ^ La Mau-
ritanie est représentée par notre province d'Alger.
{L'éditeur.)
à l'égard des amis, c'est un réciproque que
l'on rend sans précaution et sans réserve.
Le but de la charité envers nos ennemis, est
de les rendre nos amis, et de souhaiter
conséquemment qu'ils deviennent bons, ce
qu'ils ne peuvent être tandis qu'ils garderont
dans leur cœur la haine qu'ils ont contre
nous. Il n'en est pas de la charité comme de
l'argent ; car on aime d'autant plus ceux
à qui on le donne, que l'on songe moins à
le ravoir; au lieu que lorsque nous exigeons
de la charité de la part de ceux pour qui
nous en avons, non-seulement elle s'aug-
mente en nous, mais ceux de qui nous en
exigeons, ne commencent d'en avoir, que
lorsqu'ils commencent de nous en rendre.
Cette lettre fut portée par Albin, acolyte,
aussi bien que la suivante.
45. Elle est adressée à Mercator, le même,
comme l'on croit, dont nous avons quelques
petits ouvrages contre les pélagiens et con-
tre les nestoriens. Il était, ce semble, à Ro-
me en 417 ou 418, dans le temps que l'on y
examinait l'affaire des pélagiens. Son zèle
pour la foi catholique lui fit entreprendre
un ouvrage pour la détendre contre ces
nouvelles erreurs : et quoiqu'il les combattît
avec beaucoup de sohdité et de force, il
voulut néanmoins rendre saint Augustin
juge de ce qu'il avait écrit sur cette matière.
Il lui envoya donc son ouvrage avec une
lettre. Mais le saint n'y ayant pas répondu,
parce qu'il reçut l'une et l'autre étant à
Carthage où il était extrêmement occupé,
Mercator lui écrivit une seconde lettre, où
il se plaignait en quelque façon, que saint
Augustin l'eût méprisé ou oublié. Il joignit
à cette lettre un second ouvrage contre les
pélagiens, qu'il combattait particulièrement
par un grand nombre de passages de l'Écri-
ture. Saint Augustin le prie dans sa réponse,
de ne point douter de la joie que lui avaient
causée et ses lettres et ses ouvrages, rien ne
pouvant lui faire plus de plaisir que de voir
les défenseurs de l'Église se miûtiplier, et
réprimer de toute part, ceux qui par des
nouveautés profanes, tâchent de surprendre
les simples et les^ faibles. Il lui fait voir en-
suite, que puisque les pélagiens avouaient
que les enfants qui l'ecevaient le baptême,
croyaient par l'entremise de ceux qui les y
présentaient, ils pouvaient bien dire aussi
que le péché originel leur était remis par la
foi de leurs parrains ; et qu'ainsi leur procès
était vidé avec ces hérétiques sur ce point,
[IV" ET Y' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÈQOE D'HIPPONE.
163
sans entrer dans le détail d'aucune contesta-
tion. Mercator disait dans ses lettres, que
les pélagiens niaient que la mort fût l'effet
et la punition du péché : et qu'ils se fon-
daient sur ce qu'Enoch et Élie ne sont pas
morts, et sur ce que dit saint Paul, dans sa
première aux Thessaloniciens, que ceux qui
se trouveront vivants quand Jésus-Christ
viendra, seront emportés dans les nues au-
devant de lui, sans mourir. Saint Augustin
répond à la première difficulté, que l'exem-
ple d'Enoch et d'Élie, ne prouve nullement
que la mort ne soit pas la peine du péché,
puisqu'il y a apparence qu'ils mourront un
jour; quand ils seraient exempts de la mort,
ce serait par une grâce particulière de Dieu,
qui peut, s'il le veut, exempter des person-
nes d'une peine due au péché, comme il
nous exempte de beaucoup d'autres. « Mais
cela n'empêche pas, dit-il, qu'il ne soit vi'ai
Roin.v, 12, que le péché est enti'é dans le monde 'par un
seul homme, et la mort par le péché, qu'ainsi
eUe a passé dans tous les hommes. Quand
nous disons que le péché damne tout le
monde, ne disons-nous pas vrai ? cependant
tout le monde n'est pas damné. Comment
donc cette proposition est-elle vraie ? C'est
parce qu'on n'est damné que par le péché,
quoique tout le monde ne soit pas damné. »
Il convient que celui-là ferait une difficulté
mieux fondée, qui dirait : Comment se peut-
il faire, que la peine du péché demeure
après le péché remis ; mais il ne la résout
pas, renvoyant Mercator à la solution qu'il
en avait donnée dans les livres intitulés :
Du Baptême des enfants.
Quant au passage de l'Épître aux Thessa-
loniciens, il soutient qu'il ne favorise en
rien les pélagiens, puisqu'on peut dire de
I Tiiess. iT, ceux qui seront enlevés tous vivants, et empor-
tés sur les nues au-devant de Jésus-Christ, que
s'ils ne passent pas par la mort, ce sera par
ime grâce particulière, comme on l'a dit
d'Enoch et d'Élie : qu'ainsi il demeurera
toujours constant que la mort du corps aussi
bien que ceUe de l'âme, n'est qu'une suite
du péché, et que ce retour qui fera passer
les justes de la mort à la vie, pour être à
jamais heureux dans le ciel, est un effet
bien plus merveilleux de la puissance de la
grâce, que s'ils entraient sans passer par la
mort.
siS»° 'en ^^- Le même Albin qui fut le porteur des
°,t'S.-r,. lettres à Mercator et à Célestin, en rendit
ime au prêtre Sixte , dans laquelle saint Au-
gustin lui promettait de lui écrire plus au
long sur la grâce. 11 ne fut pas longtemps
sans accomplir sa promesse, en ayant
trouvé l'occasion par Firmus qui s'en re-
tournait à Rome. Il rapporte dans cette se-
conde lettre les erreurs des pélagiens, et ré-
pond à leurs objections. « Ils croient, dit-il,
qu'on leur ôte leur libre arbitre, s'ils con-
viennent que sans le secours de Dieu,
l'homme n'a pas même la bonne volonté ; et
ils ne comprennent pas que loin d'affermir
le libre arbitre, ils le mettent en l'air, ne
l'appuyant pas sur le Seigneur qui est la
pierre sohde. Ils s'imaginent reconnaître en
Dieu acception de personne, s'ils croient
que sans aucun mérite précédent, il fait mi-
séricorde à qui il veut, qu'il appelle qui il
lui plaît , et ils ne considèrent pas que celui
qui est condamné reçoit la peine qui lui est
due , et que celui qui est délivré reçoit la
grâce qui ne lui est pas due ; en sorte que
l'un n'a point sujet de se plaindre, ni l'autre
de se glorifier. C'est plutôt là le cas où il n'y
a point d'acception de personne, quand tous
sont enveloppés dans une même masse de
condamnation. Mais, disent-ils, il est injuste
dans une même mauvaise cause de délivrer
l'un et de punir l'autre. Il est donc juste, ré-
pond saint Augustin, de punir l'un et l'au-
tre : ainsi nous devons rendre grâces au
Sauveur de ne nous avoir pas traités comme
nos semblables. Car si tous les hommes
étaient délivrés , on ne verrait pas ce que la
justice doit au péché : si personne ne l'était,
on ne connaîtrait pas le bienfait de la grâce.
Il faut donc, dans une question si difficile,
avoir recours aux paroles de l'Apôtre, et
dire avec lui, que Dieu voulant montrer sa Rom. u ,
juste colère et faire éclater sa puissance, souf- ^''
fre avec une extrême patience les vases de Co-
lette, préparés pour la perdition, afin de faire
paraître les richesses de sa gloire sur les vases
de miséricorde, sans que nul ait droit de lui
dire : Pourquoi m'avez-vous fait ainsi ? puis-
qu'il a le pouvoir de faire de la même masse,
l'un un vase d'honneur, et l'autre v.n vase
d'ignominie. )>
Saint Augustin prouve contre les péla-
giens que la grâce recommandée par l'A-
pôtre, n'est point celle par laquelle nous
avons été créés pour être hommes, mais
celle par laquelle nous avons été justifiés
étant de méchants hommes. « Car, dit-il, Jé-
sus-Christ n'est pas mort pour la création de
ceux qui n'étaient point, mais pour la justi-
164
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
19,
fication de ceux qui étaient impies. » Il prouve
encore que la grâce nous est donnée sans
aucun mérite, et que la foi même qui est le
commencement de toute justice, est un don
iiom.xn,3. purement gratuit de Dieu qui donne la foi à
chacun selon le mesure qu'il lui plaît, de sorte
qae 'c'est l'homme qui fait les bonnes œu-
vres, mais Dieu met et forme dans l'homme
cette foi , sans laquelle il ne fait jamais
d'œuvre qui soit bonne, n Celui donc qui
prie, dit-il, ne doit point se glorifier de sa
prière , lorsqu'il voit qu'elle lui obtient la
grâce de vaincre le penchant qui entraîne
vers les biens temporels, et d'aimer les éter-
nels, et Dieu même la som-ce de tout bien ;
qu'il sache que c'est la foi qui prie en lui, et
qu'il a si peu obtenu cette foi par ses
prières, que sans elle il n'aurait jamais pu
Rom. X, 14. pi-ier. Car comment invoquer celui en qui on
ne croit pas? C'est cette foi qui nous attire à
Jésus-Christ; et si ce n'était pas un don
purement gratuit qui nous vient d'en haut,
joan. VI, [i n'aurait pas dit : Personne ne peut venir à
moi, si mon Père qui m'a envoyé ne l'attire.
Que diront à cela les pélagiens ? Nous ob-
jecteront-ils ce que saint Paul s'objecte de
la part de ceux qui n'avaient pas voulu de-
meurer d'accord de ce qu'il venait de dire ?
'''' Que Dieu fait miséricorde à qui il lui plo.tt,
et qu'il endurcit qui il lui plaît. Comment
Dieu se plaint-il encore des pécheurs, puisque
personne ne résiste à sa volonté? Nous lem- ré-
pondrons avec le même Apôtre : 0 hommes
qui êtes-vous piour contester avec Dieu ? car si
nous cherchons par où l'on mérite l'endur-
cissement, nous le trouverons sans peine ;
puisque par le péché toute la masse a été
très-justement condamnée; que ce n'est pas
en inspirant la mahce que Dieu endm-cit,
mais eu ne faisant pas miséricorde ; que
ceux à qui il ne la fait pas, ne la méritent
pas, et que tout ce qu'ils méritent, c'est qu'il
ne la leur fasse pas. De même si nous cher-
chons par où l'on mérite la miséricorde,
nous ne trouverons rien, parce qu'il n'y a
rien ; et que la grâce serait anéantie , si elle
n'était point donnée gratuitement, mais ac-
cordée au mérite. »
Quel tort avons-nous de vivre mal, disaient
les pélagiens, si nous n'avons pas reçu la
grâce qui nous aurait fait vivre d'une autre
manière? Saint Augustin leur répond que
s'ils vivent mal, c'est par leur corruption qui
vient ou du péché originel avec lequel ils
sont nés, ou des crimes qu'ils ont ajoutés à
celui-là. « Tous les pécheurs, ajoute-t-il,
sont donc sans excuse, soit ceux qui n'ont
que le péché de leur origine, soit ceux qui
en ont ajouté d'autres par la malice de leur
propre volonté ; soit qu'ils aient été instruits
ou non ; qu'ils aient usé de discernement,
ou qu'ils n'en n'aient pas usé : car, comme
l'ignorance est sans doute un péché dans
ceux qui n'ont pas voulu s'instruire, elle est
la peine du péché, dans ceux qui ne l'ont
pu. Ainsi il n'y a pohit de juste excuse ni
pour les uns, ni pour les autres ; il n'y a
pom' tous qu'une juste condamnation. Com-
me tous ceux qui sont délivrés par la grâce
du Rédempteur, ne le sont que par pure
grâce, ceux qui sont condamnés le sont très-,
justement, de quelques excuses qu'ils pré-
tendent couvrir leur iniquité.» Quant à ceux
qui disent que c'est accuser Dieu d'accep-
tion de personnes , d'avancer qu'entre plu-
sieurs qui sont en même terme, sa miséri-
corde se répand sm- les uns, et que sa colère
demeure sm' les autres ; « Il n'y a, dit ce
Père, qu'à leur alléguer ce qui se passe à l'é-
gard des petits enfants, pour confondre tous
les discours que les fausses lumières de la
raison humaine leur font faire sm" ce sujet. En
effet ce qui est écrit , que nul n'entrera dans '""'■ '">'
le royaume du ciel, qui n'ait été régénéré par
l'eau et le Saint-Esprit, regarde les enfants
aussi bien que les autres. Or , quelle raison
peut-on rendre de ce que Dieu dispose les
choses de telle sorte à l'égard de l'un, qu'il
ne sort de cette vie qu'après avoir passé par
le baptême ; et que l'autre mem-t avant qu'on
lui puisse procurer ce sacrement? Est-ce
par leur choix et par leur faute qu'ils ont eu
des parents infidèles ou négligents? Si l'on
cherche des mérites du côté de ces enfants
mêmes, il est clair qu'ils n'en ont point qui
leur soient propres, et iju'ils appartiennent
tous également à la masse condamnée. Si
l'on en cherche du côté de lem's parents,
on trouvera ceux dont la mort enlève les en-
fants avant le baptême, pleins des mérites
de leurs bonnes œuvres ; et ceux au con-
traire dont les enfants reçoivent le baptême,
chargés de crimes. »
Saint Augustin prouve ce qu'il allègue
sur ce sujet par l'autorité de saint Paul,
qui ne cite, dit-il, ces paroles du pi-ophète
Malachie, J'ai aimé Jacob, et j'ai haï Esaû,
que pom' nous faire entendre que ce pro-
phète n'a fait que nous découvrir plusiem-s
siècles après la naissance de ces deux ju-
alach. I
[v," ET V SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
meaiix, ce qui était arrêté avant leur nais-
sance dans la prédestination de Dieu par sa
grâce. Car qu'est-ce que Dieu aimait dans Ja-
cob avant qu'il fût né et avant qu'il eût fait
aucun bien, sinon le présent gratuit de sa
miséricorde? et que liaïssait-il en Esaii avant
sa naissance, et avant qu'il eût fait aucun
mal, sinon le péché originel? C'est une
chose étrange de voir dans quels précipices
nos adversaires se jettent, quand on les
pousse jusque-là , plutôt que de se rendre à
la vérité. Dieu, disent-ils, haïssait l'un, et
aimait l'autre, parce qu'il prévoyait ce qu'ils
devaient faire. Mais qui n'admirera que l'A-
pôtre n'ait pas eu assez de lumière, pour
trouver cette solution ? Et si eUe est aussi
vraie qu'ils se l'imaginent, comment étant
d'ailleurs si décisive et si simple, ne s'en
est-il point servi pour répondre à l'objection
qu'il s'était faite ? Au contraire il ne pense
qu'à nous faire connaître dans ce choix le
prix et la nature de la grâce, en ajoutant
Eom. IX que Dieu dit à Moïse : Je fetrn miséricorde à
16 et IC. ^ . . . . ' ...
qui il me plaira de la faire, et j aurai pitié de
qui il me plaira d'avoir pitié, et que cela ne
dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui
court, mais de Dieu qui fait misércoi^ide. C'est
dans le même dessein que saint Paul mar-
que que Rébecca conçut tout à la fois deux
enfants d'Isaac, afin que non-seulement il
ne restât à Jacob aucun sujet de se glorifier,
ni d'aucun mérite qui lui fût propre, ni des
mérites d'un père et d'une mère différents
de ceux d'Esaû ; mais qu'il ne pût pas même
se glorifier d'avoir été engendré par leur
père commun dans un temps où ce père eût
peut-être été plus homme de bien, que lors-
qu'il engendra Esaû; ni rapporter à cette
cause la préférence que Dieu avait eue
pour lui. Ainsi tout est égal entre eux, et du
côlé du mérite du père qui les engendra, et
du côté de celui de la mère qui les conçut.
D'où il suit que Jacob n'a pu être séparé
que par pure grâce de cette masse infectée
du péché d'origine, à laquelle il appartenait
aussi bien que son frère, qui pour cette
seule cause a été très-justement condamné.
Mais quand on persisterait dans l'aveugle-
ment, où nous venons de faire voir, dit saint
Augustin, qu'il faut être pour soutenir que
c'est en vue de ce que ces deux enfants
d'Isaac devaient faire, que Dieu a aimé Jacob,
et qu'il a haï Esaii , du moins ne pourrait-on
pas dire de deux enfants qui doivent mourir
avant l'usage de i-aison, que Dieu procure le
165
baptême à l'un, et non pas à l'autre, en vue
de ce qu'ils devaient faire. Car comment de-
vaient-ils faire ce qu'ils n'ont point fait et
qu'ils ne feront jamais ? Ils l'auraient fait,
s'ils eussent vécu, répondaient les péla-
giens, et Dieu qui le prévoyait, fait mourir
sans baptême ceux dont il savait que la vie
aurait été criminelle, punissant en eux le
mal qu'ils n'ont pas fait, mais qu'ils auraient
fait s'ils avaient vécu davantage. « C'est
donc mal à propos, répond ce Père, que ces
hérétiques assurent que les enfants qui
'meurent sans baptême ne sont point dam-
nés. Car puisque le baptême leur est refusé
en punition du mal qu'ils auraient fait, s'ils
avaient vécu, ils sont donc aussi damnés
sans doute par ce même mal, s'il est vrai
que Dieu punisse celui qu'on devait com-
mettre, quoiqu'on ne l'ait pas commis. D'ail-
leurs, si Dieu procure le baptême à ceux
dont il prévoit que la vie aurait été bonne,
si elle avait été plus longue, pourquoi leur
ôte-t-il une vie qu'ils auraient ornée de tant
de bonnes œuvres ? Pourquoi procure-t-il ce
sacrement à quelques-uns qui dans la suite
d'une longue vie , ne font que se charger de
crimes ? Et comment est-ce que Dieu qui
prévoyait le péché d'Adam et d'Eve, et qui
peut, selon les pélagiens, punir avec justice
ceux mêmes qu'on n'a pas commis, ne les
chassa pas du paradis avant qu'ils fussent
tombés dans le crime dont ils devaient
souiller ce lieu si saint ? »
Saint Augustin ajoute que, quoique ces
hérétiques se trouvassent pressés de toute
part, et par l'autorité des Ecritures, et par
les cérémonies que la tradition nous a con-
servées, et que l'Éghse observe inviolable-
mentdans le baptême, comme sont les exor-
cismes qu'on fait sur eux, et les renonce-
ments qu'ils font à Satan par la bouche de
leurs parains, et qui font voir si clairement
que le baptême les délivre de sa puissance,
il n'y a point d'extravagance où ils ne se
précipitent plutôt que de renoncer à leurs
erreurs. « Ils croient même, dit-il. avoir
bien rencontré, quand ils demandent com-
ment il se peut faire que le péché qui a été ef-
facé par le baptême dans les fidèles, passe dans
leurs enfants? comme si la maladie de la
concupiscence était absolument guérie, en
même temps que la tache du péché qu'elle
imprime est effacée. Non, on a beau être
mis au monde par des personnes régéné-
rées, dès là qu'on y vient par la voie de la
166
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
concupiscence, on demeui-era indubitable-
ment coupable de ce péché, jusqu'à ce
cpi'on ait été régénéi'é comme eux. »
Une autre subtilité des pélagiens était de
dire que les enfants pouvaient bien répondre
par la bouche de leurs parains, qu'ils ct^oyaient
en la rémission des péchés, non qu'aucun péché
leur soit remis, mais parce que la rémission
des péchés se donne dans l'Église, et même par
le baptême, à ceux en qui il y en a, mais non
pas ceux à qui il n'y en a point. Saint Au-
gustin leur fait voir qu'avec cette distinction
ils ne peuvent se démêler de la pratique du
souffle et des exorcismes que l'on fait sur
les enfants, et qui est vaine et illusoire s'ils
ne sont point sous la domination de satan.
Comme donc ils n'oseraient dire cjue ces cé-
rémonies se pratiquent en vain dans l'Église,
il faut qu'ils avouent que les enfants mêmes
Luc, XIX, 10. sont du nombre de ceux qui étaient perdus
et que Jésus-Christ est venu chercher : car
tout ce qui ne peut être ni cherché ni re-
trouvé que par la grâce, n'était sans doute
perdu que par le péché.
Leiii-e 195 47. La ffucrro que saint Augustin faisait
de saint Je- O , i • -, . i i i
rôme, en 106, aux novatcurs le rendait célèbre par toute
en 4t8, p»r. la terre ; tous les catholiques avaient les
yeux sur lui, et le recevaient comme le res-
taurateur de la foi de leurs pères; ce qui
était encore plus glorieux pom' lui, tous les
hérétiques le haïssaient. C'est ce que dit saint
Jérôme, dans une lettre de félicitation qu'il
■ lui écrivit vers l'an 418, c'est-à-dire dans le
temps où saint Augustin combattait forte-
ment les ennemis de la grâce de Jésus-
Chi'ist. n en eut un autre à combattre nom-
mé Aptus, qui joignait à la profession de la
religion chrétienne, la qualité de juif et d'is-
râélite, enseignant aux clu-étiens à judaïser,
à s'abstenir des viandes défendues par la
loi, et à observer les autres cérémonies du
judaïsme abolies par l'Évangile. L'évêque
AseUicus en écrivit à Donatien, primat de la
Byzacène, qui envoya sa lettre à saint Au-
gustin, en le priant d'y répondre. Saint Au-
gustin le fit et adressa sa lettre à Asellicus.
Il y pose pour un principe décidé par saint
Gai. n, 14. Paul, que les chrétiens, et surtout ceux qui
viennent des gentils, doivent se garder de
judaïser, et que les œuvres de la loi ne jus-
tifient personne ; ce qui s'entend non-seide-
ment des sacrements et des cérémonies an-
ciennes , comme sont la circoncision , le re-
pos du Sabbat, l'abstinence de certaines
viandes, mais encore des préceptes de mo-
rale qui, quoique pom' les chrétiens, aussi
bien que pour les Juifs, ne justifient que par
la foi en Jésus-Christ et par la grâce de Dieu
par Jésus-Clmst Notre-Seigneur. Il met l'u-
tilité de la loi à convaincre l'homme de son
infirmité, et à le forcer de recourir au re-
mède de la grâce. D'où il conclut que, se
vanter d'être de la race d'Israël et se glori-
fier dans la loi destituée de la grâce de Jésus-
Christ, c'est ne pas connaître la justice de
Dieu, c'est-â-dire celle que l'homme tient
de Dieu, et établir la sienne propre, c'est-à-
dire ceUe que l'homme croit avoir de son
fonds, ce qui revient au pélagianisme. Les
chrétiens sont véritablement juifs, Israélites,
enfants d'Abraham et de Sara, mais dans un
sens spirituel, et non selon la chair; mais
on ne doit point pour cela donner le nom" de
juifs à ceux qui font profession du christia-
nisme, étant ridicule de changer les maniè-
res de parler établies, et de confondre les ter-
mes par lesquels on a coutume de distin-
guer les choses, et les chrétiens eux-mêmes,
qui sont connus sous un si beau nom, ne doi-
vent point se laisser aller au vain plaisir de
se donner celui d'Israélites. Les apôtres qui
n'ignoraient pas que les chrétiens sont la
véritable postérité d'Abraham, héritiers de
la promesse , et juifs selon l'esprit, ne don-
naient néanmoins le nom de juifs et d'Israé-
lites , qu'à ceux qui descendaient d'Abra- nom. •:
ham selon la chair, et qui étaient connus
de tout le monde sous ce nom-là. Saint Paul
appeUe grecs tous les gentils, parce que le
peuple grec tenait le premier rang parmi
eux; mais par le mot de juif , il n'entend
que ceux que tout le monde appelait de ce
nom-là ; autrement il s'ensuivrait que cet
Apôtre, en disant que Jésus-Christ crucifié b»™, >
est un scandale pour les Juifs, aurait voulu
dire qu'il est un scandale pom^les clu'étiens,
ce qu'on ne saurait penser sans extrava-
gance. On doit dire la même chose du nom
d'Israélites. Comment l'am-ait-il donné aux
chrétiens, après avoir dit, dans son Épître
aux Romains, que les Israélites sont un peu- Ro"-"
pie incrédule et rebeUe à la parole de Dieu?
Saint Aug-ustin marque dans cette lettre
que Pelage et Célestius, chefs des pélagiens,
avaient été chassés de la communion de
l'Église catholique par un juste jugement
de Dieu, et par le soin et le ministère de ses
fidèles servitem's; c'est-à-dire apparemment
par les évêques des conciles d'Afrique , et
ensuite par les papes Innocent et Zozime.
[IV° ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
167
i98'°"'i33""à ^^- Hésychiiis, évêque de Salone, métro-
^d'Fii?-"hùi<^' P°l^ ^^ 1^ Dalmatie, s'était persuadé que la
et'Va'ri'ts? ^^ ^^ monde était proche, fondé sur cpiel-
'^'' ques passages des Prophètes qui lui sem-
blaient le marquer assez clairement. Mais
pour s'en assurer il consulta saint Augustin,
qui pour le mettre plus au fait du sens de la
prophétie de Daniel, lui envoya l'explication
que saint Jérôme en avait faite, et où ce Père
montrait qu'il faut entendre des temps qui
sont déjà passés, ce que le prophète dit des
soixante-douze semaines. Saint Augustin ap-
prouve lui-même cette explication à l'égard
du temps qui reste à s'écouler jusqu'au der-
nier avènement de Jésus-Christ : il dit qu'il
n'oserait en faire le calcul, d'autant qu'au-
cun prophète n'en a fixé le terme ; qu'il
faut s'en tenir à cette parole de Jésus-Chi-ist
Act. 1, 7, même : Nul ne peut savoir les teinps que le
Père a réservés à son souverain pouvoir. Il
réfute la distinction que quelques-uns fai-
saient entre le jour et le temps du juge-
ment, et qui disaient que le temps n'en était
pas caché quoiqu'on ne put en savoir ni le
jom' ni l'heure, o Cette prétention, dit-il, est
ruinée par le passage des Actes, où Jésus-
Christ interrogé par ses disciples sur le
temps de son avènement, leur répondit :
Personne ne peut savoir les temps que le Père a
réservés à son souverain pouvoir. Ce qu'il y a de
vrai, ajoute saint Augustin, c'est qu'il ne vien-
di'a point que l'Évangile n'ait été prêché par
toute la terre, pour servir de témoignage à
toutes les nations. Si donc quelques servi-
teurs de Dieu s'étaient chargés de parcourir
toute la terre, pour voir combien il reste
encore de nations à qui l'Evangile n'a point
été prêché, et qu'ils en fussent venus à
bout, peut-être que sur leur rapport nous
pourrions juger à peu près combien il y a
encore de temps d'ici à la fin du monde.
Mais si les déserts et les lieux inaccessibles
qui sont dans le monde, rendent impossible
l'exécution d'un tel projet; et s'il l'est par
conséquent de savoir par ce moyen-là, com-
bien il y a encore de nations qui n'ont point
été éclairées de la lumière de l'Évangile, il
est encore moins possible de trouver par
l'Écriture combien il reste de temps jusqu'à
la fin du monde. On dira peut-être que l'É-
vangile s'étant répandu avec beâlicoup de
rapidité dans tout l'Empire romain, et même
parmi les barbares, il n'est pas incroyable
qu'il puisse se répandre en peu d'années
dans tout le reste du monde. Mais autant
que cela sera aisé à voir quand l'expé-
rience le montrera, autant il est difflcile
de le trouver dans l'Écriture avant qu'il ar-
rive.» Il rejette l'opinion bizarre d'un certain
homme qui avait osé avancer, que les se-
maines de Daniel regardent le dernier avè-
nement de Jésus-Christ, et non pas le pre-
mier. Hésychius écrivit une seconde lettre
à saint Augustin, dans laquelle il lui avouait
que quoiqu'on ne put savoir le jour ni l'an-
née du jugement dei'nier, on en pouvait
néanmoins connaître à peu près le temps. Il
se fondait sui' l'obligation où l'Écriture nous
met de nous en instruire, et sur les repro-
ches que Jésus-Clmst fait aux Juifs de n'a-
voir pas coiHiu le temps auquel Dieu les
avait visités. Il ajoutait, que les prodiges
que l'on avait vus et les signes qui avaient
pai'u dans le ciel, c'est-à-dire apparemment
la grande éclipse de soleil, du 19 juillet 418,
joints aux malheurs et aux guerres conti-
nuelles de ce temps-là, devaient faire juger
qu'il était proche ; et que les peuples qui
restaient à convertir, le pouvaient être en
peu de temps. Quant aux semaines de Da- Dan.
niel, il prétendait qu'elles ne sont point
encore accomplies, et que si l'abomination
qui est prédite, était déjà arrivée, Jésus-
Christ ne nous avertirait pas de prendre
garde au temps où nous la verrons.
Saint Augustin, en répondant à cette se-
conde lettre d'Hésychius, établit deux maxi-
mes ; la première , que nous devons aimer
l'avènement de Jésus-Chi-ist d'un amour fi-
dèle qui nous le fasse désirer, soit que le
divin Maitre doive venir tôt ou tard, puis-
que la couronne de justice est pour tous
ceux qui, avec l'Apôtre, aiment et désirent
l'avènement du Sauveur. La seconde, que
chacun a sujet de craindre que le dernier
jour de sa vie ne le surprenne, parce que le
dernier jour du monde trouvera chacun
dans le même état où le dernier jour de
sa vie l'aura trouvé ; et que nous serons ju-
gés au dernier jour sur l'état où la mort
nous aura trouvés. Ensuite il distingue entre
le désir que nous devons avoir de l'avène-
ment de Jésus-Christ, d'avec la recherche
du temps auquel il se fera ; l'un est du de-
voir des chrétiens, et l'autre est contraire à
l'Évangile, et on ne peut présumer savoir
ce que les apôtres n'ont pas su. Ce que Jé-
sus-Christ demande de ses bons serviteurs
dans l'Évangile, n'est pas de savoir la fin Maiih.
des temps, mais de veiller sans cesse dans
II, £7.
168
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
l'incertitude du joui' auquel le Seigneur doit
venir ; s'il blâme les Juifs de ce qu'ils ne
savaient pas connaître les temps, c'est parce
qu'ils n'avaient pas connu celui de son pre-
mier avènement. L'Apôtre dans sa seconde
Épître aux Thessaloniciens marque bien que
iiThcss.n, le Seignem- Jésus fera péinr l'Antéchrist ;jar
le souffle de sa bouche, mais pour le temps de
sa venue, il ne le marque ni clairement ni
obscurément. Depuis le premier avènement
de Jésus-Christ nous sommes dans la der-
nière heure , c'est-à-dire dans le dernier
temps ; mais on ne peut pas dire combien
ce temps durera. Les semaines de Daniel ne
peuvent s'entendre du dernier avènement,
puisque si cela était, on pourrait dire que
Jésus-Christ viendra dans soixante-dix ans,
ou dans cent ans tout aii plus ; car ces sep-
tante semaines ne font en tout que quatre
cent quatre-vingt-dix ans : or nous comp-
tons présentement quatre cent vingt ans
depuis la naissance de Jésus-Christ. Si donc
les semaines de Daniel courent depuis la
naissance du Sauveur, il ne reste plus que
soixante et dix ans jusqu'à son dernier avè-
nement. Mais une preuve indubitable que
ces semaines sont accomplies, c'est qu'il est
Dia.ix 24. dit dans Daniel, qu'après leur accomplisse-
ment le Christ sera misa mort. Dira-t-on que
ce ne sera qu'à la fin des siècles ?
Saint Augustin fait observer à Hésycbius
que parmi les signes marqués dans l'Évan-
gile, il y en a qui regardent la destruction
de Jérusalem ; d'autres l'avènement de Jé-
sus-Christ dans ce qui compose son corps,
qui est son Église ; et quelques-uns doivent
précéder son second avènement et la fin
du monde : il prouve par la suite des paroles
de saint Luc et des autres Évangélistes, que
l'abomination prédite par Daniel, doit se
rapporter au temps où Jérusalem fut prise
et détruite par les Romains, comme ce qui
y est dit de l'abréviation de ces jours-là en
favem* des élus. « Car on ne saurait douter,
dit-il, que quand Jérusalem fut détruite.
Dieu n'eût des élus parmi le peuple Juif,
où il y en avait qui avaient déjà cru dès ce
temps-là ; et qu'il n'eût abrégé ces jours en
leur faveur, c'est-à-dire qu'il n'eût rendu
ces maux moins sensibles aux élus, par la
patience qu'il leur donna, et qui abrégea
leurs maux, en les rendant plus supporta-
bles. On voit en effet par l'Histoire de Jo-
sèphe, que les maux qui arrivèrent aux Juifs
en ces temps-là, furent si grands et si ex-
traordinaires, qu'à peine les peut-on croire!
ce qui montre encore que Jésus-Christ vou-
lait parler de ces maux, quand il disait muih. mv,
qu'il n'y avait jamais eu et qu'il n'y aurait
jamais de ti'ibulation égale à celle-là. »
Quant aux signes qui doivent paraître dans
le ciel et sur la terre, saint Augustin dit
qu'on en a vu de tout temps ; et qu'il en est
de même des guerres et des autres cala-
mités qui affligent le monde. E. donne une
explication allégorique des signes de la fin
du monde, marqués dans l'Évangile, et sou-
tient que ce passage de David : Le son de Psaim.
leuî's paroles s'entendra dans toute la terre, '"'
n'avait point été accompli du temps des
apôtres , et ne l'était pas même encore.
Pour savoir donc ce que l'on devait penser
au sujet du jour du jugement dernier, il re-
présente la disposition de trois personnes
fidèles , qui l'attendent , dont l'une croit
qu'il viendra bientôt , l'autre plus tard , et
la troisième avoue ne savoir si ce sera
tôt ou tard. « Laquelle des trois, dit ce
Père, est le plus selon l'Évangile? L'une
dit: Veillons et prions, parce que le Seigneur
viendra bientôt ; l'autre : Veillons et prions,
quoique le Seigneur ne soit pas prêt à venir,
car la vie est courte, et l'heure de la mort
incertaine, et la dernière : Veillons et prions,
et parce que la vie est courte, et l'heure de
la mort incertaine, et parce que nous ne
savons quand le Seigneur doit venir. » Quoi-
que toutes les trois tiennent un langage
conforme à celui de l'Évangile, saint Augus-
tin est d'avis que l'opinion de la troisième
est la plus sûre et la meilleure ; quoique la
première soit plus selon nos souhaits, il y a
du danger d'être trompé en l'embrassant,
parce qu'il peut arriver que, voyant écouler
tant de temps sans l'avènement de ce qii'on
se promettait, on ne commence à croire,
non que le Seigneur tarde à venir, mais
qu'il ne doit point venir du tout, ce qui se-
rait la chose du monde la plus pernicieuse.
Il y aurait moins de danger dans la seconde
opinion : car quand le Sauveur viendrait
plus tôt qu'on ne l'attend, la foi de ceux qui
l'auraient cru n'en serait point ébi'anlée, et
la joie qu'ils auraient de son avènement
serait même d'autant plus grande, qu'ifs s'y
seraient moins attendus.
-49. La lettre au comte Valère se trouve t-cure se
aussi à la tête du livre du Mariage et de la '•"^ w- «i
Concupiscence, que saint Augustin lui adresse
pour se justifier des calomnies dont les pé-
[IY« ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
169
lagiens l'ayaient noirci auprès de lui , en
l'accusant de condamner le mariage dans
les écrits où il établissait la doctrine du pé-
ché originel. Valère était une personne de
piété, comme on le voit dans l'éloge que
saint Augustin fait de lui en ces termes :
« Je savais déjà combien votre foi est pure
« et catholique ; avec combien de piété vous
« désirez et attendez les biens à venir ,
« combien vous avez d'amour pour Dieu
« et pour le prochain ; combien vous êtes
« éloigné de vous laisser enfler par les
(( honneurs et les dignités , et de mettre
« votre espérance dans des richesses in-
« certaines et périssables; combien vous
« êtes fidèle à ne vous appuyer que sur
« le Dieu vivant ; combien vous êtes ri-
« che en bonnes œuvres ; de quel se-
« cours et de quelle consolation votre mai-
« son est pour les saints ; combien elle im-
n prime de terreur aux méchants ; com-
« bien vous avez soin d'empêcher qu'aucun
« des anciens ou des nouveaux ennemis de
« Jésus-Christ , se couvrant de son saint
« nom, ne dresse des embûches à ses mem-
« bres ; enfin, combien vous êtes tout à la
« fois et opposé à l'erreur, et soigneux du
« salut de ceux qui y sont engagés, n II
semble aussi par la suite de cette lettre, que
Valère vivait avec sa femme comme avec sa
sœur, dévotion qui n'était point extraordi-
naire en ce temps-là.
Lciires 201 50. On a mis parmi les lettres de saint
et2C2,en 419. *-
Augustin, l'Ordre des empereurs Honorius
et Théodose, à Aurèle de Carthage, daté du
4 juin 419, par lequel ils lui enjoignaient de
faire savoir à tous les évêques qu'ils eussent
à sousci'ire à la condamnation de Pelage et
de Célestius qu'ils avaient fait chasser de
Rome, et que ceux qui, par une obstination
impie, refuseraient de le faire, seraient pri-
vés de leurs dignités , chassés pour tou-
jours de leurs villes et exclus de la commu-
nion de l'Église. A la fin de cette lettre,
dans laquelle ces deux princes déclarent
qu'ils suivent la profession de foi du concile
de Nicée, il est dit qu'ils envoyèrent une let-
tre toute semblable au saint évêque Augus-
tin, ce qui montre que ce que ces princes
donnaient au mérite et à la grande répu-
tation de ce saint évêque, ils le donnaient
au rang de l'Eglise de Carthage.
Dans Ja lettre suivante, saint Jérôme féli-
cite saint Alypius et saint Augustin, de ce
que l'hérésie de Pelage et de Célestius était
éteinte par leurs soins et par leurs travaux.
Il s'y excuse de n'avoir pas encore réfuté les
blasphèmes d'un certain Anien, faux dia- t,^"^^. S
cre de l'Eglise de Célède, et prie saint Au-
gustin de vOTiloir bien s'en donner la peine.
51. Ce Père, dans sa réponse à Largus, 1.6I1.8203
j n 1 p • i Largus, en
proconsul d Afrique en 415, 418 et 419, lui "s.pae-isi.
dit pour l'engager à mépriser les biens de
cette vie, que toute la douceur qu'on y
trouve est fausse, et le travail qu'on y em-
ploie infructueux, a Quand je considère les
amateurs du siècle, ajoute-t-il, je ne sais
dans quel état il faudrait les prendre pour
leur insinuer les vérités du salut. Car s'ils
sont dans quelque sorte de prospérité , l'or-
gueil les entle et leur fait rejeter les avis sa-
lutaires qu'on leur donne ; s'ils sont dans '
l'aiBiction, ils ne songent qu'à s'en délivrer
dans le moment, au lieu de penser à s'ap-
pliquer les remèdes qui pourraient les gué-
rir et les mettre dans un état où il n'y aura
plus d'aflQiction à craindre. Il s'en trouve
néanmoins, mais en petit nombre qui, pres-
sés par l'adversité , prêtent les oreilles du
cœur à la vérité ; mais il y en a bien moins
qui le fassent dans la prospérité. » Il témoi-
gne à Largus sa douleur de le voir dans la
peine : « Mais j 'en ai encore davantage, lui
dit-il, de ce que votre vie n'en soit pas de-
venue meilleure. »
52. n marque dans sa lettre à Dulcitius, . '-'"i''-?,.^"»
^ 'a Dulcitius,
tribun, et chargé par l'Empereur d'exécuter ""■ i"^- ™*'
les ordonnances contre les donatistes, qu'il
leur avait déjà répondu amplement, et qu'il
ne trouvait rien à redire à l'ordonnance
qu'il avait publiée contre eux à Thamugade.
Il le loue de la douceur dont il avait usé en-
vers eux, en écrivant à Gaudentius, évêque
de Thamugade, pour les engager à se réu-
nir, et à cesser de se tuer eux-mêmes. Sur
quoi il dit qu'il avait déjà fait voir plusieurs
fois et de vive voix et par écrit, qu'il n'était
pas possible que ces gens-là mourussent de
la mort des martyrs, puisqu'ils ne vivaient
pas de la vie des chrétiens ; que ce ne sont
pas les souffrances qui font le martyr, mais
le sujet pour lequel on souffre. Il les croit
donc coupables de leur mort, la règle géné-
rale étant que quiconque ôte la vie à tm
homme, sans une autorité légitime, est ho-
micide. Comme ces malheureux, pour justi-
fier leur conduite, alléguaient l'exemple du
vieillard Razias , homme considérable parmi ^/^i ^Maccai..
les Juifs, qui voulant mourir noblement et
courageusement, se précipita du haut d'un
170
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Lellre
& CoD5cn
oa 420,
707.
mur, et ensuite du haut d'un rocher, pour
éviter de tomber entre les mains de ses en-
nemis; saint Augustin leur répond, que l'É-
criture ne fait que rapporter simplement
cette action de Razias , sans la louer ; que si
elle est grande, elle n'en est pas meilleure ;
qu'il ne s'ensuit pas que tout ce qui est
grand soit bon, puisqu'il y a des crimes mê-
mes qui ont quelque chose de grand. Il est
dit dans l'Ecritm'e : Gardez-vous bien de tuer
le juste et l'innocent. Si donc Razias n'était
ni innocent ni juste, pourquoi alléguer son
action comme un exemple à suivre? Si au
contraire il était juste et innocent, comment
est-ce qu'étant devenu le meurtrier d'un in-
, nocent et d'un juste, en se tuant de ses
propres mains, on croit le pouvoir louer?
205 53. Consentius avait demandé à saint An-
pal.' gustin, si le corps de Notre-Seigneur a pré-
sentement des os et du sang, et s'il a les
mêmes parties, les mêmes proportions et les
mêmes traits qu'il avait sur la terre. « Je
crois, lui répondit ce Père, que le corps de
Jésus-Christ est tel dans le ciel qu'il était
sur la terre, lorsqu'il la quitta pour monter
au ciel. C'est lui-même qui nous en assure,
en faisant voir à ses disciples qu'ils ne pou-
vaient douter de sa résurrection, puisqu'il
avait des mains, des pieds, des os et de la
chair, après sa résurrection comme aupara-
vant. Comme donc il est monté au ciel tel
que ses Apôtres l'avaient vu depuis sa ré-
surrection , et que , suivant le témoignage
des anges, il viendra du ciel tel qu'on l'y a
vu monter, il est hors de doute qu'il est
dans le ciel avec le même corps qu'il avait
sur la terre. Il est vrai que l'Écritiire en par-
lant du corps de Jésus-Christ ressuscité, ne
fait aucune mention du sang; mais nous de-
vons nous contenter de ce qu'elle veut bien
nous apprendre, de peur qu'en poussant no-
tre curiosité plus loin, on ne nous demande
encore si, outre le sang, il n'y a pas aussi
dans le corps du Sauveur, de la pituite, de
la bile ou de la mélancolie, puisque c'est l'as-
semblage de ces quatre humeurs qui com-
pose le tempérament du corps humain. »
Saint Augustin ne nie pas néanmoins que
ces humeurs ne puissent se trouver dans les
corps glorieux ; mais il soutient qu'on ne
peut ,sans blesser la foi, les croire altérables
et corruptibles. Il prend de là occasion de
montrer par le témoignage de saint Paul,
que les corps des bienheureux seront incor-
ruptibles, et que Dieu sans rien changer à
leur conformation extérieure , leur donnera
par sa toute-puissance une vigueur inaltéra-
ble , en sorte qu'ils paraîtront toujours ce
qu'ils étaient, mais sans être sujets à au-
cune sorte d'altération; capables de se mou-
voir et incapables de se lasser ; capables de
manger, mais affranchis de la nécessité qui
nous y force. D'après lui, la différence de la
résurrection des bons et de celle des mé-
chants consistera en ce (jue ceux-ci ne se-
ront point élevés à cet état d'incorruptibi-
lité qui exclut la douleur aussi bien que l'in-
corruption , tandis que ceux-là ressuscite-
ront dans un état qui les mettra hors d'at-
teinte à tout ce qui tient de la corruption.
Tous néanmoins ressusciteront incorrupti-
bles quant à l'intégrité de leurs corps ; mais
les méchants demeureront sujets à la cor-
ruption quant à la douleur, qui les saisira
au moment qu'ils auront entendu de la bou-
che du souverain Juge , cette effroyable Maiih. i
sentence : Allez, maudits, au feu éternel.
Consentius avait expliqué ces paroles de
l'Apôtre : La chair et le sang ne posséderont i cor.
point le royaume de Dieu, en disant qu'il fal-
lait entendre par les mots de chair et de
sang, les œuvres de la chair et du sang.
Saint Augustin ne méprise point cette expli-
cation, mais il croit qu'il faut entendre par
les mots de chair et de sang, la corruptibilité
de la chair et du sang, en sorte que l'Apô-
tre n'ait voulu dire autre chose, sinon que
la chair sujette à la corruption, comme elle
l'est en cette vie, ne possédera point le
royaume de Dieu, ou, comme sajnt Paul dit
immédiatement après : La corruption ne pos-
sédera point ce qui est incorruptible.
Une autre question de Consentius , était
de savoir si c'est Dieu qui prend soin de
former un à un tous les traits de nos visages
et des autres parties de nos corps. Sur quoi
saint Augustin dit qu'on n'y trouvera au-
cune difficulté , si l'on conçoit , autant que
l'esprit de l'homme en est capable , avec
quelle force et quelle facilité la puissance
de Dieu agit. Il aUègue sur cela l'endroit de
Jérémie, où Dieu dit à ce prophète, qu'il jj'.^'if";;,'
l'avait formé dans le sein de sa mère, et ce-
lui de l'Evangile, où il est dit que Dieu vêtit
l'herbe des champs qui naît aujorn-d'hui.
Quant à ce que Consentius lui avait de-
mandé, si les baptisés, qui viennent à mou-
rir sans avoir fait pénitence des crimes com-
mis après leur baptême , en doivent obtenir
le pardon après im certain temps, il le ren-
[IV« ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
Lettre 209
k Célestin, on
423, pas. 177,
voie à ce qu'il avait dit sur ce sujet, dans
son livre de la Foi et des Œuvres. Enfin, il
lui dit que le souffle de Dieu sur Adam , a
été ou son âme , ou ce qui la produisit : il
l'avertit de bien se garder de croire que
l'âme de l'homme qui est une nature créée,
soit la substance de Dieu même ou quelque
portion de cette nature.
54. Il n'y a rien de remarquable dans les
deux lettres suivantes. Dans l'une, saint Au-
gustin recommande l'évêtjue Félix au comte
Valère, et dans l'autre, il marque à l'évê-
que Claude , qu'en reconnaissance de ce
qu'il lui avait envoyé les quatre livres de
Julien, il lui faisait part de la réponse qu'il
y avait faite.
35. La lettre à la vierge Félicie, est pour
la consoler d'un scandale qui était arrivé
depuis qu'elle avait quitté le parti des dona-
tistes, pour se réunir à l'Église catholique.
II paraît que ce scandale était venu de la
part d'Antoine de Fussale, bourg du diocèse
d'Hippone. Ainsi, il faut mettre cette lettre
vers l'an 423. Saint Augustin représente à
Félicie que les scandales n'ont été prédits
par Jésus-Christ, qu'afm que nous fussions
moins troublés lorsqii'ils arriveraient; que
comme il y a de bons pasteurs qui n'occu-
pent les sièges des églises que pour le bien
du troupeau de Jésus-Christ, il y en a aussi
qui ne les tiennent que pour jouir des hon-
neurs et des avantages temporels qui sont
attachés à leurs dignités; et qu'il faut que
dans la succession de tous les âges , jus-
qu'à la fin du monde, il y ait de ces sortes
de pasteurs, même dans l'Église catholique ,
comme les troupeaux seront toujours com-
posés de bons et de méchants. « Tenons-
nous donc, dit-il à Félicie, dans l'unité, sans
que le trouble des scandales causés par
ceux qui ne sont que la paille de l'aire du
Seigneur nous en fasse sortir. Car si nous
voulons continuer d'être du nombre de ceux
qui sont figurés par le bon grain , il faut
que le poids de la charité nous affermisse et
nous fasse tolérer jusqu'au jour de la sé-
paration, cette paille faible et légère, si fa-
cile à briser, et que le vent emporte à la pre-
mière occasion. »
56. Antoine de Fussale s'étant mal com-
porté dans l'épiscopat, les évèqnes de la
province lui ôtèrent l'administration de son
Église. Pour empêcher l'exécution de ce ju-
gement, il eut recours au pape Boniface,
qui écrivit en Afrique de le rétablir dans
171
ses fonctions , si toutefois il se trouvait qu'il
eût exposé sincèrement l'état de son affaire.
Ceux de Fussale refusèrent de le recevoir.
Mais comme on les menatjait de leur en-
voyer des soldats pour les contraindre d'o-
béir à la sentence du Siège apostolique , ils
eurent recours à CéJestin, successeur de Bo-
niface, pour les délivrer des maux dont
Antoine les menaçait. Saint Augustin se
joignit à eux. Il écrivit à Gélestin, le conju-
rant par le sang de Jésus-Christ et par la
mémoire de saint Pierre, de les délivrer des
persécutions d'Antoine. Il raconte comment
il l'avait élevé à l'épiscopat et la manièi'e
dont on avait procédé contre lui. Et sur ce
qu'Antoine disait qu'il fallait ou lui ôter son
rang et la dignité d'évéque, ou le laisser
dans son siège , saint Augustin montre par
divers exemples qu'il y a eu des évêques
punis par jugement du Siège même aposto-
lique , sans qu'on leur ait ôté le rang d'évé-
que. Priscus, évêque de la province Césa-
rienne fut laissé dans son siège, en lui inter-
disant le droit à la dignité de métropolitain
que l'antiquité lui aurait pu. procurer à son
tour. Victor, évêque de la même province,
fut aussi déchu de la primatie , et nul autre
évêque ne pouvait communiquer avec Lui
que dans son diocèse. Laurent, aussi évê-
que de cette province, fut puni précisément
de la même peine qu'Antoine. Saint Augus-
tin avoue ingénument la faute qu'il avait
faite de l'élever à l'épiscopat; et dans la
tristesse profonde où le jetait la vue du
péril de l'église de Fussale , il dit au Pape
que s'il arrivait que cette éghse fut ravagée
par Antoine, il renoncerait à l'épiscopat
pour ne plus songer qu'à pleurer la faute
qu'il avait faite en l'en constituant évêque.
n parait que saint Célestin eut égard à ses
remontrances, et qu'il consentit qu'Antoine
ne fit plus aucune fonction èpiscopale dans
l'église de Fussale, puisqu'on 427 ou 428,
saint Augustin était chargé de cette église.
57. On ti'ouve dans la lettre à Félicité et à
Rustique, des instructions sur la manière
dont on doit supporter les maux de cette
vie, et faire la correction fraternelle. « Qu'y
a-t-il dans tout ce qui nous arrive , dit saint
Augustin, qui ne soit un effet de la bonté et
de la miséricorde de Dieu, puisque les afflic-
tions mêmes qu'il nous envoie sont des bien-
faits? Car, si les prospérités sont des dons
de Dieu par où sa bonté nous console, les
adversités sont des dons de Dieu par où
Voyez tom.
VII, pag. 11
et 12.
Lettres 210
el 2U à Féli-
cite, eu 423,
pag. 780.
172
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
cette même bonté cherche à nous faire ren-
trer en nous-mêmes, n II remarque que l'a-
mour que nous avons pour nos frères est
souvent ce qui fait naître les dissensions.
En effet, cet amour nous oblige de les re-
prendre quand ils sont en faute ; et où en
trouve-t-on qui soient bien aises d'être re-
rroT..i f. pris? Où est celui dont il est dit : Reprenez le
, sage, et il vous en aimera d'autant plus? Il ne
faut pas néanmoins que cela nous empêche
de reprendre nos frères, et de leur faire
la correction, de peur qu'en se flattant
d'une fausse sécurité dans leurs péchés
mêmes, ils ne se jettent dans la mort. Il
peut se faire, et il arrive même souvent,
que la correction attriste dans le moment
celui à qui on la fait; qu'il résiste et qu'il
conteste , mais ensuite venant à penser à ce
qu'on lui a dit, et à le repasser dans le si-
lence de son cœur, où il n'y a que Dieu et
lui, et où il n'est plus touché de la peine
cpie la correction lui faisait par rapport au
mépris des hommes, mais de la crainte de
déplaire à Dieu, s'il ne se con-ige pas, il prend
du moins une ferme résolution de ne plus
tomber dans la faute dont on l'a justement
repris. Féhcité était apparemment la supé-
rieure du monastère, et Rustique le prêtre
qui en avait soin. La lettre que Saint Au-
gustin leiu' éci'ivit, s'adresse encore à toutes
les sœurs de la même maison. Il semble qu'il
y eiît dès lors entre elles quelque division :
du moins il en an-iva bientôt, et il s'y forma
un schisme scandaleux. Il fat excité par
quelques rehgieuses du monastère, qui de-
mandaient qu'on leur ôtât la supérieure,
qui l'était depuis longtemps, pour leur en
donner une autre. Saint Augustin voyant
que ce changement était contre le bien
de leur maison , et un exemple très-dange-
reux contre la règle de la discipline, ne
voulut point leur accorder ce qu'elles de-
mandaient, ni même les aller voir, dans la
crainte que sa présence n'augmentât la
sédition, et qu'il ne se trouvât obligé d'user
envers elles de plus de sévérité qu'il n'eût
voulu. Il se contenta donc de leur écrire,
mais avec autant de force que de charité,
sur la faute qu'elles avaient faite, en les
exhortant à ranimer leur première vertu
par une sincère pénitence, et à imiter les
larmes de saint Pierre, et non pas le déses-
poir de Judas. Ensuite, il leur prescrit une
règle de vie très-sage et très-prudente, qui
a depuis été observée dans un grand nom-
bre de communautés d'hommes. En voici la
substance :
« Que votre premier soin soit de vivre
dans la maison du Seigneur avec une par-
faite union d'esprit; qu'il n'y ait entre vous
qu'un cœur et qu'une âme; que personne
n'ait rien en propre, et que tout soit en
commun; que celle qui gouverne distribue
à chacune les vivres et le vêtement, non par
portion égale , mais selon les besoins ; que
celles qui ont apporté dans le monastère ce
qu'elles possédaient dans le monde, le met-
tent en commun; et que celles qui n'y ont
rien apporté, se gardent bien d'y chercher
ce qu'elles n'auraient pu avoir ailleurs;
qu'on accorde néanmoins à leur infirmité
les choses dont elles ont besoin, quoique
auparavant le nécessaire même leur ait man-
qué; qu'elles ne s'en fassent pas accroire
sous prétexte qu'elles se voient les compa-
gnes et les sœurs de quelques-unes dont
elles n'auraient osé approcher auparavant,
mais aussi que les riches ne méprisent pas
les pauvres qui sont devenues leurs sœurs.
Appliquez-vous à la prière aux heures mar-
quées, et qu'on ne fasse autre chose dans
l'oratoire que ce à quoi il est destiné, et
d'où il tire son nom. Lorsque dans vos priè-
res vous récitez des psaumes ou des canti-
ques, que le cœur suive ce que la voix pro-
nonce. Chantez seulement ce qui est mar-
qué pour être chanté, et contentez-vous de
dire le reste à voix basse. Domptez votre
chair par le jeune; mais que celles mêmes
qui ne pourront jeûner, ne prennent rien
qu'à l'heure du repas, si ce n'est qu'elles
soient malades. Pendant que vous êtes à
table, écoutez sans bruit la lecture qui se
fait suivant la coutume, afin qu'en même
temps que le corps prend sa nourriture,
l'esprit se nourrisse de la parole de Dieu.
S'il arrive que celles qui ont été élevées
dans le monde d'une manière plus délicate,
et dont la complexion est plus faible, soient
traitées un peu plus délicatement, non-seu-
lement pour la nomTiture, mais pour les
lits, les couvertures et les habits, que celles
que l'on traite autrement parce qu'elles
sont plus fortes, ne trouvent pas mauvais
ce que l'on fait de plus pom- les autres par
tolérance, plutôt que par préférence. Com-
me il faut retrancher aux malades quelque
chose de leur nourriture ordinaire pour ne
les pas accabler, on doit donner aux conva-
lescentes tout ce qui peut contribuer à les
[n'* ET V^ SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
173
rétablir promptement , sans distinction de
pauvi'e ni de riche, parce que la maladie
fait dans celles qui étaient robustes, ce
que la délicatesse de la complexion ou de
l'éducation fait dans les autres. Qu'il n'y ait
rien de remarquable dans vos habits, et que
vos voiles ne soient point transparents , en
sorte qu'ils laissent voir votre coiiïure. Que
vos cheveux ne paraissent par aucun en-
droit. Si vous allez quelque part, marchez
toutes ensemble ; et quand vous serez arri-
vées, tenez-vous aussi toutes ensemble. Si
en passant, vos regards tombent sur quel-
qu'un, qu'au moins ils ne s'arrêtent sur per-
sonne ; car il ue vous est pas défendu de
voir des hommes quand il s'en trouve sur
votre chemin, mais de désirer d'en voir, ou
d'en être vues. Si vous remarquez dans
quelqu'une de vos sœurs de ces sortes de
regards, avertissez-la sans différer, de peur
que le mal ne gagne, et pour l'étouffer dès
sa naissance. Si elle retombe, faites remar-
quer ce qui se passe à une ou deux des
sœurs, afin qu'étant convaincue par deux
ou trois témoins, elle puisse être punie
comme elle le mérite. Si elle ne se corrige
point , avertissez la supérieure , qui après
l'avoir corrigée en secret, la punira publi-
quement en cas de rechute, et la chassera
même du monastère, si eUe refuse de subir
la peine que le supérieur ou la supérieure
aiu'ont ordonnée pour sa correction. Si quel-
qu'une va jusqu'à recevoir secrètement des
lettres ou des présents de quelque homme,
et qu'elle vienne à s'en accuser eUe-même,
qu'on lui pardonne, et que l'on prie pour
elle. Mais si la chose se découvre d'une
autre manière, et qu'on ait trouvé de quoi
l'en convaincre, qu'on la châtie plus sé-
vèrement, selon l'avis de la supérieure, ou
du prêtre ou même de l'évêque.
Que tous les habits soient gardés dans un
même lieu sous la charge d'une ou de deux
personnes. Lorsqu'on en change selon les
saisons V recevez indifféremment, s'il est
possible, tout ce qu'on tirera de ce vestiaire
commun pom- chacune de vous, sans pren-
dre garde si l'on donne à l'une ce qui avait
auparavant servi à l'autre, pourvu qu'on
donne à chacune tout ce qui lui est néces-
saire. Mais s'il arrivait que par condescen-
dance l'on souffrit cpie chacune au change-
ment de saison reprît dans le vestiaire com-
mun ce qu'elle y avait déposé, cela n'em-
pêche pas qu'on ne doive garder tous les
habits dans un même lieu. Qu'aucune ne
travaille pour elle-même, soit en habits, en
lits, en ceintures, en couvertures, en voiles,
mais que tous vos ouvrages se fassent en
commun, et même avec plus de soin, de
plaisir et de joie que si chacune travaillait
pom- soi. Vos habits seront lavés ou par les
sœurs mêmes, ou par des ouvriers suivant
la disposition de la supérieure.
« Quant à l'usage des bains, on ne le per-
mettra qu'une fois le mois, si ce n'est en cas
de maladie et par l'avis du médecin. Quand
les sœurs iront au bain, elles ne seront ja-
mais moins de trois, et ce ne sera pas celle
qui en aura besoin, mais la supérieure qui
les choisira. Il y aura une sœur particuliè-
rement destinée pour avoir soin des mala-
des ou des convalescentes, qui prendra dans
la cuisine les choses nécessaires à chacune
des infirmes. Chaque jour, à une certaine
heure, on viendra prendre les livres : passée
cette heure, on n'en donnera point. Quant
aux habits et aux souliers, celles qui en au-
ront soin en donneront aux sœurs suivant
leur besoin et sans différer. »
Saint Augustin veut que, s'il arrive quel-
que querelle dans le monastère , on l'apaise
aussitôt; que les sœurs s'abstiennent de
toutes paroles dures et capables de blesser
la charité, et que, s'il en échappe à quel-
qu'une, eUe ne fasse point de diflEiculté de
tirer le remède de la même bouche dont est
sorti ce qui a fait le mal. Il excepte de cette
règle celles qui sont en charge , les dispen-
sant de demander pardon à leurs inférieu-
res, quand même elles s'apercewaient d'a-
voir dépassé les bornes dans les paroles du-
res dont la nécessité de maintenir l'ordre et
la discipline les obligent quelquefois d'user.
(( Car en portant, dit-il, l'humilité trop loin,
on avilirait l'autorité ; mais qu'au moins
eUes en demandent pardon au Maître com-
mun des unes et des autres, qui le leur ac-
cordera en considération de la charité qu'el-
les ont pour celles mêmes à qui elles ont
fait une correction trop sévère. » Il les
exhorte à purifier teUement l'amour qu'elles
ont les unes pour les autres , qu'il ne tien-
ne ni de la chair ni du sang; à obéir à
leur supérieure comme à leur mère , et plus
exactement encore au prêtre chargé du soin
de toute la communauté ; c'est à lui que
la supérieure doit recourir dajis ce qui passe
ses forces et sa capacité; si elle trouve sa
condition heureuse, que ce soit par la cha-
174
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Lrttre 212
& QuÎDliliËO,
en 423, pajf.
ISS.
Aclo de lï-
leclion d'Hé-
roclius , en
426, pag. 788.
Leitres 214
et 215 H Va-
'entîn,en 427,
paf. 791 , et
de Valenlin ï
?aint Augus-
tin, pay. 79C.
rite qui la rend servante de toutes les autres,
plutôt que par l'autorité qui l'en rend en
quelque façon maîtresse. « Si elle est, dit-il,
au-dessus des autres aux yeux des hommes,
qu'elle soit au-dessous de ses sœurs aux
yeux de Dieu par son humilité. Qu'elle serve
d'exemple à toutes en toutes sortes de bon-
nes œuvres ; qu'elle reprenne celles qui
seront déréglées, qu'elle console celles qui
seront dans l'abattement, qu'elle supporte
les faibles, qu'elle soit patiente envers tou-
tes, qu'elle se soumette volontiers à la ri-
gueur de la discipline et qu'elle ne l'impose
aux autres qu'avec ci'ainte, qu'elle ait beau-
coup plus de soin de se faire aimer que de
se faire craindre, et qri'elle pense sans cesse
qu'elle rendra compte à Dieu de toutes cel-
les qui lui sont soumises. »
Saint Augustin ordonne qu'on lise cette
règle à la communauté une fois la semaine ,
afin qu'on n'en oublie aucun précepte, et
qu'elle soit mieux observée.
58. Sa lettre à l'évêque QuintiHen, est
pour lui recommander une sainte veuve
nommée Gella et sa fille Simplicie, que sa
qualité de vierge consacrée à Jésus-Christ
mettait au-dessus de sa mère. Il avertit
QuintiHen qu'elles portaient avec elles des
reliques du martyr saint Etienne, sachant
qu'il était instruit du respect qu'il devait
avoir pour- ces précieux restes d'un si grand
saint. On a mis à la suite de cette lettre l'acte
dressé publiquement à Hippone dans l'église
de la Paix, du choix que fit saint Augustin
du prêtre Héraclius, pour lui succéder dans
l'épiscopat, et le soulager dans sa vieillesse
d'une partie de ses soins.
59. On rapporte à l'an 427 le trouble qui
arriva dans le monastère d'Adrumet \ au
sujet des disputes qui régnaient alors sur le
libre arbitre et sur la grâce. Florus, l'un
des moines de ce monastère, ayant été obli-
gé par charité de faire un voyage à Uzale,
y lut quelcpes ouvrages de saint Augus-
tin, c'est-à-dire VÉ pitre à Sixte, prêtre de
Rome, n la transcrivit même avec la per-
mission des moines d'Uzale, et l'aide de Fé-
lix, moine du monastère d'Adrumet, qui l'a-
vait accompagné à Uzale. Florus alla de
cette ville à Carthage, et Félix s'en retourna
en son monastère avec le livre de saint Au-
gustin qu'il lut à ses confrères, sans que Va-
lentin leur abbé en sût rien. Cinq d'entre
eux qui ne prenaient pas bien le sens des
paroles de saint Augustin, excitèrent un
grand bruit dans le monastère, prétendant
que les autres qui entendaient l'écrit de ce
Père autrement qu'eux, soutenaient telle-
ment la grâce qu'ils détruisaient le libre ar-
bitre. Florus étant de retom' à Adrumet, le
trouble recommença, parce qu'ils l'accu-
saient d'être la cause de tout ce qui était
arrivé. Tout cela se passa sans que Valentin
en eût connaissance : mais Florus crut être
obligé de l'en avertir. Valentin, en voyant
la lettre à Sixte, ne douta point qu'elle ne
fût de saint Augustin, dont il connaissait le
style. Il la lut avec joie, et, pour étouffer les
questions impies que l'ignorance de quelques-
uns de ses frères avait fait naître, il proposa
d'envoyer quelqu'un à saint Évodius, évéque
d'Uzale, pour avoir l'explication du livie de
saint Augustin. Il y envoya en effet : Évodius
ayant appris ^ les disputes qu'ils avaient entre
eux sur le libre arbitre et la justice de Dieu,
leur manda par une lettre dont le père Sir-
mond nous a donné un fi-agment, qu'il louait
leur amour pour la connaissance de la
vérité, mais qu'il fallait se garder d'avoir
un zèle aigre et contentieux ; que la dispute
produit le trouble, mais que l'amour de la
vérité demande la piété. Il leur apprend con-
formément à la doctrine de saint Augustin,
que le premier homme avait le libre arbitre
dans son entier, mais qu'il a été affaibli par
le péché ; que l'homme a donc encore son
* La ville d'Adrumet, célèbre en ce temps-là,
était la métropole civile de la Bizacène ; [elle se
trouvait dans ce qui forme aujourd'hui la régence
de Tunis.)
2 Honorabiles fratres retuleriint nobis, quia
nescio quœ ibi contentiones inler vos natœ sunt
de libero arbitrio et de justitia Dei. Laudamus
qwidem studmm vestrum, sed nolumus esse con-
tentiosum. Conlentio enim perturbationem exci-
tât, sed studium pietatem requirit. Liberi ar-
bitra plenissimum afjfectwm habuit homo primo
creatus, Adam dico. Sed ubi sauciaVmn est,
ipsum liberiim arbitrium infirmatum est. Ergo
est in homine nunc liberum arbitrium, sed sau-
ciatum : inde dictum est. Psalm- xxxvii , 2 :
Infirmatus est in cgestate vigor meus, et lumen
oculorum meorum non est mecum. Ad hoc re-
cuperandum missus est medicus salvator Chris-
tus, ut salvaret quod perierat, et curaret quod
vitiatum- fiierat.... Legant ergot san.cti Dei ma-
jorum dicta, siciit jam dixi, qui habent divini
muneris affectum ; et quando non intelligtint,
non cito reprehendant, sed orent ut intelligant.
Évod. apud Sirmondum, in Prœdestinat. Histor.,
cap. I.
[VI» ET V^ SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
175
libre arbitre, mais faible et infirme; que Jé-
sus-Christ a été envoyé comme sauveur et
comme médecin pour réparer nos pertes et
guérir nos blessures. Après diverses autres
choses, Évodius les avertit que, quand ils
trouvent dans les écrits des personne illus-
tres, des choses qu'ils n'entendent point,
ils ne doivent pas se hâter de les reprendre,
mais prier pour en avoir l'intelligence.
Cette lettre ne fit point d'impression sur
des esprits échauffés. Us résolurent, contre
le sentiment de leur abbé, d'aUer trouver
saint Augustin même. Valentin pour les en
détourner engagea un saint prêtre nommé.
Sabin, à donner une explication de cette let-
tre, mais elle ne put les guérir ; de sorte que
Valentin n'y voyant point d'autre remède,
les laissa partir ; mais il ne leur donna point
de lettre pour saint Augustin , de peur qu'il
ne parût douter aussi bien qu'eux de la vé-
rité de sa doctrine. Les moines d'Adrumet
s'en allèrent donc à Hippone, portant avec
eux la lettre à Sixte dont ils se scandali-
saient. Il n'y en eut que deux d'entre eux
qui y arrivèrent, savoir Cresconius, et un
Félix différent de celui qui avait apporté la
même lettre à Adrumet. Quoiqu'ils n'eus-
sent point de lettre de leur abbé, saint Au-
gustin les reçut avec beaucoup de bonté, les
trouvant trop simples pour faire une faus-
seté. Ils lui dirent que quelques-uns de leurs
frères, en voulant établir la grâce, niaient
le libre arbitre, et disaient qu'au jour du
jugement Dieu ne rendra point à chacun
selon ses œuvres; mais que le plus grand
nombre n'était pas de ce sentiment; qu'ils
reconnaissaient le libre arbitre, et qu'ils
avouaient aussi qu'il avait besoin d'être
aidé de la grâce, pour goûter et pratiquer
le bien ; et qu'ainsi quand le Seigneur vieu-
cba pour rendre à chacun selon ses œuvres,
il en trouvera de bonnes en nous, qu'il
avait préparées pour nous y faire marcher.
Saint Augustin instruisit Cresconius et Fé-
lix, et leur expliqua sa lettre au prêtre Sixte.
Outre cela il écrivit par eux sa deux cent
quatorzième lettre à Valentin , et aux autres
frères de son monastère, dans laquelle il
traite cette question si difficile du libre arbi-
tre et de la grâce. «Lorsque vous lirez, leur
dit-il ', mon livre ou ma lettre (c'est la cent-
quatre-vingt-quatorzième à Sixte) entendez-
la de telle sorte que vous ne niiez pas la
grâce de Dieu, ni que vous ne défendiez, pas
le libre arbitre en le séparant de la grâce
de Dieu, comme si nous pouvions sans elle
penser ou faire quelque chose de bon se-
lon Dieu : car c'est ce que nous ne saurions
pouvoir en aucune manière , comme Jésus-
Christ même nous l'a appris, lorsque parlant
à ses apôtres des fruits de justice, il leur dit :
Sans moi vous ne pouvez rien faire. »
Saint Augustin eut bien voulu envoyer à
Valentin par ses deux religieux quelques
pièces qui concernaient l'histoire du péla-
gianisme, en particulier ce qui s'était fait
contre cette hérésie dans les conciles d'Afri-
que, mais ils ne voulaient pas lui donner le
temps de les faire copier, se hâtant de s'en
retourner dans leur monastère avant la fête
de Pâques, qui en 427 était le 3 avril. Le
saint évêque eut néanmoins depuis assez de
pouvoir sur leur esprit, pour les engager à
passer cette solennité à Hippone. Pendant
cet intervalle arriva l'autre Félix qui avait
porté la lettre à Sixte aux moines d'Adru-
met. Saint Augustin pour instruire plus à
fond les trois qu'il avait auprès de lui, de ce
qui regardait l'hérésie pélagienne , leur lut
les lettres des conciles de Carthage et de
Numidie, celle des cinq évêques à Innocent,
avec les trois réponses de ce pape, celle du
concile d'Afrique à Zozime, celle de Zozime
à tous les évêques, et les canons du con-
cile général d'Afrique contre l'hérésie des
pélagiens. Il leur lut aussi le livre de saint
Cyprien sur l'Oraison dominicale, en leur
faisant remarquer de queUe manière ce
saint évêque enseigne que nous devons de-
mander à notre Père qui est dans le ciel tout
ce qui fait les bonnes mœurs et la bonne
vie, de peur que, présumant des forces de
notre libre arbitre, nous ne venions à dé-
cheoir delà grâce. Enfin, pour ne rien omet-
tre de ce qui pouvait les rendre fermes dans
la foi, sans nier ni le libre arbitre, ni la né-
cessité de la grâce , il lut encore avec eux
sa lettre à Sixte, en leur faisant voir, qu'il
1 Proinde librum vel epistolam meam, quam
seciim ad nos supradicti attulerunt, secundum
hanc fidem intelligite, ut neque negetis Dei gra-
tiam, neque liberum arbitrium sic defendatis, ut
a Dei gratia separetis, tanquam sine illa vel co-
gitare aliquid, vel agere secundum Deum ulla ra-
tione possimus, quod omnino non possumus.
Propter hoc enim Dominus, cum de fructu jus-
titicB loqueretur, ait discipulis suis : Sine me
nihil potestis faoere. Aug., Epist. 214, num. 2,
pag. 791, tom. 2.
176
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
ne l'avait écrite que contre ceux qui disent,
que c'est selon nos mérites que la grâce de
Dieu nous est donnée , c'est-à-dire contre les
pélagiens. Il fit même pour eux un ouvrage
exprès sur cette matière, intitulé : De la grâce
et du libre arbitre, qu'il adressa à Valentin
et aux autres qui servaient Dieu ensemble
dans le monastère d'Adrumet , espérant
qu'avec la grâce de Dieu, ce livre apai-
serait toutes les disputes , s'ils le lisaient at-
tentivement, et s'ils en comprenaient bien le
sens. Il en cliargea donc Cresconius et Félix,
joignant à ce livre toutes les autres pièces
contre les :pélagiens qu'il leur avait lues, et
une seconde lettre à Yaleutin, où il établit
encore la nécessité de la grâce. Il y prie cet
abbé de lui envoyer Florus. Valentin le lui
envoya aussitôt après le retour de Cresco-
nius et de ses compagnons , avec une lettre
pour saint Augustin, où il lui fait le récit de
ce qui s'était passé dans son monastère. Il y
fait aussi une déclaration de sa foi, qu'il
proteste être celle de Florus, priant ce saint
évêque de n'en point juger par ce que lui
en avaient dit les autres frères, qui lui ont
eux-mêmes, dit-il, entendu dire plusieurs
fois, que ce n'est pas en considération d'au-
cun mérite qui soit en nous, mais par la
grâce du Rédempteur, que Dieu nous dé-
partit les dons de sa miséricorde. « Nous ne
nions pas, ajoute Valentin, que le libre ar-
bitre n'ait été guéri, et rendu sain par la
grâce de Dieu ; et nous croyons avec con-
fiance que c'est le secours journalier de la
grâce de Jésus-Clu-ist qui le soutient, et qui
le fait avancer dans le bien. » 11 condamne
l'orgueil de ceux qui vantaient les forces de
leur libre arbitre , comme s'il pouvait quel-
que chose de lui-même, et déclare une se-
conde fois, qu'il ne le croit capable de faire
le bien qu'avec le secours de la grâce de
Dieu.
i vii"r ^én 6^- ^^^^ le même temps on rapporta à
»n. iiog. 703. saint Augustin qu'un homme de considéra-
tion de l'Église de Carthage, nommé Vital,
errait aussi sur la grâce , enseignant que le
commencement de la bonne volonté et de la
foi n'est pas un don de Dieu ; mais que
par nous-mêmes et par une volonté pro-
pre que Dieu n'a point formée dans notre
cœur, nous pouvons commencer de croire en
Dieu, et nous soumettre à l'Évangile. Quand
on lui demandait ce que veulent donc dire
phiiir. M, ces paroles de saint Paul : C'est Dieu qui
"' opère en nous le vouloir et le faire, il répon-
dait qu'elles signifient seulement qu'il le fait
autant qu'il est en lui, en nous instruisant
par sa loi et par ses Ecritures; mais qu'il dé-
pend tellement de nous d'y consentir, ou de
n'y pas consentir, que quand nous ne le
voulons pas, l'opération de Dieu n'a point
de forces en nous. Vital convenait que pour ^'"s- sc-
ies autres devoirs de la vie chrétienne, c'est
Dieu qui nous les donne par sa grâce, lors-
que nous demandons par la foi, que nous
cherchons et que nous frappons.
Saint Augustin , pour réfuter cette erreur,
qui est celle de ceux qu'on appela depuis
semi-pélagiens, lui écrivit une longue let-
tre, dans laquelle il fait voir que cette doc-
trine combat les prières de l'Eglise. « Dites
donc nettement , dit-il à Vital , que nous ne
devons point prier pour ceux à qui nous
prêchons l'Evangile ; mais seulement leur
prêcher. Elévez-vous contre les prières de
rÉghse, et quand vous entendez le prêtre à
l'autel exhortant le peuple de Dieu à prier
pour les infidèles, afin qu'il les convertisse ;
pour les catéchumènes, afin qu'il leur ins-
pire le désir du baptême ; et pour les fidèles,
afin qu'ils persévèrent par sa grâce , mo-
quez-vous de ces saintes exhortations , et
dites que vous ne prierez point Dieu pour
les infidèles, afin qu'il les rende fidèles :
parce que ce n'est point un bienfait de sa
miséricorde, mais un etfet de leur vo-
lonté. » Il fait voir encore que cette doc-
trine est contraire à celle de saint Cyprien,
qui dans l'explication de l'Oraison domini-
cale, enseigne que nous devons demander à
Dieu pour les infidèles, le même don de la
foi que les iidèles ont déjà reçu ; qu'elle est
aussi contraire à cet endroit de la seconde
aux Corinthiens, nous demandons à Dieu que
vous ne fassiez aucun mal : car on ne peut
pas dire que ce n'est point faire de mal, que
de ne pas embrasser la foi de Jésus-Clu-ist ;
enfin qu'elle est contraire à ces paroles de
David : Le Seiçjneur dresse les pas de l' homme, p«
et c'est alûi's que l'homme veut et recherche les
voies du Seigneur. « Peut-être, répondrez-
vous, dit ce Père à Vital, que c'est en fai-
sant arriver l'homme, par la lecture, ou par
la prédication de l'Évangile, à la connais-
sance de la vérité, que le Seigneur fait ce
que dit le Prophète ? Mais s'il en était ainsi,
il suturait de prêcher et d'exphquer la vérité
aux infidèles, ou de les obliger à s'en ins-
truire par la lecture ; on n'aurait que faire
de prier Dieu de convertir leurs cœurs, non
[IV" Eï V' SIÈCLES.]
plus que de lui demander, par le secours de
sa'grâce, l'avancement et la persévérance
pour ceux qui seraient déjà convei'tis ; et ce
serait une moquerie plutôt qu'une véritable
prière, de demander à Dieu pour eux ce
qui n'est pas l'effet de sa grâce. »
n dit à Vital que pour soutenir comme on
doit le libre arljitre, il faut bien se garder
d'attaquer ce qui le rend libre , c'est-à-dire
la grâce, qui le délivre de l'esclavage, et
qui le met dans la liberté nécessaire pour
fuir le mal et faire le bien ; que si la déli-
vrance de notre libre arbitre était notre ou-
vrage, l'Apôtre ne dirait pas que c'est Dieu
qui l'a arraché de la puissance des ténèbres, et
ne lui en rendrait pas grâces, puisque nous
ne remercions pas Dieu de ce qu'il ne fait
pas. Il lui fait voir que la grâce de Dieu
consiste non dans la faculté naturelle du
libre arbitre, ni dans la loi, ni dans les ins-
tructions, mais dans un secours donné à
chaque action selon la volonté de celui dont
il est écrit : Vous réserverez, Seigneur, selon
votre bon plaisir une pluie et une rosée de bé-
nédiction pour notre héritage. « Car nous n'a-
vons plus, dit-il, de libre arbitre pour aimer
Dieu, l'ayant perdu à cet égard par l'énor-
mité du premier péché ; et la loi de Dieu
toute sainte, toute juste, et toute bonne
qu'elle est, tue néanmoins, si l'esprit ne
■\avifie, en faisant qu'elle entre dans nos
cœurs non par la force de la prédication,
ni par la lecture que nous en faisons, mais
par l'obéissance ci par l'amour qu'il nous
inspire. De sorte que de croire en Dieu,
et de vivre dans la piété, cela ne vient ni
de celui qui veut, ni de ce lui qui court, mais
de Dieu qui fait miséricorde ; d'où il ne suit
pas que nous ne dussions vouloir et cou-
rir; mais que c'est lui qui opère en nous
le vouloir et le couiùr; et de là vient que
Jésus-CMst faisant la différence de ceux
qui croient d'avec ceux qui ne croient pas,
dit : Personne ne vient à moi si cela ne lui est
donné de mon Père. Ne disons donc pas, con-
tinue saint Augustin, que la grâce consiste
dans la doctrine ; mais reconnaissons la
grâce qui fait que la doctrine profite, puis-
que nous voyons qu'au Heu de profiter, elle
nuit, si la grâce manque. En effet, quand
nous offrons nos prières à Dieu pour les
infidèles, nous ne le prions pas de les faire
hommes, et de produire en eus la nature
qu'ils ont déjà : nous ne lui demandons pas
non plus que sa doctrine leur soit annoncée,
IX.
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
177
puisqu'ils ne l'entendent que pour leur con-
damnation lorsqu'ils ne croient pas; mais
nous demandons que leur volonté soit re-
dressée, et qu'elle embrasse la doctrine du
salut. »
Ensuite il propose à Vital douze articles,
qui comprennent ce que l'on doit croire sur
la grâce. « 1° Nous savons que les hommes
avant leur naissance, n'ont point eu de vie
où ils aient fait ni bien ni mal ; mais que
descendant d'Adam selon la chair, ils parti-
cipent par leur première naissance au venin
de cette mort ancienne qu'il encourut par
son péché, et qu'ils ne sont point délivrés
de la mort éternelle, qui, par tme juste con-
damnation, s'est répandue d'un seul sur
tous, s'ils ne renaissent en Jésus-Christ par
la grâce. 2° Nous savons que la grâce de
Dieu n'est donnée ni aux enfants, ni aux
pei-sonnes qui sont en âge de raison, en
considération d'aucuns mérites. 3° Nous
savons que la grâce est donnée pour cha-
que action, à ceux qui sont en âge de
raison. 4° Nous savons qu'elle n'est pas
donnée à tous les hommes, et que ceux à
c[ui eUe est donnée, la reçoivent sans l'avoir
méritée, ni par leurs œuvres, ni même par
leur volonté ; ce qui paraît particulièrement
dans les enfants. 5° Nous savons que c'est
par une miséricorde de Dieu toute gratuite,
qu'elle est donnée à ceux à qui elle est don-
née. 6° Nous savons que c'est par un juste
jugement de Dieu, qu'elle n'est pas donnée
à ceux à qui elle n'est pas donnée. 7° Nous
savons que nous paraîtrons tous devant le
tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun
reçoive récompense ou punition, selon ce
qu'il aura fait par son corps, et non pas
selon ce qu'il aurait fait, s'il eût vécu da-
vantage. 8° Nous savons que les enfants
même ne recevi-ont récompense ou punition
que selon ce qu'ils auront fait par leurs
corps, c'est-à-dire pendant qu'ils ont été
dans le corps, selon que les uns ont été ré-
générés, et que les autres ne l'ont pas été.
9° Nous savons que le bonhem' éternel est
assuré à tous ceux qui meurent en Jésus-
Christ, et qu'il ne leur est rien imputé de
ce qu'ils auraient fait, s'ils avaient vécu
plus longtemps. 10° Nous savons que ceux
qui croient en Dieu de leur propre mouve-
ment, le font volontairement et par une
action de lem* libre arbitre. 11° Nous savons
que c'est agir conformément aux règles de
la foi, lorsque nous, qui sommes déjà fidè-
12
178
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
les, offrons des prières à Dieu pour ceux qui
ne croient pas, afin qu'ils veuillent croire.
12° Nous savons que quelqii'un de ceux-
là ayant embrassé la foi, nous devons en
rendre grâces à Dieu sincèrement, comme
d'un bienfait de sa miséricorde, et que c'est
la coutume de le faire. »
Saint Augustin applique ensuite ces douze
articles à la dispute qu'il avait avec Vital, et
qui consistait à savoir, si la grâce nous est
donnée, parce que nous voulons; on, si le
vouloir même n'est pas une chose que Dieu
opère en nous par la grâce. « Comment, lui
dit-il, peut-on enseigner que la grâce ne fait
que suivre le mérite de la volonté de l'hom-
me, puisqu'elle est même donnée aux en-
fants avant qu'ils soient en état de faire au-
cun usage de leur volonté ? Comment peut-on
dire qu'aucun mérite de la volonté précède
la grâce , soit dans les enfants , soit dans les
adultes, puisque ce qui fait qu'elle est vérita-
blement grâce, c'est qu'elle ne nous est point
donnée en considération d'aucun mérite,
comme Pelage même fut obligé de le recon-
naître, pour éviter la condamnation des évo-
ques? Comment peut-on dire que la grâce
consiste ou dans la faculté naturelle du li-
bre arbitre, ou dans la loi ou la doctrine,
puisque le même Pelage a encore condamné
cet article, et reconnu que la grâce est un
secours donné pour chaque action, à ceux
qui sont en âge d'user de leur libre arbitre?
Comment peut-on dire que la grâce soit don-
née à tous les hommes, puisqu'elle n'est point
donnée à un si grand nombre d'enfants qui
meurent sans baptême, non par la faute des
parents ou des ministres de l'Église, mais
parce que Dieu ne le A'eut pas? Comment
peut-on dire que quand la grâce est donnée
à l'homme, c'est qu'il la mérite par l'usage
qu'il fait de sa volonté; puisque c'est par une
miséricorde de Dieu toute gratuite qu'elle
est donnée à ceux h. qui elle est donnée; et
qu'il faut que cela soit ainsi, afin qu'elle soit
véritablement grâce? Comment peut-on pré-
tendre que Dieu trouve dans la volonté
de l'homme quelque mérite auquel il ait
égard dans la dispensation de sa grâce,
puisque sans qu'il y ait pour l'ordinaire au-
cune différence du côté de la volonté et du
mérite, entre ceux à qui il donne sa grâce, et
ceux à qui il la refuse, et ceux-ci n'étant en
rien inférieurs aux autres, c'est néanmoins
par un juste jugement qu'il la leur refuse,
afin que ceux à qui elle est donnée, conçoi-
vent combien la miséricorde que Dieu exerce
en cela sur eux est gratuite ; puisqu'il pour-
rait leur refuser sa grâce avec autant de jus-
tice qu'aux autres, dont la condition est par-
faitement égale à la leur. Comment peut-on
s'empêcher de reconnaître pour des effets
de la grâce non-seulement la première vo-
lonté qui nous porte à croire, mais même
celle cjui nous fait persévérer jusqu'à la fin;
puisque ce n'est pas de l'homme, mais de
Dieu , qu'il dépend de finir la vie de chacun
quand il lui plaît; et qu'avant que la malice
ait changé le cœur de celui qui ne doit pas
persévérer, il pourrait par u.n effet de sa mi-
séricorde le retirer du monde? Comment
peut-on dire que ce qui fait qu'entre les en-
fants , qui meurent avant l'usage de raison,
les uns reçoivent la giâce, et non pas les
autres, c'est l'usage que Dieu préA'oit qu'ils
auraient fait de leur volonté, s'ils avaient
vécu davantage; puisque les hommes ne se-
ront pas jugés selon ce qu'ils auraient fait
dans une plus longue vie, mais que chacun
recevi'a récompense ou punition selon ce qu'il
aura fait par son corps? Si les hommes ne
devaient être jugés que selon l'usage qu'ils
am^aient fait de leur volonté s'ils avaient
vécu davantage, nous n'aurions point de
raison de nous réjouir pour ceux que nous
savons être morts dans la pureté de la foi
et la sainteté de la vie; ni de détester la
mémoire de ceux qui finissent leurs jom's
dans l'infidélité et dans le dérèglement des
mœurs; ce qui est contre la doctrine de saint
Cyprien, dont le livre de la mortalité ne tend
qu'à nous faire voir que nous devons nous
réjouir pour les fidèles qui, mourant dans la
piété chrétienne, sont mis à couvert des ten-
tations de cette vie, et dans une heui'euse
assurance de ne plus pécher. Comment peut-
on accuser de nier le liLre arbitre ceux qui
reconnaissent que quiconque croit en Dieu,
ne le fait que d'une volonté toute libre ? Ceux-
là ne sont-ils pas plutôt ennemis du libre
arbitre qui attaquent la grâce de Dieu, qui
le rend véritablement libre pour choisir et
faire le bien? Comment au lieu de recon-
naître que c'est par une infusion secrète de
la grâce, que s'accomplit ce que dit l'Écri-
ture : C'est Dieu qui prépare la volonté, pré-
tend-on que c'est par la connaissance qu'il
nous procure de sa loi, puisqu'en priant,
comme nous faisons, pour ceux qui, bien loin
de vouloir embrasser cette loi, la rejettent;
et en lui demandant qu'il la leur fasse em-
TV' ET V'' SIÈCLES.]
brasser, nous agissons suivant les principes
de la foi orthodoxe ? Comment peut-on dire
que Dieu, dans la dispensation de sa grâce,
attend que le mouvement de la volonté de
l'homme ait précédé; si c'est un devoir de
justice de rendre grâces à Dieu comme nous
faisons, de ce qu'il va chercher au milieu de
l'incrédulité ceux mêmes qui persécutent sa
vérité, pour les convertir à lui, et leur faire
vouloir ce qu'ils ne voulaient pas au-
paravant? Pourquoi lui rendre grâces de
ce changement, si ce n'est pas lui c[ui le
fait? »
Saint Augustin rapporte sur ce sujet ce
que dit saint Paul des actions de grâces que
les éghses de Judée rendaient, à Dieu, de
ce que par un effet de sa bonté il avait con-
verti le cœur de Paul ; remarquant que mal-
à-propos elles auraient publié la grandeur
de la bonté de Dieu sur ce sujet, si Dieu
même n'avait pas fait le grand ouvrage de
la conversion de cet apôtre. Il conclut de la
doctrine renfermée dans les douze articles,
que la grâce de Dieu prévient et prépare la
volonté de l'homme, bien loin d'être la récom-
pense d'aucun mérite que l'homme puisse
s'attribuer de lui-même. Il confirme encore
cette doctrine par un grand nombre de pas-
sages de l'Écriture, et principalement des
Épitres de saint Paul, qui nous font voir que
c'est Dieu qui par sa grâce ôte aux infidèles
leurs cœurs de pierre, et que cette grâce pré-
vient dans les hommes toute bonne volonté,
et par conséquent tout mérite.
61. Il étabht la même doctrine dans sa
lettre à Palatin, en le faisant souvenir que
pour persévérer il avait besoin de cette même
sagesse qui lui avait fait prendre le bon
parti , c'est-à-dire de renoncer à la vanité
des richesses et de la gloire mondaine, pour
com'ir dans la voie du salut, et servir Dieu
avec une piété forte et abondante en fruits
célestes. Palatin s'était retiré pour cela en
un heu où il ne manquait pas de personnes
qui l'exhortassent au bien : et ce fut de là
qu'il écrivit à saint Augustin, et qu'il lui en-
voya des cilices. Ce Père les reçut avec
plaisir , regardant cette sorte de présent
comme une leçon que Palatin lui avait faite
le premier sur le soin que nous devons avoir
de vaquer à la prière, et de conserver l'hu-
milité, qui en doit être inséparable. Il lui
dit dans sa réponse que ses parents se ré-
jouissaient comme de véritables fidèles, de
ce que les espérances frivoles qu'il avait au-
SAINT AUGUSTIN, ÉVÈQUE D'HIPPONE.
179
trefois dans le siècle, ont fait place aux espé-
rances soHdes qu'il commence d'avoir en
Jésus-Christ.
62. Léporius, moine gaulois, tomba aussi
dans les erreurs de Pelage, attribuant tout
ce qu'il faisait de bien, à son libre arbitre et
à ses propres forces, et non à la grâce de
Dieu. Ce ne fut pas là le seul malheur qui
lui arriva. Il renouvela l'ancienne impiété
des ébionites, et jeta les fondements de
celle de JNestorius, en disant que Jésus-
Christ n'était en naissant qu'un pur homme ;
qu'il n'était pas né Dieu, mais qu'il avait été
choisi de Dieu, et qu'il avait acquis la divi-
nité par le mérite de ses travaux et de ses
souffrances. Comme il publiait ces erreurs
de vive voix et par écrit, les évêques des
Gaules s'élevèrent contre lui ; et voj^ant qu'il
s'opiniâtrait dans sa mauvaise doctrine, ils
le condamnèrent et le chassèrent del'Égiise.
Des Gaules il passa en Afrique, où Aurèle de
Carthag-e, saint Augustin et quelques autres,
sans s'éloigner de la sentence prononcée
contre lui, le consolèrent dans le trouble où
il était, et travaillèrent à le détromper et à
le guérir. Dieu bénit leurs travaux. Léporius
revint de ses erreurs et les désavoua publi-
quement. Il en fit même une rétractation
par écrit qu'il adressa à Proculus et à Cylin-
nius, ceux des évêques des Gaules qui avaient
eu le plus de part à sa condamnation. Il si-
gna cet écrit dans l'église de Carthage; et
quatre évêques, savoir : Aurèle, saint Au-
gustin, Florent et Second, le signèrent aussi
pour attester que cet écrit était véritable-
ment de lui, et pour en approuver la doc-
trine. Ils écrivirent outre cela une lettre par-
ticulière à Proculus et à Cylinnius, où ils
leur rendaient compte de la manière dont
Léporius s'était venir jeter entre leurs bras,
et qu'ils l'avaient reçu. « Comme sa péni-
tence, ajoutaient-ils, nous a obligés de le re-
cevoir; sa profession de foi, que nous avons
- certifiée véritable par nos signatures , doit
vous obliger de lui faire la' même grâce. »
Le style de cette lettre fait juger que ce fut
saint Augustin qui l'écrivit, et on ne peut
même guères douter qu'il n'ait aussi dressé
la confession de foi de Léporius.
63. Le comte Boniface, après la mort de
sa première femme, était résolu de quitter
la profession des armes , et de vivre dans
une entière continence. Saint Augustin et
saint Alypius l'avaient porté à demeurer
dans cette profession, et à y servir Dieu et
Lellro 219
à Pioculus, en
427, pa». 810.
Lellrc 220
à Boniface, on
427, pas. 812.
180
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
l'Église, comme il l'avait fait auparavant;
mais ils ne lui avaient pas conseillé de se
remarier. Boniface oubliant sa résolution,
épousa une seconde femme nommée Péla-
gie, mais à condition qu'elle abandonnei'ait
l'arianisme pour se faire catholique. L'an-
nonce de cette conversion * consola un peu
saint Augustin dans la douleur qu'il ressen-
tit en apprenant que Boniface s'était rema-
rié. Il n'osa la lui témoigner d'abord, le sa-
chant au milieu des périls. Mais ayant depuis
trouvé un homme que Boniface aimait, sa-
voir le diacre Paid, il le chargea d'une let-
tre pour ce comte, où son principal dessein
est de l'avertir de songer à son salut. « Je
sais, lui dit-il, que vous ne manquez pas de
ces sortes d'amis qui n'aiment que par rap-
port à la vie présente, et qui vous donnent,
sur ce qui la regardent, des conseils tantôt
bons, tantôt mauvais ; tels qu'en peuvent
donner des hommes qui ne voient que le
présent, et qui ne savent fias ce qui doit
arriver d'un joiu" à l'autre ; mais oîi sont
ceux qui vous donnent des avis sur ce qui
regarde Dieu et le salut de votre âme? » Il
lui représente la piété où il avait vécu quel-
que temps, le dessein qu'il avait eu de quit-
ter tous ses emplois, et la promesse qu'il
avait faite de garder la continence. Puis ve-
nant à son second mariage, il lui met devant
les j'eux l'état malheureux où une pareille
aUiance le réduisait. Comme Boniface pré-
tendait justifier sa conduite, saint Augustin
lui dit qu'il ne pouvait en être le juge, n'é-
tant point au fait des raisons de ceux qui
l'accusaient tant sur la guerre qu'il soute-
nait, que sur les fautes qu'il commettait en
ce genre, et que les autres commettaient à
cause de lui ; mais il l'avertit de songer à se
justifier devant Jésus-Clu-ist, dont il faisait
profession d'être un fidèle serviteur, et de-
vant sa propre conscience, où il verrait, que
quand même l'Empire aurait mal reconnu
ses services, un chrétien tel qu'il était, ne
devait pas rendre le mal pour le mal. Il lui
conseille de moins penser à la conservation
de ses dignités et de ses richesses, qu'à sau-
ver son âme, qui lui devait être plus pré-
cieuse que tout le reste, et lui dit avec l'a-
! .loan. Il pôtre saint Jean : N'aimez point le monde, 7ii
'" les choses qui sont dans le inonde. <( Voilà,
ajoute-t-il, le conseil que j'ai à vous donner.
Embrassez -le sans hésiter, et faites- nous
voir en le mettant en pratique, que vous êtes
homme de cœur. » Comme cela n'était pas
aisé à pratiquer dans les engagements où le
comte Boniface se trouvait, saint Augustin
l'exhorte à recourir à la prière, et de dire
souvent à Dieu avec le prophète : Délivrez-
moi des nécessités où je suis. 11 lui conseille
aussi de joindre l'aumône à la prière, et
même de jeûner autant qu'il le pourra sans
intéresser sa santé. Il lui dit encore que s'il
n'avait point de femme, il l'exhorterait à vi-
we dans la continence, et même d'aban-
donner la profession des armes, pom' se re-
tirer avec les saints qui servent Dieu dans
un monastère, a Mais je ne puis plus, dit-il,
vous exhorter à cette sorte de vie, puisque
vous ne sauriez embrasser la continence
sans le consentement de votre femme : car
quoique de votre part, vous n'eussiez pas dû
vous remarier, après ce que vous nous aviez
dit à Tuburnes, elle est dans la bonne foi,
puisqu'elle ne savait rien de tout cela, quand
elle vous a épousé. Plût à Dieu que vous
pussiez la faire consentir à votre première
résolution, afin d'être en état de rendre à
Dieu ce que vous savez que vous lui devez.
Du reste, il y a d'autres choses à quoi le
mariage n'est point ou ne doit point être un
empêchement, c'est d'aimer Dieu, de ne
point aimer le monde, de vous conduire de
telle sorte dans l'exercice des armes, si vous
ne le pouvez quitter, que vous gardiez in-
violablement la foi à ceux à qui vous l'aurez
promise, et que vous ne fassiez la guerre
que pour avoir la paix. »
•64. La bonté avec laquelle saint Augustin
recevait ceux qui s'adressaient à lui, enga-
gea Quod^TiUdeus, diacre de l'église de Car-
thage, à lui écrire pour le prier de faire un
traité de toutes les hérésies qui s'étaient
élevées depuis le commencement de l'Église,
d'y rapporter leurs dogmes, d'y montrer en
quoi elles étaient contraires à la vérité, d'y
mettre ce que l'Ecrirui-e et la raison fom'uis-
sent pour les combattre , d'expliquer de
quelle manière l'Église reçoit ceux qui aban-
donnent leurs erreurs, et qui sont les héré-
tiques dont l'Église rejette ou admet le bap-
tême. Pom- traiter à fond toutes ces choses,
il aurait fallu plusieurs volumes : aussi
Quodvidtdeus se restreint aussitôt, et se con-
tente de demander à saint Augustin de mar-
quer en abrégé les errem's de chaque secte
Lellres
aai'dc c
Quodvull
pas.,816
' Cette femme, malgré sa promesse, n'abandonna point l'arianisme. (L'éditeur.)
[iV^ ET v" SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
d'hérétiques, et ce que l'Eglise catholique
181
223
do
de contraire aux dogmes de cha-
cune, en renvoyant ceux qui voudraient en
avoir une plus ample connaissance aux trai-
tés déjà faits sur ce sujet.
Saint Augustin répondit à Quodvultdeus,
par deux lettres. Dans la première, qui est
perdue, il lui faisait connaître combien la
chose était difficile h exécuter. Il lui dit dans
la seconde, que saint Philastre, et saint Epi-
phane ayant fait l'un et l'autre un catalogue
des hérésies, il ne s'agissait que de traduire
du grec l'ouvrage du dernier. Quodvultdeus
ne se rebuta point; et imitant la persévé-
rance de cet importun de l'Évangile, qui
alla en plein minuit demander trois pains à
son ami et les obtint, il écrivit une seconde
lettre à saint Augustin, protestant qu'il ne
cesserait de le presser jusqu'à ce qu'il eût
obtenu ce qu'il demandait. «Laissons-là, lui
dit-il, les mets étrangers que vous nous pro-
mettez ; nous ne voulons que ceux que l'Afri-
que pi'oduit et qui sont les délices de nos
provinces, n Saint Augustin céda à l'impor-
tunité de ce pieux diacre ; et quoique oc-
cupé actuellement à la réfutation des livres
de Julien, à la révision de ses propres ou-
vrages et à divers autres écrits, il promit à
Quodvultdeus de travailler sur les hérésies,
et de donner à ce travail une partie de son
temps. Il accompht sa promesse, mais sans
suivre entièrement la pensée de Quodvult-
deus, dans l'exécution de son projet.
• 65. Nous parlerons ailleurs des lettres que
saint Prosper et Hilaire écrivirent à saint
Augustin en 429 , sur les semi-pélagiens. La
même année, ce Père écrivit au saint vieil-
lard Alypius, sur la conversion de deux païens
qui avaient été baptisés à Pâques. L'un s'ap-
pelait Gabinien, et l'autre Dioscore. Le pre-
mier ne cessait d'avoir dans la bouche aussi
bien que dans le cœur, la grâce qu'il avait
reçue au baptême. Voici ce qui occasionna
au second de se convertir. Sa fiUe unique,
qui faisait toute sa joie, tomba malade à
l'extrémité, en sorte qu'il trouvait lui-même
(car il était médecin) qu'il n'y avait nulle
espérance. Dioscore ne voyant plus d'autre
ressource, se résolut enfin d'avoir recom^s à
la miséricorde de Jésus-Christ, et fit vœu de
se faire chrétien, si sa fille guérissait. EUe
guérit, mais Dioscore négligea d'accomplir
son vœu. Il perdit la vue en un moment ; et
reconnaissant d'abord ce qui lui avait attiré
ce châtiment, il s'en accusa, et s'oHigen par
un nouveau vœu d'accomplir le premier, si
Dieu lui rendait la vue. Son désir fut accom-
pli, il recouvra la vue et se fit baptiser. 11
n'avait pas néanmoins appris le Symbole
comme c'était la coutume, s'en étant excusé
sur la faiblesse de sa mémoire. Mais lorsque
les huit jours de la solennité de son bap-
tême furent passés , il tomba tout d'un coup
paralytique de presque tous ses membres,
et même de la langue. En cet état il fut
averti en songe que ce malheur lui était
arrivé pour n'avoir pas appris et récité le
Symbole. Il eut ordre de le déclarer, et il le
fit par écrit, ne le pouvant faire de bouche.
Aussitôt Dieu lui rendit l'usage de tous ses
membres, à la réserve néanmoins de la lan-
gue. Depuis, il apprit le Symbole par cœur,
comme il le déclara par un billet.
66. L'évêque Honorât avait prié saint Au-
gustin de lui dire s'il était permis aux prê-
tres, aux clercs et aux évêqnes de fuir et
d'abandonner leurs troupeaux dans les temps
de persécution : sa raison d'en douter était
qu'il ne voyait pas qu'en demeurant dans
leurs villes , ils en pussent tirer d'autre
avantage pour eux ni pour les autres, que
d'être spectateurs de la mort des hommes,
de l'embrasement des églises et de quantité
d'autres violences , et d'être eux - mêmes
exposés à périr dans les tourments que les
barbares leur feraient souffrir pour leur
faire donner l'or et l'argent qu'ils n'auraient
pas.
Saint Augustin crut résoudre suffisam-
ment son doute en lui envoyant une lettre
que nous n'avons plus, et qui était adressée
à Quodvultdeus, où ce Père avait fait voir
qu'il fallait laisser aller ceux qui étaient en
état de se retirer dans des lieux de sûreté,
mais que les évêques ne devaient point
abandonner leurs éghses , ni rompre les
liens par lesquels la charité de Jésus-Christ
les y attache : parce que, quelque peu nom-
breux que soit le troupeau qui est resté dans
ces lieux-lâ, le ministère des pasteurs lui est
toujours nécessaire. Honorât peu satisfait de
cette solution, craignait toujours que ce no
fût aller contre le précepte de Jésus-Christ
qui a commandé de fuir dans les persécu-
tions, et qui l'a pratiqué lui-même. « Mais
peut-on croire, lui répond saint Augustin,
que Jésus-Christ ait prétendu par là, que
nous abandonnassions les brebis qu'il a ac-
quises au prix de son sang ?» Il fait voir à
Honorât qu'il n'y a que deux occasions où il
Lettre 223
'i Houoraf, en
'.28 OH iog
pag. 83U
182
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
soit permis aux ecclésiastiques, chargés de la
dispensation de la parole et des sacrements,
de se retirer. La première est, quand on les
poui-suit personnellement, et que pendant
qu'ils fuient, ceux de leurs confrères qu'on
ne chercbe pas nommément comme eux, de-
meurent potu' servir l'Église et pour distri-
buer à ce qui compose la famille du Maître
commun, la nourriture spirituelle sans la-
quelle elle ne pourrait subsister. La seconde,
lorsque tout leur peuple s'est retiré, en sorte
qu'il ne se trouve plus personne qui ait be-
soin de leur ministère. Mais lorsque le péril
men'ace également les évêques, les clercs et
les laïques, ceux à qui il appartient de se-
com-ir les autres, ne doivent pas les aban-
donner, et il faut ou que tous ensemble se
retirent en un lieu de sûreté; ou que, s'il y
en a qui soient obligés de demeurer, ceux
qui comme les évêques leur doivent le se-
cours, demeurent aussi pour vivre ou mou-
rir avec eux, selon qu'il plaira à Dieu d'en
ordonner.
Saint Augustin appuie ses décisions de
divers exemples : Saint Atbanase, évèque
d'Alexandrie, prit le parti de s'enfuir, parce
qu'il était nommément persécuté par Cons-
taiice ; et encore qu'il se retirât, le peuple
de cette ville n'était point abandonné ,
y ayant d'autres ministres pour en avoir
soin; quelques saints évêques d'Espagne
se sont enfuis , mais après avoir vu leurs
peuples réduits à rien , partie par la fuite ,
partie par le fer, partie par la faim, et par
les autres calamités d'un long siège, partie
pour avoir été faits prisonniers et dispersés
çà et là par les ennemis; mais d'autres
évêques et en bien plus grand nombre ,
voyant que leurs peuples demeuraient, sont
restés avec eux, au risque de tous les maux
qui leur pouvaient arriver. « S'il y en a eu ,
ajoute-t-il, qui ont abandonné leurs peuples,
ils l'ont fait contre leur devoir, suivant
dans leur fuite, non l'autorité de l'Ecriture,
mais les faux raisonnements de leur esprit,
ou les mouvements de leur crainte. »
On avait rapporté à saint Augustin qu'un
certain évêque disait que, si Jésus-Christ
nous ordonne de nous dérober par la fuite
aux persécutions mêmes qui nous feraient
remporter la couronne du martyre, nous
devons à bien plus forte raison chercher à
nous mettre à couvert des incursions des
barbares, dont nous ue saurions attendre
c[ue des souffrances infructueuses. Mais le
saint répond que cela ne peut être véritable
qu'à l'égard de ceux qui ne sont point char-
gés du soin des éghses, c'est-à-dire à l'égard
des laïques ; poru' ceux qui demeurent, par
l'engagement que leur impose leur minis-
tère d'assister les fidèles, cette charité leur
peut faire acquérir un martyre encore plus
glorieux que s'ils le souffraient pour ne
pas renoncer à la foi de Jésus-Christ. Il fait-
voir, par l'exemple d'une ville menacée d'ê-
tre prise, combien la présence des ministres
de Jésus-Christ est nécessaire en ces occa-
sions. « Quel concours alors, dit-il, à l'É-
glise de personnes de tout âge et de tout
sexe, dont les uns demandent le baptême,
les auti'es la réconcihation, d'autres d'être
mis en pénitence, et tous qu'on les console?
S'il ne se trouve point de ministres en ces
occasions, quel malheur pour ceux qui sor-
tent de cette vie sans être régénérés ou dé-
liés ? Quelle douleur pour leurs proches ,
s'ils sont fidèles, de ne pouvoir espérer de
les avoir avec eux dans le repos de l'éter-
nité? Quels cris, quelles lamentations, quel-
les imprécations même de la part de quel-
ques-uns, de se voir sans ministres et sans
sacrements? Si, au contraire, les ministres
ont été fidèles à ne point abandomier leurs
peuples, ils assistent tout le monde selon les
forces qu'il plaît à Dieu de leur donner. On
baptise les uns, on réconcilie les autres, per-
sonne n'est privé de la communion du corps
du Seigneur; on console, on soutient, on
exhorte tout le monde à implorer par de
ferventes prières le secoui's de la miséri-
corde de Dieu. »
Saint Augustin convient néanmoins, qu'il
est permis à une partie des ministres de se
retirer dans les calamités pubhques, pour
être en état de servir l'Église dans des
temps plus calmes, pourvu qu'il y en ait
d'autres qui tiennent leur place. « Mais s'il
arrivait, dit-il, que la persécution n'en vou-
lût qu'aux pasteiu'S, faudrait-il qu'ils pris-
sent tous le parti de la fuite ; et vaudi-ait-il
mieux que l'Église en fût privée par leur
fuite que par leur mort? » Il répond qu'il
est rare qu'on soit assuré que la persécution
n'en veuille qu'aux ecclésiastiques ; mais
qiie, dans cette supposition, les laïques
pom-raient cacher leurs clercs et lem's évê-
ques ; qu'il serait à souhaiter qu'en ces oc-
casions les uns s'enfuissent, et que les au-
tres demeurassent, afin que l'Église ne fût
pas abandonnée; et qu'ufin que ceux qui
[iV^ ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
prendraient volontairement le parti de se re-
tirer, ne passassent pas pour être lâches, ou
pour s'estimer plus nécessaires à l'Église
que les autres, il serait bon d'avoir recours
au sort, voie qui, pour n'être pas ordinaire,
ne pourrait être blâmée que des envieux ou
des ignorants. Il finit sa lettre par cette
maxime : « C'est faii'e ce que Jésus-Clirist
nous permet ou nous ordonne, que de nous
retirer lorsqu'il reste d'autres ministres pour
servir l'Église; mais (juand par notre fuite
les brebis de Jésus-Christ se trouvent frus-
trées des aliments qui soutiennent la vie de
lem's âmes, c'est être des mercenaires. »
„J''","'S.--I' 67. La lettre au comte Darius est à l'occa-
230 et 231 do
DTHu«'"en ^'°^ du vojage qu'il fit en Afrique pour y
«3, pag. 835. traiter de la paix avec le comte Boniface qui
était prêt de se réconciher avec l'Empire.
Saint Augustin qui connaissait Darius sur le
rappoi't qu'on lui avait fait de ses belles qua-
lités, lui écrivit pour le féliciter sur sa com-
mission. Ce comte lui mande, dans sa ré-
ponse, ce qu'il avait déjà fait pour la paix,
ajoutant qu'il espérait de ses vœux et de ses
prières que la guei're serait bientôt entière-
ment éteinte. Il lui dit quelque chose de la
lettre d'Abgare à Jésus-Christ, et de la ré-
ponse du Sauveur, mais d'une manière qui
fait voir qu'il doutait de l'authenticité de
l'une et de l'autre. Il prie saint Augustin de
lui récrire et de lui envoyer ses Confessions.
Le saint évêque les lui envoya et y joignit
divers autres traités, savoir, ceux de la Foi
des choses qui ne se voient pas, de la Pa-
tience, de la Continence, de la Providence et
son ouvrage de la Foi, de VEspérance et de
la Charité. Il accompagna tout cela d'une
lettre où, à l'occasion des louanges que Da-
rius lui avait données dans la sienne, il dit
que les hommes ne doivent pas demander
qu'on loue en eux ce qui ne mérite point de
louanges; que, comme on doit désirer la
vertu et la vérité, qui sont les seules choses
qui méritent d'être louées, on doit aussi se
donner de garde de la vanité qui se glisse
aisément en nous, par les louanges d,es
hommes. Ce qu'il entend par vanité, c'est
ou de ne faire cas de la vertu même, que
parce qu'elle attire des louanges, ou de pré-
tendre s'en attirer par des choses peu estima-
bles, ou dont on mérite même d'être blâmé
plutôt que loué. Les hommes ne doivent pas
se proposer les louanges des hommes com-
me la fin de leurs bonnes actions, mais ils
doivent êti'e bien aises d'être loués desliom-
ÉVÊQUE D'HIPPONE. ' 183
mes pour l'amour des hommes mêmes ;
parce que les louanges que l'on donne airx
gens de bien sont utiles aux autres qui ont
intérêt de les imiter. Ceux qui ne recon-
naissent point en eux les vertus desquelles
on les loue, doivent avoir une confusion sa-
lutaire de n'être pas tels qu'on les croit et
qu'ils devraient être, et que cela doit leur
faire désirer de le devenir. Si, au contraire,
ils reconnaissent en eux quelque chose du
bien qu'on y loue, ils doivent en rendre grâ-
ces à Dieu, et se réjouir de ce que les au-
tres aiment la vertu. Le saint évêque, en
parlant de la prospérité et de l'adversité,
ajoute que les caresses de ce monde sont
encore plus dangereuses que les persécu-
tions, à moins que nous ne regardions le
repos dont nous pouvons jouir ici-bas que
comme un moyen de mener une vie paisible et
tranquille dans toute sorte de piété et d'hon-
nêteté. C'est, dit-il, ce que l'Apôtre nous or-
donne de demander : car, à moins d'avoir le
cœur plein de charité et de piété, le repos
et l'exemption des maux de la vie n'est
qu'une source de perdition, et ne sert que
d'instrument et d'aiguillon à la cupidité. Si
donc nous souhaitons de mener une vie pai-
sible et tranquille, ce ne doit être que pour
avoir un moyen de pratiquer la piété et la
charité. » Il remercie Darius des remèdes
qu'il lui avait envoyés pour le soutien de sa
santé, et de l'argent par lequel il avait bien
voulu contribuer à la réparation et à l'aug-
mentation de sa bibliothèque.
§IV.
Quatrième"^ classe des Lettres de saint Augus-
tin.
i . Cette quatrième classe contient, comme lc"™ 332
, aus habitants
on l'a déjà remarque, les lettres de samt «^ iMaure,
Augustin dont la date n'est pas connue.
Celle aux habitants de Madaure, dont la
plupart étaient encore idolàtrtîs, est pour les
exhorter à embrasser la véritable religion.
Outre la terreur du dernier jugement, il em-
ploie l'accomplissement des prédictions mar-
quées dans l'Écriture. « Tout, leur dit-il, se
passe précisément comme il a été prédit.
Vous voyez le peuple juif arraché de son
pays et dispersé cà et là presque par toute
la terre : or cette dispersion a été prédite,
aussi bien que l'origine de ce même peuple,
son accroissement, sa décadence et l'exlinc-
tion de la royauté parmi eux. Tout cela est
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
184
arrivé de point en point, ainsi que les Prophè-
tes l'avaient annoncé. Vous voyez que la loi
est la parole de Dieu qui, étant sortie d'en-
tre les juifs par Jésus-Christ, né de ce même
peuple d'une manière miraculeuse, s'est ré-
pandue par toute la terre, et est présente-
ment l'objet de la foi de toutes les nations.
C'est ce que nous lisons dans l'Écriture,
et que nous voyons accompli comme il a été
prédit. Vous voyez que ces sectes mêmes
que nous appelons des schismes et des hé-
résies, tirent toute leur gloire du nom et de
la qualité de chrétiens, quoiqu'ils n'en aient
que l'ombre et l'apparence ; et de tout cela
il n'y a rien qui ne soit prédit dans l'Écri-
ture. Vous voyez les temples des idoles, les
uns tombés en ruine, sans que l'on se
mette en devoir de les rétablir ; d'autres
murés, d'autres qu'on fait servir à différents
usages, et les idoles mêmes brisées ou brû-
lées, ou enterrées, ou abattues ; et ces mê-
mes puissances qui pei'sécutaient autrefois
les chrétiens par attachement au culte des
faux dieux, domptées et subjuguées, non
par la résistance de ces chrétiens persécu-
tés, mais par leur patience à se laisser égor-
ger. Vous voyez que les princes ont tourné
présentement contre les idoles ces mêmes
lois et cette même autorité qui leur sacri-
fiaient autrefois les chrétiens, et que la gran-
deur suprême de la majesté impériale vient,
le diadème bas, faire ses prières au tombeau
de Pierre le pêcheur. Tout cela a été prédit,
il y a plusieurs siècles, dans les Livres sacrés
qui sont présentement entre les mains de
tout le monde, et l'accomplissement affer-
mit d'autant plus notre foi, qu'il établit da-
vantage l'autorité des hvres où nous lisons
ces prédictions. »
Saint Augustin ajoute qu'un si grand nom-
bre de prophéties déjà accomplies de point
en point, sont un gage de l'accomplissement
de celles qui rçgardent le jugement dernier;
qu'alors il ne restera aucune excuse aux in-
fidèles, puisque dès ce temps-ci il n'y a plus
rien qui ne prêche le nom de Jésus-Christ ;
qu'il est dans la bouche des justes comme
dans celle des parjures, dans celle des prin-
ces comme dans celle des sujets, en un mot
que tout en retentit. Il explique avec beau-
coup de netteté la doctrine de la Trinité et
celle de l'Incai'nation, en faisant remarquer
que, si le Vei'be fait chair a exercé ses fonc-
tions sous la forme d'un homme, c'a été afin
que l'homme ayant devant les yeux un tel
Lettres 233,
îii et 23b à
objet, eût horreur de son propre orgueil, et
ne craignît plus de s'humiher à l'exemple
d'un Dieu. C'est pour la même raison que
Dieu a voulu qu'on prêchât par toute la
terre non Jésus-Clirist revêtu de l'éclat de la
majesté royale, ni riche des biens de la
terre, ni pourvu de ce qui fait la féhcité de
ce monde, mais Jésus-Christ crucifié.
2. Les deux lettres à Longinien ont aussi
pour but de lui faire abandonner le culte J'^K^-SeSl
des idoles. Saint Augustin, dans un entre- '"°- *"
tien avec ce philosophe, avait reconnu qu'il
était persuadé qu'on devait adorer Dieu qui
est notre souverain bien, et qu'il avait du
respect pour Jésus-Christ. Ces bonnes dis-
positions l'engagèrent à lier un commerce
de lettres avec Longinien. Dans la première
qu'il lui écrivit, il le pria de lui mander
comment il croyait qu'on devait adorer
Dieu; ce qu'il pensait de Jésus-Christ, s'il
croyait qu'on pût aniver à la vie heureuse
par le chemin qu'il nous a marqué , ou mê-
me qu'on ne pût y arriver que par celui-là,
et quelles raisons il avait de différer de se
convertir. Longinien lui répondit suivant les
principes de Platon, qu'il faut aller au seul
vrai Dieu, créateur de toutes choses, par
une vie pure, par la société des dieux infé-
rieurs ou des anges, comme les appellent les
clu'étiens, et par les expiations et les sacri-
fices ; qu'à l'égard de Jésus-Chi-ist, il n'osait
ni ne voulait en rien dire, parce qu'il ne le
connaissait pas. Il appelle saint Augustin
le plus excellent des romains et un homme
de bien, s'il y en eût jamais (les païens
donnaient aux chrétiens le nom de romains
depuis que les empereurs avaient embrassé
le christianisme). Saint Augustin, dans une
seconde lettre , témoigna à Longinien qu'il
ne désapprouvait point sa retenue touchant
Jésus-Christ, mais il le pria en même temps
de lui marquer si les expiations, dont il par-
lait, étaient nécessaires outre la bonne vie,
ou bien si elles étaient une catise, oii un
effet, ou une partie de cette bonne vie, ou
si c'étaient deux choses diflerentes. On ne
sait quelle fut la réponse de Longinien, ni
s'il se convertit. Il y eut un Longinien, pré-
fet d'Italie, tué en 408, sous le règne d'Ho-
norius.
3. Un manichéen nommé Victorin , fei
gnant d'être catholique, s'était fait ordonner p"s- ''^*'
sous-diacre de l'Église de Malliane, dans la
Mauritanie Césariemie. Éfant venu à Hip-
pone, il y enseigna ses erreurs à un grand
Lettre 23
A Deutcrius
[IV" ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
183
nombre de personnes, dans la persuasion
qu'elles ne venaient l'écouter que pour se
rendre ses disciples, de sorte qu'il fut facile à
saint Augustin de le convaincre. Il ne fit pas
même beaucoup de difficulté de s'avoaer
manicliéen, voyant qu'il ne lui serait pas
aisé de se cacher par un désaveu; mais il
soutint qu'il n'était parmi les manichéens
qu'au rang des auditeurs et non de ceux
qu'ils appellent élus. Il pria même saint Au-
gustin de le ramener dans le chemin de la
vérité et de la doctrine catholique ; mais le
saint évêque ne voyant en lui aucune marque
de conversion, le fit châtier et chasser ensuite
de la ville, et de peur qu'il n'infectât la Mau-
ritanie, il en écrivit à Deutérius, évêque mé-
tropolitain de Césarée ou d'Alger, pour l'a-
vertir d'y prendre garde, d'empêcher qu'on
ne lui accordât la pénitence, à moins qu'il ne
découvrit tous les manichéens qui étaient à
Malliane; de donner ordre qu'on le déposât
de la cléricature, et que tout le monde l'é-
vitât , s'il ne se convertissait. Il marque
à Deutérius les blasphèmes que tenaient
les auditeurs des manichéens, la discipline
qu'ils observaient, et la différence qu'il y
avait entre eux et les élus. Les auditeurs
mangeaient de la chair , exerçaient l'agri-
culture et se mariaient s'ils le jugaient à
propos. Les élus ne faisaient rien de tout
cela. Mais les uns et les autres adoraient et
priaient le soleil et la lune, jeûnaient le di-
manche et croyaient tous les dogmes impies
de cette secte.
Leiiro 239 4. Salut Augustîn parle encore des er-
& Cérétius , '^ ^
pag. 849. reurs des manichéens dans sa lettre à Cé-
rétius. Mais il y combat surtout celles des
priscillianistes. L'évêque Cérétius lui avait
envoyé deux volumes qui ne contenaient, ce
semble, que des livres apocryphes, avec une
hymne attribuée à Jésus-Christ, sur laquelle
il lui demandait son sentiment. Quant aux
livres contenus dans ces deux volumes, saint
Augustin ne doute pas qu'ils ne vinssent de
quelques priscillianistes, qui recevaient in-
différemment les livres canoniques et lés
apocryphes, se tii'ant de ce qu'il y a dans les
uns et dans les autres de contraire à leurs
dogmes, par des intei'prétations dont quel-
ques-unes étaient assez subtiles, etles autres
très-ridicules. Ce Père en rapporte plusieurs
exemples. Il rapporte aussi diverses paroles
de l'hymne qu'ils attribiiaient à Jésus-Chi'ist
à la sortie de la Gène, e^ il montre qu'elle ne
contenait rien, qui ne fut dans les livres ca-
noniques si on s'en tenait à la manière dont
ils l'expliquaient en public , mais il soup-
çonne qu'entre eux, ils lui donnaient un au-
tre sens qu'ils n'osaient découvrir. « Tandis
que les autres hérétiques, dit-il, mentent
seulement par le même principe d'infirmité
qui fait que l'on est sujet aux autres vices,
les priscillianistes mentent par principe de
religion , un des préceptes de leur secte
étant , non-seulement de mentir , mais de
mentir même avec serment, quand cela est
nécessaire, plutôt que de révéler le secret de
lem" doctrine.
5. Nous avons trois lettres de saint Au- Leurcsass,
""•Sî) 250 et ''k\.
gustin à Pascentius, qui est crualifié comte àPasccmius,
de la maison royale. Il était arien, et avait ims.pag.siis.
pressé ce saint évêque de conférer avec lui
sur la foi. Saint Augustin y consentit. On
s'assembla, on entra en matière. Pascentius
s'arrêta d'abord au mot de consubstantiel et
demanda que les catholiques le condanmas-
sent comme n'étant point dans l'Écriture.
Saint Augustin lui fit voir qu'un mot peut
n'être pas dans l'Écriture et néanmoins avoir
un bon sens. Pascentius donna sa confes-
sion de foi par laquelle il croyait en Dieu, le
Père tout-puissant, invisible, non engendré;
et en Jésus-Christ son Fils, Dieu, Seigneur
né avant les siècles, par qui toutes choses
ont été faites ; et au Saint-Esprit. Saint Au-
gustin dit que cette foi était la sienne , et
qu'il était prêt de la signer. Il inféra de ce
que Pascentius se servait du mot non engen-
dré en parlant du Père, qu'il était donc per-
mis de se servir de termes qui ne sont pas
dans l'Écriture. Pascentius soutint d'abord
qii'il y était; ensuite il convint qu'il n'y était
pas. Mais de peur qu'on ne se servit de sa
profession de foi contre lui, il la reprit d'en-
tre les mains de saint Augustin et la déchira.
Tout cela se passa le matin. On se rassem-
bla après dîner ; saint Augustin amena avec
lui des notaires, consentant que Pascentius
en fit venir de son côté. Ils ne furent d'au-
cun usage. Pascentius parlant sans dicter,
répéta sa profession de foi, sans y mettre le
mot de non engendré, et demanda que saint
Augustin déclarât aussi sa croyance. Ce saint
le fit ressouvenir qu'on était tombé d'accord
d'écrire, et le pria de dicter ce qu'il avait
dit. Pascentius n'en voulut rien faire. Ainsi
la conférence n'eût aucun succès. Mais ce
que saint Augustin avait prévu arriva. Aussi-
tôt qu'on se fut séparé, Pascentius, qui était
plein de colère et de fureur, publia partout
186
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
les choses autrement qu'elles ne s'étaient
passées. Il se vanta qu'il avait vaincu cet
évéque si estimé de tout le monde ; qu'il lui
avait hautement déclaré sa foi et que lui
n'avait osé déclarer la sienne. Comme il s'é-
tait trouvé à la conférence divers évèques et
plusieurs personnes qualifiées, il était aisé
à saint Augustin de justifier qu'il avait fait
beaucoup d'instances pour écrire ce qui se
dirait de part et d'autre, et qu'il n'avait pas
eu peur de déclarer sa foi. Mais il prit le
parti d'écrire une grande lettre à Pascen-
tius, où, après avoir rapporté avec fidélité
ce qui s'était passé de part et d'autre, il le
prend lui-même à témoin, et il ajoute : « Le
hien de l'homme n'est pas de triompher
d'un autre homme, mais de vouloir bien que
la vérité triomphe de lui : car eUe triomphe
de nous bon gré malgré, et le plus grand
malheur qui nous puisse arriver, c'est qu'elle
en triomphe malgré nous. »
Saint Augustin ne mit pas le nom de Pas-
centius dans cette lettre, de peur qu'il ne le
trouvât mauvais. Mais il la signa du sien,
afin que personne ne pût l'accuser de ca-
cher sa foi, qu'il y expose, en effet, avec
beaucoup d'exactitude et de netteté. Il l'en-
voya à Pascentius, afin qu'il la lût et qu'il la
donnât à lire à qui il voudrait. Pascentius n'y
fit aucune réponse, et ne voulut pas même
la lire. Saint Augustin, qui s'en doutait, lui
eu écrivit une seconde, où il fait encore une
déclaration de sa foi, ajoutant qu'il en avait
donné des preuves dans sa première lettre,
et promettant à Pascentius, que, s'il veut
traiter la question par écrit, il le satisfera de
tout son possible. Pascentius répondit enfin
à ces deux lettres, mais en traitant saint Au-
gustin avec beaucoup de mépris. 11 le presse
de déclarer laquefie des trois personnes est
Dieu, et lui oflre de conférer avec lui et
avec quelques autres évêques, dans un es-
prit de paix et avec des intentions droites,
sm- les choses de Dieu ; mais il ne parle
point d'écrire ce qui se dirait dans la confé-
rence.
Cette lettre engagea saint Augustin à lui
en écrire une troisième, où il proteste qu'il
ne se tenait pas ofl'ensé des injures de Pas-
centius, parce qu'il les recevait comme de
la part d'un homme puissant, et non comme
de la part de la vérité. Quant à l'objection
qu'il lui avait faite, de croire que Dieu est une
personne à trois têtes : « Je vous réponds,
lui dit-il, que ce n'est pas là ce que je crois,
et je crois, au contraire , qu'il n'y a rien
de plus uniforme, que le Père, le Fils et le
Saint-Esprit, qui n'ayant qu'une même .di-
vinité, ne sont tous ensemble qu'un même
Dieu. » Il demande à Pascentius, comment
il entendait ce que dit l'Apôtre, que celui i coiimi,.
qui se joint à une prostituée , ne fait qu'un
même corps avec elle, et que celui qui demeure
attaché au Seigneur, est un même esprit avec
lui : car si la seule union de deux corps de
différent sexe lui fait dire que les deux ne
sont plus qu'un même corps, et qu'un hom-
me attaché à Dieu est un même esprit avec
lui ; à combien plus forte raison, le Fils de
Dieu , qui est si intimement un avec son
Père qu'il ne peut ni n'a jamais pu soufifrir
la moindre sépai-ation, a-t-il pu dire : 3Io7i ^^ ^'""'- ''■
Père et moi ne sommes qu'un.
6. Un autre arien nommé Elpidius, qui i-etire 2»;
trouvait qu'il y avait de la folie à dire que p»r- «e.
le Fils est égal au Père, s'avisa d'écrire à
saint Augustin, qu'il ne connaissait que de
réputation, pour lui offrir de le tirer de l'er-
reur où il le croyait, sur la Trinité. Quelque
ridicule que fût le procédé d'Elpidius, le
Saint lui répondit avec beaucoup de douceiu"
et de politesse. Venant au point de la diffi-
culté, il lui fait voir, que malgré l'impossibi-
lité de connaître l'essence de Dieu, on ne
peut s'empêcher de croire, après le témoi-
gnage de l'Écriture, que le Verbe n'est point
fait et que le Fils est égal à son Père. Voici
son raisonnement. « Si toutes choses ont été
faites par le Fils, comme saint Jean nous
en assure dans son Évangile, ce qui n'a
point été fait par lui, n'a point été fait ; or
le Fils n'a point été fait par lui-même, il
n'a donc point été fait. L'Évangile nous
obhge de croire que tout a été fait par le
Fils; il nous oblige donc aussi de croire que
ce Fils n'a point été fait. De plus, si rien n'a
été fait sans lui, tout ce qu'on prétend avoir
été fait sans lui n'est rien ; et il n'est rien
lui-même, s'il a été fait. Or comme ce serait
ime impiété sacrilège, de dire qu'il n'est
rien, il faut avouer nécessairement, ou qu'il
a été fait par lui-même, ou qu'il n'a point été
fait du tout. On ne peut admettre la première
supposition, puisque pour se faire lui-même, il
faudrait qu'il eût été avant que d'être. On doit
donc avouer qu'il n'a pas été fait. Vous de-
mandez, dit-il à Elpidius, comment le Père a
pu seul engendrer un Fils, et comment ce Fils
a pu naître égal à celui dont il est né : c'est
ce que je ne saurais vous expliquer, et je
[lV= ET V'^ SIÈCLES.]
SALNT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
187
Lollrc 213
867.
isai. Lii.s. m'en tiens à ce que dit le Prophète : Qui
pom^ra expliquer sa génération . Que si vous
prétendez que cela se doit entendre de la
génération temporelle de Jésus-Christ et de
sa naissance d'une Vierge ; consultez-vous
vous-même, et voyez si votre esprit qui phe
sous le faix, quand il n'est question que
d'expliquer cette génération temporelle ,
peut oser entreprendre d'expliquer la géné-
ration éternelle du Verbe, n Comme Elpi-
dius lui avait envoyé un livre fait par un
évêque de sa secte , il répond que s'il a le
loisir de le réfuter en détail, il en fera voir
la faiblesse et la vanité.
7. Saint Augustin avait eu chez lui. pen-
dant quelque temps, un jeune homme nom-
mé Laetus qui commençait à sei'vir Dieu, et
qui, par sa piété et son ardeur, donnait
beaucoup de joie aux frères. Mais tenté de
retommer à ce qu'il avait quitté dans le
monde, il succomba et s'en retoiu'na chez
lui. Il s'y vit attaqué de beaucoup de tenta-
tions, surtout de la part de sa mère, qui
s'efforçait de le retenir auprès d'elle. Dans
ces perplexités, il écrivit aux ecclésiastiques
d'Hippone, pour se procm'er de leur part
quelques consolations, leur témoignant en
même temps, qu'il souhaitait que saint Au-
gustin lui fit la charité de lui écrire. Le
saint se rendit facilement au désir de Lœtus
pour l'encom-ager à demeurer ferme dans
ce qu'il avait commencé : il lui met devant
les yeux les deux comparaisons rapportées
dans l'Écriture : l'une, d'un homme qui se
prépare à bâtir une tour ; l'autre, d'un roi
qui marche contre un autre roi son ennemi.
Il ajoute, que Jésus-Christ, en les proposant,
nous fait entendre, que quiconque ne re-
nonce pas à tout, ne saurait être son disci-
ple, n lui conseille donc, pour accomplir ce
(|ue Jésus-Christ demande de ses disciples,
de laisser à sa mère et à ceux de sa famille,
en cas qu'ils en eussent besoin, le bien qu'il
pouvait avoir, et après cela, de rompre en-
tièrement avec eux. a Car si vous avez ré-
solu, lui dit-il, de distribuer vos biens aux
pauvres, pour arriver à la perfection évan-
gélique, vous devez commencer par pour-
voir aux nécessités de vos proches, puisque
n'avoir pas soin des siens et particulière-
ment de ceux de sa maison, c'est avoir re-
noncé à la foi et être pire qu'un infidèle. Du
reste, si votre mère ne veut pas vous suivre
dans le chemin du salut, qu'au moins elle
ne vous empêche pas d'y marcher. Prenez
garde qu'en refusant de se changer en
mieux, elle ne vous change en pis. C'est
une Eve dont l'exemple d'Adam vous doit
avertir de vous défendre; et pour être votre
mère (tandis que celle qui séduisit Adam
était sa femme) elle n'en est pas moins à
craindre. Cette fausse tendresse qu'elle a
pour vous, tient de la corruptioii qui ouvrit
les yeux à nos premiers parents, sur leur
nudité ; et toutes ces démonstrations d'ami-
tié, par où elle tâche d'éteindre en vous la
charité évangélique, tiennent de la duplicité
du serpent. »
8. Dans sa lettre à Chrisime, il tâche de le
consoler sur une perte qu'il avait faite. 11
lui remontre que notre Dieu est le bien de
ceux qui lui appartiennent, et un bien qui
ne périt point et qui empêche même de pé-
rir ceux qui le possèdent; et que s'il permet
que nous soyons affligés en ce monde, c'est
afin que nous rompions les liens de la cupi-
dité qui nous y attache.
9. Possidius, évêque de Calame, avait
consulté saint Augustin sur la manière de
remédier au luxe qui régnait parmi son
peuple. « Je ne voudrais pas, lui répondit
ce saint évêque, que vous défendissiez si
vite toutes les parures d'or et d'étoffes pré-
cieuses, si ce n'est à ceux qui n'étant point
mariés et n'ayant pas dessein de l'être, ne
doivent songer qu'à plaire à Dieu. Pour les
autres, ils sont encore occupés des choses
du monde et du soin de plaire, les femmes
à leurs maris, et les maris à leurs femmes ;
il ne faut pas néanmoins souffrir que les
femmes, même mariées, laissent voir leurs
cheveux, puisque l'Apôtre yeut qu'elles
soient voilées. A l'égard du fard'ou du rouge
qu'elles mettent pour paraître plus blan-
ches ou plus incarnates, je suis sûr que les
maris pour lesquels seuls on permet la pa-
rure aux femmes, par tolérance plutôt que
par conseil, ne veulent pas qu'on les trom-
pe; et cet usage doit être interdit. Car la
vraie parure des chrétiens de l'un et de
l'autre sexe, n'est ni un fard trompeur, ni
même l'or, ni les étoffes précieuses, mais la
pureté des mœurs. Quant aux nœuds et aux
ligatures, et même aux pendants d'oreilles
que les femmes portent d'un côté, ce sont
des superstitions détestables, inventées pom'
rendre hommage aux démons, plutôt que
pour se parer et plaire aux hommes. » Il
dit que l'Apôtre a défendu toutes ces sortes
de superstitions, eu défendant en général
Lettre 2i4
Cliris'iinû ,
IjCiIro 3iS
Possidiii.-
S- 872.
188
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
toute société avec les démons; et il conseille
à Possidiiis d'avertir les coupables, que, s'ils
ne veulent pas oLcir aux préceptes salutaires
de l'Écriture, du moins ils ne sontieunent
pas comme légitimes, ces pratiques sacrilè-
ges, n lui dit encore qu'il ne lui conseille
pas d'ordonner un homme qui aurait été
baptisé par les donatistes.
Lciire 2iG 10. Il fait voir à Lampadius, qui était pré-
t Lampadius, i. ' ± x
t.ag. 673. venu en taveur de l'astrologie, que de croire
que les astres et le destin aient du pouvoir
sur les hommes, c'était ruiner toutes les lois
divines et humaines, et toute la discipline
publique et domestique ; que les mathémati-
ciens mêmes ne se conduisaient pas dans
leurs maisons selon la science qu'ils ven-
daient si cher aux autres ; et qu'ils ne lais-
saient pas de châtier les fautes de leurs fem-
mes et de leurs enfants, quoiqu'ils ensei-
gnassent qu'on doit rejeter sur le destin
celles qu'on commettait. Saint Augustin dit
à Lampadius, que si cette lettre ne suffit pas
pour le détromper, il composera un livre
entier sur cette matière. On ne voit point
qu'il l'ait fait.
11. Un nommé Pontican, intendant de
Romulus, s'était fait payer de ce que les
fermiers devaient à son maître ; mais il avait
en même temps tourné les fruits des terres
à son propre profit. Romulus se mit en de-
voir de faire payer une seconde fois ses
fermiers, quoiqu'il reconnût qu'ils avaient
déjà payé une fois. Saint Augustin, touché
de cette injustice, lui écrivit une lettre très-
forte pour l'obliger à se désister de ses pour-
suites ; il lui représente entre autres choses,
que si ces fermiers paient une seconde fois ,
ils ne souffriront que pour un temps ; au lieu
qu'il s'amassera un trésor de colère pour le
jour du jugement de Dieu, qui rendra à
chacun selon ses œuvres.
12. n dit au moine Sébastien, qui lui avait
Lellre 211
à Homulus ,
pog. ST..
Lcllro 2'.8
i Sébasiien,
pag. S76. témoigné être extrêmement afiligé des pé
chés et des scandales du monde, que sou-
vent les pécheui's se trouvent exempts,
quant au corps, de tous les maux qu'ils
méritent; mais que le cœur des gens de
bien ne le sera jamais de ce que la vue de
l'iniquité leur fait souffrir. Il l'exhorte à
persévérer clans le bien , nonobstant les
scandales dont il gémissait, et à chercher
sa consolation dans la vertu des gens de
bien et dans les promesses infaillibles de
Dieu. Saint Alypius à qui Sébastien avait
aussi écrit sur le même sujet, ne lui fit
point de réponse en particulier, se conten-
tant d'ajouter quelques lignes à la lettre de
saint Augustin, pour marquer qu'il en ap-
prouvait le contenu, et combien ils étaient
unis.
13. La lettre au diacre Restitutus, est sur ^ Leu™ î-n
à RoFtiliiliis ,
la même matière. Saint Augustin le renvoie i»s-sn.
au livre de Ticonius le donatiste, sur l'É-
ghse, pour y apprendre que, jusqu'à la fin
du monde, les bons doivent être mêlés avec
les méchants. Il ajoute, qu'à peine y a-t-il
une seule page dans l'Écriture, où elle ne
nous exhorte à conserver la paix avec ceux
mêmes qui en sont ennemis, et à demeurer
avec eux dans la communion des sacre-
ments, par où Dieu nous prépare la vie
éternelle, attendant avec gémissement la
fin de notre exil.
14. 11 avait pour maxime, de ne jamais ^ ^^^^'^^^
anathématiser la maison ou la famille des s/s.eiàcias-
Eicion , pag.
pécheurs avec eux, quelque grands que fiis- "'■
sent leurs crimes ; mais il semble que d'au-
tres n'étaient pas si réservés. Auxilius, qui
n'était ordonné évêque que depuis quelques
mois, fut de ce nombre. H excommimia
Classicien, homme de considération et toute
sa famille , parce qu'il était venu à l'éghse
demander les personnes qui s'y étaient reti-
rées, après avoir profané par un faux ser-
ment, la sainteté de l'Évangile. Classicien
s'en plaignit à saint Augustin, en protestant
que ces personnes reconnaissant leur faute
étaient sorties volontairement de l'Eglise ,
sans qu'il les y forçât. Quelque expérience
qu'eût le saint dans le gouvernement, il
voulut bien demander à Auxilius, s'il avait
quelque raison pour montrer qu'il fût per-
mis d'anathématiser toute une maison, poin-
ta faute de quelques particuhers, disant
qu'il était prêt de l'apprendre de lui ; mais
que, s'il n'en avait pas, il avait eu tort
d'entreprendre une chose dont il ne pouvait
rendre compte. Il le prie, en cas que Classi-
cien soit innocent, de se réconcilier avec
lui, et de bitfer le procès-verbal qu'il avait
fait contre lui. « Ne croyez pas, ajoute-t-il,
que dès là qu'on est évêque, on soit inca-
pable d'être surpris par aucun mouvement
de colère injuste. Songeons, au contraire,
que, tant qu'on est homme, on est exposé
de toutes parts à la tentation et au péril de
se perdre, n Dans le fragment qui nous reste
de sa réponse à Classicien, il lui dit que dans
le concile, il parlera de ceux qui, pour le
péché d'un seul, excommunient toute une
[IV" ET V" SIÈCLES.'
SAE^T AUGUSTLN, EVEQUE D'HIPPONE.
189
maisou; que ce qui lui fait plus de peine
dans cette affaire, c'est qu'elle peut occa-
sionner que quelqu'un mourra sans bap-
tême; qu'il consultera, s'il est besoin, le
Siège apostolique, pour savoir s'il ne faut
pas chasser de l'Église ceux qui ne s'y réfu-
gient que parce qu'ils manquent de foi à
leurs cautions ; qu'en attendant une décision
là-dessus, il est de sentiment qu'une excom-
munication injuste fait plus de tort à celui
qui la prononce qu'à celui qui la souffre ;
puisque le Saint-Esprit qui habite dans les
saints, et par qui on est hé ou délié, ne fait
souffrir aucune peine à personne qui ne l'ait
méritée.
Lciire 231 13. H y avajt dans le diocèse d'Hippone,
tis.eso.' °' une paroisse nommée Germanicie, dont Se-
condin avait soin, et qu'il gouvernait au
contentement du peuple. Cependant un laï-
que qui se nommait Pancarius, et qui, ayant
des prétentions sur quelque héritage de l'É-
ghse de ce lieu, disputait avec lui, y vint
avec les titres qui autorisaient ses préten-
tions. Comme Secondin défendait avec vi-
gueur les droits de son Église, Pancarius lui
suscita des accusateurs, et fit venir des do-
natistes pom* le dénoncer. Saint Augustin
ne répondit à Pancarius, qu'en lui témoi-
gnant sa surprise des plaintes que les habi-
tants de Germanicie faisaient de Secondin;
ajoutant néanmoins , qu'il ne pouvait refu-
ser de les entendre, s'ils lui demandaient
justice. Mais il y mit en même temps pour
condition, que ce serait des catholiques qui
accuseraient Secondin , n'étant pas juste de
recevoir contre lui le témoignage des héré-
tiques, n veut même que Pancarius fasse
sortir du hallage, tous les hérétiques qui y
étaient alors, et qu'il y avait fait venij- lui-
même.
L=ure3252, 16. Les quatre lettres suivantes furent
i°Kfet'Bé- écrites à l'occasion d'une jeune orpheline,
°°"°is,p!,f! qui était en la garde de l'Éghse d'Hippone,
pour y être protégée contre les méchants,
de peur que quelqu'un ne l'enlevât. Elle y
avait été confiée par un laïque de qualité,
dont le nom n'est pas connu. Saint AugTistin
prenait un grand soin de cette jeune fille,
en attendant l'arrivée de ce seigneur, afin
de voir avec lui, quelle disposition on en
ferait. Dans cet intervaUe, l'évêque Bénéna-
tus écrivit à saint Augustin pour proposer
un parti à cette fiUe. Le Saint lui répondit ,
qu'Û ne lui désagréait pas, mais que la fille
était encore trop jeune pour la promettre à
«so.
personne ; qu'on ne savait pas même si elle
voudrait se marier; qu'elle disait qu'elle
voulait être religieuse; et que, quoiqu'il ne
faUut pas s'arrêter à cette pensée à cause de
son âge, on devait attendre qu'elle fût en
âge de choisir un état. Un nommé Rusti-
que, qui était païen, demanda cette fille
pour son fils qui était aussi païen, mais il
ne parlait point de se faire chrétien. Saint
Augustin lui fit réponse qu'il ne pourrait la
marier cpi'à un chrétien; que d'ailleurs, il
avait des raisons de ne point l'engager alors
dans le mariage, et qu'il les avait marquées
dans sa lettre à l'évéque Bénénatus. Il y
disait que, quand il est question de marier
une fille, la nature veut que la volonté de
la mère l'emporte sur celle de tous les au-
tres, à moins que la fille ne soit dans un
âge à pouvoir disposer d'ehe-même.
17. Christinus avait prié saint Augustin
de lui écrire, pour le presser de se donner à v^
Dieu. Ce Père se contenta de lui envoyer
cette maxime, en le priant de la méditer
beaucoup : « En pensant fuir ce que notre
« lâcheté nous fait craindre dans la voie
« de Dieu, qui est plus douce que nous
(( ne croyons , et où il y a tant à gagner,
« nous nous jetons misérablement dans les
« voies du siècle, où il y a des choses sans
« comparaison plus dures à essuyer, et qui
« ne nous produisent rien. »
18. La lettre à Oronce, est une réponse
de civihté. Dans celle qui est à Martien, 231
saint Augustin se réjouit de ce qu'il était '"■
enfin au rang des catéchumènes. Il l'exhorte
à recevoir au plus tôt les sacrements des fi-
dèles, et à observer exactement les précep-
tes de l'amour de Dieu et du prochain, qu'il
lui fait regarder comme le seul fondement
de la véritable amitié, « dont l'observation,
dit-il , rendra notre amitié véritable et éter-
nelle, et nous unira, non-seulement l'un à
l'autre, mais tous deux à Dieu. »
19. On voit par la lettre à Corneille, qu'é-
tant jeune, il s'engagea avec saint Augustin i^s
dans l'erreur des manichéens; que depuis,
il se retira de la débauche où il s'était d'a-
bord plongé, mais qu'il y retomba ensuite;
qu'il reçut le baptême étant en danger de
mort et déjà vieux; et qu'ayant recouvré la
santé, il s'abandonna de nouveau au plaisir.
Saint Augustin l'avait souvent averti de se
corriger, mais inutilement. Avec tant de dé-
fauts, il trouva une femme très-chaste, qui
ne laissait pas de l'aimer malgré ses dérè-
LnUre 253
Clifibliauâ,
1". SS2.
Lelde 237
Oion^a, cl
iàMirlion,
f . 8S2.
Lellra 239
Corneille ,
190
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
glements ; mais elle souhaitait beaucoup sa
conversion. Elle mourut, et fut reçue avec
ce qu'il y a eu de femmes chastes et fidèles
qui l'avaient devancée dans la gloire. Cor-
neille, touché extrêmement de sa mort,
pria saint Augustin de l'en consoler, en
écrivant quelque chose à la louange de sa
femme. Ce père lui fit réponse que sa
femme n'avait aucun besoin d'éloge pour
elle-même; que ce n'était que pour ceux
qui sont encore sur la terre, qu'on louait
ceux qui l'ont quittée; que c'était à lui à
mériter, par le changement de sa vie, d'ar-
river où était sa femme, et qu'on en fit l'é-
loge, qu'il le lui promettait à cette condi-
tion; que sa femme, après sa mort souhai-
tait sa conversion, comme elle l'avait sou-
haitée dui'ant sa vie ; enfin qu'il serait pour
elle ce qu'il désirait, lorsqu'il aurait fait
lui-même ce qu'elle souhaitait touchant le
changement de ses mœurs. H représente à
Corneille avec beaucoup de force, l'état
honteux de sa vie , et après lui avoir exposé
la manière dont le mauvais riche souffrait
dans les enfers, il lui dit : « Lisez vous-
même toute cette histoire dans l'Évangile :
c'est Jésus-Christ qui y parle; et si vous
n'écoutez pas les hommes, il faut du moins
écouter Dieu. »
Le.ires2co, 20. L'évêque Audax, ayant trouvé trop
2ci,pag.38c. çQ^^,^g ^g jg^^j^.g q^g gj^j^^ Augustin lui avait
écrite, le pria de lui en écrire une pluslongue,
marquant l'extrême désir qu'il avait d'être
abreuvé de ses vives eaux, par cinq vers hexa-
mètres, que l'on a rendus ainsi en français :
D'où vient donc qu'Augustin, cette source féconde,
Qui de ses vives eaux, arrose tout le monde,
Ne fait que distiller goutte à goutte pour moi,
Lui qui sait que mon cœur, tout vide et tout à soi,
Cherche avec une soif que rien ne désaltère.
Les célestes douceurs du nectar salutaire
Que cet oingt du Seigneur, cet apjmi des autels,
Répand de toute part pour le bien des mortels?
Qu'il fasse donc enfin couler en abondance
De ses amples discours la pompeuse opulence.
Je les attends, rempli d'espérance et de foi,
Au pied du sacré bois où pend mon Sauveur et mon
[roi.]
Saint Augustin s'excusa sur le grand
nombre de ses occupations, de ce qu'il ne
lui avait pas écrit une plus longue lettre, et
le renvoya à la lectm-e de ses ouvrages, si
mieux il n'aimait le venir trouver à Hip-
pone. Il demande à Audax, pourquoi le der-
nier de ses vers avait sept pieds, et il ajoute :
« Je n'ai point les psaumes de la traduction
de saint Jérôme sur l'hébreu, et je ne les
ai point traduits ; je n'ai fait que corriger
sur le grec beaucoup de fautes des versions
latines. Par le moyen de ces corrections, ce
que nous avons est meilleur qu'il n'était,
mais il n'est pas encore tel qu'il devrait
être ; car je coi'rige encore présentement en
comparant les exemplaires, ce qu'il y reste
de défectueux, et qui nous avait échappé.
Ainsi nous en sommes aussi bien que vous,
à chercher cette perfection que vous souhai-
teriez. »
21. La lettre à Cédicie renferme d'excel-
lentes instructions sur les devoirs des fem- pi
mes envers leurs maris. Après avoir fait
vœu de continence à l'insu de son mari, elle
vint à bout de le lui faire ratifier ; et ils vé-
curent ensemble en continence durant plu-
sieurs années. Cédicie poussant son zèle
plus loin, se vêtit de noir comme une veuve
et une religieuse : ce qui déplut à son mari,
qui voulait qu'elle portât l'habit ordinaire
des femmes mariées : enfin elle distribua de
son chef, ses meubles, son argent et son
bien aux pauvres. Son mari en étant averti,
entra dans une étrange colère contre elle, et
rompant de dépit le vœu de continence qu'il
avait fait à la sollicitation de sa femme, il s'a-
bandonna aux derniers excès de l'adultère.
Cédicie ne sachant quel parti prendre dans
de si fâcheuses circonstances, consulta saint
Augustin, qui lui fit ouvrir les yeux sur les
fautes qu'elle avait commises envers son
mari, soit en voulant vivre dans la conti-
nence sans son agrément, soit eu disposant
des biens de la maison sans sa permission,
soit en prenant, avant qu'il fut mort, l'habit
de veuve. Il lui fait voir, par l'autorité de
l'Écriture, que le parti de la continence en-
tre des personne mariées, ne se peut pren-
dre que du consentement des deux : u Comme
le corps de la femme, dit-il, n'est pas en la
puissance de la femme, mais en celle de son
mari, de même celui du mari n'est pas en
sa puissance, mais en celle de sa femme ; et
l'Apôtre n'a marqué aucun temps où cette
loi cessât d'avoir lieu; si votre mari était
moins porté qu'il ne devait à faire l'aumône,
vous amiez pu l'instruire et le persuader sur
cela comme sur la continence, au lieu de
l'irriter par des profusions à contre temps,
et dont vous pouviez avoir besoin pour l'édu-
cation de votre fils, dont la vocation pom*
l'état ecclésiastique n'est pas encoie mar-
Lellre 262
Cédicie,
[IV" ET V'' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTLN ÉVÊQUE D'HIPPONE.
191
quée. Vous ne deviez même rien changer
dans la manière dont les femmes de votre
condition s'habillent, puisque sans donner
dans les parures que l'Écriture condamne ,
on peut garder dans chaque état la modestie
que l'Apôtre prescrit aux femmes. Quand
même votre mari vous aurait forcée par
quelques mauvais traitements à passer en
cela les bornes de la modestie chrétienne,
rien ne vous aurait empêché de conserver
un cœur humble sous des habits superbes
et magnifiques. » Il l'exhorte à prier sans
cesse avec larmes, pour la conversion de
son mari ; à lui écrire de la manière qu'elle
jugera la plus propre pour l'apaiser ; à lui
demander pardon de la faute cpi'elle avait
faite, en disposant de son bien sans sa par-
ticipation ; et à lui promettre, en cas qu'il se
convertisse, une obéissance entière, a Quant
à votre fils, lui dit saint Augustin, comme il
est né d'un légitime mariage , il est sous la
puissance du père plutôt que sous la vôtre :
ainsi on ne saurait le lui refuser lorsqu'il
saura où il est et qu'il le demandera, n
Leiire 367 22. Uue saiiitc vierge nommée Sapida,
0-2. °' extrêmement afiQigée de la mort de Timo-
thée son frère , diacre de Carthage , pria
saint Augustin de vouloir accepter pour sa
consolation, une tunique qu'elle avait faite
de ses propres mains pour servir à son frère.
Le saint évèque l'accepta pour ne pas la
contrister. « J'avais même, lui dit-il, déjà
commencé à mettre cette tunique lorsque
j'ai pris la plume pour vous écrire. Prenez
donc courage, mais cherchez des consola-
tions plus eflicaces et plus solides dans les
divines Écritures. La charité qui tenait Ti-
mothée uni avec vous, n'est pas éteinte ;
elle n'est que cachée dans Dieu avec Jésus-
Christ où elle subsiste comme dans son cen-
tre , et entretient toujours entre vous la
même liaison. On pardonne aux hommes la
■ douleur qu'ils ont de la mort des personnes
qui leur sont chères ; mais cette douleur ne
doit pas être de durée parmi les fidèles, qui
ont l'espérance de la résuri-ection. »
.eiiro 2C.I 23. La sainte dame Maxima, vovait avec
Il ivl a M m a , ' v"
pjg. 694. beaucoup de douleur et avec quelque sorte
de trouble, son pays infecté de plusieiu-s
erreurs très-dangereuses; l'Evêque d'Hip-
pone lui dit que toutes ces choses ont été
prédites, et que Dieu ne permettrait pas
qu'elles arrivassent, si elles n'étaient des
épreuves et des leçons dont les saints ont be-
soin. «C'est par un semblable motif, ajoute
t-il, qu'il laisse les méchants dans le monde ;
c'est-à-dire pour faire rentrer ses enfants
en eux-mêmes, et pour exercer leur patience
et leur vertu ; ainsi il nous console par no-
tre affliction même , puisque l'abattement
que nous cause la vue de l'iniquité, nous
relève, au lieu qu'il achève d'accabler les
méchants qui persistent dans le mal. » Saint
Augxistin approuve la doctrine de Maxima
sur l'Incarnation, et la prie de lui envoyer
les écrits de ceux qui auraient enseigné
quelque chose de contraire à cette doctrine,
si toutefois elle en a quelques-uns.
24. Une autre dame nommée Séleucienne, , l'^l'^^ss
a Seleucien-
désirant de gagner à Jésus-Christ un nova- ■'». p^s- Ca-
tien avec qui elle avait eu quelque entre-
tien, pria saint Augustin de lui donner sur
cela quelque instruction. Cet homme ne re-
connaissait point d'autre pénitence que celle
qui précédait le baptême; il prétendait que
saint Pierre n'aA'ait point été baptisé, et il
semblait croire que les apôtres se conten-
taient quelquefois d'imposer la pénitence
aux nouveaux convertis, sans leur donner le
baptême. Saint Augustin répondit à Séleu-
cienne, qu'il ne pouvait comprendre com-
ment ce novatien, avouant que les autres
apôtres avaient été baptisés , il osait nier
que saint Pierre l'eût été, sans en donner
aucune preuve. On peut dire néanmoins,
que quand saint Pierre renia Jésus-Christ,
il n'avait pas encore été baptisé, pourvu que
cela s'entende non du baptême de l'eau,
mais du baptême du Saint-Esprit, dont il -
ne devait être baptisé avec les autres apô-
tres, cpi'après l'Ascension de Jésus-Christ.
Quand on dit que saint Pierre a fait péni-
tence, il faut bien se garder de croire qu'il
l'ait faite comme la font dans l'Église ceux à
qui on donne le nom de pénitents. Sur quoi
il distingue deux sortes de pénitence, celle
qui précède le baptême, et celle qui le suit:
la première est comme le préliminaire de
ce sacrement; la seconde est nécessaire
pour obtenir le pardon des péchés pour les-
quels on est excommunié et séparé de l'au-
tel. Il y a encore une pénitence journalière
des fidèles mêmes qui vivent dans la piété
et dans l'humilité. C'est celle qui nous fait
dire tous les jours en frcippant notre poi-
trine, pardonnez-nous nos offenses comme nous
les pardomions à ceux qui nous ont offensés;
ce C[ui s'entend de ces péchés légers à la vé-
rité, mais fréquents , où la fragihté humaine
nous fait tomber, et que nous devons avoir
192
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
soin d'expier sans cesse, de peur que leur
multitude ne nous accable comme pourrait
faire quelque grand péché. Car que le vais-
seau soit enfoncé ou par ces montagnes
d'eau que la tempête forme, ou par ce qui
s'en amasse peu à peu par les fentes, et
qu'on aura négligé de vider, c'est égale-
ment faire naufrage. Il faut donc recourir
sans cesse aux remèdes du jeûne, de l'au-
mône et de la prière.
Lcii.o 2CC 23. Nous voyous dans la lettre à Florcn-
.=1 [•'lorentine, / - i.i 't / t
pas. 9C'j. tme, quelle était Ihumuite de samt Augus-
tin. Le père et la mère de cette fille l'avaient
prié de la vouloir aider à s'avancer dans le
chemin de la vertu, et même à lui écrire le
premier , afin qu'elle eût plus de liberté
de lui demander ses avis. Le Saint fit ce
qu'on souhaitait de lui, et exhorta Floren-
tine à lui demander tout ce qu'elle vou-
drait. « Si je sais, lui dit-il, ce que vous
souhaitez d'apprendi-e , je vous en ferai
part avec joie. Si ce sont des choses que j'i-
gnore, sans que cette ignorance soit préju-
diciable à la foi ou au salut, je tâcherai de
vous faire aussi comprendre qu'il n'est pas
aussi nécessaire de les savoir, et que vous
pouvez demeiirer tranquille en les ignorant.
Mais si vous me demandez une chose qu'il
faille savoir et que je ne la sache pas, je fâ-
cherai d'en obtenir la connaissance du Sei-
gneur, pour satisfaire à votre besoin : car
souvent l'obligation d'instruii-e les autres ,
fait que nous obtenons de Dieu qu'il nous
instruise lui-même; ou je vous ferai con-
naître par ma réponse, à qui nous devons
nous adresser ensemble pour demander l'in-
telligence de ce que nous ignorerons l'un et
l'autre. Car je ne préfends point me donner
poiu" un docteur consommé, mais pour un
homme qui cherche à se perfectionner avec
ceux qu'il est obligé d'instruire. Dans les
choses mêmes que je sais en quelque sorte,
j'aimerais mieux que vous les sussiez aussi,
que de vous voir dans le besoin d'en être
instruite ; n'étant pas à souhaiter que les
autres soient dans l'ignorance, afin de leur
apprendre ce que nous savons, et étant plus
expédient que nous les apprenions tous de
Dieu même. »
26. 11 répondit à une autre fille, nommée , ,V'V° ,-"
Fabiole, qui se plaignait de ne pas pouvoir v^s-^'^-
toujours vivre avec les saints, qu'elle était
heureuse de n'aimer que les choses du ciel,
et que les saints en celte vie sont plus utile-
ment ensemble lorsqu'ils se communiquent
leurs pensées, que quand ils ne font que se
voir.
27. Voici quelle fut l'occasion de la lettre ^/^p'/Sp^u
qu'il écrivit au peuple d'Hippone. Un fidèle paf.'s"."""'
catholique, appelé Fascius, pressé par ses
créanciers pour dix -sept livres d'or, et
n'ayant pas le moyen de les payer, eut re-
cours à la protection de l'Église. Saint Au-
gustin lui offrit de parler au peuple de son
affaire. Fascius le pria de n'en rien faire, ce
qui obligea le saint évêque d'emprunter cette
somme. Fascius promit de la rendre un cer-
tain jour, consentant que, s'il ne la rendait
au jour nommé, on en parlât au peuple.
Fascius ne s'étant pas trouvé en état d'y sa-
tisfaire, saint Augustin, qui s'était absenté
d'Hippone pour quelque affaire, écrivit du
lieu où il était à son peuple, pour le prier
de donner les dix-sept livres d'or par au-
mône, moins pom' décharger Fascius, que
pour le dégager lui-même de la promesse
qu'il avait faite de celte somme à un nommé
Macédonius qui la lui avait prêtée. Il écrivit
efti même temps à son clei-gé, afin que si la
contribution du peuple ne suffisait pas, on y
suppléât du bien de l'Éghse.
28. Il s'excuse dans sa lettre à Nobilius, ^ KiLfei
d'aller à la dédicace de son Éghse, h cause AÎgiisnù"',
du froid de l'hiver, de la longueur du chemin '"'°' "''■' '"^'
et de ses infirmités. A la suite de cette lettre,
on en a mis une autre adressée â saint Augus-
tin, dont l'auteur n'est pas connu. Il se plaint
k ce saint évêque de ne l'avoir pas i-encontré
comme il espérait, avec Sévère dans la ville
de Léges.
29. A ces lettres qui se trouvent toutes lcu™ h
imprimées dans le second tome des Œuvres Abraiiam.
de saint Augustin de l'édition de Paris en
1689, il en faut ajouter deux imprimées sé-
parément à Vienne, en Autriche, eu 1732 et
à Paris en 1734'. La première est adressée
à Pierre et à Abraham qui, ce semble, étaient
moines. Dans le manuscrit de l'abbaye de
' Elles sont réimprimées dans la nouvelle édi-
tion des Œuvres de saint Augustin donnée par
Gaume, tome. Il, et forment les Épîtres 184 his et
202. On les trouve aussi dans le même ordre au
toui. 11 de l'édition des Œuvres de saint Augus-
tin publiées par M. Migne. On les trouve dans la
préface du tom. Il des deux éditions avec les pré-
faces de Bessélius et de Jacques Martin. {L'édi-
teur.)
[iV ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTLN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
Gottwic, sur lequel elle a été donnée au pu-
blic, elle est intitulée : De la Nature et de
l'origine de rame, litre qui ne lui convient
point, puisqu'il n'est pas dit un mot de l'âme
ni de son origine, ce qui ne peut venir que
de quelque copiste ignorant. C'est pourquoi
le docte abbé Bessélius, qui l'a fait impri-
mer le premier, a substitué à l'inscription
cpi'elle avait dans le manuscrit de son ab-
baye, celle-ci : Des Peines des enfants qui meu-
rent sans baptême. C'est en effet la question
principalement traitée dans cette lettre. Saint
Augustin y établit clairement qu'il n'y a pas,
même pour les enfants, de milieu entre le
royaume de Dieu et le supplice : parce que,
naissant de la concupiscence , ils naissent
enfants de colère, c'est-à-dire sujets à la
peine due au péché, dont ils ne sont déli-
vrés qu'en renaissant par le baptême. Il fait
voir que Jésus-Christ n'étant pas né en la
manière des autres enfants, n'a point en-
couru la malédiction des pécheurs, et que
ceux même qui naissent par la voie du ma-
riage, ne l'auraient pas encom-ue si Adam
n'avait pas péché. Il dit à Pierre et à Abra-
ham que , nos livres saints n'étant d'aucune
autorité chez les gentils qu'il appelle aussi
païens, on doit pour les convertir avoir re-
cours à la prière et demander pour eux la
foi qui est un don de Dieu. Il les renvoie à
ses livres de la Cité de Dieu, dont il achevait
le quatorzième livre, lorsqu'il écrivit cette
lettre, qu'il faut par conséquent mettre au
commencement de l'an 417. Possidius en
parle dans le catalogue des œuvres de ce
Père. Ainsi, on ne peut la contester.
LeiirBàOr.. 30. La seconde lettre donnée par M. l'abbé
Bessélius, est à l'évéque Optât, le même à qui
saint Augustin écrivit la cent quatre-vingt-
dixième, touchant l'origine de l'âme, en
418. Celle-ci ne peut se metti-e qu'en 420,
puisque ce Père y dit en termes exprès qu'il
n'avait pas encore reçu la réponse à la lettre
qu'il avait écrite à saint Jérôme environ
cinq ans auparavant, c'est-à-dire, en 41S,
pour savoir de lui ce que l'on devait croire
touchant l'origine de l'âme. Saint Fulgence'
marque trois lettres de saint Augustin à
Optât sur cette matière, dont celle-ci est ap-
paremment la seconde. Dans le manuscrit
de l'abbaye de Gottwic , cet Optât est qua-
lifié de Milève. C'est une faute de copiste.
1 Fulg. De Veritate prœdesHnat., lib. III,
cap. xvni.
IX.
193
Optât, évêque de Milève , ne vivait plus en
396, et dès cette année jusqu'en 426, Sévère
fut évêque de cette ville. Quel que soit cet
Optât, il écrivit à saint Augustin par Satur-
nin, prêtre de l'Église d'Hippone , pour le
prier de lui résoudre enfin la difficulté qu'il
lui avait déjà proposée sur l'origine de
l'âme. C'est qu'il croyait que ce saint évê-
que avait reçu quelques éclaircissements
sur ce sujet de la part de saint Jérôme. Mais
Optât était mal informé. Saint Augustin le
prie donc d'attendre que saint Jérôme ait
répondu à la lettre qu'il lui avait écrite par
Orose; et pour lui faire voir qu'il l'avait vé-
ritablement consulté sur l'origine de l'âme,
il rapporte une partie de la lettre de ce Père,
où il s'excuse de répondre à cette difficulté
sur son peu de loisir, et sur ce que l'intérêt
de rÉghse demandait qu'ils ne parussent
pas divisés de sentiment même dans les
moindres choses. Saint Augustin avoue in-
génument qu'il n'avait encore pu compren-
dre comment il était possible que l'âme fût
souillée du péché d'Adam sans tirer de lui
son origine. Il demande à Optât quelles rai-
sons il avait pour combattre l'opinion de
ceux qui croyaient que les âmes tiraient
leur origine de celle d'Adam; comment Dieu
les forme, si elles ne viennent point par la
propagation et si elles sont créées de rien?
Comme Optât avait apparemment détaiUé
ses raisons dans un livre qu'il avait fait sur
cette matière , et qu'il en avait encore écrit
quelque chose à ses amis , saint Augustin le
prie de lui envoyer ce livre , en l'avertissant
de ne pas combattre les traditions respec-
tables des anciens, lui qui était encore jeune
et peu instruit. Il l'approuve en ce qu'il avait
réfuté ceux qui niaient que nos âmes fussent
l'ouvrage de Dieu ; parce qu'elles le sont en
efifet, aussi bien que nos corps, et il propose
en peu de mots ce qu'il y a de certain sur
la nature de l'âme : savoir, qu'elle est un
esprit et non pas un corps, qu'elle est rai-
sonnable et intellectuelle, qu'elle n'est point
la nature de Dieu. Mais une créature, et
même mortelle en quelque sens, c'est-à-dire,
en ce qu'elle peut changer de mieux en pis
et devenir étrangère à Dieu dont la partici-
pation la rendrait heureuse. Mais qu'en un
autre sens elle est immortelle, puisque
même après cette vie elle ne pourra perdre
le sentiment, soit qu'elle soit heureuse ou
malheureuse. Il ajoute qu'il sait aussi que
l'âme n'a ,pas mérité par des actions faites
13
194
HISTOmE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
dans une ^16 précédente, c'est-à-dire, avant
son union avec le corps, d'être enfermée
dans ce corps ; qu'elle n'y est pas pour cela
exempte de péché, et que personne ne
naît d'Adam par la propagation , sans être
souillé du péché ; d'oii vient qu'il est néces-
saire que les enfants mêmes renaissent en
Jésus-Christ par la grâce de la régénéra-
tion.
Leiire i 31. Primasius, dans son Commentaire svr
l'Apocalypse, nous a conservé un assez long
fragment d'une lettre de saint Augustin à
Maxime ' , où l'on voit le chemin qu'il faut
tenir pour se sanctifier. « Commencez, dit-il,
par la ci'ainte de Dieu, puisqu'il est écrit
qu'elle est le commencement de la sagesse.
Car il faut que la crainte marche devant
pour abattre l'orgueil de l'homme. Devenu
"doux et souple par la piété, vous appren-
drez à vous soumettre à l'autoi-ité des Écri-
tures, attendant avec patience que vous
soyez capable d'en comprendre les vérités.
Lorsque, pour vous faire couuaitre à vous-
même, Dieu commencera de vous découvrir
quelle est la chaîne de mortalité que nous
fait ti'aîner la qualité d'enfants d'Adam,
écriez-vous avec l'Apôti-e : Malheureux que je
suis, qui me déliv7'era du corps de cette mort ?
afin que la grâce de Dieu par Jésus-Christ
Notre -Seigneur vous console dans votre
douleur, par la promesse de cette délivrance
après laquelle vous soupirez. » Saint Augus-
tin dit à Maxime, qu'il doit fortement s'ap-
pliquer à la prière, qui est un effet de la
faim et de la soif que tout chrétien doit
avoir de la justice ; et qu'afin de l'obtenir
plus aisément de la miséricorde de Dieu,
il est besoin de mettre en pratique les œu-
vres de miséricorde , qui consistent dans
ces deux points , donner et pardonner : don-
ner à ceux qui sont dans le besoin, et par-
donner à ceux qui nous ont oli'ensés. 11
l'exhorte encore à la pureté de cœur, c'est-
à-dire, à ne chercher dans ses actions, ni de
plaire aux hommes, ni de pai-venir aux
biens et aux commodités de la vie présente,
mais à plaire à Dieu qui veut être servi gra-
tuitement. Il lui promet que, lorsqu'il sera
ai-rivé à cette pureté d'intelligence par les
différents degrés de la bonne vie , alors U
pourra se flatter d'atteindre en quelque
1 Ce fragment ost reproduit daus le tom. III de
l'iidition bénédictine vers la iîu, dans le tom. Vlll
de l'éditiou Gaume, pag. 1S07-1K20, et dans le
sorte l'unité de la sainte et ineflable Tri-
nité, où est la paix parfaite.
§. IV.
Des lettres faussement attribuées à saint
Augustin.
1. A la suite des véritables Lettres de saint ^ LeinM »
Augustin, on en a impinmé plusieurs qui se
trouvent sous son nom dans quelques an-
ciens manuscrits, mais qui sont communé-
ment reconnues pour supposées. Il y en a
seize de saint Augustin à Boniface et de Bo-
niface à saint Augustin, qui, outre la diffé-
rence du style , méritent d'être rejetées ,
parce qu'il n'en est fait mention ni dans
Possidius, ni dans aucun ancien, si ce n'est
de la treizième qui est iTipportée'par Anselme
de Luc, par Yves de Chartres et par Gratien.
2. La lettre à Démétriade est un livre qui Leii.càDé
■^ mélriade.
tomba d'abord entre les mains de samt Au-
g-ustin sans nom d'auteur, mais qu'il recon-
nut ensuite être de Pelage, et dont cet
hérésiarque s'avoua l'auteur dans sa lettre
au pape Innocent.
3. La lettre de saint Cyrille à saint Augus- i-»iir-e
•' ° saint Cjnll
tin est visiblement l'ouvrage d'un imposteur ■!» Jénisaie.
o ^ et de sair
ignorant, puisqu'on y fait détailler à saint ^^^glj'fijV''
CjTille les vertus et les miracles opérés au
tombeau de saint Jérôme, mort longtemps
api'ès ce saint évêque de Jérusalem.
4. La dispute de saint Augustin avec „ i-cure
^ ^ PasceQtius.
Pascentius, n'a rien ni de la solidité des rai-
sonnements de saint Augustin, ni du feu
des emportements de Pascentius ; d'ailleurs,
on a vu par la lettre 238, que ce Père ne
put jamais obtenir de Pascentius, cpie l'on
écrivit de part et d'autre, ce qui se dirait
dans leur conférence : et ce qui est à remar-
quer, c'est que Possidius et saint Augustin
ne parlent que d'une conférence avec Pas-
centius, au lieu que l'auteur de cet écrit sup-
pose qu'il y en avait déjà eu une précédente.
ARTICLE IV.
DES ÉCRITS CONTENUS DANS LE TR0ISIÈ51E TO.UE.
§1-
Des quatre livres de la Doctrine chrétienne.
1 . Ce troisième tome renferme les traités "vm i
loui. II de l'édition Jligae à sa place naturelle
pag. 731 et suiv. {L'éditeur.)
IV° ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
193
Doctrine (Je saint Augustin sur l'Écriture sainte, qui
'^'39?'°" ^^^^ l^s éditions précédentes se trouvent
distribuées dans le troisième, le cpiatrième
et le neuvième volume. Comme les livres
de la Doctrine chrétienne sont une clé de la
méthode que ce Père a suivie dans ses
Commentaires sur l'Ecriture, on les a mis au
commencement de ce tome, pour servir de
préface à ses commentaires. Saint Augustin
commença cet ouvrage quelque temps après
son épiscopat, c'est-à-dire, vers l'an 397 ;
mais il ne l'acheva pas, et il en demeura au
vingt-cinquième chapitre du troisième livre.
Cela n'empêcha pas qu'il ne parût en public
tel qu'il était. Parcourant depuis tous ses
petits traités, et trouvant celui-ci imparfait,
il résolut de l'achever avant de passer à la
revue de ses autres ouvrages. Il acheva donc
non-seulement le troisième livre, mais il en
ajouta un quatrième, (c Les trois premiers
servent, dit-il ', à l'intelligence des Écritu-
res, et le quati'ième contient la manière de
mettre au jour et d'expliquer les vérités di-
vines qui y sont cachées, lorsqu'on les aura
comprises. » Il remarque deux choses sur
cet ouvrage dans son second livre des Ré-
tractations ^ : la première, qu'il n'est pas
constant comme il l'avait dit d'abord, que la
Sagesse de Salomon soit de Jésus fils de Sy-
rach, le même qui a écrit l'Ecclésiastique ; la
seconde qu'en disant que l'Ancien Testa-
ment contient quarante-quatre livres, il s'est
servi de ce nom selon la manière dont l'É-
ghse parlait de son temps, quoique saint
Paul semble n'entendre par l'Ancien Testa-
ment que la loi donnée sur la montagne de
Sinaï. Il remarque aussi qu'il a fait une faute
de mémoire dans le chapitre xxvju du se-
cond lisTe, en citant un écrit de saint Am-
broise pour un autre. Les quatre livres de la
Doctrine chrétienne sont précédés d'un prolo-
gue où il fait voir que ce n'est point en vain
qu'on donne des règles pour étudier l'Écri-
ture sainte. Il y répond aussi à trois sortes
de personnes qu'il prévoyait pouvoir trouver
à redire à son ouvrage ; les unes, parce
qu'elles ne comprendi'aient rien aux règles
qu'il y doime pour l'intelligence de l'Écri-
ture ; les autres, parce qu'elles ne pour-
raient pas s'en servir; et quelques-unes,
parce qu'elles entendraient et exphqueraient ,
l'Écriture sainte sans le secours de ces rè- -,
gles, et par les seules lumières du Saint- p:>
• Lib. 11 Retract, cap. iv. — 2 ibid. li
Esprit, n dit aux premières et aux secondes,
qu'elles ne doivent point s'en prendre à lui
ni le blâmer, si elles manquent d'intelli-
gence ; et aux dernières, qu'elles ne doivent
pas juger des autres par elles-mêmes.
Quelques-uns, il est vrai, en ont été favori-
sés, comme un esclave de Barbarie nommé
Macaire qui était chrétien : ne sachant point
lire, et n'ayant personne pour l'instruire,
il en obtint de Dieu la faculté par une
prière de trois jours, en sorte qu'il lisait
fort couramment. Cependant il ne laisse
pas d'être vrai aussi que nous apprenons à
lire seulement par le ministère des autres
hommes, et que nous ne savons pas même
notre langue maternelle qu'à force de l'en-
tendre parler. Il ne faut pas tenter l'autem-
de notre foi ; le diacre Philippe n'envoya
point à un ange l'eunuque de la reine de
Candace, mais il lui donna lui-même l'intel-
ligence du prophète Isaïe, en s'asseyant
auprès de lui dans son char, et en lui dé-
couvrant avec une langue et des paroles
humaines, ce qui était caché sous l'endroit
mystérieux que cet eunuqrie lisait. Enfin
ceux mêmes qui se glorifient de pénétrer
dans les profondeurs de l'Écriture, par la
seule lumière divine et sans le secours d'au-
cune règle, ne laissent pas d'en instruire
les autres, au lieu de les renvoyer à Dieu
pour en être instruits intérieurement.
2. Toutes les connaissances, comme l'en- ^nai
' prenne
soigne saint Augustin dans le premier livre, ^s-e
sont ou de signes ou de choses. Il distingue
deux sortes de choses, les unes dont il faut
jouir, les autres dont il faut user. « Jouir,
c'est s'attacher à une chose pour l'amour
d'elle-même : user , c'est employer tout ce
qui est à notre usage pour obtenir ce qu'on
aime, supposé toutefois qu'on doive l'aimer;
car user d'une chose pom- une fin illégitime,
c'est moins en user qu'en faire abus. Il n'y
a que trois personnes divines dont on doive
jouir. Ces trois choses sont toutes trois une
dans le Père, toutes trois égales dans le Fils,
toutes trois unies dans le Saint-Esprit. Elles
sont ce Dieu ineffable que l'on considère
comme l'Être souverain, mais dont on ne
peut parler dignement ; cette sagesse im-
muable que tout le monde convient être
préférable à une vie assujettie aux vicissi-
tudes et aux défaillances. Mais pour se ren-
dre capable de la connaître, cette sagesse,
il faut purifier son esprit et son cœur.
C'est pom' nous en enseigner la manière
yse du
r livre,
1. in.
196
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
que cette même sagesse divine est venue à
nous, non en traversant de grands espaces,
mais en paraissant dans une chair mortelle
à des hommes moi-tels. C'est elle qui a guéri
l'homme pécheur, qui l'a délivré de ses fai-
blesses, de son aveuglement, et de la mort
même. Jésus-Christ, cette sagesse incréée, a
confirmé notre foi par sa résurrection et par
son ascension, nous faisant voir en reprenant
la vie avec combien de liberté il l'avait don-
née. Il excite et soutient aussi notre foi parla
vue de la récompense qu'il nous prépare à
la fin de notre carrière, et par la crainte du
jour terrible où il viendra juger les vivants et
les morts. Tout invisible qu'il est, il répand
sur chacun des inembres de son Eglise les
dons les plus propres à l'éclairer et à la
former; s'il l'éprouve et la purifie par de
salutaires afflictions, c'est afin que, dégagée
du siècle, elle lui soit un jour éternellement
unie, comme une épouse qui n'aura plus ni
taches ni rides, ni rien qui lui déplaise. 11
lui a donné des clés pour lier les pécheurs
et pour délier les pénitents. On ne peut mê-
me obtenir la rémission de ses péchés, sans
croire que l'Église a le pouvoir d'en ab-
soudre. Le divorce que fait le pénitent avec
les objets de ses passions pourrait, dans un
sens, s'appeler la mort de l'âme qui, par la
pénitence, ressuscite et se rétablit dans de
meilleures dispositions. Mais celle, qui ne
meurt point au siècle corrompu, et qui ne
commence pas dès ici-bas à se conformer à
la vérité, lorsque son corps meurt, tombe
eUe-même dans une mort encore plus af-
freuse : eUe ne renaîtra pas pour être trans-
formée dans un état céleste, mais pour souf-
frir des tourments infinis. A l'égard de ce
monde et de toutes les créatures, il faut en
user et non pas en jouir, c'est-à-dire qu'on
peut s'en servir et non pas les considérer
comme sa dernière fin. On doit même les
aimer, mais par rapport à Dieu : c'est dans
ce sens qu'il nous est commandé de nous
aimer les uns les autres. Car aimer un autre
pour l'amour de lui-même, c'est en jouir;
ne l'aimer que par rapport à Dieu, c'est en
user. On ne doit pas non plus s'aimer par
rapport à soi-même, mais par rapport à
l'objet dont on doit jouir, qui est Dieu. Si
l'homme vient à s'aimer pour lui-même , il
ne se rappoi-te plus à Dieu. Il n'est plus tour-
né vers quelque chose d'immuable , mais
uniquement occupé de lui-même : plus il en
veut jouir, plus il se dégrade et perd de sa
perfection. Quiconque aime donc son pro-
chain comme il faut, doit l'aimer de manière
que cela ne l'empêche point d'aimer Dieu
de tout son cœur. En l'aimant ainsi comme
soi-même, on absorbe l'un et l'autre amom-
dans l'amour de Dieu, qui ne peut souflrir
que ce fleuve diminue par le détour d'aucun
ruisseau qui s'en écarte.
Il j a quatre choses que nous devons ai-
mer. La première est au-dessus de nous, la
seconde est nous-mêmes, la troisième est
auprès de nous, et la quatrième est au-des-
sous. Il n'était pas nécessaire de nous com-
mander d'aimer la seconde et la quatrième,
car l'homme a beau s'éloigner de la vérité,
il ne perd jamais l'amour de lui-même et de
son corps. Il croit avoir beaucoup gagné
quand il peut commandjr à d'autres hom-
mes : mais une teUe manière de s'aimer doit
plutôt s'appeler une véritable haine, étant
injuste de vouloir être obéi par ce qui est
au-dessous de soi, et de ne vouloir pas obéir
à ce qui est au-dessus. Personne ne hait sa
propre chair, pas même celui qui la châtie,
parce qu'il ne le fait pas pom' la détruire,
mais pour la dompter. Ce n'est pas non plus
haïr son corps que d'aimer quelque chose
plus que lui, comme de sacrifier quelques-
luis de ses membres pour la conservation
de sa vie. L'ordi-e de l'amour demande que
l'on aime ce qui doit être aimé , et qu'on
n'aime point ce qui ne doit pas l'être. Tout
pécheur considéré comme pécheur ne doit
point être aimé, mais tout homme considéré
comme homme doit être aimé pour Dieu, et
Dieu pour lui-même. Comme on ne peut
être utile à tous, il faut particulièrement
s'appliquer à servir ceux qui, selon les dif-
férentes conjonctures d'aflaires, ou par rap-
poi't aux temps et aux lieux, semblent, par
je ne sais queUe renconU-e, nous être plus
éti'oitement unis. Mais en général nous de-
vons désirer que tous aiment Dieu avec
nous, et rapporter à cette fin tous les biens
que nous leur faisons, ou que nous en l'ece-
vons. La raison de vouloir du bien à tous
les hommes, c'est qu'ils sont tous notre
prochain. Les anges mêmes sont com-
pris dans le commandement qui nous est
fait d'aimer notre prochain, puisque les di-
vines Écritures sont remplies des bons offi-
ces et des secours que nous recevons d'eux.
Dieu se sert de nous, mais il n'en jouit pas,
autrement il faudrait dire qu'il a besoin de
nos biens; ce que personne n'oserait penser.
[IV" ET Y" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVÊQUE D'HIPPONE.
197
Le prophète ne dit-il pas à Dieu : Vous n'a-
vez pas besoin de mes biens : si Dieu ne se ser-
vait pas de nous, comment pourrait-il nous
aimer? mais l'usage qu'il en fait n'est pas
semblable à celui que nous faisons des créa-
tures : nous usons d'elles pour parvenir à la
possession de sa bonté infinie, au lieu que
Dieu rapporte à sa bonté même toutes les
créatures dont il se sert; non à son utilité,
mais à la nôtre.
Saint Augustin dit que l'amour de Dieu et
du prochain étant l'accomplissement de la
loi et la fin de toute l'Écriture, ce double
précepte de la charité doit servir de règle
pour l'intelligence des vérités qui y sont
contenues ; que toute science et toute inter-
prétation des Ecritures sont fondées sur ces
trois choses, la foi, l'espérance et la charité;
que l'homme qui est solidement appuyé sur
ces trois vertus n'a besoin des Écritures que
pour en instruire les autres, et que même
un grand nombre de justes qui en sont ani-
més passent leurs jours dans les déserts
sans le secours des livres saints, les inspira-
tions immédiates qu'ils reçoivent de Dieu
les faisant atteindre jusqu'au comble de la
perfection. Il conclut ainsi : « Celui qui con-
naît que la charité qui procède d'un cœur
pm*, d'une bonne conscience et d'une foi
sincèi'e, est la fin de la loi, et qui est dis-
posé à rapporter à ces trois choses toute
l'inteUigence des Écritures, peut avec con-
fiance ouvrir ces livres divins pour les étu-
dier. »
.\naii>B du 3. Après avoir traité des choses dans le
lag-. 19. premier livre, saint Augustin traite des si-
gnes dans le second. « Le signe, outre l'idée
qu'il donne de lui-même à nos sens, nous
fait venir encore dans la pensée quelque
autre chose que lui. Par exemple à la vue de
la fumée, nous connaissons qu'il y a du feu.
H y a des signes naturels et des signes d'ins-
titution. Les naturels sont ceux qui font con-
naître par eux-mêmes quelque autre chose
que ce qu'ils sont. La fumée signifie le feu,
non par une détermination arbitraire, mais
par sa nature. Les signes d'institution sont
ceux que tous les êtres animés se donnent
mutuellement pour découvrir, autant qu'il
leur est possible, les différents mouvements
de leur âme. Entre ces signe», les uns ont
rapport aux yeux, plusieurs a l'ouïe, et quel-
1 Saint Augustin ajoute un septième degré qui
est la sagesse. {L'éditeur.}
ques-uns aux autres sens. Les paroles tien-
nent le premier rang entre ces signes. Mais
comme elles s'évanouissent aussitôt qu'elles
ont frappé l'aii', on a inventé les lettres pour
être les signes des paroles. Les livres saints
n'ont d'abord été écrits qu'en une seule lan-
gue, mais dans la suite, s'étant répandus
par toute la terre par les différents langages
des interprètes, cette divine Écriture est ve-
nue à la connaissance de tous les peuples.
L'obscurité qui se rencontre en plusieurs
endroits ne laisse pas d'avoir son utilité ; il
parait même que c'est par une conduite de
la sagesse divine qui veut dompter l'orgueil
de l'homme par le travail, et prévenir les
dégoûts de son esprit qui, d'ordinaire, n'a
que du mépris pour ce qu'il découvre trop
aisément, qu'il est arrivé que certains pas-
sages de l'Écriture se sont trouvés couverts
d'épaisses ténèbres. »
Mais saint Augustin remarque qu'oi'dinai-
rement ce qui est obscur en un endroit, est
expliqué clairement ailleurs ; qu'ainsi le
Saint-Esprit va au-devant de la faim de
l'homme par les endroits clairs, et prévient
la tiédeur et l'ennui par l'exercice que don-
nent ceux qui sont obscurs. Il compte sept
degrés par lesquels on parvient à la connais-
sance de la parfaite sagesse contenue dans
la sainte Écriture , savoir : la crainte de
Dieu, la piété, la science, la force, le con-
seil et la pureté de cceur\ Le catalogue des
livres canoniques qu'il donne est entière-
ment conforme à celui qui est aujourd'hui
reçu dans l'Église, et il veut que, pour distin-
guer les livres canoniques d'avec ceux qui
ne le sont pas, on s'en rapporte à l'autorité
du plus grand nombre des églises catholi-
ques, et particulièrement de celles qui ont
mérité d'être le Siège des apôtres et d'en re-
cevoir des lettres. Il conseille à ceux qui
sont touchés de la crainte de Dieu, et qui
cherchent à connaître sa volonté, de lire
tous les livres canoniques, pour y puiser les
préceptes des mœurs et les règles de la foi.
Il est d'avis qu'ils les hsent, quoi qu'ils n'en
n'aient pas encore l'intelligence, dans la vue
d'en remplir leur mémoire ; qu'ensuite ils
approfondissent avec toute l'application qui
dépendra d'eux, les vérités qui y sont clai-
rement expliquées. Il leur donne après cela
des moyens pour parvenir à l'intelligence
des endroits obscurs et difficiles. Le premier
est la connaissance des langues dans les-
quelles les livres sacrés sont écrits, et surtout
198
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
des langues grecque et hébraïque. Le se-
cond est de consulter et de comparer les dif-
férentes versions, dont les unes servent à
éclaircir les autres, comme il le fait voir par
un passage da huitième chapitre d'Isaïe, et
de quelques autres écrivains sacrés. La rai-
son qu'il apporte pour prouver l'utilité de
comparer les différentes versions, c'est que
le véritable sens d'une pensée ne parait pas
aisément quand plusieurs interprètes ont
travaillé à l'expliquer, si l'on ue consulte la
langue qu'ils ont traduite, parce que souvent
le traducteur incertain s'écarte du vrai sens
de l'auteur, s'il n'est fort habile. Entre les
versions latines, il préfère l'Italique ou l'an-
cienne Vulgate , à cause qu'elle s'attache
plus aux termes, et qu'elle met la vérité dans
un plus grand jour. Entre les versions grec-
ques, celle des Septante, qui, selon la tradi-
tion des plus célèbres Eglises , ont été as-
sistés du secours du Saint-Esprit, doit avoir
le plus d'autorité pour ce qui regai'de l'An-
cien Testament ; c'est sur elle qu'il faut cor-
riger les versions latines, et s'il se trouve
quelque chose dans le texte hébreu qui soit
différent de ce que les Septante ont omis, il
faut s'en tenir à ce qu'on lit dans leurs ver-
sions. Un troisième moyen pour parvenir à
l'intelligence de l'Écriture sainte , c'est la
connaissance des noms propres, soit d'hom-
mes, soit de villes, comme aussi de la na-
ture des animaux, des plantes, des herbes
et des autres choses qui entrent dans les
comparaisons et dans les figures employées
dans les Livres saints. Saint Augustin expli-
que à ce sujet les figures mystérieuses de
la branche d'olivier que la colombe apporta
dans l'arche , et celle de l'hyssope dont
David disait qu'il serait purifié lorsque Dieu
l'en arroserait. La connaissance des nom-
bres et de la musique lui paraît aussi très-
utile dans l'exphcation des textes, et il cite
un auteur qui avait traité de la différence
qu'il y a entre le psaltérion et la harpe. Il
croit qu'on peut encore faire usage des
sciences profanes, en prenant d'elles ce
qu'elles ont de bon et d'utile; mais il veut
qu'on rejette celles qui ne sont fondées que
sur la fable, ou qui sont mêlées de su-
perstitions, particulièrement l'astrologie ju-
diciaire et la magie. Il fait peu de cas de la
peinture et de la sculpture, si ce n'est qu'el-
les s'emploient à des représentations de
quelque importance. La science de l'histoire
lui paraît d'un grand secours pour l'intelli-
gence des Livres saints. «Combien, dit-il,
de difficultés ne naît-il pas tous les jom's à
l'occasion des olympiades et des noms des
consuls ? Et, n'est-ce pas <à la faveur de ces
connaissances que notre grand évêque Am-
broise a découvert que Platon avait été en
Egypte du temps de Jérémie, et a prouvé
par là qu'il était hien plus vi'aisemblable
qiie ce philosophe avait pris dans nos livres
toutes les grandes maximes qu'il a établies
dans les siennes, que de dire que Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ avait pris dans Platon
celles qu'il nous a enseignées dans l'Evan-
gile ? » Saint Augustin montre ensuite que
la mécanique , la dialectique , la rhétori-
que et les autres sciences ont leur utilité,
pourvu qu'on en fasse un bon usage , à
l'exemple de Lactance, de Victorin, d'Optat
et d'Hilaire , qui ne se sont servis des con-
naissances qu'ils avaient acquises dans le
paganisme, que pour faire honorer le vrai
Dieu et pour abolir le culte des idoles. 11
soutient néanmoins qu'on trouve dans les
saintes Écritures tout ce qu'il peut y avoir de
bon dans les autres livres , mais qu'outre
cela on apprend dans l'admirable et sublime
simplicité de ces Écritures divines, ce qu'on
ne peut apprendre ailleurs.
■4. Il donne dans le troisième liwe. des rè- Anaiis» i«
Iroisieme II ■
gles pour ôter l'ambiguité qui vient des "«, p^e-w.
termes propres, ou métaphoriques de l'É-
criture. Quand les mots propres font im
sens obscur, il faut d'abord examiner si
cette obscurité ne vient point de ce qu'on
les a ou mal ponctués ou mal prononcés.
Si après cet examen, on demeure encore
dans l'incertitude, il faut consulter les rè-
gles de la foi, et fixer le sens d'un passage
par d'autres endroits plus clairs et plus ai-
sés à entendre, et par l'autorité de l'Église.
Si deux ou plusieurs endroits nous parais-
sent renfermer de l'obscurité, même selon
les règles de la foi, il faut examiner les
choses qui suivent et qui précèdent, et en
comparer les rapports avec ce qui est obs-
cur afin de découvrir avec lequel de tout
les sens qui se présentent, ces termes obs-
curs, paraissent avoir phis de liaison. Voici
un des exemples qu'il propose pour l'appli
cation de cette règle. Les ariens lisaient
ainsi dans saint Jean : Au commencement
était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, e'
Dieu était, de manière que ce qui suit faisai;
un autre sens : Ce Verbe était en Dieu iès L
commencement. Ils faisaient assez voir dan.
[IV'' ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTLX, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
199
ces ponctuations qu'ils ne voulaient point
confesser la divinilô du Verbe. Mais leur
hérésie doit se réfuter par la règle de la foi,
qui nous enseigne l'égalité des trois per-
sonnes de la sainte Trinité, Ainsi il faut
lire : Et le Verbe était Dieu , ajoutant en-
suite : // était au commencement avec Dieu.
Mais quand il arrive quel'ambiguité ne peut
s'éclaircir ni par les règles de la foi, ni par
la suite du texte, on peut suivre celui des
deux sens qui paraît le plus probable. On
doit suivre la même règle pour déterminer
la prononciation et la signification des ter-
mes indéterminés ; et si cela ne se peut faire
ni par les règles de la foi, ni par le rapport
aux choses qui précèdent ou qui suivent,
le lecteur pourra les prononcer comme il
voudra sans faire de fautes. Dans ces sortes
d'ambiguïtés, on fera bien aussi de recourir
au texte original. « Quant aux ambiguïtés,
dit-il, qui naissent des termes métaphoriques,
elles demandent beaucoup de soin et de pré-
caution. Il faut bien prendre garde de ne pas
s'attacher scrupuleusement aux significa-
tions que la lettre présente, ni prendre les
signes pour autant de choses réelles. Les
juifs ont été longtemps esclaves de cette
lettre qui tue, sans comprendre ce qu'il y
avait de spirituel et de mystérieux sous les
figures de la loi. Les gentils ont aussi été
esclaves du culte superstitieux des faux
dieux. Mais la loi de grâce et de liberté,
c'est-à-dire la loi nouvelle, a délivré les
Juifs de leur servitude en leur donnant la
connaissance des mystères cachés sous la
lettre des Écritures, et en les élevant aux
vérités mêmes qu'elle renfermait. Elle a dé-
livré les gentils en leur faisant voir la vanité
de leur culte, et en rejetant entièrement
leurs cérémonies profanes. Mais la religion
de Jésus-Christ en délivrant les Juifs et les
gentils de la servitude où les tenaient les
signes et les figures, ne s'est chargée que
d'un petit nombre de signes très-faciles à
remplir, qui ne signifient rien que de très-
auguste, et qui n'ont rien que de très-pur
dans leur usage. Tels sont le sacrement du
baptême et la célébration du mystère du
coi'ps et du sang de Noti'e-Seigneur Jésus-
Christ. »
Saint Augustin donne d'autres règles né-
cessaires pour connaître quand une expres-
sion est figurée. La première et la plus gé-
nérale , est que tout ce qui dans l'Écri-
ture ne peut se rapporter ou aux vérités de
la foi, ou à la pureté des mœurs, est néces-
sairement figuré. Mais il ne veut pas qu'on
juge de ce qui peut être honnête ou vérita-
ble, par les préjugés de l'usage ou de la
coutume , mais seulement par les règles de
la foi et de la charité : « Car l'Écriture, dit-
il, ne commande que la charité, et ne con-
damne que la cupidité : c'est ainsi qu'elle
instruit les hommes, et qu'elle forme les
mœurs. Quand il est clair et évident que les
faits et les maximes de l'Écriture, quoique
trop austères et trop dures en apparence,
servent à détruire le règne de la cupidité,
on ne doit pas les entendre d'une manière
figurée. Telles sOnt ces paroles de l'Apôtre : no,n. n,
Vous vous amassez un trésor de colère pour le
jour de la manifestation du juste jugement de
Dieu, etc. Mais on ne peut clouter que toutes
celles-ci de Jérémie ne'soient figurées : Je ■>«'■="'•
vous ai établi sur les peuples afin que vous ar-
rachiez, que vous détruisiez, etc. Lorsqu'on
trouve aussi dans l'Écriture des paroles et
des actions qui paraissent criminelles au ju-
gement des ignorants, et qui sont néan-
moins attribuées à Dieu et aux saints, il est
nécessaire de les expliquer dans un sens
figuré : cette règle a heu surtout dans les
choses exprimées par forme de commande-
ment. Mais si la lettre de l'Écriture défend
un crime , et qu'elle commande un bien , il
n'y a point alors de sens figuré. Au con-
traire , s'il paraît qu'elle commande le
crime, et qu'elle défende le bien, alors il y
a de la figure : Si vous ne mangez, dit le Sau- Jom. ^
veur, la chair du Fils de l'homme, et si vous
ne buvez son sang, vous n'aure-z point la vie en
vous. Il semble que Jésus-Christ commande
un crime. Il y a donc une figure dans cette
façon de parler, où il nous est ordonné de
participer à la passion du Sauveur.
Il faut remarquer que la figure que trouve
ici saint Augustin, no tombe point sur la
présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eu-
charistie, mais sur la manière dont les fidè-
les mangent son corps dans ce sacrement,
afin que nous ne l'entendions pas charnelle-
ment comme l'entendaient les capharnaïtes.
En effet, si Jésus-Christ n'était qu'en figure
dans l'Eucharistie, saint Augustin, en pre-
nant à la lettre tous les termes de ce pas-
sage, n'y trouverait ni crime, ni cruauté,
puisqu'il n'y aurait aucun mal à manger
ime chose qu'on ne mangerait qu'en figure
et spirituellement. Ainsi, ce que ce Père dit
en cet endroit, est favorable à la présence
200
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
réelle loin de lui nuire. « Souvent, dit saint
Augustin, il arrive que ceux qui sont ou qui
croient être élevés à un plus haut degré de
vertu et de spiritualité, prennent pour des
choses dites figurément, des préceptes qu'on
donne à ceux qui marchent dans les voies
communes de la justice ; mais ces personnes
doivent faire attention qu'il y a des choses
qui sont commandées à tous, et d'autres qui
le sont aux personnes de chaque condition
différente, parce qu'il est de l'équité de
donner le remède conformément aux forces
du malade, et de le rétabhr dans la disposi-
tion qui lui est propre, quand on ne peut pas
l'élever à une disposition plus parfaite. Une
autre observation qui contribue encore à
l'intelligence de l'Écriture, c'est de considé-
rer en quel temps les choses ont été com-
mandées ou permises ; si c'était avant la
venue de Jésus-Christ ou depuis.» Saint Au-
gustin apporte pour exemple la polygamie
des Patriarches qu'il excuse, parce qu'ils
usaient saintement du mariage dans la vue
d'avoir des enfants ; il préfère même leur
état à celui des personnes qui, n'ayant
qu'une femme, n'auraient dans le mariage
d'autres vues que de satisfaire des plaisirs
charnels.
Selon le saint évêque, lorsque l'Écriture
rapporte quelque péché commis par de
grands hommes, on peut chercher à y dé-
couvrir quelques figures des choses à venir;
mais le meilleur usage qu'on en peut faire,
c'est de ne se laisser surprendre à aucun
mouvement de vanité dans les œuvres les
plus saintes ; de ne point mépriser les au-
tres, et de ne point les regai-der comme des
pécheurs en vue de sa propre justice. Il
ajoute qu'un même mot ne signifie pas par-
tout la même chose, qu'une expression figu-
rée signifie quelquefois deux choses toutes
différentes, et même absolument contraires;
que l'on doit éclaircir les endroits obscurs
par ceux qui sont clairs et faciles à enten-
dre, et qu'un même passage de l'Écriture
peut avoir deux sens également bons. Il fait
l'application de ces règles par divers exem-
vojM Ion., pies tirés de l'Ecriture, et finit son troisième
' '"^' " livre par l'exposition des sept règles du
donatiste Ticonius, cpie nous avons rappoi"-
tées ailleurs.
Anaijso du g. H commenco Ic quatrième livre en aver-
quatriùiiie li- 7
™- tissant que son dessein n est pus de donner
des règles d'éloquence , quoiqu'il ne croie
pas l'usage de la rhétorique inutile à un
docteur chrétien. Mais il dit qu'on peut s'en
instruire ailleurs, et qu'on doit en appren-
dre les préceptes dans un âge qui soit pro-
pre à cette étude, et lorsqu'on peut le faire
en peu de temps, c'est-à-dire, dans la jeu-
nesse. Il ne laisse pas d'entrer dans un
grand détail sur les qualités d'un orateur
chi'étien, à qui il croit néanmoins qu'il im-
porte beaucoup plus de parler sagement
qu'éloquemment. Mais, selon ce Père, il est
extrêmement nécessaire que celui qui est
obhgé de dire avec sagesse ce qu'il ne peut
dire avec éloquence, retienne les termes de
l'Écriture. Car plus il se voit pauvre en lui-
même, plus il doit s'enrichir de ces sortes
de biens, afin que les paroles divines ser-
vent de preuves aux siennes, et que celui
qui par ses propres discours n'a rien de
grand, croisse en quelque manière en em-
pruntant le témoignage et l'impression de
ceux qui sont véritablement grands. « A
l'égard de ceux qui veulent non-seulemenl
parler sagement, dit-il, mais éloquemment,
comme il est certain qu'ils réussiront beau-
coup plus s'ils peuvent faire l'un et l'autre ,
j'aime mieux leur conseiller de lire, d'en-
tendre et d'imiter les hommes reconnus et
admirés, tant pour leur sagesse, que pour
leur éloquence, que de les renvoyer aux
maîtres de la rhétorique. » Il montre par
divers exemples tirés des Épîtres de saint
Paul, et de la prophétie d'Amos, qui n'avait
pas d'autre emploi que de garder les trou-
peaux, que l'éloquence est jointe à la sa-
gesse dans les auteurs sacrés ; mais il ajout(>
que, quoiqu'on les puisse prendi-e pour mo-
dèles de la belle éloquence dans les en-
droits de leurs éci'its où ils sont aisés it
entendre, l'orateur chrétien ne doit pas le;;
imiter dans les choses qu'ils ont envelop-
pées d'obscurités et de figures, pour don
ner de l'exercice aux esprits des lecteurs. K
veut même que celui qui entreprend dr-
traiter des choses difficiles et obscures, soi,
moins occupé de le faire avec éloquence
qu'avec clarté et avec évidence, sans néaii
moins négliger absolument les agrément
du discours. Il rapporte, d'après Cicéron, le
devoirs d'un orateur, qni sont d'instruire
de plaire et d'émouvoir. ((L'obligation d'in;^^-
truire regarde les choses dont on veut par-
ler ; plaire et émouvoir regardent la manier
de les dire. Tout style indittcremment n'
suffit pas pour remphr ces deux dernieis
devoirs ; car comme il faut plaire à l'audi ■
Kom. V, 3
cl o.
Il Cor.
[iv" ET v" SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
201
G.il. IV,
I TTi, i:j
I Tiiii. V
II Cor.
' Roii). V
teur pour le retenir dans l'attention, il faut
aussi l'émouvoir pour l'animer à l'action. Et
comme il est touché quand vous lui parlez
avec agrément, de même il est ému s'il
aime ce que vous lui promettez ; s'il craint
le mal dont vous le menacez. Mais avant
d'entreprendre d'instruire, de plaire ou d'é-
mouvoir, un orateur chrétien doit plus re-
courir à Dieu dans la prière qu'aux talents
de l'éloquence, afin que gémissant aux pieds
du Seigneur pour lui-même et pour ceux
qui l'entendront, il n'exerce le ministère de
prédicateur qu'après avoir fait celui de sup-
pliant. L'heure de parler étant venue, qu'il
élève à Dieu son âme altérée des eaux de la
sagesse pour les répandre après les avoir
reçues, et faire part aux autres des biens
dont il est rempli, n
Saint Augustin distingue trois différentes
sortes d'éloquence , selon qu'on veut ins-
truire , plaire et émouvoir ; distinction que
Cicéron avait faite avant lui , en disant
que celui-là sera éloquent qui parlera sim-
plement des petites choses, des médiocres
modérément et des grandes avec grandeur.
«Mais, dit-il, comme l'orateur chrétien n'a
que des choses élevées à traiter, ces trois
sortes d'éloquence ne peuvent avoir lieu
que dans le barreau. H ne laisse pas d'y
avoir trois sortes de style dont l'orateur
chrétien peut se servir suivant les différents
sujets qu'il a à traiter; im style commun,
un style médiocre, im style sublime. Quoi-
qu'il n'y ait rien de plus grand que Dieu, ce-
lui toutefois qui enseigne le mystère de l'a-
dorable Trinité, doit le faire d'un style facile
et commun, afin qu'un mystère si difficile
en lui-même se puisse comprendre suivant
la mesure de lumière qu'il plait à Dieu de
nous donner. Mais quand il s'agit d'invecti-
ver contre les pécheurs, on ne saurait trop
s'élever dans son discours pour faire voir
l'énormité du crime. » Ce Père apporte des
exemples de ces trois sortes de styles tirés
-' de l'Écriture, mais particulièrement de saint
;'• Paul, et de quelques écrivains ecclésiasti-
,,,, ques, en particulier de saint Cyprien et de
saint Ambi'oise, remarquant qu'il n'est donc
pas contre les règles de varier le discours par
les différents genres du style ; qu'on peut au
contraire le faire avec utilité. « Car , ajoute-
t-il, quand il est trop long dans un seul genre,
il attache moins l'auditeur ; mais si l'on passe
de l'un à l'autre , le discoui's se continue
avec plus de grâce. Il est toutefois plus aisé
de soutenir longtemps le style simple que le
sulilime, et plus il est nécessaire d'émouvoir
l'âme pour la convaincre , plus on doit la
retenir dans cette émotion quand elle a été
suffisamment excitée, n II assure sur sa pro-
pre expérience qu'on ne doit pas juger du
sublime de l'orateur, par les fréquentes et
fortes acclamations qu'on fait à son dis-
cours, mais qu'on en peut beaucoup mieux
juger par les larmes, les gémissements et le
changement de vie des auditeurs ; effets qui
peuvent aussi être produits par le style sim-
ple. « Quant au style médiocre et tempéré
qui consiste à plaire, on ne doit pas, dit
saint Augustin, s'en servir précisément pour
lui-même, mais afin que l'auditeur étant
déj<à persuadé, le plaisir lui détermine un
peu plus promptement le cœur , et l'attache
plus fortement aux choses sur lesquelles il
n'est plus besoin de l'émouvoir ni de l'ins-
truire. Mais quelque sublimité de discours
qu'emploie un orateur chrétien, sa vie aura
encore plus d'autorité, si elle répond à ses
paroles, au heu que s'il vit mal, il pourra
bien instruire ceux qui ont un grand désir
d'apprendre, mais il sera inutile poin- lui-
même. » En général, saint Augustin veut
qu'on s'attache plus à la vérité qu'aux ter-
mes, et il ne blâme point un prédicatem-
qui, ayant le talent de bien prononcer un
discours, mais non pas celui de le compo-
ser , récite de mémoire le discours d'un au-
tre plus habile que lui.
§u.
Du Livre imparfait sur la Genèse.
i . Le premier des ouvrages que saint Au-
gustin fit après le concile d'Hippone, est
celui qu'il intitule : Livre imparfait sur la
Genèse expliquée selon la lettre. Dès l'an 389,
il l'avait expliquée en deux livres, et avait
réfuté les difficultés que les manichéens fai-
saient sur les trois premiers chapitres; mais
ses explications n'étaient qu'allégoriques. 11
se proposa en 393 d'en donner de littérales,
et de montrer contre les mêmes hérétiques
que l'histoire de la Genèse, prise à la lettre,
ne renferme rien de ridicule, comme ils le
prétendaient. Ce travail était très-pénible et
très-difficile ; en sorte que saint Augustin ,
qui n'était pas encore assez fort pour péné-
trer dans les secrets des choses naturelles,
succombant sous le poids de son entreprise,
la laissa imparfaite, sans rendre pubhc ce
Livre
ini-
[ arrait
iir la
Genèse
en
:i'J3.
Aug.
lib. I
néiratl.
cap.
202
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
qu'il avait fait. Il voulait même brûler cet
écrit lorsqu'il fit la révision de ses ouvi-ages,
surtout à cause des douze livres qu'il avait
faits depuis, pour expliquer le texte de la Ge-
nèse à la lettre. Mais il se contenta d'y ajou-
ter quelques périodes, qui font environ une
demi-page, croyant que cet ouvrage, tout
impai'fait qu'il était, pourrait servir de quel-
que chose, en faisant voir de quelle manière
il avait commencé à discuter et à examiner
les paroles de l'Écriture. Il finit au vingt-
septième verset du chapitre premier, c'est-
à-dii'e à la création de l'homme.
AosijM de 2. Comme les hérétiques avaient coutume
93. ""' '"^' de détourner le sens des Écritures pour y
trouver de quoi appuyer leurs erreurs, saint
Augustin, avant d'entreprendre l'explication
de la Genèse, donne ime déclaration de la
foi de l'Église sur la Trinité et sur l'Incarna-
tion , ne croyant point qu'il soit permis de
chercher dans l'Écriture autre chose que ce
qui a rapport à la doctrine de l'Église catho-
lique. Il ne reconnaît aucune créature con-
substantielle ou coéfernelle à Dieu, et dit
contre les manichéens, que le péché n'a pas
Dieu pour auteur ; qu'il n'est autre chose
qu'un consentement d'une volonté libre à
une chose que la justice défend, et dont il lui
est hbi'e de s'abstenir; en sorte que le péché
ne consiste pas dans les choses mêmes, mais
dans le mauvais usage du libre arbitre. Il
enseigne que l'Église qui est notre mère, a
été établie de Jésus-Christ ; qu'elle est appe-
lée catholique, parce qu'elle est parfaite en
tout, et qu'elle est répandue par toiite la
terre. H distingue quatre sens de l'Ecriture ,
l'historique , qui nous représente les faits
comme ils se sont passés ; l'allégorique, qui
explique ce qui est dit en figure; l'analogi-
que, où l'on compare ensemble l'Ancien et
le Nouveau Testament , pour montrer qu'ils
s'accordent, et l'étiologique , par lequel on
rend raison des faits et des discours rap-
portés dans l'Écriture. Après ces prélimi-
naires, il explique l'histoire de la création,
formant plusieurs difHcultés sur chaque mot,
et examinant en quel sens chaque verset
doit être entendu, si c'est à la lettre ou dans
un sens figuré. Sur le verset 19, oîi nous li-
sons : £t Dieu dit que la lumière se fasse, et
la lumière fut faite, il s'exprime ainsi :
« C'est une opinion téméraire de croire que
i August. lib. IX De Gen. ad litt. cap. xn.
2 Lib. I Retract, cap. xvni.
quelque chose commence , ou prenne fin en
Dieu, si l'on prend ces termes à la rigueur et
si l'on veut parler exactement ; on peut néan-
moins passer ces façons de parler aux petits
et aux faibles, dans l'espérance qu'ils les quit-
teront un jour lorsqu'ils seront mieux ins-
truits. Car tout ce qu'on dit que Dieu com-
mence ou finit, ne doit point s'entendre dans
Dieu même, mais dans sa créature, qui lui
obéit d'une manière admirable. »
§ m.
Des douze livres sur la Genèse à la lettre.
1. En 401 , saint AusTistin entreprit de i-^s 12 ij-
'-' ^ vres sur la
nouveau l'explication de l'histoire de la créa- ccntee, écrits
■*- en 101 publies
tion, et composa d'abord onze livres sur le ""■' '"' "^
commencement de la Genèse jusqu'au vingt-
deuxième verset du chapitre troisième, c'est-
à-dire jusqu'à l'endroit où il est dit qir'Adam
fut chassé du paradis. Depuis, il y en ajouta
un douzième sur le paradis, où il examine
fort au long de quelle manière nous voyons
les choses corpoi'elles des yeux de l'esprit \
Son dessein dans cet ouvrage , n'est pas de
développer les mystères contenus dans le
texte, mais seulement de montrer qu'il ne
renferme rien qui ne puisse être véritable à
la lettre, ni qui soit contraire à ce que nous
connaissons par les lumières de la raison,
et que ce qui pourrait nous y paraître
superflu, est nécessaire pour l'intelligence
du mystère. Dans ses livres des Rétracta-
tions^ il parle ainsi : « Cet ouvrage est in-
compai'ablement meilleur que celui que j'ai
fait étant prêtre , c'est-à-dire que le Livre
imparfait sur la Genèse^ ; toutefois, j'y cher-
che plutôt la vérité en beaucoup de choses
que je ne la trouve, et lors même que je
l'ai trouvée, je ne la représente pas ordinai-
rement comme certaine, réservant le plus
souvent la solution des difficultés à une plus
ample discussion. Je fais voir ' plutôt le be-
soin que j'ai d'être éclairé moi-même sur
tous les eudj'oifs où j'hésite, que je ne dé-
cide ce qu'il faut croire en des matières si
embarrassées. » C'est ainsi qu'il nous ap-
prend par là à ne point assurer avec témé-
rité ce que nous ne savons pas. Quelques
instances que lui tissent ses amis de publier
cet ouvrage, il le garda longtemps sans le
donner, afin de le perfectionner dans ses
3 Lib. H Retract, cap,
Gen., ad litl. cap. i.
Lib. XII De
[iv° ET r SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIxN,
moments de loisir, et d'y corriger ce qui lui
paraîtrait défectueux. Il le place dans ses
Rétractations ' après les écrits qu'il avait
composés en 400, ce qui fait voir qu'il l'a-
vait achevé dès l'an 401. Mais il paraît qu'il
ne le rendit public qu'après sa seconde let-
tre à Évodius^, c'est-à-dire vers l'an 415.
Go qu'il y a 2. Il Y suit à pou près la même méthode
'e remarqua- *' « . f /-» »
i^iivrc? S" 1*^^ dans le Livre imparfait sur la Genèse,
'*■ ' expliquant tous les mots du texte, et se pro-
posant un grand nombre de questions dont
il résout quelques-unes, et laisse les autres
sans solution. Selon saint Augustin, dans
Livro pic- tous les Livres saints nous devons considérer
les biens éternels qui y sont désignés, les
faits qui y sont rapportés , les choses futu-
res qui y sont prédites, et les règles qui y
sont prescrites, ou les avis qui y sont don-
nés pour la conduite de la vie ; dans le récit
des choses passées, nous pouvons examiner
si ce sont seulement de simples figures, ou
si nous sommes obligés de les soutenir com-
me des vérités historiques. Les trois person-
nes de la sainte Trinité sont marquées dans
les deux premiers versets , où nous Usons
qu'au commencement Dieu créa le ciel et la
terre, et que l'esprit de Dieu était porté sur
les eaux : le Père est désigné par le nom de
Dieu, le Fils par le terme de principe ou de
commencement et le Saint-Esprit, par l'es-
prit qui était porté sur les eaux. « Il y était
porté, dit-il, non comme dans un lieu et dans
un espace corporel ; mais il était au-dessus
des eaux par la souveraineté de sa puissance
infinie , pour en former tout ce qu'il y a de
grand et d'admirable dans le ciel et dans la
terre, comme l'esprit d'un savant architecte
est élevé au-dessus d'un grand amas de
pierres, dont il doit former un palais, selon
toutes les règles de son art. » Il approuve
aussi bien que saint Basile l'explication d'un
docte syrien , qu'on croit être saint Ephrem,
qui au lieu de dire que l'Esprit était poi-té
sur les eaux, lisait : Il se reposait sur les eaux,
comme pour les animer en quelque sorte par
sa vertu et sa fécondité divine, et pour en
produire toutes les créatures- de l'univers ;
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 203
comme un oiseau se repose sur ses œufs, et
les anime peu à peu pour en faire éclore les
petits. Faisant réflexion sur ces paroles :
Que la lumière soit faite : la lumière fut faite,
la lumière plut à Dieu, le saint évéque dit :
« Dieu commande comme Dieu ; il fait ce
qu'il a dit, comme tout-puissant; il approuve
ce qu'il a fait, comme infiniment bon. »
3. Il raconte qu'un auteur qui écrivait de W'™'i'!i",'iiJ-
-•■ J- me, pag;. 13It
son temps, ne pouvant répondre à l'objec-
tion qu'on bii faisait, que l'eau étant natu-
rellement plus pesante que l'air, ne pour-
rait pas demeurer ainsi suspendue au-des-
sus de l'air, du ciel et des étoiles, se tira de
cette difficulté, en disant qu'il fallait enten-
dre par le firmament , non le ciel où sont
les étoiles, mais l'air où sont les oiseaux,
qui est appelé ciel dans l'Écriture , et dans
le langage ordinaire des hommes. Ce Père
approuve en quelque manière cette solu-
tion ; elle lui paraît pi-opre à expliquer sans
peine comment le firmament ou le ciel,
c'est-à-dire, l'air où volent les oiseaux, avait
au-dessus de soi les eaux plus légères des
vapeurs qui s'élèvent de la terre en haut, et
d'où les pluies se forment ; et au-dessous
de soi les eaux plus grossières de la mer et
des fleuves qui sont sur la terre ; et com-
ment il est vrai de dire que le ciel, c'est-à-
dire l'air, divise les eaux d'avec les eaux. Il
témoigne toutefois qu'il ne pouvait s'y arrê-
ter, parce que quelque ingénieuse que fût
cette pensée, l'autorité de la parole de Dieu
doit être infiniment plus considérable à une
âme vraiment clu-étienne, que tous les rai-
sonnements de l'esprit humain, toujours fai-
bles et souvent très-faux ; que la pesanteur
naturelle des eaux ne doit pas nous empê-
cher de croire, que Dieu ne les ait pu pla-
cer en un heu au-dessus du firmament,
comme il est dit dans l'Écriture. Tout
corps quelque petit qu'il soit lui sem-
ble divisible à l'infini. La raison qu'il en
donne, est que toute partie d'un corps est
un corps elle - même , et que tout corps
a nécessairement sa moitié, c'est-à-dire
qu'il est divisible en deux. A l'imitation des
' Lib. III Retract, cap. xxiv.
2 Le cardinal Maï a publié dans le toiu. I de la
Bibliothèque nouvelle, 2« partie, pag. U9-lo0 les
chapitres ou sommaires des douze livres sur la
Genèse e codice sessoriano du 6« ou 7= siècle. Ces
sommaires sont de la même écriture que tout
l'ouvrage; s'ils ne sont pas de saint Augustin, ils
lui sont presque contemporains et doivent par con-
séquent être mis en tête de ces livres par les
futurs éditeurs. Jusqu'à présent ils ont été ignorés.
On y voit que les divisions des livres et des cha-
pitres sont différentes de celles des livres impri-
més; celles du i'^' livre qui étaient au nombre de
23 manquent, deux feuilles ayant été égarées.
Voyez Maï, ibid., pag. 119 et Annales de philosophie
chrétienne, tom. X et VllI, pag. 228. {L'éditeur.)
204
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Livie Iroisi
nie, img. J
philosophes, dit saint Augustin , on pourrait
former plusieurs questions sur les cieiix, et
demander combien il y en a, quelle est la ma-
tière, la figure et le mouvement des astres que
Dieu y a placés ; mais Moïse qui était rempli
de l'esprit de Dieu, et qui savait certainement
tout ce qui peut y avoir de véritable et de so-
lide dans la connaissance du ciel et des as-
tres, n'ayant point traité ces questions dans
un livre destiné plutôt à guérir qu'à satisfaire
cette avidité inquiète de tout savoir, il ne
voulait pas s'y arrêter lui-même. Les savants
du siècle avaient traité toutes ces choses
avec beaucoup d'ostentation ; mais ceux à
qui Dieu à confié la dispensation de ses
Ecritures, ont cru au contraii'e, avec beau-
coup de pmdence, qu'ils n'en devaient point
parler, parce que ces connaissances sont
non-seulement inutiles aux hommes, pour
les l'endre heureux , mais qu'elles leur sont
encore nuisibles en leur dérobant le temps
qui leur devrait être si précieux, et qu'il est
de leur intérêt d'employer à des choses sa-
lutaires. Quant à l'astrologie Judiciaire et
au destin que quelques-uns faisaient dépen-
dre des astres, il rejette ces opinions comme
contraires à la foi , puisqu'en les admettant,
dit-il, c'est tarir la source de la prière, et
donner lieu d'accuser Dieu d'être auteur du
mal comme créateur des étoiles. Il réfute
ces erreurs par l'exemple do Jacob et
d'Esaii, qui quoique jumeaux, eurent un sort
fort différent. « Tout bon chrétien, dit-il,
doit se défier de tous les tireurs d'horos-
copes, et de tous les devins, principalement
quand ils disent vrai , de crainte qu'ils ne
jettent l'âme, trompée par le commerce des
démons, dans une espèce de pacte qu'elle
atirait contractée par la société qu'elle au-
rait eue avec ces gens-là. »
iè- Ce Père ci'oit avec beaucoup d'autres an-
ciens, que les oiseaux tirent leur origine de
l'eau, n raconte comme une chose extraor-
dinaire, qu'U y avait une fontaine auprès de
Bulle-Royale, dont les poissons avaient cou-
tume de suivre ceux qui se promenaient à
l'entour, parce que ceux qui y venaient, leur
jetaient assez souvent quelque chose à man-
ger, et il dit qu'il en avait lui-même été té-
moin. Il ne s'oppose pas au sentiment de
ceux qui donnent aux démons un corps
aérien et semble croire qu'avant leur pé-
ché, ils avaient un corps céleste; mais qu'en
punition de leur prévarication ils en reçu-
rent lui d'air afin qu'ils pussent être toui-
mentés par le feu. Ces mots : Faisons l'hom-
me à notre image et à notre ressemblance, lui
indiquent la sainte Trinité, et il fait consis-
ter la ressemblance de Dieu avec l'homme,
dans le don de la raison , que Dieu lui a ac-
cordé, pour le distinguer des autres créa-
tures, qui ne sont point raisonnables.
4. « Si Dieu, dit saint Augustin, cessait
d'opérer dans les créatures, elles n'auraient
aucun mouvement, elles cesseraient elles-
mêmes d'être : car il n'en est pas du monde
comme d'un bâtiment, qui subsiste quoique
l'architecte n'y fasse plus rien ; si Dieu ces-
sait de gouverner ce monde, il ne durerait
pas un clin d'œil. » Il trouve beaucoup de
ditficulté à concevoir comment Dieu, qui a
tout fait avec une facilité incompréhensible,
et qui en son action même, est toujours de-
meuré dans la stabihté de son repos éternel,
n'a néanmoins sanctifié (jue le septième
jour auquel il s'est reposé, après avoir
achevé tous ces grands ouATages. La raison
qu'il rend de cette conduite est celle-ci :
« Dieu n'ayant tiré du néant les créatures
que pour exercer sa bonté envers elles, il
n'a sanctifié ni le premier, ni le dernier jour
de la création, mais le septième auquel il
est entré dans son repos, pour nous faire
voir que ce n'est point hors de lui, mais en
lui-même qu'il trouve sa félicité et sa gran-
deur; et pour nous apprendre encore qu'il a
formé toutes les créatures sans avoir aucun
besoin d'elles; qu'il était aussi grand et aussi
heureux avant de les avoir créées, qu'après.
Il met rme grande différence entre la con-
naissance de chaque chose dans le Verbe de
Dieu, et la connaissance de cette même cho-
se dans sa nature : « En comparaison , dit-
il, de cette lumière par laquelle on voit dans
le Verbe de Dieu, toute lumière qui nous
fait connaître les créatures en elles-mêmes,
peut être appelée ténèbres. » Aussi veut-il
que les saints anges connaissent les créa-
tures dans le Verbe, n ne croit pas qu'on
doive regarder les join-s de la création
comme semblables aux nôtres, c'est-à-dire,
mesurés par le cours du soleil; son senti-
ment est que Dieu a tout créé en même
temps. 11 ne le propose néanmoins qu'eu
doutant, et en laissant aux autres la liberté
de penser autrement, se fondant pour pen-
ser ainsi lui-même, sur ce qui est dit dans
l'Écriture, que Dieu a créé tout ensemble.
5. Les anges sont l'ouvrage du premier
jour, et lem" création paraît marquée par
Livre
îrîèmo ,
lo9.
qua-
pa(r.
LiM-e ci
quième, pa
[iv" ET V SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
205
Livre
me, p:<{
septiè-
;. 211.
! Ijuiliè-
IS. 22(i.
celle de la lumière. Ils connaissent non-seu-
lement ce qui est caché dans Dieu, mais en-
core ce qui se fait ici-bas ; ils connaissent le
mystère du l'oyaume des cieux, qui nous à
été aussi révélé dans le temps marqué pour
notre salut, et ils savent que, délivrés un
jour de cet exil, nous leur serons associés
dans la gloire. Toutes les créatures étaient
connues de Dieu, même avant qu'il les eût
faites ; mais elles n'étaient connues que dans
sa science et non en elles-mêmes. C'est
peut-être en cette manière qu'il connaissait
Jérémie avant qu'il fût formé dans le sein
de sa mère, quoique Dieu ait pu aussi le con-
naître dans des causes plus prochaines ,
comme dans Adam qui a été la racine et
et l'origine de tous les hommes. Il y a eu
toutefois cette différence entre le corps d'A-
dam et les nôtres, que celui d'Adam, quoique
sujet à la mort, pouvait ne pas mourir,
s'il n'eût pas péché; au lieu que le nôtre,
à cause du péché que nous tirons de ce pre-
mier père, est dans la nécessité de mourir.
Quant à l'âme que l'Ecriture appelle un
soufle de vie, Dieu ne la tira point comme
il avait tiré le corps , de quelque matière
déjà existante, mais il la créa du néant. Au-
tant Dieu est élevé au-dessus des créatures,
autant l'âme surpasse en dignité les choses
corporelles. Elle fait tellement partie de
l'homme, qu'elle ne peut passer de lui dans
les bêtes, quoique l'homme, par la corrup-
tion de ses mœurs, puisse leur devenir sem-
blable en quelque manière, ainsi que le dit
l'ÉcriLure. Dieu en mettant une âme dans le
corps qu'il avait formé, soufle sur son vi-
sage comme sur la partie la plus noble du
corps, où est le siège de tous les sens, et
d'où ils se distribuent dans toutes les par-
lies du corps. Comme il nous est naturel de
souhaiter de vivre, il l'est à l'âme d'être unie
au corps.
6. Quelques-uns soutenaient que l'on de-
vait expliquer selon la lettre, le paradis ter-
restre où Dieu mit l'homme qu'il avait for-
mé, et qu'il ne signifiait rien selon l'esprit.
D'autres au contraire, croyaient que le pa-
radis terrestre n'était qu'une allégorie , et
qu'il n'avait jamais existé. Une troisième
opinion était, qu'on pouvait expliquer en
deux manières ce que Moïse dit de ce lieu.
Saint Augustin donne raison à ceux qui
soutiennent que le paradis terrestre a
été véritablement et selon la lettre ; mais
il pense qu'ils se trompent en s'imaginant
qu'on ne puisse pas expliquer d'une manière
spirituelle et édifiante, ce qui en est dit. Il
répond à ceux qui regardent le paradis ter-
restre comme une pure allégorie, que s'ils
ont du respect pour l'Éghse et pour les li-
vres saints, ils devraient bien considérer
jusqu'où les pourraient mener sans qu'ils
s'en aperçussent , les conséquences inévi-
tables d'une opinion si dangereuse. « Poui'-
quoi, en effet, dit-il, serait-il difiîcile de
croire que Dieu ait créé le paradis terres-
tre, c'est-à-dire, un jardin délicieux, plein de
beaux arbres et d'excellents fruits, puisque
nous croyons sans peine, qu'il a créé dans
le monde tant de grandes forêts, et qu'il a
fait tant d'autres merveilles, comme la créa-
tion de l'homme même ? » Il approuve donc
la troisième opinion , et consent que l'on
donne un sens spirituel à ce qui est dit du
paradis terrestre, pourvu que l'on reçoive
pour constante la vérité de cette histoire.
C'est en suivant cette règle qu'il explique ce
que nous en lisons dans la Genèse ; et pour
montrer que le sens figuré n'exclut point le
sens littéral, {il fait remarquer que quoique se-
lonl'Apôtre, Agar et Sara aient été lesfigures
de l'ancienne alliance et de la nouvelle, il ne
s'ensuit pas pour cela, que ce qui est dit de
ces deux femmes ne soit qu'une parabole, et
n'ait pas été effectivement : comme il ne
s'ensuit pas que la pierre dont Moïse fit sor-
tir une somxe d'eau, n'ait été réellement
une pierre, parce qu'elle a été selon le même
apôtre, la figure de Jésus-Christ. Quant au
lieu où le paradis terrestre était situé , il ne
veut rien décider; « il vaut mieux, dit-il,
douter des choses obscures que de disputer
de celles qui sont et seront toujours très-in-
certaines ; » non-seulement on ne sait point
où était ce paradis terrestre, mais encore,
les hommes sont très-incapables de le con-
naître. Selon saint Augustin , la culture des
plantes et des arbres auraient été l'occupa-
tion du premier homme dans ce jardin de
délices où il avait été créé. « Qu'y a-t-il en
effet, dit-il, ou de plus innocent que cet em-
ploi pour ceux qui ont assez de temps pour
s'y occuper, ou de plus propre à élever l'es-
prit à Dieu, pour ceux qui ont une assez
grande lumière pour approfondir cette foule
de merveilles sous le cours ordinaire de la
nature ? »
7. On pourrait demander pourquoi Dieu ^'>
ayant uni Adam et Eve par un mariage si
saint, ils sortirent néanmoins vierges du pa-
ivrcneuvlè-
pag. 243.
206
HISTORE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
dis terrestre ? Saint Augustin répond qu'ils
n'ont pas usé du mariage dans cet état
d'innocence, premièi'ement , parce que la
femme ne fut pas plus tôt formée qu'elle
tomba dans le péclié; secondement, parce
que Dieu ne leur avait pas commandé d'en
user. « On peut dire avec grande raison,
ajoute ce Père, qu'il ne leur serait point
venu dans la pensée d'user du mariage, à
moins que l'autorité même de Dieu ne les y
eût obligés; parce que l'état si saint où ils
avaient été créés, n'était pas capable de la
moindre impression de cette concupiscence
ténébreuse dont les sens sont aujourd'hui
tout enveloppés, et qu'il n'y avait rien ni
dans leurs esprits ni dans leurs corps qui
leur donnât la moindi'e pente à cette
concupiscence. » Il ajoute qu'Adam ne pro-
nonça ces paroles de la Genèse : Voilà
maintenant l'os de mes os et la chair de
ma chair, que par une lumière qu'il avait
reçue du ciel. Aussi nous voyons qu'un
peu auparavant Dieu lui avait envoyé un
sommeil, qui fut en lui comme un ravisse-
ment et une extase, afin qu'étant admis
dans la compagnie des saints anges, il en-
trât dans le sanctuaire de Dieu, et qu'il y
apprît le grand mystère qui ne devait s'ac-
complir qu'à la fin des temps. Sur ces paro-
les : L'homme quittera son père et sa mère, et
s'attachera à sa femme ; et ils seront deux dans
une seule chair , saint Augustin remarque
que Jésus-Christ les cite dans l'Évangile,
comme ayant été dites par Dieu lui-même,
pour montrer qu'Adam les a prononcées
comme un prophète, après les avoir apprises
de Dieu dans l'extase où cette vérité lui fut
révélée
Lhredixiè- 8. Il s'étend beaucoup sur la nature et
me, pag. t,o. pQj,jgjjjg ^jg l'âmc , [saus décider ce qu'il
faut en croire. Il parait néanmoins favorable
à l'opinion qui veut qu'une âme soit produite
par une autre âme. Mais il prouve qu'elle
n'est point une partie de la substance de
Dieu, qu'elle ne tire point non plus son ori-
gine des anges, et qu'elle n'est point corpo-
relle, ni composée de divers éléments. Il
croit qu'elle contracte le péché originel,
lorsque unie aussitôt après la création avec
un corps impur, elle se trouve toute appe-
santie par cette union, qui lie si étroitement
1 D. Ceillier a sans doute voulu dire l'âuesse,
couime l'exprime saint Augustin d'après l'Écriture.
{V M leur.)
l'un avec l'autre, qu'il se fait comme un
débordement de la corruption du corps
dans toutes les puissances de l'âme; et que
cette peste contagieuse l'infecte et la rem-
plit de toute part. Il prouve par la coutume
où est l'Éghse de baptiser les enfants, qu'il
croit venir de la tradition des apôtres, que
personne n'est exempt de ce péché.
9. En expliquant le troisième chapitre de ^^l'^^^^/i^;
la Genèse , il demande pourquoi Dieu a per-
mis qu'Adam fût tenté. A quoi il répond,
que l'homme n'eût guère été digne de
louange, s'il n'eût éprouvé la tentation. «Sa
chute, ajoute-t-il, a servi de leçon aux pré-
destinés, le tentateur ne serait point venu à
bout de le faire tomber dans la prévarica-
tion, si Adam lui-même ne se fût dès aupa-
ravant laissé emporter à un mouvement
d'orgueil. Le diable aussi est tombé par
l'orgueil ; sa chute a suivi de près sa créa-
tion; en sorte qu'il ne s'est passé aucun
temps pendant lequel il ait vécu heureux
avec les saints anges. » Saint Augustin sem-
ble adopter l'opinion de ceux qui croient
que le démon était un ange inférieur aux
bons anges, et que Dieu ne lui avait pas
fait connaître comme à ceux-ci, s'il persé-
vérerait ou non dans l'état dans lequel Dieu
l'avait créé. Il croit que ce fût le démon qui
forma par l'organe du serpent les sons et
les paroles par lesquels il voulait séduire
la première femme"; que c'est lui encore qui
parle dans les possédés, et qui leur fait dire
des choses qu'ils n'entendent pas. Mais il ne
doute pas que ce ne fût un bon ange qui
parla par l'organe de l'âne * de Balaam. La
conduite d'Eve lui semble renfermer un
grand mépris de Dieu. « Car si elle avait,
dit-il , oubhé cette défense si expresse qu'il
leur avait faite, quoique cette négligence
eût été criminelle, l'oubli néanmoins sem-
blei'ait avoir quelque chose d'excusable ;
mais elle se souvient très-bien de ce que
Dieu avait dit : elle le rapporte même au
serpent, et après cela elle méprise la ma-
jesté de Dieu qu'elle devait considérer
comme présente dans ce commandement
si exprès qu'il lem- avait donné lui-même,
et auquel il avait attaché l'hommage dû à la
puissance suprême qu'il avait sur eux. » On
trouve encore les enseignements suivants :
« La présence de Dieu qui faisait toute
la joie de nos premiers parents dans l'état
d'innocence, devint leur supplice après leur
péché ; ils ne purent se résoudre h exposer
[IV' ET \' SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
207
aux yeux si pixrs de cette majesté suprême,
leur nudité, qui, étant la peine honteuse
de leur crime, était insupportable à leurs
propres yeux. Le son de la voix qui se fit
entendre, et le bruit d'une personne qui se
promenait, étaient quelque chose de corpo-
rel, soit qu'un ange revêtu d'une forme hu-
maine, et représentant Dieu ait parlé ou se
soit promené de cette sorte; soit qu'il ait
fait seulement entendre une voix et un
bruit : car la substance de Dieu étant in-
visible et toute entière partout comme un
pur esprit, n'a pu paraître aux sens corpo-
rels d'Adam et d'Eve par un mouvement
attaché à un certain lieu, et qui ait passé
avec le temps. La soumission de la femme
envers son mari n'est point attachée à sa
natm'e ; elle est une peine de sa prévarica-
tion; néanmoins si l'on ne gai-dait cet ordre
dans l'état malheureux où nous nous trou-
vons réduits, la nature se déréglerait davan-
tage et le péché se multiplierait encore plus.
Ces paroles de Dieu au premier homme :
Voilà Adam devenu comme l'un de nous, sa-
chant le bien et le mal, n'étaient pas une in-
sulte, mais un avertissement salutaire, soit
poui' hii-même, afin qu'il reconnût combien
son orgueil l'avait trompé; soit pour les au-
tres, afin que la chute et la punition du père
devînt la terreur et l'instruction de tous ses
enfants. Dieu le chassa comme par une es-
pèce d'excommunication, de ce jardin déli-
cieux, comme l'Éghse, qui est aujourd'hui
le paradis de la terre , a coutume de sé-
parer selon l'ordre de sa discipline, du sa-
crement visible de l'autel, ceux qui ont tué
leur âme par les péchés. Celui d'Adam ne
fut pas comme quelques-uns l'ont cru d'avoir
connu Eve avant que Dieu le lui eût or-
donné; mais il pécha plutôt par complai-
sance pour sa femme, ne voulant pas l'at-
trister eu se refusant aux instances et aux
supplications qu'elle lui faisait de manger
du fruit défendu. Au reste il est sans appa-
rence qu'il se soit laissé séduire comme sa
femme, aux paroles du démon, en s'imagi-
nant que Dieu leur avait défendu le fnzit de
l'arbre de vie, comme par une espèce d'en-
vie, de peur qu'ils ne deviusent semblables
à Dieu . »
Saint Augustin compare la faute d'Adam
à ceUe de Salomon, qui consentit à l'impiété
de ses femmes étrangères, jusqu'à bâtir
dans Jérusalem des temples à lem's idoles,
non qu'il se fût laissé séduire à leurs sacri-
lèges, s'imaginant comme eUes, que l'on
pût rendre à des pierres des honneurs di-
vins; mais parce que, transporté pour ces
personnes d'une passion aveugle et furieuse,
il aima mieux attirer sur lui la colère de
Dieu par le violement du plus grand de ses
préceptes, que de déplaii'e à celles dont il
n'adorait point les idoles, mais dont il était
lui-même idolâtre dans son cœur.
10. Le saint Docteur traite fort au long du
paradis ou du troisième ciel où saint Paul
fut ravi; ce qui lui donne occasion de rap-
porter un grand nombre de visions et de
prédictions extraordinaires de certaines per-
sonnes qui n'étaient point inspirées de Dieu,
et qui ne laissaient pas d'annoncer des cho-
ses qui arrivaient comme elles les avaient pré-
dites. «Nous avons connu, dit-il, un homme
tourmenté par l'esprit impur , qui , ayant
coutume d'être visité par un prêtre, avertis-
sait du temps auquel ce prêtre se mettait
en chemin pour le venir voir, quoique ce fût
à près de cinq lieues de là. Il marquait du-
l'ant toute sa route en quel endroit il était ,
s'il était bien proche , quand il entrait dans
le viUage, dans sa maison, dans sa cham-
bre. Il fallait que ce malade-, pour parler si
juste , vît ces choses de quelque manière ,
quoiqu'il ne les vît pas dès yeux. Il avait la
fièvre, et il disait tout cela comme un fréné-
tique qui parle sans réflexion. Peut-être
était-il effectivement frénétique, et on le
croyait à cause de cela, possédé du démon,
n ne voulait recevoir aucune nomi-iture de
tous ceux qui étaient avec lui; il fallait que
ce fût ce prêtre qui le fît manger. On avait
toutes les peines imaginables à le retenir, et
il n'y avait que ce prêtre qui le pût calmer.
Quand il venait, le malade se tenait en repos,
lui obéissait en tout, lui répondait avec sou-
mission. Le pi'être , toutefois, ne le pût dé-
livrer de cette extravagance ou de ce dé-
mon ; et ce mal ne le quitta point qu'il ne fût
guéri de sa fièvre, comme cela arrive à tous
les frénétiques.
Ce Père raconte aussi qu'il avait connu
un autre frénétique qui avait prédit la mort
d'une femme d'une manière fort particu-
lière, et dont la prédiction fut entièrement
vérifiée par l'événement. Il dit qu'il aiTÎve
quelquefois à des personnes qui veillent, qui
ne sont point malades, et qui ont le juge-
ment sain et libre, de recevoir, comme par
un instinct secret, certaines pensées qui les
font deviner, soit qu'elles pensent à toute au-
Livrc couzlè*
nio , paf. 298.
208
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
I.,ps Façon?
(ie parler sut
t 11 epl a 1 e II'
<Iiie,paf. rjfîfi.
MTfi l'ail îI'J,
tre chose qu'à deviner, comme Gaïphe qui
prophétisa sans en avoir aucun dessein ; soit
qu'elles en aient effectivement la volonté. A
cette occasion, il rapporte une histoire singu-
lière de quelques jeunes gens qui, en faisant
voyage, voulurent, pour se divertir, faire les
astrologues, sans savoir seulement si l'on
comptait douze signes dans le zodiaque. Ils
dirent à leur hôte tout ce qui leur vint à la
bouche, et cet homme leur avoua que tout
ce qu'ils avaient dit était vrai. Comme ils
allaient partir, leur hôte leur demanda com-
ment se portait son fds qui était absent de-
puis longtemps. Ils répondirent sans hésiter
qu'il se portait bien, et qu'il était près de la
maison : en effet, il ai'riva dans le moment.
Saint Augustin compare ces visions à celles
qu'ont ceux qui rêvent; comme celles-ci sont
quelquefois fausses et quelquefois vraies,
souvent agitées et souvent tranquilles; cel-
les-là sont aussi quelquefois confomies aux
événements ; quelquefois elles sont aussi
énoncées d'une manière claire, et quelque-
fois d'une façon plus obscure et plus em-
barrassée.
Il traite de l'état de l'âme après la mort,
et croit qu'elle est alors dégagée de toute
sorte de corps; qu'elle est punie ou récom-
pensée suivant ses mérites.
DES FAÇONS DE PARLER DES SEPT PREMIERS LIVRES
DE LA BIBLE.
Bes Questions sur la Genèse, l'Exode, le Lévi-
tique, les Nom.bres, le Deutéronome, Josué
et les Juges.
1. On met vers l'an 419, les sept livres des
Locutions ou façons de parler, sur les sept
premiers livres de l'Écriture, le Pentateuque,
Josué et les Juges, et sept autres de questions
sur les mêmes livres. Saint Augustin tra-
vailla aux uns et aux autres dans le même
temps. Il met néanmoins ceux des Locutions
les premiers dans le second livre de ses Ré-
tractations ^ Mais ce qui fait voir qu'il ne
ne les composa qu'après les sept livres des
Questions, c'est qu'il cite ces Questions ias-
qu'à trois fois ^, dans les livres des Locutions.
S'il a donc placé ceux-ci les premiers, c'est
ou parce qu'il avait commencé de les dicter
1 Lib. H Retract, cap. lfv. — ^ Lib. 11 De Exod.
locut, 62, lib. YII de Judic. locut. 49 et 31.
avant les Questions, ou qu'il a voulu qu'on
les lût dans cet ordre. Les livres des Locu-
tions, sont un recueil des manières de par-
ler particulières à l'Écriture, qui ne viennent
que du tour propre au grec ou à l'hébreu,
et qui, étant moins usitées dans le latin, don-
nent sujet à ceux qui n'y prennent pas as-
sez garde d'y chercher des sens mystérieux.
Pour faire entendre aisément un grand nom-
bre d'endroits qui paraissent obscurs à cause
de ces expressions, le saint Docteur crut
qu'il n'y avait qu'à remarquer quel sens el- :?
les avaient dans d'autres endroits où le sens
était facile, pour l'appliquer aux endroits où
il est moins clair. Il prit lui-même la peine
de recueillir ces idiotismes ou façons de par-
ler particulières des cinq livres de Moïse, de
Josué et des Juges, se contentant quelquefois
de marquer ces expressions, et d'autres fois
en les expliquant. Cassiodore ^ trouve ces
livres admirables : « Saint Augustin, dit-il,
y fait voir que toutes les figures du discours
que les grammairiens et les orateurs relè-
vent si fort, ont leur origine dans l'Écriture,
laquelle a toujours, néanmoins, conservé
des beautés qu'aucun des doctes de ce siè-
cle n'a pu imiter ; ces livres servent même à
nous empêcher de corriger témérairement
comme des fautes de copistes, des expi-es-
sions consacrées par l'autorité sainte des
Ecritures. »
2. Cassiodore, en parlant des questions de oukiiom
^ ^ sur la Genèse,
saint Augustin sur les cinq livres de Moïse, çd.^*'»' p»s-
de Josué et des Juges, dit que ce grand maî-
tre de la doctrine de l'Église, et cet amateur
de la vérité y a donné à un grand nombre
de difïicultés des éclaircissements très-né-
cessaires, travaillant à faire que ces paroles
divines qui ont été données aux hommes
pour le salut de leurs âmes, ne demeurassent
point par ime négligence très-dangereuse,
couvertes de ténèbres cpii les rendissent inuti- j
les. Saint Augustin' fit ses sept livres des
questions en lisant les saintes Écritures, et
en conférant ensemble les divers exemplaires
des Septante, auxquels il joignait les versions
d'Aquila et de Théodotion, et quelquefois '^^
aussi la version latine qui avait été faite sm-
l'hébreu, c'est-à-dire, apparemment celle de
saint Jérôme. Il mit par écrit toutes les diffi- j
cultes qu'il rencontra dans le texte de l'É-
critui'e, se contentantfl'en marquer les unes,
2 Cassiod.
liag. 370.
Inst. cap. I. — * Quœst. in Gen.
[IV« ET V" SIÈCLES.]
d'en examiner d'auti-es en passant, et de ré-
soudre celles-là seulement qu'il pouvait
éclaircir sans s'arrêter. Car son dessein n'é-
tait pas de traiter alors les choses à fonds ;
il ne voulait que décharger sa mémoire,
pour pouvoir trouver quand il voudrait, ou
les difficultés qu'il y avait à examiner, ou
les solutions qu'il y avait déjà données. C'est
pour cela qu'il donna le nom de Questions
à cet ouvrage. Il ne laisse pas d'y résoudre
et d'y éclaircir la plupart des difficultés, en
priant ses lecteurs de ne pas se dégoûter du
style simple d'un ouvrage fait en courant ;
mais de s'attacher seulement à la vérité,
puisqu'on ne la cherche pas pour paiier,
mais qu'on parle pour la chercher. Il ne dit
rien des difficultés qui regardent l'histoire
de la création, ni de ce qui se passa dans le
paradis terrestre, parce qu'il les avait déjà
traitées dans ses douze livres sur la Genèse.
Il ne commence qu'au dix-septième verset
du quatrième chapitre de ce livre, où nous
Usons que Caïn bâtit une ville.
Après avoir fini ces questions sur l'Hepta-
teuque, il commença à examiner de- même
les livres des Rois ' ; mais il fut presque aus-
sitôt obligé de discontinuer ce travail pour
s'appliquer à d'autres ouvrages plus néces-
saires. Voici ce qu'on peut remarquer dans
ses Questions sur la Genèse. Au lieu des anges
de Dieu, plusieurs manuscrits grecs et latins
lisaient les enfants de Dieu ; ce qui sei'vait à
expliquer ce qui est dit de leur mariage avec
les filles des hommes. Il n'est pas surpre-
nant qu'il soit né en ce temps-là des géants
de cette alliance, puisque, dans le siècle où
il écrivait, on voyait encore des corps non-
seulement d'hommes, mais aussi de femmes
d'une grandeur démesurée. La coudée dont
Noé s'était servi dans les dimensions de l'ar-
che, ayant été, selon Origène, une coudée
géométrique, plus grande six fois que l'or-
dinaire, il n'est pas étonnant que l'arche ait
été assez grande pour renfermer tout ce que
l'Écriture dit que Noé y fit entrer. Quoique
les eaux ne fussent pas encore séchées lors-
que Noé fit sortir le corbeau de l'arche, cet
animal put néanmoins subsister, parce qu'il
trouva apparemment des corps morts sur
lesquels il se l'eposa et dont il se nourrit.
Pharaon, roi d'Egypte, fut empêché, par les
plaies dont Dieu le frappa, de corrompre la
pureté de Sara ; on ne peut nier que le nom
' Lib. II Retract., cap. lv.
IX.
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
209
de juste n'ait pu être donné à Lot en une
certaine manière, c'est-à-dire en ce qu'il
était comme Abraham, adorateur du vrai
Dieu, et en ce que, demeurant avec les ha-
bitants de Sodome, il consei'va une extrême
horreur des abominations de cette ville, bien
loin d'être tenté de les imiter. On ne voit pas
bien de quelle manière Rébecca consulta le
Seigneur, parce qu'il n'y avait alors ni tem-
ple ni prêtre, si ce n'est qu'elle ait été au
lieu où Abraham avait dressé un autel ; mais
on peut crune que Dieu lui parla en la ma-
nièi'e que l'Ecriture nous enseigne qu'il a
fait en d'autres rencontres, en lui révélant
par un ange, ou en songe, ou autrement, que
ce qui se passait en elle était un mystère.
Une conduite particulière de la providence
de Dieu permit qu'Ésaii se retirât d'avec Ja-
cob son frère, et allât en un autre pays; c'é-
tait afin que Jacob demeurât paisible pos-
sesseur de la terre de Chanaan que Dieu lui
avait pi'omise. Joseph ne mentit pas à ses
frères en les accusant de lui avoir volé
ime coupe qu'il avait fait mettre exprès à
l'entrée du sac du plus jeune, parce que
ce patiiarche put parler ainsi en riant, et
que ce qui se dit de la sorte ne passe point
pour un mensonge, parce qu'il se prononce
d'une telle manière qu'on donne assez à en-
tendre que l'on ne veut point l'assurer com-
me véritable. On ne peut accuser Joseph de
n'avoir point assez ménagé ses frères en cette
occasion; au contraire, il se conduisit envers
eux avec une grande prudence, n'ayant dif-
féré leur bonheur que pour l'augmenter et
pour le leur rendre plus sensible ; il ne faut
pas croire que les Septante interprètes que l'É-
glise a coutume délire, aient erré, lorsqu'en
parlant de la ruine de Ninive, ils ont mis
trois jours au lieu de quarante ; ils n'igno-
raient pas que le texte hébreu portait qua-
rante ; s'ils ont mis trois, ils l'ont fait par
une inspiration particulière de l'esprit pro-
phétique qui les a dirigés dans leur traduc-
tion.
3. Les Actes des apôtres rapportent que ,„ 'îïxôdT,
Moïse voyant qu'on faisait injure à l'un de ^%tfyn,^r',
ses frères, le défendit et le vengea en tuant
l'égyptien qui l'outrageait. Saint Augustin ,
frappé de ces paroles, en conclut que ce lé-
gislateur avait reçu dès lors un ordre de
Dieu pour être le chef et le libérateur de
son peuple, et que cet ordre lui donnait le
pouvoir de faire justement une action si
hardie. Selon ce Père on doit prendi'e à la
14
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
210
lettre ces paroles : J'ai entendu les cris de mon
peuple, au lieu qne celles-ci : Le cri des péchés
de Sodome était monté jusqu'à Dieu, doivent au
contraire se prendre dans un sens figuré :
elles marquent l'excès du débordement de
cette ville, qui s'était emportée à toute sorte
de crimes, sans qu'il lui restât aucune pu-
deur à l'égard des hommes, ni aucune
crainte de la justice de Dieu. On voit dans
ces puroles de Dieu à Moïse : Je serai dans
votre bouche, et je vous aj^prendrai ce que vous
aurez à dire, deux effets de la grâce de Dieu,
dans la manière dont il conduit ses minis-
tres : car, non-seulement il est dans leur
cœur pour les éclairer et pour les instruire ;
mais il est encore dans leur bouche pour
former et régler toutes leurs paroles. Il ne
dit pas : Ouvrez vous-même votre bouche et
je vous instruirai; mais il promet les deux
ensemble : J'ouvrirai votre bouche, et je vous
instruirai. Quoiqu'il soit dit que le Seigneur
se fâcha contre Moïse, on ne doit pas croire
qu'il se soit fâché effectivement, mais qu'il
le reprit simplement d'appréhender avec
excès le défaut de langue dont il se plai-
gnait, sans considérer qu'il avait son frère
Aaron qui parlait avec facilité, et sur lequel
il pourrait se reposer de tout ce qu'il aurait
à dire au peuple ou à Pharaon de la part de
Dieu. Il ne faut pas non plus regarder ces
paroles de Moïse à Dieu : Seigneur, pourquoi
m'avez-vous envoyé ? comme des paroles de
plaintes : Moïse en parlant ainsi, offrait à
Dieu ses prières et lui demandait ses ordres.
Aussi Dieu dans sa réponse ne l'accuse
point comme ayant peu de foi, mais il lui
apprend ce qu'il a dessein de faire.
Saint Augustin remarque en parlant des
prodiges que firent les magiciens, que les
démons peuvent rassembler et tempérer de
telle sorte les semences des choses cachées
dans le secret de la nature, qu'il en sorte
des effets tout extraordinaires ; mais que
Dieu seul est le créateur et la première
cause de ces causes secondes, sur lesquelles
les démons peuvent agir. Quand Dieu dit à
Moïse : Pharaon ne vous écoutera point, afin
qu'il se fasse un grand nombre de prodiges
dans l'Egypte, c'est comme s'il lui avait dit :
Quelques prodiges que vous fassiez devant
Pharaon, il demeurera inOexible, mais je
me servirai de son endurcissement pour
l'instruction de mon peuple , afin qu'il ap-
prenne par les plaies dont je frapperai ce
piince, à me craindre et à m'obéir. Dieu, en
cette occasion, usa en bien de la dureté do
cœur de Pharaon, mais Pharaon abusa de
la patience de Dieu. La gloire que Dieu s'ac-
quiert par l'usage saint qu'il fait de la ma-
lice des méchants, sert à ceux qu'il a rendus
les vases de sa miséricoi'de, et leur apprend
à plaindre ceux qui se sont rendus eux-mê-
mes les vases de sa colère. On ne doit pas
compter les quatre cent trente ans qui s'é-
coulèrent entre l'alliance faite avec Abraham
et la publication de la loi, depuis qu'Israël
entra en Egypte ; mais depuis que Dieu
commanda à Abraham de sortir de son pays
pour venir en la terre qu'il lui montrerait.
// est écrit : Le Seigneur dit à Moïse, pour-
quoi criez-vous vers moi ? L'Écriture toutefois
ne marque point que Moïse ait alors parlé à
Dieu. Mais si sa bouche était muette, son
cœur parlait.
Saint Augustin n'est pas du sentiment de
ceux qui font Jéthro prêtre des idoles ; il
croit plus vraisemblable qu'il était prêtre
du vrai Dieu. « Car si Job, dit-il, a connu
et adoré le vrai Dieu parmi des gentils et
des idolâtres, il est bien plus à présumer
que Jéthro l'a connu parmi une nation qui
avait Abraham et un fils d'Abraham pour
chefs et pour pères. » Le conseil que Jéthro
donnait à Moïse de ne pas s'embarrasser de
tant de soins, parce qu'alors Dieu serait avec
lui, fournit à saint Augustin cette réflexion :
« Par là nous apprenons que le cœur étant
occupé des soins extérieurs et des servi-
ces qu'il rend aux hommes, se vide en quel-
que sorte de l'esprit de Dieu, dont il se rem-
plit d'autant plus qu'il s'applique avec plus
de liberté à la considération des choses cé-
lestes et éternelles. » Selon le saint Docteur,
l'extrême frayeur dont le peuple fut saisi
au bruit des tonnerres qui se firent entendre
lors de la publication de la loi, fait voir
clairement que la crainte appartient à l'An-
cien Testament, comme l'amour appartient
au Nouveau, quoiqu'il soit vrai que le Nou-
veau fut caché dans les ombres de l'Ancien,
comme l'Ancien se développe par la lumière
du Nouveau. La loi commande de regar-
der comme homicide celui qui a tué im
voleur en plein jour, saint Augustin expli-
que ainsi cette prescription : « Lorsqu'il fait
clair, cet homme peut discerner si le voleur
vient pom' tuer, ou seulement pour dé-
rober quelque chose. On se trompe fort, si
l'on prétend se défendre d'avoir violé la
justice et la vérité, parce que l'on a fait ce
[IV° ET V= SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVÊQUE D'HIPPONE.
211
mal avec plusieurs ; ce qui est péché par
soi-même ne cessant pas de l'être, quoiqu'on
Je commette avec plusieurs. La compassion
est bonne, mais il ne faut pas en user aux
dépens de la justice. Les tables de la loi,
la manne et la verge d'Aaron que Dieu
commanda à Moïse de mettre dans l'arche,
représentaient diverses choses : la loi, la
vérité de Dieu ; la verge, sa puissance ; la
manne, sa grâce. Les premiers^ d'entre les
apôtres même n'ont point été exempts de la
révolte qui se trouve entre l'esprit et le
corps, afin i^ue la crainte des périls où les
exposait cette guerre intérieure, les conser-
vât toujours dans l'humilité, et qu'ils sus-
sent que la pureté de l'âme et du corps,
marquée par le vêtement des prêtres de la
loi ancienne, n'est pas une vertu qu'ils aient
reçue ou de la nature ou de leurs propres
forces ; mais qu'elle leur a été donnée, et
qu'ils ont besoin de s'en revêtir à tout mo-
ment. Le sabbat est appelé une aUiance
éternelle de la part de Dieu , parce qu'il
promettait à son peuple par cette figure qui
devait passer, le repos éternel qui ne pas-
sera jamais. Aarou ordonna au peuple de
lui apporter les pendants d'oreille de leurs
femmes, afin que la peine même qu'elles
auraient à se priver de ces ornements, les
détournât du dessein criminel de se faire
des dieux qui marchassent devant eux ; mais
que le démon qui leur avait inspiré cette
pensée si impie, la rendit plus forte dans
leur cœur, que l'attache à la vanité de ces
ornements. Dieu, en faisant éclater contre
les Israélites ses paroles terribles et mena-
çantes, inspirait en secret au cœur de Moïse,
cette affection si tendre pour eux, et ce désir
ardent d'obtenir leur grâce, parce que Dieu
lui-même les aimait. Dieu sait les raisons
pour lesquelles il pardonne à certaines per-
sonnes, en attendant qu'ils réparent leurs
fautes par un véritable changement de vie.
Moïse, en disant à Dieu : Pardonnez cette
faute à ce peuple, ou effacez-moi de votre livre,
était plein de confiance, que comme Dieu
^ ne voudrait pas l'effacer du livre de vie, il
ne lui refuserait pas le pardon qu'il deman-
dait pour son peuple.
sur STS"! ^' 0^1 distingue dans le Lévitique le pe'e/ié
que, pas, 400. de la faute, mais on n'y exprime pas en quoi
consiste cette distinction. Saint Augustin l'a
marquée en deux manières. La première est
ceUe-ci : Lorsque un homme ne fait pas ce
qu'il doit, c'est une faute ; et lorsqu'il fait le
contraire de ce qu'il doit faire, c'est un ;je-
ché. La seconde, quand ou pèche par igno-
rance, c'est une faute; mais quand on pèche
avec une pleine connaissance, c'est un
péché. L'Évangile, dit que l'on pratiquera
pour la purification ce qui était marqué
dans la loi. Le saint Évêque, fait observer
que l'Ecriture ne dit pas que cela se fit pour
la mère de Jésus, mais pour Jésus même,
qui voulut être purifié, comme il voulut être
baptisé, quoiqu'il fut l'Agneau sans tache et
le Saint des saints; que la pauvreté dans
laquelle il voulut naître, était si grande, que
sa sainte mère, le portant au temple le jour
de la Purification, y offrit selon la loi, deux
tourterelles, ou deux petites de colombes,
qui étaient l'hostie marquée pom- les pau-
vres.
Dieu, en défendant à un homme d'offrir
un bœuf ou une brebis dans le camp, ne
lui défend point de tuer son bœuf ou sa
brebis pour s'en nourrir, mais pom' en offrir
des sacrifices particuliers, ne voulant point
que chacun agisse comme s'il eût été prêtre,
ni qu'il oflYît des victimes en quelque Heu
qu'il lui plairait. « Cette loi, ajoute saint
Augustin, était très-utile pour empêcher
l'idolâtrie, en commandant qu'aucun sacri-
fice ne fût offert à Dieu que dans le Taber-
nacle, et ensuite dans le Temple, et qu'il
lui fût présenté par les prêtres étabhs de
Dieu, n Comme on pouvait lui objecter qu'É-
lie avait sacrifié hors du Temple, lorsqu'il
fit tomber le feu sur un autel qu'il avait
dressé, il répond qu'il n'y a que Dieu qui
ait autorisé ces actions extraordinaires,
comme ce fût lui seul qui autorisa le sacri-
fice d'Abraham. Quand Dieu commande une
chose qui est contraire à une loi qu'il a faite,
ce commandement tient lieu de loi, parce
qu'étant l'auteur de la loi, il s'en peut dis-
penser lui-même quand il lui plaît.
Selon le saint Docteur on ne peut sans
pécher, même dans la nouvelle loi, contre-
venir à ce précepte de l'ancienne : Voies ne
vous approcherez point d'une femme qui souffre
ce qui arrive tous les mois. Et parce qu'il
y est dit aussi : Vous ne prendrez point la
sœur de votre femme pour la rendre sa ri-
vale, et qu'on pouvait lui objecter que Jacob
avait agi contre cette loi; il répond qu'elle
n'était pas faite quand Jacob épousa Rachel,
après avoir épousé Lia ; que d'ailleurs, Ja-
cob n'épousa les deux sœurs que par la
tromperie de Laban, qui lui fit épouser la
212
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
première sans qu'il le sut et contre la pro-
messe qu'il lui avait faite de lui donner la
seconde ; qu'ainsi Jacob se trouva obligé de
prendre une seconde femme avec la pre-
mière, contre le dessein qu'il avait eu en
demandant Racliel, de n'épouser qu'une
seule femme. — « Comment est-il vrai, dit ce
Père, que Moïse sanctifie, puisque c'est Dieu
lui-même qui sanctifie ? L'un et l'autre est
vrai, mais d'une manière différente. Moïse
sanctifie par son ministère, par les signes et
les sacrements visibles ; mais Dieu sanctifie
par sa grâce invisible et par l'Esprit-Saint :
sans cette grâce invisible, de quoi servi-
raient les signes visibles ? Que servit à Si-
mon le magicien d'avoir reçu le signe exté-
riem' du baptême, et non la grâce et la
vertu de ce sacrement? Les signes extériem-s
peuvent cbanger selon les temps ; mais ils
ne peuvent rien sans la grâce intérieure,
qui peut tout elle-même sans ces signes. 11
faut néanmoins se bien garder de mépriser
les sacrements visibles, puisque celui qui
les mépriserait ne pourrait en aucune ma-
nière recevoir la grâce invisible. C'est pour
cela que saint Pierre baptisa Corneille et
ceux qui étaient avec lui, encore qu'ils eus-
sent déjà reçu le Saint-Esprit, comme
il parut en ce qu'ils parlaient diverses lan-
gues. Cet Apôtre crut que le sacrement
visible leiu' servhait beaucoup, quoiqu'ils
eussent déjà reçu la sanctification invisi-
ble. »
QiiKiions 5. Par les péchés que la loi ordonne de
ijres,pag.s27. coufesser, saint Augustin entend ceux qui se
commettent contre la justice, et où le tort
qu'on a fait peut être réparé avec de l'ar-
gent, après l'estimation de ce tort. Il ensei-
gne que Moïse , en disant à Dieu : Il y a six
cent mille hommes de pied dans ce peuple, et
vous dites, je leur donnerai de la viande à
manger un mois entier, ne tomba pas dans la
défiance, mais qu'il demanda seulement à
Dieu la manière en laquelle il accomplirait
la promesse qu'il faisait de nourrir de chair
un mois entier un si grand peuple dans un
désert si éloigné de tout secours. Il confirme
sa pensée par la réponse que Dieu fit à ce
législateur, dans laquelle il se contenta de
l'instruire du prodige qu'il allait faire, sans
lui reprocher en aucune manière d'avoir
manqué de confiance en lui. Ces autres pa-
roles : Pourrons-nous voiis faire sortir de l'eau
de cette pierre? lui fournissent le même sens.
Sur celles-ci : L'homme qui aura péché par or-
gueil, périra du milieu du peuple , il dit quo
le péché qui a tué l'âme, ne peut être remi.s
sans la peine de celui qui l'a commis ; et que
lorsqu'il est guéri par de dignes fruits d'un
sincère repentir , l'afDiction de la pénitence
en est la peine, mais la peine bienhem-euse.
puisqu'elle devient le salut de l'âme. En ex-
pliquant la demande que firent les ambas-
sadeurs d'Israël au roi Séhon de leur per-
mettre de passer par son pays, il fait remar-
quer avec combien de justice et d'équité
Dieu voulait que son peuple se conduisît
dans les g-uerres qu'il entreprenait. « Car.
dit-il, ils n'attaquèrent ce roi des Amorrhéens
qu'après qu'il leur eût refusé le passage par
ses États ; ce qu'il ne pouvait leur refuser,
sans violer l'équité naturelle, et les droits de
la société humaine. » lî admire que la pas-
sion ou la colère de Balaam ait été si grande,
qri'au lieu d'être épouvanté en voyant qu'une
ânesse lui parlait, il lui réponde au con-
traire, comme il aurait répondu à un hom-
me qui lui eût parlé, a Ce n'est pas, ajoute
ce Père, que Dieu eût donné en ce moment
inie âme raisonnable à cette ânesse ; mais
suppléant par sa puissance au défaut des or-
ganes de cet animal, il fit sortir de sa bou-
che des sons semblables à des paroles hu-
maines, pour réprimer la folie de ce faux
prophète ; figurant peut-être dès lors ce que
saint Paul a dit depuis, que Dieu choisirai!
ceux qui paraissent sans raison, pour con-
fondre l'orgueil des saç os. » Les punitions
sévères que Dieu fit souffrir à ceux qui s'é-
taient consacrés au culte des idoles , et à
ceux qui s'étaient livrés à l'impudicité, lui
semblent des peines proportionnées au
temps de la loi et à la dureté de l'esprit
des Juifs , et des exemples de la justice
de Dieu, qui nous font voir quelle horreur
nous devons avoir cru des crimes infâ-
mes , ou de l'impiété de l'idolâtrie. Si le
Seigneur commanda à Moïse de mettre
sa main sur la tête de Josué, ce fut pour
nous faire connaître que nul homme ,
quelque rempli de grâces qu'il puisse être,
ne doit présumer pouvoir sans la grâce de
la consécration s'acquitter du ministère de
la conduite des peuples. Saint Augustin de-
mande comment il est dit que les Isi-aélites
tuèrent les rois des Madianites avec Ba-
laam , puisqu'il est marqué que celui - ci
s'en retourna en sa maison après avoir béni
malgré lui le peuple de Dieu? A quoi il ré-
pond qu'il s'en retourna non en Mésopota-
1 lyr j,j ye SUJCI^Eg.
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
213
mie d'où il était venu, mais en la maison
où il demeurait tant qu'il fut paimi les Ma-
dianites.
QuMions 6. Quand on accomplit véritablement ce
rononic, pg. qui est ppescrit par la loi, on le fait par un
motif de charité et non de crainte : cette
charité est la grâce du Nouveau Testament.
Il était ordonné aux Israéhtes de tenir les
paroles de la loi suspendues comme un si-
gne dans leurs mains et sur leur front, et de
les écrire sur les poteaux et sur les portes
de leurs maisons ; mais on ne voit nulle
part qu'ils aient exécuté ce précepte à la
lettre. Ce n'était qu'une façon de parler mé-
taphorique dont Moïse se servit pour expri-
mer avec force l'obligation indispensable où
ils étaient de penser souvent à l'observer.
La prescription qui leur est faite d'immoler
la Pâque au Seignem' en lui immolant des
brebis et des bœufs, doit s'entendre des sa-
crifices que l'on offrait pendant les jours des
azymes, et non de la principale immolation
pascale , qui ne pouvait être que de l'a-
gneau. Saint Augustin se demande com-
ment Rutli, qui était moabite, fut contre la
défense de Dieu, associée aux Hébreux, et
devint une des tiges d'où le Messie devait
naître selon la chair. Il répond que l'ordon-
nance qui défendait aux Moabites d'entrer
jamais dans l'assemblée du Seignem", ne re-
gardait que les hommes, et non pas les
femmes. Ce qu'on laisse à la veuve et à l'or-
phelin dans les campagnes ou sur- des arbres,
lui paraît tellement à eux , qu'il avance que
ceux qui se l'approprient prennent le bien
d'autrui, et ce qui est encore plus criminel, le
bien des pau^TCs. Comment Moïse pouvait-il
dire aux Israélites, qu'ils avaient vu tous les
signes et les prodiges que le Seigneur avait
faits, puisque aussitôt ce législateur ajoute
ipie le Seignem- ne leur avait point donné
des yeux qui pussent voir? Ils les avaient vus
des yeux du corps, répond saint Augustin,
mais non pas des yeux du cœur ; Moïse dit
au même endi'oit que Dieu ne leur- avait
point donné un cœur qui eût de l'intelli-
gence. Quoiqu'ils eussent été privés de ce
secours de Dieu, ils n'en étaient pas pour
cela excusables dans les fautes qu'ils com-
mettaient, parce que les jugements de Dieu,
bien que cachés sont toujours justes. Il com-
pare le pécheur à un malade, et dit qu'il
doit se soumettre à Dieu comme à son méde-
cin, pour être traité par lui selon les règles
salutaires de sa discipline toute sainte.
7. Quoique Dieu ait puni Moïse en ne lui 5„,°j"=f;f
accordant pas comme à Josué d'entrer dans p'^- ^'^^^
la terre promise, l'Écriture ne laisse pas de
l'appeler depuis sa mort, serviteur du Sei-
gneur, et de le représenter comme un hom-
me qui s'était rendu agréable à Dieu : d'où
nous apprenons que Dieu peut bien quel-
quefois se mettre en colère contre ses bons
serviteurs et les punir de quelques peines
temporelles, mais qu'alors même il les re-
garde comme des vases précieux et hono-
rables de sa maison, à qui il doit faire part
de l'héritage promis aux saints. On peut de-
mander si ce fut devant l'ange que Josué se
prosterna, et si ce fut lui qu'il appela son
SeigTieur; ou bien si dans ce moment il
n'envisagea pas celui qui lui envoyait cet
ange, c'est-à-dire le Seigneur, et si ce ne
fut pas devant Dieu qu'il se prosterna pour
l'adorer. Saint Augustin semble témoigner
que c'est à ce dernier sens qu'on doit s'at-
tacher ; la frayeiu- dont Josué fut saisi par
la présence de Dieu , le fit jeter par terre
pour l'adorer. Le saint Docteur se forme
une objection considérable, comment Dieu
pouvait punir justement le péché d'Acham
par la mort de plusieurs personnes qui en
étaient innocentes, lui qui avait établi une
loi par laquelle il défendait que les pères
fussent punis pour les péchés des enftints, et
que les enfants fussent punis pour les péchés
de leurs pères? Il la résout ainsi : « Cette
loi était faite pour les hommes , à qui il
n'était pas permis de punir l'un à cause de
l'autre, et qui n'avaient droit cpie de juger
chacun selon ses propres mérites ; mais les
jugements de Dieu ne sont poiut assujettis à
cette loi; et il peut étendre les châtiments
temporels qu'il exerce sur les hommes ,
pour leur imprimer une crainte salutaire
de sa justice. » Au sujet du commandement
que Dieu fit à Josué de dresser une embus-
cade pour surprendre la ville de Haï , ce
Père enseigne que l'on peut, sans injustice,
employer les stratagèmes de guerre, lors-
que la guerre que l'on fait n'est pas en elle-
même injuste ; qu'ainsi ceux qui ont droit
de faire la guerre, doivent avant toute cho-
se^ regarder si elle est accompagnée de jus-
tice ; et qu'au cas qu'elle soit juste, il est
très-iudifïérent pour ce qui regarde la jus-
tice, que l'on vainque l'ennemi à force ou-
verte, ou par stratagème, et en usant d'em-
buscade. Il croit qu'on peut exphquer ce qui
est dit des mouches piquantes que Dieu en-
214
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
voya pour exterminer les Amorrliéens et
les chasser de leur pays, des aiguillons très-
psoiin. perçants de la crainte dont ces peuples fu-
l.xivii, 43. , ... ■ , . , .
rent saisis et comme piques tres-vivement,
. qui les faisaient fuir devant Israël : ou bien
des esprits répandus invisiblement dans
l'air , qui sont appelés dans l'Écriture les
mauvais anges. Néanmoins il ne s'oppose
pas au sentiment de ceux qui entendraient
cet endroit à la lettre.
Quesuoos 8. En expliquant ces paroles du livre des
sur les Juges, , ^ . . ,
pag. 595. Juges: y oici les peuples que le Seigneur laissa
vivre pour servir d'exercice et d'instruction
aux Israélites, et à tous ceux qui ne connais-
saient point les guerres des Chananéens ; afin
que leurs enfants apprissent après eux à com-
battre contre leurs ennemis, saint Augustin
dit qae c'était l'ordre de la Providence,
qu'ils fussent ainsi éprouvés et qu'ils ap-
prissent à faire la guerre comme ils le de-
vaient, c'est-à-dire qu'ils la fissent avec au-
tant de piété et d'obéissance aux ordres de
Dieu que leurs pères, qui s'étaient rendus
agréables au Seigneur par les guerres mê-
mes qu'ils avaient faites ; non que la guerre
soit désirable, mais parce que la piété est
louable dans la guerre même. Il paraît per-
suadé qu'Aod en tuant Égion, roi de Moab,
ne fit qu'exécuter l'ordre de Dieu, qui l'a-
vait choisi pour sauveur de son peuple ;
mais il ne doute pas que Gédéon n'ait com-
mis un péché en mettant un éphod dans sa
ville d'Éphra, c'est-cà-dire tous les orne-
ments sacerdotaux destinés aux sacrifices
que l'on offrait à Dieu ; ce qu'il était dé-
fendu de faire hors duTabernacle.
§ V.
Des Notes sur Job, et du Miroir tiré de
l'Ecriture.
cequecesi i. Ou uc pcut mettre plus tard ou'en -402
que les Noies , nj ^ ■
î".n 40^' ''"' A'o/e* de saint Augustin sur Job , puis-
qu'il les place dans le second livre de ses
Rétractations avant son ouvrage contre Pé-
tilien , fait vers "cette année-là. Il les avait
écrites à la marge d'un exemplaire du livre
de Job ; d'où quelques particuliers les copiè-
rent pour en faire un corps d'ouvrage. D'où
1 August., lib. II Retract., cap. xiii. — ^ Possid.,
in Vita Ati,gust., cap. xsviu. — ^ Ctissiod., lib. de
Inst., divin, cap. xvi.
* Le cardiiial iMaï a trouvé uu autre témoiguage
dans un manuscrit très-aucieu d'Eugypius où l'on
vient qu'il dit ' qu'il ne sait si on doit le lui
attribuer, ou à ceux qui ont recueilli ces no-
tes. Il convient que les plus intelligents peu-
vent les lire avec plaisir, mais qu'elles n'en
feront aucun à ceux qui ont moins de pé-
nétration; parce que non - seulement leur
grande brièveté les rend obscm^es , mais
qu'il y en a quelques-unes jointes à des pa-
roles du texte auxquelles elles ne convien-
nent point. Quand il fit la révision de ses
ouvrages, il trouva celui-ci si plein de fautes,
qu'il l'eût volontiers supprimé, s'il n'eût été
informé que plusieurs d'entre les frères en
avaient tiré des copies. Ces Notes peuvent
être regardées comme une espèce de para-
phrase ou d'explication littérale du livre de
Job, que ce Père éclaircit en beaucoup d'en-
droits. Il n'explique pas les trois derniers
chapitres.
2. Il faut metti'e beaucoup plus tard l'ou- juroir «rc
vrage qu il a intitule le È'Iiroir,GX le rappor- ters lan 42-;.
ter à l'an 427, puisque selon Possidius, il le
composa ^ vers le même temps que ses Ré-
tractations, et un peu avant que les Vandales
vinssent en Afrique , ce qui arriva en 428.
Cassiodore ' dit qu'on doit lire cet ouvrage
avec beaucoup d'attention , et il le regarde
comme très-propre à former et à corriger les
mœurs ^. Ce n'est, en effet ^, qu'un recueil
de passages de l'Ancien et du Nouveau Tes-
tament, par lesquels Dieu nous défend ou
nous commande quelque chose, non pour
nous instruire des vérités que nous devons
seulement croire, ou pour nous exercer par
des obscurités saintes, mais pour régler no-
tre conduite par des préceptes simples et
sans figure. Saint Augustin composa ce re-
cueil pour les personnes qui veulent servir
Dieu , particulièrement pour celles qui ne
peuvent pas lire beaucoup ; afin qu'elles s'y
considérassent elles-mêmes ^ , qu'elles vis-
sent en quoi elles obéissaient ou n'obéis-
saient pas à Dieu; quels progrès elles avaient
faits dans les bonnes œuvres, et ce qui leur
manquait encore ; qu'ainsi elles pussent lui
rendre grâces du bien qu'elles avaient, et
employer avec une piété fidèle leurs soins
et leurs prières pour le conserver , et tra-
vailler à acquérir celui qu'elles n'avaient
prouve l'autorité des Septante par le Miroir de
saint Augustin. Vide Mai, Bibl. nov. tom. 1,
2' partie, préface. [L'éditeur.)
^ Possid. ibid.
" August., Prœf. in Specitl.
[IIV'^ ET V'= SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN,
pas. Pour rendre s(în travail plus à la portée
du peuple, il n'y fit entrer que les endroits
où les préceptes étaient exprimés claire-
ment. Il paraît que ce fut dans le même des-
sein qu'il ne se servit pas de la version la-
tine faite sur le grec des Septante qu'il avait
coutume de suivre lui-même, mais de celle
que saint Jérôme avait faite sur l'hébreu. Il
s'était même propose de concilier les passa-
ges de l'Ecriture, qui semblent renfermer
quelques contrariétés ; mais soit qu'il ait
exécuté ce dessein ou non, il n'en est rien
venu jusqu'à nous. Il y a même tout lieu de
croire qu'il en fut empêché par quelqu'autre
ouvrage plus pressant , puisque Possidius
n'en dit rien du tout, quoiqu'il ait cru de-
voir remarquer que saint Augustin avait mis
une préface à ce Miroir. Il y en a une en-
core ajourd'hui, qui est non-seulement de
son style, mais qui a un tel rapport avec ce
qu'en dit Possidius, qu'on ne peut douter
qu'elle ne soit de saint Augustin.
■= Mi- 3. Les passages sont rangés dans ce re-
cueil, non par ordre de matière, mais sui-
vant l'ordre des hvres de l'Écriture, en quoi
il est différent d'un autre recueil des passa-
ges de l'Ecriture fait par matière, que le
Père Vignier a fait imprimer sous le nom
de saint Augustin, sur un manuscrit de la
main de Théodulphe d'Orléans, c'est-à-dire
de plus de huit cents ans. Ce recueil est en-
core différent de celui de saint Augustin, en
ce qu'il n'y a point de préface, mais surtout
parce qu'on y a ramassé des passages sur
les matières qui regardent la foi et sur celles
des mœurs. Ainsi on ne peut l'atti'ibuer à
ce Père , à moins de dire qu'après avoir
donné un recueil des passages qui renfer-
ment des préceptes moraux , il en fit un de-
puis qui tendait également à régler la foi
et les mœurs par l'autorité de l'Écriture.
Mais outre qu'on ne trouve rien pour ap-
puyer cette conjecture, elle est suffisamment
détruite par le silence de Possidius, qui ne
parle que du seul Èliroir où chacun pouvait
voir sur quoi il devait régler ses mœurs. On
a encore publié deux autres Miroirs sous le
nom de saint Augustin*, mais on croit que
l'un peut être d'Alcuin, et que l'autre qui est
intitulé le Miroir du pécheur, est d'un écrivain
du X' ou xi° siècle.
îir pi.- [Le cardinal Mai a publié dans le premier
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 215
volume de la Biblioth. nov. Pat., 2" partie, '^^^^^'^^^^
page 1-117 un Miroir ou spéculum ^ en 143
chapitres où le saint Docteur établit tous les
points du dogme et de la morale chré-
tienne, avec les seuls textes de l'Écriture
sainte, sans y ajouter un seul commen-
taire. Ces extraits sont précieux, car ils sont
empruntés à l'ancienne version de l'Écriture
dite Italique, qu'ils reproduisent en grande
partie. Le savant Cardinal, dans une préface
de huit pages, prouve que saint Augustin
a composé un Miroir ; expose et réfute les
raisons qui avaient été alléguées contre ce
fait; démontre que saint Augustin a dû se
servir de la version Italique ^ et que , par
conséquent, le Spéculum édité par les Béné-
dictins où l'on trouve la version de saint
Jérôme, ou n'est pas de saint Augustin, ou
a dû être changé par les copistes lors-
que la version de saint Jérôme eut pré-
valu. Les raisons que fait valoir avec beau-
coup de modestie l'illustre Éditeur, pour
appuyer la préférence qu'il donne à son
Miroir, sont celles - ci : « Saint Augustin
n'employa presque jamais la nouvelle tra-
duction de saint Jérôme; il n'est pas à
croire qu'il l'eût employée dans un ouvrage
tout à fait populaire , dans la crainte bien
fondée de choquer les fidèles habitués à
l'ancienne version. D'ailleurs ce Miroir est
plus en rapport avec le but que se propo-
sait saint Augustin. D'après Cassiodore, le
saint Docteur se pi'oposait de faire un livre
de philosophie morale , propre à former les
mœurs en s'appuvant sur l'autorité divine.
Or, le Miroir publié par les Bénédictins,
n'offre qu'une suite de textes tels qu'ils
se présentent dans l'ordre des livres saints
sans aucune indication, ce qui n'indique pas
facilement la morale qu'on peut en tirer. »
Le Miroir, édile par le Cardinal, au con-
traire renferme, sous des titres particuliers ,
tout ce que rÉcriture contient sur la vie
chrétienne, par exemple sur l'aumône, la
patience, la prière, le jeûne , etc. ; de sorte
que par un simple coup d'œil, on voit
comme dans un miroir le progrès que l'on
a fait ou les manquements qu'on a à se re-
procher sur les vertus exigées par la sainte
Écriture. Le Miroir publié par le Père Vi-
gnier s'accorde avec celui du cardinal Mai,
pour les titres et l'ordre des matières ; mais
1 Torn. VI, Oper. Aug. iu Append., p. 145 et 153.
2 Ex Codice Basil seu monaslerii sessor.
' Il serait plus exact selon le C. Wisemau de
dire la version africaine. {L'éditeur.)
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
216
il eu diffère pour le texte qui est donné d'a-
près la version de saint Jérôme, soit que ce
changement provienne de Théodulplie ou
d'un auteur inconnu ou du Père Vignier lui-
même. Dans le Miroir édité par le car-
dinal Mai on trouve le texte de saint Jean
sur la Trinité, conçu en ces termes : Et
très sunt qui testimonium dicunt in cœlo :
Pater, Verbum et Spiritus : et M très unum
sunt. Ce qui prouve que l'ancienne Itali-
que et les exemplaires grecs contenaient
ce verset. L'Éditeur donne un fac simile du
manuscrit qui contient un extrait de la page
6 où ce texte est rapporté ; et il met sur ce
point de doctrine une longue note qui vaut
une dissertation, mais qui est fort peu
exacte. On peut encore observer dans ce
Miroir les choses suivantes. 1° » Les Évan-
gélistes sont cités en cet ordre : saint Mat-
thieu, saint Jean, saint Luc, saint Marc; on
sait que cet ordre est celui de l'ancienne
Italique. 2° Le chapitre xx de saint Matthieu
a une addition ' prise du chapitre xiv, de
saint Luc, ce que dom Calmet avait déjà ob-
servé , et le Cardinal lui-même avait Aé.\h
publié plus au long cette addition dans le
tom. III des Scriptores veteres, partie 2%
page 275, d'après le manuscrit de Clermont,
maintenant du Vatican. 3° L'ordre des Epî-
tres apostoliques est différent de celui de la
Yulgate. 4° On y trouve cités les livres deu-
térocanoniques Tobie ^ , Judith, Esther^, Ba-
ruch, le cantique des Trois enfants, la Sa-
gesse, l'Ecclésiastique, le 1" et le 2' livre des
Macchabées, trois versets du psaume xxxiii.
Ainsi se trouve encore parfaitement con-
firmé le Canon des livres saints à l'usage de
l'Église latine. On y lit une citation de la
lettre non canonique aux Laodicéens \ Si
quelques livres canoniques ne sont pas cités
dans le Miroir, c'est sans doute que le sujet
ne le comportait pas. Ainsi, on n'y trouve
rien d'Abdias, de Jouas, de l'Évangile de
de saint Marc, de l'Épître aux Hébreux , de
celle à Philémon et de la 3'^ de saint Jean.
Le Cardinal y fait observer que la pré-
face, qui, d'après Possidius , était à la tête
du Spéculum, est peut-être celle qui a été
j)ubliéc pai' les Bénédictins : « On doit ce-
[lendant, ajoute-t-iP, en retrancher la phrase
où il est dit que l'auteur donnera des ci-
1 Vide cap. xxxiv et lsxxvi dans l'édition de Jlaï.
[l'éditeur.) — ^ A la page 273 du Miroir, ou
trouve une traduction du vcvsct 11, chap. iv, dif-
férente de celles qui sont éditées.
talions, d'abord de l'Ancien Testament et
ensuite du Nouveau; ce qui est vrai pour
le Miroir de l'Édition bénédictine, mais non
pour le sien.
Ce sont-là les traités de saint Augustin
sur l'Ancien Testament, qui composent la
troisième partie du troisième tome. La se-
conde renferme les traités sur le Nouveau
Testament.]
§ VI.
De l'Accord des Évangélistes, et du Sermon sur
la montagne.
1. On brisait encore les statues des idoles
par l'autorité des lois principales, lorsque
saint Augustin commenra ses livres, intitu-
lés : De l'Accord des Évangélistes. Ainsi, on
ne peut les mettre au plus tôt que vers la
fin de l'an 399, auquelles lois qui ordon-
naient expressément de briser ces statues
furent publiées et exécutées en Afrique.
Car le saint Docteur convient ^ qu'avant
cette loi il n'avait pas le pouvoir de les rom-
pre qu'avec le consentement des particu-
liers à qui elles appartenaient. Il travailla à
cet ouvrage sans interruption '', et quitta
même pour cela les livres de la Trinité qu'il
avait déjà commencés; se pressant de fer-
mer la bouche à ceux qui soutenaient que
les Évangélistes étaient contraires l'un à
l'autre.
2. Cet ouvrage est divisé en quatre livres,
dont le dessein général est de montrer qu'il
n'y a rien dans les quatre Évangiles qui ne
s'accorde. Ce travail coûta beaucoup à son
auteur, comme il le reconnaît lui-même , et
comme il est aisé de le comprendi'e ; puis-
que destitué alors de presque tous les se-
cours qu'ont eu ceux qui ont depuis travaillé
sur la même matière, il no leur a laissé
néanmoins que très-peu de choses à ajouter
à ses découvertes. Il emploie son premier
livi'C ;\ combattre ceux qui honorant ou
plutôt feignant d'honorer Jésus-Christ com-
me im homme extrêmement sage, ne vou-
laient pas toutefois se soumettre à l'Evan-
gile, sous prétexte qu'il n'a pas été écrit par
Jésus-Christ même, mais par ses disciples,
(( qui lui ont, disaient-ils, attribué faussement
la divinité ; qui l'ont voulu faire passer pour
' Esther est citée par corruption sous le nom
d'Efdras. — ■'' Pag. 62. — '' Pag. i, note i.
s August., Serm.G, de verb Dom., cap. xi.
' Lilj. M Relract., cap. xvi.
Le livre de
rAccord des
Evaugé!îste!î .
on 309 ou JOI.
Lib. I de con-
!cnsu,cap. 27.
Dcï-seui et
division de tel
ouvrrge.iÎL.I.
pa(r. l, Trait.
I|L> cl in in
Joan.
[IV" ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
217
Dieu, quoiqu'il ne le fût pas, et ont défendu
le culte des idoles, quoique Jésus-Christ ne
leur eût point ordonné de le défendre ni de
le combattre. Saint Augustin établit donc en
premier lieu l'autorité des quatre livres de
l'Évangile , en montrant qu'on y trouve l'ac-
complissement de ce que la loi et les pro-
phètes ont prédit devoir arriver. Des quatre
Évangélistes, il y en a eu deux du nombre des
apôtres, savoir : saint Matthieu et saint
Jean; et deux qui n'en étaient pas, saint
Marc et saint Luc, afin que l'on ne pût dire
qu'il y eût quelque difïérence entre ceux
qui avaient vu les actions de Jésus-Glirist
de leurs propres yeux, et ceux qui les
avaient écrites sur le rapport fidèle des
témoins ocidaires. Les ouvrages des autres
qui ont entrepris d'écrire l'histoire de Jé-
sus-Christ ou des apôtres, n'ont pas mérité
d'être reçus de l'Eglise comme des livres
d'une autorité égale à celle des livres cano-
niques, parce que les auteurs de ces histoires
n'étaient pas tels qu'on dût leur ajouter foi,
et qu'ils avaient même mêlé dans leurs écrits
des faussetés et des erreurs contraires à la
règle de la foi cathohque et apostolique. Les
quatre Évangiles ont été écrits suivant l'or-
dre qu'on leur a fait garder dans nos Bibles.
Saint Matthieu est le seul qui ait écrit en hé-
breu, et les autres en grec ; chaque évan-
géliste a gardé un orda-e particulier dans le
récit des choses, et chacun d'eus , sans se
mettre en peine de rien dire qui eût déjà été
écrit par un autre , a rapporté les choses
en la manière qu'elles lui avaient été inspi-
rées. Saint Matthieu et saint Marc se sont
principalement appHqués à rapporter la
race royale de Jésus-Christ, et à le re-
présenter selon la vie humaine qu'il a me-
née parmi les hommes. Saint Luc s'est pro-
posé de faire remarquer son sacerdoce, c'est
pour cela qu'il a eu soin d'observer que la
Vierge Marie sa mère était parente d'Elisa-
beth qui était de la race sacerdotale, et
femme du prêtre Zacharie. Saint Jean s'est
surtout occupé dans son Évangile à nous
faire connaître sa divinité, par laquelle il est
égal à son père ; en sorte qu'on peut dire
qu'au lieu que les trois autres Évangélistes
ne semblent que converser avec Jésus-Christ
sur la terre, celui-ci s'élève jusqu'au ciel,
pour y découvrir qu'au commencement était
le Verbe, que le Verbe était avec Dieu, .que
le Verbe était Dieu, et que c'est par lui que
toutes choses ont été faites. Après avoir fait
l'application de ce qui est dit des quatre
animaux de l'Apocalypse, aux quatre Évan-
gélistes. Saint Augustin dit à ceux qui trou-
vaient à redire que Jésus-Christ n'eût rien
écrit, que quelques-uns d'entre les plus
illustres philosophes, comme Pythagore et
Socrate, en ont usé de même, laissant à
leurs disciples le soin de mettre par écrit
leur doctrine et leurs instructions. Il de-
mande à ceux qui formaient cette difEculté,
pourquoi reconnaissant Jésus-Christ pour un
homme très-sage, sur la réputation qu'ils
en ont, ils refusent de le reconnaître pour
Dieu , puisqu'on le croit tel dans l'Église
catholique répandue dans tout le monde?
Ces personnes ne laissaient pas d'attribuer
quelques livres à Jésus-Christ, mais c'étaient
des livres de magie. EUes en attribuaient-
aussi à saint Pierre et à saint Paul, ayant
choisi ces deux apôtres parce qu'elles les
croyaient plus amis de Jésus-Christ que les
autres, apparemment parce qu'elles les
avaient vus peints ensemble en plusieurs
endroits avec Jésus-Christ. Mais saint Au-
gustin leur répond, que ces livres de magie
pouvaient être l'ouvrage des ennemis du
nom chrétien, et que la calomnie était si vi-
sible, que les enfants mêmes que l'on met-
tait au rang des lecteurs la découvraient et
s'en moquaient. Le Sauveur n'a point eu re-
cours aux opérations de magie, pour enga-
ger tous les peuples à embrasser sa doc-
trine ; celle qu'il a enseignée touchant le
culte d'un seul Dieu, est celle qu'ont en-
seignée les Prophètes, qui ont prédit que le
Messie la prêcherait sur la terre ; qu'elle se-
rait publiée et reçue dans tout le monde ; en
effet, les Romains qui n'avaient refusé d'a-
dorer le seul et vrai Dieu, que parce qu'il
défendait le culte des dieux étrangers, s'é-
taient entièrement soumis à lui. Si ce Dieu
a souffert que les Juifs fussent vaincus à
cause de leur prévarication, par des peuples
étrangers, il n'a pas été vaincu lui-même,
puisqu'il a brisé toutes les idoles, et a fait
embrasser son culte à toutes les nations
par la prédication de l'Évangile. Sa divinité
est suffisamment établie par ses œuvres
merveilleuses et par l'accomphssement des
choses qu'il a prédites par ses Prophètes ;
l'on doit penser de même de la doctrine des
apôtres, qui n'ont prêché qu'une doctrine
conforme à celle des Prophètes. On ne peut
attribuer à l'établissement du christianisme
la décadence des choses humaines, puisqu'il
218
HISTOIRE GENKRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
n'a pour but que de réformer les mœurs qui
étaient extrêmement dépravées sous le rè-
gne du paganisme.
Livres deu. 3. Daus le deusïème livre, saint Augustin
me l't quairiè. examino de suite le texte de l'Evaneùle selon
Bie, pag. 27, . .
93, liii. samt Matthieu , depuis le commencement
jusqu'au vingt-sixième chapitre , où il est
parlé de la Cène que Jésus-Christ fit avec
ses disciples ; et comparant les trois autres
Evangiles avec celui-ci, il fait voir qu'ils
s'accordent partout. Le troisième livre, qu'il
commence au vingt-sixième chapitre de saint
Matthieu, et qu'il finit par ce qui y est dit
de l'apparition de Jésus-Christ aux onze
disciples, c'est-à-dire par le dernier chapi-
tre du même Évangile, est consacré à mon-
trer le même accord. Le quatrième livre a
pom- objet d'exposer ce que chacun des
Évangélistes a de particulier, et de conci-
lier les contrariétés apparentes qui se trou-
vent quelquefois entre eux.
seniioBdc 4. Yers l'an 393 ou 394, saint Augustin
J.-C. tur la '^
Monugno, n'étant encore que prêtre, fit en deux livres
\crs l'an 333, ^ '^ '
pag. 165. , l'explication du sermon de Jésus-Christ sur
la montagne, rapporté au cinquième, sixiè-
me et septième chapitre de saint Matthieu.
C'est ce que l'on voit par son premier livre
des Rétractations, où il parle de cette expli-
cation aussitôt après la dispute qu'il eut sur
la foi et le Symbole dans le concile d'Hip-
pone de l'an 393. Dans le premier de ces li-
vres, il explique la première partie du ser-
mon de Jésus-Christ contenu dans le cin-
quième chapitre de saint Matthieu ; et dans
le second , le reste de ce sermon rapporté
dans les deux chai^itres suivants. On ne sait
pas bien pom'quoi il commença par ce dis-
cours ses recherches sur les Évangiles', si ce
n'est parce qu'il renferme, comme il le dit
lui-même, toute la perfection des divins pré-
ceptes qui peuvent servir à former un chré -
tien.
Difiicuiids g. Un nommé Pollentius, lisant ces deux
dans ces deux '
livres. livres de saint Augustin plusieurs années
après, y trouva quelques difficultés sur le
divorce, et les proposa au saint Évêque, qui
y répondit par le premier livre des Mariages
adultères. Comme il avait étendu ce qui est
dit de la fornication à tous les crimes qui
nous éloignent de Dieu, il rétracta cette opi-
nion dans le premier livre de ses Rétracta-
tions -, avouant qu'elle n'était pas bien cer-
taine ; mais qu'il n'y avait point de doute
' Lib. 1 Retract, cap. xix. — - Ibid, cap. xix.
que le divorce ne fût permis pour la forni-
cation proprement dite. Il corrigea aussi ce
qu'il avait dit que le péché à la mort pour
lequel saint Jean ne dit pas qu'il faiUe prier
était l'envie contre son frère, reconnaissant
qu'il n'y avait aucun pécheur en ce monde
dont il fallût désespérer et pour lequel on
ne pût prier, si ce n'est celui qui meurt
dans le crime. 11 rétracta encore le terme
l'homme du Seigneur, dont il s'était servi
en parlant de Jésus-Christ, se repentant
de l'avoir employé , quoiqu'il pût recevoir
un bon sens, et qu'il l'eût vn dans quelques
écrivains ecclésiastiques. Les autres en-
droits de ces deux livres qu'il corrigea dans
le premier de ses Rétractations, sont de moin-
dre conséquence. Il y en a deux où il avait
dit qu'il se pouvait trouver en cette vie des
hommes si pacifiques qu'ils ne ressentissent
rien de la révolte de la chair contre l'esprit,
n s'explique et dit que cela ne doit s'enten-
dre que de ceux qui, en domptant lem-s pas-
sions, acquièrent, non une parfaite tranquil-
lité, mais la plus grande dont cette vie est
capable, et que c'est de cette paix dont les
apôtres ont joui.
6. On y trouve plusieurs instructions très- , cc qu ii r i
.J L de rcmarqun-
utiles. La miséricorde, selon saint Augustin, '''■
est le seul remède qui puisse nous délivrer
de tant de maux qui nous font gémir en
cette vie. Pardonnons donc à notre prochain
comme nous voulons que Dieu nous pardon-
ne. Aidons les autres dans tout ce que nous
pouvons, comme nous désirons être aidés
dans tout ce que nous ne pouvons point par
nous-mêmes : car la miséricorde est promise
à ceux qui sont miséricordieux, parce qu'en
gens vraiment sages, ils usent du moyen
qui lem- est le plus salutaire, en donnant à
ceux qui ont besoin d'être secourus par eux,
dans leurs faiblesses, le secours qu'ils espè-
rent eux-mêmes de recevoir d'un plus puis-
sant qu'eux. Quiconque aime encore les dé-
lices de ce siècle, et recherche, étant chré-
tien, les conmiodités, les richesses tempo-
relles, doit se souvenir que notre béatitude
est au-dedans de nous-mêmes, et qu'au de-
hors on nous promet des malédictions, des
persécutions et des injures, en nous promet-
tant toutefois que nous en recevrons la ré-
compense dans les cieux si nous les suppor-
tons avec patience. Jésus-Christ, en parlant
du bien que nous devons faire devant les hom-
mes, ne dit pas seulement afin qu'ils voient
vos bonnes œuvres, mais il ajoute et qu'ils en
[lV= ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
219
glorifient votre Père qui est au ciel, afin que
l'on ne mette pas sa fin dernière dans cette
complaisance humaine ; mais qu'on la rap-
porte à Dieu, c'est-à-dire qu'on ne veuille
plaire aux hommes qu'afin que Dieu en soit
glorifié. Dans ces paroles : Quiconque se met-
tra en colère contre son frère, il y a trois de-
grés de faute et de châtiment à remarquer :
l'un qui est le moindre, l'autre qui est plus
considérable, et le troisième qui est le plus
grand. Le premier degré du péché dont
Jésus-Clmst parle, est de se mettre en co-
lère et d'entretenir ce mouvement dans son
cœur, sans néanmoins le produire au dehors.
Le second est de dire quelques paroles qui
fassent paraître de l'empoi'tement ; et ce de-
gré de péché est plus grand que celui d'une
colère que l'on supprime par le silence. Le
troisième est lorsqu'on s'emporte jusqu'à
dire une injure formelle à son frère, comme
serait de l'appeler fou. Or, si Jésus-Christ
nous défeud de nous fâcher 'contre notre
frère, de lui témoigner du mépris et de l'ou-
trager de paroles, bien moins nous permet-
il de conserver du ressentiment contre lui
dans le fond du cœur, en sorte que notre
première indignation se change en haine.
C'est pour cela qu'il nous ordonne qu'étant
sur le point de présenter notre don à l'autel,
si nous nous souvenons que notre frère a
quelque chose contre nous, de laisser là no-
tre don pour nous réconcilier auparavant
avec notre frère. Les préceptes de présenter
sa joue pour recevoir un second soufflet, de
laisser prendre son manteau, et de suivre
celui qui nous veut emmener avec lui, doi-
vent êti-e entendus de la disposition inté-
rieure de notre cœur, et non de la pratique.
C'est à celui à qui la puissance en a été
donné selon l'ordre établi dans les choses
humaines, de réprimer et de châtier le mal,
mais il le doit faire dans le même sentiment
qu'un père châtie son enfant lorsqu'il est en-
coi'e si petit qu'il ne peut le haïr. Exemple
très-propre à nous faire connaître comment
l'ainour nous peut porter à châtier plutôt le
péché qu'à le laisser impuni, non pas à des-
sein de rendre misérable par la peine celui
que nous châtions, mais plutôt de le l'endre
heureux par une correction salutaire. Il est
dit dans l'Écriture : Donnez à toute personne
qui vous demande, non ])as tout ce qu'on vous
demande , mais ce que vous pouvez jus-
tement et honnêtement donner ; non pas
toujours ce qu'on vous demande, car il arri-
verait quelquefois que vous donneriez quel-
que chose de meillem" en corrigeant, lors-
qu'on n'a pas raison de vous demander.
On ne voit point qu'il ait été commandé au
peuple d'Israël de dire à Dieu, en priant :
Notî'e Père, car on le leur représentait seu-
lement comme leur Seigneur, à cause qu'é-
tant sous la loi de servitude, ils vivaient en-
core selon la chair. Mais adoptés dans le
Nouveau Testament au nombre des enfants
de Dieu, nous devons reconnaître cette grâce
dès le commencement de cette prière, en lui
disant : Notre Père, nom seul capable d'exci-
ter en nous un grand amour, puisque rien
ne doit être si cher à des enfants que leur
père. Les riches, les nobles et les grands du
monde sont aussi avertis par ces premières
paroles de l'Oraison dominicale, de ne point
s'enfler d'orgueil au mépris de ceux qui sont
pauvres et d'une basse condition, puisqu'ils
disent tous ensemble à Dieu : Notre Père, ce
qu'ils ne sauraient dire avec vérité et avec
piété, sans reconnaître qu'ils sont tous frè-
res. Si nous refusons de pardonner à nos
frères, lorsque nous demandons à Dieu dans
cette prière de nous pardonner, nous men-
tons, et notre prière devient inutile. Nous
devons toujours interpréter en meilleure
part les actions d'autrui, lorsque nous dou-
tons par quel esprit elles ont été faites. Car
il y a de la témérité d'en juger, et surtout
de les condamner. Si la nécessité ou la cha-
rité nous engagent à reprendre ou à corri-
ger quelqu'un, nous devons considérer, pre-
mièrement, si nous ne sommes jamais tom-
bés dans le vice que nous avons à reprendre,
et qu'étant hommes, nous y avons pu tom-
ber. Si nous y avons été autrefois sujets et
que nous nous en soyons retirés, la fragi-
lité humaine, qui nous est commune, nous
doit porter à reprendre plutôt par un senti-
ment de compassion que d'indignation et de
haine, en sorte que nous soyons bien assu-
rés de la sincérité de notre intention. Si
uous nous trouvons encore assujettis au
même vice, ne nous ingérons point d'en re-
prendre les autres, mais pleurons et gémis-
sons avec eux ; et au lieu de vouloir qu'ils
défèrent à notre conseil, invitons-les seule-
ment à travailler d'un commun effort à nous
corriger. On ne doit user de réprimande que
rarement et dans une grande nécessité, et
lors(jue nous en usons, ce ne doit jamais
être pour presser les auti-es de nous obéir,
mais d'obéir au Seigneur. Si Jésus-Christ
±20
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES,
déclare qu'il ne connaît point ceux qui com-
mettent l'iniquité, il s'en suit qu'il ne con-
naîtra que celui qui s'exerce clans l'équité et
clans la justice.
§ VIL
Des devx livres de Questions sur quelque
endroits de l'Évangile.
Qucsiion, i. L'époque de ces deux livres nous est
sur les Evan- ^ i i*
fiiesoersi'an comiue non-seulemeut par le second livre
des Rétractations ', où saint Augustin les
met parmi les ouvrages c[u'il composa vers
l'an 400 ; mais encore par un endroit de ces
livres mêmes ^, où il dit que l'Eglise étant
maintenant glorifiée, et le peuple gentil
délivré de la servitude des démons, ceux
qui n'ont pas voulu croire en Jésus-Christ,
sont contraints de rendre leur culte sacri-
lège aux faux dieux dans des lieux secrets ;
ce qui a visiblement rapport à la loi par
lac[ue]le l'empereur Honorius défendit en
399, le culte public des idoles. Saint Augus-
tin ne suivit aucun ordre dans cet ouvrage,
pas même celui des Évangiles , ne s'appli-
quaut C[u'à résoudre les difficultés, dans le
temps et en la manière qu'elles lui étaient
proposées par une persomie qui lisait l'É-
vangile. Néanmoins pour la facilité des lec-
teurs, il donna des titres à toutes les ques-
tions qu'on lui aA^ait faites, et qu'il avait
éclaircies. Les quarante-sept premières, qui
sont sur divers endroits de l'Évangile selon
saint Matthieu, composent le premier livre.
Le second en contient cinquante-ct-une sur
saint Luc. On peut y remarquer les choses
suivantes : «La sainteté et la justice ne con-
sistent ni dans le manger ni dans l'absti-
jience ; mais dans la disposition de l'esprit,
à supporter la pauvreté, et dans l'usage
modéré des biens de la terre. Il ne faut pas
tant prendre garde à la quantité ou à la
qualité des viandes qu'une personne prend
selon qu'il convient ou à sa condition ou à
sa santé, qu'à la facihté avec laquelle on sait
s'en passer quand il est à propos ou néces-
saire. Le jeune général consiste à s'abste-
nir, non-seulement de la convoitise des
viandes, mais généralement de toutes les
joies des plaisirs du monde.
Dix-sopi 2. A kl suite de ces Questions, ou en a
Queslions sur
1 Lilj. Il Relracl.. cap. xn. — ^ Lib. II Quœst.
Evang. mu. — '■' Au^nst., lib. Posl. Collai, con-
Ira donuiisl. cap. vin, cl iii Àctis collât, part.
3, cap. ccLvin et cciav.
imprimé dix-sept autres sur saint Matthieu, ^J''","^"'''"
dont le style a beaucoup de ressemblance îf^'J'j,;^.''!;;-;
avec celui de saint Augustin. Elles sont
même citées sous son nom dans le quatriè-
me livre des Commentaires de Rhaban Maur
siu- cet Évangile, et dans un manuscrit de la
table des ouvrages de saint Augustin, par
Possidius. Mais il n'en est rien dit clans les
meillem's manuscrits de cette table, ni dans
les recueils de l'abbé Eugypius, auteur du
sixième siècle, qui cite toutefois divers eu-
droits des deux livres précédents. Saint Au-
gustin n'en dit rien non plus dans ses Ré-
tractations ; et ce qui semble ne laisser au-
cun doute sur la supposition de cet ouvrage,
c'est que l'auteur exphque ' de la vie qu'on
ne doit point, dit-il, ôter aux méchants, la
parabole des zizanies ; au lieu que saint Au-
gustin soutient ' avec saint Gyprien qu'on
doit l'entendre de l'Église, où les méchants
sont mêlés avec les bons ; c'est en ce sens
que ce saint évéque l'a toujours expliqué,
surtout depuis la conférence de Carthage
où les donatistes avancèrent qu'elle signifiait
le monde et non pas l'Eglise.
§ VIII.
Des traités sur l'Evangile et l'Epître de saint
Jean.
•1. Ce fut au plus tôt en 416 ou 417, que ..J'^ii':? *"■
saint Augustin commença à expliquer l'E- ^j^^uwn.cn
vangile et la première Epitre de saint Jean,
puisque dans le cent vingt-unième traité, il
parle de la révélation du corps de saint
Etienne , arrivée sur la fin de l'an 413,
comme déjà connue presque de toute la
terre, par l'histoire que le prêtre Lucien en
avait faite. L'explication de l'Evangile selon
saint Jean est distribuée en 124 traités, dont
Possidius dit ^ que l'on faisait six volumes.
Ils sont en forme d'homéUes. On ht dans di-
vers manuscrits * qu'on les écrivait pendant
que saint Augustin les prononçait devant le
peuple, et qu'après cela il les revoyait, et
les mettait en l'état où ils sont aujourd'hui.
C'est ce qu'il dit lui-même assez clairement
dans un de ses livres sur lu 'Irinité '. Il
faisait ses homélies tous les jours de la se-
maine sans distinction, lorsqu'il en avait le
loisir. La première fut faite un dimanche, et
'' Qiiœst^ XII, num. 2,p:ig. 281. — ' PossiJ. iu
indic. .iiig., 'np. vi. — «Toui. III Oper. Avg. p.ig. 287.
7 Lib. XV De TriniL, cap. xxvii.
[IV* ET y' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
la seconde un lundi. La 46'^ fut aussi faite un
dimanche ; et la 43% le samedi. Les 34% 33%
36' et 37'' furent prononcées en des jours
consécutifs, comme on le voit par la fin et
le commencement de chacune. Les 19",
20% 21% 22'= et 23% furent aussi faites en cinq
jours de suite. Mais on voit par la huitième,
qu'il avait passé un jour sans expliquer le
même Évangile, à cause de quelques néces-
sités.
Sa méthode 2. U avait coutume de faire lire dans l'of-
(Iniis ces es-
piicaiinns. ggg ^^ jour, l'eudroit qu'il voulait expli-
quer, et il tâchait de donner l'explication de
tout ce qu'on avait lu. Mais lorsqu'elle le
conduisait trop loin, il remettait à un autre
jour ce qu'il n'avait pu expliquer, et faisait
alors relire dans l'office le même endroit de
l'Évangile qui était resté sans explication.
Tiaci. ic. On voit par la sixième homéfie ou traité,
qu'il commença dès l'hiver à expliquer cet
Évangile, puisqu'il y dit qu'il avait appré-
hendé que le froid n'empêchât le peuple de
venir à l'église. Il dit dans la dixième que
la fête de la Passion, et celle de la Résur-
rection approchaient, et dans la onzième
qu'il était temps d'exhorter ceux qui étaient
encore catéchumènes.
11 inior- 3. Il semble dire au commencement de
,.i,™ir,ni. la treizième qu il avait discontinue depuis
assez longtemps l'explication de l'Évangile
selon saint Jean ; et en eûet, c'était l'usage
pendant la fête et l'octave de Pâques, de
lire l'histoire de la Résurrection suivant
qu'elle est rapportée par les quatre Évangé-
listes. Ne pouvant donc continuer à expli-
T.aci. 1 ia quer celui de saint Jean, il chercha quel-
cpi'autre livre de l'Ecriture qu'il pût expli-
quer tout entier dans la semaine; et pour
s'éloigner moins de celui dont il avait com-
mencé l'explication, il prit la première Épî-
Elsr'j.ia '" '^'^ '^" même apôtre , sur laquelle il fit une
homéfie tous les jours de la semaine de
Pâques, au moins jusqu'au vendredi. Mais
n'ayant pu l'exphquer tout entière en si peu
de temps, il remit le reste à quelqu'autre
jour de fête, et fit en tout dix homélies sur
cette Épître. Après les avoir achevées, il
Traci. 0. rcprit l'Évaugile de saint Jean. Il n'en était
encore qu'à la vingt-septième homélie le
jour de la fête de saint Laurent ; ce qui
marque, ce semble, qu'il avait été obli-
221
gé de s'absenter pour quelques voyages.
4. Saint Augustin cite lui-même sa quatre- ,.Traîi. 27in
vmgt-dix-neuvieme homélie sur saint Jean %
La soixante-dix-huitième est citée deux fois
par saint Léon % et une fois par Théodoret.
Cassien rapporte un endi-oit de la seconde ^ ;
et on en trouve plusieurs dans saint Ful-
gence , tirés de la quatorzième et de la
vingt-deuxième. L'abbé Eugypius, Bède et
Alcuin, de même que Florus, ont rapporté
un grand nombre de passages de ces homé-
lies. Il en est parlé dans Cassiodore avec
beaucoup d'estime ' ; cet autem' loue sur-
tout la manière admirable dont saint Au-
gustin a parlé de la charité dans ses dix
homéfies sur l'Épitre de saint Jean.
3. On trouve â la tête de ces homélies iwface sur
ces horriclies
une préface qu'on ne croit pas être de saint "" '"'"='•
Augustin, tant parce qu'elle n'est pas de son
style, qu'à cause qu'elle ne lui est attribuée
dans aucun manuscrit. Elle se ht presque
dans les mêmes termes dans les explica-
tions que Bède et Alcuin ont données de
l'Évangile de saint Jean. L'auteur y fait
l'éloge de cet Évangéhste, et remarque cpi'il
s'est apphqué à rapporter les faits que saint
Matthieu, saint Marc et saint Luc avaient
passés sous silence, particulièrement à nous
apprendre ce qui regarde la divinité de
Jésus-Christ.
6. Quoique saint Augustin, dans ses ho- 0"=' en est
,,. . , T ... 's dessein.
meiies sur saint Jean, s applique surtout à
éclaircir les mystères de notre religion, et à
étabhr divers principes pour le règlement
de nos mœm-s, il ne laisse échapper presque
aucune occasion de combattre les hérésies
qui faisaient encore de son temps quelques
ravages dans l'Égiise. Il le fait même quel-
cpiefois en s'éloignant un peu de son sujet ;
mais il y revient aussitôt. Il y attaque prin-
cipalement les ariens, les manichéens, les
donatistes et les pélagiens.
7. Voici sa réflexion sur le commence- n comim
ment de l'Évangile de saint Jean : « Corn- '" ""°°''
« ment le Verbe de Dieu peut-il avoir été
« fait, puisque c'est par lui que Dieu a fait
« toutes choses? Si le Verbe de Dieu a été Tract, r ;.
« tait, par quel autre verbe a-t-il été fait ? '°™'
« Si vous dites qu'il y a un autre verbe, par
« qui le Verbe a été fait, je dis que cet autre
« Verbe est le fils unique de Dieu. Que si
1 August., lib. XV De Trinit., cap. sxix.
2 Léo, Epist. lU, ad Léon, Àii,gn,st.. Théodor.
dial. 2, p. 108.
3 Cassian., lib. VU De Incarn., cap. xxvii. Fulg.,
Epist. 14. Quîesf. 2 et .S. — ' Cassiod., Instit.,
cap. VII.
222
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
« vous avouez qu'il n'y a point d'autre verbe
« par lequel celui-ci ait été fait, avouez donc
« aussi que le Verbe par lequel toutes choses
« ont été faites, n'a pas été fait lui-même.
loJn""''"'" " *-''"^' celui par qui tout a été fait, ne peut-
« être mis au nombre des choses qui ont été
« faites. » Pour montrer que le Fils n'était
point égal à son Père, mais qu'il lui était
inférieur^ et qu'il avait été tel de toute éter-
nité, les anciens se servaient d'un passage
joan.v, 19. (Je saint Jean, où Jésus-Christ dit que le Fils
ne peut agir par lui-même, et qu'il ne fait
que ce qu'il voit faire au père. Saint Augus-
tin leur répond : « Jésus-Christ ne voulant
pas nous donner occasion de croire que le
Père fasse des ouvrages différents de ceux de
son Fils, et que le Fils en fasse de semblables
sur le modèle de ceux qu'il voit faire au
Père, prévient cet inconvénient en disant
aussitôt après : Tout ce que fait le Père, le
Fils le fait aussi. Il ne dit pas que le Père fai-
sant quelque chose , le Fils en fait quelque
autre semblable ; mais que tout ce que fait
le Père, le Fils le fait aussi. D'où il suit que
ce que le Père fait, il le fait par le Fils , et
qu'ainsi les œuvres du Père et du Fils ne
sont point des œuvres distinctes qui soient
seulement semblables les unes aux autres,
mais les mêmes œuvres, et faites de la même
manière. Comment donc peut-on s'imaginer
çpi'il y ait la moindre différence entre le
Père et le Fils, et que le Fils ne lui soit pas
^^jnan. T.ii, égal? Lorsque Jésus-Christ ajoute : Je ne suis
pas seul, et mon Père qui m'a envoyé, est avec
moi, il nous apprend que le Père et le Fils
sont deux personnes? Mais en disant ail-
joaD.i,3f . leurs : Mon Père et moi nous ne sommes qu'une
même chose, il établit une parfaite égalité
entre le Père et le Fils , et nous garantit de
l'hérésie arienne. Car si le Père et le Fils
sont une même chose, il s'en suit néces-
sairement qu'ils ne sont dissemblables en
rien : autrement cette expression ne leur
conviendrait pas. Il nous munit même par
i.att. u le même passage , contre l'hérésie des sa-
belliens , en disant : Nous sommes une même
chose, puisque parlant ainsi en pluriel, il
faut de nécessité que le Père et le Fils soient
deux ; le terme sommes, \\& pouvant conve-
nir à une seide personne. »
^ jo»n. Mil, Le Père est plus grand que le Fils , ob-
jectaient encore les ariens, puisqu'il est
écrit que c'est le Père qui glorifie le Fils.
«Mais il n'y a qu'à leur répondre, dit saint
^ joan. XVII, An.gustin, que dans un autre endroit de l'É-
vangile le Fils dit aussi qu'il glorifie son
Père. Si donc le Fils glorifie le Père, de
même que le Père glorifie le Fils, il faut re-
connaître l'égalité qui est entre le Père et le
Fils. De ce que Jésus-Christ dit en saint
Jean : Ce que je vous dis, je ne vous le dis pas ^^^J""- ^'"y
de moi-même : mais mon Père qui demeure en
moi, fait lui-même les œuvres que je fais, les
ariens inféraient que le Fils n'est pas égal
au Père ; et les sabelhens, que le Père et le
Fils ne font qu'une même personne. Saint
Augustin dit aux premiers que si ces pa-
roles de Jésus-Christ leur font douter de
l'égalité du Fils avec le Père, comme si le Fils
ne faisait pas ce qu'il voulait, ils écoutent
ce que ce même Fils dit ailleurs en parlant
de son pouvoir: Comme le Père ressiicite les 3aan.\,^\.
morts et leur donne la vie, de même le Fils
donne la vie à ceux à qui il la veut donner. Il
dit aux sabelliens que s'ils font attention à
cet autre endroit de l'Évangile : Tout ce que
le Père fait, le Fils le fait aussi, ils verront que
ce n'est pas une seule personne, qui fait
deux fois une même chose, mais deux per-
sonnes difl'érentes qui la font. Néanmoins
parce que de ces deux personnes il y en a
une qui vient de l'autre, le Fils du Père, le
Fils dit : Ce que je dis, je ne le dis pas de moi-
même, parce qu'en efl'et il n'est pas de lui-
même, mais du Père de qui il est né. Et
c'est aussi pour- cela qu'il dit que c'est le
Père qui demeure en lui, qui fait lui-même
les œuvres qu'il fait ; parce que le Père qui
fait toutes choses par lui et avec lui, est par
lui-même, et n'est pas né d'un autre comme
le Fils.
8. Le saint Docteur parlant contre les ma- , fi s '■>•":
^ Lat les mani-
nichéens, s'écrie : « Y a-t-il rien de plus no- 'Mf"'-
ble que l'ange parmi les créatures, et rien
de plus méprisable que le ver ? Cependant
le même qui a créé l'auge, a créé aussi le jj™°'- ' '"
ver, l'un pour le louer dans le ciel, et l'autre
pour ramper sur la tei-re ; en sorte que
toutes les créatm'es, sans en excepter au-
cune , les grandes et les petites , ceUes qui
sont au plus haut des cieux, celles qui sont
au centre de la terre , tout ce qui est esprit ,
tout ce qui est corps, tout ce qui a quelque
forme, quelque assemblage et convenance
de parties entre elles, enfin toute substance
qui peut-être pesée, nombrée et mesurée, a
été faite par celui duquel il est dit, qu'il a dis- sap. n, 21.
posé toutes choses avec mesure, avec nombre et
avec poids. Que personne donc ne prenne
occasion de vous tromper, lorsqu'il vous voit
[IV'' ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
223
importtmé des mouches, c'est un artifice
dont le démon se sert quelquefois avec suc-
cès, comme il est arrivé depuis peu à je ne
sais quel catholique, qui étant importuné
des mouches , tomba entre les mains d'un
manichéen, à qui contant son chagrin con-
tre ces insectes, cet liérétique lui demanda
d'abord, qui il en croyait auteur ? Comme il
en était fort ennuyé et les haïssait beau-
coup, il n'osa pas dii'e que ce fût Dieu. Le
manichéen le pressant, lui dit, qui pensez-
vous donc qui les a faites, si ce n'est point
Dieu ? Je pense , répondit ce malheureux
dans son chagrin, que c'est le diable qui les
a formées. Si elles sont l'ouvrage du diable,
continua le manichéen, comme vous venez
de l'avouer avec beaucoup de raison, de qui
croyez-vous qu'est l'abeille , qui est un peu
plus grosse que la mouche ? Le catholique
venant d'avancer que Dieu n'avait pas fait la
mouche, n'osa dire qu'il eût créé l'abeille,
à cause du peu de différence qu'il y a de
l'une à l'autre. De l'abeille il le conduisit à
la sauterelle ; de la sauterelle au lézard ; du
lézard aux oiseaux ; des oiseaux aux petites
bêtes à quatre pieds, de là au bœuf, du
bœuf à l'éléphant ; et enfin de l'éléphant à
l'homme ; tâchant de pei'suader à ce catho-
lique que Dieu n'avait pas fait l'homme, n
Saint Augustin rapporte tout ce détail
pour apprendre aux fidèles à tenir avec soin
leurs oreilles fermées aux séductions de l'en-
nemi ; et afin qu'ils soient toujours persua-
dés que c'est Dieu qui a fait toutes choses,
qui les a rangées comme elles sont; et que
s'il s'en trouve qui nous incommodent ,
c'est parce que nous avons offensé le Dieu
qui les a créées. Les manichéens abusaient
de ces paroles du Sauveur aux Juifs : Vous
êtes les enfants du diable, pour favoriser leur
hérésie, et pour établir leur prétendue na-
ture du mal. Le saint Docteur leur fait voir
que rien de ce que Dieu a fait ne peut être
mauvais ; et que si quelque chose le devient
à l'égard de l'homme, c'est parce qu'il s'est
fait méchant lui-même. « Par où donc, di-
rez-vous, les Juifs étaient-ils enfants du dia-
ble, s'ils ne l'étaient pas par leur nature ?
Ils étaient ses enfants parce qu'ils l'imitaient.
Par une semblable raison le prophète Ézé-
chiel parlant aux Juifs, leur dit : Les Amor-
rhéens sont vos pères, et les Céthéennes seront
vos mères: non que les Juifs fussent de la
race des Amorrhéens, ni de ceUe des Cé-
théens ; mais parce qu'ils imitaient les
crimes de ces deux nations extrêmement im-
pies. »
Saint Augustin croit que l'origine du dia-
ble n'est point différente de celle des bons
anges ; qu'ils viennent les uns et les autres
du même principe qui les a créés ; mais
que les bons anges ont mérité par leur
obéissance de demeurer dans l'état bien-
heureux où ils avaient été créés ; au lieu
que le diable en est déchu, et que d'ange
qu'il était, il est devenu démon par sa dé-
sobéissance et par son orgueil. C'était en-
core une erreur des manichéens de croire
que le Fils de Dieu est ce soleil qui est vu
des yeux du corps par les bêtes aussi bien
que par les hommes. «Mais, dit le saint Doc-
teur, la foi orthodoxe de l'Église catholique
rejette cette imagination fausse, qu'elle re-
garde comme une doctrine diabolique. Non,
Jésus-Christ n'est point ce soleil qui a été
fait ; il est le Créateur par lequel le soleil a
été fait. Tout a été fait par lui, et rien n'a été
fait sans lui. » Ces hérétiques avaient un
grand nombre de cérémonies aussi impies
que superstitieuses sur lesquelles ils avaient
bâti leur l'eligion. Ils faisaient profession,
contre la défense de l'Église, de deviner
l'avenir par l'inspection des entrailles des
animaux qu'ils éveutraient, par les cris et le
vol des oiseaux, et par un grand nombre
d'autres signes bizarres que le démon leur
fournissait, et dont ils rebattaient sans cesse
les oi'eilles de ceux qu'ils avaient séduits,
ou qu'ils voulaient séduire. C'est d'eux dont
l'Apôtre a dit qu'il viendra un temps que les
hommes ne pourront plus souffrir la saine
doctrine, et que fermant l'oreille à la vé-
rité, ils l'ouvriront à des contes et à des fa-
bles.
9. Le même Père fait voir dans ses Traités
sur saint Jean, combien était grande l'absur-
dité des donatistes de vouloir resserrer l'É-
glise catholique dans un petit coin de l'Afri-
que, tandis que nous lisons dans l'Écriture
que Jésus-Christ, qui en est le chef et l'é-
poux, est ime victime de propitiation pour nos
péchés, et non-seulement pour nos péchés, mais
aussi pour ceux de tout le monde. Lorsqu'ils
entendent chanter parmi eux l'endroit du
psaume où il est dit : Levez-vous, ô Dieu !
venez juger la terre ; car vous posséderez
toictes les nations ; peuvent -ils ne pas
voir par-là qu'ils sont exclus dé l'héri-
tage du Seigneur, n'ayant pas de commu-
nion avec l'Église qui est répandue dans
Tracl. 34 in
Joaii.
-ïnan. I, 3.
Tract. 97 in
Joan. I
11 Timolh.
IV, 3.
1! y combat
les donatistes.
Tract.
Joan.
I Jean, il,
Psalm.
LXXXI, 3.
Tiact. 3
10 in Joan.
224
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Ce n'est pas vous qui m'avez choisi : car s'il
Il y Cftiiiliil
Tracl. 86 in
Jo.nn.
toutes les nations ; car il n'y a qu'une véri-
table Église ; rien ne peut donner atteinte à
son intégrité ; et elle demeure toujours telle
qu'elle doit être ? »
10. Saint Augustin trouve un grand éloge
de la grâce, et une vérité qui instruit ceux
qui ont un cœur humble, et qui ferme la
bouche aux superbes, dans ces paroles de
Jésus-Christ : Comme la branche de la vigne
ne saurait porter du fruit d'elle-même, si elle
ne demeia-e attachée au cep, ainsi vous n'en
pourrez porter aucun, si nous ne demeurez en
moi. Il y trouve en même temps la condam-
nation de ceux qui se sachant bon gré à eux-
mêmes du bien qu'ils font, croient que le
secours de Dieu ne leur est pas nécessaire
pour faire de bonnes œuvres. C'étaient les
pélagiens. Ils avouaient sans peine que
c'était Dieu qui les avait faits hommes;
mais c'est nous-mêmes, disaient-ils, qui
nous sommes faits justes, et nous ne le de-
vons qu'à nous-mêmes. « Que dites- vous là,
misérables? leur répond saint Augustin :
pourquoi vous trompez- vous ainsi voiis-mê-
mes, et précipitez-vous le libre arbitre à force
de le vouloir élever ? Il tombe de cette élé-
vation ruineuse où votre présomption le
porte ; et votre vanité est comme un vide à
travers de quoi il passe pour s'abîmer et
pom- couler à fond. Faites réflexion à ce que
Jésus-Christ continue de dire soi- ce sujet :
Je suis le cep de la vigne, et vous en êtes les
branches; celui gui demeure en moi et en qui je
demeure, porte beaucoup de fruits ; car vous ne
pouvez rien faire sans moi. De peur que quel-
qu'un ne fût tenté de croire que, si la bran-
che du cep ne pouvait pas porter beaucoup
de fruits par elle-même, du moins pouvait-
elle en porter un peu, Jésus-Christ dit nette-
ment : Vous ne pouvez rien faire sans moi. Or on
ne peut porter ni peu ni beaucoup de fruits
sans celui sans qui l'on ne peut rien faire. «
Yoici comment le même Père explique ces
autres paroles de Jésus-Christ : « Ce n'est pas
vous gui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous
ai choisis; parlerait-il de la sorte, dit-il, si sa
miséricorde ne nous avait prévenus ? C'est
ici qu'échouent les vains raisonnements de
ceux qui prennent le parti de la prescience
de Dieu, contre la grâce de Jésus-Christ, en
disant que si Dieu nous a choisis avant la
création du monde, c'est parce qu'il a pré-
vu que nous serions bons, et non point parce
qu'il a prévu cpa'il nous rendrait bons. Ce
n'est point là ce que vent dire celui qui dit :
nous avait choisis pour avoir prêtai que nous
serions bons, il s'ensui\-t'ait qu'il aurait aussi
prévu que nous devions le choisir les pre-
miers, puisque sans cela nous ne pouvions
être bons, à moins qu''il ne se trouve quel-
qu'u.n qui ose dire qu'un homme peut être
bon sans choisir le bien, et le préférer au
mal. Qu'a donc trouvé Jésus - Christ en
ceux qu'il a choisis, qui l'ait obligé à les
choisir ? Ils n'ont pas été choisis , parce
qu'ils étaient bons, puisqu'ils ne sont deve-
nus bons que parce qu'ils les a choisis ; au-
trement la grâce ne serait plus ime grâce,
si l'on prétend qu'elle a été précédée par les
mérites. » Le saint Docteur confirme cette
doctrine par ce passage de l'Apôtre dans l'É-
pître aux Romains : Dieu a sauvé en ce temps,
selon l'élection de sa grâce, un petit nombre
qu'il s'est réservé. Si c'est par grâce, ce n'est
donc pilvs par les œuvres; autrement la grâce
ne serait plus grâce.
M. « Il y a eu des philosophes, dit saint
Augustin, qui ont tâché de parvenir à la
connaissance du Créateur par celle des créa-
tures, comme cela se peut faire, selon que
le dit l'Apôtre dans son Épître aux Romains.
Ds ont bien vu où il fallait aller ; mais l'in-
gratitude avec laquelle ils se sont attribué à
eux-mêmes cette connaissance qu'ils te-
naient de Dieu, les a rendus superbes, et
l'orgueil lem- a fait perdre ce qu'ils avaient
acquis de connaissance, en les jetant dans
ini si grand excès d'aveuglement qu'ils ont
préféré les idoles au vrai Dieu. Mais ils ne
sont tombés dans cet abîme qu'après avoir
été comme écrasés sous le poids de lem- or-
gueil, qui faisait qu'ils se regardaient com-
me les sages du monde. On voit par leurs
livres qu'ils ont connu, comme saint Jean
l'a dit, que toutes choses avaient été faites
par le Verbe. Il paraissent même avoir
connu que Dieu avait un Fils unique créa-
teur de toutes choses. Ils ont pu entrevoir
de loin Celui qci est ; mais ils n'ont pu en-
trer dans l'humihté de Jésiis-Christ, et n'ont
eu cfue du mépris pour sa croix, quoique ce
fût le vaisseau nécessaire pour les conduire
avec sûreté à ce qu'ils apercevaient de si loin.
Ayez donc, leur dit saint Augustin, recom'S
à la croix de Jésus-Christ; croyez fermement
qu'il y a été attaché pom'vous, et vous pour-
rez, par ce moyen, arriver au port. Il a été
ci'ucifié pour vous, afin de vous apprendre â
être humble. »
11 comlf
Ip^ plitloFn
ptiei^.
[lV« ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONË.
â2S
Tracl. 3 in
loun.
Le même Père dit aux chrétiens qu'ils por-
tent tous la marque de Jésus-Christ, c'est-à-
dire la croix sur leur front ; mais qu'elle fera
la confusion de ceux qui ne l'ont pas dans
le cœur. « II. est vrai, dit-il, que les Mages
ont appris sa naissance par une étoile créée
exprès dans le ciel, mais c'est sa croix, et
non point cette étoile qu'il a voulu que les
chi'étiens portassent pour sa marque. Il a
voulu relever sa gloiie par le même endroit
par lequel il s'est humilié, et il a fait trouver
aux humbles leur élévation dans ses abais-
sements. »
Conduiiede 12. Cc quo dit saint Augustin de la con-
Eglise en- ^ '-'
BIS les iiéré- (juite de l'Eglise envers les donatisles est re-
marquable, parce qu'on en peat faire aisé-
ment l'application aux autres hérétiques ou
Ce qu'on schlsmatiquos. a Pourquoi nous pressez-vous,
oil [lenser de .,...- ,
jurs marisTs. disaicnt-ils , de passer, parmi vous si nous
Tratl. 6 in , , „ r, , f> ■■
ii=n- sommes méchants ? C est aun que vous de-
veniez bons : car, si vous étiez déjà bons,
nous ne vous chercherions pas comme des
brebis égarées; vous seriez tout retrouvés.
Celui qui est bon est tout retrouvé, mais ce-
lui qui est méchant, comme il est dans l'é-
garement, a besoin qu'on le cherche ; c'est
pour cela que nous vous cherchons. Reve-
nez donc dans l'arche. J'ai déjà le baptême,
me direz-vous ? mais à quoi vous sert-il, après
I Cor. xn, ce que dit l'Apôtre : Quand j'aurais le don de
prophétie, que je pénétrerais tous les mystères,
et que j'aurais toute la foi possible et capable de
transporter des montagnes, si je n'ai la charité,
je ne suis rien. Dès que nous verrons en vous
le fruit de l'olivier, c'est-à-dire la charité,
nous vous verrons bientôt rentrer dans l'ar-
che. Vous direz peut-être : Outre la foi et le
vrai baptême , on trouve encore dans notre
communion la souffrance des persécutions?
mais est-ce pour Jésus-Christ que vous souf-
frez ces persécutions ? N'est-ce pas pour con-
server les dignités que vous vivez dans l'E-
ghse? N'est-ce pas aussi pour en tirer vanité,
que vous vous vantez de faire de grandes
aumônes, de donner libéralement aux pau-
vres, d'être exposés à de mauvais traite-
ments? N'est-ce pas pour Douât, et non point
pour Jésus-Christ que vous les endurez ?
Faites donc moins de fonds sur vos préten-
dues persécutions, et plus d'attention sur ce-
lui pour qui vous vous y exposez : car s'il se
trouve que ce ne soit-pas pour Jésus-Christ,
mais pour Donat, vous souffrez pour un su-
perbe, et vous ne gémissez pas avec la co-
lombe. Donat n'était point l'ami de l'Époux;
IX.
s'il l'avait été, il en aurait cherché la gloire,
et non la sienne propre. Les martyrs de Jé-
sus-Christ, qui ont souffert pour son nom
durant les persécutions de l'Église, l'ont fait
avec charité : aussi leurs souffrances leur
ont été utiles; mais ceux du parti de Donat
souffreut par orgueil et par une enflure de
cœur, qui les portent à être leurs propres
persécuteurs. Revenez donc à la colombe,
afin d'y trouver la charité. Vous me direz
que vous avez parmi vous des martyrs ; mais
quels martyrs? Comme ils n'appartiennent
point à la colombe, ils ont inutilement tenté
de voler jusqu'au trou de la pierre pour s'y
réfugier. »
Les donatistes se plaignaieut qu'on leur
avait enlevé un fonds de terre, qui apparte-
nait, disaient-ils, à l'Éghse dont Faustin était
évêque. « Mais ils sont bien hardis, répond
saint Augustin, d'appeler l'Église une société
schismatique gouvernée par Faustin. Qu'ils
disent donc, au parti de Faustin, et non pas à
l'église de Faustin. Il n'y a que la colombe
seule qui soit en droit d'être appelée l'É-
glise : qu'ils cessent de se récrier injuste-
ment comme ils font, sur nos prétendues
usurpations. Nous n'avons ni pris, ni mangé
leurs héritages; ce n'est pas à nous qu'ils
ont été donnés, c'est a l'Église. Il s'agit de
savoir qu'elle est cette Église, et de les lui
laisser posséder en paix. Mais de quel droit
possédaient -ils les terres qu'ils disent leur
avoir été ôtées? Était-ce de droit divin,
ou de droit humain? Le premier de ces droits
est établi dans les Ecritures saintes ; et l'autre
par les lois des princes. Personne ne peut
rien posséder légitimement que par l'un ou
l'autre de ces deux titres. Ils ne peuvent pas
répondre que c'est de droit divin que ces
fonds leur appartenaient , puisque les choses
nécessaires à l'usage de l'un appartiennent
par cet endroit également à tous les hommes ;
Dieu ayant pétri du môme limon les pauvres
et les riches, les uns et les autres habitant
sur la môme terre ; et cette terre avec ce
qu'eUe contient étanf au Seigneur. C'est
donc le droit humain qui a réglé la portion
de ces sortes de choses que chacun doit pos-
séder en propre; et, c'est le seul titre sur
lequel nous pouvons nous fonder pour dire
avec justice : Cette maison est à moi, ce
fonds de tei-re est à moi, cet esclave est à
moi. Or, ce droit humain est uniquement
fondé sur les lois des princes : parce que
Dieu se sert d'eux pour donner de ces sortes
226
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
de lois aux hommes. H faut donc de deux
choses l'une : ou anéantir la puissance des
lois des princes, auquel cas il ne reste jdIus
de titre à personne, par lequel il puisse dire :
Ce fonds de terre est à moi ; ou il faut y
obéir comme à la règle certaine qui main-
tient chacnn dans la possession de ce qui est
à lui ; et en ce cas, au lieu de vous plaindre
vous aurez sujet de vous réjouir, quand il
ne resterait qu'un seul jardin à vos préten-
dues églises, et de reconnaître que vous le
devez à la douceur de la colombe, ne tenant
qu'à elle de vous le faire ôter, puisqu'il y a
des lois des empereurs par lesquelles il est
expressément défendu à ceux qui , étant
hors de l'Église catholique , ne laissent pas
de se parer du nom de chrétien , de rien
posséder au nom de leurs prétendues égli-
ses. »
^T?,^?.' 13. Parmi un grand nombre d'instnic-
taieraX""" tions morales répandues dans les traités
Traci. 10. ^^ g^j^^^ Augustin sur saint Jean, nous
remarquerons celle-ci : « Quand vous voyez
dans la maison de Dieu quelque chose de
déréglé; si c'est un ami, avertissez-le douce-
ment; si c'est votre femme, corrigez-la sé-
vèrement; si c'est un serviteur ou une ser-
^'ante, réprimez-les par un châtiment rigou-
reux ; faites tout ce que vous pourrez selon
l'état où vous vous trouvez, et vous accom-
plirez cette parole de l'Écriture : Le zèle pour
votre maison m'a consumé ; mais ne soyez pas
froid, lâche et indolent, ne regardant que
vous seul, et comme si vous n'aviez point
d'intérêt à guérir les péchés d'autrui. »
On ne rt.iii 14. « Jésus-Christ , dit saint Augustin,
p'éreTdu 'par- vovait dc dessus la croix où il était attaché ,
don de ses pé- ^ - i • , • ,
quelques-uns de ceux qui lui appartenaient
parmi le grand nombre des autres qui ne
lui appartenaient pas. Il demandait pardon
à son Père pour les premiers dans le temps
même qu'il en recevait une si sanglante
injure , ne considérant pas qu'ils le faisaient
mourir, mais seulement qu'il mourait pour
eux. Ce fut un grand avantage qu'il leur ob-
tint de son Père la rémission de leurs pé-
chés, afin que personne ne désespérât du
pardon des siens, voyant que ceux mêmes
qui firent mourir Jésus-Christ ont obtenu le
pardon d'un si grand crime. Mais s'il ne
faut pas désespérer de son salut, on ne doit
pas non plus différer à se convertir sur l'es-
pérance qu'on se convertira un jour : car, si
Dieu a proposé le port de son indulgence en
faveur de ceux qui se trouvent en danger
chés,
Trnd. 31
d'être submergés par la tempête du déses-
poir, il a laissé dans l'incertitude de la mort
ceux qu'un trop facile espoir de salut met
en péril, et qui se laissent tromper par l'at-
tente d'une conversion qu'ils' diffèrent de
jour en jour. Qu'est-ce que Dieu ne pardon-
nera point à celui qui est converti, après
avoir pardonné le sang de Jésus-Christ à
ceux mêmes qui l'ont répandu? Qui est l'ho-
micide qui doive désespérer après que celui
qui a tué Jésus-Christ a été rétabh dans l'es-
pérance de son salut? En effet, plusieurs de
ses bourreaux crurent en lui, son sang leur
fut pardonné, et Dieu le leur ayant fait boire,
les délivra du crime qu'ils avaient commis
en le répandant. »
15. 0 Si l'amour que nous avons pour le
monde ne nous empêchait pas de sentir no-
tre mal et d'en gémir, nous frapperions sans
cesse avec un esprit plein de respect et de
piété à la porte de Celui qui nous a appelés.
Le désir est comme le sein de notre cœur ;
ainsi à proportion qu'il croîtra en nous, no-
tre cœur s'étendra et deviendra capable de
recevoir avec plus d'abondance ces sortes
de sentiments. C'est ce que fait en nous la
lecture des Écritures saintes, l'assemblée des
fidèles dans les églises, la solennité des mys-
tères qui s'y célèbrent, le baptême et les
autres sacrements qu'on y reçoit, les canti-
ques que l'on y chante à la louange de Dieu,
les disputes que l'on y fait pour éclaircir les
vérités du salut : tout cela n'a pour fin que
de semer dans nos cœurs ce saint désir , de
l'y faire germer et croître jusqu'au point
d'étendue qu'il doit avoir pour nous ren-
dre capables de recevoir un jour en nous
ce que l'œil n'a point vu, ce que l'oreille n'a
point ouï, et ce que l'esprit de l'homme n'a jms
compris. Aimons ce bonheur ineffable, mais
souvenons-nous qu'il ne se peut faire que
celui qui aime Dieu, aime beaucoup l'ar-
gent. Regardons-le donc comme un petit se-
com's nécessaire dans le voyage de cette vie,
et non pas comme un bien auquel notre
cœur doive s'attacher. Servons-nous-en dans
nos nécessités, au lieu d'en jouir et de met-
tre notre plaisir dans cette jouissance. Re-
gardons la vie présente comme une hôtel-
lerie, et usons des biens temporels que Dieu
nous y donne , comme un voj'ageur use
d'une table, d'un verre, d'un lit et des au-
tres meubles qu'il y a dans une hôtellerie
où il se retire pendant qu'il est en voj-age. »
iC. « Que personne ne se trompe en di-
Ne s'alla
cher q u '
Dieu, et nnn
[las aux bicn-
périss^ibles.
Tracl. 4a.
[iv" ET r SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
sant qu'il aime Dieu, s'il ne garde pas ses
Ineiiis.eirex- commandements : car nous n'aimons Dieu
cpi'autant cpie nous les gardons ; moins nous
les gardons, moins nous l'aimons. Peut-U
rien manquer là où est la charité ? y a-t-il
quelque chose d'utile où la charité n'est pas?
Le diable croit et n'aime point ; mais on ne
peut aimer sans croire. C'est en vain que
l'on croit, si l'on n'aime point ; cependant il
se peut faire que sans aimer on espère
le pardon de ses péchés; mais il est certain
que personne n'en saurait désespérer, quand
il aime. Lors donc que la charité est en quel-
qu'un, il est infaillible que la foi et l'espé-
rance y sont aussi : l'amour de Dieu accom-
pagne nécessairement celui du prochain.
Pourquoi Jésus-Christ nous aime-t-il, sinon
afin que nous puissions régner avec lui? Ai-
mons-nous donc tous pom' la même fin, si
nous voulons distinguer notre amitié de
ceux qui ne s'entr'aiment pas dans la même
vue, parce qu'ils ne s'aiment pas véritable-
ment. Ceux-là s'aiment véritablement, qui
s'aiment pour posséder Dieu, et qui aiment
Dieu pour se bien aimer eux-mêmes. Or,
c'est un amour qui n'est pas dans tous les
hommes ; il s'en trouve très-peu qui ne s'ai-
ment eux-mêmes , qu'afin qiie Dieu soit tout
en tous. Où est la charité, là est la paix, et
où est l'humilité, là est aussi la charité. Per-
sonne ne saurait dire quelle est la figure et
la taille de la charité : elle a néanmoins des
pieds, puisqu'elle mène les justes à l'Église;
eUe a des mains , puisqu'elle donne l'au-
mône aux pauvres; elle a des yeux, puis-
qu'elle voit ceux qui sont dans la nécessité ;
elle a des oreilles, puisque c'est d'elle que le
Seigneur dit : Que celui qui a des oreilles pour
entendre, entende. Tous ses membres ne sont
pas distincts et séparés en lieux différents ;
mais celui qui a la charité comprend tout
ensemble dans son esprit toutes ces diverses
choses. Aimez et faites ce que vous vou-
drez ; soit que vous demeuriez en silence,
demeurez-y par charité ; soit que vous par-
liez à haute voix, parlez ainsi par charité ;
soit qne vous corrigiez qnelcpi'mi , corri-
gez-le par charité ; soit que vous pardon-
niez à un autre, pardonnez -lui par chari-
té. Que la racine de la charité soit dans le
fond de votre cœur, et soyez certain cpi'il
ne peut rien sortir que de bon de cette ra-
cine. »
17. « Ne méprisez pas les péchés légers ;
si vous les méprisez quand vous les pesez,
227
soyez-en épouvantés quand vous les comp- jj""' ' '"
tez. Plusieurs petites choses font un grand
amas; plusieurs gouttes d'eau remplissent
un fleuve ; plusieurs grains de blé font un
gros monceau. »
18. « Quand vous faites une bonne œuvi'e. En quel es-
^ uni 11 faut
si VOUS craignez d'avoir des spectateurs , „j™J„\%'°°"
vous n'aurez point d'imitateurs : il est donc EpTsT'j'oan.'"
bon que vous soyez vus quand vous faites
du bien; mais vous ne devez pas faire le
bien pour être vus. Méprisez-vous vous-même
quand les autres vous louent; que Dieu
seul, qui fait ce bien par vous, soit loué dans
vous. Lorsque vous donnez à un pauvre,
vous vous élevez peut-être au-dessus de lui,
et vous êtes bien aise de le voir soumis à
vous, parce que vous êtes l'auteur du bien
qu'il reçoit. Il était dans la nécessité, et c'est
vous qui l'avez assisté dans sa misère : vous
paraissez en cela plus puissant que lui ;
mais souhaitez plutôt qu'U devienne votre
égal, afin que vous soyez tous deux somnis
à Celui à qui personne ne peut rien donner.
Quelquefois l'orgueil fait qu'on revêt un
pauvre afin d'attirer les louanges humaines,
et quelquefois la charité fait qu'on châtie un
serviteur afin de le corriger. Mais les coups
qui partent de la charité sont plus agréa-
bles à Dieu que l'aumône qui vient de l'or-
gueil. »
19- « La crainte sert comme à disposer j/"/ Jj"'";',*.
dans votre cœur la chai-ité ; mais quand la Ep?s"jM„.'°
charité y est une fois entrée, elle en fait
sortir cette crainte qui lui avait préparé sa
place : car autant que la charité croit dans
le cœur, autant la crainte y diminue ; plus
l'une s'y enracine profondément, plus l'au-
tre sort au dehors : si la charité y est plus
forte, la crainte y sera plus faible; si la
crainte y est plus faible, la charité j^ sera
plus forte ; mais cpiand il n'y a aucune crainte
dans le cœur, il n'y reste aucune ouvertui'e
par laquelle la charité y puisse entrer. La
crainte perce et déchire la conscience; mais
n'appréhendez point ce mal , la charité y va
venir pour guérir toutes les blessures que la
crainte y a faites. Si vous ne craignez Dieu
qu'à cause des peines dont il vous menace,
vous n'aimez pas encore celui que vous crai-
gnez : vous ne désirez pas des biens, mais
vous craignez seulement des maux ; toute-
fois à force de craindre le mal, vous com-
mencerez à désirer les ^Tais biens, et votre
crainte deviendra chaste en n'appréhendant
plus que de les perdre.»
â2S
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
§ix.
De l'explication de l'Épître aux Romains et
aux Galates.
QuEsiinns 1. Saint Augustin, n'étant encore mie
sur l'EpSIic r-
aux Bomains, prêtre, fit UH voyage à Cartilage, A'ers l'an
vers 1 an 391, ^ ' .^ o O '
394. Il se rencontra que, dans une compa-
gnie où il était, on lut l'Epître aux Romains ;
ce qui donna occasion à ceux qui étaient
présents de lui faire des questions sur di-
verses difficultés de cette Épitre. Ils lui fi-
rent même trouver bon qu'on écrivît ses ré-
ponses. On en fit un livre dont il parle lui-
même dans plusieurs de ses écrits, particu-
lièrement dans le premier livre de ses Ré-
tractations, où il reconnaît que, n'ayant point
encore alors assez étudié la matière de la
prédestination, il avait parlé dans ce livre
comme si le commencement de la foi venait
de nous et non de la grâce. Les semi-péla-
giens ne manquèrent pas de citer cet ou-
vrage et de l'approuver comme contenant
leurs véritables sentiments , mais saint Au-
gustin en avouant ' qu'il avait alors pensé
comme eux, les exhorta depuis à sortir de
l'erreur, comme il en était sorti lui-même.
Ce livre est composé de quatre-vingt-quatre
questions et d'autant de réponses, dont plu-
sieurs, qui regardent la prédestination, font
le sujet des remarques qu'il fait sur ce livre
dans ses Rétractations.
Ejpiicaiion 2. Cc fut aussl durant sa prêtrise - qu'il
ds rÉpîlro aux . ,, ,. , ., i . J, .
Ron.oms.^ers entreprit d expliquer de suite la même Epi-
l'an 354, pag. ^ .,,.,, ,
s^"' tre aux Romams. Mais la longueur et la
difficulté d'un si grand dessein le lui firent
quitter pour s'appliquer à d'autres ouvrages
plus faciles. Ainsi il n'en acheva que le pre-
mier livre qui ne contient que l'explication
du titre, et de la salutation de celte lettre. Il
est vrai qu'il s'y arrêta assez longtemps sur
une question incidente touchant le péché
contre le Saint-Esprit, qu'il met dans l'im-
pénitence finale. Il est parlé de ce livre dans
Cassiodore ^, qui fait aussi mention du com-
mentaire de ce Père sur l'Épître aux Ga-
lates.
Ce qu'il y a 3. On voit par cctte explication que saint
Mo'r.°s''Ms Augustin ne doutait pas que l'Épître aux
exil icat.ons. jj^]-,j,g^yj^ j^g f^^^ jg saîut Paul ' ; mais il re-
marque qu'elle n'est point intitulée de son
nom , parce que les Juifs, trop irrités contre
lui, n'auraient pas voulu la fire s'ils avaient
su qu'il en était l'auteur. Il ajoute que cette
différence d'avec les autres Épîtres de cet
Apôtre, qui toutes, excepté celle-là, sont
marquées de son nom, avait été cause que
quelques-uns ne voulaient pas la mettre au
nombre des canoniques. Voici ce qu'on peut
encore remarquer dans ces explications : « La
vraie justice de l'homme consiste à n'aimer
en nous que ce qu'il y a de Dieu, et à y haïr
ce qu'il y a de nous-mêmes ; à ne point dé-
fendre ses propres fautes, ni les rejeter sur
les autres , mais à n'en blâmer que nous ; à
ne point se contenter de se déplaire dans le
péché, mais â travaiUer avec soin à s'en cor-
riger ; à ne point s'imaginer que nos propres
forces soient suffisantes pom' éviter les pé-
chés, si nous ne sommes aidés de Dieu. Les
tribulations et les peines dont la justice di-
vine punit les péchés , ne portent pas les
bons et les justes à en commettre de nou-
veaux, puisque les péchés leur déplaisent
plus qu'aucune peine corporelle; mais ces
peines au contraire servent à les purifier en-
tièrement de toutes les souillures du péché.
Nous jouirons un jour d'une paix parfaite,
même selon le corps, si nous conservons ici
constamment et inviolablement la paix que
Notre-Seigneur nous a donnée par la foi. »
4. Quelque temps avant cette explication
de l'Epître aux Romains, et immédiatement'
après son ,livre des Quatre-vingt-quatre
questions sur la même Épître , il expliqua
l'Épître aux Galates, non par endroits comme
celle aux Romains , mais de suite et tout
entière : ce qui ne fait néanmoins qu'un li-
vre, parce qu'il se contente d'y éclaircir le
texte, sans s'éloigner de son sujet. Il y dit
que tous ceux qui ont été justifiés dans l'An-
cien Testament, l'ont été par la même foi que
nous : avec cette difl'érence, que ce que nous
croyons en partie comme étant déjà passé,
savoir le premier avènement de Notre-Sei-
gneur ; et en partie comme futur, savoir le
second avènement ; ils croyaient l'un et l'au-
tre comme à venir, par l'inspiration du
Saint-Esprit qui les leur révélait, afin qu'ils
fussent sauvés. Il veut qu'en corrigeant les
pécheurs, on ne pense qu'à les guérir, et
non à leur insulter ; à les secourir, et non à
leur faire des reproches ; et remarque que
plusieurs qui d'abord n'avaient souiïert les
Expîicalk
dclÉpîlreai
Gdlale^,
l'an 49i, pa
9'.».
* August., lib. De Prœd.,
2 Lib. I Retract., cap. xxiii.
cap. ni et. iv. —
9 Cassiod., Inst., cap. vnl. — ' Exp.; Epist. ad
Rom., nuui. M. — * Lib. I Rctract., cap. xxiv.
[IV" ET V' SIÈCLES.'
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
229
répréhensions qu'avec chagrin, rentrant en-
suite en eux-mêmes, s'étaient repris encore
plus sévèrement , et s'étaient corrigés , la
vertu des paroles salutaires qui leur avaient
été dites, ayant pénétré peu à peu jusques
dans les moelles de leurs âmes. Une autre
règle qu'il prescrit pour les corrections, c'est
de ne les point faire sans connaître claire-
ment qu'on ne les fait que par une pure
charité. Il ajoute : « Si les injures, ou les me-
naces, ou les persécutions de ceux que vous
reprenez vous ont ulcéré l'esprit, quoique
vous espériez pouvoir les guérir, n'entre-
prenez pas néanmoins de leur rien répon-
dre, jusqu'à ce vous ayez premièrement
guéri le trouble do votre esprit : autre-
ment tout ce que vous pourriez dire avec
un esprit ému , serait plutôt l'effet d'une
impétuosité de vengeance , que d'un pur
zèle de correction. »
• §x.
Des ouvrages faussement attribués à saint
Augustin.
\ . L'appendice du troisième volume con-
tient plusieurs ouvrages attribués à saint
Augustin dans quelques manusci'its , mais
qu'on convient aujourd'hui n'être point de
lui. Le premier qui est divisé en trois livres,
est intitulé : Des Merveilles de l'Écriture
sainte. L'auteur rapporte dans le premier
ce qu'il y a de merveilleux dans les livres
historiques de l'Ancien Testament. Il dé-
taille dans le second les merveilles rappor-
tées dans les livres des prophètes ; et dans
le troisième, celles que l'on trouve dans le
Nouveau Testament. Cet ouvrage est mal
écrit, et n'a rien ni du style ni du génie de
saint Augustin, comme saint Thomas le re-
connaît' dans sa Somme. On croit qu'il
est d'un auteur anglais ou hibernais : on
en juge ainsi parla manière dont il pai-le^
du flux et du reflux de la mer qui se fait
aux côtes des îles Bi-ita uniques; et par ce
qu'il dit de la mort d'un manichéen hiber-
nais ^ Il fait aussi connaître, en parlant des
cycles, qu'il écrivait après l'an 660.
Lhre des 2. Lo socoud a pour titre : Des Bénédictions
^jiatriarche du patriarc/w Jucoh. C'est un fragment des
Questions d'Alcuin sur la Genèse , tiré en
1 Thomas. III, QliŒSt. 45, art. 3. — 2 Lib. 1,
cap. VII. — ^ Lib. II, cap. m. — * August., lib. III
De Doct. Christ-, cap. xsx,
Pag.
partie des Questions de saint Jérôme sur le
même livre , et en partie des Mot^ales de
saint Grégoire sur Job. Il se trouve, mais
avec quelques différences, soit pour l'arran-
gement, soit pour les paroles, dans le troi-
sième livre du Commentaire sur la Genèse,
atti'ibué autrefois à saint Eucher, évêque de
Lyon, et imprimé sous son nom dans la Bi-
bliothèque des Pères.
3. Le troisième est un recueil d'un grand
nombre de questions sur l'Ancien et le Nou-
veau Testament, où l'auteur s'éloigne entiè-
rement des sentiments de saint Augustin
sur la création de la femme, sur l'origine
de l'âme, sur l'évocation de Samuel, et sur
plusieurs autres difficidtés de l'Écriture.
Quelques-uns ont cru que c'était l'ouvrage
d'Hilaire, diacre de l'Église romaine, sous
le pontificat du pape Damase. On y trouve
en effet plusieui's opinions et plusieurs
maximes exprimées dans les mêmes tei-
mes que dans le Commentaire sur saint
Paul, qui porte le nom de cet auteur. Mais
il y a apparence que toutes ces questions ne
sont pas d'une même personne : car il y a
des manuscrits où il ne s'en trouve que 127,
d'autres qui en contiennent 151.
4. Le quatrième contient 19 homélies sur
l'Apocalypse de saint Jean, tirées des com-
mentaires de Victorin, de Primatius et de
Bède. Quelques-uns les ont attribuées à Ty-
conius le donatiste, ne faisant point atten-
tion que ces homéhes, au lieu de favoriser
les erreurs des donatistes , les combattent
expressément, et que la rebaptisation est
condamnée dans la sixième, où l'auteur ex-
plique le onzième verset du huitième chapi-
tre de l'Apocalypse. Il n'y a rien non plus
dans ces homélies , des explications que
Bède rapporte comme étant de Tyconius ;
ni de ce qu'il disait dans son Commentaire
sur l'Apocalypse, pour montrer que sous le
nom d'anges *, dont il est parlé dans ce livre,
il faut entendre lesÉghses.
ARTICLE V.
DES ÉCRITS CONTENUS DANS LE QUATEIÈMB TOME.
Explication des Psaumes.
1 . Comme saint Augustin en commençant Ex^icat on
° . oes Peaumes,
l'Explication des Psaumes , ne se proposait j',»^'™. ''"''
pas de les expliquer tous, ne se mit pas
beaucoup en peine de les prendre de suite,
ni de s'assujettir à l'ordre qu'ils gardent dans
Sur l'Apnra-
lypse de saint
Jean, pag.
159.
230
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
nos Bibles, cela paraît par son commentaire
sur le psaume lxvi, où il cite ceux qu'il avait
fait sui- les psaumes en et cm. H cite
aussi l'explication de ce dernier psaume
en expliquant le cii , et dans celle du psau-
me Lxxx il semble marquer ce qu'il avait
dit sur le psaume cm. Il expliquait donc
ces cantiques suivant les diverses occasions
qu'il en trouvait , ou qu'on lui faisait naître.
Par exemple, il expliqua le psaume cxxxixàla
prière de quelques évêques avec qui il était
assemblé; le xciv par l'ordre de son père,
c'est-à-dire, ou d'Aurèle de Cartbage, ou
du vieillard Valère dont il était coadjuteur ;
et le cm pour faire plaisir à ime personne
de grande autorité dans la viUe de Gartliage.
Il paraît néanmoins par ce qu'il dit sur
le psaume cxxii, qu'il avait dessein d'ex-
pliquer de suite les quinze psaumes gra-
duels, et que lorsqu'il entreprit d'expliquer
le cxxv et le cxxxi, il avait déjà expliqué les
précédents, si l'on en excepte le cxviii, sur
lequel il ne fit de commentaire , qu'après en
avoir fait sur tous les autres. « J'en dififé-
rais, dit-il ', l'explication, non pas tant à
cause de sa long-ueur, qui comme l'on sait
est extraordinaire, que pour la profondeur
des mystères qu'il cache, et que peu de per-
sonnes découvrent. Mais nos frères, voyant
avec peine qu'il ne manquait que ce psaume
pour rendre cet ouvrage parfait , et me
pressant avec instance de m'acquitter de
cette dette , j'ai été longtemps à me rendi'e
à leurs prières et à leurs commandements.
Toutes les fois que je commençais ceite en-
treprise , je la trouvais toujours au-dessus.
de mes forces : car plus ce psaume paraît
d'abord être clair, et n'avoir rien que d'aisé
et de facile, plus les mystères qu'il cache
sous cette clarté apparente m'ont semblé
profonds, en sorte que je ne pouvais pas
même en montrer la profondeur. Dans les
autres psaumes dont le sens pai-aît obscur,
on voit du moins qu'ils sont difficiles à ex-
pliquer, et leur obscurité se fait voir tout
d'un coup à tout le monde ; mais celle de ce
psaume ne se voit pas môme, et la surface
en paraît si facile , qu'il semble qu'il ne
Faille que le lire ou l'entendre réciter, sans
qu'il soit nécessaire d'en donner aucune ex-
plication. M
Ed quelle
manière
On ne sait pas bien en quel temps saint
Augustin commença ses Commentaires sur
les Psaumes, ni en quel temps il les acheva;
mais on voit par sa lettre^ à Paulin, écrite
vers l'an 414 , qu'il avait déjà dicté une
courte explication du psaume xvi ; et par
celle qu'il écrivit ' à Évodius sur la fin de
l'an 413, qu'il avait depuis peu expliqué les
psaumes lxvii, lxxi et lxxvii. Il prie même
cet évêque de ne le point détourner de ce
travail en lui proposant d'autres questions ,
quelles qu'elles fussent ; ce qui donne lieu de
conjecturer que n'ayant point voulu inter-
rompre ses Commentaires sur les Psaumes, il
les acheva en 41G au plus tard.
2. Il expliqua les Psaumes de David * ,
partie en parlant au peuple, et partie en "^^"^"e^s. '"
dictant; et quelques-uns '^ même, de l'une
et l'autre manière. Possidius marque en par-
ticulier ceux que ce Père a dictés, et observe
que ce sont les plus courts. Il dit qu'excep-
té le psaume cxvm, il a expliqué tous les
autres devant le peuple en 123 discours. Ces
psaumes sont en beaucoup plus grand nom-
bre que les autres, parce que saint Augus-
tin se plaisait à instruire son peuple des vé-
l'ités de l'Ecriture. Ils sont aussi plus animés
que les commentaires qu'il a dictés, et plus
remplis, parce qu'il y cherchait à satisfaire
l'avidité de son peuple pour la science
de l'Église ^ Le Saint y mêle de temps en
temps des exhortations si véhémentes et si
pathétiques, qu'on ne peut même les lire
sans en être vivement touché, et sans se
sentir le cœur embrasé du même feu qui
embrasait le cœiu' des disciples, tandis que Lut
Jésus-Christ leur parlait, et leur expliquait
les Écritures. C'est ce qu'expérimenta saint
Fulgence en lisant l'explication du psaume
xxxvi , où saint Augustin parle du jugement
dernier, parce qu'on avait lu dans l'office
du jour, le vingt-quatrième chapitre de saint
Matthieu. Saint Fulgence frappé de ce que
ce Père dit sur ce sujet ' , résolut de rendre
public le dessein qu'il avait conçu depuis
quelque temps de renoncer au monde, et de
changer d'habit.
3. On ht dans un manuscrit que saint Au- Enquei
,. , . , lieu il les a
gustm expliqua le quarante-quatrième psau- osçiiquês;.di-
me étant à Cartbage ; il donna l'explication "=?»•
des autres à Hippone et en d'autres enckoits
' August., Prolog, in Psalm. cxvin, pag. 277.
2 Augusl., Epist. 149, num. 5. — •' Epist. IK!),
jnuTi. I.
* Prolog, in Psalm. cxvni. — ^ Possid., cap. vi,
iu Indiculo. — ^ Cassiod., Prolog, in Psalm.
'• Fcrraud, iu Vil. Fulg., cap. in.
[IV' ET \° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTLN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
231
suivant qu'il en trouvait l'occasion. Dans le
sixième siècle ' on divisait toutes les expli-
cations qu'il a données des Psaumes en
quinze décades ou quinze parties, compo-
sées chacune de dix psaumes ; ce qui se
trouve encore dans trois manuscrits, un de
l'Égiise de Paris, et deux de la Bibliothèque
de M. Golbert ; mais comme Possidius ne dit
rien de cette division, il y a apparence
qu'elle ne vient pas de saint Augustin,
le quelle 4. Qq Pèrc SB sorvit dans l'explication des
loD saint 1
Augusiia se Psaumcs, de la version latine faite du grec.
parce qu'il ^ n'avait pas encore celle que
saint Jérôme fit sur l'hébreu. Mais pour
plus grande exactitude, il consulta les diffé-
rents exemplaires latins, et les conféra avec
le texte grec des Septante, pour déterminer
le sens des endi'oits, où le latin pouvait en
avoir plusiem's, et pour corriger aussi quel-
ques fautes de latin.
LesPréfa- S. Los Commentaires de saint Augustin
pïaumK m sur les Psaumes , sont précédés de trois pré-
sent point de » t i . t ■ i
^aini AuguE- taces, dont aucune n est de lui. La première
.in. ' ^
qui est la plus longue, est d'un auteur très-
récent ; la seconde est celle de saint Basile
sur les Psaumes, de la traduction de Ruffin;
la troisième ne s'accorde pas avec saint Au-
gustin touchant l'auteur des Psaumes, puis-
qu'on y enseigne qu'ils ne sont pas tous de
David ; tandis que ce Père croit l'opinion
contraire plus probable ' .
EsthM qu'on 6. Il citc lui-mèmc ses Commentaires sur
fait de ces , 7 ? ^-y ■ i
tommeniai- les Psttumes daus ses livres de la Cité de
es.
Dieu, et y renvoie * ceux qui voudront sa-
voir combien David a prophétisé de choses
touchant Jésus-Christ et l'Église. Cassiodore y
eut recom'S ^ lorsqu'il entreprit une nouvelle
explication des Psaumes, et il reconnaît
« qu'il avait tiré quelques ruisseaux de cette
mer de science et d'instruction. » C'est ainsi
qu'il appelle ces Commentaires dont il parle
ailleurs ^ « comme d'un ouvrage fait avec
autant de soin cpie d'étendue. » Il en est
parlé aussi avec éloge dans une petite pièce
de poésie ' mise à la tète d'un abrégé de
ces Commentaires fait par un nommé Annon
à l'ordre de Landuîfe, en faveur de ceux
qui n'avaient pas le moyen d'acheter l'ou-
vrage entier, ni assez de temps ou d'appli-
cation pour le lire.
Méthode de 7. Saint Augustin ne s'arrête pas beau-
coup ordinairement à développer le sens î?^°^j„'^"f.,",':
littéral des Psaumes ; mais pom- peu qu'il ^'j^'j,"" ''"'
soit intelligible, il passe au sens figuré,
cherchant et trouvant partout Jésus-Clu'ist
et son corps, qui est l'Église, avec la double
charité qui comprend toute la loi et les pro-
phètes. Il suit cette méthode non-seulement
dans les discom's faits au peuple sur les
Psaumes, mais encore dans les explications
qu'il en a dictées, où il lui était libre de se
fixer à un sens plutôt qu'à un autre. Quel-
quefois il donne jusqu'à trois sens d'un
même psaume, l'entendant premièrement
de Jésus-Christ, ensuite de l'Église qui est
son corps, puis de chacun des fidèles. Sa
raison de rapporter à la charité toutes les
connaissances et toutes les instructions
qu'on découvre dans les paroles divines,
c'est qu'il est dit dans l'Évangile que toute Mauii.xxn,
la loi et les prophètes ne consistent que dans les
deux jjréceptes de la charité de Dieu et du pro-
chain, et que saint Paul dit aussi que la fin itium.s.
du précepte est la charité. C'est sur cela qu'il
déclare à son peuple en expliquant le
psaume cent-quarantième, que tout ce que
nous concevons et tout ce que nous disons
de bon, et tout ce que nous tirons de quel-
que endroit que ce soit de l'Écriture, a pour
unique fin et seul but, la charité ; que nous
n'y devons pas chercher autre chose ; qu'elle
est cachée dans tout ce qu'il y a d'obscm",
et qu'elle paraît visiblement dans tout ce qui
est clair et manifeste. Avec le secom-s de
cette règle, saint Augustin fait voir que tou-
tes les paroles des Psaumes, qui paraissent
autoriser les malédictions et les vengeances,
sont seulement des prophéties et des prédic-
tions des malheurs qui doi\ent arriver aux
pécheurs s'ils ne se convertissent. David en
demandant d'être délivré de ses ennemis ou
de les vaincre, demande de ne point suc-
comber aux tentations. Par les ennemis de
ce saint roi on doit entendre non-seulement
les. démons ou les pécheurs, mais aussi les
passions mauvaises qui en cette vie sont un
obstacle à notie salut ; les promesses qui
semblent dans les Psaumes ne regarder que
les biens temporels, doivent s'entendre des
biens éternels. Tout ce qui y est dit, doit se
rapporter à l'édification des âmes, à l'ins-
truction des fidèles, à la pratique de la
1 Cassiod., Prolog, in Psal., cap. xxviii. —
2 August., Epist. 261. — 3 August., lib. XVII De
Civil. Dei, cap. xiv. — * Ibid. cap. xv.
>> Cassiod., Prolog, in Psalni. — ' Idem, Instit.,
cap. IV.
^ Prcef. Bened. i7\Aug- Psal. ccx.xvj.
232
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
vertu. C'est pour inculquer plus aise'ment
toutes ces vérités, cpie saint Augastin fait
souvent parler Jésus-Christ par la bouche
de David, suivant en cela l'usage de plu-
sieurs anciens commentateurs. Mais comme
on trouve plusieurs endroits dans les Psau-
mes où le Sauveur semble s'attribuer non-
seulement les infirmités humaines, mais
aussi des péchés , le saint Docteur avertit
qu'on ne doit point en les lisant séparer
Jésus-Christ de ses membres, mais le regar-
der comme uni par un lien indissoluble au
corps entier de l'Église dont il est le chef.
RéDe'i-ms g. Tous CCS seus différents que l'obscurité
remarqualiies , -*-
dons CCS es- même de l'Ecriture fournit, donnent lieu à
Saint Augustin de faire un grand nombre de
réflexions mortiles sur toutes sortes de s'ujets.
iDPsai.iv. Nous en rapportons quelques-unes : «L'on
ne doit aimer que les biens intérieurs ; pour
tous les autres, on en peut user dans la né-
cessité, mais non pas en jouir pour le plai-
sir. L'âme qui s'abandonne aux plaisirs du
monde est toujours embrasée d'une cupidité
qui ne peut être satisfaite ; et étant partagée
par une inimité de passions qui la déchirent,
elle est incapable de contempler le saint et
vrai bien qui seul peut la rendre heureuse.
lu Psai. Ti. Lorsqu'elle s'efforce de s'avancer vers Dieu,
elle se trouve souvent si ébranlée et si chan-
celante dcins ses voies, quelle n'accomplit
pas ses bons desseins, de crainte de choquer
des personnes avec qui eUe a à vi-sTe, et qui
n'aiment que les biens passagers. Les raille-
ries des impies sont aussi quelquefois si
puissantes sur les esprits des personnes fai-
bles, qu'elles les font rougir de mener une
inPsai.is. vie digne du nom de Jésus-Christ. C'est par
un secret jugement que Dieu fait sentir des
peines à chacun des hommes, c'est ou pour
les exercer, afin qu'ils se purifient ; ou pour
les avertir afin qu'ils se convertissent; ou
s'ils méprisent ses corrections et ses avis,
pom' les aveugler, afin de les punir éter-
nellement. L'âme ne se convertit à Dieu
qu'en se détachant du monde : et rien n'est
plus capable de l'en détacher que les déplai-
sirs qui se mêlent dans ses vains et perni-
cieux plaisirs. Mais les pécheurs sont telle-
ment serrés par les hens de leurs plaisirs cri-
minels, qu'ils ne peuvent en détacher leur af-
fection, pour la porter à des choses qui leur
seraient avantageuses; et, quand ils font
des efforts pour en sortir, ils ressentent dans
leur âme une douleur pareille à celle des
captifs, qui se tourmentent pour se délivrer
de leurs chaînes; de sorte que, succombant
à cette douleur, ils ne peuvent se résoudre à
quitter ces plaisirs pernicieux. »
9. « Dieu n'est jamais plus en colère, que
lorsqu'il ne châtie pas les péchés, et qu'il
semble les oublier et n'y prendre pas garde.
C'est donc une marque qu'il aime ceux qu'il
prend soin de châtier; mais de crainte que,
s'endormant dans une trop grande sécurité ,
ils ne vivent avec plus de relâchement et de
négligence, il les prive de la douceur de son
amour, quand il connaît qu'il leur est plus
utile de le craindre. Nous devons, en chan-
tant les Psaumes, conformer nos mouvements
à ceux qu'inspirent ces cantiques. Si donc
un. psaume prie., priez aussi avec lui; s'il gé-
mit, gémissez aussi; s'il se réjouit en Dieu,
réjouissez -vous aussi; s'il espère, espérez
aussi; s'il craint, craignez aussi : car tout ce
qui y est écrit, est comme un miroir auquel
notre âme doit se conformer. Les vrais cris
que Dieu entend ne sortent pas de la bou-
che, mais du cœur ; plusieurs, gardant le si-
lence des lèvres, ont fortement crié vers
Dieu du fond du cœur ; et plusieurs , au
contraire, poussant de leur bouche de gran-
des clameurs , pendant que leur cœur était
détoxirné de Dieu, n'en ont pu rien obtenir.
Si donc vous criez à Dieu, criez au dedans
de vous, où Dieu vous entend. Vous voulez
vous venger, vous qui êtes chrétien; ne sa-
vez-vous pas que Jésus-Christ n'est point
encore vengé? Vous avez souffert des inju-
res et des persécutions : est-ce que Jésus-
Christ n'en a pas souffert? Ne les a-t-il pas
endurées le premier poiu- l'amour de vous,
sans qu'il y ait eu rien en lui qui ait mérité
qu'il les souffrît? Aimez, mais prenez garde
à ce que voxis devez aimer. L'amour de Dieu
et du prochain est appelé charité, et l'a-
mour du monde cupidité. Réprimez la cupi-
dité dans votre âme et allumez-y la charité.
Si vous avez de la foi, vous vous tiendrez
sur vos gardes, et vous vous efforcerez d'é-
viter le péché. Alors Dieu regardera vos
efforts, il considérera votre bonne volonté ,
et il sera le spectateur des combats que
vous livi'erez contre votre chair. C'est lui qui
vous exhorte à combattre, et qui vous aide
pour vaincre : il vous regarde quand vous
combattez, il vous relève quand il vous voit
prêts à tomber, et il vous couronnera lorsque
A'ous aurez achevé de vaincre. Il n'oubhe
point sa miséricorde en exerçant sa justice,
ni sa justice en exerçant sa miséricorde. Il
[iv° ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN ,
a pitié des pécheurs; et il appelle ceux qui
se sont détournés de lui. Il pardonne les pé-
chés à ceux qui se sont convertis, mais il ne
les pai'donne pas à ceux qui ne se convertis-
sent point : n'étant pas juste que Dieu traite
également ceux qui sont convertis , et ceux
qui ne le sont point ; ni qu'il reçoive avec la
même bonté celui qui dénie ses fautes, et
celui qui les confesse; l'humble et le su-
In Psai. perbe. Il n'y a rien de meilleur dans l'afïlic-
tion que de se retirer de tous les bruits ex-
térieurs, pour rentrer dans l'intérieur et le
secret de notre âme , afin d'y invoquer Dieu,
sans que personne soit témoin de nos cris,
ni du secours que Dieu nous y donne ; de s'y
humilier dans la confession de ses péchés ;
et d'y louer Dieu également, soit qu'il nous
châtie, soit qu'il nous assiste. »
Suite. 10. « Je \eux, dit-il, que le jour du juge-
ment dans lequel Dieu rendra aux justes et
In Psai. aux injustes ce qu'ils méritent, soit encore
XXVI, d T. 7
bien éloigné ; mais il est certain que votre
dei'uier jour est proche ; et c'est à celui-là
que vous devez vous préparer, puisque vous
paraîtrez à ce grand jour de la vie future,
tel que vous serez au sortir de la vie pré-
sente. Quand Dieu nous jugera, il n'y aura
point d'autre témoin que notre conscience
In Psai. pour nous accuser : ainsi, entre un juge juste
et notre propre conscience nous n'avons à
craindre que la faiblesse de notre cause. Je
ne veux pas que vous commettiez l'usure,
et je ne le veux pas, parce que Dieu vous
le défend. Car quand je ne le voudrais pas,
si Dieu le voulait bien, vous pourriez le faire
sans crainte; comme au contraire, si Dieu
ne le veut pas, vous ne le pouvez sans pé-
ché, quoique je vous le permisse. Si vous
exigez donc plus que ce que vous avez prêté,
soit que ce soit de l'argent ou du blé, ou du
vin, ou toute autre chose, vous êtes usmùer
et par conséquent vous méritez d'être re-
pris. L'usurier veut plus recevoir qu'il n'a
prêté : faites-en de même. Donnez de petites
choses et recevez-en de grandes; donnez des
biens temporels, , et recevez des biens éter-
nels; donnez la terre, recevez le ciel. Les
pauvres ont besoin de vous, et vous avez
In Piai. besoin de Dieu. Si vous ne méprisez pas
ceux qui ont besoin de vous, Dieu ne vous
méprisera pas, vous qui avez besoin de lui.
Remplissez donc l'indigence des nécessiteux,
afin que Dieu remplisse votre âme de ses
xvn,.'"''''' dons. Vous n'étiez point, et vous avez été
faits : qu'avez-vous donné pour cela à Dieu ?
ÉVÊQUE D'HIPPONE.
233
In Psal.
XXXVIII,
Vous étiez méchants, et vous avez été délivrés
du péché ? Que lui avez-vous donné ? Et que
n'avez-vous point reçu gratuitement de sa
bonté? C'est parce que ses dons sont gra-
tuits qu'ils sont appelés des grâces : c'est
encore pour cela qu'il demande de vous,
que vous le serviez gratuitement. Plusieurs
n'ont point de honte de pécher, et ils en ont
de faire pénitence. 0 foHe incroyable ! Vous
ne rougissez point de vos blessures, et vous
rougissez des remèdes qu'on y applique
pour les guérir. Le Seigneur pardonne à ce-
lui qui confesse son péché, et qui le punit
aussi lui-même. De celte manière il conserve
sa miséricorde en ce que le pécheur est dé-
livré; et sa justice en ce que le péché est
puni. A la mort la pénitence sera inutile, inPsai. u,
parce qu'elle viendra trop tard. Voulez-vous
que la pénitence vous soit utile? n'attendez
pas si tard à la faire. L'Église a différé de
recevoir ce pécheur à la pénitence, de peur inPsai.Lxi,
qu'il ne vînt à elle que pour la tenter; et
enfin elle l'y a reçu, de peur qu'il ne fût inPsai,
tenté lui-même plus dangereusement, si elle
différait davantage à le recevoir. Il ne nous
est pas expédient de ne point avoir de tenta-
tions; et nous ne devons pas demander à
Dieu de n'être pas tentés, mais seulement
de ne pas succomber à la tentation. Aimez et
craignez : aimez les biens que Dieu promet :
craignez les maux dont il menace ; et vous
ne pourrez être corrompu par les promesses
des hommes, ni épouvanté par leurs mena-
ces. Quand Dieu donne aux bons les biens i" p^"'-
LIVI,
temporels, c'est pour les consoler dans les
travaux de leur pèlerinage sur la terre ; et
quand il les donne aux méchants, c'est pour
apprendre aux bons à désirer d'autres biens,
qui ne puissent leur être communs avec les
méchants. Quand Dieu ôte aux bons les
biens temporels, c'est pour leur apprendre
quelles sont leurs forces, et leur faire con-
naître la disposition de leurs cœurs, qui
peut-être leur était cachée. La félicité du ^j„„',° P'"'-
monde est encore plus à craindre que sa
misère; car souvent la misère nous fait ti-
rer un fruit avantageux des souffrances ; la
féhcité, au contraire, corrompt l'esprit par
une sécurité pernicieuse, et donne lieu au
démon de nous tenter et de nous perdre. »
11. (1 Si vous négligez de confesser vos pé- suiio.
elles, il n'y a plus lieu d'espérer miséricorde ;
et si vous vous rendez le défenseur de votre
péché, comment Dieu en sera-t-il le libéra-
teur? Si donc vous voulez qu'il vous en dé-
234
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
livi'e, accusez-vous-en. Priez-le qu'il détourne
sa vue de vos péchés et non pas de vous :
In psai. qu'il la détourne de ce que vous avez fait,
et non pas de ce cju'il a fait : car il vous a
fait homme, et c'est vous qui vous êtes fait
pécheur. Quels vœux doit on faire à Dieu î
In p-ai. De croire en lui, d'espérer de lui la vie éter-
nelle, de bien vivre dans la vie commune,
et d'accomplir les commandements qui sont
communs à tous les chrétiens : c'est là ce
que doivent vouer tous les fidèles. Il y a
aussi des vœux particuliers que chacun peut
faire, pourvu que l'on considère bien l'obli-
gation où l'on est de les accomplir : car si
après les avoir faits, l'on vient à regarder en
arrière, on fait mal. Une vierge humble est
préférable à une femme mariée qui est
superbe; mais une vierge superbe est moins
estimable qu'une femme mariée qui est
In Psai. humble. Chacun des fidèles peut dire : Je
SUIS saint ; et ce n est pas la la manière de
parler d'un homme superbe, mais la confes-
sion de l'homme qui n'est pas ingrat ; dites
donc hardiment à Dieu : Je suis saint, parce
que vous m'avez sanctifié; parce que j'ai
reçu de vous cette sainteté, et non parce
que je l'ai eue de moi-même ; parce que
vous me l'avez donnée, et non parce que je
l'ai méritée. Tirez de votre chef votre di-
gnité. Tous les martyrs qui sont avec Jésus-
Christ intercèdent sans cesse pour nous ; et
leurs intercessions ne finiront point que nos
gémissements dans cette vie ne soient pas-
in Psai. ses. La confession des péchés doit toujours
marcher la première, puis être suivie d'une
pénitence salutaire qui soit capable de cor-
riger l'âme. Dieu a promis d'une part aux
In Psai.ci. hommes le port salutaire de son indulgence,
de crainte que par désespoir, ils ne s'aban-
donnassent dans ime vie plus criminelle ; et
de l'autre, il les a laissés dans l'incertitude
du joiu" de leur mort, de peur que sous l'es-
pérance du pardon, ils ne péchassent da-
vantage; réglant ainsi les choses par un
ordre admirable de sa providence, afin que
ceux qui voudraient revenir à lui pussent
être reçus ; et que ceux qui différeraient de se
convertir, eussent toujours devant les yeux
In psai. un juste sujet de trembler. Ne méprisez au-
cun pauvre lorsqu'il vous demande ; don-
nez-lui si vous le pouvez ; et, si vous ne le
pouvez pas, du moins témoignez-lui de la
compassion et de la doucem". Cherchez et
informez-vous comment vit le pauvre ; ce
ne sera pas une curiosité blâmable. Il y en
In Psal.
CXVIIl.
In Psal.
cr.Lvii.
a qui viennent à vous pour vous demander,
mais il y en a d'autres que vous devez pré-
venir, afin qu'ils ne soient pas obligés de
vous demander. Les désirs illicites de la
convoitise opèrent malgré nous ce que l'A-
pôtre appelle péché ; mais si notre volonté
n'y prête point sou consentement, quoique
les affections de notre cœm- en soient émues,
le péché ne produit en nous aucun effet.
Vous ne savez à quelle heure le Seigneur
viendra, veillez donc toujoui's, afin qu'il
vous trouve prêts à le recevoir ; et n'est-ce pas
peut-être, afin que vous ayez soin d'être tou-
jours prêts, qu'il ne veut pas que vous sa-
chiez quand il viendra? Votre superflu vous
devient nécessaire poru- vous-même, lorsque
vous l'employez au soulagement des pauvres.
Nous aurions beaucoup de superflu, si nous
nous réduisions au irécessaire ; mais si nous
voulons chercher des choses inutiles, nous
n'en aurons jamais assez : ne cherchez donc
que ce qui suffit à l'œuvre de Dieu, et non à
votre cupidité. Le superflu des riches est le
nécessaire des pauvres : c'est garder le bien
d'autrui, que de garder notre superflu. Re-
tranchez quelque chose de fixe et de réglé,
ou de vos revenus ordinaires, ou de ce que
vous gagnez tous les jours > et destinez-le cxn/" '''"''
pour les pauvres. Sera-ce la dime? C'est
bien peu; puisque les pharisiens en don-
naient autant : et toutefois l'Évangile nou.,;
enseigne que votre justice doit surpasser la
leur.»
12. Les explications de saint Augustin sur Pnèrs à la
■^ *- fin des Coni-
les Psaumes, finissent par une prière qu'il "fp//^f„,ç"/
avait, dit-on, coutume de réciter après cha-
cun de ses discours ou traités ; on la trouve
en mêmes termes, après le sermon 183% qui
est sur la première Épitre de saint Jean et
encore ailleurs, la voici : » Tournons-nous
(( vers le Seigneur notre Dieu, le Père tout-
ce puissant, et rendons -lui avec uu cœur
« pur, d'aussi grandes et d'aussi abondan-
« tes actions de grâces que nous eu som-
« mes capables dans notre faiblesse. Implo-
« rons de toute la force de notre esprit sa
« miséricorde infinie, et supplions-le qu'il
« daigne écouter favorablement nos prières,
« qu'il chasse par sa puissance l'ennemi,
« de peur qu'il ne se mêle dans nos actions
« et dans nos pensées ; qu'il augmente eu
(( nous la foi ; qu'il gouverne notre esprit ;
« qu'il nous inspire de saintes pensées, et
« qu'il nous fasse arriver à la jouissance de
<( sa béatitude. » On a ajouté à la fin du '^'i"""»"
[iV" ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
233
du psaume cTuatrième tome des Œuvres de saint Auqus-
KIV EUppO. ^ .
sée i saint (in uiiB explicatioii du psaume xiv , qui,
dans divers manuscrits, se trouve immédia-
tement avant celle que ce saint Docteur a
faite de ce même psaume ; mais on ne croit
pas qu'elle soit de lui; elle se trouve pour la
plus grande partie dans le Commentcdre sur
les Psaumes, imprimé sous le nom de saint
Jérôme.
ARTICLE VI.
DES ÉCRITS CONTENUS DANS LE CINQUIÈME TOME.
1. Quoique saint Augustin prêchât n'étant
que prêtre, il le fit néanmoins depuis son
épiscopat ' , avec plus d'application , plus
de ferveur et plus d'autorité, non dans un
seul pays, mais partout où on l'en priait :
et l'on y voyait les fruits de cette semence
divine qu'il était toujours prêt à répandre
avec bonté, par les nouveaux accroisse-
ments que prenait l'Église. Il continua ^
cette fonction de son ministère jusqu'à la
mort avec la même assiduité, la même ar-
deur, la même force, la même vigueur et le
même jugement. Lors même qu'il était en-
core jeune ' , s'il se rencontrait en quelque
endroit où il fallait paiier au peuple, c'é-
tait toujours lui qu'on choisissait pour le
faire : il était rare qu'on lui permit d'écou-
ter les autres, et de demeurer en silence.
Le peuple l'écoutait avec beaucoup d'atten-
tion ; souvent pour lui marquer qu'il com-
prenait les choses les plus difficiles, il l'in-
terrompait par des applaudissements. Le
saint Évêque ne s'en contentait pas dans les
choses importantes, mais il continuait *
jusqu'à ce qu'il vit verser des larmes. Il ces-
sait aussitôt, jugeant alors que ses audi-
tem's étaient véritablement touchés et péné-
trés de la vérité. Les hérétiques comme les
catholiques venaient en foule à ses sermons.
Ils en faisaient un tel cas qu'ils les écri-
vaient eux-mêmes dans le temps qu'il les
prêchait, ou employaient des éciivains en
notes pour n'en rien laisser échapper ° . Il
n'est pas douteux que parmi les discours
que nous avons de lui, il n'en ait dicté plu-
sieurs avant de les prononcer. Il semble
même qu'il en ait composé pour les autres ;
du moins, il fait l'apologie de ceux qui,
n'ayant pas la facilité de la composition, ré-
citaient à leur peuple les sermons d'autrui.
Il prêchait ordinairement en latin, et nous
n'en avons pas même d'autres de lui qu'en
cette langue, parce qu'apparemment on l'en-
tendait généralement à Hippone, qui était
une ville considérable, et un port de mer,
où il venait beaucoup d'étrangers. De là
vient que dans un de ses sermons il dit un
])roverbe punique en latin " , parce que les
habitants de cette ville n'entendaient pas
tous le punique. Nous avons vu ailleurs, Episi. 207.
qu'il y avait des endroits dans le diocèse
d'Hippone, où le punique était plus com-
mun, et que saint Augustin avait peine de
trouver des ecclésiastiques qui sussent assez
bien cette langue pour instruire ceux qui y
demeuraient.
§!■
Des Sermons sur l'Écriture.
1 . Tous les sermons de saint Augustin, crui msuibuiion
. , , "-^ ■*■ des sermons
jusgu ICI, se trouvaient dans une grande con- <i» sain' au-
•I i ' o gusdn. Pro-
fusion, sont rangés dans un très-bel ordre ïï'*'™ '^'='"»'
' ^ , Des sermons
dans le cinquième tome de la nouvelle Edi- p°^)'f"'""'°'
tion de ses œuvres. Ils y sont divisés en cinq serm.e.
classes', dont la première contient cent qua-
tre-vingt trois sermons sur divers endroits
de l'Écriture sainte. Les neuf premiers sont
tant sur la Genèse ' que sur l'Exode. Ce
Père y dit, en parlant des apparitions :
« Si Dieu a quelquefois voulu se faire voir
aux yeux corporels des saints, il ne s'est pas
pour cela rendu visible par lui-même, mais
par le moyen de quelque créature sensible,
c'est-à-dire ou par une voix qui frappait les
oreilles, ou par un feu qui se faisait aper-
cevoir aux yeux, ou par un ange qui appa-
raissait sous quelque figure visible. Ce n'é-
tait donc pas cette majesté qui a fait le ciel
et la terre, puisqu'elle ne peut être aper-
çue par des yeux mortels, et que la sagesse
de Dieu, par qui toutes choses ont été fai-
tes, n'a pu se rendre sensible qu'en prenant
une chair humaine. »
Parmi les sermons qui sont sur l'Exode, il serm.g.
y en a un qui est intitulé : Des dix cordes,
c'est-à-dire des dix préceptes de la loi , re-
» Possid., in VU., cap. 15. — 2 Possid., ia Vit.,
cap. XXXI. — s Prolog. Retract. — * Lib. IV De
Boct. Christ, cap. xxiv. — ^ Possid., in Vit., cap.
vu. — 6 August., Serm. 1167.
' On a découvert et publié plusieurs autres ser-
mons de saint Augustin; nous en parlerons dans
le supplément à la fin du volume. {L'éditeur.)
236
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
présentés par l'instrument à dix cordes dont
il est parlé dans le psaiirae cxiiii. Le saint y
fait les remarques suivantes: «L'observation
du sabbat doit être spirituelle ; ce n'est pas
assez de s'abstenir, comme les Juifs, des
œuvres servîtes , il vaudrait mieux travailler
aux champs que d'assister aux théâtres;
une femme serait moins coupable de filer
de la laine, que de danser tout le jour du
sabbat. Il ne faut pas s'imaginer qu'on
puisse commettre tous les jours des adultè-
res, dans la pensée de s'en purifier tous les
jours par des aumônes : parce que les bon-
nes œuvres qu'on fait tous les jours ne suffi-
sent pas pour expier de si grands péchés ;
il y a bien de la différence entre une vie
que l'on doit changer, comme est celle d'un
adultère, et une vie que l'on est obligé de
tolérer. C'est la perversité des hommes qui
fait que l'on regarde l'adultère des maris
comme beaucoup moindre que celui de
leurs femmes , quoique la faute soit égale
dans tous les deux. Comme l'on doit éviter
les grands péchés, on doit aussi se purifier
de ceux qui paraissent légers, par l'aumône,
par le jeûne et par la prière ; on doit même
les éviter avec grand soin, parce qu'étant
multipliés, ils fieuvent nous occasionner la
mort, de même qu'un grain de sable, s'il
vient à s'accumuler, peut par son poids sub-
merger un vaisseau. »
Serin. 10. Lo dixlèmc sermon est sur le jugement que
Salomon rendit entre deux femmes. Saint
Augustin y dit qu'on ne peut donner dans
' l'ÉgUse une plus grande preuve de charité,
que lorsqu'on méprise ce qui parait honora-
ble aux hommes, afin d'empêcher qae les
fidèles ne se divisent entre eux, et que l'u-
nité ne soit rompue.
Serra. 11 , Lc onzièmc sermon est sur Élie et la veuve
de Sarepta, et le douzième sur ce qui est écrit
dans Job, que les anges se présentèrent de-
vant Dieu, et que Satan parut au milieu
d'eux. Saint Augustin croit que, dans toutes
leui'S apparitions, les anges ont un vrai
corps, auquel ils font prendre la figure qu'ils
veulent, selon le besoin du ministère auquel
Dieu les emploie.
Les sermons suivants, jusqu'au trente-qua-
trième, sout sur plusieurs endroits desPsau-
serm. 17. mcs. La plupart furent prêches h Carthage.
L'insensibilité des pécheurs d'habitude y est
comparée à celle d'un membre corrompu
qui ne sent point la douleur, parce qu'il est
mort. « Il semble, dit saint Augustin, qu'on
devrait le retrancher ; mais souvent nous
nous contentons de reprendre , car nous
sommes, pour ainsi dire, lents et paresseux
à excommunier et à chasser de rÉgfise. Il
faut, nous dit Dieu, que le péché soit puni
par moi ou par vous. Le péché est donc pu- seim. lo.
ni par l'homme pénitent ou par un Dieu
vengeur. Qu'est-ce que la pénitence, sinon
la colère de l'homme contre lui-même? D'où
vient que celui qui se repent se fâche contre
lui-même en frappant sa poitrine. » C'était serm. 21.
l'usage, quand on voulait affranchir un es-
clave, de le mener à l'Éghse. Saint Augustin se™. 27.
met également au nombre des personnes de
mauvaise vie, celui qui est adultère, ou qui
est adonné aux spectacles, ou qui fait son
occupation de la chasse.
Les sermons ,33% 36% 37% sont sur les
Proverbes. Les 38% 39% 40*= et 41% siu- l'Ec-
clésiastique. Le saint y dit aux pécheurs :
« Dieu vous a promis que, le jour auquel Sarm. 33.
vous vous convertirez, il oubliera vos péchés
passés; mais vous a-t-il promis que vous
verrez le jour de demain? Peut-être que
Dieu ne vous l'ayant pas promis, un astro-
logue vous en a assurés, afin de vous damner
en se perdant lui-même. C'est par miséri- serm. so.
corde que Dieu nous a caché le temps de
notre mort ; et si le dernier jour nous est
inconnu, c'est afin que nous veiUions sans
cesse. » Il leur dit encore : « Voidez-vous
que je vous promette ce que Dieu ne vous
promet pas? Supposons qu'un économe vous
promette une entière sûreté, à quoi servi-
ra-t-elle, si le Père de famille ne la ratifie
pas? Je ne suis qu'un économe et qu'un
serviteur. Vous voulez que je vous dise : Vi-
vez comme il vous plaira, le Seigneur ne
vous fera pas périr. L'«conome peut vous
donner sûreté, mais elle ne vous servira de
rien. »
3. Les sermons suivants depuis le 42'' saiie.
jusqu'au 50% sont sur les prophètes Isaïe,
Ezéchiel, Michée et Aggée. Le saint Évêque seim. 12.
y demande comment Dieu nous délivre , et
il répond : « C'est en nous remettant nos
péchés, en nous donnant des forces pom*
combattre nos mauvais désirs, en nous ins-
pirant la vertu, et en formant dans notre
esprit une délectation céleste, par laquelle
toute délectation terrestre est surmontée. »
Il dit que, quand un pasteur se réjouit d'être s-em. '.e
préposé à la conduite des autres, qu'il y re-
cherche rhonnenr, et qu'il n'y considère
que ses commodités et ses avantages, il se
[iy« ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
237
paît lui-même, et ne paît pas ses brebis. II
ajoute : « S'il y a nécessité dans un ministre
de l'Église de recevoir des fidèles ce dont il a
besoin pour vivre , il y a de la part des fidè-
les charité à le lui donner : ce n'est pas, néan-
moins que l'Évangile soit une chose vénale ,
et que la subsistance reçue par celui qui le
prêche eu soit le prix ; ce serait vendre à vil
prix une chose si grande et si précieuse. Il
faut donc que les pasteurs reçoivent du peu-
ple de Dieu lear subsistance nécessaire, et
qu'ils n'attendent que de Dieu seul la ré-
compense de la dispensation de son Évan-
gile. Comme le devoir des pasteurs est de
ne se pas taire, celui des brebis est d'écou-
ter les paroles du souverain Pasteur dans
les saintes Ecritures. »
4. Il y a quarante - quatre sermons sur
l'Évangile de saint Matthieu, trois sur celui
de saint Mai'C, dix-neuf sur celui de saint
Luc, et trente-quatre sur l'Évangile de saint
Jean. Les autres qui composent la pre-
mière classe, sont sur les Épîtres de saint
Paul, de saint Jacques et de saint Jean. « Si
l'on nous demande , dit - il , ce qui peut
nous faire croire que Jésus -Christ soit né
•»!• d'une vierge, c'est l'Évangile qui a été
prêché et qui se prêche encore aujour-
d'hui par toute la terre. Car si c'est au
grand nombre qu'il faut croire, qu'y a-t-il
de plus nombreux que l'Église ? Si c'est aux
riches, combien y en a-t-il dans son sein ?
Si c'est aux pauvres, combien de milliers y
en trouve-t-on ? Si c'est aux nobles, presque
tous ceux qui sont sur la terre sont présen-
tement entrés dans l'Église. Si c'est aux rois,
ils sont soumis à Jésus-Christ. Si c'est à ce
qu'il y a de plus sage, de plus savant et de
plus éloquent parmi les hommes, combien
d'orateurs, de savants, de philosophes ont
été pris dans les filets des apôtres et rame-
nés du fond de l'abîme dans la région du
salut?»
Saint Matthieu compte quarante-deux gé-
nérations jusqu'à Jésus-Christ; toutefois
quand on les prend en détail, il n'y en a
que quarante-et-une. Saint Augustin conci-
lie cette contrariété apparente, en disant
qu'il faut compter deux fois Jéchonias,
parce qu'il est le dernier de la seconde
classe, et le pi-emier de la troisième. Or,
chaque classe renfermant quatorze généi'a-
tions, les trois font quarante-deux. Il fait les
remarques suivantes : « Parmi les Hébreux,
les vierges aussi bien que les femmes,
étaient appelées femmes; ainsi l'Apôtre, en
disant que Jésus-Glu-ist est né d'une femme,
n'a point dérogé à la profession de notre foi
dans le Symbole : or, nous reconnaissons
qu'il est né de la Vierge Ma/rie par l'opéra-
tion du Saint-Esprit. Le mariage entre les
personnes qui vivent en continence est un
vrai mariage, puisque c'est l'amour conju-
gal qui fait le mariage, et non pas le com-
merce de la chair ; néanmoins la fin du ma-
riage est de mettre des enfants au monde ;
cette clause était apposée dans les contrats
de mariage, et elle se hsait publiquement
de même que le contrat, lorsque l'époux
prenait de sa main l'épouse ; les anciens
Pati-iarches ont pu avoir des enfants de
leurs esclaves sans commettre d'adultère ;
et parmi eux, le choix et la bonne volonté
donnaient des enfants aussi bien que la voie
ordinaire et naturelle. C'est ce qu'on a ap-
pelé depuis adoption.
Le saint Docteur prouve contre les patri- ssim. ea.
passiens qui disaient que le Père était né
d'une femme, qu'il avait souffert, et que le
Père et le Fils étaient deux noms et non pas
deux choses ; que la naissance, la passion
et la résurrection du Fils de Dieu, sont l'ou-
vrage du Père et du Fils ; et qu'encore que
le Fils seul soit né, mort et ressuscité, ces
trois choses qui ne regardent que lui, n'ont
été faites ni par le Père seul, ni par le seul
Fils, mais par le Père et par le Fils. Il trouve se™. ca.
dans la mémoire, l'entendement et la vo-
lonté de l'homme, une image de la Trinité ;
par la largeur, la longueur, la hauteur et la
profondeur dont saint Paul parle dans son
Épître aux Éphésiens, il faut entendre la di-
latation du cœur, qui fait faire les bonnes
œuvres ; la persévérance et la longanimité,
qui nous les font pratiquer sans interruption ;
l'attente des récompenses éternelles, aux-
quelles l'Église nous exhorte en nous aver-
tissant, dans la célébration de la Messe, de
tenir nos cœurs élevés en haut, et la grâce
de Dieu, dont la dispensation est cachée
dans la profondeur ou le secret de sa vo-
lonté.
Il ne croit pas qu'il soit utile de se répan- s™. 56.
dre en beaucoup de paroles dans la prière,
ni qu'il nous soit permis de demander autre
chose que ce que contient l'Oraison domini-
cale, dont les paroles doivent être le modèle
de nos désirs. Selon saint Augustin, par le
pain quotidien que nous y demandons, on
doit entendre aussi l'Eucharistie, et il la dé-
238
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
signe en cet endroit d'une manière envelop-
pée, parce qu'il parlait à des catéchumènes.
Les pécliés qui obligeaient de se séparer de
ce pain sacré, étaient l'idolâtrie, l'astrologie,
les remèdes superstitieux, les enchante-
ments, l'hérésie, le schisme, l'homicide, l'a-
dultère et tout autre péché mortel, même
de la langue , y en ayant de ce genre qui
doivent nous séparer de l'autel. Il met entre
, s-, les péchés journaliers qu'on peut effacer
par l'aumône et l'oraison, d'avoir un peu
plus parlé qu'on ne devait, d'avoir dit quel-
que chose qu'on ne devait pas dire ; d'avoir
ri ou bu immodérément ; d'avoir ouï ou vu
avec plaisir ce qu'on ne devait ni voir ni en-
tendre ; d'avoir pensé avec plaisir à ce à
quoi on ne devait pas penser.
f,n. Pour engager ses auditeurs aux œuvres
de miséricorde, il leur fait remarquer que
Jésus-Christ au jour du Jugement dernier,
semble n'accorder le ciel qu'à ces œuvres,
et ne punir de l'enfer que la dureté envers
le prochain. « Le Seigneur, dit-il, pouri^ait
en examinant sévèrement notre vie, nous
condamner; mais dès qu'il aperçoit des
œuvres de miséricorde, il nous fait part de
sa gloire. »
. m. Après avoir dit que la confession des pé-
chés est une marque que l'on est déjà res-
suscité, il s'objecte : a A quoi sert donc le
ministère de l'Église. » Le voulez-vous sa-
voir ? répond-il : Vous n'avez qu'à considé-
rer Lazare. Il sort du tombeau ; mais il en
sort lié. C'est un pécheur qui, à la vérité,
est déjà vivant par la confession de ses pé-
chés , mais il est encore lié : il ne saurait
marcher. Que fait donc l'Éghse, à qui Jésus-
Christ a dit : Ce que vous délierez sur la terre,
sera délié dans le ciel ? ce que firent les apô-
tres à l'égard de Lazare, lorsque le Seigneur
. T[. leur dit : Déliez-le et le laissez aller. Mais il
est si vrai qu'il n'y a point de rémission des
péchés hors de l'Église, que quand quel-
qu'un de ceux qui ne sont pas du nombre
de ses enfants, ferait pénitence de ses pé-
chés, sa pénitence ne lui servirait de rien si
son cœm' demeurait dans l'impénitence, à
l'égard de l'éloignement qu'il a pour l'É-
glise ; puiscjue par cela seul qu'il est hors
de l'Église, qui seide a reçu le don de re-
mettre les péchés par le Saint-Esprit, il
blasphème contre ce divin Esprit. Au con-
traire, fut -on entré dans cette Église par
le ministère d'un mauvais prêtre , d'un
hypocrite , d'un réprouvé , pourvu que
ce soit un des ministres de l'Église , et
qu'on y vienne d'un cœur sincère ; on ne
laisse pas d'y recevoir la rémission de ses
péchés par la vertu du Saint-Esprit. Car
tandis que le bon grain est encore mêlé
avec la paille, l'influence de ce divin Esprit
est telle dans l'Église, qu'il ne rejette la pro-
fession de personne, pourvu qu'elle soit sin-
cère. »
5. Saint Augustin veut que la différence suii^.
des fautes fasse celle de la correction, en serm.sî.
sorte que l'on reprenne devant le monde les
fautes qui se commettent pubhquement, et
qu'on ne reprenne qu'en secret les fautes
secrètes. La raison qu'il en donne, c'est que
si l'on reprenait publiquement celui qui n'a
péché qu'en secret, il arriverait souvent
qu'on le livrerait à sa partie, qui ne man-
querait pas de le poursuivre ; et qu 'il est du
devoir de celui qui fait la correction, de son-
ger à guérir le coupable, et non pas à être
son dénonciateur. Il enseigne qu'il est dans S"™- "•
l'ordre qne les minisfi'es du Seigneur, qui
sont élevés en dignité dans l'Éghse, y tien-
nent les premières places, et que, dans les
assemblées, ceux qui président soient dans
la place la plus éminente, afin que leur
siège même les distingue et marque leurs
fonctions. « Mais bien loin de s'en faire ac-
croire, pour être assis plus haut que les au-
tres, il faut, dit-il, que cette distinction mê-
me leur remette devant les yeux le fardeau
dont ils sont chargés, et le compte qu'ils en
doivent rendre. »
C'était sa coutume de faire lire au peuple
un mémoire des miracles qu'il plaisait à Dieu se™. si *
de faire par ses martyrs, et d'inviter ses col-
lègues, dans l'épiscopat, de venir prêcher
dans son église chacun à leur tour, lorsqu'ils
venaient lui rendre visite. Il voulait aussi
qire chaque chef de famille fit dans sa mai-
son l'office d'évêque, qu'il prît garde quelle
était la foi des siens et qtielles étaient leurs
mœurs. Il montre que les justes ne sont pas
moins redevables que les pécheurs convertis,
parce que s'ils ne sont pas tombés dans le
crime, c'est que Dieu a fait qu'ils n'ont eu '
personne pour les y porter, et que le temps, so™. m.
le lieu et l'occasion de le commettre leur ont
manqué. On voit, dans un de ses sermons
sur saint Luc, que c'était la coutume, en
Afrique, que les évoques célébrassent chacpie
année, le jour de leur ordination, et que la serm. loî.
veille ils l'annonçaient ou le faisaient annon-
cer au peuple. Il ne croit pas que le men-
[IV" ET V= SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN
songe d'Ananie et de Saphire ait été puni
autrement que par la mort temporelle, dont
serm. US. ils furent frappés sur le moment. Mais il ne
doute pas que celles qui, après avoir consa-
cré à Dieu leur virginité dont elles étaient
maîtresses, comme Ananie et Saphire de leur
argent, ne doivent s'attendre qu'à une mort
éternelle, c'est-à-dire au supplice de l'enfer,
si elles viennent à se marier.
Serin. 1,2. Parlant des prières, du sacrifice et des au-
mônes pour les morts, il s'exprime ainsi :
«Les pompes funèbres, la midtitude dont les
convois sont accompagnés, l'embaumement
des corps, les richesses des tombeaux, sont
un sujet de consolation pour les vivants,
mais cela n'est d'aucun secours pour les
morts; il n'en est pas ainsi des prières de
l'Église, du salutaire sacrifice et des aumô-
nes que l'on fait pour les morts ; il ne faut
pas douter que tous ces secours ne leur ser-
vent pour être traités du Seigneur avec plus
d'indulgence que leurs péchés n'en méri-
taient ; c'est une pratique qui a passé de nos
pères à nous, que toute l'Église observe, de
prier pour ceux qui sont morts dans la com-
munion du corps et du sang de Jésus-Clu"ist,
et de le faire même dans le Sacrifice à l'en-
droit où l'on fait commémoration d'eux, et
où l'on marqne qu'il est offert pour eux
aussi bien que pour les vivants ; il en est de
même des œuvres de charité qu'on fait à
leur intention, et pour leur rendre Dieu pro-
pice ; on ne saurait douter qu'elles ne leur
soient utiles, aussi bien que les prières que
l'on fait à Dieu pour eux. Mais tout cela ne
sert, ajoute saint Augustin, qu'à ceux qui
ont vécu d'une manière à pouvoir tirer du
secours de ce qu'on ferait pour eux après
leur mort. A l'égard de ceux qui sortent de
ce monde sans la foi que la charité fait agir,
et sans les sacrements de cette même foi,
en vain reçoivent-ils de leurs proches et de
leurs amis ces offices de piété, puisque pen-
dant leur vie ils n'ont point l'eçu la grâce
de Dieu, ou que, l'ayant reçue en vain, ils
se sont amassé un trésor, non de miséri-
corde, mais de colère. » Il permet aux pro-
ches et aux amis des défunts de s'affliger de
les avoir perdus, et de les pleurer après
leur mort, mais en mettant des bornes à
leur doideur et à lem's larmes, sachant que
i In Viebus pascalibus.ll s'agit, comme le montre
la suite des sermons, de la senle semaine de Pfi-
tjue.?. {L'éditeur.)
EVEQUE D'HIPPOxXE. 239
la foi nous apprend que les fidèles qui meu-
rent ne nous quittent que pour un temps. Il
consent aussi que l'on console les parents
des morts, soit en assistant aux funérailles,
soit en se tenant auprès d'eux pour adoucir
leur douleur. Mais il les exhorte surtout, à
secourir les âmes des défunts par des obla-
tions, par des prières et par des aumônes.
§ xu.
Des Sermons du temps.
\ . La seconde classe des Sermons de saint s»"-")»
Augustin en comprend quatre-\-ingt-huit, qui sSns II
sont tous sur les grandes fêtes de l'année, siT.""' ''°°'
intitulés ordinairement : Sermons du temps. Il
y en a treize sur la fête de Noël ; deux sur
les Calendes de janvier, où il combat les su-
perstitions des païens en ce jour, six sur la
fête de l'Epiphanie; sept sur le Carême ; qua-
tre sm- le Symbole ; un aux Compétents ; un
sur ces paroles de Jésus-Christ : Mon Père, Joan. xm,
je désire que, là où je suis, ceux que vous m'a-
vez donnés, y soient aussi avec moi ; un sur la
Passion de Notre-Seigneur, où il en exphque
les circonstances et les mystères en très-peu
de mots ; cinq sur la veille de Pâques ; cinq
sur la Fête de ce jour ; un fragment du dis-
cours qu'il prononça le lendemain; vingt-
neuf sur le temps Pascal ' ; deux au jour de
l'octave ; cinq sm- l'Ascension du Seigneur ;
un sur la veille de la Pentecôte, et six sur
celte solennité.
2. Ce Père y dit de très-belles choses sur sc™. ig»,
le mystère de la naissance de Jésus-Christ.
« Voici, dit-il, une nouveauté inouïe et uni-
que dans le monde ; ime vierge conçoit, elle
enfante et elle demeure vierge après l'enfan-
tement : celui-là est dans la crèche qui con-
tient le monde; celui qui repaît les anges
se nom-rit de lait; il s'est enveloppé de lan-
ges, lui qui nous revêt de l'immortahté.
Étant entré dans une chambre les portes fer-
mées, il a bien pu sortir du sein de la sainte
Vierge, sans blesser sa virginité. Si l'in-
fidèle, qui ne croit point que Jésus-Chi'ist
soit Dieu, révoque ces deux faits en doute, la
foi qui nous enseigne que Dieu est né dans
la chair, croit l'un et l'autre possible.»
Dans les sermons sur le Carême, saint Au- serm. o.>.
gustin exhorte les chrétiens à vivre dans
la continence; à donner en aumônes ce que
chacun se retranche de sa nourriture ; à rem-
plir par la prière le temps qu'ils donnaient
le reste de l'année à certains plaisirs permis;
240
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
à augmenter les mortifications qu'ils se pres-
crivaient dans d'autres temps ; à ne pas subs-
tituer à la viande et au vin d'autres mets et
serm. 207. d'autrcs boissons délicates. Selon ce Père,
ils doivent nourrir le corps ou plutôt le
soutenir par des aliments communs, faciles
à trouver, et non pas par des mets précieux
et exquis, de peur que le Carême, au lieu
d'être une occasion de réprimer les ancien-
nes convoitises, n'en soit une de chercher
de nouvelles délices. Il leur repi'ésente l'exem-
ple de David, qui se repentit d'avoir souhaité
même de l'eau avec ardeur. Il dit que le
jeûne du Carême était observé dans toutes
les parties du monde ; et remarque qu'il y
avait certains jours pendant cet intervalle,
auxquels, suivant la coutume de l'Eglise, il
scim. 227 était défendu de jeûner. Il dit bien nette-
ment aux nouveaux baptisés, que le pain
qu'ils voyaient sur l'autel, et qui avait été
sanctifié par la parole de Dieu, était le corps
de Jésus-Christ, et que le calice contenait son
Sera. 232. sang. Du temps de ce saint Docteur, on ne
lisait la Passion qu'une fois; c'était dans l'É-
vangile de saint Matthieu. Il avait souhaité
qu'on la lût d'après tous les Évangélistes. Il
le fit une fois, mais comme on n'y était pas
Sera, 28t. accoutumé, plusieurs en furent troublés. On
hsait, dans le temps de Pâques, l'histoire de
la Résurrection, selon qu'elle est rapportée
dans les quatre Évangélistes. Il l'explique en
effet dans quatre discours différents, eu s'atta-
chant à ce qui en est dit dans les quatre Evan-
gélistes. Il croit que Jésus-Christ donna l'Eu-
charistie aux disciples d'Emmatis, et que ce
fut par là qu'il se fit connaître à eux. « Les
fidèles, dit-il, savent ce que je dis, ils con-
naissent eux-mêmes Jésus-Christ dans la
fraction du pain : car tout pain n'est pas le
corps de Jésus-Christ, mais celui-là seule-
ment qui le devient en recevant la bénédic-
tion de Jésus-Christ. » On voit encore que la
coutume de chanter Alléluia pendant les
cinquante jours qui s'écoulent depuis Pâques
jusqu'à la Pentecôte, était fondée sur une
serni. 260. traditiou ancienne. Saint Augustin dit à
ceux qui avaient fait vœu de continence,
qu'ils devaient s'en acquitter; qu'on ne l'exi-
gerait pas d'eux s'ils ne s'y étaient obligés
d'eux-mêmes; mais que ce qui leur était per-
mis avant leur engagement, ne l'était plus.
« Ce n'est pas, ajoute-t-il, que nous condam-
nions le mariage; nous disons seulement
que celui qui regarde derrière soi, est con-
damné. »
§ ni.
Des Sermons sur les Fêtes des Saints.
i. La troisième classe est composée de
soixante-neuf sermons sur les fêtes des
saints, et particulièrement sur celles des
martyrs, entre autres, de saint Vincent, de
sainte Perpétue et de sainte Félicité, de
saint Laurent, de saint Etienne et de plu-
sieurs autres dont nous avons parlé dans les
volumes précédents, où nous avons rapporté
lem's actes tirés en partie de ces discours.
Il y en a aussi sept en l'honneur de saint
Jean-Baptiste, et cinq sur la fête de saint
Pierre et de saint Paul, deux sur la dédicace
de l'Église, et deux au jour de son ordina-
tion.
2. Tous ces discours roulent presque tou-
jours sur le culte des martyrs, et sur l'avan-
tage de lem' intercession ; mais saint Augus-
tin a grand soin d'y marquer la différence
de leur culte d'avec celui que nous rendons
à Dieu. (( Dieu seul, dit-il, doit avoir un tem-
ple, comme c'est à lui seul que le sacrifice
doit être offert. Aussi nous ne bâtissons ni
temples, ni autels aux martyrs, et nous ne
leur offrons aucun sacrifice. Nous les res-
pectons, nous les louons, nous les aimons,
nous les honorons ; mais aous réservons no-
tre culte pour le Dieu des martyrs. » On li-
sait leurs actes dans l'Église, et il y en avait
entre eux de si célèbres, que partout où ré-
gnait le nom chrétien , on célébrait leurs fê-
tes, en particulier celle de saint Vincent. « Si
Dieu, ajoute-t-il, a accordé aux églises les
corps des martyrs, c'est moins pour sei'vir à
leur gloire, que pour nous exciter à les prier.
Ils ont en efi'et pitié de nous, et prient
pour- nous. L'Église prie pour ceux qui sont
moi'ts, mais eUe ne prie pas pour les mar-
tyrs, quoiqu'on récite leurs noms dans le sa-
crifice : au contraire, elle se recommande
È. leurs prières , parce qu'ils sont nos avo-
cats, non par eux-mêmes, mais par celui
auquel ils sont demeurés attachés comme
les membres au chef. C'est Jésus-Christ qui
est véritablement notre seul avocat, et qui
demande pour nous. Mais est-il le seul avo-
cat, comme le seulpastem'? c'est-à-dire, quoi-
Jésus-Christ soit notre pasteur, cela n'em-
pêche pas que Pierre ne le soit aussi. S'il
ne l'était pas, lui aurait-on dit : Paissez mes
brebis ? »
Saint Augustin dit avoir été témoin ocu-
Troisiôme
classe. Des
Sermons des
saints , pa?,
IIOÔ.
Ce qu'ils
contiennent
de plus re-
marquable.
Serm. 230.
Serai. 28f!.
[lV= ET V= SIÈCLES.'
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONÈ.
241
laire de la guérison miraculeuse d'un aveu-
gle, lorsque l'on trouva à Milan les corps de
saint Gervais et de saint Protais. Cet aveugle
vivait encore et servait dans l'église de ces
saints martyrs, lorsqu'il en fit le panëgyri-
?'n„. ail. qyg_ Il s'était introduit à Carthage un abus
considérable, qui était de passer la nuit au-
près du tombeau de saint Gyprien, d'y
chanter et même d'y danser. Saint Augaistin
.=nin. 3in. combat fortement cet usage. Il montre que
les louanges que nous donnons aux mar-
tyrs, tournent à la gloire de Dieu même,
puisqu'en les louant, nous louons les œuvres
de Dieu et ses combats dans ses soldats.
«EnefTet, dit-il, c'est Dieu qui arme les mar-
tyrs et qui les aide dans le combat. » Quoi
qu'il y eût eu beaucoup de martyrs en Afri-
que et dans les auîios parties de l'univers, à
peine ce Père pouvait-il trouver leurs actes
pour les faire lire dans l'Église au jour de
serm. 315. leurs solennités. Mais comme on avait ceux
de saint Etienne dans les Actes des apôtres,
on les lisait avec le reste de ce livre, dont
on commençait la lecture le jour de Pâques.
Il paraît qu'il y avait dans l'église où il prê-
chait, un tableau qui représentait le martyre
Serai. 517. ^e cG saint, car il dit à ses auditeurs : « Cette
« peinture fait grand plaisir, vous y voyez
(( lapider saint Etienne, et Saul qui garde
« les habits de ceux qui le lapident. » Il y
avait aussi des reliques de ce martyr dans
la même église, comme on le voit par ce
stm. SIC. q^'ji (lit . (, Un peu de poussière a fait as-
« sembler ici un peuple nombreux. Cette
« cendre est cachée, mais les bienfaits
« qu'elle produit sont connus. Songez aux
« biens qui nous sont réservés dans la ré-
« gion des vivants, puisque Dieu nous en
« fait de si grands par la poussière des
« morts. » Il raconte divers miracles faits
par l'intercession de saint Etienne, et ajoute
qu'il n'en fait le récit qu'afm de nous appren-
dre, que les prières de ce saint martyr ob-
tiennent beaucoup de choses, quoiqu'elles
n'obtiennent pas tout. Voici un de ces mira-
cles arrivé à Uzale, qu'il rapporte comme
scrm. 319. bleu ccrtain : <( Une iïemme perdit son en-
ce faut avant qu'il fut baptisé. Ayant imploré
« le secours de saint Etienne, cet enfant re-
« couvra la vie. Aussitôt la mère le porta
(( aux prêtres ; il fut baptisé et sanctifié ; on
« l'oignit, on lui imposa la main, et après
(( qu'on eût achevé de lui donner tous ces
« sacrements, il mourut une seconde fois. »
sorm. 336. Saiut Augustin regarde l'honnem- que
IX.
nous rendons aux martyrs, comme utile h
nous-mêmes et non pas à eux : mais il dit
que les honorer sans imiter leurs vertus,
c'est une adulation mêlée de mensonge;
parce que les fêtes n'ont été instituées en
leur honneur dans l'Église de Jésus-Christ,
qu'afin que les chrétiens, qui sont ses mem-
bres, soient avertis d'imiter ces martyrs. Il
remarque qu'on avait soin de mettre des re-
liques des martj'rs dans les églises, lors-
qu'on les consacrait à Dieu ; et il avertit ses
auditeurs, que tout ce qui se faisait maté-
riellement dans l'édification d'une éghse,
devait se faire spirituellement avec le se-
cours de la grâce de Dieu dans nos âmes et
dans nos corps, qui sont le temple du Saint-
Esprit. Les deux discoui-s prononcés au jour ^"''- '■""^■
de son ordination, sont employés à montrer
combien est pesant le fardeau épiscopal, et
combien un évêque a besoin pom* le porter,
de la grâce de Jésus-Christ, et des prières
de ses peuples, qui composent eux-mêmes
ce fardeau.
§IV.
Dfis sermons sur divers sujets.
1. Il n'y a dans la quatrième classe que ouainèmo
. ■' ^ , ^_. classe. Dos
vmgt-lrois sermons , qui sont tous sur di- sortons sur
. 1 1- • ' r T r r divers sujels,
vers sujets; les uns sur la divinité de Jésus- pas- an.
Christ, les autres en l'honneur de quelques
saints, et d'autres sur l'amour de Dieu, sur
la crainte, sur la pénitence, sur le mépris
du monde, sur les mœurs et la vie des
clercs, sur )a paix et la concorde et sur la
résurrection des morts.
2. Dans celui qui regarde la divinité de
Jésus - Christ , saint Augustin combat les
ariens, et fait voir contre eux que le Fils
de Dieu ne peut être dit égal ou inférieur iV
son Père sous différents aspects ; parce que
tout ce qui se dit de Dieu , n'est autre chose
que lui-même. « En lui, dit-il, la puissance serm. su
n'est pas autre chose que la prudence ; ni la
force, que la justice et la chasteté; quand
donc nous attribuons à Dieu ces choses, il
ne faut pas les concevoir comme différentes
les unes des autres ; et en quelque manière
que nous nous exprimions, nous ne le fai-
sons jamais avec toute la dignité convena-
ble. Nous disons néanmoins de Dieu, qu'il
est juste, parce que les expressions humai-
nes ne nous fournissent rien de mieux à
dire de lui, quoiqu'il soit beaucoup plus que
la justice même. »
IG
Ce qu'ils
cODtiennent
do remarqua-
ble.
242
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Le saint Docteur, dans ses discours sur
la pénitence, en distingue de trois sortes,
qu'il dit être en usage dans l'Église. La pre-
mière est celle qui se fait avant le baptême,
et qui nous fait commencer une vie nou-
velle, en nous inspirant le repentir de celle
que nous avons menée précédemment. La
seconde qui se fait par une prière conti-
nuelle accompagnée d'humilité, doit durer
autant que notre vie. Par la troisième qui a
pour objet la rémission des péchés, qui, se-
lon l'Apôtre, excluent du royaume de Dieu,
chacun doit exercer contre soi-même une
grande sévérité, afin que le pécheur se ju-
geant lui-même, ne soit point jugé de Dieu.
Qu'il s'accuse donc lui-même, et que les lar-
mes suivent la confession de ses péchés ; qu'il
se juge indigne de participer au corps et au
sang de Jésus-Christ ; et que la crainte d'ê-
tre séparé du royaume des deux, par un
arrêt du souverain Juge , lui fasse trouver
bon d'être séparé ici-bas du sacrement du
pain céleste par la discipline de l'Eglise.
Saint Augustin fait voir combien grande
est l'erreur de ceux qui se promettent un
bonheur dans l'autre monde, différent de
celui dont les saints jouiront dans le ciel ; et
prouve par l'autorité de l'Écriture, que la
sentence que Dieu pi'ononcera au dernier
jour, enverra ou dans la gloire, ou au feu
éternel. Il conclut donc que celui qui, après
le baptême, s'est souillé par le péché mortel,
ne doit ni difierer, ni refuser d'avoir recours
aux pontifes qui ont le pouvoir des clés
dans l'Église ; que c'est d'eux qu'il doit ap-
prendre la manière dont il est obligé de sa-
tisfaire pour ses péchés ; en sorte que, con-
trit et humilié, il pratique non-seulement ce
qui lui sera utile pour recouvrer la santé de
l'âme, mais encore poiu- l'édiiicalion du pro-
chain, (c Car si son péché a été scandaleux,
dit le saint Docteur, et si l'évêque trouve
qu'il est de l'utilité de l'Église, qu'il en fasse
pénitence en présence de plusieurs, ou mê-
me de tout le peuple, il ne doit point le re-
fuser, de peur que par une fausse pudem', il
ne joigne l'orgueil à une plaie déjà mortelle.
Pour nous, ajoute-t-il, nous ne pouvons
éloigner personne de la communion , à
moins qu'il ne s'accuse de lui-même, ou
qu'il n'ait été convaincu et nommé dans un
jugement civil ou ecclésiastique. Il ne suffit
pas de changer ses mœurs en mieux, ni de
quitter le mal ; il faut outre cela satisfaire à
Dieu par une douleur de ses fautes passées,
par des gémissements humbles, par le sacri-
fice d'un cœur contrit , et faire concourir
l'aumône à la rémission des péchés. Il y a
en des hérétiques qui niaient qu'on pût ac-
corder la pénitence à certains pécheurs ;
mais ils ont été condamnés et chassés de
l'Éghse. »
3. Le passage de la mer Rouge était une suite.
figure du baptême; mais parce que le bap-
tême, c'est-à-dire l'eau du salut, n'est teUe serm.
cpi'après avoir été consacrée par le nom de
Jésus-Christ, c'est pour cela que nous fai- serm.
sons sur cette eau le signe de la croix. Ceux
qui sont engagés dans le mariage, sont
membres du corps de Jésus-Christ, de même
que ceux qui vivent dans la continence. Mais
ceux-ci tiennent dans l'Église une place plus
honorable comme étant des membres plus
nobles. Mais il faut que la continence soit
accompagnée d'humilité, n'y ayant point de
doute que celui qui est humble dans le ma-
riage ne soit préférable à celui qui tire vanité
de sa continence. On voit par les deux dis-
cours intitulés : Vc la Vie et des Mœurs des
clercs, que saint Augustin avait dans sa mai-
son épiscopale , un monastère de clercs ,
c'est-à-dire de prêtres, de diacres et de
sous-diacres qui desservaient l'Église d'Hip-
pone ; qu'il menait avec eux, autant qu'il le
pouvait, la vie des premiers chrétiens de Je- ^, jl^™-
rusalem; que tout était en commun parmi
eux, et qu'aucun ne s'attribuait rien en par-
ticulier comme lui étant propre ; qu'il n'or-
donnait aucun clerc qu'il ne s'engageât à
demeurer avec lui, à cette condition ; que si
quelqu'un quittait ce genre de vie, il le dé-
gradait de la cléricatnre, comme un déser-
teur de la profession qu'il avait vouée. Ceux
qui avaient quelque chose en entrant dans
cette communauté, étaient obligés ou de le
distribuer aux pauvres, ou de le mettre eu
commun. On en distribuait à chacun selon
ses besoins, on le faisait aussi pour ce qui
provenait des offrandes des fidèles. Si quel-
ques-uns, étant malades ou convalescents,
avaient besoin de manger avant l'hem-e du
dîner, saint Augustin ne trouvait pas mau-
vais qu'ils reçussent du dehors ce soulage-
ment : mais il voulait qu'ils ne pi'issent le
dîner et le souper que dans la communauté,
et de la communauté. Il avait lui-même tout
en commun, et quand on lui donnait quel-
que chose qui ne pouvait servir qu'à lui, il
le vendait afin que le prix tournât au profit
do la communauté. Ceux qui étaient char-
[iV' ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUG'JSïL\, EVÊQUE D'HIPPONE.
243
gés de l'administration de ses biens , avaient
le nom de prévôts. Ils géraient cet emploi
pendant un an. Il refusait quelquefois d'ac-
cepter des successions qu'on avait données
à l'Église, quelques secours que les pauvres
on pussent tirer, persuadé que selon la jus-
lice, elles devaient appartenir aux enfants
des testateurs. A ce propos, il citait luie ac-
tion d'Aurèle, évêque de Carthage, qui avait
édifié tout le monde. Un certain homme ,
n'ayant point d'enfaut ni l'espérance d'en-
avoir, avait donné tout son bien à l'Église
en s'en réservant l'usufruit. Il arriva contre
son attente qu'il eût des enfants : l'évêque,
qui jpouvait suivant les' lois civiles ne lui
pas rendre son bien, le lui rendit, ne dou-
tant point qu'il n'y fût oWigé en conscience.
Mais s'il arrivait que quelqu'un mourut sans
enfant, saint Augustin recevait les legs tes-
tamentaires. Il exhortait même les fidèles à
compter Jésus-Christ au nombre de leurs
enfants, et à lui laisser une part dans leur
succession. Il avait aussi une espèce de
tronc pour recevoir les aumônes et les obla-
tions des fidèles. Mais il le vidait bientôt en
faveur des pauvres,
scrm. 301 II fait voir dans les sermons sur la résur-
232.
rection des morts, qu'il est aussi facile à
Dieu de rétablir le corps de l'homme après
sa mort, que de le tirer du néant ; il répond
à ceux qui niaient la résurrection, que si la
difficulté de le rétablir venait uniquement
de ce qu'après la mort il est réduit en pous-
sière , les Égyptiens seraient les seuls qui
auraient lieu de croire la résurrection des
corps, qu'ils ont le secret de rendi'e ailssi
durs que l'airain, en les desséchant. Il veut
que sur cette matière on s'en tienne à la
règle de foi marquée dans le Symbole, où
nous faisons profession de croire en la ré-
surrection de la chair.
§ V.
Des sermons qu'on doute être de saint
Augustin.
cinqi.ièmo Qu a mls daus'la cinquième classe trente-
rmons dou- et-un scrmous mi'on n'est pas assuré être de
'*'• saint Augustin, quoiqu'il n'y ait pas non
plus de certitude qu'il n'en soit pas l'auteur.
Mais dans ce nombre, il y en a quelques-
uns dont on a plus sujet de douter : c'est
pour cela qu'on les a imprimés en plus petit
caractère. Le premier est sm- Samson. Pos-
sidius en marque un sous ce titre : on croit
que celui-ci en comprend une partie. Il y
en a plusieurs sur la Naissance de Jésus-
Christ \ sur l'Epiphanie et les autres mystè-
res, sur les fêtes de saint Jean-Baptiste et
sur celle de saint Pierre et de saint Paul, sur
l'amour du prochain, sur l'aumône et divers
autres points de morale. Le dernier, qui est
du nombre de ceux dont on doute beaucoup,
fut prononcé le jour de la fête de sainte Per-
pétue et de sainte Félicité. Ces trente-et-un
discours sont suivis de fragments de quel-
ques autres sermons de saint Augustin, tirés
des recueils d'Eugyppius, de Bède, de Florus
et de Jean, diacre de l'Éghse romaine. On y
a joint im fragment d'un sermon sur l'As-
cension, et un sermon entier du prêtre Éra-
clius, prononcé en présence de saint Augus-
tin, qu'il appelle son pieux père et son bon
maître. Éraclius y dit qu'il n'avait entrepris
ce discours que par ordre de saint Augus-
tin , et pour remplir les devoirs de la charge ''""• "^^■
qu'on lui avait imposée depuis peu, en l'éle-
vant à la prêtrise. Éraclias avait déjà prêché
plusieurs fois, mais en l'absence de saint Au-
gustin. Pour s'assurer de sa capacité avant
de le déclarer son successeur, le saint Évoque
l'obhgea de faire un discours en sa présence ;
Érachus obéit, en s'étonnant de ce' qu'il
osait parler tandis que saint Augustin se
taisait. « Mais non, dit-il, il ne se tait pas,
puisque c'est lui qui parle par son disciple,
si le disciple ne dit que ce qu'il a appris du
maître. » Tout son discours, qui est très-
élégant, n'est qu'un éloge de ce saint Évê-
que; tout ce qu'il y dit au peuple, c'est d'a-
voir dans l'esprit et de mettre en pratique
tout ce qu'il avait appris depuis si longtemps
de sa bouche. Nous avons encore un autre
discours ^ sous le nom d'Éraclius, sur l'en-
droit de l'Évangile, où il est dit que saint
Pierre marchait sur les eaux de la mer. Il
est assez du style de celui-ci, serré et fleuri.
On lui a aussi attribué un discours sur la
confession des péchés, qui est aujourd'hui le
deux cent cinquante-troisième dans l'Appen-
dice du cinquième tome ; mais le style fait
voir qu'il est de saint Césaire. On y ti'ouve
' Le cardinal Maï donne comme authentique le
sermon 239 sur la naissance de Jésus-Christ rangé
parmi les douteux. Il est contenu dans un manus-
crit qui n'est postérieur à la mort de saint Augus-
tin que de cent et quelques années. [L'éditeur.]
- Serm. 72, in Append., pag. 131.
244 HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES
divers endroits des Commentaires de saint
Augustin sur les Psaumes.
§ VI.
Des sermons contenus dans l'Appendice du
cinquième tome.
L'on a encore distinbué en quatre classes
les sermons faussement attribués à saint Au-
gustin'. La première contient ceux qui sont
sur les livres, tant de l'Ancien que du Nou-
veau Testament; la seconde, les sermons du
temps ou sur les principales fêles de l'an-
née; la troisième, les panégj'riques, et la
quatrième, les sermons sur divers sujets.
On trouve à la tête de chacun une critique
qui en fait connaître le véritable auteur, ou
du moins cpii fait voir que ce n'est pas de
saint Augustin. Cette critique est fondée
premièrement, sur la différence du style ; se-
condement, sur le catalogue que Possidius
a fait des sermons de ce Père; en troisième
lieu, sur la doctrine constante de saint Au-
gustin et sm' sa manière d'expliquer l'Écri-
ture sainte; quatrièmement, sur les témoi-
gnages d'Eugyppius, de Bède et de Florus qui
ont fait des recueils de divei's endroits de ses
sermons ; cinquièmement , sur l'autorité des
plus anciens manuscrits. Avec tous ces se-
cours, on a restitué à saint Césaire, à Ori-
gène, à saint. Cyprien, à saint Ambroise, à
saint Maxime, à saint Léon, à Fauste, à saint
Grégoire le Grand, à Alcuin, ù Yves de Char-
tres et à quelques autres, des discours qui,
non-seulement dans quelques manuscrits ,
mais même dans les imprimés, portaient le
nom de saint Augustin. Ils sont au nombre
de trois cent dix-sept. Nous aurons lieu d'en
parler plus au long dans la suite en traitant
des auteiirs à qui ces sermons appartien-
nent. La plupart de ceux de saint Augustin,
paraissent avoir été prononcés sans beau-
coup de prépai'ation. Aussi y traite-t-il ra-
rement à fond les points de morale ou de
doctrine qui en font la matière.
1 Parmi les sermons contenus dans VÀpjiendice
il eu est un certain nombre qu'on s'est trop pressé
de mettre au rang des sermons supposés. Le ma-
nuscrit du Vatican, dont nous parlions tout à l'heure,
contient quatre sermons condamnés par les Béné-
dictins, savoir le sermon 123, 9" sur la Naissance de
Jésus-Christ; le sermon 133, 5« sur l'Epiphanie; le
sermon 199, 4" sur saint Jean-Baptiste. On y trouve
aussi sept sermons enlevés à saiut Augustin pour
les attribuer à saint Pierre Chrysologue, dans les
œuvres duquel on les trouve sous le nuni. 12 sur
[Parmi les sermons rejetés par les Béné-
dictins, comme u'étant pas authentiques, on
remarque le sermon cent quatre-vingt-qua-
torzième, pour la fête de l'Annonciation du
Seigneur, et le sermon deux cent huitième,
pour la fête de l'Assomption de Marie. Mon-
seigneur d'Alger, dans sor|i instruction sur
le culte de la sainte A'ierge dans la primi-
tive Église d'Afrique, admet ces deux pièces
comme l'œuvre de saint Augustin , quoi
qu'en disent les Bénédictins de Saint-Maur.
Voici les paroles de ce saint évêque : « Re-
marquons d'abord (ceci n'est pas sans im-
portance) que ces religieux ont laissé, de leur
vivant et après eux, un certain renom de
jansénisme qui , à leur insu, n'a pas man-
qué d'influer sur leurs jugements critiques
et Httéraires. Ce n'est pas sans une pénible
émotion qu'on remarque l'afiectation avec
laquelle ces hommes, d'ailleurs si doctes,
impriment en lettres majuscules, les moin-
dres propositions de saint Augustin, qu'ils
jugent favorables au système du jansénisme
et à la grâce nécessitante : combien d'autres
l'auront observé avant nous! Or, on sait
combien peu cette hérésie s'accommode du
culte de la sainte Vierge et quels coups elle
lui avait portés dans le dernier et l'avant-
dernier siècle. Rien d'étonnant que cette
malheureuse disposition d'esprit ait porté
les éditeurs de Saint-Maur à rejeter, sous de
simples prétextes, tous les discours qui glo-
rifient la dévotion et la contiance en Marie.
Assurément, elle est grave l'autorité des Bé-
nédictnis, si grave que l'annaliste autoi'isé
de'l'Afiique chrétienne, le savant jésuite
Morcelh, n'a pas osé la contredire, et qu'il
affirme, sans hésitation, qu'on n'a d'Augustin
aucun discours sur la sainte Vierge. Et ce-
pendant il y a quelque chose de bien autre-
ment grave que l'autorité de ces savants re-
ligieux, c'est l'autorité des siècles et celle de
l'Église romaine. »
En effet, les Bénédictins eux-mêmes en
conviennent , leur édition est la première
le jeûne et la tentation de Jésus- Christ; sous le
uum. 75 sur Lazare ; sous le num. 106 sur le
figuier qui ne porte pas de fruit; sous le num. 14)
sur l'Annonciation de la Sainte-Vierge ; sous le
131 sur la fuite de Notre-Seigneur en Egypte ; sous
le num. 132 sur le massacre des enfants. Un autre
manuscrit très-ancien contient le sermon sur l'As-
cension qui commence par ces mots : Dies isti et
celui sur la Pentecôte. Voyez Bibl. nov. Pair., iwg.
19 et 15 de la Préface et pag. 229. {L'éditeur.)
[IV' ET V= SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN,
qui renvoie à l'Appendice, comme n'étant
pas de saint Augustin, les discours dont
nous venons de parler, tandis cpie toutes
les éditions pi-écédentes les comprennent
parmi les œuvres authentiques du grand
Docteur. Jusqu'alors, tous les auteurs catho-
liques les lui ont attribués, sans ombre d'hé-
sitation et sans contradiction aucune. Le Bré-
viaii-e romain en a inséré, sous le même titre,
les morceaux les plus saillants; l'Église nous
fait clianter le suffrage : Sancta Maria sicc-
curre miseris qui en est extrait mot pour mot.
Enfin, depuis l'édition bénédictine, une foule
d'auteurs, saint Liguori entre autres, conti-
nuent à reconnaître saint Augustin comme
l'auteur de ces pages; Bossuet, dont le savoir
égalait l'éloquence, s'appuie de leur autorité,
notamment, pour appliquer à Marie le pas-
sage de l'Apocalypse, sur la femme revêtue
du soleil, et il cite précisément l'édition bé-
nédictine.
Ce n'est donc pas à la légère qiie nous
avons entrepris de plaider ce procès de gé-
niiifé, et d'opposer à l'autorité de quelques
critiques des autorités supérieures à la leur.
Avant nous et par les mêmes motifs ,
MM. Caillau et de Saint- Yves, dans leurs
Vinditice scrmonum sancti Aiigvstini, p. 3,
adressent aux Bénédictins les mêmes repro-
ches sur leur facilité à rejeter comme apo-
cryphe tout ce qui glorifie la sainte Vierge ;
mais la bonne foi exige que nous répondions
aux motifs qui ont fixé l'opinion des reh-
gieux de Saint-Maur.
Ils rejettent le sermon 204', De Annuntia-
tione dominica'^ de la manière la plus dure.
Ils l'appellent opus imperiti consarcinatoins ;
et c'est celui où se trouve ce beau tableau
des siècles captifs qui pressent Mai'ie d'ac-
cepter la fonction de mère de Dieu, et
c'est précisément à la fin de ce discours
que se trouve l'admirable prière : Sancta
Maria succurre miseris, etc., que l'Eglise ro-
maine a placée sous le nom d'Augustin dans
son office public. Ils se récrient parce que la
première phrase suppose que l'orateur parle
un jour de fête de la sainte Vierge ; ils nous
afièguent premièrement qu'on ne faisait pas
encore la fête de la NatiA'ité de Marie, com-
me s'il en était le moins du monde question
dans le texte , et secondement, le silence du
calendrier de Cartilage , silence que nous
croyons avoir raisonnablement expliqué ; ils
> Tom. V Append., pag. 320.
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 245
ajoutent enfin qu'il y a des répétitions du
discours précédent ; pauvi-e raison qui ferait
nier l'authenticité d'un très-grand nombre
de sermons de Bossuet, où les mêmes pen-
sées se reproduisent le plus souvent dans les
mêmes termes : c'est précisément le con-
traire qu'il fallait conclure.
Enfin ils rejettent le 208" sermon : In Festo
Assumptionis Marice, sans indiquer le motif,
mais évidemment par celui qu'ils ont donné
contre le discours précédent, que la fête de
l'Assomption ne se célébrait point alors en
Afrique. D'après ce que nous avoûs expliqué
plus haut, rien n'est moins sûrement établi
que cette assertion. D'ailleurs, le discours
parle de la mort de la sainte Vierge dans
une phrase de l'exorde, et il ne dit rien de
l'Assomption. En tout cas, la sévérité de la
critique s'est arrêtée cette fois , devant la
beauté du discoui'S dont vous avez lu un ad-
mirable passage, que les saints, Bonaven-
ture, par exemple, ont plus d'une fois cité.
Aussi les Bénédictins paraissent-ils vouloir
l'attribuer à Fulbert de Chartres. Ils se ré-
crient sur l'insei'tion dans le texte d'une
phrase de saint Isidore de Séville , et ils ont
grandement raison, puisque Isidore de Sé-
ville vivait plus de cent ans après saint Au-
gustin ; mais est-il si difficile de faire ce qui a
été fait mille fois avec justice, d'admettre une
interpolation ? Cela est d'autant plus natm'el
à croire que le texte d'Isidore vient unique-
ment en confirmation de cette véi-ité, que la
sainte Vierge n'est pas morte par le glaive.
La phrase de saint Isidore aura été d'abord
écrite à la marge comme annotation : cela
se fait tous les jours par les hommes d'étude
et notamment dans les manuscrits ; un igno-
rant copiste aura placé la phrase dans le
texte. Du reste, pour notre thèse, nous n'a-
vons aucun besoin de ce discours ; le pré-
cédent nous suffit pour démontrer la dévo-
tion d'Augustin et de son peuple à Marie et
la pieuse confiance qu'ils mettaient en sa
protection.]
ARTICLE SEPTIÈME.
DES OUVRAGES CONTENUS DANS LE SIXIÈME TOME.
§1-
Des quatre-vingt-trois questions.
Après le retour de saint Augustin en Afri- ,5°l?[.°:j'4r.
que, ses frères, profitant des moments où ils }i;°l.j5l"38s.'
246
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Analyse do
ces queslîoDs,
lom. YI, pag.
1.
Quesl. 1.
Qucst. 2.
Qucsl. 3.
Quesl. 4.
Qucsl, n.
Quesl. 6.
Qucsl. 7.
ne le voyaient pas occupé, lui faisaient sou-
vent diverses questions. Il leur répondait
sans garder d'autre ordre dans ses réponses,
que celui qu'ils gardaient eux-mêmes dans
leurs questions. 11 ne prenait pas même la
précaution de les dicter de suite sur une
même feuille ; en sorte qu'elles se trou-
vaient dispersées çà et lu. C'était au com-
mencement de sa conversion , et peu de
temps après sa sortie d'Italie, c'est-à-dire
sur la fin de l'an 388. Mais, depuis qu'il fut
évêque, il fit recueillir toutes les questions
qu'on lui avait faites, et les réponses qu'il y
avait données, et en composa un livre. Il en
parle ' dans ses Rétractations , où il entre
dans le détail de toutes les questions dont
ce livre était composé. Il remarque dans la
douzième, que la sentence qu'il avait citée
sous le nom d'un certain sage, était d'un
cartliagiuois nommé Fontéius , qui l'avait
écrite étant encore païen, mais qui était
mort chrétien après avoir reçu le baptême.
2. Cassiodore parle de ces questions %
qu'il dit être expliquées et pesées avec une
sagesse admirable. Elles sont au nombre de
quatre-vingt-trois , dont voici les plus re-
marquables. L'âme tire son origine de la
vérité qui est Dieu, on ne peut donc pas
dire qu'elle soit d'elle-même, ni par elle
même. Quoique l'homme ait été créé bon,
il n'en est pas moins vrai que celui-là
est meilleur , qui est bon par volonté ,
qu'un autre qui ne l'est que par nature :
c'est pour cela que Dieu a donné à l'hom-
me une volonté libre. S'il est vrai qu'un
homme sage ne rend jamais mi autre
homme plus mauvais , est -il à présumer
que Dieu, qui surpasse en sagesse tous les
hommes sages, fasse les hommes plus mé-
chants ? Il faut donc jeter la méchanceté de
l'homme sur sa propre volonté, soit qu'il soit
porté au mal par le conseil de quelque mé-
chant, soit par lui-même. L'animal qui n'a
point de raison, n'a point non plus de con-
naissance; il ne peut par conséqueat être
heureux. De tons les êtres, soit corporels,
soit spirituels , il n'y en a point qui n'ait
quekpie perfection qui en fasse l'essence; le
mal n'en a point : ce n'est donc pas un être,
mais un nom qui marque la privation de la
perfection. On confond quelquefois l'àme
avec l'esprit, et d'autres fois on les distin-
gue : si l'on attribue à l'àme de l'homme
des actions qui lui sont communes avec les
bêtes, on ne peut alors par le teime d'âme
entendre l'esprit , parce que les bêtes n'ont
point de raison, et que la raison est jointe
nécessairement à l'esprit. Tout homme qui
sent en soi une volonté, sent aussi que l'âme
se meut; car si nous voulons, ce n'est pas
un autre qui veut pour nous. L'âme même
n'a pas d'autres mouvements que les volon-
tés ; et qu-oique ses mouvements soient li-
bres , c'est cependant de Dieu qu'elle a reçu
la faculté de se mouvoir. Elle fait changer
le corps de place, sans changer eUe-mème.
II ne faut pas attendre des sens la connais-
sance de la vérité éîeruelle et immuable : ils
ne nous fout connaître que des choses qui
sont sensibles, et dans un continuel change-
ment. Tout ce qui est bon et qui a quelque
perfection vient de Dieu : les corps sont de
ce genre : ils ont donc Dieu pour auteur.
Lorsque Dieu délivre, il ne délivre pas une
partie, mais tout ce qui est en danger, et
c'est pouj" montrer qu'il a voulu sauver les
deux sexes, qu'il est né d'une vierge. Quoi-
que Dieu soit présent partout, on ne le voit
point quand on a l'âme souillée. C'est cette
pensée que saint Augustin dit être de Fon-
téius. Ce qui prouve l'excellence de l'homme
au-dessus des bêtes , c'est qu'il peut les
dresser et les dompter ; au lieu que les bê-
tes n'en peuvent faire aotant à l'égard de
l'homme. Si le corps de Jésus-Clu'ist n'a été
qu'un fantôme, il nous a trompé ; s'il nous a
trompés, il n'est pas la vérité. Or, il est la
vérité ; son corps n'a donc pas été un fan-
tôme. L'esprit de l'homme se comprend soi-
même, il ne souliaite pas môme d'être infini ;
il est donc fini. Dieu étant la cause de toute
chose, l'est aussi de sa sagesse ; et comme
il n'a jamais été sans elle, il en est donc une
cause éternelle. Le passé n'est plus, le futur
n'est pas encore ; mais en Dieu, il n'y a ni
passé ni futur, tout est présent. Tout ce qui
existe doit avoir trois causes ; celle qui lui
donne l'être, ceUe qui lui donne une telle
façon d'être, et celle qui fait que les parties
dont il est composé ont entre elles de la con-
venance. Toute créature a donc une trinité
pour cause. Il y a cette diti'érence entre
immortel et éternel , que tout ce qui est
éteruel est aussi immortel ; au lieu que fout
ce qui est immortel, comme l'àiue de l'hom-
me, n'est pas pour cela éternel. Dans l'éter-
Quesl. 8. I
Quest. 0.
Quesl. 10.
Quesl. 11.
Quesl. 12.
Quesl. 13.
Qucsl. U.
Qucsl. 15.
Quesl. 16.
Qucsl. n.
Qucsl. 18.
Qucsl. 10.
1 Lib. I Relract., cap. xxvi.
Cassiod,, Inst., cap. xvi.
[iv" ET v" SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
nité, il n'y a ni passé, ni futur, tout est pré-
Quest. 20. sent. Dieu comprend toutes choses et toutes
choses sont dans lui, sans être le lien des
choses : car il ne le pourrait être sans être
corporel,
gaesi. 21. 3. Dieu étant l'auteur de toutes les choses
qui existent, il ne le peut être de ce qui tend
au néant : le mal y tend ; Dieu n'est donc pas
Quest. 2î. l'auteur du mal. Où il n'y a aucun défaut,
il n'y a point non plus de besoin ni de né-
cessité : en Dieu il n'y a point de défaut ,
et par conséquent, aucun besoin ni néces-
Qaest. 23. site. L'iiomme n'est sage que parce qu'il
participe à la sagesse, et il en est de même
de toutes les autres vertus; Dieu, au con-
Qnesi. 24. traire, est sage par sa sagesse même. Tout
ce qui se fait par hasard, se fait téméraire-
ment, et ce qui se fait témérairement, ne se
fait pas par la Providence. Si donc dans le
monde il y a des choses qui se fassent par
hasard, le monde n'est pas entièrement
gouverné par la Providence; et il y a quel-
ques natures ou substances qui ne sont pas
l'ouvrage de la Providence. Cependant tous
les êtres sont parfaits, et Ils ne peuvent être
parfaits qu'en tant qu'ils participent à la
bonté et à la perfection de Dieu ; ils sont
donc son ouvrage. Il y a néanmoins des
choses auxquelles Dieu et l'homme ont part :
Dieu ne permet pas que personne soit puni
ou récompensé sans l'avoir mérité : et le pé-
Quesi. 25. ché de même que la bonne action dépendent
de notre libre arbitre. Comme il n'y avait
rien de plus odieux parmi les hommes que
la mort de la croix, Jésus-Christ l'a souffer-
te, parce qu'il était de sa sagesse de faire
voir à l'homme qu'il ne devait pas craindre
Qiiofi. 2s. la mort la plus ignominieuse. Il y a des pé-
chés de faiblesse, d'ignorance et de malice :
les uns sont contraires à la force de Dieu,
les autres à sa sagesse, et les derniers à sa
bonté. Quiconque sait ce que c'est que la
force, la sagesse et la bonté de Dieu, peut
savoir quels sont les péchés véniels; et ceux
qui méritent d'être punis en ce monde et
en l'autre; et qui sont ceux que l'on ne doit
pas contraindre à la pénitence publique,
quoiqu'ils avouent leurs crimes , et ceux qui
ne peuvent espérer de salut, s'ils n'offrent à
Dieu le sacrifice d'un cœur contrit par la
Quest. 27. pénitence. Il est possible que Dieu se serve
des méchants pour punir et pour secourir,
comme on l'a vu dans les Juifs, dont l'im-
piété a occasionné leur perte et le salut des
gentils. Les maux sont aussi un exercice
EVEQUE D'HIPPÛNE.
247
pour les justes et une punition pour les mé-
chants : et le repos et la paix qui les cor-
rompent, sanctifient les justes. Dieu se sert
de nous pour faire réussir les desseins de sa
providence sans que nous le sachions. En
obéissant à ses commandements, nous agis-
sons ; mais dans les autres événements.
Dieu nous conduit par les ressorts de sa pro-
vidence sans que nous y ayons de part.
Comme il n'y a rien au-dessus de la vo- Qucsi. as.
lonté de Dieu, il ne faut pas lui demander
pourquoi il a créé le monde ; ce serait cher-
cher une cause de ce qui est la cause de
tout. Quand il est dit dans l'Épître aux Co-
lossiens. Ayez du goût pour les choses d'en Q''=s'- ^5.
haut , cela ne doit pas s'entendre des choses
corporelles, mais des spirituelles. La parfaite Q'"!^'- 3o.
raison de l'homme que l'on appelle vertu,
se sert premièrement d'elle-même pour con-
naître Dieu, afin de jouir de celui qui l'a
formée ; puis elle use de toutes les autres
créatures raisonnables par rapport à la so-
ciété, et des irraisonuables par le droit de
supériorité qui lui a été donné au-dessus
d'elles. Elle rapporte sa vie à Dieu poiu- en
jouir, ce n'est qu'ainsi qu'elle peut être
bienhem-euse. Elle se sert aussi de son
corps, soit qu'elle prenne ou qu'elle rejette
certaines choses pour la conservation de sa
santé, soit qu'elle en souffre d'autres pour
exercer la patience, soit qu'elle en règle
d'autres pour pratiquer la justice, soit qu'elle
en considère d'autres pour apprendre quel-
que vérité, soit qu'elle se serve de celles
mêmes dont eUe s'abstient pour garder la
tempérance. C'est ainsi que l'âme use bien
de toutes choses, soit que pour cela elle se
serve de ses sens, ou qu'elle ne s'en serve
pas. Celui qui conçoit une chose autrement Quesi. 32.
qu'elle n'est, ne la conçoit pas ; d'où il suit
qu'on ne peut concevoir une chose que
comme elle est en elle-même. La charité 0"°='- ^s.
doit rejeter comme un poison qui lui est
mortel l'espérance d'acquérir et le désir de
conserver les biens temporels : le retranche-
ment de la cupidité est sa nourriture, et
l'extinction entière de cette même cupidité
sa perfection. La diminution de la crainte,
est la marque de l'accroissement de la cha-
rité, et l'extinction entière de cette même
crainte, celle de sa perfection : parce que la i Tim. ti,
cupidité est la crainte de tous les maux, et que
V amour par fait bannit la crainte. Quiconque ^^ '»»"■ ""i
veut donc entretenir la charité dans son
âme, doit travailler à en retrancher la cupi-
248
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
dite, qui n'est autre chose que l'amour et le
désir des choses du monde. Or, le premier
pas qu'il faut faire pour diminuer la cupi-
dité, est de craindre Dieu, qui seul ne peut
être craint sans être aimé. L'unique et le
grand exemple que nous devons nous pro-
poser à imiter, est celui de Notre-Seigneur,
qui, nonobstant cette grande puissance qu'il
a fait éclater par tant de miracles, a néan-
moins voulu mépriser ce que les hommes
ignorants et aveugles considèrent comme
de grands biens, et souifrir ce qu'ils regar-
dent comme de grands maux.
guesi. 4B. 4. On n'ajoute foi à ce que disent les as-
trologues, que parce qu'on oublie les faus-
setés qu'ils ont débitées, et qu'on ne fait at-
tention qu'aux événements où le hasard a
mis de la conformité avec leurs prétendues
QuKi. il. prédictions. Après la résurrection les hom-
mes connaîti'out mutuellement toutes leurs
pensées, car maintenant on en découvre
plusieurs en considérant les mouvements
des yeux, qui à présent ne sont que chair
en comparaison de ce que tout le corps sera
alors, c'est-à-dire transparent et comme de
guesi. is. l'air- ïl y a trois sortes de choses que l'on
croit : les premières sont celles que l'on
croit toujours et que l'on ne conroit jamais :
comme l'histoire qui nous détaille des faits
temporels et humains; les secondes, que
l'on conçoit aussitôt qu'on les croit, comme
sont les raisonnements humains, qui regai'-
dent, soit la combinaison des nombres, soit
toute autre science ; les troisièmes sont cel-
les que l'on croit d'abord sans les concevoir,
et que l'on conçoit ensuite , comme sont
les instructions divines qui ne peuvent être
conçues que de ceux qui ont le cœur pur.
Quosi. SI. Lorsqu'il est dit dans l'Écriture, que l'hom-
me est fait à l'image et à la ressemblance de
Dieu, cela ne doit point s'entendre du corps
de l'homme, mais de son âme, qui est ca-
pable de raison, de sagesse et de connaître
la vérité. Quand il est dit que Dieu se re-
pentit d'avoir fait l'homme, cette façon de
parler ne doit pas se prendre à la lettre non
plus que les endroits de l'Écriture, qui lui
attribuent des yeux, des mains et des pieds.
Les Écrivains sacrés ne s'étant sei'vi de ces
façons de parler, que parce qu'étant plus
proportionnées à nos manières d'agir, eUes
nous font mieux concevoir ce que Dieu de-
mande de nous, et comment il nous gou-
verne.
(jue!i, S3. Si Dieu ordonna aux Hébreux d'emprun-
ter des Égyptiens leurs vases précieux pour
les emporter, c'est qu'il voulut se servir
d'eux pour punir ces peuples, et en même
temps pour récompenser les Hébreux d'un
long et pénible travail dont ils n'avaient pas
été récompensés ; mais on ne peut inférer
de là qu'il soit permis de tromper, ni que
Dieu soit lui-même un trompeur : il sait, au
contraire, distinguer les mérites et les per-
sonnes, et il le fait avec équité. Dieu n'en
agit ainsi avec les Israélites, que parce qu'ils
n'étaient pas capables de la perfection éS'an-
'gélique.
Saint Augustin dit en expliquant la para- Q^^si.
bole des dix vierges, que ceux qui ne se
soutiennent dans le bien que par les louan-
ges des hommes, tombent aussitôt qu'ils en
sont privés; ce qui ne les empêche pas de
continuer à chercher ces faux biens, où leur
esprit s'est accoutumé de trouver sa joie.
Les questions suivantes ne sont que des
explications mystiques et morales de quel-
ques endroits de l'Ancien et du Nouveau
Testament. Il enseigne dans la soixante-sixiè- '-'"»'"•
me, qu'avant la loi, l'on ne combattait point
contre les plaisirs du monde, qu'on les
combattait sous la loi, mais qu'on était
vaincu ; que sous la grâce, l'on combat et
l'on remporte la victoire ; que dans la paix,
c'est-à-dire dans le ciel, l'on n'aura plus
besoin de combattre, mais qu'on se repo-
sera dans une étei'uelle et parfaite paix.
Dans la soixante-seizième, il enseigne qu'il
n'y a aucune conlraiiété entre saiut Paul
et saint Jacques, lorsque l'un dit que
l'homme est justifié par la foi sans les œu-
vres, et que l'autre assure que la foi ne sert
à rien sans les œuvres, parce que celui-là
parle des œuvres qui précèdent la foi, et
celui-ci, des œuvres qui la suivent. Dans la
soixante-dix-neuvième, il semble admettre Uumi- il-
dans les mauvais anges un pouvoir pour
cei'taiues choses ; et c'est suivant cette idée
qu'il explique les prodiges que tirent les ma-
giciens de Pharaon ; mais il reconnaît que
dans les miracles que font les saints, c'est
Dieu, dont ils sont le temple, qui agit en
eux. Dieu , dit - il , n'accorde pas à tous
les saints le don des miracles, de crainte
que les faibles ne regardent faussement
ces dons comme plus excellents, que ceux
qui nous font accomplir les œuvres de jus-
tice , qui seules nous obtiennent la vie
éternelle. Si les méchants nuisent sou-
vent aux bons dans les choses temporelles,
yuEsi.
JnC. M, 20
et Rûiii. 111,
Mail. XXIV,
Quesl. 86.
Léo deux li-
vres à Siniplî-
n , êer ts
icii l'an yjT.
[rv' ET V= SIÈCLES.]
Dieu ne le permet que pour l'avantage
des bons, et pour l'épreuve de leur pa-
tience ; et il parait par l'Écriture que des
scélérats, comme sera l'Antéchrist, peuvent
faire de plus grands prodiges que les saints
n'en peuvent faire eux-mêm'es, mais ils n'eu
seront pas pour cela plus recommandables
auprès de Dieu. Dans la quatre-vingt-sixième,
saint Augustin fait voir contre les apolina-
ristes que le Fils de Dieu en se faisant homme
a pris une âme humaine avec toutes les af-
fections attachées à sa nature ; mais qu'il
a pris ces affections volontairement, et non'
par aucune nécessité.
§n.
Des deux livres à Simplicien.
1. Simplicien, à qui ces deux livres sont
dédiés, est le même à qui saint Augustin s'a-
dressa en 356 ' , pour lui découvrir les agi-
tations de son âme et pour apprendre de lui
quel genre de vie il devait embrasser. De-
puis ce temps-là, Simplicien conserva tou-
jours pour lui mie amitié très-tendre, lisant ^
avec plaisir ceux de ses écrits qui tom-
baient en ses maius. 11 lui écrivit même
pour lui témoigner sa joie des dons que
Dieu lui avait communiqués. Mais en même
temps il lui proposa quelques difficultés en
le priant de lui en donner l'éclaircissement,
et de faire pour cela un petit livre ^. Saint
Augustin reçut avec beaucoup de joie tou-
tes ces marques d'affection et l'approbation
que Simplicien donnait à ses ouvrages ; re-
connaissant *, néanmoins, avec beaucoup
d'humilité, que ce qu'il y avait de bon et de
digne de louanges dans ses écrits venait de
Dieu, à qui il n'avait fait que prêter son mi-
nistère ; et que Simplicien, comme un bon
père, avait voulu l'exercer ^, non pour ap-
prendre quelque chose de lui, mais pour
connaître ses progrès, et lui faire remar-
quer ses fautes. Il convient * que clans les
questions qu'il lui avait proposées en parti-
culier sur l'Épître aux Romains, il y en avait
de fort difficiles, et que si elles l'eussent été
moins, Simplicien ne lui en eût pas demandé
la solution. C'est pour cela qu'au lieu de le
renvoyer à ce qu'il en avait dit dans un au-
tre ouvrage, il s'appliqua de nouveau à les
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
249
examiner, de peur de ne l'avoir pas fait la
première fois avec assez de soin et d'atten-
tion. 11 nous apprend lui-même ' qu'il était
évoque, lorsqu'il écrivit ces deux livres, et
qu'il ne l'était que depuis peu. Néanmoins,
comme il- n'y dit rien de saint Ambroise,
mort en 397, il y a appai-ence qu'il ne les
composa qu'après le 4 avril de cette an-
née, qui fut le jour de la mort de ce saint
évêque, et lorsque Simplicien occupait déjà
le siège épiscopal de l'église de Milan. Ce
qui confirme ce sentiment, c'est que dans
ses Rétractations, il dit que ces deux livres
étaient adr^essés à Simplicien, évêque de Milan,
successeur de saint Ambroise ^ .
2. Le second examen qu'il fit de ces pa-
roles de saint Paul : Qu'avez-vous que vous
n'ayez reçu, lui fit changer le sentiment où
il était auparavant, que la foi venait de
l'homme, et qu'après avoir ouï prêcher la
vérité, c'était lui qui se déterminait à croire
ou à ne pas croire. Car profitant à mesure
qu'il écrivait et qu'il étudiait, il reconnut
parla lumière que Dieu lui donna, que le
premier commencement de la foi n'était pas
moins un don de la grâce, que toute la suite
des bonnes œuvres. C'est ce qu'il dit lui-
même dans son livre de la Prédestination des
saints, adressé à saint Pi'osper et à Hilaire.
(i Vous voyez, leur dit-il ', dans quels senti-
ments j'étais en ce temps-là (c'est-à-dire
vers l'an 394, lorsqu'il répondait à diverses
difficultés qu'on lui avait faites sur l'Épître
aux Romains) sur le sujet de la foi et des
bonnes œuvres ; quoique d'ailleurs je prisse
grand soin de faire connaître le prix et la
force de la grâce , je vois que c'est en cela
même que consiste l'erreur de ceux dont
vous m'avez écrit, qui ont été peut-être as-
sez soigneux de lire mes livres, mais non
pas de profiter en les lisant, comme j'ai fait
à mesure que j'ai continué d'écrire. Car s'ils
avaient eu ce soin-là, ils auraient trouvé
cette question résolue selon la vérité des
saintes Écritm'es, dans le premier des deux
livres que j'adressai à l'cvêque Simplicien
peu de temps après queje fus fait moi-même
évêque. » Il déclare la même chose dans son
livre du Don de la persévéïmnce . « Ce fut, dit-
il '", en ce temps-là que je commençai de
reconnaître et d'établir cette vérité catho-
Saint Au-
gustin cbaags
de sentiment
sur la grâce.
1 August., tib. VIII Conf., cap. i. - 2 August.,
Epist. ad Simp., tom. VI, pag. 79. — ' Lib. II ad
Simp. quœst. 6, pag. 120. — * Epist. ad Simp. ubi
supra.
° Lib. II ad Simp. quœst. 2, pag. 112. — ^ Prolog,
in lib. ad Simp. — ' Lib. il Retract., cap. i.
8 Ibid. — ' .\ugust., lib. De Prœd. Sanct., cap. iv.
1° Lib. De Don. pers., cap. xx.
250
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
lique, que le commencement même de no-
tre foi est un don de Dieu. » Et encore • :
« Mais puisque ceux pour qui nous travail-
lons protestent, comme vous m'en assurez ,
suivre sur le sujet que nous traitons , tout
ce que j'ai enseigné ci-devant, qu'ils pren-
nent garde à la fm du premier des deux
premiers livres que j'ai adressés à Simpli-,
cien, évoque de Milan; qu'ils voient si, après
ce que je dis en cet endroit-lii , ou peut en-
core mettre en doute que la grâce ne nous
est point donnée en considération d'aucun
mérite ; et si je n'ai pas montré au même
endroit, que même le commencement de
notre foi est un don de'Dieu ; et enfin si de
tout ce que j'y traite, on ne doit pas néces-
sairement conclure, quoique cela ne soit
peut-être pas marqué expressément, que la
persévérance jusqu'à la fin vient unique-
ment de celui qui nous a prédestinés pour
avoir part à son royaume et à sa gloire. »
Analyse dn 3. C'cst surtout daus la seconde partie
premier h-vre . i- ,„.,.. • , i
i^simniicien, du prcmicr livre a hmiplicien, que samt Au-
gustin s'applique à montrer que la grâce
n'est point donnée selon les mérites. Dans
la première, il explique fort au long ce que
. l'Apôtre dit de la loi dans le chapitre vu de
son Épître aux Romains. Il fait voir qu'avant
que l'homme fût délivré par la grâce de
Jésus-Christ, et lorsqu'il était encore sous
la loi, elle ne lui servait pas pour éviter le
péché, mais uniquement pour le lui faire
connaître ; et qu'elle le rendait même plus
coupable eu ce que sachant ce que Dieu dé-
fendait, il ne laissait pas de le faire. Il en-
tend CCS paroles de l'Apôtre : La loi est spi-
ritvelle, mais poi je suis charnel, d'un hom-
me sous la loi, avant d'avoir reçu la grâce.
Mais il reconnut - depuis qu'elles se pou-
vaient aussi entendre, et même avec plus
de raison, de celui qui a déjà commencé à
vivre selon l'esprit, c'est-à-dire qui étant
spirituel dans la partie supérieure, se
trouve charnel par les désirs et les mouve-
ments de la partie inférieure. Il montre que
le péché n'habite dans notre chair qu'à
cause de la racine de la mortalité et de l'ha-
bitude des voluptés ; que la première est la
peine du péché originel, et l'autre la peine
des péchés actuels souvent réitérés ; que
nous entrons en cette vie avec ce premier
péché ; qu'à mesure que nous y marchons,
1 Lib. De Don pers., cap. xxi. — "- Lib. II Re-
tract-, cap. I. — 3 Lib. II Retract., cap. i.
nous y ajoutons les autres ; et que ces deux
choses, savoir la nature et l'habitude, étant
jointes ensemble, forment cette cupidité si
forte que l'Apôtre appelle péché. Il ajoute
que le but de Dieu a eu en donnant la loi,
a été d'apprendre à l'homme captif, et as-
servi sous la domination du péché, à ne pas
présumer de ses propres forces, mais à re-
connaître qu'il ne peut être délivrée de ce
corps de mort que par la grâce de Dieu ; et
que ce qui reste d'utile au libre arbitre en
cette vie mortelle, n'est pas d'accomplir la
justice aussitôt qu'il le voudra, mais de s'a-
dresser par une prière humble et pieuse à
Celui par le don diujuel il la puisse accom-
plir. Eu rapprochant ensuite les passages
des Épîtres aux Romains et aux Corinthiens,
où l'Apôti'e parle de la loi tantôt comme
bonne, et tantôt comme ne l'étant pas, il
fait voir que cette même loi qui a été don-
née par Moïse afin qu'on la craignît, a été
faite grâce et vérité par Jésus-Christ, afin
qu'on l'accomplît.
Dans la seconde partie du même livre,
saint Augustin examine ces paroles du cha-
pitre IX de la même Épître aux Romains :
Cela se voit non-seulement dans Sara, mais en- Rem. n,
core dans Rébecca, qui conçut deux enfants '
en même temps de notre père Isaac, jusqu'à
celles-ci : Si le Seigneur des arîm'es ne s'était
réservé quelques-uns de notre race, nous serions
devenus comme Sodome et Gomorrhe. Ce Père
en faisant la révision ' de ce qu'il avait écrit
sur cet endroit, dit que, quoiqu'il ait com- ^
battu pour le libre arbitre, néanmoins la f
grâce l'a emporté, et qu'il n'a pu conclure
autre chose, sinon qu'il n'y a rien de plus
clair que la vérité qui a fait dire à l'Apôtre :
Qui est-ce qui met de la différence entre vous?
Qu'avez-vous que vous n'ayez reçu ? Et, si vous
l'avez reçu, pourquoi vous en donnez-vous la
gloire comme si vous ne l'aviez pas reçu ? Il
ajoute que saint Cyprien voulant montrer la
même chose, a décidé la question en di-
sant : Que nous ne devons nous glorifier de
rien, puisqu'il n'y a rien qui vienne de nous.
Le dessein de saint Augustin dans cette
seconde partie est donc d'établir comme mic
vérité incontestable, non-seulement que la S
foi n'est point donnée selon nos mérites,
mais que le commencement même de la foi
est un don de Dieu. Il s'autorise en cela des
paroles de saint Paid, que nous venons de
rapporter; et insiste particulièrement sur
celles-ci : Il ne dépend pas de f homme qui veut
_,
[iv= ET v« SIÈCLES.] SÀTNT AUGUSTIN,
et qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde ;
en sorte que si la miséricorde de Dieu ne
précède en nous appelant à la foi, nous ne
pouvons croire, ni être justifiés. Il l'econnaît
des commencements de foi « qui ne sont,
dit-il, que comme de simples conceptions,
et qui ne peuvent nous procurer la vie éter-
nelle, parce qu'il ne suffit pas d'être conçu;
il faut naître. » Mais il soutient que ces com-
mencements même de foi ont pour principe,
quelque instruction extérieure ouintériem-e;
et que Corneille n'aurait eu en aucune sorte
la foi qu'il a eue, quoique encore imparfaite
et commencée, s'il n'avait été appelé à la
foi, ou par des visions secrètes qui frappent
l'esprit, ou par des instructions extérieures
qui frappent les sens du corps. Il ne com-
prend pas comment quelques-uns disaient
qu'en vain Dieu nous faisait miséricorde, si
nous ne le voulions bien, puisqu'il appar-
tient à cette même miséricorde de nous le
faire vouloir. « Car il n'y a personne, dit-il,
qui ose nier que la bonne volonté ne soit un
don de Dieu. D'ailleurs, comment Dieu fe-
rait-il en vain miséricorde à quelqu'un , lui
cjui appelle celui à qui il fait miséricorde, de
la manière qu'il sait lui être convenable, pour
qu'il ne i-ejette pas sa vocation? Et quand il
abandonne quelqu'un en ne l'appelant pas à
la foi d'une manière qui puisse l'y faire ve-
nir; qui pom-ra dire que le Tout-Puissant ait
manqué de moyens capables de le persuader
de croire en lui? n
Selon le saint Docteur, l'endurcissement de
l'homme par rapport à Dieu est de ne point
vouloir lui faire miséricorde ; cet endurcis-
sement ne vient pas de ce qu'il met quelque
chose dans le cœur de l'homme qui le l'ende
pire qu'il n'était; mais seulement de ce qu'il
ne lui communique pas ce qui le rendrait meil-
leur. Il rejette sur le péché originel la cause
de la réprobation d'Ésaii : Dieu ne haïssait
en lui ni l'âme, ni le corps qu'il avait créés,
mais le péché; comme il hait souveraine-
ment l'iniquité, il la punit par la damnation
dans les uns, et la détruit dans les autres
par la justification, agissant en cela selon
qu'il le juge à propos par le conseil de ses
jugements impénétrables. Enfin, il soutient
cpie saint Paul n'a pas eu d'autre intention
dans son Épître aux Romains, que de mon-
trer l'obligation où sont les justes de ne se
glorifier que dans le Seigneur, qui forme en
nous la bonne volonté même. «Si nous con-
sidérons, dit-il, avec attention et avec soin
ÉVEQUE D'HIPPONE.
2ol
ce que dit saint Paul : Cela ne dépend pas de noi^. u,
riiomme qui veut, et qui court, mais de Dieu
qui fait miséricorde, nous trouverons que l'A-
pôtre n'a point parlé de cette sorte seulement
pour nous avertir que c'est avec le secours
de Dieu que nous accomplissons ce que nous
voulons; mais aussi pour nous marquer ce
qu'il enseigne en un autre endroit, que nous
devons travailler à notre salut avec crainte jj '''■'"i'- ">
et tremblement, parce que c'est Dieu qui
produit en nous le vouloir et l'action selon
qu'il lui plaît. Par où il montre clairement,
que le bon mouvement de la volonté se pro-
duit en nous par l'opération de Dieu : car
s'il dit que cela ne dépend pas de l'homme, qui
veut, et qui court, mais de Dieu qui fait mi-
sécoi'de, c'est seulement parce que la vo-
lonté de l'homme ne suffit pas toute seule
pour bien vivre, si nous ne sommes aidés de
la miséricorde de Dieu. On peut dire aussi
de la même manière, que cela ne dépend
pas de Dieu qui fait miséricorde, mais de
l'homme qui veut consentir, parce que la
miséricorde de Dieu ne suffit pas toute seule,
si le consentement de notre volonté n'y in-
tervient. Cependant il est évident qu'en vain
nous voulons, si Dieu ne nous fait miséri-
corde. Mais je ne sais pas comment on ose-
rait dire, qu'en vain Dieu nous fait miséri-
corde si nous ne voulons consentir , puisqu'il
ne se peut pas que, lorsqu'il nous fait misé-
ricorde, nous ne voulions et ne consentions,
le premier effet de cette miséricorde étant de
nous faire vouloir et de nous faire consentir;
parce que c'est Dieu qui produit en nous le
vouloir et l'action selon sa bonne volonté. »
4. Dans le second hvre, saint Auanistin ré- -■\°5'.«» ^"
, . '-^ second livre,
pond a cinq questions que Simplicien lui i=s- '^o.
avait faites sur divers endroits des livres des
Rois. La première regarde la pythonisse qui
fit paraître l'âme de Samuel à Saiil. Ce Père
examine d'abord de quel esprit on doit en-
tendre ce qui est dit dans le premier livre
des Rois : L'esprit de Dieu entra dans Saûl; Qucs(. i,
si c'est du Saint-Esprit ou du malin esprit ''IW. i, lo.
dont ce prince fut possédé depuis : il convient
qu'il faut les entendre de l'esprit de Dieu,
dont Saiil fut rempU pour un temps, et du-
quel il reçut même l'esprit de prophétie, non
à la manière des Prophètes envoyés de Dieu
comme Jérémie et Isaïe, mais comme Ba-
laam et comme Caiphe, qui n'ont eu ce don
que poui- un instant, et qui ont prophétisé
sans le savoir. Il ajoute que Saiil après avoir
été rempli de l'esprit de Dieu fut possédé
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Quest.
pag. 115.
Uuesl.
;. 115.
252
du malin esprit, qui n'est appelé esprit du
Seigneur que parce que Dieu se servait de
son ministère pour la punition de ce prince.
La seconde question consistait à savoir com-
ment on pouvait accorder le repentir de
Dieu avec sa prescience, parce qu'il est dit
dans le premier livre des Rois : Je me repens
d'avoir établi Saïil pour roi. Saint Augustin
répond cpie, comme il y a des choses loua-
bles dans les hommes qu'on ne peut dire de
Dieu, il y en a de blâmables en eux qu'on peut
lui attribuer, non dans le même sens, mais
en se servant des mêmes termes, pris toutefois
dans une signification plus relevée ; que tel
est le mot de repentir, qui dans Dieu n'est
pas comme dans les hommes accompagné
d'un regi'et ou d'une douleur d'esprit qui
les obligent à reprendre en eux-mêmes le
mal qu'ils ont fait témérairement, mais le
seul vouloir qu'une chose soit ainsi qu'elle
était auparavant. C'est ce que ce Père mon-
tre par la suite du discours, où nous lisons
que le même Samuel, à qui Dieu avait dit
qu'il se repentait d'avoir établi Saiil pour
roi, dit à Saiil en parlant de Dieu qu'il n'est
pas semblable à l'homme pour se repentir.
Sur la troisième question qui était tou-
chant la pythonisse, saint Augustin ne trouve
point d'inconvénient à admettre l'apparition
de Samuel à Saiil comme réelle, Dieu ayant
pu permettre au démon d'évoquer l'àme de
ce pro|jhète, comme il lui permit de trans-
porter le Sauveur sur le haut du temple.
Mais il reconnaît aussi qu'il n'y a point d'in-
convénient à dire que ce fut seulement un
fantôme qui se présenta h l'imagination de
Saiil par une illusion du diable; et que,
comme on donne aux images le nom des
choses qu'elles représentent, l'Écriture a pu
nommer Samuel, ce qui n'était que son
image tracée dans l'imagination de Saûl.
Mais comment le démon pouvait-il prédire
la mort du roi? Le saint Évêque lépond :
« Rien n'empêche que Dieu, pour punir les
hommes, ne permette que le démon ap-
prenne la vérité des choses par le ministère
des bons anges ; toutefois de semblables
prédictions sont ordinairement accompa-
gnées de faussetés : ce qui paraît dans cette
prédiction même, car l'image de Samuel,
après avoir dit ù Saiil qu'il mourrait ce jour-
là, comme il arriva en effet, ajouta : Vous
1 Cassiod., Inst., cap. Ii,
eccles., cap. xxxvi.
et Geunad., De Scrip.
serez aujourd'hui avec moi , ce qui était ime
fausseté. »
5. n ne trouve pas grande difficulté dans
la quatrième question, où il s'agissait de
donner le vrai sens de ces paroles : Le roi
David entra et s'assit devant le Seiqneur. «Car
elles signifient, dit-il, ou que ce prince s'as-
sit dans l'endroit où était l'arche du Testa-
ment qui marquait d'une façon particulière la
présence du Seigneur, ou qu'il pria du fond
de son cœur sans qu'aucun homme le vit,
ou enfin qu'il pria étant assis, comme l'était
aussi Elle lorsqu'il fit, par sa prière, tomber
la pluie du ciel. » Ces exemples nous appren-
nent qu'il ne nous est pas prescrit de quelle
manière le corps doit être quand nous prions,
pourvu que notre âme soit en la présence
de Dieu.
A l'égard de la cinquième question, saiul
Augustin fait voir qu'elle n'aurait aucune
difficulté si l'on avait observé une exacte
ponctuation dans tous les exemplaires de la
Bible. Car au lieu de hre avec Simplicien :
Seigneur qui êtes témoin de la piété de la veuve
chez qui je demeure, vous avez fait mal de met-
tre à mort son fils, il faut lire par forme d'in-
terrogation, avez-vous fait mal? Dieu, en ef-
fet, n'avait permis la mort de cet enfant que
pour le ressusciter, et rendre par ce miracle
son prophète recommandable aux hommes.
6. Une sixième question, dont ce Père ne
fait pas mention dans ses livres des Rétrac-
tations, a pour objet de savoir quel était cet
esprit de mensonge par qui A chah fut trom-
pé. Saint Augustin croit que comme Dieu,
qui sait récompenser ou punir suivant le
mérite, se sert des bons anges pour de bon-
nes actions, il emploie aussi les mauvais
anges à des œuvres qui sont dignes d'eux,
et convenables à l'incliuation qu'ils ont de
nuire, en leur prescrivant néanmoins les
bornes qu'il juge nécessaires. Cassiodore et
Gennade marcfuent ' cet ouvrage de saint
Augustin, mais Gennade semble dire que ce
Père l'écrivit n'étant encore que prêtre, ce
qui ne peut se soutenir.
§ ni.
Des questions à Dulcitius.
1. On lit dans la préface du livre des huii
questions adressées à Dulcitius, que le di-
manche de Pâques avait été cette année-là
le troisième des calendes d'avril, c'est-à-dire
le 30 mars. C'était ou en 419 ou en 430,
Quesl. S,
r. 21-7.
n Reg.Tii,
inBog. 18.
pag. lis.
111 Beg.
xvll, 20.
Quest.
r. 119.
Solution des
questions do
Dulcit.us Ters
1 an 4i'2. Qui
ét.'ùl Dulci •
tins.
Quo-I
[lY« EX V' SIÈCLES.]
car il n'y eût que ces deux années pendant
l'épiscopat de saint Augustin, où Pâques se
soit renconti'c le 30 mars. On ne peut toute-
fois mettre cet ouvrage en 430, puisqu'il en
est parlé dans les livres des Rétractations
composés en 427 ; ni même en 419, puisque
VEncliiridion ou Manuel, qui ne peut avoir
été écrit avant 421, y est cité. Il semble donc
qu'il y ait faute dans le texte de saint Au-
gustin au sujet du jour de Pâques et qu'au
lieu du 3 des calendes d'avril , on doit lire
le 6 des calendes du même mois , c'est-à-
dire le 26 mars , auquel était Pâques en
422, si mieux l'on n'aime lire le 11 des ca-
lendes d'avril , c'est - à - dire le 22 mars ,
auquel quelques latins célébrèrent Pâques
en 425, comme le marque Bucliérius ' .
Dulcitius à qui ce livre est adressé, était
tribun et notaire ; c'est le même, à ce qu'on
croit, qui était en Afrique vers l'an 420,
en qualité d'exécuteur des lois impériales
contre les donatistes. Il y était encore
lorsqu'il consulta ^ saint Augustin sur di-
verses questions, par une lettre qu'il lui
envoya de Carthage, et que le Saint reçut
vers la fête de Pâques. Il ne put répondre
à ces questions aussitôt qu'il l'eût souhaité,
ayant été obligé d'aller lui-même à Car-
thage incontinent après les fêtes de Pâques,
d'où on ne le laissa revenir qu'au bout de
trois mois. Des affaires pressantes l'occupè-
rent encore quinze jours depuis son retour.
Après les avoir expédiées, il travailla pour
Dulcitius.
9 'lo 2. Ce tribun l'avait consulté sur huit dif-
ficultés, dont saint Augustin avait donné la
solution, excepté de la cinquième, en di-
vers endroits de ses écrits. Il se contenta
donc d'extraire sur les sept 'autres ce qu'il
en avait déjà écrit ', pour satisfaire d'une
part le désir de Dulcitius, et s'épargner de
l'autre la peine de les traiter une seconde
fois, ce qui eût été très-pénible pour lui, et
!• très-inutile à son ami. Il s'agissait dans la
première question de savoir, si les baptisés
qui meurent dans le péché, seront un jour
délivrés de l'enfer. Saint Augustin répond
. m, que non. En expliquant le passage de la
première aux Corinthiens, où il est parlé
du feu qui doit purifier les fidèles ; en con-
sumant ce qu'ils auront édifié de mauvais
sur le fondement solide de la foi; il fait voir
1 Le père Boucher. {L'éditeur.) — ^ August.,
Prœf. aclDulcit., pag. 121. — » Ibid.
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
253
qu'il faut entendre par le feu les tribula-
tions de cette vie qui purifient les fidèles des
péchés légers : « 11 est croyable, ajoute-t-il,
qu'il se fait aussi quelque chose de sembla-
ble en l'autre vie, à l'égard de ceux qui meu-
rent sans être entièrement purifiés des pé-
chés légers. La vie éternelle n'étant appelée
ainsi que parce que les bienheureux en
jouiront éternellement, on doit penser de
même du feu éternel auquel seront con-
damnés tous ceux qui meurent coupables
des péchés, qui, selon l'Écriture, excluent
du royaume du ciel.»
3. Dulcitius lui avait demandé, en second pjg.^^s''' ^'
lieu, si l'oblation et les prières que l'on fait
pour les morts leur servent de quelque
chose. Saint Augustin répond comme il
avait déjà fait dans son livre du Soin qu'on
doit avoir po2ir les morts, adressé à saint Pau-
lin, que les oblations et les prières profitent
à ceux qui ont mérité, pendant leur vie, que
les prières de l'Église leur pussent être de
quelque utilité. « Que si, au contraire, ajou-
te-t-il, ils n'ont point mérité ce secom's par
une bonne vie, les œuvres de piété qu'on
pourrait faire pour eux après leur mort, ne
leur serviront de rien. » Il cite ce qu'il avait
dit dans son Manuel à Laurent , que pen-
dant le temps qui se trouvera entre la mort
des hommes et la résurrection dernière, les
âmes seront retenues dans des lieux secrets,
où elles seront en repos ou en peine selon
qu'elles l'auront mérité en ce monde ; que
celles qui pendant qu'elles y étaient auront
mérité par leurs actions, que le sacrifice du
Médiateur et les bonnes œuvres leur pus-
sent être utiles, en recevront effectivement
du soulagement après leur sortie de ce
monde ; mais qu'à l'égard de ceux qui ont
été d'une conduite déréglée, si ces choses
ne leur servent de rien, elles sont du moins
une espèce de consolation pour les vivants.
4. Par la troisième question, Dulcitius de- Qu»si. 3,
mandait deux choses : La première, si le ju- i™'
gement dernier suivrait immédiatement l'a-
vènement de Jésus-Christ ; la seconde, si
tous les hommes sans exception mourront.
Saint Augustin répond : « La cause de l'avè-
nement de Jésus-Christ, étant de juger les vi-
vants et les morts, il n'y aura aucun inter-
valle entre sa venue et le jugement. Quand
à ceux qui seront encore en vie lorsqu'il
viendra, quelques-uns du moins d'entre eux
ne mourront pas, mais passeront de la vie
mortelle à l'immortalité qui sera accordée
25-4
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
aux saints. » II renvoie Dulcitius à la lettre
Cfu'il avait écrite sur ce sujet à Mercator; et
il le prie lui-même de lui communiquer là-
dessus ce qu'il pourrait avoir lu ou entendu
de décisif. « Car, je vous avoue, lui dit-il,
que j'aime mieux apprendre que d'ensei-
gner. La douceur de la vérité suffit pour
nous exciter à apprendre ; mais il n'y a que
la charité qui puisse nous obliger d'ensei-
gner. Ainsi, nous devons plutôt prier Dieu
que cette nécessité qui oblige un homme à
en enseigner un autre n'ait plus de lieu, et
fpie nous devenions tous ensemble disciples
de Dieu. »
pag.'^îaV,' et 3. La quatrième question est sur le sens
133."' '" ^'^' du second verset du troisième psaume que
saint Augustin explique comme dans ses
Commentaires. « Avoir le cœur droit, dit-il,
c'est ne pas résister aux corrections de no-
tre Père céleste , et croire fermement en ses
promesses. » Il répète dans la solution de la
sixième, ce qu'il avait dit à Simplicien tou-
chant la pythonisse , avec cette différence
qu'il reconnaît ici que c'était Samuel même
qui avait apparu à Saiil : en quoi il s'appuie
sur l'autoi'ité du livre de l'Ecclésiastique.
Il dit qu'il n'y avait pas plus de difficulté à
l'esprit immonde qui était dans cette femme,
de faire voir Samuel à Saûl, et de les faii'e
parler ensemble, qu'à satan, prince de tous
les esprits immondes, de parler à Dieu, de
lui demander permission de tenter Job, et
de transporter Jésus-Christ sur le haut du
Temple.
Qiicft. 7, 6. Il fait voir en répondant à la septième
question que ni Abimélech, ni Pharaon n'a-
busèrent de Sara femme d'Abraham ; pre-
mièrement , parce que l'Écriture n'en dit
rien; en second lieu, parce que ce n'était
pas l'usage alors que les femmes couchas-
sent aussitôt avec les princes à qui elles
avaient plu, et qu'elles étaient quelquefois
plusieurs mois , et même une année entière
avant, comme on le voit par le livre d'Es-
^Esiher II, thcr. « Pendant ce temps , dit saint Augus-
tin, Dieu empêcha Abimélech et Pharaon
d'attenter à la chasteté de Sara, et en dé-
tournant l'un par des songes , et l'autre par
des plaies dont il affligea son corps. » Il ra-
conte à cette occasion une histoire singu-
lière arrivée dans la Mauritanie de Stèfe.
Un jeune catéchumène nommé Celticchius,
avait enlevé une veuve qui avait fait vœu de
continence, et il voulait l'avoir pom- fem-
me. Dès qu'il se fut mis au lit, il se trouva
par. laG.
accablé de sommeil, et pendant qu'il dor-
mait. Dieu le frappa d'mie si grande ter-
reur, qu'il amena la veuve, sans l'avoir tou-
chée , à l'évêque de Stèfe , qui la faisait
chercher avec beaucoup d'inquiétude. Ils
vivaient encore l'un et l'autre dans le temps
que saint Augustin écrivait ceci. Celticchius,
converti par ce miracle, reçut le baptême,
et vécut depuis dans une si grande piété,
qu'on réleva à l'épiscopat ; et la veuve per-
sévéra dans la sainte viduité.
7. La huitième question est touchant l'ex- , Q"»*!- » ot
^ s, pag, 13 1 et
plicatiou des deux premiers versets de la '^s.
Genèse. Saint Augustin pense que par ces
paroles : Au commencement Dieu fit le ciel et
la terre, il faut entendre le Père et le Fils;
et que par celles-ci : l'Esprit de Dieu était
porté sur les eaux. Moïse a voulu marquer le
Saint-Esprit, et reconnaître dès le com-
mencement de son livre la Trinité par-
faite.
Dans la cinquième question, que saint Au-
gustin a mise la dernière, Dulcitius souhai-
tait de savoir comment Dieu avait pu appe-
ler David un homme selon son cœur , lui
qui avait fait tant de mauvaises actions. Ce
Père répond que ce prince n'était point se-
lon le cœur de Dieu en tant que pécheur,
mais comme pénitent.
§ IV.
Des livides de la Croyance des choses qu'on ne
voit pas. De la Foi et du Symbole. De la
Foi et des bonnes œuvres.
1 . Le livre de la Croyance des choses qu'on Le li-n-e i"
"^ ■'la Cio\ance
ne voit point, mis au rang des ouvrages ^'^ choses
' , '-' o qu on ne voit
supposés par Érasme et les docteurs de- h^^, 't„„^°.
Louvain, a été restitué à saint Augustin à'",'."'"'*'""
dans la nouvelle édition. Il est en' effet de
son style, et digne de lui. Érasme l'avait at-
tribué à Hugues de saint Victor, ne sachant
pas que dans des manuscrits plus anciens
que cet auteur, ce livre portait le nom de
saint Augustin. Mais ce qui met la chose
hors de doute, c'est que ce Père le cite lui-
même dans sa deux cent trente -unième
lettre au comte Darius, avec les livres de
la Patience, de la Continence, et quelques au-
tres. Ainsi il ne faut avoir aucun égard à
ce qu'on objecte cpi'il n'en est fait aucune
mention dans les livres des Rétractations,
ni dans le catalogue de Possidius. Ce qu'on
lit au chapitre septième de ce traité, de la
démolition des temples, fait voir qu'il n'a
Ti.ilyse de
livre, pag.
[iv^ ET V' SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
été écrit que depuis la loi d'Honorius en
399.
2. Le dessein de saint Augustin est d'y
montrei' qu'on peut croire sans témérité
dans la religion chrétienne, des choses qui
ne se voient pas des yeux du corps. C'est
ce qu'il prouve premièrement par ce qui se
passe tous les jours parmi les hommes, où
l'on croit plusieurs choses que l'on ne voit
point, comme sont la hienveillance et l'ami-
tié que nous croyons dans nos amis. Car si
nous ne les croyions pas en eux, dit-il, nous
ne leur rendrions pas le réciproque. Il mon-
tre en second lieu que la foi humaine, qui
nous fait croire des choses que nous ne
voyons pas, est si essentielle à la société,
qu'elle tombe jiécessairement, si cette foi
ne subsiste pas. « Comment en effet, dit-il,
l'amitié subsistera-t-elle entre deux per-
sonnes , s'il est vrai que je ne dois point
croire ce que je ne vois pas ; puisque cette
amitié est invisible? Or, en ôtant l'amitié
mutuelle, tous les liens du mariage, de la
parenté , de l'alBnité sont rompus. Une
femme n'aimera point son mari, et l'un et
l'autre ne souhaiteront pas d'avoir des en-
fants, parce qu'il n'y aura rien de certain
entre eux touchant la réciprocité de l'amitié.
Il est vrai que les amis se donnent mutuel-
lement des preuves extérieures de leur ami-
tié; mais ceux-là se trompent grossièrement
qui s'imaginent que les chrétiens croient en
Jésus-Christ et à sa doctrine sans avoir des
preuves sensibles de la vérité de leur
croyance. »
Saint Augustin réduit ces preuves ou ces
motifs de crédulité à l'accomplissement des
prophéties et à l'étaWissement de l'Église
dans toute la terre. D'où il conclut que l'é-
vénement des choses prédites doit nous être
un garant que le reste des prédictions s'ac-
complira ; les luies et les autres se trouvant
également écrites dans les livres que les
Juifs, ennemis des chrétiens, nous ont con-
servés. « Car Dieu a voulu, continue-t-il,
que cette nation ne fût point détruite, mais
dispersée partout, afin que produisant elle-
même les prophéties qui regardent l'Église,
on puisse convaincre plus aisément d'erreur
les infidèles. En sorte que si les Juifs sont
nos ennemis dans le cœur, ils nous favorisent
par leurs écrits, et nous serviront toujours
par là de témoins irréprochables. » Ce Père
253
ajoute que quand même il n'y aurait'eu aucune
prophétie touchant la venue de Jésus-Christ ^
et l'établissement de son Église, ce qui s'est
fait ensuite suffirait pour nous autoriser à
croire ce que l'on nous en enseigne. « N'a-
t-on pas vu le culte des faux dieux aban-
donné, leurs idoles brisées, leui's temples
renversés ou employés à d'autres ijsages;
tant de vaines superstitions déracinées, le
vrai Dieu invoqué partout, et cela par l'au-
torité d'un seul homme moqué, pris, lié, fla-
gellé, souffleté, crucifié et mis à mort ; qui
n'avait pour disciples que des idiots et des
pêcheurs, mais dont la constance à combat-
tre la vérité de la doctrine de leur Maître
n'a pu êti'e vaincue par aucun tourment, ni
par la mort même ? » Saint Augustin finit ce
traité en exhortant les nouveaux chrétiens,
de même que ceux qui l'étaient depuis long-
temps, à demeurer fermes dans la foi de
l'Église, sans se laisser séduire ni par les
païens, ni par les Juifs, ni par les hérétiques,
ni par les mauvais catholiques , ennemis
d'autant plus à craindre qu'ils sont au mi-
lieu de l'Eglise même.
3. Les évêques d'Afrique, s'étant assem- LWre de la
blés à Hippone, en 393, ordonnèrent ' à sjmbo'ie, el
saint Augustin, qui n'était encore que prê-
tre, de faire en leur présence un discours
sur la Foi et sur le Symbole. Il obéit, et fut
depuis contraint par les pressantes sollicita-
tions de ses plus intimes amis, de faire de
ce discours un livi-e, qui est venu jusqu'à
nous. Il y explique tous les articles du Sym-
bole, mais sans rapporter tous les termes
dans lesquels on les faisait apprendre par
cœur aux catéchumènes, lorsqu'on les avait
admis au baptême. Ce livre est cité par Cas-
siodore ^.
4. Saint Augustin y combat les mani- Analyse do
^ ^ co livre, i-'ag,
chéens et plusieurs autres hérétiques, qui '»'■
cachaient le poison de leurs erreurs sous les
termes du Symbole , qu'ils récitaient de
même que les catholiques. Il y en avait qui,
sans oser dire que Dieu le Père ne fût pas
tout-puissant , soutenaient néanmoins qu'il
avait formé le monde d'une matière préexis-
tante, et qui lui était coéternelle. Il leur fait
voir qu'il y a contradiction, entre dire que
Dieu est tout-puissant, et dire qu'il y a quel-
que chose qu'il n'a pas créé ; et que comme
il a tout créé par son Verbe, lui seul a pu
l'engendrer. « On appelle, continue-t-il, le
1 August., lib. I Retract., cap. xvn.
- Cassiod., Inst., cap. xxn.
256
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Fils de Dieu Ve?'be, parce que c'est par lui
que le Père nous est connu, de même que
nos paroles servent à faire connaître ce que
nous pensons; le Père l'a engendi'é de lui-
même et de sa propre substance, en sorte que
le Fils est égal à son Père, et n'est poiut créa-
ture, étant engendré, et non créé de rieu;
il s'est fait homme pour nous apprendre à
retourner par l'humilité à l'état d'oîi nous
sommes déchus par l'orgueil; en se faisant
chair il a pris l'homme entier, c'est-à-dire
un corps et une âme, le corps par l'opéra-
tion du Saint-Esprit , dans le sein de la
Vierge, où rien de mortel n'a été conçu de-
puis, comme aucun mort n'a été mis dans
le sépulcre où le corps de Jésus-Christ avait
été enfermé. Les manichéens objectaient ces
paroles de Jésus-Christ à sa mère : Femme
joan. II,'.. qu'y a-t-U entre vous et moi? Et encore :
joan. 11, 10. Quelle est ma mère et qui sont mes frères ? pré-
tendant prouver par là que Marie n'était
pas sa mère. Saint Augustin leur répond que
Jésus-Christ s'est exprimé de la sorte pour
montrer que , comme Dieu, il n'avait point
de mère, et que pour preuve de sa divinité
il allait changer l'eau en vin ; en disant :
Quelle est ma mère et qui sont mes frères?
a voulu nous faire connaître que nous ne
devons pas connaître nos parents lorsqu'ils
nous empêchent de nous acquitter du minis-
tèi'e de la parole que Dieu nous a confié. Il
prouve contre ces hérétiques que Dieu ne
peut avoir de contraire. « Dieu est, dit-il, ce
qui est. Le contraire, est ce qui n'est pas.
Il ne peut donc y avoir rieu qui lui soit con-
traire. »
Suite. S. Il a été nécessaire de mettre dans le
Symbole le nom de Ponce Pilate, afin que
l'on connut le temps auquel Jésus-Chi'ist a
été crucifié. Quand il est dit dans le même
Symbole que le Sauveur est assis à la droite
du Père, on ne doit pas ci-oire que le Père
ait comme les hommes un côté droit et un
côté gauche, la droite en cet endroit ne signi-
fiant autre chose que la souveraine béatitude.
Par les termes de vivants et de 7norts que le
Fils de Dieu viendra juger, on doit entendre
les justes et les pécheurs. Pour l'endre la
confession de notre foi parfaite, il a été bon
d'ajouter au Symbole, que nous croyons
aussi au Saint-Esprit, qui est consubstantiel
et coéternel au Père et au Fils, parce que
cette Trinité n'est qu'un seul Dieu, quoique
1 Angust., lib. I Retract., cap. xvii.
le Père ne soit pas le Fils, et que le Fils ne
soit pas le Saint-Esprit. Pour montrer qu'on
ne peut dire trois dieux, quoiqu'il y ait trois
personnes, le saint Docteur se sert de la
comparaison de trois verres d'eau pris d'une
môme source. « C'est la même eau, dit-il,
ce n'est qu'une eau. Trois choses peuvent
donc porter un môme nom, qui leur est ap-
plicable séparément ou prises ensemble. »
Cette comparaison cependant ne représente
pas exactement la ressemblance de la nature
divine qui est dans les trois personnes ; tous
les exemples que l'on tire des choses visibles
n'étant que pour nous faciliter l'intelligence
des invisibles. Les hérétiques et les schis-
matiques donnent à leur congrégation le
nom d'église ; mais nous appelions la nôtre
sainte et cathohque. Les uns et les autres
n'appartiennent point à cette Église ; les
hérétiques, parce qu'ils violent sa foi, les
schismatiques, parce qu'ils n'ont point la
charité fraternelle. Sans entrer dans la dif-
férence des péchés, nous devons croire
qu'ils ne nous seront pardonnes en aucune
manière, si nous ne pardonnons aux autres.
Saint Augustin en parlant de la résurrec-
tion des corps, dit qu'ils seront tellement
changés alors, (ju'il ne restera ni chair ni
sang, conformément à ce que l'Apôtre en-
seigne : Que la chair et le sang ne posséderont -,„^ '''"'■ '"'
pas le royaume du ciel. Comme cet endroit
pouvait souffrir de la difficulté, il l'explique
dans ses Rétractations ', en disant que le
changement qui arrivera au corps par la
résurrection, n'empêchera pas qu'il ne soit
palpable et visible comme le fut celui du
Sauveur ; qu'ainsi l'Apôtre veut dire seule-
ment que ceux qui vivent selon la chair ne
posséderont pas le royaume du ciel.
6. Il faut rapporter au commencement de po^êVdesŒu
l'an 413, le livre intitulé : De la Foi et des ^;5^'™" '■"'
Œuvres, puisque dans le chapitre dix-neu-
vième, saint Augustin dit qu'il y avait fort
peu de temps qu'il avait composé celui de
r Esprit et de la Lettre, qu'on sait avoir
été achevé sur la fin de l'an 412. Il fut
obligé de faire le livre de la Foi et des
Œuvres ^, pour répondre à des écrits que
quelques personnes, qui étaient du nombre
des laïques, mais qui n'eu n'avaient pas
moins de zèle pour la parole de Dieu, lui
avaient envoyés. Les auteurs de ces écrits
distinguaient tellement la foi en Jésus -
^ Lib. II Retract., cap. xxxviii.
[IV' ET v-= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
Christ des bonnes œuvres ; qu'ils voulaient
qu'on pût être sauvé sans les bonnes
œuvres ; pourvu seulement qu'on eût la foi.
C'est pourquoi ils voulaient qu'on admît
tout le monde au baptême et à l'Eucharistie,
sans se mettre en peine si on changeait de
vie, et même cpioiqu'on déclarât vouloir per-
sévérer dans des dérèglements criminels ; et
selon ces mêmes auteurs on ne devait ins-
truire de leurs devoirs ceux qui étaient ad-
mis de la sorte, qu'après leur avoir donné
le baptême. Ils prétendaient que c'était une
nouveauté, d'en user autrement. Il parait '
qu'ils étaient tombés dans des sentiments si
pernicieux, pour avoir voulu soutenir quel-
ques particuliers qu'on n'avait point voulu
admettre au baptême, parce que, après avoir
répudié leur première femme, ils en avaient
épousé une seconde, ce qui était un adul-
tère, comme Jésus-Christ le déclare dans
l'Évangile. Quelques-uns ont cru - cpie les
écrits que saint Augustin dit lui avoir été
envoyés par des laïques, étaient ceux de
saint Jérôme, tant sur Isaïe que sur saint
Paul ; mais il n'y a rien dans les écrits de
ce Père qui favorise la première ni la seconde
erreur; et il est hors d'apparence qu'il ait
enseigné la troisième. Il est parlé du livi'e
de la Foi et des Œuvres dans le Manuel à
Laurent ', dans le livre des Questions de
Dulcitius, et dans VEpître à Consentius.
Aiiaijse de 7. Pour détruire la première erreur, saint
Augustin fait voir que , tout en souffrant
les méchants dans l'Église , on ne doit
pas pour cela néghger de les corriger,
ni rien relâcher de la rigueur de la disci-
pline. 11 rapporte un exemple de Moïse qui
sut en même temps user de patience envers
les méchants, et en punir plusieurs de mort ;
de Phinéès qui perça de son épée des adul-
tères ; de saint Paul qui livra à satan l'inces-
tueux de Corinthe. Selon ce Père, toutes les
punitions corporelles usitées dans l'ancienne
loi, marquaient les dégradations et les ex-
communications dont on doit se servir dans
l'Égiise où l'usage du glaive est interdit. Il
avoue néanmoins que l'on doit reprendre les
pécheurs avec doucem' et avec charité, et
propose sur ce sujet la manière dont Jésus-
Christ a ordonné la correction fraternelle. Ve-
nant ensuite aux dispositions nécessaires pour
être admis au baptême|, U soutient qu'on en
EVEQUE D'HIPPONË.
287
livre, pajj.
doit exclure tous les pécheurs qu'on sait
vouloir persister dans leurs crimes. Il témoi-
gne qu'on exigeait une si grande pureté de
ceux C]ui se préparaient à recevoir ce sacre-
ment , qu'on les purifiait non-seulement par
l'abstinence, le jeûne et les exorcismes , mais
qu'on les obligeait encore à la continence
pendant certains jours; en sorte qu'on ne
l'aurait pas administré à un homme qui
n'aurait pas voulu promettre de s'abstenir
de sa femme légitime pendant les quelques
jours qui précédaient la cérémonie du bap-
tême.
8. Voici comment il combat la seconde suiie.
erreur : 11 n'y a point de temps plus pro-
pre pour insti'uire ceux qui souhaitent
avec ardeur le baptême, que celui qui en
précède l'administration; l'Apôtre prescrit
l'ordre qu'on doit garder dans cette occa-
sion, en disant : Dépouillez-vous du vieil hom- cai. m, 9,
me et revêtez-vous du nouveau. Tout le temps
du catéchuménat est employé à instruire les
catéchumènes de la foi et de la vie que doi-
vent tenir les chrétiens, afin que, s'étant
éprouvés eux-mêmes, ils s'approchent de la
table du Seigneur pom- y manger et boire du
calice. Les apôtres , et saint Pierre en parti-
culier, ne se contentaient pas de la foi, mais
ils exigeaient encore que ceux qu'ils ad-
mettaient au baptême fissent pénitence : ce
qui enfermait et un renoncement à l'infidé-
lité, et le désir d'une vie nouvelle. On objec-
tait que l'eunuque de la reine de Candace
fut baptisé par saint Philippe aussitôt qu'il
eut fait profession de croire en Jésus-Christ ;
d'où l'on concluait qu'il fallait en user de
même envers tout le monde. Saint Augustin
répond que l'écrivain sacré qui raconte ce
fait, n'a pas dit tout ce qui s'était passé en
cette occasion ; il y a plusieurs choses dont
l'Écriture ne parle point, mais cpie nous
savons par tradition devoir être observées ;
quand saint Luc dit que le diacre Philippe an-
nonça Jésus-Christ à cet eunuque, cela ne veut
pas dire seulement qu'il lui enseigna ce qu'il
fallait croire de Jésus-Christ, mais encore ce
qu'il faUait faire pour lui être incorporé.
Ce Père explique de même ce passage de
saint Paul : Je ti'ai point fait profession de i cor. m,
savoir autre chose parmi vous, que Jésus-
Christ, et Jésus-Christ crucifié. Ces deux
préceptes de la charité, dont, selon ces au-
* Lib. XV De Fiàe et oper., cap. i.
— ^ Garner,
3 Enchir., cap. Lxvn, Quœst.
I ad Dulcit.
ad I part. Marc, pag. 117.
Epist. 205 ad Consent.
IX.
17
et
258
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Jnen, v, 14
teurs, le premier regarde ceux qui deman-
dent le baptême, et le second ceux qui l'ont
reçu, ont entre eux xme telle liaison, qu'on
ne peut observer l'un sans l'autre, comme
on le voit en divers endroits de l'Écriture.
Saint Paul, dans son Épître aux Hébreux, et
saint Pierre dans les Actes des apôtres, exi-
gent la pénitence des œmTes de mort dans
ceux qu'on admet au baptême. L'Apôtre, en
disant que le temple de Dieu ne peut ?e
rencontrer avec les idoles , enseigne consé-
quemment qu'on ne peut admettre au bap-
tême celui qui ne vevit pas renoncer aux sa-
crifices superstitieux des païens. Saint Jean
a donné des préceptes touchant les mœurs à
ceux qui venaient à lui pour être baptisés.
Jésus-Christ prescrivit au riche qui lui de-
mandait le chemin de la vie éternelle, l'ob-
servation des préceptes, marquant par I;ï
cpi'il ne suiïïsait pas de croire, si l'on n'ob-
servait aussi les préceptes des mœurs que
Dieu a donnés à l'homme.
9. Ensuite il réfute la troisième erreur,
soutenue par ceux qui croyaient la foi suffi-
sante sans les œuvres. Un grand nombre de
passages lui sont allégués pour prouver que
quelque grande que soit la foi , elle ne sert
de rien sans la charité ; et que tous ceux
même du nombre des chrétiens qui meurent
en état de péché mortel sans en avoir fait
pénitence seront damnés éternellement. Il
fait voir que Jésus-Christ n'habite dans nos
cœurs que par la foi qui opère par la cha-
rité; que l'Apôtre, en appelant Jésus-Christ
le fondement du salut , entend parler de
cette sorte de foi. Il s'étonne que quelques-
uns aient osé taxer de nouveauté l'usage
d'instruire les catéchumènes avant le bap-
tême, puisqu'on n'en recevait point qui ne
fissent profession de renoncer aux habi-
tudes criminelles qu'ils avaient avant d'ap-
procher des sacrements. Il marque l'ordre
qu'on tenait à leur égard, qui était de leur
faire réciter tous les articles du Symbole;
ensuite de les avertir de faire pénitence
de leurs péchés, et d'en espérer, sans au-
cun doute , la rémission dans le baptême.
En sorte qu'on pouvait leur dire véritable-
ment : Vovs voilà guéris, ne péchez plus à l'a-
venir. Il distingue trois sortes de péchés que
l'on punissait partout de l'excommunication,
jusqu'à ce cpie ceux qui les avaient commis
eir eussent fait une humble pénitence ; sa-
voir : l'impudicité, l'idolâtrie et l'homicide,
posant pour un principe certain que l'indul-
gence ne s'accorde point i ceux qui sont
obstinés dans leurs péchés, mais aux péni-
tents : et cpie soit chrétiens, soit infidèles,
tous ceux-là périront éternellement qui au-
ront mal vécu, et n'auront pas fait péni-
tence, le baptême ne pouvant procurer le
royaume du ciel qu'à ceux qui auront mené
une vie conforme à l'innocence que l'on
reçoit dans ce sacrement et non à ceux
qui , après l'avoir reçu, s'abandonnent à
toutes sortes de vices. Il dit, qu'outre les
péchés qui doivent être remis par la péni-
tence que l'on accorde dans l'Église à ceux
qui sont appelés proprement pénitents, com-
me sont les fornicateurs , les idolâtres et les
homicides, il y en a d'antres qui peuvent
être guéris par les médicaments de la cor-
rection fraternelle prescrite dans l'Évan-
gile, et d'autres enfin sans lesquels on ne
passe point cette -sàe, qui trouvent leurs re-
mèdes journaliers dans l'Oraison domini-
cale.
§'V.
Bu Manuel à Laurent, ou du Traité de la Foi,
de l'Espérance et de la Charité.
1 . Saint Augustin met son Manuel ' ou son
Traité de la Foi, de l'Espérance et de la Cha-
rité, entre ses derniers ouvrages, et immé-
diatement après ses six livres contre Juhen,
qui fiu-ent écrits vers l'an 421. Ce qui prouve
qu'il ne le composa pas plus tût, c'est cpi'il y
parle ^ de saint Jérôme comme déjà mort,
et on sait qu'il ne mourut que le dernier
jour de septembre de l'an 420.
2. Cet ouvrage est adressé à Laïu-ent ', qui
est appelé frère de Dulcitiiis dans le livre
des Huit Questions; c'était une personne de
grande condition et de beaucoup de piété,
mais laïcpie; du moins saint Augustin ne dit
en aucun endroit que Laurent ait été mem-
bre du clergé. 11 ne l'appelle que sou fils et
son bien-aimé en Jésus-Christ. Dans quel-
ques manuscrits, Laurent est cpiahfié chef
du coUége des notaires et secrétaire de la
ville de Rome ; clans d'autres, on ne le nom-
me que notaire de cette ville, et il y en a
011 ou lui donne la c^ualité de diacre, mais
il n'y a rien de certain là-dessus. Comme il
souhaitait extrêmement d'être instruit par
Malt.xviit,
11 fsl i
é à Lan
' August., lib. Il Retract., cap. lxui.
* Enchir., cap. lxxxvu. — ' Qumst. i, num. 10.
[IV ET V" SIÈCLES.]
saint Augustin, il lui écrivit ' pour le prier
de lui faire un livre ^ qui ne sortît point de
ses mains, où il put apprendre ce que l'on
doit embrasser sur toutes choses, et ce que
l'on doit principalement éviter à cause des
diverses hérésies qui se sont répandues dans
le monde, en quoi la raison suit la religion
et l'appuie, et en quoi elle ne s'accorde pas
avec elle, mais la laisse toute seule, se trou-
vant trop faible pour la suivre ; quel est le
commencement et l;i fin de nos espérances,
quel est l'abrégé de toute la doctrine chré-
tienne, et quel est le véritable et le pre-
mier fondement de la foi catholique. Lau-
rent voulait que saint Augustin répondit en
peu de paroles à ces six questions, et le saint
Docteur le fit en effet. « Vous saurez , lui
dit-il, lout cela lorsque vous saurez exacte-
ment ce que l'on doit croire, ce que l'on
doit espérer et ce que l'on doit aimer; puis-
que c'est cela principalement, ou plutôt
c'est tout ce que l'on doit embrasser dans
notre religion. Celui qui résiste à ces vérités,
ou est ennemi du nom de Jésus-Christ, ou
est hérétique. Il faut les défendre par la rai-
son, lorsqu'on peut les appuyer du témoi-
gnage des sens, ou les éclaircir par la lu-
mière de l'intelhgence. Mais quant aux vé-
rités que nous ne pouvons pas même com-
prendre par la lumière de l'esprit, nous les
devons croire certainement sur le rapport
des auteurs sacrés. Mais lorsque l'esprit a
été instruit des principes de la foi qui agit
par l'amour, il s'ellbrce, en vivant bien, de
parvenir à la souveraine félicité ; tels sont le
commencement et la fin de la religion : elle
commence par la foi, et elle se termine à la
possession de la beauté éternelle. C'est là
aussi l'abrégé de toute la doctrine chrétien-
ne. Quant au véritable et parfait fondement
de la foi catholique, c'est Jésus-Christ. »
Saint Augustin, après avoir ainsi répondu
à Laurent, lui dit qu'il faudrait un ouvrage
de plusieurs volumes pour répondre à toutes
ses questions, tant la matière en est vaste;
mais comme il ne demandait qu'un petit li-
vre qu'il pût avoir toujours dans les mains,
et non pas de gros livres propres à remplir
des bibliothèques, il entreprit de traiter dans
un seul livre toutes les questions qu'il lui
avait proposées. II l'intitula : Enchiridion,
c'est-à-dire Manuel à Laurent ', ou Livre de
SAINT AUGUSTIN ÉVÉQUE D'HIPPONE.
2o9
la Foi, de l'Espérance et de la Charité. C'est
sous ce dernier titre qu'il est cité par saint
Fulgence ', mais d'autres, comme Facondus
et Cassiodore le nomment Enchiridion ou
Manuel ^
3. On peut le diviser en trois parties. Dans m h^rf°vl
la première, qm est la plus longue, samt
Augustin enseigne ce que nous devons croi-
re; et s'attache pour cela à l'ordre du Sym-
bole, montrant d'abord qu'il suffit à un
chi'étien de croire qu'il y a un Dieu en ti'ois
p'ersonnes, par qui toutes choses ont été
faites, soit terrestres, soit visibles, soit invi-
sibles ; qu'il n'y en a aucune qui ne soit
bonne de sa nature; que toute ensemble
sont excellemment bonnes, parce qu'elles
composent par leur multitude et par lem'
variété la beauté merveilleuse de l'univers ;
que ce qu'on appelle mal, fait partie de cette
beauté si admirable, lorsqu'il est disposé se-
lon l'ordre qui lui est propre et mis en la
place qu'il doit avoir ; qu'au reste le mal
n'est qu'une privation du bien, comme dans
les corps des animaux les maladies ne sont
qu'une privation de la santé : ce qui n'em-
pêche pas qu'on ne puisse dire que le mal
ne tire son origine d'une chose bonne ;
puisque nous voyons que la bonne et la
mauvaise volonté naissent également de la
nature de l'homme qui est bonne elle-même.
11 y a des choses, ajoute-t-il, qu'il importe
peu de savoir, et même de s'y tromper,
comme sont les secrets de la nature ; et
qu'il suffit de connaître les causés des bon-
nes et des mauvaises choses, pour pouvoir
éviter les erreurs et les misères dont cette
vie est pleine. Il est quelquefois utile d'er-
rer, mais non pas dans ce qui regarde
les mœurs. A ce sujet il raconte qu'ayant
un jour pris un chemin pour un autre, il
évita par cette erreur une troupe de do-
natistes qui l'attendaient au passage pour
lui faire violence. U ne doute point que
tout mensonge ne soit un péché, qui est
plus considérable dans celui qui ment pour
nuire, que dans celui qui ment pour faire
du bien. Mais il ne veut pas qu'on re-
garde comme menteur celui qui dit une
chose fausse la croyant vraie, parce qu'il
est plutôt trompé qu'il n'a envie de tromper.
(( n est encore très-important, dit-il, de sa-
voir en quoi quelqu'un est menteur, ou
1 August., lib. II Retract., cap. m. — ^ Aug., En-
chir. cap. ccxxii. — ' Aug., lib. H Retract., cap.Lxin.
' Fulg., Ejjist. a, quœst. 2. — ■' Facund., lib. I,
cap. VI, et Cassiod., m Psalm. xxxiir, xxxvn.
260
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
trompé. )) Le mensouge en général selon lui,
c'est de parler contre sa pensée avec dessein
et volonté de tromper; et soit que le men-
songe soit officieux ou nuisible, il est tou-
jours péché, mais dans un degré différent.
Par la cause de tous les biens dont il croit la
connaissance nécessaire, il entend la bonté
de Dieu ; et par la cause des maux, la vo-
lonté créée qui se retire du bien immuable,
pour s'attacher au bien muable et chan-
geant. Vient ici une excellente description
de la chute des anges et de celle de l'hom-
me ; elle se termine ainsi : «Dieu a jugé qu'il
A'alail mieux tirer du bien des maux que de
ne pas permettre qu'il n'arrivât aucun mal...
Une partie des anges étant tombée, et l'autre
demeurée dans la justice. Dieu a voulu rem-
plir le nombre des anges rebelles par ceux
d'entre les hommes à qui il a fait miséri-
corde. »
suito delà- 4. « Les hommes étant tous enveloppés
ans." ' °' dans la colère de Dieu parle péché originel,
et l'étant d'autant plus qu'ils en avaient
ajouté plusieurs à celui-là, il était néces-
saire d'avoir un réconciliateur qui apaisât
cette colère, par l'oflrande d'un sacrifice
particulier et imique, dont tous les sacrifices
de la loi et des Prophètes n'étaient que les
ombres. Ce réconciliateur est Jésus-Christ,
Fils de Dieu et homme tout ensemble ; Dieu
avant tous les temps et homme dans le
temps : Dieu, parce qu'il est le A'erbe de
Dieu ; et homme, parce que le corps et l'â-
me raisonnable se sont joints au Verbe dans
l'unité d'une seule personne. C'est poiu'quoi
en tant qu'il est Dieu, son Père et lui ne sont
qu'un; mais en tant qu'il est homme, le
Père est plus grand que lui. Comme Verbe
il est égal au Père, et comme homme il est
moindre que lui. C'est dans ce mystère que
la grâce de Dieu paraît bien clairement.
Qu'avait mérité la nature humaine dans Jé-
sus-Christ homme, pour être jointe à sa di-
vinité par une faveur particulière, et entrer
ainsi dans l'unité de la personne du Fils
unique de Dieu ? Dieu seul agit en cette oc-
casion, afin que les hommes reconnussent
qu'ils sont justifiés de leurs péchés par la
même grâce quia fait que Jésus-Christ hom-
me ne put avoir aucun péché. Le même Fils
unique de Dieu est né du Saint-Esprit et de
la Vierge Marie. On ne peut pas dire néan-
moins qu'il soit Fils du Saint-Esprit : mais
en l'une et l'autre nature il est le Fils uni-
que du Père, quoiqu'il soit aussi le Fils de
la sainte Vierge selon la nature humaine.
Toute la l'rinité, dont les omTages sont
inséparables, a fait cetîe créature que la
Vierge a conçue et enfanté, qui toutefois
n'appartient qu'à la seule personne du
Fils. Pourquoi donc le Saint-Esprit a-t-il été
nommé seul, lorsqu'il l'a fallu foi'mer? C'était
pour marquer la grâce de Dieu, par laqueUe
l'homme sans aucuns mérites précédents,
devait dans le moment où il a commencé
d'être, se trouver joint au Verbe de Dieu
dans une telle unité de personne, que le
même qui était le fils de l'homme , était
fils de Dieu; et ce même qui était fils
de Dieu, était fils de l'homme ; et cette
grâce devait être marquée par le Saint-Es-
prit, parce qu'il a cela de particulier que,
quoique Dieu il ne laisse pas d'être appelé
don de Dieu. Jésus-Christ ayant été conçu
sans concupiscence, n'a point contracté de
péché , et n'en a pu commettre aucun ;
mais il est devenu péché pour nous, c'est-à-
dii-e sacrifice pour nos péchés, afin que nous
soyons justice ; non notre justice, mais celle
de Dieu ; non en nous, mais en lui ; comme il
n'est pas son péché, mais le nôtre, ni en
soi, mais en nous, par la ressemblance de la
chair du péché, en laquelle il a été crucifié
afin que n'ayant point de péché il mom'ùt en
quelque sorte au péché, en mourant selon la
chair, en laquelle était la ressemblance du
péché. C'est en cela que consiste le sacre-
ment de baptême, dont l'eflet est si grand,
que tous ceux qui le reçoivent meurent au
péché, et qu'ils vivent en renaissant des
eaux. Les enfants ne mem'ent qu'au péché
originel, au lieu que ceux qui sont plus avan-
cés en âge mem-ent aussi à tous les péchés
qu'ils ont ajoutés par leur mauvaise vie à ce-
lui de leur naissance. Quoique le péché ori-
ginel soit unique, on peut dire qu'il en ren-
ferme plusieurs : il renferme l'orgueil, en ce
que l'homme a mieux aimé être maître de
soi-même, que d'être soumis à Dieu : il ren-
ferme un sacrilège, parce qu'il a manqué de
foi à Dieu. Il renferme l'homicide, parce qu'il
s'est précipité lui-même dans la mort. Il ren-
ferme une fornication spirituelle, parce que la
pureté de l'esprit humain a été corrompue
par la persuasion du serpent ; il renferme un
larcin, parce que l'homme, a pris du fi'uit qui
lui avait été défendu; il renferme l'avarice,
parce que l'homme a désiré d'avoir plus
que ce qui lui devait suffire. Ce péché ne se
remet que par le baptême; mais à l'égard des
[lyc j,j ye SIÈCLES.] - SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
261
Cor. m
péchés que l'on commet après ce sacrement,
ils peuvent être guéris par la pénitence. »
Saint Augustin traite ensuite des autres
mystères qui regardent Jésus-Clirist, comme
de sa mort, de sa sépulture , de sa résurrec-
tion, de son ascension au ciel, de sa séance
à la di-oite de son Père, et de son avène-
ment pour juger les vivants et les morts,
qui sont autant d'articles du Symbole. Après
quoi il vient à l'article du Saint-Esprit, à
celui de l'Eglise et de la communion des
saints. «Puisque le Saint-Esprit a un temple,
dit-il , comment ne serait-il pas Dieu ? Com-
ment serait -il moindre que Jésus-Christ,
puisqu'il a ses membres pour temples ? Jé-
sus-Christ est le chef de l'Eglise , et cette
Église est composée d'hommes , afin qu'il
eût la supériorité sur tous. Quoiqu'il ne soit
pas mort pour les bons auges, ils ont néan-
moins part à sa mort, en ce qu'elle a mis la
paix entre le ciel et la terre, et réparé les
ruines des anges qui sont tombés. L'ÉgHse
qui est dans le ciel contient les anges et les
vertus : mais celle qui est sur la terre n'est
composée que d'hommes. C'est elle qui a
été rachetée de tout péché par le sang de
son Médiateur. »
En expliquant l'article de la rémission des
péchés, il distingue entre les véniels, qu'il
regarde comme les péchés des enfants de
Dieu, dont ils lui doivent sans cesse deman-
der pardon ; et les mortels qui s'appellent
crimes et qui ont besoin d'une plus grande
pénitence. Quelques grands qu'ils soient, l'É-
glise a le pouvoir de les remettre à ceux qui
en font une pénitence proportionnée ; ils ne
se remettent pas ailleurs, parce que c'est
elle seule qui a reçu le gage du Saint-
Esprit, sans lequel nul péché ne se remet
d'une manière qui fasse obtenir la vie
éternelle. Il réfute l'erreur de ceux qui di-
saient que les mauvais chrétiens ne seraient
punis en l'autre monde que par un feu pas-
sager, fondé sur ce que dit saint Paul : Que
ceux qui bâtissent sur le fondement qui est Jé-
sus-C/wist, du bois, du foin, de la paille, se-
ront sauvés, mais comme par le feu ; et il fait
voir que ces paroles doivent s'entendre des
tribulations de cette vie qui servent à puri-
fier les fidèles de leurs péchés, et non du
feu de l'autre vie, ni des pécheurs dont il est
dit qu'ils ne posséderont pas le royaume de Dieu.
Il soutient qu'il est besoin de changer de vie,
et de quitter entièrement les péchés mortels
pour en obtenir le pardon ; mais' que les pé-
chés véniels dont personne n'est exempt,
s'effacent par l'Oraison dominicale et par les
œuvres de miséricorde, surtout par le par-
don des ennemis. Il y en avait qui, ne se sou-
ciant pas de se corriger de leurs vices, ne
laissaient pas de faire beaucoup d'aumônes,
se flattant en vain de ce que Jésus-Christ a
dit : Faites l'aumône et vous serez purifiés en
tout. Saint Augustin les détrompe , en leur
prouvant par ces paroles qui suivent, que la
première œuvre de miséricorde est d'avoir pi-
tié de notre âme, et que la justice et l'amour
de Dieu sont les véritables aumônes par les-
quelles nous pouvons nous purifier de la
corruption qui est au dedans de nous. Il
ajoute qu'afin qu'il ne semblât pas que Jé-
sus-Christ eût rejeté les aumônes qui se font
des biens temporels, il dit aussitôt après : Il
faut faille ces choses, savoir, être juste et ai-
mer Dieu, et ne négliger pas celles-là, c'est-à-
dire les aumônes des fruits de la terre.
3. C'est par le jugement de Dieu, et non
par celui des hommes, que saint Augustin
veut que l'on juge de la grandeur des pé-
chés : il remarque qu'il y a certaines ac-
tions qui, pour paraître permises dans l'Écri-
ture, ne sont point regardées comme des
péchés, quoiqu'elles en soient en effet. Il
donne pour exemple la liberté que saint
Paul laisse aux personnes mariées , pour
éviter l'incontineace. « On pourrait croire,
dit-il , qu'il n'y aurait point de péché en
cela, s'il n'avait ajouté : Mais je voies le dis
en usant envers vous d'indulgence, et non pas
en vous l'ordonnant. Or, qui peut nier qu'une
chose que l'on pardonne à ceux qui la font,
ne soit un péché ? C'est pour ces sortes de
péchés, et pour d'auti'es, quoique moindres
que ceux-là, qui se commettent par parole et
parpensée, qu'il faut prier Dieu tous les jours
et souvent. Il y en a d'autres que l'on croi-
rait très-légers, si l'Écriture sainte ne nous
enseignait qu'ils sont plus grands que nous
ne le croyons. Qui penserait que celui qui
appelle son frère fou, mérite l'enfer, si la Vé-
rité même ne le disait? Qui croirait que ce
fût un si grand péché d'observer les jours,
les mois, les années et les temps comme font
ceux qui veulent ou ne veulent pas com-
mencer quelque chose à certains jours, à
certains mois , à certaines années ; parce
que, suivant la vaine doctrine de quelques-
uns, ils s'imaginent qu'il y a des temps heu-
reux et malheureux, si nous ne considé-
rions la grandeur de ce mal par la crainte
Luc. XI, îl.
Suite de l'a
nalyso.
I Cor. vir,
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Suilcdel'î-
i-jalvse.
Pag. 2J3.
262
que l'Apôtre nous en donne, dans son Épî-
tre aux Galates ? »
Ce Père se plaint que, de son temps, plu-
sieurs crimes s'étaient tellement tournés en
coutume publique, que non-seulement les
évêques n'osaient pas excommunier un laï-
que qui les avait commis, mais pas même
dégrader un ecclésiastique. Il marque deux
sources de tous les péchés, l'ignorance et
l'infirmité ; l'une est cause que nous ne
voyons pas ce que nous devons faire ; et
l'autre nous empêche de faire ce que nous
connaissons être de notre devoir. Selon le
saint Docteur , comme la grâce seule peut
nous faire surmonter ces deux obstacles ,
c'est aussi par elle que nous faisons péni-
tence de nos péchés. On pèche contre le
Saint-Esprit, lorsque ne croyant pas que l'É-
glise ait la puissance de remettre les péchés,
on refuse opiniâtrement jusqu'à la mort, de
recourir h elle pour en recevoir cette grâce.
6. Saint Augustin passe de là à l'explica-
tion de l'article de la résurrection de la
chair, et il résout plusieurs difficultés tou-
chant la manière, la forme et la grandeur
en laquelle les corps ressusciteront. Tous les
enfants morts dans le sein de leur raère au-
ront part à la résurrection des morts, et il
porte le même jugement de tous les enfants
monstrueux et difformes, soit par l'excès,
ou par le défaut de leur nature. Mais au
temps de la résurrection, il n'y aura rien
dans les corps qui ne soit dans l'ordre et
dans la justesse; et tout y sera dans la
bienséance. Sur quoi il raconte qu'il était né
en Orient un monstre qui avait deux têtes
et quatre mains. Les corps des bienheu-
reux ressusciteront sans aucun défaut ; mais
les damnés ne reprendront les leurs que
pour être pmiis. Ceux qui ne seront cou-
pables que du péché originel contracté par
leur naissance , soufi'riront la plus douce
peine de tous , et ceux qui en auront ajouté
d'actuels, éprouveront une damnation pro-
portion7iée au nombre de leurs péchés.
Sur l'article de la vie éternelle, il parle un
peu de la prédestination, qu'il attribue à la
miséricorde toute gratuite de Dieu, en fai-
sant remarquer que, comme elle n'est due à
personne, personne aussi n'est damné sans
l'avoir mérité. Il dit qu'il n'y a aucun doute
que Dieu ne fasse un bien en permeïtant
tout ce qui se fait dans le monde, pai'ce que
si ce n'était pas un bien, qu'il y eut aussi
des maux, celui qui est souverainement bon,
ne permettrait pas qu'ils fussent lui étant
aussi aisé de les empêcher, que de faire ce
qu'il veut, a Si nous ne croyons cela, ajoute-
t-il, nous renversons le commencement de
notre foi , oii nous déclarons que nous
croyons en Dieu le Père tout - puissant ;
puisqu'il n'est appelé tout -puissant que
parce qu'il peut tout ce qu'il veut, et que
l'effet de la volonté du Tout-Puissant n'est
empêché par la volonté d'aucune créature. »
Cela donne occasion à saint Augustin d'ex-
pliquer ce passage de saint Paul : Dieu veut
que tous les hommes soient sauvés. « Quand on
demande, dit-il, pourquoi tous les hommes
ne sont pas sauvés, on répond d'ordinaire :
C'est parce qu'ils ne le veulent pas; ce qui
ne se peut dire des enfants qui ne sont pas
en état de vouloir ou de ne pas vouloir.
Personne ne dira non plus que Dieu ne
puisse changer les mauvaises volontés des
hommes, celles qu'il veut, quand il veut, et
où il veut. La volonté du Tout-Puissant est
toujours invincible. Comment donc veut-il
que tous les hommes soient sauvés, puis-
qu'il est certain que tous ne le sont pas? On
peut l'entendre en plusieurs manières. Pre-
mièrement, comme s'il y avait , que nul
homme n'est sauvé, que celui que Dieu veut
qui soit sauvé : le sens n'étant pas, qu'il n'y
a personne qu'il ne veuille qui soit sauvé ;
mais que nul n'est sauvé , que celui qu'il
veut sauver. Et c'est ainsi que nous enten-
dons, dit ce Père, ce qui est écrit dans l'É-
vangile : Qu'il éclaire tous les hommes, le sens
n'étant pas qu'il n'y a personne qu'il n'é-
claire, mais que nul n'est éclairé que par
lui. On peut, en second lieu, dire que Dieu
veut que tous les hommes soient sauvés ,
parce que de toute la race des hommes, il
en veut sauver de toute condition , rois ,
particuliers , nobles ou non nobles, grands
ou petits, savants ou ignorants, sains ou ma-
lades, ingénieux ou stupides, riches, pau-
vres ou médiocres, hommes, femmes, en-
fants, jeunes, âgés ou vieux, de toutes lan-
gues, de toutes mœurs, de tous arts, de tou-
tes professions ; et quelques diversités infi-
nies qu'il y ait entre eux de volonté, de
conscience , et de quelques autres choses
que ce puisse être ; car, quel est celui de
ces états dans l'ordre desquels Dieu ne
veuille sauver les hommes dans toutes les
nations par son Fils unique Notre-Seigneur,
et qu'il ne le fasse, parce que le Tout-Puis-
sant ne peul pas vouloir en vain, quelque
Do Spirin
[iV- £T V° SIÈCLES.]
SÀEN'T AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPOiNE.
263
a uaen, cliose CTu'il veuille ? n Saint Auffustin dit
car., xxxiii et ^ TA-
sMiv. clairement ailleurs que Dieu veut sauver
Suite de 1
Daljse.
tous les horomes.
7. Ce Père traite ensuite du libre arbi-
pag. 236. {i-Q (Je rhomme dans l'étal d'innocence, dans
celui de la gloire et dans celui de la nature
corrompue. Dans le premier état, l'homme
pouvait vouloir le bien et le mal , se tuer par
sa seule volonté, en abandonnant la justice,
et conserver sou innocence , assisté néan-
moins de la grâce de celui qui l'avait créé.
Dans le second état, qui est celui de la gloire,
il ne pourra vouloir le mal , et en sera
d'autant plus libre. Quant au troisième état,
l'homme depuis sa chute a besoin, pour faire
le bien, d'être délivré de la servitude où il a
été réduit par le pîché, c'est pour cela qu'il
a fallu un médiateur de Dieu et des hommes,
qui est Jésus-Christ, Dieu et homme tout en-
semble. Durant le temps qui s'écoulera en-
tre la mort de l'homme et la résurrection
dernière, les âmes sont retenues dans des
lieux secrets et cachés, selon que chacune
d'elles est digne ou de repos ou de, peine,
et selon qu'elle a vécu étant au monde.
Ou ne peut nier cpie les âmes des morts ne
soient soulagées par la piété des vivants,
lorsqu'on offre pour elles le sacrifice du Mé-
diateur, ou que l'on fait pour elles quelques
aumônes dans l'Eglise, mais cela ne sert
qu'à ceux qui, durant leur vie, ont mérité
par leurs actions que toutes ces choses leur
pussent être utiles après qu'ils seraient sor-
tis du monde. Ainsi le sacrifice de l'autel
et les aumônes pour les morts qui ont été
baptisés, sont des actions de grâces pour
ceux qui ont été extrêmement bons, des in-
tercessions pour ceux qui n'ont pas été
grands pécheurs, et des motifs de consola-
tion aux vivants lorsqu'ils font ces œuvres
de piété pour ceux qui sont morts dans le
péché. La tendresse et la compassion que
quelques personnes ont pour les damnés, sont
vaines, car elles se persuadent faussement
contre l'autorité de l'Écriture , que leurs
peines ne dureront pas toujours. Il les abu-
sait, en cette occasion , de ces paroles du
^^Psain .ivi, Prophète : Dieu n'oubliera point de faire misé-
ricorde, et n'arrêtera pas sa clémence dans sa
colère, ces paroles devant s'entendre de ceux
qui sont appelés les vases de miséricorde, parce
qu'en eûèt ils ne sont pas déhvrés de la mi-
sère par leurs propres mérites, mais par la
miséricorde de Dieu. Il n'y a aucun lieu de
s'imaginer que l'on doive voir finir un jour
la damnation de ceux dont il est dit : Ils iront waiih. x>:v,
.'.6.
au supplice éternel.
8. La seconde paiiie du Manuel est em- ce lEsp.:-
^ rance , pa,--
ployee à montrer que les chrétiens ne doi- 230.
vent mettre leur espérance qu'en Dieu seul,
et que tout ce que nous devons espérer, est
compris dans l'Oraison dominicale. Saint Au-
gustin remarque que saint Luc ne rapporte
dans cette prière que cinq demandes, au
lieu que saint Matthieu en met sept ; mais
que cette différence n'en fait aucune pour le
fond de la prière, qui est la même dans ces
deux Evaugélistes.
9. Dans la troisième partie, le saint Doc- De ucha-
^ rite, pEj. 2'tO.
teur traite de la charité. « Quand on demande,
dit-il, si quelqu'un est homme de bien, on
ne s'informe pas de ce qu'il croit, mais de
ce qu'il aime ; parce qu'on est certain que
celui qui aime ce qu'il doit aimer, croit ce
qu'il doit croire, et espère ce qu'il doit espé-
rer. La loi peut bien commander, mais non
pas aider ; au contraire, elle rend l'homma
prévaricateiu", en lui ôtant le pouvoir de
s'excuser sur son ignorance ; ainsi il est be-
soin qu'en connaissant la loi, nous soyons
assistés de l'esprit de Dieu pour en observer
les préceptes. Tous les commandements de
Dieu, de même que tous les conseils évan-
géliques, se rapportent à la charité. Ce que
l'on fait ou par la crainte de la peine ou par
quelque intention cliarnelle, et non par un
mouvement d'amour, ne se fait pas en la
manière qu'on le doit faire, puisque cet
amour est l'amour de Dieu et du prochain,
et que toute la loi et tous les Prophètes ne
consistent qu'en l'accomplissement de ces
deux préceptes »
§.VI.
Du Combat chrétien et de la manièi^e d'enseigner
les principes de la religion.
1. Le livre du Combat chrétien est ^ le troi- liito du
Combat cliit-
sième ouvrage compose par saint Augustin, ^^en,AersraD
depuis son épiscopat. Ainsi il faut le rap-
porter à l'an 396 ou 397 au plus tard. Cô
Père remarque lui-même ^ qu'il l'écrivit d'un
style simple et proportionné à rinteHigence
des frères qui étaient peu instruits dans
la langue latine. C'était apparemment des
moines dont il voulait parler. Aussi Gassio-
1 August., Ub. II Retract., cai). m.
î Ibid.
264
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
dore dit ' qu'il est principalement néces-
saire à ceux qui, ayant foulé aux pieds les
pompes du siècle, s'exercent aux combats
dont il est parlé dans ce traité. Saint Au-
gustin l'a intitulé : Du Combat chrétien ,
parce qu'il y apprend aux chrétiens à
combattre contre le démon et contre eux-
mêmes.
Anaisse do 2. Le dlablo étant le prince des cupidités
|8 ja.ie, pag. ^^^^ ^^^ hommes sont possédés pour les biens
périssables, il est certain que c'est lui que
nous surmontons lorsque nous remportons la
victoire sur nos cupidités et nos passions, et
quand nous réduisons notre corps en servi-
tude, et que nous nous soumettons nous-
mêmes à Dieu, à qui toute créature doit
être assujettie ou volontairement ou par né-
cessité. Dans ce combat, l'homme est armé
par la foi, et soutenu dans ses faiblesses par
les secours que Jésus-Christ nous a mérités
par sa mort. Pour montrer que le combat
auquel il exhorte n'est point de nature à
faire périr ceux qui s'y engagent, saint Au-
* gustin cite en général des exemples d'hom-
mes et de femmes de tout âge et de toute
condition qui , par le secours de la foi , se
sont mis au-dessus des biens temporels pour
ne s'occuper que des éternels, et qui, par
une conduite si sainte, ont mérité les louan-
ges de ceux qui n'ont pas eu assez de force
pour les imiter. Il donne un abrégé de la
règle de la foi et des principes de la morale ;
comme il faut éviter l'erreur dans les con-
naissances, de même on doit éviter l'ini-
quité dans les actions, et celui-là est dans
l'erretu' qui s'imagine pouvoir connaiti'e
la vérité tandis qu'il vit mal. Selon liii, l'ini-
quité consiste à aimer ce monde, à estimer
comme quelque chose de grand les choses
passagères, à les désirer, à travailler pour
les acquérir, à se réjouir de les posséder
avec abondance, à craindre de les perdre et
à s'afïliger quand on les a perdues. « Une telle
vie, ajoute-t-il, ne saïu-ait jamais contempler
la vérité pure et immuable, ni s'y attacher,
ni obtenir un repos qui soit éternel. » 11 y en
«avait qui niaient que le corps de Jésus-Christ
ressuscité fût le même qui avait été mis dans
le tombeau. Saint Augustin leur répond : « Si
ce n'eût pas été le même, il n'aurait pas dit à
Luc. xMv, ses disciples, après sa l'ésurrection : Touchez
et considérez qu'un esprit n'a ni chair ni os,
comme vous voyez que j'ai. Ou ne doit pas
être plus surpris de voir qu'il ait passé dans
une chambi'e dont les portes étaient fermées,
que de ce qu'il ait marché sur les eaux, et
qu'il en ait donné la puissance à saint Pierre.
D'ailleurs, si avant sa passion il a pu donner
à son coi'ps l'éclat du soleil, n'a-t-il pas pu,
après sa résurrection, rendre ce même corps
si subtil qu'il ait passé par des portes fer-
mées? »
Ce Père marque les principales hérésies
qui s'étaient élevées jusqu'à son temps, en-
tre lesquelles il met les sectes des donatistes
et des lucifériens. Il dit que l'Église catholi-
que, comme une vraie mère, n'insulte pas
même aux pécheurs arrogants, qu'elle est fa-
cile à accorder le pardon à ceux qui se sont
corrigés. Il donne pour exemple de cette in-
dulgence, la conduite qu'elle tint envers les
évêques qui avaient consenti à la perfidie
arienne. Elle les reçut dans son sein mater-
nel aussitôt qu'ils eurent condamné l'erreur
qu'ils avaient crue ou fait semblant de croire.
Il prend de là occasion de prouver contre
les cathares ou novatiens, que l'Église a le
pouvoir de remettre tous les péchés, les
clés du royaume du ciel lui ayant été don-
nées, lorsque Jésus-Chi-ist les a données à
saint Pierre.
3. Le traité dit Catéchisme ou de la Manière
d'enseigner les prinipes de la religion chrétienne '™^',.,„ ^jj,
à ceux qui n'en sont jyas encore instruits, se
trouve dans les livres des Rétractations ^ parmi
les ouvrages que saint Augustin composa vers
l'an 400. Il est adressé à un diacre de l'é-
glise de Carthage, nommé Déogratias qui,
chargé d'instruire un grand nombre de per-
sonnes des premiers éléments du christia-
nisme, avait prié saint Augustin de lui pres-
crire la manière dont il devait s'en acquitter.
Non-seulement il trouvait quelquefois du dé-
goût dans cet emploi, mais il était presque
toujours embarrassé sur la méthode qu'il fal-
lait garder poiu" enseigner avec facilité les vé-
rités qu'il faut croire pour être chrétien; par
où il fallait commencer ou finir ses instruc-
tions ; s'il était nécessaire d'y ajouter quel-
ques exhortations, ou exposer simplement
les préceptes dont l'observation est essentiel-
le pour mener une vie véritablement chré-
tienne. Le saint Évèque jugeant que le ser-
vice et la charité qu'il devait à un ami, et
généralement à toute l'Église, notre mère
commune, l'obligeait à accorder de bon cœur
Livre de la
manière d'ins-
1 Cassiod., Inst., cap. xvi.
2 Lib. Il Retract., cap. siv.
[iv= ET V SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
ce que Déogratias demandait de lui, écrivit
le livre dont nous parlons. Ce livre est cité
par Facundus ' pour montrer qu'il ne faut
pas traiter d'iiérétiques tous ceux qui, par
ignorance et par un effet de la fragilité hu-
maine, tombent dans quelques erreurs, quoi-
que d'autres en prennent occasion de former
des hérésies,
i'^raiîl.re! ^- Saint Augustin y console d'abord Déo-
''■ gratias de ce que souvent il devenait tout
tiède et tout languissant dans ses discours,
avouant que lui-même n'était presque ja-
mais content de ce qu'il disait, et que sa
langue demeurait souvent au-dessous de ses
pensées. « Puisque vous voyez, lui dit-il,
qu'on vous choisit pour instruire des princi-
pes de la foi, ceux qui ont besoiii d'en être
instruits, vous devez en conclure que vos
discours n'ennuient pas les autres comme
ils vous ennuient; et vous ne devez pas
croire que vous travaillez inutilement, quoi-
que vous ne puissiez pas exprimer les cho-
ses aussi parfaitement que vous les conce-
vez. »
Venant ensuite à la manière dont il de-
vait exposer les choses à ceux qu'on lui en-
voyait, il lui conseille de commencer ses
instructions par l'histoire de la création du
monde, et d'aller de suite jusqu'au temps
de l'Église présente. « Ce n'est pas, dit-il,
qu'il faille pour cela leur réciter tout le
Pentateuqiie avec les livres des Juges, des
Rois et d'Esdras, et ensuite tout l'Évangile et
les Actes des apôtres : il n'est nullement né-
cessaire d'entrer dans tout ce détail. Il suffit
de traiter les choses d'une manière plus gé-
nérale et plus abrégée, choisissant celles qui
étant les plus merveilleuses sont plus agréa-
bles à entendre. Il établit pour principe que
celui qui instruit les autres doit, non-seule-
ment avoir en vue la fin du précepte qui est
la charité, mais qu'il doit encore faire en
sorte que ceux qu'il instruit croient ce
qu'on leur dit, qu'ils espèrent ce qu'ils
croient, et qu'ils aiment ce qu'ils espèrent.
Il doit pour cela leur représenter que Jé-
sus-Christ nous ayant aimés le premier,
en donnant sa vie pour nous, il serait de la
dernière ingratitude de ne lui pas rendre
amour pour amour ; il doit faire servir aussi
à former l'édifice de la charité dans leurs
cœurs, la terrem- salutaire qu'imprime la
sévérité de la justice de Dieu. Le catéchiste
1 Facund., in Mocian., pag. S78.
265
doit examiner avec soin le motif de ceux
qui viennent pour se faire chrétiens , et
agir autrement avec les personnes qui ont
de l'érudition qu'avec celles qui n'en ont
point du tout. « Ceux-là, dit-il, n'attendent
pas le moment où il s'agit de les recevoir
pour s'instruire, et d'ordinaire ils ont eu
soin de s'éclairer par avance, et de commu-
niquer leurs pensées et leurs sentiments à
des personnes capables. Il faut donc avec
eux traiter les choses en peu de mots, et
parcourir simplement ce que nous traite-
rions plus à fond avec des gens sans lettres
et sans instruction. Si ce sont de grammai-
riens ou des orateurs, on doit particulière-
ment leur apprendre de quelle manière il
faut écouter la parole de Dieu dans l'Écri-
ture sainte, de peur que les livres sacrés,
tout solides qu'ils sont, ne les dégoûtent
sous le prétexte que le style n'est ni enflé
ni pompeux, et qu'ils ne s'imaginent qu'il
suffit de prendre à la lettre tout ce qui y est
dit, sans qu'il faille se mettre en peine d'en
chercher la véritable intelligence à travers
les voiles grossiers dont elle est enveloppée.
Il faut même leur faire remarquer combien
est utile cette manière de proposer les mys-
tères, qui ne sont appelés mystères que
parce qu'ils sont cachés; combien elle a de
force pour réveiller en nous l'amour de la
vérité, et nous garantir du dégoût où nous
tombons aisément pour toutes les choses
qui ne nous coûtent rien. Ce qu'il faut leur
faire voir par l'expérience de quelques véri-
tés dont on n'aurait point été touché, si el-
les avaient été proposées nûment, et qui
donnent un extrême plaisir quand on les
tire d'une allégorie où elles sont renfermées.
Ils ont encore grand besoin qu'on leur fasse
comprendre que les paroles ne sont, en com-
paraison du sens, que ce que le corps est en
comparaison de l'âme ; qu'ils doivent mieux
aimer des discours pleins de vérités, que
d'en entendre qui n'aient que l'agrément
de l'éloquence ; que la voix du cœur est le
seul langage qui aiUe jusqu'aux oreilles de
Dieu ; et que s'il arrive, aux ministres de
l'Éghse, d'user de termes barbares et d'ex-
pressions qui choquent les règles de la
grammaire dans les prières qu'ils adressent
à Dieu, ils n'en doivent point faire de raille-
ries. Pour ce qui est du baptême, il suffit
d'expliquer en peu de mots aux plus éclai-
rés, ce que signifient les cérémonies de ce
sacrement : mais on doit s'étendre davan-
266
UISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
tage avec ceux qui sont moins instruits, et
leur faire entendre la vertu de ce mystère
par diverses comparaisons, de peur que, ne
s'arrètant qu'à ce qui touchera leurs yeux,
ils n'aient pas tout le respect qu'on doit
avoir pour des choses si respectables. »
suiedura. 5. Saint Augustin propose ensuite divers
moyens pour acquérir cette gaîté si néces-
saire pour parler avec succès, et les réduit
presque tous à l'amour et au zèle qu'on doit
avoir pour le salut du prochain. Il veut aussi
qu'un catéchiste attire daus son creur la
grâce de Jésus-Christ par de fréquentes
invocations. Après cela il découvre quelles
sont les causes ordinaires de l'ennui des
auditeurs, et il conseille de renouveler son
attention de temps en temps par quelques
discours plus égaj'és, mais qui aient toujours
du rapport avec ce que l'on traite ; ou par
quelque chose capable de donner de l'admi-
ration, ou même de la douleur et de la com-
passion. « On peut encore, dit-il, soulager
l'attention de l'auditeur en le faisant asseoir,
et même il serait mieux qu'il fût assis dès
le commencement, suivant la coutume de
quelques églises d'Outre-mer, où le peuple
qui écoute, est assis de même que l'évêque
qui parle, de peur que la lassitude ôtant
l'attention aux infirmes, ne les empêche de
profiter ou ne les oblige de se retirer. »
Le saint Docteur propose deux discours
très-beaux et très-instraclifs, l'un plus long,
l'autre plus court, pour servir d'exemple et
de modèle aux instructions que l'on doit
donner à ceux qui demandent le baptême.
Le premier renferme un précis des événe-
ments les plus remarquables depuis la créa-
tion du monde jusqu'après la dispersion des
apôtres, c'est-à-dire pendant les cinq pre-
miers âges du monde et les commencements
du sixième.
Le premier âge s'étend depuis la création
d'Adam jusqu'à Noé. Le second depuis Noé
jusqu'à Abraham. Le troisième depuis Abra-
ham jusqu'à David. Le quatrième depuis
David jusqu'à la captivité de Babylone. Le
cinquième depuis cette captivité jusqu'à Jé-
sus-Christ, Le sixième depuis l'avènement
de Jésus-Christ. Dans ce discours il prévient
les catéchumènes sur les sujets de scandale
qu'ils pourront rencontrer même dans Vli-
giise ; mais il les assure que s'ils ne s'atlai-
blissent point dans la foi, et ne s'écartent
point du droit chemin, ils en recevront une
plus grande recompense. Il remarque qu'a-
près que celui que l'on avait instruit témoi-
gnait être résolu d'observer ce qu'on lui
avait enseigné, on le marquait du sceau des
fidèles, en lui apprenant en même temps à
• révérer dans les signes sous lesquels on ad-
ministrait les choses saintes, ce qu'ils ren-
fermaient d'invisible ; à ne plus regarder
comme une matière d'usage ordinaire, celle
qui avait été sanctifiée par la bénédiction, et
qu'au cas qu'il trouverait dans l'Écriture
quelque chose qui ne lui présenterait qu'un
sens grossier et charnel, de la regarder
comme une figiu'e qui cache quelque chose
de spirituel, soit touchant les bonnes mœurs,
soit louchant la félicité de la vie future.
Le second discours traite à peu près les
mêmes matières que le premier, mais en
moindre nombre et avec beaucoup plus de
précision.
§ VII.
Des livres de lo. Continence, du Bien du ma-
riage et de la sainte virginité.
i. Erasme a cru que le livre intitulé de la
Continence, était de Hugues de saint Victor,
soit à cause de quelques différences de style,
soit parce que saint Augustin n'en dit rien
dans ses Rétractations. Mais si le style a
quelque chose de différent de ses traités, il
est fort ressemblant à celui de ses discours,
surtout de ceux qu'il dicta n'étant encore
que prêtre. D'ailleurs il le reconnaît pour
son ouvrage daus sa lettre deux cent
soixante-deuxième au comte Darius, et il en
est parlé dans le Catalogue de Possidius qui
l'appelle un discours et non pas un livre. Il
est qualifié de même par Eugj-pius, par
Florus et dans plusieurs anciens manuscrits.
Ce discours est très-long et est employé
pour la plus grande partie à réfuter les ma-
nichéens, dont saint Augustin avait coutume
de combattre les erreurs au commencement
de sa conversion, toutes les fois qu'il en
trouvait l'occasion.
2. Il e.KpHqae ces deux versets du psau- ami^» d.
, , -, . . - , , ce IrailO, I-ap
me CXL : Mettez , Seigneur, une sentinelle a iss.
ma bouche, et une porte de continence à mes
lèvres ; que mon cœur ne consente point à des
paroles de malice pour soutenir les fausses ex-
cuses des pécheurs. La continence qui consiste
à réprimer toutes ses passions, et qui esl
même nécessaire .pour garder la chasteté
conj-ugale, est un don de Dieu, comme on le
voit en divers endroits de l'Écritui'e. Ou pè-
[lV= ET V° SIÈCLES.]
che contre cette vertu par le consentement
intérieur que l'on donne aux suggestions
mauvaises de l'eunemi, quoiqu'on ne passe
pas jusqu'à l'action extérieure. Il n'y a au-
cun des maux qui se commettent extérieure-
ment par les organes du corps, qui n'ait
pour principe une mauvaise pensée qui le
précède et qui rende l'homme impur dès
qu'elle est formée, quoique le crime ne
s-'exécute pas au dehors. Ainsi on n'est pas
moins homicide lorsqu'on ne s'abstient de
tuer quelqu'un que faute d'en trouver les
moyens ; on n'est pas moins voleur, lorsqu'il
n'y a que le manqiie de pouvoir qui empêche
qu'on ne prenne le bien d'autrui ; on n'est
pas moins fornicateur, lorsqu'il n'y a que le
défaut de complice qui empêche qu'on ne
commette le péché. 11 en est de même des
autres crimes où le corps n'a point de part,
et qui, ne paraissant point au dehors, ne
laissent pas de nous rendre intériem-ement
coupables par le seul consentement qui se
forme dans le secret de la pensée.. C'est
parce que nous portons au-dedans de nous-
mêmes une cupidité qui résiste à l'envie que
nous avons de faire le l^ien qu'il est be-
soin de combattre par la vertu de conti-
nence les désirs qui naissent de ce mauvais
fond. Nous pouvons faire le bien jusqu'au
point de ne pas consentir aux mouvements
de la cupidité ; mais l'accomplissement et la
perfection du bien, par l'extinction entière de
cette cupidité, ne seront que dans l'autre vie.
Le saint Évêque rapporte plusieurs excuses
dont les hommes tâchent de couvrir leurs pé-
chés. Les uns se plaignent qu'ils sont empor-
tés par une certaine nécessité de leur des-
tinée, et rejettent sur elle tout le mal qu'ils
font. D'autres s'en prennent au diable de
toutes leiu's mauA'aises actions, ne voulant
pas même qu'on leur en puisse attribuer la
moindre partie. Il y en a d'autres qui vont
jusqu'à en accuser Dieu même, prétendant
qne le péché lui plaît ; autrement, disent-ils,
comment est-ce qu'un Dieu tout-puissant le
permettrait. « Mais si Dieu permet le péché,
répond saint Augustin, du moins n'en souf-
fre-t-il point d'impunis, pas même dans ceux
qu'il délivre de la peine éternelle. Jamais il
ne remet la principale peine due au péché,
qu'il n'en fasse souffrir quelqu'autre, quoi-
que beaucoup plus légère ; et en faisant mi-
séricorde, il conserve toujours les droits de
sa justice. Au heu donc de dire : Pourquoi
Dieu permet-il le péché , s'il lui déplaît ? il
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONË.
267
faut dire : Comment le péché plairait-il à
Dieu, puisqu'il le punit?»
La révolte de la chair contre l'esprit ne
vient pas, comme le prétendaient les mani-
chéens, d'un mélange chimérique de deux
natures produites par deux principes con-
traires, mais de la révolte de notre nature
que le péché a soulevée contre elle-même ;
elle n'était pas telle en Adam avant son pé-
ché ; elle est ime peine à laquelle il est de-
venu sujet par sa condamnation. Quoique le
corps soit différent de l'âme, il entre néan-
moins dans la composition de l'homme de
même que l'àme ; en sorte que dans ceux
qu'il plaît à Dieu de délivrer de la damna-
tion commune, le corps, aussi bien que l'âme,
a part à la grâce de la délivrance. La conti-
nence n'arrête pas seulement les mouve-
ments de la cupidité dans ce qui regarde les
plaisirs du corps, mais sa fonction est de
régler en tout la cupidité qui est un vice de
l'âme comme du corps. Car, comme l'impu-
dicité et l'ivrognerie sont des dérèglements
du corps, les inimitiés, les disputes, les ja-
lousies, sont des dérèglements de l'âme.
3. Ce livre, qui a pour titre du. Bien du i.
mariaqe, fut fait à l'occasion de Jovinien, ri.ii?o
qui, étant a Rome, avait détourne plusieurs
filles du dessein qu'elles avaient de demeu-
rer vierges, en leur persuadant ' que la
virginité n'avait pas plus de mérite que la
chasteté conjugale. « Êtes-vous, leur disait-
il , meilleures que Sara , que Suzanne ,
qu'Anne, et tant d'autres saintes femmes ? »
Cette hérésie avait été condamnée par le
pape Sirice et par un concile de Milan. Saint
Jérôme l'avait aussi combattue avec beau-
coup de force dès l'an 392 : en sorte que
personne n'osait plus la soutenir ouverte-
ment. Mais on ne laissait pas d'en remar-
quer encore des restes dans les discours que
les disciples de Jovinien semaient quelque-
fois en secret ; et ils soutenaient que l'on ne
pouvait réfuter son sentiment qu'en blâmant
le mariage. On accusait même saint Jérôme
de ne l'avoir réfuté qu'en cette manière. Pour
montrer donc qu'on pouvait en même temps
défendre la sainteté du mariage contre les
manichéens, et faire voir que, quoicpi'il fût
bon, la virginité était encore meilleure, saint
Augustin entreprit deux ouvrages exprès ,
l'un, du Bien du mariage ; et l'autre, de la
sainte Virginité. Il cite le premier dans son
1 Lib. H Retract., cap. xxii.
îvrf> du
du ma-
vor?[ au
268
HISTOmE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
neuvième livre sur la Genèse, où il dit qu'il
l'avait publié depuis peu. Puis donc qu'il •
commença à expliquer cette partie de l'Écri-
ture en 401, on doit dire qu'il écrivit vers le
même temps, son livre du Mariage.
Aimisse do 4. Après y avoir remarqué que Dieu a
voulu former tous les hommes d'un seul,
afin qu'ils fussent unis ensemble, non-seule-
ment par la ressemblance de la nature, mais
encore par le lien de la parenté, il examine
quels sont les avantages du mariage, et les
réduit à quatre, savoir : la société des deux
sexes, la procréation des enfants, le bon
usage de la cupidité qui se trouve réglé par
la vue d'avoir des enfants, et la fidélité mu-
tuelle de l'homme et de la femme. Il blâme
l'incontinence des maris qui manquent de
réserve à l'égard de leurs femmes lorsqu'el-
les sont enceintes ; et rejette sur les époux
tout ce qu'ils font entre eux d'immodeste et
de contraire à la pudeur, et non sur le ma-
riage. Il enseigne que toute union de l'hom-
me et de la femme n'est pas un mariage, et
ne croit pas qu'on doive donner ce nom à
ceux qui ne s'unissent ensemble que dans
la vue de contenter une passion brutale,
s'ils faisaient d'ailleurs ce qui serait en leur
pouvoir pour n'avoir point d'enfants. Il dé-
cide qu'une des parties ne peut garder la
continence que du consentement de l'autre ;
et croit coupable d'un péché véniel, ceux
qui usent du mariage dans d'autres vues que
d'avoir des enfants. Mais il ne fait retomber
cette faute que sur celui qui exige le devoir
et non sur celui qui le rend. Il regarde le
sacrement du mariage comme indissoluble ;
en sorte que le lien n'en est pas même
rompu par la séparation des parties : un
homme donc qui a renvoyé sa femme pour
cause d'adultère, ne peut en épouser une
autre pendant tout le temps qu'elle vit.
Cela était néanmoins permis par les lois hu-
maines : mais l'Église le défendait. Dans les
premiers temps, il était nécessaire que les
hommes se mariassent, parce que le Messie
devait naître d'eux : aujourd'hui cette né-
cessité ne subsiste plus; et comme l'alliance
spiritueUe est assez étendue parmi tous les
peuples, pour former entre eux en tous
lieux une sincère et sainte société ; on peut
exhorter ceux mêmes qui ne veulent se
marier que pour avoir des enfants, à aspirer
à un état plus excellent que le mariage.
« car il me semble, dit saint Augustin, qu'il
n'y a que ceux qui ne peuvent pas garder
la continence, qui devraient présentement
se marier. Comment, dira quelqu'un, le
genre humain subsisterait-il, si personne ne
voulait se marier ? Plût à Dieu, répond ce
Père, que tous les hommes voulussent bien
'se passer du mariage, pourvu que ce fût par
le motif de cette charité qui naît d'un cœur iTim. t.s.
pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère;
puisque par ce moyen, la fin du monde en
viendrait plus tôt ! Le mariage n'est pas un
péché, mais c'en est un d'en user dans
d'autres vues que d'avoir des enfants. On
doit même dire que le corps des gens mariés
qui vivent chrétiennement est saint; mais
celui des vierges l'est davantage; aussi leur
est-il dû une plus grande récompense, parce
qu'elles pratiquent un plus grand bien. Les
Pères de l'Ancien Testament, auxquels il
était permis d'avoir chacun plusieurs fem-
mes, vivaient plus chastement avec elles,
que ne font présentement avec mie seule
tous ceux à qui l'Apôtre n'accorde le ma-
riage que par indulgence ; parce qu'ils n'a-
vaient en vue que d'avoir des enfants. Ce
que les apôtres ordonnent aux personnes
mariées, c'est là proprement ce qui appar-
tient au mariage ; mais ce qu'ils ne leur ac-
cordent que par indulgence, c'est un dérè-
glement que le mariage souffre, mais qu'il
n'autorise pas. » Saint Augustin ne croit pas
que le lien du mariage soit dissous par une
stérilité marquée, et qui ne laisse aucune
espérance d'avoir des enfants. « Par la mê-
me raison, dit-il, il était permis autrefois
d'avoir plusieurs femmes ; au lieu qu'il ne
l'était pas aux femmes d'avoir plusieurs
hommes. Mais de notre temps, le sacrement
des noces est borné entre un homme et une
femme : et la pureté de l'Evangile sur ce
point a été si grande dès le commencement,
qu'il a été défendu d'admettre aux Ordres
sacrés, c'est-à-dire à l'cpiscopat et même au
diaconat, celui qui aurait été marié plus
d'une fois, n'eùt-il élé que catécliumène ou
païen lors de son premier mariage ; de mê-
me que de consacrer comme vierge après
le baptême, une fdle qui aurait été violée
étant catéchumène, m
Saint Augustin regarde les piunfications
ordinaires dans la loi pour certaines impu-
retés, comme des figures de ce que nous de-
vons faire pour nous purifier des diÛbrmités
qui se rencontrent dans nos mœurs. Il dis-
tingue dans la continence comme dnns les
autres vertus l'habitude de l'acte, et donne
[rv= ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
269
pour maxime, qu'il faut être capable de se
passer du mariage, poitt en bien user. « Per-
sonne, dit-il, n'en use bien que celui qai
pourrait n'en pas user ; car plusieurs s'en
abstiendi-aient plus facilement en n'en usant
point du tout, qu'en y gardant la tempé-
rance nécessaire pour en bien user. Or, il
est certain que nul ne peut être assez sage
pour en user avec modération s'il n'est assez
continent pour s'en pouvoir passer tout à
fait. » De là il conclut que le mérite de la
continence était égal dans Abi'aham, quoique
marié, et dans saint Jean qui n'a point eu
de femme, avec cette différence que celui-ci
en a eu l'habitude et la mise en pratique,
au lieu que celui-là n'en a eu que l'habi-
tude.
Eépooseani §. C'est par cette distinction qu'il répond
cbjecliCDS do '• • Ti
jovinieu. à, l'objection des disciples de Jovimen. Ils
demandaient à ceux qui voulaient faire pro-
fession de continence : « Etes-vous donc
meilleurs qu'Abraham et plus paifaits que
lui? Non, répond-il, mais la virginité est plus
parfaite que la chasteté conjugale. Abraham
a eu ces deux vertus. Car il avait l'habitude
de la continence, et il exerçait la chasteté
conjugale. Mais quoique la continence soit
meilleure que la chasteté conjugale, il se
peut faire, ajoute ce Père, qu'une personne
mariée soit meilleure que celle qui garde la
virginité. Une vierge désobéissante est moins
estimable qu'une personne mariée qui est
obéissante. Car le mariage n'est condamné
en aucun endroit de l'Écriture , et la déso-
béissance est condamnée partout. Comme
chez le peuple de Dieu, c'est-à-dire dans
l'Église catholiqpie, la sainteté du sacrement
de mariage est telle qu'il n'est pas permis à
un homme qui a répudié sa femme de se re-
marier à une autre tout le temps que vit la
répudiée ; de même le sacrement de l'ordre
subsiste dans un clerc ordonné pour gou-
verner un peuple, quand même il arriverait
que ce peuple ne s'assemblerait pas. Si ce
clerc venait à être déposé de son emploi
pour quelques fautes, il ne serait pas pour
cela privé du sacrement du Seigneur qu'il a
reçu une fois , mais il ne le garderait que
pour sa condamnation. »
Le saint Doctem' finit ce traité, en exhor-
tant ceux qui font profession de continence,
de ne point s'élever de leur état et de ne
point mépriser les saints Pères qui ont été
engagés dans le mariage. Sur- quoi il leur
cite ces paroles de l'Ecclésiastique : Autant Ecd.111,20.
vous êtes grands et élevés, autant humiliez-vous
en toutes choses.
6. Aussitôt que saint Augustin eût achevé L"" de i»
le livre du Bien du mariage ' , il composa ce- n-'é, eu m.
lui qui est intitulé : De la sainte Virginité. Il
le cite lui-même dans deux de ses ouvra-
ges -. Sou but est d'y faire voir que la sainte
virginité est un don de Dieu ; combien ce
don est grand et combien l'humilité est né-
cessaire pour le conserver.
7. Il pose pour principe que, de droit di- Amijse do
vm la continence est préférable au mariage, 3"-
et que la virginité seule est plus excellente
que le Heu conjugal. Mais il ne veut pas
pour cela que les vierges s'imaginent que
ceux qui servaient autrefois par la généra-
tion des enfants, au dessein de Jésus-Chrisf
qui devait naître d'eux, leur aient été infé-
rieurs en mérite et en sainteté. Il relève
l'excellence de la virginité par le vœu qu'en
fit la bienheureuse Vierge Marie : « Si elle
n'eût pas fait vœu à Dieu de demeurer tou-
jours vierge, dit-il, elle n'aurait pas répondu
l'ange qui lui annonçait le mystère de l'In-
carnation : Comment cela se fera-t-il, puisque
je ne connais point cV homme? » Ou doit regar-
der le fruit divin de cette sainte Vierge,
comme l'honneur et la gloire de toutes les
saintes vierges ; elles sont elles-mêmes com-
me Marie, les mères de Jésus-Christ, si elles
font la volonté de son Père. « Car c'est, dit-
il, ce qui a rendu Marie la mère de Jésus-
Christ d'une manière plus louable et plus
heureuse qu'ehe ne l'était selon la chair,
suivant ces paroles du Sauveur : Quiconque n,,,. j,j.
fait la volonté de mon Père qui est dans le °''
ciel, celui-là est mon frère, ma sœur et ma
mère. »
Le saint évêque réfute ceux qui préfé-
raient la fécondité du mariage à la pureté
des vierges, et soutient que si la génération
charnelle des enfants était nécessaire dans
ce peuple illustre, dont Dieu voulait que le
Messie tirât sa naissance selon la chair, cela
ne l'est plus maintenant, que les membres
de Jésus-Christ peuvent être assemblés de
toute sorte d'état et de toute nation; pour
ne plus faire qu'un même peuple. « Ce n'est
pas, dit-il, une raison de comparer l'état
August., lib. II Retract., cap. sxiir.
^ Lib. De Bono vid. cap.
pecc. merit,, cap. xxix.
XV et xsui et lib. 1 De
270
HISTOIRE GÉNÉRALE DÉS AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
des personnes mariées au mérite des autres
qui gardent la continence, de ce que c'est
par le moyen du mariage que les vierges
Pag. 2t7. viennent au monde. Car ce bien n'est pas un
efïet du mariage, mais de la nature dans la-
quelle il a plu à Dieu d'établir cet ordre,
que de quelque alliance que l'homme naisse,
il n'en puisse naître que vierge. Or, ce que
nous estimons si foi't dans les vierges, n'est
pas simplement qu'elles soient vierges, mais
c'est qu'elles aient consacré à Dieu leur virgi-
nité par une sainte et pieuse continence. La
vierge qui mérite donc d'être préférée à une
femme mariée, n'est pas celle qui expose
aux yeux de tout le monde ce qu'elle a de
plus agréable pour se faire aimer, mais celle,
qui vivement touchée de l'amour de Jé-
sus-Christ et ne pouvant le concevoir corpo-
rellement comme a fait Marie , garde à
cause de lui sa chair dans une entière et in-
violable pureté, après l'avoir conçu spiri-
tuellement dans son cœur. »
Quelques-uns objectaient que suivant l'A-
pôtre, la profession de virginité n'était avan-
ictr. i,is. tageuse qu'à cause des fâcheuses nécessités de
la vie présente dont elle délivre, et non à
. cause de l'éternité bienheureuse que nous
atteiîdons. Mais saint Augustin leur fait voir
que saint Paul n'a eu d'autre dessein dans
toutes les fonctions de son ministère, que
de nous inspirer l'amour et le désir de la
vie éternelle. Il convient que cet Apùtre n'a
pas fait un précepte de la virginité ; qu'elle
n'est que de conseil; qu'on ne doit pas
l'embrasser comme une chose nécessaire au
salut, mais comme un état d'une plus grande
perfection ; qu'il est permis de se marier,
mais qu'il est meilleur de ne pas le faire. Ce
qui lui donne occasion d'expliquer les en-
droits oà saint Paul compare la virginité
avec le mariage. « Il y a bien de la différence,
ajoute-t-il, entre consentir aux désirs hon-
teux de la chair, ou ressentir des maux et des
afflictions dans sa chair : c'est un crime
de souffrir le premier, et une peine de souf-
frir le second. C'est une égale erreur, ou
d'égaler le mariage à la sainte virginité, ou
de condamner le mariage comme mauvais,
et d'enseigner que Ton doit embrasser la
continence perpétuelle, non pour la vie pré-
sente, mais pour celle qui nous est promise
dans le ciel.» A ce sujet, il rapporte plusieurs
passages de l'Écriture, tant de l'Ancien que
isaî. v: , s. du Nouveau Testament, qui promettent aux
vierges une place plus honorable dans le
Apnc.
ciel qu'aux personnes mariées. Car, quoique
la vie éternelle, marquée par le denier
évangélique, soit donnée à tous les ouvriers,
il y a néanmoins dans cette même vie diffé-
rents degrés de gloire, suivant les différents
mérites. C'est des vierges qu'il est écrit,
qu'elles suivent l'agneau partout où il A'a ;
et quoiqu'on ne puisse douter que les per-
sonnes mai'iées ne soient sanctifiées par
les œuvres de piété, marquées dans les huit
Béatitudes, il n'y a que les vierges qui aient
droit de le suivre lorsqu'il marche dans la
beauté et dans l'éclat de la virginité.
8. Craignant que celles qui ont consacré à Pag. 2:i'
Dieu leur virginité, n'en perdent le mérite
par leur orgueil, ce Père les exhoi'te à la
pratique de l'humilité, en leur proposant les
plus beaux endroits de l'Écriture, et les rai-
sons les plus paissantes pour les engager à
la pratique de cette vertu. Il leur fait surtout
remarquer que la continence est un don de
Dieu; que c'est lui qui conduit et qui empê-
che de tomber celles qui demeurent chastes
depuis le commencement jusqu'à la fin; et
que quiconque d'impudique devient chaste,
ne le devient que parce que Dieu le convei'-
tit. « Mais, ajoute-t-il, dira-t-on, quel motif
a donc une vierge pour s'humilier? Elle se
souviendra, répond -il, que les grâces de
Dieu sont cachées et incertaines, et qu'elles
ne font connaître à chacun ce qu'il est, que
dans l'épreuve de la tentation. Que sait une
vierge, si elle n'a pas quelques faiblesses
d'esprit qu'elle ne connaît pas, et qui fe-
raient qu'elle ne pourrait pas encore souffrir
le martyre, tandis qu'une femme à qui elle
se préfère, la croyant beaucoup au-dessous
d'elle, serait capable de boire ce calice que
le Seigneur présenta à ses deux disciples?»
D'ailleurs, n'est-il pas dit dans Job, qu'il Job.xsv,».
n'y a personne qui soit pur devant Dieu? Le p,cv. .vx,o.
sage ne dit-il pas, que nul ne doit se glori-
fier d'avoir le cœur pur? Puis donc qu'avec
toute la vigilance cpi'on peut apporter pour
se garantir de tout péché, on ne laisse pas de
tomber par surprise dans ces fautes qui vien-
nent de l'infirmité humaine, on a toujours
matière de s'humilier; ce n'est même qu'en
s'humiliant qu'on obtient le pardon de ses
fautes. (( Avancez-vous donc de plus en plus
dans la voie delà perfection par l'humilité,
leur dit saint Augustin, c'est Dieu qui élève
ceux qui le suivent humblement, après qu'il
a bien voulu descendre vers ceux qui étaient
couchés par terre. Mettez en sa garde les
[Vf" ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE B'HIPFONE.
â71
dons que vous avez reçus de lui. Si vos for-
ces ont été déjà éprouvées, ne laissez pas
de vous tenir sur vos gardes, de peur cpie
vous ne tiriez vanité de ce que vous aurez re-
connu que vous pouviez : si vous n'avez pas
encore été éprouvées, priez Dieu qu'il ne
permette pas que vous soyez tentées au-des-
sus de ce que vous pouvez. Si en public vous
paraissez meilleures que d'autres personnes
de piété, croyez qu'en secret elles sont meil-
leures que vous. Que celles qai persévèrent
avec vous dans le service de Dieu, vous ser-
vent d'exemple, et que celles qui tombent
de cet état si heureux, vous frappent de
crainte : aimez la persévérance des premiè-
res pour les imiter ; déplorez la chute des au-
tres pour ne vous pas élever. Si étant mariées
vous eussiez dû beaucoup aimer un mari,
combien devez -vous aimer celai pour l'a-
mour duquel vous n'avez point voulu avoir
de mari? Qu'il soit tout entier attaché à votre
cœur, comme il l'a été tout entier pour vous
à la croix. II ne vous est pas permis de n'ai-
mer que peu celui pour lequel vous n'avez
point aimé ce qu'il vous était permis d'ai-
iiiib. XI, mer ; c'est ainsi qu'aimant celui qui est doux
et humble de cœur, je ne craindrai plus pour
vous que vous soyez superbe. »
§ vni.
Des livres du Bien de la viduité, et des
mariages adultères.
Livre du 1 . Saiut Augustiu ne dit rien du livre du
dùfié, enul' Bien de la viduité dans ses Rétractations,
parce qu'il est écrit en forme de lettre :
mais on ne peut douter qu'il ne soit de lui,
parce qu'il se trouve marqué dans le Catalo-
gue de Possidius ' qui l'appelle une lettre sur
la sainte viduité. Florus et Bède l'attribuent
aussi à saint Augustin. On objecte que, dans
le quatrième concile de Carthage, souscrit
par saint Augustin, il fut décidé que les
veuves, qui, après s'être consacrées à Dieu,
passeraient à de secondes noces, seraient
privées de la communion et regardées com-
me coupables d'adultère. On infère de là
que le livre du Bien de la viduité n'est point
de ce Père , parce qu'on y condamne ceux
qui ne voulaient point reconnaître pour de
véritables mariages, ceux que contractaient
1 Possid., in Catalog., cap. vu.
2 Si qua virgo se dedicaverit Dec, similiter et
monachus, non licere eis jungi nuptiis. Si vero
inventi fuerint hoc facientes, maneant excommu-
les veuves consacrées à Dieu. Mais c'est mal
prendre le sens de ce livre : saint Augustin
n'y dit rien de contraire au canon 104 du con-
cile de Carthage. Il ne défend ni d'excom-
munier, ni de punir comme adultères les veu-
ves qui se remarient après avoir voué la con-
tinence ; et ne prétend autre chose, sinon que
leurs mariages étaient bons et validement
contractés , parce qu'alors l'Église ne les
avait pas encore déclarés nuls, comme on le
voit par le seizième canon du concile de
Calcédoine ^.
2. Le livre du Bien de la viduité, est A"»'^» ^'
1 ' i T T m o . ^'^ livre, pag.
adresse à Juhenne. Toutefois samt Augustin si^n-
ne l'écrivit pas pour elle seule, ni pour
Proba, sa belle-mère, qui vivait avec elle;
mais aussi pour toutes les autres veuves qui
pourraient le lire. On le met en 414, parce
qu'il y est parlé de la consécration de Démé-
triade comme faite depuis peu; et on sait
que cette sainte fiUe consacra à Dieu sa virgi-
nité sur la fin de l'an 413. Saint Augustin fait
voir, dans cet écrit, que l'état de viduité doit
être préféré au mariage. Il tire sa preuve
des paroles mêmes de saint Paul, qui dit : i cor. vu,
Celui qui marie sa fille fait bien, mais que ce- ^*'
lui qui ne la marie point fait encore mieux.
Et ensuite : La femme est liée à la loi du ma- H'''»- *»•
liage tant que son mari est vivant ; mais si son
mari meurt , il lui est libre de se marier. Mais
elle sera plus heureuse si elle demeure veuve.
Si dans la loi ancienne, quelques veuves se
sont engagées dans de seconds mariages,
elles l'ont fait poiu' obéir à l'ordre de Dieu
plutôt que pour satisfaire leur cupidité. Dieu
voulant que son peuple se multipliât, et qu'il
y eût dans ce peuple plusieurs prophètes, afin
de leur faire prédire l'avènement de Jésus-
Christ; mais dans la fin des siècles où nous
sommes, Julienne ne pourrait rechercher
un second mariage ni pour obéir aux or-
donnances de la loi, ni pour servir aux pro-
phéties de Jésus-Christ, mais uniquement
par un mouvement d'incontinence. Le saint
Docteur ne condamne pas néanmoins les
secondes noces, ni même les troisièmes, et
il reprend Tertuliien de les avoir regardées
comme illicites ; mais il soutient que les
vierges et les veuves qui ont fait vœu de
coutinence, non-seulement ne doivent plus
se marier, mais ne peuvent pas même en
nicati. Statuimus vero jiosse in eis facere huma-
nilatem si ita prohaverit loci episcopus. Coi:c.
Cal., can. 16.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
272
avoir la volonté, sans se rendi-e coupables
d'un crime. Il croit néanmoins que le ma-
riage qu'elles contractent après leur vœu,
est bon et valide, quoiqu'elles pèchent
mortellement en le contractant. Il ajoute
qne le crime qu'elles commettent dans ce
cas est plus grand que l'adultère même, quoi-
qu'on ne puisse lai donner ce nom. « Car,
dit-il, lorsqu'on ne s'acquitte pas d'un vœu
qu'on a fait sans précepte, mais seulement
par conseil, l'iniquité de ce vœu transgressé
est d'autant plus grande qu'il y avait moins
de nécessité de le faire. » Il renvoie à son li-
vre du Bien du mariage et à celui de la sainte
Virginité, pour y trouver des preuves de l'a-
vantage que la virginité a par dessus le ma-
riage ; ce qui prouve encore que le livre du
Bien de la vidinté est de lui. Après quoi il don-
ne à Julienne diverses instructions, tant pour
se conduire elle-même dans l'état de viduité
où elle avait promis à Dieu de persévérer,
que pour sa fille Démétriade. « Ce que vous
avez, lui dit-il, maintenant à faire, est de vous
rendre toutes deux dans la vérité parfaite-
ment agréables à ce roi, qui a conçu de l'a-
mour pour la beauté de cette unique épouse
dont vous êtes les membres ; c'est de vous
attacher toutes deux à lui; elle par l'inté-
grité toute pure d'une vierge; vous par la
continence d'une chaste veuve ; toutes deux
par la beauté spirituelle de vos âmes. C'est
cette beauté qui se ti-ouve même encore
dans son aïeule Proba, votre beUe-mère,
aussi bien qu'en vous, quoiqu'elle soit déjà
fort avancée en âge. Car l'éclat de cette
beauté, qui croît toujoru-s de plus eu plus, à
mesui'e qu'on s'avance dans la perfection du
divin amoui-, ne peut être llétri par les rides
de la vieillesse. » Il les exhorte encore à se
détacher de l'amour des richesses, et à ajou-
ter à la continence les jeûnes, les veilles,
sans toutefois ruiner leur santé; le chant
des Psaumes, de saintes lectures, et la mé-
ditation continuelle de la loi de Dieu. 11 veut
aussi que leur conduite extérieure soit ac-
compagnée de beaucoup de sagesse et de
circonspection : parce que si la bonne vie
nous est nécessaire, notre réputation l'est à
notre prochain, et que quiconque a soin
non-seulement de bien vivre, mais encore
de conserver sa répiitation, est miséricor-
dieux envers les autres.
LivrcdesMa- 3. Lcs deux llvrcs à Pollentius, intitulés :
SfïcKVan j)gs Mariages adultères, sont mis dans le se-
cond liva-e des i?eï»'ac<«<ions, après ceux de l'o-
rigine de l'âme : ainsi on peut les rapporter à
l'an 419. Voici ce qui y donna occasion.
Pollentius hsant les livres faits par saint Au-
gustin pour expliquer le sermon de Jésus-
Clu"ist sur la montagne, fut surpris de voir
qu'il y soutenait que les femmes mêmes qui
se sont séparées légitimement de lem'S maris
adultères, doivent garder la continence sans
pouvoir se remarier du vivant de leurs ma-
ris. Il en écrivit à saint Augustin, pour le
prier de lui donner là-dessus des éclaircis-
sements, lui témoignant que son sentiment
était que les femmes qui quittaient leui's
maris pour d'autres causes que pour l'adul-
tère, étaient les seules à qui il né fût pas
permis de se remarier. Saint Augustin avait
déjà répondu à cette difficulté, lorsque Pol-
lentius lui en envoya d'autres à résoudre;
ce qui l'obligea d'ajouter un second livre au
premier.
4. La première des questions qu'il y exa- ,rf^?'",-„^°
mine, regarde ces paroles de l'Apôtre aux p»e-3".
Corinthiens : Quant à ceux qui sont mariés... j,^,'^"''- '''"'
si la femme se sépare de son mari, qu'elle de-
meure sans se marier. PoUentius croyait que
ce précepte de l'Apôtre ne regardait, comme
nous venons de le dire, que les femmes qui
se séparent de leurs maris, pour d'autres
causes cpie pour la fornication, et que ce
n'était qu'à celles-là seules qu'il était dé-
fendu de se remarier. Saint Augustin sou-
tient, au contraire, que ce passage regarde
seulement celles qui se sont séparées de
leurs maris pour cause d'adultère. La raison
qu'il en donne , c'est que l'Apôtre ne parle
■en cet endroit que des fennnes à qui il était
permis de se séparer de leurs maris. Or, il
n'y avait aucune autre cause légitime de sé-
paration que celle qu'occasionnait l'adultère;
J.-C. n'en ayant point allégué d'autres, lors-
que, interi'ogé par les pharisiens, s'il était
permis à un homme de quitter sa femme
pour quelque cause que ce fut, il leur ré-
pondit : Quiconque quitte sa femme, si ce Matu.ix.g.
n'est en cas d'adultère, et en épouse une autre,
commet un adultère. Le Sauveur ajoute :
Celui qui épouse celle qu'un autre aura quit-
tée, commet aussi un adultère. Il est donc
clair qu'il a décidé deux choses ; la première
qu'il n'est jamais permis de se séparer de
sa femme que pour cause d'adultère ; la se-
conde, qu'après cette séparation qui est lé-
gitime, il n'est pas permis d'en épouser une
autre ; parce qu'en ce cas, comme dans tout
autre, se marier avec une autre que sa fem-
[IV» ET V SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONii.
273
Marc, x, 11
el 12.
me, ce serait un adultère. Comme saint
Matthieu n'avait parlé que de l'homme qui
quitte sa femme et non pas de la femme
qui quitte son mari, PoUentius prétendait en
tirer avantage pour son sentiment. Mais
saint Augustin prouve par l'autorité de saint
Marc et de saint Luc, que la cause de la
femme est égale' dans le mariage à celle de
l'homme ; et que comme on n'oserait dire
qu'une femme, qui quitte un mari infidèle,
puisse en épouser un autre ; on ne peut dire
non plus, que le mari qui se sépare de sa
femme à raison de quelque infidélité, puisse
en prendre une autre sans devenir adultère.
Il appuie cette vérité par ce raisonnement.
Saint Luc dit que celui qui épouse une femme
répudiée, comînet un adultère. Comment le
commet-il? sinon parce que la femme qu'il
épouse lui est étrangère, tandis que le mari
qui l'a répudiée est en vie, et qu'elle ne
cesse pas, pour être répudiée, d'être tou-
jours sa femme. La seconde question, est
touchant la dissolution du mariage des infi-
dèles, dont il est encore paiié dans la même
I Cor. vil, Epitre aux Corinthiens. PoUentius ne croyait
pas qu'elle fût permise ; Saint Augustin croit
le contraire, et il s'autorise du silence de
Jésus-Christ, qui n'a point défendu la disso-
lution de ces sortes de mariages, c'est-à-dire
d'un fidèle avec une infidèle. Il ne croit
pas néanmoins, qu'il soit expédient d'en ve-
nir à cette dissolution , suivant en cela l'a-
vis de l'Apôtre, qui dans l'incertitude de
I Cor. vil, l'événement, dit: Que savez-vous, ô femme,
si vous ne sauverez point votre mari ? Et que
savez-vous aussi, ô mari, si vous ne sauverez
point votre femme ? Car, saint Paul ne défend
pas au fidèle de quitter l'infidèle, à cause
de l'indissolubilité de leur mariage , mais
afin que le mari fidèle gagne à Jésus-Christ
la femme infidèle ; d'où il suit que la pro-
fession du christianisme, rompait le lien du
mariage contracté dans l'infidélité, quoi-
qu'il ne fut pas expédient d'user de la li-
berté que la religion accordait à cet égard.
Saint Augustin profita de cette occasion
pour montrer qu'il y a beaucoup de choses
que l'on pourrait faire, parce qu'elles ne
sont point défendues dans la loi, mais dont
on doit s'abstenir par un motif de charité. Il
dit que, si dans la loi nouvelle, il est permis
à un fidèle de demeurer avec une femme
infidèle, au lieu qu'il était ordonné aux Is-
raélites de quitter les femmes qu'ils auraient
prises parmi les peuples étrangers, c'est que
IX.
les deux gentils qui s'étaient unis par le
mariage, avant (jue l'un d'eux fût chrétien,
n'avait pas contracté cette union contre la
défense du Seigneur ; au lieu qu'il était dé-
fendu par la loi aux Israélites d'épouser des
femmes étrangères, de peur qu'elles ne les
engageassent dans le culte des faux dieux.
Touchant les conseils qu'on ht dans l'Écri-
ture, il dit qu'on doit les regarder comme
venant de l'inspiration du Seigneur, ne fus-
sent-ils donnés que par ses serviteurs, c'est-
à-dire par les apôtres ; mais qu'on doit met-
tre cette différence entre le précepte et le
conseil, qu'il est fibre de se conformer à
celui-ci, au lieu qu'on ne peut s'éloigner de
l'autre. Il ne veut pas que l'on défende aux
hommes, avec autant de sévérité, les choses
licites, mais qu'il ne leur est pas expédient
de pratiquer, que les choses qui sont illicites
par elles-mêmes. Il croit qu'on doit donner
le baptême à uu catéchumène qui, réduit à
l'extrémité par un mal subit et violent, ne
pourrait demander ce sacrement, ni répon-
dre aux interrogations que l'on a coutume
de faire, voulant qu'on juge favorablement
de sa disposition par la volonté qu'il a té-
moignée, avant cet accident de faire profes-
sion de la foi chétienne. Néanmoins, il ne
condamne pas ceux qui seraient plus réser-
vés à accorder cette grâce. Mais il croit son
opinion si assurée, qu'il veut qu'on ne re-
fuse pas le baptême à ces sortes de catéchu-
mènes, c'est-à-dire qui se trouvent dans le
danger de mort, quand même ils seraient
engagés dans un mariage adultère , afin,
dit-il, que ce péché-là même soit aussi lavé
avec les autres dans ce sacrement. Il décide
de même d'un pénitent qui se trouve à
l'article de la mort, ne doutant pas que l'in-
tention de l'Éghse ne soit de leur accorder
la réconciliation, et de ne pas les laisser
sortir de cette vie sans avoir reçu les gages
de sa paix.
5. Dans le second livre, saint Augustin Anaiv
combat encore l'opinion de PoUentius, qui p''^°"''i:
voulait que l'adultère, de même que la ^s.
mort, rompit le hen du mariage. PoUentius
s'autorisait de ces paroles de saint Paul : La
femme est liée à la loi du mariage tant que son
mari est vivant ; mais si son mari meurt, il
lui est libre de se marier à qui elle voudra;
et il voulait qu'en cet endi'oit le terme de
mort se prit aussi pour celui qui a commis
un adultère. Mais saint Augustin lui fait
voir que c'est visiblement forcer le sens de
18
Fe du
livre,
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
274
ce passage, et que si le lien du mariage
est rompu par la mort naturelle de l'un des
deux époux, il ne l'est nullement par la sé-
paration qui se fait entre eux pour cause
d'adultère. C'est ce qu'il montre par un en-
droit de l'Épître aux Romains, où il est dit :
Si une femme épouse un autre homme jien-
dant la vie de son mari, elle sera tenue pour
adultérée. Cette femme ne peut donc devenir
l'épouse d'un second mari, tandis que le
premier est en vie, mais elle cessera d'êti'e
la femme du premier, s'il meurt et non s'il
commet un adultère. Il est permis de répu-
dier pour cause de fornication, mais le lien
du mariage demeure ; en sorte qne celui-là
est coupable d'adultère, qui épouse celle
qui a été répudiée pour ce crime. Car de
même que le sacrement de la régénération
demeure dans un homme excommunié pour
quelques crimes, n'en reçût-il jamais l'abso-
lution ; de. même aussi la femme est liée par
la loi du mariage à son mari, quoique répu-
diée pour cause de fornication, quand mê-
me elle ne devrait jamais se réconcilier
avec lui. II montre par l'indulgence dont
Jésus-Christ usa envers la femme adultère,
combien il est à propos qu'un chrétien traite
aussi avec douceur sa femme adultère, lors-
qu'elle témoigne du repentir de son crime.
II veut même qu'il soit puni plus sévère-
ment dans les hommes que dans les fem-
mes, disant que les hommes leur doivent
donner l'exemple de la fidélité conjugale ;
ou du moins qu'il soit -puni également dans
les hommes comme dans les femmes, con-
formément à la loi d'Antonin qu'il rapporte.
PoUentius et ceux qui étaient de son senti-
ment, trouvaient la défense de Jésus-Christ
trop rigoureuse , et sous prétexte que les
hommes , séparés de leurs femmes pour
cause d'adultère, ne pouvaient garder la
continence , ils soutenaient que dans ce cas
il leur devait être permis de prendre d'au-
tres femmes , du moins pour avoir des
enfants. Saint Augustin leur répond, qu'il
n'est pas permis de commettre un crime
dans la vue d'avoir des enfants, puisque
l'on ne doit pas même l'épudier une femme
stérile ; que le fardeau de la continence de-
viendra léger, s'il devient le fardeau de Jé-
sus-Christ ; qu'il sera le fardeau de Jésus-
Christ, s'il est accompagné de la foi, qui
obtient de celui qui nous donne ses com-
mandements, la force de les accomplir. Il
leur répond encore par l'exemple des fem-
mes des marchands de Syrie : les maris
les laissaient, souvent encore jeunes, pour
s'en aller trafiquer, et ne les revenaient
trouver que lorsqu'elles étaient déjà vieilles.
Mais il insiste surtout sur l'exemple des
clercs, que l'on obligeait à garder la conti-
nence, en les contraignant par une violence
imprévue à accepter l'honneur de la cléri-
cature, et qui néanmoins s'acquittaient fidè-
lement, avec le secours du Seigneur, d'une
chose à laquelle ils n'avaient jamais pensé
s'engager. On dira peut-être, ajoute ce Doc-
teur, que l'honneur de la cléricature les
consolait. Mais la crainte du Seigneur doit
modérer encore davantage les feux de ceux
qui témoignent tant de peine à se contenir
dans les bornes de la chasteté.
§ IX.
Des deux livres du Mensonge et contre le
mensonge.
\. Le livre du Mensonge est du nombre
de ceux que saint Augustin composa n'étant
encore que prêtre, c'est-à-dire avant la fin
de l'an 39S. Il est intitulé dans les anciennes
éditions : Du Mensonge à Consentius : mais le
nom de Consentius ne se lit pas dans les ma-
nuscrits ; on ne le trouve qu'à la tête du livre
que ce Père écrivit plusieurs années après
contre le mensonge. En faisant la revue de
ses ouvrages \ il trouva celui du Mensonge
si embarrassé, que n'en étant pas content,
il était prêt de le supprimer entièrement,
parce qu'il n'avait pas encore été rendu
public ; il y fut encore plus porté, depuis
qu'il en eût composé un autre sur la même
matière contre les priscillianistes. Néan-
moins, il consentit après à lui laisser voir
le jour, parce qu'il s'y trouvait quelque
chose qui n'était pas dans l'autre.
2. Dès le commencement de ce livre, saint
Augustin convient qu'il n'est pas aisé de
traiter du mensonge. «Cette question, dit-il,
n'est pas peu embarrassante ; parce qu'il y a
des occasions où il semble qu'il est de l'hon-
nêteté et même de la charité de mentir. Ce
que l'on ne dit pas sérieusement ne peut
passer pour ini mensonge, parce que l'on fait
assez connaître par l'air de jeu et de raille-
rie dont on parle, qu'on ne veut tromper
personne, quoiqu'on ne dise pas vrai. Mais il
ne décide pas s'il est permis aux âmes par-
1 Lib. Retract., cap. ult.
Livre du
Mensonço,
écrit vers l'ao
39S.
ce livre, pag
419.
[IV= ET •V'= SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
273
faites d'user "de ces manières de parler.
Mentir , c'est avoir dans la pensée autre
chose que dans les paroles ou dans quelqpie
autre signe que ce soit, dont on se sert pour
se faire entendi-e ; c'est pour cela qu'on dit
que le menteur a le cœur double. Tout le
mal du mensonge consiste donc dans le dé-
sir de vouloir tromper celui à qui on parle,
soit qu'on le trompe effectivement, soit qu'il
ne soit pas trompé. Le saint Docteur exa-
mine les exemples que l'on apporte en fa-
veur du mensonge, tirés tant de l'Ancien que
du Nouveau Testament, etrépond, que ce qui
paraît avoir été des mensonges dans les an-
ciens patriarches , n'en était pas effective-
ment, c'était des figures; et ce qui est fi-
guratif, n'est point un mensonge. Quant à la
dissimulation de Pierre et de Barnabe % elle
était condamnable, et le premier de ces apô-
tres l'ayant reconnue, souffrit volontiers la
correction de Paul. Ainsi, comme le men-
songe nous peut faire perdre la vie éter-
nelle, il ne faut jamais mentir pour sauver
la vie temporelle de qui que ce soit ; il n'est
pas non plus permis à une femme de men-
tir , pour conserver sa chasteté , personne
ne devant mentir , fut-ce dans l'intention de
procurer la vie éternelle au prochain.
Saint Augustin condamne ces fables pieu-
ses, inventées pour inspirer l'éloignement
du vice et l'amour de la vertu et dit, en
général, qu'on doit éviter avec plus de soin
de commettre un petit péché que d'empê-
cher son prochain d'en commettre un plus
grand. « Quand même , ajoute-t-il , le men-
songe que l'on dit ne ferait aucun tort au
prochain, on doit s'en abstenir; parce qu'on se
nuit toujours à soi-même en mentant. Dire
même line fausseté à la louange de Jésus-
Christ, c'est se rendre coupable d'un faux
témoignage. Ceux-là ne sont pas excusables
qui, pom- paraître agréables dans la conver-
sation, aiment mieux mentir que de ne rien
dire , quoiqu'ils n'aient aucun dessein de
nuire à personne. On ne peut mentir pour
sauver la vie à un innocent, qu'on sait devoir
périr si on découvre le lieu où il s'est ca-
ché.» A ce sujet, le saint Docteur rapporte
qu'un évêque de Thagaste , nommé Firmus,
ayant été requis, au nom de l'Empereur, de
livrer un homme qui était caché chez lui.
répondit hardiment qu'il ne voulait ni men-
tir, ni le livrer, aimant mieux souffrir de rî-
gom'eux tourments, que de faire ce qu'on
exigeait de lui , ou de dire une fausseté.
Quand notre silence indique ce que l'on veut
apprendre, c'est comme si on le découvrait;
ainsi lorsqu'on cherche un homme pour le
faire mourir, et qu'on nous demande où il
est, au lieu de ne rien répondre, on doit
dire : Je sais où il est, mais je ne vous le
montrerai pas. Pour ne rien laisser désirer
sur toutes les différentes manières de mentir,
saint Augustin en rapporte de huit sortes,
et fait voir par l'autorité de l'Écriture, qu'il
n'est permis en aucun cas de mentir , et
qu'on doit s'en tenir, pour la conduite des
mœurs , aux préceptes de l'Évangile. Il
ajoute que, si dans ce genre de doctrine, il
nous paraît quelque chose d'obscur dans
l'Écriture, il faut l'expliquer par les actions
des saiuts, non par celles qui sont fîgui'ati-
ves, mais par les autres qui sont louées dans
le Nouveau Testament.
3. Plusieurs années après, saint Auerustin , l™™ jod-
■L ' o tre le Men -
composa un second livre sur le Mensonge , s™s°,' ^°°s"
pour répondre à quelques écrits que Con- ''"' '^''•
sentius lui avait envoyés sur cette matière.
On y voyait une élocution agréable ^, beau-
coup d'esprit, une grande connaissance dés
saintes Écritures; et Consentius y témoi-
gnait un grand zèle contre la tiédeur et l'a
négligence des catholiques, de même que
contre les déguisements dont les prisciUîa-
nistes se servaient pour se cacher. Mais son
zèle n'était pas assez éclairé ^ prétendant que
pour mieux découvrir ces hérétiques, illùî
était permis de faire semblant d'être de leur
parti, et de suivre leurs erreurs. Ce fut ce
qui obligea saint Augustin d'écrire son livre
contre le Mensonge. Il le met après ceux qu'il
composa contre l'ennemi de la loi et 'des
prophètes qui furent achevés au commence-
ment de l'an 420, et après sa réponse à Gau-
dence, qui est de la même année , ce qui
montre qu'on peut aussi y rapporter celui-ci.
4. C'était une maxime chez les priscillia- Analyse de
... ^ ce livi-e, pag.
nistes, qu us pouvaient, pour cacher leur hé- *"•
résie, mettre en usage non-seulement la dis-
simulation, mais le mensonge même et le
parjure. Ils employaient encore, pour encou-
rager leurs sectateurs à mentir, les exem-
1 II n'y a point eu de constestation entre saint
Pierte et 'saint Barnabe; mais seulement entre
saint Pierre et saint Paul, touchant la conduite de
saint Pierre et d,e saint Barnabe. (L'éditeur.)
2 August., cant. Mendac, cap. i. — ' Lib. II Re-
tract., cap. Lx.
276
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
pies prétendus des patriarctes, des prophè-
tes, des apôtres et des anges, ne craignant
pas d'y en ajouter de Jésus-Christ même,
afin d'établir leur erreur par le témoignage
de la vérité même. C'est de là que saint Au-
gustin tire son premier argument contre Con-
sentius, pour lui montrer cpi'il ne devait pas
ressembler à ces hérétiques dans une chose
qui les rendait les plus détestables de tous.
Mais, disait Consentius, poiivous-nous autre-
ment découvrir ces loups ravissants qui rava-
gent cruellement le troupeau de Jésus-Christ,
qu'en faisant semblant de suivre leur doc-
trine? « Comment est-ce, lui répond saint Au-
gustin, qu'on les a découverts avant qu'on
eût inventé ce beau moyen ? Par où a-t-on pu
parvenir jusqu'à découvrir l'auteur de cette
secte, le plus rusé et le plus caché de tous?
Par où en a-t-on reconnu et condamné un
si grand nombre, sans compter ceux qui se
sont convertis, et que la charité de l'Eglise a
recueillis comme du naufrage? S'il était per-
mis d'user de dissimulation et de mensonge
pour découvrir les hérétiques, pourquoi Jé-
sus-Clu-ist n'aurait-il pas enseigné à ses bre-
bis de se couvrir de la peau des loups pour
aller parmi eux, et les connaître par cet arti-
fice? II ne leur a pas fait de telles leçons,
pas même lorsqu'il les a envoyés au milieu
des loups. Ce n'est donc que par la vérité,
cpi'il faut éviter, découvrir et ruiner le men-
songe. A Dieu ne plaise que pour détruire
les blasphèmes de ceux qui n'y tombent que
par ignorance, nous y tombions avec con-
naissance , et que nous imitions le men-
songe et la fourberie pour en empêcher le mal;
si toutefois c'est l'empêcher que d'y tomber.
Car celui qui cherche à découvrir les priscil-
lianistes, en feignant d'être des leurs, renie-
t-il moins Jésus-Christ pour conserver dans
son cœur le contraire de ce qu'il dit de bou-
Eom. x,io. che? L'Apôtre, après avoir dit que c'est par
la foi que l'on a dans le cœur, qu'on est justifié,
n'ajoute-t-il pas que c'est par la confession que
la bouche fait de cette foi, que l'on est sauvé ?
Quand donc il serait absolument impossible
de découATir ces hérétiques à moins de dé-
guiser la vérité dans nus discoui's, il vau-
drait mieux qii'ils demeurassent cachés que
de nous rendre coupables d'un tel crime. II
y a certaines actions qui, n'étant point pé-
ché par elles-mêmes, deviennent bonnes ou
mauvaises, selon le motif que l'on a en les
faisant ; mais lorsqu'il s'agit d'actions, qui
d'elles-mêmes sont péché, elles ne peuvent
être justifiées par une bonne. fin. Y a-t-il
quelqu'un qui puisse dire qu'il est permis de
voler les riches pour avoir de quoi donner
aux pauvres ; ou qu'on peut porter faux té-
moignage pour de l'argent ? II y a des pé-
chés qui méritent là damnation et d'autres
qui ne sont que véniels : dira-t-on pour cela
qu'on peut commettre ceux-ci impunément ?
Il s'agit de voir s'il y a péché ou non à faire
une telle ou une telle chose, et non pas s'il y
a d'autres péchés plus ou moins grands que
celui-là. n faut néanmoins avouer qu'il y a
des péchés où il se rencontre une certaine
compensation de bien et de mal qui égare
l'esprit humain jusqu'à faire trouver dans
ces péchés- là quelque chose de louable.
C'est sans doute un grand péché à un père
de prostituer ses filles ; cependant un homme
juste s'est vu dans une circonstance où il a
cru devoir prendre ce parti, pour garantir
de la violence et de la brutalité des sodo-
mites , ceux qu'il avait reçus chez lui. Si
l'on convient une fois qu'il est permis de
faire un moindre mal, de peur qu'un autre
n'en fasse un plus grand, il n'y a plus de
borne au débordement de l'iniquité. II fau-_
dra voler pour empêcher qu'un autre ne
commette un adultère ; et ainsi des autres
crimes. Mais, puisqu'il est certain que nous
ne devons pas faire le moindre mal pour
empêcher qu'un autre n'en commette un
plus grand, il faut dire, de l'action de Loth,
que c'est un exemple à éviter plutôt qu'à
suivre ; et rejeter sa faute sur le trouble où
le jeta l'horreur de l'outrage dont les sodo-
mites menaçaient ses hôtes. Le serment que
fit David, dans la colère de faire mourir
Nabal, sera-t-il pour nous un motif de ju-
rer témérairement? Non, sans doute; car,
comme ce fut le trouble où la crainte qui
porta Loth à prostituer ses filles, ce fut le
trouble où la colère qui fit faire à David
ce serment téméraire, n
3. De là, saint Augustin conclut que nous ne su;ir, p
devons pas nous faire des règles de morale de
toutes les actions des justes et des saints qui
sont rapportées dans l'Écriture. Ensuite il
examine les exemples que l'on alléguait
pour autoriser le mensonge. Abraham, en
faisant passer Sara pour sa sœur, n'avança
rien de faux, puisqu'elle l'était véritable-
ment du côté de son père ; mais il cacha
quelque chose de ATai ; c'est-à-dire qu'elle
était encore sa femme. Si on regarde de près
l'action de Jacob, on trouvera que c'est un
[lye ET v" SIÈCLES.] SAINT AUGUSÏLN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
277
mystère et non pas un mensonge. L'action
de saint Pierre et de saint Barnabe ne peut
autoriser personne, puisqu'elle fut reprise et
blâmée. Saint Paul, en pratiquant quelques
observations légales à la manière des autres
juifs, n'en usa point ainsi par un esprit de
mensonge, mais uniquement pour montrer
qu'il n'en voulait ni à la loi, ni aux prophè-
tes ; il ne regardait pas comme sacrilèges
des cérémonies établies par l'ordre de Dieu.
Jésus-Christ , en feignant d'aller plus loin ,
n'eut point intention de faire entendre à ses
disciples qu'il voulait passer outre , mais un
mystère qui s'exécuta quelque temps après,
lorsqu'il monte au-dessus de tous les cieux.
Quant à ce qui est dit des sages-femmes des
F.xod. 1, 17. Hébreux, et de Rahab de Jéricho, que Dieu
les récompensa, il ne faut pas croire, que ce
fût pom' avoir menti, mais pour avoir exercé
jji.ii,(. miséricorde envers ceux qui appartenaient à
Dieu. Ce fut leur humanité et leur compas-
sion, et non pas leur fraude, ni leur men-
songe qui leur attirèrent les biens tempo-
rels dont Dieu les récompensa. Aurait-il
donc mieux valu, dira-t-on, que ces femmes,
plutôt que de mentir, eussent manqué à faire
le bien qu'elles firent? «Mais qui les empê-
chait, répond saint Augustin, de se tenir fer-
mes à ne rien dire contre la vérité, et de re-
fuser courageusement d'exécuter l'ordre bar-
bare qui leur avait été donné de faire mou-
rir tous les enfants des Hébreux ? Il est vrai
qu'on les aurait peut-être fait mourir elles-
mêmes , mais au lieu des récompenses tem-
porelles , Dieu leur en aurait accordé une
éternelle. « Le saint Docteur fait le même rai-
sonnement sur la femme de Jéricho, et sou-
I josn. it, tient que nul mensonge ne venant de la vérité,
il n'y a aucune rencontre où il faille mentir.
11 exhorte donc Consentius, s'il voulait réfu-
ter utilement et solidement l'ouvrage que
les prisciUianistes appelaient le Livre , de
renverser, avant toutes choses, l'article fon-
damental de leur doctrine, par lequel ils pré-
tendaient qu'il était permis de mentir pom'
cacher ce que l'on croit en matière de reli-
gion ; et de faire voir pour cela qu'entre les
choses qu'ils rapportaient de l'Écriture, pom"
autoriser lem's mensonges, il y en a qui ne
sont point des mensonges, et que celles où
il y a des mensonges, ne sont pas des exem-
ples à imiter.
AugList., lib. II Retract., cap. u.
§X.
De l'Ouvrage des moines, des prédictions des dé-
mons, du soin qu'on doit avoir pour les morts,
et de la patience,
\. Depuis que saint Augustin eut commencé ,„ wvre aa
en Afrique la vie monastique, cette institu- |!™",°^j; "■"■"=
tion se répandit aussitôt en divers endroits
de cette province, particulièrement à Car-
thage. Il se forma * dans cette ville plusieurs
monastères, mais qui ne suivaient pas tous
le même genre de vie. Les uns, selon le pré-
cepte de l'Apôtre, travaillaient de leurs mains
pour avoir les choses nécessaires à la vie,
et les autres, se reposant sur la chai'ité des
fidèles, voulaient vivre des oblations qu'on
leur faisait, vivant dans l'oisiveté et ne fai-
sant rien pour avoir de quoi subsister. Es se
vantaient même de remplir le précepte de
Jésus-Christ qui dit dans l'Évangile : Consi- Maiti,. v,,
dérez les oiseaux du ciel. Ils ne sèment point: et
les lys des champs, ils ne travcd lient point. II y
avait même des laïques d'une vie très-esti-
mée d'ailleurs, qui tombaient dans ce dé-
faut ; et qui, par attachement à leurs propres
sentiments, troublaient l'Éghse- et y exci-
taient des querelles et des divisions entre
les fidèles ; les uns pom* ne pas condamner
des personnes si saintes, donnant un faux
sens aux paroles de saint Paul; et les autres
aimant mieux défendre le véritable sens de
l'Écriture, que de flatter personne. Aurèle,
évêque de Carthage, craignant les suites de
ces divisions, pria saint Augustin de faire
quelques écrits sur cette matière. Le Saint
lui obéit, et composa l'ouvrage que nous
avons encore sous le titre : Du Travail des
moines. Il le place dans ses Rétractations '
après les deux réponses à Janvier, et avant
son livre du Bien du mariage. Ainsi, on peut
le mettre vers l'an 400, puisque le livre du
Bien du mariage fut achevé en 401, comme
on l'a dit plus haut.
2. Saint Auaustin y rapporte d'abord Anaij=e da
<J .J i- r c(. livre, pa^'.
toutes les raisons et toutes les autorités dont '•'''•'■
ces moines oisifs se servaient pour justifier
leur genre de vie. « Ce n'est point, disaient-
ils, du travail corporel que doit s'entendre
le précepte de l'Apôtre : // ne faut point
donner à manger à celui qui ne veut point
travailler : car il n'a pu contredire l'Évangile
où le Seigneur nous défend de nous inquié-
' Ibici., cap. xsi. — ^ ibid., cap. xx et xxn.
278
'/.a
HISTOIRE (ÎÉMrALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
II TheS!
III, 12.
Suile
l'anahïB, p
496,
ter ni des besoins de la vie , ni de l'avenir.
C'est donc, ajoutaient-ils, des œuvres spiri-
tuelles qu'il faut entendre les paroles de
saint Paul, c'est-à-dire de la prière, du
chant des Psaumes, des hymnes et des can-
tiques spirituels. » Saint Augustin leur fait
voir par la suite du passage de l'Apôtre,
qu'ils en corrompaient le sens, et qu'il devait
s'entendre d'un travail corporel. En effet,
ayant appris qu'il y avait parmi les Thessalo-
niciens des gens déréglés, qui ne travail-
laient pas, et qui se mêlaient de ce qui ne
les regardait point, il leur ordonna de man-
ger leur pain en travaillant en silence. 11 le
prouve encore par ce que saint Paul avait
dit précédemment : Nous n'avons mangé gra-
tuitement le jMÎn de personne, mais nous avons
travaillé de nos mains jour et nuit avec peine,
avec fatigue, pour n'être à charge à aucun de
vous. Ce n'est pas que nous n'en eussions le
pouvoir; mais c'est que nous avons voulu nous
donner nous-mêmes pour modèle, afin que vous
nous imitassiez. Saint Augustin prouve, par
divers autres endroits des Epîtres de saint
Paul, que cet Apôtre travaillait de ses mains,
non qu'il ne fût en droit de vivre de l'Évan-
gile comme les autres apôtres , mais pour se
donner en exemple à ceux qui voulaient
exiger ce qui ne lem" était pas dû, et pour
n'être lui-même à charge à personne. « Il
était, dit ce Père, également permis à tous
les apôtres de ne point travailler de leurs
mains, assez occupés des travaux apostoli-
ques ; mais Paul et Barnabe n'usaient pas
de cette liberté, servant l'Église dans un
entier désintéressement , particulièrement
dans les lieux où ils jugeaient que les esprits
faibles auraient été scandalisés s'ils en
avaient agi autrement. Toutefois, de crainte
qu'ils ne parussent condamner la conduite
des autres apôtres qui vivaient aux dépens
de l'Évangile, saint Paul pose pour principe
dans sa première aux Corinthiens, que celui
qui prêche l'Évangile doit vivre de l'Évan-
gile. »
3. Sans s'expliquer ici sur la nature du
travail auquel saint Paul s'occupait, saint
Augustin prouve que tous les arts néces-
saires à la vie sont honnêtes et louables ; et
que cet Apôtre en commandant le travail
aux serviteui'S de Dieu, n'empêche pas pour
cela les fidèles de leur faire du bien. Il reçut
lui-même quelques secours des frères qui
étaient venus de Macédoine. Les moines qui
refusaient de travailler des mains, disaient
qu'ils s'occupaient à la psalmodie, à la prière
et à la lecture de la parole de Dieu. Saint
Augustin loue ces occupations; mais il leur
répond que s'ils trouvaient du temps pour
manger, ils pouvaient aussi en trouver pour
vaquer au précepte apostolique touchant le
travail des mains ; qu'une prière obéissante
est plutôt exaucée que ceUe qui vient de
l'esprit rebelle ; et que ceux qui travaillent
de leurs mains peuvent en même temps
chanter de divins cantiques , et se soulageir
de cette sorte à la manière de ceux qui, ra-
mant sur la mer, adoucissent leurs peines par
quelques chansons. « Quand, dans un monas-
tère, ajoute-t-il, il y en aurait quelques-uns
d'occupés aux travaux spirituels , il ne s'en-
suivrait pas que tous fussent capables d'une
pareille occupation , quand même tous en
seraient capables, il serait du bon ordre
qu'ils le fissent chacun à leur tour. Enfin,
saint Paul partageait tellement son temps,
qu'il destinait certaines heures au travail
des mains, et l'autre à la distribution de la
parole de Dieu. Si les moines étaient occu-
pés au ministère de l'autel et à la dispensa^
tion des sacrements, il serait en leur pou-
voir de s'exempter du travail des mains,
sui'tout si, étant dans le siècle, ils avaient eu
assez de bien pour vivre de leurs revenus ,
et qu'en se donnant à Dieu, ils les eussent
donnés aux pauvres. Mais la plupart de ces
moines oisifs sont passés, d'une vie péni-
ble et laborieuse , dans les monastères ; et
c'est pour cette raison qu'il faut les obUger
au travail des mains dont ils ne peuvent se
dispenser sous le prétexte d'un tempéra-
ment faible, et dont en effet, ils ne ^e dis-
pensent que par une fausse interprétation
des pai'oles de l'Évangile. Ils ont encore
un autre défaut, c'est de faire des provi-
sions des choses extérieui-es, et en cela ils
contreviennent au précepte de l'Evangile,
qui défend de rien garder pour le lende-
main. Pour se justifier ils répondent que
Jésus-Clu'ist a bien eu une bourse pour met-
tre en réserve l'argent que l'on recueillait ;
et que saint Paul avait aussi ordonné des
cueillettes pour les frères de Jérusalem. »
Saint Augustin se sert de leurs réponses
contre eux-mêmes, et leur dit : « Puisque le
Seigneur en vous défendant de rien garder
pour le lendemain, ne vous contraint pas
néanmoins à vivre sans rien réserver pour
l'avenir , pourquoi dites-vous qu'il vous dis-
pense du ti'avail, quand il vous dit : Regar-
[iv= ET v° siècles;]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
279
dèz les oiseaux du ciel : c<n: si vous ne les
imitez pas en ne réservant rien, pourquoi
les prenez-vous en exemple pour ne rien
faire ? Le travail des mains convient même
à ceux qui, étant d'une condition distinguée,
s'enrôlent parmi les pauvres de Jésus-Christ,
et à plus forte raison cà ceux qui, venant
d'une condition basse, sont ou accoutumés
ou plus propres au travail, n'étant pas bien-
séant qu'en cette vie, où les sénateurs de-
viennent laborieux, les artisans soient oisifs.»
Le saint Docteur explique les passages de l'É-
criture qui semblent favoriser ceux qui ne
veulent point travailler de leurs mains , et
montre que Jésus-Christ n'a eu d'autre vue,
dans tous ces endroits , que d'avertir ses
ministres qu'ils ne doivent point s'engager
dans le ministère, uniquement pour y trou-
ver leurs nécessités corporelles, mais plutôt
le royaume de Dieu et sa justice,
suiie de 4. Voici le portrait qu'il fait de ces moines,
unaijsc, pjg. fJ^j^^f^^^g^ g^ vagabonds: «Ils vont, sous l'ha-
bit de moine, de province en province, sans
être envoyés de personne, ne s'arrêtant en
aucun endroit, et changeant à tout moment
de demeure. Les uns portent des reliques
des martyrs, si toutefois ce sont des re-
liques, et les font valoir; les autres s'en
font accroire à cause de leur habit et de
leur profession. Quelques-uns, ne feignant
pas de mentir, disent qu'ils vont voir leurs
parents, qu'on leur a dit être dans un tel
pays. Ils demandent tous; ils exigent tous
qu'on leur donne, ou pour subvenir aux'
besoins d'une pauvreté qui les rend si ri-
ches, ou pour récompenser une honnêteté
feinte et apparente. » Il fait un parallèle
des occupations et des fatigues de l'épisco-
pat avec la vie que l'on menait dans les mo-
nastères réglés, et dit qu'il aimerait mieux y
travailler des mains à certaines heures, et
en avoir d'autres pour la lecture et la prière,
que d'être continuellement occupé par le
devoir de l'épiscopat à juger ou accommoder
des affaires séculières. Il exhorte les bons
moines à ne pas se laisser corrompre par le
mauvais exemple des moines oisifs, et se
moque de la fantaisie de ceux d'entre eux
qui ne voulaient point se faire couper les
cheveux'. « Ouand l'Apôtre, dit-il, défend
aux homiriès de les laisser croître, il en-
tend parler du commun des hommes, et non
de ceux qui se sont faits eunuques pour le
royaume des cieux. » Il leut 'fait voir qu'ils
sont hommes comme les autres, et exhorte
ceux de ces moines qui étaient les plus rai-
sonnables, de faire couper leurs cheveux,
afin de faire cesser les troubles qu'une di-
versité d'usage mettait dans l'Église, en oc-
casionnant de tourner en mauvais sens les
paroles de saint Paul. Il prie Aurèle de l'a-
vertir, de ce qu'il aurait trouvé à retrancher
ou à corriger dans ce traité.
5. On met le livre de la Divination ou des . „ Vr^'^
des Predic -
Prédictions des dénions, en l'une des années Si7„s „^„'f'i ^^:
qui s'écoulèrent entre 406 et 4U ; et On se "■°*''6«"'"-
folide pour cela sur ce que saint Augustin le
l'apporte lui-même ' au temps qu'il publia
ses écrits contre les donatistes avant la con-
férence de Carthage. L'occasion de ce traité
vint d'un entretien - qu'il avait eu un matin,
dans la huitaine de Pâques, avant la célébra-
tion de l'office, avec quelques laïques chré-
tiens qui étaient autour de lui en grand nom!-
bre. On dit dans cet entretien qu'un certain
païen avait prédit la démolition qu'on avait
faite du temple de Sérapis, à Alexandrie,'
vers l'an 389. Saint Augustin essaya de ren-
dre raison sur-le-champ de cette prédiction,
et des autres semblables qui n'excèdent pas
le pouvoir des démons ; et, à son premier loi-
sir, il mit par écrit ce qui s'était dit de part et
d'autre, mais sans nommer ceux qui avaient
alors combattu la vérité, quoiqu'ils l'eussent
fait seulement pour savoir ce que l'on pbù^'
vait répondre aux objections des païens, ''i'
6. Saint Augustin prouve, en premier lieu,' Anaipo de
fJ ^ ' ^ 'ce livre, pag.
dans ce traité, qu'on ne peut conclure que »"»•
les prédictions des démons, ni toutes les cho-
ses qui appartiennent à leur culte, soient bon-
nes, parce que Dieu ne les empêche pas. « Ne
souffre-t-il pas aussi, dit-il, les homicides, les
adultères, les rapines, et beaucoup d'autres
mauvaises actions? Dira-t-on qu'elles sont
bonnes? non : 'd'il' lès tolère, il ne laisse pas
de les défendre èt'dê les punir. » En second
lieu, il rend raison des prédictions des dé-
mons, et pour cela il suppose comme cer-
tain qu'ils ont un corps aérien, doué d'un
sentiment très-vif et d'une vitesse extraor-
dinaire; qu'enfin ils ont acquis une longue
expérience. Tout cela supposé , il prétend
qu'ils peuvent produire tous les efifèts siir-'
prenants qu'on leur attribue, et qui, prodi-
gieux pour nous, ne sont qu'une suite de ^
leur nature et de leur expérience. Il dit
1 August., lilD. \\ Hetràct., cap. m.
August. De Divin,, cap. i.
280
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Lî>re
Ëoin pour
mcTlFCn /i
qu'ils prédisent les choses qu'ils doivent
faire eux-mêmes, recevant souvent de Dieu
la puissance d'envoyer des maladies, de
corrompre l'air, et de persuader le mal aux
méchants en agissant sur lem' imagination ;
qu'habiles dans leurs conjectures, ils peu-
vent aussi prédire certaines choses ; par
exemple, une tempête, par la connaissance
de la disposition de l'air, et qu'il se peut
encoise faire qu'ils connaissent les disposi-
tions de l'homme, non-seulement, lorsqu'ils
les font connaître eux-mêmes de la voix ou
de quelque autre manière sensible , mais
aussi lorsqu'elles ne sont que dans l'inté-
rieur de l'âme. D montre qu'il y a une diffé-
rence infinie entre les prédictions des pro-
phètes et celles des démons? que celles-là
sont toujours vraies, et celles-ci très-souvent
fausses; que s'il est arrivé que les démons
aient prédit la ruine des temples et le ren-
versement des idoles, c'est qu'ils aA'aient
appris eux-mêmes des Prophètes que le culte
du vrai Dieu prendrait la place du culte des
. démons. Saint Augustin remarque à cette
occasion que le paganisme diminuait tous
les jours; qu'il n'y avait point d'année où U
n'y eût moins de païens qu'en la précédente.
11 promet de répondre à ce qu'ils pourraient
objecter contre ce qu'il dit dans cet écrit,
dn 7. Le [livre qui est intitulé du Soin qu'on doit
21' avoii' pour les morts, fut composé peu de
temps après le Mayiuel à Laurent, et quel-
que temps avant les Questions à Dulcitius ' ,
c'est-à-dire vers l'an 421. Saint Paulin en
fournit la matière à saint Augustin. A cette
occasion, un jeune homme, nommé Cyné-
gius, étant mort après avoir reçu le baptême,
sa mère souhaita et obtint qu'il fût enterré
dans l'église de saint Félix de Noie. Une
autre dame d'Afrique appelée Flora, qui
était veuve, ayant aussi perdu un fils, qui
était moii apparemment dans les environs
de Noie, pria saint Paulin de permettre
qu'on l'enterrât dans quelque église. Saint
Paulin lui accoi'da sa demande, et en lui
faisant réponse, il écrivit à saint Augustin,
pour lui demander s'il croyait qu'il servît
de quelque chose d'être enterré dans l'é-
glise d'un saint. Il disait dans sa lettre que
pour lui, cela ne lui paraissait pas inutile,
puisque des gens de bien le souhaitaient. Il
se confirmait dans cette pensée par les priè-
res qu'on avait coutume d'ollïir pour les
morts, et qui devaient être de quelque uti-
hté, puisque l'usage en était général dans
toute l'Éghse. D'un autre côté il ne voyait
pas comment ces prièi'es pouvaient s'accor-
der avec ce que dit saint Paul, que chacun
recevra la récompense de ce qu'il aura fait
par son corps. Saint Augustin, accablé d'af-
faires, fut longtemps à répondre aux doutes
de saint Paulin; il ne le fit qu'aux instances
et à la sollicitation du prêtre Candidien, non
par une lettre ^, mais par un livre, « afin ,
dit-il, d'avoir plus longtemps la satisfaction
de l'entretenir. »
8. La première difficulté qu'il résout est A?»'r=« ^^
^ -^ ce hvre, pag.
celle qui regarde l'utilité de la prière pom* ^is.
les morts. Ces prières leur sont utiles, mais
ils n'en peuvent tirer d'avantage, qu'autant
qu'ils ont mérité durant leur vie qu'elles
leur pussent servir après leur mort. L'auto-
rité du livre des Machabées lui sert à démon-
trer que c'était l'usage, dans l'Ancien Testa-
ment, d'offrir le sacrifice pour les morts.
Quand cette vérité ne se trouverait point
établie dans les Écritui-es de la loi ancienne,
la coutume de l'Eglise universelle doit être
d'un grand poids à cet égard ; la l'ecomman-
dation des morts a une place particulière
dans les prières que le prêtre fait à Dieu de-
vant son autel. Il ajoute quei'Église a coutu-
me de faire des prières pour tous ceux qui
sont morts dans la société chrétienne et catho-
lique ; qu'elle les comprend sous une générale
recommandation sans les nommer par lem'S
noms; afin que ceux à qui les pères ou
leurs enfants, ou leurs parents, ou les amis
manquent de rendre ces derniers devoirs ,
les puissent recevoir tous ensemble de l'É-
glise leur mère commune. Toutefois nous ne
devons pas nous imaginer que les morts res-
sentent aucun avantage de tous les soins
que l'on prend pour eux, soit en offrant le
sacrifice de l'autel, soit par des prières ou
par des aumônes, s'ils n'ont mérité que ces
œuvres de piété leur fussent utiles. Comme
nous ne pouvons savoir s'ils l'ont mérité, ou
non, il faut rendre ces devoirs à tous ceux
qui ont été régénérés par le baptême , afin
de n'en omettre aucun qui en puisse et doive
recevoir jquelque avantage.
Sur la seconde difficulté Saint Augustin
répond : « L'honneur comme la privation de
la sépulture ne fait ni bien ni mal à l'âme du
mort; mais les soins que l'on prend des fu-
' August., II Retract., cap. lxiv.
' Lih. de cura promort., cap. xvui.
[IV» ET V SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
281
Suifo dp !"!
alise, |38
2.J.
nérailles, et surtout des personnes de piété,
ne laissent pas d'être louables : » ce qu'il
prouve par l'exemple des anciens et en
particulier de Tobie. Il lui semble qu'être
enterré dans l'église de quelque martj'r ne
sert autre cbose à celui qui est mort, sinon
qu'en le recommandant à l'assistance de ce
saint martyr, l'affection de prier pour lui
s'accroît toujours de plus en plus dans celui
qui prie ; au reste les martyrs mêmes ont né-
gligé ces sortes de soins, qui ne viennent que
de l'attachement que l'on a pour son corps ,
l'Écriture ne louant ceux qui ont eu soin de
la sépulture des morts, que parce que c'est
une marque de la tendresse et de l'affection
qu'Os ont eue pour leurs frères.
9. Saint Augustin s'objecte que plusieurs
morts ont apparu pour indiquer eux-mêmes
aux vivants l'endroit où étaient leurs corps,
et les engager à leur donner la sépulture.
Mais il répond que l'on ne peut rien as-
surer sur ces sortes de visions, et qu'on
ne doit pas croire que les morts sentent eux-
mêmes ce qu'ils nous paraissent sentir en
songe. «Les vivants, dit-il, n'apparaissent-ils
pas sans qu'ils le sachent, à d'autres vivants
pendant le sommeil? Ne peut-il pas en être
de même des apparitions des morts?» Il rap-
porte sur cela diverses visions que des hom-
mes vivants avaient eues eu songe, une en-
tre autres qui le regardait, et qui était arri-
vée pendant qu'il était à Milan. Un nom-
mé Euloge, qui avait étudié sous lui la rhé-
torique, expliquant lui-même à ses écoliers
les hvres de Cicéron, et prévoyant la leçon
qu'il en devait faire le lendemain, y trouva
un endroit fort obscur. Comme il ne l'enten-
dait pas, il en eut tant d'inquiétude, qu'à
peine put-il s'endormir la nuit. Il sommeilla
toutefois, et pendant son sommeil saint Au-
gustin lui exphqua cet endroit même : « Ou
plutôt, dit le saint Docteur, ce ne fut pas
moi, mais mon fantôme qui le fit sans que
j'en susse rien, et durant que je m'occupais
et rêvais à toute autre chose, bien éloigné
d'Euloge, dont j'étais séparé par la mer, et
ne pensant en aucune manière à ce qui le
mettait tant en peine. » Selon saint Augus-
tin, les âmes des morts prennent part aux af-
faires des vivants; s'il en était ainsi, sa mère
qui l'avait suivi par terre et par mer, pour
vivre avec lui, ne l'abandonnerait point. Les
âmes des défunts sont dans un lieu où elles
ne voient point ce qui se passe eii cette vie.
Comment donc, dira quelqu'un, le mauvais
riche s'inquiétait-il de ses frères, et priait-il
Abraham d'envoyer Lazare vers eux, pour
les empêcher de venir dans le lieu des tour-
ments? « Il était en peine des vivants, ré-
pond saint Augustin , quoiqu'il ignorât ce
qu'ils faisaient, comme nous sommes en
peine des morts, quoique nous ne sachions
pas ce qu'ils font. Car, si nous n'en avions
aucun soin, nous ne prierions pas Dieu pour
eux. » Néanmoins, les morts peuvent ap-
prendre ce qui se passe ici-bas, soit par
ceux qui sortent de cette vie, soit par le mi-
nistère des anges, soit par la bonté de Dieu.
C'est à la même bonté et puissance de Dieu
qu'il faut attribuer les apparitions de saint
Félix, et les bienfaits dont les martyrs com-
blent ceux qui les invoquent dans les périls,
soit en les priant à leurs tombeaux, soit en
les invoquant en des lieux fort éloignés;
mais saint Augustin ne décide point com-
ment cela se fait, s'ils le font par eux-mê-
mes, ou si Dieu le fait faire par ses anges, à
la prière des martyrs ; se contentant de décla-
rer comme il l'avait déjà fait, que les âmes
des morts ne peuvent, par leur propre na-
ture, être présentes aux affaires des vivants.
10. Il rapporte une apparition miraculeuse p«5. sm.
d'un saint moine nommé Jean, le même
que l'empereur Théodose consulta sur l'é-
vénement de la guerre civile, et duquel il
reçut l'assurance de la victoire. Un officier
vint trouver ce saint , le conjurant de per-
mettre que sa femme, qui avait beaucoup
de piété, pût le venir voir. Jean lui répondit
qu'il n'avait jamais accordé cette permis-
sion à aucune femme, mais qu'il pouvait
dire à la sienne qu'elle le verrait cette nuit
en songe. La chose arriva comme il l'avait
dit ; ce saint moine donna en cette occasion
à cette femme les avis qui convenaient à
son état. Cette femme, s'étant éveiUée, rap-
porta à son mari ce qu'elle avait vu, ce
qu'elle avait entendu, et quel était le visage
de celui qui lui avait apparu ; il se trouva
que c'était le même que son mari avait vu.
Saint Augustin assure que cette histoire,
qu'il ne donne ici qu'en abrégé, lui avait
été dite par une personne de qualité fort
grave, et très-digne de foi, qui l'avait ap-
prise de ceux mêmes à qui elle était arrivée.
Il ajoute que s'il avait parlé lui-même à ce
saint moine , il s'en serait encore instruit plus
particulièrement, et qu'il lui aurait demandé
s'il était allé en songe à cette femme, c'est-
à-dire si son esprit s'était présenté à elle
282
HISÏOIKE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
sous la figure de son corps ; ou si cette vi-
sion s'était passée dans le songe de cette
femme, soit par le moyen d'un ange, soit
de quelque autre manière, dans le temps
qu'il faisait autre chose, ou qu'il songeait à
autre chose ; s'il dormait alors, et si, pour
le promettre comme il fit, il avait connu par
un esprit de prophétie que cela devait arri-
ver ainsi. « Car, dit ce Père, s'il est allé se
présenter lui-même en songe à cette femme,
il ne l'a pu que d'une manière toute mira-
culeuse et nullement naturelle ; ce n'a pu
être que l'effet, non de sa propre puissance,
mais de la toute-puissance de Dieu. Si cette
femme l'a vu en songe, lorsqu'il dormait ou
qu'il faisait autre chose, et qu'il avait l'es-
prit occupé d'autres objets, c'est à peu près
la même chose que ce que nous hsons dans
les Actes des apôtres, où Notre-Seigneur
Jésus-Christ parlant de Saul à Ananie, lui
marque que Saul voyait venir Ananie à lui,
quoi qu'Ananie ignorât ce qui se passait
dans Saul. Quelque réponse que Jean me
donnât, continue saint Augustin, je l'in-
terrogerais encore sur la manière dont les
martyrs apparaissent à ceux qui les invo-
quent. Je pense qu'il me satisferait sur- tou-
tes ces choses comme je le désire ; en sorte
que, ou je m'en éclaircirais par ses instruc-
tions, assuré que tout ce qu'il me dirait se-
rait vrai et certain ; ou je croirais sans com-
prendre ce qu'il me dirait pour en avoir lui-
même une parfaite comiaissance. S'il me
^ Ecd. ■„, répondait par ce passage de l'Écriture : Ne
cherchez point des choses qui sont trop élevées
pour vous, et ne tâchez pas d'approfondir ce
qui surpasse votre piortée; mais occupez-vous
sans cesse de ce que le Seigneur vous a com-
mandé; je recevrais de lui cette réponse
ayec reconnaissance : car ce n'est pas un
petit avantage de savoir clairement et cer-
tainement qu'il ne faut point vouloir péné-
trer certaines choses obscures et douteuses
que nous ne sommes pas capables de com-
prendi'e ; et d'être assm-é qu'on peut ignorer
sans danger, ce qu'on désirerait connaître
pour en profiter. »
pi'rel'ws 11- li n'est pas étonnant que saint Augus-
ran tis,' tin ne fasse pas mention du livre de la Pa-
tience dans ses Rétractations; car ce n'est
qu'un discours quoiqu'il soit intitulé. Livre.
Nous avons vu ailleurs ' qu'après avoir
achevé la revision de tous ses traités, il avait
'ili'i w Mii'i ••. iif !ii!)'j'H li'i'
' Efist. 224 ad QiiodvuUdeum
aussi dessein de revoir ses lettres et ses ser-'
mons ; mais la mort l'en empêcha. Au reste'
il est parlé du livre de la Patience dans l'épî-
tre deux cent trente-unième à Darius. Ainsi
on ne peut douter qu'il n'en soit auteur.
Comme il n'y répond point à l'exemple de
Razias que les donatistes ne commencèrent
à objecter qu'en 420, pour montrer qu'ils
se pouvaient tuer eux-mêmes ; et qu'il y
ménage beaucoup les pélagiens, qu'il ne
combattit nommément et ouvertement qu'en
■418, on en infère avec beaucoup de vrai-
semblance qu'il prononça ce discours quel-
que temps auparavant.
12. Ce livre est plus dogmatique que mo- „^i"°'-
rai. Selon le saint Docteur, la patience est un ^^•
don de Dieu si excellent, qu'il est loué lui-
même dans l'Écriture de la patience avec la-
quelle il attend les pécheurs à pénitence ;
mais la patien:e de Dieu est bien différente
de celle des hommes ; on ne peut pas même
la définir, parce qu'il est incapable de souf-
frir. Dans l'homme, la véritable patience
est celle qui lui fait conserver la paix et l'é-
galité d'esprit dans la souffrance des maux
de cette vie, et dans la recherche des biens
qui ont rapport à ceux qui nous sont réser-
vés dans le ciel. Les ambitieux, les avares,
les voluptueux, endurent des maux et des
peines infinies pour les choses qui sont l'ob-
jet de leurs passions. 11 n'y a point de périls
auxquels ils ne s'exposent pom- en jouir ;
mais on ne peut pas dire pour cela qu'ils
ont la vertu de patience, parce qu'ils souf-
frent pour une mauvaise fin, qui est de con-
tenter leur cupidité. Il n'y a que ceux qui
souffrent pour luie bonne fin, et qui ne tient
rien de la cupidité, qui soient véritablement
patients, et qui puissent préteudi'e au mé-
rite et à la récompense de cette vertu. Mais
si les enfants du siècle soufirent tant de
maux pour contenter leurs passions, que ne
devons-nous point souflrir poui-la piété, et
pour acquérir une félicité parfaite dans
l'autre vie. Quoique la patience soit une
vertu de l'esprit, elle s'exerce néanmoins et
par rapport au corps, et par rapport à l'es-
prit. Nous la pratiquons en cette dernière
façon, lorsque, sans avoir rien à souûrir de
de la part du corps, nous nous trouvons ex-
posés à toute sorte d'injures. L'autre sorte
de patience est celle par laquelle l'esprit
supporte tout ce qui peut arriver de fâcheux
à son corps pour la justice. Les saints mar-
tyrs ont pratiqué ces deux sortes de pa-
I
[iV ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
283
tience, ayant essuyé de la part des mé-
chants, non-seulement des outrages et des
injures, mais les prisons, la faim, la soif,
les tourments.
Saint Augustin qui trouvait aussi dans le
saint homme Job la patience toute entière,
le propose pour modèle aux donatistes qui
se donnaient la mort, tandis que Dieu cher-
chait à les faire entrer dans le chemin de la
vie. « S'il était permis, leur dit-il, de se
donner la mort pour se délivrer du mal.
Job l'aurait fait sans doute pour se tirer de
ceux dont la cruauté du démon l'avait
frappé dans ses biens, dans ses enfants , et
dans son corps. » Il fait voir que c'est un
plus grand crime de se tuer soi-même que
d'en tuer un autre, par la raison que per-
sonne ne nous est si proche que nous-mê-
me. Comme les donatistes ne laissaient pas
de prétendre aller de pair avec les martyrs :
« Comment, leur dit ce Pèi-e, se pourrait-il
faire que l'impatience fût couronnée aussi
bien que la patience. » 11 prouve contre les
pélagiens, que la patience est un don de
Dieu. Et, parce qu'on pouvait lui objecter
que les hommes étant capables, par les seu-
les forces du libre arbitre, de supporter les
maux nécessaires pour arriver à la jouis-
sance des biens temporels et des plaisirs
criminels, ils pouvaient aussi en supporter
autant pour la justice et pour la vie éter-
nelle par les mêmes forces du libre arbitre ;
U répond que la cupidité ayant la volonté
pour principe, la charité au contraire a pour
principe celui-là même qui la répand dans
le coeur des justes. Si l'on voit quelqu'un de
ceux qui sont dans le schisme, souffrir les
tortures plutôt que de renoncer à Jésus-
Christ, il y a quelque chose de louable dans
cette sorte de patience ; mais ce qu'on doit
en penser, c'est qu'eUe servira peut-être à
faire que ce schismatique soit puni d'un
moindre supplice, que s'il avait renoncé à
Jésus-Clu'ist, pour se délivrer des tour-
ments. Le saint Docteur se fait sur cela
cette objection : ou cette patience est un
don de Dieu, ou il faut l'attribuer aux for-
ces de la volonté humaine. Si on dit que
c'est un don de Dieu, on en pourra conclure
que ce schismatique peut parvenir à la vie
éternelle. Si l'on soutient que ce n'est pas
un don de Dieu, il faudra avouer que sans
le secours de Dieu, la volonté de l'homme
est capable de quelque bien ; car on ne
peut nier que ce ne soit un bien de croire
qu'on sera puni éternellement si on renonce
à Jésus-Christ, et si l'on ne souffre totit plu-
tôt que de le renoncer. Saint Augustin ré-
pond : « On ne peut nier que cela ne soit
un don de Dieu, mais il y a de la différence
entre les dons que Dieu fait aux citoyens de
la Jérusalem céleste qui représentent la
femme libre, dont nous sommes les enfants;
et entre les dons qu'il fait aux enfants mê-
mes des concubines, c'est-à-dire aux juifs
charnels, aux hérétiques et aux schismati-
ques ; et autre chose sont les dons des vrais
héritiers, et autre chose ceux des enfants
qui n'auront point de part à l'héritage, n
§X1.
Des Sermons du Symbole, de la Culture de la
vigne du Seigneur, du Déluge, de la Persé-
cution des barbares, de la Discipline, de l'U-
tilité du jeûne, de la Prise de Rome et du
nouveau Cantique.
1 . Les quatre discours sur le Symbole por-
tent le nom de saint Augustin, soit dans les
imprimés, soit dans plusieurs anciens ma-
nuscrits. On convient néanmoins qu'il n'y a
que le premier qui soit de son style et digne
de \m ; que les trois autres n'ont rien de
son génie '. Ils ont même quelque chose de
bas ; et l'Écriture .y est souvent expliquée
d'une manière qui ne serait point honorable
à saint Augustin. Le second paraît être d'un
auteur qui vivait dans le temps de la persé-
cution des Vandales, où les ariens em-
ployaient les menaces et les caresses pour
attirer les catholiques dans leur parti. Pos-
sidius fait mention de trois traités de saint
Augustin sur le Symbole. Nous en avons
parlé plus haut. On voit par le premier de
ceux dont il est ici question, qu'il n'était
pas permis aux catéchumènes d'écrire le
Sermo.'S du
Symbole : ils
ne sont pas
loii^ de Failli
Augustin.
P.-e. 547.
' Cependant, les Bénédictins conviennent que
jusqu'à eux, on a attribué ces discours à saint Au-
gustin. Les rejeter sous le prétexte allégué c'est
trancher bien légèrement une question de goût
littéraire, car c'est précisément de l'un de ces dis-
cours que Bossuet a empruntés comme étant vrai-
ment de saint Augustin, un passage important.
(Bossuet, 4» serni. sur l'Annonciation). Or, en fait
de goût, nous pouvons sans scrupule et malgré
l'avis des Bénédictins nous en rapporter à Bossuet.
Voyez Monseigneur d'Alger, du Culte de la Sain-
te- Vierge dans la primitive Église d'Afrique.
{L'éditeur.) , ,
284
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Symbole, mais qu'ils le devaient apprendre
de mémoire, et le réciter avant de se cou-
cher ou de sortir de leurs maisons. Saint
Augustin leur en explique tous les articles
avec beaucoup de netteté et de précision.
Pour leur donner quelques preuves de l'u-
nité de nature dans le Père et le Fils, il se
sert de ce qui est dit dans les Actes des apô-
tres, gue les premiers fidèles n'étaient tous
qu'mie âme par leur charité. « Si donc,
leur dit-il, l'amour a pu de tant d'âmes n'en
faire qu'une , le Père et le Fils dont l'amour
est ineffable etl'union intime, ne doivent-ils
pas être appelés un seul Dieu ? » Il enseigne
que la sainte Vierge n'a i*ien souffert dans
sa virginité, ni avant ni après son enfante-
ment ; que l'Eglise est une, sainte, véritable
et catholique ; qu'elle combat toutes les hé-
résies, et ne peut en être vaincue ; que le
baptême remet toute sorte de péchés et l'O-
raison dominicale les péchés légers sans
lesquels nous ne pouvons vivre. Il exhorte
les catéchumènes à ne pas commettre de
ces sortes de péchés par lesquels on était
séparé du corps de Jésus-Christ, et qu'on
expiait par une pénitence publique : c'était
les adultères et d'autres crimes semblables.
Ainsi il y avait trois manières d'obtenir la
rémission de ses péchés, savoir: par le bap-
tême, par l'oraison, et parla grande humilité
de la pinitence ; mais personne ne pouvait
espérer ce pardon, qu'il n'eût reçu le bap-
tême.
Sermons c-î g. Daus le discours intitulé : De la Disci-
la Discij'line
fl-^tiîr ' pline chrétienne, saint Augustin prescrit la
manière dont on doit vivre en ce monde,
pour vivre éternellement dans l'autre. 11 ré-
duit tous les préceptes qu'on peut donner
là-dessus à la pratique des deux commande-
ments de l'amour de Dieu et du prochain. Il
dit en général que quiconque aura bien
vécu, ne peut mal mourir ; qu'ainsi appren-
dre à bien vivre , c'est apprendre à bien
mourir. 11 exhorte les riches à se décharger
du fardeau de leurs richesses, en les distri-
buant en partie aux pauvres. Comme la plu-
part s'en excusaient sur ce qu'il était besoin
de les garder pour leurs enfants, il leur dit :
« Comptez ce que vous avez d'enfants, et
ajoutez à leur nombre Notre -Seigneur
même. Si vous en avez un, que Jésus-Christ
soit le second ; si vous en avez deux, qu'il
soit le troisième. »
Sam.,™, da 3. Qu doute si le discours gui a pour ti-
nouvciiu Can-
tique, et quel- titre : Du nouveau Cantique, est de samt Au-
gustin. 11 ne pai'aît pas de son style, et il j;;!" °°^JJ5
renferme plusieurs phrases qui sont trans- lï^j^f^iî""-
crites du sermon de V Utilité du jeûne.
Quant aux discours sur la quatrième férié
ou la culture de la vigne du Seigneur, sur
le déluge et la persécution des barbares,
ils sont rejetés comme n'étant pas dignes de
ce Père, soit pour le style, soit pom' les
pensées, quoiqu'il y en ait quelques-uns de
lui, mais qui sont tirés de ses Traités sur
saint Jean.
4. Le discours sur l'Utilité du jeûne est
marqué dans le Catalogue de Possidius '.
Saint Augustin y fait voir que le jeûne nous nyiJ,'™''-'!!;
fait entrer en quelque sorte en société avec J,™°°' i's-
les anges ; cju'il est absolument nécessaire
pour dompter sa chair ; et il s'exprime en
cette manièi-e : « Si donc l'on vous dit : Est-ce
que vous plaisez à Dieu en vous tourmentant
vous-même ? Ce serait un Dieu cruel, s'il se
plaisait à vous voir souffrir. Vous pouvez ré-
pondre à ce tentateur : Je ne me tourmente
moi-même qu'afm qu'il m'épargne ; je me
châtie, afin qu'il m'assiste, afin de plaire à
ses yeux , afin de hii pouvoir être agréable.
Car on fait ordinairement du mal à la vic-
time, pour la mettre sur l'autel oii elle doit
être immolée. » On ne doit point pour cela
regarder la chair comme ennemie de l'es-
prit, comme faisaient les manichéens cjui
distinguaient l'auteur de la chair , de celui
de l'espi-it. Mais la révolte de la chair con-
tre l'esprit est une peine du péché ; il est
bon de la priver quelquefois des plaisirs per-
mis, parce que celui qui ne se prive d'aucun
des plaisirs qui sont permis , est bien près
de s'abandonner à ceux qui sont défendus :
au lieu que quand on se prive des joies de
la chair, ou obtient les joies de l'âme. Les
païens jeûnaient quelquefois , mais sans
connaître la patrie vers laquelle nous mai-
chons : les juifs jeûnent aussi, et ils ignorent
le chemin dans lequel nous sommes : les hé-
rétiques jeûnent, et ils se flattent de se ren-
dre agréables à Dieu en jeûnant : mais
qu'elle récompense peuvent-ils espérer du
présent qu'ils font à Dieu ? Qu'ils consi-
dèrent ce qiii est dit dans l'Évangile : Lais-
sez-là votre don, et allez vous réconcilier aupa-
ravant avec votre f l'ère. Vcnt-ou croire qu'ils .Maïu.v.a.
mortifient leur chair comme ils doivent, eux
qui déchirent les membres de Jésus-Christ? »
Saint Augustin prend de là occasion de trai-
1 Possitiius, in indiculo, cap. vm.
I rV ET V° SIÈCLES.
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
ter de l'unité qui doit régner entre les mem-
bres d'un même corps, et il recommande de
ne rien négliger pour rappeler les héréti-
ques à l'unité de l'Église.
Sermons 5. Après ce discours suit celui qui est in-
■(ic^BoniMas. litulé : Sw Itt Ruifie de la ville de Morne , qui
est le troisième que saint Augustin composa
sui- ce sujet. Il est cité par Bède dans son
Commentaire sur l'Épltre aux Corinthiens.
Le but de ce discours est de montrer que
ces sortes d'accidents sont toujours des effets
de nos péchés. Saint Augustin y témoigne
que la nouvelle des maux dont cette grande
viUe fut accablée , tira bien des gémisse-
ments de son cœur, et lui fit souvent répan-
dre des larmes ; qu'elle souffrit les ravages,
les pillages, les embrasements et tous les
autres maux qui sont ordinaires aux villes
prises dans la guerre par les ennemis ; et
qu'il y eut beaucoup de personnes qui souf-
frirent des toui'ments étranges pour décla-
rer où était leur argent. Il demande pour-
quoi Dieu ne pardonna point à cette viUe à
cause des justes qui y étaient : « Car peut-on
douter, dit-il, qu'il n'y en eût au moins cin-
quante dans un si grand nombre de fidèles ,
de vierges consacrées à Dieu , de continents
et de serviteurs et servantes du Seigneur? »
Il répond : a II est évident que Dieu pardonna
à cette ville , puisqu'elle ne fut pas entière-
ment détruite comme le fut Sodome ; il était
sorti de Rome beaucoup de personnes qui
devaient y retourner ; il y en demeura un
grand nombre, et surtout dans les lieux
saints à qui l'ennemi ne fit aucun mal. Car
Alaric \ avant d'entrer dans la ville, avait
ordonné aux soldats de ne pas toucher à
tous ceux qui se réfugieraient dans les lieux
saints , principalement dans les églises de
saint Pierre et de saint Paul. Quelque
grande que fût cette calamité , elle ne le fut
pas plus que celle dont Job fut affligé ; en-
fin, les tourments temporels sont légers en
comparaison de ceux de l'enfer. »
Il rapporte la manière dont Dieu menaça
la ville de Constantinople par une nuée de
feu, et dit qu'il y en avait parmi son peuple,
et peut-être même parmi ceux qui l'écou-
taient, qui avaient été témoins de cette mer-
veille. On la met en 396. Voici comment il
raconte ce fait. « Durant le règne d'Arcade
à Constantinople , Dieu voulut effrayer cette
ville , et en l'effrayant la corriger , la con-
1 Orosius, lib. VII, cap. xxxix.
283
vertir, la purifier, la changer. Il apparut,
dans une révélation, à un de ses fidèles ser-
viteurs, qui était, dit-on, un homme d'épée ;
lui déclara que la ville devait périr un cer-
tain jour par un feu qui viendrait du ciel, et
lui dit d'en aller avertir l'évêque. L'évêque
ne négligea point cet avis : il en parla au
peuple, et la ville ayant eu recours aux lar-
mes de la pénitence , comme autrefois celle
de Ninive, elle obtint ainsi la révocation de
l'arrêt prononcé contre elle. Mais afin qu'on
ne crût pas que l'auteur de cet avis eût été
trompeur ou trompé, lorsque le jour qu'il
avait marqué fut venu, et que tout le monde
attendait avec frayeur l'effet de sa prédic-
tion, on vit au commencement de la nuit
une petite nuée de feu qui s'élevait du côté
de l'Orient. Elle s'avança en croissant tou-
jours, jusqu'à ce qu'enfin elle s'étendit sur
toute la ville , où elle causa un étrange
frayeur. Chacun voyait pendre la flamme sur
sa tête ; et on sentait en mêm temps une
odeur de soufre. Tout le monde courait
aux églises , et elles n'étaient pas assez
grandes pour ceux qui y cherchaient leur
refuge. Ceux qui n'avaient pas encore reçu
le baptême, le demandaient avec empres-
sement à tous les ministres de l'Église qu'ils
pouvaient trouver , non-seulement dans les
temples, mais dans les maisons, dans les
places publiques , dans les rues, pour éviter
non le feu dont ils se voyaient alors me-
nacés , mais celui qu'ils craignaient pour
l'éternité. Enfin, après que Dieu eut fait
trembler tout ce grand peuple , et qu'il l'eut
convaincu de la vérité de ce que son servi-
tem- avait dit de sa part, la nuée commença
à diminuer, et peu à peu elle se dissipa en-
tièrement. A peine commençait-on à se re-
mettre de cette peur, lorsque le bruit se ré-
pandit qu'il fallait absolument quitter la
ville, parce qu'elle devait périr le samedi
suivant; on marquait même l'heure. Tout
le peuple et l'Empereur même quittèrent la
ville, qui que ce fut n'y demeura, personne
ne fermant même la porte de sa maison,
tant la crainte de la mort avait fait oublier
tout le reste. On se retira à quelques milles
de la ville , où l'on était occupé à demander
à Dieu miséricorde , lorsque tout d'un coup
à l'heure prédite , on vit une grande fumée
s'élever au-dessus de Constantinople. A cette
vue les prières redoublèrent avec de grands
cris, jusqu'à ce que, l'air étant devenu se-
rein , on envoya voir ce qui était arrivé, et
286
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
on apprit, avec joie, que la ville subsistait
tout entière. Alors on j retourna en ren-
dant à Dieu de grandes actions de grâces ;
et chacun trouva sa maison en l'état qu'il
l'avait laissée, sans qu'on en eût rien ôté,
quoiqu'elle fut demeurée ouverte. » Saint
Augustin infère de cet événement que Dieu,
l'ayant permis pour la correction de la ville
de Constantinople, a eu un semblable mo-
tif en permettant la prise de Rome. « Car ,
ajoute-t-il, il est non-seulement un père mi-
séricordieux , mais encore un médecin ha-
bile qui sait comment guérir nos blessures. »
- § XII.
Des ouvrages faussement attribués à saint
Augustin.
um dos 1. On a mis à la tête des ouvrages fausse-
qSifour, ment attribués à saint Augustin, le livre des
^°°' ' Vingt et une sentences ou questions. C'est un
recueil informe de divers endroits des ou-
vrages de ce Père, où l'auteur a pris si peu
de précautions, qu'il met souvent sous un
même titre, des choses qui n'ont entre elles
aucun rapport ; et quoique ce recueil soit
très-petit, il y a des choses qu'il répète
deux fois. Ses définitions ne sont pas même
toujours exactes ; et on voit par les solécis-
mes qu'il fait, qu'il ne possédait pas bien la
langue latine.
LWredes 2. Il v a plus d'ordrc dans le livre des
quesiions, Soixaute-cinq questions, elles sont presque
toutes sur dfes'matières théologiques. Elles
sont attribuées dans quelques mamisci'its à
Orose ; mais elles ne sont pas de son style, et
moins encore de celui de saint Augustin.
L'auteur les a recueillies , partie de l'opus-
cule intitulé de la Trinité et de l'unité de
Dieu, qui se trouve parmi les pièces suppo-
sées du huitième tome de saint Augustin ;
partie des Commentaires sur la Genèse qui
porte le nom de saint Eucher, et des livres
de saint Augustin sur la Genèse à la lettre.
LiTro de la 3. On ne doute plus aujourd'hui que le
Foi à Pion 0, ,, T7ï^.,^»■ • • r IJA
i.ag.is. livre de la Foi a Pierre, impiime sur 1 auto-
rité de quelques manuscrits, sous le nom
de saint Augustin, ne soit de saint Fulgence.
H lui est attribué nommément par Ratramne
dans le livre du Corps et du Sang du Seigneur.
Isidore de Séville et Honorius d'Autun en
font aussi mention dans l'article de saint
Fulgence.
LiTio do 4. Le livre de l'Esprit et de l'âme, est un
l'4nir|"Us° recueil de divers passages des écrits de
34.
saint Augustin, de Gennade, de Boëthius,
de Cassiodore, d'Isidore de Séville, dé Bède,
d'Alcuin, de Hugues de saint Victor, de
saint Bei'nard et de quelques autres. L'abbé
Trithème en parle dans le catalogue des
ouvrages de Hugues de saint Victor, sous le
nom duquel il est aussi cité par Vincent de
Beauvais. On l'a imprimé parmi ses ouvra-
ges; mais on croit qu'il est d'Alcher, ami
d'Isaac, abbé de l'Étoile. Alcher était moine
de Clairvaux, homme de lettres, et très-ins-
truit dans la physique, si l'on en croit le
Père Possevin.
5. Le Traitéde l'Amitié n'est qu'un abrégé LiycdeiA-
de celui d'iElreide, abbé de Reveisby, en
Angleterre : nous l'avons encore aujourd'hui
parmi ses œuvres, où il est en forme de
dialogue et divisé en trois livres. Mais l'a-
bréviateur n'en a gardé ni la méthode ni le
style ; il en a même changé et altéré les
pensées.
6. Le livre de la Substance de l'amour est Lirre de u
composé de deux petits traités, dont le pre- lâmou?, pa^.
mier qui a pour titre de la Substance de l'a-
mour, est quelquefois attribué à saint Au-
gustin ; mais plus souvent à Hugues de saint
Victor. Le second ne porte point de nom
d'auteur, il pour titre : Que l'Amour est la
vie du cœur. On l'a imprimé parmi les œu-
vres diverses de Hugues de saint Victor.
7. L'auteur du livre de l'Amour de Dieu, Livre do i'a-
A,^. 1 » !• ■ '>,! rourdoDieu,
parait être le même que celui qui a écrit le r-s- 's-
traité de l'Esprit et de l'âme. Saint Jérôme
y est cité comme un ancien, et on y trouve
divers fragments des ouvrages de saint An-
selme, de saint Bernai'd, et de Hugues de
saint Victor. Il est cité par Vincent de Beau-
vais, sous le nom de Pierre Comestor.
8. Nous avons parlé ailleurs des Soliloques Los soiii»-
de saint Augustin. Ceux-ci sont écrits avec meTpag'! so. "
une toute autre méthode, et d'un style tout
différent. L'auteur les a composés de passa-
ges des vrais Soliloques, et des Confessions
de saint Augustin : il en a fait entrer quel-
ques-uns des écrits de Hugues de saint
Victor, et un chapitre presque entier du
quatrième concile de Latran, tenu vers
l'an 1198.
9. L'auteur du livre des Méditations dit, t,wre de»
dans le chapitre xxxi, que sa foi a été éclairée ras. io7.
dès son enfance, et nourrie des lumières de
la grâce divine ; et, dans le chapitre xli,
qu'il n'était coupable d'aucun péché avant
son baptême que du péché originel. Ce
n'est donc point saint Augustin qu'on sait
[l?' ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
Le Manuel,
)ag. t3ô.
Le Miroir
pag. 146.
Le Miroir,
pag. lùii.
Livre des
Trois Habifa-
tioDS , pag.
159.
L'Échelle
Paradis ,
pag. 1G3.
Livre do la
Connaissance
de la vie, pas.
no.
s'être converti assez tard, et avoir mené une
vie dérangée avant son baptême. Les pre-
mières méditations se trouvent parmi celles
de saint Anselme : on croit que les autres
sont de Jean, abbé de Fécamp, qui vivait
du temps de l'empereur Henri III. La raison
qu'on en donne, c'est qu'elles sont jointes,
dans un manuscrit de saint Arnoul de Metz,
à une lettre que cet abbé écrivit à la veuve
de ce prince. D'ailleurs, elles sont écrites
dans ce manuscrit d'un caractère qui re-
vient au temps où cet abbé vivait.
10. C'est encore en partie des Méditations
de saint Anselme, qu'est tiré le livre de la
Contrition du cœur; mais on y trouve aussi
des endroits qui se lisent dans les écrits de
Hugues de saint Victor.
11. Le Manuel a été imprimé quelquefois
sous le nom de saint Augustin ; et d'autres
fois, mais en partie seulement, parmi les
œuvres de saint Anselme et de Hugues de
saint Victor. C'est un composé de passages
de saint Augustin, de saint Cj'prien, de
saint Grégoire et d'Isidore de Séville.
12. Il s'en trouve aussi une partie dans
le livre intitulé le Miroir. Le reste de cet
écrit est composé de passages des œuvres
d'Alcuin.
13. Le livre suivant est encore intitulé :
Miroir. L'auteur n'en est pas connu ; mais
il vivait après saint Odon, abbé de Clugny ;
puisqu'il cite un endroit de l'éloge que cet
abbé a fait de saint Martin. Il se sert aussi
du terme de prébende, pour marquer un
bénéfice ecclésiastique ; ce qui ne paraît pas
avoir été en usage avant le x" siècle.
14. On ne connaît pas mieux celui qui a
écrit le livre des trois Habitations, savoir du
royaume de Dieu, du monde et de l'enfer.
Les pensées en sont les mêmes que du
traité précédent.
13. Celui qui a pour titre l'Echelle du
Paradis, a été quelquefois attribué à saint
Bernard ; mais on l'a restitué à Guigues le
Chartreux, sur une lettre qui y sert de pré-
face dans un manuscrit de la Chartreuse de
Cologne.
16. U n'y a, ce semble, point de doute
que le livre intitulé : De la Connaissance de la
vraie vie, ne soit d'Honorius d'Autun, puis-
qu'il s'attribue lui-même un traité sous ce
titre, dans son livre des Luminaires de VÉ-
glise. Il faut ajouter que cet écrit a une pré-
face, et que c'était la coutume d'Hoiiorius
d'en mettre à ses opuscules.
287
17. Le livre de la Vie chrétienne est d'un
anglais nommé Fastidius, comme Gennade
le dit expressément. C'est sous ce nom qu'il
fut imprimé c\ Rome par Holsténius, en 1633,
sur un ancien manuscrit du Mont-Cassin. Il
j a quelques endroits dans ce hvre qui pa-
raissent favoriser l'hérésie de Pelage. Tri-
thème met Fastidius vers l'an 420, sous les
règnes d'Honorius et de Théodose.
18. Gi-atien, et quelques autres après lui,
comme Trithème, ont cité sous le nom de
saint Augustin , le livre des Enseignements
salutaires; mais il a été restitué sur l'au-
torité d'un manuscrit de la bibhothèque
de Colbert à Paulin, patriarche d'AquUée,
qui mourut dans les commencements du
ix° siècle.
19. Le hvre des Douze abus du siècle, a été
imprimé parmi les œuvres de saint Cyprien.
Il est cité par Jonas d'Orléans; ainsi, il ne
peut être de Hincmar qui a écrit un traité
sur la même matière, comme le dit Flo-
doard. Pamélius témoigne avoir vu un ma-
nuscrit où il était attribué à saint Augustin ;
m.-iis où l'on avait mis à la marge le nom
d'Evrard à la place de celui de ce Père. On
ne connaît point cet Evrard.
20. Le père Vignier a fait imprimer ces
deux traités sous le nom de saint Augustin,
dans la première partie de son Supplément ;
mais, comme ils se trouvent parmi les œu-
vi-es de Hugues de saint Victor, on les a
supprimés dans la nouvelle édition de saint
Augustin.
21. Le Ti'aité du combat des vices et des
vertus, après avoir été attribué successive-
ment à saint Augustin, à saint Léon, à saint
Ambroise et à Isidore de Séville, a été enfin
reconnu pour être d'Ambroise Autpert ,
moine de saint Benoît sur le Vulturne, pro-
che de Bénévent. Il en est fait mention dans
sa vie rapportée au m" siècle bénédictin, sur
l'an 778, et on remarque que le style de ce
traité a beaucoup de conformité avec celui
du même auteur sur l'Apocalypse.
22. On ne sait point l'auteur de livre de la
Sobriété et de la Chasteté. Il fait l'éloge de
ces deux vertus avec assez d'élégance, et
combat les vices opposés, par les suites fâ-
cheuses qu'ils entraînent nécessairement.
23. Gratien et Pierre Lombard ont trans-
crit beaucoup d'endroits du livre de la vraie
et de la fausse Pénitence, le croyant de saint
Augustin, sous le nom duquel il est aussi
cité par Pierre de Blois, par Vincent de
Livra de la
Vie chrétien-
ne, pag. 183.
Gennad.
scrip. eccles.
cap. LVi.
Livre des
Enseigne -
menls salutai-
res, pag, 194.
Livre des
Douze abus
du siècle, pag.
211.
Traités des
sept vices et
des sept don»
du Saint-Es-
prit, pag. 213
Traité du
combat des vi-
ces et des ver-
tus, pag. 219.
Livre de la
Sobriété et de
la Chasteté ,
pag. 227.
Livre de la
vraie et de la
fausse Péni-
tence , pag,
231.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Livifi
de l'Ante-
cil risl, pa^.
242.
Le Psautier,
pag. 2-'iC.
C;jiiliquo
Magn i n eut,
pag. 247.
De l'As-
somption de
la Vicîfje.T.np.
Livre ilc la
Visite des in-
fiiini s et i!o
la Cnnsolation
des m n rt s,
Tac. 2:i4 et
Troîlé do la
cnnduite cliré-
tlennc, pog.
288
Beauvais, par saint Thomas et quelques au-
tres. Trithème le croit supposé, parce que
saint Augustin y est cité lui-même au chapi-
tre XVII. Il faut ajouter que le style en est diffé-
rent de celui de ce Père, et que l'auteur ex-
plique plusieurs endroits de l'Ecriture d'ime
toute autre manière que lui.
24. Le petit traité de V Antéchrist se. trouve
tout entier parmi les œuvres d'Alcuin, et en
partie parmi celles de Rhaban Maur. Il est
cité par l'abbé Rupert, mais sans nom
d'auteur. Divers manuscrits l'attribuent à
Alcuin, et marquent qu'il le dédia à Charle-
magne. Quel qu'en soit l'autem-, il parle de
l'Antéchrist et de la fin du monde, d'mie
manière qu'on dirait que tout ce qu'il en
rapporte lui a été révélé. Par le temple de
Dieu où l'Antéchrist s'associera, il entend la
sainte Église.
25. Le traité suivant qui, dans les impri-
més, était intitulé : Psautier, que l'évèque
Augustin composa pour sa mère, a pour
titre dans un manuscrit de la bibliothèque
du roi : Psautier du Bienheureux Jean pape,
fait à Vienne : on croit que c'est Jean XXII.
C'est une prière tirée de plusieurs versets
des Psaumes, dans laqueUe l'auteur implore
le secours de Dieu dans ses besoins.
26. L'explication du cantique Magnificat
n'est qu'un fragment de celle de Hugues do
saint Victor, que l'auteur a extrêmement
corrompue et altérée.
27. Le Traité de l'Assomption de la Vierge
paraît être d'un auteur du xii° siècle. Il en-
seigne que la sainte Vierge n'a point subi
la sentence prononcée contre le premier
homme : Vous êtes poudre et vous retournerez
en poudre ; mais qu'elle est en corps et en
âme dans le ciel.
28. Les deux livres de la Visite des infir-
mes apprennent la manière dont les prêtres
doivent se conduire envers les malades, et
dont les malades eux-mêmes doivent de-
mander et recevoir les sacrements. On n'en
sait pas l'auteur; mais il ne peut être fort
ancien. On peut lui attribuer les deux livres
de la Consolation des morts, dont le premier
se trouve sous le nom de saint Jean , appa-
remment Chrysostôme, dans un ancien ma-
nuscrit de Corbie.
29. Le traité de la Conduite chrétienne ou
catholique, se lit dans le second livre de la
Vie de saint Eloi, écrite par Audoënus ou saint
Ouën ; mais les pensées, et même les paroles
sont presque toutes tirées des sermons de
saint Césaire, qu'on lisait alors dans les
églises de France [et d'Espagne.
30. Le discours sur le Symbole est composé
de passages tirés des écrits de Rufin, de saint
Grégoire, de Césaire, d'Yves de Chartres et
de quelques autres. Il est inutile de s'arrêter
sur quekjues autres petits traités, comme
sur celui de l'Agneau pascal, sur les Trois
discours aux néophites , sur la Création du
premier homme , sur la Vanité du siècle, sur
le Mépris du monde , sur le Bien de la disci-
jjline, sur l'Obéissance et l'Humilité, sur la
Charité, sur la Prière et l'A umône ; enfin sur
le traité de la Généralité des aumônes. Ils n'ont
rien ni du style, ni de génie du saint Augus-
tin.
31. Le traité des Douze pierres dont il est
parlé dans l'Apocalypse, a beaucoup de con-
formité avec l'explication qu'en donne Bède
le Vénérable ; mais on doute aussi s'il n'est
pas de l'évèque Amatus, moine du Mont-
Cassin, à qui Pierre, diacre, attribue un
traité semblable.
32. Les soixante-seize sermons, adi'essés
aux frères du désert, sont l'ouvrage d'uu im-
posteur également grossier et ignorant. Ils
sont remplis de fables et de faussetés, écrits
d'un style puéril et barbare. Tout ce qu'on
y trouve de bon est tiré de saint Augustin,
de Césaire et de saint Grégoire.
ARTICLE VIH.
DES ODVBAGES CONTENUS DANS LE SEPTIÈME
TOME DES LIVRES DE LA CITÉ DE DIEU.
i. Nous avons vu en parlant des apolo-
gies, que Tertullien, Arnobe, saint Cyprierr,
et quelques autres anciens ont faites pour la
religion chrétienne, que c'était la coutume
des païens, aussitôt que le monde était af-
fligé de quelques calamités, d'en faire re-
tomber la cause sur les chrétiens. Ces ca-
lomnies, tant de fois réfutées , se renou-
velèrent sous le règne de l'empereur Hono-
rius. Les païens eurent la hardiesse d'at-
tribuer la prise de Rome, en 410, au culte
de Jésus-Clu'ist et à l'abolition de l'idolâtrie ;
car alors, les lois des empereurs ne permet-
taient à personne d'adorer les faux dieux.
Ce qu'il y eût ' de plus étrange dans les
blasphèmes que l'on proféi'a alors contre
Jésus-Cln-ist, c'est qu'ils sortirent de la
bouche d'une partie de ceux-mêmes d'entre
' Augiist., lil). I De Civit. Dei, cap. I.
Discours sa
e Symbole
Trailé de;
Douze pierres
P2S. 301.
Fermon?
aux Frères ilu
déseit.
L;vres do la
Cil.' lie Dieu :
Il quelle ncca.
sioD écrits.
[n'' ET Y" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, É^'ÊQUE D'HIPPONE.
289
ne Tu-
athevés
42tj ou
les païens qui ne se sauvèrent de la mort
qu'en se réfugiant dans les églises qui lui
étaient consacrées , ou en faisant même
semblant de suivre sa religion. Ce fut, pour
détruire à fond leurs vains raisonnements,
que saint Augustin entreprit le grand ou-
vrage qui a pour titre : De la Cité de Dieu.
Il ne craint point de dire ' lui-même que ce
fut le zèle de la maison du Seigneur qui l'en-
tlamma du désir de réfuter les blasphèmes
des païens.
2. Saint Augustin avait déjà dit quelque
chose sur cette matière dans les lettres qu'il
écrivit en 412 à Volusien et à Marcellin ; mais
ce dernier, ne trouvant pas qu'il y eût suffi-
samment répondu aux calomnies des païens,
l'exhorta à faire, non des lettres contre eux,
mais des livres ent'ers, « qui seraient, lui
disait-il, d'une utilité incroyable pour l'É-
glise. » Saint Augustin ne fut pas d'abord de
cet avis , croyant qu'il valait mieux réfuter
les païens par lettres; mais peu après il
pria ^ MarceUin de lui mander s'il croyait
qu'il faUùt des livres plutôt que des lettres
pour la conviction des païens , ne doutant
pas, qu'avec le secours de Dieu, il ne pût
répondre à toutes leurs plaintes. Il parait
par-là qu'en 412, saint Augustin n'avait pas
encore commencé ses livres de la Cité de
Dieu, et qu'il n'en forma même le dessein
que quelque temps après, c'est-à-dire, vers le
commencement de l'an 413, avant la mort
de Marcellin ', arrivée au mois de septem-
bre de la même année.
3. Ces livres sont au nombre de vingt-
deux; il n'y a que les deux premiers qui
soient dédiés à Marcellin, parce qu'appa-
remment MarceUin était mort lorsqpie saint
Augustin travailla aux suivants. Le troi-
sième suivit de près les deux premiers. Le
quatrième et le cinquième sont de l'an 413,
comme on le voit par la lettre * que ce Père
écrivit à Évodius sur la fin de cette année,
où il dit qu'il avait ajouté deux livres aux
trois premiers. Il avait déjà achevé les dix
premiers, et travaillait au onzième en 416
ou 417, lorsque Orose ^ commençait à écrire
son Histoire universelle. Il cite lui-même le
quatorzième livre dans son ouvrage " contre
V Adversaire de la Loi et des Prophètes, fait
vers l'an 420 ; et le vingi-deuxième (jui est
' Lib. II Retract., cap. XLin. — '^ August., Epist.
136 et 138.— 3 Epist. loi. — * August., Epist. 169.
— ^ Oro9., Prœf. ad hist. — i^ August., iu Advera.,
cap. XIV.
IX.
le dernier, dans ses livres des Rétractations
achevés en 426 ou 427. Cet ouvrage, comme
on le voit, le tint plusieurs années, parce
qu'il survenait de temps en temps d'autres
affaires qu'il ne pouvait remettre.
Dans les cinq premiers*^ livres saint Augus-
tin réfute ceux qui croient que le culte de plu-
sieursdieux est nécessaire au bien du monde,
et qui soutiennent que tous les malheurs arri-
vés depuis peu ne viennent que de ce qu'on
le défend. Les cinq suivants sont contre
ceux qui demeurent d'accord que ces mal-
heurs sont ■arrivés dans tous les temps;
mais qui prétendent que le culte des divini-
tés du paganisme est utile pour l'autre
vie. Comme ces dix premiers livres ten-
daient seulement à réfuter les opinions chi-
mériques des païens, saint Augustin, crai-
gnant qu'on lui reprochât de n'avoir fait
que combattre leurs sentiments, sans éta-
blir ceux de l'Église, employa à cet effet
l'autre partie de cet ouvrage cpii comprend
douze livres. Les quatre premiers contien-
nent la naissance des deux cités, de celle
de Dieu et de celle du monde; les quatre
suivants, leurs progrès; et les quatre der-
niers, leurs fins. Mais (juoique tous ces
vingt-deux livres traitent également de ces
deux cités, ils ont néanmoins pris le nom de
la meilleure, en sorte qu'on les appelle les
livres de la Cité de Dieu.
4. C'est de là ' que tous ceux qui, depuis
saint Augustin, ont combattu les ennemis de
la religion chrétienne, ont tiré ce qu'ils ont
dit de plus fort pour sa défense. Macédonius, •
vicaire d'Afrique, qui n'avait vu que les
trois premiers livres, ne se lassait pas de les
lire et de les admirer. « Je les ai lus de
suite, dit-il à saint Augustin lui-même '° : car
ils ne sont pas si froids , et si languissants
qu'on puisse les quitter quand on les a une
fois commencés. Ils m'ont entraîné, et m'ont
tellement attaché à eux, qu'ils m'ont fait
oublier toutes mes affaires. Aussi, je vous
proteste que je ne sais ce qu'on y doit
admii-er d'avantage; si c'est ou ces maximes
de rehgion si parfaites et si dignes de nous
être enseignées par un pontife de Jésus-
Christ, ou la science de la philosophie, ou
la profonde connaissance de l'histoire, ou
une éloquence pleine d'agréments qui
■> Lib. I Retract., cap, ssvi et lib. II, cap. xli.
' Lib. II Retract., cap. xlui. — ' Bened., Prœf.
in lib. de Civit., pag. l.
»» Epist. 154,
19
Estime
a faiio à
lîTres.
290
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
charme de telle sorte les ignorants mêmes,
qu'ils ne sauraient s'empêcher d'aller sans
relâche jusqu'au bout; et que, quand ils ont
achevé de les lire , ils voudraient qu'ils ne
fussent pas encore finis. » Orose dit ' que
les dix premiers livres sont comme autant
de rayons éclatants, et qu'ils ne furent pas
plutôt sortis de cette source de lumière, où
ils avaient pris leur naissance, qu'on les vit
briUer par tout le monde. <( Nous devons,
dit Cassiodore^, en paiiant de ces vingt-deux
livres, les hre sans cesse, et ne nous en dé-
goûter jamais. » Charlemagne ^, qui aimait
les écrits de saint Augustin, prenait plaisir
surtout à lire celui de la Cité de Bien ; et le
roi Charles V, surnommé le Sage, crut de-
voir récompenser magnifiquement celui qui
lui dédia cet ouvrage traduit en français.
Saint Augustin, en revoyant ses livi'es
de la Cité de Dieu, y corrigea quelcfues en-
droits ; mais qui ne sont point de grande im-
portance. « Dans le dixième, dit-il *, je ne
devais pas parler, comme d'un miracle, du
feu du ciel qui courut entre les victimes dans
le sacrifice d'Abraham, puisque ce n'était
qu'une vision. Dans le dix-septième, au lieu
de dire en parlant de Samuel, qu'il n'était
pas des enfants d'Aaron , j'aurais dû plutôt
dire qu'il n'était pas fils du grand-prêtre :
car c'était la coutume que les enfants des
grands-prêtres leur succédassent. »
Analyse .lu 5. La religiou clirétienne, loin d'avoir été
premier livi e, ^
pag. 387. nuisible, a procure de grands biens non-seu-
lement à ceux qui la professaient, mais en-
• core à ses plus grands ennemis. « En effet, dit-
il, après la prise de Rome, les sépulcres des
martyrs, elles basiliques des apôtres servi-
rent également d'asile aux clrrétiens et aux
païens. C'est là que s'arrêtait l'effort d'un
ennemi altéré de sang et de carnage ; c'est
là que se brisait la fureur de ces meur-
triers, qui partout ailleurs exerçaient sans
aucune compassion tous les actes d'hostihté,
que la rage leur inspirait, ou qui leur étaient
permis par le droit des armes. Combien de
gueri'es avant et depuis la fondation de Ro-
me ? Que les païens en produisent quelques-
unes, où les ennemis après la prise d'une
ville aient épargné ceirx qui s'étaient réfu-
giés dans les temples de leurs dieux, et où
un chef des barbares ait commandé, comme
Alaric à ses soldats, de les épargner. Énée ne
vit-il pas égorger Priam au pied des autels
que lui-même avait dressés? Diomède et
Ulysse n'enlevèrent-ils pas l'image de Pallas
après avoir tué ceux qui la gardaient? Ce
sont pourtant là les dieux auxquels les Ro-
mains avaient confié la gai'de de leur ville :
Virgile ne craint pas de les appeler des
dieux vaincus. Quelle folie n'est-ce donc pas
de croire qu'on ait bien fait de mettre
Rome sous la protection de tels défenseurs, et
de prétendre qu'elle n'eût pu être saccagée si
elle ne les eût perdus ? Le temple de Junon
ne sauva aucun de ceux qui s'y réfugièrent
dans la prise de Troie ; mais les basiliques
des apôtres garantirent tous ceux qui s'y re-
tirèrent dans la prise de Rome. Les Romains
mêmes n'ont jamais épargné les temples des
villes qu'ils ont forcées; et si Fabius, dans la
prise de la ville de Tarente, ne pilla point les
statues des dieux, ce ne fut par aucun res-
pect. Car, comme on lui demandait ce qu'il
voulait qu'on en fit, il s'informa comment
elles étaient faites, et ayant appris qu'il y en
avait plusieurs fort gx'andes et même armées :
Laissons aux Tarentins, dit-il, leurs dieux
irrités. C'est donc au désordre de la guerre
et non pas au nom de Jésus-Christ qu'il faut
imputer la prise de Rome par les Goths, les
incendies, les piUages et les meurtres qui en
furent la suite. Si, l'on demande pourquoi,
dans cette occasion, la divine miséricorde
s'est étendue sur les païens qui s'étaient ré-
fugiés dans les éghses, comme sur les chré-
tiens , c'est que les biens et les maux de ce
monde sont communs aux bons et aux mé-
chants, et que celui qui a exercé cette misé-
ricorde, est celui même qui tous les jours
fait lever son soleil sur les bons et sur les
méchants, et pleuvoir sur les justes et sm-
les injustes. Il y a cependant cette différence
dans l'usage que les uns et les autres fout
de ces biens et de ces maux, que les bons
ne s'élèvent point dans la bonne fortune, et
ne s'abattent point dans la mauvaise ; tandis
que les méchants se laissent abattre dans
l'advei'sité, parce qu'ils se sont laissés cor-
rompre par la prospérité, et l'ont considérée
comme un grand bonheur. De là vient qu'en
une même affliction les méchants blasphè-
ment conh-e Dieu, et les bons le prient et le
bénissent. Au reste les châtiments des bons
et des méchants sont souvent une punition
' Oros., Prœf. ad hist. — ^ Cassiod., Inst,,
cap. XVI.
' Bened., Prœf. in lib. de Civit.
lib. II Retract., cap. xsxiv.
* August.,
[IV° ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
291
des péchés dont les plus justes ne peuvent se
dire exempts. Ils servent encore à faire con-
naître à l'homme, s'il aime véritablement
Dieu ; et lorsque ces châtiments sont publics,
ils sont souvent une suite des mœurs corrom-
pues de la multitude ; en ce cas les bons se
trouvent enveloppés avec les méchants
dans une calamité commune. »
Saint Augustin remarque que Dieuj)unit
aussi les bons avec les méchants , parce
qu'ils n'ont pas soin de les reprendre et de les
corriger; ce qu'il entend surtout de ceux qui
ont la conduite des peuples dans l'Église. Il
soutient que les gens de bien ne perdent
rien en perdant les biens d'ici-bas, pourvu
qu'ils ne perdent ni la foi, ni la piété, ni les
biens de l'homme intérieur qui le rendent
riche devant Dieu. Il cite, à cette occasion,
l'exemple de saint Paulin, évéque de Noie,
qui, ayant été pris par les barbares dans le
sac de cette ville, faisait en son cœur cette
prière à Dieu : « Seigneur, ne permettez pas
que je sois tourmenté pour de l'or et de l'ar-
gent : car vous savez où sont tous mes biens . »
En effet, continue le saint Docteur, il les avait
mis où celui qui avait menacé le monde de
ce fléau l'avait averti de les mettre, et d'en
faire un trésor en les donnant aux pauvres.
Plusieurs chrétiens , disait-on , sont morts
de faim, ou ont péri par le glaive pendant
le siège de la ville de Rome. Il y en a mê-
me eu plusieurs qui n'ont point été ensevelis.
Enfin on en a raené un grand nombre en cap-
tivité. Saint Augustin répond : «Il importe peu
de quel genre de mort on meurt quand on a
bien vécu, puisqu'alors on meurt toujours
bien; ce n'est pas un mal pour les chrétiens
de n'être pas ensevelis , les cérémonies des
enterrements, le soin des funérailles, le choix
de la sépulture étant plutôt pour la conso-
lation des vivants que pour le soulagement
des morts ; il ne faut pas pour cela négliger
et abandonner les corps de ceux qui sont
morts, surtout des fidèles et des gens de
bien, dont le Saint-Esprit s'est servi comme
d'instrument et d'organe pour toutes les
bonnes œuvres. Ceux qui ont été emmenés
captifs, ont Dieu avec eux qui ne manquera
pas de les consoler dans leur captivité ,
comme il consola Daniel et les trois enfants
de Babylone qui étaient aussi captifs ; la
piété de Régulus envers les dieux n'empê-
cha pas que les Carthaginois ne le fissent
mourir cruellement. Ainsi il y a bien moins
de raisons de blâmer le christianisme à
cause de la captivité de quelques chrétiens,
puisque, attendant avec joie la jouissance de
la céleste patrie, ils savent qu'ils sont étran-
gers dans leurs propres maisons. »
Pour montrer ensuite que les vierges à
qui on avait fait violence n'avaient pas pour
cela perdu leur chasteté , saint Augustin
établit, comme un principe assuré, que la
vertu qui fait que l'on vit bien, a son siège
dans l'âme, d'où elle commande aux mem-
bres du corps; de sorte que le corps est
saint, lorsque la volonté qui règle ses mou-
vements, est sainte. Il excuse celles qui se
sont tuées elles-mêmes pour éviter l'outrage
qu'on voulait faire à leur chasteté ; mais il
prouve en même temps que l'action de Lu-
crèce, dame romaine , si vantée par les
païens, n'était pas moins contraire à la rai-
son qu'aux lois de la nature; et qu'il n'est
jamais permis de se tuer soi-même. Il sou-
tient qu'il n'y a en cela aucune générosité,
mais beaucoup de faiblesse , et que Lucr'èce
n'en vint à cette extrémité que dans la
crainte d'être regardée comme complice de
l'adultère avec le fils du roi Tarquin, si elle
souffrait une action si lâche avec patience.
« Les femmes chrétiennes, dit-il, qui sont
tombées dans le même malheur, n'ont pas
suivi sa conduite. Elles vivent, et n'ont pas
vengé sur elles-mêmes le crime d'autrui.
Elles ont au-dedans d'elles la gloire de la
chasteté, et l'ont aux yeux de leur Créateur :
et cela leur sufiit. » Il ne laisse pas néan-
moins de se servir des louanges que les ora-
teurs païens avaient données à Lucrèce, pour
justifier l'innocence des femmes chrétiennes
dont on avait abusé dans le sac de Rome. Un
d'eux aVait dit, ne parlant de ce qui était ar-
rivé à cette dame romaine : Chose admirable !
ip étaient deux, et un seul a été adultère. Il se
fait cette objection : quelques saintes fem-
mes, pendant la persécution, se sont jetées
dans la rivière pour se sauver de la violence
de ceux qui les voulaient déshonorer ; et
l'Église catholique les a honorées comme
martyres. Il répond qu'elles ont pu être
poussées à cette action par l'esprit de Dieu,
comme Samson ; et que c'est peut être aussi
par l'inspiration du même Esprit que l'Église
leur a rendu l'honneur du martyre. Quand
Dieu commande une chose, qui peut faire
un crime de l'obéissance qu'on lui rend? Ce
ne fut point par courage que Caton se tua ,
mais parce qu'il ne voulait pas que César
eût la gloire de lui pardonner. S'il était per-
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
ADaljpe (lu
secoud livre ,
P»S. 31.
292
mis de se tuer, même pour éviter de péché,
il vaudi-ait mieux le faire aussitôt après le
baptême ; mais il faut bien que l'Église ne
croie point cette voie légitime, puisqu'elle
exhorte les baptisés à garder la virginité, ou
à demeurer chastes dans l'état de la viduité
ou du mariage. Les païens avaient tort d'in-
sulter aux chrétiens dans leurs disgrâces,
puisqu'ils n'en étaient pas eux-mêmes
exempts ; s'ils imputaient aux chrétiens les
calamités publicpies, c'était parce qu'ils au-
raient souhaité d'être méchants en toute as-
surance, et pour mener une vie toute pleine
de dissolution et de débauche , sans que
rien les troublât dans la jouissance de leurs
plaisirs.
Saint Augustin décrit comment la corrup-
tion des mœurs s'était glissée chez les Ro-
mains, depuis qu'ils n'avaient plus Carthage
pour rivale ; et par quels degrés Rome é tait
devenue esclave de sa propre amliition. « Sci-
pionNasica, dit-il, qui savait que les plus flo-
rissantes républiques ne peuvent se maintenir
que par la vertu, s'opposa au dessein que l'on
avait de construire un amphithéâtre, crai-
gnant que la molesse des Grecs ne corrom-
pit l'austérité des mœurs romaines. Avec
quelle ardeur se fut-il porté â abohr les jeux
mêmes de théâtre, s'il eut osé choquer l'au-
torité de ceux qu'il prenait pour des dieux,
et qu'il ne savait pas être des démons ? car
il passait pour certain parmi les Romains,
que les jeux de théâtre avaient été intro-
duits à Rome par le commandement des
dieux. Les châtiments que Dieu exerce sur
son Église, ajoute le saint Docteur, ne doi-
vent surprendre personne : elle a des enfants
parmi ses ennemis, et des ennemis parmi
ses enfants ; et ces deux cités sont mêlées et
confondues ensemble en ce monde, jusquà
ce que le dernier jugement les sépare. »
6. Les peuples parmi les païens, étaient
tellement prévenus que les malheurs qui les
affligeaient de temps en temps et en cer-
tains lieux, n'arrivaient qu'à cause du nom
chrétien , qu'il était passé en proverbe chez
eux : « Il ne pleut pas : les clu-étiens en
sont la cause. )> Le dessein de saint Augus-
tin, dans le second livre, est de détruire ce
faux préjugé, et de montrer que les maux
que Rome a souû'erts depuis sa naissance,
soit dans elle-même, soit dans les provinces,
sont arrivés lorsqu'elle servait les dieux, et
avant l'établissement de la religion chré-
tienne. Il commence par la dépravation de
leurs mœurs , le plus grand de tous les
maux, puisqu'il fait périr l'innocence qui est
le soutien et l'ornement des vertus. « Pour-
quoi, dit-il, leurs dieux n'ont-ils point voulu
prendre soin de leurs mœurs, et en empê-
cher le dérèglement? n'était-il pas raison-
nable que, comme les hommes songeaient à
ordonner leurs mystères et leurs sacrifices,
ils songeassent aussi à régler les mœurs et
les actions des hommes? Les Romains ré-
pondent que personne n'est méchant que
parce qu'il le veut être. Qui en doute, répli-
que ce Père ? mais pour cela les dieux ne
devaient pas cacher aux peuples qui les
adoraient les préceptes qui pouvaient servir
à les faire vivre en gens de bien. Ils étaient
obligés, au contraire, de les publier haute-
ment, de reprendre même les pécheurs par
leurs ministres, de menacer de punir les
méchants, et de promettre des récompenses
aux bons. A-t-on jamais ouï prêcher rien de
semblable dans vos temples ? Comment ho-
norait-on Cybèle, cette vierge et mère de
tous les dieux ? par des chansons obscènes,
qui auraient pu faire rougir des actrices mê-
mes de théâtre. Si c'était-là les mystères du
paganisme, qu'appellerous-nous sacrilège?
Scipion Nasica aurait-il voulu voir sa propre
mère honorée comme l'était la mère des
dieux, lui qui fut choisi par le sénat comme
le plus homme de bien de Rome, pom' aller
recevoir l'idole de ce démon et la porter
dans la ville ? Je suis assuré qu'il aurait eu
honte qu'on lui eût décerné de semblables
honneurs où l'on mêlait tant de choses hon-
teuses, et où l'on se servait de paroles
dont une honnête femme se tiendrait oflen-
sée. »
Saint Augustin remarque, en passant ,
qu'un des principaux motifs des Grecs et
des Romains, pour mciïre im homme au
rang des dieux et lui en déférer les hon-
neiu's , était quelques bienfaits qu'ils en
avaient reçus. Il fait mention d'une fête ap-
pelée Fuite, instituée en mémoire d'une dé-
route d'ennemis, dans laquelle on chantait
des obscénités étranges, que l'on accompa-
gnait de gestes qui blessaient la pudeur.
Comme les Romains pouvaient répondre que,
si les dieux n'ont point donné de préceptes
pour le règlement des mœurs, ils en avaient
reçu de leurs philosophes, qui même ne les
avaient donnés qu'avec le secours de leurs
dieux ; le saint Docteur répond : « Sur ce
pied-lâ, il serait bien plus juste de décerner
[lV= ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
293
les honneurs divins à ces philosophes qu'aux
dieux mêmes; il serait plus honnête de lire
les livres de Platon dans un temple qu'on
lui aurait dédié, que de voir les prêtres de
Cybèle se mutiler dans les temples des dé-
mons; et plus utile, pour former la jeunesse
à la vertu, de lire publiquement de bonnes
lois de leurs dieux, que de louer inutilement
celles de leurs ancêtres. Car, lorsqu'une pas-
sion déréglée répand son noir poison dans
les veines ' de ceux qui adorent de telles
divinités, ils regardent plutôt ce que Jupiter
à fait, que ce que Platon a enseigné. C'est
ainsi qu'un jeune homme commit un crime ^
de gaîté de cœur en voyant un tableau qui
l'eprésentait Jupiter qui, sous la forme d'une
pluie d'or, se glissait dans le sein de Danaé.
On dira peut-être que ce sont des fictions
des poètes; mais, pourquoi les dieux ont-ils
ordonné des jeux où elles seraient repré-
sentées? s'ils étaient chastes, ils devraient
s'offenser de se voir traduits comme des im-
pudiques. D'où vient qu'eUes font partie des
belles-lettres . et que des personnes âgées
obligent les enfants à les lire et à les ap-
prendre ? Les anciens Romains ont à la vé-
rité réprimé la licence des poètes, et dé-
fendu qu'on nommât personne sur les théâ-
tres. Les Grecs pensèrent autrement, et tra-
duisirent les actions de leurs dieux sur la
scène. Ils crurent même avoir raison, non-
seulement de diffamer leurs citoyens, puis-
que les dieux étaient bien aise qu'on publiât
d'eux des crimes véritables ou supposés;
mais d'admettre encore les comédiens aux
charges pubhques. »
Il relève la contradiction dans laquelle les
Romains étaient tombés en défendant à
leurs poètes de par'ler mal de personne sm'
le théâtre, et de leur permettre de dire cent
choses déshonorantes de leurs dieux. « Car,
dit-il, ils devaient reconnaître que des dieux
qui demandaient d'être déshonorés par les
infamies du théâtre, ne méritaient pas des
honneurs divins, n II préfère à ces dieux,
Platon qui ne voulait pas qu'on admît les
poètes dans une ville bien réglée. « H est vi-
sible, ajoute-t-il, que les Romains se sont
choisi certains dieux plutôt par flatterie
que par raison. Car, pourquoi Romulus
avait-il un prêtre du nombre de ceux qu'on
appelle Flamines, et qui étaient considéra-
bles parmi les Romains, tandis que Saturne,
père de Jupiter, n'en avait point? Si ces
peuples eussent pu recevoir de leurs dieux
des lois pour le règlement de leurs mœurs,
auraient-ils été obligés de demander aux
Athéniens les lois de Solon, quelques années
api'ès la fondation de Rome ? Il est vrai que
Salluste dit des Romains qu'ils avaient une
inchnation naturelle pour la justice. Mais en
ont-ils donné des preuves dans le rapt des
Sabines?Qu'y a-t-il de plus injuste que d'en-
lever par force des filles à leurs parents,
après leur avoir tendu un piège pour les
surprendre ? »
Saint Augustin fait voir par les témoigna-
ges mêmes de cet historien, que le peu de
temps que les Romains ont été justes et
équitables, ce n'a point été par l'amour de
la justice, mais par la crainte de leurs enne-
mis, et qu'aussitôt qu'ils en eurent triom-
phé, ils se plongèrent dans toutes sortes de
dérèglements; que telle était la corruption
de la république avant l'avènement de Jé-
sus-Christ; que c'était donc â leurs débau-
ches, plutôt qu'au christianisme, que les Ro-
mains devaient attribuer toutes leurs afflic-
tions. Il compare l'empire romain plongé
dans tous ces désordres à la maison de Sar-
danaple, « prince si voluptueux, dit-il, qu'il
fit écrire sur son tombeau, qu'il ne rempor-
tait de tous ses biens que ce qui avait servi
à ses plaisirs. Cicéron dit, non comme Sal-
luste, que cette république était toute cor-
rompue par le vice, mais qu'elle était périe
dès lors et ne subsistait plus. En effet,
qu'on fasse attention au temps de Marius et
de Cinna, de Carbon et de Sylla, osera-t-on
dire que c'était alors une vraie république?
Quelles cruautés ! combien de sang répandu!
Et cela entre des citoyens. »
Les païens objectaient que les dieux
avaient fait prédire la victoire à Sylla.
Saint Augustin leur répond qu'aucun de ces
dieux ne s'était soucié de le reprendre de ce
qu'il allait être cause de tant de maux par
la fureur de ses armes ; que les démons onf
bien pu, par leur sagacité, prévoir ce qui
arriverait , mais qu'ils ne firent rien pour
rendre Sylla meilleur ; et que sa victoire le
rendit plus criminel, puisqu'elle fut la cause
de tant de proscriptions. Il dit aux Romains
qu'ils vont tort de se plaindre des guerres,
puisque leurs dieux en ont donné eux-
mêmes l'exemple aux hommes, en combat-
' Persius, Satyr 3.
'Terent. in Eunuc, act. 3.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Analyse du
troisième li-
Tre, pag. S9,
294
tant les uns contre les autres dans une
grande plaine de la Campanie ; qu'ils don-
nent publiquement des exemples d'impu-
dicité, en permettant que l'on en commette
dans leurs temples ; et que les Romains
eux-mêmes ne cherchent à les apaiser que
par des jeux infâmes et des représenta-
tions impures et honteuses. Il oppose aux
mœurs déréglées des Romains la pureté de
la religion chrétienne ; et la modestie qu'on
remarquait dans les Églises où, pour une plus
grande honnêteté, les hommes étaient sépa-
rés des femmes ; où l'on apprenait ce qu'il
faut faire pour bien vivre en ce monde, afin
d'être éternellement heureux en l'autre ; et
où l'Écriture sainte était annoncée d'un heu
élevé en présence de tout le monde, afin
que ceux qui observaient ses enseignements
l'entendissent pour leur salut; et ceux qai
ne les observaient pas, l'écoutassent pour
leur condamnation. Il exhorte les païens à
embrasser cette religion et à travailler, non
pour acquérir l'empire de la terre, mais pour
faire la conquête du ciel. « Vous n'y trouve-
rez, leur dit-il, ni un feu de vestales, ni un
Jupiter capitolin ; mais le Dieu unique et
véritable, qui ne mettra point dé bornes à
la durée de votre règne. »
7. Des maux de l'âme, ce Père passe à
ceux du corps, et montre en détail que les
Romains ont éprouvé de plus grandes cala-
mités, tandis que les faux dieux étaient ho-
norés à Rome , que depuis que cette gi-ande
ville avait embrassé le christianisme. (( En
premier lieu, dit-il, pourquoi Troie d'où sont
nus les Romains, a-t-elle été prise et ruinée
par les Grecs? ne servait-elle pas les mêmes
dieux ? C'est, disent-ils, que Priam, roi des
Troyens, a été puni du parjure de son père
Laomédon. U est donc vrai, continue saint
Augustin, qu'Apollon et Neptune se louè-
rent à Laomédon pour bâtir les murailles
de Troie ; car on dit qu'il leur promit de les
payer de leurs journées, et qu'il n'en fit
iien. Je m'étonne qu'Apollon qui passe pour
prophète ait entrepris un si grand ouvrage,
et n'ait pas su qu'il n'en serait point payé.
Neptune même, son oncle, frère de Jupiter,
et roi de la mer , ne devait pas non plus
ignorer l'avenir. » C'est ainsi que ce Père
fait sentir le ridicule des divinités païemies.
Il se moque aussi des païens mêmes qui,
pour excuser leurs dieux de la ruine de
Troie, alléguaient l'adultère de Paris. ((Leur
coutume, dit-il, est plutôt d'enseigner et
d'approuver les crimes que de les venger.
Comment am^aient-ils haï l'adultère de Paris,
puisqu'ils ne haïssaient pas celui que Vé-
nus, leur compagne, avait entre autres com-
mis avec Anchise , dont elle eut Énée ? les
dieux ne sont point jaloux de leurs femmes.
Paris fit-il plus de mal en enlevant Hélène,
que Romulus en tuant son frère. Cependant
les dieux n'ont pas tiré vengeance de ce
fratricide : pourquoi auraient-ils puni si sé-
vèrement cet adultère ? Mais qu'avait fait la
ville de Troie pour mériter, pendant les
guerres civiles, d'être détruite par Fimbria,
capitaine du parti de Marins, et d'être traitée
plus cruellement qu'elle ne l'avait été par
les Grecs? Lorsque ceux-ci la prirent, plu-
sieurs se sauvèrent ou furent faits prison-
niers; mais Fimiria commanda qu'on ne
pardonnât à personne de ses habitants, et il
brûla la viUe avec tous ceux qui y étaient.
Je veux que les dieux aient quitté des adul-
tères, et abandoniîé Troie aux flammes des
Grecs, afin que Rome, plus chaste, naquit un
jour de ses cendres ; mais pourquoi l'ont-ils
abandonnée depuis, eUe qui était devenue
la mère de Rome, et qui gardait une fidélité
inviolable au parti le plus juste ? » Saint Au-
gustin infère de tout cela que les dieux
n'ont laissé prendre Troie que parce qu'ils
n'ont pu l'empêcher ; et qu'après un si grand
exemple de leur impuissance, les Romains
ne devaient pas leur commettre la défense
de leur ville.
U fait voir qu'on ne pouvait attribuer aux
ordonnances que Numa fit pour le culte des
dieux, la paix dont on jouit sous son règne,
(( puisque, dit-il, tant d'autres qui ont honoré
les faux dieux jusqu'au règne d'Auguste, ont
été dans des guerres continuelles. La statue
d'Apollon à Cumes ne versa-t-elle pas des
larmes, parce que ce dieu n'avait pu secou-
rir les Grecs ? Diane put-elle sauver la vie à
CamiUe , à Hercule à Pallas ? Non. De pareilles
divinités pouvaient-elles donc rendre heu-
reux le règne de Numa ? Il parait qu'il ne le
croyait pas lui-même : car songeant à quels
dieux il confierait le salut de Rome , il prit
le parti d'en ajouter d'autres à ceux qui y
étaient passés avec Romulus , ou qui y de-
vaient passer api'ès la destruction d'Albe, ou
pour les garder comme fugitifs , ou pour
les aider comme impuissants. Les Romains
en ajoutèrent plusieurs à ceux de Numa, sans
que cela leur servit de rien. Au contraire,
ils furent plus heureux, et leiu's mœurs
[iv^ ET v" SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
plus pures, qiiand ils en eurent moins. »
Parmi les calamités que Rome souffrit
sous ses rois mêmes, saint Augustin met la
discorde entre Rémus et Romulus qui ne
finit que par le meurtre du premier ; les
guerres sanglantes qui furent les suites de
l'enlèvement des Sabines ; les maux que cau-
sa au peuple romain la guerre qu'il eut con-
tre les habitants d'Albe ; la fin malheureuse
de presque tous les rois de Rome ; les divi-
sions qui régnèrent dans Rome depuis qu'ils
en eurent chassé leurs rois; les malheurs qui
arrivèrent aux Romains pendant la première
et la seconde guerre punique. « Combien de
combats, dit-il, de défaites d'armées romai-
nes, de villes prises et forcées? La rage d'An-
nibal, tout cruel qu'il était, fut tellement as-
souvie dans la j ournée funeste de Cannes , qu'U
commanda qu'on cessât de tuer; il y mourut
tant de chevaliers romains qu'on remplit
trois boisseaux d'anneaux d'or qu'ils por-
taient à leurs doigts. Annibal les envoya A
Garthage, pour faire entendre aux Cartha-
ginois qu'il était plus aisé de mesurer que
de compter les chevaliers romains qui étaient
morts sur le champ de bataille ; et pom' leur
laisser juger par là quel carnage l'on y
avait fait des simples soldats. Quoi de plus
déplorable que la prise de Sagonte? cette
ville d'Espagne, si affectionnée au peuple
romain, ne fut-elle pas détruite pour lui
avoir été trop fidèle ? Cependant les dieux
de la république l'abandonnèrent à son
malheureux sort. Ils ne garantirent pas non
plus Scipion des mauvais traitements de ses
ennemis, quoiqu'il eût garanti lui-même les
temples des dieux de la fureur d'Annibal.
Mithridate ne fit-il pas tuer, en un même
jour, tous les Romains qui se trouvèrent
dans son empire. Il ne paraît pas néan-
moins qu'ils eussent méprisé les augures.
Ils avaient des dieux publics et domestiques
qu'ils pouvaient consulter avant que d'entre-
prendre un voyage si funeste en Asie. A
quelle cause attribuera-t-on la rage dont
tous les animaux domestiques furent saisis
avant la guerre des aUiés ? Combien de sé-
ditions excitées à l'occasion des lois des
Grecs? et ne donnèrent-elles pas commence-
ment aux guerres civiles. »
Saint Augustin se moque agréablement
du sénat romain, cpii ordonna la construc-
tion d'un temple dédié à la Concorde, au
lieu même où il s'était fait un horrible
carnage des citoyens pendant la sédition.
EVEQUE D'HIPPONE.
293
« Pourquoi, dit-il, ne bâtissait-on pas plutôt
un temple à la Discorde ? Y a-t-il quelque
raison de dire que la concorde soit une di-
vinité, et que la discorde n'en soit pas une?
Ne dressa-t-on pas à Rome un temple à la
Fièvre aussi bien qu'à la Santé ? Combien de
guerres depuis la construction de ce tem-
ple de la Concorde , qui désolèrent toute
l'Italie et la réduisirent à un état déplo-
rable ? »
Il touche légèrement les meurtres causés
par Marius et Sylla dans la guerre civile.
« Mérula, grand prêtre de Jupiter, y périt
avec tant d'autres illustres romains, et l'on
massacra aux yeux de Marius tous ceux à
qui il ne donnait pas sa main à baiser, lors-
qu'ils le saluaient. Le pontife Mucius Scévola
fut tué même au pied de l'autel de Vesta, où
il s'était réfugié comme dans un asile invio-
lable ; il éteignit presque de son sang le feu
que les vestales avaient soin d'entretenir.
Le carnage que SyUa fit dans la ville fut si
grand qu'il était impossible de compter les
morts ; il n'accorda la vie à quelques Ro-
mains qu'afiu qu'il eût à qui commander.
Le sac de Rome par les Goths ne fat pas à
beaucoup près aussi cruel. Sylla fit mourir
plus de sénateurs que les Goths n'en purent
dépouiller. Quelle est donc l'extravagance
des païens d'imputer à Jésus-Christ les mal-
heurs des dernières guerres ? Pourquoi n'en
chargent-ils pas leurs dieux? Les guerres
civiles sont sans doute les plus fâcheuses :
combien n'en a-t-on pas vu avant la nais-
sance de Jésus-Christ ? Outre la guerre de
Marius et de Sylla, on compte ceUes de Ser-
torius et de Catilina. Après vient la guerre de
Lépidus et de Catulus; puis celle de César
et de Pompée : enfin ceUe d'un autre César
qui fut depuis appelé Auguste, sous l'em-
pire duquel Jésus- Christ prit naissance.
Puisque tant de calamités sont ai'rivées aux
païens dans les temps mêmes où lem's faus-
ses divinités étaient honorées le plus religieu-
sement, et où la pompe du culte, qu'on leur
rend, était montée à son plus haut degré, c'est
une impudence de leur part d'attribuer au
christianisme les malheurs de la guerre des
Goths. »
8. A tous ces maux arrivés à la républi-
que romaine avant la venue de Jésus-Christ,
saint Augustin dit, dans le quatrième livre,
qu'il en aurait pu ajouter beaucoup d'autres
qu'Appulée touche en passant dans son
livre du Monde, pour montrer que toutes les
Analyse du
quatrième li-
vre, pag. 533.
296
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
choses d'ici-bas sont sujettes à une infinité
de changements et de révolutions. 11 rap-
porte que des villes ont été abîmées par
d'effroyables tremblements de terre ; que
des régions entières ont été noyées dans des
déluges ; que le continent a été changé en
îles par l'impétuosité des flots des mers, et les
mers en continent par leur retraite ; que des
tourbillons de vent ont renversé des villes ;
que des foudres sortant des nuées ont con-
sumé des contrées d'Orient, et que d'auti'es
en Occident ont été ravagées par de furieuses
inondations; qu'on a vu quelquefois le mont
Etna rompre ses barrières, et faire couler
dans les plaines des torrents de feu.
Les païens vantaient la durée et l'étendue
de l'empire romain comme un grand bien-
fait des dieux. Saint Augustin leur fait voir
que les grands empires ne sont pas un
grand bien, parce qu'ils sont exposés à de
grands troubles ; qu'on ne doit pas réputer
heureux un État qui ne s'accroît que par les
guerres ; que quand la justice est bannie
d'un royaume, ce n'est plus qu'un brigan-
dage ; et que les assemblées des brigands
mêmes sont de petits empires, puisqu'elles
ont un chef pour les gouverner ; qu'elles
sont liées par une espèce de société , et que
s'il arrive que cette société grossisse, qu'elle
prenne des villes, subjugue des peuples,
alors elle prend ouvertement le nom de
royaume, non parce que sa cupidité est di-
minuée, mais parce que son impunité est
accrue. 11 rapporte la réponse qu'un pirate
fit à Alexandre le Grand qui l'avait pris. Ce
prince lui demanda par quel droit il infestait
la mer. Le pirate lui répondit fièrement :
« Quel droit avez-vous vous-même de trou-
bler toute la terre ? Parce que je n'ai qu'un
vaisseau, on m'appelle corsaire; et parce
que vous avez une grande flotte, on vous
appelle conquérant. « Mais, ajoute ce Pèi-e,
si les progrès des armes sont des faveurs des
dieux, il faut donc aussi leur attribuer la
puissance des gladiateurs fugitifs de la
Campanie, qui firent de si grands maux à
toute ritahe. » C'est im vrai brigandage de
faire la guerre à ses voisins, et d'attaquer des
peuples de qui l'on n'a reçu aucun déplai-
sir, uniquement pour satisfaire son ambition.
Ninus est le premier qui ait commis cette
injustice , avant lui', chacun était content
du pays que ses ancêtres avaient occupé.
Si l'on prétend que Ninus a été maintenu
dans ses conquêtes par l'assistance des
dieux, je demande de quels dieux? Car les
peuples qu'il s'assujettissait n'adoraient pas
d'autres dieux que ceux que les païens ado-
rent aujourd'hui. Si l'on dit que les Assy-
riens avaient des dieux particuliers, plus
habiles pour former et conserver un empire,
ces dieux sont-ils donc morts lorsque l'em-
pire est passé des Assyriens aux Mèdes, et
depuis aux Perses? ou bien n'est-ce pas
que, n'ayant pas été payés de lem* salaire,
ils ont abandonné ceux qu'ils avaient pro-
tégés d'abord? Si cela est ainsi, ou les dieux
sont infidèles d'abandonner leurs amis, pour
passer du côté des ennemis ; ou ils ne sont
pas aussi puissants que des dieux le doivent
être, puisqu'ils peuvent être vaincus par la
prudence ou par la force. On dira peut-être
que lorsque les hommes combattent les uns
contre les autres, les dieux ne sont pas vain-
cus par les hommes, mais par d'autres dieux
que chaque État s'est rendus propres. Mais
il y a donc aussi des inimitiés enti-e eux,
dont ils se chargent pour l'intérêt du parti
qu'ils embrassent : et en ce cas un État ne
doit pas plutôt adorer ses dieux que ceux
des autres États pour lescfuels la victoire
s'est déclarée. »
Saint Augustin nomme un grand nombre
de divinités des Romains qui présidaient aux
choses les plus viles. Ils en comptaient jus-
qu'à trois pour une porte ; et jusqu'à sept
ou huit pour un épi de blé. Les Romains
attribuaient à Jupiter la grandeur de leur
Empire comme au roi des dieux et des
déesses. A ce sujet, saint Augustin rapporte
les sentiments différents des philosophes
païens et de leurs poètes, qui, sentant le ri-
dicule de leur mythologie, avaient recours
à l'allégorie, et disaient que Jupiter était la
plus haute région de l'air, et Junon la plus
basse ; que, comme ces deux éléments sont
joints ensemble, c'est pour cela que l'on di-
sait que Junon était la femme ou la sœur de
Jupiter. Le saint Docteur fait voir que ce
système n'avait pas plus de solidité que les
fables mêmes; que d'ailleurs il manquait
d'uniformité , les uns disant que Junon était
la terre, d'autres Cérès, et d'autres Vesta,
Il en propose un autre qu'il dit être un des
plus savants d'entre les païens : « Dieu, dit-
il, selon ses difi'érents efl'ets, emprunte des
noms divers : on le nonnne Jupiter dans
l'air, Neptune dans la mer, Pluton dans la
terre, Proserpine dans les lieux souteiTains,
Apollon dans les devins, Saturne dans le
IV° ET Y' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
297
temps, Bacchus dans les vignes, Gérés dans
les moissons, Diane dans les bois. Minerve
dans les esprits ; en sorte que Jupiter ren-
ferme en lui seul cette multitude de divinités
que les païens adorent. Or, ne serait-il pas
plus court, leur demande ce Père, et beau-
coup plus sensé, d'adorer un seul Dieu
comme font les chrétiens. »
Il réfute l'opinion de ceux qui ont cru
que Dieu était l'âme du monde, et tout l'u-
nivers, son corps : «Il suivrait de là, dit-û,
qu'en marchant sur la terre, on foule Dieu
aux pieds, et qu'on l'égorgé, du moins en
partie, toutes les fois qu'on tue un animal.
En vain on se retrancherait à dire que les
seuls animaux raisonnables sont des parties
de Dieu, il s'en suivrait toujours que Dieu
commettrait tous les crimes de tous les
hommes. Au lieu d'attribuer à Jupiter la
grandeur de l'empire romain et ses progrès,
il serait moins déi'aisonnaljle d'en faire hon-
neur à la Victoire, qui, étant aussi une
déesse, a pu suffire elle seule à tout cela,
Jupiter fût-il demeuré les bras croisés. Les
méchants regardent comme un bonheiu- de
faire la guerre, et d'étendre leur empire en
subjuguant plusieurs nations ; mais les gens
de bien ne le regardent que comme une né-
cessité où les réduit l'injustice de lem-s voi-
sins ; et ils seraient bien plus heureux de
vivre en paix avec de bons voisins, que
d'être obligés d'en dompter de mauvais. »
L'autorité de Platon et des autres philoso-
phes lui sert à montrer que la bonté étant
un attribut essentiel de la divinité, les païens
n'avaient pas dû admettre des dieux bons
et des dieux mauvais, et que la Fortune dis-
tribuant sans choix et sans discernement ses
faveurs, les prièi-es qu'on lui adressait et le
culte qu'on lui rendait, étaient également inu-
tiles. Les païens prétendaient que sa statue
avait parlé, et dit plus d'une fois qu'on avait
bien fait de lui rendre ces honneurs. Saint
Augustin répond qu'il n'était pas mal aisé
aux démons de tromper ainsi les hommes ;
toutefois il aime mieux croire que cette sta-
tue n'avait pas parlé, et que ce n'était
qu'ime fiction. Il prouve aux païens qu'ils
ont eu tort de faire des divinités de la Vertu
et de la Foi, puisque ce ne sont que des
dons de Dieu ; qu'en vain ils ont inventé
tant de divinités du second rang, la Félicité
devant seule leur sufiire, et leur tenir lieu
de toute autre divinité ; en effet, celui qui
la possède a tout. Ge ne fut pourtant qu'en
ce temps qu'on lui bâtit un temple à Rome.
Lucullus fut le premier qui s'en avisa.
11 réfute les raisons qu'ils apportaient
pour se défendre de ce qu'ils adoraient les
dons de Dieu comme des dieux. « S'il n'y en
a qu'un, leur dit-il, de qui viennent ces
dons, qu'on le cherche et qu'on le serve,
cela suffit. Il leur reproche de représenter
sur le théâtre Jupiter comme un adultère.
« Si c'est un crime qu'on lui suppose, ne
s'en doit-il pas offenser. Si le crime est vé-
ritable, doit-on l'adorer. » Scévola et Varron
avaient écrit que les dieux, tels que le peuple
les honorait, n'étaient qu'une pure fiction des
poètes; que tout ce qu'on en débitait était
très-éloigné de la nature de Dieu; mais qu'il
était avantageux au peuple d'être trompé en
matière de rehgion. «Quelle religion, reprend
saint Augustin, que celle qui n'est fondée que
sur la fausseté : comment y avoir recours
pour être délivré de l'erreur , puisqu'au lieu
d'y trouver la vérité, on croit même qu'il est
utile de tromper. Mais, si le culte des dieux
est la vi-aie cause de l'agrandissement de la
république romaine, les Grecs, beaucoup plus
superstitieux que les Romains , dans les cé-
rémonies du paganisme, auraient dû deve-
nir maîtres du monde entier. »
Saint Augustin rappelle ici la fin malheu-
reuse de Julien l'Apostat, l'un des plus zélés
pour le culte des faux dieux ; et se sert avan-
tageusement du témoignage de Cicéron, qui,
quoique augure , se moque de ceux qui se
conduisaient par le cri des corbeaux et des
corneilles. Il emploie aussi le témoignage de
Varron , qui dit nettement que Dieu est es-
prit ; que les anciens Romains ont été plus
de cent soixante-dix années à adorer les
dieux sans en faire aucune image ; et que, si
cela s'observait encore maintenant , le culte
qu'on leur rend en serait plus pur et plus
saint. G'est parce qu'il éta.it de l'intérêt des
politiques de tromper le peuple en matière
de religion qu'ils ont introduit le culte des
faux dieux. « Dieu , dit-il, donne des royau-
mes aux bons et aux méchants , afin que ses
serviteurs apprennent par là à ne pas les dé-
sirer comme quelque chose de grand ; mais
pour la félicité , il ne l'accorde qu'aux gens
de bien. Dieu a fait voir dans la conduite
qu'il a tenue envers le peuple juif, qu'il est le
maître des biens d'ici-bas; puisque sans le se-
cours ni de Mars, ni de Bellone, ni des autres
fausses divinités, il s'est extrêmement mul-
tiplié en Egypte. Les Juifs ont vaincu leurs
298
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Analjse du
cinquième li-
vre, pnp. 1 14.
ennemis et ont eu un empire très-tlorissant,
qu'ils auraient encore, s'ils n'avaient point
offensé Dieu par leurs impiétés et leur ido-
lâtrie, et ensuite en faisant mourir le Christ.
Maintenant, ils sont dispersés par toute la
terre, par un effet de la providence du seul
vrai Dieu , afin que nous puissions prouver
par leurs livres mêmes, que si nous voyons
aujourd'hui les statues des faux dieux ren-
versées, leurs autels abattus, leurs bois cou-
pés, leurs temples démolis, leurs sacrifices
défendus , tout cela a été prédit il y a long-
temps. Si on ne lisait ces choses que dans
nos Écritures, peut-être croirait-on que
nous les avons inventées ?
9. C'est la providence de Dieu qui établit
les royaumes de la terre. On ne doit donc
pas écouter ceux qui prétendent que l'in-
fluence des astres y a quelque part, et qui at-
tribuent la grandeur de l'Empire romain ou
à une cause fortuite, ou à la position de cer-
taines constellations. Les astrologues, qui
étaient de ce sentiment, s'autorisaient de ce
que deux jumeaux ne sont semblables que
de ce qu'ils naissent sous une même cons-
tellation. Mais saint Augustin ti'ouve beau-
coup plus probable, la conjecture des méde-
cins, d'après lesquels les jumeaux se ressem-
blent si bien que parce que, étant conçus en-
embles, ils reçoivent une pareille impression
de la disposition du corps de leurs parents;
en sorte qu'ayant pris ensuite un même ac-
croissement dans le ventre de leur mère, ils
naissent avec une complexion toute sembla-
ble. Il réfute les astrologues par l'exemple
des deux jumeaux , Esaû et Jacob, qui s'en-
tresuivirent de si près en venant au monde,
que l'un tenait l'autre par la plante du pied,
et dont toutefois la vie , les mœurs , les ac-
tions, les inclinations et la fortune furent si
dilférentes. Il avait connu, ajoute-t-il, deux
jumeaux de divers sexes qui vivaient encore,
lesquels, toutefois, quoique se ressemblant
de visage autant qu'il se peut pour des per-
sonnes d'un sexe diflerent , menaient un
geni'e de vie tout opposé, l'un étant à l'ar-
mée, l'autre dans sa maison : l'un marié,
l'autre vierge ; l'un ayant beaucoup d'en-
fants, et l'autre n'en voulant point avoir.
S'il n'y avait que les hommes qui fussent
soumis aux astres , comme le disent les as-
trologues, pourquoi choisit-on certains jours
pour planter les vignes ou semer les blés?
Quaud ils prédisent plusieurs choses qui se
vérifient par l'événement , cela vraisembla-
blement se fait par ime secrète inspiration
des démons, qui tâchent de répandre et d'é-
tablir dans les esprits la dangereuse opinion
de la fatalité des astres.
Parmi les philosophes , il y en avait qui
combattaient la prescience de Dieu , disant
qu'elle ne s'accordait point avec notre li-
berté ; d'autres qui soutenaient que les
choses n'arrivaient pas nécessairement ,
quoiqu'elles arrivassent toutes par l'ordre
du destin. Saint Augustin convient que la pa-
role de Dieu est immuable , parce cpi'il con-
naît immuablement tout ce qui doit arriver.
«Mais il ne s'ensuit pas, ajoute-il, que l'or-
dre des causes étant certain pour Dieu ,
rien ne dépende de notre volonté : car nos
volontés mêmes sont dans l'ordre des causes,
qui est certain pour Dieu, et qu'il prévoit ;
parce que les volontés des hommes sont
aussi les causes de leurs actions; en sorte
que celui qui a prévu toutes les causes , a
sans doute aussi prévu nos volontés qui sont
les causes de nos actions. Nos volontés sont
donc à nous ; c'est par elles que nous fai-
sons ce que nous voulons faire , et que nous
ne ferions pas, si nous ne le voulions. Il ne
suit donc pas que rien ne dépende de notre
volonté , parce que Dieu a prévu ce qui en
doit dépendre. Au contraire, de ce qu'il a
prévu que quelque chose en dépendrait , il
faut qu'il y ait eu effet quelque chose qui
en dépende, puisque autrement il ne l'au-
rait pas prévu, sa prévoyance ne s'étendanl
pas sm- rien. Ainsi, nous ne sommes point
obligés de ruiner le libre arbitre pour main-
tenir la prescience de Dieu , ni de nier cette
prescience pour faire subsister le libre ar-
bitre ; mais nous embrassons également ces
deux vérités, l'uaepour bien croire, et l'au-
tre pour bien vivre. Car, il n'est pas possible
de vivre comme il faut, sans qu'on n'ait de
Dieu la croyance qu'on en doit avoir. Gar-
dons-nous donc bien, sous prétexte de vou-
loir être libre, de nier la prescience de celui
dont la grâce nous i-end ou nous rendra li-
bres. Ce n'est pas en vain qu'il y a des lois,
ni qu'oa se sert d'exhortations et de correc-
tions. Dieu a prévu toutes ces choses; elles
auront autant de force qu'il a prévu qu'elles
en auraient. Les prières servent aussi poiu-
obtenir de lui les choses qu'il a prévu de-
voir accorder à ceux qui le prieraient. Il y a
encore de la justice à récompenser les bon-
nes actions, et à punir les mauvaises. Un
homme ne pèche pas , parce que Dieu a
[IV° ET V' SIÈCLES.'
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
299
prévu qu'il pécherait ; l'on ne doute point
au contraire, que lorsqu'il pèche, ce ne soit
lui-même qui pèche, parce que celui dont la
prescience ne se peut tromper , a prévu que
ce ne serait point le destin, ni la fortune, ni
quelque autre chose, mais lui-même qui pé-
cherait, n est vrai qu'il ne pèche point s'il ne
veut pécher ; mais s'il ne veut point péher.
Dieu l'a aussi connu par sa prescience. »
Saint Augustin montre ensuite que la pro-
vidence de Dieu embrasse toutes choses ; que
c'est d'elle que vient l'accroissement de l'em-
pire romain, Dieu ayant bien voulu accorder
aux Romains cette récompense temporelle à
cause de leurs vertus morales. « Celle des
saints, dit-il, est bien supérieure, ils joui-
ront sans fin d'une vraie et parfaite félicité.
A le bien prendre, les victoires mêmes des
Romains ne les ont pas rendus de meilleure
condition que ceux qu'ils avaient vaincus,
puisqu'ils vivaient eux-mêmes sous les lois
qu'ils donnaient aux autres, et que leurs
terres payaient aussi tribut. Otez le faste e.t
la vanité, que sont les hommes? que des
hommes. Et si on a dans le siècle de la consi-
dération pour les plus gens de bien, ce n'est
qu'une légère fumée. »
Il exhorte les chrétiens à faire et à souffrir
pour le ciel ce que les Romains ont fait et
souffert pour la liberté et la gloire de leur
patrie. Ici, il rapporte les actions tant vantées
de Brutus, de Torquatus, de Furius Camil-
lus, de Mucius Scévola, de Curtius, deMarcus
PulviUus^ et de beaucoup d'autres qui sont
célèbres dans l'histoire. Il loue la plupart des
Romains de n'avoir aspiré à la domination
que par les voies dont les honnêtes gens du
monde se servent pour y arriver, ce qui les
faisait, dit-il, paraître vertueux. Mais il con-
vient qu'U y en a eu parmi eux qui, peu
inquiets de leur réputation, n'avaient pas
moins de désir de dominer; entre ceux-ci, il
met l'empereur Néron, le px'emier qui ait
porté ce vice le plus loin. Les mauvaises qua-
lités de ce prince donnent occasion à saint
Augustin de remarquer que la puissance
souveraine n'est donnée à des personnes
de la sorte, que par la providence de Dieu,
quand il juge que les hommes méritent d'a-
voir de tels maîtres. « Car c'est Dieu qui
donne les royaumes de la terre aux bons et
aux méchants. C'est le même Dieu qui a
donné la puissance souveraine à Marins et à
César ; à Auguste et à Néron ; à Tite les
délices du genre humain, et à Domitien le
plus cruel de tous les tyrans ; à Constan-
tin, cet empereur si chrétien, et à Julien
l'Apostat dont les bonnes .inclinations furent
corrompues par l'ambition et par une cm'io-
sité détestable et sacrilège. C'est Dieu aussi
qui dispose des temps de la guerre, et qui
permet que les unes finissent plus tôt, les
autres plus tard. La première guerre puni-
que dura 23 ans ; la seconde, 18 ans ; mais
la troisième fut terminée avec une Aàtesse
incroyable par Scipion. C'était donc en vain
que les païens attribuaient aux chrétiens la
durée de la guerre que leur faisaient les
Goths, puisque longtemps auparavant ils en
avaient eu de plus longues, quoique le culte
des dieux fût en honneur. Dieu fit voir par
la défaite de Radagaise, roi des Goths, quel-
que temps avant qu'Alaric prit Rome, que
les sacrifices des dieux ne sont point néces-
saires pour le salut des empires. Car ce
prince qui leur sacrifiait tous les jours, fut
défait avec tant de bonheur pour les soldats
de l'armée romaine, qu'ils tuèrent plus de
cent miUe hommes à Radagaise sur place,
sans qu'aucun d'eux fût blessé ; ils le prirent
lui-même avec ses enfants. Nous appelons
les heureux princes, quand ils font régner
la justice, et non pas ceux qui ont régné
longtemps, ou qui sont morts en paix, lais-
sant leur couronne à leurs enfants, ou qui
ont vaincu les ennemis de l'État, ou opprimé
les séditieux. »
Dieu pour empêcher qu'on ne crût qu'il
n'était pas possible d'acquérir les grandeurs
et les royaumes de la terre sans la faveur
des démons, combla de bien l'empereur
Constantin; mais pour empêcher les empe-
peurs de se faire chrétiens, afin de posséder
les mêmes avantages temporels que ce
prince, Dieu voulut que le règne de Jovinien
fût plus court que celui de Juhen ; et il per-
mit même que Gratien fût tué par un usur-
pateur de l'empire. Saint Augustin décrit
les prospérités du règne de Théodose, et ses
victoires sur les tyrans Maxime et Eugène,
remarquant qu'il ne les obtint pas par le
secours des faux dieux, mais en envoyant
vers Jean de Lycople, solitaire d'Egypte,
qu'il avait ouï dire être un grand serviteur
de Dieu, et de qui il reçut l'assurance de la
victoire. 11 est rapporté qu'ayant fait abattre,
à son retour, certaines statues de Jupiter
qui tenaient en mains des foudres d'or avec
je ne sais quel sortilège pour le faire périr ;
il donna ces foudres à ses valets de pied qui
300
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEUllS ECCLÉSIASTIQUES.
lui dirent en riant qu'ils voudraient bien en
être foudroyés. Ce saint Docteur fait l'éloge
de la piété de ce prince et de ses bonnes
œuvres : « C'est là, ajoute-t-il, tout ce qu'il
a emporté avec lui de toute cette vaine
pompe d'une grandeur humaine et passa-
gère. »
Sur la fin de ce cinquième livre on voit,
que quelques païens voulaient répondre aux
trois premiers livres, et qu'ils n'attendaient
pour publier leur réponse, que quelque oc-
casion favorable où ils le pussent faire sans
craindre les lois des empei-eurs. Saint Au-
gustin leur dit cjue s'ils ne veulent répondre
que pom- parler, ce qui est souvent plus aisé
à la fausseté qu'à la vérité, ou pour dire des
injures, ils ont grand tort de souhaiter une
liberté qui ne pouvait que leur être désavan-
tageuse ; qu'ils feront mieux d'examiner son
écrit avec un esprit de paix, et de lui de-
mander l'éclaircissement des diflîcultés qu'ils
pourraient y trouver.
Analyse du 10. Dans Ic sixième livre, il fait voir le ridi-
p>j- 143. ' cule de ceux qui disaient qu'ils ne servaient
pas les dieux pour recevoir d'eux des récom-
penses temporelles, mais la vie éternelle.
« Comment, leur dit-il, des dieux dont la
puissance est bornée à une chose passagère,
pourraient -ils vous procurer des récom-
penses éternelles? Bacchus ne donne cpie
du vin, et les nymphes ne donnent que de
l'eau. Quelle folie d'attendre la vie éternelle
des dieux dont le pouvoir est si limité, qu'on
ne saurait demander à l'un ce qui dépend
de la charge de l'autre. Il dit qu'au rapport
de Yarron, le plus savant des Romains, la
religion des païens n'était que d'institution
humaine, et il infère de ce qu'il a dit des
dieux du paganisme, qu'il ne les a pas re-
connus pour de véritables dieux, ni capables
de donner à leurs adorateurs la vie éter-
nelle. Varron distinguait trois genres de
théologie ou de science des dieux; la fabu-
leuse telle qu'on la trouve dans les poètes,
la naturelle qui est celle des philosophes, et
la civile que suivaient les peuples. 11 rejette
la théologie fabuleuse comme injurieuse aux
dieux qu'elle charge de toutes sortes de cri-
mes. Il ne trouve rien à. redire à la théologie
naturelle, sinon que, partagée en diiïérentes
opinions, elle a donné lieu à diverses sec-
tes. Mais il la bannit du public et la renferme
dans les écoles. Par la théologie civile, il en-
tend celle dont les citoyens des villes, et
surtout les prêtres, doivent être instruits.
Elle consiste à savoir quels dieux doivent
être adorés publiquement, et les cérémonies
ou les sacrifices auxquels chacun est obligé .
On voit par là que la théologie civile était
peu diflterente de la fabuleuse , puisqu'elles
avaient l'une et l'autre les mêmes dieux pour
objet; qu'ainsi Yarron rejetant l'une de ces
théologies, devait aussi rejeter l'autre. Saint
Augustin rappoi'te diverses explications ti-
rées des choses naturelles, dont les païens se
sei-vaient pour défendre leur théologie civile,
et montre qu'on pourrait défendre de la mê-
me manière la théologie fabuleuse. Eprouve
de même que les emplois que la théologie
civile donnait aux dieux , faisait voir qu'elle
était encore plus absurde que la fabuleuse.
Ni l'une ni l'autre, conclut saint Augustin,
ne peut conduire à la vie éternelle, ce qu'il
confirme par plusieurs passages de Sénèque
le Philosophe, où l'on voit qu'il a repris plue
fortement la théologie civile, que Yarron n'a
fait la fabuleuse. « Toutefois, ajoute saint Au-
gustin, ce philosophe ne laissait pas d'adorer
ce qu'il reprenait, et de faire ce qu'il condam-
nait, parce qu'il était sénateur. La philoso-
phie lui avait appris à n'être pas supersti-
tieux, mais les lois et la coutume le tenaient
asservi ; de soi'te qu'encore qu'il ne montât
pas sur le théâtre , il imitait les comédiens
dans les temples ; en cela d'autant plus cou-
pable, que le peuple croyait qu'il faisait sé-
rieusement ce qu'il ne faisait que par feinte. »
Entre autres superstitions de la théologie ci-
vile, Sénèque condamne les céi'émonies des
Juifs, surtout leur sabbat. Il ne dit ni bien
ni mal des chrétiens , « craignant, dit saint
Augustin, de les louer contre la coutume de
son pays, et ne voulant pas peut-être les
blâmer contre sa propre inclination. »
11. Il continue dans le septième livre à a^
montrer cpi'on ne peut servir les dieux de la vre,';
théologie civile, en yue de la vie éternelle,
et qu'on ne peut pas même adorer ceux que
les païens appelaient dieux choisis , qui
étaient vingt en tout, douze mâles et huit
femelles ; savoir Janus, Jupiter, Saturne, le
Génie, Mercure, Apollon , Mars , Yulcain ,
Neptune, le Soleil, Pluton, Liber ou Bac-
chus, la Terre, Cérès, Jinion, la Lune, Dia-
ne, Minerve, Yénus et Ycsta. Les païens ne
pouvaient apportei' aucune bonne raison du
choix qu'ils avaient fait de ces dieux, puis-
que la plupart étaient occupés à des emplojs
et fonctions moins considérables que les
dieux du second rang : ce qu'il prouve par
[IV" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
le détail des occupations des uns et des au-
tres, n parcourt le système de Varron et de
quelques philosophes touchant la théologie
civile, et relève les contradictions qui s'y
rencontrent. « Janus, dit-il, selon eux, est le
monde , Jupiter l'est aussi : pourquoi en
faire deus dieux, puisqu'il n'y a qu'un mon-
de ? Pourquoi ont-ils leurs temples diffé-
rents, et des statues figurées différemment?))
Suivant ces philosophes mêmes , Saturne
et le Génie ne sont autre chose que Ju-
piter ; Mercure et Mars ne sont point des
dieux, ou ils sont Jupiter même ; au reste
Varron n'a donné que comme douteuses les
opinions qu'il avait des dieux. « Ce qu'on
en peut dire de plus vraisemblable, ajoute
ce Père , c'est que ces dieux ont été des
hommes à qui leurs flatteurs ont fait des fê-
tes et des sacrifices selon leurs mœurs, leurs
actions et les divers accidents de leur vie ;
ce culte sacrilège s'est établi peu à peu dans
les esprits des hommes corrompus, et amou-
reux de ces nouveautés; il a encore été ap-
puyé par les mensonges agréables des poè-
tes, et par les séductions des malins esprits.
Rien ne fait mieux voir que Saturne est une
fausse divinité, que ce qu'on dit de lui qu'il
avait été surmonté par son fils Jupiter, qu'il
avait coutume de dévorer ses enfants , et
que quelques-ims lui en immolaient, comme
les Carthaginois. Une cruauté sifolle tient-elle
du caractère d'un Dieu ?» IL prouve la mê-
me chose de Bacchus, par les infamies avec
lesquelles on l'honorait ; et de Cybèle, la
mère des dieux, comme de beaucoup d'au-
tres divinités fabuleuses ; faisant sentir aux
païens que c'est une folie sans égale d'ado-
rer une créature quelle qu'elle soit, au lieu
du vrai Dieu, et surtout de l'adorer par un
culte infâme et détestable, tel qu'on le ren-
dait à la plupart des dieux. Il s'étend à mon-
trer que tout ce que la théologie païenne
rapportait au monde comme à un vrai dieu,
pouvait fort bien être attribué à celui qui l'a
créé : c'est ce Dieu qui gouverne toutes cho-
ses, de manière néanmoins qu'il leur permet
d'agir par les mouvements qui leur sont
propres ; c'est à lui que nous devons rendre
grâces de tous les biens qui sont dans le
monde et dans la nature, et surtout de ceux
qui sont au-dessus de la nature, entre au-
tres du bienfait de l'Incarnation. Ce mys-
tère de la vie éternelle a été annoncé par les
anges dès le commencement du monde à
ceux à qui Dieu l'a bien voulu, mais seule-
301
ment par des signes et des sacrements con-
venables à ces temps-là. C'est parmi le peu-
ple juif que s'est accompli tout ce qui avait
été prédit par les Prophètes touchant l'avè-
nement de Jésus-Christ ; et ce peuple a été
dispersé par toutes les nations pour servir
de témoin aux Écritures qui annoncent le
salut éternel en Jésus-Christ. De là, saint Au-
gustin infère que la religion chrétienne qui
est la véritable, a pu seule découvrir que les
dieux des païens, tant ceux du premier que
du second rang, sont des démons impurs
qui tâchent de se faire passer pour des dieux
sous le nom de quelques hommes qui sont
morts. Il rapporte d'après Varron, que les
livres de Numa qui contenaient les causes
des mystères qu'il avait institués, ayant été
trouvés par hasard par un laboureur, et pro-
duits en plein sénat, les principaux de ce
tribunal en ayant lu quelque chose, ne tou-
chèrent point aux règlements de Numa ,
mais ordonnèrent que ces livres seraient
brûlés par le piétem'. D'où on peut juger
des horreurs qu'ils contenaient, et combien
ils furent trouvés dangereux. En effet, Nu-
ma, par une curiosité défendue, pénétra les
secrets des démons, et eut recours à l'hy-
dromancie pour voir, dans l'eau, les images
des dieux, ou plutôt les illusions des démons,
et apprendre d'eux les mystères qu'il devait
établir. Saint Augustin conjecture qu'on ap-
prenait dans ces livres que ceux que le peu-
ple regardait comme des dieux immortels,
n'étaient que des hommes morts depuis long-
temps, et que les démons se faisaient adorer
eux-mêmes sous leurs noms.
12. n emploie le huitième fivi'e à combat-
tre la théologie naturelle des philosophes. Il
en distingue de deux sortes qui avaient formé
deux sectes diÉférentes ; l'une , nommée Ita-
lique, de cette partie de l'Italie qu'on appe-
lait autrefois la gi'ande Grèce ; et l'autre Io-
nique, du pays qu'on nomme encore aujour-
d'hui la Grèce. La secte itahque eut pour
auteur Pythagore. Tlialès de Milet, l'un des
sept sages de la Grèce, fut le chef de la secte
ionique, mais il s'adonna particulièrement à
l'étude de la physique, où il acquit beau-
coup de réputation. Il eut pour disciple
Anaximandre. A celui-ci succéda Anaxi-
mènes, dont le disciple fut Anaxagore, qui
fut maître de Socrate, le premier qui a rap-
porté toute la philosophie aux mœurs : car
avant lui , les philosophes ne s'occupaient
presque qu'à la recherche de la nature. Pla-
AnalyEB du
huitième li-
Tre, pag. Ï39.
302
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
ton fut 1g plus considérable des disciples de
Socrate ; il ent même la gloire d'avoir porté
la philosophie à sa dernière perfection. Il
l'a divisée en trois parties; la morale, qui
consiste principalement dans l'action ; la
physique, qui s'occupe de la spéculation; et
la logique qui apprend à distinguer le vrai
du faux. Saint Augustin trouve que l'opi-
nion de Platon touchant la Divinité, est la
plus raisonnable de toutes celles des païens;
et que ce philosophe est préférable à tous
les autres, soit pour la physique, soit pour
la logique, soit pour la morale. « En effet,
dit-il , Platon a reconnu que Dieu n'était
point un corps; aussi s'est-il élevé au-dessus
de tous les corps pour le chercher. II a vu de
même que tout ce qui est sujet au change-
ment n'est pas Dieu; c'est pourquoi il n'a
pas cherché la Divinité dans les esprits créés.
II a conçu encore que tous les êtres mua-
bles, n'étant pas parfaits, ont dû avoir pour
auteur un être souverainement parfait : c'est
ainsi que Dieu lui a manifesté sa nature , en
l'amenant,, lui et ses disciples, à la connais-
sance de ce qui est invisible par les choses
sensibles. Platon met aussi le souverain bien
à Tivre selon la vertu, et dit que celui-là seul
peut la pratiquer, qui connaît et imite Dieu;
qu'autrement il ne saurait être heureux. On
voit, par là, que les platoniciens ont appro-
ché davantage de la croyance des chrétiens.
Quelques-uns en ont conclu que Platon, dans
son voyage en Egypte, avait ouï le prophète
Jérémie, ou qu'il avait lu les livres des Pro-
phètes. Ni l'un ni l'autre ne peut être vrai.
Platon ne vint au monde qu'environ cent
ans après le prophète Jérémie : et la ver-
sion grecque des Septante ne fut faite que
près de soixante ans depuis la mort de Pla-
ton : en sorte que ce philosophe n'a pu voir
ni Jérémie, mort longtemps avant lui, ni lire
les Écritures qui, de son temps, n'étaient
point encore traduites en grec.
Saint Augustin conjecture avec d'autres
que, comme ce philosophe était fort stu-
dieux, il a pu apprendre quelque chose des
saintes Écritures par la conversation des
Juifs. Il appuie cette conjecture sur ce que
Platon, dans son Thnée, parle de la création
du monde, à peu près comme il en est parlé
dans le livre de la Genèse. Le saint Docteur
n'entre dans tout ce détail que pour mon-
trer qu'il choisit avec raison les platoniciens
pour traiter avec eux cette question de la
théologie naturelle, s'il faut servir un seul
Dieu ou plusieurs pour la félicité de l'autre
vie. Ces philosophes ont cru qu'il en fallait
adorer plusieurs. Sur quoi saint Augustin leur
demande quels dieux ils croient qu'on doive
servir ; si ce sont les bons ou les méchants,
ou les uns et les autres. Tous les dieux sont
bons, répondaient-ils; et s'ils n'étaient pas
bons, ils ne seraient pas dieux. (( Si cela est
ainsi, réplique saint Augustin, l'opinion de
ceux qui estiment qu'il faut apaiser les mau-
vais dieux par des sacrifices, de peur qu'ils
ne nous nuisent, et invoquer les bons, tom-
be par terre. » C'était toutefois celle de La-
béon, le même qui a mis Platon au nombre
des demi-dieux. Ce Labéon estime que les
mauvais dieux s'apaisent par des sacrifices
sanglants, et les bons par des jeux et des
fêtes. Les platoniciens pour se soutenir, dis-
tinguaient trois sortes d'êtres qui ont une
âme raisonnable, les dieux, les démons et
les hommes. Les dieux, selon eux, occupent
le lieu le plus haut, les démons le milieu, et
les hommes le plus bas. Les dieux font leur
demeure dans le ciel, les démons dans l'air,
les hommes sur la terre. Les dieux sont plus
excellents que les hommes et les démons;
les hommes le sont moins que les dieux et les
démons ; et les démons le sont moins que
les dieux et plus que les hommes. Car leur
corps est immortel comme celui des dieux;
mais ils sont sujets aux passions comme les
hommes; ils se plaisent à la hcence des
spectacles et aux fictions des poètes, de mê-
me que les hommes. C'est ainsi qu'Apulée
explique le sentiment de Platon, dans le li-
vre intitulé : Du dieu de Socrate, où il fait
voir que ce n'était pas un dieu, mais un dé-
mon. Saint Augustin montre ou qu'il ne faut
point faire honneur à Socrate de l'amitié
qu'il avait avec un démon, ou que l'esprit
familier de Socrate n'était pas un démon;
que les platoniciens ont aussi eu tort de pré-
férer les démons aux hommes , puisque ni
les corps d'air qu'ont les démons, ni le lieu
qu'ils occupent, ne les mettent au-dessus des
hommes; qu'autrement il faudrait aussi pré-
férer aux hommes les oiseaux, parce qu'ils
habitent dans l'air, et plusieurs bêtes qui
ont les sens plus subtils que nous, ou qui
sont plus agiles ou plus fortes, ou qui vivent
plus longtemps; que les démons étant, de
l'aveu de ces philosophes, sujets aux mêmes
passions que les hommes, sont misérables
et ne méritent point, par conséquent, d'être
adorés, les honmies ne devant point adorer
[IV* ET V' SIÈCLES.
SAINT AUGUSTIN, EVEUUE D'HU^FONE.
303
des esprits dont ils doivent fuir les yices.
Apulée disait que les démons étaient média-
teurs entre les hommes et les dieux. « Mais,
dit saint Augustin, si un homme veut obte-
nir la chasteté, emploiera-t-il pour interces-
seur un esprit qui se plaît aux ordures du
théâtre ? Les lois qui défendent la magie ne
font-elles pas voir que Tintercession des dé-
mons est impie ? Pourquoi les dieux n'écou-
teraient-ils pas eux-mêmes les hommes qui
s'adressent à eux?» C'est, disaient les plato-
niciens , que les dieux ne communiquent
point avec les hommes. « Voilà, dit ce Père,
une merveilleuse sainteté de ces dieux : ils
ne communiquent point avec les hommes
qui les prient humblement, et communi-
quent avec les démons superbes et arro-
gants. Ils ne communiquent point avec les
hommes qui demandent pardon de leurs cri-
mes, et communiquent avec les démons qui
conseillent les crimes. » Il croit que ces es-
prits impurs habitent dans l'air comme dans
une prison, après avoir été chassés du ciel
en punition de leurs transgressions crimi-
nelles. Il rapporte l'opinion de Trismegiste
sur la différence des dieux, et trouve que,
dans ses écrits, il a prévu en quelque manière
l'abolition du paganisme et des idoles. « Ce
n'est point, ajoute-i-il, parTentremise des dé-
mons que nous devons aspirer à l'amitié des
dieux, mais plutôt par celle des bons anges, en
tâchant de leur devenir semblables par une
bonne volonté. » Après quoi il justifie le culte
que l'EgMse rend aux martyrs , montrant
qu'il est bien différent de celui qu'elle rend
à Dieu, u Nous ne bâtissons point des tem-
ples, dit-il, et n'ordonnons point des prêtres,
ni des cérémonies, ni des sacrifices aux mar-
tyrs , parce que ce n'est pas eux , mais leur
Dieu qui est notre Dieu. Il est vrai que nous
honorons leurs sépulcres, comme étant ceux
de bons serviteui's de Dieu qui ont combattu
pour la vérité jusqu'à la mort, et répandu
leur sang pour faire connaître la vraie reli-
gion et convaincre l'erreur ; mais qui des
fidèles a jamais w. un prêtre présent à un
autel consacré à Dieu sur le corps d'un mar-
tyr, dire dans les prières : Pierre, Paul ou
Cyprien , je vous offre ce sacrifice ? Lors-
qu'on l'offre sur leurs tombeaux, on l'offre
à Dieu qui les a faits et hommes et martyrs ,
et qui les a associés à ses anges ; Ces so-
lennités ont été instituées sur leurs sé-
pulcres, afin de rendre grâces au vrai Dieu
de la victoire qu'ils ont remportée ; et elles
nous animent à imiter leur courage , et à
nous rendre dignes d,'avoir part à leurs cou-
ronnes et à leurs récompenses. Donc, tous
les actes de piété et de religion qui se font
aux tombeaux des saints martyrs , sont des
honneurs qu'on rend à leur mémoire, et non
des sacrifices qu'on leur offre comme à des
dieux. »
13. Saint Augustin examine dans le neu- Anaijîe di
. ^ ^ neuvième h
vieme livre, s'il est vrai, comme le disaient la '■"^- f='- 2'"
plupart des philosophes, qu'il y a des bons
et des mauvais démons. U tii-e avantage
d'mi endroit d'Apulée qui avoue nettement
que, non-seulement leur âme n'a point de
vertu pour résister aux passions vicieuses,
mais encore que, comme celle des plus mé-
chants hommes , elle en est violemment
troublée et agitée. Il prouve d'ailleurs que
le même philosophe parle de tous les dé-
mons, quand il leur attribue des passions
vicieuses; et que le corps immortel qu'on
leur donne , ne peut servir qu'à éterniser
leur misère, a Quand même, ajoute-t-il , il y
aurait de bons démons, ils ne pourraient
être médiateurs entre Dieu et les hom-
mes ; il n'y a que Jésus-Christ qui ait pu
remplir cet office , parce qu'il fallait que le
médiateur entre Dieu et nous, eût une" mor-
talité passagère et une féhcité permanente ,
afin d'être conforme aux hommes mortels
par ce qui devait passer en lui, et de les faire
passer de leur état mortel à ce qu'd y a de
stable et de permanent. » ïl s'étend ensuite
sur le nom et la natiure des démons. D'après
ce Père ils n'ont connu Jésus-Christ, qu'au-
tant qu'il lui a plu de se découvrir à eux
par certains eflets passagers de sa puis-
sance. Mais , les bons anges ont une con-
naissance beaucoup plus certaine de toutes
choses , parce qu'ils en contemplent les rai-
sons éternelles dans le Verbe de Dieu ; et de
là vient qu'ils ne se trompent jamais , tandis
que les démons se trompent souvent, parce
qu'Us ne connaissent les choses que par
conjectiu-e. Il passe aux platoniciens de
donner aux anges le nom de dieux comme à
des créatures immortelles et bienheureuses,
et il cite lui-même quelques passages de
l'Écriture où le nom de Dieu est donné à
des créatm-es.
1-4. Comme c'est Dieu seul qui peut faire le
bonheur des anges comme celui des hommes,
c'est aussi à lui, dit saint Augustin, dans son
dixième hvre, que nous devons rendre le
culte de latrie , soit dans tous les devoirs de
Analyse du
dixième livre,
304
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
religion, soit en nous-mêmes. Il explique
quels sont les sacrifices que Dieu demande
de nous. <c Si les anciens Pères , dit-il , ont
immolé à Dieu des victimes, ce que les
fidèles ne font point aujourd'hui , c'est que
c'était seulement une figure de ce qui se
passe maintenant en nous, c'est-à-dire de
l'amour qui nous unit à Dieu, et à notre pro-
chain pour le porter'à Dieu. » Il réduit ces sa-
crifices à un seul qu'il dit être vrai et par-
fait, qui consiste en ce que les chrétiens
soient tous ensemble un même corps en Jé-
sus-Clirist. « C'est aussi, dit-il, ce que l'Église
célèbre souvent dans le Sacrement de l'au-
tel, où elle apprend qu'elle est offerte elle-
même dans l'oblation qu'elle fait à Dieu.
Les miracles de l'Ancien Testament n'ont
été opérés que pour établir le culte du vrai
Dieu, et pour ruiner celui que l'on ren-
dait aux fausses divinités ; ces miracles se
faisaient par une foi simple , et non par les
charmes et les enchantements d'une cm-io-
sité criminelle qu'on appelle magie ; tandis
que les prodiges de cet art ne se font que
par l'entremise du démon. C'est ce que
montre le philosophe Porphyre dans sa let-
tre à Anébunte , prêtre égyptien , où il dé-
couvre et détruit tout cet art sacrilège. Dieu
se sert souvent des anges pour opérer les
miracles qui servent à établir son culte. Lors-
que ses anges écoutent les prières des hom-
mes, c'est lui qui les entend en eux comme
dans son vrai temple. Quoiqu'il soit invisi-
ble de sa nature, il s'est souvent rendu vi-
sible pat le ministère des anges ; et les pa-
triarches ne l'ignoraient pas. Comme il s'est
servi du ministère de ces esprits célestes
pour donner la loi ancienne , il les emploie
dans d'autres occasions , où ils exécutent,
sans difiSculté et sans délai par des opéra-
tions sensibles, les ordres qu'il leur donne,
et qu'ils entendent d'une manière qu'eux
seuls peuvent comprendre. »
Saint Augustin demande aux platoniciens
et à tous les autres philosophes, s'il n'est
pas plus raisonnable d'adorer Celui que les
anges nous commandent d'adorer à l'exclu-
sion de tout autre , que d'adorer ces anges
ou ces dieux qui veulent qu'on les adore.
De là, il prend occasion de montrer la supé-
riorité et l'évidence des miracles faits en fa-
veur des Hébreux par le ministère des bons
anges, au-dessus de ceux qu'on attribuait
au démon. Il donne pour exemple de ces
prodiges fabuleux, ce qu'on disait que les
dieux pénates qu'Énée apporta de Troie ,
passèrent d'eux-mêmes d'un heu à un au-
tre ; que Tarquin coupa une pierre avec un
rasoir; qu'un serpent d'Épidaure accompa-
gna Esculape à son voyage de Rome;
qu'une vestale, pour justifier sa chasteté,
tira seule avec sa ceinture, le vaisseau qui
portait l'image de la mère des dieux que
tant- d'hommes et d'animaux n'avaient pu
remuer; qu'une autre pour le même sujet
puisa de l'eau dans un crible. « Quelle com-
paraison de ces faits obscurs, dit-il, avec les
merveilles opérées en la présence de l'arche
d'alliance? le Jourdain s'ouvre pour lui
donner passage, et à tous les Hébreux; por-
tée sept fois au tour des mui-ailles de Jéri-
cho, elle les renverse sans sape ni mine.
Les Philistins, pour l'avoir enlevée, sont
punis jusqu'à ce qu'ils l'aient rendue au
peuple de Dieu. Ils l'enferment dans leur
temple, et elle fait tomber par terre l'idole
de leur dieu. Si les païens ne doutent point
de la vérité des miracles rapportés dans
leurs livres de magie, pourquoi font-ils dif-
ficulté de donner créance à nos miracles
sur la foi de nos Écritures? Jésus-Christ,
quoique vrai Dieu , n'a pas voulu qu'on lui
offrit des sacrifices , de crainte qu'étant
homme aussi, on ne crût qu'on pouvait en
offrir à une créature. Il a mieux aimé être
lui-même le sacrifice que de le recevoir : en
sorte qu'il est le prêtre et la victime tout en-
semble : il a voulu nous le figurer comme dans
le sacrifice que l'Église lui offre tous les
jours : car, comme c'est le corps de ce chef
adorable, elle s'offre elle-même par lui. Si
Dieu a permis que les démons exigeassent en
certains temps des sacrifices de la part des
hommes, ça été pour l'avantage de l'Église,
ces sacrifices ayant servi à accomplir le
nombre des martyrs, qui tiennent un rang
d'autant plus honorable dans la cité de Dieu,
qu'ils combattent plus généreusement jus-
qu'à l'eâusion de leur sang contre ces puis-
sances du monde. Car les ser^âteurs de Dieu
les chassent de l'air en les conjurant: elles sont
vaincues au nom de celui qui s'est revêtu de
notre nature humaine, et qui a vécu sur la
terre sans péché, afin qu'étant ensemble le
prêtre et le sacrifice, les péchés fussent re-
mis par lui, comme médiateur entre Dieu et
les hommes. Les platoniciens ont reconnu
eux-mêmes qu'il n'y a que Dieu qui puisse
purifier les hommes de leurs péchés : il sem-
ble même qu'ils ont eu quelque notion de la
(rv" ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HtPPONE.
305
Trinité, quoiqu'ils se soient exprimés là-des-
sus avec peu d'exactitude. »
Saint Augustin croit même qu'il n'y a que
l'orgueil qui les ait empêchés de reconnaître
le mystère de l'Incarnation, et de confesser
que le Fils de Dieu est l'unique médiateur.
Il raconte, d'après le saint vieillard Simpli-
cien, évêque de Milan, qu'un certain plato-
nicien disait qu'il fallait écrire en lettres d'or
dans les lieux les plus éminents des églises,
ce commencement de l'Évangile de saint
Jean : Le Verbe était dès le commencement.
« Mais, ajoute-t-il, ces superbes philoso-
phes ont dédaigné de prendre ce Dieu pour
maître, parce que le Verbe a été fait chair, et
a habité parmi nous, ayant honte de la méde-
cine qui les pouvait guérir, n II fait voir aux
platoniciens de son temps, qu'ils ne doivent
pas avoir honte d'embrasser la doctrine
clu'étienne, de crainte de s'éloigner de celle
de Platon, puisque Porphyre s'en est éloigné
et l'a même corrigée en des choses fort im-
portantes. »
IS. Après avoir répondu, dans les dix li-
vres précédents, aux ennemis de la sainte
cité, c'est-à-dire de l'Eglise, saint Augustin
parle, dans les suivants, de la naissance, du
pl'ogrès et de la fin des deux cités, de celle
de la terre et de celle du ciel , qu'il dit être
encore mêlées ici-bas. Il dit qu'elles ont com-
mencé dans la diversité des anges. Ce qui
lui donne occasion de traiter de la création
du monde visible, qui a été précédée immé-
diatement de celle du monde invisible, c'est-
à-dire des anges cpii, tous, ont été créés dans
un état de justice, dont plusieurs déchurent
par leur faute. «Lemonde visible, dit-il, a été
créé de Dieu comme il nous l'apprend lui-
même, par la bouche de son prophète, dans
les divines Ecritures. Car, quoique Moïse ne
fût pas présent lorsque Dieu créa le ciel et la
terre, la sagesse de Dieu, par qui toutes
choses ont été faites, était présente : et c'est
elle qui lui a raconté ses œuvres intérieure-
ment et sans bruit. Nous devons d'autant
plus l'en croire, que le même esprit qui lui
a révélé ce qui s'est passé à la création du
monde, lui a fait prédire, depuis tant de siè-
cles, que nous le croirions. Mais, sans parler
des témoignages des Prophètes, le monde
même crie en quelque sorte par ses révolu-
tions si régulières et par la beauté de toutes
les choses visibles, qu'il a été créé, et qu'il
ne l'a pu être que par un Dieu dont la gran-
deur et la beauté sont invisibles et inetfa-
IX.
blés. » Quelques-uns de ceux qui avouaient
que le monde est l'ouvrage de Dieu, ne vou-
laient pas qu'il eût eu un commencement.
«Mais, répond il, comment cette opinion peut-
elle subsister à l'égard de l'âme ? s'ils préten-
dent qu'elle est coéternelle à Dieu, comment
pourront-ils expliquer d'où lui est survenue
une nouvelle misère qu'elle n'avait point
eue pendant toute l'éternité? S'ils disent
qu'elle a toujours été dans une vicissitude
de félicité et de misère, il faut qu'ils disent
aussi qu'elle sera toujours dans cet état; d'où
il suivra cette absurdité qu'elle est heureuse
sans l'être, puisqu'elle prévoit sa misère et
sa difformité avenir.» D'autres demandaient
qu'on les satisfasse touchant le temps au-
quel Dieu a créé le monde; pourquoi alors
plutôt qu'auparavant? Mais on peut leur de-
mander de même pourquoi il a été plutôt
créé où il est, qu'autre part? En effet, s'ils
s'imaginent avant le monde des espaces in-
finis de temps où il ne soit pas possible que
Dieu soit demeuré sans rien faire , qu'ils
s'imaginent donc aussi, hors du monde, des
espaces infinis, dans lesquels Dieu aura pu
créer le monde, et même une infinité de
mondes, ainsi que l'a cru Épicm'e. Le monde
et le temps ont été créés ensemble, puisque
le mouvement, qui est la mesure du temps, a
été créé avec le monde; comme cela est vi-
sible par l'ordre même des six ou sept pre-
miers jom's, où le soir et le matin sont mar-
qués, jusqu'à ce que toutes les choses que
Dieu fit pendant ces jours fussent accom-
plies. Le repos de Dieu, au septième jour,
ne doit pas s'entendre puérilement, comme
s'il s'était lassé à force de travailler; mais il
signifie le "repos de ceux cpii se reposent en
lui, et dont il fait lui-même le repos. Les
anges, qui font une partie principale de
la sainte Cité, sont l'ouvrage du Seigneur.
Il semble qu'ils soient désignés, ou par le
ciel, lorsqu'il est dit : Au commencement.
Dieu créa le ciel; ou par la lumière, dont il
est dit : Que la lumière soit faite. Quelques-
uns de ces anges, s'étant éloignés de cette
lumière dont ils étaient participants, c'est-à-
dire de la lumière éternelle, qui n'est autre
que la sagesse immuable de Dieu, n'ont
point acquis la perfection de la béatitude,
puisqu'on ne peut être parfaitement heureux,
qu'on ne soit assuré de l'être éternellement.
Ce n'est pas, toutefois, que l'incertitude ne
soit compatible avec une espèce de félicité,
car, qui oserait nier que nos premiers pa-
20
306
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
rents n'aient été heui-eux avant le péché
dans le paradis terrestre, quoiqu'ils fussent
incertains de la durée de leur béatitude?
mais il faut entendre cette félicité de la sa-
tisfaction présente qu'ils avaient dans le pa-
radis terrestre. Pour former la béatitude
parfaite, il faut l'union de ces deux choses :
jouir de Dieu, et être assuré d'en jouir
toujours. C'est cette béatitude que possè-
dent les anges de lumière , ainsi que la foi
nous l'apprend ; et la raison nous fait con-
clure, que les anges prévaricateurs ne la
possédaient pas même avant leur chute ,
parce qu'ils n'étaient pas assurés de la
posséder toujours. Ce qui n'empêche pas
qu'ils n'aient eu quelque félicité dont la du-
rée ne leur était pas même connue. Le dia-
ble était bon par sa nature, il est devenu
mauvais par sa volonté : car si le péché lui
était naturel, il ne serait point coupable.
Ainsi, dans ce passage de saint Jean : Le
diable pèche dès le commencement, il ne faut
pas entendre qu'il ait péché dès le commen-
cement de sa création, mais dès qu'il a com-
mencé à être orgueilleux. Ce n'est donc qu'à
l'égard de sa nature, et non de sa malice,
qu'il est écrit dans Job : C'est le commence-
ment de l'ouvrage de Dieu, puisqu'une natui'e
ne peut être viciée, qu'elle n'ait été aupa-
ravant sans vice. Or, le vice est tellement
contre nature, qu'il ne peut nuire qu'à la
nature. Ce ne serait donc pas un vice de
s'éloigner de Dieu, s'il n'i'tait naturel d'être
avec Dieu. Dieu, en créant le démon, avait
bien prévu sa méchanceté ; et il ne l'aurait
pas créé, s'il n'eût prévu les moyens de bien
user de lui quand il serait devenu méchant. »
Saint Augustin remarque que l'obscurité
de l'Écriture sert à faire trouver plusieurs
choses véritables par les divers sens qu'on
lui donne, et qu'on confkme par d'autres
passages clairs, quoique ce ne soit pas tou-
jours le sens de celui qui a écrit. Il croit donc
que l'on peut entendre de la distinction des
bons et des mauvais anges, ce qui est dit
que Dieu sépcwo la lumière des ténèbres ; celui-
là seul les ayant pu séparer, qui a pu pré-
voir leur chute et connaître qu'ils demeure-
raient obstinés dans leur aveuarlemeut. Il
remarque que Dieu, après avoir créé la lu-
mière, vit qu'elle était bomie; mais que,
l'ayant séparée des ténèbres, il ne porta
point un semblable jugement des ténèbres,
c'est-à-dire des mauvais anges, parce qu'il
ne devait pas les approuver, quoiqu'il eût
résolu de les ordonner à quelque bien. Il
fait voir que Dieu n'a rien créé que de bon.
Bien que notre corps, en punition du pé-
ché , trouve ici -bas beaucoup de choses
qui lui sont contraires, et qui le détruisent,
comme le feu, le fi-oid, les bêtes farouches,
toutes ces choses néanmoins sont excellen-
tes dans leur lieu naturel, contribuant cha-
cune en particulier à la beauté de l'univers et
nous procm-ant de grands avantages quand
nous en savons bien user; en sorte que les
poisons même deviennent des remèdes,
lorsqu'on les emploie à propos ; comme au
conti-aire, les meilleures choses deviennent
nuisibles quand on en prend avec excès. Le
saint Docteur rejette l'opinion de ceux qui veu-
lent que lésâmes aient mérité, parleurs pé-
chés, d'être renfennées i:n divers corps, com-
me dans une prison, selon la diversité de leurs
crimes, et que- c'est pour cela que Dieu a
créé le monde. D. trouve la Trinité marquée
dans le premier chapitre de la Genèse, dans
les trois parties de la philosophie, et dans
l'homme même : car il existe, il connaît son
existence, et il l'aime.
Les anges, selon le saint Docteur, appren-
nent à connaître Dieu par la présence mê-
me de la vérité, c'est-à-dire par son Verbe.
Es connaissent tellement le Vei-be même, et
le Père avec le Saint-Esprit, que la connais-
sance qu'ils en ont leur est plus claire que
celle que nous avons de nous-mêmes. Ils
connaissent également qr.e cette Trinité est
inséparable, et que chaque personne de
cette Trinité est une seule et même subs-
tance, sans que ces trois personnes divines
soient trois dieux. Enfin ils connaissent tou-
tes choses dans le Verbe de Dieu où elles
ont leur cause et leur raison éternellement
subsistantes, selon lesquelles elles ont été
faites. Ils les connaissent ainsi beaucoup
mieux que dans elles-mêmes. L'Écriture dit
que tout fut achevé en six jours, mais il ne
faut pas croire que Dieu ait eu besoin de ce
temps, comme s'il n'eut pas pu créer tout à
la fois, et faire ensuite marquer les temps
par des mouvements convenables ; elle s'ex-
prime ainsi, pour montrer la perfection des
ouvrages de Dieu par celle du nombre de
six, qui est un nombre parfait. Quant au
septième jour, Di6u n'a pas voulu le sancti-
fier par ses ouvrages, mais par son repos
qui n'a point de fin. Quelques-uns étaient
du sentiment cjue la création des anges a
précédé celle du monde.
Il Pclr. 1
[IV« ET y" SliCLES.]
Saint Augustin ne décide rien là-dessus,
laissant à chacun d'en penser avec liberté,
pourvu qu'on ne cloute pas que les saints
anges ne sont pas à la vérité coéternels à
Dieu, mais qu'ils sont néanmoins certains
de leur véritable et éternelle félicité. Il ap-
puie de l'autorité de saint Pierre et de saint
Paul, ce qu'il avait dit plus haut de la sé-
paration des bons anges d'avec les mau-
vais marquée par ces paroles : Dieu sépara
la lumière des ténèbres, montrant qu'à cause
de leurs péchés, ils ont été précipités dans
les prisons obscures de l'enfer ; et que l'É-
criture a pu les nommer très-justement ténè-
bres.
16. n n'est pas permis de douter que les
inclinations opposées des bons et des mé-
chants anges ne viennent de leur volonté et
non pas de leur nature, puisque Dieu qui
n'a rien fait que de bon, est le créateur des
uns et des autres. Leur différence est donc
venue parce que les uns sont demeurés cons-
tamment attachés au bien commun à tous,
qui est Dieu, sans s'éloigner de son éternité,
de sa vérité et de sa charité ; les autres, au
contraire , s'étant plu en leur propre excel-
lence, comme s'ils eussent été eux-mêmes
leur propre bien, se sont détachés du bien
commun à tous pour s'attacher à leur bien
particulier ; ainsi, n'ayant qu'une élévation
fastueuse au lieu de la gloire éminente de
l'éternité, que l'artifice et le mensonge au
lieu de la vérité, et qu'un esprit de faction
et de parti, au lieu de l'union de la charité,
ils sont devenus superbes, trompeurs et en-
vieux. D'où il suit qu'il n'y a que Dieu qui
puisse rendre heureuse la créature raison-
nable et intellectuelle. Qu'on ne cherche
donc pas d'autre cause de la félicité des
bons anges et de la misère des mauvais,
que la volonté des uns et des autres. Si l'on
demande quelle a été la cause efficiente de
la mauvaise volonté dans les anges qui sont
tombés, il n'y en a point. La volonté est la
cause d'une mauvaise action, mais rien
n'est la cause de cette mauvaise volonté.
Saint ' Augustin suppose deux personnes
également disposées de corps et d'esprit,
voyant une beauté ; l'une la regarde avec des
yeux lascifs, et l'autre conserve son cœur
chaste. «D'où vient, dit-il, que l'une a cette
mauvaise volonté, et que l'autre ne l'a pas?
qui est la cause de ce désordre ? Ce n'est
pas la beauté du corps, puisque toutes deux
l'ont vue également, et que toutes deux n'en
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
307
ont pas été touchées de la même manière. Ce
n'est point non plus la différente disposition
du corps ou de l'esprit de ces deux person-
nes, puisque nous les supposons également
disposées. Dirons-nous que c'est que l'une a
été tentée par une secrète suggestion du ma-
lin esprit. Mais c'est par sa volonté qu'elle a
consenti à cette suggestion. » Il décide donc
que si toutes deux sont tentées de même, que
l'une cède à la tentation, et que l'autre y ré-
siste, on ne peut dire autre chose, sinon que
l'une a voulu demeurer chaste, et que l'autre
ne l'a pas voulu. « On ne doit donc pas, con-
tinue-t-il, chercher la cause efficiente de la
mauvaise volonté : elle n'en a point; c'est plu-
tôt une cause défaillante. Mais, comme cette
mauvaise volonté n'est dans celui en qui elle
est que parce qu'il le veut, c'est justement
qu'on punit une défaillance, qui est entière-
ment volontaire. Il n'en est pas de même de
la bonne volonté des anges; Dieu en est
l'auteur aussi bien que de leur nature. C'est
lui qui leur a donné en même temps la na-
ture et la grâce. Les bons anges n'ont donc
jamais été sans la bonne volonté, c'est-à-
dire sans l'amour de Dieu. Pour les autres,
qui, ayant été créés bons, sont devenus mé-
chants par leur mauvaise volonté , il faut
dire qu'ils ont reçu une moindre grâce de
l'amour divin, que ceux qui y ont persévéré
ou que s'ils ont été créés également bons,
ceux-ci tombant par leur mauvaise volonté,
ceux-là ont reçu un plus grand secours pour
arriver à ce comble de bonheur d'où ils ont
été assurés qu'ils ne décherraient point. Il
faut avouer à la juste louange du Créateur,
que ce n'est pas seulement des gens de
bien, mais des saints anges, qu'on peut dire
que l'amour de Dieu est répandu en eux
par le Saint-Esprit qui leur a été donné ; et
que c'est autant leur bien que celui des
hommes d'être étroitement unis à Dieu.
C'est par la participation de ce bien com-
mun qu'ils sont unis avec les hommes, et
ne composent avec eux qu'une même cité
de Dieu. »
Saint Augustin, après avoir parlé des an-
ges, traite de l'origine de l'homme. Il com-
bat d'abord ceux qui soutenaient que les
hommes aussi bien que le monde ont tou-
jours été. Il fait voir qu'ils se fondaient sur
certaines histoires fabuleuses qui faisaient
mention de plusieurs milliers d'années; tan-
dis que selon l'Écriture sainte de la version
des Septante, il n'y a pas encore six mille
308
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
ans accomplis depuis la création de l'hom-
me, n croit que ceux qui ont donné tant de
milliers d'années à la monarchie des Assy-
riens, des Perses et des Macédoniens, les fai-
saient bien plus courtes, et qu'elles n'avaient
que quatre mois , en sorte qu'il en fallait
trois pom" en faire une des nôtres. Il répond
à ceux qui demandaient pourquoi l'homme
n'avait pas été créé plus tôt, que leur de-
mande n'était pas raisonnable ; puis qu'on ne
pouvait dire ni tôt ni tard en comparaison
de l'éternité, et que le monde n'aurait pas
été créé plus tôt, quand on le supposerait plus
ancien de plusieurs milUons d'années. Il ré-
fute l'opinion de quelques philosophes qui
croyaient qu'après une certaine révolution
de temps, toutes les choses du monde reve-
naient; en sorte que, comme un philosophe,
nommé Platon, a enseigné autrefois la philo-
sophie dans une école d'Athènes appelée
l'Académie, le même Platon ait enseigné la
même philosophie dans la même ville ,
dans la même école et devant les mêmes au-
diteurs longtemps auparavant en des siècles
infinis, et la doit encore enseigner de même
après une révolution de plusieurs années.
« Dieu nous garde, dit-il, de croire une telle
extravagance : Jésus-Christ, qui est mort une
fois pour nos péchés, ne meurt plus. Et nous,
après la résurrection, nous serons toujours
avec le Seigneur à qui nous disons avec le
Psalmiste : Vous nous conserverez toujours de-
puis ce siècle jusqu'à l'éternité, n II leur ap-
plique ces paroles de l'Écriture : Les impies
vont en tournant, non parce qu'ils doivent
repasser par ces cercles qu'ils imaginent;
mais parce qu'ils tournoient dans ce laby-
rinthe d'erreurs. Il convient qu'il est bien
difiicile de comprendre que Dieu ait tou-
jours été, et qu'il ait voulu créer l'homme
dans le temps sans changer de dessein ni de
volonté, et ne veut rien décider sur la ma-
nière dont Dieu a pu toujours être Seigneur,
quoiqu'il n'y ait pas toujours eu des créa-
tures, « afin , dit-il , que ceux qui liront son
ouvrage apprennent à s'abstenir des ques-
tions dangereuses. » Mais, pour répondre
aux allégations de ces philosophes qui di-
saient que, si les mêmes choses ne reve-
naient pas continuellement, comme on ne
saurait assigner un commencement aux ou-
vrages de Dieu, elles seraient infinies dans
leur diversité , le saint Docteur s'exprime
ainsi : « Ce qui les trompe, c'est qu'ils me-
surent à leur esprit muable et borné, l'es-
prit de Dieu qui est immuable et sans borne,
qui connaît toutes choses par une seule pen-
sée. D'où il leur arrive ce que dit l'Apôtre,
que ne se comparant qu'à eux-mêmes, ils ne
s'entendent pas : car, comme ils font par un
nouveau dessein quelque chose de nouveau
à cause du changement de leur esprit, ils
veulent que ce soit la même chose à l'égard
de Dieu. Pour nous, il ne nous est pas per-
mis de croire que Dieu soit autrement dis-
posé lorsqu'il se repose que lorsqu'il agit ;
puisqu'on ne doit pas dire même qu'il soit
disposé, comme s'il se faisait quelque chose
en lui qui n'y ait pas été auparavant : car ,
celui qui est disposé d'une telle ou telle façon,
souffre; et tout ce qui souffre quelque chose
est muable. Qu'on ne s'imagine donc pas de
l'oisiveté et de la paresse dans son repos,
non plus que de la peine et de la contention
dans son tra\%il : il sait agir en se reposant
et se reposer en agissant. Il peut faire un
nouvel ouvrage par un dessein éternel, et
lorsqu'il a commencé de faire quelque
chose, ce n'est point pour s'être repenti de
ne l'avoir pas fait auparavant. Lors même
qu'on dit qu'il s'est reposé d'abord, puis
qu'il a travaillé , toutes ces différences de
temps ne se doivent entendi-e qu'à l'égard
des choses qu'il a créées. Car, pour lui, une
seconde volonté n'a pas changé en lui la
première ; mais c'est une même volonté
éternelle et immuable qui a fait que les
créatures n'ont pas été plus tôt et qu'elles
ont commencé d'être. Quant à ce que disent
ces mêmes philosophes, que si l'on n'admet
point de révolution dans les choses, elles
seront infinies dans leur variété, et dès lors
incompréhensibles à Dieu même ; il faut, pour
comble d'impiété, qu'ils soutiennent aussi
que Dieu ne connaît pas tous les nombres,
puisqu'il est certain qu'ils sont infinis , ou du
moins Cfu'on les peut multiplier à l'infini. Si
tout ce qui se comprend est fini dans l'en-
tendement de celui qui le comprend, il n'y
a rien qui ne soit fini à l'égard de Dieu,
parce que rien ne lui est incompréhensible.»
Le saint Docteur rejette comme un senti-
ment contraire à la religion, et sans aucun
fondement , ce que disaieat quelques-uns,
que les âmes, après avoir joui de Dieu, re-
tourneront dans des corps par une révolu-
tion éternelle de félicité et de misère , et il
montre que Porphyre, quoique platonicien,
n'a pas parlé ainsi, soit qu'il ait été frappé
de l'extravagance de cette opinion, soit qu'il
[IV* ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
309
'se du
e li-
:. 32).
ait été retenu par la connaissance qu'il avait
du christianisme. « Dieu, dit-il, a jugé à
propos de ne créer qu'un seul homme, non
pour le laisser sans compagnie, mais pour
lui faire aimer davantage par là l'union et la
concorde, en faisant que les hommes ne fus-
sent pas seulement unis entre eux par la
ressemblance de la nature, mais aussi par
les liens de la parenté ; d'où vient qu'il ne
voulut pas même créer la femme comme il
avait fait l'honîme, mais la tirer de l'hom-
me , afin que tout le genre humain sortît
d'un seul. Il a donné à l'homme une âme
douée de raison et d'intelligence, pour l'é-
lever au-dessus de toutes les bêtes ; et après
la lui avoir donnée, soit qu'il l'eût déjà
créée auparavant, ou plutôt en soufflant
contre la face de l'homme qu'il avait formé
de la poussière, il lui donna aussi une fem-
me pour la génération , en la formant d'un
os qu'il avait tiré de son côté par sa puis-
sance divine. Les anges peuvent bien prêter
leur ministère aux ordres de Dieu pour les
êtres créés , mais on ne doit point croire
qu'ils aient créé la moindre chose du monde.
Dieu seul est le créateur de toutes choses :
c'est sa vertu qui se trouve présente à tout,
et qui donne l'être à tout ce qui est, de quel-
que façon qu'il soit. »
17. La différence que Dieu a 'mise entre
l'ange et l'homme, consiste en ce ce que
celui-là ne pouvait mourir même en pé-
chant ; et que celui-ci devait avoir la mort
pour peine de sa désobéissance. On peut
dire néanmoins que l'âme de l'homme est
immortelle, parce qu'elle ne cesse jamais
de vivre et de sentir ; mais cela n'empêche
pas qu'elle n'éprouve une sorte de mort,
qui lui arrive quand Dieu l'abandonne,
comme le corps meurt quand l'âme le
quitte. L'âme vit de Dieu quand elle vit
bien ; car elle ne peut bien vivre, que Dieu
ne lui fasse faire ce qu'il faut. Mais le corps
est vivant lorsque l'âme l'anime, soit qu'elle
vive de Dieu ou non. La mort est bonne
pour les bons, et mauvaise pour les mé-
chants, quoique dans les uns et dans les
autres elle soit la peine du péché : car Adam
ne serait pas mort, s'il n'avait désobéi. Si la
mort, dira-t-on, est une peine du péché,
pourquoi ceux dont le péché est effacé par
le baptême, sont-ils sujets à la mort? « C'est,
répond saint Augustin, afin que la foi opère
en nous comme elle a opéré dans un grand
nombre de martyrs, en qui elle n'aurait pas
remporté tant d 'illustres victoires sur la mort
s'ils avaient été immortels. D'ailleurs, si le
baptême délivrait de la mort, cpii n'y ac-
courrait avec les petits enfants, pour ne
point mourir? et alors, la foi ne serait plus
éprouvée par la pi'omesse des récompenses
invisibles, puisqu'elle recevrait à l'heure
même sa récompense. Comme les méchants
usent mal de la loi quoiqu'elle soit bonne,
puisque c'est une défense de pécher, les
bons ne font pas seulement un bon usage
des biens, mais des maux, et de la mort
même, en la souffrant comme il faut, c'est-
à-dire avec la patience d'un vrai chrétien.
Celle qu'on souffre pour Jésus-Christ, en con-
fessant son nom, tient lieu de baptême, et
obtient le pardon des péchés, cette mort
ne pouvant être que l'eflet de la grâce de
cet esprit qui souffle où il veut. On peut
même dire que ceux qui meurent pour la
vérité, ne le font que pour se garantir de la
mort; qu'ils n'en souffrent une partie que
pour l'éviter toute entière, et de crainte de
tomber dans la seconde mort qui ne finira
jamais. Les âmes des gens de bien séparées
du corps sont en repos ; celles des méchants
sont tom-mentées jusqu'à ce que les corps
des uns revivent pour la vie éternelle, et
ceux des autres pour la mort éternelle qui
est la seconde. Comme on nomme mou-
rant celui qui est proche de sa mort, il y a
lieu de dire que l'on ne sait quand on est
vivant, puisque les hommes tendent avec
rapidité vers la mort dès le premier moment
de leur vie. Quand Dieu dit à nos premiers
parents .; Du jour que vous mangerez du fruit
défendu, vous mourrez, cette menace ne com-
prenait pas seulement la mort qui sépare
l'âme du corps, ni le châtiment que doit
subir l'âme séparée de Dieu et du corps,
mais toutes les morts jusqu'à la dernière,
qui est la seconde et éternelle. Leur déso-
béissance fut premièrement punie par la ré-
volte de la chair contre l'esprit. Nous nais-
sons avec le combat de ces deux parties qui
tire son origine de cette première prévari-
cation. Adam avait été créé droit et innocent,
mais corrompu par sa propre malice et jus-
tement condamné, il a engendré des enfants
corrompus comme lui. Nous étions tous en
lui ; et quoique nous n'eussions pas encore
reçu notre propre existence, le germe d'où
nous devions sortir était déjà; comme il
était corrompu par le péché, et la nature
justement condamnée à la mort, l'homme ne
310
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
pouvait naître d'une autre condition que lui.
Toute cette suite de misères auxquelles nous
sommes sujets, ne vient que du mauvais
usage qu'Adam a fait de son libre arbitre,
et elle nous conduit jusqu'à la seconde morl
qui ne doit jamais finir, si la grâce de Dieu
ne nous en préserve. Toutes les morts où
l'homme tombe, ne viennent que de celle
de l'âme qui consiste à être séparée de
Dieu, qui est sa A'ie. Ce n'est pas Dieu qui a
abandonné l'homme le premier ; au con-
traire, comme la volonté de l'homme pré-
vient Dieu pour le mal, la volonté de Dieu
prévient l'homme pour le bien ; soit pour le
former quand il n'était pas encore, ou pom'
le réformer après sa chute. »
Saint Augustin combat en passant les pla-
toniciens qui ne voulaient pas que la sépa-
ration du corps et de l'âme fût une suite du
péché , et qui soutenaient encore que des
corps de terre, comme sont les nôtres, ne
pouvaient devenir immortels et incorrup-
tibles. « Si les moindres dieux, dit le saint
Docteur, ont pu, selon Platon, ôter au feu la
vertu de brûler , sans lui ôter celle de luire
et d'éclairer , on ne peut douter que le Dieu
souverain , à qui ce philosophe donne le
pouvoir d'empêcher que les choses qui ont
pris naissance ne périssent , et que celles
qui sont composées de parties aussi diffé-
rentes que le coi-ps et l'esprit ne se démen-
tent, ne puisse ôter la corruption et la pe-
santeur à la chair qu'il rendra immortelle,
sans détruire ni sa nature, ni la configura-
tion de ses membres. Comme la religion en-
seigne que les premiers hommes ne seraient
point morts s'ils n'eussent péché, elle ensei-
gne aussi que les bienheureux reprendront,
dans la résurrection, les mêmes corps qu'ils
ont eus en cette vie ; mais tels néanmoins
qu'ils ne leur feront plus aucune peine. Les
corps mêmes des bienheureux ressuscites
seront plus parfaits que n'étaient ceux de
nos premiers pères dans le paradis terres-
tre. Car, quoiqu'ils n'eussent point vieillis
par l'ûge , à cause de l'arbre de vie que
Dieu avait mis pour cet efi"et , cela n'em-
pêchait pas qu'ils n'eussent besoin de se
noiu'rir des fruits de ce paradis , parce que
leurs corps n'étaient pas encore spirituels ;
au lieu qu'après la résurrection, les corps
des saints n'auront plus besoin d'aucun ar-
bre pour les empêcher de mourir de vieil-
lesse ou de maladie, ni d'aliments corporels
pom- se garantir de la faim ou de la soif,
parce qu'ils seront revêtus d'une immorta"
hté glorieuse : en sorte que s'il mangent,
ce sera parce qu'ils le voudront , et non par
nécessité, comme on a \u quelquefois des
anges manger avec les hommes. »
Saint Augustin ne blâme pas certains in-
terprètes qui donnaient un sens spirituel à
ce que l'Écriture dit du paradis terrestre,
pourvu qu'on croie en même temps que
tout ce qui en est dit a été en efi'et comme
l'Écriture le rapporte. Ils «ntendaient par
le paradis terrestre, la vie des bienheureux;
par les quatre fleuves, les quatre vertus car-
dinales ; par les arbres , les sciences utiles ;
par les fruits des arbres, les bonnes mœurs ;
par l'arbre de vie, la sagesse qui est la mère
de tous les biens; et par l'arbre de la science
du bien et du mal, l'expérience du Aaolement
du commandement de Dieu. D'autres enten-
daient par là le libre arbiti'e, et par les qua-
tre fleuves, les quatre Évangiles. Ce Père
rejette l'opinion de ceux qui prétendaient
que le corps d'Adam était spirituel dans le
paradis. Il fait voir, par l'autorité de l'Apô-
tre , qu'il a été créé avec un corps animal ;
et que, comme le premier homme a été terres-
tre, ses enfants sont aussi terrestres.
18. La corruption du corps qui appesantit
l'âme , n'est pas la cause , mais la peine du
premier péché. Quoiqu'elle excite donc en
nous certains désirs déréglés , il ne faut pas
néanmoins attribuer tous les désordres à la
chair , de peur que nous ne justifiions le
diable qui n'en a point. Les mouvements de
l'âme sont bons ou mauvais selon que la vo-
lonté est bonne ou mauvaise ; la bonne vo-
lonté est le bon amour; et la mauvaise, le
mauvais. Ce sont les différents mouvements
de cet amour qui font toutes les passions.
S'il se porte vers quelque objet , c'est ce
qu'on appelle désir ; s'il en jouit, c'est joie ;
s'il s'en éloigne, c'est crainte ; s'il le sent
malgré lui, c'est tristesse. Or, ces passions
sont bonnes ou mauvaises, selon que l'a-
mom' est bon ou mauvais, comme saint Au-
gustin le prouve par divers passages de l'É-
criture. Il montre contre les stoïciens , que
l'âme du sage est sujette aux passions ; et
ajoute aux raisons , l'exemple de Jésus-Clu-ist
même, qui, ayant véritablement \m corps et
une âme, avait aussi de véritables pas-
sions; d'où vient que dans l'Évangile il
est représenté avec une tristesse mêlée
d'indignation , en voyant l'endurcissement
des Juifs. Vivre sans être sujet à aucu-
Cor. xv,i4-
Analyse du
quatorziè-
me iivre, paj.
[IV° ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE,
3H
ne passion, cela n'appartient pas à cette
vie, mais à l'autre ; c'est bien assez de
vivre maintenant sans crime ; mais croire
vivre sans péché , ce n'est ni le moyen d'en
être exempt, ni d'en obtenir le pardon;
l'apathie, qui consiste à n'être touché d'au-
cune passion, est une insensibilité pire que
tous les vices. « Nos premiers parents, dit-il,
n'étaient, avant leur péché, troublés d'au-
cune passion dans l'âme, ni affligés d'au-
cune incommodité dans le corps ; ils vivaient
l'un et l'autre selon Dieu dans le paradis
corporel , aussi bien que dans le spirituel :
car, puisqu'il y avait un paradis pour les
biens du corps, il fallait qu'il y en eût un
pour ceux de l'esprit. Mais l'ange superbe,
jaloux du bonheur de l'homme, choisit le
serpent, animal fin et rusé , comme l'instru-
ment le plus propre pour les faire tomber
dans la désobéissance. La femme ajouta foi
aux paroles du serpent, et l'homme ne se
voulut pas séparer d'elle, même pour mal
faire. Encore donc qu'il n'ait point été sé-
duit comme la femme , il n'en a pas été
moins coupable, puisqu'il n'a péché qu'avec
connaissance. Que, si quelqu'un s'étonne de
ce que le péché d'Adam a eu des suites si
fâcheuses, quoique ce péché paraisse léger,
il ne doit pas juger de la gi-andeur de ce pé-
ché par sa matière, mais par la désobéis-
sance qui l'accompagna. Car Dieu, dans le
commandement qu'il fit à l'homme, ne con-
sidérait que son obéissance, vertu qui est
la mère de toutes les autres. Ce commande-
ment donc étant si court à retenir, et si fa-
cile à observer au milieu d'une si grande
abondance d'autres fruits dont il lui était li-
bre de manger, et ne sentant encore rien
au-dedans de lui qui lui résistât, il a été
d'autant plus coupable de le violer qu'il lui
était plus aisé de l'observer. Cette trans-
gression fut pi'écédée en lui d'une mauvaise
volonté , et d'un sentiment d'orgueil , puis-
que c'est par là que tout péché commence ,
ainsi que le dit l'Écriture. Adam et Eve ne
firent qu'accroître leur péché en s'excusant.
L'avaient-ils moins commis, parce que la
femme le commit à la persuasion du ser-
pent, et l'homme à l'instance de la femme ?
Ce fut donc avec justice que Dieu, pour pu-
nir leur prévarication, les abandonna à eux-
mêmes, non pour vivre dans l'indépendance
qu'ils affectaient, mais pour être esclaves de
celui à (jui ils s'étaient joints en péchant,
pour soufii'ir malgré eux la mort du corps,
comme ils s'étaient volontairement procuré
celle de l'âme , et pour être même condam-
nés à la mort éternelle, si Dieu ne les en
délivrait par sa grâce. »
Saint Augustin traite de la concupiscence,
qui est une suite du péché de nos premiers
pères, et fait voir combien les mouvements
en sont fâcheux à ceux qui aiment Dieu.
Dans le paradis terrestre, on eût engendré
sans cette concupiscence ; elle n'était pas
encore née, lorsque Dieu donna sa bénédic-
tion aux premiers hommes pour croître et
multiplier, et pour remplir la terre, pour
montrer que la génération des enfants ap-
partient à la gloire du mariage, et qu'elle
n'est pas une peine du péché. Quoique l'on
puisse donner un sens spirituel à ce qui est
dit de la création de l'homme et de la fem-
me, on doit néanmoins exphquer à la lettre
ces paroles de la Genèse : Dieu les créa mâle
et femelle, comme deux sexes en différentes
personnes ; on les appelle toutefois un "seul
homme, ou à cause de l'union du mariage,
ou à cause de l'origine de la femme qui a
été formée du côté de l'homme. Le saint
Docteur ne s'explique qu'avec peine sur la
différence qu'il y aurait eue entre la manière
d'engendrer des enfants avant le péché, et
celle qui en est une suite. Seulement il dit
que sans le péché, nous n'aurions point su-
jet de rougir de ce qui fait aujourd'hui la
révolte de la chair contre l'esprit. Il rap-
porte plusieurs exemples de certains mou-
vements extraordinaires du corps, soumis à
la volonté ; d'où il infère que ceux mêmes
de la concupiscence auraient pu lui être
soumis dans le paradis terrestre. « Tout le
monde sait, dit-il, qu'il y en a qui pleurent
quand ils veulent, et autant qu'ils veulent.
Mais voici une chose bien plus incroyable,
qui s'est passée depuis peu, et dont la plu-
part de nos frères sont témoins. Il y avait
un prêtre de l'Église de Calame, nommé
Restitut, qui, toutes les fois qu'il voulait,
s'aliénait tellement l'esprit, à certaines voix
plaintives que l'on contrefaisait, qu'il de-
meurait étendu par terre comme mort ,
et non-seulement ne sentait pas quand on
le piquait, mais pas même quand on le
brûlait. Or, pour montrer que son corps ne
demeurait immobile que parce qu'il était
privé de tout sentiment, c'est qu'il n'avait
plus du tout de respiration non plus qu'un
mort. Il disait néanmoins que quand on par-
lait fort haut, il entendait comme des voix
312
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
qui venaient de loin. Si donc, il y en a même
à cette heure à qui le corps obéit en des
choses si extraordinaires , pourquoi ne croi-
rions-nous pas qu'avant le péché et la cor-
ruption de la nature, il eût pu nous obéir
en ce qui regarde la génération. »
n fait une peinture de la vie que menait
l'homme dans le paradis terrestre, remar-
quant en particulier, qu'il y jouissait de
Dieu qui le rendait bon par sa souveraine
bonté ; et que comme son corps y était dans
une pleine santé, son âme possédait une
tranquillité parfaite. « Personne, ajoute-t-il,
n'oserait dire que Dieu n'ait pu empêcher sa
chute de même que celle de l'ange ; mais
il a mieux aimé laisser cela en leur pouvoir,
afin de montrer de quel mal l'orgueil est
capable, et ce que peut sa grâce, n
19. Après avoir marqué, dans le dernier
chapitre du livre précédent, c'est-à-dire du
quatorzième, la diflerence des deux cités, il
dit que deux amours les ont bâties, l'amour
de soi-même jusqu'au mépris de Dieu , il
l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi-
même ; il examine dans le suivant, quels
sont les citoyens de ces deux cités. Il en con-
sidère le cours et le progrès en commençant
par Caïn, qu'il regarde comme citoyen de la
cité terrestre ; et par Abel, comme citoyen de
la cité du ciel. «L'Écriture dit, ajoute-t-il,
que Caïn bâtit une ville ; mais Abel, qui était
étranger ici-bas , n'en bâtit point : car la cité
des saints est là-haut, quoiqu'elle enfante ici-
bas des citoyens dans lesquels elle est étran-
gère en ce monde, jusqu'à ce que le temps de
son règne arrive. Il ne laisse pas néanmoins
d'être vrai, qu'une partie de la cité de la terre,
est l'image de la cité du ciel, n'ayant pas été
étabhe pour elle-même, mais pour en signi-
fier une autre : il y a donc deux choses dans
la cité de la terre, elle-même, et la cité du
ciel qu'elle représente. La nature corrompue
enfante les citoyens de la cité teiTestre ; et
la grâce, qui délivre la nature du péché, en-
fante les citoyens de la cité céleste. Les
deux enfants d'Abraham, Ismaël et Isaac,
appartenaient à ces deux cités; le premier à
la cité de la terre, parce qu'il était né, selon
la chair, de la servante ; et le second, qui
était né de la femme libre, en exécution de
la promesse de Dieu, appartenait à la cité
du ciel, et marquait les enfants de la grâce.
Comme les biens que possède la cité de la
terre ne sont pas tels qu'ils ne causent quel-
ques traverses à ceux qui les aiment, de là
vient qu'elle est souvent divisée contre elle-
même, et que ses citoyens se font la guerre,*
donnent des batailles, et remportent des
victoires sanglantes. On ne peut néanmoins
douter que les choses, dont cette cité fait
l'objet de ses désirs, ne soient de véritables
biens ; mais en s'y arrêtant, sans aspirer à
des biens beaucoup plus excellents, on se
procure nécessairement beaucoup de misè-
res. Le premier fondateur de cette cité tua
son fi'ère : en quoi U fut imité depuis par
Romulus, fondateur de la ville qui devait
être la capitale de cette même cité. Rien ne
put détourner Caïn de tuer son frère ; déjà
corrompu en son cœur, il ne fit aucun cas
de l'avertissement de Dieu. Les Juifs, figurés
par Caïn, ont aussi fait mourir Jésus-Christ
représenté par Abel. Mais comment Caïn
put-il bâtir une viUe, puisqpie l'Écriture ne
fait mention que de trois hommes, lorsqu'il
la bâtit ? L'historien sacré n'était pas obligé
de faire mention de tous les hommes qui
pouvaient être alors, mais seulement de
ceux qui faisaient à son sujet. Son dessein
n'était que de descendre jusqu'à Abraham
par la suite de certaines générations, et puis
des enfants d'Abraham venir au peuple de
Dieu, qui, séparé de tous les autres peuples
de la terre, devait annoncer en figure tout
ce qui regardait la cité dont le règne sera
éternel, et Jésus-Christ son roi et son fonda-
tem-. La vie des premiers hommes était si
longue, que celui qui a le moins vécu avant
le déluge, a vécu sept cent cinquante-trois
ans. Plusieurs même ont passé neuf cents
ans. Qui peut donc douter que pendant la
vie d'un seul homme , le genre humain
n'ait pu tellement se multiplier, qu'U ait été
suffisant poui' bâtir plusieurs villes ? car l'É-
criture en rapportant le nombre des années
de ces premiers hommes, conclut toujours
en disant, et il engendra des fils et des filles.
Comme les hommes vivaient plus longtemps
avant le déluge, que l'on ne vit à présent,
les hommes étaient aussi plus grands et plus
robustes. On doit s'en convaincre par les
sépulcres découverts à la suite des années,
ou par des débordements de fleuves et au-
tres accidents, où l'on a trouvé des os de
•morts d'une grandeur incroyable. J'ai vu
moi-même sur le rivage d'Utique, et plu-
sieurs l'ont vu avec moi, une dent macbe-
fière d'un homme, si grosse, qu'on eut pu
en faire cent des nôtres. »
Saint Augustin remarque que s'il se trouve
[IV° ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
313
quelque différence pour le nombre des an-
nées des premiers hommes entre les livres
hébreux et les nôtres, c'est-à-dire les Sep-
tante, elle n'est pas telle qu'ils ne s'accordent
touchant la longue vie des hommes de ce
temps-là . Suivant les Septante , il faut que
Mathusalem ait encore vécu quatorze ans de-
puis le déluge ; ce qui donne lieu de croire
que les exemplaires en ont été altérés, puis-
qu'il est certain, qu'il ne survécut point au
déluge, et qu'il mourut la même année, sui-
vant la chronologie des Hébreux. Il rejette
l'opinion qui voulait que les années des an-
ciens n'aientjpas été si longues que les nôtres,
et il prouve le contraire par l'autorité de l'É-
criture. «Il est écrit, dit-il, que le déluge ar-
riva sur la tertre, l'an six cent de la vie de Noé,
au second mois, le vingt-septième jour du mois :
comment cela serait-il, si les années n'avaient
que trente-six jours, comme on le prétend? Si
cela était, ou ces années n'auraient point eu
de mois, ou les mois n'aaraient été que de
trois jours pour en trouver douze. N'est-il
donc pas visible que leurs mois étaient
comme les nôtres, puisqu'autrement l'Ecri-
ture ne dirait pas, que le déluge ari'iva le
vingt-septième jour du second mois? Elle
dit encore : L'arche s'arrêta sur les monta-
gnes d'Arménie le septième mois, le vingt-
septième jour du mois; cependant les eaux
diminuèrent jusqic'au onzième mois ; et le
premier jour de ce mois, on vit paraître les
croupes des montagnes. Si leurs mois étaient
semblables aux nôtres, il est hors de doute
que leurs années l'étaient aussi. Si l'on in-
siste que les jours étaient plus courts, il
faudra donc qu'un déluge aussi effroyable,
qui ne se fit, selon l'Ecriture, qu'après qua-
rante jours et quarante nuits de pluie, se
soit fait en moins de quarante de nos jours :
ce qui est absurde. Il est certain qu'ils
étaient aussi longs alors qu'à présent ; c'est-
à-dire de vingt -quatre heures, les mois
égaux aux nôtres, et réglés sur le cours de
la lune ; et les années composées de douze
mois lunaires, en y ajoutant cinq jours et
un quart de jour, pour les ajuster aux an-
nées solaires. Quant à la différence qui se
rencontre entre les exemplaires hébreux et
ceux des Septante, personne n'a encore osé
corriger cette version sur le texte original ;
et, à la réserve des fautes des copistes, il
faut s'arrêter à leur version, et les regarder,
non comme des interprètes, mais comme
des prophètes inspirés de Dieu. D'où vient
que les apôtres, en alléguant des témoigna-
ges de l'Ancien Testament dans leurs écrits,
se servent tantôt de l'hébreu, et tantôt de lu
version des Septante. »
Mais est-il croyable que les anciens pa-
triarches aient été quatre-vingts ou cent ans
sans avoir d'enfants ? Saint Augustin qui se
fait cette question, y répond en disant, ou
que l'âge d'avoir des enfants venait plus
tard en ce temps-là à proportion des années
de la vie; ou, ce qui lui paraît plus vraisem-
blable, l'Ecriture n'a pas toujours fait men-
tion des aînés, mais seulement de ceux dont
il fallait parler selon l'ordi^e des générations
pour parvenir à Noé et ensuite à Abraham.
«Saint Matthieu, dit-il, en a usé de même en
faisant la généalogie temporelle de Jésus-
Christ : Abraham, dit-il, engendra Isaac. Pour-
quoi ne dit-il pas Ismaël , qui fut le fils aîné
d'Abraham ? Et Isaac, ajoute-t-il , engendra
Jacob. Pourquoi ne dit-il pas Esaii qui fut son
aîné? C'est sans doute, qu'il ne pouvait pas
arriver par eux à David. Il dit encore : Jacob
engendra Juda et ses frères. Est-ce que Juda
fut l'aîné des enfants de Jacob? Juda, ajoute
l'Évangéliste, engendra Phares et Zaram. Ce-
pendant Juda avait eu trois enfants avant
ceux-là. 1)
Le saint Évêque remarque que le monde,
ayant besoin d'être peuplé, et n'y ayant
point d'autres hommes que ceux qui sorti-
rent des deux premiers, les frères épousè-
rent leurs sœurs ; la nécessité excusant alors
en eux ce qui serait maintenant un crime
détestable à cause de la défense qui en a été
faite. Cette défense est fondée sur une rai-
son très-juste : car étant nécessaire d'entre-
tenir l'amitié et la société parmi les hommes,
cela se fait mieux en s'alliant avec des étran-
gers qu'avec les siens, avec qui on est déjà
uni par les liens de la nature. Quoique les
mariages des cousines germaines ne soient
pas défendus par la loi de Dieu , et qu'il n'y
eût pas encore de son temps , des lois hu-
maines qui les défendissent, ces mariages
étaient néanmoins très - i^ai-es, et regardés
avec horreur, à cause de la proximité du de-
gré, ce qui lui fait juger qu'il serait plus
honnête de les défendre , principalement
parce qu'il y a une certaine pudeur louable,
qui fait que nous avons naturellement honte
de nous unir par le mariage aux personnes
pour qui la parenté nous donne du respect.
Il regarde la circoncision comme un signe vi-
sible et corporel de la régénération ; néces-
314
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Annlyïe
du
tdïlimo
li-
\rc, pas.
13.
saire pour être habitant de la cité du ciel;
mais il ne veut pas décider si, avant le délu-
ge, il y avait un semblable signe, l'Écriture
ne faisant mention que du sacrifice. Il dit, en
parlant des générations qui composaient la
postérité de Caïn, qu'il y avait plusieurs mil-
liers de citoyens de la cité de Dieu, qui, dès
ici-bas, s'abstenaient du mariage ; que les
gymnosopbistes des Indes, s'en abstenaient
aussi ; mais que la continence n'est un bien,
que quand on la garde pour l'amour du sou-
verain bien, qui est Dieu; qu'on ne voit pas
que personne l'ait pratiquée avant le déluge,
puisque Enoch même, qui fut enlevé du
monde pour son innocence, engendra des fils
et des filles. En parlant du mélange des deux
cités parle mariage des enfants de Dieu, c'est-
à-dire des enfants des saints avec les filles
des hommes , occasionné par la beauté de
celles-ci, il dit que la beauté du corps est
un bien qui vient de Dieu; mais que comme
c'est un bien passager, bas et chétif, on ne
l'aime pas comme il faut, quand on l'aime
plus que Dieu qui est un bien éternel, inté-
rieur et immuable. Il ne croit pas qu'on
puisse nier qu'Enoch n'ait écrit quelque
chose , puisque l'apôtre saint Jude le témoi-
gne dans son Épître canonique ; que ce n'est
pas toutefois sans raison que les livres de ce
patriarche ne se trouvent point dans le Cata-
logue des Écritures conservé dans le temple
des juifs par le soin des prêtres; parce que,
ses écrits, étant très-anciens, on ne pouvait
justifier que ceux qui portaient son nom
fussent les mêmes qu'il avait écrits. Il trouve
dans l'arche de Noé et dans ses dimensions,
une figure de Jésus-Christ et de son Église.
20. Sem, l'un des enfants de Noé, fut aussi
une figure de Jésus-Christ, qui même na-
quit de lui selon la chair. Au reste, depuis
Noé jusqu'à Abraham, les livres canoniques
ne parlent de la piété de qui que ce soit. Ils
ne rapportent que les généalogies des trois
enfants de Noé, la division des nations, et la
confusion des langues. Il est dit que Dieu
descendit à cet effet, ce qui ne se doit pas
entendre matériellement, comme s'il chan-
geait de lieu ; mais on dit qu'il descend, lors-
qu'il fait quelque chose d'extraordinaire sur
la teiTB, qui marque sa présence. Ces paroles
de l'Écriture : Venez, descendons, et confondons
leur langage, est un discours qu'il adresse aux
anges, par lequel il nous fait voir qu'il agit
tellement par ses ministres, que ses minis-
tres agissent avec lui , suivant ce que dit
l'Apôtre : Nous sommes les coopérateurs de ic
Dieu.
Saint Augustin répond à ceux qui souhai-
taient de savoir comment, depuis le déluge,
toutes sortes de bêtes ont pu peupler les îles,
que les hommes peuvent les y avoir trans-
poi'tées pour leur plaisir ou pour leur uti-
lité, ou que Dieu s'est servi du ministère des
anges pour en répandre par toute la terre.
Il ne doute pas que.les nations monstrueuses
dont l'histoire parle, ne tirent leur origine
d'Adam, comme du père de tous les hommes ;
mais il regarde comme fabuleux ou du moins
comme très-douteux, ce qu'on dit de certains
hommes qui n'ont qu'un œil au milieu du
front; et de certains autres, qui, n'ayant
point de bouche, ne vivent que de l'air qu'ils
respirent par le nez. Il ne croit pas non plus
qu'il y ait des antipodes ' , c'est-à-dire des
hommes dont les pieds sont opposés aux
nôtres , et qui habitent cette partie de la
terre où le soleil se lève, quand il se couche
pour nous. Son sentiment est que la langue
hébraïque est celle dont les hommes se sont
servis dès le commencement, et que s'étant
conservée dans la maison d'Héber, tandis
que les autres nations furent divisées en
plusieurs langues , elle fut depuis appelée
hébraïque , pour la distinguer des autres.
Cette langue se maintint aussi vraisemblable-
ment dans la maison de Tharé, père d'Âbra-
1 Voyez, sur cette question, Mémoires de Tré-
voux, année 1708, janvier, tom. XXVIII et la Vé-
rité historique, revue hebdomadaire, tom. CCXIII
et suiv. On y montre très-bien que saint Au-
gustin ne rejetait les antipodes qu'à cause des
prétentions de certains philosophes de l'antiquité
qui soutenaient que tous les hommes ne venaient
pas d'un seul homme. Tout se réduit à ce raison-
nement très-court et très-sensible : Les philoso-
phes qui ne parlent de l'existence des antipodes
que par conjecture , prétendent que les antipodes
ne peuvent être entants d'Adam : or, la sainte
Écriture nous apprend que tous les hommes sont
venus d'Adam ; il n'est donc pas possible d'accor-
der ce que l'Écriture sainte nous apprend avec les
conjectures des philosophes sur les antipodes : il
faut donc regarder ces conjectures comme des fa-
bles et n'y ajouter aucune foi. Mais lé saint Doc-
teur ne rejetait pas les antipodes absolument; il
n'eût fait aucune difficulté de reconnaître que
cette partie de la terre, qui nous est directement
opposée, était effectivement habitée, si les philoso-
phes eussent pu ajouter à leurs conjectures, que
ces antipodes étaient venus d'Adam comme les au-
tres hommes, et que la zone torride n'avait pas
toujours été habitée. (V éditeur .)
[IV"= ET Y' SIÈCLES.]
liam, de même que le culte du vrai Dieu.
Saint Augustin fait voir les progrès de la
cité de Dieu depuis Abraham, où elle a com-
mencé à paraître davantage, et où les pro-
messes qui se sont accomplies en Jésus-
Christ ont été plus claires et plus précises ;
ce qu'il fait en donnant un précis de l'his-
toire de ce patriarche, des promesses que
Dieu lui réitéra plusieiirs fois ; du sacrifice
de son fils Isaac ; de la naissance de ce fils ;
de son mariage avec Rébecca ; de ses deux
fils, Jacob et Ésaii ; et en donnant l'explica-
lion des bénédictions que Jacob donna à ses
enfants avant de mourir. Il marque en peu
de mots, ce qui se passa du temps de Moïse,
de Josué, des Juges et des Rois, jusqu'à Da-
vid, de qui Jésus-Chi'ist est principalement
appelé fils dans l'Écriture.
21. Dans le livre dix-septième, saint Au-
gustin entre dans le détail de ce qui arriva
sous le règne de ce prince, ne remarquant
toutefois que ce qui avait rapport au dessein
de son ouvrage. Il fait voir que ce ne fut pro-
prement .que sous les Rois que les promesses
faites à Abraham, à Isaac et à Jacob, touchant
la terre de Chanaan, furent accomplies, puis-
que leur postérité fut tellement établie dans
cette terre, qu'il ne manquait plus rien à
l'entier accomplissement des promesses de
Dieu à cet égai'd, sinon que les Juifs la pos-
sédassent jusqu'à la fin, en demeurant fidèles
àleur Dieu. Il distingue trois sortes de prophé-
ties dans l'Ancien Testament. Les unes se rap-
portent à la Jérusalem terrestre ; les autres
à la céleste ; et les autres à toutes les deux.
« Les avertissements, dit-il, que le prophète
Nathan donna à David, en lui reprochant son
crime, et en lui annonçant le châtiment, com-
me les avertissements du ciel qui concernent
l'utilité publique , appartiennent à la cité de
la terre. Ces paroles de Jérémie : Voici venir
le temps, dit le Seigneur, que je ferai une nou-
velle alliance avec la maison d'Israël et la mai-
son de Juda, etc.... et je serai leur Dieu et ils
seront mon peuple, sont une prophétie de la
Jérusalem céleste , dont Dieu même est la
récompense. Mais, quand l'Écriture appelle
Jérusalem la cité de Dieu, et qu'on y lit une
prophétie qui prédit que la maison de Dieu
y sera construite, cela se rapporte à l'une et
à l'autre cité; à la Jérusalem terrestre, parce
que cela a été accompli selon la vérité de
l'histoire dans le fameux temple de Salomon ;
et à la Jérusalem céleste, parce que c'en était
une figure.» Le saint Docteur remarque que
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
313
ce genre de prophétie, composé de l'un et
de l'autre dans les livres historiques de l'An-
cien Testament, a beaucoup exercé les com-
mentateurs de l'Écriture, pour trouver les
allégories de ce qui se doit accomplir en la
postérité spirituelle d'Abraham, dans ce qui
a été prédit et accompli dans sa postérité
charnelle. Il lui semble que ceux-là se trom-
pent, qui excluent toute allégorie des livres
historiques de l'Écriture ; et croit aussi que
c'est beaucoup entreprendre que d'y en
vouloir trouver partout. Selon lui, le Nou-
veau Testament fut figuré dans la réproba-
tion de Saiil et d'Éfie ; Dieu ne promit l'éter-
nité au sacerdoce et au royaume des Juifs,
qu'afin qu'en les voyant détruits, on recon-
nût que cette promesse tombait sur un autre
royaume et sur un auti-e sacerdoce, dont
ceux-là étaient la figure. Les promesses fai-
tes à David, touchant son fils Salomon, ne
peuvent s'entendi-e que de Jésus-Christ, en
qui eUe ont eu leur entier accomplissement.
Il en est même de plusieurs endroits de l'É-
critui-e, qui semblent être dits de Salomon,
et qui néanmoins n'ont été accomplis qu'en
Jésus-Christ. Tel est cet endroit du psau-
me Lxxi, qui porte le nom de ce prince : //
étendra son empire de l'une à l'autre mer, et
depuis le fleuve jusqu'aux extrémités de la
terre : car on sait quelles étaient les bornes
du royaume de Salomon. L'explication du
psaume lxxxviii le conduit à montrer, que
ce qui y est dit de Jésus-Christ, sous la per-
sonne de David, a rapport à la forme de ser-
viteur qu'il a prise dans le sein de la Vierge.
D'après lui, la paix promise à David par Na-
than, n'est pas celle du règne de Salomon,
ni d'aucun autre prince, n'y ayant jamais eu
de roi si puissant qu'il n'ait appréhendé le
joug ou l'invasion de ses voisins ; et ainsi le
lieu d'une demeure si paisible et si assurée,
promis par ce prophète, est un lieu éternel,
dû aux citoyens de la Jérusalem libre, où
régnera véritablement le peuple d'Israël.
Quelques-mis voulaient que, des cent cin-
quante psaumes qui composent le Psautier,
David fut seulement auteur de ceux qui
portent son nom. D'autres ne lui attribuaient
que ceux qui sont intitulés , de David, et
disaient que les psaumes qui portent , à
David, ont été faits par d'autres, et appro-
priés à sa personne. Saint Augustin réfute
ce dernier sentiment par l'autorité de Jésus-
Christ, qui attribue à David le psaume cix,
qui toutefois n'a pas pour titre, de David,
Rof. vu,
t SUIT.
'.Sdl. LXII,
Il Reg. VI!,
10.
316
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
m Rcg. I.
Psalm.
1,26.
mais à David. Il croit donc' l'opinion de
ceux-là plus vraisemblable, qui attribuent
tous les psaumes à David, et qui disent qu'il
en a intitulé quelques-uns d'autres noms
que du sien, qui figurent quelque chose qui
fait au sujet, et qu'il en a laissé d'autres
sans j mettre de nom, par une inspiration
de Dieu, dont la raison n'est pas sans mys-
tère, quoiqu'elle ne soit pas évidente. « Il
ne faut pas, ajoute-t-il, s'arrêtera ce que
l'on voit quelques psaumes qui portent en
tête les noms de quelques prophètes qui
ne sont venus que depuis David, et qui
semblent toutefois y parler. L'esprit prophé-
tique qui a inspiré ce prince, a pu lui révé-
ler les noms de ces prophètes, et lui faire
chanter des choses qui leur convenaient,
comme nous voyons qu'un certain prophète
a parlé de Josias et de ses actions, plus de
trois cents ans avant que ce prince naquit. »
C'était l'endroit d'expliquer les prophéties
contenues dans les Psaumes, touchant Jé-
sus-Christ et son Église; mais saint Augus-
tin, ti'ouvant qu'il était trop long de les ex-
pliquer toutes, et craignant, en les choisis-
sant, d'omettre celles qui paraîtraient aux
autres les plus nécessaii'es , renvoie ses
lecteurs aux commentaires qu'il avait faits
sur cette partie de l'Écriture. Il exphque
toutefois la prophétie de Jésus-Christ et de
son Église, rapportée dans le psaume xliv,
et fait voir que son sacerdoce et sa passion
sont prédits dans les psaumes cix et xxi;
qu'à l'égard de sa mort et de sa résurrec-
tion, on les trouve marquées dans les psau-
mes in, XL, XV etLXVii. «11 est vrai, dit-il, que
les Juifs ne voient pas dans les Psaumes ce
que y est prédit de Jésus-Christ, autrement
ils ne résisteraient pas à des témoignages si
évidents, conflrmés par l'événement; mais
n'est-il pas prédit dans ces mêmes psaumes
que leurs yeux sei'ont obscurcis, afin qu'ils ne
voient point? On trouve aussi des prophéties
touchant Jésus-Christ, et particulièrement
sur sa passion et sur sa mort, dans les trois
livres de Salomon que l'Église reçoit au
nombre des canoniques, qui sont les Prover-
bes, l'Ecclésiaste et le Cantique des canti.
(jues. Les autres rois qui sont venus après Sa-
lomon, n'ont pas fait ni dit beaucoup de cho-
ses qui puissent se rapporter à Jésus-Christ
et à son Église, soit en Juda ou en Israël. Il
y eut néanmoins des prophètes sous leurs
règnes, même sous celui de Jéi'oboam, qui
reprirent ce prince de ses impiétés. Il y en
eut encore pendant la captivité de Baby-
loue; mais , dans la suite des temps qui s'é-
coulèrent depuis le retour des Juifs jusqu'à
l'avènement du Sauveur, c'est-à-dire depuis
Malachie, Aggée, Zacharie et Esdras, ils
n'eurent point de prophètes parmi eux. Za-
charie, père de saint Jean-Baptiste et ÉUsa-
beth sa femme , prophétisèrent au temps
de la naissance du Messie avec Siméon,
Anne et saint Jean, qui fat le dernier des
prophètes. »
22. Saint Augustin ayant marqué ainsi les
progrès de la cité de Dieu, reprend dans le
dix-huitième livre , le cours de la cité du
monde depuis Abraham, afin qu'on pût com-
parer ensemble ces deux cités. « Entre tous
les empires, dit-il, que les divers intérêts de
la cité de la terre ont établis, il y en a
deux beaucoup plus puissants que les au-
tres; celui des Assyriens et celui des Ro-
mains, tous deux séparés de temps et de
lieu. L'empire des Assyriens à fleuri le
premier en Orient, et celui des Romains,
qui n'est venu qu'après, s'est étendu en
Occident. Tous les autres royaumes n'ont
été que comme de petits l'ejetons de ceux-
ci. Ninus, second roi des Assyriens, qui
avait succédé à son père Bélus, régnait du
temps qu'Abraham naquit en Chaldée. En
ce temps-là florissait aussi le petit empire
des Sicyoniens, par où Varron commence son
histoire romaine , descendant des rois des
Sicyoniens aux Athéniens, de ceux-ci aux
Latins, et des Latins aux Romains. Ninus
subjugua toute l'Asie, c'est-à-dire la moitié
du monde, et porta ses conquêtes jusqu'aux
confins de la Libye. Les Indiens furent les
seuls de tous les peuples d'Orient qui de-
meurèrent aâ"ranchis de sa domination ; en-
core, après sa mort, furent-ils domptés par
Sémiramis, sa femme. Le fils de S'iimiramis
se nommait Ninus, comme son père ou Ni-
nias. Télexion régnait alors chez les Sicyo-
niens ; son règne fut si tranquille que ses su-
jets, après sa mort, en firent un dieu, et lui
décernèrent des jeux et des sacrifices. Isaac
naquit sous Aralius, cinquième roi des Assy-
riens, Abraham ayant alors cent ans. Ce
patriai'che vivait encore lorsqu'Isaac, âgé
de soixante ans, eût deux enfants jumeaux
de sa femme Rébecca , Esau et Jacob. Dieu
parla à Isaac, et lui promit, comme à Abra-
ham, qu'il donnerait la terre de Chanaan à
sa postérité, et qu'en elle toutes les nations
seraient bénies. Il promit, la même chose
Analjse
flix - buitië^
livre ,
[IV' ET v° SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
à Jacob , sous le règne de Béloc , neu-
vième roi des Assyriens, et de Phoronée,
fils d'inachus, deuxième roi des Argiens.
Ce fut sous Phoronée, roi d'Ai'gos, que la
Grèce commença à devenir célèbre par ses
lois et ses règlements. Pbégoiis, son frère,
fut honoré comme un dieu après sa mort;
on lui bâtit un temple sur son sépulcre,
apparemment parce que, dans la partie
du royaume que son père lui avait lais-
sée, il avait construit des chapelles aux
dieux, et divisé les temps par mois et par
années. Isis, fille d'inachus, fut aussi hono-
rée, en Egypte, comme une divinité. Outre
plusieurs choses utiles dont on lui fait hon-
neur, on lui attribue l'invention des lettres.
Les Égyptiens défendirent, sous peine de
mort, de dire que c'eût été une femme. »
Saint Augustin marque de suite quels fu-
rent les rois des Assyriens, des Sicyoniens
et des Argiens du temps de Jacob, de Jo-
seph et de Moïse. Il remarque que les fables
ne commencèrent à avoir cours en Grèce que
depuis la naissance de ce législateur et sous
le règne de Cécrops, roi des Athéniens ; que
ce fut alors que la superstition des Grecs mit
plusieurs morts au rang des dieux; qu'arriva
le déluge de Deucalion, appelé ainsi à cause
que le pays où il commandait en fut princi-
palement inondé. « Sur la fin du règne du
même Cécrops, dit-il, les Israélites sortirent
d'Egypte ; et ce fut depuis ce moment-là jus-
qu'à la mort de Josué, que les rois de la
Grèce instituèrent en l'honneur des faux
dieux plusieurs solennités qui rappelaient
le souvenir du déluge, et les temps malheu-
reux qui l'accompagnèrent. Les fables furent
inventées, pom- la plupart, du temps des
Juges, jusqu'à la guerre de Troie, à l'occa-
sion de quelques événements véritables
parmi les païens. Il y eut dans ce même
temps quelques poètes , appelés aussi théo-
logiens, parce qu'ils faisaient des vers en
l'honneur des dieux. Que si, parmi tant de
fables, ils ont dit quelque chose du vrai
Dieu, ils ne lui ont pas rendu pour cela le
cidte qiii n'est dû qu'à lui seul, et ils ont
même déshonoré leurs dieux par des contes
ridicules. Ce fut encore du temps des Juges
que le royaume des Argiens finit, et fut
transféré à Mycènes, dont Agamemnon fut
roi. Celui des Laurentins commença, au
contraire, à s'établir alors. Ils eurent pour
premier roi Picus, fils de Saturne, qui régna
en Italie. Les Laurentins, depuis la ruine de
EVEQUE D'HIPPONE.
317
Troie, qui arriva sous le règne de.Latinus,
s'appelèi'ent Latins. Après la mort de Lati-
nus, Énée régna trois ans en Italie. Son fils,
Sylvius, fut le quatrième roi des Latins. On
met sous son règne, et du temps du grand-
prêtre Élie, la fin de la monarchie des Sy-
cyoniens. Les Latins, sous le règne de Salo-
mon, fondèrent Albe, qui donna son nom à
leurs rois . qui, au lieu de Latins, s'appelè-
rent Albains. Les Latins eurent onze rois
après Énée; le douzième fut Aventin. Il eut
pour successeur Romulus, fondateur de
Rome. Cette viUe fut bâtie comme une autre
Babylone , dont il plut à Dieu de se servir
pour dompter tout l'univers, et rassembler
toutes ses nations sous un même corps de
république. Lors de sa fondation, il y avait
déjà 718 ans que les Juifs demeuraient dans
la terre promise. Ce fut du temps de Romu-
lus que parurent les prophéties de la SibyUe
Erythrée, dont Lactance a fait usage, pré-
tendant y trouver diverses prédictions tou-
chant Jésus-Christ. Dans le même temps
florissait Thaïes de Milet, l'un des sept sages
de la Grèce, qui succédèrent aux poètes.
C'est aussi l'époque de la captivité de Baby-
lone, où les dix tribus d'Israël furent em-
menées par les Chaldéens; et celle de la Sy-
byUe samienne. Pythagore, le premier des
philosophes, parut sous le règne de Sédécias,
roi des Juifs, et de l'ancien Tarquin, roi des
Romains. Les Juifs furent remis en hberté
sous un autre Tarquin, dit le Superbe, qui
fut le dernier roi des Romains. Jusque-là il
y avait eu des prophètes parmi les Juifs
sans aucune interruption. »
Saint Augustin marque le temps de cha-
cun d'eux, particulièrement de ceux dont
les prophéties sont venues jusqu'à nous. Il
dit, en parlant de celles d'Isaïe, qu'il y en a
de si claires que les ennemis mêmes de la
religion les entendent malgré eux. Il semble
reconnaître Esdras pour l'auteur du hvre
d'Esther, et plutôt pour historien que pom'
prophète; « quoique, dit-il, il ait prophétisé
Jésus-Christ dans cette dispute qui s'éleva
entre quelques jeunes gens, pour savoir qui
était la chose du monde la plus puissante. »
Cela se trouve dans le troisième livre d'Es-
dras. L'Église rejette les écrits de quelques
prophètes, nommément de ceux qui ont
écrit l'histoire des rois d'Israël et de Juda.
Saint Augustin avoue qu'il en ignore la rai-
son : « Si ce n'est, dit-U, que ces prophètes
ont pu écrire certaines choses comme hom-
318
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
mes et sans l'inspiration du Saint-Esprit, et
que ce sont celles-là que l'Église ne reçoit
point dans son canon poui' faire partie de la
religion, quoiqu'elles puissent d'ailleurs être
utiles et véritables. Depuis le rétablissement
du Temple jusqu'à Aristobule, les Juifs ne
furent plus gouvernés par des i-ois, mais
par des princes. La supputation de ces
temps se trouve dans les livres des Macha-
bées, rejetés comme apocryphes par les
Juifs, mais adoptés par l'Église. »
Saint Augustin fait voir que les prophètes
sont plus anciens que les philosophes, Py-
thagore, qui en a le premier porté le nom,
n'ayant commencé à fleurir que sur la fin
de la captivité de Babylone ; que la langue
hébraïque a toujours été conservée par tra-
dition avec ses caractères ; qu'aucune na-
tion n'a donc droit de se vanter de sa
science comme plus ancienne que nos pa-
triarches et nos prophètes ; que les Égyp-
tiens qui se vantent d'avoir connu l'astro-
logie, il y a cent mille ans, ne peuvent
disconvenir qu'ils n'aient appris à lire de
leur Isis, il n'y a guère plus de deux mille
ans ; enfin, que les écrivains canoniques,
pour ne parler que des sentiments qui re-
gardent la religion, sont autant d'accord
entre eux, que les philosophes le sont peu.
«N'a-t-onpas vu en vogue, continue-t-il, dans
la même viUe d'Athènes, les épicuriens qui
soutenaient que les dieux ne prenaient
aucun soin des choses d'ici-bas, et les stoï-
ciens qui voulaient qu'ils gouvernassent le
monde. N'est-ce pas encore à Athènes qu'A-
ristippe mettait le souvei'ain bien dans la
volupté du corps, et Antisthène dans la
vertu, quoique disciples l'un et l'autre de
Socrate. »
Saint Augustin raconte comment Ptolé-
mée Philadelphe, roi d'Egypte, fit traduire
en grec les divines Écritures. Il préfère cette
version à toutes les autres qui ont été faites
depuis, et dit que c'est sur elle qu'ont été
faites les latines qui étaient en usage de
son temps, dans les Églises d'Occident. Il
convient qu'il y a plusiem^s endroits où les
Septante paraissent s'être éloignés de la vé-
rité hébraïque ; mais il soutient que ces en-
droits, bien entendus, se trouvent parfaite-
ment conformes au texte original.
Il vient après cela aux temps qui suivirent
la captivité de Babylone, où les Juifs n'ayant
plus de prophètes, devinrent plus méchants
qu'ils n'étaient auparavant; quoique ce fui
le temps où ils croyaient devenir meiUeui-s,
suivant cette prophétie d'Aggée, qii'ils enten-
daient trop httéralement : La gloire de cette
dernière maison sera plus grande que celle de
la première. Saint Augustin leur fait voir
que cette prophétie ne devait pas s'expli-
quer, comme ils le croyaient, du temple de
Jérusalem rétabli après la captivité, mais de
l'Église (( qui est, dit-il, un temple d'autant
plus illustre, qu'elle est composée de pierres
vivantes, c'est-à-dire des fidèles renouvelés
par le baptême. Cette Église, dans ce siècle
pervers, est exercée par une infinité de
craintes, de douleurs, de travaux et de ten-
tations, sans avoir d'autre joie que l'espé-
rance. Beaucoup de réprouvés y sont mêlés
avec les élus ; les uns et les autres sont ren-
fermés comme dans ce filet de l'Évangile,
où ils nagent pêle-mêle dans la mer de ce
monde, jusqu'à ce qu'on arrive au bord, où
les méchants seront séparés des bons. Jésus-
Christ, né d'une vierge à Bethléem, ville de
Juda, comme l'avaient prédit les Prophètes,
a choisi des disciples qu'il a nommés apô-
tres, nés de bas lieux, méprisables, sans
lettres, afin d'être et de faire en eux tout ce
qu'ils seraient et feraient de grand. C'est
par eux qu'il a prêché l'Évangile, première-
ment aux Juifs, ensuite aux gentils ; il a
employé dans ce ministère non-seulement
les témoins de sa passion et de sa résurrec-
tion, mais d'autres encore qui leur ont suc-
cédé, et qui ont porté l'Évangile par tout
le monde, parmi de sanglantes persécutions.
Dieu se déclarant en leur faveur, par plu-
sieurs prodiges et par divers dons du Saint-
Esprit, afin que les gentils, croyant en celui
qui a été crucifié pour les racheter, révé-
rassent, avec un amour digne des chrétiens,
le sang des martyrs qu'ils avaient répandu,
et que les rois mêmes dont les édits rava-
geaient l'Église, se soumissent humblement
à ce nom, que leur cruauté s'était efforcée
d'exterminer. Les démons, voyant qu'on
abandonnait leurs temples, suscitèrent les
hérétiques pour combattre la doctrine chré-
tienne, sous le nom de chrétiens. Tous ceux
qui ont des opinions mauvaises et dange-
reuses, ne sont pas pour cela regardés
comme hérétiques dans l'Église, mais ceux-
là seulement qui, en étant repris, y persis-
tent opiniâtrement , et refusent de se ré-
tracter de leur dogmes pernicieux. Ils
sont en un sens utiles à l'Éghse, parce que
Dieu se sert d'eux pour exercer la pa-
[iv'ETV'siÈcxES.] SAINT AUGUSTLN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
se du
\ième
tience et la sagesse de ses serviteurs. »
Quelques-uns s'imaginaient que l'Eglise
n'avait plus de persécution à souffrir jusqu'à
la venue de l'Antéchrist, disant qu'elle en
avait déjà souffert dix, et que l'Antéchrist
ouvrira la onzième. Saint Augustin leur fait
vou' qu'il n'y a rien d'assuré sur le nombre
des persécutions de l'Éghse; qu'elle en a
enduré beaucoup au delà de dix ; qu'on ne
peut toutefois assurer sans témérité, qu'elle
en souffrira encore beaucoup d'autres, avant
ceUe de l'Antéchrist. 11 se moque des païens
qui faisaient courir de prétendus oracles
touchant l'extinction de la religion chré-
tienne après 365 ans ; le grand nombre
d'années qui s'est écoulé depuis faisant
suffisamment voir la fausseté de cette pré-
diction. Il dit à ceux qui étaient curieux de
savoir quand la fin du monde arriverait,
que, s'ilnous était utile de le savoir, Jésus-
Christ l'aurait appris à ses disciples; et que,
puisqu'il n'a pas voulu le leur révéler, c'est
en vain que nous tâchons de déterminer
les années qui restent encore à s'écouler.
23. Les premiers chapitres du dix-neu-
vième livre, sont employés à réfuter l'opi-
nion des philosophes touchant le souverain
bien, que les uns mettent dans la possession
des biens de la nature, les autres, dans les
biens de l'âme, et les autres, dans tous les
deux. Saint Augustin leur oppose le senti-
ment des chrétiens, qui fait consister le
souverain bien dans la vie éternelle, et le
souverain mal dans la mort éternelle ; d'où
il suit qu'on ne peut jouir du souverain bien
en ce monde. C'est ce qu'il prouve premiè-
rement, par ces paroles du Prophète : Le
juste vit de la foi, parce que ne le voyant
point encore, il est besoin qu'il le cherche
par la foi; et en second lieu, par un détail
des combats de la chair contre l'esprit, et
des misères auxquelles l'homme est sujet
tandis qu'il est en cette vie. Il ajoute que la
possession de ce qu'il y a de meillem' en ce
monde, sans l'espérance de l'autre, est une
fausse béatitude et une grande misère ;
qu'on n'y jouit pas même des vrais biens de
l'âme, à moins qu'elle ne se propose pour
fin celle où Dieu fera toutes choses en tous
par une éternité assurée, et par une paix
parfaite. Il marque la différence de conduite
en ce monde de la cité du ciel , d'avec
celle de la terre. «L'usage des choses néces-
saires à la vie, dit-il, est commun aux ci-
toyens de l'une et de l'autre dans le gouver-
319
nement de leurs maisons ; mais la fin à
laquelle ils rapportent cet usage est bien
différente. Ceux qui appartiennent à la cité
de la terre, cherchent leur paix dans les
Mens et dans les commodités de cette vie,
au lieu que ceux qui sont de la cité du ciel
se servent des biens temporels comme des
voyageurs et des étrangers, non pour y
mettre leur cœur, mais pour en être sou-
lagés, et se rendre en quelque façon plus
supportable le poids de ce corps corruptible
qui appesantit l'âme. La cité céleste use
donc pendant son pèlerinage de la paix
temporelle, et des choses qui sont nécessai-
.rement attachées à notre nature mortelle ;
et elle rapporte la paix terrestre à la céleste
qui est tellement la vraie paix, que la créa-
ture raisonnable n'en peut justement avoir
d'autre. Elle a cette paix ici-bas par la foi ;
elle vit de cette foi, lorsqu'elle rapporte à
l'acquisition de cette paix tout ce qu'elle
fait de bonnes œuvres en ce monde, tant à
l'égard de Dieu que du prochain : car la vie
de cette cité est une vie de société. Elle ne
se soucie pas quel genre de vie l'on mène
lorsqu'on embrasse la foi qui conduit à Dieu,
pourvu que ce genre de vie ne soit pas con-
traire à ses commandements. C'est pourquoi,
quand les philosophes mêmes se font chré-
tiens, elle ne les obhge point de quitter leur
manière de vivre, à moins qu'elle ne choque
la rehgion, mais seulement à abandonner
lem-s mauvais dogmes. Quant aux trois gen-
res de vie, l'actif, le contemplatif, et celui
qui est mêlé des deux, chacun dans cette
cité peut embrasser celui qui lui plaira,
pourvu que ce soit par l'amour de la vérité,
et qu'il ne néglige pas le devoir de la cha-
rité. Car, on ne doit point tellement s'adon-
ner au repos de la contemplation, qu'on ne
songe aussi à être utile au prochain; ni s'a-
bandonner à l'action de telle sorte, qu'on
oublie la contemplation. Dans le repos, on
ne doit point aimer l'oisiveté, mais s'occuper
à la recherche de la vérité, afin de profiter
soi-même de cette connaissance, et de ne la
pas envier aux autres. Dans l'action, il ne
faut aimer ni les honneurs, ni la puissance,
parce que tout cela n'est que vanité ; mais
le travail qui l'accompagne lorsqu'il contri-
bue au salut de ceux qui nous sont soumis.
C'est ce qui fait dire à l'Apôtre, que celvi
qui désire l'épiscopat, désire une bonne œuvre.
En eflet, l'épiscopat est un nom de charge,
et non pas de dignité, ce nom signifiant en
320
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
grec, veiller sur quelqu'un et en avoir soin,
pour montrer que celui-là n'est pas évêque,
qui aime à commander sans se soucier d'ê-
tre utile à ceux à qni il commande. Tout le
monde peut donc s'appliquer à la recher-
che de la vérité, en quoi consiste le repos
louable de la vie contemplative ; mais pour
les dignités de l'Éghse, quand on s'y gou-
vernerait comme il faut, il est toujours hon-
teux de les désirer. C'est pour cela qu'il ne
faut qu'aimer la vérité, pour embrasser le
saint repos de la contemplation; mais ce
doit être la charité et la nécessité qui nous
engagent dans l'action. De sorte que, si per-
sonne ne nous impose ce fardeau, il faut va-
quer à la recherche et à la contemplation
de la vérité ; et si on nous l'impose, il faut
s'y soumettre par charité et par nécessité.
Mais alors même il ne faut pas abandonner
tout à fait les douceurs de la contemplation,
de peur que, privés de cet appui, nous ne
soyons accablés de la pesanteur de notre
charge.»
Comme il est essentiel à une république
d'être gouvernée par les lois de la justice,
selon que le dit Cicéron, saint Augustin fait
voir qu'il n'y a jamais eu de république
parmi les Romains, parce qu'ils n'ont point
servi le vrai Dieu, sans lequel il n'y a point
de vraie justice. « Car, lorsque l'homme ne
sertpas Dieu, dit-il, quelle justice peut-il avoir
puisque ce n'est que le service qu'on rend à
Dieu qui donne droit à l'esprit de commander
au corps, et à la raison de gouverner les pas-
sions? S'il n'y a point de justice en un homme
de cette sorte, il n'y en aura point non plus
en une assemblée composée de tels hom-
mes. » Il montre que le seul Dieu qui méri-
tait le culte des Romains est le Dieu des chré-
tiens, et rapporte les oracles que l'on trouve
dans les écrits du philosophe Porphyre, tou-
chant le vrai Dieu et Jésus-Christ. Il fait voir
encore qu'il n'y a pas de vraie vertu où il n'y
a point de vraie religion : parce que les ver-
tus, si on ne les rapporte pas à Dieu, sont plu-
tôt des vices que des vertus. «Mais, quelque
différence qu'il y ait entre la cité de Dieu
et celle de Babylone , continue-t-il, la pre-
mière se sert de la seconde et profite de sa
paix, qui est commune aux bons et aux mé-
chants. C'est pour cela que l'Apôtre avertit
l'Église de prier pour les rois et les grands
I Tim..is.x, du monde, afin, dit-il, que nous menions une
vie tranquille en toute piété et charité. Quel-
que soit néanmoins la paix des serviteurs de
Dieu ici-bas, elle sert plutôt à soulager no-
tre misère qu'à nous rendre heureux, cette
paix étant traversée par diverses tentations
et par divers combats. »
24. Il commence le vingtième livre par
étabhr la foi de l'Église touchant le juge-
ment dernier, employant à cet effet tout ce
qui a rapport à cette matière dans l'Ancien
et dans le Nouveau Testament. Il distingue
deux résurrections, celle de l'âme qui se fait
maintenant, et celle du corps qui ne se fera
qu'au dernier jour. Il dit que c'est faute d'a-
voir entendu cette première résurrection,
dont il est aussi parlé dans l'Apocalj'pse, que
quelques catholiques ont cru le règne de mille
ans. « Cette opinion, ajoute-t-il, serait en quel-
que façon supportable, si l'on croyait que,
durant ce repos de mille ans, les saints joui-
ront de quelques déhces spirituelles, à cause
de la présence du Sauveur : car, moi-même,
j'ai été autrefois de ce sentiment; mais com-
me ils disent que ceux qui ressusciteront
alors seront dans des festins continuels, il
n'y a que des personnes charnelles qui puis-
sent avoir cette pensée. » Il explique de l'Égli-
se,, ce qui est dit du règne de mille ans dans
l'Apocclypse, soutenant qu'outre le royaume
préparé aux saints, ils en ont dès maintenant
un autre où ils régnent avec Jésus -Christ,
puisqu'autrement l'Église ne serait pas appe-
lée son royaume. Quand donc saint Jean dit :
Je vis des trônes et des personnes assises dessus :
et on leur donna le pouvoir déjuger, il ne faut
pas imaginer que ces paroles s'appliquent
au dernier jugement, mais qu'elles désignent
les trônes des évéques, et les évoques mô-
mes qui gouvernent présentement l'Église.
Quant au pouvoir déjuger qui leur est don-
né, il semble qu'on ne le puisse mieux en-
tendre que de celui-ci : Ce que vous lierez sur
la terre sera lié au ciel, et ce que vous délierez
sw: la terre sera délié au ciel. Par les âmes qui,
d'après saint Jean, ont régné mille ans avec
Jésus-Christ, il veut qu'on entende les âmes
des martyrs encore séparées de leurs corps.
(( Car, dit-il, les âmes des gens de bien qui sont
morts ne sont point séparées de l'Église qui,
maintenant même, est le royaume de Jésus-
Christ. Autrement, on n'en ferait point mé-
moire à l'autel dans la communion du corps
de Jésus-Christ, où on ne le fait que parce
que les fidèles, tout morts qu'ils sont, ne
laissent pas d'être membres de Jésus-Christ.
Saint Jean, il est vrai, fait seulement men-
tion des âmes des martyrs, parce que ceux-
Analy?
vingtièm
\re, [jag.
S73l
Apoc.xx,4.
[IT' ET ■?= SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
321
aîysc du
- iiDième
, pag.
là régnent principalement avec Jésus-Clirist
après leur mort, qui ont combattu jusqu'à la
mort pour la vérité; cependant, en prenant
la partie pour le tout, nous pouvons enten-
dre que les autres morts appartiennent aus-
si à l'Église, qui est le royaume de Jésus-
Christ. »
Par les mille ans pendant lesquels le diable
est lié, saint Augustin entend tout le temps
qui s'écoulera depuis le premier avènement
de Jésus-Christ jusqu'au second. Il y en avait
qui croyaient que la résurrection, n'apparte-
nant qii'au corps, c'est de celle-là qu'il fal-
lait entendre la première résurrection dont
parle saint Jean. « Mais, dit-il, que répon-
dront-ils à l'Apôtre qui admet aussi une ré-
sm'rection de l'âme? Car, ceux-là étaient res-
suscites selon l'homme intérieur, et non pas
selon l'extérieur, à qui il dit : Si vous êtes res-
suscites avec Jésus-Christ, ne goûtez plus les
choses du siècle. »
Saint Augustin fait voir par divers endroits
de l'Éci'iture, que l'âme tombe de même
que le corps, non en cessant d'être, mais
par le péché ; qu'ainsi l'on doit avouer qu'il
lui appartient comme au corps de ressusci-
ter. 11 explique succintement ce qu'on lit,
dans l'Apocalypse, des persécuteurs que le
diable suscitera contre l'Eglise à la fin des
siècles; du feu que saint Jean voit descendre
du ciel pour les consumer ; des trois ans et
demi que le diable sera délié ; de l'étang de
feu et de souffre où il fut jeté ; et des autres
circonstances qui appartiennent au juge-
ment dernier. Les preuves qu'il avait déjà
données de ce jugement futur sont corro-
borées par celles que fournissent les Épîtres
de saint Pierre et de saint Paul, la prophétie
d'Isaïe et celle de Daniel, les Psaumes et les
écrits de quelques petits prophètes. Il finit
ce livre en marquant les choses qui arrive-
ront alors, ou environ ce temps-là, savoir,
l'avènement d'Éhe, la conversion des juifs,
la persécution de l'Antéchrist, la venue de
Jésus-Christ pour juger, la résmTection des
morts, la séparation des bons et des mé-
chants, l'embrasement du monde, et son re-
nouvellement.
23 . Le but de saint Augustin, dans le vingt-
unième livre , est de traiter du supplice
que doit souffrir le diable et ses comphces,
lorsque les deux cités seront parvenues à
leurs fins par Notre-Seigneur Jésus-Christ,
juge des vivants et desmorls. Les incrédules
ne pouvaient comprendre comment des corps
IX.
humains pourraient être brîilésparlefeu, et
subsister éternellement au milieu des flam-
mes et des tourments. Le saint Docteur leur
répond qu'il y a des animaux corruptibles,
qui vivent toutefois au milieu des feux ;
et qu'on trouve une certaine sorte de vers
dans des sources d'eau chaude qu'on ne
saurait toucher sans se brûler ; et qui, non-
seulement y vivent, mais qui ne peuvent
vivre ailleurs. Ils disaient qu'il n'y avait
point de corps qui pût souffrir, et ne pas
mourir. « Qui peut assurer, leur répond
saint Augustin, que les démons ne souffrent
pas en leurs corps, lorsqu'ils avouent eux-mê-
mes qu'ils sont extrêmement tourmentés ? »
Il demande à ces incrédules quelle raison il
y a de faire de la douleur un argument de
mort, puisque c'est plutôt une marque de
vie ; et puisqu'il est nécessaire que celui qui
souffre vive, et qu'il ne l'est pas que la dou-
leur tue. « Ce qui est cause, ajoute-t-il, que
la douleur tue maintenant, c'est que l'âme
est tellement unie au corps, qu'elle cède
aux gi'andes douleurs et se retire , parce
que la liaison des membres est si délicate,
qu'elle ne peut soutenir l'effort de ces dou-
leurs aiguës. Mais, dans l'autre vie, l'âme
sera teUement jointe au corps, et le corps
sera tel que ce nœud ne pourra être déhé
par aucun espace de temps, ni rompu par
quelque douleur que ce soit. Quoiqu'il soit
donc vrai qu'il n'y ait point maintenant de
chair qui puisse souffrir et être immortelle,
ce ne sera pas alors la même chose ; la
chair ne sera pas telle qu'elle est, comme la
mort sera bien différente de celle d'à pré-
sent. Il y aura toujours une mort, mais elle
sera éternelle, parce que l'âme ne pourra
vivre étant séparée de Dieu, ni être délivrée
par la mort des douleurs du corps. La pre-
mière mort chasse l'âme du corps malgré
eUe, et la seconde l'y retiendra malgré elle.
L'une et l'autre, néanmoins, ont cela de
commun que le corps fait souffrir à l'âme ce
qu'elle ne veut pas : car, c'est l'âme qui
souffre et non le corps, lors même que sa
douleur lui vient du corps , comme lors-
qu'eUe souffre à l'endroit où le corps est
blessé. ))
n l'apporte plusiem^s exemples des choses
naturelles qui montrent qu'il est très-possi-
ble que les corps des damnés subsistent éter-
nellement au milieu des flammes, parce
qu'alors la substance de la chair recevia une
qualité admirable de celui qui en a donné
21
322
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
de merveilleuses à tant de choses que nous
voyons, et que leur multitude nous empêche
d'admirer. « La salamandi-e, dit-il, vit dans
le feu, ainsi que le disent les naturahstes. La
chair du paon lorsqu'elle est cuite ne se cor-
rompt pas. Le feu noircit tout ce qu'il brûle,
quoique lui-même soit luisant. L'aimant attire
le fer. Chez lesGararaautes, il y a une fontaine
si froide le jour qu'on n'en saurait boire, et
si chaude la nuit qu'on n'y peut toucher. 11
y a une pierre en Arcadie, qui, étant une
fois échaufTée, demeure toujours chaude,
quoi qu'on fasse pour la refroidir. Puisque
les incrédules ne peuvent rendre raison de
tous ces effets sui'prenants, qu'ils conçoivent
donc, une fois pour toutes, qu'il ne s'ensuit
pas qu'une chose ne soit ou ne doive être,
parce que la raison nous en est cachée. Dieu
ne fait jamais rien sans raison, et rien de ce
qu'il veut ne lui est impossible. Sa toute-
puissance est la raison des choses qui sont
au-dessus de la raison. Pourquoi ne peut-il
pas faire que les corps des morts ressusci-
tent, et que ceux des damnés soient éter-
nellement tourmentés dans le feu, lui qui a
créé le ciel, la terre, l'air, les mers et le
monde entier, ce qui est un plus grand mi-
racle que tout cela ? La nature du corps de
l'homme avant le péché était de ne pouvoir
mourir ; et à la résurrection des morts, il sera
rétabli dans son premier état. » Il fait voir,
par le témoignage même des païens, qu'une
chose peut être dans la suite des temps
toute autre qu'elle n'était dans son état na-
turel. Castor, au rapport de Varron, écrit
que l'étoile du jour changea de couleur, de
grandeur, de figure et de mouvement ; ce
qui n'était jamais arrivé. On met cet événe-
ment sous le règne d'Ogygès. La terre de
Sodome n'a pas toujours été comme elle
est ; son terroir était semblable à celui des
autres, et même plus fertile. Mais, depuis
que le feu du ciel est tombé dessus, la face
en est affreuse, et ses fruits, sous une belle
apparence, ne couvrent qu'un peu de cendre
et de fumée. »
Le saint Docteur rapporte plusieurs passa-
ges de l'Écriture touchant le supplice éter-
nel des damnes, et montre, par la même au-
torité , que soit que les démons aient un
corps aérien, soit qu'ils n'en aient point, ils
seront tourmentés par le même feu matériel
qui brûlera les corps des damnés. «En effet,
dit-il, puisque les âmes des hommes qui sont
incorporelles, peuvent être maintenant en-
fermées dans des corps, et qu'elles y seront
alors unies par des liens indissolubles, pour-
quoi les démons ne pourront-ils pas être tour-
mentés par un feu corporel d'une manière
très-réelle, mais merveilleuse et ineffable?
Mais n'est-il pas injuste de punir d'un sup-
plice éternel des péchés qu'on a commis en
si peu de temps ? »
Saint Augustin rappoi'te les peines éta-
blies par les lois humaines, et montre qu'au-
cune, quant h la durée, ne se mesure à celle
du péché, si ce n'est peut-être la peine du ta-
lion, qui ordonne que le criminel souffre le
même mal qu'il a fait. Il dit même que la peine
de mort ne consiste pas dans ce petit espace
de temps qu'on exécute les ci'iminels, et que
les lois font consister principalement ce sup-
plice en ce qu'il ôte les coupables pour ja-
mais de la société des vivants. «Dans l'Évan-
gile, dit-il, on ht, il est vrai, qu'on nous me-
surera à la même mesure que nous aurons
mesuré les autres; mais la mesure dont il est
parlé en cet endroit ne regarde pas le temps,
mais le mal; c'est-à-dire que celui qui aura
fait le mal le souffi-ira. Ainsi, si celui qui
juge et condamne injustement son prochain,
est jugé lui-même et condamné justement, il
reçoit en la même mesure, quoiqu'il ne re-
çoive pas la même chose qu'il a donnée.
Car, il est jugé comme il a jugé les autres;
mais la condamnation qu'il souffre est juste,
au heu que celle qu'il a faite est injuste. »
Il y en avait qui croyaient que les mé-
chants, après leur mort, ne seront punis que
par des peines purgatives ; d'autres pensaient
que les peines des damnés ne seront pas
élernelles ; quelques-uns, au contraire, s'ima-^
ginaient qu'aucun homme ne sera damné au
dei'uier jugement, à cause de l'intercession
des saints; d'autres, enfin, accordaient le
salut à tous ceux qui ont été baptisés, qui
ont participé au corps de Jésus-Christ, et qui
ont fait l'aumône, quelque vie qu'ils aient
menée d'ailleurs.
Selon saint Augustin il y a dans l'autre
vie des peines temporelles et purement pur-
gatives, parce qu'il y a des personnes à qui
ce qui n'est pas remis en ce siècle, est remis
en l'autre, afin qu'ils ne soient pas punis du
supplice étei-nel. Mais ceux qui, selon l'an-êt
du Sauveur, v'ont dans le feu éternel gui est
préparé pour le diable et pour ses anges, y de-
meureront sans retour, de même que le dia-
ble et ses anges. «Qui osera dire, en effet, dit-
il, que la sentence que Dieu prononcera alors
[IV« ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
323
contre les anges et contre les hommes, ne
sera vraie que pour les anges? L'Évangile
ne met-il pas en parallèle d'un côté le sup-
plice éfernel, et de l'autre, la vie éter-
nelle ? Si cela est, comme on n'en peut dou-
ter, n'y aurait-il pas de l'absurdité à pré-
tendre que, dans une seule et même période,
la vie éterneUe n'ait point de fin , et le sup-
plice éternel eu ait une ? Si les prières des
saints doivent être si efficaces au jour du
jugement dernier, comme quelques-uns se
l'imaginent, pourquoi ne les emploieront-ils
que pour les hommes et non pas pour les an-
ges, afin que Dieu révoque son arrêt, et les
préserve des flammes éternelles qui leur sont
préparées? Quelle raison aurait même l'É-
glise de ne pas prier pour le diable et pour
ses anges, puisque Dieu, qui est son maître,
lui a commandé de prier pour ses ennemis?
La même raison qui empêche donc aujour-
d'hui l'Église de prier pom* les mauvais an-
ges, qu'elle sait être ses ennemis, l'empê-
chera alors de prier pour les hommes desti-
nés au feu éternel. Maintenant elle prie
pom- tous les hommes, parce que c'est le
temps d'une pénitence utile; mais elle n'est
exaucée que pour ceux, qui, quoique- ses
ennemis, sont prédestinés à devenir ses en-
fants par le moyen de ses prières. Elle ne
prie pas en particulier pour les âmes de
ceux qui meurent dans leur obstination, et
qui n'entrent point dans son sein. Pourquoi
cela? Sinon parce qu'elle compte déjà du
parti du diable, ceux qui, pendant cette vie,
ne sont point passés à celui de Jésus-Christ. »
Il répond à ceux qui croyaient que les hé-
rétiques, ou les mauvais catholiques seront
délivrés des peines de l'enfer par la vertu des
sacrements, a Saint Paul, dit-il, n'en a pas
jugé ainsi, lorsqu'il a dit que les fornicateurs,
les impudiques, les hérétiques, les envieux , les
ivrognes, les débauchés, ne posséderont point le
royaume de Dieu. Quand Jésus-Christ a dit
que celui qui mange son corps, ne meurt
point, cette parole s'entend seulement de
ceux qui sont dans l'unité de ce corps, c'est-
à-dire qui en sont membres ; ce qui ne con-
vient ni aux hérétiques, ni aux schismati-
ques, qui ne sont ni les uns ni les autres
dans le lieu de paix représenté par ce sacre-
ment. On ne peut pas dire non plus que
ceux qui persévèrent dans leiu-s désordres
jusqu'à la fin de leur vie, puissent être
comptés parmi les membres de Jésus-Christ,
p uisqu'ils se font par leurs crimes les mem-
bres d'une prostituée. Il est vrai toutefois que
les mauvais catbohques ne se sont point sépa-
rés de l'unité de Jésus-Christ; mais, n'ayant
point ajouté les œiivres à la foi, ils n'ont
bâti sur le fondement, qui est Jésus-Christ,
que du bois, du foin et de la paille ; au lieu
que ceux à qui Jésus-Christ dira : Venez, vous
que mon Père a bénis, ont bâti sur le même
fondement, de l'or, de l'argent et des pierres
précieuses. » Ce Père dit à ceux qui étaient
persuadés que l'aumône efface tous les cri-
mes : <i De même qu'il servirait de peu à celui
qui appellerait son frère fou par colère et
sans songer à le corriger, de faire des au-
mônes, pour obtenir le pardon de cette
faute, à moins de se réconciUer avec lui
suivant le précepte de Jésus -Christ : de
même il sert peu de faire de grandes
aumônes pour ses péchés, quand on de-
meure dans l'habitude du péché. Si les
fautes, même légères, dont les plus "Saints
ne sont pas exempts en cette vie, ne se par-
donnent qu'à condition que nous pardonne-
rons aussi à ceux qui nous ont offensés ,
combien plus les crimes énormes, quoiqu'on
cesse de les commettre, demandent-ils pour
être remis que nous pardonnions à nos frè-
res? )) Saint Augustin remarque qu'on dit la
prière dominicale , parce qu'on commet des
péchés , mais que Jésus-Christ, en nous la
donnant, n'a pas entendu nous donner une
fausse confiance en cette oraison, pour en
commettre tous les jours de nouveaux.
26. Il traite dans le vingt-deuxième livre
de la béatitude éternelle de la cité de Dieu.
«Cette béatitude, dit-il, est appelée éternelle,
non parce qu'elle doit durer longtemps, mais
parce qu'elle ne doit jamais finir : car il est
écrit dans l'Evangile : Son royaume n'aura
point de fin. L'éternité de ce bonheur ne
consistera pas en une révolution continuelle
de personnes qui meurent et d'autres qui
succèdent en leur place , mais en ce que
tous les citoyens de cette cité seront immor-
tels, et que les hommes acquerront ce que
les saints anges n'ont jamais perdu. Dieu
tout-puissant, qui en est le fondateur, fera
cette merveille. Il l'a promis , et pour en
confirmer la vérité, il a déjà accompli beau-
coup de choses qu'il avait promises. C'est
lui qui, dès le commencement, a créé le
monde rempli de tous les biens visibles et
intelligibles , et nous n'y voyons rien de
meilleur que les esprits qu'il a doués d'in-
telligence, rendus capables de le connaître ,
Marc. V, 23.
Analyse du
vingt- àcuxiè-
n^e livre, pag,
ass.
324
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
et joints ensemble par les liens d'une même
société, que nous appelons la cité sainte et
céleste. C'est lui qui a donné un libre arbitre
à celte nature intelligente , en sorte que si
elle voulait abandonner Dieu, qui est la sour-
ce de sa béatitude , elle tomberait aussitôt
dans la misère. C'est lui qui a très-justement
puni la chute volontaire d'un grand nombre
de ces esprits célestes, et qui a donné à
ceux qui sont demeurés attachés au souve-
rain bien, une assurance de ne le perdre ja-
mais, comme la récompense de leur fidélité.
C'est lui qui a créé l'homme droit avec le
même libre arbitre, animal terrestre à la vé-
rité, mais digne du ciel , s'il demeurait atta-
ché à son Créateiir, à condition aussi que
s'il s'en séparait, il tomberait dans la misère
convenable à sa nature. Prévoyant de même
qu'il pécherait en transgressant sa loi, il n'a
pas v.ûulu le priver de la puissance de son
libre arbitre, parce qu'il prévoyait le bien
qu'il devait tirer de ce mal , et qu'il rassem-
blerait, par sa grâce, un si grand peuple de
cette race mortelle justement condamnée,
qu'il en pourrait remplir les places des an-
ges prévaricateurs ; en sorte que cette cité
suprême, non-seulement ne sera pas privée
du nombre de ses citoyens, mais en aura
peut-être même davantage. »
Il établit la béatitude éternelle par divers
passages de l'Écriture, où Dieu la promet ,
mais comme quelques-uns s'imaginaient que
des corps terrestres ne pouvaient demeurer
dans le ciel, il leur dit que, la terre étant
pleine d'esprits à qui des coi'ps terrestres
sont joints d'une manière admirable, un
corps terrestre pourra sans difficulté être en-
levé parmi les corps célestes, si Dieu le veut
ainsi.^ Il s'appuie encore sm- la foi générale
de l'Église, des doctes et des ignorants, qui
croient que le corps de Jésus-Christ, tout
terrestre qu'il était, a été emporté au ciel.
Cl que la chair de ceux qui ressusciteront
pour la vie éternelle, y montera aussi. « Le
même Dieu, ajoute-t-il, qui a prédit que les
corps ressusciteraient, a prédit encore que
le monde le croirait, et il a prédit ces deux
choses longtemps avant qu'aucune des deux
arrivât. Nous en voyons déjà une accomplie,
qui est que le monde croirait la i-ésurrection
des corps ; pourquoi donc désespérerions-
nous de voir l'autre, c'est-à-dire la résurrec-
tion même des corps , puisque celle qui est
arrivée n'est pas moins difficile à croire ? » Il
montre qu'en considérant la manière dont
le monde a embrassé la foi de la résurrec-
tion, elle paraît encore plus incroyable que
la chose même ; cette foi ayant été prêchée
par un petit nombre d'hommes grossiers et
ignorants, qui n'avaient aucune teinture des
belles-lettres, point de grammaire , point de
dialectique, point de rhétorique, en un mot,
de pauvres pêcheurs. Il rapporte ce que Ci-
céron a dit de la prétendue divinité de Ro-
mulus, et montre qu'elle n'a ni été prédite,
ni établie par des miracles comme celle de
Jésus-Christ ; qu'il est bien vrai que l'histoire
nous apprend qu'on a cru qu'il avait été re-
çu au nombre des dieux, mais que l'on n'ap-
porte aucun prodige pour justifier la vérité
de cet apothéose ; tandis que les miracles se
sont joints aux prophéties pour faire recon-
naître par tout le monde la divinité de Jé-
sus-Christ.
Pourquoi, disaient les incrédules, ces mi-
racles ne se font-ils plus maintenant ? « Je
pourrais répondre, dit saint Augustin, qu'ils
étaient nécessaires avant que le monde crût
pour le porter à croire. A présent, quicon-
que demande des prodiges pour croire est
lui-même un grand prodige de ne pas croire
tandis que toute la terre croit. » Il remarque
qu'on lisait au peuple ces miracles tels qu'ils
se trouvent dans les livres sacrés , afin
qu'ils les crussent, et qu'on ne les leur lii'ait
pas, si ces merveilles n'avaient été crues. D.
ajoute qu'il se fait encore des miracles au
nom de Jésus-Christ, soit par les sacrements
ou par les prières et les reliques ou mémoi-
res de ses saints ; mais qu'ils ne sont pas si
célèbres que ceux qui sont rapportés dans
les livres sacrés. Il atteste, comme témoin
oculaire, la guérison d'un aveugle par la
vertu des reliques des saints martyrs Ger-
vais et Protais à Milan. Il fut aussi témoin
de la guérison miraculeuse d'un avocat de
Carthage, nommé Innocent. « On lui avait
déjà fait plusieurs incisions, dit-il, et quoi-
qu'elles l'eussent réduit à l'extrémité, il fut
résolu, de l'avis des médecins, de lui en faire
une nouvelle. La nuit qui devait précéder l'o-
péi'ation, plusiem's évêques, accompagnés
de prêtres et de diacres, allèrent visiter le
malade, le consolant du mieux qu'ils pou-
vaient, et l'exhortant à se confier en Dieu
et à se soumetti-e à sa volonté. Tous se mi-
rent en oraison, et Innocent, se jetant par
teiTe avec tant d'impétuosité, qu'il semblait
que quelqu'un l'eût fait tomber, commença
à prier avec tant de larmes, de gémissements
[IV" ET Y" SIÈCLES.]
et de sanglots, que tous ses membres' en
tremblaient, et qu'il en était presque suffo-
qué. Je ne sais, continue saint Augustin, si les
autres priaient, et si tout cela ne les détour-
nait pas. Pour moi, je ne le pouvais faire, et
je dis seulement en moi-même ce peu de
mots : Seigneur, quelles prières de vos ser-
viteurs exaucerez-vous, si vous n'exaucez
celles-ci. Le lendemain matin, les méde-
cins étant venus, découvrirent l'appareil, et,
après avoir bien regardé, ils trouvèrent la
plaie parfaitement guérie. En la même ville
de Garthage, une dame de condition et de
piété, qui avait un cancer au sein, que les
médecins regardaient comme incurable, fut
avertie en songe de prendre garde à la pre-
mière femme qui se présenterait à elle au
sortir du baptistère, et de la prier de faire
le signe de la croix sur son mal. Elle le fit
et fut guérie à l'heure même. Un médecin
goutteux, en la même ville, sortit des eaux
salutaires du baptême, non-seulement guéri
des douleurs extraordinaires qu'il ressentait,
mais encore de sa goûte, sans qu'il en eût
depuis aucune atteinte. Un habitant de Cu-
rube fut guéri, dans les fonts baptismaux,
d'une paralysie et d'une descente. Le tri-
bun Hespérius, ayant remarqué que les es-
prits malins tourmentaient ses esclaves et le
bétail qu'il avait dans une métairie au terri-
toire de Fussales, pria un des prêtres d'Hip-
pone de les en chasser par ses oraisons. Le
prêtre y alla, offrit le sacrifice du corps de
Jésus-Christ, faisant d'ardentes prières pour
faire cesser cette vexation, et aussitôt elle
cessa par la miséricorde de Dieu. Hespérius
avait reçu d'un de ses amis un peu de la
terre sainte de Jérusalem, où Jésus-Christ fut
enseveli et ressuscita le troisième jour. Ill'a-
vait suspendue dans sa chambre pour se ga-
rantir de l'infestation du démon. Après que
sa maison en fut délivrée, il donna cette terre
à saint Augustin et à Maximin, évêque de
Synite, pour l'enfouir en un lieu où les chré-
tiens pussent s'assembler. Il y avait, proche
de là, un jeune paysan paralytique qui, sur
cette nouvelle, pria ses parents de le poi'ter
sans différer en ce lieu-là. Il n'y eut pas plu-
tôt fait son oraison qu'il s'en retourna par-
faitement guéri. »
Saint Augustin rapporte d'autres miracles
faits de son temps et dans son diocèse, au-
près d'une châsse de deux martyrs de Milan,
Gervais et Protais, et de quelques autres mar-
tyrs, entre autres de saint Etienne, dont l'é-
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
323
vêque Projectus avait apporté des reliques à
Tibile. Une femme aveugle, de ces quartiers-
là, pria qu'on la menât à l'évêque qui possé-
dait ce sacré dépôt : elle donna des fleurs
qu'elle portait pour les faire toucher aux re-
liques, mais lorsqu'on les lui eût rendues,
elle les appliqua sur ses yeux et recouvra la
vue aussitôt. Euchaire, prêtre d'Espagne,
qui demeurait à Calame, fut guéri d'une
pierre par les reliques du même martyr que
l'évêque Possidius avait apportées en cette
ville. Une religieuse de Caspale, étant déses-
pérée des médecins, on porta sa robe à la
châsse des reliques de ce saint, mais il arri-
va que la religieuse mourut avant qu'on l'eût
rapportée. Ses parents ne laissèrent pas d'en
couvrir son corps ; elle ressuscita et fut gué-
rie. Le fils d'un certain Irénée , collecteur
des tailles, étant mort à Hippone, comme
on se préparait à ses funérailles, un des
amis du père lui conseilla de faire frotter
son fils de l'huile du même martyr, ce qui
ayant été fait, l'enfant ressuscita.
Saint Augustin ajoute que s'il voulait rap-
porter toutes les guérisons qui se sont faites
à Calame et à Hippone par le glorieux mar-
tyr saint Etienne, il en faudrait faire plu-
sieurs volumes. « Encore ne serait-ce, dit-il,
que celles dont on a fait des relations pour
les lire au peuple. Car nous avons ordonne
qu'on en fit, voyant arriver de notre temps
plusieurs miraules semblables à ceux d'au-
trefois, et jugeant qu'il n'en fallait pas lais-
ser perdi'e la mémoire. Or, il n'y a pas en-
core deux ans que cette relique est à Hip-
pone, et quoiqu'on n'ait pas dressé des re-
lations de tous les miracles qui se sont faits
depuis , il s'en trouve néanmoins près de
soixante-dix, lorsque j'écris ceci. Mais à
Calame, où les reliques de ce saint martyr
sont bien auparavant et où l'on a soin de
faire ces relations, le nombre en monte bien
plus haut. Il s'est fait aussi plusieurs mira-
cles à Uzales par les reliques du même mar-
tyr, que l'évêque Évodius y a apportées. En
voici un, continue ce Père, qui est arrivé
parmi nous, et qui est connu de toute la ville
d'Hippone. Dix enfants, dont il y a sept gar-
çons et trois filles, natifs de Césarée en Cappa-
doce, ayant été maudits par leur mère, pour
quelques outrages qu'elle en avait reçus, fu-
rent frappés d'un tremblement de membi'es
qui les obhgea, pour éviter la confusion
qu'ils en recevaient dans leur pays, d'aller
çà et là dans tout l'empire romain; il en
326
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
■\ànt deux à Hippone quelques jours avant la
fête de Pâques, un frère et une sœur, Paul
et Palladie. Ils visitaient tous les jours l'é-
glise , où il y avait des reliques de saint
Etienne, priant Dieu de leur rendre la santé.
Le jour de Pâques, comme le jeune homme
tenait les balustres du lieu où étaient les re-
liqpies du martyr, il tomba tout à coup, et
demeura par terre comme endormi. Ensuite
il se leva sur ses pieds sans trembler, étant
parfaitement guéri. Toute l'église retentit de
cris de joie; et comme j'en rendais grâces à
Dieu en moi-même, le jeune homme vint se
jeter à mes pieds : je l'embrassai et le rele-
vai. Il dîna avec nous, et nous raconta en
détail toute l'histoire de son malheur, de ce-
lui de ses frères et de sa mère. Trois jours
après, je fis mettre le fi-ère et la sœur sur
les degrés du lieu où je montai pour parler
au peuple, afin qu'on les pût voir. Lorsqu'on
eut achevé de lire la relation de ce miracle,
je les fis retirer. A peine cette jeune fille
fut-elle descendue des degrés où je l'avais
fait mettre, qu'elle alla à la châsse du mar-
tir y faire ses prières. Aussitôt qu'elle en
eut touché les barreaux, elle tomba comme
son frère, et se releva parfaitement saine.
Tous ces miracles rendent témoignage à la
foi qui prêche que Jésus-Christ est ressus-
cité avec un corps. C'est en soutenant la
même foi , que les martyrs se sont attirés la
haine et les persécutions du monde, qu'ils ont
vaincu, non en résistant, mais en mourant. »
Les païens objectaient contre la résurrec-
tion des corps, l'inconvénient qu'il y aurait
que tous ressuscitassent dans le même étal
et avec les mêmes défauts où ils se sont
trouvés en mourant , et l'impossibilité de
réunir toutes les parties d'un coi'ps, ou ré-
duites en poussière, ou dispersées çà et là.
Saint Augustin leur répond : « Les petits
enfants recewont en un instant, par la toute-
puissance de Dieu, l'accroissement où ils
devaient arriver avec le temps; chacmi
ressuscitera aussi grand qu'il était, ou qu'il
aurait été dans sa jeunesse ; les deux
sexes ressusciteront également chacun dans
leur nature, mais le vice sera alors ôfé
au corps ; les corps n'auront aucun dé-
faut lorsqu'ils ressusciteront , le Créateur
suppléant ce qui manquera, ou ôtaut ce qui
se trouvera de superllu; rien ne sera tel-
lement caché dans le sein de la nature ,
qu'il puisse se dérober à la connaissance
ou au pouvoir du Créateur; il lui sera fa-
cile de rappeler toutes les parties d'un
corps , qui ont été ou dévorées par les
bêtes, ou consumées par le feu, ou changées
en poussière , en eau ou en air; les corps
des bienheureux ressusciteront spirituels,
c'est-à-dire leur chair sera revêtue d'in-
corruption et d'immortalité, et qu'en cet état
elle sera soumise à l'esprit. »
Saint Augustin entre dans le détail des
misères de cette vie, qu'il fait envisager
comme des peines du péché du premier
homme, et dont il dit qu'on ne peut être dé-
livré que par la grâce de Jésus-Christ. Il re-
marque qu'outre les maux qui sont com-
muns aux bons et aux méchants, les gens
de bien en ont de particuliers à essuyer dans
la guerre continuelle qu'ils font à leui's pas-
sions; mais que cette guerre fait partie des
maux qui sont la suite du péché du premier
homme. A tous ces maux, il oppose les
biens par lesquels Dieu en a voulu tempérer
la rigueur. Il met au nombre de ces biens
la bénédiction qu'il a continuée au geni'e
humain pour croître et multiplier ; l'enten-
dement, la raison et l'inteUigence qu'il a
conservés à l'homme ; l'industrie pour tou-
tes soi'tes d'arts, et un grand nombre de
connaissances également belles et utiles. Il
examine les sentiments de Platon, de Por-
phyre et de Varron, et croit qu'on peut tirer
de leurs écrits à peu près ce que nous
croyons de la résurrection de la chair. Mais
il ne veut pas décider si les bienheureux
ressuscites verront Dieu avec les yeux du
corps, l'Écriture ne déterminant rien sur ce
sujet. Tout ce qu'il en dit, c'est que Dieu
leur sera si connu et si sensible , qu'ils le
verront par l'esprit au dedans d'eux-mêmes,
dans les autres, dans lui, dans le ciel nou-
veau, dans la terre nouvelle, eu un mol,
dans toute créature qui sera alors, et qu'ils
le verront aussi parle corps dans tout corps.
De quel côté qu'ils jettent les yeux sm- la fé-
licité des bienheureux, elle ne sera traver-
sée d'aucun mal, et l'on n'y aura point
d'autre occupation que de chanter les
louanges de Dieu , qui sera toutes choses en
tous. « En etlet, dit-il , que ferait-on autre
chose dans un lieu où il n'y aura ni paresse
ni indigence? Heureux, dit le Prophète, cet/o^
qui habitent clans votre maison. Seigneur, ils
vous loueront éternellement. Toutes les parties
de notre corps qui sont maintenant destinées
à certains usages nécessaires à la Aie, n'en
auront point d'autre que de concourir aux
[IV" ET V'^ SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
327
Psal,
m, I.
louanges de Dieu. Cette harmonie du corps
qui nous est maintenant cachée, se décou-
vrant alors à nos yeux avec une infinité
d'autres choses admirables, nous échauffe-
ra d'une sainte ardeur pour louer haute-
ment un si grand ouvrier. Le corps sera
aussitôt où l'esprit voudi-a, et il ne voudra
rien qui soit méséant au corps ou à l'âme.
Là se trouvera la vraie gloire, il n'y aura ni
erreur ni flatterie. Là aussi se trouvera le
véritable honneur, puisqu'on ne le refusera
à aucun qui le méritera, et qu'il ne sera dé-
féré à aucun qui ne le méritera pas. La véri-
table paix s'y trouvera encore, puisqu'on ne
souffrira rien de contraire, ni de soi-même
ni des autres. Celui qui est l'auteur de la
vertu en sera la récompense, parce qu'il n'y
a rien de meilleur que lui, et qu'il l'a pro-
mis. Il sera la fin de nos désirs : on l'aimera
sans dégoût : on le louera sans lassitude.
Cette occupation sera commune à tous, aus-
si bien que la vie éternelle. Quoiqu'on ne
sache pas quel sera le degré de gloire pro-
portionné au mérite de chacun, il n'y a
point de doute que ces degrés ne soient dif-
férents. Mais un des grands biens de cette
cité, c'est que l'on ne portera point envie à
ceux qu'on verra au-dessus de soi, comme
maintenant les anges ne sont point envieux
de la gloire des archanges. Il ne faut pas s'i-
maginer que les bienheureux n'auront point
de libre arbitre, parce qu'ils ne pourront pren-
dre plaisir au péché : ils seront au contraire
d'autant plus libres qu'ils seront délivrés du
plaisir de pécher, pour en prendre invariable-
ment à ne plus pécher : qualité qu'ils n'auront
pas d'eux-mêmes, mais du bienfait de Dieu.
De cette sorte que l'homme ne pourra pas plus
perdre sa vertu que sa félicité. 11 n'en sera
pas moins libre pour cela, puisqu'on ne
saurait dire que Dieu n'a point de libre ar-
bitre sous prétexte qu'il ne saurait pécher.
L'âme se souviendra néanmoins de ses maux
passés, mais seulement quant à la connais-
sance qu'elle en aura, et non quant au sen-
timent, car les bienheureux seront exempts
de tous maux. En effet, s'ils ne se souve-
naient pas d'avoir été misérables, et s'ils ne
connaissaient même la misère éternelle des
damnés, comment, selon lePsalmiste, chan-
teraient-ils éternellement les miséricordes
de Dieu ? Dans cette cité divine, cette parole
sera accomplie : Tenez-vous en repos, et recon-
naissez que je suis Dieu, c'est-à-dire que l'on
y jouira de ce grand sabbat qui n'aura point
de soir, et où Dieu nous fera reposer en
lui ? ))
27. Les pièces que l'on a mises dans
l'Appendice du septième tome, ont rapport à
la découverte des reliques de saint Etienne.
La première est une lettre d'Avite, prêtre
espagnol, adressée à Balcone, évêque de
Brague en Portugal, et à toute son Église.
Avite était à Jérusalem vers le temps que se
fit la découverte des reliques de saint Etien-
ne. Il en demanda quelques parties à Lucien
avec la relation de la manière dont le corps
de ce saint martyr avait été trouvé. Lucien
lui donna en secret, non-seulement des cen-
dres du corps de saint Etienne, mais aussi
quelques os pleins d'une onction, dit Avite,
qui était une preuve visible de leur sainteté.
Elle surpassait les parfums nouvellement
faits et les odeurs les plus agréables. Avite
envoya ce riche présent à l'Église de Brague
dont il était prêtre, dans l'espérance que ce
premier martyr obtiendrait de Dieu, ou
l'expulsion des barbares qui ravageaient
alors toute l'Espagne, ou l'adoucissement de
leurs esprits inhumains. Orose, qui s'en re-
tournait alors en Espagne, fut le porteur de
ce riche trésor. Avite le chai-gea en même
temps d'une lettre pour Balcone, et de la
relation de Lucien qu'il avait traduite en la-
tin, afin qu'on ne pût douter de la vérité
des reliques qu'il avait confiées à Orose.
Gennade ' fait mention de cette lettre d'Avite
et de sa traduction de la relation de Lucien.
28. Ce témoignage de Gennade pourrait
suffire pour rendre certaiire et authentique,
la relation que Lucien a faite de la décou-
verte du corps de saint Etienne ; mais il
n'est pas le seul qui en ait parlé. Elle est
citée dans la Chronique deMarcellin, et dans
les Fastes d'Idace. Il faut bien qu'elle ait été
très-connue du temps de saint Augustin,
puisque ce Père, dans son 120° traité sur
saint Jean, dit que presque toutes les na-
tions savaient alors, par la révélation du
corps de saint Etienne, que Nicodème était
devenu disciple de Jésus -Christ. Il parle
aussi de cette relation dans deux de ces dis-
cours, savoir dans le trois cent dix-huitiè-
me et le trois cent dix-neuvième. Le Véné-
rable Bède en a copié un fort long passage ^
dans ses Rétractations sur les Actes ; et on en
Écrils iou-
chant l'iaven-
lion des reli-
ques do saint
Éliennc.
Lettre d'A-
vite. in Ap-
pend.
1 Gennad., lih. Vir, illust., cap. xl.
2 Bède, toii]. VI, pag. 13.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
328
trouve diverses choses dans une homélie
qui porte le nom d'Eusèbe d'Emèse '. Lu-
cien, auteur de cette relation, était prêtre
de Jérusalem, et curé d'un heu appelé Ca-
phargamala où reposaient les reliqnes de
saint Etienne. Un vendredi, troisième de
décembre, sous le dixième consulat d'Hono-
rius, et le sixième de Théodose, c'est-à-dire
en l'an 415, Gamaliel lui apparut en songe
sm' les huit heures du soir, et lui déclara
cil étaient son corps , et ceux d'Abibas
son fils, de saint Etienne, et de Nicodè-
me , lui recommandant de ne les laisser
pas plus longtemps dans le tombeau néghgé
où ils étaient ; mais de dire à Jean, évèque
de Jérusalem, de venir ouvrir leurs tom-
beaux pour détourner les maux dont le
monde était menacé. Lucien, s'étant éveillé
après cette apparition, se prosterna en terre
pour prier, et dit à Jésus-Christ que si la
vision qu'il avait eue venait de lui, il lui
plût de la lui réitérer encore deux fois. Ce-
pendant il se prépara à cette grâce par le
jeûne, ne mangeant que des viandes sèches,
et ne buvant que de l'eau. Il vécut de la
sorte jusqu'au vendredi suivant, dixième dé-
cembre, jour où Gamaliel lui apparut sous la
même forme que la première fois. Après
avoir reproché à Lucien sa désobéissance,
il lui montra sous la figure de quatre cor-
beilles pleines de fleurs, dont trois étaient
d'or, et la quatrième d'argent, les différents
mérites des quatre saints dont les corps
étaient dans le même tombeau. Lucien ren-
dit grâces à Dieu ; et ayant continué son
jeûne jusqu'au troisième vendredi, dix-sep-
tième décembre, Gamaliel lui apparut pour
la troisième fois, à la même heure. S'étant
éveillé, Lucien alla promptement à Jérusalem
trouver Jean, à qui il raconta tout ce qui
lui était arrivé. L'évêque ne pouvant pas
venir lui-même à Capharmagala, parce qu'il
devait se trouver au concile de Diospohs,
dit à Lucien de faire creuser à un tas de
pierres qu'il lui marqua ; et de l'avertir, s'il
trouvait quelque chose. Le lendemain 18
décembre, Gamaliel apparut la uuit à un
moine fort simple, nommé Migécius, et lui
marqua expressément le lieu où lui et les
autres étaient enterres , particulièrement
saint Etienne. Lucien fit creuser à l'endroit
que Jean lui avait désigné ; mais n'ayant
rien trouvé, il envoya les ouvriers au lieu
que Migécius lui indiqua. Il y trouva le jour
même le trésor qu'il désirait selon la révé-
lation qu'il en avait eue* de Dieu. Il y avait
dans le tombeau une pierre, sur laquelle on
avait gravé quatre mots hébreux, qui signi-
fiaient Etienne, Nicodème, Gamaliel et Abi-
bas son fils. Lucien ayant trouvé les corps
de ces saints, en avertit aussitôt Jean de
Jérusalem, qui vint du concile de Diospohs
avec les évêques de Sébaste et de Jéricho.
Ils ouvrirent le cercueil de saint Etienne, et
en même temps la terre trembla. On sentit
une odeur excellente, et un grand nombre
de malades furent guéris. Il y en eut même
qui furent délivrés du démon. Les évêques
après avoir baisé les reliques, refermèrent
le cercueil, que l'on transpoi-ta au chant des
psaumes et des hymnes dans l'Église de
Sion. A la même heure il tomba une pluie
abondante qui humecta la terre extrême-
ment aride par une longue sécheresse. Jean
de Jérusalem laissa quelques-uns des os
avec les cendres du saint martyr à Caphar-
magala. Telle est en abrégé la relation que
Lucien a faite de l'invention des reliques de
saint Etienne. Il l'écrivit en grec, et l'adressa
à toute l'Église, afin de faire part à tous les
fidèles des merveilles dont il avait été té-
moin oculaire. Les dernières lignes ne s'a-
dressent point à toute l'Eglise, mais à quel-
ques particuliers : ce qui donne lieu de croire
que c'est Avite qui y parle à l'évêque et au
peuple de l'Éghse de Brague, à qui il adres-
sait la relation de Lucien. Ce qui le persuade
encore, c'est que cette fin ne se ht pas dans
le manuscrit de Fleury.
29. Suit dans l'Appendice, une lettre d'A-
nastase le Bibliothécaire , à Landuléus ,
évèque de Capoue, où il lui marque qu'il
avait traduit en latin l'Histoire de la trans-
lation des reliques de saint Etienne, de Jé-
rusalem à Constantinople, et où il lui re-
commande cette histoire comme quelque
chose de bon. Elle a été connue et reçue
de Nieéphore ^, et des autres grecs posté-
rieurs. On ne doute pas néanmoins que ce
ne soit une pièce supposée. 1° L'auteur de
cette histoire met la translation de ces reli-
qnes à Constantinople, à peu près dans le
temps où elles furent découvertes par Jean
de Jérusalem. Nieéphore dit, au contraire,
que ces reliques furent apportées à Cons-
tantinople sous le règne de Constantin ;
Ledrn c
naslasc à I
11.
1 Eiiseb. Eiiips, Eomil. 3, pag. 8.
2 Niceph., lib. \IV, cap. iv.
[IV* ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
329
mais qu'une partie étant restée en Pales-
tine, y fut trouvée par Lucien. 2° Il est dit
dans cette histoire cpie le tombeau de saint
Etienne fut mis dans l'oratoire bâti par
Alexandre , sous le dixième consulat de
l'empereur Constantin : or, il est certain par
les fastes , que ce prince ne fut que huit
fois consul. 3° Saint Cyrille y est marqué
évéque de Jérusalem, en même temps que
Constantin, surnommé le Grand, occupait
l'Empire ; ce qiii est insoutenable, puisque
saint Cyrille ne fut élevé à l'épiscopat que
sous le règae de Constance.
Leiiro do 30. Mais il n'y a aucun lieu de douter de
cvere à toute *^
Efiise, pas-- la vérfté de la lettre de Sévère, évêque de
l'île de Minorque, puisqu'elle est citée dans
le premier livre des miracles de saint Etienne
fait par l'ordre de saint Évodius. Cette let-
tre est adressée, comme la relation de Lu-
cien, à toute l'Eglise. Sévère l'écrivit au
mois de février de l'an 418, peu après qu'il
eût été fait évêque. C'est une relation des
miracles qui se firent dans l'île de Minorque
par les reliques de saint Etienne. Elles y
avaient été apportées par le saint prêtre
Orose, que Sévère ne nomme pas, mais qu'il
désigne assez, en disant que ce prêtre y
était abordé de Jérusalem ; qu'il avait ré-
solu de porter en Espagne les reliques dont
il était chargé, et que n'ayant pu y passer
à cause que les Goths et les Vandales l'oc-
cupaient toute entière, il s'en était retourné
en Afrique, laissant les reliques qu'il portait
dans l'église de Magone, l'une des deux vil-
les de l'île de Minorque. Il y avait dans cette
ville un grand nombre de Juifs, et ils étaient
même les plus qualifiés du lieu. Mais il n'y
en avait aucun dans la seconde ville de Mi-
norque nommée Jammone , persuadés qii'ils
n'y pourraient vivre. La présence de ces re-
liqnes excita le zèle des chrétiens de Ma-
gone ; et ils commencèrent par toute la ville
à disputer sur la religion avec les Juifs. Le
jour ayant été marqué pour une confé-
rence publique, les chrétiens, pour s'y pré-
parer, dressèrent un mémoire des princi-
paux points de la dispute. 'Les Juifs prièrent
un de leurs principaux, nommé Théodore,
de s'y trouver avec Théodose qui avait
1 Eodem namque die in quo ingressœ sunt Ec-
clesiam beati Stephani reliquice, in ipso princi-
pio canonicariim lectionum, epistola ad nos quo-
que delata cujusdam sancti Episcopi, Severi no-
mine, Minoriensis inswlce , de pulpito in aures
Ecclesiœ cum ingenti favore recitata est : quœ
parmi eux la dignité de patriarche. Sévère
y vint de Jammone où il faisait sa résidence
ordinaire. Le fruit de cette conférence, qui
dura plusieurs jours, fut que cinq cents qua-
rante personnes se convertirent, frappés des
miracles qui se faisaient par les reliques de
saint Etienne. Aussitôt après, les Juifs con-
vertis commencèrent à détruire ce qui res-
tait de leur synagogue qui avait été brûlée
avec tous ses ornements, excepté les livres
de l'argenterie, et bâtirent une nouvelle
église, non-seulement à leurs dépens, mais
de lem's propres mains. Sévère raconte les
prodiges qui arrivèrent en cette occasion.
31. La relation de Sévère fut bientôt ap- umsies
, *- Miraclcb do
portée en Afrique, où Evodius, évêque d'U- sniniEiienno,
zales, ancien ami de saint Augustin, la fit lire
pubhquement [dans l'Église, le jom' même
qu'il y reçut solennellement des reliques de
saint Etienne ' . Comme elle contenait le
détail des miracles qui s'étaient opérés en
présence d'une autre partie des reliques du
même saint martyr dans l'île de Minorque,
elle fut écoutée du peuple d'Uzales avec beau-
coup de ferveur et de dévotion. Les reliques
apportées à Uzales, consistaient en une fiole
où il y avait des gouttes de sang de saint
Etienne, et de petits fragments d'os, comme
des pointes d'épis. Évodius alla les recevoir
à une lieue de la ville d'Uzales, où était la
mémoire de deux anciens martyrs, Félix et
Gennade. Après c[u'il eût célébré les saints
mystères en ce lieu il en partit assis dans
un char, ayant des reliques du saint sur ses
genoux, accompagné d'une multitude infinie
de peuple divisé en plusieurs chœurs, por-
tant des cierges et des flambeaux, chantant
des psaumes et répétant souvent ces paro-
les : Béni soit celui qui vient au nom du Sei-
gneur. Ils marchèrent en cet ordre jusqu'à
Uzales, où ils arrivèrent le soir. L'évêque
déposa les rehques dans l'éghse de la ville
sous l'abside, c'est-à-dire dans le sanc-
tuaire, et les plaça sur un trône orné de
tentures, avec un linge qui les couvrait. El- -
les furent mises ensuite sur un petit lit,
dans un heu fermé, où il y avait des portes •
et une petite fenêtre par où on faisait tou-
cher des linges, qui guérissaient les mala-
continebat gloriosi Stephani virtutes, quas in
insula memorata per prœsentiam reliquiarum
suarnm in s'alutem omnium, illio credentium per- ■
fecerat Judœorum. Lib. I De Mirac. Stephan.,
cap. n.
330
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
dies. On mit devant la mémoire de saint
Etienne un voile donné par un homme in-
connu, où le saint était peint ' , portant sur
ses épaules une croix, de la pointe de la-
quelle il frappait la porte de la ville, et en
chassait un dragon. Évodius avait d'abord
séparé une partie des reliques, et les avait
mises dans son monastère, eu une petite
châsse d'argent, pour les transporter en
une église de son diocèse qu'il avait retirée
des donatistes. Mais la veille qu'il devait
faire cette translation, le peuple d'Uzales s'y
opposa et l'obligea même de promettre avec
serment, qu'il n'enlèverait rien des reliques
de saint Etienne. Évodius remit donc cette
partie des reliques avec les autres. Comme
il les portait de son monastère à l'église,
un aveugle toucha la châsse d'argent qui les
renfermait, et recouvra aussitôt la vue. Un
autre aveugle ayant été guéri, laisssa pour
offrande une lampe d'argent. Il se fit à Uzales
un grand nombre d'autres miracles, et on y
venait de tous côtés. Pour en conserver la
mémoire, Évodius les fit écrire par un de
ses clercs, qui, ne pouvant les rapporter
tous, choisit les plus connus, dont il fit un
livre, où il proteste ^ qu'il n'a travaillé qu'à
rapporter les faits avec toute la vérité et la
simplicité possible, ayant même mis quel-
quefois les propres termes dont les malades
s'étaient servis. (( Car les personnes sages et
religieuses aiment toujours mieux, dit-il, la
vérité, quelque barbares que soient les ter-
mes dont on l'exprime, que le mensonge
orné des expressions les plus éloquentes et
les plus polies. » Il assure' qu'il avait été pré-
sent lorsqu'on apporta les reliques de saint
Etienne dans la ville d'Uzales. Quelquefois, il
adresse son discours à Évodius ; ce qui fait
voir que cet évêque n'est point auteur de ce
recueil ; et d'autres fois il l'adresse à ses pè-
res et à ses frères. L'auteur le composa pour
être lu publiqiiement le jour de la fête de
saint Etienne *. Ou lut en effet ces miracles,
et après la lecture de chacun d'eux on faisait
monter ^ au jubé la personne dont on venait de
' Dédit ergo subdiacono vélum variis pictum
coloribus, in quo inerat pictiira hœc. In dextera
veli parte ipse sanctus Stephanus videbatur ad-
stare , et gloriosam crucem propriis repositam
htimeris bajulare, qua crucis cuspide portam ci-
vitatis videbatur pulsare, ex qua profugiens
draco ieterrimus cernehatur exire, amico Dei
videlicet adoentante. Lib. U De Mirac. Steph.
cap. IV.
rapporter la guérison, lorsqu'elle se trouvait
présente, afin qu'elle en rendît elle-même
un témoignage authentique. Plusieurs per-
sonnes prenaient des copies de la relation
de ces miracles, à mesure qu'on en faisait
la lecture ; ce qui obligea l'auteur d'en
composer un second liwe. Il remarque que
le saint martyr apparaissait assez ordinaire-
ment sous la forme d'un jeime homme, et
quelquefois en habit de diacre ^ . Saint Au-
gustin rapporte dans son vingt-deuxième
livre de la Cité de Dieu plusieurs des mira-
cles marqués dans ces deux livres; et il
semble que c'est à ce recueil qu'il renvoie
ses auditeurs dans le sermon trois cent
vingt-troisième, lorsqu'il leur dit : « Infor-
mez-vous du grand nombre de miracles qui
se sont faits à Uzales où Évodius mon ami
est évêque. n On n'y avait point coutume de
faire donner à ceux qui étaient guéris par
miracle, des mémoires de leur maladie et
de leur guérison pour les faii'e lire devant
le peuple, comme on faisait en d'autres en-
droits. Mais saint Augustin y étant venu
vers l'an 426, à peu près dans le temps
qu'une dame de qualité nommée Pétronie
avait été guérie miraculeusement, il l'ex-
horta ' à la prière d'Évodius, à donner un
mémoire de ce miracle; elle y consentit
volontiers.
ARTICLE IX.
DES OUVRAGES CONTENUS DANS LE
HUITIÈME TOME.
§ I-
Du Traité des hérésies, et contre les Juifs.
1. Quodvultdeus, diacre de l'Église de Car- iraiié de:
thage , encouragé par l'exti-éme bonté de ia"Trièi-e"4
saint Augustin *, qui était reconnue de tout çiçus.Torsi'iii
le monde, ne craignit point de le presser par
diverses lettres , de faire un catalogue de i
tout ce qu'il y avait eu d'hérésies jus- "
qu'alors , de marquer les erreurs de cha-
2 Lib. I De Mirac. Steph. in Prolog. — ' Lib. I,
cap. II. — * Lib. I, cap. xv.
5 Lib. II, cap. I.
^ Deinde quodam ingresso juvene , candida
veste nitente, habitum diaconi prœferente. ac di-
cente illis mortuis: Recedite, statim îllas mor-
tuorum turbas jioîï comparuisse. Lib. I, cap. vi.
' August., lib. XXII De Civit. Dei, cap. viii.
« Apud Aug. Epist. 221.
[IY° ET V° SIÈCLES.]
cune ; ce qu'elles avaient de contraire à la
foi de l'Église catholique sur la Trinité, sur
le Baptême, sur la Pénitence, sur les deux
natures de Jésus-Christ, sur sa résurrection,
sur les livres de l'Ancien et du Nouveau
Testament, et sur ce que chacun avait de
contraire à la vérité. Il souhaitait aussi que
ce Père fit connaître dans ce catalogue, quels
sont les hérétiques que l'Église rejette, ou
dont elle admet le baptême, et qu'il joignît
au détaifde toutes les sectes ce que l'Écri-
ture et la raison fournissent, pour les con-
vaincre d'erreurs. Un ouvrage de cette na-
ture ne pouvait qu'être très-utile tant aux
ignorants qu'aux doctes mêmes. Mais il
était d'un travail infini ; et saint Augustin,
chargé d'années et d'occupations , n'était
guère en état de l'achever. Aussi Quodvult-
deus se restreignit à lui demander un abré-
gé ou un sommaire des erreurs de chaque
secte d'hérétiques , et de ce que l'Église en-
seigne de contraire aux dogmes de cha-
cune, ne s'étendant sur l'un et sur l'au-
tre de ces points qu'autant que la matière
le demanderait, renvoyant ceux qui vou-
draient voir plus au long les objections des
hérétiques et les réponses des cathohques,
aux traités faits sur ce sujet, tant par les au-
tres q;iie par lui-même. Saint Augustin s'ex-
cusa ' d'entreprendre ce travail, le croj'ant
au-dessus de ses forces. 11 savait d'ailleurs
que saint Philastre et saint Epiphane avaient
traité cette matière. Ainsi il offrit à Quod-
vultdeus de lai envoyer l'ouvrage de saint
Epiphane , qu'il préférait à celui de saint
Philastre. Le diacre de Carthage ne se re-
buta point, et protesta au saint évêque dans
une seconde lettre qu'il ne cesserait point
de le presser jusqu'à ce qu'il eût obtenu
l'effet de ses prières. Il lui présenta qu'en
vain il le renvoyait à des auteurs grecs, lui
qui ne connaissait pas même les latins qui
avaient écrit sur cette matière ; et que de-
puis la moi't de saint Philastre et de saint
Epiphane il s'était élevé beaucoup de nou-
velles hérésies dont on ne pouvait par con-
séquent rien trouver dans leurs ouvrages.
« Je reviens donc encore à vous, ajoufe-t-
iF, comme à mon unique recours; j'inter-
pelle de nouveau la bonté de ce cœur si
tendre, toujours prêt à exercer la charité.
Quoique vous n'entendiez que ma voix, les
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
331
désirs qu'elle exprime sont ceux de tout le
monde. Laissons à part les mets étrangers
que vous nous présentez : nous ne voulons
que de ceux que l'Africpie même produit, et
qui font les déhces de nos provinces. Ne
nous refusez point, dans la faim qui nous
presse, ce pain exquis et aussi délicieux que
la manne, quoique nous vous le demandions
peut-être tY contre temps. Souvenez-vous
que cet importun de l'Évangile qui alla en
plein minuit demander trois pains à son ami,
ne laissa pas d'obtenir ce qu'il demandait?»
Saint Augustin ne put se refuser à des
instances si vives : seulement il pria Quod-
vultdeus ' de lui donner du temps, à cause
des occupations qui lui étaient survenues, et
qui l'avaient obligé de quitter même l'ou-
vrage qu'il avait entre les mains. C'était la
réponse aux huit livres que Julien avait pu-
bliés, et la revue de ses propres ouvrages.
Ainsi l'on ne peut mettre son traité des Hé-
rédes qu'après l'an 427, époque à laquelle
ce Père acheva ses deux livres des Rétracta-
tions.
2. Alors, c'est-à-dire vers le commence- „ .
Dessoin
ment de l'année suivante 428, il travailla ««""""S'
sur les hérésies ; mais il ne s'assujettit pas
au plan que le diacre de Carthage lui en
avait formé. Il crut que pour savoir ce que
l'on pensait dans l'Église touchant chacune
des sectes qui s'y étaient élevées, il suffisait
de savoir qu'elle croit le contraire de ce
qu'enseignent les hérétiques; et il ne jugea
pas qu'il fût nécessaire de prouver par au-
torité ou par raison les vérités qu'elle croit.
Il ne prétendit pas même donner en détail
toutes les hérésies, parce qu'il y en a de si
obscures qu'elles échappent aux plus cu-
rieux ; ni expliquer tous les dogmes des hé-
rétiques dont il donnerait le catalogue, y en
ayant quelques-uns que plusieurs d'entre
eux-mêmes ignoraient.
3. Son dessein était de distribuer cet ou-
vrage en plusieurs livres. Le premier ne de-
vait contenir qu'une hste des diverses sectes
d'hérétiques, avec les hérésies qu'elles te-
naient ou avaient tenues : il se proposait de
montrer dans un second livre*, ou même
dans plusieurs autres, ce qui rend un hom-
me hérétique ; et de donner des règles, non-
seulement pour connaître ce qui fait l'héri-
tique, mais encore pour se garantir de tou-
1 1 devait
Elle distribué
en plusieurs
livres.
1 August., Epist. 222.
224.
2 Epist. 223.
August., Prolog, in lib. de hœres., tom. VIII,
pag.
332
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
TI y parle de
quatre-vinf t-
liu;t hérésies.
Esl.nie iiu
en fait.
Traité ccii-
tro les Juifs,
P-'ï- 29.
tes les hérésies connues et inconnues. Nous
n'avons que la première partie de cet ou-
vrage ; la mort qui le prévint , l'empêcha
d'exécuter la seconde.
4. Il compte dans la première , quatre-
vingt-huit hérésies depuis Jésus-Christ jus-
qu'à son temps ; commençant aux simoniens
et finissant aux pélagiens, qu'il appelle aussi
célestiens. Ce qu'il dit de la plupart des hé-
résies est tiré en partie de saint Philastre
et de saint Épiphane, parficuhèrement du
dernier : mais il ne les suit pas en tout. Il se
servit aussi de l'histoire d'Eusèbe de Césa-
rée; traduite par Rufîn. Aussitôt qu'il eût
achevé cette première partie, il l'envoya à
Quodvultdeus, afin que cela l'engageât, lui
et les autres qui la hraient', à. demander à
Dieu la grâce et la lumière dont il avait be-
soin pour achever l'autre partie qui n'était
pas moins intéressante.
3. Possidius parle de cet ouvrage ^ com-
me étant demeuré imparfait ; mais on voit
par Isidore' de Séville, que Primasius, évé-
que d'Afrique, vers l'an 330, acheva ce que
saint Augustin avait commencé , et qu'il
composa à cet eflet trois livres sous le mê-
me titre , adressés à Fortunat. Dans le pre-
mier il faisait voir ce qui rend un homme
hérétique ; et dans les deux autres, il don-
nait les moyens de reconnaître celui qui
l'est. Cassiodore * conseille la lecture de l'a-
brégé que saint Augustin a fait des hérésies,
et il en donne pour raison qu'on peut y ap-
prendre à éviter les écueils où d'autres ont
fait naufrage. Ce traité est encore cité par
Il y a des manus-
encore les
hérésies des timothéens , des nestoriens et
des eutichiens : mais on ne doute point
qu'elles n'y aient été ajoutées après coup,
les erreurs de Nestorius et d'Eutychès
n'ayant pas été taxées d'hérésie avant la
mort de saint Augustin.
6. On ne sait point l'époque du Traité con-
tre les Juifs, qui est quelquefois intitulé :
Discours sur l'incarnation du Seigneur. Saint
Augustin y fait voir, par le témoignage de
saint Paul, la réprobation des Juifs et la vo-
cation des gentils. Il remarque que les Juifs
ne tenaient aucun compte de l'autorité de
l'apôtre saint Paul, quand elle leur était pré-
saint Grégoire le Grand ^
crits ^ où ce catalogue renferme
sentée, et qu'ils faisaient aussi peu de cas
de l'Évangile, lorsqu'on en tirait contre eux
quelques preuves. Mais il soutient qu'ils pen-
seraient autrement, s'ils savaient que c'est
de saint Paul que le prophète Isaïe a dit : Je
vous ai donné pour être la lumière des nations,
afin que vous soyez mon salut jusqu'aux extré-
mités de la terre, et que c'est des apôtres qu'il
est écrit dans les Psaumes : Le son de leurs
paroles s'est fait entendre par toute la terre.
Mais afin qu'il ne restât aucune réplique aux
Juifs, il emploie contre eux un grand nom-
bre de passages de l'Ancien Testament, qui
prédisent clairement la venue de Jésus-
Christ et sa passion, et qui prouvent aussi
que leur loi devait avoir une fin, et être
changée en une loi nouvelle ; il en était de
même de leui's sacrifices et de leurs autres
cérémonies. 11 prouve aussi, par divers en-
droits du prophète Isaïe, que Dieu devait re-
jeter les Juifs pour appeler les gentils, et
que la même chose a été prédite par le pro-
phète Malachie. Les Juifs objectaient : Com-
ment les chrétiens peuvent-ils se servir de
l'autorité des livres de l'Ancien Testament,
eux qui n'observent point les lois qui y sont
prescrites ? Saint Augustin répond qu'ils ne
les observent point parce qu'elles sont chan-
gées, à cause que ce changement a été pré-
dit par celui en qui les chrétiens croient ;
qu'au reste, les chrétiens ne négligent de la
loi ancienne que ce qui était figuratif, mais
qu'ils en acceptent les promesses. Il ajoute
que, s'ils n'oflïent point à Dieu des sacrifi-
ces à la manière des Juifs, ils offrent par
toute la terre celui qui a été prédit par le
prophète Malachie, non que Dieu ait besoin
de nos sacrifices, mais parce que ceux que
nous lui offrons nous sont utiles à nous-mê-
mes. H y a, dans la conclusion de ce dis-
cours, quelques expressions qui ne sont pas
ordinaires à saint Augustin, et que l'on ne
trouve que dans ceux qui lui sont faussement
attribués; ce qui donne lieu de croire qu'elle
n'est pas de lui.
n.
De r Utilité de la foi et du livre des Deux âmes,
et contre Adimante,
1. Le livi-e de V Utilité de la foi ou de la
I^iï. XI.||
Fralres
rjssiiiil.
• August., Prolog, in lib. de hœres., tom. VIII,
pag. 2.-2 Possid., in Indic, cap. v.
' Isidor. Hispal. De Scrip. Ecoles., cnp. is.
* Cassiod., Inst., cap. xn. — 8 Greg., lib. YI,
Epis t. 4.
« Lib. De Hwr., pag. 27, in nolis,
[iV" ET V= SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
333
■F"i. Croyance \ parait être le premier que saint
Augustin composa à Hippone depuis qu'il
eut été élevé au sacerdoce ^ C'était donc
vers le commencement de l'an 391. Il l'a-
dressa à Honorât son ami, engagé dans les
pièges que les manichéens lui avaient ten-
dus, et dans lesquels il avait lui - même
contribué à le faire tomber ''. Honorât '
s'était laissé surprendre aux promesses spé-
cieuses que faisaient ces hérétiques de ne
rien avancer que de clair, de démonstratif
et de visible, et il se moquait de ce que, dans
. l'Église catholique ', on obligeait les person-
nes à croire, au lieu de lem' prouver la vé-
rité par la raison. Mais, comme il n'était
attaché à la terre par aucun intérêt humain,
et seulement par une fausse apparence de
la vérité, il était moins hérétique que trom-
pé par les hérétiques. C'est ce qui persuada
à saint Augustin qu'il pourrait le conduire à
la vérité, par le même chemin qui l'y avait
conduit lui-même. Il déclare, au commence-
ment de cet ouvrage, qu'il ne l'a entrepris
ni par vanité ni par ostentation, mais par
charité et pour l'utilité de ses û-ères qui
étaient dans l'erreur. « Dieu qui connaît le
fond de mon cœur, dit-il à Honorât, sait que
mon intention est droite et sincère, que je
dis les choses comme Je crois qu'il faut les
entendre pour trouver la vérité, dont la re-
cherche fait depuis longtemps mon unique
occupation. Ce qui m'oblige donc à écrire,
c'est que j'aurais une extrême douleur si,
après avoir trouvé tant de facilité à m'éga-
rer avec vous, il ne m'était pas possible de
marcher aussi avec vous dans le vrai che-
min. » Si cet Honorât est le même qui écri-
vait de Carthage à saint Augustin, vers l'an
4] 2, et lui proposait diverses questions à ex-
pliquer, on ne peut douter que le hvre que
ce Père lui adressa n'ait eu le succès qu'il
en attendait.
do 2. Il y établit d'abord, qu'il y a cette diffé-
rence entre un hérétique et celui qui s'est
laissé sm-prendre à l'erreur; que celui-là s'at-
tache à l'erreur par quelque intérêt humain,
ou par le désir de la gloire et de dominer
sur les autres, au lieu que celui-ci ne l'em-
brasse que trompé par une fausse apparence
de la vérité. Il dit ensuite que le but de son
ouvrage est de montrer que c'est une témé-
* Le cardinal Maï a donné le prologue ou som-
maire de ce livre d'après un manuscrit d'une an-
tiquité douteuse. Vid. Bibl. Nov. Pat. tom. I,
2= part., pag. 150-1S2. {L'éditeur.)
rite sacrilège aux manichéens, de se moquer
de ceux qui, suivant l'autorité de la foi ca-
tholique, se préparent à l'intelligence des
vérités en croyant ce qu'ils ne peuvent en-
core comprendre, et qui se purifient pour
recevoir l'infusion de la lumière di^^ne. Il
raconte comment il avait été lui-même en-
gagé dans les rêveries de ces hérétiques qui
avaient sans cesse le nom de la vérité sur
les lèwes, quoiqu'elle ne fût pas eu eux.
Après cela il justifie l'Ancien Testament
qu'ils avaient coutume de blâmer, lorsqu'ils
avaient afifaire à des ignorants, et prouve
que soit qu'on l'entende dans le sens histo-
rique, ou dans le moral, ou dans l'allégori-
que, il convient entièrement avec le Nou-
veau; et que l'Église ne peut être accusée
d'erreur dans aucun des sens qu'elle lui
donne. Il prévient Honorât sur les fausses
explications qu'en avaient faites les enne-
mis de l'Église, et lui dit : « Croyez-moi,
tout ce qui est dans l'Écriture sainte, est
grand et divin. La vérité y est toute entière,
et l'on y rencontre une doctrine extrême-
ment propre à nourrir l'âme et à réparer ses
forces. Elle est accomodée de teUe sorte à
nos besoins et à notre capacité , qu'il n'y a
personne qui n'en puisse tirer ce qui lui
suffit, pourra qu'on s'en approche avec la
foi et la piété que la vraie religion de-
mande. »
Il exhorte donc Honorât à ne point avoir
d'aversion pour les auteurs de . ces livres
saints, et même à les aimer, quoiqu'il ne les
comprenne pas encore. ((Quoiqu'on n'entende
pas les poèmes de Yirgile, dit-il, et qu'il pa-
raisse d'abord y avoir quelque absurdité dans
plusieurs des vers de ce poète, on ne laisse
pas de lui applaudir à cause de l'estime pres-
que générale qu'on a faite de lui ; on ne doit
pas moins favoriser les livres sacrés à qui
tant de siècles ont rendu témoignage, qu'ils
sont l'ouvrage du Saint-Esprit. Ceux qui s'i-
maginent y voir des absurdités sont des enne-
mis de l'Église. Il ne vous appartient donc pas
de vous jeter sans guide et sans interprète,
dans la lecture de ces livres saints, et vous
devez encore moins en porter jugement sans
en avoir été instruit par aucun maître. Si
vous n'aviez aucune connaissance des poè-
tes, ni de lem' art, vous n'oseriez entrepren-
- August., lib. I Retract., cap. siv.
De Util- cred., cap. i. — * Ibid., cap.
5 Lib. II Retract., cap. xiv.
' August.,
334
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Les lois no
défendent pas
d'embrasser la
foi catholi-
que.
tire de lire Térentianus-Maurus sans le se-
cours d'un maître. On a besoin d'Aspér, de
Cornutus, de Donat et d'une infinité d'autres
commentateurs pour pouvoir entendre quel-
qu'un de ces poètes, dont on voit que les vers
ont obtenu l'applaudissement des théâtres;
et vous osez vous jeter sans guide et sans in-
terprète dans la lectiu'e de ces livres qui, de
l'aveu de presque tous les hommes, sont
remplis de choses divines ? Si vous y en ren-
contrez qui vous paraissent absurdes, vous
n'en accusez pas votre pesanteur ni votre
incapacité, ni les ténèbres qui sont répan-
dues dans les esprits corrompus par les pas-
sions mondaines; mais vous en jetez la
faute sur ces excellents livres qui ne peu-
vent être entendus par des personnes de ce
caractère.»
3. Saint Augustin fait voir à Honorât qu'il
était permis par les lois divines et humaines
de s'informer de la foi catholique , et que
c'était dans l'Église même . catholique qu'il
fallait la chercher. Il lui raconte par quel
moyen il eut lui-même le bonheur de la
connaître et de l'embrasser, après avoir
consulté et raisonné beaucoup sur les
moyens de la trouver, et Si vous pensez, lui
dit-il ensuite, vous être déjà assez mis en
peine, et avoir assez travaillé pour vous ins-
truire de la vérité, et si vous voulez mettre
fin à ce travail, suivez la voie de la doctrine
catholique qui est venue de Jésus-Christ jus-
qu'à nous par les apôtres, et qui passera de
nous à ceux qui nous doivent suivre de siè-
cles en siècles. »
Il montre que rien n'est plus raisonnable ,
dans la nécessité où l'on est de prendre un
parti, que de se déterminer en faveur de
l'Église catholique; qu'il est vrai qu'elle
nous propose de croire, au lieu que les hé-
rétiques promettent de rendre raison de
tout; mais qu'elle a l'autorité de le faire , la
vraie religion ne pouvant subsister si elle
n'est en autorité décommander; quetousles
hommes n'étantpas capables de raison, il est
plus sûr pour eux de croire à ce que l'Église
enseigne ; et qu'il est même nécessaire à la
société humaine de s'en rapporter en beau-
coup de choses à la foi d'autrui, et surtout
à ceux qui passent pour les plus sages; que
si dans les moindres cboses on doit s'en rap-
poi'ter à ceux qui ont plus d'expérience, ou
le doit bien ,plutôt faire dans les choses de
la religion, dont il est moing aisé de s'ins-
truire que des choses humaines, et que pour
mener une vie irréprochable, il faut cher-
cher ceux qui sont plus sages que nous, afin
qu'en leur obéissant on puisse se déhvrer de
la domination de l'erreur et de la folie. « Il
faut même croire, continue saint Augustin,
pour chercher la vraie religion : car si l'on
ne croyait pas qu'il y en ait une, pourquoi
la chercherait-on? Il n'y a point d'héré-
tiques qui n'avouent que l'on doit croire à
Jésus-Chtist, autrement ils ne seraient pas
chrétiens. Mais à qui nous rapportons -
nous des vérités qui le regardent , puisque
nous n'avons point vu ce Sauveur? Cette
foi n'est fondée que sur l'opinion confir-
mée des peuples et des nations, qui ont cru
jusqu'aujourd'hui les mystères de l'Église. »
4. Honorât répondait avec les mani-
chéens : Croyez à l'Écriture. «Mais, lui répli-
que saint Augustin, toute^doctrine écrite que
l'on produit , si elle est nouvelle et inouïe ,
ou qu'elle ne soit autorisée que par peu de
gens, sans être confirmée par quelques rai-
sons, quand on l'embrasse, ce n'est pas à
elle qu'on donne sa croyance, mais à ceux
qui la veulent faire recevoir. C'est pourquoi,
si les Écritures dont il s'agit n'étaient pré-
sentées que par vous, il ne serait pas per-
mis de vous croire , étant en aussi petit
nombre, et aussi inconnus que vous l'êtes.
Jésus-Christ, voulant apporter un remède qui
pût guérir la corruption des mœurs des
hommes , se concilia l'autorité par des mi-
racles , mérita la foi par l'autorité qu'il s'é-
tait acquise ; etassembla par la foi la multi-
tude des peuples. Par la succession de cette
multitude sa religion s'acquit l'ancienneté ;
et par cette ancienneté , elle s'est affermie
si solidement qu'elle n'a pu être renversée
même en partie par les païens , ni par les
hérétiques. » Ce n'est pas que saint Augus-
tin n'ajoutât foi aux témoignages que l'Écri-
ture rend de Jésus-Christ , mais c'est qu'il
fondait sa foi sur les témoignages de l'É-
glise, avant de l'appuyer sur ceux de nos
livres saints. L'autorité de l'Église l'avait
touché et gagné avant qu'il ne le fût par
l'autorité de l'Écriture, parce que cette
première autorité était plus connue et plus
manifeste. »Sije crois en Jésus-Christ S con-
tinue-t-il, c'est à cause de sa réputation si ré-
pandue et si célèbre et qui est si confirmée
Autoi
l'Église
lique.
Hoc ergo credidi, lit dixi, fainœ, celebrilale, consensione, vetusiate rohoratœ.
[IV^ ET Y" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTLN, ÉVÊQUE D'HIPPOiNE.
333
Vfotifs qui
gen( à la
linDaltre.
par son antiquité et pai- un consentement
universel. »
5. «Nous devons croire en effet, ajoute ce
Père, que Dieu même a établi une autorité
par laquelle il veut que nous nous élevions
jusqu'à lui comme par de certains degrés qui
nous soutiennent. Il n'y a que l'autorité qui
frappe et touche ceux qui n'ont pas assez de
sagesse : elle seule la leur fait embrasser.
Or, c'est ce qu'elle fait en deux manières ,
savoir , en nous émouvant par les miracles ,
et par le grand nombre de ceux qui suivent
sa doctrine. L'Église ne persuade pas moins
par la pureté de ses mœurs, par l'abstinence
et l'austérité d'un si grand nombre de péni-
tents ; par la chasteté avec laquelle tant de
vierges vivent dans le corps comme si elles
n'étaient qu'un pur esprit ; par la patience
avec laquelle tant de martyrs ont soutTert de
très-grands suppUces ; par la charité sans
borne avec laquelle tant de saints ont dis-
tribué tout leur bien aux pauvres en préfé-
rant pour eux-mêmes la pauvreté aux ri-
chesses ; par le détachement du monde et
le mépris de la vie présente qui ont éclaté
dans plusieurs saints, avides d'en sortir
pour aller jouir de Dieu. On dira peut-être ,
s'objecte ce Père , qu'il y a peu de person-
nes qui fassent des choses si extraordinaires,
et qu'il y en a encore moins qui les fassent
bien et avec prudence ? Mais les peuples ,
répond -il, approuvent toutes ces choses;
les peuples les entendent raconter avec res-
pect ; les peuples les révèrent ; les peuples
les aiment en ceux qui les pratiquent ; les
peuples accusent leur faiblesse de ce qu'ils
ne peuvent pas les pratiquer ; ce qu'ils ne
font pas sans quelque élévation de leur âme
vers Dieu , et sans quelques étincelles de
vertu. La divine Providence a fait que ces
choses sont arrivées suivant les prédictions
des Prophètes, par la doctrine de Jésus-
Christ, et par les exemples qu'il a donnés
dans son humanité sainte; par le ministère
des apôtres ; par les outrages, les croix, l'é-
panchement du sang et la mort des martyrs ;
par la vie admirable de tant de saints, et
par un grand nombre de miracles dont tant
de grandes actions et tant de vertus ont mé-
rité d'être accompagnées , selon que les
temps le demandaient. »
6. « Balancerons -nous donc, continue
saint Augustin , à nous retirer dans le sein
de cette Église qui est arrivée au comble de
l'autorité, jusqu'à avoir fait embrasser au
genre humain la doctrine qu'elle a conser-
vée par les évêques qui ont succédé les uns
aux autres depuis les apôtres, malgré les
contradictions des hérétiques. Elle a obtenu
cette autorité en partie par le jugement
même du peuple fidèle, en partie par l'au-
torité des conciles . et en partie par l'éclat
des miracles ; de sorte que ne vouloir pas
donner à l'Égiise le premier rang , c'est
ou une grande impiété, ou une arrogance
téméraire. Car s'il n'y a point de che-
min assuré pour parvenir à la sagesse et au
salut, sinon lorsque l'on préfère la foi à la
raison , n'est-ce pas être tout à fait mécon-
naissant de la grâce et de l'assistance di-
vine , que de voidoir résister à une autorité
munie de tant de prérogatives qui la doivent
faire révérer à tous les hommes ? »
7. Saint Augustin finit ce livre en con- ..Quoi; doit
seiUant à Honorât de s'abandonner par une pHer™.™ ar-
foi sincère, par une espérance ferme, et ■■''"
par une charité simple aux meilleurs maî-
tres de la doctrine chrétienne et catholique,
et de ne point cesser de prier Dieu, qui
nous a donné l'être par sa bonté, qui nous
a punis par sa justice, qui nous a délivrés
par sa clémence ; ajoutant qu'en se condui-
sant de la sorte, il ne manquerait ni d'être
instruit par les hommes qui sont les plus
doctes et vraiment chrétiens, ni d'avoir de
bons hvres, ni de s'occuper de pensées assez
raisonnables pour trouver facilement ce
qu'il cherchait , c'est-à-dire la vérité. Il le
conjure d'abandonner pour toujours l'héré-
sie des manichéens, et ses sectateurs, dont
il réfute en passant les erreurs sur la nature
de Dieu, qu'ils disaient être auteur du mal,
et corporel. Car ces hérétiques ' préten-
daient que la lumière visible aux yeux mê-
mes des animaux, était la substance de Dieu.
Ils disaient aussi que le mal, étant une subs-
tance réelle , devait avoir Dieu pour auteur.
C'est pourquoi ils étabhssaient deux natures
ou deux principes opposés ; l'un auteur du
bien, et l'autre auteur du mal. Ils ensei-
gnaient que, y ayant eu combat entre ces
deux natures, la bonne avait été obligée de
hvrer une partie d'elle-même à la mauvaise ;
et que, ces deux natures ayant été ainsi mê-
lées, l'âme avait été produite de ce mélange,
et composée de deux natures ; en sorte que
c'étaient deux âmes, l'une bonne qui était
une partie de Dieu même, et de la même
1 August., Eœr. 46 et lib. I Retract., cap. xv.
336
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Livre des
De*'i â!i!e?,en
.":)l. Analjse
de ce livre ,
pag. 75.
nature que lui ; et l'autre mauvaise née de
satan.
8. Ce fut pour combattre cette erreur, que
saint Augustin, aussitôt après avoir achevé
le livre de l'Utilité de la Foi ' écrivit celui
des Deux âmes. Selon les manichéens, il y
en avait deux dans l'homme, l'une bonne,
ei l'autre mauvaise. La première était d'une
substance divine, cause de tout ce qui se
fait de bien en nous ; et la seconde mauvai-
se, de la nature ou du principe des ténèbres,
propre à la chair; et que les manichéens di-
saient être la cause de tous les mouvements
déréglés, et de tout le mal que nous faisons.
Le saint Docteur prouve en premier lieu,
que l'âme étant un esprit et une vie, ne peut
avoir d'autre auteur que le souverain prin-
cipe de la vie, qui est le seul et vrai Dieu.
Il dit en second heu, que si la lumière cor-
porelle sensible à nos yeux est créée de
Dieu, il doit, à plus forte raison, être le créa-
teur de l'âme qui n'est visible que des yeux
de l'esprit , et conséquemment beaucoup
plus parfaite que la lumière corporelle. Cette
âme même que les manichéens disaient être
mauvaise, ajoute-t-il, est meilleure par sa
nature, que cette lumière. Et il prend de là
occasion de montrer qu'il n'y a aucune na-
ture, ni aucune substance mauvaise d'elle-
même, et que le mal et le défaut de notre
âme ne consiste que dans l'abus que nous
faisons de notre liberté. Il s'objecte plusieurs
passages de l'Écriture dont les manichéens
se servaient pour montrer que les méchants
n'ont pas Dieu pour auteur ; et fait voir par
d'autres passages de la même Écriture, que si
les pécheurs ne sont pas de Die#en tant que
pécheurs, ils en sont en tant qu'hommes ;
ce qu'il appuie par une réflexion à la portée
de tout le monde, qui est que rien ne peut
vivre sans le secours de Dieu. Ensuite il
donne la définition du péché et de la volon-
té ; et montre par le pardon que l'Église ac-
corde aux pécheurs qui le demandent, par
l'utilité des regrets d'un homme pénitent,
qu'une âme pécheresse n'est point naturel-
lement mauvaise, et qu'eUe ne l'est que par
le mauvais usage de sa liberté. D'où il con-
clut que la même âme, voulant tantôt le
bien, tantôt le mal, suivant les mouvements
de son hbre arbitre , c'est celle-là même
qui est bonne ou mauvaise, selon qu'elle se
porte au bien ou au mal. On trouve dans ce
livre quelques endroits qui paraissent trop
donner au libre arbitre, et trop peu à la
grâce : il y en a même qui pourraient don-
ner quelques atteintes à la doctrine du pé-
ché originel ; mais saint Aug-ustin s'est ex-
pliqué sur tous ces endi'oits dans son pre-
mier livre des Rétractations. Celui des Deux
âmes est de l'an 391.
9. L'année suivante 392, saint Augustin pj-^i'^^^™"
fut deux jours en conférence avec un prêtre ^f-.j'^";?^;
manichéen nommé Fortunat. Ce prêtre avait p°5. 5i.
séduit un grand nombre de personnes dans
la ville d'Hippone, où il demeurait depuis
longtemps, et où il s'était fait une certaine
réputation qui lui en rendait le séjour plus
agréable. Les catholiques de la ville voyant
augmenter de jour en jour le nombre de ses
disciples, prièrent saint Augustin d'entrer
en conférence avec lui sur la doctrine de la
foi, H en fut aussi prié par des donatistes.
Le saint toujours prêt à rendre raison de sa
foi, consentit à la conférence, au cas que
Fortunat voulût y entrer. Ceux de sa secte
l'en pressèrent si vivement, que craignant
que son refus ne passât pour un aveu tacite
de la faiblesse de sa cause, il accepta le parti.
On convint du jour et du lieu, et on arrêta
qu'on examinerait par la raison, s'il était vrai
qu'il pût y avoir deux natures coéterneUes
et opposées, comme l'enseignaient les ma-
nichéens, parce que n'admettant des Écri-
tures que ce qu'il leur en plaisait, il n'était
pas aisé de les convaincre par autorité. Le 28
août de l'an 392, qui était le jour destiné,
saint Augustin et Fortunat, avec plusieurs
catholiques et manichéens, s'assemblèrent à
Hippone dans un lieu appelé les Bains de
Socie. Tout ce qui se dit de part et d'au-
tre fut écrit par des notaires, comme dans
des actes pubhcs ; c'est ce qui fait la ma-
tière du livre de saint Augustin, intitulé :
Actes ou disputes, contre Fortunat le mani-
chéen. Il est en forme de dialogue ; saint
Augustin y parle le premier, et Fortunat le
second.
La question qui fut agitée dans cette con-
férence regarde la nature et l'origine du
mal. Selon le saint Docteur, le mal vient du
mauvais usage que nous faisons de notre li-
berté ; le prêtre manichéen prétend, au con-
traire, qu'il y a une nature mauvaise aussi
éternelle que Dieu. Mais comme il ensei-
gnait avec ceux de sa secte, que Dieu avait
été obligé de se défendre contre la nation
des ténèbres qui s'était révoltée contre- lui,
* August., Eœr. 46 et lib. I Retract., cajj. xv.
[iv<^ ET V' SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
saint Augustin fait sentir à Fortuuat com-
bien il est impie de dire qu*un Dieu tout-
puissant ait souffert quelque chose de la
part d'une puisscpice ennemie. Il presse For-
tunat par ce raisonnement : « Si Dieu n'a pu
rien souffrir de la part des nations des ténè-
bres, parce qu'il est inviolable , il n'a pas dû
faire souffrir aux âmes, c'est-à-dire selon les
manicliéens, à une partie de sa propre subs-
tance, les misères qu'elle souffre en cette
vie. Si au contraire, il a pu souffrir quelque
chose de la part de cette nation des ténè-
bres, il n'est pas inviolable ; et en ce cas,
les manichéens trompaient ceux à qui ils
enseignaient que Dieu est inviolable. » Quoi-
qu'on fût convenu que l'on ne se servirait
point de l'autorité de l'Écriture, Fortunat ne
laissa pas de citer un passage de l'Épître
aux Romains, pour appuyer son erreur des
deux natures contraires ; mais saint Augus-
tin lui fit voir qu'il s'agissait en cet endroit
des deux natures en Jésus-Christ, qui, pré-
destiné pour être Fils de Dieu dans une sou-
veraine puissance , est aussi né, selon la
chair, du sang de David. Fortunat produisit
encore le lendemain plusieurs passages de
l'Écriture, et en particuher l'endroit de saint
Matthieu, où Jésus-Christ, parlant des faux
prophètes, dit qu'un arbre qui est mauvais
produit de mauvais fruits, et qu'un bon ar-
bre en produit de bons. Saint Augustin ré-
pondit et prouva, par e Imême Évangile, que
ces deux arbres signifiaient non deux natu-
res différentes, mais les volontés différentes
des hommes, qui peuvent vouloir le bien ou
le mal. Fortunat s'étant échappé dans la
première conférence jusqu'à dire que le
Verbe de Dieu était lié dans la nation des
ténèbres, ce blasphème fît horreur à tout le
monde. Comme il ne put, dans la seconde,
répondre aux objections que saint Augustin
lui fit, il la finit en disant qu'il en confére-
rait avec ceux de sa secte ; et il sortit plein
de confusion. Quelque temps après il quitta
le séjour d'Hippone , et n'y revint jamais
depuis.
EVEQUE D'HIPPONE.
337
10. Deux ans après, c'est-à-dire vers l'an
394, saint Augustin entreprit de combattre
un autre manichéen beaucoup plus célèbre
que Fortunat. Il se nommait Addas ou Bad-
das ; mais il est plus connu sous le nom d'A-
dimante. Il fut disciple deManichée*, et en-
voyé en Syrie pour y répandre la doctrine
de son maître ; ce qu'il fit , non-seulement
de vive voix, mais encore par écrit. Nous en
connaissons un où il opposait les passages
de l'Ancien et du Nouveau Testament com-
me contraires l'un à l'autre. Il en composa
un autre, intitulé le Boisseau, que l'on con-
fondait avec l'Évangile vivant de Manichée.
Saint Augustin, ayant rencontré le premier
de ces ouvrages, dont le but était de mon-
trer que l'Ancien et le Nouveau Testament
étant opposés, ne pouvaient être d'un mê-
me Dieu , il crut devoir y répondre. C'est
ce qu'il fait dans son livre contre Andimante,
où mettant à la tête de chaque chapitre les
passages des deux testaments qu'Adimante
prétendait être contraires, il en fait voir l'ac-
cord et la conformité. Pour rendre cet ac-
cord plus sensible, il établit pour principe,
qu'il y a tant de choses dans l'Ancien Tes-
tament qui publient et qui annoncent par
avance ce qui est dans le Nouveau, que l'on
ne trouve dans la doctrine évangélique et
apostolique aucunes promesses, ni aucuns
préceptes, quelques divins et parfaits qu'ils
soient, qui ne se rencontrent aussi dans ces
livres anciens. Il y pose aussi cet autre prin-
cipe, que le Saint-Esprit , voulant marquer
aux hommes intelligents, combien les cho-
ses de Dieu sont ineffables, s'est quelquefois
servi pour les exprimer de certaines manières
de parler dont les hommes ont coutume de
se servir entre eux pour marquer le vice, afin
de noiTs apprendre par cette conduite, que
les expressions qu'on emploie en [parlant de
Dieu, et que nous croyons être dignes de lui,
se ti'ouvent très-peu dignes de sa majesté ; et
que quand il s'agit de lui, un silence plein de
respect convient beaucoup mieux qu'aucune
parole humaine. Il enseigne encore que Dieu
Livre contre
Adimante. en
^y4. Analyse-
de ce livre ,
l,ag. 111.
1 C'est le même que Manès. Le premier nom de
Manès fut Cubricus : cet hérétique en commen-
çant à répandre sa doctrine voulut couvrir l'ohs-
curité de son origine en changeant de nom ; il se
fit appeler Manès qui, en langage persan, signifie
un orateur, un homme qui se rend célèbre par ses
discours. Mais Dieu permit qu'en prenant ce nom
il se discrédita chez les Grecs, chez qui Manès
signifiait la fureur et la manie dont il était tour-
IX.
mente. Ses disciples, soit pour éviter cette fâcheuse
allusion, soit pour lui donner en grec un nom pré-
cieux assorti à l'idée qu'ils avaient de lui, le nom-
mèrent Menichée, prétendant signifier par là qu'il
répandait la manne d'une doctrine céleste. Le
nom de Manichée prévalut, et c'est delà que ces
disciples furent appelés manichéens. Tricalet, Bibl.
Portât. [L'éditeur.)
22
338
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
après avoir, dans l'Ancien Testament, op-
posé à l'homme qui s'ennuyait de lui, une
loi pleine de menaces pour se faire craindre
comme son maître, il lui a découvert dans
le Nouveau, comme un bon père, lorsqu'il a
commencé de revenir , une loi pleine de
charmes pour se faire aimer. C'est sur ces
fondements que roulent les réponses que
saint Augustin fait aux objections d'Adi-
mante. Il y a des passages qu'il traite deux
fois, ce qu'il en avait écrit d'abord s'étant
quelquefois égaré, et ensuite retrouvé, après
en avoir donné une seconde explication. Il
en traita d'autres dans quelques-uns de ses
sermons, et n'en laissa que très-peu sans
réponses, soit qu'il les eût oubliés, soit qu'il
n'eût pas le temps de les expliquer. Cet ou-
vrage est cité à la fin du second livre contre
l'Adversaire de la loi et des prophètes, où,
après avoir nommé Adimante , il ajoute ,
qu'il se nommait aussi Addas. Ce mani-
chéen objectait entre autres , l'endroit de
l'Évangile où Jésus-Christ assure qu'un bon
arbre ne peut porter de mauvais fruits, et
qu'un mauvais arbre ne peut porter de bons
fruits , prétendant que ces paroles étabhs-
saientle dogme des deux natures, dont l'une
est la nature du mal, qui ne peut faire au-
cun bien ; et l'autre , la natm^e du bien qui
ne peut faire aucun mal. Saint Augustin lui
fait voir par d'autres endroits de l'Évangile,
que les deux arbres signifiaient les disposi-
tions diverses d'une seule volonté qui est
dans tous les hommes, et dont chacun peut
rendre sa volonté bonne ou mauvaise , et
en conséquence produire de bons ou de
mauvais fruits.
§ ni.
Livre contre l'Épitre du Fondement, et contre
Fauste le manichéen.
Livre con-
tre l'Epitre du .-
Fondement en tlOnS
307. Analyse
de ce livre ,
pag, 151,
1 . Saint Augustin place dans ses Rétracta-
', le livre contre VÉpître de Manichée
après ceux qu'il écrivit à Simplicien au com-
mencement de son épiscopat. On peut donc
le mettre en 396 ou 397 au plus tard. Les
manichéens donnaient à l'Épître de leur
maître le titre du Fondement, parce qu'elle
contenait tout l'essentiel de leur doctrine.
Aussi, se trouvait-elle entre les mains de tous
ceux de cette secte. Ce fut apparemment
pour cette raison que ce Père entreprit de
1 August., lib. U Retract., eap. n.
la réfuter ; mais il n'en réfuta que le com-
mencement, dont il rapporte les propres pa-
roles, et se contenta de faire sur le reste
quelques notes qui renfermaient tout ce qui
était nécessaire pour la ruiner entièrement,
afin qu'elle lui sei'vît de mémoires lorsqu'il
aurait le loisir d'en achever la réfutation. Ces
notes ne sont pas venues jusqu'à nous, et
nous n'avons que le livre dans lequel il en
réfute le commencement. Il y fait profession
d'abord de demander à Dieu un esprit de
paix, qui lui fasse aimer la conversion et le
salut des manichéens, plutôt que leur con-
fusion et leur ruine, laissant à ceux qui ne
savent pas avec combien de peines on trouve
la vérité, et combien il est difficile de se ga-
rantir de l'erreur, à traiter rigoureusement
soit de paroles, soit de fait, les personnes
qu'il entreprenait de combattre. La raison
qu'il avait d'en agir ainsi, c'est qu'il savait,
par sa propre expérience, combien de gé-
missements et de soupirs il était nécessaire
d'employer pour commencer à connaître
Dieu.
Après avoir marqué avec cpielle douceur
on doit attaquer ceux qui se trouvent enga-
gés dans l'erreur, il détaille les motifs qui
le retenaient dans l'Église catholique, en
avertissant que ce n'est pas la pénétration
de l'intelligence, mais la simplicité de la foi,
qui met en sûreté le commun des fidèles.
(( Je suis, dit-il, retenu dans cette Église par
le consentement des peu^ les et des nations.
J'y suis retenu par l'autorité qui s'est établie
par les miracles, nourrie par l'espérance,
accrue par la charité, affermie par l'ancien-
neté. J'y suis retenu par la succession con-
tinuelle des évéques, depuis la séance de
saint Pierre apôtre, auquel Notre-Seigneur,
après sa résurrection, a recommandé de
paître ses brebis, jusqu'à l'évêque qui oc-
cupe présentement son même siège. J'y suis
retenu enfin, par le nom même de catholi-
que que l'Église seule a toujours conservé
avec beaucoup de raison, parmi un si grand
nombre d'hérésies, qui se sont soulevées
contre elle : car encore que tous les héréti-
ques affectent de se dire catholiques, toute-
fois, lorsqu'un étranger leur demande où
est l'Égfise des catholiques, aucun d'eux n'a
la hardiesse de montrer son temple ou sa
maison. C'est par tous ces liens du nom
chrétien si précieux et si chers, qu'un
homme fidèle est attaché à l'Église catho-
lique, quoiqu'il n'ait pas encore une intelli-
[IV'= ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
339
gence parfaite de la vérité, à cause qu'il
n'est pas capable de l'enteudi-e, ou à cause
qu'elle ne se montre pas à lui avec une en-
tière clarté. »
Il ajoute que parmi les manichéens , il n'y
avait aucune de ces raisons pour l'inviter ou
poTU' le retenir, et qu'il n'attendait de leur
part que de vaines promesses de lui faire
connaître la vérité. IL passe à l'examen de
la lettre de Manichée, faisant voir qu'il n'a-
vait aucune raison de s'y donner le titre
d'apôtre de Jésus-Christ ; qu'il n'y en avait
pas plus à ses sectateurs de le reconnaître
pour le Saint-Esprit ; que le combat qu'il
soutenait avoir été livré avant la création
du monde , entre les deux natures, ou les
deux principes opposés , quoique tous deux
souverains et éternels , était une rêverie de
Manichée , de même que tout ce qu'il disait
des suites de ce combat entre ces deux na-
tm'es ; qu'en vain il promettait à ses secta-
teurs la connaissance des choses certaines ,
puisqu'il leur ordonnait de croire môme les
incertaines , et qu'il leur en enseignait qui
étaient visiblement fausses, et en particulier
ce qu'il disait de la terre et de la nation des
ténèbres placée à côté de la terre et de la
substance de Dieu.
Il parcourt de suite toutes les autres extra-
vagances renfermées dans la lettrée du Fon-
dement : puis après avoir montré qu'il n'y a
aucune nature qui ne soit bonne d'elle-
même , il parle ainsi ans manichéens : <i Si
l'homme n'a plus sur les créatures un empire
aussi absolu qu'il l'avait lors de sa création,
c'est le péché qui le lui a fait perdre. Quel
sujet de s'étonner si après avoir péché ,
c'est-à-dire désobéi à votre Maître, les
choses de la terre sur lesquelles vous de-
viez avoir la domination, vous font de la
peine ? Car , elles vous marquent que vous
êtes en effet leur maître dans ce qui en elles
vous est encore soumis ; et en ce qu'elles
vous sont fâcheuses et pénibles , elles vous
apprennent à servir et à obéir à celui qui
est votre maître et votre souverain Sei-
gneur. » Il montre qu'il n'y a que Dieu qui
soit souverainement bon ; qu'il n'est point
autem- du mal ; et que celui qu'il permet
par im ordre secret de sa providence , vient
de nous-mêmes. Il en rapporte la cause à
notre attachement pour les créatures , et
dit : « Ne cherchons point dans la beauté de
ce monde , qui n'est qu'une beauté basse et
inférieure, ce qu'elle n'a point reçu ; mais
louons Dieu en ce qu'il a donné tant de
beauté à cette créature, quoique inférieure :
prenons bien garde de ne nous pas attacher
à elle en l'aimant trop, mais élevons-nous
au-dessus d'elle en louant Dieu. »
2. Fauste le manichéen fournit encore
une occasion à saint Augustin de combattre
les erreurs de cette secte avec beaucoup
d'étendue. Il était Afi'icain \ né dans la ville
de Milève , d'une basse condition. Il se ren-
dit si considérable parmi les manichéens ,
qu'ils lui donnèrent le nom d'évêque. Son
savoir ^ n'était pas néanmoins considérable,
et il n'avait rien non plus au-dessus des au-
tres pour les mœurs. Mais il avait l'esprit
vif, et était d'un naturel doux ^, modéré,
d'une humeur accommodante ', agréable en
compagnie , et d'un visage bien composé. Il
avait aussi une sorte d'éloquence qui don-
nait de l'agrément aux choses les plus com-
munes. A force d'avoir lu quelques oraisons
de Cicéron , quelques endi'oits de Sénèque,
quelques vers des poètes , et les livres de sa
secte les mieux écrits en latin , il avait ac-
quis une facilité d'expression qui lui était
d'autant plus propre pour séduire, que ses
talents naturels le faisaient écouter avec
plaisir. Ce fut par là ° qu'il attira dans le
manichéisme un grand nombre de person-
nes , et qu'il se fit passer pour un maître
également docte et prudent. Quoiqu'il se
vantât d'avoir tout abandonné suivant le
commandement de l'Évangile *, et de ne se
pas même inquiéter du lendemain, il menait
néanmoins une vie très-voluptueuse , cou-
chant sur des lits de plume , et vivant dans
l'abondance et dans les délices. Il se vantait
aussi d'avoir souffert pour la vérité : et de
vrai, il fut mis en justice, ayant été dénoncé
au proconsul d'Afrique avec quelques autres
manichéens. Mais au lieu de la peine de
mort qu'il avait encourue selon les lois , il
fut seulement relégué dans une île , à la
prière même des chrétiens qui l'avaient ac-
cusé , et rappelé peu de temps après. On
croit que ce fut vers l'an 386 , sous le pro-
consulat de Messien. De retour de son exil ,
LÎTre con-
tre Fauste le
m a D i c h é en ,
vers l'an 404.
1 Lib. I in Faust. ^ cap. i et lib. V, cap. v. ^ Lib. Y Conf.^ cap. vi. — ^
2 De Util, cred.y cap. viu. — ^ Lijj, xVI iu Faust. , cap. m et x=
Faust., cap. xxvi. ^ Lib. V in Faust., cap. n et viii.
Lib. XXI in
340
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Analyse des
cinq premiers
livres , pag.
183 el suiv.
il écrivit ' un ouvrage contre l'Église, où il
répandait quantité de blasphèmes contre
Dieu auteur de la loi et des prophètes. Il y
attaquait aussi le mj'stère de rincarnation ,
prétendant que les Écritures du Nouveau
Testament étaient corrompues dans les en-
droits auxquels il ne pouvait répoudi'e. Cet
ouvrage étant tomlié entre les mains de
saint Augustin -, plusieurs des fidèles qui
l'avaient lu, le prièrent de le réfuter. Ne
pouvant leur refuser ce devoir de charité, il
fit ce qu'ils souhaitaient de lui, et réfuta
mot pour mot l'ouvrage de Fauste. Le saint
Docteur nous apprend lui-même qu'il en-
voya ses livres contre ce manichéen, à saint
Jérôme, avec l'Épître quatre vingt-deuxième,
vers l'an 403 : et dans ses Rétractations ',
il met la conférence avec Félix le mani-
chéen, immédiatement après les livres con-
tre Fauste. Puis donc que Félix mourut
en -404, au mois de décembre, il y a toute
apparence que saint Augustin avait dès lors
achevé l'ouvrage dont nous parlons. Il est
cité par Cassiodore et par saint Fulgence '.
Le premier, dit que saint Augustin y con-
fond l'impiété de Fauste par un raisonne-
ment très-clair, et qu'il y parle admirable-
ment du livre de la Genèse.
3. II est divisé en trente-trois livres dont
les uns sont extrêmement courts et les au-
tres plus longs, suivant que ceux de Fauste
lui fournissaient plus ou moins de matière.
Le premier est une espèce de prologue clans
lequel saint Augustin se propose de montrer
que les manichéens ne pouvaient, en aucune
façon, se donner pour de vrais chrétiens.
Il justifie, dans le second, ce qui est dit
dans l'Ëvangile de la généalogie et de la
naissance de Jésus-Christ selon la chair.
Dans le troisième, il concilie les contrariétés
apparentes qui se trouvent dans les généa-
logies rapportées par saint Matthieu et par
saint Luc, rendant raison en même temps
pourquoi le premier commence cette généa-
logie en descendant depuis Abraham jus-
(ju'à Joseph; au lieu que le second com-
mence à Joseph, et va en remontant, non
jusqu'à Abraham seulement, mais jusqu'à
Dieu qui a fait l'homme. Il prouve par di-
vers exemples que, chez les anciens, l'adop-
tion était en usage, et que Joseph, ayant eu
deux pères, l'un naturel, et l'autre adoptif,
il n'est pas surprenant que saint Matthieu lui
ait donné des ancêtres que saint Luc ne lui
donne pas ; le premier ayant parlé des an-
cêtres du père naturel de Joseph, le second
de son père adoptif. Il dit à Fauste que si,
au lieu de condamner témérairement l'Évan-
gile à cause de quelques obscurités qu'il
renferme sur ce sujet, il s'en fût éclairci
avec piété, il ne serait pas tombé dans ces
égarements. « Car, ajoute-t-il, tous ceux qui
ont considéré avec une pieuse disposition
d'esprit l'excellence et l'autorité des Écri-
tures divines, ont été persuadés qu'il y avait
dans les endroits obscurs quelque chose de
caché, dont la connaissance serait accordée
à ceux qui la demanderaient avec humihté, et
refusée à ceux qui la déchireraient par leurs
invectives; qu'ils seraient découverts à ceux
qui la chercheraient, mais déniés à ceux qui
la combattraient ; qu'ils seraient ouverts à
ceux qui frapperaient pour y entrer, et fer-
més à ceux qui y seraient opposés ; ainsi ils
l'ont demandée, ils l'ont cherchée, ils ont
frappé à la porte, et, par ce moyen, ils l'ont
reçue, ils l'ont trouvée, et ils y sont entrés
heureusement. » Comme Fauste objectait
qu'il n'était pas digne de Dieu, et du Dieu
des chrétiens qu'on le crût né d'une femme,
saint Augustin répond que les chrétiens ne
croient pas que la ■ nature divine ait pris
naissance d'une femme , mais que Jésus-
Christ en est né selon la chair, ainsi que le
dit l'Apôtre dans son Épitre aux Romains.
Il fait voir, dans le livre quatrième, que
les promesses des biens temporels sont ren-
fei-mées dans l'Ancien Testament, et que
c'est pour cela qu'on l'a intitulé ainsi; mais
que ces pi-omesses temporelles n'étaient que
les figures de celles des biens à venir, qui
ont reçu leur accomphssement dans le Nou-
veau Testament; que l'espérance des chré-
tiens n'a point pom' objet ces biens tempo-
rels auxquels même les saints de l'Ancien
Testament n'étaient point attachés , pai'ce
qu'ils ne les regardaient que comme des fi-
gures de ceux que le Nouveau Testament
devait procm-er.
Il enseigne, dansle cinquième livre, que l'on
ne doit pas penser de Jésus-Christ, suivant
la doctrine des manichéens, mais conformé-
ment à ce qu'eu dit l'Évangile qui nous ap-
prend qu'il est né, selon la chair, de la fa-
' Lit. II Retract., cap. vu. — ^ Lib. I iu Faust.,
cap. I. — 3 Lib. 11 Retract., cap. vin.
* Cassiod., Inst., cap. i et Fulg. ad Monim.,
lib. II, cap. XIV.
Analyse du
[IV° ET V* SIÈCLES.]
mille de David ; qu'il est mort pom' nos pé-
chés ; qu'il est ressuscité et que, pour avoir
la vie éternelle, il faut croire qu'il est en
même temps vrai fils de Dieu et vrai fils de
l'homme. Les manichéens se vantaient d'ac-
complir parfaitement ses préceptes, et Fauste
en particulier se glorifiait de n'avoir point
d'argent dans sa bourse. Mais saint Augus-
tin assure que, si lui et ceux de sa secte
n'avaient point d'argent dans leurs bourses,
ils avaient au moins des sacs et des coffres
pleins d'or. Sur quoi il raconte qu'un nom-
mé Constantius, alors de la secte des mani-
chéens, en ayant rassemblé plusieurs à Ro-
me dans sa maison, afin de leur faire obser-
ver la loi et les préceptes de Manichée, la
plupart n'en voulurent rien faire, de sorte
que ceux qui voulurent y persévérer firent
schisme avec les autres qui les appelèrent
des nattiers, parce qu'ils couchaient sur des
nattes de jonc. Ce Constantius embrassa de-
puis la religion catholique.
Saint Augustin exhorte les manichéens à
quitter leur hypocrisie, afin que leurs dis-
cours ne se trouvent pas contraires à leurs
mœurs. Il fait un détail de la vie de Fauste
et de ceux de son parti, qai était toute vo-
luptueuse, et leur oppose ceUe d'un grand
nombre de catholiques de l'un et de l'autre
sexe, qui observaient les plus sublimes pré-
ceptes de rSvangile, vivant dans' le célibat
et dans des jeûnes presque continuels, dont
la plupart n'avaient rien en propre, n'étant
avec leurs frères qu'un cœur et qu'une âme,
et se contentaient des choses nécessaires à
la vie.
4. Dans le sixième livre, saint Augustin
explique la différence qu'il y a entre les
préceptes de l'Ancien Testament, qui regar-
dent la vie active, et ceux qui n'étaient que
figuratifs. Vous ne convoiterez jjoint , c'est un
précepte de la vie active. Tout enfant mâle
sera circoncis le huitième jour, c'est un pré-
cepte de la vie significative. Les cathoh-
ques observent les premiers de ces précep-
tes ; mais ils se dispensent de l'observation
des seconds, comme inutiles. Saint Augustin
fait sentir tout le ridicule du mélange que
les manichéens disaient être arrivé dans la
nation des ténèbres, et de la répugnance
qu'ils avaient à manger certaines viandes,
sous prétexte qu'elles étaient impures ; et
fait voir que si les saints de l'Ancien Tes-
tament s'eu sont abstenus, parce que Dieu
l'avait ordonné ainsi, elles ne sont pas
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
341
néanmoins impures de leur nature, et que
ce que cette abstinence figurait étant ac-
complie, eUe n'est plus de précepte, mais
un simple témoignage. Il montre en peu
de mots, dans le septième livre, qu'il est
nécessaire, suivant les Écritures, de croire
que Jésus-Christ est en même temps fils
de Dieu et fils de l'homme, qu'il est des-
cendu du ciel ; et que le Verbe s'étant
fait chair, a habité parmi les hommes.
Dans le huitième livre il confirme ce qu'il
avait dit dans les précédents, que ce qui est
marqué dans l'Ancien Testament, était une
figure du Nouveau. Et parce que Fauste ob-
jectait qu'il n'y avait pas de raison aux
chrétiens de recevoir l'Ancien Testament,
puisqu'ils n'en observaient point les précep-
tes, saint Augustin après lui avoir répondu
dans le dixième hvre, qu'ils en observaient
les préceptes qui regardaient la vie active,
non la figurative, lui demande pourquoi,
lui et ceux de sa secte qui recevaient les
livres des Évangiles, non-seulement, ne
croyaient pas les vérités qui y sont conte-
nues, mais les combattaient encore de tou-
tes leurs forces. D'où il infère qu'ils ne pou-
vaient disconvenir qu'il lem\ était plus
diflacile de répondre aux passages du Nou-
veau Testament qu'on leur objectait, qu'aux
catholiques de résoudre les objections tirées
de l'Ancien. « En effet, dit-il, les catholi-
cpies reconnaissent pour vrai et pour divin
tout ce qui est commandé dans l'Ancien
Testament , et les manichéens rejettent du
Nouveau tout ce qui les embarrasse , ne
trouvant pas moyen d'y répondre. » Ils di-
saient, par exemple, que ces paroles que
nous lisons dans l'Épître aux Romains : Son
fils Cjui lui est né selon la chair, du sang de
David, n'étaient point de saint Paul ; ou que
si elles en étaient, cet Apôtre avait changé
de sentiment, lorsqu'il écrivait sa seconde
Épître aux Corinthiens, puisqu'il y dit : Si
nous avons connu Jésus-Christ selon la chair,
maintenant nous ne le connaissons plus de cette
sorte. Mais, d'après saint Augustin, au on-
zième livre, ce passage de l'Epître aux Ro-
mains était véritablement de l'Épître aux
Romains, n'y ayant aucun exemplaire, soit
ancien, soit nouveau, où il ne se trouvât ; et
s'il y avait quelque diflërence entre les exem-
plaires grecs et latins, c'est que ceux-là por-
taient que Jésus-Christ avait été fait selon la
chair ; tandis que dans ceux-ci on lisait né se
lon^ia chair. Il n'y a entre ces deux endroits
342
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
de saint Paul, aucune contrariété, parce que
cet Apôtre, par le mot de chair, n'entend
pas dans sa seconde aux Corinthiens, la
substance corporelle de l'homme, que Jésus-
Christ, après sa résurrection, appelle aussi
chair ; mais la corruption et la mortalité de
la chair qui ne sera plus en nous après la
résurrection, comme elle n'est plus en Jé-
sus-Christ depuis qu'il est ressuscité. Quand
donc il dit que maintenant nous ne connais-
sons plus Jésus-Christ selon la chair, c'est
comme s'il disait : Nous ne le connaissons
plus sujet à la mort, parce que ressuscité
une fois, il ne meurt plus, comme le dit le
même Apôtre, dans l'Épitre aux Romains.
5. Fauste avançait que les prophètes d'en-
tre les Hébreux n'avaient rien prophétisé
sur Jésus-Christ, ou que du moins ils n'a-
vaient pas vécu d'une manière à donner du
poids aux témoignages qu'ils en avaient
rendu. C'est ce qui engagea saint Augustin,
dans le douzième livre, à rapporter les pro-
phéties de l'Ancien Testament qui regardent
etla venue de Jésus-Christ, et l'établissement
de son Église, soutenant que tout ce qui est
contenu dans les livres saints a été dit ou
de Jésus-Christ ou pour Jésus-Christ. Comme
Fauste et les autres manichéens, en reje-
tant les témoignages des prophètes hébreux
ne laissaient pas de recevoir ceux de l'É-
vangile, et particulièrement celui de saint
Paul, saint Augustin leur fait voir par un
grand nombre de passages tirés des Épi-
tres de saint Paul et des Évangiles, que
Jésus-Christ a été annoncé par les pro-
phètes des Hébreux. Il joint à ces pro-
phéties diverses figures sous lesquelles Jé-
sus-Christ et son Église ont été représen-
tés; Jésus -Christ sous la figure d'Abel et
de plusieurs autres anciens patriarches ; et
l'Église, sous la figure de l'arche de Noé,
sous celles des juges, et plusieurs autres
bien marquées dans nos hvres saints. Il fait
surtout remarquer l'accomplissement de la
prophétie de Jacob dans Jésus-Christ, et
toutes les circonstances de sa passion rap-
portées par Isaïe et par le Psalmiste. Il con-
tinue la même matière dans le treizième
livre ; et pour faire mieux sentir quelle est
l'autorité des prophètes, il introduit un païen
curieux de s'instruire de la vérité de notre
religion. « Si nous disons à cet homme, s'é-
crie-t-il, de croire à Jésus-Christ, parce qu'il
est Dieu. Pourquoi, nous répondra-t-il, croi-
rai-je ne lui ? 11 ne se rendra pas même à
l'autorité des témoignages que nous lui pro-
duirons de la part des prophètes hébreux ;
mais si nous lui prouvons que ce que ces
prophètes ont annoncé, est arrivé ; qu'ils
ont prédit toutes les persécutions dont l'É-
glise a été agitée, l'établissement de cette
Église, qui est aujourd'hui connue de tout
le monde ; la destruction des idoles et de
l'idolâtrie ; l'aveuglement des Juifs et leur
réprobation ; la foi des princes et des peu-
ples, et beaucoup d'autres événements,
pourra-t-il ne pas se rendre ? »
Selon le saint Docteur, on peut bien em-
ployer contre les païens les témoignages
rendus au vrai Dieu par les Sybilles, Orphée
et quelques autres philosophes et théologiens
célèbres parmi les gentils. Mais ces té-
moignages ne suffisent pas pour donner à
ces philosophes ou à ces théologiens quel-
qu'autorité. Les livres des manichéens n'é-
taient pas d'un plus grand poids en fait de
rehgion, et ils ne pourraient servir à la con-
version d'un païen, n'y ayant personne as-
sez aveugle pour dire : « Je crois à Manès ,
mais je ne crois pas à Jésus-Christ; » et qui
ne pût dire à un manichéen : « Pourquoi me
commandez-vous d'ajouter foi à vos livres,
vous qui me défendez de croire à ceux des
Hébreux?» Il remarque en passant^que Ma-
nès se qualifiait mal à pi'opos apôtre de Jé-
sus-Christ au commencement de toutes ses
lettres, puisqu'il est constant cpie l'hérésie
dont il est le chef et l'inventeur, ne s'est
élevée que depuis la mort le saint Cyprien,
c'est-à-dire plus de deux siècles depuis Jé-
sus-Christ.
Dans le quatorzième livre, saint Augustin
fait voir que Jésus-Christ, s'étant revêtu
d'une chair semblable à celle du péché,
pour condamner le péché dans la chair, n'a-
vait pas lui-même une chair de péché, ne
l'ayant pas pris de Marie par les voies ordi-
naires ; qu'il n'a pas été sujet, à raison de sa
propre chair, à la malédiction que prononce
Moïse contre celui qui est attaché à la croix ;
mais seulement à cause de nos péchés qu'il
s'est bien voulu charger d'expier. D'où il
conclut que Fauste n'a pas eu raison d'ac-
cuser Moïse de blasphème, lorsqu'il a dit
dans le Deutéronome : Maudit est tout homme
qui est attaché au bois. En effet, saint Paul se
sei't d'une expression à peu près semblable
en parlant de Jésus-Christ : Notre vieil homme
a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché
soit détruit.
Roin. Ti, fi.
[IV" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIiN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
343
AnaijsBdes 6. Lbs oTimzième et seizième livres ont
{Dinzieme, ^
ie'ïôme' dix' po^r t"it de montrep que l'Ancien Testa-
uï-'n^ufième' nient n'est qpi'une prophétie du Nouveau,
IS'eismî!"' pour ceux qui l'entendent comme il doit être
entendu; et que l'autorité des anciennes
Écritures n'en est pas moindre, de ce que
les Juifs ne les entendent pas, mais qu'elle
en est au contraire plus forte, puisque leur
aveuglement même y est prédit. Saint Au-
gustin se moque de ceux qui trouvaient à
redire que les catholiques se servissent des
livres reçus des Juifs pour autoriser la reli-
gion chrétienne. «Les témoignages que l'on
en tire pour la divinité de Jésus-Christ, leur
dit-il, sont en cela même d'un plus grand
poids : ils sont pris des livres de ceux qui
blasphèment contre lui. Toutes les nations
converties à la foi reçoivent ces livres avec
respect et dévotion , et elles ne peuvent
soupçonner aucune fraude dans ce qu'on leur
dit de Jésus-Christ, puisqu'elles voient que
ce que l'on en dit, se lit dans des livres qui
sont d'une si grande autorité depuis tant de
siècles parmi ceux-mêmes qui l'ont crucifié.
Au reste, Iles chrétiens observent tout ce qui
est prescrit dans ces livres par Moïse, non
en pratiquant à la lettre ce qu'il y comman-
de, mais en la manière qu'on doit observer ce
qui n'était qu'une figure des choses à venir.
Il fait voir dans la dix-septième livre, qu'en
ce qui regarde Jésus-Christ, on doit beaucoup
plus s'en rapporter à saint Matthieu, témoin
oculaire de presque tout ce qu'il en a dit
qu'à Manès, qui non-seulement n'était pas
né lorsque Jésus-Christ a paru parmi les
hommes, mais qui en a dit encore des choses
toutes contraires à celles qu'en raconte l'É-
vangile, n est vrai que saint Matthieu, par-
lant de sa vocation à l'apostolat , ne dit pas :
Jésus me vit, et me dit : Suivez-moi ; mais, Jé-
sus vit Matthieu et lui dit : Suivez-moi. Mais
on sait que c'est l'usage des historiens, lors-
qu'ils parlent d'eux-mêmes d'en parler à la
troisième personne.
Sur la fin de ce livre et dans le dix-hui-
tième, le saint Docteur montre que Jésus-
Christ a véritablement accompli tout ce qui
était prescrit dans la loi et dans les prophè-
tes ; et que les chrétiens accomplissent toutes
les réalités annoncées dans les figures de
l'Ancien Testament ; qu'ainsi on ne peut les
accuser de prévarication, d'autant plus que
Dieu a dit par son prophète Jérémie , qu'il
leur donnerait un Testament Nouveau diffé-
rent de celui qu'il avait donné à leurs pères.
c'est-à-dire 'aux patriarches. Car le peuple
juif, à cause de la dureté de son cœur, avait
reçu certains préceptes dont l'observation,
quoique bonne par rapport aux circonstan-
ces des temps, n'était qu'une figure de ce qui
devait arriver, et être pratiqué dans la suite.
Au lieu du sabbat, nous célébrons le jour
du dimanche en mémoire de la résurrec-
tion de Notre-Seigneur, et le sang de Jésus-
Christ nous tient lieu de tous les sacrifices
d'animaux, situés dans la loi ancienne, et
qui n'étaient que des figures dont Jésus-
Christ est la vérité et la réaMté. Il observe en
passant que les noms des jours et des mois
leur ont été donnés par les païens en l'hon-
neur de leurs divinités.
Dans le dix-neuvième livre , il rend raison
pourquoi les sacrements de l'ancienne loi ont
été supprimés à la venue de Jésus-Christ.
« Es n'étaient, dit-il, que prophétiques pour
annoncer la venue du Seigneur ; de sorte
qu'ayant été accomplis par son avènement,
ils devaient être supprimés ; et ils l'ont été
parce qu'ils ont été accomplis, Jésus-Christ
étant venu accomplir la loi, et non pas la dé-
truire. Mais il a institué dans la nouvelle loi
d'autres sacrements plus grands en vertu,
plus excellents en utilité, plus faciles dans
leur observation, et moindres en nombre.
Si nous admirons et louons si fort les Mac-
chabées, parce qu'ils n'ont pas youlu man-
ger de la chair, qui est maintenant permise
aux chrétiens, mais qui dans ces temps pro-
phétiques, était défendue ; à combien plus
forte raison un chrétien doit-il maintenant
être prêt à souffrir tous les maux du monde,
pour soutenir la vérité du baptême de Jésus-
Christ, de l'Eucharistie de Jésus-Christ, du si
gne de Jésus-Christ ; puisque ces premières
choses étaient seulement les promesses de
celles qui se devaient accomplir ; et que ces
dernières sont les signes qu'elles ont été ac-
complies? » Aussi saint Augustin dit dans un
autre endroit S que le peuple juif était de-
venu comme un grand prophète, ayant été
la figure vivante de ce qui devait arriver à
Jésus-Christ et à son Église.
7. C'est ce cru'il étaWit encore dans le li- , Analyse des
^ livres TiDgt^e-
vre vingtième, où, après avoir rapporté les ^„%°'^_^'|!|g';
imaginations des manichéens sur la nature '' -'"■'•
du soleil et le culte qu'ils lui rendaient, et
plusieurs autres de leurs superstitions, il dit
que les Juifs, en offrant à Dieu les victimes
1 Lib. cont. Faust., pag. 253.
3U
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
des animaux, célébraient alors en plusieurs
et différentes manières, comme la chose le
méritait bien, la prophétie de la victime futu-
re que Jésus-Christ a depuis offerte en sa per-
sonne; c'est pour cela, ajoute-t-il, que les
chrétiens, après que ce sacrifice a été une
fois offert, en célèbrent maintenant la mé-
moire par l'oblation sainte et sacrée , et la
participation du corps et du sang de Jésus-
Christ. Fauste accusait les catholiques de
rendre aux martyrs un culte superstitieux,
et tout semblable à celui que les païens ren-
daient à leurs idoles; c'est ce qui oblige saint
Augustin d'expliquer pourquoi les fêtes des
martyrs se célébraient dans l'Eglise. <( Le
peuple chrétien, dit-il, célèbre la mémoire
des martyrs par de religieuses solennités,
soit pour s'exciter à les imiter, soit pour
s'associer à leurs mérites, et pour être as-
sistés de leurs prières : mais il ne sacrifie
pas pour cela à aucun des martyrs ; mais
seulement au Dieu des martyrs , quoiqu'il
érige des autels dans les églises des mar-
tyrs, n n'est jamais arrivé à aucun évêque,
étant à l'autel dans les lieux saints où repo-
sent les reliques des martyrs, de dire : Nous
vous offrons, Pierre ou Paul, ou Cypi'ien,
mais que ce qu'on offre est offert à Dieu
qui couronne les martyrs, et dans les mé-
moires de ceux qu'il a couronnés. Nous ho-
norons dorfc les martyrs de ce culte de di-
lection et de société, dont nous honorons
durant cette vie les saints hommes de Dieu
que nous croyons avoir le cœur préparé à
endurer de pareilles souffrances pour la vé-
rité de l'Évangile , mais ,^nous honorons les
saints martyrs ïivec d'autant plus de dévo-
tion, que nous le faisons a'vec plus d'assu-
rance après la consommation de leurs saints
combats ; et nous les louons avec une con-
fiance d'autant plus ferme, qu'ils sont main-
tenant victorieux dans une pleine sécurité,
et qu'ils ne sont plus comme des voyageurs
incertains durant le cours de la vie pré-
sente. )) Le saint Docteur soutient k Fauste
que l'on ne rend point aux martyrs dans
l'Église cathohque le culte que les grecs ap-
pellent de latrie, qui n'est dû qu'à Dieu
seul, ajoutant que les plus saints d'entre les
hommes comme saint Paul et saint Barnabe,
et les anges eux-mêmes, n'ont jamais per-
mis qu'on leur rendît un culte de cette nature.
Comme Fauste calomniait aussi les aga-
pes ou festins de charité, en accusant les
chrétiens de s'y abandonner au vin jusqu'à
l'excès, saint Augustin lui répond que ces
sortes de repas servaient à la nourriture des
pauvres; et que bien loin d'approuver les
excès du vin dans les mémoires des mar-
tyrs, l'Éghse les condamne dans les mai-
sons des particuliers.. Mais quelque grand
que soit le péché d'intempérance, selon saint
Augustin, il y aurait moins de mal de reve-
nir plein de vin des mémoires des martyrs,
que de leur sacrifier à jeun, tant il était éloi-
gné de penser qu'on pût leur rendre un
culte idolâtre. Avant la venue de Jésus-
Christ, la chair et le sang de son sacrifice
nous étaient promis par des victimes qui
n'en avaient que la ressemblance ; mais de-
puis la vérité nous en a été donnée dans sa
passion, et après son ascension glorieuse la
mémoire en est célébrée par son sacrement.
Fauste ne savait ce qu'il disait en accusant
les chrétiens de vivre à la manière des gen-
tils, car ceux qui vivent de la foi et d'une
foi véritable , et qui conséquemment ren-
ferme la foi, l'espérance et la charité, ne
peuvent être accusés de vivre comme les
païens, qui n'ont aucune de ces trois vertus.
Dans le vingt- unième livre, le saint Évê-
que fait voir à Fauste, que lui et ceux de
sa secte admettaient deux dieux, quoiqu'ils
s'en défendissent, parce qu'ils ne donnaient
le nom de Dieu qu'au bon principe, appe-
lant satan le principe mauvais ; qu'au con-
traire les chrétiens n'admettent qu'un seul
Dieu, à qui appartiennent également la misé-
ricorde et la justice , et qui récompense la
vertu et punit le vice.
8. Dans le vingt-deuxième livre, il explique
comment il est vrai que la loi a été donnée
par Moïse, et que la grâce et la vérité ont
été apportées par Jésus-Christ. « La grâce,
dit-il, a été apportée par Jésus-Christ, afin
que, l'indulgence des péchés nous ayant été
accordée, nous fassions avec le secours de
Dieu ce qui nous avait été commandé ; et la
vérité a été accomplie, lorsque ce culte de
Dieu, qui ne consistait qu'en des ombres et
des figures, a été anéanti par la présence
de Jésus-Clirist. »
Le texte même de l'Écriture lui sert à
prouver qu'on ne pouvait dire, comme
Fauste l'avançait, qu'il y ait eu un temps
où Dieu ait été enveloppé dans les ténèbres,
lui qui a fait la lumière ; et que ce mani-
chéen était obligé d'expliquer en un bon
sens une quantité d'expressions du Nouveau
Testament, toutes semblables à celles qu'il
Analyse dil
vingl-deuxiÈ*
me livre, (lag.
a03 ol suiv.
[lye ET r SIÈCLES.] SAINT AUGUSTLN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
343
condamnait dans l'Ancien. Il reprenait en
particulier les menaces que Dieu y fait aux
hommes, soit pécheurs soit justes. Sur quoi
saint Augustin lui répond : « Le souverain
vvigneron coupe les branches de sa vigne
qui sont bonnes à porter du fruit, d'une au-
tre manière que les inutiles ; cependant il
n'épargne ni les unes ni les autres, en tail-
lant seulement les bonnes et en retranchant
entièrement les mauvaises. Nul homme sur
la terre n'est ni assez juste ni assez parfait
pour n'avoir pas besoin de tentation, soit
pour pei'fectionner sa vertu, soit pour la for-
tifier, soit pour l'éprouver. Si dans la secte
de Fauste on ne rend pas aux patriarches
et aux prophètes de l'Ancien Testament
l'honneur qui leur est dû, c'est qu'on ne les
connaît pas tels qu'ils sont représentés dans
les saintes Ecritures ; et quelque mauvais
qu'ils les crient, ils sont beaucoup meil-
leurs que les élus des manichéens, et même
que le dieu de ces hérétiques. Non-seule-
ment la langue et les paroles des prophètes,
mais leur vie même et tout le royaume des
Juifs ont été comme un grand prophète
destinés à prédire la vie du Christ et de son
Eglise.» Puis, venant à la défense de ces pa-
triarches en particulier, il les justifie des re-
proches dont on chargeait leur conduite.
Il y en avait qui accusaient de mensonge
Abraham lorsqu'il persuada à sa femme de
dire aux Égyptiens qu'elle était sa sœur.
Saint Augustin répond : a On ne doit pas ac-
cuser un si grand homme d'avoir eu recours
à un mensonge pour sauver sa vie ; au con-
traire, il parla en cette occasion très-sincè-
rement ; car il ne nia pas que Sara fût sa
femme, à ceux qui lui auraient demandé si
elle ne l'était pas, ce qui aurait été un men-
songe : mais aux personnes qui ne connais-
saient ni lui ni Sara, et lui demandaient qui
elle était, il répond qu'elle est sa sœur, ce
qui était vrai comme ce patriarche le soutint
par la suite. Ainsi, continue le saint Doc-
teur, il ne dit rien de faux, quoiqu'il ne dise
pas une chose qui est vraie. » Il justifie aussi
Abraham sur ce que d'après le désir de Sara,
il prit Agar sa servante pour avoir des en-
fants par elle, soutenant qu'en cette occa-
sion, il n'avait point été dominé par une
passion impure, et qu'il n'avait cherché que
l'avoir des enfants qui sont la fin et la gloire
du mariage. Fauste objectait, que du moins
ce patriarche avait manqué de foi à la pa-
role de Dieu qui lai avait promis une nom-
breuse postérité de son mariage avec Sara.
Mais saint Augustin montre, par la suite de
l'Écriture, que cette promesse ne fut faite à
Abraham que depuis qu'il eût connu Agar ;
et que jusque-là. Dieu ne lui avait pas fait
connaître en quelle manière, ni de qui lui
naîtrait cette postérité.
On objectait encore, qu'il aurait été plus
digne de la grandeur de la foi et de la
générosité d'Abraham, de ne point exposer
l'honneur de Sara pour sauver sa propre
vie, mais d'avouer simplement aux Égyp-
tiens qu'il était son mari, en se reposant
sur la toute-puissance de Dieu, du soin de
sauver en même temps l'honneur de Sara,
et sa personne. Saint Augustin répond :
(( Si Abraham eût agi de la sorte , loin de
faire paraître une foi et rme générosité
plus grande, il aurait au contraire manqué
de lumière, et déplu à Dieu. Car, poursuit-il,
c'est un principe indubitable de la vérité qui
règle nos mœurs, que l'homme ne doit ja-
mais tenter Dieu; et que s'il se trouve en mê-
me temps exposé à deux périls, dont il
puisse éviter l'un par un moyen humain, et
dont l'autre soit entièrement inévitable, il
doit se délivrer lui-même du premier, et re-
mettre à Dieu le soin de le tirer du second.
C'est ce qui est arrivé à Abraham dans cette
rencontre. Il devait craindre en même temps
la perte et de sa vie et de l'honneur de sa
femme. Il sauve sa vie en disant ce qui
était vrai, que Sara était sa sœur, c'est-à-
dire sa nièce selon l'expression des anciens,
qui donnaient le nom de sœur à leurs pro-
ches parentes, comme on le voit par le livre
de Tobie et de la Genèse , et il remet à Dieu
le soin de tirer du péril l'honneur de sa
femme. »
Saint Augustin appuie cette explication de
l'exemple de Jésus-Christ, qui étant enfant,
évita la fureur d'Hérode en se sauvant en
Egypte, quoique étant Dieu, ilfutle maître et
de sa vie et de la volonté de ses emiemis. Il
l'appuie aussi de l'exemple de saint Paul, qui,
pour ne pas offenser Dieu en le tentant, aima
mieux se faire descendre dans une corbeille
le long de la muraille de la ville de Damas,
que de s'exposer à la fureur de ses ennemis.
Le saint Docteur demande si la chasteté de
Sara aurait été blessée, en cas que, pour sau-
ver la vie à son époux et par son ordre, elle
eût passé entre les bras d'Abimélech ou de
Pharaon ; comme Abraham lui-môme ne com-
mit point un adultère, lorsque déférant à la
Tob. VIII, 0.
Gcn.xiii.S,
346
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
volonté de Sara, il consentit d'admettre dans
son lit Agar son esclave. A ce sujet, il dit
qne la loi naturelle interdit à une femme la
pluralité des maris, mais non pas à un hom-
me la pluralité des femmes; et qne, par con-
séquent, il a pu être permis à Abraham d'a-
voir une concubine, mais qu'il n'a pu être
permis à Sara de se donner un second mari
avec Abraham, quand même elle l'eût fait
pour lui sauver la vie.
A l'égard de ce qui se passa entre Loth et
ses deux filles, saint Augustin ne croit point
que l'on puisse excuser une conduite si con-
traire à l'honnêteté et à la sagesse ; si l'É-
criture appelle Loth un homme juste, c'est
qu'il l'était en une certaine manière, c'est-à-
dire en ce qu'il était, comme Abraham, ado-
rateur du vrai Dieu; et que,^ comparé aux
habitants de Sodome, non-seulement il pa-
raissait juste, mais très-affermi dans la vertu
et dans la justice , puisqii'il conserva tou-
jours une extrême horreur des abominations
de cette ville, bien loin d'être tenté de les
imiter. Loth n'étant donc appelé juste qu'en
iiBeir.iii, ce sens qui est celui de l'apôtre saint Pierre,
n'y avait-il pas dans Fauste de la témérité
et de la folie de condamner les livres de
l'Ancien Testament, parce qu'ils rapportent
cette action de Loth, ne prenant pas garde
qu'ils ne la rapportent point comme ayant
été ordonnée de Dieu, ou comme l'approu-
vant , mais simplement comme l'action d'un
homme? Il relève ensuite le ridicule de ce
manichéen qui censurait certaines marques
de tendresse qu'lsaac, au rapport de l'Écri-
ture, avait données à sa femme. Le saint
Docteur, au lieu de les regarder comme in-
décentes, ne doute point que les saints mê-
mes qui sont mariés, ne puissent en agir
ainsi sans se dépouiller entièrement de la
gravité convenable à l'homme, pour condes-
cendre en quelque sorte à la faiblesse du
sexe. Il dit en parlant de l'entretien de Ra-
chel avec Lia, au sujet des Mandragores,
que le Saint-Esprit qui est l'auteur de cette
histoire, n'aurait garde d'y rapporter de si
petites choses qui se passent entre les fem-
mes, s'il n'avait dessein en même temps de
■nous engager à y rechercher de grands
mystères, qu'elle y couvi-e sous des ombres
et des figures. A l'égard des quatre femmes
dont Fauste faisait un grand crime à Jacob,
saint Augustin répcnid que l'usage étant
alors d'épouser plusieurs femmes, ce n'était
point un crime ; mais que c'en serait un au-
jourd'hui , parce que ce n'est pas l'usage.
Il ne justifie point le crime de Juda, ni de
beaucoup d'autres anciens qui sont marqués
dans la généalogie de Jésus-Christ, se con-
tentant de dire que les crimes, dont ils se
sont rendus coupables, ne dérogent en rien
au mystère de l'Incarnation , le Sauveur
ayant voidu naître d'ancêtres, les uns bons,
les autres mauvais , pour être le Sauveur
des uns et des autres. Mais il soutient que
ce n'était pas une raison à Fauste de rejeter
l'Éci'iture, parce qu'elle fait mention de ces
crimes , ayant coutume de rapporter sans
acception de personne , le bien et le mal
de chacun, comme on le voit dans David,
dont elle rapporte les péchés et les vertus,
et dans saint Pierre dont elle raconte égale-
ment le renoncement et la confession.
Après un bel éloge de Moïse que Fauste n'é-
pargnait pas plus que les anciens justes, il
fait voir qu'il ne pécha point en dépouillant
les Égyptiens de ce qu'ils avaient de plus
précieux, et qu'au contraire, il se serait ren-
du coupable s'il eût agi autrement. Dieu lui
ayant commandé tout ce qu'il fît en cette
occasion. Ce législateur n'est pas même à
condamner dans les guerres qu'il entreprit,
et montre à cette occasion ce qu'il y a de
mauvais dans la guerre. « Qu'y a-t-il à blâ-
mer, dit-il, dans la guerre? Est-ce de ce
qu'elle fait mourir des hommes qui mour-
raient aussi bien un jour, afin que les vain-
queurs vivent en paix ? Il n'appartient qu'à
des gens timides, et non à des personnes de
piété, de blâmer en cela la guerre ; mais la
passion de nuire aux autres, la cruauté pour
se venger, l'aversion de la paix, les senti-
ments implacables de l'esprit, l'emporte-
ment de la révolte, là convoitise de dominer
et toutes les antres passions semblables, sont
les défauts blâmables dans la guerre; et
quelquefois c'est afin de punir ces passions
déréglées dans ceux qui, par leurs violences,
résistent à la justice de leurs desseins, que
les bons entreprennent la guerre contre les
méchants. Un homme juste peut donc fort
bien faire la guerre, même sous le comman-
dement d'un roi sacrilège, en gardant, au-
tant qu'il le peut, l'ordre et la paix de ses
citoyens ; lorsqu'il sait certainement que ce
qui lui est commandé n'est pas contre les
préceptes de Dieu, ou qu'il ne sait pas cer-
tainement s'il lui est contraire. Ainsi, l'ini-
quité du commandement rend quelquefois
un roi coupable, en môme temps que le
[IV" ET V SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
347
devoir d'obéir rend un soldat innocent. »
Voici la raison qu'il donne pour expliquer
comment quelques-uns des justes de l'an-
cienne loi ont régné et fait des guerres, tan-
dis que les apôtres et les martyrs n'ont fait
que souffrir, n Les patriarches et les pro-
phètes, dit-il, ont régné sur la terre, afin de
faire voir que c'est Dieu qui donne et qui
ôte tous ces royaumes comme il lui plaît ;
mais les apôtres et les martyrs n'y ont pas
régné, afin de nous apprendre à désirer plu-
tôt le royaume du ciel que ceux de la terre.
Ces rois anciens ont fait des guerres, afin de
montrer aux hommes que c'est Dieu qui par
sa volonté souveraine donne les victoires ;
mais les martyrs se sont laissés tuer sans
faire de résistance, afin de nous enseigner
que la plus excellente victoire est de mourir
pour la foi de la vérité. »
Selon saint Augustin , l'homme devient
injuste et pécheur, quand il aime pom^ elles-
mêmes des choses dont on ne doit user (jue
pour parvenir à d'autres, et il se sert, afin
d'arriver à ces choses-là, de celles qu'on
doit aimer pour efies-mêmes : car il trouble
par ces actions autant qu'il le peut, l'ordre
naturel que la loi éternelle veut que l'homme
garde. « L'homme au contraire, ajoute-t-il,
devient juste quand il ne veut user des cho-
ses du monde, que selon la fin pour la-
queUe eUes ont été instituées ; qu'il dé-
sire de jouir de Dieu pour lui-même, et de
son ami et de soi-même en Dieu et pour
Dieu. »
Il restait encore à saint Augustin de ré-
pondre aux reproches que Fauste faisait au
Dieu de l'Ancien Testament, d'avoir ordon-
né au prophète Osée de prendre pour fem-
me celle qui avait commis le péché de for-
nication, et d'en avoir des enfants. Il répond
donc à ce manichéen, que Dieu n'en agit
ainsi que pour retirer cette femme de son
désordre, et que selon l'Évangile, les fem-
mes publiques précéderont les Juifs dans
le royaume des cieux. Quant à Salomon,
dont Fauste objectait aussi les désordres, le
saint Docteur répond que l'Ecriture, qui rap-
porte le bien qu'il fît dans les commence-
ments de, son règne, l'a repris des excès
dans lesquels il tomba sur la fin.
Ensuite il reprend tout ce que Fauste
avait objecté touchant Juda, Thamar, David,
Salomon, Osée et Moïse, et donne à tous ces
faits des explications morales et spirituelles.
Voici celles qu'il donne du veau d'or que
Moïse ordonna de jeter dans le feu. « Cette
idole , dit-il , représentait tout le corps et
toute la société des gentils, adorateurs des
idoles. Le corps de cette idole est jeté dans
le feu , parce que les gentils, étant convertis
et embrasés de ce feu que le Fils de Dieu est
venu apporter du ciel sur la terre, devaient
un jour perdre la force du péché, que le dé-
mon leur avait imprimée, pour être trans-
formés en Jésus-Christ. Cette idole est ré-
duite en poudre, parce que Dieu a brisé
l'orgueil des gentils idolâtres, pour les ré-
duire dans la poussière de lem" néant. La
poussière de cette idole est jetée dans l'eau,
parce qu'après que les gentils ont été
convertis par l'impression du Saint-Esprit,
ils ont été sanctifiés par l'eau du baptê-
me. Et les Israélites boivent de cette eau,
parce que l'Égfise qui est le véritable
Israël, a fait passer les gentils dans son
propre corps. »
D'après saint Augustin ceux qui croient
que l'esprit de Bien, dans ces histoires sain-
tes, rapporte seulement les choses passées
sans prédire les futures , sont dans une
grande erreur , puisqu'ils combattent for-
mellement les paroles de Jésus-Christ et des
apôtres ; ceux , au contraire , qui croient
que non-seulement les actions principales,
mais aussi les plus petites circonstances de
ces histoires saintes, sont prophétiques et
mystérieuses , semblent entreprendre une
chose bien hardie et bien difficile, quoiqu'on
doive recevoir avec respect ces sortes d'ex-
plications , si elles sont solides et fondées
dans l'Écriture. Il éclaircit cette règle par
une comparaison, a C(jmmedans une Imrpe,
dit-il, tout sert pour la faire résonner, et
tout néanmoins ne résonne pas, n'y ayant
que les cordes seules, qui, étant touchées
avec art, composent l'harmonie des sons :
ainsi, dans l'histoire sacrée, tout générale-
ment n'est pas une figure et une prophétie,
mais les moindres choses servent comme de
jointure et de liaison pour les plus grandes
qui sont prophétiques et mystérieuses. » En-
fin, il remarque que les Écritures sacrées
ont rapporté quelques exemples de la chute
des bons dans le mal, et du retour des mé-
chants au bien, afin que les justes ne s'éle-
vassent point dans l'orgueil par une trop
grande assui'ance, et que les méchants ne
s'endurcissent point dans le péché par le
désespoir.
9. Les sept livres suivants contiennent les
Analyse des
348
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
YiDfl-Irotpiè-
me,\ingt-qua-
Irième, vingl-
c i Q q II i è m e-
■wnçt-fi.xîème,
vingt- fpiiliè-
me, vingl-hui,
liënie. vingt-
neuvièmp li-
vres, pog. 423
cl suiv,
Analj>e des
l r e n l i 6 ni 0 ,
trenle- unie -
me , Uenle-
deuxième ,
trente- lro>iè-
réponses de saint Augustin à quelques vai-
nes subtilités de Fauste touchant la parenté,
la naissance, la mort et les actions de Jésus-
Clirist. Le saint Docteur y démontre les
points suivants : La sainte Vierge, de laquelle
est né le Sauveui-, était véritablement de la
famille de David, et Joseph son époux en
était aussi. Ce que Fauste disait du père de
la sainte Vierge, qu'il s'appelait Joachim, et
qu'il était ptétre de la tribu de Lévi, ne se li-
sait point dans les livi'es canoniques; mais
quand le fait serait vrai, il était très-pos-
sible qu'il appartînt à la famille de David, et,
qu'étant de la tribu de Juda, il ait été adopté
dans celle de Lévi. Quand Jésus-Christ ne se-
rait point né de Marie, cela n'empêcherait
pas qu'il ne fût mort , puisqu'Adam , qui
n'était né de personne, n'avait pas laissé de
mourir. Au reste on croit, dans l'Église, que
Jésus-Christ est né, qu'il a souffert, qu'il a
prêché, qu'il est mort, parce que tous ces
faits sont attestés par ceux qui en ont été
témoins, et qui les ont mis par écrit. Saint
Augustin rejette la lettre que les manichéens
faisaient courir sous le nom de Jésus-Christ.
10. Voici ce qu'on remarque dans le tren-
tième livre : les manichéens s'abstenaient des
viandes parce qu'ils les croyaient immondes,
et ils portaient les filles à embrasser la vir-
ginité, parce qu'ils détestaient le mariage;
au contraire, si les catholiques s'abstenaient
quelquefois des viandes, ce n'était pas qu'ils
les crussent mauvaises, mais uniquement
pour se mortifier et humiher davantage leur
âme dans la prière, et, s'ils préféraient aussi
la virginité au mariage , c'est parce qu'ils la
croyaient meilleure. La même matière est
traitée dans le trente-unième livre. Saint
Augustin prouve, par le témoignage de l'A-
pôtre, que tout est pur pour ceux qui sont
pirrs. «Si l'Apôtre, dit-il, appelle immondes
ceux qui, dans le Nouveau Testament, vou
laient que l'on observât encore les ombres des
choses futures comme nécessaires au salut,
c'est qu'ils pensaient ti'op charueUement, et
c'est pour la même raison qu'il les appelle
infidèles parce qu'ils ne distinguaient pas le
temps de la loi d'avec celui de la grâce. »
11 reconnaît, dans le livre trente-deuxiè-
me, que les catholiques recevaient comme
divines toutes les écritures de l'Ancien Tes-
tament, et que, s'ils ne rendaient pas à Dieu
le même culte que lui rendaient les Hébreux
sous la loi ancienne, c'est qu'ils ont appris
des Pères du Nouveau Testament, à lui en
rendre un autre figuré par les ombres de
l'Ancien.
Fauste objectait comme un crime ce qui
est ordonné dans le chapitre xxv du Deuté-
ronome que, lorsque deux frères demeure-
ront ensemble, et que l'un d'eux sera mort
sans enfants, la femme du mort n'en épou-
sera point un autre que le frère de son mari,
afin que celui-ci suscite des enfants à son
frère.
Saint Augustin répond à cette difficulté en
deux manières : 1° Cette loi marquait, en fi-
gure, que chaque prédicateur de l'Évangile
doit travailler dans l'Église de telle sorte
qu'il suscite des enfants à son frère qui est
mort, c'est-à-dire à Jésus-Christ qui est mort
pour nous, afin que les enfants qu'il lui
donnera portent son nom ; que l'Apôtre,
accomplissant cette loi , non pas charneUe-
ment et en figure, mais spirituellement et
en vérité par l'ardeur de ses travaux apos-
toliques, se met en une sainte colère contre
ceux qu'il dit avoir engendrés en Jésus-
Christ par l'Évangile, et les reprend très-sé-
vèrement de ce qu'ils voulaient être à Paul.
Est-ce Paul, leur disait-il, qui a été crucifié
pour vous, ou avez-vous été baptisés au nom de
Paul? Comme s'il leur avait dit : Je vous ai
engendrés à mon frère qui est mort, et vous
vous nommez de son nom, c'est-à-dire clu'é-
tiens et non pas pauliens. 2° Cette loi signi-
fie que celui qui, ayant été choisi par l'É-
glise pour le ministère de l'Évangile, refuse
de l'accepter, est semblable en cela à ce frère
dont il est parlé au même lieu, qui ne veut
point épouser la femme de son frère mort, et
qu'il se rend digne véritablement d'être mé-
prisé par l'Église même.
Fauste reprochait aux chrétiens de ne pas
célébrer la Pâque comme les juifs, et de ne
pas observer comme eux certaines abstinen-
ces. Saint Augustin lui répond : « Les clu'é-
tiens, célébrant chaque jour l'immolation
de l'Agneau, et eu faisant chaque année la
solennité, ne doivent pas se rencontrer dans
cette fête avec les Juifs, qui ne célèbrent
cette immolation qu'en figure; et il ajoute
qu'ils font cette fête le dimanche, jour au-
quel Jésus-Christ est ressuscité, comme ils
célèbrent le cinquantième jour depuis la
résurrection du Sauveur, le jour de la des-
cente du Saint-Esprit sur les apôtres, l'É-
glise ayant coutume de célébrer les mystè-
res au jour même qu'ils sont arrivés. Quant
aux viandes défendues aux Juifs, comme
I Cor. »,
15, •
[IV=^ ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
349
elles n'étaient que l'ombre des choses futu-
res, le saint Docteur répond que le temps
des figures étant passé, l'abstinence de ces
viandes ne doit plus être observée. Il fait
un parallèle de la doctrine des chrétiens, et
particulièrement de ce qui regardait la foi
en Jésus-Christ, avec la doctrine des mani-
chéens à qui il reproche de ne rejeter cer-
taines parties du Nouveau Testament, que
parce qu'ils les croyaient contraires l'une à
l'autre, et qu'ils n'en jugeaient ainsi, que
parce qu'ils ne les entendaient pas. Il in-
siste beaucoup dans le livre trente-troi-
sième, sur l'authenticité des divines Écritu-
res, en particulier sur les écrits des apôtres,
disant qu'il n'y a rien de certain, s'il ne l'est
pas que ces écrits sont de ceux dont ils por-
tent le nom. Il aUègue sur cela le témoi-
gnage de l'Église répandue parmi toutes les
nations ; et pour rendre sa preuve plus sen-
sible, il dit à Fauste : « Gomment est-on
certain que les hvres d'Hypocrate, de Pla-
ton, d'Aristote, de Cicéron, de Varron, et
de beaucoup d'autres auteurs de ce genre,
sont véritablement d'eux, sinon par le té-
moignage successif de chaque siècle, de-
puis celui où ils ont vécu jusqu'au nôtre.
Il en est de même des livres qui ont été
composés par certains écrivains ecclésiasti-
ques à qui l'on n'attribue les ouvrages qui
portent leur nom, que parce que dans le
siècle où ils ont vécu on les leur a attribués
comme dans toute la suite des temps jus-
qu'à nous. »
n finit son ouvrage contre Fauste en le-
vant quelques contrariétés apparentes qui
se rencontrent dans les Évangiles, et en
avertissant ceux qui pourraient avoir quel-
ques difficultés sur les livres de l'Ancien
Testament, qu'ils les trouveront exphquées
dans le Nouveau, où les mystères sont dé-
veloppés et les prophéties accomphes.
§ IV.
Des deux livres contre Félix le manichéen;
des livres de la Nature du bien, et contre
Secondin.
isdeuxii- 1. Félix \ l'un des élus et même un des
ont été '
écrits en 404. doctcurs des manichéens était venu à Hip-
pone pour y semer ses erreurs. Quoique
fort ignorant dans les belles lettres , il
était plus adroit que Fortunat, confondu
par saint Augustin, encore prêtre, dans une
dispute publique au mois d'août de l'an 393.
Il arriva qu'on saisit à Félix ses papiers ^,
c'est-à-dire les livres des manichéens qu'il
avait, et qu'on les mit sous la garde du
sceau public. Pour se les faire rendre il
présenta sa requête au curateur de la ville
d'Hippone , le 6 décembre de l'an 404,
sous le sixième consulat de l'empereur Ho-
norius. Il s'offrait dans cette requête de
conférer avec saint Augustin, déclarant qu'il
était prêt de soutenir les écrits de Manichée,
de montrer qu'ils ne contenaient aucune
mauvaise doctrine ; et qu'au cas qu'il s'y
trouvât quelque chose de mal, il voulait
bien être brûlé avec ses livres, et subir toute
la rigueur des lois. Saint Augustin n'eut
point de peine d'accepter la dispute ; et il
semble qu'il entra en conférence avec Félix,
le jour même que celui-ci la proposa : car
on voit par Possidius qu'il y en eut deux ou
trois, quoiqu'il n'y en ait que deux dont les
actes aient été rédigés par écrit ; mais tout
au commencement de la première de ces
deux conférences, saint Augustin dit à Fé-
lix ^ : «Vous savez que vous vous êtes vanté
hier de pouvoir défendre les écrits de Mâ-
nes. » Dans la même conférence Félix dit
à saint Augustin *, que s'il lui apportait les
cinq auteurs qu'il lui avait dit, il serait en
état de lui répondre sur tout, ce qui mar-
qua visiblement qu'ils s'étaient déjà entre-
tenus la veiUe du 7 décembre, qui est la
date de la première des deux conférences,
dont nous avons les actes, et dont saint Au-
gustin a fait deux livres.
2. Elle se tint dans l'Église d'Hippone, en Analyse du
^ Ai.? premici' livie,
présence du peuple qui écoutait avec beau- t's-"^'
coup de modestie et un grand silence devant
les balustres du chœur. II y avait aussi des
notaires, et ils écrivirent toutes les paroles
de l'un et de l'auti'e. Saint Augustin prit
d'abord en main la lettre de Manès appelée
du Fondement : Félix la reconnut, et en lut
lui-même le commencement, où cet héré-
siarque se disait apôtre de Jésus -Chi'ist.
Alors saint Augustin lui dit : « Prouvez -
nous comment Manès est apôtre de Jésus^
Christ : car nous ne le voyons point dans
l'Évangile au nombre des apôtres. Nous sa-
vons celui qui a été ordonné à la place du
• August., lib. II Retract., cap. vm.
in Fel., cap. i.
2 Lib. II s August., lib. 1 m Fel., cap. i. — * Ibid.,
cap. XIV.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
350
traître Judas, qui est saint Matthias, et celui
qui a été ensuite appelé du ciel par la voix
du Seigneur, qui est saint Paul. » Félix ré-
pondit : « Votre ainteté me prouve comment
Jésus-Christ a accompli sa promesse d'en-
voyer le Saint-Esprit. Et de suite il cita ce
qui en est rapporté dans le seizième chapi-
tre de saint Jean. »
Saint Augustin lut cette promesse dans le
vingt-quatrième chapitre de saint Luc, con-
forme à celle qui se trouve dans saint Jean;
puis il lut le commencement des Actes des
apôtres, et ce qui y est dit de la descente
du Saint-Esprit. Félix réphqua : « Puisque
vous dites que les apôtres ont reçu le Saint-
Esprit, donnez-m'en un qui m'enseigne ce
que Manès m'a enseigné, ou qui détruise
sa doctrine, n Saint Augustin répondit :
« Les apôtres ont été enlevés du monde
avant que l'erreur de Manichée y fut née ;
c'est pourquoi on ne trouve aucun écrit des
apôtres où ils le combattent nommément.
Je vous lirai néanmoins, ajouta-t-il, ce que
l'apôtre saint Paul a prédit de vos sembla-
bles ; et ayant pris la première Épître à Ti-
mothée, il lut l'endroit du quatrième cha-
pitre où il est dit : Dans le temps à venir
quelques-uns abandonneront la foi, en suivant
des esprits d'erreur et des doctrines diaboliques
qui interdiront le mariage, et qui obligeront
de s'abstenir des viandes que Dieu a créées pour
être reçues avec action de grâces pour les fidè-
■ les. » Ensuite il pressa Félix de déclarer, s'il
croyoit que toute viande propre à la nourri-
ture des hommes fût pure, et que le mariage
fût permis. Félix, au heu de répondre, se fit
répéter une seconde fois les paroles de la
première à Timothée, et dit que Manès ne
s'était point retiré de la foi comme ceux
dont parle saint Paul en cet endroit. Puis,
détournant la question sur laquelle saint
Augustin l'avait pressé de répondre, il
ajoute : « Vous dites que le Saint-Esprit est
venu en Paul. Toutefois, il dit dans une au-
tre Épître, qui est la première aux Corin-
thiens, que nos connaissances sont impar-
faites, et que quand la perfection viendra,
elles seront détruites. Manès est venu, et
nous a enseigné le commencement, le miheu
et la fin. Il nous a instruits de la formation
du monde, des causes du jour et de la nuit,
du cours du soleil et de la lune, n'ayant
point trouvé cela dans Paul, ni dans les
écrits des autres apôtres, nous croyons
qu'il est le Paraclet. » « Nous ne lisons point
dans l'Évangile, répondit saint Augustin,
que Jésus-Christ ait dit : Je vous envoie le
Paraclet pour vous instruire du cours du
soleil et de la lune. Car il voulait faire des
chrétiens, et non pas des mathématiciens. Il
suûit aux hommes de savoir de ces choses
pour l'usage de la vie, ce qu'ils en appren-
nent dans les écoles. Autrement je vous de-
mande combien il y a d'étoiles, et vous êtes
obligés de me répondre, vous qui prétendez
que le Saint-Esprit vous a enseigné ces sor-
tes de choses. Mais, en attendant, je vous
expliquerai ce que dit saint Paul de l'imper-
fection de nos connaissances. Il pai-le de
l'état de cette vie ; et pour le montrer,
voyez ce qu'il dit : Nous voyons maintenant ^u cor,
comme dans un miroir et en une énigme, mais
alors, nous verrons face à face. Dites-moi,
vous qui prétendez que l'Apôtre prédisait
le temps de Manichée, voyez-vous mainte-
nant Dieu face à face. »
3. Félix dit : « Je n'ai pas assez de forces sniie,
pour résister à votre puissance, le rang
épiscopal est grand : je ne puis résister non
plus aux lois des empereurs, et je vous ai
prié de m'enseigner sommairement ce que
c'est que la vérité. » Saint Augustin, après
avoir repris en peu de mots ce qui avait été
dit jusque-là, et montré que Félix n'avait
pu lui répondre, ajouta ; « Vous avez dit
que vous craigniez l'autorité épiscopale,
quoique vous voyiez avec quelle tranquilité
nous disputons : ce peuple ne vous fait au-
cune violence, et ne vous donne aucun sujet
de crainte ; il écoute paisiblement , comme
il convient à des chrétiens. Vous avez dit
(jue vous craigniez les lois des empereurs :
un homme qui serait rempli du Saint-Esprit
n'aurait pas cette crainte , en soutenant la
vraie foi. » Félix dit : « Les apôtres mêmes
ont craint. Ils ont craint, dit saint Augustin,
jusqu'à se cacher , non jusqu'à refuser de
déclarer leur foi quand ils étaient pris. Hier,
vous donnâtes une requête au cm'ateur de
la ville , en criant publiquement que vous
vouhez être brûlé avec vos livres, si on y
trouvait quelque chose de mauvais : vous
imploriez si hardiment les lois, et aujour-
d'hui vous fuyez lâchement la vérité. »
Félix après plusieurs chicanes s'expliqua
sm' le combat qu'il y avait eu entre Dieu et
la nation de ténèbres ; saint Augustin lui fit
le même argument qu'à Fortunat : « Com-
ment la nation des ténèbres pouvait- elle
nuire à Dieu, dont , selon Manès , les royau-
P«é|
[iy= ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
351
mes étaient si solidement fondés , qu'ils ne
pouvaient être ni remués ni ébranlés ? »
Félix dit : « Si rien n'est opposé à Dieu,
pourquoi Jésus-Clirist a-t-il été envoyé pour
nous délivrer des liens de la mort ? Pour-
quoi sommes-nous baptisés ! A quoi sert
l'Eucharistie et le christianisme? » Saint Au-
gustin répondit : (c Jésus-Christ est venu
nous délivrer de nos péchés , parce que
nous ne sommes pas engendrés de la subs-
tance de Dieu, mais faits par sa parole. Or,
il y a une grande différence entre ce qui est
né de la substance de Dieu, et ce qu'il a fait.
Tout ce qu'il a fait est sujet au changement ;
mais Dieu n'y est point sujet, parce que l'ou-
vrage ne peut être égal à l'ouvrier. Mais
vous qui venez de dire que le Père qui a
engendré des enfants de lumière , l'air et la
terre, et les enfants, ne sont qu'une subs-
tance, et que tout est égal ; il faut que vous
me disiez comment la nation des ténèbres
pourrait nuire à cette substance incorrup-
tible. » Félix demanda pour y répondre jus-
qu'au lundi douzième du mois de décembre,
et pour assurance qu'il ne s'enfuirait point ,
il se mit à la garde d'un chrétien nommé
Boniface qu'il choisit entre les assistants.
4. Ainsi finit la première conférence, dont
les actes furent signés par saint Augustin et
par Félix. La seconde se tint au jour mar-
qué dans la même Église d'Hippone, appelée
l'Eglise de la Paix. Saint Augustin ayant re-
pris son argimient, Félix dit qu'il n'avait pu
se préparer à y répondre, parce qu'on ne lui
avait point rendu ses livres ; mais que si on
les lui rendait, il viendrait au combat dans
deux jours. «Tout le monde voit, dit saint
Augustin, que vous n'avez rien à répondre,
ayant demandé, non vos livres, mais un dé-
lai. Toutefois, puisque vous les demandez,
dites ce que vous voulez qu'on en apporte
pour le voir maintenant et répondre. » Fé-
lix s'en tint à l'épître du Fondement, et saint
Augustin répétant son objection, dit : «Si
vous adorez un Dieu incorruptible, en quoi
lui pouvait nuire cette nation contraire que
vous imaginez ? Si rien ne lui pouvait nuire,
il n'a point eu de raison pour mêler une
partie de lui-même à la nature des démons.»
Félix, voulant justifier Manès , tâcha de
prouver par l'Évangile et par saint Paul,
dont il produisit plusieurs passages, qu'il y
a deux natures, l'une bonne, et l'autre mau-
vaise. Saint Augustin répondit, que toutes
les créatures soit visibles , soit invisibles ,
sont l'ouvrage de Dieu, et que l'origine du
mal est le libre arbitre par lequel on fait le
bien ou le mal ; ce qu'il prouva non-seule-
ment par un passage de l'Évangile de saint Maiih, xn,
Matthieu , mais encore par les livres des
manichéens, l'un intitulé le Trésor, et l'au-
tre, les Actes des apôtres, écrits par Leutius.
Il fit voir que, suivant les principes des mani-
chéens, il n'y aurait point de péché, ui de
justice dans la punition ; et qu'il est néces-
saire de distinguer ce qui est de Dieu, com-
me procédant de sa propre substance , et ce
qu'il a tiré du néant, comme son ouvrage.
On revint encore à l'incorruptibilité de Dieu;
et Félix' ayant, avoué que quiconqxie disait
Dieu corruptible, devait être anathématisé,
le saint lui prouva que Manès enseignait ce
blasphème. Félix se trouvant embarrassé,
dit à saint Augustin : Que voulez-vous que
je fasse ? « Que vous anathématisiez Ma-
nès, auteur de ces blasphèmes, lui répondit
saint Augustin ; mais ne le faites que de bon
cœur, car personne ne vous y contraint. »
Félix souhaita que saint Augustin l'anathé-
matisât le premier, lui et l'esprit qui avait
parlé en lui. Ce Père ayant donc pris un pa-
pier, écrivit ces mots : « Moi, Augustin, évê-
que de l'Église cathohque, j'ai déjà anathé-
matisé Manès et sa doctrine, et l'esprit qui a
dit par lui de si exécrables blasphèmes ,
parce que c'était un esprit séducteur, non
de vérité, mais d'une erreur abominable; et
maintenant j 'anathématisé encore de même
Manès et son esprit d'erreur. » Il donna le pa-
pier à Félix, qui anathématisa Manès en des
termes qui marquaient qu'il pénétrait bien
l'abomination de ces blasphèmes, et qu'il les
avait eflectivement en horreur. Us signèrent
l'un et l'autre les actes de cette seconde
conférence, comme ils avaient fait ceux de
la première. Il y a un manuscrit où après le Tom, vm
T 7 TT > ' ' \ r\ 1 1 t r 1- Oper. Au^,,
livre des Hérésies a Quodvultdeus, on lit un i^-iTi-
acte d'une information faite contre les mani-
chéens ; Félix y reconnaît avoir abandonné
leur hérésie, déclare ceux qu'il sait_.être[de
cette secte.
S. Saint Augustin, après avoir parlé dans
le second livre de ses Rétractations ' , des
conférences qu'il eut avec Félix, met immé-
diatement après le livre intitulé : De la Na-
ture du bien, contre les manichéens. Il peut
donc l'avoir composé vers l'an 404 ou 403 ;
mais cette époque n'est point sûre, parce
' August., lib. II Retract., cap. ix.
Livra de la
Natu ro du
bien, vers l'an
404. Analysa
de ce livre,
pag. BOl.l
352
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
E\oJ.
i'..
qu'il semble que ce Père a voulu joindre en-
semble, dans ses Rétractations, tous ses écrits
contre les manichéens. Il montre dans celui-
ci que Dieu est le souverain bien, et qu'étant
une nature immuable, l'être lui est essentiel;
d'où vient u'il dit lui-même à Moïse : Je suis
celui qui est, et vous direz avx enfants d'Israël :
Celui qui est m'a envoyé vers vous. Selon
saint Augustin toutes les autres natures,
soit spirituelles, soit corporelles, sont créées
de Dieu ; toutes sont bonnes en ce qu'elles
ont de nature et d'être : si elles sont cor-
ruptibles, c'est qu'elles sont faites de rien;
qu'il n'y en a aucune qui soit mauvaise d'elle-
même ; le pécbé ne vient point de Dieu, mais
de la volonté du pécheur ; cela n'empêche
pas qu'il n'appartienne également à Dieu de
pardonner ou de punir le péché ; les mauvais
anges n'ont pas été créés tels de Dieu, mais
ils sont devenus mauvais en péchant. L'ar-
bre dont Dieu défendit le fruit à Adam,
n'était point mauvais par lai-même, et Dieu
ne lui défendit d'en manger, que pour
éprouver son obéissance ; le mal des créa-
tures n'est pas dans elles-mêmes, mais dans
le mauvais usage que l'homme en fait ; Dieu
sait user en bien des maux que fait le pé-
cheur, en faisant éclater sa justice par les
peines qu'il leur fait subir, s'ils ne se corri-
gent pas ; le feu même qui doit les brûler
n'est pas mauvais de sa nature, et si on
l'appelle éternel, ce n'est pas qu'il le soit en
la même manière que Dieu l'est, mais imi-
quement parce qu'il n'aura point de fin. En-
suite il explique combien les manichéens,
suivant leurs fictions , mettaient de biens
dans la nature, qu'ils appelaient du mal,
et combien ils mettaient de maux dans ce
qu'ils appelaient nature du bien : sur quoi il
rapporte deux passages de Manichée ; l'un,
du septième livre du Trésor ; l'autre, de Vé-
pître du Fondement, où l'on voit clairement
le principe des abominations horribles que
ceux de cette secte commettaient ensemble,
et dont plusieurs furent convaincus tant
en Paplilagonie , que dans les Gaules. Ils
croyaient que les parties de la substance
de lumière qui, selon eux, était celle de Dieu
même , étaient mêlées par la génération ,
avec les parties de la substance des ténèbres,
et qu'elles en étaient séparées quand leurs
élus mangeaient les corps où se rencontrait
ce mélange. Saint Augustin dit avoir appris
ce qu'il rapporte des turpitudes avouées en
pubhc par quelques-uns des manichéens,
d'un chrétien catholique de Rome. Il fait à
Dieu une ardente et longue prière, pour lui
demander qu'il convertisse, par son minis-
tci'e, ceux qui étaient encore engagés dans
ces abominations , comme il en avait déjà
converti's un grand nombre.
6. Vers le même temps, un nommé Secon- Livra
^ tre Secon
din , romain de naissance, et qui n'avait ^"^'^11^3°^
parmi les manichéens que le rang d'auditeur, «™.i'«s.;
ayant lu quelques ouvrages de saint Augus-
tin, y trouva, comme il le dit ', un orateur par-
fait, et presque un dieu de l'éloquence; mais
n'y ayant point reconnu un défenseur de la
vérité, il se plaignit à lui par une longue
lettre pleine de démonstrations d'amitié et
de respect, de ce qu'il combattait par ses
écrits la doctrine de Manès , qu'il suj)posait
que saint Augustin n'avait abandonnée que
par crainte, et par le désir des honneurs
temporels.
Saint Augustin qui ne connaissait pas Se-
condin, même de visage, lui répondit par
une lettre ^ encore plus longue, qu'il a pla-
cée lui-même parmi ses livres, parce qu'il
n'y avait pas mis à la tête l'inscription ordi-
naire des lettres. Il y rend compte en peu
de mots et avec beaucoup de modestie, des
motifs qui l'avaient obligé de quitter la secte
des manichéens ; mais il y traite avec éten-
due la cause de l'Éghse, et renverse avec
tant de force les principes de cette secte,
qu'il préféra cet écrit à tous ceux qu'il avait
faits auparavant contre elle. L'argument sur
lequel il presse Secondin, est tiré de ces pa-
roles de saint Paul aux Romains : Ils ont rendu R™- '>
à la créature le culte souverain, au lieu de le ren-
dre au Créateur : car il y a deux choses à re-
marquer dans ce passage : l'une que s'il y avait
quelque nature étrangère à Dieu, l'Apôtre ne
dirait point que Dieu en est le créateur; et
l'autre que si le Créateur et la créature étaient
d'une même substance, le même Apôtre ne
fei'ait point un reproche aux païens d'avoir
rendu leur culte à la créature, plutôt qu'au
Créateur; puisqu'en servant la créature ou
le Créatem', ils auraient adoré une même
substance. Il presse encore ce manichéen
sur ce qu'il avouait dans sa lettre, que Jésus-
Christ est le premier né de l'ineffable et très-
sacrée Majesté, et le roi de toute lumière. En
eflet, Secondin ne pouvait parler ainsi, sans
1 Secund., Epist. ad Atig., pag. 520.
2 August., lib. H Retract., cap. x.
[iv° ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTLN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
333
cesser d'être manichéen, sans reconnaître
la différence qu'il y a enti-e le créateur et la
créature, ni sans avouer que Jésus-Christ
qui en tant que Vei'be est Fils unique de
Dieu, est appelé premier de toutes créatu-
res, parce que c'est en lui que toutes ont été
créées, les visibles et les invisibles. Ce ma-
nichéen avait encore avancé que l'âme ne
pèche point par sa propre volonté, mais
parce qu'elle est mêlée avec la chair. « S'il
en est ainsi, reprend saint Augustin, Dieu
ne doit punir aucune âme ; et c'est mal à
propos que Manès lui-même a dit qu'il y
avait des supphces destinés aux âmes, à
celles-là même qui viennent de la partie de
la lumière. » Secondin sentant son opinion
insoutenable, avait ajouté, pour l'expliquer,
que si l'âme, lorsqu'elle se connaît, cousent
au mal et ne combat point contre l'ennemi
qui l'y porte, alors elle pèche par sa pro-
pre volonté. A ce sujet, saint Augustin fait
divers raisonnements, qui tendent tous à
prouver qu'il n'y a aucune nature qui soit
mauvaise d'elle-même , et que le mal est
l'effet de la volonté qui aime la créature
au lieu du Créateur, qu'elle le fasse de
son propre mouvement , ou à la persuasion
d'un autre. Il reprend Secondin d'avoir
tourné en dérision ces paroles d'Abraham à
Eliézer : Mettez votre main sur ma cuisse, et
et jurez-moi par le Dieu du ciel ; et soutient
que c'était une prédiction que le Dieu du
ciel et de la terre paraîtrait un jour dans le
monde revêtu d'une chair sortie du même
patriarche. II explique dans le même sens
l'endroit où il est dit qu'un ange lutta avec
Jacob. Et parce que Secondin, pour ne pas
avouer que le Christ est venu dans la chair,
disait dans sa lettre qpi'il ne reconnaissait
qu'iui Sauveur spirituel , n'étant pas possi-
ble de mettre son espérance dans un Sau-
veur charnel; saint Augustin en infère qu'il
ne pouvait donc mettre son espérance dans
Manichée,qui était né d'un homme et d'une
femme à la manière de tous les autres hom-
mes. Secondin se fondait sur le petit nom-
bre de ceux de sa secte, disant que, suivant
les paroles du Seigneur, peu de personnes
marchaient par la voie étroite. Saint Augus-
tin répond que les grands crimes sont rares
quoique le plus grand nombre soit des mé-
chants ; qu'il y a moins d'homicides que de
voleurs, et moins d'incestueux que d'adultè-
res. «Ainsi, prenez garde, lui dit-il, que
l'horreur de votre impiété ne fasse le petit
nombre dont vous vous vantez. Il est vrai
qu'il y en a peu qui marchent par la voie
étroite, mais cela n'est dit qu'en comparai-
son de la multitude des pécheurs ; et ce pe-
tit nombre de saints est maitennant caché
dans le plus grand nombre de paiUes , qu'il
faut maintenant amasser dans l'aire de l'É-
glise catholique , dans laquelle il faut que
vous entriez si vous désirez être véritable-
ment fidèle. 1)
§ V.
Des limbes contre l'Adversaire de la loi et des
prophètes.
1. Après les livres de l'Ame et de son ori-
gine , et après ceux qui sont intitulés : Des
Mariages adultères, que l'on rapporte à
l'an' 419, saint Augustin parle dans ses Ré-
tractations ' des deux livres qu'il composa
contre V Adversaire de la loi et des prophètes.
Ainsi on peut les mettre vers l'an 4-20. Voici
quelle en fut l'occasion. Il arriva que vers
ce temps-là l'on exposa- en vente dans la
viUe de Carthage un liwe sans nom d'au-
teur. C'était, comme le dit le saint Docteur^,
l'ouvrage de quelque marcionite , ou de
quelque autre de ces hérétiques qui con-
damnaient avec les manichéens la loi et les
prophètes, et qui enseignaient de plus que
ce n'était pas Dieu, mais le démon qui avait
créé le monde. Cet auteur inconnu disait '
avoir appris sa doctrine d'un certain Fabri-
cius qu'il avait rencontré à Rome, et dont il
se faisait gloire d'être le disciple. Pour dé-
crier l'Ancien Testament, il en alléguait di-
vers passages , où il prétendait trouver des
sens ou erronés ou ridicules. Et comme il
voulait paraître en quelque manière chré-
tien, il en alléguait aussi du Nouveau Tes-
tament, prétendant qu'ils étaient contraires
à ceux de l'Ancien. Il se servait aussi pour
le combattre de certains livres apocryphes.
Comme Secondin il relevait son hérésie par
le peu de sectateurs qu'elle avait. Son livre
était adressé à un particulier qu'il tâchait
d'engager dans son parti , et qu'il appelle
ordinairement son frère. A la suite de cet
ouvrage il y en avait un autre dans le même
volume , qui était apparemment du même
auteur, puisqu'on prétendait faire voir que la
Ces lîTres
ODl élé faits
vers l'an 420.
August., lib. Il Retract., cap. Lvni. — ^ Lib. I
IX.
in Advers., cap. ii. — 3 Lib. II iu Àdvers., cap. il.
23
354
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLlîSIASTIQUES.
Analyse d
promier livri
chair n'a pas été créée de Dieu. On y troii-
A'ait aussi quelque chose de l'écrit d'Adi-
mante, disciple de Manichée, dont nous
avons parlé plus haut. Ce volume- exposé
ainsi en vente , fut lu et écouté d'un grand
nombre de personnes qui venaient le voir par
une curiosité dangereuse. Ce qui engagea
quelques fidèles à l'acheter. Ils l'envoyèrent
à saint Augustin, en le priant avec beau-
coup d'instance de le réfuter. Il y consentit,
et leur adressa l'écrit qu'il fit sur ce sujet,
intitulé : Contre l'Aduersaire de la loi et des
prophètes.
2. Il est divisé en deuxhvres. Dans le pre-
mier, ce Père examine tous les endroits de
l'Ancien Testament , dont cet auteur se mo-
quait, et montre qu'ils n'ont rien de mauvais
ni de ridicule. L'Adversaire reprenait Moïse
comme d'une chose absurde et impossible,
d'avoir dit que les eaux qui sont sous le ciel se
rassemblèrent en un seul lieu : et la raison
qu'il en apportait, c'est que la terre étant
alors toute couverte d'eau , les eaux n'au-
raient pu trouver aucun lieu où elles se re-
tirassent, afin que la terre parût à décou-
vert , et qu 'elle produisit de son sein toutes
les plantes. Mais saint Augustin lui répond :
(( Si on lit ces paroles avec l'humble atten-
tion d'un homme qui les révère, et non ave
la prévention d'un ennemi qui cherche de
quoi exercer la malignité d'un orgueil im-
pie , il est aisé de concevoir que ce qu'il
s'imagine être impossible a pu se faire en
deux manières : l'eau qui couvrait la sur-
face de la terre a pu être plus subtile, et
semblable à ces vapeurs dans lesquelles
l'eau se raréfie et tient beaucoup de la na-
ture de l'air ; et ainsi elle était comme un
brouillard sombre qui environnait toute la
terre ; mais Dieu l'ayant ensuite épaissie ,
et réduite à la nature et à la pesanteur de
l'eau ordinaire, elle a occupé sans compa-
raison moins de place, et a laissé vide une
partie de la terre. La terre par la toute-puis-
sance de Dieu a pu s'entrouvrir en divers en-
droits, et y former de vastes et de profondes
concavités, où l'eau se retirant aurait formé
les mers d'où sortent les fleuves ; et ainsi
les eaux ayant laissé toutes sèches les plus
hautes parties de la terre , elle serait deve-
nue capable de produire de son sein toutes
les plantes. » L'Adversaire de la loi blâmait
les sacrifices d'animaux qu'on avait coutu-
me d'olFrir pour apaiser la colère de Dieu.
Saint Augustin répond, que Dieu ne les
avait commandés dans les premiers temps
qu'afm de prophétiser par ces signes le véri-
table sacrifice ; et qu'afîn que les hommes,
voyant ces victimes pures et exemptes des
défauts de corps, fussent portés à espérer que
celui-là seul, qui serait exempt de péché, se-
rait immolé pour eux. Le même auteur ac-
cusait le Dieu de l'Ancien Testament, d'être
sujet au repentir, à la cruauté, à la colère,
à l'oubli, à la vengeance. Pour justifier Dieu
de ces reproches, saint Augustin explique
en quelle manière on attribue à Dieu les
noms des passions humaines. « On appelle,
dit-il , repentir en Dieu , le changement qui
parait inopiné aux yeux des hommes ; des
choses qui sont soumises à son pouvoir ; co-
lère , la vengeance ou punition du péché ;
miséricorde , la bonté dont il nous assiste ;
zèle, la providence avec laquelle il ne per-
met pas que ceux qui lui sont soumis,
aiment impunément ce qu'il leur défend
d'aimer. Il faut donc concevoir Dieu, comme
faisant miséricorde , sans être touché de pi-
tié ; comme s'irritant sans colère , comme
étant zélé, sans jalousie; comme ne souve-
nant pas, sans oubli; comme ne connaissant
pas, sans ignorance; comme se repentant,
sans repentir. » Il rejette comme apocryphes
certains écrits que l'Adversaire de la loi
avait produits , sous le nom de saint André
et de saint Jean, apôtres, parce que s'ils
étaient efl'ectivement d'eux , ils auraient été
reçus par l'Église depuis le temps auquel
ces apôtres ont vécu jusqu'à nos jours. Ce
même auteur prenait sujet de décrier l'An-
cien Testament, de certaines expressions qui
se trouvent au chapitre xxviii du Deutéro-
nome , verset 56 , les regardant comme in-
dignes de la souveraine pureté ; mais saint
Augustin fait voir que plus ces choses pa-
raissent horribles , plus elles sont propres à
nous donner de la terreur. « Car, dit-il, le
Prophète ne les a pas dites pour apprendi-e
aux hommes à les faire , mais au contraii-e
pour en détourner les hommes par ses me-
naces : il les a dites, non pour les porter
jusqu'à des excès si eilroyables, mais pour
empêcher que s'abandonnaut aux dérègle-
ments que leur inspirait la corruption de
leur cœur , ils ne tombassent dans des châ-
timents pour qui la nature et les sens ont
une si grande horreur. En expliquant à la
lettre la malédiction marquée dans cet en-
droit duDeutéronome, il est sans doute très-
raie, et à peine pourra-t-on voir arriver que
rv" ET Y'- SIECLES.
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
353
Analyse du
deuxième lî-
\re, pag. 579.
la famine soit si effroyable , qu'elle porte
jusqu'à ces excès qu'on ne peut se repré-
senter sans hoiTcnr , c'est-à-dire jusqu'à
manger la chair de ses propres enfants ,
comme il est dit dans le verset suivant ;
mais cette autre faim malheureuse qui
pousse les âmes criminelles des pécheurs, à
cause de l'indigence où elles sont de la vé-
rité, à se nourrir de ce qu'elles ont enfanté,
et de ce qu'elles enfantent tous les jours par
un effet de la corruption des leur sens char-
nels, et à s'en nourrir comme de la vérité
même ; cette faim si redoutable remplit
presque toute la terre ; et elle est d'autant
plus pernicieuse , qu'étant sans comparai-
son plus mortelle que l'autre, elle cause
toutefois beaucoup moins d'horreur. C'est
par le jugement d'un Dieu très-juste , que
quelques pécheurs , comme parle l'Apôtre,
ont été livrés à des passions honteuses, afin de
punir leurs crimes par d'autres crimes ; et
les supplices de ces pécheurs ne sont pas
tant des tourments , que des accroissements
des vices. » Nous passons plusieurs autres
objections de cet ennemi de la loi auxquelles
saint Augustin répond avec la même facilité
qu'à celles que nous venons de rapporter.
3. Dans le second livre ce Père explique
les passages du Nouveau Testament dont cet
hérétique abusait pour décrier l'Ancien; ce
qu'il fait, non en suivant l'ordre de l'écrit de
son adversaire , mais celui qui lui paraissait
le meilleur. L'Adversaire prétendait prouver
d'abord que saint Paul avait condamné tous
les écrits des prophètes dans sa première let-
tre à Timothée, où il l'avertit de ne point s'a-
muser aux fables juives et à des généalogies
sans fin, qui servent plutôt à exciter des dispu-
tes, qu'à fonder l'édifice. Mais cette objection,
comme le remarque saint Augustin, n'était
fondée que sur l'ignorance où était cet en-
nemi de la loi, qu'outre les Écritures légiti-
mes et prophétiques, les Juifs avaient des
traditions non écrites, et qui n'étaient gra-
vées que dans lem' mémoire. Ce sont ces
fausses traditions dont l'Apôtre avertit Ti-
mothée de se garder, et dont Jésus-Christ
même détourne tous les fidèles, comme on
le voit dans le septième chapitre de l'É-
vangile selon saint Marc. Le saint Doc-
teur fait voir que saint Paul en disant
aux Corinthiens, qu'il s'est fait Juif avec les
Juifs, pour gagner les Juifs, en observant
comme eux certains préceptes de la loi, ne
le disait point par un esprit de mensonge
ni pour les tromper, mais par un senti-
ment de compassion pour les tirer de l'er-
reur où ils étaient, et les amener à la vérité
de l'Évangile. Il n'était pas possible, objec-
tait l'ennemi de la loi que les prophètes des
Juifs annonçassent la venue de notre Sau-
veur. « Pourquoi, répond saint Augustin,
cela ne leur était-il pas possible , puisque
saint Paul dit en termes exprès que les ora-
cles de Dieu leur ont été confiés; et que Dieu
avait promis longtemps auparavant par sespro
pliètes dans les Écritures saintes, que son Fils
naîtrait selon la chair, du sang de David ? »
L'Adversaire de la loi objectait encore qu'il
est dit dans saint Jean que la loi a été don-
née par Moïse, mais que la vérité vient de
Jésus-Christ. Saint Augustin lui répond : h Le
texte de cet Évangéliste ne porte pas ainsi,
mais : La loi a été donnée par Moise ; la grâce
et la vérité ont été faites par Jésus-Christ ; ce
qui est arrivé lorsque la charité aj^ant été
répandue dans nos cœurs par son esprit, elle
nous a fait accomplir ce qui nous était com-
mandé par Moïse. Mais, disait cet hérétique,
n'est-il pas écrit que Dieu a établi dans son
Église, premièrement les apôtres, seconde-
ment les prophètes? « Cela est vrai, réphque
saint Augustin, mais saint Paul, en cet en-
droit, ne parle que des prophètes qui ont
vécu depuis l'avènement de Jésus-Christ.
Car, il y avait aussi en ce temps des pro-
phètes, comme on le voit par la première
Épître aux Corinthiens, où nous lisons : Pour
ce qui est aussi des prophètes, qu'il n'y en ait
point plus de deux ou trois qui parlent. »
Saint Augustin relève en passant l'erreur
de son adversaire, qui s'était imaginé qu'É-
piménide , dont les Cretois faisaient un pro-
phète, était du nombre des prophètes de
l'Ancien Testament. Il montre aussi qu'on
ne peut entendre ni de Moïse, ni d'aucun
prophète de l'ancienne loi, ce que Jésus-
Christ dit dans saint Matthieu : Plusieurs me
diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n'a-
vons-nous pas prophétisé en votre nom?... et
alors je leur dirai hautement : Je ne vous ai
jamais connus; ces paroles regardent certains
prédicateurs qui, depuis la publication de
l'Évangile, s'aviseront de prêcher des cho-
ses qu'ils n'entendront pas eux-mêmes.
Après avoir répondu à plusieurs autres
diflicultés de cette nature, saint Augustin
remarque, sur la fin de ce second livre, qu'il
était ordinaire à tous les hérétiques ennemis
de l'Église catholique répandue dans toute
3S6
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
la terre, de se glorifier du petit nombre de
leurs sectateurs, disant que la sagesse est le
partage du petit nombre. Il renvoie aux
écrits qu'il avait déjà composés contre les
manicliéens, pour y trouver la réfutation
d'un autre écrit joint à celui de l'Adversaire
de la loi et des proj)hètes, où l'auteur pré-
tendait montrer que la chair n'a pas été for-
mée de Dieu. Les deux livres contre V Adver-
saire de la loi, sont marqués dans le Catalo-
gue de Possidius ' ; et Cassiodore témoigne
que saint Augustin y a éclairci beaucoup de
•questions des livres saints ^.
§ VI. '
Livre à Orose contre les priscillianistes et les
origénistes.
!iOro. 1. Vers l'an 415, un jeune prêtre, nommé
Paul Orose, vînt des extrémités de l'Espagne
dans l'Afrique, par le seul désir de voir saint
Augustin, et de s'instruire auprès de lui
dans la science des saintes Écritures, et dans
la doctrine de l'Église. Il brûlait en même
temps de zèle pour combattre les erreurs
qui se répandaient dans son paj's, et il était
persuadé d'une part que Dieu l'envoyait à
saint Augustin , et de l'autre que Dieu avait
choisi ce saint pour guérir par sa main les
plaies que les peuples d'Espagne s'étaient
attirées par leurs péchés. En attendant qu'il
apprît de ce Père les éclaircissements qu'il
en attendait, il lui donna un mémoire des
points sur lesquels il souhaitait d'être ins-
truit. Dans le même temps deux évoques ^
nommés Eutrope et Paul, touchés comme
Orose du désir de contribuer au salut de
tout le monde, présentèrent aussi un mé-
moire à saint Augustin, touchant quelques
hérésies qui ravageaient les lieux confiés à
leurs soins. Mais comme ils n'y avaient pas
compris toutes celles qui mettaient le trou-
ble dans l'Espagne, Orose lui présenta un
second mémoire en forme de lettre, où il
marquait en quoi consistaient les hérésies
de Priscillien et d'Origène, qui infectaient
alors l'Église d'Espagne, afin qu'il les réfu-
tât en même temps qu'il répondrait au mé-
moire d'Eutrope et de Paul. Selon lui, Pris-
cilhen enseignait comme les manichéens, que
l'âme était une portion de la substance di-
vine, envoyée dans le corps pour être punie
selon son mérite , et il ne confessait la Tri-
nité que de nom, comme SabeUius. Cette hé-
résie s'était répandue en Espagne avec celle
d'Origène. Cette dernière hérésie, par le
moyen d'un nommé Avitus (le même, à ce
l'on cpie croit, à qui saint Jérôme envoya, vers
l'an 409, sa traduction des Principes d'Origè-
ne), ne contenait rien qui ne fut conforme à
la vraie foi de la Trinité , de la création, de
la bonté des ouvrages de Dieu ; mais elle ren-
fermait diverses erreurs. D'après elle, les au-
ges, les démons et les âmes étaient d'une
même substance, et ils avaient reçu ces rangs
différents selon leur mérite ; le monde cor-
porel avait été fait le dernier, pour y puri-
fier les âmes qui avaient péché auparavant;
le feu éternel n'était que le remords de la
conscience, nommé éternel, parce qu'il du-
rerait longtemps ; ainsi toutes les âmes se-
raient à la fin purifiées, et le diable mê-
me; le Fils de Dieu avait toujours eu un
coi'ps, mais plus ou moins subtil, selon les
créatures auxquelles il avait prêché, les an-
ges, les puissances, et enfin les hommes; par
la créature soumise à la corruption malgré
elle, on devait entendre le soleil, la lune et les
étoiles, toutes puissances raisonnables, sui-
vant cette doctrine. Cet Avitus, un autre Espa-
gnol de même nom, et un Gi'ec nommé Ba-
sile, qualifié saint par Orose, enseignaient
cette doctrine comme venant d'Origène.
2. Saint Augustin répondit au mémoire
d'Orose par un écrit qu'il lui adressa, inti-
tulé : Contre les priscillianistes et contre les
origénistes. Pour le rendre plus court, il ne
dit presque rien sur les erreurs des priscil-
lianistes, se contentant de renvoyer à ses
ouvrages contre l'hérésie des manichéens,
dont celle de Priscillien n'était qu'un reje-
ton. A l'égard des errem-s attribuées à Ori-
gène, il dit à Orose qu'il ferait bien d'aller
dans le pays où elles étaient nées autrefois,
et où elles avaient été découvertes depuis
peu, c'est-ci-dire en Orient. Il prouve qu'il
est de la foi que l'âme est un ouvrage de
Dieu, et qu'elle est tirée du néant comme les
autres créatures. Comme on objectait qu'é-
tant faite par la volonté de Dieu, on ne pou-
vait dire qu'elle eût été faite de rien ; saint
Augustin répond : « Ces paroles : Dieu a
fait les choses de rien , signifient qu'il n'y
avait point de matière préexistante pour en
former les choses qu'il a créées, quoiqu'il les
ait créées par sa volonté. » Il montre aussi
Analyse di^
co trailé, pn^',
Gll.
ipossid., in Jnrf.jCap. VI.— ^ Cassiod.jius^., cap. I. * Oro?., Epist. ad Aug., tom. Vlll, pag. G07.
[iV' ET V^ SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPOxNE.
357
que le feu éternel est un vrai feu, et vrai-
ment éternel, par ce passage de rÉvangile
où il est dit que le feu qui brûlera les im-
pies, sera de même durée que la gloire dont
les bienheureux seront récompensés. Alois,
Maii'i.xxv, dit Jésus-Christ, ceux-ci iront dans le feu
éternel, et les justes dans la vie éternelle.
Quelques autres passages de l'Écriture, en
particulier celui d'Isaïe, ou nous lisons que
le 'ver des pécheurs ne mourra jaas, et que le
feu qui les brûlera ne s'éteindra pas, servent
encore au saint Docteur à prouver cette vé-
rité. On y trouve aussi les enseignements
suivants : le monde n'a point été fait de
Dieu pour punir les péchés des esprits rai-
sonnables, mais par d'autres vues dignes de
la bonté du Créateur ; toutes les créatures
qu'il renferme, depuis les plus considérables,'
jusqu'à celles qui le sont moins, sont toutes
bonnes de leur nature et dans l'ordre qui
leur convient. Il n'y a aucune raison de
croire que les astres soient animés et rai-
sonnables, les passages de Job que l'on al-
lègue pour le prouver ne démontrent point
rob. ssxv, cette opinion. Ces paroles : Les étoiles ne
sont pas pures devant lui, à plus forte raison
l'homme qui n'est que pomriture, ne sont pas
de Job même, mais de quelqu'un de ses amis.
L'Écriture rapporte beaucoup de choses qui
ne sont pas vraies en elles-mêmes, comme
les discours pleins d'impiété que l'Évangile
rapporte sous le nom des Juifs. Il y en a
même quelques-uns des apôtres avant leur
conversion, dont ils ont été repris par Jésus-
Christ même, qui, voyant que saint Pierre
lîaiih. .XVI, le détournait de souffrir, lui dit : Retirez-
vous de moi, Satan ; vous m'êtes à scandale.
Quant à la nature des corps et des esprits
célestes, on ne doit pas la rechercher trop
curieusement ; pour lui il croit très-ferme-
ment qu'il y a des trônes, des dominations,
des principautés, des puissances, et que ces
anges diffèrent entre eux : «Mais, ajoute-t-il,
afin que vous me méprisiez, moi, que vous
croyez un si grand Docteur, je ne sais ce
qu'ils sont, ni en quoi ils diffèrent. » Il ren-
voie donc Orose à des personnes plus doctes,
et surtout à Jésus-Christ, le seul et vrai maî-
tre, de qui il avait reçu la grâce de s'inté-
resser pour l'Église, et de chercher la vérité.
§ VII.
Des Ecrits contre les ariens.
Réponses 1. Quelque temps après la dispute que
saint Augustin eut avec Émérite. évêque de
Césarée, pour les douatistes, c'est-à-dire
sur la fin de l'an 418, on apporta à ce saint
Docteur un discoru's des ariens pour le réfu-
ter. Ce n'est pas que ceux de cette secte
eussent quelque église dans Hippone ; mais
le grand nombre d'étrangers qui y abor-
daient de toutes parts, pouvait avoir amené
quelques ariens. Il se peut faire encore que
ce discours ne fût point des ariens de cette
ville, mais de quelque autre endroit. Quoi
qu'il en soit, saint Augustin le réfuta avec le
plus de diligence et de précision qu'il lui
fut possible. Ce fut pour cela qu'au lieu de
mettre toujours le texte qu'il réfutait, il mit
le discours tout entier à la tête de son ou-
vrage, avec des chiffres qui renvoyaient
aux articles de sa réfutation.
2. 11 leur demande d'abord si le Fils a été
fait de rien, et, comme ils n'osaient répon-
dre affirmativement, il en infère qu'il est
donc Dieu de Dieu, et que, par conséquent,
la nature du Père et du Fils est une et la
même. En effet, comme il n'est pas possible
que l'homme engendre des enfants d'une
autre nature que de la sienne. Dieu n'a pu
engendrer un fils d'une nature différente.
Les ariens disaient que le Fils n'était point
venu en ce monde de lui-même, mais en-
voyé par le Père. « Cette mission, répond
saint Augustin, emporte-t-elle donc une dif-
férence de nature ? Et s'il est permis à un
homme d'envoyer son fils, quoique de la
même nature, pourquoi ne le sera-t-il pas à
Dieu ? « Ils insistaient sur ce qu'il est dit dans
l'Épitre aux Hébreux : Vous l'avez rendu pour
un peu de temps inférieur aux anges. Saint
Augustin répond que ces paroles doivent
s'entendre* de Jésus-Christ selon sa nature
humaine, de même que celles que nous li-
sons dans saint Jean : Mon père est plus grand
que moi. Il exphque, dans le même sens, ce
que Jésus-Christ dit dans le même Évangile :
Je suis descendu du ciel, non pour faire ma vo-
lonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé,
et toutes les autres paroles de l'Écriture qui
marquent en Jésus-Christ quelque soumis-
sion ou quelque infériorité de nature ; ainsi,
à cause de l'unité de personne en deux na-
tures, on dit que le Fils de l'homme est des-
cendu du ciel, et que le Fils de Dieu a été
crucifié et enseveli. Il prouve contre eux, mais
smiout contre les apollinaristes que le Ver-
be, en prenant un corps, a pris aussi une
âme humaine, et il rapporte sur cela un
aux Sermons
des Ariens ,
vers lan 418.
Analyse de
0 discours,
aj. C2i>.
358
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Mallli. XXVI,
.loan. X, 18.
Joan. XV, 13.
PeoI. XV, lu.
Act. 11, 31.
Psal. Gix, 1.
Jûan.v, 19,
l.-a
li.'.
grand nombre de passages qui montrent que
la divinité ne tenait pas dans Jésus-Christ
la place de l'âme humaine, comme le di-
saient ces hérétiques. Mais, disaient les
ariens, le Père ne dit-il pas à son Fils : As-
seyez-vous à ma droite ? Saint Augustin ré-
pond : « Si l'on n'entend pas ce passage d'une
manière spirituelle , il s'ensuivra que le
Père sera à la gauche du Fils. » Il veut donc
qu'on l'explique de la félicité éternelle et
ineffable dont le Fils de l'homme jouit de-
puis qu'il est devenu immortel dans sa chair.
Il est dit de Jésus-Christ dans saint Jean : Je
juge selon que j'entends; saint Augustin ré-
pond que c'est la même chose au Fils de
Dieu d'entendre et de voir que d'être , et
que, comme il reçoit l'être de son Père,
c'est aussi de lui qu'il tient le pouvoir déju-
ger, mais qu'on ne peut inférer de là une
différence de nature entre le Père et le Fils,
comme il n'y a aucune différence entre les
œuvres de l'un et de l'autre, selon que Jé-
sus-Christ le déclare au même endroit : Tout
ce que le Père fait, dit-il, le Fils aussi le fait
comme lui. On peut aussi entendre ces paro-
les .■ Je juge comme j'entends, de Jésus-Christ
comme Fils de l'homme, de même que les
suivantes : Mon jugement est juste, parce que
je ne recherche pas ma volonté propre, mais la
volonté de mon Père qui m'a envotjé. Au con-
traire, on peut entendre de Jésus-Christ, se-
lon sa nature divine, ce qui est dit dans
saint Jean : Nous avons pour avocat, envers le
Père, Jésus-Christ Cjui est piste, et ce que le
Sauveur dit du Saint-Esprit : Je prierai mon
Père, et il vous donnera un autre consola-
teur ; car c'est comme Dieu qu'il envoie le
Saint-Espi'it, ainsi qu'il le déclare dans le
même Évangile : Si je m'en vais, je vous enver-
rai cet esprit consolateur. Il est vrai qu'il dit
ailleurs que son Père l'enverra en son nom,
mais cela même prouve que le Père et le
Fils envoient le Saint-Esprit, comme on voit
par le prophète Isaïe que c'est le Père et le
Saint-Esprit qui ont envoyé le Fils. Les
ariens disaient que, puisque le Saint-Espi'it
fait auprès du juge la fonction d'avocat ,
c'est-à-dire auprès du Fils, il doit donc être
regardé comme lui étant inférieur. Mais
saint Augustin fait voir que les juges mêmes,
c'est-à-dire les apôtres destinés à juger
les tribus d'Israël, ont besoin d'être remplis
du Saint-Esprit pour juger ; que les fidèles,
selon l'Apùlre, sont le lemple du Saint-Es-
prif, et que Salomon eut ordre de dresser au
Saint-Esprit un temple composé de bois et
de pierres ; qu'ainsi on ne peut douter
qu'il ne soit Dieu , puisqu'on lui rend un
culte de latrie.
3. Ces hérétiques avouaient que le Fils
est engendré du Père, mais ils disaient que
le Saint-Esprit a été fait par le Fils, que le
Saint-Esprit est ministre du Fils, comme le
Fils est ministre du Pore. Saint Augustin
leur répond qu'ils ne troiiveront jamais dans
l'Écriture que le Saint-Esprit ait été fait par
le Fils, ni qu'il soit ministre du Fils ; qu'au
contraire le Fils dit du Saint-Esprit qu'il pro-
cède du Père ; que si l'Ecriture dit que le
Fils a été obéissant, cela doit s'entendre se-
lon la forme d'esclave, selon laquelle le Père
est plus grand ; et que si l'on admettait le
Saint-Esprit comme ministre du Fils, on
pourrait dire aussi en un sens que les apô-
tres sont de meilleure condition que le Saint-
Esprit, puisqu'ils se disent ministres de Dieu.
Si Jésus-Christ dit du Saint-Esprit : Il pren-
dra ce qui est à moi, il ne s'ensuit point que
le Saint-Esprit ait reçu du Fils ce qu'il n'a-
vait pas auparavant ; comme il a reçu du
Père en procédant de lui, il en recevra tou-
jours, parce qu'il ne cessera jamais d'en
procéder. Quoiqjie l'éternité n'ait point de
temps, c'est-à-dire ni commencement ni fin,
on ne laisse pas de dire de Dieu qu'il est, qu'il
a été, qu'il sera. Tous les temps se disent
de l'éternité sans distinction, encore qu'on la
conçoive sans temps. Le Fils, disaient-ils, prie
le Père pour nous, et le Saint-Esprit prie le
Fils. C'est ainsi qu'ils lisaient l'endroit de
l'Épltre aux Romains où nous hsons seule-
ment que le Saint-Esprit lui-même prie pour
nous par des gémissements ineffables. Saint Au-
gustin, après leur avoir reproché d'ajouter
à l'Écriture , qui ne dit nulle part que le
Saint-Esprit interpelle le Christ ou le Fils,
soutient que, lorsque nous lisons qu'il prie
pour nous, c'est comme s'il était écrit qu'il
nous fait prier. Ils appelaient le Fils la pro-
pre et digne image de toute la bonté, de la
sagesse et de la vertu du Père. Mais saint
Augustin leur répond que l'Apôtre ne le
qualifie pas ainsi, mais Dieu même, la vertu
de Dieu et la sagesse de Dieu. Il convient
avec eux que le Père est glorifié par le Fils,
mais il prouve aussi par les paroles de l'É-
vangile que le Fils est glorifié par le Père.
Il convient encore que la sanctification des
saints est l'ouvrage du Saint-Esprit. Mais
il soutient que le Saint-Esprit n'agit pas en
Suite,
I, ei XI,
[IV° ET V'= SiÈCtES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HÎPPONE.
Analyse do
la ConrérL-n-
ce, piig. 609.
cela sans le Fils, lui qui est la lumière
qui éclaire fous les hommes. Quant à ce
qu'ils ajoutaient qu'il est impossible qu'un
même soit père et fils , il répond qu'en cela
ils attaquent les sabelliens, et non pas les ca-
tboliques. Ceux-là enseignent que le Fils est
le même que le Père, ceux-ci, au contraire,
croient que le père et le fils sont deux per-
sonnes, mais non pas deux natures différen-
tes; et que, quoique le Père ne soit pas le
même que le Fils, néanmoins le Père et le
Fils sont une même chose, c'est-à-dire une
même nature. Ils poussaient leur impiété
jusqu'à dire que le Père prévoyait qu'il se-
rait Père du Fils iniique de Dieu, comme s'il
y avait eu un temps où il n'était pas Père, lui
dont le Fils lui est coéternel. Saint Augustin
remarque que les ariens appelaient les catho-
liques homousiens, parce qu'ils admettaient
la consubstanfialité du Fils avec le Père, et
ajoute que c'était la coutume des autres hé-
rétiques de donner divers noms aux catho-
liques ; au lieu que chaque secte d'héréti-
ques n'avoit d'autre nom que celui sous le-
quel ils étaient connus de tout le monde.
4. Il n'est rien dit dans les Rétractations
de saint Augustin, de la conférence qu'il
eut avec Maximin , évêque arien , ni des
deux livres qu'il écrivit depuis contre lui ;
apparemment parce qu'il n'eut cette confé-
rence et n'écrivit ces deux livres qu'après
qu'il eut achevé ses Rétractations. Mais Pos-
sidius en fait mention ' dans la table des
ouvrages de ce Père. Bède ou plutôt Florus
cite quelques endroits des livres contre
Maximin dans son Explication de l'Épitre
aux Romains : et le dernier de ces livres
fut cité avec éloge par le pape Agathon
dans le sixième concile "^ Le pape Jean II
en cite un du second ^ A l'égard de la con-
férence avec Maximin, Possidius en fait une
histoire abrégée dans le dix-septième cha-
pitre de la vie de saint Augustin.
5. Maximin était venu à Hippone vers
l'an 427 ou 428, avec le comte Sigisoult et
les Goths qu'il commandait pour l'empereur
Valentinien contre le comte Bonifacc. 11
conféra d'abord paisiblement avec le prêtre
Héraclius '*, ayant été, dit-il, défié par lui ;
mais Héraclius fit ensuite venir saint Augus-
tin, qui en fut aussi prié par un grand nom-
bre de personnes '\ Maximin n'osa le refu-
3S9
ser, de crainte d'être abandonné de ceux
qui suivaient sa doctrine. La conférence se
fit en présence de beaucoup de personnes
de qualité tant laïques qu'ecclésiastiques; et
des notaires écrivirent ce qui fut dit de part
et d'autre. Saint Augustin demanda à Maxi-
min quelle était sa foi. Celui-ci répondit,
qu'il tenait celle du concile de Rimini. Pres-
sé de dire ce qu'il croyait touchant le Père,
le Fils et le Saint-Esprit, il dit : « Je crois
qu'il y a un seul Dieu Père, qui n'a reçu la
vie de personne ;^et un seiU Fils, qui a reçu
du Père son être et sa vie ; et un seul Saint-
Esprit consolateur, qui illumine et sanctifie
nos âmes. » Saint Augustin lui demanda si
le Christ illuminait le monde par lui-même,
ou s'il ne l'illuminait que par le Saint-Es-
prit? Maximin, après avoir beaucoup tergi-
versé, répondit que Jésus-Christ l'illuminait
par le Saint-Esprit , et le Saint-Esprit par le
Christ. De cet aveu, le saint Docteur inféra
que la puissance du Saint-Esprit et du Fils
était égale. Maximin interrogea à son tour
saint Augustin sur sa foi, et lui dit de pi-ou-
ver l'égalité des trois personnes divines,
soutenant que, jusque-là, les passages de
l'ïïcrilure qu'il avait allégués, ne prouvaient
que l'unité d'un Dieu et d'un Créateur de
toutes choses. Saint Augustin répondit que
les catholiques interrogés si le Père était
Dieu, si le Fils était Dieu, si le Saint-Esprit
était Dieu, disaient que oui; mais qu'interro-
gés de nouveau si ces trois personnes étaient
trois dieux, ils répondaient par ces paroles
de l'Écriture : Ecoutez Israël, le Seigneur ton
Dieu, est un seul Seigneur ; en sorte qu'ils
ont appris que la même Trinité est un seul
Dieu. Si, comme il est dit dans les Actes des
apôtres, la multitude des fidèles n'était
qu'un cœur par l'union que la charité du
Saint-Esprit avait établie entre eux, à plus
forte raison doit-ou croire cpie le Père, le Fils
et le Saint-Esprit , unis inséparablement et
par ime charité ineflablCj ne sont qu'un seul
Dieu. Maximin, sous prétexte de soutenir
l'unité d'un Dieu, dit :.« C'est ce seul Dieu
que Jésus-Christ et le Saint-Esprit adorent,
que toute créature respecte ; et c'est ainsi
que nous disons qu'il est un. » Sur quoi saint
Augustin dit : « Il s'ensuit que vous n'ado-
rez point Jésus-Christ, ou que vous n'adorez
pas un seul Dieu, mais deux dieux. » En-
1 Possid., in Ind. cap. v. — ^ 'fom.
pag. 641.— ' Toin, IV Conc, pag. 1452.
VI Conc, ■'• Angust., in Max. lib. I. — ^ Possid., in Vit.,
cap. xvu.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Analyse du
premier li^vre
contre Maxi-
inin,pag.6î8.
Analyse du
sci ond livre ,
pag. 691.
360
suite il demanda à Maximin cjii'il prouvât
par l'Écriture, que le Saint-Esprit adore le
Père ; tout en convenant que le Fils l'adore
en tant qu'homme. Puis il prouva lui-même
la divinité du Saint-Esprit par divers passa-
ges de l'Évangile et des Épitres de saint
Paul, appuyant sur ceux, en particulier, où
il est dit que le Saint-Esprit a des temples;
ce qui n'appartient qu'à Dieu. Maximin em-
ploya le reste de la conférence par un grand
discours où il dit lieaucoup de choses qui
ne faisaient rien à la question. Saint Augus-
tin n'ayant pas eu le loisir de le faire relire
pour le réfuter, aurait souhaité de continuer
le lendemain la conférence ; mais il ne pût
y engager Maximin, qui se disait pressé de
retourner à Carthage. Il prit donc le parti
de mettre la conférence par écrit, promet-
tant de faire voir la fausseté de la doctrine
que Maximin soutenait. Il signa cette pro-
messe ; et Maximin écrivit aussi de sa main,
que s'il ne lui répondait pas à tout, il vou-
lait bien passer pour coupable.
6. Saint Augustin ne manqua pas à sa
promesse, et il se sentit d'autant plus obligé
de l'accomphr, que Maximin, étant de retour
à Carthage, se vanta ' d'avoir eu l'avantage
dans la conférence. Il écrivit donc deux li-
vres fort longs, qu'il adressa à Maximin
même. Dans le premier, il fait voir que
Maximin n'avait pu réfuter aucune des
preuves qu'il lui avait alléguées en faveur
de la doctrine catholique, ni répondre à ses
objections. Ce livre est distribué en vingt
chapitres qui renferment tous les points sur
lesquels la conférence avait roulé, savoir
sur l'unité d'un Dieu en trois personnes;
sur la consubstantialité du Fils ; sur la di-
vinité du Saint-Esprit. Saint Augustin y ré-
pète et fortifie les preuves qu'il en avait
données, et ses réponses aux objections de
Maximin.
7. Dans le second livre, il réfute le long
discours de Maximin, auquel celui-ci ne lui
avait pas donné le temps de répondre. Mais
il en retranche tout ce qu'il y avait d'inutile
et qui ne servait de rien à la contestation
qui était entre eux. 11 la réduit au point de
savoir si le Père, le Fils et le Saint-Esprit,
sont d'une nature différente ; ou s'ils sont
d'une même substance, ainsi que le
croyaient les catholiques. Maximin objec-
tait quelques endroits des Épitres de saint
' Possid., in'Jit- Àug., cap. xvn.
Paul, où nous lisons que Dieu a donné à
Jésus-Christ un nom qui est au-dessus de tout
nom, parce qu'il avait été obéissant jusqu'à
la mort de la croix. Saint Augustin répond
que ce nom a été donné à Jésus-Christ com-
me homme , et que c'est aussi en cette qua-
lité que le Sauveur a été obéissant jusqu'à
la mort. Comme Maximin lui avait demandé
des témoignages qui prouvassent l'égalité du
Saint-Esprit avec le Fils ; ce Père lui en al-
lègue trois des Épitres aux Corinthiens, où
il est dit que c'est l'esprit qui donne la vie,
que nos corps sont le temple du Saint-
Esprit, et les membres de Jésus-Christ. Il
prouve aussi que le Saint-Esprit, de même
que le Fils sont invisibles de leur natm'e, et
que c'est d'eux comme du Père, que l'Apô-
tre dit : Au seul Dieu immortel et invisible.
Dieu le Père, disait Maximin, n'est donc
qu'une partie de Dieu, a A Dieu ne plaise ,
répond saint Augustin ; ces trois personnes ,
le Père, le Fils et le Saint-Esprit, étant d'une
même substance, ne sont qu'une même
chose et un seul Dieu. » Maximin s'imaginait
que le Père était plus puissant que le Fils,
parce que le Père a engendré le Créateur,
et que le Fils n'en a point engendré. Saint
Augustin résout cette vaine subtihté en di-
sant : « Si le Fils n'a point engendré le
Créateur , ce n'est pas qu'il ne l'ait pu, mais
parce qu'il ne le fallait pas. Le Tout-Puis-
sant a donc , ajoute-il , engendré un Fils
tout-puissant, puisque comme nous lisons
dans l'Écriture, tout ce que le Père fait, le
Fils le fait aussi. » Cet hérétique demandait
pourquoi le Saint-Esprit, étant de la subs-
tance du Père, de même que le Fils, l'im
était Fils, et l'autre ne l'était pas. Saint Au-
gustin répond que l'une des personnes est.
Fils, parce qu'elle est engendrée du Père ;
et que l'autre est appelé l'Esprit des deux,
c'est-à-dire du Père et du Fils, parce qu'il
procède de tous les deux. H marque en pas-
sant comment le terme de consubstantiel
fut consacré dans le concile de Nicée, pour
signifier contre les ariens l'unité de subs-
tance du Père et du Fils ; et ce que firent
ces hérétiques dans celui de Rimini pour
l'abolir. Puis, revenant à Maximin qui ob-
jectait que le Fils avait reçu la vie du Père,
ainsi qu'on le lit dans saint Jean, il répond
qu'il l'a reçue ainsi que celui qui est en-
gendre la reçoit de celui qui l'engendre. Ce
qu'il confirme par ce passage du même
Évangile : Comme le Père a la vie en lui-mè-
[iv" ET r SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
me, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en
361
lui-même. Maximin objectait ce que Jésus-
Christ dit encore dans saint Jean : Je fais
toujours ce qui lui est agréable, et encore :
Mon pire, je vous rends grâces de ce que vous
m'avez exaucé. Saint Augustin répond que
ces endroits doivent s'expliquer de Jésus-
Christ en tant qu'homme, parce que, consi-
déré selon la forme d'esclave, le Fils est
moindre que le Père ; au lieu qu'il est égal
ail Père dans la forme de Dieu. Il avoue
que Maximin disait vrai, en avançant que le
Père, esprit, a engendré un esprit ; mais
qu'il croyait une chose fausse, entendant
sous ces noms d'esprit, des substances d'une
nature diverse, comme sont l'esprit de Dieu
et l'esprit de l'homme. Cet hérétique avouait
encore que le monde avait été fait par le
Fils, mais il ne voulait pas qu'on donnât au
Saint-Esprit la qualité de créateur. Saint
Augustin prouve que le Saint-Esprit, de mê-
me que le Père, sont sous-entendus dans ces
paroles que saint Jean applique au Fils de
Dieu : Toutes choses ont été faites par lui ;
comme ils sont sous-entendus dans le com-
mandement que saint Pierre fait aux Juifs
de recevoir le baptême au nom de Jésus-
Christ : car, quoiqu'il ne pai'le que du bap-
tême de Jésus-Christ, on ne doit pas croire
qu'ils n'aient été baptisés qu'au nom du
Fils, mais au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit. D'ailleurs, comment refuser la
qualité de créateur au Saint-Esprit, lui qui
a fait la chair donnée pour la vie du monde?
Il est donc A'rai que tout a été fait par le
Fils , mais sans exclure le Saint - Esprit ;
comme saint Paul n'exclut pas le Fils , lors-
qu'il dit des opérations du Saint-Esprit :
C'est un seul et même Esprit qui opère tou-
tes ces choses. Saint Augustin répond en-
suite à diverses objections de Maximin, en
distinguant ce qui appartient à Jésus-Christ
comme Dieu, d'avec ce qui est dit de lui se-
lon sa natm'e humaine. Quand nous lisons
que le Saint-Esprit pousse des gémissements
pour nous, ce n'est pas qu'il gémisse en
effet, mais c'est qu'il nous fait gémir, en
nous inspirant de saints désirs. Il établit
après cela l'unité de substance dans le Père
et dans le Fils par un grand nombre de pas-
sages du Nouveau Testament ; et prouve la
même chose du Saint-Esprit, montrant en
même temps que s'ils sont une même subs-
tance, ce sont néanmoins trois personnes
distinguées l'une de l'autre sans aucune
confusion. Il fait voir que Maximin ne pou
vait, sans erreur, entendre du Père seul ce
qui est dit dans saint Marc : Il n'y a que Dieu
seul qui soit bon. En effet, l'Évangile ne dit
pas : Personne n'est bon sinon le Père,
mais, il n'y a que Dieu seul qui soit bon ; ce
qui s'entend de toute la Trinité. C'est ce
qu'il prouve en lui faisant remarquer, que
le jeune homme de l'Évangile, qui appelait
Jésus-Christ, bon maître, ne le croyait pas
Dieu, mais un homme comme les autres ;
en sorte qu'il faut donner ce sens à ces pa-
roles : « Vous auriez raison de m'appeler
bon, si vous saviez que je suis Dieu ; mais
ne me connaissant que pour un homme,
pourquoi m'appelez-vous bon, puisque rien
ne peut vous faire heureux et bon, si ce
n'est le bien, immuable, qui n'est autre que
Dieu? M Maximin s'était beaucoup appliqué
à montrer dans son discours, que ce n'était
pas le Père, mais le Fils qui s'était montré
aux hommes dans l'Ancien Testament. Saint
Augustin répond qu'en cela il n'avait rien
gagné, puisque le Père et le Saint-Esprit
auraient pu se faire voir de même en pre-
nant quelque foi-me sensible; qu'au reste,
le Fils n'est point visible dans sa propre
substance, non plus que les deux autres per-
sonnes de la sainte Trinité. 11 finit en exhor-
tant Maximin à ne plus se répandre en pa-
roles inutiles, et à prendre plutôt le parti
du silence, puisqu'il n'avait pas répondu à
ce qu'on lui avait demandé, quoiqu'on lui
en eût donné tout le temps.
§ vm.
Des livres sur la Trinité.
l. Saint Augustin était encore jeune 'lors-
qu'il commença ses livres sur la Trinité,
qui est, dit-il, le Dieu souverain et vérita-
ble; mais il ne put les mettre au jour que
dans sa vieillesse. 11 les avait même comme
abandonnés, sur ce qu'il découvrit qu'on lui
avait enlevé les premiers de ces livres avant
qu'il les eût retouchés comme c'était son des-
sein et avant qu'il eût pu achever tout l'ou-
vrage. Car il ne voulait pas les donner un à
im, mais tous à la fois; parce qu'ils tenaient
tous les uns aux autres par la connexité des
questions. Cependant les instances de plu-
sieurs de ses frères, et l'ordre d'Aurèle, évo-
que de Cartilage, l'obligèrent de reprendre
> Epist. 74 ad Aurel.
Livre sur la
Trinité, coni-
meiicé vers
l'an 400 et fini
vers /(16.
362
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
un ouvrage si difficile. Il acheva donc ce qui
restait à faire, et corrig-ea ce qui était déjà
fait, non comme il aurait voulu, pour rendre
des choses si difficiles plus claires et plus
aisées, mais comme il pût, tâchant de ren-
dre les premiers de ces livres peu différents
de ceux qu'on lui avait enlevés, et qui étaient
déjà fort répandus. «Il yen a, dit-il, qui
n'ont les quatre ou même les cinq premiers
livres que tronqués de leur préface, et le
douzième, d'une bonne partie de la fin. Ils
pourront les corriger sur cette édition, si
elle vient à leur connaissance. » Il parle de
celle qu'il envoj^a à Aurèle, et qui renfer-
mait ses quinze livres sur la Trinité. Il le
prie de faire mettre à la tête de ces livres
la lettre qu'il lui écrivait par un diacre de
l'Eglise d'Hippone , pour y servir comme de
prologue. Dans les livres àes Rétractations ',
ils sont mis après le traité du Catéchisme,
c'est-à-dire vers l'an 400, parce qu'il les
commença alors. On voit par la lettre cent-
vingtième à Consentius, écrite en 410, que
saint AugTistin n'avait pas encore achevé cet
ouvrage ; et dans la cent soixante-deuxième
lettre à Évodius , qui est de l'an 414 , il
dit qu'il ne l'avait pas encore publié. Il n'é-
tait pas même achevé en 413, comme il le
témoigne dans une seconde lettre à Évodius,
écrite sur la fin de cette année; mais il pa-
raît qu'ils étaient bien avancés en 416. C'est
du moins en cette année que l'on met sa
lettre à Aurèle de Carthage, qui ne fut écrite
qu'après que saint Augustin eût fini entière-
ment cet ouvrage. Il y renvoie ^ saint Pros-
per, croyant qu'on en avait déjà connais-
sance dans les Gaules, vers l'an 429. Tout
l'ouvrage est divisé en quinze livres , dont
Cassiodore dit '^ qu'ils demandent une ap-
plication et une pénétration très-grande,
parce qu'ils sont d'ane subtilité et d'une
élévation singulières. Gennade trouvait en
les Hsant '' que saint Augustin avait été in-
troduit dans la chambre du roi , selon le
langage de l'Écriture, et revêtu de la
robe de la sagesse divine, qui éclate par
toute sorte de beauté. Ils sont aussi cités
avec éloge par saint Fulgence et par divers
autres anciens ^. On en trouve " une tra-
duction grecque, faite vers l'an 1330, par
Maxime Planude, moine grec '' .
2. Saint Augustin, ^ en traitant cette ma-
tièi-e, avait pour but de désabuser les infi-
dèles, qui, refusant de se soumettre à l'auto-
rité de la foi, demandaient qu'on leur fit
connaîti'e, par les lumières de la raison, la
vérité de nos mystères. Il serait même resté
volontiers dans le silence ' , si les difficultés
qui regardent le mystère de la Trinité eus-
sent été suffisamment éclaircies par les la-
tins; ou si les écrits des pères grecs eussent
été traduits en cette langue ; ou enfin, si
d'autres personnes eussent voulu se donner
la peine de répondre aux difficultés qu'on
lui proposait sur cette matière.
3. Voici ce qu'il remarque dans la préface
du premier livre : « Les hommes sont dans
l'erreur à l'égard de la Divinité , pour trois
raisons : les uns conçoivent Dieu comme une
substance corporelle , en lui attribuant les
propriétés du corps ; les autres s'en forment
une idée entièrement semblable à celle qu'ils
ont de leur âme et des autres esprits, en
sorte qu'ils en attribuent à Dieu les imper-
fections; d'autres, voulant s'en former une
idée qui n'ait rien de commun avec les créa-
tures, le conçoivent d'une manière qui u'ap-
proche en rien de la vérité , mais purement
chimérique.» Ici ■snent une courte réfutation
de ces trois erreurs, qui est suivie de cette
observation « : Si l'Écriture sainte, pom' s'ac-
commoder à la faiblesse des hommes, at-
tribue quelquefois à Dieu des termes qui
ne conviennent proprement qu'à des corps
ou à des esprits imparfaits, comme lors-
qu'elle lui donne des ailes, ou qu'elle dit de
lui qu'il s'est repenti, c'est pour nous élever
insensiblement et comme par degrés à la
connaissance des choses divines que nous ne
pouvons bien comprendre qu'après nous
être nourris de la foi. »
Après ces remarques , le saint Docteur
Dcss.
CCI OUV
Analy
premier
pas. 41
' August., lib. II Relract-, cap. xv. - - Lib. de
Prced. cap. vm. — ' Cassiod., Inst., cap. xvi.
'' Geniiad. De Script. Ecoles., cap. xxxvui.
6 Fulg., ad Monim., lib II, cap. xiv et Epist. 14,
Quœst. 2. Facuud., lib. XI, cap. vi et Conc, toiii.
IV, pag. 1732.
« Jlabil., Iter. ilal. png. 33.
' Le cardinal Maï a pnlilié les sommaires des
quinze livres de la TriuitO, lùiu. 1 Bibliolh. î\'ov.
pars. 2, pag. 152-160. Ces sommaires sont tirés d'un
manuscrit dn xi» siècle. Le savant éditeur pense
ponvoir les attribuer à saint Augustin lui-même,
ils doivent dans les nouvelles éditions prendre lu
place de's divisions, titres et sommaires que les
Bénédictins ont, de leur propre autorité, composés
pour leur édition. {L'éditeur.)
8 Angust., lib. I De Trinit., cap. i.
5 Lib. III De trinit. in Prolog.
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
[IV'^ ET Y" SIÈCLES.]
propose la matière du premier livre qui est
de montrer par l'autorité de l'Écriture, que
le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un
seul et vrai Dieu, d'une même nature ou
essence. C'est la méthode qu'avaient gardée
avant lui, comme il le reconnaît, ceux qui
avaient entrepris de traiter la même matière.
Il commence sa preuve par la personne du
Fils qu'il montre, par un grand nombre de
passages, être vrai Dieu, et de la même na-
ture que le Père; en sorte que c'est par le
Fils comme par le Père, que se sont opérées
toutes les merveilles dont nous avons con-
nïiissance; la création du monde, la résur-
rection des morts, et autres prodiges sem-
blables, n passe de là à la divinité du Saint-
Esprit, et il prouve, par l'autorité de l'É-
criture, qu'où lui doit le culte de latrie,
comme étant parfaitement égal au Père et
au FUs, coéternel et consubstantiel à l'un
et à l'autre. Il n'oublie pas de remarquer,
comme il avait déjà fait dans beaucoup
d'autres traités, que nous sommes les tem-
ples du Saint-Esprit, qu'ainsi nous lui de-
vons la même servitude qu'à Dieu. Il se fait
l'objection que les ariens avaient coutume de
tirer de ces paroles du Seigneur : Mon Père
est plus grand que moi; et répond que Jésus-
Cbrist en tant qu'homme, est non-seulement
moindre que le Père, mais qu'en cette qua-
lité, il est même moindre que lui-même en
tant que Fils de Dieu. C'est aussi en faisant
remarquer la nécessité de distinguer ce qui
est dit de la nature humaine, d'avec ce qui
est dit de la nature divine, unies en une
seule personne dans Jésus-Chi'ist, qu'il ex-
plique tous les passages de l'Ecriture qui lui
attribuent quelque infériorité à l'égard de
, Dieu son Père. Il est écrit qu'après la con-
sommation de toutes choses, le Fils remettra
son royaume à Dieu son Père. « Mais il
ne le fera pas , répond saint Augustin ,
de manière qu'il se l'ùte à lui-même; si
on prenait ces paroles à la lettre, il s'en-
suivrait que le Père n'a point actuellement
de royaume. Ainsi il faut les entendre du
règne que le Fils exerce maintenant dans
les justes qui vivent de la foi , et qu'il
doit conduire dans le royaume où ils ver-
l'ont le Père face à face. Car c'est là en
quoi consiste la vraie béatitude de jouir de
celui à l'image duquel nous avons été faits,
c'est-à-dire de Dieu le Père, le Fils et le
Saint-Esprit. Mais lorsijue le Fils aura con-
duit les justes à ce degré de béatitude après
363
lequel nous soupirons, il ne fera plus les
fonctions de médiateur pour nous, parce
qu'il aura remis le royaume, c'est-à-dire les
justes à son Père.»
Si quelqu'un parle contre le Fils de l'homme,
il lui sera remis; mais s'il parle contre le Saint-
Esprit, il ne lui sera remis ni en ce siècle ni en
l'autre. Les ariens inféraient de ces paroles
que le Saint-Esprit même était plus grand que
le Fils. Saint Augustin fait voir que ce pas-
sage et quelques autres semblables doivent
s'entendre de Jésus-Christ , non selon la
forme de Dieu dans laquelle il est égal à
son Père, mais selon la forme de l'homme
dans laquelle il est inférieur au Père , à lui-
même et au Saint-Esprit. C'est, au contraire,
de Jésus-Christ comme Dieu, que l'on doit
entendre ce qu'il dit en saint Jean : Tout ce
qu'a m.on Père est à moi. Le saint Doctem'
rapporte divers exemples tirés de l'Ecriture,
où, à cause de l'union des deux natures en
une seule personne, on dit de Jésus-Christ
certaines choses qui lui conviennent comme
Dieu ; d'autres qui lui conviennent comme
homme ; les unes et les autres sans aucune
restriction. 11 est dit dans la première Épitre
aux Corinthiens , que si les princes de ce
monde eussent connu Jésus-Christ, ils n'eus-
sent jamais crucifié le Seigneur et le roi de la
gloire. Quoiqu'il n'ait été crucifié que selon
la forme d'esclave , c'est cependant le Sei-
gnem- et le roi de gloire qui a été crucifié.
On lit ailleurs que le fils de l'homme jugera
toutes les nations : néanmoins ce n'est pas
comme honome qu'il les jugera ; mais par
le pouvoir qu'il en a comme Fils de Dieu.
4. Il continue dans le second li\Te à prou-
ver, par l'autorité de l'Ecriture, l'égalité et
l'unité de substance entre le Père et le Fils.
11 établit la même vérité par rapport au
Saint-Esprit, et il donne cette règle : quand
l'Écriture dit des choses du Fils et du Saint-
Esprit qu'elle ne dit pas du Père , c'est pour
montrer qu'ils reçoivent du Père leur es-
sence. Par exemple , lorsqu'il est dit dans
saint Jean, que le Père a donné au Fils d'a-
voir la vie en lui-même , cela ne signifie
point que le Fils soit d'une nature différente
de ceUe du Père , mais seidement qu'il est
engendi'é de celle du Père, et qu'il reçoit
de lui sa substance. De même, quand Jésus-
Christ dit que l'Esprit de vérité ne parlera
pas de lui-même ; mais qu'il dira tout ce
qu'il aura entendu, il s'exprime ainsi parce
que le Saiul-Esprit procède du Père. Quand
ICor. II, S.
Analyse du
secoD'i livre,
pag. 772.
364
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
joan. xvii, le Fils dit à son Père : Glorifiez-moi, cela ne
marque entre ces deux personnes aucune
inégalité : parce que , si le Père glorifie le
Fils, le Fils giorifie aussi le Père; aussi, il
">'■'• est écrit au même endroit : Je vous ai glo-
rifié sur la terre.
Yient ensuite ce qui regarde la mission du
Fils et du Saint-Esprit; être envoyé n'est au-
tre chose dans le Fils qu'apparaître dans le
lieu même où il était déjà ; il en est de même
du Saint-Esprit ; ainsi la mission de l'un et de
l'autre ne prouve point qu'ils soient inférieiu-s
au Père. En effet, puisque étant Dieu, ils
sont partout, on doit dire aussi qu'ils sont
dans le monde , et qu'ils n'ont été envoyés
que là où ils étaient déjà. On ne lit point
dans l'Ecriture que le Saint-Esprit soit moin-
dre que le Père, comme on le lit du Fils.
C'est que le Saint-Esprit n'a point été uni
liypostatiquement à certaines natures cor-
porelles sous lesquelles il a apparu , et que
cette union n'a été que momentanée ; tan-
dis que dans Jésus-CIirist, la nature divine a
été unie à la nature liumaine dans l'unité de
personne. L'invisil^ilité et l'immortalité sont
un attribut commun aux trois personnes de la
Trinité ; et encore que le Fils de Dieu se soit
trouvé seul revêtu de la nature liumaine ,
néanmoins les trois personnes de la Trinité
ont formé l'humanité sainte qu'il a prise, et
l'ont unie à sa personne divine. Les trois
anges qui apparui-ent à Abraham présentent
une image du mystère de la Trinité, Dieu,
sous la figure de ces trois anges dont aucun
n'avait rien ou dans sa forme extérieure, ou
dans son âge , ou dans quelque marque
d'autorité , qui parût le mettre au - dessus
des autres, ayant voulu représenter la par-
faite égalité des trois personnes dans l'unité
d'une même nature et d'une même subs-
tance. Le saint Docteur s'étend beaucoup,
tant sur cette apparition que sur celles qui
furent faites à Loth et à Moïse , et il de-
mande si ces apparitions ont été communes
à toute la Trinité, ou si elles n'ont été que
d'une personne seule. Selon saint Augustin,
dans l'apparition des trois anges à Abra-
ham, on ne peut assurer que celui auquel ce
patriarche s'adressa comme au premier des
trois, ait été le Fils de Dieu, et que les deux
autres fussent des anges. S'il y a quelque en-
di'oit dans l'Ecriture, où il semble que Dieu
ait voulu apparaître en sa propre personne,
c'est lorsqu'il apparut à Moïse dans le buis-
son ardent, en lui disant ces paroles : Je suis
CELUI Qtfi EST ; on ne saurait du moins douter
que si c'était un ange, il parlait au nom de
Dieu ; mais on ne saurait assurer s'il parlait
en la personne du Fils, ou en celle du Saint-
Esprit, ou en celle de Dieu le Père, ou au
nom de la Trinité; puisque ces paroles qu'il
dit à Moïse : Je suis le Dieu d'Abraham, le
Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob, conviennent éga-
lement au Père, au Fils, au Saint-Esprit, et
à la sainte Trinité, comme enfermant les trois
personnes divines en une seule nature. S'il
lui est permis de proposer ses conjectiires
avec une retenue pleine de modération et de
respect, sans avoir la témérité de prétendre
établir en quelque sorte son propre senti-
ment, il lui semble que l'on peut dire que
l'ange qui parlait à Moïse sur le mont Sinaï,
d'une manière si terrible, parlait plutôt en la
personne du Saint-Esprit qu'en celle du Fils
ou du Père, car le Saint-Esprit étant appelé le
doigt de Dieu dans l'Ecriture , il paraît digne
de cette sagesse avec laquelle Dieu garde
les mesures et les proportions en toutes cho-
ses, que le même Esprit-Saint qui a gravé
cinquante jours après la Résurrection du Fils
de Dieu, la loi nouvelle en des tables vi-
vantes, et dans le cœur des premiers disci-
ples par l'effusion de ses grâces et de son
amour, ait aussi gravé cinquante jours après
la célébration de l'Agneau pascal, sm* le mont
Sinaï, en des tables de pierre, la loi de crainte
et de rigueur. Il est certain que Dieu peut
se servir du ministère ou de l'interposition
d'une créature qui lui est soumise, pom- se
faire connaître aux hommes sous quelque res-
semblance corporelle; mais cela n'est point
particuher au Fils ; au contraire , cela est
commun au Saint-Esprit et au Père comme
au Fils, chacune des personnes divines pou-
vant se faire connaître aux hommes de la
même sorte. Mais saint Augustin ne veut pas
définir quelle est celle des trois personnes
qui s'est fait connaître sous une figure cor-
porelle à quelqu'un des patriarches et des
prophètes ; et il trouve qu'il y aurait de la
témérité, dans une semblable décision , à
moins qu'elle ne fût fondée siu" des raisons
fortes et probables tirées des circonstances
particulières de ce même endroit de l'Écri-
ture sur lequel on voudrait l'établir.
S. Les apparitions dont il est parlé dans
l'Écriture, font encore le sujet du ti-oisième
livre. Saint Augustin examine si Dieu, dans
ses apparitions, a formé des créatures pour
se faire connaître par elles aux hommes ; ou
[Vf^ ET V' SIÈCLES.]
si ces apparitions ont été faites par le minis-
tère des anges qui, selon la puissance à eux
accordée par le Créateur, se sont servis de
ces corps en la manière qui leur paraissait
la plus convenable pour former ces appari-
tions. Il établit, par l'autorité de l'Écriture,
une vérité incontestable, qui est que Dieu se
sert des créatures selon sa volonté, et qu'il
a fait celles qui sont visibles, pour que nous
parvenions par elles à la connaissance du
Créateur. Il ne trouve point de différence
entre les événements miraculeux et ceux
qui ne le sont pas, sinon que ceux-là sont
plus rai'es, et que Dieu ne garde pas dans
les uns et dans les autres la même manière
d'agir, quoique ce soit par la même puis-
sance qu'il agisse. N'est-ce pas, en effet, le
même Dieu qui ressuscite un mort, et qui
donne la vie à un corps nouvellement formé
dans le sein d'une femme? C'est lui aussi
c[ui donne l'être aux créatures que les magi-
ciens cliangent quelquefois par leurs en-
chantemeuts, et qui permet aux démons ces
opérations magiques, soit pour tromper les
trompeurs, soit pour exercer la patience des
justes, soit pour d'autres vues qui lui sont
connues. Mais on ne peut inférer de là, que
les démons aient le pouvoir de créer de rien
aucune chose ; par exemple, un serpent ou
des grenouilles ; cela n'appartient qu'au
Créateur. Toutefois, comme ces animaux
peuvent naître de corruption; et comme il y
a certaines semences cachées dans les corps
naturels , les démons peuvent , lorsqu'elles
se trouvent en certains degrés ou d'humi-
dité ou de sécheresse , ou de froid ou de
chaud, et mêlées en une manière, former de
semblables bêtes. Car alors ces esprits ma-
lins peuvent rassembler et tempérer de telle
sorte ces semences des choses cachées dans
le secret de la natm'e , qu'il en sorte ensuite
des effets tout extraordinaires : mais c'est
Dieu seul qui est le créateur et la première
cause de ces causes secondes sur lesquelles
les démons peuvent agir. Le saint Docteur
se détermine ensuite pour le sentiment qui
veut que les apparitions faites à Abraham ,
à Moïse et aux autres patriarches se soient
faites par le ministère des anges.
H s'objecte qu'on ne lit pas dans l'Écri-
ture : L'Ange dit à Moïse : mais : Le Seigneur
diflfl Moïse. Il répond : « Lorsque le héraut
prononce les paroles du juge, on n'écrit pas
dans les fastes : Le héraut a dit : mais : Le
juge a dit; et lorsque nous disons d'un pro-
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
363
Act.viT,f;i.
Analyse du
quatrième li-
phète inspiré de Dieu, qu'il a dit telles
choses, nous entendons que c'est Dieu même
qui a parlé ainsi. » Il rapporte pour ce senti-
ment divers endroits de l'Ecriture , en parti-
culier du livre des Actes des apôtres, où
saint Etienne, après avoir dit que le Dieu de
gloire apparut à Abraham lorsqu'il était en
Mésopotamie , ajoute en parlant de Moïse :
Quarante ans après, un ange lui apparut ait
désert de la montagne de Sinaï. Selon saint
Augustin, ce ne fut pas Dieu, mais les anges
qui apparurent à Abraham dans la vallée de
Mambré : « Car , dit - il , ces paroles qui
suivent : Abraham ayant levé les yeux, trois
hommes lui parurent auprès de lui, ne peuvent
s'expliquer de Dieu. » Enfin il montre par
le discours de saint Etienne, que la loi a été
donnée à Moïse par le ministère des anges ;
d'où il conclut que c'est encore par eux que
Dieu a parlé à Moïse , et que c'est encore
par eux que le Fils de Dieu, qui devait naître
de la race d'Abraham , a disjDosé les choses
C[ui regardaient sa venue.
6. Dans le quatrième livre , saint Augus-
tin traite du mj-slère de l'Incarnation. On y Vre, pag. 809
voit comment le Yerbe fait chair dissipe nos
ténèbres et nous rend capables de connaître
la vérité ; comment par sa mort et par sa
résm-rection , il rend la vie à notre âme et à
notre coi-ps ; nous délivre de deux morts
tout à la fois, quoiqu'il n'en ait souffert
qu'une, savoir, celle du corps. II fait une
digression sur le nombre six , qui , multiphé
par quarante-six , rend le nombre des jours
que Je'sus-Christ a été dans le sein de sa
mère ; car on croyait qu'il avait été conçu
le huit des calendes d'avril , et qu'il était né
le huit des calendes de janvier. Il dit aussi
quelque chose sur le nombre trois, à l'occa-
sion des trois jours pendant lesquels Jésus-
Christ demeura dans le tombeau , remar-
quant que ces trois jours ne furent pas en-
tiers , n'y ayant été qu'une partie du ven-
dredi et du dimanche , et le samedi tout le
jour. Il explique comment, par la grâce du
Médiateur, les fidèles sont unions ensemble,
non-seulement en ce qu'ils ont une même
nature, mais en ce qu'ils sont unis par la
société d'une même charité, après avoir été
délivrés de leurs péchés par l'oblation de la
victime la plus parfaite. Car, comme il y a
quatre choses à considérer dans tout sacri-
fice, celui à qui on l'offre, celui qui l'offre,
ce qu'on offre, et ceux pour qui on l'offre;
c'est pour cela que Jésus-Christ, cet unique
366
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
et véritable médiateur, en nous réconciliant
par son sacrifice à Dieu son Père, demeurait
rm avec celui à qui il l'offrait , unissait en
lui ceux pour lesquels il l'ofïrait, et lui-mê-
me qui l'offrait, était un et même chose que
ce qu'il offrait. Un autre fruit de sa média-
tion a été de nous purifier tellement par la
foi, que nous devinssions capables de con-
naître la vérité immuable et de jouir des
biens éternels. Les prophètes avaient prédit
la venue de ce Médiateur ; et nous avons des
Gai. IV 4. preuves comme il est venu. Dieu l'a envoyé
formé d'une femme, et assujetti à la M : et eu
cette qualité le Fils est moindre que le Père :
mais il est égal, coéternel et consubstantiel
à son Père selon sa nature divine, n'y ayant
à cet égard aucune différence entre être
envoyé du Père et né du Père : car, comme
celui qui engendre et celui qui est engendré
sont une même chose, de même celui qui
envoie et celui qui est envoyé sont une mô-
me chose ; le Père, le Fils et le Saint-Esprit
n'étant qu'une même chose, quoique le Père
soil le principe de la divinité.
Analyse du 7. Saint Augustin répond, dans le cinquiè-
•vrc, pog. 831. me livre, a divers sophismes des ariens con-
tre le mystère de la Trinité. Ils disaient :
Tout ce qui se conçoit ou se dit de Dieu, se
dit et se conçoit selon la substance, et non
selon l'accident ; donc, être non engendré se
dit du Père selon la substance, et être en-
gendré, se dit aussi du Fils selon la subs-
tance. Or, il est différent d'être engendré et
de ne l'être pas ; la substance du Père et
du Fils est donc différente. Ce Père leur ré-
pond : « Si tout ce qui se dit de Dieu, se dit
selon la substance, il est donc dit selon la
substance : Mon Père et moi sommes une même
chose ; et, par conséquent, la substance du
Père et du Fils est une et la même. » Il leur
objecte d'autres passages de l'Écriture qui
prouvent également l'unité de substance
dans le Père et le Fils. Après quoi il fait voir
que tout ce qui se dit de Dieu ne se dit pas
toujours selon la substance , comme lors-
qu'on dit qu'il est bon, qu'il est grand ; mais
qu'il y a des choses qui marquent en Dieu
un certain rapport d'origine 'et de proces-
sion, que nous appelons relations, qui ne
mettent rien de réel dans les personnes, et
qui ne sont, à proprement parler, qu'un
pur rapport de subordination, comme parmi
les hommes, la qualité de maître et de ser-
viteur, et dans Dieu, la quahté de Seigneur
par rapport à la créature qui lui est sou-
Jiiaii.
3(1.
mise. Or, tous ces rapports ne changent rien
dans la nature des choses. Il en donne pour
exemple, cet endroit du psaume lxxxvii :
Seigneur, vous êtes devenu notre refuge. C'est
en effet par rapport à nous que Dieu est de-
venu refuge, et il ne l'est devenu que lors-
que nous avons eu recours à lui ; mais cette
qualité ne produit en Dieu aucun change-
ment. Elle marque seulement que nous
étions mauvais avant de recourir à lui ,
et que nous sommes devenus meilleurs en
y recourant. Il prouve la même vérité par
l'exemple d'une pièce d'argent, laquelle ne
reçoit aucun changement dans sa nature et
dans son espèce, soit qu'on l'ait en dépôt,
ou en gage, ou en arrlie; soit qu'on l'ait ga-
gnée légitimement par son travail, ou injus-
tement par de mauvaises voies ; soit qu'elle
soit le prix de la vertu, ou le fruit du vice ;
soit qu'elle provienne de la gratification du
prince, ou d'une vente de marchandises, ou
de la banque, ou du jeu, ou des revenus
d'une terre. 11 pose donc pour un principe
certain que ce qui se dit substantiellement
de Dieu, se dit également des trois person-
nes, comme bon, grand, tout-puissant, parce
qu'il n'y a dans les trois personnes qu'une
seule et même essence ; mais que tout ce
qui se dit relativement, comme Père, Fils et
Saint-Esprit, n'est pas commun aux trois
personnes ; c'est ce que les Grecs appellent
hypostases. Mais il convient en même temps
que ce que la foi enseigne du mystère de la
Trinité, ne se peut exprimer par des paroles :
0 Quand on demande, dit-il, qu'est-ce qu'il
y a de trois en Dieu ? c'est alors que le dis-
cours humain se trouve dans une grande
stérilité d'expressions. L'on dit néanmoins
trois personnes, non qu'on doive croire par là
exprimer clairement la chose, mais pour ne
pas la taire absolument. »
8. Dans les deux livres suivants, saint Au-
gustin examine en quel sens l'Apùtre ap-
pelle Jésus-Christ la sagesse et la puissance
du Père , et si le Père n'est pas lui-même la
sagesse, mais seulement le père de la sa-
gesse. Avant de décider cette question, il
prouve l'unité et l'égalité du Père, du Fils,
et du Saint-Esprit, et fait voir que saint Hi-
laire', en disant que l'éternité est dans le
Père, la ressemblance dans l'image, et l'u-
sage dans le don, n'a eu d'autre dessein
que de marquer les attributs des personnes,
' Lib. XV, cap. VII, pag. 971 L:t 973.
[lV= ET V= SlisCLES.'
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
367
sans toucher à l'unité et à l'égalité de leur
nature. Ensuite divers passages de l'Écriture
lui servent à prouver que le Père et le Fils
sont la même sagesse et la même essence ;
et que comme l'un est la sagesse et l'essence
engendrante ; l'autre est la sagesse et l'es-
sence engendrée ; que le Fils est la sagesse
procédente de la sagesse du Père, comme il
est la lumière de la lumière. Il montre la
même vérité du Saint-Esprit, qu'il appelle
une sagesse procédente de la sagesse; ajou-
tant qu'on ne peut pas dire néanmoins qu'il
y ait trois vertus et trois sagesses, mais une
vertu et une sagesse, comme il n'y a qu'un
Dieu et qu'une essence ou nature. Selon
lui, le Fils est particulièrement désigné sous
le nom de Sagesse dans l'Écriture, parce
qu'étant l'image égale du Père, c'est sur
son exemple que nous devons nous former
pour nous rapprocher de l'image de Dieu en
vivant sagement. L'Écriture, en parlant du
Père, du Fils et du Saint-Esprit, ne dit ja-
mais qu'il y ait en Dieu trois personnes ; ces
termes ne sont devenus en usage dans l'É-
glise que par le besoin de défendre la foi de
la Trinité contre les hérétiques, et d'expri-
mer en la manière que nous le pouvons ce
que nous savons de ce mystère. Le saint Doc-
teur doute s'il est digne de Dieu, d'être appe-
lé une substance, parce que ce terme marque
un sujet capable de recevoir quelque forme ;
et il prétend qu'il est beaucoup mieux, en
»»•• "I parlant de la nature de Dieu, de se servir
du mot d'essence, comme il s'en est servi
lui-nlême, lorsqu'il dit à Moïse : Je suis celui
qui suis. Sans blâmer l'usage des Grecs qui
admettent en Dieu une essence, et trois
substances ou hypostases, il aime mieux
qu'on dise avec les latins, une essence en
trois personnes. Jésus-Christ dans l'Évan-
gile a mai'qué l'unité de cette essence ou
nature, en disant : Mon Père et moi sommes
une même chose ; et la pluralité des person-
nes, par ce mot sommes, en le prenant rela-
tivement au Père et au Fils. Comme tout ce
que saint Augustin avait écrit sur ce sujet,
pouvait surpasser l'intelhgence de plusieurs
personnes, il dit qu'il leur suffit de croire
au Père, au Fils, et au Saint-Esprit, un
Dieu, seul, grand, tout-puissant, bon, juste,
miséricordieux, et créateur de toutes cho-
ses visibles et invisibles ; en sorte qu'enten-
dantdire que le Père est seul Dieu, ils ne sé-
parent pas de la divinité le Fils et le Saint-Es-
naiite dj prit^ qiii ne sont qu'un seul Dieu avec le Père.
9. Il fait voir, dans le huitième hvre, que im
les trois personnes ensemble ne sont pas ^'°
plus grandes qu'une seule ; qu'ainsi non -
seulement le Père n'est pas plus gTand que
le Fils, mais que le Père et le Fils ne sont
pas plus grands non plus que le Saint-Es-
prit. La raison qu'il en donne, c'est que la
grandeur d'un être consiste dans la vérité de
l'être, laquelle étant la même dans les trois
persoimes , prouve évidemment que l'une
n'est pas plus grande que l'autre. Il passe
de là à la manière dont on doit s'élever à
la connaissance de Dieu ; et montre qu'on
ne peut l'acquérir que par l'amour de la jus-
tice, c'est-à-dire par la charité, qui est ap-
pelée Dieu dans l'Écriture, et qui est insé-
parable de la pratique de la vertu et de l'at-
tachement à la vérité. 11 examine comment
on doit aimer son prochain et soi-même, et
dit : « On ne doit aimer les hommes que
parce qu'ils sont justes ou afin qu'ils le de-
viennent, puisqu'on ne doit s'aimer soi-mê,-
me que parce qu'on est juste ou qu'on es-
père le devenir. Celui qui s'aime d'une autre
sorte, s'aime injustenient, c'est-à-dire pour
être injuste ; et par conséquent ne s'aime
pas en effet, puisque quiconque aime l'ini- p
quité, hait son âme. » Il blâme ceux qui
s'imaginent devoir chercher Dieu en faisant
des prodiges extérieurs comme en ont fait
les anges, au heu d'imiter leur piété et leur
charité ; posant pour principe que plus nous
sommes sains et guéris de l'enflure de l'or-
gueil, plus nous sommes remplis de la vraie
dilection. «Car, dit-il, de quoi est plein, sinon
de Dieu, celui qui est plein de charité et d'a-
mour? L'amour que nous avons de la justice
nous fait aimer les justes, et c'est par la
force de cet amour que nous nous sentons
comme enflammés de dilection pour saint
Paul, lorsque nous entendons réciter ou que
nous lisons ce qu'il a fait. » La charité offre
au saint Docteur une espèce de Trinité,
celui qui aime, ce qui est aimé, et l'amour
qui joint celui qui aime avec la chose ai-
mée.
10. Il commence le livre neuvième par a
cette maxime : « N'ayons point d'incrédulité v™,
pour douter des choses que l'on doit croire,
ni de témérité pour déterminer le sens de
celles que l'on doit connaître : dans les pre-
mières, il faut se soumettre à l'autorité ; et
dans les autres, il faut en rechercher la vé-
rité avec grand soin. » Ensuite il s'applique
à chei'cher dans l'homme qui a été fait à
fièmo li-vie,
r. 865.
lomG I
pag. 871
368
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
l'image de Dieu, une Trinité, et y trouve un
esprit, une connaissance de soi-même, et un
amour par lequel il s'aime. Ces trois choses
sont non-seulement distinguées les unes des
autres sans confusion, mais sont encore
égales entre elles, et ne sont cpa'une même
essence. Il enseigne qu'il ne nous est pas
défendu d'aimer les créatures, et qu'en rap-
portant cet amour au Créateur, ce n'est
plus cupidité , mais charité. « Car ou ap-
pelle, dit-il, cupidité, l'amour que l'on porte
à la créature pour elle-même ; et cet amour
au lieu d'être utile à celui qui devrait seule-
ment user de la créature, ne sert qu'à le
corrompre, parce qu'il en veut jouir. Toutes
les créatures nous étant ou infériem'es ou
pareilles, nous devons user des premières
pour aller à Dieu, et jouir des autres, mais
en Dieu seul. »
Li-vres dixiè- n. La mémoiro de l'homme, son enten-
me, onzième, , p .
douzième ei dément et sa volonté fournissent encore a
treizième, , .,
pap^. 838 et saint Augustin une image de la Trinité, qu'u
croit même plus claire et plus ressemblante
que la précédente. Il l'explique dans le
dixième livre, où il traite de la nature de
l'âme. Il en trouve une autre dans l'homme
extérieur et dans les sens intérieurs, ce qui
fait la matière du onzième hvre. Le douziè-
me est employé à chercher aussi de ces
sortes de trinités dans la science. Mais il y
rejette la trinité que quelques-uns trouvaient
dans le mariage de l'homme et de la femme
et dans la production de l'enfant, comme
étant contraire à l'Écriture. Il remarque
dans ce livre que celui qui fait trop d'atten-
tion à une mauvaise pensée, ne saurait être
exempt de péché. « Quand l'esprit ne se
plaît, dit-il, aux choses défendues, que dans
la seule pensée, non pas en se déterminant
à les commettre, mais seulement en s'y ap-
plicpiant et prenant plaisir à y faire atten-
tion, au lieu qu'il aurait dû en rejeter d'a-
bord la pensée ; il n'y a pas lieu de douter
que ce ne soit un péché, mais beaucoup
moindre que si l'on s'était résolu de l'accom-
plir par l'action. C'est pourquoi nous devons
demander à Dieu le pardon de ces sortes
de pensées, et lui dire en frappant notre
poitrine : Seigneur, pardonnez-nous nos pé-
chés. »
Dans le treizième livre , où il continue
d'examiner l'image de la Trinité, que lui
fournit la science, il enseigne que la mau-
vaise volonté suffit elle seule, pour nous ren-
dre misérables ; mais que uotre pouvoir fait
que nous le sommes bien davantage lors-
qu'il nous procure l'accomplissement des
désirs de cette mauvaise volonté. On y trou-
ve encore les enseignements suivants : Dans
la félicité éternelle, on aura tout ce que l'on
aime, et l'on ne désirera point ce qu'on
n'aura pas; il n'y aura rien qui ne soit bon ;
Dieu y sera notre souverain bien ; les ama-
teurs de ce bien suprême l'auront toujouj-s
présent pour en jouir ; et ce qui fera le
comble de leur bonheur, c'est qu'ils seront
assurés que cela durera ainsi éternellement.
Quoique Dieu ait eu d'autres moyens possi-
bles pour guérir notre misère, que celui de
l'Incarnation de son Fils, il n'y en avait
point de plus convenable, et il ne devait
point y en avoir d'autre que celui qu'il a
pris pour nous sauver, c'est-à-dire de s'unir
à notre nature sans souffrir dans la sienne
aucun changmeent ni altération. Quoique la
mort du corps procède originairement du
péché du premier homme, c'est néanmoins
le bon usage de cette mort qui a couronné
de gloire les saints martyrs. Encore que la
mort, les douleurs, les travaux et tous les
autres maux que souffrent les hommes ,
soient les peines du péché et principalement
du pi'emier péché, ils ont dû toutefois de-
meurer, même après la rémission des pé-
chés, pour servir de matière aux combats
que les fidèles soutiennent pour la vérité, et
d'épreuve à la pureté de le m- vertu; ainsi
les maux que les fidèles souffrent en ce
monde avec piété, leur servent ou pour les
purifier de leurs péchés, ou pour exercer
et éprouver leur justice, ou pour leur faire
connaître la misèi-e de cette vie, afin qu'ils
désirent avec plus d'ardem% et qu'ils recher-
chent avec plus d'instance cette autre vie
future, où se trouvera une vraie et éternelle
félicité.
12. Saint Augustin traite dans le quartor-
zième livre, de la vraie sagesse de l'homme.
L'homme n'est pas l'image de Dieu, en ce qu'il
renferme dans son âme l'image de la Trinité,
c'est-à-dire en ce que cette âme se souvient
d'elle-même, qu'elle se comprend et qu'elle
s'aime ; mais en ce qu'elle se souvient de
celui qa'i l'a créé, qu'elle le connaît et qu'elle
l'aime. Car c'est en cette manière que l'âme
se renouvelle dans la connaissance de Dieu
selon l'image de celui qui a créé l'homme à
sou image. L'homme rend cette image toute
difibrme par le péché, et il ne la rétablit
que par la convei'sion et la réformalion de
[ir ET V' siÈcxES.] SAINT AUGUSTIN' , ÉVÉQUE D'HIPPONE.
369
ses mœui's. Le premier degré de sa guéri-
son, lorsqu'il est tombé malade par le pé-
ché, est d'éloigner la cause de sa maladie,
ce qui se fait par la rémission de tous ses
péchés ; le second degré est de guérir la lan-
gueur qui reste, ce qui se fait peu à peu en
s 'avançant sans cesse dans le renouvelle-
ment de l'image de Dieu, à la ressemblance
de laquelle il avait été form,é avant le péché.
Si l'on s'avance dans ce renouvellement spi-
rituel jusqu'à la mort, alors on sera reçu
par les saints anges pour être conduit à
Dieu, être rétabli par lui dans une entière
perfection, et recevoir à la fin du monde un
corps incorruptible, non pour la peine, mais
pour la gloire.
Le commencement du quinzième livre, est
une récapitulation de ce qui avait été dit dans
les précédents. Viennent ensuite ces ré-
flexions : Quoique nous ayons ici - bas des
images de la Trinité, nous ne devons néan-
moins la chercher que dans les choses éternel-
les, incorporelles et immuables, dont la par-
faite contemplation doit faire la vie bienheu-
reuse que l'on nous promet. La Trinité ne nous
est visible en cette vie que par figure et en
énig-me , comme lorsque nous nous formons
une idée de la génération du Verbe de Dieu,
sur la production du Verbe de notre entende-
ment, et une idée de la procession du Saint-
Esprit sur l'amour qui naît de noti'e volonté.
Saint Aug-ustin termine ce livre par la profes-
sion de foi en la Sainte-Trinité, et il ajoute : la
Vérité n'a pu dire aux apôtres : Allez, baptisez
toutes les nations, au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit, qu'autant qu'elle existe. Puis,
s'adressant à Dieu, le saint Docteur lui de-
mande avec beaucoup, d'humilité sa connais-
sance et son amour : « Seigneur, ma force
et mon infirmité sont devant vos yeux, con-
servez l'une et guérissez l'autre : ma science
et mon ignorance sont aussi présentes de-
vant vous : quand vous ouvrez la porte de
la vérité à ma connaissance, recevez -moi fa-
vorablement lorsque j'y entre; et, quand
vous me la fermez, laissez-vous fléchir à mes
importunités, lorsque je frappe pour y en-
trer. Faites, Seigneur, que je ne vous oublie
jamais, que je vous connaisse, que je vous
aime, et augmentez en moi tous ces dons,
jusqu'à ce que vous m'ayez rétabli et renou
vêlé parfaitement. »
§XI.
Des ouvrages faussement attribués à saint
Augustin.
1 . Le traité contre cinq hérésies , intitulé
dans quelques manuscrits : Livre contre cinq
sortes (F ennemis, savoir : contre les païens,
les juifs, les manichéens, les sabelliens et les
ariens, a été regardé par Érasme comme l'ou-
vrage d'un homme d'esprit et de savoir; mais
ce critique a douté que ce titre fût de saint
Augustin, à moins, dit-il, qu'il ne l'ait com-
posé étant encore jeune. Les docteiu-s de
Louvain n'ont fait aucune difficulté de le lui
atti'ibuer, et BeUarmin en a fait de même,
appuyé de l'autorité de Bède, ou plutôt de
Florus de Lyon, qui, dans son commentaire
sur le premier chapitre de l'Epître de saint
Paul aux Romains, cite quelques endroits de
ce ti'aité sous le nom de saint Augustin. On ne
peut douter néanmoins que ce traité ne
soit supposé, et qu'il n'ait été écrit dans le
temps que l'arianisme dominait en Afrique,
et que ceux de ce parti employaient les
tourments 'et les caresses pour attirer à eux
les catholiques ; ce qui n'arriva qu'après la
mort de saint Augustin, lors de la persécu-
tion des Vandales. D'aiUeurs le style de ce
traité, quoique assez élégant, u'a ni l'exac-
titude, ni la gravité de celui de saint Augus-
tin. Ce Père n'aurait pas dit, comme on le
lit dans le chapitre troisième, que la bonne
volonté a tenu lieu de femme à Dieu le Père
pour engendrer le Fils. Il faut donc dire que
Florus avait eu en mains un manuscrit peu
correct, et porter le même jugement de ce-
lui de Possidius, imprimé par Jean Ulim-
mérius, où ce traité est marqué parmi les
ouvrages de saint Augustin. Car, dans tous
les autres exemplaires du Catalogue de Pos-
sidius, soit imprimés , soit manuscrits, il
n'est rien dit du traité contre cinq héré-
sies.
2. Le discours contre les juifs, les païens
et les ariens, qui se trouve quelquefois in-
titulé du Symbole, parait aussi avoir été com-
posé dans le temps que l'arianisme était la
Traité con-
Irs les cinq
hérésies, tom.'
VUI, pas, 1,
in Aiipend.
Traité coii-
Ire les Juifs,
les païens et
les ariens ,
pag. 1 1.
* VH estis fontes lacrimarum ? Quibus agri-
colis loquorf Àlii sunt mortui, alii fugati. Tract,
contra qiiinque hseres., cap. vi. Adversatur aria-
nus, clamât, litigat, pugnat, twbas congregat,
IX.
contra Christum dimicat. Ille sanguinem fudil,
ut redimal : iste pecuniam spargit, ut périmât.
Ibid., cap. VII.
24
nio
HISTOIP.E GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
religion dominante en Afrique, et que sespar-
sans étaient assez puissants et assez riches
pour opprimer les callioliques, ou les gagner
par argent'. On y trouve divers endroits tirés
des écrits de saint Augustin, en particulier
de ses discours aux catéchumènes, du pre-
mier livre de l'Accord des Évangélistes, et
du dix-huitième de la Cité de Dieu, d'où l'on
a pris apparemment occasion de l'intituler
de son nom.
Disiuicra- 3. Il n'y a rien, ni de son sénie, ni de
Iro l'Èslisccl ,11 1, . . . r~.
la Synagogue, SOU stylc daus lecrit qui a pour titre, Dis-
pute entre l'Église et la Synagogue. C'est un
dialogue où quelque jurisconsulte introduit
l'Eghse faisant le procès à la Synagogue, de
la manière que les juges ont coutume de le
faire aux accusés. L'auteur y fait voir quel-
que connaissance des Écritures.
Livie tiG la 4. Le livre de la Foi contre les manichéens
Foi cnnlro 'es - i • i •
manichéens, so trouvB SOUS le iiom de saint Augustin
Clans les anciennes éditions de ses œuvres.
Mais, outre qu'il n'en est rien dit daus le Ca-
talogiw de Possidius, ni dans les livres des
Rétractations, le stjde en est si différent,
qu'on ne peut le lui attribuer. L'auteur pa-
rait toutefois avoir pris saint Augustin pour
son modèle, et non-seulement il en preud
les pensées, mais il en copie aussi les termes,
surtout de l'ouvrage intitulé, de la Nature
du bien contre les manichéens. Le Père Sir-
mond croit que ce traité est d'Évodius, évê-
que d'Uzales, et il y a, en effet, quelques
manuscrits où il se trouve sous son nom.
Do la Ma- S. Le mémoirc qui contient la forme de
nifîre de rece- • i • i ' ^i \, v
voiiiesman> recevoir ies manichéens, parait être un re-
c^ ens, p„g. g.jgj^gjjj. ç■^g quelque concile d'Africpie. Il est
composé de neuf anathèmes, tous contre
les erreurs des manichéens, ou contre la
personne de Manichée ; et d'une lettre que
l'évêque donnait à ceux de cette secte qui
se convertissaient à la foi catholique, afin
de leur servir de témoignage contre ceux
qui, ne sachant pas leur conversion, ose-
raient leur objecter leur ancienne erreur.
Dutraiiéjo 6. On ne peut douter que le traité de
TOniiô.'^i,.-.!;' l'Unité de la Trinité ne soit du même auteur
que les livres contre Varimadus, puisqu'il
se l'attribue lui-même dans la préface de
ses livres. Il est donc de Vigile de Tapse,
sous le nom duquel on le trouve dans un
ancien^manuscrit de Dijon, écrit il y a plus de
nèse, [
huit cents ans. Il ne laisse pas d'être cité
par Lanfrauc, par Alcuin et quelques autres
comme étant de saint Augustin, dont il porte
en effet le uom dans plusieurs manuscrits.
Mais le style fait voir évidemment que ce
Père n'en est point l'auteur ; et il n'est pas
impossible que Vigile de Tapse n'ait em-
prunté son nom, comme il a fait pour quel-
ques-uns de ses .autres ouvrages, en parti-
culier pour la Dispute avec Pascentius, rap-
portée dans V Appendice du second tome des
œuvres de saint Augustin. Ce traité de l'U-
nité est en forme de dialogue entre Félicien
et Augustin.
7. On convient que les Questions sur la q»'»'"
^ ^ sur !a Tiiui
Trinité et sur la Genèse sont d'Alcuiu. Elles ;;',.';"■ J-i g
sont au nombre de vingt-huit, et adressées
à Frédégèse.
8. Les deux livres de l'Incarnation du Lcsdeux
vres do II
Verbe, adressés à Janvier, sont tirés des li- camaiio
pag
vres des Principes d'Origène , suivant la
version que Rufin en a faite.
9. Le livre c?e la Trinité et de l'Unité de Litres de
Trinité et
Dieu, qm n'est aujourd'hui distribué qu'en ij'.'^,,"'!,! ,
cinq chapitres , l'était autrefois en treize ,
dont les neuf derniers renfermaient presque
tout entier le livre de saint Augustin contre
le discours des ariens, mais en abrégé, et
altéré en beaucoup d'endroits ; et les quatre
premiers, quelques questions du dialogue
d'Orose, tronqué et corrompu. Dans ce que
nous avons aujourd'hui de ce livre on trouve
quelques endroits de saint Augustin sur
saint Jean, de ses livres sur la Trinité, et
des questions sur le Nouveau Testament,
qui se lisent dans l'Appendice de la première
partie du troisième tome.
10. Ce n'est pas seulement à saint Augus- „^ i.î>™
J- ° l'Essonee
tin, mais encore à saint Ambroise, à saint '» Dmni
' pag. 66.
Jérôme, à saint Anselme et à saint Bonaveu-
ture, que l'on a attribué le livre intitulé ,
de l'Essence de la Divinité, mais on a recon-
nu qu'il était tiré presque tout entier d'nn
ouvi'age de saint Eucher, évêque de Lyon,
qui a pour titre , des Formules de l'intelligence
spirituelle.
11. Le Dialoque de l'unité de la Trinité , Diaioi^o
doit passer pour trcs-ancien , puisqu il se Trinité, f.
trouve dans deux manuscrits qui ont chacun
plus de huit cents ans. Dans l'un, il est sans
nom d'autem', et dans l'autre, il porte celui de
" Maçinus tibi videris, quia disputas nullo te- guid esse, cum nihil sis : et sedwctus nntltos se
ctiin altcrcante, nullo judice prœsidente. El dum dticcre concupiscis, aliqiMS pecunia, aliquos pn-
suffragalur lentpus errori luo, existiwns te ali- tenlia. Semi. de Synili., cap. vu.
[iV'' ET V= SIÈCLES.]
SALNT AUGUSTIN, ÉYEQUE D'HIPPONE.
371
Tom. Y.
. 9i.
saint Augustin, mais sans raison, cet ouvrage
n'étant ni de son génie ni de son style. Il
n'en est question ni dans les livres des Ré-
tractations , ni dans le Catalogue de Possi-
dius.
12. C'est aussi sans raison que le livre
des Dogmes ecclésiastiques lui est attribué dans
quelques manuscrits, et qu'il est cité sous son
nom par le Maître des Sentences. Tliritlième
le donne à Alcuin, mais dans de très-anciens
manuscrits, il porie le nom de Gennade, à
qui il est aussi attribué par Ratramne. Nous
aurons lieu d'en parler plus au long dans
l'article de Gennade, prêtre de Marseille.
[Le cardinal Mai, dans le tome ' Biblioth.
Nov. Patr. pag. 331, a publié un supplément
à ce livre, d'après un manuscrit de la reine
de Suède.]
ARTICLE X.
DES OUVRAGES CONTENUS DANS LE HUITIÈME
TOME.
1 . Quelques soins que se soit donnés saint
Augustin pour défendre la doctrine de l'E-
glise contre les manichéens et les ariens, on
peut les compter pour rien, en comparaison
de ce cpi'il a fait, soit pom- combattre les
donatistes, soit pour les ramener à l'unité et
à la communion de l'Église. Voyages, lettres,
conférences, écrits, il n'a rien négligé, tâ-
chant surtout de vaincre leur cruauté et leur
fureur par un esprit de charité, de douceur
et de patience. Nous avons déjà vu que leur
schisme prit naissance en Afrique, environ
quarante-trois ans avant la naissance de
saint Augustin, et quelque temps après la
fin de la persécution de Dioctétien. Ce prin-
ce, au mois de mars de l'an 303, selon que
le marque Eusèbe de Césarée \ donna son
premier édit contre les chrétiens, par lequel
il était ordonné d'abattre les églises jusque
dans les fondements, et de brûler en plein
marché les livres des Écritures saintes. Cet
édit fut exécuté en Afrique avec une extrê-
me rigueur par Anulin et par Florus ; l'un
préfet de la Proconsulaire, et l'autre de la
Numidie, parce qu'il y allait de la vie pour
tous les magistrats qui auraient laissé aller
un clnrétien qui avait avoué avoir les Ecri-
tures, sans l'obliger à les livrer. Il y en eut
beaucoup qui , ayant confessé qu'ils en
avaient, souffrirent la mort plutôt que de
mettre ces livi'es sacrés entre les mains des
persécuteurs. D'autres qui, sans être pris ni
interrogés, se présentèrent d'eux-mêmes, et
déclarèrent qu'ils ne livreraient jamais les
livres saints qu'ils avaient. Mensurius, alors
évêque de Cartbage ^, trouvant qu'il y avait
de l'excès dans leur zèle, défendit qu'on les
honorât comme martyrs , suivant en cela
l'esprit du concile d'Elvire ^ qni ne veut pas
qu'on reçoive au nombre des martyrs ceux
qui auront été tués pour avoir brisé des ido-
les. Il y en eut au contraire qui , tombant
dans un excès opposé, livrèrent les livres de
l'Écriture afin d'acheter quelques moments
de ce'te vie si incertaine, en pei'dant le bon-
heur de l'éternité *. On les nomma tradi-
teurs, nom qui donna occasion et prétexte
au schisme des donatistes. Mensurius fut ac-
cusé de ce crime, et on l'objecta surtout à
Félix d'Aptonge, qui ordonna Cécihen évê-
que de Cartbage, après la mort de Mensu-
rius '^. Mais l'une et l'autre de ces accusa-
tions se trouvèrent, dans la suite, sans au-
cun fondement.
2. En 303, plusiem-s évèques du nombre
de ceux qui avaient livré les saintes Écritu-
res, s'assemblèrent à Cirthe, pour donner
un évêque à l'Église de cette ville à la place
de Paul, sons qui la persécution de Dioclétien
avait commencé. La fin de ce concile fut °
qu'ils remirent au jugement de Dieu les fautes
qu'ils avaient faites, et Sylvain, traditeur, y
fat fait évêque de Cirthe par ceux qui étaient
coupables de la même faute que lui. Ce sont
ces évêques que l'on fait auteurs du schisme
des donatistes, mais Donat des Cases-noires
est regardé comme le premier auteur de
tout le mal, et comme ayant le premier élevé
dans Cartbage autel contre autel. En effet,
ce fut lui qui divisa le peuple chrétien contre
Cécihen, élu évêque de Carthage, et qni or-
donna, avec d'autres évêques de sa faction,
Majorin pour évêque de cette ville. Par cette
ordination, l'Afrique se vit entièrement divi-
sée en deux parties, et il arriva que, dans
plusieurs Églises, il y eut deux évêques or-
donnés, l'un par Majorin, et l'autre par Cé-
cilien ou par ceux de sa communion. A l'é-
gard des provinces hors de l'Afrique, elles
1 Euseb., Eist. lib. VIII, cap. n. — ^ August.,
Brev. ni, 13. — ^ Conc. Eliber. can. 60.
'> Optât., lib. I, pag. 11.
5 August., Brev. m, 13 et lib. III cont. Cresc,
cap. Lx. — s Gesta., apud Zenopli. iu Appeml.,
tom. IX, pag. 32.
372
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
demeurèrent unies h Cécilien '. On ne voit
pas que les scbismatiques se soient donné
aucun mouvement pour justifier leur con-
duite aux Églises d'outre-mer jusqu'après
que Constantin se fût rendu maître de l'Afri-
que, c'est-à-dire jusqu'à l'an 313. Alors, ils
accusèrent Cécilien devant ce prince ^, de-
mandant d'être jugés par des évoques des
Gaules, comme n'étant pas tombés dans le
crime d'avoir livré des choses sacrées. Cons-
tantin leur accorda les juges qu'ils deman-
daient ', et nomma à cet effet Maternus, évè-
que de Cologne. Réticius, d'Autun, et Marin,
d'Arles, laissant aux évéques l'examen et le
jugement entier de cette affaire. Il ordonna
en même temps qu'ils se transporteraient en
diligence à Rome ' pour la juger en cette
ville, conjointement avec le pape Miltiade,
que Cécilien s'y rendrait aussi avec dix évé-
ques de son choix, et qu'il y en viendrait dix
autres du parti contraire. L'affaire ayant été
examinée pendant trois séances, Cécilien fut
déclaré absous, et Donat condamné et re-
connu pour l'auteur de tout le mal. Les do-
natistes se plaignirent du concile de Rome,
et persévérant dans leur division, quelques-
uns d'entre eux vinrent trouver Constantin
pour se plaindre que Cécilien était indigne
du rang qu'il tenait dans l'Eglise, et préten-
dirent ° même qu'il avait corrompu les juges.
Ils obtinrent de ce prince, par leurs impor-
tunités, que l'affaire serait discutée de nou-
veau, et que l'on examinerait surtout si Fé-
lix d'Aptonge ^ qui avait ordonné Cécilien,
était effectivement traditeur. Car ils soute-
naient que Cécilien , quoiqu'absous par le
concile de Rome, ne pouvait être évêque,
ayant été ordonné par un traditeur. L'affaire
de Félix fut commise à Vérus, alors préfet
des préfets dans l'Afrique. La lettre que l'on
produisit contre Félix fut convaincue de
faux, de même que tous les chefs d'accusa-
tion dont il fut chargé, et Vérus le déclara
innocent. Cécilien fut encore absous dans le
concile d'Arles que l'Empereur i assembla
l'année suivante, 314, aux instances des do-
natistes. Mais, peu contents de ce nouveau
jugement, ils appelèrent du concile à l'Em-
pereur, qui détesta comme une folie et une
impiété, l'appel qu'ils avaient interjeté. Ce
prince ne laissa pas enfin de le recevoir, y
étant contraint pour tenter la réunion de
ceux qui ne voulaient point se rendre au ju-
gement du concile d'Arles; mais bien résolu
de les punir sévèrement s'ils refusaient d'o-
béir à la sentence de celui à qui ils avaient
appelé, n fit donc venir les parties à Milan,
où après les avoir ouïes, et examiné les
raisons de part et d'autre, il jugea en fa-
veur de Cécilien'. Les donatistes en mm-mu-
rèrent, et, attribuant le jugement que Cons-
tantin avait porté contre eux aux sugges-
sions d'Osius, évêque de Cordoue *, ils le
noircirent de tout leiu' pouvoir, afin de lui
ôter la confiance que ce prince lui avait don-
née. Pour les punir de leur opiniâtreté, l'Em-
pereur porta contre eux dits lois très-sévères,
dont l'une leur ôtait les basiliques et tous les
lieux où ils s'assemblaient, pour les adjuger
au fisc. Constantin confisqua les biens mêmes
de plusieurs d'entre eux, et en envoya quel-
ques-uns en exil.
3. De cette manièi'e, le schisme des dona- suite,
listes se transforma en hérésie, non-seule-
ment parce que c'est être hérétique que de
demeurer opiniâtre dans le schisme ^ mais
encore parce qu'ayant violé l'unité de l'É-
glise, ils tombèrent dans diverses erreurs.
Une des principales était que, le crime se
commettant par la communion avec des cou-
pables, l'Église catholique n'était demeurée
entière que dans le parti de Donat, tandis
qu'elle était périe dans toutes les autres par-
ties de la terre, à cause des crimes de Céci-
lien, avec qui les autres églises avaient com-
muniqué. Par une autre erreur qui était une
suite de la précédente, les donatistes bapti-
saient de nouveau ceux qui se rémiissaienl
à leur parti. Il ne parait pas que Constantin
ait rien fait depuis contre eux, mais l'hor-
reur qu'il avait témoignée pour leur schisme
passa à ses trois enfants Constantin, Cons-
tantius et Constant, avec ses États.
A. Ce dernier prince, dans la vue de les suue.
réunir à l'Église catholique, envoya en Afri-
que, l'an 348, Paul et Macau-e, et leur or-
donna absolument la réunion '".Mais, voyant
que ce commandement produisait le trouble.
• Euseb., lib. X, cap. vi. — - In Append., tom.
IX, pag. 15. — ' Optât., lib. I et in Append., pag. 16.
■'• Euseb., lib. X, pag. 5. — 6 August., lib. III
cont. Cresc, cap. ,xxxi. — ^ In Append., pag. 21 et
22.— ' Const., Epist., ad Eumal. an. 310.
8 Angust., lib. I cont. Parm., cap. i et Epist.
lOS, num. 9 et lib. Il contra Petit., cap. xcii
et Epist. 88, num. 3 et lib. post. collai., cap. .xxxni.
s August., lib. De Bœres. et lib. cont. Cresc,
cap. VII. — 1» Optât., lib. III.
[iv= ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
373
et que plusieurs refusaient de se réunir, il
bannit Donat de Carthage, et les autres évê-
ques obstinés. Par ce moyen et par les exhor-
tations de Paul et de Macaire, plusieurs évé-
ques donatistes rentrèrent dans l'unité, et la
paix que Constant avait procurée à l'Église
d'Afrique s'y maintint pendant près de qua-
torze ans, c'est-à-dire jusqu'à l'an 361 que
Julien l'Apostat prit les rênes de l'empire
après la mort de Constantius. Alors les évê-
qùes donatistes obtinrent de ce prince leur
rappel, l'en ayant fait supplier par Rogatien,
Pontius, Cassien et quelques autres du parti
de Donat. Leur retour fut suivi de beaucoup
de meurtres et d'autres crimes que Julien
l'Apostat dissimula, et auxquels l'empereur
Jovien ne put remédier, étant mort presque
aussitôt qu'il fut parvenu à l'empire. Valen-
tinien, son successeur ', fit contre ces héré-
tiques une loi très-sévère, qfli fut renouve-
lée par Gratien. On ne peut douter non plus
que leur fureur n'ait été réprimée par le
comte Romain, général des troapes d'Afri-
que, depuis le règne de Jovien, jusque vers
l'an 373, puisque les donatistes le mettaient
entre les persécuteurs de leur Église. Enfin
Théodose le Grand, par une loi datée du 15
juin 392, adressée à Tatien, préfet du pré-
toire, condamne à dix livres d'or les clercs
qui auraient ordonné ou été ordonnés dans
cette hérésie, et ce prince sévit dans la suite
plus fortement contre les donatistes que
contre tous les autres hérétiques de son
temps.
S. Mais rien n'affaiblit tant cette secte ^
que les guerres intestines et les divisions qui
s'élevèrent entre ceux qui en étaient les fau-
teurs. Le premier qui écrivit contre leurs
dogmes fut Tichonius, quoique donatiste. Il
y avait entre eux tant de partis différents
dans la Mauritanie et la Numidie ^ qu'eux-
mêmes ne pouvaient dire combien il y en
avait. Le plus célèbre était celui des maxi-
mianistes. Saint Augustin nomme quelque-
fois les urbanistes qui étaient réduits dans
un coin de la Numidie, et les claudianistes
que Primien, successeur de Parménien, vers
l'an 391, reçut dans sa communion avant
que le schisme des maximianistes fut com-
mencé. Cette réunion fut désapprouvée de
quelques anciens du parti des donatistes ; et
soit pour ce sujet, soit pour d'autres crimes
dont il fut accusé, Primien fut déposé de
l'épiscopat par cent évêques assemblés à
Cabarsusse ' ville de laByzacène, qui mirent
à sa place Maximien, diacre de Carthage, non
en l'ordonnant eux-mêmes diacre de cette
ville, mais en lui décernant l'épiscopat. Douze
des évêques qui avaient condamné Primien,
assistèrent à l'ordination de Maximien , et
lui imposèreot les mains en présence de
quelques ecclésiastiques de Carthage. Les
plus connus dans l'histoire, sont Prétextât
d'Assur, et Félicien de Musti. C'est là l'ori-
gine du schisme entre Primien et Maximien,
tous deux évêques de Carthage pour le parti
des donatistes. Primien se fit déclarer inno-
cent par le grand concile de Bagai en Niimi-
die, l'an 394, et il demeura toujours assis
dans la chaire ° où il avait été établi par son
ordination, malgré les efforts des Maximia-
nistes. Il y eut même'' plusieurs évêques
qui abandonnèrent le parti de Maximien, et
qui se réunirent au corps de leiir secte en
conséquence des décrets du concile de Ba-
gai , et on ne rebaptisa point ceux qu'ils
avaient baptisés étant unis à Maximien ,
quoique baptisés hors de la communion des
donatistes, qui reconnaissaient ainsi que le
baptême pouvait être vahde hors de leur
église. Les autres évêques qui ne voulurent
pas rentrer dans leur parti souffrirent de
grandes persécutions de la part des dona-
tistes. Ceux-ci poursuivirent Maxiniien avec
tant d'ardeur, qu'ils démolirent jusqu'aux
fondements une église qu'il tenait dans Car-
thage et cpi'ils appelaient pour ce sujet sa
cavei'ne''. Quant à ses partisans, le délai
que leur avait donné le concile de Bagai
étant expiré, ils employèrent pour les faire
rentrer dans leur parti toutes sortes de persé-
cutions. Ils exercèrent, entre autres, de gran-
des cruautés contre Salvie deMembrèce, ma-
ximianiste, contre Prétextât d'Assur et contre
Félicien de Musti. Ces deux derniers évê-
ques, lassés de tant de maux qu'on leur fai-
1 Tom. XVI, lib. H, pag. i94. August., Epist. 131,
num. 2. Collât. Carih. III, cap. cchvni in Àppend.,
tom. IX, pag. 67.
2 August., lib. I cont. Parm., cap. iv, num. 9 et
lib. de Agon. Christ-, cap. xxix. — s ^jb. cont.
Parm., cap. iv.
* Lib. m cont. Cresc, cap. xin. — ^ August.,
lib. IV cont. Cresc, cap. vir.
6 Lib. XXI in Parm., cap. iv et cont., Cresc.
lib. IV, cap. ssx.
'' Lib. cont. Cresc, cap. xlvi et xlvii.
374
HISTOmE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
* sait soufifrir, se résolurent enfin de se réunir
à Primien '. Ils furent reçus dans une assem-
blée très-nombreuse où était Primien même,
avec un grand nombre d'évéques donatisles,
qu'Optât de Tamugade, évéque de ce parti,
avait fait venir à sa fête, et ce fut particu-
lièrement à la demande de cet Optât qu'on
les reçut. Ils auraient dû, suivant leurs pi'in-
cipes, ne les recevoir que dans le degré de
pénitents, ou au moins les ordonner de nou-
veau ; mais, ils les reconnurent pour leurs
frères, et leurs conservèrent tous les hon-
nem's de l'épiscopat ^, au préjudice même
de Rogat qu'ils avaient fait évéque d'Assur à
la place de Prétextât. Ils approuvèrent aussi,
contre leurs principes, le baptême que Pré-
textât et Félicien avaient donné dans le
schisme. Car, tandis que ces deux évêques
étaient unis de communion avec Maximien,
ils avaient administré le baptême à un grand
nombre de personnes, non-seulement dans
les maladies, mais publiquement dans les
fêtes de Pâques, tant dans leurs villes, que
dans les églises de leurs diocèses.
Suite. 6. L'Église tira de grands avantages, non-
seulement des divisions qui s'élevèrent par-
mi les donatistes , mais encore de ce qu'en
différentes occasions ils avaient agi contre
les principes de leur secte. Celui sur lequel
ils insistaient le plus , était que la commu-
nion que l'on a avec des personnes crimi-
nelles, rend les innocents coupables. Néan-
moins ils avaient reçu^ Félicien et Prétextât
dans leur communion, sans satisfaction et
sans pénitence, après leur avoir fait les re-
proches les plus outrageux. Un autre de leur
principe était que tout baptême donné hors
de l'Église est nul et doit être réitéré : et
toutefois ils avaient ratifié celui que Féli-
cien et Prétextât avaient conféré dans la com-
munion de Maximien, quoiqu'ils ne pussent
douter qu'il n'eût été donné hors de l'Égli-
se. C'est de ces deux principes que saint Au-
gustin se sert presque dans tous ses écrits
pour combattre les donatistes : et l'Église
d'Afrique en fit un des principaux fonde-
ments de l'instruction qu'elle donna à ses
députés pour la conférence de l'an ■411. Elle
se tint à Garthage pendant le mois de juin
de cette année. Les donatistes y furent vain-
cus. Ils en appelèrent à l'Empereur qui les
condamna le 30 janvier de l'année suivante :
en sorte que plusieurs d'entre eux pi-irent le
parti de céder et de se réunir. Nous avons
une loi d'Honorius du 22 juin 414, et une
du 30 août de la môme année, où ce prince
maintient en vigueur les actes de la confé-
rence de Cartilage, à laquelle le comte Mar-
cellin avait présidé ; et i;ne du 30 mai 428,
où Théodose le jev.ne'* met les donatistes
avec les prisciUianistes et les autres, à qui la
loi défend absolument toute assemblée dans
les villes et à la campagne.
§1-
Psaume de Saint Augustin contre le parti de
Donat, et livres contre Parménien.
1. Le premier des ouvrages de saint Au-
gustin contre les doniftistes, est celui qu'il
appelle, dans «ses Rétractations '^ , \e Psaume
abécédaire., parce qu'il est divisé en plusieurs
parties, dont chacune commence par une
lettre différente selon l'ordre de l'alphabet.
C'est une espèce de rythme et de chanson
qui a son refrain à la fin de chaque strophe,
composée tout d'un nombre à peu près égal
de versets. Ce Père y comprend l'histoire
du schisme des donatistes, depuis son ori-
gine jusque vers l'an 397, et la réfutation
des erreurs de ces schismatiques, avec au-
tant de clarté que de simphcité. Car il le fit
pour instruire les moins intelligents, et les
plus grossiers du simple peuple. C'est pour
cela qu'il le mit en façon de rythme, afin
qu'on le pût chanter, et qu'on le gravât plus
aisément dans la mémoire ; mais non pas
en vers, de peur que la gêne des mesures no
l'obligeât à se servir de termes moins à la
portée du vulgaire. Il avait mis en tête de
ce psaume un prologue qu'on chantait aussi,
mais dont les strophes ne commençaient pas
comme ce psaume par une lettre différente
selon l'ordre de l'alphabet. Nous ne l'avons
plus. Il ne conduisit ce psaume qve. jusqu'à
la lettre U, omettant les trois dernières let-
tres : auxquelles il supplée par un épilo-
gue, où il fait parler l'Église aux donatistes
pour les engager à rentrer dans son sein.
2. Son second ous'rage contre les dona-
tistes fut la réfutation de Donat de Car-
thage, le même qu'on croit avoir été le hé-
CC PS31
a élc trritve
Van 303.
Uériilririo
1 Lib. cont Cresc. cap. ix et lib. IV, cap. xxv. liapt., cap. su et lib. 111 cent. Cresc, cap. xn.
« Ibiii., cap. LX. * Cad. Theod. XVI, tom. V, lib. L.W, pag. 1S7.
3 August., lib. U iu Parin., cap. m et lib. U De ^ Aiigusl., lib. U Retract., cap. xx.
[iV" ET V"" SIÈCLES.
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQHE D'HIPPONE.
373
ros du schisme, et lui avoir donné le nom.
Entre divers écrits que ce Donal avait laissés
après sa mort, il y avait une lettre où il s'ef-
forçait de montrer que le baptême ne pou-
vait êti-e conféré que dans sa secte. Ce fut
cette lettre que saint Augustin entreprit de
réfuter. Mais ce qu'il écrivit à ce sujet est
perdu. Il se reproche dans ses Rétracta-
tions'^, d'avoir traité Donat de voleur et de
violateur des paroles de Dieu, et de l'avoir
accusé d'infidélité , comme s'il eût retran-
ché des mots importants d'un endroit de l'É-
criture ; faute néanmoins qui se trouvait
aussi dans des exemplaires plus anciens que
le schisme des donatistes.
3. Saint Augustin met les deux ouvrages,
dont nous venons de parler, après le traité
de la Foi et du Symbole, fait au mois d'octo-
bre de l'an 393 ; et comme il n'y dit rien de
l'histoire des maximianistes.qui faisait déjà
du bruit en 394, on peut avancer qu'il avait
fait son Psaume abécédaire dès l'an 393. II
marque au contraire dans ses livres contre
la lettre de Parméuien, comment les dona-
tistes avaient reçu dans leur communion Fé-
licien et Prétextât : ce qui n'étant arrivé
qu'au commencement de l'an 397, on doit
en inférer que ces livres ne fm-ent écrits que
quelque temps après et au plus tôt en 400,
puisque dans le premier -, il parle de l'édit
d'Honorius pour le renversement des idoles,
publié en 399. Ce qui lui donna occasion
d'écrire contre Parménien, fut la lettre que
cet évéque de Carthage pour les donatistes,
avait écrite contre Tichonius. Il ne put ré-
sister aux instantes prières que ses frères
lui firent de la réfuter, voyant surtout que
Parménien y abusait de divers passages de
l'Écriture pour justifier le schisme de son
parti. Il met ' cette réfutation avant les der-
niers livi-es contre Pétihen faits au plus tard
en 402 '. Elle est divisée en trois livres, dont
le sujet est de savoir si les bous sont souillés
par le commerce des méchants, en demeu-
rant dans l'unité de la même Église et la
participation des mêmes sacrements.
4. Tichonius, quoique engagé dans la secte
des donatistes, ne laissa pas d'apercevoir
dans les paroles de l'Écriture, l'Église de
Dieu répandue par toute la terre , telle
qu'elle avait été prévue si longtemps aupa-
i-avant par la lumière des saints Prophètes
et prédite par leurs oracles. Frappé de cette
vérité, qu'il rencontrait presque dans chaque
page de nos Livres saints, il entreprit de
montrer, contre les principes de sa secte,
que le péché d'aucun homme quelque grand
et quelque énorme qu'il soit, ne peut arrêter
les promesses de Dieu ; et que quelque im-
piété qui se puisse commettre dans l'Éghse,
elle ne peut empêcher que Dieu n'exécute
ce qu'il a promis, savoir que cette Église dont
nos pères n'ont eu que l'espérance, et nous
la vérité, s'étendra jusqu'aux extrémités de
l'univers. C'est ce qu'il prouvait avec beau-
coup de force par un grand nombre de rai-
sons ; et il fermait la bouche à ceux d'un
sentiment contraire, par le poids et la multi-
tude des passages clairs et précis qu'il allé-
guait. Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'il
n'ait pas suivi ses principes jusqu'au bout,
et qu'au lieu de reconnaître que les chré-
tiens d'Afrique, qui communiquaient avec
toutes les provinces du monde, étaient ceux
qui appartenaient à l'Église répandue dans
tout le monde, il ait mieux aimé demeurer
dans celle des donatistes qui étaient séparés
de tout le reste du monde. Parménien et les
autres de sa secte, au lieu de céder à une
vérité que Tichonius leur montrait si claire-
ment, aimèrent mieux la combattre avec
opiniâtreté. Celui-là écrivit donc contre Ti-
chonius une lettre pour le corriger, disait-il,
de sa faute. Mais il n'opposa a la clarté et à
la force des passages allégués par ce dona-
tiste, que la fumée du mensonge, c'est-à-
dire l'autorité de son propre témoignage ,
comme si on l'eût dû croire plutôt que Dieu.
Saint Augustin, pour soutenir la même vé-
rité que Tichonius avait défendue, fait voir
comme lui qu'il est bien plus raisonnable de
s'en rapporter à ce que les prophètes et les
apôtres ont écrit touchant l'universalité de
l'Eglise dans toutes les provinces du monde,
qu'à cpielques donatistes qui voulaient la
renfermer dans une partie de l'Afrique. II
rapporte sur cela les promesses faites à
Abraham et à sa race, en laquelle toutes les
nations devaient être bénies. II montre que
les reproches des donatistes contre ceux
qu'ils accusaient d'avoir été Iraditeurs, ne
pouvaient empêcher l'effet de ces promesses
pour l'universalité de l'Église répandue par
toute la terre, et son éternité dans tous les
' Augu?t., lib. Il Retract., cap. xxi.
cont. Parin., cap. is.
3 Lib. II Retract., cap. viir.
Pctil., cap. Li.
Lib. I cont.
376
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
I Cor. M,
l'hil. I, L5
Suite , ia£
siècles, ni nuire aux chrétiens des autres
pays, des Gaules, des Espagnes, de l'Italie,
qui n'avaient point eu de connaissance de
ce qui s'était passé en Afrique. Il raconte
d'après saint Optât, comment Lucille, ennemi
de Cécilien, parce qu'il lui avait dit la vérité,
se sépara de sa communion, et enfanta le
schisme ; et comment Secondin et quelques
autres évèques de Numidie, qui s'étaient
joints aux schismatiques, déposèrent Céci-
lien sans l'avoir entendu, et ordonnèrent à
sa place Majorin, évéque de Carthage. Et
parce que les donatistes soutenaient que
tous les peuples qui avaient communiqué
avec Cécilien, s'étaient rendus coupables
des crimes dont il était accusé, saint Augus-
tin fait voir l'iniquité de cette conséquence,
par la conduite de l'Apôtre "qui ne craignait
point d'être souillé par la communion de
certains faux frères, à qui il permettait de
prêcher l'Évangile, quoiqu'il sût qu'ils le
prêchaient par envie et sans charité ; et par
celle de saint Cyprien, qui ne se crut pas
non plus souillé en travaillant pour la con-
version de ceux qui étaient tombés dans la
persécution. Il ajoute, qu'il y aurait de l'in-
justice à rendre coupables toutes les pro-
vinces du monde pour avoir communiqué
avec Cécilien, qu'elles n'avaient pu connaî-
tre, et bien moins le condamner, sans avoir
connu s'il était coupable ou non.
5. Ensuite saint Augustin réfute les calom-
nies dont les donatistes chargeaient Osius,
parce qu'ils le soupçonnaient d'avoir tra-
vaillé plus que personne à leur condamna-
tion. Ils prétendaient que les Espagnols
l'ayant condamné et les Gaulois l'ayant ab-
sous, ceux-là l'avaient enfin reçu comme
innocent. D'où ils prenaient occasion de les
accuser de prévarication, et d'avoir édifié
de nouveau contre le précepte de saint
Paul, ce qu'ils avaient détruit d'abord. Saint
Augustin leur répond, que si saint Paul
avait prétendu nous apprendre par là qu'il
ne faut jamais changer de sentiment et de
conduite : il ne se serait pas fait lui-même
chrétien ; il ne serait pas devenu apôtre ; il
n'aurait pas édifié, par ses prédications, les
Églises qu'il avait tâché de détruire par ses
persécutions. D'où ce Père infère que les
donatistes n'ont jamais mieux montré pour-
quoi ils n'ont pas voulu se rendre, quoique
vaincus partout, qu'en faisant un crime aux
Espagnols d'avoir cédé à l'examen et an ju-
gement de leurs collègues, contre ce qu'ils
avaient jugé auparavant. « Car autant, dit-il)
que la conduite de ceux-ci est conforme à la
douceur chrétienne, autant celle des dona-
tistes est-elle digne de l'opiniâtreté du dia-
ble. Ainsi il ne faut pas s'étonner que les
humbles aient conservé le lien de la paix,
et que les superbes l'aient rompu. » Il leur
dit, que si par l'amour de la vérité et pour
le bien de la paix, ils avaient acquiescé au
jugement des évêques d'Outre - mer qui
avaient déclaré Cécihen absous, ils auraient
remporté une victoire beaucoup plus avan-
tageuse, que s'ils l'avaient fait condamner
dans le concile où il avait été jugé innocent ;
étant bien plus glorieux de triompher de
son orgueil et de sa haine, que de vaincre
non-seulement un seul homme, mais même
que de soumettre une ville entière, selon
que le dit l'Écriture. Parménien avouait que
c'était ceux de son parti qui s'étaient adres-
sés à l'empereur Constantin dans l'affaire
de Cécilien. Mais, en même temps, il'accusait
d'injustice ceux que ce prince avait commis
pour le juger. Saint Augustin lui demande
sur cela ce que répondrait une personne
désintéressée ; et si elle ne déciderait pas
plutôt en faveur des juges qui avaient rendu
une sentence qui déclarait Cécilien absous,
qu'en faveur de ceux que cette même sen-
tence condamnait, et ne voulaient pas finir
le procès : « Certes, ajoute-t-il, toute la terre
s'en est rapportée à ce que les juges ont or-
donné en cette afl'aire ; il n'y a que les do-
natistes et leurs fauteurs qui accusent ces
juges d'injustice, imitant en cela ceux qui,
quoique condamnés justement, sont assez
aveuglés pour se plaindre d'un juge qui n'a
fait que suivre les lois de la justice et de l'é-
quité. 1) Ce Pèi-e ajoute, au nom des Églises
d'Asie, qu'il introduit comme se plaignant
de ce que les donatistes les rendaient cou-
pables du crime des traditeurs de l'Afrique,
quoiqu'elles n'en eussent aucune connais-
sance, que puisqu'ils ne craignaient point
de condamner par des soupçons téméraires
leurs frères qui demem-aient dans des pays
si éloignés, c'était une preuve qu'ils avaient
eux-mêmes été justement condamnés par
leurs voisins.
6. Parménien accusait de cruauté la sen-
tence de Constantin qui ordonnait la peine
de mort contre les donatistes qui refusaient
de se soumettre aux jugements rendus con-
tre eux, et il en rejetait avec eux tout l'o-
dieux sur Osius de Cordoue. A quoi saint
[IV' ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
Augustin répond : premièrement , il est
bien plus probable qu'im évêque aurait fait
pencher l'Emperear à la douceur, quoique
le crime des donatistes , c'est-à-dire leur
schisme sacrilège, fut des plus horribles.
Secondement , les tourments qu'on leur
faisait souffrir , étaient un avertissement
de la part de Dieu, pour les engager à se
préserver des supplices éternels ; qu'au res-
te, ils étaient proportionnés au mérite de
leurs fautes, et décernés par une puissance
légitime. Il ajoute que s'ils veulent se mettre
au nombre des martyrs de la vérité à cause
des supplices dont on les tourmentait, ils
doivent auparavant donner des preuves
qu'ils ne sont ni hérétiques ni schismaliques.
Car, si tous ceux qui sont punis de l'Empe-
peur ou des juges institués de sa part, sont
martyrs, il faudra dire que toutes les prisons
sont pleines de martyrs, et accorder le mê-
me honneur à tous les exilés et à ceux qui
sont condamnés par sentence des juges à
être brûlés vifs ou envoyés en exil, ou aux
mines. Il leur reproche d'avoir refusé cons-
tamment de conférer avec les catholiques :
puis, reprenant l'argument qu'il venait de
quitter, il leur demande si l'on pourrait met-
tre au nombre des martyrs, ceux des païens
qui, d'après la défense faite depuis peu par
l'Empereur, sous peine de la vie, d'offrir des
sacrifices aux idoles, en auraient offert et subi
en conséquence la peine de mort? « Au-
cun chrétien, dit-il, n'osera le dire. » La rai-
son que saint Augustin en rend, c'est que
ce n'est pas la peine qui fait le martyr, mais
la cause. 11 fait voir que les princes, étant
obligés de veiller à la pureté de la religion,
sont en droit de punir ceux qui la violent;
et ajoute que les donatistes eux-mêmes se
donnent la licence de renverser les temples,
et d'user de violence envers ceux qui ne
sont point de leur sentiment. II remarque
qu'aucun empereur n'a fait pour eux de lois
favorables, sinon Julien l'Apostat, autant
ennemi de la paix que de l'unité chrétienne ;
que ce fut lui qui leur rendit les Églises;
que les autres empereurs les obligèrent à
rendre non - seulement les basiliques qui
avaient été aux catholiques, mais aussi cel-
les qu'ils avaient bâties eux-mêmes depuis
leur schisme ; mais que la douceur chré-
tienne fit que ces lois ne fm'ent pas exécu-
tées avec beaucoup de rigueur, en sorte
qu'ils consei'vaient alors non-seulement les
églises qu'ils avaient bâties dans le schisme.
ÉVEQUE D'HIPPONE.
377
mais même quelques-unes de celles qui
avaient appartenu dès le commencement
aux catholiques.
7. Les donatistes s'autorisaient dans leur A"»ir? ^<^
second li'vre ,
schisme de quelques passages du prophète p»s- '=.
Isaïe , qui défendent la communion avec les
méchants. Mais saint Augustin leur fait voir
qu'en prenant les passages à la lettre, ils ne
faisaient pas moins contre eirs que contre
les catholiques , puisqu'ils communiquaient
avec Optât le Gildonien , qui s'était telle-
ment fait connaître par ses crimes, que per-
sonne ne pouvait dire qu'il ne sût pas quel
il était. Il ne servait de rien aux donatistes
de dire que les actions d'Optat déplaisaient
à tous les gens de bien de leur parti, puis-
que c'était , selon eux , la communion des
méchants qui souillait , et non l'approbation
de leurs crimes. Tout ce qui leur restait à
dire , était que l'on doit quelquefois tolérer
les méchants , pour éviter de plus grands
maux, et pour le bien de la paix; d'où il
suivait qu'ils auraient dû tolérer Cécilien ,
quand même il eût été coupable, plutôt que
de diviser l'Église , ce qui est le plus grand
de tous les maux. Le saint Docteur prouve
donc que dans tous les passages de l'Écri-
ture , où il est défendu de communiquer
avec les méchants , cela ne doit s'entendre
que de l'approbation qu'on donnerait à
leurs crimes. Après quoi il montre par di-
vers endroits du Nouveau Testament, que
l'Église , étant comme un champ où le bon
grain est mêlé avec la zizanie, les bons et
les méchants représentés par ce bon grain
et par cette zizanie , doivent demeurer en-
semble jusqu'au jour de la moisson , c'est-à-
dire jusqu'à la fin des siècles, sans que les
bons souffrent de cette communion avec les
méchants , comme la paille ne nuit point au
grain , pourvu que les bons ne donnent
point leur consentement aux mauvaises ac-
tions des méchants. Les donatistes objec-
taient selon l'Écriture , tel qu'est le juge du
peuple, tels sont ses ministres ; et tel qu'est ecci.x, 2.
le prince de la ville , tels sont aussi les ha-
bitants. Saint Augustin leur répond que le
sens de ce passage est que nous ne devons
point mettre notre espérance en l'homme,
en sorte que, s'il nous arrivais de vivre dans
une ville où l'évêque ne fut pas de bonnes
mœurs , nous croyions qu'il nous fût permis
de vivi'e mal comme lui , nous autorisant à
cet eûet du passage objecté , comme si l'on
ne pouvait pas être bon lorsque l'on vit
378
HISTOIRE GÉNlîRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Mal
XIilT, 3.
Isai. LWI,
U. P^0^. .\\1,
27. Fxod.xix,
22. Joan. i.\,
31.P.sal.XLrx,
IG.
Mallli,
x.'iin, 3.
SOUS un prince qui ue l'est pas. II montre,
an contraire, par les paroles de Jésus-Christ,
qae nous devons faire le bien que nous en-
seignent nos princes et nos évèques, et nous
abstenir du mal qu'ils font. Les donatistes
alléguaient divers autres endroits de l'É-
ci'iture qui semblent rejeter le sacrifice, la
prière et la prédication des impies. Saint
Augustin, après avoir exiDliqué tous ces pas-
sages, montre que le prêtre, quoique pé-
cheur, est exaucé quand il prie pom* le peu-
ple , et il en donne pour exemple la prière
que fit le prophète Balaam qui fut exaucée
de Dieu, bien que ce faux prophète n'en eût
] oint d'envie , et qu'ils ne cherchât qu'à
I uire au peuple d'Israël; que la prédication
l'un mauvais ministre ne laisse pas d'être
utile aux autres, quand il enseigne la vérité,
ainsi que le dit Jésus-Christ des pharisiens
assis sur la chaire de Moïse ; et que le sa-
crifice de l'impie ne nuit qu'à lui-même ;
parce qu'il n'y a qu'un sacrifice toujours
saint, offert principalement par Jésus-Christ
toujours juste ; sacrifice qui profite à celui
qui le reçoit , selon la disposition dans la-
quelle il le reçoit.
8. Les donatistes objectaient d'autres pas-
sages qui semblent faire dépendre l'effet du
baptême et des autres sacrements , de la
probité du ministre. Saint Augustin répond :
« Tous les sacrements sont profitables à ceux
qui les reçoivent avec des dispositions con-
venables , et qu'ils ne nuisent qu'à ceux qui
les administrent indignement, soit que leurs
péchés soient connus , soit c[u'il ne le soient
pas, car, quoique ces ministres soient morts
parieur impiété , celui-là vit toujours , dont
il est dit dans ■ l'Évangile : C'est celui-ci qui
nom. VI, 9. baptise ; parce que, comme dit l'Apôtre : Jé-
sus-Christ ressuscité d'entre les morts, ne meurt
plus. Comme le bon ministre, en communi-
quant la grâce au peuple, mérite pour soi la
récompense ; le mauvais ue laisse pas de
communiquer la grâce , parce que le Saint-
Esprit n'abandonne pas, à cause de la mau-
A'aise vie de ce niinislre, le ministère qui lui
est confié pour opérer le salut des autres. Car,
c'est Dieu qui donne la grâce par les hom-
mes , comme il la donne quelquefois lui-
même sans le ministère des hommes. » Quel-
ques-uns d'entre les donatistes convenaient
que celui qui se sépare de l'Éghse, ne perd
pas pour cela le sacrement du baptême ;
mais ils soutenaient qu'il perdait le iioiivoir
de le donner aux autres. Saint Augustin ré-
Suito , pag.
37. Jerem. n,
12, 16 cl 18.
Eccl. -\xxiv
Joaa. I, 33.
pond que cette distinction n'est point fondée,
et que le sacrement du baptême , de même
que le pouvoir de le conférer , se donnant à
l'homme par une consécration particulière ;
l'un , lorsqu'il est baptisé ; l'autre , lorsqu'il
est ordonné, ces deux prérogatives sont éga-
lement inadmissibles; que c'est pour cela
que, dans l'Eglise catholique, ni le baptême
ni l'ordination ne se réitèrent, et qu'on ne
saurait les réitérer sans faire injure au sa-
crement. Il est écrit, disaient encore les do-
natistes : Ne vous rendez point participant des
péchés d'autrui ; conservez-vous pur vous-même.
La manière dont saint Augustin lisait cet
endroit, ôtait toute la diliiculté. Car, tandis
que dans nos Bibles latines il y a : N'e vous
rendez pas participant , il lisait dans ses
exemplaires : afin que vous ne vous rendiez
pas participant des péchés d'autr-ui , conservez-
vous pur vous-même ; par où il est clair que
Thimothée parlait de la participation et du
consentement aux péchés d'autrui , et non
pas de la simple communion avec le pécheur;
qu'ainsi ce n'est point participer à son péché
que de communiquer avec lui , en vivant
avec lui, et recevant de lui la parole de Dieu
ou les sacrements , si en même temps on ne
consent à son péché.
9. Dans le troisième livre, saint Augustin
répond aux autres passages de l'Écriture
que Parménien objectait pour s'autoriser
dans son schisme. Le premier était tiré de
l'Kpitre aux Corinthiens, oih l'Apôtre dit:
Retranchez ce méchant , c'est-à-dire cet inces-
tueux , du milieu de vous : ce cp.i'il ne dirait
pas , ajoutait Parménien , si la société des
mécbants n'était nuisible aux justes. Saint
Augustin répond que l'Apôtre en cet endroit
ne parle qpie d'une séparation de cœur et de
commerce ordinaire accompagnée de la pri-
vation des saci'ements, et non d'une sépai'a-
tion de corps, comme le voulait Parménien.
C'est ce que ce Père px^ouve par un passage
de l'Épître aux Thessaloniciens , où l'Apôtre
dit que si c/uelqu'un n'obéit pas à ce que nous
ordonnons, notez-le, et n'ayez point de commerce
avec lui , afin qu'il en ait de la confusion et de
la honte. Ne le considérez pas néanmoins comme
un ennemi; mais avertissez-le comme votre
frère. « Car il y a , dit saint Augustin , une
charité qui est sévèi'e, et une charité qui est
douce : c'est bien la même charité, mais elle
est différente dans ses différentes opéra-
tions. Quand la nécessité oblige les pasteurs
à se servir du châtiment de l'excommunica-
ITira. v,2;
nalyse t
ièmn i.
l.aj. S6f
!I
u, IV.
[IY« ET Y" SIÈCLES.
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
379
tion , l'humilité de ceux qui pleurent leurs
fautes doit obtenir la miséricorde que le pé-
cheur obstiné rejette par son orgueil ; et au
lieu de négliger le salut de celui qui est re-
tranché de la société de ses frères , il faut
faille tout ce que l'on peut, afin que ce châ-
timent lui soit utile ; et si on ne peut le cor-
riger par les répréhensions , il faut agir
devant Dieu en sa faveur par nos désirs et
par nos prières. »
Mais, dira quelqu'un , si nous ne nous sé-
parons que de cœur et non de corps de celui
qui est reconnu pour pécheur, comment ob-
serverons-nous le précepte de l'Apôtre , qui
défend de manger avec im homme noté de
cette sorte. Saint Augustin résout cette dif-
ficulté par l'usage de l'Église , qui était tel
que, quand un chrétien était convaincu d'un
péché digne d'anathème, elle le séparait
pour le corriger, pourvu qu'il n'y eût aucun
péril de schisme, que ce particulier fût sans
appui, et que la multitude aidât le pasteur
contre lui ; l'intention de l'Église n'étant
point de le traiter comme un ennemi , mais
de le corriger comme un frère , suivant le
précepte de l'Apôtre. «Si ce pécheur, ajoute
le saint Docteur, ne veut pas se reconnaître
ni faire pénitence, c'est lui-même qui sort de
l'Église et qui est retranché de sa commu-
nion par sa propre volonté. Si au contraire
la maladie a gagné le grand nombre , il ne
reste ans gens de bien qu'à gémir, de peiu"
d'arracher le bon grain avec la zizanie ; on
peut seulement alors user de reproches en-
vers la multitude, et encore à propos, comme
à l'occasion des calamités publiques , qui
l'humilient et la rendent un peu plus docile.
Mais la séparation est inutile, pernicieuse et
sacrilège , parce qu'elle ne vient que d'or-
gueil ; elle trouble les gens de 'bien faibles,
sans corriger les méchants emportés. » Il
donne pour exemple de cette conduite saint
Cyprien qui, quoique bien informé des mau-
vaises mœurs de plusieurs de ses collègues
dans l'épiscopat, crut qu'il était plus à propos
d'en laisser le jugement à Dieu que de se
séparer d'eux. La maxime qu'il veut que
l'on suive en pareil cas, est que l'homme cor-
rige avec bonté et miséricorde tout ce qu'il
peut corriger, et qu'il souffre le reste avec
patience, gémissant avec charité sur les dé-
fauts de ses frères , jusqu'à ce qu'il plaise à
Dieu de les corriger lui-même. Ceux qui sont
préposés au gouvernement de l'Eglise doi-
vent se souvenir qu'ils ne sont que les ser-
viteurs de ceux à qui ils commandent : au-
tant il est facile à un évèque de dégrader un
de ses clercs, ou d'ôter quelqu'un du nombre
des pauvres nourris aux dépens de l'Église ,
ou de séparer un laïque de l'assemblée des
fidèles , autant il est difficile de séparer la
multitude , en quelque ordre de l'Église
qu'efie se trouve , du commerce avec les fi-
dèles.
10. L'argument dont Parménien se préva-
lait le plus était tiré du prophète Jérémie :
Qvelle comparaison y a-t-il entre la paille et
le blé ? Mais il n'en comprenait pas le sens ,
comme saint Augustin le fait voir. <(En effet,
peut-on dire dans le champ , quelle compa-
raison entre la paille et le blé , lorsque l'un
et l'autre sont portés sur la même racine?
peut-on le dire dans l'aire où ils sont foulés
ensemble? Non, cela ne se peut dire que
dans le grenier où le blé sera mis sans la
paille par le Père de famille : ce. qui arrivera
au jugement où cette prophétie, quelle com-
paraison y a-t-il entre la paille et le blé? sera
accomplie , lorsque la nourriture des boucs
et des brebis ne pourra plus être commune.
Si l'on veut que les paroles de Jérémie aient
leur accomplissement dès ce monde , il faut
les entendre de cette sorte, que dans une
même société la paille et le blé se trouvent
ensemble jusqu'à ce que , par la dissolution
de cette société, ils soient séparés corporel-
lement ; mais en attendant ceux qui sont
représentés par le blé, tiennent leur cœur
élevé en haut , ceux que la paille désigne
l'ayant attaché aux choses d'ici-bas. »
Saint Augustin exphque de même ce pas-
sage d'Isaïe dont Parménien s'autorisait
aussi : Retirez-vous, sortez de Babylone , sortez
du milieu d'elle, p)uri fiez-vous , vous qui portez
les vases du Seigneur; faisant voir que celui-là
ne touche rien d'immonde , qui ne consent
au péché de personne , et qu'il sort vérita-
blement de Babylone, sans encourir de Dieu
aucun reproche, s'il ne néglige aucun des
moyens de corriger les méchants en gardant
toutefois la paix et la charité. « Car celui ,
dit-il, qui veut se séparer corporellement de
ceux qui paraissent manifestement méchants,
abandonne spirituellement les bons qui lui
sont cachés, et cpi'il est souvent obligé d'ac-
cuser sans les bien connaître, lorsqu'il s'ef-
force de défendre sa séparation. » Il de-
mande aux donatistes pourquoi , s'il était
immonde lorsqu'il était séparé d'eux, ils ont
reçu comme purs ceux qu'il avait baptisés
Suile, pag,
Jeroin.
XKUi. 28.
Isai. LK, 12.
380
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
dans le schisme ? Puis, revenant aux paroles
de Jérémie, il dit que l'on n'en peut mieux
prendre le sens, qu'en examinant les actions
même de ce prophète. « Quand il a dit :
Quelle comparaison entre la paille et le blé?
était-ce pour se séparer des pailles de son peu-
ple , à qui il annonçait tant de vérités ? Et
lorsque Isaïe disait : Retirez-vous , ne touchez
rien d'impur, n'a-t-il pas touché lui-même
l'impureté qu'il reprenait si fortement, en
demeurant au milieu de ceux qui en étaient
coupables? David qui, dans ses Psaumes,
invective si souvent contre les mauvais
Israélites, s'est-il jamais séparé d'eux? S'il y
a dans la maison du Seigneur des vases
d'honneur qui en font la beauté , n'y souf-
fre-t-on pas aussi des vases d'ignominie ? Ceux
qui, dans le prophète Ézéchiel, pleurent et
gémissent sur les iniquités du peuple ne s'en
sont point séparés. Il n'est donc jamais per-
mis de se séparer de l'Éghse ; et il n'y a au-
cune sûreté que dans l'unité de cette Église,
fondée sur les promesses de Dieu, et néces-
sairement connue par toute la terre. »
Saint Augustin fait voir après cela que les
maux que les donatistes avaient soufferts ,
n'étant qu'une peine de leur prévarica-
tion et de leur schisme , ils ne pouvaient
mettre au nombre des martyrs ceux qui
les avaient soufferts, et qu'ils n'étaient
pas mieux fondés à jurer par les cheveux
blancs de ces prétendus martyrs, à célébrer
le jour de leur naissance et à réciter à l'autel
les noms des principaux moteurs de leur fu-
reur. Il raconte les outrages que les primia-
nistes avaient fait souffrir àSalvius, qui était
du pai'ti de Maximien , et ajoute : «Tandis
qu'on reçoit les maximianistes condamnés
dans le concile de Bagai, on condamne des
nations que l'on ne connaît pas. Le baptême
des maximianistes est reçu , et l'on rejette
comme nul celui qui se donne par toute la
terre. »
§n.
Des sept livres du Baptême contre les
donatistes.
Ltre du 1. Saint Augustin, en travaillant au second
vcrs"iïï'Tdo! livre contre Parménien , avait promis ' de
traiter ailleurs plus exactement et avec plus
d'étendue la question du baptême. Ce fut
pour exécuter sa promesse, et aussi pour sa-
tisfaire aux instances de ses frères ^, qu'il
composa ses sept livres du Baptême, qu'il
place immédiatement après les trois contre
Parménien dans ses Rétractations '. Ils sont
donc tous à peu près du même temps , et
faits vers l'an 400. Son dessein, dans ces sept
livres, est de répondre à toutes les objections
des donatistes contre la doctrine de l'Église
sur le baptême , et particulièrement à celles
qu'ils tiraient des écrits et de la conduite de
saint Cyprien. Comme il y dit quelquefois que
l'Église est sans taches et sans rides , il veut
que cela s'entende '* de l'Éghse non en l'état
qu'elle est à présent, comme si elle était déjà
sans tache , mais de l'état glorieux dans le-
quel elle paraîtra un jour. « Car, pour le pré-
sent , dit-il , les ignorances et les infirmités
de ses membres lui donnent matière de dire
chaque jour: Pardonnez-nous nos offenses. «Il
remarque dans ses Rétractations '" que, dans
son septième livre du Baptême, il a suivi, en
parlant des vases d'or et d'argent qui sont
dans une grande maison , le sens de saint
Cyprien qui, par les vases d'or et d'argent,
entend les gens de bien, comme il entend les
méchants par les vases de bois et de terre ,
rapportant aux premiers ce que dit l'Apôtre: '
Les uns sont destinés à des usages honnêtes, et
aux seconds ce qu'il ajoute : Et les autres à
des usages honteux. « Mais, ajoute-t-il, j'ap-
prouve davantage ce que j'ai trouvé depuis
dans Tichonius , qu'il faut entendre des uns
et des autres vases ce que dit l'Apôtre , en
sorte que tant dans les vases d'or et d'ar-
gent, que dans ceux de bois et de terre , il y
en ait qui sont destinés à des usages hono-
rables, et d'autres à des usages honteux, n
2. Le dessein du premier livre est de mon- Ami;..
1-1 * * n r r 1 premier
trer que le baptême peut être conféré hors p'e- ■ra-
de la communion catholique par les héréti-
ques ou par les schismatiques ; sur quoi
saint Augustin raisonne ainsi : «On convient
que les apostats et les schismatiques conser-
vent leur baptême, puisque lorsqu'ils re-
viennent à l'Église et qu'ils font pénitence,
on ne les rebaptise point. Si donc le baptême
peut se conserver hors de l'Église, pourquoi
ne pourrait-il pas être aussi conféré hors de
l'Église. Si vous objectez qu'on ne le donne
point légitimement dehors, je vous réponds ,
que comme on ne le conserve pas légitime-
i Lib. H cont. Parm., cap. xv. — ^ Lib. II De
Dapt., cap. I. — ' Lib. Il Retract., cap. xviii.
'■" August. ,
s Ibid.
lib. II Retract. , cap. xvin.
[1V« ET V" SIÈCLES.
SAINT AUGUSTIiN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
381
ment dehors, quoiqu'on ne laisse pas de l'a-
voir; de même quoiqu'il ne soit pas conféré
selon les règles hors de l'Église, on ne laisse
pas de le conférer ; et que comme les schis-
matiques, en se réunissant à l'Eglise, com-
mencent à tirer utilité de ce qu'ils avaient
inutilement hors de l'unité; de même ce qui
avait été donné inutilement hors de l'Eglise,
devient utile dès que l'on se réconcilie avec
elle. » Il fait le même raisonnement à l'égard
de l'ordination, fondé sur ce que l'on ne
réordonnait pas ceux qui avaient été ordon-
nés avant leur schisme, et qu'on leur con-
servait à leur retour les mêmes administra-
tions qu'ils avaient auparavant, si l'utilité de
l'Église le demandait ainsi. De là cette con-
clusion : « Ceux-là sont coupables d'impiété
qui rebaptisent, et, au contraire , ceux-là ,
font bien qui ne désapprouvent pas les sa-
crements de Dieu, même dans le schisme.
Car les schismatiques sont avec nous en tout
ce qu'ils croient comme nous, et ils ne se
sont éloignés de nous qu'en ce qu'ils diffè-
rent d'avec nous, n'étant séparés de nous
que spirituellement, par les sentiments et la
volonté. Nous ne les empêchons point d'a-
gir à l'égard des choses qui leur sont com-
munes avec nous; mais nous employons
tous les moyens que la charité nous suggère
pour se réunir en tout avec nous. Nous ne
leur disons pas : Ne donnez point le bap-
tême, mais ne le donnez point dans le schis-
me. Nous ne disons point à ceux que nous
savons se présenter à eux pour être bapti-
sés : Ne recevez point le baptême, mais ne
le recevez point dans le schisme. » Le saint
Docteur approuve toutefois le baptême que
quelqu'un aurait reçu dans l'extrême néces-
sité, d'un hérétique ou d'un schismatique,
supposé qu'il n'ait point trouvé de catholi-
que pour le lui administrer, et qu'en le re-
cevant il ait gardé dans son cœur la paix et
l'union avec l'Église catholique. Mais il blâ-
me celui qui, pouvant recevoir le baptême
dans l'Église catholique, aime mieux, par
une mauvaise intention, se faire baptiser
dans le schisme, encore que son dessein fût
de retourner à l'Église après avoir reçu ce
sacrement. Son grand principe, c'est que les
biens que les schismatiques ont communs
avec nous, c'est-à-dire la foi et les sacre-
ments, leur sont inutiles sans la charité,
dont le défaut les sépare de nous. Et il
pousse ce principe jusqu'à dire que le mar-
tyre que souffrent ces schismatiques, leur est
inutile. « Si dans une persécution générale,
dit ce Père, des schismatiques livrent avec
nous tout leur corps aux flammes, pour la
confession de la foi qui leur est commune
avec nous, comme ils sont séparés de nous,
qu'ils ne soufixent pas en esprit de dilection,
qu'ils ne s'étudient pas de conserver l'unité
dans le lien de la paix, et qu'ainsi ils n'ont
pas la charité ; avec tous ces tourments qui
leur deviennent inutiles, ils ne sauraient
parvenir au salut éternel. Il en est de même
des méchants qui sont dans l'Église, vivant
selon la chair et sans charité, quoique mê-
lés selon le corps dans l'unité de l'Église, ils
en sont séparés selon l'esprit par les désor-
dres de leur vie. Au contraire, les hommes
spirituels, ou qui s'efforcent de le devenir par
leur avancement dans la piété, ne sortent
jamais hors de l'Église ; parce qu'encore
qu'ils paraissent quelquefois en être chassés,
ou par la malice des hommes, ou par de
certaines rencontres de nécessité qui sur-
viennent, ils en sont mieux éprouvés et pu-
rifiés, que s'ils fussent demeurés dans l'inté-
rieur de l'Éghse, d'autant qu'ils ne s'élèvent
nullement contre elle, mais qu'ils demeurent
plus profondément enracinés dans la pierre
sohde de l'unité, par la vertu inébranlable de
la charité. »
Il prouve par les donatisles mêmes, que
le baptême donné hors de l'Éghse doit être
regardé comme bon, puisqu'ils avaient rati-
fié le baptême donné par les maximianistes,
qu'ils savaient avoir été condamnés dans le
concile de Bagai, et qu'ils regardaient com-
me schismatiques et hors de leur commu-
nion. Il prouve la même vérité par un en-
droit de l'Évangile selon saint Luc, où nous
hsons que les apôtres ayant vu un homme
qui chassait les démons au. nom de Jésus-
Christ, l'en empêchèrent, parce qu'il ne sui-
vait pas Jésus-Christ avec eux ; mais que le
Sauveur leur dit : Ne l'empêchez point ; car
celui qui n'est pas contre vous, est pour vous. Il
en donne encore une autre raison , c'est
que l'Éghse catholique même qui adminis-
tre le baptême chez les hérétiques et les
schismatiques ; et que c'est elle qui engen-
dre par les mêmes sacrements , soit de son
sein, soit de celui de ses servantes. « Car ce
n'est pas, dit-il, le schisme qui engendre,
mais ce que le schisme tient de l'Église ca-
thohque. Les schismatiques peuvent donc
recevoir le baptême de l'Église, on ne les
rebaptise pas quand ils y reviennent, mais le
382
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
sacrement qui leur était inutile, commence
alors à servir à lem- salut. »
Les donatistes disaient : Si le baptême de
Jésus -Christ engendre des enfants à Dieu
dans le parti de Donat, s'il remet les péchés,
l'Église est donc dans le parti de Donat, elle
Saint-Esprit y est aussi. Saint Augustin ré-
pond que ce parti n'engendre point des en-
fants à Dieu, par l'endroit qu'il s'est séparé
du lien de la charité et de la paix, mais par
où il est uni à l'Église , c'est-à-dire par l'u-
nité du baptême, qui, quoique conféré chez
des schismatiques et par des schismatiques,
n'est pas leur baptême, mais le baptême de
Dieu et de son Église, en quelque heu qu'il
soit donné. Il établit comme une maxime
certaine, cpie celui qui, doutant si le baptême
reçu chez les donatistes est utile , le reçoit
d'eux tandis qu'il est assuré qu'on le reçoit
utilement dans l'Église cathohque , pèche
considérablement par cela seul que, dans les
choses qui regardent le salut de l'âme, il
préfère l'incertain au certain. Il soutient que
dans toutes les communions séparées de
l'Église, on peut recevoir le baptême, pourra
qu'il se confère et qu'on le reçoive dans les
formes ordinaires ; mais qu'il ne produit la
rémission des péchés, que lorsque le baptisé,
réconcilié à l'unité de l'Église, se dépouille
du sacrilège du schisme, qui tenait ses pé-
chés comme liés et empêchait qu'ils ne fus-
sent remis.
Sur la fin de ce livre, il entre dans l'exa-
men du sentiment de saint Cyprien , tou-
chant le baptême des hérétiques. «Dieu,
dit-il, ne voulut pas révéler à un si grand
saint que son sentiment était contraire à la
vérité, afin de rendre plus éclatante l'humi-
lité et la charité que ce saint fit paraître en
demeurant dans la paix de l'Église, et que
son exemple profitât non -seulement aux
chrétiens de son temps, mais encore à toute
la postérité, parce que le corps demeurant
entier, s'il y a quelque membre malade,
il peut recouvrer la santé par le moyen
des autres membres qui sont sains et vigou-
reux; au lieu qu'un membre retranché du
corps est mort sans remède. Combien de
gens, ajoute -t- il, l'auraient - ils suivis s'il
eût voulu se séparer? Combien son nom se-
rait-il devenu célèbre parmi les hommes ?
Combien le parti des cyprianistes serait-il
plus étendu que celui des donatistes ; mais
il était enfant de paix, et c'est pour cela
qu'étant d'ailleurs si éclairé, il y a eu quel-
que chose qu'il n'a pas vu, afin qu'on vît par
lui une autre vérité beaucoup plus excel-
lente que celle qu'il a ignorée ; c'est celle de
la charité que ce saint a conservée si hum-
blement, si fidèlement, si constamment, qu'il
a mérité de recevoir la couronne du mar-
tyre, afin que s'il s'était élevé cpielque nuage
de la fi-agihté humaine dans une âme si
éclairée, il fût dissipé par l'éclat du sang
qu'il répandit pour Jésus-Christ dans la paix
de son cœur et dans l'unité de l'Éghse. En
quoi sa conduite a été bien diflërente de
celle des donatistes qui, ayant abandonné le
chemin de la paix et de l'unité, ne l'ont plus
connu depuis. »
3. Il continue dans le second livre, à ex-
cuser saint Cyprien, et il apporte à ce sujet
l'exemple de saint Pierre c[ui se trompa dans
la question des observances légales. Il l'ex-
cuse encore par l'obscurité de la question
que ce saint évêque avait àti-aiter; et par
la liberté où il était de soutenir son opinion,
avant que cette question eût été décidée par
l'autorité d'un concile plénier ou universel.
Il établit pour régie, touchant l'autorité que
l'on doit suivre dans l'Église, que l'Écriture
sainte de l'Ancien et du Nouveau Testament;
est au-dessus de tout, et qu'il n'est pas per-
mis de disputer de la vérité ou de la di'oi-
ture de ce qui y est contenu; que les écrits
des évêqnes peuvent être corrigés par d'au-
tres évêques plus habiles et par les conciles;
cjue les conciles nationaux et provinciaux
doivent céder à l'autorité de ceux qui sont
assemblés de toutes les parties du monde
chrétien ; et que ces conciles mêmes géné-
raux ou pléniers peuvent être corrigés par
des conciles postérieurs, lorsque l'on vient
à découvrir dans la suite quelque chose
qui était demeuré caché. Il fait admirer
la charité et l'humilité de saint Cyprien;
quoique d'un sentiment différent de plu-
sieurs de ses collègues, il ne se sépara ja-
mais de leur communion. «Avoir mie fausse
opinion de quelque chose, ajoute le saint
Docteur, c'est une tentation humaine ; s'em-
porter jusqu'à se séparer de communion,
et faire un schisme ou une hérésie sacrilège,
par un trop grand amour de son opinion
propre, ou par un esprit d'envie contre de
plus gens de bien que soi ; c'est une pré-
somption de démon; mais ne se tromper
jamais en rien, c'est une perfection d'ange. »
De là cette conclusion : saint Cyprien n'a
pu être souillé par l'erreur dans laquelle
Analy:
£ecoud
hy" ET V' SIÈCLES.!
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
383
il était tombe, parce qu'il l'avait tellement
embrassée qu'il s'était toujours tenu uni à
l'Église. Il demande ans donatistes pourquoi
ils s'étaient séparés également de ceux qui
étaient innocents, comme de ceux qui étaient
coupables d'avoir livré les livres- saints, et
leur dit de ne point peser les choses suivant
leur caprice, mais au poids de l'Écriture.
« Ne nous servons pas de fausses balances
pour y peser ce qui nous plaît et quand il
nous plaît, en disant : Ceci est léger; mais
tirons comme des trésors du Seigneur les ba-
lances de ses saintes Écritures, afin de trou-
ver le vrai poids des choses en les y pesant;
ou plutôt reconnaissons-en le poids comme
y ayant déjà été pesées par le Seigneur
même. Ne nous objectez pas l'autorité de
Cyprien pour la réitération du baptême ;
mais conservez avec nous l'unité à son
exemple. La question du baptême n'avait
pas été encore traitée avec exactitude ; mais
l'Église tenait la coutume salutaire de corri-
ger ce qu'il y avait de mauvais dans les
scMsmatiques et dans les hérétiques ; et de
ne pas réitérer ce qui leur avait été donné,
c'est-à-dire le baptême; et je crois que cette
coutume vient de la tradition des apôtres,
comme on croit avec fondement, que plu-
sieurs choses qui ne se trouvent point dans
les Épitres des apôtres, ni dans les conciles
qui ont depuis été tenus , et qui néanmoins
s'observent par toute l'Église, viennent de
la tradition et de l'ordonnance des apôtres.»
Saint Augustin fait voir ensuite que saint
Cyprien n'avait donné dans le sentiment de
la rebaptisation que sur l'autorité d'Agrip-
pin, et croit qu'il ne l'avait embl'assée que
dans la disposition d'en suivre un meilleur,
s'il parvenait à le connaître. C'est ce qu'il
prouve par un endroit de sa lettre à Quintus
où il dit, en parlant de la rebaptisation :
« Agrippin, d'heureuse mémoire, l'a ordon-
né ainsi après une mûre délibération avec
les autres évoques qui gouvernaient alors
l'Église de Notre-Seigneur dans la province
d'Afrique et de Numidie, et nous avons suivi
le règlement qu'ils avaient fait en concile,
comme saint, juste, salutaire et conforme à
la foi de l'Église. Eu effet, cette soumission
de saint Cyprien aux décrets de ses prédé-
cesseurs, montre bien que, s'il y avait eu sur
ce sujet une décision de l'Église universelle,
non-seulement il en aurait fait mention,
mais il l'aurait encore adoptée. »
Saint Augustin presse les donatistes, par
l'exemple de la réunion qu'ils avaient déjà
faite avec les maximianistes, de se réunir
eux-mêmes avec toute l'Église, d'y ramener
même ceux qu'ils avaient rebaptisés, et de
rendre par là la vie de la charité à ceux
qu'ils avaient tués en Jes engageant dans
leur schisme. Il remarque que la tradition
de l'Église était de n'admettre personne à
l'autel, qu'il n'eût auparavant reçu le bap-
tême, et que, comme c'était aussi l'usage
d'y admettre celui qui, après avoir été re-
baptisé, en avait fait pénitence, c'était une
preuve que l'on ne doutait pas de la validité
de son premier baptême.
4. Les donatistes s'appuyaient beaucoup de
l'autorité du concile de Carthage, assemblé
dans la cause de la rebaptisation et de la let-
tre de saint Cyprien à Jubaïen. L'examen de
ces deux pièces fait: le sujet du troisième li-
vre, où saint Augustin montre qu'elles ne
peuvent servir à prouver que l'on doive re-
baptiser les hérétiques. En effet, après qu'on
eut lu dans ce concile la lettre de Jubaïen à
saint Cyprien et la réponse de saint Cyprien à
Jubaïen touchant le baptême des hérétiques,
saint Cyprien, qui présidait à ce concile, dit
aux évêqTies qui étaient présents : « Ce qui
reste à faire, c'est que nous disions chacun
notre avis là-dessus, ne condamnant per-
sonne, et n'excommuniant personne pour ce
sujet, quand il serait d'une autre opinion.
Car, aucun de nous ne se constitue évêque
des évêques, et ne prétend contraindre ty-
ranniquement ses collègues à obéir, puisque
tout évêque est libre de faire ce qu'il lui
plaît, et ne peut non plus être jugé par un
autre que juger les autres, n Saint Augustin
remarque que saint Cyprien non-seulement
ne contraignait personne à regarder comme
nul le baptême des hérétiques, mais qu'il
laissait encore la liberté de le croire bon
et valide, sans se séparer de communion de
ceux qui se trouveraient, sur ce point, d'un
sentiment différent du sien. Le saint Doc-
teur avoue qu'après avoir lu la lettre à Ju-
baïen, il serait volontiers entré dans le sen-
timent de saint Cyprien, s'il n'en avait été
détourné par l'autorité de beaucoup d'autres
anciens d'un égal ou même d'un plus profond
savoir, soit latins, soit grecs, soit de quel-
qu 'autre nation; non qu'il ne soit possible
que, dans une question aussi difficile que cel-
le-là, le petit nombre ne pensât mieux que le
plus grand, mais parce qu'il est plus sûr, eu
fait de religion, de s'attacher au sentiment
Analyse du
(roîsiÎTiie I;-
vre, pag-. 107.
38i
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
du plus grand nombre, qu'à celui de cpiel-
que particulier. Qu'il avait trouvé, ajoute-t-
il, dans les lettres mêmes de saint Cyprien,
de quoi s'affermir dans la doctrine de l'É-
glise, qui tient que le baptême de Jésus-
Clirist ne tire point son efficacité du mérite
de ceux qui le confèrent, mais de celui dont
joan. 1, 31. il est écrit : C'est celui-ci qui baptise, c'est-à-
dire de Jésus-Christ.
Le passage que saint Augustin apporte est
tiré de la lettre à Jubaïen, où nous lisons :
Mais, dira quelqu'un, qu'aiTivera-t-il^ de ceux
qui, venant autrefois de l'hérésie de l'Eglise, y
ont été reçus sans baptême ? Paroles qui mon-
trent assez que. la coutume de l'Église, avant
l'épiscopat d'Agrippin, était de recevoir les
hérétiques cpii se réunissaient à l'Éghse sans
les obliger à se faire baptiser de nouveau. A
ce passage, saint Augustin en ajoute plu-
sieurs autres tirés des souscriptions du con-
cile de Carthage, où les évêques reconnais-
sent, en termes formels, que le parti qu'ils
y avaient pi'is de rebaptiser les hérétiques,
était contraire à ce qui se pratiquait dans
l'Église avant ce concile.
11 avoue, avec saint Cyprien, que celui qui
reçoit le baptême hors de la communion de
l'Église, n'en reçoit aucune grâce, s'il est
uni de consentement aux hérétiques ou aux
schismatiques, de qui il le reçoit, et que
ceux-là font mal, qui administrent le bap-
tême hors de l'Église. Mais il soutient que
ce baptême est véritable, quoique donné et
reçu illicitement. Il convient aussi que saint
Cyprien faisait bien de ne pas s'arrêter à ce
que quelqu'un lui objectait que les novatiens
rebaptisaient ceux qui passaient de l'Église
catholique dans leur parti : « Car il ne serait
pas juste, dit-il, que les cathohques s'abs-
tinssent de faire une chose parce qu'à leur
imitation les hérétiques en font de même.»
Saint Cyprien, pour montrer qu'en ordon-
nant la rebaptisation, il n'avait rien ordonné
de nouveau, disait qu'elle avait eu lieu dès
l'épiscopat d'Agrippin. D'où saint Augustin
infère que cette pratique était nouvelle du
moins dans le temps d'Agrippin. Il ne trouve
pas même qu'elle ait été en vigueur univer-
sellement dans toute l'Afrique , autrement
Jubaïen n'en aurait point été troublé comme
d'une nouveauté, et les évêques du concile
de Carthage n'auraient pas dit que la cou-
tume devait céder à la vérité. Saint Augus-
tin examine ensuite une question qu'il avait
déjà traitée dans le premier livre, savoir, si le
baptême donné par les hérétiques remet les
péchés : (( S'il les remet, dit-il, ils sont con-
tractés de nouveau par l'obstination dans le
schisme et dans l'hérésie ; s'il ne les remet
pas à cause du défaut de charité, ceux qui
l'ont reçu obtiennent seulement la rémission
de leui's péchés, lorsqu'ils viennent à la paix
de l'Église. Au surplus, la foi de celui qui
reçoit le baptême ne fait rien à son intégrité,
c'est-à-dire à sa vérité , comme il est fort
possible qu'un homme sache de mémoire
toutes les paroles du Symbole, quoiqu'il soit
dans l'errem' sur plusieurs articles, par exem-
ple sur la Trinité ou sur la résurrection. Mê-
me pour la vérité du sacrement, ni la foi ni
les bonnes mœurs ne sont pas nécessaires
dans celui qui le confère : il suffit que le bap-
tême soit donné par les paroles de l'Évan-
gile, au nom du Père, du Fils et du Saint-
Esprit, quelque mauvais sens que leur domre
celui qui baptise ou celui qui est baptisé. »
C'est pourquoi le saint Docteur reconnaît
pour valide le baptême conféré par Marcion,
par Yalentin, par Arius et par beaucoup
d'autres hérétiques, posant pour principe
que les sacrements qui se confèrent de la
même manière ont partout leur intégrité,
nonobstant les mauvais sentiments et le dé-
faut de charité dans les ministres, comme
l'éci-ilure de l'Évangile, si elle n'est point al-
térée, est entière partout, quoiqu'on la fasse
servir à appuyer diverses erreurs.
5. Dans le quatrième livre, saint Augus-
tin répond aux raisons c[ue saint Cyprien al-
léguait contre le baptême des hérétiques.
Selon ce Père, l'Église est comme le para-
dis où il n'y a que des arbres qui portent
de bons fruits; l'eau sainte, fidèle et sa-
lutaire de l'Église, ne peut être cori'ompue
non plus que l'Église même qui demeure
toujours chaste et incorruptible : d'où il in-
férait la nullité du baptême des hérétiques.
Saint Augustin convient de la comparaison
de l'Église avec le paradis terrestre : mais il
remarque que les fleuves qui en arrosaient
les arbres, répandaient aussi leurs eaux au
dehoi'S. 11 ne veut pas néanmoins qu'on in-
fère de là que la félicité de la vie qui se
trouvait dans le paradis, se soit trouvée aussi
partout ailleurs où ces fleuves coulaient ;
mais cette comparaison, et ce que saint Cy-
prien disait de l'eau salutaire de l'Église, ne
faisait l'ien à la question ; saint Cyprien mê-
me, en reconnaissant dans plusieurs de ses
lettres, que les avares, les lavisseurs et les
quatrième I
[IV' ET y SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
autres méchants sont dans l'Église, ne pou-
vait doutei' que le baptême qu'ils donnaient
ou qu'ils recevaient ne fiît bon. L'eau de
l'Église, quoique sainte, n'est salutaire qu'à
ceux qui en usent bien, et elle est inutile
à ceux qui en usent mal, soit qu'ils soient
dedans ou dehors de l'Église. Un homme
baptisé dans l'hérésie, disait saint Cyprien,
ne devient point le temple de Dieu. « S'en-
suit-il, répond saint Augustin, qu'on ne doi-
ve pas le regarder comme baptisé ? Un avare
cpji a reçu le baptême dans l'Église catholi-
que, n'est pas non plus le temple de Dieu,
s'il ne quitte son avarice. » C'est en vain,
ajoutait saint Cyprien, que quelques-uns ne
pouvant l'ésister à la raison, nous opposent
la coutume, comme si la coutume était plus
considérable que la vérité. « Non, dit saint
Augustin, on ne doit point préférer la cou-
tume à la vérité ; mais lorsque la vérité ap-
puie et confii'me la coutume, il n'y a rien à
quoi on ne doive s'attacher avec plus de fer-
meté. » Saint Cyprien disait encore : «Qu'on
n'allègue point pom- se justifier, la tradition
des apôtres, puisqu'ils ne nous ont laissé
qu'une Église et qu'un baptême qui n'est
que dans cette Église. » Saint Augustin ré-
pond : « La coutume de ne point rebaptiser
les hérétiques était regardée comme venant
des apôtres, non-seulement par les évèques
qui vivaient avant saint Cyprien, et de son
temps , mais encore elle a été jugée telle
depuis par l'autoriié d'un concile plénier. »
Sur quoi il fait ce raisonnement : « Ce que
la coutume de l'Eglise a tenu dans tous les
temps ; ce que la dispute sur le baptême n'a
pu empêcher d'être observé ; ce qui a été
autorisé par un concile plénier; ce qui, après
avoir été examiné de part et d'autre, et
pesé par les raisons et par les témoignages
de l'Écriture, a été trouvé vrai, c'est là le
sentiment cpie nous suivons. » Il répète ce
qu'il avait déjà dit plus haut, que dans la
question du baptême, il ne faut pas faire
attention à celui qui donne, ni à celui qui
reçoit, mais à ce qu'on donne, à ce qu'on
reçoit, ou à la manière dont on le possède,
savoir si c'est utilement ou inutilement ; ce
qu'il montre de nouveau par l'exemple des
méchants, qui, de l'aveu de saint Cyprien,
peuvent recevoir, conserver et donner le
baptême, et par l'exemple de ceux qui étant
dans l'Église catholique, combattent contre
elle en vivant mal. « Mais, ajoutait saint Cy-
prien, ne trouvons-nous pas dans les Épîtres
IX.
ÉVÊQOE D'HIPPONE. 385
des apôtres, qu'ils avaient les hérétiques en
horreur, et qu'ils disaient de leur discours :
// gagne comme un chancre? Comment donc
les hérétiques peuvent-ils donner la rémis-
sion des péchés, ne pouvant y avoir rien de
commun entre la justice et l'iniquité, entre
la lumière et les ténèbres?» Saint Augustin
répond : « Les apôtres ont tenu de semblables
discours touchant les voluptueux et les avares,
qu'ils reconnaissaient cependant être dans
rÉghse, comme on le voit par la première
Epître aux Corinthiens. Ceux que l'Apôtre
reprenait dans le passage cité par saint Cy-
prien étaient regardés par le même Apôtie
comme des vases de la grande maison, c'est-
à-dire de l'Église. » Le baptême donné par
les paroles évangéhques est bou, en quelque
manière que les entende celui qui baptise,
ou qui est baptisé. Le saint Docteur appelle
un homme véritablement hérétique , celui
qui, après avoir entendu la doctrine de l'É-
glise catholique, aime mieux y résister que
de s'y soumettre, et se résout avec choix de
demeurer dans sa croyance. Saint Cyprien
disait : « Le baptême peut-il avoir plus de
force et de vertu que la confession et le mar-
tyre ? Cependant, cette sorte de baptême ne
sert de rien à un hérétique pour le sauver,
lorsqu'il soutire le martyre hors de l'Église, n
Saint Augustin répond : « S'il ne sert de
rien à un hérétique de souffrir le martyre,
c'est parce que le martyre est inutile sans
la charité ; il ne profite pas même à ceux
qui sont dans l'Église sans charité, quoique
le baptême qu'ils donnent soit bon, selon
saint Cyprien. Tout ce qui appartient donc
à l'Église ne profite pas pour le salut à ceux
qui sont hors de l'Église ; mais c'est autre
chose de n'avoir pas ce qui est d'elle, et
autre chose de ne l'avoir pas utilement. Ce-
lui qui ne l'a pas, doit être baptisé, afin
qu'il l'ait : celui qui ne l'a pas utilement,
doit se corriger, pour qu'il l'ait utilement.
Et on ne peut pas dire que l'eau employée
dans le baptême des hérétiques soit adul-
tère, parce que la créature de Dieu n'est
point mauvaise, et que les paroles évangé-
liques n'ont rien de répréhensible dans la
bouche de ceux-là mêmes qui sont dans l'er-
reur ; on ne doit reprendre que l'erreur qui
rend leur âme adultère. Ainsi rien n'empê-
che que le baptême ne nous soit commun
avec les hérétiques, avec qui l'Évangile nous
peut être commun, quoiqu'il y ait une diffé-
rence entre notre foi et leur erreur. »
23
I Cor. I, 32
El n.
386
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Analyse du
cinquième li-
vre, pag. 141.
Selon saint Augustin, non-seulement le
martyre que l'on souffre pour le nom de
Jésus-Christ peut suppléer au défaut du bap-
tême ; mais la foi même et la conversion du
cœur y peuvent suppléer aussi, lorsque la
nécessité du temps ne permet pas de célébrer
le mystère du baptême. C'était une tradi-
tion dans toute l'Église, que les enfants pou-
vaient être baptisés. Comme on aurait pu
lui demander ce qu'il entendait par une
tradition apostolique, il la définit ainsi : « Ce
que toute l'Église tient, et ce que l'on ne
voit point avoir été établi par aucun concile,
mais ce qui toujours y a été observé, c'est
avec grande raison que l'on croit que cela
ne vient que de la tradition apostolique. ))
Il prouve par le baptême des enfants, que la
validité de ce sacrement ne dépend d'aucune
disposition intérieure. « Car aucun chrétien,
dit-il, ne dira que leur baptême soit inutile,
ni qu'il ne sauve pas les enfants qui meu-
rent avant que de pouvoir croire, et faire de
bonnes œuvres. Au contraire, la foi seule et
la charité sauvent celui qui ne peut recevoir
le baptême, comme le bon larron. Mais la
vertu seule ne suffit pas ^à celui qui peut
être baptisé, parce que le mépris du bap-
tême marquerait que sa conversion ne serait
pas sincère. De même le baptême seul ne
suffit pas à celui qui est en âge de pratiquer
la vertu. » Saint Augustin dit ici plusieurs
fois que le bon larron fut sauvé sans avoir
reçu le baptême; mais dans ses Rétracta-
tions, il marque que ce fait était incertain.
6. Il examine, dans le cinquième livre, la
dernière partie de la lettre de saint Cy-
prien à Jubaïen, celle que le même évêque
écrivit à Quiutus, l'Épitre synodique aux évê-
ques de Numidie, et une autre à Pompéius.
« Mais quelqu'un dira peut-être (c'est saint
Cyprien qui parle) , que deviendront donc
ceux qui, ayant quitté les hérétiques ont été
reçus ci-devant dans l'Égiise sans y avoir
été baptisés? » Saint Augustin trouve dans
ces paroles de quoi mettre les donatistes
hors d'état de répondre. « Car, dit-il, si ceux
qui viennent de l'hérésie à l'Église n'ont pas
un vrai baptême, il s'ensuivi'ait de deux
choses l'une , ou que l'Église, souillée par la
communication de ces hérétiques non bap-
tisés , avait péri dès avant l'épiscopat de
saint Cyprien, ou qu'elle n'avait reçu au-
cune tache en communiquant avec eux. Les
donatistes ne pouvaient pas dire que l'Eglise
avait péri alors , puisque dans l'intervalle
qui s'écoula entre la mort de ce saint
évêque, et l'édit qui ordonna de brûler les
saintes Écritures , ils se séparèrent pour
faire schisme. Et, en avouant que la commu-
nion des méchants ne souille point l'Église ,
il fallait aussi qu'ils avouassent que c'était
sans raison qu'ils s'en étaient séparés. » 11
répond ensuite à l'objection que se fait saint
Cyprien , par la solution que ce Père y fait
lui-même en ces termes : « Dieu est puissant
pour leur faire miséricorde , et leur pardon-
ner leurs péchés : et ceux qui ayant ainsi
été reçus simplement dans l'Église , y sont
morts, ne seront pas privés des grâces que
Dieu a accordées à leur mère , c'est-à-dire à
l'Église. Si les hérétiques voient, ajoute
saint Cyprien , que nous confirmions et au-
torisions leur baptême , ils croiront aussi
avoir l'Église parmi eux , et posséder juste-
ment et légitimement les autres grâces qui
lui ont été faites. » Saint Augustin remar-
que que cet endroit de saint Cyprien ne
pouvait servir aux donatistes, parce qu'il ne
dit pas , que les hérétiques cvoivoni posséder
les grâces faites à l'Église ; mais qu'ils les
posséderont justement et légitimement . « Or, dit
saint Augustin . nous n'accordons pas aux
hérétiques qu'ils possèdent justement et lé-
gitimement le baptême , quoique nous ne
puissions pas nier qu'ils ne le possèdent , et
que ceux-mêmes qui sont dans l'Église et
qui vivent mal, ne le possèdent pas légitime-
ment , parce qu'ils n'en n'usent pas comme
il faut. Le baptême des hérétiques est donc
bon , mais il leur est inutile pour le salut. »
Saint Augustin en fait ici la comparaison avec
l'Eucharistie. «Celui, dit -il, qui reçoit in-
dignement ce sacrement du Seignem-, ne fait
pas, à cause qu'il est mauvais lui-même, que
le sacrement le soit aussi ; ni qu'il n'ait rien
reçu, parce qu'il ne l'a pas reçu pour son
salut , car le corps et le sang de Notre-
Seigneur ne laissent pas d'être aussi à l'é-
gard de ceux dont l'Apôtre dit qu'en le man-
geant indignement, ils mangent, leur con-
damnation. »
Il passe ensuite à ce que saint Cyprien di-
sait du baptême de saint Jean : Les héré-
tiques ne refuseront pas d'être baptisés parmi
nous, lorsqu'ils auront appris de nous que ceux
qui avaient déjà reçu le baptême de saint Jean,
ne laissèrent pas d'être baptisés par saint Paul,
comme nom le lisons dans les Actes des apôtres.
(( C'est, reprend saint Augustin, que le bap-
tême de saint Jean n'était pas le baptême
[IV^ ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
387
de Jésus-Christ, mais de saint Jean; au con-
traire, le baptême que les apôtres ont donné
et que donnent leurs successeurs , n'est pas
leur baptême , mais le baptême de Jésus-
Christ. Le baptême de saint Jean n'a été que
pour faire paraître l'humilité de Jésus-Christ
en le recevant ; il a fallu néanmoins que
d'autres le reçussent , de peur que si Jésus-
Christ l'eût reçu seid, on ne se fût imaginé
que ce baptême était plus excellent que le
sien, qui est donné indifféremment à tout le
monde. »
Saint Augustin ajoute qu'il ne fallait pas
aussi que tout le monde reçût celui de saint
Jean , de peur que le baptême de ■ Jésus-
Christ ne semblât pas suffire pour le sa-
lut ; si saint Paul a rebaptisé après saint
Jean, cela fait voir que le baptême de saint
Jean lui était personnel, au lieu que celui
de Jésus-Christ est indépendant des qua-
lités de la personne qui le confère. Il té-
moigne son étonnement de ce que saint Cy-
prien dit dans la même lettre à Jubaïen ,
que le baptême et l'Église ne peuvent être sé-
parés, puisque, de l'aveu même de saint Cy-
prien, il est certain que ceux qui ont été
baptisés dans l'Église et qui s'en séparent,
ne perdent point -le ai- baptême , mais qu'ils
le portent hors de l'Église avec eux, et qu'il
en est séparé comme eux. Les dernières pa-
roles de la lettre à Jubaïen, qui ne respirent
que la paix, l'amour fraternel et la douceur
de la charité, donnent lieu à saint Augustin
de s'étendre sur les louanges de saint Cy-
prien; et comme il ne doutait pas que le
martyre ne l'eût mis dans la gloire, il té-
moigne une grande confiance en ses prières.
Il remarque que Dieu a permis l'eiTeur de
ce saint par une grande miséricorde pour
les hommes , à qui il est utile pour les hu-
miUer et lem' faire davantage respecter l'É-
crilure-Sainte , qu'il y ait quelque chose à
reprendre dans les ouvrages des orateurs
chrétiens les plus pieux et les plus savants,
pendant que ceux de quelques pauvres pê-
cheurs dont il s'est servi pour pubher son
Évangile, sont sans faute, sans erreur, et
entièrement irrépréhensibles.
7. La suite du cinquième livre est em-
ployée à l'examen de quelques autres lettres
de saint Cyprien, et des raisons qu'il y em-
ployait pour soutenir la nullité du baptême
des hérétiques. Saint Aug-ustin y fait voir
que Dieu sanctifie par le ministère des mé-
chants, comme par celui des bons, parce
que c'est lui qui agit dans les uns et dans
les autres, et que les sacrements de Dieu et
les paroles dont on se sert pour les adminis-
trer, n'ont rien que de bon, en quelque en-
droit que ce soit. « L'hérétique , selon vous,
dit-il aux donatistes, n'a point de baptême,
parce qu'il n'est pas dans la véritable Éghse,
quoiqu'il proteste que c'est par le moyen de
cette Église qu'il attend la rémission de ses
péchés. Mais ne croit-il pas au moins être
dans la véritable Église, et n'est-ce pas de la
véritable Église, de l'Église de Jésus-Christ,
qu'il attend cette grâce, quoiqu'il se trompe
en attribuant à sa secte ce qui ne lui con-
vient pas ? Dieu n'est-il pas toujours présent
à ses sacrements, et aux paroles qu'il a éta-
blies pour les conférer, sans que la méchan-
ceté-des hommes y puisse mettre un obsta-
cle, sinon que ces sacrements ne leur profi-
teront de rien pour leur salut éternel ? Si on
demande au catéchumène : Croyez-vous la
rémission des péchés par la sainte Eglise? on
lui demande encore : Ne renoncez-voits pas
aussi au siècle et à ses pompes? Supposons
donc qu'un catéchumène réponde oui à cette
dernière interrogation , quoiqu'il soit résolu
de persévérer dans ses mauvaises habitudes,
le mensonge qu'il fait rendra-t-il nul son
baptême ? et lorsqu'il viendra â se corriger,
faudra-t-il le rebaptiser ? Non, sans doute. Il
en est de même de celui qui, par un men-
songe a faussement attribué à sa secte le
nom et la qualité d'Éghse. On lui donnera
ce qu'il n'avait pas, je veux dire l'Église ;
mais on ne réitérera pas ce qu'il avait reçu,
c'est-à-dire le baptême. Vous dites que Dieu
n'exauce point les pécheurs ; que personne
ne peut donner ce qu'il n'a pas ; que les hé-
rétiques, n'ayant point le Saint-Esprit, ne
peuvent le conférer; que n'ayant point d'au-
tel , ils ne peuvent consacrer de chrême ;
mais faites-Tous réflexion qu'on peut vous
faire les mêmes objections? Celui qui hait son
frère, dit l'Écriture, est im homicide: et, de
votre propre aveu , vous avez parmi vous
plusieurs homicides de cette nature. Dieu
n'exaucera donc point les prières que ces
mauvais ministres feront sur l'eau du bap-
tême, sur le chrême et sur la matière des
autres sacrements ; ils ne pourront donner
le Saint-Esprit qu'ils ont chassé de leurs
cœurs. Comme donc vous êtes obligés de
dire, que Dieu ne laisse pas de se servir des
paroles de cet homicide pour sanctifier l'eau
et l'huile, et pour remettre les péchés, sans
388
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
que l'indignité de ce méchant homme l'en
empêche : vous devez avouer la même
chose de celui qui est dans l'erreur, si ce
n'est qu'on veuille dire, qu'un morceau de
bois, c'est-à-dire un autel, car on ne les fai-
sait alors que de bois , posé malicieuse-
ment hors du lieu où il doit être , soit un
plus grand obstacle à la puissance de Dieu,
qu'un cœur perverti et corrompu. Il faut re-
baptiser l'hérétique, dites-vous, et le renou-
veler lorsqu'il vient à l'Église , afin qu'il soit
sanctifié par les saints. Mais si malheureuse-
ment le prêtre qui le baptisera n'est pas
saint ; si c'est un homme plein d'envie et de
jalousie contre ses frères, le baptême qu'il
lui donnera sera donc nul aussi? Vous objec-
tez qu'il n'y a qu'un baptême, cela est vrai ;
mais comme il n'y a qu'un baptême, il n'y a
aussi qu'un Esprit et une Église. Comme
donc dans l'Église catholique , le juste et
le péchem- n'ont qu'un baptême, quoiqu'ils
n'aient pas le même esprit ; ainsi l'hérétique
et le catholique n'ont qu'un baptême, quoi-
qu'ils n'aient pas la même Église. »
Saint Augustin conclut de tout cela, que
Dieu donne le sacrement de sa grâce par les
méchants mêmes , quoiqu'il ne donne la
grâce que par lui-même, ou par ses saints
ministres qui appartiennent à la Colombe,
dont ils sont les membres. Il convient avec
saint Cyprien que les hérétiques ne peuvent
remettre les péchés, mais il nie qu'ils ne
puissent donner le baptême. « Il est vrai,
ajoute-t-il, que ce baptême ne servira que
pour la perte et la confusion de ceux qui le
donnent, de même que de ceux qui le re-
çoivent, à cause des mauvaises dispositions
où ils se trouvent, et de l'abus qu'ils font des
dons de Dieu. Mais comme, dans l'Église, ni
l'indignité du ministre, ni les mauvaises dis-
positions du catéchumène, n'empêchent pas
que celui-là ne donne, et que celui-ci ne re-
çoive véritablement le baptême , quoiqu'il
ne leur serve de rien pour la rémission de
leurs péchés; il en est de même du baptême
des hérétiques. » Il dit ensuite que le pape
Etienne, non-seulement ne donna point dans
le sentiment de saint Cyprien, mais qu'il le
combattit par écrit, s'appuyant dans le sien
sur la tradition des apôtres, qui est, dit-il,
une règle très-certaine de connaître la vé-
rité. La raison que saint Augustin rend de
l'imposition des mains que l'on faisait aux
hérétiques lorsqu'ils revenaient à l']']glise,
est qu'il était besoin de faire connaître qu'ils
n'étaient pas exempts de fautes, et de leur
conférer le don de la charité, sans laquelle
tout ce qu'il y a de saint dans l'homme ne
lui profite pas pour le salut.
Ensuite il explique en queUe manière l'ar-
che de Noé a été la figure de l'Église et du
baptême au miheu de l'eau. « Elle était la
figure de l'Église par son unité, et parce
que, comme personne ne fut sauvé que ceux
qui étaient dans l'arche, de même nul n'est
sauvé qu'il ne soit dans l'Église. Elle était
la figure du baptême, à cause que ceux qpii
furent sauvés dans l'arche, ne le furent que
par l'eau, comme personne n'est sauvé que
par l'eau du baptême. Mais comme ce fut la
même eau qui sauva ceux qui étaient dans
l'arche, et qui fit mourir ceux qui étaient
dehors ; c'est aussi par le même baptême
que sont sauvés les bons catholiques et que
périssent les mauvais catholiques ou les hé-
rétiques ; non que le baptême soit mauvais
dans ceux-ci, mais parce qu'ils le reçoivent
mal. » Il s'était objecté auparavant ce qu'on
lit de l'Égfise dans le Cantique des Canti-
ques, qu'elle est un jardin fermé, la fontaine
scellée, et la source d'eau vive. Mais il ne croit
devoir lui appliquer ces qualités, qu'en tant
qu'elle est dans les justes et dans les saints,
et non en tant qu'elle est dans, les avares, les
trompem^s, les ravisseurs du bien d'autrui, les
usiu'iers, les ivrognes, les envieux, que saint
Cyprien reconnaît avoir été mêlés de son
temps dans l'Éghse avec les bons, parce qu'ils
ont le baptême commun avec eux, et non la
charité. En tant donc que l'Église est le lis au
milieu des épines, elle est seulement dans
les justes qui sont juifs en secret par la cir-
concision du cœur. Car toute la beauté de la
fille du roi est au dedans. Et entre ceux-là
est le nombre des saints qui est arrêté avant
la création du monde. C'est d'eux qu'il est
dit que le Seigneur connaît ceux qui sont à
lui.
Saint Augustin dit qu'il y en a qui, étant
encore charnels, travaillent à devenir spiri-
tuels, que l'on doit mettre de ce nombre; et
d'autres encore qui semblent être dehors ,
parce qu'ils sont encore engagés dans quel-
que secte d'hérétiques ou dans la fausse re-
ligion des païens, ou qui sont déréglés dans
leur vie ; mais qui sont néanmoins dedans
dans le regard ineflable de la prescience de
Dieu, qui connaît ceux qui sont à lui.
8. Le sixième et septième livre du bap-
tême renferme les réponses de saint Au-
[IV« ET V° SIÈCLES.]
gustin à toutes les raisons que les évèques
du concile de Garlhage, où la rebaptisa ti on
fut ordonnée , alléguèrent pour la soutenir,
et aux passages de l'Écriture dont ils s'ap-
puyèrent. Si saint Gyprien se fut trouvé seul
dans son opinion, et qu'il n'eût eu personne
de son côté, on aurait pu dire, qu'il n'avait
osé entreprendre de faire un sctiisme , et de
former un parti, de peur de se voir aban-
donné de tout le monde. « Mais avoir, dit
saint Augustin , un si grand nombre de
saints prélats dans sa croyance ; voir tant
d'Églises, tant de provinces, tant de peu-
ples suivre son sentiment, et demeurer néan-
moins toujours uni avec ceux qui en avaient
un contraire, c'est montrer que ce n'est pas
la crainte d'être seul de son parti, mais un
sincère et constant amour de la paix, qui lui
a fait garder inviolablement le sacré lien
de l'imité avec toute l'Église catholique. Au
reste les raisons de ces évêques reviennent
à celles que saint Gyprien avait données lui-
même. Ils soutiennent que le baptême ne
peut être chez ceux qui ont abandonné l'É-
glise, conformément à cette parole de Jéré-
mie : Ils m'ont abandonné, moi, qui suis la
source d'eau vive, et se sont creusé des citernes
rompues qui ne peuvent contenir de l'eau; qu'é-
tant nécessaire de purifier l'eau , et de la
sanctifier avant que de l'employer au bap-
tême, cela ne pouvait se faire chez les héré-
tiques, qui sont impurs, et en qui le Saint-
Esprit n'habite point ; que la rémission des
péchés ne pouvait se donner que dans l'É-
glise, et non par les hérétiques qui en sont
dehors ; qu'il n'était pas permis , selon le
Prophète, d'oindre sa tête par l'huile du
pécheur, c'est-à-dire que les hérétiques
n'ayant ni autel, ni église , ils n'étaient pas
en droit de consacrer le chrême dont on se
servait dans le baptême ; enfin que les hé-
rétiques, n'ayant point le Saint-Esprit, ne
pouvaient le conférer à d'autres, personne
ne donnant et ne pouvant donner ce qu'il
n'a pas. »
Saint Augustin répond , que toutes ces
objections sont également contre les mau-
vais catholiques, à qui toutefois ces évêques
ne contestaient pas le pouvoir de conférer
le baptême ; et il répète ce qu'il avait déjà
dit si souvent, que la vérité du 'Sacrement
ne dépend ni de la foi, ni des bonnes mœurs
de ceux qui le donnent ou qui le reçoivent ;
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
389
mais que l'im et l'autre sont nécessaires
pour l'eflet et l'utilité du sacrement. Il in-
voque saint Gyprien régnant dans le ciel, .
pour imiter ses vertus et résister aux héré-
tiques et aux schismatiques, qui voulaient
■ abuser de ses écrits : et dit à ceux-ci : « Si
c'est un sacrilège et une prévarication de
recevoir les hérétiques sans les baptiser ,
toute l'Égfise, avant Agrippin, était tombée
dans la prévarication , c'est-à-dire qu'il n'y
avait plus d'Église. » Saint Gyprien lui-même
n'aura point trouvé d'Église avec qui il pût
s'unir dé communion. Mais, si la réception
de ces hérétiques n'a pas été une cause de
sépai-ation, on peut donc communiquer avec
les pécheurs; et les donatistes ont tort de
reprocher aux catholiques les prétendus
crimes de Gécihen , et d'en faire le fonde-
ment de leur schisme. Saint Augustin re-
marque, lorsqu'il fut dit, dans le concile de
Garthage, que tout évêque est libre de faire
ce qu'il lui plaît , cela ne doit s'enlendre
que pour les questions qui ne sont pas en-
core parfaitement éclaircies.
§ ni.
Des trois livres contre les lettres de Pétilien.
1 . Après les livres du Baptême, saint Au-
gustin met dans ses livres des Rétractations^,
un écrit qui avait pour titre : Réfutation de
ce qu'a apporté Centurius. Il en est parlé dans
le Catalogue de Possidius '. G 'était une ré-
ponse à certains passages de l'Écriture , que
les donatistes prétendaient être pour eux.
Ils avaient été apportés à l'Église par un
laïque d'entre eux nommé Genturius. Nous
n'avons plus cet ouvrage de saint Augustin,
mais nous avons encore les trois livres qu'il
écrivit contre les lettres de Pétilien , évêque
du parti de Donat. Il avait été autrefois avo-
cat, et se vantait d'avoir eu beaucoup de ré-
putation dans le barreau, jusqu'à dire ^ qu'il
y avait acquis la même qualité de Paraclet
que l'on donne au Saint-Esprit. Né de parents
cathohques, il n'était encore que catéchu-
mène , lorsque les donatistes l'enlevèrent
par force, le baptisèrent et l'ordonnèrent
évêque malgré lui , voulant l'engager dans
leur schisme par le lien honorable de la di-
gnité épiscopale. Gonstantine ou Girlhe, qui
était la métropole civile de la Numidie, fut le
heu dont ils le firent évêque , et il l'était dès
Livres con-
tre les dona-
tistes perdus,
Qui était Pé-
tilien.
1 August., lib. II Retract, cap. six.— 2 possid., in Catalog., cap. m.— ^ Lib. ÏII cont- Petit., cap. xvi,
390
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Analyse du
premier livre,
ccril vers l'an
/lOO, paï. 20C.
avant la mort d'Optat. Depuis son ordination
il devint un des plus zélés défenseurs des do-
natistes , et fut un des sept évêques choisis
pour disputer contre autant d'évêques ca-
tholiques dans la conférence de Carthage.
Il y employa, pour le mensonge, tout ce qui
se peut imaginer d'esprit, de chicane et
d'obstination, afin de prolonger les choses
et d'empêcher de terminer l'affaire pour la-
quelle on s'était assemblé. Saint Augustin
dit de lui ' , qu'il passait pour exceller au-
dessus de tous ceux de sa secte , en érudi-
tion et en éloquence, et que ses discours
avaient de la politesse et de l'ornement ; mais
il lui reproche une rhétorique enflée , pro-
pre à déclamer devant le peuple, et à faire
beaucoup de bruit.
2. Longtemps avant la conférence de Car-
thage , Pétilien avait écrit une lettre , qui
fait le sujet des livres que saint Augustin
composa contre lui. Elle était adressée aux
prêtres et aux diacres de son diocèse , con-
tre l'Éghse cathoKque , qu'il chargeait sans
en apporter de preuves , de reproches ou-
trageux , faisant passer les catholiques pour
traditeurs ou fds de traditeurs ; et se plai-
gnant de leurs persécutions , et de ce qu'ils
avaient eu recours à l'autorité impériale
pour leur ôter les églises dont ils étaient en
possession. Il prétendait aussi montrer que
les donatistes avaient seuls le vrai baptême,
et disputaient à l'Éghse le titre de catho-
lique. Cette lettre ^ était entre les mains de
beaucoup de personnes , qui en apprenaient
même divers endroits par cœur , comme
propres à combattre les catholiques. Ceux-ci,
n'en n'ayant pu trouver une copie entière ,
présentèrent à saint Augustin ce qu'ils en
purent découvrir. Ce n'était que le com-
mencement et une très-petite partie de la
lettre de Pétihen. Mais il se résolut d'y ré-
pondre, et le fit avec le plus de promptitude
et de clarté qu'il put , dans la crainte que
les personnes moins habiles ne crussent que
cette letlre contenait quelque chose de so-
lide contre FÉglise catholique. C'est ce qu'il
fait dans son premier livre contre Pétilien ,
écrit en forme de lettre adressée aux fidèles
de son diocèse.
3. Comme il pai'Ie dans ce livre de la mort
de Gildou et d'Optat son satellite , il ne peut
l'avoir écrit au plus tôt que sur la fin de l'an
398, et s'il ne le composa qu'après sa Icltie
à Générosus, sous le pontificat d'Anastase,
comme il y a lieu de le croire, on ne le peut
mettre avant 399, l'élection de ce pape
n'ayant été faite qu'à la fin de 398. Ainsi on
ne le peut mieux placer qu'en l'an 400 , im-
médiatement avant les livres contre Parmé-
nien. Pour montrer que les catholiques
n'avaient pas le vrai baptême, qu'ainsi en le
recevant dans le parti de Donat, ils ne re-
cevaient pas un nouveau baptême , mais ce
qu'ils n'avaient pas, ils disaient que l'on de-
vait faire attention à la conscience de celui
qui le donne, parce que quiconque reçoit la
foi d'un perfide ne reçoit point la foi , mais
se rend coupable de son péché. « Mais, ré-
pond saint Augustin, si l'on ne connaît point
la conscience de celui qui donne le baptême,
ou si elle est impure, comment pourra-t-elle
laver celle du baptisé ? Ou si l'on dit que ce
qu'il y a de mauvais dans la conscience du
ministre ne regarde point celui qui reçoit le
baptême, peut-être s'ensuivra-t-il que l'igno-
rance de celui-ci l'empêchera de participer
au péché de l'autre. Supposons donc que
celui qui se présente pour être baptisé ignore
la perfidie de celui qui le doit baptiser, que
recevra-t-il ? Sera-ce la foi ou la faute? Si
vous dites qu'il recevra la foi , il faut donc
avouer qu'on peut la recevoir d'un ministre
perfide. Si vous dites qu'au lieu de la foi,
le ministre communique sa faute et son pé-
ché, il est donc nécessaire que les donatistes
rebaptisent ceux qui ont été baptisés par les
maximianistes et autres scélérats convaincus
et condamnés pour leurs crimes. » Saint
Augustin ajoute que , dans le principe de
Pétilien, ce sei'ait mettre son espérance dans
l'homme; ce qui est contraire à l'Écriture où
nous lisons : Quiconque met son espérance dans
un /lomme, quelque juste et innocent qu'il le
connaisse, est maudit.
Pétihen, après avoir dit que celui qui reçoit
la foi d'un perfide, ne la reçoit pas, mais son
crime, en donnait pour raison que toute
chose prend sa force ou sou être de son ori-
gine et de sa racine, et que celui qui est
sans chef n'est rien. Saint Augustin répond :
«Quiconquereçoit le baptême, que le ministre
soit fidèle oupei'fide, ce n'est pas de lui qu'il
reçoit la foi, mais de Jésus-Christ, qui dès
lors devient l'origine, la racine et le chef du
baptisé. C'est lui seid qui fait l'homme inno-
cent , lui seul étant mort pour nos péchés et
' Lib. 1 cont. Petil-, cap. i, et lib. III, cap. xvi.
- Lib. De Unit., cap. i.
[IV" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
391
ressuscité pour notre justification. Personne,
autre que le Verbe de Dieu, n'est la semence
par laquelle nous sommes régénérés ; et ce
n'est ni celui qui plante ni celui qui arrose
qui nous fait porter de bons fruits, mais Dieu
qui donne l'accroissement. » Il est écrit, di-
sait Pétilien, que le baptême ne sert de rien
à celui qui, après avoir touché mi mort, le
touche de nouveau. L'Écriture ne dit pas,
remarque saint Augustin , si c'est un mort
connu , mais absolument un mort ; ainsi si
par ce mort l'on entend un ministre pécheur,
il s'ensuivra que celui qui est baptisé par un
impie secret le sera inutilement, comme s'il
l'avait été par un impie connu. Par ceux qui
sont baptisés par les morts , il faut entendre
ceux qui sont baptisés dans les temples des
idoles ; mais à l'égard du baptême de l'É-
glise, c'est Jésus-Christ qui le donne, lui qui
ne meurt plus et sur qui la mort n'aura plus
d'empire. Si par le mort dont parle l'Écri-
ture , il faut entendre le pécheur connu , les
donatistes auraient bien dû rebaptiser ceux
que le scélérat Optât, dont les crimes étaient
publics, et ceux que les maximianistes, con-
damnés dans le concile de Bagai , avaient
baptisés; ce que toutefois ils n'ont pas fait,
les ayant reçus à leur communion sans les
rebaptiser de nouveau. Il fait la même ré-
ponse à cette affirmation de Pétilien que
celui qui n'a jamais eu la vie , et celui qui,
après l'avoir eue, l'a perdue, n'ont ni l'un ni
l'autre la vie du baptême. En effet, Félicien
et Prétextât avaient, selon le principe de
Pétilien, perdu la vie du baptême , et ils ne
pouvaient l'avoir donnée à ceux qu'ils avaient
baptisés dans leur schisme. Toutefois les uns
et les autres avaient été reçus sans un nou-
veau baptême dans le parti de Donat. Saint
Augustin témoigne ne pas concevoir ce que
voulait dire Pétilien par ce passage de l'É-
vangile qu'il avait inséré dans sa lettre :
J'envoie vers vous des prophètes, des sages et
des scribes , et vous en tuerez, etc. «Car, dit
ce Père , s'ils se croient les prophètes et les
scribes, et nous les persécuteurs des prophè-
tes, pourquoi ne veulent-ils pas parler avec
nous, puisqu'ils sont envoyés vers nous?»
11 y avait mis encore cet autre passage :
Vous les connaîtrez par leurs fruits. D'oiiSnint
Augustin prend occasion de parler des cri-
mes des donatistes , et en particulier de Syl-
vain, évêque de Cirthe, fait évêque de cette
ville parles traditeurs, après avoir lui-même
livré les vases sacrés, et s'être rendu coupable
du schisme de l'Afrique, de simonie et de
plusieurs autres fautes. Il parle aussi des ty-
rannies qu'ils avaient exercées sur les catho-
liques, des excès et des profanations de leurs
circoncellions. Puis, après avoir touché en-
core quelque chose de l'histoire d'Optat et
des maximianistes , il exhorte son peuple à
bien savoir cette dernière , comme très-pro-
pre pour réfuter sans peine tout ce que les
donatistes pouvaient objecter , et ajoute :
(I Souvenez-vous de ces choses, mes frères ,
et publiez-les partout , mais avec non moins
de douceiu'que de zèle. Aimez les personnes
en persécutant et détruisant leurs erreurs.
Soyez ravis d'être dans la vie de la vérité ,
mais n'en soyez pas superbes. Combattez
pour ses intérêts, mais ne la déshonorez pas
par aucune animosité. Réfutez et convain-
quez ces adversaires; mais en même temps,
priez Dieu de leur faire la grâce de se corri-
ger. »
4. Saint Augustin, ayant depuis recouvré
la lettre de Pétilien toute entière, y répon-
dit plus exactement, et interrompit même
pour ce sujet ses livres sur la Trinité et sur
la Genèse. Ce n'était pas que Pétilien eût dit
quelque chose de nouveau, et qui n'eût pas
déjà été réfuté plusieurs fois ; mais saint Au-
gustin le fit pour s'accommoder aux person-
nes les moins intelligentes, et qui n'avaient
pas assez de lumière pour apphquer à un
endroit ce qui avait été dit sur le même su-
jet dans un autre. Il s'engagea même, à la
prière de ses amis, à suivre pied à pied la
lettre de PétiHen, mettant d'abord les paro-
les de ce donatiste, puis ses propres répon-
ses, comme si c'eût été un dialogue où ils
eussent disputé l'un contre l'autre, et que des
notaires eussent écrits ce qu'ils avaient dit
tous deux. C'était le moyen d'empêcher qu'on
ne l'accusât d'avoir passé quelque chose
de la lettre de Pétilien, sans y répondre ;
de conférer en quelque manière par écrit
avec les donatistes qui ne voulaient point
conférer de vive voix avec les catholiques ;
et de leur faire voir qu'ils n'avaient rien
à objecter qui pût échapper à la lumière et
à la force de la vérité. Il n'écrivit ce second
livre qu'environ deux ans après le premier,
c'est-à-dire en 402 au plus tard, puisqu'il y
parle du pape Anastase comme occupant
encore le saint siège '. Le commencement
de ce livre est employé à réfuter celui de la
1 Lib. II, cap. XV.
Analyse du
fecoDd livre,
pag. 218.
392
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
lettre de Pétilien, aucpiel il avait déjà ré-
pondu ; ce qu'il y ajoute, regarde l'inscrip-
tion de sa lettre, dans laquelle il saluait ses
frères, les prêtres et les diacres de son dio-
cèse, avec les mêmes paroles dont saint Paul
s'était servi en écrivant aux Romains, aux
Corinthiens , aux Galates et aux autres Égli-
ses. « Quelle folie n'est-ce pas à vous, lui
dit-il, de ne pas vouloir communiquer le sa-
lut de la paix avec ces Églises dont les let-
tres vous ont appris la manière de donner
le salut de paix. « Comme ce n'est pas l'eau
versée par un mauvais ministre qui souille,
ce n'est pas non plus celle que vei'se un mi-
nistre saint, qui purifie ; mais l'eau donnée
an nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,
est de celui sur qui descendit la colombe, et
qui baptise dans le Saint-Esprit. Les donatis-
tes n'étaient point excusables de s'être sépa-
rés de ceux qu'ils accusaient d'avoir livi'é les
divines Écritures, tandis qu'ils se séparaient
eux-mêmes de toutes les nations, qui, selon
ces mêmes Écritures, appartiennent à l'E-
glise. Les fautes des particuliers ne peu-
vent préjudicier à la promesse faite à Abra-
ham, que toutes les nations seraient bénies
dans sa race. Les donatistes seraient moins
blâmables d'avoir percé avec le fer les
prophètes, que de tenter d'anéantir leurs
prophéties qui marquent en tant d'endroits
l'établissement de l'Église jusqu'aux extré-
mités de la terre ; ils ne peuvent nier que
leur parti ne soit un parti schismatique, puis-
qu'il n'est point uni de communion avec
tontes les nations et les Églises fondées par
les travaux apostoliques. S'ils se plaignent
de souffrir persécution de la part des catho-
liques, il est aisé de les convaincre par les
actes proconsulaires et municipaux, de
celles qu'ils ont fait souffrir aux maximia-
nistes. Ils ne peuvent produire aucune loi
des empereurs , sollicitée par les catholi-
ques, pour sévir contre eux jusqu'à la mort ;
ce sont eux-mêmes qui se donnent une moi't
véritable, en se séparant de la vive racine
de l'unité; en vain ils se tlattent d'être bap-
tisés dans leur sang, le royaume des cieux
n'appai-tenant qu'à ceux qui répandent leur
sang pour la justice. C'était eux qui recon-
naissaient deux baptêmes, l'un des justes,
l'autre des impies, et non pas les catholiques,
qui n'en admettent qu'un, Jésus-Christ, se-
lon eux, baptisant dans les uns et dans les
autres ; ce que le prêtre donne ne laisse pas
d'être véritable, quoiqu'il soit lui-même un
menteur, parce qu'il donne, non ce qui lui
appartient, mais ce qui est de Dieu; comme
la prière d'un mauvais prêtre ne laisse pas
d'être vraie, lorsqu'il la fait avec les paroles
marquées dans l'Évangile, quoiqu'il soit lui-
même un profane. La vraie Église n'est
cachée aux yeux de personne, étant, selon
l'Évangile, une ville située sur une haute
montagne, au lieu que le parti de Donat est
inconnu à un nombre infini de nations. Le
baptême de saint Jean n'ayant rien de com-
mun avec celui de Jésus-Christ, il n'est pas
surprenant que saint Paul ait baptisé du
baptême de Jésus-Christ ce.ux qui n'avaient
reçu que celui de son précurseur. La ch'con-
cision et le baptême de saint Jean ne nous
sont point nécessaires, parce que nous avons
reçu Jésus-Christ que l'une et l'autre annon-
çaient.
Pétilien prétendait que le Psalmiste avait
fait l'éloge du baptême des donatistes dans
le psaume vingt-deuxième , où nous lisons :
C'est le Seigneur qui me nourrit , rien ne
pourra me manquer : il m'a établi dans un
lieu abondant en pâturages. Il m'a élevé près
d'une eau fortifiante ; et il a fait revenir mon
âme, etc. Saint Augustin répond , que ce
psaume doit s'entendre de ceux qui reçoivent
le baptême comme on le doit, et qui usent
saintement d'une chose sainte ; et non pas
de ceux qui, comme Simon, le magicien, le
reçoivent dans de mauvaises dispositions.
« Car il y en a, dit-il, qui prennent la vie
sur la fable du Seigneur, ainsi que fit Pierre;
et non leur jugement, ainsi que Judas : ce
ne fut néanmoins pour tous deux qu'une
même fable ; mais elle ne fit pas en fous
deux un même effet, parce qu'ils n'étaient
pas tous deux une même chose. »
5. PétiUen disait aux évoques catholiques
qu'ils étaient assis sur la chaire que David
nomme pestilentielle. Comme il n'en don-
nait aucune preuve, saint Augustin lui dit :
n Que vous a fait la chaire de l'Église ro-
maine, sur laquelle Pierre s'est assis, et qui
est aujourd'hui remplie par Anastase ? Que
vous a fait celle de Jérusalem, sur laquelle
Jacques s'est assis, et qui est aujourd'hui
remplie par Jean, avec lesquels nous som-
mes unis dans l'unité catholique, et dont
vous vous êtes séparés par une fureur crimi-
nelle ? Pourcpjoi appelez-vous chaire de pes-
tilence, la Chaire apostolique? Si vous eu
usez ainsi, parce que vous croyez que ceux
qui y sont assis prêchent la loi et ne la pra-
[lV« ET V" SIÈCLES.'
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
393
tiquent pas ; est-ce ainsi que Jésus-Christ
en a usé ? A-t-il appelé ainsi la chaire de
Moïse, parce que les pharisiens qui y étaient
assis, ne faisaient pas le bien qu'ils ensei-
gnaient aux autres ? N'a-t-il pas , au con-
traii'e, conservé l'honneur de cette chaire,
lorsqu'en reprenant les pharisiens, il a dit,
pour appuyer leur doctrine : Faites ce qu'ils
vous disent. »
Pétilien avouait en quelque sorte que les
catholiques chassaient les démons ; mais il
ajoutait aussitôt qu'ils n'étaient chassés
qii'aa nom de Jésus-Christ. Saint Augustin,
profitant de cet aveu, en infère que ce nom,
quoique invoqué par des pécheurs, est utile
pour le salut des autres; qu'ainsi les péchés
d'aufrui ne nuisent point au salut de ceux
sur qui le nom de Jésus-Christ est invoqué.
Il justifie la conduite des catholiques à, l'é-
gard des éghses da parti de Donat qui leur
avaient été restituées par les lois des empe-
reurs ; et comme Pétilien leur reprochait
qu'ils n'avaient pas la paix dont il est parlé
dans le prophète Jérémie , saint Augustin
répond qu'elle ne se trouve pas, dans le parti
de Donat, inconnu à un grand nombre de
nations chrétiennes ; qu'il n'est point cette
ville, qui, placée sur une montagne, n'est
cachée aux yeux de personne ; mais que cette
paix est véritablement dans l'Église catholi-
que, celui-là est la paix, qui des deux peuples
n'en a fait qu'un; et non Donat, qui d'un
en fait deux. Il ajoute, qu'on ne saurait con-
server la charité chrétienne que dans l'unité
de l'Église ; que les donatistes ne l'ayant
point, ne sont rien du tout quoiqu'ils aient
le baptême et la foi, et que leur foi soit mê-
me capable de transporter les montagnes
d'un lieu à un autre. Les donatistes se fai-
saient honneur de ne contraindre personne
à embrasser leur foi. Saint Augustin con-
vient de la bonté du principe, disant avec
eux que nul ne doit être conduit par force à
la foi : « Mais, ajoute-t-il, l'incrédulité et la
perfidie sont d'ordinaire châtiées de Dieu par
la rigueur, o\\ plutôt par la miséricorde des
tribulations temporelles. Et serait- il juste
qu'A cause que la bonne vie doit être em-
brassée par une libre élection de la volonté,
la mauvaise vie ne doive pas être punie par
la juste rigueur des lois?» D approuve donc
les lois que les princes avaient faites pom-
réprimer l'audace et la fureur des schismati-
ques, et dit que l'utilité de ces lois est évi-
dente en ce qu'elles rappellent à son devoir
celui qu'elles punissent pour s'en être écarté.
Pétilien trouvait mauvais que les catholi-
ques fussent liés d'amitié avec les princes
du siècle, toujours ennemis du nom chré-
tien. Saint Augustin fait un dénombrement
des anciens justes qui ont été favorisés des
princes sous le règne desquels ils ont vécu ;
et pour combattre Pétilien par lui-même, il
lui demande pourquoi ceux de son parti
s'étaient adressés à Julien l'Apostat l'ennemi
du christianisme , pour obtenir de lui des
églises. Il ajoute, que ce même prince leur
avait fait rendre les basiliques que Constantin
leur avait ôtées. « Les rois mêmes, lui dit-il
encore , doivent servir Dieu d'une manière
particulière, en faisant, selon leur condition,
des choses que des particuliers ne peuvent
faire, et cela en l'honneur de Dieu.» Pétilien
disait, en faisant allusion aux catholiques :
L'huile du pécheur n'oindra pas ma tête. Saint
Augustin lui fait remarquer que David, de
qui sont ces paroles, ne dit pas l'huile des
traditeurs , l'huile de ceux qui offrent de
l'encens aux idoles, l'huile du persécuteur,
mais l'huile du pécheur, u Voyez donc, lui
dit-il, premièrement si vous n'êtes pas vous-
mêmes pécheurs, et comment n'étant même
coupables que de quelques péchés légers,
on ne peut dire de vous, l'huile du pécheur.
Je vous demande, si vous récitez l'Oraison
dominicale , et si vous la récitez, comment
vous dites : Remettez-nous nos dettes comme
nous les remettons à nos débiteurs. Car, comme
il ne s'agit pas dans ces paroles, des péchés
qui nous ont été remis dans le baptême, ou
elles ne vous permettent pas de faire à Dieu
cette prière, ou elles font connaître que vous
êtes pécheurs. »
6. Pétilien ayant vu le premier livi-e de Analyse du
saint Augustin, y fit une réponse, où faute v'rc,%"°
de raisons il le chargeait d'injures, lui re-
prochant quantité de choses, ou qui étaient
absolument fausses, ou qui ne le regardaient
plus depuis son baptême. Il lui reprochait
entre autres, d'avoir été prêtre des mani-
chéens', dont il lui attribuait toutes les in-
famies. Il l'accusait d'avoir été banni d'Afri-
que comme manichéen, et d'en avoir tou-
jours conservé la doctrine ^ Il lui faisait un
crime d'avoir été l'instituteur des moines
dans l'Afrique, et beaucoup d'autres repro-
tioisième ii-
29S.
' Lib. III cont. Petit , cap, xvi et xvn.
Cap. XXV et X.
394
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
ches qu'il est mutile de rapporter '. A l'égard
des preuTes que saint Augustin avait tirées
de l'histoire des maximianistes contre le parti
de Donat, Pétilien en renvoyait l'examen à
un second livre qu'il promettait et qu'il ne
fit jamais ^. Il laissait beaucoup d'autres preu-
ves du saint sans y répondre en aucune ma-
nière, et ne touchait les autres que fort lé-
gèrement ^ La réplique de saint Augustin à
ce livre de Pétilien, fait le troisième contre
ce donatiste. Il y montre d'abord qu'en dis-
putes de religion tous les reproches person-
nels sont inutiles, et qu'on y doit compter
pour rien l'autorité de l'homme. Ensuite il
déclare qu'il condamne absolument tout ce
qui s'était passé avant son baptême, se con-
tentant de bénir le médecin qui l'avait guéri.
A l'égard de sa conduite depuis son bap-
tême, il en fait juge les enfants de l'Éghse,
et proteste que, quoiqu'une puisse dire avec
l'Apôtre, je ne me sens coupable de rien, il
peut néanmoins avancer avec vérité en la
présence de Dieii, qu'il ne se connaissait
coupable d'aucune des fautes dont Pétihen
l'accusait. Pétilien abusant de ce que saint
Augustin enseignait dans ses écrits , qu'il
n'était pas permis de quitter la communion
de l'Église, sous prétexte de se séparer des
méchants , prétendait qu'on ne punissait
point le crime parmi les catholiques, et citait
pour cela un évêque qui, "après avoir été dé-
posé pour crime, avait été rétabli dans l'é-
piscopat. Il citait aussi un nommé Quodvult-
déus qui, quoique chassé par les donatistes
comme convaincu de deux adultères, avait
été reçu ou à la communion, ou même à
l'état ecclésiastique par les catholiques. Sur
le premier chef, saint Augustin se contente
de dire à Pétilien, qu'il ne savait ce qu'il di-
sait. Sur le second il répond que Quodvult-
déus ne fut admis à la commuaion ou à l'é-
tat ecclésiastique qu'après qu'il eût prouvé
son innocence. Pour preuve que la disci-
pline était mieux observée chez les catholi-
ques que parmi les donatistes : « il y a, dit-il
à Pétilien, une infinité d'exemples de per-
sonnes qui, ayant été dans l'épiscopat ou
dans quelque autre degré ecclésiastique, en
ont été déposés, et qui après cela se sont
retirés de honte en d'autre pays , ou ont
passé dans votre parti ou dans celui de
quelques autres hérétiques. Il y en a qui
sont demeurés dans les mêmes lieux où ils
étaient, et ils y sont connus de tout le
monde. » Il nomme Honorius de Milève, et
un Splendonius, déposé du diaconat dans les
Gaules, qui, étant venu à Constantine ou à
Cirthe, y fut rebaptisé et fait prêtre par Pé-
tilien ; ce qui obligea Forlunat, évéque ca-
tholique de cette ville de faire afficher pu-
bliquement les actes de la déposition de
Splendonius. Pétilien fut obligé lui-même de
l'excomjiiunier dans la suite, l'ayant con-
vaincu d'une perfidie horrible. Saint Augus-
tin nomme encore un Cyprien, évêque de
Tubursicubiue , du parti des primianistes ,
qui, ayant été surpris dans un lieu infâme,
fut condamné et excommunié par Primien,
sans qu'aucun de ceux qu'il avait baptisés,
fût rebaptisé par les donatistes, lors de leur
réunion. Ce Père fait ensuite un précis des
objections de Pétilien, et des réponses qu'il
y avait données dans les deux livres précé-
dents, et montre que non-seulement il n'a-
vait pas répondu aux preuves dont la vérité
catholique est soutenue, mais qu'il n'avait
même rien dit qui touchât le fond de la cause
dont il s'agissait. Il finit ce livre par ces
paroles adi-essées aux donatistes en général :
« Savez- vous discerner le vrai d'avec le faux,
un discom's solide d'avec une value déclama-
tion, l'esprit de paix d'avec l'esprit de dis-
sension , les divines prophéties d'avec les
imaginations des hommes, les preuves clai-
res d'avec les accusations vagues, les actes
authentiques d'avec les fictions, ceux qui dé-
montrent ce qui est dans la question d'avec
ceux qui évitent même d'entrer en question ?
Si vous savez faire ce discernement, àla bonne
heure : si vous ne le pouvez faire, nous ne
nous repentirons pas néanmoins du soin que
nous prenons de vous, parce que si votre
cœur ne se tourne pas à la paix, notre
paix, comme le dit l'Évangile , reviendra à
nous. »
§IV.
Livre de l'Unité de l'Eglise, ou Epître contre
les donatistes.
1 . Dans le temps même que saint Augus- ce livr» es
tin publia son second livre contre Pétilien, gusifn.°iué°
et avant que de travailler au troisième, il
adi'essa une lettre pastorale à tons les fidèles
de son diocèse , qui , dans plusieurs manus-
crits , est intitulée : Livre de l'Unité de l'E-
' Lib. m cont. Pelil., cap. xl,
' Cap. xxxM. — ^ Cap. l.
[IV° ET V° SIÈCLES.]
glise. Saint Augustin n'en dit rien dans ses
Rétractations, peut-être, parce que c'est pro-
prement une lettre, quoiqu'elle soit fort lon-
gue , et non un livre. Et s'il y met son pre-
mier livre contre Pétilien qui est aussi en
forme de lettre , c'est sans doute parce
qu'il a toujours fait corps avec le deuxième
et le troisième. Possidius ' cite le Traité de
l'Unité dans le Catalogue des livres de saint
Augustin , en ces termes : Lettre contre les
clonatistes aux frères catholiques, et dit que
cette lettre faisait un livre ; ce qui ne laisse
aucun lieu de douter que saint Augustin n'en
soit l'auteur, d'autant qu'on y trouve son
génie et sa manière d'écrire, et qu'il y cite ^
son premier et son second livre contre Péti-
lien. On ne laisse pas de trouver dans cet
écrit quelques expressions moins élégantes
et moins propres que dans les autres ou-
vrages de saint Augustin . On y trouve encore
quelques passages de l'Ecriture cités autre-
ment que selon la version ordinaire. 11 est
dit dans un endroit que le royaume d'Israël
n'était pas une hérésie du temps d'Élie ; ce
qui ne s'accorde pas avec ce que dit saint
Augustin dans son premier livre contre Cres-
conius , que les Samaritains, du temps de
Notre-Seigneur, étaient hérétiques à l'égard
des Juifs. On y lit qu'un homme qui fait des
actions criminelles n'est retranché de la ra-
cine de l'Éghse que lorsqu'il résiste à la vé-
rité qu'on lui oppose clairement et lorsqu'il
la hait : ce qui parait contraire à ce que le
saint Évêque enseigne dans le second livre
contre Cresconiiis, qu'un homme endurci dans
le péchéest hors de l'Église, quoiqu'il paraisse
être dedans. Enfin la salutation qui est au
commencement de cette lettre n'est point or-
dinaire à saint Augustin; elle est en ces ter-
mes : « Le salut qui est en Jésus-Christ et
la paix de l'unité et de sa charité soit avec
vous. » Mais ces difficultés qui, d'ailleurs, ne
sont pas sans solution, ne détruisent point
la preuve tirée du témoignage de Possidius,
ni celle que l'on tire du rapport qu'il y a
entre le commencement de ce livre et les
deux premiers de saint Augustin contre Pé-
tilien. Il n'est pas surprenant que dans un
écrit où ce Père s'adi-essait à son peuple, et
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
393
où il voulait se faire entendre de tout le
monde, il ait moins travaillé son style que
celui de la plupart de ses autres ouvrages.
Le Psaume contre le parti de Donat n'est-il
pas composé do termes vulgaires et popu-
laires , parce qu'il s'agissait d'apprendre
aux plus simples de quoi il était question
entre les catholiques et les donatistes, et
d'exhorter ceux-ci à l'unité? Lorsque saint
Augustin met les Samaritains au nombre des
hérétiques de la nation juive, il ne veut point
parler des Samaritains du temps d'Élie, mais
de ceux qui vivaient en même temps que
Jésus-Christ. S'il cite quelques passages de
l'Ecriture dans des termes un peu différents
de ceux qu'il cite ailleurs , c'est apparem-
ment qu'il n'avait pas toujours en mains les
mêmes exemplaires , n'y ayant point alors
de versions authentiques et reçues généra-
lement de tout le monde. A le bien prendre,
ce qu'il dit dans le livre de l'Unité de l'É-
glise, touchant l'endurcissement du pécheur,
n'a rien de contraire à ce qii'il en dit dans
son second livre contre Cresconius. Ne peut-
on pas dire, en effet, que tout péché mortel
nous sépare de Jésus-Christ; et que ceux qui
en sont coupables en sont séparés selon l'es-
prit par le désordre de leur vie , quoiqu'ils
soient encore selon le corps dans l'unité de
l'Église? L'endurcissement dans le péché', la
résistance à la vérité qu'on nous montre, la
révolte contre l'autorité de l'Église, le schis-
me qui forme une fausse Éghse, sont autant
de nouveaux degrés de séparation. A l'égard
de la salutation qui se trouve au commence-
ment du livre ou de la lettre , elle n'est pas
indigne de saint Augustin, et quoiqu'il ne
s'en soit pas servi ailleurs, il a pu l'employer
ici. n y a des choses dans ce livre ', par
exemple ce qu'il y dit des persécutions, qui
semblent convenir aux lois d'Honorius en
40S. Mais, comme on peut aussi les rappor-
ter aux lois précédentes , soit contre les do-
natistes en particulier, soit contre tous les
hérétiques en général, rien n'empêche qu'on
ne le place vers le même temps que le se-
cond livre contre Pétilien, c'est-à-dire en
402.
2. Saint Augustin traite dans ce livre la ai.jijsc de
' Episto la contra donatistas ad catholicos fra-
tres liber unus. Possid., in Catal., cap. ni.
2 Meministis , fratres , Petiliani perparvam
Epistolœ partemin mamis nostras aliquando ve-
nisse, eique particulœ quod responderimus scrip-
sisse me ad dilectionem vestram. Sed cum postea
tota et plena nobis a fratribus qui ibi sunt, mit-
teretur,placibit ei ab exordio respondere tanquam
prœsentes ageremus. Aug., De Unit. Eccl., cap. i,
3 Lit. De Unit., cap. xx.
396
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
ce^ii-vre, psg. question de la vraie Église, et, laissant à
part toutes les disputes sur les faits, il n'em-
ploie que les passages les plus clairs et les
plus décisifs de l'Écriture. « Où est l'Église,
dit-il d'abord , est-ce chez nous, ou chez les
donatistes? Cette Église, est une , et nos an-
ciens l'ont nommée catholique, afin de faire
voir par son nom même qu'elle est répandue
par toute la terre. Cette Église catholique
est le corps de Jésus-Christ, ainsi que le dit
Cote.i,2i. l'Apôtre. Celui qui n'est point membre de
ce corps ne peut donc avoir part au salut pro-
mis aux chrétiens. Pour savoir, continue-t-il,
où est cette Église, il ne faut pas s'embarras-
ser de s'assurer si les crimes que les • évê-
ques d'Afrique, catholiques et donatistes,
s'objectent mutuellement , sont véritables ,
parce qu'ils n'intéressent pas les autres
Églises du monde ; mais chercher unique-
ment dans les livres canoniques de quoi
montrer où est cette Éghse. En effet , si l'on
pouvait prouver, par les divines Écritures,
que l'Église est dans l'Afrique seule , ou
dans quelques montagnards qui résident à
Rome , ou dans la maison de LuciUe , cette
femme qui a comme donné naissance au
schisme des donatistes, il faudrait reconnaî-
tre qu'eux seuls ont l'ÉgHse. Si, au contraire,
on montre par l'Écriture que l'Église est
placée chez les Maures de la province Césa-
rienne, il faudra passer chez les rogatistes.
Si on la met dans la Byzacène, nous serons
obligés de dire que les maximianistes sont
en possession de l'Église. Si on la place
dans les seules provinces de l'Orient , il fau-
dra la chercher parmi les ariens , les euno-
miens, les macédoniens et autres hérétiques
de ces cantons. Mais s'il est bien prouvé par
des témoignages certains des Écritures ca-
noniques , que l'Éghse est répandue dans
toutes les nations, on ne pourra se dispen-
ser de convenir que celle-là est la seule
Église qui s'y trouve effectivement répan-
due. » Un autre principe de saint Augustin,
c'est que, pour décider cette question, on ne
doit point avoir recours aux passages de
l'Écriture qui sont obsciu's , ou qui doi-
vent être pris dans un sens figuré, ou qui
sont conçus de façon qu'ils peuvent-être al-
légués par les deux partis; mais à ceux-là
seuls qui doivent se prendre dans le sens lit-
téral. Il trouve l'Église catholique bien mar-
quée dans ces paroles de Dieu à Abraham :
Gai. isii, Toutes les nations de la terre seront bénies par
celui qui sortira de vous, parce que vous avez
obéi à ma voix. Car on ne pourrait dire avec
les Juifs , qu'elles doivent s'entendre du
seul peuple qui est né d'Abraham selon la
chair , puisque saint Paul , dont les dona-
tistes lisaient les Épîtres dans leurs assem-
blées , soutient que les promesses de Dieu à
Abraham ont été accomplies dans les gentils
comme dans les Juifs ; et qu'il remarque, à
cet effet, que lorsque l'Écriture parle de ces
promesses , elle ne dit pas qu'elles ont été
faites à ceux de la race d'Abraham, comme
s'il en eût voulu marquer plusieurs ; mais à sa
race , c'est-à-dire à l'un de sa race qui est Jé-
sus-Christ, marquant par là qui était celui en
qui toutes les nations devaient être bénies.
Le saint Docteur rapporte aussi d'autres pro-
messes, mais tout à fait semblables à celles-
là, faites en d'autres occasions à Isaac, fils cen. «
d'Abraham, et à Jacob, fils d'Isaac; puis, '6-
passant aux Prophètes, il montre que, selon
Isaïe, la terre doit être remplie de la connais- ^^P^ai. si
sance du Seigneur, comme, la mer des eaux dont
elle est couverte ; et que le rejeton de Jessé sera
exposé comme un étendard devant tous les peu-
ples; qu'il dominera sur les nations, et que les
nations espéreront en lui. « Quel est ce reje-
ton, dit-il? Tout le monde convient que c'est
Jésus-Christ ~ qui est né de David selon la
chair. Si l'on en doute , que l'on consulte
l'Apôtre qui, dans son Épître aux Romains, Rom.ïv
cite ce passage d'isaïe, pour prouver que
Jésus-Christ a été promis aux Juifs, et donné
par grâce aux gentils. Qui des chrétiens a
jamais douté que le deuxième psaume ne
dût s'entendre de Jésus-Christ, et que l'on
ne doive également entendi'e de l'Église l'hé-
ritage que ce psaume promet en ces ter-
mes : Le Seigneur m'a dit : Vous êtes mon fils, Psai. n,
je vous ai engendré aujourd'hui. Demandez-moi
et je vous donnerai les nations pour votre héri-
tage, et j'étendrai vot7'e possession jusqu'aux
extr-émités de la terre. Il n'y a personne qui
ne reconnaisse que c'est de Jésus-Chiist dont
il est dit : Ils ont.percé mes mains et mes pieds, pmi. s;
et ils ont compté tous mes os. Ils se sont appli-
qués à me regarder et à me considérer ; ils ont
partagé entre eux mes habits, et ils ont jeté le
sort sur ma robe. C'est donc aussi de lui qu'il
est dit ensuite, que pour le prix de son sang,
la terre dans toute son étendue se convertira
au Seigneur, et que tous les peuples diffé-
rents des nations seront dans l'adoration en
sa présence , parce que le règne est au Sei-
gneur, et que c'est lui qui régnera sur les
nations. N'est-il pas dit aussi dans le psaume
[lyo ET V° SIÈCLES.]
soixante-onzième, qui, quoique intitulé de
Salomon, doit s'entendre de Jésus-Christ et
de son Église : // régnera depuis ime mer jus-
qu'à une autre mer, et depuis le fleuve jusqu'aux
extrémités de la tertre. Les Éthiopiens se pros-
terneront devant lui, les rois de Tharse et les
îles lui offriront des présents , tous les rois de
la ten^e l'adoreront , toutes les nations lui se-
ront assujetties, tous les peuples de la terre se-
ront bénis en lui, toutes les nations rendront
gloire à sa grandeur ?
3. Les donatistes ne pouvant contester la
vérité de toutes ces promesses, se rédui-
saient à dire qu'elles n'avaient pas eu leur
accomplissement, parce que les hommes l'a-
vaient empêché en s'opposant au progrès de
l'Église , et à ce qu'elle fût répandue dans
toute la terre. Saint Augustin ne nie pas que
l'homme n'ait le pouvoir de faire le mal
ou de s'en ahstenir; et il convient que, si
Judas avait voulu, il n'aurait pas trahi le
Seigneur. Mais il soutient que Dieu, ayant
prévu les volontés de l'homme, a pu annon-
cer certainement par ses prophètes ce qui
devait arriver, quoique dépendamment de la
volonté des hommes ; qu'ainsi, sachant que
les hommes embrasseraient le christianisme,
il a pu prédire qu'ils l'embrasseraient en ef-
fet, quoiqu'ils dussent l'embrasser librement.
Ici viennent divers témoignages de l'Évan-
gile par lesquels le saint Docteur prouve que
les promesses de l'Ancien Testament, tou-
chant Jésus-Christ et son Eglise, ont eu leur
entier accomplissement, et que, comme le
dit Jésus-Christ à ses disciples , s'il était né-
cessaire pour accomplir les Écritures, qu'on
prêchât enson,nom la pénitence et la rémission
des péchés dans toutes les nations en commençant
par Jénisalem , l'Église avait commencé dès
cette ville à se répandre dans toutes les par-
ties de la terre , comme on le voit par les
Actes des apôtres, dont saint Augustin rap-
porte un grand nombre de passages.
4. Nous lisons, disaient les donatistes,
qu'Enoch ayant été enlevé de ce monde,
parce qu'il était agréable à Dieu, le reste des
hommes périt par le déluge ; que Loth fut
seul délivré de Sodome avec ses filles;
qu'excepté Abraham , Isaac et Jacob , il y
avait alors peu de persoimes dans ces terres
étrangères qui plussent à Dieu; que, des
douze tribus d'Israël, il n'y en eut que deux
qui demeurèrent attachées au royaume du
fils de Salomon ; et que tout le monde,
ayant apostasie de leur temps, ils étaient
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
397
demeurés seuls dans l'Éghse. «Nous ajoutons
foi à tous ces endroits de l'Écriture, leur ré-
pond saint Augustin; croyez donc aussi à ce
que dit le Seigneur, qu'il faut que la péni-
tence et la rémission des péchés soient prè-
chées parmi toutes les nations, en commen-
çant par Jérusalem. » Il ajoute que mal à
propos ils alléguaient pour exemple de leur
séparation la division des tribus; que celles
d'Israël, en se séparant du royaume de Juda,
ne furent pas pour cela schismatiques , Dieu
ayant commandé cette division par rapport
au royaume de Juda, et non par rapport à
la religion ; qu'au reste il s'était trouvé de
saints prophètes dans ces dix tribus , et que
Dieu s'y réserva dans la suite sept mille
hommes qui ne fléchirent point le genou de-
vant Baal. Il prouve, par divers endroits de
l'Écrilui-e, que, dans l'Éghse, les bons seront
mêlés avec les méchants jusqu'à la fin des
siècles. Et parce que les donatistes se fai-
saient honneur de leur petit nombre, il leur
dit qu'en ce cas on devait leur préférer les
rogatistes et les maximianistes, dont le nom-
bre était encore moins grand; que, quoique
selon l'Évangile, le nombre des bons soit pe-
tit, ce n'est que par rapport au grand nombre
des méchants, l'Écriture marquant plusieurs
fois que le nombre des bons est considérable :
« Delà vient, ajoute-t-il, qu'elle compare les
enfants d'Abraham aux étoiles du ciel et aux
grains de sable de la mer. « Il est écrit , di-
saient les donatistes , que les premiers seront
les derniers : or, l'Évangile n'a été prêché en
Afrique qu'après avoir été annoncé aux
orientaux et à toutes les autres nations.
C'est encore de l'Afrique, ajoutaient-ils,
qu'il est dit dans le Cantique des Cantiques :
0 vous qui êtes la bien-aimée de mon âme, ap-
prenez-moi ou vous vous reposez à midi. Saint
Augustin leur fait voir que cet endroit de
l'Évangile peut également s'entendre des
Juifs et des gentils qui ne sont pas encore
convertis ; que plusieurs nations barbares
ont reçu l'Évangile depuis qu'il a été prêché
en Afrique ; qu'ainsi cette partie du monde
ne doit pas être regardée comme la dernière
dans l'ordre de la foi. Quanta ce qui est dit
dans le Cantique des Cantiques, il montre que
cela peut s'entendre également de toutes
les autres Églises commode ceUes d'Afrique,
le terme de midi étant mis en cet endroit
pour marquer la grande charité de Jésus-
Christ pour son épouse qui est l'Éghse ; qu'en
le pi'enant à la lettre, il vaudrait mieux l'en-
XIX, 13.
398
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
tendre de l'Egypte, qui est plus méridionale
et où l'Église se connaît bien mieux par des
milliers de serviteurs de Dieu qui pratiquent
dans les déserts la pauvreté évangélique dans
toute son étendue. Il leur porte le défi de
produire autant de témoignages de l'Écriture
d'où l'on puisse inférer que l'Église est anéan-
tie partout, qu'il en avait allégués pour mon-
trer qu'elle est répandue dans toute la terre;
il les défie aussi de montrer que l'Église est
restée dans l'Afrique seule, en sorte que la foi
lui ait été communiquée, non de Jérusalem,
mais de Carthage où ils ont en premier lieu
élevé un épiscopat contre l'épiscopat. « Que
si vous répondez , ajoute-t-il, que la foi pré-
chée par les apôtres ayant disparue dans les
lieux où ils l'avaient semée, il est nécessaire
de la semer de l'Afrique dans. les autres pro-
vinces , nous vous demandons de le prouver
par quelques témoignages des oracles di-
vins. » n donne un précis des actes munici-
paux par lesquels il était constant que les au-
teurs des donatistes avaient été traditeurs, et
montre que nul ne parvient à la vie éternelle
qu'il n'ait pour chef Jésus-Christ ; et que nul
ne le peut avoir pour chef, s'il n'est dans son
coi'ps qui est l'Église. C'est pourquoi il dit aux
donatistes d'employer! l'autorité respectable
de l'Écriture, pour montrer qu'ils sont dans
l'ÉgUse, disant que les catholiques n'exi-
geaient pas qu'on les crût dans l'Église de Jé-
sus-Christ , parce qu'ils tiennent la même foi
qu'ont tenue Optât de Milève, Ambroise de
Milan et un nombre infini d'évêques de leur
communion, ou parce qu'elle a été préconi-
sée dans les conciles, ou parce qu'il se fait
par tout le monde, dans les heux mêmes de
leur communion, des miracles dans les lieux
saints où reposent les corps des martyrs;
mais parce qu'ils sont en état de montrer
par l'autorité des livres sacrés que l'Église
dans laquelle ils vivent est la véritable.
sui(e. pag. 5. Les donatistes se plaignaient des per-
sécutions que leur faisaient les cathohques
pour les engager à se réunir à eux. Saint Au-
gjstin leur répond : « Il arrive tous les jours
qu'un fils se plaint de son père comme d'un
persécuteur, de même qu'une femme de
son mari, et un serviteur de son maître,
quoique le père, le mari et le maître n'em-
ploient les châtiments que pour la coiTec-
tion de ceux qui leur sont soumis. On n'ap-
pelle persécuteurs, que ceux qui font du mal
aux bons pour les engager dans le mal, et
non ceux cpi ne châtient les méchants que
pom- les faire rentrer dans le devoir. Les
peines que les empereurs ont fait souffrir
aux donatistes en les privant ou des lieux où
ils s'assemblaient, ou des honneurs dont ils
jouissaient, ou de leur argent, sont douces
en comparaison de leurs sacrilèges ; et ils
ne les ont même employées que pour les
retirer du crime, et les préserver de la dam-
nation éternelle. Au reste un méchant fils
persécute plus son père par sa mauvaise vie,
qu'un bon père ne persécute son fils par ses
corrections. La servante de Sara persécu-
tait plus sa maîtresse par l'iniquité de sou
orgueil, que Sara ne persécutait sa servante
par un juste châtiment. Et ceux à l'égard
desquels il est écrit : Le zèle de votre maison
m'a consumé, persécutaient plus cruellement
Notre-Seigneur, qu'il ne les persécuta lui-
même, lorsqu'il renversa leurs tables et qu'il
les chassa du temple avec un fouet. »
6. La dernière difficulté des donatistes re- smie,
377.
gardait la manière dont ils seraient reçus des
catholiques, s'ils se réunissaient à eux; saint
Augustin leur répond : « Les hérétiques ayant
les mêmes sacrements que l'Église catholi-
que, ils y sont reçus en corrigeant leurs pro-
pres erreurs, et non en violant le sacrement
de Jésus-Christ, c'est-à-dire non en se fai-
sant baptiser de nouveau, mais en embras-
sant le lien de la paix et de la charité qu'ils
n'ont pas , et sans laquelle le baptême
qu'ils ont, ne peut leur être utile ; car
l'un et l'autre sont nécessaires au salut, le
baptême et la justice qui sont inséparables
de la charité et du lien de la paix. Il n'y a
rien de clair dans l'Écriture touchant la ma-
nière de recevoir les hérétiques au sein de
l'Église, parce que nous n'y lisons point que
quelqu'un soit passé de l'hérésie à l'unité ;
mais toutes les nations, en commençant par
Jérusalem, devant recevoir la pénitence et
la rémission des péchés au nom de Jésus-
Christ, il est visible qu'on peut aussi l'ac-
corder aux hérétiques lorsqu'ils la deman-
dent sincèrement et sans détom\ » Le saint
Docteur explique de la charité, et non du
baptême visible, ce qui est dit dans le livre
des Proverbes : Buvez de Veau de votre citerne Prov.
et des ruisseaux de votre fontaine, etc.; et
montre que cette eau qui manque aux héré-
tiques, lorsqu'ils reçoivent le baptême, leur
est accordée, lorsqu'ils reviennent à l'unité
de l'Église. Ils ont néanmoins l'eau figurée
par celle qui sortit du côté de Jésus-Christ,
c'est-â-dire le baptême, qui quoique de l'É-
[iV" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
399
glise est passée à ceux qui en sont dehors.
II revient à l'argument que les donatistes
tiraient de leur situation au midi; et pi'ouve
par plusieurs endi'oits des Psaumes, que non-
seulement les peuples qui sont au midi, mais
ceux-là aussi qui sont au nord et au cuochant
sont citoyens de la cité du grandroi. Ilmon-
Ire enfin qu'il n'y a aucune partie du mon-
de où l'Évangile ne doive être prêché avant
la fin du monde. Il conclut en disant qu'il
n'est pas à croire qu'une Église, qui, comme
le disaient les donatistes, devait si tôt périr,
quoique répandue dans toutes les parties
de la terre, ait été relevée par tant de té-
moignages de l'Écriture, et qu'il ne soit rien
dit de celle de Donat, qui, selon eux, devait
demeurer jusqu'à la fin des siècles.
§ V.
Des quatre livres contre Cresconius.
1. Un donatiste, nommé Cresconius, ayant
trouvé l'écrit de saint Augustin contre le
commencement de la lettre de Pétilien, c'est-
à-dire son premier livre, y fit une répliqp^ie
dans laquelle il entreprenait de défendre
son parti, et de soutenir ce que Pétilien
avait avancé dans sa lettre. Cresconius était
un simple laïque, et grammairien de profes-
sion. Il adressa son ouvrage, qui était en
forme de lettre, à saint Augustin même, qui
lui répondit en trois livres. Mais, voyant dans
la suite que le seul argument de leur schis-
me entre Maximien et Primien, suffisait pour
répondre à tout, il le traita en particulier
dans un quatrième livre qui est aussi inti-
tulé : Contre Cresconius. Ces quatre livres
ne furent faits que longtemps après l'ou-
vrage de Cresconius ; car saint Augustin ne
l'avait reçu que fort tard. Il y marque lui-
même ' que loi'squ'il les écrivit, l'empereur
Honorius avait déjà donné ses lois contre
les donatistes, mais qu'elles étaient encore
toutes récentes. C'était donc vers l'an 406 :
car ces lois furent données en 405 après le
meurtre de Maximien, évêque catholique ,
comme le marque le même saint dans son
troisième livre ^
2. Il commence le premier livre par justi-
fier l'éloquence et la dialectique contre les ca-
lomnies de Cresconius, qui soutenait que les
chrétiens ne devaient point en user, et mon-
tre que ni l'une, ni l'autre ne doivent point
empêcher les défenseurs de la vérité de com-
• battre la fausseté ; puisqu'il est permis de re-
prendre ceux qui se trompent, et même d'u-
ser de véhémence en les attaquant, selon
que la charité le demande. Il fait sentir com-
bien l'excuse de Cresconius était vaine, lors-
qu'il se disait beaucoup au-dessous de lui
dans l'art de bien dire, et peu instruit dans
la doctrine de la religion chrétienne. «A quoi
bon cette excuse, lui dit saint Augustin? vous
ai-je contraint de réfuter mes ouvrages? » Il
fait voir que saint Paul et Jésus-Christ même
ont employé la dialectique dans leurs dis-
cours. Puis, passant à la question du baptê-
me, il montre que si les catholiques recon-
naissent pour valide le baptême des donatis-
tes, ceux-ci ne peuvent en conclure qu'il faille
le recevoir d'eux ; que la raison de le recon-
naître pour bon chez les donatistes, c'est
qu'il est le même que celui qui se confère
dans l'Église catholicpie; avec cette difféx'ence
que donné chez eux il est inutile , et utile
chez les catholiques où se trouvent la foi
et la piété. « Il n'y a, ajoute-t-il, qu'un Dieu,
qu'une foi, qu'un baptême, et qu'une Église
catholique qui ne peut être corrompue, non
dans laquelle seule on sert et on honore un
sfeul Dieu, mais dans laquelle seule on le
sert et on l'honore avec une vraie piété;
non dans laquelle seule on garde une seide
foi, mais dans laquelle seule on a une seule
foi accompagnée de charité ; non dans la-
quelle seule on ne reçoit qu'un baptême,
mais dans laquelle seule on le reçoit salu-
tairement. » On convenait de part et d'autre
qu'il n'y avait qu'une Église. Cresconius en
concluait que ceux qui ne sont pas dans
cette Église miique, ne pouvaient pas avoir
le baptême unique. Mais saint Augustin lui
répond, qu'il peut y avoir plusieurs choses
appartenant à la loi de Dieu, parmi des
gens qui ne seront pas dans cette même
Église, c'est-à-dire parmi des hérétiques ; et
que le baptême en est une. Ne pouvant pro-
duire d'exemples tirés du Nouveau Testa-
ment, pour prouver qu'on ne doit point re-
baptiser les hérétiques , 0 en rapporte de
l'Ancien, et demande à Cresconius, si un
homme circoncis chez les Samaritains rece-
vait une seconde fois la circoncision lors-
qu'il passait chez les Juifs. Il ajoute, que si
quelqu'un des Juifs se mettait du pai^ti des
Nazaréens qui sont en même temps circoncis
' Lib. II Retract., cap. xxvi.
2 August., lib. m cont. Cresc, cap.xunet xlvu.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Analype du
SPcond Ihre ,
pce:. 423.
400
et baptisés, on ne l'obligerait point de se
faire circoncire de nouveau. Il presse Cres-
conius de montrer, par l'autorité de l'Écri-
ture, que l'on ait baptisé quelqu'un venant
de l'hérésie à l'Église catholique. Et comme
il n'était possible ni aux donatistes ni aux
catholiques de s'appuyer par quelques exem-
ples tirés de l'Écriture, il déclare qu'il faut
s'en rapporter au sentiment de l'Église uni-
verselle, dont l'autorité se trouve établie dans
les saintes Écritures ; et que nous devons la
consulter si nous ne voulons pas être trompés
dans une question si obscure. Car, comme la
sainte Écriture ne peut tromper, quiconque
craint d'être trompé sur l'obscurité de cette
question touchant la vraie Église, doit con-
sulter sur cela cette même Église, que l'É-
criture nous fait connaître, sans aucune am-
biguïté, être l'Église véritable. Saint Augus-
tin offre à Cresconius de lui prouver par des
témoignages clairs, que la vraie Église est
celle qui est répandue dans toute la terre.
3. Il montre dans le second livre, que ce
grammairien n'avait en aucune manière ré-
futé son écrit contre Pétilien; si ce n'est
peut-être parce qu'il lui avait appris qu'il fal-
lait appeler donatiens, et non pas donatistes
ceux du parti de Donat. Il lui passe sans
peine ces remarques grammaticales, disant
que lorsque les choses étaient constantes,
on devait peu s'inquiéter des noms et des
termes. Il prouve par la définition même de
Cresconius, que les donatiens étaient en
même temps hérétiques et schismatiques;
et parce qu'il faisait un reproche aux catho-
bques d'avoir reçu au nombre des évêques
ceux qui l'avaient été dans le parti de Donat,
il le bat par lui même ayant reconnu dans sa
définition que les catholiques et les donatiens
avaient une même rebgion et les mêmes
sacrements. « Quoique, dit-il, dans leur or-
dination on invoque sur eux le nom de
Dieu, et non celui de Donat, on ne les reçoit
néanmoins dans leur degré d'honneur lors-
qu'ils reviennent à l'Église, qu'autant qu'il
est utile pour la paix et le bien de cette Égli-
se. Car ce n'est pas pom" nous, pom-suit-il,
que nous sommes évêques, mais pour ceux
auxquels nous administrons la parole et le
sacrement du Seigneur, de sorte que se-
lon que la nécessité le demande , et que la
crainte de scandahser et de nuire à ceux
que nous avons à gouvei-ner le permet, nous
devons être prêts à être ou à n'être pas ce
que nous ne sommes que pour les autres et
f
non pas pour nous. D'ofi vient que plusieurs
évêques, pleins d'une sainte humilité, étant
touchés à la vue de quelques défauts qu'ils
voyaient en eux, se sont rendus dignes de
louange en se démettant de l'épiscopat, ne
l'ayant fait que par un religieux sentiment
de piété, bien loin d'avoir faiUi. » Saint Au-
gustin soutient donc que, lorsqu'il s'agit de
l'utilité des peuples, il convient de recevoir,
dans le degré de l'épiscopat, ceux qui occu-
paient le même degré chez les hérétiques,
la charité étant la seule qui ne se trouve
point hors de l'Église. Cresconius s'efforçait
de montrer que Pétilien avait eu raison de
dire que dans l'administration des sacre-
ments il fallait faire attention à la bonté de
la conscience de celui qui les confère. Et
parce que Pétilien ne s'était point assez
expliqué sur la manière de connaître cette
bonne conscience, Cresconius disait que l'on
peut en juger par la réputation que le
ministre se trouve avoir dans le public. Mais
saint Augustin lui démontre qu'il y a de la
fohe dans cette exception , puisqu'il est
très-possible qu'un homme de bonne répu-
tation ait la conscience mauvaise ; et qu'ainsi
il faut tenir pour certain que les mauvais
comme les bons administrent [également le
sacrement de baptême, quant à ce qui est
visible et sensible; et qu'à celui-là seul ap-
partient de laver et de purifier la conscience j
qui est toujours bon, qui est l'auteur du
baptême visible et de la grâce invisible.
Quant aux persécutions dont Cresconius ac-
cusait les catholiques, et aux crimes de tra-
ditions et d'idolâtrie qu'il leur objectait,
saint Augustin répond que s'ils s'en trouvent
coupables, on ne doit en accuser que ceux,
qui dans l'Église sont regardés comme la
paille de l'aire, c'est-à-dire les mauvais ca-
tholiques; mais que ce ne saurait être une
raison pom-les donatistes de quitter l'aire du
Seigneur avant la séparation du bon grain
d'avec la paille.
4. Cresconius objectait ces paroles du
psaume cxl : L'huile du pécheur n'oindra pas
via tète. Saint Augustin répond qu'elles fai-
saient également contre les donatistes qui
ne rebaptisaient pas ceux qui avaient été
baptisés par des pécheurs cachés, dont les
crimes venaient ensuite à se manifester. Il
ajoute que ces autres paroles de l'Écriture :
Celui qui est baptisé par tm mort, que lui sert
son baptême? ne faisaient pas moins contre les
donatistes, puisqu'elles regardaient égale-
Suitt
43.1.
[IV' ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
401
se du
c H .
. 136.
ment le pécheur caché ou connu ; l'Écriture
ne faisant aucune distinction de l'un d'avec
l'autre. Et sur ce que Cresconius insistait
beaucoup sur la lettre de saint Cyprien à Ju-
haïen où le baptême des hérétiques est re-
gardé comme nul, saint Augustin lui répond
qu'il n'est point frappé de l'autorité de cette
lettre ; qu'il ne regarde pas non plus les au-
tres lettres de ce Père comme canoniques;
qu'il en reçoit ce qui est conforme aux divines.
Écritures, rejetant ce qui y est contraire. « Si
les méchants, ajoute-t-il, perdent les bons à
cause de la communication des sacrements,
il est hors de doute que ceux qui, avant saint
Cyprien, sont passés de l'hérésie dans l'Église
catholique, sans y avoir été baptisés de nou-
veau, y ont corrompu les bons par leur con-
tagion. Il n'y avait donc plus alors d'Église à
laquelle saint Cypi-ien pût s'attacher, ni d'où
Donat put sortir ensuite. Mais si cette conta-
gion n'a pas corrompu les bons, celle des
traditeurs n'a pu non plus corrompre tout le
monde chrétien. » D'où il infère que les do-
natistes n'ont eu aucune raison de se sépa-
rer de l'Église, qui « paraît, dit-il, visible et
reconnaissable aux yeux de tous , puisqu'elle
est cette ville, qui étant située sur la monta-
gne, ne saurait être cachée ; et par laquelle
le Seigneur règne depuis une mer jusqu'à
l'autre, et depuis le fleuve jusqu'aux extré-
mités de la terre, selon l'expression de l'Écri-
ture.»
5. Saint Augustin prouve dans le" troisième
livre, qu'en vain Cresconius s'autorisait du
nom de saint Cyprien, puisque non-seule-
ment un grand nombre d'évêques étaient
alors d'un sentiment contraire , mais que ce
Père laissait, à ceux qui ne pensaient pas
comme lui sur le baptême des hérétiques, la
liberté de penser autrement, sans pour cela
se séparer de leur communion. Il réfute de
suite et par ordre les objections de ce gram-
mairien, qui revenaient à celles de Pétilien
déjà réfutées dans les livres centime ce dona-
tiste. Il les réduit à trois chefs. Cresconius
accusait les catholiques d'avoir pour auteurs
des traditeurs , de s'être servis de l'autorité
des empereurs pour persécuter les donatis-
tes , et de croire que le baptême de l'Église
peut être donné hors de l'Eglise. Saint Au-
gustin répond au premier chef que les do-
natistes avaient aussi accusé les maximia-
nistes d'être traditeurs; que, toutefois, ils
les avaient reçus dans leur communion ; au
second, qu'ils avaient exercé de très-grandes
IX.
cruautés envers les maximianistes, sous l'au-
torité des juges commis par les empereurs;
au troisième , qu'ils avaient reconnu pour
bon le baptême donné dans le schisme par
les maximianistes, puisqu'ils n'avaient pas
rebaptisé ceux qui l'avaient été hors de leur
Église, et dans celle des schismatiques. Il
prouve tous ces faits par les actes des con-
ciles de Cirthe et deBagai, et par les actes pro-
consulaires et municipaux. Ensuite, pour
convaincre de schisme les donatistes , il en
apporte un argument sensible, savoir, le dé-
faut de communion avec l'Église, qui s'étend
et s'accroît par tout le monde. Car cette éten-
due est une marque qui distingue visible-
ment la vraie Église des sociétés hérétiques.
« Étant , dit-il , les uns dans un lieu , et les
autres dans un autre , ils combattent contre
l'unité catholique qui est répandue partout.
L'Église, dont ces hérétiques sont sortis, est
partout ; mais eux ne peuvent être partout,
puisqu'il est prédit qu'ils diront : Voici Jé-
sus-Christ ici, le voici là. Donc, le parti de
Donat n'est point lié de communion à cette
Église qui se répand partout par de grands
accroissements. La vraie communion n'est
pas celle que toutes les sectes d'hérétiques
ont ensemble ; c'est celle que les hérétiques
n'ont pas avec les cathohques, et que les
catholiques ont entr'eux ; c'est celle qu'ont
avec l'Éghse catholique les justes et les pail-
les intériem'es, et non pas ceux qui sont hors
de l'Église, et que saint Augustin appelle les
pailles hérétiques séparées de l'aire du Sei-
gneur. »
6. C'est aussi par cette marque que saint
Augustin distingue dans le quatrième hvre,
la vraie Église , non-seulement des donatis-
tes, mais aussi des novatiens, des ariens,
des patropassiens , des valentiniens, des ap-
pellistes et des marcioniles. «L'Église, dit-il,
est pai'tout où sont ces hérésies , comme elle
est dans l'Afrique où vous êtes. Mais vous
n'êtes pas partout où elle est, ni aucune de
ces hérésies. Et c'est de là qu'il paraît qu'elle
est cet arbre qui étend ses branches par
toute la terre, et qui sont ses branches rom-
pues qui n'ont point la vie de la racine , et
qui tombent chacune dans les Meux où elles
sèchent. »
Dans ce quatrième livre , ce Père réfute
de nouveau la lettre entière de Cresconius,
et il le fait par la seule histoire des maxi-
mianistes, qui, selon lui, fournissaient des
solutions sans réplique , à toutes les objec-
26
Analyse du
quatrième U-
-Vie, pag. 4S2.
402
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
tions que Cresconius et les autres donatistes
faisaient contre les catholiques. En effet , si
les donatistes trouvaient mauvais que les
princes se mêlassent des les affaires ecclé-
siastiques, ils s'étaient eux-mêmes adressés
aux juges commis par les princes contre les
maximianistes. S'ils se plaignaient de la ri-
gueur des lois faites contre eux, ils les
avaient employées contre les maximianistes.
S'ils disaient qu'il est injuste de persécuter
et glorieux de souffrir , les maximianistes
avaient souffert , de leur part , toutes sortes
de persécutions. Si la communion avec les
pécheurs rend les innocents coupables, ils
avaient reçu Félicien et Prétextât dans leur
communion, sans satisfaction et sans péni-
tence , après les avoir condamnés dans le
concile de Bagai, comme ordinateurs de
Maximien , et les avoir poursuivis devant le
proconsul, pour être dépossédés de leurs
églises. Si tout baptême donné hors de l'É-
glise catholique doit être réitéré comme nul,
pouvaient-ils douter de la nullité du baptême
donné par Félicien et Prétextât , et par les
autres de la communion de Maximien? Tou-
tefois , quoiqu'ils le reganiassent comme
donné hors de l'Église , ils l'avaient ratifié ,
en recevant ceux de ce parti sans les bapti-
ser de nouveau. Il est vrai que Cresconius et
les autres donatistes répondaient qu'Optât,
dit le Gildonien, les y avait obligés; que
d'ailleurs Félicien et Prétextât étaient reve-
nus dans le temps que le concile leur avait
donné ; mais saint Augustin se moque avec
raison d'une pareille réponse, disant que la
crainte d'Optat n'avait pas dû les obliger à
agir contre leurs principes. Quant à ce qu'ils
disaient du retour de Félicien et de Prétex-
tât , il fait voir par les actes proconsulaires,
qu'ils ne revinrent qu'après le terme qu'on
leur avait donné. Comme ils n'avaient pas
non plus rebaptisé ceux à qui cet Optât avait
conféré le baptême, il leur dit : « Si le bap-
tême donné de la part d'im si méchant
homme leur paraissait bon, il était honteux
à eux de ne pas recevoir comme valide celui
qui était donné dans les Éghses des Corin-
thiens, des Galates , des Éphésiens et autres
fondées par les apôtres, où les accusations
formées contre Cécihen, non-seulement n'ont
pas été connues, mais où l'on n'a peut-être
jamais entendu parler de lui. » Mais quoi-
qu'il soutienne que le baptême donné par
un bon ou un mauvais ministre , dedans ou
dehors de l'Église, soit valide, il croit toute-
fois qu'il y a de l'avantage à le recevoir
d'un ministre doué de probité ; non que le sa-
crement en soit meilleur , mais parce qu'en
voyant les bonnes mœurs de celui de qui on
reçoit le baptême, on est porté \ les imiter.
Possidius fait mention ' des quati'e livres
contre Cresconius, et d'une lettre écrite à un
grammairien de même nom. C'était appa-
remment le même qui avait pris la défense
de la lettre de Pétilien , et que saint Augus-
tin réfuta dans les quatre livres dont nous
venons de parler. Le premier avait pour ti-
tre : Preuves et témoignages contre les dona-
tistes ? Le second était intitulé : Contre je ne
sais quel donatiste^. Voici quelle en fut l'occa-
sion. Saint Augustin avait promis à ceux de ce
parti de leur fournir toutes les pièces et tous
les actes , soit ecclésiastiques , soit civils , et
tous les passages de l'Écriture nécessaires pour
décider la question du schisme, afin de les
exciter à les demander. Un de ceux, entre les
mains de qui cette promesse tomba , fit un
écrit contraire, où il ne prr^nait d'autre nom
que celui de donatiste; ce qui engagea saint
Augustin dans la réponse qu'il lui fit de ne
lui point donner d'autre nom. Le troisième
parut sous le titre écrit, d'Avis aux donatistes,
touchant les maximianistes , parce qu'il y
faisait voir par la seule histoire de ces der-
niers, que le parti de Donat n'était soute-
nable en aucune manière.
§ VI.
De l'Unité du baptême contre Pétilien.
i. Le livre de l'Unité du baptême, fut com-
posé avant la conférence de Carthage, c'est-
à-dire avant le mois de juin de l'an 411.
Cela se prouve non-seulement parce qu'il
n'y est rien dit de cette conférence, mais
encore parce que saint Augustin y dit que
les donatistes n'apportaient aucune preuve
des reproches qu'ils faisaient au pape Mar-
cellin et à ses prêtres Melchiade, Marcel et
Sylvestre, d'avoir livré les saintes Écritures,
et offert de l'encens aux idoles. Car ils en
alléguèrent quelques-unes dans la confé-
rence, quoique fausses et sans aucun fonde-
ment. On y voit encore que ce Père ne s'é-
tait pas corrigé d'une erreur de fait dans la-
quelle il était déjà tombé plusieurs fois, qui
Livre
l'Unité
bsptëme, V)
1 Possid., in CataU, cap. m.
* Lib. H, Relract., cap. x.xvn, xxviii et xxix.
[IV^ ET V' SIÈCLES.'
SAINT AUGUSTIN, ÉVÈQUE D'HIPPONE.
403
était de ne mettre le jugement de Félix
d'Aptonge qu'après celui que l'empereur
Constantin rendit en faveur de Cécilien ; er-
reur qu'il corrigea sur la fin de l'an 411,
lorsqu'il fît l'abrégé de la conférence de
Carthage, après s'être mieux instruit de la
vérité de ce fait, par l'examen des actes qui
regardaient l'affaire de Cécilien.
2. Ce qui l'engagea à traiter encore une
fois la question du liaptême, fut la prière '
qu'un de ses lamis, nommé Constantin, lui*
fit de répondre à un livre que l'on venait
de rendre public, où l'auteur, que l'on disait
être Pétilien de Cirthe , .entreprenait de dé-
montrer que le baptême ne se pouvait don-
ner que dans la secte des donatistes. Quoi-
qu'il eût souvent traité la même matière, il
ne crut pas devoir se refuser aux instances
de cet ami, dans la persuasion qu'il était
utile de multiplier les bons livres, afin qu'ils
tombassent plus aisément entre les mains
de tout le monde ; et aussi pour satisfaire
les moins intelligents ^, qui s'imaginent
qu'une raison est nouvelle, lorsqu'on la dit
d'une nouvelle manière.
3. Pétilien disait que le baptême appai"-
tenait tellement aux donatistes, qu'il ne pou-
vait pas même être réitéré par les sacrilè-
ges, c'est-à-dire par les catholiques. Saint '
Augustin répond : n Celui-là n'est pas sacri-
lège, qui n'ose pas réitérer l'unique baptê-
me , qui est de Jésus-Christ, et non des do-
natistes. Comme les Juifs sont mauvais
dans une bonne loi, de même les donatistes
sont mauvais avec un bon baptême ; et
comme on ne détruit pas dans un juif, lors-
qu'il se fait chrétien, ce qu'il y a de bon,
c'est-à-dire la loi ; de même lorsque les hé-
rétiques et les schismatiques reviennent à
l'Église, on ne viole point en eux les sacre-
ments en les réitérant, si toutefois ils les ont
reçus dans la forme usitée. Dans les païens
mêmes, qui, selon saint Paul, ont connu
Dieu par ses œuvres, il y a quelque chose
de bon, c'est-à-dire cette connaissance de
Dieu; et il ne s'agit plus, lorsqu'ils se conver-
tissent, que de les détromper sur les menson-
ges par lesquels ils ont obscurci cette con-
naissance. »
Pétilien se fondait sur l'endroit des actes
où nous lisons que saint Paul fit baptiser au
nom de Jésus-Christ ceux qui n'avaient reçu
que le baptême de saint Jean. « Montrez-
nous, lui répond saint Augustin, que saint
Jean a été ou hérétique ou schismatique,
ou que saint Paul a donné une seconde fois
le baptême de saint Jean à ceux qui l'avaient
déjà reçu. Vous n'oseriez dire que saint
Jean ait été hérétique ou schismatique, et
il parait par l'Écriture que saint Paul ne
donna pas le baptême de saint Jean à ceux
qui l'avaient déjà reçu, mais qu'il les bap-
tisa du baptême de Jésus-Christ. Ainsi vous
ne pouvez rien tirer de là pour la rebaptisa-
tion. »
Pétilien comparait ceux qui baptisaient
hors du parti de Donat, à ceux qui, après
avoir chassé les démons au nom de Jésus-
Christ, entendront de lui au jour du juge-
ment : Je ne vous connais point : retirez-vous
de moi, vous qui faites l'iniquité. Saint Au-
gustin répond : « Jésus-Christ, .à cause de
l'iniquité des méchants, ne méconnaîtra pas
la vérité que ces méchants auront retenue
dans leur iniquité; mais il ne recevra pas
non plus dans sou royaume tous ceux en
qui il aura trouvé quelque vérité, mais ceux-
là seulement qui auront conservé la charité
convenable à la vérité ; ainsi, comme il ne
sert de rien aux sacrilèges d'opérer des
merveilles au nom de Jésus-Christ, c'esit de
même une chose inutile aux hérétiques de
baptiser, ou d'être baptisés du baptême
de Jésus - Christ ; ce qui n'empêche pas
que le baptême, donné au nom de Jésus-
Christ par les schismatiques, ne soit un vrai
baptême ; comme il est vrai que c'est en son
nom que les démons sont chassés par ceux-
là mêmes qu'il méconnaîtra dans le dernier
jour. » Il n'y a, disait Pétilien, qu'un Dieu,
qu'une foi, qu'un baptême : saint Augustin
n'en disconvient pas. Mais il dit que l'on
trouve qu'il y en a hors de l'Église qui a(îo-
rent le même Dieu que nous, qui croient de
Dieu ce que nous en croyons ; qu'il est donc
aussi possible que l'on trouve le vrai bap-
tême hors de l'Église, comme on y trouve
le véritable Évangile. II veut que, puisqu'il
n'est rien décidé dans les Écritures canoni-
ques sur la rebaptisation de ceux qui pas-
sent de l'hérésie à l'Église catholique, ni si
l'on doit les recevoir sans les baptiser de
nouveau, l'on s'en rapporte à l'usage de
l'Église catholique qui a en horreur la re-
baptisation. Pétilien objectait le décret du
concile des évêques d'Afrique et de Numidie
August., lib. II Retract., cap. xxxiv.
Lib. De Unit. Bapt., cap. i.
404
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
sous Agrippin. Sur quoi saint Augustin lui
dit que l'erreur de ces grands hommes
n'était point à imiter, mais leur verta, et
surtout leur charité qui a été si grande,
qu'ils ne se sont jamais séparés de commu-
nion d'avec ceux qui ne pensaient pas com-
me eux sur la question du baptême. Il de-
mande à Pëtilien, qui, en nommant par ordre
tous les évoques de l'Église romaine, avait
nommé Etienne, pourquoi ce pape qui, non-
seulement ne rebaptisait pas les hérétiques,
mais qui voulait encore que l'on excommu-
niât ceux qui les rebaptisaient, se conduisit
néanmoins de telle sorte à l'égard de saint
Cyprien, qu'ils conservèrent toujours ensem-
ble la charité et l'unité? Car, s'il est vrai,
comme le disent les douatistes, que les mau-
vais corrompent les bons dans la participa-
tion des mêmes sacrements , il faut avouer
que l'Église avait péri dès le temps d'É-
tienne et de Cyprien, et qu'il n'y en a point
eu dans la suite où Donat ait pu acquérir
une naissance spirituelle. S'il n'est pas per-
mis de penser que l'Église ait péri par la
communion des sacrements de Jésus-Christ
entre les bons et les mauvais ; elle a donc
pu, cette Église, et pourra dans la suite de-
meurer dans toutes les parties du monde,
ainsi qu'il a été prédit, sans que le mélange
des bons et des mauvais puisse lui nuire. La
conséquence qu'en tire saintAugustin est qu'il
n'y a pas eu de raison au parti de Majoiin ou
de Donat, de se séparer de celui de Cécilien.
Pétilien accablait de reproches MarceUin, et
ses prêtres Melchiade, Marcel et Sylvestre ;
mais comme il ne donnait aucune preuve qu'ils
fussent coupables des crimes dont il les ac-
ciisait, saint Augustin lui répond simple-
ment : « Je les crois innocents. » Il justifie
néanmoins en particulier Melchiade, qui oc-
cupait le saint Siège lorsque l'empereur
Constantin lui renvoya l'affaire de Cécilien.
Il fait voir que les douatistes avaient tort de
l'accuser d'avoir livré les Écritures et offert
de l'encens, puisqu'ils ne lui objectaient rien
de semblable, lorsqu'il fut commis juge de
cette affaire, ni même après qu'il eut rendu
\m jugement favorable pour Cécilien. « Quels
qu'aient été, ajoute-t-il, MarceUin, Marcel,
Mensurius et Cécilien, et tous ceux que les
douatistes chargent de reproches , leur con-
duite ne portait aucun préjudice à l'Église
répandue dans toute la terre ; comme nous
ne sommes point couronnés par la sain-
teté et l'innocence des autres, nous ne se-
rons pas non pins damnés à cause de leur
iniquité. S'ils ont été bons, ils ont été sépa-
rés de la paille comme le bon grain daiis
l'aire de l'Église catholique ; s'ils ont été
mauvais, ils y ont été hachés par le menu
comme de la paille. Les bons et les mauvais
peuvent être ensemble dans cette aire ; mais
*les bons ne peuvent être au dehors d'elle. »
Après le lÏYve de l'Unité du baptême, saint
Augustin en met un dans ses Rétractations\
qui avait pour titre , des Maximianistes con-
tre les donatistes. Il est perdu.
§ vn.
Abrégé de la Conférence avec les donatistes
Livre aux donatistes après la conférence.
1. Aussitôt après que la conférence entre
les catholiques et les donatistes fut finie, le
tribun MarceUin que l'empereur Honorius
avait commis pour la faire tenir, en rendit
les actes publics. Comme ils étaient extrê-
mement longs , embarrassés et ennuyeux à
lire, MarceP, qui avait eu quelque part dans
l'aflaiie, fut prié par Séverien et Julien, ca-
tholiques comme lui, d'en faire l'abrégé. Il
le fit, et mit partout des chiflres pour ré-
pondre aux articles des actes , afin qu'on
pût y recourir, et trouver aisément ce que
l'on souhaiterait. Cet abrégé, qui est fort obs-
cur, ne parut pas apparemment suffisant à
saint Augustin ', qui en fit un autre que
nous avons encore, divisé en trois parties,
selon les trois séances ou les trois jours que
dura la Conférence. Ce travail lui sembla
utile, parce qu'on y pouvait voir sans peine
ce qui s'était passé dans cette assemblée.
Mais afin que ceux qui voudraient consulter
les actes entiers pussent le faire commodé-
ment, il mit dans son ouvrage, ainsi que
Marcel avait fait dans le sien, des chi&'res
qui renvoyaient aux articles de la Confé-
rence rapportés au long dans les actes ori-
ginaux. Saint Augustin parle de cet abrégé
dans sa lettre à MarceUin ', où il témoigne
que ce travail lui coûta beaucoup de peine ;
mais qu'il ne put s'en exempter, voyant que
personne ne voulait prendre la peine de lire
une pièce aussi longue qu'étaient ces actes.
Abrégé
la GoDfére
faite vers
411 0ii4l£
1 August, lib. WRetract; cap. xxxv. — ^ Toiu.ll
Conc, iiag. 1337.
3 Lib. H Retract., cap. xx.kix. — '• Epist. 139,
num. 3.
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE
comte Boniface à cet
[IV° ET V* SIÈCLES.]
Il renvoie aussi le
abrégé, qu'il ne fit au plus tôt que sur la fin
de l'an 411, la conférence s'étant tenue au
mois de juin de la même année. Monsieur
Baluse ' nous a donné les actes des deux
premières conférences et une partie de la
troisième, en suppléant à ce qui y manque,
par ce qu'on en trouve dans l'abrégé du troi-
sième jour par saint Augustin. U nous a
donné aussi la letti'e et l'abrégé de Marcel,
et toutes les autres pièces qui ont rapport à
cette assemblée. La dernière est la sentence
que Marcellin rendit après avoir ouï les par-
ties. On trouve aussi la plupart de ces pièces
dans le second tome des Conciles.
2. Ce fut chez Marcellin que les évéques
catholiques et douatisles s'assemblèrent à
Cartilage par ordre de l'empereur Honorius,
le 1" juin de l'an 411. Les donatistes qui
savaient que leur cause n'était pas bonne,
firent tout leur possible pour empêcher que
cette conférence n'eût lieu, et qu'on ne trai-
tât la question qui était entre eux et les ca-
tholiques, mais, voyant qu'ils n'en pouvaient
venir à bout, ils en multiplièrent les actes
autant qu'ils le purent, afin d'ôter, du moins
par leur longueur, l'envie de les lire. Les
évêques des deux partis étant entrés, le tri-
bun Marcellin fit lire le rescrit de l'Empe-
reur qui ordonnait cette conférence, et l'édit
qu'il avait envoyé lui-même dans toutes les
provinces, pour faire savoir à tous les évé-
ques d'Afrique, tant catholiques que dona-
tistes, de se trouver à Carthage le premier
jour de juin, pour y tenir un concile. Il dé-
clarait dans cet édit ou ordonnance , que,
qaoiqu'iln'en eût pas d'ordre de l'Empereui-,
on rendrait aux évêques donatistes, qui
promettraient de se trouver à ce concile, les
églises qui leur avaient été ôtées; il leur per-
mettait en outre de choisir un autre juge pour
être avec lai l'arbitre de cette dispute. On
lut ensuite rme seconde ordonnance de Mar-
cellin faite aux évêques présents, qui leur
prescrivait le lieu et la manière de la confé-
rence. Mais comme les évêques du parti de
Donat demandaient que les catholiques pro-
posassent avant toutes choses quel était le
sujet de leur assemblée, le tribun différa à
leur accorder ce qu'ils demandaient, voulant
d'abord qu'on lut par ordre tout ce qui
s'était passé avant le jour de la conférence.
n fit donc lire la lettre des donatistes : ils y
1 Balus., Conc, pag. 118.
403
disaient qu'ils ne pouvaient approuver ce
que Marcellin avait statué, que ceux-là seu-
lement assisteraient à la conférence qui au-
raient été choisis pour plaider leur cause;
et demandaient à y être tous admis, pour
convaincre de fausseté les catholiques, qui
leur reprochaient leur petit nombre. On lut
après cela les lettres des évêques catholiques
adressées au tribun MarceUin, à qui ils dé-
claraient qu'ils consentaient à tout ce qui
était porté dans son ordonnance. Us ajou-
taient dans ces lettres : <i Si les donatistes
peuvent montrer que l'Église n'est demeurée
que dans le seul parti de Donat, nous leur cé-
derons l'honneur de l'épiscopat, et nous nous
rangerons sous leur conduite. Mais si nous
leur montrons, continuaient-ils, que la véi'lté
est dans notre communion, nous ne leur re-
fuserons pas même l'honneur de l'épiscopat,
et nous consentons, pour le bien de la paix,
qu'en se réunissant à nous ils conservent
leur degré d'honneur, afin que l'on voie, que
nous ne détestons pas en eux les sacre-
ments, mais leurs erreurs. Si les peuples ne
peuvent souffrir de voir ensemble deux évê-
ques, ils se retirei'ont l'un et l'autre, et l'on
n'en mettra qu'un qui sera ordonné par les
évêques qui seront sans compétiteurs dans
leurs églises. » '
On lut aussi d'autres lettres des catholiques
en réponse à la déclaration des donatistes ,
dans lesquelles les catholiques consentaient,
si la multitude était nécessaire pour la réunion,
que les évêques des deux partis s'y trouvassent
tous; ils consentaient en même temps à ne s'y
rendre de leur part qu'au nombre marqué
par l'ordonnance du tribun; afin que s'il ar-
rivait quelque tumulte , il ne fût pas imputé
aux catholiques qui n'étaient qu'en petit
nombre, mais que la faute en retombât sur
les donatistes qui avaient amené avec eux
une multitude , c'est-à-dire tous les évêques
de leur parti , excepté ceux que la maladie
ou l'extrême vieillesse avaient ou retenus
chez eux , ou arrêtés en chemin. Les catho-
liques plaidaient aussi dans ces lettres la
cause entière de l'Église catholique , mon-
ti-ant qu'elle ne pouvait être dans le parti de
Donat; mais que c'est celle qui est répandue
partout le monde et qui s'est accrue en com-
mençant à Jérusalem, suivant qu'il est mar-
qué dans l'Écriture. Ils y montraient encore
que les méchants ne rendent pas coupables
les innocents en communiquant avec eux;
que Cécilien avait été absous soit dans des
406
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
^:
tribunaux ecctésiastiques , soit devant l'Em-
pereur devant lesquels il avait été traduit
par les donatistes ; enfin ils y parlaient des
maximianistes ; quoique persécutés et con-
damnés par les donatistes, ceux-ci n'avaient
pas laissé de les recevoir et de reconnaître
pour bon le baptême qu'ils avaient donné
ou reçu dans le schisme.
p»?-"'- 3. Après la lecture de ces lettres, Marcel-
lin demanda si les donatistes avaient choisi
leurs députés comme les catholiques. Les
donatistes répondirent que les catholiques
avaient déjà plaidé la cause avant que l'on
eût réglé les qualités des parties. Ce qu'ils
disaient à cause des lettres dont nous venons
de parler, et qui contenaient sommairement
toute la question. Ils demandèrent donc que
l'on traitât du temps , de la procuration , de
la personne, de la cause, avant d'en venir au
fond. Le tribun répondit que la cause était
en son entier, et demanda une seconde fois
si on avait obéi à son ordonnance , en choi-
sissant le nombre des députés qui devaient
tout traiter. Mais les donatistes commencè-
rent à parler du temps et à dire que la cause
ne pouvait plus être agitée , parce que le
jour en était passé. Car, les quatre mois por-
tés par la première ordonnance du commis-
saire Marcellin étaient accompHs le 19 de
mai, cette ordonnance étant datée du 14 des
calendes de mars, c'est-à-dire du 16 de fé-
vrier 411 , et l'Empereur avait ordonné que
l'affaire fîit traitée dans quatre mois : d'où
les donatistes concluaient que le terme était
passé, et demandaient que les catholiques
fussent condamnés comme défaillants, quoi-
qu'ils fussent présents et n'eussent jamais
été interpellés de procéder plus tôt. Marcellin
répondit que les parties étaient convenues
du l" de juin, et que si elles n'eussent pas
été présentes, l'Empereur lui avait donné pou-
voird'accorderencore deux mois. Maisparce
qu'il déclare en même temps que l'excep-
tion fondée sur le temps convenait mieux à
un tribunal sécuHer qu'à un jugement épis-
copal, les donatistes en prirent occasion de
dire que l'on ne devait point agir contre
eux par les lois séculières , mais seulement
par les Écritures divines. Sur quoi le Com-
missaire demanda le sentiment des deux
partis. Les catholiques le prièrent de faire
lire leur procuiation , assurant que l'on y
/errait qu'ils traitaient cette affaire par les
Écritures divines, et non par les formalités
'.udiciaires. Les donatistes s'opposèrent à
cette lectiu'e et chicanèrent quelque temps
sur ce point , mais les catholiques l'empor-
tèrent et la procuration fut lue. Cette procu-
ration ou mandement des catholiques conte-
nait ce qu'ils avaient de plus considérable à
dire en faveur de l'Église catholique , et ils
l'avaient fait à dessein , parce que le bruit
courait que les donatistes emploieraient des
exceplions et des chiennes poui* avoir pré-
texte, si on les refusait, de rompre la confé-
rence, et les catholiques voulaient qu'il parût
dans les actes qui demeureraient, que la
cause de l'Église avait été traitée au moins
sommairement, et que les donatistes n'a-
vaient pas voulu entrer en conférence , dans
la crainte de succomber et de demeurer sans
réplique. Il s'éleva entre les parties une con-
testation qui dura quelque temps. Les dona-
tistes demandaient que tous ceux qui avaient
souscrit la procuration se présentassent,
soutenant que les catholiques avaient pu sur-
prendre le Commissaire , en faisant paraître
devant lui des gens qui pouvaient n'être pas
évéques, et qu'ils avaient ajouté de nouveaux
évéques , outre ceux des anciens sièges ,
pour augmenter leur nombre. Les catholi-
ques soutenaient que leurs confrères ne de-
vaient point se présenter, dans la crainte que
les donatistes ne voulussent faire du tumulte à
la faveur de la foule, et rompre la confé-
rence. Car leurs chicanes faisaient assez voir
qu'ils n'en voulaient point du tout, et on
croyait qu'ils n'avaient point encore osé faire
de désordre, parce que, la multitude n'étant
que de leur côté , on n'aurait pu s'en prendre
qu'à eux. Toutefois les catholiques cédèrent :
ils consentirent que l'on fît entrer tous ceux
qui avaient signé leur procuration, et il parut
que les donatistes ne croyaient pas qu'il en
fût venu à Carlhage un si grand nombre,
parce qu'ils y étaient entrés modestement et
à petit bruit. On fit donc entrer les évéques
catholiques, qui avaient souscrit la procura-
tion, et à mesure qu'ils étaient nommés , ils
s'avançaient et étaient reconnus par les do-
natistes du même lieu ou du voisinage; et
par là on connut aussi les lieux oii il n'y
avait point de donatistes. Tous les catholi-
ques qui avaient souscrit se trouvèrent pré-
sents, et chacun sortit aussitôt qu'il eut été
reconnu, excepté les dix-huit députés. Quand
on appela Victorin, évêque catholique de
Mustite, il dit : « Me voici, j'ai contre moi
Félicien de Mustite et Donat de Ture. » Alors
Alypius dit : « Remarquez le nom de Féli-
[iv" ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
cien. Est-il dans la communion de Primien? »
C'est que Félicien avait été condamné comme
maximianiste par le grand parti des dona-
tistes dont Primien était le chef : et c'est
pour cela que les catholiques exigèrent qu'il
fût constant par les actes que Félicien était
dans la communion de Primien, et qu'il
avait été reçu en sa qualité d'évêque , sans
qu'on eût rebaptisé ceux qu'il avait baptisés
dans le schisme de Maximien. Les donatistes
ne voulurent point répondre à ce que les ca-
tholiques leur demandaient touchant Pri-
mien, disant que cela l'egardait le fond de
l'affaire. Sm* quoi Marcellin ordonna que l'on
continuerait de vérifier les souscriptions.
Après qu'on eut lu les noms de tous les évé-
ques catholiques qiù avaient souscrit la pro-
curation, Marcellin pria ceux qui étaient
présents de s'asseoir. Les donatistes refusè-
rent cette civilité , en lui donnant beaucoup
de louanges , l'appelant Juste , plein de mo-
dération et de bonté ; mais en même temps
ils auraient bien souhaité qu'il ne fût pas le
juge d'une affaire pour laquelle tant de per-
sonnes s'étaient assemblées.
Pag. Bso. 4. Onlut ensuite la procuration des donatis-
tes avec les souscriptions, et à la réquisition
des cathohques, on les vérifia toutes, en fai-
sant approcher tous les évêques donatistes à
mesure qu'ils étaient nommés, afin qu'on pût
constater qu'ils avaient souscrit étant à Car-
thage. En récitant leurs noms il s'en trouva
plusieurs qui n'étaient point du tout venus à
Carthage, pour qui d'autres avaient souscrit
afin de grossir le nombre. Toutes les sous-
criptions vérifiées, le tribun fit compter par
ses officiers le nombre des évêques de part
et d'autre. Il s'en trouva des donatistes deux
cent soixante-neuf, en comptant les absents
pour qui d'autres avaient signé, et même
Quodvultdéus, évêque de Sessite, en Mau-
ritanie, que Pétilien disait être mort en che-
min. Des catholiques, il s'en trouva deux cent
soixante-six qui avaient souscrit la procura-
tion, et vingt autres qui l'approuvèrent de
vive voix; ce qui faisait deux cent quatre-
vingt-six. Ainsi, dans la supputation que l'on
fit de tous les évêques présents, le nombre
des catholiques se trouva plus grand que ce-
lui des donatistes. Ensuite tous les évêques,
exceptés ceux qui étaient nécessaires pour
la conférence, étant sortis, Marcellin, du con-
sentement des parties, la remit au sur-lende-
main, c'est-à-dire au troisième jour de juin.
secondjour 5. Le jourmaïqué étant venu, on s'assem-
EVEQUE D'HIPPONE.
407
Ma au même lieu, Marcellin pria encore les •!« la conré-
' ^ . rence , pag.
évêques de s'asseoir; et les catholiques le ssi.
firent aussitôt; mais les donatistes le refusè-
rent, disant que la loi divine leur défendait
de s'asseoir avec de tels adversaires. Les
catholiques laissèrent passer cette marque
de vanité des donatistes sans y répondre
pour ne pas s'arrêter inutilement. Marcellin
voyant qu'ils se levaient, fit ôter son siège,
en disant qu'il demeurerait debout jusqu'au
jugement de l'affaire. Il fit lire une requête
que les donatistes avaient donnée le jour
précédent, par laquelle ils demandaient
communication de la procuration des ca-
tholiques, poiu: venir préparés à la confé-
rence, parce que les écrivains ne pourraient
avoir mis les actes au net. Au bas de cette
requête était le décret du tribun, qui leur
accordait leur demande. Ensuite il demanda
s'ils étaient d'accord pour souscrire à tout ce
qu'ils avaient dit, comme il avait marqué
dans la seconde ordonnance. Les catholiques
dirent qu'ils avaient déclaré par leurs let-
tres, qu'ils étaient d'accord; mais les do-
natistes, émus par cette demande, répondi-
rent que c'était une chose nouvelle et ex-
traordinaire. Marcellin leur ayant demandé
ensuite s'ils étaient contents des gardiens,
que l'on avait donnés pour la sûreté des
actes , ils demandèrent qu'on leur donnât
communication de ces actes mis au net,
avant qu'ils fussent obligés de répondre.
Sur quoi il y eut une longue contestation en-
tre eux et les cathohques. MarcelHn repré-
senta aux donatistes, que dans leur requête
du jour précédent, ils avaient demandé la
procuration des catholiques, pour suppléer
aux actes qui ne pourraient être transcrits.
Mais persistant toujours à les demander, ils
revinrent à leur première chicane, en disant
que le terme de la conférence était passé,
puisqu'il finissait au dix-neuvième de mai.
Mais les catholiques leur représentèrent que
les donatistes avaient eux-mêmes agi de-
puis ce terme, en faisant leur procuration le
vingt-cinquième du même mois. Toutefois
l'opiniâtreté des donatistes l'emporta ; et le
délai qu'ils demandaient leur fut accordé.
Le tribun demanda aux écrivains dans quel
temps ils pourraient donner les actes rilis au
net ; ils demandèrent six jours, qui' leur fu-
rent accordés. Ainsi la conférence fut remise
au sixième des ides de juin, c'est-à-dire au
huitième du même mois ; et les parties pro-
mirent d'être prêtes ce jour-là.
408
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
6. La conférence se tint de grand matin;
et, les parties étant entrées, le tribun de-
manda en premier lieu si on avait donné les
copies des actes des deux journées précé-
dentes; et il se trouva qu'ils avaient été
fournis un jour plus tôt qu'on avait pro-
mis, c'est-à-dire le sixième de juin au lieu
du septième. Les donatistes les avaient re-
çues ce jour-là à neuf heures du matin ; les
catholiques à onze heures. MarceUin de-
manda que l'on vînt au fond de la question ;
sur quoi les catholiques dirent qu'il fallait que
les donatistes donnassent des preuves tou-
chant les accusations qu'ils avaient coutume
de tormer contre l'Église répandue dans toute
la terre. Mais les donatistes soutinrent qu'il
fallait examiner auparavant qui étaient les
demandeurs et les défendeurs, et voir à cet
effet qui avait demandé la conférence ; et ils
insistèrent beaucoup sur cela, prétendant
que les catholiques étaient demandeurs,
pour avoir droit, selon les formes du bar-
reau, de chicaner sur leurs personnes , ce
qui eût produit des longueurs et des embar-
ras infinis. Pour y obvier., Marcellin fit re-
hre le rescrit de l'Empereur, qui contenait
sa commission, où il pai^aissait que les ca-
tholiques avaient demandé la conférence. Ils
en convenaient, mais ils soutenaient qu'ils
ne l'avaient demandée que pour défendre
l'Église, ils insistaient pour que, sans entrer
dans les discussions proposées par les do-
natistes, on en vînt promptement à la cause
principale. Cependant il fut question du nom
de catholique; les donatistes prétendirent
qu'il leur appartenait ; mais le Commissaire
déclara (fue, sans préjudice aux parties, il
nommait catholiques ceux que l'Empereur
nommait ainsi dans sa commission. On lut
certains actes faits devant le préfet du pré-
toire en 406, afin de connaître quels étaient
les demandeurs ; et quelques actes des catho-
liques faits avant cette année, et quelques
autres pièces, entre autres ime lettre que les
donatistes avaient composée depuis la pre-
mière conférence, pour répondre à la pro-
curation des catholiques. Ces derniers avaient
prouvé dans leur procuration par des té-
moignages tirés de la loi, des Prophètes, des
Psaumes, des Évangiles et des Épîtres apos-
toliques, que l'Église cathohque doit être
répandue dans tout le monde. Mais les do-
natistes ne firent aucune réponse à tous ces
témoignages; ils se contentèrent d'en allé-
guer, pour montrer qu'il n'a pas été prédit
que l'Église doive être composée de bons et
de mauvais. Toutefois, quand on lem" objec-
tait la parabole évangéhque, où il est dit que
les bons et les mauvais poissons se trouvè-
rent ensemble dans les filets lorsqu'on les tira
de la mer, de même que la parabole de la ziza-
nie mêlée parmi le bon grain, ils ne purent
disconvenir que les méchants, du moins
ceux qui l'étaient en secret, ne fussent mê-
lés dans l'Église avec les bons. Aux pas-
sages qu'ils alléguaient pour montrer que
ce mélange ne pouvait se renconti'er dans
rÉgHse,les catholiques dirent qu'il fallait dis-
tinguer les deux états de l'Église : celui de
la vie présente, où elle est mêlée de bons et
de mauvais; et celui de la vie future, où elle
sera sans aucun mélange de mal, et où ses
enfants ne seront plus sujets au péché ni à
la mort. Ils montrèrent aussi comment on est
obligé en ce monde de se séparer des mé-
chants; c'est-à-dire par le cœur, en ne com-
muniquant point à leurs péchés, mais non
pas toujours en se sépai-ant extérieurement.
Ce fut à cette occasion que saint Augustin,
qui parlait pour les catholiques, répondit à
la chicane des donatistes , qui avaient re-
fusé de s'asseoir dans la conférence, sous
prétexte qu'il est écrit ; Je ne me suis point Psai.xx',*.
assis dans l'assemblée des impies ; et n'avaient
pas laissé d'entrer avec les catholiques,
quoique l'Écriture ajoute : Et je n'entrerai
point avec ceux qui commettent l'iniquité.
Comme ce Père avait distingué l'état pré-
sent de l'Église où elle est composée de bons
et de méchants, et l'état futur où elle n'aui-a
plus que des saints glorieux et immortels,
les donatistes accusèrent les catholiques d'a-
voir dit qu'il y avait deux Églises. Mais saint
Augustin les réfuta aisément, en montrant
que ce sont seulement deux différents états
de la même Église.
7. La cause de l'Église ayant été ainsi ter- Pag.rei.
minée conformément à l'intention des ca-
tholiques, Marcellin voulut que l'on traitât
la première cause du schisme, c'est-à-
dire l'affaire de Cécilien. On lut donc les
deux relations d'Anuhn à l'empereur Cons-
tantin ; les lettres de ce prince aux évoques,
cjui leur ordonnait de prendre connaissance
de l'accusation formée contre Cécihen ; et le
mgement du pape Melchiade, et des autres
évêques de Gaule et d'Italie assemblés à
Rome. On n'avait encore lu que les actes de
la premièi'e journée de ce concile, lorsque
les donatistes demandèrent qu'on lut aussi
[IV'' ET V" SIÈCLES.]
SAL\T AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
409
les pièces qu'ils produisaient pour la dé-
fense de leur cause. C'était des lettres mis-
sives de Mensurius, évêque de Garthage, pré-
décesseur de Cécilien, et de Second de Ti-
gisi, par lesquelles ils prétendaient prouver
que Mensurius avait livré les saintes Ecritu-
res, pendant la persécution de Dioclétien ;
mais ces lettres ne le prouvaient pas. Ils lu-
rent aussi les actes du concile tenu à Car-
tilage, où ils avaient condamné Cécilien
quoique absent, comme ayant été ordonné
par les traditeurs. Les catholiques de leur
côté rapportèrent les actes du concile de
Cirtlie, où présidait le même Second de Ti-
gisi, par lesquels il était prouvé que cet
évêque et plusieurs autres du concile de
Carthage, où Cécilien avait été condamné,
étaient eux-mêmes traditeurs. Les donatis-
tes objectaient contre ce concile, que la date
en prouvait la fausseté, puisque les conciles
n'en devaient point avoir, à quoi ils ajou-
taient qu'il ne pouvait avoir été tenu, puis-
qu'on n'en tenait point pendant la persécu-
tion. On leur répondit que les conciles des
catholiques avaient toujours été datés du
jour et de l'année ; et on leur prouva par
des Actes des martyrs , que le peuple fidèle
ne laissait pas de tenir les Collectes ou as-
semblées ecclésiastiques pendant la persé-
cution ; et qu'ainsi douze évêques avaient
bien pu s'assembler dans une maison par-
ticulière. A l'égard du concile de Carthage
que les donatistes voulaient faire valoir ,
les catholiques répondirent qu'il ne devait
pas ^faire plus de préjudice à Cécilien, que
le concile des maximianistes en avait fait
à Primien leur évêque, qui avait été con-
damné absent par le parti de Maximien ,
comme Cécilien avait été autrefois con-
damné absent par le parti de Majorin. Après
quelques aatres contestations, on acheva la
lecture du concile de Rome, qui avait ab-
sous Cécilien ; et le Commissaire pressa les
donatistes de dire quelque chose, s'ils pou-
vaient, contre ce concile. Ils dirent que Mel-
chiade, qui y avait présidé, était lui-même
traditeur ; mais les actes qu'ils produisirent,
en preuve de ce fait, ne prouvaient rien. On
lut ensuite le jugement de l'empereur Cons-
tantin, c'est-à-dire sa lettre à Eumalius, vi-
caire d'Afrique , où il témoignait qu'il avait
trouvé Cécilien innocent, et les donatistes ca-
lomniateurs. Lesdonatistes, pressés de répon-
dre à cette lettre, lurent un passage d'Optat
de Milève, qui ne prouvait rien, et dont la
suite montrait au contraire que Cécilien avait
été déclaré innocent. Ils firent lire encore
d'autres pièces, dont une donna occasion à la
lectiu-e des actes de la justification de Félix
d'Aptonge, ordinateur de Cécilien.
8. Le tribun Marcellin, voyant que les do-
natistes n'avaient rien de bon à opposer,
pria tous les évêques présents de sortir, afin
que l'on pût écrire la sentence qui pronon-
çât sur tous les chefs. Lorsqu'il l'eut dres-
sée, il fit rentrer les parties, et leur en donna
la lecture. Il y déclarait que, comme per-
sonne ne doit être condamné pour la faute
d'autrui, les crimes de Cécihen, quand mê-
me ils auraient été prouvés, n'auraient porté
aucun préjudice <à l'Église universelle ; qu'il
était prouvé que Donat était l'auteur du
schisme ; que Cécihen et son ordinateur Fé-
lix d'Aptonge, avaient été pleinement justi-
fiés. Ensuite il ordonnait que les magistrats,
les propriétaires et locataires des terres em-
pêcheraient les assemblées des donatistes ,
dans les villes et en tous lieux ; et que ceux-
ci délivreraient aux catholiques les églises
qu'il leur avait accordées pendant sa com-
mission ; que tous les donatistes qui ne vou-
draient pas se réunir à l'Église, demeure-
raient sujets à toutes les peines des lois ; et
que pour cet efi'et tous leurs évêques se re-
tireraient incessamment chacim chez eux; en-
fin que les terres où l'on retirerait des trou-
pes de circoncellions, seraient confisquées.
9. Quoique le tribun MarceUin n'eût fait
que suivre dans sa sentence , ce que les
donatistes avaient jugé contre eux-mêmes,
soit par les pièces ' qu'ils avaient données,
soit par la défiance qu'ils avaient témoignée
de lem' cause, ils ne laissèrent pas d'en appe-
ler, sans s'arrêter à ce qu'on leur repré-
senta , que leurs propres paroles les con-
damnaient. Es signèrent toutefois les actes
de la troisième conférence , comme ils
avaient signé ceux des deux premières, ajou-
tant, que c'était sans préjudice de leur ap-
pel. On ne sait si leur acte d'appel est l'écrit
qu'on disait avoir été signé par les évêques
donatistes après la conférence. Saint Au-
gustin parle de cet écrit^, et il y a apparence
que c'est celui qu'il réfute dans le livre inti-
tulé , m^x Donatistes après la conférence ^. Ils y
répétaient les passages de l'Écriture qu'ils
StiUe, pag
670.
Livre aux
Donatistes de.
puis la cooré'
rence.
[n Àppend., tom. IX, pag. 69.
August., post. coll., cap. sxvi, U et 10.
410
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
avaient employés dans la lettre qui fut lue
dans la conférence, et auxquels les catholi-
ques avaient répondu. Ils tâchaient d'y ex-
pliquer ce qu'ils avaient avancé dans la
séance du troisième jour, qu'une affaire ' ou
bien une personne ne fait point de préjuge
contre une autre affaire ou une autre per-
sonne; maxime ijui favorisaitles catholiques,
et dont ils avaient même coutume de se ser-
vir contre les donatistes, pour montrer que
les crimes de Cécihen, quand ils auraient
été prouvés, ne tiraient point à conséquence
contre ses successeurs et les autres évêques
d'Afrique, et beaucoup moins contre l'Église
universelle. Les donatistes disaient encore
que Donat, accusateur de Cécilien, n'était pas
celui de Carthage, mais l'évéque des Cases-
Noires. Enfin, ils s'y plaignaient de ce que la
sentence avait été prononcée durant la nuit ;
qu'on les avait tenus enfermés comme dans
une prison, et qu'on ne leur avait pas per-
mis de dire tout ce qu'ils auraient voulu,
parce que Marcellin, qui était catholique,
favorisait ceux de sa communion. Ce sont-là
les calomnies que saint Augustin entreprit
de réfuter dans le livre qu'il adressa aux
donatistes laïques.
Analyse de 10. Il v relève tous les avantages que les
ee livre, pag. -, ■,• • i i
««a- évêques catholiques avaient eus dans la con-
férence, et le bien qui en était revenu à l'É-
glise ; les vains efforts des donatistes pour
empêcher qu'elle ne se tînt; les chicanes
dont ils avaient usé pour ne point entrer en
matière , et les plaintes qu'ils avaient faites
qu'on les y faisait entrer malgré eux. Comme
ils y avaient été convaincus par leurs pro-
pres paroles et par les pièces mêmes qu'ils
y avaient produites, saint Augustin en prend
occasion d'avertir ces donatistes laïques de
ne plus se laisser séduire par leurs évêques,
vaincus dans la conférence de Carthage par
leurs propres armes. C'est ce qu'il justifie
par le narré de ce qui se passa dans cette
conférence. Venant ensuite à cette maxime
qu'ils y avaient avancée , qu'une affaire ne
fait point de préjugé contre une autre af-
faire, ni une personne contre une autre per-
sonne : « Combien , dit saint Augustin , au-
rions-nous donné de montagnes d'or pour
leur faire faire cette réponse qui décide en-
tièrement notre différend? » En effet, il sui-
vait de là que quand même Cécilien aurait
été coupable, son crime n'aurait point taché
' Lib. 11, «ap. X.1X.
ceux qui étaient demeurés dans sa commu-
nion. 11 détruit après cela tout ce qu'ils di-
saient dans le pubfic et dans divers écrits
contre le jugement rendu par Marcellin , et
s'arrêtant sur l'affectation qu'ils firent pa-
raître d'empêcher qu'on ne vînt au fond de
l'affaire, et à. allonger par leurs discours su-
perflus les actes de cette conférence : « Je
ne sais, dit-il, s'ils ont fait cela par un tour
d'adresse , ou parce qu'ils étaient abandon-
nés de la vérité; mais, assurément, c'est tout
ce qu'ils ont pu faire en faveur d'une si mé-
chante cause, qu'ils eussent encore mieux
fait d'abandonner. Si ceux de leur parti les
accusent de s'être laissés corrompre par
nous, pour fortifier notre cause et infirmer
la leur propre, par tant de choses qu'ils ont
dites et produites contre eux-mêmes dans le
procès, je ne sais pas comment ils pour-
raient mieux se justifier, qu'en représentant
que s'ils avaient été gagnés par nous, ils au-
raient bientôt terminé une si méchante cause,
qu'eux et nous avons si bien montré être
insoutenable. Néanmoins, c'est à Dieu que
nous en rendons grâces, et non à eux, puis-
que la charité ne les a pas portés à nous
rendre ce service, mais que la véiité les y a
forcés. » Il donne le nom de frères à ces
donatistes laïques , remarquant que les évê-
ques de leur parti avaient trouvé mauvais
dans la conférence qu'on leur donnât ce
nom.
§ VIII.
Du Discours ou de la conférence en présence
d'Émérite,
I. Au sortir de Carthage, saint Augustin Discours»!
fut obhgé, en 418, d'aller en Mauritanie pour KV-us,
quelques affaires que le pape Zosime lui
avait recommandées et à quelques autres
évêques d'Afrique. Comme ils étaient à
Césarée, on vint dire à saint Augustin qu'É-
mérite , l'un des évêques donatistes qui s'é-
taient signalé.s dans la conférence de Car-
thage pour la défense de son parti , y était
aussi. Ce saint alla aussitôt au-devant de lui,
et l'ayant trouvé dans la place publique, il
le pria, après qu'ils se furent salués, de ve-
nir à l'Église. Émérite n'en fit aucune diffi-
culté, en sorte que saint Augustin croyait
qu'il était tout disposé à embrasser la com-
munion cathohque. Dès qu'il y fut entré,
saint Augustin commença à parler au peu-
ple ; il s'étendit surtout sur la charité , la
pag. SIS.
[iV" ET V' SIÎDCLES.]
paix et l'unité de l'Église catholique. Dans
son discours, tantôt il adressait la parole au
peuple , et tantôt à Émérite. Le peuple ,
charmé de l'entendre, l'interrompit en té-
moignant à haute voix souhaiter qu'Emérite
se réunit sur-le-champ sans attendre davan-
tage. Saint Augustin dit qu'il le souhaitait
aussi , et réitéra les offres faites par les ca-
tholiques dans la conférence , de recevoir
les évéques donatistes en qualité d'évêques,
et il le promit de la partd'Euthérius, évêque
catholique de Césarée. Comme plusieurs des
donatistes qui étaient présents, mais qui
n'étaient pas bien instruits , trouvaient à re-
dire que l'on reçût dans l'Eglise catholique
ceux qui quittaient le schisme ou l'hérésie,
sans les baptiser ou les ordonner de nou-
veau , saint Augustin en prit occasion de
montrer qu'on ne pouvait réitérer ni le baptê-
me ni l'ordination. « Le baptême, dit-il, n'est
point des hérétiques ni des schismatiques,
mais de Jésus-Christ, et, lorsqu'on ordonne
un évêque, on invoque sur sa tête en lui im-
posant les mains, non le nom de Donat, mais
le nom de Dieu. Le soldat qui déserte est
coupable de crime de désertion, mais le ca-
ractère qu'il porte n'est pas le sien, c'est ce-
lui de l'Empereur. Si, Donat après avoir fait
schisme, avait baptisé en son nom, je ne
recevrais point ce baptême, je l'aurais en
horreur; mais ce déserteur a imprimé à ceux
qu'il a baptisés le sceau de son prince, c'est-
à-dire de Dieu. Nousne devonsdonc point haïr
en eux ce qui est de Dieu, c'est-à-dire le bap-
tême, ni les haïr eux mêmes, parce qu'en
tant qu'hommes, ils sont de Dieu, comme
c'est aussi de Dieu qu'ils ont l'Évangile et la
foi. Si vous me demandez ce qu'ils n'ont
pas, ayant le baptême et la foi de Jésus-
Christ, je vous répondrai qu'ils n'ont pas la
charité, sans laquelle l'Apôtre dit que tous
les dons de Dieu sont inutiles. La marque
du salut est la charité ; sans elle vous pou-
vez avoir le sceau du Seigneur, mais il ne
vous servira pas. On peut donc, hors de l'É-
glise, avoir l'honneur de l'épiscopat et le
sacrement de baptême; on peut chanter Al-
léluia et répondre A men ; on peut savoir l'É-
vangile , avoir la foi et la prêcher au nom
du Père , du Fils , et du Saint-Esprit ; mais
on ne pourra jamais trouver le salut que
dans l'Église catholique. Il y a plus , celui
qui répand son sang plutôt que d'ado-
rer les idoles , ne peut recevoi r la cou-
ronne, s'il' est hors de l'Éghse parce que
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HTPPONE.
m
Conrérence
en préseace
d'Emcrite, en
418, pag. 6-20.
Jésus-Christ a dit, que ceux-là seuls sont bien- ""'"'• v- '"
heureux qui souffrent persécution pour la jus-
tice. ))
11 finit son discours en témoignant qu'il
espérait de la miséricorde de Dieu la con-
version d'Émérite, et invite les assistants à
la demander par leurs prières. Cet évêque
ne se convertit pas néa>nmoins après ce dis-
cours; mais comme saint Augustin n'en dé-
sespérait pas tout à fait, on lui donna du
délai.
2. Deux jours après, c'est-à-dire le 20
septembre 418, Euthérius, évêque de Cé-
sarée, avec Alypius de Thagaste, Augustin
d'Hippone , Possidius de Calame , Rustique
de Cartenne, Pallade de Sigabite, et les au-
tres évêques, étant venus dans une salle en
présence des prêtres, des diacres, de tout le
clergé et d'un peuple nombreux, en pré-
sence aussi d'Émérite, évêque du parti de
Donat, Augustin, évêque de l'Église catho-
lique , dit : (( Mes frères , vous qui avez tou-
jours été cathohques, et vous qui êtes reve-
nus de l'erreur des donatistes, ou qui doutez
encore de la vérité, écoutez-nous, nous qui
cherchons votre salut par une charité pure.»
Il raconta ensuite ce qui s'était passé deux
jours auparavant , comment il avait invité
Émérite à venir à l'Église , ce qu'il avait dit
en sa présence sur la paix, la charité et l'u-
nité de l'Église, et les marques d'obstination
que cet évêque avait données, et ajouta :
« Puisqu'il se trouve ici avec nous , il faut
que sa présence soit utile à l'Église , ou par
sa conversion , comme nous le souhaitons ,
ou du moins pour le salut des autres. » Il
remarqua que , depuis la conférence de Car-
tilage, presque tous les donatistes de l'un et
de l'antre sexe s'étaient convertis; et fit voir
la fausseté de ce qu'on leur avait dit que ,
dans la conférence , les catholiques avaient
acheté la sentence du Commissaire, et qu'ils
n'avaient pas permis aux donatistes de dire
tout ce qu'ils voulaient. Puis , s'adressant à
Émérite : « A'^ous avez, lui dit-il, assisté à
cette conférence ; si vous y avez perdu votre
cause, pourquoi êtes-vous venu ici? si vous
ne croyez pas l'avoir perdue , dites-nous par
où vous croyez la devoir gagner? Si vous
croyez n'avoir été vaincu que par la puis-
sance, il n'y en a point ici. Si vous sentez
que vous avez été vaincu par la vérité, pour-
quoi rejetez -vous encore l'unité? » Émérite
répondit : « Les actes montrent si j'ai perdu
ou gagné, si j'ai été vaincu par la vérité ou
412
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
» Saint Augustin
opprimé par la puissance
le pressa beaucoup de dire pourquoi il était
venu , et voyant qu'après une réponse fort
équivoque , il s'obstinait à ne plus parler, il
s'adressa au peuple , à qui il fit remarquer
le silence de cet évêque donatiste. Il recom-
manda à Euthérius de faire lire tous les ans
dans son Église les actes de la conférence ,
tout au long, pendant le carême à l'imita-
tion des Églises de Carthage , de Thagaste ,
de Constantine, et de toutes celles qui étaient
les mieux réglées.
pnB.r28. 3. Saint Al} plus lut ensuite la lettre que
les évèques catholiques avaient adressée au
tribun Marcellin avant la conférence. EUe
était signée au nom de tous par Aurèle de
Carthage et par Sylvain de Summe, doyen
et primat de Numidie. Ces évêques y témoi-
gnaient que leur dessein dans la conférence
était de montrer que l'Église, répandue par
toute la terre, ne peut périr, quelque péché
que commettent ceux dont elle est compo-
sée; que l'affaire de Cécilien était terminée,
puisqu'il avait été déclaré innocent et ses
accusateurs reconnus pour calomniateurs ;
que tous les autres aussi que les donatistes
accusaient, étaient innocents, ou que leurs
fautes ne pouvaient porter de préjudice à
l'Église. Ils y déclaraient aussi que si les do-
natistes pouvaient prouver que l'Église est
l'éduite à leur communion, ils se soumet-
traient absolument à eux sans prétendi'e
rien conserver de la dignité épiscopale ; et
que si les catholiques montraient au con-
traire, comme ils l'espéraient, que les dona-
tistes avaient tort, ils leur conserveraient
l'honneur de l'épiscopat ; en sorte que dans
les lieux mêmes où il se trouveraient un
évêque catholique et un donatiste, ils se-
raient alternativement assis dans la chaire
épiscopale, l'autre demeurant un peu plus
bas auprès de lui, qui était la place que l'on
donnait aux évêques étrangers ; ou bien que
l'un aurait une église, et l'autre une au-
tre, et cela jusqu'à ce que l'un des deux
étant mort, l'autre demeurât seul évêque
selon l'ordre ancien ; ou que si les peuples
avaient trop de peine à voir deux évêques
dans une église, tous les deux se démet-
traient, et ceux qui seraient trouvés sans
compétiteurs, en ordonneraient un autre.
«Pouvons-nous, en efl'et, ajoutaient ces évê-
ques catholiques, faire quelques difficultés
d'offrir ce saci'ifice d'humilité au Sauveur
qui nous a rachetés? Il est descendu du ciel,
et a pris un corps semblable à nous, afin
que nous fussions ses membres, et nous ne
voudrions pas descendre de nos chaires pom*
ne pas laisser ses membres se déchirer par
un cruel schisme ! Il nous suffit pour nous-
mêmes d'être des chrétiens fidèles et soumis
à Jésus-Christ. C'est ce que nous devons être
aux dépens de toutes choses. Que si nous
sommes évêques, c'est pour le service du
peuple chrétien. Usons donc de notre épis-
copat en la manière qui est la plus utile au
peuple, pour y établir l'union et la paix de
Jésus-Christ. Si nous cherchons le profit de
notre Maître, pouvons-nous avoir de la peine
qu'il fasse un gain éternel, aux dépens de nos
honneurs passagers ? La dignité de l'épisco-
pat nous sera bien plus avantageuse, si en
la quittant nous réunissons le troupeau de
Jésus-Christ, que si nous le dissipions en la
conservant. Et serions-nous assez impudents
pour prétendre à la gloire que Jésus-Christ
nous promet dans l'autre vie, si notre atta-
chement à la gloire du siècle est un obstacle
à la réunion des fidèles ? »
Saint Augustin interrompit la lecture de
cette lettre pour faire part à ceux qui étaient
présents d'une chose bien agréable et bien
consolante qui lui était arrivée. « Avant la
conférence, dit-il, nous nous rencontrâmes
un jour quelques évêques ensemble, et nous
nous entretenions de cette vérité : Que c'est
pour la paix de Jésus-Christ et le bien de
l'Église qu'il faut être évêque, ou cesser de
l'être. Je vous avoue, ajoute-t-il, qu'en je-
tant les yeux sur les uns et les auti-es de nos
confrères, nous n'en trouvions pas beaucoup
qui nous parussent être disposés à faire ce
sacrifice d'humilité au Seigneur. Nous di-
sions, comme cela se fait ordinairement en
ces sortes de rencontres : Celui-ci le poiu*-
rait faire, celui-là n'en est pas capable. Un
tel le voudrait bien : un tel n'y consentira
jamais. Eu cela nous suivions nos conjectu-
res, ne pouvant voir leurs dispositions inté-
rieures. Mais quand on vint à le proposer
dans notre concile général, qui était com-
posé de près de trois cents évêques, tous
l'agréèrent d'un consentement unanime, et
et s'y portèrent même avec ardeur, prêts à
quitter l'épiscopat pour l'unité de Jésus -
Christ, croyant non le perdre, mais le met-
tre plus sûrement en dépôt entre les mains
de Dieu même. Il n'y en eut que deux à
qui cela fit de la peine ; l'un qui était fort
âgé et qui ne craignit pas de l'avouer; et
[lye j;,j, ye gi^jCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
413
l'auti'e qui marqua sur son visage ce qu'il
pensait dans son cœur. Mais tous nos con-
frères s'étant élevés contre ce vieillard, il
cliangea aussitôt de sentiment, et l'autre
changea aussi de visage. »
Saint Augustin expliqua ensuite ce qui
s'était passé entre les donatistes à l'occasion
du schisme de Maximien qui avait duré en-
viron trois ans, faisant remarquer comment
après avoir persécuté avec cruauté Félicien
et Prétextât, tous deux maximianistes, ils
les avaient reçus pour collègues dans l'épis-
copat; et tous ceux qu'ils avaient baptisés
dans le schisme, sans les baptiser de nou-
veau. Comme Émérite était un des chefs
des primianistes, et que c'était lui qui avait
dicté la sentence du concile de Bagai contre
Maximien et ses sectateurs ; il l'interpella
de le démentir, s'il avançait quelcpie chose
contre la vérité. Mais Émérite s'opiniâtra
dans son silence, malgré les instances de
ses concitoyens qui le pressaient de répon-
dre, et il ne voulut jamais reconnaître pour
frère l'évéque Deutérius , quoiqu'il fut d'ail-
leurs son parent.
§IX.
Des deux livres contre Gaudence.
Lwre cou. 1. Vers l'an 420, Dulcitius, tribun et no-
tre Gaudence,
7cre lan «20. taire de l'Empereur, se trouvant en Afrique
pour faire exécuter les lois contre les dona-
tistes, et travailler à leur réunion, en écrivit
à Gaudence, évéque de Thamugade, qui
avait été un de leurs commissaires dans la
conférence de Carthage '. Ceux de Thamu-
gade étaient plus opiniâtres que les autres
dans le schisme, et Gaudence, leur évéque,
y était si fort attaché , qu'il menaçait de se
brûler lui-même et les siens avec son église,
en cas qu'on voulût les contraindre à se réu-
nir. Dulcitius, qui avait beaucoup de dou-
ceur, n'omit j'ien dans sa lettre pour détour-
ner Gaudence de se brûler lui-même, et
d'entraîner avec lui des misérables dans une
mort si funeste , à laquelle peut-être ils n'é-
taient nullement disposés. Il lui représente
aussi qu'il serait étrange qu'il eût brûlé un
aussi bel édifice qu'était leur église , où il
avait si souvent invoqué le nom de Dieu;
que, s'il se croyait innocent, il deA'ait plutôt
s'enfuir, suivant le précepte de Jésus-Christ,
* August., lib.
cont. Gaudent.
H Retract., cap. lix et lib. IH
que de se brûler. Gaudence ayant reçu cette
lettre , y répondit à l'heure même , mais en
peu de mots , de peur, disait-il , de retarder
ceux qui devaient porter sa réponse. Il y
déclarait que pour lui il était résolu , si on
lui faisait violence , de finir sa vie par le feu
avec son église; mais que pour les autres , il
ne pensait nullement à les contraindre à un
semblable genre de mort ; qu'au contraire ,
il avait exhorté tous ceux qui en auraient de
l'éloignement à le dire publiquement sans
craindre, et à l'éviter. Le lendemain il écri-
vit une seconde lettre à Dulcitius , mais plus
longue, ovi pour justifier sa fureur par l'auto-
rité des Ecritures, il alléguait, entre autres,
l'exemple de Razias, dont la mort est rap-
portée dans le second livre des Macchabées.
Le tribun envoya ces deux lettres à saint
Augustin, le priant d'y répondre lui-même.
Ce saint s'en excusa d'abord par une lettre
où il se dit accablé d'occupations, ajoutant
qu'il avait déjà réfuté les vains discours des
donatistes dans plusieurs autres ouvrages.
Toutefois il lui promet sur la fin de sa lettre,
de réfuter les deux de Gaudence à son pre-
mier loisir.
2. Il fit pour cela un livre dont il parle lui-
même dans ses Rétracta f mis. Il met d'abord
le texte de Gaudence, et ensuite sa réponse,
afin que les moins intelhgents ne pussent
douter qu'il n'eût répondu à tout. Il avait
suivi la même méthode en répondant ù Pé-
tilien, et avait mis à chaque article : Pétilien
a dit; et ensuite : Augustin a répondu. Mais
Pétihen l'avait accusé de mensonge, soute-
nant qu'il n'avait jamais disputé avec lui de
vive voix. Afin donc que Gaudence ne lui fit
pas un semblable reproche, il met : Paroles
de la lettre; et ensuite , Réponse. Comme
Gaudence n'avait rien dit de nouveau en fa-
veur de son parti, saint Augustin lui répond
aussi à peu près de la même manière qu'aux
autres donatistes. Il fait voir à l'occasion de
Gabinus, qui était passé du parti de Do-
uât à l'ÉgHse catholique , que l'on ne doit
point rebaptiser les hérétiques qui revien-
nent à l'unité, et qu'ils n'ont besoin que
d'être purifiés par la charité de l'unité de
l'Église ; que les lois des empereurs qui ten-
dent à empêcher le désordre, ne sont point
contraires à la liberté; que pour souffrir
avec quelque mérite les persécutions de la
part des hommes, il faut les souffrir pour In
justice; que l'on peut user d'une espèce de
contrainte pour engager les hommes à faire
Analyse u
premier li^vro,
pag. 63o.
414
HISTOIRE GÉiNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
le bien et à recevoir la vérité ; ce qui paraît
joan. xiiTii, par l'ordre que le roi de Ninive donna aux
Luc. XIV, 21. habitants de cette ville déjeuner et de prier,
et par celui que le père de famille donna à
ses serviteurs de contraindre tous ceux qu'ils
trouveraient dans les places et sur les grands
chemins d'entrer dans la salle du festin.
« En vain, ajoute-t-il, les donatistes se
tuaient eux-mêmes, ou se présentaient vo-
lontairement aux païens pour en recevoir la
mort, dans le dessein, disaient-ils, de lem-
plir le nombre des martyrs marqués dans
l'Apocalyse, puisque ce nombre ne sera ac-
compU qu'au temps de l'Antéchrist. » Le
saint Doctem- réfute plus au long l'exemple
de Razias, dont Gaudence s'autorisait. Il
dit que l'histoire des Macchabées n'a pas
été reçue inutilement par l'Église, surtout à
cause de ces grands saints qui souffrirent de
si horribles persécutions pour la loi de Dieu
comme de véritables martyrs. Mais il veut
qu'on la lise avec précaution, et qu'on l'en-
iende comme on doit l'entendi'e. Il fait voir,
par l'autorité de saint Cyprien, que ceux qui,
du temps des persécutions, prévenaient l'ar-
rêt des persécuteurs, et se jetaient dans les
tlammes sans avoir été condamnés, ne le fai-
saient pas par un conseil de sagesse, mais
par une folie pleine de fureur. Il allègue
l'exemple de Job, qui, tout couvert d'ulcères,
aurait pu tout d'un coup se délivrer d'une
vie si insupportable, s'ill'avait voulu; mais
qui ne le voulut pas, parce que la justice ne
le lui permettait pas. «Il est vrai, ajoute-t-il,
X "'/,"""'■ 'J^^ ^^^ saintes Écritm-es ont donné des louan-
ges à Razias. Mais comment est-il loué ?
Parce qu'il aimait sa ville. Ne l'a-t-il pas pu
faire charnellement, en aimant la Jérusa-
lem terrestre qui est esclave avec ses en-
fants, et non celle qui est d'en haut, qui est
libre et notre vraie mère? Il a été loué com-
me s'étant conse7-vé pu?- da?is le judaïsme, mais
pui.iM, s. c'est ce que l'Apôtre a regardé comme une
perte et comme du fumier, en comparaison
de la justice chrétienne. Il a été loué, parce
tous le nommaient le père des Juifs. Mais, qu'y
a-t-il d'étonnant, si, étant homme, il s'est élevé
et s'est plu superbement en lui-même sm- ce
sujet, et si, au milieu de cette gloire dont il
jouissait parmi ses concitoyens, il a mieux
aimé se tuer de sa propre main, que de tom-
ber dans une honteuse servitude entre les
mains de ses ennemis? De quelque manière
donc qu'on veuille entendre les louanges qui
sont données, dans l'Écriture, à la vie de
Razias, sa mort ne peut être louée par la sa-
gesse, puisqu'elle n'est point accompagnée
de la patience qui convient aux vrais servi-
teurs de Dieu, et c'est à lui qu'on doit appli-
quer plutôt cette parole de la sagesse même,
qui ne tend pas à louer sa mort, mais à la
faire détester : Malheur à ceux qui ont perdu
la patience. Reconnaissons que l'Écriture
nous a plutôt raconté la mort de Razias
comme un événement qui pouvait nous
étonner, qu'elle ne nous l'a proposée comme
un exemple louable de sagesse qu'on pût
imiter. Ainsi, quand il est dit : qu'il choisit de
mourir noblement, il faut entendre qu'il aurait
fait un meilleur choix de mourir plutôt hum-
blement, parce qu'il l'eût fait utilement; les
histoires profanes ont coutume de se servir
de ces sortes d'expressions pour louer, non
les martyrs de Jésus-Christ, mais les héros
de ce siècle. Qu'aurait donc dû faire alors
Razias ? Ce que nous lisons dans le même li-
vre de l'Écriture, que firent les sept frères
Macchabées, à l'exhortation même de leur
mère. Étant pris, il aurait dû demeurer in-
violablement attaché à la loi sainte du Sei-
gneur, accepter tout ce qui lui serait arrivé,
se soutenir humblement dans sa douleur et
conserver la patience dans son humiliation.
N'ayant donc pu supporter la confusion de
tomber entre les mains de ses ennemis, il a
donné un exemple, non de sagesse, mais de
folie, et un exemple qui ne peut être imité
par les martyrs de Jésus-Christ. »
Saint Augustin avoue, toutefois, que cet
exemple de Razias, ne laisse pas d'avoir son
utilité, non-seulement pour nous exercer
l'esprit , en nous donnant lieu de juger des
choses que nous lisons, par la lumière de la
vérité , et non point par l'apparence ; mais
encore pour nous apprendre ce qu'un chré-
tien est obligé de souSrir de ses ennemis
par le mouvement d'une charité ai'dente,
puisque ce juif a tant souffert de lui-même
par la crainte seule d'une humihation hu-
maine. Mais cette ardeur de la charité est
un effet de la sublimité de la grâce divine;
tandis que la crainte de l'humiliation naît
da désir des louanges des hommes. C'est
pom-quoi celui-là est victorieux par la pa-
tience; au contraire ce juif pécha et fut vain-
cu par son impatience.
3. Gaudence, ayant vu ce livre, récrivit à
saint Augustin, non pom- le réfuter, mais
uniquement poiu- ne pas demeurer muet, et
afin qu'on ne dit pas qu'il avait été con-
An?lyse du 1;
second livre,
pag. Sfîfi.
[lye ET ye SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
vaincu. Il prétendit prouver dans sa réponse,
par quelques témoignages tirés des écrits de
saint Cyprien, que l'Église du parti de Donat
était la catholique ; et il alléguait aussi pour
le montrer, que Dulcitius, en lui écrivant,
l'avait traité de piété. Il alléguait aussi le nom
de saint Cyprien, pour autoriser la rebaptisa-
tion parmi les donatistes. Saint Augustin ne
crut pas devoir laisser cette lettre sans ré-
ponse, et il en fit une petite réfutation, qui
passe pour le second livre contre Gaudence. Il y
fait voir, par saint Cyprien même, que l'Église
catholique est celle-là qui répand les rayons
de sa lumière, qui est celle de Dieu même
dans toutes les parties du monde, et qui les
arrose de ses eaux salutaires; celte étendue
étant même marquée par le mot de catholi-
que. Il prouve encore, par le même saint Cy-
prien, que les péchés des autres ne souillent
point même ceux qui les connaissent, au lieu
que Gaudence prétendait qu'ils souillent
ceux mêmes qui ne les connaissent pas. Quant
à l'allégation de Gaudence que le baptême ne
pouvait se donner que dans l'Église de Do-
nat , il la réfute par l'histoire des maxi-
mianistes reçus dans ce parti sans avoir
été baptisés une seconde fois. Il répond au
fait d'Agrippin et de saint Cyprien , que ,
quoique d'un sentiment différent du pape
Etienne, ils n'avaient jamais rompu l'unité
catholique; qu'aureste, si l'Église catholique
recevait comme bon le baptême donné par
des hérétiques, c'est que ce baptême était
non des hérétiques, mais de l'Église catholi-
que. Il convient que le tribun Dulcitius qui
était un laïque et homme d'épée, n'aurait
pas dû, en écrivant à Gaudence, qu'il savait
être hérétique, se servir de ces termes : Vo-
tre piété ou votre religion ; mais en même
temps, il en tire un argument contre Gau-
dence même, qui, en répondant à Dulcitius,
avait commencé sa lettre par ces mots : Vo-
tre piété. Car s'il n'y a point de piété que
dans la vérité, il fallait que Gaudence recon-
nût que Dulcitius, qui était catholique, fût
dans la vérité , et que lui au contraire fût
dans Terreur.
4. On a joint à ces deux hvres un discours
touchant le sous-diacre Rusticien, rebaptisé
et ordonné diacre par les donatistes. Mais le
style seul fait voir qu'il n'est point de saint
Augustin. Il n'a>ri&n ni 4e son génie, ni de
la noblesse de ses expressions. On y confond
d'ailleurs des faits arrivés à différentes per-
sonnes et en différents temps ; l'histoire de
415
Rusticien, sous-diacre dans le diocèse d'Hip-
pone, avec celle de Rusticien, diacre du Mu-
tugène; la lettre de saint Augustin à Ma-
crobe, avec celle qu'il écrivit à Maximin.
§X.
Des ouvrages faussement attribués à saint
Augustin.
i . On peut encore juger, par le style seul
du livre contre Fulgence, le donatiste, qu'il
n'est point de saint Augustin. On n'y i-ema'r-
que, ni son éloquence, ni son érudition; les
pensées pom* la plupart en sont basses, et
l'auteur ne se soutient point dans ses expli-
cations de l'Écriture, donnant tantôt un sens,
tantôt un autre à nu même passage. A quoi
il faut ajouter qu'il n'y a dans cet ouvrage ni
suite ni méthode ; l'auteur commence à traiter
une matière, puis il la quitte pour en trai-
ter une autre ; ensuite il revient à celle qu'il
avait entamée d'abord. Par exemple, après
avoir commencé à parler du baptême, il
passe à la question du mélange des bons
et des méchants, puis il revient à celle du
baptême. L'auteur était Africain et très-an-
cien,'puisqu'il avait vu le concile de Carthage
en 312, où Cécilien fut condamné par les
soixante-dix évêques du parti de Donat. Il
cite la sentence que Marcien, l'un de ces
soixante-dix évêques prononça contre Céci-
lien ; sentence qui ne se trouve citée dans au-
cun des écrits de saint Augustin, quoique
celui-ci ait eu occasion de le faire.
2. Suivent, dans l'Appendice du neuvième
tome, diverses pièces qui appartiennent à
l'histoire des donatistes, et nécessaires pour
bien entendre les écrits de saint Augus-
tin contre les schismatiques; l'origine du
schisme de Donat, .ainsi que l'a l'apportée
Optât de Milève ; la lettre de l'empereur
Constantin à Cécilien, par laquelle ce prince
lui mande qu'il le chargeait de distribuer
une certaine somme d'argent à divers minis-
tres de l'Église catholiqu-e suivant le billet d'O-
sius; la lettre de Constantin à Anulin, pour
décharger des clercs de l'Église catholique,
à laquelle Cécilien présidait, de toutes fonc-
tions publiques; la relation que fit Anulin
de son exactitude à faire savoir à Cécilien
et aux ecclésiastiques de sa communion, la
loi de Constantin qui leur accordait l'immu-
nité ; la requête des évêques donatistes, par
laquelle ils priaient Constantin de leur don-
ner des juges dans les Gaules, disant qu'elles
Livre con*
ive Fulgence
le donaliste ,
pag. 3, iQ Ap-
penâ.tom.lX.
Monuments
pour riiistoiro
des donalis -
tes.
M6
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
n'étaient pas encore tombées dans le crime
où tombaient ceux qui livraient les choses
sacrées; la lettre de Constantin au pape Mel-
chiade pour juger l'affaire de Cécilien, con-
jointement avec Marc, et trois évéques des
Gaules, saint Materne de Cologne, saint Ma-
rin d'Arles et saint Rétice d'Autun; le juge-
ment qui fut rendu à Rome en faveur de
Cécilien sous le pape Melcliiade; la relation
du voyage des deux évéques Eunomius et
Olympius, en Afrique, pour ôter les deux
contendants de l'évêclié de Cartilage, et en
ordonner un troisième, et pour pronon-
cer quel parti était celui de l'Église catlioli-
que; l'ordi-e que Constantin donna après la
justification de Cécilien, à Vérus, vicaii-e des
préfets dans l'Afrique, d'instruire l'affaire de
Félix d'Aptonge, ordinateur de Cécilien; les
actes pi'oconsulaires de ce qui se passa dans
cette information, qui tourna à l'avantage
de Félix, déclaré innocent par le jugement
de Vérus; l'ordre des empereurs à Probien,
proconsul d'Afrique, pour leur envoyer In-
gentius, accusateur de Cécilien, et convaincu
de faux par les actes pi^oconsulaires ; l'ordre
de Constantin à Ablavius, vicaire d'Afrique,
pour envoyer à Arles, Cécilien et ses adver-
saires, pour y finir les divisions qui étaient
entre eux dans le concile qui devait s'y as-
sembler; la lettre du même prince à Clirest
ou Crescent, évêque de Syracuse, pour l'in-
viter à ce concile ; les actes de ce concile ou
la lettre synodale adressée au pape Sylves-
tre; celle que Constantin écrivit aux évéques
catholiques du concile d'Arles, où après leur
avoir témoigné beaucoup de joie de ce que
Dieu avait fait paraître la vérité au miheu
des ténèbres dont on avait voulu l'obscurcir,
il leur disait qu'ils pouvaient s'en retourner
à leurs églises ; l'ordre de ce prince aux évé-
ques du parti de Donat de se trouver avec
Cécilien pour finir l'aflaire qui était entre
eux ; la promesse, qu'il fit à Celse, vicaire
d'Afrique, de s'y rendre en personne afin d'y
examiner l'affaire de Cécilien et de Donat;
luie lettre des préfets du prétoire à Celse,
sur la môme affaire ; le jugement que Cons-
tantin i-endit c'i Milan en faveur de Cécilien ;
sa lettre à tous les évéques et au peuple
catholique d'Afrique; celle qu'il écrivit aux
évéques catholiques de Numidie en réponse
de la lettre qu'il en avait reçue, où ils le
priaient de leur accorder une place du
domaine à Cirthe ou Constantine pour y
bâtir une église ; ceUe qu'ils y avaient étant
entre les mains des donatistes qui s'en
étaient emparés avec insolence. Ce prince
leur accorda non-seulement la place qu'ils
demandaient, mais il voulut encore que l'é-
glise fut bâtie aux dépens du fisc, et il écri-
vit pour cela au gouverneur de la Numidie.
Il témoigne aussi dans cette lettre son ex-
trême désir pour le retour des schismatiques,
voulant que les évéques de Numidie y tra-
vaillassent par des avertissements et des
exhortations continuelles. Cette lettre finit
ainsi : « Quoi qu'ils fassent, pour nous, mes
frères, attachons-nous à notre devoir, appli-
quons-nous à ce que Dieu nous ordonne,
gardons ses divins préceptes, méritons par
nos bonnes œuvres de ne point tomber dans
l'erreur, et par le secours de la miséricorde
divine , conduisons nos pas dans la voie
droite de l'Évangile. »
3. On trouve ensuite les actes de ce qui
se passa devant le consulaire Zénophile par
lesquels on voit que Sylvain de Cirthe, dé-
noncé par Nondinaire, fut convaincu d'avoir
livré les saintes Écritures et ensuite banni ;
divei'S extraits des monuments qui regar-
dent la liberté que Constantin accorda aux
donatistes, et leur rappel de lem' exil; le
récit des mauvais ti-aitements que les dona-
tistes firent à Paul et à Macaire, envoyés en
Afrique par l'empereur Constant pour tra-
vailler à leur réunion, et distribuer des au-
mônes aux pauvres des églises de cette
province ; l'avis de Gratus, dans le premier
concile de Carthage, vers l'an 348, et deux
canons de ce concile contre les donatistes;
ce que dit Optât de Milève touchant la li-
berté que Julien l'Apostat accorda aux do-
natistes de retourner dans leurs églises, et
les crimes qu'ils commirent depuis leur
retour ; l'évêque qu'ils avaient à Rome et la
caverne qui leur servait d'église hors de
cette ville. Suivent les lois des empereurs
contre ceux qui rebaptisaient les hérétiques ;
le décret du concile d'Hippone pour recevoir
les clercs donatistes au nombre des laïques ;
la lettre du concile de Cabarsusse dans la
Bysacène contre Primien, évoque donatiste
de Carthage ; la sentence de celui de Bagai
contre Maximien et ses ordinateurs ; un au-
tre décret du concile de Carthage touchant
les enfants baptisés chez les donatistes ; une
loi d'Honorius contre ceux qui s'étaient em-
parés des églises et y avaient fait irruption ;
la révocation du décret obtenu de Jidien
l'Apostat, par les donatistes ; la légation du
Suite,
Vûyez lom.
Il, pag. SU
suiv.
[IV" ET V° SIÈCLES.]
concile de Cai'thage pour consulter Anastase
et Vénérius s'il était permis d'ordonner
clercs dans l'Église catholique ceux qui, étant
enfants, avaient été baptisés chez les dona-
tistes ; les décrets du concile général d'Afri-
que assemblé à Carthage touchant la ma-
nière de réconcilier les donatistes qui reve-
naient à l'Église ; la légation d'un autre
concile de la même viUe à l'empereur Hono-
rius contre les donatistes ; une loi de ce
prince contre ceux qui rebaptisaient ; deux
décrets de deux conciles de Carthage dont
le dernier regarde les peuples qui avaient
abandonné le schisme des donatistes ; di-
verses lois du même empereur qui confir-
ment celles qui avaient été portées aupara-
vant contre les donatistes, ou qui révoquent
la liberté qui leur avait été accordée de
s'assembler. Les dernières pitces deV Appen-
dice regardent les trois séances de la grande
conférence de Carthage, et ce qui fut or-
donné contre eux par l'empereur Honorius
depuis cette conférence.
ARTICLE XL
DES OUVRAGES CONTENUS DANS LE DIXIÈME TOME.
*
Il n'y avait que ti'ès-peu de temps que l'É-
glise avait remporté la victoire sur l'hérésie
des donatistes, lorsqu'il s'en éleva une autre
dans son sein; d'autant plus dangeieuse,
qu'elle attaquait, non le corps de la société
chrétienne, comme avaient fait les donatis-
tes, mais l'âme même de cette société,
c'est-à-dire la grâce du Sauveur par laquelle
nous sommes clu-étiens.
Pelage, auteur de cette nouvelle hérésie,
faisait profession de la vie monastique. Le
long séjour qu'il fit à Rome lui attira en
cette ville beaucoup de connaissances, et il
y acquit même une grande l'éputation de
vertu; il avait l'esprit vif, subtil et péné-
trant, parlant la langue grecque de même
que la latine. Avant d'être connu pour héré-
tique, il composa divers ouvrages où il jeta
les semences de son erreur, qui fut condam-
née pour la première fois, par un concile
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
417
tenu à Carthage l'an 412. C'était Célestius,
le premier et le plus célèbre de ses disciples,
qui l'avait répandue en cette ville, et en
beaucoup d'autres endroits; il avait, comme
son maître, l'esprit vif, et ses autres qualités
eussent pu le rendre utile à beaucoup de
personnes, si on l'eût corrigé de ses mauvais
sentiments.
Saint Augustin, quoiqu 'informé des er-
reurs que Pelage répandait, ne voulut pas
néanmoins écrire contre lui, qu'il ne l'eût
vu lui-même, ou qu'il n'eût trouvé des preu-
ves de son hérésie dans quelqu'un de ses
écrits. Pelage vint à Carthage en 41 1 ; mais
ce saint Augustin, occupé de la conférence
qui devait se tenir avec les donatistes, n'eut
pas le loisir d'examiner la doctrine de ce
nouvel hérésiarque, qui se hâta même de
partir de cette viUe, pour passer la mer et
se retirer en Palestine. Mais, depuis que Cé-
lestius, son disciple, eut été condamné à
Carthage, saint Augustin et les autres évo-
ques catholiques ne cessèrent de combattre
ses erreurs dans leurs sermons et leurs con-
versations particulières. Ce Père se trouva
même obligé de l'attaquer par écrit en 412,
à la prière du tribun Marcellin, le même qui
avait présidé à la conférence de Carthage
l'année précédente. Importuné par les dis-
cours que lui faisaient chaque jour ceux
qui se trouvaient engagés dans les erreurs
de Pelage, et embarrassé par quelques-unes
de leurs objections, il s'adressa à saint Au-
gustin, en le priant de les résoudre K
§ I.
Des livres des Méi-ites des péchés, et de leur
rémission, ou du Baptême des enfants.
1. Saint Augustin était alors dans de l™» dei
grands ^ embarras et dans de grandes in- pédlTei f»
. , , , , - . leur remis -
quietucies, a cause des vexations que les do- sion. ed 412.
natistes continuaient à exercer en quelques
endroits contre les catholiques. Mais il ne
put s'empêcher de satisfaire aux instances
d'une personne avec qui, comme il le dit'
lui-même, il n'était qu'un dans l'unité im-
' Sur les pélagiens et le pélagianisme, voir les
nombreux écrits de saint Augustin, ceux de saint
Jérôme, de Marius Mercator et d'Orose, tous com-
temporains. Pour les modernes, le cardinal Noris,
Historia pelagiana, édit. de Vérone. Les savantes
dissertations du P. Garnier sur Mercator, tom.
XLVIU Pair, lat., édit. Migae. La. Vie de Pelage du
père PatouiUet; Noël Alexandre, y° sœcul. avec
IX.
les notes de Roncaglia; Saccarelli, an 412, num. 7
et suiv.; Baronius; ce sont des sources pures : eu
général, tous les biographes de saint Augustin.
(L'abbé Blanc, Cours d'hist. ecclés. tom. 11, pag.
196 de la première édition, note 1.) Voyez aussi le
supplémeut à la fin de ce volume. (L'éditeur.)
2 Lib. I De Pectum., cap. 1.
3 Ibid.
27
/il 8
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Analyee
premier ]iv
pag.liloin,
an, ItiOG.
muable de Dieu. Pour répondre donc aux
questions qu'elle lui avait proposées et en-
voyées de Cartilage , il composa un écrit di-
visé en deux livres, qu'il iutitula ' : Des Mé-
rites et de la rémission des pécliés. C'est ainsi
qu'il les nomme dans ses Rétractations. Mais
ailleurs - ils sont intitulés , du Baptême des
enfants. C'était en effet la principale des
questions de Marcellin, comm'e c'est la plus
forte preuve du péché originel que saint Au-
gustin avait à défendre contre Pelage et ses
sectateurs. On leur a donné ces deux titres
différents dans la nouvelle édition des œu-
vres de ce Père. Ils sont adressés à Marcel-
lin, d'où vient que saint Augustin les cite
quelquefois ' sous ce nom, sans autre titre.
Saint Fulgence *, qui rapporte divers en-
droits du second', les nomme livres à Mar-
cellin sur le baptême des enfants. On en met
l'époque en 412.
2. Depuis le commencement du premier
livre jusqu'au chapitre xxxiv, saint Augustin
attaque l'ouATage d'un pélagien, qui conte-
nait les erreurs de cette secte. Cet homme
prétendait qu'Adam serait mort, quand
même il n'aurait pas péché. Et pour répon-
die à ce qu'on lit dans TÉcriture, que Dieu
menaça l'homme de mort, au jour même
qu'il aurait mangé du fruit défendu, il sou-
tenait que cette menace ne devait s'enten-
dre que de la mort de l'âme. Mais saint Au-
gustin le réfute par ces paroles qui marquent
Gen, iij.do. bien clairement une mort corporelle : Vous
êtes terre, et vous retournerez en terre. Car il
est évident que c'est selon le corps et non
selon l'âme que l'homme doit retourner en
terre. Mais s'il n'eût pas péché, son corps,
quoique créé de terre, eût été changé en
un corps spirituel, c'est-à-dire en cette in-
corruptibilité promise aux saints et aux fidè-
les, dont non-seulement nous avons le désir,
mais après lequel nous soupirons, comme
l'Apôtre le témoigne dans sa seconde Épitre
aux Corinthiens. Et il n'eut pas été à craindre
que le corps dût alors périr par le poids des
années , puisque si Dieu a été assez puissant
pour empêcher que les habits et les chaus-
sures des Israélites ne s'usassent point pen-
dant quarante ans, il l'aurait sans doute été
assez pour maintenir le corps de l'homme en
an état où il ne défaiUit point par le nom-
Cap 1.
Cap. It.
11 Cor. V,
21 el fioin.
12.
bre des années. On en voit un exemple dans
Enoch et dans Élie, quoique leurs corps ne
soient pas encore revêtus ds cette qualité ;
spirituelle qui nous est promise après la ré-
surrection. Depuis qu'ils ont été transférés,
leurs corps sont rassasiés à la manière dont
Élie le fut pendant quarante jours ; ou s'ils C'p. m.
ont besoin de nourriture pour se substanter,
ils se nourrissent peut-être dans le paradis
terrestre des mêmes aliinents que mangeait
Adam avant qu'il en sortît. L'Apôtre nous
dit aussi bien clairement que le péché est la cap. iv.
cause de la mort du coi'ps : Si Jésus-Christ Rom. n
est en vous, ce sont ses paroles, quoique le cap.vei-
corps soit mort en vous, à cause du péché, l'es-
jjrit est vivant à cause de la justice. Ce passage
paraît si précis à saint Augustin contre les
pélagiens, qu'il craint de l'expliquer. Il en
ajoute plusieurs autres du même apôtre qui
prouvent tous que la mort du corps est une
suite du péché. Comme le péché est entré dans
le m.onde par un seul homme, et la mort par le
2xché : ainsi la mort est passée dans tous les
hommes par ce seul homme, en qui tous ont pé-
ché. Les pélagiens répondaient qu'il fallait
entendre ces paroles de l'Apôtre, d'un pé-
ché qui était entré dans le monde, non par
propagation, mais par imitation. Mais si cela
était, saint Paul aurait rejeté le péché sur
le diable, qui, selon saint Jean, pèche dès le
commencement, et non pas sur Adam. Car
c'est le diable qu'imitent les pécheurs, et
ceux qui sont ses enfants, ainsi que le dit le
même Apôtre. Saint Augustin remarque que
c'est avec dessein que saint Paid a ajouté dans
le passage que nous venons de citer dans le-
quel tous ont péché, pour nous faire distin-
guer dans l'homme deux sortes de péchés :
l'originel et l'actuel. Il insiste sur le paral-
lèle que cet apôtre fait de la manière dont
les hommes contractent le péché et la mort,
par le péché d'un seul homme, avec celle cap. i.
dont ils acquièrent la justice par la grâce
d'un seul homme qtii est Jésus-Christ. « Car
ceux qui sont justifiés en Jésus-Christ, le
sont par une secrète communication et ins-
piration de la grâce spirituelle, et non pas
uniquement par imitation; d'où vient que
l'on ne trouvera jamais qu'il soit dit que
quelqu'un a été justifié par Paul ou Pierre,
ni par aucun des grands hommes qui se
I Joan.
Cap. 1.T,
1 Lil). Il Retract. , cap. .\xui.
2 De Pecc. orig. , cap. xxi et lib. Xdl De Civil. ,
cap. IV.
' De Nat. et Grat., cap. xv et lib. I Oper. im-
per., cap. Lïviii.
'• Fulg., ad Mon., lib. 1, cap. sxviii.
[IV^ ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
419
sont rendus recommandables par leur sain-
teté dans le peuple de Dieu. D'où il suit que
cette parole : Le -péché est entré dans le monde
par un seul homme, doit s'entendre du péché
transmis par la génération, et non par imita-
tion. »
3. Le saint Docteur montre ensuite com-
ment il est vrai de dire que le bénéfice de la
grâce du Sauveur est plus étendu, et s'est
répandu beaucoup plus abondamment sur
plusieurs, par la grâce d'un seul homme, qui
est Jésus-Christ, que le péché d'Adam n'a
causé de mal. En effet, nous n'avons tiré du
premier homme que le péché originel, et non
pas les péchés actuels ; au lieu que nous som-
mes délivrés de tous par la grâce de Jésus-
Christ. Le péché originel nous fait seul mé-
riter la damnation ; mais ceux qui en auront
ajouté par leur propre volonté, seront plus
sévèrement punis. Si le péché originel ne
nous séparait pas du royaume de Dieu et de
la vie éternelle, l'Apôtre n'aurait pas dû dire
que la mort régnait à cause du péché d'un
seul homme, mais à cause des péchés que
chacun aurait commis. Et si nous ne mou-
rions que pour avoir imité le péché d'Adam ,
l'Apôtre aurait encore dû dire qu'Adam lui-
même n'était mort qu'à cause du péché du
démon, qui non-seulement a péché avant le
premier homme, et qui à cet égard lui a servi
de modèle, mais qui lui a persuadé de déso-
béir à Dieu. Saint Augustin ajoute que si la
seule imitation rend les hommes pécheurs
par Adam, il faut donc dire aussi que la
seule imitation rend les hommes justes par
Jésus-Christ ; qu'ainsi par les deux hommes,
dont parle saint Paul, il ne faut pas entendre
Adam et Jésus-Christ, mais Adam et Abel;
car ce dernier, étant le premier juste , il est
conséquemment le modèle de tous les justes
qui l'ont suivi. Si l'on veut rapporter les pa-
roles de saint Paul au Nouveau Testament, il
ne faudra plus les entendre d'Adam, mais
de Jésus-Christ et de Judas le traître. Ce
qui est absolument contraire au sens de l'A-
pôtre.
4. Après avoir établi comme une chose
constante que l'on ne contracte que le péché
originel par la génération, et que par le
baptême on obtient la rémission non-seule-
ment de ce péché, mais encore des actuels,
il enseigne que les enfants morts sans bap-
tême seront punis d'une peine beaucoup
plus légère, quoique damnés. Il marque les
autres suites du péché originel, qui sont la
Cap. XVII,
Cap. XIX.
révolte du corps contre l'esprit, les mouve-
ments déréglés d'une chair rebelle, les dé-
faillances de la nature avec l'obligation de
vieiUir et de mourir. Il y avait des pélagiens
qui soutenaient que l'on baptisait les enfants
afin d'eftacer les péchés qu'ils auraient com-
mis dans cette vie ; tuais saint Augustin ne
croit pas devoir s'arrêter à réfuter de sem-
blables rêveries. D'autres soutenaient cpi'on
ne leur donnait le baptême qu'afin de les cap. iviu
rendre capables d'entrer dans le royaume
des cieux, et non pour la rémission de leurs
péchés. Sur quoi saint Augustin dit : « Si
les enfants sont sans péchés, ils peuvent
donc être sauvés sans le baptême ; s'ils ne
sont point coupables, Jésus-Christ n'est pas
mort pour eux, puisque, selon saint Paul, il Rom. v.c.
n'est mort que pour les impies. S'ils ne sont
point malades, Jésus-Christ n'est pas leur
médecin. Pourquoi donc, lorsque leurs pa-
rents les apportent à l'Église, ne leur dit-on
point : Olez d'ici ces innocents, car ceux qui
sont sains n'ont pas besoin de médecin?
Jésus-Christ n'est point venu pour appeler
les justes, mais les pécheurs. Si les enfants
n'étaient pas pécheurs, Jésus-Christ ne les
appellerait point, et ce sei'ait une téméi'ité
de les présenter au baptême auquel ils ne
sont point appelés. » Les pélagiens disaient :
Jésus-Christ appelle les pécheurs pour faire
pénitence : or, les enfants en sont incapa-
bles. Saint Augustin répond qu'on donne
aussi aux enfants le nom de fidèles, quoi-
cpi'ils ne puissent faire aucun acte de foi ; et
qu'on peut les appeler pénitents par la mê-
me raison qu'on les nomme fidèles. Il ajoute
que comme leur foi se manifeste par les
paroles des parrains, la renonciation qu'ils
font à satan et au monde par la bouche de
ceux qui les présentent, peut être appelée
pénitence. Mais quoique les pélagiens sou-
tinssent l'innocence des enfants, et leur ac-
cordassent le salut et la vie éternelle, ils
n'osaient lem- promettre le royaume des
cieux qu'ils avouaient être un effet du bap-
tême. Saint Augustin, pour renverser cette
distinction chimérique les presse par ces pa-
roles de Jésus-Christ : -S* vous ne mangez ma
chair et ne buvez mon sang, vous n'aurez point
la vie en vous , soutenant qu'elles regardent
les enfants, comme les adultes ; et que si les
enfants pouvaient sans cela obtenir la vie,
les adultes le pourraient aussi. La plupart
des anciens, comme le pape Innocent, dans
sa lettre aux Pères du concile de Milève, et
Cap. )
Jonn.
11,3.
420
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
le pape Gélase ont employé ces mêmes pa-
roles contre les pélagiens, et ils ont cru que
qxiiconque devenait membre de Jésus-Christ
par le baptême, mangeait dès lors la chair
iMum" ''°°° ^® Jésus-Christ, et buvait son sang, quoi-
qu'il sortit du monde sans l'avoir bu et
mangé réellement. Jésus-Christ dit encore,
joan. m,35. q^^e celui qui croit au Fils a la vie éternelle,
et que celui qui est incrédule, ne l'aura pas.
u En quelle classe metlre les enfants, dit
saint Augustin ? » Les pélagiens répondaient,
qu'on ne pouvait mettre les enfants dans au-
cune de ces classes, parce que ne pouvant
croire, on ne pouvait non plus les regar-
der comme incrédules. «Mais, répond saint
Augustin, ce n'est pas ce qu'enseigne la rè-
gle de l'Église qui met les enfants baptisés
au nombre des fidèles. R,este donc à dire
que ceux qui n'ont pas reçu le sacrement de
baptême sont infidèles, et du nombre des
incrédules ; et que par conséquent n'ayant
point la vie, la colère de Dieu demeure sur
eux. I)
Cap. XXI. 5. Car l'apôtre saint Jean ne dit pas que
la colère viendra sur l'incrédule, mais qu'elle
demeure sur lui ; ce qui s'entend de tous ceux
qui sont nés sous le péché, el dont l'Apôtre
Epies, il, 3. (Jit aux Éphésiens : Nous étions tous par la
nature enfants de colère, qualité dont rien ne
peut nous délivrer que la grâce de Dieu par
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais pourquoi,
demande saint Augustin, cette grâce est-eUe
donnée à l'un, et non pas à l'autre? 11 ré-
pond que la cause nous en peut bien être
cachée, mais qu'eUe ne peut jamais être in-
juste; qu'on n'a pas tant de peine à compren-
dre pourquoi la grâce est donnée à quel-
ques-uns qui en sont indignes, que de com-
prendre pourquoi elle n'est pas aussi donnée
à d'autres, qui n'en sont pas plus indignes.
Les pélagiens s'offensaient du chois que Dieu
faisait de quelques enfants prcférablement à
d'autres, a Expliquez-moi, lem* répond saint
Augustin, pourquoi certains enfants entrent
de votre aveu dans le rojfaume des cieux
par le baptême, taudis que d'autres n'y en-
trent pas, faute de pouvoir recevoir ce sa-
crement? » Comme ils n'avaient aucune
réplique à lui faire, il s'écrie sur ce choix
nciî:. .tr,3;i. avec l'Apôtre : 0 profondeur des richesses de
la sagesse et de la science de Dieu ! Quelques-
cap. \.tii. uns, pour résoudre cette dithculté, recou-
raient à l'opinion de ceux qui veulent que
les âmes, ayant péché dans le ciel , aient
été envoyées dans des corps diûerents eu
qualité, selon leurs mérites précédents. Mais
saint Augustin fait voir qu'on trouve des
hommes d'un bon naturel et avec de loua-
bles inclinations, qui naissent dans des lieux
où l'Évangile n'est point encore annoncé ;
qu'au contraire des gens très-vicieux pren- ';
nent naissance dans des pays où l'Évaugile
est reçu et où ils sont admis au baptême. Si
la vie précédente influait sur l'élection, les
choses devraient aller tuut différemment. Il
rapporte sui" ce sujet l'histoire d'un homme cap. xx»
qu'il avait connu du genre de ces innocents
dont les autres se divertissent. Cet homme
était chrétien, et son peu d'esprit le rendait
entièrement insensible à toutes les injures
qu'on pouvait lui dire, pourvu qu'on n'y
mêlât rien contre le nom de Jésus-Christ, ou
contre la religion catholique dans laquelle il
avait été élevé : car il y en avait qui pre-
naient plaisir à lui en parler, même afin de
le mettre en colère ; et il s'y mettait jusqu'à
poursuivre à coup de pierres ceux qui le fai-
saient, et il n'épargnait même pas ses propres
maîtres. « Je crois, ajoute le saint Doctem-,
que Dieu crée et prédestine de ces sortes de
personnes, pour faire connaître à ceux qui
en sont capables, que le Saint-Esprit qui
soufle où il lui plait, n'exclut aucun carac-
tère d'esprit du nombre des enfants de mi-
séricorde, et qu'il laisse.de même toute sorte
d'esprits au rang des enfants de perdition;
tout cela afin que celui qui se glorifie, ne
se glorifie que dans le Seigneur. »
6. Ces paroles de David : Ma mère m'a cap. xx
conçu dans le péché, devant s'entendre de tous '•
les hommes , fournissent encore mie preuve
du péché originel. On ne pouvait en effet les
entendre de la personne même de David,
puisque ce prince était né d'un légitime ma-
riage. Une autre preuve, c'est que Jésus- cap. m
Christ est venu afin que ceux qui croient en
lui ne demeurent pas dans les ténèbres. Ces
ténèbres, selon saint Augustin, sont le pé-
ché : les enfants ne croient en Jésus-Christ
qu'au baptême ; ils restent donc dans le
péché jusqu'à ce qu'ils aient reçu ce sacre-
ment. Mais, disaient quelques pélagiens, le
Verbe de Dieu éclaire tout homme qui vient
en ce monde. «Pourquoi donc, leur répond
ce Père, ces gens que vous supposez éclairés
n'entrent-ils pas dans le royaume des cieux,
s'ils ne reçoivent le baptême ? S'ils sont
éclairés , pourquoi ne connaissent-ils pas
mieux ce qui leur est utile? Et pourquoi
voyons-nous les enfants marquer par Icurg
[jyf EX v" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
/t21
cris une certaine re'pugnance à recevoir le
sacrement de régi^nération ? Ce qae signi-
fient donc ces paroles de saint Jean, le Verbe
éclaire toiis les hommes, c'est que personne
ne Yoit la lumière, s'il n'est éclairé par ce
soleil qui luit même dans les ténèbres. »
Saint Augustin rapporte ensuite un grand
nombre de passages qui font voir claire-
ment que tous les hommes sont sujets au
péché originel ; d'où il infère qu'il n'y en a
aucun à qui la mort de Jésus-Christn e soit
nécessaire pour obtenir le salut , pas même
les enfants qui, faute de baptême, ne peuvent
éviter la damnation. Les pélagiens avaient
imaginé certain milieu, qui n'était ni le
roj'aume des cieux, ni l'enfer, pour y met-
tre ces enfants ; mais saint Augustin s'en
tenant aux paroles de l'Écriture dit, qu'il
n'y a aucun heu mitoyen, et qu'il faut que
celui-là soit avec le démon, qui n'est pas
avec Jésus-Christ. Celui, dit Jésus-Christ, qui
n'est point avec moi est contre moi. Si cet
enfant était avec Jésus-Christ , pourquoi le
baptiser ? S'il n'est pas avec lui : il est donc
contre lui. Comment est-il contre Jésus-
Christ , sinon par son péché ? Ce ne peut
être à cause de son corps ou de son âme
qui sont des créatures de Dieu. Or, à cet
âge de quel péché est-il coupable , sinon du
péché originel? Cette doctrine est celle de
l'ÉgUse universelle qui enseigne que tous
les enfants de cette femme qui crut au ser-
pent, ne peuvent être délivrés de ce corps
de mort, que par le fils de cette vierge , qui
croyant à l'ange a conçu sans concupiscence.
7. Mais en quoi donc consiste la nature
du péché originel ? Ce saint Docteur semble
le mettre dans l'amour désordonné des plai-
sirs de la chair. Il distingue un bon et un
mauvais usage, tant de la continence que
de la concupiscence. Consacrer sa virginité
à Dieu, c'est faire un l^on usage d'une bon-
ne chose : la consacrer à une idole, c'est
mal user du bien. Faire servir la conciipis-
cence pour commettre un adultère, c'est
faire un mauvais usage d'une mauvaise
chose ; mais la faire servir à produire des
enfants dans un légitiine mariage, c'est
bien user d'un mal. Il prouve encore l'exis-
tence du péché originel par les exorcismes
dont on se servait au baptême. « Lorsqu'un
pélagien, dit-il, m'apporte un enfant pour
. le baptiser, que fait mou exorcisme sm' cet
enfant, s'il n'est pas sous l'esclavage du dé-
mon ? Et pourquoi ce pélagien répond-il au
nom de cet enfant, qu'il renonce au diable,
s'il n'a rien de commun avec ce malin esprit?
Comment, dit-il encore, répond-il au nom
de cet enfant , qu'il croit la rémission des
péchés , si cet enfant ne la reçoit pas ? Cette
cérémonie est donc fausse et trompeuse ,
ce que quelques pélagiens mêmes ont recon-
nu être insoutenable. » Car il y en avait de
deux sortes : les uas voulaient cpjeles enfants
fussent exempts du péché en naissant ; les
autres disaient qu'ils en commettaient d'ac-
tuels aussitôt après leur naissance , ce qu'ils
avaient imaginé pour répondre aux preuves
que les catholiques alléguaient pour mon-
trer qu'il était besoin d'effacer le péché que
les enfants contractaient par leur naissance.
Outre les preuves que nous avons appor-
tées, saint Augustin en tire une de ces pa-
roles de Jésus-Christ à Nicodème : Personne
ne peut avoir de part au royaume de Dieu,
s'il ne naît de nouveau : Pourquoi, en effet,
donner une nouvelle naissance à un enfant,
s'il n'avait vieilli ? El quelle est cette vieil-
lesse, sinon ceUe dont parle l'Apôtre, lors-
qu'il dit que notre vieil homme a été crucifié
avec Jésus-Christ, afin que le corps du péché
soit détruit ? Il tire encoi'e une preuve de ce
qui est dit que le serpent d'airain élevé dans
le désert pour guérir les Isi-aélites mordus
des serpents , était la figure de Jésus-Christ
mourant sur la croix. Car, à quoi bon rendre
les enfants conformes à la mort de Jésus-
Christ, par le baptême, s'ils ne sont point
empoisonnés par la morsure du serpent? L'i-
gnorance prodigieuse dans laquelle naissent
les enfants, est aussi une preuve du péché
originel, puisqu'on ne voit point d'où leur
viendrait un si grand mal. Si les infirmités
de l'enfance, répondaient les pélagiens, sont
une suite du péché, pourquoi Jésus-Christ
les a-t-il souffertes? « Adam, répond saint
Augustin, ne les a point éprouvées, parce
qu'il n'est pas né d'un père pécheur, et qu'il
n'a pas été créé dans une chair de péché ;
mais nous les éprouvons à cause que nous
sommes nés de lui et dans une chair de
péché. Et si Jésus-Christ y a été assujetti,
parce qu'il est né dans la ressemblance de
la chair du péché, c'a été pour condamner
*Ie péché par le péché même, quoiqu'il en
fût exempt. « Ce Père fait voir ensuite com-
bien d'avantages les plus petits animaux ont
dès leur naissance au-dessus des enfants :
puis il explique les effets du baptême, qui
sont d'eflacertous les péchés, et d'empêcher
Rom, VI; 6.
Cap. xïx
Ciii. Xïx
422
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
que la concupiscence ne domine et ne nous
cip, xxxix. entraîne ; car elle reste dans les baptisés,
pour leur donner lieu de vaincre en com-
iDatlant, et on ne peut eu être entièrement
délivré en ce monde sans uu miracle inef-
fable.
Anaiise du 8. Dans Ic sccond livre , saint Augustin
pecond livre, . . , r ^t , r> ■ -t ' '
pag. 30. examme si, excepte JNotre-beigneur Jesus-
Christ , médiateur de Dieu et des bommes
il y a jamais eu un homme, s'il y en a, ou
c=P''' s'il en existera sans pécbé. Ce qui l'enga-
gea à l'examen de cette question, fut que
les pélagiens soutenaient que le libre ar-
bitre suffisait seul pour ne pas pécher. « S'il
C'p."- en est ainsi, leur dit le saint Docteur, nous
ne devons point prier Dieu de ne nous
pas laisser succomber à la tentation. » Ils
se fondaient sur ce qu'il est vrai de dire,
que nous ne péchons pas, si nous ne vou-
lons point, et que Dieu ne nous commande
rien d'impossible. «Mais, dit-il, ils ne font pas
réflexion qu'il y a des occasions où l'hom-
me ne fait point tout ce qu'il pourrait, et
rsai. cxL.T. que celui-là l'a prévu qui a dit par son pro-
cip. m. phcte : Aucun homme vivant ne sera justifié
en ma présence. Prévoyant donc la faiblesse
de l'homme, il lui a prescrit des remèdes
salutaires contre les péchés, ceux - mêmes
que l'on commet après le baptême. Ces re-
mèdes sont les œuvres de miséricorde mar-
Lic. T., 37. quées dans l'Évangile en ces termes : Par-
donnez, et il vous sera pardonné ; donnez, et on
vous donnera. n Saint Augustin dit ensuite que
la concupiscence, qui est comme la loi du
péché, naît avec les enfants ; que ce qu'il y
a de criminel en elle est effacé par le bap-
tême, mais qu'elle ne laisse pas de demeu-
rer dans les membres de ce corps de mort
pour nous exercer dans la vertu; mais qu'il
n'y a que le consentement qiie nous lui
donnons, qui puisse nous nuire après avoir
Cap. IV. reçu ce sacrement. C'est pour nous aider à
vaincre les mouvements de cette concupis-
cence, que, suivant le précepte de Jésus-
Christ, nous disons à Dieu dans l'Oraison
dominicale : Remettez-nous nos dettes, comme
nous les remettons à nos débiteurs : ne nous
induisez point à la tentation, mais délivrez-
nous du mal. Car, l'on peut renfermer tout ce
qui nous est nécessaire à cet égard, en ces*
trois demandes : Seigneur, pardonnez-nous
toutes les fautes dans lesquelles la concu-
piscence nous a entraînés ; aidez-nous à
empêcher que la concupiscence ne nous en-
traîne ; délivrez-nous entièrement de la con-
cupiscence. Pour pécher , le secours de
Dieu ne nous est point nécessaire , mais
pour remplir dans toutes ses parties le pré-
cepte de la justice, nous ne le pouvons, si
Dieu ne nous aide. C'est pom-quoi, lorsqu'il
nous ordonne par son prophète, de nous
convertir à lui, nous lui répondons : Con-
vertissez-nous, Dieu des vertus ; c'est comme
si nous lui disions : Donnez-nous ce que
vous commandez. Dieu nous aide, ainsi que
le dit le Psahniste, mais il faut que celui qui
est aidé s'efforce de faire quelque chose de
lui-même, et qu'il ne se contente pas de vou-
loir : car, le secours qui nous est accordé,
n'opère pas en nous comme sur des pierres
inanimées. Si on demande pourquoi Dieu
aide celui-ci, et n'aide pas celui-là ; pour-
quoi il aide plus celui-ci, et qu'il aide moins
celui-là ; pourquoi il aide celui-ci de cette
manière, et celui-là d'un autre manière ;
c'est en Dieu qu'est renfermée la raison
d'une justice si cachée, et d'une puissance
si souveraine. »
9. Saint Augustin, poiu- éclaircir la ques-
tion qu'il s'était d'abord proposée, commence
par demander, s'il est possible que l'homme
vive en ce monde sans aucun péché. Il ré-
pond que cela est possible, non-seulement
parce qu'en soutenant le contraire il faudrait
nier la grâce et le libre arbitre , mais encore
parce que Dieu n'a rien commandé d'impos-
sible à l'homme. D'où il suit qu'aidé de
Dieu, il peut être sans péché s'il le veut. A
la seconde question, s'il y a quelqu'un qui
vive eu ce monde sans péché, il répond qu'il
ne le croit pas, et se fonde sur ces paroles
de saint Jean : Si nous disons que nous sommes
sans péché, la vérité n'est point en nous. Les
pélagiens objectaient que le même Apôtre
dit aussi : Celui qui est né de Dieu ne pèche
"point. Saint Augustin répond, que quoique
le nouveau baptisé soit fils de Dieu par la
régénération spiritueUe, il ne laisse pas de
porter un corps qui se corrompt et qui ap-
pesantit l'âme ; qu'ainsi s'il est fils de Dieu
par son baptême et par ses bonnes œuvres,
il peut être fils du siècle en faisant le mal.
Noé, Daniel et Job, dont l'Écriture relève
extrêmement les vertus, n'ont pas été
exempts de péchés , il en est de même de
Zacharie et de son épouse Elisabeth, que les
pélagiens apportaient pour exemples. En
elïet, Zacharie , étant du nombie des prê-
tres, devait, selon que nous l'apprend saint
Paul, prier pour ses péchés, et pour ceux du
Pi
LXXXIV, S
Psal. LHI
Psal. X7I.
Cap.
Cap. VI.
Cap. \.
Cap. xiil.
[îv» ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HEPPONE.
423
peuple : il n'en était pas par conséquent
exempt. Mais Dieu commande d'être par-
fait , comme il est lui-même parfait , di-
saient ces hérétiques; la chose est donc
possible. Saint Augustin répond qu'il sulËt,
pour être appelé parfait qu'on ait fait beau-
coup de progrès dans la vertu, sans qu'il
soit besoin pour cela d'atteindre le dernier
degré de perfection. Ils ajoutaient : Pour-
quoi Dieu ordonnc-t-il à l'homme d'être si
parfait, qu'il ne commette aucun péché,
puisqu'il sait qu'aucun homme n'accomplira
ce précepte ? « Dites-moi, lem' répond saint
Augustin, pourquoi Dieu avait-il défendu à
Adam de manger du fruit de l'arbre de
la science, quoiqu'il sût qu'il transgresserait
son commandement ? Si Dieu donne des pré-
ceptes aux hommes, c'est pour récompenser
ceux qui les accompliront, et punir tous
ceux qui les mépriseront. Mais, à l'égard de
ceux qui, vivant dans l'observation de ses
préceptes, ne les accomplissent pas néan-
moins tous. Dieu leur pardonne, s'ils par-
donnent eux-mêmes aux autres, comme ils
souhaitent qu'il leur soit pardonné. » Les
pélagiens objectaient : L'Apôtre ne dit-il
pas : J'ai combattu, j'ai achevé ma course, j'ai
gardé la foi : il ne me reste qu'à attendre la
couronne de justice qui m'est réservée. Parle-
rait-il ainsi s'il avait été coupable de quelque
péché? Saint Augustin répond qu'ils ne fe-
raient pas eux-mêmes une pareille objec-
tion, s'ils faisaient attention à ce que le
même Apôtre dit dans un autre endroit,
qu'il avait prié trois fois le Seigneur afin que
l'ange de satan se retirât de lui, et que
Dieu lui avait répondu : Ma grâce vous suffit ;
car la vertu se perfectionne dans la faiblesse.
Osera-t-on dire qu'un homme à qui les ten-
tations du démon étaient nécessaires pour
le perfectionner, ait été entièrement pm' de
péché?
10. Saint Augustin vient ensuite à la troi-
sième question, qui était de savoir pom'quoi
personne n'est sans péché en cette vie?
«Pourquoi, dit-il, n'arrive-t-il point que
l'homme soit sans péché, puisque la volonté,
aidée de la grâce, peut l'éviter ? Il serait aisé
de répondre que cela n'arrive point, parce
que les hommes ne le veulent point. Or, les
hommes ne veulent pas faire ce qui est juste,
ou paixe qu'ils ne connaissent pas ce qui est
juste, ou que ce qui est juste ne leur plaît pas.
Comme donc il dépend de la grâce divine
qui aide leurs volontés, que ce qui lem' était
Psal.
LXXXIV, 13.
caché leur soit découvert, et que ce qui ne
leur plaisait pas , vienne à leur plaire , s'ils
ne sont pas, aidés par la grâce, la cause en
est dans eux et non pas en Dieu. Il suit de
là, qu'il y a deux causes du péché : l'igno-
rance et l'infirmité. N'imputons donc jamais
à Dieu la cause des péchés de l'homme ;
c'est l'orgueil qui est l'uniqpe cause de tous
les vices, et c'est pour ôter cette cause que
Dieu s'est humilié. Il n'y a personne de nous
qui ne se trouve quelquefois dans la disposi-
tion ou de commencer, ou de continuer, ou
d'accomplir une bonne œuvre, et quelquefois
on ne s'y trouve pas ; il n'y a de même per-
sonne à qui il n'arrive, que tantôt le bien
lui plaît, et tantôt il ne lui plaît pas ; Dieu a
voulu par là nous apprendre que ce n'est pas
par notre puissance, mais par la grâce de
Dieu, que nous connaissons le bien, ou que le
bien nous plaît, et qu'ainsi pour nous guérir
de la vaine gloire, sachant ce qui est dit,
non de cette terre où nous vivons, mais de
notre âme : Le Seigneur donnera la douceur
de ses 7'osées, et notre terre produira son fruit.
Or, le bien nous plaît d'autant plus, que
nous aimons davantage Dieu, qui est le bien
souverain et immuable, et l'unique auteur
de tous les biens. Mais, pour l'aimer, son
amour est répandu dans nos cœurs, non par cap. .wm
nous-mêmes, mais par le Saint-Esprit qui nom.T, s,
nous a été donné. »
Le saint Docteur convient que les hom-
mes sont embarrassés pour distinguer ce
qu'il y a dans notre volonté de bien, qui
soit de nous et non de Dieu, et qu'ils ne le
sont pas moins dans l'accord du libre arbi-
tre avec la grâce ; parce qu'en défendant la
grâce, il semble qu'on détruit le libre arbi-
tre, et qu'on anéantit la grâce lorsqu'on éta-
blit la liberté. Les pélagiens disaient que
Dieu est auteur de la bonne volonté, parce
qu'il a créé l'homme, qui n'aurait point de
volonté, si Dieu ne l'avait fait tel qu'il est;
d'où ils inféraient que, tenant son être de
Dieu, on doit attribuer tout ce qui est en lui
au Créateur.' o Par la même raison, répond
saint Augustin, on pourrait dire que Dieu
est auteur de le mauvaise volonté, parce
qu'elle ne peut être dans l'homme, s'il n'y a
point d'homme où elle puisse être. » Il sou-
tient donc qu'on doit reconnaître que, non-
seulement le libre arbitre qui peut s'inchner
çà et là est un bien naturel, mais encore
que la bonne volonté, dont on ne peut
faire aucun mauvais usage, vient de Dieu.
424
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
«Autrement, comment entendra -t- on ces
icor. 1/, 7. paroles de l'Apôtre : Qu'avez-vous que vovs
n'ayez point reçu ? Car, si nous rendions de
nous-mêmes notre volonté bonne, ce qui
viendrait de nous serait meilleur que ce que
nous aurions reçu de Dieu ; ce qui étant ab-
surde , il faut avouer que c'est par la grâce
de Dieu que nous acquérons une bonne vo-
lonté. Au reste, ce serait une chose bien
étrange que la volonté ne fût ni bonne, ni
mauvaise, puisqu'il est incontestable, ou
qu'elle aime la justice, et, en 'ce cas, elle
est bonne ; et plus elle aime, plus elle est
bonne ; comme au contraire moins elle
l'aime, moins elle est bonne; ou qu'elle ne
l'aime point du tout, et alors elle n'est pas
bonne. Or, qui peut faire difficulté d'appe-
ler non- seulement mauvaise, mais très-
mauvaise, une volonté qui n'aime la justice
en aucune sorte ? »
Saint Augustin prouve, par divers passa-
ges de rÉcriture, que c'est Dieu qui donne
prnv. V,,,, cette bonne volonté, et il ajoute : « Quand
3:1. l'salm. -, .'' , .
xxsi-i . 2:). nous nous détournons de Dieu, cela ne vient
rail. M, M. que de nous, et alors notre volonté est mau-
vaise; mais pour nous convertir à Dieu, nous
ne le pouvons que par son inspiration et son
assistance; et quand cela est, notre volonté
est bonne. » Il prouve aussi que la grâce est
donnée aux uns par miséricorde, et refusée
aux autres par justice, et qu'en cela la con-
duite de Dieu n'est point répréhensible; que
quelquefois même il ne donne pas sa grâce à
ses saints, soit en ne leur donnant pas la con-
naissance de la justice d'une bonne œuvre,
soit en ne leur inspirant pas un plaisir vic-
torieux pour l'accomplir; afin de leur faire
connaître que c'est de lui seul et non pas
d'eux-mêmes que leur vient cette lumière
qui éclaire leurs ténèbres, et cette douce ro-'
c»p. VIS. sée qui fait fructifier leur terre spirituelle.
« Quand donc nous demandons h Dieu le se-
cours de sa grâce, que lui demandons-nous
autre chose, sinon qu'il nous découvre ce
qui nous était caché , et qu'il nous fasse
trouver doux et agréable, ce qui ne nous
plaisait pas? C'est aussi cette même grâce
qui nous a appris à lui demander ce qui au-
paravant nous était taché, et qui nous a fait
aimer ce qui auparavant ne nous plaisait
i Cor. i, ,11. pas , afin que celui qui se glorifie, ne se glori-
fie que dans le Seigneur.)) Selon le saint Doc-
tem-; c'est une des justes peines du péelic
que d'avoir maintenant de la peine h obéir
à la justice ; si ce vice n'est surmonté par le
secours de la grâce, nul ne se convertit à
cette même justice ; s'il n'est guéri en nous
par la grâce, nul ne jouit de la paix de la
justice ; et ce vice n'est vaincu que par la
grâce de celui à qui nous disons dans les j
Psaumes : Convertissez-nous, Dieu de nos san- ^tx^iv,^'
tés, et détournez votre colère de dessus nous;
si Dieu le fait , il le fait par miséricorde , et
ceux à qui il n'accorde pas cette grâce, il le
fait par justice ; il diffère même quelquefois do
guérir certains défauts dans quelques-uns do
ses saints, et de ses fidèles, en sorte que le
bien ne leur plaît pas autant qu'il faudrait
pour le parfait accomplissement de la jus-
tice, soit que ce bien leur soit caché, soit qu'il
leur soit découvert , afin que, suivant l'ora-
cle invariable de sa vérité, nul homme vivant Psai. oim
. 2,
ne se puisse justifier en sa présence. Toutefois
Dieu, en ne nous guérissant pas si prompte-
ment, ne veut pas pour cela que nous nous
rendions dignes d'être condamnés, mais que
nous en devenions plus humbles , et il nous
fait ainsi mieux sentir le prix de sa grâce,
de crainte que si nous trouvions une si gi-ande
facilité en toutes choses, nous n'attribuas-
sions à nous-mêmes, ce qui ne vient que de
lui : ce qui est une erreur très-contraire et
très-pernicieuse à la piété et à la religion.
11. A l'occasion de la quatrième question, cap. "■
qui est de savoir si quelqu'un, excepté Jésus-
Christ, a été ou a pu être sans péché, saint
Augustin décrit l'état de l'homme avant le pé-
ché, remarquant cpi'alors l'homme n'éprou-
vait aucune désobéissance, ni révolte en son
corps, et l'état de l'homme après le péché,
où il est dans une guerre continuelle, l'âme,
par sa désobéissance, étant devenue comme
ennemie de la loi de son Seigneur, et le
corps se révoltant continuellement contre
l'esprit. Il rapporte aussi de quelle manière ^ap. sx.
la nature humaine, corrompue par le péché, '■^"' '"''^''
a été renouvelée par Jésus-Christ, et com-
bien de grâces le Verbe de Dieu nous a pro-
curées par son incarnation. Les pélagiens
objectaient que, puisque Lévi avait été dé- cap. sx,-.
cime, lorsqu'il était encore dans les reins
d'Abraham, rien n'a empêché qu'on ne crût
un enfant baptisé au moment que son père
avait reçu le baptême. Saint Augustin ré-
pond, qu'un même homme devant plusieurs
fois payer la dîme , tous les Israélites la
payant chaque année de tous leurs fruits, on
ne pouvait en tirer une conséquence pour le
baptême qui ne se donne qu'une fois, com-
me la circoncision ne se réitérait pas. Ces
[]Y« ET V^ SIÈCLES.]
■ ""• hérétiques ajoutaient : l'Apôtre ne dit-il pas
qne les enfants (Jes fidèles sont saints, pour-
quoi donc les baptiser? « Mais, si les enfants
des fidèles sont saints, leur répond saint Au-
gustin, pourquoi ont-ils, selon vous, besoin
p. xx»i. du baptême pour entrer dans le royaume
des deux? » Il distingue plusieurs sortes
■ de sanctification. Les eatécliumènes étaient
sanctifiés par l'imposition des mains et par
la prière. Le mari infidèle, ainsi que le dit
Cor. Tii, saint Paul, est sanctifié par une femme fi-
imtth.iv, (Jèle. Les aliments mêmes que nous prenons
pour les besoins de la vie, sont sanctifiés
par la parole de Dieu et par l'oraison. Mais
ces diverses espèces de sanctification ne
donnent point la rémission des péchés, et il
en est de même de celles dont parle l'Apô-
tre, lorsqu'il dit que les enfants des fidèles
sont saints, quelle que soit cette sanctifica-
p. xK7n. tion. Mais, insistaient les pélagiens, les péchés
d'un père ne lui nuisent point après sa con-
version, comment donc pourraient-ils nuire
à son enfant? Saint Augustin répond que les
péchés du père sont eftacés dans le baptême,
parce qu'il y reçoit une nouvelle vie selon
p. i.wiii. l'esprit; mais qu'il engendre par son corps
dans lequel le vieil homme n'est point
éteint. C'est-à-dire que la concupiscence que
m.vi,!2. l'Apôtre nomme péché, subsiste dans les
baptisés, quoique la coulpe en soit effacée,
et c'est de cette source infectée que nous ti-
p.sxix. rons notre origine. Saint Augustin prouve
que tous les prédestinés sont sauvés par un
seul médiateur qui est Jésus-Christ et par
une seule et même foi, comme c'est aussi
par Jésus-Christ que sont sauvés les en-
fants.
p ixx. Si Adam nous a donné la mort, disaient
les pélagiens, Jésus-Christ doit faire que
ceux qui croient en lui ne meurent pas ; au-
trement le péché de notre premier père
nous aurait plus nui que la rédemption de
Jésus-Christ ne nous aurait fait de bien, h II
est écrit, répond saint Augustin, que comme
tous meurent en Adam, tous seront vivifiés
en Jésus-Christ, ce qui doit s'entendre de la
résurrection du corps. Adam nous a causé
la mort temporelle et Jésus-Christ nous pro-
met la résurrection corporelle de tous à la
vie éternelle : c'est là le sens des paroles de
saint Paul. D'où il est visible que la ré-
demption de Jésus-Christ nous a fait plus
de bien que le péché d'Adam ne nous a
<p. xxxiii. nui. » Ils insistaient : Si le péché est la cause
de la mort corporelle , après la remission
SAINT AUGUSTIN, ÏÏVEQUE D'HIPPONE.
423
des péchés on ne devrait plus mourir. La
femme, leur dit saint Augustin, a été con-
damnée à enfanter avec douleur à cause de
son péché, toutefois, les autres femmes,
après avoir obtenu la rémission de leurs pé-
chés, ne laissent pas d'enfanter avec peine et
avec douleur. Avant la rémission du péché, la
mort est une peine du péché; mais depuis
que le péché est remis , elle sert d'épreuve
aux justes, comme on le voit par les martyrs.
C'est une suite de l'ordre de Dieu qui veut
que nous nous efforcions d'acquérir par nos
travaux et nos peines, la justice que nous
-avons perdue par le péché. « Et c'est en-
core pour cela, dit saint Augustin, qu'Adam,
ayant été chassé du paradis après son pé-
ché, habita à l'opposite à'Eden, c'est-à-dire
à l'opposite du siège des délices, pour nous si-
gnifier, par l'interprétation de ce mot, que
la chair du péché devait être réformée par
les travaux, qui sont contraires à ces délices,
parce qu'elle n'avait pas gardé l'obéissance
dans les déhces avant d'être devenue la chair
du péché. » Il montre encore, par l'exemple
de David, que la coulpe du péché peut être
effacée, quoique la peine subsiste; car on
voit, dit-il, par le second livre des Rois, qu'a-
près que l'homicide et l'adultère de David
lui eurent été pardonnes , Dieu lui fit subir
les peines dont il avait menacé de le punir.»
Sur la fin de ce second livre, ce Père se
propose la question de l'origine de l'âme, et
de la manière dont elle se trouve coupable
du péché originel ; mais il en renvoie la dé-
cision à un autre traité, remarquant que,
dans les choses obscures, il ne fallait point
précipiter son jugement, quand on ne peut
les éclaircir par des témoignages certains et
évidents des divines Écritures.
12. n n'y avait que peu de jours que ces
deux livres étaient achevés, lorsque saint
Augustin, ayant trouvé les notes de Pelage
sur les Épîtres de saint Paul, y remarqua de
nouveaux arguments que Pelage proposait
comme le sentiment d'un autre contre le pé-
ché originel. Ces arguments, que ce Père
n'avait point prévus, lui donnèrent occasion
d'ajouter à ces deux livi-es une lettre à Mar-
cellin, ou plutôt un troisième livre , dont le
dessein est de montrer comment les enfants
sont comptés pour fidèles , et profitent de la
foi de ceux qui les présentent au baptême.
Il continue, dans ce troisième livre, comme il
aîaif fait dans les deux précédents , à taire
les noms de ces nouveaux hérétiques, espé-
Cap. \x.ïi\'.
Analyse du
Iroisièmo li-
vre, pajj. 71.
Cap. I.
Lib. II Ko
tract., cap
xxxni.
426
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
rant par là de les corriger plus facilement. Il
donne même dans le troisième quelques
louanges à Pelage, parce que plusieurs van-
cip- "• talent sa bonne vie. Il disait donc que si le
péché d'Adam nuit à ceux qui ne pèchent
point , la justice de Jésus-Christ sert aussi à
ceux qui ne croient point : car sa rédemption
est plus efficace que la prévarication de notre
premier père. Saint Augustin, profitant de
l'aveu des pélagiens, leur dit : «Vous n'ose-
riez nier, si vous êtes chrétiens, que la jus-
tice de Jésus-Christ ne soit utile aux enfants
cnp. iM. baptisés. Or, elle ne leur servirait de rien,
selon vous, s'ils ne croyaient pas : vous ne
sauriez donc vous dispenser de mettre les en-
fants baptisés au nombre des croyants, et de
vous rendi-e à l'autorité de la sainte Église,
qui ne les croit pas indignes du nom de fidè-
les. Au contraire, s'ils ne sont pas baptisés,
ils seront parmi ceux qui ne croient pas, et
dès lors ils n'auront point la vie, mais la co-
lère de Dieu demeurera sur eux, parce que,
joan. 111,36. commc dit l'apôtre saint Jean , celui qui ne
croit pas au Fils n'aura point la vie, mais la
colère de Dieu demeure sur lui. n Pelage di-
sait que les enfants qui naissent de deux
baptisés , n'ont aucun péché , puisque jleurs
parents n'en ayant point , ils n'ont pu en
transmettre. Il ajoutait : « Si les parents sont
seulement la cause de la formation du corps,
il serait injuste que l'âme qui ne vient point
d'Adam , fût souillée de son péché. » Et en-
core : « Quelle apparence que Dieu, qui par-
donne les propres péchés, veuille imputer
ceux d'autrui ! » Saint Augustin ayant déjà
réfuté ces raisonnements dans les deux livres
précédents, se contente de répéter ici ce
qu'il y avait dit, ajoutant que , quand même
îl ne pourrait les réfuter, il faudrait s'en te-
nir à ce que l'Écriture sainte enseigne clai-
rement sur cette matière. Il en rapporte di-
vers passages par lesquels on voit clairement
que les enfants sont comme tout le reste des
hommes, coupables de péché, et qu'ils ne
peuvent entrer dans le royaume du ciel sans
renaître de l'eau et de l'esprit. Il ajoute à
cette autorité celle de l'Église universelle
qui a toujours cru que les enfants obtenaient,
par le baptême, la rémission du péché origi-
nel; le témoignage de saint Cyprien qui,
consulté s'il fallait baptiser les enfants avant
le huitième jour, n'aurait pas été d'avis qu'on
les baptisât aussitôt après leur naissance ,
s'il n'avait cru qu'ils avaient besoin du sa-
crement de baptême pour effacer le péché
S.Hypron
Jon,, cap.
Cap. IV.
Rom. V, 12
Joan. m, <
Maltb. I,2J
Cap. V.
dans lequel ils étaient nés. En effet, il le dit
assez clairement dans un long passage de la
lettre à Fidus , que saint Augustin rapporte
tout entier. Il en cite un autre tiré dii com-
mentaire de saint Jérôme sur Jonas, où, ren-
dant raison de l'ordre que le roi de Ninive
donna pour l'observation d'un jeûne par les
personnes de tout âge , il dit avec Job que
personne n'est exempt de péché , pas même
un enfant d'un jour. Il ajoute : « La doctrine
du péché originel a été enseignée non-seule-
ment par tous ceux qui , dès le commence-
ment de l'Église , soit grecs , soit latins, ont
expliqué les divines Écritures; je ne me sou-
viens pas même d'avoir lu aucun écrit , soit
des schismatiques , soit des hérétiques, du
nombre de ceux qui reçoivent l'Ancien et le
Nouveau Testament , qui n'ait aussi suivi ce
sentiment. Ce n'est que depuis peu et vers
le temps de la conférence de Garthage, c'est-
à-dire vers l'an 411 que l'on a commencé à
enseigner une doctrine contraire ; Jovinien
qui aurait pu, en la soutenant, donner beau-
coup plus de cours à ses erreurs touchant le
mai'iage , ne pensa jamais à enseigner que
les enfants naissaient sans le péché originel.
Saint Augustin ne descend pas dans ce dé-
tail de témoignages comme s'ils étaient de
la même autorité que ceux que l'on tire des
saintes Écritures; mais uniquement pour
faire voir que, jusqu'à Pelage, on n'avait ja-
mais varié sur la doctrine du péché originel,
si clairement marquée dans ces parole de
l'Apôtre : Le péché est entré dans le inonde par Rom. v, i
un seul homme, et la mort par le péché ; ainsi
la mort est passée dans tous les hommes, tous
ayant péché dans un seul.
13. « Comment, disaient les pélagiens, se cap.vu.
peut-il faire que Dieu, qui remet les propres
péchés, en impute d'étrangers? » Saint Au-
gustin répond que le péché originel n'est
étranger à im enfant que lorsqu'il n'est pas
encore né, mais qu'il est propre et particulier
à tous ceux qui, étant nés, n'en ont pas ob-
tenu la rémission par la régénération spiri-
tuelle. (( Comment, disaient-ils encore, deux
personnes baptisées, peuvent-elles transmet-
tre le péché originel qu'elles n'ont pas? » Le
saint Docteur répond par l'exemple d'un cir-
concis qui engendre un enfant incirconcis.
Mais comme il avait affaire aux pélagiens qui i.cap. ix.
avouaient que le baptême devait se donner
aux enfants mêmes des baptisés, il leur de-
mande pourquoi un chrétien baptisé ne pro-
duit pas un enfant chrétien et baptisé? Il
[rv" ET V* SIÈCLES.]
passe légèrement sur la difficulté qu'il y a
d'expliquer comment l'âme est souillée du
péché originel, en remettant à l'éclaircir
dans un autre ouvrage. Il dit seulement ici
que toutes les peines auxquelles notre âme
est sujette, par son union avec le corps, sont
une 'preuve qu'elle n'est pas innocente. Il
soutient, ainsi qu'il avait déjà fait, que ces
paroles de saint Paul : Comme tous meurent
en Adam, tous revivront aussi en Jésus-Christ,
doivent s'entendre de la résurrection des
corps. H finit en témoignant que si , selon le
précepte de Dieu, l'on doit prêter secours
aux pupilles et aux orphelins, à plus forte
raison doit-on procurer aux enfants la grâce
du baptême, qu'ils ne peuvent demander par
eux-mêmes.
§11.
Bti livre de l'Esprit et de la lettre.
1. Marcellin en lisant le second livre des
Mérites et de la rémission des péchés , fut
surpris d'y trouver cjue , quoique l'homme
pût être sans péché par la toute puissance
de Dieu, on ne pouvait dire néanmoins qu'à
la réserve du seul Médiateur, qui, n'ayant'
que la ressemblance de la chair de péché , a
souffert toutes les misères attachées à la
condition de l'homme , quoiqu'il fût absolu-
ment sans péché , aucun autre en cette vie
ait jamais été, ou doive être jamais sans pé-
ché. Il récrivit donc à saint Augustin qu'il
lui paraissait étrange de croire possible une
chose , lorsqu'il ne s'en trouve aucun exem-
ple. C'est ce qui donna occasion à ce saint
Docteur de lui adresser quelque temps après
un nouvel ouvrage qu'il intitula : De l'Esprit
et de la lettre, parce qu'il y traite ce passage
de l'Apôtre dans sa seconde Épître aux Co-
rinthiens : La , lettre tue , et c'est l'esprit gui
donne la vie. Il met cet écrit un peu après les
livres des Mérites et de la rémission des pé-
chés, c'est-à-dire vers l'an 412 : on ne peut
du moins douter qu'ils n'aient été achevés
avant le mois de septembre de l'an 413, au-
quel MarceUin fut mis à mort. 11 est cité dans
le livre de la Foi et des œuvres , et dans le
troisième de la Doctrine chrétienne.
2. Pour montrer qu'il n'est pas absm'de de
dire qu'une chose soit possible, quoiqu'il n'y
en ait point eu d'exemple, saint Augustin se
sert de diverses façons de parler de l'Évan-
gile, tout à fait semblables à celles que Mar-
cellin reprenait. Il n'y a point d'exemple
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
427
qu'un chameau ait passé par le trou d'une
aiguille ; toutefois Jésus-Clirist dit que cela
est possible à Dieu. Le même Sauveur dit
que, pour se délivrer du supplice de la mort,
il pouvait faire combattre douze mille légions
d'anges; cependant cela n'est point arrivé.
D'où saint Augustin infère que, quoiqu'on ne
puisse faire voir qu'il soit eflectivement arri-
vé à un homme, autre qu'à celui qui est Dieu
et homme par sa nature , il ne soit possible
qu'il y en ait quelqu'un qui soit sans péché.
Il avoue que , si l'on voulait soutenir qu'il
s'est trouvé des personnes qui ont vécu sans
péché , ce ne serait pas une erreur des plus
pernicieuses, mais que c'en est une bien plus
considérable de prétendre que la volonté
humaine est assez forte pour atteindre d'elle-
même et sans le secours de Dieu à la per-
fection de la justice, ou du moins pour avan-
cer dans la voie qui y conduit.
Les pélagiens, voyant qu'il y avait une cap. n.
grande impiété à soutenir que ces choses
fussent possibles sans la grâce de Dieu , di-
saient que son secomrs était effectivement
nécessaire ; mais par ce secours ils n'enten-
daient autre chose que le libre arbitre que
Dieu avait donné à l'homme en le créant,
et la connaissance de la loi , dont les pré-
ceptes lui montraient comment il devait vi-
vre. En sorte que le secours de Dieu consis-
tait, selon eux, en ce que par ses enseigne-
ments Dieu tire l'homme de son ignorance ,
et lui fait voir ce qu'il doit éviter et recher-
cher dans toutes ses actions, afin que, par
les forces naturelles de son libre arbitre , *
il marche dans la voie que Dieu lui montre, cap. m.
Saint Augustin prétend au contraire qu'outre
le libre arbitre et les instructions de la loi , il
est encore nécessaire que nous recevions le
Saint-Esprit , qui seul produit dans notre
cœur l'amom- du bien souverain et immua-
ble , qui n'est autre que Dieu même; qui
seul nous le fait trouver doux et agréable ,
pendant même que nous marchons encore
ici-bas dans l'obscurité de la foi, et non dans
le grand jour de la claire vision ; et qui nous
étant donné comme un gage d'un don gra-
tuit, fait que nous ne respirons que de nous
unir à notre Créateur. Car, le libre arbitre
n'a de force que pour pécher, non-seulement
pendant que la voie de la vérité lui est ca-
chée, mais après même qu'il a commencé de
la connaître ; et quand même il la connaî -
trait, si elle ne lui plaît, s'il ne l'aime, n'agit
point, il ne l'embrasse point , il ne mène pas
428
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
nom.T, G. une bonne vie. Or, ce qui fait qu'on aime la
vérité , c'est, selon saint Paul, la charité de
D.ieu répandue dans nos cœurs, non par no-
tre libre arbitre que nous tirons de nous ,
Cap. iT. mais par le Saint-Esprit qui nous est donné.
Ainsi, la connaissance de la loi, sans l'esprit
qui seul vivifie, n'est qu'une lettre qui tue;
ce n'est pas que la loi, qui défend de pécher,
ne soit quelque chose de bon et de louable ;
mais tant que le Saint-Esprit ne prête point
son secours, qu'il n'inspire point de bons et
de saints désirs au lieu des mauvais désirs
de la cupidité , c'est-à-dire tant qu'il ne ré-
pand point la charité dans nos cœurs, cette
loi, toute bonne qia'elle est, ne fait par sa
défense qu'irriter le désir du mal, comme
l'opposition d'une digue ne fait qu'augmenter
le poids et la force de l'eau, quand elle coule
toujours du même côté, en sorte que, venant
à passer par dessus, elle se précipite en bas
avec bien plus de violence. « Je ne sais , dit
saint Augustin , comment il arrive que ce
que la cupidité désire lui devient plus doux
par la défense : et c'est apparemment ce que
veut dire l'Apôtre , quand il dit que le péché
nous séduit. »
Ce Père donne ensuite le sens de ces pa-
d.. T. rôles : La lettre tue, l'esprit donne la vie,
soutenant que saint Paul entend par la let-
tre, non les cérémonies de la loi qui ont été
abolies par la venue de Jésus-Christ, mais
les préceptes les plus saints et les plus invio-
lables, comme sont ceux du Décalogue, lors-
qu'on n'en a que la connaissance qui nous
en est donnée dans la loi, et non la force et
l'amour pour les accomplir, qui vient de l'ef-
fusion de l'esprit de Dieu et de la grâce.
Cip. m. (I Sans cet esprit de grâce, dit-il, tous ces
enseignements ne sont qu'une lettre qui tue,
et une occasion pour nous de devenir préva-
ricateurs , bien loin de cesser d'être pé-
cheurs; comme la connaissance de Dieu n'a
servi de rien aux sages du paganisme, parce
qu'ils n'ont point rendu à ce Dieu qu'ils con-
naissaient la gloire et les grâces qui lui sont
dues. » 11 distingue A cet effet la loi des œu-
c.ip. x.ii. vres, et la loi de la foi. Celle-là prescrit ce
qu'il faut faire, mais ne préserve pas l'hom-
me de l'orgueil; celle-ci l'en préserve. La
loi des œuvres est proprement dans le ju-
daïsme, et celle de la foi dans le christia-
nisme. La loi des œuvres commande avec
menaces, la loi de la foi obtient en faisant
_F,.ind. XX, croire. L'une dit : Vorm n'aurez point de mau-
vais ffe'siVs; et l'autre dit : Comme je savais
*
que nul ne peut réprimer les mauvais désirs, ^î
si Dieu ne lui en fait la grâce , et que sa- •
voir même d'où vient ce don là , c'est un effet
de la sagesse qui vient d'en haut , je me suis sap-rm,?-
adressé au Seigneur, et je le lui ai demandé.
Ainsi , par la loi des œuvres , Dieu dit à
l'homme : Fais ce que je te commande; et
par la loi de la foi, l'homme dit à Dieu : Don-
nez-moi ce que vous me commandez. La loi
ne commande qu'afni que la foi sache ce
qu'eUe a à faire, c'est-à-dire aiin que si
nous ne pouvons le faire , nous sachions ce
que nous avons à demander; ou que si nous
en avons déjà le pouvoir, et que nous le
mettions en pratique par une obéissance fi-
dèle, nous sachions qui nous a donné ce
pouvoir-là. Voilà en quoi consiste la diffé-
rence de la loi des œuvres, de celle de la
foi; car elles ont cela de commun, qu'elles
donnent l'une et l'autre la connaissance du
péché , puisqu'elles disent également, vous
n'aurez point de mauvais désirs. Saint Au-
gustin conclut de tout cela que les préceptes
qui enseignent à bien vivre ne sont point ce
qui justifie l'homme, mais cjue c'est la foi en
Jésus-Christ; en sorte que la justification se
fait, non par la loi des œuvres , mais par la
loi de la foi ; non par la lettre, mais par l'es-
prit; non par le mérite des œuvres, mais
par une grâce gratuite. Il parcourt tous les
commandements du Décalogue , qui , hors
l'observation du sabbat, regardent également
les chrétiens comme les juifs, et fait voir par
divers endroits des Épitres de saint Paul ,
que ces préceptes, si utiles et si salutaires,
qu'on ne saurait avoir la vie sans les obser-
ver, ne sont toutefois qu'une lettre qui tue.
La raison en est que tout ce qu'ils renfer-
ment de bien , est dans la lettre qui ne fait
que montrer ce qu'il faut que l'on fasse, et qui
ne donne point le secours de l'esprit, par
lequel seul on peut le faire; et que quand
on observerait les préceptes par la crainte
de la peine, au lieu de les observer par l'a-
mour de la justice , ce ne serait les observer
que servilement, et non pas librement, ce
qui est ne les point observer; car il n'j' a de
bon fruit que celui qui a la charité pour ra-
cine. Mais quand on a la fois qui opère par
l'amour, c'est alors qu'on commence à se
plaire dans la loi de Dieu selon l'homme
intérieur; plaisir qui n'est pas un ellet de la
lettre, c'est un don de l'Esprit qui com-
mence d'agir en nous , c'est l'eflet de la
grâce de Dieu qui nous délivre de ce corps
Cap. X!\'.
[IT' ET V' SIÈCLES.]
de mort par Jésus-Christ Notre-Seigneur.
■'■ 3. Cette grâce qui était autrefois caciiée
et comme voilée clans l'Ancien Testament, a
été dévoilée et découverte dans l'Evangile
de Jésus-Christ. De même, tandis que la loi
qui fat donnée à Moïse n'était gravée que
sur des tables de pierre , celle que le Saint-
hP' ^" "■ Esprit, qui est nommé le doigt de Dieu, a
donnée aux chrétiens, est gTavée dans les
cœurs. La première n'était écrite qu'au de-
hors pour donner de la terreur; la seconde
est répandue dans nos cœurs par le Saint-
Esprit qui nous est donné. Car cette loi n'est
autre que la charité qui nous fait faire le
bien. Saint Augustin appuie la différence de
ces deux lois sur divers endroits des Épitres
de saint Paul, en particuher sur le troisième
chapitre de la seconde aux Corinthiens, où
v"i. il leur dit : Vous êtes la lettre de Jésus-Christ,
dont nous n'amns été que les secrétaires, et qui
a été écrite non avec de l'encre, mais avec l'es-
prit du Dieu vivant; non sur des tables de
pierre, mais sur des tables de chair qui sont vos
cœurs. Il prouve, par les paroles du même
Apôti'e que la loi ancienne, n'étant autre que
la lettre extérieure qui n'est point écrite au-
dedans de l'homme, est appelée un minis-
tère de condamnation et de mort, au lieu
qu'on appelle la loi de la nouvelle alliance ,
le ministère de l'esprit et de la justification,
parce qu'elle nous fait faire par le don de
l'esprit des œuvres de sainteté et de justice,
et qu'elle nous délivre de la condamnation
que le violement de la loi fait encourir. Il
X. rapporte le passage de Jérémie où Dieu
-^-"''■'! promet de faire une nouvelle alliance avec
la maison d'Israël et la maison de Juda ;
mais bien différente de celle qn'il avait faite
autrefois avec leurs pères au jour qu'il les
prit par la main pour les tirer d'Egypte ; re-
marquant qu'à peine trouvera-t-on dans tout
l'Ancien Testament un autre passage aussi
précis sur la nouvelle alliance. Elle est tou-
tefois marquée et prédite, dit-il, en une infi-
nité d'autres endroits ; mais il n'y a propre-
ment que celui-ci où elle soit nommée par
son nom. Il ajoute, en parlant toujours de
la différence des deux lois : la loi de Moïse
a été donnée pour nous faire recourir à la
grâce , et la grâce pom' nous faire accomplir
la loi. De ce qu'on ne l'accomplissait pas, ce
n'est pas à elle qu'il faut s'en prendre, mais
à la prudence de la chair que la loi nous a
fait remarquer en nous , et dont la grâce est
.. le remède, Mais comment de ces deux al-
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPOiNE.
429
fiances, l'une est-elle ancienne et l'autre
nouveUe, puisque l'ancienne loi qui dit : Vous
n'aurez point de mauvais désirs; est celle-là
même qui s'accomplit dans la nouveUe? C'est,
répond saint Augustin , que la première n'é-
tait pas un remède sulïïsant pour la corrup-
tion de l'homme, qu'efie ne faisait que me-
nacer et instruire; au fieu que la seconde
renouveUe l'homme et le guérit de son an-
cienne corruption. Il autorise cette réponse
du passage de Jérémie que nous venons de
citer, et d'un endroit de la seconde Épître
aux Corinthiens , où l'on voit clairement
qu'en même temps que Dieu promet une
nouvefie alliance, il promet aussi qu'il écrira
sa loi dans les cœurs. Mais qu'efie est la loi
de Dieu écrite par lui-même dans les cœm-s,
sinon la présence du Saint-Esprit, qui, lors-
qu'il habite dans nos cœurs, y répand la
charité qui est l'accompfissement de la loi et
la fin du précepte. Tous les biens que pro-
mettait l'ancienne afiiance, étaient terrestres
et temporels, mais ceux de la nouveUe, sont
les biens du cœur, les biens de l'esprit , et
qui sont tels que ceux à qui Dieu les don-
nera , ne seront plus dans la crainte qu'im-
prime la loi extérieure ; mais que , revêtus
intérieurement de la justice de la loi, fis se-
ront remphs de l'amour de cette même jus-
tice.
4. Saint Augustin parle ensuite de la ré-
compense éternefie promise à ceux de cette
nouvelle afiiance, et prédite expressément
par le prophète Jérémie. Efie consiste dans
la vue de Dieu qui doit faire notre félicité
dans le ciel. Tous connaîtront le Seigneur,
depuis le plus petit jusqu'au plus grand ;
c'est-à-dire tous ceux qui composent, selon
l'esprit, la maison spirituelle d'Israël et de
Juda, et qui sont les descendants d'Isaac et
la postérité d'Abraham. Car ce sont là les
enfants de la promesse, et qui le sont non
par leurs i^ropres œuvres, mais par la grâce
de Dieu. Autrement la grâce ne serait plus
grâce; comme dit celui qui a si fortement
étabfi la grâce, je veux dire celui qui se
nomme le moindre des apôtres, quoiqu'fi
ait plus travaiUé qu'eux tous; non lui, mais
la grâce de Dieu qui était avec lui. Cette
nouvelle afiiance a encore besoin de pro-
phéties, du secours des langues, de la mul-
tiplicité des signes, qui font entendre une
chose par une autre; mais lorsque nous
serons dans l'état parfait, et que tout ce qu'il
y a d'imparfait sei-a aboli, alors celui qui
Jerem.xxxi,
31. II Coi.
.xxxin.
tCip.'xxi.
■ Cap.
xsu,
XXIII et xxiv.
430
HISTOraE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCUÉSIASTIQUES.
s'étant revêtu de chair s'est rendu visible
aux yeux de la chair, se montrera en sa
propre essence à ceux qui l'auront aimé ;
alors nous posséderons la vie éternelle par
la connaissance du seul véritable Dieu, alors
nous lui serons semblables, parce que nous le
connaîtrons comme nous sommes connus de
lui. Par ces paroles être grand ou petit dans
le royaume du ciel, saint Augustin entend la
différence qu'il y a même dans le ciel entre
la sainteté d'un saint, et celle d'un autre
saint, comme de la clarté d'une étoile, à
celle d'une autre étoile. Mais il enseigne
que tous les bienheureux recevront en mê-
me temps le bienfait promis de la claire
Cap. ïxv. vision de Dieu. Il donne encore pour diffé-
rence de l'Ancien' et du Nouveau Testament,
que ce qui épouvantait au dehors dans le
premier, plaît intérieurement dans l'autre,
et qu'en celui-là l'on devient prévaricateur
de la loi, n'ayant que la lettre qui donne la
mort ; au lieu qu'en celui-ci on devient ama-
teur de cette loi , étant rempli de l'esprit
qui donne la vie. Mais, si la différence des
deux alliances vient de ce que dans l'an-
cienne Dieu n'avait écrit sa loi que sur des
pierres, et que dans la nouvelle il l'écrit au-
Cap.jHvi. dedans des cœurs, qui est-ce qui fera la
différence des fidèles du Nouveau Testa-
ment d'avec ces nations, qui, portant écrit
dans le cœur ce que la loi prescrit, le font
naturellement, ainsi que le dit l'Apôtre dans
Rom. II, 14. son Épître aux Romains ? Ce Père répond
que par ces nations on ne peut entendre
que les gentils convertis à la foi ; et il le
prouve par ce que l'Apôtre avait dit précé-
demment. En effet, comment se pourrait-il
faire qu'il y eût des nations, qui, sans avoir
part à la grâce de l'Évangile, fissent le bien,
et à qui l'Apôtre pût promettre la gloire,
l'honneur et la paix, comme il le fait dans
cette Épître ? N'y dit-il pas encore que tous
les hommes ayant péché, ont tous besoin
que Dieu fasse éclater sa gloire sur eux, en
les justifiant gratuitement par sa grâce?
Comment donc aurait-il pu prétendre au
même endroit qu'il y eût des gentils obser-
vateurs de la loi et justifiés sans là grâce du
Sauveur ? Il ne parle pas contre lui-même ;
et quand il dit que ceux qui obsei'vent la loi
sont justifiés, il ne veut pas dire qu'on est
justifié par les œuvres sans la grâce; il
définit au conti'aire d'une manière très-ex-
presse, que l'on est justifié gratuitement par
la grâce sans les œuvres de la loi. Et quand
il dit que cela se fait gratuitement, son
unique but est de faire entendre que la jus-
tification n'est nullement l'effet des œuvres
qui la précèdent, autrement la grâce ne se-
rait plus grâce, si ce que l'on nomme grâce
venait des hommes. Quant à ce que dit c^t-^xv»,
. Ko""' "lit.
1 Apôtre, que les nations qui n'ont point la t
loi font naturellement les choses que la loi §
commande, cela ne signifie autre chose,
selon saint Augustin, sinon qu'ils accom-
plissaient la loi conformément à la nature
de l'homme réparée par la grâce. Car tout
l'effet de l'esprit de grâce n'est que de re-
tracer en nous l'image de Dieu, à laquefie
nous avons naturellement et originairement
été formés. La dépravation de l'homme par
le péché est proprement une maladie contre
nature, et qui ne se guérit que par la grâce ;
c'est pourquoi David disait à Dieu : Ayez ■^^'^- "->'•
pitié de moi, Seigneur, guérissez mon âme,
j'ai péché contre vous. Mais , lorsque Dieu
guérit cette dépravation, alors nous faisons
ce que la loi prescrit, et nous le faisons na-
turellement, c'est-à-dire conformément à
notre nature, dont le nom n'est pas là em-
ployé par opposition à la grâce, comme si
l'Apôtre avait eu dessein de la nier, mais
plutôt pour faire entendre que c'est par
elle que la nature est rétablie et réparée. Il
ajoute que si l'on veut entendre cela des
gentils, qui n'ont ni la connaissance ni le
culte du vrai Dieu, cela ne serait encore
rien contre ce qu'il avait dit du besoin que
tous les hommes ont de la grâce de Jésus-
Christ; puisqu'à examiner quelle a été la
fin des actions de ces gentils, que les règles
de la justice ne permettent pas de condam-
ner, mais qu'elles nous obligent même d'ap-
prouver, à peine s'en trouve-t-il qui méri-
tent d'être soutenues , et d'être louées
comme justes. Ce que l'Apôtre aurait donc
voulu dire, supposé qu'il eût parlé des gen-
tils non convertis, c'est que l'image de Dieu
n'est pas tellement effacée dans le cœur de
l'homme par le péché, qu'il n'en reste en-
core quelques vestiges, capables de faire
pratiquer quelques œuvres de la loi aux
nations mêmes qui n'ont point cette loi.
« Mais, continue ce Père, comme certains
péchés, c'est-à-dire les véniels, dont la vie
du juste ne peut être exempte, ne l'empê-
chent pas d'arriver à la vie éternelle, de
même quelques bonnes œuvres dont il est
difficile que la vie des plus méchants hom-
mes soit tout à fait destituée, sont inuti-
[IV° ET V' SIÈCLES.]
SAMÏ AUGUSÏLN, EVEQUE D'HIPPOiNE.
431
les pour cette même vie éternelle. Tout le
fruit qu'ils en recevront, c'est qu'ils seront
moins punis ; parce qu'ils auront moins pé-
ché que d'autres. Que personne donc, dit
saint Augustin, ne se glorifie de ce qu'il
croit avoir; et si l'on a quelque chose, qu'on
ne s'imagine pas que cela vient de ce que la
lettre de la loi a extérieurement frappé, ou
les yeux par la lecture , ou les oreilles par
la voix des prédicateurs. Si la justice s'ob-
tenait par la loi, en vain Jésus-Christ serait
mort. Si au contraire il n'est pas mort en
vain, confessons que c'est lui qui montant
au ciel a mené en triomphe notre captivité
captive, et qui distribue aux hommes les
dons qu'il lui plaît. »
Il s'étend sur les effets de la foi, et dit que
c'est par eUe que nous obtenons le salut,
c'est-à-dire et tous les dons qui en produi-
sent les commencements en nous dès cette
vie, et tous ceux par où nous en espérons
la perfection dans l'autre. Il ajoute que
comme la loi opère en nous la crainte, la
foi au contraire nous fait espérer en Dieu ;
et que c'est aussi la grâce qui fait que la
loi nous plaît plus que le péché. ITveut donc
que les âmes qui sont travaillées par la
crainte de la peine, aient recours par la foi
à la miséricorde de Djeu ; afin qu'il leur
donne ce qu'il leur commande ; et que leur
inspirant par le Saint-Esprit, la suavité de
sa grâce, il fasse en sorte que ses comman-
dements leur plaisent davantage , que ne
leur plaît ce qui les empêche de les accom-
plir.
5. Mais, dira- 1- on, le libre arbitre est
donc détruit par la grâce? « A Dieu ne
plaise ! répond le saint Docteur, c'est au
contraire la grâce même qui l'établit de la
même manière que la foi établit la loi, bien
loin de la détruire. Car la loi ne s'accomplit
que par le libre arbitre de l'homme ; mais
c'est par la loi que nous vient la connais-
sance du péché, et c'est au contraire par la
foi que nous obtenons la grâce contre le
péché ; c'est par la grâce que nous acqué-
rons la santé de l'âme dans la destruction
du péché ; c'est par la santé de l'âme que
nous jouissons du libre arbitre de la vo-
lonté ; c'est par la liberté de la volonté que
nous sommes touchés de l'amour de la jus-
tice ; et c'est par l'amour de la justice que
nous accomplissons la loi dans nos actions. ,
D'où il est clair que comme la foi bien loin .
de détruire la loi, l'établit, puisqu'elle fait s,
obtenir la grâce par laquelle on accomplit
la loi ; de même la grâce bien loin de dé-
truire le libre arbitre, l'établit, puisqu'elle
guérit la volonté pour lui faire aimer la jus-
tice. »
Ce Père demande ensuite si cette foi, qui
est le principe et le fondement de tout ce
qui concourt à notre salut, dépend de nous?
Avant de décider, il examine ce que c'est
que vouloir et pouvoir. « Quoique l'on
veuille, il ne s'ensuit pas que l'on puisse ;
et quoique l'on puisse, il ne s'ensuit pas que
l'on veuille. Comme il y a des rencontres où
nous ne pouvons ce que nous voudrions, il
y en a aussi où nous ne voulons pas ce que
nous pourrions. Il paraît donc, dit-il, par
la seule exphcation des termes , que les
mots de volonté et de puissance ont été
formés de ceux de vouloir et de pouvoir.
Avoir la volonté d'une chose, c'est la vou-
loir : et en avoir la puissance, c'est la pou-
voir. » Cela supposé, il répond que la foi
qui nous fait crou'e en Dieu, et qui nous
donne à l'égard de Dieu la quahté de fidè-
les, vient de Dieu, et qu'on peut dire d'elle :
Qu'avez-vous qui ne vous ait été donné ? Il
prouve par le même endroit qu'il n'y a
point de pouvoir qui ne vienne de Dieu ;
mais que Dieu, en donnant ce pouvoir, n'im-
pose point de nécessité. C'est encore de Dieu
que vient la volonté de croire; ce que ce Père
montre par plusieurs passages des Épîtres
de l'apôtre saint Paul. Mais, si c'est un don
de Dieu, pourquoi, dira-t-on, tous les hom-
mes ne l'ont-ils pas, puisque Dieu veut que
tous les hommes soient sauvés , et qu'ils
viennent à la connaissance de la vérité ?
Saint Augustin répond que le libre arbitre
étant comme placé dans un certain milieu,
entre la foi et l'infidélité, il peut s'élever
vers l'une , ou se précipiter dans l'autre ;
que la volonté même , par laquelle l'homme
croit en Dieu, sort du fonds de ce libre arbi-
tre que l'homme à reçu de Dieu au moment
de sa création, en sorte que l'un et l'autre,
c'est-à-dire le libre arbitre et la volonté
par laquelle l'homme croit en Dieu, lui
sont donnés deuDieu. Or, Dieu veut que
tous les hommes soient sauvés et vien-
nent à la connaissance de la vérité, mais
sans leur ôter le libre arbitre dont le bon
ou le mauvais usage fait qu'ils sont jugés
très-justement. Encore donc que les infi-
dèles aillent contre la volonté de Dieu lors-
qu'ils ne croient pas à son Évangile , ils ne
Cap. xxKT .
I Cor. IV, 7,
Cap. X.XS1I
et xxxuî.
432
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Cap, Nsxiv
remportent pas pour cela la victoire sur elle,
et ils ne fout rien que contre eux-mêmes, en
se privant du premier et du plus grand de
tous les biens, et se plongeant dans des sup-
plices qui leur feront éprouver la puissance
de celui dont ils ont méprisé la miséricorde
dans l'effusion de ses dons. De cette sorte, la
volonté de Dieu demeure toujours invinci-
ble, au lieu qu'elle serait vaincue si elle ne
pouvait venir à bout de ceux qui la mépri-
sent, et qu 'ils pussent se soustraire à ce qu'elle
a ordonné d'eux. C'est ce que saint Augus-
tin rend sensible par cet exemple : « Si un
homme qui aurait de esclaves disait : Je
veux que tous mes esclaves aillent travailler
à ma vigne, et je consens qu'ensuite ils se
reposent et fassent bonne chère , mais à
condition que si quelqu'un d'eux; manque
d'y aller, il soit réduit à tourner la meule
tout le reste de sa vie. En ce cas-là, si quel-
qu'un de ces esclaves négligeait d'aller à
cette vigne, il irait contre la volonté de son
maître, mais sans avoir pour cela d'avantage
sur lui, à moins de trouver aussi le moyen
de s'exempter de cette meule, c'est-à-dire
de châtiment. C'est ce qu'on ne saurait ja-
mais éviter quand ou a affaire à un Dieu
tout-puissant. »
Ce Père repasse toutes les grâces que nous
recevons de la miséricorde de Dieu. « Dans
le sacrement de baptême, dit-il , Dieu remet
toutes nos offenses. 11 guérit toutes nos
langueurs dans le cours de notre vie, au mi-
lieu des combats d'une chair qui forme des
désirs contraires à ceux de l'esprit, et d'un
esprit qui en forme de contraires à ceux de
la chair. C'est Dieu encore qui guérit les
langueurs de notre ancienne corruption ,
lorsque, par une foi animée de la charité,
nous nous renouvelons intérieurement , et
travaillons avec persévérance à notre per-
fection. A la résurrection dernière il rachè-
tera noti-e vie de la corruption ; et au jour
du jugement il nous couronnera d'une abon-
dance de miséricorde. »
6. Selon le saint Docteur, en disant que
la volonté de croire vient de Dieu , on
doit prendre garde que ce 'n'est pas seule-
ment à cause qu'elle vient du libre arbitre,
que nous avons reçu du Créateur avec la na-
ture ; mais aussi parce que Dieu en nous
éclairant et nous persuadant, agit en effet
pour nous faire vouloir et nous faire croire.
Il agit au dehors par les instructions et les
exhortations évangéliques, et les préceptes
Rom.
et IX , 1
mêmes de la loi ne sont pas inutiles, puisque
donnant à l'homme la connaissance de sa
faiblesse, ils le portent à recourir à la foi
qui justifie. Il agit au-dedans de nous par
des mouvements secrets, qui ne sont pas en
notre pouvoir, et qu'il ne dépend pas de
nous de ressentir ; mais qu'il appartient à la
volonté de suivre, ou de rejeter. Lors donc
que Dieu agit en ces manières avec l'àme
raisonnable pour l'attirer à la foi ( car nul
libre arbitre ne pourrait embrasser la foi,
s'il n'était ainsi attiré et appelé), il est hors
de doute qu'il opère dans l'iiomme la volon-
té de croire, et que sa miséricorde nous pré-
vient en tout. Mais il appartient à la volonté,
comme je l'ai dit, de consentir à la vocation
de Dieu ou de n'y pas consentir. Que si l'on
demande, continue ce Père, pourquoi l'un
est persuadé des vérités qu'on lui prêche, et
qu'une autre n'en est pas ainsi persuadé , il
ne me vient dans l'esprit que ces deux cho-
ses à lui répondre avec l'Apôtre : 0 profon-
deur des richesses, etc., et, y a-t-ilen Dieu de
Vinjustice ? Si cette réponse ne lui plaît pas,
qu'il cherche des hommes qui soient plus
doctes, mais qu'il prenne garde d'en trouver
qui soient plus présomptueux.
Ensuite il revient à la question que Mar-
cellin lui avait proposée. Quoique la par-
faite justice , dit- il , n'existe point parmi
les hommes, néanmoins elle n'est pas ab-
solument impossiljle ; elle s'accomplirait,
si la volonté agissait aussi parfaitement qu'il
est nécessaire pour une chose si grande ;
la volonté agirait avec cette force, si tout
ce qui regarde la justice nous était con-
nu, et s'il agréait tellement à notre esprit,
que ce plaisir surpassât en nous tous les
empêchements que la volupté ou la dou-
leur y peuvent opposer ; que si cela n'ar-
rive jamais, ce n'est pas par une pure im-
possibilité , mais parce que Dieu en or-
donne autrement par son jugement. Nous cap
devons croii'O qu'autant qu'il manque main-
tenant à notre amour, autant manque-t-
il aussi à la perfection de notre justice ;
c'est être beaucoup avancé dans le che-
min de l'accomplissement de cette justice,
d'avoir connu en s'y avançant combien
l'on en est encore éloigné ; et quoique
l'homme ne puisse, sur la terre, avoir un
aussi grand amour pour Dieu que le de-
mande la connaissance claire et parfaite
que l'on en aura un jour, ce défaut ne nous
est pas imputé à péché; et quoique jious
Cap
[IV" ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIiN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
433
soj'ons fort éloignés d'aimer Dieu autant
qu'on sera capable de l'aimer lorsqu'on le
verra à découvert, nous ne devons pas nous
décourager, mais seulement prendre soin de
ne nous porter à rien d'illicite durant cette
vie. Il témoigne qu'il- n'avait jamais lu ni
ouï dire que personne eût transporté une
montagne dans la mer par la force de sa foi:
ce qui fait voir qu'il n'avait pas encore vu
l'histoire d'Eusèbe de Césarée, traduite par
Ruffin, où on lit que saint Grégoire de
Néocésarée fit changer de place à une
montagne. Il est aussi parlé de ce miracle
dans les Commentaires de Bède sur saint
Marc.
Saint Augustin représente dans cet écrit,
l'apôtre saint Paul comme un zélé défenseur
de la grâce. « Aussi, n'a-t-elle jamais paru,
dit-il, d'une manière plus éclatante que dans
lui. Dans le temps qu'il n'était digne que
d'un supphce proportionné à la fureur qui le
portait à persécuter l'Église, il trouva misé-
ricorde au lieu d'être condamné ; et au lieu
d'être châtié comme il le méritait, il fut com-
blé de grâces. C'est donc avec grande raison
qu'il fut le principal défenseur de la grâce,
et qu'il en soutint la cause avec tant de
force, sans se mettre en peine des mauvais
sens , et des interprétations malignes que
donneraient à ses paroles ceux qui ne péné-
treraient pas ce qu'il dirait sur un sujet si
profond et si caché. Il ne cessa jamais de
prêcher la grandeur de ce don si précieux
de la miséricorde divine, par cpii seule s'o-
père le salut des enfants de la promesse, qui
sont les enfants chéris de Dieu, les enfants
de sa grâce et de sa miséricorde, les enfants
de la nouvelle alliance. Il commence toutes
ses Ëpîtres par souhaiter à ceux à cpii il les
adi-esse, que Dieu le Père et Notre-Seigneur
Jésus-Christ leur donnent la grâce et la paix.
Dans celle qu'il écrit aux Romains, il ne
traite presque que le seul point de la grâce.
Il combat si fortement pour elle, et l'appuie
de tant de raisons différentes, qu'il va jus-
qu'à lasser le lecteur, mais d'une lassitude
utile et salutaire, et qui est plutôt un exercice
propre à fortifier la vigueur de l'homme in-
térieur, qu'un travail capable de l'abattre. »
C'est de ces Épîtres que saint Augustin tire
les principaux arguments dont il se sert
pour défendre la nécessité de la grâce inté- c.p.xxxvni,
rieure contre les pélagiens, qui ne recon-
naissaient Dieu comme auteur de notre jus-
tification, que parce qu'il nous a donné la
loi , qu'il nous sufSt, disaient-ils, de consul-
ter, pour savoir comment nous devons vivre. ,
§ ni-
Du livre de la Nature et de la Grâce, contre
Pelage.
1. Saint Augustin parlant dans une 'de ^i-wre de u
, V / Naluie et de
ses lettres écrite sur la fin de l'an 415, des '' ^^^-e-i-'""
ouvrages qu'il avait composés cette année-
là, met un livre assez long contre l'hérésie
de Pelage, et dit qu'il l'avait écrit aux ins-
tances de C[uelques frères cpie cet hérésiar-
que avait infectés de ses erreurs. Cela se
rapporte visiblement au livre de la Nature
et de la Gixice , qu'il fit en effet à la prière
de Timase et de Jacques qui avaient tous
deux été disciples de Pelage. Il avait déjà
commencé cet ouvrage, mais il n'était point
encore achevé lorsqu'Orose ^ passa d'Afri-
que en Palestine, c'est-à-dire au printemps
de l'an 41 o : puisque, peu de temps après
qu'il y fut arrivé, il assura dans une assem-
blée où Pelage était présent, que saint Au-
gustin répondait amplement à un écrit de
cet hérétique. Saint Jérôme ^ dit aussi dans
un écrit qu'il composait dans le même
temps, que saint Augustin travaillait à réfu-
ter nommément Pelage. Il est néanmoins
vrai que ce Père en réfutant Pelage ne le
nomma pas *, de peur qu'ojffensé de se voir
attaqué publiquement, il ne s'endurcît dans
son erreur : Et iP croj-ait qu'en gardant
encore avec lui quelques mesures et les
bienséances de l'amitié, il viendrait plus ai-
sément à bout de le faire rentrer en lui-
même. Sachant que Jean de Jérusalem avait
eu quelques liaisons avec Pelage, il lui en-
voya son hvre de la Nature et de la Grâce
avec l'ouvrage de Pelage même, afin qu'il
connût les véritables sentiments de cet
homme, et il le pria de les envoyer aussi à
cet hérésiarque. Il eu fit encore part la mê-
me année, c'est-à-dire en 416, au pape In-
nocent, avec une lettre qui lui était adressée
par cinq évoques d'Afrique. Il parle lui-mê-
me de cet ouvrage " dans ses Rétractations,
1 Epist., 169, ad Evod.
2 Oros. Apolog., pag. 801.
' Uialog. 3 cont. Pelag.
IX.
* August., Epist. 186 ad Paulin.
^ August., lib. De Gest. Pelag., cap. sxni.
« Qiiest. m et 179 et lib. II Retract., cap. xlu.
28
434
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
où il convient qu'il s'est ti'ompé en citant
sous le nom du pape Sixte, les Sentences
qui sont de Sixte le philosophe.
Quelle Tut 2. Timase et Jacques qui l'engasèrent à
l'occasion de ± a »-j u
ceiiTre. l'entreprendre, étaient deux jeunes hommes
de très-bonne famille', et bien instruits des
lettres humaines. Ils avaient, par les exhor-
tations de Pelage, abandonné toutes les es-
pérances du siècle pour se consacrer à Dieu,
apparemment dans la vie monastique. Mais
ils avaient aussi embrassé avec ardeur la
mauvaise doctrine de leur maître, en sorte
qu'ils dogmatisaient même en public contre
la grâce qui nous fait chrétiens. Dieu les tira
de ce précipice par les instructions de saint
Augustin : ils abandonnèrent l'erreur et se
soumirent à la vérité^, avant même qu'ils
fussent assez instruits pour l'enseigner aux
autres. Lorsqu'ils eurent commencé à se dé-
sabuser, ils mirent ^ entre les mains de ce
saint évéque un livre qu'ils lui dirent être de
Pelage, oii il défendait, de tout l'effort de
son raisonnement, la nature contre la grâce;
le priant avec beaucoup d'instances de le
réfuter. Il était, comme on le voit par divers
endroits qu'en rapporte saint Augustin, com-
posé en forme de dialogue. Ce Père inter-
rompit toutes ses occupations pom- lire ce
livre tout de suite et avec grande attention.
Comme cet hérésiarque y détestait ' avec
horreur ceux qui parlaient de la justification
sans y joindre la grâce, saint Augustin fut
extrêmement réjoui de voir qu'il en recon-
naissait le besoin d'une manière si.positive.
Mais il ne fut pas longtemps sans s'aperce-
voir qu'il y avait de l'équivoque sous le ter-
me de grâce ; et il reconnut ' par la suite que,
parla grâce, Pelage, n'entendait autre chose
que la nature créée de Dieu avec le libre ar-
bitre, y joignant quelquefois, mais d'une fa-
çon assez embarrassée, le secours de l'ins-
truction de la loi et la rémission des péchés.
11 prétendait'^ s'appuyer dans ses erreurs,
de l'autorité de quelques auteurs ecclésias-
tiques, et même de saint Augustin. Ce Père
ne pouvant plus douter, après l'a lecture de
ce livre, des mauvais sentiments de son au-
teur, composa, pour le réfuter, l'ouvrage
dont nous parlons, qu'il intitula de la Nature
et de la Grâce, parce qu'il y défendait la
grâce de Jésus-Chi'ist, sans bliimer la nature
I Angust., Epist. 179 et 18G. — "^ De Gest. Pelag.,
cap. XXIV. — ^ Ejrist. 158 et lili. Il Retrnct., cap.
XXIV. — '■ Lil). De Nat. et &r,, ("uj. xi.
en elle-même ; mais en montrant, qu'étant
corrompue et affaiblie par le péché, elle a
besoin d'être délivrée par la grâce. Timase
et Jacques ayant reçu cet ouvrage, en re-
mercièrent saint Augustin par une lettre
qu'il nous a consei'vée' toute entière, où ils
témoignent avoir regret de n'avoir pas reçu
plutôt cet excellent présent de la grâce de
Dieu, comme ils l'appellent. ■
3. Saint Augustin y dit d'abord que celui- Anaiys»
là comprend la raison pour laquelle il est 12», wpl
clu'étien qui comprend bien que la justice
de Dieu ne consiste pas dans les préceptes
de la loi, qui nous inspirent la crainte; mais
dans le secours de la grâce de Jésus-Christ,
à laquelle seule nous conduit utilement cette
crainte de la loi, qui est comme le maître
qui nous instruit. Il pose ensuite pour prin- cap.n.
cipe que si l'homme peut vivre avec jus-
tice sans la foi en Jésus-Christ, cette foi
n'est point nécessaire au salut. Mais comme
il s'ensuivrait aussi que Jésus-Christ serait
mort en vain, ce qui ne se peut dire ; c'est
une conséquence nécessaire que n'étant pas
mort en vain, la nature humaine n'a pu être
justifiée ni délivrée de la peine qu'elle méri-
tait, sinon par la foi et le sacrement du sang
de Jésus-Christ. « Il est vrai, dit-il, que la cap. m.
nature de l'homme a été créée innocente el;
sans aucuii péché; mais il n'est pas moins
vrai que cette nature, selon laquelle tout
homme naît d'Adam, a maintenant besoin
de médecin, parce qu'elle n'est pas saine,
étant viciée parle péché originel. D'où vient
que l'Apôtre dit qu'avant d'être renouvelés ej. 2,
en Jésus-Christ, nous étions enfants de co-
lère, aussi bien que les autres; mais que
Dieu, qui est riche en miséricorde, poussé
par l'amour extrême dont il nous a aimés,
lorsque nous étions moils pour nos péchés,
nous a rendu la vie en Jésus-Christ, par la
grâce duquel nous sommes sauvés. Or, cette
grâce de Jésus-Christ, sans laquelle ni les cap. iv.
enfants, ni les adultes ne peuvent être sau-
vés, ne se donne point au mérite, mais gra-
tuitement ; et c'est pour cela qu'ellejest nom-
mée grâce. D'où vient que ceux qui ne sont
point délivrés par elle sont damnés avec jus-
tice , parce qu'ils ne sont pas sans péché,
soit originel ou actuel; car tous ont péché,
et tous ont besoin de la gloire de Dieu, Rom. m
'^ De Gest. Pelag., cap. xxiri. — ^ De Nat. et Gr.,
cap. Lxi et Lsvir.
'' De Gest. Pelag., cap. xxiv.
[IV" ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
5:35
comme dit l'Apôtre. Toute la masse du
genre humain mérite la peine, et si Dieu la
condamnait toute entière au supplice, il ne
ferait injustice à personne. De sorte que
tous ceux qui en sont délivrés par la grâce,
ne sont pas appelés par l'Apôtre des vases
de mérite, mais des vases de miséricorde.
Qui serait donc assez insensé pour ne pas
rendre d'infinies actions de grâces à la mi-
séricorde divine, qui délivre ceux qu'il lui
plait de délivrer; puisque nul ne pourrait
avec raison trouver à redire à sa justice ,
quand il damnerait tous les hommes. »
Ce principe établi , saint Augustin com-
mence la réfutation du livre de Pelage , qui
semblait d'abord ne prétendre autre chose ,
sinon que l'homme pouvait être sans péché.
Mais ensuite il allait beaucoup plus loin ,
et soutenait qu'on n'était point coupable ,
à moins qu'il ne fût en notre pouvoir d'être
exempts de péché. Saint Augustin détruit la
fausseté de cette maxime, tant par l'exemple
d'un enfant qui est justement puni de Dieu
pour n'avoir pas reçu le baptême , quoiqu'il
soit mort dans un lieu où il ne pouvait le
recevoir , que par celui d'un adulte mort
dans un pays où Jésus-Christ n'a pu lui être
annoncé. Cet hérésiarque semblait admet-
tre que l'homme ne pouvait être sans pé-
ché, qu'avec le secours de la grâce ; mais
par la suite de son discours il déclarait assez
nettement que sous le nom de grâce il n'en-
tendait pas ceUe par laqueUe seule l'homme
peut être justifié, mais les dons naturels. Il
disait , en parlant des péchés légers que
quelques-uns soutenaient être entièrement
inévitables , que dans cette supposition il ne
fallait pas faire la moindre réprimande à
ceux qui en étaient coupables ; au lieu de
lire dans l'Épître de saint Jacques comme
nous y lisons, que nul homme ne peut domp-
ter la langue, il lisait, par manière d'interro-
gation : Est-ce donc que nul homme ne peut
dompter la langue, puisqu'on dompte bien toute
sorte d'animaux ? voulant faire entendre par
cette façon de lire, qu'il est bien plus aisé de
dompter la langue que d'adoucir des bêtes
féroces ; ce qiii n'est pas le sens de l'apôtre
saint Jacques, qui ne dit pas toutefois qu'on
ne puisse la dompter , mais que nul homme
ne la dompte ; en sorte que, lorsqu'il arrive
que quelqu'un en vient à bout , il le fait par
la miséricorde, le secours et la grâce de
Dieu, n traitait aussi dans son livre, des pé-
chés d'ignorance , et n'excusait point celui
qui, faute de diligence et de soin, n'est point
instruit de ce qu'il doit ; mais il n'y ensei-
gnait point qu'il fallût recourir à Dieu pour
connaître sa volonté avec le secours de ses cap..xTOi.
lumières. Cependant il ne laissait pas d'a-
vouer qu'on doit prier Dieu pour en obte-
nir le pardon des péchés commis ; mais il
ne disait nulle part qu'on dût avoir recours
à la prière pour ne plus pécher à l'avenir.
Sur quoi saint Augustin lui fait voir que l'O-
raison dominicale nous enseigne non-seule-
ment à demander pardon des péchés passés,
mais encore de ne point succomber à la ten-
tation, c'est-à-dire d'éviter de pécher dans
la suite. De là cette conclusion qu'il ne dé-
pend donc pas de nous d'éviter le péché ; car
qu'y a-t-il de plus insensé que de prier pour
ime chose que nous avons en notre puis-
sance ?
4. Pelage niait que la nature humaine ait cap, xix.
été dépravée ou corrompue par le péché.
En quoi , comme le remarque saint Augus-
tin , il était non-seulement opposé au Psal-
miste, qui dit à Dieu : Seigneur, ayez pitié de Psai. xl, c.
moi, guérissez mon âme , parce que j'ai péché
contre vous ; mais encore à Jésus-Christ , qui
dit dans l'Évangile qu'il est venu appeler non
les justes, mais les pécheurs , désignant ceux-
ci sous le nom de malades qui ont besoin de
médecin. Le saint Docteur réfute encore Pe-
lage par ces paroles de l'ange à saint Jo-
seph : Elle enfantera un fils que vous appel- Ma"iM,2i.
lerez Jésus, parce que ce sera lui qui sauvera
son peuple, en le délivrant de ses péchés. Com-
ment en effet guérir et sauver ceux qui ne
sont point malades ? Le péché, disait Pelage, '"Cap. sx.
n'est ni une substance , ni un corps , mais
l'acte d'une chose mal faite ; il n'a donc pu
ni blesser, ni changer la nature humaine.
Saint Augustin lui répond : (c Ne prendre au-
cune nourriture , n'est pas non plus une
substance, toutefois celui qui s'en abstient
ruine insensiblement ses forces et sa santé.
De même le^éché n'est point une substance,
mais Dieu en est une, et une substance su-
prême, seule et vraie nourriture de la créa-
ture raisonnable, et quiconque s'en abstient,
en s'en éloignant par la désobéissance ,
tombe dans l'aridité et la sécheresse dont le
Prophète se plaignait , parce que, disait-il,
j'ai oublié de manger mon pain . »
Pelage ne voulait pas que Dieu punît
certains péchés, en permettant que le pé-
cheur tombât dans d'autres péchés ; en
quoi, dit saint Augustin , il ne faisait pas
Psal. CI, B.
Cap. XXII.
436
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
attention avec combien de justice la loi de
la vérité abandonne le prévaricateur de la
loi, qui par cet abandon devient aveugle et
tombe , afin que dans sa chute il écoute la
voix de la loi qui l'avertit d'implorer la grâce
du Sauveur. Le saint Docteur demande à
Pelage, si les ténèbres, dont le cœur insensé
des pbilosoplies païens fut rempli , au rap-
Rom. r, 21. popt fie saint Paul , n'étaient pas une puni-
tion de ce qu'ayant connu Dieu par ses ou-
vrages, ils ne lui avaient pas rendu grâces ,
mais s'étaient égarés dans leurs vains raison-
nements. Il prouve par ce que saint Paul dit
sur ce sujet, que ceux dont le cœur se trouve
dans l'aveuglement par la soustraction de la
vraie lumière, tombent plus souvent et tom-
bent dans de plus grands péchés qu'aupara-
cap. sxiii. yant ; et que tous ceux qui, par l'abandon de
la lumière de la justice, sont dans les ténè-
bres, ne peuvent enfanter que des œuvres
de ténèbres, parce que pour pécher nous
nous suffisons à nous-mêmes ; mais que
pour retourner à la justice, étant malades,
nous avons besoin du secours du médecin.
Il déclare que la faim et la soif , de même
que les autres infirmités de notre nature, ne
nous imposent aucune nécessité de pécher,
qu'au contraire elles servent à faire éclater
la patience des justes, lorsqu'elle les sur-
monte, aidée de la grâce de Dieu, de son
esprit et de sa miséricorde.
cnp.sxiï. S. Puisque Notre-Seigneur est mort, di-
sait Pelage, la mort n'est donc point une
suite du péché. Saint Augustin répond, que
Jésus-Christ n'est pas mort, comme nous, par
nécessité, mais j^arce qu'il l'a bien voulu.
L'hérésiarque, ne pouvant résister aux preu-
ves que l'on apportait pour la nécessité
de la grâce, s'échappait, en avouant qu'il
c.ip.x.xvi. était nécessaire que Dieu usât de miséricorde
pour les péchés commis ; mais il niait que
sa grâce nous fût nécessaire pour éviter le
péché. Sur quoi il apportait l'exemple d'un
médecin, qui doit toujours être prêt à gué-
rir celui qui est blessé , mais ne peut pas lui
souhaiter une nouvelle blessure après sa
guérison. Saint Augustin répond : Quand Dieu
guérit spirituellement un malade par Jésus-
Christ, ou quand il ressuscite un mort, c'est-
à-dire qu'il justifie un impie, et le conduit à
une parfaite santé, c'est-à-dire à une vie et à
une justice parfaite ; s'il n'est point aban-
donné de ce juste, il ne l'abandonne point,
afin que ce juste vive toujours dans la piété et
dans la justice. « Dieu donc , ajoute ce Père ,
nous guérit, non-seulement pour effacer les
péchés que nous avons commis, mais en-
core pour nous aider à n'en plus commet-
tre. » Pelage pensait que c'était une chose
très-absurde que le péché ait été , afin qu'il
ne fût pas, disant que l'orgueil même est un
péché. Comn:è si un ulcèi"e, répond saint
Augustin, n'était point douloureux , et si on
ne nous causait point de douleur en le per-
çant , pour ôter une douleur par une dou-
leur. Mais Dieu , ajoutait Pelage , peut gué-
rir toutes choses. <( Il agit aussi pour guérir
toutes choses, réphque saint Augustin ; mais il
agit par son jugement, et il n'apprend point
du malade la méthode dont il faut le guérir :
cai' il est certain qu'il voulait rendre l'Apô-
tre très-puissant, et néanmoins il lui dit : La
vertu s'accomplit dans rinfirmité. Et quoique
cet Apôtre l'en eût tant de fois prié, il ne lui
ôte pas, je ne sais quel aiguillon charnel que
le même Apôtre dit lui avoir été donné, afin
que la grandeur de ses révélations ne rele-
vât point: car les autres vices ont lieu seule-
ment dans les actions mauvaises , mais il
faut craindre l'orgueil mcine dans les bonnes.
C'est pourquoi l'on avertit de ne pas attri-
buer à leur pouvoir les dous de Dieu , et
de ne pas se nuire davantage en s'élevant ,
que s'ils ne faisaient rien de bien, ceux aux-
quels il est dit : Opérez votre salut avec crainte
et tremblement, paire que c'est Dieu qui fait
en vous et le vouloir et le parfaire, selon son
bon plaisir. Pourquoi avec crainte et trem-
blement , et non avec assurance , si c'est
Dieu qui opère? sinon parce qu'il peut arri-
ver par notre volonté, sans laquelle nous ne
pouvons bien faire, que nous croyions que
le bien que nous faisons vient de nous , et
que nous disions dans notre abondance : On
ne nous ébranlera jainais. C'est pour cela que
Dieu qui avait donné cette force ati Roi pro-
phète , détourna sa face pour mi peu de
temps, afin que celui qui avait dit : On ne
m'ébranlera point, devînt troublé, parce qu'il
faut que cette enflure soit guérie par les
douleui's mêmes. On ne dit pas à l'homme :
Il faut que tu pèches pour ne pas pécher ;
mais on lui dit ; Dieu t'abandonne pour un
temps, parce que tu es superbe, afin que tu
saches que ce bien vient de lui et non de
toi, et que tu apprennes à n'être point su-
perbe. 1)
Le saint Docteur ajoute, quand l'homme
conçoit dans une bonne œuvre la Vaine joie
d'avoir mémo surmonté l'orgueil, l'orgueil
Philip.
Cap. ï f
[IV= ET -V" SIÈCLES.]
SALNT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
437
prend occasion de cette complaisance et de
cette joie de lever la tète , comme s'il disait
à l'homme : Pourquoi triomphez-vous déjà ;
car je vis encore? et c'est parce que vous
triomphez, que je vis. « Pour éviter le re-
proche que les hérétiques auraient pu lui
faire, de ce qu'il attribuait à Diea nos bonnes
œuvres, il enseigne clairement que nous opé-
rons l'œuvre de notre justification ; mais en
coopérant avec Dieu, parce que sa miséricor-
de nous prévient. » Elle nous prévient afin de
nous guérir; et ensuite elle opère, afin qu'é-
tant guéris nous fassions des progrès, parce
que sans lui nous ne pouvons rien faire. L'un
■ et l'autre est écrit : Sa miséricorde me prévien-
dra, et sa miséricorde me suivra pendant tous
les jours de ma vie. Il nous donnera ce qu'il
lui plait, si ce qui lui déplaît en nous nous
déplaît aussi. Il tient cette conduite à l'é-
gard de ceux-là mêmes à qui l'Apôtre dit :
Opérez votre salut avec crainte et tremblement :
car c'est Dieu qui opère en vous le vou-
loir et le parfaire, selon son bon plaisir ;
ce sont ceux à qui le Psalmiste dit pour la
même raison : Servez le Seigneur en crainte,
et 7'éjouissez-vous en lui avec tremblement. Re-
*cevez la discipline, de peur que le Seigneur ne
s'irrite, et que vous ne soyez exterminés de la
voie juste, sa colère étant embrasée sur vous en
un moment. D'où vient que le Seigneur parle
ainsi, sinon parce qu'on doit bien se don-
ner de garde de l'orgueil, même dans la vie
juste que l'on mène ; de crainte que si nous
nous attribuons le bien qui ne nous vient
que de Dieu , nous ne perdions ce qui nous
est venu de lui, et ne retombions dans ce
qui n'est qu'à nous-mêmes? En parlant ainsi,
nous ne détruisons pas le libre arbitre de la
volonté , mais nous prêchons la grâce de
Dieu ; car à qui ces choses pi'ofitent-elles,
sinon à celui qui veut , mais qui veut hum-
blement, et qui ne se glorifie point des forces
de sa volonté , comme si elles suffisaient
seules pour la perfection de la justice. »
6. Pour montrer qu'on pouvait être sans
péché, Pelage raisonnait ainsi : « Les saints
sont morts sans péché, il est donc possible
d 'être sans péché. » Saint Augustin lui répond
que l'encens spirituel de la prière du Sei-
gneur, que nous brûlons tous les jours en
sa présence sur l'autel de notre cœur, en le
tenant élevé vers lui, selon l'avertissement
qui nous est donné, nous procure l'avantage
de sortir de cette vie sans péché, quoique
nous n'y ayons pas vécu sans péché, parce
I Joau. I, 8.
Cap. sxxvn,
que ces petites fautes que l'ignorance ou
l'infirmité nous fait si souvent commettre,
nous sont en même temps pardonnées de
Dieu. Après une longue énumération des
justes dont l'Église fait mention , depuis
Abel jusqu'à la mère de notre Sauveur, Pe-
lage en inférait qu'ils avaient été sans pé-
ché. Saint Augustin excepte la sainte Vierge, cap. xixvi.
qu'il ne prétend nullement comprendre dans
les questions où il s'agit du péché, aucun de
nous ne sachant la mesure de la grâce don-
née pour surmonter en toute manière le pé-
ché, à celle qui a^mérité de concevoir et d'en-
fanter Celui qui certainement n'a jamais eu
de péché ; mais il soutient que tous les au-
tres saints et saintes nous répondraient, si on
les interrogeait, par ces paroles de l'Apôtre
saint Jean : Si nous disons que nous n'avons
point de péché, nous nous séduisons, et la vérité
n'est point en nous. Mais, disait Pelage, l'É-
criture qui rapporte les péchés d'Adam ,
d'Eve et de Gain, aurait-elle passé sous si-
lence ceux d'Abel, s'il en avait commis ?
(( L'Écriture sainte, réplique saint Augustin, -
ne rapporte pas tout ce qui est arrivé. Il
donne des exemples de quelques fautes lé-
gères dans les justes, et qui ont pu être
communes à Abel, comme à tout autre juste.
Ces fautes sont, ou d'avoir quelquefois ri
modérément, ou de s'être diverti à quelque
jeu pour le soulagement de son esprit, ou
d'avoir regardé quelque chose par un mou-
vement du cupidité, ou cueifii des fruits
avec trop peu de modération, ou pris sa
nourriture avec quelqu'intempérance, ou d'a-
voir été distrait pendant la prière. « Toutes < "n.^"
les fois, dit ce Père, que ces choses, ou plu-
sieurs autres semblables arrivent, ne sont-
ce pas des péchés ? Mais comme ils sont
communs, principalement quand on n'est
point assez soigneux d'y prendre garde, il
est vi-ai de dire et que l'on est juste, et
(fu'on n'est point sans péché en cette vie. »
11 ajoute que la charité des plus justes n'est
point entièrement parfaite durant cette vie,
n'y en ayant point en qui cette vertu ne soit
moindre qu'elle ne doit être, jusqu'à ce
qu'on parvienne à cette charité, forte, par-
faite, dans laquelle toute la faiblesse de
l'homme sera détruite.
7. Il semble que Pelage ne ci'oyait point cap. xi.
que le nom de Jésus-Christ nous soit néces-
saire, sinon afin de connaître, par son Évan-
gile, la manière dont nous devons vivre,
sans qu'il soit besoin du secours de sa grâce
438
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
pour bien vivre. « S'il en est ainsi, répond
saint Augustin, et si le libre arbitre et la
loi naturelle nous suffisent pour la vertu,
c'est inutilement que Jésus-Christ est mort.»
Kim. v,ia, Il prouve que ce qui est dit dans l'Épître
aux Romains, que tous ont péché en Adam,
cai .-Nii. (jQÏt s'entendre de manière que tous les hom-
mes sont tous véritablement morts en Adam,
ceux qui sont, ceux qui ont été, ceux qui
viendront après nous ; et que lorsqu'il est
dit, que c'est par la justice d'un seul que
tous les hommes reçoivent la justification et
la vie, cela ne veut pas dire que tous croi-
ront en Jésus-Christ, et recevront son bap-
tême , mais que personne ne sera justifié
si on ne croit en lui, et si on n'est lavé dans
son baptême. C'est comme lorsque l'on dit
d'un maître établi dans une ville pour y en-
seigner, qu'il y enseigne à tous les lettres; ce
qui ne signifie pas que tous les bourgeois de
la ville les apprennent auprès de lui, mais
seulement que personne ne les appi'end que
sous sa discipline. De même personne n'est
justifié, si ce n'est par Jésus-Christ,
cip. .XLL[, 8. Pelage reconnaissait que la possibilité
ULitl et XLIV. ° ^ ^
de ne pas pécher ne pouvait être attribuée
qu'à Dieu seul. « Nous en convenons aussi,
répond saint Augustin, donnons - nous la
main ; car je ne m'embarrasse point de sa-
voir s'il y en a eu, ou s'il y en a, ou s'il peut
y en avoir qui ait une charité parfaite en
ce monde, puisque je confesse que cela peut
arriver, la volonté de l'homme étant aidée
de la grâce de Dieu. Mais je ne dois point
disputer avec chaleur sur le temps, le lieu et
la personne en qui cela peut se faire. Je ne
dispute pas de la possibilité même, puisque
lorsque la volonté est guérie et secourue
par la grâce, la possibilité se rencontre en
même temps avec l'effet dans les saints ,
quand la charité de Dieu est répandue dans
nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous est
donné. Qui ne sait que l'homme a été fait
saint et innocent, et qu'il a été doué du libre
arbitre, et établi dans une libre puissance
pour vivre justement? Mais il s'agit mainte-
nant de l'homme que des brigands ont laissé
demi-mort sur le chemin, qui, couvert de
blessures, ne peut monter au sommet de la
justice comme il en est descendu ; et à qui
on panse encore les plaies , quoiqu'il soit
déjà dans l'hôtellerie. Dieu ne commande
pas des choses impossibles ; mais, en com-
mandant, il nous avertit et de faire ce que
nous pouvons, et de lui demander ce que
nous ne pouvons pas. Il est question de sa-
voir d'où l'homme peut et d'oîi il ne peut
pas être sans péché? » Le saint Docteur
soutient que cela ne se peut que par la
grâce de Jésus-Christ, les justes de l'Ancien
Testament comme ceux du Nouveau, n'ayant ■
été justifiés que par la foi et le Médiateur.
Tout ce qui est hé par une nécessité natu-
relle, disait Pelage, est privé du libre arbi-
tre de la volonté, et du pouvoir de délibé-
rer. Saint Augustin ne condamne pas abso-
lument cette proposition , insinuant seule-
ment qu'elle était trop générale, et il ajoute
que l'amour de la béatitude dans nous et
l'amour de la justice dans Dieu sont libres,
quoique nécessaires. Car, quelque parti que
nous prenions, nous ne pouvons nous déter-
miner à rien qui ne s'accorde avec le désir
que nous avons d'être heureux , de même
que Dieu ne peut rien vouloir ni faire qui ne
soit conforme à l'amour de la justice. Ce
Père fait voir de même, que quoique Dieu
ne puisse ni pécher, ni mourir, ni se tuer ^ c=p. «
lui-même, il n'en est pas moins tout-puis-
sant. Pelage, en attribuant à la grâce de
Dieu la possibihté de ne pas pécher, disait ca
que c'était parce que Dieu est autem- de cette
nature qui a inséparablement la possibihté
de ne pas pécher. Ce que saint Augustin ré-
fute en montrant le besoin que la nature
corrompue a d'être réparée et guérie. Il
dit toutefois que si cet hérésiarque parlait ca
de la nature humaine dans l'état d'inno-
cence, sa proposition serait en quelque ma-
nière soutenable. Mais il s'agissait entre lui
et Pelage, non de la grâce de l'homme in-
nocent, mais de celle par laquelle l'homme
est sauvé par Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Lorsque les fidèles prient Dieu de ne pas cap. un.
les induire en tentation, mais de les délivrer
du mal; si cela est en leur pouvoir, pour-
quoi le demandent-ils à Dieu? et de quel
mal demandent-ils d'être délivrés, sinon du
corps de cette mort dont ils ne peuvent être
délivrés que par la grâce de Dieu, par Notre-
Seigneur Jésus -Christ? Ce Père remarque
que nous ne demandons pas d'être délivrés
de la substance du corps, qui est bonne en
elle-même ; mais des vices de la chair, dont
l'homme n'est point délivré sans la grâce du
Sauveur. C'est par cette distinction que saint cap. uv.
Augustin répond à Pelage, qui demandait
comment il se peut faire que le corps et
l'esprit, qui sont bons tous deux, soient con-
traires ? « C'est, dit ce Père, à raison de leurs
[rV" ET V SIÈCLES.'
SAJNT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
439
qutdités que se trouve cette contradiction,
et non à raison de leur substance.» On les
dit contraires, comme nous disons que l'eau
et le feu sont contraires. Que l'on guérisse
ces mauvaises qualités par la grâce médici-
nale du Sauveur, et la dispute sera finie.
C'est ce qu'il prouve par ces paroles de l'A-
pôtre : Malheureux que je suis! qui me dé-
livrera de ce corps de mort ? Ce sera la grâce
de Dieu par Jésus-Christ. Il enseigne que ce-
lui-là est encore sous la loi, qui sent bien
que ce n'est que par la crainte de la peine,
et non par l'amour de la justice qu'il s'abs-
tient' des actions du péché, n'étant pas en-
core libre, et éloigné de la volonté de le
commettre. Car, de cette sorte, il est coupa-
ble, dans cette même volonté, par laquelle
il souhaiterait, s'il était possible, qu'il n'eût
rien à craindre, afin de pouvoir faire libre-
ment ce qu'il désire en secret.
9. Pelage, aux preuves tirées de la raison,
en avait ajouté des écrits de quelquesanciens,
qu'il prétendait avoir été dans ses senti-
ments. Il objectait d'abord deux endroits de
Lactance, où cet auteur enseignait que Jé-
sus-Christ avait vaincu le péché et surmonté
les désirs de la chair, afin de montrer aux
hommes qu'ils pouvaient en faire de même.
Saint Augustin répond que Jésus-Christ n'a
point eu en lui de péché à vaincre, et que
les désirs de la chair, dont parle Lactance,
doivent s'entendre de la faim, de la soif, de la
lassitude, et des autres infirmités de la nature
humaine. Pelage objectait ensuite quelques
passages de saint Hilaire qui semblaient
dire qu'il pouvait y avoir des gens d'un
cœur pur, et que Job s'était abstenu de tout
péché. Saint Augustin convient que cela est
possible par la gi'âce de Dieu, et non par
les seules forces du libre arbitre ; il dit
que Job confesse lui-même ses péchés. Il
ajoute que saint Hilaire était si peu pei'-
suadé qu'il y ait eu des hommes sans pé-
chés, qu'il avait dit, en expliquant le Psau-
me cxviii : Si Dieu méprisait tous les'péchews,
il mépriserait tous les hommes, parce que per-
sonne n'est sans péché. Saint Augustin montre
aussi que saint Ambroise et saint Chrysos-
tôme, dont Pelage avait allégué les témoi-
gnages , enseignaient nettement que pour
vivre dans la justice, Dieu devrait prépa-
rer la volonté de l'homme, ce qui ne se
peut faire que par la grâce de Jésus-Christ ,
ou que s'ils ont dit que l'homme pouvait par
son libre arbitre éviter le péché, cela ne
Llb. III ie
Lib. arb., cag.
xvui.
Lib. I Re-
tract,, cap. IX.
s'entend que de l'homme dans l'état d'in-
nocence ; car le pouvoir de ne pas pécher,
et de devenir enfant de Dieu, dans l'état où
nous sommes, est un pouvoir qui vient de
la force de la charité, laquelle n'est en nous
que parle Saint-Esprit qui nous est donné. Il
convient, avec saint Jérôme, que Pelage ob-
jectait aussi qu'avec le secours de la grâce
nous pouvons parvenir à cette perfection,
dans laquelle ont peut voir Dieu d'un cœur
pur; et que lorsque nous faisons le bien, ce
n'est nullement par nécessité , mais avec
cette liberté qui est l'effet de la charité.
10. Pelage se servait aussi, pour appuyer cap. txvn,
ses erreurs, de ce raisonnement de saint Au-
gustin, tiré du troisième livre du Libre arbi-
tre : Qui est-ce qui pèche dans ce qu'on ne
peut nullement éviter? Or, il est certain
qu'on pèche : donc on peut l'éviter. Ce Père
reconnaît que ce sont-là ses paroles ; mais
il prie Pelage de recourir à ce qu'il avait dit
plus haut, et qu'il A'erra qu'il ne s'agit point
en cet endroit de l'impossibilité de la justice,
mais de la grâce de Dieu, qui est le remède
par lequel le Médiateur nous secourt dans
notre infirmité. «On peut donc, continue ce
Père, résister aux causes du péché, quelles
qu'elles soient. Car c'est pour cela que nous
demandons que Dieu nous secoure, en lui
disant : Ne nous abandonnez pas à la tentation,
ce que nous ne demanderions pas, si nous
croyions qu'on ne puisse y résister. On peut
éviter le péché, mais avec le secours de Ce-
lui qui ne peut être trompé. » Il rapporte
ensuite en ces termes la réponse qu'il avait
faite dans le livre d'où est tirée cette objec-
tion, à ceux qai se plaignaient de ce que
l'homme, entrant dans le monde, se trouvait
abandonné aux erreurs et à l'ignorance de
ses devoirs , par suite du péché de nos pre-
miers pères. « Peut-être, ajoute-t-il, auraient-
ils raison de se plaindre, s'il n'y avait aucun
homme qui triomphât de l'erreur et de la
convoitise; mais comme Dieu, par l'entre-
mise de ses créatures, rappelle à lui, en mille
manières différentes, ceux qui se sont éloi-
gnés de lui; qu'il enseigne celui (jui croit;
qu'il console celui qui espère ; qu'il anime
celui qu'il aime ; qu'il aide celui qui fait ef-
fort; qu'il exauce celui qui prie, on ne vous
impute pas comme une faute, ni d'être dans
l'ignorance malgré vous, mais de négliger
de connaître ce que vous ignorez: ni de ne
pouvoir faire agir des membres infirmes et
malades, mais de mépriser celui qui veut
440
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Cap. Lxix,
Cap. i.>.t.
été écrit \e
U fin de \'i
A quelle oc-
c-isioQ celivie
fui écrit.
VOUS 'guérir. » Paroles qui ne détruisent
point la nécessité de la grâce, sans laquelle,
comme le dit ensuite ce Père, la nature hu-
maine, viciée et enveloppée de ténèbres, ne
peut ni être éclairée, ni guérie. Il ajoute
que Dieu ne nous commande rien d'impossi-
ble, parce que tout est facile à la charité, à
laquelle seule le fardeau de Jésus-Christ de-
vient léger, ou plutôt, c'est elle-même qui
est ce fardeau léger. La charitë commencée
est une justice commencée; la charité avan-
cée est une justice avancée ; la charité grande
est une grande justice; la charité parfaite
est une justice parfaite. Saint Augustin croit
qu'on peut dire que la charité est parfaite
dans cette vie, quand pour l'amour d'elle,
on méprise même la vie. «Mais il y aurait,
dit-il, sujet de s'étonner, si elle n'était pas
en état de s'accroître encore, quand elle sera
sortie de cette vie mortelle. »
§IV.
Bu livre de la Perfection de la justice de
l'homme.
1. Saint Augustin ne dit rien du Hvre de
la Perfection de la justice dans ses Rétracta-
tions, sans doute parce qu'il le regardait plu-
tôt comme une lettre, que comme un écrit,
et, en efl'et, le titre est en forme d'une let-
tre ordinaire. Mais on ne doute nullement
qu'il n'en soit auteur. Possidius ' le met
dans le Catalogue des ouvrages de ce Père,
el il est cité sous son nom par saint Fulgence
et par saint Pi-osper. Comme saint Augustin
ne rejette point encore absolument dans ce
livre ceux qui étaient de ce sentiment, qu'il
y a eu des personnes qui, avec la grâce de
Dieu, ont vécu en ce monde sans aucun pé-
ché depuis leur baptême, ce qu'il n'aurait
pas fait après les anathèmes du concile de
Carthage sur ce sujet en 418, c'est une rai-
son de le placer avant ce temps. Aussi Pos-
sidius le met après celui de la Nature et de la
Grâce et avant le livre des Actes de Pelage,
c'est-à-dire sur la fin de l'an 415.
2. Il est adressé aux évêques Eulrope et
Paul, qui avaient mis en main à saint Au-
gustin un papier sous ce titre : Dé/initions
qu'on dit être de Célcstius. Ce papier avait été
apporté de Sicile où Célestius l'avait laissé
après y avoir séduit beaucoup de personnes,
qui depuis en séduisirent d'autres. U renfer-
mait plusieurs raisonnements fort courts et
fort serrés, dont le but était de prouver la
force de la nature, avec un grand nombre
de passages de l'Écriture qui tendaient à
montrer que les hommes pouvaient arriver
à la perfection dès cette vie. On y trouvait
aussi les passages allégués, tant par les ca-
tholiques, que par les pélagiens, comme
contraires les uns aux autres; mais comme
l'auteur de cet écrit ne se mettait point en
peine d'accorder ces passages, il augmentait
la difficulté au lieu de l'éclaircir. Saint Au-
gustin dit au commencement de son hvre
de la Perfection de la justice, qu'il avait vu un
écrit dont Célestius était certainement au-
teur, qui lui faisait juger qu'il l'était aussi
des définitions qui passaient sous son nom,
que l'on y voyait le même génie et la même
manière de raisonner. On croit que cet écrit
est celui dans lequel saint Jérôme dit que
Célestius se promenait sur les épines, non
des syllogismes, comme le disaient ses dis-
ciples, mais des solécismes, où il s'efifor-
çait de montrer qu'en établissant la néces-
sité de la grâce, on détruisait entièrement le
libre arbitre.
3. Avant toutes choses, Célestius deman-
dait si l'homme pouvait éviter le péché, ou
non? « 11 le peut, répond saint Augustin, si
la nature viciée par le péché, est guérie
par la grâce de Dieu, par Notre-Seigneur '■s-^v- "
Jésus-Christ. » Comme sa seconde demande
revenait à la première, ce Père y répond
de même, ajoutant que pour être guéris,
nous invoquons celui à qui l'on dit dans un
psaume : Tirez-moi de mes nécessités. 11 de- j/""''
mandait, en troisième lieu, si le péché nous
était naturel ou seulement accidentel? Saint
Augustin répond que le péché n'est point
naturel, mais de la nature corrompue, d'où
nous avons été faits enfants de colère. Le
péché, ajoutait Célestius, est-il une chose
ou un acte? « Il est un acte, répond saint Au-
gustin, comme de boiter dans un corps, est
un acte, défaut toutefois que l'homme ne
peut corriger qu'en lui guérissant le pied. Il
en est de même par rapport au péché qui
peut intérieurement être guéri par la grâce
de Dieu. )> Ce Père ajoute qu'on peut donc,
avec beaucoup de sagesse , commander à un
homme de marcher droit, afin que, s'aper-
cevant qu'il ne le peut faire, il cherche ,'un
remède à son infirmité , qui n'est autre
Analyse i
ce livre, pa
168.
' Possid. , iû Catal. cap. iv. Fulgent., lib. 1 ad Moni., cap. m. Prosp. adv. Coll., cap. iv.
[IV° ET Y" SIECLES.]
que la grâce de Dieu par Jésus- Christ.
N'est-il pas commandé à l'homme d'être
sans péché? La chose est donc possible.
« Oui, dit saint Augustin, autrement Dieu
n'aurait pas envoyé son Fils pour guérir les
hommes, et les délivrer de leurs péchés.
Toutefois nous n'aurons une santé pleine et
entière, que quand nous aurons une charité
pleine et entière, et notre charité ne sera
parfaite que quand nous verrons Dieu tel
qu'il est. n
4. Comment, disait Célestius, est-il arrivé
que l'homme soit devenu pécheur? Est-ce
par la nécessité de la nature, ou par son li-
bre arbitre? Si c'est par la nécessité de la
nature, l'homme n'est pas coupable ; si c'est
par son libre arbitre, il est donc plus poi'té
au mal qu'au bien. Comment prouvera-t-on
donc qu'il est bon ? « Il est arrivé, répond
saint Augustin, par le libre arbitre que
l'homme est tombé dans le péché. Mais une
corruption, qui est la juste peine de son pé-
ché, fait qu'au lieu de la liberté dont il
jouissait, il se trouve dans une nécessité qui
lui fait crier vers Dieu : Tirez-moi de mes né-
cessités. Assujettis à ces nécessités, ou nous
sommes dans l'impuissance de connaître ce
que nous voudrions, ou si nous le connais-
sons, nous sommes dans l'impuissance de le
faire. C'est pourquoi le Libérateur promet
même la liberté à ceux qui croient en lui :
Vous serez vraiment libres, dit-il, lorsque le
Fils vous aura rendu la liberté. Car la nature
ayant été vaincue par le péché qu'elle a
commis par sa pure volonté, elle a mérité
de perdre la liberté dont elle jouissait. De là
vient qu'il est dit dans un autre endroit de
l'Écriture , que celui qui s'est laissé vaincre
demeure esclave de celui qui l'a vaincu.
Comme donc il n'est pas besoin de médecin
à ceux qui sont en santé, mais à ceux qui
se portent mal ; de même ceux qui sont hbres
n'ont pas besoin de hbérateur ; ce besoin
n'est que pour les esclaves. » Dieu n'a pas
seulement fait l'homme bon, disait Célestius,
il lui a encore commandé de faire le bien.
« Parce que l'homme, répond saint Augus-
tin, ne s'est pas fait lui-même bon, ce n'est
pas lui non plus, mais Dieu qui le rétablit
afin qu'il soit bon; ce qui arrive lorsque
notre homme intérieur se renouvelle de
jour en jour par la grâce de Dieu [par Jé-
sus-Christ Notre-Seigneur. »
5. On ne peut pécher qu'en deux maniè-
res, disait Célestius, ou en faisant ce qui est
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
4iï
défendu, ou en ne faisant pas ce qui est
commandé. Or, on peut faire ce qui est
commandé et s'abstenir de ce qui est dé-
fendu; autrement ce serait en vain que l'on
commanderait ce qui ne peut s'observer, et
que l'on défendrait ce dont l'on ne peut
s'abstenir. Saint Augustin répond : tous
les préceptes de la loi se réduisent à deux ;
l'un porte : Vous ne convoiterez pas; l'autre
vous aimerez ; le dessein de Dieu , lors-
qu'il a donné ces préceptes à l'homme ,
a été pour le convaincre de son impuis-
sance, et l'empêcher de s'élever d'orgueil,
afin que, voyant qu'il ne pouvait seul les
accomplir, il eût recours à la grâce. Céles-
tius ajoutait : Si l'homme ne peut être sans
péché, ou cela vient de la nature, et en ce cap. vi.
cas il n'est point blâmable, ou cela vient de
sa volonté ; et quoi de plus aisé que de
changer cette volonté par une contraire ?
Saint Augustin répond que ce changement
est possible avec la grâce de Dieu, et que
sans cette grâce l'homme qui s'est vicié par
sa propre volonté ne peut êlre guéri. Si
riiomme, continuait Célestius, ne peut êlre
sans péché, c'est, ou de sa faute, onde celle
d'un autre? «C'est de sa faute, répond saint
Augustin, parce que c'est par sa seule vo-
lonté que l'homme est arrivé au point de
ne pouvoir par sa seule volonté être sans
péché. » Mais comment donc la nature de
l'homme est-elle bonne, s'il ne lui est pas
posssible d'être sans mal? « EUe est bonne,
dit ce Père, et elle peut être sans mal, c'est-
à-dire sans péché ; et cela se fait lorsque la
grâce agit par la foi. »
6. S'il y a des péchés que l'on ne puisse
éviter, continuait Célestius , comment Dieu
est-il juste, s'il l'impute à ce que l'on ne peut
éviter? Saint Augustin répond , que l'on pè-
che , ou lorsqu'on n'a pas la charité qu'on
doit avoir, ou qu'on en a moins qu'on en de-
vrait en avoir, soit que cela soit au pouvoir
de la volonté , ou qu'il n'y soit pas. Car, si
c'est au pouvoir de la volonté, c'est la volonté
actuellement présente qui commet le péché;
et si ce n'est pas eu son pouvoir, c'est la vo-
lonté précédente qui est la cause du péché.
Cependant on peut éviter le péché, non si la
volonté orgueilleuse est flattée, mais si, de-
venue humble , elle est aidée.
7. Célestius n'assurait pas qu'il y eût quel- cop. vu.
que personne sans péché, il se contentait de
dire que cela était possible. Sur quoi saint
Augustin lui dit, qu'il ne veut point contester
X-
442
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
là-dessiis, pourvu que l'on confesse que cela
n'est possible qu'avec la grâce du Sauveur,
et non par les seules forces du libre arbitre.
Céleslius avait ramassé phvsieurs passages
pour montrer qu'il est commandé à l'homme
d'être sans péclié. Saint Augustin ne con-
c;p.™i. teste pas sur le précepte, mais sur la ma-
nière de l'accomplir, et soutient que cela ne
se peut faire sans le secoiu's de la grâce. Il
dit à cette occasion , qu'autre chose est de
sortir de ce corps, ce que font tous les hom-
mes en mourant ; et autre chose d'être déli-
vré de ce corps de mort, ce qui ne se fait
que par la seule grâce de Dieu, par Jésus-
Christ, donnée aux saints et" aux fidèles. Il
ajoute : « Après cette vie la récompense est
donnée , mais seulement à ceux qui l'ont
méritée, et au sortir de cette vie nul ne sera
pleinement rempli et rassasié de la justice,
s'il n'a couru après elle durant cette vie par
l'ardeur d'une faim et d'une soif spirituelle.»
Notre-Seigneur, en parlant des œuvi'es de
justice , les a réduites à trois , au jeûne , à
l'aumône et à la prière; dans le jeûne, il y a
compris tout ce qui châtie et mortifie noire
chair ; dans les aumônes , toute la bienveil-
lance qu'on peut témoigner envers le pro-
chain, en lui donnant, ou en lui pardonnant ;
et dans l'oraison, toutes les l'ègles des saints
désirs ; tant qu'il y a en nous quelque reste
de cupidité à réprimer par la continence,
nous n'aimons pas encore Dieu entièrement
et de toute notre âme.
8. Il répond aux passages allégués par
Célestius, qu'ils ne signifient autre chose,
sinon que l'on peut courir dans le chemin
de la perfection , selon le langage de l'Ecri-
ture , non lorsqu'on est déjà parfait, mais
lorsqu'on s'avance vers la perfection par
une vie irréprochable; ce qui peut se dire
de celui qui est exempt des péchés mortels,
et qui ne néglige point de racheter les vé-
niels par ses aumônes; la prière qui est
pure purifie aussi l'entrée du chemin par
lequel nous marchons continuellement vers
cette pei'fection.
&11...V. 9. Quant aux passages cités par Célestius,
pour montrer que les préceptes divins ne
sont point pesants, saint Augustin répond :
« Lorsque l'Écriture nous déclare que ses
préceptes ne sont point pesants ni difficiles,
c'est afin d'avertir l'âme qui les sent pesants,
qu'elle n'a pas encore reçu assez de for-
ces pour les trouver tels que l'Écriture mar-
que qu'ils doivent être , c'est-à-dire doux et
I Cor. Vil,
30 , PLilip.
légers; et ainsi elle doit prier par le gémis-
sement de la volonté , afin d'obtenir le don
de les pouvoir accomplir parfaitement. Car
il ne faut pas qu'elle croie les bien accom-
plir, lorsqu'elle le fait de telle sorte qu'elle
les sent toujours pesants, n
10. Le saint Docteur rapporte ensuite les cap. si?,
autres passages que Célestiris s'objectait,
comme de la part des catholiques , et ceux
qu'il opposait pour montrer que l'homme
est bon, et qu'il peut de lui-même éviter le .
péché. Le passage qui l'embarrassaitle plus,
était tiré de l'Épître aux Romains , où nous
lisons : Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni n»™' '^<
de celui qui court, mais de Dieu qui fait mi-
séricorde; et il ne s'en tire qu'en opposant
d'autres passages, où il est dit que l'homme x^l'^^'^j'Û
peut choisir le bien ou le mal ; ce qui ne ré- ^°°'- ">^
solvait point la difficulté. « En effet, pour-
quoi demandons-nous à Dieu que sa volonté
soit faite dans le ciel et sur la terre ; ou qu'il
ne nous laisse pas succomber à la tentation, «
si cela dépend de notre volonté, et non de *
Dieu qui nous fait miséricorde? Ce n'est pas
que cela se fasse sans que notre volonté
agisse , mais c'est qu'elle n'accomplit pas ce
qu'elle fait, si elle n'est aidée de Dieu. C'est cap. xix.
pourquoi , ajoute saint Augustin , celui qui a
la volonté d'accomplir les commandements,
en doit remercier Dieu, parce qu'il ne pour-
rait avoir cette volonté , si la lumière de la
vérité se retirait entièrement de lui. » Il dit
encore, que si l'on se porte au bien, ce n'est
qu'à proportion de la mesure de la foi que
l'on a reçue. Mais il le répète, personne
n'est aidé que celui qui fait aussi quelque
chose; et il est aidé, s'il prie, s'il croit, s'il Rom. \m
est appelé selon le déci'et de Dieu. Il établit
pour maxime que la concupiscence n'est
point un péché dans les baptisés, mais seu-
lement le consentement qu'ils donnent à ses
mouvements, et dit anathème à quiconque
enseigne que la grâce n'est point nécessaire
à l'homme pour éviter le péché , et que la
volonté humaine suffit pour cela avec la con-
naissance de la loi.
§ V.
Du livre des Actes de Pelage.
i. Pélac'e, accusé d'hérésie, fut cité en uvio d«:
-, , 1 1 . 1 T ' Ados do Pfr
415 devant les eveques assembles à Jerusa- laee.iorsui
lem, pour y rendre compte de sa doctrine.
La dispute fut longue , et il y fut arrêté, à la
la demande d'Orose , que l'on enverrait des
[lV= ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
1 Ges-
députés et des lettres à Rome au pape Inno-
cent, et que tous suivraient ce qu'il aurait
décidé. Mais, au mois de décembi'e de la
même année , il se tint une autre assemblée
en Palestine, dans une ville nommé Diospolis
ou Lydda, où il fut une seconde fois ques-
tion des erreurs que l'on attribuait à Pelage.
Cette assemblée était composée de quatorze
évéques , du nombre desquels était Jean de
Jérusalem. On y examina un libelle présenté
par deux évèques gaulois, chassés de leur
siège. Héros d'Arles, et Lazare d'Aix. Ils y
avaient réduit en abrégé les erreurs qu'ils
avaient recueillies des lin-es de Pelage et
de ceux de Célestius, et y avaient ajouté les
articles sur lesquels ce dernier avait été con-
damné au concile de Cartbage, et qui avaient
été envoyés de Sicile à saint Augustin. Hé-
ros et Lazare ne purent se rendre à cette
assemblée au jour marqué , parce que l'un
d'eux était malade. Mais Pelage s'y trouva
pour se justifier, ce qui lui fut assez facile,
n'ayant point d'accusateur présent. On ré-
digea par écrit tout ce qui fut dit en sa fa-
veur et contre lui ; et Pelage ayant anathé-
matisé les erreurs dont on l'accusait , fut
renvoyé absous; mais sa doctrine y fut con-
damnée, et il fut obligé de la condamner
lui-même. Saint Augustin n'avait pas encore
vu les actes de ce concile , lorsqu'il écrivit
au pape Innocent en 416, mais il les avait
demandés à Jean de Jérusalem. On voit par
sa lettre à saint Paulin, écrite vers le milieu
de l'an 417, qu'il les avait reçus, soit que
Jean les lui eût envoyés, soit qu'ils lui fus-
sent venus de la part du pape Innocent à qui
les évêques du concile de Diospolis les
avaient communiqués. Saint Augustin y
I Re- ayant ti-ouvé que Pelage n'avait été absous
par ces évêques, que parce qu'il les avait
trompés par une profession extérieure de la
foi catholique, se résolut d'écrire pour mon-
trer que ses dogmes n'avaient point été ap-
prouvés par ceux qui l'avaient absous. Ainsi,
l'on ne peut douter que l'écrit qu'il composa,
sur ce sujet, ne soit à peu près du temps
même qu'il eut communication de ces actes,
c'est-à-dire ou de la fin de l'an 416, ou du
commencement de l'an 417. Il avait pour '
titre : De ce qui s'est fait en Palestine; mais il
est intitulé communément des Actes de Pe-
lage, ou selon Possidius ^, contre les Actes de
443
Pelage. Saint Augustin l'adressa à Aurèle de
Cartilage, afin que, s'il en était content, il
le pût rendre public, appuyé de l'autorité
d'un évêque ' si respectable , et qu'ainsi la
vérité étouffât plus aisément les disputes qui
s'élevaient sur la manière dont Pelage avait
été renvoyé absous dans le concile de Dios-
poHs.
2. On commença dans ce concile par lire
le libelle des évêques Héros et Lazare; et
comme les évêques présents n'entendaient
pas le latin, ils le faisaient expfiquer par un
interprète *; mais Pelage répondait ° lui-
même en grec aux objections qu'on lui fai-
sait. La première qu'on lui fit, fut qu'il avait
écrit, dans un de ses livres, qu'on ne peut
être sans péché , à moins que l'on n'ait la
science de la loi. Avez-vous puWié cela , lui
demanda le concile? Je l'ai dit, répondit Pe-
lage , mais non pas comme ils l'entendent.
Je n'ai pas dit que celui qui a la science de
la loi ne puisse pécher, mais qu'il est aidé
par la science de la loi à ne point pécher,
comme il est écrit , il leur a donné le secours
de la loi. Le concile dit : Ce qu'a dit Pelage
n'est point éloigné de la doctrine de l'Église.
Saint Augustin remarque que la réponse de
Pelage n'était pas en effet contraire à la
doctrine de l'Éghse ; mais que cette réponse
avait aussi un sens bien différent de la pro-
position qui avait été extraite de son livre ;
ce que des évêques, qui ne savaient point
le latin, ne se mirent pas en peine d'exami-
ner, s'en rapportant aux interprètes dont ils
se sentaient, et se contentant de juger de
Pelage par ses l'éponses verbales, et non par
ses écrits. Il fait voir qu'il y a beaucoup de
différence entre dire qu'un homme est aidé
à ne pas pécher par la science de la loi, et
dire qu'on ne peut être sans péché, sans
avoir la science de la loi. « Nous voyons, par
exemple, dit-il, que l'on bat les blés sans
traînes , encore qu'elles aident si on les a ;
et que les enfants vont à l'école sans péda-
gogues, encore que leur secours ne soit pas
inutile pour les y conduire; et que plusieurs
sont guéris de leurs maladies sans médecins,
encore qu'il soit visible qpie l'assistance des
médecins est très-utile, et que les hommes
peuvent vivre d'une autre nourriture que de
celle du pain, encore qu'on ne nie pas que
le pain ne serve beaucoup; exemples qui
Aïtalyse do
ce livre , paj.
192.
Cap. I.
1 Prosp. cent. Coll., cap. xxx.iu. — ^ Possid., in
Calalog., cap. iv.
3 De Gest. Pelag., cap. sxxtv.
lag., cap. i. — » Ibid.
i De Gest. Pe-
\M
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Cnp, II,
Cd[i. m,
nous font certainement connaître qu'il y a
deux sortes de secours: les uns, sans les-
quels on ne peut faire ce qu'ils nous aident
à faire, comme personne ne va sur mer sans
vaisseau, personne ne parle sans voix, per-
sonne ne marche sans pieds, personne ne
voit sans lumière, et plusieurs autres choses
semblables, entre lesquelles est, que per-
sonne ne vit bien sans la grâce de Dieu. Il y
a d'autres secours qui nous aident de telle
sorte, que, quoique l'on ne les ait pas, on
peut faire par une auti-e voie la chose pour
laquelle nous les recherchons ; comme sont
les secours dont je viens de parler : les traî-
nes pour battre les blés, les pédagogues
pour conduire l'enfant , le remède composé
par l'art de la médecine pour recouvrer sa
santé, et autres choses de cette nature. De
quelle espèce de secours est la science de la
loi, c'est-à-dire comment aide-t-elle à ne point
pécher ? »
Le saint Docteur dit qu'elle est de la na-
ture de ces secours qui nous aident de telle
sorte qu'encore qu'on ne les ait pas, on ne
laisse pas de faire la chose par une autre
voie ; et il le prouve, parce qu'il y en a
très-peu qui soient instruits de la loi, et qu'il
y a au contraire un très-grand nombre de
membres de Jésus - Christ répandus sur
toute la terre, qui ne sont point recomman-
dables par une connaissance de la loi ; mais
qui, par la simplicité de leur foi, par leur
piété, par leur ferme espérance en Dieu ,
par leur charité sincère, sont pleins de con-
fiance de pouvoir être pui'ifiés de leurs pé-
chés par la grâce de Dieu. Il prouve la
même chose par les enfants qui, quoique
sans connnaissance de la loi, sont néan-
moins sans péché, aussitôt qu'ils ont reçu
le baptême.
3. Le concile ajouta : « Qu'on lise un
autre article. » On lut ce que Pelage avait
mis dans le même livre, que tous sont
conduits par leur propre volonté. Pelage
répondit : « Je l'ai dit aussi à cause du libre
arbitre : Dieu aide à choisir le bien ; et
l'homme qui pèche est en faute, parce qu'il
a le libre arbitre. » Les évêques dirent :
« Cela n'est pas non plus éloigné de la doc-
trine de l'Église. » Saint Augustin en con-
vient , mais il soutient en même temps ,
(( qu'être mù est quelque chose de plus
qu'être conduit ; car celui qui est conduit
fait quelque chose, et il est conduit par Dieu
afin qu'il fasse bien ; au lieu que l'on con-
çoit à peine que celui qui est mû fasse quel-
que chose. Cependant, ajoute-t-il, la grâce
du Sauveur agit de telle manière sur nos
volontés, que l'Apôtre ne feint point de dire
que ceux-là sont enfants de Dieu, qui sont
mus par l'esprit de Dieu. Et notre libre vo-
lonté ne peut rien faire de mieux que de
demander d'être mue par celui qui ne peut
agir mal. » H dit que la réponse de Pelage
aux évêques avait aussi un autre sens dans
son livre, mais qu'ils ne s'en inquiétèrent
point, croyant qu'il confessait tellement le
libre arbitre, que Dieu nous aidait à choisir
le bien.
4. On lut ensuite que Pelage avait mis,
dans son hvre, qu'au jour du jugement on
ne pardonnerait point aux injustes et aux
pécheurs ; mais qu'ils seraient brûlés par le
feu éternel. Ses accusateurs avaient relevé
cette parole, parce qu'il ne distinguait point
les pécheurs qui seront sauvés par les méri-
tes de Jésus-Christ, de ceux qui seront con-
damnés. Mais comme ceux qui avaient pré-
senté le libelle à Euloge qui présidait au
concile, étaient absents, et qu'il n'y avait
personne pour faire expliquer Pelage ; il
répondit simplement, qu'il l'avait dit selon
l'Evangile où nous lisons : Que les péchews waiii. .«.«,
iront au supplice éternel^ et les justes à la vie
éternelle. Il ajouta : « Si quelqu'un croit au-
trement, il est origéniste. » Le concile dit :
(( Cela n'est point éloigné de la doctrine de
l'Église. » Saint Augustin convient que la
proposition de Pelage, étant indéfinie, et
qu'ayant déclaré lui-même, qu'il ne l'avait
avancée que dans le sens de l'Évangile,
tout ce qu'on pouvait en conclure, c'est qu'il
ne pai-aissait pas bien quel était son senti-
ment sur le supphce des pécheurs, c'est-à-
dire s'il ne fallait pas distinguer ceux qui
seront sauvés par les mérites de Jésus-Christ,
de ceux qui seront condamnés.
5. On lui objecta encore d'avoir écrit,
que le mal ne venait pas même en pensée
aux justes. Il répondit : « Je ne l'ai pas mis
ainsi; mais j'ai dit que le chrétien doit
s'apphquer à ne point penser de mal. n Les
évêques approuvèrent cette réponse. On lut
aussi ce qu'il avait écrit, que le royaume
des cieux était promis, même dans l'Ancien
Testament. Il répondit : « Cela se peut aussi
prouver par les Écritures. Mais les héréti-
ques, c'est-à-dire les manichéens, le nient
au mépris de l'Ancien Testament. Pour
moi, j'ai dit cela suivant l'autorité de l'Écri-
40.
[TV' ET V'= SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
445
Cap. VT,
' ture, parce Cfu'il est écrit dans Daniel. Et les
saints recevront le royaume du Très-Haut. »
Le concile dit «: Cela n'est point éloigné non
plus de la foi de l'Église.» Saint Augustin ne
laisse pas de condamner cette pi'oposition,
en ce qu'elle rendAgar égale à Sara, c'est-
à-dire la servante à la maîtresse, et l'Ancien
Testament au Nouveau. Il veut que l'on dis-
tingue deux notions de l'Ancien Testament ;
la première, qui marque la loi donnée à
Moïse siu' le mont Sinaï ; la seconde, qui si-
gnifie tout le corps des Écritui'es saintes, où
sont contenus les livres de la Loi et des
Prophètes. Selon la première de ces no-
tions, l'Ancien Testament est une loi de ser-
vitude, auquel par conséquent le royaume
des cieux, qui est proprement de la liberté ,
ne saurait appartenir. Selon la seconde, le
royaume des cieux a pu être promis dans
l'Ancien Testament, de la même manière
qu'on y trouve les promesses du Nouveau,
à qui ce royaume appartient. Il déclare tou-
tefois que ceux qui Aivaient sous l'Ancien
Testament, éLaient aussi compris dans les
promesses du Nouveau , par rapport aux
avantages anticipés dont ils pouvaient jouir,
et des secours de grâces qui les aidaient à
devenir les héritiers du Nouveau Testament.
6. Ensuite on objecta, (jue Pelage avait
écrit dans le même livre, que l'homme pou-
vait, s'il voulait, être sans péché ; et qu'é-
crivant à une veuve, il lui avait dit : « La
piété doit trouver chez vous la place qu'elle
ne trouve nulle part. » Et dans un autre livre,
adressé à la même, montrant comment les
saints doivent prier, il disait : « Celui-là prie
en bonne conscience, qui peut dire : Vous
savez. Seigneur, combien sont pures les
mains que j'étends vers vous, et les lèvres
avec lesquelles je vous demande miséri-
corde. 1) A quoi Pelage répondit : « J'ai dit
que l'homme peut être sans péché, et garder
les commandements de Dieu, s'il le veut :
car Dieu lui a donné ce pouvoir. Mais je n'ai
pas dit, qu'il se trouve quelqu'un qui n'ait
jamais péché depuis l'enfance jusqu'à la
vieillesse ; j'ai dit seulement, qu'étant con-
verti de ses péchés, il peut être sans péché
par son propre travail, et par la grâce de
Dieu, sans qu'il soit pour cela immuable à
l'avenir; le reste qu'ils ont ajouté n'est point
dans mes livres, et je n'ai jamais rien dit de
semblable. » Le concile dit : « Puisque vous
niez l'avoir écrit, anathématisez-vous ceux
qui le tiennent ? » Pelage répondit : « Je les
anathématise comme des impertinents, et
non comme des hérétiques, puisque ce n'est
pas un dogme. » Les évêques prononcèrent
en disant : ((Puisque Pelage a anathématise
de sa propre bouche ce discours incertain et
impertinent ; répondant, comme il faut, que
l'homme, avec le secours de Dieu et la grâ-
ce, peut être sans péché; qu'il réponde pp-»
aussi aux autres articles. »
Saint Augustin trouve mauvais que ces
évêques s'en soient rapportés aux paroles
de Pelage, sur des faits incertains, et qui
ne leur étaient point connus, vu cpi'il n'y
avait là personne qui pût le convaincre d'a-
voir écrit ce qu'on lui objectait de sa lettre
à une veuve. Des frères d'une sainte vie,
ajoute-t-il, qui avaient eu en main les écrits
de cet hérésiarque à cette veuve, ayant
averti d'y chercher les endroits qu'on lui
avait objectés, on les y trouva en effet.
Pelage trompa ces évêques, en se servant
du nom de grâce dans un autre sens qu'ils
ne l'entendaient, et lorsqu'il avait dit que
l'homme converti peut être sans péché
par son propre travail et par la' grâce de
Dieu, il confessait la grâce qui est connue
dans l'Église, c'est-à-dire la g-râce de Jésus-
Christ, et non pas, comme l'entendait Pe-
lage, les dons naturels que nous avons reçu
de Dieu dans la création.
. 7. Après cela on lui objecta quelques pro- c»p.
positions tirées de la doctrine de Célestius son
disciple, savoir qu'Adam a été faitmortel, en-
sorte qu'il devait mourir, soit qu'il péchât,
soit qu'il ne péchât point; que le péché d'A-
dam n'a nui qu'à lui seul, et non au genre
humain ; que la loi envoie au royaume des
cieux comme l'Evangile ; qu'avant l'avène-
ment de Jésus-Christ il y a eu des hommes
sans péché ; que les enfants nouveaux nés
sont au même état où Adam était avant son
péché , que tout le genre humain ne meurt
point par la mort d'Adam, ou par son pé-
ché ! et ne ressuscite point par la résurrec-
tion de Jésus-Christ. En lui rapportant ces
propositions, on lui dit qu'elles avaient été
ouïes et condamnées au concile de Carthage.
On lui en objecta encore d'autres envoyées
de Sicile à saint Augustin , savoir que l'hom-
me peut être sans péché, s'il le veut ; que les
enfants, sans être baptisés, ont la vie éter-
nelle ; que si les riches baptisés ne renon-
cent à tout, le bien qu'ils semblent faire ne
leur sert de rien, et qu'ils ne peuvent avoir
le royaume de Dieu. Pelage répondit à ces
U6
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
objections en ces termes : « Que l'homme
puisse être sans péché, il en a déjà été
parlé ; quant à ceux qui ont été sans péché
avant l'avènement du Seigneur, je dis aussi
qu'avant sa venue quelques-uns ont vécu
saintement et justement, selon que les sain-
tes Écritures l'enseignent. Pour le reste,
mes adversaires témoignent eux-mêmes que
je ne l'ai pas dit, et je n'en dois pas répon-
dre : toutefois pour la satisfaction du saint
Concile, j 'anathématise tous ceux qui le
tiennent, ou qui l'ont jamais tenu. » Après
cette réponse le concile dit : « Pelage ici
présent a répondu bien et suffisamment à
ces articles, anathématisant ce qui n'était
point de lui. » Saint Augustin infère de cette
réponse que plusieurs erreurs de la secte
pélagienne furent condamnées, non-seule-
ment par les évéques du concile, mais par
Pelage même.
Le saint Docteur examine ensuite pourquoi
Pelage ne voulut pas analhématiser cette pro-
position, qu'il reconnaissait pour être de lui,
qae l'homme peut être sans péché, remar-
quant que les évêques ne l'avaient approu-
vée que parce que Pelage avait ajouté, que
cela se pouvait avec la grâce de Dieu. Il
remarque aussi qu'il n'osa pas dire avec
Célestius, qu'il y a eu des hommes avant
l'avènement de Jésus-Christ qui ont été sans
péchés, et qu'il se contenta de dire, que
quelques-uns avant l'avènement de Jésus-
Christ avaient vécu saintement. « Qui est-ce
qui le nie, dit saint Augustin ? Mais ces justes
ne laissaient pas de dire véritablement : ^e
nous disons que nous n'avons point de péché ,
nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité
n'est point en nous. R y a encore aujourd'hui
plusieurs personnes qui vivent saintement,
et qui toutefois ne mentent pas, lorsqu'elles
disent dans l'Oraison dominicale : Pardon-
nez - nous nos offenses , ainsi que nous les
pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Ce
fut donc, dans le sens que Pelage donna
à cette proposition, qu'elle fut approuvée
des évoques du concile, et non dans le sens
qu'on attribuait à Célestius. »
8. Ensuite on lui reprocha d'avoir dit que
l'Église est ici sans tache et sans ride. Il ré-
pondit : « Je l'ai dit, parce que l'Éghse est
pm-ifiée par le baptême , et que le Seigneur
veut qu'elle demeure ainsi. » Le concile dit :
«Nous l'approuvons aussi. » Saint Augustin
dit qu'entre le baptême où sont effacées tou-
tes les taches et foutes les rides anciennes,
et le royaume où l'Église sera pour toujours
sans tache et sans ride , il y a un temps mi-
toyen qui est celui de la prière, où il est be-
soin que l'Église dise : Remettez-nous nos
dettes. Il ajoute qu'il ne fut pas question de
ce temps mitoyen entre les évêques du con-
cile et Pelage, mais qu'il y a apparence que
ces évêques, en approuvant sa proposition,
ne l'entendirent que du baptême où l'Église
est lavée de ses péchés , et du royaume où
elle sera pour toujours sans tache.
9. On objecta encore à Pelage quelques cap. xm,
propositions du livre de Célestius, prenant
plutôt le sens de chaque article que les pa-
roles. La première était que nous faisons plus
qu'il n'est ordonné par la loi et par l'Évan-
gile. A quoi Pelage répondit : « Ils l'ont mis
comme étant de nous , mais nous l'avons
dit, suivant ce que dit saint Paul de la virgi-
nité , je n'ai point de précepte du Seigneur. »
Le concile dit : « L'Église reçoit encore
cela. » — « J'ai lu, dit saint Augustin, en
quel sens Célestius a avancé cette proposition
dans son livre ; son intention a été de per-
suader que nous avons par notre libre arbi-
tre une si grande possibilité de ne pas pé-
cher, que nous faisons même plus qu'il ne
nous est commandé, puisqu'ilyenaplusiem's
qui gardent la virginité perpétuelle, quoi-
qu'elle ne soit pas de précepte. » Il ajoute
que dans l'approbation que les évêques don-
nèrent à la réponse de Pelage , ils ne pré-
tendirent pas que celui-là accomphssait fous
les préceptes de la loi et de l'Évangile , qui .
gardait la virginité qui n'est pas comman-
dée, mais seulement qu'elle est supérieure à
la continence conjugale qui est commandée,
et qu'il est plus grand de garder l'une que
l'autre , quoique ni la virginité ni la conti-
nence conjugale ne puissent se garder sans
la grâce de Dieu.
10. Les autres articles de Célestius, que cap. xn-,
l'on objecta à Pelage , étaient que la grâce
de Dieu n'est pas donnée pour chaque ac-
tion particulière , mais qu'elle consiste dans
le libre arbitre, ou dans la loi et la doctrine;
qu'elle est donnée selon nos mérites , parce
que s'il la donne aux pécheurs, il semble
être injuste : d'où il inférait que la grâce
même dépend de notre volonté , pour en
être dignes ou indignes ; car si nous faisons
tout par la grâce , ajoutait Célestius , quand
nous sommes vaincus par le péché, ce n'est
pas nous qui sommes vaincus, mais la grâce
de Dieu qui a voulu absolument nous aider,
[IV^ ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
447
et ne l'a pu. Il disait encore : « Si c'est la grâce
de Dieu qui nous fait vaincre le péché, c'est
donc sa faute quand nous sommes vaincus ,
parce qu'absolument elle n'a pii, ou n'a pas
voulu nous garder. » A cela Pelage répond :
« Si ce sont là les sentiments de Célestius,
c'est à ceux qui le disent à l'examiner ; pour
moi je n'ai jamais tenu cette doctrine , mais
j'anathématise celui qui la tient. » Le Con-
cile dit : « On vous reçoit, puisque vous con-
damnez ces paroles réprouvées. » — « Que
Pelage ail tenu cette doctrine ou non, il est
clair, dit saint Augustin, que ces évêques la
condamnèrent , et qu'ils auraient aussi con-
damné Pelage , s'il ne l'avait pas anathéma-
tisée. » Ce Père ne doute pas que Pelage,
en disant à cette occasion que la grâce nous
est donnée pour chaque aclion particulière,
n'ait entendu , par cette grâce , la grâce de
Jésus-Christ, qui est prêchée dansl'Éghse, et
qui est donnée par le Saint-Esprit , afin que
nous soyons aidés dans toutes nos actions.
Mais il doute si Pelage fut sincère dans sa
confession ; et il en donne cette raison :
u Quand on objecta à Pelage cette proposi-
tion de Célestius , que chaque homme peut
avoir toutes les vertus et les grâces^ par où ,
disait-on, ils étaient la diversité des grâces
qu'enseigne l'Apôtre; Pelage répondit : Nous
l'avons dit, mais ils le reprennent malicieuse-
ment et avec ignorance, car nous n'ôtons
pas la diversité , mais nous disons qiie Dieu
donne toutes les grâces à celui qui est digne
de les recevoir , comme il les a données à
l'apôtre saint Paul. En effet, ajoute saint
Augustin , c'est ôter le nom de grâce , et ce
qui est signifié par ce nom , si elle n'est
point donnée gratuitement , et si celui-là
qui en est digne la reçoit. » Il confirme
son doute sur la sincérité de la confession
de Pelage, par ce qui se passa dans le con-
cile de Jérusalem, où Pelage ayant dit , que
celui qui veut travailler pour ne point pé-
cher , a ce pouvoir de Dieu ; quelques-uns
en murmurèrent , et dirent que Pelage en-
seignait par là que l'on pouvait être parfait
sans la grâce de Dieu. L'évéque Jean les re-
prit , et dit : « L'Apôtre même témoigne
qu'il travaille beaucoup, non selon sa force,
mais selon la grâce de Dieu, n Comme les
assistants murmuraient encore , Pelage dit :
« Je le crois aussi : anathême à qui dit que
sans le secours de Dieu , l'homme peut s'a-
vancer dans toutes les vertus. » Réponse
équivoque et qui ne marquait pas que la
grâce de Dieu travaillât tellement avec Hom. ix.is.
l'homine, que l'on pût dire de ce qu'un
homme ne pèche pas : // ne dépend point ni
de celui qui veut, ni de celui qui court, mais
de Dieu qui fait miséricorde. Il le confirme
encore par les commentaires sur les Épîtres
de saint Paul où l'auteur qu'on disait être
Pelage, n'expliquait point ce passage dans "^'P'^^"-
un sens catholique. Il excuse toutefois les
évêques du concile sur ce qu'ils croyaient
connaître la doctrine de Pelage , qu'en eiïet cap.'xvur.
ils ne connaissaient point.
H. On lui objecta encore ces articles du
livre de Célestius, que l'on peut appeler en-
fants de Dieu , sinon ceux qui sont absolu-
ment sans péché : d'où il suivait que saint 22™'"^' '" '
Paul même ne l'était pas, puisqu'il dit qu'?7
n'est pas encore parfait ; que l'oubli et l'igno-
rance ne sont point susceptibles de péché ,
parce qu'ils ne sont pas volontaires, mais
nécessaires ; qu'il n'y a point de libre arbi-
tre, s'il est besoin du secours de Dieu, parce
qu'il dépend de la volonté de chacun de
faire ou de ne pas faire ; que notre victoire
ne vient pas du secours de Dieu , mais du
libre arbitre , ce que Célestius exprimait
ainsi : (( C'est notre victoire, parce qiie nous
avons pi'is les armes par notre propre vo-
lonté ; comme au contraire c'est par notre
faute que nous sommes vaincus, quand nous
avons méprisé volontairement de nous ar-
mer. )) Il apportait ces paroles de saint
Pierre : Nous participons à la nature divine; "Petr. 1,4.
d'où il concluait, que si l'âme ne peut être
sans péché , Dieu est aussi sujet au péché,
puisque l'âme qui en est une partie y est
sujette. Célestius disait encore , que le par-
don n'est pas accordé aux pénitents, suivant
la grâce et la miséricorde de Dieu, mais se-
lon les mérites et le travail de ceux qui par
la pénitence se rendent dignes de miséri- Ca.-.-K.
corde. Tout cela ayant été lu, le concile dit :
<( Que dit à ces articles le moine Pelage, ici
présent? Car le saint concile et la sainte
Église catholique rejettent cette doctrine. »
Pelage répondit : « Je le dis encore, ces pro-
positions, selon le propre témoignage de mes
adversaires , ne sont pas de moi, et je n'en
dois pas répondre. Ce que j'ai avoué être de
moi, je soutiens qu'il est bon ; ce que j'ai
dit n'être pas de moi , je le rejette , suivant
le jugement de la sainte Église catholique ;
car je crois en la Trinité d'une seule subs- cap. >:>-.
tance , et tout le reste , selon la doctrine de
l'Église. Si quelqu'un croit antre chose ,
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Cap. XXI.
Coi-i. xxii,
Cap. xxTii.
Cnp. XXIV.
Cap, XXV.
Cap. XXVI.,
x.\vii,xxvni,
XXIX.
Cap. XXX.
Cap. xN.\i.
448
qu'il soit anatlième. » Le concile dit : « Puis-
que nous sommes satisfaits des déclarations
du moine Pelage, ici présent, qui convient
de la sainte doctrine, et condamne ce qui
est contraire à la foi de l'Église, nous dé-
clarons qu'il est dans la communion ecclé-
siastique et catholique. »
12. Les amis de Pelage ayant appris qu'il
avait été absous, s'en réjouirent ; mais saint
Augustin, se doutant bien qu'il n'avait con-
damné ses erreurs que de bouche , et qu'il
avait trompé les évéques , en affectant au
dehors des sentiments qu'il n'avait pas dans
le cœur , ne crut point du tout qu'il eût été
absous. Il raconte comment il avait com-
mencé à connaître Pelage , et pourquoi il
lui avait donné des éloges dans les premiers
ouvi'ages qu'il écrivit contre ses erreurs ;
quelle fut l'occasion de son livre de la Na-
ture et de la Grâce ; l'utilité qu'en tiraient
Timase et Jacques, pour qui il l'avait écrit ; et
il rapporte la lettre qu'ils lui écrivirent pour
l'en i-emercier, dans laquelle ils témoignaient
être fâchés de n'avoir pu communiquer cet
écrit à Pelage, parce qu'il n'était plus avec eux.
Il témoigne que si cet hérésiarque voulait de
bonne foi anathématiser ses erreurs , il n'y
aurait personne qui ne l'en congratulerait ;
mais, ne sachant s'il les anathématisait sin-
cèrement, il ne craint pas de l'attaquer nom-
mément. Comme il se vantait d'être lié d'a-
mitié avec plusieurs saints évêques, et comme
il avait produit plusieurs lettres dans le con-
cile, dont quelques-unes y furent lues, entre
autres une de saint Augustin qui lui témoi-
gnait en effet beaucoup d'amitié, ce Père
dit qu'il n'en peut rien tirer à son avantage,
parce qu'il ne la lui avait écrite que dans
l'espérance de le ramener de sa mauvaise
doctrine dont il était déjà informé. Le saint
Docteur rapporte cette lettre en entier, et
un fragment de ceUe que Pelage avait écrite
à un de ses amis , dans laquelle il se vantait
que ses sentiments avaient été approuvés
par les quatorze évêques du concile de Dios-
polis. Mais en rapportant ses sentiments
dans cette lettre , il les proposait dans les
mêmes termes qu'ils se trouvaient dans son
livre intitulé des Chapitres, et non pas en la
manière dont il les avait déguisés en pré-
sence de ces quatorze évêques. Saint Au-
gustin ne veut point assurer que cette lettre
fût de Pelage ; mais il dit qu'il n'y avait
nulle apparence, s'il était de lui qa'il eût
confessé sincèrement que la grâce de Dieu
est nécessaire pour chaque action en parti-
culier. Il le convainc de faux par un écrit
qu'il lui avait envoyé pour sa défense par
un nommé Charus d'Hippone , où il rappor-
tait divers endroits des actes du concile de
Diospohs , d'une manière toute différente
des originaux ; et conclut de tout ce qu'il
avait dit jusqu'à présent, que si Pelage avait
été absous dans ce concile, ses erreurs y
avaient du moins été condamnées; de même
que celles de Célestius. 11 remarque que ces
évêques approuvèrent néanmoins quatre
propositions de Célestius , non dans le sens
de cet hérétique , mais dans celui que leur
donna Pelage ; il finit cet ouvrage par le ré-
cit des violences qui avaient été commises
par les pélagiens à Jérusalem contre les ser-
viteurs et les servantes de Dieu qui étaient
sous la conduite de saint Jérôme.
Des livres de la Grâce de Jésus-Christ et du
Péché originel.
1 . Après que l'hérésie pélagienne eût été
condamnée à Rome avec tous ses auteurs,
par les papes Innocent * et Zosime, saint
Augustin écrivif, encore contre cette hérésie
deux ouvrages, l'un intitulé de la Grâce de
Jésm-Christ et l'autre du Péché originel. Il
faut donc les rapporter à l'an 418 ; car ce fut
en cette année que Zosime la condamna, et
qu'elle fut aussi condamnée par les évêques
d'Afrique assemblés à Carthage le 1" mai.
Saint Augustin, qui y avait assisté, demeura
en cette viUe jusqu'au mois de septembre,
époque à laquelle il alla à Alger ou Césarée,
en MauMtanie, conférer avec Émérite, évê-
que du parti des donatistes. Ce fut pendant
ce séjour qu'il écrivit ces deux livres au sujet
d'un entretien que Pinien, Albine sa belle-
mère et Mélanie sa femme avaient eu avecPé-
lage sur la fin de l'an 417, avant que cet héré-
tique eût été chassé de la Palestine. Dans cet
entretien, Pinien avait tâché d'engager Pe-
lage à condamner par écrit les erreurs dont il
était accusé. Sur quoi Pelage lui répondit '
que quiconque pense ou dit que la grâce
de Dieu, par laquelle Jésus-Christ est venu
dans le monde sauver les pécheurs, n'est
pas nécessaire, non-seulement pour chaque
Cap, JUUQi,
Li^ro de t
Grâce de Ji
su?-Christ
du péché or
^ÎDel.EDU!
1 Lib. II Retract., cap. l.
Lib. De Grai. Christ. ^ cap. ii.
[IV' ET V'' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
449
heure et pour chaque moment, mais encore
pour chacune de nos actions, je l'anathé-
matise, et qiie les peines éternelles soient
le partage de ceux cpii s'efforcent de dé-
truire cette grâce.» Il reconnut' aussi qu'il
n'y a qu'un baptême qui doit être conféré
avec les mêmes paroles aux enfants qu'aux
adultes ; et il avoua même, en étant pressé,
qae les enfants reçoivent le baptême pour
la rémission des pécl'.és. Pinien et ceux qui
étaient présents, trompés par les équivo-
ques de cet homme artificieux, se réjouirent
de l'entendre parler selon leurs désirs ; mais,
n'osant s'assurer sur leurs propres lumières,
ils consultèrent sur cela saint Augustin. La
lettre qu'ils lui écrivirent est au nom de tous
trois : de Pinieu, d'Albine et de Mélanie.
Quoique chargé de beaucoup d'affaires, le
saint Docteur leur répondit sur le champ.
Il met ^ toujours le livre de la Grâce de Jé-
sus-Christ avant celui du Péché originel, et
tous les deux avant la conférence avec Émé-
rite, arrivée, comme nous l'avons dit , le
20 septembre 418.
2. Après avoir rappoi-té dans le livre de la
Grâce de Jésus-Christ la réponse de Pelage à
Pinien, saint Augustin dit qu'on ne pourra
s'empêcher de la tenir pour fort suspecte, si
l'on fait attention à ce qu'il dit plus clairement
dans ses ouvrages. En effet, quoique Pelage
dise, comme il faisait ordinairement, que le
secours, que Jésus-Christ nous a donné pour
ne point pécher, consiste en ce qu'il a laissé
son exemple et des lois pleines d'équité; il
pouvait accommoder à sa doctrine, les dis-
cours qu'il tenait quelquefois pom* faire dis-
paraître ce qu'elle avait d'odieux, en disant
que la grâce, ainsi qu'il l'entendait, est né-
cessaire pour chaque moment et pour cha-
que action : parce que dans toute notre con-
duite, nous devons avoir devant les yeux
la vie de Notre-Seigneur. Il prouve que Pe-
lage était capable de cette duplicité, puis-
que, interrogé parles évêques du concile de
Palestine, il condamna avec eux, sans mar-
quer la moindre répugnance , ceux qui di-
sent que la grâce de Dieu et son secours
ne sont point donnés pour chaque action ;
mais que la grâce consiste dans le libre ar-
bitre ou dans la loi et la doctrine ; pendant
qu'il est certain, dit saint Augustin, qu'il tient
précisément le contraire , comme on peut
s'en convaincre par ses livi'es du libre arbi-
tre, car y il fait consister la grâce, par la-
quelle nous sommes aidés pour ne point pé-
cher, ou dans la nature et le libre arbitre,
ou dans la loi et la doctrine ; en sorte que
quand Dieu aide l'homme, afin qu'il s'éloi-
gne du mal et fasse le bien, ce secours con-
siste simplement à découvrir et à montrer
ce qui doit être pratiqué, et non à coopérer
et à inspirer le saint amour, pour faire ac-
complir à l'homme le bien dont il a connais-
sance. Pelage établit et distingue dans les
mêmes livres, trois choses, par lesquelles il
dit que s'accomplissent les commandements
de Dieu, savoir : la possibilité, la volonté et
l'action. Par la possibilité, l'homme peut
être juste. Parla volonté, l'homme veut être
juste. Par l'action, l'homme devient effective-
ment juste. Pelage avoue que la possibilité
est donnée à la nature par la création, de
sorte que nous l'avons, qiaand même nous
ne voudrions pas l'avoir. A l'égard de la vo-
lonté et de l'aclion, il soutient qu'elles sont
à nous et viennent proprement de nous,
qu'elles ne dépendent point du secours de
Dieu, et n'en ont aucun besoin. Pour mon- cap. m.
trer que ce sont là ses sentiments, saint Au-
gustin rapporte un long extrait du troisième
livre, que cet hérésiarque a fait pour la dé-
fense du libre arbitre. Il lui oppose ensuite
un langage tout différent, c'est-à-dire celui
de saint Paul qui, dans sa lettre aux Philip-
piens, les exhorte à opérer leur salut avec
crainte et tremblement, non en leur disant ^ap. iv.
que c'est Dieu qui opère en nous le pou-
voir, comme s'ils avaient par eux-mêmes le
vouloir et l'action , mais en disant que c'est
Dieu qui opère en eux le vouloir et le parfaire, cap. v.
ou, comme on lit dans d'autres exemplaires,
et surtout dans les grecs, le vouloir et l'opé- pmiîp. n, is
rer. Ensuite il fait voir que Pelage n'admet
d'autre grâce que celle de la loi et de la
doctrine, par laquelle est aidée la possibi-
lité, ou la puissance naturelle de vouloir et
d'agir ; et que s'il reconnaît une grâce, par
laquelle Dieu montre et révèle ce que nous cap. vu.
devons faire, il n'admet point celle par la-
quelle Dieu nous donne la force d'agir, et
nous aide afin que nous agissions. Mais il
prouve en même temps que ces deux cho-
ses, la loi et la grâce, par lesquelles nous
sommes aidés pour opérer la justice, sont
différentes l'une de l'autre, que la grâce
nous est montrée par la loi, afin que la loi cap. vm.
' Lil>. de Grat. Christ., cap. xxxir.
IX.
' Lib. II Retract., cap. t.
29
430
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
s'accomplisse par la grâce. Il met au jour
tous les divers fours d'expressions que Pe-
lage mettait en œuvre pour couvrir ses er-
reurs, et après avoir montré qu'il ne fait
consister la grâce que dans la loi et dans
(;j[,. i, l'instruction : « Nous lui demandons, dit-il, de
n'en pas demeurer là, mais de reconnaître
enfin cette grâce, par laquelle la grandeur
de la gloire future nous est non-seulement
promise, mais encore par laquelle on croit,
et l'on espère cette gloire ; par laquelle la
sagesse est non- seulement révélée, mais
encore aimée ; par laquelle non-seulement
on nous conseille, par manière d'exhorta-
tion, tout ce qui est bon, mais encore on nous
le persuade. Voilà la grâce que Pelage est
obligé de reconnaître et de confesser, s'il
veut véritablement être chrétien. »
Cap. il. 3. Pelage se flattait de pouvoir atteindre
par ses forces naturelles au comble de la
justice, sans avoir besoin que de la révéla-
tion de la divine sagesse, qu'il se procurait
par la lecture et la méditation de la loi.
Mais saint Augustin le réfute par l'exemple
II Cor. XII. de saint Paul, qui, malgré ses révélations
célestes, était encore sujet à beaucoup d'm-
firmités, loin d'être arrivé à la perfection de
la justice. « Si, dit ce Père, la charité sou-
veraine et à laquelle il n'y a plus rien à ajou-
ter, eût été alors dans cet apôtre , charité
qui n'aurait été susceptible d'aucune enflure ;
sans doute l'ange de satan n'aurait point été
nécessaire pour l'empêcher, par ses soufflets,
de s'élever à cause de la grandeur de ses
révélations. Mais la charité prenait de jour
en jour de l'accroissement dans cet apôtre,
tandis que son homme intérieur se renou-
velait de jour en jour , pour recevoir sa
dernière perfection dans le ciel, où il cesse-
rait d'être enfin sujet à l'enflure. «Il dit que
Cap. ïii. la grâce dont parle cet apôtre, et par la-
quelle la vertu se perfectionne dans l'infii-
mité, ne se borne pas à nous donner la
connaissance de nos devoirs ; mais qu'elle
s'étend jusqu'à nous faire pratiquer ce que
nous en connaissons. Cette grâce ne nous
communique pas seulement la foi des biens
Cap. iiii. que nous devons aimer ; mais elle nous ins-
pii'e encore l'amour des biens que nous
croyons. Saint Augustin ne disconvient pas
qu'on ne puisse donner le nom de doctrine
à la vraie grâce de Jésus -Christ; mais il
veut qu'on croie que Dieu la répand d'une
manière plus sublime et plus intime , et
avec une ineflable suavité ; non-seulement
par ceux qui plantent et qui arrosent ,
mais par lui-même ; parce qu'il n'appar-
tient qu'à lui seul de donner en secret l'ac-
croissement; en sorte qu'il ne se contente
pas de donner la connaissance de la vérité,
mais qu'il inspire tout ensemble la charité,
c'est-à-dire qu'il donne tout à la fois à ceux
qui sont appelés selon le propos, et la con-
naissance de ce qu'ils sont obhgés de faire,
et l'accomplissement fidèle de leur devoir.
On peut connnaître par là la différence en-
tre la justice de Dieu et la justice de la loi.
Celui qui connaît ce qu'il doit faire et ne le
pratique point, n'a pas encore appris selon
la grâce, mais selon la loi, et quand même
il pratiquerait ce que la loi commande, s'il
ne le faisait que par la crainte des châti-
ments dont menace la loi, il n'aurait que la
justice de la loi. Mais la justice qui vient de
Dieu, est celle qui est donnée par le bienfait
de la grâce, afin que le commandement ne
soit pas- terrible, mais doux. Celui qui est
instruit par la gi'âce, vient à Jésus-Christ ;
et celui qui n'y vient point, n'a pas été
instruit par la grâce. C'est toutefois par le
libre arbitre de la volonté, que l'on vient
ou que l'on ne vient pas. Mais ce libre
arbitre peut être seul, s'il ne vient point;
SM lieu que s'il vient, il ne peut pas n'être
point aidé, en telle sorte, que non-seule-
ment il sache ce qu'il faut faire , mais qu'il
fasse même ce qu'il sait. Lors donc que
Dieu enseigne intérieurement par sa grâce,
il enseigne de façon, que ce que chacun a
appris, non-seulement il le croifrpar la con-
naissance qu'il en a, mais il le désire même
par sa volonté, et l'exécute par son action.
Par cette manière d'enseigner, la possibilité
naturelle n'est pas aidée seule , mais la vo-
lonté et l'opération le sont aussi. Saint Au-
gustin réfute ce que disait Pelage, qu'il n'y
avait que la possibilité qui fût aidée par la
grâce, il le réfute, dis-je, par cet oracle du
Seigneur : Tous ceux qui ont appris du Père,
non-seulement peuvent venir, mais viennent
effectivement, ce qui comprend et renfer-
me, et l'avancement de la possibilité , et
l'atfection de la volonté, et i'eflet de l'ac-
tion.
4. Pelage disait : La puissance de voir ne
vient point de nous, mais voir bien ou mal,
c'est là notre ouvrage propre. Saint Augus-
tin lui répond par ces paroles du psaume
où l'on dit à Dieu : Détournez mes yeux, de
peur qu'ils ne s'attachent à la vanité. « Pour-
Cap. xir.
Cap. Vf.
Psal,
37.
[IV« ET y' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
4SI
quoi, dit-il, lui demanderait-on, si cela dépen-
dait de nous, et s'il n'aidait pas la volonté?»
Pelage se servait d'un autre exemple : « De
ce que nous pouvons parler, ajoutait-il, c'est
l'ouvrage de Dieu ; mais de ce que nous
parlons bien ou mal, c'est le nôtre » Ce
n'est pas là, lui répond saint Augustin, ce
qu'enseigne celui qui parle toujours bien :
car ce n'est pas vous, dit- il à ses apôtres, qui
parlez, mais l'esprit du Père qui parle en
mus.
3. Pelage attribuait le bien et le mal à
la possibilité que Dieu nous a donnée en
nous créant, comme à une seule racine qui
produit l'un et l'autre. Mais il ne s'aperce-
vait pas qu'il parlait contre la vérité de l'É-
vangile, où le Sauveur dit, qu'un bon arbre
ne peut produire do mauvais fruits, comme
un mauvais arbre n'en peut produire de
bons. Et l'Apôtre, en disant que la cupidité
est la racine de tous les maux, a voulu sans
doute nous faire comprendre que la charité
est la racine de tous les biens. La possibilité
naturelle est susceptible du bien et du mal ;
mais elle n'est la racine ni de l'un ni de
l'autre. La cupidité est seule la racine des
mauvaises œuvres, comme la charité est la
racine des bonnes. Or, cette charité nous
vient de Dieu , comme la cupidité a pour
auteur l'homme, ou le séducteur de l'hom-
me, et non pas son créateur. Car la cupi-
dité n'est autre chose que la concupiscence
de la chair, la concupiscence des yeux, et
l'orgueil de la vie ; ce qui ne vient pas du
Père, mais du monde. Au contraire, la cha-
rité qui est une vertu, nous vient de Dieu
qui est charité et amour , et non pas de
nous-mêmes.
6. C'était encore une erreur de Pelage,
que nous méritons la grâce, en faisant la
volonté de Dieu, et que ce mérite vient du
fonds du libre arbitre. C'est ce qu'il disait
assez nettement dans son livre à la vierge
Démétriade. D'où saint Augustin infère que
ce ne fut point par l'amour de la vérité,
que dans le jugement ecclésiastique de Pa-
lestine, il condamna ceux qui disent, que
la grâce de Dieu est donnée selon nos mérites.
Ce Père réfute cette erreur, en lui deman-
dant si de tels mérites avaient obtenu de
Dieu la clémence qu'il mit dans le cœur
d'Assuérus, roi d'Assyrie, l&rsqu'Esther pa-
rut devant ce prionce pour le prier de sauver
la vie à sa nation? « Ce serait, dit-il, être
insensé, que d'avoir de telles pensées de ce
Cap. xvvi.
1 Joan.
m SI IS.
roi dans l'état où il était, c'est-à-dire comme
un bon dans ses rugissements. Cependant
Dieu changea son cœur, et le fit passer de
l'indignation à la clémence. Que Pelage re-
connaisse donc que ce n'est point par la loi
et par la doctrine qui se fait entendre au
dehors , mais par une puissance intérieure,
secrète, merveilleuse et inelTable, que Dieu
opère dans les cœurs des hommes, non-
seulement les vraies révélations, mais aussi
les bonnes volontés. Ce qui rend la grâce c«p. ïxr
de Dieu si recommaudable, ce n'est pas
simplement parce qu'elle aide la possibilité
naturelle, mais parce qu'elle opère en nous
le vouloir et le faire. La grâce proprement
dite, est le don de la charité, ou du saint
amour ; aucuns mérites ne précèdent cette
grâce, ayant été nécessaire que Dieu nous
aimât, avant de l'aimer. C'est ce que nous
apprend l'apôtre saint Jean de la manière
la plus précise, quand il dit : Ce n'est pas que
nous ayons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous
a aimés. Et encore : Aimons Dieu, parce qu'il
nous a aimés le premier. Où pi'endrions-
nous, en effet, de quoi l'aimer, s'il ne nous
aimait lui-même le premier, et ne nous
donnait de quoi l'aimer ? Mais quel bien fe-
rions-nous si nous n'aimions pas? Ou si
nous aimons, comment serait -il possible
que nous ne tissions pas le bien ? Car quoi-
qu'il semble que le commandement de Dieu
soit quelquefois accompli par ceux qui crai-
gnent, et qui n'aiment pas, toutefois où il
n'y a point d'amour, nulle bonne œuvre
n'est imputée, et ne doit pas même porter
le nom de bonne œuvre, à parler exacte-
ment ; parce que tout ce qui ne vient pas de
la foi est péché, et que la foi opère par l'a-
mour ; par conséquent, que celui, qui veal;
reconnaître selon l'exacte vérité la grâce
par laquelle l'amour de Dieu est répandu
dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous
a été donné, la reconnaisse en telle sorte,
qu'il ne doute pas qu'on puisse en aucune
façon faire sans elle quelque chose de Men
qui appartienne à la piété et à la véritable
justice ; non pas, comme le veut Pelage,
qui fait assez entendre ce qu'il en pense,
lorsqu'il dit que la grâce nous est donnée,
afin que nous exécutions p/ws facilement ce
qui est ordonné de Dieu. Pourquoi ce terme
plus facilement! Qui ne voit le mal que fait
cette addition ? Il n'a pensé ainsi que parce
qu'il voulait qu'on crût, que les forces de la
nature sont assez grandes pour résister à
Rim..vil-,2.1.
452
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
l'esprit de malice, du moins en quelque
manière, sans le secours de la grâce. Senti-
ment qui est visiblement condamné par ce-
lui qui dit dans l'Évangile : Sans moi vous
ne pouvez rien faire, n
Cap. xi.\. 7. Saint Augustin montre après cela que
ni Pelage ni Célesfius ne reconnaissaient, en
aucun endroit de leurs écrits, la grâce par
Rom. v,5. laquelle nous sommes justifiés, c'est-à-dire
par laquelle la charité est répandue dans
nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été
Cap. x.vti. donné. Il rapporte à cet effet la lettre et la
profession de foi de Pelage adressée au
pape Innocent I", montrant qu'il n'y dit
^çjp. .NxxTv rien de la grâce , qui ne se puisse dire éga-
lement de la loi et de la doctrine. Il fait voir
la même chose par la lettre de Pelage à saint
Paulin , et par celle qu'il écrivit au saint
évéque Constantius; et à la viei-ge Démé-
triade. Dans celle-ci Pelage renfermait le
secours de la grâce dans la rémission des
péchés , et dans l'exemple de Jésus-Christ ;
mais dans ses quatre livres pour la défense
du libre arbitre, il mettait encore ce secours
de la grâce dans la loi et dans la doctrine.
Ce qu'il poussait si loin, qu'il osait soutenir
que la prière même ne doit être employée
pour d'autre fin, que celle d'obtenir par la
révélation de Dieu , les lumières de la doc-
trine qui nous instruit de nos devoirs.
Cap. sLi. ei 8. Pelage croyant avoir trouvé , dans les
'"''■ ouvrages de saint Ambroise, un endroit pro-
pre à prouver que l'homme jxut être sans pé-
ché, donnait de grands éloges à ce saint
évéque , disant qu'il avait paru comme une
fleur parfaitement belle parmi les écrivains
latins. Saint Augustin , avant de justifier ce
Père sur ce point, parce qu'il n'en était pas
alors question , rapporte plusieurs passages
où saint Ambroise reconnaît clairement la
nécessité de la grâce de Jésus -Christ. Le
premier est tiré de son Exposition sur saint
Lue, où il dit que partout la vertu du Sei-
gneur coopère dans les actions des hom-
Ambros. in mss , qas persoune ue pBut édifier sans le Sei-
Liic. m,2.'. gYigur; ne peut rien garder sans le Seigneur;
ne peut commencer rien sans le Seigneur. Le
second , tiré du même , ouvrage où il ex-
in Luc. VII, plique la parabole des deux débiteurs , ne
"■ mérite pas moins d'attention. « Celid, dit-il,
qui devait le plus, avait peut-être plus of-
fensé son créancier, que l'autre qui devait
le moins. Mais la cause du premier est chan-
gée , par la miséricorde de Dieu , de telle
manière que celui qui a dû le plus, aime
aussi davantage, ce qui ne se fait cependant ^^^^J'^^''-
que par la grâce qui lui est accordée. Le troi- ^^■
sième est encore de l'Exposition sur saint
Luc. « Les bonnes larmes, dit ce Père, sont
celles cpii lavent le péché, et qu'on emploie
pour en effacer jusqu'au moindre vestige.
On pleure cpiand on est regardé favorable-
ment de Jésus-Christ. Pierre renia son maître
une première fois , et il ne pleura point ,
pai'ce que le Seigneur ne l'avait pas regardé.
Pierre renia son maître une seconde fois, et
il ne pleura point encore , parce que le Sei-
gneur ne l'avait point regardé. Pierre renia
son maître une troisième fois, mais Jésus le
regarda , et il pleura amèrement. Le Sei-
gneur Jésus étant en haut dans la salle inté-
rieure du conseil, on ne peut pas dire qu'il
ait averti visiblement Pierre cpii était en
bas, en le regardant des yeux du corps;
ainsi, ce regard du Sauveur signifie ce qu'il
fit intérieurement dans cet apôtre , ce qu'il
fit dans son esprit, ce qu'il fit dans sa vo-
lonté. Le Seigneur, par un effet de sa misé-
ricorde, le secourut in visiblement; il le visita
par sa grâce intérieure; il le pénétra inti-
mement de cet amour tendre et fidèle qui
lui fit verser tant de larmes. Voilà comment
Dieu est présent par son secours à nos vo-
lontés et à nos actions. Voilà comment il
opère en nous le vouloir et le faire. »
Le saint Docteur rapporte encore d'autres cip.a»!
passages de saint Ambroise (jui marquent
combien le secours de Dieu nous est néces-
saire dans toutes nos actions. Il convient
que dans la question où l'on dispute du libre
arbitre, de la volonté et de la grâce de Dieu,
il est si difficile de bien démêler toutes cho-
ses, que quand on défend le libre arbitre,
il semble que l'on nie la grâce de Dieu; et,
qu'au contraire, quand on veut établir la
grâce de Dieu, il peut paraître qu'on détruit
le libi'e arbitre; et que c'est pour cela que
l'on doit être extrêmement sur ses gardes,
quand on traite avec des esprits subtils et
artificieux. Puis , répondant aux passages '^■'f' "J'™
de saint Ambroise , qui avaient mérité à ce
Père les éloges de Pelage, saint Augustin
les entend dans le sens de la justice de la
loi : « Ce Père, dit-il, en écrivant que l'homme
peut être sans péché , a pu n'envisager
qu'une vie digne d'approbation et de louange 1
parmi les hommes, comme saint Paul a dit I
de lui-même que, selon la justice de la loi, il piiiiip.m.i;
a mené une vie iti'éprochable . » Mais, pour ôter
tout doute sur ce point , saint Augustin rap-
Cap. Mil.
[i\' ET r SIÈCLES.] SAINT AUGUSTM,
porte divers endroits de saint Ambroise, où
il dit en termes exprès qae pe7'sonne en ce
monde ne peut être sans péché, et qu'il est im-
possible à la nature humaine d'être dès le
coromencement pure et sans tache.
9. Pelage et Célestius, dans la crainte
d'oifenser trop les oreiUes chi-étiennes , n'o-
saient refuser aux. enfants le bain sacré de
la régénération et de la rémission des pé-
chés. Mais ils soulenaient que la génération
charnelle ne les assujettissait point au péché
du premier homme, c'est-à-dire au péché
originel. Saint Augustin le prouve en pre-
mier lieu de Célestius qui , étant à Carthage
devant les évéques assemblés, ne voulut ja-
mais condamner ceux qui disaient que le pé-
ché d'Adam n'a blessé que lui seul, et non
pas le genre humain ; et que les enfants qui
naissent sont dans le même état qu'était
Adam avant sa prévarication. 11 s'expliqua
encore plus nettement dans la profession de
foi qu'il présenta au pape Zosime : car il y
dit qu'aucun des enfants n'est coupable du
péché originel. Saint Augustin rapporte
l'extrait du concile de Carthage contre Cé-
lestius, et la profession de foi qu'il présenta
à Zosime. Ce pape usa d'abord de ménage-
ment envers ce furieux , qu'il voyait près de
se jeter dans le précipice, et il aima mieux,
en attendant qu'il revînt à résipiscence , s'il
se pouvait, le prendre peu à peu , et le ser-
rer de ^rès par les demandes qu'il lui ferait
et par les réponses qu'il en tii-erait, que de
le frapper d'anathème sur le champ. Comme
il avait mis dans sa profession de foi que ,
si par un accident trop ordinaire parmi les
hommes, il lui était échappé quelque erreur
par un effet de l'ignorance humaine, il con-
sentait qu'elle fût corrigée par le jugement
du pape. Zosime, qui avait observé cet en-
droit, voulut en tirer avantage pour l'enga-
ger à condamner ce qui lui avait été objecté
par le diacre Paulin , et à se soumettre à la
décision émanée de son prédécesseur. Cé-
lestius refusa de condamner les objections
du diacre Paulin, mais il n'osa rejeter les
lettres du saint pape Innocent. 11 promit
même de condamner toutes les choses que
ce siège condamnerait. On usa de douceur
em'ers lui pendant deux mois, parce que l'on
attendait les réponses d'Afrique ; mais aussi-
tôt que les rescrits du concile que l'on y avait
tenu furent arrivés, Zosime prononça la
sentence contre Célestius.
10. Pelage se flattait de n'être pas compris
ÉVÊQUE D'HIPPONE.
433
dans cette sentence , mais il ne put tromper
l'Église romaine comme il avait trompé le
concile de Palestine. Zosime qui se ressou-
venait de ce qu'avait pensé des actes de Pa-
lestine, Innocent son prédécesseur, dont la
conduite était digne d'être imitée ; qui savait
aussi ce que les Romains, dont la foi est si
pure, pensaient de Pelage , dont les dogmes
ne pouvaient leur être cachés , ayant vécu
longtemps parmi eux, résolut de réduire cet
homme et Célestius son disciple au rang des
pénitents, ou à être liés d'un anathème ab-
solu , s'ils refusaient de profiter de l'indul-
gence qu'on leur accordait au cas qu'ils se
rétractassent. Saint Augustin rappoiie une ca,. sxn.
partie de la lettre du pape Innocent, où l'on c=p. is.
voyait le jugement qu'il avait porté des actes
du concile de Palestine. Ce pape disait :
« Nous ne pouvons ni approuver ni blâmer
ce concile , ne sachant point si les actes en
sont vrais ; mais au cas qu'ils le soient , Pe-
lage s'est plutôt dérobé à la condamnation
par subterfuge , qu'il n'a obtenu une abso-
lution réelle en embrassant la vérité. » Il cap. i.
produit aussi diverses raisons pour montrer
que Pelage avait trompé les pères de ce con-
cile , et que son sentiment sur le péché ori-
ginel était le même que celui de Célestius ,
même après qu'il eût été absous à Diospolis. cap. ïin.:
En effet, dans un ouvrage composé après ce
concile. Pelage dit en termes exprès : <cTout
le bien et tout le mal, par lequel nous som-
mes dignes de louange ou de blâme, ne naît
point avec nous, mais se fait par nous. Car
nous naissons capables de l'un et de l'autre,
sans que l'un ou l'autre accompagne notre
naissance ; et comme nous venons au monde
sans vertu , nous y venons de même sans
vice; et avant l'action de la propre vo-
lonté, il n'y a dans l'homme que ce que Dieu
a créé. » C'était dire, sans équivoque, com-
me faisait aussi Célestius, que les enfants
naissent sans être souillés d'aucun vice par
la contagion du péché d'Adam, et par consé-
quent, qu'ils sont exempts du péché ori-
ginel. « Quel a donc été le dessein de Pe-
lage, continue saint Augustin, en disant
anathème à ceux qui tiennent qne les en-
fants qui viennent de naître sont dans le
même état qu'était Adam avant sa prévari-
cation? Sinon de tromper le concile catholi-
que, et d'empêcher qu'il ne le condamnât
comme un nouvel hérétique. »
Le saint Docteur dévoile encore tous les ci. xn.
artifices et les déguisements dont Pelage se
434
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Cac. ;ï\"ih.
Caii. MJ.
servit dans ce concile pour éviter sa con-
damnation. D'où il conclut que c'est à tort
qu'il prétend y avoir été absous, et que
c'est au contraire avec raison qu'on l'a con-
cuii.sv.xri, clamné à Rome avec Célestius. Il détaille
t V 1 1 .
aussi les vains efforts de Pelage pour trom-
per le Siège apostolique de Rome, montrant
qu'il n'avait eu d'autre dessein dans ses ré-
ponses que de changer l'état de la question.
Car, dans sa lettre au pape Innocent, il se
plaignait qu'on l'accusait de refuser aux
enfants le sacrement de baptême ; de pro-
mettre à quelques-uns le roj'aume des
cieux sans qu'ils participassent à la rédemp-
tion de Jésus-Christ. «Mais cet exposé , dit
saint Augustin, n'est pas fidèle. Ce qu'on
lui objecte, c'est de ne vouloir pas recon-
naître que les enfants qu'on baptise ont
part à la condamnation du premier homme;
que le péché originel passe en eux, et qu'ils
en doivent être purifiés par la régénération.
Voilà l'objection qu'on lui fait sur le bap-
tême des enfants , et non pas celles qu'il
pi'opose à sa fantaisie, comme venant de ses
adversaires , afin d'y pouvoir répondre con-
formément à sa doctrine. Que les enfants ne
puissent entrer, sans le baptême, dans le
royaume des cieux, c'est une proposition
que ni Pelage, ni Célestius n'ont jamais niée.
Mais ce n'est pas là de quoi il est question.
Il s'agit précisément de savoir si le péché
originel est etlacé dans les enfants. Voilà le
point sur lequel doit se purger celui qui ne
veut pas avouer que le bain sacré de la ré-
génération trouve dans les enfants des ta-
ches à effacer. »
Saint Augustin examine tous les endroits
que Pelage alléguait pour sa défense , et
tous les laisonnements dont il s'appuyait, et
montre qu'en tout il n'a cherché qu'à dégui-
ser ses vrais sentiments. Il disait des en-
fants qui meurent sans le baptême : « Je sais
bien où ils ne vont pas , mais j'ignore où ils
vont. » Paroles qui ne sont pas moins ambi-
guës que celles de la profession de foi qu'il
envoya au pape Innocent. Il y disait :
« Nous tenons un seul baptême que nous
disons devoir être célébré dans les enfants,
avec les mêmes paroles du sacrement, qu'on
le célèbre dans les adultes. « Pourquoi, dit
saint Augustin, s'est-il avisé de dire, avec
les mêmes paroles du sacrement, et non pas
avec le même sacrement : comme s'il n'é-
tait parlé dans le baptême des enfants de la
rémission des péchés, que par manière de
Caji. XX.
Caj'. XM,
discours, et non pour marquer l'effet que
produit en eux le sacrement?» Pelage faisait
ce raisonnement dans son exposition sur
l'Épître aux Romains : « Si le péché d'Adam
a été nuisible à ceux qui ne pèchent point ,
la justice de Jésus-Christ sei't donc à ceux
qui ne croient point en lui. » Saint Augus-
tin se moque d'un pareil raisonnement, et
comme il s'en trouvait beaucoup d'autres
semblables dans le même ouvrage de Pe-
lage, il en renvoie la solution dans les livres
qu'il avait écrits sur le baptême des enfants.
11. Pelage et Célestius, pour détourner de cnp. x.vnr.
dessus eux la note odieuse d'hérésie, pi'é-
tendaient que la question du péché originel
n'appartenait point à la foi. Saint Augustin
examine quelles sont les questions qui n'ap-
partiennent point à la foi, et en donne di-
vers exemples ; comme de savoir quel est à
présent l'état du paradis terrestre où Dieu
plaça le premier homme, en quel heu il est
situé ; où ont été transportés Élie et Enoch ;
si saint Paul a été élevé au troisième ciel,
dans son corps ou hors de son corps ; combien
on doit compter de cieux ; combien il y a
d'éléments dans ce monde visible ; ce qui
cause les éclipses du soleil et de la lune ;
pourquoi les hommes du premier temps du
monde ont eu une si longue vie ; où a pu
vivre Mathusalem, qui n'a point été sauvé
dans l'arche de Noé, lui qu'on trouve avoir
survécu aux déluge, suivant le calqul des
années rapportées dans plusieurs exemplai- ■
res, tant grecs que latins ; ou s'il faut s'en
tenir plutôt à un petit nombre d'exemplaii-es
où les années se comptent de façon qu'il
était mort avant le déluge : » Ce sont-là,
dit-il, des questions qu'on peut examiner
jusqu'à un cei'tain point , ou qu'on peut
ignorer, sans que la foi chrétienne en souf-
fre, et dans lesquelles on peut se tromper
sans que de telles erreurs puissent êti'e im-
putées à crimes, et qualifiées de dogmes hé-
rétiques. »
12. En quoi consiste donc la foi chré- caf. xxiv.
tienne ? car ce n'est qu'à la faveur de cette
lumière qu'on peut bien discerner, si une
question est ou n'est pas du ressort de la
foi. Elle consiste dans la cause de deux
hommes, qui sont Adam et Jésus-Christ. Par
l'un, nous avons été comme vendus pour
être assujettis au péché : par l'autre, nous
sommes rachetés du péché. Par l'un, nous
avons été précipités dans la mort : par l'au-
tre, nous sommes délivrés pour avoir la vie
[IV" ET Y' SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
L'un nous a perdus en lui-même, en faisant
sa volonté propre, et non pas celle de celui
dont il a reçu l'être ; l'autre nous a sauvés
en soi-même, et en ne faisant pas sa propre
volonté, mais celle de celui qui l'a envoyé.
Timoih. Car il n'y a qu'un Dieu, et un médiateur en-
tre Dieu et les hommes, Jésus-Christ hom-
me. Sans cette foi, c'est-à-dire sans la foi
d'un seul médiateur qui est Jésus -Christ,
personne n'a jamais pu être justifié , ni
sauvé, pas même les anciens justes ; cette
foi ayant été nécessaire à tous soit avant le
déluge , soit depuis ; soit sous la loi de
Moïse, soit parmi les enfants d'Israël, soit
i.xxT. hors de ce peuple. C'est ce que saint Augus-
tin prouve par un grand nombre de passa-
ges de l'un et de l'autre Testament. Pelage
et Célestius niaient que les justes qui ont
précédé la venue de Jésus-Christ aient été
sauvés par sa grâce. C'est pourquoi ils dis-
tinguaient des justes par la nature, des jus-
tes sous la loi, et des justes sous la grâce.
Es plaçaient les premiers dans cette longue
suite de siècles qui ont précédé la loi de
Moïse. « Alors disaient-Us, par les lumières
de la raison, on connaissait le Créateur, et
l'on portait écrit dans le cœur tout ce
qu'il fallait savoir pour régler la vie qu'on
devait mener. Mais les mœurs s'étant cor-
rompues , et la nature n'étant plus suffi-
sante, on y a joint la loi pour lui rendre son
). sxTi. ancien lustre. Depuis que l'habitude ex-
cessive de pécher a prévalu, et que la loi
s'est trouvée peu capable de guérir un mal
si opiniâtre, Jésus-Christ est venu comme
un médecin dans une maladie des plus dé-
sespérées ; lui-même a travaillé en personne,
ne voulant pas, dans un tel péril, se reposer
sur le soin de ses disciples. Si ces anciens
justes n'avaient pas eu besoin, dit saint Au-
gustin, de la grâce du Médiateur, l'Apôtre
)r..xv,:i, ne dirait pas comme il fait : Comme tous les
hommes meurent en Adam , tous revivront
aussi en Jésus-Christ. Or, la raison pourquoi
ils seront vivifiés en Jésus-Cbrist, c'est qu'ils
appartiennent au corps de Jésus-Christ, et
ce qui fait qu'ils appartiennent au corps de
Jésus-Christ, c'est que Jésus-Christ est leur
chef ; et Jésus-Christ est leur chef, parce qu'il
n'y a qu'un seul médiatem" entre Dieu et les
hommes , qui est Jésus - Christ homme. »
Il fait voir que, quoique son incarnation n'ait
pas encore été accomplie du temps des pa-
j. xxv.i. triarches, elle lem' a néanmoins été utile,
«n. viii, et qu'ils l'ont crue. Ce qu'il montre par
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 453
l'exemple d'Abraham dont Jésus -Christ a
dit : Il a désiré avec ardeur de voir mon jour,
il l'a vu, et il en a été comblé de joie.
13. « De savoir au surplus, ajoute saint Au- cap. x%\.
gustin, si avant Abraham les justes ou leurs
enfants étaient marqués de quelque sacre-
ment corporel et visible , c'est un point sur
lequel l'Écriture ne s'exphque pas. Mais les
peines rigoureuses sous lesquelles Dieu a
commandé la circoncision des petits enfants,
font bien voir que la nature n'était ni si
saine, ni si pure que le disaient Pelage et Cé-
lestius. Quel mal a commis un enfant par sa
propre volonté, pour être condamné à périr
du milieu du peuple de Dieu, si ce n est parce
qu'il appartient à la masse de perdition? On cap. mxi.
comprend l'équité de sa condamnation, dès
qu'on envisage qu'étant né d'Adam, il doit
par l'origine qu'il tire de lui, avoir part à la
peine de son péché, à moins qu'il n'en soit
délivré par la grâce, d'une manière toute
gratuite, et sans avoir aucun droit à une fa-
veiu- d'un si grand prix; car l'origine que
nous tirons d'une souche condamnée, nous
assujettit à la condamnation, personne n'é- cap. xssn.
tant exempt de la dette contractée par la
contagion de la régénération charnelle, non
pas même l'enfant d'un seul jour sur la joi.. xtv, s.
terre. »
14. De là, Pelage et Célestius prenaient
occasion de raisonner ainsi, et de dire :
Donc le mariage est un mal, et l'homme qui
y est engendré, n'est point l'ouvrage de
Dieu. Mais saiut Augustin leur prouve que
la transfusion du péché originel, ne fait
point que le mariage soit mauvais ; parce
que ce n'est pas la concupiscence qui fait le
bien du mariage. Les biens propres au ma-
riage, sont la manière légitime d'avoir des
enfants, la fidélité que la chasteté fait garder
aux personnes mariées, et le sacrement de
l'union conjugale. Je veux que les jeunes se i TimuUi. t,
marient, qu'elles aient des enfants, qu'elles
gouvernent leur ménage : voilà ce qui est
écrit par rapport à l'ordre d'engendrer, que
l'on compte le premier parmi les biens du
mariage. Le corps de la femme n'est point en i c»,-. m,
sa puissance, mais en celle du mari. De même
le corps du mari n'est point en sa puissance,
mais en celle de la femme : voilà ce qui re-
garde la fidélité que la chasteté fait garder
dans le mariage, qui en est le second bien.
Que l'homme ne sépare point ce que Dieu a
joint : voilà ce qui concerne le sacrement
de l'miion conjugale, qui est le troisième
436
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
bien du mariage, réglé par Jésus -Christ
même. C'est la raison qui produit ces biens;
et non pas le plaisir charnel qui est inca-
pable de bien user de lui-même. Mais en
quoi consiste-t-il ? dans cette loi des mem-
bres désobéissants qui combat la loi de
l'esprit. La raison, au contraire, qui fait
faire un bon usage du plaisir charnel, n'est
autre chose que la loi même du mariage.
ca,.. XXXV. Saint Augustin ne doute pas que le mariage
n'eût été dans l'état d'innocence, et il croit
que par ces paroles : Croissez et multipliez-
vous, Dieu mit dans les premiers hommes le
germe d'une nombreuse postérité ; que ce
qui arrive présentement dans le mariage,
ne serait point arrivé dans cet état d'inno-
cence, où les enfants auraient été conçus
par un amour réglé et parfaitement tran-
cap. xxsrii. quifto. Il eu infère que le désordre de la
concupiscence, qui est le principe de la
transmission du fléché originel, ne doit pas
être imputé au mariage.
Car."-- 13. Ensuite il prouve par les sacrements
de la sainte Église qui se célébraient sous
l'autorité d'une autorité si ancienne que
Pelage et Célestius n'osaient les rejeter ou-
vertement, que les enfants qui ne font que
de naître, sont délivrés dans le baptême de
la servitude du démon, par la grâce de Jé-
sus-Christ, et qu'ils y reçoivent la rémission
des péchés. La puissance ennemie est d'a-
bord exorcisée dans ce sacrement, et mise
en faite par le souflQe des ministres de l'É-
glise ; et ces enfants mêmes répondent, par
la bouche de ceux qui les présentent au
baptême, qu'ils renoncent à cette puissance.
Pourquoi, disaient ces hérétiques, la bonté
de Dieu crée-t-elle des choses, que puisse
posséder la malignité du diable ? « En cela,
répond saint Augustin, Dieu ne fait que dé-
velopper le germe de fécondité qu'il a mis
dans les semences de sa créature. Ainsi la
faute qui méritait d'être condamnée, n'a
point ôté sa bénédiction à la nature, qui ne
peut être que louable en elle-même. Et
quoiqu'en conséquence de la justice de Dieu
qui punit le péché, cette faute ait pu être
cause que les hommes naîtraient avec le
vice du péché originel; elle n'a cependant
pas empêché que les hommes prissent nais-
sauce ; comme dans les personnes âgées,
nuls péchés ne détruisent la nature de
l'homme ; l'ouvrage de Dieu demeurant
bon, au milieu des plus grands désordi-es
que commettent les impies. Dieu condamne
donc l'homme à cause du vice qui déshonore
la nature ; et non pas à cause de la nature,
que le vice ne détruit point. Ainsi, il n'est
ni sm-prenant ni injuste que l'homme soit
soumis à l'esprit immonde ; non à cause
de sa nature, mais à cause de son impureté,
qui ne vient point de l'ouwage de Dieu,
mais de la volonté de l'homme, et qu'il a
conli-actée par la tache de son origine. »
16. Le saint Docteur fait voir, par divers
passages de saint Ambroise, qu'il regardait
le péché originel comme un point de doc-
trine, qui appartient à la foi catholique. «Je
suis tombé, dit-il, dans le livre de la Foi de
la Résurrection, je suis tombé en Adam ; j'ai
été chassé du paradis en Adam ; je suis
mort à Adam. Quand il plaira à Dieu de
me rappeler, il me trouvera en Adam ; ou
criminel et livré à la mort dans le premier ;
ou justifié en Jésus-Christ qui est le second
Adam. » Il n'est ni moins clair ni moins
précis dans le second chapitre du premier
livre de la Pénitence. Voici ses paroles :
« Nous naissons tous sous le péché, le vice
se trouve jusque dans notre origine. C'est
ce qui faisait dire à David : J'ai été conçu
dans l'iniquité, et ma mère m'a mis au monde
dans le péché. C'est pour cette raison que
la chair de saint Paul était un corps de
mort, comme il l'appelle lui-même ; mais la
chair de Jésus-Christ a condamné le péché ;
elle n'en a point reçu d'atteinte en naissant,
elle l'a crucifié en mourant sur la croix :
afin que la justification fût par la grâce dans
notre chair, qui n'était auparavant, par le
péchi! , qu'un cloaque destiné à recevoir
toute sorte d'ordures. » Saint Ambroise ex-
pliquant le prophète Isaïe : « Dans l'état
présent du monde, nul ne reçoit le jour
exempt de péché, dès là qu'il prend nais-
sance d'un homme et d'une femme par la
voie ordinaire ; et il faut que celui qui naît
sans péché , n'ait point pris naissance
par cette espèce de conception. » Enfin ,
dans le second Yiwe sur saint Luc, saint
Ambroise dit : <i Ce n'est point l'action de
l'homme qui a ouvert le sein de la sainte
Vierge, c'est le Saint-Esprit qui a répandu
dans ce sein inviolable une semence parfai-
tement pure. Car parmi ceux qui sont nés
d'une femme, le Seigneur Jésus, la sainteté
même, est le seul qui par la nouveauté d'un
enfantement exempt de toute tache ne se
soit en rien ressenti de ce qu'il y a de con-
tagieux dans la corruption teri'eslie ; et
Cap. xi.l.
r.Oiii. vi',2'
riV' ET V PÎÈCT.ES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
i51
c'est un miracle de la céleste majesté. »
Après avoir rapporté ces témoignages,
saint Augustin argumente ainsi contre Pe-
lage qui donnait de si grands éloges à saint
Ambroise : « Où en est-il donc réduit ? Si-
non à cette alternative, ou de condamner
l'erreur qu'il ose soutenir, en disant que
comme nous naissons sans vertu, nous nais-
sons aussi sans vice ; ou de se repentir d'a-
voir loué saint Ambroise. Mais parce que ce
saint, comme évéque catholique, a parlé très-
conformément |à la foi catholique , dans ses
divins textes, il s'ensuit clairement que Pe-
lage s'étant écarté des i-omes de la foi, c'est
avec justice qu'il a été condamné par l'auto-
rité de l'Église catholique ; et qu'il doit de-
meurer sous l'anathème avec lui, à moins
qu'il ne se repente; non pas d'avoir loué
saint Ambroise, mais de s'être engagé dans
des sentiments contraires aux siens. »
§vn.
Des Livres du Mariage et de la Concupiscence.
\. Saint Augustin, en parlant * de ses
deux livres adressés au comte Valère, les
met immédiatement après sa réponse aux
sermons des ariens, faite à la suite de la con-
férence avec Émérite le 20 septembre 418.
Ainsi on ne peut douter que le premier de
ces livres n'ait été écrit sm- la fin de la même
année, ou au -commencement de la suivante
419. Le saint Docteur dit ^ en termes exprès,
que ce fut après la condamnation de Pelage
et de Gélestius. 11 en prit occasion d'un écrit
des pélagiens, où ils prétendaient qu'en éta-
blissant ' le dogme du péché originel, il
condamnait le mariage. Le comte Valère, à
qui cet écrit était adressé, rejeta, comme
une calomnie, ce que ces hérétiques y di-
saient contre saint Augustin, et s'en moqua
avec une lumière digne de la fermeté de sa
foi. Mais ce Père se crut obligé de défendre
ce qu'il avait avancé, et composa, à cet effet,
le premier des deux livres dont nous par-
lons , où il défend la bonté du mariage, il
enseigne * que la concupiscence de la chair,
cette loi des membres qui combat contre
la loi de l'esprit, n'est pas un A'ice de cette
alhance de l'homme et de la femme ; mais,
qu'au contraire, cette volupté sensuelle
est un mal dont la pudicité conjugale use
bien, en la rapportant à la génération des
enfants. Il dédia ce livre au comte Valère,
parce que c'était lui ^ qui avait reçu l'é-
crit des pélagiens , parce qu'il avait résis-
té généreusement à leurs nouveautés pro-
fanes , et aussi parce qu'il avait reçu de
Jésus-Christ le don de vivre dans une ob-
servance très-exacte de la chasteté conju-
gale. Il le lui adressa par une lettre sépa-
rée, que l'on a imprimée à la tête de ce
livre , et où il se répand en éloges sur
la charité, la foi et les autres vertus de ce
comte. Les pélagiens trouvèrent mauvais
qu'il l'eût adressé à un homme * d'épée, di-
sant qu'il ne l'avait fait qu'afin de se servir
de la puissance de ce comte contre eux. «Ce
n'est pas contre vous, leur répondit ' saint
Augustin, mais plutôt en votre faveur que
nous avons recours à des chrétiens qui ont
en main la puissance. Ce n'est point pour
vous opprimer, mais pour vous retirer de
votre témérité sacrilège. » Ce livre fut très-
bien reçu ' des catholiques. Saint Augustin '
le dicta au milieu des affaires ecclésias-
tiques dont il était chargé ; et avec d'autant
plus de peine, qu'outre sa longueur, il y
avait à traiter une question très-difficile.
Voici comme il commence :
2. « L'apôtre saint Paul nous apprend que
la pudicité conjugale est un don de Dieu,
aussi bien que la continence. En quoi il
nous enseigne et qu'il doit y avoir en nous
une volonté propre pour recevoir ces dons,
et que nous devons les demander si nous ne
les avons point. Quand il arrive donc que
des gens, privés de la lumière de la foi, pra-
tiquent ce qui semble appartenir à ces ver-
tus, ou pour honorer les démons, ou parce
qu'ils désirent de plaire aux hommes, soit à
eux-mêmes, soit à d'autres, ou pour se ga-
rantir de ce qui leur paraît fâcheux dans
le mariage ; on ne peut pas dire qu'ils sur-
montent le péché, mais que certains péchés
sont vaincus par d'autres péchés. Qu'on ne
dise donc point que celui-là est véritable-
ment chaste, qui ne garde pas, pour l'amour
du vrai Dieu, la fidélité du lit nuptial à sa
femme. Le commerce que l'homme et la
femme ont ensemble, pour avoir des enfants,
est un bien attaché à la nature du mariage,
AdoIvs
premier I
) du
ivro,
Cap. ilî,
II Cor.
1 Lib. II Retract., cap. xxxiii. — ^August., lib. I
Ad Bonif., cap. v.
3 Lib. II Retract. — * Ibid., cap. lui.
^ Lib. I De Nupt., cap. ii. — « Lib. 1 Op. Imper f.,
cap. XIV. — 7 Ibid. — » Lib. I Àd Bonif., cap. v.
' Lib. I De Nup., cap. xsxv.
458
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
et c'est en en usant bien que les fidèles con-
vertissent en un usage juste et légitime cette
concupiscence de la chair, qui fait que la
Gairi. V, iT. chaii' a des désirs contraires à ceux de l'esprit;
parce que leur intention est d'engendrer des
enfants qui puissent être régénérés, en
sorte que ceux qui sont enfants du siècle
par la naissance charnelle qu'ils tirent
d'eux, deviennent, par leur renaissance, les
enfants de Dieu. Mais les personnes qui
n'ont point ce désir, cette volonté, cette fin
dans la génération des enfants, c'est-à-dire
celle de les faire passer du corps du premier
homme dans celui de Jésus-Christ, pour être
ses membres, ne peuvent passer pour avoir
une vraie pudicité conjugale. Ne disons
donc jamcfis que la chasteté ni des person-
nes mariées, ni des veuves, ni des vierges
soit une véritable chasteté, à moins qu'elle
ne soit accompagnée de la véritable foi. Car,
si l'on préfère, avec raison, l'état des vierges
sacrées à celui du mariage, que sera le chré-
tien qui ne préfère d es femmes chrétiennes
et catholiques, quand même elles auraient
été mariées plus d'une fois, non-seulement
à des vierges païennes, mais encore à des
vierges hérétiques, étant impossible, selon
saint Paul, de plaire à Dieu sans la foi? »
caj,. V, 3. « Ceux-là se trompent certainement qui
s'imaginent que quand nous blâmons la con-
cupiscence chai-neUe, nous condamnons par
conséquent le mariage , comme si cette
maladie venait du mariage et non pas du
Cap. vT. péché. Ce fut cette concupiscence qui fît
apercevoir à nos premiers pères leur nudité,
aussitôt après qu'ils eurent péché. Le ma-
riage trouve sa gloire en ce qu'il fait de ce
mal même, c'est-à-dire de la concupiscence,
quelque chose de bon, savoir la génération
des enfants ; mais ce qui le couvre en même
ca,.. vt.. temps de confusion et de honte, c'est qu'il
ne peut faire ce bien sans ce mal. Ainsi
nous ne devons pas blâmer le mariage à
cause du mal de la concupiscence, ni louer
aussi cette concupiscence à cause du bien
du mariage. C'est là cette maladie dont l'A-
pôtre parle à ceux d'entre les fidèles qui
Cap. ïcii. sont mariés : La volonté de Dieu est que vous
soyez saints et purs, et que vous vous absteniez
iThes-sai.iv, de foi'nication, et que chacun de vous sache pos-
''' séder ce qui lui appartient saintement et hon-
nêtement, et non en se laissant vaincre à la ma-
ladie de la concupiscence, comme les païens qui
ne connaissent point Dieu. Ces pai'oles signi-
fient qu'un homme fidèle, qui est marié, ne
doit pas se contenter de ne point user de ce
qui appartient à autrui, mais encore ne pas
s'arrêter volontairement au plaisir sensuel
qui est maintenant inséparable du mariage,
mais le soufirir comme une chose néces-
saire. »
Le saint Docteur veut encore que le désir
d'avoir des enfants ne se termine point dans
le mariage des fidèles, à la seule fin de faire
naître, pour le siècle présent, des enfants qui
mourrontunjour; mais aies faire renaître en
Jésus-Christ, afin qu'ils vivent éternellement
avec lui. Il ne croit pas qu'on puisse douter
que les saints patriarches, soit avant, soit
depuis Abraham, n'aient usé comme ils de-
vaient du mal de cette concupiscence au lieu
de s'en laisser vaincre. « Car, dit-il, s'ils ont
eu même plusieurs femmes à la fois, c'était
uniquement, afin qu'ils pussent avoir un
plus grand nombre d'enfants, et non pour di-
versifier leurs plaisirs par un changement. »
Il ne doute pas, non plus, qu'il ne soit plus cap. u.
du bien du mariage qn'un homme soit joint
à une seule femme qu'à plusieurs. « Et cela,
ajoute-t-il,nous est assez marqué dans cette
première alliance que Dieu fit lui-même du
premier homme avec la première femme ,
afin que tous les mariages tirent leur ori-
gine de celui qu'ils doivent regarder comme
l'exemplaire Je ,plus honnête qu'ils puissent
imiter. »
4. (! Ce qui doit rendre le mariage recom- cap. x.
mandable aux fidèles engagés dans cet état,
n'est pas seulement la fécondité dont les
enfants sont le fruit, ni la pudicité conjugale
à laquelle la foi mutuelle sert de lien ; mais
c'est que, selon l'Apôtre, ce sacrement fait Ephes.T.s
que l'homme et la femme, une fois joints en-
semble légitimement, demeurent insépara-
blement unis tant qu'ils vivent, sans qu'il
leur soit permis de se quitter l'un l'auti'e,
si ce n'est en cas d'adultère ; ce qui est une jij„i,. v,3
image de ce qui se passe dans le mariage
de Jésus-Christ avec son Église, qui ne se-
l'ont jamais séparés par aucun divorce. »
Saint Augustin dit le lien du mariage si
indissoluble, qu'il ne peut pas être dissous,
même pour cause de stérilité. Et il continue c ^.
ainsi : « A l'égard de ceux qui ont bien
voulu, par un consentement mutuel, s'abste-
nir toujours de l'usage du mariage, loin que
le hen conjugal qui les unit ensemble soit
rompu, au contraire il demeurera d'autant
plus ferme et plus serré, que cetaccoi'd qu'ils
ont fait ensemble, les doit rendre plus étroi-
[IV"= ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
459
tement et plus parfaitement unis, non de
corps, mais d'esprit et d'affection. D'où vient
que celle qui devait toujours demeurer
vierge comme elle l'était, ne laissa pas d'ê-
tre appelée par l'Ange, la femme de Joseph,
en vertu de la seule foi du mariage qu'ils
s'étaient donnée; et que l'entière pureté
dans laquelle ils devaient toujours vivre en-
semble, ne leur fit pas perdre pour cela à
l'égard l'un de l'autre le nom de mari et de
femme, y ayant toujours eu entre eux un
véritable mariage. C'est aussi à cause de
ce mariage si chaste qu'ils ont tous deux
mérité d'être appelés les père et mère de
Jésus-Christ, et que, non-seulement la sainte
Vierge a été sa mère, mais que saint Joseph
a été aussi son père, comme il était époux
de la mère, l'étant l'un et l'autre selon l'es-
prit, et non pas selon la chair. D'où vient
que, dans la généalogie de Jésus-Christi où
ses aïeux devaient être marqués selon qu'ils
se sont succédés les uns aux autres, les
Evangélistes en ont conduit la ligne jusqu'à
Joseph. Il n'y a eu en effet que le acul com-
merce que les personnes mariées ont en-
semble, qui ne se soit pas rencontré dans
ce mariage; parce qu'il ne se pouvait
faire dans une chair de péché, sans cette
honteuse concupiscence de la chair qui est
venue du péché; et celui qui devait être
exempt de péché, a voulu être conçu sans
elle, afin de n'avoir point une chair de pé-
ché, mais une chair qui eût la ressemblance
de la chair du péché. C'était aussi pour nous
appi'endre par là que quiconque naît du
commerce d'un homme avec une femme,
porte une chair de péché , puisque celui qui
n'a point voulu venir au monde, par cette
voie ordinaire de la génération, est le seul
qui n'ait point eu une chair de péché. »
3. « Il ne suit pas de là toutefois que le
commerce que les persones mariées ont en-
semble, dans la vue d'avoir des enfants, soit
un péché : parce que pour lors c'est la vo-
lonté de l'esprit, qui étant ainsi réglée se
fait suivre de la volupté du corps ; et non la
volupté du corps qui emporte après elle la
volonté de l'esprit ; et le libre arbitre n'est
point entraîné comme un captif sous le joag
du péché, quand cette plaie du péché est
réduite à ne servir qu'à l'usage juste et légi-
time de la génération des enfants. »
Saint Augustin fait voir que la pluralité
des femmes permise aux patriarches, pour
conserver et multiplier le peuple de Dieu,
où il fallait que tout ce qui devait arriver à
Jésus-Christ fût prédit et prophétisé, ne l'est
plus maintenant, à cause qu'il nous vient
de toutes les nations du monde une multi-
tude d'enfants qu'il faut engendrer spirituel-
lement, de quelque part qu'ils tirent leur
naissance charnelle. Il enseigne que l'usage
du mariage dans d'autres vues que pom'
engendrer des enfants, n'est point exempt
de péché véniel. La raison qu'il en donne, cap. xiv.
est que l'Apôtre ne le souffre en ce cas dans
les personnes mariées, que comme une
chose qu'il leur pardonne. « Or, on ne peut, icor. vu s
ajoute-t-il, nier avec la moindre apparence
de raison qu'il n'y ait quelque péché où il
doit y avoir du pardon. Ce n'est pas toute-
fois le mariage qui fait que la recherche de
ce plaisir sensuel soit un péché , mais c'est
lui qui fait que ce péché n'est que véniel ;
et c'est pour cela que le mariage est encore
digne d'honneur et de louange, en ce qu'il
fait que l'on pardonne, à cause de lui, ce qui
même ne lui appartient en aucune sorte. »
Il parle de divers excès qui se commettent ^^ap. iv e
entre les personnes mariées, et dit qu'ils ne
doivent pas empêcher d'aimer dans le ma-
riage les biens qui lui sont propres, savoir
les enfants, la foi et le sacrement. Pour cap. su..
ce qui regarde les enfants, on ne doit pas
seulement désirer leur naissance, mais aussi
leur régénération par le baptême. Quant à
la foi, elle ne doit pas êti-e comme celle des
infidèles mêmes qui se gardent la foi l'un à
l'autre, en ne considérant que le corps dont
ils sont jaloux. C'est à la vérité un bien na-
turel dans le mariage, mais qui n'est que
charnel ; au lieu qu'une personne fidèle
doit n'attendre que de Jésus-Christ la ré-
compense de sa fidélité dans le mariage. Et
pour ce qui est du sacrement , comme il ne
se saurait perdre, pas même pour cause
d'adultère, il doit subsister entre ceux-mê-
mes qui ont perdu toute espérance d'avoir
des enfants. »
6. Saint Augustin parle ensuite de la con- cap. xT;n.
cupiscence de la chair. « On ne doit point,
dit-il, l'attribuer au mariage, mais l'y tolé-
rer. C'est à cause de cette concupiscence
que ceux mêmes qui sont enfants de Dieu,
ne peuvent engendrer, quoique d'un juste
et légitime mariage, des enfants qui soient
enfants de Dieu, mais des enfants de ce siè-
cle. La raison en est, qu'ils engendrent non
selon ce qui les rend enfants de Dieu, mais
selon ce qui les rend enfants du siècle. Il
460
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Cap. XIX. est vrai que le penché qui avait été pardonné
au père et à la mère, passe dans leurs en-
fants d'une manière inconcevable ; cependant
il y passe. La Providence semble avoir voulu
nous rendre ce fait croyable par divers
exemples qui sont visibles. Ne voyons -
nous pas qu'un olivier sauvage vient du
noyau d'un olivier franc, et que les noj'aux
mêmes d'mi olivier fi'anc ne sauraient pro-
duire que des sauvageons, quoiqu'il y ait
tant de différence entre un olivier sauvage
et un olivier franc. C'est ainsi que celui qui
est engendré de la chair d'un pécheur, et
celui qui est engendré de la chair d'un
juste, sont tous deux également pécheurs,
quoiqu'il y ait tant de différence entre un
pécheur et un juste. Comment cela se fait-il?
Il n'est pas aisé de le découvrir, ni de l'ex-
pliquer par des paroles, quand même on
l'aurait découvert. Est-il facile de trouver la
raison pourquoi du noyau de l'olivier franc
il en sort un olivier sauvage, comme de l'o-
livier sauvage il en sort un rejeton de même
nature? Cependant quiconque en voudra
faire l'expérience, pourra s'en convaincre
par ses propres yeux ; et cela doit nous en-
gager à nous faire croire cette autre chose
qui ne se peut voir. »
7. Il prouve l'existence du péché originel
dans les enfants, en montrant par les exor-
cismes qu'on leur fait au baptême qu'ils sont
véritablement, et non en apparence ni par
feinte, sous la puissance du démon. « Que
pourrait-il y avoir en eux qui les tînt captifs
sous la puissance dç cet ennemi, jusqu'à ce
qu'ils en soient arrachés par le sacrement
du baptême de Jésus-Christ, sinon le péché?
Car le démon ne trouve rien autre chose
dont il puisse prendre di'oit d'asservir à sa
tyrannie une nature que son auteur, étant
bon comme il est, n'a pu faire que bonne.
Or, les petits enfants n'ont commis dans leur
vie aucun péché propre ou actuel. 11 faut
donc que ce soit le péché originel qui les
tienne captifs sous la puissance du diable
s'ils n'en sont rachetés par le bain de la ré-
génération et par le sang de Jésus-Christ. »
Cap. .1X111. 8. « C'est la concupiscence dont la souil-
lui'e ne peut être effacée que par le baptê-
me, qui fait passer par la génération ce lien
du péché dans les enfants, jusqu'à ce qu'ils
en soient eux-mêmes délivrés par cette di-
vine renaissance. Mais quoique cette concu-
piscence demem-e dans ceux qxii sont régé-
nérés, elle n'est plus un péché, pourvu
Cap. XX.
^qu'ils ne consentent point à ses mouve-
i« ments, quand elle porte à des actions mau-
f; vaises et défendues. On ne laisse pas de
l'appeler péché, soit parce qu'elle est un
etfet du péché, soit parce qu'elle est elle-
même cause du péché, quand elle est vic-
torieuse. C'est en cette manière que l'Ecri-
ture est appelée main, parce que c'est la
main qui la forme ; et que le froid est ap-
pelé paresseux, parce qu'il rend les hommes
paresseux. La raison donc pour laquelle le
diable tient sous lui les petits enfants comme
coupables, c'est qu'ils sout nés, non par le
moyen du bien qui fait que le mariage est
une bonne chose, mais par le moyen du
mal de la concupiscence, dont le mariage a
honte dans le temps même qu'elle eu use
bien. En sorte que, naissant d'elle, ils sont
coupables du péché originel, s'ils ne sont
régénérés en celui qu'une Vierge a conçu
sans cette concupiscence, et qui est le seul
qui soit né sans péché. »
Mais comment cette concupiscence peut-
elle demeurer dans celui qui est régénéré ?
Saint Augustin répond : a Elle est pardon-
née dans le baptême, non en ce sens qu'elle
est tout à fait éteinte, mais en ce sens qu'elle
n'est point imputée à pécher. Elle ne de-
meure point d'une manière substantielle
comme si elle était un corps ou un esprit ;
mais c'est une certaine mauvaise disposition
semblable à une langueur. EUe diminue tous
les jours dans ceux qui avancent dans la
piété, et qui gardent la continence, et sur-
tout lorsqu'ils commencent à vieillir. Mais
pour ceux qui s'abandonnent honteusement
à la satisfaire , elle s'irrite et se fortifie
en eux à mesure qu'ils avancent en ûge.
Qu'elle est l'action de cette concupiscence,
sinon des désirs mauvais et déshonnêtes ?
Car s'ils étaient bons et honnêtes, l'Apôtre
ne nous défendrait pas de leur obéir. Il ne
dit pas que nous n'ayons point ces désirs
déréglés , mais que nous n'y obéissions
pas; c'est-à-dire : comme ces mouvements
impurs sont plus violents dans les uns, et
plus faibles dans les autres, selon le progrès
que chacun a pu faire dans la vie nouvelle
de l'homme intérieur, nous devons nous con-
duire au moins de telle sorte dans ce combat
pour la justice et pour la chasteté, que nous
ne les suivions jamais. Nous pouvons souhai-
ter de n'en être point inquiétés, quoiqu'il ne
soit pas possible de l'obtenir tant que nous
demeurerons dans ce corps de mort. L'Apô-
[lY' ET V' SIÈCLES.'
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
461
. XI, 27.
. xxvlll.
Ire aurait bien voulu en être exempt, mais
il ne laissait pas de ressentir les effets de
cette concupiscence, quoiqu'il n'y obéit
point, puisqu'il refusait son consentement à
ses désirs. C'est pourquoi il disait : Mainte-
nant donc, ce n'est plus moi qui fais ces choses,
c'est le péché qui habite en moi. »
9. « Mais celui-là se trompe qui, dans le
temps même qu'il consent aux désirs de la
concupiscence charnelle , et qu'il se déter-
mine de les accomplir, s'imagine qu'il peut
dire avec cet apôtre : Ce n'est pas moi qui fais
ces choses: car toutes ces deux choses se ren-
contrent en lui. Il condamne lui-même ces
désirs, parce qu'il sait qu'ils sont mauvais ;
et il les accomplit aussi lui-même, parce
qu'Use résout à les accomplir. Au contraire,
quand on n'obéit point à ces mauvais désirs,
qaoiqu'on les ait, le mal n'est pas accompli
parce qu'on leur résiste , ni le bien aussi
parce qu'on les a ; mais on fait quelque par-
tie du bien en ne consentant point aux mou-
\ements de la concupiscence; et il reste
aussi quelque partie du mal, parce qu'on
ressent encore ces mauvais désirs. C'est
donc faire beaucoup de bien que d'obéir à
l'Écriture qui nous dit : Ne vous laissez point
aller à vos mauvais désirs ; mais ce n'est point
l'accomplir, parce qu'on n'accomplit point ce
qu'elle dit ailleurs : Vous n'aurez point de
mauvais désirs. La raison de cette dernière
défense est pour nous faire reconnaître que
nous sommes tous plongés dans cette mala-
die , nous faire chercher la médecine de la
grâce, et pour nous apprendre, par ce pré-
cepte, quels efforts nous devons faire du-
rant cette vie mortelle , pour avancer de
plus en plus dans la vertu ; et quel est l'état
où nous pouvons arriver dans la bienheu-
reuse immortalité. Car, si nous ne devions
pas un jour parfaitement accomplir ce qui
nous est ordonné par ce commandement, il
ne nous aurait jamais été fait. »
Saint Augustin appuie tout ce qu'il dit sur
ce sujet, des paroles de l'Épitre aux Ro-
mains, et, faisant réflexion sur ce que saint
Paul y dit, qu'il se plaisait dans la loi de
Dieu selon l'homme intérieur. Ce plaisir que
nous prenons, dit-il, dans la loi de Dieu se-
lon l'homme intérieur, est l'effet d'une grande
grâce de Dieu sur nous, puisque c'est en
persévérant à le goûter de plus en plus, que
notre homme intérieur se renouvelle de
jour en jour. Car ce plaisir ne naît point de
la crainte qui gêne le cceiu-, mais de l'a-
mour qui le fait agir volontairement. Et
quand ce n'est point malgré nous que nous
nous plaisons à quelque chose, nous sommes
en cela véritablement libres. «Le saint Doc-
demande comment il est vrai que la loi de
l'esprit de vie qui est en Jésus-Christ nous déli-
vre de la loi du péché et de la mort? Il répond
que c'est parce qu'en nous pardonnant tous
nos péchés, elle a effacé en même temps la
souillure de cette loi de péché qui nous ren-
dait coupables; de sorte que, bien qu'elle
demeure encore dans les membres de notre
corps, elle ne nous est pourtant point impu-
tée à péché. Mais le contraire arrive à tous
ceux qui n'ont point de part à cette rémis-
sion des péchés ; et cette loi réside tellement
en eux, qu'elle les rend coupables devant
Dieu, et débiteurs des peines éternelles.
« Qu'heureux est donc, s'écrie ce Père, cet
olivier franc, dont les iniquités ont été par-
données, et à qui le Seigneur n'a point im-
puté de péché ! » Il enseigne que par la vertu
du bain sacré de la régénération, et par la
parole sanctifiante , tous les maux des hom-
mes sans exception sont purifiés et guéris,
soit ceux qui nous accompagnent dès notre
naissance, c'est-à-dire le péché originel; soit
ceux qui se commettent par cette ignorance
ou cette faiblesse qui sont inséparables de la
condition des hommes ; que l'Oraison domi-
nicale, où nous demandons à Dieu le pardon
de nos péchés, est comme notre pénitence
de tous les jours pour nous purifier des fau-
tes que nous commettons, que les pécheurs
l'obtiennent aussi par les aumônes : « Mais,
dit -il, le baptême doit précéder, et en cette
vie l'Église n'est pas dans un état de pureté
et de perfection qui soit exempt de taches et
de rides. »
Il finit ce livre par un passage de saint Am-
broise qui, en expliquant le prophète Isaïe ,
s'exprime ainsi sur la concupiscence de la
chair : C'est pour cela que Jésus- Christ en
tant qu'homme a voulu être tenté en toute ma-
nière, et qu'étant semblable aux hommes, il a
souffert toute sorte de peines. Mais parce qu'il a
été conçu du Saint-Esprit, il a été exempt de
tout péché : car tout homme est menteur, et nul
n'est sans péché, sinon Dieu seul. Il s'ensuit
donc que nul de ceux qui naissent du commerce
charnel d'un homme et d'une femme ne doit pa-
raître pur de tout péché. Aussi celui qui est
pur de tout péché n'a point été conçu en cette
manière.
10. Dès que ce premier hvre du Mariage
Cap. XXXI.
Rom. VIII, t.
Cap.
Cap. xwill
cl X.'iXlV.
Cap.
Cap. -S XXV.
462
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
t.
vre des Noces
cl de la Cou-
ciipiscciiPPjen
'.20.
AEatjsr de
ce li^re, pae.
302.
Cap. 11.
et de la Concupiscence eût été rendu public,
Julien * le pélagien écrivit quatre livres , où
il prétendait le réfuter. Comme son ouvrage
était long, quoiqu'il ne touchât pas seule-
ment la quatrième partie de celui de saint
Augustin, quelqu'autre de cette secte fit des
extraits du premier de ces livi'es de Julien ,
et les envoya à Valère, afin de lui fournir
une réponse plus prompte et plus courte
au livre du Mariage et de la Concupiscence.
Ce comte ayant vu à Ravenne saint Alypius
qui allait à Rome, lui donna une lettre, ^ où
il remerciait saint Augustin de lui avoir en-
voyé son livre du Mariage , et lui mandait
en même temps que les hérétiques en com-
battaient divers endroits. Il lui donna aussi
quelques cahiers pour porter à saint Augus-
tin, c'était les extraits du premier livre de
Juhen; et il le priait d'y répondre le plus
promptement qu'il lui serait possible. Saint
Augustin les ayant vus, après le retour de
saint Alypius en Afrique , ne douta point
qu'ils ne fussent tirés des livres de Julien ,
et il eût été bien aise de les avoir en entier
pour y répondre. Mais, pour satisfaire Va-
lère , il n'en réfuta que les extraits , et com-
posa pour ce sujet un deuxième livre adressé
à ce comte sous le même titre que le pre-
mier, du Mariage et de la Concupiscence. On ne
peut le mettre plus tard qu'en 420, un an
après le premier , puisque saint Augustin le
composa aussitôt qu'il eût reçu la lettre de
remercîment de Valère pour ce premier :
étant sans apparence qu'il eût attendu plus
longtemps à le remercier.
il. Saint Augustin emploie tout ce livre à
défendre ce qu'il avait dit dans le premier
touchant la doctrine du péché originel. Il se
plaint de l'infidélité de son adversaire, qui,
en rapportant un endi-oit de son livre du
Mariage et de la Concupiscence , avait sup-
primé ce passage de l'Apôtre , voyant bien
qu'il ne pouvait y répondre : Le péché est
entré dans le monde par un seul homme, et la
mort par le péché ; ainsi la mort est passée dans
tous les hommes, tous ayant péché dans un seul.
Saint Augustin en avait inféré que les hom-
mes apportaient [en naissant le péché ori-
ginel : et ce pélagien savait bien que c'était-
là le sens que tous les catholiques donnaient
à ces paroles de l'Apôtre.' Il fait voir que cet
hérétique avait commis beaucoup d'autres
semblables infidélités en supprimant, des
en droits du livre de saint Augustin, qu'il
savait bien être conformes à la doctrine de
l'Église catholique , sur le besoin qu'ont les
enfants d'être régénérés par le baptême, afin
d'effacer le péché originel qu'ils apportent
en naissant.
12. Julien se plaignait de ce que saint Au- c«p. m.
gustin taxait d'hérésie célestienne et péla-
gienne ceux qui disaient que l'homme avait
le libre arbitre. « Vous vous trompez ex-
trêmement , lui répond ce Père , nous ne
nions point le libre arbitre ; mais nous di-
sons que si le Fils vous met en liberté , vous Ji'.n. <
serez alors véritablement libres. Ainsi, quicon-
que dit que l'homme a le libre arbitre, n'est
point appelé pour cela célestien ou péla-
gien , puisque la foi catholique le dit aussi.
Mais celui-là est appelé pélagien et célestien
qui dit que, pour servir Dieu comme il faut,
le libre arbitre sans le secours de Dieu suf-
fit. Nous disons les uns et les autres que les
hommes ont le libre arbitre , ce n'est point
en cela que vous êtes célestiens et péla-
giens. Mais vous enseignez que chacun est
hbre de faire le bien sans le secours de
Dieu, et que les enfants, sans être délivrés
de la puissance des ténèbres, sont transférés
dans le royaume de Dieu. C'est en cela que
vous êtes célestiens et pélagiens. Pourquoi
donc voulez-vous, à l'ombre d'un dogme qui
nous est commun , cacher votre propre
crime? »
Il fait voir à Julien que les catholiques, en
croyant le péché originel , n'avaient rien de
commun avec les manichéens. Ceux-ci di-
saient en efl'et que la nature humaine n'avait
point été créée bonne de Dieu , et ils en at-
tribuaient l'origine au prince des ténèbres ,
admettant dans le même homme un mélange
monstrueux de deux natures, l'une bonne
et l'autre mauvaise. Les catholiques au con-
traire croyaient que la nature humaine avait
été ci'éée bonne par un créateur bon , mais
que, s'étant viciée par le péché, elle avait
besoin pour être guérie du secours de Jé-
sus-Christ son médecin. Quant aux pélagiens
et aux célestiens , ils avouaient que la na-
ture humaine avait été créée bonne d'un
Dieu bon , mais qu'elle était tellement saine
dans les enfants , qu'à cet âge ils n'avaient
pas besoin de la grâce de Jésus-Christ.
Le saint Docteur combat les manichéens
et les pélagiens, en leur opposant les paroles
August., Vrœf. in Op. imper f.
^ l,ih. Il De A'»j)L, r;ip. i el il.
[W ET V' SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
463
f fi"fi'. ^"'' ^^ l'Évangile : Vous n'avez point lu, dit-il aux
premiers , que celui qui a créé l'homme , créa,
au commencement, un homme et une femme ; et
qu'il est dit pour cette raison : L'homme aban-
donnera son père et sa mère, et il demeurera
attaché à sa femme ; et ils ne feront tous deux
qu'une seule chair. Que l'homme donc ne sépare
pas ce que Dieu a Joint. Il dit aux derniers :
.uc.xix, 10. £g jiig (jg l'homme est venu pour chercher et
Maiih. is , pg^^j. sauver ce qui était perdu ; car ce ne sont
pas les sains, mais les malades qui ont besoin
de médecin.
:ap. IV. j3 Saint Augustin montre ensuite que
Julien, ou celui qui avait tiré des extraits de
ses livres , en intitulant son écrit : Contre
ceux qui condamnent le mariage et qui en at-
tribuent le fruit au diable, n'attaquait pointées
catholiques dont aucun ne dit que le mariage
soit mauvais. « Tous au contraire, dit-il, re-
connaissent qu'il est bon, et que les hommes
qui en naissent sont des créatures de Dieu.
Ils enseignent seulement que comme pé-
cheurs, ils sont sous la puissance du démon,
auteur du péché et non de la nature. Il con-
vient, avec Julien, que la fécondité est un
don de Dieu ; mais il soutient contre lui que
l'homme en naissant se trouve par son pé-
ché sous la puissance du démon. Qu'y a-t-il
'•'•P' '■■ dans les enfants , objectait cet hérétique ,
que le démon puisse s'attribuer ? Serait-ce à
cause de la diversité des sexes ? mais elle se
trouve dans les corps , tels que Dieu les a
formés. Serait-ce à cause de la jonction des
sexes ? mais Dieu l'a commandée , en disant
croissez et multipliez, n Saint Augustin ré-
pond que la concupiscence est la source de
tout le mal ; et que c'est elle qui fit rougir
nos premiers parents, en qui elle causa, de-
puis leur péché , une révolte qu'ils n'avaient
pas connue pendant leur innocence. Mais,
disait Julien, il ne peut y avoir de péché
sans la volonté, qui n'exerce encore aucun
acte dans les enfants. Ce Père lui répond
par le passage de l'Épître aux Romains , où
il est dit, que tous les hommes ont péché dans
un seul : d'oîi il suit, dit-il, que tous les hom-
mes ont péché dans Adam par la même vo-
lonté qu'il a péché lui-même, n'ayant tous été
qu'un en lui. 11 appuie cette réponse d'un
passage de saint Ambroise que Pelage re-
connaissait avoir été très-instruit dans les
divines Écritures, et dont il avait loué la
foi.
Cap. VI. 14, Si l'union des deux sexes produit quel-
que chose de vicieux, c'est, objectait Julien,
faire le diable auteur des corps. « Nous ne
lui attribuons, réplique saint Augustin, que le
péché seul par qui la concupiscence infecte
les corps qui sont l'œuvre de Dieu. » II fait '-'''•
sentir le ridicule de ce pélagien qui, n'osant
nommer le mot de concupiscence , la com-
blait toutefois d'éloges sous le nom emprunté
d'appétit naturel. Il lui reproche d'altérer vi- ^"'•^
siblement les textes sacrés, et de les détour-
ner en un sens obscène, lorsqu'ils en ont un
tout naturel. Pour expliquer la cause du pé-
ché originel , il dit qu'Adam, ayant été vicié
dans tout son corps par son péché , et prin-
cipalement dans cette partie du sang qui
sert d'origine et de principe à tous les hom-
mes , ce sang corrompu est passé dans eux ,
et a entraîné avec lui cette corruption.
15. Vous soutenez, disait Julien, que la l-^.
concupiscence est mauvaise : sans elle néan-
moins point de fécondité. Comment donc
Dieu a-t-il excité cette concupiscence dans
Abraham et dans Sara pour la rendre fé-
conde dans sa vieillesse ? Osez-vous attri-
buer au démon un don que Dieu accorde
pour récompense? Saint Augustin répond
que ces deux personnes âgées avaient d'elles-
mêmes la concupiscence, et que la seule fé-
condité leiu- vint de Dieu dans le temps qu'il
voulut bien la leur accorder. Il demande à c«p.
Julien pourquoi l'âme d'un enfant, qui n'a-
vait pas été circoncis le huitième jour, de-
vait être séparé du peuple de Dieu , si cet
enfant n'était pas coupable du péché origi-
nel. Et comment il était vrai de dire qu'à
cet âge il avait déjà méprisé le Testament
de Dieu, si ce mépris ne s'entendait de celui
qu'Adam avait fait paraître en mangeant du
fruit défendu.
16. Julien objectait ce qui est dit des fem- cap.
mes de la maison d'Abimélech , auxquelles ^en.
Dieu , à la prière d'Abraham , rendit la fé-
condité ; d'où il inférait que Dieu est l'au-
teur de la conception d'une femme. Ce Père .("»r-
répond qu'il ne faut point confondre la fé-
condité avec la concupiscence ; qu'il est vrai
que Dieu rendit l'une aux femmes de la mai-
son du roi d'Egypte , mais que l'autre était
en elles par le péché qui leur avait été
transmis.
17. Mais si Dieu crée les hommes qui cap.
naissent pécheurs , ne semble-t-il pas, insis-
tait Julien , employer sa puissance à former
des esclaves au démon ? « Dieu, répond saint
Augustin, avait créé le premier homme sans
péché ; et il crée les autres sous le péché en
XIII.
XXII et
464
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Cap. XVI
Cap. xl.x.
exécution de ses impénétrables jugements.
Comme Dieu sait user en bien de la ma-
lice du démon même , et que tout en pré-
voyant qu'il serait mauvais, il n'a pas laissé
de le créer : de même encore qu'aucun
homme ne naisse sans la souillure du péché,
Dieu en tire un bien , faisant des uns des ,
vases de miséricorde, en les distinguant par
sa grâce de ceux qui sont des vases de co-
lère : et des autres des vases de colère, afin
de faire paraître les richesses de sa gloire
sur les vases de miséricorde. » Il dit à Julien
avec l'Apôtre : 0 homme qui êtes-vous pour
contester avec Dieu? Un vase d'argile dit-il à
celui qui l'a fait : Pourquoi m'ave-z-vous fait
ainsi ? Le potier n'a-t-il pas le pouvoir de faire
de la même masse d'argile un vase destiné à des
usages honorables, et un autre destiné à des
usages vils et honteux ? « Peut-on dire, ajoute
le saint Docteur" , que Dieu nourrit pour le
diable les enfants de perdition, parce qu'il
fait lever son soleil sm" les bons et sur les
méchants, et qu'il fait pleuvoir sur les justes
et sur les injustes? Il crée donc les méchants
comme il les nourrit, parce que, ce qu'il
leur donne en les créant, appartient à la
bonté de leur nature, comme l'accroisse-
ment qu'il leur procure en les nourrissant ,
n'a rien de commun avec leur maMce , mais
seulement avec la bonté de la nature qu'un
IHeu bon a créée. » Il montre que Julien, en
niant le péché originel , s'éloignait non-
seulement de la foi apostolique et catho-
lique , mais qu'il accusait encore l'Église ré-
pandue dans toute la terre, où l'usage est gé-
néral lorsque l'on apporte des enfants pour
être baptisés, de souffler sui- eux, afiu d'en
chasser dehors le prince du monde dont
sont possédés nécessairement tous les vases
de colère, lorsqu'ils naissent d'Adam, et dont
ils ne peuvent être délivrés s'ils ne renaissent
en Jésus-Christ.
18. Julien s'autorisait de ce que l'apôtre
saint Paul dit, dans sonÉpitre aux Romains,
des passions honteuses auxquelles Dieu
avait abandonné les philosophes pour les
punir de leur impiété , comme si cet apôtre
n'avait blâmé que les péchés contre nature,
et qu'il eût loué tout ce qui est dans l'ordre
naturel. Sur quoi saint Augustin lui dit : «Un
adultère suit l'usage naturel , et toutefois il
est blâmable ; mais soit que les enfant nais-
sent d'un véritable mariage , soit d'un adul-
tère , ils ne sont bons qu'en tant qu'ils sont
l'ouvrage de Dieu , mais tous contractent le
péché originel , étant nés de la damnation
du premier Adam. » Il convient avec Julien
que le mariage est bon en lui-même , et que
son fruit en est bon, puisqu'il en naît un
homme ; mais il soutient que le péché avec
lequel tout homme naît est mauvais , et que
ce péché est efttré dans le monde par un
seuf homme en qui tous ont péché , comme
le dit l'Apôtre. Selon cela, l'épondait Julien,
on pouvait dire que le mariage est bon et
mauvais; et qu'ainsi l'on pouvait être catho-
lique et manichéen en même temps. « Rien
de tout cela , dit saint Augustin. Nous di-
sons absolument que le mariage est bon ,
mais nous ajoutons qu'il est survenu un mal
aux deux premières personnes qui ont été
engagées dans les liens du mariage , et que
ce mal est passé à tous leurs descendants. »
Il montre que les pélagiens en afi'ectant de
louer les œuvres de Dieu, n'avaient pour
but que de renverser la nécessité d'un sau-
veur et de sa grâce , en ruinant la doctrine
du péché originel ; que par la parabole des
deux arbres , dont ils se servaient aussi , il
ne fallait point entendre les mariages légi-
times et illégitimes , mais la bonne et mau-
vaise volonté , qui font des œuvres sembla-
bles au principe duquel elles naissent ; que
le mariage en lui-même n'est point la cause
du péché originel , cette cause venant de la
prévarication de notre premier père.
19. Comment prouverez-vous, disait Ju-
lien , qu'un enfant soit péchem' ? Est-ce par
sa volonté ? mais il n'en a aucune à cet âge.
Le mariage est-il la cause de son péché ?
non , car selon vous le mariage est bon. Le
père et la mère sont-ils la cause de ce mal ?
il faut le penser selon vos principes , puis-
qu'ils font une action qui tend à augmenter
le domaine du démon sur les hommes. A
tous ces vains raisonnements , saint Augus-
tin n'oppose que l'autorité de l'Apôtre qui
ne condamne ni la volonté de l'enfant, ni
les noces en elles-mêmes , ni les pères et
mères, en tant qu'ils usent légitimement du
mariage ; mais qui dit que le péché est en-
tré dans le monde par un seul homme, et la
mort par le péché; et qu'ainsi la 7nort est pas-
sée dans tous les hommes, tous ayant péché dans
tin seul. (( Si les pélagiens, dit -il, compre-
naient le sens de ces paroles en la manière que
le conçoivent les catholiques, ils ne se révol-
teraient point contre la foi et la grâce de Jé-
sus-Christ, et ne les détom^neraient point en
un sens liérétique , en assurant, comme ils
Cap.
Cap. *xvt
[iV" ET V" SIÈCLES.]
SAENT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
font , que l'Apôtre n'a parlé ainsi que pour
nous enseigner que ce n'est que par imita-
tion que nous sommes pécheurs en Adam ,
et non par naissance. Si cet apôtre eût pensé
ainsi , n'aurait-il pas dit plutôt que c'est par
le diable que le péché est entré dans le
monde, et qu'il s'est communiqué à tous les
hommes ? Car il est écrit du diable, que ceiix
qui l'imitent, sont ses enfants. Mais il a dit
exprès que le péché est entré par un seul
homme, et par celui en qui a commencé la
génération des hommes , afin de nous mon-
trer que c'est par cette génération que le
péché originel se communique. »
Pour montrer ensuite comment il est vrai
de dire avec le même apôtre que tous seront
justifiés par Jésus-Christ ; saint Augustin se
sert de cette comparaison , qu'il avait déjà
apportée ailleurs : «Gomme nous disons d'un
maître d'école qui est seul dans une ville ,
qu'il enseigne tous les enfants, quoique tous
n'apprennent pas à lire , mais parce que
tous ceux qui sont enseignés, ne le sont que
par lui ; de même celte expression : Tous
seront vivifiés en Jésus-Christ, signifle seide-
ment , que tous ceux qui recevront la vie ne
l'auront que par Jésus-Christ.» Le saint Doc-
teur remarque encore que saint Paul se sert
tantôt du mot de plusieurs , tantôt du terme
tous, pour signifier la même chose.
20. Julien insistait : Par quelles fentes le
péché se communique-t-il donc aux enfants ?
(i A quoi bon , répond saint Augustin , cher-
chez-vous une fente cachée, tandis cpie vous
avez une porte très-ouverte? Le péché , à\i
l'Apôtre, est entré dans le monde par un seul
homme, par la désobéissance d'un seul homme.
Que voulez-vous davantage ? Que cherchez-
vous de plus évident ? » Et comme ce péla-
gien demandait encore si c'était de la vo-
lonté que ce péché tirait son origine , saint
Augustin lui répond que le péché originel a
été comme semé dans la volonté du pre-
mier homme, afm qu'il fût en lui, et qu'il
passât de lui à tous ses descendants. « 11 est,
dit-il, bien vrai que la nature de l'homme ve-
nant de Dieu, ne peut être que bonne; mais
comme il se peut trouver clans l'homme une
intention mauvaise , on peut blâmer cette
intention et louer la nature : de même dans
un enfant , outre la nature dans laquelle il a
été créé de Dieu, il y a un vice, qui, se-
lon l'Apôtre, est passé par un seul homme à
tous les autres. Ainsi de ces deux qui se
trouvent dans un enfant , l'un qui est la na-
ture , est attribué à Dieu , l'autre C[ui est le
péché , est attribué au démon. La nature de
l'homme a été créée droite et saine ; mais
étant tirée du néant , elle est susceptible du
mal, qui peut naître dans un sujet très-bon. n
Il combat la doctrine des pélagiens sur le
péché originel , par l'usage où on était dans
l'Église longtemps avant la naissance de
cette hérésie et de celle des manichéens ,
d'exorciser les enfants qu'on présentait au
baptême , et de souffler sur eux , afin que
ces mystères mêmes fussent une preuve
qu'ils ne pouvaient entrer dans le royaume
de Jésus-Christ, s'ils n'étaient auparavant ti-
rés de dessous la puissance des ténèbres. Il
la combat encore par un grand nombre de
passages ' de l'Écriture qui marquent claire-
ment le péché originel, et par l'autorité des
plus illustres écrivains catholiques, nommé-
ment de saint Cyprien , et de saint Am-
broise.
21. Saint Augustin avait dit souvent que
si l'homme n'eût point péché, le mariage se
fût trouvé sans concupiscence , c'est-à-dire
sans trouble. D'où Julien prend occasion de
lui en imposer comme s'il eût dit que les
hommes mariés se seraient trouvés sans au-
cun désir. Le Saint s'explique donc ainsi :
« C'est le péché qui nous a rempli d'une
honteuse concupiscence, et a rendu notre
corps désobéissant. Dans l'état d'innocence
au contraire il serait demeuré soumis à sa
volonté. Otez donc cette révolte, et il n'y a
plus de maladie ; que l'on ne rougisse plus
de sa nudité , et il n'y a plus de maladie. »
Julien, peu attentif aux^Drincipes de sa secte,
convenait que Jésus -Christ est mort pour Matih, xsvi,
les enfants. Saint Augustin tire de cet aveu
tout l'avantage qu'il en pouvait tirer , et
montre que le Sauveur, ayant dit que son cap. xxxin,
sang serait répandu pour la rémission des
péchés , il était clair qu'il n'était mort pour
les enfants qu'autant cpie leurs péchés
étaient rachetés par ce sang précieux ; et
conséquemment qu'ils étaient pécheurs.
« C'est, ajoute-t-il, ce que l'Apôtre nous dit à
haute voix : Dieu, le Père, n'a pas épai'gné g^/""' ''"' =
Cap.
XXXI,
XXX ^
xxxii'
' Exod., XX, 5. Psal. l, 7; cxLiii, 4; xxxviii, 6.
Rom. VIII, 20. Eccli. i, 2: XL, 1. Cor. xv, 22.
Job. XIV, 1. Secundum SeptxLagiiUa. Zaeh. m, 4.
IX.
Ambros. in Isai., lib. !, cap. xxxv. Cyprifin. Epist.
04, ad Fidum.
30
HISTOffiE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Cap. XX.M-
Lîvres de
'âme. Kd 419
ou 4L0.
466
son propre Fils, mais il l'a livré à la mort
pour nous tous. Pourquoi dit- il, pour nousfous,
si ce n'est pour ne point séparer de nous les
enfants dans la cause de la rédemption ? Les
enfants ont donc un péché originel pour le-
quel Jésus-Christ a été livré et mis à mort. »
22. Il montre que le démon n'a eu d'autre
part dans le péché de l'homme que la per-
suasion ; que c'est en lui persuadant de pé-
cher qu'il a corrompu sa nature ; et qu'il
n'a point créé dans l'homme une nature dif-
férente de celle que l'homme avait reçue de
Dieu. «Celui, dit-il, cpii blesse un membre
ne le crée point, il ne fait que le déi-anger ,
l'affaiblir , lui ôter la liberté de se mouvoir.
Mais la blessure, que le démon a faite à
l'homme, a été si profonde que, par son pé-
ché, la nature humaine a été corrompue en
sa personne, en sorte qu'elle est devenue
non-seulement pécheresse , mais qu'elle n'a
plus engendré que des pécheurs , cpiand
même ceux qui engendrent auraient été ré-
générés dans les eaux du baptême : parce
que la concupiscence demeure toujours en
eux, quoiqu'elle s'y trouve remise quant à la
coulpe. » Poiu? rendre cette transmission du
péché sensible , dans ceux-mêmes qui sont
baptisés , saint Augustin apporte l'exemple
de l'olivier franc , dont le noyau produit un
sauvageon. Il compare aussi la concupis-
cence à une langueur , et dit qu'elle peut
être transmise , comme l'on voit qu'un père
attaqué d'une certaine maladie la transmet
très-souvent à ceux qui naissent de lui. Il
emploie le dernier chapitre de ce livre à
montrer que cette concupiscence n'aurait
pas eu lieu dans le paradis terrestre , et à
exhorter Julien , qui reconnaissait que tout
a été fait par Jusus- Christ, à reconnaître
aussi , s'il voulait étse chi'étien catholique ,
que Jésus est aussi le Sauveur des enfants,
puisque, selon l'Évangile, il doit être le Sau-
veur de son peuple , dans lequel se trouvent
les enfants.
Des quatre livides de l'Ame et de son origine.
■1. Ce fut un jeune homme de la Maurila-
nie Césarienne, nommé Victor, qui occa-
sionna les quatre livres de saint Augustiu ,
intitulés : De l'Ame et de son origine. Il était
simple laïque ' et d'assez bonnes mœurs.
Mais, faute de maturité ^, il aimait mieux
quelquefois embrasser des sentiments dan-
gereux, que d'avouer son ignorance, lorsqu'il
se présentait des diiïïcultés, dont il ne
voyait point la solution. Quoiqu'il eut quitté^
le parti des rogatistes pour embrasser la
communion catholique , il conservait une
haute idée de Vincent, chef de ce parti après
Rogat qui l'avait formé , en sorte cpi'il en
prenait même le nom , et c'était de là qu'il
s'appellait Vincent Victor. Comme il était un
jour chez un prêtre espagnol nommé Pierre,
il y trouva '' un des ouvrages de saint Au-
gustin, où ce Père avouait qu'il ignorait si
les âmes venaient par propagation de celle
d'Adam, ou si Dieu en formait une nouvelle
pour chaque personne ; mais en même temps
0 ajoutait qu'il savait que l'âme était un es-
prit et non pas un corps. L'une et l'autre de
ces opinions déplurent à Victor, qui ne pou-
vait concevoir qu'un homme d'un aussi
grand mérite que saint Augustin regardât la
propagation des âmes comme une chose pro-
bable, et crût que l'âme ne fût pas un corps.
Il écrivit donc contre lui deux livres, qu'il
adressa à ce prêtre espagnol, où il fit entrer
plusieurs sentiments des pélagiens, et d'au-
tres ° encore plus mauvais. Il prétendait ^
que c'était par l'ordre de Pierre qu'il avait
entrepris cet ouvrage; mais on savait d'ail-
leurs qu'il s'était vanté " que Vincent le ro-
gatiste, mort dans son schisme, lui était
apparu en songe et lui avait fourni la ma-
tière et les raisonnements employés dans ses
deux livres. Le moine René, qui se trouvait
alors à Césarée, voyant que saint Augustin
était traité par Victor autrement qu'il ne mé-
ritait, fit copier ces deux livres et les en-
voya ' à ce saint Docteur, avec rme ' lettre
où il s'excusait de la liberté qu'il prenait ,
comme s'il eût appréhendé que le saint ne
le trouvât mauvais. C'était dm-ant l'été. Tou-
tefois saiut Augustin ne les reçut que sur la
fin de l'automne, ne s'étant point trouvé à
Hippone lorsqu'ils y arrivèrent. Aussitôt
qu'il les eut lus, il écrivit le premier des
quatre dout nous parlons, et il l'ackessa au
moine René. Il composa le second en forme
de lettre adressée au prêtre Pierre, et quel-
1 Lib. m De Anima, cap. xiv.
3 Lib. 111, cap. n.
4 Lib. 1! Retract., cap. lviit.
2 Lib. 1, cap. xi.x.
s Lib. Il, cap. xni et sv. — ^ Lib. III, cap. m.
' Ibiil., cap. u. — 8 Lib. I, cap. I.
3 Ibid., cap. H.
[lys ET V'' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÈQUE D'HIPPONE.
467
que temps après ' il écrivit les deux autres à
Victor lui-même. Ce Père place cet ouvrage
dans ses Rétractations immédiatement après
divers opuscules faits en 419. Ce qui fait
conjecturer qu'il le fit, ou sur la fin de
cette année, ou dans le courant de la sui-
vante 420.
2. Dans le premier livre, saint Augustin
rend grâces à René de ce qu'il lui avait en-
voyé les livres de Victor, et l'assure qu'il
n'avait fait, en cette occasion, que ce qu'un
ami sincère et affectionné, comme lui, était
obligé de faire. « Je suis fâché, ajoute-t-il,
cjue vous ne me connaissiez pas encore.
Loin de me plaindre de vous, je ne me plains
pas même de Victor : puisqu'il a pensé au-
trement que moi, a-t-il dû le cacher? Il de-
vait plutôt me l'écrire à moi-même; mais
ne m'étant pas connu, il n'a osé, et n'a pas
cru me devoir consulter, croyant soutenir
ime vérité certaine. Il a obéi à son ami qui,
ùce qu'il dit, l'a forcé d'écrire; et si dans la
chaleur de la dispute, il lui est échappé
quelques paroles injurieuses contre moi, je
veux croire qu'il l'a fait plutôt par la néces-
sité de soutenir sou opinion, qu'à dessein de
m'ofïenser. Car, quand je ne connais pas la
disposition d'un homme, je crois qu'il vaut
mieux en avoir bonne opinion, que de le
blâmer témérairement. Peut-être l'a-t-il fait
par affection, croyant me désabuser. Ainsi
je dois lui savoir gré de sa bonne volonté,
quoique je sois oljligé de désapprouver ses
sentiments; et je crois qu'il faut le corriger
avec douceur, plutôt que le rejeter avec du-
reté, vu principalement qu'il est nouveau
catholique, u
3. Après avoir excusé ainsi avec bonté
ce jeune homme, et dit quelque chose de
ses talents naturels, le saint Docteur com-
bat une de ses principales erreurs, touchant
la natm'e de l'âme, qu'il prétendait n'avoir
pas été créée du néant, ni formée d'aucune
autre chose créée. Cela voi^lait dire, comme
le remarque saint Augustin, que l'àme était
formée de la substance de Dieu même : er-
reur qu'il renverse par ce raisonnement :
(I Tout ce qui est tiré de Dieu est de même
nature que lui et par conséquent immuable.
L'âme est sujette au changement; elle n'est
donc point mie partie de la substance de
Dieu, mais Dieu l'a tirée du néant.» Victor
ajoutait que l'âme était corporelle; senti-
' Lib. Il, cap. IV.
ment absurde, puisqu'il s'ensuivait que
l'homme n'était point composé d'âme et de
corps, mais de deux corps, ou même de
trois, puisque Victor convenait que nous
étions composés d'esprit, d'âme et de corps,
et qu'il disait que toutes ces choses étaient
des coi'ps. Eu voulant expliquer comment
se faisait la propagation du péché originel,
il disait que l'âme avait mérité d'être souil-
lée par son union avec la chair. Sur quoi
saint Augustin lui demande comment cette
âme avait mérité avant son péché d'être
souillée par la chair; si ce mérite lui venait
d'elle-même ou de Dieu ; car elle ne pouvait
l'avoir eu de la chair, avant de lui être unie?
«Si c'est d'elle-même, dit-il, qu'elle a mérité
d'être souillée, comment cela peut-il être
arrivé, puisque, avant son union avec la
chair, elle n'avait fait aucun mal ? Dira-t-on
que c'est de Dieu que lui est venu ce mérite?
Personne n'oserait prononcer une pareille
impiété. « Pour se tirer d'embarras, Victor
avait recours à la prescience de Dieu, mais
inutilement : car la prescience de Dieu pré-
voit à la vérité quels sont les pécheurs qui
doivent être guéris, mais elle n'est pas la
cause des péchés. Saint Augustin le presse
encore en cette manière : « Ou le mérite de
l'àme, avant son union avec la chair, était
bon, ou il était mauvais? S'il était bon,
comment s'est-il pu faire, qu'en conséquence
de ce mérite, l'âme soit tombée dans le
mal? S'il était mauvais, c'est à Victor à ex-
pliquer comment il peut y avoir eu un mau-
vais mérite avant le péché. Et encore, si ce
mérite était bon, ce n'est donc point gratui-
tement que cette âme est délivrée, mais se-
lon la justice, ainsi la grâce ne sera plus
grâce. Si ce mérite était mauvais, il faut
montrer eu quoi il consiste. Si c'est parce que
cette âme est venue dans la chair, où elle
ne serait point venue, si elle n'y avait été
envoyée par celui chez qui il n'y a point
d'iniquité. »
4. Une autre erreur de Victor était, que
les enfants morts sans baptême pouvaient
parvenir au royaume des cieux, et que l'on
devait offrir pour eux le sacrifice du corps
et du sang de Jésus-Christ. « Mais, dit saint
Augustin, qui oûrira le corps de Jésus-
Christ-, sinon pour ceux qui sont les mem-
bres de Jésus-Cluist? Or, depuis qu'il a été
dit : Quiconque ne renaît pas de l'eau et de
l'esprit, ve peut entrer .dans le royaume de
Dieu; et : Celui qui perd son âme pour
Cap. Vin.
Caf. u.
Jo:.n. [M,
eL luauli. .\
39.
468
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Cap. XI.
Cap. XII.
Dieu, la trouvera, personne n'est fait mem-
bre de Jésus-Christ, si non en recevant son
baptême^ ou en mourant pour lui : car le
mai'tyre tient la place du baptême. » Saint
Augustin dit ici, que l'on peut mettre, avec
saint Cyprien, le bdn larron au nombre des
martyrs; la confession qu'il fit de la puis-
sance de Jésus-Christ, lui ayant servi au-
tant que s'il avait été crucifié pour son
nom. Il ajoute, que l'on ne sait point,
s'il n'avait pas été baptisé avant sa con-
damnation; qu'au reste, on ne peut s'ap-
puyer sur de pareils exemples pour contes-
ter la nécessité du baptême , et pour pro-
mettre au.Ni enfants morts sans ce sacrement,
ni le royaume des cieux, ni certains lieux
mitoyens de repos et de féhcité. Il s'objecte
l'histoire de Dinocrate, frère de sainte Per-
pétue, délivré des peiaes et transféré dans
un lieu de repos par les prières de cette
sainte. Il répond que les actes du martyre
de 'cette sainte ne sont point du nombre des
Écritures canoniques ; qu'elle, ou celui qui
les a écrits, n'ont pas dit que Dinocrate, qui
n'était mort qu'à l'âge de sept ans, n'eût pas
reçu le baptême ; et qu'à cet âge il pouvait
avoir été condamné à quelques peines dans
l'autre vie, ou pour avoir dit des mensonges,
ou fait quelque chose contre la loi de Dieu
à la sollicitation de son père qui était païen.
« Si, ajoute-t-il, l'on accordait, ce qui toute-
fois ne se peut sans aller contre la foi ca-
tholique et la disciphne de l'Église, que les
parents fissent ofl'rir pour les enfants et au-
tres personnes de tout âge morts sans bap-
tême, afin que par ce secours ils arrivassent
au royaume des cieux, qu'aurait à répondre
Victor de tant de milliers d'enfants qui, nés
ou des impies ou des païens, meurent sans
avoir été régénérés par le baptême ? Qu'il
dise, s'il le peut, pourquoi les âmes de ces
enfants ont mérité de devenir tellement pé-
cheresses, qu'elles n'ont pas dû même être
dans la suite délivrées de leurs^péchés?» Le
saint Doctem' fait voir, qu'on ne peut dire
qu'elles ont péché avant leur xmion avec la
chair, puisque-, selon l'Apôtre, personne n'a
fait du bien, ni du mal avant d'être laé dans
la chair. Il prouve encore, qu'on ne peut dire
que Dieu ait relégué dans une chair péche-
resse les âmes des enfants qui devaient mou-
rir sans baptême, parce qu'il a prévu que
s'ils parvenaient à un âge plus avancé, ils
useraient en mal de leur libi-e arbitre : car
Dieu ne juge personne sur les actions qu'il
Cap.
aurait faites, s'il eût vécu plus longtemps,
mais uniquement sur ce qu'un chacun a fait.
Comme il y a donc tant de difficultés dans
l'opinion, qui ne veut pas que les âmes vien-
nent par propagation, il exhorte Victor à dou-
ter lui-même de l'origine de l'âme, puisqu'on
ne peut la découvrir, ni par la raison humai-
ne, ni par l'autorité des divines Ecritures.
5. Ce jeune homme avait toutefois pro- cap. xn
duit dans ses livres plusieurs passages où il
croyait trouver que l'âme ne vient point par
propagation, mais que Dieu la donne à cha-
cun en pai'ticulier. Il produisait entre autres
ces paroles d'Isaïe : Le Seigneur donne le ^••''Xi.
souffle à son peuple, et l'esprit à ceux qui mar-
chent sur la terre. « Qu'il dise donc aussi,
répond saint Augustin, que Dieu ne nous a
pas donné la chair, parce cpi'elle tire son
origine de nos parents. Qu'il dise encore
que le froment ne naît pas du froment,
puisque l'Apôtre dit que Dieu donne le i Co.-. i
corps au grain de froment. Que s'il n'ose pas
le nier, d'où sait-il pourquoi il est dit que
Dieu donne le souffle à son peuple, si c'est
en le tirant des parents, ou en le soufflant
de nouveau? » Saint Augustin paraît donc
croire que le souffle dont parle Isaïe , doit
s'entendre du Saint-Esprit donné aux fidèles,
n appuie cette interprétation d'un passage
des Actes des apôtres, où il est dit que lors An. n,
de la descente du Saint-Esprit, on entendit
tout d'un coup un grand In-uit, comme à'un
vent violent et impétueux qui venait du ciel.
Il est écrit dans Zacharie, disait Victor, que
c'est le Seigneur qui forme l'esprit de l'homme zaeii. x
dans l'homme. « Personne ne le nie, répond
saint Augustin, et qui est-ce qui forme l'œil
corporel de l'homme, si ce n'est Dieu? La
question est de savoir de queUe manière il
forme cet esprit dans l'homme, si c'est par le
moyen de la propagation, ou par un nou-
veau soufQe ? » Il fait une semblable réponse
aux passages des Macchabées cités par Vic-
tor, où la mère dit à ses enfants : Ce n'est pas n m
moi qui vous ai donné l'esprit et l'âme, mais
Dieu qui a fait toutes choses. Les autres pas-
sages que Victor avait cités, pouvant se ré-
soudre de même, saint Augustin en demande
de plus précis, et en attendant il avoue de
bonne foi son ignorance sur l'origine de
l'âme. Il exhorte ce jeune homme présomp-
tueux à imiter la mère des Macchabées, qui
reconnaissait qu'elle ne savait comment
Dieu avait animé les enfants qu'elle avait
portés dans son sein.
;l..xvll,23.
[iv" ET v" SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
6. Il lui reproche de n'avoir point remar-
qué que, suivant les Écritures, Dieu est l'au-
teur de rbomme tout entier, et non pas seu-
lement selon l'âme et l'esprit, puisque saint
Paul dit dans les Actes : Nous sommes^ de lui :
car si cela ne s'entendait que de l'âme et
de l'esprit, et non aussi du corps, on ne
pourrait vérifier ce que dit le même apôtre :
Tout vient de Dieu. A'^ictor disait : Il est écrit
que Dieu a fait ton t le genre humain du sang
d'un seul homme; donc, nous ne venons de
nos ancêtres que selon le corps : car l'âme
ne peut naître du sang. Saint Augustin lui
fait voir 'qu'il faut ici reconnaître cette fi-
gure où la partie se prend pour le tout , et
que par le sang on doit entendre l'homme
entier.
7. Victor insistait : D'où vient qu'Adam
voyant Eve, s'écria : Voilà l'os de mes os, et
la chair de ma chair, et n'ajouta pas : L'esprit
de mon esprit? 11 croyait donc que sa fem-
me ne tenait de lui que le corps. Mais saint
Aiigustin lui fait remarquer qu'il n'est point
écrit que Dieu ait soufflé l'esprit dans la
fermiie, qu'ainsi on doit en conclure qu'elle
l'avait reçu de son mari. Après cela, ajoute
ce Père, l'exemple d'Eve est d'une nature
différente de ce qu'on doit penser touchant
les enfants. Du reste, ce saint Docteur ne
s'oppose point à ceux qui voudraient soute-
nir que Dieu crée les âmes immédiatement,
ni à ceux qui A^eulent qu'elles se communi-
quent par transfusion de la part des parents,
pourvu qu'on ne touche point aux vérités
révélées ; et pense qu'il vaut mieux avouer
qu'on ignore ce qu'on ne sait pas effecti-
vement, que de tomber dans une héré-
sie, ou même d'en former une nouvelle, en
défendant avec témérité ce qu'on ne sait
pas.
8. Son second livre, qui est en forme de
lettre, est adressé au prêtre Pierre, qui s'é-
tait laissé surprendre par l'éloquence de
Victor. Il lui remontre, avec beaucoup de
douceur, qu'étant prêtre et avancé en âge, il
ne lui convient point d'approuver l'ouvrage
d'un jeune laïque, rempli de tant d'erreurs.
Il avoue que ce jeune homme s'exprimait
avec politesse et avec agrément, quoique
trop abondant en paroles : a Défaut, dit-il,
qu'on pourrait lui pardonner, s'il s'appli-
quait à ne rien dire que devrai. » On avait
rapporté à saint Augustin, que lorsque Pierre
entendait lire à Victor ce qu'il avait écrit
sur l'origine de l'âme, il en témoignait des
EVEQUE D'HIPPONE.
469
ravissements de joie, et qu'il s'était même
laissé transporter jusqu'à baiser la tête de ce
jeune homme, en le remerciant de lui avoir
appris ce qu'il avait ignoré jusqu'alors. «Ce
qui aurait pu être une humilité louable, dit
saint Augustin, si Victor lui eût appris quel-
ques vérités, puisqu'il faut honorer la vérité,
quel que ce soit celui qui nous la fasse con-
naître. » Ce Père, détaillant ensuite toutes
les erreurs de Victor, qu'il avait déjà réfu-
tées dans le premier livre, montre par l'au- cip. n.
torité de l'Ecriture que, quoique l'on y puisse
distinguer l'âme de l'esprit, c'est néanmoins
ime même substance; que l'âme n'est point
une partie de la substance de Dieu, n'étant cap. n..
dite de Dieu, que parce qu'elle en est créée
de rien, comme toutes les aatres créatures ;
qu'elle n'est point un corps, ainsi que l'a cru cap. v.
TertuUien; que Victor, en soutenant que
l'âme était une portion de la substance de cap. vi.
Dieu, et en même temps qu'elle était corpo-
relle, avançait une chose absurde, puisque
Dieu ne peut rien produire de lui, qui ne lui
soit parfaitement semblable et égal. D'où
vient que le Verbe de Dieu, qui est né delà
substance du Père, est à la vérité une per-
sonne distincte du Père, mais non une na-
ture différente.
9. Victor, pour rendre , probable sa doc- cap. vn.
trine sur le péché originel, raisonnait ainsi :
L'âme étant souillée par le corps , doit
être aussi guérie par le même corps dans
les eaux du baptême. Mais il ajoutait, que
par cette guérison elle recouvrait sa pre- cap.vm.
mière santé; ce qui donnait à entendre
qu'elle avait existé dans un état de justice
avant d'être unie au corps. Saint Augustin
montre qu'on ne pouvait rien dire de rai-
sonnable pour prouver cette préexistence
de l'âme, et moins encore rendre raison des
fautes qu'elle avait commises pour devenir
pécheresse par son union avec la chair. Vic-
tor avait recours à la prescience, et disait
que Dieu, ayant prévu que l'âme serait ra- cap. i.x.
clietée, avait pu pei-mettre qu'elle fût souillée
par le corps. Mais cette réponse, comme le
fait voir saint Augustin, ■ ne pouvait avoir
lieu à l'égard des enfants qui meurent sans
baptême. 11 montre de même que Victor ne
pouvait s'autoriser de l'endroit du livre de la
Sagesse, où nous lisons ; // a été enlevé afin sap. iv, n,
que la malice ne changeât pas son esprit, puis-
qu'il suivrait de là que les enfants qui meu-
rent sans baptême ont été enlevés de ce
monde, afin que leur esprit ne fût pas cor-
470
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
.(oin.
l XIV,
II
XII, 13
Cap. X. rompu pai" ce sacrement. L'admirable doc-
trine ! s'écrie saint Angiistin. Victor allait
plus loin, et poussait sa témérité jusqu'à dire
que les enfants morts sans baptême obte-
naient le pardon des fautes originelles, sans
toutefois entrer dans le roj^aume des cieux.
L.i. xvni, Il s'appuyait de l'exemple du bon larron, qui
n'obtint, disait-il, que le paradis, parce qu'il
n'avait point reçu le baptême ; de celui de
Diuocrate, transmis dans un lieu de repos,
parce qu'il était mort aussi sans ce sacre-
ment; et de ce qu'il est écrit dans l'Évangile :
// y a plusieurs demeures dans la maison du
Père céleste. Saint Augustin fait voir que,
bien qu'il y ait plusieurs demeures dans le
ciel, on ne peut avoir place dans aucune
sans être baptisé, et renvoie pour ce qui re-
garde le bon larron et Dinocrate, à ce qu'il
Cap. x:. en avait dit dans son premier livre. Il mon-
tre que c'esi une chose nouvelle et contraire
à la discipline de l'Église, et à la règle de la
vérité, de prétendre, comme faisait Victor,
qu'on dût offrir le sacrifice du corps de Jé-
sus-Christ pour les enfants morts sans bap-
tême; et comme ce jeune homme s'autori-
sait des sacrifices que les Macchabées tirent
offrir pour ceux qui avaient été tués dans le
combat, ce Père répond , que ceux pour qui
ils furent offerts, avaient reçu la circoncision
qui, chez les Juifs, était un sacrement figu-
ratif du Ijaptême.
oip. XH. 10. Victor enseignait que les enfants morts
sans baptême, demeureraient pendant un
certain temps dans un paradis qu'il imagi-
nait, mais qu'après la résm-rection ils joui-
raient du royaume des cieux. Saint Augus-
tin 'réfute cette eri'eur par les paroles du
Sauveur qui excluent, sans aucune excep-
tion, du royaume du ciel quiconque n'aura
pas été baptisé. Il ajoute que les pélagiens,
pour avoir osé promettre un lieu de repos
et de salut hors du royaume des cieux, aux
enfants morts sans baptême, venaient d'être
condamnés très-justement par les Conciles
catholiques, et par l'autorité du Siège apos-
tolique. Victor disait, que son sentiment
était plus miséricordieux que celui de saint
1 Kcf. XV, Augustin; mais le saint Docteur le compare
à celui de Saiil, qui épargna ce roi, que le
Seigneur lui avait ordonné de faire mourir.
Il n'excepte doue de la condamnation géné-
rale que ceux qui ont ou recule baptême, ou
c»p. XIV. sont morts pour le nom de Jésus-Christ.
Venant ensuite aux passages que Victor al-
léeuait pour son sentiment, il montre qu'il
r.np. X7Ï (
xvii.
Analysa
Iroisièirie )
Arc, pais'. 37
ne s'exprime point positivement sur l'ori-
gine de notre âme, et que ceux qui croient
qu'elle vient des parents, ne s'appuyant pas
moins sur de semblables autorités, le plus
sage est de ne rien décider sur cette ques-
tion. Il finit, en disant au prêtre Pierre que,
puisque Victor s'était soumis à son juge-
ment, dès le commencement de son premier
livre , il devait lui montrer toutes ses fautes,
et l'obliger à s'en corriger.
11. Saint Augustin lui écrivit lui-même,
pour lui marquer ce qui était à corriger
dans ses livres et dans sa foi. D'abord il lui
reproche, qu'étant devenu catholique, il af-
fectât de porter le nom d'un certain Vin- can. ■ ci
cent, chef des rogatistes, et d'avoir pour
cet homme quelque vém'ration, comme si
c'eût été un homme juste et saint. Il lui dit
de condamner les erreurs que ce rogatiste
lui avait enseignées, et celles dans lesquelles
il était tombé de lui-même. « Si, lui dit-il, vous
les condamnez avec une pieuse humilité , et
dans l'unité de la foi catholique, on jugera
que ce sont des erreurs d'un jeime homme
qui a exposé ses pensées, plutôt afin qu'on
en corrigeât les défauts, que dans le dessein
de les soutenir. Mais si, ce qu'à Dieu ne
plaise, le diable vous porte à les vouloir dé-
fendi'e avec opiniâtreté, les pasteurs de l'É-
glise seront contraints de condamner ces
sentiments hérétiques avec leur auteur,
avant que ce poison mortel ait infecté le
peuple- fidèle qui ne serait pas en état de
s'en préserver. Car c'est à quoi ils sont obli-
gés, comme pasteurs et médecins des âmes,
et une conduite plus molle ne serait pas une
charité, mais une négligence qui prendrait
faussement le nom de cette vertu. »
12. Pour savoir quelles étaient les er- cap. m
reurs, dont il souhaitait qu'il se corrigeât,
saint Augustin le renvoie aux deux livres
précédents, ne doutant pas que René et
Pierre ne les lui donnassent à lire. Il lui en
fait toutefois un détail, qu'il réduit à onze
Articles entièrement inexcusables, et visi-
blement contraires à la foi. Le premier re-
garde la nature de l'âme : Victor préten-
dait que Dieu en la créant, ne l'avait pas
. faite de rien , mais de lui-môme : d'où il
suivait qu'elle avait une même nature que
Dieu. Victor niait à la vérité cette consé-
quence, et disait ; Comme, lorsque nous souf-
flons dans une outre, le vent que nous y
faisons entrer n'est pas de même nature que
nous : de même le souffle de Dieu produit
[lye grp yO SIECLES.]
les âmes, sans leur communiquer sa nature.
Mais saint Augustin fait voir que "Victor ad-
mettant Dieu incorporel, sa comparaison ne
valait rien. « Car, dit-il, le soufïle que nous
poussons dans cette outre, quoique plus sub-
til que nos corps, est néanmoins corporel, au
lieu que dans la supposition de Victor, un
Dieu incorporel produisait de soi-même, par
son souffle, une âme corporelle. » Il appor-
tait encore, pour fortifier son sentiment,
l'exemple d'Elisée qui, en soufflant sur le
fils de la Simamite, lui rendit la vie. Saint
Augustin répond, qu'on ne peut rien inférer
de .là pour la manière dont Dieu anima le
premier homme ; et que l'action du Pro-
phète ne fiit qu'une cause occasionnelle qui,
jointe à ses prières, détermina Dieu à re-
mettre, dans le corps de cet enfant, l'âme
qu'il en avait ôtée. Pourrait-on, en effet,
s'imaginer que le soufïle d'Elisée eût servi
d'âme au corps de l'enfant ?
iS.Une seconde erreur de Victor, consistait
en ce que Dieu créerait des âmes pendant
toute l'éternité : ce qui était aisé à réfuter,
puisqu 'après la fin du monde, n'y ayant plus
de génération, il ne se trouvera point de nou-
veaux corps qui aient besoin d'âme. La troi-
sième consistait à dire, que les âmes avaient
mérité avant leur union avec la chair. L'Apô-
tre, s'écrie saint Augustin, dit le contraire, eu
parlant de Jacob et d'Esati, assurant qu'avant
leur naissance ils n'avaient fait ni bien ni mal.
Cette erreur a aussi été condamnée dans les
priscillianistes par l'Éghse catholique. La
quatrième revenait à celle-ci, savoir que
l'âme est purifiée par la même chair, par
lacpielle efie avait mérité d'être souillée :
cela supposait, en efl'et, un mérite ou démé-
rite dans l'âme avant qu'elle fût unie au
corps : ce qui n'est point catholique. La cin-
quième était que l'âme avait mérité d'être
pécheresse avant tout péché, ce qui n'était
pas moins contraire à la foi. puisque l'âme
avant son union avec le corps, n'a pu avoir
aucun mérite, ni bon ni mauvais. Par la
sixième Victor enseignait que les enfants
morts sans baptême pouvaient parvenir au
pardon de. leurs péchés : sm' quoi il citait les
exemples du bon larron et de Dinocrate.
Saint Augustin réfute cette erreur à peu
pi'ès comme il l'avait fait dans les livres pré-
cédents. Seulement il ajoute que, quoiqu'on
ne lise pas que le bon lai-ron ait été baptisé,
on ne doit pas en conclure qu'il soit mort
sans baptême ; qu'excepté saint Paiû, on ne
•SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
471
lit pas que les autres apôtres aient été bap-
tisés, surtout saint Barnabe , saint Timo-
thée, Tite, Silas, Philémon, saint Marc et
saint Luc, et, que pourtant, on ne peut dou-
ter de lem- baptême ; que Dinocrate même
pouvait avoir été baptisé, ou que du moins
on ne lit pas qu'il n'ait été ni chrétien ni
catéchumène.
14. La septième erreur de Victor, c'est
qu'il disait qu'il se pouvait faire qu'un en-
fant prédestiné de Dieu au baptême, en
fût néanmoins privé. «Mais quelle est, lui
répond saint Augustin, cette puissance assez
forte pour empêcher que n'arrive ce que
Dieu a résolu de faire?» La huitième était
d'appliquer aux enfants morts sans baptê-
me, ces paroles de la Sagesse : Il a été en-
levé , de peur que la malice ne corrom-
pit son intelligence. Mais saint Augustin
prouve qu'eUes doivent s'entendre plutôt de
ceux qui, vivant avec piété depuis leur bap-
tême, sont enlevés de ce monde par la per-
mission de Dieu , afin qu'ils ne s'y corrom-
pent point par le commerce des méchants.
Victor par les différentes demeures que Jé-
sus-Christ dit être dans la maison de son
Père, entendait des endroits de repos diffé-
rents du royaume des cieux, et destinés aux
enfants morts sans baptême. C'était là sa
neuvième erreur que saint Augustin réfute,
en montrant qu'il y a de la témérité à sépa-
rer quelques parties de la maison de Dieu,
du royaume de Dieu ; et à ne vouloir pas
que le Roi, qui a fait le ciel et la terre, règne
dans toute sa maison, tandis qu'il y a des
rois de la terre qui régnent , non-seulement
dans leur maison et dans lem' patrie, mais
encore dans beaucoup d'autres endroits, et
même au delà des mers, il fait voir que le
royaume de Dieu, dont nous demandons
l'avènement dans l'Oraison dominicale, est
celui où sa fidèle famille régnera avec lui
heureusement et toujours. La dixième er-
reur, qu'il reproche à Victor, est d'avoir
enseigné que l'on devait offrir le sacrifice
du corps de Jésus-Christ poiu- les enfants
morts sans baptême. Il la rejette comme
une opinion nouvelle et contraire à l'autorité
de toute l'Église. Et parce que ce jeune
homme avait allégué les sacrifices, dont il
est parlé dans le second livre des Maccha-
bées, ce Père répond qu'on ne les avait
point offerts pour ceux qui étaient morts
incirconcis. La onzième erreur de Victor
consistait à promettre le paradis aux enfants
Cap. ï.
Cap. XI.
Cap. XIII.
472
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Cap. XIV.
Cap. xr.
Analyse (Ii
qiialrièmd li
vie, yog, ySii
Ciip. I el II.
Cap. m et iv.
morts sans baptême , aussitôt qu'ils sortent
de ce monde, et le royaume des cieux après
la résurrection générale. «En quoi, dit saint
Augustin, il était plus hardi que les péla-
giens qui n'osaient promettre ce royaume à
ces enfants, quoiqu'ils ne les crussent pas
coupables du péché origineL» 11 combat cette
erreur par ces paroles de Jésus-Christ : Si
quelqu'un ne renaît point de l'eau et de
l'esprit, il ne peut entrer dans le royaume
de Dieu.
13. Il exhorte Victor à corriger toutes ces
erreurs, et d'autres encore qui pouvaient se
rencontrer dans ses écrits ; mais en même
temps il le console avec bonté, en lui disant
que l'obstination seule fait les hérétiques,
et non l'erreur. Il ajoute, pour l'encou-
rager, qu'il ne doit point se mépriser lui-
même , ni regarder l'esprit et la facihté
d'écrire, que Dieu lui a donné, comme si c'é-
tait très-peu de chose. Mais aussi il ne veut
point, ni qu'il s'élève par une vaine pré-
somption de ses talents, ni qu'il se né-
glige par une lâche timidité, et une trop
grande défiance de pouvoir réussir. « Plût à
Dieu, lui dit-il encore, que je pusse lire avec
vous vos écrits, et vous montrer, plutôt en
conférant ensemble qu'en vous écrivant, ce
qu'il y a à corriger. Les opinions que je vous
ai reprochées, peuvent faire autant d'héré-
sies, si vous les défendez avec opiniâtreté;
mais si, profitant des avertissements que
que l'on vous donne, vous condamnez ces
erreurs avec sincérité de bouche et par
écrit, il vous sera plus glorieux de vous être
ainsi corrigé vous-même de vos fautes, C[ue
si vous aviez fait voir ceUes d'un autre, et
l'on vous estimera plus d'avoir abandonné
vos erreurs que si vous n'eii aviez jamais
commises. Je prie Dieu de répandre par
son Esprit dans le vôtre une humilité assez
grande, une charité assez abondante, une
piété assez tranquille pour aimer mieux
vous surmonter vous-même, en vous rendant
à la vérité, que de vaincre quelque adver-
saire que ce soit, en appuj^ant le mensonge
et la fausseté. »
16. Le quatrième livre est encore adressé
à Victor. Saint Augustin l'écrivit pour le
convainci'e, qu'il avait eu raison de douter
de l'origine de l'àrae, et de soutenir toute-
fois qu'elle est un esprit et non un corps.
Victor prétendait au contraire que l'àme est
corporelle, et que l'homme en connaît par-
faitement la nature. Sans s'arrêter aux ter-
I
mes durs et offensants, dont ce jeune hom-
me s'était servi en l'attaquant, ce Père con-
tinue à soutenir que la question de l'origine
de l'àme pourrait bien être une de ces cho-
ses si élevées au-dessus de nous, qu'il ne
nous est pas permis de les approfondir, et
dont Dieu seul peut nous instruire. « M'ap-
prendrez-vous, lui dit-il, comment les hom-
mes sont animés dès leur naissance^ vous
qui ne savez peut-être pas encore comment
il se fait que les aliments contribuent de
telle sorte à nous faire vivre, que nous mou-
rons lorsque l'on nous en prive peu à peu?»
Il fait un détail de plusieurs autres questions cap.v oi v.
qui regardent le corps, et que nous ne pou-
vons résoudi'e, quoique les sens nous aident
à les connaître. D'où il infère qu'il n'est pas
extraordinaire que l'esprit ne connaisse pas
beaucoup de propriétés qui sont du fond de
sa nature.
n. «Maintenant que nous sommes, que cap. vu.
nous vivons, que nous savons que nous vi-
vons, que nous nous souvenons, que nous
concevons, et que nous voulons, nous igno-
rons néanmoins ce que peut notre mémoire,
notre intelligence, et notre volonté. J'avais
eu parmi mes amis dans ma jeunesse un
nommé Simplicius dont la mémoire était
tout à fait extraordinaire, sans qu'il en con-
nût lui-même l'étendue, jusqu'à une expé-
rience que je lui en fis faire. Sur quel-
ques endroits des livres de Virgile qu'on
l'inteiTogeât, il récitait en remontant sur le
champ, et avec beaucoup de vitesse, autant
de vers que l'on souhaitait ; et il faisait la
même chose de toutes les Oraisons de Cicé-
ron. Tout le monde en était dans l'admira-
tio : mais Simplicius prenait Dieu à témoin,
qu'avant cette expérience il ne savait pas
s'il aui-ait pu en venir à bout. C'était sans
doute le même homme avant cette épreuve,
pourquoi donc ne s'en croyait-il pas capa-
ble ? ))
Le saint Docteur montre encore que nous
ne connaissons pas toutes les forces de
notre entendement ; et qu'il y a des occa-
sions où nous pouvons facilement résoudre
certaines questions , et d'autres où nous ne
le pouvons pas. Il en est de même de la vo-
lonté. « Saint Pierre, dit-il, voulait sincère-
ment mourir pour son Maître, mais il ne con-
naissait pas assez quelles étaient ses forces.
Ainsi un si grand homme , qui avait connu
que Jésus-Christ était fils de Dieu, ne se con-
naissait pas lui-même. Saint Paul , qui avait can vm.
[lV<i ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
473
été ravi jusqu'au troisième ciel, ne savait pas
néanmoins si c'avait été ou dans le corps,
ou hors du corps. Le même apôtre ne dit-
il pas que nous ne savons ce que nous de-
vons demander dans la prière ; mais que
l'esprit interpelle pour nous par des gémis-
sements ineffables , c'est-à-dire qu'il, fait
prier les saints.» De tous ces exemples, saint
Augustin conclut qu'il est plus avantageux
de connaître que la chair ressuscitera et
qu'elle vivra sans fin , que d'apprendre ce
que les médecins savent de cette chair après
beaucoup de recherches.
18. U dit à Victor que les passages qu'il
avait allégués pour résoudre la question, ne
disaient rien de précis sur l'origine de l'âme ;
qu'ils prouvaient , à la vérité , que Dieu en
est l'auteur , mais non de quelle manière
l'âme nous est donnée ; si elle nous vient de
nos parents par propagation , ou si Dieu en
forme de nouvelles pour chaque personne.
Il mai'que , en passant , qu'il croit avec sim-
plicité ce que l'Apôtre enseigne avec une
très-grande clarté, savoir, que tous les hom-
mes qui naissent d'Adam tirent leur con-
damnation d'un seul homme, à moins qu'ils
ne renaissent en Jésus-Christ , comme il a
voulu que renaissent ceux que par une grâce
très-miséricordieuse il a prédestinés à la vie
éternelle ; lui qui, à l'égard de ceux qu'il a
prédestinés à la mort éternelle , les punit
des supplices les plus justes, non-seulement
à cause des péchés qu'ils ajoutent par leur
propre volonté , mais même à cause du pé-
ché originel, si les enfants n'y ajoutent pas
de péchés actuels. Puis venant à la question
qui était entre lui et Victor , savoir si l'âme
est incorporelle, comme il le soutenait, ou si
elle est corporelle, comme le disait ce jeune
homme, il définit en cette manière ce que
c'est qu'un corps : « Le corps, dit-il, est ce
qui occupe plus d'espace d'un lieu par ses
plus grandes parties, et qui en occupe moins
par les plus petites. » Victor qui avouait
que Dieu n'est pas im corps , soutenait
en même temps que si l'âme n'en est pas
im , il fallut qu'elle soit d'air ou de rien.
Saint Augustin lui montre l'inconséquen-
ce de cette alternative, puisqu'avouant que
Dieu n'est pas un corps, il n'aurait osé dire
qu'il fiit d'air , ou de rien , ou un néant.
D'ailleurs, Victor, en admettant une âme
d'air, ne pouvait se dispenser d'avouer en
même temps qu'elle était un corps, puisque
l'air en est un.
Pour bien entendre cette dispute , il est
bon d'avoir une idée du système de Victor.
Selon lui l'homme est composé de trois subs-
tances ; de l'extérieur., qui est le corps; du ^c^p- xu. e
soufïle de Dieu, qui forme l'homme intériein-,
c'est-à-dire l'àme; et de quelque chose de
plus intime , qui est l'esprit. Il s'était fait ce .,\^ ^'"''- ^'
système sur un endroit del'Épître auxThes-
saloniciens , où l'Apôtre distingue dans
l'homme l'esprit , l'âme et le coi'ps. Saint
Augustin le combat par les paroles mêmes
de saint Paul, qui nous promet, dit-il, en cet
endroit, que notre homme intérieur sera re-
nouvelé à l'image de Dieu. « Sera-ce , de-
mande ce Père, l'âme ou l'esprit? On ne
peut dire que ce sera l'âme , puisqu'étant
corporelle , selon" Victor, elle ne peut être
l'image de Dieu , qui est incorporel. Donc si
l'homme intérieur qui doit être renouvelé à
l'image de Dieu, comprend l'âme et l'esprit,
il n'y en aura qjie la moitié de renouvelé,
c'est-à-dire l'esprit. D'ailleurs, ajoute-t-il,
quoique saint Paul semble distinguer trois
choses dans l'homme , il les réduit néaiï-
moins à l'homme intérieur et extérieur, sans
reconnaître un être plus intime, comme fai- cap. xv ci
sait Victor. »
19. Ce jeune homme disait : Si l'âme
n'est point un corps , que voyait donc le
mauvais riche dans les enfers? Ne voyait-il
pas Lazare et Abraham ? L'Écriture ne mar-
que-t-elle pas les parties de cet âme , en lui
donnant des yeux, des doigts et une langue,
et même un sein ? Saint Augustin répond ,
que l'on ne doit point prendre à la lettre
tout ce qui est dit dans la parabole du mau-
vais riche ; qu'autrement il s'ensuivrait que
Dieu même serait corporel , puisque l'Écri-
ture lui attribue aussi divers membres qui
ne conviennent qu'à l'homme ; qu'il serait
même ridicule d'entendre littéralement ce
qui est dit du sein d'Abraham , n'étant pas
possible que ce sein pris littéralement pût
renfermer tant d'âmes , qui , selon l'opinion
de Victor , étaient autant de corps. Ce Père
dit donc que par le sein d'Abraham on doit
entendre un lieu de repos , attribué à ce pa-
triarche , comme père des nations qui de-
vaient imiter sa foi.
20. Il prouve l'immatériahté de l'âme par cap. xvu.
sa capacité de contenir les images des cieux,
de la terre, et d'une infinité d'objets : ce qui
passerait sa portée , si elle était un corps
borné à l'étendue de cinq ou six pieds. On
ht dans les Actes de sainte Perpétue, que
-ili HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
dans un songe elle se vit inétamorpliosée
en homme pour combattre un égyptien.
LX.
Ciiji. xvn
tracl,
LVI
D'où Victor inférait que si l'àme n'était point
corporelle, elle n'aurait pu attaquer son ad-
versaire. Les mêmes Actes rapportent, que
dans une vision cette même martj-re recon-
nut une blessure que Dinocrate, mort depuis
quelque temps, avait au visage. D'où Yictor
prétendait encore tirer une preuve de la
matérialité de l'âme. Saint Augustin répond,
qu'il faut entendre toutes ces visions , des
apparences et de la réalité. Il forme ceite
difficulté à son adversaire : « Si l'âme de Di-
nocrate était véritablement blessée au vi-
sage ; pourquoi, lorsqu'on tue le corps, ne
tue-t-on pas aussi l'âme ? Expression qui ne
peut s'employer selon l'Évangile, qui dit,
en termes exprès , que ceux qui tuent le
corps, n'ont pas le pouvoir de tuer l'âme. »
Après avoir encore fait voir par d'autres
raisonnements le ridicule du sentiment de
ce jeune homme, il vient à l'endroit où il
avait dit que l'âme n'avait besoin ni d'ha-
bits, ni d'aliments, et lui demande pourquoi
donc le mauvais riche avait désiré dans les
enfers une goutte d'eau ; et pourquoi Sa-
muel avait apparu à Saiil, revêtu de son ha-
bit ordinaire ? Il lui fait sentir par ce qui se
passe en nous durant le sommeil, que ce
qui nous parait un corps , n'en étant pas un
effectivement, mais seulement l'apparence
sans réalité , on peut dire de même que ce
qui paraissait corporel aux saints , ne l'é-
tait point effectivement , quoique l'objet que
les prophètes apercevaient dans ces sortes
d'occasions fût une marque assurée d'un
événement futur. Le saint Docteur ne veut
pas néanmoins définir , en cet endroit , si
c'est avec un vrai corps , ou non , que les
anges bons et mauvais ont apparu aux
hommes.
21. Ensuite il rapporte divers endroits de
l'Écriture qui prouvent la spiritualité de
l'âme de l'homme , et ne reconnaît ni intel-
ligence, ni raison dans les bêtes. Puis, après
avoir fait une récapitulation des erreurs de
Victor, il l'exhorte à les révoquer. Ce jeune
homme le fit, et, touché de la manière pleine
de charité, dont saint Augustin l'avait traité,
Lib. iiue- il lui cciivit pour lui témoigner qu'il s'était
ICI. , fan. ^ Kj A
Cap, XIX et
XX.
Luc. XV!,2'l.
lECi
xxviil j 24.
Cap. SKI.
Cap. XXII.
Cap.xxni.
corrieé de ses erreurs,
Des quatre Livres à Boniface, contre les péla-
giens.
1. Pendant que Boniface successeur de
Zosime , gouvernait l'Église de Rome , les
fidèles de cette ville ^ firent par leur vigi-
lance et par leurs soins , tomber entre ses
mains deux lettres des pélagiens , que ceux
de cette secte répandaient en Italie. Julien ,
qui avait écrit une de ces lettres , l'avait -
envoyée à Rome pour y fortifier, ou y aug-
menter le nombre de ses disciples. L'autre
lettre était de dix-huit évéques pélagiens, et
adressée à Rufus, évêque de Thessalonique.
On croit qu'elles avaient été écrites toutes
deux vers le même temps , c'est-à-dire vers
l'an 420. Saint Alypius qui était alors â
Rome fut chargé par le pape Boniface de
rapporter ces deux lettres à saint Augustin ;
et saint Prosper ^ assure que le Pape enga-
gea en même temps ce Père à y répondre.
Mais saint Augustin ne le dit pas. Il y ré-
pondit par quatre livres adressés à Boniface,
se croyant obligé '* de s'opposer aux eflorts
que les ennemis de la grâce ne cessaient de
faire pour tenter l'effet, et d'empêcher aussi
les cathohques de se laisser surprendre , et
de s'endurcir eux-mêmes dans leurs pé-
chés.
2. 11 commence le premier livre par des
sentiments de reconnaissance , sur les té-
moignages d'amitié, que le Pape lui avait
donnés par saint Alypius. « Votre humilité ,
dit-il, fait qu'encore que vous soyez dans un
siège plus élevé , vous ne dédaignez pas l'a-
mitié des petits, et vous y répondez par une
afleclion réciproque ; car l'amitié n'est au-
tre chose, et elle n'est jamais fidèle que lors-
qu'on s'aime en Jésus-Christ, dans lequel
seul elle peut être éternelle et heureuse, «
Il reconnaît que le Siège épiscopal de Rome
avait la prééminence sur tous les autres , et
dit à Boniface , que s'il lui adresse la réfuta-
tion des deux lettres des pélagiens , ce n'est
nullement pour lui apprendre quelque
chose , mais afin qu'il examinât , et qu'il en
corrigeât les endroits, qui pourraient lui dé-
plaire.
3. 11 vient après cela aux calomnies des
pélagiens, qui appelaient les catholiques
Cap.
Cap. Il
1 Lib. ad Bon., cap. i.
2 Lib. 1, cap. V.
Prosp. cont. Collât., cap. xli.
Lib. I, cap. I.
[iV ET v" SIÈCLES,] SAINT AUGUSTIN,
manichéens, et les accusaient de détruire le
liljre arbitre, ou ce qui rcA'ient au même,
d'enseigner que le libre arbitre était mort
parle péché d'Adam, en sorte c[ue personne
n'avait plus le pouvoir de bien vivre, et que
tous étaient nécessités au péché. « Qui de
nous, lui répond saint Augustin, enseigne
une pareille doctrine ? Il est vrai que la li-
berté est morte par le péché, mais celle-là
seulement qui était dans le paradis , et qui
consistait à avoir une pleine justice avec
l'immortalité. C'est pour cela que la nature
humaine a besoin de la grâce divine , selon
ces paroles du Seigneur : Si le Fils vous met
en liberté , vous serez alors véritablement li-
ires, c'est-à-dire libres pour vivre dans la
piété et dans la justice. Mais le libre arbitre
est si peu détruit dans l'homme pécheur, que
c'est par lui que pèchent tous ceux surtout
qui pèchent avec délectation et par amour
pour le péché, puisqu'ils font ce qui leur
plaît. » Il fait voir, par le témoignage de
l'Apôtre , que l'on ne passe de la servitude
du péché à la Hberté de la justice que par
le libre arbitre de la volonté , et que l'on
n'est aussi délivré de la servitude du péché
que par la grâce du Sauveur, ainsi que le
dit l'Evangile : Le Fils de Dieu a donné le
pouvoir d'être faits enfants de Dieu à tous ceux
qui l'ont reçu. Les pélagiens, pour éluder la
force de ces paroles , convenaient que la
grâce nous aidait à devenir enfants de Dieu ;
mais ils soutenaient qu'on méritait cette
grâce par le seul libre arbitre. Le saint Doc-
teur répond : « Enseigner que la grâce
est donnée selon nos mérites, n'est autre
chose que détruire celte même grâce ; com-
me la foi est un don de Dieu , le pouvoir de
devenir enfants de Dieu est donné à ceux
qui croient eu Jésus-Christ, lorsqu'il leur
est donné d'y croire ; mais il n'y a dans le
libre arbitre aucun pouvoir pour le bien, s'il
ne lui est donné de Dieu , et l'homme ne
peut être libre pour le bien , à moins que le
Libérateur ne l'ait délivré ; au lieu qu'il a le
libre arbitre pour le mal dans lequel il prend
plaisir, ou de lui-même, ou à la persuasion
dn séducteur. Nous ne disons donc point ,
continue-t-il , que tous les hommes soient
comme contraints de pécher par la nécessité
de la chair , mais que ceux qui sont en âge
d'user de leur propre arbitre , demeurent ,
s'ils veulent, dans le péché, ou en en commet-
tent de nouveaux , parce qu'ils veulent bien
les commettre. Mais cette volonté qui est
EVEQUE D'HIPPONE.
473
Cap. T.
Gan. 11,24.
Piov. XIX ,
M^tlh. XIX,
3 et 6.
libre pour le mal, parce que le mal lui plaît,
n'est pas libre pour le bien, parce qu'elle
n'est point délivrée, et que l'homme ne peut
vouloir quelque chose de bien, s'il n'est aidé
de celui qui ne pe\it vouloir le mal , c'est-à- cap. i.-.
dire de la grâce de Dieu par Jésus-Christ
Kotre-Seigneur. C'est ce que les pélagiens
orgueilleux et superbes n'admettent point ;
mais, en voulant défendre le libre arbitre,
ils le précipitent , et ils ne nous sont oppo-
sés dans la doctrine que nous défendons,
que parce qu'ils ne veulent point se glori-
fier dans le Seigneur, n
4. Ils accusaient encore les catholiques
de dire que Dieu n'a pas institué le mariage,
et que l'union des sexes est une invention
du démon. Saint Augustin leur répond en
deux mots, que le mariage est institué de
Dieu, ce qu'il prouve par plusieurs passages
de l'Écriture ; et que l'union des deux sexes
n'est point une invention du démon, parti-
culièrement dans les Fidèles , qui n'usent du ejIics.y,55
mariage que clans la vue d'avoir des enfants,
qui doivent ensuite être régénérés dans les
eaux du baptême. Il ajoute, qu'aucun homme cap. vi.
n'est l'ouvrage du démon , mais que tous
sont de Dieu , en tant qu'hommes , quoique
tous naissent coupables du péché originel ,
loi's même qu'ils naissent de parents fidèles,
comme un olivier sauvage naît du noyau
d'un olivier franc.
5. Une autre calomnie des pélagiens ca,-. vu.
était, que l'on ne croyait point parmi les ca-
tholiques que les saints de l'Ancien Testa-
ment eussent été délivrés du péché. Ils les
accusaient encore, de dire que saint Paul et
les autres apôtres avaient été souillés d'im-
pureté , sous prétexte qu'ils se reconnais-
saient sujets à la concupiscence. « Nous di- cap. vm.
sons, au contraire , réplique saint Augustin,
que les saints qui ont vécu, soit avant la loi,
soit sous la loi, ont été délivrés de leurs pé-
chés , non par leur propre vertu , parce que
maudit est celui qui met son espérance dans jorem. xn
l'homm-e ; ni par l'Ancien Testament qui n'en-
gendrait que des esclaves ; ni par la loi qui,
quoique bonne, ne pouvait donner la vie;
mais par le sang même du Piédempteur, qui
est l'unique médiateur de Dieu et des hom-
mes , Jésus-Christ homme. » H rejette avec
indignation la calomnie qu'ils faisaient re-
tomber sur saint Paul et les autres apô-
tres, et fait voir que cet apôtre en disant :
Lorsque nous étions assujettis à la chair, les nom. vu, i
passions criminelles étant excitées par la loi.
476
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Cap, X
Ro:n. VI
l,li,
agissaient dans les membres de notre corps,
et leur faisaient produire des fruits pour la
mort, parlait au nom de ceux qui étaient
encore sous la loi , et que la grâce n'a-
vait point délivrés. Il est vrai qu'il dit en
un endroit , qu'il avait mené une vie ir-
l'hiiip. iir, réprochable étant lui - même sous la loi ;
mais cette justice qu'il s'attribue , ne l'egar-,
dait apparemment que les œuvres exté-
rieures de la loi, qu'il pouvait accomplir, ou
par la crainte des hommes, ou par la ci'ainte
de Dieu , ou de la peine , et non par amour
de la justice ; ce qui n'empêchait pas qu'il
n'eût intérieurement des affections mau-
vaises, et qu'à cet égard il ne fût prévarica-
ca.. i.-i. teiir de la loi. Car celui-là 'est pécheur au
dedans de sa volonté qui ne s'abstient pas
de pécher par le mouvement de sa volonté ,
mais par un sentiment de crainte , en sorte
qu'il ferait le mal, s'il pouvait le faire im-
punément. Or, tel était l'Apôtre avant d'a-
voir été déhvré par la grâce de Dieu, S'il a
dit depuis , qu'il était un homme charnel ;
cela ne doit s'entendre que de son corps,
qui n'était point encore devenu incorrup-
tible. De même, quand il dit qu'il ne fait pas
Rom. VII, 13. le bien qu'il veut, cela signifie seulement
qu'il n'est point affi'anchi des mouvements
de la concupiscence, qu'il nomme péché,
quoiqu'il n'y consente pas.
Saint Augustin avait cru autrefois que le
septième chapitre de l'Épitre aux Romains ,
où saint Paul rapporte tous les combats que
la concupiscence ou la loi de la chair livre
à celle de l'esprit , devait s'entendre d'un
homme qui vivait encore sous la loi ; mais il
fut détrompé par ces paroles qu'on lit dans
le même chapitre : Je me plais drms la loi de
Dieu selon l'homme intérieur : cette délecta-
tion dans le bien venant non de la crainte
de la peine, mais de l'amour de la jutice,
qu'on ne peut attribuer qu'à la grâce. D'où
il infère que l'Apôtre n'y parle pas seule-
ment en sa propre personne , mais au nom
de tous ceux qui vivent sous la grâce dans
un corps mortel , mais qui n'y jouissent pas
encore de cette tranquillité parfaite , dont
ils jouiront lorsqu'ils auront remporté la vic-
toire sur la mort.
caii. .vn 61 6. Les pélagiens reprochaient aux catho-
liques de soumettre Jésus-Christ même au
péché , et de dire que le baptême ne remet
pas tous les péchés. Comme la première
de ces calomnies ne méritait point de ré-
ponse, saint Augustin passe à la seconde :
« Le baptême, dit-il, accorde le pardon de
tous les péchés, et il efface les crimes, mais
cela n'empêclie point que la concupis-
cence ne demeure dans ceux qui sont bap-
tisés, quoiqu'elle leur soit remise quant à la
coulpe ; toutefois elle ne nous est point im-
putée à péché , à moins qu'on ne suive , et
que l'on ne consente aux mauvais désirs
qu'elle nous suggère. Aussi, quand nous de-
mandons à Dieu après le baptême , de nous
remettre nos offenses, nous n'entendons par-
là que les péchés que nous commettons, soit
par ignorance , soit en consentant aux mau-
vaises suggestions de cette concupiscence ,
et non la concupiscence même. Mais nous
en parlons quand nous ajoutons dans la-
même prière : Ne noits induise: pas à la ten-
tation. Car chacun est tenté par sa propre
concupiscence qui l'emporte et qui l'attire
dans la mal , ainsi que le dit l'apôtre saint
Jacques ; et quand cette concupiscence a
conçu, elle enfante le péché. Tous ces effets,
et toutes ces productions les plus crimi-
nelles, sont pardonnées dans le baptême ;
mais les pécliés moins considérables nous
sont remis par l'Oraison dominicale , c'est-à-
dire en remettant aux autres les offenses
qu'ils nous ont faites , et par la sincéi'ité des
aumônes. Car il n'y a personne assez in-
sensé poiu- dire que ce précepte : Pardon-
nez, et il vous sera pardonné, ne regarde point
les baptisés. Aucun ne pourrait être ordonné
ministre de l'Éghse , si l'Apôtre avait dit
qu'il fallût , pour cet effet , être sans péché ;
mais il a dit , sans crime. Plusieurs d'entre
les fidèles sont exempts de crime , mais nul
ne l'es!; de péché durant cette vie. »
7. Ensuite saint Augustin rapporte la pro-
fession de foi que Juhen opposait aux catho-
hques, et il en développe les mauvais sens qui
y étaient cachés. Sur l'article de la grâce, Ju-
lien enseignait qii'elle n'opérait pas pour exci-
ter la volonté au bien, mais que la volonté re-
cevait ce secours de Dieu selon ses mérites ;
ensorte que Dieu , en accordant sa grâce à
l'homme , ne lui donnait que ce qu'il lui de-
vait. Saint Augustin demande à Julien ce que
Paul avait fait de bien , lorsqu'il s'appelait
encore Saul ; et par quels mérites de sa
bonne volonté il avait été converti d'une
manière si subite et si admirable ? Cet apô-
tre ne dit-il pas lui-même : Dieu nous a sau-
vés, non à cause des œuvres de justice que nous
eussions faites; mais à cause de sa miséricorde?
Le Seigneur ne dit-il pas : Personne ne peut
Cap. XV.
[iV ET V' SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
477
Phiiip.
venir à moi , s'il ne lui est donné pai' mon
. Père? Et pourquoi nous ordonue-t-il de prier
pour ceux qui nous persécutent ? lui de-
mandons-nous que sa grâce leur soit donnée
à cause de leur bonne volonté? Ou plutôt ne
lui demandons-nous pas que leiir mauvaise
volonté soit changée en bonne, comme nous
croyons que les saints que Saul persécutait,
demandèrent efficacement pour lui, qu'il fût
converti à la foi qu'il entreprenait de dé-
truire ? Il fait observer à Julien que Jésus-
Christ ne dit point : Personne ne peut venir à
moi, si mon Père qui m'a envoyé ne le conduit,
comme s'il voulait nous faire entendre , que
la volonté précède ; mais qu'il dit : Si mon
Père ne le f«Ve à lui. Qui est tiré, qui voulait
auparavant? Et toutefois nul ne va à Dieu, s'il
ne veut y aller. Il est donc tiré d'une manière
admirable afin cju'il veuille, par celui qui sait
agir intérieurement dans les cœurs des hom-
mes, non pas afin qu'ils croient sans qu'ils
le veuillent, ce qui est irapossible ; mais afin
de leur faire vouloir ce qu'ils ne voulaient
pas auparavant. C'est ce que saint Augustin
rend sensible par divers exemples de l'Écri-
ture; mais il insiste particulièrement sur
l'histoire d'Esther. « Cette reine dit à Dieu,
et le prie en celte manière : « Mettez, Sei-
gneur , dans ma bouche des paroles conve-
. nables et puissantes, en la présence du bon,
et tomnez son cœur de manière que notre
ennemi lui devienne odieux.» Pourquoi prier
ainsi , dit ce Père , si Dieu n'opère pas lui-
même la volonté dans le cœur des hommes?
On dira peut-être que la prière de celle
femme était insensée ; il en faut juger par
le succès. Elle entre dans la chambre du
roi ; et Dieu change le cœur de ce monarque
par une puissance très-cachée , mais très-
efficace , et le fait passer de l'indignation à
la douceur , c'est-à-dire de la volonté de
nuire à la volonté de se rendre favorable ,
selon cette parole de l'Apôtre : Dieu opère
en nous le vouloir et le faire. Est-ce que ces
hommes de Dieu, qui ont écrit cet événe-
ment d'Assuérus, ou plutôt, est-ce que l'Es-
prit de Dieu , par l'inspiration de qui ils
l'ont écrit , a combattu le libre arbitre de
l'homme? Non; mais l'Esprit saint nous a
fait admirer dans le Tout-Puissant , et son
jugement plein de justice, et' son secours
plein de miséricorde. »
8. Quelques louanges que Julien donnât
aux anciens justes, ajoute le saint Doctem',
il faUail convenir qu'ils n'ont été sauvés que
par la foi au Médiateur, qui a donné son
sang pour la rémission des péchés. Ce pé-
lagien, en confessant la grâce de Jésus-Christ '^"f- ""■
nécessaire aux grands et aux petits, l'en-
tendait de manière que le baptême n'était
point nécessaire aux enfants pour la rémis-
sion des péchés, mais seulement pour qu'ils
pussent entrer dans le royaume des cieux.
Comme il disait avec ceux de sa secte que la
grâce, qui nous a été donnée par Jésus- cap. x.ïiu.
Christ, ne nous est pas donnée gratuitement,
mais selon nos mérites, les catholiques leur
disaient anathème, parce que nul ne peut c.p. r.xir.
bien user du libre arbitre que par la grâce,
qui ne nous est pas rendue, comme une
chose que Dieu nous doive, mais qui nous
est donnée gratuitement par sa divine mi-
séricorde.
9. Saint Augustin répond dans le second se^nd^uvre"
bvre, à la lettre que les dix-huit évêques t^s-''^'-
pélagiens avaient écrite à Rufus, évêqne de
Thessalonique, et lem* fait voir qu'ils n'a- c.p.i.
valent pas lieu de se glorifier de n'être pas
manichéens, puisque leur erreur, pour être
d'une autre naturCj n'en était pas moins
condamnable. Il fait un paraUèle des mani- '*"■''■ "•
chéens avec les pélagiens, et montre que les
catholiques les condamnaient également ,
comme étant les uns et les autres opposés à
la doctrine de l'Église sur la grâce et sur le
baptême. Ensuite il justifie le clergé de Ro- cap. m.
me de la prévarication dont les pélagiens
le chargeaient, et il prouve que jamais leur
doctrine n'avait été approuvée à Rome ,
quoique Zosime ait, pendant quelques temps,
usé d'indulgence envers Célestius. « Ce pa-
pe, ajoute-t-il, n'en usa ainsi, que parce que
cet hérétique promettait, dans sa profession
de foi, de se soumettre à sa décision ; en
sorte que ce pape n'approuva dans Célestius
que la volonté qu'il témoignait de s'instruire
et de se corriger, et non la fausseté de ses
dogmes. Cela parut clairement depuis l'ar-
rivée des lettres du concile d'Afrique à Zo-
sime, où les fraudes de Cérestius étaient
mises dans un plein jour : car alors, ayant
été cité devant le Siège apostolique, pour
y répondre sur sa doctrine, il en craignit la
discussion, et se déroba à cet examen par la
fuite. Mais quand, ce qu'à Dieu ne plaise ,
on aurait approuvé dans l'Eglise romaine
la doctrine de Célestius ou de Pelage, qu'elle
avait auparavant condamnée dans ces hé-
rétiques, avec le pape Innocent, cette pré-
\arication ne pourrait tomber que sm* le
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
478
clergé de Rome. Mais Zosime s'étant confor-
mé au sentiment d'Innocent, son prédéces-
seur, qui avait condamné, en termes exprès,
l'hérésie pélagiennc dans ses lettres aux
évêques d'Afrique ; c'était une calomnie
d'accuser ce clergé de prévarication, d'au-
tant que ce saint pape avait depuis rendu
une seconde sentence contre Pelage et Cé-
lestius. »
cop. lï. Saint Augustin donne un précis de ce qui
se passa dans cette affaire : puis venant aux
objections tiue ces dix-huit évoques faisaient
contre les catholiques, il les propose en peu
Cap. V ot de mots, et y joint ses réponses. « Nous ne
disons pas, leur dit-il, que par le péché
d'Adam le libre arbitre ait péri dans le
monde ; mais nous disons, qu'il n'a de force
que pour pécher dans ceux qui sont assu-
jettis au démon ; et que pour faire le bien
et vivre dans la piété, il n'a aucune force, à
moins que sa volonté ne soit délivrée par
la grâce, et aidée de la même grâce, pour
tout le bien qui se fait par peusées, par pa-
roles, et par actions. » Ces évêques préten-
daient que c'était introduire le destin, olls
introduisent, disaient-ils, en parlant des ca-
tholiques, sous le nom de grâce, une espèce
de destin, disant que si Dieu n'inspire à
l'hoûime qui lui résiste, et qui s'oppose à
lui, l'amoiu' du bien, il ne pourra, ni éviter
le mal, ni faire le bien. »
D'après saint Augustin Dieu inspire l'a-
mour du bien à l'homme qui résiste; mais
il remarque que c'est en faisant en même
temps que l'homme de résistant et de non
voulant devienne voulant et consentant, ce
qui ne renferme aucun destin. « Si toutefois
quoiqu'un veut, ajoute-t-il, eutendrc sous
ce nom, la volonté toute puissante de Dieu,
nous sommes tellement disposés que nous
évitons la nouveauté des termes, et que
nous n'aimons pas à disputer, n Ces mêmes
évêques accusaient les catholiques d'attri-
buer à Dieu Tacception de personnes. Saint
c ap. vil. Augustin répond : « Si, lorsque de deux débi-
teurs également redevables, l'on abandonne
â l'un ce que l'on exige de l'autre, la jus-
tice n'est nullement blessée : ainsi tous les
hommes étant coupables, Dieu peut pardon-
ner à qui bon lui semble, sans cesser d'être
juste. » Ce qu'il confirme par la parabole des
ouvriers évangéliques, qui reçurent tous le
même salaire, quoiqu'ils eussent travaiUé
inégalement par rapport au temps. « Suppo-
sons, ajoute-t-il encore, que de deux ju-
meaux d'une prostituée, l'un est baptisé,
et l'autre meurt sans sacrement. A quoi at-
tribuer cette difl'érence d'événement? Au
destin? mais la même constellation et le
même aspect présidaient. Aux mérites ou
des parents, ou des enfants? mais il ne
s'en trouve, ni dans les uns, ni dans les au-
tres. C'est donc par miséricorde que l'un
reçoit le baptême, et par justice que l'autre
en est privé : laquelle justice suppose le pé-
ché originel. » Il fait voir que saint Paul,
s'étant proposé un exemple à peu près sem-
blable dans Jacob et dans Esaû, résout la
difficulté qu'il y avait sur la prédestination
de l'im, et la réprobation de l'autre, eu di-
sant que c'est justice d'une part, et miséri-
corde de l'autre. « Mais, dit-il, pourquoi Dieu
ne fait-il pas grâce à tous les hommes ? C'est
pour montrer ce que vaut sa miséricorde
envers les vases d'élection : car les bienfait?
qu'il répand gratuitement sur quelques-uns
des hommes, ne seraient pas si signalés, s'ii
ne faisait connaître par la condamnation
des autres, qui sortant d'une même masse,
sont également coupables, ce qui était dû
à tous. Car qui est-ce qui nous discerne ? de-
mande l'Apôtre ? Et comme si quelqu'un lui
eût répondu, c'est ma foi qui me discerne,
c'est ma résolution, c'est mon mérite, l'A-
pôtre ajoute : Qu'avez-vous que vous n'ayez
reçu ? et si vous l'avez reçu, pourquoi vous en
glorifiez-vous, comme si vous ne ■ l'aviez pas
reçu ? c'est-à-dire comme si ce qui vous dis-
cerne des autres hommes venait de vous-
mêmes. C'est donc celui qui vous donne ce
dont vous êtes discerné des autres, qui pro-
prement vous discerne, en éloignant de vous
la peine qui vous est due, et en vous com-
muniquant sa grâce qui ne vous était pas
due. »
iO. Les évêques pélagiens ne voulaient
pas reconnaître, que le premier désir du
bien vienne de Dieu ; mais le saint Docteur
leur fait voir que si ce désir, quelque faible
qu'il soit, se formait en nous sans la grâce,
alors la gi-âce qui suivrait ce désir, ne serait
plus gratuite, parce que ce désir étant un
mérite, la grâce qui serait donnée en consé-
quence, serait due, et non pas gratuite :
doctinne que Jésus-Christ prévoyant devoir
être enseignée par Pelage a condamné en
disant : Sans moi vous ne pouvez rien faire.
Car le Sauveur ne dit point : Vous pouvez dif-
ficilement faire quelque chose sans moi ; mais :
Vous ne pouvez rien faire sans moi : paroles
[lV° ET V'^ SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÈQUE D'HIPPONE.
479
qui renferment le commencement et la fin
de la bonne action. Saint Paul s'explique
encore plus nettement, comme s'il avait
voulu donner du jour à la pensée du Sei-
•. gneur : Celui, dit-il, qui a commencé en vous
le saint ouvrage de voire salut, Vachévera et le
perfectionnera jusqu'au jour de Jésus-Christ.
1 II va plus loin, et dit, que nous ne sommes pas
capables de former de nous-mêmes aucune bonne
pensée comme de nous-mêmes, mais que c'est
Dieu qui nous en rend capables. Penser quel-
que chose est un bien, mais la pensée est
moindre que le désir : car nous pensons à
tout ce que nous désirons; mais nous ne dé-
sirons pas tout ce que nous pensons. Si donc
la bonne pensée n'est pas de nous-mêmes,
comment le bon désir en serait-il ?
11. N'est-il pas écrit, disaient les pélfi-
giens, que c'est] à l'homme à préparer son
cœur ? C'est donc encore à lui à commencer
le bien, même sans le secours de la grâce
de Dieu. Saint Augustin leur répond : « S'il
en était ainsi, Jésus -Christ n'aurait pas dit :
Sans moi vous ne pouvez rien faire. Et l'Apô-
tre : Nous ne sommes pas capables de former de
nous-mêmes aucune bonne pensée. Car qui peut,
sans une bonne pensée, préparer son cœur
pour faire le bien? S'il est écrit, que c'est à
l'homme à préparer son cœur, il est dit au
même endroit, que la réponse de la langue
vient du Seigneur. L'homme prépare donc
son cœur, mais non sans le secours de Dieu,
qui touche tellement ce cœur, que l'homme
le prépare. Dieu fait dans l'homme beau-
coup de bien, que ne fait pas l'homme ; mais
l'homme n'en fait aucun, que Dieu ne lui
fasse faire. Ainsi le désir du bien ne serait
pas dans l'homme de la part du Seigneur,
si ce désir n'était pas un bien ; mais dès lors
que c'est un bien, il n'est dans nous que par
celui qui est souverainement et immuable-
ment bon. Qu'est-ce, en effet, que le désir
du bien, sinon la charité, C[ui, selon saint
Jean, est de Dieu. Et qu'on ne dise pas que
le commencement de cette charité est de
nous, et que sa perfection vient de Dieu ; si
la charité vient de Dieu, comme le dit cet
apôtre, il faut qu'elle en vienne toute en-
tière. Dieu nous garde donc de donner ja-
mais dans cette fohe, continue saint Augus-
tin, que nous nous imaginions occuper la
pi'emière place dans les dons de Dieu, et lui
laisser la dernière ; pendant qu'il est écrit :
C'est sa miséricorde cj^ui me préviendra. Et
encore : Vous l'avez prévenu d'une bénédiction
Cap. X.
de douceur. Que peut-on entendre de mieux
par ces paroles, sinon le désir du bien?
Nous commençons à le désirer, quand il com-
mence à nous être doux et à nous plaire ; de
sorte que la grâce est une bénédiction de
douceur dont Dieu se sert pour faire que ses
commandements nous plaisent, et que nous
désirions de les observer, c'est-cà-dire que
nous les aimions. Mais s'il ne nous prévient
par sa grâce, non-seulement nous n'accom-
plissons point le bien, mais même nous ne
le commençons pas. »
Le saint Docteur ajoute que Dieu ne nous
commande rien dans les divines Écritures
qui tende à faire voir notre libre arbitre, qui
ne s'y trouve aussi nous être donné de sa
bonté, ou qu'il ne nous soit commandé de
demander à Dieu, afin de montrer le secours
de sa grâce. Il dit aussi que l'homme ne
commence en aucime manière de devenir
bon, par le commencement de la foi, de
mauvais qu'il était, si la gratuite miscri-
ricorde de Dieu n'opère en lui ce change-
ment; et qu'ainsi il faut concevoir l'eti'et de
la grâce dans l'homme d'une telle sorte,
que depuis le premier commencement d'une
bonne conversion, jusqu'à la fin d'une vertu
consommée, nul ne se glorifie que dans le Sei-
gneur, parce que, comme personne ne peut,
achever le bien sans le Seigneur, de même
personne ne peut le commencer sans le Sei-
gneur.
12. Saint Augustin continue dans le troi-
sième livre à Boniface de réfuter les calom- ^'°è!\^s° id
nies des dix-huit évêques pélagiens. Ils lui
reprochaient d'avoir dit que la loi de l'An-
cien Testament n'avait point été donnée,
afin qu'elle contribuât à la justification de
ceux qui l'accompliraient; mais afin qu'elle
devînt la cause d'un péché plus grave et plus
considérable. Ce Père nie le fait, et avoue
que la loi a été donnée, afin qu'elle servît à
la justification de ceux qui l'observeraient,
pourvu toutefois que l'on convienne que
l'obéissance à la loi est un efl'eî de la grâce.
Il accuse ces évêques de n'avoir pas compris
ce qu'il avait écrit sur ce sujet. La loi, en
défendant le péché, en augmentait le désir.
C'est pour cela qu'il est, dit -il, écrit que
la lettre tue, à moins que la grâce ne nous
donne la vie par son secours.
13. Les catholiques, ajoutaient ces évêques
pélagiens,' disen! que le baptême ne rend
pas les hommes véritablement nouveaux;
c'est-à-dire qu'il ne leur donne pas la pleine
Analyso du
troisième li-
Cap. t.
480
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
rémission de leurs péchés; en sorte que ce-
lui qui est baptisé est en partie enfant de
Dieu, et en partie enfant du siècle ou du
diable. «Nous ne disons pas cela, répond
saint Augustin, tous les hommes qui sont
enfants du diable, sont aussi enfants du siè-
cle ; mais tous les enfants du siècle, ne sont
pas enfants du diable. » Il appuie cette dis-
Luc. xx,34. tinction sur rÉvangile de saint Luc, où le
Seigneur appelle enfants du siècle, ceux
qui se marient, ou qui font marier les au-
tres. Et dès-lors on pouvait compter parmi
les enfants du siècle, Abraham, Isaac et Ja-
cob, et ceux-mêmes d'entre les fidèles qui
sont engagés dans le mariage. Mais ceux-là
sont proprement les enfants du diable, qui
n'ont pas la foi , et que saint Paul appelle
Etbcs.i],». enfants incréduiles et rebelles, et dans les-
quels il dit que le prince des puissances de
l'air agit. A l'égard du baptême, il enseigne
qu'il remet tous les péchés, soit de paroles,
soit d'actions, soit de pensées, soit originel,
soit actuels, soit de propos délibérés, soit
d'ignorance ; mais qu'il n'ôte pas l'infirmité,
c'est-à-dire la concupiscence à laquelle celui
qui est régénéré doit résister; il ajoute que
c'est non-seulement par le bain de cette ré-
génération, mais encore par la foi qui opère
.par l'amour, que Dieu distingue ses enfants
Rom.i, n. de ceux du diable; parce que le juste vit de
la foi.
Cap. IV. 14. Cela étant ainsi, qui d'entre les catho-
liques peut être accusé de dire ce que les
pélagiens publient que nous disons, savoir :
que le Saint-Esprit n'a point prêté son se-
cours à ceux qui dans l'Ancien Testament
pratiquaient la vertu? Pour mettre dans un
plus grand jour la vérité de la doctrine ca-
tholique sur ce point, saint Augustin distin-
gue dans l'Ancien Testament deux sortes de
personnes : les unes figurées par l'esclave,
et les autres par la femme libre. « Celles-là,
dit -il, appartiennent à l'ancienne alliance;
celles-ci à la nouvelle. Dans les premières ce
n'est point la foi qui opère par l'amour, mais
une crainte charnelle et une cupidité char-
nelle. Or, quiconque accomplit les préceptes
par ces motifs, ne les accomplit que malgré
lui; et, par conséquent, ne les accomplit
point dans le cœur, puisqu'il aimerait mieux
ne les point accomplir du tout, s'il le pou-
vait impunément, et sans préjudice de ses
désirs et de ses ci'aintes ; et dès-là même il
est coupable dans la propre volonté. Celles-
là sont les enfants de la Jérusalem terres-
tre, dont il est écrit dans saint Paul, qu'elle
est esclave avec ses enfants, qui appartient
à l'Ancien Testament établi sur le mont Sinaï,
qui n'engendre que des esclaves, et qui
est figurée par Agar. » Saint Augustin met
de ce nombre et les Juifs d'autrefois qui ont
crucifié Jésus - Christ , et qui ont persévéré
dans leur infidéhté, et les Juifs d'aujourd'hui
■ qui ne croient pas au Sauveur, et que Dieu
conserve, afin que le christianisme trouve
dans leurs livres un témoignage non-suspect
de la vérité. « Les seconds, poursuit-il, sont
ceux qui, étant sous la grâce, sont vivifiés par
le Saint-Esprit, et accomplissent les préceptes
par cette foi évangélique qui opère l'amour,
dans l'espérance des biens non charnels,
mais spirituels; non terrestres, mais célestes;
non temporels, mais éternels, s'appuyalit
principalement sur leur divin Médiateur,
parce qu'ils ne doutent point que l'Esprit
de la grâce ne puisse leur être donné pour
accomplir comme il faut les préceptes, et
que leurs péchés ne puissent leur être par-
donnés. Ceux-là appartiennent au Nouveau
Testament, et sont enfants de la promesse,
étant régénérés par un père qui est Dieu, et
par une mère qui est libre. C'est du nombre
de ceux-là qu'étaient tous les anciens justes,
et même Moïse, le ministre de l'Ancien Tes-
tament , et l'héritier du Nouveau ; parce
qu'ils ont vécu de la même foi que nous vi-
vons, étant chrétiens comme nous, quoi-
qu'ils n'en portassent pas le nom. La seule
différence, c'est qu'ils croyaient comme fu-
turs les mystères de Jésus-Christ, que nous
savons être accomplis. »
15. Les pélagiens reprochaient encore aux caii.
catholiques de ne reconnaître, ni dans les
apôtres, ni dans les prophètes une pleine
justice, et de se contenter de dire qu'ils
avaient été moins mauvais en comparaison
de plus méchants qu'eux. Saint Augustin
rejette cette calomnie avec indignation, et
dit que ces saints étaient vraiment justes,
parce qu'ils avaient la foi qui est la vie du
juste ; quoiqu'on doive dire que leur justice
n'ait point été exempte de ses fautes légè-
res, dont aucun n'est exempt en cette vie.
Il ajoute qu'il y a même une certaine mesure
de perfection qui convient à l'état de cette
vie, et qu'elle consiste principalement à re-
connaître que l'on n'y est pas encore parfait.
Il justifie encore les cathohques du repro- cop.
che que ces hérétiques leur faisaient de dire
que Jésus-Christ avait menti par la néces-
[iV' ET V° siècles/
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
site de la chair, et explique à cette occasion ce
que l'on appelle péché en Jésus-Christ quand
on dit qu 'il est venu dans la ressenijalance de
la chair du péché, qu'il a condamné le péclié
par le péché, et qu'il a été fait péché; sou-
tenant que toutes ces expressions ne signi-
fient autre chose, sinon que Jésus-Christ a
été un sacrifice d'expiation pour nos péchés,
étant d'usage de donner souvent le nom des
choses mêmes, à celles qui n'en sont que la
figure et la ressemblance. Il explique en-
core, pour réfuter une autre de leurs ca-
lomnies, comment nous espérons accomplir
parfaitement les commandements de Dieu
dans l'autre vie, où la charité aura toute son
étendue, et la justice toute sa perfection;
au lieu que l'une et l'autre peuvent toujours
être augmentées dans cette vie. C'est ce
qu'il prouve par l'exemple de saint Paul,
qui avoue avoir été sujet en cette vie à di-
verses infirmités, et dont il avait même be-
soin pour se perfectionner dans la vertu.
« Si donc, ajoute ce Père, l'on dit que quel-
qu'un est parfait en cette vie, on doit conve-
nir qu'une partie de sa perfection consiste h.
avouer ses fautes et ses infirmités. »
Saint Augustin explique ici trois choses
remarquables; la justice de la loi qui com-
mande ce qui plaît à Dieu, et qui défend ce
qui pent l'offenser; la justice dans la loi,
qui fait ce que la lettre ordonne, sans implo-
rer le secours de Dieu ; et la justice de Dieu,
qui se trouve lorscjue la foi opère par la
charité. Pour montrer qu'il n'y a point de
justice parfaite en cette vie, il raisonne
ainsi : <( On ne peut, sans folie dire qu'on
aime autant Dieu avant de le voir face à
face, qu'on l'aimera, lorsqu'on le verra en
cette manière. Or, s'il est vrai, comme on
n'en peut douter, que plus nous aimons Dieu
en cette vie, plus aussi nous sommes justes;
on ne peut douter non plus que notre justice
ne doive être perfectionnée lorsque notre
amour pour Dieu sera parfait. » Il fait voir
encore que selon la doctrine de l'Apôtre, on
ne pouvait être j.istifié par les œuvres de la
loi; qu'elle pouvait commander et non pas
aider; et qu'il n'y a que la gi'âce de Dieu
par Jésus-Christ qui secoure notre infirmité,
parce qu'autrement Jésus-Christ serait mort
en vain ; qu'ainsi tout homme qui vit selon
la justice de la loi, n'en a aucune véritable,
s'il vit sans la foi de Jésus- Christ ; qu'au reste
quoique notre justice soit imparfaite en ce
monde, elle ne laisse pas de nous faire mé-
IX.
481
riter la récompense d'une justice très-par"
faite dans l'autre vie.
IG. Saint Augustin fait consister l'hérésie
de Pelage en trois chefs principaux, à nier
le péché originel, à soutenir que la grâce se
donne selon les mérites, et que Ton peut
devenir parfaitement juste en cette vie.
Pour tromper les simples, ceux de cette
secte s'étendaient sur les louanges du ma-
riage, de la loi, de la créature, des saints et
du libre arbitre, comme si, dit ce Père, quel-
qu'un de nous méprisait ces choses, et n'en
disait point de bien en l'honneur du Créa-
teur et du Sauveur. « Mais, ajoute-t-il, la
créature ne veut pas tellement être louée,
qu'elle ne veuille aussi être guérie. » Il re-
lève ce qu'il y a de bon dans le mariage et
dans la loi, et dit en parlant du libre arbitre,
qu'il est captif dans les hommes qui sont
sous la puissance du démon par le péché
originel, et qu'il n'a de force en eux que
pour pécher; mais que pour vivre dans la
justice, il est sans force, si par la grâce de
Dieu il n'est délivré et secouru. D'où il in-
fère que tous les saints, soit de l'Ancien Tes-
tament, soit du Nouveau, doivent être loués
dans le Seigneur, et non pas dans eux-
mêmes. Car c'est d'eux que l'Apôtre dit :
Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le
Seigneur. Il oppose la doctrine catholique
sur tous les articles dont nous venons de
parler, à celle des manichéens et des péla-
giens. Et, après avoir montré qu'elle com-
bat également les uns et les autres, il en
conclut que c'était à toi't que ces derniers
les accusaient de manichéisme.
17. Dans le quatrième livre saint Augus-
tin continue de découvrir la fraude enfermée
sous les louanges que les pélagiens don-
naient à la créature, au mariage, à la loi,
au libre arbitre et aux saints. Ils louaient la
créature et le mariage pour ôter la croyance
du péché originel ; la loi et le libre arbitre
pour établir que la grâce se donnait selon
le mérite ; les saints pour montrer qu'il y
avait eu en cette vie des hommes exempts
du péché. Il fait voir que l'Église catholique
tenant le milieu entre les manichéens et les
pélagiens, enseign que la nature est bon-
ne, comme étant l'ouvrage de Dieu, qui est
bon ; mais qu'elle a besoin de la grâce du
Sauveur, à cause du péché originel que
nous tirons du premier homme, avec la né-
cessité de mourir ; que le mariage est bon
et institué de Dieu , mais que la concupis-
31
Cap. VIII.
1 Cor. r, 31.
Cap. IX et s.
Analyse du
quatrième li-
•vre, pag. 467.
Cap. i.
Cap. II.
Gap, m.
Cap. IV.
Cap. V.
482
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
eence, qiii y est survenue par le péché, est
mauvaise ; que la loi de Dieu est bonne,
Qii. iiifii. mais qu'elle ne fait que montrer le péché,
sans l'ôter, personne n'étant justifié devant
cnp. VI. Dieu par la loi ; que le libre arbitre est na-
turel à l'homme, mais qu'il est .tellement
captif maintenant, qu'il ne peut opérer la
justice, qu'après être délivré par la grâce.
Cap. m. Il xie peut sans ce secours pas même pousser
un soupir, ni former le premier désir de
Cap. T. cette liberté salutaire. Saint Augustin définit
cette grâce une inspiration du saint amour
qui nous fait accomplir en aimant, le bien
que nous connaissons. Il convient que ce
que la loi dit est très-vrai, savoir que celui
qui accomplit les commandements y trou-
vera la vie ; mais il ajoute que pour les ac-
complir et y trouver la vie, il est besoin non
de la loi qui commande, mais de la foi qui
obtient la grâce de les accomplir.
18. Les pëlagiens alléguaient en faveur
laai. 1, 19 61 du libre arbitre ces paroles d'Isaïe : Si vous
voulez m'écoute}', vous mangerez les biens de la
terre ; sinon vous périrez par le glaive. Saint
Augustin répond qu'il n'y a en cela rien qui
puisse nuire aux catholiques, qui savent
l'Tm. y:ii. qu'jj ggt ^,,pjt q^-,g Q'gg^ £)^g^^ g^^^ prépare la
volonté. Il y ajoute un endroit des Psaumes
qui pouvait seul renverser le système de
Pelage. C'est celui où il est dit qu'en tout ce
Psai. LTiii, que nous faisons selon Dieu, sa miséricorde
nous prévient. Car un des articles principaux
de cette hérésie était de dire que la grâce se
donnait aux mérites, en sorte que c'était la
volonté de l'homme qui prévenait, et non la
miséricorde de Dieu. Saint Augustin rap-
porte plusieurs passages qui prouvent que la
grâce nous est nécessaire, qu'elle nous pré-
vient, et qu'elle nous est donnée gratuite-
icor. iT,7. ment; entr'autres ceux-ci : Qu'avez-vous nue
Joan. XV, 6. . ^ 2
Hom. XII, 3. ')}ous n ayez reçu ! bans moi vous ne vouvez rien
Joan
Kom. XII, 3. yous Kai/cz rcçu : inans moi vous ne pouvez rien
««''àsV"'' Z"^^''^- L'esprit de Dieu souffle où il veut. Per-
sonne ne peut venir à moi, s'il ne lui est donné
par mon Père. Je vous donnerai un cœur de
chair et un esprit nouveau, et je ferai que vous
marchiez dans la justice, et que vous observiez
mes commandements. Il montre encore par le
Psaume xcxiv, que c'est Dieu qui fait de
nous ses brebis, et qu'en ce sens même nous
sommes l'ouvrage de ses mains. Puis il
ajoute en s'adressant aux pélagiens : « C'est
en vain que vous m'alléguez le libre arbitre,
puisqu'il ne sera libre pour faire le bien,
que lorsque vous serez devenu une des bre-
bis de Jésus-Christ. Celui donc qui fait des
hommes ses brebis, est le même qui délivre
les volontés des hommes pour lem' faire
pratiquer une obéissance religieuse à ses
commandements. Or, pourquoi fait-il ceux-
ci ses brebis, non pas ceux-là, lui qui ne fait
point acception de personnes?» C'est la ques-
tion même sur laquelle l'Apôtre dit à ceux
qui la proposaient avec plus de curiosité que
d'intelligence : 0 homme ! qui étes-vous pour
disputer avec Dieu ? »
19. A l'égard des éloges que les pélagiens
donnaient aux saints, ce Père répond que
la justice des saints, soit de l'Ancien, soit
du Nouveau Testament, a été véritable, mais
non parfaite. C'est ce qu'il prouve par l'O-
raison dominicale où tous les saints recon-
naissent dans toute la terre qu'ils sont cou-
pables de quelques péchés, puisqu'ils de-
mandent dans cette prière, que Dieu les leur
pardonne. Il le prouve encore par ces paro-
les de saint Jean : Si nous disons que nous
sommes saiis péchés, noies nous séduisons nous-
mêmes, et la vérité n'est point en nous ; et enfin
par l'état présent de l'Église qui n'est pas
sans tache ni ride, puisque ceux qui en sont
les membres, se reconnaissent pécheurs. Il
avoue que l'Esprit Saint a non - seulement
aidé les bonnes âmes des saints de l'Ancien
Testament, ce qu'avouaient aussi les péla-
giens ; mais il soutient encore que ce même
Esprit les a fait bonnes ; ce que ces héréti-
ques niaient.
20. Ensuite il rapporte
de passages de saint Cyprien plus ancien
que les manichéens, et de saint Ambroise
qui avait vécu avant la naissance de l'héré-
sie pélagienne, et montre que ces deux
grands évoques ont enseigné clairement une
doctrine toute contraire à celle de ces deux
sectes ; et qu'ils ont reconnu que tous les
hommes naissent infectés du péché originel;
que tant ce péché que les actuels sont remis
dans le baptême ; que personne même de-
puis le baptême n'a vécu en ce monde dans
une justice parfaite ; que ce n'est point en
nous-mêmes, mais en Dieu que nous devons
nous glorifier lorsque nous faisons quelques
bonnes actions ; que la grâce nous prévient
de telle sorte, que nous ne pouvons com-
mencer d'être bons sans elle ; et que c'est
pour cela que nous demandons à Dieu pour
ceux qui résistent encore à la vérité, que
Dieu les change dételle sorte qu'ils veuillent
ce qu'ils ne voulaient point auparavant. Il
ajoute que la doctrine que ces Pères et plu-
un grand nombre
Cap. Vî
[iV" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
sieurs autres ont enseignée avec eux sur
ces points, est conforme à celle des divines
Écritures, la même que l'Eglise chrétienne
et catliolique a reçue par tradition, et con-
servée jusqu'à nos jours ; qu'ils ont recon-
nu que la créature est l'ouvrage de Dieu,
que le mariage est institué de lui, que c'est
Dieu qui a donné la loi par Moïse, que
le libre arbitre est naturel à l'homme , et
enfin que les saints patriarches et les pro-
phètes étaient dignes de louanges ; mais
qu'ils ont enseigné en même temps que nous
naissons avec le péché originel, que la grâce
est au-dessus du libre arbitre, qu'elle pré-
cède toiit mérite, qu'elle est un secours
vraiment gratuit, et que les saints ont vécu
dans la chair dans un degré de justice qui
leur rendait la prière nécessaire ,pour ob-
tenir par ce moyen la rémission des péchés
journaliers, et que la justice parfaite qu'ils
auront dans l'autre vie sera une récompense
de celle qu'ils ont euk en celle-ci.
21. Gomme les pélagiens se plaignaient
que pour condamner leur doctrine, on avait
extorqué des signatures aux évêques dis-
persés dans leurs sièges, sans les avoir as-
semblés en concile , saint Augustin leur ré-
pond : «En a-t-on extorqué de saint Cyprien
et de saint Anibroise, qui ont combattu et
renversé ces dogmes impies avant la nais-
sance de ceux qui les ont défendus? n Qii'é-
tait-il besoin de concile pour condamner des
erreurs si manifestes? N'y a-t-il donc eu ja-
mais d'hérésies qui n'aient été condamnées
que dans des conciles ? ou plutôt n'a-t-il pas
été rare d'en assembler pour condamner les
hérésies qui se sont élevées ? Et la plupart
n'ont-elles pas été condamnées d'abord dans
les lieux où elles ont pris naissance, et en-
suite détestées partout où elles ont été con-
nues ? » Mais les pélagiens cpii vantaient
tant lem- libre arbitre, et qui aimaient mieux
s'y glorifier qu'en Dieu, avaient encore la
vanité de vouloir mettre en mouvement tous
les évêques, et les assembler en concile de
toutes les parties de l'orient et de l'occident.
Saint Augustin rejette avec mépris de pa-
reilles prétentions, et dit que puisque leurs
erreurs ont été condamnées après avoir été
suffisamment et dûment examinées, il faut
écraser comme des loups ceux qui les sou-
483
tiendront à l'avenir, soit pour les guérir,
soit pour préserver les autres de cette con-
tagion.
§X.
Des SIX Livres contre Julien.
1. Julien, que saint Augustin combat
dans ces six hvres, était de la Fouille, fils
de Mémor % évêque d'une grande piété, et
de Julienne, dame de quafité et de vertu. Il
fut baptisé n'étant qu'enfant - , ensuite mis
au rang des clercs, et fait lecteur. Etant
dans un âge plus avancé, son père le maria
avec une fiUe de condition nommée Ja ; et
saint Paulin, évêque de Noie, qui était très-
uni d'amitié avec Mémor ^, fit leur épitha-
lame, que nous avons encore. Soit que la
femme de Julien fut morte, soit qu'il vécut
en continence avec elle, comme saint Paulin
les y avait exhortés, Julien fut fait diacre
étant encore jeune, comme on le voit par
une lettre de saint Augustin à Mémor *,
pleine d'amitié pour lui et pour Julien. Ce
Père disait encore ° depuis la mort de Mé-
mor, qu'il ne pouvait oublier l'étroite amitié
qui s'était formée entr'eux par un com-
merce de lettres, et qui avait fait naître en
lui des sentiments d'une tendresse particu-
lière pour Julien. Le pape Innocent I" l'or-
donna évêque d'Éclane, ville dans la Cam-
panie à quelques lieues de Bénévent. Ce fut
sans doute pendant son séjour à Rome qu'il
fut instruit dans l'hérésie par Pelage même.
Mais il n'osa s'en déclarer ouvertement le
partisan tant que ce saint pape vécut. Il fut
toutefois du nombre de ceux qui refusèrent
de souscrire à la sentence que le pape Zo-
sime rendit en 418, contre les pélagiens. Ce
fut pour ce sujet qu'il le déposa de l'épisco-
pat ", et qu'on le chassa d'Itahe. Gennade '
raconte de lui que dans un temps de famine
et de misère, il avait distribué ses biens aux
pauvres, et attiré, par cette apparence de
charité, beaucoup de personnes à son hé-
résie , particulièrement des personnes de
condition , et qui faisaient profession de
vertu. Mais depuis la mort de son père et de
sa mère, ses mœurs ne se corrompirent pas
moins que sa foi, et des auteurs du temps '
lui reprochent des fautes considérables tou-
1 August., lib. I in Jul., cap. iv. —
imperf., cap. ii. — ^ Paulin, can. 14.
* August., Ep,ist. loi.
Lib. II Op. ° Lib. I Cont. Jul, cap. vu. — « Lib. I Op.
imp., cap. xvni. — '' Gen., I De Scrip. eccl., cap.
XLV. — 8 Mercator, lib. Sub not., cap. iv.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
484
chant la pureté. Après avoir quitté l'Italie,
il courut les mers et les terres avec les par-
tisans de son erreur, et se retira enfin dans
la Cilicie chez Théodore de Mopsueste, où il
continua à écrire contre saint Augustin. On
ne voit point ce qu'il devint depuis, jus-
qu'en 428, qu'il fut chassé de Gonstantinople
par Théodose. Il est marqué le premier
après Pelage et Célestius, entre les pélagiens
dont la condamnation fut lue et confirmée
en 431, par le concile d'Éphèse '. Il tâcha '^
sous le pontificat de Sixte en 439, de rentrer
clans la communion de l'Église, enseignant
de s'être corrigé ; mais ce pape, ayant dé-
couvei't ses ruses, ferma toutes les ouvertu-
res à ses desseins criminels. Ne pouvant
donc recouvrer la dignité épiscopale par ses
artifices, il quitta une seconde fois l'Itahe,
et vint à Lerins où il vécut durant quelques
mois avec Fauste, depuis évêque de Ries.
Le pape Sixte étant mort, Julien revint en-
core en Italie, d'où il fut contraint de sortir
une troisième fois par les ordres de saint
Léon successeur de Sixte. C'est au moins
ce qu'insinue assez clairement l'auteur du
livre des Promesses ^, lorsqu'il dit que ce
saint pape brisa les pélagiens, et particuliè-
rement Julien. Sa dernière retraite fut dans
un village de Sicile, où il s'occupa à ensei-
gner les lettres à ceux de sa secte : emploi
que saint Augustin lui * avait destiné depuis
longtemps , comme le plus convenable à
l'attache qu'il avait aux sciences humaines,
et à la vanité qu'il en tirait. II avait au juge-
ment de Gennade ^ un esprit vif et ardent,
une grande connaissance des Écritures, et
beaucoup d'érudition dans les lettres grec-
ques et latines, dont il se glorifiait extrê-
mement. Comme il prétendait avoir appris
toutes les subtihtés renfei'mées dans les Ca-
tégories d'Aristote, il affectait ^ d'eu faire
usage partout pour confondre ses adversai-
res dans la dispute ; mais ses arguments
n'avaient ni solidité ni force, et son élo-
quence était aussi aveugle que vaine '', di-
sant cfuelquefois pour la faire paraître, des
choses qui étaient contre lui-même. Mais au
défaut de raison, il se répandait en injures
et en calomnies ', n'épargnant personne ',
pas même les plus saints docteurs de l'Égli-
se. On connaît de lui deux lettres '" au pape 1
Zosime sur les matières de la grâce ; quatre
livres pour réfuter le premier de saint Au-
gustin qui a pour titre du Mariage et de la
concupiscence ; huit livres pour répondre au
second de ce Père sm* la même matière ; et
un dialogue " où lui et saint Augustin dis-
putaient l'un contre l'autre ; quelques-uns
le fout aussi auteur d'un commentaire sur
les Cantiques *', précédé d'un livre intitulé
de l'Amour, parce qu'il y montrait la diffé-
rence de l'amour sacré et du profane ; et
un livre qui avait pour titre dic Bien de la
constance.
2. Saint Augustin met les six hvres qu'il „.,';"„"',',
composa contre Julien '', après les quatre à i'Ii".'""'''
Boniface. Ainsi on ne peut les placer qu'a-
près l'an 420, et ce qui confirme cette épo-
que, c'est qu'il est parlé dans le premier '*,
de la mort de saint Jérôme arrivée le 30 de
septembre de la même année. Ils sont adres-
sés à un évêque nommé Claude, qui lui
avait envoyé les quatre livres de Julien, sans
même qu'il les lui eût demandés.
3. Julien prétendait qu'il fallait absolu- adsIs-o
. . , , -, premier li>
ment condamner le mariage, si Ion admet- p=s. vjv.
tait un péché originel ; et traitait saint Au-
gustin et les catholiques de manichéens,
parce qu'ils enseignaient que tous les hom-
mes qui viennent au monde par la voie du
mariage, naissent coupables du péché de cap. i et
nos premiers pères. En accusant ainsi faus-
sement les catholiques d'être dans l'erreur
des manichéens, il ne faisait qu'imiter Jovi-
nieu qui les avait chargés de la même ca-
lomnie. C'est pourquoi saint Augustin lui
dit : « Comme les catholiques avaient alors
méprisé les injures de Jovinien, et avaient
toujours cru que Marie ét.iit demeurée toute
pure et toute vierge après l'enfantement, et
que notre 'Seigneur avait pris d'elle eu nais-
sant, non un corps fantastique, mais vérita-
ble ; de même aujourd'hui ils mépriseront
les discours vains de Julien, par lesquels il
leur impute de faux crimes ; et sans admet-
tre, avec les manichéens, un principe naturel
du mal, ils continueront de croire selon l'an-
cienne doctrine de l'Église, que Jésus-Christ
1 Tom. III Conc, pag. 6G5. — ^ Prosp. in Chron. * Prosp. in Collât., cap. sli. — ^ .Mercator, Sub
ad an. 439. — 3 Pi-osp., lib. IV De Promis., cap. v[. 71. prol. § 12. — '"• August., lib. I Op. imperf.,
' Lib. II Op. imper f , cap. li. — ^ Genuad., De cap. xvni. — " Geu., cap. xlv. — " Beda, tom.
Scrip., cap. .xlv. — ^ Aiigust., lib. I Conl. Jul,, IV, pag. 714 et 718.
cap. IV. '' Lib. 11 Relrac, cap. lu.
' Lib. VI Cont. lui, cap. xiv. '^ Lib. 1, num. 3i.
[IV'' ET V* SIÈCLES.'
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
est devenu le Sauveur des enfants, en ef-
ip.m, façant la cédule, et en acquittant ce que nos
premiers pères devaient à ia'justice de Dieu. »
Il fait voir à Julien que l'accusation de ma-
nichéisme tombait sur les plus illustres dé-
fenseurs de la foi catholique , comme sur
saint Irénée évèque de Lyon, presque con-
temporain des apôtres ; sur le bienheureux
évêque et martyr Cyprien ; sur Réticius,
évèque d'Autun, homme d'une grande au-
torité, et un des premiers du concile tenu
à Rome, où Miltiade, évèque du Siège apos-
tolique, présidait , et où Donat , premier
auteur du schisme des donatistes, fut con-
damné, et Cécilien, évêque de Carthage, dé-
claré absous; sur Olympius, évèque d'Espa-
gne, qui s'était acquis tant de gloire devant
Jésus-Christ et devant l'Église ; sur saint
Hilaire, cet évèque des Gaules si respecta-
ble, ce défenseur si zélé de l'Église catholi-
que contre les hérétiques, et si illustre par-
mi les évèques ; sur saint Ambroise , cet
iT- excellent dispensateur du trésor de Dieu, et
si célèbre dans l'Église par les services qu'il
a rendus à la religion, par sa fermeté, par
ses travaux, par les périls où il s'est exposé
pour la foi catholique, en un mot, par ses
oeuvres et par ses paroles : sur le bienheu-
reux Innocent, et sur les évèques des con-
ciles de Carlbage et de Milève, qui tous ont
cru, comme tous les chrétiens sont obligés
de le croire, que les enfants naissent mal-
heureux, et qu'ils ont besoin d'être déli-
vrés, par la grâce de Jésus-Christ, du péché
originel, qu'ils ont contracté par la naissance
charnelle qu'ils tirent d'Adam. Saint Augus-
tin rapporte plusieurs passages de tous ces
écrivains ecclésiastiques, très-clairs et très-
précis sur cette matière. Parce que Julien
se serait peut-être cru en droit de les mé-
priser, parce qu'ils étaient tous de rÉghse
d'occident, il en rapporte des Pères grecs,
pour montrer qu'ils ont été dans une par-
faite unanimité avec les Pères latins sur le
dogme du péché originel ; savoir de saint
Grégoire de Nazianze, de saint Basile, des
quatorze évèques du concile de Diospolis en
Palestine, et de saint Chrysostôme.
'I. 4. Ce dernier avait dit dans une de ses
homélies, suivant la traduction de Juhen,
que nous baptisons les enfants qui ne sont pas
souillés par le péché, afin qu'ils reçoivent la
sainteté, la justice, l'adoption des enfants, le
droit à l'héritage, la qualité de frère de Jésus-
Christ, et qu'ils en deviennent les membres.
D'où Julien inférait que saint Chrysostôme
ne reconnaissait point dans les enfants un
péché oi'iginel. « Mais, lui répond saint Au-
gustin, vous changez ces paroles pour lui
faire autoriser vos erreurs. 11 a dit, non que
les petits enfants n'ont point absolument de
péchés, mais qu'ils n'ont pas de péché qui
leur soit propre. Saint Cyprien aurait pu
dire la même chose que l'évêque Jean, en
parlant des enfants. Car il dit ' qu'un en-
fant qui vient de naître n'a commis aucun
péché, et qu'il reçoit la rémission, non de
ses propres péchés, mais des péchés étran-
gers. L'évêque Jean comparant donc les
enfants à ceux qui sont plus âgés, et qui
reçoivent dans le baptême la rémission de
leurs propres péchés, a dit, qu'ils n'ont pas
de péché, et non comme vous lui faites dire,
qu'ils ne sont souillés d'aucun péché ; par où
vous voudriez faire entendre qu'ils ne sont
pas souillés par le péché du premier homme.
Voici les propres paroles de cet évêque :
C'est pour cela que nous baptisons aussi les
enfants, quoique n'ayant pas de péché. Mais
pourquoi, me direz-vous, n'a-t-il pas ajouté
ce mot propre? Je ne crois pas qu'il en faille
chercher d'autre raison, sinon que parlant
dans l'Église cathoUque, il ne croyait pas
qu'on prit l'entendre autremeirt , en un
temps où personne n'avait encore formé
sur cela les moindres doutes. Voulez-vous
entendre ce qu'il dit dans un autre discours
où il s'explique clairement sur ce sujet?
C'est dans sa lettre à Olympia, où il dit :
Après qu'Adam eut commis ce grand péché,
qui a entraîné la condamnation et la perte de
tout le genre humain, il en fut puni par les
afflictions qu'il eut à souffrir. Et dans le ser-
mon sur la résurrection de Lazare : Jésus-
Christ pleurait, dit-il, parce qu'il considérait
que l'homme était tellement déchu de son état,
qu'après avoir perdu l'espérance d'être immor-
tel, il était réduit à aimer son tombeau. Jésus-
Christ pleurait, parce que le diable avait rendu
mortels ceux qui pouvaient s'assurer l'immor-
talité. Que peut-on dire de plus exprès?
Si Adam par l'énorme péché qu'il a com-
mis, a entraîné la condamnation de tout le
genre humain, comment pouvez- vous dire,
que les enfants, en naissant, ne sont pas
sujets à la condamnation? Si Lazare nous
représente tous les hommes devenus mor-
tels, et qui, après être déchus de l'espérance
' Cypriamis, Epist. 64 ad Tridum.
486
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
d'être immortels, en sont venus jusqu'à ai-
mer leurs tomlieaux , quel est l'homme
mortel qui ne doive se ressentir du péché,
et de la chute par laquelle le premier homme
a perdu l'immortalité qu'il avait reçue, et
qu'il aurait conservée, s'il n'eut pas péché ?
Si le diable a rendu mortels tous ceux qui
pouvaient être immortels, d'où vient que les
enfants meurent, s'ils ne sont pas devenus
coupables par le péché du premier homme ? »
Saint Augustin renvoie Julien au sermon
même d'où il avait tiré son objection, et où
en effet saint Chrysostôme s'explique sans
équivoque sur la transmission du péché ori-
ginel. Jésus-Christ, dit-il, est venu au monde,
et il nous a trouvés liés, aussi bien que nos pères,
par une cédule écrite de la propre main d'A-
dam. C'est par sa faute que nous sommes entrés
dans un malheureux engagement ; mais par nos
propres péchés nous avons contracté de nouvelles
dettes. <( Entendez-vous, ô Julien, cet hom-
me si savant et si capable d'instruire les
autres des vérités de la foi catholique, qui
distingue la dette contractée par notre pre-
mier père, et qui a passé comme un héritage
à tous ses enfants, d'avec celles que nous
avons contractées nous-mêmes, et dont nous
nous sommes chargés par nos propres pé-
chés. » Le saint évêque rapporte plusieurs
autres passages des discours de saint Jean
Chrysostôme, tous conformes à la doctrine
Cap. TH. de l'Église catholique sur le péché originel,
faisant remarquer à Julien qu'au lieu de tirer
avantage des paroles de ce Père, il n'avait,
en les rapportant, que fait voir son igno-
rance ou sa mauvaise foi.
Cap. Tin. 5. Il lui fait encore remarquer que tous
les grands hommes dont il venait de rap-
porter les témoignages , n'étaient pas , com-
me l'avait écrit Julien , d'un style mordant
et satyrique, une conspiration de gens perdus ;
et que ce n'était pas seulement le cri du peu-
ple que les catholiques opposaient aux péla-
giens , mais les Pères de l'Église même , et
psai. xL,n. ceux dont il est écrit : Vous les établirez prin-
ces sur toute la terre. 11 montre que l'union
de tous ces saints évêques forme comme un
concile, et qu'ils sont tous parfaitement d'ac-
cord dans la doctrine du péché originel.
Pour rendre la chose plus sensible, il donne
un précis des passages qu'il en avait cités
auparavant. « Saint Irénée dit que l'ancienne
blessure que nous a faite le serpent , est
guérie par la foi en Jésus-Christ et par sa
croix; et que, par le péché du premier hom-
me , nous sommes tous devenus esclaves.
Saint Cyprien dit qu'un petit enfant ne peut
manquer de périr, s'il n'est baptisé, quoi-
que les péchés dont il faut qu'il reçoive la
rémission , soient des péchés étrangers , et
non des péchés qui lui soient propres. Saint
Réticius dit que les péchés du vieil homme ,
dont nous nous dépouillons dans la nouvelle
naissance que nous recevons par l'eau du
baptême, ne sont pas seulement d'anciens
péchés, mais encore des péchés pour ainsi
dire naissants avec nous. Saint Olympius dit
que le péché du premier homme s'est commu-
niqué à ses descendants de telle sorte , que
l'homme naît avec le péché. Saint Hilaire
dit qu'il n'y a point de chair qui n'ait été
souillée par le péché , si ce n'est la chair de
Celui qui s'est revêtu d'une chair semblable
à la chair du péché , sans prendre part à la
contagion du péché. Saint Ambroise dit que
la grâce du baptême forme de nouveau ,
dans les petits enfants , l'image de Dieu ,
que la nature humaine aA'ait reçue en sa créa-
tion , et qui avait été défigurée par la cor-
ruption du péché. Saint Grégoire de Na-
zianze dit que la régénération qui se fait par
l'eau et par le Saint-Esprit , nous purifie des
taches de notre première naissance par les-
quelles nous sommes conçus dans l'iniquité.
Saint Basile dit qu'Eve, pour n'avoir pas
voulu s'abstenir du fruit défendu , nous a
attiré la maladie du péché. Les évêques du
concile de Diospolis disent tous d'une même
bouche : Nous n'avons déclaré Pelage ab-
sous , que parce qu'il a condamné ceux qui
enseignent que les enfants entrent dans la
vie éternelle, quoiqu'ils ne soient point bap-
tisés. Le saint évêque Jean dit , qu'avant le
péché de l'homme , les animaux lui étaient
soumis en toute manière ; mais qu'après le
péché nous avons commencé à les craindre ;
tant il est vrai qu'il a voulu qu'on crût que
le péché du premier homme est devenu
commun à tous les hommes. Par où il est
aisé de voir qu'aucun des animaux ne bles-
serait les enfants, si, par la naissance char-
nelle, ils ne se trouvaient engagés dans les
liens du péché. »
6. (( A la YxiG. de tant de saints et savants cap. m.
personnages que vous avez devant les yeux,
dit saint Augustin à Julien, croirez-vous en-
core que notre cause est si désespérée, que
parmi tant de gens qui paraissent pour nous,
on ne sawait trouver un seul homme capable
de la défendre? ou bien direz -vous qu'un
[Vf' ET V SIÈCLES.] SAESfT AUGUSTIN,
accord si parfait des évêques catholiques,
n'est qa'iine compii'ation de gens perdus?
Quoique saint Jérôme n'ait été que prêtre ,
ne vous imaginez pas qu'il vous soit permis
de mépriser son témoignage. Car il a passé
de l'Église d'occident à celle d'orient, et il a
vécu jusqu'à un âge décrépit dans les lieux
saints, toujours occupé de l'étude des livres
sacrés. Il' avait lu presque tous les auteurs ,
qui, parmi les occidentaux ou les orientaux,
avaient écrit quelque chose avant lui sur les
matières ecclésiastiques. Aussi, n'a-t-il ja-
mais rien écrit ou dit sur ce qui fait le su-
jet de notre différend , qui ne soit très-con-
forme au sentiment de tous les grands hom-
mes que j'ai cités. Dans son Commentaire
sur le prophète Jonas , il dit très-clairement
que les enfants mêmes ne sont pas exempts
de la contagion du péché d'Adam. »
Le saint évêque presse ensuite Julien par
les témoignages d'une sincère et ardente
charité , d'abandonner des erreurs oii une
jeunesse moins intruite l'avait engagé. Il le
fait souvenir de ce qui s'était passé à son
baptême , pour lui rappeler les grâces qu'il
y avait reçues, et qui étaient en même temps
des preuves de la doctrine de l'Église sur le
péché originel. « A quelqu'âge que vous ayez
été baptisé , lui dit-il , ou le péché originel
que vous niez , vous a été remis par le bap-
tême , lorsqu'il n'y avait encore en vous au-
cun autre péché ; ou il vous a été remis avec
les autres péchés dans ce sacrement. C'est
pour ce sujet qu'on vous a exorcisé, et qu'on
a soufflé sur vous, afin que, arraché de la
puissance des ténèbres , vous fussiez trans-
féré dans le royaume de Jésus -Christ. »
7. Après avoir ainsi établi la croyance du
péché originel , saint Augustin fait voir que
Julien donnait, en le niant, un très-grand
avantage aux; manichéens. Ces hérétiques
étabhssaient deux natures , une bonne et
l'autre mauvaise , qui venaient de deux
principes différents , tous deux éternels et
opposés l'un à l'autre. « La foi catholique
au contraire, dit le saint Docteur, ne recon-
naît rien d'éternel que la nature de Dieu ,
qui est la même chose que la Trinité ineffa-
ble et le bien souverain et immuable , qui
a formé toutes les créatures, qui sont toutes
bonnes , quoique fort inégales en bonté au
Créateur; parce qu'elles ont été tirées du
néant, et que par conséquent elles sont
muables et sujettes au changement, de sorte
qu'il n'y a absolument aucune nature qui ne
ÉVÊQUE D'HEPPONE. 487
soit ou Dieu , ou créature de Dieu ; et qu'il
n'y a aucune nature, quelle qu'elle soit, qui
ne soit bonne. Aussi quand les manichéens
nous demandent d'où vient le mal , nous
leur répondons que c'est d'une nature qui
est bonne , mais non de celle qui est souve-
rainement et immuablement bonne. Le mal
vient donc de quelqu'une de ces natures,
qui étant bonnes , sont néanmoins muables ,
et dans un ordre inférieur au souverain
bien. Et quoique nous disions que le mal
n'est pas une nature, mais un simple défaut
de quelque nature , nous ne laissons pas de
reconnaître en même temps , qu'il n'y a
point de mal dont cpielque nature ne soit la
cause, et que le mal n'est autre chose qu'un
défaut par lequel on s'éloigne de la bonté.
Mais de qui peut-être ce défaut, sinon de
quelque nature , puisque la mauvaise vo-
lonté nîême ne peut être que la volonté de
quelque nature, telles que sont la nature de
l'ange et celle de l'homme : car il ne se
peut pas faire qu'une volonté ne soit la vo-
lonté de quelqu'une de ces natures. C'est
aussi la volonté qui leur donne à chacune
le caractère de bonté ou de malice. En effet
si on demande quel jugement il faut porter
d'un ange ou d'un homme dont la volonté
est mauvaise ; on répond sans difficulté ,
qu'U faut dire qu'il est mauvais , parce que
sa volonté est mauvaise, quelque bonne que
soit sa nature. »
C'est ainsi que saint Augustin combat les
manichéens qui , en établissant que le bien
et le mal sont deux substances opposées
entr'elles, soutenaient aussi que le mal même
avait pom- principe une mauvaise nature,
comme le bien en avait une bonne. Il fait
voir que Julien, en disant que le mal ne
pouvait venir de ce qui est bon, et qu'en
enseignant qu'un mauvais fruit, tel qu'est
le péché originel, ne pouvait venir du ma-
riage qui est bon en lui-même , favorisait
ouvertement les principes des manichéens.
Il le combat aussi par ce raisonnement :
« Vous ne vous apercevez pas qu'en di-
sant que le mariage est un bon arbre, vous
vous trouvez Sans la nécessité de dire aussi
que l'adultère est un mauvais arbre ; et que
comme celui qui naît d'un légitime mariage,
doit, selon vous, naître sans péché, puis-
qu'on ne peut pas dire qu'un mauvais fruit
naisse d'un bon arbre, vous ne sauriez aussi
vous empêcher de recomiaitre, que celui
qui naît d'un adultère ne saurait naître sans
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTJÎURS ECCLÉSIASTIQUES.
488
péché ; puisqu'il n'est pas permis de dire
qu'un bon fruit naisse d'un mauvais arbre.
C'est ainsi que vous fomnissez à Manichée
un argument contre vous-même ; et il tire
de vos propres paroles, tant d'avantages
pour autoriser ses erreurs, qu'il ne désire
rien plus que de vous entendi'e dire que le
mal soit produit par ce qui est bon. Car, cette
proposition une fois avouée, il tire ses con-
séquences, et vous dit : Si le mal ne peut
venir de ce qui est bon, d'où viendra-t-il,
sinon d'une nature mauvaise, ou d'un mau-
vais principe? Au contraire, les paroles de
Jésus-Christ, bien entendues, c'est-à-dire de
la volonté bonne ou mauvaise, dont les
fruits sont les œuvres, condamnent en mê-
me temps, et l'erreur des manichéens et la
vôtre : ceUe des manichéens, parce qu'un
seul homme, qui est une seule nature, peut
produire et le bon et le mauvais arbre ; la
vôtre, parce qu'une nature qui est bonne,
peut produire un mauvais arbre. »
Julien avait dit encore que le péché ue
peut se communiquer par la natui'e, parce
qu'il ne se peut faire, que l'ouvrage du dia-
ble passe parce qui est l'ouvrage de Dieu.
C'était encore favoriser l'hérésie des mani-
chéens qui ne voulaient pas que le mal pût
venir de l'ouvrage de Dieu qui est bon : car
s'il ne se peut faire que le mal passe par
l'ouvrage de Dieu, il est encore moins pos-
sible qu'il y prenne naissance. Mais saint
Augustin fait voir par un exemple la possi-
bilité de l'un et de l'autre. « Vous n'avez
qu'à vous ressouvenir du diable, dit-il à Ju-
lien, il est incontestablement l'ouvrage de
Dieu, et sa nature est la même que ceUe
des anges ; toutefois il n'est pas moins cer-
tain qu'il a donné naissance à l'envie, et que
l'envie qui est son ouvrage demeure en
lui. » Julien en objectait qu'on ne pouvait
mettre la racine du mal dans ce qui est ap-
pelle don de Diou, et par ce principe il pré-
tendait faire disparaître le péché originel.
Sur quoi saint Augustin lui fait cette ques-
tion : « L'esprit de l'homme n'est-il pas un
don de Dieu? N'est-ce pas néanmoins dans
cet esprit où l'ennemi qui sente des maux,
a placé la racine du mal, lorsque se cachant
sous la figure d'un serpent, il persuada à
l'homme de violer la loi de Dieu ? L'avarice
n'esl-elle pas la racine de tous les maux?
Et où réside-t-elle cette avarice, sinon dans
le cœur de l'homme qui est un don de
Dieu? » C'était encore parler le langage des
manichéens, de dire, comme faisait Juhen,
que la raison ne nous permet pas de penser
que le mal prenne sa naissance dans ce qui
est bon. Saint Augustin réfute cette erreur
par les paroles de saint Ambroise, qui, dans
le livre qu'il a écrit sur Isaac et sur l'Ame,
dit : « Qu'est-ce que le mal, sinon la priva-
tion du bien ? Et dans un autre endroit : Le
mal est donc venu de ce qui était bon ? Car
les créatures ne sont mauvaises, qu'autant
qu'elles sont dans la privation du bien. Les
choses mauvaises ont néanmoins servi à
faire paraître avec plus d'éclat celles qui
sont bonnes. La racine du mal n'est donc
autre chose que la privation du bien. »
8. Tous les raisonnements de Julien se
réduisaient à établir cinq articles qui ser-
vaient de base à l'hérésie des pélagiens. Il
disait : Si Dieu est le créateur des hommes,
il n'est pas possible qu'ils viennent au monde
avec quelque chose de mauvais; si le ma-
riage est bon, il ne peut rien produire de
mauvais; si tous les péchés sont remis dans
le baptême, ceux qui naissent de parents
régénérés ne peuvent pas tirer d'eux le pé-
ché originel ; si Dieu est juste, il ne peut pas
punir les péchés des pères dans les enfants,
puisqu'il pardonne même aux enfants leurs
propres péchés ; si la nature humaine est ca-
pable d'acquérir une parfaite justice , on ne
peut donc pas dire qu'elle ait des vices na-
turels. « A ces raisonnements nous répon-
dons, dit saint Augustin, que Dieu est le
Créateur des hommes, c'est-à-dire de l'âme
et du corps ; que le mariage est bon ; cpie tous
les. péchés nous sont remis par le baptême
de Jésus-Christ; que Dieu est juste; que la
nature humaine est capable d'acquérir une
parfaite justice; et que quoique tout cela
soit vrai, il ne l'est pas moins que les hom-
mes apportent en naissant le péché originel
qui vient du premier homme, et que, par
conséquent, ils sont damnés s'ils ne renais-
sent en Jésus-Christ par le baptême; que
quelque souillée que soit la nature, le ma-
riage n'est pas pour cela impur, parce que le
bien qui est propre au mariage, est très-dis-
tingué de tout ce qu'il y a de défectueux
dans la nature; que, quoiqu'il ne reste au-
cun péché dans celui qui est régénéré, il y a
néanmoins toujours en lui une faiblesse con-
tre laquelle il faut qu'il combatte, s'il veut
faire quelque progrès ; que Dieu n'est point
injuste quand il punit le péché originel, et
les pécliés propres selon qu'ils le méritent;
Analyse du
second llTre,
pag. 523.
[lV« ET V SIÈCLES.]
SATNT AUGUSTINf» ÉVÊQUE D'HIPPONE.
489
enfin que rhomme peut se perfectionner
dans la vertu, puisque cela est très-possible
par la grâce de celui qui peut réformer et
guérir la nature corrompue par le péché ori-
ginel. »
9. C'est ce que le saint Docteur prouve par
l'autorité de divers écrivains catholiques, de
grande réputation dans l'Église, et qui avaient
écrit avant la naissance de l'hérésie de Pe-
lage. Il commence par saint Ambroise 'dont
il rapporte un grand nombre de passages
où l'on voit que ce saint docteur dit en ter-
mes très-clairs qu'il n'y a qu'un seul homme
qui est le médiateur entre Dieu et les hom-
mes, qui ne se soit point trouvé engagé dans
les liens de la nature corrompue, parce qu'il
est né d'une vierge, et que la concupiscence
n'a point eu de part à sa naissance; que les
autres hommes, au contraire, naissent - sous
l'esclavage du péché, et que leur naissance
n'est point sans péché, parce que la concu-
piscence, ayant part à leur conception ', ils
contractent la souillure du péché, avant de
commencer à respirer ; cfue la concupiscence
qui est comme la loi du péché dans ce corps
de mort, combat sans cesse contre la loi de
l'esprit, Jusques-là que, non-seulement tous
les gens de bien parmi les simples fidèles,
mais encore tous les hommes d'une vertu
éminente et apostolique, ont été dans la né-
cessité de la combattre, * afin que la chair
étant soumise à l'âme par la grâce de Jésus-
Christ, l'homme retrouve enfin la concorde
qui était au commencement entre l'âme et
le corps; que le mariage est bon, qu'il a été
institué de Dieu pour la propagation du genre '
humain, et que l'union des personnes ma-
riées est sainte par la chasteté conjugale;
que nous naissons tous sous le péché, et que
nul homme n'en est délivré, ^ si tous ses pé-
chés ne lui ont été remis par le baptême;
que Jésus-Christ a condamné le péché dans
sa chair, afin que nous reçussions par sa
grâce la justice dans une chair qui était
auparavant infectée par le péché ; enfin
que la justice de la vie présente consiste
dans une espèce de guerre, et de combat
qu'il faut soutenir non-seulement contre
les puissances spirituelles répandues dans
l'air, mais encore contre nos propres cupi-
dités.
10. Saint Augustin allègue ensuite le té-
moignage de saint Cyprien qui , expliquant
aux fidèles l'Oraison dominicale, leur fait
entendre que pour procurer la conservation
et le salut de l'homme, il n'est pas nécessaire
de séparer la chair de l'esprit, comme si c'é-
tait deux substances naturellement ennemies
l'une de l'autre; mais qu'il faut au contraire
les mettre d'accord, en priant Dieu de faire
cesser la cause de cette désunion ; et, qu'au
lieu de présumer de nos propres forces,
c'est à Dieu à qui il faut demander que la
contradiction, qui est en nous entre la chair
et l'esprit, finisse, non par des eflbrts hu-
mains, mais par un effet de sa gi'âce. Il cite
encore un témoignage de saint Grégoire de
Nazianze, où ce Père enseigne que l'esprit
ne forme des désirs contraires à ceux de la
chair, qu'afin que l'un et l'autre se réunis-
sent à leur commun Créateur, après un long
et rude combat, qui fait gémir tous les saints
durant cette vie. D'où saint Augustin con-
clut avec saint Hilaire, qu'à l'exception de
Jésus-Christ, conçu d'une vierge, sans que
la loi de la chair y ait eu aucune part, toute
chair vient du péché. « La volonté des en-
fants, dit-il, qui n'ont pas encore l'usage de
la raison , n'a aucune part ni au bien ni au
mal qui est en eux, mais à mesure que les
années viennent, et que la raison se réveille,
le commandement de la loi survient, et le
péché, qui était comme mort, ressuscite;
et la concupiscence n'a pas plutôt com-
mencé à agir dans les membres de ce corps,
qui prend son accroissement, qu'on découvre
aussitôt ce que l'état de l'enfance avait tenu
caché. Alors, poursuit-il, ou la concupiscence
est victorieuse, et rend l'homme digne de
mort; ou elle est vaincue, et l'homme est
guéri de la plaie du péché. Il ne faut pas
croire pour cela que ce mal n'eût produit
aucun mauvais eflet, si l'enfant était mort
avant que le mal caché en lui se fût mani-
festé ; parce que, comme c'est par la géné-
ration qu'on contracte l'habitude de ce même
mal, qui rend criminel l'homme en qui elle
est, ce n'est aussi que par la génération
qu'on peut sortir de cet état, et être délivré
de ce mal. C'est pour cela qu'on baptise les
enfants, pour leiu? procurer non-seulement
la jouissance du royaume de Jésus-Christ,
Cnp, tT,
' Ambros., lib. De Àrch. A'oé.
Pœnit., cap. m.
3 Lib. De Sac. regen.
2 Lib. I De '' Ambros. De Isaac et anima ,
lib. De Parad., cap. n.
"■ Lib. I De Pœnit., cap. ni.
cap. vin et
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
490
mais encore pour les arracher à l'empire de
la mort. »
cip. V. 1 1 . Si les hommes baptisés ont à combat-
tre, disait Julien, c'est contre les mauvaises
habitudes qu'ils ont contractées par le dé-
règlement de leur vie passée , et non contre
quelque vice avec lequel il soient nés. Saint
Augustin lui fait voir, par l'autorité de saint
Ambroise, qu'il cite volontiers dans cette
dispute, parce que Pelage lui avait donné de
grands éloges, que la division qu'il y a entre
la chair et l'esprit depuis le péché du pre-
mier homme, a comme passé en nature, et
que ces inimitiés causent en nous une infinité
de misères, dont nous ne pouvons être déli-
vrés que par la miséricorde de Dieu. Entre
plusieiu-s passages de ce Père qu'il rapporte,
il y en a un d'un livre que nous n'avons
plus, qui était intitulé : Du Saa^ement de la
régénémtion, ou de la Philosophie, où il di-
sait que c'est une mort heureuse que celle
qui nous affranchit du péché, pour ne nous
Cap. -1. faire vivre à l'avenir que pour Dieu. Par
cette mort, il entendait le baptême où tous
nos péchés nous sont remis. Aux témoigna-
ges de saint Ambroise, saint Augustin ajoute
ceux de saint Cyprien et de saint Chrysostô-
me. « Celui-ci, dit-il, a expliqué en deux mots
aussi clairement que l'honnêteté le peut
permettre, ce qui fit rougir nos premiers
cap.vn. pères après leur péché, quand il a dit : Ils
s'étaient couverts de feuiUes de figuier, pour
couvrir ce qui était une marque de leur pé-
ché. » Puis, revenant encore à saint Am-
broise, il transcrit plusieurs endroits de ses
écrits, pour montrer combien sa doctrine
est opposée aux cinq articles de Julien , in-
sistant particulièrement sur les passages où
ce Père enseigne que l'homme durant cette
vie peut, avec la grâce de Dieu, se perfec-
tionner dans la vertu, en combattant sans
Cap. Tiii. cesse contre les mauvais désirs. Il cite sur le
même sujet saint Cyprien et saint Hilaire, et
réprime en passant la vanité de Julien, qui
se faisait une espèce d'honneur d'être dans
Cap. IX. des sentiments opposés aux siens. Ensuite,
reprenant sommairement ce qu'ils ont dit ou
écrit pour la foi catholique attaquée parles
pélagiens, il fait voir que Pelage n'évita sa
condamnation dans le concile de Diospolis,
en Palestine, qu'en condamnant lui-même
par un désaveu public les erreurs dont Ju-
lien prenait la défense. Il l'appeUe au tri-
bunal de sa conscience pour comparaître de-
vant les juges qu'il venait de luinommer, et
qui ne devaient point lui être suspects, étant
de saints évéques, célèbres dans l'Église, et
tous fort -habiles, non dans la science de
Platon, d'Aristote et des autres philosophes,
mais dans la science des livi'es sacrés. « Ce
qui donne plus de poids à leur jugement,
ajoute-t-il, c'est qu'il a été porté dans un
temps où personne ne saurait dire, qu'ils
aient pu vouloir mal-à-propos ou favoriser
quelqu'un de nous, ou lui être contraires.
Car vous ne nous aviez pas encore donné
lieu de vous attaquer sur ce point de doc-
trine. Vous n'étiez point encore au monde
pour dire, comme vous faites dans vos li-
vres, que nous vous avons faussement accu-
sés devant le peuple; que nous nous servons
du nom de célestien et de pélagien ; que nous
vous donnons, pour faire peur aux simples,
et que ce n'est que par la terreur que nous
les faisons entrer dans nos sentiments. Vous
avez dit vous-même que, pour juger selon
l'équité, un juge ne doit avoir ni haine ni
amitié, ni inimitié, ni colère. On trouve peu de
gens qui soient dans cette situation; maison
ne peut douter que saint Ambroise et ses au-
tres collègues, que je lui ai joints, n'y aient
été du moins par rapport à notre dispute. Us
n'étaient liés d'amitié ni avec vous, ni avec
nous; ils n'étaient ni vos ennemis, ni les nô-
tres ; ils n'étaient en colère ni contre vous,
ni contre nous; et la compassion ne pouvait
les porter à favoriser les uns plutôt que les
autres. Ils ont gardé le dépôt sacré de la
doctrine qu'ils ont trouvée dans l'Église; ils
ont enseigné ce qu'ils avaient appris; ils
ont laissé àleurs successeurs ce qu'ils avaient
reçu de leurs pèi'es. Nous n'avions point en-
core porté nos différends à leur tribunal, et
ils avaient déjà prononcé un jugement dé-
finitif sur notre afiaire. Nous n'étions point
connus d'eux non plus que vous, et ils ont
jugé, comme nous le faisons voir, en notre
faveur. Il n'y avait point encore de dispute
entre vous et nous, et sur leur avis nous
avions déjà gain de cause. Nous avons ap-
pelé du jugement des pélagiens à celui de
ces grands évêques. Mais vous, à qui appel-
lerez-vous de leur jugement? Vous dites,
qu'il ne faut pas tant compter les avis
que les peser, et que, quand il s'agit de
prouver quelque chose, la multitude des
aveugles ne sert de rien. J'en conviens
avec vous. Mais aurez-vous la hardiesse de
dire, que tous ces grands hommes sont
des aveugles, et que Pelage, Célestius et
[IV' ET V° SIÈCLES.]
Julien sont des hommes clairvoyants ? »
Saint Augustin montre ensuite cpie dans
la multitude même des catlioliques, il s'en
trouvait partout plusieurs qui réfutaient les
arguments des pélagiens ; et il se moque
agréablement de Julien qui prétendait sou-
tenir seul le parti de la vérité abandonnée,
se préférant en cela à Pelage et à Célestius.
Comme Julien ne voulait pas qu'on eût égard
à la multitude dans les jugements, mais que
l'on pesât le mérite du petit nombre, le saint
Docteur lui dit : « Je ne vous ai opposé que
dix évéques et un prêtre, qui, lorsqu'ils
•étaient encore en vie, ont dit leur aAns, et
ont prononcé un jugement sur le point de
doctrine que vous attaquez. Ces dix évêques
joints aux Pères du concile de Palestine qui
ont condamné votre hérésie, font un assez
grand nombre, si on considère le peu d'évê-
ques que vous avez dans votre parti. Mais
aussi, si l'on fait attention à la multitude
des évoques catholiques, on peut dire que je
ne vous en ai opposé qu'un très-petit nom-
bre. » Pelage avait lui-même fait l'éloge
du bienheureux pape Innocent , et n'avait
rien dit de saint Jérôme, sinon qu'il lui por-
tait envie, comme son rival. Toutefois l'un et
l'autre avaient condamné ouvertement son
hérésie. Julien n'avait aucun prétexte de
récuser les témoignages de saint Irénée, de
saint Cyprien, de saint Hilaire, de saint Ba-
sile, de saint Ambroise, de saint Chrysostô-
me, de Réticius et d'Olympius. « C'étaient,
dit saint Augustin, des hommes savants, dis-
tingués par la gravité de leur conduite , et
par leur sainteté ; qui ont défendu la vérité
avec une force invincible contre les vains
discours des hommes, qui ont eu toute la
raison, la science, et la liberté nécessaires à
un bon juge. Si on assemblai^ aujourd'hui un
concile qui dût être composé des évêques
de tout le monde , je doute qu'il s'y en pût
aisément trouver un aussi grand nombre
qui eussent leur mérite. Car ils n'ont pas
tous vécu dans le même temps, parce que
Dieu ; qui ne veut pas donner tout à la fois
au monde le petit nombre des plus fidèles
et des plus excellents dispensateurs de sa
doctrine, les fait paraître en des temps et en
des lieux fort éloignés les uns des autres,
selon que cela lui plaît et que sa sagesse
l'ordonne. C'est par leurs soins que l'Église,
depuis le temps des apôtres, a pris de nou-
veaux accroissements. Ils y ont planté, ils
y ont arrosé, ils ont travaillé à son édifice.
SAINT AUGUSTIN," ÉVÊQUE D'HIPPONE.
491
ils en ont été les pasteurs, et ils l'ont nourrie
du pain de la parole . »
Après avoir mis ainsi sous les yeux de
Julien le sentiment des saints, qui ont eu
une si grande autorité dans l'Église : « Je
ne puis, lui dit saint Augustin, attendre que
de deux choses l'une, ou vous serez guéri
de la plaie que l'erreur a faite en votre âme,
par un effet de la miséricorde de Dieu ; et
Dieu sait avec quelle ardeur je souhaite
qu'il vous fasse cette grâce ; ou si, ce qu'à
Dieu ne plaise, vous persistez à soutenir un
sentiment qui est très-insensé, vous ne cher-
cherez pas des juges devant qui vous puis-
siez vous justifier, mais plutôt accuser tous
ces excellents défenseurs des vérités catho-
liques. Alors il me paraît que je devrais dé-
fendre contre vous la foi de ces docteurs,
comme on défend l'Évangile même contre
les impies et les ennemis déclarés de Jésus-
Christ. »
12. Pour achever de le convaincre, saint
Augustin se propose dans le troisième livre
de ne laisser passer aucun de ses arguments
sans y répondre. Sa première plainte était
au sujet des juges qui avaient condamné
l'hérésie pélagienne. II disait qu'ils avaient
été prévenus de haine avant de prendre
connaissance de la cause. Mais le saint Doc-
teur lui fait voir que ni saint Ambi-oise, ni
les autres Pères de l'Église, dont il avait
rapporté les témoignages, ne pouvaient lui
être suspects à cet égard, et qu'ils ont eu
par rapport aux pélagiens qui n'étaient pas
encore nés, l'esprit dégagé de haine et de
tous autres soupçons. Julien se vantait, en
second lieu, d'avoir un rescrit de l'Empe-
reur en sa faveur. « D'où vient donc , lui
répond le saint Évêque, que vous ne venez
pas l'apporter aux magistrats, pour montrer
que votre foi est approuvée par un prince
chrétien ? » Julien se félicitait d'avoir été le
seul qui se fût présenté au combat, se re-
gardant comme le David des pélagiens, et
comparant saint Augustin à un Goliath qu'il
fallait terrasser. « Je n'examine point ici,
dit ce Père, si les pélagiens sont convenus
avec vous, de se tenir tous pom- vaincus,
si vous venez à l'être. C'est là votre affaire.
Pour moi, à Dieu ne plaise, que je vous fasse
un défi, pour tei'miner nos différends par
un combat singulier. Je sais qu'en quelque
lieu que vous paraissiez, vous trouverez
partout l'armée de Jésus-Chi-ist, répandue
dans tout le monde : elle y remportera la
Aoalyse du
troisième li-
Tre, pag, 551.
492
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Cap. ir.
victoire sur vous, comme elle l'a remportée
sur Célestius à Cartliag^e , lorsque je n'y
étais pas ; et ensuite à Constantinople, quel-
qu'éloignement qu'il y ait de cette viile-là à
ces régions d'Afrique. Elle sera victorieuse
de vous, comme elle l'a été de Pelage dans
la Palestine, où la crainte de se voir con-
damné , lui fit condamner la doctrine que
vous soutenez, et ceux qui disent que les
enfants auront la vie éternelle, quoiqu'ils
meurent avant d'avoir reçu le baptême. »
Julien se plaignait qa'on avait interposé
contre ceux de son parti l'autorité des lois
des empereurs, ce qui était, disait-il, une
preuve que leurs adversaires manquaient
de bonnes raisons. Cette plainte, comme le
remarque saint Augustin , était commune
à tous les hérétiques, et les donatistes l'a-
vaient faite depuis peu. Mais leur fureur
s'étant fait sentir dans toute l'Afrique, on
fut comme forcé de réprimer leur insolence,
et de repousser au moins leur efl'ronterie
par la publication des actes de la Conférence
de Carthage. « Votre situation, continue ce
Père, est bien différente de celle où nous
nous trouvions alors. Votre cause a été jugée
définitivement dans une assemblée, où il y
avait des évêques de l'un et de l'autre parti,
et il ne reste plus rien à faire avec vous,
quant à l'examen. Nous n'avons qu'à vous
conjurer d'acquiescer avec un esprit de paix
au jugement qui est intervenu : ou si vous
refusez de le faire, il faut nécessairement
qu'on se serve de l'autorité publique, pour
vous empêcher de causer de nouveaux trou-
bles dans l'Église, et de tendre des pièges
aux personnes simples. »
13. Julien accusait saint Augustin d'avoir
dit que l'homme en naissant, est à moitié à
Dieu et à moitié au diable. Ce Père ne le
nie pas absolument ; mais il fait remai^quer
cà ce pélagien, qu'on pouvait lui faire la mê-
me objection, et il ajoute que les hommes,
qui n'ont point encore été rachetés par Jé-
sus-Christ, sont tellement sous la puissance
du diable, que ni eux, ni le diable même ne
sauraient néanmoins se soustraire ay pou-
voir de Dieu. Il lui fait voir qu'en reconnais-
sant, comme il ne pouvait s'en dispenser,
que c'est une peine aux enfants non bap-
tisés d'être exclus du royaume de Dieu, il
était aussi obligé de reconnaître en eux le
péché originel. La raison qu'il en donne,
c'est que sous un Dieu juste et tout-puissant,
on ne souffre aucun mal, si on ne l'a mérité
par quelque péché. Il entre dans le détail cap. it
des peines et des maux que souffrent les
enfants, et en infère qu'il y a un péché qui
passe des pères dans les enfants. « Car, dit- '^"v- ^■
il, s'il n'y avait point de péché de cette sorte,
il est constant que sous l'empire d'un Dieu
juste, les petits enfants n'ayant aucun péché
propre, n'auraient à souffrir aucun mal ni
en leurs corps, ni en leur âme. Ce péché
même que les enfants, contractent sans au-
cun acte de leur volonté, tire son origine de
la mauvaise volonté de nos premiers pères ;
ainsi il est vrai de dire, qu'il n'y a aucun pé-
ché qui ne vienne de la mauvaise volonté. »
Les pélagiens n'osaient dire qu'il n'était pas
nécessaire de baptiser les enfants ; mais les
cathohques disaient ouvertement que la
contagion du péché originel mettait les en-
fants sous la puissance du diable, jusqu'à ce
qu'ils eussent été régénérés en Jésus-Christ.
Saint Augustin appuie cette doctrine par un
endroit de l'Évangile de saint Matthieu, de
saint Marc et de saint Luc, où il est dit
qu'un homme présenta à Jésus-Christ son
fils qui était tourmenté dès l'enfance par un
démon si furieux, que les disciples du Sau-
veur ne l'avaient pu chasser. Ensuite pour
répondre à une autre objection de Julien,
qui demandait ce qu'il y a de criminel dans
les enfants, si c'est l'action ou la nature , ce
Père distingnie en eux la nature dont Dieu
est l'auteur, et le mal qu'ils tirent de leur
origine. Il lui reproche de lui faire dire ce
qu'il ne dit pas en effet, et d'appliquer mal
les règles de sa dialectique ; et lui prouve
que, comme on peut faire un mauvais usage
des bonnes choses, on peut aussi faire un
bon usage des mauvaises, ainsi que fit l'A-
pôtre, en livrant à satan un homme pour
mortifier sa chair, afin que son âme fût sau-
vée au jour du Seigneur. Il fait l'application
de ce principe au mariage, montrant que le
mal qui en naît, ne peut être le fruit ni des
corps , ni des différents sexes, ni de leur
union, mais de l'ancien péché d'origine.
Mais, disait Julien, il faut bien que la concu-
piscence ne soit point mauvaise, puisque
Dieu la rendit à Abraham et à Sara ? Saint
Augustin répond, que le miracle que Dieu
fit pour la conception d'isaac, ne fut pas
pour rendre à ses parents le sentiment de la
volupté, mais pour leur donner la fécondité;
que Dieu accorde maintenant aux hommes
le don de la fécondité, sans rien changer au
malheureux état où nous sommes avec ce
bien en son j
qu'on y garde
[IV' ET V" SIÈCLES.]
corps de mort, et non en le remettant dans
cet heureux état, où il n'y avait rien dans
la chair qui formât des désirs contraires à
ceux de l'esprit, et qui dût être réprimé par
les désirs de l'esprit contraires à ceux de la
chair. « Si la concupiscence, ajoate-t-il, n'é-
tait, comme le disait Julien, qu'une chaleur
natiu'eUe dans l'homme, elle n'y serait pas
une source de guerres, mais au contraire,
elle se conformerait au gré de notre âme
qui est la véritable vie de notre corps ; mais
comme il est nécessaire de la combattre
continuellement, même dans l'état du ma-
riage, c'est une preuve que cette concupis-
cence est un mal, et que ce mal est dans la
chair qui a des désirs contraires à ceux de
l'esprit, quoiqu'il ne soit pas dans l'esprit
qui n'y consent pas, et qui forme des désirs
contraires à ceux de la chair. » Il fallait bien
que Julien en convint malgré lui, puisqu'il
convenait que la concupiscence avait besoin
d'un remède, puisque quand il n'y a point
de mal, on n'a point besoin de remède. Cela
n'empêche point que le mariage ne soit un
sure ; c'est un bien, parce
la foi du lit nuptial, parce
que le commerce de l'homme et de la femme
a pour fin la génération des enfants, et qu'on
doit y avoir horreur de la séparation qui
désunit ceux que Dieu a joints.
14. Saint Augustin fait voir ensuite que
ce qu'il avait dit jusque là sur le mariage et
la concupiscence , sur le péché originel et
les suites qui en résultent , n'était pas une
doctrine nouvelle de l'Afrique, comme Ju-
lien le publiait ; elle y avait été enseignée
par saint Cyprien , et elle était entièrement
conforme à la doctrine de l'orient et de l'oc-
cident. Isaac ayant été formé par la volupté
de la concupiscence , comme tous les autres
hommes qui naissent par la voie ordinaire
du mariage , est né aussi comme les autres
dans le péché : ce qui se prouve par la me-
nace d'être exterminé du milieu de son peu-
ple , s'il n'avait été circoncis le huitième
jour, et marqué du signe qui figurait le bap-
tême de Jésus-Christ. Car, pour quel autre
péché que pour l'originel, cet enfant aurait-il
été condamné à souffrir une aussi grande
peine, s'il n'en eût pas été délivré par ce sa-
crement? Julien soutenait que la volonté
des parents ne pouvait faire aucun toi't aux
enfants, et il s'autorisait de l'exemple d'Abi-
mélech , que Dieu excusa d'avoir voulu at-
tenter à la pureté de Sara, parcequ'il ne
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
493
savait pas qu'elle eût un mari. Cet exemple, cup. xik.
au lieu de servir à Julien , allait contre lui-
même , comme le montre saint Augustin ; et
on pouvait en conclure que Dieu punit quel-
quefois à cause des péchés d'un autre, puis-
qu'on effet , Dieu punit dans le péché d'Abi- oeu. ss, n
mélech , dont ce prince était seul coupable ,
toutes les femmes qu'il avait dans sa mai-
son , en les frappant toutes d'une plaie qui cap. .x<.
les rendait stériles. Il n'en était pas de la
concupiscence comme du pain et du vin ,
ainsi que ce pélagien l'avait avancé , puis-
qu'on ne saurait dire de la substance du
pain et du vin, comme de la concupiscence,
qu'elle a des désirs contraires à ceux de l'es-
prit; s'il y a quelques désirs déréglés par
rapport aux aliments, il est, non dans les
aliments qui sont quelque chose d'étranger
à l'homme , mais dans ceux qui en veulent
faire un mauvais usage; et s'il est nécessaire
d'être sobre et tempérant dans le boire et
dans le manger, c'est pour empêcher que la
concupiscence, qui est un mal et un ennemi
qui réside au milieu de nous, ne prenne oc-
casion de la pesanteur que cause à notre
âme un corps corruptible, chargé d'une trop
grande abondance de viandes, pour s'élever
contre nous avec plus de force, et pour nous
vaincre plus sûrement.
Quelque louange que Juhen donnât à la cap. xxi,
concupiscence, il avouait de temps en temps
que le mariage lui servait de remède, et tou-
tefois il niait que ce fût une maladie. Sur
quoi saint Augustin lui dit une seconde fois :
« Si vous reconnaissez la nécessité du re-
mède , reconnaissez aussi qu'il y a une ma-
ladie , et si vous niez la maladie, niez aussi
la nécessite du remède. Tout le monde ne
tombe-t-il pas d'accord que personne ne
cherche de remèdes pour la santé? Les sain-
tes vierges s'exercent , dites-vous , dans des
combats qui leur sont glorieux; mais en quoi
consistent ces combats , sinon en ce qu'elles
ne se laissent pas vaincre par le mal, et
qu'elles travaillent à vaincre le mal par le
bien ? » Le saint évéque ne se contente pas
d'appeler les combats des vierges « des com-
bats glorieux, mais des combats plus gla-
ireux, parce que la chasteté conjugale, quoi-
que d'un mérite inférieur à celui de la vir-
ginité, ne laisse pas d'avoir son mérite et sa
récompense propre, pour avoir vaincu et ré-
primé ce mal de la concupiscence. Car elle
combat pour la retenir dans les bornes légi-
times du lit uuplial ; elle combat pour em-
AU
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Cap. ïXil.
Cap. xxiîlt
Cap. X-MV.
pêcher qu'elle ne trouble les personnes ma-
riées, clans les temps destinés d'un consen-
tement mutuel à la prière. Et comme cette
cliasteté conjugale est un don de Dieu , qui
donne la force d'accomplir tout ce qui est
prescrit par les lois du mariage , c'est dans
le lit nuptial même qu'elle a à soutenir de
plus rudes combats , pour en bannir tout ce
qui n'est pas absolument nécessaire pour la
génération des enfants. »
15. Comment, disait Julien, l'homme,
que Dieu a créé, se trouTC-t-il sous la puis-
sance du diable? Qu'y a-t-il en l'homme qui
lui appartienne, s'ij» n'est ni le créateur de
l'homme, ni de la matière dont il a été fait. »
<i Je vous demande , lui réplique saint Au-
gustin, comment l'homme est sujet à la mort
que Dieu n'a pas créée ? L'homme et la subs-
tance dont il a été fait sont deux choses
bonnes, et il n'y en a aucune des deux que
le diable ait faite," mais c'est lui qui est l'au-
teur de la corruption de cette substance.
Vous dites, continue saint Augustin, que
j'ai assuré expressément que l'homme qui
naît d'une fornication n'est pas coupable,
mais que celui qui naît d'un mariage légi-
time n'est pas innocent : la calomnie est vi-
sible. J'ai au contraire déclaré positivement
que, suivant la foi catholique que nos pères
ont défendue hautement contre vous , avant
que vous fussiez au monde , les enfants ,
quelle qu'ait été leur naissance , sont tous
innocents quant aux péchés propres, et
qu'ils ne sont coupables que par le péché
originel. J'ai déclaré aussi nettement, que la
substance de la nature , dont Dieu est l'au-
teur, est bonne , même dans les plus grands
pécheurs , cpii se sont rendus mauvais par
les péchés propres qu'Us ont ajoutés à celui
avec lequel ils sont nés. Si le mal originel,
dites-vous , vient du mariage , le contrat de
mariage est donc la cause de ce mal? Mais
que répondi'iez-vous si quelqu'autre vous di-
sait : Si la mauvaise volonté vient de la na-
ture, ce qui forme la nature est donc la cause
du mal? N'est-ce pas là un raisonnement
très-faux ? Il en faut donc dire de même du
vôtre. Mais je dis de plus que le péché ori-
ginel ne vient pas du mariage , mais de la
concupiscence charnelle, qui est un mal
contre lecpiel vous combattez vous-mêmes ,
et dont toutefois les personnes mariées usent
bien, quand elles ne se portent à l'action du
mariage que dans la seule -s-ue d'avoir des
enfants. Ainsi l'on n'a aucun droit de con-
damner les pères et mères , autrement l'on
pom-rait aussi condamner Dieu même, je ne
dis pas parce qu'il crée des hommes qui
contractent le péché originel , mais parce
qu'il donne la nourriture et le vêtement à
une infinité d'impies, qu'il sait devoir per-
sévérer dans leur impiété. Comme donc on
n'impute point à Dieu le péché des natures
raisonnables, et qu'on ne lui attribue que le
bien de la nature dont il est l'auteur, de
même on ne doit point non plus imputer aux
parents qui usent bien du mal de la concu-
piscence pour avoir des enfants, si leurs en-
fants naissent avec ce mal, puisqu'ils ne sont
pas les auteurs du mal, et qu'ils n'ont eu en
vue que la naissance des enfants, qui sont
un bien. Le mariage est même encore au-
jourd'hui tel (ju'il aurait été avant le péché,
avec cette différence qu'il n'y aurait point
eu alors de mal dont il dût user, au lieu qu'à
présent il faut qu'il use bien du mal de la
concupiscence. Mais ce mal ne lui a pas fait
perdre tous ses avantages, qui consistent
dans la foi conjugale, dans l'alliance de cette
union, dans la propagation des enfants. Vous
m'accusez de soutenir que tous les enfants
po\u" qui Jésus-Christ est mort sont l'ou-
vrage du diable , qu'une maladie leur a
donné la naissance , et qu'ils sont criminels
dès le moment de leur conception. Il n'est
pas vi-ai que les enfants soient l'ouvrage du
diable quant à leur substance, mais c'est
par l'ouvrage du diable qu'ils sont criminels
dès le moment de leur conception. Et c'est
pour cela que Jésus-Christ est mort aussi
pom" les petits enfants : car ils peuvent , de
même que les autres , recevoir le fruit du
sang qui a été répandu poiu? la rémission des
péchés. »
Il prouve que la concupiscence est une
plaie que la natm-e a reçue par le péché , et
que par ce péché , qui est celui de nos pre-
miers pères, notre nature a été changée en
pis; que lorsque saint Paul a dit : Je sens
dans les membres de mon corps une autre loi
qui combat contre la loi de mon esprit , il a eu
dessein de nous faire un portrait delà natm-e
humaine, non telle qu'elle était lorsqu'elle
est sortie des mains de Dieu , mais telle
qu'elle est dans cette chair corruptible, de-
puis qu'elle a été blessée parle péché qu'ont
commis nos premiers pères, en usant mal de
leur libre arbitre : « Car, dit-il, à qui peu-
vent convenir ces paroles de l'Apôtre? Mal-
heureux hutjvmequc je suis! qui me déiii'7'era de ce
C?p. ïsv.
[IV" ET y" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
495
corps de mort? Ce sera la grâce de Dieu par
Jésus-Christ, notre Seigneur . Peut-on dire que
c'est là le langage d'un juif, comme Julien
le prétend? nullement. Et il est évidentqu'il
né peut convenir qu'à un chrétien. » Saint
Augustin fait d'après saint Paul une descrip-
tion de l'état où nous sommes dans ce corps
de mort. Vient ensuite cette remarque :
« Comme les désirs de la chair pour le
mal ne s'accomphssent pas, lorsque notre
volonté ne leur donne pas son consente-
ment ; notre volonté ne s'accomplit pas non
plus pour le bien, tandis qu'il y a encore
en nous de ces mouvements indélibérés et
involontaires. »
16. Ce Père avait dit dans le premier livre
du Mariage et de la concupiscence , que selon
l'Apôtre , la chasteté conjugale est un don
de Dieu; d'où Julien inférait qu'il avait loué
le mal de la concupiscence. Saint Augustin
fait voir le ridicule de cette conséquence ,
et continuant à assurer que la chasteté con-
jugale est un don de Dieu considérable ,
puisqu'il empêche qu'elle ne pousse à des
actions illicites , il continue aussi à soutenir
que la concupiscence est un mal. Ce qu'il
prouve par un endroit de la première Épître
aux Corinthiens, où saint Paul propose le
mariage comme un remède contre la mala-
die de la concupiscence, a Qui peut douter,
ajoute-t-il, que le désir d'un mal ne soit un
mal, lors même qu'il n'est pas consenti ? Or,
la concupiscence formera toujours de ces
sortes de désirs, jusqu'à ce que nous soyons
arrivés au terme où il n'y aura plus de mal
à combattre. Elle est un mal dans ceux mê-
mes qui ont fait vœu de garder la conti-
nence , comme dans ceux qui sont engagés
dans le mariage, puisque le désir de pécher
est un mal. Or, ce désir est produit par la
concupiscence dans la chair des saints , qui
vivent en continence, et ce désir est toujours
un mal. Quel bien, en effet , cette concupis-
cence ferait-elle dans un état où il n'est pas
permis de se servir d'elle pour aucune sorte
de bien? Quel bien fait-elle dans ceux qu'elle
met dans la nécessité de veiller sans cesse
et de combattre contre elle, et qui se voyant
quelquefois surpris durant le sommeil , ne
sont pas plutôt éveillés , qu'ils s'écrient en
gémissant : Comment est-ce qiM mon âme a été
remplie d'illusion? Car durant le sommeil,
lorsque tous les sens sont assoupis et que
les songes se jouent pour ainsi dire de notre
imagination, il arrive, je ne sais comment.
que des personnes très-chastes donnent à
des actions honteuses une sorte de consen-
tement , qui rendrait impurs la plupart des
hommes si Dieu nous imputait ces effets de
la concupiscence. Mais d'où vient que ce
mal n'est pas entièrement déraciné de la
chair des saints qui vivent en continence?
Comme dans cette malheureuse vie nous n'a-
vons pas de plus dangereux ennemi que
l'orgueil, il nous est avantageux que cette
concupiscence ne soit point entièrement
éteinte dans ceux qui vivent en continence ,
afin qu'en combattant contre elle , ils soient
sans cesse avertis du péril où ils sont, et que
la vue du péril les empêche de s'élever en
eux-mêmes. Parce tnoyen, ils arrivent avec
moins de danger à cet heureux état , où
l'homme, tout fragile qu'il est maintenant,
jouira d'une santé si pai'faite, qu'il n'aura
plus à craindre l'enflure de l'orgueil , non
plus que la pourriture des sales voluptés.
C'est ainsi que la vertu se perfectionne dans
la faiblesse , parce que c'est la faiblesse qui
nous oblige à combattre pour nous soute-
nir, car on combat d'autant moins qu'on a
plus de facilité à vaincre. »
17. Julien n'approuvait pas que dans le
même livre des Noces et de la concupiscence ,
saint Augustin eût avancé que personne ne
saurait bien vivre sans la foi par la grâce de
Jésus-Christ. « J'ai dit, répond ce Père, que
celui-là n'est pas véritablement chaste , qui
garde la fidélité du lit nuptial , quand il ne
le fait pas pour l'amour du vrai Dieu; et
pour le prouver, j'ai ajouté un peu après ces
paroles, qui renferment une maxime très-
importante : Comme cette pudicité est une
vertu, qui a pour contraire le vice de l'impu-
dicité, et que toutes les vertus, celles mêmes
dont l'exercice dépend du corps, résident
dans l'esprit, comment peut-on raisonnable-
ment soutenir que le corps d'une personne
soit chaste, quand son esprit est dans la for-
nication à l'égard du vrai Dieu? Et pour em-
pêcher que quelqu'un d'entre vous ne me
dît que l'esprit des infidèles n'est pas dans
la fornication, j'ai ajouté aussitôt que cette
fornication spirituelle est condamnée par
l'Écriture dans ces paroles : Seigneur, ceux
qui s'éloignent de vous périront ; vous perdrez
toutes ces âmes cidultères, qui se séparent de
vous. D'où il suit, ou qu'il peut y avoir une
véritable chasteté dans les âmes adultères,
ce qui est absurde, ou qu'il ne peut y avoir de
chasteté véritable dans l'esprit d'un infidèle. »
Cap. in.
Pîal.
n.
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Pro .
U.
Boni. I, 1"
E.f.
Julien opposait l'exemple des païens qui
pratiquaient beaucoup de vertus sans au
cuu secours de la grâce, et avec les seules
forces du libre arbitre. Saint Augustin le prie
de faire attention à ces paroles de l'Écriture :
Celui qui dit à l'impie qu'il est juste sera mau-
dit des peuples , et détesté des nations. « Vous
auriez parlé d'une manière plus raisonnable,
ajoute-t-il, si au lieu d'attribuer à la serde
volonté les vertus que vous prétendez voir
dans les impies, vous aviez dit qu'elles sont
des dons de la pure libéralité de Dieu. Mais
à Dieu ne plaise que nous disions qu 'il y ait
quelque véritable vertu en ceux qui ne sont
pas justes, et que nous regardions comme
véritablement justes ceux qui ne vivent pas
de la foi , puisque , selon l'Écriture , le juste
vit de la foi. Je n'excepte aucun de ces infi-
dèles , fùt-il un Fabricius , fût-il un Fabius ,
fùt-il un Rég'ulus , fùt-il un Platon ou quel-
qu'un de l'école de Pylbagore , la plu-
part même des philosophes ayant enseigné
qu'il n'y a de véritables vertus que celles
qui sont, pour ainsi dire, imprimées dans
notre esprit par une opération secrète de
cette substance éternelle et immuable, qui
est Dieu même. Comment pourraient être
véritablement justes ceux qui n'ont que du
mépris pom- l'humilité du vrai juste? car,
plus ils se sont approchés de Dieu par les
connaissances qu'ils ont acquises, plus ils
s'en sont éloignés par l'orgueil et la vanité.
Comment la véritable justice serait-elle en
ceux en qui n'est pas la véritable sagesse?
Si nous vouhons la leur attribuer, il n'y au-
rait plus de raison qui nous empêchât de
dire qu'ils peuvent parvenir à ce royaume
dont il est écrit : Le désir de la sagesse con-
duit au 7'oyaume éternel. Si la justice s'ac-
quiert par la nature et par la volonté ou par
les enseignements des hommes, c'est donc
en vain que Jésus-Christ est mort : car ce
qui nous conduit à la véritable justice doit
aussi nous faire entrer dans le royaume de
Dieu. Or, si les impies n'ont point de justice
véritable, ils n'ont donc point aussi les autres
vertus qui sont les compagnes de la justice ;
du moins s'ils en ont quelques-unes, elles ne
peuvent être de véritables vertus , car, lors-
que les dons de Dieu ne sont pas rapportés
à leur auteur, les impies deviennent injustes
par l'abus qu'ils font des dons de Dieu. D'où
il suit que la continence ou la chasteté ne
sont pas de véritables vertus dans les im-
pies. »
18. Julien prenant à contre-sens ces pa-
roles de l'Apôtre : Tous les athlètes se con-
tiennent dans la privation entière de tous les
plaisirs, en concluait qu'il n'y avait pas jus-
qu'aux joueurs de ilùte, et autres personnes
de cette espèce, que leur profession rend in-
fâmes , en qui on ne put trouver la conti-
nence, cette grande vertu dont il est dit dans
l'Ecriture que personne ne peut l'avoir si Dieu
ne la donne. Mais saint Augustin lui fait voir
que ceux qui se préparent au combat s'abs-
tiennent à la vérité de tous les plaisirs, pour
gagner une couronne corruptible, mais qu'ils
ne s'abstiennent pas de la cupidité d'une
gloire si vaine. « C'est, continue-t-il , cette
passion qui , ne pouvant être que déréglée ,
parce qu'elle a sa source dans la vanité, sur-
monte en eux et contient toutes les autres
passions déréglées, ce qui fait dire qu'ils
sont continents. Comme cet Apôtre exhortait
tous les hommes à la pratique de la vertu, il
leur a proposé pour exemple ce qu'une pas-
sion déréglée donne le courage de faire à
des hommes vicieux , de la même manière
que l'Écriture exhorte aillem-s les hommes à
l'amour de la sagesse, en leur disant qu'il
faut la rechercher comme on cherche l'argent,
c'est-à-dire avoir une avidité insatiable de
nous faire un trésor des richesses de cette
sagesse. Si c'est de cette sorte que nous nous
conduisons, nous avons de véritables vertus,
la fin pour laquelle nous agissons étant juste
et raisonnable, c'est-à-dire convenable à no-
tre nature , pour lui procurer le salut et la
félicité. Car tous les hommes n'auraient pas
cet instinct naturel, qui nous fait désirer l'im-
mortalité et la béatitude, s'il ne nous était
pas possible d'y parvenir. Mais les hommes
ne peuvent acquérir ce souverain bonheur
que par Jésus-Christ crucifié. C'est pour cela
que le juste vit de la foi en Jésus-Christ, et
c'est par cette foi qu'il vit selon les règles de
la droiture et de la véritable sagesse. On ne
peut donc en aucune manière regarder com-
me de véritables vertus celles qui ne servent
de rien à l'homme pour acquérir la véritable
béatitude. Dira-t-on, en ellet, qu'il y a dans
les avares de véiitables vertus , lorsqu'ils
trouvent avec prudence les moyens de s'en-
richir; lorsque, pour amasser de l'argent,
ils suppoi'tent avec force et avec courage les
choses les plus fâcheuses et les plus dures ;
lorsque, par une sobriété et une tempérance
exacte, ils se privent des plaisirs qu'on goûte
dans une vie somptueuse? Ce cjui trompait
Co].. Il
1 Ctr. «,!
Pri/V. II,
[IV" ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
497
Julien, c'est qu'il ne faisait attention qu'à la
fausse apparence de certains vices , qui ap-
prochent fort des vertus, et qui en sont
néanmoins aussi éloignés que la vertu l'est
toujours du vice. Telle est la finesse ou la
ruse, qui est un vice, quoique les noms dont
on se sert pour le marquer se prennent quel-
quefois en bonne part dans les Ecritures,
comme lorsqu'il est dit : Soyez rusés comme
les serpents. Aussi prend-on de même en
mauvaise part ce qui est dit du serpent dans
le paradis, qu'il était le plus prudent de tous
les animaux. On a souvent de la peine à
trouver des noms propres à exprimer ces
sortes de vices qui ont quelque ressemblance
avec les vertus; mais quoiqu'ils n'aient point
de nom qui leur soit propre, on doit toute-
fois les éviter. Ce n'est donc point le devoir
extériem", mais la fin qui distingue la vertu
du vice. Le devoir est ce que chacun doit
faire; la fin est ce qu'on se propose pour
motif du devoir qu'on veut accomplir. Ainsi,
quand un homme fait quelque action où il
ne paraît pas qu'il pèche, s'il ne la fait pas
pour la raison qui la lui doit faire faire, dès
lors il est convaincu qu'il a péché. A ne con-
sidérer que le devoir, on pourrait regarder
comme une action de justice celle de s'abs-
tenir de prendre le bien d'autrui. Mais si l'on
demande pom-quoi , et qu'on réponde que
c'est pom- éviter des procès où l'on craint
de perdre du sien, avec quelle apparence
pourra-t-on dire que c'est là une action de
justice, et d'une justice véritable, puisqu'elle
n'est que pour servir à l'avarice? Les vérita-
bles vertus doivent servir Dieu dans les
hommes. Ainsi toutes les bonnes actions que
fait un homme, s'il ne les fait pas pour la fin
que la véritable sagesse veut qu'on s'y pro-
pose , sont à la vérité bonnes , quant au de-
voir extérieur; mais comme elles ne sont
pas faites pour une bonne fin, elles ne peu-
vent être que des péchés. On peut donc faire
certaines actions qui sont bonnes en soi,
sans qu'on puisse dire pour cela que ceux
qui les font les fassent bien. C'est un bien,
par exemple, de secourir un homme qui est
en danger; mais si celui qui le fait cherche
en cela plutôt la gloire des hommes que
celle de Dieu, il ne fait pas bien une bonne
action. »
Saint Augustin, pour montrer que les
païens n'ont pas de véritables vertus , avait
allégué ces paroles de l'Apôtre : Tout ce qui
ne se fait pas selon la foi est péché. Mais il con-
IX.
vient qu'elles ont été dites à l'occasion du
discernement des viandes, dont saint Paul
venait de parler un peu auparavant. « Mais ,
ajoute-t-il, en supposant qu'elles se rappor-
tent uniquement aux viandes dont on use
contre sa conscience , qu'avez-vous , dit-il à
Julien, à répondi-e à l'autre passage que j'ai
cité de l'Épître aux Hébreux , où il est dit :
// est injpossible de plaire à Dieu sans la
foi ? Ainsi, ou ces hommes qui accomplissent
les préceptes de la loi naturelle, et que vous
appelez justes , plaisent à Dieu, et c'est par
la foi qu'ils lui plaisent, parce qu'il est im-
possible de lui plaire sans la foi ; ou si ce
sont des gentils qui'n'ont pas la foi en Jésus-
Christ, il faut dire qu'ils ne sont pas justes
et qu'ils ne plaisent pas à Dieu , parce qu'il
est impossible de lui plaire sans la foi. Quant
à ce qui est écrit de ces gentils , que leurs
pensées les défendront au jour du jugement,
cela nous marque qu'ils seront punis avec
moins de rigueur, parce qu'ils auront, en
quelque façon, accompli naturellement ce
que la loi commande; mais on ne peut pas
dire qu'en cela ils fussent exempts de péché,
jmisque n'ayant pas la foi, ils n'ont pas rap-
porté ces actions à la fin pour laquelle ils les
aui-aient, dû faire. Ainsi Fabricius sera puni
avec moins de rigueur que Catilina, non
parce qu'il était bon , mais parce que Cati-
lina était plus méchant que lui, et qu'il était
moins impie que Catilina : ce n'est pas qu'il
eût de véritables vertus , mais c'est qu'il ne
s'en éloignait pas autant que la plupart des
autres. » Le saint Docteur demande à Julien
s'il ne destinerait pas à Fabricius, àRégulus,
aux Scipions , aux Camilles , et autres sem-
blables, comme aux enfants morts sans bap-
tême , un lieu difierent et de l'enfer et du
royaume du ciel , où , éloignés de toute mi-
sère, ils puissent jouir d'un bonheur éternel?
« Je ne puis croire, lui dit-il, que vous ayez
teUement perdu toute honte, que vous ne
craigniez pas de mettre dans la béatitude
éternelle des hommes qui n'ont jamais plu à
Dieu, à qui il est impossible de plaire sans la
foi, et qui n'ont jamais eu ni les œuvres de
la foi, ni la foi dans le cœur. »
19. Si l'on peut dire, objectait Julien, que
la chasteté des infidèles n 'est pas une véri-
table chasteté, on pourra soutenir avec le
même front, que le corps des païens n'est
pas un véritable corps. Saint Augustin se
moque d'un pareil raisonnement, et conti-
nue de dire, qu'il n'y a point de véritable
32
Hib. .\i, C,
Cap, III.
498
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
chasteté dans une âme adultère, telle qu'est
celle des païens. Comme Julien, profitant de
l'aveu que ce Père avait fait, qu'il y a de
certains péchés, dont on se rend victorieux
par d'autres péchés, en concluait, qu'à plus
forte raison l'on pouvait s'en rendre victo-
rieux par le moyen des vertus. Saint Augus-
tin lui répond : « Nous n'avons garde de
nier que le secours de Dieu ne puisse être
assez fort, s'il le voulait, pour nous empêcher
de sentir en nous aucun mauvais désir, et
qu'il ne puisse même dès à présent nous ren-
dre parfaitement victorieux de tous les mou-
vements de la concupiscence. Mais les cho-
ses ne sont pas ainsi. Comme nous sommes
encore ici-bas dans un lieu où notre faiblesse
est exposée sans cesse à la tentation. Dieu a
voulu que nous nous vissions tous les jours
dans la nécessité de demander le pardon de
nos offenses, pour nous mettre par là à cou-
vert de la tentation de l'orgueil. » Julien ob-
jectait encore : Si un païen revêt un homme
nu, cette action est-elle un péché, parce
qu'elle n'est pas faite selon la foi? «Oui, ré-
pond saint Augustin, il est sans doute qu'en
tant que cette action n'est pas faite selon la
foi, elle est un péché; non que l'action de
revêtir un homme nu, soit par elle-même un
péché ; mais il n'y a qu'un impie qui puisse
nier que ce ne soit pas un péché de ne point
rapporter au Seigneur la gloire d'une telle
action. Je vous demande à vous-même, si
ces bonnes œuvres : revêtir un homme nu,
panser un homme malade, et autres sembla-
■bles, sont bien ou mal faites dans un païen?
Car, quelques bonnes qu'elles soient, si elles
sont mal faites, vous ne sauriez nier que cet
homme ne pèche , puisque toute action mal
faite est un péché. Comme vous ne préten-
dez pas qu'il pèche, en faisant ces actions,
vous ne manquerez pas de dire : Cet homme
fait de bonnes actions, et il les fait bien. Par
conséquent, il faut que vous disiez, qu'un
méchant arbre produit de bons fi-uits, ce qui
est contraire à ce que dit la vérité. Direz-
vous qu'un infidèle est un bon arbre? Il
plaît donc à Dieu : car, il n'est pas possible
que ce qui est bon ne plaise pas à celui qui
est essentiellement bon. Si cela est, comment
pourra-t-on soutenir ce que dit l'Apôtre :
Sans la foi il est impossible de piaille à Dieu ?
Direz-vous que l'infidèle est un bon arbre,
non en tant qu'il est infidèle, mais en tant
qu'il est homme? De qui veut donc parler
Jésus-Christ, quand il dit : d/n mauvais arbre
ne peut produire de bons fruits ? Tous ceux sur
qui ces paroles du Sauveur peuvent tomber,
sont nécessairement des hommes ou des an-
ges. Or, si tout homme, en tant qu'homme,
est un bon arbre, il faut dire aussi que tous
les anges, en tant qu'anges, sont de bons ar-
bres, puisqu'ils sont tous l'ouvrage de Dieu.
D'où il suit qu'il ne peut y avoir aucun mau-
vais arbre à qui convienne ce qui a été dit : Un
mauvais arbre ne peut prcdui7'e de bons fruits.
Qui est assez infidèle pour penser ainsi? Il
faut donc dire que les hommes sont de mau-
vais arbres, non en tant qu'hommes, mais en
tant qu'ils ont une mauvaise volonté, et que
c'est par là qu'ils ne peuvent produire de
bons fruits. C'est à vous à voir si vous aurez
la hardiesse de dire qu'une volonté infidèle
est une bonne volonté. »
Saint Augustin fait voir ensuite par l'exem-
ple de Saiil qui, contre l'ordre de Dieu, épar-
gna par une compassion toute humaine un
roi qu'il venait de faire captif, que la miséri-
corde n'est pas toujours bonne. Il convient
que, lorsqu'on l'exerce par une compassion
naturelle, elle est par elle-même une bonne
œuvre ; mais il dit qu'on use mal de ce bien,
quand on en use d'une manière infidèle, et
qu'on fait mal ce bien, quand on le fait avec
infidéhté. « Or, ajoute-t-il, il est indubitable,
que toute action mal faite est un péché. D'où
cette conclusion , que les bonnes œuvres
mêmes que font les infidèles, ne leur appar-
tiennent pas, mais à celai qui fait toujours
un bon usage du mal; et que c'est à eux
qu'il faut uniquement attribuer le péché, par
lequel ils font mal les bonnes œuvres, parce
qu'ils ne les font pas avec une volonté fidèle,
mais avec une volonté infidèle, qui n'est ja-
mais conforme à la véritable sagesse, et qui
ne peut que leur être préjudiciable. Or, tout
chrétien sait qu'une telle volonté est un
mauvais arbre, qui ne peut produire que de
mauvais fruits, c'est-à-dire des péchés. » Le
saint Docteur prie Julien de faire attention à
ces paroles du Sauveur .■ Si votre œil est mau-
vais, tout votre corps sera ténébreux, et de se
souvenir que cet œil n'étant autre chose que
l'intention avec laquelle chacun fait ce qu'il
fait, il s'ensuit que quand on ne fait pas ses
bonnes œuvres avec l'intention d'une foi
bonne, c'est-à-dire de la foi qui opère par
l'amour, tout le corps des actions est téné-
breux, c'est-ii-dire souillé par la noirceur du
péché. Ensuite il établit pour maxime, que
pour bien user des créatures, il faut aimer
I Ilog-.
n, 21.
Mat>b.
et 23.
[IV« ET V° SIÈCLES.]
le Créatear par un amour qui nous conduit
à lui, et qui ne peut venir que de Dieu le
Père, par Jésus-Clirist son Fils avec le Saint-
Esprit; qu'avec cet amour du Créateur on
use toujours bien des créatures, et qu'il n'y
a aucune créature dont on n'use mal sans
cet amour du Créateur ; que sans cet amour
il n'y a point de bien véritable et capable de
nous rendre heureux, ni même de vraie pu-
dicité conjugale.
IV. 20. Saint Augustin fait voir après cela, que
c'était à tort que Julien lui reprochait d'a-
voir dit que les enfants en venant au monde,
sont sous la puissance du diable, parce qu'ils
naissent du mélange des deus sexes; puis-
qu'il avait enseigné au contraire que ce qui
est cause que les enfants qui naissent de ce
commerce, sont sous la puissance du démon,
jusqu'à ce qu'ils aient été régénérés par le
Saint-Esprit, c'est qu'ils sont engendrés par
le moyen de cette concupiscence qui fait
que la chair a des désirs contraires à ceux
de l'esprit, et qui met l'esprit dans la néces-
sité de la combattre, et de former des désirs
contraires à ceux de la chair. Ce combat du
bien et du mal, de l'espiit et de la chair, ne
serait point, ajoute-t-il, si l'homme n'avait
pas péché. Mais, comme il n'y en avait point
avant la prévarication de l'homme, aussi n'y
en aura-t-il point, quand il ne restera plus de
'v. faiblesse en l'homme. Il montre que la con-
cupiscence ne peut être regardée comme un
mal dans les bêtes, parce qu'elle n'a aucune
> Ti. opposition à la i-aison, que les bêtes n'ont
point. Julien l'accusait d'être tombé dans
une contradiction ridicule , en disant qu'il y
a des hommes qui deviennent criminels par
Lib. I De une bonne œuvre, et que d'autres deviennent
■','o'p. IV. saints par une mauvaise action. Il se fondait
sur ce que safnt AugTistin avait dit que les
infidèles convertissent en mal et en péché,
le bien du mariage, parce qu'ils en usent
d'une manière infidèle ; et que c'est aussi de
la même sorte que le mariage des fidèles
tourne à un usage juste et légitime le mal de
la concupiscence. «Je n'ai pas dit pour cela,
répond ce Père, qu'il y a des hommes qui
deviennent criminels par une bonne œuvre,
mais par le péché qu'ils font, en usant mal
d'une bonne chose. Je n'ai pas dit non plus
qu'il y en a d'autres qui deviennent saints
par une mauvaise action, mais par la bonne
œ.uvre qu'ils font en faisant un bon usage du
ap.vii. mal. » En répondant à diverses autres accu-
sations de Julien, il fait voir que Dieu n'a
SAINT AUGUSTLN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
499
pas créé le mal en créant l'homme , mais que
la nature, qui est un bien créé de Dieu , a
contracté le mal par le péché, et que Dieu
par sa bonté guérit ce mal ; que c'est le dia-
ble qui a fait à l'homme la plaie du péché
qui cause cette discorde que nous voyons
entre la chair et l'esprit; que le diable ne
peut toutefois faire à l'égard de l'homme,
que ce que Dieu lui permet, et que quand il
lui a permis d'exciter des persécutions dans
l'Église, ça été pour procurer des couronnes
aux martyrs, et pour faire tourner tous les
maux que cet esprit malin tâche de faire aux
hommes, à l'avantage des élus; qu'au reste
si, comme le voulait Julien, le diable pou-
vait faire tout ce qu'il voudrait, il ne man-
querait jamais de faire mourir les hommes
impies tandis qu'ils sont encore sous sa puis-
sance, dès qu'il s'apercevrait qu'ils pensent à
se convertir et à se faire chrétiens. Il prouve cap. vm.
contre cet hérétique, par l'exemple des en-
fants, que la grâce n'est pas donnée selon
les mérites. « En effet, ils ne demandent
point, ils ne cherchent point, ils ne frappent
point à la porte; et qui plus est, quand ou
veut leur administrer le baptême , ils s'y op-
posent en criant, ils le rejettent, et résistent
autant qu'il est en eux. Toutefois, cela n'em-
pêche pas qu'ils ne reçoivent, qu'ils ne trou-
vent, qu'on ne leur ouvre, et qu'ils n'entrent
dans le royaume de Dieu, où ils trouvent le
salut éternel et la connaissance de la vérité,
pendant que cette grâce est refusée à une
infinité d'autres enfants, par celui qui veut
que tous les hommes soient sauvés, et qu'ils
viennent à la connaissance de la vérité. »
Il explique la volonté que Dieu a de sau-
ver tous les hommes, dans le même sens
que ces paroles de saint Paul : C'est par la i"""- v,
justice d'un seul, que tous les hommes reçoivent
la justification de la vie : car Dieu veut sauver
et faire venir à la connaissance de la vérité
tous ceux qui reçoivent la grâce de cette
justification. « Que pourrions-nous, dit-il,
répondre à ceux qui nous diraient : Si Dieu
veut que tous les hommes soient sauvés, et
qu'ils viennent à la connaissance de la vé-
rité, et si la raison pour laquelle ils n'y
viennent pas tous, c'est qu'eux-mêmes ne le
veulent pas ; d'où vient donc qu'un million
d'enfants meurent sans baptême, et ne vien-
nent pas au royatmie de Dieu, où l'on a
une connaissance certaine de la vérité ? Di-
ra-t-on qu'ils ne sont pas des hommes , et
cpi'ainsi ils ne sont pas du nombre de ceux
500
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
dont l'Apôtre a voulu parler, quand il a dit
i Timoih.ii, tous les hommes ? ou bien ne pourrait-on pas
dire : Dieu veut sauver ces enfants , mais
ces enfants ne le veulent pas ? Mais qui ne
sait, que ces enfants n'ont pas encore assez
de connaissance pour vouloir, ou ne pas
vouloir ce qui regarde le salut ? Et n'est-il
pas évident que les enfants qui meurent
après avoir reçu le baptême, et qui par ce
moyen viennent à la connaissance de la vé-
rité, qu'on a certainement dans le royaume
de Dieu, n'y viennent cas, parce qu'ils ont
voulu être régénérés par le baptême de Jé-
sus-Christ? Puisqu'on ne peut donc pas dire
que les uns n'ont pas été baptisés, parce
qu'ils ne l'ont pas voulu, et que les autres
le sont, parce qu'ils l'ont voulu , pourquoi
Dieu, qui veut que tous les hommes soient
sauvés, soutfre-t-il que tant d'enfants inca-
pables de lui résister par aucun acte de leur
volonté, ne viennent point à son royaume?»
Saint Augustin, après avoir montré l'ab-
surdité des réponses de Julien à cet argu-
ment, dit d'après saint Paul : a Le Seigneicr
connaît ceux qui sont à lui. La volonté qu'il
a de les sauver, et de les faire entrer dans
son royaume, est un décret immuable. Il
faut donc, continue-t-i), entendre ces paroles
de l'Apôtre : Dieu veut que tous les hommes
soient sauvés, de la même manière que nous
entendons ces autres paroles du même Apô-
tre : C'est par la justice d'un seul que tous
les hommes reçoivent la justification de la vie.
Si vous dites, que dans ce dernier témoi-
gnage de l'Apôtre , le mot tous doit être
pris pour plusieurs, parce que si plusieurs
reçoivent la justification et la vie en Jésus-
Clu'ist, il y en a aussi plusieurs qui ne la
reçoivent pas ; on voug répondra, qu'il faut
entendre de la même manière l'endroit où
il dit : Dieu veut que tous les hommes soient
sauvés, où le mot tous a été mis pour mar-
quer tous ceux à qui il veut faire cette grâce.
Il est aisé de comprendre que cette manière
de parler se rapporte parfaitement à ce qui
est dit ailleurs, que personne ne vient, sinon
celui que Dieu lui-même veut faire venir :
Personne ne peut venir à moi, dit le Fils de
Dieu, si mon Père qui m'a envoyé ne le tire à
lui. Un peu après : Personne ne peut venir à
moi, s'il ne lui est donné par mon Père. Ainsi
tous ceux qui sont sauvés, et qui viennent
à la connaissance de la vérité, y viennent,
et sont sauvés, parce que Dieu le veut. Car
les uns, tels que sont les enfants, ne font
n TimoUi.n.
ï TiinoUi. 11,
Jonn. Vi, U
elGG.
encore aucun usage de leur volonté ; et ils
ne sont régénérés que parce que Dieu le
veut, comme ils n'ont été engendrés que
parce qu'il les a créés ; les autres qui font
usage de leur volonté, ne peuvent vouloir
le bien, si Dieu ne le veut, et si par sa grâce
il ne prépare leur volonté. Sur quoi, si vous
me demandez d'où vient qu'il ne change
pas les volontés de tous ceux qui ne veulent
pas ce qu'ils devraient vouloir , je vous ré-
pondrai : Et d'où vient qu'il n'adopte pas
par le sacrement de la régénération tous les
enfants qui sont sur le point de mourir, eux
qui ne faisant encore aucun usage de leur
volonté, ne sauraient en avoir de contraire
à la sienne ? Si vous reconnaissez qu'il y a
dans cette conduite de Dieu une profondeur,
dont il vous est impossible de rendre raison ,
souffrez que j'en dise autant pour répondre
à votre question. Confessons donc l'un et
l'autre, que dans ces deux questions qui re-
gardent les adultes et les enfants, il y a
deux profondeurs également impénétrables;
gt qu'il est impossible de dire, pourquoi
Dieu veut donner la grâce aux uns, et ne
veut pas la donner aux autres. Mais en
même temps attachons-nous immuablement
à ces vérités très-certaines, qu'il ne peut y
avoir en Dieu de l'injustice, parce qu'il ne
peut condamner personne, s'il ne le mérite
par son péché, et qu'il y a en Dieu une
bonté qui le porte à en sauver plusieurs,
sans qu'ils aient rien fait de bon pour le
mériter. Car c'est ainsi qu'il veut montrer
dans ceux qu'il condamne, ce que tous les
autres ont mérité , afin que ceux qu'il sauve
apprennent par la, quelle est la peine qui
leur était due, et dont ils sont délivrés; et
quelle est la grâce qu'il leur a faite, sans
qu'ils aient rien fait pour la mériter. »
Selon Julien, c'était tout attribuer au des-
tin, que de ne point supposer de mérites
dans ceux que Dieu veut sauver. « S'il faut
supposer des mérites précédents pour s'em-
pêcher d'admettre le destin, lui répond
le saint Évêque, c'est donc par mi eflet du
destin, que des enfants qui n'ont fait au-
cune bonne œuvre, sont baptisés, et qu'ils
entrent dans le royaume de Dieu ; et c'est
aussi par un effet du destin, que les autres
enfants, qui n'ont fait aucun mal, ne reçoi-
vent point le baptême, et n'entrent point dans
le royaume de Dieu . ))
21. Julien assurait que saint Augustin
avait dit dans un de ses livres, qu'on nie le
Cnp. '
[lV° ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
301
libre arbitre, quand on défend la grâce ; et
qu'on nie la grâce, quand on défend le libre
arbitre. « Rendez-moi, lui dit ce Père, mes
propres paroles, et votre calomnie s'en ira
en fumée. Remettez ces deux mots, il semble,
et 011 ct^oirait, dans l'endroit où ils doivent
être , et tout le monde verra avec quelle
mauvaise foi vous disputez. Je n'ai pas dit,
qu'on nie la grâce, mais qu'il semble qu'on
nie la grâce. Je n'ai pas dit, qu'on nie le li-
bre arbitre, ou qu'on le détruit, mais j'ai dit,
qu'on croirait qu'on détruit le libre arbitre. »
, Gomme Julien avait avancé , en par-
lant de la chasteté conjugale, que les im-
pies mêmes pouvaient l'avoir. » Sachez, lui
dit saint Augustin, que ce que la grâce nous
donne, c'est la véritable vertu, et non ce
qui en porte le nom, sans en avoir la réa-
lité. Pourquoi confondez - vous la chasteté
avec la virginité ? La chasteté appartient à
l'âme, et la virginité au corps. Et comme la
virginité du corps peut être enlevée par
violence, lors même que la chasteté de l'â-
me demeure en son entier, aussi perd-t-on
la chasteté de l'âme par une volonté impu-
dique, lors même que rien ne donne at-
teinte à la virginité du corps. C'est pour
cela que je n'ai pas dit, que sans la foi il n'y
a point de véritable mariage, de véritable
viduité, de véritable virginité : mais j'ai dit,
qu'il n'y a point de véritable chasteté, soit
dans le mariage, soit dans la viduité, soit
dans la profession de virginité, si elle n'est
fondée sur la véritable foi. Car il peut y
avoir dans l'état du mariage, de la viduité,
et de la virginité, des personnes qui, sans
manquer à aucun des devoirs extérieurs de
leur état, ne sont pas pour cela chastes, si
leur volonté est souillée, et s'ils ont des
désirs impudiques. Mais qui d'entre nous,
continue ce Père- en répondant aux calom-
nies de Julien, a jamais dit, qu'il faut regar-
der, comme un véritable mal, le mélange
des deux sexes, par le moyen duquel le ma-
riage use bien du mal de la concupiscence
pour la génération des enfants? La concu-
piscence même ne serait pas un mal, si
tous ses mouvements se rapportaient à l'u-
sage licite du mariage pour la génération
des enfants. Mais comme il n'en est pas
ainsi, la chasteté conjugale qui réprime ses
mouvements, et qui lui donne des bornes,
doit être regardée pour cela même comme
un véritable bien. »
Il enseigne que la pudicité ^conjugale
Cap. rx.
Cap.
Cap.
consiste à faire un usage légitime du mal
de la concupiscence, et cpie c'est ce qui fait
que ce mal même ne peut pas être nommé
impudicité ; il ajoute que l'on ne doit pas
croire que la pudicité virginale se trouve
pai'mi les impies, quoiqu'on trouve parmi
eux la virginité du corps, parce que la véri-
table pudicité ne saurait être dans une âme
adultère. 11 prouve contre Julien que la
concupiscence n'est pas naturelle à l'hom-
me, et qu'on ne peut pas dire que ce mal
tire son origine de l'institution de la nature,
mais de la mauvaise volonté du premier
homme ; qu'aussi ce mal ne subsistera plus
un jour, puisqu'il sera puni dans les uns, et
guéri dans les autres ; que cette concupis-
cence est une peine du péché, dont la na-
ture humaine ne sera exempte que lors-
qu'elle sera entièrement guérie ; et qu'elle
n'a pu être dans le paradis terrestre, telle
qu'elle est aujourd'hui. Julien avait rapporté
plusieurs endroits des écrits de Cicéron, où cip. .\n.
cet orateur fait la description du corps.
Saint Augustin lui en oppose d'autres, où
l'on voit que cet auteur ne parle pas des mi-
sères des hommes, comme d'une suite de
leurs dérèglements, mais de la nature mê-
me, a Cicéron, dit ce Père, voyait le mal,
mais il n'en connaissait pas la cause. Il ne ecci.îi.i.
savait pas d'où venait ce joug si pesant qui
accable les enfants d'Adam, depuis le jour
qu'ils sortent du ventre de leur mère, jus-
qu'au jour de leur sépulture, où ils rentrent
dans la mère commune de tous , parce que
n'ayant aucune connaissance des livres sa-
crés, il ne pouvait remonter jusqu'au péché
originel, qui est la cause de tous ces maux. «
Il allègue encore un autre témoignage de ce
même orateur, où il reconnaissait que les
affections de l'âme, que Julien défendait
comme bonnes, sont des affections vicieuses, cap. xir.
Il fait voir que Julien lui-même parlait quel-
quefois de la concupiscence comme d'un
mal, et prouve par ces paroles de saint Jean :
N'aimez pas la concupiscence de la chair, qu'il
n'est pas permis de la louer, comme faisait
ordinairement ce pélagien.
22. Mais, disait Julien, si la concupiscence Cap. nv.
vient du démon, il faudra dire aussi la même
chose des sens de la vue, de l'ouïe, de l'odo-
rat, du goût et du toucher. « Vous ignorez
donc, lui répond saint Augustin, ou vous
faites semblant d'ignorer, qu'il y a bien de
la différence entre la vivacité du sentiment,
l'utihté et la nécessité de sentir ce qu'on sent
302
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
par tous les sei:s du corps, et le désir déré-
glé qui fait chercher la Yohipté dans le sen-
timcut? La vivacité du sentiment, est ce qui
fait que les uns perçoivent, plus parfaitement
que les autres, les qualités des choses cor-
porelles, selon leur nature, on leur manière
d'êti-e; et que l'un distingue mieux que l'au-
tre, le vrai du faux. L'utilité du sentiment
consiste en ce que par là nous nous procu-
rons ce qui convient à la conservation de
notre corps et de notre vie, et que nous
voyons ce qui est bon, et ce qui est mau-
vais ; ce qu'il faut prendre, et ce qu'il faut
rejeter; ce. qu'il faut chercher et ce qu'il
faut éviter. Il y a nécessité de sentir, lors-
qu'on met sous nos sens ce que nous vou-
drions éloigner de nous. Mais le désir déré-
glé de sentir, dont il est question entre vous
et nous, est une certaine inclination, qui,
pour se procurer un plaisir sensible, nous
pousse à chercher certains sentiments; et ce
désir déréglé, qui se fait sentir, soit que
l'esprit y consente, soit qu'il y résiste, est
opposé à l'amour de la vraie sagesse, et l'en-
nemi de toutes les vertus. C'est un mal dont
le mariage use bien quand on n'a pour fin
que la génération des enfants, et non la vo-
lupté. Il faut donc distinguer cette volupté
de la A'ivacité du sentiment, de l'utilité et de
la nécessité de sentir. Jésus-Christ a distin-
gué d'ime manière très-claire le sens de la
vue du désir déréglé d'un plaisir qui vient
par les sens, lorsqu'il dit dans l'Évangile :
Quiconque regardera une femme avec un mau-
vais désir pour elle, a déjà commis l'adultère
dans son cœur. Une dit pas simplement : Qui-
conque regardera une femme ; 'û aionie , avec
un mauvais désir povr elle. L'un est l'ouvrage
de Dieu, qui a donné un corps à l'homme ;
l'autre est l'ouvrage du diable, qui, par ses
conseils, a fait tomber l'homme dans le pé-
ché. »
Saint Augustin apporte d'autres exemples
où l'on distingue le senliraent d'avec le désir
déréglé; l'homme de bien admire l'éclat de
l'or, mais d'une manière bien différente de
l'avare; son admiration est toute religieuse,
parce qu'il la rapporte au Créateur, tandis
que l'avare est tout occupé du désir de jouir
de la créature. «L'esprit est assurément tou-
ché d'un sentiment de piété, quand on en-
tend les divins canliques, mais si, par un dé-
sir déréglé, on cherche à contenter par le
son le sens de l'ouïe, au lieu de s'appliquer
au sens des paroles qu'on chante, il est cer-
tain cju'on pèche et que le péché est, sans
comparaison plus grand, si on prend plai-
sir à des chansons impertinentes , ou même
impm'es. Les trois autres sens sont moins
agissants, et en quelque sorte plus grossiers,
puisqu'ils n'agissent que sur les objets qui
sont près de nous, et que leur action ne va
pas jusqu'à ceux qui en sont éloignés. L'odo-
rat discerne les odeurs, le goût, la saveur, et
en touchant, on distingue phisieiu-s choses
qui ne se connaissent que par le toucher. Or,
quand on ne cherche qu'à éviter les incom-
modités que causent la puanteur, l'amer-
tume, le chaud, le froid, l'âpreté, la dureté
et la pesanteur de certains corps, on ne doit
pas regarder cela comme un appétit désor-
donné de la volupté, mnis comme une pré-
caution raisonnable contre ce qui nous ferait
de la peine. » Saint Augustin décide que le
désir des plaisirs qui ne sont en aucune ma-
nière nécessaires, est un mal ; et il fait re-
marquer que la faim et le plaisir de manger,
sont deux choses bien différentes. « Quand ,
dit-il, la nature demande en quelque sorte le
soulagement dont elle a besoin, on n'appelle
pas cela volupté, mais faim ou soif; mais
lorsqu'on a pris ce que la nécessité oblige de
rechercher et que le plaisir nous porte à con-
tinuer de manger, c'est alors la volupté qui
nous entraîne, et c'est un mal auquel il faut
résister. Car ce n'est point en mangeant,
mais en gardant une exacte tempérance,
qu'il faut apaiser l'ardeur qu'on a pour le
plaisir démanger. » Saint Augustin dit quel-
que chose en passant des bornes que l'on se
serait prescrites dans l'état d'innocence poiu"
le boire et le manger, et de l'usage que
l'homme innocent aurait fait de l'arbre de
de vie; puis, revenant à l'état où nous som-
mes, il dit que les saints mêmes y sont tou-
jours exposés à la tentation, et aux surprises
de la concupiscence, lors môme que les yeux
ne voient rien, et que les oreilles n'entendent
rien qui soit capable de les tenter. « Quels
etlbrts, diî-il, ne fait-elle pas pour rappeler
dans notre esprit des choses oubliées depuis
longtemps, pour exciter en nous nu plaisir
honteux par le souvenir importun des cho-
ses passées, et pour troubler les âmes chas-
tes dans leurs pieux desseins par le bruit et
le soulèvement de la cupidité charnelle?
Elle nous cache la juste mesure des besoins
du corps, et nous entraine au delà des boi'-
nes du nécessaire, vei-s tout ce qui peut flat-
ter la sensualité. De là vient cette guerre
[iV" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIiN, ÉVÈQUE D'HIPPONE.
303
continuelle que les saints se font par rapport
au boire et au manger. »
Le saint Docteur remarque toutefois que
nous pouvons bien user de ce mal qui est en
nous, lorsque le plaisir ne nous fait faire
que ce qui est convenable à notre santé;
et que ce plaisir même ne peut être con-
damné , parce qu'il n'est pas tel qu'on ne
puisse en mangeant occuper son esprit de
bonnes choses. Il cite un passage de Gicéron,
qui regardait la volupté du corps, comme
contraire à la liberté de l'esprit; et un de
Platon qui dit que les voluptés du corps sont
des amorces et des appas qui engagent les
hommes dans toutes sortes de crimes.
23. Julien, pour justifier ce qu'il avait dit
de la concupiscence, avait appelé à son se-
cours une foule de philosophes, comme si
les erreurs de quelques savants pouvaient
être un titre en faveur de ceUes dont il avait
pris la défense. Mais saint Augustin lui re-
proche de n'avoir cité pour son sentiment
que ceux qui ont traité des choses naturelles,
et non cette partie de la philosophie qui re-
garde les mœurs, que nous appelons morale.
« C'est, dit-il, que vous avez appréhendé
que ces philosophes, prenant mieux que vous
le parti de l'honnêteté, ne vous accablent par
le poids de leur autorité , eux qui ont tou-
jours donné la préférence à ce qu'il y a de
plus honnête, et qui ne se sont pas même si
fort écartés de la foi chrétienne que les pé-
lagiens, du moins à l'égard du péché origi-
nel, puisqu'ils ont dit, que si la vie des hom-
mes est sujette à tant de vicissitudes et de
misères, c'est par un juste jugement de ce-
lui quia créé le monde et qui le gouverne.»
Il fait voir à Julien que ces paroles de l'A-
pôtre : Les membres du corps qui paraissent
les plus faibles, sont les plus nécessaires; nous
honorons même davantage par nos vêtements les
parties du corps qui paraissent les moins honora-
bles, etc., que ce pélagien citait pour lui, fai-
saient directement contre lui, selon la ver-
sion latine, et plus encore selon le grec ;
puisqu'en cet endroit l'Apôtre parle des par-
ties flu corps qu'on couvre avec plus de soin
et d'honnêteté; que c'est dans le soin qu'on
a de les couvrir avec honnêteté, que consiste
l'honneur qu'on leur rend, et qu'on les cou-
vre avec d'autant plus de soin, qu'elles sont
moins honnêtes. Il soutient que ce fut uni-
quement la honte qui obligea nos premiers
pères de se couvrir avec des feuilles de fi-
guier, pour cacher ce qui les faisait rougir,
et que cette honte était l'effet de la concu-
piscence qui les couvrait de confusion. Il
marque en peu de mots les différentes ten-
tations qui sont les suites du péché originel.
« Voyez, dit-il, combien de maux les hom-
mes ont à souffrir, et combien tout le temps
de l'enfance est rempli de vanités, de peines,
d'erreurs et de terreurs; quand ils sont en-
suite dans un âge plus avancé, à combien
de périls se trouvent-ils exposés ? Je parle
de ceux-mêmes qui se sont consacrés au ser-
vice de Dieu. Ils doivent être en garde con-
tre les tentations de l'erreur, qui empêche
de voir le bien qu'il faut faire, et le mal qu'il
faut éviter; contre celles du travail et de la
douleur, qui portent à l'abattement et à
l'impatience ; contre celles de la passion, qui
allume l'amour des plaisirs charnels ; contre
celles de la tristesse, qui conduit à l'ennui
et au dégoût; contre celles de la vaine
gloire, qui porte toujours à s'élever au-des-
sus des autres; et contre beaucoup d'autres
tentations qu'il n'est pas possible de mar-
quer, qui rendent si pesant le joug qui acca-
ble les enfants d'Adam. »
24. Après avoir répondu aux deux pre-
miers livres de Julien, dans les précédents,
saint Augustin vient à ce qui était contenu
dans le cinquième. Ce pélagien l'accusait de
soutenir une doctrine, d'où il suivait que
Dieu est injuste. «EUe n'est point, lui répond
ce Père, telle que vous dites, puisque ce qui
vous parait si étrange se réduit à dire que
celui dont la beauté surpasse celle de tous
les enfants des hommes, est le Sauveur de
tous les hommes, et par conséquent des en-
fants; que l'homme, parle péché d'Adam,
est devenu semblable au néant, et que ses
jours passent comme l'ombre ; que c'est très-
justement que les entants mêmes sont punis
par tous ces diÛ'érents maux que nous voyons
tous les jours; que ce n'est pas au diable
qu'il faut attribuer la création des hommes,
mais la dépravation du gem-e humain dans
son origine ; que le péché n'est point une
substance, mais une action; que la conta-
gion du péché des premiers hommes a passé
à leur postérité ; enfin que la connaissance
n'a pas manqué à celui en qui tous ont pé-
ché, et de qui le péché a passé à tous les au-
tres hommes. » 11 dit à Julien que la raison
pour laquelle l'hérésie pélagienne était re-
jetée avec horreur par le commun des fidè-
les, c'est que ces fidèles ne doutent pas que
Dieu ne soit le créateur de tous les hommes.
Analysa
cinquième
vre, pag. 6
Cap. I.
Psal. cxLii
4.
504
HISTOmE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
et qu'il ne soit très-juste; que c'est pour
cela qu'ils ne sauraient se persuader, que
sous un Dieu, créateur très-bon et très-juste,
il pût arriver que leurs enfants, qui sont les
images de Dieu, soufl'rissent dans un âge si
tendre, tous les maux qu'ils leur voient souf-
frir, s'il n'y avait pas un péché oj'iginel. Il
Cap, II. prouve contre lui, que le mot grec de Péri-
zomata, que l'usage a fait passer dans la ver-
sion latine, ne doit s'entendre que d'une
ceinture que nos premiers pères mirent au-
tour de leurs reins, et non d'un vêtement en-
tier, comme le voulait ce pélagien, en quoi
il s'appuie, non de l'autorité des peintres,
comme Julien le lui reprochait; mais de
cnp. m. celle des divines Écritures. Julien louait la
concupiscence, comme la vengeresse du
crime, et l'exécutrice des ordres de Dieu
contre le péché, a Louez donc aussi Satan,
lui répond saint Augustin, parce qu'il a été
aussi le vengeur du péché, lorsque l'Apôtre
lui livra un homme pour mortifier sa chair.
icor. V, 8. Louez Saiil, quoiqu'il ait été un méchant roi,
parce qu'il a été destiné pour punir les pé-
chés d'un peuple, selon cette parole du Sei-
,,o=°- ^"'' gneur : Je vous ai donné un roi dans ma fu-
reur. » Saint Augustin fait voir que la même
chose peut être péché, peine du péché et
cause du péché ; et il en fait l'application à la
concupiscence, en ces termes : « Comme l'a-
veuglement du cœur dont Dieu seul peut le
délivrer en l'éclairant, est, et un péché par
lequel on ne croit point en Dieu, et la peine
d'un péché, puisque c'est une juste puni-
tion du cœur orgueilleux, et la cause du pé-
ché, toutes les fois que suivant l'égarement
d'un cœur aveuglé, on se porte à commettre
quelque péché : de même la concupiscence
de la chair, à laquelle le bon esprit oppose
toujours des désirs contraires, est un péché,
parce qu'elle est une révolte contre l'empire
de l'esprit ; elle est la peine du péché, parce
qu'elle est la peine que l'homme a méritée
en désobéissant à Dieu; elle est la cause du
péché, ou par le défaut de celui qui lui
donne son consentement, ou par la contagion
qui passe dans les enfants. »
Le saint Docteur explique ensuite la dif-
férence qu'il y a entre sentir de mauvais
désirs et suivre ses mauvais désirs. « Autre
chose , dit-il , est d'avoir dans son cœur de
mauvais désirs, autre chose est de s'en ren-
dre esclave par le consentement qu'on leur
donne. Si cela n'était pas ainsi, ce serait en
Ecci.xvi,3o. vain qu'il aurait été écrit : Ne vous laissez
point aller à vos mauvais désirs, si un homme
était coupable dès lors qu'il sent ces désirs
qui l'agitent, et qui s'efforcent de l'entrahier
au mal. On ne peut pas dire, en eftet, qu'un
homme suive ses mauvais désirs quand il les
combat, qu'il leur résiste, qu'il leur refuse
son consentement.» Puis il apporte plusieurs
exemples de l'Écriture, où l'on voit qu'il y a
des péchés qui sont la peine d'autres péchés.
«N'ya-t-ilpas, dit-il, un péché qui est la peine
du péché dans l'endroit où le prophète Isaïe
dit , au nom de son peuple : Pourquoi, Sei-
gneur, nous avez-vous fait sortir de vos voies ?
Pourquoi avez-vous endurci notre cœur jusqu'à
perdre votre crainte? N'y a-t-il pas un péché
qui est la peine du péché dans l'endroit où
le même prophète dit à Dieu : Vous vous êtes
mis en colère contre nous , parce que nous vous
avons offensé; c'est pourquoi nous nous sommes
égarés, et nous sommes tous devenus comme un
homme impur. S'il y a donc des hommes que
Dieu appelle à la pénitence par une miséri-
corde toute gratuite , il y en a qu'il laisse
dans l'impénitence par un jugement très-
juste, et qu'il livre cà des passions honteuses,
afin qu'ils fassent des actions qui marquent
un renversement de raison; et par là, les
mêmes péchés sont la peine des péchés pas-
sés et la cause des peines à venir, comme
cela est ai'rivé à l'égard d'Achab, que Dieu
livra au mensonge des faux prophètes, et de
Roboam , que Dieu livra au mauvais conseil
des jeunes gens. Dieu ne rend pas pour cela
les volontés mauvaises, mais il s'en sert pour
l'accomplissement de ses desseins. Il y a des
temps où il exauce, parce qu'il aime, et qu'il
veut faire miséricorde ; mais il y en a où il
n'exauce pas, parce qu'il est en colère; il y
en a encore d'autres où il n'exauce pas, parce
qu'il veut faire miséricorde, et où il exauce,
parce qu'il est en colère ; mais dans toutes
ces rencontres , il ne cesse point d'être tou-
jours également bon, également juste. »
23. Saint Augustin convient que dans le
paradis terrestre, le premier péché a com-
mencé par l'esprit qui s'est élevé en lui-
même, et qui a donné son consentement à la
transgression du précepte, à cause de ces pa-
roles du serpent : Vous serez comme des dieux';
« mais c'est l'homme tout entier , ajoute-
t-il, qui a commis ce péché. Pour lors, notre
chair est devenue une chair de péché , et sa
•corruption ne peut être guérie que par une
chair semblable à la chair du péché. Mais
comment est-ce que les âmes se trouvent
Cap. iv.
Cap. IV.
[IV° ET Y° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
SOS
enveloppées dans la même condamnation
que la chair, si tout ce qui naît n'est purifié
par l'eau de la renaissance? On ne peut
guère dire autre chose , sinon que les âmes
se trouvent infectées aussi bien que les
corps, parce qu'elles viennent d'Adam aussi
bien que la chair ; ou que les âmes étant mi-
ses dans un corps qui est comme un vaisseau
infecté , elles se trouvent infectées par l'u-
nion avec ce corps , où elles sont enfermées
par un secret jugement de la justice divine. »
Saint Augustin propose ces deux opinions ,
sans décider ce qu'il faut penser sur l'origine
de l'âme , avouant qu'il l'ignore. « Mais je
sais certainement, ajoute-t-il, qu'il faut tenir
comme vrai ce que la foi véritable, ancienne
et catholique , dont la croyance du péché
originel fait partie , me fera voir n'être pas
faux. » Julien comparait la concupiscence à
la faim et à d'autres incommodités sembla-
bles. « Cette comparaison, réplique saint Au-
gustin, n'est pas juste , car, de ce que per-
sonne n'est pas le maître d'avoir faim, d'avoir
soif et de digérer ce qu'il a mangé, quand il
veut , il suit que ce sont des nécessités aux-
quelles il faut satisfaire, en procurant au
corps les rafraîchissements et les soulage-
ments nécessaires , pour l'empêcher d'en
être incommodé ou de mourir. Mais le corps
est - il incommodé ou meurt - il , si on ne
donne pas son consentement à la concupis-
cence? Il ne faut donc pas confondre les
maux que nous souffrons par la patience,
avec ceux que nous réprimons par la conti-
nence. » Le saint Évêque fait voir que l'É-
glise ne fait aucune injustice aux docteurs
de l'hérésie pélagienne , en les mettant hoi-s
de son sein. Comme elle est sainte , une et
catholique, figurée par le nom même du pa-
radis terrestre, ceux qui en sont les pasteurs
doivent exhorter les fidèles à éviter ces nou-
veaux hérétiques, pour ne pas périr avec
eux. Parlant des vierges chrétiennes, il dit
que ce n'est pas seulement par l'habit qu'el-
les se distinguent; mais qu'elles soutiennent
encore la sainteté de leur profession par la
pureté de leur âme et de leur corps, en résis-
tant à la concupiscence de la chair; que c'est
tout ce qu'on peut faire dans cette vie, où il
nous est impossible de l'anéantir; mais qu'on
peut la vaincre, en lui résistant et en la com-
battant. Julien prétendait qu'elle était natu-
relle à l'homme, et qu'elle aurait été dans le
paradis telle qu'elle est maintenant. Saint
Augustin convient qu'elle est naturelle ,
Cap. IX.
puisque l'homme naît avec elle ; mais il sou.
tient que l'on ne peut introduire dans le
paradis avant le péché une loi de péché telle
qu'est la concupiscence. Comme ce pélagien
l'avait accusé d'approcher des erreurs des
paterniens , qui , difl'érant peu des mani-
chéens , disaient que le corps de l'homme ,
depuis les reins jusqu'aux pieds, a été fait
par le diable, il leur dit anathème. Il justifie tap. vm
ensuite ce qu'il avait dit dans son premier
livre du Mariage et de la Concupiscence,
pour distinguer le bien du mariage d'avec le
mal de cette concupiscence ; et fait voir qu'on
n'est victorieux de ses efforts que par la
charité , qui est répandue dans nos cœurs
par le Saint-Esprit. Il entreprend aussi la
défense de ce qu'il avait avancé après saint
Paul, que la même chose peut être péché et
peine du péché ; et montre qu'un même mal
qui sert à punir les pécheurs peut venir et
de la malice du diable et de la justice de
Dieu, puisque le diable se porte par sa pro-
pre malice à faire du mal aux hommes, et
que Dieu , par un jugement très-juste , lui
permet de faire du mal aux pécheurs. 11
explique en quel sens le diable est cause de
la mort, et en quel sens Dieu en est l'auteur.
Le diable est la cause de la mort, parce que
c'est lui qui par ses artifices a trompé l'hom-
me : Dieu n'en est pas la cause comme pre-
mier auteur, mais comme vengeur du péché.
Par ce moyen , il ôte la contradiction appa-
rente qui se trouve entre ces deux passages
de l'Ecriture : Dieu n'a point fait la mort , et
la vie et la mort viennent de Dieu. Il renvoie
Julien à l'exemple de Caton , pour se con-
vaincre que l'on peut posséder le vase de
son corps sans se laisser vaincre à la mala-
die de la concupiscence charnelle, car le
poète Lucain a dit de lui :
Jamais des passions l'amorce dangereuse,
De son âme ne put troubler l'égalité,
Et jamais il ne fit rien pour la volupté.
Il lui prouve encore que les auteurs païens cap. x.
ont reconnu que la volupté est ennemie de
la philosophie, parce qu'elle ne saurait s'ac-
corder avec une apphcation sérieuse de l'es-
prit.
26. Julien appliquait aux enfants, en sup- cap. si.
posant qu'ils naissaient avec le péché origi-
nel, ces paroles de l'Évangile : // vaudrait __Mami. .nxvi,
mieux pour lui qu'il ne fût jamais venu au mon-
de. Saint Augustin soutient qu'elles ne regar-
dent pas tous les pécheiu-s, mais seulement
Fap.
Etcl,
I lliei
xr, 11.
sal.iv.
506
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
les plus scélérats et les plus impies. Il ne
doute pas que les enfants qui meurent sans
baptême ne doivent être traités avec moins
de rigueur que tous les autres damnés, puis-
qu'ils n'ont que le. péché originel, et qu'ils
ne sont chargés d'aucun péché qui leur soit
Cap, XII, propre. Néanmoins, il avoue qu'il ne peut
déterminer précisément qaelle sera la gran-
dear des peines qu'ils auront à souffrir, ni
s'il vaudrait mieux pour eux qu'ils ne fussent
pas , que d'être dans un état de damnation.
Julien s'efforçait de montrer qu'il n'y
avait point eu de véritable mariage entre
la sainte Vierge et saint Joseph, parce
qu'ils avaient vécu en continence ; sur quoi
saint Augustin dit qu'il suivrait de là qu'il
n'y aurait plus de mariage entre un mari
et sa femme , dès lors qu'il n'y a plus
entr'eux de commerce charnel, II montre
que des trois biens qui appartiennent au
mariage, la fidéhté, les enfants et le sacre-
ment, [il n'y en a point qui ne se trouve
dans le mariage de saint Joseph et de la
Vierge ; la fidélité, en ce qu'il n'y a point eu
d'adultère; les enfants, en la personne de
Jésus-Christ; le sacrement, en ce qu'il n'y a
point eu de divorce; que l'Écriture appelle
la vierge Marie la femme de Joseph, et qu'elle
conduit jusqu'à lui la généalogie de Jésus-
Christ, pour lui conserver sans doute le rang
que lui donnait dans ce mariage la qualité
de mari et d'époux de Marie ; que quand
Luc, m, i3. saint Luc a dit de Notre-Seigneur qu'on le
croyait fils de Joseph, c'est parce que les
hommes le croyaient fils de Joseph selon la
chair, et que c'est cette fausse opinion qu'il
a voulu détruire ; mais qu'il n'a pas pour
cela voulu nier contre le témoignage de
l'ange, que Marie ne fût l'épouse de Joseph.
Julien avouait que Marie avait été appelée la
femme de Joseph en vertu de la foi mutuelle
qu'ils s'étaient donnée en se mariant. (( Or,
ajoute saint Augustin , cette foi est toujours
demeurée inviolable : car, quand Joseph eut
appris que cette sainte Vierge était devenue
féconde d'une manière toute divine, il ne
songea pas à épouser une autre femme, et il
ne crut pas que le lien de la foi conjugale,
qui les imissait ensemble , dût être rompu
par l'engagement où il se trouvait de s'abs-
tenir pour toujours de l'usage du mariage.»
Ce qui est dans un sujet, disait Julien, ne
peut subsister sans son sujet; d'oîi il suit
que le mal qui est dans le père comme dans
son sujet, ne pouvant s'étendre jusqu'au fils,
il ne peut y faire passer la souillure qui rend
le père criminel. « Vous auriez raison de cop, >
parler ainsi, lui répond saint Augustin, si
le mal de la concupiscence ne passait point
du père au fils ; mais comme personne n'est
engendré sans ce mal, et qu'ainsi il n'y a per-
sonne qui naisse san s ce "mal, comment pouvez-
A'ous dire que ce malne peut parveuirjusqu'au
fils, puisque certainement il y passe ? Car, ce
n'est pas Aristote, mais l'Apôtre, qui dit :
Le péché est entré dans le monde par un seul iiom.'
homme, et il est passé ainsi dans tous les hom-
mes. Vous n'avez toutefois rien dit que de
vrai, lorsque vous avez dit que les choses
qui sont dans un sujet, comme les quahtés,
ne peuvent subsister sans le sujet dans le-
quel-eUes sont, comme la couleur et la forme
subsistent dans le corps qui est leur sujet;
mais elles passent à d'autres corps en se
communiquant, non en changeant de lieu.
C'est ainsi que les Éthiopiens, qui sont noii-s ,
engendrent des enfants qui le sont aussi. On
ne peut pas dire néanmoins que les pères
fassent passer leur coulem' à leurs enfants,
comme un habit dont ils se dépouilleraient;
ils communiquent seulement une qualité qui
est propre à leur corps , aux corps qui vien-
nent d'eux par la propagation. C'est ainsi
que les vices, quoiqu'ils soient attachés à un
sujet , ne laissent pas de passer des parents
aux enfants , non en quittant un sujet pour
passer dans un autre, ce qui est impossible,
mais en se communiquant et en infectant un
autre sujet, n
27. On voit par là comment, à l'excep- cap. x
tion de la chair de Jésus-Christ, la chair de
tous les autres hommes est une chair de
péché, parce que la concupiscence, par la-
quelle Jésus-Christ n'a pas voulu être conçu,
a fait une propagation du mal dans tout le
genre humain. Car, quoique le corps de
Marie ait été conçu par la concupiscence de
ses parents, elle n'a pas cependant fait pas-
ser ce mal dans le corps qu'elle a conçu,
parce que la concupiscence n'a point eu de
part à cette conception. Cela n'empêche pas
que Jésus-Christ n'ait pris notre mortalité,
puisqu'il a pris sa chair du corps de sa mère,
qui était mortel; et s'il n'avait pas pris la
mortalité, mais seulement la substance de
sa chair du corps de sa mère , non-seule-
ment sa chair ne serait pas une chair de
péché, mais elle n'aurait pas même pu avoir
la ressemblance de la chair du péché; ce
qui est contraire à l'Apôtre, qui dit que
[iv= ET V SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
' Jésus-Christ a été envoyé revêtu d'une chair
semblable à la chair du péché. La nature hu-
maine de Jésus-Christ n'est donc différente
de la nôtre, qu'en ce (ju'elle n'a pas les dé-
fauts de la nôtre : car il est né sans défauts,
ce qui n'est arrivé à aucun des hommes.
Cap ïvi, Julien avait avancé que le péché ne peut
naître de ce qui est exempt de péché, en
quoi il tenait le langage des manichéens.
Saint Augustin le réfute par l'exemple de
l'ange et de l'homme qui ont péché l'un et
l'autre, quoiqu'ils eussent tous les deux été
créés exempts de péché. D. lui fait voir aussi
que ce n'est pas un péché d'user bien d'une
chose mauvaise, comme de la concupis-
cence ; sur quoi il allègue cet endroit des
Prov. X, sec. Ppoverbes : L'homme bien instruit se?'a sage,
il se senira du serviteur imprudent. Julien
disait encore que l'homme se suffit à lui-
même pour donner des lois à tous ses mou-
vements naturels. Mais, comme le remarque
saint Augustin, la doctrine de l'Église ne le
disait pas ; elle dit avec l'Apôtre, en parlant
icor.v;i,7. sur cette matière : Chairun a son don particu-
lier, selon qu'il le reçoit de Dieu.
Analyse dn 28. Le sixième livre est une réponse au
sixième liTre, ^
igE- 66^ ^^ quatrième de Julien. Samt Augustin s'y ap-
'"• plique particulièrement à montrer que tous
les maux avec lesquels les hommes nais-
sent, sont une preuve certaine que leur ori-
gine est infectée. Il insiste surtout sur le
baptême que l'on donne aux enfants ; et
comme Julien soutenait qu'ils n'étaient point
purifiés du péché originel par le sacrement
de la régénération : « Ce n'est pas là, lui dit-
il, ce que nous apprenons de celui qui a dit :
Rom m. Nous tous çui ttvous été baptisés en Jésus -
Christ, nous avons été baptisés en sa mort.
Car, en disant nous tous\, il n'a point ex-
cepté les enfants. Or, qu'est-ce qu'être bap-
tisé en la mort de Jésus-Christ, sinon mou-
rir an péché ? Si donc les . enfants sont bap-
tisés en Jésus-Christ, ils sont baptisés dans
sa mort ; et s'ils sont baptisés dans sa mort,
ils ont été entés en lui par la ressemblance
de sa mort, et par conséquent, ils meurent
Cap. V. au péché. » Le saint Docteur appuie cette
preuve par une assez longue explication
qu'il donne des chapitres cinq et six de l'Épî-
tre aux Romains, et du cinquième de la se-
conde aux Corinthiens ; après quoi, il dit :
« Quand même on ne pourrait découvrir en
aucune manière, comment le péché originel,
pardonné au père et à la mère, passe dans
les enfants, ni l'expliquer par des paroles, il
ÉVÊQUE D'HIPPONE.
307
faudrait néanmoins tenir comme certain et
indubitable, ce qui a été prêché et cru de
tout temps dans toute l'Église, comme ap-
partenant à la foi catholique. L'Église en
effet , n'exorciserait pas les petits enfants
des fidèles, et elle n'ordonnerait pas à ses
ministres de souffler sur eux, si elle n'avait
dessein de les arracher à la puissance des
ténèbres, et au prince de la mort. D'ailleurs,
on pourrait dire que le joug pesant qui acca- ecci. xi, ?.
ble les enfants d'Adam depuis le jour qu'ils
sortent du ventre de leur mère, serait injuste,
s'il n'y a dans les enfants aucun péché dont
ce joug si pesant soit la juste punition. Au
nom de qui parle encore l'Apôtre, lorsqu'il
dit que notre vieil homme a été crucifié avec nom. ti, e.
Jésus-Christ"? sinon au nom de tous ceux
qui ont été baptisés en Jésus-Christ. Il faut
donc reconnaître qu'il met les enfants au
nombre de ceux dont le vieil homme a été
crucifié, puisque nous n'oserions nier qu'ils
n'aient été baptisés en Jésus-Christ. Je ne
quitte point ces armes célestes , qui ont
vaincu Célestius, continue saint Augustin :
c'est sur quoi je règle ma foi et mes dis-
cours. Vos arguments n'ont rien que d'hu-
main , au lieu que les armes que nous four-
nit l'Apôtre, ont une force toute divine. Qui ^Psai. sviu,
peut connaître toutes ses fautes ? di t le Prophète :
suit-il de là que toutes ces fautes ne subsis-
tent pas ? On peut dire de même : Qui peut
comprendre le péché originel qui est remis
au père régénéré, qui passe néanmoins dans
le fils, et qui y demeure, s'il n'est aussi lui-
même régénéré ? Mais il ne suit pas de là ^'
qu'il n'y ait point de péché originel. Un seul
est mort pour tous ; donc tous sont morts.
Comment pouvez-vous penser que les petits
enfants ne sont pas morts, puisque vous ne
niez pas que Jésus-Christ ne soit mort pour
eux? Si Jésus-Christ n'est pas mort pour
eux , pom-quoi les baptise-t-on ? Car nous
tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ ,
nous avons été baptisés en sa mort. Si celui
qui est mort, lui seul pour tous, est mort
pour eux aussi bien que pour les autres ,
donc ceux-ci sont morts aussi bien que tous
les autres ; et comme ils sont morts pEtr le
péché, il faut qu'ils meurent au péché, afin
de vivre pour Dieu, lorsque sa grâce les fait
renaître, n
Saint Augustin s'était servi de la compa-
raison d'un olivier franc, dont les noyaux
ne peuvent produire que des oliviers sauva-
ges, pour rendre croyable la trausmission
508
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Cop. VI.
du péclié originel par des parents, même
baptisés ; il soutient encore ici que cette
comparaison est bonne. Comme Julien avait
avancé que ce qui est accidentel, ne peut
causer aucun changement à la nature, le
saint Docteur lui répond : « Si nous trou-
vons un seul homme qui ait fait passer à
son fils quelques défauts qui ne lui étaient
pas naturels, et que ce qui était accidentel
au père, soit devenu naturel au fils, on ne
doit plus regarder votre maxime que comme
fausse, de même que celle où vous soutenez
que les parents ne peuvent faire passer dans
dans leurs enfants ce qu'ils n'ont pas. » A
ce propos il rapporte que Fundanius rhéteur
de Carthage, ayant perdu un œil par quel-
qu'accident, avait engendré un fils qui n'a-
vait qu'un œil comme lui ; exemple qui
ruine entièrement la première maxime de
Julien, puisque ce qui était arrivé par acci-
dent au père, devint naturel au fils. Sa se-
conde maxime, qui consistait à dire, que
les parents ne peuvent faire passer à leurs
enfants ce qu'ils n'ont pas, se trouve aussi
renversée par l'exemple d'un autre fils de
Fundanius qui naquit avec deux yeux, com-
me il arrive d'ordinaire aux enfants d'un père
qui n'a qu'un œil. Il ajoute : « Que reste-t-il
à un homme circoncis, de ce qui est la mar-
que des incirconcis ? Cependant ceux qui
naissent sont toujours incirconcis, et ce qui
n'est pas dans un homme, passe par la gé-
nération dans ses enfants. Qu'on ne nous
dise pas : Il n'en est pas du péché originel,
comme de ce qu'on retranche du corps par
la circoncision, et qui en est une petite par-
tie. Par ce retranchement, on ne diminue
en rien la vertu d'engendrer, qui demeure
encore entière dans le corps, au lieu que le
péché originel qui est un vice, et ne fait
point partie du corps, étant une fois par-
donné, il ne peut rien rester dans le corps
par le moyeu de quoi ce vice se communi-
que. Voilà ce que l'homme le plus subtil ne
saurait soutenir avec quelqu'apparence ,
contre l'autorité de Dieu même, qui a or-
donné qu'on retranchât cette partie du corps,
afin qu'on fut délivré de ce vice. Il ne pas-
serait point aux enfants qui ont besoin de la
circoncision pour en être délivrés, s'il ne se
communiquait à eux par la génération ; et
s'il ne passait point à eux, ce serait fort inu-
tilement qu'on chercherait à les en délivrer
par cette cii'concision corporelle. Car, com-
me les enfants n'ont aucune sorte de péché
qui leur soit propre, il ne peut y avoir que
le péché originel qui ait besoin d'être effacé
par ce remède établi de Dieu, sans lequel
l'âme de l'enfant ne peut manquer d'être
exterminée du milieu de son peuple ; ce qui
n'arriverait jamais sous un Dieu juste, s'il
n'y avait un péché qui en fût la cause. Or,
comme il n'y en a point de propre dans les
enfants, il faut nécessairement que ce soit
le péché qui vient de notre origine corrom-
pue. Ecoutons donc le témoignage d'un de
ces enfants, qui malgré son silence nous
dit ; Mon âme sera exterminée du milieu de
mon peuple, si je ne suis circoncis le huitiè-
me jour. Vous qui niez le péché originel, et
qui faites profession de croire que Dieu est
juste , faites-moi voir, je vous en prie, en
quoi je suis coupable. »
29. Julien accusait saint Augustin de sou- cap. vm.
lever contre lui les artisans de la lie du peu-
ple : « Mais cela même , lui réplique ce
Père, ne vous avertit-il pas que les vérités
de la foi catholique que vous combattez ,
sont si bien étabhes et si connues de tout le
monde, qu'il n'y a pas jusqu'au menu peu-
ple qui n'en soit instruit ? En effet, ne faut-il
pas que tous les chrétiens sachent ce qui
regarde les sacrements de l'Église, et ce
que la foi nous apprend qu'il faut faire pom'
procurer le salut aux petits enfants ? D'ail-
leurs, avant que je fusse né pour le siècle
présent, et avant que j'eusse eu le bonheur
de renaître pour Dieu, il y avait déjà dans
l'Église catholique de grandes lumières, qui
condamnaient par avance vos erreurs, com-
me je l'ai montré dans les deux premiers
livres de cet ouvrage. Au reste, ne vous
avisez plus de traiter avec tant de mépris
les membres de Jésus-Christ, en les appe-
lant des artisans de la lie du peuple. Souve- i cor. i, :
nez-vous que Dieii a choisi les faibles selon
le monde pour confondre les puissants.
Quant à ceux qui nous connaissent vous et
moi, et qui savent ce qu'enseigne la foi ca-
tholique, loin de voiûoir apprendre quelque
chose de vous, ils sont sur leurs gardes, de
peur que vous ne leur enleviez les connais-
sauces qu'ils ont déjà. Car il y en a plusieurs
parmi eux, qui non-seulement n'ont pas ap-
pris de moi, mais qui ont même appris
avant moi les vérités que votre nouvelle
hérésie combat. Comme ce n'est donc pas
moi qui les ai fait entrer dans la société des
fidèles, et que je les ai trouvés déjà instruits
des vérités que vous niez, comment peut-on
[iV ET V' SIÈCLES.]
dire que c'est moi qui les ai engagés dans
ce que vous regardez comme une erreur ? »
Comment se peut -il faire, disait Julien,
qu'une chose qui dépend de la volonté se
communique par la voie de la génération ?
« Si cela ne pouvait se faire, répond saint
Augustin, nous n'aurions aucune raison de
dire, que les enfants encore vivants, sont
morts. Mais comme Jésus-Christ est mort
pour eux, il est certain qu'ils sont morts :
car si un seul est mort pour tous, dit l'Apôtre,
donc tous sont morts. Pourquoi me deman-
dez-vous comment cela a pu se faire, puis-
que vous voyez que de quelque manière
que cela se fasse, vous ne pouvez douter
que cela ne se soit fait, si vous voulez croire
ce que dit un apôtre, qui n'a pu mentir en
aucune manière, en parlant de Jésus-Christ,
et de ceux pour qui Jésus-Christ est mort? »
Ce saint Évêque distingue, à cette occa-
sion, les péchés propres, dont on se rend
coupable en les commettant, et les péchés
étrangers qui se commiuiiquent à nous par
la contagion des péchés des autres. Il se
moque du partage ridicule entre Dieu et le
diable, que JuJien supposait être admis par
les catholiques , comme s'il était convenu
que Dieu prendrait pour lui tout ce qui est
arrosé, c'est-à-dire baptisé, et que le diable
aurait pour lui tout ce qui ne l'est pas. Il
montre que, de son aveu, être baptisé vaut
beaucoup mieux que de ne l'être pas, puis-
qu'il convenait que l'entré du royaume de
Dieu est fermée à tous ceux qui sont nés, à
moins qu'ils n'aient été baptisés. Il lui de-
mande encore la raison pour laquelle il n'est
pas injuste que ceux qui sont exclus du
royaume de Dieu, soient sous la puissance
de celui qui s'en est exclu par sa chute. S'il
y en a d'autre que le péché originel.
30. Pour le saint Évêque il n'y a point de
difficulté de dire, avec Julien, qu'il ne peut
y avoir aucun péché dans l'homme, sans
quelque opération du libi'e arbitre : « Car,
dit-il, il n'y aurait point de péché originel
sans cette opération libre de la volonté, qui
a fait pécher le premier homme, par qui le
péché est entré dans le monde. » Quant à
ce que ce pélagien ajoutait, qu'un homme
ne peut pas être puni pour des péchés qui
lui sont étrangers, saint Augustin montre
que cela n'est point vrai en tout sens, puis-
qu'un seul péché de David fut puni par la
mort de plusieurs milhons d'hommes : que
d'ailleurs, le péché originel ne nous est
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
S09
étranger qu'en un certain sens, et que dans
un autre, ce péché se trouve en nous. Il
nous est étranger quant à l'action , il est en
nous quant à la souillure et la contagion, et
si cela n'était point ainsi, le joug pesant qui
accable les enfants d' Adam, depuis le jour qu'ils
sortent du ventre de leur mère, nous paraîtrait
une chose injuste. Insistant ensuite sur ces
paroles de l'Apôtre : Nous devons tous compa-
raître devant le tribunal de Jésus-Christ, afin
que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes
ou mauvaises actions qu'il aura faites pen-
dant qu'il était revêtu de son corps. Il demande
à Julien : « Les enfants comparaîtront-ils,
ou non, devant le tribunal de Jésus-Christ ?
S'ils n'y doivent pas comparaître, de quoi
vous sert donc ce passage que vous citez
vous-même ; si au contraire , ils y doivent
comparaître, comment chacun d'eux pour-
ra-t-il recevoir ce qu'il a mérité par ses ac-
tions, s'il n'a fait aucune action, à moins
qu'on ne dise, qu'il ne faut pas regarder
comme une action absolument étrangère
pour eux, d'avoir cru ou de n'avoir pas cru
par le cœur et la langue de ceux qui les
ont portés ? Car l'Apôtre dit que chacun re-
cevra ce qui est dû aux actions qu'il aura
faites pendant cette vie. Or, comment un
enfant pourra-t-il recevoir la récompense de
ses bonnes actions , sinon parce qu'on
compte parmi ses actions la foi dont il a fait
profession par une bouche étrangère ? C'est
pourquoi, comme l'action de croire lui est
imputée, afin qu'il puisse recevoir la récom-
pense due aux bonnes actions, le défaut de
la foi lui est de même imputé, et lui attire
un jugement de condamnation, selon cette
sentence évangélique : Celui qui ne croira
point sera condamné. » Julien voulait qu'en
disant que Dieu est créateur des enfants, on
dise en même temps qu'il les crée innocents.
« Mais ne ferait-on pas paraître encore plus
de piété , réplique saint Augustin, si l'on
ajoutait à ce que vous dites, qu'il est conve-
nable qu'il ne sorte aucun ouvrage des
mains de Dieu qui n'ait sa beauté et sa per-
fection? Cependant parmi les enfants qui
naissent, il y en a plusieurs qui ont des dif-
formités, et qui sont sujets à diverses mala-
dies. Vous me pressez de vous expliquer,
comment le diable ose s'approprier des en-
fants qui ont été créés en Jésus-Christ, c'est-
à-dire par sa puissance ; mais, expliquez-moi
vous-même comment le diable se met en
possession du corps des enfants qu'on voit
Ecci.SL, 1.
n Cor.
10.
510
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
tourmentés par les esprits impurs? Si vous
dites qu'ils lui ont été livrés, nous voyons
l'un et l'autre la peine ; mais il faut que vous
me marquiez ce qui l'a méritée. Nous voyons
l'un et l'autre la peine, et nous convenons
que Dieu est juste ; mais comme vous ne
voulez reconnaître aucun péché qui passe
des pères dans les enfants, vous devez me
faire voir, si vous le pouvez, dans ces en-
fants, quelque faute qui ait mérité une telle
punition. »
Selon saint Augustin, le baptême où les
enfants reçoivent le sceau de l'adoption di-
vine, n'est encore pour eux qu'une ébauche
de ce qu'ils seront dans la vie futm-e, et
c'est pour cela qu'étant brisés aussi bien
que les autres, sous le joug- accablant des
enfants d'Adam, ils sont quelquefois tour-
mentés des démons, même après avoir reçu
le baptême. Ces paroles de l'Apôtre, enfants
de colère par la nature, ne signifiaient pas,
comme le voulait Julien, tout à fait dignes de
colère : cette interprétation n'était- fondée
ni sur les manuscrits latins, ni sur les an-
ciens interprètes, qui n'auraient jamais lu.
Cap. XI. enfants de colère par la nature, si cela n'avait
été conforme à l'ancienne foi de l'Église. Ce
Père se défend du reproche que Julien lui
faisait, de vouloir établir juge de leur con-
troverse, le menu peuple, reconnaissant qu'il
est incapable de juger de pareilles choses. Il
justifie aussi Zosime de la prévarication dont
Julien l'accusait, et soutient que ce pape ne
s'est écarté en rien de la doctrine d'Inno-
c»r. XI". cent son prédécesseur. Il montre que ce que
ce pélagien disait du schisme de l'Église de
Rome, prouvait contre lui qu'une même
chose peut être péché, et la peine du péché.
Et comme Julien l'accusait d'inconstance
dans sa doctrine, il lui répond : « Dès le
commencement de ma conversion, j'ai tou-
jours cru sans hésiter, comme je le crois
aujourd'hui, que le péché est entré dans le
nom. V, 12. monde par un seul homme, et la mort par
le péché ; et cpi'ainsi la mort est passée dans
tous les hommes par un seul homme en qui
tous ont péché. Je n'ai jamais rien pensé ni
rien dit sur ce point, qui ne soit très-confor-
me à ce qu'on a appris et enseigné de tout
temps dans toute l'Église ; savoir, que le
péché originel a fait tomber tout le genre
humain dans cet affreux état de misère où
nous le voyons. »
Cap. XIII. 31. « Vous assurez, continue ce Père en
s'adressaut à Julien, que j'ai dit que la grâce
ne renouvelle pas parfaitement l'homme ;
mais ce n'est point là ce que je dis. Voici
mon sentiment : La grâce renouvelle parfai-
tement l'homme, puisqu'elle le conduit jus-
qu'à l'immortalité du corps, et à une parfaite
félicité. Elle renouvelle même l'homme par- ■
faitement pour le temps présent , quant à
tous les péchés dont elle le délivre entière-
ment, quoiqu'elle ne le délivre pas de tous
les maux, et de tout ce qu'il y a de corrup-
tible et de mortel dans le corps, qni appe-
santit présentement l'âme. C'est ce qui cause
ces soupirs et ces gémissements que l'Apô-
tre nous apprend qu'il sentait en lui-même,
quand il disait : Nous soupirons et nous gé- Rom. vi
missons en nous-mêmes. Que personne donc
ne soit assez insensé pour croire (jue tous cap. xiv.
ceux qui sont baptisés, sont déjà parvenus
au point de leur perfection, parce que l'Apô-
tre nous dit : Le temple de Dieu est saint, et i cor. i
c'est vous qui êtes ce temple. Car, quoique la
maison ne soit pas dans sa dernière perfec-
tion, nous sommes néanmoins déjà appelés
le temple de Dieu ; et pendant qu'on le bâtit
nous faisons mourir ici les membres de
l'homme terrestre qui est en nous. Quoique,
déjà morts au péché, nous ayons commencé
de vivre pour Dieu, il y a cependant en nous
un homme terrestre qu'il faut faire mourir,
afin que le péché ne règne point dans notre
corps mortel, en sorte que nous obéissions
à ses désirs déréglés. Nous sommes affran-
chis de cet esclavage du péché qui régnait
en nous, par la rémission pleine et entière
de tous nos péchés ; mais il reste toujours
en nous des ennemis que les personnes
chastes sont obligées de combattre. »
Julien voulait qu'on regardât comme une
chose incroyable, que dans le sein d'une
femme baptisée, dont le corps est le temple
de Dieu, il se formât un homme qui dût être
sous la puissance du démon, à moins qu'il
ne fût régénéré par le baptême. Mais saint
Augustin lui fait voir qu'il y a plus de sujet
de s'étonner de ce que Dieu agit dans le
corps d'un pécheur où il n'haljite pas ; et
qu'il est encore pluss urprenant qu'il adopte,
pour être son fils, celui qu'il forme dans le
sein d'une femme très-impure, et qu'il ne
veuille pas toujours adopter celui qu'il forme
dans le sein d'une femme, qui est elle-même
au nombre de ses enfants. « Car il permet,
dit-il ,' que celui-ci soit enlevé par une mort
précipitée avant de recevoir le baptême,
au lieu que par ime providence particulière,
[IV* ET V" SIÈCLES.
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
5H
dont nous ne savons pas la raison, l'autre
vit assez, pour recevoir la grâce de ce sa-
crement. Et c'est ainsi que Dieu qui a un
pouvoir souverain sur toutes les créatures,
fait entrer dans le corps de Jésus-Christ,
celui qu'il a formé dans l'habitation du dia-
ble ; et qu'il ne veut pas faire entrer dans
son royaume, celui qu'il a formé dans son
temple. Comme ce discernement ne peut
être attribué, ni à l'ordre immuable du des-
tin, ni à la témérité de la fortune, ni à la
dignité de la personne , que nous reste-t-il à
faire, sinon d'adorer la profondeur de la
miséricorde et de la justice de Dieu. Mais
en quoi consiste la sanctification du corps
par le baptême? Elle consiste à affranchir
le corps par la rémission des péchés, non-
seulement de la peine due aux péchés pas-
sés, mais encore de la domination de la
concupiscence de la chair, dont tout hom-
me est esclave en naissant, et dont il est
aussi esclave en mourant, s'il n'a été déli-
vré de cet esclavage par la grâce de la
régénération. »
Saint Augustin montre par les mortifica-
tions que pratiquent les justes et les péni-
tents , qu'il ne doute point que l'ennemi
qu'ils ont à vaincre , n'habite au dedans
d'eux-mêmes ; et il le prouve encore par ces
paroles de l'apôtre saint Jacques : Chacun
est tenté par sa propre concupiscence; d'où il
conclut qu'on ne peut nier qu'elle ne soit un
mal , puisque, selon le même Apôtre, lors-
qu'elle a conçu, elle enfante le péché.
« Bien que l'homme , ajoute le saint évé-
que, soit délivré de tout péché par le bap-
tême, il ne l'est pas de tout mal, puisque
son corps n'est pas pour cela exempt de cor-
ruption ; il ne l'est pas non plus lui-même
du mal de l'ignorance qui lui fait commettre
une infinité de péchés ; ce qui prouve que la
concupiscence est un vice qui souille en
même temps le corps et l'esprit. » Saint Au-
gustin la compare à une maladie , et dit
qu'elle est d'autant plus diflîcile à vaincre ,
qu'elle est plus fortifiée par l'habitude ; et
que de là vient qu'une femme de mauvaise
vie , quand elle veut devenir chaste , a bien
plus de peine dans cette sorte de combat
qu'une femme chaste. Il ne veut pas qu'on
la regarde comme une substance, mais uni-
quement comme une plaie que le diable a
faite à l'homme, dont il n'y a qu'une miséri-
corde toute gratuite de Dieu qui puisse l'en
délivrer, non en l'effaçant entièrement,
quoiqu'elle s'affaiblisse chaque jour par l'as-
siduité à la combattre, mais en nous donnant
la force de résister aux mauvais désirs qu'elle
excite en nous. «Mais, poursuit saint Augus- ,
tin, où demeure l'iniquité d'un péché qui n'est
pas remis? C'est dans les livres secrets de la ',
loi de Dieu, qui sont en quelque manière
dans l'entendement des anges, et qui nous
apprennent qu'il n'y a aucun péché qui ne
doive être puni , s'il n'est expié par le sang
du Médiateur : car, c'est par le signe de sa
croix que l'eau du baptême est sanctifiée,
afin que la souillure qui nous rend coupa-
bles, et qui est pour ainsi dire écrite dans
une cédule , soit effacée à la vue des puis-
sances spirituelles qui sont destinées à punir
les péchés. »
32. Selon saint Augustin, Julien, qui pré- cnp. ï...
tendait combattre les manichéens , était
néanmoins lié de sentiment avec eux, en
enseignant que le mal ne peut naître de ce
qui est bon. Au contraire , les cathohques
faisaient tomber tous les raisonnements des
manichéens pour établir leur mélange des
deux natures , en leur répondant qu'il y a
un péché originel , en punition duquel tout
le genre humain est devenu le jouet des dé-
mons , et toute la postérité d'Adam a été
condamnée à une infinité de misères et de
travaux. Il fait voir encore ce qu'il avait déjà cap. xxiir.
montré dans les livres précédents, que dans
le septième chapitre de î'Épître aux Romains,
où l'Apôtre parle de la loi de la chair contraire
à celle de l'esprit , il parle en son nom et au
nom des justes qui combattent contre les dé-
sirs de la chair ; convenant en même temps
qu'autrefois il entendait autrement ce chapi-
tre, ou pour mieux dire, qu'il ne l'entendait
pas. Julien disait que ces paroles de la même cap.sxiT.
Epîtrè : En qui tous ont péché , signifiaient la
même chose que celles-ci : A cause de quoi
tous ont péché; en sorte qu'il ne fallait pas
croire que tous les hommes eussent péché
dans un seul homme , comme dans leur
source , et que toute la masse du genre hu-
main eût été généralement infectée par le
péché d'un seul; mais qu'à cause que ce
premier homme a péché, les autres sont de-
venus pécheurs en l'imitant , non en tirant
de lui leur naissance. Il s'autorisait d'une
expression du psaume cxviii, où nous lisons:
En quoi l'homme dans sa jeunesse redressera-t-il
sa voie? où en quoi est mis au lieu d'à cause
de quoi. « Mais, répond ce Père, y a-t-il '
quelqu'un dans le monde qui soit assez dé-
S12
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Cap. x.\v.
F.zeeli.xvin
2 H 3.
pourvu du sens commun, pour dire : Cet hom-
me a commis un homicide , parce que dans
le paradis Adam a mangé du fruit défendii ?
On ne peut pas même dire cpe Caïn , qui
avait vu et connu Adam , ait péché , parce
qu'Adam avait péché avant lui. Tout le
monde sait que Caïn tua son frère, non pour
imiter son père, mais parce qu'il portait en-
vie à son frère. On en peut dire autant de
toutes les autres espèces de péchés, et mar-
quer les causes pour lesquelles ils out été
commis, sans que ceux qui s'en sont rendus
coupables aient pensé au péché du premier
homme, et se soient proposé de l'imiter.
L'exemple allégué par vous ne sert de rien
pour autoriser le sens que vous donnez aux
paroles de l'Apôtre, étant vrai de dire que
l'observation de la parole de Dieu, comme le
dit le Psalmiste au même endi-oit, est ce qui
règle la vie de l'homme dans sa jeunesse.
S'il était vrai que l'Apôtre eût voulu dire
que c'est par l'imitation que tous les hom-
mes sont devenus pécheurs , rien n'aurait
été plus naturel que de dire : Ce qui a fait
passer le péché dans tous les hommes, c'est
que le premier homme leur en a donné
l'exemple; et il aurait ajouté : Et ce péché
a passé dans tous , parce qu'ils ont tous pé-
ché en suivant l'exemple de ce seul homme. »
Saint Augustin montre que c'est là le véri-
table sens des paroles de l'Apôtre, par ce
qui précède immédiatement , où l'on voit
qu'un seul homme a attiré la colère de Dieu
sur tout le genre humain, et qu'im seul
homme a réconcilié avec Dieu tous ceux qui
sont délivrés par une grâce toute gratuite
de la condamnation qui enveloi^pait tout le
genre humain.
33. Le dernier argument de Julien, et
qu'il regardait comme le plus fort pour la
défense de sa cause , était tiré de l'endroit
du prophète Ézéchiel où U est dit qu'on ne
fera jyhts passer en jjroverbe ce qu'on disait
alors que les pères avaient mangé des raisins
verts, et que les dents des enfants en avaient été
agacées, et qu'ainsi le fils ne mourra point à
cause du péché de son jière , non plus que le père,
àcause dupjéché deson fils, mais l'âme qui apjéché
mourra elle-même. «Ne voyez-vous pas, lui dit
saint Augustui , que c'est là .une promesse
qui regarde la nouvelle alliance , où par un
effet de la grâce du Rédempteur, la loi de
mort portée contre nos pères est abolie, et
où chacun n'est plus obligé de rendre compte
que de ses propres actions? N'y a-t-il pas, en
effet, une infinité d'endroits dans l'Ancien
Testament, où il parait que les enfants doi-
vent porter la peine des péchés de leiu'S pè-
res ? La punition du péché de Cham n'est- elle cen. «,!
pas tombée sur Chanaan son fils ? Et la peine
due au péché d'Achab, roi d'Israël, n'est- ^^^'^^ »•(
elle pas tombée sur sa postérité? Comme la
naissance charnelle des enfants du peuple
de Dieu appartient à l'ancienne alliance, qui
n'engendi'e que des esclaves, cette nais-
sance même tient les enfants dans les liens
à cause des péchés de leurs pères; mais 5
comme par la renaissance spirituelle on est
appelé à un autre héritage , il en est tout
autrement de ces châtiments et de ces ré- A
compenses, de ces menaces et de ces pro- *
messes. C'est ce que Jérémie marque clai-
rement : En ce temps-là, dit-il, on ne dira lerem.xrt
^ ' ' 29 cl 30.
pjlus : Les pères ont mangé des raisins verts, et
les dents des enfants en ont été agacées ; mais
chacun mourra dans son péché : et si quelqu'un
mange des raisins verts, il en aura lui seul les
dents agacées. 11 est évident que c'est ici une
prophétie qui regarde la nouvelle alliance
cachée dans l'ancienne, et manifestée par
Jésus-Christ. » Mais comme on pouvait être
frappé par divers endroits de l'Écriture , où
il paraît que les péchés des pères doivent
être imputés aux enfants, et regarder en
conséquence ces témoignages comme con-
traires à cette prophétie de Jérémie, il rompt
le nœud de la dilhculté en ajoiitant aussitôt
après : « Le temps vient, dit le Seigneur, iciem.xx
dans lequel je ferai une nouvelle alliance avec
la maison d'Israël et la maison de Juda , non
selon l'alliance que je fis avec leurs pères. C'est
donc dans cette nouvelle alliance que la loi
de mort écrite contre nos pères, ayant été
eflacée par le sang du Médiateur de cette
alliance, l'homme en renaissant se trouve
délivré de l'obligation où l'avait mis sa nais-
sance, de porter la peine due au péché dont
il a hérité. »
§XL
Du livre de la Grâce et du libre arbitre.
1. Ou ne peut mettre plus tôt qu'en 426 le ce ih™
livre de la Grâce et du libre arbitre, parce qu'il lan' 426 .■
est un des derniers dont saint Augustin parle
dans ses Rétractations ; et on ne peut non
plus le mettre plus tard qu'en 427, puisque
ce fut en celte année qu'il le finit. Ce li^Te
est adressé à Yalentin et aux autres qui ser-
vaient Dieu ensemble dans la cougrégation
[IV' ET V' SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
du monastère d'Adrumet, ville célèbre alors
de la province Byzacène, aujourd'hui Maho-
mette , dans le royaume de Tunis, sur la
côte de la Méditerranée. Deux jeunes reli-
gieux de ce monastère , dont l'un s'appelait
Florus, et l'autre Félix, étant venus à Uza-
les, le premier y lut pendant son séjour quel-
ques ouvrages de saint Augustin, c'est-à-dire
l'Épître cent quatre-vingt-quatorzième au
prêtre Sixte , et avec la permission des moi-
nes d'Uzales, il la transcrivit avec l'aide de
Félix qui la lui dictait. Florus passa d'U-
zales à Cartilage, et Félix s'en retourna à
Adrumet avec cette lettre de saint Augustin,
qu'il communiqua à ses confrères, à l'insu de
l'abbé Valentin. Quelques-mis d'entr'eux ,
prenant mal le sens de cette lettre , préten-
daient que celui qui l'avait écrite soutenait
tellement la grâce , qu'il détruisait le libre
arbitre , et enseignait que Dieu ne nous ju-
gerait point au dernier jour selon nos œu-
vres. Gomme d'autres religieux du même
monastère, qui entendaient mieux la doc-
trine contenue dans cette lettre, soutenaient
que ce qui était dit de la grâce ne tendait
point à détruire le libre arbitre, il s'excita
un grand bruit dans ce monastère : et Flo-
rus y étant revenu , le trouble recommença
de nouveau, parce qu'on l'accusait d'en être
l'auteur. Jusque-là l'abbé Valentin n'avait eu
aucune connaissance de cette dispute , mais
Florus se crut obligé de l'en avertir. Valen-
tin lut donc la lettre à Sixte , et comme il
connaissait le style de saint Augustin , il
n'eut point de peine de le reconnaître dans
cette lettre. En même temps, il travailla à
étouffer le trouble que l'ignorance de quel-
ques-uns de ses religieux avaient fait naître,
et consentit qu'ils allassent eux-mêmes trou-
ver saint Augustin. Ils allèrent donc à Hip-
pone, portant avec eux la lettre à Sixte, dont
ils se scandalisaient. Leur départ procura la
paix au monastère d'Adrumet , et ils furent
eux-mêmes satisfaits des instructions que
saint Augustin leur donna, et de la manière
dont il leur expliqua sa lettre à Sixte. Le
saint Évêque, non content de les avoir ins-
truits de vive voix , écrivit encore par eux
une lettre à l'abbé Valentin et aux frères de
son monastère , où il leur déclare que ce
qu'il avait enseigné dans la lettre au prêtre
Sixte est entièrement conforme à la foi ca-
tholique , qui ne nie point le libre arbitre ,
mais qui nous apprend qu'il ne peut rien
pour le bien sans le secours de la grâce. Son
IX.
ÉVÊQUE D'HTPPONE.
513
dessein était d'envoyer encore par Cresco-
nius et Félix , les deux seuls qui étaient ve-
nus à Hippone , diverses pièces touchant
l'histoire du pélagianisme ; mais ils ne lui
voulaient pas donner le temps de les faire
copier, se hâtant de retourner à Adrumet
avant la fête de Pâques. Il les retint toutefois
jusqu'après cette fête, pour avoir lieu de les
instruire davantage sur la matière de la
grâce. Après quoi il les renvoya chargés
d'une seconde lettre qui est comme la pré-
cédente toute entière sur cette matière, et
du livre intitulé, de la Grâce et du libre arbi-
tre, qu'il avait fait exprès pour l'instruction
de ceux du monastère d'Adrumet. Il avait
supposé dans sa première lettre à Valentin
qu'il y avait effectivement dans ce monas-
tère quelques religieux qui condamnaient le
libre arbitre ; détrompé depuis , il avait dit
que quelques-uns d'eux s'imaginaient qu'on
niait le libre arbitre , lorsqu'on défendait la
grâce ; mais lorsqu'il fit ses Rétractations ',
après avoir reçu la lettre de l'abbé Valentin
et avoir vu Florus, il dit qu'il avait écrit ce
livre à cause de ceux qui , croyant qu'on nie
le libre arbitre lorsqu'on défend la grâce,
nient eux-mêmes la grâce en défendant le
libre arbitre , et veulent qu'elle soit donnée
selon les mérites.
2. Dès le commencement de ce livre, il
leur recommande de ne pas se troubler par
l'obscurité de cette question, et de garder
entre eux la paix et la charité, en rendant
grâces à Dieu des choses qu'ils concevaient,
et •en lui demandant qu'il lui plaise de leur
en découvrir davantage. Ensuite il prouve
par divers témoignages de l'Écriture, que
l'homme est doué du libre arbitre, et il in-
siste particulièrement sur les endroits qui
marquent clairement qu'il dépend de la vo-
lonté de l'homme d'accomplir les comman-
dements de la loi. D'où il infère que si
l'homme pèche, il doit se l'imputer, et ne
pas en accuser Dieu; de même qu'il ne doit
pas regarder le bien qu'il fait, comme n'ap-
partenant en rien à sa propre volonté. Il en
infère encore que ceux qui connaissent les
commandements de Dieu ne pourront s'ex-
cuser sur leur ignorance, saint Paul ayant
dit que : Tous ceux. qui ont péché sans la loi,
périront aussi sans être jugés par la loi. Il croit
toutefois que celui qui connaît le précepte,
pèche plus grièvement en le transgressant,
Analyse de
ce livre, pag.
717.
Cap. T.
Cap, n.
Cap* III.
1 Lib, U Retract., cap. lxvi.
33
514
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Cuf. V.
1 Zo-. I'.
el 10.
que celui à qui il n'était pas connu; et
qu'ainsi l'ignorance dans celui qui n'a point
eu connaissance de l'Évangile, pourra peut-
être lui servir à n'être pas si violemment
tourmenté dans les flammes, que s'il l'avait
ouï prêcher.
Cap. IV. 3, Il montre ensuite contre les pélagiens
dont il appelle la secte une nouvelle hérésie,
que la grâce nous est nécessaire avec le libre
arbitre pour bien vivre ; et que la continence
est un don de Dieu, en même temps qu'elle
est l'eftet du libre arbitre. L'exhortation
que saint Paul faisait à Timothée, quand il
I Tii. oiii. V, lui disait : Conservez-vous dans la pureté, re-
gardait sans doute le libre arbitre. Néan-
moins, tous n'ont pas cette résolution, mais,
ceux à qui il a été donné de l'avoir. Pour ce
qui est de ceux à qui cela n'a pas été donné,
ou ils ne veulent point, ou ils n'accomplis-
sent pas ce qu'ils veulent; mais ceux à qui
il a été donné, veulent de telle sorte que ce
qu'ils veulent ils l'accomplissent. Lors donc
que cette résolution que tous ne prennent
pas, est prise par quelques-uns, c'est l'ou-
vrage de la gi'âce que Dieu donne, et du libre
arbitre qui agit. Le même Apôtre, pour
montrer le Ubre arbitre, dit : Sa gimce n'a
point été stérile en moi, mais j'ai travaillé plus
que tous les autres. Ces paroles montrent le
libre arbitre de l'homme, de même que
H Cor. ït, celles-ci : Nous vous exhortons de ne pas rece-
voir envain la grâce de Dieu. Car, pourquoi
les exhorte-t-il , s'ils ont reçu la grâce, en
sorte qu'ils aient perdu leur volonté propre?
Cependant, afin qu'on ne crût pas que la vo-
lonté pût quelque chose sans la grâce, après
Cap. IV. avoir dit : Sa grâce n'a point été stérile en moi,
mais j'ai plus travaillé que tous les autres, il
ajoute aussitôt : Non pas moi toutefois, mais la
grâce de Dieu avec moi , c'est-à-dire non pas
moi seul, mais la grâce de Dieu avec moi ;
de manière que ce n'est ni la grâce seule, ni
lui seul, mais la grâce de Dieu avec lui. Si
donc quelqu'un dit : Je veux garder les com-
mandements, mais je suis vaincu par ma
concupiscence, l'Écriture sainte répond à
Ror..iii,Ji. son libre arbitre : Gardez-vous de vous laisser
vaincre par le mal, mais tâchez de vaincre le
mal par le bien. Ce qui pourtant ne peut se
faire sans le secours de la grâce, laquelle
n'aidant point, la loi ne sera plus que la force
du péché. Car la concupiscence s'augmente,
et prend de plus grandes forces quand la loi
défend, si l'esprit de la grâce n'aide. Et
quelle plus grande preuve du besoin de la
P.=al.Lxxx|
t Ol Ô. J
grâce de Dieu, que la prière par laquelle
nous l'obtenons? L'homme est donc aidé de
la grâce, afin que le commandement ne soit
pas fait envain à la volonté.
Les pélagiens, poiu-prouver que cette grâce
nous était donnée selon nos mérites, abu-
saient de ce passage de Zacharie : Convertis-
sez-vous à moi, et je me convertirai à vous.
Sur quoi saint Augustin dit que ceux qui ont
ce sentiment, ne font pas réflexion, que si
notre conversion même à Dieu n'était aussi
im don de Dieu, on ne lui dirait pas : Dieu
des vertus, convertissez-nous. Vous vous tourne-
rez vers nous, et vous nous donnerez la vie.
Convertissez-nous , à Dieu, notre Sauveur, et
d'autres semblables dont le dénombrement
serait trop long. Car, qu'est-ce autre chose
de venir à Jésus-Christ, sinon se tourner
vers lui par la foi ; et cependant il dit : Per- Joan <i,
sonne ne peut venir à moi, s'il ne lui a été donné
par mon Père. Il rapporte plusieurs passages cap. v..
tirés des Épitres de saint Paid, et dit qu'ils
prouvent, de même que quantité d'autres
qu'il aurait pu alléguer, que la grâce n'est
point donnée selon nos mérites , puisque
nous voyons tous les jours qu'elle est donnée
non-seulement avant aucune bonne œuvre,
mais même après beaucoup de mauvaises.
Au contraire, après qu'elle a été donnée,
nos actions commencent à être bonnes, mais
toutefois par elle : car aussitôt qu'elle se re-
tire, l'homme tombe, son libre arbitre le
précipitant au lieu de le soutenir. Ainsi
lorsque l'homme commence à faire des bon-
nes œuvres, il ne doit pas se les attribuer,
mais à Dieu, à qui le Psalmiste dit : Vous êtes
mon soutien, ne m'abandonnez pas. En disant
ne m'abandonnez pas, il montre qu'étant aban-
donné, il ne peut rien par lui-même. C'est
pourquoi il ajoute ailleurs : J'ai dit dans
mon abondance, je ne serai jamais ébranlé. Ce
. prophète avait cru que cette abondance qui
faisait qu'il n'était point ébraulé, venait de
lui-même. Mais pour lui montrer qui était
l'auteur de ce bien, dont il commençait à
se glorifier comme s'il l'eût reçu de lui- i
même, la grâce l'abandonna pour un peu de t
temps, et après cet avertissement salutaire i
il dit à Dieu : Seigneur, vous avez ajouté la ibid.,Teii
force à ma beauté par votre bonne volonté, vous
avez détourné votre visage de moi, et je suis |
tombé dans le trouble. C'est pourquoi il est né- I
cessaire, non-seulement que l'homme étant p
impie soit justifié parla grâce de Dieu., c'est-
à-dire que d'impie qu'il était, il devienne
Psal. \:
9.
[tv= et V siècles.] saint AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
313
juste, lorsque Dieu lui rend le bien pour le
mal ; mais il faut encore qu'après avoir été
justitié par la foi, la grâce l'accompagne tou-
jours, et qu'il s'appuie sur elle, de peur c[u'il
ne tombe. C'est pour cette raison qu'il est écrit
de l'Église même dans le Cantique des canti-
Mi. vm, ques : Qîd est celle-là qui monte ai/mit été blan-
chie, s'appuyant sur son pai'ent? Elle a été blan-
chie, parce qu'elle ne pouvait être blanche
d'elle-même. Et qui est-ce qui l'a rendue blan-
:à. 1, 18. che, sinon celui dont parle le Prophète : Quand
vos péchés seraient comme l'écarlate, ils devien-
dront blancs comme la neige et comme la laine la
plus blanche. Lors donc qu'elle a été rendue
blanche, elle ne méritait aucun bien; mais
main tenant étant en cet état, elle marche
si bien, toutefois elle s'appuie sans cesse sur
celui qui lui a donné cette beauté et cette
blancheur; c'est pourquoi Jésus-Christ, sur
lequel s'appuie celle qui a été blanchie, dit
ojn.xf, 5. à ses disciples : Sans moi, vous ne pouvez rien
faire.
Saint Augustin confirme cette doctrine par
un endroit de la seconde Epître àTimothée,
« limoih. où l'Apôtre dit : // ne me reste qu'à attendre
la couronne de justice, que le Seigneur, comme
un juste juge, me rendra en ce grand jour. Car
à qui le juste Juge rendrait-il la couronne
de justice, s'il ne lui avait donné sa grâce en
père miséricordieux? Et comment serait-ce
une couronne de justice, si la grâce, qui jus-
tifie l'impie, n'avait précédé? Comment en-
core la rendrait-on comme étant due, si elle
n'avait été accordée gratuitement aupara-
vant?
.ap. VII. 4. Les pélagiens ne reconnaissaient d'au-
tres grâces purement gratuites, que celle
qui remet à l'homme ses péchés, mais ils
soutenaient que celle qui sera donnée à la
fin, c'est-à-dire la vie éternelle, était donnée
aux mérites précédents. Sur quoi saint Au-
gustin dit, que s'ils avouaient que nos mé-
rites sont aussi des dons de Dieu, leur senti-
ment ne serait point à rejeter. Mais parce
qu'ils enseignaient que l'homme avait ses
mérites de lui-même, il les combat par ces
: Cor. 17,7. paroles de l'Apôtre : Qui est-ce qui met de la
différence entre vous? Qu'avez-vous que vous
n'ayez point reçu? Que si vous l'avez reçu,
pourquoi vous en glorifiez-vous, comme si vous
ne l'aviez point reçu. Paroles qui prouvent
bien que Dieu couronne en nous ses propres
dons, et non pas nos mérites, car si nos mé-
rites sont des dons de Dieu, comme l'enseigne
iiMb. I, n. l'Écriture, Dieu ne coui'onue pas nos méri-
tes, comme venant de nous, mais comme
étant ses dons. Pour le prouver, le saint Évo-
que montre que l'Apôtre n'aurait eu aucun
mérite, s'il n'avait eu des pensées salutaires.
Or, il avoue que nous ne sommes pas capables
de fariner de nous-mêmes aucune bonne pensée
comme de nous-mêmes, mais que c'est Dieu qui
nous en rend capables. Il avoue encore que
dans les combats qu'il a eu à soutenir, c'est
Dieu qui lui a donné la victoire par Notre-
Seigneur Jésus-Christ ; et que s'il a été fidèle
ministre du Seigneur, ça été par la miséri-
corde que Dieu lui en a faite.
5. Pour expliquer ensuite comment la vie
éternelle est tout ensemble une récompense
et une grâce, il dit que tout le bien que l'É-
criture attribue à l'homme, elle l'attribue à
la grâce. Si en effet notre bonne vie n'est au-
tre chose que la grâce de Dieu, peut-on dou-
ter que la vie éternelle, qui est rendue à la
bonne vie, ne soit aussi une vraie grâce?
Car il est vrai de dire qu'elle est donnée gra-
tuitement, puisque la bonne vie à laquelle
elle est rendue a été donnée gratuitement.
Mais comme on aurait pu lui demander si
ces termes grâce pour grâce, se trouvent dans
les livres saints, il prévient cette question,
et la résout en rapportant plusieurs passages
où ces expressions se trouvent, entre au-
tres celui de saint Jean : Nous avons tous reçu
de sa plénitude, et grâce pour grâce. Il donne
pour une chose indubitable que la loi pro-
duit la colère, si la grâce de Dieu n'aide pas
pour l'accomplir ; et fait voir que les péla-
giens, en disant que par la grâce qui nous
aide à ne point pécher, il faut entendre la
loi, ou même les dons naturels, ils ensei-
gnaient une doctrine entièrement contraire
à celle de l'Apôtre. «Tous ceux donc, conti-
nue-t-il, qui n'ayant que le secours de la loi,
et n'ayant point celui de la grâce, s'appuient
sur leurs propres forces, et se conduisent par
leur propre esprit, ceux-là ne sont point en-
fants de Dieu. Tels sont ceux, selon saint Paul,
qui ne connaissant point la justice qui vient de
Dieu, et qui, voulant établir leur propre jus-
tice, ne sont point soumis à la justice de Dieu.
L'Apôtre avait ici en vue ces juifs qui, par la
présomption qu'ils avaient de leurs propres
forces, rejetaient la grâce. » E prouve que
ni la loi ni la nature ne peuvent être regar-
dées comme la grâce qui nous fait chrétiens,
parce qu'autrement l'Apôtre ne se serait
pas écrié dans son Épître aux Galates ; Vous
qui voulez être justifiés par la loi, vous n'avez
n Cor. m,
b.
[ Cor. XY,
I Cor. vu,
Cap. vill.
Cap. IX.
Joan. I, 16.
Cap. xï.
Cap, XII.
Cap, SJH,
Galat. T ,
516
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
I Cor. VII,
iL: . Ilom. XII,
3. Tîplios. 11 ,
8. Bom.x,!*.
plus de part à Jésus, vous êtes déchus de la grâce.
Aussi la nature nous est-elle commune avec
les impies et les infidèles; au lieu que la
grâce n'est donnée qu'à ceux à qui la foi
est donnée; et la foi n'est pas donnée à
tous.
Les pélagiens disaient encore que la grâce
qui n'est ni la loi ni la nature, pouvait valoir
pour effacer les péchés passés, mais non
pour empêcher qu'on n'en commette à l'a-
venir. « S'il en était ainsi, répond saint Au-
gustin, après avoir dit dans l'Oraison domi-
nicale : Remettez-nous nos dettes comme nous les-
remettons à nos débiteurs, nous n'ajouterions
pas : Et ne nous induisez pas à la tentation.
Car nous faisons la première partie de cette
prière, afin d'ohtenir le pardon de nos pé-
chés passés; et la seconde pour en éviter à
l'avenir. » Il exhorte l'abbé Valentin et ses
religieux à lire le livre de saint Cypj'ien sur
l'Oraison dominicale, disant qu'ils y verront
la nécessité qu'il y a de recourir à la prière
pour obtenir les secours dont nous avons
besoin pour accomplir les préceptes de la
loi.
Les pélagiens disaient qu'encore que la
grâce ne nous soit point donnée selon les
mérites de nos bonnes œuvres, parce que
c'est par elle que nous les faisons ; néanmoins
elle nous était donnée selon les mérites de
notre volonté , parce que, disaient-ils, la
bonne volonté précède en celui qui a prié.
A quoi saint Augustin répond, d'après saint
Paul, qu'on ne peut prier celui en qui l'on ne
croit pas; mais que l'esprit de grâce nous
fait avoir la foi, afin que par cette foi nous
puissions obtenir en priant, la grâce de pou-
voir faire ce qui nous est commandé ; et que
c'est pour cela que l'Apôtre préfère partout
la foi à la loi, parce que ce n'est que par la
foi qu'on obtient la grâce d'accomplir la loi.
« Car si la foi, dit-il, dépend entièrement du
libre arbitre, et n'est pas donnée de Dieu,
Ezocii. XI, pourquoi le prions-nouspour ceux qui ne veu-
lent pas croire, afin qu'ils croient? Ce que nous
• ferions en vain, si nous ne croyions avec jus-
tice que le Dieu tout-puissant peut convertir
à la foi les volontés perverses et contraires à
la foi. N'est-ce pas en eflet ce que Dieu nous
dit par le prophète Ézéchiel : Je leur donne-
rai un cœur de chair , je leur imprimerai un
esprit nouveau, je ferai que vous marcherez dans
la voie de mes commandements. Or, afin qu'on
ne croie pas qu'en tout cela les hommes
ne sont rien par leur libre arbitre, il est dit
Cap. X7.
dans le psaume xciv : Si vous entendez aujour-
d'hui sa voix, n'endurcissez pas vos cœurs ; et
dans Ézéchiel : Faites-vous un cœur nouveau
et un esprit nouveau, et accomplissez mes com-
mandements, retournez à moi et vivez. Mais
souvenons-nous qfue celui qui dit : Retournez
à moi et vivez, est le même à qui l'on dit :
Convertissez-nous, Seigneur. Souvenons-nous
que celui qui dit : Faites-vous un cœur nou-
veau, est le même qui dit aussi : Je vous don-
nerai un cœur nouveau et un esprit nouveau.
Comment donc celui qui dit : Faites- vous,
dit-il aussi : Je vous donnerai? Pourquoi, com-
mande-t-il, si c'est lui qui doit donner ? Pour-
quoi le donne-t-il, si l'homme doit le faire,
sinon parce qu'il donne ce qu'il commande,
quand il donne son secours à l'homme afin
qu'il fasse ce qui lui est commandé ? Il y a
toujours en nous une volonté libre, mais elle
n'est pas toujours bonne. Car, ou elle est li-
bre à l'égard de la justice quand elle est es-
clave du péché, et alors elle est mauvaise;
ou elle est affranchie du péché quand elle est
soumise à la justice, et alors elle est bonne.
Mais la grâce de Dieu est toujours bonne, et
par elle il arrive que la mauvaise volonté de
l'hoinme est rendue bonne, de mauvaise
qu'elle était auparavant. Par elle aussi la
même volonté qui a commencé d'être bonne,
devient meilleure, et devient si puissante
qu'elle peut accomplir tel commandement
qu'il lui plaira, quand elle le voudra forte-
ment et pleinement. C'est pour cela qu'il est
écrit : Si vous voulez, vous observerez lesprécep-
tes, afin que l'homme qui le voudra et qui ne
le pourra pas, connaisse qu'il ne le veut pas
encore pleinement; et que pour en avoir une
aussi pleine volonté qu'il est nécessaire pour
accomplir les préceptes, il prie instamment.
Et de cette sorte il recevra le secours dont il
a besoin pour faire ce qui lui est commandé.
Car c'est ainsi qu'il est aidé, afin qu'il fasse
ce qui lui est commandé. »
6. «Les pélagiens croient, dit saint Augus-
tin, savoir quelque chose de grand, quand
ils disent que Dieu ne commanderait point à
l'homme ce qu'il 'saurait n'être pas au pou-
voir de l'homme d'accomphr. Qui est-ce qui
ignore cela ? Mais Dieu nous commande des
choses que nous ne pouvons pas actuelle-
ment, afin que nous sachions ce que nous de-
vons lui demander. Car c'est la foi, qui par
la prière obtient ce que la loi commande.
Comprenez donc bien, leur dit-il, de quelle
manière il est dit : Si vous voulez, vous obser-
E.
sxxvi, 2;
EmH.
[IV« KT V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
317
Kii. jiii, verez les préceptes. Car il est certain que nous
observons les préceptes si nous voulons.
Mais comme c'est le Seigneur qui prépare la
volonté, il faut lui demander que nous vou-
lions autant qu'il faut pour faire ce que nous
voulons. Il est certain que nous voulons quand
nous voulons , mais celui qui fait que nous
voulons le bien, est le même de qui il est
Tiii. dit : Le Seigneur prépare la volonté; de qui il
"ïvi, est dit encore : Le Seigneur dirigera les pas de
l'homme, et il voudra entrer dans sa voie; de
iP' '■• qui il est encore dit : C'est le Seigneur qui
opère en nous le vouloir. Il est certain que
nous agissons, quand nous agissons, mais
celui-là fait que nous agissons, de qui il est
EMch. (jit ; /g ferai que vous marcherez dans la voie de
mes préceptes ; que vous garderez mes ordonnan-
ces, et que vous les pratiquerez ; et il le fait en
donnant des forces très-efScaces à notre vo-
""■ lonté. Celui donc qui veut accomplir le com-
mandement de Dieu, et qui ne le peut a
déjà, je l'avoue, une bonne volonté, mais en-
core faible et impuissante. Mais quand elle
sera devenue plus grande et plus forte, il le
pourra. Lorsque les martyrs ont accompli
de si grands préceptes, ils l'ont fait avec une
grande volonté, c'est-à-dire avec une grande
l'.is. charité, dont le Seigneur a dit : Personne ne
peut avoir un plus grand amour que de donner
sa vie pour ses amis. L'Apôtre saint Pierre
n'avait point encore cette grande charité,
quand la crainte lui fit renier trois fois le
Seigneur. Cependant il avait la charité, mais
faible et imparfaite, quand il disait au Sei-
■ ^'"i gneur : Je donnerai ma vie pour vous. Car il
croyait pouvoir ce qu'il sentait bien qu'il
voulait. Et qui avait commencé de lui don-
ner cette charité faible, sinon celui qui pré-
pare la volonté , et qui par sa coopération
achève ce qu'il a commencé par son opéra-
tion? Il opère donc sans nous, afin que nous
voulions; et lorsque nous voulons, et que
. nous voulons de telle sorte que nous faisons,
il coopère avec nous. En sorte néanmoins
que nous ne pouvons rien pour les bonnes
œuvres sans celui qui opère afin que nous
voulions, ou qui coopère lorsque nous vou-
lons. Le Seigneur dit que son joug est léger
à ceux qui sont tels qu'était saint Pierre
quand il souffrit le martyre pour Jésus-
Christ, et non tels qu'il était quand il le
renia. »
Saint Augustin établit le double précepte
de la charité par un grand nombre de pas-
sages des Épitres de saint Paul et des Evan-
giles, puis il montre que la charité qui nous
le fait accomplir, vient de Dieu et non de
nous-mêmes. «D'où vient aux hommes, dit-il, cap. xvnr.
l'amour de Dieu et du prochain, sinon de
Dieu même? Car s'il ne vient pas de Dieu,
mais des hommes, les pélagiens ont rem-
porté la victoire. Mais s'il vient de Dieu,
nous avons vaincu les pélagiens. Que l'apô-
tre saint Jean soit juge de cette difficulté qui
est entre nous. Lorsqu'il nous dit : Mes très- i Join.n,-.
chers, aimons-nous les uns les autres, les péla-
giens s'en élèvent, et disent : Pourquoi nous
fait-on ce précepte, si nous n'avons de nous-
mêmes de nous aimer mutuellement? Mais
ils sont confondus par ces paroles du même
Apôtre, qui suivent immédiatement les pré-
cédentes : Car l'amour est la charité de Dieu. um.
Pourquoi donc est-il dit : Aimons-nous les uns
les autres, parce que la dilection est de Dieu ?
Sinon parce que par le précepte le libre ar-
bitre est averti de chercher le don de Dieu,
de quoi, sans doute, on l'avertirait inutile-
ment, s'il ne recevait auparavant quelque
degré de dilection, par lequel il recherchât
ce qui lui est nécessaire pour exécuter ce
qui lui est commandé, quand il est dit : A imez-
vous les uns les autres. Quand il est dit : Ai-
mons-nous les uns les auti'cs, c'est la loi; quand
il est dit : Parce que la dilection est de Dieu,
c'est la grâce. Que personne donc ne vous
trompe, dit 'ce Père aux moines d'Adrumet.
Nous n'aimerions pas Dieu, s'il ne nous avait
aimé le premier. La grâce nous fait amateurs
de la loi , mais la loi sans la grâce n'en fait
que des prévaricateurs. Ce que le Seigneur
dit à ses disciples : ^ous ne m'avez point
choisi; mais c'est moi qui vous ai choisis, ne
signifie autre chose. Car si nous l'avons au-
paravant aimé, afin que par ce mérite il nous
aimât après que nous l'aurions aimé, nous
l'avons choisi premièrement, afin de mériter
d'être choisis de lui. Mais celui qui est la
vérité , dit toute autre chose , et contredit
très-ouvertement cette vanité des hommes :
Vous ne m'avez pas choisi, dit-il : si donc vous
ne m'avez pas choisi , sans doute vous ne
m'avez pas aimé. En effet, comment choisi-
raient-ils celui qu'ils n'aimeraient pas? Mais
je vous ai choisis, dit-il. Dira-t-on qu'ils le
choisirent ensuite, et qu'ils le préférèrent à
tous les biens de ce siècle? Non, ils l'ont
choisi, parce qu'ils avaient été choisis ; et ils
n'ont pas été choisis, parce qu'ils l'avaient
choisi. Le mérite des hommes qui choisis-
sent serait nul, si la grâce de Dieu qui les
518
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
I Tbeïs. i!i
12.
I Cor. 11, i;
Cap. XX,
Exod. vil,
cl Kl.
I Oos. VI
il Reç. X'
111.
C-i]». xxi.
ciloisit, ne les prévenait. D'où vient que l'A-
pôtre, bénissant les Thessaloniciens, dit :
Qiœ le Seigneur vous multiplie, et qu'il vous
fasse abonder en charité les uns envers les autres
et envers tous. Celui-là nous a donné la béné-
diction de nous aimer les uns les autres, qui
nous avait donné la loi de nous aimer les
uns les autres. »
Saint Augustin prouve ensuite , tant par
l'Ancien que par le Nouveau Testament, que
nous avons reçu l'esprit même de crainte de
Dieu, et que c'est un très-grand don de
Dieu. Sur quoi il dit : « La crainte qui porta
saint Pierre à renoncer son maître , n'est
pas celle que nous avons renie ; mais nous
avons rciju celle dont parle Jesus-Clirist liii-
nième , lorsqu'il dit : Craignez i-chii qui a te
jto/irnir de précipiter le corps et l'âme dans
l'enfer. » ]l conclut de tout cela que les péla-
giens n'ont pas une charité véritable , c'est-
à-dire clirétienne , parce que s'ils l'avaient ,
ils sauraient d'où elle vient , comme le sa-
vait l'Apôtre qui disait : Nous n'avons point
reçu l'esprit du monde, mais l'esprit qui est de
Dieu, afin que nous connaissions les dons que
Dieu nous a faits.
7. « Je crois , ajoute ce Père , avoir assez
disputé contre ceux qui attaquent si vive-
ment la grâce divine, par laquelle la volonté
humaine n'est pas détruite , mais de mau-
vaise qu'elle était , est rendue bonne , et ai-
dée après qu'elle l'est devenue. J'ai même
raisonné là-dessus de telle sorte que ce n'est
pas tant moi , que la sainte Écriture elle-
même , qui , par les témoignages éclatants
de la vérité vous a parlé. Car si cette Ecri-
ture divine est attentivement examinée, elle
fait voir que non-seulement c'est Dieu qui
rend bonnes les volontés des hommes de
mauvaises qu'elles étaient , et qui après les
avoir rendues bonnes , les conduit par de
bonnes actions à la vie éternelle ; mais aussi
celles qui persévèrent dans leur malice et
dans la corruption de la nature , sont telle-
ment en la puissance de Dieu , qu'il les fait
pencher où il veut , et quand il veut , soit
pour faire du bien aux uns , soit pour impo-
ser des peines aux autres , selon qu'il le
juge à propos par xm jugement à la vérité
' très-secret , mais certainement très-juste. »
' 11 prouve par divers exemples, ce qu'il avait
'■ déjà dit ailleurs, qu'il y a des péchés qui
sont la peine d'autres péchés. « Qui ne fj'é-
mira donc, dit-il , à la vue des jugements de
Dieu selon lesquels il fait ce qu'il veut dans
le cœur des hommes , soit en les portant au
bien par pure miséricorde, soit en faisant
servir à ses desseins le mal auquel ils se
portent par leur libre arbitre ! Dieu est assez
puissant , soit par ses anges , ou bons ou
mauvais ; soit par quelqu'autre voie , quelle
qu'elle soit, pour opérer dans les cœurs
mêmes des méchants , selon les mérites de
ceux dont il n'a point fait la malice, mais
qui l'ont ou tirée originellement d'Adam, ou
augmentée par leur propre volonté. Il ne
faut pas s'étonner si par le Saint-Esprit il
opère le bien dans les cœurs de ses élus,
lui qui a pu faire qae les cœurs mêmes de
mauvais devinssent bons. « Il domie encore
une preuve de la grâce dans les ent'auls , à
(]iii un ne peut attribuer aucun mérite poiu'
se l'attirer , ni auciui démérite pour en être
privés , sinon le péché originel , ni aucune
raison de préférence que le jugement secret
et impénétrable de Dieu. Il finit , en exhor-
tant les moines d'Adrumet à rehre conti-
nuellement ce livre, « et si vous l'enten-
dez, leur dit-il, rendez grâces à Dieu, et
priez-le de vous faire entendre ce que vous
n'entendez : car il vous en donnera l'intelli-
Cip. K.Î-1
XXlll.
xu.
Du livre de la Correction et de la grcice.
l. Saint Augustin en envoyant à l'abbé
Yal enfin et à ses frères le livre de la Grâce
et du libre arbitre , les pria par toute la con-
sidération qu'ils pouvaient avoir pour lui
de lui envoyer Florus, le même qui avait
transcrit la lettre au prêtre Sixte. Yaleutin
s'en fit un plaisir , et chargea Florus d'une
lettre adressée à ce saint évêque , où il lui
faisait le récit de ce qui s'était passé dans
son monastère, avec une profession de sa
foi, qu'il assurait être aussi celle de Florus.
Saint Augustin fut ravi de trouver Florus
dans la foi catholique sur la grâce et sur le
libre arbitre, et d'apprendre par la lettre
de Yalentiu que la paix était rétajjlie dans
le monastère d'Adrumet. Mais il apprit en
même temps qu'un moine du même monas-
tère, à l'occasion sans doute des principes
établis dans le livre de la Grâce et du libre
arbitre qu'il n'avait pas bien compris , fai-
sait cette objection : Si c'est Dieu qui opère
en nous le vouloir et le parfaire, nos supé-
rieurs doivent se contenter de nous instruire
de nos devoirs, el de prier Dieu pour nous
Lit 18 r
Corrcclio
de la grâi
que le
sion il a
écrit.
Lib, Il
tract.
ulU
[iV' ET V'^ SIÈCLES.]
afin que nous les fassions , sans nous corri-
ger quand nous ne les faisons pas ; puisque
ce n'est pas notre faute si nous n'avons pas
ce puissant secours, que Dieu ne nous a pas
donné , et que nous ne pouvons recevoir
que de lui. Cette fausse conséquence qui
rendait odieuse la doctrine de la grâce, obli-
gea saint Augustin de faire un nouvel écrit,
qu'il adressa, comme le précédent, à l'abbé
Yalentin et à ses moines, sans néanmoins
les accuser d'être dans l'erreur de ceux qui
soutenaient le libre arbitre contre la grâce.
Il est intitule, de la. Correction et de la grâce,
et suivit de près celui de la Grâce et du li-
bre arbitre. H'esl le dernier des onviciges
dont saint Augustin piirle dans ses livres
des Jtétra,ctnti(im ériites en -4:27. Ainsi on ne
peut le mettre plus tard, ni aussi |)ln.s tût
qu'en -i2(j, après la fête de Pâques. Il es!
cité par saint Fulgonce ' Louchant la dis-
tinction des deux grâces, de celle d'Adam
avant son pécbé , et de celle par laquelle
nous sommes rachetés de la masse du
péché. On l'a - regardé comme la clef de
toute la doctrine de saint Augustin sur la
grâce.
2. Saint Augustin ne se croyant pas
obhgé d'y retoucher tous les points qu'il
avait suffisamment expliqués dans le livre
de la Grâce et du libre (arbitre qu'il avait
cnvoy-é à ces religieux, leur. dit de lire de
nouveau ce livre, étant impossible qu'ils
l'eussent compris parfaitement dans une
seule lecture, a Vous y reconnaîtrez, leur dit-
il, eu le relisant, de qu'elle sorte on y résout
les questions , et on détruit les erreurs tou-
chant la grâce, non par la raison humaine ,
mais par l'autorité divine, de laquelle on ne
doit point s'éloigner , si l'on veut parvenir à
la connaissance de la vérité. » Il ne laisse
pas d'établir dans le livre de la Correction et
de la grâce plusieurs principes, comme né-
cessaires avant d'en venir à la solution de
l'objection qu'on lui avait faite. Ces prin-
cipes sont que Dieu ne nous montre pas
seulement quel mal nous devons éviter , et
quel bien nous devons pratiquer, qui est
précisément ce que peut la lettre nue , et
l'écriture morte de la loi ; mais qu'il nous
aide encore pour fuir le mal, et faire le bien ;
ce que personne ne saurait faire sans l'es-
prit de la grâce , sans laquelle la loi ne sert
qu'à faire des coupables ; qu'ainsi celui qui
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
519
use légitimement de la loi, apprend d'elle le
bien et le mal ; mais que ne se confiant point
en sa force et en sa vertu , il a recom's à la
grâce, par l'opération de laquelle il s'éloigne
du mal, et fait le bien. Il ajoute que comme
nul n'a recours à la grâce que lorsque le
Seigneur dirige ses pas, et fait qu'il veut en-
trer dans la voie du Seigneur, il s'ensuit que
le désir du secours de la grâce est le com-
mencement de la grâce , dont le Prophète
parle , lorsqu'il écrit : J'ai dit en moi-même,
j'ai commencé maintenant. C'est là le change-
ment c^ue la mnin du Très-Haut a fait en moi.
(i Nous devons donc confesser , continue ce
Père , que nous avons le libre arbitre pour
faire le bien et le mal. Mais pour faire le
mal, chacun est fibre de la justice et esclave
du péché; au lieu que, pour faire le bien,
personne ne peut être libre que celui qui
aura été délivré pai' le Sauveur du monde ,
qui dit: Si le Fils vous délivre, vous serez
alors vraiment libres. Mais il ne nous délivre
pas de telle sorte que nous n'ayons plus
besoin de son secours ; mais que lui enten-
dant dire : loiis ne pouvez rien faire sans moi,
nous lui répondions en même temps ; Vous
êtes mon aide et mon secours, ne me laissez pas
sans votre assistance : Voilà la foi et la
croyance , qui est véritable et indubitable ,
voilà la foi des prophètes, la foi des apôtres,
la foi de l'Église cathohque. »
3. « Pour entendre la grâce que Dieu
nous donne par Jésus-Christ, il faut savoir
que c'est par elle seule que les hommes sont
délivrés du mal, et que sans ehe ils ne font
aucun bien, ni par la pensée, ni par la vo-
lonté, ni par l'amour, ni par l'action ; et que
non-seulement elle leur fait connaître ce
qu'ils doivent faire, mais qu'eUe leur fait
faire avec amour ce qu'ils connaissent. C'est
cette inspiration d'une bonne volonté, et
d'une bonne œuvre que saint Paid deman-
dait â Dieu pour ceux à qui il disait : Nous
prions Dieu afin que vous ne fassiez point de
mal, non afin que nous paraissions être gens
de bien, mais que vous fassiez ce qui est bon.
L'Apôtre ne dit pas : Nous avertissons, nous
enseignons, nous exhortons, nous repre-
nons, mais : Nous prions, etc. , ce qui n'empê-
chait pas qu'il n'avertit ceux à qui il parlait
ainsi, qu'il ne les enseignât, qu'il ne les
exhortât, qu'il ne les reprit. Mais il savait
que toutes ces choses qu'il faisait en public,
Jcr.n.
P--j|.
1 Fulgent. ad Ferrand, cap. n.
- Noris., lib. I, cap. xxui.
520
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
en plantant et en arrosant, n'avaient point
de force, si celui qui donne l'accroissement
en secret, n'exauçait la prière qu'il lui
adressait pour eux : sachant que celui qui
plante, et celui qui arrose, n'est rien, mais
que tout dépend de Dieu, qui donne l'ac-
croissement. »
Objection. 4. Ces principes posés , saint Augustin
vient à l'objection du moine d'Adrumet, et
la propose sous différentes faces. Pour-
quoi, disait ce religieux, nous prêche-t-on,
et nous ordonne-t-on de nous éloigner du
mal, et de faire le bien, si ce n'est pas nous
qui le faisons, mais si c'est Dieu qui fait en
nous que nous le voulons et le faisons?
Saint Augustin répond : « Il faut plutôt recon-
naître que c'est l'esprit de Dieu qui nous
pousse, afin que nous fassions ce que nous
devons faire, et qu'après l'avoir fait, nous
rendions grâces à celui qui nous pousse. Car
nous sommes poussés , afin que nous fas-
sions, et non afin que nous ne fassions l'ien.
Que si donc nous ne faisons pas le bien, ou
en ne le faisant point du tout, ou en ne le
faisant pas avec amour, et par un mou-
vement de charité, prions afin que nous
recevions le don que nous n'avons pas en-
core. »
Objection. 5. Que nos supérieurs donc'', ajoutait ce
Cap. m. moine , nous ordonnent seulement ce cpie
nous devons faire, et prient pour nous afin
que nous le fassions, mais qu'ils ne nous
corrigent point, si nous ne le faisons pas. « Je
dis au contraire, répond saint Augustin,
qu'il faut faire tout cela, parce que les apô-
tres qui étaient les docteurs de l'Éghse le
faisaient. Ils ordonnaient ce qu'on devait
faire, ils reprenaient si on ne le faisait pas,
et ils priaient afin qu'on le fit. » Sur quoi ce
Père rapporte divers passages de saint Paul,
I Cor. XVI, où l'on voit que cet apôtre ordonne, afin
.'iThossa! qu'on ait de l'amour et de la charité ; qu'il
reprend , parce qu'on n'en avait point, et
qu'il prie afin que l'on en devienne rempli.
6. Mais comment est-ce par ma faute que
je n'ai point ce que je n'ai pas reçu de Dieu,
et ce que je ne pouvais recevoir que de lui ,
n'y ayant que lui seul, qui soit le distribu-
teur d'un don si grand et si précieux? On me
prendrait avec raison, si c'était par ma faute
que je ne l'eusse pas, c'est-à-dire si je pou-
vais me le donner, ou le prendre moi-mê-
me, et que je ne le fisse pas, ou si Dieu me
le donnant, je ne le voulais pas recevoir.
Puis donc que la volonté même doit être
III, u.
Objection.
Cap. IV.
II Timolli I
11, »i.
préparée par le Seigneur, pourquoi me re-
prenez-vous, parce que vous voyez que je
ne veux pas garder ses préceptes ; et que ne
le priez-vous plutôt afin qu'il m'en donne la
volonté? «C'est votre faute, répond saint cap. v.
Augustin , de ce que vous êtes méchant, et
c'est encore une plus grande faute de ce
que vous ne voulez pas qu'on vous reprenne
de votre malice ; comme s'il fallait louer les
fautes, ou les tenir pour indifférentes, en ne
les louant ni les blâmant ; ou comme si la
honte, la crainte, le regret d'être repris ne
pouvaient servir de rien, et ne pas exciter à
prier et à se convertir. » Jl fait voir l'utilité
des remontrances , lorsqu'on les fait plus
fortes ou plus douces , selon les cpialités des
péchés, et lorsque le suprême Médecin jette
ses regards divins sur celui que l'on re-
prend ; et il cite à cette occasion ce cpie dit
saint Paul à Timothée, qu'il faut reprendi'e
avec modestie ceux qui sont d'un autre sen-
timent, parce qu'il se peut faire que Dieu
les touchera de repentance pour connaître
la vérité, et se tirer des pièges du diable.
Il ne nie pas que Dieu ne puisse convertir
celui qu'il veut, quoique personne ne l'aver-
tisse de le faire, et qu'il ne le puisse con-
duire à la douleur salutaire de la pénitence ;
par la puissance secrète et toute puissante
de sa médecine ; mais il soutient que com-
me nous ne devons point cesser de prier
pour ceux dont nous désirons la conver-
sion , de même on ne doit pas négliger les
avertissements et les remontrances , en-
core que Dieu rende convertis ceux qu'il
veut, sans qu'ils aient.été avertis de ce qu'ils
devaient faire pour se convertir. Ensuite cap.
il montre qu'on ne doit point laisser de
reprendre ceux qui n'ont pas la grâce
de bien faire ; .premièrement , les infidè-
les , et généralement tous ceux qui n'ont
point été baptisés, du mal qu'ils font, parce
que Dieu a fait l'homme juste en le créant.
D'où il suit, que la première injustice, par
laqueUe on n'obéit pas à Dieu, vient de
l'homme, parce qu'il est devenu méchant,
en perdant par sa mauvaise volonté cette
justice première et cette bonté originelle,
que Dieu lui avait donnée lors de sa créa-
tion. On ne peut objecter que cette malice
ne doit pas être reprise dans l'homme, parce
qu'elle n'est pas propre et particulière h ce-
lui que l'on reprend, mais commune à tous
les hommes : car on doit reprendre d'un
chacun ce qui est commun à tous, puisqu'il
[IV" ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
521
ne laisse pas d'être particulier à chaque per-
sonne. On doit en second lieu , reprendre
ceux d'entre les baptisés qui ne persévèrent
pas dans le bien, parce qu'ils ne peuvent dire
qu'ils n'ont pas reçu, ayant perdu par leur
volonté qui est libre pour le mal, la grâce de
Dieu qu'ils avaient reçue. Si, étant vivement
touchés des avertissements qu'on leur donne,
ils poussent des gémissements salutaires du
fond de leur cœur, et pratiquent de nouveau
les bonnes œuvres, leur changement justifie
l'utilité des avertissements et des remon-
trances. Enfin il peut arriver que Dieu leur
donnera des mouvements de pénitence pour
les faire revenir à lui, ainsi que le dit
saint Paul.
7. n est vrai, disait celui qui ne voulait
pas être repris, que j'ai reçu la foi, qui agit
par amour ; mais je n'ai pas reçu la persé-
vérance jusqu'à la fin dans cette foi agis-
sante par amour. Saint Augustin confirmepar
un grand nombre de passages de l'Écriture
ce qui est dit dans cette objection , que la
persévérance dans le bien jusqu'à la fin est
un grand don de Dieu, et qu'il ne procède
que de celui dont il est écrit : Tout don ex-
cellent, et tout don parfait vient d'en haut, et
procède du Père des lumières. Il le prouve en-
core, en ce que l'on prie pour la demander.
Il enseigne néanmoins que c'est avec jus-
tice que l'on reprend ceux qui ne persévè-
rent point, parce que c'est par leur propre
volonté qu'ils ont été changés, et qu'ils ont
passé d'une bonne vie à une mauvaise.
S'ils ne profitent donc point de la correc-
tion , ils méritent la damnation éternelle.
Ceux-mêmes à qui l'Évangile n'aura pas été
prêché ne se délivreront pas de cette con-
damnation, quoiqu'il semble que c'est une
excuse plus légitime de dire : nous n'avons
pas reçu la grâce d'ouïr l'Évangile , que de
dire nous n'avons pas reçu la persévérance.
Car on peut dire : Mon ami , vous auriez '
persévéré si vous aviez voulu, en ce que
vous aviez ouï et retenu; mais on ne peut
dire , en aucune manière : Vous auriez
cru si vous aviez voulu, ce que vous n'avez
pas ouï. D'ailleurs, Dieu ne doit à personne
la grâce de la persévérance, et s'il la donne
à ses élus qu'il a séparés de la masse de
perdition par une singulière miséricorde, il
la refuse avec justice en punition du péché
ou actuel ou originel à ceux qu'il a laissés
dans cette damnation générale, où le péché
d'un seul a engagé tous les hommes. Saint
Augustin dit de ceux-ci cpii, après avoir été
justifiés par le baptême , ne persévèrent
point jusqu'à la fin, qu'ils n'ont pas été tirés
et séparés par la prescience de Dieu et par
sa prédestination, de cette masse perdue et
condamnée ; et que c'est pour cela cpi'ils ne
sont ni appelés selon le décret de Dieu, ni
par conséquent choisis et élus, mais appelés
seulement entre ceux dont il est dit : Il y a ^^M="Uh. ix,
beaucoup d'appelés; et non pas entre ceux
dont il est dit : Mais il y a peu d'élus.
8. « Si on demande pourquoi Dieu n'a cap. vm.
pas donné la persévérance à ceux à qui il a
donné l'amour et la charité par laquelle ils
vivaient chrétiennement , je réponds , dit
saint Augustin , que je n'en sais point la
cause, écoutant, avec un sentiment humble
de ma faiblesse , l'Apôtre lorsqu'il dit : 0 !><""■ "^>^°'
homme, qui es-tu pour demander à Dieu qu'il
te rende compte de ce qu'il fait ? Il faut donc
que nous lui rendions grâces autant qu'il lui
plaît de nous découvrir de ses conseils, et de
ne pas murmurer contre sa providence, au-
tant qu'il lui plaît de nous les cacher, mais
croire au contraire qu'il nous est très-utile
qu'ils nous demeurent toujours inconnus. Mais
vous qui êtes ennemis de cette grâce, et qui me
demandez la raison de ce secret, je crois que
vous ignorez de même que moi, pourquoi
l'un reçoit ce don, etllautre ne le reçoit pas.
Ou si vous avez recom's au libre arbitre de
l'homme , qu'opposerez-vous à ces paroles
de Jésus-Christ : J'ai prié pour vous, Pierre,
afin que votre foi ne manque point? Oserez-
vous dire que nonobstant la prière de Jésus-
Christ, la foi de Pierre eût défailli, si Pierre
eût voulu? Comme c'est le Seigneur qui pré- p™'- ■"'■'•
2Mre la volonté, la prière que Jcsus-Christ of-
frit à Dieu son Père pour cet apôtre, ne
pouvait être vaine et défectueuse ; ainsi
lorscpi'il a prié, afin que sa foi ne défaillît
point, il n'a demandé autre chose pour lui,
sinon qu'il eût une volonté très-hbre, très-
forte, très-invincible, et très-persévérante
dans la foi. Voilà de quelle sorte on défend
la liberté de la volonté selon la grâce de
Dieu, et non pas contre elle. La volonté hu-
maine n'obtient donc pas la grâce par la
liherté , mais elle obtient la liberté par la
grâce , et elle reçoit pour persévérer , un
plaisir perpétuel et une force insui-monta-
ble. Il est vrai qu'il y a lieu de s'étonner
que Dieu ne donne pas la persévérance à
quelques-uns de ses enfants, qu'il a fait re-
naître en Jésus-Christ, et à qui il a donné la
522
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEU S ECCLÉSIASTIQUES.
i>f
.!o"Il, XI, i.l
Jean. )', '.'•'■
foi, l'espérance et l'amour, tandis qu'il l'ac-
corde aux enfants de ses ennemis ; ou qu'il
ne retire pas des périls de cette vie les fidè-
les dont il prévoit la chute. Dira-t-on pour
cela qu'il n'a pas eu ces événements en sa
puissance, ou qu'il n'a pas su les maux que
ces fidèles commettraient à l'avenir ? L'un
ou l'autre ne se peut dire sans absurdité.
Pom-quoi donc Dieu ne l'a-t-il pas fait ? Que
ceux qui se moquent de nous, lorsque nous
recourons en ces rencontres aux jugements
incompréhensibles, et aux voies impénétra-
bles du Seigneur, nous répondent. Car Dieu
donne cela à ceux qu'il lui plaît, et l'Écri-
ti;rc ne ment pas , lorsque parlant de la
mort d'un homme juste, comme si elle avait
été précipitée, dit : 7/ a été tiré de cette rie.
lie peur que la iiwliee ne cliiiuijeùl ■nui esprit,
nu que l'hypocrisie ne triDiifiùt mjk ùiiir. Et tic
sîoyons pas touchés di' ce que Dieu ne donne
pas cette persévérance à quelques-uns de
ses enfants. Car cela n'arriverait jamais,
s'ils» étaient du nombre des prédestinés, et
de ceux qui sont appelés selon le décret de
Dieu, et qui sont véritablement les enfants
de la promesse. Ils sont appelés enfants de
Dieu, lorsqu'ils vivent pieusement : mais
parce qu'ils vivront un jour comme des im-
pies, et qu'ils mouiTont dans cette impiété,
la prescience de Dieu ne les appelle pas en-
fants de Dieu. »
De là saint Augustin prend occasion de
dire, et de prouver par l'autorité de l'Ecri-
tui'C, qu'il y a des enfants de Dieu qui ne
le sont pas encore à notre égard, et qui le
sont déjà à l'égard de Dieu, étant écrits sur
le registi'e de leur père par im décret ferme
et inébranlable, avant même qu'on leur ail
annoncé l'Évangile ; et qu'au contraire il y
en a que nous appelons enfants de Dieu, à
cause de la grâce qu'ils ont reçue pour un
temps, et qui ne le sont pas à l'égard de
Dieu, parce qu'ils ne sont que du grand nom-
bre des appelés, et non pas du petit nombre
des élus. » C'est pour cela, continue-t-il, qu'a-
près que l'Apôtre a dit : Nous savons que tout
se tourne en bien pour ceux qui aiment Dieu,
sachant qu'il y en a qui aiment Dieu, et qui
toutefois ne persévèrent pas dans le bien
jusqu'à la fin, il ajoute : Pour ceux qui ont
été appelés selon le décret de Dieu. Car ceux-là
demeurent jusqu'à la fin dans l'amour qu'ils
ont pour Dieu, et s'ils s'en retirent pour un
temps, ils y retournent, afin qu'ils conti-
nuent jusqu'à la fin dans le bien où ils
avaient commencé d'être. L'Apôtre explique
ce que c'est que d'être appelé selon le dé-
cret de Dieu, lorsqu'il ajoute : Il a prédestiné
pour être conformes à l'imaye de son Fils ceux
qu'il a connus de toute éternité dans sa pres-
cience , voulant que son Fils ait plusieurs
frères, et qu'il soit l'aîné entr'eux. Et il a ap-
pelé ainsi, savoir selon son décret, ceux qu'il
a prédestinés, et il a justifié ceux qu'il a ap-
jxlés, et il a glorifié ceux qu'il a justifiés. Par
la gloire marquée dans ces dernières paro-
les : Il les a glorifiés, il faut entendre celle de
la vie future. Que si quelques-uns des élus
se dérèglent, Dieu fait que leur dérègle-
ment même leur Innriic en bien , paj'ce
qu'ils en deviennejrl ]jliis humbles, appre-
nant à se réjouir avec lre)ulilement dans la
voie de la juslice, ne s'assnrant point d'y
(loiiiMiicr |jiir leurs pi'Ojjj'es forces, mais par
la voluJité cl la grâce du Seigneur. »
Saint Augustin rapporte sur ce sujet
comment l'apôtre saint Pierre tomba dans
l'infidélité et le trouble pour s'être trop at-
tribué à lui-même ; et comment il profita de
cette faute par l'opération de celui qui fait
tourner toutes choses eu bien pour ceux qui
l'aiment, parce qu'il avait été appelé selon
le décret de Dieu, en sorte que personne ne
le put ravir de la main de Jésus-Christ à
qui son Père l'avait donné. D'où il conclut
cju'il faut toujoiu'S reprendre celui qui pè-
che, parce que ne pouvant distinguer les
élus des réprouvés, nous ne savons qui sont
ceux à qui notre correction profitera, ni
ceux à qui Dieu donnera la persévérance.
l). Adam était sans doute séparé de la
masse de perdition, puisqu'elle n'était pas
encore ; pourquoi donc n'a-t-il pas reçu le
don de persévérance ? Et ne l'a,yant pas re-
çu, comment est-il coupable ? Pour résoudre
cette dilhculté, saint Augustin répond, que
la grâce donnée aux anges et à l'homme
dans la première création, était bien diffé-
rente de celle que Jésus-Christ donne aux
hommes depuis la chute d'Adam ; qu'à l'é-
gard des anges et du premier homme. Dieu
a voulu , premièrement , montrer ce que
pouvait en eux le libre ai-bitre, et ensuite ce
que pouvait le don de sa grâce, et le juge-
ment de sa justice ; que quelques-uns des
anges se sont éloignés du Seigneur par le
libre arbitre, tandis que les autres sont de-
meurés dans la vérité par ce même libi'e
arbitre ; qu'Adam eût aussi pu, s'il eût vou-
lu, demeurer par le libre arbitre dans l'état
f. ^.
[IV'' ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
523
de justice où il avait été créé ; mais qu'ayant
quitté Dieu par son libre arbitre, il a été
condamné avec toute sa race, qui étant en
lui lorsqu'il pécha, avait péché avec lui. Ce
qui fait que si nul n'était déhvré, personne
ne pourrait reprendre avec justice le juste
cip. Il, jugement de Dieu. Mais, dira-t-on, Adam n'a-
t-il point eu de grâces de Dieu ? « Il en a eu
une grande, dit ce Père, mais différente de
celle que Jésus-Christ nous a méritée. Il n'a
pas eu cette grâce par laquelle il ne voulût
jamais être méchant; mais il en avait une,
en laquelle, s'il eût persévéré, il n'eût jamais
été méchant, et sans laquelle il n'aurait pu
être bon, même avec le libre arbitre, et
qu'il pouvait néanmoins quitter par le lilirc
arbitre. Car ce secours élait tel (|u'Ailiim
pouvait ne s'en point servir, loi'scpi'il le vou-
lait, et s'en servir s'il le voulait ; mais il
n'était pas tel que ce îùi ce secours qui le
fit vouloir. Voilà la première grâce qui a
été domiée à Adam ; et il faut dire la même
chose de celle que Dieu accorda aux anges.
Mais celle que les hommes ont eue par le
Médiateur qui les a rachetés de son sang,
est plus puissante, puisqu'au lieu que par
la première grâce l'homme gardait la jus-
tice, s'il le voulait, la seconde le fait vouloir,
et vouloir si fortement, qu'il surmonte par
la volonté de l'esprit la volonté de la chair,
qui a des passions contraires. Si ce secours
eût manqué ou à l'ange ou à l'homme, lors-
([u'ils fm'ent créés d'abord, leur nature n'é-
tant pas telle que, sans l'aide de Dieu, elle
put demeiu-er dans le bien, si elle voulait,
ils ne fussent pas tombés par leur faute,
parce qu'ils eussent' manqué du secours
sans lequel ils ne pouvaient demeurer dans
leur innocence. Mais maintenant ceux qui
sont privés de ce secours, en sont privés
par la peine du péché. »
Saint Augustin marque la différence de
la grâce d'Adam et de celle de Jésus-Christ,
en disant que la grâce première était un
secours sans lequel une chose ne se faisait
point, et l'autre un secours par lequel quel-
que chose se fait.
c.p. m:. 10. Il donne deux raisons de cette dis-
tinction ; la première, que la volonté d'A-
dam était saine et forte, et qu'ainsi il lui
était facile de vouloir le bien, sans que la
grâce l'y déterminât, tandis que la volonté
des hommes depuis la chute d'Adam, est si
malade et si faible, que si Dieu l'abandon-
nait à elle-même, en ne lui donnant qu'un
secours semblable à celui d'Adam et des
anges, qui n'opérât point en eux qu'ils vou-
lussent persévérer dans le bien, ils ne le
pom'raient pas à cause des grandes tenta-
tions dont il sont attaqués, et qui n'étaient
pas dans le paradis terrestre. La seconde
raison est, que Dieu pour étouffer l'orgueil
de l'homme, qui a été la cause de sa ruine,
n'a pas voulu que ses saints mêmes se glo-
rifiassent en leurs propres forces, mais en
lui, de leur persévérance ; puisque non-seu-
lement il leur donne mi secours, tel qu'il l'a
donné au premier homme, sans lequel ils ne
pourraient persévérer, quoiqu'ils le voulus-
sent , aiais un secours qui produit même le
vouloir en eux. Car ils ne persévéreraient pas,
s'ils ne le pouvaient, et ne le voulaient ; et à
cause de cela le pouvoir et la volonté même
lie persévérer leur sout donnés par la libé-
ralité de la grâce divine. C'est ainsi que
Dieu a remédié à la faiblesse de la volonté
humaine, lorsqu'il a fait qu'elle fût poussée
iudéclinablement et invinciblement par la
grâce divine , eu sorte que, quoique faible
eUe ne défaillit point , et ne fût vaincue par
aucune adversité.
11. Il dit que c'est de ceux qui sont pré-
destinés pour le i-oyaume de Dieu, qu'il faut
entendre ce que dit Jésus-Christ : J'ai prié
pour vous, afin que votre foi ne défaille point ;
que le nombre en est si certain et si arrêté,
qu'il ne croît jamais, ni ne diminue ; que
personne d'eux ne sait toutefois s'il en est,
pendant qu'il est en ce monde, et que cette
ignorance leur est utile en cette vie pour
les garder de la vaine gloire. Quant aux ré-
prouvés, il en distingue de différentes sor-
tes : les uns meurent avec le péché originel
qu'ils ont contracté par leur naissance, sans
que cette dette héréditaire leur ait été re-
mise dans le baptême : d'autres par leur
libre arbitre, qui n'est pas déhvré par la
grâce, ont ajouté d'autres péchés à leur pé-
ché originel ; d'autres ont reçu la grâce, et
n'y ont pas persévéré ; ils ont quitté Dieu,
et Dieu les a quittés ; abandonnés à leur fibre
arbitre, fis n'ont point reçu le don de persévé-
rance par un jugement de Dieu, qui est aussi
juste comme il est caché. « Que les hommes cip. nv.
donc , ajoute ce saint Docteur , soulfrent
qu'on les corrige, lorsqu'ils pèchent, sans
argumenter de la correction contre la grâce,
ni de la grâce contre la correction; parce
qu'il est vrai, et que, selon la justice, la
peine est due au péché, et que les justes
Luc.
32,
524
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
remontrances dont on se sert comme d'une
médecine, font partie de cette peine. De
sorte que si celui, à qui on donne quelques
avertissements, est du nombre des prédesti-
nés, ces avis lui sont des remèdes salutai-
res ; que s'il n'en est pas, ils lui sont un
supplice rigoureux. Il est bien au pouvoir
de l'homme de vouloir ou de ne pas vouloir;
mais il n'empêche point la volonté, ni ne
surmonte la puissance de Dieu, qui fait ce
qu'il veut de ceux qui font ce qu'il ne veut
pas. »
1 Timoih. Ce Père, par ces paroles : Dieu veut que
tous les hommes soient sauvés, entend ici tous
les prédestinés. « Parce que, dit-il, ils com-
prennent tous les divers gemmes des hom-
mes, » mais il avertit qu'elles peuvent aussi
s'entendre en plusieurs autres manières ,
dont il a rapporté quelques-unes dans ses
I Pc;. I, ouvrages. Ensuite il rapporte divers exem-
2r„ I l>ar.il. ? ,„S -, • j i. 1
XI, :■, 12, 28 pies de lEcriture, qui montrent le pouvoir
absolu que Dieu a sur les volontés des hom-
Cap. XV. mes. Il parle de l'excommunication qui ,
dans l'usage de l'Église, était appelée con-
damnation, et ordonnée par le jugement de
l'évêque, comme de la plus grande de toutes
les peines de l'Église ; et dit que pouvant,
si Dieu le vent, devenir une correction très-
salutaire, nous devons corriger selon la dif-
férence des fautes, et procurer sans distinc-
tion le salut de tous les hommes, parce que
nous ne connaissons pas ceux que Dieu veut
effectivement sauver , et que le soin que
nous en prenons nous sera du moins utile.
csp. xT!. Mais pourquoi, disait-on, se mettre en peine
de corriger ceux qui pèchent, puisque nul
ne périt que celui qui est enfant de perdi-
tion ? «Cela est vrai, répond le saint Docteur,
Eïcch. [t., mais il l'est aussi que Dieu vengera le sang
du pécheur, su7' celui qui le devait avertir.
Ne pouvant donc discerner ceux qui sont
prédestinés d'avec ceux qui ne le sont pas,
nous devons faire des remontrances sévères
à tous, de peur qu'ils ne périssent, ou qu'ils
n'en perdent d'autres, et nous les devons
faire dans l'intention de les guérir, quoique ce
soit à Dieu à les rendre utiles à ceux qu'il a
connus dans sa prescience, et qu'il a prédes-
tinés pour être conformes à l'image de son
Fils. Nous n'avons pas de plus grandes en-
trailles d'affection que l'Apôtre, qui dit :
! Tbossai.v, Reprenez les inquiets, consolez les timides, sou-
'" lagez les faibles, soyez patients envers tous, et
prenez garde que personne ne rende à un autre
iiiauiii. V, le mal pour le mal. Et encore : Reprenez de-
vant tout le monde ceux que pèchent, afin que
les autres craignent. Ce qu'il faut entendre
des péchés qui ne sont point cachés, de
peur qu'on ne s'imagine qu'il parle contre
l'ordonnance de Notre-Seigneur, qui dit :
Si votre frère vous a offensé, reprenez-le entre ..«'aini.svm,
lui et vous. »
§ XIII.
Des livres de la Prédestination des saints, et du
Don de la persévérance.
l
1. Parmi les fidèles de la ville de Mar-
seille , il y en avait plusieurs qui , après la
lecture des ouvrages de saint Augustin con-
tre les pélagiens, s'imaginaient que ce qu'il
y enseignait de la vocation des élus, fondée
sur le décret de la volonté de Dieu, était
contraire à la doctrine des Pères, et au sen-
timent commun des fidèles. Ils aimèrent
mieux néanmoins , pendant quelque temps,
s'en prendre à leur peu de lumières, que de
condamner absolument ce qu'ils ne pou-
vaient s'assurer de bien comprendre. Quel-
ques-uns même d'entr'eux avaient dessein
de consulter sur cela ce saint Docteur, et de
lui demander une explication plus claire et
plus nette , lorsque par une providence par-
ticulière l'on apporta à Marseille le livre de
la Correction et de la grâce, qu'il avait com-
posé pour résoudre les mêmes difficultés que
faisaient ceux de cette ville. Mais comme la
lecture de ce livre rendit plus éclairés et
plus savants ceux qui faisaient déjà profes-
sion de suivre l'autorité toute sainte et toute
apostolique de saint Augustin; elle ne fit
aussi qu'en éloigner de plus en plus ceux à
qui leurs préventions avaient bouché les
yeux. Ils étaient la plupart gens démérite et
de vertu, et il y avait pour cette raisonbeau-
coup de danger qu'un grand nombre d'au-
tres personnes ne se laissassent entraîner à
leurs sentiments sans les examiner. Ce fut
ce qui obligea saint Prosper de lui deman-
der un nouvel éclaircissement pour tâcher
de ramener ces nouveaux ennemis de la
grâce , dont il lui représente les erreurs en
ces termes : « Ils reconnaissent bien que
tous les hommes ont péché en Adam, et que
ce ne sont point nos œuvres qui nous sau-
vent , mais la grâce par la régénération spi-
rituelle, mais ils veulent que la propitiation
qui est dans le mystère du sang de Jésus-
Christ, soit oflerte ;\ tous les hommes sans
exception ; en sorte que tous ceux qui veulent
Lettre de
saint Prosncr
à saint Au-
gustin.
Tom. X,
Oper. Augu^l,
pag. 779.
SentimflDls
do ceux do
Mar50illo.
Liv= ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
o2S
recevoir la foi et recoui-ir au baptême puis-
sent être sauvés ; que Dieu , dès avant la
création du monde, avait connu par sa pres-
cience qui seraient ceux qui croiraient et
qui, avec le secours de la grâce qui les aide-
rait à conserver cette foi, quand ils l'auraient
embrassée, s'y maintiendraient jusqu'à la
fin ; qu'il les avait prédestinés à son royaume
éternel, en vue de ce qu'après qu'il les au-
rait gratuitement appelés, ils se rendraient
dignes de leur élection , et finiraient sainte-
ment leur vie ; qu'ainsi les instructions de la
parole divine sollicitent et invitent tous les
hommes à la foi et aux bonnes œuvres , afin
que personne ne désespère d'acquérir le sa-
lut éternel , qui est la récompense préparée
à quiconque voudra faire le bien, »
2. n Quant au décret de la volonté de
Dieu touchant la vocation des hommes , par
Jequel on dit que la séparation des élus et
des réprouvés a été faite avant tous les siè-
cles, ou dans le temps que la nature hu-
maine a été créée : en sorte que, selon qu'il
a plu au Créateur d'en ordonner, les uns
naissent des vases d'honneur, et les autres
des vases d'ignominie; ils soutiennent que
tout ce qu'on en dit n'est propre qu'à ôter à
ceux qui sont tombés le courage et le soin
de se relever, et à inspirer même la paresse
et la tiédeur aux saints; puisque ce serait en
vain que les uns et les autres travailleraient,
n'y ayant point de soin qui puisse faire ad-
mettre celui qui a été rejeté , ni de négli-
gence qui puisse faire périr celui qui est
choisi, s'il ne peut rien arriver ni à l'un ni à
l'autre, quoiqu'ils fassent, que ce que Dieu
a déterminé ; qu'ainsi l'espérance étant tou-
jours flottante et incertaine, la course ne
saurait être que lâche et chancelante , puis-
qu'on voit que tous les efî'orts qu'on peut
faire pour le salut sont inutiles, si Dieu en a
ordonné autrement dans sa prédestination.
Ils ajoutent que par là toutes les vertus sont
anéanties, aussi bien que tout ce qu'on pour-
rait avoir de soin et d'application à les ac-
quérir ; que cette doctrine établit , sous le
nom de prédestination , une nécessité fatale
et inévitable , où l'on fait Dieu créateur de
diverses natures , si personne ne peut être
autre chose que ce qu'il a été fait. Enfin ,
leur hardiesse va jusqu'à soutenir que notre
doctrine est un obstacle à l'édification de
ceux qui en entendent parler, et qu'encore
qu'elle soit vraie , on ne doit pas la publier,
puisqu'il est dangereux en matière de foi de
proposer des choses qui ne sauraient être
bien reçues, et qu'il n'y a aucun inconvé-
nient de taire ce qu'on ne saurait faire en-
tendre. D'autres plus pélagiens font consister
la véritable grâce de Jésus-Christ dans les
facultés natureUes du libre arbitre et de l'u-
sage de la raison , et disent que si l'on en
use bien , on mérite d'arriver à la participa-
tion de cette grâce qui nous fait chrétiens et
enfants de Dieu. Ainsi tous ceux qui le veu-
lent deviennent enfants de Dieu, et ceux qui
refusent de recevoir la foi sont inexcusables.
Ce qui fait que la justice de Dieu paraît en
ce que ceux qui n'auront pas cru périront ,
et sa bonté, en ce qu'il n'exclut personne de
la vie j mais veut que tous indifféremment
soient sauvés. En un mot, ils enseignent que
l'on a autant de disposition au bien qu'au
mal, et que l'esprit peut également se tour-
ner au vice ou à la vertu. »
3. « Quand on leur objecte ce grand nom-
bre d'enfants qui meurent avant l'âge de
discrétion, n'étant coupables que du seul pé-
ché originel, ils répondent que Dieu les
sauve ou les damne , selon ce qu'il prévoit
qu'ils auraient été , s'ils étaient parvenus à
un âge d'agir et de mériter. Es en disent au-
tant des nations entières, assurant que l'É-
vangile y a été prêché ou non, selon que
Dieu connaissait dans sa prescience qu'elles
devaient croire ou ne pas croire. Ils soutien-
nent encore que Notre-Seignem- Jésus-Christ
est mort généralement pour tous les hom-
mes , sans qu'il y en ait aucun qui ait été
excepté de la rédemption qu'il a acquise par
son sang , non pas même ceux qui passent
toute leur vie dans un entier éloignement de
sa doctrine et de son esprit. En sorte que
Dieu de sa part oûre et prépare la vie éter-
nelle à tous les hommes ; mais que par les
divers mouvements du libre arbitre de cha-
cun, il arrive qu'elle n'est que pour ceux qui
se déterminent à croire en lui , et qui par le
mérite de cette foi se rendent dignes de re-
cevoir le secours de sa grâce. Ils ne veulent
pas que les mérites des saints soient des ef-
fets de l'opération invisible et surnatm-elle
du Tout-Puissant, ni que le nombre des pré-
destinés soit tellement certain, qu'il ne puisse
être augmenté ni diminué. Car, si cela était,
disent-ils, il ne servirait plus de rien d'exhor-
ter les infidèles à embrasser la foi , ni de
solliciter les tièdes à s'avancer dans la vertu,
puisque les efforts de quiconque n'est pas
du noml^re des élus ne sauraient être qu'i-
326
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
mitiles. Ainsi , des deux choses qui concou-
rent au salut des adultes, la grâce de Dieu
et l'obéissance de l'homme , ils enseignent
que celle-ci marche la première, et que le
commencement du salut vient de celui qui
est sauvé, et non pas de celui qui est auteur
du salut. 1)
4. Après avoir ainsi exposé la doctrine
des demi-pélagiens , saint Prosper demande
à saint Augustin son secours , ne se croyant
pas assez fort pour balancer le poids et l'au-
torité de ceux qui étaient dans ces senti-
ments. « Car ils ont, dit-il, beaucoup d'a-
vantage sur nous par la sainteté de leur vie,
et quelques-uns même par le caractère sacré
de l'épiscopat. De sorte que dans le rang et
dans l'estime où on les voit , il n'y a per-
sonne, à la réserve d'un petit nombre d'a-
mateurs intrépides de la véritable grâce, qui
ait osé combattre leurs discours. Comme
vous voyez donc, très-saint Père, que tant
que l'on mettra dans l'homme le principe de
son salut , que par une impiété sacrilège on
élèvera la volonté de l'homme au-dessus de
celle de Dieu , en disant que si l'homme est
aidé par la grâce, c'est parce que sa volonté
se porte vers le bien , au lieu qu'elle ne s'y
porte que parce qu'elle est aidée parla grâce;
que l'on soutiendra que le bien commence
de trouver entrée dans l'homme par l'homme
même, et non par Celui qui est le souverain
bien , et que l'on prétendra que nous pou-
vons plaire à Dieu par quelqu 'autre chose
que ce qu'il lui aura plu de nous donner, il
se conservera toujours beaucoup de venin
dans ces restes de l'hérésie pélagienne. Nous
vous conjurons de mettre dans le plus grand
jour qu'il est possible ce qu'il y a de plus
obscur et de plus difficile sur cette matière.
Et parce que la plupart ne croient pas que la
foi soit blessée dans cette dispute , nous
vous supplions, avant toutes choses, de mon-
trer combien cette prétention est dange-
reuse ; ensuite de quelle manière le libre
arbitre s'accorde avec cette grâce qui le pré-
vient et coopère avec lui ; de nous dire en-
core si dans la prédestination il faut distin-
guer un décret absolu pour les enfants qui
sont sauvés sans rien faire, et une prévision
du bien que les autres doivent faire ; ou
ci'oire sans distinction qu'il n'y a en nous av-
cun bien dont Dieu ne soit l'auteur, et qui ne
découle de lui comme de sa source. Appre-
nez-nous aussi ce qu'il faut répondre à ceux
qui nous objectent que , lorsqu'on examine
laire h s^aiot
quel a été le sentiment des anciens sur ce
sujet , on trouve qu'ils ont prescpe tous cru
que la prescience de Dieu est le fondement
et la cause de la prédestination et du décret
de sa volonté ; et que s'il a fait les uns des
vases d'honneur et les autres des vases d'i-
gnominie , c'est en vue de la différente ma-
nière dont il a prévu que les hommes doi-
vent finir, et comment chacun usera par sa
volonté du secours de la grâce.»
S. Un nommé Hilaire, différent du saint
évêque d'Arles, et qui n'étaitencore que laï- '"'^^-l^'" '
que, écrivit deux lettres à saint Augustin sur
le même sujet. Nous n'avons pas la pre-
mière, mais il dit dans la seconde : « A Mar-
seille et dans quelques autres endroits des
Gaules, on soutient que c'est une doctrine
nouvelle, et qui ruine le fruit de la prédica-
tion, de dire que quelques-uns sont choisis
par un décret de la volonté éternelle de
Dieu, en sorte que la volonté même de croire
leur est donnée; ils conviennent que par le
péché d'Adam tous les hommes sont tombés
dans la condamnation , qu'aucun ne peut
être délivré par les forces de son libre arbi-
tre, et n'est capable de lui-même d'accom-
plir, ni même de commencer aucune action
de piété; mais ils ne mettent pas dans ce
rang-là, et ne comptent pas parmi les choses
qui peuvent opérer notre guérison, cette
frayeur et ce désir de la santé que la vue et
le sentiment du mal inspirent à tous les ma-
lades, et qui leur fait demander du secoures.
Et quand il est dit : Croyez, et vous serez
sauvés, ils prétendent que Dieu exige l'un, et
qu'il offre l'autre pour récompense ; en sorte
que, si l'homme accomplit de sa part ce que
Dieu exige, les offres s'effectuent en suite
de la part de Dieu; d'où il suit, selon eux,
qu'il faut que l'homme fasse, pour ainsi dire,
les avances de la foi, selon le pouvoir qu'il a
plu au Créateur de lui en donner, et que sa
nature n'est jamais si corrompue qu'il ne
puisse former le premier désir de sa guéri-
son, et par conséquent qu'il ne doive être
délivré de sa maladie, s'il veut être guéri,
ou laissé dans sa misère, et même puni très-
justement, s'il ne veut pas en être délivré;
que ce n'est pas anéantir la grâce, de dire
qu'elle est précédée par cette sorte de vo-
lonté, qui ne fait que chercher le médecin,
mais qui n'a encore aucun commencement
de guérison. Ainsi, admettant dans tous les
hommes une volonté, par laquelle ils peu-
vent rejeter ou accepter la grâce, ils croient
[iV' ET V° SIÈCLES.'
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
327
Sip. IV
pouvoir rendre raison de l'élection et de la
réprobation, dont on trouve, disent-ils, le
fondement dans ce que chacun mérite par
l'usage qu'il fiiit de sa volonté. »
6. « Quand on leur demande d'où vient
que la doctrine du salut est prêchée en un
lieu, ou en un temps plutôt qu'en l'autre ; ils
répondent qu'il en faut chercher la raison
dans la prescience de Dieu, et que l'on prê-
che dans les temps et dans les lieux où il a
prévu que sa vérité serait reçue. Ils appuient
leur réponse par le témoignage de divers
auteurs catholiques, citant même le livre que
vous avez fait contre Porphyre, dans lequel
vous dites que Jésus-Christ n'a voulu paraî-
tre parmi les hommes, et leur faire prêcher
sa doctrine, que dans le temps et dans les
lieux où il savait que se trouveraient ceux
qui devaient croire en lui. Quant à ce c[ue
vous enseignez, que personne ne persévère,
à moins que Dieu ne lui en donne la force,
ils en demeurent d'accord, pourvu que l'on
ajoute, que ceux à qui elle est donnée, l'ob-
tiennent en la désirant par leur libre ai'bitre,
qui, à la vérité, n'est pas capable d'agir de
lui-même, mais dont le mouvement ne laisse
pas de précéder la grâce, étant en son pou-
voir de recevoir ou de rejeter le remède que
Dieu lui présente. Mais ils ne veulent pas que
l'on dise que cette persévérance ne puisse
être méritée par nos prières, ou perdue par
la résistance de notre volonté, ni qu'on les
renvoie à l'incertitude de la volonté de Dieu,
tandis qu'ils croient voir dans l'homme un
commencement de volonté, pour l'obtenir ou
la perdre. Pour ce qui est du passage que
11. vous employez : Il a été enlevé de peur que la
malice ne changeât son esprit, ils n'y ont aucun
égard, comme étant d'un livre qui n'est pas
canonique. Ils ajoutent qu'il est inutile d'user
de remontrances et d'exhortations, s'il n'est
rien demeuré en l'homme qu'on puisse exci-
ter et réveiller par ce moyen, s'il ne peut
craindre les maux dont on le menace, que
par une volonté qui lui est donnée. Ce n'est
pas lui, disent-ils, qu'il faut blâmer de ce
qu'il ne veut pas maintenant, mais celui qui
a attiré à sa postérité cette condamnation.
Ils ne peuvent pas souffrir non plus la diffé-
rence que vous mettez entre la grâce du
premier homme, et celle qui est maintenant
donnée à tous ; ils ne craignent point de dire
qu'elle jette les hommes dans le désespoir.
Car c'était Adam qu'il fallait exhorter et me-
nacer, lui qui avait la liberté de persister
dans la justice, ou de l'abandonner, et non
pas, nous qui sommes engagés par une né-
cessité inévitable à ne point vouloir la jus-
tice, excepté ceux que la grâce délivre de la
masse commune de damnation. Ainsi ils ne
reconnaissent point d'autre différence entre
l'état de la nature avant le péché, et celui
où elle est maintenant, sinon qu'au lieu que
le premier homme se portant au bien par les
forces de sa volonté qui étaient encore en
leur entier, était aidé par la grâce, sans la-
quelle il n'aurait pu persévérer; tandis que
cette grâce nous trouvant présentement sans
aucune force pour nous porter au bien, mais
dans un commencement de foi, nous relève
et nous aide ensuite à marcher. Ils soutien-
nent, que quelque secours que Dieu donne
aux prédestinés, ils sont toujours en état de
le perdre ou de le garder, selon qu'il leur
plaît. De là vient qu'ils ne veulent pas que
le nombre des élus et des réprouvés soit
fixé ; et qu'ils ne reçoivent pas la manière
dont vous expliquez ce passage de saint
Paul : Dieu veut que tous les hommes soient i Timoib. n.
sauvés, qui comprend, selon eux, non-seule-
ment les prédestinés, mais généralement
tous les hommes, sans en excepter un seul.
Ils trouvent encore mauvais que vous preniez
ce qui se passe à l'égard des enfants, pour
règle de ce qui regarde les personnes qui
sont en âge de raison ; et ils soutiennent que
votre explication sur ce sujet fait assez voir
qu'on ne saurait rien dire de certain des pei-
nes de ces enfants, et qu'elle favorise ceux
qui en voudraient douter plutôt que les au-
tres. Qu'était-il besoin, ajoutent-ils de trou-
bler tant de personnes moins éclairées par
l'obscurité de cette dispute? Quoiqu'on n'eût
encore rien décidé sur cela jusqu'à présent,
la foi catholique n'avait pas été moins bien
défendue contre les pélagiens, de même que
contre les autres hérétiques. »
Hilaire prie saint Augustin de n'être point
surpris s'il trouvait quelque chose de changé
ou d'ajouté à ce qu'il lui avait écrit aupara-
vant. « Car leur doctrine est, dit-il, présen-
tement telle que je viens de vous l'exposer;
sans compter ce qui aurapum'échapper par
le défaut de mémoire, ou par la précipitation
avec laquelle je vous ai écrit, »
7. Ce fut pour répondre à ces deux lettres, An.ij.o
que saint Augustin composa deux livres inti- faVrédésiin?.
tulés : De la Prédestination des saints, et du p°g. t'Io."'""
Don de la persévérance, adressés à Prosper et
à Hilaire. Il remarque dans le premier, qu'il
528
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Cap. I. y avait une cliflférence entre les pélagiens et
ceux de Marseille infectés du semi-pclagia-
nisme ; que ceux-ci croyaient avec toute l'É-
glise de Jësus-Cln-ist, que tous les hommes
naissent dans le péché originel, et qu'il n'y
a que la justice qui vient du second Adam
qui les en puisse délivrer; qii'il faut que la
grâce de Dieu prévienne la volonté de
l'homme, et que de soi-même nul n'est ca-
pable d'accomplir, ni même de commencer
'^"P'"' aucune bonne œuvre. Mais comme ils ensei-
gnaient que la foi vient de nous, et que Dieu,
lorsque nous avons de nous-mêmes com-
mencé à croire, nous donne l'accroissement,
ce saint Docteur fait voir, que non -seule-
ment l'accroissement de la foi, mais son
Boni. XI, 35 commencement est un don de Dieu. « Qui
est celui, s'écrie l'Apôtre, qui a le premier
donné quelque chose à Dieu, pour en prétendre
récompense? Tout vient de lui, tout est par lui,
et tout est en lui. Si tout vient de lui,
le commencement de notre foi en vient
sans doute : car il n'est pas dit qu'à la ré-
serve de ce commencement de notre foi, tout
le reste vient de Dieu ; il est dit simplement :
que tout vient de lui, tout est par lui, tout est en
lui. Peut-on nier que celui qui a commencé
à croire , ne mérite quelque chose de celui
en qui il croit? Or, c'est ce mérite que l'on
suppose dans celui qui commence à croire
de lui-même, et dont on veut que ce que
Dieu donne ensuite ne soit que la récom-
pense; d'où il suit que la grâce de Dieu
nous est donnée en considération de nos
mérites, qui est ce que Pelage ayant été ac-
cusé de soutenir, il le condamna, de peur
d'être condamné lui-même. Que celui-là
donc qui veut se garantir entièrement du
venin d'une si détestable doctrine, com-
prenne bien la vérité de cet oracle de l'Apû-
piiiiip. 1,13. tre : C'est Dieu qui nous a donné pjar les méri-
tes de Jésus-Christ, non-seulement de croire en
lui, mais ^encore de souffrir pour lui. Ilnelaisse
aucun lieu de douter que l'un et l'autre ne
soient un don de Dieu, puisqii'il dit que Dieu
nous a donné l'un et l'autre ; et il ne dit pas
qu'il nous a été donné de croire en lui d'une
manière plus parfaite, mais simplement qu'il
nous a été donné de croire en lui ; comme il
ne dit pas non plus, en parlant de lui-même,
ncor. vil qu'il a reçu miséricorde pour être plus fidèle,
'" mais pour être fidèle; parce qu'il savait bien
qu'il n'avait pas donné le premier à Dieu les
commencements de sa foi, en sorte qu'il en
eût reçu l'accroissement comme une récom-
pense; mais qu'il avait été fait fidèle par ce-
lui-là même qui l'avait fait apôtre. L'his-
toire seule de son entrée dans la foi est une
preuve, que, non-seulement sa volonté, de
rebelle qu'elle étaità lafoi, y devint soumise ;
mais qu'on vit le persécuteur de la foi souf-
frir pour la foi ; Jésus-Christ lui ayant donné
par sa grâce non-seulement de croire en lui, pinup.i
mais encore de sou ffrir pour /wf. C'est pour cela
que, relevant le prix et l'excellence de cette
grâce, qui ne nous est pas donnée en consi-
dération d'aucun mérite, mais de laquelle
tous nos mérites sont produits, il nous aver-
tit que nous ne sommes pas capables de former n cor,
de nous-mêmes aucune bonne pensée comme de
nous-mêmes, mais que c'est Dieu qui nous en rend
capables. Si donc, dans tout ce qui regarde
la religion et la piété, nous ne sommes pas
capables d'avoir de nous-mêmes aucune
bonne pensée comme de nous-mêmes, et si
c'est Dieu qui nous en rend capables, il est
certain que nous ne sommes pas capables
non plus de croire de nous-mêmes, puis-
qu'il est impossible de croire sans penser ;
ainsi il est clair que même pom' commencer
à croire, tout ce que nous pouvons vient de
Dieu. D'ailleurs, si l'homme a pu de lui-
même acquérir ce qu'il n'avait pas, pourquoi
ne pourra-t-il pas augmenter ce qu'il a ac-
quis. »
8. « Ce n'étaient pas là les sentiments du c«p. n
saint et humble docteur Cyprien, puisqu'il
nous enseigne, que nous ne devons nous donner lil. ni
la gloire d'aucune chose, parce qu'il n'y en a iv.
aucune qui vienne de nous; ce qu'il prouve
par ces paroles de l'Apôtre : Qu'avez-vous cap. n
que vous n'ayez reçu ? » Saint Augustin con-
vient qu'il avait été autrefois d'un autre sen-
timent, comme dans l'exposition de l'Épître
aux Romains écrite avant son épiscopat, que
les semi- pélagiens lui objectaient; mais il .cop. iv.
avoue en même temps qu'il s'était trompé,
et dit avoir été désabusé principalement par
ce passage : Qu'avez - vous que vous n'ayez cap. t.
reçu? qu'il montre devoir s'entendre même
du commencement de la foi, comme on le
voit par les paroles qui précèdent : Qui est-ce
qui met de la différence entre vous ? a Car si
vous osez, dit-il, répondre que vous avez la
foi de vous-mêmes, et qu'ainsi vous ne l'a-
vez pas reçue, vous contredites ouvertement
cette vérité. Non que ce ne soit une action
du libre arbitre, et de la volonté de l'hom-
me de croire ou de refuser de ci'oire ; mais
c'est que c'est Dieu qui prépare la volonté
[ir ET v'= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
de ses élus. Ainsi cette foi même qui réside
dans la volonté, est comprise aussi bien que
tout le reste dans ces paroles de l'Apôtre :
Qui est-ce qui met de la différence entre vous ?
Et qu'avez-vous que vous n'ayez reçu ? Car le
but de saint Paul, en parlant ainsi aux Co-
rinthiens, était de les empêcher de se glori-
fier en eux-mêmes, en disant : Ma foi ou ma
justice me distingue des autres ; ce qu'ils
auraient pu faire néanmoins, s'ils avaient
eu d'eux-mêmes le commencement de la foi,
et non de la grâce de Dieu, qui seule dis-
cerne les bons des méchants. »
9. « Mais, diront-ils, l'Apôtre distingue la
foi des œuvres, en disant que l'homme est
justifié par la foi et non par les œuvres.
« Cela est vrai, répond saint Augustin, mais
Jésus-Christ nous apprend que la foi même
est une œuvre de Dieu : car les Juifs lui ayant
demandé : Que faut-il faire pour accomplir les
œuvres de Dieu, il leur répondit : L'œuvre de
Dieu est que vous croyez en celui qu'il a en-
voyé. Si donc saint Paul distingue la foi des
bonnes œuvres, c'est de la même manière
que parmi les Hébreux on distinguait le
royaume de Juda, de celui d'Israël. La rai-
son pour laquelle il dit que l'homme est jus-
tifié par la foi, et non par les bonnes œu-
vres, c'est que la foi nous ^st donnée la
première, et que c'est par son moyen que
nous obtenons les autres choses en quoi
consistent les bonnes œuvres. Quand on lit
donc que les aumônes de Corneille le cente-
nier, furent reçues, et ses prières exaucées
avant qu'il crût en Jésus-Christ, c'est une
manière de parler, étant certain qu'il avait
déjà un commencement de foi quand il
priait, et qu'il faisait des aumônes : car, com-
ment aurait-il invoqué celui en gui il n'au-
rait pas cru ? S'il eût pu être sauvé sans la foi
du Médiateur, saint Pierre lui aurait-il été
envoyé pour l'édifier en Jésus-Christ? Ce qui
prouve qu'il faut donner à Dieu tout ce que
Corneille a fait de bien avant d'avoir cru en
■ Jésus-Christ , aussi bien qu'après, afin que
nul ne se glorifie, n
Saint Augustin fait voir par divers en-
droits de l'Évangile selon saint Jean, que de
tous ceux qui entendent la voix du Père, et
, qui sont enseignés par lui, il n'y en a pas
un qui ne vienne à lui ; et que quiconque
n'y vient pas, n'a ni entendu la voix du Pè-
re, ni été enseigné par lui. Il tait remarquer
en passant que cette instruction du Père ne
se fait point sans le Fils, ni sans le Saint-
IX.
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 529
Esprit, parce que les trois personnes divines
sont inséparables dans leurs opérations, et
que si cela s'attribue particulièrement au
Père, c'est parce qu'il engendre son Fils
unique, et que c'est de lui que procède le
Saint-Esprit. « D'où vient donc, ajoute-t-il,
qu'il n'enseigne pas tous les hommes pour les
faire venir à son Fils? C'est que par un effet
de sa miséricorde il enseigne les uns, et que
par un effet de sa justice il n'enseigne pas
les autres : car il fait miséricorde à qui il lui
plaît, et il endurcit qui il lui plaît. Ce qui
n'empêche pas qu'il ne soit vrai de dire, se-
lon une certaine manière de parler, que le
Père apprend à tous à venir à son Fils, puis-
que ce n'est pas en vain qu'ils est écrit dans
les Prophètes : lisseront tous enseignés de Dieu.
Mais il faut remarquer que Jésus-Christ,
après avoir cité ces paroles, ajoute inconti-
nent : Tous ceux qui ont entendu la voix de mon
Père, viennent à moi. Comme donc, lorsqu'il
n'y a dans une ville qu'un seul maître qui
enseigne les lettres humaines, nous ne lais-
sons pas de dire que tout le monde apprend
de lui, quoique tout le monde n'apprenne
pas en eflet, mais parce que personne n'ap-
prend, qu'il n'apprenne de lui : ainsi, c'est
bien parler que de dire, que tous sont 'en-
seignés de Dieu pour venir à son ;Fils ; non
que tous y viennent en effet, mais parce
que nul n'y vient à moins d'avoir été ensei-
gné de cette sorte. »
Mais, objectent-ils, pourquoi Dieu n'ensei-
gne-t-il pas généralement tous les hommes ?
Saint Augustin répond : « Être attiré par
le Père à Jésus-Christ, entendre la voix du
Père, et être enseigné par lui, n'est autre
chose que de recevoir du Père le don de
croire en Jésus-Christ ; et si ce don est ac-
cordé aux uns, tandis qu'il n'est pas donné
aux autres, ce n'est pas à nous à contester
avec Dieu, ni à vouloir pénétrer ce qu'il a
voulu tenir caché, lui dont la volonté ne
saurait être que juste. »
10. (I Quant à ce que j'ai dit dans un petit
ouvrage contre Porphyre, intitulé du Temps
de la religion chrétienne, que Jésus-Christ
n'a voulu se montrer aux hommes, et leur
faire prêcher sa doctrine, que dans les lieux
et dans les temps où il a su que devaient
être ceux qui croiraient en lui, c'est, ajoute
ce Père, comme si je disais qu'il n'a voulu
se montrer aux hommes et leur faire prê-
cher sa doctrine, que dans les lieux et dans
les temps où il a su que devaient être ceux
34,
Isai.
a.
530
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
iphcj. I, i. qui ont été élus en lui avant la création du
1 ap. X. monde. De même si l'on veut approfondir ce
que j'y ai dit encore, que la religion chré-
tienne n'a jamais manqué d'être annoncée
à ceux qui en ont été dignes, et que si elle
a manqué à q[uelques-uns, c'est qu'ils n'en
étaient pas dignes ; je dirai que ce qui rend
les hommes dignes d'avoir part à ce bien là,
c'est la grâce, ou, si vous voulez, la prédesti-
nation : car entre grâce et prédestination il
n'y a d'autre différence, sinon que l'une est
la préparation que Dieu a faite de sa grâce
dans ses conseils éternels; et l'autre, le don
actuel qu'il nous en fait. Nous sommes son
ouvrage, dit l'Apôtre, ayant été créés en Jé-
sus-Christ dans les bomies œuvres ; voilà pro-
prement la grâce, que Dieu, ajaute-t-il, a pré-
parée avant tous les siècles, afin que nous y
marchassions ; voilà la prédestination qui ne
saurait être à la véi'ité sans la pi-escience,
quoique la prescience puisse être sans la
prédestination. Dieu par la prescience con-
naît même ce qu'il ne fera point, comme les
péchés ; par la prédestination, il prévoit ce
qu'il veut faire, comme quand il promit à
Abraham, que les nations croiraient par ce-
lui qui naîtrait de sa race, c'est-à-dire par
Cap. XI. Jésus-Christ. Mais, direz-vous , je ne suis
point assuré de la volonté de Dieu sur moi ?
L'êtes-vous de la vôtre même ? Puisqu'il y a
donc incertitude de toute part, pourquoi u'ai-
mez-vous pas mieux que votre foi, votre es-
pérance et votre charité dépendent de ce
qui n'est point sujet à changer, que de ce
qui peut changer à toute heure ? Lorsque
Hom. IX, 10. Dieu dit : Si vous croyez^ vous serez sauvés, il
ne s'ensuit pas qu'il n'y ait que le salut qui
dépende de lui, et non pas la foi. En effet,
nous le prions de nous donner ce qu'il nous
commande, d'augmenter notre foi, et même
de la donner à ceux qui ne croient pas en-
core : ce qui fait bien voir que notre foi
dans son commencement, comme dans son
accroissement, est un don de Dieu ; et que
c'est lui qui nous fait croire, comme il le dit
eoh. clairement par le prophète Ezéchiel : Je fe-
rai que vous accomplirez mes commandements.
Nous les accomplissons, mais c'est lui qui
nous les fait accomplir. »
Quand on vient à considérer ce qui se
passe à l'égard des enfants, toute cette pré-
tention des mérites qui préviennent la grâce
de Dieu s'évanouit ; puisqu'il est clair que
ce n'est pas par leurs mérites que quelques-
uns d'eux ont été séparés d'entre les autres
Ezi
XXXVI, 26.
Ca[t. XII.
pour être une portion de l'héritage de Jé-
sus-Christ. C'est, disaient los semi-pélagiens,
que Dieu, prévoyant qu'ils auraient fait du
bien ou du mal, s'ils eussent vécu, fait que
les uns reçoivent le baptême, et que les au-
tres meurent sans l'avoir reçu. Mais saint
Augustin fait voir que Dieu ne punit, ni ne
récompense des actions qui ne seront point,
et que nous serons jugés devant le tribu-
nal de Jésus-Christ , suivant ce que nous
aurons fait de bien ou de mal dans notre iicor.v,
corps, c'est-à-dire pendant le temps de cette
vie : ce qui compred même le péché origi-
nel. Et comme ces nouveaux hérétiques re- tap. .m .
A XIV.
jetaient le livre de la Sagesse, où il est dit :
// a été enlevé, de peur que la malice ne chan- sap. iv, i
geât son esprit, saint Augustin en prend la
défense, montrant que saint Cyprien avait
cité ce même passage ; que le livre d'où il est
tiré , était lu publiquement de tout temps
dans toute l'Église, et que taut les évêques,
que lesdei-niers d'entre les laïques, pénitents
et cathécumènes, l'écoiitaient avec le res-
pect qui est dû à la parole de Dieu. Puis il
prouve ainsi la vérité de ce passage : « Si Dieu
avait égard à ce que chacun pourrait faire
en vivant plus longtemps, une mort avancée
ne servirait de rien à celui qui est enlevé de
peur que la malice ne changeât son cœur ; et
quand ceux qui meurent après être tombés
dans le péché auraient été enlevés avant
leur chute , cela ne leur aurait non plus
servi de rien. Or, il n'y a point de chrétien
qui ose soutenir ni l'un ni l'autre. Mais le Cap. xv.
plus illustre exemple de prédestination et
de grâce est Jésus-Christ même, homme et
médiateur entre Dieu et les hommes. Qu'a-
vait fait cet homme, qui n'était pas encore,
pour être uni au Verbe divin en unité de
personne ? Par quelle foi, par quelles œu-
vres avait-il mérité cet honneur suprême ?
Ouvrons donc les yeux pour voir le mystère
de la grâce dans notre Chef, comme dans la
source, d'où cette grâce se répand en cha-
cun de ses membres, selon la mesure qui
lui est destinée. Cette même grâce qui l'a
fait le christ du Seigneur, dès qu'il a com-
mencé d'être, est celle-là même qui nous a
fait chrétiens au moment où nous avons
commencé d'avoir la foi. Or, Dieu a su très-
certainement de toute éternité qu'il devait
faire toutes ces merveilles. Voilà donc ce
que c'est que la prédestination des saints,
qui éclate particulièrement dans le Saint
des saints, l'auteur et le consommateur de la '*''"■• •^"'
[IV'= ET V' SIECLES.]
foi, ainsi que l'appelle saint Paul, qui dit
Rom. 1,1. aussi de lui, qu'il a été prédestiné pour être le
Fils de Dieu , dans une souveraine puissance,
selon l'esprit de sainteté. »
Cap. jTi. n. Saint Augustin distingue deux sortes
de vocations : une commune, dont furent
appelés ceux qui, invités aux noces par le
père de famille, refusèrent d'y venir, et une
Rom. 7111, particulière aux prédestinés, qui sont appelés
selon le décret de la volonté de Dieu pour être
■ conformes à l'image de son Fils. « Elles sont
clairement marquées, dit-il, dans un même
passage de l'Épitre aux Romains où nous
Rom. XI, 7. lisons : Israël, qui cherchait la justice , ne
l'a point trouvée, mais ceux qui ont été choi-
sis de Dieu l'ont trouvée. Les uns et les au-
tres sont Israël, mais les premiers sont du
nombre de ceux dont il est -dit qu'il y en a
Maiih. XXII, beaucoup d'appelés ; les seconds du nombre
Rom. XI, 14. de ceux dont il est écrit : Dieu a sauvé,
selon l'élection de sa grâce, un petit nombre
qu'il s'est réservé. De ceux-ci, pas un ne pé-
joan. VI, 30. rit, parce que Jésus-Clirist ne laissera perdre
aucun de ceux que son Père lui a donnés. Il est
;joaD.ii, 12. dit au contraire de ceux-là : Ils sont sortis
d'avec nous, mais ils n'étaient pas avec nous ;
car s'ils en eussent été, ils seraient demeurés
avec nous. Comprenons donc bien qu'elle est
la vocation qui fait les élus ; ils ne sont pas
élus pour avoir cru, mais ils sont éJus afin
Cap. ivii. qu'ils croient. C'est ce que Jésus-Christ nous
joan.xv,ic. enseigne quand il dit : Ce n'est' pas vous qui
m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choi-
sis. Car s'ils avaient été choisis pour avoir
cru, sans doute que ce serait eux qui l'au-
raient choisi les premiers, et qui par cette
foi auraient mérité d'être choisis ; mais cette
prétention est ruinée par les paroles de Jé-
sus-Christ que nous venons de rapporter.
Les élus ont été choisis en Jésus -Christ
avant la création du moude, par cette pré-
destination éternelle de Dieu, dans laquelle
il a vu ce qu'il devait faire ; et ils ont été
choisis d'entre les hommes, par cette voca-
tion, par laquelle Dieu a exécuté ce qu'il
avait prédestiné de faire. C'est ce choix et
jac, 11, c. cette élection qui fait les hommes riches dans
la foi, aussi bien qu'héritiers du royaume ;
et c'est bien parler que de dire que Dieu
choisit cela en eux, puisqu'il les choisit pour
faire cela en eux. »
Cap. xTiii. Saint Augustin confirme cette doctrine
par divers endroits de l'Épitre aux Éphé-
siens; et comme les semi-pélagiens, de mê-
me que les pélagiens, pouvaient se retran-
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
531
cher à dire que Dieu nous a prédestinés
pour être saints, parce qu'il a prévu que
nous commencerions à croire par notre libre
arbitre, ce saint Docteur fait voir que cette
vocation comprend tout, même le commen-
cement de la foi. « Car, poursuit-il, saint Paul
rend grâces à Dieu pour ceux qui ont cru à
l'Evangile : Nous rendons, dit-il, à Dieu de
continuelles actions de grâce, de ce qu'ayant
entendu la parole de Dieu, que nous vous
prêchons, vous l'avez reçue. A quel propos cet
Apôtre rendrait-il grâces à Dieu pour cela?
Et ne serait-ce pas une illusion de remercier
Dieu de ce qu'il n'aurait point donné ? C'est
donc Dieu qui, agissant dans les cœurs des
hommes par cette vocation, qui est selon son
décret, fait qu'on n'entend pas en vain la
prédication de l'Évangile, et produit la con-
version du cœur et la foi. Et quand le même
apôtre reconnaît que c'est Dieu qui lui ou-
vre une entrée pour prêcher sa parole, ne mar-
que-t-il pas que le commencement de notre
foi est un don de Dieu ? Et s'il ne croyait
pas que ce commencement de foi vînt de
lui, engagerait-il les Colossiens à prier pour
le lui demander? Priez, leur A\i-\\, aussi pour
nous, afin que Dieu nous ouvre une entrée fa-
vorable pour prêcher sa parole. »
Il prouve la même chose par l'exemple de
cette marchande de pourpre, dont il est dit
dans les Actes des apôtres, que Dieu lui'
avait ouvert le cœur pour entendre ce que di-
sait saint Paul. Les semi-pélagiens préten-
daient que les preuves tirées des livres des
Rois et des Paralipomènes, où il paraissait
que Dieu sait porter la volonté des hommes
où il lui plaît, pour l'exécution de ses des-
seins, ne faisaient rien à la question, s'agis-
sant en ces endroits de l'établissement d'un
royaume temporel et non du royaume du
ciel. « Mais, poursuit ce Père, quelle absur-
dité n'y aurait- il pas à dire que Dieu dis-
pose des volontés des hommes, en ce qui
regarde les royaumes temporels, mais que
les hommes en disposent eux-mêmes dans
ce qu'ils font pour acquérir le royaume du
ciel? Il faut donc dire que c'est Dieu qui
prépare et qui pHe les volontés des hommes
dans ce qui regarde le royaume du ciel,
comme ceux de la terre, ainsi que l'Écri-
ture l'enseigne en une infinité d'endroits.
Il est dit dans les Psaumes : Le Seigneur
dressera les pas de l'homme et l'homme désirera
les voies du Seigneur ; et dans les Proverbes :
C'est le Seigneur qui préjMre la volonté; et
Gap, XIX.
I Tliessal.ii,
13.
Cap. ïx.
Colos. IV,
2,3 ot4.
Act. XVI, 14.
Psal. XXXVI,
13.
Prov. Yili,2
532
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Prov.xii.s. encore : C'est au Seigneur à conduire les
cœurs. »
Les semi-pélagiens auraient voulu que le
saint Docteur eût produit des preuves de
cette doctrine, tirées des ouvrages des in-
terprètes de l'Écriture qui l'avaient pré-
cédé ; à quoi il répond, qu'ayant écrit avant
la naissance de l'hérésie pélagienne, ils ne
s'étaient pas trouvés dans la nécessité de
traiter cette matière si diiiicile; mais que
voyant que les prières de l'Église faisaient
assez connaître la force et la nécessité de la
grâce, ils se sont contentés de marquer en
peu de mots, et comme en passant, leurs
sentiments sur ce sujet, ne s'occupant qu'à
combattre les hérésies de leurs temps, et à
porter les hommes à la vertu.
AnaïKo du 12. Le second livre, adi-essé à Prosper et
livre du Don
dBiaperséw- àHilairc, était intitule comme le premier
rauce, pag. ^
'^'' de la Prédestination' des saints, et il y a en-
core des manuscrits où il porte ce titre;
mais on l'a nommé depuis du Don de la per-
sévérance, parce que cette matière y est trai-
i;b'^''d?°3mo tée plus à fond que dans le précédent, avec
perssT., ,,ag. lequel toutefois il a une liaison essentielle.
Ils furent écrits l'un et l'autre après les li-
vres des Rétractations, c'est-à-dire vers l'an
428 ou 429 : ce qui est cause qu'il n'y en est
Cap. 1. rien dit. Saint Augustin commence ce se-
cond livre, en disant que par la persévé-
rance, il entend celle par laquelle nous de-
meurons unis à Jésus-Christ jusqu'à la fin,
c'est-à-dire jusqu'à ce que cette vie soit
finie, après laquelle nous ne sommes plus
en danger de tomber. Il montre que cette
persévérance est un don de Dieu, par le té-
moignage de saint Paul qui, écrivant aux
piiiiip.i, 2 . Philippiens, leur dit : // vous a été donné pour
la gloire de Jésus- Christ, non-seulement de
croire en lui, mais 'encore pour lui. « L'un
regarde le commencement et l'auti'e la fin,
dit-il, car un chi'étien n'a commencé à être
chrétien, que lorsqu'il a commencé à croire
en Jésus-Christ, et il ne saurait finir plus heu-
reusement , qu'en soutirant pour Jésus-
Christ. Mais l'un et l'autre est un don de
Dieu, puisqu'il est dit que l'un et l'autre
I Peir. i,n. fiQiig a été donné. L'apôtre saint Pierre recon-
naît aussi que de souffrir pour Dieu est un
don de Dieu. Mais rien ne fait mieux voir
que la persévérance nous vient de sa libé-
ralité, que les prières que nous lui faisons
Cap. de nous l'accorder : car il serait également
contre la raison et contre la sincérité de la
iui demander, s'il ne la donnait pas. Or,
nous ne demandons presqu'autre chose par
l'Oraison dominicale , suivant l'explication
qu'en a donnée saint Cyprien, qui par là a
confondu les pélagiens, avant (ju'ils fussent
nés. Selon lui, lorsqu'après avoir été sanc-
tifiés par le baptême, nous disons à Dieu :
Que votre noyn soit sanctifié, c'est la persévé-
rance dans la sainteté que nous lui deman-
dons, c'est-à-dire que nous le prions de faire
que nous continuions d'être saints. Que de-
mandons-nous encore à Dieu, quand nous
lui disons dans la même prière : Que votre
royaume arrive, sinon que ce que nous sa-
vons qui doit arriver pour tous les saints,
arrive aussi pour nous? La troisième de-
mande de cette Oraison est : Que votre volonté
soit faite au ciel et sur la terre, c'est-à-dire
que nous fassions la volonté de Dieu sur la
terre, comme les anges la font dans le ciel.
On peut encore dire que par ces paroles,
les fidèles désignés par le mot de del, prient
pour les infidèles qui , vivants comme ils
sont nés, dans la corruption de l'homme ter-
restre, ne sont encore que terre. Explication Cap. m.
qui prouve clairement que le commence-
ment même de notre foi est un don de Dieu,
puisqu'on lui demande qu'il la mette dans
le cœur de ceux qui, au lieu d'en avoir un
commencement, en ont même de l'aversion.
C'est encore la persévérance cfue nous de-
mandons par ces paroles : Donnez-nous au- '■^f' ''•
jourd'hui notice pain de chaque jour : car par
là nous demandons à Dieu de n'être pas sé-
parés du corps de Jésus-Christ, et de conser-
ver toujours cette sainteté cpii nous exempte
des péchés pour lesquels nous mériterions
d'en être séparés. La cinquième demande où
nous disons : Pardonnez-nous nos offenses, etc.,
est la seule par laquelle on ne demande pas
la persévérance, cette prière regardant nos
péchés passés, et la persévérance l'avenir.
Qu'est-ce que demandent les saints, quand "^"p-'-
ils disent à Dieu : Ne nous livrez point à la
tentation, sinon de persévérer dans l'état de
sainteté ? Car s'ils obtiennent l'efiet de cette
prière, il est hors de doute qu'ils obtiennent
la persévérance, puisqu'on ne cesse point
de persévérer dans une vie véritablement
chrétienne, qu'on ne soit livré à la tenta- -
tion. »
13. Les semi-pélagiens ne voulaient pas cap. vi.
qu'on leur parlât de ce don de la persévé-
rance, comme d'une chose qui ne soit pas
en nous, ou d'obtenir par nos prières, ou de
perdi-e par la résistance de notre volonté.
[ir ET V SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
333
« En quoi, ajoute saint Augustin, ils ne pre-
naient pas garde à ce qu'ils disaient : car
nous pouvons bien obtenir ce don par nos
prières, mais nous ne pouvons plus le per-
dre par la résistance de notre volonté ,
quand nous l'avons une fois. Puisque dès
là qu'on a persévéré jusqu'à la fin, on ne
saurait plus perdre un don qui met en
sûreté tout ce qui était sujet à se perdre.
Mais quoi, dira quelqu'un, n'abandonnons-
nous pas Dieu, quand nous le voulons? Qui
en doute ? IVIais c'est afin qu'il ne nous ar-
rive pas de le vouloir abandonner, que nous
lui disons : Seigneur, ne nous livrez point à la
Cap. TH. tentation. Quand nous n'aurions donc point
d'autres preuves pour défendre la cause
de la grâce de Jésus-Christ, l'Oraison domi-
nicale nous suffirait toute seule, puisqu'elle
ne nous laisse pas la moindre chose dont
nous puissions nous glorifier comme venant
de nous. Aussi en nous apprenant qu'il faut
demander à Dieu de ne le point abandonner,
elle nous apprend en même temps qne c'est
à lui uniquement de faire tout cela eu nous :
car ce n'est point une chose qui soit au pou-
voir de notre libre arbiti'e tel qu'il est présen-
tement. Elle y était à la vérité avant la chute
du premier homme, et il est aisé de voir ce
que pouvait la libei'té de notre volonté dans
cet heureux état , par l'exemple des bons
anges, qui, en même temps que les mau-
vais tombèrent, se tinrent fermes dans la vé-
rité, et méritèrent par là ce bonheur dont
nous savons qu'ils jouissent présentement
d'être assurés pour jamais de ne point tom-
ber. Mais depuis la chute de l'homme, il a
plu à Dieu de régler les choses de telle sorte
que si nous retournons vers lui, et si nous
ne l'abandonnons point après notre retour,
c'est uniquement l'effet de sa grâce. C'est
donc la puissance de Dieu et non pas la nô-
tre, qui fait que nous ne l'abandonnons
om.ï.-:ïii, point. D'où vient qu'il dit : Je mettrai ma
crainte dans leur cœur, de telle sorte qu'ils ne
m'abandonneront point. Et c'est pour cela
qu'il a voulu que nous le priassions de ne
point nous laisser succomber à la tentation,
parce qu'il est 'visible que si nous n'y suc-
combons point nous ne l'abandonnons point.
Il pouvait nous faire ce bien là sans que
nous le lui demandassions dans nos priè-
res; mais il a voulu que nos prières mê-
mes nous apprissent de qui nous le tenons :
car, qui peut douter que nous ne le tenions
de celui à qui il nous est ordonné de le de-
mander? Au reste, les fidèles n'ont pas be-
soin de très-longs discours pour être ins-
truits sur cette matière. Ils n'ont qu'à
faire attention aux prières qu'ils font tous
les jours à Dieu. Ils le prient de faire que
les infidèles croient; c'est donc lui qui les
convertit à la foi. Ils le prient de faire que
ceux qui croient persévèrent ; c'est donc lui
qui leur donne la persévérance jusqu'à la
fin. Or, Dieu a su de toute éternité qu'il de-
vait faire toutes ces choses. Voilà, en deux
mots, tout le mj^stère de la prédestination
des saints que Dieu a choisis en Jésus-Christ
avant la création du monde, pour les ren-
dre ses enfants adoptifs par ce divin Sau-
veur. »
14. Mais, disaient les semi - pélagiens , c=p.v-ni
pourquoi la grâce de Dieu ne nous est-elle
pas donnée selon nos mérites? «Je réponds,
dit saint Augustin, que c'est parce que Dieu
est miséricordieux. Pourquoi n'est-elle pas
donnée à tous les hommes ? Je réponds que
c'est parce que Dieu est un juste juge. Que
celui-là donc qui est délivré de la damna-
tion, où Dieu aurait pu sans injustice laisser
tous les hommes, soit pénétré de reconnais-
sance pour la grâce qu'il en retire ; et que
celui qui ne l'est pas confesse qu'il est traité
selon ce qu'il mérite. De deux enfants, et
même jumeaux, dont la cause est entière-
ment semblable, étant également sujets au
péché originel, Dieu prend l'un et laisse
l'autre. De deux adultes infidèles, il appelle
l'un de telle sorte qu'il suit la voix de celui
qui l'appelle ; et l'autre, ou n'est point ap-
pelé du tout, ou ne l'est pas de cette ma-
nière : ce sont ses jugements impénétrables, cap. ix.
Et c'est encore un secret plus incompréhen-
sible des mêmes jugements, pourquoi, de
deux personnes qui vivent dans la piété, il
donne à l'une la persévérance jusqu'à la fin,
et ne la donne pas à l'autre. Mais un fidèle
doit tenir pour certain que celle-là est du
nombre des prédestinés, et que celle-ci n'en
est pas ; Ils sont sortis d'entre nous, dit saint i som.
Jean, parce qu'ils n'étaient pas d'avec nous.
Ils en étaient en un sens, étant appelés et
justifiés : ils n'en étaient pas dans un autre
sens, n'étant pas appelés selon le décret de .''""'• '
Dieu. Jésus-Christ fait bien voir que ce mys-
tère de la prédestination est impénétrable,
lorsqu'il dit : Si à Tyr et Sidon avaient été ^ Maiih.
faits les miracles qui ont été faits chez vous,
ils auraient fait pénitence dans la cendre et t/.: s,
dans le cilice : car on ne peut dire après cela.
534
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Cap. x:.
Hom. V,
clic.
Eplios, I,
' Uoni. IX,
que Dieu refuse la prédication de l'Évangile
à ceux qu'il prévoit qu'ils n'en profiteront
pas. Cependant ils ne laisseront pas d'être
punis au jour du jugement, quoique d'un
moindre supplice que les autres peuples ,
qui après avoir été témoins de tant de mi-
racles sont demeurés dans l'incrédulité.
D'où il suit que l'on ne peut dire, comme
faisaient les semi-pélagiens, que les morts
seront jugés selon ce qu'ils eussent faits, si
l'Évangile leur eût été prêché pendant leur
vie ; et que moins encore on peut aliirmer
des enfants qui périssent faute d'avoir reçu
le baptême, qu'ils ont mérité d'en être pri-
vés, parce que Dieu prévoyait que quand
même ils auraient vécu et entendu la prédi-
cation de l'Évangile, ils seraient demeurés
dans l'incrédulité. Le péché originel dont ils
sont coupables est donc la seule cause de
leur perte, comme c'est par une grâce toute
gratuite que sont délivrés ceux qui reçoi-
vent le baptême ; et nul n'est jugé selon le
bien ou le mal qu'il aurait fait, s'il avait eu
plus de vie ; parce qu'autrement les habi-
tants de Tyr et de Sidon au lieu d'être punis
pour le mal qu'ils ont fait, eussent été sau-
vés, en considération de la foi qu'ils auraient
embrassée, et de la pénitence qu'ils auraient
faite, si les miracles de Jésus-Christ avaient
été faits devant leurs yeux. »
15. « Tout dépend, comme dit l'Apôtre,
16. non de celui qui veut, ni de celui qui court,
mais de Dieu qui fait miséricorde. Et comme
il donne son secours à qui il lui plaît d'entre
les enfants, pour les faire participants de sa
grâce, sans qu'il y ait eu en eux ni foi ni
bonnes œuvres : de même il le refuse à qui
il lui plaît d'entre ceux qui sont en âge de
raison, parce qu'il en a ordonné ainsi dans
sa prédestination éternelle, par un jugement
qui passe nos connaissances, mais qui ne
laisse pas d'être juste. Les semi-pélagiens
ne voulaient pas qu'on prît ce qui se passe
à l'égard des enfants, pour règle de ce qui
se passe à l'égard des adultes : de quoi ils
ne pouvaient rendre aucune raison, puis-
qu'ils reconnaissaient avec les catholiques
12 la vérité du péché originel, qui est entré
dans le monde par un seul homme, par lequel
cous sont tombés dans la condamnation. Ce
n'est donc point en considération d'aucun
mérite que Dieu donne sa grâce aux hom-
6- mes, mais selon son bon plaisir, parce qu'il
est miséricordieux, et s'il la refuse à qui il
-■'■ lui plaît, c'est pour faire éclater les richesses .
de sa gloire sur les vases de sa miséricorde.
Car. en donnant à quelques-uns ce qu'ils ne
méritaient pas, il fait voir que sa grâce est
parfaitement gratuite ; et en ne la donnant
pas à tous, il nous montre ce que tous
avaient justement mérité. Il fait voir sa bon-
té en faisant du bien à un certain nombre,
et sa justice en punissant tout le reste. »
Saint Augustin montre que c'était en vain
qu'on lui objectait ce qu'il avait écrit sur
cette matière dans ses livres du Libre arbi-
tre, n'étant encore que laïque, ou prêtre
depuis peu de temps. « Car, dit-il, quand
j'aurais été alors dans quelques doutes, tou-
chant la délivrance des enfants qui renais-
sent par le baptême , et la damnation de
ceux qui ne sont pas régénérés par ce sa-
crement, qui est-ce qui serait assez injuste
pour prétendre que je dois encore demeurer
dans les mêmes doutes, et pour vouloir
m'empêcher d'apprendre et de profiter. » Il
prouve qu'on ne peut , ni dire qae c'est
la force du destin qui fait que Dieu procure
aux uns le baptême et non pas aux autres ,
puisqu'ils sont tous en mêmes termes ; ni
soutenir que la Providence les abandonne
au hasard, puisqu'il ne tombe pas même un
passereau sur la terre aans la volonté de notre
Père ; ni rejeter sur la négligence des pa-
rents, de ce que leurs enfants meurent sans
baptême, puisqu'il arrive quelquefois qu'un
enfant expire avant qu'on puisse le lui ad-
ministrer, et que nous voyons très-souvent
que les mmistres étant tout prêts, et les pa-
rents faisant toute la diligence possible
pour le faiie donner à un enfant, néanmoins
il ne le reçoit pas, parce que Dieu ne le
voulant pas, lui refuse un moment de vie
qui lui était nécessaire pour le recevoir. « II
y a plus, on trouve (juelquefois moyen de
garantir de la damnation les enfants des
infidèles, par le secours du baptême, tandis
qu'il yen a qui sont nés de parents chrétiens,
à qui l'on ne peut donner le môme secours.
Ce qui fait bien voir que Dieu n'a acception
de personne; autrement il sauverait plutôt
les enfants de ceux qui .le connaissent et
qui le servent, que ceux de ses ennemis. »
16. « Non - seulement entre les enfants
qui meurent avant l'usage de raison, les
uns sont enlevés sans avoir reçu le baptê-
me, et précipités dans la mort éternelle,
lorsque les autres, n'étant retirés de ce mon-
de qu'après avoir passé ces eaux salutaires,
entrent en possession de la béatitude; mais
[lye ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQTJE D'HIPPONE.
33S
on voit encore que parmi ceux qui sont ré-
générés, il y en a qui finissent leur vie dans
la persévéï'ance ; et d'autres que Dieu tient
en ce monde, jusqu'à ce qu'ils tombent, et
qui n'auraient point péri s'ils en étaient
sortis avant de tomber ; et d'autres enfin à
qui Dieu conserve la vie après leur chute
jusqu'à ce qu'ils reviennent, et qui auraient
péri, s'ils avaient été enlevés avant leur
retour. Il ne faut que cela seul pour faire
voir clairement que Dieu ne nous donne en
considération de nos mérites, ni la grâce de
commencer, ni celle de persévérer jusqu'à
la fin ; mais selon sa volonté, qui n'est pas
moins impénétrable qu'elle est juste, sage
n. vrii, et bienfaisante ; parce que ceux qu'il a pré-
destinés, il les a avssi ajypelés, de cette sorte
de vocation dont il est écrit, que les dons et
la vocation de Dieu sont immuables, et qu'il
ne s'en repent point. Mais on ne peut dire
avec certitude qu'un homme ait été appelé de
cette manière, qu'il ne soit sorti de cette vie ;
et il en est ordonné ainsi par la Providence
pour nous tenir dans l'humilité, et nous faire
travailler à notre salut avec crainte et trem-
blement. » Saint Augustin appuie ensuite de
l'autorité de saint Ambroise, et des prières
qiii se récitent dans la célébration des saints
mystères, une vérité qu'il avait déjà prou-
vée ailleurs par ces paroles de saint Paul :
11 Cor. m, Nous ne sommes pas capables de former une
seule bonne pensée de nous-mêmes comme de
nous-mêmes, mais c'est Dieu qui nous en rend
capables; d'où il conclut qu'étant nécessaire
de penser pour croire, la foi est un don de
Dieu.
Cap. HT. 17. Il est dangereux, disaient les semi-
pélagiens, de publier la doctrine de la pré-
destination ; elle nuit à la prédication, aux
exhortations et aux corrections. « Quoi donc !
répond saint Augustin, a-t-elle rendu inutile
la prédication de saint Paul? Et ce docteur
des nations qui prend à tâche en tant d'en-
droits de persuader la vérité de ce mystère,
a-t-il cessé pour cela de prêcher la parole
de Dieu ? A-t-il moins exhorté les hommes
à vouloir et à faire ce qui est agréable aux
pbiiip. n, yeux de Dieu, pour avoir dit : C'est Dieu qui
opère en nous le vouloir et le faire, selon son
bon plaisir? Les a-t-il moins sollicités de
commencer et de persévérer jusqu'à la fin,
iind.,1,6. quoiqu'il eût dit, que c'est celui qui a com-
mencé en nous l'ouvrage de notre salut, qui
l'achèvera et le perfectionnera de plus en plus
jusqu'au jour de Jésus - Christ ? Puis donc
que nous voyons d'un côté la prédestination
si clairement marquée clans l'Écriture, et
que d'ailleurs cette même Écriture est pleine
d'exhortations, d'avertissements, de remon-
trances, de corrections, pourquoi veut-on
que la publication de ce mystère rende ces
choses inutiles ? Y a-t-il quelqu'un qui ose
dire que Dieu n'a pas connu, en sa pres-
cience, qui étaient ceux à qui il serait donné
de croire par sa miséricorde, ou qu'il devait
donnera son fils, en sorte qu'il n'en périrait joon. vr,35.
aucun ? S'il les a connus de toute éternité,
sans doute qu'il a aussi connu les grâces
par lesquelles il plaît à sa miséricorde d'o-
pérer notre délivrance et notre salut. Or,
la prédestination des saints n'est autre
chose que cette connaissance éternelle, et
cette préparation des grâces de Dieu, qui
opèrent très-certainement le salut de tous,
ceux qui sont sauvés. Pour les autres, qu'en
pouvons-nous dire ? Sinon qu'ils sont laissés
dans la masse de perdition, par un juste ju-
gement de Dieu, comme les habitants de ïyr
et de Sidon, qui auraient même pu croire, s'ils
eussent vu les miracles de Jésus-Christ. Mais
parce qu'il ne leur était pas donné jje croi-
re, ce qui aurait pu les faire croire, leur a
été refusé. Ce qui montre qu'il y en a quel-
ques-uns dont l'esprit, par une faveur par-
ticulière de Dieu, est naturellement élevé
jusqu'à un degré d'intefiigence qui les por-
terait à croire, s'ils recevaient des instruc-
tions, ou s'ils voyaient des miracles qui
fussent tels que cette disposition d'esprit le
demanderait. Mais si, par un ordre caché
dans la profondeur impénétrable des juge-
ments de Dieu, ils ne sont pas du nombre
de ceux qu'il a séparés de la masse de per-
dition par sa prédestination toute gratuite,
ils n'auront ni les instructions, ni les mira-
cles cpii auraient été capables de les faire
croire. »
Saint Augustin ajoute que quoique saint
Cyprien ait aussi très-clairement établi le
mystère de la prédestination , cela ne l'a
point empêché de porter les hommes à la
foi, et de les exhorter à vivre saintement,
et à persévérer même jusqu'à la fin. «Peut-
on douter, dit-il encore, cfue la continence
ne soit un don de Dieu ? Cependant nous ex- cip. .«.
hortons les hommes à la pratique de cette ver-
tu. )) Il fait voir que les objections faites par
les semi-pélagiens faisaient contre la prédes-
tination, pouvaient également se faire contre
la prescience, que ces nouveaux hérétiques
536
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
admettaient : sur quoi il rapporte qu'il y
avait un religieux dans son monastèi-e qui
avait coutume de répondre, lorsqu'on le re-
prenait de ses fautes : Quel que je sois pré-
sentement, je serai dans la suite tel que Dieu a
prévu que je serais. Il n'y a pas de doute qu'en
cela il ne disait rien que de vrai ; mais ce
• sentiment, tout vrai qu'il est, au lieu de le
porter au bien, le portait au mal ; en sorte
que comme un chien qui retourne à son vo-
' . missement, il abandonna la vie sainte qu'il
avait professée dans le monastère. « Dira-t-
on pour ces sortes de fautes qu'on ne doit
ni reconnaître ni publier ce que la vérité
nous apprend touchant la prescience de
Dieu ? Il y en a qui, sachant qu'il est dit
Maiih. VI, 8. dans l'Évangile que Dieu sait ce qu'il nous
faut, avant que nous le lui demandions, né-
gligent de prier, ou ne le font qu'avec beau-
coup de tiédeur. Faut-il donc à cause de ces
gens-là anéantir la prière? Au contraire,
puisque nous savons que comme il y a des
grâces que Dieu donne, sans qu'on les lui
demande, comme le commencement de la
foi, il y en a d'autres qu'il n'accorde qu'aux
prières que l'on fait pour les obtenir, com-
me la persévérance jusqu'à la fin : nous de-
vons donc la demander. »
Cap. XVI. Le saint Docteur convient qu'on peut taire
quelque vérité à cause de ceux qui n'en
sont pas capables, et qu'il est même quel-
quefois utile d'en user ainsi, à l'exemple de
ij,^"""' '^■"' Jésus-Christ qui disait à ses apôtres : J'au-
rais encore bien des choses à vous dire, mais
vous ne les sauriez porter présentement. Mais
il soutient que quand la vérité dont il s'agit
est telle que, si nous la disons, ceux qui
n'en sont pas capables en deviendront pi-
res , et que si nous ne la disons pas, ce mê-
me malheur arrivera à ceux qui en sont
capables, il faut alors la publier. Il fait l'ap-
plication de cette maxime à la doctrine de
la prédestination, et dit qu'à cause des en-
nemis de la grâce qui s'efforcent de persua-
der aux fidèles qu'elle nous est donnée en
considération de nos méi'ites, il faut publier
hautement la vérité de ces paroles de l'Écri-
RoMi. .\i,29. ture touchant les prédestinés : Les dons et
la vocation de Dieu sont immuables.
Saint Augustin combat ensuite les semi-
pclagiens avec leurs propres armes : car,
comme d'un côté ils reconnaissaient que tou-
les les vertus qui concourent à notre sancti-
fication, excepté le commencement de la foi
et la persévérance finale, étaient des dons de
Cip XVII.
Dieu, et que toutefois ils ne laissaient pas
d'exhorter les fidèles à la chasteté, à la cha-
rité, à la piété et aux autres vertus ; et que,
d'un autre côté, ils ne pouvaient nier que la
dispensation de ces dons n'ait été réglée de
Dieu dans sa prédestination , il suivait de là
que selon eux-mêmes cette prédestination
n'est point opposée à la prédication ni aux
exhortations. Si nous dirions, objectaient-ils,
que le commencement de la foi et la persé-
vérance sont des dons de Dieu , il y aurait
lieu de craindre que cette doctrine ne jetât
dans le désespoir , par l'incertitude où se
trouve chacun de ceux qui en entendent
parler, s'il est, ou non, du nombre de ceux
à qui Dieu doit faire part de ces dons.
« Pourquoi est-ce donc , reprend ce Père,
qu'ils publient hautement eux-mêmes, aussi
bien que nous, que la sagesse et la conti-
nence sont des dons de Dieu? Si l'on peut
les reconnaître publiquement pour tels, sans
que cela empêche le fruit des exhortations ,
quelle raison peut-on avoir de s'imaginer
qu'on ne pourra plus exhorter utilement à
entrer et à persévérer dans la foi jusqu'à la
fin, si l'on dit que ces deux choses sont des
dons de Dieu, comme on le prouve manifes-
tement par le témoignage des saintes Écri-
tures? Ne reprend-t-on pas les impudiques, Jacob, i,
sans appréhender de les jeter dans le déses-
poir ? Et ne peut-on pas reprendre de même
les infidèles de leur manque de foi ? » Mais,
disaient les semi-pélagiens , celui qui aban-
donne la foi, ne l'abandonne-t-il pas par sa
propre faute, en cédant et consentant à la
tentation qui le solhcite de l'abandonner?
« Oui, sans doute, répond le saint Docteur :
mais on ne peut pas dire pour cela que la per-
sévérance dans la foi ne soit pas un don
de Dieu, puisqu'en lui disant tous les jours :
Ne nous laissez point succomber à la tentation, Maiii-,
nous lui demandons tous les jours la persé-
vérance ; ce qui prouve que c'est de lui et
non pas de nous-mêmes que nous l'atten-
dons. » n fait voir que de prêcher la prédes-
tination, ce n'est autre chose que d'appren-
dre aux hommes qu'ils doivent mettre leur
espérance en Dieu, et non pas en eux-mê-
mes, en quoi il n'y a rien qui puisse les
faire désespérer, puisque le Prophèje s'é-
crie : Maudit est celui qui met son espérance jrrom.
dans l'homme, a Enfin, ajoute-t-il, si la pré-
destination que nous soutenons n'est pas
véritable, il n'est pas vrai non plus que ces
dons de Dieu, c'est-à-dire le commencement
[ïr ET r SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN , ÉVÊQUE D'HIPPONE.
S37
Isai. Lxv, 2.
Cap. XX.
de la foi, el la persévérance finale lui aient
été connus dans sa prescience éternelle : or,
c'est de quoi l'on ne saurait douter ; on ne •
saurait donc douter non plus de la prédes-
tination que nous soutenons : car le mot de
prescience signifie quelquefois prédestination,
comme on le voit par plusieurs endroits de
l'Écriture. Il est encore à présumer que les
auteurs catholiques (jui, en parlant de la pré-
destination, se sont servis du terme de pi'es-
cience, ne l'ont choisi, que parce qu'il est plus
proportionné à l'intelligence commune des
hommes ; et que bien loin d'être contraire
fi la vérité de la prédestination de la grâce,
il y est même très-conforme. Ce que je sais,
c'est que personne n'a Jamais pu sans er-
t-eur avancer rien de contraire à cette pré-
destination que nous soutenons, conformé-
ment aux saintes Écritures. »
Il allègue le témoignage de saint Cyprien
et de saint Ambroise qui ont enseigné net-
tement l'un et l'autre de ces deux points; 1"
que la grâce de Dieu est parfaitement gratuite
en tout et partout, et qu'il le faut croire et
prêcher ainsi ; 2' que la déclaration publique
de cette vérité n'est point nuisible aux exhorta-
tions et aux remontrances que nous faisons pour
encourager les tièdes , ou reprendre les 7né-
chants. Il confirme la même chose par le té-
moignage de saint Grégoire de Nazianze.
18. Les semi - pélagiens disaient qu'on
pouvait bien se passer de traiter cette ma-
tière, qui Jette le trouble dans les esprits ;
qu'on avait bien défendu sans cela la foi
contre les pélagiens ; et que saint Augustin
lui-même ne s'était point servi du mystère
de la prédestination pour combattre ces hé-
rétiques. Il répond que cette question étant
liée avec la gratuité des dons de Dieu, on
ne devait pas l'en séparer ; et qu'il avait en-
seigné la grâce de Dieu, et la miséricorde
toute gratuite, avant même qu'il pût prévoir
la naissance de leur hérésie. Sur quoi il cite
son Traité à Simplicien de Milan, où il éta-
blit, que le commencement même de notre foi
est un don de Dieu ; et l'endroit de ses Confes-
sions, où il dit : Commandez-nous, Seigneur, ce
que vous voudrez, mais donnez-nous ce que vous
nous commandez. Il fait remarquer que cha-
que hérésie amenant de nouvelles disputes
dans l'Église, donne lieu d'éclaircir et de
défendre plus au long et plus en détail que
l'on ne ferait, sans cela, les vérités de l'Écri-
ture qu'elle attaque ; et que c'est ainsi que
l'impiété des pélagiens, qui nient la grâce
de Dieu, l'a contraint d'expliquer plus parti-
culièrement, et de défendre plus fortement
dans cet ouvrage les autorités de la même
Écriture qui étabhssent la prédestination.
Comme les Marseillais protestaient qu'ils cap. x.ki.
voulaient suivre ce que saint Augustin avait
enseigné sur cette matière dans ses premiers
ouvrages, ccPère les renvoie à la fin du pre-
mier des deux livres à Simplicien, à sa let-
tre à saint Pauhn, évêcjue de Noie, et à celle
qu'il écrivit au prêtre Sixte, disant qu'ils y
trouveront qu'il y a enseigné clairement
que la grâce de Dieu ne nous est point
donnée selon nos mérites. « Ce n'est pas,
ajoute-t-il, que Je veuille qu'on suive mes
sentiments en toutes choses, mais seule-
ment lorsqu'on verra 'que Je ne mej trompe
pas. 1) Il veut toutefois que l'on prêche la
prédestination au peuple avec beaucoup de
discrétion, surtout aux saints, de peur de la
rendre odieuse. «Ainsi, poursuit-il, quoiqu'il
soit vrai que le décret de la volonté de Dieu,
qu'il a arrêté dans sa prédestination éter-
nelle, est tel que ce qui fait que quelques-
uns embrassent la foi, ou y persévèrent,
c'est que Dieu leur en a donné la volonté ;
il est plus à propos de dire : Le décret de la cap. x.^n.
volonté de Dieu, qu'il a arrêté dans sa pré-
destination, est tel, que ce qui fait que vous
êtes passés de l'infidélité à la foi, c'est que
vous avez reçu la volonté de vous y soumet-
tre ; et ce qui vous y fait demeurer, c'est
qu'il vous donne la persévérance. Il faut
bien se garder encore d'ajouter : Pour vous
tant que vous êtes qui demeurez attachés
au plaisir que vous trouvez dans le péché ;
ce qui fait que vous n'êtes pas encore sortis
de ce misérable état, c'est que le secours
de la grâce ne vous en a pas encore tirés.
Mais il vaut mieux dire : S'il y en a parmi
vous qui soient encore esclaves des voluptés
criminelles, qu'ils passent de cette misérable
servitude, sous le Joug salutaire de la loi de
Dieu ; mais qu'ils se donnent bien de garde
après cela de s'en glorifier, comme si c'était
leur ouvrage, et que cela ne leur eût pas
été donné. Car c'est Dieu qui opère en nous
le vouloir et le faire selon qu'il lui plaît. Et
si quelques-uns ne sont pas encore appelés,
prions Dieu qu'il leur fasse cette miséri-
corde ; puisqu'il est peut-être dans l'ordre
de leur prédestination que ce soit par nos
prières qu'ils reçoivent cette grâce. Quant
aux réprouvés, il ne faut Jamais en parler
qu'en troisième personne, en disant par
S38
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
exemple : Si parmi ceux qui obéissent pré-
sentement, il y en a quelques-uns qui ne
sont point prédestinés, ils ne demeureront
Cap, XXIII, pas dans l'obéissance jusqu'à la fin. A l'é-
gard des personnes moins intelligentes on
doit les exhorter à faire attention aux prières
de l'Église. N'a-t-elle pas en effet prié de
tout temps pour les inûdèles et pour ses
persécuteurs, afin que Dieu les amenât à la
foi ? Qui a jamais manqué de lui demander
.pour soi-même de demeurer uni à Jésus-
Christ? Et lorsqu'il est arrivé que le prêtre,
en l'invoquant sur les fidèles, lui a adressé
ces paroles : Faites, Seigneur, qu'ils persévè-
rent en vous jusqu'à la fin, tous n'y ont-ils
pas souscrit en répondant : Amen, la bouche
rendant par là témoignage à la foi qui est
dans le cœm"? Comme donc l'Église -est née,
et qu'elle a toujours été élevée dans l'usage
de ces prières ; elle est née pareillement, et
a été élevée dans la foi de cette vérité, que ce
n'est en considération d'aucun mérite que
Dieu donne sa grâce à ceux à qui il la donne.))
Saint Augustin dit que la pj'édestination
n'est mieux marquée dans personne que
dans Jésus-Christ notre médiateur. Dieu
ayant fait naître ce fils de David dans une
justice parfaite et inaltérable, sans qu'aucun
mouvement de volonté ait précédé de sa
part pour le mériter; qu'il fait passer de
même d'autres hommes de l'iniquité à la
justice et à la sainteté pour les faire mem-
bres de ce divin Chef, sans qu'aucun mouve-
ment de leur volonté ait précédé pour s'en
rendre digne. Ce Père avait déjà rapporté
cet exemple dans le livre de la Prédestination
des saints : il finit celui du Don de la persé-
vérance par ces mots : « Que ceux qui lisent
ceci rendent grâces à Dieu, s'ils l'entendent;
s'ils ne l'entendent pas, qu'ils le prient de
Prov. 3, les instruire, lui qui est la source de la science
et de l'intelligence. Ceux qui croient que je
me trompe, doivent penser avec soin à ce
que j'aie dit, et prendre garde qu'ils ne se
trompent eux-mêmes. Pour moi, lorsque
ceux qui lisent mes ouvrages m'instruisent
et me corrigent, j'en rends grâces à Dieu ; et
c'est ce que j'attends principalement des
docteurs de l'Église, si ce que j'écris tombe
entre leurs mains , et qu'ils daignent le
lire. ))
1 Op. imperf., pag. 10S9. — '- Ibid., pag. 877,
967, iioe.
3 Pro?p., De Promiss, et Prœd. part.. IV, cap. vi.
* Op. iwp'rf., pas?, looa m iin/f.
§XIV.
De l'Ouvragé imparfait contre Julien.
l . Julien n'eut pas plutôt vu le second H- eq qnei
vre du Mariage et de la concupiscence, que \à°\ie mc
saint Alypius avait porté au comte Valère yra.?e a t
dans un second voyage qu'il fit en Italie, à
la fin de l'an 420 ou au commencement de
421, qu'il entreprit de le réfuter. 11 composa
à cet effet huit livres, dont il nous en reste
six dans la réfutation qu'en fit saint Augus-
tin. Juhen s'y répandait sans jugement et
sans raison en une multitude de paroles qui,
au lieu de ' le faire estimer comme un
homme abondant, le faisait fuir comme un
homme ennuyeux par les personnes sensées,
qui, ne s'attachant qu'au fonds des choses,
n'avaient que du mépris pom' les paroles
inutiles. E. y appelait saint Augustin ' le prê-
cheur d'Afrique, et le plus insensé de tous
les hommes; et saint Alypius, le petit valet
d'Augustin et le ministre de ses fautes. Son
ouvrage était adressé à Florus, célèbre en-
tre les évêques pélagiens, et qui. pour une
fourberie insigne ^ fut chassé d'Italie sous le
pontificat de saint Léon. Quelque étendu qu'il
fût, Julien n'y "^ combattait pas même tout
ce que saint Augustin avait dit dans son se-
cond livre du Mariage et de la concupiscence.
Ce Père fut très-longtemps sans avoir con-
naissance de ces huit livres de Juhen, et,
quoiqu'ils eussent été écrits dès l'an 421, ou
peu après, ce saint Docteur ne les avait pas
encore vus en 423, lorsqu'il écrivait le livre
de la Correction ° et de la grâce; ni lorsqu'il
achevait son second livre des Rétractations ^,
où il dit qu'il ne savait pas s'il ferait encore
quelque autre ouvrage. Mais saint Alypius
ayant fait vers ce temps-là un troisième
voyage à Rome, fit '' copier les huit livres de
Julien, dont il envoya d'abord les cinq pre-
miers en Afrique, en ayant trouvé une occa-
sion favorable. 11 promit en même temps à
saint Augustin de lui envoyer les trois auti'es
dès qu'ils seraient transcrits, et le priait ce-
pendant de ne point difl'érer à réfuter les
premiers. Le saint Évêque eut peine à s'y
résoudre à cause des grandes extravagan-
ces' dont l'ouvrage de Julien était rempli.
Toutefois, dans la crainte que les personnes
^ Comparez le cliapitre xi de ce livre avec le
nombre 84 du livre IV de l'Ouvrage imparfait.
•5 Lib. II, cap. LSVH. — ' Op. imperf., pag. 870.
» Ibid., p.a«-. 913, 9U, 915,
[iy« ET V» SIÈCLES.]
moins intelligentes ne pussent voir la fai-
blesse de ces livres, il en entreprit la réfuta-
tion, et la continua jusqu'à la fin de sa vie,
même perdant que les Vandales l'assié-
geaient * dans Hippone ; la mort ^ seule
l'ayant obligé de la laisser imparfaite. Mais,
étant occupé lorsqu'il la commença à la re-
■ vue de ses lettres et de ses sermons, pour en
faire un troisième livre des Rétractations, et
ne voulant pas quitter ce travail, il parta-
gea son temps, de façon qu'il donnait le jour
à l'un de ces ouvrages , et la nuit à l'autre ,
lorsqu'il n'avait point d'occupations ' ex-
traordinaires. Dans cette réfutation, saint
Augustin met d'abord le texte de Julien,
puis ce qu'il juge à propos pour le combat-
tre : ce qui l'oblige à répéter souvent les
mêmes réponses, parce qne ce pélagien re-
battait toujours ou les mêmes raisons, ou les
mêmes erreurs. Mais ce Père aima mieux '
que les personnes éclairées et fermes dans
la foi eussent à lui pardonner sa trop grande
exactitude, que de donner lieu aux faibles
de se plaindre qu'il négligeait de les affermir
et de soulager leur faiblesse. On voit par
quelques manuscrits que saint Augustin avait
commencé un septième livre contre Julien,
mais qu'il ne l'avait point achevé. Nous n'en
avons que six, dont les deux premiers ont
été' donnés d'abord par Claude Menart en
1617, et les quatre suivants par le père Vi-
gier, sur un manuscrit de l'abbaye de Clair-
vaux. Le pape Agaton cite divers endroits du
cinquième livre dans sa Lettre aux empe-
reurs, et tous les passages qu'il en allègue,
furent ^ vérifiés dans le sixième concile sur
une copie latine que l'on en gardait dans la
bibliothèque de l'Église de Constantinople.
Le même ouvrage fut cité par un Maxime
d'Aquilée, dans le concile deLatran en 6-49.
On en trouve des extraits dans les écrits de
Florus, de Loup de Perrière et de Loup Ser-
vat, sous le nom de saint Augustin, dont on
ne doute plus aujourd'hui qu'il ne so^t.
2. C'est l'ordinaire de Julien de traiter
dans ses huit livres les catholiques de tradu-
céens et de manichéens. Mais saint Augus-
tin lui répond que ces reproches et autres
semblables tombaient également sur les plus
fameux docteurs de l'Église, comme saint
Hilaire, saint Grégoire de Nazianze, saint
Ambroise et saint Gyprien, qui ont constam-
SAINT AUGUSTIN, ÉVÈQUE D'HIPPONE. 339
ment enseigné, avec l'Église catholique, la
Cap. xxvit
transfusion du péché originel ; qu'au reste ,
il n'est point surprenant que les pélagiens
donnent un nom nouveau aux catholiques,
d'où ils sont sortis, puisque d'autres héré-
tiques en ont usé de même, lorsqu'ils ont
abandonné l'Église. Il fait voir que les puis-
sances de la terre n'avaient pas moins de
droit de réprimer l'audace des pélagiens,
qu'elles en avaient eu pour contenir les vio-
lences des donatistes, et que dans l'un et
l'autre cas leur conduite n'était que louable.
Il dit qu'il y avait cette différence entre les
pélagiens et les autres sectaires, que ceux-ci
tâchaient d'appuyer leurs erreurs de quel-
ques endroits obscurs de l'Écriture, au heu
que ceux-là s'efforçaient d'en obscurcir les
plus clairs. Julien se donnait beaucoup de
peine pour montrer que Dieu, étant juste,
ne pouvait punir les innocents. Saint Augus-
tin ne disconvient pas du principe. Mais
comme ce pélagien voulait en conclure que
les enfants n'étant coupables d'aucun péché,
ne devaient être soumis à aucune peine;
le saint Docteur renverse tout ce raisonne-
ment, en lui demandant pourquoi les enfants
éprouvent tant de misères s'ils sont sans pé-
chés? « Car, ajoute-t-il, sous un Dieu juste,
personne ne peut être malheureux à moins
qu'il ne le mérite. »
3. Pour détruire la doctrine du règne de
la concupiscence sur le libre arbitre dans
ceux que la grâce du Sauveur n'a pas en-
core délivrés, Julien apportait la définition
que saint Augustin avait donnée du péché
dans le livre intitulé des deux Ames : Le pé-
ché est une volonté d'acquéiHr ou de retenir ce
que la justice nous défend, et dont il nous est
libre de nous abstenir. Sur quoi ce Père s'ex-
plique en ces termes : « J'ai défini le péché
qui est seulement péché, et non celui qui
est aussi la peine du péché, puisque c'est
celui dont j'étais alors obligé de traiter,
ayant pour objet de rechercher l'origine du
mal et du grand mal qui a été commis par
le premier homme devant la naissance de
tous les hommes. Mais c'est ici un mystère
x[ue vous ne pouvez entendre, ou si vous le
pouvez, vous ne le voulez pas. Cette défini- cap. .ilvh.
tion, ajoute-il, regarde le premier homme,
qui, lorsqu'il a péché, n'avait en lui-même
aucun vice qui le sollicitât au mal, et qui le
Cap. XXXIX.
Cap. XL r.
' Prosp., in Chron. ad an. 430. — 2 Possid.
Catalotj-, cap. iv.
' Epist^ S.2't ad QuodvuU. — '' Op.imp. ,p!ig.l32L
s Noris, .4ppend., ad Hist. pelag., pag. 174.
540
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
lui fit faire malgré lui, en sorte qu'il fût con-
Rom.vii,2a. traint de dire comme l'Apôtre : Je ne fais
pas le bien que je veux, mais je fais le mal que
je ne veux pas. Distinguez donc ces trois cho-
ses avec soin, et sachez qu'autre chose est le
péché, autre chose la peine du péché, et au-
Ire chose ce qui est l'un et l'autre, c'est-à-
dire ce qui est tout ensemble, péché et peine
du péché. Alors vous comprendrez laquelle
de ces trois choses appartient à cette défini-
tion, où l'on dit que le péché est une vo-
lonté que l'on a de faire ce que la justice
condamne, et dont il nous est libre de nous
abstenir. Car c'est ainsi que l'on définit le
péché, et non pas la peine du péché, ni ce
qui est péché tout à la fois et peine du pé-
ché. Chacun de ces trois genres a sous lui
les espèces qui le divisent, qu'il serait trop
long de déduire. Mais si l'on en veut des
exemples, nous en avons du premier genre
dans Adam. Car il y a plusieurs maux que
les hommes commettent dont il leur est libre
de s'abstenir; mais il n'y en a point à qui
cela ait été si libre qu'à celui qui avait été
exempt de toute tache devant les j'-eux de
son Auteur, qui l'avait créé juste et inno-
cent. Pour le second genre du péché, on en
trouve des exemples dans ceux à qui l'on
fait souffrir quelque supplice pour un crime
qu'ils ont commis. Quant au troisième genre,
où le péché est tout ensemble péché et
peine du péché, on peut le reconnaître en
Rom. vil, 28. celui qui dit : Je fais le mal que je ne veux
pas. Le péché originel n'appartient pas à ce
genre de péché que nous avons mis au pre-
mier rang, quand nous avons dit que c'était
la volonté de commettre un péché dont il
nous est libre de nous abstenir. Autrement
il n'y aurait point de péché dans les enfants
qui n'ont pas encore l'usage du libre arbi-
tre de leur volonté. Il ne se réduit pas non
plus au second genre, puisqu'il s'agit ici du
péché et non pas d'une peine qui ne soit
point péché, quoiqu'on ait mérité par le pé-
ché de la souffrir. Il faut donc rapporter le
péché originel au troisième genre, où le pé-
ché est tout à la fois péché et peine du pé-
Lih.vu.io. ché. Si Lévi a payé la dîme étant encore
dans Abraham, son aïeul, lorsque Melchisé-
dech vint au-devant de ce patriarche, il s'est
pu faire aussi que nous ayons contracté une
dette originelle avant notre naissance. Adam
a été, nous avons tous été dans lui; Adam a
Cap. SI.V1.1, péri, et tous sont péris dans lui. Si vous me
dites qu'ils n'ont pas dû périr par un péché
étranger; je vous réponds qu'il était étran-
ger, mais paternel, et qu'il est devenu le nô-
tre par droit de propagation. »
C'est ce que saint Augustin confirme par <"jp. u
les témoignages de saint Cyprien, de saint
Hilaire, de saint Ambroise, de saint Basile,
de saint Grégoire de Nazianze et de saint
Chrysostôme. Il y ajoute celui de saint Re- cap. it.
tice d'Autun, pour montrer que les enfants
obtiennent dans le baptême la rémission de
raqcien crime, et qu'ils y sont renouvelés
en se dépouillant du vieil homme avec les
péchés de leur naissance.
4. Julien demandait comment Dieu , qui c-t- '■'
pardonne des péchés commis par la volonté,
impute aux enfants un péché étranger. Saint
Augustin répond que Dieu peut, sans injusti-
ce, punir sur les enfants les fautes de leurs
pères, comme on le voit dans l'Écriture ; que
si l'on appelle étranger le péché d'origine , ce
n'est que parce que notre libre arbitre n'y a
eu aucune part ; mais que si l'on fait atten-
tion à la souillure qu'il imprime, on peut
dire qu'il est propre à chacun ; qu'il ne doit
pas paraître plus surprenant que l'injustice
du premier homme soit imputée à ses descen-
dants, que devoir la justice du second Adam
leur être imputée' par le baptême, puisque
de part ni d'autre leur volonté n'y contribue
en rien. Il emploie, pour prouver le dogme '-=''■ "-^'^
du péché originel, ce raisonnement : «Si les
enfants ne sont pas délivrés de la puissance
des ténèbres, ils ne sont pas morts : s'ils ne
sont pas morts, Jésus-Christ n'est pas mort
pour eux. Or, selon l'Apôtre, un seul est mort ,.|' C"-
pour tous, donc tous sont morts. La conséquence
est invincible. D'où il suit que Jésus-Christ
étant mort pour les enfants, les enfants sont
donc morts. D'ailleurs, Jésus-Clirist n'étant
mort (jue pour vaincre celui qui avait l'em-
pire de la mort, c'est-à-dire le diable, il s'en-
suit encore que les enfants étant arrachés
à la puissance de cet ennemi, lui étaient
soumis auparavant. Julien se sentant pressé '^'f- ■•"
par cet endroit de l'Épître aux Romains, où
l'Apôtre dit: Malheureux que je suis l Qui me k»"'-'")
délivrera de ce corps de mort? croyait s'en dé-
barrasser, en disant qu'elles s'entendaient de
l'habitude du péché, sous le poids de laquelle
saint Paul gémissait, et qu'en cet .endroit il
parlait non en sa personne, mais en celle des
Juifs. Saint Augustin répond que, si l'Apôtre
eût parlé en la personne des Juifs, il n'eût
pas ajouté que ce serait la grâce de Dieu par Rom. u.
Jésus-Christ qui le délivrerait ; et que, par-
[iV ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
lant toujours au présent : Je fais le mal que je
ne veux pas, il montre assez qu'il n'est point
,ap. Liix. question du passé, mais du présent : car il
ne dit pas : J'ai fait, mais : Je fais. U montre
que les saints mêmes ne sont point exempts
du combat intérieur qu'il y a entre le corps
et l'esprit depuis le péché, mais que ce com-
bat n'aurait pas eu lieu dans le paradis des
saintes délices, si personne n'eût péché.
ijp.LMï. 5. Julien avançait que, du temps de saint
Atbanase, presque tout le monde entier avait
abandonné la foi des apôtres ; et que de six
cent cinquante évêques, à peine en trouva-
t-on sept qui persévérassent dans la foi de
la Trinité avec ce patriarche d'Alexandrie.
Saint Augustin ne s'explique point sur cet
article ; mais il remarque que les seuls péla-
giens donnaient le nom de traducéens aux
catholiques, au lieu que les pélagiens étaient
appelés de ce nom non-seulement par les ca-
tholiques, mais encore par tous les héréti-
ques : d'où il semble tirer la différence de la
vraie Église d'avec celle où Julien était enga-
jjp. Lxxs. gé. Cepélagien ne connaissait point d'autre
liberté que celle qui laisse dans la volonté au-
tant de liberté pour devenir bon, que pour
être méchant. C'est pourquoi il définissait le
libre arbitre, le pouvoir de faire le mal ou de
l'éviter, ajoutant que ce pouvoir est exempt
de toute nécessité capable de le contraindre,
Cap. Lix.\ir. (Je sorte cpi'il est parfaitement libre de choisir
celui des deux partis qui lui agrée davantage,
c'est-à-dire ou de s'élever vers ce qu'il y a de
plus sublime et déplus difficile dans la vertu,
ou de se plonger dans la fange de toutes les
voluptés. «Donc, répond saint Augustin, Dieu
11 Tiir.oih. n'est point libre, puisqu'il est dit de lui : Il
ne peut pas se contredire soi-même. Quant aux
hommes, aucun ne peut être libre du péché
que loi'sque le Fils de Dieu l'aura délivré. »
Cap.Lxxx I . Julien autorisait sa définition par l'exemple
des païens dont plusieurs n'avaient pu être
entraînés par le péché qu'autant qu'ils l'a-
vaient voulu. Mais ce Père fait voir que les
pélagiens ne reconnaissaient cette force dans
les païens qu'afin que l'on ne crût pas que
les actions de vertu dans les cbrétiens fus-
sent l'effet d'une grâce qui leur est particu-
lière, et avec laquelle les païens n'ont rien
Cap I..S.TOV. de commun. Puis il ajoute que la force que
les païens ont fait paraître, vient de la cupi-
dité, au lieu que celle des chrétiens vient de
joao viii, la, charité, k l'égard de ce qui est dit : Si le
Fils vous délivre, vous serez vraiment libres.
Julien l'expliquait de la rémission des pé-
ÉVEQUE D'HIPPONE.
541
chés. « Mais autre chose est, dit saint Au-
gustin, la rémission des péchés, et autre la
charité qui rend libre pour faire le bien. Jé-
sus-Christ nous délivre en ces deux maniè-
res, en ôtant notre iniquité par le pardon et
en nous donnant la charité. » Ce pélagien
ne pouvait comprendre que la volonté fût
captive et libre en même temps, et il taxait
de folie et d'impiété de soutenir la compati-
bilité de ces deux états. « Nous disons, lui
répond le saint Docteur, que ceux-là sont
libres pour faire des œuvres de piété, des-
quels l'Apôtre dit : Étant à présent affran-
chis du péché et devenus esclaves de Dieu, le fruit
que vous en tirez est votive sanctification, et la
fin sera la vie éternelle. » Il ajoute qu'il est
donc convenable que ceux qui font le péché
parce qu'ils en sont esclaves reçoivent la li-
berté, afin qu'ils cessent de pécher.
Comme Julien alléguait un grand nombre
de passages pour montrer que personne ne
peut être détourné de ce qu'il veut, ce Père
rapporte la conversion de saint Paul, qui
est une preuve du pouvoir que Dieu a de
détourner la volonté du mal dans l'instant
qu'elle s'y porte avec plus d'impétuosité.
Il soutient à Julien qu'aucun catholique
n'a jamais dit que le libre arbitre ait péri
par le péché du premier homme ; qu'il est
vrai que n'ayant plus depuis le péché la
liberté qui était dans le paradis , d'avoir
une pleine justice avec l'immortalié, la na-
ture humaine avait besoin de la grâce di-
vine, selon que le dit le Seigneur dans son
Evangile : Si le Fils vous délivre, alors vous
serez véritablement libres. Ensuite après avoir
rapporté ces paroles de l'Apôtre aux Ro-
mains : Lorsque vous étiez esclaves du péché,
vous étiez libres de la justice, il fait cette re-
marque : « Saint Paul dit des Romains, avant
leur conversion, qu'ils étaient alors libres de
la justice, et non pas délivrés; mais en par-
lant de l'état de la justice où ils étaient en-
trés en embrassant le christianisme, il ne dit
pas qu'ils étaient devenus libres du péché,
de peur qu'ils ne s'attribuassent ce change-
ment, mais parlant avec beaucoup de circons-
pection, il aime mieux dire qu'ils avaient été
délivrés ayant égard à la sentence du Sei-
gneur : Si le Fils vous délivre, vous serez vrai-
ment libres. Puis donc que les enfants des hom-
mes ne vivent pas bien, s'ils ne sont faits en-
fants de Dieu, pourquoi ce pélagien veut-il at-
tribuer au libre arbitre le pouvoir de bien vi-
vre ? Car cette puissance n'est donnée que par
Cap. LXXxVi
LSXXVl.
Cap.LXXXVlI
el xciii.
Cap. xciv.
Eom. VI, 20.
542
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
la grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Sei-
jom. .,12. gneur, selon la paiole de l'Évangile : A l'é-
gard de tous ceux qui l'ont reçu, il leur a
donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.
Or, si ce pouvoir n'est donné que de Dieu, il
ne peut venir du libre arbitre, parce que le
libre arbitre que le Libérateur n'aura' pas
délivi'é ne sera pas libre pour le bien. Mais
ce lui à qui le séducteur, soit ouvertement,
soit en secret, a insinué la délectation du mal,
ou qui se l'est persuadé à lui-même, a le
libre arbitre, libre dans le mal. Il n'est
doncpasvrai, comme quelques-uns nous im-
putent de le dire, et comme celui-ci ose
nous en accuser par écrit, que tous soient
contraints, par la nécessité de la chair, de
tomber malgré eux dans le péché; mais s'ils
sont déjà dans un âge où ils usent de leur
libre arbitre, c'est par leur volonté qu'ils
sont retenus dans le péché, et c'est par leur
volonté qu'ils se précipitent de péché en pé-
ché. Mais cette volonté, qui est hbre dans le
mal parce qu'elle trouve son plaisir dans le
mal, n'est pas libre dans le bien , parce
qu'elle n'est pas délivrée; et l'homme ne
peut rien vouloir de bien s'il n'est aidé par
celui qui ne peut vouloir le mal. Opélagien!
la charité veut le bien, et la charité vient de
Dieu, non pas par la lettre de la loi, mais
par l'esprit de la grâce. La lettre est un se-
cours aux prédestinés, en ce qu'elle avertit
les faibles de recourir à l'esprit de grâce,
leur commandant de le faire, mais ne les
aidant point pour cela. C'est ainsi qu'usent
légitimement de la loi ceux à qui elle est
bonne, c'est-à-dire utile, autrement la lettre
par elle-même tue, parce qu'en comman-
dant le bien et ne donnant pas la charité,
qui seule veut le bien, elle rend les hommes
coupables de prévarication. »
Cap. ïov. 6. Nous ne nions pas , disait Julien , que
Dieu n'aide la volonté, qui est bonne , par
une infinité de secours ; mais nous préten-
dons que l'opération de tous ces secours
ne va pas à fabriquer de nouveau une li-
berté qui serait détruite , et qu'il ne peut
pas arriver que presonne perde la liberté,
de manière à être nécessité à faire le bien
ou le mal. Nous voulons, au contraire,
que toute la grâce coopère avec le libre ar-
bitre. « Si elle ne prévient point la volonté
afin qu'elle la fasse agir, répond saint Au-
> gustin, et qu'elle ne coopère que lorsque
cette volonté existera, comment est-il vrai
Philip. 11, 13. de dire que Dieu opère en vous le vouloir
même ? Comment la volonté est-elle prépa- ^P">^- ^'
rée par le Seigneur ? Comment la charité est- ,| ^°"'- '
elle de Dieu , elle qui veut seule le bien qui
nous rend heureux? n Julien soutenait que le
péché d'Adam n'ayait rien changé dans l'état
de la nature. Saint Augustin répond qu'il cap. xcv,.
faut bien que l'état de notre nature soit
changé par le péché , puisque depuis nous
sommes nécessairement sujets à la mort ;
nécessité que le premier homme ne connais-
sait pas avant son péché. Aussi lorsque l'on
objecta à Pelage, dans le concile de Palestine,
d'enseigner que les enfants naissaient dans
le même état dans lequel Adam avait été
avant son péché, il nia qu'il l'eût dit, et con-
damna cette proposition. Il prouve ensuite cap. xcti
contre Julien que l'homme ne peut vouloir
le bien sans le secours de Dieu , et emploie
à cet effet ces passages de l'Écriture : Vous ne
pouvez rien faire sans moi. C'est le Seigneur
qui prépare la volonté. C'est Dieu qui opère
dans vous le vouloir. Le Seigneur dresse les pas
de l'homme. Julien prétendait que le pouvoir cap. -ct;
de faire le bien se trouvait même dans
l'homme avant la foi, ou avant qu'il ait reçu
le baptême , sans que sa volonté fût con-
trainte par aucune nature de pécher ; en
sorte que, dans le temps même qu'elle pèche,
elle a le pouvoir de s'éloigner du mal et de
faire le bien : Et c'est , ajoutait-il , ce que
nous disons pour soutenir la liberté. Il accu-
sait saint Augustin de penser comme Jovi-
nien qui enseignait qu 'un homme baptisé ne
pouvait pécher, et soutenir de plus qu'a-
vant le baptême c'est une nécessité à l'hom-
me de faire le mal. Ce Père , après avoir re-
jeté l'erreur de Jovinien , s'explique nette-
ment sur la liberté de l'homme , et dit que
dès l'instant qu'il commence à se servir de
son libre arbitre , il peut pécher ou ne pas
pécher ; mais qu'il ne fait pas l'une de ces
choses, s'il n'est aidé de celui qui dit : Vous jom. xv
ne pouvez rien faire saiis moi. A l'égard de
l'autre , il la fait par sa propre volonté , soit
qu'il y soit porté de lui-même, soit qu'il soit
séduit par un autre, ou qu'il soit assujetti au
péché comme un esclave. » Nous connais-
sons des hommes, ajoute-t-il, qui ont été
aidés de l'esprit de Dieu, même avant le bap-
tême, afin qu'ils voulussent les choses qui
sont de Dieu; comme Corneille, le cente-
nier, et d'autres qui, même après le baptême,
n'en ont point été aidés, comme Simon, le
magicien. »
Vous dites, insistait Julien, qu'il s'est for- cap. .icix
[ir ET V^ SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
■ap. c, c
net cjii.
' mé dans la nature du corps de l'homme
mie nécessité de pécher *, et vous allez jus-
qu'à ce point d'extravagance, d'avancer que
celui-là est hbre qui ne peut vouloir qu'une
chose ? Vous qui protestez que vous ne niez
pas le libre arbitre , ne le détruisez-vous
pas , en l'assujettissant premièrement à la
nécessité de vouloir le mal , puis à la néces-
sité de vouloir le bien ? Saint Augustin ré-
pond par l'exemple des saints anges et par
l'exemple de Dieu même , qui veulent le
bien nécessairement , quoique librement.
« Dieu n'a donc point, dit-il, de libre ar-
bitre , puisqu'il ne peut pas faire le mal ,
comme il ne peut se désavouer lui-même,
lui qui doit nous accorder pour souveraine
récompense de vivre dans un état où nous
ne pourrons plus pécher, étant égaux non
pas à Dieu même, mais à ses anges, aux-
quels nous devons croire, qutiprès la chute
du diable , Dieu a donné pour le salaire de
la bonne volonté qui les a fait demeurer
fermes dans le bien , qu'aucun d'eux ne pût
ensuite par son libre arbitre devenir un nou-
veau démon ? Vous nous direz apparemment
un jour que Dieu est opprimé par une cer-
taine nécessité, puisqu'il ne peut pécher, lui
qui ne peut ni vouloir pécher, ni vouloir
même le pouvoir. S'il faut donc appeler du
nom de nécessité celle par laquelle on dit
qu'il est nécessaire qu'une chose soit ou
qu'elle se fasse; c'est une nécessité sans
doute très-heureuse, lorsqu'il est nécessaire
de vivre heureusement, et que dans la même
vie il est nécessaire de ne point mourir, et
nécessaire aussi de ne point changer en pis.
Cette nécessité , s'il est juste de la nommer
ainsi , n'est pas un poids qui accable les
saints anges, mais plutôt un bien dont ils
jouissent ; et si nous ne la possédons pas en-
core dans la vie présente , nous espérons au
moins la posséder dans la vie future. Il est
S43
vrai, continue ce Père, qu'en punition du
péché l'homme a perdu la liberté qu'il avait
de ne pas pécher ^ et celui-là seul le dé-
livre d'un si grand mal à qui nous disons
non-seulement : liemettez-nous nos dettes;
mais aussi : Et ne nous livrez point à la tenta-
tion. Mais vous vous trompez lourdement, '^'f-
soit que vous croyez qu'il n'y ait aucune
nécessité de pécher , soit que vous ne com-
preniez pas que cette nécessité est la peine
de cet autre péché qui a été commis sans
aucune nécessité. Car pour ne rien dire de
la violence de ce mal qui se contracte par la
naissance, et que vous traitez d'imaginaire ,
dites-moi, je vous prie, ce que c'était que
souffrait celui qui, selon votre exphcation ,
était tellement accablé du poids de ses mau-
vaises habitudes, qu'il disait : Je ne fais pas le R™'
bien que je veux , et je fais le mal que je ne
veux pas. De plus , je crois que vous n'igno-
rez pas avec combien de peine et de travail
on apprend ce qu'il faut chercher et ce qu'il
faut éviter ; et ceux qui ne le savent pas, par
cela même qu'ils ignorent ce qu'ils doi-
vent aimer, et ce qu'ils doivent fuir, souf-
frent cette nécessité de pécher ; car il est
nécessaire que celui-là pèche, qui, ignorant
ce qu'il doit faire , fait ce qu'il ne doit pas
faire. C'est de ces péchés que David deman-
dait pardon à Dieu, quand il disait : Ne vous ,''=='•
souvenez point des pèches de ma jeunesse, ni de
mes ignorances. Or , si Dieu n'imputait pas
ces sortes de péchés , ce fidèle serviteur ne
l'aurait pas prié de les lui remettre. Il est ^^'P' =
nécessaire , ajoute-t-il encore , que celui-là
pèche qui ne connaît point la justice. Mais,
de ce qu'il ne la connaît pas , s'ensuit-il
qu'on ne doive pas lui pardonner les péchés
qu'il a commis par la nécessité de l'igno-
rance où il était ? Pourquoi ne croyez-vous
pas que le péché du premier homme, ce pé-
ché ineffable dans sa grandeur, ait eut pour
' Cette expression, nécessité de pécher, a besoin
d'explication ; les Pères qui l'emploient n'entendent
que ce qae nous appelons aujourd'hui volontaire
indirect. Ainsi, cette nécessité de pécher n'enlève
pas le libre arbitre, mais le diminue seulement;
elle procède souvent de l'ignorance et de l'infir-
mité de l'homme par suite de la concupiscence ;
quelquefois elle doit son accroissement à la mau-
vaise habitude. Quand les Pères disent que cette
nécessité de pécher est insurmontable, ils l'enten-
dent de la nécessité de naître avec le péché origi-
nel, avec la concupiscence, avec la mort. Ils l'ap-
pliquent aussi à la nécessité d'aimer, de désirer,
de rechercher la félicité; mais ils ne veulent point
parler des actes libres que fait l'homme (L'éditeur).
2 Pour saint Augustin la liberté n'est pas le libre
arbitre. Le libre arbitre est la faculté de vouloir le
bien ou le mal ; la volonté est l'acte par lequel on
veut ; la liberté est la condition de l'âme donnée
par Dieu, par laquelle sans aucun empêchement
extérieur ou intérieur l'homme veut toujours le
vrai et le souverain bien et même s'y délecte.
Dans le paradis Adam avait cette liberté avec la
parfaite justice et l'immortalité. Mais par son pé-
ché il l'a perdue; et, il est depuis dans la néces-
sité morale de pécher comme nous l'avons expli-
quée ci -dessus. Vid. Fesseler. Institut. Pair.
tom. II, pag. 375. (L'éditeur.)
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
le moins autant de force pour corrompre la
nature dans tous les hommes, que en a l'ha-
bitude , qui est comme une seconde nature ,
cap.ovii. par rapport à un seul homme « C'est Dieu ,
dit-il ensuite, qui nous délivre de la néces-
sité de pécher, non par le seul secours de la
loi qui nous fait connaître ses commande-
ments, mais par celui de la charité que le
Saint-Esprit répand dans nos cœurs, dont la
délectation, devenant plus puissante que
celle qui nous attache au péché, nous dé-
livre de cette nécessité malheureuse qui
nous eût été sans cela insurmontable, et dont
nous aurions toujours été les esclaves, selon
11 Poir. n, cette parole de saint Pierre : Quiconque est
"' vaincu , est esclave de celui qui l'a vaincu. »
Cap. cviT. Il fait voir à Julien que la grâce nous délivre
du péché en deux manières ; l'une en nous
accordant le pardon de nos péchés passés,
et l'autre en nous empêchant d'en commet-
tre de nouveaux. D'où vient que nous de-
mandons à Dieu qu'il ne nous livre point à
la tentation, et que nous le prions de nous
Maiiii. VI, empêcher de faire le mal. Il reiette sur le
13 Cl n Cor. , \ , , j -, .. j 1 > A - 1
xm, 7. pèche la réprobation de ceux que 1 Apôtre
appelle des vases d'ignominie , et même les
défauts naturels qui se trouvent souvent dans
Cap. cxivei les corps des hommes à lem' naissance. Et
parce que Julien voulait qu'on expliquât, se-
lon la diversité des volontés humaines , ce
que saint Paul dit d'un potier qui de la même
argile fait un vase destiné à des usages hono-
rables, et un autre destiné à des usages hon-
teux: « Écoulez , lui dit saint Augustin , les
Lib.iDePœ- pai'oles de saint Ambroise : Nous naissons
Tiit., cap. n. T ' T f • • ^
tous dans l état de pèche, notre origine même
étant vicieuse. C'est comme ce saint évêque,
avec ses condisciples dans l'école de Jésus-
Christ, a entendu ce que dit saint Paul , que
Rom. T, 12. le péché est entré dans le monde par un seul
homme, et par le péché la mort. Apprenez que
c'est à la suite de cela que la nature humaine
est cette masse d'où sont faits les uns et les
autres vases. Car si la solution de cette ques-
tion si difEcile à résoudre , était ce que vous
dites , qu'il ne faut point chercher d'autre
cause de ce que les uns sont vases d'hon-
neur, et les autres de déshonneur, que leurs
différents mérites , cela serait si aisé à com-
prendre que l'Apôtre n'y aurait point vu de
Rom. ix,:o. difficulté qui l'eût obligé de dire : 0 homme
qui êtes-vous pour disputer avec Dieu ? Mais ce
qui doit vous confondre , est que ce que dit
saint Paul de la même masse , et des diffé-
rents vases, et de la puissance du potier ,
n'a été qu'après avoir parlé de ces deux ju-
meaux dont Dieu avait aimé l'un et haï l'au-
tre, no7i par la considération de leurs œuvres,
mais selon la résolution qu'il avait prise pour
sa seule élection, n
Mais comment, objectait Julien , vous qui cap. cxxv
avez dit plus haut que la condamnation est
tombée sur tous les hommes , âvez-vous le
front d'alléguer ce passage, où il est dit que
les uns sont vases d'honneur , et les autres
de déshonneur? « C'est, répond saint Au-
gustin , que la grâce délivre de cette con-
damnation commune à toute la masse , tous
ceux qui en sont délivrés ; et vous êtes hé-
rétiques , parce que vous niez cette vérité.
Ainsi, par rapport à ce que mérite le péché
d'origine, tous par le péché d'un seul sont tom-
bés dans la condamnation; mais par rapport à
la grâce qui n'est pas donnée selonleurs mé-
rites, tous ceux qu'elle délivi'e de cette con-
damnation sont appelés vases de miséricorde.
Et quant à ceux qui n'en sont point délivrés,
la colère de Dieu demeure sur eux, par un
juste jugement qu'on ne doit pas blâmer,
parce qu'on ne le peut approfondir. »
7. Vous ne croyez point au Dieu qu'a pré- cap.csn
ché le Maître des nations, disait Julien : car
votre Dieu est un potier qui forme tous les
hommes pour la condamnation , et celui de
saint Paul en forme plusieurs pour la gloire.
(( Quand on dit, réplique saint Augustin, que
tous par un seul sont tombés dans la condam-
nation , cela s'entend de la masse , de la-
quelle le potier forme tant les vases d'hon-
neur â qui il fait grâce , que les vases de
déshonneur qu'il laisse dans la peine qui leur
est due , afin que les enfants de la grâce re-
connaissent que Dieu leur remet ce qu'il
aurait pu exiger d'eux, sans être injuste , et
qu'ils soient obligés par là à ne se glorifier
qu'en Notre-Seigneur et non en eux-mêmes.
Si votre Dieu , ajoute-t-il , en s'adressant à cap. cx.^
Julien, ne forme point de vases de déshonneur,
il n'est pas le Dieu que l'apôtre saint Paul a
prêché ; car cet Apôtre nous dit, en parlant
du vrai Dieu : 0 homme , qui êtes-vous pour Rom. a
disputer avec Dieu ? Est-ce au vase de terre à
dire à celui qui l'a fait : Pourquoi m'avez fait
ainsi ? Le potier ne peut-il pas d'une même ar-
gile faire un vase d'honneur et un vase de déshon-
rîeîw? Mais vous, merveilleux ouvrier, vous
vous êtes fabriqué dans la boutique de Pelage
un nouveau dieu beaucoup meilleur que ce-
lui-là qui ne forme point de vases de déshon-
neur. » Les vases dont paiie saint Paul, disait
[rye ET Y sitcLES.] SAJNT AUGUSTIN,
ce pélagien, sont préparés par leurs propres
œuvres ou à la colère ou à la gloire. Ainsi
ce passage ne peut vous servir de rien. Et,
pour le prouver, il alléguait ces paroles du
même Apôtre : Si quelqu'un se purifie lui-
même de ces choses, il sera un vase d'honneur
sanctifié. Saint Augustin répond en cette ma-
nière : « Vous ne comprenez pas qu'il est
dit : Si quelqu'un se purifie, pour faire voir que
c'est par la volonté que l'homme se'purifie.
Mais, ô ingrat, c'est le Seigneur qui prépare
la volonté. Ainsi il est vrai , et que c'est
Dieu qui prépare les vases pour la gloire,
et que les vases se préparent eux-mêmes.
Car Dieu le fait afin que l'homme le fasse,
comme il aime le premier, afin que l'homme
l'aime. Lisez le prophète Ézéchiel, vous y
verrez ces paroles, que Dieu fait que ceux
qui ont part à la miséricorde , accomplis-
sent ses commandements. » Ensuite il op-
pose à Julien ce que dit saint Ambroise :
Dieu appelle ceux qu'il daigne appeler , et il
rend pieux et dévots ceux qu'il lui plaît.
C'est ce que ce saint avait reconnu dans la
vérité des Écritures. Mais c'est un jugement
caché de ce que Dieu fait cette grâce aux
uns et non pas aux autres. De là vient que
ce n'est pas un homme , mais l'Esprit de
Dieu qui dit à l'homme : 0 homme, qui êtes-
vous pour disputer avec Dieu ? Est-ce au vase
de terre de dire à celui qui l'a fait, pourquoi
m'avez-vous fait ainsi ? etc. Laissez-là les
nuages dont vous croyiez pouvoir offusquer
la lumière de ces paroles. Elles nous ap-
prennent que les jugements de Dieu sont
couverts à notre égard d'une obscurité im-
pénétrable; mais elles sont si claires en
elles-mêmes , que la noirceur de vos fausses
explications ne les saurait obscurcir.
Pour rendre inutiles tous les efforts que
Julien avait faits, afin d'en détourner le vrai
sens, saint Augustin marque toute la suite
du discours de saint Paul. « Le dessein de
cet Apôtre était de montrer, que Dieu peut
faire tout ce qu'il promet. Ce qui est le
grand fondement de la grâce dont les péla-
giens étaient ennemis. Saint Paul ayant
donc ce dessein, voici ce qu'il dit : Ce n'est
pas néanmoins que la parole de Dieu soit de-
meurée vaine et sans effet ; car tous ceux qui
descendent d'Israël ne sont pas vrais Israélites,
ni tous ceux qui sont nés d'Abraham ne sont
pas pour cela ses vrais enfants. Mais Dieu lui
dit : Ce sera Isaac qui sera appelé votre fils ;
c'est-à-dire que ceux qui sont enfants d'Abra-
IX.
EVEQUE D'HIPPONE.
S4S
ham selon la chair, ne sont pas pour cela en-
fants de Dieu ; mais que ce sont les enfants de
la promesse qui sont réputés être les enfants
d'Abraham. Car voici les termes de la pro-
messe que Dieu fit à Abraham : Je viendrai
dans un an en ce même temps, et Sai^a aura
un fils. Remai'quez Lien ces termes, enfants
de la promesse, et concluez-en que c'est Dieu
qui les fait tels par sa grâce : parce qu'il
peut faire ce qu'il a promis. Et cela, conti-
nue saint Paul, ne se voit pas seulement dans
Sara, mais aussi dans Rébecca qui conçut en
même temps deux enfants d'Isaac notice père.
Car avant qu'ils fussent nés, et avant qu'ils
eussent fait aucun bien ni aucun mal, afin que
le décret de Dieu demeurât ferme selon son
élection, non à cause de leurs œuvres, mais à
cause de celui qui appelle, il lui fut dit : L'aî-
né sera assujetti au plus jeune. Remarquez
encore cette élection qui n'est point par la
considération des œuvres, laquelle a été de-
puis marquée par un prophète dont saint
Paul allègue le témoignage- en disant : Selon Mauch, 1,2,
qu'il est écrit: J'ai aimé Jacob et j'ai haï E sait.
Mais comme il naît de là une difficulté qui
pouvait troubler ceux qui ne sont pas ins-
truits du mystère de la grâce : l'Apôtre se la
propose à lui-même en ces termes : Que Rom. «, n.
dirons-nous ? Est-ce qu'il y a en Dieu de l'in-
justice! Dieu nous garde de cette pensée. Et
pour nous apprendre de quelle sorte nous
devons nous garder de cette pensée, il
ajoute : Car il a dit à Moïse, j'e ferai miséri-
corde à qui il me plaira de faire miséricorde,
et j'aurai pitié de qui il me plaira d'avoir
pitié. Cela ne dépend donc ni de celui qui
veut, ni de celui qui court, mais de celui qui
fait miséricorde. Ce n'est donc point parce
que Jacob a voulu et a couru que Dieu lui a
fait miséricorde. Mais c'est , parce que Dieu
lui a fait miséricorde, qu'il a voulu et qu'il
a couru. C'est pourquoi il est dit dans un
endroit, que le Seigneur prépare la volonté ;
et en un autre, que le Seigneur dresse les
pas de l'homme, et que l'homme veut bien
marcher dans sa voie. Mais parce que c'avait
été dans la vue de Jacob que l'Apôtre avait
dit, que cela ne dépendait ni de celui qui veut,
ni de celui .qui court, mais de Dieu qui fait
miséricorde ; il ajoute l'exemple de Pharaon,
qui répond à ce qu'il avait dit d'Ésaii que
Dieu l'avait haï : C'est pourquoi il dit à Kom.w, n,
Pharaon dans l'Ecriture : C'est pour cela ([ue
je vous ai établi pour faire éclater en vous
ma toute-puissance, et pour rendre mon nom
33
li.id. le et
10.
Piûv. vriT.
Psal. VI, 23.
346
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
célèbre par toute la terre. D'où il tire cette
nom .X, is. conclusion qui revient à l'autre : // est donc
vrai qu'il fait miséricorde à qui il lui plaît,
et qu'il endurcit qui il lui plait. Mais il fait
miséricorde par grâce, en donnant gratuite-
ment ce qu'on ne mérite point ; et il endur-
cit par un jugement qui est tel que ceux
envers qui Dieu l'exerce, ne sont traités que
comme ils le méritent. Car c'est une pure
grâce de faire d'une masse condamnée un
vase de miséricorde, et c'est un juste juge-
ment d'eu faire un vase de déshonneur. »
Le saint Docteur représente ensuite ce
que peuvent dire ceux à qui cette conduite
ibid. f9. déplaît, ce qu'il fait en ces termes : « Après
cela pourquoi se plaint-il des méchants ? Car
qui est-ce qui résiste à sa volonté? Et voici ce
ib;ci. 2). qu'il dit pour réprimer leur audace : 3Iais, ô
homme, qui êtes-vous pour contester avec Dieu?
Jugez vous-mêmes si cela n'est pas confor-
me à ce qu'il avait dit auparavant , et si cela
ne ruine pas entièrement ce que vous vous
imaginez , vous qui prétendez qu'il n'y a
point d'autre cause de la différente condi-
tion de ces vases que les différents mérites
des volontés humaines; ce qui est directe-
ment contraire à ce qu'il avait dit aupara-
ibid. 11. ravant : Avant qu'ils fussent nés, et avant qu'ils
n'eussent fait aucun bien ni aucun mal, afin
que le décret de Dieu demeurât ferme selon son
élection, non à cause des œuvres, mais à cause
de celui qui appelle ; il avait été dit à la mère
que l'aîné serait assujetti au p)lus jeune; comme
ibid. 10. aussi à ce qu'il avait ajouté : Cela donc ne
dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui
court, mais de celui qui fait miséricorde. Mais
si ce que vous dites, conformément à votre
hérésie touchant le potier, est si opposé à
ce que saint Paul avait dit auparavant, il ne
l'est pas moins à ce qui suit. Car, ce qu'il dit
des vases de colère qui sont préparés pour la
perdition, serait injuste, s'ils n'étaient faits
lud. 22 0123. d'une masse condamnée, ^o?« par un seul
étant tombés dans la condamnation. Et ceux
qu'il a préparés à la gloire sont appelés des
vases de miséricorde, par ce que c'est l'effet
d'une miséricorde toute gratuite, et qui n'est
due en aucune sorte , de préparer à la
gloire des vases formés d'une masse con-
damnée. »
Saint Augustin montre ensuite que ce que
dit saint Paul, touchant la prédestination et
la réprohation, doit s'entendre également
des gentils comme des Juifs : ce qui paraît
en ce que cet apôtre allègue des témoigna-
ges tirés des Prophètes qui parlent des uns
et des autres.
8. Il se propose dans le second livre de Ana'jfe
A ^ , secoua 11
montrer que ces paroles de la même Epître i^s- sii'-
aux Romains : Le péché est entré dans le
monde pjar un seul homme, et la mort pjar le
péché ; ainsi la mort est passée dans tous les
hommes, tous ayant péché dans un seul, doi-
vent s'entendre du péché d'Adam, qui passe
par la génération dans tous ses descendants.
C'est dans le même sens qu'il les avait ex-
pliquées dans le chapitre vingt-septième de
son second livre des Noces et de la concupis-
cence. Mais Julien prétendait qu'elles ne si-
gnifiaient pas autre chose, sinon que tous
les hommes avaient péché à l'imitation du
premier. Pour appuyer son sentiment , il cap. i.
disait que s'il fallait les entendre d'un pé-
ché transmis par la génération, l'Apôtre au-
rait dû dire par deux Imnmes, parce que la
génération ne peut avoir lieu sans l'union
des deux sexes. Saint Augustin rétorque
contre lui cet argument, en disant que si
saint Paul avait parlé d'un péché par imita-
tion, il aurait dû dire qu'il est entré dans le
monde par deux hommes, puisqu'Ève a pé-
ché comme Adam et qu'elle s'est laissée sé-
duire la première. Ensuite il fait voir que
l'Apôtre a eu raison de s'exprimer comme
il l'a fait, parce que c'est de l'homme et non
pas de la femme que la génération prend
son commencement. (( La mort, ajoute-t-il, cap. lx
est une peine; comment donc tous les hom-
mes y seraient-ils assujettis, s'ils n'étaient pas
tous coupables? Serait-il juste que le supplice
d'Adam passât à tous ses descendants, s'ils
ne participaient point à son crime ? Il est dit
que c'est dans lui que tous ont péché : ce
qui dissipe toutes les ténèbres dont on s'ef-
force de couvrir le texte de l'Apôtre. »
Julien entendait par ce mot tous, la mul- cip. i.s
titude et non pas l'universalité des hommes,
disant que l'Écriture avait coutume de par-
ler ainsi. C'est ce que saint Augustin réfute
en cette manière : « Tous ont péché en celui
dans -lequel tous meurent. Or, si les enfants
ne meurent pas dans Adam, ils ne seront
certainement pas vivifiés en Jésus-Christ ;
mais parce que de même que tous meurent en i cor.
Adam, tous revivront aussi en Jésus-Christ ;
il suit de là qtie la vérité des paroles de
l'Apôtre subsiste et qu'elles renversent l'hé-
résie pélagienne. »
Selon Julien, cette autre parole de l'A- coi). u
'pôti'e, le péché a été dans le monde Jusqu'à la
[lY« ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
547
Cap. L\A|V,
Gen,
loi, signifiait que la loi avait détruit le pé-
ché. (! S'il en est ainsi, répond saint Augus-
tin, et si l'on avait la Justice par la loi, c'est
donc en vain que Jésus-Christ est mort. Et
Rom. V, 20. celui-là a menti qui a dit : La loi est surve-
nue pour donner lieu à l'abondance du péché. »
Cap. L.txiii. Ce Père avait avancé, comme un principe,
que la loi donnait seulement la connaissance
du péché. Sm* quoi Julien lui dit : Mon-
trez-moi que cette même loi ait fait connaî-
tre le péché originel? « Cela est aisé, répond
le saint Docteur, si voulez ouvrir les yeux.
La circoncision de la chair était commandée
par la loi comme une figure de la rémission
du péché originel par Jésus-Christ, auteur
de la régénération. Car tout homme naît
avec le prépuce, comme avec le péché ori-
ginel ; et de même qu'un homme circoncis
engendi'e un enfant qui ne l'est pas, un bap-
tisé engendi'e un enfant coupable du péché
originel, quoique lui-même en ait été absous.
pssi.L, 7. Enfin on lit dans les Psaumes : J'ai été conçu
dans les iniquités, et ma mère, loi'sque j'étais
dans son sein, m'a nourri dans le péché. Or, la
circoncision avait été donnée pour le péché
originel, comme on le voit par la menace de
Dieu défaire périr de son peuple l'ùme de l'en-
fant qui n'aurait pas été circoncis au huitième
jour. Car pourquoi cet enfant subirait-il cette
peine, s'il n'était coupable d'aucun péché
d'origine, n'en ayant point de propre? Il ne
serait pas non plus de l'équité de Dieu d'im-
poser aux enfants dès leur naissance le
joug pesant auquel ils sont sujets, s'ils n'é-
taient coupables d'aucun ci'ime. On en voit
quelques-uns obsédés du démon. Puis donc
que Dieu ne permet pas que personne souf-
fre aucun mal sans l'avoir mérité; quelle
cause peut-on trouver de la punition de cet
enfant, autre que le péché originel? »
9. Si Adam, disait Julien, outre le péché
qu'il a commis par sa volonté, a renversé
l'état de notre nature ; rien n'était plus né-
cessaire que Jésus-Christ réparât ces débris
causés par le premier homme, et qu'il fit
celte réparation de la même manière qu'A-
dam a causé la ruine , c'est-à-dire que les
baptisés ne fussent plus sujets aux mouve-
ments de la concupiscence, et que le libre
arbitre leur fût rendu, en sorte qu'il leur fût
aussi possible de briller par l'éclat des ver-
tus, que de se souiller par l'ordure des vi-
ces. Saint Augustin répond que Jésus-Christ
a réparé notre nature, mais non pas en la
manière que le voulait Julien; que les fem-
Caf. c.
mes quoique baptisées ne laissent ,pas d'être
assujetties aux douleurs de l'enfantement ,
qu'on ne peut nier être une peine du pé-
ché de la première femme ; que si les bap-
tisés ne sont pas aussitôt délivrés de tous les
maux de cette vie, quoiqu'ils aient obtenu
la rémission de leurs péchés, c'est que cela
est nécessaire pour nourrir leur foi et exer-
cer leur vertu ; que si Dieu permet qu'ils
soient assujettis aux mouvements de la con-
cupiscence. Dieu leur donne sa grâce pour
les combattre; que si quelquefois l'homme
fidèle est vaincu véniellement dans ce com-
bat, sa faute lui est remise dans la prière ;
mais que s'il tombe mortellement , Dieu lui
en accorde le pardon s'il s'en humilie dans la
pénitence. Julien objectait : Le péché d'A-
dam nous a assujettis à deux morts, l'une
temporelle et l'autre éternelle ; la grâce de
Jésus-Christ ne nous délivre que de la der-
nière. EUe n'est donc pas aussi puissante
en bien que la faute d'Adam l'a été en mal.
Saint Augustin répond que par la seule ré-
surrection des bienheureux, ces deux morts
sont détruites. D'où il suit que ceux qui sont
régénérés en Jésus-Christ, et qui sortent de
ce monde étant du nombre des élus, en re-
çoivent plus de grâces que le péché ne leur
a nui. Il prouve que si le mérite et le démé- (-"r- ='■
rite de chacun venait de la propre volonté,
on ne pourrait dii'e pom' quelle raison Jésus-
Clu'ist accorde le royaume de Dieu aux en-
fants qui n'ont ni mérité, ni démérité par
leur propre volonté. Et pour couper court à
une question que ce pélagien avait déjà faite
plusiem-s fois sur la manière dont les en-
fants se trouvent coupables du péché origi-
nel, si c'est par leur volonté, ou par leurs
parents, ou par la génération qui leur est
transmise, il lui répète ce passage de l'A-
pôtre : C'est par le péché d'un seul que tous
les hommes sont tombés dans la damnation, (dl
n'est pas bon, ajoute-t-il , de s'élever contre
le sentiment de l'Apôtre pour en soutenir
un hérétique. Pourquoi demandez-vous un
nouvel examen de vos dogmes , puisqu'il a
déjà été fait devant la Chaire apostolique, et
dans le concile de Palestine, où Pelage, au-
teur de votre erreur, aurait sans doute été
condamné, s'il n'avait condamné lui-même
les dogmes que vous défendez? Cette héré-
sie condamnée par les évêques ne demande
donc plus un nouvel examen, mais elle doit
être réprimée par les puissances chrétien-
nes, n
C:tp. t
Iloin. '
548
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
r.ap.ov. Le saint Docteur établit ensuite la vérité
iu:n. V, r. (Je ces paroles de l'Apôtre : Il n'en est pas
du don de la grâce comme du péché :car, par le
jugement de Dieu, nous avons été condamnés
pour un seul péché, au lieu que nous sommes
justifiés par la grâce après plusieurs péchés ;
montrant que la grâce efface non-seule-
ment le péché avec lequel nous naissons,
mais tons ceux encore que nous avons ajou-
tés à ce péché d'origine par notre pro-
L-ur.cvi. pre volonté. Il prouve contre Julien que la
liberté aussi a été blessée par le péché ,
puisque ceux, à qui cette liberté n'a pas
été rendue par la grâce, pèchent plus sou-
ci., c-.ii. vent. Il lui fait sentir qu'il y aurait de
la folie à soutenir que le péché d'Adam
ne nous a blessés, que parce que nous l'a-
vons imité , puisqu'un grand nombre de pé-
cheurs n'ont pas eu la même comiaissance
de ce péché. D'où vient que Pelage aurait
été condamné, s'il n'avait dit anathème à
ceux qui enseignent que le péché d'Adam
n'a blessé que lui seul.
Cil, csh:. 10. Les pélagiens avaient imaginé deux
félicités éternelles, l'une au dedans du royau-
me de Dieu, l'autre au dehors. C'était dans
celle-ci qu'ils mettaient les enfants morts
sans baptême ; en quoi ils ne se soutenaient
pas. Car puisqu'ils ne les croyaient pas cou-
pables du péché originel, il y avait une in-
justice manifeste à priver du royaume de
Dieu des images de Dieu qui n'avaient mé-
rité par aucun péché d'en être privées. Il n'y
avait pas moyen non plus de leur donner
place dans le royaume de Dieu, à cause que
l'Écriture en exclut tous ceux qui ne sont
joan. m, u. point régénérés de l'eau et de l'esprit. Il est
Cip. c.<v. écrit, disait Julien, que nous sommes justifiés
Rom.T, iG. par la grâce après plusieurs p)échés. Cette justi-
fication ne regarde donc pas les enfants qui
sont présentés au baptême, puisqu'ils n'ont
tout au plus que le péché originel. Ce raison-
nement, comme le fait voir saint Augustin,
tendait à exclm'e de la grâce de Jésus-Christ,
non-seulement les enfants, mais ceux-là en-
core d'entre les adultes qui n'ont commis
que peu de péchés; ce qui suffisait pour en
faire sentir tout le ridicule. «Le sens de l'A-
pôtre est donc, dit saint Augustin, que tous
ceux qui sont justifiés , le sont par la grâce
de Jésus-Christ, soit qu'ils obtienuent par lui
la rémission de plusieurs péchés , soit qu'ils
n'en obtiennent que de peu, ou même d'un
cnp. cxv.i. seul; c'est-à-dire du péché originel. Toute
rÉgfise de Jésus-Christ s'accorde à enseiguer
que les enfants morts sans baptême sont
damnés. Ce qui ne pou"rait être, s'ils n'é-
taient coupables de péché, étant contre la
justice de Dieu (jue quelqu'un soit puni de
lui sans l'avoir mérité. Il ne serait pas juste
non plus , s'ils étaient innocents , de n'être
pas admis dans le royaume de Dieu, ni entre
les vases d'honneur, pour n'avoir pas reçu le
baptême, en ayant été privés, sans qu'il y eût
de leur faute , et quelquefois même de celle
de leurs parents. »
Saint Augustin s'étend beaucoup à mon- car., cxvi
trer par le joug pesant dont les enfants sont
accablés dès leur naissance, et par les exor-
cismes usités dans le baptême, qu'ils nais-
sent avec le péché. Si toutes choses demeu- c.,
rent dans le même ordre dans lequel elles
ont été créées (c'est une objection de Julien),
notre volonté par le moyen des exhorta-
tions, des miracles, des exemples, de la pro-
messe des récompenses, de la menace des
peines, est attirée et conviée à croire sans
qu'on lui impose aucune nécessité; et si
Dieu la guérit par ses ordonnances, par ses
mystères, par ses dons, non pas en l'oppri-
mant, mais en l'attendant, en la sollicitant,
en lui taisant l'usage de sa liberté, il est évi-
dent que ce n'est pas notre naissance, mais
notre volonté qui a été souillée par une imi-
tation malheureuse du péché. « Vous avez
beau faire, lui répond saint Augustin, vous
n'exempterez jamais les enfants du péché
originel, à moins de nier qu'ils sont morts ;
que, si vous le faites, il faudra nier aussi que
Jésus-Christ soit mort pour eux. Si au con-
traire vous avouez qu'ils sont morts, vous
ne pourrez nier que ce ne soit en Adam. Ou
si ce n'est pas en Adam, dites-nous en qui?»
Le saint Évêque prouve par la promesse
faite à Abraham, et par la manière dont elle
fut exécutée, que la grâce est l'eflet d'une
volonté de Dieu toute puissante , et non du
libre arbitre comme le prétendait Julien.
<( Dites-nous, ô hommes vains, qui ne dé- cap. cur.
fendez pas le libre arbitre, mais qui l'enflez
de vanité, dites-nous s'il se pouvait faire,
que la promesse que Dieu avait faite à Abra-
ham fût vaine et infructueuse, les nations
dont il lui avait promis la foi, ne voulant pas
croire, ni vivre selon les règles de la justice
de Dieu? Vous me répondi'ez que non. Re-
connaissez donc, qu'afin qu'Abraham reçût
pour récompense de sa foi une nombreuse
postérité, le Seigneur a préparé la volonté
des nations, afin qu'elles voulussent ce
[IV" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
qu'elles pouvaient ne pas vouloir; et que
cela a été fait par celui qui a le pouvoir de
cLvin. faire ce qu'il a promis. » Il montre aussi
que si l'homme, comme le disait Julien, pou-
vait faire ses mœurs bonnes. Dieu par sa
prescience aurait dû prédire ce changement,
et non pas le promettre, et qu'ainsi l'Apôtre
Boni. Ti-, 21. au lieu de dire : // est tout-puissant pour faire
ce qu'il a promis, aurait dû dire : Il est
tout-puissant pour annoncer et prédire ce
qu'il a prévu. Mais lorsque les hommes di-
sent : Nous faisons ce que Dieu a promis , ils
se font, par leur vanité, plus puissants que
Dieu, et ils font par leur arrogance Dieu
menteur. Il prie Julien de faire attention à
quelle grâce il s'opposait, en niant que Dieu
opérât dans l'âme des hommes la volonté ;
non afin qu'ils croient en ne voulant pas, ce
qui serait absurde; mais afin qu'ils veuil-
lent, de non-voulants qu'ils étaient. Car
Dieu n'agit pas comme un maître qui ensei-
gne, qui exhorte, qui menace et promet au
nom de Dieu. Toutes ces choses seraient
vaines, si Dieu n'opérait intérieurement le
vouloir même, d'une manière qui ne nous
oLvii. est pas connue. Car lorsque le maître par
ses paroles plante et arrose, il est douteux
si l'auditeur croira ; mais lorsque Dieu donne
l'accroissement, il croit indubitablement et
profite. Voilà la différence qu'il y a entre la
loi et la promesse, entre la lettre et l'esprit.
cLvii., Il soutient qu'il est de la foi de croire que
■".3. Dieu opère en nous le vouloir même, et
donne pour exemple ce que nous lisons de
la conversion d'une marchande de pourpre
dans les Actes des apôtres, où il est dit, que
■i-i.u. le Seigneur lui ouvrit le cœur pour lui faire
entendre ce que Paul disait.
:i-xT. 11. Les pélagiens faisaient consister la
justification dans le pardon seul des péchés.
Mais saint Augustin soutient que Dieu justi-
fie l'impie, non-seulement en lui remettant
ses péchés, mais encore en lui donnant la
charité, afin qu'il s'éloigne du mal, et qu'il
fasse le bien parle Saint-Esprit, dont l'Apô-
tre souhaitait le secours continuel à ceux pour
r.xMi, lesquels il disait : Ce que nous demandons à
Dieu, est que vous ne commettiez aucun mal.
LX'vi, En sorte, qu'il est vrai de dire que de ne
point pécher est un don de Dieu, et non pas
une récompense de nos mérites précédents.
Il ne nous est pas même permis, suivant la
philosophie chrétienne, de tirer vanité de
nos soutfi-ances et de nos tribulations, parce
que c'est un don de Dieu. Julien, pour ex-
Rom, v, 12.
dure les enfants du nombre de ceux en qui
l'Apôtre dit que la mort est passée, fait remar-
quer qu'il ajoute aussitôt : Dans lequel tous
ont péché, comme s'il voulait marquer qu'il
n'y a que ceux qui ont péché par leur pro-
pre volonté, en qui la mort soit passée. Sur cap.cuxiv.
quoi saint Augustin lui dit que les enfants ne
seraient pas vivifiés en Jésus-Christ s'ils n'é-
taient morts en Adam. Le terme tous, disait
ce pélagien, se prend en divers endroits de .
l'Écriture -çowv plusieurs. Saint Augustin en
convient. « Mais, lui dit-il, défaites-vous, si
vous pouvez , de celui où il est écrit qu'an
seul est mort pour tous, et voyez si vous ose-
rez dire que tous ceux-là ne sont pas morts
pour lesquels Jésus-Christ . est mort, puis-
qu'aussitôt l'Apôtre vous coupe la parole et
impose silence à votre audace et à votre té-
mérité, en montrant parla conséquence qu'il
en tire en ces termes : Donc tous sont morts , '■'"• '^■'■^^''•
que tous ceux-là sont morts pour lesquels
Jésus-Christ est mort. Les petits enfants sont
de ce nombre, parce que Jésus-Christ est
mort pour eux, lequel n'est mort pour tous,
que parce que tous sont morts. Quelques ar-
guments que vous opposiez, quelques efforts
que vous fassiez pour détruire la vérité de
ces paroles de l'Apôtre : En qui tous ont péché,
vous ne sauiiez montrer que les enfants ne
soient morts de la mort du péché , puisque
vous n'osez pas nier que Jésus-Christ ne soit
mort pour eux. » Il donne pour exemple de cip.cLsxvn.
la transmission du péché originel, celle qui
se fait souvent d'une maladie, comme de la
goutte, du père aux enfants. Mais parce que
Julien prétendait que le dogme du péché
originel ne se pouvait soutenir, à moins
qu'on n'accordât que l'âme se transmet
comme le corps, saint Augustin, sans se dé-
clarer sur l'origine de l'âme dont il doutait
encore, fait voir que cela n'est pas néces-
saire, et qu'en quelque manière que les
hommes naissent d'Adam , ils ont tous été
un en lui lorsqu'il a péché. Il prouve cou- cap.ci,MiTi.
tre ce pélagien, qui ne voulait pas reconnaî-
tre que la mort corporelle fût une peine du
péché, que si elle était une suite de la na-
ture, la nature ne la craindrait pas, et qu'elle
s'y laisserait aller comme au sommeil, ce
qui est contre l'expérience ordinaire.
12. C'était encore un subterfuge des pela- cap.cMtvMi.
giens, de dire que Jésus-Christ était mort
seulement pour mériter aux hommes la
grâce à'a.ccom^\ïr plus facilement la loi. Saint
Augustin, après les avoir réfutés par ces ter-
530
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Goi, II, 21. j-Qes de l'Apôtre : Si la justice s'acquiert par
la loi, Jésus-Christ donc sera mort en vain, s'é-
lève contre eux avec force, en leur disant :
« C'est la parole de l'Apôtre et non pas la
mienne. Maintenant, ennemis de la croix de
Jésus-Christ, décoixvrez-vous. Pourquoi crai-
gnez-vous le peuple infini qui adore Jésus-
Cbrist, et ne craignez-vous pas plutôt le ter-
rible jugement de Jésus-Christ ? Dites ouver-
tement : Oui, nous pouvons être justes parla
nature, nous pouvons l'être par la loi; Jésus-
Christ est mort en vain. Mais vous craignez
le peuple chrétien, et vous placez ici un mot
pélagien, car lorsqu'on vous demande pour-
quoi Jésus-Christ est-il mort, si c'est la nature
ou la loi qui nous fait justes, vous répondez
qu'il est mort afin que nous puissions devenir
justes jjïus facilement, comme si l'on pouvait
le devenir, mais plus difficilement, soit par
la nature, soit par la loi. Mais, ô Christ, ré-
pondez, triomphez et'convainquez ces impies !
joan. XV, b. Criez à haute voix : Vous ne pouvez rien faire
sans moi, afin que ceux qui crient : Nous pou-
vons agir sans vous, mais plus difficilement,
soient réduits à se taire, ou s'ils ne peuvent
se taire, qu'ils soient contraints de s'aller ca-
cher dans des antres retirés où ils ne puis-
sent séduire personne. »
cap.ccxviii. Il reproche à Julien son impudence qui
était telle qu'il ne feignait pas de soutenir
que la concupiscence, cette passion rebelle,
avait eu lieu au milieu de la paix et des dé-
Cnp. ccvx. lices du paradis terrestre. Et pour l'instruire
des desseins que Dieu avait eus eu donnant
la loi aux hommes : « Considérez, lui dit-il.
Gai. 111,1. ce que dit l'Apôtre : Si la loi qui a été don-
née, avait pu donner la vie, on pourrait dire
alors avec vérité que la justice viendrait de la
loi. Mais le même apôtre remarque, que la
loi écrite a comme renfermé tous les hommes
sous le péché, afin que ce que Dieu avait promis
fût donné par la foi en Jésus-Christ à tous
ceux qui croiraient en lui. Voilà que la été le
dessein de Dieu en donnant la loi. Or, qui
ignore que ce n'est point par le défaut de
la loi, mais par celui des hommes, que la
icor.xv,6c. loi étant survenue, le péché a abondé? Mais
cette corruption qui fait trouver du plaisir à
ce qui est défendu, par où il arrive que la
loi est la force du péché, est guérie, non par
la lettre, mais par l'esprit qui vivifie; la loi
néanmoins a été utile en ce point, que don-
nant la mort par la prévarication, parce que
la défense qu'elle faisait de pécher n'en irri-
tait que davantage la concupiscence, elle a
donné lieu de recourir à l'esprit qui donne
la vie, et a obligé l'homme, qui se confiait
mortellement dans sa propre force, d'implo-
rer le secours de Dieu. Car, quoique la loi
fût sainte, juste et bonne, cela n'empêchait
pas que l'homme ne succombât sous le
poids de la concupiscence , et il n'en était
pas moins dans l'impuissance de faire par
lui-même ce que la loi commmandait de
saint, de juste et de bon. »
Saint Augustin semble clouter que les ce- cap.ccxwT
rémonies usitées dans le baptême, et en
particulier le renoncement que les parrains
faisaient au péché au nom de l'enfant, fus-
sent pratiquées chez les pélagiens, à qui il
reproche, comme il avait déjà fait souvent
ailleurs que, combattant les catholiques sous
prétexte de détester l'hérésie des mani-
chéens, ils donnaient à cette hérésie de nou-
velles armes par leurs nouvelles maximes.
11 les conjure de s'abstenir à l'avenir de cap.ccxxx-
louer, comme ils le faisaient, les enfants,
donnant à entendre qu'ils n'étaient coupa-
bles d'aucun péché ; et de les laisser venir à
Jésus-Christ leur libérateur, afin que le se-
cond Adam guérisse la misérable nature que
le premier a viciée.
13. Ce saint Docteur montre, dans le troi- Analyse c
*\ T T T 1 T (roiSiùiiie 1
sième livre, que Julien, pour combattre la "c.pag.ios
doctrine du péché originel, alléguait en vain
les endroits de l'Écriture, où il est dit que pi^xie™
les enfants ne porteront point la peine due ivHej.xi
aux péchés de leurs pères; puisque ces en-
droits doivent s'entendre des enfants déjà Ezoch.xin
nés, et non de ceux qui ont été condamnés
dans le premier homme en qui tous ont pé-
ché. En effet, le précepte porté au vingt- qua- cnp. xn.
trième chapitre du Deutéronome, s'adresse
aux juges de la terre, et leur défend de faire
mom'ir le fils pour le père, lorsque le père
se trouve seul coupable. Mais Dieu, qui a
fait cette loi aux hommes, n'y est point su-
jet lui-même dans ses jugements. Les en-
fants qui périrent dans le déluge ne furent-
ils pas enveloppés dans cette peine à cause
du péché de leurs pères? Il en faut dire au- cnp. tih.
tant des enfants qui furent consumés dans
les flammes à Sodome et à Gomorrhe ; et
des enfants des Chanaéens que Josué fit ^Jsae. ,
mettre à mort. N'est-il pas dit dans le Léviti-
que : Ceux qui resteront d'entre vous périront à 'c^i'- ■'=»'
cause de leurs péchés et à cause des péchés de
de leurs pères? Et encore : Je punirai les péchés i^"""- ''^
despères sur leurs enfinls.
Saint Augustin dit à Julien, qui voidait c.p.x'.
[IV" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
Sol
que le péché ne se contractât que par imita-
tion, qu'il se peut faire qu'un père imite les
mauvaises actions de son fils; qu'on ne lit
pas néanmoins que Dieu doit punir les pé-
chés des enfants sur leurs pères, comme on
lit qu'il punira les péchés des pères sur les
enfants ; qu'ainsi ce n'est pas dans l'imita-
tion, mais dans la génération qu'il faut cher-
"■'• cher la raison de cette différence. Il prouve
que Dieu est juste, lors même qu'il fait des
choses qui rendraient un homme injuste ;
parce qiie autant sa justice surpasse celle
des hommes, autant elle est impénétrable,
i;"'. Il tire vengeance des injures qu'on lui fait,
tandis qu'il défend aux hommes de se ven-
ger de celles qu'ils reçoivent.
3:xv]ii. |4_ N'est-il pas dit dans Ezéchiel, objectait
Ezech. Juhen, que l'âme qui aura péché périra?
« Cela, répond saint Augustin, ne doit s'en-
lendi'e que des adultes. Et quant à ce que le
même prophète ajoute qu'on ne dira plus
sxxix. cette parabole dans Israël : Les pères ont
mangé des grappes de raisins verts, et les dents
de leurs enfants en ont été agacées , cela se
trouve accompli à l'égard des vrais enfants
d'Israël qui, étant régénérés dans le bap-
tême, ne portent plus l'iniquité de leurs pè-
cap.Lsxxir. pes. Aussi l'Écriture ne dit pas que les enfants
n'ont pas eu les dents agacées, mais qu'ils
ne les auront plus agacées. C'est une prophé-
tie qui ne détruit pas ce qui s'est passé, mais
qui promet un changement pour l'avenir. »
Cap LU. Mais, disait Julien, Dieu peut-il, sans injus-
tice, imputer aux enfants les péchés de leurs
pères, lorsqu'il ne leur en impute point les
vertus? ((L'un et l'autre se fait, répond saint
Augustin. N'est-ce pas par la foi des parents
que les enfants sont offerts à l'Église et à ses
Gcn.xxvi,». ministres pour recevoir le baptême? Dieu
n'a-t-il pas fait du bien à Isaac à cause d'A-
braham son père? N'est-ce pas aussi à cause
des vertus "de David (jue Dieu n'a pas per-
mis la destruction entière du royaume de
,"' ''^°' ^'' Juda, que Salomon avait méritée par ses
Cap. Lïix. crimes ? » Il fait voir que le sentiment des ca-
tholiques, touchant le péché originel, ne dé-
truisait point le libre arbitre, mais que les
pélagiens l'opprimaient en niant que la grâce
Cap. Lsxi. fût nécessaire, ou pour l'aider , ou pour le
rétablir; que cette grâce diminuait et ôtait
même nos obstacles à la vertu ; qu'il n'y
avait point de tyrannie dans les préceptes
de Dieu, mais que nous devions lui deman-
lap. Lxxvi. (Jer la grâce de les accomplir; que Dieu ne
fait de la masse de corruption que des vases
ou d'honneur ou d'ignominie, et aucun d'une
troisième espèce ; que les pélagiens et les
catholiques reconnaissaient un libre arbitre
dans l'homme, mais qu'il y avait entre eux
cette différence que ceux-là, c'est-à-dire les
pélagiens, ne reconnaissaient pas qu'il n'y a
personne qui soit libre pour faire le bien
sans le secours de Dieu, et que c'était par là
(ju'ils étaient célestiens et pélagiens.
lo. Julien faisait consister le libre arbi-
tre en ce que l'homme puisse ou s'aban-
donner au crime, ou s'empêcher de le com-
mettre ; de vouloir faire un sacrilège , un
adultère , un parricide , ou de s'en abste-
nir ; et qu'il puisse également ou rendre té- '
moignage à la vérité, ou parler contre elle ;
ou obéir à Dieu qui lui fait des commande-
ments, ou au démon qui le tente. (( Vous
auriez raison, lui répond saint Augustin,
"c'est en elle que consiste le libre arbitre, et
Adam l'a reçu tel des mains de Dieu , mais
ce libre arbitre que Dieu a donné à l'homme,
la tentation l'a corrompu, et il est main-
tenant nécessaire que le libérateur le gué-
risse. Vous refusez de reconnaître cette vérité
avec l'Église cathohque , et en cela vous
êtes héréticpie. » Comme Juhen avouait que
ces paroles : Je ne fais pas ce que je veux, s'en-
tendaient de ceux qui, n'étant point sous la
grâce de Jésus-Christ, sont dominés par de
mauvaises habitudes, et se trouvent portés
à ne faire que le mal, le saint Docteur, pour
le convaincre que l'infirmité du libre arbi-
tre ne peut être guérie que par la grâce,
continue ainsi : (( C'est à vous, à nous dire
comment celui qui, asservi par la loi du pé-
ché, s'écrie : Je ne fais pas le bien qu£je veux,
mais je fais le mal que je ne veux pas, n'est
point entraîné au mal par sa volonté cap-
tive : car, pour emprunter vos paroles, si
sous le poids de sa mauvaise habitude il gé-
mit, n'étant pas encore, selon vous, sous la
grâce de Jésus-Christ, dites-moi si cet hom-
me a la libre disposition du libre arbitre de
sa volonté ou s'il ne l'a pas; s'il l'a, pour-
quoi ne fait-il pas le bien qu'il veut, et qu'il
fait le mal qu'il hait ? S'il ne l'a pas, par cette
raison qu'il n'est point encore sous la grâce
de Jésus-Clirist , voilà ce que je vous ai dit,
ce que je vous répète et ce que je vois bien
qu'il faut dire souvent, personne ne peut que
par la grâce de Jésus-Christ avoir la Hbre dis-
position du libre arbitre de sa volonté, soit
pour faire le bien qu'il veut, soit pour ne pas
faire le mal qu'il ne veut pas. Ce n'est pas
Cap. xcs'l-,
Cap. CI.
Cap. ex.
552
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
que la volonté captive soit entraînée au bien,
comme elle est entraînée au mal; mais c'est
que, délivrée de sa captivité, elle est agréa-
blement attirée par son libérateur, par la
douceur charmante de l'amour, et non pas
forcée par l'amertume servile de la crainte. »
Cap. c.\n-, 16. Julien ne laissait pas d'admettre des
secours toujours présents à la volonté pour
l'aider dans le besoin ; mais quand on lui
demandait quels étaient les secours de la
grâce, il répondait que Dieu aidait en com-
mandant, en bénissant, en sanctifiant, en
contraignant, en excitant, en éclairant, ce
que les hommes peuvent faire aussi selon
les Écritures; et ne comptait jamais parmi
ces secours le don de la charité, de peur d'ac-
corder que, lorsque nous obéissons à Dieu,
c'est un effet de sa grâce. « En effet , la
grâce qui fait obéir aux commandements,
c'est la charité qui n'ôte point le libre ai'bi-
tre de la volonté comme le croyait ce péla-
gien, puisque personne ne peut obéir aux
commandements s'il ne le veut. Mais c'est
le Seigneur qui prépare la volonté, non par
des paroles qui retentissent au dehors ; mais
par une opération pareille à celle par laquelle
Dieu convertit le cœur d'un roi, et le fit pas-
ser de la colère à la douceur, exauçant la
prière d'ime reine. Car, comme ce fut par
une divine et secrète opération que Dieu
agit alors sur le cœur d'un homme, c'est de
la même manière qu'il opère en nous le vou-
cap. C1V. JqJp Qt ig fjjjj.g selon sa bonne volonté. Je dis,
ajoute saint Augustin, qu'il est possible à la
volonté de l'homme d'éviter le mal et de
faire le bien, mais je l'entends d'une volonté
que Dieu assiste gratuitement. » Julien re-
prochait à ce Père de s'emporter avec fureur
contre la loi en voulant qu'elle commandât
aux hommes des choses qu'ils n'avaient pas
le pouvoir défaire. Saint Augustinlui répond
que ce qu'il disait n'était pas vrai ; que Dieu
no commande que ce qu'ils peuvent faire ;
«mais c'est lui-même , dit-il, qui donne ce
pouvoir à, ceux qui le peuvent faire et qui
le font ; et ceux qui ne le peuvent pas en leur
commandant, il les avertit de lui demander
le pouvoir qui leur manque. » Il tourne en
ridicule l'équilibre de Julien, et le convainc
par lui-même que ce n'est qu'une imagina-
tion, puisqu'il était forcé de reconnaître di-
verses sortes de secours dont la volonté
cip.ciwvi. avait besoin pour le bien. « Pourquoi, lui
dit-il, donnez-vous des appuis à la volonté
afin qu'elle soit bonne, puisqu'elle n'en a
point pour devenir ou pour continuer d'être
mauvaise? Est-ce donc que votre balance,
que vous vous efforcez de tenir suspendue
entre deux poids égaux, en sorte que la vo-
lonté soit aussi libre poiu' le bien qu'elle est
libre pour le mal, se trouvant penchée ici
plus d'un côté que de l'autre, montrei'ait le
délire de votre esprit? Pourquoi le Seigneur cap. cxvi:
dit-il que vous ne pouvez rien faire sans lui,
si ce n'est parce que nul n'est libre pour
bien agir, quand Dieu ne le délivre pas?
Vous défendriez solidement le libre arbitre
et vous ne l'enfleriez pas vainement comme
vous faites, si vous mettiez au nombre des
grâces de Dieu la charité, sans laqiielle per-
sonne ne vit dans la piété, et avec laquelle il
n'y a personne qui ne vive dans la piété, sans
laquelle personne n'a une bonne volonté, et
avec laquelle il n'y a personne qui n'ait une
bonne volonté. Si vous appelez nécessité
celle par laquelle quelqu'un est opprimé
malgré lui, la justice n'en connaît point de
semblable, parce que nul n'est juste contre
sa volonté ; mais la grâce de Dieu fait vou-
loir celui qui ne voulait pas. »
Les pélagiens avouaient que les enfants cap. cn.v.
avaient besoin du secours de Jésus -Christ
pour remédier à leurs maladies corporelles ;
mais non pour les délivrer de la puissance
du démon. « Apprenez-nous donc , lui dit
saint Augustin, pourquoi l'Église de Jésus-
Christ souffle sur les enfants que l'on pré-
sente au baptême, ou soutenez que cette cé-
rémonie n'est point nécessaire ? » Quelques-
uns répondaient que la grâce médicinale du
Sauveur rendait les enfants meilleurs de bons
qu'ils étaient. Mais ce Père les réfute par
cette parole de Jésus-Christ : Ce ne sont pas
les sains, mais les malades qui ont besoin de
médecin. Il prouve l'existence du péché ori-
ginel par l'exemple de ceux qui sont fous
dès leur naissance, étant visible que ce dé-
faut est la peine d'un péché précédent , et
qu'il n'y en aurait point eu de semblable
dans la félicité du paradis terrestre. Ensuite cnp. en.,
il rapporte une histoire mémorable d'un c»p. a.-s.n,
certain Acace , qui était de bonne famille ,
mais né les yeux fermés , et les paupières
unies l'une à l'autre sans s'ouvrir; de sorte
qu'encore que ses yeux fussent sains, il ne
voyait rien. Un chirurgien voulut les ouvrir
avec le rasoir ; mais la mère de l'enfant qui
était une personne de piété, ne le voulut
pas, et elle lui appliqua l'Eucharistie en
forme de cataplasme , qui lui fit le même
Cap. eu.
flTarc. îl, n.
[iV ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
333
effet, n était alors âgé de cinq ans au plus ,
c'est poTU'quoi il s'en souvenait fort bien ; et
c'est de lui qu'on l'avait su. Comme il de-
meurait à Hippone , il y a lieu de croire que
saint Augustin avait appris de sa bouche cette
histoire singulière. A l'occasion de ce que
Julien disait que par le secours des prières
de Florus , on avait trouvé à Constantinople
une lettre de Manès : a Comment, dit ce Père
à Julien, cette lettre a-t-elle été trouvée à la
prière de quelqu'un , si Dieu n'opère pas les
volontés dans les cœurs des hommes ? Car
celui qui a trouvé cette lettre l'a cherchée
volontairement. Pourquoi donc ne confes-
sez-vous pas que Dieu , sans le commande-
ment extérieur qui se fait entendre, prépare
et excite les volontés des hommes par un
instinct secret pour accomplir ce qu'il veut
très-efficacement être fait ? »
17. Dans le quatrième livre saint Augus-
tin continue à montrer , comme il avait déjà
fait sur la fin du troisième, que la concupis-
cence de la chair est mauvaise et qu'elle n'a
point été donnée à l'homme par le Créateur,
comme on le voit dans la première Épître
de saint Jean , où nous lisons que cette con-
cupiscence ne vient point du Père, mais du
monde. On appelle concupiscence les désirs
de la chair qui combattent ceux de l'esprit ,
dans quelque sens de notre corps que ce
soit ; elle fait voir qu'elle est mauvaise ,
puisqu'elle nous entraîne dans le mal , tou-
tes les fois que l'esprit ne lui résiste point
par des désirs contraires. Cette concupis-
cence est bien différente de l'ardeur que res-
sentent les animaux en certains temps.
Celle-ci se fait sentir sans combat, au Heu
que celle-là est combattue par les désirs de
l'espi'it , ce qui montre qu'elle est un mal et
un châtiment. Saint Augustin avait dit dans
son second livre des Noces et de la concu-
piscence qu'elle n'avait point eu lieu dans
Jésus-Christ né de Marie, contre le cours or-
dinaire de la nature ; d'où Juhen concluait
que le saint Evêque était dans l'erreur des
appoUinaristes. Mais ce Père lui montre la
ditïérence qu'il y a entre les impressions
causées par le ministère des sens , et entre
la révolle de la chair contre l'esprit, en quoi
consiste la concupiscence ; que Jésus-Christ
a été frappé par ses sons de tout ce qui en
est l'objet ordinaire , soit de la vue , soit du
goût, ainsi des autres sens ; mais que jamais
sa chair n'a eu des désirs contraires à ceux
de l'esprit. Saint Augustin ne répond qu'a.
Cop.LXSXIV,
Cap. LXXXIK.
vec peine à toutes les indécences que Julien
avait avancées sur cette matière ; et parce
qu'il osait égaler la chair de Jésus-Christ
à celle des autres hommes : « Vous blas-
phémez horriblement , lui dit-il , ne vous
apercevant pas que Jésus-Christ n'est pas
venu dans une chair de péché, mais dans la
ressemblance de la chair de péché ; ce qui
ne serait pas vrai , si la chair des autres
hommes, à l'exclusion de Jésus-Christ, n'était
une chair de péché. » Il prouve ensuite que
l'hérésie pélagienne conduisait à croire que
Jésus-Christ avait mérité par des actes de
vertu son union avec le Verbe ; d'où il sui-
vait que plusieurs autres auraient pu aussi ,
s'ils l'avaient voulu, parvenir à cette union.
Saint Augustin avait allégué le témoignage
de saint Jérôme avec ceux de plusieurs an-
ciens, pour autoriser la doctrine du péché
originel. Pour infirmer donc ce témoignage,
Juhen reprochait à saint Jérôme d'avoir ad-
mis des péchés volontaires en Jésus-Christ.
Il se fondait sur un endroit du troisième dia-
logue de ce Père contre les pélagiens , où il
dit que, selon l'Évangile des Hébreux , la
mère et les frères du Seigneur l'ayant voulu
engager à recevoir le baptême de saint Jean,
il leur répondit : Quel péché ai-je commis,
pour être baptisé de lui? si ce n'est peut-être que
ce que je viens de dire est un péché d'ignorance.
Comme Julien n'avait point rapporté ces pa-
roles , saint Augustin lui dit : « Si vous les c-p. cvi.
aviez rapportées , peut-être vous montre-
rais-je comment on doit les entendre ; et si
je ne le pouvais pas, je n'abandonnerais pas
pour cela la foi qui lui a été commune avec
les plus célèbres docteurs de l'Église. » Ce
pélagien pressé par les témoignages des an-
ciens Pères de l'Église, répondait que les
écrits de quelques-uns ne pouvaient préju-
dicier à la loi de Dieu. Sur quoi saint Au- cap.cm.
gustin lui dit, que le consentement et l'una-
nimité des Pères , doit nous obliger à inter-
préter comme eux l'Écriture , et à ne pas
croire que la foi cathohque soit autre que
celle qu'ils ont tenue.
18. Il paraît que Julien était incertain sur
l'auteur du livre de la Sagesse, et qu'il l'at-
tribuait ou à Sirach ou à Philon ; cela n'em-
pêchait pas qu'il n'en respectât l'autorité ;
et Pelage en avait tiré quelques passages,
qu'il croyait favoriser son erreur ; ce qui
suffit à saint Augustin pour s'en servir con-
tre eux, d'autant qu'on le lisait communément
dans l'Église. Il en apporte un du livre des
Cap. cxxiil.
Cap. CLx;r
S54
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Proverbes, pour appuyer ce qu'enseignaient
les catholiques, contre les pélagiens, que la
pénitence même est un don de Dieu : car,
quoique chacun fasse pénitence par sa vo-
Proï. viii. lonté, c'est le Seigneur qui prépare la volonté;
et c'est de ce changement produit par la
droite du Très-Haut qu'il est parlé dans le
psaume. Le Seigneur regarda Pierre, afin
psai. LSMi, qu'il pleurât; et saint Paul dit de quelques-
Luc. Il, Gi. uns, que Dieu leur donnera peut-être la pé-
iiTimoUi.ii nitence. Ce Père montre ensuite que le pas-
jip.xiii.not sage du livre de la Sagesse cité par Julien,
ne prouvait nullement que la race de Cha-
naan ait été maudite, parce qu'ils avaient
imité leur père Cham, maudit à cause de son
Cap. CX.1IX. péché par Noé ; mais parce qu'ils avaient été
comme liés dans la malédiction que le fils
de Cham avait encourue par le péché de
Chamsonpcre. «D'où vient, ajoute-t-il, que
les enfants de ceux qui étaient descendus de
Chanaan furent aussi mis à mort par l'ordre
de Dieu, comme coupables du péché de
leurs pères, non pour l'avoir imité , mais
pour être nés de lui. Mais ces péchés mômes
que l'on contracte par la génération, peu-
vent être vaincus par la grâce. C'est pour-
quoi elle est donnée aux hommes enfants de
colère par leur nature, en même temps
qu'on leur impose des commandements, afin
qu'ils puissent accomplir, par son secoui's,
ce qu'ils ne pourraient accomplir par eux-
mêmes. Pour ceux à qni n'est pas don-
I Cor. IV, 7 née cette grâce dont il est dit : Qui est-ce qui
met de la difféi'ence entre vous ? Qu'avez-vous
que vous n'ayez reçu ? ceux-là deviennent
prévaricateurs par la loi, au lieu de deve-
nir justes. Mais ceux-là mêmes qui sont en-
fants de colère vivent pourl'utilité des enfants
de miséricorde, afin que ceux-ci les voyant,
et comprenant que ce qui leur est donné,
n'étant pas donné à cause de leurs mérites,
mais gratuitement, il ne s'en élèvent point,
et que celui qui se glorifie, se glorifie dans
le Seigneur. Dieu accorde encore aux en-
fants de colère le temps et -le lieu de la pé-
nitence, quoiqu'ils ne doivent point en pro-
Cap. cxiixi. fiter, ou parce qu'ils vivent parmi les enfants
de miséricorde, ou parce qu'il doit en naître
d'eux. »
Anniyso .lu 19. Lc but du saiut Docteur, dans le cin-
cinqiiièmo M- .,
•.ro.pa;. 1221. quicmc livrc, est de montrer que ce qu il
avait dit dans le second livre du Mariage et
de la concupiscence, touchant la révolte de
la chair contre l'esprit, n'aurait pas eu lieu
pap. .t.wni. si Adam n'eût pas péché ; et que c'est celte
révolte qui naît avec nous, à cause que no-
tre nature a été corrompue par le péché, qui
nous oblige de renaître dans les eaux du
baptême. Dieu, disait Julien, impute-t-il ce
qu'il sait qu'on ne peut éviter ? Non, la jus-
tice n'impute àpéché que ce qu'on est libre de
ne point commettre. Or, il n'y a de libre que
ce qui dépend d'une volonté émancipée.
Saint Augustin répond, que l'homme a péché
d'une manière, lorscju'il lui était libre de ne
point pécher, et que maintenant il pèche
d'une autre manière, depuis qu'il a perdu sa
liberté, et qu'il a besoin du secours d'un li-
bérateur. L'un est seulement péché, et l'au-
tre est la peine du péché. C'est ce qu'il con- cip ^
firme par l'exemple du démon qui n'a plus
le pouvoir de ne point pécher, dont il jouis-
sait avant sa chute, et qui ne laisse pas d'ê-
tre inexcusable dans tous ces crimes, parce
que c'est la juste peine du grand crime qu'il
a commis, qu'il ne trouve de plaisir que dans
le mal, et qu'il n'en trouve point dans la
justice. Qae le démon ait perdu le pouvoir
de ne point pécher, saint Augustin le prouve,
parce qu'autrement il pourrait faire péni-
tence et obtenir miséricorde, ce qui est l'er-
reur même que quelques-uns attribuaient
à Origène,'dont d'autres toutefois soutiennent
qu'il a été innocent.
Julien soutenait que personne ne faisait cap. l
le mal par nécessité ; sur quoi ce Père lui
dit : « Prenez garde à celui qui dit : Je fais le Rom.v
mal que je ne veux pas; et dites-moi si celui '•'''• '
qui est réduit à cet état n'éprouve pas une
nécessité de faire le mal ; n il répète plusieurs
fois cette réponse. Mais comme Julien lui
objectait que s'il y avait avant le baptême
une nécessité de faire le mal, cette nécessité
rendrait excusable la volonté qui le commet-
trait, U ne lui répond autre chose, sinon
qu'il se trompait étrangement, de s'imaginer
qu'il n'y a point de nécessité de pécher dans
l'état présent. Pour l'en convaincre par lui-
même, il ajoute : a S'il n'y a point de telle
nécessité, que souûVe donc celui qui se
trouve si accablé sous le poids de ses mau-
vaises habitudes, comme l'expliquaient les
pélagiens eux-mêmes, qu'il est réduit-^ dire :
Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais r.on.ï
le mal que je ne veux pas. » Le saint Évèque i.ii>. i
dit encore qu'on ne doit pas se promettre
l'impunité parce que l'on se trouve réduit
à cette nécessité de pécher. 11 montre que
Julien se trompait en voulant que toute né- .
cessité fût incompatible avec la volonté, puis-
[IV» EX V'' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉYÊQUE D'HIPPONE.
S5S
I. us.
qu'il est quelquefois nécessaire que nous vou-
lions certaines choses, par exemple, la béa-
titude. Il croit, avec plusieurs écrivains ca-
tholiques, que saint Paul, en disant : Je ne
fais pas le bien que je veux, parlait de lui-
même; et il ajoute que ces auteurs recon-
naissent cette nécessité, et ne doutent pas
qu'elle ne vienne de la loi des membres, avec
laquelle naissent tous les hommes, qui com-
bat la loi de l'esprit; que c'est pour cette rai-
son que les saints disent : Je ne fais pas le bien
que je veux, mais je fais le mal que je ne veux
pas, parce qu'ils voient quel grand bien ce
serait de ne pas éprouver dans la chair des
mouvements dont l'esprit est éloigné; que
c'est un mal de les ressentir, quoiqu'on n'y
consente pas ; et que ces sortes de convoitises
ne nous rendent pas condamnables, parce
qu'on y résiste intérieurement. Ensuite saint
Augustin dit que la bonne volonté, avec la-
quelle Adam avait été créé, étant perdue,
il n'y a que celui qui l'a formée qui la puisse
rendre, et qu'il ne faut pas croire que la né-
cessité de pécher puisse être autrement gué-
rie, que par la miséricorde de celui qui, par
un profond et juste jugement, a voulu que
cette nécessité fût une peine, qui se répandit
sur les enfants de celui qui a péché sans né-
cessité.
20. Julien soutenait qu'il y avait de l'im-
piété à dire que les enfants fussent pécheurs,
que c'était les forcer en quelque façon au
péché, puisqu'ils n'ont point de volonté.
Saint Augustin lui demande comment ils
sont sujets à tant de maux, s'ils sont inno-
cents ; puis, le renvoyant aux prodiges de la
grâce de Jésus-Christ qui éclatent clans le
baptême : « Ne voyez-vous pas, lui dit-il,
comment ces enfants, qui ne peuvent encore
vouloir ni ne pas vouloir le bien ou le mal,
sont contraints d'être justes et saints dans
ce sacrement, quoiqu'ils se défendent autant
qu'il est en eux de le recevoir : car il est
hors de doute que s'ils meurent avant l'u-
sage de raison, ils ont place clans le royau-
me de Dieu, ayant -été sanctifiés par rme
grâce qu'ils ont été contraints de recevoir,
et à laquelle leur pouvoir n'a eu aucune
part. »
21. Saint Augustin fait voir, dans le sixiè-
me livre, que, par le péché du premier
homme , la nature humaine est tellement
viciée, que non-seulement elle est devenue
pécheresse , mais qu'elle engendre encore
des pécheurs, et que d'immortelle qu'elle
pouvait être, eUe est devenue nécessaire-
ment sujette à la mort. Comme Julien ne
cessait de l'accuser de manichéisme , ce
Père, poui' le confondre et l'en convaincre
lui-même, lai montre qu'en niant le péché
originel, il fournissait des armes à l'hérésie
des manichéens, a Si Manès demandait d'où cap. Tmei
viennent les maux corporels qui nous affli-
gent, vous seriez obligé, dit ce saint Doc-
teur à Juhen, de répondre qu'ils sont natu-
rels. Mais il vous pressera, en accusant le
Créateur d'avoir fait sa créature malheureuse
sans qu'elle l'eiit mérité. Direz -vous que
ces maux sont des châtiments de la dépra-
vation de la volonté ? Mais il vous répli-
quera que les enfants sont incapables de
vouloir le bien ou le mal ; et de là il con-
cluera que les misères qu'ils ressentent, no
pouvant être attribuées ni à Dieu ni à leur
volonté, il en faut nécessairement chercher
la cause dans le mauvais principe. » Il n'est
pas douteux, objectait ce pélagien, que la
nature d'Adam n'ait été créée très - mau-
vaise, si elle l'a été à condition qu'elle se-
rait nécessitée au mal et non au bien. Saint
Augustin répond que la nature a été créée Cap.x.
bonne, et qu'elle n'a été poussée au mal
par aucune nécessité, étant tombée de sa
propre volonté. «Mais, ajoute-t-il, il n'y a cap. xi.
que la grâce de Dieu seul qui puisse rétablir
l'homme dans le bien qu'il a abandonné ; et
il ne peut attendre cela de sa propre li-
berté, qu'il a justement perdue par son pé- *
ché. » Il lui demande si celui-là avait été
rétabli dans son ancien état et dans sa li-
berté entière, qui disait : Je ne fais pas ce r>om.vii,io.
que je veux, mais je fais ce que je hais. « Non,
dit-il, je ne vous crois pas assez insensé
pour vous imaginer que la liberté du pre-
mier état fût l'établie dans un homme qui
tient ce langage. » Il paraît qu'on croyait,
du temps de saint Augustin , qu'Adam ,
lors de la descente de Jésus-Christ dans les cap. xm.
enfers, avait été délivré des liens qui l'y re-
tenaient, afin qu'il ne périt pas par un sup-
plice éternel.
22. Dieu, disait Juhen, n'imposerait pas
à l'homme une loi de piété, s'il le connais-
sait dans la nécessité de pécher. « Le mé- cap. x^.
chant, répond ce Père, a reçu une loi, qui
ne peut le corriger , mais qui lui apprend
qu'il est méchant, et qu'il ne peut par lui-
même se corriger, quoiqu'il ait reçu la loi ;
et cela est ainsi, afiu que la loi n'arrêtant
point le cours des péchés qui deviennent
536
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
même plus graves par la prévarication, il
ait recours avec un cœur Jnimilié à la grâce,
et que la lettre lui ayant donné la mort, il
reçoive la vie par l'esprit. La loi de Moïse
n'est donc point un témoignage de la liberté
de notre volonté. S'il en était ainsi, celui-là
nom. ni, 13. n'appartiendrait pas à cette loi, qui dit : Je
ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le
mal que je hais. Il y appartenait néanmoins,
ainsi que les pélagiens eux-mêmes en con-
venaient. La loi nouvelle n'est pas non plus
un témoignage que la volonté soit libre,
mais seulement qu'elle doit être délivrée ;
joan.T.i,.?G. car il y est écrit : Si le Fils vous délivre,
vous serez alors vraiment libres. Ce qui est
dit non-seulement à cause des péclrés passés
dont nous sommes délivrés par le pardon ;
mais encore du secours de la grâce, par la-
quelle nous devenons tellement libres, que
. Dieu dirigeant notre voyage, l'iniquité ne
domine point sur nous. C'est ce qui paraît
par l'Oraison dominicale, où nous deman-
dons, et le pardon des péchés passés, et le
secours de Dieu, pour n'en point commettre
à l'avenir. Secours que nous ne demande-
rions pas, s'il était en notre pouvoir de ne
pas faire le mal, comme cela était avant
que notre nature fût viciée par le péché. Si
donc Dieu n'aide l'homme, nul n'est capa-
ble de combattre contre ses vices. C'est
pour cela qu'il veut que dans nos combats
nous nous reposions plus sur nos prières que
. sur nos propres forces, parce que c'est celui
même que nous prions qui nous donne les
forces qui nous conviennent pour combattre.
S'il est donc vrai que ceux, dont l'esprit
combat contre les désirs de la chair, ont
besoin de la grâce de Dieu à chaque action,
afin qu'ils ne soient pas vaincus, quelle li-
berté de volonté peuvent avoir ceux qui ne
sont point encore délivrés de la puissance
des ténèbres, qui, dominés par l'iniquité,
n'ont pas encore commencé de combattre,
ou qui, ayant déjà commencé, sont vaincus
par la servitude de leur volonté qui n'est
pas encore délivrée? »
Cip. svi. 23. Saint Augustin dit à Julien, que n'é-
tant point question entre eux de montrer
qu'Adam avait été créé bon, c'était à tort
qu'il lui en demandait des preuves ; cfu'il n'é-
tait pas mieux fondé à rejeter le péché ori-
ginel, sous prétexte que la définition qu'il
donnait du péché en ces termes : Pécher
c'est désirer ce que la justice défend, et dont
on est libre de s'abstenir, ne lui convenait pas,
parce que cette définition, comme le remar-
que ce Père, est la définition du péché seul, cop. :
et non pas du péché qui est en même temps
la peine du péché. Il fait voir que comme il
y a des bieus du corps qui périssent par la
propre volonté de l'homme , il en est de
même des biens de l'âme, et que Dieu peut cni . j
rétablir les uns et les autres : « Si quel-
qu'un, dit-il, se coupe lui-même un de ses
membres par un effet de sa propre volonté,
ne perd-il pas un avantage naturel de l'inté-
grité de son corps, et par cette mutilation
ne se charge-t-il pas d'un mal dont il ne
peut plus se guérir? De même cet homme
qui crie : Je ne fais pas le bien que je veux,
mais je fais le mal que je ne veux pas, vous
montre qu'il y a de certains biens de l'âme
qui périssent par la volonté mauvaise , et
cela de manière qu'ils ne peuvent être re-
couvrés par une bonne volonté, si Dieu ne
fait ce que l'homme ne peut faire. Car il
peut rendre à l'homme les yeux qu'il se se-
rait voloulaircment crevés, et les membres
qu'il se serait volontairement coupés. Pour-
quoi ne croyez-vous donc pas que la liberté
de bien agir ait pu périr par la volonté hu-
maine, et qu'elle ne peut être rendue que ap. >
par la volonté de Dieu, puisque vous enten-
dez l'Apôtre qui crie, après avoir dit qu'il
ne fait pas le bien qu'il veut, mais le mal
qu'il ne veut pas : Qui me délivrera? et
qui ajoute aussitôt, que ce sera la grâce de R»""-
Dieu par Notice-Seigneur Jésus-Christ? C'est
faussement, ajoutez - vous , qu'on dirait
l'homme libre, s'il ne pouvait varier ses pro-
pres mouvements ; mais vous ne voyez pas
que vous ôtez à Dieu même la liberté, à
Dieu, et à nous, quand nous vivrons avec
lui, immortels dans son royaume : car alors
il ne nous sera pas possible de tourner notre
volonté, tantôt au bien et tantôt au mal ;
toutefois, nous serons d'autant plus heureu-
sement libres, que nous ne pourrons plus
être assujettis au péché, non plus que Dieu
même ; mais avec cette différence que nous
ne serons ainsi libres que par sa grâce, au
lieu qu'il l'est par sa nature. »
Si le péché d'Adam passe à ses enfants, cap. -x
et corrompt leur nature, pourquoi, disait
Julien, n'en est-il pas ainsi de tous les autres
péchés, qu'on sait néanmoins ne pas passer
du père au fils? Saint Augustin répond que
la grandeur du péché d'Adam, et l'état de
félicité et de liberté dans lequel il l'a com-
mis, cause celte dillerence. Quoique le pé- i^p.j
[iV ET v'^ siÈaES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
S57
ché originel ne dépende point de notre vo-
lonté, nous ne laissons pas d'encourir la
même condamnation que celui dont nous
devions naître par la concupiscence de la
chair, par la même raison que ceux qui
étaient renfermés dans les reins d'Abraham,
furent dimés comme ce patriarche : car
encore que les petits enfants soient incapa-
bles de faire le bien ou le mal par leur
volonté , néanmoins, parce qu'ils sont com-
me revêtus du premier homme qui a péché
au commencement par sa volonté, ils tirent
de lui la coulpe du péché et la condamna-
tion à la mort, de même que lorsqu'ils sont
revêtus de Jésus-Chi-ist, encore qu'ils n'aient
point agi par leur volonté propre, ils tirent
de lui la participation de la justice, et la ré-
compense de la vie éternelle.
24. Vous prétendez, disait Julien à saint
Augustin, que les douleurs de l'enfantement
sont une suite du péché ; pourquoi donc les
femmes baptisées n'en sont-elles pas exemp-
tes ? « Nous disons, répond ce Père, que ces
douleurs sont une peine du péché, parce
que nous savons que Dieu l'a dit sans au-
cune ambiguïté. Quant à la rémission du
péché dans le baptême, elle n'emporte pas
la délivrance de certaines peines qui sont
leg suites du péché, et qui, dans l'ordre de
Dieu, demeurent pour servir d'exercice à la
foi. La mort n'est-elle pas une peine du pé-
ché ? Toutefois, l'homme y est encore sujet,
quoique son péché lui ait été remis. » Il dit
à Julien que le cri que les animaux forment
en produisant leur espèce, n'est point une
preuve qu'ils ressentent de la douleur ; les
poules chantent dans ce moment, ce qu'on
doit plutôt prendre pour un signe de joie
que de tristesse. D'où il infère que le paral-
lèle qne faisait ce pélagien entre l'enfante-
ment des femmes et celui des animaux,
pom' détruire la doctrine du péché originel,
n'était point fondé ; celui des femmes étant
accompagné de douleurs ; l'autre ne l'étant
point. Julien prétendait que le terme multi-
pliei% dont Dieu se servit pour annoncer à la
femme les douleurs qui accompagneraient
l'enfantement, ne pouvait s'appliquer qu'à
une chose qui existait déjà. Saint Augustin
soutient au contraire* qu'il s'entendait de
l'avenir, dans le même sens que Dieu dit à
Abraham : Je multiplierai votre race comme
les étoiles du ciel ; et montre qu'en suivant
l'interprétation de Julien , il faudrait dire
qu'Eve dans l'état d'innocence aurait souf-
fert des douleurs dans ses enfantements,
que Dieu n'avait fait que multiplier dans
l'état du péché ; ce qui était absurde. Mais
les pélagiens étaient contraints d'admettre
dans le paradis terrestre toutes les misères
que nous éprouvons depuis Je péché, parce
qu'ils ne voulaient pas reconnaître qu'elles
sont une suite du péché originel. Selon le
saint Docteur , le libre arbitre, par lequel
nous voulons toujours être heureux et jamais
malheureux , est tellement inséparable de
notre natui'e, que rien ne l'en peut ôter;
en sorte que ceux qui sont malheureux en
vivant mal, ne veulent pas néanmoins être cap. .«nn.
malheureux. La malédiction que Dieu pro-
nonça sur le serpent s'entend mieux du
diable que de tout autre, quoiqu'elle puisse
aussi recevoir d'autres interprétations.
25. Il y a , objectait Julien, des femmes ciii.xjcjx.
parmi les barbares et les gens de la campa-
gne, qui ne souffrent aucune douleur dans
l'enfantement, et des riches qui ne soulfrent
aucune peine du travail , que même ils ne
connaissent pas. Le travail corporel ni les
douleurs de l'enfantement ne sont donc pas
des suites du péché originel. Saint Au-
gustin répond qu'il n'y a aucune femme qui
n'ait de la douleur en mettant son fruit au
monde ; les unes plus, les autres moins ; que
si les riches ne sont pas soumis au travail
corporel, ils le sont aux chagrins , aux soins
et aux autres peines de l'esprit, qui sont
souvent plus grandes que celles du corps
auxquelles les ouvriers sont sujets. Il con- up. xxs.
vient avec Julien qu'Enoch et Éhe sont en-
core vivants, mais il ajoute que l'on croit
qu'après avoir paru un peu de temps, ils su-
biront la mort, pour payer la dette qu'ils
ont contractée comme enfants d'Adam ;
qu'on croit aussi avec raison que Jésus-
Christ , en descendant aux enfers , a délivré
le premier homme, conformément à ce qui
est dit dans le hvre de la Sagesse, que Julien
citait aussi. Celui-ci, pour éluder la preuve
que saint Augustin tirait de ces paroles de
l'Apôtre : Tous meurent en Adam, disait qu'A- i cor. xvn,
dam en hébreu signifie urt homme ; qu'ainsi, "'"
c'est comme si l'Apôtre avait dit : Tous meu-
rent dans l'homme, ou selon la condition de
la nature humaine. « Mais n'est-il pas dit,
réplique saint Augustin , que le péché est ro^,. v, 12.
entré dans le monde par un seul homme , et la
mort par le péché ? A cet homme est opposé
le second Adam, dont il est écrit, que la ré- 11 cor. sv,
surrection des morts doit venir aussi par un
Sop. X,
Cip. IX
So8
HISTOffiE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
seul homme. H faut donc entendre ce qui est
dit :Tous meurent en ^fZa??i,^relativement à ce
qu'on lit précédemment, que la mort est ve-
nue par un seul homme: car tous ne meurent
en Adam que parce que la mort est entrée
par un seul homme , comme tous revivront en
Jésus-Christ, parce que la résurrection des
morts doit aussi venir par un seul homme.
Voilà donc deux hommes pris individuelle-
ment ; l'un le premier, c'est-à-dire Adam ;
l'autre le second, qui est Jésus-Christ. »
C3r-xisi>-- 26. Saint Augustin croit que l'arbre de
vie, que Dieu avait planté dans le paradis,
défendait le corps de la mort , jusqu'à ce
que l'homme, persévérant dans l'obéissance
à son Dieu, méritât de passer dans la gloire
spirituelle destinée aux justes après la ré-
surrection, sans souffrir la mort ; qn'Élie et
Enoch vivent dans le paradis même d'où
Adam a été chassé, remarquant que quel-
ques commentateurs cathoUques entendent
ce paradis dans un sens spirituel, sans tou-
tefois nier le sens historique, selon lequel
on ne peut douter que ce lieu ne doive se
prendre à la lettre et matériellement. Eu
expliquant comment la loi est la force du
péché , il dit qu'à l'égard de ceux qui ne
sont pas aidés de la grâce de Dieu par l'A-
gneau de Dieu, la loi est plutôt» la force du
Cap. sLi. péché que la correction du pécheur. D'où
vient que nous n'accomplissons ce que la loi
de Dieu nous commande que lorsqu'il nous
assiste , qu'il nous inspire , et qu'il nous
donne la force de l'accomplir. Il prouve que
la concupiscence est im péché, par ces pa-
non. yi:, 7. poles dc l'Apôtrc : Je n'ai connu le péché (jue
par la loi, par oùil entend la concupiscence,
comme on le voit par ce qu'il ajoute : Car je
n'aurais point connu la concupiscence , si la loi
n'avait dit : Vous n'aurez point de mauvais
désirs. Elle n'était point avant le grand pé-
ché du premier homme , mais eUe a com-
mencé dès ce moment et donné naissance
au péché originel, en corrompant la nature
humaine dans celui qui l'a transmis à ses
descendants. Tous les hommes naissent avec
cette concupiscence, et le crime n'en est re-
mis qu'à ceux qui renaissent par le bap-
tême. Mais après ce pardon ceux-là seule-
ment se souillent de nouveau, qui se laissent
aller à ses mauvais désirs pour faire le mal;
ce qui peut arriver en deux cas diûerents :
le premier, lorsque l'esprit ne forme pas des
désirs plus forts que ceux de la chair ; et le
second, lorsqu'il n'en forme point du tout.
Le saint Docteur finit son ouvrage contre
Julien, en remarquant que c'était l'usage,
dans la sainte Église répandue dans toute
la terre, de demauder à Dieu pour les fidè-
les, le progrès et la persévérance dans la
vertu, et pour les infidèles le commencement
de la foi ; mais que ceux-là, c'est-à-dire les
pélagiens, anéantissaient un si saint usage,
en élevant au-dessus des bornes les forces
du hbre arbitre contre la grâce de Dieu.
§XV.
Des écrits faussement attribués à saint Augus-
tin, et de quekjues ouvrages qui regardent
l'histoire des pélagiens,
1. L'ouvrage intitulé ordinairement Hy-
pomnesticon , et quelquefois Hyponosticon,
est distribué dans les éditions précédentes
comme dans la nouvelle, en six livres, dont
les cinq premiers sont contre les dogmes
des pélagiens. C^est une espèce de mémo-
rial, ou d'abrégé des raisons propres à com-
battre cette hérésie, composé par un auteur
inconnu, pour soulager sa mémoire. Il ne
ne porte point le nom de saint Augustin
dans les plus anciens manuscrits; mais il lui
est attribué par divers auteurs du ix'^ siècle,
entr'autres par Hincmar dans sa lettre à
Amolon et à l'Église de Lyon au sujet de Got-
tescalc. Rémi, archevêque de Lyon, ayant
vu qu'Hincmar citait cet écrit sous le nom
de saint Augustin, l'accusa de l'avoir avancé
sans preuve, et sans être autorisé d'aucun
ancien, soutenant que, s'il était de ce Pèi-e,
il en serait fait mention dans ses livres |des
Rétractations, qu'il avait composés étant fort
âgé et proche de la mort. H ajoutait que
Possidius son disciple n'aurait pas mancpré
non plus d'en parler dans le Catalogue des
ouvrages de ce saint Docteur; que cet écrit,
particulièrement le sixième livre , n'avait
point de préface, et que si les cinq premiers
en avaient une, on n'y voyait point la mé-
thode de saint Augustin; que tout l'ouvrage
n'était ni de son génie ni de son style ; cjue
l'on y trouvait plusieurs passages tirés de la
version que saijit Jérôme avait faite sm' l'hé-
breu, au heu que saint Augustin cite ordi-
nairement dans ses li^'res contre les héréti-
ques l'ancienne version faite sur les Sep-
tante ; et que ce qui y est dit de la prédesti-
nation ne s'accorde nullement avec sa doc-
trine sur ce sujet. D'autres ont attribué ces
sixhvres au prêtre Sixte, successeur de Céles-
Hjpor
licoQ, p
Appcna
[IV' ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
559
le la Pié-
ilinalion et
la gr&ce,
:. 5(1.
tin sur le Siège apostolicpie ; mais on trouve
qu'il est plutôt de Mercator, dont nous avons
plusieurs écrits du même goût contre les
pélagiens.
2. Les théologiens de Louvain avaient déjà
placé entre les ouvrages supposés, celui qui
a pour titre : De la Prédestination et de la
grâce, et qui, en efTet, n'a ni la méthode ni
le style de saint Augustin. Il paraît être plu-
tôt de quelque semi-pélagien : car on y en-
seigne assez clairement que le commence-
ment de la bonne volonté vient de l'homme,
et que Dieu ne fait que la perfectionner. On
le trouve quelquefois sous le nom de saint
Fulgence, dont on ne peut en rendre d'au-
tre raison, sinon que ce saint évêque a écrit
sur la même matière. Caria doctrine de cet
ouvrage ne s'accorde pas mieux avec celle
de ce Père, qu'on sait avoir été un disciple
fidèle de saint Augustin.
3. Il ne faut que lire le petit livre de la
Prédestination de Dieu, pour se convaincre
qu'il n'est point de saint Augustin ; les pen-
sées en sont basses et les raisonnements
peu soutenus.
4. C'est par une erreur visible que l'on a
mis le nom de saint Augustin à la tête des
seize réponses à xm pareil nombre d'objec-
tions ; puisqu'il est constant qu'elles sont de
saint Prosper, comme on le verra dans la
suite.
5. Après ces ouvrages supposés, on a mis
dans l'Appendice du dixième tome, un grand
nombre de pièces qui répandent beaucoup
de jour sur l'histoire des pélagiens. Les plus
considérables sont deux mémoires de Mer-
cator contre les pélagiens ; la lettre de saint
Jérôme à Ctésiphon ; l'endroit de l'Apologé-
tique de Paul Orose, où il est parlé de l'as-
semblée de Jérusalem au sujet de Pelage ;
plusieurs fragments des trois dialogues de
saint Jérôme contre les pélagiens , où ce
Père fait connaître sous le nom de Chréto-
bule les erreurs de Pelage ; les décrets des
conciles de Carthage, de Milève, et de quel-
ques évêques contre cette hérésie ; la pro-
fession de foi et les lettres de cet hérésiar-
que, adressées au pape Innocent, et qui ne
furent rendues qu'à Zozime; les lettres que
Zozime écrivit sur ce sujet aux évêques d'A-
frique ; la requête qui lui fut présentée con-
tre Célestius par le diacre Paulin ; la Lettre
de ce pape aux évêques d'Afrique dans la
cause de Célestius ; le Rescrit des empereurs
Honorius et Théodose contre Pelage et Cé-
lestius ; les décrets du concile général d'A-
frique en 418, contre l'hérésie de Pelage et
de Célestius ; l'appel au concile général par
les évêques qui avaient refusé de souscrire
à la condamnation de ces deux hérétiques;
divers monuments qui regardent Julien, évê-
que d'Eclane, défenseur de l'hérésie arien-
ne ; d'autres qui font connaître quel était
Annien, faux diacre de l'Église de Célède,
aussi défenseur de cette hérésie ; la lettre
du pape Célestin en faveur de Prosper et
d'Hilaire, défenseurs de la grâce de Dieu;
une des évêques d'Afrique relégués en Sar-
daigne ; les décrets du second concile d'O-
range, touchant la grâce et le libre arbitre ;
et divers ouvrages de saint Prosper sur cette
matière, dont on parlera en son lieu.
6. On trouve ensuite une lettre de conso-
lation à Probus, dont le style seul prouve
qu'elle n'est pas de saint Augustin , et le
fragment d'an discours assez semblable à
ceux que ce Père prononça à la déposition
de quelques évêques. Il est parlé de ces dis-
cours dans Possidius , mais nous ne les
avons plus ; celui-ci a été mis qaelque temps
parmi ceux qu'on a supposés à saint Ful-
gence. Ce dixième tome finit par la vie de
saint Augustin, de la composition de Possi-
dius, qui avait vécu avec lui familièrement
environ quarante ans, et qui s'était appli-
qué à remarquer non-seulement ses actions,
mais à recueillir aussi ses écrits dont il
nous a laissé le catalogue. Saint Isidore
paxie de cette vie et de la table ou catalogue
que Possidius y avait joint, et que nous
avons encore.
ARTICLE XV.
DES OUVRAGES PERDUS DE SAINT AUGUSTIN '.
DE CEUX DE POSSIDIUS.
1 . Il est fait mention dans les Rétractations
de saint Augustin, de plusieurs de ses ouvra-
ges dont il ne nous reste plus que les titres,
savoir : la réfutation de ce * qu'a apporté
Centurius ; un livre '- contre le parti de Do-
uât; deux livres ' sur le même sujet; un
contre * un laïque catholique nommé Hila-
rius, qui avait été tribun ; un livre des preu-
Autres piè-
ces, pag, 253.
Isidor. do
Scri[it. , caji,
VJll.
1 August., lib. Retract, i cap. xix.
2 Ibid., caiD. XXI.
3 Lib. IIj cap. V.
* Ibid,, cap. VI.
560
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
ves' et des témoignages contre les donatis-
tes ; un autre contre je ne sais queP dona-
tiste ; un avertissement aux donatistes ' tou-
chaiît les maximianistcs ; l'explication * de
l'Épître catholique de saint Jacques aux
douze tribus ; un livre des maximianistes '^
contre les donatistes ; un livre à Émérite ^,
évêque donatiste.
2. Possidius' parle de cinq sermons de
saint Augustin sur les sept jours de la créa-
tion ; ils sont cités par Cassiodore , qui en
marque sept au lieu de cinq ; un sur Absa-
lon, et trois questions sur les Rois. Facun-
dus * cite deux sermons sur l'Epiphanie ,
qu'il nomme les cent quatre-vingt-dix-neu-
vième et deux centième. Dans la nouvelle
édition des ouvrages de saint Augustin, il y
a un' discours pour le jour de Pâques,
adressé aux enfants , qui a beaucoup de
conformité avec celui qui est rapporté par
saint Fulgence , dans sa lettre à Ferrand,
lequel n'est autre que le sermon deux cent-
soixante-douzième de saint Augustin , qui
se trouve dans le tome V de la nouvelle
édition, page 1104. Cette conformité toule-
fois est plus dans les pensées que dans les
paroles. La présence réelle y est bien mar-
quée ; et saint Augustin, après l'avoir expli-
quée nettement, en prend occasion d'ins-
truire les nouveaux baptisés sur un point de
morale, en leur apprenant qu'ils sont eux-
mêmes le pain et le vin de Jésus-Christ, par
l'union que ses membres liés et animés par
la charité ont tous ensemble. Sulpice Sévère
rapporte un fragment assez long d'un dis-
cours de saint Augustin sur le malade de
trente-huit ans, que nous ne trouvons pas
dans les imprimés. Ce Père avait fait deux
discours sur le jugement célèbre de Salo-
mon entre deux femmes. Ils sont tous deux
cités par" Possidius ; mais Cassiodore " n'en
avait vu qu'un, qu'on croit être celui qui fait
le dixième dans la nouvelle édition. Le même
écrivain'^ parle de quelques homélies de
saint Augustin sur le livre de la Sagesse. Il
ne nous en reste aucune. Saint " Augustin
cite lui-même trois vers d'un poème qu'il
avait fait en l'honneur du cierge , c'était
peut-être le cierge pascal. L'endroit cité
sous le nom de saint Augustin dans le con-
cile "'de Chalcédoine contre Entichés, est tiré
de la Rétractation de Léporius , dont on ne
doute presque pas que saint Augustin ne
soit auteur.
3. Voici d'autres écrits cités par Possi-
dius. Une lettre aux frères '^ de Carthage ;
une exhortation" à la foi; un traité des fu-
nérailles ou des festins qui se faisaient aux
funérailles; un de l'éclipsé du soleil; un
des témoignages contre les donatistes et les
idoles ; une question des Juifs , ou plutôt
des idées, car il y en a une sous ce titre
dans le livre des Quatre-vingt-trois questions,
et c'est la seule que Possidius ait omise ; un
traité contre les Juifs ; un traité des sacri-
fices spirituels " contre les manichéens; un
autre intitulé du jour du Seigneur selon le
prophète Sophonias, contre les mêmes héré-
tiques ; un livre contre les donatistes ; trois des
maximianistes" contre les donatistes. Saint
Augustin n'en met qu'un dans " ses Rétracta-
tions. Possidius énumère encore une lettre à
Janvier, primat des donastistes, c'est peut-
être la même qui est adressée à Janvier de la
part des ecclésiastiques d'Hippone, et qui est
la quatre-vingt-huitième; un avertissement à
Primien ; quatre lettres à Proculien, il n'y
en a qu'une d'imprimée ; deux à Émérite; il
n'en reste non plus qu'une, et nous en avons
aussi perdu deux des quatre à Crispin^" ;
il y en a deux aux habitants de Thiane ;
une à ceux de Coustantine; une à Cresco-
nius le grammairien ; une à Gaudence, évê-
que donatiste ; trois traités touchant les tra-
diteurs pendant les persécutions , et du faux
baptême ; un contre ceux des donatistes
qui se plaignaient de ce qu'on les obhgeait
de revenir à l'unité; un traité du bien de
l'unité.
4. On trouve encore dans Possidius, un
sermon prêché le jour de la fête de saint
Salvius martyr ; un traité contre les dona-
tistes, pour montrer que ce ne sont pas les
hommes, mais Jésus-Christ qui baptise ; un
' August., lib. Retract. y cap. xxvn.
« Ibid., cap. xxvni. — ' Ibid., cap. xxix.
' Ibid., cap. xxxii. — ^ Ibid., cap. xxxv.
' Ibid., cap. XLVi.
T Possid., iu Ind., cap. vm. Cassiod., Inst., cap.
I et n.
8 Facund., lib. I, cap. iv.— « Serin. 227, toni. V,
pag, 982. — 1" lu Ind., cap. ni et vni.
u Cassiod., Inst., cap. ii. — '- Inst., cap. v.
15 August., lib. XV, Decis., cap., xxi.
" Tom. lY Concil., pag. 365. — " Possid., iii
Ind., cap. I. — 18 Idem., ibid.
'■ï Possid., ibid., cap. n.
" Possid., cap. ni.
'^ Lib. Il, cap. xxxv. — ^^ Possid., in Ind.
cap, m.
[iV* ET Y' SIÈCLES.]
petit livre du baptême contre les donatistes;
un livre' contre les questions des pélagiens:
c'est apparemment la lettre cent cinquante-
septième, à Hilaire; un livre à Pascentius-
contre les ariens, avec une lettre au même
comte , où l'on répondait à diverses ques-
tions sur la même hérésie ; on croit que ce
livre n'est autre chose que la lettre deux
cent trente-huitième, à Pascentius ; mais on
ne connaît pas bien ce que c'est que cette ré-
ponse à diverses questions : car la seconde
lettre à Pascentius n'en traite aucune, et la
troisième qu'une seule, encore assez légè-
rement, n parait donc que, Pascentius ayant
proposé diverses difficultés à saint Augus-
tin, ce Père y satisfit parla lettre dont parle
ici Possidius. Une lettre à Thérentianus ; un
sermon sur ces paroles de saint Jean : Le
père aime son fils et lui montre toutes cho-
ses ; cinq livres de la dialectique ', de la
rhétorique, de la géométrie, de l'arithmé-
tique et de la philosophie ; un livre de la
grammaire; un contre Hilaire sur les can-
tiques qu'on chante à l'autel ; une ré-
ponse aux objections d'Hilaire , que quel-
ques-uns croient être la lettre cent cin-
quante-septième. Possidius parle d'un ca-
hier que saint Augustin avait commencé de
sa propre main : mais il ne dit point quelle
matière le Saint y traitait; il marque' un
grand nombre de lettres perdues, adressées
à divers particuliers , savoir , à Firmin, à
Thalasius et à Valentin, à Eumatius, à Cra-
ton et autres carthaginois , à l'évêque Maxi-
me, à Victor, prêtre dans la plaine de Bulle,
cl Jovin, à Jovinien et aux autres , à Flac-
cien ; quatre lettres à Nectaire, dont deux
seulement sont imprimées ; deux lettres à
l'évêque PauJ ; lettres à Déodat, à Catulin,
à Fauste et à Pélagie, à l'évêque Placentin,
à Sévère, à JîmiHus, à Théodore et à Féli-
cissime, à Apronien et à Avite, à Mariniane,
aux empereurs , à Stihcon, aux préfets d'I-
talie, à l'évêque Crescent, àDomnion, au prê-
tre Viventius, à Delphin, àAgrippin, au peu-
ple de Cataqua, à Gérontius, à Burnius, à ses
prêtres, à Théodose, à Concordius, à l'évê-
que Mémorius, à Craton, à Novat, au diacre
Mercurius, à Romain, au prêtre ^milius ;
deux lettres à Théodore et à Félicissime;
une à Orator ; deux à Aurèle ; une à Fir-
mus; autres lettres à Firmus, à Munus, à
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
S61
Répentinus , à Lauritius , à Pélagasius et
à Vagulus; à l'évêque Anpédius, à Répen-
tinus, à Maxime, à Samsucius, à Proto-
gène et à Thalasius ; trois autres lettres à
Protogène ; une à Thalasius ; une à l'évê-
que Aurèle , aux clercs de Carthage , au
moine Sébastien, à Anisius, à Géminianus, à
Firmus, à Acatius, aux frères de Carthage,
à Rédemptus ; une seconde aux frères de
Carthage ; une à son peuple; une à Pierre et
à Abraham.
S. Possidius met dans son catalogue un
sermon sur la charjté ^ et sur la crainte
chaste ; un sur l'espérance ; un sur ces paro-
les de saint Matthieu : Mon joug est doux, et
mon fardeau est léger; des traités sur le
psaume xxxiv , sur les trois verges de Ja-
cob, et sur le psaume xxi, sur le cantique
d'Isaïe ; sur le psaume xvii , et sur l'Épî-
tre de saint Jean ; sur le psaume xxi , et sm"
l'Épître de saint Pierre ; sur ces paroles du
psaume cvii : Donnez-nous , Seigneur , votre
secours, "pour nous tirer de l'affliction ; un dis-
cours où le saint Évêque se proposait plu-
sieurs questions et n'en éclaircissait qu'une;
un autre sermon sur le psaume xiiv ; un fait
le jour de la mort de saint Cyr, évêque de
Carthage; un sur le psaume lxxi ; un sur ces
paroles du dixième chapitre de l'Épître aux
Romains : Jésus-Christ est la fin de la loi, et
sur un verset du psaume xc ; un sur ces paro-
les du chapitre viii de l'Évangile saint Jean :
Si le Fils vous met en liberté, vous serez vérita-
blement libres; un sur les chassem-s de Dieu
et du siècle, un sur le psaume cm, un sur ces
pai'oles de l'Ecclésiastique : Tout animal
aime son semblable ; un sur celle de l'Apôtre
aux Romains , chapitres iv et vu : Lorsqu'un
homme croit en celui qui justifie l'impie : Et la
loi est spirituelle, mais jiour moi je suis char-
nel ; un sur le psaume lxvii, prêché le jour
de la fête des Martyrs; un sur ce verset du
psaume xxiv : Montrez-moi, Seigneur, vos
voies ; un sur cet autre du psaume xii : Com-
me le cerf soupii^e apî'ès les eaux, etc.; un sur
ces paroles du psaume cix : Vous posséderez
la pinncipauté et l'empire au jour de votre
piuissance et sur Melchisédech ; un sur cet en-
droit du chapitre vii de l'Epître aux Ro-
mains : Malheureux homme que je suis ! qui
me délivrera de ce corps de mort ? un sur la
femme afiQigée d'une perte de sang depuis
1 Possid., cap.
cap. V.
IX.
Possid., in Indiculo,
* Possid., cap. vi. — * PossM., cap. vir.
sid., cap. vni.
36
Pos-
362
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
douze ans, et sur ce passage de Jérémie : //
prit une ceinture de lin et la cacha dans le
trou d'une pierre ; un sur ce qui est dit au
chapitre m de la lettre aux Colossiens :
Vous êtes morts , et votre vie est cachée avec
Jésits-Chjnst; un surla mort de Restitut, évè-
que de Cartilage ; un sur l'obéissance ; un
Exod. vn. sur la verge d'Aaron changée en serpent ;
^Mîiib.111,2, Qu g-jj. ggg paroles de saint Matthieu : Faites
pénitence; un* sur ce qui est dit dans le livre
n nés. 11. des Rois, que David dormit avec Betsabée, et
qu'il fit mourir son mari ; un sur ce verset
du psaume xxxiii : Venez, enfants, écoutez-
moi , je vous enseignerai la crainte du Sei-
gneur, et sur la femme surprise en adul-
tère ; un qui fut prêché lorsque les païens
entraient ; un sur cet endroit de l'Apôtre
BoŒ, XI, 33. aux Romains : 0 profondeur des trésors de la
sagesse et de la science de Dieu! et sur le ver-
set premier du psaume lix : 0 Dieu , vous
nous avez rejetés, et sur cet autre du psau-
me cxviii : Il m'est bon que vous m'ayez humi-
lié; d'autres sur les psaumes cxxxi, cm, li
et Lvi; un sur les œuvres de miséricorde ; un
sur les paraboles d'un trésor caché dans un
champ, d'une perle qu'un homme a trou-
vée, et d'un filet jeté dans la mer ; un sur
ce qui est écrit dans l'Évangile d'un homme
qui était vêtu de pourpre et de lin.
6. Saint Augustin avait aussi expliqué
dans les discours particuliers divers autres
endroits de l'Écriture, savoir : les premières
paroles de la Genèse ; le troisième verset du
psaume cxl; le second du psaume cxv', le
trente-sixième du psaume xvii, le premier
du psaume xix, le vingt -deuxième du
psaume xiiii, le onzième du psaume vii, le
vingt-deuxième du psaume lxxiii, le pre-
mier du psaume c, le neuvième du psaume
cxiiii, le quatrième du'psaume lsx, le pre-
mier du psaume lxxiv, le premier du psau-
me cxvii, le seizième du psaume cxxxviii, le
seizième du psaume cxv. Ce discours est
aussi sur la fête de saint Victor, Le neu-
vième du psaume cxxxi. On avait encore un
autre discours sur un verset du psaume xxv,
où ce Père expliquait aussi comment, selon
l'Apôtre, il faut se dépouiller du vieil hom-
me pour se revêtir du nouveau. Il avait
aussi expliqué dans des discours particuliers
le vei'set vingt-deuxième du chapitre x\i do
saint Jean ; le troisième du chapitre xix de
1 Possid., inindiculo, cap. is. — ^ xdem, cap.x.
3 Pùssid., iu Prolog, iu Vil. Aug. — '• Itiid.
saint Matthieu; le trente-cinquième du cha-
pitre VIII de l'Épître aux Romains ; le vingt-
sixième du chapitre xxv de saint Luc, et le
onzième du chapitre xiii du même Evan-
gile ; le quinzième du chapitre i de saint
Marc; le quarante-unième du chapitre m de
saint Jean, le cinquième du chapitre viii de
saint Matthieu. Possidius fait encore men-
tion d'un sermon sur le jour de la Pente-
côte ; d'un sur l'endroit de l'Épître aux Ga-
lates, où il est dit que saint Paul reprit saint
Pierre; d'un sur l'avarice ; d'un sur l'amour
de Dieu et du prochain ; d'un sur la fête de
saint Catulain ; d'un sur le jour de la mort de
l'évêque Florentins ; d'un sur le choix d'un
évêque qui lui fut donné pour successeur ;
d'un sur la lecture de l'Évangile; d'un sur
l'Évangile de saint Luc et les Actes des apô-
tres; d'un sur la débauche des jeunes gens;
de deux traités sur la charité ; d'un sm' l'u-
nion au vieillard Maxime ; de deux sur la
passion, dont il n'en reste qu'un; de trente-
trois traités sm- la veille de Pâques, dont
nous n'en avons que cinq ; d'un traité sur
l'Eucharistie, qui peut être le petit discours
rapporté par saint Fulgcnce, dans sa lettre
sur le baptême d'un Éthiopien ; d'un traité
sur la fête des Apôtres ; d'un sur la fête de
saint Salvius ^ ; d'un sur les aumônes des
choses spirituelles ; d'un autre sur le minis-
tère des choses charnelles ; d'un sur les au-
mônes générales. Nous n'avons plus le traité
de la beauté et de la bienséance que saint
Augustin cite lui-même dans le chapitre xiv
du quatrième livre de ses Confessions.
7. Possidius, de qui nous tenons la con- Qm n
naissance de la plus grande partie des li- '"''5-
vres dont nous venons de parler, avait ^ fait
profession, par la grâce du Sauveur, de ser-
vir par la foi de la Trinité divine, première-
ment en qualité de laïque, et ensuite dans
les fonctions de l'épiscopat. Nourri ' par
saint Augustin du pain et de la science de
Dieu, il lui fut uni par les liens de la charité
pendant un grand nombre d'années ; et par
une ^ grâce particulière de Dieu, il vécut
avec lui dans une agréable familiarité qui
ne fut troublée par aucune dissension fâ-
cheuse durant près de quarante ans. Il fut *
d'abord dans le monastère de ce saint Évê-
que à Ilippone, et puis dans son clergé. Mé-
gale, doyen de la Numidie et évêque de Ca-
Possid., in Vit. Aug., cap. xxxl.
1 liid («Il M V 1 r
' Ibid.j ca[). xil
[IV° ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
lame, étant mort en 397, Possidius fut choi-
si pour lai succéder, mais après que ce siège
eût vaqué longtemps ; si l'on n'aime mieux
dire qu'il y eut un autre évêque entre Mé-
gale et Possidius. On ne doute pas qu'il n'é-
tablit dans son Église la vie monastique,
dans laquelle il avait lui-même été formé : et
c'est de là apparemment qu'il est parlé des
serviteurs '■ de Dieu, et des pauvres très-re-
ligieux de Calame. On ne peut mettre qu'a-
près l'an 401 , la lettre ^ qu'il écrivit à saint Au-
gustin, pour le consulter sur les ornements
des femmes mariées, et sur l'ordination d'un
jeune homme baptisé par les donatistes. Sur
le premier chef, le saint Docteur hii répondit
qu'il ne fallait pas défendre si absolument
les ornements aux personnes mariées, ex-
cepté le fard ou les choses qui peuvent sen-
tir la magie. Il lui dit, sur le second, que
comme l'on n'avait ' permis d'ordonner un
homme baptisé par les donatistes, que parce
qu'alors on manquait de clercs, il ne peut
lui conseiller d'en user de même ; mais que
s'il y est contraint, il ne l'en empêchera pas.
En 403, Possidius se trouva * au concile de
Carthage, et l'année suivante, se voyant at-
taqué par les donatistes qui étaient puissants
à Carthage, il fit ^ sommer Crispin, l'un des
plus anciens et des plus célèbres de leur
secte, pour entrer avec lui en conférence
publique. Crispin ayant répondu qu'il ver-
rait dans le concile que ceux de son parti
devaient assembler, quelle réponse il aurait
à faii'e, Possidius le somma une seconde fois :
Crispin ne répondit que par une bravade.
Mais ceux de cette secte, sachant que Pos-
sidius devait sortir ^ un certain jour de Ca-
lame pour visiter un endroit de son dio-
cèse nommé Fugiline, allèrent l'attendre en
armes sur le chemin comme des voleurs.
Possidius ayant eu avis de leur embuscade,
l'évita en se réfugiant en un lieu appelé Li-
vet. Les donatistes le surent, vinrent inves-
tir avec des gens armés la maison où Possi-
dius s'était retii'é, l'attaquèrent à coups de
pierres et y mirent le feu. Les habitants du
lieu, voyant le danger auquel ils s'exposaient
eux-mêmes, en laissant commettre un si
grand outrage, firent tous leurs efforts pour
563
arrêter la fureur des donatistes, et éteigni'
rent le feu jusques à trois fois. Ceux-ci, de-
meurant inexorables, continuèrent leurs vio-
lences, enfoncèrent la porte, tuèrent toutes
les bêtes de monture qu'ils trouvèrent dans
l'écurie, et, s'étant saisis de Possidius, lui
firent toutes sortes d'outrages et de mauvais
traitements. Il eut toutefois une conférence
publique avec Crispin sur la différence des
deux communions. Elle se fit à" trois repri-
ses, et celui-ci y fut convaincu d'héi'ésie, et
ensuite condamné à payer à Possidius dix
livres d'or. Mais Possidius intercéda pour lui
auprès du proconsul, et obtint qu'il ne paie-
rait point cette somme. Il assista en 407 ' au
concile de Carthage, où il fut commis avec
saint Augustin et quelques autres évêques
pour juger l'affaire de Maurence, que l'on
croit avoir été évêque de Tubursique dans
la Numidie. L'année suivante ' 408, les païens
de Calame en brûlèrent l'église et cherchè-
rent même le saint évêque pour le tuer, eu
vengeance de ce qu'il avait publié la loi du
24 novembre 407, qui défendait les solenni-
tés sacrilèges du paganisme. Cela l'obligea
de faire un voyage en Italie pour demander
justice à l'Empereur. Il fut député vers ce
prince, en 410 ", parle concile de Carthage,
et on croit que ce fut sur cette députation
qu'Honorius renouvela les lois faites contre
les hérétiques et les païens, et qu'il accorda
la conférence qui se tint dans cette vifie en
411. Possidius fut l'un des sept évêques
choisis pour soutenir la cause de l'Église
contre les donatistes. En 416, il écrivit au
pape Innocent contre '° les pélagiens, avec
les autres évêques du concile de Milève. En
418, il fit un voyage à Alger avec saint Au-
gustin. L'année suivante, il assista" au con-
cile de Carthage, et fut du nombre de ceux
que l'on députa pour juger les affaires qui
restaient après ce concile. Il est marqué, dans
le vingt-deuxième livre '^ de la Cité de Dieu,
que Possidius procura à son Église des reli-
ques de saint Etienne , qui opérèrent un
grand nombre de miracles. La ville de Ca-
lame ayant été prise dès l'an 430 par les
Vandales, Possidius fut obligé de se " ré-
fugier à Hippone, où il demeura jusques
* August., Epist. 104. — 2 Idem,, Epist. â4S.
' Tom. II Concil., pag. 1084. — * Tom. II Con-
çu., pag. 1103.
' August., lib. m in Crescon., cap. slvi.
^ Possid., in Vit. Aug., cap. su.
'' Tom. Il Concil., pag. 1117. — ^ August., Epist.
254, — 9 Tom. II Concil, pag. 1121. — "> August.,
Epist. 177.-11 Tom. II Concil., pag. 1132.
12 Lib. XXII De Civit. Dei, en p. viir.
" Possid., in Vit. Aug., cap. xxviii.
564 HISTOIRE GÉNÉRALE DES
-vers la fin de l'année suivante ; cela lui don-
na lieu d'être présent à la mort de saint
Augustin, arrivée le 28 août 430. Il en écri-
vit la vie quelque temps après' et comme il
le marque lui-même, avant queCirthe et Car-
tilage fussent prises par les Vandales, c'est-
à-dire avant l'an 439. Il l'écrivit sur ce qu'il
avait ^ appris de la bouche de saint Augus-
tin, ou sur ce qu'il en avait vu lui-même, et
il proteste qu'il y emploie une foi non feinte,
et toute la sincérité nécessaire pour servir
et pour plaire tant à Dieu qu'aux bommes
ses serviteurs, tâchant de satisfaire d'une
part à la charité des fidèles enfants de l'E-
glise, et de ne point blesser de l'autre la vé-
rité du Père des lumières, et n'ayant pour
but que d'employer à l'édification de l'Église
les talents que Dieu lui avait donnés '. Il est
compté dans la Chronique de saint Pi'osper ^
entre les plus iUustres évêques que Genséric
chassa en 437 de leurs églises et de leurs vil-
les, pour leur confiance à défendre la foi ca-
tholique que ce prince voulait ruiner dans
ses États. On ne sait point l'année de sa
mort, mais sa fête ^ est marquée au dix-sep-
tième de mai.
ARTICLE XVI.
DOCTRINE DE SAINT AUGUSTIN.
Voici ce qu'on remarque sur l'Ecriture
Sainte.
Sur l'Écri- 1. «Nous lisons^ que Dieu écrivit autrefois
AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
la loi de son propre doigt, et qu'il la donna
à son peuple par Moïse son serviteur. Plu-
sieurs, par ce doigt de Dieu, entendent le
Saint-Esprit. Si donc par les doigts de Dieu
nous pouvons entendre ces mêmes serviteurs
de Dieu et ses ministres pleins du Saint-Es-
prit, parce qu'il agit en eux et par eux ;
comme c'est par ces personnes que tonte
l'Écriture nous a été donnée , rien ne
nous empêche, dit saint Augustin, de pren-
dre le nom de deux qu'on lit dans le
verset quatrième du psaume viii : Je verrai
vos cieux qui sont l'ouvrage de vos doigts, pour
les livres dé l'un et de l'autre Testament.
Ils sont l'ouvrage des doigts de Dieu, puis-
qu'ils ont été écrits par le Saint-Esprit qui
animait les saints et agissait par eux. »
Ce Père dit ailleurs' qu'il nous est venu
des lettres de la sainte cité d'où nous som-
mes exilés; que ces lettres sont les Écritures
saintes qui nous exhortent à bien vivre ; que
Jésus-Christ ^ après avoir premièrement parlé
par les prophètes, ensuite par lui-même,
puis par les apôtres, a composé l'Écriture
qu'on nomme canonique, qui est d'une très-
grande autorité, et sur l'autorité de laquelle
nous croyons les choses qu'il ne nous est
pas permis d'ignorer, et que nous ne pou-
vons connaître par nous-mêmes.
2. Sur l'infaillibifité de l'Écriture-Sainte, il
s'exprime ainsi : « J'avoue, dit-il ° à saint
Jérôme, que les livres canoniques sont les
seuls que j'ai appris à révérer jusqu'au point
Soailf.
biUI6.
1 Le cardinal Maï a publié, tome I Biblioth.
Nov. Pat., pag. 160-161, des fragments nouveaux
de cette vie qui doivent être placés au chapi-
tre XXXI après ces mots : « Sana fide in Ecclesia
prœdicavit ; » ou mieux : « Sana mente, simoque
consilio in Ecclesia prœdicavit. » On y voit la
mort de saint Augustin arrivée le troisième mois
du siège d'Hip^jone, les éloges donnés au saint
évêque qui surpasse en érudition et en travaux
Varron, Origène. Une addition faite longtemps
après parle de la translation de son corps en Sar-
daigne et de là à Pavie {L'éditeur).
s Possid., Prœfat. in Yit. Aug.
' Prosp. in Chronic. ad an. 437.
* Cette vie se trouve au tome X, Append., dans
l'édition donnée par Gaume ; tom. XI, dans l'édi-
tion Migne; tome 1, XXXlt de la Patrologie li-
tine. On l'a réimprimé à part, à Rome, en 1731 et
à Augsbourg, en 176S, in-S" (L'éditeiir).
5 BoUand., ad diem il ilaii., pag. 23.
6 Quoniam videbo ccelos tuos, opéra digitorum
tuorum. (Psal. vni, vers. 4.) legimus digito Dei
scriptam legem, et datam per Moysem sanctum
servum ejus : qiiem digit-um Dei multi inteUi-
gu7U Spiritnm sanction; quapropter si digitos
Dei, eosdem ipsos ministros Spiritu sancto replè-
tes, jiropter ipsum spiritum qui in eis operatur,
recte accipimus; quoniam per eosdem nobis om-
nis divina Scriptura confecta est, convenienter
hoc loco cœlos dictas libros utriusque Testamen-
ti isti quippe cœli, id est isti libri, opéra sunt
digitorum Dei. Sancto etenim Spiritu in sanctis
opérante confectisunt. August., in Psai. vni, num.
7 et 8, pag. 41 et 42, tom. l\.
' De illa civitate, unde peregrinamur, litterœ
nobis venerunt : ipsœ sunt Scripturœ, quœ nos
hortantur ut bene vivamus. August., in Psal. se,
Serm. 2, num. 1.
' Hic [Christus] prius per Prophetas, deinde
per seipsum, poslea per Apostolos quantum esse
judicavit. locutus, etiam Srripturam condidit,
quœ canonica nominatur, eminentissimce aucto-
ritatis, cui fidem habemus de liis rébus qua s
ignorare non expedit, nec per nosmetipsos nosse
idonei sujnus. August., lib. 11 De Civit. Dei,
cap. nr, pag. 273, tom. VII.
' Ego fateor charitati tuœ, solis eis Scriptura-
rum libris, qui j a m. canonici appellantur, didici
hune tiniorem. honoremque déferre, ut nullum
eorum auctorem scribendo aliquid errasse firmis-
[lye j.^ yo SIÈCLES.]
de croire très-fermement qu'aucun de leurs
auteurs n'est tombé en aucune erreur. Si
j'y trouve quelque chose qui semble con-
traire à la vérité, je crois que l'exemplaire
est fautif, que le traducteur n'a pas bien
pris le sens, ou que je ne l'ai pas entendu.
Pour les autres écrivains, quelque sainteté
et quelque doctrine qui les distingue, je ne
me fais pas une loi en les lisant de croire
vrai ce qu'ils disent: mais parce qu'ils m'ont
persuadé, parles auteurs canoniques ou par
quelque bonne raison, que ce qu'ils disent
est conforme à la vérité, je suis persuadé
que vous n'êtes pas d'un autre avis ; et vous
ne prétendez pas sans doute qu'on lise vos
livres avec la même déférence qu'on lit ceux
des prophètes et des apôtres, que l'on ne
ne saurait soupçonner de la moindre erreur.
En effet, il n'y a rien de plus ' pernicieux
que de croire qu'il y ait du mensonge dans
les livres sacrés ; c'est-à-dire que ceux par
lesquels l'Écriture-Sainte nous a été donnée,
et qui est de leurs mains, aient menti dans
quelqu'endroit de lem's livres. Car quand on
pourrait mettre en question si un homme de
bien peut user de mensonge en quelque ren-
contre, il ne s'ensuivrait pas que les auteurs
de ces livres tout divins eussent dû en user.
C'est une question toute différente, ou plu-
tôt il n'y a pas de question sur ce sujet,
puisqtie dès que l'on admettra le moindre
mensonge, même officieux, dans ce qui nous
doit être d'une si grande autorité, il n'y aura
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
S63
rien dans ces livres de difficile à croire, ou
de gênant pour les mœurs, qu'on n'élude
par ce pernicieux principe, et qu'on ne mette
au rang de ces mensonges officieux, dont les
écrivains canoniques auront cru devoir user
en certaines occasions. Comment ^ nous dé-
fendrons-nous par exemple contre ces mé-
chants qui s'élèveront un jour suivant la pré-
diction de l'apôtre saint Paul, et qui condam-
neront le mariage? Que leur répondrons-nous
quand ils nous diront que tout ce que cet
apôtre a dit pour en établir la sainteté, n'a
été qu'un mensonge officieux, par où il a
cru devoir empêcher le bruit qu'auraient pu
faire ceux qui avaient de l'attache à leurs
femmes; et qu'en cela il a dit non ce qu'il a
cru vrai, mais ce qu'il a trouvé nécessaire
pour apaiser ces sortes de bruits? Sans cher-
cher d'autres exemples ne pourra-t-on pas
dire que, même dans les endroits de l'Écri-
ture qui vont à relever la gloire et la gran-
deur de Dieu, il y a du mensonge officieux
pour réveiller l'assoupissement des hommes,
et les exciter à l'aimer? Ainsi il n'y aura
plus rien que de chancelant dans l'autorité
toute sainte de ces livres divins. »
3. Les manichéens prétendaient ' que le
Dieu qui a donné la loi à Moïse et qui a parlé
parles prophètes, n'était point le véritable
Dieu, mais un des princes des ténèbres;
c'est pourquoi ils rejetaient l'Ancien Testa-
ment. Quant au Nouveau, ils n'en rece-
vaient * que ce qui leur plaisait, soutenant
Sa vérité ot
son auIorilG.
sime credam. Ac si aliquid in eis offendero litte-
ris quod videatur contrarium veritati , nihil
aliud, quam vel mendosum esse codicem, vel in-
terpreteni non assequutwm esse quod dictum est,
vel me minime intellexisse, non ambigam. Alios
autem ita lego, ut quantalibet sa^nctitate doctri-
naqiie polleant , non ideo vernm puiem , quia
ipsi ita senserunt; sed quia mihi vel per illos
auctores canonicos, vel probabili ratione. quod
a vero non abhorreat, persuadere potuerunt.
Nec te, mi frater, sentir e aliud existimo : pror-
sus, inquam, 7ion te arbitror sic legi tuos libros
velle, tanqioam Prophetarum, vel Apostolorum:
de quorum scriptis, quod omni errore careant,
dubitare nefarium est. August., Epist. 82, num. 3,
pag. 190, torn. II.
' Mihi enim videtur exitiosissime credi, aliquod
in libris sanctis haberi mendacium, id est eos
homines, per quos nobis illa Scriptura ministrata
est atque conscripta, aliquid in libris suis fuisse
mentitos. Alia quippe quœstio est, sit ne ali-
quando mentiri viri boni : et alia qucestio est,
utrum scriptoremsanctarum Scripturarum men-
tiri oportuerit : imo vero non alia, sed nulla
quœstio est. Admisse enim semel in tantum auo-
toritatis fastigium ofjicioso aliquo mendacio ,
nulla illorum librorumpartvula remanebit, quœ
non ut cuique videbitur vel ad mores difficilis,
vel ad fldem. incredibilis, eadem perniciosissima
régula ad mentientis auctoris consilium, offi-
ciumque referatur. August., Epist. 28, num. 3
pag. 46 et 47.
2 Qiiid respondebimus, cum exsurrexerint per-
versi homines, prohibentes nuptias, quos futuros
ipse {Apostohis) prœnuntiavit, et dixerinl totum
illud, quod idem Apostoliis de matrimoniorum
jure firmando locutus est, propter homines qui
dilectione conjugiim tumultuari poterant, fuisse
mentitum : scilicet non quod hoc senserit, sed ut
illorum placaretur adversitas? Non opus est
muUa commemorare : possunt enim videri etiani
de laudibus Dei esse offlciosa mendacia, ut apud
homines pigriores dilectio ejus ardescat ; atque
ita nusquam certa erit in libris sdnctis caslw
veritatis auctoriias. August., Epist. 28, num. 4,
pag. 47. Yide Epist. 40, num. 3, pag. 84.
3 August., lib. De Hœresibus. Heer. xlvi, pag.
16,tom. VIII.
' Manichœi non solum omnes Veteris Instrc-
menti scripturas in ulla auctoritate non habent,
566
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Multll. XXTI,
W.
avec une impudence ' détestable qu'il avait
été corrompu, et ^ falsifié. Saint Augustin
combat cette erreur, en montrant que c'est
une folie ' de disputer de la vérité des livres
saints qui sont autorisés de l'approbation des
Églises dispersées dans toutes les provinces
de l'univers. « Venez donc, leur dit-il , du
moins ceux d'entre vous qui pourront quel-
que jour sortir de cette erreur, venez en es-
prit de paix et sans opiniâtreté. Y a-t-il quel-
qu'un qui ne tombe d'accord que s'il est bon
d'aimer Dieu et le prochain, tout ce qui est
enfermé dans ces deux préceptes ne saurait
être blâmé raisonnablement ? II est ridicule
de me demander ce qu'ils contiennent, puis-
que vous le pouvez apprendre de Jésus-
Christ. Écoutez ces paroles : En ces deux pré-
ceptes consistent toute la loi et tous les prophè-
tes. Que peut dire ici l'opiniâtreté la plus té-
méraire? Que Jésus-Chriît n'a pas dit cela?
Ces paroles sont écrites dans l'Évangile. Que
ce qui y est écrit a été falsifié? Qu'y a-t-il
de plus impie que ce sacrilège , de plus im-
pudent que ce mensonge , de plus criminel
que cette hardiesse ? Ceux qui adorent des
idoles et qui haïssent jusqu'au nom même
de Jésus-Christ, n'ont jamais osé dire rien
de semblable contre ces mêmes Écritures;
parce que ce serait ruiner tous les ouvrages
des lettres et des sciences, et abolir tous les
livres qui ont eu cours dans le monde, et qui
se sont conservés d'âge en âge, de vouloir
encore douter de ce qui est établi par une
révérence si religieuse des peuples, de ce
qui est confirmé par un consentement si
universel des hommes, et par une si longue
suite de siècles; et de les révoquer en doute
jusqu'au point de ne vouloir pas que l'Évan-
verum etiam eas quœ ad Noviim Testamentum
pertinent sic accipiunt, ut sua quodam privilegio,
immo sacrilegio, quod volunt sumant, quod no-
lunt rejiciant. August., lib. De Dono perseveran-
tiœ, nmn. 26, pag. 834, tom. X.
1 ilanichœi non accipiunt Scripturas sanctas
Yeteris Instrumenti, in quibus originale pecca-
tum narratur, et qiiidquid inde in liiteris apos-
tolicis legitur detestabili impudentia immissum
fuisse contendunt a corruptoribus Scripturarum,
tanquam non fuerit ab apostolis dictum. August.,
lib. I Retract., cap. ix, pag. 15, tom. I.
2 August., lib. V Confes., cap. xi, pag. 117,
tom. 1.
3 Quamobrem adestote animis, manichœi, si qui
forte illa superstitione ita tenemini, ut evadere
aliquando possitis. Adestote, inquam. sine perti-
nacia, sine studio resistendi : nam aliter vobis
perniciosissimum est judicare. Certe enim nemini
dubium est, nec aversi vos ita estis a vero, ut
non intelligatis, si dUigere Deum et proximum
bonum est, quod negare nemo potest, quidciidd
in his duobus prœceptis pendet, vituperari jure
no7i passe. Quid ergo in iis pendeat, ridicuium
est si a me quœrendum esse putas. Ipsum Chris-
tum audi, audi, inquam Christum-, audi Dei sa-
pientiam : In bis, inquit, duobus prajceptis tota
lex pendet, et omnes propbetfe. Quid hoc loco
potest dicere impiidentissima pertinacia? ?lon
hoc Christum dixisse?Àt in Evangelio verba ejus
ista conscripta sunt. Falsum esse scriptum ?■
Quid hoc sacrilegio viagis impium reperiri po-
test? Quid ista voce impudentius? Quid auda-
cius? Quid sceleratius ? Simulacrorum cuUores,
qui Christi etiam nomen oderunt, nunquam hoc
adversus Sc7iptiiras illas ausi sunt dicere. Con-
sequetitr nanique omnium litterarum summa
perversio, et omnium qui 7nemoriœ mandali sunt
libroruni abolitio , si quod tanta populorum
religione reboratum est; tantahominum et lem-
porum consensione firmatum in hanc dubita-
tionem adduciticr, ut ne historiœ quidem vulga-
ris fldem possit gravitatemque obtinere. Postre-
mo quid de Scripturis ullis prof erre poteris, ubi
mihi,utihac voce non liceat,si contra meam ra-
tiocinationem intentionemque proferatur ? Illud
vero quis ferre possit, quod 7ios 7iotissimis ac
jam in manibus omnium libris constitutis cre-
dere vêtant, et iis quœ ipsi prof erunt imperant ui
credamus? Si de Scriptura dubitandum est, de
qua magis quam quœ diffamari non meruit .
quœve potuit sub nomine alio tota mentiri? Si
istam obdis invita et auctoritatis exagerationc
cogis in fidem; ego ne de illa, quam. constanter
latissime divulgatam video, et Ecclesiarum per
totum orbem dispersarum contestatione muni-
tam, dubitabo miser, et quod est miserius, te
auctore dubitabo? Cum si exemplaria proferres
altéra, tenere non deberem, nisi ea quœ pluiium
consensione commendarentur, nunc nihil te pro-
ferente conféras , prœter inanissimam vocem
temeritatisque plenissimam, putabis usque adeo
genus humanum esse perrersum, et divinœ Pro-
vedetitiœ ope desertum, ut i'Ais Scripturis, non a
te prolatas alias qiiibus redarguuntur, sed tua
tantum verba prœponat? Profcrendus est nam-
que tibi alius codex eadem continens. sed tamen
incorruptus et verior, ubi sola desint ea quœ
hic immissa esse criminaris. Ut si, verbi causa,
Pauli Epistolam, quœ ad Romanos scripta est,
corrwptam esse contendis, aliam proferas incor-
ruptam, vel alium codicem potius, in quo ejus-
dem apostoli eadem Epistola sincera et incor-
rupta conscripta sit. Kon faciam, inquis, ne ipse
corrupisse credar, hoc enim soletis dicere; et ve-
7-um dicitis : nihil prorsus aliud suspicabuntur,
vel mediocriter cordati homines, si hoc feceris.
Vide ergo lu ipse quid de auctoritate tua judica-
veris : et intellige utrum tuis verbis contra illas
Scripturas credere debeant, si codici ob hoc so-
ium quod abs te profertur, magnœ temeritalit.
est credere. August., lib. 1 De Morib. Ecoles., cap.
XXIX, pag. 707 et 708, tom. I.
[iV« ET V° SIÈCLES.]
gile soit d'une autorité égale à celle des his-
toires ordinaires ; que si cette extravagance
avait lieu, quel texte pourriez-vous alléguer
de quelque livre que ce soit que je ne puisse
réfuter de cette sorte, si vous vous en serviez
contre moi? Mais est-il supportable que les
manichéens nous défendent de croire à des
Hvres connus de toute la terre, et qui sont
entre les maius de toutes les nations, pen-
dant qu'ils nous obligent de croire à ceux
qu'ils produisent, sous le nom emprunté des
apôtres ? S'il faut douter de quelque Ecriture,
n'est-ce pas de celle qui ne s'est acquise au-
cune réputation parmi les peuples, et qui, ne
paraissant que sous un nom supposé, peut
être fausse en toutes ses parties? Que si
vous vouhez engager celui qui n'y croit pas,
à y ajouter foi par la force de l'autorité;
comment ne croirai-je pas à celle qui est ré-
pandue en tant de lieux, et qui a l'approba-
tion des Églises dispersées dans toutes les
.provinces de l'univers? Ce qui est encore
plus ridicule, douterai-je de la vérité de ces
livres saints sur votre parole, puisque même,
si vous en produisez quelques exemplaires,
je ne devrais suivre que ceux qui seraient
suivis et approuvés de plus de personnes?
Maintenant donc que vous n'apportez que
des paroles vaines et téméraires, vous ima-
ginez-vous que nous soyons si dépourvus de
sens, et si abandonnés de la Providence di-
vine que nous préférions vos seules paroles
à ces divines Écritures? Car il faut que vous
produisiez un autre exemplaire qui contienne
les mêmes choses, et qui, néanmoins, ne soit
point falsifié , mais plus véritable que les
autres, dans lequel ce que vous dites avoir
été ajouté ne se trouve point, quoique tout
le reste y soit. Par exemple, si vous soutenez
que l'Epître de saint Paul aux Romains est
corrompue, il faut que vous en apportiez
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
367
une qui ne le soit pas, ou plutôt un autre
exemplaire dans lequel elle soit toute en-
tière et sans aucune altération. Je ne le
ferai pas, dites-vous, de peur qu'on ne croie
que je l'ai moi-même corrompue. C'est ce que
vous dites d'ordinaire, et vous dites vrai. Si
vous en produisiez une, tous les hommes qui
ont un peu de jugement ne soupçonneraient
autre chose. Considérez donc quelle estime
vous avez vous-mêmes de votre autorité sur
les esprits : et jugez si on doit croire à vos pa-
roles contre ces saintes Écritures, puisque
ce serait une grande témérité d'ajouter foi
à un exemplaire à cause seulement que c'est
vous qui le produiriez. »
Saint Augustin soutient ' aussi contre
Fauste le manichéen les livres de l'Ancien
et du Nouveau Testament, qu'il distingue
des autx^es livres, en ce que leur autorité
s'est conservée depuis les apôtres par la
succession des évêques, et par les établisse-
ments des Églises en divers lieux. « La pa-
role de Dieu, dit-il, y est mise comme dans
un trône, afin que tous les fidèles lui obéis-
sent; si l'on y rencontre quelque chose qui
paraisse absurde, il n'est pas permis d'en re-
jeter la faute sur l'écrivain sacré ; mais il
faut dire, ou que l'exemplaire est fautif, ou
que l'interprète s'est trompé, ou que nous ne
l'entendons pas ; n'étant aucunement permis
de douter de la vérité de tout ce qui y est ;
parce qu'autrement nous n'aurions plus de
livres pour diriger la faiblesse de notre igno-
rance, si l'autorité salutaire de ceux qui
sont canoniques était abolie entièrement
par le mépris, ou si l'on y donnait atteinte
par quelque doute. »
4. Il s'exprime ainsi sur les règles que
l'on doit suivre pour distinguer les livres
canoniques : a Celui qui veut ^ pénétrer bien
avant dans l'intelligence des Écritures, doit
BèglcF prur
dîf! ingup.i les
livres canoni-
ques.
' Distincta est a posteriorum libris excellentia
canoniccB auctoritatis Veteris et Novi Testamenti,
qwœ Àpostolorum confirmata temporibns per
successiones e-piscoporum et propagationes ec-
clesiarum, tanquam in sede quadam sublimiter
constituta est, oui serviat omiiis fidelis et pius
intellectus. Ibi si quid veliit absurdum moverit,
non licet dicere : Auctor hujus libri non tenuit
veritatem ; sed, aut codex mendosus est, aut in~
terpres erravit, aut tu nonintelligis... In illa
canonica eminentia sacrarum litterarum, etiam
si unus propheta, seu apuslolus, aut evangelista
aliqtiid in suis litteris posuisse ipsa canonis con-
firmatione declaratur, non licet dubitare quod
verum sit : alioqimi nulla erit pagina qua hu-
manœ imperitiœ regatur infirmitas, si librorum
canonicorum saluberrima auctoritas, aut con-
tenta penitus abolelur, aut interminata confun-
ditur. August., lib. XI Contra Faust., cap. v,
pag. 221-222, tom. VIII.
^ Erit igitur divinarum Scripturarum solertis-
simus indagator, qui primo totas legerit, notas-
que habuerit, si nondum intellectu, jam tamen
lectione duntaxat eas quœ appellantur canonicœ.
Nam cœleras securius leget fide verilatis ins-
tructus, ne prœoccupent inlbecillem anim^im, et
periculosis mendaciis, atque phanlasmatis elu-
dentes prœjudicent aliquid contra sanam intelli-
gentiam. In canonicis autem Scripturis ecclesia- '
rum, catholicarum, quam pluritim auctoritatem
S68
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
commencer "par les lire toutes, afin de les
connaître du moins par cette lecture, jus-
qu'à ce qu'il puisse les comprendre. Cela ne
s'entend que de celles qui sont appelées ca-
noniques. Car pour les autres il est bon,
avant de les lire, d'être instruit des vérités
de la foi, afin que l'esprit encore faible ne
souffre point des erreurs ou des chimères
qui peuvent s'y rencontrer. Pour connaître
les livres canoniques il faut s'en rapporter à
l'autorité des Églises catholiques qui sont en
plus grand nombre, et surtout à celles qui
ont mérité d'être le siège des apôtres, et
d'en recevoir des lettres. On doit préférer
ceux qui sont reçus de toutes les Églises ca-
tholiques, à ceux qui ne sont reçus que de
quelques-unes ; et à l'égard de ceux qui ne
sont point reçus de toutes les Églises, il faut
préférer ceux qui sont reçus des Églises
plus considérables et en plus grand nombre
à ceux qui ne le sont que dans un petit nom-
bre d'Églises , et dont l'autorité se trouve
moindre. Que si l'on remarque que les uns
soient reçus par un plus grand nombre, et
les autres par des Églises plus considéra-
bles , quoiqu'il soit assez difficile que cela
arrive, alors on doit leur attribuer une égale
autorité. »
3. Sur le canon des Écritures saint Augus- ..
tin dit : « C'est par une vigilance salutaire
que l'on a établi ' le Canon ecclésiastique
qui contient les livres des prophètes et des
apôtres, dont nous n'osons juger, et selon
lesquels nous jugeons de tous les autres
écrits des fidèles et des infidèles. Ce canon
renferme les livres suivants. Les cinq livres
de Moïse ^ qui sont la Genèse , l'Exode, le
Lévitique, les Nombres et le Deutéronome;
le livre de Josué, le livre des Juges; un pe-
tit livre qu'on appelle de Rutli, qui paraît
être plutôt le commencement de l'histoire des
Rois, les quatre livres des Rois, et les deux
des Paralipomènes, qui n'en sont pas pro-
prement une suite, mais comme un supplé-
ment : ce qui doit les faire marcher ensem-
ble. Tous ces livres renferment le cours des
années et l'ordre de divers événements. Il y
en a d'autres qui paraissent disposés dans ■
un ordre contraire, étant placés sans aucune
suite, ni liaison des uns avec les autres.
Tels sont les livres de Job, de Tobie, d'Es-
ther et de Judith. Les deux livres des Ma-
^laia (g
;ritirai.
sequatur, inter quos sane illœ sint, quœ aposto-
licas sedes habere et epistolas accipere merue-
runt. Tenebit igitur hune mndum in Scripturis
canonicis, ut eas quœ ab omnibus accipiuntur
ecclesiis catholicis, prœponat eis quas quœdam
non accipiunt : in eis vero quœ non accipiuntur ,
ab omnibus , prœponat eas quas plures gravio-
resque accipiunt, eis quas pauciores minorisque
aucloritalis ecclesiœ tenent. Si autem alias in-
venerit a pluribus, alias a gravioribus haberi,
quanquam hoc facile inveiiire non possit, œqua-
ïis tamen aucloritalis eas habendas pulo. Au-
gust., lib. II De Docl. christ., cap. vin, num. 12,
pag. 23, tom. III.
1 Neque enim siiie causa tam salubri vigilan-
tia Canon ecclesiasticus constitutus est , ad
quem certi Frophetarum et Apostolorum libri
pertineant ; quosommino judicare non audeamus,
et secundum quos de cœteris litteris vel fxdelium,
vel infideli^im libère judicemus. August., lib. 11
Contra Cresc, cap. xxxi, tom, IX, pag. 430.
2 Totus aulem canon Scripturarum... his li-
bris conlinetur : quinque Moyseos, id est Genesi,
Exodo, Levitico, Numéris, Deuteronomio ; et uno
libro Jesu Nave, uno Judicum, uno libella qui
appellatur Ruth, qui inagis ad Hegnorum prin-
cipiinn pertinere videlur; deinde quatuor Régna-
rwm, et duobus Parulipomenon, non conseq-uen-
tibus, sed quasi a latere adjunctis. Hœc est his-
toria quœ sibimet annexa tempora continet,
alque ordinem rerum : sunt aliœ tanquam ex
diverso ordine, quœ neque huic ordini, neque in-
ter se connecliintur, sicut est Job, et Tohias, et
Eslher, et Judith, et Machabœorum libri duo et
Esdrœ duo, qui magis subsequi videantur ordi-
natam illam historiam usque ad Regnorum vel
Paralipomenon terminatam : deinde Prophetœ,
in quibus David unus liber Psalmorum. et Salo-
moiiis très, Proverbiorum, Cantica Canticorum ,
et Ecclesiastes. Nam illi duo libri, unus qui Sa ■
pientia, et alius qui Ecclesiasticus inscribitur, de
quadam aimilitudine Salomonis esse dicunlur :
nam Jésus Sirach eos conscripsisse constantis-
sime perhibetur, qui tamen quoniam in auctori-
tatem recipi meruerunt, inter Propheticos »«-
merandi sunt. Reliqui sunt eorum libri, qui pro-
prie Prophetce appellantur. Duodecim Propheta-
rum libri singuli, qui connexi sibimet, quoniam
nunquam sejuncti sunt, pro uno habentur, quo-
rum proplietarum nomina sunt hœc: Osée, Joël,
Amos, Abdias, Jonas, Michœas, Nahum, Habacuc,
Sophonias, Aggœ^is, Zacharias, Malachias ; dein-
de quatuor Prophetœ sunt majorum voliimi-
num, Isaias, Jeremias, Daniel, Ezechiel. His qua-
draginta quatuor libris, Testamenti Yeteris ter-
minatur auctoritas : Novi autem, quatuor li-
bris Evangelii, secundum ilatthœum, secun-
dum Marcum , sec^indum Lucam , secundum
Joannem : quatuordecim Epistolis Pauli opo.s-
toli ad Romanos, ad Corinthios : duabus ad Ga-
latas, ad Ephesios, ad Philippenses, ad Thessalo-
nicenes; duabus ad Colossenses, ad Timolheum ;
duabiis ad Titum, ad Philemonem, ad Hebrœos ;
Pétri duabus; tribus Jounnis ; una Judœ , el
«)!£» Jacobi; Actibus aposloloruin libro uno, cl
Apocalypsi Joannis libro uno. August., lib. Il
De Doctrina chrisiianu, cap. viii, num. 13, pag. 23
et 24.
rlV' ET 7" SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
chabées et les deux d'Esdras- semblent être
une suite de ceux des Rois et des Paralipo-
mènes. Ensuite, nous avons les prophètes,
du nombre desquels David a composé un li-
vre de Psaumes. Viennent après les trois li-
vres de Salomon, les Proverbes, le Cantique
des cantiques et l'Ecclésiaste. Les deux au-
tres livres dont l'un est appelé la Sagesse, et
l'autre l'Ecclésiastique, ne sont mis au nom-
bre des livres de Salomon , qu'à cause de
quelque ressemblance qu'ils ont avec les
siens; et ebacun sait que Jésus, fils de Si-
rach, en est l'auteur. Mais comme ils sont
d'une grande autorité, ils doivent être mis
au nombre des livres prophétiques. Les au-
tres sont de ceux qu'on appelle proprement
prophètes. Chacun des douze prophètes en
a écrit un ; mais comme ils sont liés ensem-
ble et qu'ils n'ont jamais été séparés, les
douze ne passent que pour un livre ; leurs
noms sont Osée, Johël, Amos, Abdias, Jo-
uas, Michée, Nahum, Habacuc, Sophonie,
Aggée, Zacharie et Malachie. Il y a quatre
livres de ceux qu'on nomme grands prophè-
tes , savoir Isaïe , Jérémie, Daniel et Ézé-
chiel. C'est dans ces quarante-quatre livres
qu'est renfermée l'autorité de l'Ancien Tes-
tament. Quant au Nouveau , il est compris
dans les quatre livres de l'Évangile, selon
saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et saint
Jean ; dans les quatorze Épîtres de saint
Paul, dans les deux de saint Pierre, dans les
trois de saint Jean, dans celle de saint Jude,
dans ceUe de saint Jacques, dans le livre des
Actes des apôtres et dans l'Apocalypse de
saint Jean. »
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 569
6. Saint Augustin ' reconnaît en beaucoup Lhrcs con-
d'endroits Moïse pour auteur des cinq livres catiio;iqc6s,ou
. , . ., rejetés par les
qui portent son nom. Il cite le troisième hérénquos.
d'Esdras ^ : en quoi il n'a fait que suivre
l'usage de plusieurs Pères grecs qui, comme
on l'a dit ' ailleurs, le mettent au rang des
divines Écritures ; ce qui n'est point surpre-
nant , les Grecs s'étant presque toujours
servi de la version des Septante comme ils
s'en servent encore aujourd'hui. Or, dans les
exemplaires de cette version, le troisième
livre d'Esdras est placé parmi les livres ca-
noniques, comme le premier de cet auteur.
C'est aussi la raison pour laquelle saint Cy-
prien et saint Augustin, qui ne lisaient ordi-
nairement l'Écriture que suivant la version
des Septante, ont quelquefois employé le
témoignage de ce livre, comme s'il eût été
d'Esdras.
Le saint Docteur croit l'histoire de To-
bie' très-véritable, et regarde comme cano-
nique le livre où elle est rapportée. Car
après avoir dit dans la préface ^ d'un de ses
traités intitulé le Miroir, qu'il n'y rappor-
tera que des passages tirés des livres cano-
niques, il en cite un grand nombre de To-
bie", de même que de la Sagesse et de l'Ec-
clésiastique. Il remarque ' néanmoins que ces
trois livres ne sont point dans le canon des
Juifs : « Mais, ajoute-t-il, l'Église de Jésus-
Clirist les reçoit. » Il ne forme aucun doute
sur la vérité de l'histoire ' de Judith et d'Es-
ther : il en fixe 'même les époques. Il cite les
cpiatorzième '" et quinzième chapitres " du
livre d'Esther, qu'il appelle Écriture '^ divi-
ne. Il s'est rétracté "' sur le livre de la Sa-
1 Quinque librosscripsitMoyses.A.vig\ist.,Serm.
124, cap. m, num. 3, tom. V, pag. 604.
' Forte Esdras in eo Christum prophetasse in-
telligendiis est, quod inter juvenes orta quœs-
tione (lib. III Esdr., cap. in.) quid amplius vale-
ret in rébus ; cum reges unus dixisset, aller
vinum, tertins irmlieres , quœ plurumque regi-
bus imper arent: idem lamen tertius veritatem
super omnia demonstravit esse victricem.Augast,
lib. XVIIl De Civil. Dei, cap. xsxvi, tom. VII,
pag. 519.
3 Tom. 1, chapitre sur Moïse.
* 0 lux quam videbat Tobias, cum clausis
oculis islis (ilium docebat vitce viam, etc. Au-
gust.,lib. X Conf., cap. xxxiv, pag. tSS.
' August., in Prœfat. Speculi, tom. III, pag. 681.
6 August., in Spécula, pag. 733.
' Sed non sunl omittendi et hi [Sapientia, Ec-
clesiasticus. Tobias), quos quidem ante Salvato-
ris adventum constat esse conscriptos ; sed eos
non receptos a Judœis ; recipit tamen ejusdem
Saivatoris Ecclesia. August., in Spec, pag. 733.
8 August., lib. XVIU De Civil. Dei, cap. xxvi ,
pag. 508.
s Idem lib. XVIIl De Civil. Dei, cap. sxxvi, pag.
519.
1" Esther illa regina Deum timens... in ipsa
oratione sua dixit : ita sibi esse ornatum re-
gium sicut pannum menstrualem ; et ita oran-
lem confeslim exaudivit, qui cordis inspector
eam verum dicere scivit. [Eslher. xiv, 16.) Au-
gust, Epist. 262, num. 10, tom. Il, pag. 892.
11 In libro Esther scriptum est, quod cum ha-
beret necessilalem interveniendi pro populo
SMO... oravit ad Dominum... et convertit Deus,
et transtulit indignalionem régis in lenilalein.
(Esther. xv, 11), August., lib. De Gralia et libero
arbilrio, cap. xxi, tom. X, pag. 741-742.
1^ Jam sequenlia commemorare quid opus est
ubi Deum complevisse qund illa [Esther] roga-
verat, divina Scriplura testalur, etc. August.,
lib. I Contra duas Epist. pelagianorum, cap. xx,
num. 38, tom. X, pag. 428.
'3 In secundo sane libro {de Doctrina chris-
570
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
.sfesse qu'il avait attribué autrefois* à Jésus
fils de Sirach; déclarant depuis^ qu'il n'en
connaissait point l'auteur, mais qu'il ne le
croyait pas de Salomon. « Ce prince, dit-
il ', a prophétisé dans ses trois livres que
l'Église reçoit au nombre des canoniques, qui
sont les Proverbes, l'Ecclésiaste et le Canti-
que des cantiques. Pour les deux autres in-
titulés la Sagesse et l'Ecclésiastique , on a
coutume de les lui attribuer, à cause de quel-
que ressemblance de style ; mais les doctes
tombent d'accord qu'ils ne sont pas de lui.
Toutefois, il y a longtemps qu'ils ont autorité
dans l'Église, et surtout dans celle d'Occi-
dent. »
Les semi-pélagiens prétendaient que ce
passage du livre de la Sagesse : // a été en-
levé de peur que son esprit ne fût corrompu
par la malice, dont saint Augustin s'était
servi *, n'était d'aucune autorité, comme
étant tiré d'un livre qui n'était point canoni-
que. Ce Père fait voir que saint Cyprien ^
s'en est servi avant lui ; que les semi-péla-
giens n'avaient pas raison de rejeter un
livre que l'Église de Jésus-Christ a jugé
digne d'être lu publiquement par ses lecteurs
dans les assemblées publiques ; que tous
depuis les évêques, jusqu'au dernier des
laïques, pénitents et catéchumènes, l'écou-
tent avec le respect qui est dû à la parole
de Dieu ; et que les anciens auteurs ecclé-
siastiques qui ont vécu dans les siècles les
plus proches de celui des apôtres, ayant
employé divers témoignages de ce livre, on
ne peut se dispenser de le recevoir au nom-
bre des divines Écritures. « Il faut raisonner
de même du livre de l'Ecclésiastique, ajou-
te le saint Docteur, quoiqu'il ne soit ^ point
dans le canon des Hébreux, il y a longtemps''
néanmoins qu'il est autorisé dans l'Église,
surtout dans celle d'Occident. » Saint Au-
gustin ' le cite comme Écriture sainte, re-
marquant que tous ceux qui l'ont lu entiè-
rement ' , conviennent que Jésus, fils de
Sirach , en est l'auteur ; mais qu'on ne lais-
sait pas de l'attribuer à Salomon '" à cause de
la ressemblance du style. Il cite Baruch sous
le nom de Jérémie "; l'histoire de Suzanne '^,
tiaiia) de auctore libri, quem plures vacant Sa-
pientiam Salomonis, guod etiam ipsum sicut Ec-
clesiasticum Jésus Sirach scripserit, non ita
constare, sicut a me dictum est postea didici, et
omnino probabilius comperi non esse hune ejus
libri auctorem. August.,lib. II Retract, cap. iv,
num. 2, tom. I, pag. 43.
• Lib. II De Doctrina christiana, cap. vin,
pag. 23.
2 A'ec tamen ejus qui Sapientia dicitur, qwis-
nam sit auctor non apparet. August., in Spécula,
pag. 733.
2 Prophetasse etiam ipse {Salomon) reperilur
in suis libris, qui très recepti sunt in auclorita-
tem canonicam, Proverbia, Ecclesiastes et Can-
ticum canlicorum. Àlii vero duo quorum imus
Sapientia, aller Ecclesias liens dicitur, propter
'bloqua nonnullam similitudinem, ut Salomonis
dicuntur, obtinuit consuetudo : non autem esse
ipsius, non dubitant doctiores : Eos tamen in
auctoritatem, maxime occidentalis, anliquitus
recepit EccUsia. August., lib. XVII De Civitate
Dei, cap. sx, pag. 483.
'• Illud etiam testimonium gwod poswisM. -Raptus
est ne malitia mutaret intellectum ejus, (Sap. iv,
vers, il) tanqiiamnoncanonicum deflniunt amit-
tendum. Hiiarius, Epist. ad Augustinwn, cap. ni,
num. 4, tom. II, pag. 827.
" Scripsit librum de mortalitaic Cyprianus...
ubi et illud lestimonium ponit de libro Sapien-
ticc : Raptus est ne malitia mutaret intellectum
ejus.... non debuit repudiari sententia libri Sa-
pienliœ, qui meruit in Ecclesia Christi de gradu
lectorum Ecclesiœ Christi tani longa annositate
recitari, et ab omnibus christianis, ab episcopis
usque ad exiremos laïcos fidèles, pœnitenies, ca-
thecumenos, cum veneratione divtnœ auctorita-
tis audiri... sed qui sententiis tractatorum ins-
trui volunt oporlet ut istum librum Sapientiœ,
ubi legitur:Ra.ptwi est ne malitia mutaret intellec-
tum ejus, omnibus tractatoribus anteponant;
quoniam sibi eum anteposuerunt etiam tempori-
bus proximi apostolorum egregiitractatores, qui
eum testem adhibentes, nihil se adhibere nisi di-
vinum testimonium crediderunt. August., lib. De
Prœdestinalione sanctorum, cap. xrv, num. 26,
27 et 28, tom. X, pag. 807-808.
« August., lib. XVII De Oclo quœstionibus Dul-
citii, quaest. 6, num. 5, tom. VI, pag. 136.
' August., lib. XVII De Civitate Dei, cap. xx,
pag. 483.
8 Recte itaque scriptum est in sanctis libris :
Initium superbiée hominis apostatare a Deo. [Ec-
cl, cap. X, vers. 14) August., lib. VI De Musica,
num. 40, tom. I, pag. 532.
!• lllum vero alterum (librum) quem vocamus
Ecclesiasticum, quod Jésus quidam scripserit,
qui cognominatur Sirach, constat inter eos qui
eumdem librum totum legerunt. August., la Spé-
cula, pag. 733.
1» August., lib. XVII De Civitate Dei, cap. xx,
pag. 483.
" Prophetans ergo de Christa Jeremias : Spiri-
tus, inquit, oris nostri Dominus Christus, ,etc.
Item alla loco : Hic Deus meus, inquit, et non
sestimabitur alter ad eum, etc. (Baruch., cap. m,
vers. 36.) Hoc testimonium quidam non Jeremiœ
sed scribœ ejus attribuunt, qui vocabatur Ba-
ruch ; sed Jeremiœ celebrius habetur. Au-
gust., lib. XVIII De Civitate Dei, cap. xxxiii, pag.
515.
12 August., Serm 343 De Susanna , tom. V,
[ir ET V siÉcxES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
I
et l'hymne ' des trois jeunes hébreux jetés
dans la fournaise, comme faisant partie du
livre de Daniel. Il allègue aussi le livre des
Macchabées dans plusieurs de ses écrits ,
comme dans celui qui a pour titre ^, du
Soin qu'on doit avoir pou?' les moi'fs ; dans son
premier livre contre Gaudence, et dans le
dix-huitième de la Cité de Dieu, où il as-
sure ' que l'Église de Jésus-Christ reconnaît
ces livres pour canoniques, quoiqu'ils ne
soient pas reçus par les Juifs.
Il cite aussi le dernier chapitre de saint
Marc * et l'histoire ^ qui est rapportée au
vingt-deuxième de saint Luc, d'un ange qui
apparut à Notre-Seigneur dans le jardin des
Oliviers, de l'agonie, et de la sueur de sang ^
qu'il souffrit en ce moment. « Jésus-Christ,
dit-il, a voulu qu'une sueur de sang coulât
de tout son corps, pour nous marquer que
dans son corps qui est l'Église, le sang des
martyrs coulerait de toute part ; et que "
comme il n'y avait point alors de membres
dans le corps du Sauveur qui ne répandit
du sang, il n'y aurait de même aucune par-
571
tie de l'Église dont le sang ne découlât dans
la suite, n L'histoire de la femme adultère,
rapportée dans le huitième chapitre de saint
Jean, ne se trouvait point anciennement
dans plusieurs exemplaires grecs et latins.
Saint Augustin ' croit que quelques person-
nes de peu de foi, ou plutôt ennemis de la
foi, l'en avaient retranchée, dans la crainte
qu'elle n'autoinsât les femmes à pécher par
l'espérance de l'impunité. 11 la reçoit ' com-
me véritable, et l'explique ' dans son Com-
mentaire sur cet Évangile. Il remarque "" que
saint Luc a mis dans le livre des Actes des
apôtres, adressé à Théophile, ce qu'il a cru
suffisant pour édifier la foi des lecteurs ;
qu'il l'a écrit avec tant de sincérité qu'entre
un grand nombre de livres qu'on a faits sur
l'histoii'e des apôtres, le sien seul a été reçu
comme digne de foi, et qu'on a rejeté tous
les autres ; que les manichéens n'en rece-
vaient "aucune pai-tie, incommodés de ce
qu'on y voyait que le Saint-Esprit promis
dans l'Évangile par Jésus-Christ fut envoyé
à ses disciples après son ascension. Car 'l
pag, 1323 et 1324; et in Psal. 237, num. 2, tom. IV,
pag. 1526.
' Unde et in hymno trium puerorum, etiani
lux et tenebrce lauclant Deum. August., lib. De
Natura boni, cap. xvi, tom. VIII, pag. 505 et lib.
XI De Civit. Dei, cap. xi, pag. 278 et in Psal. 144,
num. 13, tom. IV, pag. 1618 et 1619.
2 In Machabœorum libris legiinus oblatimipro
mortuis sacrifisium. August., lib. De Cura ge-
renda pro mortuis, num. 3, tom. VI, pag. 516.
Et hanc quidem Scripturain quœ appellatur
Machabœorum, non habeiit Judœi sicut legem et
Prophetas et Psalmos... sed recepta est ab Ec-
clesia non inutiliter, si sobrie legatur vel audia-
tur maxime propter illos Machabœos, qui pro
Dei lege sicut veri martyres a persecutoribus
tain indigna atque horrenda perpessi sunt, Au-
gust, lib. I Contra Gaudentium, num. 38, tom. IX,
pag. 655.
' Simt et Machabœorum libri, quos non Judœi,
sed Ecclesia pro canonicis habet, propter quo-
rumdam martyrum passiones véhémentes, etc.
August., lib. XVIIi De Civitate Dei, cap. xxxvi,
pag. 519.
4 August., lib. m De Consensu evangelistarum,
pag. 139, 141, 142 et seq.
^ August., lib. m De Conse%su evangelistarum,
num. 12. pag. 106.
^ Ideo et toto corpore sanguinem sudavit
(Christus) quia in corpore suo, id est, in Eccle-
sia sua martyrum sanguinem ostendit. Toto cor-
pore sanguis exibat : ita Ecclesia ejus habet
martyres, per totum corpus ejus fusus est san-
guis. August. in Psal. 93, num. 19, pag. 1013.
' Postea quam Christus ait adulterœ : Nec ego
te damnabo, vade, deinceps noli peccare, {Joan.
vni , 11) quis non intelligat debere ignoscere
maritum, quod videt ignovisse Dominum ambo-
rum... sed hoc videlicet infidelium sensus exhor-
ret, ita ut nonnulli modicœ fidei, vel potius ini-
mici ver ce fidei, credo metuentes peccandi im-
punitatem dari mulieribus s^lis, illud quod de
adulterœ indulgentia Dominas fecit, auferrent
de codicibus suis: quasi permissionem peccandi
tribuerit qui dixit : Jam deinceps noli peccare.
August.,' lib. II De Conjugiis adulterinis, cap. vr
et VII, tom. VI, pag. 407.
8 August., Epist 153, cap. iv, num. 9, pag. 527.
Lib. IV De Consensu evangelistarum, num. 17,
tom. III, part. 2, pag. 158, in Psal. 102, num. 11,
pag. 1120 et Serm. 302, cap. xv, pag. 1230.
3 Tract. XXXIII in Joan., num. 4, tom. 111, part.
2, pag. 531.
1» Quœ per apostolos gesta sunt, quœ sufficere
credidit [Lucas) ad œdificandam fidem legentium
vel audientium, ita scripsit, ut soins ejus liber
flde dignus haberetur in Ecclesia de apostolo-
rum Actibus narrantis, reprobatis omnibus, qui
non ea fide qua oportuit, facta dictaque aposto-
lorum ausisunt scribere. August. lib. IV De Con-
sensii evangelistarum, cap. viii, pag. 155.
" August., lib. De Utilitate credendi, num. 7,
tom. VIII, pag. 49 et lib. XIX Contra F austum,
cap. xxxi, tom. Vlll, pag. 332.
1^ Quidam manichœi j:anonicunilibrum, cujus
titulus est , Actus apostolorum , repudicmt. li-
ment enim evidentissimam veritateni, ubi oppa-
ret Sanctus Spiritus missus qui est a Domino
Jesu Christo in evangelica veritate promiss^is ;
sub ejus quippe Spiritus nomine, a quo penitus
alieni sunt; indocta hominum corda decipiunt,
mira cœcitate afférentes eamdem Domini pro~
572
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
l'aveuglement de ces liérétiques cillait jus-
qu'à soutenir que cette promesse du Sau-
veur n'a été accomplie que dans leur pa-
triarche Manichée, qu'ils faisaient passer
pour le Saint-Esprit même , abusant d'un
nom si saint pour séduire les simples et les
ignorants ; abus qui seul était capable de les
priver de ce don céleste. Ils avaient même
ce livre tellement en horreur qu'ils n'o-
saient ' le nommer. Il était aussi rejeté des
sévèriens, ainsi que nous l'apprenons d'Eu-
sèbe ^ et de Théodoret.
Les quatorze Épîtres de saint Paul portent
toutes le nom de cet apôtre, à l'exception
de celle qui est adressée aux Hébreux, et
ont toujours été plus célèbres dans l'Église '
que celles des autres apôtres. Plusieurs
d'entre eux n'ont rien laissé par écrit, s'é-
tant contentés de prêcher l'Évangile de vive
voix. On n'a pas laissé de leur attribuer
quelques ouvrages ; mais ils ont été rejetés
de l'Église comme n'étant pas d'eux. Aucun
de ceux qui ont écrit ne l'a fait , ni avec
autant d'étendue, ni avec autant d'abon-
dance, ni même avec autant de grâce pour
la manière d'écrire, que saint Paul. D'où
vient que ses plus grands ennemis *, les
plus jaloux de sa gloire, et qui méprisaient
ses discours quand il était présent, ont été
obligés d'avouer qae ses lettres étaient rem-
plies de force et de vigueur. Quand on cite
l'Apôtre ^, c'est toujours saint Paul que l'on
entend, parce qu'il a plus écrit et plus tra-
vaillé que les autres. Il y en avait du temps
de saint Augustin qui niaient ^ absolument
que l'Épître aux Hébreux fat de cet apôtre ;
et ils craignaient de l'admettre dans le ca-
non des Écritures, parce '' qu'elle ne portait
point en tête le nom de saint Paul. Mais elle
était reçue comme canonique des Églises
d'Orient ^, et reconnue pour être de cet
apôtre par le plus grand nombre ' des écri-
vains ecclésiastiques. C'est pourquoi saint
Augustin ne fait point difficulté de la lui at-
tribuer ", ni de la recevoir au rang des
Épîtres canoniques. Il la cite " quelquefois
sous le nom de saint Paul ; mais plus sou-
vent sous le simple titre '^ de Lettre aux Hé-
breux. On disait alors que la raison pour
laquelle saint Paul n'y avait point mis son
nom, c'est qu'étant odieux aux Juifs*', il avait
cru qu'il était de la prudence de le suppri-
mer, de peur que l'aversion qu'ils avaient
pour sa personne ne les empêchât de rece-
voir sa doctrine.
Quant aux sept Épîtres catholiques, saint
missionem in suo hœresiarcha Manichœo esse
completam. August., Epist. 237, num. 2, pag. 850.
• 1 Paraclitum sicut promissiim legimus in iis
libris, quorum non omnia vultis accipere, ita et
missum legimus in eo libro quem nominare
eliam formidatis. Angust., lib.SXXlI Contra Faus-
tum, cap. XV, pag. 458.
^ Euseb., lib. IV Bist., cap. xxis, pag. 150. Théo-
doret., Bœret. Fabiil-, cup. xxi, pag. 208.
» In Ecclesia J'auli apostoli epistolœ vigent,
magis quam coapostolorum ejus. Alii enim non
scripserunt, sed tantum locuti sunt in Eccle-
sia. Nam quœ proferuntur ab errantibus sub no-
mine ipsortim, quia non sunt ipsorum, impro-
iantur, nec acceptantur ab Ecclesia. Alii autem
qui scripserunt, nec tantum, nec tanta gratia
scripserunt. August., in Psal. 130, pag. 1465.
'■ Certe si quid ejus {Apostoli) proferimus ad
exemplum eloquentiœ, ex illis Epistolis utique
proferimus, quas eliam ipsi obtrectatores ejus,
qui sermonem prœsentis contemptibilem putari
volebant, graves et fortes esse coiifessi sunt.
August.. lib. IV De Doclrina christiana, num. 15,
pag. 701.
^ Sicut Apostolus cum dicitur, si non expri-
matur quis apostolus, non intelligitur nisi Pan-
lus : quia pluribus est epistolis notior, et plus
omnibus illis laboravit. August., lib. III Contra
Duas epistolas pelagianorum, num. 4, pag. 449.
' De quo in Epistola, quw inscribitur ad He-
brœos , quam plures apostoli Pauli esse dicunt,
quidam vero negant, multa et magna conscripta
sunt. August., lib. XVI De Civit. Dei, cap. xxii,
pag. 435.
■' August., in Epist. ad Rom. exposit. inchoata,
num. 11, tom. III, parte 2, pag. 934.
' Ad Hebrœos Epistola, quanquam nonnullis
incerta sit, tamen... magis me movet auctoritas
ecclesiarum orientalium quœ hanc etiam in ca-
nonicis habent. August., lib. 1 De Peccat. merit.
et remiss., num. 50, tom. X, pag. 27.
8 August., lib. XVI De Civit. Dei, cap. sxii
pag. 435.
1° August., lib. II Se Doctrina christiana, cap.
VIII, num. 13, pag. 24..
" August., Serm. 159 de verbis Apostoli, nnm. l,
tom. V, pag. 766; et in Psal. 9, num. 12, pag. 43.
'^ August., lib. De Fide et operibus, num. 17,
pag. 174. Lib. X De Civit. Dei. cap. v, pag. 242.
Lib. Contra Sermonem' arianorum, cap. v, tom.
VIII, pag. 628 et lib. II Contra Maximinum aria-
num, pag. 738.
" Quoniam excepta Epistola quam ad Hebrœos
scripsit, ubi principium salutatorium de indus-
tria dicitur omisisse, ne Judœi quiadversus eum
pugnaciter oblatrabant, nomine ejus offensi vel
inimico animo legerent, vel omnino légère non
curarent, quod ad eorum sabUem Scripserat :
unde nommlli eam in canonemScriplurartim re-
cipere timuerunt. August., in Epist. ad Rom. ex-
posit. inchoata, pag, 931.
[iV ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
Augustin les met toutes ' au rang des Écri-
tures divines. Il en rapporte un grand nom-
bre de passages dans le livre intitulé le
Miroir *, et en explique quelques-uns ' des
plus difSciles, entr'autres celui de l'Épitre
de l'apôtre saint Jacques, où il est dit, que
quiconque ayant gardé toute la loi, la viole en
un seul point, est coupable comme l'ayant toute
violée. Il la cite ' sous le titre général d'Épî-
tre canonique, et la première de saint Jean
sous le nom'' d'Épître auxParthes.il donnait
aux sept Epîtres catholiques un rang diffé-
rent de celui qu'elles tiennent dans nos Bi-
bles : mettant ^ d'abord les deux de saint
Pierre, puis les trois de saint Jean, celle de
saint Jacques, et enfin celle de saint Jude.
Quelquefois ' même il met celle de saint
Jacques la dernière de toutes. Il dit que le
but des apôtres qui ont écrit ces lettres ,
était * de réfuter l'erreur de ceux (c'est-à-
dire comme l'on croit, des simoniens et des
nicolaïtes), qui, abusant de quelques expres-
sions de saint Paul dans son Éplti'e aux Ro-
mains, enseignaient que la foi sans les œu-
vres suffisait pour être sauvé ; quoique le
sentiment de cet apôtre fut le même que
celui des autres touchant la nécessité de la
bonne vie pour le salut. C'est de ces endroits
EVEQUE D'HIPPONE.
573
de saint Paul dont on abusait, qu'il entend
ce que dit saint Pierre, qu'il se trouvait dans
les Épîtres de saint Paul quelques passages
difficiles à entendre, que les ignorants dé-
tournaient en un mauvais sens, comme les
autres Écritures, à leur propre ruine. Pour
ce qui est de l'Apocalypse que les héréti-
ques nommés Alogcs ' rejetaient, saint Au-
gustin l'attribue à l'apôtre saint Jean. Il en
a expliqué le vingtième chapitre " pour em-
pêcher l'abus que beaucoup de personnes
en faisaient, se figurant un règne terrestre
de Jésus-Christ et des saints sur la terre
pendant mille ans. Il reconnaît " qu'il y a
dans ce hvre beaucoup de choses obscures
pour exercer l'esprit du lecteur, mais quel-
ques endroits plus clairs qui donnent jour
au reste. La raison de cette obscurité con-
siste principalement en ce que l'auteur y
dit les mêmes choses en tant de façons ,
qu'il semble que c'en soient d'autres, quoi-
que ce ne soit que la même chose, mais ex-
primée diversement.
7. On ne peut douter que l'on n'ait perdu
un grand nombre des livres qui sont cités
dans l'Ancien Testament. Il est parlé dans
le chapitre xxi des Nombres, du livre des
Guerres du Seigneur. Mais saint Augustin ^^
Livres per-
dus cil6s daas
l'Ecriture-, et
de ceux qui
soat supposés.
' August., lib. II De Doctrina christiana, cap.
vm, num. 13, pag. 24.
' August, in Spécula, pag. 807 et seq.
' August., Epist. 167, pag. 594 et seq.
* August., lib. XV De Civit. Dei , cap. xxni,
pag. 408.
^ Lib. II Qxiœst. evangel. qusest. 39, tom. III,
part. 2, pag. 266. Vide paginam 826, ejusdem tom.
et indiculum Possidii, cap. ix.
' Lib. De Vide et operibus, cap. xiv, pag. 177.
' Lib. II De Doctrina christiana , cap. viir,
pag. 24.
8 Quoniam ergo hœc opinio tune fuerat exorta
a loco Epistolœ Àpostolicce, Pelri, Joannis, Ja-
cobi, Judœ, contra eam maxime dirigunt inten-
lionem, ut vehementer adstruant fidem sine ope-
ribus non prodesse, sicut etiam ipse Paulus non
qualemlibet fidem, qua in Deum credilur sed eam
salubrem planeque evangelicam definivit, cujus
opéra ex dilectione procedunt, et fides, inquit,
qua3 per diiectionem operatur... unde evidenter in
secunda Epistola sua Petrus... sciens de apostoli
Pauli quibusdam subobscuris sententiis nonnul-
los iniques accepisse occasionem, ut tanqimm
securi de salute quce in fide est, bene vivere non
curarent, commemoravit quœdam ad intelUgen-
dum difflcilia esse in Epistolis ejus quce homines
perverterent, sicut et alias Scripturas, ad pro-
prium suum interitum : cum tamen et ille apos-
tolus de salute œterna, quce nisi bene viventibus
non datur, eadem sentiret quœ cceteri apostoli.
August., lib. De Fide et operibus, cap. siv, num.
21 et 22, pag. 177.
9 August., lib. De Hœresibus, hisv. 30, pag. 10,
tom. VIII.
*" August., lib. XX De Civitate Dei, cap. vu, pag.
580 et seq.
'1 In hoc quidem libro, cujus nomen est Àpo-
calypsis, obscure niulta dicuntur, ut mentem
legentis exerceant; et pauca in eo sunt, ex quo-
rum manifestatione indagentur ccetera cum la-
bore : maxime quia sic eadem multis modis re-
petit, ut alia atque alia dicere videatur ; cum
aliter atque aliter hœc ipsa dicere vestige-
tur. August., lib. XX, De Civitate Dei, cap. xvn,
pag. 595.
*2 Propterea dicitur in libro bellorum Bomini,
etc. (Numer. xxi, 14) in quo libro hoc scriptum
sit, non commemoravit [Moyses) neque ulhcs est
in his, quos divince Scriplwrce canonicos appella-
mus, de talibus occasiones reperiunt, qui libros
apocryphos in cantorum auribus conantur inse -
rere ad persuadendas fabulosas impietates. Sed
hic dictum est scriptum in libro, non dictum est
in cujus Prophetœ, vel Patriarchœ sancto libro.
Neque negandum est, jam libros Chaldœorum,
unde egressus est Abraham, sive Mgyptiorum,
ubi didicerat Moyses omnem illorum sapientiam,
sive cujusque gentis alterius, in quorum libro-
rum aliquo potuit hoc esse scriptum : qui tamen
non ideo sit assumendus in eas Scripturas ,
quibus divina commendatur auctoritas; sicut
574
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
croit que le livre dont il est fait mention en
cet endroit, n'était ni d'un patriarche, ni
d'un prophète, mais de quelque Égyptien
ou Chaldéen, et que Moïse en a tiré un té-
moignage pour prouver ce qu'il avançait,
comme saint Paul a cité quelquefois les poè-
tes païens ; sans que ni ce législateur ni cet
apôtre aient prétendu donner aucune auto-
rité aux autres choses contenues dans les
livres d'où ils tiraient des témoignages. En
parlant des ouvrages apocrj'phes de l'Ancien
Testament, il dit : « Laissons-lù \ les fables
de ces écritures qu'on nomme aproci'yphes,
parce que l'origine en a été inconnue à nos
pères, qui nous ont transmis les véritables
par une succession très-connue et très-assu-
rée. Car encore qu'il se trouve quelque vé-
rité dans ces livres apocryphes, ils ne sont
d'aucime autorité à cause des diverses
faussetés qu'ils contiennent. Nous ne pou-
vons nier qu'Enoch, qui est le septième de-
puis Adam, n'ait écrit quelque chose, puis-
que l'apôtre saint Jade nous en assure dans
son Épître canonique. Mais ce n'est pas sans
raison que ces écrits ne se trouvent point
dans le catalogue des Écritures, conservé
dans le temple des Juifs par le soin des
prêtres qui se succédaient les uns aux autres
dans cette fonction : parce que ces livres
ont été jugés suspects pour leur trop grande
antiquité, et à cause qu'on ne pouvait justi-
fier que ce fussent les mêmes qu'Enoch avait
écrits, n'étant point produits par ceux à qui
la garde de ces sortes de livres était confiée.
De là vient que ce que l'on cite sous le nom
de ce patriarche, que les géants n'ont pus eu
des hommes pour pères, est justement rejeté
comme fabuleux ; ainsi que beaucoup d'au-
tres faits que les hérétiques rapportent sous
le nom emprunté des prophètes ou des apô-
tres. »
Le saint Docteur répète encore ailleurs que
les livres attribués à Éuoch"^ et aux autres
anciens patriarches n'ont aucune autorité ni
parmi les juifs ni parmi les chrétiens , à cause
de leur trop grande antiquité, non que l'on
nec propheta ille Crelensis, cujus mentionem
facit Apostolus; nec Grœconim scriptores vel
philosophi vel poetœ, guos idem ipse Apostolus
magnum sane aliquid et veraciter promptum ad
Àthenienses loqiiens dixisse confirmai : In illo
enim vivimus, et moTemur, et sumus. Licet enim
divinœ aîoctoritati unde voluerit, quod verum
invenerit, testimonium sumere; sed non ideo
omnia quœ ibi scripta sutit, accipienda confir-
mât. August., Quœst. 42, in Numéros, pag. 546 et
547.
* Omittamus igitur earum Scriplurarvni fabu-
las, quœ apocryphœ nuncupantur, eo quod ea-
rxLm occulta origo non claruit Patribus, a qui-
busque adnos auctoritas veracium Scripturarum
certissima et notissima successione pervenit. In
his autem apocryphis etsi i7iveniatur aligna Ve-
ritas, tamen propler multa falsa nulla est cano-
nica auctoritas. Scripsisse quidem nonnula divi-
na Enoch septimum ab Adam, negare non pos-
sunius, cum hoc in Epistola canonica Judas
apostolus dicat. Sed non frustra non sunt in eo
canone Scripturarum. qui servabatur in templo
hebrœi populi succedentium diligentia sacerdo-
tiim, nisi quia ob antiquitatem suspectœ fideiju-
dicata sunt, nec utrum hœc essent quœ ille
scripsisset, poterat inveniri, non talibus profe-
rentibus, qui ea per seriem successionis repe-
rientur rite servasse. Unde illa quœ suo ejus no-
mine profenintur, et continent istas de giganti-
bus fabulas, quod non habuerint homines patres,
recte a prudentibus judicantur non ipsius esse
credenda ; sicut multa sub nominibus et uliorum
prophetarum, et recentiora sub nominibus apos-
tolorxim ab hœreticis proferuntur, quœ omnia
nomine apocryphorum ab auctorilale canonica
diligenti exaniinalione remota sunt. August., lib.
XV De Civit. Dei, cap. xxiu, num. 4, pag. 408.
' Quid Enoch septimiis ab Adam nonne etiam
in canonica Epistola Judœ prophetasse prœ-
dicatur ? Quorum scripta ut apud Judceos et
apud nos in auctoritate non essent, nimia fecit
antiquitas, propler quam videbantur habenda
esse suspecta, ne proferrentur falsa pro veris.
A'o))!' et proferuntur quœdam quœ ipsoriim esse
dicantur ab eis qui pro sensu passim, quod vo-
lunt, credunt. Sed ea castitas canonis non rece-
pit, non quod eorum homimun, qui Deo placue-
runt, reprobetur auctoritas, sed quod ista esse
non credantur ipsortim. Nec mirum débet videri
quod suspecta habeantur, quœ sub tantœ anti-
quitatis nomine proferuntur ; quando quidem in
ipsa historia liegum Juda et Begum. Israël, quœ
res gestas continet, de quibus eidem. Scripturœ
canonicœ credimus , commemorantur pluri-
ma, quœ ibi non explicantur, et in libris aliis
inveniri dicuntur, quos Prophetœ scripserunt,
et alicubi eorum quoque Prophetarum nomina
non tacentur, nec tamen inveniuntur in canone,
guem recepit populus Dei. Ctijus rei, faleor,
causa me latet, nisi quod exislimo, etiam ipsos,
quibus ea quœ in auctoritate religionis esse de-
berent, Sanctus utique Spiritus revelabat; alia
sicut homines historica diligentia, alia sicut Pro-
phetas inspiratione divina scribere potuisse ; at-
que hœc ita fuisse distincta, ut illa tanquam
ipsis, ista vero tanquam Deo per ipsos loquenti,
judicarentur esse tribuenda; ac sic illa per tine-
rent ad nbertatem cognitionis, hœc ad religionis
auclorilatem : in qua auctoritate custoditur ca-
non; prœter quem si qua jam etiam^ sub nomine
veterum Prophetarum scripta proferuntur, nec
ad ipsam copiam scienliœ valent, quoniamutrum
eorum sint, quorum esse dicuntur, incertum est;
[IV= ET V' SIECLES.]
rejette l'autorité des hommes qui ont été
agréables à Dieu, mais parce que l'on ne
croit pas que ces écrits soient d'eux. Il ajoute
que l'on ne doit pas s'étonner que l'on tienne
pour suspects des ouvrages que l'on fait
passer sous le nom de personnes si ancien-
nes ; puisque l'on n'a pas mis dans le canon
plusieurs livres cités dans l'Histoire des Rois
de Juda et d'Israël qui est canonique. Il avoue
qu'il n'en sait point la raison ; mais il croit
qu'il s'est pu faire que ceux mêmes à qui le
Saint-Esprit révélait des choses qui devaient
servir de fondement à la religion, aient écrit
quelquefois d'eux-mêmes comme des histo-
riens fidèles , et quelquefois par inspiration
de Dieu ; en sorte que l'on fait une grande
distinction entre ces deux sortes d'ouvrages,
en leur attribuant les uns comme les leurs
propres, et les autres à Dieu qui parlait par
eux ; que les uns pouvaient servir à donner
de plus grandes connaissances des faits, et
les autres pour établir la religion ; qu'à
l'égard de l'autorité, il faut s'en tenir au
canon, et que si l'on produit sous le nom
des anciens prophètes des livres qui n'y
soient pas compris, on ne doit point y ajouter
de foi , parce qu'on n'est pas assuré qu'ils
soient de ceux que l'on dit en être auteurs ,
d'autant plus qu'on y trouve des choses con-
traires à ce qui est rapporté dans les livres
canoniques, ce qui est une preuve qu'ils ne
sont pas de ceux à qui on les attribue.
Voici ce qu'on disait du temps de saint
Augustin : Pendant que Jésus-Christ Notre-
Seigneur était dans la Judée , Abgar , roi
d'Édesse, hors d'état, à cause de maladie,
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
575
de l'aller trouver, lui écrivit pour le prier de
venir le visiter; comme il sentait qu'une
telle prière ne s'accordait pas trop avec le
respect dû au Sauveur, ce prince exagéra
dans sa lettre la beauté de la ville d'Édesse,
afin que Jésus-Christ, flatté d'y être reçu
par un roi, lui accordât plus volontiers sa
demande. Le Sauveur ayant reçu cette lettre,
y fit une réponse qui porta à Abgar la santé
et l'assurance que sa ville serait imprenable
aux ennemis '. Ce fut le comte Darius qui fit
part à saint Augustin de ce qu'on disait de
ces deux lettres. La manière dont il en parle
fait bien voir qu'il ne les croyait pas vérita-
bles ; et le saint Docteur, dans la réponse à
ce comte, nejlui dit rien de ces deux lettres^.
L'événement' fut une preuve de leur faus-
seté , du moins de la prédiction qui y était
faite touchant la ville d'Édesse ; car dès l'an
116 ou 117, elle fut prise de force et brûlée
par Lusius Quietus, général de Trajan.
Les manichéens se vantaient d'avoir une
autre lettre de Jésus-Christ, dont saint Au-
gustin* prouve la fausseté par cette raison ,
que si le Sauveur l'avait écrite, elle aurait
été lue et reçue dans l'Église; qu'elle aurait
tenu le premier rang dans les livres sacrés ;
que les apôtres et leurs successeurs dans le
ministère ecclésiastique en auraient eu con-
naissance ; qu'ils en auraient parlé dans
leurs écrits ; en un mot, qu'elle serait venue
à nous de main en main depuis Les apôtres';
ce qui n'étant point, c'est une marque as-
surée que Jésus-Christ n'en était point l'au-
teur.
Ce saint Docteur rapporte une hymne fort
et ob hoc eis non habetur fides maxime his in
quibus etiam contra fidem librorum canonico-
ruin quœdam leguntur, propter quod ea prorsus
non esse apparet illorum. August., lib. XVIII De
Civit. Dei, cap. xxxviii, pag. 520 et 321.
' Fertur satrapce, seu régis potius cujusdam,
epistola, Beum Dominum Christnm deprecantis,
cum intra Judeœ regiones adhuc versaretur et
necdum in cœluni suum remeaverat, quoniam is
ad eum ire ac pergere per œgritudinem prœpe-
diretur, et sanari aliter se posse non crederet, ad
se si dignaretur mundi salus ac medicina dccur-
reret, et ne tantœ majestati, quam ignarus rex
provida, sed non perfecta mente, conceperat, in-
jiiria fieri videretur, laudasse insuper suain di~
citur civitatem, ut pulchritudine urbis, et régis
hospitio Dttis illectus, preces supplicis non dedi-
gnaretur. Àffuit Deus régi, sanatus est, et am-
pli/lcato petitionis munere, per epistolam non
modo salutem ut supplici, sed etiam securita-
tem ut régi transmisit. Jussit insuper ejus ur-
bem ab hostibus in perpetuum de semper immu-
nem. Quid his addi beneficiis potest? Darius,
Epist. ad Augustinum, num. 5, pag. 838.
2 Tillemont, tom. 1 de son Histoire Ecclésiasti-
que, pag. 617 et tODi. II de l'Histoire des Empe-
reurs, pag. 203.
' Si enim prolatœ fuerint aliquœ litterœ ,
quœ nullo alio narrante ipsius proprie Christi
esse dicantur ; unde fieri poterat , ut si vere
ipsius essent , non legerentur, non acciperen-
tur, non prœcipuo culmine auctoritatis emi-
nerent in ejus Ecclesia, quœ ab ipso per apos-
tolos succedentibus sibimet episcopis, usque ad
hcec temporapropagatadilatatur? quia et illœ
litterœ si proferrentur, utique considerandum
erat a quibus proferrentur. Si ab ipso, illis pri-
mitiis sine dubio proferri potuerimt, qui tune ei-
dem cohœrebant, et per illos etiam ad nos perve-
nire. Quod si factum esset, per illas quas comme-
moravi prœpositorum et populorum siiccessiones
confirmalissima auctoritate clarescerent. August..
lib. XVIII Contra Faustum, cap. iv. pag. 441.
' Voyez le tom. I, chapitre de Jésus-Christ.
576
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
^
obscure à l'usage des priscillianistes , qu'ils
disaient avoir été récitée par Jésus-Christ
après la dernière cène'. Voici de suite ce
qu'on en trouve dans ses écrits : « Hymne
du Seigneur, qu'il apprit dans le secret à
ses disciples : Je veux délier, et je veux être
délié ; je veux sauver, et je veux être sauvé ;
je veux être engendré et je veux engendrer;
je veux chanter, dansez tous ; je veux pleu-
rer, frappez-vous tous de douleur ; je veux
orner, et être orné ; je suis la lampe pour
vous qui me voyez; je suis la porte pour
vous qui frappez ; vous qui voyez ce que je
fais, ne dites point ce que je fais; j'ai joué
tout cela dans ce discours, et n'ai point
du tout été joué. » Ces hérétiques disaient
que cette hymne n'est point mise dans le
canon des Ecritures, à cause de ceux qui sont
attachés à leurs propres sentiments, et qui
ne pensent pas selon l'esprit et la vérité
de Dieu. Car il est écrit, disaient-ils ; il est
bon de cacher le secret du roi ; mais il est
honorable de découvrir les actions de Dieu.
Saint Augustin, après avoir rapporté de
cette hymne ce qu'il en savait , fait voir qu'il
ne s'y trouve rien qu'on ne lise dans les
livres canoniques , mais dans un sens diffé-
rent. Il allègue ^ un passage d'un livre apo-
criphe à l'usage des manichéens, où il était
dit que les apôtres ayant demandé à Jésus-
Christ ce qu'ils devaient penser des prophè-
tes , il leur répondit avec émotion : « Vous
abandonnez celui qui est vivant et qui est
devant vous, et vous vous informez des
morts. « Les païens mêmes supposèrent des
écrits de magie à Jésus-Christ', qu'ils fai-
saient adresser à saint Pierre et à saint Paul
comme à ses plus intimes amis. Le ridicule
de cette supposition était évident , puisque ',
pendant tout le temps que Jésus-Christ a
vécu sur terre avec ses disciples, saint Paul
n'était point de ce nombre , n'ayant été ap-
pelé à l'apostolat qu'après l'ascension du
Sauveur et le martyre de saint Etienne. On
a aussi faussement attribué ^ à saint Paul
une apocalypse pleine de fables , où l'on pré-
tendait rapporter les merveilles, que cet
apôtre dit être ineffables. La présomption
de ceux qui ont fabriqué ce livre serait plus
supportable, si saint Paul eût dit qu'il avait
entendu des paroles qu'il n'est pas encore
permis de dire ; mais comme il a dit absolu-
ment et sans aucune restriction , qu'il n'est
pas permis à un homme de les rapporter,
c'est une impudence extrême d'avoir osé
l'entreprendre. Cette apocalypse pourrait
bien être la même dont Sozomène ^ dit que
beaucoup de moines faisaient grand cas.
Quelques-uns assuraient qu'elle avait été
trouvée, par une révélation divine sous le
règne de Théodose, enfermée dans une
boite de marbre qui était sous terre dans la
1 Hyrrwms Domini, quem dixit secrète sanctis
apostolis discipulis suis quia scriptum est in Evmi-
gelio, hymno dicto ascenditininontem ; etgutinca-
none nonest positus, proptereos qui secundum se
sentlunt, et non secundum spiritum et veritatem
Dei, eo quod scriptum est : Sacramentum régis bo-
numestahscondere, opéra autemDeirevelare hono-
rificum est. Solvere vola, et soivi volo. Salvare volo,
et salvari volo. Generari volo, et genirare volo.
Cantare volo; saltate cuncti. Plangere volo, tundite
vos omnes. Ornare volo, et ornari volo. Lucerna
sum tibi, ille qui me vides. Janua sum tibi, qui-
cumque me puisas. Qui vides quod ago, lace opé-
ra mea. Verbo illusi cuncta, et non s%im illusus
in totum. August., Epist. 237, pag. 8S0 et seq.
" Sed apostolis, inquit, Dominus nosler, inter-
roganlibus de Judœorum Prophetis quid sentiri
deberet, qui de adventu ejus aliquid cecinisse in
prœteritumputabantur, commotus talia eos etiam
nunc sentire respondit : Dimisistis vivum qui
ante vos est, et de mortuis fabulamini hoc tes-
timonium de scripturis nescio quibus apocrypiùs
protulit fadversarius legis et prophetarum.J Au-
gust., lib. II Contra Advers. legis etproph., cap. iv,
uum. 14, tom. Vlll, pag. 589.
3 August., lib. 1 De Consensu evang., cap. ix,
num. 14, 13 et 16.
* Tanto temporc, quo Christusin carne mortali
cum suis discipulis vixit (Christus) nondum erat
Paulus discipulus ejus, quem post passionem
suam, post resurrectionem , post ascensionem
suam post lapitlationem Slephani diaconi et
martyris, cum adhuc Saulus appellarelur, et eos
qui in Christum crediderant graviter persequere-
tur, de cœlo vocavit, et swum discipulum alque
apostolum fecil. Quomodo igitur potuit libros
quos anlequam moreretur eum scripsisse putari
volunt, ad discipulos, tanquam familiarissimos ,
Petrum, et Paulum scribere, cum Paulus nondum
fuerit discipulus e/iis? August., lib. I De Consensu
Evang., cap. x, num. 16, pag. 8.
^ Qua occasione vani quidam. Âpocalypsim Pauli,
quam sana non recipit Ecclesici, nescio quibus fa-
bulis plenam stultissima prœsumptione jinxerunt,
dicentes hanc esse, unde dixeral rapliim se fuisse
in tertium cœlum, et illic audisse ineffabilia ver-
ba, quœ non licet homini loqui. Utcumque illo-
rum tolerabilis esset audacia, si se audisse dixis-
sct , quœ adhuc non licct homini loqui : cum
vero dixerit, quœ uou licet homini loqui; isti qui
sunt qui hœc audeant impudenter et infeliciter lo-
qui. August., Tract, xcvni, in Joan., num. S,
pag. 743.
^ Sozomen., lib. VU Hist., cap. xix, pag. 735-
736.
l'anti-
les pro-
e des
prophè»
[iv'= ET v'= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
maison de saint Paul à Tarse en Cilicie. Cet
historien s'étant informé de la vérité du fait,
un prêtre de cette église, fort avancé en
âge , l'assura que cela était faux , qu'il n'avait
Jamais ouï parler qu'on eût trouvé ce livre à
Tarse, et que, selon toutes les apparences,
c'était une invention des hérétiques.
Nous lisons dans saint Epiphane ' qu'à l'oc-
casion du ravissement de saint Paul , les hé-
rétiques, nommés caïnistes, composèrent un
livre infâme , qu'ils attribuaient à saint Paul,
et dont les gnostiques se servaient aussi ; ils
lui avaient donné pour titre : ^'Élévation de
saint Paul ; mais il y a apparence que ce
livre, qui était plein d'infamies, n'était pas le
même que celui dont parlent saint Augustin
et Sozomène , qui ne remarquent point qu'il
y en eût , et qui insinuent au contraire qu'il
ne renfermait rien de choquant , en disant
que des moines le produisaient comme un
bon livre.
On a vu '^ ailleurs ce que l'on doit penser
des lettres de saint Paul à Sénèque et de
Sénèque à saint Paul. Saint Augustin ^ parait
les avoir crues véritables. Il ne pense pas de
même de certains livres qui portaient le nom
de saint André et de saint Jean ; car l'Ad-
versaire* de la loi et des prophètes les lui
ayant objectés , il ne répondit autre chose ,
sinon que ces livres ne sont point de ces deux
apôtres, et que l'Église ne les a jamais reçus.
C'est par la même raison qu'il rejette les
Actes des apôtres % écrits par un certain
Leusius. n est vrai qu.'il les cite; mais c'est
pour réfuter et convaincre les manichéens
par leurs propres livres. Les prisciUianistes
en avaient un à leur usage, intitulé : La Mé-
moire des apôtres. Orose ° en rapporte un en-
droit également impie et ridicule.
8. « Du temps des prophètes'', dont les
écrits sont maintenant connus de tout le
monde , il n'y avait point encore de philoso-
phes parmi les gentils, qui portassent ce
577
nom. Pythagore l'a porté le premier, et il n'a
commencé à fleurir que sur la fin de la cap-
tivité de Babylone. Socrate , le maître de
tous ceux qui se sont appliqués à la morale,
ne se trouve qu'après Esdras dans l'ordre
des temps. Peu après vint Platon , le plus
fameux des disciples de Socrate. Les sept
sages de la Grèce, et .ceux qui. à l'exemple
de Thaïes , s'adonnèrent à l'étude des choses
naturelles , comme Anaximandre , Anaxi-
mènes, Anaxagore, quoique plus anciens que
Pythagore, n'ont pas vécu avant nos pro-
phètes, puisque 'Thaïes ne parut que sous le
règne de Romulus, dans le temps que le
torrent des prophéties, qui devait inonder
toute la terre , sortait des som'ces d'Israël. Il
n'y a que les poètes théologiens, Orphée ,
Linus et Musée , qui soient plus anciens que
les prophètes , encore n'ont-ils point devancé
Moïse, ce grand théologien qui a annoncé
le Dieu unique et véritable, et dont les écrits
tiennent le premier rang parmi les livres
canoniques. Les Grecs n'ont donc point sujet
de se glorifier de leur sagesse , comme plus
ancienne que notre religion, où seule se
trouve la sagesse véritable. Il est vrai que
parmi les barbares , comme en Egypte , il y
avait déjà quelques semences de doctrine
avant Moïse ; autrement l'Écriture sainte ne
dirait pas qu'il avait été instruit de toutes
les sciences des Égyptiens à la cour de Pha-
raon ; mais la science même des Egyptiens
n'a pas précédé celle de nos prophètes,
puisque Abraham a eu aussi cette qualité.
Quelle science, en efl'et, pouvait-il y avoir
en Egypte avant qu'Isis, qu'ils adorèrent
après sa moi't comme une grande déesse,
leur eût donné l'invention des lettres et des
caractères? Or, Isis était fille d'Inaque, qui
régna le premier sur les Argiens au temps
des descendants d'Abraham. On distingue *
les vrais prophètes d'avec ceux qui ne le
sont pas , en ce que ceux-là ne font que rap-
' Epiph., Bcer. 38, cap. ll, pag. 277.
2 Toin. I, pag. 419.
' Merito ait Seneca {qui temporibus apostolo-
rum fuit, cujus etiam quœdam ad Paiilum legun-
tur epistolœj : Omnes odit qui malos odit. August.,
Epist. 153, num. 14, pag. 529.
*• Sane de apocryphis iste posuit testimoiiia quœ
sub nominibus apostolorum Andrew Joannisque
conscripta sunt. Quœ si illorum essent, recepta
■ essent abEcclesia, quœ ab illorum temporibus 2>er
episcoporum successiones certissimas usque ad
nostra et deinceps tempora persévérât. August.,
IX.
lit). I Contra Adversarium legis et proph. cap. sx,
num. 39, pag. 370.
» Lib. 11 De Actis cumFelice manichœo, cap. vn,
pag. 489.
^ Orosius in Commonitorio ad Augustinii/m,
pag. 608, tom. viii.
' August., lib. XVIII De Civit. Dei, cap. xxxvii,
pag. 519-520.
' Hio insinuatur nobis ea loqui Prophelas Dei,
quœ. audiunt ab eo ; nihilque aliud esse prophe-
tam Dei, quam enuntiatorem verborum Dei ho-
minibus, qui Deum vel non possunt vel non ine-
37
578
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
porter ce que Dieu leur a fait entendi-e.
Ainsi, uu prophète' de Dieu est proprement
un homme qui est devenu l'organe des pa-
roles et des volontés de Dieu, et qui les
fait entendre à ceux qui seraient ou très-
peu éclairés pom? les comprendre , ou trop
éloignés de Dieu pour mériter qu'il leur
})arlât lui-même sans l'entremise d'un hom-
me. Les Israélites, à qui la parole de Dieu
a été confiée, ne les ont jamais confon-
dus, et ils ne reconaissaient pour auteurs
des livres divins que ceux qui étaient parfai-
tement d'accord en tout : c'étaient là leurs
philosophes, leurs sages, leurs théologiens,
leurs prophètes , leurs docteurs. Quiconque
a vécu selon leurs maximes , n'a pas vécu
selon l'homme , mais selon Dieu qui parlait
en eux. S'ils ont défendu l'impiété , c'est
Dieu qui l'a défendue ; s'ils ont commandé
d'honorer son père et sa mère , c'est Dieu
gui l'a commandé ; s'ils ont dit : Vous ne
serez point adultère , homicide , voleur ,
ce sont autant d'oracles divins qu'ils ont
prononcés. Jésus -Christ se prédisait lui-
même - dans les prophéties , parce qu'il est
le Verhe de Dieu , et les prophètes ne di-
saient rien qu'étant remplis de ce Verbe;
c'est dans cet état qu'ils annonçaient Jésus-
Christ , qu'ils marchaient devant celui qui
les devait suivre , et qui n'abandonnait pas
ceux qui précédaient sa venue. Tout ce qui
est contenu dans leurs livres ' a été dit ou
de Jésus - Christ ou pour lui. Comment
osez-vous dii'e , demande* saint Augustin aux
manichéens, que Jésus-Christ n'a pas été
annoncé par les prophètes des Juifs, lui qui
est prédit à toutes les pages des Écritures :
car, quelque endroit des livres saints que je
parcoure , même à la hâte , Jésus-Christ s'y
présente partout à moi , soit découvert , soit
voilé , et me fortifie. »
9. Les prophètes ont néanmoins parlé ^
rentur audire. August., quœst. 17, in Exodum,
pag. 426, tom. III.
1 Atvero gens Ma, ille populus... illi Israelitœ,
quibus crédita sunt eloquia Dei, nullo modo psen-
doprophetas cum veris pari licentia confuderunt :
sed concordes inter se atqne in nullo dissentientes
sacrarum litterarum veraces ab eis agnoscebantur
et tenebantitr auctores. Ipsi eis erant philosophi,
hoc est amatores sapientiœ, ipsi sapientes, ipsi
theologi , ipsi prophetœ, ipsi doctores probitatis
atque pietatis. Quicumque secundimi illos sapuit
et vixit, non secundum homines, sed secundum
Deum,, quiper eos locutus est, sapuit et vixit. Ibi
si prohibitum est sacrUegium, Deus prohibuit. Si
dicfum esi .".Honora patrem tuuni et matrem tuam,
Deus jussit. Si dictum est : Non maschaberis, non
homieidium faciès , non furaberis, et cœtera, hu-
jusmodi; non hœc ora humana, sed oracula di-
vina fuderunt. August.,' lib. XVllI De Civit. Dei,
cap. XLi, num. 3, pag. 513.
^ Ipse enim (Christusj se in Propheiis prœdica-
bat, quoniam ipse est Verbum Dei, nec illi taie
aliquid dicebant pleni Verbo Dei. Anmmtiabant
ergo Christuiti, pleni Christo : et illi eum venlu-
rum prœcedebant, quos prœcedenies non dese-
rebat. August. in Psal. 142, num. 2, pag. 1389.
3 Quis autem potest omnia commcmorare prœ-.
conia Prophetarum hebrœoruni de Domino et
Salvatore nostro Jesu Christo ? Quandoquidem
omnia qiice illis continentur libris, vel de ipso
dicta sunt, vel propter ipsum. August., lib. XII
Contra Faust., cap. vu, pag. 229-230.
■> Christum dicitis ab israelitis propheiis non
esse prœdictum, cui prœdicendo omnes illœ pa-
gincB vigilant, si eas perscrutari pietate, quam
exagitare leoitale mallelis Christus milii ubi-
que illorum Ubrorum, ubique illarum Scriptura-
runi peragranti et anhelanti in sudore illo dam-
nationis humanœ, sive ex aperlo, sive ex occullo,
occurit et reficit. August., lib. XII Contra Faus-
tum, cap. XXV, pag. 239, et cap. xxvii, pag. 240.
s Obscurius dixerunt Prophetœ de Christo, quam
de Ecclesia : puto propterea quia videbant in Spi-
ritu, contra Ecclesiam homines facturas esse par-
ticulas, et de Christo non tantam, litem- habiluros,
de Ecclesia magnas contentiones excitaturos. Ideo
illVtd unde majores lites futurœ erant, planius
prœdictum et apertius prophetatum est, ut adju-
dicium illis valecit qui viderunt, et foras fnge-
runt. Exempli gratia unum commemorabo : Abra-
ham pater nosler fuit, non propter propaginem
carnis, sed propter imitationem fidei justus et
placens Deo : per fidem suscepit filium sibipro-
missum de Sara sterili uxore sua in senectute
sua : j'ussus est immolare Deo eumdem filium',
nec dubitavit, nec disceptavit, nec de jnssu Dei
disputavit, nec malum putavit quod jubere opti-
mus poluit; duxit filium suuni ad immolandum,
imposuit ei ligna sacrificii, pervenit ad locum,
erexit dexteram ut percuteret; eo prohibente de-
posuit, quojubente levaverat; quiobtemperaverat
ut feriret, oblemperavit ut parceret, ubique obe-
diens, nusquam tiniidus : ut tamen impleretur
sacrificium, et sine sanguine non discederetur,
inventiis est aries hœrens in vepre cornibus, ipse
imntolatus est, perfectum est sacrificium. Quœre
quid sit ? figura est Christiinvoluta sacramentis.
Denique ut videatur discutitur, ut videatur per-
tractatur, ut quod involutum est evolvatur. Isaac
tanquam fiiius unicus dilectus figuram habens
Filii Dei, portans ligna sibi, quomodo Christus
crucem portavit. Ille postremo aries Christum
significavit. Quid est enim hœrere cornibus,' 7iisi
q uodam modo crucifigi ? Figura est ista de Christo.
Conlinuo prœdicanda erat Ecclesia, prœnuntiato
capile prœnunliandumerat et corpus : cœpit Spi-
rilus Dei, cœpit Deus ab Abraham prœdicare relie
Ecclesiam, et lulit figuram. Christum figuratepr œ-
dicabat. Ecclesiam aperteprœdicavit : ait enim ad
Abraham : Quoniam obaudisti vooem meam, et non
[iV' ET Y" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
379
r™ plus obscurément de Jésus-Clirist que de
l'Église, prévoyant sans doute par l'esprit
de Dieu, que les hommes formeraient des
partialités et des sectes contre l'Église, et
qu'ils exciteraient contre elle des disputes
encore plus grandes que contre Jésus-Chi'ist
même; c'est pour cela que ce qui devait être
le plus contesté à l'avenir est ce qui a été
prédit le plus clairement, afin que l'évidence
de ces prophéties fût un témoignage contre
ceux qui les verraient, et qui toutefois se
retireraient de l'Église. En voici un exem-
ple : Abraham a été notre père, non que
nous soyons sortis de sa chair, mais parce
que nous imitons sa foi, étant juste et agréa-
ble à Dieu; il eut par la foi dans sa vieillesse,
son fils Isaac, que Dieu lui avait promis de
Sara, qui était stérile . Dieu lui commanda
ensuite de lui immoler ce fils : Abraham le
fit sans hésiter; il ne délibéra point, il ne
raisonna point sur le commandement que
Dieu lui faisait, et il ne crut point que ce
qu'un Dieu tout bon lui ordonnait de faire,
pût être un mal. Il conduisit son fils au lieu
du sacrifice ; il mit sur ses épaules le bois
qui devait le consumer. Arrivé au lieu mar-
qué, il lève le bras pour frapper Isaac, et
Dieu l'arrêtant tout à coup, ce patriarche
baisse sa main par son ordre, comme c'était
par son ordre qu'il l'avait levée. Après avoir
témoigné son obéissance en se préparant à
frapper son fils , il la témoigne aussi en l'é-
pargnant, étant partout obéissant, et jamais
timide ; afin néanmoins que ce sacrifice fût
achevé, et qu'il y eût du sang répandu, il se
trouva un bélier embarrassé de ses cornes
dans un buisson. Ce bélier fut immolé au
lieu d'Isaac, et ainsi fut consommé ce sacri-
fice. « Cette histoire, dit saint Augustin, est
une figure de Jésus-Christ enveloppée de
voiles sombres et mystérieux; mais enfin,
on perce ces voiles pour pénétrer ce qu'ils
cachent; on sonde et on examine ces obscu-
rités pour découvrir ce qui y était obscur.
Isaac, fils unique d'Abraham, figurait le fils
unique de Dieu. Il porta lui-même le bois
de son sacrifice, comme Jésus-Christ a porté
sa croix. Le bélier marquait ' encore Jésus-
Christ. Qu'était-ce en effet autre chose être
attaché par les cornes au bois d'un buisson,
sinon être en quelque sorte attaché au bois
de la croix? Mais, après cette figure, il fallait
qu'aussitôt l'Eglise nous fût marquée, et
qu'après la prophétie qui regarde le chef, il
y en eût une qui regardât aussi le corps;
c'est pourquoi, Dieu voulant prédire l'Éghse
à Abraham ne se servit plus de figures, et
n'ayant marqué Jésus-Christ que sous des
énigmes et des ombres, il parla clairement
de son Eglise en ces termes : Parce nue vous ce». "".
avez écoute ma voix, et qua cause de moi vous
n'avez pas épargné votre Fils tmique, je vous
comblerai de bénédictions, je multiplierai votre
race comme les étoiles du ciel, et comme le sa-
ble de la mer, et toutes les nations de la terre
seront bénies en celui qui sortira de votre race.
On peut voir en beaucoup d'antres endroits
que Jésus-Christ a été prédit d'une manière
plus obscure que l'Église, afin que ceux
même qui devaient s'élever contre elle fus-
sent forcés de la reconnaître, et qu'ils ac-
complissent ainsi en leurs personnes ce
dont elle se plaint dans les Psaumes : Ceux Psai. xxx,
qui me voyaient sortaient dehors, et fuyaient de
moi; et ailleurs : //s son^ sortis d'avec nous, Joan.ir,2o.
mais ils n'étaient pas d'avec nous, n
10. « C'est par les prophéties - qui regar- Prophéties.
dent Jésus-Christ , que nous convainquons i-eiigion ciré-
peperoisti filio tuo dileoto propter me, benedicens
benedicam te, et impleudo implebo semen tuum
sicut tellas cœli, et sicut arenam maris, et bene-
dicentur in semine tuo omnes gentes terrœ. Et
pêne iibique Christus aliquo involucro sacramenti
prœdicatus est a prophelis, Ecclesia aperte : ut
vidèrent illam et qui futuri erant contra illam,
et implerelur in eis isla nequitia quam prœdixit
Psalmus : Qui videbant me, foras fugerimt a me.
Ex nobis exierunt, sed non erant ex nobis ; hoc
Aposlolus Joannes de illis dixit. August. m
Psal. 30, Serm. 3, pag. 158-139.
' Quis ergo illo (ariete qui cornibus in frutice
tmebatur) figitrabatur, nisi Jésus, antequam im-
niolaretur, spinis judaicis coronatus ? August., lib.
XVI De Civil. Dei, cap. xxxii, num. 1, pag. 444.
2 De propheiia convincimus contradicentes pa-
ganos : Quis esl Christus, dicit paganus? Cuires-
pondemus : Quem prœnuntiaverunt Prophetœ. Et
ille : Qui Prophetœ ?Recitamus Isaiam, Banielem,
Jeremiam, alios sanctos Prophetas, dicimus quam
longe ante illumvenerint.quanto tempore adventum
ejus prœcesserint.Hoc ergo respondemus : Prœve-
nerunt eum Prophetœ, prœdixerunt eum esse ven-
turum.RespondetaliquiseorumiQuiProphelœlnos
recitamus,quinobis quotidierecitanlur.Etille: Qui
sunt hi Prophetœ ? Nos respondemus : Qui et prœ-
dixerunt ea quœ fieri videmus. Et ille : Vos, in-
quit, vobis isla finxislis, vidistis ea fieri, et, quasi
Ventura prœdictaessent, in libris quibus voluistis
conscripsistis. Hic contra inimicospaganos occur-
rit nobis aliorum testimonium inimicorum. Pro-
ferimus codices a Judœis, et respondemus, nempe
et vos el illi, fldei noslrœ estis inimici. Ideo sparsi
sunt per gentes, ut alios ex aliis convincamus
inimicis. Codex Isaiœ proferalar a Judœis, video-
580
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
les païens, qni n'ont pas voulu le reconnaî-
tre. Qu'est-ce que Jésus-Clirist, dit un païen?
c'est, répondons-nous, celui dont les pro-
phètes ont prédit la venue. Mais, dira-t-il,
quels sont ces prophètes? Isaïe, lui dirons-
nous, -Daniel, Jérémie et tous les autres que
nous lui apprenons avoir vécu plusieurs siè-
cles avant Jésus-Glirist , et être venus au
monde longtemps avant qu'il y vînt. Nous
lui disons donc qii'ayant vécu longtemps
avant Jésus-Christ, ils n'ont pas laissé d'en
prédire la venue. Nous lui rapportons même
les endroits de leurs prophéties où il en est
parlé, et qui se lisent tous les jours parmi
nous. S'il continue à nous questionner, et à
nous demander quelle sorte de gens étaient
ces prophètes. C'étaient, lui disons-nous, des
hommes qui prédisaient, il y a plusieurs
siècles, des choses que nous voyons arriver
tous les jours. Le païen me répondra peu'.-
être, que ce sont des fictions; cpie nous
avons nous-mêmes écrit les livres qui por-
tent le nom des prophètes, et que nous les
avons remplis des choses arrivées sous nos
yeux, en les faisant passer pour des prédic-
tions. Quand les païens en viennent là, nous
avons, pour les convaincre, recours aux té-
moignages des Juifs, qui sont nos ennemis
comme eux, et, leur produisant des livres qui
sont et ont toujours été entre les mains des
Juifs, nous leur disons avec raison : Vous
n'avez rien à objecter contre ce témoignage,
puisqu'il vient d'un peuple ennemi de notre
foi, aussi bien que vous; et ce peuple n'a
été dispersé parmi les nations, qu'afin qu'il
pût nous fournir de quoi convaincre nos en-
nemis par nos ennemis mêmes. Que les Juifs
donc nous produisent le livre d'Isaïe qu'ils
ont entre leurs mains; et nous verrons s'il
n'y est pas dit de Jésus-Christ : Il a été mené
à la mort comme une brebis qu'on va égorger.
Il n demeuré dans le silence, et sans ouvrir la
bouche, comme un agneau devant celui qui le
tond. Son Jugement a été luvé dans l'humilité.
Nous avons été guéris par ses meurtrissures;
nous nous étions tous égarés comme des brebis
errantes, et il a été livré à la mort pour nos pé-
chés. Voilà déjà une des langues qui ont
rendu témoignage de ce qui devait ari-iver à
Jésus-Christ. Que les Juifs en produisent en-
core un autre; qu'ils nous mettent entre les
mains le livre des Psaumes, nous y trouve-
rons la passion' de Jésus-Christ prédite du
moins aussi clairement. Ils ont percé mes ''"'•'
mains et mes pieds, dit le Psalmiste en la per-
sonne de Jésus-Christ; ils ont compté tousjnes
os, ils m'ont considéré et regardé, ils ont par-
tagé mes vêtements, et ils ont jeté ma robe au
sort. Vous serez le sujet de mes louanges, et je
confesserai votre nom au milieu d'une gronde
assemblée. Toutes les extrémités de la terre se
ressouviendront du Seigneur, et se convertiront
à lui, et toutes les nations du monde lui rendront
leurs adorations. Car c'est cm Seigneur qu'il
appartient de régner, et il dominera les na-
tions. Que les païens après cela rougissent
de honte de voir que les Juifs, qui ne sont
pas moins nos ennemis qu'eux nous fournis-
sent contre eux des témoignages si forts et
si clairs. Mais après que les Juifs nous ont
donné de quoi convaincre les païens, il ne
faut pas les laisser là. Nous pouvons aussi
obliger les Juifs à nous fournir de quoi les
convaincre eux-mêmes. Nous n'avons qu'à
leur dire de nous apporter le livre du pro-
phète Malachie, et nous verrons que Dieu
y dit aux Juifs : Èlon affection n'est point en
vous, je ne recevrai plus les sacrifices cjue vous
aviez coutume de m'offrir, parce que l'on offre
en mon nom un sacrifice pur depuis le levant
jusqu'au couchant. Si vous ne voulez donc
point, ô Juif, prendre pari à ce sacrifice pur,
Mol
cl 11
mus si non ibi lego : Sicut ovis ad immolandum
diictus est, et sicut aguus coram tond ente fuit sine
voce, sic non apevuit os sunni : in humilitate ju-
dicium ejus sulilatnm est : livore ejus sanati su-
mus : omnes ut oves erravimiis, et ipse traditus
est pro pecçatis nostris. Ecce lucerna m)i«, alia
proferalur, Psalinus apcrialur, eliain incle prœ-
dicta Passio Chrisli recilelur. Foderunt niauus
meas et pedes nieos, dinumeravenmt omnia ossa
mea : ipsi vero eousidevaverunt et cousposei'unt
me, diviseruul sibi vestimenta mea, et super vesti-
mentum meum miseruut sortem. Apud te laus mea,
in Rcclesia magna eonfitebor tibi. Commemora-
buntur et couvertentur ad Dominum nniversi fi-
nes terras ; et adovabunt in conspectu ejus uni-
vers» patrife gentium ; quia Domini est regnum
et ipse dominabituv gentiuni. Erubescat unus ini-
mints, quia oodicem mihi minisirat alius inimi-
ciis. Sed ecce de codicibus prolatis ab tino inimico
(ilternm rici : et ipse, qui mihi codiccin prolulil,
non relinquaiur : ab ilto proferalur, itnde et ipse
vincatur. Lego nlium Prophctam, el inrenio Do-
miniim loquentem ad Judwos : Non est mihi vo-
luutas in vobis, dicit Domiiius, uec aecipiam sa-
crificium de nianibus vestris, quoniam ab ortu
solis usque ad occasum sacrifioinm niundum-ôf-
fertur noniini meo. Non venis, Judœe, ad sacrifi-
cium mnnduin : convinco le immundum. August.,
Tract. 3o, in Joannem, num. 7, pag. Bit et 542.
[IV° ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTLN,- ÉVEQUE D'HIPPONE.
381
je suis en droit de vous regarder couime
n'étant pas pur. »
Saint Augustin dit nettement que les Juifs
ne subsistent encore aujourd'liui, que pour
être des témoins irréprochables de la vérité
de nos saintes Écritures. C'est en expliquant
ces paroles du psaume lviii : Ne les extermi-
nez point, et ne permettez j;as qic'ils oublient
votre loi. a Je crois, dit-il, qu'elles se doi-
vent entendre des Juifs, et qu'il a été prédit
par là que ce peuple, quoique détruit et
subjugué ' par les Romains, ne se laisserait
point aller à leurs superstitions, et qu'il de-
meurerait toujours attaché à sa première
loi, afin qu'il fût un témoin irréprochable de
la vérité des Écritures dans toutes les par-
ties du monde, d'où Dieu devait recueillir ce
qui compose son Église. Car les Juife sont la
plus belle preuve qu'on puisse donner aux
nations de cette vérité salutaire et capitale ;
que ce n'est point sur le fondement de quel-
que invention humaine, née dans la tête de
quelque imposteur, et produite tout d'un
coup dans le monde, que le nom de Jésus-
Christ s'est acquis une si grande autorité, et
qu'on le regarde comme l'espérance du salut
éternel , mais sur celui des prophéties écri-
tes et publiées tant de siècles auparavant.
En effet, ne croirait-on pas que ces prophé-
ties ont été forgées à [plaisir par les chré-
tiens, si nous ne les tirions des livres mêmes
de nos eimemis? C'est pour cela que le Pro-
phète dit à Dieu : JVe les exterminez pas, c'est-
à-dire ne permettez pas que cette nation s'é-
teigne et s'anéantisse absolument, comme il
serait arrivé, s'ils avaient été forcés d'em-
brasser la religion des Gentils, et qu'il ne se
fût toujours conservé parmi eux quelque
forme de la leur. Or, après que le Psalmiste
a dit ; i\^e les exterminez pas, et ne permettez
pas qu'ils oublient votre loi, il ajoute : Disper-
sez-les par votre puissance, comme pour mar-
quer l'usage que Dieu devait faire de ce peu-
ple en faveur de la vérité : car c'est pour lui
rendre témoignage que Dieu n'a pas voulu
que les Juifs fussent exterminés, et qu'ils
ouMiassent sa loi ; s'ils n'étaient que dans un
seul endroit de la terre, l'Évangile, qui se
prêche et qui fructifie par toiit le monde, ne
pourrait pas tirer avantage du témoignage
qu'ils rendent à la vérité des livres sacrés.
11 fallait donc que Dieu par sa puissance les
dispersât par toute la terre, afin qu'ils dé-
posassent partout en faveur de celui qu'ils
ont rejeté, persécuté et mis à mort; et c'est
ce qu'ils font par cette loi qui prédit si clai-
rement celui qu'ils ne veulent point suivre. »
« Admirez, dit encore ce Père % jusqu'à
quel point Dieu les a couverts d'opprobres;
ils ont été dispersés dans tous les peuples de
1 Qiiod vero in Psalmo quinquagesimo octavo
de Jiidœis intelligitur , dicente : Ne occideris cos,
nequando obliviscautur legis tuas , convenienter
mihividetur inleUigi ita esse jvœminticUmn,' eam-
dem gentem etiam debellalam alque subversam,
in popiili vicions siiperstitiones non fuisse cessu-
rain, sedinveteri lege mansuram, ut apud eam es-
set teslimonium Scripturarunilotofirbe lerrarum,
unde Ecclesia fuerat evocanda. Nullo enini evi-
denùiore documento ostenditur gentibus, quod sa-
luberrime adoertilur, non inopinatum et repen-
linum aliquid inslitutwn spiritu prœsnmpCioms
hwmanœ, ut Christinomen in spe salutis œlernœ
lanla auctoritale prœpolleat, sed oliin fuisse pro-
phetatum atque conscripium. Nam ipsa prophe-
Lia, quid aliud nisi a nostris putaretur esse con-
ficta, si non.de inimicorum codicibus probaretur?
Ideo : Ne occideris eos [neipsius geiilis nomen ex-
iinxeris) nequando obliviscautur Jegis tuœ. Quod
utique fieret, si ritus et sacra gentiliuni colère
conqntlsi penilus qiialecumque nomen religionis
suai minime retinerent.. Denique cum dixisset :
Ne occideris eos, nequando obliviscantur legis tuœ,
velul quœreretur quid de illis essei faciendum, nt
in aliquos 'usus testimonii veritatis non occidan-
tnr, id est non consumanlur, neque obliviscanlur
Ipgis Bel, continuo subjimxit : Disperge illos in
vii-tute tua ; si enim in uno loeo essenl lerrarum,
non adjuvarent testimonio predicalionem Evange-
lii, quœ fructifical tolo orbe terrarum. Ideo dis-
perge illos in virtute tua, ut ejus ipsius, cujus fue-
runt negalores,persecutores, interfectores, ubique
sint testes per ipsam legem, quam nonobliviscnn-
tur, in qua est ille prophekdus, quem nonsequnn-
tur. August., Ejrist.lid, num. 9, pag. S06-S07.
^ Quemadmodum dati sunt (Judœi) in oppro-
brium, videte, dispersi sunt per omnes génies,
nusq^Mm habentes stabilitatem , nusquam cerlam
seclem. Propierea autem adhuc Judœi sunt, ut li-
bros noslros portent ad confuslonem suam.
Quando enim volumus ostendere Christum Pro-
phetarum, proferimus paganis islas litteras. Et
ne- forle dicant durl ad fidem quia nos illas chris-
tiani coniposuimus, ut cum Erangelio quod prœ-
dicamus fmxerimus Prophelas, per quos prcedic-
tum videretur quod prcedlcamus, hlnc eos con-
vincimus, quia omnes ipsce litterce, quibus Chris-
tus prophetatus est, apud Judœos sunt, omnes
ipsas litteras liaient Judcei. Proferimus codices
ab inimicis, ut confund'imus allas inimicos. In
qnali ergo opprobrio sunt Judœi? Codicem portât
judceus, unde crcdat chrlstlanus. Librarli nostrl
factisunt, quomodo soient servlpost dominos co-
dices ferre, ut illi porlando deficlant, ilHlegendo
proficlanl. August. in Psal. Lvr, uum. 9, pag. ûiii
582
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
la terre, sans avoir nulle part aucun lieu
stable ni aucune demeure fixe. Il ne reste
encore quelques juifs au monde que pour
porter nos livres à leur propre confusion :
car, quand nous voulons faire voir aux païens
que Jésus-Christ a été prédit par les pro-
phètes, nous leur ouvrons les livres des
Juifs ; et de peur que ceux d'entre ces
infidèles qui sont les plus endurcis, ne di-
sent que c'est nous-mêmes qui avons com-
posé ces écritures comme il nous a plu, afin
d'ajuster les prophètes et de les faire ca-
drer avec l'Évangile que nous prêchons ,
nous réfutons cette fausse accusation, eu ce
que tous ces livres que nous leur montrons,
et où Jésus-Christ est prédit, sont entre les
mains des Juifs, et qu'ils ont toutes ces écri-
tures. Nous prenons donc de nos ennemis
mêmes des livres pour confondre d'au-
tres ennemis. Jugez de là dans quel oppro-
bre le peuple juif est tombé. Un juif aujour-
d'hui porte eu main un livre, afin qu'un
chrétien, par ce livre que le juif porte, s'af-
fermisse dans la foi en Jésus Christ, que les
Juifs ont crucifié. Ils sont les poi'teurs de
nos saints livres, et font ce que d'ordinaire
font les serviteurs ' qui portent un livre der-
rière leurs maîtres. Le serviteur se lasse et
se fatigue en portant ce livre, et le maître se
nourrit de la lecture qu'il en fait. »
Saint Augustin remarque que les prophè-
tes ^ parlent plus souvent des choses qu'ils
annoncent , comme si elles étaient déjà
arrivées ; il en donne un exemple dans Da-
vid qui, prédisant la passion du Sauveur, la
marque en ces termes: « Ils ont percé vies
pieds et mes mains; ils ont compté tous mes os;
ils ont partagé mes vêtements. H ne dit pas :
Us perceront mes pieds et mes mains, ils
compteront tous mes os, ils partageront mes
vêtements. Le prophète représente toutes
ces choses comme déjà passées, quoiqu'elles
soient futures ; parce qu'à l'égard de Dieu,
ce qui doit arriver est aussi certain que s'il
était déjà passé; au lieu que, pour nous, il
n'y a de sûr que ce qui est déjà arrivé. L'a-
venir nous est toujours incertain; nous sa-
vons qu'une chose est faite lorsqu'elle l'est,
parce qu'il ne se peut faire que ce qui est
fait ne le soit pas. Mais un prophète est
aussi assuré de l'avenir que nous le sommes
du passé ; et il est aussi sûr que ce qu'il
prédit devoir arriver arrivera en effet, que
nous sommes sûrs que ce que nous nous
souvenons avoir été fait, ne peut pas n'être
pas fait. C'est pour ce sujet qu'ils se servent
sans rien craindre d'un temps passé, pour
marquer des choses qui arriveront. »
II. « Les Psaumes ' que nous chantons,
dit le saint Docteur, ont été chantés auti-e-
fois et écrits par l'esprit de Dieu. David, qui
en est l'auteur, était savant * dans la musi-
' Nobis serviunt Judœi, tanquam eapsarii nos-
tri sunt, studentibus nobis, codices portant. Au-
gust. in Psal. xl, nuai. 14, pag. 353.
2 Intendite quare plercique Prophetœ ita dicunl,
tanquam prceterita sint, cum, prœnuntientur fu-
tura, non facta. Nam et de ipso Domino futura
jjassio prœnunliabatur, et tamen: Foderunt, i)i-
quit, manus meas et pedes meos, diuumerave-
runt omnia ossa mea; non dixit, fodient, et dinu-
merabunt. Ipsi vero consideraverunt et conspexe-
runt me ; non dixit, considerabunt et conspicient.
Diviserunt sibi vestimenta mca; non dixil, divi-
dent. Omnia ista lanqvam prœterita dicuntur ,
cum futura sint ; quia Deo et futura tam certa
suni, tanquam prœterita sint. Nobis enim ea quœ-
prœlerierunt , certa sunt;quce futura, incerta
sunt. Kovimus enim atiquid accidisse, et non po-
test fieriiit non acciderit, quod accidit. Da pro-
phetam cui tam certum sit futurum quam tibi
prœteritum, et quam tibi quod meministi factum,
non potest fieriut non sit factum; lam illi quod
novit futurum, non potest fieri ut non fiat. Idco
de sccuritate dicuntur tanquam pra-leriia quœ.
adhuc futura sunt. August. in Psal. sliii, num. S,
pag. 373-374.
^ Psalmi isti, quos cantamus, antcquam Domi-
nus noster Jésus Christus natus esset ex Virgine
Maria, Spiritu Dei dictante, dicti et conscripti
sunt. August. in Psal. Lxn, num. 1, pag. 606.
* Erat autem David vir in canticis eruditus ,
qtii liarmoniam musicam non rulgari voluptate,
sed pdeli voliintate dilexerit, eaque Deo suo, qui
verus Deus, mystica rei magnœ figuratione ser-
vieril... Denique omnis fere prophetia ejus in psal-
mis est, quos cenlum, quinquaginta liber continet,
quem Psalmorum rocamus. In quibus nonnulli
volunt, eos solos factos esse a David qui ejus no-
mine inscripti sunt. Sunt item qui pulant non ab
eo factos, nisiqui prœnolantur : Ipsius David ; qui
■vero liabenl in titulis : Ipsi David, ab aliis factos.
personœ ipsiîis fuisse coaptatos. Quœ opinio voce
evan^elica Sulvatoris ipsius refutatur, ubi ail,
quodipse David in Spiritu Christum dixerit esse
Dominum suum , quoniam psalmus centesimus
nonus sic inripit : Dixit Dominus Domino mco,
sede adextris meis, etc.. El certe idem psalmus
non habcl in lilulo ipsius David, sed ipsi David,
sicut plurimi. Slihi autem credibilius videntur
existimare, qui onuies illos centum et quinqua-
ginta psalmos ejus operi tribuunt, cumque ali-
quos prœnotasse etiam nowinibus aliorum, ali-
quid quod ad rem. pertineat figurantibus , cœlc-
ro^ autem nullius hominis nomen in litulis Ita-
bere voluisse ; sicut ei varietatis hujus dispositio-
[iV" ET V'' SIÈCLES.]
que, et il aimait l'harmonie, non pour le plai-
sir de l'oreille, mais par des vues plus éle-
vées, pour consacrer à Dieu ses cantiques
remplis des plus grands mystères. Car toutes
ses prophéties sont renfermées dans les cent
cinquante psaumes dont le recueil porte le
nom de Psautier. Quelques-uns veulent qu'il
soit seulement l'auteur des psaumes qui sont
intitulés de son nom ; d'autres ne lui attri-
buent que ceux où on lit dans le titre, de
David, voulant que ceux qui portent, c David,
lui aient seulement été appropriés. Mais ce
'sentiment est réfuté par le Sauveur même,
qui attribue à ce saint roi le psaume cix,
qui toutefois n'est point intitulé de David,
mais à David. Il semble donc que l'opinion
de ceux-là est plus vraisemblable qui font
David auteur de tous les psaumes et qui di-
sent qu'il en a inscrit quelques-uns à d'au-
tres personnes qui avaient quelque rapport
au sujet qui y est traité, et qu'il en a laissé
d'autres sans y mettre de nom, et cela par
une inspiration divine dont la raison, pour
n'être pas connue, n'est pas toutefois sans
mystère. Il ne faut point s'arrêter à ce que
l'on voit quelques psaumes qui portent en
tête les noms de quelques prophètes qui ne
sont venus que longtemps depuis David, et qui
semblent néanmoins y parler : car l'esprit pro-
phétique qui inspirait ce prince a pu égale-
ment lui révéler les noms de ces prophètes
et lui faire chanter des choses qui leur con-
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
583
venaient, comme nous voyons qu'im certain
prophète a parlé de Josias et de ses actions
plus de trois cents ans avant la naissance de
ce prince. Si donc on trouve à la tête du
psaume lxxxix : Oraison de Moïse l'homme de
Dieu, il ne s'ensuit point qu'il soit ' de ce lé-
gislateur , puisque nous ne le trouvons point
dans les livres qui sont de lui, où néanmoins
il y a des cantiques. C'est donc pour mar-
quer quelque grand mystère que l'on a mis
ici le nom de Moïse, afin qu'en lisant ou en
entendant ce psaume on élevât tout d'un
coup son esprit à Dieu. »
Saint Augustin croit que ^ les titres des
Psaumes sont canoniques. D'où vient qu'en
parlant du psaume l qui a pour titre : Psaume
à David lorsque le prophète Nathan le vint trou-
ver après qu'il eût péché avec Betsabée, il dit
qu'il n'est pas fait mention de ce péché dans
ce psaume ; mais qu'il est marqué dans le
titre, et que l'action de ce prince avec Betsa-
bée se trouve décrite plus au long dans le
second livre des Rois, et que, l'un et l'autre
étant Écriture canonique, les chrétiens sont
obligés d'y ajouter foi. Il rejette ' la distribu-
tion des Psaumes en cinq livres, comme
contraire aux Actes des apôtres, où il est
parlé du Psautier comme ne faisant qu'un
seul livre. On ne voit pas qu'il se soit expli-
qué dans ses livres de la Musique sur la na-
ture des psaumes; mais, dans sa lettre àl'é-
vèque Mémorius '', il marque assez claire-
nem , quamvis latebrosam , non tamen inanem
Dominus inspiravit. Nec movere débet ad hoc non
credendum, quod nomiulloruni nomina Prophe-
tarum, qui longe post David régis tempera fue-
runt, quibitsdam psalmis in eo libro leguntiir ins-
cripta ; et quœ ibi éiciinlur, velut ab eis dici vi-
denlur. Neque enim non potuit propheticus Spi-
ritus prophetanti régi David hœc etiam fiituro-
rum Propheiarum nomina recelare, ut aliquid,
quod eorimi personœ conveniret, prophetice can-
taretur; sicut rex Josias exorturus et regiiaturus
post annos amplius quam trecentos cuidoAn pro-
phètes, qui etiam facta ejus fulura prœdixil, cum
suo nomine revelatus est. August., lib. XVII De Ci-
vît. Dei, cap. xiv, pag. 477.
1 Non enim credendum est ab ipso omnino Moyse
istum, psalmum fuisse conscriptwm, quiullis ejus
litteris inditus non est, in quibiis ejus cantica
scripta sunt; sed alicujus significationis gratia
lam magni meriti servi Deinomen adhibitum est,
ex quo dirigeretur legentis vd audienlis intentio.
Factus es ergo nobis, inquit, Domine, refugium
In generatione et generatione. August. in Psal.
LXXXIX, num. 2, pag. 954.
^ Inscribitur titulus ejus : Psalmus ipsi David,
cum venit ad eum Nathan propheta quando intra-
vit ad Betsabée. Beisabee erai mulier uxor alié-
na hujus mulieris uxoris alienœ pulchritudine
captus rex et propheta David adidteravit eam.
Hoc in isCo psulmo non legitur, sed in titulo ejus
apparet; in libro autem Reguorum plenius legi-
tur. U traque scriptura canonica est, ulriquesine
dubilatione a chrisiianis fides adhibenda est.
August. in Psal. L, num. 2, pag. 462.
3 Quidam omnium psahnorum quinque libros
esse crediderunt.... nos autem, Scripturœ canonicœ
auctorjlatem^ sequentes, ubi legitw, scriptum esse
enim in libro psahnorum, unum psalmorum li-
br'um esse novimus. August. in Psal. cxl, num. 2,
pag. 1694.
* Quibus numeris consistant versus Davidici
non scripsi, quia nescio. Neque enim ex hebrœa
lingua, quam^ ignoro, poluit etiam numéros in-
terpres exprimere, ne metri necessitate ab inter-
pretandi verita.te amplius, quam ratio sententia-
rum sinebat, digredi cogeretur; certis lamen eos
consiare numeris, credo illis qui eam linguam
probe callenl. Amuvit enim vir ille sanctus musi-
cam piwm et in ea sLudia non magis ipse quam
ullus alius auclor accendil. August., Epist. 201,
num. 4, pag. 272,
584
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
ment qu'il les croyait écrits en vers, et rap-
porte sur le témoignage de ceux qui avaient
connaissance de la langue hébraïque, que
ces vers ont une mesure certaine. « Ce saint
prophète, ajoute-t-il, aimait à faire servir la
musique à sa piété, et c'est lui plus qu'aucun
autre qui m'a donné de l'amour pour cette
sorte d'étude. Ses divins cantiques ont dans
tous les temps fait les délices des âmes pieu-
ses, et la consolation des cœurs pénitents.
Quels ci'is poussai-je vers vous, ô mon Dieu \
lorsque n'étant encore que novice dans votre
véritable et pur amour, et seulement cathé-
cumène, je lisais les Psaumes du Roi pro-
phète, ces cantiques animés d'une foi vive, et
ces chansons toutes saintes, qui bannissent
des ûmes l'esprit d'orgueil et de vanité ? Com-
bien ces psaumes m'embrasaient-ils de votre
amour? Combien me sentais-je brûler d'un
ardent désir de les chanter par toute la
terre ? De quel mouvement d'indignation et
de colère n'étais-je point touché contre les
manichéens qui les avaient en horreur? Et
d'autre part , quelle compassion n'avais-je
point d'eux, voyant qu'ils ignoraient les mys-
tères renfermés dans vos Ecritures saintes ?
J'eusse désiré qu'ils se fussent trouvés en
c[uelque lieu au près de moi, sans que je le
susse, et qu'ils eussent vu mon visage et en-
tendu mes paroles lorsque je lisais le qua-
trième psaume de David, dans la retraite
où j'étais, afin qu'ils fussent témoins des
mouvements qu'il excita en mon âme. J'étais
en même temps glacé de crainte, enflammé
d'espérance, et tout transporté de joie dans
la vue de votre miséricorde, et tous ces
mouvements intérieurs sortaient au dehors
par mes pleurs et par mes soupirs, lorsque
le Saint-Esprit nous dit ces paroles : Enfants
des hommes, jusqu'à quand aurez vous le cœur
endurci ? Pourquoi aimez vous la vanité et cher-
chez-vous le mensonge ^ ? Je ne pouvais, sans
trembler, entendre que ces pai'oles s'adres-
sent à ceux qui sont tels que je me souvenais
d'avoir été si longtemps ; et dans la douleur
de mon souvenir, je dis plusieurs choses
avec tant de force et de véhémence, que je
souhaiterais qu'elles eussent été entendues de
ceux qui aiment encore la vanité, et qui cher-
chent le mensonge. Car peut-être auraient-
ils vomi le poison qui les étoufle. Je disais
dans la suite : Mettez-vous en colère et ne pé-
chez point ? Et de quelle sorte, mon Dieu,
étais-je touché par ces paroles, ayant déjà
appris à me mettre en colère contre moi-
même , à cause de mes fautes passées ,
pour n'en plus commettre à l'avenir ? Déjà
les biens ' que j'aimais n'étaient plus exté-
• Quas tibi, Deusmeiis, voces dedi cum legerem
Psalmos Dct.vid,caiUica fidelia et sonos pietatis
excludenles turgidum, spiritum,rudis ingermano
amore tua, catliecumeims ! ipias tibi voces da-
bain in psalniis illis, et quomodo in te inflamma-
bar ex eis, et accendebar eos recitare, si possem,
toto orbe terrarum!.... quam vehemenli et acri
dolore indignabar manichceis, et miserabar eos
rursus, quod illa sacramenta, illa medicamenta
nescirent, el insani essent adversus anUdotum
quo sani esse potuissent ! Yelliin ut alicubi juxta
essent tune, et, me nesciente quod ibi essent, in-
iuerentur faciem meam, et audirent voces meas,
quando Icgi quarlum psalmum, in illo innc otio,
quid de me fecerit Me psatmus : Cum iuvocarem
exaudivit me Deus justitinî mcaî, in tribulationo
(lilatasti mibi,etc Inhorrui liinendo, ibidemque
inferbui sperando, et exultcmdo in tua misericor-
dia, Pater. El liœc omnia exibant per oculos mecs,
et vocem meam, cum conversus ad nos Spiritus
tims bonus ait ad nos : Filii hominuui, quousque
graves corde? ut quid diligitis vauitatem et quœ-
rilis mcndaoium? Àudici et contremui, quo-
niam talibus dicitur, qiialem me fuisse reminis~
cebar; et insonui mulla graviter et forliter in
dolore recordalionis meœ. Quœ utinam audissenl
qui adhiic diligunl vaniUilem et quœrunt men-
daciuni; forle conturbarenlur el evumuissent il-
lud legebain ; Iriiseimiui et iiolite peocare. Et
quomodo mui-ebar, Deus meus, quijam didicerain
irasci mihi de prœteritis, ut de cœtero non pec-
carem. August., lit). IX Conf., cap. iv, num. 8,
pag. 160-i61.
- Redi ad verba Psalmorum quos execramini.
Auguft. in Psal. cxl, pag. 1369.
8 ISec jam bona mea foris erant, necoculis car-
nis in islo sole quœrebantur o! si vidèrent in-
ternum œternum, quod ego, qida gustaveram.,
frendebam quoniam noneispoteram ostendere
ibi enim, ubi mihi iratus eram intus in cubili,
ubi compimctus eram, ubi sacrificaveram mac-
tans voluptatem meam, el inchoata medilalione
renovationis meœ sperans in le, ibi mihi dulces-
cere cœjieras, [et dederas lœtitiam in corde meo.
Et exclamabam legens hœc foris, et agnoscens in-
tus, nec rolebam )nultiplicari lerrenis bonis, de-
vorans tempora, et devoratus lemporibus; cum
haberem in œlerna simplicilale aliud frumentum
el vinum et oleum. El clamabam in consequenti
versu clanwre alto cordis mei : 0 iu pace ! 0 iu
idipsum! 0 gin' dixil ! Obdormiain et somniim
capiam! Quoniam quis resistel nobis, cum fiet
sermo qui scriptus est : absorpla est mors iu vie-
torin? Et lu es id ipsum valde qui non mutaris;
et iu le'requies ohliviscens laborum omnium, quo-
niam nullus alius lecum, îiec ad alia mulla adi-
piscenda quœ non funl quud lu. Sed tu, Domine,
singulnritcr iu spe coustituisli me. Legebam, el
ardebam; nec inrenicbam quid focerem surdis
murlttis, ex qi'ibus fuerum pcslis latralor .ama
[IV' ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
rieurs, et les yeux de mon corps ne les cher-
chaient plus dans ce soleil matériel et sensi-
ble. Oh ! si les manichéens pouvaient voir
cette lumière éternelle, dont je commençais
à goûter la connaissance , et que j 'avais un dé-
plaisir sensible de ne leur pouvoir montrer ;
dans le secret de mon âme, où je m'étais
mis en colère conti'e moi-même, où j'avais
été touché jusgues dans le fond du cœur,
et où je vous avais offert un sacrifice, en dé-
truisant d'une part mon ancienne corruption,
et vous offrant de l'autre, avec une sainte
confiance en votre miséricorde, le commen-
cement du renouvellement de mon âme,
vous aviez commencé. Seigneur, à me faire
goûter vos douceurs et vos délices, et à me
combler de joie. Ainsi, je poussais des cris
au dehors, en lisant ces saintes paroles, dont
je ressentais l'effet au dedans, et je ne dési-
rais plus m'enrichir de l'abondance, en dé-
vorant par un désir insatiable les choses su-
jettes au temps, parce que je trouvais dans
votre éternité très-simple un autre froment,
un autre vin et une autre huile que ceux d'ici-
bas. Lorsque je lisais le verset suivant, je
jetais un grand soupir du plus profond de
mon cœur, et m'écriais : Je serai en paix, je
serai en paix, lorsque je serai en Dieu. Ce sera
dans lui-même que je prendrai mon sommeil et
mon repos. 0 bienheureuses paroles ! A quoi
j'ajoutais : Qui sera capable de nous résister,
lorsque cette autre parole sera accomplie : La:
mort a été engloutie par la victoire! Vous êtes.
Seigneur, cet être admirable qui ne change
point. En vous seul je trouve le repos
qui fait oubher toutes les peines, parce que
nul autre n'est égal à vous, et qu'il serait
inutile d'acquérir tout ce qui n'est pas ce que
vous êtes. Voilà, Seigneur, le fondement de
la sohde espérance dans laquelle il vous a
plu de m'affermir; je lisais ainsi ce psaume
avec ardeur, et j'eusse bien voulu pouvoir
faire quelque chose pour toucher les oreilles
sourdes de ces morts dont j'avais été l'un des
que l'auteur des Psaumes suriesimpré-
* calions coule-
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 585
pires, lorsque je m'élevais avec une opiniâ-
treté, et un aveuglement étranges, contre vos
saintes Écritures, si pleines de la douceur
d'un miel céleste, et si éclatantes de votre
lumière, et je séchais de douleur en pensant
aux manichéens qui persistent encore dans
la haine qu'ils ont pour vos divins livres. »
12. « n semble *
fasse des imprécations contre ses ennemis
et qu'il leur souhaite toutes sortes de] maux.
Cependant celui qui parle est un juste. Com-
ment donc peut-il souhaiter tant de maux à
ses ennemis ? Mais ce qu'il nous parait sou-
haiter, il ne fait que le prévoir ; c'est une
prophétie et non pas une imprécation : car
les saints prophètes voyaient, par la lumière
dont leur esprit était éclairé, à qui il devait
arriver du bien et du mal, et ils s'énonçaient
comme s'ils eussent souhaité ce qu'ils ne
faisaient que prédire. » C'est ainsi que saint
Augustin interprète ces paroles du psaume
XXXIV : Seigneur, jugez ceux qui vie nuisent, dé-
truisez ceux qui m'attaquent, percez de votre
épée ceux qui me piersécutent, que ceux qui
cherchent mon âme tombent dans la honte et
dans la confusion, qu'ils deviennent semblables
à la poussière que le vent emporte, et que l'ange
du Seigneur les poursuive, que leurs voies de-
viennent ténébreuses et glissantes, et que l'ange
du Seigneur les tienne à l'étroit. <■<. Ce sont les
maux, dit ce Père % que le Prophète pré-
voit devoir arriver aux pécheurs, et non
qu'il leur souhaite. On peut dire encore que
le Prophète parle de ces choses de la même
manière que Dieu les fait, c'est-à-dire, avec
un esprit sur de l'avenir, tranquille, juste et
saint, sans être troublé de colère, sans être
animé d'un zèle amer, sans être possédé
d'un esprit d'inimitié et de vengeance ; mais
par le seul amour de la justice, et de rendre
au péché la punition qu'il mérite. C'est tou-
jours néanmoins une prophétie. »
13. (I Entre tous les livres divins, dit saint
Augustin, celui des Évangiles tient le pre-
Sur les Evan ■
gilos.
rus et cœcus adversus liUeras de melle cœli mel-
leas, et de lumine tiio luminosas, eu super inimi-
cis Scripturœ liiijus tabescebam. August., lib. IX
Conf. cap. IV, num. 10 et M, pag. 160-161.
' In Psalmis sanctis legistis, veluti multa im-
precari mala inimicis suis, eum qui loquitur in
Psalmis. Et tUique, ait aliquis, qui loquitur in
Psalmis, justus est : quare tam multa mala op-
tai inimicis suisl non optai, sed prœvidet : pro-
phelia est prœnuntiantis, non votum maledicen-
lis. In spiritu enim illi noverant quibus habebat
evenire maie, quibus bene : el pcr proplieliam di-
cebant, tanquam optarent[quod prœvidebanl. Au-
gust., Serin. 56, De Oratione Dom., num. 3,
pag. 323.
- Hœc eis futura prœdixit, non quasi ut eveni-
rent optavil. Quanquani et prophelia in Spiritu,
Dei sic ea dicat, quomodo illa Deus facit, certo
judicio, hono, justo, sancto, tranquille, non per-
turbatus ira, non amaro zelo, non animo ini-
micitiarum exercendarum, sed justilia vitiorum
puniendorum : verumtamen prophelia est. Au-
gust,, Ser»!. 1 in Psal. xxxiv, uum. 9, pag. 234.
586
HISTOIRE GÉNÉB.ALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
mier rang ', puisqu'on y trouve l'accomplis-
sement et la vérité des choses que la loi et
les prophètes n'avaient fait qu'annoncer.
Ceux qui en ont été les premiers prédica-
teurs, avaient vu Jésus-Christ môme dans sa
chair mortelle, et non-seulement ils conser-
vaient la mémoire de ce qu'ils avaient en-
tendu dire de sa propre bouche, ou de ce
qu'ils lui avaient wx faire de leurs propres
yeux ; mais ils avaient encore -été chargés
du ministère de l'Évangile, et ont pris soin
de faire connaître au monde ce qu'ils avaient
pu apprendre des actions divines du Sau-
veur, de sa naissance, de son enfance ou de
sa jeunesse, soit par Jésus-Christ même,
soit par ses parents, soit enfin par des preu-
ves certaines et des témoignages fidèles ,
avant qu'il-s se fussent attachés à lui en
qualité de disciples. Deux d'entre eux, sa-
voir, saint Matthieu et saint Jean, ont écrit
chacun à part les choses dont ils ont jugé à
propos de nous instruire touchant Jésus-
Christ. Mais afin qu'on ne crût point que
pour connaître l'Évangile il fût nécessaire
que ceux-là seuls l'annonçassent qui avaient
suivi Jésus-Christ pendant sa vie mortelle ,
la divine Providence a procuré, par le Saint-
Esprit -, que quelques-ims de ceux mêmes
qui n'avaient été que les disciples des apô-;
très, eussent l'autorité non-seulement de
prêcher l'Évangile, mais encore de l'écrire.
Les évangélistes de ce dernier genre sont
saint Marc et saint Luc. Le Saint-Esprit a
voulu qu'ils écrivissent quoiqu'ils ne fussent
pas apôtres, afin qu'on ne crût pas que la
grâce d'annoncer l'Évangile était renfermée
dans les apôtres. Quant aux autres qui se
sont mêlés d'écrire quelques-unes des ac-
tions de Jésus - Christ ou des apôtres , ils
n'ont pas été tels, que l'Église ait cru devoir
leur ajouter foi, ni mettre leurs écrits dans
le canon des livres saints. Elle en a usé
ainsi, non-seulement parce que ces écrivains
ne lui paraissaient mériter par eux-mêmes
aucune croyance ; mais aussi parce qu'il se
se trouvait dans leurs écrits des choses con-
traires à la saine doctrine et à ce que pres-
crit la foi catholique et apostolique, n
14. !c S'il y a quatre évangélistes, c'est
peut-être à cause des quatre parties ' du
monde dans lesquelles l'Église de Jésus-
Christ se devait répandre généralement.
Quelques-uns '' ont cru trouver une figure
de ce nombre dans le commencement de la
' Inieromnes divinas audoritates, quœ sanctis
litleris continentur, Evangelium merito excellit.
Quod eniin lex et Prophetœ fulurum prœnuntia-
verunt, hoc redditum atque completwm in Evan-
geiio demonstratur. Cujiis quidem primi prœdica-
tores apostoli fuerunt, qui Dominum ipsum et
Salcatorem nostrum Jesum Christum etiam prœ-
sentem in carne videruni, qui non solum ea quœ
ex ore ejus audita vcl abillo sub oculis suis ope-
rala, dicta et factn meniinercpit, vcrum etiam
quœ prius quam illi per discipulatum adhœse-
rant, in ejus nativitate, vel infanUa, vel pueritia
dieinitus gesta et digna inemoria, sive ab ipso,
sive a parenlibus ejus, sive a quibuslibet aliis,
certissimis indiciis et fidelissimis testimondis re-
quirere et cognoscere potnerunt, imposito sibi
evangelizandi mwnere , generi humano annun-
tiare curarunt. Quorum quidam, hoc est Mat-
Ihœus et Joannes, etiam scripta deillo, quœ scri-
benda l'isa suni, libris singulis edideriint. Ac ne
putaretur quod attinet adpercipiendum et prœdi-
candiim Evangelium, interesse aliquid utruni illi
annuntient, qui enmdem Dominum hic in carne
apparentein,'discipulatu famulante, seeuti sunt,
an ii qui ex illis fideliter comperla crediderunt,
diviiia providentia procuratum est per Spiritum
Sanctum, ut quibusdam etiam ex illis qui primos
apostolns sequebanlur, non solum annuntiandi,
tier^Mn etiam scribendi Evangelium tribuerelur
auclorilas : hi sunt Marcus et Lucas. Cœteri au-
tem homines, qui de Domini vel apostolorum
nctibus aliqua scribere conati vel ausi sunt, non
taies suis temporibus extiterv/nt, ut eis fidem ha-
beret Ecclesia, atque in auctoritatem canonicam
sanctorum- librorum eorum scripta reciperet :nec
solum quia illinon taies erant, quibus narrantibus
credi oporteret ; sed etiam quia scriptis suis quœ-
dam fallaciter indiderunt, quœ catholica atque
apostolica régula fidei et sana doctrina condem-
nal. August., lib. I De Cens, evang., cap. i, nuui. 1
et 2, pag. l, et seq., tom. 111, part. 2.
- Ideo namque voluit Spiritus Sanctus etiam
ex his qui inter duodecim non fuerunt, eligere ad
Evangelium conscribendum duos, ne putaretur
gralia evangelizandi usque ad apostolos perve-
nisse, et in illis fontem gratiœ defecisse. August.,
S rm. 239, uum. !, pag. 998.
3 Isti igitur quatuor evangelistœ universo ler-
rarum orbe notissimi, et ob hoc fortosse qua-
tuor, quoniam quatuor sunt partes orbis lerrœ,
per cujus universitatem C hristi Ecclesiam dilatari
sui numeri sacramento, qîiodam modo declara-
runt. August., lib. I De Consensu ecangclist.,
cap. 2, num. 3, pag. 3. Has quatuor jmrtes sœpe
Scriplura commémorât, orienlem et occidentem,
aquilonem et meridicm. Ideo quia totus orbis per
Evangelium vocabatur, quatuor Evangelia con-
scripta sunt. August. tu Psal. 103, serm 3, num. 2,
pag. 1150.
' Apud E::echielem prophetam et in Àpocabjpsi
ipsius Joannis. c^ijus est hoc Evangelium, cont-
memoralur animal quadruplex, habciis quatuor
personas, hominis, vituli, leonis, aquilw. Quiante
nos Scripturarum sanctarum mijsteria traclnve-
[IV" ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTLN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
prophétie d'Ézécliiel, et dans le chapitre iv
de l'Apocalj^se, où il est parlé de quatre
animaux, dont le premier était semblable a
un lion ; le second à un veau ; le troisième
avait le visage comme celui d'un homme, et
le cpiatrième était semblable à un aigle qui
vole. » C'est sous ces symboles que l'on re-
présente ordinairement les quatre évangé-
listes ; mais les anciens auteurs ne s'accor-
dent pas dans l'application qu'ils en ont
faite ; Saint Augustin préfère ' ceux qui ont
donné le lion à saint Matthieu, l'homme a
saint Marc, le veau à saint Luc, et l'aigle à
saint Jean, à ceux qui donnent l'homme à
saint Matthieu, et le lion à saint Jean, parce
qu'il ne faut pas s'arrêter au commencement
de leurs Évangiles ; mais à ce qu'ils con-
tiennent, et que saint Matthieu s'attache plus
à ce qui regarde la royauté de Jésus-Christ;
saint Luc à son sacerdoce ; saint Marc à son
humanité et saint Jean à sa divinité.
13. (( Suivant l'ordre qu'ils ont écrit, on
met ^ saint Matthieu le premier, ensuite saint
Marc, puis saint Luc et saint Jean. Mais cet
ordre est différent de celui qu'ils ont gai'dé
dans la prédication de l'Évangile, étant cer-
tain que ceux-là ont été les premiers à con-
naître le Seigneur et à l'annoncer, qui ont
marché à sa suite, qui l'ont écouté, qui l'ont
vu opérer des merveilles, et qui ont reçu de
sa bouche l'ordre d'aller prêcher l'Évan-
gile, n paraît que c'est par une providence
particulière que parmi ceux que Jésus-Christ
a mis au nombre de ses apôtres avant sa
passion , deux se sont trouvés , le premier ei
le dernier , dans l'ordre des évangéhstes :
savoir, saint Matthieu et saint Jean, afin que
les deux autres qui n'étaient point de ce
nombre, placés entre ces deux apôtres, fus-
sent regardés comme leurs enfants , et trou-
vassent pour ainsi dire, entre ces deux rem-
parts, toute l'autorité dont ils avaient be-
soin. Saint Matthieu est le seul des quatre
qui ait écrit en hébreu, les autres ' ont écrit
en grec. Quoiqu'ils paraissent tous avoh
gardé un ordre particuher dans les faits
qu'ils rapportent , chacun d'eux néanmoins
n'a pas voulu écrire comme s'il eût ignoré
ce qu'avait dit un autre avant lui, ou omet-
tre ce qu'il ignorait, mais qui se trouvait
écrit par un autre évangéhste. Tous, conduits
par l'inspiration divine, ont ajouté heureu-
sement leur travail à celui des autres. En ef-
fet saint Matthieu s'est arrêté principalement
à décrire l'incarnation de Jésus-Christ , sa
race royale, et plusieurs paroles et actions
de sa vie mortelle. En cela saint Marc l'a
suivi de près, et semble n'avoir été que son
abréviateur, ayant dit peu de chose de lui-
même, et n'ayant rien emxjrunté de saint
Jean ni de saint Luc. Celui-ci paraît plus oc-
cupé à représenter la race sacerdotale de
Jésus-Christ, ne comptant dans sa généalo-
gie aucun de ceux qui ont régné, et remon-
tant non à David, mais à Nathan son fils,
qui ne régna Jamais ; en quoi saint Luc est
runt, plerique in hoc animali, vel potins in his
animalibus, quatuor Evangelistas intellexerunt.
August., Tract. 36, in Joan-, num. S, pag. 546.
1 August. , lib. I De Cons. Evang., cap. vi,
num. 9, pag. 5-6.
^ Hoc ordine scripsisse perhibentur {Evangelis-
tœ). Primiim Uatlhœus, deinde Marcus, tertio
Lucas, ultimo Joannes. Unde alius eis fuit ordo
cognoscendi atque prcedicandi, alius autem scri-
bendi. Ad cognoscendnm quippe atque prœdican-
dum, primi ulique fuerunt qtii, secuti Doininum
in carne jrrœsentem, dicentem audierunt facien-
temque viderunt, atque ex ejus ore ad evangeli-
zandum missi sunt. Sed in conscribendo Evange-
lio, quod dioiiiitus ordinatum esse credenduin
est, ex numéro eoruin quos ante Passionein Do-
minus eleglt, prinmm atque ultimum locum duo
tenuerunt, priinum Matlhœus, ultimum Joan-
nes : ut reliqui duo qui ex illo numéro non erant,
sed tamen Cliristum in illis loquentem secuti
ernit, Uinquam filii amplectendi, ac per hoc in
loco medio constituti, ulroque ab eis lalere mu-
?!()'(!;iiitr. August., lib. 1 De Co)is. Eoang., cap. ii,
ULim. 3, pag. 3.
5 Uorum sape quatuor aoi«.s Matlhœus hebrœo
scripsisse perhibetur eloquio, cœleri grœco : et,
quamvis singuli suum queindam narrandi ordi-
nem tenuisse videantur, non tamen unusquisque
eorum,velutalteriusprcecedenlisignarus,voluisse
scribere reperilur , vel ignorala prœlermisissc
quœ scripsisse alius invenitur, sed sicut unicui-
que ,inspiralum est, non superfluam cooperalio-
nemsui laboris adjunxit. Nam Matlhœus susce-
pisse intelligitur incarnationem Dominisecundum
slirpem regiam, et pleraque- secundum hominum
prœsencemvitam fada et dicta ejus. Marcus eum
subsecutus tanquam pedissequus et breciator ejus
videtur. Cum solo quippe Joanne, nihil dixit; so-
ins ipse, perpauca ; cum solo Luca, paicciora,
cum Matlhœo vero plurima ; et mulla pêne toi
idem atque ipsis verbis, sive cum cceteris conso-
nanle. Lucas autem circa sacerdotalem Domini
slirpem atque personam nia.gis occupatus appa-
ret. Nam et ad ipsum David non regium stcmma
secutus ascendil, sed per eos qui reges non fue-
runt exiit ad Nathan fiUum Vaoid, qui nec ipse
rex fuit. Non sicut Matlhœus, qui per Salomo-
nem regem descendens, cœteros etlam reges ex
ordine persécutas est. August., lib. 1 De Cons.
Evangelist., uum. 3, pag. 3-4.
588
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Dc&soin des
évangciislcs. ,
JoaD. I, 1 ei
seq.
Jûan. ?:, 30.
différent de saint Matthieu, qui, conduisant
la généalogie de Jésus-Christ depuis le roi
Salomon, a marqué par ordre tous les autres
rois ses descendants. »
16. « Les trois premiers évangélisles se
sont ' attachés à ce que Jésus-Christ a fait
dans le cours de sa vie mortelle ; mais saint
Jean a eu principalement en wie sa divinité
par laquelle il est égal à son Père, et il a eu
soin de nous le représenter autant qu'il a
cru que des hommes mortels en étaient ca-
pables : c'est ce qui le rend supérieur aux
trois autres; car, pendant que ceux-ci parais-
sent en quelque sorte marcher sur la terre
avec Jésus-Christ, on voit saint Jean percer
ce nuage épais dont toute la terre est cou-
verte, pour s'élever jusques dans le sein même
de la divinité; et là, sans que ses yeux soient
éblouis par l'éclat de cette gloire, hre ces
paroles : Au conimencement était en Dieu le
Verbe de Dieu, jMr lequel toutes choses ont été
créées : Et celle-ci : Le Verbe a été fait chair
et il a habité parmi nous. Il y a aussi connu
que le Yerbe avait pris une chair, mais non
qu'il eût été changé en [chair : car, si en se
revêtant d'une chair mortelle, le Vei'be eût
cessé d'être Dieu, il ne dirait pas dans l'Écri-
ture : 3Ion Père et moi nous sommes une même
chose. En effet, le Père et la chair ne sont pas
une même chose. Saint Jean est le seul qui
ait rapporté ce témoignage que Jésus-Christ
se rend à lui-même : Celui qui me voit, voit
aussi mon Père. Et celui-ci : Je suis dans mon
Père, et mon Père est en moi. Et cet autre :
Afin qu'ils soient tin comme nous sommes un. Et
encore : Car tout ce que le Père fait, le Fils
aussi le fait comme lui. S'il y a quelques autres
endroits qui prouvent à des cœurs remplis
d'intelligence la divinité de Jésus-Christ, par
laquelle il est égal à son Père, saint Jean est
presque -le seul qui les ait rapportés, comme
s'il avait puisé dans le sein même du Seigneur,
sur lequel il avait coutume de se reposer, le
mystère de la divinité avec plus d'abon-
dance et de familiarité qu'un autre. Ce n'est
donc pas sans raison que cet Apôtre est
comparé ' à l'aigle à cause de l'élévation de
sou esprit, ayant monté plus haut que les
trois autres, et traitant les choses d'une ma-
nière bien plus élevée; en sorte qu'il semble
qu'il ait voidu par là nous exciter à élever
aussi nos esprits, afin que nous puissions le
suivre. Les trois autres Évangélisles n'ont
dit que peu de chose de la divinité de Jé-
sus-Christ , et ils paraissent avoir marché
avec lui sur la terre, et suivi seulement pied
Joon.
01 iO.
siv, 05]
XVII,
I
•an. V, 13^/
• Très tamen isti Evangelistœ in his rébus
maxime diversati sunt, quas Christus per huma-
iiani carneiii leinporaliler gessit ; porro aulem
Joannes ipsam maxime divinUalem Domini , qua
Palri. est œqualis, inlendit, eamque prœcipue suo
Evangelio, quanimn inier humines snfficere cre-
didit, commendare curavit. Ilaque longe a tribus
islis stiperius ferlur' ita ni hos videas qwodam
modo in terra cum Christo homine conversari,
illum autem transcendisse nebulam, qua Legttur
uinnis terra, et pervenisse ad Uquidum cwlum,
'unde acte mentis acuiissima atque finnissima ri-
derel, inprincipio Verbum Deuui apud Deum per
quem facta stml oinnia , et ipsum agnoscerel
carnem fitctum ut habitaret in nobis : quod accc-
perit carnem., non quod fueril muiatus in car-
nem. Nisi enim carnis ass^imptio servata incom-
mulabili diiinitale fada essct, non dicerelur : Ego
el l'ater unum suiiius. Neque enim Pater et caro
nnum sunt. El hoc de seipso Domini lesllmonium-
solus idem Joannes comniemoravil ; el: Qui me vi-
dit, vidit ot Palrem : et : Ego in Patrc et Paler in ino
est: el: Ut siut unum, sicut et nos unum sumus :
et : Qu;ecumquc Pater facit, htec eadem et Filius l'a-
cit similiter ; et, si qua alia sunt, quce Chrif:li tli-
vinitatem, in qua œqualis est Palri, recle inlelll-
genlibus intiment pêne solus Joannes in Eean-
gelio siioposuit : lanquam. qui de peclore ipsius
Domini, sujicr quod discumbcre in ejus convivio
folilus eral, sccrelum diriniktii:: ejiis vberiu^ et
quodam modo familiarius bibciil. August. , lib. 1
De Cons. evang., cap. iv, uum. 7, pag. 4 et 5.
- In quatuor Evangeliis, vel potius quatuor li-
bris unius Evangelii sancius Joannes aposlolus,
non immerilo secundum intelligenliam spirita-
lem aquike comparatus , allius mulloque swftii-
mius aliis tribus erexil jirœdicalionem suam; el
in ejus erectione eliam corda noslra erigi voluit.
Nam cœteri 1res Evangelistœ , lanquam cum ho-
mme Domino, in terra ambulabanl, de divinilatc
ejuspauca dixerunt ; istîim aulem quasi pigueril
in terra ambulare, sicul ipso exordio sui ser mo-
nts inlonuil, erexil se, non solmn super lerram el
super omnem ambilum aeris el cœli, sed super
omnem eliam exercitum angelorum , omncmque
conslilulionem invisibilium polcstalum, elperve-
nil ad eum per quem fada sunt omnia dicendo :
Inprincipio erat Vcrljum , et Verbum crat apud
Deum, etc. Huic lanlœ sublimilali jrrincipii eliam
cœlera congrua prœdicavil, el de Domini divini-
lale quomodo nullus alius est locutus. Hoc ructa-
bul quod bibcbal. Kon enim sine causa de Mo in
islo ipso Evangelio narratur, quia el in convivio
super peclus Domini discumbcbal. De illo crgo
peclore insccrelo bibebal ; sed quod in secrelo bi-
bit, in manifeslo éructa vit, ut pervenial ad om-
nes génies non solum incarnalio Filii Dei, elpas-
sio el resurrectio, sed eliam quod eral unie incar-
nalionem nnicus Patri et Verbum Patris, coœler-
nus gcneranti, œqualis ei a quo missus esl, sed in
ipsa mlssiotic nrinor faclvs, quo major essel Pn-
ic;-. August., Tract. '.iii, in Joan, uum. 1, pag. ^43.
[IV° ET V SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
S89
Jojn, I, 1
Lc5 Évangi-
les sont une
inj.Tge de la
vie active et
contemplati —
à pied tout ce qu'il y a fait comme homme.
Saint Jean au contraire, comme s'il eût ap-
préhendé de faire un seul pas avec Jésus-
Christ sur la terre, commence dès l'entrée
de son discours à s'élever non-seulement
au-dessus de la terre et de la région de l'air
qui l'environne , mais au-dessus des anges,
et de tous les oi'dres des puissances invisi-
bles , allant d'abord jusqu'à celui par qui
toutes choses ont été faites. Au commence-
ment, dit-il, était le Verbe et le Verbe était
avec Dieu, etc. Tout le reste de son Évangile
répond.à la magnificence et à la sublimité de
cette entrée. Il dit de lui-même que, le jour
de la Cène, il était couché sur le sein de Jé-
sus-Christ. C'est là qu'il s'était rempli de ces
vérités si sublimes. Il les y avait puisées
dans le silence et dans le secret, et il les a
publiées dans son Évangile, afin que toutes
les nations fussent instruites, non-seulement
de l'incarnation du Fils de Dieu, de ses souf-
frances et de sa résurrection ; mais aussi de
ce qu'il était avant qu'il se fit homme , Fils
imique du Père éternel , éternel comme ce-
lui qui l'a engendré , égal en tout à celui
qui l'a envoyé, et qui s'est abaissé au-
dessous du Père par la nature dans lacjuelle
il a été envoyé aux hommes , afin que le
Père, à cet égard, fût plus grand que lui.
Un philosophe platonicien ' disait, au rap-
port de saint Simplicien, évêque de Milan,
qu'il fallait écrire en lettres d'or, dans les
lieux les plus éminents des églises, ces pre-
mières paroles de l'Évangile selon saint Jean :
Au commencement était le Verbe, etc. »
17. « Comme il y a deux vertus proposées
à l'âme, l'une active et l'autre contempla-
tive ; l'une - par laquelle on marche vers le
bien ; l'autre par laquelle on y arrive ; l'une
par laquelle nous travaillons à purifier notre
cœur pour voir Dieu , et l'autre qui nous
procure le repos et la vue de Dieu ; c'est
pourquoi celle-là agit, parce qu'elle est oc-
cupée à se purifier de ses péchés , et que
celle-ci au contraire se tient dans le calme
et dans le repos, parce qu'après s'être puri-
fiée, elle jouit de la lumière. Ainsi, pendant
le cours de cette vie mortelle, l'une travaille
à se conduire avec sagesse; mais l'autre
consiste davantage dans l'usage de la foi, et
est pour un petit nombre de personnes qui
ne voient que comme en un miroir, et en
des énigmes , et aperçoivent seulement
quelques rayons de cette vérité immuable.
Ces deux vertus sont figurées par les deux
femmes de Jacob, dont Lia signifie dans la
langue originale, laborieuse; et Rachel, prin-
cipe de la vue. Par là on peut apprendre , en
examinant la chose avec attention, que les
trois premiers Évangélistes, ayant représenté
particulièrement et fort au long les actions
et les paroles de Jésus-Christ vivant sur la
terre, comme plus propres à nous servir de
modèle pour le règlement de nos mœiu-s, se
sont appliqués à cette vertu activp ; que
saint Jean au contraire ayant dit fort peu de
choses des actions de Jésus-Christ, il a rap-
porté avec plus d'exactitude et d'étendue ses
paroles, et particulièrement celles qui mar-
quent le mystère de la Trinité, l'égalité des
personnes divines, et la gloire de la vie fu-
ture; qu'ainsi, cet évangéliste a renfermé
ses vues et sa prédication dans la vertu con-
templative. ))
18. « D'où vient, dit-on, que Jésus-Christ'
n'a rien écrit lui-même de ses actions ? Et
1 Initium sancU Evangelii, cui nomen est se-
cimdum Joannem, quidam pkUonicus , sicut a
sancto sene Simpliciano, qui posleii Mediolanensi
Ecclesiœ prœsedit episcopus, solebamiis audire,
aiireis liiteris conscribendum , et per oinnes ec-
clesias in locis eminenlissimis proponendum esse
dicebat. August., lib. X De Civil. Dei, cap. xxix,
pag. 265.
^ Cum duce virtutes propositœ sinl animœ Im-
manœ, una activa, altéra contemplativa; illa qua
ilur, ista qua pervenit^tr ; illa qua laboratur, ut
cor mundetur ad videndum Deum, ista qua va-
catur et videtur Deus ; illa est in prœceptis exer-
cendce vitœ hujus temporalis , ista in doctrina
vitœ illius sempiternœ. Àc per hoc illa operatur,
istarequiescit : quia illa est in purcjalione pecca-
torum, ista in lumine purgatorum. Ac per hoc,
in hac vita morlali, illa est in opère bonce conver-
sationis , ista vero magis in fuie, et apud per-
paucos per spéculum in cenigmate, et ex parte in
aliqua visione incommutabilis veritatis. Hce duce
virtutes in duabus uxoribus Jacob figuratœ in~
telliguntur... Lia quippe interprelatur laborans ;
Rachel autem, visus principium. Ex quo intelligi
datur, si diligenter advertas, très Evangelistas
temporalia facta Domini et dicta quce ad infor-
mcindos mores vitce prœsentis maxime valerent
cojnosius persécutas , circa illam activam virtu-
teM' puisse versatos ; Joannem vero facta Domini
pauciora nnrrantem, dicta vero ejus, ea prceser-
tim cjuce Trinitatis unitatem-, et vitce œterncc feli-
citntem insinuarent, diligentms et uberius cons-
cribentem, in virtute contemplativa commen-
danda\ suam intentionem prœdicationemque te-
7iuisse. Aiigust., lib. l De Cons. Evaiigelist.,t:3.p.
V, mmi. 8, pag. 5.
^ Sed illud prius discutiendum est, cjuod solet
nonnullos niovere, cur ipse Dominus nihil scrip-
390
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
pourquoi faut-il ajouter foi à ce que d'autres
en ont écrit? C'est l'objection que font sur-
tout les païens qui, n'osant condamner ni
blaspliéruer Jésus-Christ , lui donnent, à la
vérité, une très-grande sagesse , mais telle
cependant qu'il convenait à un homme mor-
tel , et qui se plaignent que ses disciples ont
fait leur Maître plus grand qu'il n'était en
effet, jusqu'à dire qu'il était le Fils de Dieu,
le Verbe de Dieu par qui toutes choses ont
été créées ; que lui et Dieu son Père n'é-
taient qu'une même chose; et plusieui-s au-
tres traits semblables répandus dans les
écrits des apôtres, par lesquels nous avons
appris à l'adorer comme faisant un seul Dieu
avec son Père. Ils conviennent bien qu'il
faut l'honorer comme un homme rempli
d'une très-grande sagesse ; mais ils nient
qu'on doive l'adorer comme un Dieu. Lors
donc qu'ils nous demandent pourquoi il n'a
rien écrit de ses actions, il paraît qu'ils eus-
sent été disposés à croire ce qu'il eût écrit
lui-même, et non ce que d'autres en eussent
débité selon leurs idées. Mais je demande à
ces personnes , d'où vient qu'à l'égard de
quelques-uns de leurs principaux philoso-
phes, ik n'ont fait aucune difficulté de croire
ce que leurs disciples en ont laissé à la pos-
térité, quoique ces philosophes n'aient eux-
mêmes rien écrit de ce qui les regardait :
car quant à Pythagore, cet homme le plus
éclatant dans la vertu contemplative, qui ait
été parmi les Grecs, non-seulement il n'a
rien écrit de ses actions, mais il n'a rien
môme écrit sur aucune autre matière. Pour
Socrate, qu'ils ont préféré à tous les autres
dans la vertu active par laquelle on forme
les mœurs, en sorte qu'ils n'ont point dis-
simulé qu'il avait été déclaré le plus sage de
tous les hommes par un oracle de leur dieu
Apollon ; il a mis les fables d'Ésope en peu
de vers, n'ayant fait qu'ajouter à l'ouvrage
d'un autre des mots et des cadences, et il a
tellement évité de rien écrire , qu'il a dit
même que le peu qu'il avait écrit, c'avait été
par l'ordre exprès de son démon, ainsi que
l'assure Platon le plus illustre de ses disci-
ples. Cependant , dans cet ouvrage , il a
mieux aimé faire valoir les pensées d'un au-
tre que les siennes propres. Pourquoi donc
croiront-ils ce que les disciples de ces philo-
sophes ont écrit de leurs maîtres, et refuse-
ront-ils de croire ce que les disciples de Jé-
sus-Christ nous ont laissé de ses actions ,
étant surtout contraints d'avouer qu'il a sur-
passé en sagesse tous les autres hommes,
quoiqu'ils refusent de le reconnaître pour un
Dieu? Est-ce donc que leurs philosophes,
qu'ils mettent sans hésiter fort au-dessous
de Jésus-Christ, ont pu donner un caractère
d'infaillibilité à ce que leurs disciples ont
écrit de leurs actions, et que Jésus-Christ
n'a pu faire la même chose à l'égard des
siens ? Si rien n'est plus absurde , qu'ils
croient donc de Jésus-Christ, à qui ils don-
nent la quahté de Sage, non ce qu'ils jugent
à propos d'en croire, mais ce qu'ils lisent
dans les écrits de ceux qui ont appris de la
serit, ut aliis de illo scribentibus necesse sit cre-
dere; hoc enimdicunt iUi vel maxime pagani, qui
Dominum ipsum Jesum Christum culpare aut
blasphemare nonaudent, eique tribuuni excellen-
tissimam sapienUam , sed tamen tanquam ho-
mini : discipulos vero ejus dicunt Magistro suo
amplius tribuisse quam erat, ut eum Filium Dei
dicerent, et Yerbum Dei, per quod facta sunt oin-
nia, et ipsum ac Deum PcUrem unuin esse; ac
si qua similia sunt in apostolicis litteris, quibus
eum cum Pâtre unum. Deum colendum dicimus.
Honorandum enim tanquam sapientissimum. vi-
rum putant , colendum autem tanquam Deum
negant. Cum ergoquœrunt, quareipse nonscrip-
serit, videntur parati fuisse hoc de illo credere;
quod de se ipse scripsisset, non quod alii de illo
pro sîto arbitrio pra'dicassent. A quibus quœro,
cur de quibusdam nobilissimis pldlosoplns suis
hoc crediderint , quod de illis eorum discipiili
scriptum- memoriœ reiiqucrunt, cum- de se ipsi
nihil scripsissent? Nam Pythagoras, qioo in illa
conlemplativa virtule nihil tune hnbuit Grœcia
clarius, non tamen, sed nec de ulla re aliquid
scripsisse perhibet'ur. Socrates autem qitem rur-
sus in activa, qua mores informantur, omnibus
prœlulerunt, ita u,t testimonio quoque Dei sui
Âpollinis omiiium sapientissimum prommliatum
esse non taceant, .Esopi fabulas pauculis versi-
biis persecutus est, verba et numéros suos adhi-
bens rébus alterius, usque adeo nihil scriberevo-
luit, ut hoc se coactum imperio sui dœmonis fe-
cisse dixerit , sicut 7iobilissimus discipulorum
ejus Plato commémorât : in quo tamen opère
maiuit aliénas quam suas exornare sententias.
Quid igitur causœ est, cur de istis hoc credant,
quod de illis discipuli eorum litteris comm-enda-
runt, et de Christo nolint credere quod ejus de
illo discipuli conscripserimt ? prœsertim cum ab
eo cœteros homines sapientia superatos falean-
tur, quamvis eum fateri Deum nolint? An vero
illi, quos isto multo inferiores fuisse non dubi-
tant, veraces de se disciptilos facere potuerunt,
et isle non potuit? Quod si absurdissime dicitur,
credant de illo, quem sapienlem fatentur, non
quod ipsi volunt, sed quod apud eos leguiit,
qui ea quœ scripserunt ab illo sapiente didice-
runt. August. , lib. 1 De Cons. evang., cap. vu,
mim, 11-12, pag. 6-7.
[IV" ET V' SIÈCLES.]
SALNT AUGUSTLN, EVEQUE D'HIPPONE.
S91
■us^ClirisI,
Dt conduit
main des
l'EvaQ-
ifîEiïeldes
'iDtrariélés
^.arentes de
Taagile.
bouclie même de ce sage, ce qu'ils en ont
laissé par écrit. »
19. «Jésus-Christ, en se revêtant' de l'hu-
manité, est à l'éffard de tous ses disciples
llgL-li^te5 , °
peui dire commB la tête est le chef à l'ésard des mem-
! c'est lui- °
'"' .3?' ^ bres d'un même corps. Ainsi, comme ils ont
écrit les choses que lui-même leur a dictées
et montrées, il faut bien se garder dé dire
que ce n'est pas lui-même qui a écrit l'Evan-
' gUe, puisque ce sont en quelque façon ses
propres mains qui écrivaient ce qui lem' était
dicté et inspiré par le chef. Car il s'est servi
d'eux comme de sa propre main, pour écrire
tout ce qu'il voulait que nous sussions de ses
actions et de ses paroles. Celui qui compren-
dra cette correspondance mutuelle de tous
les membres unis ensemble sous un même
chef dans leurs diverses fonctions, regardera
ce que les apôtres ont écrit de Jésus-Christ
dans l'Évangile, comme si c'était la main
même qu'il avait dans sa chair mortelle qui
l'eût écrit. C'est le même Dieu qui gouverne ^
la mer, comme il lui plaît, qui a conduit,
comme par la main, la mémoire de chaque
évangéliste. Caria mémoire de l'homme est
pour ainsi dire dans une agitation conti-
nuelle par les diverses pensées qui s'y exci-
tent, et il n'est au pouvoir de personne de
penser ce qu'il veut ni quand il veut. Puis
donc que ces hommes pleins de sainteté et
de vérité, en écrivant l'Évangile, abandon-
naient, pour ce qtLi est de l'ordi-e de la narra-
tion, ce que leur mémoire leur présentait, à
la secrète puissance de Dieu devant qui rien
ne se fait au hasard, nous devons croire qu'il
a tellement dirigé la mémoii-e et l'esprit des
Évangélistes, elles a élevés eux-mêmes à un
tel degré d'autorité pour le bien et l'utilité
de l'Église, que, par les contrariétés mêmes
qui paraissent entre eux, il a permis que
plusieurs tombassent dans l'aveuglement
après avoir été livrés avec justice à la cor-
ruption de leur cœur et à leur sens ré-
prouvé ; et que d'autres au contraire par un
secret jugement de sa toute- puissance y
trouvassent de quoi augmenter leurs lumiè-
res et fortifier leur foi. »
20. « On ne doit pas au reste regarder si„„^fj,™,c"
comme une contrariété qu'un évangéliste di- p[hé^?°'°p!,;
se^ ce que l'autre n'a point dit; et il faut une 3it''ce°quvs
fois pom- toutes apprendre de là à ne point ''°™'°' '''"'
être sm'pris ni ébranlé, si un évangéfiste a
tellement lié sa narration qu'il paraisse que
rien n'y a été omis. Car, laissant là les cho-
ses dont il ne veut point parler, il joint de
telle manière celles qu'il veut dire à ce qu'il
a déjà dit qu'elles paraissent être une suite
l'une de l'autre. Mais comme l'un rapporte
des choses qu'un autre a passées sous si-
lence, si l'on considère avec attention le seul
ordre des faits, on n'aura pas de peine à
apercevoir le lieu où l'évangéliste, quia^omis
de rapporter certaines choses, a pu les omet-
tre, afin que ce qu'il avait intention de dire
* Omnibus autem discipulis s^Us per hominem
quem assumpsit tanqxiam membris sxii corpo)-is,
caput est. Itaque cum illi scripserunt, quœ ille
ostendit et dixit, nequaquam dicendum est qiiod
ipse non scripserit ; quandoquidem membra ejus
id operata sunt, quod dictante capite cognove-
runt. Quidquid enim ille de suis factis et dictis
nos légère voluit, hoc scribendiim illis tanquam
Sîws manibus imperavit. Hoc unitatis consortium
et in diversis officiis concordiuminembrorumsub
uno capite quisquis intellexerit, non aliter acci-
piet quod narrantibus disciimlis Christi in Evan-
gdio legerit , quam si ipsam manum Domini,
quam in proprio corpore gestabat, scribentem
conspexerit. August., lib. 1 De Cons. evangelist.,
cap. XXXV, num. 54, pag. 26.
^ Recordationes eorum (Evangelistarum) ejus
manu gubernatœ sunt, qui gubernat aquam, sicut
scriptum est, qualiter illi placuerit. Fluitat enim
humana memoria per varias cogitationes, necin
cujusquam poteslate estquid et quando eioeniat
in mentem. Cum ergo illi sancti et veraces viri
quasi fortuita recordationum suarum propter
narrationis ordinem occultœ Dei poteslatie, cui
nihil fortuitum est, commisissent... sic gtiberna-
vit corda reminiscentium Evangelistarum, et in
Ecclesiœ fastigio tantœ auctoritatis culmine su-
blimavit, ut per hœcipsa quœ ineis contraria vi-
deri possunt, midti excœcentur , digne traditi in
cûncupiscentias cordis sui, et in reprobum sen-
sum; et multi exercerentur ad eliminandum piuni
intellectum secundum occultam Ornnipotentis
justitiam. August., lib. III De Cons. evangelist.,
num. 48, pag. 126.
^ Kec ideo contrarium videri potest, quod vel
hic dicit quœ ille prcetermittit, vel ille commé-
morât quce iste non dicit hic proinde cognos-
cendum est quod deinceps ad cœtera talia valeat,
ne similiter moveant animumque conturbent, sic
unumquemque evangelistam contexere narratio-
nem suam, ut tanquam nihil prœtermittentis
séries digesta videatur; tacitis enim quœ non
vult dicere, sic ea quœ vult dicere, illis quce di-
cebat adjungit utipsa continua sequi videantur :
sed, cum aller ea dicit quœ aller tacuit,diligenter
ordo consideratus indicat locum ubi ea potuerit,
a quo prœtermissa sunt, transilire, ut ea quœ
dicere intenderat ita superioribus copularet, tan-
quam ipsa nullis interposilis sequerentur. Au-
gust., Ilb. II De Consensu evangelist., num. 16,
pag. 34.
592
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
II n'y a
I,oinl de con-
trariété entre
les é^aDEclis-
tes.
fût lié avec ce qui précède, et que les faits
parussent naître les uns des autres. Or, qui
ne voit que c'est en vain qu'on cherche *
dans quel oi'dre Jésus-Christ a dit ces cho-
ses ? puisque sur la seule autorité incontes-
table des évaugélistes, nous devons être per-
suadés qu'on ne peut les taxer de mensonge,
si quelqu'un d'entre eux dans sa narration
n'a point eu égard à l'ordre naturel des faits,
puisqu'il importe peu pour la vérité, que cet
ordre soit observé si scrupuleusement. »
21. « Il ne s'en suit nullement qu'ils soient
contraires - entre eux, parce qu'ils se ser-
vent de tei'mes différents pour exprimer une
même chose, et que l'un dit ce que l'autre
omet. Il est au contraire évident qu'ils se
sont expliqués en plus ou moins de paroles,
selon que les choses se présentaient à leur
mémoire, ou qu'ils avaient envie de les dire.
En cela l'on voit assez que nous ne devons
point taxer de mensonge aucun des Évaugé-
listes, si, en rapportant les mêmes choses, ils
ne les rapportent, ni de la même manière
qu'elles ont été dites, ni dans les mêmes ter-
mes, soit que l'ordre des termes s^it changé,
soit qu'ils en mettent quelques-uns pour d'au-
tres, qui cependant expi'iment les mêmes
choses. Il peut encore se faire qu'ils ne disent
qu'en partie certaines choses qui ne se présen-
tent pas tout à fait à la mémoire, et qu'on peut
aisément suppléer par d'autres qu'ils ont
déjà dites. Peut-être, dans la vue de se ren-
fermer dans certaines bornes, ils passent lé-
gèrement sur certains faits, pour s'étendre
davantage sur d'autres qui sont plus au su-
jet; peut-être pour mettre une pensée dans
son jour, et la rendi'e plus sensible, celui
qui a reçu l'autorité d'écrire, sans rien ajou-
ter pour le fonds des choses, y ajoute ce-
pendant quant aux termes. Enfin il a pu ar-
river qu'étant bien instruits des faits, ils ne
pourraient néanmoins, quelques efforts qu'ils
fissent, les rapporter absolument dans les
mêmes termes, et de la même manière qu'ils
les avaient entendu dire. Or, si quelqu'un se
persuadait que le Saint-Esprit devait telle-
ment conduire la plume des Évaugélistes,
qu'il n'y eût entre eux aucune diversité, soit
dans la nature, soit dans l'ordre, soit dans
le nombre des paroles, il ne comprendrait
pas que, plus l'autorité des évaugélistes est
grande, plus il était nécessaire qu'ils ser-
vissent par leur exemple à établir le crédit
des autres hommes, cpii dans leurs écrits
n'ont en vue que la vérité ; en sorte que plu-
sieurs personnes racontant par hasard une
1 Quis autem non videat superfluo quœri, quo
illa ordine Dominus dixerit ; cum et hoc dicere
debeamus per Evangelistarum excelientissimain
aucloritatein, non esse mendacium, si quisquam
non hoc ordine cujusquam sermonem digesserit,
quo ille a quo processit, cum ipsiiis ordinis nihil
intersit ad rem, sive ita, sive ita sit. August.,
lit), tl De Consensu Evangelist. , cap. xxxix,
num. 86, pag. 68.
- Quod enim alius aliuni verborum ordinem' te-
net, non est utique contrarium. Neque illud con-
trarium est, si alius dicit quod alius prœtermit-
tit. Ut enim guisque meminerat, et ut cuique
cordi erat vel brcvius, vel prolixius, eamdem ta-
men explicare sententiam, ila eos explicasse ma-
nifestum est. Et in hoc salis apparet quod ad rem-
maxime perlinet non nos debere arbitrari
mentiri quemquam, si,pluribus remquam audie-
runt vel riderunt reminiscentibus, non eodem
modo atque eisdem verbis, eadem tamen res fue-
rit indicata; aut sive miiietur ordo verborum,
sive alia pro aliis, quœ tamenidem raleantverba
proferantur ; sive aliquid vel quod recordanlinon
occurrit, vel quod est aliis quœ dicuntur possil
intelligi, minus dicalur; sive aliorum quœ ma-
gis dicere statuit narrandorum gratia, ut con-
grutis temporis modus sufficiat, aliquid sibi non
totum explicandum, sed ex parte tangendum
quisque suscipiat; sire ad iUunnnandam decla-
randamque sententiam, nihil quidem rerum, ver-
borum ta^nen aliquod addat, cui auctoritas nar-
randi concessa est; sive rem- bene tenens non as-
sequatur, quamvis id conetur, memoriter etiam
verba quœ audivit ad integrûm enuntiare. Quis-
quis autem dicit Eiangelistis certe per Spiritus
Sancti potentiam id debuisse concedi, ttt nec in
génère verboriim, nec in ordine, nec in numéro
discreparent , non intelligit, quanto ampHus
Evangelistarum excellit auctoritas, tanto magis
per eos fuisse lirmandam cœterorum hominum
vera loquentium securitatem : ut pluribus eam-
dem rem forte narrantibus, nullo modo quisquam
eorum de mendacio recte arguatur, si ab altero
ita discrepaverit, utpossit etiam Evangelistarum
exemplo prœcedente defendi. Cum fas non sit
Evangelistarum aliquem meniitum fuisse, vel
existimare, vel dicere , sic apparebit nec eum
fuisse mentit'um, cuirecordanti taie aliquid acci-
derit, quale illis accidisse monstratur. Et quanto
magis ad mores optimos perlinet cavere menda-
cium, tanto magis tam eminente auctoritate régi
debebamus, ne piUaremus esse mendacia, cum sic
inter se variari aliquorum narrationes invenire-
mus, ut inter Evangelistas variata sunt. Simul
eliam quod ad doctrinam fidelem maxime perlinet,
intelligeremus, non tam verborum- quam rerum
quœrendam vel amplectendam esse veritatem,
quando eos qui non eadem locutione utuntur,
cum rebu-s senlen-tiisquenondiscrepant, in eadem
veritate constitisse approbamus. August., Mb. II
De Cons. Evangelist., uum. 27 et 28, pag. 44.
[iv" ET v" SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
893
Quoique
|.^s éTangélis-
diirùiTiit
dao:) l'ordre
lo rapporter
e; Faits , ils
p'accotdent
jour le fond
dt'S clioses.
même chose, on ne puisse sans injustice en
taxer aucun de mensonge, s'il ne diffère d'a-
vec un autre que de la même manière que
les évangélistes diffèrent entre eux. Car puis-
qu'il n'est permis ni de croire ni de dire que
quelqu'un des évangélistes ait parlé contre
la vérité; il est clair qu'on ne doit point ac-
cuser de mensonge celui qui en écrivant sera
tombé dans le même cas que les évangélis-
tes, et que plus il est de l'essence d'un hon-
nête homme de ne point mentir, plus aussi
devons-nous sur une si grande autorité évi-
ter de traiter de mensonge ces variétés qui
se trouvent dans les écrits de quelques-uns,
comme elles se trouvent dans les évangélis-
tes. Nous devons encore comprendre, qu'il
faut moins chercher la vérité dans les termes
que dans les choses mêmes, puisque de no-
tre aveu des personnes seraient également
véridiques, si, étant différentes dans la ma-
nière de s'énoncer, elles s'accordaient néan-
moins dans les pensées et dans le fond des
choses, n
22. (I Or, qu'importe ' qu'un évangéliste
dise les choses dans un tel lieu ou dans un
tel ordre, qu'il reprenne ce qu'il avait omis,
ou même qu'il prévienne certains faits ;
pourvu qu'en ces mêmes choses ou en d'au-
tres, il ne soit contraire ni à lui-même, ni à
un autre évangéliste? Car, puisqu'il n'est
au pouvoir d'aucun homme, quelque fidèle
que soit sa mémoire sur l'ordre dans lequel
des faits déjà connus sont arrivés, de se res-
souvenir d'une telle chose avant ou après
une autre; il est assez probable que chaque
évangéliste a cru devoir rapporter les cho-
ses dans le même ordre que Dieu a voulu
suggérer à sa mémoire ce qu'il écrivait;
mais dans les choses seulement, où il impor-
tait peu à l'autorité et k la vérité de l'Évan-
gile, de garder tel ou tel ordre. Ainsi où nous
ne trouvons point qu'ils aient gardé l'ordre
des temps, nous devons peu nous embaras-
ser quel ordre chaque évangéliste a donné à
sa narration; mais partout où cet ordre se
fera sentir, si un évangéliste paraît en quel-
que chose être contraire à lui-même ou à un
autre, nous devons alors l'examiner de plus
près, et concilier ces contrariétés apparen-
tes. On peut faire cette remarque - dans le
miracle des sept pains rapporté par saint
Matthieu et saint Marc. Si l'un des deux,
l'eût rapporté , et qu'il n'eût point parlé de
celui des cinq pains, on l'aurait regardé
comme contraire aux autres évangélistes,
et personne n'aurait douté que ce ne fût un
seul et même miracle, qui n'avait point été
rapporté fidèlement, ni dans son entier par
cet évangéliste, ou même par tous, et l'on
se serait persuadé que cet évangéliste, par
erreur, aurait mis sept pains au lieu de
cinq ; ou que ceux-ci, ou les uns ou les au-
tres, soit par mauvaise foi, soit par défaut
de mémoire, en auraient mis cinq au lieu de
sept. C'est ce qu'on penserait encore des
douze corbeilles ou des sept paniers , aussi
bien que des cinq mille hommes, ou des qua-
tre mille qui furent rassasiés. Mais comme
ceux qui ont rapporté le miracle des sept
pains , ont aussi fait mention des cinq, per-
1 Qiiid autem interest quis quo loco ponat,
sive quod ex ordine inserit, sive quod omissum
recolit, sive quod postea factum ante prœoccu-
pat : dum tamen non adversetur eadem vel alia
narranti, nec sibi nec alteri? Quia enim nullius
in potestate est, quamvis optime (ideliterque res
cognitas, quo quisque ordine recordetur... satis
probabile est quod imusquisque evangelistarum
eo se ordine credidit debuisse narrare, quo vo-
luisset Deus ea ipsa quœ narrabat ejus recorda-
tioni suggerere, in eis duntaxat rébus, quarum
ordo, sive ille, sive ille sit, nihil minuit aucto-
ritati veritatique evangelicœ... i/uapropter uhi
ordo temporum non apparet, nihil nostra inte-
resse débet, quem narrandi ordinem quilibet eo-
rum tenuerit : ubi autem apparet, si quid move-
rit quod sibi Mit alteri repugnare videat^ir, uli-
que considerandum et enodandum est. August.
lib. II De Consensu evangelist. uum. 54 et 32,
pag. 34.
2 Hoc sane non abs re fuerit admonere in hoc
miraculo de scplem panibus , quod duo evange-
IX.
listœ Uatthœus Marcusque posucrunt, quia si
aliquis eorum id dixisset, qui de iliis quinque
panibus non dixisset, contrarius cœteris putare-
tur. Quis enim non existimaret unum idemque
factum esse, non autem intègre et veraciter, sive
ab illo sive ab aliis, sive ab omnibus fuisse nar-
ratum, sed aut illum pro quinque panibus sep-
tem dum falleretur commémorasse, aut illos pro
septem quinque, aut utrosque mentitos vel obli-
rione deceptos ? Hoc et de duodecim cophinis et
de septem sportis oi)inaretu,r quasi contrarium.
Hoc de quinque millibus, et de quatuor millibus
qui pascerentur. Sed quia illi qui miraculum de
septem panibus narraoerunl, nec illud de quin-
que tacuerunt, neminem movet, et utrumque fac-
tum omnes intelligunt. Hoc ideo diximus, ut sic
ubi simile invenitur factum a Domino, quod in
aliquo alteri ecangelistœ ita repugnare videatur,
ut omnino solci non possit, nihil aliud intelliga-
tur quam utrumc^ue factum esse, et »liud ab alio
commemoratum. August., lib. II De Consensu
evangelist., num 105, pag. 77 et 78.
38
594
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
sonne n'hésite ù le croire', et tout le monde
convient que ce sont deux miracles diffé-
rents. Cette remarque est nécessaire, afin
que s'il se trouvait quelques-autres miracles
semblables de Jésus-Cbrist, rapportés par
les évang'élistes avec tant de contrariété
qu'on ne pût absolument les concilier, on
n'en cherchât point d'autre raison, sinon que
l'un et l'autre est véritablement arrivé; et
que celui-ci a été rapporté par un évangé-
liste, et celui-là par un autre. On pourrait
encore s'étonner ' en lisant dans saint Luc
qu'on fit asseoir les troupes par bandes de
cinquante, et dans saint Marc par bandes de
cent et de cinquante. Néanmoins, il n'y a rien
en cela qui doive causer de la surpi'ise, parce
que l'un dit tout, et l'autre n'en dit qu'une
partie ; et que celui qui a parlé des bandes de
cent, a rapporté ce qu'un autre avait omis.
Ainsi, il n'y a en cela aucune contrariété.
Mais si un évangéhste eût seulement fait
mention des bandes de cinquante, et un au-
tre seulement de celles de cent, il paraîtrait
en cela beaucoup de contrariété, et on ne
distinguerait pas aisément que l'un et l'autre
seraient également vrais, et que l'une de ces
choses avait été rapportée par un évangé-
liste, et l'autre par un autre. »
Saint Augustin remarque^ que saint Jeail
se rencontre pour la première fois avec les
autres évangélistes dans le témoignage que
Jean-Haptiste rendit à Jésus-Christ sur le
bord du Jourdain ; une autre fois dans ce qui
y est dit du repas que Jésus-Christ fit aux
troupes avec cinq pains au delà de la mer de
Tibériade ; une troisième fois en rapportant
comme eux, cjue Jésus-Christ marcha sur les
eaux, et enfin dans ce que nous lisons que
le Sauveur étant à Béthanie , une femme
fidèle vint répandre sur sa tète un parfum
de grand prix. Ce sont là les seules rencon-
tres où l'on trouve cet apôtre avec les autres
évangélistes jusqu'au temps de la passion
où il se joignit à eux , parce qu'il devait
l'écrire avec eux.
23. «Quelqu'un demandera ' peut-être si
nos autours, dont les écrits divinement ins-
pirés composent le canon, ne doivent pas
seulement être estimés sages , mais aussi
éloquents? Cette question me paraît facile à
résoudre, répond saint Augustin, et le paraî-
tra à ceux qui seront de mon avis. Car lors-
que je les entends , je ne trouve rien qui ne
me paraisse non-seulement plus sage , mais
aussi plus éloquent ; et j'ose dire que tous
ceux qui entendent bien ce que ces auteurs
disent , comprennent aussi qu'ils n'ont pas
dû parler autrement. Comme il y a une
Sur l'i
qiionc
1 Sane prœtermittere non oportet hoc loco
intentum et ad ccetera, quœ talia forte occurre-
rint, facere lectorem, quia Lucas dixit quinqua-
genos jussos esse disciunbere, Marcus vero quin-
quagenos et centenos. Quod hic Uleo non movet,
quia unus partem dixit, alter totuin: qui eniin
etiam de centenis retulit, hoc retulit quod ille
prœtermisit ; nihil itaqiie conlrarium est. Verum-
tamen si alius de quinquagenis tantuin comme-
moraret, alius tantum de centenis, valde videretur
conlrarium ; nec facile dignosceretur ntrumque
dictuin esse, unum. autem ah altero, allerinn ab
altero esse commemoratum. August., lib. Se Con-
sensu evang., mmi. 98, pag. 7'i.
2 Augiist. , lib. IV De Consensu evangelist.,
uum. 19, pag. 120.
3 Hic aliquis forsitan gucerit utrum auctores
nostri, quorum scripta divinitus inspirala cano-
nem nobis saluberrima auctoritale fecerimt, sa-
pientes tantummodo, an éloquentes etiam nun-
cupandi sint. Quœ quidcm quœstio apud meipsum,
et apud eos qui mecuiii quod dico sentiunt, facil-
lime solvitur. iYam, ubi eos inteliigo, non solam
nihil eis sapienlivs, verum etiam' nihil eloquen-
tius niihi videri potest. Et audeo dicere, omnes
qui recte inlcUigunt quod illi loquuntur, siinul
intelligere non eos aliter loqui dcbaisse. Sicut
est enim (fiiœdam eloquentia quœ magis œtatciu
juvenilem decel, est quœ senilein : nec jain di-
cenda est eloquentia, si pcrsonœ non cougruat
eloquentis : ita est quœdam, quœ viros summa
auctoritate dignissimos planeque divines decet.
Hac illi locuti stmt, nec ipsos decet alla, nec
alios ipsa. Ipsis enim congruit, alios autem,
qvanto videtur humilior, tanto altius nonvento-
sitate, sed soliditate transcendit... possem qui-
dem, sivacaret, omnes virtutes et ornamenta elo-
quentiœ, de quibus inflantur isti qui Unguam
suam nosirorum auctorum linguœnon magnitu-
dine sed tumore prœponunt, ostendere in isto-
rum litteris sacris, quos 7iobis erudiendis, et ab
hoc sœculo pravo in beatum sœculum transfe-
rcndis, Providentia divina providit. Sed non ipsa
me plusquam dici potest in illa eloquentia délec-
tant quœ sunt his viris cum oratoribus gentiliurn
poelisve communia: illud magis admiror et stu-
peo quod ista nostra eloquentia ita usi sunt per
alteram quamdam eloquentiam suam, ut nec de-
esset eis, nec emineret in eis: quia eam nec im-
probari ab illis nec ostentari oportebat... et in
quib'usdam forte locis agnoscitur a doctis, taies
res dicuntu,r, ut verba qidbus dicuntur, non a
dicente adhibila, sed ipsis rehus velut sponte sub-
juncla'videantur : quasi sapientiam de domo sua,
id est pectore sapientis procedcre intelligas, et
lanquam inseparabitcm famulam' etiam non vo-
calam sequi eloquentiam. Aiigust., lib. i. De Doct.
christ., uap. vi, uuni 9, tom. III, parte 1, pag C7
cl G8.
[IV^.ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
59o
éloquence qui convient aux jeunes gens,
et une autre qui convient aux personnes
avancées en âge, et qu'on ne doit point
appeler éloquence celle qui ne convient
pas à la personne qui parle ; il y a de même
une certaine éloquence qui sied à ces hommes
tout divins. Ils ont parlé avec cette éloquence ;
et une autre ne leur aurait pas été bien-
séante, comme la leur ne conviendi-ait pas à
d'autres. Elle leur convient, et plus elle pa-
rait vile aux antres, plus elle surpasse l'élo-
quence profane , non par une vaine enflure,
mais par une solide grandeur. Je pourrais
même montrer que toutes les beautés et les
ornements de l'éloquence dont sont enflés
ceux qui préfèrent la langue de leurs auteurs
à celle des nôtres , se trouvent aussi dans
l'Éciilure sainte. Mais ce qui me plait dans
l'éloquence des auteurs sacrés , n'est pas ce
qu'ils ont de commun avec les poètes et les
orateurs des gentils. J'admire bien plus avec
étonnement qu'ils se soient servis de notre
éloquence par une autre qui leur est propre ,
de manière qu'elle ne leur manque pas, et
que ce n'est pas toutefois ce qu'il y a de plus
grand en eux : parce qu'il n'était pas à propos
qu'Us la condamnassent , ni qu'ils en fissent
parade. Dans les lieux mômes où les savants
la découvrant , les choses y sont dites d'une
manière , qu'il semble que les paroles dont
on se sert pour les exprimer , n'ont pas été
choisies par celui qui les dit ; mais qu'elles
sont nées naturellement des choses mêmes.
C'est une sagesse qui sort du cœur du sage,
comme de sa maison , et l'éloquence qui est
sa domestique insépai-able, la suit sans être
appeUée. »
Le saint Docteur donne plusieurs exemples
de l'éloquence de saint Paul ; mais de peur
qu'on ne l'accusât d'avoir choisi ' cet apôtre,
comme le seul modèle de l'éloquence que
nous ayons, il en rapporte des Prophètes, et
particulièrement d'Amos qui n'avait point
eu d'autre emploi que celui de garder les
troupeaux, lorsqu'il fut envoyé de Dieu pour
prophétiser à son peuple. « Voici donc, dit
saint Augustin, comment s'écrie cet homme
champêtre devenu prophète , quand il re-
prend les impies, les superbes, les prodigues
et par conséquent les hommes peu animés
de charité pour leurs frères : Malheur à vous
qui vivez en Sion dans l'abondance de toutes
choses, et qui mettez votre confiance dans la
montagne de Samarie. Grands qui êtes les chefs
du peuple, qui entrez avec une pompe fastueuse
dans les assemblées d'Israël , jxissez à Chalane,
et la considérez, etc. Je voudrais bien savoir
si ces éloquents docteurs qui regardent avec
mépi'is nos prophètes comme des gens des-
titués de science , et à qui la politesse et la
beauté du langage est entièrement inconnue,
auraient soidiaité de s'exprimer autrement,
s'ils avaient eu la même matière à traiter,
et devant les mêmes personnes, si néan-
moins ils avaient voulu parler avec sagesse?
Qu'y a-t-il en effet, que des oreilles pures et
délicates puissent désirer de plus que ce
discours ? »
H fait remarquer tous les traits et tous les
ornements qui se trouvent dans le sixième
chapitre du même prophète , et en conclut
que les auteurs canoniques ont eu non-
seulement la sagesse, mais aussi l'éloquence
qui convenait à des personnes de leur carac-
tère. Il est 'vrai que saint Augustin n'avait
pas toujours pensé de même des livres
sacrés, ^ et que dans sa jeunesse, lorsqu'il
avait encore le cœur et le goût corrompu par
* Sed forte quis putat tanquam eloqiientem
nostrum elegisse me aposiolum Paulum... dicen-
dwm ergo mihi aliquid esse video et de eloquentia
Prophetarum... ex illius prophetœ libre potissi-
mum hocfaciam, qui se paslorem vel armenta-
rium fuisse dicit, atque inde divinitas ablalum
atque missum, ut Dei populo prophetaret... Cum
igitur argucret impios, superbos , luxuriosos, et
fraternœ ideo negligentissimos charitatis , rusli-
cus , vel ex rusiico isie prophela, exclainavit di-
cens : Vse qui opulenti estis in Siou, et confiditis
in monte SaDiarioe , oplimates capita populoruni,
ingredieutes pompatice domum Israël, transite in
Chalane, et videte, etc.. Num quidnam istï , qui
Prophetas noslros tanquam inerudilos et elocu-
lionis ignares veluti docti diserlique contennmnt,
si aliquid eis taie vel in laies dicendum fuisset,
aliter se voluisseni dicere , qui turiun eorum in-
sanire noluissent? Quid enim est quod isto elo-
qino aures sobriœ plus desiderent?... Quapropter
et éloquentes quidem, non solum sapientes, cano-
nicos nostros auc tores doctoresque fateamur,
tali eloquentia , qualis personis ejusmodi con-
gruebat. August. , lib. IV De Doct. christiana,
luim. 13, et seq., pag. 70, 71, 72.
^ Itaque institui animum intendere in Scriptu-
ras sanctas, ut vider em quales essent. Et eccevideo
rem non compertam superbis, neque nec datam
pueris ; sed incessu immilem, successu excelsam
et velatam mysteriis : et non eram ego talis ut
intrare in eam possem, aut inclinare cervicem
ad ejus gressus. Non eniin, sicut modo loquor,
ita sensi cum attendi ad illam Scripiuram : sed
visa est mihi indigna quwm Tullianœ dignitati
compararein. Tumor enim meus refugiebat mo-
dum ejus; et ac'.es mea non penetrubat inleriora
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
396
l'amour des faux brillants de ce monde , il
ne trouvait rien dans l'Écriture qui fût com-
parable à l'éloquence de Cicéron , parce
qu'alors son orgueil d'une part ne pouvait
s'accommoder de la simplicité du style de
nos livres saints , et que de l'autre , son
esprit n'avait pas assez de pénétration pour
y découvrir les mystères cachés ; mais pré-
venu dans la suite par la grâce de Jésus-
Christ , il commença à y trouver du goût, et
pendant le reste de ses jours ' il en fit ses
chastes délices,
surrobscii- 24. Ces livres saints renferment "^ de
rité de I Ecn-
Tcî'u'ôndou profonds mystères que Dieu tient cachés
lui porter. j^gjj ^g jjQ^g jgg peudro plus rospectables. Il
veut que nous les y cherchions pour nous
exercer ; et il nous les fait enfin trouver, afin
que nous en tirions notre nourriture spiri-
tueUe. La surface de ^ ces livres se présente
agréablement à nous comme pour nous at-
tirer à les lire. Mais leur profondeur est
tout-à-fait merveilleuse. Saint Augustin ne
pouvait la considérer qu'avec effroi , mais
un effroi de respect, et un tremblement
d'amour. Il convenait qu'il y avait toujours '
à profiter dans la lecture qu'il en faisait,
quand même il s'y serait appliqué depuis
son enfance jusqu'à une extrême vieillesse,
et qu'il y aurait donné toute son étude et son
apphcation. Ce n'est pas qu'il soit diificile
d'y trouver les choses nécessaires au salut;
mais c'est qu'après y avoir puisé la foi sans
laqueUe on ne peut pas vivre avec piété, il
reste encore une infinité de choses cachées
sous des voiles mystérieux pour ceux qui
veulent faire du progrès dans la connais-
sance des saintes Écritures. Elles ont une
hauteur si pleine de sagesse, non-seulement
dans les paroles, mais aussi dans les choses
qu'il faut comprendre, que les personnes les
plus âgées, les plus subtiles , et cpii ont le
plus envie d'apprendre, trouvent qu'il leur ar-
rive ce qui est dit dans un endroit de l'Ecclé-
siastique : Quand l'homme croit avoir achevé, ^'"■'- ^
il ne fait que commencer. Le Saint-Esprit les
a néanmoins formées ^ avec un tempéram-
ment si admirable et si salutaire , qu'elles
satisfont dans les lieux clairs l'avidité de
ceux qui y cherchent leur nourritm-e , et
qu'elles remédient par les lieux obscurs aux
dégoûts qui en pourraient naître si tout y
était clair. D'aiUeurs, ce qui est difficile dans
ces lieux obscurs , se trouve clairement ex-
primé aiUeurs. Il ne faut donc ni se troubler ^
de ce que l'on ne peut comprendre dans
l'Éci'iture, ni s'enorgueiUir de ce qu'on y a
compris. On doit respecter ce qu'on n'entend
pas, et attendre avec soumission qu'il plaise
à Dieu de nous le développer; embrasser
avec une charité vive et fidèle ce qu'il lui
aura plu de nous faire entencbe. Les héré-
sies ' et les dogmes pernicieux qui servent
ejus. Verumtamen illa erat quœ cresceret cum
parvulis : sed ego dedignabar esse parvulus, et
turgidus fastu mihi grandis videbar. August. ,
lit). III Conf., cap. v, pag. 91.
1 Sint castœ deliciœ meœ Scripturœ tuœ ; nec
fallar in eis, nec fallam ex eis. Avigust. , lib. II
Conf., cap. II. pag. 195.
2 Sunt in Scripturis sanctis profunda mysteria,
quœ ad hoc absconduntur ne vilescant ; ad hoc
quœrnntur , uJ exerceant ; ad hoc aperiuntur,
ut pascant. August. in Psal. cxl, num. 1, pag.
1S62.
^ Mira profunditas eloquiorum tuorum, quo-
rum ecce ante nos superficies blandiens parvu-
lis : sed mira profunditas, Deusmeus, mira pro-
funditas. Eorror est intendere in eam, horror
honoris, et tremor amoris. August., lib. XII
Conf, cap. xiv^ num. 17, pag. 214.
* Tanta est enim christianarum profunditas
lilterarmn, ut in eis quolidie proficerem, si eus
solas ab ineunle puerilia usque ad decrepitam
senectulem maximu otio, summo studio, meliore
ingénia conarer uddiscere ; non quod ad ea quœ
necessaria sunt satiUi, tanta in eis perveniatur
difficultate, sed ciun quisque ibi fidem lenuerit,
sine qua pie recleque non vivitur , tam multa,
tamque muUiplicihus mijsleriorum umbraculis
opacata intelligenda proficientibns restant : tan-
taque non soluni in verbis , quibus ista dicta
sunt , verum etiam in rébus quœ intelligendœ
sunt, latel altitudo sapientiœ, ut annosissimis,
acutissimis, flagrantissimis cupiditate discendi
hoc contingat, quod eadem Scriptura quodam
loco habet : Cum consummaveril homo, tune in-
cipit. (Eccli., cap. xviii, vers. 6). August., Epist.
137, num. 3, pag. 402,
^ Magnifiée igitur et salubriter Spiritus Sanc-
t'us ita Scripturas modificarit, ut locis apertiori-
bus l'ami occurreret, obscurioribus autem fasti ■
dia delergeret. Nihil enim fere de illis obscurita-
tibus eruitur. quod non planissime diclum alibi
reperiatur. August., lib. II De Doct. christ, cap.
VI, num. 8, pag. 22. In omni quippe copia Scriptu-
.rarum sanctarum pascimur apertis, exercemur
obscuris : illic famés pellitur , hic fastidium.
August. Serm. 71 De Verbis evangelii, cap. vu,
nu«n. II. pag. 389.
" lUud ante omnia retinete , ut Scripturis
sanctis nondum intellectis non perturbemini, in-
telligentes autem noninflemini ; sed et quod non
inlelligitis, cum honore differalis. et quod non
inleUigitis cum charitate teneatis. August., Serm.
51 de concordia MalUi. et Luc. cap. xxiv, pag. 302.
' Neque enim natœ sunt hœreses, et quœdam
dogmata perversitalis illaqnentia animas et in
profundum prœcipitantia , nisi dum Scripturœ
[IV° ET V'' SIÈCLES.]
de piège aux âmes et les précipitent dans
l'abimè, ne sont nés que de ce que les Écri-
tures ont été interprétées en mauvais sens,
et que de ce qu'ensuite ceux qui les avaient
mal expliquées , ont soutenu avec témérité
et hardiesse leurs mauvaises inlei'prétations.
Il faut donc écouter avec beaucoup de pré-
caution les choses qui sont au-dessus de
notre capacité, en observant de nous nourrir
avec joie des vérités que nous pouvons en-
tendre et que nous trouvons conformes
à la foi dont nous avons été instruits.
Quant à celles qui surpassent notre intelli-
gence, si nous ne les pouvons accorder avec
la règle invariable de la foi, différons à un
autre temps de les entendre; mais ne diffé-
rons pas un moment de les croire sans le
moindre doute , persuadés qu 'il n'y a rien
dans ces saints livres qui ne soit bon et véri-
table. ))
23. Saint Augustin distingue ' quatre
sens de l'Écriture : l'historique qui nous re-
présente les faits comme ils se sont passés ;
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
597
l'allégorique , qui explique ce qui est dit en
figure ; l'analogique, où l'on compare en-
semble l'Ancien et le Nouveau Testament
pour en montrer l'accord ; et l'étiologique ,
par lequel on rend raison des faits et des
discours rapportés dans l'Écriture. Il avoue
qu'il n'en a pas toujours bien compris le
sens littéral. « Peu après ma conversion,
dit-il, ^j'écrivis deux livres contre les mani-
chéens , dont l'erreur ne consiste point à ne
pas entendre comme il faut l'Ancien Testa-
ment , mais à le rejeter en blasphémant le
Dieu des Juifs. Je voulais me hâter ou de
réfuter leurs visions, ou de les disposer à
chercher dans les anciennes Écritures qui
font l'objet de leur haine, la foi chrétienne
et évangélique. Mais comme il ne se pré-
sentait à mon esprit aucune voie de tout
exphquer à la lettre, que je croyais même
plutôt la chose impossible, ou du moins très-
difficile , dans la crainte de perdre trop de
temps , je me jetais dans les sens figurés
partout où je n'entendais rien à la lettre , et
bonw intelliguntitr non bene , et quod in eis non
beneintelligitur, etiam lemere et andaciter asseri-
tur. Itaque... valde catde hœc audire dehemus ,
ad quœ capienda parvuli stMiius ; et corde pio et
cwm tremore, sicut soriptum est, hanc tenentes
regulam sanilatis, ut quod secundum fidem
qua imbuti siurms, inielligere voluerimus , lan-
quani de cibo gaudeamus : quod autem secun-
dum sanam fidei regulam intelligere nondum
potuerimus, dubitationem auferamus, intelligen-
tiam difl'eramus ; hoc est ut, etiam si quid sit
nescimus, bonum tamen et verum esse minime
' dubitemus. August., Tract. 18, in Joan, num. l,
pag. 430.
1 Quatuor modi a quibusdam Scriplurarum
tractatoribus tradunlur legis exponendœ, quo-
rum vocubala enuntiari grcece possunt , latine
autem definiri et explicari; secundum historiam,
secundum allegoriam-, secundum analogiam, se-
cundum œtiologiam. Historia est, cum sive divi-
nitus sive humanitus res gesta commemoratur.
Allegoria, cum figurate dicta intelliguntur. Àna-
logia, cum Veteris et Novi Testamentorum con-
gruentia demonstratur. /Etiologia, cum- dictorum
factorumque causce redduntur. August., lili. Tm-
perf. de Genesi ad litteram , num. 5, tnm. III,
parte 1, pag. 94. Vide librum de UtiUt. credendi,
cap. m, num. 5, tom. VIII, pag. 48.
2 Ego contra manichœos, qui has lilteras Vete-
ris Testamenti non aliter quam. oportet acci-
piendo errant, sed omnino non accipiendo et
detestando blasphémant , duos conscripsi libros
recenti tempore conversionis ineœ , cito volens
eorum vel confutare deliramenta, vel erigere in
tentionem ad quœrendam in lilteris, quas ode-
runt, chrislianam et evangelicam fidem. Et quia
non mihi tune occurrebant omnia, quema,dmo-
dum proprie passent accipi, magisque non posse
accipi videbantur, a,ut vix posse aut difficile, ne
retardarer, quid figurate significarent ea, quœ
ad litteram non potui invenire, quanta voluibre-
vitate et perspicuitate explicavi, ne, vel milita
lectione vel disputationis obscuritate deterriti ,
in manus ea sumere non curarent. Memor tamen
quid maxime voluerim nec potuerim , ut non
figurate sed proprie primitus cuncta intelUge-
rentur, nec omnino desper ans etiam- sic posse in-
telligi, idipsum in prima parte secundi libri ita
posui. Sane, inquam, quisquis voluerit omnia
quœ dicta sunt secundum litteram accipere, id est
non aliter intelligere quam littera sonat, et po-
iest evitare blasphem.ias, et omnia congruentia
fidei catholicœ prœdicare, non solum ei non est
invidendum, sedprœcipuus multumque laudabilis
intellector habendus est. Si autem nullus exitus
datur, ut pie et digne Deo quœ scripta sunt intel-
ligantur, 7iisi figurate atque in œnigmatis propo-
sita ista credamus, habentes auctoritatem aposto-
licam; a quibus tam multa de libris Veteris Testa-
menti solvuntur œnigmata, modum quem- inten-
dimiis teneamus adjuvante illo qui nos pelere,
quœrere et pulsare adhortatur, ut omnes istas
figuras rerum- secundum catholicam fidem, sive
quœ- ad historiam, sive quœ ad prophetiam perti-
nent, explicemus, non prœjudicanies meliori di-
ligentiorique tractatui, sive per nos, sive per
altos, quibus Dominus revelare dignalur. llœc
iunc dixi;nunc autem quia voluit Dominus ut ea
diligentius intuens atque considerans, non frus-
tra quantum opinor , existimarem etiam per me
posse secundum propriam, non secundum allcgo-
ricam locutionem, hœc scripta esse monstrari.
August., lib. VIU De Genesi ad litteram, cap. ii,
num. 5, pag. 227,
598
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
je les exposai avec le plus de clarté et de
brièveté qu'il me fut possible, de peur que
les rûaniclicens, rebutés ou par la longueur
de l'ouvrage, ou par la diliiculté des ma-
tières, ne refusassent de le lire. Je fis pour-
tant assez connaître qae mon dessein était
d'entendre d'abord tout à la lettre , et non
pas allégoriquement. Mais je n'étais pas en-
core capable de l'exécuter, quoique je ne
désespérasse pas de pouvoir y réussir. » Il
veut donc que l'on comble d'éloges celai
qui entend h la lettre les saintes Écritures ,
pourvu que son explication s'accorde avec
la foi catholique. « Que s'il n'y a pas moyen,
ajoute-t-il, de trouver dans certains endroits
un sens digne de Dieu et conforme à la piété,
sans recourir aux figures et aux allégories ;
alors, munis de l'autorité des apôtres qui
ont dévoilé tant d'énigmes de l'Ancien Tes-
tament, nous pouvons nous en tenir à notre
méthode, en implorant le secours de celui
qui nous exhorte à demander, à chercher et
à frapper, afin d'expbquer toutes ces figures,
soit historiques , soit prophétiques , selon la
règle de la foi, sans prétendre nous opposer
à des interprétations meilleures et plus
exactes, que Dieu peut découvrir ou à noas
ou à d'autres. »
Voilà ce que disait saint Augustin quelque
temps après s'être converti. Mais depuis
qu'il eût médité les choses avec plus d'at-
tentien, il se trouva bien fondé à croire qu'il
était possible de montrer que les histoires
rapportées dans la Genèse, avaient été
écrites pour être entendues h la lettre et
non dans le sens allégorique. C'est pourquoi
dans les douze livres qu'il composa depuis
sur la Genèse, il explicjue l'Éci-iture à la let-
tre; ce qu'il fait aussi ordinairement dans tous
ses ouvrages dogmatiques. Mais comme il
croit que ceux-là se trompent ' qui excluent
toute allégorie des livres historiques, il croit
aussi qu'il y a une espèce de témérité à en
vouloir trouver partout. La règle qu'il donne
pour les allégories, c'est ° de bien examiner
par la suite du discours, ce qui y est dit
d'une manière figurée. Il dit encore ' « qu'il
y a de l'imprudence à interpréter à son
avantage un endroit pris dans un sens allé-
gorique , à moins qu'on n'en ait d'autres
clairs et décisifs sur la même matière, et
qui par là répandent du jour sur ceux qui
sont obscurs; que les passages de l'Écriture
qui sont obscurs , ne peuvent non plus que
les explications allégoriques, servir de preuve
dans les choses contestées ; » et il applique
celte règle à la question qui était entre les
catholiques et les donatistes touchant la vraie
Église ; prétendant que pour la décider, ils
ne devaient les uns et les autres employer
que des témoignages clairs , et 'pris dans le
sens littéral. « Il arrive souvent, ajoute-t-il',
que des esprits mal intentionnés apphquent
à leur gré les autorités de l'Écriture à des
personnes ou à des choses dont elles n'ont
jamais été dites. Et il se peut faire que l'in-
1 Mihi autem sicut multum videntur errare,
qui nullas res gestas in eo génère litterarum ali-
quid aliiul prœter id quod eo modo gestœ sunt
significare arbitrantur ; ita multum audere, qui
prorsus ibi omnia ngnificationibus allegoricis
iiwoluta esse conlendunt. August., lib. XVII De
civil. Dei, cap. m, pag. 438.
- Et hcec régula inomni allegoriaretinenda est,
vt pro sententia prœsenlis loci consideretur qvod
per similitudinem dicitur : hœc est enim domi-
nica et apostolica disciplina. August. inPsal. vni,
pag. 45.
" Quis aulem non impudentissime nitatur ait-
quid in allegoriapositum pro seinterpretari, nisi
habeat et manifesta testimonia, quorum lumine
illustrentur obscura? August., Epist. 93, uum. 24,
pag. 241.
* Sedquoniammwltainalios vel ob aliud dicta,
in qiios voiunl et ad quos volunt maledici ple-
rumque convertunl, mullaetiamproplcr exercen-
das rationales mentes figurate atque obscura po-
sita per œnigmatis imagines vel ambiguitalis an-
cipitem sensum, fallaci aliquando interprelationi
consonare et convenire creduntur; hoc etiam
prœdico atque propono ut quœcumque aperta et
manifesta diligamus , quœ, si insanctis Scriptwris
non invenirentur, nullo modo esset unde aperi-
rentur clausa et illustrarentur obscura Sic et
illa intérim seponcnda sunt, quœ obscure posita
et figurarum vela}iiinibus involuta, et secundum
nos et secundum illos possunl interpreiari.Est qui-
dem auctorum hominwn dijudicare atque discer-
nere quis eaprobabiliusinterpretetur, sednolumus
in lias ingeniorum contentiones, in eacatisa, quai
populos tenet nostram disputationem committere.
Nulli nostrum dubium est, per arcam is'oe, salva
rcrum gcslarum fide, ut deletis peccatoribus do-
mus jusli a dilurio liberaretur. eliam Ecclesiam
fuisse pguratam. Quœ forte humani ingenii con-
jectura viderelur, nisi hoc Pctriis apostolus in
Epistola sua diceret. Scd quod ille ibi non dixit,
si quis nostrum dicat propterea cuncta anima-
lium gênera ibi fuisse, quia in omnibus gentibus
fulura prœnuntiabatur Ecclesia, fartasse dona-
tistis aliud videatur et aliter hoc interpretari ve-
lint. Similiter et ipsi aliqtUd obscure et ambiguë
positum si pro sua sententia interpretentur, si
nobis pateat aliud inde dicere quod pro nobis so-
nat, quis erit finis? Aagusi., lib. De Unitate Eccle-
siœ, cap. v, num. S et 9, tom. IX, pag. 342-343.
[IV' ET V" SIÈCLES.]
terprétation qu'on leur donne , quoique
fausse , paraisse plausible , à cause de ce
voile qui les couvre, ou des différents sens
dont elles sont susceptibles. C'est pourquoi
je demande hautement que nous ne choisis-
sions que des témoignages clairs et mani-
festes. S'il ne s'en trouvait point de ce genre
dans l'Écriture, il n'y aurait aucun moyen
d'ouvrir ce qui est fermé, et de répandre de
la clarté sur ce qui est obscur. Il faudrait en
attendant mettre à part tous ces passages
enveloppés de figures , en laissant à chacun
des deux partis de les interpréter à son avan-
tage, sans en faire dépendre le succès d'une
cause où les peuples sont intéressés. Qui
d'entre nous , par exemple , en laissant tou-
jours subsiter la vérité du sens historique ,
niera que l'arche où la famille de Noé fut
sauvée du déluge , tandis que les pécheurs
furent submergés dans les eaux, n'ait été
la figure de l'Église? Peut-être même que ce
sentiment serait regardé comme une simple
conjecture de l'esprit humain, si saint Pierre
ne nous l'avait appris dans sa première Épî-
tre. Maintenant, si quelqu'un de nous disait
ce que cet apôtre n'a point dit , que toutes
les différentes espèces d'animaux furent en-
fermées dans l'arche, pour figurer que l'É-
glise serait formée de toutes les nations, sans
doute que les donatistes n'en voudi'aient pas
convenir, et qu'ils auraient recours à une
autre explication. De même s'ils s'appuyaient
sur quelque passage obscur et ambigu ; et
SAINT AUGUSTLN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
S99
qu'en lui donnant un autre sens , nous nous
le rendions favorable , quelle serait la fin et
le terme de nos disputes ? Tenons-nous-en
donc à des passages clairs , et si clairs qu'il
ne faille point d'interprète pour les éclaircir
par de longues discussions. »
26. « La première chose ' que doit obser-
ver celui qui s'applique à l'étude de l'Écri-
ture sainte, c'est d'avoir une connaissance
des livres dont elle est composée. 11 doit en-
suite les lire pour en remplir sa mémoire,
quoiqu'il n'en ait pas encore l'intelligence ;
puis approfondir avec autant de soin et d'ap-
plication qu'il poiu'ra , les vérités qui sont
clairement expliquées , et qui regardent ou
les mœurs ou la foi. Plus on a de pénétra-
tion, plus on y découvre de vérités ; et on y
trouve en termes clairs ce qui appartient à
la foi et aux mœurs , c'est-à-dire ce qui con-
cerne l'espérance et la charité. Des endroits
plus aisés il faut passer à la discussion des
choses obscures , en tirant des expressions
aisées à entendre de quoi découvrir ce qui
est caché sous des expressions plus embar-
rassées. On doit aussi faire servir des témoi-
gnages certains à lever les doutes qu'on
pouri-ait avoir sur quelques articles qui le
paraissent moins. La mémoire aide beau-
coup pour réussir dans cette étude , et si
l'on en manque, toutes les règles qu'on peut
donner ne serviront de rien pour en acqué-
rir. »
27. « L'Écriture sainte ^ peut n'être point
Comircnt
il f.-.«l s'appli-
quer à l'étudo
do i'Ëcrilure
EaiDte.
RSiTlos f ciir
1 In his omnibus librîs timentes Deum etpietate
mansueti, qiiœrimt voluntatem Dei. Cujus operis
et laboris prima observatio est, ut diximus, nosse
istos libros, et si nondum ad intellectum legendo
tamen vel mandare memoriœ, vel omnino inco-
gnitos non habere. Deinde illa quœ in eis aperte
posita sunt, vel prœcepta vivendi, vel regulœ cre-
dendi, solertius diligentiusque investiganda sunt :
quœ tanto quisque plura i7ivenit, quanto est in-
telligentiœ capacior. In iis enim quœ aperte in
Scripturis posita sunt, inveniuntur illa omnia
quœ continent fidem, moresque vivendi, spemsci-
licet atque charitatem de quibus libro superiore
trastavimus. Tum vero facta quadam familiari-
tatecumipsa lingua divinarum Scripturarum, in
ea quœ obscura sunt aperienda et discutienda
pergendum est, ut ad ohscuriores locutionesillus-
trandas de manifestioribus sumantur exempta, et
quœdam certarum sententiarum testimonia dubi-
tationem incertis auferant, in qua re memoria
valet plurimum : quœ, si defuerit, non potest Itis
prœceptis dari. August., lib II De Doctrina chris-
tiana, cap. k, num. d4, pag. 24.
^ Diiabus autem causis non intelliguntur quœ
scripta su,nt, si aut ignotis aut ambiguis signis
obteguntur. Sunt autem signa vel propria vel
tr nslata. Fropria dicuntur, cum his rebits signi-
ficandis adhibentur, propter quas sunt instituta,
sicut dicimus bovem, cum intelligimus pecus,
quod omnes nobiscum latinœ linguœ homines hoc
nomine vocant. Translata sunt, cum et ipsœ res
quas propriis verbis signi/lcamus, ad aliud ali-
qiiid significandum usurpantur , sicut dicimUiS
bovem, et per has duas syllabas intelligimus pe-
cus, quod isto nomine appellari solet : sed rti/r-
sus per illud pecus intelligimus evangelistam ,
quem significavit Scriptura, inlerpretante Apos-
tolo, dicens : Bovem triturantem non infrenahis.
Contra ignota signa propria magnum remedium
est linguarum cognitio. Et latinœ quidem linguœ
homines, quos nunc inslruendos suscepimus ,
duabiis aliis ad Scripturarum divinarum cogni-
tionem opus habent, hebrœa scilicet et grœca :
ut ad exeinplaria prœcedentia recurratur, si
quam dubitationem attulerit latinorum inlerpre-
tiim infinitavarietas. Quanquam et hebrœa verba
non interpretata sœpe inveniamus in lib ris, sicut.
Amen et Alléluia et Raca et Hosanoa, et si qua
sunt alla, quorum partim propter sanctiorem
auctoritatem, quamvis interpretari poHiissent,
600
HISTOIRE GÉNiîRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
i'iiiiciiiçiir.ce entendue ponr deux raisons. Car la vérité
do 1 Ecnluro. ^
peut être cachée ou sous des signes nicon-
nus , ou sous des signes obscurs et équi-
voques. Parmi ces signes il y en a dont les
uns sont propres et les autres figurés. Les
propres sont ceux dont on se sert pour si-
gnifier les choses pour lesquelles ils ont été
proprement institués ; comme lorsque nous
disons un bœuf, nous entendons parler d'un
animal connu sons ce nom. Les signes sont
métapboricpies etfigm'és, quand les choses
que nous marquons par leurs noms propres,
ont encore luie autre signification. Ainsi le
nom de bœuf signifie non-seulement un ani-
mal , mais il est pris aussi quelquefois pour
un ministre de l'Évangile, comme on le voit
dans ce passage de l'Écriture cité par saint
Paul en parlant des prédicateurs évangé-
1 Cor. IV, 10. liques : Vous ne tiendrez pas la bouche liée au
bœuf qui foule le grain. Le grand moyen
pour connaître les signes propres , c'est de
savoir les langues latine, grecque et hé-
braïque , afin de pouvoir recourir aux textes
originaux, au cas où la diversité infinie des
interprètes latins jetterait dans quelque
doute et dans quelque incertitude. Aussi
bien trouve-t-on dans les livres saints des
paroles hébraïques qui n'ont point été tra-
duites, comme Amen, Alléluia, Raca, Ho-
sanna, et d'autres encore , soit pour en con-
server l'antiquité et en rendre l'autorité
plus respectable , soit parce qu'on n'a pu ,
à ce qu'on dit , les rendre en une autre lan-
gue. Car il y a des termes tellement propres
à certaines langues que la véritable signi-
fication n'en peut être expliquée dans une
autre. Cela .arrive principalement dans ce
qu'on appelle des interjections , qui sont
plutôt des mouvements de l'àme que des
pensées particulières. Tels sont, dit-on , ces
deux termes : Maca et Hosanna, le premier
n'étant qu'un signe d'indignation, et l'autre
de joie. Mais ce n'est point à cause de ces
mots qui sont eu petit nombre, et dont il est
aisé de s'éclaircir, mais à cause de la diver-
sité des interprètes. On peut savoir combien
il y en a qui ont traduit l'Écriture de l'hébreu
en grec ; mais pour les interprètes latins , le
nombre en est infini : car dans les premiers
temps, si tôt qu'un exemplaire grec tombait
entre les mains de quelqu'un qui croyait
avoir une légère connaissance de l'une et de
l'autre langue , il se hasardait à le tra-
duire. I)
28. « Cela n'empêche ' pas que ces diffé- vma
rentes traductions ne contribuent à l'intelli- "■"'"""
servata est antiquitas, sicut est Amen et Allé-
luia; partim vero in aliam linguam transferri
non poluisse dicuntur, sicut alia duo quœ posià-
mus. Sunt enim quœdam verba certanim, lingua-
rum, quœ in usum allcrius liuf/uœ per interpre-
tationem tramire non possuni. Et hoc maxime
interjectionibus accidit,quœ i^erba motum animi
signiftcant po.tius quara sentenliœ conceptœ. nllani
particulam : nam et hcrc duo talia esse perhi-
bentur : dicunt enim TXnca indig nantis esse vocem,
Ilosauaa lœtantis. Sed non propter hœc pauca
quœ notare atque interrogare facillim'uni est, sed
propter diversitates, ut dictum est, inlerprctum,
iltarum lingtiarum est cognitio necessaria. Qui
enim Scripturus ex hebrœa lingua in grœcam
verlerunt,ntimeraripossunt; lalini autein inter-
prètes nullo modo; ut enim cuique primis fulci
temporibus in manus venit codex grœcus et ali-
quantulum fuculiatis sibi utriusque linguœ ha-
bere videbatur, ausus est inte.rpretari. August.,
lib. 11 De Doct. christiana, cap. x et xi, pag. 24
et 25.
' Quœ quidem res plus adjuvit intelligentiam,
quam impedivit, si modo legentes non sint négli-
gentes. Nam nonnullas obsmriores senteniias
pluri'um codic-um sœpe manifestavit inspectio, si-
cut istud Isaiœ prophelw unus interpres ait : Et
(lomesticos seminis lui ne dosjiexeris ; aliiis au-
tem ait : Et caniem tuam ne despexeris. Uterque
sibiniet invicein adtestatus est : namque aller ex
altero exponitur, quia et caro posset accipi pro-
prie, ut corpus suum quisque ne despiceret ; se
putaret admonitum ; et domcstici seminis trans-
late, christiani possent inlelligi, ex eo verbi se-
mine nobiscum spiritaliter nati ; nunc autem,
collato interpretum sensu, probabilior occurrit
senlentia proprie de consanguineis non despicien-
dis esse prœceplum, quoniam, domesticos seminis
cum ad carnem reluleris, consanguinei potissi-
mum occurrunt : unde esse arbitrer illud Àpos-
toli quod ait : Si quo modo ad œmulationem addu-
cere potuero carnem raeam ut salvos faciam ali-
qnos ex illis, id est ut œmulando eos qui credi-
derant, et ipsi credercnt; carnem enim suam
dixit Judœos , propter consanguinitatem. Item
illud ejusdem Isaiœ prophelœ : Nisi credideritis,
non intolligetis; alius interpretatus esf;Nisi cre-
dideritis, non permanebitis : quis horum verba
secntiis sit, nisi exemplaria linguœ prœcedentis
legantur, incertum est. Sed tamen ex utroque
magnum aliquid insinuattir scienter legentibus.
Difficile est enim ita diversos a se interprètes fieri,
ut non se aliqua vicinitate contingant. Ergo
quoniam intellectus in specie sempiterna est, p.-
des vero in rerum temporalium. quibusdam cu-
nabuiis quasi lacté ali parvulos, nunc autem per
/idem, ambulamus ; non per speciem nisi autem per
fidem ambulaverinuis. ad speciem pervenire non
poterimus quœ non transit sed permanet per in-
telleciumpurgatum nobis cohœrentibus veritati;
propterea ille ait : Nisi credideritis, non permane-
bitis ; ille vero .'.Nisi credideritis, non iutelli-
[iV" ET V'' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EYEQUE D'HIPPONE.
601
gence des Écritures. Car en les consultant,
on trouve souvent l'explication de certains
passages obscurs. Par exemple , dans cet
endroit d'Isaïe, où un traducteur lisait : Ne
méprisez pas les domestiques de votre race, un
autre a traduit : Ne méprisez pas votre chair.
Tous deux s'expliquent mutuellement , et
l'un sert à faire entendre l'autre. En effet,
par le mot de chair pris dans un sens natu-
rel, chacun est averti de ne pas mépriser
son corps : et en le prenant dans un sens fi-
guré pour les domestiques de la même race,
on peut l'expliquer de tous les chrétiens qui
sont nés spirituellement avec nous de la
même parole divine. Si l'on confère ensuite
le sens de ces deux traductions, on y décou-
vrira l'explication la plus vraisemblable, sa-
voir : qu'il est ordonné en cet endroit de ne
point mépriser ceux avec qui l'on a quelque
affinité ou quelque alliance. Car, rapportant
à la chair, les domestiques de la race, d'a-
bord les parents et les alliés se présentent
à l'esprit ; et c'est sans doute pour cela que
l'Apôtre a dit : Je tâche de donner de la jalou-
sie à ceux qui me sont unis par la chair, afin
que je puisse en sauver quelques-uns, c'est-à-
dire afin que, devenant jaloux de ceux qui
ont déjà embrassé la foi, ils l'embrassent
eux-mêmes. Or il appelle les Juifs sa chair
à cause de sa naissance. Il en est de même
de cet autre passage d'Isaïe : Si vous ne croyez,
vous ne comp?'endrez point ; un autre a traduit :
Vous ne demeurerez point . Il est difficile de voir
lequel des deux a pris le vrai sens, même en
recourant à l'original. Cependant ces deux
explications peuvent en fournir une excel-
lente, n'étant pas probable que les interprè-
tes se soient tellement écartés l'un de l'au-
tre, qu'ils ne se rapprochent par quelqu'en-
droit. A''oici donc comment ils doivent se
concilier. L'intelligence (fixe et permanente
des bienheureux) voit son objet d'une vue
claire et stable ; mais les hommes agites et
flottants ici-bas par la vicissitude des choses
temporelles, sont comme dans un berceau
où la foi les nourrit de lait, et les éclaire
d'une manière proportionnée à leur enfance.
Nous marchons maintenant à la faveur de
la lumière de la foi, et nous ne jouissons pas
encore d'une vue claire et parfaite. Or, comme '
il faut que la foi nous conduise, si nous
voulons parvenir à la jouissance de cette
vue claire et distincte qui demeurera tou-
jours la même, par le moyen de l'inteUigence
bien épurée qui nous tiendra unis à la véri-
té, l'un des traducteurs a lu: Si vous ne croyez,
vous ne demeurerez point Et l'autre a dit : Si
vous ne croyez, voies ne comprendrez point. Sou-
vent l'interprète se trompe ' par l'ambiguïté
des termes de la langue originale, quand
il ne conçoit pas bien la pensée de l'auteur;
et il donne alors ime signification absolu-
ment étrangère au véritable sens. Cela se voit
dans un passage du psaume xiii que quel-
ques-uns ont traduit ainsi: Leurs pieds sont Psai. xm.s.
aigus pour répandre le sang. Car ô?ùi- chez les
Grecs signifie aigu et léger. Mais celui-là a
véritablement découvert la pensée du Psal-
miste qui a traduit : Leurs pieds sont prompts
et légers pour répandre le sang ; axi WevL que
les autres, trompés par l'ambiguïté du terme
et du signe, se sont jetés dans une fausse
explication. Il y a encore de semblables en-
droits dont l'interprétation n'est pas seule-
ment obscure, mais entièrement fausse. En
voici un exemple : n-i'^xo^ en grec signifie un
veau ; et de là quelques interprètes ont cru
que /*05z;ù,ii«T« signifiait un troupeau de veaux,
et n'oïit pas compris qu'il signifiait des plan-
tes. Cette erreur s'est ghssée dans un si
grand nombre d'exemplaires, qu'à peine le
trouve-t-on autrement traduit. Il est néan-
moins certain que ce mot signifie des plantes,
comme il est aisé d'en juger par la suite :
getis. August., lib. II De Doctrina christiana,
cap. XII, pag. 25.
' Et ex ambiguo lingnce prœcedentis plerum-
que interpres fallitur, oui non bene nota senten-
tia est, et eam signifîcationem transferre, quœ
a sensu scriptoris penitus aliéna est; sicut qui-
dam codices habent : Acuti pedes eorum ad effuu-
dendum sanguhiem : ôÇù; enim et acutiim apud
Grcecos et velocem signijicat. Jlle ergo vidit sen-
tentiam qui transtulit : Veloces pedes eorum ad
effundendum sanguinem ; ille aulem alius ancipiti
signa in aliam partem raptus erravil. Et talia
quidem non obscura, sed falsa sunt, quorum alia
conditio est; non enim intelligendos, sed emen-
dandos taies codices potius prœcipiendum est.Hinc
est etiamillud, quoniain y-éaxo; grœce vitulus dici-
iur , /j.o'^x^i/i.crv. aquidam non intellexerunt esse
plantationes, et vitulamiua interpretati sunt : qui
error tam multos codices prœoccupavitut vixinve-
niatur aliter scriptum,et tamensententia manifes-
tissima est, quia clarescit consequentibus verbis :
namque adulterina?. plantationes non dabunt radi-
ées altas, convenientius dicitur quam vitulamina
quœ pedibus in terra gradiuntur, et non hcerent
radicibus. Hanc translationem in eo loco etiani
cœtera contexta custodiunt. August., lib. II De
Doct. christ-, cap. xii, uum. 18, pag. 26.
602
HISTOITIE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Saf. tv, 3.
Comment
il faut cnrri-
per un dérjut
do traduction.
car dire les rejetons bâtards ne jettent point
de profondes racines, cela convient Ijien mieux
que de dire les troupes de veaux, qui sont des
animaux qui marchent et qui ne sont point
arrêtés par des racines. D'ailleurs, par l'or-
dre et la suite du discours, on voit qu'il faut
entendre ainsi cette métaphore en cet en-
droit. »
29. « Mais comme le véritable sens d'une
pensée ' ne paraît pas aisément quand plu-
sieurs interprètes ont travaillé k l'expliquer
chacun selon la mesure d e leur pénétration, si
l'on ne consulte la langue qu'ils ont traduite
et dont quelquefois ils se sont écartés faute
de capacité, on doit, pour en avoir une con-
naissance certaine, recourir à la langue d'où
l'Ecriture a été traduite en latin; ou bien
consulter les traductions de ceux qui se sont
assujettis exactement aux termes. Ce n'est
pas que leur explication suffise, mais c'est
afin de pouvoir s'en servir pour découvrir
l'erreur ou la vérité dans ceux qui se sont
plus attachés à rendre les pensées, de l'ori-
ginal que les termes par la difficulté de tra-
duire à la lettre. Ces sortes de changements
dans les traductions n'ôteut rien d'ordinaire
à l'intelligence des choses; mais il y en a qui
aiment mieux les traductions littérales, sur-
tout quand la pensée peut se conserver dans
les mêmes mots et les mêmes signes qui
l'expriment dans la langue originale. Car ce
qu'on appelle un solécisme n'est autre chose
qu'un terme qui n'est pas dans le même
ordre que lui ont donné avant nous les maî-
tres du langage : ainsi , savoir s'il faut dire
en latin inter homines, ou inter hominibus,
cela ne fait rien à celui qui ne cherche que
la vérité des choses. De même un barba-
risme n'est rien qu'un mot qui n'est pas mis
avec les mêmes lettres, ni prononcé avec le
même son, que par ceux qui ont éciit en la-
tin avant nous. Ainsi, savoir s'il faut faire
longue ou brève la troisième syllabe du
verbe ignoscere, c'est de quoi ne s'embar-
rasse pas beaucoup celui qui demande à
Dieu le pardon de ses péchés. En quoi donc
consiste la fidélité d'une façon de parler, si-
non en ce qu'elle est conforme à la manière
commune de s'exprimer, et qu'elle est auto-
risée par les écrivains célèbres qui l'ont em-
ployée avant nous ? Il arrive cependant^ que
plus les hommes sont faibles, et plus aisé-
• Sed quoniam et quœ sit ipsa sententia, quam
plures interprètes pro sua quisque facultate at-
que judicio conantur eloqui, non apparet, nisi
in ea lingua inspiciatur quam interpretantur, et
pUrumque a sensu aucloris devius aberrat inter-
pres, si non sit doctissimus; aut linguarum illa-
rum, ex quibus in latinam Scriptiora pervenit,
petenda cognitio est, aut habendœ, interpretatio-
ncs eorum, qui se verbis nimis obstrinxerunt ;
lion quia sufficiunt, sed ut ex eis veritas vel er-
ror detegatur alioi'um qui non magisverba quam
sententias interpretando sequi nialueriùnt. Nain
non solum verba singuliv, sed etiam locutiones
sape transferuntur, quœ omnino in latinœ lin-
gum usum, si quis consuetudincm veterum, qui
latine locuti sunt, tenere voluerit, iransire non
possunt. Quœ aliquando intellectui nihil adimunt
sed offendunt tamen eos qui plus dcleclantur ré-
bus, cum etiam in earmn signis sua quœdam
servatur integritas. Nam solœcismus qui dicitur,
niliil aliud est quam cum verba non ea lege sibi
coaptantur, qua coaptaverunt qui priores nobis
non sine nucloritate aliqua locuti sunt. Vtruni
enim inter homines, an iuter hominilius dicatur
ad rerum non pertinel cognitionem. Item barba-
'fismus quid alius est, nisi verbum non eis litte-
ris vel sono enuntiatum, ,quo ab eis qui latine
ante nos locuti sunt, cnunliari soleil Ulnim enim
ignoscere producta, an correpta tertia syllaba,
dic.atur, non multum curât qui peccatis suis
Deum ut ignoscat petit, quolibet modo illud ver-
bum sonare potucrit. Quid est crgo integritas lo-
cutionis, nisi alienœ consueludinis conscrvatio
loquentium veterum auctoritate firmatœ? August.,
lib. II De Doctrina cliristiana., cap. xm, num, 19,
pag. 26.
2 Sed tamen eo magis inde o/fenduntur homines,
quo inftrmiores sunt, et eo sunt infirmiores, quo
doctiores videri volunt, non rerum scientia qua
œdificamur, sedsignorumqua non infl'ari omnino
difficile est, cum et ipsa rerum scientia sœpe cer-
vicem erigat, nisi dominico reprimatur jugo;
quid enim obest intelltctori, quod ita scriptum
est'- Quée est terra, ia qua isti iusidunt super eam,
si bona est an nequam ; et quœ sunt civitates in
quibus ipsi inhabitaut in ipsis? Quam locutionem
magis alienœ linguœ esse arbitror, quam sensum
aliquem aitiorem. Illud etiam qiiod jam auferre
non possumus de ore cantantium populorum :
Super ipsum autem floriet sanetificatio mea, nihil
profeclo sententiœ detrahit. Audilor tamen peri-
tior mallet hoc corrigi, ut non floriet, sed flore-
bit diceretur : «ec quidquam impedit correctio-
nem nisi consuetudo cantantium. Istaergo facile
etiam conlcmni possunt, si quis ea cavere nolue-
rit, qua^ sano inlclleclui nihil detrahunt. Al vero
illud quod ait Apostolus : Quod stultum est Dei,
sapientius est hominibus; et quod iufinuum est
Dei, fortius est hominibus; si quis in eo grœcam
locutionem servare voluisset, ut dicerel; Quod
stuUum est Dei sapientius est hominum, et quod
infirmum est Dei, fortius est hominum, iret qui-
dem rigilantis lectoris inlentio in sententiœ veri-
tatem, sed tan\en aliquis tardior aut non intelli-
geret, aut etiam perverse inlelligeret. Non enim
tantum vitiosa loculio est in latina lingua talis,
verumet in ambiguilalem cadit, ut quasi homi-
num siultuni, vel hominum infirmum sapientius^
[lV'= ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
603
P.-nl. cxs-tl,
19.
I Cor. I, 2b,
ment ils se clioquent. Or, ils sont d'autant
plus faibles qu'ils ont envie de paraître ha-
biles, non dans la connaissance de la vérité
qui ne peut qu'édifier, mais dans la science
du langage, dont il n'est que trop aisé de
tirer vanité, puisqu'on peut bien en tirer de
la science de la vérité même, si l'esprit ne
s'abaisse continuellement sous le joug du Sei-
gneur. Quel mal peut causer à l'intelligence
cette façon de lire dans le livre des Nombres?
Quœ est terra in qiia isti insidunt super eam,
si bona est an nequam ; et quœ sunt civitates in
quibus ipsi inhabitabant in ipsis? Considérez
quel est ce pays et les peuples qui l'habitent, s'il
est bon ou mauvais, et quelles sont les villes où
se retirent les habitants ? Je crois que cette ma-
nière de parler doit s'attribuer à une langue
étrangère et qu'on doit éviter d'y chercher
quelqu'explication sublime. Il en est de même
de celle-ci qu'il n'est pas en notre pouvoir,
dit saint Augustin, d'ôter/le la bouche des
peuples quand ils chantent les Psaumes : Su-
per ipsum floriet sanctificatio mea. Mais que
fait cela à l'intégrité de la pensée? Néan-
moins, quand cette parole frappe les oreil-
les d'un homme versé dans la langue, il ai-
merait mieux qu'on dise florebit que floriet ;
et il serait facile de le corriger, si ceux qui
le chantent n'avaient pas pris l'habitude
de dire de la sorte. On peut aisément mé-
priser toutes ces choses lorsqu'elles n'altè-
rent point le vrai sens. Mais dans l'endroit
où l'Apôtre dit : Ce qui paraît en Dieu une
folie est plus sage que la sagesse des hommes ; et
ce qui paraît en Dieu une faiblesse est plus fort
que la force des hommes, si l'on avait voulu
garder la locution grecque, et dire sapientius
est hominum et fortius est hominum, le lec-
teur attentif aurait bien pu découvrir la vé-
rité du sens; mais celui qui le serait moins
n'y comprendrait rien, ou l'entendrait môme
de travers. Car en latin cette façon de par-
ler n'est pas seulement défectueuse , elle
jette encore dans l'embarras et dans l'incer-
titude ; et il semble que cela veuille dire que
la folie et la faiblesse des hommes ont plus
de sagesse et de force que la foi'ce et la sa-
gesse de Dieu. Sapientius est hominibus, n'est
pas non plus sans ambiguïté, quoiqu'il n'y
ait pas de solécisme ; ainsi on eût encore
mieux traduit en disant : Sapientius est quam
homines, fortius est quam komines. »
30. 11 y a deux* sortes de signes incon-
nus à l'égard des mots ; un lecteur peut être
arrêté par une parole ou par une locution
inconnue. Si cela vient des langues étran-
gères , il faut en demander l'explication à
ceux qui les savent ; ou si l'on a assez de
loisir et d'ouverture d'esprit , il faut les ap-
prendre, ou bien comparer ensemble les
différents interprètes. Si dans notre propre
laiigue il y a des termes ou des façons de
parler dont nous ne sachions pas la vraie
signification, elles nous deviendront intelli-
gibles par l'habitude de les lire ou de les
écouter. 11 faut les graver profondément dans
noire mémoire, afin d'en demander l'intelli-
gence à celui qui pourra nous la donner, et,
pour qu'en lisant des endi'oits qui pourraient
nous faire connaître la signification de ce
que nous ne savons pas , notre mémoire
vienne au secours, en nous représentant les
D'où l'on
doit Urcr la
coDnaissanco
dos locutions
inconnues.
vel fortius videatur esse quam Dei. Quanquain et
illud : Sapientius esthominibus, non caret ambiguo
elium si solœcismo caret. Utrum enim lus homi-
nibus ab eo quod est huic homini, an his homini-
bus ab eo quod est ab hoc homine dictum sit non
apparet nisi illuminatione sententiœ. Melius ita-
que dicitur sapientius est quam homines et for-
tius est quam homines. August., lib. 11 De Doct.
Christ., cap, xill, num. 20, pag. 2G-27.
1 De ambiguis autem signispost loquemur, nunc
deincognitis agimus, quorum duce for m ce sunt,
quantum ad verba perlinet.Namque autignotum
verbum facit hœrere lectorem autignota locutio.
Quœ si ex alienis Unguis veniunt, aut quœrenda
sunt ab earum linguarum hominibus, aut ecedem
linguce, si et otimn est etingeniiim ediscendœ, aut
plurium interpretum consulenda collatio est. Si
autem ipsius linguce nostrce aliqua verba locu-
tionesque ignoranlus, legendi consuetudine au-
diendique innotescunt. Nulla sone sunt magis
mandanda memoriœ quam illa verborum locu-
tionumque gênera, quœ ignoramus, ut cum vel
perUior occurrerit, de. quo ciuœri possint, vel lalis
lectio quce vel ex prœcedenlibus vel conscquenli-
bus vel utriusque osteudat, quam vim habeat
quidce signijlcet quod ignoramus, facile adjuvante
memoria, possimus advertere et discere. Quan-
quam. lanta est vis consuetudinis cliam ad discen-
dum, ut qui in Scripturis sanciis quodam modo
nutriti educatique sunt, magis alias locutiones
mirentur easque minus latinas putent, quamillus
quas in Scripturis didicerunt, neque in ,latince
linguœ auctoribus reperiuntur. Plurimum Iiic
quoque juvat interpretum numerositas collalis
codicibus inspecta atque discussa; tantum absit
falsitas, nam codicibus emendandis primitus dé-
bet invigilare solertia eorum, qui Scripturas di-
vinas nosse desiderant, ut emendatis non cmen-
dati cedanPs-'ex uno duntaxat interpretationis
génère venientes. Aug\i&t.,Ub. Il De Doctr. clirist.,
cap. XIV, uum. 21, pag. 27-
604
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Quelles
Ic5 nieille
vc riions.
sont
utes
termes dont nous souhaitons connaître la
force. Pour éviter l'erreur, il est bon de
consulter les interprètes et de les comparer
les uns aux autres ; de corriger les exem-
plaires dont on se sert sur les plus corrects,
et de préférer ceux qui sont les plus corrects
à ceux qui le sont moins. »
31. « De toutes 'les versions latines, la
meilleure est celle qu'on nomme italique,
parce qu'elle s'attache plus aux termes, et
qu'elle met la vérité dans un plus grand
jour. Mais lorsqu'il se trouve quelque défaut
dans CCS versions , il faut recourir aux grec-
ques, particulièrement à celle des Septante,
qui est la plus autorisée en ce qui regarde
l'Ancien Testament. C'est là la tradition des
plus célèbres Églises ; ces interprètes ont été
tellement assistés du secours du Saint-Es-
prit que , quoique en grand nombre et de
différents caractères , ils n'ont tous eu qu'un
même sentiment et une même bouche. Ils
travaillèrent à leur version séparés chacun
dans une cellule , ainsi que le rapportent
plusieurs personnes graves et dignes de foi ;
néanmoins, il ne se trouva rien dans leurs
cahiers qui ne fût semblable , soit pour les
termes, soit pour l'arrangement. Qui pour-
rait donc préférer quelque autre version à la
leur ? Et quand ils n'am-aient fait ce travail
qu'en commun ; n'est-ce pas assez qu'ils se
soient tous rencontrés dans une même pen-
sée , pour qu'il ne soit permis à personne de
corriger le sentiment unanime de tant de
vénérables savants? C'est pourquoi, s'il se
trouve quelque chose dans le texte hébreu,
qui soit différent de ce qu'ils ont mis , je
pense qu'il faut s'en tenir à ce que la divine
Providence a fait par eux , peut-être afin que
les livres que la nation juive n'aurait pas
voulu, soit par religion, soit par envie,
communiquer dans la suite aux autres peu-
ples, fussent, par le pouvoir du roi Ptolé-
mée , remis auparavant entre les mains des
gentils qui devaient croire en Jésus-Christ.
C'est donc sur l'autorité de cette version
sui-tout que l'on doit corriger les livres latins
de l'Ancien Testament. A l'égard de ceux du
Nouveau, s'il se trouve quelque chose de
douteux et de moins assuré dans tant de
différentes versions latines , il faut s'en rap-
porter aux auteurs grecs, particulièrement
à ceux qui passent dans toutes les Églises
TDOur avoir été les plus célèbres par leur
science et par leur exactitude. » Il paraît que
la version italique dont saint Augustin faisait
tant d'estime était celle qu'on lisait dans les
assemblées publiques, et de laquelle on se
sei'vait dans les écrits publics pour la défense
des dogmes de la foi, et pour combattre les
erreurs des hérétiques. Saint Jérôme ap-
pelle- cette version l'édition Vulgate ou
vulgaire , et il la cite ' quelquefois sous le
nom général de l'interprète latin. Mais de-
puis les corrections et la version de ce Père,
elle a reçu le nom de vieille et d'ancienne.
Saint Grégoire le Grand , à la fin de la pré-
face de ses Commentaires sur Job, avertit
Léandre^, à qui ils sont adressés, qu'il se
' In ipsis autem interpretationihus Itala céle-
ris prœferaiur : nam est verhorum tenacior cum
perspiciiitate sentenliœ. Et latinis quibuslibet
emendanclis grœci adhibeantur , in quibus Sep-
tuaginta inlerprelum, quod ad Vêtus Testamen-
tmn attinet , excellil aiictoritas ; qui jam per
omnes peritiores Ecclesias tanla prœsentia Sancti
Spiritus inlerprelati esse dicuntur, ul os unum
tôt hominitm fuerit. Quod si ut fertur, iiinltique
non indigni fide prœdicant, singuli cellis etiaiii
sincjulis separati cum interpretati essent, nihil
in alic^ljlls eorum codice ineentum est, quod non
iisdemverbis eodemque verborum ordine inveni-
relur incœteris, quis huic autoritati couferre ali-
quid, nedum prœferre audeut? Si autem contu-
lerunt ni una omnium communi tractatu judi-
cioque vox furet necsic quidem quemqnam unum
hominem qualibet perilia ad emeridanduw lot se-
niorum doclorumque consensum adspirare opor-
tet ul decet. Quamnbrem etiam si aliquid aliter
in hebrœis exemplaribus invenilur qvam isti po-
suerunt, cedendum esse arbitror divinœ dispensa-
lioni quœ per eos facla est, ut libri quos gens
Judœa cœteris populis, vel religione vel invidia
prodere nolebal, crediluris per Dominum genti-
bus minislra régis Plolemœi potestale tanto ante
proderenlnr. Itaque fieri potest ul sic illi inter-
pretati sunt quemadmodum congruere gentibus
ille qui eos agebal et qui rinum os omnibus fece-
rat, Spiritus Sanctus judicavil. Sed tamen, ut su-
perius dixi, horum quoque interpretum qui ver-
bis tenacius inhœserunl collatio non est inutilis
ad explanandam sœpe senlentiam. Latini ergo,
ut dicere cœperam, codices Veteris Teslamenti, si
necesse fuerit, grœcorum aucloritate emendandi
sunt, et eorum- potissimum qui, cum septuaginta
essent, oreuno inlerprelati esse perhibentur. Li-
bres autem Novi Teslamenti, si quid in tafmis va-
rietalibus titubai , grœcis cedere oporlere non
dubium est, et maxime qui apud Ecclesias doc-
tiores et diligentiores reperiuniur. August. ,
lib. Il, De Soctr. christ., cap. xv, num. xxii,
pag. 27.
2 Hieron, lib. V in Isai. cap. xiv , tom. HT,
pag. 116, et lib. XIII in Isai. cap. xlix, pag. 3S2.
3 Hieron , Epist. ad Suniam it Frelellam ,
tom. II, pag. 627.
'' OregoT., Epist. ad Leandrum, pag. 6, tom. I,
[IY= ET V'' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPOxNE.
603
servira tantôt de l'ancienne et tantôt de la
nouvelle version, comme étant l'une et
l'autre en usage dans l'Église romaine. Mais
il semble ' préférer la nouvelle à l'ancienne.
Il paraît que longtemps après la mort de ce
saint pape on se servait encore également
dans l'Église de ces deux versions , du moins
en Espagne^. L'auteur de celle qu'on appe-
lait italique ne nous est connu par aucun
endroit , et ou ne sait pas même bien en quel
temps elle a commencé d'avoir cours. »
utilité do 32. «La connaissance' des langues ne peut
co des lap- être que très-utile pour Imtelligence d un
tuiiigonco de eraud nombre de termes usités dans l'Ecri-
l'Kcrituro. ° 1 r 1
ture, particulièrement des termes métapho-
riques; car on ne peut douter, par exemple,
que la piscine de Siloé, oùl'aveugie-né alla se
laver par ordre de Jésus-Christ , ne renferme
une figure mystérieuse. Cependant, comme
ce terme appartient à une langue inconnue,
si l'évangéliste ne l'eut expliqué , nous en
aurions ignoré la signification. Il en est de
même de plusieurs autres noms hébreux que
ceux qui les ont employés n'ont pas expli-
qués ; et il ne faut pas douter que si quel-
qu'un les pouvait traduire, ils ne fussent
d'un grand secours pour développer quan-
tité de difHcultés et d'obscurités qui sont
dans les Écritures saintes. C'est donc un
grand service que quelques personnes ha-
biles dans la langue hébraïque ont rendu à
kl postérité en interprétant tous les termes
d'Adam, d'Eve, d'Abraham, de Moïse, de
Jérusalem, de Sion, de Jéricho, de Sina, de
Liban, de Jourdain et de tant d'autres noms
hébreux dont la signification n'est point
connue à ceux qui ignorent cette langue.
Car avec ces explications on comprend sans
peine diverses expressions figiarées répan-
dues dans les livres saints. »
33. « Il est encore' très-utile, pour dis-
siper l'obscurité des expressions métaphori-
ques , de connaître la nature des animaux,
les propriétés des pierres, la vertu des plan-
tes, et de plusieurs autres choses que l'Écri-
ture emploie dans ses plus belles comparai-
sons. Ce que l'on sait du serpent , qui , pour
conserver sa tête , présente tout le corps à
1 Gregor. , lib. XX Moral, in Job, num. 62,
pag. 665.
2 Concil. Tolet., Vllf, cap. ii, tom. VI, Concil.,
pag. 400.
^ In translatis vero signis, si qua forte ignota
cogunt hœrere lectorem, partim linguarum noH-
tia, partim rerum, investiganda sunt : aliquid
enim ad similitudinem valet, et procnl dubio se-
cretum quiddam insinuât Siloa piscina, ubi fa-
ciem lavare jussus est, cui ocnlos Dominus lato
de sputo facto inunxerat : quod tamen nomen
linguœ incognitœ, nisi Evangelista interprelatus
esset, tom magnus intellectxis lateret. Sic etiam
mailla quœ ab auctoribus eorumdein libroruin
interpretata non simt, nomina hebrœJ, non est
dubitandum habere non parvam vim atque adju-
torium ad solvenda œnigmata Scripturarum, si
quis ea possit interpretari : quod nonnulli ejns-
dem linguœ peritiviri non sane parvum benefi-
cium posteris cont%ilerunt qui separata de Scrip-
turis eadem omnia verba interpretali sunt, et
quid sit Adam, quid Eca, quid Abraham, quid
Moyses, sive etiam locorum nomina, quid sit Jé-
rusalem, vel Sion, vel Jéricho, vel Sina, vel Liba-
nus, vel Jordanis , vel quœcumque alia in illa
lingua nobis sunt incognita nomina quibus aper-
lis et interpretatis miiltœ in ScripUiris figuratœ
locutiones manifestantur. Augiist., lib. Il De Docir.
christ., cap. xvi, num. 23, pag. 28.
' Rerum autem ignorantia facit obscuras figu-
ratas locutiones, cum ignoramus , vel animan-
lium, vel lapidum, vel herbarum naturas, alia-
rumve rerum quœ plerumque in Scripturis simi-
litudinis alicujus gratia ponuntur. Nam et de
serpente quod notum^ est, iotum corpus eum pro
capite objicere ferienlibus, quantum illustrât sen-
sum illum quo Dominus jubet astutos non esse
sicut serpentes, ut scilicet pro capite nostro, quod
est Christus, corpus potins persequenlibus offera-
mus, ne /ides christiana tanquam necetur in no-
bis, si parcentes corpori negemus Deum; vel il-
lud quod per cavernœ anguslias coarctatus , de-
posita veteri tunica vires novas accipere dicitur,
quantum concinil ad imitandum ipsam serpentis
astutiam, exuendumqueipsum veterem hominem,
sicut Àpostolus dicit , ut induamur novo ; et
exuendumperangustias, dicente Domino : Intrate
pei' aagustam portam : Ut ergo notitia naturœ
serpentis illustrât mullas similitudines quas de
hoc animante dare Scriptura consuevit, sic igno-
rantia nonnullorum animalium quœ non minus
per similitndines commémorai , impedit pluri-
mum intellectorem. Sic lapidum, sic herbarum
vel quœcumque tenentur radicibus ; nam et car-
bunculi notitia, quod lucet in tenebris, multa il-
luminât etiam obscura librorum, ubicumque
propter similitudinem ponitur, et ignorantia be-
rili vel adamantis claudit plerumque intelligen-
tiœ fores. Nec aliam ob causam> facile est intelli-
gere pacem perpetuam significari oleœ ramus-
culo, quem rediens ad arcam columba pertulit,
nisi quia novimus et olei lenem contactum non
facile alieno humore corrumpi, et arborem ip-
sam frondere perenniter. Multi autem propter
ignoraniiam hyssopi, dum nesciunt quam vvm
habeat vel ad purgandum pulmonem , vel ut di-
citur ad saxa radicibus penetranda , cum sit
herba brevis atque humilis, omnino invenirenon
possunt, quare sit dictum: Asperges me hyssopo,
et miindator. August. , lib. Il De Doctr. christ.,
cap, xvi, num. 24, pag. 28-29.
606
HISTOIRE GÉNi'^RALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
ceux qui l'attaquent, donne sans doiite beau-
coup de lumière à cet endroit de l'Evangile,
Miiiii. x,ir,. où Jésus-Christ nous ordonne d'imiter la
prudence de cet animal, en abandonnant
notre corps aux persccuteuis, pour conser-
ver Jésus-Clirist qui est notre cbef ; en eflt'et,
ils feraient mourir en nous la foi chrétienne,
et nous la perdrions infailliblement si , pour
épargner notre corps, nous venions à ne plus
confesser le nom de Jésus-Christ. Ce que fait
encore le serpent, quand, en se pressant
dans les trous d'une caverne , après y avoir
dépouillé son ancienne pieau , il y prend de
nouvelles forces ; cela ne nous excite-t-il pas
^F.iLc-. iv, à nous dépouiller du vieil homme, comme
parle l'Apôlre, pour nous revêtir du nou-
veau , et à faire ce dépouillement en passant'
par la voie étroite, suivant ce que dit le Sei-
Maïui. IV, gneur : Entrez par la mie étroite^ Comme
donc la connaissance de la nature du ser-
pent donne du jour à beaucoup de compa-
raisons, que l'Écriture a coutume de tirer des
propriétés de cet animal, de même l'ignorance
de la nature de quelques antres animaux ,
dont elle n'emploie pas moins souvent la com-
paraison, est un obstacle à l'intelligence de
ces endroits de l'Ecriture. Il en faut dire au-
tant à l'égard des piei'reset desplantcs, et de
tout ce qui tient à la terre par des racines.
La connaissance de l'escarboucle , qui brille
pendant la nuit , répand beaucoup' de lu-
mière sur quantité d'endroits de l'Ecriture ,
où elle est mise en comparaison. Il en serait
de même du béril, autre pierre précieuse
qu'on croit être le diamant des anciens, si
l'on en connaissait bien la nature et les pro-
priétés. D'où vient que la branche d'olivier
que la colombe apporta dans l'arche nous
parait si aisément signifier une paix dura-
ble, sinon parce que nous savons que la
douce onction de l'huile ne se perd pas faci-
lement par l'application d'une autre liqueur,
et que l'olivier est un arbre toiijours couvert
de feuilles? Plusieurs encore, parce qu'ils
ignorent la vertu de l'bysope , soit pour pu-
rifier le poumon , soit , comme on le dit, pour
pénétrer les pierres par ses racines, toute
petite et toute faible plante qu'elle est, ne
peuvent comprendre pourquoi il est écrit :
Vous m'arroserez d'hysope et je seî-ai purifié. »
Saint Augustin enseigne aussi que l'igno-
rance des ' nombres et de la musique est
un obstacle à l'intelligence de plusieurs en-
droits de l'Écriture, qui sont exprimés d'une
manière mystérieuse et métaphorique. Il cite
un livre intitulé : De la Dijjérenee du psaltérion
et de la harpie, où l'autem" qu'il ne nomme pas,
avait assez bien expliqué les figures de cer-
taines choses dont il est fait mention dans
l'Ecriture.
34. (( La connaissance de l'histoire - est
aussi d'un grand secours dans l'étude des
saintes lettres, quand même on ne l'aurait
apprise que comme des instructions de l'en-
VA\Hi de
la connoissan-
co de rbistoï.
1 Nimerorum etimn imperitia multa facit non
iiiielligi translate ac mystice posila in Scriptu-
ris.... Non paitca eliam clandil atque obtegit non-
nullarum ?\ mm musicarum ignoranila. Nain et
de psaUerii et citharœ differcnlia , quidam non
inconcinne aliquas renim figuras aperuit. Aù-
gust. , lib. II De Doct. christ, cap. xvi, num. 2a et
26, pag. 29 et 30.
2 Quidquid igitur de ordine temporum iransac-
torum indical ea quœ appellatur historia, pluri-
ni.um nos adjuvat ad xanctos libros inlelligendos,
etiamsi prœler Ecclesiam jmerili erudilione disca-
lur. Nam et per olympiadas et per consulwm no-
mina mulla swpe quœruntnr a nobis, et ignorantia
consulaius, quo nalus est Dominus, et quo pas-
sifs est , nonnullos coegit errare , «i putarent
qiiaéraginta sex annoruin œlate passum esse Do-
winnm, quia per toi annos œdificatum tcmplum
esse dictum est a Judœis. qiiod imagiiiem Domi-
nici corporis liabcbat, et annovum quidem fcre
Irigenta baplinalum esse retinem.us auetoritatc
evungelica : scd postea quoi annos in hac vila
egerit, quanquam lexlu ipso aclionnm ejus ani-
inadvcrti possit, tamen ne aliunde ealigo diibila-
tionis orittlnr, de historia gentium eollata ciim
evangcliis, liquidins certiusque colUgilur... De
utililate aulem historiœ ut omittam Grœcos ,
quanttti^^ noster Ànibrosius quœstionem solvit ca-
lumniuntibus Platonis lectoribfls, et dilectoribns
qui dicere ausi sunt, omnes Domini nostri Jesu
Chrisii sententias, quas mirari et prœdicare co-
guntur, de Platonis libris eum didicisse, quoniam
longeante humununi adoenlum Domini l'iatonem
fuisse negari non potest. Nonne memoratus ipis-
copus... probabilius esse oslendit, quod Plato po-
tins nostris lilteris... fuerit imbutus ut illaposset
docere vel scribere quœ jure laudanlur? Anlc
litteras enim gentis'JIebrœorum in qua unius Dei
cullus emicuit, ex qua secnndum carnem venit
Dominas noster, nec ipse quidem Pijlhagoras fuit,
a cujus posteris Plalonem theologiam didicisse
isli afferunt. lia, consideraiis temporibus, sit
multo credibilius, islos potius de lillcris nostris
habuisse quœcumque bona et vera dixerunt, quam
de Platonis Dominuin Jesum Chrislum, quod de-
mentissimum esl credere. Aiigust., lib. \\ De Doct.
christ., cap. sxvnr, uum. 43. pag. 30.
[Saiut Augustiu avait cru eu cet endroit que
saint Anibroise faisait Platon contemporain àJéré-
mio; mais il s'est rétracté depuis, comme nous l'a-
vons remarqué ailleurs.)
IV« ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
607
fance, et sans avoir en vue la religion. Com-
bien de difficultés à l'occasion des olympia-
des et des noms des consuls ? Poiu' n'avoir
pas su sous quel consulat Jésus-Christ est
né, ni sous lequel il est mort, quelques-uns
ont cru faussement qu'il n'était mort qu'à
l'âge de quai-ante-six ans, parce que les Juifs
lui dirent un jour que le Temple qui était
la figure de son corps, n'avait été bâti que
pendant l'espace d'un pareil nombre d'an-
nées. Nous savons aussi par l'Évangile cpi'il
avait près de trente ans quand il fut baptisé;
mais pour savoir au juste combien il a vécu
depuis, il est besoin de conférer l'histoire
profane avec l'histoire sacrée. On voit dans
les Pères grecs quel usage ils ont fait de l'his-
toire pour le bien de la religion, et comment
avec ce secours saint Ambroise, parmi les
Latins, a détruit l'opinion de ceux qui, ai-
mant inconsidérément les écrits de Platon,
osaient avancer que c'était de là que Jésus-
Christ avait tiré toutes les grandes maximes
enseignées dans l'Evangile, qu'ils étaient
contraints eux-mêmes d'admirer et de pu-
blier. Saint Augustin prouve qu'il est bien
plus vraisemblable que Platon avait eu con-
naissance de nos livres saints, où il avait
puisé les choses cju'on loue en lui avec tant
déraison; a car, dit-il, avant les livres des hé-
breux, qui établissent si clairement le culte du
vrai Dieu, il n'y avait point encore de Pytha-
gore, dont les disciples, suivant le rappoi't des
écrivains païens , ont enseigné la théologie
à Platon. En examinant donc l'ordre des
temps, il est beaucoup plus juste de croire
qu'ils ont pris de nos saintes Ecritures ce
qu'ils ont dit de bon et de vrai, que de pen-
ser follement que Notre -Seigneur Jésus -
Christ ait puisé sa doctrine dans Platon. »
Saint Augustin ci'oit * encore qu'il n'est
point inutile à l'étude del'Ecriture sainte, d'a-
voir quelque teinture des arts mécaniques à
cause de diverses expressions qui y ont du
rapport, et même de la dialectique, ou de la
science de raisonner, qui peut servir beau-
coup pour- approfondir et résoudre quantité
de questions qui s'y rencontrent.
33. « Lorsque ^ les mots propres ont un
sens obscur dans l'Ecriture, il faut d'abord
examiner si cela ne vient point de ce qu'on les
a ou mal pénétrés ou mal prononcés. Après
cet examen, si l'on demeure toujours dans
l'incertitude de la manière dont ils doivent
être prononcés et de leur signification, il
faut consulter les règles de la foi fondées sur
des endroits de l'Écriture plus clairs et plus
aisés à entendre. Si ces endroits mêmes ren-
ferment quelque obscurité, on doit examiner
ce qui précède et ce qui suit pour en tirer
des lumières, et afin de découvrir par les
rapports que ces endroits ont ensemble, avec
lequel de tous les sens qui se présentent
à l'esprit, ces termes paraissent avoir plus
de liaison. En voici des exemples : les héré-
tiques lisaient ainsi dans l'Évangile selon
saint Jean : Au commencement était le Verbe,
et le verbe était avec Dieu, et Dieu était. De ma-
nière que ce qui suit faisait un autre'sens : Ce
Verbe était en Dieu dès le commencement . Ils fai-
saient assez voir par ces ponctuations qu'ilsne
voulaient point confesser la divinité du Verbe.
Mais leur erreur doit se réfuter par la règle
de la foi qui nous marque l'égalité des trois
personnes de la sainte Trinité ; et nous de-
vons lire : Et le Verbe était Dieu, ajoutant
ensuite : Il était au commencement avec Dieu.
Commoiit
ûlGr l'aiiibi-
guité clOâ
Joa:i. 1, f.
' Harum autem {artium) cognitio tenuiter in
ipsa humana vita cursimque usurpaiida est, non
ad operandum, nisi forte officiiim aliquod cogat
de qiio mine non agimus, sed ad judicandum, ne
omnino nescia'mus quid Scriptura velil insinuare,
cum de his ariibus aliquas figuratas locutiones
mserit... sed disputationis disciplina ad omnia
gênera quœslionum quœ in litteris sanctis sunt
penelranda et dissolvenda, plurimum valet. Au-
gust., ihid. cap. xxx, num 47, et cai3. xxxi, nuni iS,
pag. 37 et 38.
^ Sed cum verba propria faciunt ambiguam
Scripturam, primo videndum est, ne maie dis-
tinxerimus, aiitpronuntiaverimus. Cumergo ad-
hibita intentio incerlum esse perviderit quomodo
distinguendum aut quomodo pronuntiandum sit,
consulat régulant, fidei quam de Scripturarum
planxoribus locis et Ecclesiœ auctoritate percepit,
de qua satis agimus, cum de rébus in primo libro
loqueremur. Qiiod si ambœ vel eiiam omnes, si
plures f^ierint partes, ambiguitatem secundum
fidem sonuerint, lextus ipse sermonis a prœce-
dentibus et consequenlibus partibus, quœ ainbi-
guitatemillam in medio posuerunt, restât consu-
lendus ut videamus cuinam sententice de pluribus
quœ se ostendunt ferat stiffraginm, eanique sili
contexi patiatur. Jam nunc exempta considéra,
nia hœretica distinctio : In principio erat Verhum,
et Verbum erat apud Deum, et Deus orat, ut alius
senS'US sii ; Verbum hoc erat in principio apiiil
Deum, non vult Verbum Deum confiteri. Sed hoo
régula fidei refellendum est, qua nobis de Trini-
ialis œqualitate prœscribitur, ut dicamus : f:t
Deus erat Verbum, deinde snbjnngamus: Hoc erat
in principio apud Deum. August., lib tlJ De Doct.
christ., cap. n, num. 2 et 3, pag. Oj.
608
HISTOIRE GÉNÉilALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Voici lin autre exemple ' d'une ambiguïté,
cfui n'est en rien contraire à la foi, et dont
il faut découvrir le véritable sens par la suite
du discours. Il est tiré de l'Épltre aux Phi-
l'iiiiif.. î,23. lippiens, où l'Apôtre dit : Je ne sais lequel je
dois choisir ; car je suis jjressé des deux côtés:
d'une part je désire d'être dégayé des liens du
corps, et d'être avec Jésus-C lirit ; ce qui est
assurément le meilleur pour moi ; et de l'autre
il est plus utile pour votre bien que je demeure
en cette vie. Car il est incertain si ces paroles,
des deux côtés, se doivent rapporter à celles-
ci, /e suis pressé, ou aux suivantes, je désire.
Mais parce qu'il dit ensuite, ce qui est le meil-
leur pour moi, il parait qu'il portait sondé-
sir vers ce qui était le meilleur; de manière
qu'il était pressé des deux côtés, dont l'un
était le désir et l'autre la nécessité ; c'est-à-
dire, le désir d'être avec Jésus-Christ et la
nécessité de demeurer encore dans la chair.
Ainsi, pour ôter toute ambiguïté, il faut lire
ainsi : J'ignoi^e lequel je dois choisir , je suis
pressé des deux côtés, et ajouter ensuite : d'une
part, je désire d'être dégagé des liens du corps
et d'être uni à Jésus-Christ. Comme si on lui
demandait pourquoi il désire plutôt une
telle chose, il ajoute : Car c'est le meilleur
pour moi ; et pour rendre raison pourquoi
il est pressé des deux côtés, il allègue la né-
cessité qu'il y a de demeurer encore et dit :
Mais il est nécesaire pour votre bien que je
demeure encore en cette vie. »
Lorsque l'ambiguïté ^ ne peut s'éclaircir
par les règles de la foi, ni par la suite du dis-
cour?, on peut embrasser l'une ou l'autre des
opinions qui paraissent bonnes, comme dans
ces endroits de l'Épitre aux Corinthiens :
Ayant donc reçu de Dieu de telles promesses, u <-'"■
mes chers frères, purifions-nous de tout ce qui
souille le corps et l'esprit, achevant l'œuvre de
notre sanctification dans la crainte de Dieu.
Donnez nous place dans votre cœur. Nous n'a-
vons fait tort à personne : Car il est douteux
s'il y a : Purifions-nous de tout ce qui souille
le corps et l'esprit; ou s'il y a : Purifions-nous
de tout ce qui souille le corjjs, faisant de la
suite un autre sens, en disant : Et pjour notre
esprit, achevons de le sanctifier par la crainte
de Dieu, n
Saint Jérôme veut aussi que l'on observe
exactement la ponctuation et la distinction
des termes pour trouver le vrai sens de
l'Écriture. C'est en expliquant le chapitre de
saint Mathieu, où il est parlé de la guérison
d'un lépreux.
« Plusieurs Latins ^ dit saint Augustin,
lisaient sans distinction ces paroles de Jésus-
Christ : Volo mundare, quoiqu'il faille néces-
sairement les lire séparément, pour y trouver
le sens de la réponse que le Sauveur fit au
lépreux. Celui-ci avait dit : Seigneur, si vous
voulez, vous pouvez me guérir. Le Seigneiu"
répond : Je le veux, soyez guéri. Il ne faut donc
point lire de suite : Je veux vous guérir ; mais
' Illa vero distinctionis ambiguitas neutra
parte resistit fulei, et ideo textu ipso sermo-
nis dijudicanda est, ubi ait Âi)OStolus : Et ,qmd
eligam ignoro; compellor autem ex duobus; con-
cupisoentiam habens dissolvi et esse cum Cliristo,
multo enim magis optimum; manere in carne ne-
cesearium propter vos. Incertain enim est, utruin
ex duobus coneupiscenliam habeus, an compellor
autem ex duobus, ut iliud adjungatur : Conçu -
lîiscentiam habens dissolvi, et esse cum Christo.
Sed quoniam ita sequilur : Multo enim magis op-
timum, apparel eum ejus optimi dicere se habere
concupiscentiam , ut cum ex duobus compel-
latur, alterius tamen habeat concupiscentiam,
alterius necessilatem ; concvpiscentiam scilicet
esse cum Christo, necessilatem manere in car-
ne. Quœ ambiguitas une consequenti verbo diju-
dicatur, quod positum est, enim : quam par-
ticulam qui abslulerunt interprètes , illa potius
sententia ducti sunt, ut non solum compelli ex
duobus, scd eliam duorum habere concupiscen-
tiam videretur. Sic ergo distinguendum est : Et
quid eligam ignoro : compellor autem ex duobus,
quam distinctionem sequitur, concupiscentiam ha-
bens dissolvi, et esse cum Christo; et lanquam
quœreretur, qiiare hujus rei potius habeal con-
cupiscentiam : Mn\io enim magis optimum, i»7i((7.
Cur ergo a duobus compellitur? Quia est manendi
nécessitas, quam ita subjecit : Manere in carne
necessarium propter vos. August., lib III De Doct.
christ., cap. n, num. 4, pag. 4.5.
'^ Ubi autem neque prœscripto fideineque ipsius
sermonis textu ambiguitas explicaripotest, nihil
obest secundum quamlibet earum, quœ ostendun-
tur, sententiam distinguere. Veluti est illa adCo-
rin (/lios; lias ergo promissiones habentes, cliarissi-
mi, mundemus nosab omui coinquinatione carnis et
spiritus, perficieutes sanctificationem in timoré Dei.
Capite nos nemini nocuimus. Dubium est quippe
Mi/'îo» mundemus nosab omui coinquinatione caruis
etspirituSjSec H)i((i(»i illam sententiam : Utsitsancta
et corpore et spiritu ; an mundemus nos ab onini
coinquinatione carnis, ut alius sensus sit : Et spi-
ritus perficieutes sanctificationem in timoré Dei
capite nos. Taies igitur dislinctionum ambigui-
tates in potestate legcntis sunt. August., ibid.
num. S, pag. 4a-46.
3 Et extendens Jésus manum, tetigit eum, di-
ceus : Volo, mundare... non ut plerique latino-
rum putant, jungendum est, et legendum, volo
mundare : sed separatim utprimum dicat : Volo,
deinde imperans dicat : Mundare. Hieron. lib. I
caji. vni, Matth., pag. 26, tom. IV, part. i.
[rv= ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGDSTEM, ÉVÊQUE D'HIPPONÉ.
é09
séparer les mots, et lire premièrement : /e le
veux, et mettre ensuite le commandement :
Soyez guéri. Quant aux ambiguïtés qui nais-
sent des termes métaphoriques ', elles de-
mandent beaucoup de soin et de précaution.
Il faut bien se garder de prendre à la lettre
une façon de parler figurée , et c'est là où il
faut appliquer ce passage de saint Paul : La
lettre tue, et l'esprit donne la vie. En prenant
à la lettre des expressions figurées , on ne
les comprend que selon la chair , et rien ne
cause la mort de l'âme comme de l'asservir
à la chair , en s'attachant trop à la lettre.
Celui qui la suit trop scrupuleusement prend
tous les termes métaphoriques pour autant
de significations propres. S'il entend parler
du sabbat, Une comprend par ce terme qu'un
certain jour de la semaine qui revient après
une révolution de sept jours; et, s'il entend
parler du sacrifice, il ne lui vient rien dans
l'esprit que ce qui se fait ordinairement
quand on offre des animaux ou des fruits de
la terre en sacrifice. Rien de plas misérable
que cet asservissement d'une âme qui prend
les signes pour autant de choses réelles, et
qui ne peut élever les yeux de sa raison au-
dessus des objets sensibles, pour se nourrir
de la lumière éternelle. »
36. <( On ne doit point ^ regarder comme
figurée l'expression qui renferme un pré-
cepte touchant quelque chose d'utile, qui
défend par exemple l'intempérance, ou qui
commande la hbéralité. Cependant, s'il pa-
rait qu'elle ordonne le crime, ou qu'elle dé-
fende le bien, alors il y a figure. Si vous ne
mangez, dit le Seigneur, la chair du Fils de
l'homme , et si vous ne buvez son sang , vous
n'aurez point la vie en vous. Il semble que
Jésus-Christ commande un crime. C'est donc
une expression figurée, qui toutefois ne dé-
truit point la présence réelle, comme on le
verra en parlant de l'Eucharistie; et par
cette expression, il nous est ordonné de par-
ticiper à la passion du Sauveur, et de con-
server dans notre mémoire le souvenir si
doux et si salutaire de la Croix où son corps,
couvert de plaies a été attaché pour nous.
L'Écriture dit ailleurs : Si votre ennemi a
faim, donnez-lui à manger ; s'il a soif, donnez-
lui à boire. Personne ne doute qiie l'Apôtre
ne commande là un bienfait ; mais, lorsqu'il
ajoute : En faisant ainsi, vous amassez des
charbons ardents sur sa tête, nous ne devons
pas croire qu'il commande une action de
haine et de vengeance , ni douter qu'il n'y
ait une figure, et que par ces charbons ar-
dents il ne faille entendre les gémissements
et les regrets enflammés de la pénitence, qui
faut entendre
les exprès -
sions qui rec-
ferment un
i,i'tcepto.
Ilom.xn,2
1 Sed verborum translatorum ambiguitaies , de
quibus deinceps loquendum est, non mediocrem
curain industrianique desiderant. Nam in prin-
cipio cavendum est, ne figuraiam iocutioneni ad
litteram accipias. Et ad hoc enim periinet quod
ait Àpostolus :Liliev& occidit, spiritus autem vivi-
ficat. Cum enim jlguraie dictum sic accipitur
tanquam proprie dictum sit, carnaliter sapitur.
Neque ulla mors animœ congruentius appeliatur,
quam cum id etiam quod in ea bestiis dntecedit,
hoc est intelligentia, carni swbjicitur sequendo
litteram. Qui enim sequitur litteram, translata
verba sicut propria ienel, neque illud quod pro-
prio verbo significatur, refert ad aliam significa-
tionem , sed si sabbatwn awdierit , verbi gratia,
non. intelligit nisi unum diem de septem, qui con-
tinuo volumine repetuntur ; et cum audierit sa-
crificium, non excedit cogitatione illud, quod fieri
de victimis pecorum terrenisque fructibus solet.
Ea demum est miserabilis animœ sereitus, signa
pro rébus accipere, et supra creaturam corpo-
ream oculum mentis ad hauriendum œternum lu-
men levare non passe. Atigust., lib. IH De Doctr.
christ., cap. v, num. 9, pag. 47.
2 Si prœceptiva locutio est aut flagitium aut
facinus velans, aut utilitatem aut beneficentiam
jubens,non est figurata. Si aiitem flagitium aut
facinus videtur jubere, aut utilitatem aut benefi-
centiam velare, figurata est. Nisi manducaveri-
tis, inquit, carnem Filii Homiûis et sanguinem
IX.
biberitis, non habebitis vitam in vobis. Facinus
vel flagitium videtur jubere : figura est ergo
prœcipiens passioni Dominicœ communicandum,
et suaviter atque utiliter recondendum in memo-
ria, quod pro nobis caro ejus crucifixa et vulne-
rata sit. Ait scriptura: Si esurierit iuimicus tuus,
ciba illum ; si sitit, potum da illi ; hic nullo dubi-
tante beneficentiam prcecipit : sed quod sequitur :
Hoc enim faciens carbones ignis congères super
caput ejus , malevolentiœ facinus putes juberi :
ne igitur dubita veris figurate dictum et cum
possit dupliciter interpretari, uno modo ad no-
cendum , altero ad prœstandum ; ad beneficen-
tiam te polius charitas revocet, ut intelligas car-
bon s ignis esse urentes pœnitentiœ gemitus qui-
bus supcrbia sanatur ejus, qui dolet se inimicum
fuisse liominis, a quo ejus miseriœ subvenitur.
Item cum ait Domin.us : Qui amat animam suam,
perdat, eani, non utilitatem velare putandus est
qua débet quisque conservare animam suam, sed
figurate dictum ." Perdat eam, id est périmât atque
amittat ustim ejus, quem nunc habet, perversum
scilicet atque prceposterum, quo inclinatur tem-
poralibus, ut ceterna non quœrat. Scriptum est:
Da misericordi , et ne suscipias peccatorem. Pos-
terior pars hujus sententice videtur vetare bene-
ficentiam; ait enim .'Ne suscipias peccatorem. 7n-
telligas ergo figurate positum. pro peccato pecca-
torem, ut peccatum ejus non suscipiat. August.,
lib. lU Ve Doct. christ., cap. xvi, num. 14, pag. 52.
39
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Joan.^::t,2!;.
GIO
punflent et guérissent l'orgueil de celui qui
s'afflige d'avoir été l'eunemi d'un homme
qui a bien voulu le soulager dans ses besoins
et dans ses misères. Quand le Seigneur dit
encore : Celui qui aime sa vie la perdra , on
ne doit pas s'imaginer qu'il nous défende de
conserver notre vie. C'est une locution figu-
rée qui ne signifie autre chose sinon que
nous devons renoncer aux mauvais usages
que nous faisons des biens de la terre , qui
nous empêchent d'aspirer à ceux de l'étei-
nité. U est écrit : Faites miséricorde, et ne
recevez point le pécheur. Ces dernières paroles
semblent défendi'e le bien; mais le mot de
pécheur est mis en cet endroit pour le péché,
le Sage s'étant servi d'une expression figu-
rée pour nous enseigner à ne point prendre
part au péché du pécheur. »
Saint Augustin veut ' « que, pour bien
entendre les Écritures, l'on remarque encore
qu'il y a des choses commandées à tous, et
d'autres qui le sont aux personnes de chaque
condition, afin que la loi de Dieu, qui est un
véritable remède, ne soit pas seulement
donnée à tout le corps du genre humain,
mais à chacun des membres, selon la nature
de son infirmité particulière. » Il dit aussi ^
que « si l'on vient à lire les endroits où sont
rapportées les fautes de quelques grands
hommes, le meilleur usage qu'on puisse en
faire , c'est de ne point regarder les autres
comme des pécheurs , en vue de sa pi-opre
justice, mais de craindre de pareils naufra-
ges, ces péchés n'étant rapportés (ju'afin que
cette parole de l'Apôtre fisse trembler tout
le monde : Que celui qui semble être debout
prenne garde de ne pas tomber. H arrive ' sou-
vent qu'une même parole est prise en deux
sens différents en divers endroits. Défiez-vous
du levain des Pharisiens, dit Jésus-Christ ; le
terme de levain, comme l'on voit , est pris
ici en mauvaise part. Au contraire, il est
pris en bonne part lorsque le même Sauveur
dit ailleurs : Le royaume des deux est sem-
blable à une femme qui cache du levain dans
trois mesures de farine, jusqu'à ce que la pâte
soit toute levée. Il en est de même du terme
de lion, qui est une figure de Jésus-Christ
dans ces paroles : Le lion de la tribu de Juda
u vaincu, et qui au contrriire signifie le dé-
mon dans ce passage de la première Épître
de saint Pierre : Votre adversaire tourne autour
de vous pour vous dévorer comme un lion rugis-
sant. Il est encore ordinaire à l'Écriture de
se servir de différentes expressions que les
grammairiens appellent tropes * , comme
aussi de certains termes destinés à marquer
des sens figurés, comme l'y llégorie, l'énigme,
la parabole. Ceux donc qui veulent s 'instruire
des divers sens renfermés dans nos livres
saints, doivent aussi avoir une connaissance
de tous ces termes. »
37. Ptolémée ^, ayant succédé au fils de
Lagus dans le royaume d'Egypte , renvoya
MaHli. itr,
11.
Lie. Jllf,
!l.
Apocal. T,s.
I Pelri.T.J.
LUsMn
ai [a Teniu
des SepUDl*.
Son autorili.
1 Erit igitur etiam hoc in ohservationibus in-
telligendarum Scriptururum, uL scianms alla om-
r.ibus commintiter prœcipi. alla singulis quibus-
cumque generibus jjersonarum, tU non soium ad
universum stalum valetudinis , »ed etiam ad
siiam cujusque membri propriam infirmitalem
viedicina pertineat. In suc quippe génère curan-
dum est , qiiod ad melius genus non potest erigi,
August., lib. m Dj Doct. christ., cap. xvn, num, 25,
pag. 52.
2 Si qua vero peccata magnorum rirorum le-
gerit, tametsi uliquam in eis /igurani rerum fii-
turarum animadverterc alque indagare polnerit,
vei lanien gestœ proprietatem ad hnnc Mswm. as-
sumât,ut se nequaquain recte fnciis suis jactare
audeat, et prœ, sua justitia, cœteros tanquam
peccatores contemnat , cum videat lantorum iH-
rorum et cavendus lempeslales et flenda naufra-
gia. Àd hoc enim etiam peccata illorum homi-
miini scripta sunt, «t apostoliea illa sententia
nbique tremenda sit, qua ail: Qiinpropter qui vi-
detiir stare, videat ue cadat. August. , lib. III De
Doct. christ., cap. xxui, num. 33, pag. 53.
3 Sed quoniani wultis modis res similes rébus
apparent, non putemus esse prœscriptam, ut quod
in aliquo loco rcs aliqua pcr similitudinem si-
gnificaverit, hoc eam semper sighificare creda-
ni-us. Nani et in viluperatione fermentum posuil
Dominus cum diceret : Cavete a fermento Pbari-
sasorum; et in laude cum diceret: Simile est re-
gnum cœlorum uiulieri, quœ abscondit fermentum
in tribus mensuris farinœ, donec fermentaretnr to-
tum.... Taie est etiam leo qui significat Christum
ubi dicitur : Yicit leo de tribu Juda; significat et
diabolum. ubi scriptum est: Adversarius vester
diabolus tanquam leo rugieus circuit quœrens
quem devoret. August., lib. III De Doct. christ.,
cap. XXV, num. 33 et 3C, pag. 55.
' Sciant aulem litterati modis, ommibus locu-
tionis , quos grammatici grœco nomine tropos
vacant, auctores nostros usas fuisse, et multipli-
cius atque copiosius, quam possunt exisliniare
vel credere qui nesciunt eos, et in aliis ista di-
dicerunt. Quos tamen tropos qui noverunt, agnos-
cunt in litteris sanclis, eorumque scientia ad eas
intelligendas aliquanlum adjuvantur istorum
aulem iroporum non solum exempta, sicut om-
nium,, sed quorumdam etiam nomina in divinis
libris leguntur, sicut allegoria, wnigma, para-
bola. August., lib. 111 De Doct. christ., cap. sxix,
num. in, pag. 36 et 37.
'August., lib.XVlUDeCmf. Cet, cap.sLu.pag. 324.
[IV° ET V^ SliCLES.]
tous les Juifs qu'il y trouva captifs , et les
chargea de présents pour le temple de Jéru-
salem. 11 pria en même temps le grand prêtre
Éléazar de lui donner nos saintes Écritures
pour les placer dans sa bibliothèque , et de
lui envoyer des interprètes pour en faire une
traduction grecque. Éléazar lui en envoya
septante-deux , sis de chaque tribu , parfai-
tement instruits de l'une et l'autre langue,
c'est-à-dire, de la grecque et de l'hébraïque.
Mais l'usage a voulu qu'au lieu de nommer
cette version des Septante-deux, on la nom-
mât des Septante. Ils s'accordèrent, à ce que
l'on dit, dans cette traduction de manière
que l'ayant faite chacun à part, selon l'ordre
du roi Ptolémée, qui voulait par là éprouver
leur fidélité , ils se rencontrèrent parfaite-
ment, tant pour les choses et pour le sens
que pour l'arrangement des paroles ; en
sorte qu'il semblait que ce fût l'ouvrage d'une
seule personne, a Et il ne faut pas, dit saint
Augustin, le trouver étrange, puisqu'on effet
ils étaient tous inspirés du même Esprit,
Dieu ayant voulu par une si grande mer-
veille rendre vénérable aux gentils l'auto-
rité des Écritures. Quoique d'autres * les
aient traduites en grec , comme Aquila ,
Symmaque , Théodotion, et quelques autres
dont les noms ne sont pas connus, l'Église
s'est attachée à la version des Septaate, com-
me s'il n'y en avait point eu d'autre. C'est
sur elle que fut faite la traduction latine qui
était en usage dans les premiers siècles, et
on préférait cette traduction latine du temps
de saint Augustin à celle que saint Jérôme
venait de faire snr l'hébreu. Il est vrai que
les Juifs ont accusé les Septante de s'être
trompés en beaucoup de choses ; mais l'É-
glise n'a pas laissé de préférer leur traduc-
tion à toute autre, parce qu'encore qu'il n'y
ait eu rien de miraculeux dans la manière
dont elle a été faite , l'accord de tant de sa-
vants hommes dans cette traduction fait une
preuve beaucoup au-dessus de l'autorité
d'un particulier. Quelqu'autre version que
l'on fasse donc sur l'hébreu , elle doit être
conforme à celle des Septante, et, si ces in-
terprètes ne se rencontrent pas avec l'hé-
breu, il faut croire qu'en ces endroits il y
a quelque grand mystère caché : car le
même esprit qui était dans les Prophètes,
lorsqu'ils composaient l'Écriture, animait les
Septante, quand ils l'interprétaient. Il a donc
' Augusî., ibid., cap. slui, pag. 325.
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPOxNE.
6H
bien pu les faire parler différemment, quoi-
que ceux qni entendent leur version comme
il faut n'y trouvent point de différence.
L'esprit de Biau a pu même passer ou ajou-
ter quelque chose , pour montrer que tout
s'était fait par autorité divine, et que ces
interprètes avaient plutôt suivi l'esprit qui
les guidait , qu'ils ne s'étaient assujettis à la
lettre de l'original. 11 y en a qui ont cru qu'il
fallait corriger cette version sur les exem-
plaires hébreux ; toutefois , ils n'ont osé re-
trancher ce que les Septante avaient de plus
que l'hébreu. Seulement ils ont ajouté ce qui
était de moins dans les Septante , et l'ont
marqué avec des étoiles au commencement
des versets. Ils ont marqué de même avec
des petites broches ce qui n'est point dans
l'hébreu, et qui se trouve dans les Septante.
L'on voit encore aujourd'hui beaucoup de
ces exemplaires, tant grecs que latins, mar-
qués de la sorte. A l'égard des choses qui
ne sont ni omises ni ajoutées dans la version
des Septante, et qui sont seulement dites
d'une autre manière, soit qu'elles fassent un
même sens, ou un sens différent en appa-
rence, mais qui se concilie fort bien en eU'et,
il est besoin pour les trouver de conférer le
grec avec l'hébreu. En ne considérant donc
les Septante que comme les organes de l'es-
prit de Dieu, nous dirons pour les choses qui
sont dans l'hébreu, et non dans les Septante,
que le Saint-Esprit n'a pas voulûtes dire par
ces interprètes, mais par ceux qui ont écrit
en hébreu; et qu'à l'égard de celles qui sont
dans les Septante, et non dans l'hébreu, le
même Esprit a mieux aimé les dire par les
interprètes que par les auteurs originaux.
Mais nous les regardons tous comme des
prophètes. C'est de cette sorte que Dieu a
dit une chose par Isaïe, et une autre par
Jérémie , ou la même chose différemment
par l'un et par l'autre. Quant aux choses
qui se trouvent également dans l'hébreu
et dans les Septante, c'est que le Saint-Es-
prit s'est voulu servir des uns et des autres
pour les dire, et, comme il a assisté les pre-
miers, il a conduit la plume des seconds,
pour les rendre parfaitement conformes. »
Saint Augustin reconnaît toutefois qu'il y
a beaucoup de différence entre la version
des Septante et le texte hébreu, en ce qui
regarde les années des patriarches qui ont
précédé Abraham ; mais il prétend qu'elle
vient de la faute du premier copiste des Sep-
tante, et que pour corriger ce qu'il y a de
612
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Sur te texie
du Nojveaii
Testament.
défectueux à cet égard dans les exemplaires
grecs, on doit recourir à l'original hébreu,
que l'on ne doit pas croire avoir été cor-
rompu malicieusement par les Juifs. «A Dieu
ne plaise, dit-il, ' qu'un homme sage s'ima-
gine que les Juifs, quekfue méchants et arti-
ficieux qu'on les suppose , aient pu intro-
duire cette fausseté dans tant d'exemplaires
dispersés en un si grand nombre d'endroits,
ou que les septante interprètes, qui ont ac-
quis une si haute estime, se soient accordés
entr'eux pour cacher la vérité aux gentils.
Il est donc plus croyable de dire que, quand
on commença à transcrire ces livres de la
bibhothèque de Ptolémée, ces erreurs se
ghssèrent d'abord dans un exemplaire par
la faute du copiste, et qu'elles passèrent de
celui-là dans les autres. Je ne fais donc
aucun doute que, lorsque les exemplaires
grecs et hébreux ne s'accordent pas , il ne
faiUe plutôt suivre l'hébreu, comme origi-
nal , que les Septante qui ne sont qu'une
version. »
38. Quant aux changements que les an-
ciens hérétiques ont faits dans les exemplai-
res du Nouveau Testament, qu'ils avaient en
mains, ils n'ont porté aucun préjudice aux
originaux. C'est au contraire de ces origi-
naux conservés parmi les orthodoxes, et ré-
pandus par toute la terre , dont on s'est servi
pour convaincre de faux les exemplaires des
hérétiques. Aussiles manichéens, employant
ce qui est dit du Paraclet que Jésus-Christ de-
vait envoyer, comme si cet endroit regardait
Manichée, Saint Augustin leur adresse cette
demande : « Que répondriez-vous à celui
qui accuserait les premiers auteurs de votre
secte, d'avoir falsifié cet endroit de l'Évan-
gile, et d'y avoir ajouté cette promesse du
Paraclet? Que pourriez-vous faire ^ sinon de
vous écrier qu'il vous aurait été impossible
de falsifier des livres qui étaient entre les
mains de tous les chrétiens ? parce cpi'aussi-
tôt que vous auriez tenté de le faire, on vous
aurait convaincus de fausseté pao- le témoi-
gnage des exemplaires plus anciens. Or,
cette même raison qui fait croire que vous
n'auriez pas corrompu ces livres, prouve
aussi que nul n'a pu les corrompre, parce
que quiconque l'aurait osé faire, se serait
vu aussitôt refuté par l'autorité d'un grand
nombre d'exemplaires plus anciens ; ce qui
aurait été d'autant plus facile, que ces mê-
mes livres se trouvent écrits en plusieurs lan-
gues différentes. C'est ce qui arrive tous les
jours lorsqu'on en corrige quelque faute, en
les conférant ou avec de plus anciens exem-
plaires, ou avec la langue originale sur la-
quelle ils ont été traduits. »
39. Saint Augustin, après avoir rapporté
que ce fut par la lecture des livres saints, que
l'orateur Yictorin fut convaincu de la vérité
de la religion chrétienne, s'écrie ' : « Grand
Dieu ! qui avez abaissé les cieux et en êtes
à
Sur 11 I»
tare de lE*
crilure saioMi
1 Sed absit ut prudens quispiam, vel Judœos
cwjusUbet pcroersitalis atque malitiœ taiitum
potuisse credat in codicibus tam multis et tam
longe laieque dispersis, vel septuaginta illos me-
morabiles viros hoc de invidenda gentibus veritate
unum communicasse consilium. Credibilius ergo
qiiis dixerit, cam priminn de bibiiotlieca Ptole-
mœi describiista cœperunt, tune aliqiiid taie fieri
poluissein codice «no, scilicet primitus inde des-
cripto, unde jain latins emanaret ubi potiiit qui-
(lein accidere etiain scriptofis error... . sed quo-
modolibet istud aceipiatiir, sive credatur itaesse
factuin, sive non credatur, sive postremo ita, sive
lion ita sii, recte [ieri niillo modo dubitaoerim,
ut, cum dioersum aliquid in utrisque codicibus
invenitur, quandoquidem ad fidem reram gesta-
ruin ulrumque esse non potest verum, ci linguœ
polius cred'atur unde est inaliam per interprètes
facta translatio. August., Ub. XV De Cicit. Dei,
cap. xui, pag. 392 et seq.
'^ Si omnia quce de promissione Paracleti in
Eoangelio hguntwr talia esse demonslraretis ut
non omnino nisi de Manichœo vestro passent iii-
lelligi, sicut ostenduntur in Prophelis ea esse
dicta deChrislo quœ in aliumcadcre omnino non
possinl; tanicn cum ea de Us codicibus proferre-
tis quos dicilis infalsatos, hoc ipsum illic falsum
et a corruptoribws majoribus vestris immissum
esse diceremus, quod illic de Manichœo sic scrip-
tum legeritis, ut de alio intelligere nonpossemus:
quid faceretis, dicite mihi, nisi clamaretis, nulle
modo vos potuisse falsare codices qui jam in ma-
nib'us essent omnium christianormn? Quia mox
ut facere cœpissetis, vetustinrum exemplarium
veritate convinceremini. Qua igitur causa a vobis
corrumpi non possent, hac causa a nemine po-
luerunl. Quisquis enim hoc primitus ausus esset
multorum codicum velusliorum collatione confu-
taretur , maxime quia non una lingua sed multis
eadem Scriplura contineretur. Kam etiam nunc
nonnuUœ codicum mendositates vel de antiquiori-
bus, vel de lingua prœcedente emendantur. Angast,
lib. XXXII Contra Faust., cap. xvi, pag. 459.
3 0 Domine, o Domine, qui inclinasti cœlos, et
descendisti, tetigisti montes et fumigaverunt :
quibus modis te insinuasti illi pectori? Legebat,
siout ait Simplicianus, sanclam Scripturam, om-
nesque christianas litteras investigabat studio-
sissime et perscrutabatur ; et dicebat Simpliciano,
non palam sed secretius et famiUarius: noveris
me jam esse christianum. August.,lib. WUConf.,
cap. 2, num. 4, pag. 14G.
[lye ET v° siÈaES.] SAINT AUGUSTIN,
descendu , qui avez frappé les montagnes et
les avez embrasées ! par quelles douceurs et
par quels attraits étes-vous entré dans cette
âme, etvousen êtes-vous rendu le maître? »
Victorin lisait avec attention tous les livres
des chrétiens qu'il pouvait trouver, et ne
négligeait rien pour en pénétrer le sens. Puis
il disait à Simplicien , non pas devant tout
le monde, mais en secret comme à son ami :
« Sachez que maintenant je suis chrétien, n
C'est aussi à lalecture de l'Écriture sainte que
saint Augustin attribue '■ le commencement
de sa conversion. Les livres des philoso-
phes en le rendant plus savant, l'avaient
aussi rendu plus vain. Au contraire, nos livres
saints humilièrent et adoucirent son esprit,
et il remarqua la diJerence qu'il y a entre la
vaine confiance en ses propres forces, et
l'humble reconnaissance de sa faiblesse, en-
tre ceux qui savent où il faut aller, mais qui
n'en savent pas le chemin, et ceux qui con-
naissent le chemin de notre bienheureuse
patrie, lequel nous y conduit, non pour nous
en procurer la vue seulement, mais la pos-
session et la jouissance. « Je commençai
alors, dit-il, ^ à hre ces livres divins avec
ime ardeur extraordinaire, et à révérer ces
paroles que l'Esprit saint a dictées lui-même.
Mais rien ne me touchait davantage que les
Épîtres de saint Paul, et je vis s'évanouir en
un moment toutes les difficultés qui me fai-
saient croire qu'en quelques endroits il se
contredisait lui-même, et que ses paroles ne
s'accordaient pas avec celles de l'ancienne
loi et des prophètes. Je reconnus que des
Ecritures si pures et si simples ne sont ani-
mées que d'un même esprit, et ne contien-
EVEQUE D'HIPPONE.
613
nent que les mêmes sens, et j'appris aies
considérer avec une joie mêlée de crainte et
de respect. » Aussi depuis sa conversion il
en fît ses délices, en exhortant les fidèles à
oublier ' et à rejeter toutes les folies ridicu-
les des théâtres et des poètes, à donner leur
temps à l'étude et à la méditation de l'Écri-
tui'e divine, et à nourrir de cette viande et
de ce breuvage célestes leur esprit lassé par
la faim et tourmenté par la soif d'une curio-
sité vaine et inutile, dans laquelle ils avaient
tâché inutilement de se contenter et de se
rassasier par des fantômes trompeurs comme
par des viandes peintes. Il s'instruisit dans
cette école salutaire, digne véritablement des
âmes libres, nobles et généreuses. « Car,
dit-il,- tout ce qui est dans l'Écriture sainte ''
est grand et divin ; la vérité y est tout entière
et l'on y trouve une doctrine extrêmement
propre à nourrir l'âme et à réparer ses for-
ces , mais qui est tellement accommodée à
la capacité de chacun, qu'il n'y a personne
qui n'en puisse retirer une suffisante instruc-
tion, s'il y a recours avec la foi et la piété
que la vraie religion demande. Dieu l'a abais-
sée ° jusqu'à la capacité des enfants qui sont
encore à la m a méfie, selon ce qui est dit dans
un psaume : qu'il a abaissé les deux et qu'il en
est descendu, n
« Les manières " de parler de l'Écriture
sainte sont si admirables, qu'en même temps
qu'eUe est accessible à tout le monde, il
n'y a presque personne qui la puisse péné-
trer. Dans les choses claires, elle est comme
un ami fidèle qui parle sans fard et sans ar-
tifice au cœur des savants et des ignorants ;
et, quand eUe cache quelque vérité sous des
1 August.,lib. VIIConf.,oap.xx, num. 26, pag. 143.
2 Itaque avidissiine arripui venerabilem sty -
lum Spiritus lui et prœ cœteris aposlnlum Pau-
lum : et perienint illœ questiones in quibus mihi
aliquando visus est adversari sibi, et non con-
gruere testimoniis legis et prophetarum textus
sermonis ejus. Et apparuit mihi una faciès elo-
quiorum castorum, et exultare cum tremore di-
diei. August., lib. VII Conf., cap. xxi, num 27,
pag. 143 et 144.
3 Omissis igitur et repudiatis nugis theatricis
et poeticis, divinarum Scripttirarum considéra-
tione et tractatione pascamus animum atque po-
temiis vanœ curiositatis famé ac siti fessum et
œstuantem, et inanibus phantasmatis, tanquam
pictis epulis, frustra refici satiarique cupienlem:
hoc vere liberali, et ingenuo ludo salubriter eru-
diamur. August., lib. De Yera religione, cap. li,
num 100, tom. I, pag. 783.
* Quidqwid est, mihi crede, in Scripturis illis.
altum et'divimun est: inest omnino veritas, et
re/iciendis instaurandisque animis accomodissima
discipliiia, et plane ila modificata, ut nemo inde
haurire non possit quod sibi satis est, si modo
ad haurienduni dévote ac pie, ut vera religio
poscit, accédât. August., lib. De Utilit. credendi,
cap. VI, num 13, pag. 54.
^ Inclinavit ergo Scrvpturas Deus usque ad in-
fantium et lactenlium capacitatem, sicut m alio
psalmo canitur : Et iuclinavit cœlum et descendit.
August., in Psal. viii, num. 8, pag. 42.
^ Modus autem ipse dicendi, quo sancta Scrip-
tura contexitur , qiiam omnibus accessibilis ,
qiiamvis paucis penelrabilis . Ea quce aperta con-
tinet, quasi amicus familiaris, sine fuco ad cor
loquitur indoctorum atque doctorum. Ea vero
quce in mysteriis occultât, nec ipsa eloquio su-
perbo erigit , quo non audeat accedere înens tar-
diuscula et inerudita, quasi pauper ad divitem.
August., Epist. 137, num. 18, pag. 409.
614
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
expressions mystérieuses , elle ne le fait pas
avec un langage superbe et enflé, capable
de rebuter les esprits tardifs, et de leur ôter
la hardiesse d'en approcher, comme les pau-
vres craignent d'approcher des riches; mais
elle se moque des superbes ' par son éléva-
tion, elle cifraie par sa profondeur ceux qui
répudient, elle repaît les forts par sa vérité,
et nourrit les faibles par sa familiarité et
par sa douceur ; de sorte qu'elle est propor-
tionnée à la capacité de tous les hommes ^.
On n'y trouve rien que de solide et devrai '.
Ce n'est point par des discours fardés et des
façons de pai-ler étudiées qu'elle s'insinue
dans l'esprit, et ses paroles ne sont point de
celles qui ne font que du bruit et sont vides
de sens ; elles touchent beaucoup ceux qui
cherchent des choses, et non pas des mots ;
elle les frappe et les étonne; mais c'est pour
les mettre ensuite dans une parfaite sécurité.
On peut s'appliquer particulièrement à la
lecture des écrits des apôtres ; ils inspireront
le désir de voir aussi ceux des prophètes,
que les apôtres citent souvent. »
Saint Augustin témoigne * qu'on lisait
l'Ecriture sainte dans toute la terre, et que
l'ontrouvait partout des exemplaires à ache-
ter; il ne croit pas néanmoins que la lecture
en soit absolument nécessaire pour le salut.
(( Car, dit-il, l'homme '" qui s'appuie sur la
foi, l'espérance et la charité, et qui est bien
affermi dans ces trois vertus, n'a pas besoin
des Écritures, si ce n'est pour instruire les
autres. Aussi plusieurs qui manquent de ce
secours vivent avec ces trois vertus dans la
solitude.»
40. «La foi chrétienne ne doute point 'que
le Paradis terrestre ne subsiste encore, mais
dans un lieu caché et ' éloigné de la con-
naissance des hommes. De là vient que l'on a
mis entre les hérésies ^ l'opinion de ceux qui
soutenaient que ce qui est dit du Paradis
terrestre, n'est qu'une allégorie. En elïet, ce
sentiment (saint Augustin le réfute ' sans en
nommer les auteurs) a des conséquences
très-fâcheuses : car il tend à détruire la vé-
l'ité de l'Histoire sainte, et à renverser les
fondements les plus inébranlables de la foi
et de la religion . Philon '" est le premier qui
ait donné dans cette erreur, et qui, en expli-
quant l'Écriture avec la perfidie d'un juif,
et la présomption d'un philosophe, ait donné
un sens allégoi-ique à ce que Moïse raconte
de ce jardin de délices. Il y a aussi beaucoup
de raisons de croire " que nos deux premiers
pai-ents, Adam et Eve, ayant mené après leur
péché une vie sainte parmi les travaux et les
misères dont ils ont été accablés, sont déli-
vrés des supplices éternels par la vertu du
sang de Jésus-Christ. C'est le consentement"
presque unanime de l'Église, que, lorsque le
Sauveur descendit aux enfers, il en tira le
premier homme. Plusieurs ne doutent point
que Jésus-Christ n'ait accordé la même grâce
aux autres saints patriarches et prophètes
de l'Ancien Testament, comme Abel, Selh,
Noé, Abraham, Isaac, Jacob et beaucoup
d'auti-es. Ou ne connaît point d'hérétique
Sur dlTOn
points dWs.
toire do l'An-
cien XmH-
menl,
* Scriptura... sic alloquitur, ut altitiidine su-
perbos irrideat , profunclitate allenlos terreat ,
verilate magiios pascat, alfabilitute parvulos nu-
triat. August. lib V De Genesi ad liUeram, cap. ni,
imm. C pag. 184.
2 Sed si non utalur Scriptura lalibus verbis,
non se quodam modo familiarius insinuabit omni
generi hominuin, quibus viiU esse consuUrim, ut
et perlerreat siiperbientes, et excitet négligentes,
et exerceat quœrentes. et alat intelligentes; quod
non faccret, si non prius se inclinaret, et quo-
dam modo descenderet adjacentes. August., lib. XV
De Civit. Dei, cap. xxv, pag. 410.
3 Ilortor, ut valeo, ut litterarumvere cerieque
sanctarum stndio te curam non pigeât impendere.
Sincera enim et solida res esl,nec fucatis eloquiis
ambit ad animum,nec nlln lingnœ tectorio inane
aliquid crépitât. Multutn movcl, non verborum,
sed rerum avidum; et inullum terret factura se-
cwrum. Prœcipue apostolorum linguas exhortor
ut legas; ex his enim ad cognosccndos propltetas
excitaberis, guortim teslinioniis utu)itur aposloli.
August.; Epist. 132, ad Valus., pag. 393.
'' Arguât quisque, murmuret, si non per totum
orbem hcec Scriptura recitatur atque cantaiur;
si cessât etiamvenalis ferri per publicum. August.,
Serw. 1 in Psal. xxxvj, uum. 2, pag. 239.
^ Homo itaque, spe et charitate snbnixus, eaque
inconcusse retinens, non indiget Scriptiiris nisi
ad alios instruendos. Itaque multi per hœc tria
etiam in solitudine sine codicibus vivunt. August.,
lib. Il De Doctrina christ., cap. xxxix , num, 43,
pag. 18.
^ August., lib. De Peccalo. originali, cap. sxin,
uum. 27, pag. 264.
' Lib. VIII De Genesi ad litteram, cap. vn, num.
14, pag. 231.
^ August., lib. De Hœresibus, bceresi 43, pag.
12.
" August., lib. Vin De Genesi ad litteram, num.
4, tom. m, pag. 220, et lib. XIII De Civit. Dei,
cap. xxr, pag. 341.
"> Philo, lib. De Plantalione Noe, pag. 21, 28 et
seq.
" Lib. Il De Peccat. merit.etrem., cap. xxxiv,
num. 55, tom. X, pag. 09.
»- August., Epist. 264, cap. ni, num. 6, png. 575.
[rv« ET v" SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
avant Tatien ' qui .lit combattu la foi de l'É-
glise sur le salut d'Adam. C'est encore une
vérité reconnue des fidèles ^ que le prophèLe
Élie paraîtra dans le monde avant le juge-
ment, qu'il convertira les Juifs à la foi de
Jésus-Christ, qu'il leur expliquera la loi, et
qu'il précédera l'avènement du Juste Juge.
On ne peut donc douter qu'il ne vive encore,
de même qu'Enoch, et que pendant la suite
de tant de siècles, ils n'aient point été acca-
blés par la vieillesse. » Saint Augustin ne
croit pas néanmoins qu'ils ^ soient doués de
ces qualités spirituelles, qui ne nous sont
promises qu'après la résurrection, et qui ont
paru premièrement en Jésus-Christ ; mais il
ne croit pas non plus qu'ils aient besoin de
ces sortes d'aliments dont nous ne pou-
vons nous passer sur la terre. C'est son
sentiment que, dès qu'ils ont été enlevés
de ce monde, ils sont sustentés comme
le fut Elie après qu'il eût goûté de cette
eau et de ce pain mystérieux qui le sou-
tinrent pendant quarante jours; ou que, s'il
leur faut quelque nourriture, il est possi-
ble qu'elle soit la même dont Adam se re-
paissait dans le Paradis terrestre avant son
péché, c'est-à-dire des fruits de ce lieu déli-
cieux. Mais, parce quils sont mortels comme
les autres hommes, on est persuadé qu'a-
près avoir vécu pendant 1ant de siècles, ils *
subiront, après être i-etom^nés en cette vie,
la loi de mort dont personne n'est exempt.
Car ils ont encore ^ les mêmes corps avec
lesquels ils sont nés. Saint Augustin avoue
qu'il n'y a rien de décidé sur le lieu de
leur demeure, si c'est dans le paradis ter-
restre ou ailleurs; mais il dit qu'en quelque
lieu qu'ils soient, ils y sont préservés ^ du
péché par la grâce de Dieu.
« Quoiqu'on ne puisse douter que ce que
Moïse raconte de l'arche de Noé et du déluge
ne soit arrivé en la manière que l'historien
sacré le rapporte, il ne faut pas s'imaginer'
qu'on n'y doive chercher précisément que la
vérité de l'histoire, sans aucune allégorie,
ni que ce qui en est dit ne contienne aucune
prophétie ni figure de l'Église. Aurait-il été
EVEQUE D'HIPPONE.
613
besoin défaire entrer dans l'arche deux ani-
maux immondes de chaque espèce, et sept
des autres, puisqu'on pouvait y en faire en-
trer des uns et des autres en nombre égal ?
Et Dieu qui commandait de les garder ainsi
pour en réparer l'espèce, n'était-il pas assez
puissant pour les refaii-e delà même façon
qu'il les avait faits ? » Saint Augustin combat
l'opinion de ceux qui ne voulaient pas que
les choses fussent arrivées à la lettre, comme
le marque Moïse, et qui soutenaient que ce
n'étaient que des figures et des allégories. Il
fait voir que l'arche était assez grande pour
contenir tous les animaux que Noé fut chargé
d'y faire entrer, remarquant que Moïse, très-
versé dans toutes les sciences des Égyptiens
qui étaient. fort appliqués aux mathémati-
ques, a pu prendre les coudées dont il parle
en marquant les dimeusions de l'arche pour
des coudées de géomètre qui en valent six des
nôtres. Il résout les difficultés de ses adversai-
res sur les différentes espèces d'animaux qui
auraient pu entrer dans l'arche, par exemple
des poissons, des mouches, et autres espèces,
soit qu'ils naissent par l'accouplement ou de
corruption. Puis revenant à son but, il sou-
tient qu'on ne peut nier sans opiniâtreté que
ce qui est dit des animaux purs et impurs
renfermés dans une même arche, n'ait été
une figure de l'Église, dont envoyait de son
temps l'accomplissement. « En effet, dit-il,
les nations, tant pures qu'immondes, ont déjà
tellement rempli l'Église , et sont si bien
iinies par les liens inviolables de son unité,
jusqu'à ce que le nombre en soit accompli,
que cette union seule suffit pour nous con-
vaincre de l'événement futur de tout ce qui
a été prédit de cette Église.» Il pense ^ qu'on
peut croire que les loups qui se trouvent dans
les îles, y ont passé à la nage, si elles sont
moins éloignées du continent, et que pour
celles qui le sont beaucoup plus, les hommes
ont pu les y transporter sur leurs vaisseaux;
à quoi l'on peut ajouter que Dieu ayant dit,
lors de la création du monde ; Que la terre
produise une âme vivante, il n'aura pas été
nécessaire de mettre dans l'arche des ani-
1 IrenEeus, lib. III Contra Hcereses, pag. S22, et
August., lib. De Hœresibiis, hœr. 23, pag. 10.
2 August., lib. XX De Civil. Dei, cap. sxis, pag.
613.
' August. lib. I De Peccaî. merit. et remis.,
cap. ni, pag. 3.
* August., lib. IX De Genesi ad litter., cap. vi,
num. 11, pag. 247.
s August., lib. De Peccato originali, cap. xxiii,
num. 27, pag. 26 i.
8 August., lib. VI Oper. imperf., num. 30, pag.
1361.
' August., lib. XV De Civil. Dei, cap. xxvii,
pag. 411 et seq.
3 Lib. XVI De Civil. Dei, cap. vu, pag. 421 .
616
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
maux de toute sorte pour en réparer l'es-
pèce; qu'ainsi ceux que l'on y a mis de-
vaient être une figure de l'Église composée
de toutes sortes de nations. Il croit ' que le
géant Nemrod fut le premier qui conçut le
dessein de la tour de Babel ; mais il ne dé-
cide point si cette tour était unique, ou s'il y
en avait plusieurs, l'Écriture se sei-vant quel-
quefois du sing-ulier pour le nombre pluriel.
«Avant la construction^ de la tour de Babel,
dit- il, il n'y avait qu'une langue commune
à tous les hommes. Elle demeura depuis
dans la famille d'Héber \ tandis que les au-
tres nations en avaient chacune une particu-
lière. Cette langue fut appelée hébraïque,
du nom ,de celui qui l'avait conservée ; elle
se transmit par tradition avec ses caractè-
res'; d'où vient que les personnes établies
de Moïse poiu" enseigner les letires, avant la
publication de la loi, sont appelées dans
l'Écriture introducteurs aux lettres; ce qui
suppose qu'il y en avait déjà. »
Saint Augustin trouve beaucoup de con-
formité entre la langue punique ^ et l'hébraï-
que. Selon ce Père ^ quelques-uns ont douté
si Melchisédecli était un homme ou un
ange ; d'autres ont cru que Moïse n'était pas
mort ', fondés sur ce qu'il est écrit que son
sépulcre ne se trouve point, et qu'il fut pré-
sent à la Transfiguration de Jésus-Christ, avec
le prophète Élie, qu'on sait n'être pas mort,
mais avoir été enlevé tout vivant au-dessus
des nues; «comme si le corps de ce législa-
teur, dit-il, n'avait pu être mis en un endroit
caché aux hommes, d'où Jésus-Christ l'aurait
tiré pour un temps, comme il tira pour un
moment du tombeau les corps qui apparu-
rent à beaucoup de personnes dans la ville de
Jérusalem. » Il croit que Job ' n'était ni juif,
ni prosélyte, mais de la race d'Ésaii, étant
né et mort dans l'Idumée. Comme l'histoire
ne marque point en quel temps il vivait, saint
Augustin conjecture par le livre qui porte
son nom, et qui pour son excellence est mis
entre les canoniques, qu'il est né environ
trois générations après Jacob. Il pense ' que
Jephté immola véritablement sa fille, et qu'il
fit en cette occasion un^- chose défendue par
la loi, et dout il n'avait reçu aucun ordre de
Dieu; qu'au contraire, ce fut par un mouve-
ment de l'esprit de Dieu que " Samson se
tua lui-même en faisant périr ses ennemis,
prévoyant qu'il lui était impossible d'éviter
la mort qu'ils devaient lui faire souflrir ; que
le démon, qui se transfigure quelquefois en
ange de lumière, a bien pu se présenter à
Saiil" sous la figure de Samuel; que toute-
fois ce prophète apparut après sa mort à
Saiil, et lui prédit'^ la fin de sa vie. Il parle "
de Salomon comme d'un prince réprouvé,
ne trouvant rien dans l'Ecriture qui marque
sa pénitence '* ni que Dieu lui ait fait miséri-
corde.
41. C'était l'opinion commune de son
temps que '° Jésus-Christ avait été conçu le
23 de mars ; qu'il avait souflerl à pareil jour,
et qu'il était né le 23 décembre pendant la
nuit, parce que ce fut dans ce temps que
l'Ange annonça sa naissance aux pasteurs :
En quoi, dit ce saint évêque", fut accompli
ce que dit David : Je vous ai engendré avant
l'aurore. )i Selon le saint Docteur, les mages"
qiù vinrent l'adorer étaient de vrais magiciens;
l'étoile qu'il appelle '* Ja magnifique langue du
ciel, leur apparut le jour '^même de sa nais-
saivce ; elle ne les conduisit point jusqu'à
Jérusalem^", ayant disparu pour leur don-
ner lieu de demander aux Juifs en quel lieu
Sur divp
points
toirc du No
Teau Te;
moul.
1 Idem, ibid., Ccap. iv, pag. 419.
2 August.,lib. IX De Genesi ad litteram, cap. xn,
num. 20, pag. 230.
3 August., lib. XVI De Civit. Dei, cap. xi, pag.
426.
•> August., lib. XVIII De Civit. Dei, cap. xxxix,
pag. 521.
^ August., Tract. 15 in Joan., num. 27, pag.
417; Serm. 113, num. 2, tom. V, pag. 568, et lib. H
Contra lUleras Petiliani, pum. 2;i9, pag. 292.
6 August., lib. Quœstionum in Genesim., quœst.
72, lom. 111, pag. 396.
1 August., Tract. 124, m/oa?l., num 2, pag. 819.
« Lib. XVl;i -le Civil. Dei, cap xlvu, pag. 530.
3 Lib.I 03 Cioit. Dei, cap. xxr, pag. 21.
1» August., Quœst. 49, in Judices, uum. 4, pag.
fin.
" Lib. Il Ad Simplicianum , quœst. 4, uum. 2,
tom. VI, pag. 116.
•2 August. , lib. De Cura gerenda pro morttm,
cap. sv, uum 18, pag. 527.
13 Lib. XVII De Civit. Dei, cap. xx, num. 1, pag.
483.
!'• August. , lib. XXII Contra Fauslum , cap.
Lxxxvni, pag. 415.
16 August., lib. IV De Trinilate, cap, v, num. 9,
pag. 816.
is August., in Psal. cix, num. 16, tom. IV, pag.
1240.
" August., Serm. 200, uum. 4, pag. 912. .
" Serm. 201, num. l.pag. 913.
" Serm. 200, num. 4, pag. 912, et Serm. 202,
num. 1, pag. 915.
■■»> Serm. 200, num. 3, pag. 911.
[IV^ ET V SIÈCLES.]
SAINT AUGUSXm, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
617
le Messie deTait naîti'e. Leur arrivée '■ h Be-
thléem eut lieu avantla Purification, et douze
jours- après la naissance du Sauveur. Le
vieillard Siméon ' le reconnut pour le Fils
de Dieu. Anne la pi'ophétesse le reconnut *
aussi pour Dieu dans le temple. Sachant par
l'Esprit de Dieu que Jésus-Christ devait bien-
tôt naître d'une vierge , elle n'avait point
votdu se remarier, parce qu'il n'était plus
temps de contribuer au mystère de l'Incar-
nation par cette voie. Zacharie^ père de
saint Jean-Baptiste était grand pontife ; il
n'y avait que le grand pontife qui avait droit
d'entrer dans le lieu saint pour y offrir des
parfums. Il y avait des hérétiques ^ qui en-
seignaient que l'âme d'Élie était passée dans
le corps de saint Jean-Baptiste ; que la femme
pécheresse' est la même que la sœur de
Lazare, sentiment donné * ailleurs pour dou-
teux par saint Augustin.
Le saint Docteur parait^ croire que tout
ce qui est dit dans le psaume cviii, s'est ac-
compli à la lettre dans Judas, en sorte que
le bien qu'il avait laissé à sa femme et à ses
enfants fut pillé après sa mort, par ses
créanciers , que ses enfants furent chassés
de chez eux, réduits à la mendicité, et que,
contraints d'errer de côté et d'autre sans
trouver d'assistance, ils finirent malheureu-
sement leur vie , sans laisser de postérité. Il
ne croit pas '" que le bon larron ait blas-
phémé contre Jésus-Christ. Si l'Éci'iture dit
en nombre pluriel que les larrons crucifiés
avec lui, lui disaient des injures, elle a mis
ce nombre pour le singulier , comme fait
l'auteur de l'Épitre aux Hébreux, lorsqu'en
parlant des Prophètes il dit : Ils ont fenné
la gueu le des lions : ils ont été sciés par le milieu ;
ce qui ne peut s'entendre que de quelques-uns
d'eux. Il remarque qu'on " croyait que le
sang et l'eau qui sortirent du côté de Jésus-
Christ avaient pu rejaillir jusques sur le bon
larron, et lui servir de baptême. Saint Hi-
laire croit '- qu'il fut crucifié à la droite du
Sauveur. Saint Augustin " met la mort de Jé-
sus-Christ au huitième des calendes d'avril,
c'est-à-dire le 23 mars, sous le consulat des
deux Géminus. Selon le saint Docteur '', son
âme descendit aux enfers, c'est-à-dire comme
il l'explique, dans les fieux où les pécheurs
sont tourmentés, pour en délivrer ceux que
sa justice impénétrable aux hommes jugeait
en devoir être délivrés ; le Sauveur est '^
monté au ciel à midi ; l'on allait en Judée ''
adorer ses vestiges sacrés imprimés au lieu
d'où il était monté au ciel. Saint Pierre " a
occupé le siège de Rome ; il y fit mourir Si-
mon le magicien '" par la vertu de Dieu tout-
puissant. Suivant l'opinion de plusieurs ", la
coutume en cette ville de jeûner le samedi
venait de ce que cet apôtre ayant à com-
battre Simon le dimanche, il avait jeûné le
jour précèdent avec toute l'Eglise de Home ;
d'autres néanmoins donnaient à ce jeûne une
origine différente. C'était un bruit commun ^"
que ce magicien avait eu véritablement le
dessein de monter dans le ciel par la force
de son art, et de passer de la nature hu-
maine à celle de Dieu.
On voit encore par saint Augustin que^'
les païens accusaient saint Pierre de magie
et de maléfice, et qu'ils prétendaient avoir
appris d'un de leurs oracles plusieurs faits
de saint Pierre sur cette matière, qui ne
1 Lib. II De Cons. evangelist., cap. xi, pag. 42.
2 Serin. 203-, num 3, pag. 917.
3 Serm. 277, num. 17, pag. H22.
* August., lib. De Bono viduitatis, cap. vn, num.
10, pag. 374, tom. VI.
s August., Tract. 49 in Jean-, num. 27, pag.
629.
6 August., Quœst. 18 in Numéros, pag. 53S,
tom. m.
' Lib. II De Consensu evangelist., cap. lxxis,
pag. 97.
8 Tract. 49 in loan., num. 3, pag. 620.
^ August., in Psal. cvni, pag. 1219, et seq.
"> Lib. III De Consensu evangelist., cap. xvi,
pag. 128.
1' August., lib. 1 De Anima et ejus origine, cap.
IX, num. 11, tom. X, pag. 343.
12 Hilarius in Mattli., cap. xxxin, num. o, pag.
749.
»3 August., lib. IV De Trinit., num. 9, tom. VIII,
pag. 816, et lib. XVIIl De Civit. Dei, cap. liv, pag.
538.
1* Et Christi quidem animam venisse usque ad
ea locn, in quitus peccatores cruciantur, ut eos
solveret a tormentis, quos esse solvendos occulta
nabis sua justitia judicabat, non immerito credi-
tur. August., lib. XII De Genesi adlitleram, num.
63, pag. 320 et 321. Vid'. Epist. 164, cap. v, num. 14,
pag. 378.
1^ In Psal. LIV, num. 18, pag. 511.
1^ Tract. 47 in Joan. , num. 4, pag. 609.
'■' Caltiedra tibi quid fecit Ecclesiœ romance, in
qua Pétrus sedit ? August., lib II Contra litteras
Petiliani, cap. li, tom. IX, pag. 254.
18 Lib. De Hœres., haer. l,pag. 6.
" Epist. 36, num. 21 , pag. 76.
2" August., in Psal. ix, num. 24, pag. 55.
21 Lib. XVIIl De Civit. Dei, cap. Lin, num. 2, pag.
536.
618
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
sont pas moins impies que ridicules. On en
lisait* de semblables dans les écrits apocry-
phes à l'usage des manichéens.
D'après saint Augustin^ l'ombre de saint
Pierre avait ressuscité un mort : miracle qui
n'est point spécifié dans les actes des apô-
tres. En parlant du genre de son martj're, il
dit' qu'il fut attaché à la croix avec des
clous , et que * son corps est demeuré à
Rome. Il nous apprend que saint PauP n'a-
vait point été élevé à vivre du travail de ses
mains, et qu'il ne s'y était appliqué que de-
puis sa conversion, afin de n'être pas à
charge à ceux à qui il prêchait ; qu'il faisait
profession d'une continence ^ parfaite ; et
qu'il prit ' le nom de Paul après avoir
dompté par les armes de la foi l'orgueil du
proconsul de ce nom, en signe de cette vic-
toire. Il met le martyre des apôtres saint
Pierre et saint Paul sous " le règne de Né-
ron ; en sorte néanmoins que saint Pierre
souffrit le premier. Il dit en un endroit que '
saint Thomas toucha véritablement les plaies
du Sauveur; mais ailleurs" il semble en
douter, sur ce que l'Évangile n'assnre pas
ce fait, et qu'il s'est pu faire que, Jésus-Christ
ayant offert à cet apôtre de les toucher, il
n'en eut pas la hardiesse. A l'égard de saint
Jean, il s'exprime ainsi. « Il y en a " qui
croient qu'il n'est pas mort, en quoi ils se
fondent sur ces paroles de Jésus-Christ : Si
je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne,
et sur des écritures apocryphes ; » mais le
saint Docteur rejette cette opinion et la com-
bat, étant certain, dit-il , que '- son sépulcre
était à Éphèse. Il s'appuie encore sur le té-
moignage même de cet évangéliste, qui nous
fait remarquer que le Seigneur n'avait pas
dit de lui, qu'il ne mourrait pas. Le pape Cé-
lestin, contemporain de ce Père, exhorte"
les évêques du concile d'Éphèse à suivre
les instructions de saint Jean , dont ils
avaient, dit-il, le bonheur d'honorer les re-
liques et de les avoir auprès d'eux. Ces évê-
ques relèvent "* aussi la ville d'Éphèse à
cause qu'elle possédait ce divin théologien ;
et ceux qui y étaient venus de Syrie se
plaignirent" de ce qu'on les avait empêchés
d'aller baiser les tombeaux des martyrs, et
particulièrement celui de saint Jean.
42. «C'est avec grande raison que "l'on j,,
croit que ce que toute l'Église tient, et que
l'on ne voit point avoir été étabh par aucun
concile, mais qui a toujours été observé, ne
peut venir que de la tradition apostolique.
Quant à ce que " nous observons par tradi-
tion, si on l'observe par toute la terre, nous
devons croire qu'il a été ordonné par les
apôtres ou par les conciles généraux, com-
me la célébration annuelle de la passion, de
la résurrection , de l'ascension de Jésus-
Christ, et de la descente du Saint-Esprit.
Quoique nous n'ayons par écrit aucun pré-
cepte des apôtres touchant la vahdité du
baptême donné par les hérétiques, on doit
croire néanmoins que '' la coutume qu'on
opposait à saint Cyprien, avait tiré son ori-
gine de la tradition, et qu'il en est de même
de plusieurs autres choses observées dans
l'Éghse, que l'on a raison de croire avoir été
ordonnées par les apôtres : ainsi, il ne faut
ni mépriser " ni estimer superflue la cou-
Snr
liOD.
Lib. contra Àdimantum, num. 5, pag. 139.
2 August., in Psal. cxss, num. 6, pag. J464.
3 Serin. 253, cap. iv, num. 5, pag. 1046.
' Se7-m. 296, num. 6, pag. 1199 et 1202.
'^ Tract. 122 in Joan., num. 4, pag. 811.
8 Lib. De Opère monachorum, cap. xxxii, pag.
501.
' Lib. Vltl Conf., cap. iv, pag. 148.
8 Serm. 296, num 7, pag. 1201.
s Tract, i in Epist. Joan., num. 3, tom. ni,
pag. 828.
1° Tract. 121 in Joan. num. 4, pag. 809.
" Tract. 124 in Joan. pag. 820.
>- August., ibid. pag. 819.
13 Tom. Ht Concil. pag. 615.
»'- Ibid., pag. 574. — '■^ Ibid., pag. 603 et 606.
"î Quod universa tenet Ecclesia, nec conciliis ins-
titutum, sed semper retentum est, nonnisi auc-
toritate aposloUca traditum reclissimc creditur.
August., lib. IV De Bapt., cap. xxiv, num 31, pag.
140, tom. L\,
i' Illa autem quœ non scripta, sed tradita cus-
todimus, quœ quidem toto tfrrarnm orbe servan-
tiir, datur intelligi vel ab apostolis vel plenariis
conciliis commendata atque statula retineri, si-
cuti quod Domini passio et resurrectio et ascen-
sio in cœlum, et adoentus de cœlo Spirilus Sancti,
anniversaria solemnilate celebrantur, et, si quid
alnid laie occnrrit quod servatur, ab unioersa
quacumque se diffundit Ecclesia. August., Epist.
54, num. 1, pag. 124.
'8 ApostoU autem nihil quidem exinde prœcepe-
runt; sed consueludo illa quœ opponebatur Cy-
priano, ab corum traditione exordium sumpsisse
credenda est, sicut sunt multa quœ universa te-
net Ecclesia, et ob hoc ab apostolis prœcepta bene
creduntur, quanquam scripta non reperiantwr.
August., lib. V De Baptismo, cap. xxni, num. 31
pag. 156 : vide lib. II De Bapt.,rmm. 12, pag. 102.
1^ Consnetudo tamen matris Ecclesiœ in bapti-
sandis parvulis nequaquam spernenda est, neque
«i/o modo super/lua deputanda, nec omnino cre-
[iV ET V* SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
tume qu'a l'Église de baptiser les enfants ;
mais aussi ne serait-elle point recevable si
cet usage n'était fondé sur la tradition des
apôtres. C'est sur cette tradition que ' l'É-
glise n'admet aucun homme à l'autel qui
n'ait reçu le baptême, et que ^ lorsque quel-
qu'un est mort dans la communion du corps
et du sang de Jésus-Cbrist, on prie pour lui
dans l'endroit du sacrifice où l'on recom-
mande les morts. L'usage où est l'Église de
chanter Alléluia pendant le temps pascal
vient' encore d'une ancienne tradition.»
43. L'on peut considérer les Pères de
l'Église comme des hommes d'une vie sainte
à la véiité , mais néanmoins sujets à se trom-
per dans les choses qu'ils enseignent selon
leur propre espi-it et leurs connaissances
particulières. C'est dans ce sens que saint
Augustin dit ' que « nous ne devons pas con-
sidérer les traités des écrivains ecclésiasti-
ques, quoique très-catholiques et dignes
d'estime, comme les livres canoniques ; en
sorte qu'il ne nous soit pas permis, sauf
le respect qui lem' est dû, d'improuver ou
de rejeter quelque chose dans leurs écrits,
si nous les trouvons contraires à la vérité
que nous avons découverte ou qui l'a été par
d'autres. C'est, ajoute-t-il, la disposition dans
laquelle je suis à l'égard des écrits des autres.
EYEQUE D'HIPPONE,
619
et où je veux que les autres soient à l'égard
des miens. » Il disait ^ dans le même sens à
Vincent le rogatiste : « Cessez, mon frère,
de prétendre éluder tant d'autorités de l'É-
crilure, si claires et si incontestables, par ce
que vous pourriez ramasser dans les écrits,
soit des évêques, qui, comme Hilaire, ont
vécu dans notre communion, depuis que
vous en avez fait mie à part, ou de ceux qui
vivaient au temps où l'unité n'était pas en-
core divisée parle schisme de Douât, comme
Cyprien et Agrippin. Car il y a une grande
différence entre l'autorité des livres canoni-
ques et celle de ces auteurs ; et il ne faut pas
croire que ce qu'on en lit ou qu'on en cite,
nous doive tenir lieu de loi, et qu'il ne soit
pas permis d'être d'un sentiment contraire
sur des choses où ils pourraient en avoir eu
de contraires à la vérité. » Mais saint Au-
gustin parle tout autrement de l'autorité des
Pères, lorsqu'il les regarde comme témoins
de la tradition apostolique. C'est ce que l'on
voit dans son second livre contre Julien, où
il s'exprime ainsi ^ : « Je me suis proposé de
faire tomber tous vos arguments par le
poids de l'autorité des saints évêques qui
ont vécu avant nous, et qui ont vigoureuse-
ment défendu la foi catholique de vive voix,
et par les écrits qu'ils ont laissés à la posté-
denda, nisi aposlolica esset traditio. August.,
lib. X De Genesi ad litter., cap. sxni, num. 39,
pag. 272. -
' Ipsa denique Ecclesia, sic traditum tenet, ut
hominem sine baptismo ad altare prorsus non
possit admittere. August., lib. II De Bapt., cap. siv,
num. 19, pag. 107.
2 Hoc enim a Patribus traditum universa ob-
servât Ecclesia, ut pro eis quiin corporis et san-
guinis Cliristi communione defuncti sunt, cum
ad ipsum sacriftcium loco suo commemorantur,
oretur, ac pro illis quoque id offeri commemo-
reiur. August., Serm. 172 de verbis Apost., cap. n,
pag. 8|7.
' No\ enim sine causa consuetudinem antiquœ
traditioMs tenet Ecclesia, ut per istos quinqua-
ginta dies: Alléluia dicatur. August., Serm. 232,
cap. rs, mim. 9, pag. 1042.
' Neque enliin quonmlibet disputationes quam-
vis catholicorèvi etlaudatorum hominum, vehit
Scripturas canonicas habere debemus, ut nobis
non liceat salva honorificentia, qiiœ illis debetur
hominibus, aliquid in eorum scriptis improbare
alque respuere, si forte invenerimus quod aliter
senserint quam veritas habet, divino adjutorio
velab aliis intellecta, vel a nobis. Talis ego sum
in scriptis aliorum, taies volo esse intellectores
meorum. August., Epist. 148, cap. iv, num. 15,
pag. 502.
^ Noli ergo, frater, contra divina, tam multa.
tam Clara, tam indubitata testimonia, colligere
velle calumnias ex episcoporum scriptis , sive
nostrorum, sicut Hilarii ; sive, antequam pars
Donatisepararetur, ipsius unitatis, sicut Cypriani
et Agrippini : primo, quia hoc genus litterarum
ab auctoritate canonis distinguendum est. Non
enim sic leguntur, tanquamitaexeis teslimoniuni
proferatur, ut contra sentire non liceat, sicubi
forte aliter sapuerimt quam veritas postulat.
August., Epist. 93, cap. x, num. 35, pag. 245.
« Sed jam quid egerimus, per totum istum li-
brum, in summam sicui possumus breviter colli-
gamus. Proposuimus hic mole sanctorum, qui
episcopi ante nos, non solum sermone, cum hic
viverent, verum etiam scriptis quœ posteritati
relinquerent, fidem catholicam strenue defende-
runt, vestra argumenta confringere hoc au-
tem probavimus catholicorum auctoritate sanc-
torum, qui et hoc asserunt, quod de originali
peccato dicimus, et illa quinque esse vera omnia
confitentur, ac per hoc non est consequens ut hoc
falsum sit, quia vera sunt illa. Taies quippe ac
tanti viri secundum catholicam fidem quœ anti-
quitus toto orbe diffunditur, et hoc et illa vera
esse confirmant ; ut vestra fragilis et quasi argu-
tata novitas sola auctoritate conteratur illorum
prœlerquam quod ea dicunt, ut si per eos loqui
veritas ipsti testetur. August., lib. II Contra Jun
lian., cap. ix, num. 31, pag. 545-SiO.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
620
rite. Nous avons prouvé par leurs témoigna-
ges, qu'ils enseignent la même chose que
nous touchant le péché originel, et qu'ils re-
connaissent aussi avec nous que ces cinq
choses dont vous convenez sont véritables.
On ne peut donc pas conclure de ce que ces
choses sont vraies, que ce que nous lisons du
péché originel soit faux : car tous ces grands
hommes, suivant la foi catholique répandue
dans les premiers temps dans tout l'univers,
établissent le dogme du péché originel, aussi
bien que les autres vérités dont vous conve-
nez avec nous; de sorte que leur autorité
toute seule est capable de renverser toutes
vos nouveautés et de briser vos faibles argu-
ments. A quoi il faut ajouter, qu'en disant
ces choses, il ont eu dessein de faire parler
la vérité par leur bouche. En quelque en-
droit que vous soyez * ; en quelque endroit
que vorjg puissiez hre ce que j'écris, je vous
appelle au tribunal de votre conscience, de-
vant ces juges. Vous ne pouvez dire que je
les ai choisis pour les arbitres de noti'e dis-
pute, parce qu'ils sont mes amis et vos en-
nemis ; qu'ils sont portés h me favoriser, à
cause de quelque service que je leur aie ren-
du , ou qu'ils sont indisposés contre vous à
cause de quelque peine que vous leur ayez
faite. Je n'ai pas choisi des juges imaginai-
res qui n'ont jamais été et qui n'existent pas,
ou qui ne se soient pas expliqués clairement
sur ce qui fait le sujet de notre dispute.
Mais j'ai nommé par leurs noms, comme il le
fallait, de saints évoques, célèbres dans l'E-
glise, et tous fort habiles dans la science des
livres sacrés. J'ai rapporté avec ordre, autant
que cela a été nécessaire, leurs passages qui
sont clairs, afin de vous faire craindre, non
pas tant leur jugement, que celui de Dieu
qui les a formés pour lui servir d'instruments,
et qui en a fait des temples consacrés à son
honneur. Mais ce qui donne le plus de poids
à leur jugement sur ce qui fait le sujet de
notre controverse, c'est qu'il a été porté
dans un temps où personne ne saurait dire
qu'ils aient pu vouloir mal à propos, ou fa-
voriser quelqu'un de nous, ou lui être con-
traires. Car vous ne nous aviez pas encore
donné lieu de vous attaquer sur ce point de
doctrine ; vous n'étiez pas encore au monde.
Vous avez dit vous-même, que pour juge?' se-
lon l'équité, un juge ne doit avoir ni haine, ni
amitié, ni inimitié, ni colère. On trouve peu
de personnes qui soient dans cette situation ;
mais on ne peut douter que saint Ambroise,
et ses autres collègues que je lui ait joints,
n'y aient été. Quand même ils n'auraient pas
été dans une telle situation par rapport aux
questions qui ont été agitées de leur temps,
et sur lesquelles ils ont prononcé après avoir
entendu les parties, on ne peut nier qu'ils
n'aient été tels par rapport à notre dispute,
lorsqu'ils ont dit leurs sentiments sur ce qui
en fait le sujet. Ils n'étaient liés d'amitié ni
avec vous ni avec nous; ils n'étaient ni vos
ennemis ni les nôtres; ils n'étaient en colère
ni contre vous, ni contre nous, et la compas-
sion ne pouvait les porter à favoriser les
uns plutôt que les autres. Ils ont gardé le
dépôt sacré de la doctrine qu'ils ont trouvée
' At ego, ubicii/mque sis, ubicumque légère ista
potueris, te ante istos judices. intiis in luo corde
consUluto, quos non amicos meos et inimicos
iuos, aliqua in meam partem gratta propenden-
tes, aliquo abs te inerito tuœ offensionis aver-
sos, et ob hoc tibi adversos, in hac nostra dis-
ceptatione constitin cognitores. Nec eos qui
nunquam fiierunl aut non sunt, aut qtiorum
sententiœ de hoc quod inter nos disputatur in-
certœ simt, inani cogitalione confinxi; sed, sanc-
los et in sancla Ecclesia illustres antistiles Dei,
non platonicis et aristotelicis et zenonicis aliis-
que hujusce modi, vel Grœcis vel Latinis, quam-
quam et islis aliqnos eorum, veruin omnes sacris
litteris eruditos, nominatim sicut oporlebat ex-
pressi; eorumque sententias, quantum sufficere
videbatur, sine ulla éditas ambiguilate digessi,
ut in eis timeas, non ipsos, sed illum quisibi eos
utilia vasa formavit, et sancta templa construxit ;
qui tune de isla causa judicaoerunt quando eos
nemo potest dicere perperam cuiquam vel adver-
sari vel favere potuisse. Nondum enim exstite-
ratis, contra quos susciperemus de hac quœstione
conflicttmi certe ipse dixisti, quod omnes judi-
ces ab odio, amicitia, inimicitia, ira vacuos esse
deceat. Pauci taies potuerunt inveniri; sed Am-
brosium aliosque collegas ejus, quos cum illo
commemoravi, taies fuisse credendum est. Ve-
j'WHi et si taies non fuerunt in his cattsis, quas ad
se delatas et iflter pirtes cognitas, cum hic vive-
rent suo judicio finienmt; adhanc tamen causam
taies erant, quando de illa sententias protulerunt ;
nullas nobiscum vel vobiscum amicitias attende-
runt vel inimicitias exercuerunt ; neque nobis ne-
que vobis irati sunt, neque nos neque vos miserati
sunt. Quod invenerunt in Ecclesia, lenueruni;
quod didicerunt, docuerunt; quod a Patribus ae-
cepenmt, hoc fîliis tradidertmt. Nondum vobiscum
apud istos judices aliquid agebamus, el apud eos
acla est causa nostra. Nec nos nec vos eis noti
fueramus, et eorum pro nobis latas contra vos
sententias recitamus. Nondum vobiscum certaba-
mii,s, et, eis pronunlianlibus, vicimus. August.,
Contra Julianum pelag., lib. Il , mim. xxxiv,
pag. 549.
[rv° ET Y" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
621
clans l'Église ; ils ont enseigné ce qu'ils ont
appris ; ils ont laissé à leurs successeurs ce
qu'ils avaient reçu de leurs pères. Nous n'a-
vions point encore porté nos différents à
leur tribunal, et ils avaient déjà prononcé
un jugement définitif sur notre affaire. Nous
n'étions point connus d'eux non plus que
vous ; et ils out jugé en notre faveur comme
nous le faisons voir. Il n'y avait point encore
de dispute entre vous et nous ; et sur leurs
avis, nous avions déjà gain de cause. »
Aâ « L'autorité des conciles généraux ou
pléniers ' est très-grande et très-salutaire
dans l'Église ; mais ceux qui ne sont assem-
blés que des nations ^ ou des provinces, cè-
dent sans difh'culté à ceux qui sont convoqués
de tout le monde chrétien. Il arrive même
quelquefois que les conciles pléniers sont
corrigés par d'autres, lorsque quelque nou-
velle expérience des choses fait découvrir ce
qui était caché, et connaître ce qu'on igno-
rait, et qu'on y procède sans aucun élément
d'un orgueil sacrilège, sans aucune enflure
d'une arrogance présomptueuse, sans aucune
piqué d'une jalousie envenimée ; mais avec
une humilité sainte, avec une paix catholi-
que, avec une charité chrétienne. Cela toute-
fois doit s'entendre des choses de discipline,
et de fait ou personnel ou historique, et non
des choses qui regardent la foi : car la règle
de la foi est unique, seule, immobile et irré-
vocable. Mais cette loi demeurant ferme ',
le reste qui regarde la discipline et le règle-
ment des mœurs, peut recevoir quelque nou-
veau changement et quelque nouvelle cor-
rection. »
Saint Augustin ne peut avoir entendu au-
tre chose lorsqu'il a dit que les premiers
conciles pléniers étaient souvent corrigés par
ceux qui les suivent, puisque jusqu'à son
temps, il n'y a point eu de concile général,
légitime et approuvé de l'Église, qu'on puisse
dire avoir corrigé les déterminations de la foi
faites dans un concile précédent. Le concile
général de Constàntinople, qui est le dernier
des œcuméniques assemblés'avant saint Au-
gustin, condamna une nouvelle hérésie contre
la divinité du Saint-Esprit, qui était celle de
Macédonius ; mais il n'ajouta rien, et ne corri-
gea rien à ce qui avait été déterminé dans le
concile général de Nicée, ni dans celui de Sar-
dique, touchant la divinité de Jésus-Christ. II
n'y eut que le coucile de Rimipi , dont on
pourrait dire qu'il auraittenté de faire quelque
changement au concile de Nicée, parla sup-
pression du terme consubstantiel , mais il n'a
pas eu toutes les conditions requises à un
concile légitime, et il a été rejeté de toute
l'Église. On pourrait objecter un endroit da
second livre contre Maximin , où saint Augus-
tin parait faire peu de cas du concile de Ni-
cée : Je ne dois point, lui dit-il*, citei'' ce con-
cile, ni vous celui de Rimini. Je ne suis point
touché de l'autointé de celui-ci , ni vous de l'au-
torité de celui-là. Mais il faut remarquer que
ce saint évèque parlait ainsi par ime espèce
de condescendance, et pour ne pas prolonger
aveccet arien la dispute sur la validité du con-
cile de Nicée, et l'invalidité de celui de Rimini,
dont Maximin se serait prévalu. Il s'abstient
donc des preuves tirées des conciles, pour
venir à celles de l'Écriture, qui lui semblaient
invincibles et qui ne pouvaient être rejetées
de son adversaire. « Que l'affaire, lui dit-il,
combatte ^ contre l'affaire, la cause contre
la cause, la raison contre la raison, par les
autorités des saintes Écritures, qui ne sont
point des témoins particuliers à aucun de
nous , mais qui nous sont communes à tous. »
Ce saint Docteur ne laisse pas de dire ^ qu'il
1 Conciliorum plenariorv.m estinEcclesia salu-
berrima auctoritas. August., Epist. S4, num. 1,
pag. 124.
2 Quis autem nesciat ipsa concilia quœ per
singulas regiones vel provincias jixmt, plenario-
rum conciliorum, auctoritati quœ fiunt ex uni-
verso orbe christiano, sine ullis ambagibus cé-
dera, ipsaque plenaria, sœpe priora posterioribus
emendari; cum aliquo expérimenta reruni aperi-
tur quod clausum erat, et cognoscitur quod late-
bat, sine ullo typho sacrilegœ superbiœ, sineulla
inflata cervice arrogantiœ, sine ulla contentione
lividœ invidiœ, cum sancta humilitate, cum pace
calholica , cum charitate christiana. August.,
lib. II De Bapt., cap. nr, num. '', pag. 98.
^ Hac lege fidei manente, cœtera jam discipli-
na; et conversaiionis, admittunî novitatem cor-
rectionis. Tertull. lib. De Virgin, velandis, cap. i,
pag. 192, edit. Rigalt.
'' Sed nunc nec ego Nicœnum, nec tu debes Ari-
minense tanquam prœjudicaturus proferre con-
cilium. Nec ego hujus auctoritate, nec tu illius
detineris : Scripturarum auctorilaiibus, non quo-
rumque propriis, sed utrisque comniunibus testi-
bus, res cum re, causa cum causa, ratio cum ra-
tione concertet. August. , lib. Il Contra Maximi-
num arianum, cap. xiv, num. 3, tom. VIII, pag.
704.
i" August., ibid.
'^ Eud vero congregatione synodi opus erat, ut
aperta pernicies damnaretur ; quasi nulla hœre-
s aliquando 7iisi synodi congregatione dam-
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
622
n'était iiallement besoin d'assembler un con-
cile universel pour condamner une hérésie
aussi manifeste que celle des pélagiens. La
raison qu'il en donne, c'est qu'il y avait très
peu d'hérésies pour la condamnation des-
quelles il avait été jugé nécessaire d'as-
sembler un concile, et qu'il yen avait in-
comparablement davantage qui avaient été
condamnées dans les lieux de leur origine,
et dont la condamnation s'était répandue de
là par toute la tei're. « Cependant ajoute-t-
il, la vanité des pélagiens A'eut avoir la satis-
faction de donner la peine aux évêques d'O-
rient et d'Occident de s'assembler pour l'a-
mour d'eux; et pai'ce que, le Seigneur s'op-
posant à leurs desseins, il ne peuvent pas
pervertir le monde catholique, ils tâchent
au moins de le troubler. Mais la vigilance et
la diligence des pastem-s doivent terrasser ces
loups partout où ils paraîtront après ce ju-
gement compétent et sulfisantqui a été poi'té
contre eux, afin que par ce moyen ils se cor-
rigent et se changent, ou qu'ils ne soient
plus en état de corrompre les autres. Voire
cause, leur dit-il encore \ vient d'être finie
devant des évêques qui en sont les juges
compétents; il n'y a plus rien à examiner
avec vous, mais seulement à vous faire exé-
cuter en paix la sentence qui a été pronon-
cée contre vous. Que si vous ne voulez point
y acquiescer, il faut réprimer votre inquié-
tude turbulente et artificieuse. L'on a déjà
envoyé - sur votre affaire le résultat de deux
conciles au siège apostolique; les rescrits en
sont venus, la cause est finie ; plaise à Dieu
que l'erreur finisse un jour ? Pourquoi de-
mandez-vous encore ^ un examen de votre
cause, puisqu'il a déjà été fait par le Siège
Apostolique, et par le jugement des évêques
de Palestine, où Pelage, l'auteur de votre
hérésie, aurait été condamné, s'il n'avait pas
condamné lui-même les dogmes que vous
défendez maintenant? Il n'est donc pas né-
cessaire que les évêques examinent encore
votre hérésie ; c'est aux puissances chrétien-
nes à la réprimer. »
Saint Augustin convient néanmoins que '
la dispute sur le baptême des hérétiques
entre saint Etienne et saint Cyprien ne put
être terminée que par un concile plénier,
et après avoir été discutée et examinée
longtemps dans des assemblées d'évôques :
«Car, comment^, dit-il, cette question, si
enveloppée de tant d'obscurités, aurait-elle
pu parvenir à être éclaircie et confirmée
dans un concile plénier, si elle n'avait été
agitée en des temps et des endroits difle-
reuts par les évêques? Cela n'avait point en-
core été fait du temps de saint Cyprien ", et
toute la terre eu demeurait à la coutume que
nala sit ; cumpotius rarissimœ inveniantur, pr op-
ter qvas dainnandas nécessitas talis exsliterit,
multoque sint atque incomparabiliter plures,
quœ, ubi exsliterunt, illic improhari atque dam-
nari meruerunt, atque inde per cœteras terras
devittindœ innotescere potuerunt. Verum istorum
superbia hanc etiam cjloriam captare iiileili-
gilur, ut propter illos Orientis et Occidentis sy-
nodus congregelur. Orbem quippe catholicum,
guoiiiam Domino eis resistente pervertere ne-
queunt, salteia commouere conantur; cum po-
tins vigilantia et diligentia pastorali post facliun
de mis competens sufficiensque judicium , iibi-
cumque isli Inpi apparuerint , conterendi sint,
siveut sanentur atque mutentur, sioe nt ab alio-
rnm sainte atque integritate vitenlur. Aiigiist.,
lib. IV Contra Duas Epist. pelagian., cap. xir,
num. 34, tom. X, p. 492 et 493.
' Vestravero apud competens judicium comnm-
nium episcoporum modo causa finila est : nec
amplius vobiscum agendum est quantum ad jus
examinis pertinet, nisi nt prolatam de hac re
sententiam campace scquamini ; quod si nolue-
ritis, a turbulentavel insidiosa inquietudine cohi-
beamini. Augnst., lib. Ht Contra Julian., cap. i,
nuin. 5, pag. 55o.
2 Jam enim de hac causa duo concilia missa
sunt ad Sedem Àpostolicam, inde eliam rescripta
venerunt. Causa finila est; ntinam aliquando
finiatur errer! August., Serm. 131, cap. x, num. lO,
tom. V, pag. 645.
3 Quid adhucquceris examen, quod jam factura
est apud Àpostolicam Sedem ? Quod denique jam
faclum est in episcopali judicio Palestino, ubi
Pelagius, vestri auctor erroris, procul dnbio dam-
natus esset, nisi ista, quce tu défendis, dogmata
'vestra damnasset. Damnataergo fiœresis ab epis-
copis non adliuc examinanda , scd coercenda est
a potestatibus cliristianis. August., lib. Il Oper.
imperf. cap. cm, pag. 993.
* Quoviam qiiœstionis liiijus obscuritas prio-
ribus Ecclesiœ temporibus ante schisma Donati
magnos viras et magna charitate prœdilos Pa-
tres episcopios iia inter se compulit salva pace
disceptare atque flucluare, ut diu coitciliorum' in
suis quibusque regionibus diversa statuta nuta-
verint; donec plenario lotius orbis concilio. quod
saluberrime sentiebatur etiam remotis dubita-
tionibus , firmaretur. August. , lib. I De liapt.,
cap. VII, num. 9, pag. 84.
^ Quomodo enim potûit ista res tantis alierca-
tionum^ nebulis involuta, ad plenarii concilii lu-
culenlam illustrationem. confirmationemque per-
du ci, nisi primo diutius per orbis terrarum re-
giones, multis hinc atque hinc disputationibus et
collationibus episcoporum pertracta constaret.
August, lib. 11 De Bapl., cap. iv, lumi. 5, pag. 98.
^ Nondum autem factwin erat, quia consuetudi-
[1Y° ET V SIÈCLES.]
l'on opposait toute seule à ceux qui voulaient
introduire quelque nouveauté, parce qu'on
ne pouvait pas alors découvrir la véi'ité ;
mais enfin , la chose ayant été traitée et
agitée par plusieurs personnes, non-seule-
ment ou a trouvé la vérité , mais ou l'a con-
firmée par l'autorité et la force d'un concile
plénier. » Comme on l'a dit' ailleurs (il s'agit
du concile assemblé à Arles) le même Père
dit '•' aux donatistes qu'après le jugement
rendu contre eux par le pape Melcliiade et le
concile de Rome, il leur restait encore le
concile plénier de l'Église universelle, où
l'affaire pouvait être traitée avec les juges
mêmes qui avaient rendu cette sentence,
afin que, s'ils étaient convaincus d'avoir mal
jugé , elle fût cassée.
4.^. Le saint Docteur s'exprime ainsi sur
l'Église et sa catholicité : « Nous devons
nous tenir' attachés à la religion chrétienne
et à la communion de cette Église , qui est
catholique , et connue sous ce nom , non-
seulement par les siens , mais même par ses
ennemis ; car les hérétiques et les schisma-
tiques sont contraints, malgré eux, de l'ap-
peler catholique , lorsqu'ils en parlent avec
les étrangers , et non avec ceux de leur secte,
ne pouvant se faire entendre en parlant de
cette Église , s'ils ne la distinguent des au-
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
623
très par le nom qui lui est donné dans toute
la terre, n Les motifs* qui retenaient saint
Augustin dans cette Église étaient le consen-
tement des peuples , l'autorité commencée
par la foi des miracles, nouri'ie par l'espé-
rance, augmentée par la charité, affermie
par l'antiquité ; la succession des évoques
dans le Siège de saint Pierre , et le nom de
catholique, qui est demeuré tellement propre
à cette Église enti'e tant de sectes, que, quoi-
que les hérétiques désirassent extrêmement
d'être nommés catholiques, toutefois quand
un étranger demande où est l'Église catholi-
que, aucun d'eux n'ose montrer ni sa basi-
lique , ni sa maison. Il appuie souvent sur
cette marque de la vraie Égiise , faisant ob-
server cjue toutes les sectes d'hérétiques lui
imposaient différents noms '', tandis que cha-
cune d'elles en avait un propre , qu'elle ne
pouvait désavouer ; « ec qui fait connaître,
dit-il, au jugement des personnes équitables,
à qui appartient le nom de catholique,
qu'elles voudraient toutes s'attribuer. » Ré-
pondant aux pélagiens , qui trouvaient mau-
vais qu'on donnât à ceux de leur commii-
nion le nom de secte, et qui s'en consolaient
sur ce que les ariens avaient appelé les ca-
tholiques athanasiens , il dit° que les ca-
tholiques n'ont été ainsi appelés que par les
nis robore tenebatur orbis terrarum, et hcec sola
opponebatur inducere volentibus novitatem, quia
non poterant apprehendere veritatem. Postea ta-
men duminter multos ex utraque parle tractaiur
et quœritur,non soluni inventa est, sed etiam ad
plenarii concilii auctoritatem roburque perdxicta
est, post Cypriani quidem passionem, sed ante-
quam nos nati essemus, etc. August. , lib. II De
Bapt., cap. IX, num. 14, pag. 104.
» Tom. III, pag. 709 et seq.
' Ecce putemus illos episcopos, qui Romœ ju-
dicanmt. non bonos judices fuisse : restabat
adhuc plenarimn Ecclesiœ universœ concilium ,
ubi etiam cum ipsis judicibus causa posset agi-
tari, ut si maie judicasse convincti essent, eorum
sententiœ solverentur. August., Epist, 43, cap. vn,
num. 19, pag. 97.
3 Tenenda est nobis chrisiiana religio , et ejus
Ecclesiœ communicalio quœ catholica est, et ca-
tholica nominatur , non solum a suis , verum
etiam ab omnibus inimicis. Velint, nolint enim
ipsi quoque hœretici , et schismatum alumni ,
quando non cum suis sed cum extraneis loquun-
tur , catholicam nihil aliud quam catholicam
vocant. Non enim possunt intelligi, nisi hoc eam
nomine discernant, quo ab universo orbe mm-
cupatiir. August., lib. De fera relig., cap. vu,
num. 12, tom. I, pag. 732.
* Ut ergo hanc omittam sapientiam, quam in
Ecclesia esse catholica non credilis , multa sunt
alia quœ in ejus gremio me justissime teneant.
Tenet consensio populornm atque gentium; te-
net aucloritas miraculis inchoata, spe nutrita,
charitate aucla, vetustate firmata; tenet ab ipsa
Sede Pelri apostoli, cui pascendas oves suas post
resurrectionem Dominus commendavit , risque ad
prœsentem episcopatum. , successio sacerdotum:
tenet postremo ipsum calholicœ nomen , quod
non sine causa inter tam muUas hœreses sic ista
Ecclesia sola obtinuit , ut cum omnes hœretici se
catholicos dici velint, quœrenti tamen peregrino
alicui, ubi ad catholicam conveniatur, nullus
hœreticorum vel basilicam suam vel domum
audeat ostendere. August., lib. Contra Epist. fun-
dan., cap. iv, num. 5, pag. 133, tom. VIU.
^ Una est catholica, cui hœreses alia diversa
nomina imponunt, cum ipsœ singulœ propriis
vocabulis, quœ negare non audeant, appellentur.
Ex quo intelligi datur, judicantibus arbitris
qiws nulla impedit gratta, cui sit catholicum
nomen, ad quod omnes ambiunt, tribuendum.
August., lib. De Utilit. credendi , cap. vu, num. 19,
tom. VIII, pag. 57.
s Athanasianos vel Homousianos ariani catho-
licos vocant, non et alii hœretici. Vos autem non
solum a catholicis sed etiam ab hœreticis, vohis
similibus et a vobis dissentientibus, pelagiani
vocamini; quemadmodum non tantum a catho-
licis, sed ab hœresibus etiam vocantur ariani.
August., lib. I Oper. imperf., num. 75, pag. 919,
tom. X.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
624
ariens, a Mais pour vous, ajoule-t-il, Ce ne
sont pas seulement les catholiques, mais les
autres hérétiques d'un sentiment différent
du vôtre, qui vous appellent pélagiens ,
comme les ariens sont appelés de ce nom
par tous les hérétiques aussi Lien que par
les catholiques.» Il est bon de remarquer que
le terme de catholique est moins un nom de
doctrine et de croyance qu'un nom de com-
munion. Ainsi, ceux qui ont la même foi que
l'Église, mais qui s'en sont séparés par le
schisme, n'ont point de part à ce nom. « D'où
vient, dit-il, que si vous demandez à un hom-
me's'il est païen ou chrétien, il répond qu'il
est chrétien? Si vous lui demandez s'il n'est
peut-être pas catéchumène, dans la crainte
qu'il ne s'approche des sacrements , il répond
qu'il est fidèle. Si vous lui demandez de
quelle communion, il répond qu'il est ca-
tholique. » On voit par là que ce qui fait la
différence des catholiques d'avec les autres,
c'est la communion avec l'Église répandue
dans tout le monde, où les hérétiques et les
schismatiques sont séparés. C'est pourquoi
dans la Conférence de Carthage ^ les dona-
tistes , voulant s'attribuer faussement le nom
de catholiques, et ne le pouvant faire dans
la vraie signification de ce terme, crurent
que, pour se distinguer des autres évêques,
qui se donnaient , avec justice , le titre de
catholiques, parce qu'ils étaient dans la com-
munion de l'Église catholique , ils devaient
s'appeler dans leurs signatures les évêques de
la vérité catholique, tandis que les autres si-
gnaient simplement : Evêques de l'Eglise ca-
tholique.
Une preuve de l'antiquité et de la vérité
de l'Église catholique est la succession con-
tinuelle et non interrompue des évêques , en
remontant jusqu'aux apôtres. Saint Augustin
marque* celle des évêques de Rome depuis
saint Pierre, auquel, parce qu'il représentait
toute l'Église , le Seigneur a dit : Sur cette
pierre j'édifierai mon Eglise, etc. « A saint
Pierre succéda Lin ; à Lin succéda Clément ;
à Clément , Anaclet ; à Anaclet , Évariste ; à
Évariste, Alexandre ; à Alexandre, Sixte; à
Sixte, Télesphore ; à Télesphore, Hygin; à
Hygiu, Anicet; à Anicet, Pie; à Pie, Soter;
à Soter, Éleuthère ; à Éleuthère , Victor; à
Victor, ZéphirJn; à Zéphirin, Callixte; à
Callixte , Urbain; à Urbain , Ponthien ; à Pon-
thien , Anthère ; à Anthère , Fabien ; à Fa-
bien , Corneille ; à Corneille , Luce; à Luce ,
Etienne ; à Etienne, Xyste ; à Xyste, Denis ;
à Denis , Félix ; à Félix, Eutichien ; à Euti-
chien, Gaïus ; à Gaïus, Marcellin ; à Mar-
cellin, Marcel; à Marcel, Eusèbe; à Eusèbe,
Melchiade ; à Melchiade , Sylvestre ; à Syl-
vestre, Marc ; à Marc, Jules ; à Jules, Libère ;
à Libèi-e, Damase; àDamase, Sirice; à Si-
rice, Anastase. Dans cet ordre de succes-
sion, il ne se trouve aucun évéque dona-
tiste ; mais ils en ont envoyé un d'Afrique,
ordonné dans cette province, lequel ayant
présidé à Rome à quelques africains, leur a
fait donner le nom de montagnards ou d'eut-
zupiies. »
Saint Augustin tire encore ailleurs un ar-
gument de cette succession des évêques de
Rome, contre les donatistes, pour montrer
que ce siège est cette pierre * contre laquelle
' Quœris, paganus es, an christianus? respon-
det, christianus : ovis est enim Dei. Quœris, ne
forte cathecunienus sit et irrimt sacramentis ?
respondet, fuleiis. Quœris, cujus communionis sit?
respondet, caUiolims. August., Serm. 46, de pasl.
in Ezech. 34, pag. 241.
2 Gesta collât. Cîvrthaginensis diei tertiœ., num.
258. Operum. Optati, colum. ], pag. 485, novje edi-
tionis.
' Si enim ordo cpiscoporvm sibi succedentium
considerandus (st, qiianio certivs et vere salubri-
ter ab ipsoPctro numeramus, «ti lolius Ecclesiœ
figiiram gercnti Doininus ait : Super hnno Pctram
œdifinabo Ecclesiam meam, et portce inferorum non
•Vincent eam. Petro enim successit Linus : Lino,
Clemtns; démenti, Ànaclelus; Anaclclo, Ei'aris-
tus; Evaristo, Alexander ; Alcxandro, Sixtus;
Sixte, Thelespliorus; Thelesphoro, Iginns; Igino,
Anicetus; Aniceto, Pins; Pio, Saler ; Soteri, Eteu-
therius; Eleiitherio, Victor ; Victori, Zephirinus;
Zephirino, Calixlîis; Calixto, Urbanus; Urbano,
Pontianus; Pontiano, Antherus; Anthère, Fabia'
■mis; Fabiane, Cornélius'; Cornelie, Lucius ; Lu-
cio , Stephanus ; Stéphane, Xysttis ; Xyste, Dio-
nysius; Dienysie, Félix; Felici, Eutychianus;
Eulychiano, Gaius; Gaie, Marcellinus; Marccllino,
Marcellus; Marcello. Eusebius; Eusebie, Miltiadcs;
iUlli'idi, Sylvester; Syloestro, Marcus ; Marco,
Julius; Julio, Liberius; Libcrie, Damasus; Da-
maso, Siricius ; Siricio, Anastasius.In hoc erdine
successionis nulius donalista episcopus inveni-
nilur. Sed ex Iransverso, ex Africa ordinatum
miserunt, qui, pauci.t prœsidens Afris in urbe
Rema, nwntensium vel eutzupilarum vocabulum.
prepagavil. August., Episl. 53, cap. i, num. 2,
pag. 120-121, tom. U.
* Numérale sacerdotes vrl ab ipsa Pétri Sede,
et in erdine illo Patrum; guis cui successit, vi-
dete, ipsa est Pctra guam non vincunt superbœ
inferorum perlœ. August., in PsaL, contrapartem
Donat., pag. 7. tom. IX.
[iT° ET v= siicLEs.] SAINT AUGUSTIN,
les portes de l'enfer ne prévaudront jamais.
Une autre marque de l'Eglise, qui la distin-
gue des sociétés hérétiques, est son étendue
dans toutes les parties de la terre. « Si les
saintes Ecritures ', dit ce Père, ne mettent
l'Eglise qu'en Afrique ou dans un petit nom-
bre de montagnards réfugiés à Rome, ou
dans la maison d'une femme espagnole nom-
mée Lucile, ce sont les donatistes qui com-
posent l'Église. Si elle est réduite à un petit
nombre de Maures, ce sont les rogatistes. Si
c'est à quelques tripolitains et bizacéniens,
ce sont lesmaximiauistes. Si elle est compo-
sée des seuls orientaux, il la faut chercher
parmi les ariens, les macédoniens, les euno-
miens. Et qui pourrait compter toutes les
hérésies répandues dans chaque nation?
Mais si, par des témoignages tirés des Écri-
tures canoniques, nous voyons qu'elle doit
être répandue dans toutes les nations ; que
ceux qui disent : Jésus-Christ est ici, Jésus-
Christ est là, allèguent tout ce qu'ils vou-
dront; écoutons plutôt, si nous sommes les
brebis de Jésus-Christ, la voix de notre Pas-
teur, qui nous dit de ne pas les croire. Car
chacune de ces hérésies ne se trouve point
en beaucoup de lieux où est l'Église ; mais
l'Église, qui est partout, se trouve dans les
lieux où ces hérésies sont répandues. Cher-
chons-la donc, cette Église, dans les saintes
Écritures. Les hérétiques étant ^ les uns en
un lieu et les autres en un autre, combat-
ÉYÊQUE D'HIPPONE.
62B
tent contre l'unité catholique qui est répan-
due partout. L'Église d'où ces hérétiques
sont sortis est partout; mais eux ne peuvent
être partout, puisqu'il est prédit qu'ils di-
ront : Jésus-Christ est ici; il est là. L'Eglise
est partout ' où sont les hérésies des nova-
tiens, ariens et autres novateurs, comme
elle est dans l'Afrique où sont les donatistes;
mais les donatistes ni aucun des autres héré-
tiques ne sont pas partout où elle est ; et c'est
de là qu'il parait quel est cet arbre quelles
étend ses branches par toute la terre, et qui
sont ces branches rompues , n'ayant point
la vie de la racine, et qui tombent chacune
en son lieu. Toutefois, parce que les brebis
errantes sont sur toute la face de la terre, il
ne laisse pas d'être vrai que les hérétiques
sont répandus partout ', mais les uns ici, les
autres la ; en sorte qu'il n'y a pas une secte
hérétique en particulier qui soit répandue
sur toute la face de la terre ; ils ne se con-
naissent pas eux-mêmes. Il y a une secte en
Afrique, une autre en Orient, une en Egypte,
une autre en Mésopotamie. Le parti de Do-
nat est en Afrique, mais les eunomiens n'y
sont point, au lieu que l'Église catholique y
est avec le parti de Donat. Les eunomiens
sont en Orient, les donatistes n'y sont point,
mais l'Église catholique y est ; elle est
comme une vigne qui se répand partout.
Pour eux, ils ressemblent à des sarments
inutiles, coupés par la main du vigneron
1 Si enim sanctœ Scriptii/rœ in Àfrica sola desi-
gnaverunt Ecclesiain, el in paiicis Romœ eutzupi-
tanis vel montensibus, el in domo vel palriiiwnio
uviiis Hispanœ viulieris, quidquid caslris aliis
aliud proferatur, non tentnl Ecclesiain nisi do-
natistœ. Si in paucis Mauris provinciœ Cœsarien-
sis eam sancta Scriptura déterminai, ad rogalis-
tas transeundum est. Si in paucis tripolilanis et
bizacenis et provincialibus, maximianistœ ad eam
pervenerunt. Si in solis orieiitalibus , inter aria-
nos et ewnomianos et macedonianos , et si quis il-
lie sunt, requirenda est; quis autem possit sin-
gulas quasque hœreses enumerare geiitiuin singu-
laruin? Si autem Ctirisii Ecclesia canonicarum
Scriptxwarum divinis et certissimis testimoniis in
omnibus gentibus designata est, quidquid aitule-
rint, et undecumque recilaverint qui dicunt: Euce
hic est Christus, ecce illic. Audiamus polius, si
oves ejus sumus, vocem Pastoris noslri dicentis :
Nolite credere, illœ quippe singulœ inmultis gen-
tibus, uhi ista est, non inveniunlur : hcec autem
quœ ubique est; etiam ubi illœ sunt inveiitur.
Ergo in Scripturis sanctis canonicis eam requira-
mus. August., lib. De Unit. Ecclesiœ , cap. ni,
num. 6, p. 341, tom. IX.
' Àlii quippe hic, alii vero alibi atque alibi hœre-
IX.
ticicum diffusa ubique catholicaunitate confligwnt.
Ubique est enim illa de qua exierunt, qui tsse
ubique minime potuerunt, dicentes secundum id
quod de illis prœdictum est: Ecce hic est Christus,
ecce illic. August., lib. 111 Contra Crescon., cap.
Lxvii, num. 77, pag. 474.
' I\on ergo nobis communicant, sicut dicis, no-
vatiaui, ariani, patripassiaai , valentiniani, patri-
ciaiii, appellitcE, marcionitae, ophitce, ciEteraque, ut
verbis tuis utar, nefariarum pestium , non secta-
rum, sacrilega nomina. Verumtamen, ubicumque
suntisti, illic catholica, sicut in Africa ubi et
vos : non autem ubicumque ca'.holica est, aut
vos estis, ut hœresis quœlib t illarum. Unde ap-
paret quœ sit arbor ramos suos per universam
terram copia uberlatis extendens, et qui sint ranii
fracti non habenlcs vitain radicis, atque in suis
quippe jacenles et arescentes locis. August., Con-
tra Crescon., num. 7o, pag. .521.
'• Quia errantes oves sunt per totam faciem ter-
rœ. Non onines hœretici per totam faciem terrœ.
Alii hic, alii ibi, nusquam tamen desunt : ipsi se
non norunt. Alia secla in Africa, alia hœresis in
Oriente, alia in Mgyplo, alia in Mesopotamia.
August., Serm. 4a, de pastor., num. 18, pag. 234,
tom. V.
40
626
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
visibilité de
l'Eglise.
qui taille sa vigne et ne la détruit point. »
46. Sur la visibilité de l'Ésiise, il s'e.xpiime
ainsi :« L'Eglise, exposée à la vue de tout
le monde \ est cette ville placée sur la
montagne, qui ne saurait être cachée. C'est
par elle que Jésus-Cbi'ist étend son empire
depuis une merjusqu's l'autre, et depuis
le fleuve jusqu'aux extrémités de la terre.
Semblable à la race d'Abrabam, elle s'est
multipliée comme les étoiles du ciel et les
grains de sable de la mer. C'est dans elle que
toutes les nations sont bénites. Le bienheu-
reux martyr Cyprien fait son éloge en disant
qu'elle est éclatante de lumière et qu'elle
répand avec abondance ses rayons par toute
la terre. Elle n'est inconnue ^ ù. personne ni
cachée ^ parce qu'elle i:'est pas sous le
boisseau, mais sur le chandelier, afin qu'elle
éclaire tous ceux qui sont dans la maison.
Elle est toutefois comme cachée aux dona-
tistes, puisqu'entendant des témoignages si
clairs et si manifestes qui la fout connaître
partout le monde, ils aiment mieux aller, les
yeuxfermés, heurter con're celte montagne
sur laquelle elle est placée, que d'y monter.
Par quel signe clair et manifeste, dit saint
Augustin', moi qui suis encore petit, et qui
ne suis pas capable de discerner la vérité
parmi tant d'erreurs, par quel indice, dis-je,
pourrai-je reconnaître l'Église de Jésus-
Christ auquel je suis forcé de croire par la
clarté de tant de merveilles qui ont été pré-
dites de lui? Le prophète satisfaisant par or-
dre à l'agitation de l'esprit de celui qui serait
dans cette peine, lui enseigne que l'Église de
Jésus-Christ est celle qui est visible et qui pa-
raît à tout le monde. Car elle est ce trône de
gloire dont l'Apôtre dit : Le temple de Dieu
est saint, et vous êtes vous-même ce temple. C'est
ce temple dont Jércmie dit : Le trône de gloire
a été exalté. C'est pour lever ces doutes qui
pourraient nuire aux petits et leur être
une occasion de séduction, que le Seigneur,
dans la vue de la clarté de sou Église, dit :
L.a ville, qui est située sur la montagne, ne
peut être cachée. Il ne faut donc point écou-
ter ceux qui veulent attirer les peuples à des
partis et à des sociétés particulières, en di-
sant : Jt'.sus-Christ est là ; le voici. Car ils font
voir par ces termes qu'ils veulent nous atta-
cher k des pai'ties et non au tout, au lieu
que la vraie Église est la cité édifiée sur la
montagne, c'est-à-dire sur cette montagne
qui, selon la prophétie de Daniel, n'était,
dans son origine, qu'une petite pierre; mais
qui s'est tellement accrue qu'elle est deve-
nue une grande montagne qui a rempli toute
la terre. Cette Église est sainte ^, une, véri-
1 Exstai Ecclesia cunctis clara atque conspicua;
quippe civitas qicœ abscoiidi non potest super
monteiii consiiiula, perqiiairi domiralur Christus
a mari uscjue ad mare, et a flumine usque ad ter-
minas orbis lerrœ, tanquani semen Abraliœ mtil-
tipLcatiim sicut slellm cœli, el sicut arena maris,
in que benedictintiir omnes génies. Hanc etiam
beaius Cyprianus iia commendat, ut eum dicat
Dominilace perfasam, radios snos per orbem ter ra-
rum porrigere,ramos suos per unioersain Lerram
copia uhertatis extendere. August., lih. il Contra
Crescon., cap. xxxvt, nimi. 45, pag. 433.
2 Bine lit ut Ecclesia vera neminem lateat,
unde est illiid qaod in Eoangelio ipse dicit : non
potest cii'itas abscondi super montein consiiiula.
August., lib. II Contra Petilianum, cap. xxxii ,
nun). 74, pag. 240.
s Aon est autem ista operta, quia non est sub
modio sed super candelabrum, ut luceat omni-
bus qui in domo sunl, et de illa diclum est : Non
potest civitas abscondi super luontem coustituta:
sed donatislis vetut operta est, qui audiunt lam
lucidaet manifesta teslimonia. quœ illam loto orbe
demomlrant , et malunt clausis oculis o/[end''re
in monlem quam i>i eum ascendere. August., De
Unit. Eccles. cap. xvi, num. 40, pag. 366,
tom. IX.
(?!io ego signo manifesto adhuc parvutus et
nondumvalens liquidum discernere a tôt erroribus
veritatem; quo manifesta inilcio lenebo Ecclesiam
Christi . in quem jam credere tanta rerum anfea
prœdictarum manifeslatione compellor? Sequitur
idem Prophela et lanquam motus animi ejus or-
dinatissime excipiens, doceleum Ecclesiam Christi
ipsam esse prœdiclam , quœ omnibus eminet et
apparet. Ipsa enimest sedesgloriœ, d. qua dicit
Apostolus : Templum enim Dei sanctum est quod
estis vos ; w/îde iste dicit, sedes autem glorim
exaltata est sanclificatio nostra ; propter nos
enim et motus parvulorum, quipossant seduci ab
hominibus , manifestationem claritatis Ecclesiœ
Dominus quoqtte prœoidens, ait : Non potest civi-
tas abs 'oni-li supra montem constituta, quia uti-
que sedes gloriœ cxallalaest saiictificatio nostra,
ut non audianlur illi, qui ad re'Àgionum scissu-
ras traducunt dicentes: Ecce hic est Christus, ecce
illic. Cum illa civitas super montem sit : quem
montem? nisi eum qui secundum prophetiam. Da- .
nielis ex parvo lapide creavit, et factus est mons
magnus ita wt impleret universam lerram. Au-
gust., lib. XUI Contra Faust., cap. xiii, pag. 2H9,
tom. VllI.
s Ipsa est Ecclesia sancta, Ecclesia una. Eccle-
sia vera,t:cclesia calholica, contra omnes hœre-
ses pugnans; pugnare potest, expugnari tamen
non potest. Hœrt-ses omnes de illa e.vierunt, lan-
qtiam sarmenla inutilia de rite prœcisa ; ipsa au-
tem manct invite sua, in charitatc sua;portœ inr
ferorum non rincent cam. August., Serm. de
Symbole , cap. vj , uum. 13, tom. YI, p. 554.
[iV'' KT Y" SIFCLES.]
table et catholique. C'est elle qui combat
contre toutes les bércsies, elle peut être at-
taquée, mais jamais foi'cée ni vaincue. Tou-
tes les hérésies sont sorties d'elle comme
des sarments inutiles coupés de la vigne,
mais elle demeure attachée à sa racine, à
son tronc dans sa charité, et les ])ortcs de
l'enfer ne la surmonteront point, elle ne se-
ra jamais vaincue ' ni déracinée, elle ne cé-
dera point aux tentations, mais elle subsis-
tera jusqu'à la fin du monde, et il n'y aura
aucun temps jusqu'au jour du jugement, où
la teire soit sans Eglise. C'est une vérité
dont aucun fidèle ne peut douter ^, que cette
Église est fondée pour toujours, puisque Jé-
sus-Christ a promis qu'il serait avec les siens
jusqu'à la consommation des siècles. »
47. Les donatistes convenaient que les
prophéties et les promesses de Dieu mar-
quaient que l'Église devait être répandue par
toute la terre, mais ils soutenaient en même
temps qu'elles avaient eu leur accomplisse-
ment par la prédication de l'Évangile dans
tout le monde. Ils ajoutaient que, l'etïet mar-
qué par ces prophéties n'étant que passa-
ger, cela n'empêchait pas que l'Eglise n'eût
péri par la contagion ^ des méchants Afri-
cains, c'est-à dire de Cécilien et de ses or-
dinateurs, et qu'elle ne fut restée dans le
SArSx AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HTPPOXË.
62^
parti de Donat, et réduite à la seule pro-
vince d'Afiiijue. Mais saint Augustin répond
qu'on ne doit point croire * que Dieu aurait
fait rendre tant de témoignages à une Église
qui devait bientôt périr, en même temps
qu'il aurait laissé comme incomiue celle des
donatistes qui, à les-entendre, devaient seuls
subsister et servir même à réparer l'autre.
'( Que ^ ces schisraatiques, dit-il, fassent une
recherche soigneuse des Écritures, et que,
contre tous les témoignages qui font voir l'É-
glise répandue par toute la teire, ils en pro-
duisent un seul aussi clair que ceux-là, par
lequel ils montrent que l'Église a péri
dans toutes les nations, et qu'elle n'est de-
meurée qu'en Afrique. Comment osent-ils
dire " que ce que Jésus-Chjist dit, qu'il faut
que la pénitence soit prèchée à tous les peu-
ples, à commencer par Jérusalem, est déjà
accompli ; mais qu'ensuite, tous étant tombés
dans l'apostasie, la seule Afrique soit demeu-
rée à Jésus-Christ; puisque cette prophétie
est encore à accomplir, et que, lorsqu'elle
sera accomplie, la fin . du monde viendra? »
Le saint Docteur dit anathème ' à ceux
qui, comme les donatistes, enseignent que
l'Église a péri : « 0 paroles impudentes*!
Quoi ! l'Église n'est plus, parce que vous n'ê-
tes plus dans son sein ! Prenez garde de n'ê-
' Hic erit Ecclesia usque in finem sœculi. . non
vincetur Ecclesia, non eradicabitur , nec cedet
quibuslibet tentationibus, donec veniat hujus sœ-
culi finis. August., in Psai. lx, num. 6, pag. 587.
^ Quis vero fidelium dubilet Ecclesiam, eliamsi
aliii abeuntibus, aliis venientibus, ex liac vila
morlaliter transit, iamen in œternum ess fun-
datamt August., in Psal. Lxxvn, num. 42,
pag. 837.
3 Vos contagione malorum Afroriim Ecclesiam
periisse dicilis de orbe terrarum, in parte Honali
ejus reliquias remansisse tanquam in frumeniis
a zizaniis et palea separatis... vos itaque s cun-
dum vestrum errorem, vel potius furorem accu-
sare coginiini. non solum Cœcilianuin et ordina-
tores eJus, etc. August., lib. Il contra Crescun.,
cap. xxxvH, uum. 46, pag. 433 et 434.
'^ Ne que toi testimoniis comm ndaretur quod
erat cito periturum, et sic taceretur, ani quod
soliim esset relinquenduin, aul ex quo solo to-
tum esset reparandum etimplendum. August., lib.
Be unitnle Ecclesiœ. cap. xix, num. 51, pag. 374.
i" Perscrutenlnr [donatistce) Scripturas et con-
tra lam wulta leslinwnia, quibus ostendilur Ec-
clesia Christi loLo terrarum orbe diffundi . vel
■ u-ni'ïii proférant tain certum et tam manifestum,
ijuaiii il a sunl, quo demo>:slrent Ecclesiam Christi
partisse de cœîeris geiilibus et in sola Àfrica rt-
mansisse. tanquam ab aiio initio. non ab Jérusa-
lem, sed a Carthagine, ubi primo episcopuiu con-
tra episcopum levaverunt. August. , ibid. , cap.
xvr, num. 42, pag. 367.
^ Quomodo ergo istidicunt jam esse completum
quod Dominus ad, piœdicari in uomine ejus pse-
nitentiam et remissioiiem peccatorum in omnes
geutes, incipieutibus v.hi&TmaXein ■. sed postea, cé-
leris deficienlihus. solam Christo Africain reman-
sisse ; cum adhuc illud implendum sil, nonduin
implelum sit ? Cum autem impletuin fuerit, veniet
finis. Sic eiiim Dominus ait: et prœdicabitur hoc
Evaugelium regni in univeisa orbe, in testimo-
niuui omnibus geutibus, et tanc veniet finis. Au-
gust., ibid., cap. xvii, pag. 368.
' Aliud autem evangelizat, qui periisse dicit de
cetero mundo Ecclesiam, et in parte Donaii in
sola Africa remansisse dicit. Ergo anathema sit.
Aul légat mihi hoc in Scripturis sanctis, et non
sit anathema. August., ibid., cap. xiii, pag.
360.
8 Sed illa Ecclesia quœ fuit omnium gentium,
jainnon est, periit. Hoc dicunt qui initia non sunl,
0 impudeni em vocem ! Illa non est, quia tu inilla
non es? Vide ne tu ideo non sis : nain illa erit,
etsi tu non sis Hanc vocem abominahilein, de-
teslabileni, prœsumptioins et falsit lis pi nam,
nulla veritale sufftUlam, nulla sapieniia illumi-
natam.nullo sale conditain,vanam, temerartam,
prcecipitem, perniciosain, prœoidit Spiritits Sanc-
tus. August., Ser;/( 2 in Psalm. ci, iium. 8, pag.
1103.
628
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Objection
contre l'iadâ-
fectiliililé de
l'EjIise.
tre plus vous-mêmes. L'Église ne laissera
pas de subsister, quoique vous ne subsistiez
plus. Le Saint-Esprih avait prévu qu'il y au-
rait des gens qui prononceraient ces paroles
abominables, détestables, pleines de pré-
somption et de fausseté, qui ne sont ap-
puyées sur aucune vérité, ni éclairées d'au-
cune sagesse, ni assaisonnées d'aucun sel,
vaines, téméraires, précipitées et pernicieu-
ses : L'Eglise n'est plus. »
48. Saint Augustin reconnaît toutefois
qu'il peut y avoir des temps dans lesquels
l'Église soit obscurcie et comme couverte
de nuages par la multitude des scanda-
les ^ Mais c'est alors, ainsi qu'il le fait re-
marquer, qu'elle éclate davantage dans ses
plus généreux membres. Il y a des temps
qu'elle est libre et tranquille , et d'autres
dans lesquels elle est agitée par les tempê-
tes des tribulations et des tentations. « Tel
était, ajoute-t-il, ce temps dont parle saint Hi-
laire : le témoignage de cet évéque servait à
Vincent, rogatiste, pour montrer que l'Église
avait péri. Le saint évêque de Poitiers avait
dit ^ qu'excepté Éleusius et un petit nom-
bre d'évêques avec lui, la plus grande partie
des dix provinces d'Asie, où il était alors, ne
connaissaient point Dieu ou ne le connais-
saient que pour le blasphémer ; que tout
était plein de scandales, de schismes et
d'infidélités. Qui ne sait, dit saint Augustin'
en expliquant cet endroit de saint Hilaire,
qu'en ce temps-là plusieurs, faute d'intelli-
gence, ont été trompés par des paroles am-
biguës qui leur ont fait croire que les ariens
étaient de leur sentiment ? Que d'autres, ne
marchant pas droit selon la vérité de l'Évan-
gile, ont cédé par crainte et feint de consen-
tir? Qu'il y en a eu d'assez fermes pour souf-
frir l'exil, et d'assez éclairés pour décou-
vrir les pièges des hérétiques? Qu'ils étaieut
à la vérité en petit nombre, mais qu'ils
étaient cachés dans toute la terre? C'est par
eux que l'Eglise, qui croît partout, a été con-
servée dans le pur fi'oment,'et sera mainte-
nue jusqu'à ce qu'elle ait été établie par
toutes les nations, même les plus barbares.
Car elle n'est autre chose que ce bon grain
que le Fils de l'Homme a semé dans le champ
du monde, et qui doit, scion qu'il nous l'a
prédit, croître parmi l'ivraie jusqu'à la mois-
son, c'est-à-dire jusqu'à la fin des siècles.
C'est donc à l'ivraie de ces dix provinces
d'Asie que s'adresse la correction d'Hilaire,
ou peut-être même au bon grain qui était en
danger de se corrompre, et que ce saint
homme ne pouvait voir dans ce danger sans
le reprendre d'une manière d'autant plus
salutaire qu'elle était plus forte. C'est ainsi
qu'en usent les auteurs même canoniques :
quand il s'agit de reprendre, nous voyons
qu'ils parlent, comme si leurs discours s'a-
dressaient à tout le monde, quoiqu'ils ne re-
gardent que quelques particuliers. »
1 Ipsa est (Ecclesia) quœ aliquando obscura^
tur, et tanguam obnubilatur m^l,llU^^dine scan-
dalorum.... sed etiam tune in suis firmissimis
eminet, et si aliqua in his verbis divinis distribu-
tio facienda est, fortasce non frustra dictum sit
de semine Abrahœ : Sicut stellœ cœli , et sicut
arena, quee est ad oram maris. [Gènes, xxii,
17.) Ut in slellis cœli pauciores, firmiores, cla-
rioresque intelligantur ; in arena autem mari-
timi littoris magna muUitudo infirmorum alque
carnalium , quœ aliquando tranquillitale tem-
poris quieta et libéra apparet, aliquando autem
tribulationum et tentalionum fiiictibus operilur
atque tiirbatur. Taie tune erat tempus de quo
scripsit Hilarius, unde putasti insidiandum con-
tra leslimonia tôt divina, tanquim perierit Ec-
clesia de orbe terraruni. August., Episl. 93, num. ,
30 et 31.
* Àbsq'ue Eleusio et paucis cum eo, ex majori
parte Asianai decem provincice, intra quas con-
sisto, vere Deum nesciunt. Àtqu,e utinam penitus
nescirent ; cum procliviore enim venia ignora-
rent, quami obtrectarent.... ubique autem scan-
dala, ubique schismata, ubique perfidiœ suut.
Hilarius, lib. De Sun., iiiim. 63, png. M86 et 1187.
' Quis enim nescil illo tempore obscuris verbis
multos parvi sensus fuisse delusos, ut putarent
hoc credi ab arianis, quod etiam ipsi credebànt;
alios «Miem timoré cessisse et simulate consen-
sisse, non recte ingredienies ad veritatem Evan-
gelii, quibus tu postea correctis, sic quemadmo-
dum ignotum est, nolles ignosci quanquam et
ilii, qui tune fi.rntissinn fuerunt. et verba hœre-
ticorum. insidiosa intelligere potuerunt , pauci
quidem in comparatione cœterorwm, sed tamen
etiam ipsi quidam pro fuie fortiter exsulabant,
quidam loin orbe latitabant. Ac sic Ecclesia, quœ
per omnes gentes crescit. in frumentis dominicis
conservata est, et usque in finem , donec omnino
gentes omnes, etiam barbaras teneat. aonserva-
bilur. Ipsa enim est Ecclesia in bono semine,
quod seniinavit Eilius hominis, et usque ad mes-
sem crescere inter zizania prœnuntiavit. Ager
autem mtindus est, messis finis est sœculi. Hila-
rius ergo decem provinciarum Asianarum aut
zizania non triticum arguebat, aut ipsum etiam
trilicum, qtiod defectu quodam pericUlabatur,
quanlo veliementius tanto utilius arguendum
putabat. Habent enim etiam Scripturœ cano-
nicœ . hune arguendi murem, ut tanquam om-
nibus dicatur, et ad quosdam verbum perve-
niat. August. , Epist, 93 , uum. 31 et 32, pag. 244.
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HEPPONE.
[IV= ET V° SIÈCLES.]
49. « Nous croyons ', dit saint Augustin,
que l'Église est sainte, et cette Église est la
catholique. Les hérétiques et les schismati-
ques donnent aussi le nom d'église à leurs
assemblées ; mais les premiers violent la foi
par les sentiments faux qu'ils ont de la divi-
nité , et les seconds se séparent de la charité
fraternelle parleurs divisions injustes, quoi-
qu'ils croient les mêmes choses que nous
croyons. De là vient que ni les hérétiques
n'appartiennent à l'Eglise , parce qu'elle
aime Dieu, ni les schismatiques, parce
qu'elle aime son prochain. Tous ceux- qui
croient de Jésus-Christ ce que la foi nous
en enseigne, mais qui sont en ditférend tou-
chant son corps qui est l'Église, en sorte
qu'ils ne soient pas unis de communion avec
tout le corps, mais seulement avec quelques
parties séparées ; ceux-là ne sont point dans
l'Église catholique, mais dehors, quoiqu'ils
aient une même foi. L'Église des saints est
l'Église catholique ' , et l'Église des saints
n'est point l'église des hérétiques. »
Le saint Doctem- suppose visiblement que
les hérétiques ne sont point dans l'Église,
lorsqu'il dit ' qu'il faut fortifier la faiblesse
de l'homme contre les tentations elles scan-
dales qui peuvent arriver, soit au dehors ,
soit au dedans de l'Église : au dehors, contre
les gentils, les juifs et les hérétiques; au
dedans, contre la paille du Seigneur. Néan-
moins dans ses livres du Baptême contre les
629
donatistes, il met^ les hérétiques entre les
vases d'ignominie qui sont dans cette grande
maison dont parle saint Paul dans son Épî-
tre à Timothée. Mais il reconnaît que c'est
une manière de parler si impropre, qu'il l'a
corrigée an même endroit, en disant : que ces
hérétiques sont plutôt hors de la maison que
dedans, et qu'ils en sont même séparés ex-
térieurement. « L'apôtre saint Paul déclare,
ajoute-t-il, que dans une grande maison il n'y
a pas seulement des vases d'or et d'argent,
mais aussi des vases de bois et de terre ; qu'il y
a des vases d'honneur et d'ignominie. De ce
nombre qui est innombrable, sont non-seu-
lement les méchants qui pressent les saints,
dont le nombre est toujours bien plus petit
en comparaison de cette grande multitude
dfl méchants , mais encore les hérétiques et
les schismatiques qui ont rompu les rets, et
qui sont plutôt hors de la maison que dans
la maison. Car étant extériem?ement désunis
d'avec l'Église, ils en sont plus séparés que
ceux qui, vivant au dedans d'une manière
charnelle et animale, n'en sont séparés que
spirituellement. Il se peut faire néanmoins
qu'il y ait beaucoup d'hérétiques et de schis-
matiques dans l'Église ; mais ce n'est que
dans le cas que leurs erreurs et leurs schis-
mes demeurant cachés, l'Église ne les au-
rait pas mis hors de son sein. » C'est ce que
dit assez clairement^ saint Augustin dans
l'explication de la parabole de l'ivraie semée
Il Tliiraolh.
ir. 20.
' Credimus et sanctam ecclesiam utique ca-
tholicam. Nam hœretici et schismatici confjrega-
tiones suas ecclesias vacant. Sed hœretici de Deo
falsa sentiendo ipsain fidem violant; schismatici
autem discissionibus iniquis a fraterna charitate
dissiliunt, quamvis ea credant quœ credimus.
Qua} ropler nec hœretici pertinent ad Ecclesiam
catholicam, quœ diligit Deum , nec schismatici,
quoniam diligit proximum. August., lib. De fide
et symbolo, nuni. 21, pag. 161.
2 Quicumque credunt quidam quod Christus
Jésus, ita ut dictum est, in carne venerit, et in
eadem carne, in qua natus et passus est, resur-
rexerit, et ipse sit Filius Dei, Detis apud Ver-
bum, et cum Pâtre unum, et incommutabile Yer-
bum Patris, per quod facta sunt omnia ; sed ta-
men ab ejus corpore, quod est Ecclesia, ita dis-
sentiunt, ut eorum communia non sit cum toto
quacumque diffunditur, sed in aliqua parte se-
parata inveniatur ; manifestum est eos non esse
in calholica Ecclesia. August., lib.jDe Unitate Ec-
clesia', cap. IV, num. 7, pag. 342.
3 Erga Ecclesia sanctarum, Ecclesia cathalica
est. Ecclesia sanclorum, non est ecclesia hœre-
ticorum. August. in Psat. 149, num. 3, pag. 1685.
* Tum vero instruenda et animanda est infir-
mitas hominis adversus tentationes et scandala,
sive faris, sive in ipsa intus Ecclesia : foris ad-
versus gintiles vel judœos vel hareticos , intus
autem adversus areœ Dominicœ paleam. Angmt.,
lib. De Calhech. rudib., cap. vu, nom. 2, tom. VI,
pag. 270.
* Nam et istos esse in dama negare non possur-
mus, dicente Àpostolo, Il Thimoth. i', 20 : In magna
non autem domo solum aurea vasa simt vel argen-
tea.sed et lignea et lictilia, et alla quidem sunt in
honorem, alia vero in contumeliam. Ex hoc numéro
innumerabili , non solum turba intus premens
cor paucarum in tantœ muUitudinis campara-
tione sanctarum, sed etiam- disruptis retibus hœ-
reses et schismata exsistunt in eis, qui jam magis
ex domo quam in domo esse dicendi sunt, de
quibus dicilur:Ex nobis exierunt, sed non erant
ex nobis. Separatiores enim sunt jam etiam cor-
poraliter segregati, quam illi qui interius carna-
liter et animaliter vivunt, et spiritaliter sepa-
rali sunt. August., lib. VII De Bapt., cap. li,
num. 99, png. 201.
6 Nec tamen consequens est ut omnis hœreticus
vel schismaticus corparuliler ab Ecclesia separe-
tur. Si enim falsa de Dea crédit vel de aliqua
parte jioctrince quœ ad fidei pertinet œdificatio-
630
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
au milieu du bon grain liiins lo champ du
père de famille. Il y remarque que les liéré-
tiquos et les scliismatiques ne sont pas tous
séparés de l'Eglise. «Car il se peut faiie,
dit-il, qu'ils aient de fau.x; senliments, ou de
Dieu même, ou sur d'autres points qui ap-
partiennent à la foi; et des lors ils sont hé-
rétiques. Mais, quoiqu'ils ne tiennent plus à
l'Eglise parl'esprit, ils 3^ appartiennent encore
extérieurement. L'Eglise en porte beaucoup
de semblables dans son sein, parce qu'ils ne
soutiennent pas leurs fausses opinions d'une
manière à exciter l'attention de la multi-
tude ; ce qui fait qu'on ne songe point à les
retrancher de la communion; car s'ils fai-
saient quelqu'éclat, on les en retrancherait.
Il en est de même des scliismatiques qui,
quoique séparés dans le cœur de l'unité de
l'Église, lui demem-ent pourtant extérieure-
ment unis; soit parce que n'ayant pas en-
core trouvé d'occasion, ils ne se sont point
séparés ; soit parce que leur crime étant ca-
ché, ils n'ont point élé retranchés. »
Ce saint Docleur enseigne aussi en beau-
coup d'endroits ' que les bons et les mé-
chants , comme le bon grain et la paille,
se trouvent ensemble dans le sein de l'É-
glise. » Que personne donc, dit-il, ne sorte
de l'aire avant le temps ; que le bon grain
tolère la paille. 11 ne sera réduit a la tolérer
que dans l'aire, et il n'aura plus rien à tolé-
rer dans le grenier. Le père de famille vien-
dra le van à la main et fera la séparation
des bons et des méchants. Car ils seront
toujours séparés de corps, comme ils ie sont
présentement de cœur et de volonté. Soyez
toujours séparés de cœur des méchants ,
mais demeurez unis de corps avec eux.
Pour ce qui regarde les chrétiens qui sont
charnels % dont la vie et les sentiments ne
respirent que la chair, l'Égiise catholique^
les soutire pour un temps, comme la paille
qui sert à conserver le froment dans l'aire,
mais qui ensuite doit en être ôtée ; et
parce que dans cette aire chacun est ou
paille ou froment, selon le mouvement de
sa volonté, on y soutire le péché et l'erreur
des hommes, jusqu'à ce qu'ils aient trouvé
des accusateurs, ou qu'ils défendent leurs
faux sentiments avec une animosité opiniâ-
tre. » Il dit encore': «Quand nous soute-
nons que l'Église est répandue par toute la
terre, nous ne disons pas qu'il n'y ait que
les gens de bien qui participent à ses sacre-
ments, et que les pécheurs n'y participent
point, et même en plus grand nombie. Nous
avons une infinité de passages de l'Écriture
qui nous marquent le mélange des bons et
des méchants dans la même comni;inion des
sacrements. Il e:l écrit dans le Cantique des
nem, ita ut non qumrentis cunctatione tempera-
tus sit, sed inconcusse credenlis nec oinnino
scientis opinione atque errore di.cordans, kœre-
ticus est, et foris est animo, quamols corpora-
liter intus vid atur. MuUos enim taies portât Ec-
clesi:, quia non ita defendunt falsitatein senten-
tiœ suœ, ut intentain multitudinein faciant; quod
si fecerint, tune pelluntur. Item quieunique in-
vident bonis, ita ut qiiœrant occaslones exclu-
dendi eos, aiit degradandi, vel criinina sua sic
défend re parati suiit, si objecta vel prodiia fue-
rinl, ut ei.iam conrenticulor am segregationes tel
Ecclesiœ perturbationes cogitent excilare. jnm
schismatici sunt, et ab unltate corde discissi,
etiamsi, non inventis occasionibus aiot occnl'ulis
factis suis, sacramenln Ecclfsiœ eorporali con-
versnlione socieninr. Augusl., lih. Qaœst. xvii in
Matth. qLiœst. M, nuni. 2, pag. 279, tum. III.
' Cognooiinus esse intus m Ecclesia bonos
et matos, quod sœpe dicimus frunu'ntuin et pa-
leam. Kemo ante tempus deserat aream, toleret
paleam in tritura, tolrrctinarea. Quod enim to-
leret in hurreo non habebit Veniet rentil.ator,
qui dividet malus a bonis. Erit etiam corporalis
separatio, quam modo spiritalis prœcedit. A ma-
lts corde semper difjungimini, ad tempus cavte
corpure copulamini. Aiigiist., Serm. 88, cap. svni,
ijum. 19, tom. V, pag. 478.
2 Carnales autemsuos, id est viventes a'tt sen-
ticntes, carnaliter tanquam paleas tolérât [Eccle-
sia catholica), quibtis in area frumenta tutiora
sunt, donec talibus tegminibus exuanlur. Sed
quia in hac area pro voluntate quisque cet palea,
vel frumentum est, tandiu sustinentur peccatum
aut error ctijnslibet, donec aut accusatorem in-
veniat, aut pravam opinionem pertinaci animo-
sitate defendat. August., Ub.De Vera relig., cap. vt,
uum. 10, pag. 73).
3 I\eque enim nos ita dicimus per tolum orbem
diffundi Ecclesiam, ut in sacramentis ejus solos
bonos esse dicamus, ac non etiam malos, et eos
etiam multo plures, ut in ei.rum comparalione
pauci sint, c}im per seipsos in gentem numeruni
facianl. Jlabemus innuniera testimonin, et de
commixtione nialorum cum bonis in eadem com-
nntnione saerami-nti. ... ex qnibus ne longum fa-
ciani. pauca commoiorn. Est in Canticis canti-
corum, quod de sancla Erclesi diclum. omnis
Christianus agnoscit : Siciit lilium in meilio fpi-
iiaruui , ila proxima m.'a iu nipdio fil. arum.
Unde appeltal spinas, nisi propter ma'.ignila-
tem ntorum? Et easdein unde filias, msi prop-
ter conununionem sacramenlorum ? August. ,
lib. De Vn.t. Ecclesiœ, uum. 34 et 35, pag.
362.
[lV° ET V^ SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
631
cantiques, et tout cîirétien reconnaît qu'ils'agit
'"'■ "' ^' de la sainte Église : Comme le lis est au mi-
lieu des épines, de même celle que j'aime est au
milieu des filles. D'où vient qu'il les appelle
épines, sinon à cause de la corruption de
leurs mœurs ? Et d'où vient qu'il leur donne
le nom de filles, sinon à cause de la commu-
nion des sacrements? »
j.efi-on, 30. On ne laisse pas de trouver plusieurs
ingpdesions eudrolts dans les écrits de saint Aupustin,
t des me- ~ '
Sla ''""^ ^^ ''^ paraît enseigner que les méchants ne
sont point de l'Église. « Ceux, dit-il, ' qui
semblent être dans l'Église , mais qui ne
vivent pas selon les lois de Jésus-Christ et
qui violent ses commandements , n'appor-
tiennent en aucune manière à cette Église
qu'il a purifiée de telle sorte par le baptême
d'eau et par sa parole , qu'il l'a rendue une
Église pleine de gloire , n'ayant ni taches ni
rides, ni rien de semblable. Mais si on ne
peut dire que ces personnes soient de TE-
giise dont ils ne sont point les membres , on
ne peut point dire avec plus de véi'ité qu'ils
soient dans celte Eglise, dont il est dit dans
l'Écriture : Une seule est ma colombe et ma
parfaite amie. Car cette colombe est aussi
sans taches et sans l'ides. Qui donc osera
maintenant assurer que tous ceux qui renon-
cent au monde de bouche seulement, et non
de cœur ni d'action , sont des membres de
cette colombe ? Ceux ^ dont la conscience
est souillée , dit encore ce Père , ne sont
point dans le corps de Jésus-Christ qui est
l'Église : car Jésus-Christ ne peut avoir des
membres damnés. A Dieu ne plaise que l'on
mette ces monstres au nombre des mem-
bres de cette colombe unique, ni qu'ils puis-
sent entrer dans ce jardin fermé, dont celui
qui ne peut se tromper est le gardien. Puis-
qu'il ' n'y a que les bons qui, étant régéné-
rés spirituellement , entrent dans la compo-
sition du corps de Jt sus-Christ en devenant
ses membres , snns doute que c'est en la
personne de ces bons que consiste l'Église,
dont il est dit dans l'Écriture , qu'elle est
entre les files comme le lis entre les épines.
Elle est composée aussi, cette Église , de
ceux qui bâtissent sur la pierre , c'est-à-dire
de ceux qui , après avoir écoulé avec respect
les paroles de Jésus-Christ, les mettent en
pratique , et non de ceux qui bâtissent sur
le sable , c'est-à-dire qui écoutent la parole
de Dieu et ne la suivent point pour règle de
leur vie. »
Comme tous ces passages sont tirés des
écrits de ce Père contre les donatistes, on
doit les expliquer, comme il a fait lui-même
dans ses Rétractations, où il dit' que, lors-
qu'il a parlé de l'Église comme n'ayant au-
cune tache ni aucune ride , ce n'est pas de
l'Église telle qu'elle est à présent qu'il a
voulu parler, mais de l'Église telle qu'elle
doit être dans le séjour de la gloire. Ce Père
dit encore ailleurs^ : « Il faut distinguer
' Quia nec isti Ecclesiœ devoti sunt, qui viden-
tur esse intus, et contra Christum vivutit, id est,
contra Christi mandata faciunt, nec omnino ad
illani Ecclesiam pertinere judicandi sunt, qiiam
sic ipse mandat lavacro aquœ in verho, ut exhi-
beal sibi gloriosam Ecclesiam, non habentem ma-
citlam aut nujam, aut aliqnid kujiismodi. Quod
si in isla Eccksia non sunt, ad cujus membra
non pertinent, non sunt in Ecclesia de qua dici-
tur : Una est coluuiba mea, una est matris sufe ;
ipsa est enim sine macula et ruga. Ànt asserat
qui polest, hujus columbœ membra esse qui sœ-
culo verbis, non factis renuntiant. August., lib. IV
De B .pt., num. 4, pag. 123.
2 Tinguere erç,o possunt et boni et mali, abluere
autem conscienliam nonnisi ille qui semjjer est
bonus. Ac per hoc etiam nesciente Ecclesia prop-
ter malam pollulamque conscientiam dumnati a
Clirislo jam in cor-pore Christi non sunt quod
est Ecclesia, quoniam non potest Christus habere
membra damnata. Proinde et ipsi extra Ecclesiam
baptizant. Omnia quippe isla monslra absit om-
nino ut in membris illius columbœ unicœ com-
putentur. Absit ut intrare possint limites horli
conclusi, crijus ille cuslos est qui non potest falli.
August., lib. II Contra Cresconium, cap. xxi,
uum. 26, pag. 423,
' Cum igiiur boni et mali dent et accipiant bap-
tismi sacramentum, nec regenerati spiritaliter in
corpus et membra Christi coœdificentur nisi boni,
profecto in bonis est illa Ecclesia, cui dicitur: Si-
cut lilium iu medio spiaaruin, ita proxima mea in
medio filiarum. In his est enim qui œdificant su-
per petram, id est qui audiunt verbuni Christi
et faciunt... non est ergo in eis qui œdificant siir-
per arenam, id est qui audiunt verba Christi et
lion faciunt. August., lib. De Unitate Ecclesiœ,
cap. XXI, Qum. 60, pag. 378 et 379.
' Ubicumque autem in his libris De Baptismo
commemoravi ecclesiam non habentem maculam
aut rugam, non sic accipiendiim est, quasi jam sit,
sed quœ prœparatur ut sit quando apparebit
etiam gloriosa. August., lib. \l Retract., cap. xviii,
tom. I, pag. 48.
s Calkolici ostenderunt divina testimonia con-
sonare, ut et illaquibus commendaretur Ecclesia
cum malorum. conimixtione, hoc lempns ejus si-
gni/icareul, qualis est in prœsenti sœculo; et
illa testimonia quibus comm ndatur non habere
commixlos malos, illudejus tempus significarent,
qualis venturo sœculo in œternum futura est si-
cut mmc morlalis e-^t, id est, ex mortalibus ho-
minibus constat: tune autem immortalis erit ,
quando in ea nemo morietur: sicut Christus isto
632
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
deux états de l'Église : celui de la vie pré-
sente, où elle est mêlée de bons et de mau-
vais , et celui de la vie future, où elle sera
sans aucun mélange de mal, et où ses en-
fants ne seront plus sujets au péclié ni à la
mort. Cette diûerence est, ajoule-t-il, bien
marquée dans les deux pêches des apôtres :
l'une faite avant la résurrection de Jésus-
Christ, dans laquelle Noti-e-Seigneur, sans
faire mention de la droite ni de la gauche,
fait jeter les filets dans la mer , pour mar-
quer que dans cette vie les bous et les mé-
chants seraient renfermes dans les mêmes
filets des sacrements; et l'autre après sa ré-
surrection, dans laquelle Jésus-Christ fait
jeter les filets à la droite , pour nous faire
connaître qu'il n'y aura que les bons dans
l'Église triomphante. Comme dans la confé-
rence de Carthage les donatistes repro-
chaient aux catholiques qiae par cette dis-
tinction ils admettaient deux p]glises , ceux-ci
réfutèrent cette '■ calomnie , en montrant que
c'est la même Église qui est en cette vie, mê-
lée de méchants, et qui ne sera composée que
de saints seulement après la résurrection :
de sorte que c'est la même Église considérée
dans deux états ditlërents, mais qu'on ne
devait pas dire pour cela qu'il y eût deux
Églises , comme on ne dit pas qu'il y a deux
Christs, parce que le même Christ a été mor-
tel et qu'il est immortel , ni qu'il y a deux
hommes, parce qu'on distingue l'homme ex-
térieur et l'homme intérieur. »
Nous remarquerons aussi avec un savant
théologien que^, selon ce saint Docteur,
1 Église est un corps vivant composé de corps
et d'âme. « L'âme de l'Église consiste dans
les dons intérieurs du Saint-Esprit, la foi,
l'espérance et la charité; le corps de F Église
dans la profession extérieure de la foi et de
la communion des sacrements. Il arrive de
là que quelques-uns sont de l'âme et du
corps de l'Église, et par conséquent unis à
Jésus-Christ, leur chef, intérieurement et ex-
térieurement. Ceux-là sont parfaitement de
l'Église , parce qu'ils y sont, comme les mem-
bres vivants sont dans le corps. Mais entre
ceux-là mêmes il y a de l'inégalité dans la
participation de cette vie , quelques-uns n'en
ayant qu'un petit commencement, comme
des membres qui n'ont que le sentiment et
point de mouvement ; ce sont ceux qui ont
la foi sans la charité. D'auti'es participent à
l'âme de l'Éghse, mais ne sont point encore
de son corps, comme les cathécumènes et
les excommuniés, s'ils ont la foi et la charité.
Enfin , quelques-uns sont du corps de l'Église
et non pas de l'âme; et ce sont ceux qui
tempore fuit pro illa mortalis, post resiirrectio-
nem aui^m jam non moritur, et mors illi ultra
non dominabitnr, quod etiam Ecclesiw suce in
fine sœculi prœstiturus est. Hœc duo lempora
Ecclesiœ, quœ nunc est, et quatis tnnc erit, signi-
ficata esse etiam duabus piscationibus : tma anle
resurreclionem Chrisli, quando mitti jussit relia
nec sinistram, nec dexteram nominans partem,
ut nec solos malos, nec solos bonos, sed comniix-
tos bonis malos intra relia suorum sacramenlo-
rnm fuluros doceret ; post restirrectionem au-
tem jussit relia mitti id dexteram partem, ut
post resurreclionem' noslram, bonos solos in Ec-
clesia fuluros inteltigeremus, ubi ullerius hœ-
reses et schismala non erunt, quibus modo retia
disrumpimtur. Augtist., ïaBrev. collât, cum do-
natistis, nuin. 16, tom. IX, pag. S62 el5 3.
1 De duabus etiam ecclesiis calumniam eorum
catholici rcfularunt , identidem exprissius oslen-
dentes quid dixerint, id est, non eam Ecclesiam
quœ nunc habet permixlos malos alicnam se
dixisse a regno Dei, ubi non erunt mali com-
mixti: sed eamdem ipsani unam etsanctam Eccle-
siamnimc esse aliter, tune aulem aliter futiiram;
nunc liabere malos mixlos, tune non habituram ;
sicut nunc morlalem quod ex mortalibus cons-
taret hominibus , lune autem immorlalem quod
in ea nullus esset t'ci corpore nwrilurus; sicut
non ideo duo Chrisli quia prius n}orUnis postea
non moriturus. Diclum est etiam de homine ex-
teriore et interiore, quœ cum sint diversa, non
tamen dici duos homines : quanto miniis dici
duas ecclesias, cum iidem ipsi qui nunc boni et
resurrecturi moriuntur, tune nec mixtos malos
habiluri sint, nec omnino morituri. August., in
Brev. collât., nuui. 20, pag. 564-565.
^ Notandum autem est ex Augustino in Brevi-
culo collât, coll. 3, Ecclesiam esse corpus vivum,
in quo est anima et corpus, et quidem anima sunt
interna dona Spirilus Sancti, fides, spes, chari-
tas, et:., corpus sunt externa professio fidei, et
communicalio sacramenlorum. Ex quo fit, ut
quidam sint de anima et de corpore Ecclesiœ, et
proinde uniti Chrislo capiti interius et ixteriiis,
et taies smit perfectissime de Ecclesia: sunt enim
quasi membra riva in corpore. quamvis etiam
inler istos aliqui magis , aliqui minus l'itam par-
ticipent, et aliqui solum initium vilœ habeant, et
quasi sensum, sed non motum, ut qui habent so-
lam fidem sine cliaritate; rursum aliqui sint de
anima, et non de corpore, ut catechumeni, vel
excommunicati, si fidem et charitatem habeant,
quod fieri potest; denique aliqui sint de corpore,
et non de anima, ul qui nullam habent inlernam
virlutem, et tamen spe, aut timoré aliquo tem-
porali profUenlur fidem, et in sacramentis com-
municant sub regimine pastorum: et laies sunt
sicut capilli. aut ungues, aut mali humores in
corpore liumano. Bellaraiiu., lib. 111 De Ecclesia
mililante, cap. n, pag. 44, coluin. 2.
[IV° ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
633
Qu'il n'y a
Dt de ^.ilut
de l'E-
n'ont aucune vei'tu intérieure, qui, par
quelque espérance ou quelque crainte tem-
porelle , font profession de la foi et partici-
pent aux sacrements sous le gouvernement
des pasteurs. Les personnes de cette sorte
sont dans TÉglise de même que les cheveux,
les ongles et les maavaises humeurs sont
dans le corps humain. »
SI . « L'homme ne peut avoir le salut ' que
dans l'Eglise catholique ; hors de cette Église
il peut avoir tout, excepté le salut: car il
peut conserver hors d'elle les honneurs et le
sacrement. Quiconque donc sera séparé de
l'Église catholique', quoiqu'il croie mener
une bonne vie, dès lors qu'il s'est séparé de
l'Église et de l'unité de Jésus-Christ, il n'aura
point , à cause de ce seul crime , part à la
vie, et la colère de Dieu demeurera sur lui.
En effet, personne ne peut venir' au salut
et à la vie éternelle s'il n'a Jésus-Christ pour
chef, et personne en même temps ne peut
avoir Jésus-Christ pour chef s'il n'est dans
son corps qui est l'Éghse ; elle est seule ce
corps * de Jésus-Christ qui en est le chef et
le sauveur. Hors de ce corps, le Saint-Esprit
ne vivifie personne ; car celui-là n'est pas
participant de la charité divine qui est en-
nemi de l'unité. » De là saint Augustin con-
clut que ceux qui sont hors de l'Église n'ont
point le Saint-Esprit. Eu écrivant à une
vierge qui était scandalisée de la mauvaise
vie des pasteurs, il dit^ qu'il y aura toujours
dans l'Église catholique jusqu'à la fin des
siècles deux sortes de pasteurs, les bons et
les mauvais ; mais que ceux qui sont séparés
de l'Église ne sauraient être bons, parce
qu'encore qu'une vie qui parait louable sem-
ble donner lieu de croire que quelques-uns
d'entre eux sont bons, leur division d'avec
l'Église suffit pour les rendre mauvais :
Jésus-Christ ayant dit cpie quiconque n'est
pas avec lui est contre lui , et que celui qui
ne recueille pas avec lui dissipe. Il enseigne
ailleurs^ que dans l'enceinte de l'Église il
peut y avoir des bons et des méchants, mais
que hors de cette enceinte il ne peut y en
avoir de bons.
S2. « La primauté des apôtres s'est fait
remarquer dans saint Pierre ' avec une
grâce éminente. 11 est le premier * et le
principal dans l'ordre des apôtres, et le seul
entre tous les autres qui a mérité ' de re-
Sur la prî-
mautéde saiu(
Pierre.
' Salutem non potest habere homo nisi in Ec-
clesia catholica. Extra Ecclesiam catholicamto-
tum potest prœter sahUem, potest habere hono-
rem, potest habere sacramentum, etc sed nus-
quam, nisi in Ecclesia catholica, salutem poterit
invenire. Aiigust., Serm. ad Cœsarecensis Ecclesiœ
plebem, mim. 6, tom. IX, pag. 622.
* Quisquis ergo ab hac catholica Ecclesia fuerit
separatus, quantumlibet laudabiliter se vivere
existimet. hoc solo scelere quod aChristi unitate
disjunctus est, non habebit vitam ; sed ira Dei ma-
net super eum. August., Epist. 141, num. 5, pag.
438.
' Ad ipsam vero salutem ac vitam œternam
nemo pervenit, nisi qui habet caput Christum.
Eabere autem caput Christum nemo poterit, nisi
qui in ejus corpore fuerit, quod est Ecclesia.
August., lib. Be Unit. Ecclesiœ, cap. 19, num. 49,
pag. 372.
* Ecclesia catholica sola corpus est Christi, cu-
jusille caput est Salvator coiyoris sui. Extra hoc
corpus nemi)iem vivijicat Spiritus Sanctus.... non
est autem. particeps divinœ charitatis, qui hostis
est unitatis. Non habent ilaque Spiritum Sanctum
qui sunt extra Ecclesiam. August., Epist. 185,
num. SO, pag. 663.
5 Aliisunl ergo qui propterea tenent pastorales
cathedras, ut Christi gregibus consulant ; alii
vero qui proplerea in eis sedent, ut suis honori-
bus temporalibus et commodis sœcularibus gau-
deant, ista duo gênera pastoram, aliis morienti-
bus, aliis nascentibus, in ipsa catholica necesse
est nsque ad finem sœculi et usqne ad Domini
judicium persévèrent ab ea vero (catholica
Ecclesia) separati, quamdiu contra illam sen-
tiunt , boni esse non possunt, quia, etsi aliquos
eorum bonos videtur ostendere quasi laudabilis
conversatio, malos eos facit ipsa dioisio, dicente
Domino : Qui mecum non est, adversum me est, et
qui mecum non colligit, spargjt. August., Epist.
208, ad Feliciam, num. 2 et 6, pag. 773-776.
^ Intra islam aream boni et mali esse pos-
sunt, extra eam boni esse non possunt. August.,
\ih..De Vnico baptismo, cap. xvi, uum. 30, pag.
543.
' In Scripturis sanctis didicimus apostolum
Petrum, in quo primatus apostolorum tam ex-
cellenli gratta prœeminel, aliter quam veritas
postulabat de circumcisione agere solilum, etc.
August., lib. H De Bapt., num. 2, pag. 96.
8 Ipse enim. Petrus in apostolorum ordine pri-
inus respondet pro omiibus in illo ergo
uno apostolo, id est. Petro. in ordine apostolo-
rum primo et prœcipuo, in quo figurabatur Ec-
clesia, utrumque genus significandum fuit, id est
firmi et infirmi. quia sine ulroque non est Eccle-
sia. August., Serm. 76, uum. ) et 4, pag. 417-416.
^ Inter hos fapostolos) pêne ubique snlus Petrus
totius Ecclesiœ nierait gestare personam. Prop-
ter ipsam personam, quam totius Ecclesiœ solus
gestabat, audire nieruit : Tibi dibo olaves regni
cœlorum. Has enim claves non homo unus, sed
unitas accepit Ecclesiœ. Hinc ergo Pétri excel-
lentia prœdicatur, quia ipsius universitatis et
unitatis Ecclesiœ figuram gessil, quando ei dic-
tum est, tibi trado, qiwd omnibus Iraditum est,
etc. August,, Serm. 293, num. 2, pag. 1194,
634
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
présenter toute l'Église, et d'entendre, parce
qu'il en portait ou représentait la personne,
ces paroles : Je vous donnerai les clefs du
royaume des cieux. Car ce n'est pas un seul
qui les a reçues , mais l'unité de l'Église.
L'excellence de cet apôtre consiste donc en
ce qu'il a été la figure de l'universalité et
de l'unité de l'Église , lorsque Jésus-Christ
lui a dit ; Je vous donne, ce quia été eflecti-
vement donné à tous. Peut-on dire en effet
que saint Pierre ' ait reçu les clefs , et que
saint Paul ne les ait pas reçues , que saint
Pierre les ait reçues, et que saint Jacques et
les autres apôtres ne les aient point reçues?
Ou bien dira-t-on que ces clefs ne sont point
dans l'Église, où les péchés néanmoins sont
effacés tous les jours? Non sans doute. Mais
parce que dans cette occasion saint Pierre
représentait toute l'Eglise , ce qui a été
donné à un seul a été donné à l'Église ,
qu'il représentait par conséquent. »
Saint Augustin parlant de ce même apôtre
dans un ouvrage que nous' n'avons plus,
avait dit ^ que l'Église était fondée sur lui
comme sur la pierre ; et que c'était là le sens
de ces vers de saint Ambroise qui font partie
del'officedudimanche: Hoc, ipsaPetra Eccle-
siœ canente, culpam diluit. Mais il avoue dans
ses Rétractations que depuis il avait expliqué
cette promesse : Vous êtes Pierre et sur cette
pierre je bâtirai mon Eglise, non de la per-
sonne de saint Pierre , mais de Jésus-Christ
même, que cet apôtre venait de reconnaître
pour Dieu, en lui disant : Vrms êtes le Christ
Fils du Dieu vivant. Il laisse toutefois la
liberté au lecteur de choisir celle de ces deux
explications qu'il jugera la plus probable.
Il excuse l'erreur de saint Cyprien touchant
la rebaptisation, par la faute que fit saint
Pierre en obligeant en quelque manière les
gentils de judaïser. « Si cet apôtre, dit-il ',
a pu, contre la règle de la vérité que l'Église
a depuis embrassée , contraindre les gentils
à judaïser, pourquoi saint Cyprien n'aura-
t-il pas pu, contre la règle de la vérité que
toute l'Église a depuis tenue, obliger de
rebaptiser les hérétiques et les schismati-
ques? Je crois pouvoir comparer saint Cy-
prien à saint Pierre, sans lui faire injure
quant à la couronne du martyre ; mais je
dois craindre de rabaisser saint Pierre en
comparant son autorité à celle de saint Cy-
prien comme évêque. Car qui ne sait que la
principauté de l'apostolat est préférable à la
dignité de tout autre évêque ? Cependant, si
quelqu'un voulait contraindre une personne
à recevoir la circoncision en la manière des
Juifs, on en aurait plus d'horreur que de
l'obliger à être rebaptisé; saiiit Pierre l'a fait
le premier . et c'est pour cela qu'il a été
repris par saint Paul qpii était venu après
lui; à combien plus forte raison doit-on pré-
* Numquid istas claves Petrils accepi'- , etPau-
lus non accepit? Petrus accepit, et Joannes et
Jacobus non accepit, et cœteri apostoli? Aut non
sunt istœ in Ecclesia claves, ubi quotidie peccata
dimiltunlur ? Sed qiwniam in significatione per-
sonani Petrus gesiabal Ecclesiœ, quod illi uni
datum est, Ecclesiœ datuni est Ergo Petrus fi-
gurant gesiabal Ecclesiœ. August., Serin. 149,
cap. VI, num. 7, pag. 706.
' In libro coDtra Epistolam Doiiati dixi in
quodam loco de apostolo Petro, quod in itlotan-
quam in petra fundata sit Ecclesia, qui sensus
etiam cantatur ore mullorum in versibus bealis-
simi Ambrosii ubi de gallo gallinaceo ait: Hoc
ipsa Petra Ei^olesife caaeule, culpam diluit. Sed
scio me postea sœpissime sic exp' suisse quod a
Domino diclum iSf;Tu es Petrus et super liane
petr.uu oedificaljo Ecclesiam uaeam ; ul super hune
inlelUgeielur quein confessus est Petrus dicens :
Tu esChristus Filius Dei vivi.ic sic Petrus ab hac
petra appellatus personam Ecclesiœ flguraret,
quœ super hnnc petram wdificatur, et accepit
clav-S regni ccelorum. ISon enim dictuni est illi :
Tu es Petra, sed : Tu es Petrus. Pelra auteiii erat
Christus, quem confessus Simon, sicul eum loto,
Ecclesia confilelnr. dictus est Petrus. Harum
autemf duarum senlenliarum quœ sil probabilior
eligat lector. August., lib. I Retract., cap. xxi,
num. 1, tom. I, pag. 32.
3 Si potuit, inquam, Petrus contra veritatis
regulam quam postea, Ecclesia tenuit, cogère
gentes jiidaïzare, cur non potuit Cyprianus con-
tra regulam rerilatis, quam postea tota Ecclesia
tenuit cogère hœreticos vel schismaticos denuo
baptizari? Puto quod sine ulla siii contunielia
Cyprianus episcopus Petro apostolo comparatur,
.quantum attinet ad martyrii coronam. Cœterum
magis vereri debeo, ne in Petrum contumeliosus
existam : quis enim nescitillum apnslolatus prin-
cipalum cuilibel episcopatui prœferendum ? Sed
si distat cathedraruni gralia, una est tamen
martyrum gloria verumlamen,si quisquam
nuHC cogat circumcidi aliquem more judaïco et sic
baptizari, multo amplius detestatur hoc genus
humanum, quam .si aliquis cogatur rebaptizari.
Quapropter. cum Petrus illud faciens a Pàulo
posteriore corrigilur, et pacis atque imitatis vin-
culo custoditus ad marlyriuni pruvehitur, quanto
facilins et forlius quod per unirerso' Ecclesiœ
statuta firmatum est, vel unius episcopi auctori-
tati, vel unius provinciœ concilio prœferendum
est? -august., lib. Il De Baplismo, num. 2., pag.
96-97.
riv= ET V'' SIÈCLES.]
Sur I Erii-
rOT.aîne.
;ftC6t [jour
cliaire dô
ÏDt 1 lorre.
féier ce qui est réglé par le décret de l'E-
glise universelle à l'autorité d'un seul évê-
que, ou d'un concile de province? »
53. L'iiigiise romaine a joui en tout temps
de la primauté de la Chaire apostolique ; et
c'est de l<i que saint Augustin tii'e un argu-
ment en faveur des ëvêques qui sont unis de
communion avec cette Eglise . « Cécilien ,
dit-il ', aurait pu mépriser la multitude de
ses ennemis qui conspiraient contre lui ,
c'est-à-dire des donatistes, se voyant uni par
des lettres de communion à l'Eglise romaine
dans laquelle a touours été la primauté de
la Chaire apostolique, etavecles autres pays
d'où l'Afrique même a reçu l'Évangile. » Le
saint Docteur dit à Pétilien qui appelait ^
une chaii'e de pestilence celle que les évéques
catholiques se vantaient de posséder, que,
quand tous les évéques du monde seraient
tels qu'il les accusait calomnieusemcnt d'être,
il devrait du moins respecter la Chaire apos-
tolique de Rome et celle de Jérusalem, et ne
pas blasphémer contre. «Que vous a fait, lui
dit-il, la Chaire de lÉgiise romaine sur la-
quelle Pierre s'est assis, et qui est aujour-
d'imi remplie par Anastase? Que vous a fait
celle de Jérusalem sur laquelle Jacques s'est
assis, et qui est aujourd'hui remplie par Jean,
avec lesquels nous sommes unis dans l'unité
catholique, et dont vous vous êles séparés par
une fureur criminelle? Pourquoi appelez-
vous chaire de pestilence la Chaire aposto-
lique ? Si vous en usez ainsi, parce que vous
croyez que ceux qui y sont assis prêchent la
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPû-XE. 633
loi et ne la pratiquent pas, est-ce ainsi que
Jésus-Christ en a usé ? A-t-il appelé de ce
nom la chaire de Moïse, parce que les pha-
risiens qui y étaient assis ne faisaient pas le
bien qu'ils enseignaient aux autres? N'a-t-il
pas au contraire conservé l'honneur de cette
chaire, lorsqu'en reprenant les pharisiens,
il a dit pour appuyer leur doctrine : Faites
ce qu'ils vous disent? Si vous pensiez à cela,
vous ne blasphémeriez pas, à cause des
hommes que vous diit'amez, contre la Chaire
apostolique avec laquelle vous ne communi-
quez pas. »
C'est par le même raisonnement que ce
Père pressait Julien le pélagien : « Je crois,
lui dit-il ', que cette pa:tie du monde où le
Seigneur a voulu couronner d'un glorieux
martyre le premier de ses apôtres, vous doit
suffire. Et il y aurait longtemps que vous se-
riez débarrassé des pièges des pélagiens où
vous vous étiez téméi-airement engagé dans
votre jeunesse, si vous eussiez voulu écouter
le bienheureux Innocent, qui occupait le
premier siège de l'Église d'Occident. Car
que pouvait répondre ce saint évêque aux
conciles d'AtVique, c'est-à-dire de Carthage
et de Milève, qui lui avaient écrit touchant
Pelage et ses sectateurs , sinon ce que le
Sié,2;e apostolique et l'É^-lise romaine ont
toujours cru constamment avec toutes les
autres Eglises? Cette unanimité ne vous a
pas empêché d'accuser de prévarication
Zosime, son successeur, parce qu'il ne voulut
pas se déclarer contre cette doctrine apos-
' CcBcilianus poterat noti curare conspiranlem
muUitudinem inimicnruni, cum se videret et Ro-
mance Eccli'siœ, in qua semper apos:oltcce catlie-
drœ viguit princijiatus, et cœleris t rris, unde
Evangelium ad ipsaiu Africain venit. perconimu-
nicatoriaslitteras esse conjunclum. Augiist., Epist.
43, nuui. 7, pag. 91.
2 Petiliaiius dixit : Si cathedram vobis uiiseri
vindinalis, ut superiiis dixiraus, hahetis illam
profucto quara David propheta psalmographus
pestilentiœ oathedram pronuutlavit; vobis enim
juste relicta e.-t , qiila eam saucti sedpre non pos-
suQt. Àiigiisiintis respondil verumtamen si
OMiies per lotum orbeni taies essent quali-s va-
■nissime calumniaris, cathedra iibi qnid fecit Ec-
cksice ronanœ , in qua Peirus seJit, et in qua
hodie Ànas.asius sedet, vel EccUsiœ Jerusoiynii-
tanœ, in qua Jacnbns sedit, et in qua hodie
Joannes sedet, quibus nos in ca hulica unitate
connecliniur, et a quibun vos nefario furore se-
parastis? Quare aiipellus cathedram pesUlentiœ,
cathedram apostolicani? Si propter homines
qnos putas legem loqui et non facere, nuniquid
Dominus Jésus Christus prupttr pharisœos, de
quibus ait : Dicunt et non faciunt, cathedrœ in
qua sedebant uUani fecit injuriam? ^'onne Ht ■m
cathedram M ysi commendaoit, et illos servato
cathedrœ honore, redarguit? Ait enim : CaiheâTiLm
Moysi seileiit ; qu£B dicunt facite , quœ autem fa-
ciuiit facere uolite; dicunt enim et noa fac^unt.
Hœc si cogitares, non propter homines quos in-
famatis, blasphemnretis cathedram apostolicam,
cui non. cnmmunicatis. August., lib. 11 Contra,
litteras Petiliani, cap. li, uum. 117 et US, pag.
254-255.
' Puto tibi eam partis orbem sufficere debere,
in qua primum apostolirum suorum voluit Dû-
minus gloriosissimo martyrio coronare. Cui Ec-
clesiœ prœsidentem beatum Innocenliuin .si iiudire
voilasses jjm iunc periculosamjuijentiUem tuvin
pctagiaiiiS la.jueiK e cuisses. Quia enim potuit ille
vir sunelus Aj'ricanis respondere coiiciliis, nisi
qnod antiquitus apnslolicn seiles et Roinaiia cum
cœteris Icvct persevtranter Ecclesia? Et tainen
ejus suecessorem (ZosimumJ crimine p- œvarica-
tionis accusas, quia doctrinœ aposlolicœ et sui
decessoris sententiœ noluit refragari. August..
lib. I Contra JiUian. num. 13, pag. 513-314.
636
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Snr l'exis-
tence el1acon<
naissance de
Dieu Sospcr-
fectioas.
satura.
tolique, et contre le sentiment de son pré-
décesseur. i\îais si l'Église romaine eût, ce
qu'a Dieu ne plaise ', jugé en faveur de Cé-
leslius et de Pelage, et qu'elle eût prononcé
que leurs dogmes, que le pape Innocent avait
condamnés avec leurs personnes, devaient
être approuvés et tenus, on aurait du alors
accuser le clergé de Rome de prévarica-
tion. ))
S4f. « C'est le caractère de la vraie Divi-
nité ^ d'avoir tant de force et de pouvoir sur
^' la créature raisonnable, qu'elle ne peut lui
demeurer entièrement inconnue, dès qu'elle
est parvenue à l'usage de la raison; en
sorte qu'à la réserve d'un petit nombre
d'hommes eu qui la nature est comme
éteinte par une grande dépi'avation , tout ce
qu'il y en a dans le monde reconnaissent
Dieu pour leur auteur. Mais, quoique per-
sonne ^ ne puisse l'ignorer, aucun néan-
moins ne peut le connaître tel qu'il est. Les
plus sacrilèges * et les plus détestables d'en-
tre les philosophes qui ont pensé faussement
de la Divinité, n'ont jamais osé dire de bou-
che : il n'y a point de Dieu, quand bien, mê-
me ils l'auraient pensé. Il est même rare au-
jourd'hui de trouver ^ des hommes qui di-
sent dans leur cœur, il n'y a point de Dieu.
Le fou le dit dans son cœur ; mais cette fo-
lie ^ est d'un petit nombre de personnes.
Dieu étant ineffable', il nous est plus aisé
de dire ce qu'il n'est pas, que de marquer
ce qu'il est. Vous pensez à. la terre; Dieu
n'est point cela. Vous pensez à la mer ; Dieu
n'est point cela. Vous considérez tous les
hommes et tous les animaux qui sont sur la
terre ; Dieu n'est point cela. Qu'est-ce donc que
Dieu? Je n'ai pu dire que ce qu'il n'était pas.
Voulez-vous savoir ce que c'est ? C'est ce que
l'œil n'a point vu , ce que l'oreille n'a point
entendu, et ce qui n'est point entré dans le
cœur de l'homme. L'Écriture sainte définit
Dieu : Celui qui est. Dieu lui-même dit ', com- Exod.
me s'il n'y avait que lui qui fût proprement :
Je suis : Celui qui est. Vous direz aux enfants
d'Israël : Celui qui est m'a envoyé à vous. R ne
dit point, c'est le Seigneur tout-puissant,
tout miséricordieux, tout juste : et quand il
le dirait, il ne dirait que la vérité. Il retran-
che tous ces noms par lesquels on marque-
rait quel est Dieu. Il dit seulement qu'il est.
Et comme si c'était là son nom : Voici ce que
vous leur direz, dit-il à Moïse : Celui qui est
m'a envoyé: Car il est de telle sorte, que le
reste des créatures, en le comparant à lui,
ne sont point. Dieu est un ^ pur esprit ; et,
quoiqu'incorporel '", il est répandu partout ",
remplissant, comme il le dit lui-même, le ciel
' Sed si, quod absit, ila tune fuisset de Cœlestio
vel Pélagie in Roinana Ecclesia judicalum, ut
Ma eorum dogmata, quœ in ipsis et cum ipsis
papa Innocentius damnaveraf, approbanda et
tenendapronuntiarentur, ex hocpotius essetprœ-
varicationis nota Romanis clericis inurenda.
August., lib. II Contra Duas epistulas pelagiano-
rum, cap. ui, uum. 5, pag. 434.
' Hœc est eniin vis verœ Dioinitalis, ut crealu-
rœ rationnli, jam ratione utetiti, non omnino ac
penitus abscondi. Exceptis e.ninpaucis in qiiibus
natura nimium depravata est, universum genus
humannm Deum mundi hujus fatetur auclorem.
August. Tract. 106, in Joan., num. i, pag. 765.
' Deus ubique secretus est, ubique publicus,
quem nuliilicet ut est cognoscere, et quem nemo
permittitur ignorare. August. in Psal. 74, num.
9, pag. 788.
* Dixit impruflens in corde suo : Non est Deus.
Nec ipsisacritcgi tldelestandi quidam philosophi,
qui perversa et f'isa de Deo sentiitiit, ausi sunt
dicere : Non est Deus. Ideo evgo dixit in corde suo :
qiiia hocnenni aiidet dicere, eliamsi ausus fnerit
cogitare. Aagiist , in Psal. 13, uum. 2, pag. 67.
* Rarum hominum genus est qui dicant in
corde suo : non est Deus. August. in Psal. S2.
num. 2, pag. 487.
* Dixit stultus in corde suo : Non est Deus. J"-
sania ista paucorum est. Augusl. , Serm. 09, nuui.
3, pag. 381.
' Deus ineffabilis est.Facilius dicimus quid non
sit, quam quid sit. Terram cogitas, non est hoc
Deus : mare cogitas, non est hoc Deus : omnia quœ
sunt in terra, homines et animalia , non est hoc
Deus Quid est? Hoc solum potui dicere quid
non sit. Quœris quid sit? Quod oculus non vidit,
neo auris audivit , nec in cor hominis ascen-
dit. August. in Psal. 85, num. d2, pag. 909.
8 Tanquam solus sit, dixit : Ego sum qui sum.
(Exod., ni 14.) Et dices flliis Israël : Qui est,
misit me ad vos. Non dixit : Dominus Deus ille
omnipotens, misej-icnrs. justus ; quœ si diceret,
utiqae vera diceret. Sublatis de medio omnibus,
quibus appellariposset et diciDeus, ipsumesse se
vocari rcspondit : et tanquam hoc esset ei nomen,
hoc dices eis, inquit : Qui est, misit me. Ita enim
ille est, ut in ejus comparatione, ea quœ facta
sunt, non sint. August., 134, num. 4, pag. 1494 et
1495.
9 Dens sentit mente, non corpore. quia spiritus
est Deus August., lib. XV De Trinitate, num. 7,
pag. 971.
'" Cogitatio quippe turpiter vana est, quœ opi-
natur Deum membrorum corporalium lineamen-
tis circumscribi atque fidri. August., lib. .\!1 De
Trinit., num. 12, pag. 918.
" Est ergo Dell-': per cuncta diffusus.Ipse quippe
ait per PropJwta m : CœUim et terram ego impleo...
Ita per totum iotus, sed in solo ccolo totus et in
[iv= ET V' SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN
et la terre. Mais il est tout entier dans le
ciel, tout entier dans la terre, sans qu'aucun
lieu le contienne , n'étant que dans lui-mê-
me, quoiqu'il soit partout. Cependant, quand
on dit que Dieu est partout, et qu'il remplit»
le monde, ce n'est pas' comme l'eau, l'air
ou la lumière pourraient le remplir , en
sorte qu'une plus petite partie de la subs-
tance de Dieu remplisse une petite partie du
monde, et une plus grande, une plus grande.
Dieu sait éti-e partout entier, et n'être ren-
fermé dans aucun lieu. Il vient sans sortir
du lieu où il était , il s'en va sans sortir
du lieu où il vient. Immuable en son être, il
n'est sujet à aucun changement^ étant hors
d'atteinte à toute corruption, et ne pouvant
ni augmenter, parce qu'il est parfait ; ni dé-
périr , parce qu'il est éternel. Il sait agir ^
sans cesser d'être en repos, et faire de nou-
veaux ouvrages par un conseil éternel, parce
que c'est la iiiême volonté ' éternelle et im-
muable de Dieu, qui a fait que les choses
créées n'ont point été pendant une éternité,
et qu'elles ont commencé dans un certain
temps. Il a créé l'homme dans le temps ^ non
par une nouvelle résolution , mais par un
EVEQUE D'HIPPONE.
637
dessein éternel et immuable. L'Apôtre , en
disant de Dieu qu'il possède seul l'immorta-
talité, nous apprend par là^ qu'il n'y a que
Dieu qui soit exempt de toute mort, parce
qu'il est seul immuable ; et il est seul
immuable parce qu'il n'y a que lui qui
possède la véritable éternité. Les années
de Dieu ne sont autre chose que Dieu mô-
me'; les années de Dieu sont Téternité de
Dieu. L'éternité de Dieu est la substance
de Dieu même , qui n'a rien de sujet au
changement, où il n'y a rien de passé, com-
me s'il n'était plus; où il n'y a rien de futur,
comme s'il n'était pas encore. Qu'êtes-vous
donc, ô mon Dieu M Qu'êtes-vous, sinon le
Dieu et le maître de toutes choses? Car, y
a-t-il quelqu 'autre dieu, ou quelqu 'autre
seigneur que vous? Vous êtes infiniment
grand, infiniment bon, infiniment miséricor-
dieux, infiniment juste. Nulle beauté n'est
comparable à la vôtre ; rien ne résiste à vo-
tre force; rien ne borne votre puissance.
Yous êtes présent partout , sans paraître
nulle part; vous êtes, toujours le même, et
vous présentez toujours, pour ainsi dire, la
même forme à ceux qui vous considèrent,
sola terra totus, et in cœlo et in terra totus, et
niillo content-us loco, sed in seipso ubique totus.
August., Epist. 187, num. 14, png. 682.
1 Non sic Deus diciiur implere mundxim, velut
aqua, velut aer, velut ipsa lux, ut minore sui
parle minor m mundi impleat partem, et majore
majorem. Novil ubique totus esse, et nullo con-
tineri loco : novit venire non recedendo ubi
erat : novit abire non deserendo quo venerat.
August., Epist. lôT. num. 4, pag. 403.
2 Mulari nescit, nvlla ex parte comimpitur :
nec proficit quia perfectum est; nec déficit quia
œternum est. August., Tract, i in Epist. Joan.,
num. 5, pag. 852.
^ Novil quiescens ngere, et agens quiescere. Po-
test ad opus novtim. non novum, sed sempiter-
num adhibere consilium. August. , lib. XII De Ci-
vitate Dei, cap. xvn, num. 2, pag. 316.
* In illo a-utem non alteram prœcedcntem al-
téra subsequens mutaiit aut abslulit volunta-
tem, sed una eademque sempiterna et immuta-
bili voluntate res quas condidit, et ut prius non
essent, egit, quaindiu non fuerunl . et %it pos-
terius essent, quando esse cœperunt. August.
ibid-, pag. 3i7.
^ Cum ipse (Deus) sit œternus et sine initio,
ab aliquo tamen initio exorsus est tempora, et
hominem quem nunquam ante fecerat, fecit in
tempore , non tamen novo et repentino, sed im-
mutabili œlernoque consilio. August. , lib. XII
De Civil. Dei, cap. xiv, pag. 312.
s Quid est ergo quod ail Àpostolus de Deo :
Qui solus habet immortalitatcm, nisi quia hoc
aperle dixit: solus habet incommutabilitatem ,
quia solus habet veram ceternitatem? August,
Tract. 23 in Joan , num. 9, pag. 477. Vide lib." II
Contra Maxim., cap. xir, uuai. 1, png. 701.
' Non enim aliud anni Dei, et aliud ipse: sed
anni Dei, œternitas Dei est: œternitas. ipsa Dei
substantia est, quœ nihil habet mutabile ; ibi
nihil est prœteriLum,, quasi jam non sit. nihil
est futurum, quasi nonduni sit. August., Serm. 2,
in Psal. 101, num. 10, pag. 1107.
8 Quid es ergo, Deus weus? IJuid, rogo, nisi
Dominus Deus? Quis enim Dominus prœler Do-
minum ? Aut quis Deus prceter Deum nostrum ?
Summe. optime, pottntissime , omnipotentissime,
misericordissime , et justissime, secretissime et
prœsentissime, pulch rrime et fortissime, slabilis
et incomprehehsibilis, immutabilis nnitans om-
nia, nunquam novus, nunquam velus, innovant
omnia, et in vetustatem perducens superbos et
nesciunt, semper agens, semper quietus, colli-
gens et non egens, portans et implens et prote-
gens, creans et nulriens et per/iciens, quœrens
cum nihil desit tibi, amas, nec œ tuas; zelns ,
et securus es ; pœnitet t?, et non doles ; irasceris
et tranquillus es ; opéra mutas, et non consilium;
recipis quod inve)iis , et nunquam amisisti; nun-
quam itiops, et gaudes lucris; nunquam avarus,
et usuras exigis; supererogatur tibi ut deb as, et
quis hahel quidquam non tuum? reddis débita
nulli debens; donas débita nihil perdens. Et quid
diximus, Detis meus, vita ??!««. dulced > mea
sancta? .iut quid dicit aliquis cum de le dicit?
et vœ tacentibus de te; quoniam loquaces muti
sunt. August., lib. I Conf., cap. iv, pag. 70 et 71.
638
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AL'lhURS ECCLÉSÎASTIQUF'^.
sans qn'on yniPse jamais airiver à vous coin-
pifiidie. \oas ne changez jamais, et vous
faites tons tes cliangemenls qui ariivpnt
dar.s le monrie. Anssi incapable de leiiou-
vellrmcnt, qu'exempt de consomption et de
dcfaillauce, vous renouvelez toutes choses,
et vous consumez les orgueilleux par une
défaillance insensible. Toujours en action,
toujours en repos, recueillant et amassant
sans cesse, sans avoir besoin de rien; soute-
nant, remplissant et conservant toutes cho-
ses, donnant à chacun non-seulement son
être, mais son accroissement et sa perfec-
tion ; demandant continuellement, quoique
rien ne vous manque. Vous aimez, mais sans
passion; vous êtes jaloux, mais sans trouble.
Vous vous repentez, mais votre repentir est
sans douleur et sans tristesse. Vous entrez
en colère, mais vous n'en êtes pas plus ému.
Vous changez vos opérations, mais jamais vos
desseins. Vous retrouvez sans avoir jamais
rien perdu. Vous aimez à gagner, sans avoir
aucune indigence. Vous exigez du profil de
vos dons, sans être avare. Quoique personne
n'ait rien qui ne soit à vous, on vous cons'iîue
débiteur quand on vous donne ; cependant
c'est sans rien devoir à personne que vous
rendez à chacun ce qui lui est du. Enfin,
quoique vous remettiez ce qu'on vous doit,
vous n'y perdez rien et vous n'en èles pas
plus pauvre. Mas qu'est-ce que tout ce
que je dis ici ? Et qu'est-ce que l'on peut dire
en parlant de vous? Néanmoins, malheur à
ceux qui se taisent sur votre sujet; car, de
quoi que ce soit que l'on parle, on ne dit
rien, si l'on ne parle de vous. »
53. « Selon la foi catholique S il n'y a ni
deux ni trois dieux, et la Trinité est un seul
r!ieu,non qu'elle puisse être]/ -ise quelquefois
pour le Père seul, quelquefois pour le Fils
seul, et ruelquefoir pour le Saint-Esprit seul,
comme l'a cru Sabellius. Dieu le Père n'est
que le Père; Dieu le Fils n'est ijue le Fils, et
Dieu le Saint-Esprit n'est qucleSaint-Eïprit :
et cette Trinité de personnes n'est qu'un seul
Dieu. Aussi lorsque l'Apôtie a dit : Tout
est de lui, tout est par lui, et tout est en lui,
par où l'on croit qu'il a voulu marquer la
Trinité, il n'ajouta pas ensuite : A eiix soit
la gloire, mais : A lui soit la gloire et l'hon-
neur. Tenons-nous donc fermes k ci'oii-e ^
avec piété en un seul Dieu Père, Fils et Saint-
Esprit, sans croire que le Père soit le Fils,
ni que le Fils soit le Père, ni que l'Esprit
commun du Père et du Fils, soit ni le Père
ni le Fils. Croyons fermement que ce qui
compose cette ineffable Trinité, n'est séparé
ni de temps ni de lieu, mais que ces trois
choses sont égales et coéternelles, et ne
sont qu'une seule et unique nature; que les
choses créées ne l'ont pas été, une partie par
le Père, une autre par le Fils, et une autre
parle Saint-Esprit; mais que toute la Tri-
nité a créé et conserve en être tout ce qui
existe ; que nul n'est sauvé par le Père sans
le Fils et le Saint Esprit, ou par le Fils, sans
le Père et le Saint-Esprit , ou par le Saint-
Esprit, sans le Père et le Fils ; mais que le
Père, le Fils et le Saint-Esprit, qui ne sont
qu'un seul Dieu véritable, et véritablement
immortel , c'est-à-dire incapable d'aucun
changement, sont indivisiblement auteurs du
snlut. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit, la
Tiinité sainte, voilà l'objet dont nous devons
jouir '. C'est là cette chose principale et
commune à tous ceux qui en jouissent. Si
1 JVo?i enim duos aut très deos fides c tholica
prœdicat sed ipsam Trinilalem imum Deum:
non ut ead m Trinitas siviulpossit allquando
Paler, aliqunndo Filins, aliquando Spiritus Sanc-
tus dici, sicut SabeUius credidit , scd ut l'ater
non imi Pater, et Filius ; on nisi Filrus , et Spi-
ritus Sanctus non nisi Spiritus Sanctus , el hœc
Trinitas nnnnisi unus D us; qum et cuin dixis-
set Apostotus : Ex quo omnia , per quera omnia ,
in quo omnia. Trinit' tua ipsaiii in muasse cre-
ditur,nec tame-i suhjecit : Ipsis gloria, sed: Ipsi
gloria. Aupust. in Psal 5, luim. 3, pag n.
2 Proindein ununi Deuiu Pntrem et Filium et
SptrUvm Sanctum firma pietate credamas ; ita.
ut nec Filius creduliir (Sf^e qnipater est, nec Pa-
ter qui filius est , nec Pater lier Filius qui
iitriusque siirittis est. Mhil 2'ytel.iir in Imc Tri
nitatc knipOTtlus Icasve dislare: sed hier Iria
œqualia esse el coœterna, el oinnino esseunana-
tura ; non a Pâtre aliam, et a Filio aliam, et a
Spiritu Sancto aliam condit m esse creaturam :
sed nmnia et siyigula quœ creata sunt vel cre :n-
tur Trinitale créante, snbsistere ; nec qiiemquam
liberari a Pâtre sine Filio et Spiritu Sanrio, aul
a Filio sine Paire et Spiritu Sancto, aut a Spi-
ritu Sancio sine l'atre et Filio: sed a Patrc et
Filio et Spiritu Sancto, uno, vero, vereqne im-
mortali, id est omni modo incommutahili, solo
Deo. Aiigust., Epist. 109. cap. n, uuin. 5, jiag. 604.
' Res igitur quihus fruendum est. Pater el Fi-
lius el Spiritus Sanctus, ea emque Trinitas. una
quœdain summa res , communisque omnibus
frueiitibus ea ; si tamen res et no<i rerum om-
nium causa sit, si lamen el causa. Non enim fa-
cile nomen quod tantce exccllentiœ conceiiiat po-
test invrniri. njsi quod melius ita dicilur Trini-
tas liœc : IJuus Deus ex quo omiiin. pm- quera om-
nia, ia quo omuia. lia Paler el Filius el Spiri-
[iv' ET r siècLEs.] SAINT AUGUSTIN ,
cependant on peut donner ce nom à ce qui
est la cause de toutes choses, et si même
c'est assez dire que de l'eu appeler la cause :
car il n'est pas aisé de trouver un nom qui
puisse définir un être si sublime; si l'on
n'aime encore mieux dire que cette seule di-
vinité en trois personnes, est le principe, le
soutien et la fin de toutes choses. Ainsi, le
Père, le Fils et le Saint-Esprit sont tous trois
ensemble un seul Dieu, quoique chacune de
< es trois personnes soit aussi Dieu. Chacune
des trois est une substance entière et par-
faite, et toutes trois ensemble ne sont qu'une
seule substance. Le Père n'est ni le Fils ni
le Saint-Esprit. Le Fils n'est ni le Père ni le
Saint-Esprit. Le Saint-Esprit n'est ni le Père ni
le Fils. Le Père est seulement le Père; le Fils
seulement le Fils ; le Saint-Esprit seulement le
Saint-Esprit; à tous trois appartient la même
éternité, la même immuabilité, la même
majesté, la même puissance. Dans le Père
est l'unité, dans le Fils est l'égalité, dans le
Saint-Esprit est le lien de l'unité et de l'éga-
lité.Ces trois choses sont toutes trois une dans
le Père, toutes trois égales dans le Fils, toutes
trois unies dans le Saint-Esprit. Dans cette
Trinité invisible et incorruptible ' que l'Église
catholique fait profession de croire et de
prêcher, Dieu le Père n'est pas le père du
Saint-Esprit, mais du Fils ; Dieu le Fils n'est
pas fils du Saint-Esprit, mais du Père ; Dieu
le Saint-Esprit n'est pas l'esprit du seul Père,
ÉVÊQUE D'HIPPONE.
639
ni du seul Fils, mais du Père et du Fils con-
jointement. Et quoique chaque personne ait
sa propriété et sa substance particulière,
néanmoins , cette Trinité n'est qu'un seul
Dieu et non pas trois dieux par l'indivisibilité
et l'inséparabilité de son essence ou de sa
nature, qui comprend -indivisiblement l'éter-
nité, la vérité et la bonté. Autant donc nous
sommes capables dans l'état présent de com-
prendre ce mystère et de l'entrevoir comme
en énigmes, et comme on voit les choses à
travers un verre obscur, nous révérons dans
le Père la puissance, dans le Fils la naissance,
et dans le Saint-Esprit la communion du
Père et du Fils, et dans les trois une parfaite
égalité. Cette Trinité ^ n'est qu'une même
nature et une même substance, qui n'est pas
moindre en chacune des personnes que dans
toutes, ni plus grande dans toutes qu'en
chacune. Il y a tout autant dans le Père seul,
ou dans le seul Fils, que dans tous les deux,
et tout autant dans le Saint-Esprit seul, que
dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit pris
ensemble. Le Père engendre sou Fils de sa
substance, mais sans aucune diminution de
cette même substance. Il en est de même du
Saint-Esprit qui laisse en son entier le prin-
cipe d'où il procède, et qui, pris avec son
piincipe, n'a rien de plus que pris séparé-
ment, et tel qu'il en sort ; ainsi, s'il en procède,
c'est sans en rien diminuer, comme il y est
sans y rien ajouter. Ces trois sont donc un
tus Sanctus, et singulus quisque horum plena
siibstaniia, et simul omnes una suhstantia. Pa-
ter nec Filius est nec Spiritus Sanctus, Filius nec
Pater est nec Spiritus Sanclus , Spiritus Sanctus
nec Pater est nec Filius, secl Pater ta.ituin Pa-
ter, et Filius tantum Filius, et Spiritus Sanctus
tantum Spiritus Sanctiis: eadem tribus œterni-
tas, eadem incommutabilitas , eadem majestas,
eadem poteslas. In Pâtre unitas, in Filio œqua-
litas , in Spiritu Sancto unitatis œqualitatisque
concordia; et tria hœc unum oinnia propter l'a-
trem , œqualia omnia propter Filiam , connexa
omnia propter Spiritum Sanctvm. Aiigust. , lib. I
De Boct. christ-, cap. v, pag. 6 et 7.
1 In illa innisibiU et incorruptibili Trinitate,
quam fides nostra et catholica Ecclcsia tenet et
prœdicat, Deum Patrem non Spiritus Sancti Pa-
trem ease, sed Filii, et Deum Filium non Spiri-
tus Sancti Filium es e, sed Patris: Deum autem
Spiritum Sanctuiu non solius Patris aut solius
esse Filii Spiritum, sed Patris et Filii; et hanc
Trinitatem, qttamois servata singularum pro-
prietate et substanlia personarum , tamen prop-
ter ipsam indididuam et inseparabilem œlerni-
tatis, verilatis, bonilatis essentiam vel naturam,
non esse très Deos, sed unum Deum, Ac per hoc,
pro captu nosiro , quantum ista per spéculum et
in œnigmdte, prœsertim talibus, quales adhuc
sumus, videre conceditur , insinuatur nobis in
Paire auctoritas, in Filio nalioitas. in Spiritu
Sancto Patris Filiique coinmunilas. in tribus
œqualitas. August. , Serm. Il, cap. xn, num. 18,
tom. V, pag. 392.
^ Hcec Trinitus unius est ejusdemque naturœ
atque substantiœ, non minor in singulis quam in,
omnibus, nec major in omnibus, quam in singu-
lis, sed tanta in solo Pâtre, vel in solo Filio,
quanta in Pâtre simul et Filio, et tanta in solo
Spiritu Sancto, quanta simul in Pâtre et Filio et
Spiritu Sancto. Neque enim Pater, ut haberet F,s
Hum de seipso, minuit seipsum; sed ita geuuit de
se aller um se, ut tolus maneret in se et esael in
Filio tanlus, quantus et soins. Similiter et Spiri-
tus Sanctus integer de integro. non prœcedil unde
procéda, sed tantus cum illo quantus ex illo, nec
minuit eum procedendo, nec auget hœrendo ; et
hœc omnia nec confuse unum simt, nec disjiuicte
tria sunt : sed cum sint unum tria sunt, et cum
sint tria unum sunt. August., Epist. 170. num. 5,
pag. GU9. VideWh. Vlll De Trinitate, num. 2, pag.
863 et 866.
640
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Sur les mis-
sions divines
H j.rocession
du StiDt-Es-
jril.
sans confusion et trois sans division. Et,
comme leur unité n'empêche pas que ce ne
soient trois choses distinctes, leur distinction
n'empêche pas non plus qu'il n'y ait entre
eux une parfaite unité. »
56. <i Le Père seul ' n'a pas été envoyé,
comme on le remarque par l'ixriture, parce
que le Père n'a pas été engendré, et ne pro-
cède de personne. Que , s'il n'a pas été
envoyé, ce n'est pas qu'il soit d'une nature
différente des autres personnes; mais parce
qu'il en estl'origine : car le feu ne vient pas
de la lumière ou de la chaleur, mais la lu-
mière et la chaleur viennent du feu. On ne
peut pas dire que le Saint-Esprit ne procède
point du Fils ^, piiisqu'il est nommé l'esprit
du Père et du Fils; mais il procède de l'un
et de l'autre ', non comme de deux princi-
pes, mais comme d'un seul : car, de même
que le Père et le Fils sont un seul Dieu, et
relativement à. la créature un seul Créateur
et un seul Seigneur , de même aussi ils ne
sont qu'un seul principe par rapport au Saint-
Esprit qui procède de l'un et de l'autre. Mais
dans cette Trinité coéternelle ', égale, in-
corporelle, immuable, et inséparable, il est
dillicile de distinguer la génération de la
procession, et d'expliquer '' quelle différence
il y a entre procéder et naîti'e dans la Tri-
nité. )) Saint Augustin avoue son impuissance
à' cet égard, et ne croit pas qu'il y ait un
homme assez hardi pour expliquer cette dif-
férence. Il dit du Saint-Esprit ^ qu'il n'est
pas créature, mais vrai Dieu, égal au Père
et au Fils, coéternel et consubtantiel dans
l'unité de la Trinité.
37. Comme il y a dans l'Écriture plu-
sieurs façons de parler qui regardent la
Trinité, et qu'il n'est pas aisé d'entendre,
le saint Docteur doune quelques règles qui
en peuvent faciliter l'intelligence. 1° Par le
nom de Dieu il faut entendre ordinairement
toute la Trinité. Ainsi ' quand il est dit que
Dieu possède seul V immortalité, que c'est lui
qui fait seul de grands prodiges , cela s'en-
tend des ti'ois personnes. 2° Les ^œuvres de
la Trinité au dehors étant inséparables, ce
qui est affirmé d'une personne doit être en-
tendu des autres. C'est ce que ce Père pi'ouve
par l'exemple de plusieurs actions qui, attri-
buées en un endroit de l'Écriture, à une per-
sonne de la Trinité, sont ailleurs appliquées
l'expli
de c
dirilcu. I
Cli&Dt
Dite.
1 Solus Pater non legitur inissiis, quoniam so-
ins non habet auctorem a quo genitus sit, vel a
quo procédai. Et ideo non propter naturœ diver-
sitatem quœ in Trinitale nulla est, sed propter
ipsam aMctoritatem soins Pater non dicitur mis-
sns. A'o» enim splendor aut ferror ignem; sed
ignis mittit, sive splendorem, sive fervorem. Au-
gnst., lit). Contra serin, arian., cap. iv, tom. VllI,
pag. 627.
2 Nec possumus dicere quod Spiritns Sanctus
et a Filio non procédât ; neque enim frustra idem
Spiritvs et Palris et Filii spiritus dicitur. August.,
lib. IV De Trinit., cap. xx, nuin. 29. Credimus, et
tenemns et fideliter prœdicamiis. quod... Spiritns
Sanctus simul et l'atrls et Filii sit spiritus, et
ipse consiibslantialis et coœlermis ambobns Au-
gust., lib. XI De Civlt. Dei, cap. xsiv, pag. 290.
3 Fatendnm esse Patrem et Filium principium
esse Spiritus Sancli, non duo principia ; sed sicnt
Pater et Filins nans Dens, et ad creaturam. rela-
tive nnns creutor et nnus Dominus; sic relative
ad Spirilnm Sanctum 'unum principium. August.,
lib. V De Trinit., cap. xiv, unm. 15, pag. 841.
' In illa coœterna et œquali et incorporali et
ineffabiliter ini mutabili alque inseparabili Trini-
tale difliciltimum est generalionem a processione
distinguere. iVugust., lib. XV De Trinit., num 48,
pag. 1000.
5 Quid auteni inler uasci et procedere intersit,
de itla excellentis.'<ima natnra loqucns, cxplicare
quis potesl ?... Distinguere autem inter illam ge-
neralionem,et hanc processioncm nescio, i.on va-
leo, non suffwio. August., lib U Contra Maxim.,
cap. XIV, pag. 703.
^ Quia et ipse (Spiritus Sanctus) Deus, non
creatura. Quod sinoncreatnra, non tanlum Dens
fnam et homines dicli sunt diij : sed etiam vèrus
Dens. Ergo Patri et Filio prorsus œqnalis, et in,
Trinitatis nnitate consubslanlialis et coceternns.
August., lib. 1 De Trinit., num. |3, pag. 756.
' Intelligitur non tantum modo de Pâtre dixisse
apostolum Paulum: Qui solus habet iuimortalita-
tem, sed de uno et solo Deo quod est ipsa Trini-
tas recte ergo ipse Deus Trinitas intlligilur
beatus et solus polens sic enim dictum est:
SoUis babet iramortalitatem; qnomodo dicttini est:
Qui facit mirabilia solus. Qxiod velim scire d' quo
diclvm accipiant : si de Paire tantum, quomodo
ergo verum est, quod ipse Filins diiit : Qucecum-
que euim Pater facit, hsec eadem et Filius facit si-
ruiliter? An quidquam est inter mirabilia mirabi-
lius quam ressuscilare et vivificare morluos? Di-
cil autem idem Filins : Sicut Pater suscitât mor-
tuos et viviâcat, sic et Filius quos vult viviBcat.
Quomodo ergo solus Pater facit mirabilia, cnm
hœc verba nec Patrem tantum, nec Filinm tan-
tum permutant intelligi, yed utique Deum mium
verum sotum, id est Patrem et Filium et Spiri-
tum Sanctum. August., lib. I De Trinit., uum. 10
et H, pag. 735.
8 Hec a solo Filio missus est (Spiritus Sanctus),
sicut scriptum est : Cum ego abiero mittam illum
ad vos ; sed a Pâtre quoque, sicut scriptum est:
Quem mittet Pater in uomiue meo. Ubi ostendi'
tur quod nec Pater sine Filio, nec Filius sine Pa-
ire misit Spirilum Sanctnm. Inscparabilia quippe
sunt opéra Trinilalis. August., lib. Contra serm.
arianorum, cap. 4, pag. 627.
[[V» ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
641
à d'autres personnes. «Jésus-Christ dit dans
saint Jean : Le consolateur qui est le Saint-
Esprit, que mon Père enven^a en mon nom,
vous enseignera toutes choses , et vous fera l'es-
souvenir de tout ce que je vous ai dit. Qu'est-
■ ce que cela signifie ? Est-ce ' que le Fils nous
parle seulement, et le Saint-Esprit nous ins-
truit; de sorte que nous entendions seule-
ment parler le Fils , et qu'il faille que le
Saint-Esprit nous donne l'intelliaence de ce
que le Fils dit; comme si le Fils pouvait
parler sans le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit
instruire sans le Fils ? Le Fils et le Saint-Esprit
ne sont-ils pas tous deux l'un et l'autre?
Et lorsque Dieu nous parle et nous instruit ,
n'est-ce pas la Sainte-Trinité qui nous ins-
truit et qui nous parle ? Mais parce que dans
cette Trinité il y a trois personnes différentes,
il fallait parler distinctement de chacune,
quoique nous les croyons insépai'ables dans
leurs opérations. C'est pour cela que l'Écri-
ture fait quelquefois parler le Père, comme
lorsqu'il est dit : Le Seigneur m'a dit : Vous
êtes mon fils. Quelquefois elle dit qu'il ins-
truit, comme lorsque Jésus dit : Celui qui
écoute mon Père et qui en est instruit, vient à
moi. Quelquefois elle fait parler le Fils,
comme nous voyons que le Fils vient de dire
en parlant du Saint-Esprit : // vous fera res-
souvenir de ce que je vous ai dit. Quelquefois
elle le représente instruisant, comme quand
il est dit : Vous n'avez qu'un maître , qui est
Jésus-Christ. Quelquefois elle fait instruire le
Saint-Esprit, comme nous venons de voir par
ces paroles : Le Saint-Esprit que mon Père Joan.!,n-,3G.
enverra en mon nom, vous enseignera toutes
choses. Et quelquefois elle le fait parler,
comme lorsqu'il est dit dans les Actes des
apôtres, que le Saint-Esprit dit à saint Pierre *':'■ ==. -"■
d'aller avec les gens qiie Corneille avait en-
voyés. C'est donc toute la Trinité qui parle
et qui instruit. Mais , si l'Écriture n'avait
parlé séparément de chaque personne, l'es-
prit de l'homme est si faible, que nous n'au-
rions jamais pu nous former aucune idée de
la Trinité : car, comme elle est inséparable
en tout, si l'Écriture ne nous en eût Jamais
parlé que de la sorte, et sans parler séparé-
ment de ce que faisaient les personnes dont
elle est composée, nous n'aurions jamais pu
la reconnaître pour Trinité. »
Une troisième règle est que ^ ce qui se dit
subtantiellement euDieuetnonrelativement,
s'entend de toute la Trinité, en sorte, que si
on l'apphque à une personne, on peut aussi
l'entendre des autres. Ainsi c'est de toute
la Trinité qu'il est dit dans les Psaumes :
Vous êtes le seul grand Dieu; et ce que Jésus-
Christ dit lui-même , qu'il n'y a que Dieu
seul qui soit bon , au lieu que ce qui se dit
relativement, comme Père et Fils , ne peut
s'appliquer qu'à une seule personne. La
quatrième ' règle est celle-ci : De ce qu'une
personne de la Tiùnité en glorifie une autre
1 Paracletus autem, inquit, Spiritus Sanctus,
quem mittet Pater in nomine meo, ille vos docebit
omuia, et commemorabit tos omuia qusecumque
(lixero vobis. Num quidnam dicit Filins et docet
Spiritîis Sanctus, ut dicente Filio verba capia-
mits, docente autem Spiritit Sancto eadem verba
intelligamus? Quasi dicat Filius sine Spiritu
Sancto, aut Spiritus Sanctus doeeat sine Filio :
aut vero non et Filius doeeat et Spiritus Sanctus
dicat, et ciim Deus aliquid dicit et docet, Trinitas
ipsa dicat et doeeat? Sed quoniam Trinitas est,
oportebat ejus singulas insinuare personas, eani-
que nos distincte audire, inseparabiliter intelli-
gere. Audi Patrem dicentem ubi legis : Doiuinus
dixit ad me : Filius meus es tu. Audi et docen-
iem ubi legis : Omuis qui audivit a Pâtre et didi-
cit, venit ad me. Filium vero dicentem modo au-
disti, de se quippe ait : Quceoumque dixero vobis :
quem si et docentemvis nosce, magistrum recole :
Unus est, mg«i(, magister Tester Christus. Sptri-
tum porro Sanctum., quem modo audisti docentem
ubi dictum est : ]pse vos docebit omnia ; audi
etiam dicentem, ubi legis in Actibiis apostolorum,
beato Petro dixisse Spiritum Sanctum : Vade cum
illis quia ego misi eos. Omnis igilur et dicit et
docet Trinitas : sed nisi etiam singillatim com-
mendaretur, eoni nullo modo humana capere uti-
que posset infirniitas. Cum ergo omnino sit inse-
parabilis, nunquam Trinitas esse sciretur si sem-
per inseparabiliter diceretur. August., Tract. 77
in Joan., num. 2, pag. 696-697.
2 Illud prcBcipue teneanvus, quidquid ad se dici-
tur prœstantissima illa et divina sublimitas, sub-
stantialiter dici; quod autem ad aliquid, non
substantialiter, sed relative; tantamque vim esse
ejusdem substantice in Pâtre et Filio et Spiritu
Sancto, ut quidquid de singulis ad seipsos dicitur,
non pluraliier in summa, sed singulariter acci-
pialur non enim de Pâtre solo, sed de Pâtre
et Filio et Spiritu Sancto scriptum est : Tu es Deus
soins magnus nec très boni, sed unus est bonus
de quo dictum est : Nemo bonus nisi solus Deus.
August., lib. VIII De Trinit., cap. viii, num. 9,
pag. 837.
3 Potens est Spiritus Sanctus glorificare Fi-
lium, quem glorificat Pater. Quod si ille qui glo-
rificat, eo quem glorificat major est, sinant ut
œquales sint qtii se invicem glorificant. Scrip-
tum est autem q^iod et Filius glorificat Patrem:
Ego te, inquit, glorificavi super terram. Sane ca-
veant ne putetur Spiritus Sanctus major ambobus,
quia glorificat Filium quemglorifi.cai Pater, ipsum
41
Giû
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
ce n'est point une marque qu'elle soit infé-
rieure , car toutes les trois personnes se glo-
rifient mutnellement.
surrincar. 38. « Dicu clioisit '■ de la nation des Cbal-
le do Difu deens, dit samL Augustra,- un homme f.l une
tîaiis ce m\s- .,,., • n , i T ^ — 1-.:
tire. piéte snicero , qui fut Abraham , pour lui
révéler et lui confier ses promesses, qui ne
devaient être accomplies qu'après plusieurs
siècles, dans les derniers temps dn monde ;
et lui prédit que toutes les nations seraient
bénies dans sa race. Cet homme qui ne con-
naissait et n'adorait point d'autre dieu que
le véritable Dieu , créateur de l'univers, en-
gendre un fils dans sa vieillesse, d'une femme
à qui l'âge aussi bien que la stérilité avaient
ôté toute espérance d'avoir des enfants. De
ce fils sort un grand peuple qui s'accroît
prodigieusement en Egypte, oii les disposi-
tions de la Providence, qui se marquaient de
jour en jour par de nouvelles promesses, et
par les effets dont elles étaient suivies ,
avaient fait passer cette race des contrées
d'Orient. Ce peuple déjà puissant fut tiré de
la servitude d'Egypte par des prodiges et
des miracles inouïs, et ayant été conduit et
établi dans la terre de Chanaan, qui lui avait
été promise, il s'y accrut jusqu'à former un
royaume considérable. Mais, s'étant laissé
aller an péché, et ayant souvent offensé, par
des actions sacrilèges Dieu , dont il avait
reçu tant de bienfaits , il fut puni par plu-
sieurs calamités, entremêlées néanmoins de
diverses prospérités et de douceurs, à mesure
qu'il venait à reconnaître son Dieu, qui le
conduisit ainsi jusqu'au terme de l'Incarna-
tion et de la manifestation de Jésus-Christ.
Toutes les promesses, toutes les prophéties
faites à ce peuple, son sacerdoce , ses sacri-
fices, son temple, et tous les sacrements de
sa religion étaient destinés à marquer que
ce Christ, Verbe de Dieu, et Dieu lui-même,
viendrait au monde, revêtu de chair, qu'il y
souffrirait la mort, qu'il ressusciterait , qu'il
monterait au ciel, et que dans toutes les
nations il y aurait des hommes consacrés à
son nom , par la vertu duquel la rémission
des péchés et le salut éternel seraient donnés
à ceux qui croiraient en lui. Jésus-Christ
vient donc an monde , et par sa naissance,
sa vie, ses paroles, ses acLions, ses souffran-
ces, sa mort, sa résurrection, son ascension,
il accomplit tout ce que les prophèfes avaient
prédit. Incontinent après, il envoie son Saint-
Esprit aux fidèles assemblés dans une même
maison, où ils vivaient dans la prière, en
attendant avec des désirs continuels ce don
du ciel, et l'accomplissement de la promesse
qui leur avait été faite. Ces disciples remplis
du Saint-Esprit parlent tout d'un coup les
langues de toutes les nations; ils attaquent
courageusement les erreurs ; ils prêchent les
vérités qui nous sauvent; ils exhortent les
hommes à faire pénitence de leurs péchés, et
leur promettent qu'ils en obtiendront le par-
don. iMon-seulement ils prêchent la véritable
religion et la vraie piété, mais, afin qu'on
ne puisse douter de ce qu'ils prêchent, ils
le confirment par des miracles les plus capa-
bles d'en établir la véiité. Cependant la rage
des infidèles s'allume conir'eux; mais comme
ils ne souffrent rien qui ne leur ait été pré-
dit, leurs souffrances mêmes les fortifient
dans l'espérance de ce qui leur a été promis,
et les rendent encore plus fidèles à ensei-
gner aux hommes les vérités dont ils sont
chargés. Quoiqu'en petit nombre , ils par-
courent toute la terre, ils convertissent toutes
les nations avec une facilité admirable, ils
croissent au milieu de leurs ennemis, et
tous les maux qu'on leur fait souffrir ne ser-
vent qu'à les répandre jusqu'aux extrémités
du monde. D'une poignée de gens qu'ils
étaient, grossiers, ignorants et méprisés, ils
se trouvent tout d'un coup éclairés et célé-
brés partout le monde, et se multiplient avec
une vitesse incroyable , faisant plier sous le
joug de Jésus-Clu'ist les plus grands esprits,
les plus éloquents , les plus sublimes et les
plus savants hommes du monde, dont ils
font non-seulement des sectateurs, mais des
prédicateurs de la doctrine du salut, et de
la véritable piété. Dans les divers retours
des adversités et des prospérités qui leur
arrivent, ils ne songent qu'à soutenir coui-a-
geusement les unes, et à user sobrement des
autres, et, lorsqu'ils voient que le monde
tend à la fin, et que les débris de toutes les
choses l'annoncent , leiu' espérance se ra-
nime ; et se souvenant que ces marques
même du déclin dn monde ont été prédites,
ils attendent avec plus de confiance que
jamais la félicité de la céleste pafi'ie. Pen-
dant que l'Église de Jésus-Christ combat de
celte sorte, les nations impies et infidèles
mUem nec a Paire nec a Vilio scriptnm est glorifi- ' Augii?t.,
cari. A\iKnst., lib. H De Tvinit., cnp. iv, [wg. Tio. «S.
Ephl. i37. miiu. 13, et scq.,. jiag.
[lye J.J ^c SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
frémissent contre plie, et en font l'objet de
leur rage et de leur fureur. Âîais elle de-
meure victorieuse par sa patience, et par un
ai tachement inviolable à la foi. Malgré les
cruautés de ses persécuteurs , dès que la
vérité, si longtemps cachée sous les figures
mystérieuses qui en exprimaient la promesse,
vient à paraître , et que le sacrifice qui lui
convient commence à s'établir, ceux de l'an-
cienne loi qui n'étaient que des figures de
celui-ci s'abolissent, et le temple même, qui
était le seul lieu où on pût l'offrir, est dé-
truit. »
« Le peuple juif, poursuit saint Augustin,
réprouvé pour son incrédulité, est chassé de
son propre paj's, et dispersé par le monde,
afin qu'il porte de toutes parts les livres
saints, et qu'on ne puisse pas dire que les
prophéties qui prédisent Jésus-Christ et son
Eglise, sont des pièces fabriquées après coup
parles chrétiens, puisqu'elles sont produi-
tes par nos adversaires dont l'incrédulité est
prédite dans ces mêmes livres. Les idoles et
les temples des démons se détruisent peu à
peu, et tout le cidte sacrilège qu'on leur
rendait s'abolit comme il avait été prédit.
Enfin il s'élève des hérésies contre le nom
de Jésus-Christ, qui se couvrent néanmoins
du nom même de Jésus-Christ, et cela ar-
rive, comme il a été prédit, pour donner
lieu à l'Église de manifester de plus en plus
les trésors de la sainte doctrine, dont elle
est la dépositaire. Tout cela est arrivé de
point en point, comme il avait été prédit
dans les livres saints, et l'accomplissement
si juste de tant de prophéties nous fait at-
tendre avec confiance ce qui reste à accom-
plir des promesses de Dieu. Où est l'âme
ÉVÊQUE D'HIPPONE.
643
touchée du désir de l'éternité, et que le peu
de durée de la vie présente ait fait rentrer
en elle-même, qui puisse ne pas se rendre
à des preuves si lumineuses, et qui portent
si visiljlemcnt le caractère de Dieu? Jésus-
Christ est venu en ce monde sauver les pé-
cheurs, il n'y a point d'autre raison qui l'ait
fait venir ' ; ce ne sont pas nos mérites, mais
nos péchés qui l'ont attiré du ciel sur la
terre. Il n'est venu que pour nous guérir de
nos maladies. Olez les maladies -, ôtez lès
blessures, et l'on n'aura plus besoin de
médecine. Puisqu'il est venu un si grand
médecin du ciel, il fallait bien qu'il y eût un
grand nombre de malades sur la terre, c'est-
à-dire tout le genre humain. Si l'homme '
n'avait point abandonné Dieu, Dieu ne se
serait pas fait homme. »
Mais ne pouvait-il pas racheter les hom-
mes et les tirer de l'état où le péché les avait
réduits, par un autre moyen que celui de
l'incarnation ? Saint Augustin répond * :
« Comme toutes choses sont soumises à la
puissance de Dieu, il n'a pas manqué d'au-
tre moyen ; mais comme il n'y en avait point
de plus convenable, il ne devait pas y en
avoir d'autre que celui qu'il a pris pour nous
sauver. Car rien n'était plus nécessaire pour
relever notre espérance et pour empêcher
que les esprits des hommes, rabaissés par l'é-
tat de leur condition mortelle, ne désespéras-
sent de pouvoir parvenir àTimmortaMté, que
de nous faire voir de quel prix nous étions
auprès de Dieu , et quel amour il avait pour
nous. Or, quelle marque plus évidente Dieu
en pouvait-il donner, que l'incarnation de
son Fils? »
Quelqu'un demandera peut-être pourquoi
' Qiiare fChristus) venit in mundum? PeccatO'
res salvos facere. Àlia causa non fuit, quare ve-
niret in mundum. Non euin de cœlo ad terram
mérita nostra, sed peccala duxerunt. August.,
Serm. 174, cap. vu, num. 8, pag. 8-3'i-.
2 Toile morbos, toile vulnera, et nuila causa
est medicince. Si venit de cœlo magnus medicus,
magnus per totum orbem terrœ jacebat œgrotus.
Ipse œgrotus genus humamim est. Augiist., Serm.
173, nmn. 1, pag. 833.
' Si tu, 0 homo, non diinitteres Beum, non fie-
ret pro te Deus homo. August., serm. 2 in Psal.
XXXVI, num. 13, pag. 272.
* Eos itaquc qui dicunt: Itane defuitDeo modus
alius, quo liberaret homines amiseria mortalita-
tis hujus, uL unigenitum Filium Deum sibi coœ-
lernum, hominem fieriveUet, induendo humanam
animam et carnem, mortalemqne factum mortem
perpeli? Parum est sic refellere, ut istum modum
quo nos per mediatorem Dei et homimim homi-
nem Christum Jesum Deus liberare dignatur, as-
seramus bonum et divinœ congruum dignitati :
verum etiam ut ostendamus non alium modum
possibilem Deo defuisse, cujus potestati cuncta
œqualiter subjacent, sed sanandœ nostrœ mise-
riœ convenientiorem modum alium non fuisse,
nec esse potuisse. Quid enim tamnecessarium fuit
ad erigendam speni nostram, mcntesque morta-
lium conditione ipsius mortalilatis abjectas, ab
immortaW.atis desperatione libcrandas, quam ut
demonslraretur nobis quanti nos penderet Deus,
quantumque diligeret? Quid vero hujus rei tanlo
isto indicio manifestius aique prœclarius, quam
ut Dei Filius immutabiliter bonus, in se manens
quod erat, et a nobis pro nobis accipiens quod
non erat, prœter suce naturœ detrimentum, nos-
trœ dignatus inire consortium ? August., lib. XllI
De Trinit., cap. x, num. 13, pag. 936.
644
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Sur la divi-
lilé el rim-
manilé de Jé-
sus-Christ,
le Fils de Dieu a voulu naître d'une femme?
Le saint Docteur répond ' : « Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ étant venu pour sauver
le gem'e humain, composé d'hommes et de
femmes, n'a pas méprisé le sexe des hommes,
puisqu'il s'en est revêtu, ni celui des femmes,
puisqu'il est né d'une d'entre elles ; d'ail-
leurs Dieu a voulu que notre mort étant ar-
rivée par une femme, ce fût d'elle que notre
vie tirât son origine, et que le diable, qui
avait fait tomber l'un et l'autre sexe , fût
vaincu et subjugué par tous les deux. » Saint
Augustin dit encore ^ que, si Jésus-Clmst, se
faisant homme, ne fût pas né d'une femme,
celles de ce sexe auraient en quelque sorte
désespéré de leur salut, dans la pensée que
Jésus-Christ les am'ait rejetées comme ayant
été la cause du péché de l'homme.
39. Yoici comment s'exprime saint Augus-
tin sur la divinité et l'humanité de Jésus-
Christ : « Jésus-Christ, fils de Dieu ^ est
Dieu et homme tout ensemble; Dieu avant
tous les temps, et homme dans le temps.
Dieu parce qu'il est le Verbe de Dieu ; car
le Verbe était Dieu, et homme parce que
le corps et l'âme se sont joints au Verbe
dans l'unité d'une seule personne. C'est
pourquoi, en tant qu'il est Dieu, son Père et
lui ne sont qu'un ; mais en tant qu'il est
homme, le Père est plus grand que lui : car
étant Fils unique de Dieu, non par grâce,
mais par natui-e, il a été fait fils de l'homme,
afin qu'il fût aussi plein de grâce, et, étant
le même, il est l'un et l'autre ; et de l'un et
de l'autre il ne s'est fait qu'un seul Christ.
Ayant, en effet, la forme de Dieu, il n'a point
cru faire un larcin de s'attribuer ce qu'il était
par sa nature , savoir d'être égal à Dieu ;
mais il s'est anéanti lui-même, engrenant la
forme d'un serviteur, sans perdre ni diminuer
la forme de Dieu. Par là il est devenu moin-
dre et est demeuré égal, étant l'un et l'autre
et n'étant qu'un ; mais l'an comme Verbe et
l'autre comme homme. Comme Verbe, il est
égal au Père, et comme homme, il est moin-
dre que lui. Le même et unique fils de Dieu
est aussi fils de l'homme , et le même fils
de l'homme est aussi fils de Dieu. Ce ne
sont pas deux fils de Dieu, un Dieu et un
homme ; mais un seul fils de Dieu ; Dieu,
n'aj-ant point de commencement, homme,
ayant un commencement certain ; l'un et
l'autre est Notre-Seigneur Jésus-Christ. En
tant qu"homme, il n'est point fils adoptif *,
mais fils naturel et unique de Dieu. Nous
ne sommes pas enfants de Dieu ^ par nature
comme lui, mais seulement par la grâce de
l'adoption. Notre foi consiste ° principale-
1 Domimis autem Jésus Christus, quiveneratad
homines liberandos, in quibus et mares et feminœ
pertinent ad salutem, nec mares [aslidivit, quia
marem suscepit, nec feminas, quia de femina na-
tus est. Eue accedit magnum sacramentum, ut
quoniam per feminam nabis mors acciderat, vita
nobis per feminam nascerelur; ut de utraque na-
tura, id est feminina et masculina, victus diabo-
lus cruciaretur, quoniam de ambarum subver-
sione lœtabatur, qui parum fuerat ad pœnam si
ambœ naturœ in nobis liberarentur, nisi etiam per
ambas liberaremur. August., lib. De Agone chris-
tiano, cap. xxn, num. 24, pag. 236.
2 Si ergo vir exsistens, quod utique esse deberet
non nascerelur ex femina, desperarent de se fe-
minœ, memores primi peccati sui, quia per femi-
nam deceptus est primus liomo; et omnino nul-
lam se spem hubere in Chrislo arbilrarentur.
August., Serm. 51, cap. n, num. 3, pag. 2S4.
3 Proinde Christus Jésus DeiFUius. est et Deus
et homo. Deus ante omnia sœcula, homo in nos-
tro sœculo. Detis, quia Dei Vcrbum, Deus eniiii
erat Verbum ; homo autem, quia in unitalem
personœ accessit Verbo anima ralionalis el caro.
Quocirca in quantum Deus est, ipse et Pater
unum sunt; in quantum nutem homo est. Pater
major est illo. Cum enim esset unicus Dei Filius,
non gratia, sed nalura, ut esset etiam plemis
gralia , factus est et hominis filius ; idemque
ipse u',rumque ex ulroquc unus Christus: quia
cum in forma Dei esset, non rapinam arbitratus
est, quod natura erat, id est , esse œqualis Deo.
Exinanivit autem se, accijàens formam servi, non
amillens vel minuens formam Dei. Ac per hoc et
minor est factus, et mansit œqualis, utrumque
MîMts, sicut dictum est. Sed aliudpropler Verbum,
aliud propler hominem ; propter Verbum œqua-
lis Patri,propter hominem minor. Unus Dei fi-
lius, idemque hominis filius; unus hominis fi-
lius, idemque Dei filius : non duo filii Dei Deus
et homo, sed unus Dei filius : Deus sine initia,
homo a certo initio, Dominus noster Jésus Chris-
tus. August., in Enchirid-, cap. xxxv, tom. VI,
pag. 210.
* Opporlebat ergo ut ille {Christus) baptizaret
qui est Filius Dei unicus, non adoptatus. Adop-
tati filii, ministri sunt unici; unicus habetpo-
lestalem, adoptati ministerium. August., Tract. 7
in Joan., num. 4, pag. 343.
5 Non enim nali sumus de Deo, quomodo ille
unigenitus, sed adoptati per graliam ipsius. Au-
gust. Tract 2 in Joan., uum. 13, pag. 302.
^ In hoc maxime fuies nostra consislit, ut cre-
damus unicum Filium Dei, non adopiirum, sed
proprium; non phaniasticum , sed i^erum ; non
temporarium, sed cclcrnum, pro nobis omnia se-
cundum carnem fuit^se perpessum. Leporius in
libello Emrndutionis cui sanctus Augustiuus cum
aliis Afi'ii'iB opiscopis subscripsit. Pag. 1681, toni. II,
Concil. Labb,
[IV ET v« SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,' ÉVÊQUE D'HIPPONE,
ment à croire à un Fils unique de Dieu non
adopfif, mais proprement dit; non imagi-
naire mais véritable; non pour un temps
mais éternel, qui a soufTert pour nous selon
la chair. »
60. Le saint Docteur parle ainsi sui'les deux
natures en Jésus-CIirist en une même per-
sonne : « Reconnaissons donc ' en Jésus-
Christ une double substance, dont l'une est la
nature divine qui l'égale à son Père, et l'au-
tre la nature humaine, par où il est moins
grand que lui. Mais reconnaissons en même
temps que ces deux natures ne sont qu'un
Jésus-Clu'ist, de peur d'introduire dans la
nature divine une quaternité au lieu d'une
Trinité : car, comme le corps et l'âme raison-
nable joints ensemble ne sont qu'un Jésus-
Christ, ainsi Jésus-Christ est tout ensemble
Dieu, une âme raisonnable et un corps. Nous
rec.onnaissons Jésus-Christ dans ce tout di-
vin, et dans chacune des parties dont il est
composé. Quand donc on nous demande par
qui a été fait le monde, nous répondons :
Par Notre-Seigneur Jésus-Christ, quoiqu'il-
n'ait été fait que par Jésus-Clirist comme
Dieu. Et si on nous demande qui a été cru-
cifié sous Ponce Pilate, nous répondons : Jé-
sus-Christ, quoiqu'il n'ait été crucifié que
dans sa forme et dans sa nature de serviteur.
Il en est de même des deux parties dont est
composée son humanité sainte. Par exem-
ple, si l'on nous demande qui est-ce qui n'a
pas été laissé dans les enfers, nous répon-
dons : Jésus-Christ, quoiqu'il ne s'agisse que
de son âme. Si l'on nous demande qui a été
trois jours dans le sépulcre et est après cela
ressuscité, nous disons : Jésus-Christ, quoi-
qu'il ne s'agisse que de son corps. Le nom
de Jésus-Christ est donné dans l'Écriture à
chacune des parties qui entrent dans ce divin
composé, sans que pour cela il y ait ni deux
ni trois, mais un seul Jésus-Christ. Le Sei-
gneur a donc dit : Si vous m'aimez, vous vous
réjouirez de ce que je vous ai dit : Je vais à mon
Père : parce qu'en effet c'est un grand avan-
tage à la nature humaine, et qui mérite bien
qu'on s'en réjouisse avec elle, d'avoir été
ainsi unie au Verbe, au Fils unique de Dieu
qui, l'ayant élevée dans le ciel avec lui, l'a
rendue immortelle et a tellement élevé cette
substance, qui n'était que terre et que pous-
sière dans son origine, qu'elle est devenue
incorruptible et a pris séance avec lui à la
droite du Père. Comme l'âme raisonnable et
le corps ne font qu'une personne ^, de même
Jésus-Christ, Verbe et homme, n'est qu'une
personne composée de deux substances %
parce qu'il est Dieu et homme. On ne peut
pas dire toutefois que Dieu soit une partie
de cette personne, autrement il faudrait dire
que Dieu le Fils de Dieu, n'était pas parfait
avant qu'il eût pris la forme d'esclave, et
qu'il aurait reçu quelque accroissement en
s'unissant à l'humanité. »
(( Dieu donc a pris * notre nature, c'est-à-dire
l'âme raisonnable, et la chair de l'Homme-
' Agnoscamus geminam substantiam Christi,
divinam scilicet qwa œqualis est Patri, huma-
nam qua major est Pater. Utrumque autem si-
mul non duo, sed unus est Christus, ne sit qua-
ternitas, non Trinitas Deus. Sicut enim est ho-
mo anima rationalis et caro, sic unus est Chris-
tus Deus et homo ; ac per hoc Christus, est Deus
anima rationalis et caro. Christum in his omni-
bus, Christum in singulis confitemur. Quis est
ergo per quem factus est mundus ? Christus Jésus,
sed in forma Dei. Quis est sub Pontio Pilato cru-
cifixus ? Christus Jésus, sed in forma servi. Item
de singulis quibus homo constat. Quis non est
derelictus in inferno ? Christus Jésus, sed in ani-
ma sola. Dicitur ergo et in his singulis Christus,
Vertim hœc omnia non duo, vel très, sed unus
est Christus. Ideo ergo dixit : Si diligeretis me,
gauderetis utique, quia -vado ad Pafrem : quia na-
turce humanœ gratulandum est, eo quod sic as-
sumpta est a Yerbo unigenito , ut im,mortalis
conslitueretur in cœlo, atque ita fieret, terra
subliniis , ut incorruptibilis pulvis sederet ad
dexteram Patris. August. , Tract. 78 in Joan.,
num. 3, pag. 699 et 700.
2 Nempc ex quo homo esse cœpit, non aliud
ccepit esse qv.am Dei Filius : et hoc unicus, et
propter Deum Yerbum, quod illo suscepto caro
factum est, utique Deus, ut quemadmodum est
una persona quilibet homo, anima scilicet ratio-
nalis et caro, ita sit Christus una persona. Ver-
bum et homo. August., Enchirid., oap. xxxvi,
pag. 210.
' Porro autem Christus una persona estgeminœ
substantiœ, quia et Deus et homo est. Nec tamen
DeMS pars hujus personœ dici potest; alioquin
Filius Dei antequam susciperet formam servi non
erat totns, et crevit cum homo divinitati ejus
accessit. August. , lib. 11 Contra Maxim. , cap. x
num. 2, pag. 698.
*• Deus ergo naturam nostram, id est, animam
rationalem carnemque hominis Christi suscepit,
susceptione singulariter mirabili vel mirahiliter
singulari, ut nullis justitice suœ prœcedentibus
meritis Filius Dei sic esset ab initio quo esse ho-
mo cœpisset, ut ipse et Verbuni quod sine initio
est, una persona esset. Neque enim quisquam
tanta rei hujus et fidei cœcus est ignorant'a, «t
audeat dicere, quamvis de Spiritu Sancto et Vir-
gine Maria filium hominis natum , per liberum
tamen arbitrium bene vivendo, et sine peccato
646
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Christ ; ce qui s'est fait d'une manière sin-
gulièrement admirable , ou admirablement
singulière; eu sorte que, sans aucun mérite
précédent il a été tellement Fils de Dieu ,
dès qu'il eut commencé à être homme, que
lui et le Verbe, qui n'a point de commence-
ment, n'ont été qu'une même personne : car
nul catholique n'oserait dire que le Fils de
l'homme, quoique né du Saint-Esprit et de
la Yierge Marie, ait mérité par son libre ar-
bitre, en vivant bien et en faisant de bonnes
œuvres, sans aucun péché, d'être Fils de
Dieu, l'Évangile assurant le contraire, lors-
qu'il dit : Le Verbe a été fait chair. Car, où
cette incarnation s'est-elle faite ? sinon dans
les entrailles de la Vierge, où Jésus-Christ
homme a pris commencement? Et lorsque
la sainte Vierge demanda, comment se ferait
ce que l'ange lui annonçait , lange lui ré-
pondit : Le Saint-Esprit descendra en voies,
et vous serez remplie de la force du lYès-Haut,
et c'est pour cela que le Saint qui naîtra de
vous, sera appelé Fils de Dieu. C'est pour
cela, dit-il , non à cause des œuvres qu'il ne
pouvait avoir faites , n'étant pas encore né ;
mais parce que le Saint-Esprit viendra en
vous, et que vous serez remplie de la foi'ce
du Très-Haut. Cette naissance, certainement
gratuite, a joint , dans l'unité d'une même
personne , l'homme à Dieu et la chair au
Verbe. »
« Les bonnes œuvres ont suivi cette nais-
sance, et ne l'ont pas mérité. Je quitte ma
vie ', dit Jésus-Christ. Qui est-ce qui quitte
sa vie ? Et quelle est la vie qu'il quitte ? Ce-
lui qui quitte sa vie, c'est Jésus-Christ. Et
qui est Jésus-Christ? C'est le Verbe fait hom-
me ; et qui, en se faisant homme, n'a pas
pris un corps seulement, mais un corps et
une âme , qui sont les deux parties dont
l'homme est composé ; car il n'y a pas d'ap-
parence qu'il eût pris le corps, qui est la
moindre partie de l'homme, et qu'il n'eût
pas pris l'âme, qui est la principale. »
Jésus-Christ étant donc un composé du
Verbe et de l'homme tout entier, contient le
Verbe, une âme et im corps. «C'est de quoi
il faut se souvenir, dit saint Augustin, car il
y a des hérétiques qui, quoique condam-
nés et chassés de l'Église, ne laissent pas de
tâcher sans cesse d'entrer dans la bergerie
à la manière des voleurs. Ces hérétiques
sont les apollinaristes qui ont avancé , comme
un dogme certain, que le Verbe tenait lieu
d'âme à Jésus-Christ, et que ce même Verbe
en s'incarnant, n'a pris qu'un corps et non
pas une âme comme la nôtre, ou du moins,
une âme raisonnable. Quelques-uns même
d'entre eux soutiennent que Jésus-Christ en
avait une semblable à celle des bêtes, en
quoi ils perdent eux-mêmes la raison. » Le
saint Docteur dit donc que, suivant la doc-
trine de l'Église, nous devons reconnaître
en Jésus-Christ une ûme telle que celle des
autres hommes ; c'est-à-dire une âme raisou-
nable, une âme qui a de l'entendement, une
hona opéra faciendo meruisse, ut esset Dei Filius,
resisiinte Eoangelio alque dicente : Verlnun cai-o
factum est. JVam ubi hoc factuiii est, nisiinulero
virginali, undefuit initium hominis Chrisli? ILcin-
que Virgine requirenle, quomodo fiercl qiiod H
per angelum nuntiabalur, aiigtlus respoadit :
Spiritus Sauotus superveuiet in te, el virtiis Altis-
simi obiimlirabit tihi ; propterea, quorl nascetiu'
ex te saiicluin, voi:abitui' Filius Dei. Propterea,
inquit, nonpropler opéra, quœ, nondinn nali uti-
que iiulla siint; sed propterea qxiia Spiritus Sanc-
tus superveniet in te, el virtus Àltissimi obuin-
brabit tibi, quod nascetur ex te sanctum vocabi-
tur Filius Dei. Isla nalivitas profecto gratinla
conjunxit in unitate personœ hominein Deo, car-
nem Verbo. Islam naUvitalem bona opéra secula
sunt, non bona opéra meruerunl. August., lib. De
Correp. el grat., cap. ii, num. 30, pag. 7fiG-7C7.
1 Pono , inquit, animain nipam. Quii ponit?
Quam ponit? Quid est Cliristus? Verbuin el homo.
Nec sic homo ut sola caro; Sid quia homo cous-
lat ex came et anima; lotus aulem homo in
Christo. lion enim partem deleriorem suscepissct,
el parlem, meliorem deseruisset; pars quippe ho-
minis meliir est anima quam' corpus. Quia ergo
totus homo in Chrislo, quid est Christus? Verbum,
inquam, et homo. Quid est Yerbum et homo?
Verbum anima, et caro. Tenete hoc, quia nonde-
fuerunt hœretici el i7iista scnlenlia pulsi quidem
jam olim a verilate catholica : sed lamen ut fu-
res el lalrones non intrantes per ostitim, insidiari
ovili non desinunt. ÀpoLlinaristas hœretici dicti
sunt, qui ausi sunl dogmalizare quod Christus
non sit nisi Verbum' et caro; animam humanam
non eum assumpsisse contendunt. Kamet aliqui eo-
rtim, fuisse in Christo animam negare non po-
luerunl. Vidcte absurditalem et insaniam non fe-
rendam, animam irrationalem eum habere vo-
luerunl, ralionalem negaverunt : dederunt eiani-
mam pecoris, sublraxerunt hominis. Sed iUi
abstulerunt Chrislo ralionem, non lenendo ratio-
nem. Àhsit hoc a nobis, in jide catholica nulritis
atque fandalis ex hac occasione de aninjains-
Iruamus vos et contra apollinarislas, qui dicunt
Dominumnostrum Jesum Chrislvm non habuisse
animam humanam, id est animam ralionalem,
animani inleltigenlcm, aiiman, inquam, in qua
distamus a pécore, quod homines sumus. August.,
Tracl. 47 in Joan., nuiu. 9, pag, 6)0 81611.
[iV £T V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN,
âme par où l'homme est homme, el distingué
delà bêce. C'est encore suivant la doctrine de
l'Église, qu'il admet deux volontés ' en Jé-
sus-Christ, l'une divine et l'autre humaine.
Mais en parlant de l'union très-intime de la
Divinité avec l'humanité, il se sert du terme
de mélange, disant que^la personne de l'hom-
me est le mélange de l'âme et du corps ; et la
personne de Jésus-Christ, le mélange de
Dieu et de l'homme. Il ne trouve pas qu'on
se. serve d'une expression correcte en appe-
lant-Jésus -Christ l'homme du Seigneur,
quoiqu'elle ait été emploj'ée par quelques
auteurs; il témoigne du regret de s'en être
servi lui-même, avouant, toutefois , qu'on
peut lui donner un bon sens. Il enseigne^,
qu'on ne peut appeler la sainte Yierge mère
de la divinité.
61. « La foi* en un Dieu fait homme, dit
saint Augustin, est si nécessaire à tous dans
cette vie, que personne % ni avant ni après
l'incarnation, n'a été réconcilié avec Dieu sans
le secours de cette foi. D'où vient que saint
Paul nous enseigne qu'il n'y a qu'un seul
Dieu, et un seul médiateur entre Dieu et les
hommes, Jésus- Christ homme. Aussi la vérité
chrétienne ^ ne permet pas de douter que les
EYEQUE D'HIPPONE. 6-17
anciens justes aient dû être purifiés de leurs
péchés, et justifiés sans la foi de l'incarna-
tion, de la mort et de la résurrection de Jc-
sus-Christ. Il ne faut sur cela admettre au-
cune difi'érence entre ces justes; car cetic
foi a été nécessaire à tous, tant à ceux dont
parle l'Écriture, qu'à ceux dont elle ne dit
rien ; mais qui ont été ou avant ou après le
déluge jusqu'à la loi de Moïse, ou même du
temps de cette loi, non-seulement parmi les
enfants d'Israël, comme ont été les prophè-
tes, mais encore hors de ce peuple , comme
a été le saint homme Job. Les cœurs de tous
ces justes étaient rendus purs par la même
foi du Médiateur, et la charité était répandue
en eux par le Saint-Esprit, qui souffle où il
veut, sans être précédée d'aucun mérite,
mais produisant tout mérite ; puisque la
grâce de Dieu ne serait grâce en aucune
manière, si elle n'était entièrement gratuite.
Tous les ' anciens justes n'ont donc été dé-
livrés et justifiés que par la même foi qui
nous sauve, c'est-à-dire par la foi de l'incar-
nation de Jésus-Christ qui leur était prédite
en ce temps-là, comme elle nous est annon-
cée présentement. Ils ont ^ connu et prophé-
tisé Jésus-Christ qui devait venir, ayant été
' In hoc quod ait: Nou quod ego volo, aliudse
ostendit (CItristus) voluisse quam Pater : quod
nisi humano corde non X'oLuisset, cum infirmita-
tein noslram in suum, non divinum sed humamim
transjiguraret affectum. Eomine quidem non as-
suinpto, mtllo modo Palri dicsret unicum Ver-
bum: Non quod ego volo. Nunquam enim jjosset
immutabilis Ma nalura quidquam aliud velle
quam Pater. August., lib. II Contra Maximinum-
arianum, cap. xx, num. 2, pag. 720.
2 1(1 illa ergo mixtura est animœ et corpoiis;
in hac persona mixtura est Dei et hominis. Au-
gust., Epist. 137, num. H, pag. 403.
3 Divinitatem meamnon tu genuisti quia non
eraL illa mater divinitatis. August. Tract. 8 in
Joan., num. 9, pag. 337 et 338.
* Dominus autem manens cum. discipulis per
quadraginla dies , significare dignatus est quia
per istud tempus necessaria est omnibus fuies
incarnalionis Chrisli, quœ ini'irmis est necessa-
ria. August., serm. 26i in die Àscen., num. 5 ,
pag. 1077.
^ Non enim quisquam prœter istam fidem, quœ
est m Chrisio Jesu, sive ante ejus incarnationem,
t:ice postva, reconciliatus est Deo, cum sit ab
Apostolo veracissime dtfuiilum, unus enim Deus
et unus mediator Dei et hominum, homo Chrislus
Jésus. August., î)i Psal. civ, num. 10, pag. 1183.
^ Sine fide ergo incarnationis et mortis et re-
surrectionis Ckristi nec antiquos justos ut justi
essent, a peccatis potuisse mimdari et Dei gratia
justificari, Veritas christiana non dubitat ; sive in
eis justis quos sancta Scriptura commémorât;
sive in eis justis quos quidem illa non commé-
morât, sed tamen fuisse credendi sunt, vel ante
diUivium vel inde usque ad legem datam; vcl ip-
sius legis tempora, non solwm in filiis Israël si-
cut fuerunt prophetœ, sed etiam extra eumdem
populum, sicut fuit Job. Et ipsoruni enim corda
eadein mundabantur mcdiatoris fide, et diffunde-
batur in eis charitas per Spiritum Sanctum qui
ubi vult spiral non mérita sequens, sed etiam
ipsa mérita faciens; non enim Dei gratia erit ullo
modo nisi gratuita fuerit omni modo. August.,
De Peccat. orig. contra Pet., num. 28, pag.
263.
' Vide quemadmodum. ccrmmendat \wnva et uuum
id est, Adam et Christum : illum ad condemna-
tionem, hune ad justi ficationem, cum tanto posi
Adam venerit Chrislus in- carne; ut sciamus
etiam antiquos justos, quicumque esse poluevunt
nonnisi per eamdent fidem liberatos, per quam
liberamur et nos , fidem scilicet incarnationis
Christi, quœ illis prœnuntiabatur , sictit nobis
fada annuntiatur. Ideo idem Christum hominem
dicit, cum sit et Deus, ne quis existimet antiquos
justos per Deum tantummodo Christum, id est
per Verbum quod erat in principio, non etiam
per fidem incarnationis ejus, qua et homo Chris-
tus dicitur, potuisse liberari. August., ad Hilar.,
num. 14, pag. 548.
8 Ipsum antiqui sanciiventurum in révélations
Spiritus cognoverunt et prophctaverunt ; et sio
salvi facti sunt credendo quia veniet, sicut nos
salvi efficimur cndendo quia venit. August., De
Catech. rud., num. 28, p.ig. 282, toui. VI.
648
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
instruits de ce mystère par la révélation du
Saint-Esprit; et ils n'ont été sauvés que parce
qu'ils ont cru qu'il viendrait, comme nous
sommes sauvés par la foi que nous avons de
sa venue. Ils n'ont été ' justifies comme
nous, que par la foi en ce Sauveur, et par
cette véritable justice que ce même Sauveur
est à tous les justes , ayant cru les choses
avant leur accomplissement, comme nous les
croyons présentement qu'elles sont accom-
plies. Ce salut ne leur est point venu par
eux-mêmes, mais par le moyen de la foi et
par un don de Dieu qui ne venait point de
leurs bonnes œuvres, afin qu'ils n'eussent
pas sujet de se glorifier, comme si leurs bon-
nes œuvres avaient prévenu la miséricorde
de Dieu, au lieu qu'eUes en étaient des sui-
tes et des efiets aussi bien que les nôtres.
Non-seulement ils avaient appris , mais ils
nous ont encore laissé par écrit longtemps
avant la venue de Jésus-Cbi'ist, que Die,u au-
rait pitié de qui il lui plairait d'avoir pitié ;
et qu'il ferait miséricorde àcpii il lui plairait
de la faire. D'où saint Paul a conclu long-
temps après que tout dépend, non de celui
qui veut, ni de celui qui court, mais de
Dieu qui fait miséricorde. Ce sont eux encore
qui ont dit longtemps avant la venue de Jé-
sus-Chi'ist : Mon Dieu votre miséricorde me
■préviendra. Comment n'auraient-ils pas été
participants de la foi de Jésus-Cbrisl, ceux
qui nous ont prophétisé Jésus-Clirist, sans la
foi duquel personne n'a été, n'est, ni sera ja-
mais juste ? >)
(1 Nous connaissons votre hérésie, disait
saint Augustin à Julien-. Pelage a assuré
que les anciens justes n'ont pas reçu la vie
par la foi à l'incarnation de Jésus-Christ, par-
ce que Jésus-Christ n'était pas encore venu
dans sa chair. Mais comment les prophètes
eussent-ils annoncé cette vérité future s'ils
ne l'eussent crue ? Vous êtes tombés dans
cette absurdité en soutenant qu'on pouvait
avoir la justice par la nature et par la loi.
Si l'un des deux était vrai, Jésus-Chi'ist se-
rait mort inutilement.» Ce Père soutient que
tous ' ceux qui ont cru au Fils de Dieu depuis
le commencement du monde , qui en ont eu
quelque connaissance, qui ont vécu dans la
piété en gardant ses préceptes, ont été in-
failliblement sauvés par lui , en quelque
temps et en quelque partie du monde qu'ils
aient vécu. Car, comme nous croyons en lui
subsistant dans son Père , mais revêtu d'un
corps depuis qu'il a paru dans le monde ;
les anciens croj^aient aussi en lui comme
subsistant dans son Père , et devant prendre
un corps pour se montrer aux hommes. Et
quoique la diversité des temps fasse qu'on
annonce présentement l'accomplissement de
ce qui n'était alors que prédit, on ne peut
pas dire pour cela que la foi ait varié , ni
que le salut soit autre chose que ce qu'il
était. Encore donc que la religion de Jésus-
Christ ait paru autrefois sous un autre nom,
et sous une autre forme, qu'elle ait été au-
trefois plus cachée qu'à présent, et qu'elle
soit présentement plus développée, et con-
' Unde et antiqui jusli ante Incarnationem
Yerbi, i7i hac p-de Chrisli , et in vera juslilia
quod est iiobis Christus , justiftcati suiit hoc
credentes fulariim quod nos credimus factuin ; et
ipsi gralia salvi facti per fidem, non ex seipsis,
sed Dei dono , non ex operibus, ne forte extolle-
rentur. Bona quippe opéra eorum non prœveite-
riinl miscricordiam Dei, sed subseeuta sunt. Ipsi
quippe audierunt, ipsi scripserunt longe ante-
quam Christus venissel in carne : Miserebor oui
uiisertus ero, et misericonliam prrestabo cui mise-
ricors fuero. Et quibus Dei verbis , lanto post
upostolus Paulus diceret: Igitur nou voleutis ne-
que curreutis sed misercutis est Dei. Ipsorum
etiam vox est lunge anlequam Christus venisset
in carne: Deus meus misericordia ejus prœveuiet
me. Quomodo autem jmssenl alieni esse a fide
Christi, quorum charitate etiam nobis pronuntia-
tus est Cliristus, sine cujus jide quisquam morta-
liuni nec fuit, nec est, nec esse aliquando poterit
justus. Auguêt., De Pat., num. 18, pag. 342.
- Agnoscimus ha:vesi}n vestrani: defmivil enim
Pelagius quod non ex fide incnrnationis Chrisli
antiqui vixcrint justi; quia videlicet nundum in-
carne venerat Christus. Cum profecto id futio-
run non pronunliassent, nisi priores utique cre-
didissent. Sed in hanc absurditatem cecidistis
dum defendilis esse potuisse per naturatn, legem-
que juslitiam : utrumlibel autem si verum est,
ergo Christus gratis moriuus est. August., iib. 11
Oper.imp. contra Jul., cap. cLSxsviir, pag. 1029.
3 Itaque ab exordio generis humani, quicum-
que in eum crediderunt, eumque lUcumque intel-
lexerunt, et secundum ejus prœcepta pie et juste
vixerunt, quandolibet et ubilibel fuerint per eum
procul dubio salei facti sunt. Sicut enim nos in
eum credimus et apud Palrem- manentem, et qui
in carne jam venerit , sic credebanl in eum anli-
qui et apud Patrem manentem, et in carne ven-
turum. Nec quia pro temporum varietate mmc
factum annuntiatur, quod tune fulurum prœ~
nuntiabulur ,ideo fides ipsa variala velsahis ipsa.
diuersa est... proinde atiis tune nonunibus et si-
gnis, aliis aulent nunc et prius occultius, postea
manifestius, et prius a pauciorihu'<, postea a pln-
ribus, una tamen eademqne religio vera signifi-
catur, et obsertatur. August., lib. ad Deogr.,
uum. 12, pag. 277.
[lV° ET V° SIÈCLES.]
nue d'un bien plus grand nombre d'hom-
mes qu'elle ne l'était dans les premiers siè-
cles, c'est toujours la même religion. »
Le saint Docteur enseigne qu'outre le peu-
ple d Israël il y a eu quelques païens qui ont
appartenu à la Jérusalem céleste ; mais que
ce n'a pu être que ceux à qui Dieu , par une
miséricorde particulière , avait découvert
l'incarnation de son Fils. Il ajoute que l'on
peut croire avec raison ' (ju'ils ont même été
poussés à prédire ce mystère longtemps
avant son accomplissement , soit qu'ils aient
été participants de la grâce qu'ils annon-
çaient, soit qu'ils n'y eussent aucune part ,
ou qu'ils eussent reçu cette instruction des
mauvais anges que nous savons avoir con-
fessé Jésus-Christ vivant sur la terre, lorsque
les Juifs le méconnaissaient. « Aussi ne crois-
je pas, dit-il, que les Juifs mêmes osent sou-
tenir que depuis l'élection Je la famille de Ja-
cob et la réprobation de son frère aîné, Dieu
n'ait eu aucun autre serviteur que les en-
fants de ce patriarche. Il est bien vrai qu'il
n'y a eu aucun peuple , à l'exception des
Juifs , qui ait été proprement appelé le peu-
ple de Dieu ; mais ils ne peuvent nier que
dans les autres pays il n'y ait eu quelques
hommes unis aux véritables israiîtites par
une société non de la terre, mais du ciel,
et qui étaient citoyens comme eux de l'éter-
nelle patrie. Parce que s'ils le niaient, il se-
rait aisé de les convaincre par l'exemple de
Job , cet homme si saint et si admirable , qui
n'était ni juif ni prosélyte , mais de la race
d'Ésaii , étant né et mort dans l'Idumée. En
effet, il est loué de telle sorte dans i'Écri-
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
649
ture , qu'elle nous assure que nul homme de
son temps ne lui a été comparable en justice
et en piété. Pour moi , je ne doute pas que
Dieu n'ait destiné cet homme par une provi-
dence particuhère pour nous faire voir, par
ce seul exemple, qu'il a pu aussi y en avoir
dans les autres pays , qui, ayant vécu selon
Dieu, lui ont été agréables , et qui ont appar-
tenu à la spirituelle Jérusalem. Mais nous
devons croire que cette grâce n'a été faite à
d'autres qu'à ceux à qui Dieu a révélé l'uni-
que médiateur entre Dieu et les hommes,
Jésus-Christ homme , qui a été annoncé à
ces anciens saints comme devant venir un
jour , ainsi qu'il nous est annoncé mainte-
nant comme étant venu ; afin qu'une seule
et unique foi conduisit à Dieu par Jésus-
Christ tous ceux qui ont été prédestinés pour
être citoyens de sa ville , les enfants de sa
maison et les pierres de son temple. »
Saint Augustin dit qu'il semble ^ qu'on peut
mettre la sibylle Érithrée au nombre de ceux
qui appartiennent à la cité de Dieu, sans
doute parce qu'il paraissait persuadé que
cette sibylle avait' prédit les mystères de
Jésus-Christ en termes clairs et manifestes. Ce
Père ne fonde donc l'espérance qu'il témoi-
gne avoir du salut de cette femme , dont il
parle néanmoins en termes douteux , que
sur la supposition qu'elle avait reçu de Dieu
la foi en Jésus-Christ, sans laqu elle il a cons-
tamment enseigné qu'il nous est impossible
d'être du nombre des élus. On doit beau-
coup moins faire de fonds sur les louanges
qu'il a données quelquefois'* à Pythagore et à
Platon °, puisqu'il les a désapprouvées dans
' Nonincon()rue credilur fuisse et in aliis gen-
libus homines, quibus hoc mysterium revelatum
est, et qui hoc etiam prœdicere imp'Ulsi sunt, sive
participes ejusdem gratiœ fuerint, sive expertes,
sed per malos angelos docti simt, quos etiam
prœsentem Christum, quem Judœi non agnosce-
bant, scimus fuisse confessas. Nec ipsos Judœos
existimo audere contendere, neminem pertinuisse
ad Deum, prœter IsraelUas, ex quo propago Is-
raël esse cœpit, reprobato ejus fralre majore.
Populus enim rêvera, qui proprie Dei popuhis
diceretur , nullus alius fuit : homines aulem
quosdam non terrena, sed cœlesti societate ad
veros Israelitas supernce cives patriœ pertinen-
tes etiam in aliis gentibus fuisse, negarenonpos-
sunt : quia si neganl, facillime convincuniur de
sanclo et mirabili viro Job, qui nsc indigena,
nec prosdytus, id est, aduena populi Israël fuit;
sed ex génie Idumma genus ducens, ibi ortus,
ibidem mortuus est; qui divino sic laudatur elo-
quio , ut quod ad justiliam pietatemque attinet.
nullus ei homo siwrum tewporum coœquetur
Divinitus autem provisum fuisse non dubito, ut
ex hoc Miio sciremus etiam per alias gentes esse
poluisse, qui secundum Deum vixerunt, eique
placuerunt, pertinentes ad spiritalem Jérusalem.
Quod nemini concessum fuisse credendum est,
nisi eut divinitus revelatus est unus mediator
Dei et hominum homo Christus Jésus, qui ven-
tunis est in carne : sic anliquis sanctis prcenun-
tiabatur, quemadmodum nobis venisse nuntiatus
est, ul una eademque per ipsum fides oimies in
Dei civilatem, Dei domum, Dei templum prœdes-
tinatos perducat ad Deum. Aagust., lib. XVIII De
Civit. Dei, cap. xlvii, pag. 530.
2 In eorum numéro, deputanda videatur, qui
pertinent ad cioitatem Dei. August., lib. XVIII De
Civil. Dei, cap. xxni, pag. 506.
3 Erylhrœa sibylla quœdani de Chrislo mani-
festa conscripsit. Id. ibid., pag. 504.
•'* August., lib. II Contra Àcademicos, cap. vir,
pag. 291, tom. I.
^ August., ibid.
630
Sur !a vo-
lonté eu Dieu
de sauve- Ii-U5
les bomiïies.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
le premier livre de ses * Rétractations. « La
louange, dit-il, que j'ai donnée à Platon ^
et aux platoniciens , plus grande que ne mé-
ritent des hommes impies, m'a déplu avec
raison , yvl principalement que nous sommes
obligés de défendre la doctrine chrétienne
contre leurs grandes erreurs. Ils n'étaient
pas destinés' de Dieu pour convertir les
peuples et les faire passer de la superstition
des idoles et de cette folie universelle du
monde au culte du vrai Dieu , puisque So-
crate lui-même adorait les idoles avec le
peuple. »
62. La volonté en Dieu de sauver tous
les hommes est enseignée par saint Au-
gustin : « Dieu veut \ dit-il , que tous les
hommes soient sauvés, mais sans leur ôter
le libre arbitre , dont le bon ou le mauvais
usage fait qu'ils sont jugés très-justement. Il
est vrai que les infidèles agissent contre la
volonté de Dieu lorsqu'ils ne croient pas à
l'Évangile ; ils ne la surmontent pas néan-
moins, mais ils se privent eux-mêmes d'un
grand et souverain bien , et se précipitent
dans les maux qui leur sont destinés pour
châtiment, devant éprouver dans les suppli-
ces la puissance de celui dont ils ont mé-
prisé la miséricorde dans ses dons. Dieu
voulant donc délivrer' les hommes de la
mort, c'est-à-dire des peines éternelles,
pourrai qu'ils ne fassent pas ennemis d'eux-
mêmes , et qu'ils ne résistassent pas à la
miséricorde de leur créateur , a envoyé son
Fils unique dans le monde , non pour juger
le^ monde, mais afin que le monde soit
sauvé par lui. Le médecin , autant qu'il est
en lui , vient pour guérir le malade ; et si ce
malade ne veut pas observer ses ordonnan-
ces , il est lui-même la cause de sa mort. Le
Sauveur est venu dans le monde. Et pour-
quoi s'appelle-t-il le Sauveur du monde, si
ce n'est parce qu'il est venu pour sauver le
monde et non pas pour le juger ? Si vous ne
voulez pas être sauvés par lui, vous serez
condamnés par vous-mêmes. »
63. On trouve'' dans saint Augustin plu-
CiEérei
* Nec illud mihi placet quod Pythagorœ philo-
sopha tantuin laudis dedi. August., lib. I Retract.,
cap. ni, uiun. 3, pag. 6.
2 f.nus quoque ipsa qua Plalonem vel platoni-
cos lantum exluU, quantum impios hoinines non
opporluit, non iinmerito mihi displicuil: prescr-
tim quorum contra errores magnos defendenda
est christiana doctrina. August., lib. I Retract.,
uum. 4, pag. .'i.
^ A'oji enim sic isli nati erant, ut populorum
suorum opinionem adv^rum cultvm vcri Dei, a
siinulacrorum siipei'siilione alque ab hujiismodi
vanitate converlerent. Atque ipse Socrales cum
populo simulacra venerabutur. August., lib. De
Yera relig., cap. ii, num. 2, pag. 748.
' Vult autem Deus omnes homines salros fieri,
et in agnitiovem veritatis venire; non sic tamen.
ut cis adiwat lihenim arbitrium quo vel bene vel
maie utentes justis.nme judicentur. Quod cum sit,
infidèles quiden conlra rolunialem Dei faciunt
cumejus Ecangelio non credvnt : nec ideo tamen
eam vincrml, verum se ipsos fraudant magno et
summo bono, inalisque pœnalibus iniplicant, ex-
periuri in suppliciis polestatem ejus, cujus in
donis misericordiam conlempserunt. August., lib.
De Spirilu et llltera, num. 58, pag. 118.
ï' A quo interitu hoc est pœnissempiternis Deus
misericors volens homines liberare si sibi non
sint inimici et non résistant misericordiœ crca-
toris sui, misit unigenitum Filium suxtm, etc. Au-
gust., lit). De Catech. rud., uum. 32. pag 29i.
" Non enim misit Deus Filixim suum ut judicet
mundum, sed ut salvetur -mundus per ipsum;
ergo quantum in medico est, sanare venit œgro-
tum.Ipse se interimit qui prœceptamedici obser-
vare non vult: venit Salcator in mundum; quare
Salvator dictus est inundi, nisi ul salvet -mun-
dum, 7ion ut judicet mundum? Salvari non vis
ab illo, ex te jiidicaberis. August., Tract. 12 in
Joan., num. 12, pag. 389, toai. 111, part. 2.
' Cum audimus et in sacris litteris legimus.
quod velil omnes homines salvos fieri, quamris
certum sit nobis non omnes homines sahos fieri,
non tamen ideo debemus omnipotentissimce Dei
voluntati aliquid derogarc, sed ila inlelligere
quod scriptum est : Qui omnes homines vult salvos
fieri, tanqiiam dicerctur, nulluni hominem fieri
salvum, nisi quem fieri ipse voluerit ; non quod
nullus siL hominum . nisi quem salcum fieri relit,
sed quod nultus fiât nisi quem velit; et ideo sit
rogandus ut velit, quia necesse est fieri si volue-
rit. De orando quippe Deo agebat Àpostolus, ut
hoc diceret, sic enim intelllgimus etquodinEvan-
gelio scriptum est : Qui illumiuat omnem homi-
nem, non quia nullus est hominum qtii non illu-
minetur; sed quia :iisi ab ipso liullus illumina-
lur. Aut certe sic dictum est: Qui omnes vult salvos
Ceri ut omnes homines omne genvs humanum
intelligamus per quascicmquediff'erantias distri-
butum, reges,privatos, nobiles, ignobiles, subli-
mes, humiles, doctos, indocios, integri corporis,
débiles, ingeniosos, tardicordes, faluos, divites,
paupcres, médiocres, mares, fennnas, infantes,
pueros. adolescentes, juvenes, seniorcs,senes; in
linguis omnibus, ui moribus omnibus, in artibus
omnibus, in professionibus omnibus, involunta-
tum et conscicnliarum varietate innumerabili
conslitutos, et si quid aliud differenliarum est in
hondnibus. Qui est enim eorum unde non Deus per
%inigenitum suum Dominum^ nostrum per omnes
gentes salvos fieri liomines velit, et ideo faciat
çiuia omnipotensvclle inaniter non potest quod-
cumque voluerit? Prccceperat enim Àpostolus ut
orareiur pro omnibus huuiinibus, et specialitcr
[iv' ET v" SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
sieurs explications différentes de ces paroles
de saint Paul : Dieu veut que tous les hommes
soient sauvés. « Lorsque nous entendons ,
dit-il, ou que nous lisons dans l'Écriture
sainte que Dieu veut que tous les hommes
soient sauvés , quoique nous soyons assurés
que tous les hommes ne sont pas sauvés,
nous ne devons rien ôter toutefois à la vo-
lonté toute-puissante de Dieu ; mais enten-
dre ces termes : Dieu veut que tous les hommes
soient sauvés , couime s'il y avait que nul
homme n'est sauvé si ce n'est ceux qu'il
veut sauver. Le sens n'étant pas qu'il n'y a
personne dont il ne veuille le salut, mais que
nul n'est sauvé que celui qu'il veut sauver.
Et c'est pour cela qu'il faut le prier de le
vouloir, étant infaillible qu'il arrivera s'il le
veut : car l'Apôtre en cet endroit parlait de
la prière. Et c'est ainsi que nous entendons
ce qui est écrit dans l'Évangile : // éclaire
tous les hommes; ce qui ne veut pas dire qu'il
n'y a personne qu'il n'éclaire , mais que nul
n'est éclairé que par lui. »
Le saint Docteur dit qu'on peut encore
entendre ces paroles de l'Apôtre : Dieu veut
que tous les hommes soient sauvés, dans le sens
suivant : « De toute la race des hommes, il
en veut sauver de toute condition : rois,
particuliers , nobles ou non nobles , grands
ou petits , savants ou ignorants , sains ou
malades, ingénieux ou stupides, riches,
pauvres ou médiocres, hommes, enfants,
jeunes, figés ou vieux, de toute langue, de
toutes mœurs, de tous arts, de toute pro-
fession, quelque diversité qu'il y ait entre
eux de volonté, de conscience et de quelque
autre chose que ce paisse être. Car y a-t-il
quelque état et quelque qualité dont Dieu
ne veuille sauver les hommes dans toutes
les nations par son Fils unique Notre-Sei-
gnem', et qu'il ne le fasse , parce qu'en quoi
que ce soit la volonté du Tout-Puissant ne
EVEQUE D'HIPPONE.
6S1
peut jamais être vaine ? L'Apôtre avait or-
donné que l'on priât pour toute sorte de
personnes, et il avait ajouté particulière-
ment pour les rois et pour ceux qui sont
constitués en dignité , et que l'on pouvait
croire être trop environnés du faste et de la
gloire du monde pour pouvoir embrasser
l'humilité de la religion chrétienne. C'est
pourquoi ayant dit que c'est une chose
agréable à Notre-Seigneur de prier pour ces
personnes , il ajoute, pour ôter toute occa-
sion de désespoir : // veut que tous les hom-
mes soient sauvés, et qu'ils viennent à la con-
naissance de la vérité. Dieu ayant voulu sau-
ver les grands par les prières des petits, ce
que nous voyous déjà accompli, Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ s'est servi dans l'Évangile
d'une même façon de parler, lorsqu'il dit
aux Pharisiens : Vous donnez la dîme de la
rue et de toutes les herbes , quoique les Pha-
risiens ne donnassent pas les dimes des her-
bes qui n'étaient pas à eux, et qu'ils n'eus-
sent pas toutes les herbes qui naissent sur
la terre et dans toute sorte de pays. Comme
donc toutes les herbes signifient en cet endroit
toute sorte d'herbes , ainsi , en cet autre ,
tous les hommes signifient toute sorte d'hom-
mes. Et cela peut être encore entendu de
quelque autre' façon que ce soit, pourvu
que nous ne soyons pas obligés de croire
que le Dieu tout-puissant ait voulu quelque
chose qui n'ait point été fait : puisque s'il est
clair, comme la Vérité le proclame, qu'il a
fait tout ce qu'il a voulu dans le ciel et dans la
terre, il s'ensuit indubitablement qu'il n'a
point voulu faire ce qu'il n'a point fait. Nous
disons avec raison que Dieu ^ enseigne à tous
les hommes de venir à Jésus-Christ, non
que tous viennent à Jésus-Christ, mais parce
c]ue nul ne vient à lui qu'il n'ait été enseigné
par lui : comme on dit d'une ^ maison où il
n'y a qu'une porte, que tous entrent par
addiderat pro regibus et ils, qui in sublimitate
sunt, çMî pulari poterant fasiu et superbia sœ-
culari a fidei christianœ humilitale abhorrere.
Proinde dicens : Hoc euim bonum est coram Sal-
vatore nostro Deo, id est, ut etiam pro lalibus
oretur; statimut desperationem iolleret, addldit:
Qui omuesboniines vult salvos fleri. et in agnitio-
nem verilaiis venii'e. Hoc qiiippe Beus bonum ju-
dicavit, ut oralionibiis humiUum dignarelur sa-
Intem prœstare sublimium ; qitod uliqiie jam
videmus iinpleium. Isto lociUioiiis modo et Do-
minus est usus in Evangelio, iibi ait Phari-
sœis: Decimatis mentam et rutam et omne olus.
Neque enim Pharisœi et quœmimque aliéna et
omnium per omnes terras alienigenarum omnia
olera decimabant. Sicut ergo hic : Omne olus
omne olerum genus ; ita et illic: Omnes homines
omne hominum genus intelligere possumus. Au-
gust., Enchirid., cap. cni, nuni. 27, tom. Vi,
pag, 235.
' Et quocumque alio modo inielligi pntest, dum
tamen credere non cogamus aliquid omnipotenlem
Deum voltiisse fieri factumqrie non essc. Idem ibid.
^ Ita recte dicinnis, omnes Dezts docet ventre
ad Christum; non quia omnes veniunl, sed quia
nemo aliter venit. August., De Prœdest. sanct.,
cap. vni, num. U, pag. iiOO.
' Sicut possumus dicere, in aliqvam domum per
652
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Antre ex
plicalion.
cette porte dans cette maison, non que tous
entrent dans cette maison, mais parce que
personne n'y entre que par cette porte. »
64. Saint Augustin enseigne ailleurs que
par ces paroles : Dieu veut que tous les hommes
soient sauvés, l'Apôtre entend tous les ' prédes-
tinés, parce qu'ils comprennent tous les divers
genres d'hommes. « C'est, ajoute-t-il , selon
icor. x,33. cette façon de parler, que saint Paul dit : Je
tâche moi-même de plaire à tous en toutes choses:
car il ne plaisait pas aloi-s à tant de persécu-
teurs qui le haïssaient, mais à toutes les sor-
tes de personnes que l'Église de Jésus-Christ
tenait assemblées, soit qu'elles fassent déjà
dans son sein, soit qu'elles dussent y enti'er.
On peut dire aussi que Dieu veut que tous les
hommes soient sauvés, parce que Dieu le fait
vouloir aux justes, en leur inspii-ant le désir
du salut de tous les hommes, et en les faisant
prier pour tous sans exception. « Nous au-
tres , dit saint Augustin, - qui ne savons pas
qui est l'enfant de la paix, ou qui ne l'est pas,
nous ne devons excepter personne, ni discer-
ner personne, mais vouloir que tous les hom-
mes à qui nous prêchons cette paix soient
sauvés. Car nous ne devons pas craindre de
la perdre, si celui à qui nous la prêchons
n'est pas enfant de la paix, puisqu'elle re-
tournera vers nous; c'est-à-dire qu'elle nous
servira, et non pas à lui; si au contraij'e eUe
demeure sur lui, elle nous servira à tous
deux. Parce donc que Dieu veut que nous,
qui ignorons lesquels d'enti-e les hommes se-
ront sauvés, voulions que tous ceux à qui
nous prêchons cette paix soient sauvés,
il fait cela en nous, répandant cet amour dans r.»:
nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous est
donné. C'est pourcfuoi on peut dire que Dieu
veut que tous les hommes soient sauvés,
parce qu'il nous le fait vouloir. Comme il
envoie l'Esprit de son Fils qui crie, c'est-à-
dire qui nous fait crier, c'est nous qui crions :
mais parce que c'est lui qui fait que nous
crions, l'Écriture dit que c'est lui qui crie. Si
donc elle a raison de dire que l'Esprit crie,
parce que c'est lui qui fait que nous crions,
elle peut dire aussi que Dieu veut que tous
les hommes soient sauvés, paixe que c'est
lui qui fait que nous le voulons. »
Ceux de Marseille ' ne recevaient pas cette
explication des paroles de l'Apôtre, et leur
sentiment était que Dieu veut universellement
le salut de tous les hommes; non seulement
des prédestinés, mais de tous les hommes
indifféremment et généralement, sans en
excepter aucun. Saint Augustin les réfute
par l'exemple des enfants qui meurent sans
baptême. « Il arrive quelquefois, dit-il, que
les parents, usant de toute la diligence ' pos-
sible, les ministres étant tout prêts, et ayant
■umini januam intrare omnes, non quia oinnes ho-
mmes intrant in eamdem domiim, sed quia nemo
inlrat nisi per illam. August. , lib. VI Contra
Jul., cap. XXIV, num. 80, pag. 708.
1 lia dicium est: Omnes homines vult salvos
fieri, ut inteUiganliir omnes prœdestinati; quia
omne genus hoininum in eis est secundum is-
tum locutionis nwdum, dicium est : Sieut et ego
omnibus per omnia placeo. Numquid enim qui hoc
dixit, placebat eliam tam muUis persecutoribus
suis? Sed placebat omni generi hominum, quod
Christi congregabat Ecclesia, sive jam intus po-
sitis, sive inlroducendis in eam. August., De Cor-
rept. et grat., cap. xiv, num. 44, pag. 774.
2 Ad nos ergo, qui nescimus quisnami sit filius
pacis aut non sil, perlinet nullum exceptum fa-
cere nullumque discernere, sed velle omnes sal-
vos fieri, quibus prœdicamus hanc paceni : ne-
que enim meluendnm est ne perdamus eam, si
ille cui prœdicamus , non est filius pacis, igno-
rantibus nobis ; ad nos enim revertelur, id est
nobis proderil isla prœdicatio, non et illi. Si au-
lem super eumpax prœdicala requieuerit, cl no-
bis et illi. Quia ergo nos, qui suivi fuluri sinl nes-
cienles, omnes quibus prcedicam^is hanc pacem
salvos fieri velle Deus jubet, et ipse in nobis hoc
operalur, diffundendo istaui charitaleni in cor-
dibus nostris per Spiritiim Sanctum cjui tlalus est
nobis. Potest eliam sic intclligi, quod omnes
homines Deus vult salvos fieri, quoniam nos fieri
velle : sicut, misit Spiritum Filii sui claraantem :
Abba, Pater, id est nos clamarc facieniem. De
ipso quippe Spiritu, alio loco dicit : Accipimus
Spiritum adoptiouis filiorum , in quo clamamus :
Abba, Pater. Nos ergo clamamus, sed ille clamare
dictiis est qui efficit ut clamemus ; siergoclaman-
tem Spiritum recle dixit Scriptura, a quo cfficilur
ut clamennis , recte etiam volentem Deuni a quo
efficitur ut velimus. August., ibid. cap. xv, num.
46-47, pag. 776.
8 Inde esl quod illius sententiœ exposilionem
non eam quœ a te estdepromptasuscipiant.idest,
ut non nisi omnes salvos fieri velit, et non eos
tantum qui ad sanclorum numerumperlinebunt,
sed omnes omnino, ut nullus babealur exceptus.
Hilar., Epist. ad August., num. 7, pag. 828.
'• Quomodo dicilur omnes homines eam (graliamj
fuisse accepturos, si non illi, quibus nondonalur
eam sua volunlate respuerent, quoniamTicns vult
omnes homines salvos ûeri ; cum multis nondelur
parvulis, et sine illa plcrique moviantur qui non
hahent contrariam volunlatem, et aliquaudo cu-
pientibus festinanUbusque parentibus, ministris
quoque volenlibus ac paralis, Dco nolente non
detur, cum repente antequam delur expirât, pro
quo ut accipcret currebatur? Unde manifestum
est eos qui huic resistunt lumperspicvœ veritali,
nonintclUgerc omnino qna locutione sit dictum,
[IV° ET V° SIÈCLES.]
aussi bien que les parents la meilleure vo-
lonté du monde, l'enfant à qui on tâche de
procurer la grâce ne la reçoit pas, parce que
Dieu ne le voulant pas, l'enfant expire avant
qu'on puisse lui conférer le sacrement. Et
par-là il est visible que ceux qui résistent
à une vérité si claire ne comprennent nulle-
ment le sens de cette façon de parler de l'É-
criture : Dieu veut que tous les hommes soit sau-
vés, puisqu'il y en a tant qui manquent de l'c-
tre, non parce qu'ils ne veulent pas, mais
parce que Dieu ne le veut pas : ce qui se
voit si clairement dans les enfants , qu'il
ne reste pas la moindre ombre de difficulté.
Ainsi , quand saint Paul a dit que Dieu veut
que tous les hommes soient sauvés , quoiqu'il y
en ait un grand nombre dont Dieu ne veut pas
le salut, c'est pour marquer que ceux qui sont
sauvés ne le sont que par un effet de la volon-
té de Dieu ; de la même manière qu'encore
qu'il y en ait un si grand nombre qui ne res-
susciteront au dernier jour que pour la mort
éternelle, le même saint Paul n'a pas laissé
de dire : Tous seront vivifiés en Jésus-Christ,
c'est-à-dire que tous ceux qui ressusciteront
pour la vie éternelle n'y seront admis qu'en
Jésus-Christ et par Jésus-Christ. » Après ces
dernières explications des paroles de saint
Paul , qu'il entend dans le sens de la volonté
absolue de Dieu , saint Augustin déclare
qu'il ne s'oppose point à d'autres qu'on pour-
rait leur donner, pourvu qu'il ne s'y trouve
rien de contraire à ce que la vérité nous fait
voir si clairement, qu'il y en a plusieurs qui
ne sont pas sauvés , quoique les hommes le
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
633
veuillent, et qui manquent de l'être, que
parce que Dieu ne le veut pas.
63. « Les hommes ' autrefois esclaves des
démons et leurs sujets ont été rachetés de
cette captivité. Ils avaient bien pu se vendre
eux-mêmes, mais ils ne pouvaient se rache-
ter. Le Rédempteur est venu, il a payé leur
rançon en répandant son sang pour acheter
toute la terre? Voulez-vous savoir ce qu'il a
acheté : voyez ce qu'il a donné, et compre-
nez ensuite ce qu'il a acheté. Le sang de Jé-
sus-Christ est le prix qu'il a donné. Combien
vaut ce sang, sinon tout l'univers ? Combien
vaut-il, sinon toutes les nations ? Il jugera "
tout l'univers, et non pas seulement une par-
tie, parce qu'il a donné son sang pour tout
le monde. 11 était venu pour souffrir, néan-
moins il a puni celui par qui il a soufiert : car
le traître Judas ' a étépimi, et Jésus-Christ a
été crucifié. Mais il nous a rachetés par son
sang, et a puni Judas pour le prix qu'il avait
reçu. Ce traître jeta l'argent pour lequel il
avait vendu son maître, etnereconnut pas le
prix par lequel son maître l'avait racheté.
Le sang, de celui qui est votre Seigneur a
été donné ' pour vous, si vous le voulez ; et
si vous ne le voulez pas, il n'a pas été donné
pour vous. Vous direz peut-être : Mon Dieu
a eu du sang par lequel il pouvait me rache-
ter, mais l'ayant tout répandu lorsqu'il a
souffert, lui est-il resté qu'il puisse don-
ner aussi pour moi ? C'est là la grande mer-
veille, qu'il ait donné son sang une seule fois,
et qu'il l'ait donné pour tous. Le sang de
Jésus-Christ est le salut de celui qui le veut,
Sur la
nijrt de.'é.us*
lojr le tom-
quod omnes liomines vult Deas salvos fieri, cum,
tam multi saici non fiant, non quia ipsi, sed quia
Leus non vult, quod sineulla caligine manifesta-
tur inparvuUs. Sed sicut illud quod dictum est :
Omnes in Christo vivifîcabiuitur, cum tam multi
œterna morte puniantur, ideo diclum est, quia
omnes quiciimque vitam œternam percipiunt,non
percipiunt nisi in Christo ita quod dictum est :
Omues liomines vult Deus salvos fieri, cum tam
multos nolit salvos fieri, ideo dictum est, quid
omnes qui salvi fiunt, nisi ipso volerite 7ion fiunt,
et si quo alio modo illa verba apostolica inielligi
possunt, ut tamen huic apertissiwœ verilati, in
qua videmus tam multos voleittibus hominibus,
sed Deo nolenle salvos non fieri, contraria esse non
possint. August., Epist. 217, num. 19,pag. 803-SûG.
' Tenebantur enim liomines captivi sub diabolo,
et dœmonibus serviebant ; sed redempli sunt a
captivitate : vendere se potuerunt, sed redimere
nonpotuerunt. VenitRedemptor, et dédit pretium;
fudit sanguinem suum, émit orbem terrarum.
Quœrilis quid emerit? Videte quid dederit, et inve-
nite quid emerit. Sanguis Christi pretium est.
Tanti quid valet? Quid nisi totus orbis? Quid,
nisi omnes gentes? August., in Psal. xcv, num. 5,
pag. 1035.
2 Judicabit orbem terrarum in aequitate : non
partent, quia non partem émit; totum judicare
habel, quia pro toto pretium dédit. August. , in
Psal. xcvi, num. IS, pag. 1039.
3 A'am Judas Iraditor punitus est et Christ^is
crucifixus est; sed nos redemit sanguine suo et
punivit illum de pretio suo. Projecit enim pre-
tium argenti, quo ab illo Dominus venditus erat,
nec agnovit pretium quo ipse a Domino redemp-
tus erat. Angnst, in Psal. Lxviu,n\im. 11, pag. 707.
' Sangitis Bomini tui, si vis, datus est pro te;
si noiueris, non est datus pro te; forte enim dicis :
Babuit sanguinem Deus meus quo me redimere t ,
sedjam cumpassus est totum dédit, quid illi re-
mansit quod det se pro me? Hoc est magnum,
quia semel dédit et pro omnibus dédit. Sanguis
Christi volenti est salus, noLnti supplicium. Au-
gust., Serm. 344, num. 4, pag. 1332.
654
HISTOIRE Gî'^NliRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Sur le pft-
iliù orîïini;!.
cl le supplice de celui qui ne veut pas en
profiler. Tout ceux 'qui ont ctdraclietés parle
sanjT do Jésup-Christ sont du nombre des
liommes, et loulefois tous ceux qui sont du
nombre des hommes n'ont pas été rachetés
parle sang de Jésus-Christ : car il n'est -point
mort pour celui qui, connaissant sa divinité,
nie son humanité. Pourquoi déclaiait-il'aux
Juifs qu'ils n'étaient pas du nombre de ses
brebis ? C'est qu'il voyait qu'ils étaient pré-
destinés t\ la mort éternelle, et non pas du
nombre de ceux qu'il devait racheter et ac-
quérir pour la vie éternelle par le prix de
son sang ? Le loup * ne peut ravir, ni le lar-
ron dérober, ni le voleur tuer aucune des
brebis de Jésus-Christ; et il est assuré que
leur nombre demeurera tout entier, parce
qu'il sait ce qu'il a donné pour elles,
c'est-à- dire son sang et sa vie ; et qu'au-
cun de ceux qui ont été ainsi rachetés ^ ne
périra. »
66. « La foi " catholique ne doute pas du
péché originel ; et ce que cette foi en ensei-
gne, non-seulement les gens de la lie du
peuple, mais les personnes graves et savan-
tes, et les docteurs de l'Église l'ont défendu
jusqu'au jour de leur mort. Lorsque ' David
reconnaît qu'il a été ronru dans l'iniquité,
il se revêt en quelque sorte de la pei'sonne
do tous les hommes ; il considèie les fers
qui les tiennent tous enchaînés; il jette les
j'cnx sur cette source de mort qui coule de
père en fils dans chacun deux ; et, rentrant
dans cette iniquité originelle, il dit : J'ai été
conçu dans riniquité. Avait-il été conçu d'un
adultè)e, lui qui était né de Jessé homme
juste , et d'une femme légitime ? Pourquoi
donc dit-il qu'il a été conçu dans l'iniquité,
sinon parce que nous tirons tous l'iniquité
d'Adam notre père ? Cet assujettissement
même qui nous tient liés à la mort s'est for-
mé avec l'iniquité. Personne de nous ne naît
qu'il n'entraîne avec lui sa peine et le mérite
de sa peine. Le Prophète dit à Dieu en un
autre endroit : Il n'y a personne qui soit pur
devant vos yeux, pas même l'enfant qui n'a en-
core vécu qu'un jour sur la terre. Et encore :
L'homme * nait de la femme pour ne vivre que
bien peu de jours : il en naît chargé de colère.
D'oîi vient cette colère de Dieu sur un en-
fant qui n'a fait aucun mal, sinon de la
malheureuse tache qui est inséparable de
son origine ? n
Saint Augustin prouve ' aussi le péché
' Sicut enim omnis qui Christi sanguine re-
demptus est, homo est, non tamcn omnis qui
home est, eliam sanguine Christi redemptus est.
August. , lib. I De Conjug. adult. , cap. xv, num \6,
pag. 396.
^ Ergo qui ita confitetur Chrislum Deum, ut
hominem neget , non pro illo mortuus est Chris-
tus. August., Tractalus 68 in Joannem, uum. 2,
pag. 676.
' Ouomodo ergo isiis dixit: Non estis ex ovibus
meis : quia videbdt eos ad sempiternum interi-
tum prœdestinalos , non ad vilam œternam sui
sanguinis pretio comparatos. August., Tract. 48
in Joan , num. 4, pag. 615.
* De ovibus istis nec lupus rapit, nec fur toi'
lit, nec latro interficit. Securus est de numéro
earuni , qui pro eis novit quod dédit. August.,
ibid., num. 6, pag. 616,
'^ Quando pirit qui sanguine Christi redemptus
est? August., Serm. 274, pag. M09. Non périt unus
ex mis pro quibus mortuiis est (Christus.J Idem,
Epist. 160, num. 4, pag. 604.
^ Catholica polius fides peccatumesse originale
non dubitat : quam jidcm non pueruli sed graves
atque constantes viri, docli in Ecclesia , et do-
cenies Ecclesiam, usqiie ad die m- sui obitus defen-
derunl. August., Oper. impcrf. contra Jul., cap.
csxxvi, pag. 12:9.
' Ecce in iniqnitaliljus couceptiis sum... svsccpit
personam generis humani David, et attendit om-
wwni ^Hncula , jiropagincni mortis consideravit ,
originem iniquitatis advertit et oit: Ecce enim in
iniquitatibus conceptus sum : Numquid David de
adulterio natus erat, de Jesse viro justo et co?i-
juge ipsius? Qiiid est quod se clicit in iniquitate
conceptum , nisiquia trahittir iniquitas ex Adam?
Eliam ipsuni mnculum mortis cum ipsa iniqui-
tate concrclum est. Kemo 7iascitur nisi trahens
pcenam , trahens meriiiun pœnœ. Dicit et in alio
loco Prophtia: Nemo mumlus in conspectii tuo ,
nec infaus cujus est unius diei vita super terram.
August., in Psal. L, num. 10, pag. 467.
8 Homo natus ex muliere , brevis vite et plenus
jracundiœ. Unde igitur ira Dei super innocentiam
parvuli, nisi originalis sorte ac sorde peccati?
August., Epist. 193, num. 3, pag. 717. Vide lib. Il
De Peccat. mer. et rem., num 15, pag. 48.
5 Qui autem iucredulus est Filio et qui non cré-
dit in Filium', non habet vitam , sed ira Dei ina-
net super eum, non dixit: Veniet super euin; sed:
Manet super eiun. Respexit originem, cum ail:
Ira Dei manct super eum. Quam respiciens et
Aposlolus dixit: Fuimus et nos aliquando natura
filii ir»... Cum (pelagiani) cœperint urgeri ver-
bis Apostoli dicentis : Per unum Iiomiuem peeca-
tum intravit in mundnm et per peccafum mors;
et ita in omnes liomines pertransiit, in quo omnes
peccaverunt. Quœ vrrba nescio quis non intelli-
gat , in quibus verbis nescio xtlrum quisquam
expositorem requirat : conanlur respondcre et
dicere: Ideo dieium hoc ab Apostolo quia primus
peccavit Adam , et qui poslca peccaverunt, illum
imitando peccaverunt: hoc quid est aliud, quam
conari tenebras aperto lumini offundere? Pecca-
[IV" ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
735
' originel par ces paroles de saint Jean : Celiti
qui ne croit pas au Fils n'a pas la vie, mais la
colère de Dieu demeure sur lui. Et par cel-
les de saint Paul qui dit : Nous étions aussi
nous-mêmes par la nature enfants de colère.
Le péché est entré dans le monde par un seul
homme en qui tous ont péché. Les pélagicns
répondaient qii 'Adam ayant péché le premier,
son péché avait passé à tous les autres par
imitation de son mauvais exemple. « Mais,
en ce sens , dit le saint Docteur, le péché
viendrait plutôt du démon qui a péché avant
l'homme, et qui est nommé le père des mé-
chants ; et les justes appartiendraient plutôt
cl Abel qui leur a donné le premier exemple
de vertu, qu'à Jésus-Christ qui n'est venu
que longtemps après. »
67. Outre ces preuves du péché originel
tirées de l'Écriture, saint Augustin en trouve
une dans l'établissement de la circoncision.
« Abraham reçut , dit-il, la ' marque de la
circoncision comme le sceau de la justice de
la foi. Il lui fut même ordonné en la rece-
vant de circoncire tous les enfants de sa
maison le huitième jour de leur naissance ;
en sorte que ces enfants, qui ne pouvaient
croire de cœur pour être justifiés , ne lais-
saient pas de recevoir le sceau de la justice
de la foi. Dieu joignit à ce conunandement
la menace terrible que ceux dont la chair
n'aurait pas été circoncise le huitième jour,
seraient exterminés de son peuple. Quel
mal, je vous prie, a commis un enfant par
sa propre volonté, poui' être condamné avec
tant de rigueur, qu'il périsse du milieu du
peuple de Dieu? et cela uniquement parce
qu'il n'aura pas été circoncis, ce qui n'est
l'etiet que de la négligence d'un autre qui
devait en prendre'soin : car iln'est pas ques-
tion dans cette menace de la terreur d'une
mort temporelle. Ce n'était point ainsi qu'on
parlait d'un juste quand il mourait ; on disait
qu'il avait été réuni à son peuple , ou réuni
à ses pères. Que signifie donc un châtiment
si terrible où il n'y a point dépêché commis
par la propre volonté ? Et d'où vient qu'un
enfant est ainsi châtié et avec justice , si ce
n'est qu'il appartient à la masse de perdi-
tion ? On comprend l'équité de sa condam-
nation dès qu'on envisage qu'étant né d'A-
dam, il doit , par l'origine qu'il tire de lui,
avoir part à la peine de son péché , à moins
qu'il n'en soit délivré par la grâce toute gra-
tuite. Et par quelle gjâce, sinon la grâce de
Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. »
Le saint évéque tire une autre preuve de
la croyance du péché originel, du baptême des
enfants , des exorcismes et du souille que
l'Eglise a coutume d'employer pour chasser
le démon. «Les sacrements de la sainte Église,
dit-il, ^ montrent assez que les enfants qui
ne font que de naître, sont délivrés de la
tum per Tinum hominsm intravit, et per peccatum
mors : et ita in omnes homines pertransiit, in quo
omnes peccaverunt. Propter imitationem dicis
quia primus peccavit Adam. Respondeo prorsus :
Non primus peccavit Adam. Si primum peccato-
rem requiris diabolum vide... nam quia ad dia-
bolum, hoc est principem peccati et vere pri-
mum peccatorem, non pertinet origo, sed imila-
tio; cum de illo Scriptura loqueretur : Invidia ,
inquit, diaboli mors intravit in orbem terrarnm ;
imitantur autem eum , qui sunt ex parte ipsius ,
imitando eum fiunt ex parte ipsius... nam si
propterea primus constitutus est Adam, quia
primus peccavit, tanquam in exemplo sit, non
in origine, ut quid tam in longinquo , post tam
prolixa tempora : contra Adam quœrilur Chris-
tus? Si omnes peccaiores ad Adam propterea per-
tinent quia primus peccator , omnes justi debue-
runt ad Abel pertinere, quia primus justus. Au-
gust., Serin. 295, num. ]i et i5, pag. 1190 et 1191.
1 Ipse tamen Abraham signum accepit circum-
cisionis signaculum justitiœ fidei, et sic accepit
ut deinceps etiam omnes parvulos domus suœ
circumcidere juberetur recentissimos a viscerebus
inatrum, octavo die nativitatis eorum, ut etiam
hi qui corde ad juslitiam credere nondum
passent, justitiœ iamem fidei signaculum su-
merent. Quod sub terrore tanlo est imperatum.
ut diceret Deus animam illam- de suo populo pe-
rituram cujus octavo die prœputii circumcisio
facta nonfuissct Quid enini wali, quœro, par'
vulus propria voluntate commisit, ut alio négli-
gente et eum non circumcidente, ipse damnetur
damnatione tam severa ut pereat anima illa de
populo suo? Neque enim temporalis mortis terror
incussus est cum de justis quando morieban-
tur, tune potius diceretur : Et appositus est ad
populum suum , vel : Appositus est ad pâtre,'!
suos, quoniam deinceps homini nulla tentatio
formidatur, quœ illum separet a populo suo, si
populus _ejus ipse est populus Dei. Quid sibi ergo
vult, pro nulio propriœ voluntatis admisse, tanta
damnatio ?.... Unde ergo recte infans illa perdis
tione punilur nisi quia pertinet ad massam per-
ditionis, et juste intelligitur ex Adam natus an-
tiqui debiti obligatione damnatus, nisi inde fuerit
non secundum debitum sed secundum gratiam
liberatus? Quam gratiam, nisi gratiam Dei per
Jesum Christum Dominum nostrum? August. De
Peccat. orig., cap. xxx, num. 35 et 36, pag. 26S et
269.
2 Denigue ipsa Ecclesiœ sacramenla quœ tant
priscœ traditionis auctoritate concélébrât, ut ea
isti, quamvis in parvulis existiinent simulatorie
potius quam veraciter fieri, non tamen audeant
aperta improbatione respuere : ipsa, inquam.
6o6
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
servitude du diable par la^ grâce de Jésus-
Christ. » Il remarque que l'Église les célébrait
sous l'autorité d'une tradition si ancienne,
que les pélagiens n'osaient les rejeter ouver-
tement, quoique à l'égard des enfants, ils
crussent y trouver des choses pratiquées
plutôt par feinte que suivant l'exacte vérité.
Puis il ajoute : « Outre que les enfants sont
baptisés pour la rémission des péchés dans
ce mystère conforme en tout à la foi la plus
pure , la puissance ennemie y est aussi
d'abord exorcisée et mise en fuite par le
souffle des ministres de l'Église. Ces enfants
mêmes répondent, par la bouche de ceux qui
les représentent au baptême , qu'ils renon-
cent à cette puissance ; et tous ces signes
sacrés et évidents font voir qu'ils passent des
mains du plus cruel tjTan en celles du Ré-
dempteur. Mais quand bien même, dit encore
ce Père, on ne pourrait expliquer ' en aucune
manière comment le péché pardonné au
père et à la mère dans le baptême passe dans
leurs enfants, il faudrait néanmoins tenir
comme certain et indubitable ce qui a été
prêché et cru de tout temps dans toute
l'Église comme appartenant à la foi catho-
lique. L'Église n'exorciserait pas sans doute
les petits enfants des fidèles , et elle n'or-
donnerait pas à ses ministres de souffler sur
eux, si elle n'avait dessein de les arracher
à la puissance des ténèbres et au prince de
la mort. C'est, dit-il à Julien, ce que j'ai mis
dans le livre que vous prétendez réfuter ;
mais vous n'avez osé attaquer cet endroit,
comme si vous eussiez craint d'être sifflé
dans tout l'univers, en entreprenant de con-
tredire la pratique de l'Église qui ordonne
qu'on souffle sur les enfants mêmes quand
on les baptise pour en chasser le pi'ince du
monde. »
L'empressement que les pères et mères
témoignent pour faire baptiser leurs enfants
quand ils sont malades, fournit à saint Au-
gustin une nouvelle preuve de l'existence du
péché originel. ((Nous savons, dit-il, que le
baptême ^ de Jésus -Christ efface les pé-
chés; et (ju'il a été institué pour nous les
remettre. Si les enfants sont innocents en
venant au monde , pourquoi lors(jue leurs
mères les voient malades se hâtent -elles
de les apporter tous mourants à l'Église?
Quel péché le baptême lave-t-il? Quel pé-
ché cette rémission remet-elle ? Je vois que
cet innocent pleure plus qu'il ne se met
en colère. Que lave donc en lui l'eau du
baptême? Quel péché délie en lui la grâce de
ce sacrement? Elle le délivre de la transfu-
sion du péché. Car si cet enfant pouvait vous
parler, et s'il avait la même intelligence que
David, il vous répondrait : Pourquoi vous ar-
rêtez-vous à considérer mon enfance? Il est
vrai que vous ne voyez pas en moi de crime ;
mais j'ai été conçu dam l'iniquité, et ma mère
dans son sein m'a nourri dans l'iniquité. D'où
il suit que notre ' nature ayant été entière-
ment déréglée et corrompue par le grand
péché du premier homme, est devenue non-
seulement pécheresse , mais n'engendre plus
que des pécheurs. On le voit par le nombre
infini de * misères qui accablent les enfants
sanctœ Ecctesiœ sacramenta satis indicant, pdr-
vulos a par tu etiam recentissimos per gratiam
Christi de diaboli servitio liberari. Excepta
enim quod in peccatorum remissionem, non fal-
laci, sed fideli mysterio baptizantur, etiam prius
exorcizatur in eis et exsufflatur potestas contra-
ria,, cui etiam verbis eorum a quibus portantur,
se renuntiare respondent. Quibus omnibus rerum
occultarum sacratis ac evidentibus signis , a
captivatore pessimo ad optimum Redemptorem
transire monstrantur. August., De Peccat oriy.
cont. pelag., uum. 45, pnp. 273.
1 Sed etsi nulla ralione indagetur, nullo ser-
mone explicetur, verum tamen est quod antiqui-
tus veraci fide catholica prœdicatur et creditur
per Ecclesium totam, qiiœ filios fidelium nec
exorciiaret nec exsujjlaret, si non eos de potes-
tate tenebrarum- et a principe mortis erueret,
quod in libro meo, cui velut respondes, a mepo-
situm est, sed id tu comment orare timuisli, tan-
quam ipse ab orbe toto exsufllandus esses, si huic
exsufjlationi qua princeps ninndi et a parvulis
êjicitur foras, contradicerc voluisses. August.,
lib. VI Contra JuL, cap. v, num. ri, pag. 669.
- Novimus enim et baptismo Christi solvi pec-
cata, et baptismum Christi valere ad remissio-
nem peccatoriim. Si infantes omnimodo innocen-
tes sunt, cur maires ad Eiclesiam cum languen-
tibus currunt? Quid illo baptismo, quid illa re-
missione dimiltitur? Innocenlem m agis video
flentem, quam irascentem. Quid eiuit baplismus?
Quid solvitilla gratia? Soloitur propago peccati,
quia si loqui tibi posset ille infans, diceret, et
si jam intellectum haberet, qtiem habebat David,
responderet tibi: Quid me attendis in fanlem ? No>l
quidem vides facinora mea : sed ego m iuiquitate
conceptus sum, ot in peccatis matev mea me iu
utero aluit. August., in Psal. l, num. 10, pag. 467.
3 Unde illo magno primi hominis peccato na-
iura ibi noslra in deterius commutata non solum
facta est peccalrix, verum etiam générât peccato-
res. August., lib. II De Nup. et concup., num. 57
pag. 332.
* Parvulos inluere quot et quanta mala pa-
[iV" ET V" SIÈCLES.]
d'Adam. Jetez les yeux sur les enfants, et
considérez de combien de maux ils sont op-
primés, et parmi combien de vanités, de pei-
nes, d'erreurs, de terreurs se passe tout le
temps de leur enfance. Lorsqu'ils en sont
sortis, et qu'ils ont même le désir de servir
Dieu, ils ne laissent pas de se trouver en
danger d'être trompés par l'erreur, abattus
par les douleurs et par le travail, embrasés
par la concupiscence, accablés par la tris-
tesse, enflés et élevés parl'orgueil. Qui pour-
rait exprimer en peu de paroles tout ce qui
contribue à appesantir le joug des enfants
d'Adam? L'évidence de cette misère a forcé
les philosophes païens, qui n'avaient jamais
ouï parler du péché originel, ou qui n'en
croyaient rien, d'enseigner que nous n'étions
dans ce monde que pour y être punis des
péchés commis dans une vie qui aurait pré-
cédé celle-ci ; et que nos esprits étaient unis
à des corps corruptibles par un supplice
semblable à celui que les pirates d'Étrurie
faisaient autrefois souffrir à leurs captifs,
en les liant à des corps morts. Mais l'A-
pôtre combat absolument ces opinions ,
et il faut attribuer la cause de ces maux
à l'impuissance ou à l'injustice de Dieu,
ou dire qu'ils sont la suite et la peine du
premier et ancien péché. Mais comme Dieu
n'est ni impuissant ni injuste , il faut re-
connaître que ce joug si pesant n'aurait point
eu lieu sans le péché originel. Car, certai-
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
6S7
nement, sous un Dieu juste ' et tout-puis-
sant tous ces maux ne se feraient point sen-
tir aux enfants qui sont l'image de Dieu, s'il
n'y avait aucun péché de leurs pères qui
eût passé jusqu'à eux; d'autant plus que
l'enfance ne leur permet pas de se faire de
ces maux un exercice de vertu. C'est donc
par un effet de la colère de Dieu ^ que nous
sommes sujets à la mort ; c'est par le juste
arrêt de sa fureur qu'étant ici dans la pau-
vreté et dans la misère iious mangeons no-
tre pain à la sueur de notre visage, suivant
la sentence que Dieu prononça contre Adam
après son péché. La condamnation qu'il en-
tendit alors est tombée sur toute sa race ;
elle nous a suivis, et quoique nous ne fussions
pas alors, nous étions tous néanmoins dans
lui. Tout ce qui lui est arrivé nous est ar-
rivé de même; nous mourons comme il est
mort. ))
On a remarqué souvent ailleurs que saint
Augustin prouve^ encore la doctrine du pé-
ché originel par l'autorité des anciens écri-
vains ecclésiastiques dont il rapporte les pas-
sages, savoir de saint Irénée, de saint Cy-
prien, de Réticius d'Autun, d'Olyœpius, de
saint Hilaire, de saint Grégoire deNazianze,
de saint Ambroise, de saint Basile, de saint
Jean Chrysostôme, du pape Innocent, et de
saint Jérôme.
68. Mais quand il enseigne que * tous les
hommes sont conçus dans l'iniquité et nour-
J6£us.Chri?t
n'est iiûiiil né
avec le péclié
origiGol.
tiantur, in quibus vanitalihus, cruciatibus, erro-
ribus, terroribus crescant. Deinde jain grandes,
etiam Deo servientes tentât error, ut decipiat;
tentât labor aut dolor, ut frangat; tentât libido,
utaccendat; tentât m.œror,ut sternat; tentât ty-
phus, ut extoUat : et quis explicet omnia festinan-
ter, quibus gravatur jugum super filifs Adam?
Hujus evidentia miseriœ gentium philosophas ni-
hil de peccato primi hominis sive scientes, sive
credentes, compulit dicere, ob aliqua scelera sus-
cepta in vitasuperiore pœnarum luendarum causa
nos esse natos, et animos nostros corruptibili-
bus corporibus, eo supplicio quo Etrusci prœdo-
nes captas affligere consueverant, tanquam vivos
cum morluis esse conjunctas. Apostolus aulem
amputât opinionem qua creduntur singuhe ani-
mœ pro meritis anteactœ vitœ diversis corpori-
bus inseri. Quid igitur restât, nisi ut causa isto-
rum malorum sit, aut iniquitas vel impolentia
Dei, aut pœna primi veterisque peccati? Sed quia
nec injustus nec impotens est Deus, restât quod
non vis sed cogeris confiteri, quod grave jugum.
super filios Adam a die exitus de ventre matris
eorumusque in diem sépultures inmatrem omnium
non fuisset nisi, delicti originalis meritiim preces-
sisset. August., lib. V Cont.Jul., num. 83, pag. 626.
IX.
' Quœ utique mala sub justo et omnipotente
Deo non irrogarentur ejus imagini quibus malis
in virtule exerceri infantilis œlas non po-
test dici, si nulla ex parentibus mala mérita
traherentur. August., lib. 111 Cont. Jul, num. 9,
pag. 557.
2 De ira Dei enim mortales sumus, et de ira
Dei in ista terra in egestate et labore vultus nos-
tri manducamus panim. Hoc enim audivit Adam,
quando peccavit ; et Adam ille omnes nos eramus ■'
quia in Adam omnes moriuntur, quod ille audi-
vit secutum est et nos. Non enim eramus jam nos,
sed eramus in Adam. Ideo quidquid evenit ipsi
Adam secutum est et nos, ut moreremur : omnes
quippe in illo fwimus. August., in Psal. lxxxiv,
num. 7, pag. 893.
3 August., lib. 1 et II Cont. Jul.
'' Et in peccatis mater mea me in utero aluit.
Prœter hoc vinculum concupiscenliœ carnalis
natus est Chiislus sine masculo, ex virgine con-
cipiente de Spiritu Sanclo, non potest isle dici in
iniquitate conceplus, non potest dici: In peccatis
mater ejus in utero eum aluit, cui dictum est :
Spiritus Sanctus superveniet in to, et viitus altis-
simi obumbrabit tibi. August., in Psal. h, num. 16,
pag. 467.
42
658
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
ris dans le péché, il en exclut Jésiis-Christ.
« Le lieu de la concupiscence de la chair,
dit-il, ne s'est point trouvé dans la naissance
de celui qui est né, sans l'opération de l'hom-
me, d'une Vierge qui avait conçu du Saint-
Esprit. On ne peut dire qu'il a été conçu
dans l'iniquité, et que sa mère l'a enfanté et
nourri dans le péché, puisque l'ange avait dit
Luc. 1, 35. à cette sainte mère : L'Esprit saint surviendra
en vous, et la vertu du Très-Haut vous servii^a
d'ombre. A l'exception * de la chair du Sau-
veur celle de tous les autres hommes est
une chair de péché : et il paraît par là que
la concupiscence, par laquelle Jésus-Christ
n'a pas voulu être conçu , a fait une propa-
gation du mal dans tout le genre humain.
Car, quoique le corps de Marie ait été conçu
par la concupiscence de ses parents, elle n'a
pas toutefois fait passer ce mal dans le corps
qu'elle a conçu, parce que la concupiscence
n'a point eu de part à cette conception. »
do^" ï«'s ^^- " ^^ régénéré ^, dit saint Augustin,
i"°rr' migi- "6 communique pas la régénération aux en-
"'°'- fants qu'il a selon la chair. Il les engendre
simplement , et par conséquent il ne. leur
transmet point l'effet de sa régénération,
mais le vice de sa propre naissance. Soit
donc qu'il s'agisse d'un infidèle criminel, ou
d'un infidèle absous, les enfants qui naissent
de l'un et de l'autre , naissent criminels et
non absous ; de même que les semences
' Sine dubio caro Christi non est caro peccati,
sed similis carni peccati, quid restât ut intelliga-
mus, nisi ea excepta omneni reliquam tiumanam
carnem esse peccati? Et liinc apparet illam con-
cupiscentiam, per quant Christus concipi noluit,
fecisse in génère humano propaginem mali: quia
Mariœ corpus quamvis inde venerit, tamen eam
non trajecit in corpus quod non inde concepit.
August., lib. V Cont. Jul.„ num. 32, pag. 634.
^ Regeneratus quippe non régénérât filios car^
nis sed générât; ac per hoc in eos non quod re-
generatus, sed quod generatus est, trajicit. Sic
igitiir, sive reus infidelis, siue absolutus fidelis,
non générât ahsolulos ulerque, sedreos; quomodo
non soluni oleastri, sed etiam oleœ semina non
oleas générant, sed oleastros. Aiigust. De Peccat.
orig. cont. Pelag. et Cœlest., num. 43, pag. 273.
^ Qiiando dicunt , et parvulos turbant, si de
peccatore peccalores nati sunt, quare non de
haptizito jain fldeli, cwi remissa sunt universa
peccata, justi nascuntur ? Cito respondete : Ideo
de baplizalo non justus nascitur, quia non eum
gênerai unde regeneralus est, sed unde generatus
est... deinde curn sit in propugine nalorum gene-
ratio carnalis, in propagine renaiorum generalio
spiritalis, vis ut de baplizalo baplizatus nasca-
tur, cum videas de circumciso non nasci circum-
non-seulement de l'olivier sauvage , mais
aussi de l'olivier franc ne produisent que
des oliviers sauvages. » Mais, disaient ^ les
pélagiens, si ceux qui sont nés d'un pécheur
sont pécheurs, pourquoi ceux qui naissent
d'un fidèle baptisé ne sont-ils pas justes
comme lui ? " Parce que le fidèle, répond le
saint Docteur, n'engendre pas en tant que
régénéré selon l'esprit , mais en tant qu'en-
gendré selon la chair, et que personne ne
peut renaître avant que de naître. Ainsi le
fils du circoncis ne naît pas circoncis. »
70. n est dit, dans l'Écriture, qu'Adam et cammei-
Èle pfclié nr:^
ve ayant reconnu qu us étaient nus entre- loi s» i""
met de? [i^i
lassèrent des feuilles de figuier, dont ils se »"!, eofaDis.
firent une espèce de ceinture pour cacher ce
qui leur faisait honte. « Voilà*, dit saint Au-
gustin, d'où le péché originel tire sa source.
Ces feuilles de figuier " sont le symbole des
mouvements impurs et déréglés qui s'excitè-
rent en Adam par son péché. Or , c'est de là
que nous sortons; c'est par là que nous nais-
sons dans une chair de péché, qui ne peut
être guérie ni purifiée que par celui dont la
chair n'a eu que la ressemblance de la chair du
péché. Il est né de cette chair, mais il n'en est
pas né tel que nous en naissons : caria sainte
Vierge l'a conçue par la foi, sans que la
concupiscence y ait eu aucune part. Ce qui
est ^ cause que les eçfants qui naissent du
commerce des deux sexes sont sous la puis-
cisum? Carnalis est certe ista generalio, et car-
nalis est circumcisio, et tamen de circumciso non
nascitur : sic ergo de baplizalo non potes l nasci
baplizatus ; quia nemo renatus antequam natus.
Augiist., serm. 295, inNat. apost., cap. 16, num. 16,
pag. 1191.
* Consuerunt, inquit, folia fîculnea, et fecerunt
sibi suecinctoria. Quod lexerunt , ibi senserimt.
Ecce unde trahitur originale peccatum, ecce unde
nemo nascitur sine peccato. August., Serai. 152,
num. 5, pag. 720.
^ Quando primo peccavit (Adam) defoliis ficul-
neis suecinctoria sibi fecil, significans in ilUs fo-
liis pruritum libidinis, quo pcccando pervenit.
Inde nascimur, sic nascimur, in carne peccati
nascimur, quam sola sanat similitiido carnis pec-
cati. Ideo misil Deus Filiuni suum in similulidi-
nem carnis peccati. Inde venil sed, sic non venit:
von enim eum Virgo libidine sed fide concepit.
August., Serm. 69, num. 4, pag. 382.
^ Sed ideo sub diabolo sunt qui de corporum
comniixtione nascuntur antequam per Spiritum
renascantur ; quia per illam nascuntur concupis-
centiam, qua caro concupiscit ndversus spiritum,
et adversum se cogit concupiscere spiritum. Quœ
pugna boni et mali nulla esscl si nemo peccasset.
Sicul autem an le homvtis iniquitatem nulla erai,
[iv= ET v° SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
659
sance da diable, jusqu'à ce qu'ils aient été
régénérés par le Saint-Esprit , c'est qu'ils
sont engendrés par le moyen de cette con-
cupiscence, qui fait que la chair a des dé-
sirs contraires à ceux de l'esprit, et qui met
l'esprit dans la nécessité de la combattre, et
de former des désirs contraires à la chair.
Ce combat du bien et du mal, de l'esprit et
de la chair, ne serait point, si l'homme n'a-
vait pas péché. Et comme il n'y en avait
point avant sa prévarication, il n'y en aura
point quand il ne restera plus de faiblesses
en lui. La concupiscence charnelle est donc
le principe de la transmission du péché ori-
ginel. De là vient ^ que les enfants mêmes
qui ne peuvent pécher ne naissent pas
toutefois exempts de la contagion du pé-
ché, non à cause de ce qui est permis, mais
à cause de ce qui est indécent , c'est-à-dire
à cause de la concupiscence : car la nature
procède de ce qui est permis, c'est-à-dire du
mai'iage, et le vice de la nature vient de ce
qui est indécent. Dieu, qui a créé l'homme
et qui a uni l'homme à la femme par la loi
du mariage, est auteur de la nature, qui re-
çoit la naissance. Le vice de la nature vient
au contraire de l'adresse trompeuse du dia-
ble et de la volonté de l'homme, qui s'y est
laissé surprendre, et y a consenti. En cela
Dieu n'a rien fait si ce n'est d'avoir con-
damné, par un jugement équitable, l'homme
devenu pécheur avec sa postérité. C'est donc
avec raison que tout ce qui n'était pas en-
core né se trouve compris dans la condam-
nation de la racine criminelle. Mais, qui est-
ce qui fait passer dans les descendants d'A-
dam la contagion de son péché ? C'est la gé-
nération charnelle, et il n'y a que la régé-
nération spirituelle qui puisse délivrer
l'homme de ce malheureux état, dans le-
quel il vient au monde. » Saint Augustin
donne ^ pour exemple de la transfusion du
péché originel, celui d'un homme qui par
son intempéi-ance contracte la goutte, qui
passe ensuite dans ses enfants.
71. Quand on demandait^ à Pelage ce
qu'il pensait des enfants qui meurent sans
baptême, on dit qu'il répondait : Je sais bien
oh ils ne vont pas, mais j'ignore où ils vont.
« Que signifie cette réponse, dit saint Augus-
tin ? Il peut l'avoir prise en ce sens : Je sais
bien qu'ils ne vont pas dans le royaume des
cieux ; et avoir dit, et dire encore, qu'il ne
sait où ils vont, n'osant dire qu'ils vont à la
mort éternelle ; eux qui n'ont commis aucun
mal, et qui, selon lui, ne naissent coupables
d'aucun péché en conséquence de l'origine
qu'ils tirent d'Adam. » Les pélagiens' con-
venaient qu'il fallait baptiser les enfants ,
afin qu'ils pussent entrer dans le royaume
des cieux ; mais ils soutenaient que, sans le
baptême ils ne laissaient pas d'avoir la vie
Su
dos
qui
Euns
lïhl
iDl'.MllS
mei: relit
Lui tùino.
ita post infirmitatem nulla erit. August., lib. IV
Contra Jul. pelag., num. 34, pag. 603.
• Hinoest quod infantes etiam quipeccare non
possimt, non tamen sine peccati coniagione nas-
cuntur; non ex hoc quod ticet, sed ex eo quod
dedecel. Nam ex hoc quod licet,natura nascilur:
ex illo quoddedecet vitium: nalurœ nascentis est
aU'Clor Deus qui hominem condidit, et qui virum
ac feminam nuptiali jure conjunxit- : vitii vero
auctor est diaboli decipientis calliditas, et homi-
nis consentientis volunlas. Ubi nihil Deus fecit
nisi quod hominem voluntale peccantem, justo
judicio cumstirpe damnavit; et ideo ibi quidquid
etiam nondum eratnatum, merito est inprœva-
ricatrice radice damnatum ; in qua stirpe dam-
natatenet hominem generalio carnalis, undesola
libérât regeneratio spiritalis. August., De Peccat.
orig., num. 42 et 43, pag. 272.
2 Si quis intemperantia sibi podagram faciat,
eamque transmitlat in filios, quod sœpe contigit;
nonne recte dicitur, in eos illud vitium deparente
transiisse; ipsos quoque hoc in parente fecisse,
quoniam quando ipse fecit, in illo fuerunt, acsic
ipsi atque ille adhuc unus fuerunt? fuerunt ergo,
non actione hominum sed ratione jam seminum.
Quod ergo aliquoties invenitur in corporis mor-
bis, hoc in illo mjums primi genitoris anliquo
magnoque peccuto quo natura humana universa
vitiata est factum esse noverat, qui lucidissima
locutione quam vos conamini tenebrare, dicebat :
Per unum hominem peccatum intravit in mundum,
et per peccatum mors, et ita in omnes homines
pertransiit in quo omnes peccaverunt. August.,
lib. II Op. imperf. contra. Jul., cap. clxxvii ,
pag. 1024.
2 De ista quœstione ita perhibetur (Pelagius)
solittis respondere quœrentibus, ut diceret: Sine
baptismo parvuli morientes, quo non eant., soio;
quo eant nescio , id est non ire in regnum cœlo-
rum scio; quo vero eant, ideo se nescire dicebat,
aut dicit, quia dicere non audebat in moriem il-
los ire perpetuam., quos et hic nihil mali commi-
sisse sentiebat, et originale traxisse peccatum
no7iconsentiebat. X\igusL',De Peccat. orig. contra
Pelag., cap. xxi, num. 23, pag. 262.
* Concédant parvulos baptisari oportere illi
autem dicunt non propter salutem, non propter
vitam œternam sed propter regnum cœlorum
parouhis, inquiunt, et si non baptizetur merito in-
nocenliœ, eo quod nullum habeat omnino nec
proprium, nec originale peccatum, nec ex se, nec
de Adam traclum, necesse est, aiunt, ut habeat
salutem et vilam œternam, etiamsi non baptize-
tur, sed propterea baptizandus est ut intreteliam
in regnum Dei hoc est in regnum cœlorum. Au-
gust., Serm. 294, cap. i, num. 2, pag. 1183.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
660
éternelle, n'ayant point , disaient-ils, de pé-
ché ni propre ni originel. Saint Augustin
veut qu'on éloigne ' cette erreur des oreilles
des fidèles, et qu'on la déracine des esprits
dont elle se serait emparé , comme une
chose nouvelle dans l'Église, où l'on n'avait
point ouï parler jnsques-là qu'il y ait une
vie éterneUe différente du royaume des
cieux, ni un salut étei'uel hors du royaume de
Dieu. Selon le saint Docteur, le Seigneur, en
venant pour juger les vivants et les morts,
ne fera que deux classes dans son juge-
ment : l'une de ceux qui seront à la droite,
auxquels il dira : Venez, les bénis de mon Père,
■possédez le royaume ^ui vous a été préparé dès
l'établissement du monde; l'autre, de ceux qui
seront à la gauche, auxquels il dira : Allez,
maudits, au feu éternel. L'Évangile ne marque
point de milieu entre la droite et la gauche,
entre le royaume de Dieu et le feu éternel.
Quiconque est exclus du royaume est con-
damné au feu. Ainsi, les enfants qui meurent
avec le péché originel, ne pouvant être à la
droite , seront nécessairement à la gauche,
et conséquemment auront part au supplice
du feu avec ^ le diable '. Les mêmes héré-
tiques accordaient ' aux enfants morts sans
baptême un lieu mitoyen de repos et de
félicité , entre la damnation et la vie éter-
nelle ; et ils disaient ^ que la raison pour
laquelle 11 est écrit qu'il y a plusieurs de-
meures dans la maison du Père céleste, c'est
qu'il y aura hors du royaume des cieux, un
certain lieu où doivent vivre heureux les
enfants qui sortent de cette vie sans avoir été
baptisés, ne pouvant, sans le baptême, en-
trer dans le royaume des cieux. Mais cette
croyance n'est pas celle que doit avoir un
fidèle, parce qu'elle n'est pas la foi véritable
et catholique. On voit en effet que cette
erreur fut condamnée dans un concile plé-
nier assemblé à Carthage , et composé de
plus de deux cents évêques, du nombre des-
quels était ce saint D.octeur. Voici le canon
de ce concile : « Si quelqu'un dit ^ que quand
le Seigneur a dit : Il y a plusieurs demeures
dans la maison de mon Père, a voulu faire
entendre que dans le royaume des cieux , il
y a un lieu mitoyen ou quelqu 'autre lieu, où
vivent heureux les enfants qui sortent de
cette vie sans le baptême , sans lequel ils ne
peuvent entrer dans le royaume des cieux
1 Primus hic error averlendus ab auribus, ex-
tirpandus a mentibus. Hoc novmn in Ecclesia,
prius inauditum est, esse vilam ceternam prœter
regmim ccelorum, esse salutem œternam prœter
regnwn Bei. Primo vide , frater , ne forte hino-
consentire nobis debeas, qinsquis ad regnwn Dei
non pertinet, eum ad damnationem sine dubio
pertinere. Yenturus Dominus, et judicaturus de
vi'vis et mortuis sicut Evangeliwm loquitur, duas
parles facturus est, dextram et sinistram : sinis-
tris dicturus : Ite in ignem seteruum qui paratus
est diabolo et angelis ejus; dextris dicturus: Venite
benedieti Patris Diei, peroipite regnum quod vobis
paratum est ab origine mundi. Hanc regmim nomi-
nat,illam cum diabolo damnationem'. Niillus relictus
est médius locus ubi ponere queas infantes. De vi-
vis et mortuis judicabitur; alii erunt ad dextram,
alii ad sinistram: non nooi aliud. Qui inducis me-
dium, recède de medio ; non te offendat qui dex-
tram qucerit : et te ipsum admoneo; recède de me-
dio, sed noli in sinistram.. Si ergo dexlra erit et
sinistra et nullum médium locum in Evangelio no-
vimus, ecce indextra regnimi cœlorum est: Perci-
Tpile, inquit, regnum. Qui ibi non est, in sinistra
est. Quid erit in sinistra ? Ite in ignem ccternum.
In dexlra ad regnum, utique œternum; in sinistra
in ignem. œternum. Qui non in dextra, pocul dubio,
in sinistra; ergo qui non in regno, procul dubio,
inigne œterno. August., lib. 111 Conlra lui., m\m. 2,
pag. M84.
2 Si autem non eruitur a potestate tenelraru/m
et illic remaneat parvulus, quid miraris in igné
œterno cum diabolo futurum, qui vi Dei regnwn
întrare non sinitur? August., lib. Ill Contra Jul.,
cap. 199, pag. H30.
8 II est de foi que les enfants qui meurent sans
le baptême ne voient pas Dieu et sont damnés ;
mais l'Église laisse libre l'opinion qui admet qu'ils
ne souffrent point les suppliées du feu. {L'éditeu,r.)
* Non baptisalis parvulis nemo promittat inter
damnationem regnumque cœlorum, quietis vel fe-
licitatis cujuslibet atque ubilibet quasi médium lo-
cum : hoc e7iim eis etiam hœresis pelagiana pro-
misil. August., ibid.
» Proinde respuendi sunt a corde christiano qui
putant ideo dictuni multas esse mansiones quia ex-
tra regnum cœlorum erit aliquid ubi maneant
beati innocentes, qui sine baptismo ex hac vita
emigrarunt, quia sine illo in regnum cœlorum in-
trare non poterunt. Hcec fides non est fides , quo-
niani non est vera et catholica fides. August.,
tract. G7 in Joan., num. 3, pag. 678.
8 Item placitit ut si quis dixerit, ideo di.xisse Do-
minum : In domo Patris mei mansiones multis
sunt, etc., ut intelligatiir quia in regno cœlorum
erit aliquts médius, aut ullus alicubi locus, «it
beati vioant parvuli, qui sine baptismo ex hac vita
migrarunt, sine quo in regnum cœlorum. quod est
vita œterna intrare non possunt : Anathema sit.
Nam. cum. Dominus dicat: Nisi quis renatus fuerit
ex aqua et Spiritu Sancto, non intrabit in regnum
cœlorum, quis catholicus dubitet participem dia-
bolifore eum, qui cohœres non mcruit esse Christi?
Qui enim. dextera caret, sinistram procul dubio in-
currel. Cod. can. Eccl. rom., can. 3, pag, /lO, cul. 2,
tom. H Oper. S. Leonis.
[IV" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
661
qui est la vie éternelle, qu'il soit anathème :
car, puisque le Seigneur a dit : Quiconque ne
renaîtra pas de Veau et du Saint-Esprit, ne
peut entrer dans le royaume des cieux , quel
catholique peut douter que celui qui ne mé-
ritera point d'être cohéritier de Jésus-Christ,
n'ait sa part avec le diable ? Celui qui n'est
pas à la droite , sera sans doute à la gau-
che. » Photius cite ce concile ' , et rapporte
l'anathème prononcé contre l'erreur des
pélagiens, touchant les enfants morts sans
baptême, qu'ils disaient être dans un lieu
mitoyen entre le paradis et l'enfer. Il semble
aussi que saint Augustin ^ le marque, quand
il dit que l'autorité des conciles catholiques et
du Siége-Apostolique a condamné très-juste-
ment les nouveaux hérétiques pélagiens,
parce qu'ils ont osé attribuer aux enfants
non baptisés un lieu de salut et de repos
hors le royaume des cieux.
72. Les semi-pélagiens qui ne pouvaient
souffrir que l'on prit ce qui se passe à l'égard
des enfants pour règle de ce qui regarde les
personnes qui sont en âge de raison', soute-
tenaient que la manière dont saint Augustin
s'était expliqué sur ce sujet dans son troi-
sième livre du Libre arbitre, faisait assez voir
qu'on ne pouvait rien dire de certain touchant
les peines de ces enfants, et qu'il favorisait
dans cet ouvrage ceux qui doutaient qu'ils
fussent effectivement condamnés à quelque
supplice. Ce Père, averti par Hilaire de l'ob-
jection que faisaient ces hérétiques, répon-
dit : n C'est en vain' qu'on veut me faire une
loi de ce que j'ai enseigné il y a si longtemps,
pour m'empêcher de défendre, comme je le
dois, la docti'ine qu'il faut tenir touchant les
enfants qui meurent avant l'usage de raison,
et de tirer de ce qui se passe en eux une
preuve plus claire que le jour, de cette vérité
catholique, que la grâce de Dieu n'est point
donnée aux hommes en considération d'au-
cun mérite. Car, quand il serait vrai que, dans
le temps où je composais les livres du Libre ar-
bitre, que je commençai étant encore laïque,
et que j'achevai après avoir été fait prêtre,
j'aurais été dans quelque doute touchant la
délivrance des enfants qui renaissent par le
baptême, et delà damnation de ceux qui ne
sont pas régénérés par ce sacrement, qui
est-ce qui serait assez injuste et assez en-
vieux pour prétendre que je dois demeurer
dans les mêmes doutes , et pour vouloir
m'empêcher d'apprendre et de profiter?
N'est-il pas plus raisonnable de présumer,
qu'encore que j'aie choisi une manière de
réfuter les manichéens , qui confond égale-
ment leurs rêveries du mélange d'une bonne
et d'une mauvaise nature , soit que l'on
admette le péché originel dans les enfants,
selon la véritable doctrine, soit qu'on ne l'y
admette pas, selon l'erreur de quelques-uns;
1 Synodus adversus Pelagiwn et Cœlestium Car-
thagine in sitmtna œde habita, etc.. damnât hœe
synodus anathemate cas, qui affirmarent medio
quodam loco paradisum inler et inferos non bapti-
zatos infantes béate vivere. Pliot., Cod. 52, pag. 42
et 43.
2 Novellos hœreticos pelagianos justissime con-
ciliorwm catholicorum et Sedis Apostolicœ dam-
navit auctoritas, eo quod ausi fuerinl non baptizatis
parvulis dare quietis et salutis locum etiam prœ-
ter regnum cœlorum. August., lib. II Be Anim:
et ejus orig., Dum. 17, pag. 367.
3 Parvulorum autem causam ad exeiirpluin ma-
jorum non patiimtur adferri. Quam et tuamsanc-
titatem dicunt ratenus attigisse, ul incertum esse
volueris ac potins de eorum pœnis malueris dubi-
tari. Quod, in libro III T)e Libero arbitrio, itaposi-
tum 7neministi , ut hanc eis occasionnem potueris
exhibere. Hilar., Epist. ad. August. num. 8, pag.
828.
'* Frustra itaque mihi de ilHus libri met vêtus-
tate prœscribilur , ne agam causam sicut debeo
agere parvulorum , et ind^ gratiam Dei non secun-
dum mérita hominum dari, perspicuœ veritatis
luce convincam. Si enim quando libros De LU)ero
arbitrio laicus capi, presbyter explicavi, adhuc
de damna tione infantium no7i renascentium et de
renascentium liberatione dubitarem ; nemo , ut
opinor, esset tam injustus atque invidus qui me
proficere prohiberet , atque in hac dubitatione re-
manendum mihi esse judicaret , cum vero rectis
possit intelligi, non me propterea de hac re débi-
tasse credi oportere qui contra quos mea dirige-
batur intentio , sic mihi visi sunt refellendi, ut
sive pœna esset peccati originalis in parvulis ,
quod Veritas habet , sive non esset , quod nonnulli
errantes opinantur; nullo modo tamen quam ma-
nicheorum error indmit , duarum naturarum ,
boni scilicet et mali, permixtio crederetur. Absit
ut caiisam. parvulorum sic relinquamiis , ut esse
nabis dicamus incertum, utrum in Christo rege-
nerati, si moriantur parvuli , transeant in œter-
nam salutem; non regenerati autem transeant in
mortem secundam; quoniam quod scriptum est:
Et per unum hominem peccatum intravit in mun-
dum , et per peccatum mors : et ita in omnes ho-
mines pertransiit, aliter recte intelligi nonpotest;
nec a morte perpétua quce justissime est retributa
peccato , libérât quemquam pusillorum atque ma-
gnorum , nisi ille qui propter remittenda et origi-
nalia et propria nostra peccata mortuus est sine
ullo suo origiiiali propriore peccato. August., De
Dono pers., uum. 30, pag. 836 et 837.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
662
je n'ai pas pour cela été en doute sur ce
point? A Dieu ne plaise donc que nous le
traitions comme une chose douteuse ; et que
nous mettions en question si les enfants qui
meurent avant l'usage de raison, après avoir
été régénérés en Jésus-Christ , entrent dans
le repos éternel ; et si ceux qui ne l'ont pas
été passent de la mort temporelle à une
seconde mort, puisqu'on ne peut pas enten-
dre autrement ce qui est écrit : Le péché est
entré dans le monde par xin seul homme, et la
mort par le péché ; et c'est ainsi qu'elle a passé
dans tous les hommes ; et que nul des enfants,
non plus que les autres, ne saurait être dé-
livré de la mort éternelle, qui est la juste
peine du péché , que par celui qui , étant
aussi exempt du péché qui se contracte par
la naissance, que de celui qui se commet par
la volonté, a voulu mourir pour effacer ceux
dont nous étions coupables de l'une et de
l'autre manière. Mais il est certain ' que
ceux qui n'auront point ajouté de péchés ac-
tuels au péché originel qu'ils ont contracté
par leur naissance, souffriront la plus douce
peine de toutes ; et que pour ceux qui en au-
ront ajouté, chacun éprouvera une damna-
tion d'autant plus douce qu'il aura commis
moins de péchés pendant qu'il aura vécu dans
le monde. Pour moi, je ' ne dis pas que les
petits enfants qui meurent sans avoir reçu
le baptême doivent être punis avec une si
grande rigueur, qu'il vaudrait mieux qu' ils ne
fussent 2MS venus au monde. Ces paroles de Jé-
sus-Christ ne regardent pas tous les pécheurs,
mais seulement les plus scélérats et les plus
impies : car il est certain qu'au jour du ju-
gement, les uns seront punis moins rigou-
reusement que les autres. Or, qui doute que
les enfants qui n'ont pas été baptisés ne doi-
vent être traités avec moins de riguem' que
les autres damnés, puisqu'ils n'ont que le
péché originel et ne sont chargés d'aucun
péché qui leur soit propre ? Quoique je ne
puisse pas déterminer précisément la gran-
deur des peines qu'ils am-ont à souffrir, je
n'oserais dire néanmoins qu 'il vaudrait mieux
pour eux qu'ils ne fussent pas que d'être dans
cet état de damnation. Mais vous-même (ces
paroles s'adressent à Julien), vous-même qui
soutenez qu'ils sont exempts de toute sorte
de peines, vous ne voulez pas voir à queUe
peine vous les condamnez, en éloignant tant
d'images de Dieu, de sa ville et de son
royaume, et , de plus , en les séparant de
leurs parents, gens de bien que vous exhor-
tez avec tant d'éloquence à mettre des en-
fants au monde. Or, c'est injustement qu'ils
soutirent ces peines, s'ils ne sont coupables
d'aucune sorte de péché, oji si c'est juste-
ment qu'ils les soutirent, il faut donc dire
qu'ils ont le péché originel. »
73. D'après saint Augustin, la prédesti- ^J^:^
nation' n'est autre chose que la prescience
et la préparation des bienfaits de Dieu, par
lesquels sont délivrés très-certainement tous
ceux qui sont délivi'és. La seule différence
qu'il y a entre la * grâce et la prédestination,
c'est que la prédestination est la préparation
1 MUissima sane omnium pœna eril eorum qui
prœter peccatum , quod originale traxerunt , nul-
lum insuper addiderunt : et in cœleris qui addide-
runt, tanto quisque tolerabiliorem ibi habebit
damnationem , quanta hic minorem habuit iniqui-
tatem. August., Enchirid., cap. xcni, num. 23 ,
pag. 231.
2 Ego autem non dico parvulos siiie Christi
baptismate morientes tanta pœna esse plectendos,
ut eis non nasci poliiis expediret, cum liœc Domi-
mis non de quibuslibet peccatoribus sed de sceles-
tissimis et impiissimis dixerit. Si enim quod de
Sodomis ait, et utique non de solis intelligi voluit,
alius alio tolerabilius in die judicii punietur; quis
dubitareril parvulos non baptizalos, qui solum
Iiabent originale peccatum, nec ullis propriis ag-
gravantur, in damnalione omnium levissima futu-
ros?Quœ qualis et quanta erit quamvis definire
non possim, non tamen audeo dicere, quod eis ut
milli eurent quam ut ibi essent, potius expediret.
Verum vos quoque, qui eos libéras ab omni dam-
na tione esse con,eriditis, cogitare non vuUis qua
illus damnalione punialis, alienando a vita Dei et
a regno Dei tôt imagines Dei, postremo separando
a parentibus piis, quos ad eos procreandos tam di-
sertus hortaris. Hœc autem injuste patiuntur, si
nullum habent omnino peccatum ; aut si juste,
ergo habent originale peccatum. August., ïib. V
Contra Jul., num. 44, pag. 630 et 631.
' Hœc est prœdestinalio sanctorum, nihil aliud
prœscientia scilicet et prœparatio beneficiorum Dei
quibus certissime liberantur, quicumque liberan-
tur. August., De Dono pers., cap. xiv, num. 35,
pag. 839.
* Inter gratiam porro et prœdestinationem hoc
tantum interest quod prœdestinatio est gratiœ
prœparatio, gratia rero jam ipsa donatio. Quod
itaque ait Àpostolus : Non ex operibus, ne forte
quis extollutur, ipsius enim sunius Cgmentum,
creati iu Christo Jesn in operibus bonis , gratia
est. Quod autem sequitur : Quas praîparavit Deus
ut in illis ambulemus, prœdestinatio est, quœ sine
prœscientia non potest esse; potest autem esse
sine prœdestinatiune prœscientia, prœdestinatione
quippe Deus eaprœscivit, quœ fuerat ipse facturas;
unde dictum est: Facit qufe futurn sunt: prœscire
[IV« ET V° SIÈCLES.]
de la grâce, et que la grâce est le don ac-
tuel. Cette différence est marquée dans ce
I ''"■ ". = passage de saint Paul : Cela ne vient pas de
nos œuvres , de peur que peut-être quelqu'un ne
s'en gloî'ifie ; car nous sommes son ouvrage,
étant créés en Jésus-Christ dans les bonnes œu-
vres. Voilà la grâce. Ce que l'Apôtre ajoute,
que Dieu a préparée, afin que nous y marchas-
sions, marque la prédestination, qui ne peut
être sans la prescience, quoique la prescience
puisse êti'e sans la prédestination ; car Dieu,
par la prédestination', a connu les choses
que lui-même devait faire : c'est pour cela
ai. M.7. qy'j] gg^. jj|- ^j^jjg l'Écriture : // a déjà fait
ce qui est encore à venir. Mais pour les choses
qu'il ne fait pas , il les prévoit simplement
par sa prescience ; et c'est de cette sorte qu'il
prévoit les péchés. En effet, quoiqu'il y en
ait qui sont tout ensemble, et péchés et peine
des péchés , comme saint Paul nous le fait
rim. 1 28. connaître dans ce qu'il dit de ceux que Dieu
a livrés à leur sens réprouvé, en sorte qu'ils
ont fait des actions indignes de l'homme, il n'y
a rien là de Dieu que son juste jugement ;
tout ce qui est péché n'est point de lui. La
prédestination pour le bien n'est donc autre
chose que la préparation de la grâce , comme
la grâce est l'effet de cette prédestination. »
74. « Jésus-Christ', dit saint Augustin, est
le modèle le plus illustre de la prédestina-
tion , et il n'y en a point de plus éclatant
que le Médiateur même. Que tout fidèle qui
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
663
veut bien l'entendre jette donc les yeux sur
Jésus-Christ, et qu'il se trouve ou se recon-
naisse lui-même en Jésus-Chrisl. Dieu qui ,
sans égard à aucun mérite précédent, a fait
de la race de David cet homme juste qui
n'a jamais été injuste , et ce Dieu même qui,
d'injustes, que nous sommes, nous rend
justes sans aucuns mérites précédents , afm
que cet homme juste soit le chef et que nous
soyons ses membres : celui qui, indépen-
damment d'aucuns mérites, l'a fait tel qu'il
ne se trouvât en lui aucun péché, ni origi-
nel ni actuel, qui lui dût être remis; c'est
lui qui , indépendamment de tous mérites ,
nous a fait croire en lui pour nous accorder
la rémission de nos péchés. Celui qui l'a fait
tel qu'il n'eût point et ne dût jamais avoir
de mauvaise volonté, c'est lui-même qui
opère dans ses membres pour rendre bonne
leur volonté de mauvaise qu'elle était. Où
est ^ la foi ? où sont les œuvres qui aient pré-
cédé de la part de sa nature humaine pour
mériter l'admirable qualité de médiateur
entre Dieu et les hommes ? Qu'on nous dise
quel est le bien que cet homme a fait par
avance pour se rendre digne d'être le Fils
unique de Dieu, par le moyen de cette
union ineffable , qui fait qu'il est une même
personne avec le Verbe? Peut- on dire
qu'avant d'être élevé à cette incomparable
dignité , il ait ou cru, ou prié, ou fait quoique
ce soit pour l'acquérir ? Considérons ' donc
autem potens est etia/m qwce ipse non facit ; sicut
qucBCumque peccata , quia etsi simt quœdam, quce
ita peccata sunt ut pœnœ sint etiam peccalorum ;
unie dictuni est : Tradidit iUos Deus in reprobam
mentem, ut faciimt quae non conveniunt; non ibi
peccatum Dei est sed judicium. Quocirca prcedesti-
natio Dei quœ in bono est, gratiœ est, ut dixi,
prœparatio; gratia vero est ipsius prœdestinatio-
nis effectus. August., De Prœd. sanct., cap. x,
uum. 19, pag. 803.
' Nullum autem est illustrius prœdestinationis
exemplum quam ipse Jésus... nullum est, inquam,
illustrius prœdestinationis exemplum, quam ipse
Mediator. Quisquis fidelis vult eam hene inlelligere
attendatipsum, atquein illo inoeniat etseipsum...
Qui ergo hune fecit et semine David hominem jus-
tum, qui nunquam esset injustus, sine ullo merito
prœcedentis voluntatis ejus; ipse ex injustis facit
justes, sine ullo merito prœcedentis voluntatis ip-
sorum, ut ille caput, hi membra sint ejus. Qui
ergo fecit illum hominem sine ullis ejus prœceden-
tibus meritis, nullum quod eidimitteretur, vel ori-
gine trahere, vel vohmtate perpetrare peccatum;
ipse nullis eoriim prœcedentibus meritis facit cre-
dentes in eum, quibus dimittat omne peccatum ;
qui fecit illum talem, ut nunquam habuerit habi-
turusque sit volunfatem malam ; ipse facit in mem-
bris ejus ex mala voluntate bonam : et illum ergo
et nos prœdestinavit , quia in illo ut esset caput
nostrwn et in nobis ut ejus corpus essemus, non
prcccessura mérita nostra, sed opéra sua futura
prœscivit. August., lib. De Dono pers., cap. xxiv,
num. 67, pag. 837 et 858.
2 Est etiam prœclarissimum lumen prœdesti-
nationis et gratiœ, ipse salvator , ipse mediator
Dei et homimim homo Christus Jésus: qui ut
hoc esset, quibus tandem suis vel operum vel
fide prœcedentibus meritis natura humana quœ
in illo est comparavit? Respondeatur, quœso ;
ille homo, ut a Verbo Palri coœterno in unilatem
personœ assumptus Filius Dei unigenitus esset,
unde hoc meruit ? Quod ejus bonum qualecum-
que prœcessit ? Quid egit ante, quid credidit, quid
petivit , ut ad hanc ineffabilem excellcntiam
pervenirei? August., De Prœd. sanct., cap. xv,
num. 30, pag. 809.
' Appareat ilaque nobis innostro capile ipse fons
gratiœ, unde secundum uniuscujusque mensuram
se per cuncta ejus membra diffundit. Ea gratia
fil ab initie fulei suce homo quicumque christia-
nus, qua gratia homo ille ab initio sua faclus est
Christus ; de ipso Spiritu et hic rcnatus de quo
664
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
la source même de la grâce dans notre chef,
d'où elle se répand dans tous ses membres,
chacun selon sa mesure. Tout homme, à le
prendre depuis le commencement de la foi,
est fait chrétien par la même grâce, par la-
quelle cet homme a été fait le Christ dès le
moment qu'il a commencé d'être homme.
L'homme est régénéré par le même Esprit
par qui Jésus-Christ est né. La rémission
des péchés se fait en nous par le même Es-
prit par qui il s'est fait que Jésus-Christ n'ait
eu aucun péché. Il est certain que Dieu a
connu, par sa prescience, qu'il devait lui-
même accomplir tout cela. Rien donc ne fait
mieux comprendre la prédestination des
saints que celle du Saint des saints. De mê-
me ' que celui-là seul entre plusieurs a été
prédestiné pour être notre chef, de même
plusieurs ont été prédestinés pour être ses
membres. Que tous les mérites humains se
taisent, ils sont morts en Adam. Mais que la
grâce de Dieu triomphe, comme elle fait
par Jésus-Christ Noire-Seigneur. Si quel-
qu'un peut trouver dans le chef quelques
mérites qui aient précédé cette génération
admirable qui lui est particulière, qu'il en
cherche à la bonne hernie dans les mem-
bres, qui aient pu précéder la génération qui
leur est commune; car, de même que c'est
par une faveur toute particulière qu'il a été
donné à Jésus-Christ de naître d'une vierge
par l'opération du Saint-Esprit, sans soutfi'ir
aucune atteinte de péché; de même, c'est
par une libéralité toute pure, et non pas en
récompense de quelque mérite qu'il nous a
été donné de renaître en lui par l'eau et
par le Saint-Esprit, et quoique ce soit la foi
qui nous ait conduits au baptême, ne nous
imaginons pas pour cela que nous ayons
donné les premiers , et qu'ainsi cette sainte
génération soit le paiement d'une dette. Ce-
lui qui nous a donné le Messie pour être
l'objet de notre foi, celui-là même nous
donne la foi par laquelle nous croyons en
ce Messie, et opère dans les hommes le com-
mencement aussi bien que la consommation
de la foi en Jésus-Christ, comme il a fait cet
Homme-Dieu , l'autem' et le consommateur
de la foi. »
7S. « Dites-nous, dit saint Augustin - aux
pélagiens, par quels mérites précédents les
enfants qui meurent aussitôt après lem- bap-
tême, ont mérité ce don si sublime, qui lem-
est accordé en vertu de ce sacrement? Si
vous dites que c'est en considération de la
piété de leurs parents qu'ils ont mérité cette
grâce, je vous demanderai : Pom-quoi donc
il arrive quelquefois qu'elle est refusée à des
enfants qui ont pour pères des gens de bien,
pendant qu'elle est accordée à d'autres qui
sont nés de pères impies ? En effet, on voit
quelquefois qu'un enfant né de parents reli-
gieux et fidèles est enlevé par une mort pré-
cipitée dans un âge tendre, et même dans
le moment qu'il vient de naître, avant qu'il
ait pu recevoir le baptême, pendant qu'un
Préde.=llna-
tioD praluilo
dans les ca-
fauU.
est ille nalws, eodem Spiritu fil innobis remissio
peccalorum, quo Spiritu factum est, ut nullum
huberet ille peccatum. Hœc «■• Deus esse factu-
riim profecto prœscivil. Ipsa est igitur prœdesti-
natio sanctorum, quœ in Sanclo sanctorum maxi-
me claruit ; quam negare quis potesl renie intel-
ligenlium eloquiaverilutis? Xngnsl. ^ibid., num.31,
IMg. 810.
1 Sicut ergo prœdestinatus est ille unus, ut ca-
put nostrum esset, ita multi prœdeslinati sumus
Vit membra ejus essemus. Humana hic mérita
conticescant, quœ perierunt per Adam; et regnet
quœ régnât Dei gralia per Jesum Christum Domi-
nii m nostrum unicum Dei Filium, unum Dominum.
Qaisquis in capite nostro prœcedentia m erita singu-
luris illius generalionis invenerit, ipse in nobis
membris ejus prœcedentia mérita multiplicatœ
regenerationis inquirat. Neque enim retribiita
est Chrislo illa generatio, sed tributa, ut alienus
ab omni obligaliotie peccati, de-Spiritu et Virgine
nasccretur. Sic et nobis ut ex aqua et Spiritu re-
nasceremur, non retribulum est pro aiiquo me-
rilo, sed gi'atis retributum, etsinos ad l:vacrum
regenerationis fides duxil, non ideo putare debe-
mus, priores nos dédisse aliquid, ul rétribue -
retur nobis regeneratio salutaris; ille quippe
nos fecit credere in Christum, qui nobis fecit
in quem credinms Christum : ille facit in homi-
nibus princiinum fidei. et perfectionem in Je-
sum qui fecit hominem principem fidei et perfec-
torem Jésus. August., ibid., num. 33, pag. 810 et
81).
- Dicite ergo nobis : quicumquebaptixatiinChris-
to parvuli de corpore exierunt, hoc tam sublime
donum giiibus prœcedentibus mcritis acceperunt?
Si dixeritis, hoc eos parentum jnetate meruisse ,
respondebitur robis, cur aliquando piorum filiis
negatur hoc bonum- et filiis tribuitur impiorum?
Nonnunquam enim de retigiosis orta proies in tc-
nera œtate atque ab utero reccntissima prœreni-
tur morte antequam lavacro regenerationis ablua-
tur ; el infans nalus ex inimicis Christi miseri-
cordia christianorum baplizatvr in Christo; plan-
git baptizata mater non bapti:atum proprium,
et ab impudica expositum, baptizandum casla
fœtum colligit alienum. Hic cerle mérita paren-
tum vacant, racant robis fatentibus ipsorum ctiani
piarvulorum. Augiist., lib. Il Cuntra Epist Pelag.,
cap. VI, uum. 2, pag. 438.
[lV° ET V° SIÈCLES.]
autre enfant, qui aura tiré sa naissance de
parents ennemis de Jésus-Christ, est baptisé
par des pei'sonnes clirétiennes; souvent
même une mère qui est baptisée pleure son
enfant que la mort lui a enlevé avant qu'on
ait pu lui donner le baptême, et il arrive
au conti'aire quelquefois qu'âne femme
chaste prenant l'enfant qu'une mère impu-
dique a exposé après l'avoir abandonné, lui
fait recevoir le baptême. Comme on ne peut
alléguer ici les mérites des parents, on ne
peut non plus alléguer des mérites qui soient
propres à ces enfants. Quelle raison \ dit en-
core saint Augustin, ces hérétiques peuvent-
ils rendre de ce que Dieu dispose les choses
de telle sorte que de deux enfants, l'un ne
meure pas avant d'être baptisé, et que l'autre
étant mis entre les mains ou des infidèles, ou
même des fidèles, meure avant de recevoir
le baptême? Attribueront-ils cela au destin
ou au hasard? Je ne saurais croire qu'ils en
viennent à cet excès de folie, pour peu qu'ils
veuillent encore passer pour chrétiens. Or,
comme ^ ce discernement ne peut être attri-
bué ni à l'ordre immuable du destin, ni à la
témérité de la fortune, ni à la dignité de la
personne, que nous reste-t-il à faire, sinon
d'adorer la profondeur de la miséricorde et
de là justice de Dieu ? Il a voulu que, par le
moyen d'une chose aussi incompréhensible
que celle-là, nous comprissions que, comme
tous les hommes font, pour ainsi dire, partie
de deux hommes, dont l'un est celui par qni
le péché est entré dans le monde, et l'autre
celui qui ôte le péché du monde , tous les
enfants que la concupiscence fait naître se-
lon la chair, de quelque père et de quelque
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
665
mère qu'ils aient pris naissance, sont juste-
ment condamnés à porter le joug pesant des
enfants d'Adam; et qu'au contraire tous les
enfants que la grâce fait naître selon l'esprit
en les séparant de ceux-là, de quelque père
et de quelque mère qu'ils soient nés , arri-
vent, sans aucuns mérites de leur part, à
cet heureux état où l'on porte l'aimable
joug des enfants de Dieu. »
76. Le saint évêque enseigne que la con-
duite de Dieu à l'égard des enfants, a lieu
aussi à l'égard des adultes. « C'est, dit-il, un
jugementMeDieu impénétrable, pourquoi de
deux enfants, également coupables du péché
originel, l'un est choisi et l'autre est laissé;
et pourquoi de deux personnes âgées qui
vivent toutes deux dans l'impiété, l'une est
appelée de telle sorte qu'elle suit celui qui
l'appelle, et l'autre n'est point appelée du
tout ou n'est pas appelée de la même ma-
nière. Mais c'est encore un jugement beau-
coup plus impénétrable, pourquoi de deux
personnes qui s'exercent dans la piété, il est
donné à l'une de persévérer jusqu'à la fin,
tandis qu'il ne l'est pas donné à l'autre. Mais
ce que les fidèles doivent tenir pour cer-
tain, c'est que l'un est prédestiné et l'autre
ne l'est pas. » Il appuie cette doctrine sur di-
vers passages des Épîtres de saint Paul où
nous lisons : Dieu nous a élus en Jésus-Christ,
avmit la création du monde, afin que nous fus-
sions saints et sans tache devant ses yeux, dans
la charité. De ces paroles, le saint Docteur
infère * que Dieu nous a choisis en Jésus-
Clirist, non parce que nous devions être
saints , mais afin que nous le fussions ; « et
il l'a fait, dit-il, selon le bon plaisir de sa vo-
rrédcFliTtn-
dans lus adul-
Ephes. j, ',
' Quam, quœso, allaturi sunt cawsam'quod alius
sic gubernatw ut baptizatus hinc exeat, alius infi-
delmm manibustraditus, vel etiam lidelium,prîus-
'quo.m ab eis baptisandus offeratur, expirât; an hoc
fato vel fortunes daturi sunt ? Non opinor ebs in
tantam dementiam prorupturos , quantulumcum-
que nomein christianum tenereciipientes. Aiigust.,
Epist. 194, nnm. 31, pag. 725.
- Certe hic ubi fait nulla est immobilitas, nulla
fortunœ temeritas, nulla personœ dignitas, quid
restât nisi misericordiœ verilatisque profimdilas?
Ut sciamus et ex hoc incowprehensibili compre-
hendamus juxta duos homines unum per quem
peccatum intravit in mundum, alterum qui toUit
peccatiim miiufli, omnes filios concupiscentiœ car-
nalis undecumque nascantur, ad jugum grave fi-
liorum Adam mérita pertinere et ex his omne^ fi-
lios gratiœ spiritalis undecumque nascantur, ad
jugum suave filiorum Dei sine merito pervcnire.
August., lib. VI Contra Jul., num. 43, pag. 683.
' Ex duobus itaque parvulis originali peccato
pariter obstrictis, cur iste assumatur, ille relin-
quatur; et ex duobus œtatejam grandibus iinpiis,
cur iste ita vocetur, ut vocantem sequatur, ille au-
tem aut non vocetur, aut non ita vocetur ? inscru-
cabilia sunt judicia Dei. Ex duobus autem piis,
cur huic donetur perseverantia usque in finem, illi
non donetur? insci-utabiliora sunt judicia Dei. II-
lud tamen fidelibus débet esse certissimum hune esse
exprœdestinatis, illum non esse. August., DeDono
per s., cap. ix, num. 21, pag. 831.
* Elpgit ergo nos Deus in Christo ante imindi
constitutionem, prœdestinans nos in adoptionem
filiorum : non quia per nos sancti et immaculati
futuri eramws,sed elegit])rœdestinavitque utcssc- ■
mus. Fecit autem hoc seoundum placitum volun-
tatis sute, ut nemo de sua sed de illius erga se
voluntate glorietar. August., De Prœdest., num. 37,
pag. 815.
Rr.iii. :ï, II.
666 HISTOmE Gi^NÉRALE DES
lonté, afin que personne ne se glorifie dans
la sienne propre, mais en celle de Dieu sur
soi. » Le même Apôtre, parlant de Jacob et
d'Ésau, dit : Avant qu'ils fussent nés, et avant
qu'ils eussent fait aucun bien ni aucun mal,
afin que le décret de Dieu demeurât ferme se-
lon son élection, non à cause de leurs œuvres ,
mais à cause de la vocation de Dieu, il fut dit
à Rébecca : L'aîné sera assujetti au plus jeune,
selon qu'il est écrit : J'ai aimé Jacob et j'ai haï
Esaii. Sur quoi saint Augustin raisonne
ainsi ' : « Quels mérites pouvaient avoir ces
deux enfants qui n'étaient pas encore nés, et
qui n'avaient encore fait ni bien ni mal?
Que Jacob donc ne s'élève point, qu'il ne se
glorifie point, qu'il n'attribue point ce cboix
de Dieu à ses mérites; c'est avant aucuns
mérites qu'il avait été connu, qu'il avait été
prédestiné, qu'il avait été cboisi. C'est par la
grâce de Dieu qu'il a été trouvé et qu'il a
été vivifié. Que ^ les hommes ne soient pas
si téméraires de juger des impénétrables ju-
gements de Dieu: Pourquoi, dans une même
cause, la miséricorde de Dieu s'exerce sur
l'un des frères, et sa colère demeure sur
l'autre? Qu'aimait-il dans Jacob avant qu'il
fût né et qu'il eût fait aucun bien, sinon le
don gratuit de sa miséricorde ? Et que baïs-
sait-il dans Esau, avant qu'il eut fait aucun
mal, sinon le pccbé originel? Ce serait une^
folie de croire avec les pélagiens que ce dis-
cernement était fondé sur les actions difie-
j'entes que Dieu prévoyait que ces deux en-
fants devaient faire, puisqu'il eût été aisé à
AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
l'Apôtre de dire que Dieu les avait prédesti-
nés, non à cause de leurs actions présentes,
mais à cause de celles qu'ils devaient faire,
et de répondre ainsi très-aisément à cette
objection, qu'il se propose ensuite : Que di-
rons-nous * donc ? Est-ce qu'il y a en Dieu de
l'injustice ? Dieu nous garde de cette pensée.
Mais pourquoi, demande saint Augustin,
l'Apôtre dit-il : Dieu nous gardede cette pensée ?
Est-ce à cause des œuvres que Dieu pré-
voyait que ces deux frères devaient faire ?
Dieu nous garde de le penser ainsi ; mais
c'est poui' vérifier la parole qui a été dite à
Moïse : Je ferai miséricorde à qui il me plaira
de faire miséricorde, et j'aurai pitié de qui il
me plaira d'avoir pitié. »
77. Selon saint Augustin, Dieu a voulu ^
que nous ne sussions pas qui sont ceux qui
appartiennent à l'héritage du démon, et qui
sont ceux qui n'y appartiennent point. « Cela,
dit-il, nous est tout à fait caché en ce monde,
parce qu'il est incertain si celui qui semble
être deljout ne tombera pas, et si celui qui
semble être tombé ne se relèvera point. Les
justes ^ mêmes, quoiqu'assurés du prix de
leur persévérance, ne le sont pas de leur
persévérance même : car, quel est celui qui
sache certainement qu'il persévérera jusqu'à
la fin dans la pratique de la vertu chré-
tienne, s'il n'en est assuré par la révélation
de celui qui, par un jugement caché; n'ins-
truit pas tout le monde de ce secret ; mais
qui ne trompe personne de ceux qu'il dai-
gne instruire? Y a-t-il quelqu'un' parmi le
jour 105
' Quod meritum habere nondum nati potuerunt,
anlequam quisquam eorum egisset aliquid boni
aut mali? Non ergo se extollat Jacob, non glorie-
tur, non suis meritis iribual. Ante est prœcogni-
tus, anle prœdestinatiis, ante electus : non suis
meritis electus, sed gratia Dei inventus et viviji-
catus. August., m Psal. cxxxiv, num. 8, pag. 1497.
2 Nec de inscrutabilibus judiciis ejus audeant
judicare, cur in una eademque causa super aliuni
veniat misericordia ejus, super alium maneat ira
ejus... Quid enim diligebat in J acob anlequam na-
tus fuisset aliquid boni, nisi gratuitum miseri-
cordiœ suœ donum? Et quid nderat in Esau anle-
quam nalus fuisset aliquid mali nisi originale
peccatum. August., Epist. 194, num. 33 et 34,
pag. 725 et 726.
3 Propler quod profecto desipitis fpelagianij qui
diccnle Veritate: Nou ex nperibus, sed ex vocaute
dictum est; vos dieilis ex futuris operibus quœ
Deus illum facturum esse prœsciebatJacob fuistse
dileclum; atque ita conlradicilis Àpostolo diccn-
U.'Nou ex operibus, quasi noiipossetdicere: I\on
ex prœsentibus sed futuris operibu.f. August.,
lib. Il Contra duas Epist. Pelag., num. lo,pag. 441.
* Quid ergo dieemus, inquil, numquid iniquilas
est apud Deum? Absit. Sed quare, absit, oh prop-
ler opéra quœ fulura prœsciebat amborum? Imo
et hoc absit. Moisi enim dicit : .Miserebor cui mi-
sertus ero , et miseriuordiam praestabo cui miseri-
cors fuero. August., Epist. 194, num. 39, pag. 727.
5 Signavit autem quod addidit, significasse mihi
videtur quia occultum esse voiuit, qui perlineant
adpartem diaboli et qui non perlineant. Hoc quippe
in sœculo islo prorsus lalet , quia et qui videtur
jacere utrum sit surrecLurus inccrlum est August.,
lib. XX De Civil. Dei, num. 3, pag. 582.
' Qui fjusli) licet de suœ perseverantiœ prœmio
cerli sinl, de ipsa tamen perseveranlia sua repe-
riunlur incerti. Quiseniin hoininum se in actione
profecluque juslitiœ perseveraiurum usque in/i-
nem sciât, nisialiqua revelatione ab illo fiât cer-
tus qui de hac re juslo lalcntique judicio non
omnes instruit, sed neminem fallit. August., lib. Xt
De Civil. Dei, cap. xii, pag. 282.
' Quis enim ex mullitudine fidelium, quandiu in
hac morlalilale vivilur , in numéro prœdeslinalo-
rum se esse prccsumat? Quia id occuUuri opus est
in hoc locu ubi sic cavenda est elaliu m( eliam per
[IV' ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
grand nombre des fidèles qui, pendant qu'il
est dans le monde, se croit sûrement être
du nombre des prédestinés ? Aussi est-il utile
que ce décret de Dieu demeure caché pen-
dant que nous sommes en cette vie, oîi nous
devons tellement nous garder de la vaine
gloire, qu'un apôtre aussi grand que saint
Paul était tourmenté par un ange de satan,
de peur qu'il ne se laissât aller à la vanité.
C'est pour cela que Jésus-Christ dit à ses
apôtres : Si vous demeurez en moi, quoiqu'il
sût infailliblement qu'ils demeureraient, et
par le Prophète : Si vous voulez croire ce que
je vous dis, quoiqu'il sût dans lesquels d'en-
tre eux il formerait cette volonté. L'Écriture
parle ainsi en plusieurs endroits, à cause de
l'utilité que l'on tire de ce secret, de peur
que l'on ne s'élève, et afin que tous ceux qui
courent bien dans la voie , demeurent en
crainte , parce qu'on ne sait pas qui sont
ceux qui arriveront jusqu'au bout de la
course. Le secret est encore utile même pour
les enfants de perdition, dont quelques-uns,
qui n'ayant pas reçu le don de persévérer
jusqu'à la fin dans la foi qui agit par amour,
commencent de bien vivre, vivent pendant
quelque temps avec fidélité et avec justice ,
puis tombent et ne sortent point du moude
avant que cette chute leur soit arrivée. Si
nul ne tombait de cette sorte, les hommes
ne conserveraient cette crainte, qui est si
utile pour réprimer le vice de l'orgueil, que
jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à la grâce
667
de Jésus-Christ, par laquelle on vit avec
piété ; et après cela ils se tiendraient assu-
rés de ne plus retomber dans le désordre.
Or, cette présomption nous est dangereuse
en ce lieu de tentation, où la faiblesse est si
grande, que l'assurance peut nous être une
occasion d'orgueil. Les hommes l'auront
cette certitude ; mais ce ne sera que comme
les anges l'ont déjà, lorsqu'ils ne pourront
plus être sujets à la vanité. Pourquoi les fi-
dèles' prient-ils pour eux-mêmes afiu d'ob-
tenir le don de persévérer dans la foi, si ce
n'est parce qu'il est utile à tous ou presque
à tous, pour conserver l'humilité si néces-
saire au salut, qu'ils ne puissent connaître
ce qu'ils seront à l'avenir? C'est pour cette
raison encore qu'il est dit : Que celui qui
ci'oit être debout prenne garde de ne pas
tomber. Dieu, dans le même dessein, per-
met que quelques-uns de ceux qui ne per-
sévéreront pas, soient mêlés avec ceux qui
persévéreront, afin que ceux-là venant à
tomber, la frayeur que nous eu aurons nous
soit une raison de marcher dans la voie de
la justice avec crainte et tremblement, jus-
qu'à ce que de cette vie, qui n'est que ten-
tation, nous soyons passés à une autre, où
nous n'ayons plus besoin de réprimer l'or-
gueil, ni de combattre contre les mouve-
ments qu'il excite en nous. Comme les pré-
destinés sont inconnus dans ce monde, on
doit prier pour tous les hommes : car si^
l'Église connaissait dès à cette heure ceux
satanœ angelum , ne extolleretur , tantus colaphi-
zaretur Apostolus. Hino apostolis dicebatur : Si
manserilis in me , dicente illo qui eos utique
sciebat esse inansiiros ; et per Prophetam: Si vo-
lueritis et audieritis me, cuin sciret ipsein quibus
operaretur et velle : et similia multa dicimtur.
Nain propter hujus utilitatem secreli, ne forte
quis exlollatur , sed omnes etiam qui bene cur-
runt timeant, dum occulium est qui perveniant;
propter hujus ergo utilitatem secreti credendum
est quosdam de filiis perditionis non accepta dono
perseoerandi usque in finem , in fide quœ per
dilectionem operatur incipere vivere, et aliquan-
diu fidiliter ac juste vivere, acpostea cadere , ne-
que de hac cita prius quam hoc eis contingat au-
ferri. Quorum si nernini contigisset, tamdiu habe-
rent homines istum saluberrimum timorem quo
vit'mm elationis opprimitur, donec ad Chrisli gra-
tiam qua pie vivitur pervenirent, deince.ps juin
securi nunquam se ab illo esse casuros. Quœprœ-
sumptio in isto tentatiomim loco non expedil ,
ubi tanta est infirinitas ut superbiam possit gene-
rare securitas. Denique etiam hoc erit; sed tune
quod jam est in angelis, etiam in homiitibns
erit,quando ulla siiperbia esse non poterit. Au-
gust., lib. De Corrept. et grat., num. 40, pag. 772.
1 Jam vero, ut persévèrent in eo quod esse cœ-
perunt, etiam pro seipsis orant fidèles; utile est
quippe omnibus, vel pêne omnibus, propter humi-
litatem saluberrimam, ut quales futuri sint, scire
non possint. Ad hoc dicitur : Qui videtur stare vi-
deat ne cadat. Propter hujus timoris utilitatem
ne regenerati et pie vivere incipientes tanquam
securi alla sapiamus ; quidam non perseveraturi
perseveraturis Dei permissione vel provisione ac
dispositione miscentur; quibus cadentibus territi
cum timoré et tremore gradiamur viam justam
donec ex hac vita, quœ tentatio est super terram,
transeamus ad aliam , ubi jam non sit elatio com-
primenda , nec contra ejus suggestiones tenlatio-
nesque luctandum. August., Epist. 217, num. 14,
pag. 804.
2 Denique si de aliquibus ita certa esset ut
qui sint illi, etiam nosceret , qui licet adliuc in hac
vita sint constituti, tamen prœdesiinati sunt in
ceternum ignem ire cum diabolo, tampro eis non
oraret, quam nec pro ipso. Sed quia de nullo certa
est, orat pro omnibus duntaxat hominibus ini~
micis suis in hoc corpore constitutis; nec tamen
pro omnibus exauditur , pro his enim solis exau-
668
HISTOIRE GÉNÉRALE DES. AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
qui sont prédestinés à aller avec le diable
dans le feu éternel, elle prierait aussi peu
pour eus que pour lui : mais parce qu'elle
n'est assurée d'aucun homme, elle prie gé-
néralement pour tous ses ennemis qui vivent
ici-bas, quoiqu'elle ne soit pas exaucée pour
tous, n'étant exaucée que pour ceux qui ,
bien que ses ennemis, sont prédestinés à
devenir ses enfants, par le moyen de ses
prières. »
ccriiiude 78. « On doit néanmoins, dit saint Ausas-
du saint dos ' o
predestiués. -fin^ tenir ' dans le cœur pour une vérité cons-
tante et indubitable que la sainte Jérusalem,
qui est maintenant captive dans la Babylone
de ce siècle , eu sera parfaitement délivrée
dans la fin des temps , et que nul de ses
citoyens ne périra, puisqu'il est certain que
quiconque périra, n'aura pas été de ce nom-
it Tiniou,. ]jj,g_ Qj^j, comme parle l'Apôtre : Le solide
fondement de Dieu demeure ferme, ayant pour
sceau cette parole : Dieu connaît ceux qui
sont à lui. Nul donc des prédestinés ne pé-
rira avec le diable, et nul d'eux ne demeu-
rera sous sa puissance jusqu'à la mort. Car,
si ^ quelqu'un d'eux périt. Dieu est trompé;
mais nul d'eux ne périt , parce que Dieu
n'est point trompé. Si quelqu'un d'eux pé-
rit. Dieu est vaincu par le vice des hommes.
Mais nul d'eux ne périt, parce que Dieu
n'est vaincu par aucune chose. Or, ils ont
été choisis pour régner avec Jésus-Christ,
non pas comme Judas qui a été choisi pour
l'œuvre à laquelle il devait ser-^àr. Judas a
été choisi par celui qui sait bien user des
11, l'j
méchants mêmes, afin que par l'œuvre dam-
nable de cet apostat, l'œuvre vénérable pour
laquelle Jésus-Christ était venu, s'accomplit.
Lors donc que nous entendons le Sauveur
dire à ses apôtres : Ne vous ai-je pas choisis au Jun- t.
nombre de douze, et néanmoins un de vous autres
est un diable ? nous devons entendre que les
apôtres ont été choisis par miséricorde, et
Judas par justice ; ceux-làafîn qu'ils parvins-
sent à son royaume, et celui-ci afin qu'il ré-
pandît son sang. Ne croyons donc pas que
Dieu ' écrive le nom de quelqu'un dans le
hvre de vie et qu'il l'en elface ensuite. Si
Pilate a pu dire d'un titre qu'il avait mis sur
la crois de Jésus-Christ : Ce qui est écrit est
écrit. Dieu efïacerait-il ce qu'il a écrit lui-
même? Il prévoit tout ; il a vu dans sa pres-
cience, il a prédestiné avant la création du
monde tous ceux qui devaient régner un
jour avec son Fils dans la A'ie éternelle. Ce
sont là les personnes dont les noms sont
écrits au livre de vie. » Les semi-pélagiens ne
voulaient point convenir que le nombre des*
prédestinés fut tellement certain qu'il ne pût
être augmenté ni diminué, prétendant que,
si cela était il ne servirait plus de rien
d'exhorter les infidèles à la foi, ni de sollici-
ter les tièdes à s'avancer dans la vertu; puis-
que les eflbrts de quiconque n'est pas du
nombre des élus ne sauraient être qu'inu-
tiles.
Saint Augustin soutient au contraire que
le nombre ^ des prédestinés est si certain et
si arrêté qu'il ne croît jamais ni ne diminue ;
ditur, qui etsi adversantur, Ecclesiœ , ita tamen
sunl prœdeslinali , ut pro eis exaudiatur Eccle-
sia et filii efjîciantur Ecclesiœ. August., lib. XXI
De Civil. Dei, cap. xxiv, pag. 642.
1 Satis enim fixum aique immobile débet corde
retiiieri Jérusalem capticam ab hujus swculi Baby-
lonici decursis lemporibus liberari, nidlumque ex
illa esse periturum ; quia qui perierit , non ex
illa erit. Firinum enim fundameutum Dei stat ,
habens signaculum hoc : cognovil Domiuus qui
suut ejus, et diseedat ab iniquitate omnis qui uo-
raiûat nouieu Domiui. August., De Catech. rud.,
num. 16, pag. 275.
2 Horum si quisquam péril, fallitur Deus ; sed
nemo eorum péril quia non fallitur Deus. Horum
si quisquam périt , vilio liumano oincitur Deus :
sed nemo eorum périt quia nulla re vincitur
Deus. Electi aiUem sunl ad regnandum eu m. Chris-
lo; non quomodo electus est Judas ad opus cui
congruebal. Ab illo quippe eleclus est, qui novit
bene uti etiam malis , ut et per ejus opus damna-
bile, illud propler quodipse venerat, opus venera-
bile compleretur. Cum ilaque audimus : Noune
ego vos duodeciûi elegi, et uuus es vobis diabo-
lus est? illos debemus intelligere electos per mi-
sericordiam, illum per judicium; illos ad obli-
nendum regnum suum, illum ad fundendum san-
guinem suum. August., lib. De Correp. et grat.,
num. 14, pag. 737 et 7o8.
3 Non sic accipere debemus, quoniam quemquam
Deus scribat inlibrovilœ et deleat illum. Si home
clixit : Quod scripsi, scripsi, de litulo iibi scriptum
erat: Rex Judceorum, Deus quemquam scribit et
delet? Prœscius est, prœdestinavit omnes anle
constitutionem mundi regnaluros cum Filiosuo in
vita œterna. aos comcripsit, ipsos eonlinet liber
vitce. August., m Psal. lxvhi, uuui. 13, pag. 708.
* Nec acquiescunt prœdestinatum electorum
numerum nec augeri posse, nec minui, ne locum
apud infidèles ac négligentes cohortanlium inci-
tamenta non habeant, ac super/Jua. Sit induslriœ
ac laboris indictio, cujus studium cessante elec-
tione frustrandum sit. Prosp., Episl. ad August.,
uum. 6, pag. 823.
^ Hœc de his loquor qui prœdeslinali sunl in
regnum Dei quorum ita certus est numerus ut
nec addatur eis quisquam, nec niinualur ex eis :
non de his, qui, cum annunUasset et loctUus es-
[iV ET V SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
mais par les prédestinés il ne vent pas que
l'on entende ceux à qui Jésus-Christ a an-
noncé la yérité et parlé, et dont il est dit :
Ils se sont multipliés pardessus le nombre.
« Ceux-là, dit-il, se peuvent dire avoir été
appelés, mais non pas élus, parce qu'ils ne
sont pas appelés selon le décret de Dieu.
Or, quoique saint Jean-Baptiste marque assez
que le nombre des élus est certain et arrêté,
et qu'il ne croîtra ni ne diminuera jamais,
lorsqu'il dit : Faites des fruits dignes de péni-
tence, et ne dites pas en vous-mêmes : A braham
est notre père, car Dieu peut de ces pierres sus-
citer des enfants à Abraham, montrant par là
qu'ils doivent tellement être retranchés s'ils
ne sont pas ces fruits, que le nombre des
élus qui a été promis à Abraham ne man-
quera pas de se i^emplir, toutefois le Saint-
Esprit le dit encore plus clairement dans
l'Apocalypse en ces termes : Gardez ce que
vous avez, de peur qu'un autre ne reçoive votre
couronne ; car si un autre ne la doit recevoir
qu'au cas que celui-ci la perde, le nombre
est certain et arrêté. » Ce Père semble croire
que le nombre des ' prédestinés sera aussi
grand ou même plus grand que celui des an-
ges tombés, lorsqu'il dit que Dieu rassemble-
ra par sa grâce un si grand peuple de cette
609
race mortelle justement condamnée , qu'il
en pourra remplir les places des anges pré-
varicateurs, en sorte que cette cité suprême
et bien-aimée, non-seulement ne sera pas
privée du nombre de ses citoyens, mais en
aura peut-être même davantage.
79. On ne peut douter que tous ceux ' qui
sont séparés de la damnation originelle par
la libéralité de la grâce de Dieu, ne reçoi-
vent le bien d'entendre prêcher l'Évangile ,
qu'ils ne croient lorsqu'ils l'entendent, et
qu'ils ne persévèrent jusqu'à la fin dans la
foi qui opère par amour; et que s'il arrive
qu'ils se dérèglent, ils ne se corrigent sur
les avertissements qu'on leur donne; que
quelques-uns d'entre eux ne retournent dans
la voie qu'ils ont quittée , encore que per-
sonne ne les reprenne, et ne les avertisse
d'y retourner; et que d'autres, ayant reçu
la grâce, ne soient délivrés par une mort
prompte et précipitée des périls de cette vie
en quelque âge que ce soit. Car c'est celui
qui les a fait des vases de miséricorde , qui
les a choisis en son Fils avant la création
du monde par l'élection de sa grâce. Que si
c'est par grâce, ce n'est donc point par les œu-
vres, autrement la grâce ne serait plus grâce.
Parmi ces élus ^ et ces prédestinés il y en a
l\royrns for
lopquulb DiL-ii
accomplît Se
décret do
la prédestJQu-
lion.
se{; Multiplicati sunt super numerum. Ipsi enim
vocali dici posswnt, non autem electi, quia non
secundum propositum vocati. Ccrtum vero esse
numerum electorum, neque augendum neque mi-
nuendum, quamvis et Joannes BapUsta significet
iihi dicit : Facile ergo fmctumdignumpœnilenLiîB;
etuolite dicere apud vosmetipsos : Patrem habemus
Abraliam; potens est enim Deus de lapidibus istis
suscitare filios Abrahte ; ut ostendat sic istos esse
amputandos si non fecerini frucLum, ut non de-
sit numerus qui promissus est Abrahœ : tamen
apertius in Âpocalypsi dicitur : Tene quod habes
ne alius accipiat coronam tuam, si enim alius non
est accepturus nisi iste perdiderit, certus est nu-
merus. August., De Correptione et grat., num. 39,
pag. 772.
1 De mortali progenie merito jusleque damnata
tantumpopulum gratia sua colligit ut inde sup-
pléât et instauret partem quœ lapsa est angelo-
rum\ ac si illa dilecta et superna civitas non
fraudetur suorum numéro cioium, quin eliam
fortassis et uberiore lœtetur. August., lib. XXII
De Civit. Dei, cap. i, pag. 656.
"^ Quicumque ergo ah illa originali damnalione
ista dioinœ gratiœ largitale discreli sunt, non est
dubium quod et procuratur eis audiendum Evan-
gelium; et cwm audiunt, credunt et in sede quœ
per dilectionem operatur usque in fmem persévé-
rant. Et si quando exorbitant, correpti emendan-
tur, et quidam eorum etsi ab hondnibus non cor-
ripianlur, in viam quam reliquerant redeunt; et
nonnulli accepta gratia in qualibet œtate pericu-
lis hujus vitce mortis celeritate suhlrahunlur.
Hœc enim oninia operatur in eis, qui vasa mise-
ricordiœ operatus est eos, qui et elegit eos in Filio
suo ante conslitutionem wundi per eleclionem
gratiœ : Si autem gratia, jam non es operibus,
alioquin gratia jam non est gratia. August., De
Corrept. et grat., num. 13, pag. 7S7.
3 Ex isto numéro electorum et prœdeslinatorum
eliam qui pessimam duxerunt vitam per Dei be-
nignitatem adducuntur adpœiiitentiam per cujus
patientiam non sunt huic vitœ in ipsa scelerum
perpetratione subtracti, ut ostendalur et ipsis et
aliis cohœredibus eorum, de quam profundo malo
possit gratia Dei liberare. Ex his nemo périt, qua-
cumque œtale moriatur. Absit enim ut prœdes-
tinatus ad vitam sine sacramento Medialoris fi-
nire permittalur hanc vitam. Propter hos Domi-
nas ail : Hœo est autem voluntas ejus cjui misit me
Patri-s, ut omne quod dédit mihi non perdani ex
eo. Cœteri autem mortales, qui ex isto numéro
non sunt et ex eadem quidem massa ex qua et
isti, sed vasa irœ facti sunt, ad utilitatem nas-
cuntur istorum. Non enim quemquam eorum
Deus timoré ac fnrtuilo créât aut qui de illis boni
operelur ignorât, cum et hoc ipso bonumopere-
tur, quod in eis humanam créât naluram, et ex
eis ordinem sœculi prœsenlis exornat. Istorum
nemincm adducit ad pœnitentiam salubrem et
spiritalem qua homo in Christo reconcilialnr
Deo, sive illis ampliorem patienliam., sive non
670
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
que la bonté de Dieu a appelés à la péni-
tence, et que sa patience a sonlfeits et n'a
pas tires de ce monde au milieu de leurs
crimes, parce qu'il voulait faire voir et à eux
et à leurs cohéritiers, de quel abîme de pé-
ché la grâce de Dieu peut les délivrer. De ce
nombre il n'y en a aucun qui périsse à quel-
que âge qu'il meure. Car il ne peut arriver
qu'un prédestiné meure sans avoir reçu le
sacrement du Médiateur. C'est d'eux dont
jMn. VI, 39, Jésus-Christ dit : La volonté de mon Père est
que je ne perde aucun de tous ceux qu'il m'a
donnés.
xit" 'tf™i ^^- " Quant aux autres hommes, dit saint
S!-rp'"dfcu Augustin, qui ne sont pas de ce nombre,
'''^- mais destinés comme étant de la même
masse du genre humain, à être des vases de
colère, ils ne viennent imiquement au monde
que pour l'utilité des élus. Car il ne faut pas
s'imaginer cpi'il y en ait quelqu'un que Dieu
crée sans dessein et au hasard, sans savoir
le bien qu'il en tirera; puisque c'est même
un bien qu'il opère, dès lors qu'il ci'ée en
eirs la nature humaine, afin de les faire en-
trer dans l'ordre admirable de ses desseins
pour le siècle présent. Aucun de ceux-là
n'est amené à une pénitence salutaire et
spirituelle par laquelle l'homme est parfai-
tement reconcilié avec Dieu en Jésus-Christ,
soit que Dieu fasse paraître à leur égard des
marques d'une plus grande ou d'une moin-
dre patience. Ainsi, quoique tous les hom-
mes, formés d'une même masse infectée du
péché et condamnée à la mort, s'amassent
autant qu'il est en eux par la dureté et l'im-
pénitence de leur cœur, un trésor de colère
pour le jour de la colère, auquel Dieu rendra
à un chacun selon ses œuvres ; Dieu néan-
moins en tire quelques-uns de l'abîme par
sa bonté et sa miséricorde pour les amener
à la pénitence, pendant que, par un jugement
qui est très-juste, il laisse les autres dans
l'impénitence. Car il a la puissance d'amener
et d'attirer ceux qu'il veut, selon cette parole
de la vérité : Personne ne peut venir à moi,
si mon Père qui m'a envoyé ne le tire à lui. »
81. Saint Augustin, parlant des réprouvés, sur it
dit qu'ils sont prédestinés à la ' perdition, à
la damnation ^ et à la mort éternelle ' en
conséquence du péché originel et des pé-
chés actuels et s'exprime ainsi : « Qu'aimait
Dieu , en Jacob avant qu'il eût fait rien de
bon', sinon le don gratuit de sa misércorde?
Et que haïssait -il en Esaû avant qu'il eût
rien fait de mauvais, sinon le péché ori-
ginel? Il ne haïssait pas Esaii en ' tant
qu'homme, mais en tant que pécheur. Ces
deux enfants jumeaux * naissaient enfants
de colère, non par des actions qu'ils eussent
commises et qui leur fussent propres, mais
par le hen de la condamnation dans lequel
l'origine qu'ils avaient tirée d'Adam les te-
nait enveloppés. Mais celui qui a dit : J'aurai
pitié de celui de qui je voudrai avoir pitié, a
aimé Jacob par une miséricorde gratuite, et
haï Esaii par un juste jugement qu'il a mé-
imparem prœbeat, quamvis ergoomnesex eadam
massa perclilionis et damnalionis secundum dii-
ritiam cordis sui et cor impœnitens, quantum ad
ipsos prrlinet ihezaurisent sibi iram indieirœ,
quo redditur unicuique secundum opéra sua;
Deus tamen alios inde per misericordem bonita-
tem. adducit ad pœnUentiam, alios secundum
justum judichim non adducit. Habet enim potes-
tatem adduccndi et tr.ahendi, ipso Domino di-
cente : Nemo venit ad me uisi Pater qui misit me
traxerit eum. Angust, hh. \ Conh'aJul., num. t4,
pag. 635 et 636.
1 Filius perdilionis dirlus est traditor Chrisii,
perdilioni prœdestinatus. August. , Tract. 108 in
Joan., num. 7, pag. 770.
2 Mundus quippe ille damnalioni prœdestina-
tus mei'ito non cognovit, mundus vero quem per
Chrislum rcconciliavit sibi (Pater) non mérita
sed gratia cognovit. August., Tract. 3 in Joan.,
num. 5, pag. 782.
5 Prœdeslinavit ad œternam vitam- misericor-
dissimus graiiœ largitor prœdestinavit ad
(elernam mortcm juslissimus supplicii retribulor
non solum propter Ma quœ volentes adjiciunt,
veriim etiam si infantes nihil adjiciant propter
originale peccatum.. August., lib. IV De Anima et
ejus orig., num. 16, pag. 395. Non estis ex ovibus
meis, quia videbat eos ad sempiternum interi-
tum prœdestinatos , non ad vitam œternam sui
sanguinis pretio comparatos. August., Tract. 99
in Joan., num. 4, pag. 615. Hoc ergo bonum,
quod est requirere Deum, non erat qui faceret,
non erat usque ad unum, sed in eo génère homi-
num quod prœdestinalum est ad interittim. Au-
gust., De Pers. just., num. 31, pag. 181.
* Quid enim diligebat in Jacob antequam na-
tus fecisset aliquid boni, nisi gratuitum miseri-
cordiœ suœ donum? El quid oderat in Esau an-
tequam nalus fecisset aliquid mali nisi originale
peccatum ? August., Epist. 194, num. 34, pag. 72G.
^ Non igitur odit Deus Esau hominem, sed odit
Deus Esau peccatorem. August., lib. I, ad Simpl.,
qurest. 2, pag. 99.
^ Âmbo itaque gcmini natura filii irœ nasce-
bantur, nullis qxiidem operibus propriis sed ori-
ginalit~r ex Adam vinculo damnationis obstricli.
Sed qui dixit : Miserobor cujus uiisertus ei'o, Ja-
cob dilexit per misericordiam gratuitam ; Esau
autem odio habuitper judicium debitum. August.,
Enchirid.. cap. xcvui, pag. 233.
[iv^ ET v" SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
rite. Car Dieu* est bon, Dieu est juste ; il peut
délivrer quelques-uns sans qn'ils l'aient mé-
rité, parce qu'il est bon; mais il ne peut
condamner aucun homme s'il ne l'a mé-
rité. Si la masse des hommes ^ était comme
dans un certain milieu entre le bien et le mal,
en sorte qu'elle ne méritât ni récompense ni
châtiment, il pourrait sembler injuste qu'on
en formât des vases d'ignominie. Mais comme
elle est tombée tout entière dans la condam-
nation parle libre arbitre du premier homme ;
quand Dieu en forme des hommes, c'est sans
doute un pur effet de sa miséricorde, et non
pas de la justice de l'homme , puisqu'avant
la grâce il n'y a aucune justice dans l'homme ;
et quand il en forme des vases d'ignominie,
c'est un effet de ses justes jugements, et non
d'aucune injustice qui soit en lui. Car, com-
ment il y aurait-il de l'injustice en lui? Qui-
conque tient cette doctrine, qui est celle de
l'Église catholique, bien loin de disputer
contre la grâce pour les mérites des hommes,
chantera la miséricorde et la justice du Sei-
gneur. La miséricorde, afin qu'on ne soit pas
ÉVEQUE D'HIPPONE.
671
ingrat quand elle sauve; et la justice, afin
qu'on ne s'en puisse plaindre quand elle
damne. Mais il ' ne faut point prendre la
hardiesse de juger les œuvres du Seigneur,
quand de la même masse il damne l'un, et
justifie l'autre. Que tout chrétien donc' qui
vit ici-bas de la foi, et qui, par conséquent,
ne voit pas les mystères à découvert, et ne
les connaît encore qu'imparfaitement, se
contente de savoir ou de croire que Dieu ne
déhvre personne de cette damnation générale
que par une pure miséricorde dont Jésus-
Christ Notre-Seigneur est la source; comme
il n'y laisse personne que par un très-juste
jugement fondé sur la vérité même, c'est-à-
dire sur le même Jésus-Christ. Si quelqu'un
veut savoir pourquoi l'un est délivré plutôt
que l'autre, qu'il pénètre s'il peut l'abîme
des jugements de Dieu, mais qu'il se donne
garde du précipice. Car il n'y a point d'in-
justice en Dieu, ce serait un blasphème de le
penser; mais ses jugements sont impénétra-
bles et ses voies incompréhensibles. Mais ^
pourquoi Dieu crée-t-il ceus-mêmes qu'il
1 Bonus est Deus, justus est Deus : potest ali-
quos sine bonis meritis liberare, quia bonus est,
non potest quemquam sine malis meritis damnare
quia justus est. August., lih. III Contra Jul,
cap. xvnr, pag. 570.
2 Hœc massa si esset ita inedia, ut quemadmo-
dum nihil boni ita nec mali aliquid mereretiir,
non frustra viderettir iniquitas, ut ex ea fièrent
vasa in contumeliam. Cum vero per liberum ar-
bitrium primi hominis in condemnationem uni-
versa defluxerit, procul dubio qiiod ex ea fmnt
vasa in honorem nonipsius justitiœ, quœ gratiam
nuli-i prœcessit, sed Dei inisericordiœ ; quod vero
in contumeliam non iniquitati Dei, quœ absit ut
sit apud Deum, sedjudicio deputandum est. Hoc
quisquis cum Ecclesia catholica sapit, non con-
tra gratiam pro meritis disputât, sed misericor -
diam et judicium Domino cantat, ut nec miseri-
cordiam recuset ingratus, nec judicium accuset
injuslus. August., Epist. 186, num. 18, pag. 669
et 670.
5 Quis enim discutiet opéra Domini ex eadem
conspersione unum damnanlis alterum justifican-
tis ? August., lib. I, ad Simpl. quœst. 2, num. 21,
pag. 102.
' Satis sit intérim christiano ex fide adhuc vi-
venti et nondum cernenti quod perfectum est, sed
ex parte scienti; nosse vel credere quod neminem
Deus libcret nisi graluita misericordia per Domi-
num nostrum Jesum Christum, et neminem dam-
net nisi œquissima veritate per eumdem Domi-
num nostrum Jesum Christum. Cur autem il-
lum potius quam illum liberet aut non liberet ,
scruletitr, qv potest, judiciorum ejus lam ma-
gnum profundum , verumtamen caveat prœci-
piiium. Numquid enim est iniquitas apud Deum?
Absit; sed inscrutabilia sunt judicia ejus et in-
vestigabiles vice ejus. August., Epist. 194, num.
23, pag. 722.
5 Cur autem creentur etiam illi, quos Creator
prescivit ad damnationem non ad gratiam perti-
nere, beatus Àpostolus tanto succinctiore brevi-
tate quanto majore auctoritate commémorât :
Deum enim dicit, vnlentem osteudere iram, et
demoustrare potentiam suam attulisse in malta
patientia vasa irée, quee perfeeta sunt in perditionem
et ut notas faoeret divitias glorioe suœ in vasa mi-
sericordice, quem- superius dixerat tanquam figu-
lum luii ex eadem massa facere, aliud quidem vas
iu honorem, aliud vero in contumeliam. Merito
autem videtur injustum, quod fiunt vasa irce ad
perditionem, si non esset ip^a universa ex Adam
massa damnata. Quod ergo fiunt itide nascendo
vasa irîB pertinet ad debitam pœnam. Quod au-
tem fiunt renascendo vasa misericordiae pertinet
ad indebitam gratiam. Ostendit ergo Deus iram
suam non utique animi perturbationem, sicut est
quœ ira hominis nuncupatur, sed justam fixam
que vindictam , quia de slirpe inobedientiœ duci-
tur propago peccati atque supplicii. Et homo
natus ex muliere, sicut in libro Job scriptum est,
brevis est vitaa et plenus iracundioe. Ejus enim rei
vas est qua plénum est ; unde irœ vasa dicuntur.
Ostendit et potentiam siiam qua bene etiam uti-
iur malis, multa illis naturalia et temporaUa
bona largiens, eorumque malitiam ad exercendos
et comparatione adinonendos bonos accommodans
ut in eis discant agere grattas Deo, quod ab eis,
non suis meritis quœ in eadem massa paria fue-
runt, sedillius miseratione discreti sunt. August.,
Epist. 190, num. 9 et 10, pag. 702.
672
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
!.■ m. IX, 22
Jub. XIV) I.
sait ne point appartenir à la grâce, et qui
n'auront que la damnation pour partage?
L'Apôtre répond à cette question avec d'au-
tant plus de poids qa'il le fait en moins de
paroles : Dieu, dit-il, voulant montrer sa juste
colère, supporte avec beaucoup de patience les
vases de colère formés pour la perdition, afin de
faire paraître les richesses de sa gloire sur les
vases de miséricorde. Il avait dit immédiate-
ment auparavant, que "Dieu était comme un
potier qui, d'une même masse d'argile fait
des vases pour des usages honorables, et
d'autres pour des usages vils et honteux. Si
toute la masse n'était pas tombée dans la
damnation par Adam, on aurait raison de
trouver injuste que Dieu en fît des vases de
colère pour la perdition; mais comme elle est
condamnée tout entière et très-justement,
c'est par une grâce toute gratuite que de ce
qui sort de cette masse, il fait les uns des
vases de miséricorde ; et que par une juste
punition il fait les autres des vases de colère.
Or, on est vase de colère par la seule nais-
sance , mais on n'est vase de miséricorde que
par la génération. Dieu fait donc en cela
éclater sa colère; mais cette colère de Dieu
n'est pas un trouble et une émotion pareille
â ce qu'on appelle colère dans les hommes.
Ce n'est qu'une ferme résolution de punir
ces vases de colère destinés à la damnation,
parce que ce sont des rejetons d'une racine
de péché et de désobéissance. De là vient
qu'il est écrit que l'homme né de la femme n'a
qu'une vie fort courte et qu'il est plein de co-
lère, car être plein de colère, c'est être vase
de colère. Dieu fait en cela éclater sa puis-
sance en ce qu'il fait faire un bon usage des
méchants mêmes, non-seulement en leur
donnant abondamment de ces sortes de biens
qu'on appelle biens naturels et biens de for-
tune, mais en faisant servir leur malice à
exercer les bons, et à leur faire comprendi-e
par la comparaison de ce qu'ils trouvent
en eus, et de ce qu'ils voient dans les mé-
chants, combien ils ont de grâces à i-endre à
Dieu de ce qu'il les a choisis et discernés
d'entre les autres, non en considération d'au-
cun mérite, puisqu'étant de la même masse
ils n'en avaient pas plus que les autres, mais
par un effet de sa miséricorde. »
Saint Fulgence croit ' que dans tout ce
que saint Augustin dit de la réprobation, il
ne veut dire autre chose, sinon que Dieu ne
prédestine pas les méchants au mal ni au
péché , puisqu'il ne prédestine qu'à ce qu'il
doit faire , mais qu'il les prédestine à la
peine ou aux supplices qu'ils ont mérités
par leurs péchés.
82. Les semi-pélagiens ne sachant plus
comment échapper à la force invincible de
la vérité qui les pressait , prétendaient ^
qu'ils étaient bien fondés à dire, qu'encore
qu'il n'y eût rien que de véritable dans ce
que nous disons de la prédestination des
dons de Dieu, il ne faudrait pas néanmoins
le prêcher au peuple. « Qu'on le prêche
au contraire sans hésiter, dit saint Augus-
tin, afin que celui qui a des oreilles pour
le comprendre, le comprenne. Or, qui est-ce
qui les a, s'il ne les a reçues de Dieu qui dit :
Je leur donnerai un cœur pour me connaître, et
des oreilles pour entendre? D. se pom^a faire
que celui qui n'aura point reçu ce cœur ni
ces oreilles rejettera la vérité; mais au
moins celui qui la comprendra pourra la
recevoir et la goûter, et en la goûtant y
trouver sa vie. Car, de la même manière
qu'il faut prêcher la piété, afin que celui qui
a des oreilles pour entendre apprenne â
rendre à Dieu le vrai culte qu'il demande de
nous , de même il faut prêcher la prédesti-
nation des dons de Dieu, afin que celui qui
Sur 11
nièri de
elier la
dcàtinutti
1 Nihil aliud accij>iend^nn existîino in illo
sancti Aiiguslini sermone, que ad interitum
quosdam prœdestinatos firmat, nisi ad interitum
sxipplicii, non delicti, neque ad malum quod in-
juste admittunt, sed ad cruciatnm, quem justis-
sime patientur. Nec ad peccatum, quo primœ re-
surrectionis beneficium aut non accipiunt aut
amittunt, sed ad lormentum quod illis propria
iniquitas maie parit , et œqiiitas diuina bene re-
tribuit. Fulg., lib. \,ad Monimum, cap. v, pag 17,
tom. IX. Bibl. Pair.
2 Qtiid est quodivvicta conclusi violerdia veri-
tatis recte se isti noslri dicere existimanl? Et si
verum est quod dioitur de praîdestiualioue beiiefi-
ciorum Dei, non est tnmen populis prœdicaiidum.
Pradicandum est prorsus , ut qui habet aures
audiendi, audiat. Quis autem habet si non acce-
pit ab illo qui ait : Dabo eis cor cognoseendi me
et aures audieutes? Certe qui non accipit, reji-
cial , dum tamen qui capit, sumat et bibat et vi-
vat. Sicut enim prœdicanda est pietas , v,t ab eo
qui habet aures audiendi Deus recte colatur ;
prœdicanda estpudicitia, ut ab eo qui habet aures
audiendi nihil genitalibus membris illicitum per-
pctretur; pra'dicanda est charitas, ut ab eo qui
habet aures audiendi Deus et proximus diligan-
tur; ita prœdicanda est et ista prœdestinatio be~
nefidormn Dei, ut qui habet aures audiendi, non
in seipso sed in Domino glorielur. August., lib.
De Dono pers., cap. xx, num. 52, pag. 830.
[IV« ET V° SIÈCLES.
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
673
a des oreilles pour entendre, ne se glorifie
pas dans lui-même , mais dans le Seigneur.
En la prêchant ' on n'empêche pas l'homme
d'agir, mais on l'aide, afin que lorsqu'il se
glorifie, il ne se glorifie que dans le Seigneur.
Il faut encore la prêcher^ afin qu'on puisse
soutenir par des raisons invincibles la véri-
table grâce de Dieu, c'est-à-dire celle qui
n'est pas donnée selon nos mérites. Mais il
ne faut pas la prêcher de teUe sorte que l'on
s'adresse à ses auditeurs pour les effrayer,
eii leur disant ' : C'est un effet du décret
éternel de la prédestination divine , si quel-
ques-uns de vous sortant de l'infidélité sont
venus à la foi, après avoir reçu de Dieu
en même temps la volonté d'obéir à ses
préceptes et de vivre selon sa loi. On ne
doit pas leur parler en ces termes , mais ,
sans marqpier que quelques-uns d'eux ne
sont pas en cet état, leur dire en général ,
que c'est un effet de cette prédestination
s'ils sont venus à la foi, s'ils ont reçu la vo-
lonté de bien vivre , et si, ayant obtenu
de lui la grâce de persévérance, ils demeu-
rent dans la bonne vie. Ce serait encore une
manière trop dure de leur dire : Ce qui fait
que les autres d'entre vous qui sont engagés
dans les plaisirs des vices n'en sont pas en-
core sortis, c'est parce que Dieu ne vous
en a pas tirés jusqu'à présent par le seco\irs
de sa grâce et de sa miséricorde. Mais on
peut et on leur doit dire par une expression
très-juste et favorable, que si quelques-uns
d'entre vous demeurent encore dans le plai-
sir des vices qui damnent les hommes , vous
devez travailler à vous convertir, et à vivre
selon la loi chrétienne. Toutefois, quelques
bonnes actions que vous fassiez, n'en tirez
pas vanité comme si elles étaient de vous,
et ne vous en élevez pas comme si vous ne
les aviez pas reçues, puisque, selon l'Apô-
tre, c'est Dieu qui produit en nous le vou-
loir et le faire selon qu'il lui plaît, et que
c'est le Seigneur qui conduit vos pas, et vous
donne la volonté de marcher dans sa voie.
Le cours de vos bonnes et de vos justes
actions vous fera reconnaître que vous êtes
du nombre de ceux que Dieu a prédestinés
par sa grâce. Il ne faut pas leur dire avec
les prêtres de Marseille : Si quelques-uns *
* Non solum ergo prœdicatione prœdestinatio-
nis ab hoc opère non ùnpediiur, verum et ad
hoc adjuvatur , ut cum gloriatur, in Domino
glorietur. August., ibid., cap. xvii, num. 41, pag.
844.
^ Prœdestinatio prœdicanda est ut possit vera
Dei gratia , hoc est , quœ non secundum mérita
nostra dalur , insuperabili munitione defendi.
August., ibid., cap. xxt, num. 54, pag. 852.
s Quamvis ergo ita se habeat de prœdestina-
tione defmita sentencia voliintatis Dei ut alii ex
injldelitate , accepta voluntate obediendi, conver-
tantur ad fideni , vel persévèrent in fide ; cœteri
vero quiin peccatorum damnabilium delectatione
remorantur, si et ipsi prœdestinati sunt, ideo
nondum surrexerunt quia nondum eos adjuto-
rium gratiœ iniserantis erexit : si qui enim non-
dum sunt vocati, quos gratia sua prœdestinavit
eligendos, accipient eamdem, graliam , qva electi
esse velint et sint : si qui autem obediunt, sed
in regnumejus et gloriam prœdestinati non sunt,
temporales sunt, nec usque in finem in eadem
obedientia permwnebunt : quamvis ergo hœc vera
sint, non tamen isto modo dicenda sunt audien-
tibus multis , ut sermo ad ipsos etiam converta-
tur , eisque dicantur illa istorum verba, quœ
vestris litteris indidistis et quœ superius interpo-
sui ; Ita se habet de prcedestiuatione definita sen-
tentia voluntatis Dei , ut alii ex vobis de intideli-
tate, accepta obediendi voluntate, veneritis ad fl-
dem. Quid opus est dici ; Alii ex vobis, si enim
Ecclesiœ Dei loquimur , si credentibus loqv.vmur ?
CM»' alios eorum ad fidem venisse aicentes cœteri
facere videamur injuriam, cum possimus con-
gruentius dicere: Ita se habet de prœdestinatione
IX.
definita sententia voluntatis Dei ut ex infidelitate
veneritis ad ftdem, accepta voluntate obediendi,
et, accepta perseverantia, permaneatis in fide? Nec
illud quod sequitur, est omnino dicendum, id est :
Cfeteri vero qui in peccatorum delectatione remora-
mini, ideo nondum surrexistis , quia necdum vos
adjutorium gratiœ miserantis ei-exit. Cum bene et
convenienter dici possit et debeat : Si qui autem
adhuc in peccatorum damnabilium delectatione
remoramini , apprehendite sabiberrimam disci-
plinam; quod tamen cum feceritis , nolite exlolli
quasi de operibus vestris, aut gloriari quasi hoc
non acceperilis : Deus est enim qui operatur in vobis
velle et operari pro bona voluntate, et a Domino
gressus vestri diriguntur , ut ejus via-m velitis;
de ipso autem cursu vestro bono rectoque condis-
cite vos ad prœdestinationem divinœ gratiœ per-
tinere. August., De Dono pers., num. 57, pag. 853
et 854.
*■ Item quod sequitur et dicitur : Verumtamen si
qui estis nondum vocati, quos gratia sua prsedesti-
naverit eligendos, accipiatis eamdem gratiam, qua
velitis et sitis electi; durius dicitur quam dici po-
test, si nos non quibuslibet hominibus loqui, sed
Christi Ecclesiœ cogitemus. Cur enim non potius
ita dicitur : Et si qui sunt nondum vocati, pro
eis ut vocentur oremus? Fortassis enim sic prœ-
destinati sunt ut nostris orationibus concedan-
tur, et accipiant eamdem gratiam qua velint at-
que effîciantur electi. Deus enim qui omnia quœ
prœdestinavit implevit, ideo et pro inimicis fidei
orare nos voluit,ut hinc intelligeremus quodipse
etiam infidelibus donet ut credant , ac volentes
ex nolentibus facial. August., ibid., num. CO,
pag. 854.
43
674
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
de vous ne sont pas encore appelés de Dieu,
ils recevront cette même grâce par laquelle
ils voudront bien vivre, et seront élus, au
cas qu'ils soient du nombre de ceux qu'il a
prédestinés pour être élus par sa grâce.
Cette expression est trop dure ; et nous le
reconnaîtrons aisément , si nous considé-
rons que nous ne parlons pas au commun
des hommes, mais aux fidèles et à l'Église
de Jésus-Christ. Pourquoi ne dirons-nous
pas plutôt : S'il y en a quelques-uns que
Dieu n'a pas encore appelés, prions-le pom'
eux afin qu'il daigne les appeler ? Peut-être
que dans l'ordre de leur prédestination,
Dieu a voulu qu'ils soient convertis par nos
prières, et qu'ils reçoivent la même grâce
que noas avons reçue, par laquelle ils veu-
lent être, et seront élus. Dieu, qui a accompli
toutes les choses C[u'il a prédestiné de
faire, a voulu nous faire prier pour les en-
nemis de la foi , afin de nous faire entendre
par là que c'est lui qui donne aussi aux infi-
dèles la grâce par laquelle ils croient , et
qu'il change la volonté des hommes en leur
faisant vouloir ce qu'ils ne voulaient pas au-
paravant. »
Quant à ce que les semi-pélagiens leur di-
saient : Parmi '■ ceux d'entre vous qui obéis-
sent à la loi de Dieu, s'il y en a qui soient
prédestinés à être du nombre des réprou-
vés, il retirera d'eux l'assistance et le secours
par lequel ils lui obéissent, afin qu'ils cessent
de lui obéir. « Je suis fort trompé, dit-il, s'il
y a un seul homme un peu faible parmi le
peuple chrétien qui puisse écouter cette pa-
role avec patience. Leur parler ainsi, qu'est-
ce faire autre chose, sinon prononcer une
espèce de malédiction contre eux, ou leur
prophétiser en quelque sorte des maux à
venir ? Mais si l'on veut parler de ceux qui
ne persévèrent pas, ou s'il est nécessaire de
le faire, on le doit, en n'adressant pas sa pa-
role à ceux du peuple qui sont présents ,
mais en leur parlant des autres, c'est-à-dire
en ne disant pas, si vous obéissez à la loi de
Dieu, si vous êtes prédestinés pour être du
nombre des réprouvés, mais, s'il y en a qui ne
lui obéissent pas , et le reste , en l'exprimant
par la troisième personne, et non parla se-
conde. Autrement on dit une chose qui n'est
pas favorable, mais odieuse, et dont on doit
avoir horreur comme du plus grand des maux.
Ce serait presque comme celui qui leur jet-
terait des pierres contre le visage, que de
les frapper de cette parole si dm'e : Si quel-
ques-uns d'entre vous oliéissent aux pré-
ceptes de l'Évangile, Dieu retirera d'eux sa
grâce par laqaelle ils obéissent, afin qu'ils
cessent d'obéir, s'ils sont prédestinés pour
être du nombre des réprouvés. Ne peut-on
pas dire, sans rien pei'dre du même sens,
que si quelques-uns obéissent aux préceptes
de l'Évangile, lesquels ne sont pas prédesti-
nés pour le royaume et pom' la gloire, leur
obéissance n'est que temporelle et passa-
gère, et ils n'y persévèrent point jusqu'à la
fin ? N'en dit-on pas autant en parlant ainsi ?
Et cette manière d'exprimer la chose n'est-
eUe pas plus douce et même plus coiîforme
à la vérité? Mais ceux qui croient qu'on est
réduit à parler avec cette dureté, si l'on prê-
che la prédestination, ne voient-ils pas que
la même chose se peut dire presque mot
pour mot, à prendre les choses du côté de la
prescience de Dieu, qu'il ne leur est pour-
tant pas possible de nier ? Car on peut dire
1 Jam vero quod illis verbis conneclitur, miror
si ullo modo potest in populo christiano quisquam
infinnus patienter audire , cum dicittir eis : Et si
qui obeditis , si prscdesl.inati estis rejicieudi, sub-
tralieutur obedieudi vires ut obedire oessetis. Hoc
enim dicere, quid videtur aiiud esse quam male-
dicere, aut mala quodammodo prophetare; sed
si et de iis qui non persévérant , aliquid placet
dicere, vel necesse est, cur non polius ita snlteni
dicitur, ut paulo ante a me dictumest : priinum
ut non de ipsis qui inpopulo audiunt hoc dicatur,
sed de aliis ad ipsos , id est, ut non dicatur:
Si qui obeditis, si prœdestinati estis rejiciendi;
sed, si qui obediunt, et cœtera per verbi perso -
nani tertiam, non per secundam? Res enim non
optabilis sed abominabilis dicitur et durissime at-
que odiosissime quasi in audientium frontem.com-
pellando coUiditur, qua/ndo qui eis loquitur, dicit;
Et si qui estis qui obeditis, si prsedestinati estis
rejicieudi, subtrabentur obedieudi vires ut obe-
dire cessetis. Quid enim sententice dépérit, si ita
dicatur : Si qui autem obediunt, sed in regnum
ejus et gloriam prœdestinati non sunl, tempora-
les sunt nec usque in finem in eadem obedientia
permanebunt? Nonne et verius eadem res et con-
gruentius dicitur... illo autem modo quo id di-
cendum putant eadem sententia eisdem pêne ver-
bis etiam de prœscienlia Dei quam certe n'égare
oion possunt , pronuntiari potest, ut dicatur: Et
si qui obeditis, si prœsciti estis rejiciendi, obe-
dire cessabitis. Kempe hoc verissimum est : ita
sane, sed improbissimum, imporiunissUnum , in-
congrucntissimum , non falso eloquio, sed non
salubriter valetudini hiunance infirmitatis appo-
silo. August., ibid., num. 61, pag, S54 et 835.
[iv= ET v^ SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIiN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
675
comme eux : Quoique a'Ous obéissiez à la loi
de Jésus-Chiist, si toutefois vous êtes du
nombre de ceux que Dieu a prévus dans sa
prescience devoir être réprouvés, vous ces-
serez de lui obéir. Ce n'est pas que cela ne
soit très-véritable, mais cela est très-odieux,
très-dur et très-disproportionné à la faiblesse
des hommes. Et encore que ce discours ne
soit pas mauvais en lui-même , puisqu'il
n'est pas faux, l'expression toutefois n'en
vaut rien , et il faut appliquer ce remède
plus sagement pour le rendre salutaire à
l'infirmité humaine. Mais je ne ' crois pas
même qu'on se doive contenter de ce seul
moyen que nous avons prescrit pour prêcher
la prédestination au peuple ; et on doit leur
dire de plus : Tous tant que vous êtes qui
obéissez à Dieu , vous devez espérer de re-
cevoir du Père des lumières, de qui tous les
excellents dons procèdent , la grtice de per-
sévérer dans votre obéissance et votre fidé-
lité. Vous la devez demander tous les jours
dans vos prières, et, en faisant cela, croire
avec confiance que vous êtes du nombre des
prédestinés ; parce que lui-même vous don-
ne la grâce de faire ces prières et ces exer-
cices. Au reste ne soyez pas si malheureux
que de désespérer de votre salut, à cause
qu'on vous ordonne de mettre voire espé-
rance en Dieu , et non pas en vous-mêmes ,
puisque- l'Ecriture nous dit, que maudit est
l'homme qui met son espérance en l'homme, et
qu'il vaut mieux se confier au Seigneur que se
confier en l'homme ; parce que ceux qui met-
tent leur confiance en Dieu sont heureux.
Demeurez fermes dans cette espérance , et ser-
vez le Seigneur avec crainte , comme dit en-
core l'Écriture, et réjouissez-vous en lui avec
tremblement. Car personne ne peut être as-
suré de la vie éternelle, que Dieu, toujours
véritable, n'a promise de toute éternité aux
enfants de la promesse qu'après la fin de
celte vie, qui est une tentation sur la terre.
Mais celui à qui nous disons tous les jours
Ne nous laissez pas tomber dans la tentation
nous fera persévérer dans son service jus-
qu'à la fin de notre vie. Pourquoi, si nous
parlons en ces termes, soit à peu de chré-
tiens, soit à une grande multitude de fidèles,
craindrions-nous de prêcher la prédestina-
tion des élus et la vraie grâce de Dieu, c'est-
à-dire celle qui n'est pas donnée selon nos
mérites , telle que l'Écriture la prêche si
hautement? Y a-t-il sujet d'appréhender que
l'homme désespère de son salut , lorsqu'on
lui montre qu'il doit mettre son espérance en
Dieu , et de croire qu'il n'en désespérerait
pas, s'il était si superbe et si malheureux que
de mettre son espérance en lui-même ? »
83. « Dieu a fait l'homme ^ droit, et par suriagisco
, ^ et le libre ar-
consequent avec une bonne volonté , autre- w<™ iJ" v">-
^ ' raier liomme.
ment il n'aurait pas été droit. La bonne vo-
lonté est donc l'ouvrage de Dieu, puisque
l'homme a été fait avec elle. Il a été ^ créé
sain, innocent et doué du libre arbitre , avec
une libre faculté de vivre dans la justice. Il
fallait * en efiet que l'homme fût tel d'a-
bord, qu'il pût voir le bien et le mal, et qu'il
' Illum etiam modum, quo utendum esse in
prœdestinationis prœdicatione nos diximiis, lo-
qiienti apud populum non existimo debere suffh-
cere, nisi hoc vel Imjiismodi aliquid a.ddat, ut
dicat : Vos itaque etiam ipsam obediendi perseve-
rantiam a Pâtre lumiuum a quo descendit omne
datum optimum et omne donum perfectum, spe-
rare debetis, et quotidianis orationibus poscere,
atque hoc faciendo confidere non vos esse a prce-
destinatione populi ejus aliénas : quia etiam hoc
ut faciatis ipse largitui: Àbsit autem avobis ideo
desperare de vobis, quoniam spem. vestram in ipso
habere jubemini, non in vobis. Maledictus enim
omnis qui spem habet in homine : et bonum est
confidere in Domino quam confidere in liomine ;
quia beati omnes qui confidunt in euni. Hanc
spem tenentes, servite Domino in timoré et exul-
tate ei cum tremore : quoniam de vila œterna
quam Filins promissionis promisit non men-
dax Deus ante tempora œterna. Nemo potest esse
securus nisi consummata fuerit ista vila quœ
tentalio est super lerram : sed faciet nos perse-
verare in se usqne in ejus viiœ finem, cui quoti-
die dicimus : Ne nos inferas in tentationem. Emc
atque hujusmodi cum"dicuntur, sive paucis chris-
tianis, sive multitudini Ecclesiœ, cur metuimus
sanctorum prœdestinationem et veram Dei gra-
tiam, id est, quœ non secundum mérita nostra
datur, sicut eam Sancta Scriptura prœdicat, prœ-
dicare? An vero timendum est, ne tune de se homo
desperet, quando spes ejus ponenda demonstratur
in Deo, non 'autem desperaret, si eam in se ipso
siqierbissimios et infelicissimus poneret. August.,
lib. De Dono pers., cap. xii, num. 62, pag. 855,
tom. X.
2 Fecit itaque Béas, sicut scriptumest, Iiominem
rectnm, ac per hoc, votuntatis bonœ. : non enim
reclus esset bonam non habens voluntatem. Au-
gust., lib. XIV De Civit. Dei, cap. xi, num. 1,
pag. 362.
' Quis enim eum nescit sanum et inculpabilem
factum, et libero arbitrio atque ad juste vivendum
potestale libéra constitutum? August., De Nat. et
grat. contra Pelag., cap. xliii, num. 50. pag. 148.
'■ Sic enim oportebal prius hominem fieri ut et
bene velle posset, et maie , nec gratis si bene , née
impune si maie: postea vero sic erit, utmale velle
non possit; nec ideo libero carebit arbitrio. Multo
676
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
fût rocompensé s'il faisait le bien, et puni
s'il faisait le mal. Mais après il se trouvera en
tel état qu'il ne pourra plus vouloir le mal,
et toutefois il ne perdra pas la liberté de sa
volonté, qui sera au contraire d'autant plus
libre, qu'elle ne pourra plus être esclave du
péché. Car on ne doit ni blâmer la volonté,
ni dire qu'il n'y en a point, ou qu'elle n'est
pas libre, lorsque nous voulons d'une telle
sorte être heureux , que nous ne voulons
point être misérables, mais même que nous
ne pouvons le vouloir en aucune manière.
Comme donc notre âme a maintenant cette
impression de ne vouloir pas être malheu-
reuse , de même alors elle aura toujours
celle de ne vouloir point pécher. Mais il a été
à propos de garder l'ordre par lequel Dieu a
voulu montrer combien la créature raisonna-
ble est bonne, lors même qu'elle est en cet
état qu'elle ne peut point pécher, quoiqu'elle
soit meilleure, lorsqu'elle est en tel état qu'elle
ne peut point péclier : L'état auquel on pou-
vait ne point mourir, ne laissait pas d'être
un état d'immortalité, mais le dernier est
le moins excellent; le premier est le plus
noble étant celui auquel on ne pourra plus
mourir. La nature humaine a pei'du cette
première immortalité par la liberté de sa vo-
lonté, et elle recevra cette seconde par la
grâce; au lieu que, si elle n'eût point péché,
elle l'eût reçue par son mérite, quoiqu'il ne
ne prit même alors y avoir de mérite sans la
grâce; parce qu'encore que le péché dépen-
dît de la seule liberté de la volonté, néan-
moins la seule liberté de la volonté ne suffi-
sait pas pour conserver la justice, si elle
n'était aidée de l'assistance de Dieu par la
participation du bien immuable. Car, comme
il est en la puissance de l'homme de mourir
quand il le veut, n'y ayant personne qui ne
se puisse tuer, du .moins en ne mangeant
pas , et qu'il ne lui suffit pas de TOuloir con-
server sa vie pour la conserver effectivement,
mais qu'il a besoin de nourriture et des au-
tres choses nécessaires à la vie ; de même
dans le paradis terrestre l'homme était ca-
pable de se tuer par sa volonté en abandon-
nant la justice ; mais pour conserver sa jus-
tice et son innocence , ce lui était peu de
le vouloir, si celui qui l'avait créé ne l'assis-
tait par sa grâce. Mais depuis cette chute et
cette ruine , la miséricorde de Dieu est
plus grande ; parce que la liberté de la vo-
lonté a besoin d'être délivrée de la servitude,
étant dominée par le péché et par la mort;
et elle n'est point du tout délivrée par elle-
même, mais par la seule grâce de Dieu qui
•consiste en la foi de Jésus-Christ, le Seigneur
préparant la volonté, et cette volonté rece-
vant les autres dons de Dieu par lesquels on
parvient au don éternel. »
84. Saint Augustin se propose xine diffi-
culté considérable sur la persévérance du
premier homme, savoir si Dieu la lui avait
donnée , ou non. « On nous demande, dit-il,
touchant ' ce don de Dieu, qui est de persé-
vérer jusqu'à la fm, ce que nous pensons du
premier homme, qui certainement a été créé
quippe liberius erit arbitrium quod omnino non
poterit servire peccato. Neque enim culpanda est
volxmtas, aut voluntasnon est, aut libéra dicenda
non est, qiia beali esse sic volumus, %U esse mi-
seri non solum nolimus sed neqiiaquam prorsus
velle possimus. Sicut ergo anima nostra etiam
nunc nolle infelioitatem, ita nolle iniquitatem
semper habituraest. Sed ordoprœtermittendus non
fuit, in quo Deus voluit ostendere, quam bonum
sit animal rationale quod etiam non peccare pos-
ait: sicut minor fuit immortalitas, sed lamen fuit
in qua posset etiam non mori, quamvis major fu-
turasit in qua nonpossil mort. Illamnatura hu-
mana perdidit per libermn arbitrium, hanc ac-
ceptura per gratiam, quam fuerat, si non peccas-
set, acceptura per meritum: quamvis sine gratia
nec tune ullum meritum esse potuisset. Quia etsi
peccatum in solo libero arbitrio erat constitutum,
non tamen justiliœ retinendœ sufflciebat liberum
arbitrium, nisi participalione immutabilis boni
divinum adjutorium prœberetur. Sicut enim mori
est in hominis potestale, cum velil. nemo est enim
qui non seipsum, wt nihil aliud dicam, vel non
vescendo possit occidere; ad vitam vero tenendam
voluntas non satis est, si adjutorio sive alimen-
torum sive quorumcumque tutaminum desint : sic
homo in paradiso ad se occidendum relinquendo
justiliam idoneus erat per voluntaiem, ut autem
ab eo teneretur vita justitiœ, parimi erat velle,
nisi ille qui eum fecerat adjuvaret, sed post illam
ruinam: major est misericordia Dei quando et ip-
sum arbitrium liberandum est a servitute, cwi
dominatur cum morte peccatum. Nec omnino per
se ipsum, sed per solam Dei gratiam quœ in fide
Chrisli posila est, liberatur, ut voluntas ipsa,
sicut scriptitm est, a Domino prœpareiur qua
cœtera Dei munera capiantur, per quœ veniatu,r
ad munus œternum. August., Enchirid. de fide,
spe et charitate, cap. civ, uum. 28, pag. 236 et 237.
1 Quœritur enim a nobis, quantum attinet ad
hoc donum Dei, quod est in bono perseverare us-
que in finem, quid de ipso primo homine sentia-
mus, qui certe sine ullo vitio factus est reclus?
Necdico: Siperseveranliam non habuit, quomodo
sine vitio fuit, cui iam necessarium Dei donum
defuit? Huio namque interrogationi facile res-
pondetur, eum perseverantiam non habuisse, quia
in eo bono, quod sine vitio fuit, nonperseveravit:
[iv° ET V' SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
juste et sans aucun défaut. Sur quoi je ne dis
pas : S'il n'a point eu la persévérance , com-
ment a-t-il été sans défaut, puisqu'un don si
nécessaire lui a manqué? Car il est bien aisé
de répondre à cette demande , en disant
qu'il n'a pas eu la persévéï'ance, parce qu'il
n'a pas persévéré dans le bien qu'ilpossédait,
savoir d'être sans défaut; et qu'il a com-
mencé à avoir un défaut dès l'heure même
qu'il est tombé. S'il a commencé d'en avoir
alors, il s'ensuit indubitablement qu'il a été
sans défaut auparavant. Car, c'est autre
chose de n'avoir point de défaut et de ne
pas demeurer dans la bonté en laquelle il
n'y a point de défaut; et ce qu'on ne dit pas
qu'il n'a jamais été sans défaut, mais seule-
ment qu'il n'est pas demeuré sans défaut,
montre clairement qu'il a été sans défaut,
puisqu'on le blâme de n'être point demeuré
dans ce bien. Mais il est plus difficile de ré-
pondre à ceux, qui disent : S'il a eu la persé-
vérance dans la justice dans laquelle il a été créé
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 677
sans défaut, il est nécessaire qu'il ait persévéré
dans cette justice. Que s'il a persévéré il n'a
point péché, et il n'a quitté ni sa justice, ni
Dieu. Or la vérité nous crie qu'il a péché et
qu'il a abandonné le bien. Il n'a donc pas eu la
persévérance dans ce bien. S'il ne l'a pas eue,
il s'ensuit qu'il ne l'a' pas reçue. Comment en
effet n'aurait-il pas persévéré s'il avait reçu
la persévérance ? Que, s'il ne l'a pas eue, parce
qu'il ne l'a pas reçue, comment a-t-il péché en
ne persévérant point, puisquil n'a point reçu la
persévérance? On ne peut pas dire qu'il ne l'a
pas reçue, parce qu'il 7i'a pas été tiré de la
masse de perdition par le don de la grâce, n'y
ayant point eu de masse de perdition dans le
genre humain avant qu'il eût péché, et son of-
fense ayant été la source et l'origine de la cor-
ruption des hommes. C'est pourquoi nous con-
fessons ' par une confession très-salutaire ce
que nous croyons par une foi très-pure, que
Dieu est le Seigneur de toutes choses , qui
n'a rien créé que de bon et d'excellent, et
cœpit enim habere vitium ex quo cecidit, et si
cœpit, antequain cœpisset, utique sine vitio fuit.
Aliud est enim non habere vitium, et aliud est in
ea bonilate, in qua nuUum vitium est, non ma-
nere. Eo quippe ipso quod non dicitur nunquain
sine vitio fuisse, sed dicitur sine vitio non per-
mansisse, procul dubio demonstratur sine vitio
fuisse, in quo bono non permansisse culpatur. Sed
illud magis quœrendum operosiusque tractandwm
est, quomodo respondeamus eis, qui dicunt, si in
illa rectitudine in qua sine vitio factus est, habnit
perseverantiain, procul dubio perseveravit in ea :
et si perseveraverit, lUiqtie non peccavit, nec il-
lam suam rectitudinem Deumque deseruit. Eum
autem peccasse, et desertorem boni fuisse, veritas
clamât. Non ergo liabuit in illo bono perseveran-
tiain; et si non habuit, non utique accepit. Quo-
modo enim et accepisset perseverantiam, et non
perseverasset? Porro si propterea non habuit,
7ion accepit; quid ipse non perseverando peccavit,
qui perseverantiam non accepit? neque enim dici
potest, ideo non accepisse, quia non est discretus
a massa perditionis gratiœ largitate. Nondum
quippe erat illa in génère humano perditionis
massa antequam peccasset, ex q%io tracta est
origo vitiata. August., lib. De Corrept. et grat.,
cap. X, num. 26, pag. 764.
1 Quapropter saluberrime confiiemur, quod rec-
tissime credimus, Deum Dominumque rerum om,-
nium, qui creavit omnia bona valde et mala ex
bonis exoritura esse prœscivit, et scivit magis ad
suam omnipotentissimam bonitatem pertinere ,
etiam de nialis bene facere, quam mala esse non
sinere, sic ordinasse angelorum^ et hominum vi-
tam,ut in ea prius ostenderel, quid posset eorum
liberum arbitrium; deinde quid posset suœ gra-
tiœ beneficium, justiliœque judicium. Denique
angeli quidam, quorum princeps est qui dicitur
diabolus, per liberum arbitrium a Domino Deo
refugce facti sunt. Refugiehtes tamen ejus bonita-
tem, qua beati fuerunt, non potuerimt ejus effu-
gere judicium, per quod miserrimi effecti sunt.
Cœteri autem per ipsum liberum arbitrium in ve-
ritate steterunt, eamque de suo casu nunquam
futuro certissimam scire meruerunt. Si enim nos
de Scripturis sanctis nosse potuimus sanctos an-
gelos, jam nullos esse casuros; quanto magis hoc
ipsi revelata sibi sublimius verilate noverunt?
Nobis quippe beata sine fine vita promissa est, et
œqualitas angelorum : ex qua promissione certi
sumus, cum ad illam vitam post judicium vene-
rimus, non indenos esse lapsuros: quod si de se-
ipsis angeli nesciunt, non œquales, sed beatiores
erimus. Veritas autem nobis eorum promisit ccqua-
litateni. Certum est igitur hoc eos nosse per spe-
ciem, quod nos per fidein, nullam scilicet ruinam
cujusquam sancti angeli jam futuram. Diabolus
vero et angeli ejus etsi beati erant, antequam ca-
derent, et se in miseriam casuros esse nesciebant,
erat tamen adhuc,quodeorumaddereturbealitudi-
ni, siper liberum arbitrium in veritate stetissent,
donecistam summœ bentitudinisplenituéinem, tan-
quam prœmium ipsius permansionis acciperent,
id est, ut magna per Spiritum Sanctum data abun-
dantia charitatis Dei, cadere ulterius omnino non
possent, et hoc de se certissime nossent. Hanc
plenitudinem beatitudinis non habebant, sed quia
nesciebant suam futuram miseriam, minore qui-
dem, sed tamen beatitudine sine ullo vitio frue-
bantur. Nam si suum casum futurum nossent,
œternmnquesupplicium, beati utique esse non pos-
sent, quos hujus tanti malimetus jam tuncmiseros
esse compelleret. Sic et hominem fecit cum libéra
arbitrio, et quamvis sui futuri casus ignarum,
tamenideo beatum, quia et non mori et miseruni
non fieri in sua potestate esse sentiebal. August,
lib. De Corrept. et grat., cap. x, num. 27 et 28,
pag. 764 et 765.
678
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
qui a prévu les maux qui devaient sortir des
biens, et qui a su qu'il était plus digne de sa
bonté toute puissante de tirer du bien des
maux, que de ne point souffrir de maux, qui
a réglé de telle sorte la vie des anges et des
hommes, qu'il a voulu premièrement mon-
trer en elle ce que pouvait le libre arbitre,
et ensuite ce que pouvaient le bienfait de sa
grâce et le jugement de sa justice. Quel-
ques-uns des anges, qui ont celui qu'on ap-
pelle le diable pour prince, se sont éloignés
de Dieu leur Seigneur par leur libre arbitre
comme des rebelles et des fugitifs. Mais en
fuyant sa bonté qui les rendait heureux, ils
n'ont pu éviter sa justice qui les a rendus
très-misérables. Les autres anges sont de-
meurés dans la vérité par ce même libre ar-
bitre, et ont obtenu pour récompense d'être
assurés par une science certaine qu'ils ne
tomberaient jamais. Car si nous, qui ne som-
mes que des hommes , avons pu connaître
par l'Écriture que nul des saints anges ne
serait plus sujet à tomber, combien eux-mê-
mes l'ont-ils connu davantage par une vérité
qui leur a été révélée d'une plus haute et plus
sublime manière ? Dieu nous ayant promis de
nous donner la vie éternelle et d'être égaux aux
anges, cette promesse nous rend assurés que,
lorsque nous serons venus à cette vie après
le jugement, nous ne pouvons plus tomber
de cet état bienheureux ; et par conséquent si
les anges ne savaient pas d'eux-mêmes ce que
nous savons de nous, non-seulement nous
les égalerions, mais nous les surpasserions en
féhcité. Or, la Vérité nous a promis l'égalité
avec eux, il est donc certain qu'ils connais-
sent par une vue claire ce que nous connais-
sons par la foi, qu'il n'arrivera plus aucune
chute d'aucun des saints anges. »
« Quant au diable et à ses anges, encore
qu'ils fussent heureux avant qu'ils tom-
bassent, et qu'ils ignorassent qu'ils tombe-
raient dans la misère , il y avait encore une
chose qui pouvait être ajoutée à leur bon-
1 In qtto statu recto acsine vitio, si per libennn
arbUrium manere voluisset , profecto sine ullo
morlis et infelicitatis experimento , acciperet il-
loin, merilo Imjiis po'Jîiansiooi's, beatitudinis
plenitudinem , qua et sancii angeli sunt beati, id
est, ut cadere non^ posset nlterius el hoc ccrtis-
sime sciret. Nam neque ipse posset etiam in pa-
radiso beatus esse: iino ibi non esset, ubi esse
miserum non deceret, si eum sui casus pra'scicn-
tia timoré tanti mali miserum faceret. Quia vero
per liberum arbitrium Deum deseruit,justum ju-
dicium Dei cxpertus est, ut cum tota sua stirpe.
heur, s'ils fussent demeurés dans la vérité
par leur libre arbitre, qui était de recevoir
cette plénitude d'une souveraine félicité ,
comme la récompense de leur fermeté dans
le bien, c'est-à-dire cette suprême faveur
d'être remplis d'une si grande abondance de
l'amour de Dieu par le Saint-Esprit, qu'ils ne
pussent plus tomber jamais, et qu'ils en fus-
sent assurés par une certitude infaillible. Es
n'avaient pas cette plénitude de bonheur,
mais parce qu'ils ne savaient pas leur misère
future, ils jouissaient d'une béatitude qui
était moindre, mais qui néanmoins était sans
défaut. De même Dieu a créé l'homme avec
le libre arbitre, et quoiqu'il ignorât sa chute
future, il était néanmoins heureux, parce
qu'il sentait qu'il était en sa puissance de ne
point mourir et de n'être point misérable.
S'il eût voulu demeurer ^ par le libre arbitre
dans cet état de justice et sans défaut , il
n'eût point éprouvé ce que c'était que la mort
et le malheur, et il eût reçu , par le mérite
de cette constance et de cette fermeté, la plé-
nitude du bonheur qui rend les saints anges
bienheureux, c'est-à-dire qu'il n'eût pu plus
tomber dès lors, et qu'il l'eût su très-certai-
nement. Car l'homme n'aurait pu être heu-
reux, même dans le paradis, et il n'y aurait
même pas été, parce que c'aurait été contre
l'ordre et la bienséance qu'un misérable fût
en ce lieu de bonheur, si la connaissance
de sa chute à venirl'avait rendu malheureux
par la crainte d'une si grande infortune.
Mais, parce qu'il a quitté Dieu par son libre
arbitre, il a éprouvé le juste jugement de
Dieu ayant été condamné avec toute sa race
qui, étant en lui lorsqu'il pécha, avait toute
péché avec lui. Car autant qu'il y a de per-
sonnes de cette race que la grâce de Dieu
délivre , autant il y en a qui sont délivrées
de la damnation qu'elles avaient encourue. Ce
qui fait que si nul n'était délivré, personne ne
poui-rait reprendre avec justice le juste juge-
ment de Dieu. Donc ceux qui sont délivrés,
qiicB in illo adhucpositatota cum illo peccaverat,
damnaretur. Quotquot envn ex hac stirpe gratia
Dei liberantur, a damnatione utique liberantiir,
quajam. tenentur obslricti. Unde etiam si miHus
liberaretur, jtistum Dei judicium nemo juste re-
prehenderet. Quod ergo pauci in comparationeper-
evntium, in suo vero numéro multi liberantur ,
gratia fit, gratis fit, gratiœ sunt agendœ, quia
fit, ne quis velut de suis meritis extollatur, sed
omne os obstruatur, et qui gloriatur, in Domino
glorietur. August., lib. De Corrept. et grat., cap.
X, num. 27 et 28, pag. 7Gi, "05 et 766.
[iv° ET v° SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
lesquels sont peu en comparaison de ceux
qui périssent, encore qu'ils soient beaucoup
en leur nombre, ne sont délivrés que par la
grâce, et gratuitement. D'oii il suit qu'on
doit rendi'e grâces à Dieu de leur délivrance,
de peur que quelqu'un ne s'élève comme
s'il avait été délivré par ses mérites, et afin
que toute bouche soit fermée, et que celui qui se
glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur. »
« On dira peut-être, dit-il : Quoi donc,
Adam n'a-t-il point eu de grâces de Dieu ? Il
en a eu une grande ^ mais différente de celle-
ci. Adam était dans les biens qu'il avait reçus
par la bonté de son Créateur, n'ayant pas act-
qais ces biens par ses mérites, et ne s'étant
pas procuré à lui-même cette exemption de
toute souffrance et de tous maux. Mais les
saints auxquels appartient cette grâce de
délivrance sont dans les maux pendant
qu'ils sont dans cette vie, et c'est dans ces
maux qu'ils crient à Dieu : Délivrez-nous du
mal. Adam étant dans ces biens n'avait pas
besoin de la mort de Jésus-Christ. Mais ces
saints anges ont été absous du péché originel
et dé leurs péchés actuels par le sang de cet
Agneau. Adam n'avait pas besoin de cette
ÉVÊQUE D'HIPPONE.
679
assistance que les saints implorent quand ils
disent : Je vois vne autre loi dans mes membres
gui combat la loi de mon esprit, et qui me rend
captif sous la loi du péché qui est dans mes mem-
bres. Malheureux homme que je suis! qui me
délivrera du corps de cette mort? La grâce de
Dieu p)ar Jésus-Christ Notre-Seigneur . Ils sen-
tent dans eux que la chair a des désirs contrai-
res à ceux de l'esprit, et que l'esprit en a de
contraires à ceux de la chair ; et se voyant
exposés aux travaux et aux périls de ce com-
bat, ils demandent à Dieu la foi-ce de com-
battre et de vaincre par la grâce de Jésus-
Christ. Mais Adam n'était pas tenté ni trou-
blé par un tel combat en soi-même contre
soi-même, et étant dans ce séjour de féli-
cité, il jouissait d'une entière paix dans son
esprit et dans son corps. C'est ce qui fait que
les saints ont besoin d'une grâce, sinon plus
heureuse, au moins pins puissante que celle
d'Adam. Et pouvait-il y eu avoir une plus
grande que le Fils unique de Dieu, égal à son
Père et éternel comme lui, qui s'est fait hom-
me pour eux? Le premier homme n'a pas eu
cette grâce ^ par laquelle il ne voulût jamais
être méchant; mais il en a eu une autre en
' Quid ergo 7 Adam non habuit Dei gratiam ?
Imo vero habuit magnam, sed disparem. Ille
in bonis eral, quœ de bonitate sui Condiloris ac-
ceperat : neque enim ea, bona et ille suis ineritis
comparaverat, in quibus prorsus nullum patie-
balur malum. Sancti vero in hac vila, ad quos
pertinet liberationis hœc gratta, in malis simt, ex
quibus clamant ad Deuni: Libéra nos a malo. Ille
in illis bonis Christi morte non eguit ; istos a
reatu et hereditario et proprio illius cigni san-
guis absolvit. Ille non opus habebat eo adjutorio,
quod implorant isti cum dicunt: Video aliam le-
gem in membris mais repugnantem legi mentis
mefe, et captivantem me in lege peccati, quas est
in membris meis. Jufelix ego homo, quis me libe-
rabit de corpore mortis hujus? Gratia Dei per Je-
sum Christum Domiuum nostrum. Quoniam in eis
caro concupiscit adversus spiritum, et spirilus ad-
versus carnem, atque in tait certamine laboran-
tes ac périclitantes dari sibi pugnandi vincendi-
que virtutem per Christi gratiam poscunt. Ille
vero, nulla tali rixa de seipso adversus se ipsum
tentatus atque turbattis, in illo beatitudinis loco
sua secumpace fruebatur. Proinde, etsi non inté-
rim lœtiore nunc, verumtamen poientiore gratia
indigent isti: et quœ potentior quam Dei unige-
nitus Filins, œqualis Patri et coœternus, pro eis
homo factus. Aiigust., ibid., mim. 29 et 30, pag. 766.
2 Istam gratiam non habuit homo primus, qua
nunquam vellet esse malus : sed hanc habuit, in
qua si permanere vellet, nunquam malus esset,
et sine qua etiam cum libero arbitrio bonus esse
non posset, sed eam tamen per liberum arbitrium
deserere posset. Nec ipsum ergo Deus esse voluit
sine sua gratia, quant reliquit inejus libero arbi-
trio. Quoniam liberum arbitrium ad malum suf-
flcit, ad bonum autem parum est, nisi adjuvetur
ab omnipotenti bono. Quod adjutorium si homo
ille per liberum non deseruisset arbitrium, sem-
per esset bonus ; sed deseruit et desertus est. Taie
quippe erat adjutorium, quod desereret cum vel-
let, et in quo permaneret si vellet; non quo fieret
ut vellet. Hœc prima est gratia quœ data est
primo Adam: sed hœc potentior est in secundo
Adam. Prima est enim qua fit ut habeat homo
justitiam si velit. Secunda ergo plus potest, qua
etiam fit ut velit, et tantum velit, tantoque ardore
diligat, ut carnis volimtatem contraria concu-
piscentem voluntate spiritus vincat. Nec illa qui-
dem parva erat, qua demonstrata est etiam po-
tentia liberi arbitra, quoniam sic adjuvabatur,
ut sine hoc adjutorio in bono non maneret, sed
hoc adjutoritim si vellet desereret. Hœc autem
tanto major est, ut parum sit homini per illam
reparave perditam libertatem, parum sit denique
non passe sine illa vel apprehendere bonum, vel
permanere in bono si velit, nisi etiam efficiatur
ut velit. Tune ergo dederat homini Deus bonam
voluntatem, in illa quippe cum fecerat qui fece-
rat rectum: dederat adjutorium, sine quo in ea
non posset permanere si vellet; ut autem vellet,
in ejus libero reliquit arbitrio. Posset ergo per-
manere, si vellet: quia non deerat adjutorium
per quod posset, et sine çiuo non posset perseve-
ranter bonum lenere quod vellet. Sed quia noluit
permanere, profecto ejus culpa est, cujus meri-
680
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
laquelle, s'il eût voulu persévérer, il n'eûtja-
mais été méchant, et sans laquelle il n'eût
pu être bon, même avec le libre arbitre, et
qu'il pouvait néanmoins quitter par le li-
bre arbitre. Dieu n'a donc pas voulu qu'il fût
sans la grâce , qu'il avait laissée à son libre
arbitre, parce que le libre arbitre suffit pour
le mal, et qu'il est peu de chose pour le bien
s'il n'est aidé par le bien tout puissant. Si
l'homme n'eût point abandonné ce secours
par son libre arbitre, il eût toujours été bon.
Mais il l'a abandonné et a été abandonné.
Car ce secours était tel qu'il pouvait l'aban-
donner lorsqu'il voulait, et dans lequel il
pouvait demeurer s'il voulait; mais il n'était
pas tel qu'il le fit vouloir. »
« Voilà la première grâce qui a été donnée
au premier Adam ; mais celle que nous avons
dans le second Adam est plus puissante : la
première grâce est celle qui fait que l'homme
ait la justice s'il veut; la seconde est donc
plus puissante, puisqu'elle fait que l'homme
veuille et qu'il veuille si fortement et aime
avec tant d'ardeur que par la volonté de
l'esprit il surmonte la volonté de la chair qui
forme en lui des désirs contraires. Cette pre-
mière grâce n'était pas petite, et c'est elle
qui a montré la puissance du libre arbitre :
parce que le libre arbitre en était tellement
aidé, qu'il ne pouvait demeurer dans le bien
sans ce secours, mais il pouvait l'abandonner
s'il voulait. Mais la seconde grâce est d'au-
tant plus grande que la première, que ce se-
rait peu à l'homme de recouvrer par elle sa
liberté perdue, et peu de ne pouvoir sans
elle ni embrasser le bien, ni demeurer dans
le bien s'il voulait, si cette grâce ne passait
plus avant et ne le faisait vouloir. Dieu avait
donné au premier homme une bonne volonté,
et dans cette bonne volonté, dans laquelle il
l'avait créé, il l'avait fait droit, il lui avait
donné un secours, sans lequel il ne pouvait
demeurer dans cette bonne volonté quand il
l'eût voulu ; mais il avait laissé à son libre
arbitre le vouloir. Il pouvait donc persévérer
s'il voulait, puisqu'il ne manquait pas d'un
secours par lequel il le pouvait, et sans
lequel il ne pouvait persévérer dans le
bien qu'il voulait. Mais ça été sa faute s'il
n'a pas voulu y demeurer, et c'eût été son
mérite, s'il eût voulu y demeurer, comme
ont fait les saints anges qui sont demem'és
fermes par lem" libre arbitre, lorsque les
autres sont tombés par leur même libre ar-
bitre , et ont mérité de recevoir pour récom-
pense due à leur fetmeté, cette plénitude
de félicité qui consiste en l'assurance de de-
meurer toujours dans cette félicité. Si ce
secours eût manqué ou à l'ange ou à l'hom-
me ' lorsqu'ils furent créés d'abord, leur na-
ture n'étant pas telle que sans l'aide de Dieu
elle pût demeurer dans le bien si elle vou-
\
ium fuisset, sipermanere vohdsset: sicut fuerunt
angeli sancti, qui, cadenlibus aliis per liberum
arbitrium, per idem liberum arbitrium sleterunt
ipsi, et hujus permansionis debilam mercedem
recipere meruerunt, tantam scilicet beatitudinis
plenitudinem, qua eis certissimum sit semper se
in illa esse mansuros. Aiigust., lib. De Corrept. et
grat., cap. xi, num. 31-32, iMg. 767 et 768.
1 Si autem hoc adjutoriuin vel angelo vel ho-
mini, cnm primum factisunt, defuisset : quoniam
non talis natii,ra facta erat, ut sine divino adju-
torio posset nianere si vellet, non utique sua
culpa cecidissent : adjutorium qiiippe defuisset,
sine quo manere non passent. Nunc autem quibus
de.est taie adjutorium,jam pœna peccati est : qui-
hus autem, dalur, secundum gratiam datur, non se-
cundum debitum; et tanlo a-mplius datur per Je-
sum Christum Dominuinnastrum, quibiis id dare
Deo placuit, ut non solum adsit sine quo perma-
nere non possnmus, etiam si velimus, verum etiam
tantumac taie sit, ut velimus. Fil quippe in nobis
per hanc Dei gratiam' in bono rccipiundo et per-
sevcranter tenendo, non solmn posse quod volu-
mes, verum etiam: velle quod possumus. Quod
non fuit in homine primo : unum enim horum in
iUo fuit, alterum non fuit. Namque ut reciperet
bonum, gratia non egebat, quia nondum perdide-
rat : ut autem ineo permaneret, egebat adjutorio
gratiœ, sine' quo id omnino nonposset; et accepe-
rat posse si vellet, sed non habuit velle quod pos-
set; nam si habuisset perseverasset. Posset enim
perseverare, si vellet : quod ut nollet, de libero
descendit arbiirio ; quod tune ita liberum erat, ut
bene velle posset et maie. Quid autem erit liberius
libero arbitrio, quando non poteril servirepeccato,
quoi futura erat et liomini, sicut facta est ang élis
sanclis, merces meriti? Nunc autem per peccatum
perdito bono merilo, in his qui liberantur, factum
est donum gratiœ, quœ merces meriti futura
erat. Quapropter bina ista quidinter se différant,
diligenter et vigilanter intuendum est, posse non
peccare et non posse peccare, posse non mort
et non posse mori, bonum posse non deserere
et bonum non posse deserere. Numquid dictu-
ri sumus , non potuit peccare, qui taie liabebat
liberum arbitrium? Aiit non potuit mori cui die-
tum, est : Si peccavei-is, morte morieris? Aut non
potuit bonum deserere, cum hoc peccando dese-
ruerit, et ideo mortuus sit. Primo ergo libei-las
voluntatis erat, posse non peccare; novissimaeril
nvulto major, non posse peccare; prima immor-
talitas, posse non mori; novissima erit multo
major, non posse mori : prima erat perseveran-
tiœpotestas, bomitn posse non deserere; novissima
erit félicitas perseverantiœ. boniiin nonpossedese-
rere. Numquid, quia crunt bona novissima potiora
[IV» ET V° SIÈCLES.]
lait, ils ne fussent pas tombés par leur faute,
parce qu'ils eussent manqué du secours
sans lequel ils ne pouvaient demeurer (dans
leur innocence). Mais maintenant ceux qui
sont privés de ce secours, en sont privés par
la peine du péché ; et il est donné par grâce
et non pas par récompense à ceux h qui il
est donné, et il est d'autant plus abondam-
ment donné par Jésus-Christ Notre-Seigneur,
à ceux à qui il plaît à Dieu de le donner, que
nous n'avons pas seulement un secours sans
lequel nous ne pouvons demeurer dans le
bien, encore que nous le voulions ; mais
qu'il est tel et si grand, qu'il nous le fait
vouloir. Car pour recevoir le bien et le gar-
der avec persévérance, cette grâce ne nous
donne pas seulement de pouvoir ce que nous
voulons, mais encore de vouloir ce que nous
pouvons, ce qui n'a pas été dans le premier
homme. Il avait bien l'une de ces deux cho-
ses, mais il n'avait pas l'autre, parce qu'il
n'avait pas besoin de la grâce pour recevoir
le bien, ne l'ayant pas encore perdu. Mais
pour demem-er dans le bien, il avait besoin
du secours de la grâce, sans lequel il ne l'eût
pu en aucune manière. Il avait reçu la grâce
de pouvoir s'il voulait, mais il n'a pas eu
celle de vouloir ce qu'il pouvait. Car s'il l'eût
eue, il eut persévéré. Il pouvait persévérer
s'il eut voulu; et s'il ne le voulut pas, ce fut
par son libre arbitre, qui était alors tellement
libre qu'il pouvait vouloir le bien et le mal.
Mais qui sera plus libre que le libre arbitre,
lorsqu'il ne pourra servir au péché? C'eût
été la récompense du mérite à l'homme (s'il
eût gardé son innocence) comme elle l'a
été des saints anges. Mais maintenant le
bon mérite ayant été perdu par le péché,
ce qui devait être la récompense du mé-
rite, est devenu un don de grâce dans
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
681
ceux qui sont délivrés. C'est pourquoi il faut
considérer avec soin et avec attention la dif-
férence qu'il y a entre ces deux choses de
pouvoir ne point pécher, et de ne pouvoir
pécher ; de pouvoir ne point mourir, et de
ne pouvoir mourir; de pouvoir ne point
abandonner le bien, et de ne pouvoir aban-
donner le bien: car le premier homme a pu
ne point pécher, il -a pu ne point mourir, il a
pu ne point abandonner le bien. Mais dirons-
nous que celui qui avait un tel libre arbitre
n'a pu pécher? Peut-on dire qu'il ne pouvait
mourir, lui à qui on a dit : Si vous péchez, vous
mourrez assurément? 'N'a-t-ilçn abandonner le
, bien, puisqu'il l'a abandonné en péchant, et
que cet abandon a été la cause de sa mort? Il
s'ensuit donc que la pi'emière liberté de la vo-
lonté était de pouvoir ne point pécher ; et que
la dernière, beaucoup plus gi-ande que l'au-
tre, sera de ne pouvoir pécher'. La première
immortalité était de pouvoir ne point mourir,
et la dernière, qui est beaucoup plus grande,
sera de ne pouvoir mourir. La première puis-
sance de la persévérance était de pouvoir ne
point abandonner le bien, et la dernière féli-
cité de la persévérance sera de ne pouvoir
abandonner le bien. S'ensuit-il que ces pre-
miers biens, ou ont été nuls, ou ont été pe-
tits, parce que ces derniers seront plus grands
et plus précieux? »
85. D'après saint Augustin , « il faut aussi
distinguer ' deux sortes de secours : l'un sans
lequel une chose ne se fait point, et l'autre
par lequel quelque chose se fait. Sans la
nourriture nous ne pouvons vivre , néan-
moins le secours de la nourriture ne fait pas
vivre celui qui veut mourir : d'où il suit que
le secours de la nourriture est un secours
sans lequel on ne peut vivre, et non par
lequel nous vivons. Mais lorsque la béati-
Stir lagràce
des deux états.
atgue meliora, ideo fuerunt illa prima vel nulla
vel parva ? August., iib. De Corrept. et grat.,
cap. ti, num. 32, pag. 768.
' Itemque ipsa adjuioria disiinguenda sunt.
Aliud est adjutormm sine quo aliquid non fit, et
aliud est adjutorium quo aliquid fit. Nam sine
alimentis non possii7nus vivere, nec tamen cum
adfuerint alimenta, eis fit ut vivat qui mori vo-
luerit. Ergo adjutorium alimentonim est sine quo
non fit, non quo fit ut vivamus. Àt vero beatitudo
quam non habet homo, cum data fuerit, continuo
fit heatus. Adjutorium est enim non solum sine
quo non fit, verum etiam quo fit propter quod
datur. Quapropter hoc adjutorium et quo fit est,
et sine quo non fit : quia et si data fuerit homini
beatitudo, continuo fit beatus; et si data nun-
quam fuerit, nunquam erit. Alimenta vero non
consequenler faciunt ut homo vivat; sed tamen
sine illis non potest vivere. Primo itaque homini,
qui in eo bono quo factus fuerat rectus acceperat
posse non peccare, posse non mori, posse ipsum
bonum non deserere, datum est adjutorium per-
severantiœ, non quo fieret ut perseveraret, sed
sine quo per liberum arbitrium perseverare non
posset. Nunc vero sanctis in regnum Dei per gra-
tiam Dei prœdestinatis non taie adjutorium per-
severantice datur, sed taie ut perseverantia ipsa
donetur; non solum ut sine isto dono perseve--
rantes esse non possint, verum etiam ut per hoc
donum non nisi persévérantes sint. August., Iib.
Be Corrept. et grat., cap. xu, num. 34, pag. 769.
682
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
tilde est donnée à l'homme qui ne l'avait
pas, il devient aussitôt heureux, parce que
ce n'est pas seulement un secours sans le-
quel la chose ne se fait pas , mais aussi par
lequel elle se fait. C'est pourquoi ce secours
est tel que par lui l'efiet pour lequel il est
donné se produit, et que sans lui il ne se
produit point ; étant certain qu'aussitôt que
la béatitude est donnée à l'homme, il devient
heureux, et que, si elle ne lui est jamais don-
née, il ne sera jamais heureux. Mais la uoui-
riture ne fait pas que l'homme vive , quoique
sans elle il ne puisse vivre. Ainsi, le pre-
mier homme, qui dans le bien de sa créa-
tion , où il était juste et droit , avait la grâce
de pouvoir ne point pécher , de pouvoir ne
point mourir, et ne point abandonner ce
bien, avait reçu le secours de la persévé-
rance, non par lequel il persévérât, mais
sans lequel il ne pouvait persévérer par son
libre arbitre. Mais aujourd'hui Dieu ne donne
pas seulement ce premier secours de persé-
vérance aux saints qui sont prédestinés par
la grâce pour le royaume de Dieu ; le se-
cours que Dieu leur donne est tel qu'il leur
donne la persévérance même ; en sorte que
non-seulement ils ne puissent persévérer
sans ce don , mais que par ce don ils persé-
vèi'ent infailliblement : car le Fils de Dieu
jran. XV, 1 n'a pas dit seulement' : Sans moi, vous ne
pouvez rien faire ; mais il a dit aussi : Ce n'est
pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui
vous ai choisis et qui vous ai établis, afin que
vous alliez et que vous apportiez du fruit, et
que le fruit que vous apporteriez sicbsiste et de-
meure. Il montre par ces paroles qu'il ne leur
a pas donné seulement la justice, mais la
persévérance dans la justice. En effet, com-
me Jésus-Christ les établit pour aller et
pour apporter du fruit, et du fruit qui sub-
siste et qui demeure , qui oserait dire que
peut-être ce fruit ne demeurera pas , puis- R»™' »'.
que Dieu ne se repent point de ses dons et de sa
vocation? mais Ja vocation est de ceux qui
sont appelés suivant le décret. »
« Jésus-Christ donc priant pour eux, afin
que leur foi ne défaille point , il est certain
que leur foi ne défaillera pas jusqu'à la fin ;
qu'ainsi elle persévérera jusqu'à la fin, et
que la fin de cette vie la trouvera toujours
ferme et subsistante. Et certes, il était be-
soin nécessairement d'une plus grande li-
berté contre tant et de si grandes tentations
qui n'ont point été dans le paradis, et il fal-
lait qu'elle fût soutenue et fortifiée par le
don de persévérance , afin de vaincre ce
monde avec tous ses attraits , ses menaces
et ses tromperies. Les martyres que les saints
ont soufferts prouvent cette vérité. Adam,
sans avoir personne qui le menaçât, usant
au contraire de son libre arbitre contre le
commandement de Dieu qui le menaçait, n'a
point persévéré dans ce grand bonheur avec
une si grande facilité de ne point pécher :
tandis que les martyrs sont demem-és fermes
dans la foi, dans le temps que le monde
non-seulement les menaçait, mais qu'il les
tourmentait, afin d'ébranler leur fermeté ; ce
qui est d'autant plus étrange qu'Adam voyait
les biens présents qu'il perdait, et que ceux-ci
ne voyaient point les biens à venir qu'ils re-
cevraient. D'où est venue cette constance,
sinon du don de celui duquel ils ont obtenu
la miséricorde d'être fidèles , de qui ils ont
1 JVoîi solwin enim dixit : Sine me nihil potestis
faoere, veruni etiam dixit : Non vos me elegistis,
sed ego elegi vos, et posui vos, ut eatis et fructum
afîeratis, et fructus vester maneat. Q^nb^l■s verbis
eis non solum justitiam, verum etiam in illa per-
severantiam se dédisse monslravit. Chrislo enim
sic eos ponente ut eant, et fructum altérant, et
fructus eorum maneat, quis audeat dicere : Kon
manebit? Quis audeat dicere : Forsitan non ma-
nebit? Sine pœniteutia suut enim dona et voca-
tio Dei. Sed vocatio eorum qui secundum propo-
situm vocali sunt, pro his igitur interpellante
Christo ne deficiat fides eorum, sine dubio non de-
ficiet usque in fmem : ac per hocpersevcrahit us-
que in finem, nec eam nisi manentem vitœ hujus
inceniet finis. Major qaippe libertas est necessaria
advers^ls tôt et tantas tentationes,quœinparadiso
non fuerunt, dono perseverantiai munita atque
firmata, ut cum omnibus amoribus, terroribus,
erroribus suis vincatur hicmundus: hoc sancto-
rum martyria docuerunt. Denique ille et terrenle
nullo et insuper contra Dei terrentis imperium
libero usus arbitrio, non stetit inlanla felicitate,
in tanta non peccandi faciUtate : isli autem., non
dico lerrente mundo, sed sœviente ne starent, ste-
terunt in fuie: cum videret ille bona prœsentia
quœ fuerat relicturus, isti fuerant quœ accepturi
fuerant non vidèrent. Unde hoc nisi donante illo,
a quo miser icordiam consecuU sunt ul fidèles es-
sent, a quo acceperunt spirit^im,nontimoris, quo
persequentibus cédèrent, sed virtutis et charitalis
et continentiœ, quo cuncta minantia, cuncta in-
vitanlia, cuncta cruciantia superarenl ? Illi ergo
sine peccato ullo data est, cum qua condilit'S est,
voluntas libéra et eam fecit servire peccato :
horum vero cum fuisset voluntas serva pecca-
ti, iibcrata est per illum qui dixit : Si vos Fi-
lius liberaverit, tuno vere liberi eritis. August,
lib. De Corrept. et grat., cap. xn, num. 3i, pag.
G69.
[iv» ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
683
reçu l'esprit non de crainte par lequel ils cé-
deraient aux persécuteurs, mais de force,
d'amour et de pureté , par lequel ils triom-
phent de toutes les menaces, de toutes les
caresses et de tous les tourments ? Dieu a
donné à Adam , qui n'avait aucun péché , la
volonté libre avec laquelle il a été créé , et
Adam l'a fait servir au péché ; au lieu que
la volonté des autres ayant été esclave du
péché , elle a été délivrée par celui qui a
dit : Vous serez vraiment libres lorsque le Fils
vous délivrera, n
« Ils reçoivent une si grande liberté par cette
grâce , qu'encore qu'ils combattent ' contre
les passions des péchés , tandis qu'ils vivent
en ce monde, et qu'il g'en glisse toujom-s
quelques-uns dans le ar cœur qui les obligent
de dire tous les jours : Pardonnez-nous nos
offenses; néanmoins ils ne servent plus au
péché qiii donne la mort, dont l'apôtre saint
Jean dit : Il y a un péché qui donne la mort,
pour lequel je ne dis pas que l'on prie. Ils ne
sont plus esclaves de ce péché, non qu'ils
aient été libres par leur première condition,
comme Adam , mais parce qu'ils ont été dé-
livrés par la grâce de Dieu et par le second
Adam , et que par cette délivrance ils ont le
libre arbitre qui les rend serviteurs de Dieu
et non captifs du démon. Car ayant été déli-
vrés du péché , ils sont devenus esclaves de la
justice, dans laquelle ils persévéreront jus-
qu'à la fin par le don de persévérance qu'ils
reçoivent de celui qui les a connus , qui les a
appelés selon son décret , les a justifiés et
Rom, IT, 19
et 20.
glorifiés : parce que les choses qpi'il leur
avait promises étaient déjà, cpioique à venir,
faites par celui aux promesses duquel Abra- Hom, iv,
ham crut, et à qui cette croyance fut impu-
tée à justice ; car ayant une foi entière , il
rendit gloire à Dieu en reconnaissant , selon
l'Éci'iture, que Dieu pouvait faire ce qu'il
avait promis. C'est donc lui qui les rend
bons , afin qu'ils fassent de bonnes œuvres.
n n'a pas promis ces enfants à Abraham,
parce qu'il a prévu qu'ils seraient bons par
eux-mêmes, puisque, s'il était ainsi, il n'au-
rait pas promis ce qui dépendrait de lui,
mais ce qui dépendrait d'eux. Or, Abraham
n'a pas cru de la sorte ; mais il n'a point été
affaibli dans la foi, rendant gloire à Dieu , et
croyant fermement que Dieu pouvait faire les
choses qu'il avait promises. L'Ecriture ne dit
pas que Dieu peut promettre ce qu'il a prévu,
ou qu'il peut vérifier ce qu'il a prédit , ou
qu'il peut prévoir ce qu'il a promis , mais
elle dit : Il peut faire ce qu'il a promis. C'est
donc celui qui les rend bons qui les fait per-
sévérer dans le bien ; mais ceux qui tombent
et qui périssent n'ont pas été du nombre des
prédestinés. Encore donc que l'Apôtre par-
lât de tous les baptisés et de tous ceux qui
vivent avec piété, en disant : Qui êtes-vous, nom. iit,«.
qui jugez le serviteur d' autrui? C'est pour son
maître qu'il demeure ferme ou qu'il tombe. Il
parle aussitôt après en particulier des pré-
destinés, et dit : Mais il demeure ferme; et
de peur qu'il ne s'attribue cette force, il
ajoute : Car Dieupeut l'affermir. Celui-là donc
1 Et accipiunt tantam per istam gratiam li-
bertatem, ut qiiamvis, quamdiu hic vivuni, pug-
nent contra concupiscentias peccatorum, eisque
nonmilla siibrepant ,propter quœ dicant quoiidie:
Dimitte nobis débita nostra non tamen %Mra ser-
viant peccato quod est ad mortem, de quo dicit
Joannes apostolus: Est peccatum ad mortem, non
pro illo dico ut roget. De quo peccato fquoniam
non expressum est) possimt multa et diversa sen-
tiri: ego autem dico id esse peccatum, fide m, quœ
per dilectionem operatur, deserere usque ad mor-
tem. Huic peccato ultra non serviunt, non prima
condilione, sicut ille, liberi, sed per secundum
Adam Dei gratia liberati , et ista liberatione ha-
bentes liberum arbitrium quo serviant Deo, non
quo captiventur a diabolo. Liberati enim a pec-
cato servi facti sunt justitiœ, m qua stabunt usque
in linem douante sibi illo perseverantiam, qui
eos prœscivit, et prœdestinavit, et secundum pro-
positum vocavil, et justificavit et gloriftcavit ;
quoniam illa quœ de his promisit, etiam futura
jam fecit; cui promittenti credidit Abraham, et
deputatum est illi ad justitiam. Dédit enim gloriam
Deo, plenissime oredens, sicM( scriptum est: Quia,
quœ promisit, potens est et facere. Ipse ergo illos
bonos facit, ut bona faciant. Neque enim prop-
terea eos promisit Abrahœ, quia prœscivit a se
ipsis bonos fuluros. Nam si ita est, non suum,
sed eorum est quod promisit. Non autem sic cre~
didit Abraham , sed non est infirmatus in tide ,
dans gloriam Deo et plenissime credens, quia, quae
promisit, potens est et facere. Non ait: Quœ prœs-
civit, potens est promittere, aut, quœ prœdixit,
potens est ostendere, aut, quœ promisit, potens est
prœscire ; sed : Quœ promisit , potens est et facere.
Ipse igitur eos facit perseverare in bono, qui fa-
cit bonos. Qui autem cadunt et pereunt, in pros-
destinatorum numéro non fuerunt. Quamvis ergo
de omnibus regeneratis et pie viventibus loquere-
tur Apostolus, dicens : Tu quis es qui.judices alie-
num servum? Suo Domino stat aut cadit. Continua
tamen respexit ad prœdestinatos, et ait: Stabit
autem ; et ne hoc sibi arrogarent , potens est enim
Dans, inquit, statuera eum. Ipse itaque dat perse-
verantiam, qui staluere potens est eos qui stant,
ut perseverantissime stent, vel restituere qui ce-
ciderunt, Dominus enim erigit elisos. August., lib.
De Corrept. et grat., num. 35 et 36, pag. 770.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
684
donne la persévérance qui peut affermir
ceux qui sont debout , afin qu'ils continuent
à demeurer toujours debout, ou qui peut
rétablir ceux qui sont tombés. »
«Le premier bomme ' n'avait pas reçu ce
don de Dieu , c'est-à-dire la persévérance
dans le bien, mais il était laissé à son libre
arbitre de persévérer ou de ne pas persévé-
rer. La l'aison en est que sa volonté avait été
créée sans péché ; qu'il n'avait de lui-raéme
aucun mouvement de concupiscence qui lui
résistât; et que sa volonté avait de telles
forces qu'il était juste de commettre à une si
grande bonté, et à une si grande facilité de
bien vivre, la liberté de persévérer. Dieu
prévoyant cependant ce que l'homme devait
faire injustement, mais le prévoyant sans l'y
contraindre, et sachant en même temps ce
qu'il ferait de lui selon les règles de sa jus-
tice. Mais maintenant que cette grande li-
berté, qui était en Adam, est perdue en pu-
nition de son péché, il est demeuré dans
l'homme une si grande faiblesse qu'il a été
nécessaire qu'ehe fût secourue par des dons
encore plus grands; il a plu à Dieu d'agir
ainsi, afin d'étoufier puissamment l'orgueil
de la présomption humaine , et empêcher
icor. 1, 29. que nulle chair, c'est-à-dire, nul homme ne
pût se glorifier devant lui. De quoi, en effet,
l'homme pourrait-il se glorifier devant lui ,
sinon de ses mérites? Il a pu les avoir,
mais il les a perdus par le même libre ar"
bitre par lequel il a pu les avoir : ce qui
fait qu'il ne reste que la grâce du Libéra-
teur à ceux qui ont besoin d'être délivrés.
C'est ainsi que nul homme ne se glorifie
devant Dieu : car les pécheurs ne se glo-
rifient pas, n'ayant rien de quoi ils puissent
se glorifier. Les justes ne se glorifient pas
non plus, parce que c'est de Dieu qu'ils ont
sujet de se glorifier , et qu'ils n'ont point
d'autre gloire que celui à qui ils disent : Vous
êtes ma gloire, et c'est vous qui élevez ma tête.
Ainsi l'Écriture a marqué tous les hommes
lorsqu'elle a dit : Afin que nul homme ne se
glorifie devant lui. Mais eUe n'a marqué que
les justes, lorsqu'eUe a dit : Que celui qui se
glorifie, se glorifie dans le Seigneur :ce qui mon-
tre que Dieu n'a pas voulu que ses saints se
glorifiassent en lem's propres forces, mais en
lui, de la persévérance même ; puisque non-
seulement il leur donne un secours tel qu'il
a donné au premier homme, sans lequel ils
ne pouvaient persévérer, quand ils le vou-
draient , mais qui produit même le vouloir
en eux : car ils ne persévéreront pas ,
s'ils ne le peuvent et ne le veulent, et à
cause de cela, la possibilité et la volonté
même de persévérer leui- sont données
par la libéralité de la grâce divine; et
le Saint-Esprit ^ embrasse tellement leur
volonté , que ce qui est cause qu'ils peuvent
I Cor. I, 89
II Co-. J, n,
1 Ut ergo non acciperet hoc donum Dei, id est,
in bono perseverantiam, priinus hoino.sedperse-
verare vel non perseverare in ejus relinqiieretur
arbitrio, taies vtres liabebat ejus vokmtas, quœ
sine ullo fueral institula pcccato , et ni/iil illi ex
seipso concapiscentialiter resistebat, ut digne
tantœ bonitali et tantœ bene Vivendi facitilati
perseverandi cfimmitleretur arbitrium ; Deo qui-
dem prœsciente quid esset facturus injuste , prœs-
ciente tamen, non ad hoc cogente ; sed simul
sciente quid de iUo ipse faceret juste. Nunc vero
poslea quam est illa magna peccati merito amissa
libertas, etiam majoribus donis adjuvanda re-
mansil infirmitas. Flacuil enim Deo,quo maxime
humanœ superbiam prœsumplionis exslingueret ,
ut non glorieturomnis oaro coram ipso, id est, om-
nis homo. Unde auleni non glorielur caro coram
ipsonisi de meritis suis? quœ quidem potidt ha~
bere, sed perdidit, et per quod habere potuit, per
hoc perdidit, hoc est, per liberum arbitriunv :
pr opter quod non restât liberandis nisi gratta li-
beranlis. Ita ergo non gloriatur omnis caro co-
ram ipso. Non enim gloriantur injusti, qui non
habentunde; nec justi, quia ex ipso habent unde,
nec habent gloriamsuam, nisi ipsum oui dicwnt :
Gloria mea et exaltans caput meum. Ac per hoc ad
omnem hominem pertinet quod scriptum est : Ut
non glorietur omnis caro coram' ipso; ad justos
autem illud : Qui gloriatur, in Domino glorietur.
Hoc enim Àposlolus apertissime oslendit, qui, cum
dixisset : Ut non glorietur omnis caro coram ipso,
ne putarent sancti sine gloria se remansisse, mox
addidit : Ex ipso autem vos estis in Jesu Cbristo,
qui factus est nobis sapientia a Deo, et justitia, et
sanctificatio, et redemptio, iit , quemadmodum
scriptum est : Qui gloriatur, in Domino glorietur.
Hinc est quod in hoc loco miseriarum, ubi tenta-
tio est vila humana super terram : Virtus in iu-
firmitate perficitur; quœ virtus nisi, ut qui glo-
riatur, in Domino glorietur? Àc per hoc nec de ip-
sa perseuerantia boni voluit Deus sanctos suos
in viribus suis, sed de ipso gloriari : qui eis non
solum dat adjutorium quale primo homini dédit,
sine quo nonpossint perseverare si velint; sedin
eis etiam operatur et velle, ut quoniam non per-
severabunt, nisi etpossint et velint, perseverandi
eis et possibilitas et volunlas divinœ gratiœ lar-
gitate donetur. August. , lib. De Corrept. et grat.,
cap. XII, num. 37 et 38, pag. 770 et 771.
2 Tanquam quippe Spiritu Sancto accenditur
volunlas eorum, ut ideo possint, quia sic lolunt,.
ideo sic velint, quia Deus operatur ut velint. Nam
si in tantainfirmilate vitce hujus (in qua lamen
infirmitale propter elationem reprimendam per-
[IV' ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
agir, c'est qu'ils le veulent ainsi, et que ce
qui est cause qu'ils le veulent ainsi, c'est que
Dieu opère en eux qu'ils le veulent. Étant
certain que, si dans la faiblesse de cette vie,
nécessaire toutefois pour réprimer l'orgueil
et perfectionner la vertu, on leur laissait leur
volonté, en sorte qu'ils demeurassent, s'ils
voulaient, dans le secours de Dieu, sans le-
quel ils ne pourraient persévérer, et que
Dieu n'opérât point dans eux le vouloir, la
volonté succomberait parmi tant et de si
grandes tentations; et ils ne pourraient persé-
vérer , parce que, défaillants par leur fai-
blesse , ils ne voudraient pas, ou du moins
ils ne voudraient pas assez fortement pour le
pouvoir. Il a donc été pourvu à l'infirmité
de la volonté humaine, afm que parla grâce
de Dieu elle fût poussée indéclinablement et
insurmontablement, et qu'ainsi, quelque fai-
ble qu'elle fût, elle ne défaillît point, et ne
fût point vaincu par quelque adversité. Il est
vrai que Dieu a laissé le premier homme
dans sa liberté, lorsqu'il était très-fort, et
lui a permis de faire ce qu'il voulait ; mais
pour les hommes qui sont faibles depuis le
péché d'Adam, il leur a réservé le don de
sa grâce, par lequel ils veulent le bien très-
685
invinciblement, et ne veulent pas très-invin-
ciblement l'abandonner. »
La différence de la grâce des deux états
était insupportable aux semi-pélagiens. « Ils
ne peuvent souffrir, dit Hilaire ' à saint Au-
gustin, qu'on fasse consister la différence de
la grâce d'Adam, d'avec celle de tous ses
descendants, en ce que, comme dit votre
sainteté, le premier homme avait reçu le se-
cours de la persévérance , non par lequel il per-
sévérât , mais sans lequel il ne pouvait persévé-
rer ; au lieu que , maintenant, Dieu ne donne
pas seulement un tel secours de persévérance
aux saints qui sont prédestinés par la grâce de
Dieu pour son royaume, mais le secours que
Dieu leur donne est tel qu'il leur donne la
persévérance même, en sorte que non-seule-
ment ils ne puissent persévérer sans ce don,
mais que par ce don ils persévèrent in-
failliblement. Ils sont tellement choqués de
ces paroles de votre sainteté qu'ils ne crai-
gnent point de dire qu'elles jettent les hom-
mes dans une espèce de désespoir : car, di-
sent-ils, s'il est vrai que la grâce [d'Adam
était de telle nature, qu'il pouvait demeurer
ou ne pas demeurer dans la justice, celle de
l'état présent applique au contraire les saints
fici virtutem oportebat,) ipsis relinqueretur vo-
luntas sua, ut in adjutorio Bei, sine quo perseve-
rare non passent, manerent si vellent, nec Deus
in eis operaretiir ut vellent, inter tôt et tantas
tentationes infirmitate sua voluntas ipsa suc-
cumberet, et ideo perseverare non passent, quia
déficientes infirmitate nec vellent, aut non ita
vellent infirmitate valunlatis ut passent. Subven-
tum est igitur infirmilati voluntatis humanœ, ut
divina gratia indeclinabiliter et insuperabiliter
ageretur, et ideo , quamvis infirma, non tamen
deficeret neque adversitate aliqua vinceretur. Ita
factwn est ut voluntas hominis invalida et imbe-
cillis in bono adhuc parvo perseveraret, per vir-
tutem Dei. Cum voluntas primi hominis fortis et
sanain bono ampliore nonperseveraverit,habens
virtutem liberi arbitrii; quamvis non de futuro
adjutorio Dei, sine qua non posset perseverare si
vellet, non tamen tali qua in illa Deus operatur
utvellet. Fortissimo quippe dimisit atque permi-
sit facere quod vellet; infirmis servavit, ut ipso
danante invictissime quod banum est vellent et
hoc deserere invictissime nallent. August., lib. De
Correp. et grat., cap. xir, num. 38, pag. 771 et
772.
' Deinde moleste ferunt, ita dividigratiain, quœ
vel tune prima homini data est, vel nunc omni-
bus datur, ut ille acoeperit perseverautiam, uon
qua fîeret ut perseveraret, sed sine qua per liberum
arbitrium perseverare non posset ; nunc vero sauo-
tis in regnum per gratiam prcedestinatis non taie
adjutorium perseverantiae detur, sed taie ut eis
perseverantia ipsa donetur, non solum ut sine ista
dono persévérantes esse non possint, verum etiam
ut per hoc donum nonnisi persévérantes sint. Ris
verbis sanctitatis tuœ ita m.oventur, ut dicant
quamdam desperationem> hominibus exhiberi. Si
enim, aiunt : Ita Adam adjutus est ut et slai-e
posset in justitia, et a justitia declinare, et nunc
ita sancti juvantur, ut declinare non possint, si
quidem eam acceperunt volendi perseverantiam,
ut aliud velle non passint: vel sic quidam dese-
runtur, ul aut nec accédant, aut, si accesserint, et
recédant; ad illam voluntatem perlinuisse dicunt
exhortationis vel comminationis utilitatem, quœ
et persistendi et desistendi obtinebat liberam pa-
testatem; non ad hanc, cui nalle justitiam inevi-
tabili necessitate conjunctum est, prœter illos,
qui sic concreati siint his , qui cum universa
massa damnatisunt, ut exciperentiir per gratiam
liberandi. Unde in hoc solo volunt a primo ho-
mine omnium distare naturam, ut illum integris
viribus voluntatis juvaret gratia volentem, sine
qua perseverare non paterat ; hos autem aniissis
et perditis viribus credentes tantum, non solum
erigat prostratos , verum etiam suffulciat am-
bulantes. Cceterum quidquidlibet donatum sit
prœdeslinatis, id passe et amitti et retineri pro-
pria voluntate contendimt. Quod tune falsum es-
set, si verum putarent eam quosdam perseveran-
tiam percepisse, wt nisi persévérantes esse non
possi7it. Hilar., Eplst. ad sanct. August., num. 6,
tom. II, pag. 827 et 828.
686
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
au bien d'une manière qui ne leur permet
pas de s'en séparer, et leur en inspire une
volonté si ferme et si persévérante, qu'ils ne
sauraientvouloir autre chose, et que pendant
que cette grâce est donnée aux uns, les au-
tres sont tellement abandonnés, qu'ils n'en-
trent point du tout dans la voie du salut, ou
qu'ils n'y entrent que pour un temps , à
quoi bon toutes ces exhortations et ces me-
naces qu'on nous fait? On aurait pu les em-
ployer utilement pendant que la volonté de
l'homme avait une entière liberté de de-
meurer dans le bien ou de l'abandonner.
Mais quel fruit en peut-on attendre présen-
tement qu'elle se trouve engagée dans le
mal par une nécessité inévitable à tous les
hommes, à la réserve de ceux que le bien-
fait de la grâce sépare et délivre de la dam-
nation qui enveloppe tout le reste de la
masse de péché, à laquelle ceux qui sont
choisis appartiennent par leur naissance
aussi bien que les autres ? Aussi ils ne recon-
naissent point d'autre différence entre l'état
de la nature avant le péché, et celui où. elle
est présentement, sinon qu'au lieu que le pre-
mier homme se portant au bien par les forces
de sa volonté, qui étaient encore en leur
entier, était aidé par la grâce, sans laquelle
il n'aurait pu persévérer ; tandis que cette
grâce nous trouvant présentement sans aucu-
ne force à la vérité pournous porter au bien,
mais dans an commencement de foi, nous re-
lève et nous aide à marcher. Mais ils soutien-
nent que, quelque secours que Dieu donne
aux prédestinés, il dépend toujours d'eux de
s'en servir ou de le rejeter, selon qu'il leur
plaît; ce qui ne se pourrait plus dire, s'il
était vrai que la grâce de la persévérance,
qui est donnée à quelques-uns, fut telle que
No; boDDH
pensées Tiea.
Dent Qu.
Luc. xv-,n
ceux qui l'auraient reçue ne pussent man-
quer de persévérer ? »
86. Voici comment le saint Docteur montre
que nos pensées viennent de Dieu : « Nous
lisons, dit-il, dans l'Évangile, que l'enfant
prodigue accablé de la misère d'une dure
servitude et rentrant en lui-même, com-
mença à dire : Il faut que je me lève et que
j'aille trouver mon père \ Mais il n'aurait pas
eu cette bonne pensée, si le Père céleste, -
qui est très-miséricordieux, ne la lui avait \
inspirée dans le secret. Nous ^ croyons, nous
parlons et nous faisons tout en formant des
pensées dans notre esprit ; mais pour ce qui
regarde la voie de la piété et le vrai culte de
Dieu, nous ne sommes 2Ms capables de former icor. 111,5
une seule pensée de nous-mêmes comme de nous-
mêmes; c'est Dieu qui nous en rend capables.
Car, comme dit saint Ambroise, notre cœur
et nos pensées ne sont point en notre pou-
voir ; et qui est assez heureux pour tenir son
cœur toujours élevé àDieu? Comment pour-
rions-nous le faire sans l'assistance divine ?
Nous ne le pourrions, sans doute, en aucune
sorte. C'est pourquoi, ajoute le même Père,
l'Écriture dit : Heureux est l'homme qui, met-
tant tout son appui en vous. Seigneur, tient
toujours son cœur élevé, est rempli du désir
d'aller à vous. Saint Ambroise parlait de la
sorte, non-seulement parce qu'il avait vu
cette vérité dans l'Écriture , mais encore
parce qu'il l'éprouvait dans lui-même, com-
me nous devons le penser d'un homme d'une
si haute vertu. Ainsi , ce que l'on nous dit
dans la célébration des mystères , d'avoir
nos cœurs élevés vers le Seigneur, est un don
du même Seigneur. C'est pourquoi, le prê-
tre avertissant ensuite les fidèles de rendre
grâces à Dieu de ce don, ils lui répondent
Lxxxni, 6.
* Miseria durœ servitutis attritus , reversusque
in semetipsum dixit : Surgam et ibo ad patrem
ineum. Quam cogitationem bonam quando habe-
ret, nisi et ipsam illi in ociilto Pater misericor-
dissimus inspirasset. August., Epist. 186 ad Pau-
linwn, nuin. S, pag. 665.
^ CogUantes credimus, cogitantes loqinmur,
cogitantes aginius quidquid agimus : quod autein
attlnel ad pietatis viam et verum Dei cultum, non
sunms idunei cogitare aliquid tanquam ex nobis
vietipsis, sed sufflcientia nostrO' ex Deo est. Noa
eniin est iu poteslate nostra cor uostrum et nostrfe
cogitationes; unde idem qui hoc ait, item dicit
Ambrosius : Quis autem tam beatus qui iu corde
Buo semper asceiidal ? Sed lioosiDe divino auxilio
qui fleri potest? nulle profecto modo. Denique, in-
quit, supra eadem Scriptura dicit: Beatus vir cujus
est auxilium ejusabs te, Domine, ascensusin corde
ejus. Hoc iitique ut diceret, non solum in litteris
sacris legebat, sed sicut de illo viro sine dwbita-
tione credendum est, etiam in corde sua sentiebat
Ambrosius. Quodergo in sacramentis fideUum di-
citur, ut sursum cor habeamus ad Dominum, nm-
mis est Domini: de quo munere ipsi Domino Deo
nostro gratias agere, a sacerdote, posl hanc vo-
cem, qnibus hoc dicitur admonentvr, et dignum
ac justum esse respondent. Cum enim non sit in
nostra potestate cor nostrum, sed diuino suble-
vetur auxilio, ut ascendat, et quce sursum sunl
sapiat, ubi Christus est in dexteraDei sedens, non
quœ super terram, eux de hac tanta re agendœ
suntgratiœ, nisi hoc facienti Domino Deo nostro,
qui nos per taie beneficium libéra ndo de profundo
hujus mundi elegit, et prœdestinacit ante consti-
tutionem mundi? August,, lib. De Donc pers.,
num. 33, pag. S39.
[IV" ET y= SIÈCLES.]
que cela est très-juste et très-raisonnable ; car
notre cœur n'étant pas en notre pouvoir,
mais étant soutenu par l'assistance divine,
afin qu'il s'élève vers le ciel, et qu'il goûte
les- choses d'en haut, où Jésus-Christ est as-
sis à la droite de Dieu son Père, et non pas
les choses basses et terrestres , à qui doit-
on rendre grâces d'un si grand bien, sinon
à Notre-Seigneur et à notre Dieu, qui le fait
dans nous, et qui, nous délivrant par une
faveur si rare des abîmes profonds de ce
siècle, nous a choisis et nous a prédestinés
avant la création du monde ? »
87. Les pélagiens accusaient les catholi-
ques d'enseigner que 'Dieu inspire à l'hom-
me malgré lui le désir du bien même impar-
fait. Saint Augustin réfute ainsi cette accu-
sation : « Ces hérétiques, voulant peut-être
laisser quelque lieu à la grâce, croient que
sans elle l'homme peut avoir le désir du
bien, mais d'un bien seulement imparfait, et
pour ce qui est du bien parfait, non-seule-
ment il ne le désire plus aisément avec elle,
mais il ne peut en aucune sorte le désirer
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
687
sans elle. S'ils sont dans ce sentiment, ils ne
laissent pas encore de soutenir que la grâce
est donnée selon nos mérites. Ce que Pe-
lage condamna dans l'Orient, craignant lui-
même d'être condamné, comme il paraît
par les actes de ce concile. Car si nous com-
mençons nous-mêmes à désirer le bien sans
la grâce de Dieu, ce commencement même
sera un mérite auquel le secours de la grâce
de Dieu sera joint ensuite comme lui étant
dû légitimement ; ainsi la grâce de Dieu ne
nous sera point donnée gratuitement, mais
parce que nous l'aurons méritée. Jésus-Christ
ne dit pas : Vous pouvez difficilement faire
quelque chose sans moi, mais vous ne pouvez
rien faire sans moi. Jésus-Christ ne dit pas
non plus : Vous ne pouvez rien achever sans
moi, mais vous ne pouvez rien faire, n
88. Il est écrit dans les Proverbes, disaient
les peiagiens : L est a l homme a préparer son ^g^^^^^"^!'
cœur et la réponse de la langue vient du Sei-
gneur. « Mais ils se trompent, dit saint Au-
gustin ^ et ils ne prennent pas bien le sens
de ce passage, en ce qu'ils pensent que de
1 Hoc enim nabis objiciendum putanmt, quod
invito et reluctanti homiai Deum dicamus inspi-
rare, non qtianliciimque honi, sedet ipsiusimper-
feeti cupiditatem. Fortassis ergo ipsi eo modo
saltem servant locum gratiœ, ut sine illa putent
hominem passe habere boni, sed imperfecti cupi-
ditatem; perfecti autem non facilius per illam
posse, sed nisi per illam omnino non posse. Ve-
rum et sic gratiam Dei dicunt secundum mérita
nostra dari : quod in Oriente ecclesiasticis gesiis
damnari timendo damnavit. Si enimsineDei gra-
tia per nos incipit cupiditas boni; ipsum cœptuni
erit meritum, cui tanquam ex debito gratiœ ve-
niat adjutorium; ac sic gratia Dei non gratis do-
nabitur, sed secundum meritum nostrum dabitur.
Dominus autem, ut responderet futuro Pelagio,
non ait: Sine me difficile potestis aliquid facere:
sed ait: Sine me nihil potestis facere. Et ut res-
ponderet futitris etiam istis, in eadem' ipsa evan-
gelica sententia non ait : Sine me nihil potestis
perficere ; sed: facere. August., lib. II Contra duas
Epistolas Pelag.,naai. IS, pag. 443.
2 Sed nimirum quod scriptum est : Ilomiuis est
prseparare cor, et a Domino responsio linguœ, non
bene intelligendo faUuntur, ut existiment corprœ-
parare, lioc est, bonum inchoare, sine adjutorio
gratiœ Dei ad hominem pertinere. Àbsitut sic in-
telligant filiipromissionis, tanquam cum audie-
rint Dominum dicentem : Sine me nihil potestis fa-
cere, quasi convincant eum dicentes .' Ecce sine te
possumus cor prœparare : aut cum audierent a
Paulo apostolo : Non quia idonei sumus cogitare
aliquid quasi ex nobis metipsis, sed sufflcientia
nostra ex Deo est; tanquam et ipsum convincant
dicentes : Ecce idonei sumus ex nobis metipsis prœ-
parare cor, ac per hoc et boni aliquid cogitare.
Quis enim potest sine bona cogiiatione ad bonum
cor prœparare? absil ut sic intelUgant, nisi su-
perbi siii arbitra defensores et fldei cathoiicœ de-
sertores. Ideo quippe scriptum est: Hominis est
prseparare cor, et a Domino responsio linguse ; quia
homo prœparat cor, non tamen sine adjutorio Dei,
qui sic langit cor, ut homo prœpararet cor. In
responsione autem linguœ, id est, ineo quodprœ-
2)arato cordi lingua divina respondet, nihil operis
habet homo, sed totuni est a Domino Deo. Nam
slcut dictum est : Hominis est prœparare cor, et a
Domino responsio linguœ, ita etiam dictum est :
Aperi os, et adimplebo illud. Quamvis enim, nisi
adjuvante illo , sine quo nihil possumus facere,
os non possumus aperire, tamen nos aperimus
illius adjumento et opère nostro : implel autem
illud Dominus sine opère nostro. Nam quid est
prœparare cor, et os aperire, nisi voluntatem pa-
rare? Et tamen in eisdem litteris legitur: Prœpa-
ratur voluntas a Domino : et labia mea aperies, et
os meum annuntiabit laudem tuam. Ecce Deus ad-
monet, ut prœ.paremus voluntatem in eo quod
legimus : Hominis est prœparare cor. Et tamen ut
hoc faciat homo, adjuvat Deus , quia preparatur
voluntas a Domino. Et aperi os, ita dicit jubendo,
ut nemo possit nisi ipse id faciat adjuvando, cui
dicitur: Labia mea aperies. Numquid istorumali-
qui ita desipiunt, ut aliud os, aliud labia esse
contendant, et mirabili vanitale hominem dicant
os aperire , labia hominis Deum ? Qxianquam
Deus illos et ab hac absurditate compescit, ubi ad
Moisem famulum suum dicit : Ego aperiam os
tuum, et inslruam te quœ debeas loqui. In sen-
tentia ergo illu ubi dicitur : Aperi os, et adimplebo
illud, quasi %mum eorum videiur ad hominem
pertinere, alterum ad Deum : in hac autem ubi
688
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
préparer le cœur, c'est-à-dire de commen-
cer le bien ' sans le secours de la grâce de
Dieu, cela appartient à l'homme. A Dieu ne
plaise que les enfants de la promesse l'en-
tendent ainsi, comme l'ayant ouï dire anSei-
jonD. XV, 6. gneur : Sans moi vous ne pouvez rien faire.n Ils
prétendaient le convaincre en disant : Nous
pouvons préparer notre cœur sans vous; ou
si ayant ouï dire ces paroles de l'Apôtre :
II coi. m, Nous ne sommes pas capables de penser quelque
chose de nous-mêmes, mais c'est Dieu qui nous en
rend capables, ils pouvaient aussi le convaincre
du contraire en disant : Nous sommes capa-
bles de nous-mêmes de préparer notre cœur,
et par conséquent d'avoir quelques bonnes
pensées. Qui peut en effet préparer son cœur
pour le bien sans une bonne pensée? « ADieu
ne plaise, répond saint Augustin, qu'il y en
ait qui l'entendent ainsi , sinon les superbes
défenseurs de leur libre arbitre et les déser-
teurs de la foi catholique? Car il est écrit que
c'est à l'homme de préparer son cœur, et que la
réponse de la langue vient de Dieu ; parce que
l'homme prépare son cœur, mais non pas
sans le secours de Dieu qui touche le cœm' de
telle sorte que l'homme le prépare. Mais dans
la réponse de la langue , c'est-à-dire en ce
quelalangTie divine répond au cœur qui est
préparé, il n'y a rien de l'homme, tout pro-
vient de Dieu. Car ainsi qu'il est dit : C'est
*Psai. I.S5S, à l'homme de préparer son cœur, et la ré-
ponse de la langue vient du Seigneur : de même
il est dit : Ouvrez votre bouche, et je la rem-
plirai. En effet, quoique nous ne puissions
ouvrir la bouche sans le secours de celui
sans lequel nous ne pouvons rien faire ,
toutefois nous l'ouvrons par son secours et
par notre opération; mais Je Seigneur la
remplit sans notre opération : car qu'est-ce
que préparer son cœur et ouvrir sa bouche,
sinon préparer sa volonté ? Cependant nous
lisons dans les mêmes Écritures : La volonté
est préparée par le Seigneur ; et encore : Vous
Pro?. viir.
Psal. 1., n.
ouvrirez mes lèvres, et ma bouche annoncera
votre louange. Ainsi, le Seigneur nous aver-
tit de préparer notre volonté en ce que
nous lisons : c'est à l'homme de prépa-
rer son cœm'; mais afin que nous le pré-
parions, Dieu nous aide, parce que la vo-
lonté est préparée par le Seigneur ; et il
nous commande de telle sorte d'ouwir notre
bouche, que personne ne peut le faire, si
celui-là ne le fait en nous aidant, à qui l'on
dit : Vous ottvrirez mes lèvres. Y aurait- il
quelqu'un assez insensé parmi les pélagiens
pour prétendre qu'il y a de la différence en-
tre les lèvres et la bouche, et pour dire par
une vanité surprenante que l'homme ouvre
la bouche et Dieu les lèvres? Dieu réprime
cette absurdité en disant à Moïse : J'ouvrirai
votre bouche, et je vous apprendrai ce que vous
aurez à dire. Quand donc il est dit : Ouvrez
votre bouche et je la remplirai, il semble
que l'une de ces deux choses appartienne
à l'homme et l'autre à Dieu. Mais lorsque
nous lisons : J'ouvrirai votre bouche et je vous
apprendrai, l'une et l'autre de ces choses
appartiennent à Dieu. Pourquoi cela? sinon
parce qu'en l'une de ces choses, il coopère
avec l'homme qui agit aussi, et qu'il fait
l'autre seul. »
89. Selon saint Augustin , celui qui
veut ^ reconnaître, selon la vérité, la grâce
de Dieu, par laquelle la charité est répan-
due dans nos cœurs par le Saint-Esprit,
doit le faire en telle sorte qu'il ne lui reste
pas le moindre doute, que sans elle il ne
se fait absolument rien de bon qui appar-
tienne à la piété et à la vraie justice. Si ce
secours de Dieu' vous manque, vous ne
sauriez rien faire de bon. Ce n'est pas que
vous n'agissiez par votre libre volonté, lors
même que Dieu ne vous aide point ; mais
vous agissez mal. C'est à quoi est propre
votre volonté qu'on appelle libre, et qui, en
agissant mal, est une esclave qui mérite
dicitur : Ego aperiam os tuum, et instruam te ;
litrumqtie ad Deum. Quare hoc, nisi quia in uno
istorum cooperatur homini facienti, alterum so-
ins facii? August., lib. Il Contra duas Epist. Pelag.,
num. 19 et 20, pag. 442 et 444.
' Ici et dans toute la suite, 11 s'agit du bien mé-
l'itoire pour le salut, et uon du bien moralement
bon. Après le péché d'Adam, l'homme peut encore,
sans le secours de la grâce, faire quelques actions
moralement bonnes. fL'édileur.)
2 ,4c per hoc gratiam Dei, qua charilas Dei dif-
fundilur in cordibus nostris per Spirilum Sanc-
tum qui datus est nobis, sic confUeaiur, qui vult
veraciter confileri ut omnino nihil boni sine illa
quod ad pietatem pertinel veramque jusliliam
fieri passe non dubitet. August., De Gratia Christi,
contra Pelag., cap, xxvi, num. 27, pag. 243.
5 Non sic est adjutorium Dei, non sic est adju-
torium Christi, non sic est adjutorium Spiritus
Sancti. Prorsussi defuerit, nihil boni agere pote-
ris. Agis quidem illo non adjuvante libéra volun-
tate, sed maie, ad hoc idonea est voluntas tua,
quœ vocatur libéra, et maie agendo fit damnabilis
ancilla. August., serm. 157, cap. si, num. 12,
pag. 755.
[iV ET r SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
d'être condamnée. Personne ' ne fait bien
quoique ce soit, si ce n'est par la grâce de
Dieu. Ce que l'homme fait mal, cela vient
de l'homme; ce qu'il fait bien, c'est du bien-
fait de Dieu qu'il le fait. Lorsqu'il commence
de bien faire, qu'il ne se l'attribue pas, mais
qu'il rende grâces à celui de qui il l'a reçu.
Dieu ^ fait dans l'homme beaucoup de bien
que ne fait pas l'homme ; mais l'homme
n'en fait aucun que Dieu ne lui fasse faire.
C'est par la ^ grâce seule de Jésus-Christ
que les hommes sont délivrés du mal ; sans
elle ils ne font aucun bien ni par la pensée ,
ni par la volonté, ni par l'amour, ni par l'ac-
tion. C'est elle qui leur montre et qui leur
fait connaître ce qu'ils doivent faire , et qui
leur fait faire avec amour ce qu'ils connais- ,
sent. C'est cette inspiration d'une bonne vo-
lonté et d'une bonne œuvre que saint Paul
demandait à Dieu pour ceux à qui il disait :
Nous prions Dieu afin que vous ne fassiez point
de mal; non afin que nous paraissions être gens
de bien, mais que vous fassiez ce qui est bon.
Qui peut entendre ces paroles sans se ré-
veiller et confesser que c'est de Dieu que
nous recevons la grâce et la force de nous
éloigner du mal et de pratiquer le bien ? Car
l'Apôtre ne dit pas : Nous avertissons , nous
enseignons , nous exhortons , nous repre-
nons; mais : Nous prions Dieu afin que vous
ne fassiez point de mal et que vous fassiez
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 689
le bien. Toutefois il les avertissait, il les
exhortait, il les reprenait; mais il savait que
toutes les choses qu'il faisait en public , en
plantant et en arrosant , n'avaient point de
force , si celui qui donne l'accroissement en
secret n'exauçait la prière qu'il lui adressait
pour eux ; parce que celui qui plante n'est
rien, ni celui qui arrose, mais que tout vient
de Dieu qui donne l'accroissement. »
Saint Augustin, parlant des conciles d'A-
frique, qui avaient condamné l'hérésie péla-
gienne dès sa naissance, dit qu'ils ont forte-
ment établi cette vérité qui * appartient à la
vraie foi, et que l'Église a toujours cru que
c'est la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-
Seigneur qui fait passer les enfants nouvel-
lement nés, aussi bien que les adultes, de la
mort que nous avons encourue par le premier
Adam, à la vie que le second Adam commu-
nique ;- et qae cela ne se fait pas seulement
par la rémission des péchés, mais par un se-
coui's qui fait éviter le mal et faire le bien;
en sorte que, sans ce secours, nous ne sau-
rions ni accomplir, ni vouloir la moindre
chose de tout ce qui regarde la piété et la
justice, puisque c'est Dieu qui opère en nous
le vouloir et le faire selon qu'il lui plaît.
90. <c Sans ce secours ^ dit saint Augustin,
nous ne pouvons par le seul libre arbitre
surmonter les tentations de cette vie, toute
notre occupation ^ et notre travail sont de
I Cor. III, 7.
Nécessité
da la ^râcG
contre lesten-
tatioDS,
' Nemo facit aliquid bene, nisi gratia ipsiiis.
Quod facit homo maie, ipsius est hominis : quod
facit bene, de bénéficia Dei facit. Cum cœperit fa-
cere bene, non sibi iribuat : cum non sibi tribuerit,
gratias agat ei a qrio acceperit. August., in
Psal. xciii, num. 15, pag. 1010.
2 Quapropter multa Deus facit in homine bona,
quœ non facit homo, nulla vero facit homo, quœ
non facit Deus ut faciat homo. August., lib. 11
Contra duas Epist. Pelag., num. 21, pag. 444.
3 Intelligenda est enim gratia Dei per Jesv/m
Christiim Domimim nostrum, qua sola homines
liberantur a malo, et sine qua nullum prorsus sive
cogitando, sive volendo et amando, sive agendo,
faciunt bonum : non solum ut monstrante ipsa
quid faciendum sit sciant, verum etiam ut prœs-
tante ipsa faciant cum dilectione quod sciunt.
Banc quippe inspirationem bonce voluntatis atque
operis poscebat Àpostolus eis, quibus dicebat:
Oramus autem ad Deum, ne quidfaciatis mali, non
ut nosprobati appareamus, sed utvosquod bonum
est faciatls. Qids hoc audiat et non evigilet atque
fateatur a Domino Deo nobis esse, ut declinemus
a malo et faciamus bonum, quando quidem non
ait Apostolus : Monemus, docemus, hortamur, in-
crepamus : sed ait : Oramus ad Deum, ne quid fa-
ciatls mali, sed quod bonum est faoiatis? Et tamen
IX.
etiam loqtiebatur eis, et sciebat illa omnia quœ
commemoravi,monebat, docebat, hortabatur, in-
crepabal; sed faciebat hœc omnia non valere quœ
plantando etrigando faciebat inaperto, nisi eum
pro illis exaudiret orantem qui dat incrementum
in occulta; quoniam sicut idem, Doctor gentium
dicit : Neque qui plantât est aliquid, neque qui ri-
gat, sed qui incrementum dat Deus. August., lib.
De Corrept. et grat., cap. n, num. 3, pag. 7S1.
' Gratia Dei per Jesum Christum Dominum
nostrum (quod fides vera et catholica tenet sem-
per Ecclesia) pusillos cum. magnis a morte primi
hominis ad vitam. secundi hominis transfert ; non
solum peccata delendo, verum etiam ad non pec-
candum recteque vivendum, eos qui jam uti pos-
sunt voluntatis arbitrio, sic adjuvando, ut, nisi
adjuvet, nihilpietatis atque justitiœ, sivein opère,
sive etiam in ipsa valuntate habere possimus,
Deus quippe operatur in nobis et velle et operari
pro bona voluntate. August., Epist. 186, num. 3,
pag. 664 et 665.
^ Sine cujus (Dominij adjutorio per arbitrium
voluntatis tentationes hujus vitœ superare non
passumus. August., in Psal. lxxsix, num. 4,
pag. 956.
^ Hoc est opus nostrum in hao vita actiones Gar-
nis spiritu marlificare, quotidie affligere, mi-
690
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
mortifier tous les jours les actions de la chair
par l'esprit, de les combattre, de les affaiblir,
de les réprimer et de les faire mourir ; nous
avons Dieu pour spectateur dans nos combats,
et nous le prions de nous aider, parce que,
s'il ne nous assistait pas, nous serions inca-
pables, je ne dis pas de vaincre, mais même
de combattre. Nous le prions ' de nous accor-
der de pouvoir vaincre les tentations du pé-
ché, et nous lui demandons que l'Esprit dont
nous avons recule gage, vienne au secours
de notre faiblesse. On ne doit point écouter ^
mais au contraire anathématiser celui qui
nie la nécessité de prier pour ne point entrer
en tentation. Or, celui-là nie qui soutient que
le secours de la grâce de Dieu n'est point né-
cessaire à l'homme pour éviter le péché, et
que la volonté humaine suffit seule pour cela
avec la loi. » Erreur que Pelage fut obligé
d'anathématiser dans le concile de Palestine.
En effet ^ si, comme le disent ceux de cette
secte, nous n'avions pas besoin du secours
de Dieu pour ne pas pécher, il s'ensuivrait
que nous ne devrions point demander à Dieu
de ne point entrer en tentation, c'est-à-dire
de n'être point vaincus par la tentation, ce
qui ne pourrait être que très-nuisible à no-
tre salut. Us osaient attribuer * tant de pou-
voir à l'infirmité humaine, que selon eux la
grâce de Dieu ne consistait qu'en ce qu'il nous
a créés avec le libre arbitre, et le pouvoir de
ne point pécher, en ce qu'il nous a donné sa
loi, que nous pouvons, disaient-ils, accom-
plir de nous-mêmes, sans avoir besoin pour
cela d'autre secours. Ils demeuraient d'ac-
cord que pour le passé nous avions besoin de
rémission, ce qui étant fait ne pouvant pas
n'être pas fait; mais que pour l'avenir les
forces naturelles de la volonté suffisaient sans
aucun secours de Dieu pour nous préserver
de tous péchés, et nous rendre victorieux de
toute tentation. Tout homme qui met son es-
pérance en Jésus-Christ doit s'opposer de
toutes ses forces à cette doctrine pernicieuse
et impie, la condamner, et lui dire anathème,
puisqu'elle ne va pas moins qu'à combattre
la prière que Jésus-Clirist même nous met
dans la bouch e . Car nous ne lui demandons pas
nuere, frenare, exter minore... in hoc agone cum
coiifligimus, Dewm habemus spectatorem, in hoc
agone cum laboramus, Deum poscimus, adjuto-
rem. Si enim nos ipse non adjuvat, non dico vin-
cere sed nepugnare quidem poterimus. August.,
Serm. 156, cap. ix, num. 9, pag. 734.
* Oramus ut peccatorum tentationem superare
possimus, ut Spirilus Dei, unde pignus accepimus,
adjuvet infirmitatem nostram. August. , Epist.
177, num. 4, pag. 623.
2 Sedplane quisquis negat nos orare debere, ne
intremus in tentationem (negat autem hoc qui
contendit ad non peccandum gratiœ Dei adjuto-
rium non esse homini necessarium, sed, sola
lege accepta, humanam suffîcere voluntatemj ab
auribus omnium removendum et ore omnium ana-
thematizandum esse non dubito. August., lib. De
Perf. just. hom., cap. xxi, num. 44, pag. 190.
3 Sunt enim quidam tantum prœsumentes de
libero humance voluntatis arbitrio, ut ad non
peccandum nec adjuvandos nos divinitus opinen-
tur, semel ipsi naturœ nostrœ concesso liberœ
voluntatis aj-bilrio. Unde fit consequens , ut nec
orare debeamus ne intremus in tentationem, hoc
est, ne tentatione vincamur, vel cum fallit et prœ-
occupat nescientes, vel cum premit atque urget
infirmos. Quam sit autem noxium, et saluli nos-
trœ, quœ in Christo est, perniciosum atque contra-
riwm, ipsique religioni qua imbuti sumus, et pie-
tati qua Deum colimus, quam vehementer adver-
sum, ^U pro tali accipiendo beneficio Dominum
7wn rogamus atque in ipsa Oraiione dominica :
Ne nos inferas in tentationem, frustra positum
existimemus, verbis explicarenon possiimus. Au-
gust., lib. Il De peccat. merit. et remis., cap. ii,
num. 2, pag. 40 et 4].
* Nova quœdam hœresis inimiea gratiœ Christi
conatur insurgere... hominum scilicet qui tantum
audent infirmitali humance tribuere potestalis, ut
hoc solum ad Dei gratiam perlinere contendant,
quod cum libero arbitrio, et non peccandi possi-
bilitate creati sunnis, et Dei mandata quœ a no-
bis implerentur accepimus: cœlerum ad eadem
mandata servanda et implenda nullo divino ad-
jutorio nos egere. Necessariam vero nobis esse
remissionem peccatorum, quia ea quœ a nobis in
prœteritum maie facta sunt, infecta facere non
valemus, cavendis autem futuris vincendisque
peccatis, omnibusque tentationibus virtute stipe-
randis sine ullo deinceps adjutorio gratiœ Dei,
naturali possibilitate humanam sufficere volunta-
tem...Omnes enim, qui spem habemus in Christo,
huic pestiferœ impielati resistere, eamque con~
corditer damnareet anathematizare debemus, quœ
contradicit etiam orationibiis nostris, concedens
quidem ut dicamus: Dimitte nobis débita nostra,
sicut et nos dimittimus debitoribus nostris ; et hoc
ita concedens, ut afferat hominem, in hoc corrup-
tibili corpore quod aggravât animam, posse suis
viribus ad tantam justitiam pervenire, ut neque
hoc illi sit dicere necessariiim: Dimitte nobis dé-
bita nostra. /Wurf vero quod segm'tw.'Ne nos infe-
ras in tentationem, non sic accipiunt tanquam
Deus orandus sit, quo nos ad superandas tenta-
tiones adjuvet peccatorum, sed ne quisquam ir~
ruens corporaliter nos humanus casus affligat :
quoniam peccatores tentationcs vincere ita sit jam
in nostra positum poteslate,possibilitate naturœ,
ut hoc inaniter impetrandum orationibus arbitre-
mur. August. Epist. 178, num. 1 et 3, pag. 629
et 630.
[iv« ET v° SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
691
seulement de nous pardonner nos offenses,
comme nous pardonnons à ceux qui nous
ont offensés, nous ajoutons : Ne nous lais-
sez pas succomber à la tentation. Il est ^Tai
que ces hérétiques prétendaient que nous ne
demandions par là que d'être garantis des
accidents extérieurs auxquels la vie de
l'homme est exposée, et non pas d'être as-
sistés d'un secours qui nous fasse surmonter
les tentations et le péché. C'est la réponse
que fît un jour un pélagien à un ' nommé
Urbain, évêque de Sicque, qui lui faisaitvoir
par l'Oraison dominicale que c'est sans su-
jet que nous y demandons à Dieu de ne nous
point exposer à la tentation, si en effet nous
avons le pouvoir de la surmonter par les seu-
les forces de notre volonté. « Ce n'est pas, lui
répondit ce pélagien, de ces sortes de tenta-
tions que nous prions Dieu de. nous déli-
vrer, mais des maux qu'il n'est pas en notre
pouvoir d'éviter, par exemple d'être tués par
des voleurs. »
Saint Augustin, qui rapporte cette réponse,
avoue qu'il en avait eu horreur de même
que tout le peuple qui l'écoutait. « Elle ren-
versait en effet, dit le saint Docteur, le sens
des paroles du Sauveur. Car quand il disait
à ses apôtres : Veillez et priez afin que vous
ne tombiez pas dans la tentation, leux disait-il :
Veillez et priez afin que vous ne vous rom-
piez point le pied, ou que vous n'ayez point
mal à la tête , ou que vous n'encouriez pas
quelque dommage ? Ce n'est pas ce qu'il
leur disait. Qu'était-ce donc? Ce qu'il avait
dit à Pierre : J'ai prié pour vous afin que votre
foi ne défaille point. J'ai prié pour vous, dit
Dieu à l'homme , le seigneur au serviteur ,
le maître au disciple, le médecin au malade :
J'ai prié pour voies. Pourquoi ? Afin que votre
main, votre pied, votre œil, votre langue ne
défaillent point par quelque paralysie ? Non ;
mais afin que votre foi ne défaille point. »
91. « Nous soutenons ^ contre vous, disait
saint Augustin à Julien , que Dieu donne
la pénitence même. Car quoique chacun
fasse pénitence par sa volonté , c'est le Sei-
gneur qui prépare la volonté. C'est de ce
changement produit par la droite du Très-
Haut qu'il est parlé dans le Psaume Lxxvi, 11.
Le Seigneur regarda Pierre afin qu'il pleu-
rât; et saint Paul dit de quelques-uns que
Dieu leur donnera peut-être la pénitence.
Que pourriez-vous pour votre conversion ^, si
vous n'étiez appelés ? N'est-ce pas celui qui
vous a appelés lorsque vous étiez détournés
de lui, qui vous a donné de vous tourner
vers lui î Ne vous attribuez donc pas de vous
être tournés vers Dieu, parce que, s'il ne
Luc. xxrl,
NécessîtS
ds la grâce
pour la péDÎ-
tenco et pour
la conversion
du pécheur.
' nia duo: Dimitte nobis débita nostra... et: Ne
nos inferas in tentationem, quando pelagianis oh-
jiciuntur, quid eos putatis respondere ? Eorrui,
fratres met, quando audivi. Ego quidem non au-
divi auribus meis, sed sanctus fraler et coepisco-
pus meus Urbanus noster, qui hic prœsby ter fuit,
et modo est Siccensis episcopus, cum remeasset
ab urbe Roma et ibi quod quodam talia sentiente
confligeret, vel se conflixisse referret, cum urge-
retur pondère Orationis dominicœ; urgebat enim
eum et dicebat : Si in nostra potestale est omnes
peccatorum tentationes solis voluntatis nostrœ
viribus superare , quare Deo dicimus : Ne nos in-
feras in tentationem ? Quid eumpwiatis respondisse ?
Rogamus, inquit, Deum ne nos inférât in tenta-
tionem, ne aliquid mali patiamur, quod non ha-
bemms in potestale: ne ruam de equo, et ne fran-
gam pedem, ne latro me interficiat, et quid hu-
jusmodi. Hœc enim, inquit, non habeo in potes-
tate ; nam vincere tentationes peccatorum meo -
rum, si volo, et possum, nec Dei adjutorio possum.
Videtis, fratres, quam maligna hœresis, videtis
quemadmodum omnes horrelis... inde ergo dice-
bat Bominus : Vigilate et orate ne intretis in
tentationem. Hoc dicebat : Vigilate et orate ne
pedem frungatis, aut ne caput doleatis, aut ne in
daninum incurratis? Non hoc dicebat: sed quid
dicebat? QuodPetro dixit: Rogavi pro te ne defl-
oiat iides tua. Roga-vi, inquit, pro te, dicit Deus
honiini, dominus servo, magister discipulo, me-
dicus cegro. Rogavi' pro te. Quid ? Ne deficias î
Quid? Manus tua, pes tuus, oculus tuus, lin-
gua tua aliqua paralysi, id est dissolutione
membrorum ; non ; sed ne deBciat fides iua. Au-
gust., in Frag. serm. contra Pelag., num. l et 2,
pag. 1309, tom. V.
^ Contra vos dicimus, et ipsam pœnitentiam
Deum dare, quia, licet voluntate quisque agat pœ-
nitentiam, prœparatur etiam voluntas a Domino,
et hœc est immutatio dexterœ Excelsi, quam sa-
cer insonat psalmus : quia ut fleret Petrus eum
respexit Dominus, unde ait de quibusdam coapos-
lolus ejus : Ne forte det illis Deus pœnitentiam.
August., lib. IV Oper. iniperf., cap. cxxvi, pag.
1212.
' Quid autem ut convertereris, posses, nisi vo-
careris? Nonne ille qui te vocavit aversum ipse
prœstitit ut converleris? Noli tibi ergo arrogare
nec ipsam conversionem : quia, nisi te ille vocaret
fugientem, non posses converti. Propterea et ip-
sius conversionis beneficium Deo tribuens pro-
pheta hoc oral et dicit : Deus, tu convertens vivi-
ficabis nos. Et non quasi nos ipsi nostra sponte
sine misericordia tua converiimur ad te, et tu
vivificabis nos, sed : Tu converteus vivificabis nos :
ut non solum vivificatio nostra a tesit, sed etiam
ipsa conversio ut vivificemur : Deus, tu conver-
tens vivificabis nos. August. , in Psal. lxsxiv,'
num. 8, pag. 893.
692
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
vous appelait , lorscpie vous fuyez de lui ,
vous ne pourriez retourner vers lui. C'est
poui-quoi le prophète , attribuant à Dieu le
bienfait de sa conversion, lui dit : 0 Dieu,
vous nous convertirez , et vous nous vivifierez.
n ne donne pas à entendre que, sans avoir
reçu la miséricorde de Dieu, nous nous con-
vertissons à lui de nous-mêmes, et qu'en-
suite Dieu nous vivifie ; mais il dit : Vous nous
convertirez et vous nous vivifierez, en sorte
que cène soit pas seulement la vie que nous
recevons , qui soit votre ouvrage , mais en-
core notre retour vers vous, afin de rece-
voir la vie. La misère où nous sommes ', et
qui nous est due , est guérie par la miséri-
corde de Dieu qui ne nous est pas due. Car
celui qui parle dans le Psaume et qui dit :
Je vous ai cherché de tout mon cœur , d'où
pourrait-il le faire , si celui à qui l'on dit :
Seigneur , vous nous convertirez et vous nous
vivifierez, ne le tournait vers lui , lorsqu'il
en est détourné ? C'est de là que vient de ce
qu'il redresse sa voie en gardant les paroles
de Dieu, Dieu le conduisant. Dieu opérant.
Car il ne le pourrait par lui-même , selon
que le prophète Jérémie le confesse, lors-
qu'il dit : Je le sais, Seigneur, que l'homme
n'est pas le maître de ses voies, l'homme ne
réussira point à redresser ses pas. Enfin , si
noti'e conversion ^ n'était pas un don de
Dieu, on ne lui dirait pas : Seigneur des ver-
tus, convertissez-nous. »
Saint Ambroise, cité par saint Augustin,
dit que la pénitence même ' que fait la vo-
lonté ne laisse pas de se faire par la miséri-
corde de Dieu et par son secours. « JLes bon-
nes larmes, dit-il, sont celles qui lavent les
taches de nos fautes. On pleure quand on est re-
gardé favorablement de Jésus-Christ. Pierre
renia son maître une première fois, et il ne
pleura 'point, parce que le Seigneur ne l'avait
point regardé, Pierre renia son maître une se-
conde fois, et il ne pleura point encore. Pierre
renia son maître une troisième fois, mais Jésus-
Christ le regarda , et il pleura amèrement.
Que les pélagiens hsent l'Évangile, reprend
saint Augustin , et qu'ils voient que le Sei-
gneur était en haut, dans la salle intérieure
du conseil , pour y être ouï du prince des
prêtres ; au lieu que Pierre était en bas dans
un autre endroit avec les serviteurs, tantôt
assis auprès du feu , tantôt debout , comme
il paraît par le récit très-véritable et très-
uniforme des évangélisles. On ne peut donc
pas dire que le Seigneur l'ait regardé des
yeux du corps pour l'avertir de sa faute. Ce
regard marque ce que le Sauveur fit inté-
rieurement dans cet apôtre, ce qu'il fit dans
son esprit , ce qu'il fit dans sa volonté. Le
Seigneur par un efi'et de sa miséricorde le
secourut invisiblement ; il lui toucha le
cœur ; il le fit ressouvenir de la parole qu'il
lui avait dite ; il le visita par sa grâce inté-
rieure ; il émut les sentiments de son hom-
me intérieur , en les faisant sortir au dehors
par ses larmes. Voilà comment Dieu est pré-
sent par son secours à nos volontés et à nos
actions. Voilà comment il opère en nous le
vouloir et le faire. »
92. « Par l'énormité du péché de notre
Nioes5lU>
1 Sed indebita Dei misericordia sanatur débita
nostra miseria. Nam iste qui loquitur et dicit :
In toto corde meo exqiiisivi te : et hoc wnde pas-
set nisi eum aversum ad se ipse converteret, oui
dicilur : Deus, tu convertens vivificabis nos ; et
ille perditum quœreret et errantem ille revocaret,
qui dicit : Quod perierat requiram, et quod erra-
verat revocabo. Inde est quod etcorrigit viam sxiam
in custodiendo verba Dei, illo régente, illo fa-
ciente : neque enim per se ipse posset, cum Jere-
mias propheta fateatur et dicat : Scio, Domine,
quoniam non est hominis via ejus, neque vir ibit et
corriget viam suam. August., in Psal.cxyiu, num.
3 et 4, pag. 1288.
2 Nisi donum Dei esset etiam ipsa ad Deum
nostra conversio, non ei dicerelur : Deus virtutum,
converte nos. August., lib. De Grat., et lib. arb.,
cap. V, num. 10, pag. 723.
s Beatus Ambrosius ita loquens : Bonae laerymîe,
quae culpam lavant, denique quos Jésus respicit,
plorant : negavit primo Petrua et non flevit, quia
non respexerat Dominus : negavit secundo, non
flevit , quia adhuc non respexerat Dominus ; nega-
vit et tertio, respexit Jésus et ille amarissime fle-
vit. Legant isti Evangelium et videant Dominum
Jesum tune intus fuisse cum a sacerdotum prin-
cipibus audiretur : apostoium rero Petrum forts
et deorsum in atrio cum servis ad focum, nunc
sedentem, nunc stantem, sicut veracissima et con-
cordissima Evangelistarum narraiione monstra-
tur. Unde non potest dici quod corporalibiis ocu-
lis eum Dominus visibiliter admonendo respe-
xerit. El ideo quod ibi scriptum est : Respe-
xit eum Dominus, intus actiim est, in mente
actum est, in voluntate actuin est. Misericordia
Dominus latenler subvenit, cor tetigit, memo-
riam revocavil, interiore gratta suavisitavit
Petrum, iiiterioris hominis usque ad èxteriores
lacrymas movit et produxit affectum. Ecce que-
madmodum Deus adjuvando adest voiuntatibus
et actionibus nostris. Ecce quemadmodum et
velle et operari operatur in nobis. August., De
Grat. christ, contra Pelag. et Ccelest,, cap, xlv,
num. 49, pag. 249 et 250.
[iv= ET V SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
aimer
premier père, dit encore le saint évêque,
nous avons perdu ' le libre arbitre pour
aimer Dieu, et c'est absolument un don ^ de
sa part, que de l'aimer; c'est lui qui nous a
aimés avant que nous l'aimassions. Ensuite
il nous a donné de quoi l'aimer ; il a com-
mencé à nous aimer, lorsque nous n'avions
encore rien en nous qui pût lui plaire, et il
a mis par là en nous de quoi lui plaire : car
nous n'aimerions pas le Fils, si nous n'ai-
mions aussi le Père. Et, quoique le Père
nous aime , parce que nous aimons le Fils ,
il est vrai néanmoins que nous n'aimerions
ni le Père ni le Fils, si le Père et le Fils ne
nous avaient donné ce qu'il faut pour les ai-
mer. C'est en effet, l'Esprit du Père et du
Fils qui répand dans nos cœurs la charité
qui nous fait aimer le Père et le Fils , et qui
fait aussi que nous l'aimons lui-même. Ainsi
Dieu crée en nous le bon amour qui nous rend
ses véritables adorateurs ; et voyant en nous
ce bon amour, ce lui est une raison de nous
aimer, parce qu'il aime ce qu'il fait. Mais il
n'aurait jamais mis dans nous ce qu'il y
aime, et qui lui a été une raison de nous ai-
mer, s'il ne nous avait aimés avant de l'y
mettre. La charité vient de Dieu, dit l'apôtre
saint Jean. Mais qu'on ne s'imagine ' pas
que le commencement de cette charité soit
de nous , et que sa perfection vienne de
Dieu. Si la charité vient de Dieu , comme le
dit cet apôtre , il faut qu'elle en vienne toute
entière. Or, Dieu nous garde de donner ja-
mais dans cette folie, que nous nous imagi-
693
nions occuper la première place dans les
dons de Dieu, et lui laisser la dernière, pen-
dant qu'il est écrit : C'est la miséricorde qui
nous préviendra. »
« D'où vient *, dans les hommes, l'amour de
Dieu et du prochain , si ce n'est de Dieu ? Si
cet amour ne vient pas de Dieu , mais des
hommes, les pélagiens sont victorieux; mais
s'il vient de Dieu, nous avons vaincu les pé-
lagiens. Que l'apôtre saint Jean prenne
donc au milieu de nous la place de juge , et
qu'il nous parle. Mes très-chers frères, nous
dira-t-il, aimons-nous les icns les autres. Les pé-
lagiens ne manqueront pas de prendre oc-
casion de ces paroles, de s'enfler, et de dire :
Pourquoi nous donner un tel précepte, si ce
n'est parce que nous tenons de nous-mêmes
l'amour par lequel nous nous aimons les
uns les autres ? Mais saint Jean ajoute aussi-
tôt , pour les confondre : L'amour vient de
Dieu. Pourquoi dit-il : Aimons-nous les uns les
autres, parce que l'amour vient de Dieu, si ce
n'est afin que le libre arbitre soit averti par
ce précepte de chercher le don de Dieu ?
Or, le libre arbitre recevrait cet avertisse-
ment sans en tirer absolument aucun fruit ,
s'il ne recevait premièrement quelque chose
de cet amour qui lui en fasse rechercher
l'augmentation , afin d'accomplir ce qu'on
lui commande. Que personne ne vous trompe
donc , ajoute ce Père ; nous n'aimerions ja-
mais Dieu, s'il ne nous aimait le premier.
La grâce fait de nous des amateurs de la loi ;
mais la loi sans la grâce ne fait que des pré-
' Liberum arbitrium ad diligendum Deum pri-
mipeccati granditate perdidimus. August., Epist.
217, num. 12, pag. 803.
2 Prorsus donum Dei est diligere Deii/m. Ipse
ut diligeretur dédit, qui non dileclus dilexit; dis-
plicentes ainati stimus, ut esset in nobis unde pla-
ceremxis. Non enim amaremus Filium nisi ama-
remus etPatrem. Amat nos Pater quia nos ama~
mus Filium, cum a Pâtre et Filio acceperimus,
ut et Patrem amemus et Filium; diffundit enim
charitatem in cordibus nostris amborum Spiritus,
per quem Spiritum cum Pâtre amamus et Filio ;
amorem iiaque nostrum pium, quo colimus Deum,
fecit Deus, et vidit quia bonum est : ideo quippe
amavit ipse quod fecit. Sed in nobis non faceret
quod amaret, nisi, antequam id faceret, nos ama-
ret. August., Tract. 104 in Joan., num. 5, pag.
755.
' Joannes apostolus sine ambiguitate loquitur,
dicens : Charitas ex Deo est. JVec initium ejus ex
nobis, etperfectio ejus ex Deo; sed si charitas ex
Deo, tota nobis ex Deo est. Avertat enim Deus
hanc ameniiam ui in donis ejus nos priores fa-
ciamus, posteriorem ipsum : Quoniam misericor-
dia ejus praeveniet me. August., lib. II Contra duas
Epist. Pelag., num. 21, pag. 445.
* Unde est in hominibus, charitas Dei et proximi,
nisi ex ipso Deo ? Nam si non ex Deo, sed ex ho-
minibus, vicerunt pelagiani : si autem ex Deo,
vicimus pelagianos. Sedeat ergo inter nos judex
apostolus Joannes, et dicat nobis : Charissimi, dili-
gamus invicem. Jn his verbis Joannis cum se illi
extollere cœperint et dicere : Ut quid nobis hoc
prcecipitur, nisi quia ex nobis habemus ut invi-
cem diligamus? Sequitur continua idem Joannes,
confundens eos et dicens : Quia dileotio ex Deo est,
non itaque ex nobis sed ex Deo est. Cur ergo dic-
tum est ; Diligamus invicem, quia dilectio ex Deo
est, nisi quia prœcepto admonitum est liberum
arbitrium ut quœreret Dei donum ? Quod quidem
sine suo fructu prorsus admoneretur, nisi prius
acciperet aliquid dilectionis, ut addi sibi quœre-
ret unde quod jubeatur impleret... nemo ergo vos
fallat, fratres mei, quia nos non diligeremus
Deum, nisi nos prior ipse diligeret... gratia nos
facit legis dilectores, lex veroipsasine gratia non
nisi prcevaricatores facit. August., lib. De Grat,
et lib. arb., cap. xvin, num. 37 et 38, pag. 737.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Sur la possi-
bilité descom-
maadomonls
do Ditiu.
694
varicateurs. L'amour de Dieu, dit-il encore %
par lequel on parvient h lui , ne peut venir
que de Dieu le Père en Jésus-Christ avec le
Saint-Esprit. Par cet amour du Créateur ,
chacun use bien des créatures ; sans cet
amour du Créateur, personne n'use bien des
créatures. »
93. Selon saint Augustin, Dieu ne ^ com-
mande pas des choses impossibles; mais, en
commandant, il nous avertit de faire ce que
nous pouvons et de demander ce que nous
ne pouvons pas. Or, dès que nous croyons
fermement ' que Dieu, bon et juste comme il
est, ne peut commander des choses impos-
sibles, nous sommes par là avertis et de ce
que nous devons faire dans les choses faci-
les, et de ce que nous devons demander dans
celles qui sont difficiles. Lespélagiens s'ima-
ginaient avoir découvert un grand mystère,
quand ils disaient '' que Dieu ne commande-
rait pas ce qu'il saurait nous être impossible.
Qui en doute ? Mais c'est pour cela même que
Dieu commande certaines choses que nous ne
pouvons pas faire, afln que nous connaissions
ce que nous devons lui demander. « Si donc,
dit saint Augustin, la considération Me votre
infirmité vous fait ressentir de la difficulté
dans l'accomplissement du précepte de la
charité, fortifiez-vous par l'exemple du Fils
de Dieu; et, si cet exemple vous étonne,
comme étant trop relevé pour vous, celui
qui vous l'a donné est prêt aussi à vous don-
ner son secours pour l'imiter. »
94. Les pélagiens enseignaient que le li-
bre ^ arbitre suffit à l'homme pour accomplir
les commandements de Dieu, quoiqu'il ne
soit ni aidé de la grâce de Dieu ni du don du
Saint-Esprit. Saint Augustin regarde une pa-
reille doctrine comme digne d'anathème et
d'exécration. « En effet, dit-il, David prie '
Dieu de l'aider afin de garder ses paroles ;
et il lui demande avec humilité, de n'être
point rejeté de ses commandements. Or,
qu'est-ce qu'être rejeté de Dieu, sinon de
n'en être pas aidé ? Car ses commandements,
étant si purs et si relevés, ne sauraient être
proportionnés à la faiblesse de l'homme, si
la charité de Dieu ne le prévient et ne l'aide
pour les lui faire accomplir. Agissez-donc
ainsi. Seigneur plein de miséricorde ^ (saint
Augustin s'adresse à Dieu), commandez ce
qui ne puisse s'accomplir, ou plutôt ce qiii
ne puisse s'accomplir que par votre grâce,
afin que lorsque les hommes n'aïu'ont pu l'ac-
complir par leurs propres forces, ils demeu-
rent muets, et ne s'imaginent point être
quelque chose de grand : car qui accomplit
vos commandements, comme ils doivent être
accomplis, c'est-à-dire par la foi qui opère
par amour, si cet amour même ne se répand
NécosîllJ
de la gràca
[lour accom-
plir les com.
luandemeoli
àQ Dieu. i
1 Amor autem Dei quo penenitur ad Dewn non
est nisi a Deo Pâtre per Jesum ChtHstum cum
Spirilv, Sancto. Per hune amorem Creatoris bene
quisque utitur etiam creaturis; sine hoc amore
Creatoris, nullis quisquam bene utitur creaturis.
August., lib. IV Contra Jul. pelag., num. 33 ,
pag. C02.
2 iVori igifur Beiis impossibilia , sed jubendo
admonet et facere quod possis et petere quod non
possis. August., Se Nat. et grat., cap. xlui,
num. SO, pag. 148. [Le concile de Trente, qui rap-
porte cet endroit de saint Augustin, y a ajouté
ces mots : Et Dieu vous aide, afin que vous puis-
siez. Concil. Trid., Sess. 6, cap. xi, pag. 761.
Conoil.. tom. XIV.]
2 Eoquippeipso quo firinissime creditur, Deum
justum et bonum impossibilia nou potuisse prœci-
pere, hinc admonemur et in facilibus quid aga-
mus, et in difflcitibus quid petamus. August., De
Nat, et grat., cap. lxix, uum. 83, pag. 163 et 164.
"i- Magnum aliquid pelagiani se scire putant,
qiiando dicunt : Non jubere Deus quod scirct non
posse ab homine Ceri. Quis hoc nesciat? Si ideo
jubet aligna quœ non possumus, ita noverimus
quid ab illo petere debeamus. August., lib. De
Grat. et lib. arb., cap. xvi, num. 32, pag. 734.
■^ Sed considerans infirmitalem tuam de/icis s^tb
prœccptn ? Confortatc in excmpln. Sed cliam cxrm-
plum ad te multuni est î^adest ille qui prœbuit
exemplum, ut prœbeat et auxiUum. August., m
Psal. Lvi, num. 1, pag. 530.
s lUud vero quod dicunt sufjicere homini libe-
rum arbitrium ad dominica prœcepta implenda,
etiamsi Dei gratia et Spiritus Sancti dono ad
opéra bona non adjuvetur, omnino anathemati-
zandum, et omnibus execrationibus detestandum.
August., Epist. 157, cap. ii, num. 4, pag. 543.
' In loto, inquit, corde meo exquisivi te, ne re-
pellas me a maudatis tuis. Ecce orat ut adjuvetur
ad custodienda verba Dei, in quo dixerat viam
siiam corrigere juniorem, num utique hoc est, ne
repellas me a mandatis tuis. Quid est enim a Deo
repelli, nisi non adjuvari? Mandatis quippe ejus
rectis atque arduis humana non contemperatur
infirmitas, nisi prœveniens ejus adjuvet charitas.
August., in Psal. cxvui, num. 3, pag. 1288.
8 Ita, Domine, ita fac, misericors Domine, im-
pera quod non possit impleri, imo impera quod
non nisi per tuam gratiam possit impleri, ut cum
homines per suas vires adimplere nequiverint
omne os obstruatur, et nemo sibi magnus videa-
tur... quis enim facit mandata tua sicut facienda
sunt, id est, ex fide quœ per dilectioneni operatur,
nisi ejus in corde per Spirilum Sanctuni ipsa di-
lectio diff'undalur. August.,/» Psal. cxviir, num. 3,
pag. i3.';n.
[IT' ET V siÈaES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
693
dans son cœur par le Saint-Esprit? Dieu
commande ' ce qui se peut faire ; mais c'est lui
gui donne de le faire à ceux qui le peuvent
et qui le font. Quant à ceux qui ne le peu-
vent pas, Dieu, en leur commandant, les
avertit de lui en demander le pouvoir. »
Saint Augustin avait dit dans le premier
livre contre les manichéens ^, que tous les
hommes pouvaient accomplir les commande-
ments de Dieu, s'ils voulaient. Mais parce
que les pélagiens pouvaient abuser de cette
expression etl'entendre de manière qu'on pût
les accomplir sans le secoui's de la grâce , il
crut devoir l'expliquer ainsi en faisant la révi-
sion de ses ouvrages : « De ce que j'ai dit en
parlant de la lumière invisible, qu'elle ne re-
paît pas les yeux des oiseaux irraisonnables,
mais les cœurs pm-s de ceux qui croient en
Dieu, et qui, se détachant de l'amour des
choses visibles et temporelles, se portent à
accomplir ses commandements ( ce que tous
les hommes peuvent, s'ils le veulent), les
nouveaux hérétiques pélagiens ne doivent
pas s'imaginer que cela soit conforme à leur
hérésie. Car il est très-vrai que tous les hom-
mes peuvent accomplir les commandements
de Dieu, s'ils veulent; mais la volonté est
préparée par le Seigneur, et eUe s'augmente
de telle sorte par le don de la charité qu'ils
les peuvent accomplir; ce que nous n'avons
pas dit alors, parce que cela n'était pas né-
cessaire à la question que nous traitions. »
Voici ce que ce Père dit encore sur l'ac-
complissement des commandements de Dieu.
« Il est certain ' que nous les observons, si
nous voulons. Mais comme la volonté est
préparée par le Seigneur, il faut lui deman-
der que nous voulions autant qu'il faut pour
faire ce que nous voulons. D. est certain que
nous voulons quand nous voulons ; mais celui
qui fait que nous voulons le bien, est le même
de qui il est dit : La volonté est préparée par le
Seigneur, de qui il est dit encore : Les pas de
l'homme seront conduits par le Seigneur, et sa
voie sera approuvée de lui. Et ailleurs : C'est le
Seigneur qui opère en nous le vouloir. Il est
certain que nous faisons, quand nous faisons ;
mais c'est lui qui fait que nous faisons en don-
nant des forces très-efl3caces à la volonté,
ainsi qu'il l'a dit lui même : Je ferai que vous
marcherez dans la voie de mes préceptes, que
vous garderez mes ordonnances, et que vous les
pratiquerez. Celui qui veut * accomplir les
commandements de Dieu et qui ne le peut, a
déjà, à la vérité, une bonne volonté, mais pe-
tite et faible. Il le pourra néanmoins lorsqu'il
l'aura grande et forte. Quand les martyrs ont
accompli de si grands commandements, ils
l'ont fait avec une grande volonté, c'est-à-
dire avec une grande charité. L'apôtre saint
Pierre ne l'avait pas encore , cette grande
cbarité, quand la crainte lui fit renier trois
Psal. xsxTi,
S3.
Philip.
'Ezoch.
1,27.
MaUh, SX7I,
03.
1 Imperat Deus quœ fieri possunt, sed ipse dédit
utfaciant eis qui facere possunt et faciunt, et eos
qui non possunt, imperando admonet a se poscere
ut passent. August., lib. III Oper. imperf., num.
116, pag. 1097.
2 Quod vero dixi: lUud auteui lumen non irra-
tionabilium avium oculos pascit, sed pura corda
eorum qui Deo credunt et ab amore visibilium re-
rum et temporalium se ad ejus praecepta implenda
convertunt ; quod omnes hommes possunt, si velint,
non existiment novi hœretici pelagiani secundum
eos esse dictum. Verum est enim omnino omnes
homines hoc posse, si velint, sed prœparatur vo-
luntas a Domino, et tantum augetur munere cha-
ritatis ut possint, quod hic ideo dictum non est
quoniam prœsenti necessarium non erat quœs-
tioni. Augast., lib. I Retract., cap. x, num. 2,
pag. 15 et 16.
' Certum est enim nos mandata servare, si vo-
lumus : sed quia prïeparatur voluntas a Domino,
ab illo petendum est ut tantum velimus, quantum
sufficil ut volendo faciamus, certum est nos velle,
cumvolumus; sed ille facit ut velimus bonum de
quo dictum est quod paulo ante posui: Prœpara-
tur voluntas a Domino, de quo dictum est : A Do-
mino gressus hominis dirigentur et viam ejus vo-
let, de quo dictum est : Deus est qui operatur in
vobis et velle. Certum est nos facere cum facimus,
sed ille facit ut faciamus, prœbendo vires efjica-
cissimas voluntati, qui dixit: Faciam ut injustifi-
cationibus meis ambuletis, et judicia mea observe-
tis et faciatis. August., De Grat. et lib. arb., cap. xvi,
num. 32, pag. 374 et 375.
* Qui ergo vult facere Dei mandatumet non po'
test, jam quidem habet voluntatem bonam, sed
adhuc paroam et invalidam, poterit autem, cum
magnam habuerit etrobitstam. Quando enimmar-
tyres magna illa mandata fecerunt, magna utique
voluntate, hoc est, magna charitate fecerunt. . .
ipsam charitatem apostolus Petrus nondum ha-
buit, quando timoré Dominum ter negavit, timor
enim non est in charitate, sicut ait Joannes evan-
gelista in Epistola sua, sed perfeota charitas foras
mittit timorem. Et tamen, quamvis parva et iyi-
perfecta, non deerat quando dicebat Domino : Ani-
mam meam pro te ponam : putabat enim te posse
quod se velle sentiebat. Et quis islam, etsiparvam,
dare cœperat charitatem, nisi ille quipiœparat vo-
luntatem, et cooperando perfieit quod operando
incipit?... talibus enim Dominus dixit suam sarci-
nam levem, qualis Petrus fuit quando passus est
pro Christo, non qualis fuit quando negavit
Christum. August., lib. De Grat. et libéra arb.,
cap. XVII, num. 33, pag. 733.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Demandor
â Dieu ce qu'il
nouscommaa*
Psal. cxviiiï
696
fois le Seigneur ; cependant il avait une cha-
rité petite et imparfaite quand il disait au
Seigneur : Je donmrai ma vie pour vous : car
il croyait pouvoir ce qu'il sentait bien qu'il
voulait. Mais qni avait commencé de lui
donner cette charité faible, siaon celui qui
prépare la volonté, et qui par la coopération
achève ce qu'il a commencé par son opéra-
tion ? Le Seigneur dit que son joug est léger à
ceux qui sont tels qu'était saint Pierre, quand
il souffrit le martyre pour Jésus-Christ, et
non tel qu'il était quand il le renia. »
93. Saint Augustin, voulant enseigner que
nous devons demander à Dieu ce qu'il nous
commande, s'exprime ainsi : « Plut à Dieu,
disait David, que mes voies soient réglées de
telle sorte que je garde la justice de vos ordon-
nances ! Vous avez commandé, ô mon Dieu !
qu'onles gardât, il est vrai: mais je souhaite
que ce que vous m'avez commandé me soit fait.
Lors donc que vous entendez cette expres-
sion : Je souhaite, reconnaissez ' la voix d'un
homme qui désire, et en écoutant cette voix
apprenez, à son exemple, à rejeter l'orgueil
d'un présomptueux. Car qui serait celui qui
pourrait dire qu'il désirerait une chose, dont
son libre arbitre le rendrait tellement le
maître, qu'il la pourrait faire sans avoir be-
soin d'aucun secours î Donc si l'homme dé-
sire ce que Dieu commande, il doit deman-
der à Dieu qu'il donne lui-même ce qu'i
commande. Vers qui, en effet, doit être di-
rigé un semblable désir, si ce n'est vers
celui qui est le Père des lumières et de qui
vient tout don parfait ? »
Le saint Docteur^ dit souvent à Dieu dans Jaoob. i,-n,
ses Confessions : « Seigneur, donnez-nous ce
que vous commandez , et commandez ce que
vous voudrez. » Il nous apprend que Pelage',
lorsqu'il était à Rome , ayant entendu un
évêque rapporter ces paroles, ne put les
soufirir , et que peu s'en fallut qu'il ne fit un
procès à cet évêque. « Mais, reprend saint
Augustin, qu'y a-t-il que Dieu nous com-
mande plus fortement et avant toutes choses,
sinon que nous croyions en lui ? C'est donc i
lui-même qui nous donne de croire en lui , î
si on lui a bien fait cette prière : Donnez- \
nous ce que vous commandez . Quand il nous * ;
fait cet autre commandement : Retournez à zaoh.i, s. ,
moi, et je retournerai à vous, et que nous lui
disons : Convertissez-nous , â Dieu de notre
salut! et : 0 Dieu tout-puissant! conve?'tissez-
nous, que disons-nous autre chose , sinon :
Donnez ce que vous commandez ? Lorsqu'il
nous dit : Ayez de l'intelligence, vous autres Psai. iicm,
de mon peuple, qui n'en avez point, et que
nous lui disons : Donnez-moi de l'intelligence,
afin que j'apprenne vos commandements, que
disons-nous autre chose , sinon : Donnez ce
LIXXIV
lAXIX
Psili
, 6 et
1 Utinam, inquit, dirigantur vise mece ad custo-
diendasjustificationes tuas. Prœcepisti quidem tu,
sed utinam quod prœcepisLi fiât milii. Ubi audis
utinam, vocem oplanAs agnosce; et, agnila voce
oplanlis, depoae superbiam pi'cesumentis. Quis
enim se dicat optare, quod sic habet in arbitra
potestate, ut nullo indigens adjuviento id possit
efficere? Ergo si optât homo quod prœcipit Deus,
ut det ipse quod prœcipit, rogandus est Deus.
A quo enim optandum est, nisi ab illo a que Pâ-
tre luminum omue datuin optimum et omne donum
perfectum, sancla Scriplura teste, descendit? Au-
gust., in l'sal. cxviu, serm. 4, num. 2, pag. 1285.
\.._ ^ Et tota spes inea nonnisi in magna valde ini-
sericordia tua. Da quod jubés et jubé quod vis...
continentiam jubés, da quod ju,bes et jubé quod
vis. August., lib. X. Conf., cap. xxix, num. 40,
pag. 184. Omnia possum, inquit Apostolus, in eo
qui me confortât. Conforta me tit possim. Ba quod
jubés et jubé quod vis. Iste se accepisse confite-
tur, et quod gloriatur, in Domino gloriatur. ÀVr
divi alium rogantem ut accipiat : Aufer a me, in-
quil, concupiscentias veutris, unde apparet,Sancte
Deus meus, le dare, ciun- fit quod imperas fieri.
August, ibid., cap. xsxi, num. 45, pag. 186.
3 Sœpe dixi: Da quod jubés, et jubé quod vis;
quœ mea verba Pelagius Romœ, cum a quodam
fratre et coepiscopo meo fuissent eo prœsente
commemorata, ferre non potuit, et contradicens
aliquanto commotiiiiS. pêne cum eo qui illa com-
memoraoerat litigavit. Quid vero primitus et
maxime Deus jubet, nisi ut credamus in eum ?
El hoc ergo ipsedat, sibene illud dictum est: Da
quod jubés. August., De Dono pers., cap. xi,
num. 53, pag. 851.
' Cum ergo nobis jubet dicens : Convertimini ad
me et convertar ad vos, nosque illi dicimus : Con-
verte nos, Deus sanitatum nostrarum, et, Deus vir-
tutum, couverte nos : quid aliud dicimus quam: Da
quod jubés? Cum jubet dicendo : Intelligite ergo
qui insipientes estis in populo, et nos illi dicimus :
Da mihi intellectum, ut diseam mandata tua, quid
aliud dicimus quam: Da quod jubés? Cum^ jubet
dicendo: Post concupiscentias tuas non 3as, nosque
dicimus : Scimus quia nemo potest esse continens
nisi Deus det; quid aliud dicimus quam: Daquod
jubés? Cum iiiiei dicendo; Facile justitiam, nosque
dicimus: Doce me justificationes tuas, quid aliud
dicimus quam : Da quod jubés? Item cum dicit :
Beati qui esuriunt et sitiunt justitiam, quoniam
ipsi salurabuntur, a quo debemus petere cibum
potumque juslitiœ, nisi ab illo qui esurientibus
eam et sitientibus promittit ejus saluritalem?
August, lib. II De Peccat. meril. et remis., cap. v,
num. 5, pag. 42.
[iv= ET r siiCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
697
que vous commandez? Quand il nous fait
cette instruction : Ne vous laissez point en-
traîner à vos mauvais désirs, et que nous lui
disons : Nous savons que personne ne peut être
tempérant, si Dieu ne lui donne de l'être , que
lui disons-nous autre chose, sinon : Donnez
ce quevous commandez? Quand il nous com-
mande de pratiquer la justice, et que nous lui
disons : Apprenez-moi vos justices, que lui di-
sons-nous autre chose, sinon : Donnez-nous
ce que vous commandez? Enfin, quand il
dit : Heureux ceux qui ont faim et soif de la
justice, parce qu'ils seront rassasiés, à qui de-
vons-nous demander le pain et l'eau de la
justice , sinon à celui qui promet d'en rassa-
sier ceux qui en ont faim et soif? »
96. Selon saint Augustin, pour montrer
que la foi est un don de Dieu , l'Église n'a '
que faire d'avoir recours à des discours labo-
rieux et étudiés ; il lui suffit de faire attention
aux prières qu'elle fait tous les jours à Dieu.
EUe le prie de faire que les fidèles croient.
C'est doncDieu qui les convertit à lafoi.«Que^
les pélagiens nous répondent, dit-il, et qu'ils
nous montrent quel bien il pourrait y avoir
dans les ennemis du nom chi-étien, par lequel
ils pussent mériter la foi. Cependant nous
prions pour eux , lorsqu'ils ne sont encore
que terre , selon la parole de saint Cyprien.
Nous prions non-seulement pour ceux qui ne
se veulent pas rendre à la vérité , mais aussi
qui l'improuvent et qui la combattent. Et
quel est le but de nos prières , sinon qu'ils
veulent ce qu'ils ne voulaient pas, qu'ils ap-
prouvent ce qu'ils improuvaient, et qu'ils
aiment ce qu'ils combattaient? A qui de-
mandons-nous toutes ces choses, si ce n'est
à celui dont il est écrit : C'est le Seigneur qui
prépare la volonté? Y a-t-il eu un temps ^ où
l'Éghse n'ait point prié pour les infidèles et
pour les ennemis de sa foi et de sa doctrine,
afin qu'ils crussent et qu'ils l'embrassassent?
Quand est-ce que les vrais fidèles ont eu
leurs amis, ou leurs parents, ou leurs fem-
mes infidèles, et qu'ils n'ont point demandé
à Dieu qu'il leur donnât un esprit soumis et
obéissant à la foi chrétienne ? L'Église donc
est née, croît et a cru jusqu'à cette heure
dans cette foi : comme eUe est née , comme
elle croit et comme eUe a cru jusqu'à
cette heure dans l'usage de ses prières ; car
elle ne prierait pas Dieu de donner la foi aux
infidèles , si elle ne croyait que c'est Dieu
qui convertit à soi les volontés des hommes,
lorsqu'elles sont les plus rebelles et les plus
opposées à sa vérité. »
Saint Augustin, écrivant à un nommé
Vital, de Carthage, qui soutenait que le
commencement de la foi n'était pas un don
de Dieu, insiste principalement sur les priè-
res de l'Église. « Dites-donc nettement , lui
dit-il*, que nous ne devons point prier pour
ceux à qui nous prêchons l'Évangile, mais
seulement le leur prêcher. Disputez contre
les prières de l'Église ; et loi'sque vous en-
tendez le prêtre du Seigneur àl'autel, exhor-
tant le peuple de Dieu à prier pour les infi-
dèles, afin que Dieu les convertisse à la foi ;
pom' les catéchumènes, afin qu'il leur ins-
pire le désir de la régénération divine ; et
1 Prorsus m hac re non operosas disputationes
exspectel Ecclesia, sed dttendat quotidianas ora-
tiones suas, orat ut increduU credant, Deus ergo
convertit ad /idem. August., lib. De Dono pers.,
cap. VII, num. JS, pag. 828 et 829.
2 Respondeanl certe hœretici nom quid bono-
rwni ineritorum prœcedat in hominibus inimicis
nomini christiano , non solum enim non habent
bonuni, sed habent etiam pessimum meritum. Et
tamen etiam sic Cyprianus inteUigit quod in ora-
tione dicinius : Fiat voluntas tua iii cœlo et in ter-
ra , ut et pro ipsis qui propter hoc, terra intelli-
guntur, oremus. Oramus ergo non solum pro
nolentibits, verum etiam pro repugnantibus, et
oppugnantibus ; quid ergopetimus, nisi ut fiant ex
nolentibus volentes, ex repugnantibus consentien-
tes, ex oppugnantibus amantes? A que nisi ab
illo de quo scriptum est : Prœparatur voluntas a
Domino? August., lib. IV Coîiif a duas Epist.pelag.,
num. 26, pag. 485.
s Qwando enim non oratum est in Ecclesia pro
infidelibus atque inimicis ejus lit crederent; quan-
do fidelis quisdam amicum, proximum, conjugem
habuit infidelem, et noneipetivit a Domino men-
tem obedientem in chrislianam fidem?... Sicut
ergo in his orationibus ila et in hac fide nata est
et crescit et crevit Ecclesia, quafide creditur gra-
tiam Dei non secundum mérita accipientium dari,
quando quidem non oraret Ecclesia ut daretur
infidelibus fides, nisi Deuni crederet et adversas
hominum ad se converteret voluntates. August.,
De Dono pers., cap. xxiii, num. 63, pag. 855 et836.
* Exsere contra orationes Ecclesiœ disputatio-
nes tuas; et quando audis sacerdotem Dei ad ai-
tare exhortantem populum Dei orare pro incre-
dulis ut eos Deus convertat ad fidem, et pro ca-
thecumenis ut eis desiderium regenerationis ins-
piret, et pro fidelibus ut in eo quod esse ccepenmt,
ejus munere persévèrent , subsanna pias voces et
die te non facere quod hortatur, id est Deum pro
infidelibus ut eos fidèles faciat, non rogare, eo
quod non sint ista divinœ miserationis bénéficia,
sed humanœ officia voluntatis. August., EpisU 217,
num. 2, pag. 799.
698
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
pour les fidèles, afin que, par le don de sa
grâce , ils persévèrent dans l'état où il les a
mis, moquez-vous de ces pieuses paroles,
et dites que vous ne ferez point ce qu'on
vous exhorte de faire , c'est-à-dire que vous
ne prierez point Dieu pour les infidèles, afin
qu'il les rende fidèles, parce que ce n'est
point un bienfait de sa miséricorde , mais un
effet de leur volonté. Si vous niez qu'on
doive prier Dieu pour ceux qui ne veulent
pas croire , afin qu'ils veuillent croire ; si
vous ^ niez qu'on doive rendre grâces à Dieu
de ce que ceux qui ne voulaient pas croire
ont voulu croire, il faudra agir d'une autre
sorte avec nous , afin que vous ne soyez pas
dans une si grande erreur ; ou que, si vous
vous opiniâtrez à y demeurer, vous n'y je-
tiez pas les autres. Mais, si vous demeurez
d'accord, comme j'aime mieux le croire de
vous , que nous devons et que nous avons
coutume de prier pour ceux qui ne veu-
lent pas croire afin qu'ils veuillent croire ,
pour ceux qui rejettent et qui combattent sa
loi et sa doctrine , afin qu'ils la reçoivent et
qu'ils s'y soumettent; si vous demeurez
d'accord que nous devons rendre grâces à
Dieu pour ces personnes, de ce que les
ayant converties à la foi il les a fait vouloir
ce qu'elles ne voulaient pas auparavant , il
faut que vous reconnaissiez comme une vé-
rité indubitable que la grâce de Dieu pré-
vient les volontés des hommes, et que c'est
Dieu qui fait que les hommes veulent le bien
qu'ils ne voulaient pas , puisque c'est lui que
nous prions afin qu'il leur fasse vouloir , et
que c'est lui à qui nous croyons que c'est
une chose juste et raisonnable de rendre
grâces lorsqu'il les a fait vouloir. »
Ailleurs , saint Augustin s'exprime ainsi:
« L'Apôtre, dit-il, rend grâces à Dieu * pour
ceux qui avaient cru, non parce que l'Évan-
gile leur avait été annoncé, mais parce qu'ils
avaient cru : car il dit auxÉphésiens qu'ayant
ouï parler de leur foi en Jésus-Christ, il ne
cesse point d'en rendre grâces à Dieu pour
eux. Leur foi était toute nouvelle , et l'Apô-
tre en rend grâces à Dieu pour eux. Si c'était
à un homme qu'il rendit grâces pour une
chose qu'il ne croirait pas, ou qu'il saurait
même certainement que cet homme n'aurait
pas faite , ce serait plutôt une flatterie ou une
moquerie qu'une véritable action de grâces.
Mais ne vous y trompez pas, on ne se moque
point de Dieu ; ainsi , il faut reconnaître
que la foi même naissante et dans ses pre-
miers commencements est vn don de Dieu ,
si on ne veut accuser l'Apôtre de lui avoir
rendu une action de [grâces fausse et trom-
1 Quamobrem ut hune ad te sermonem aliquan-
do concludam, si negas orandum esse ut qui no-
lunt credere velint credere, si negas agendas esse
Deo gratias quoniam credere voluerunt qui nole-
bant credere, aliter tecum agendum est ne non
sic erres, aut, si errare persistis, ne initias alios
in errorein. Si autem, quod de te magis credo,
sentis atque consentis orare nos Deum debere ac
solere pro nolentibus credere, ut velint credere,
et pro eis qui adversanliir et conlradicunt legi
ejus atque doctrinœ, ut ei credant eamque sec-
tentur, si sentis atque consentis debere nos eliani
Deo agere gratias ac solere pro talibits, cum ad
fidem ejus doctrinamque conversi volentes ex no-
lentibus fiunt, oportet sine dubitatione fatearis
voluntates hominum Dei gratia prœveniri, et ut
bonum velint homines quod nolebant, Deum fa-
cere qui rogattor ut faciat, et qui nos novimus
agere gratias dignum et justum esse cum fecerit.
August., Epist. 217, num. 30, pag. 809.
2 Deo gratias agit Àpostolus pro his qui credi-
derunt, non utique quoniam eis annuntialum est
Evangeli'um, sed quoniam crediderunt. Ait enim:
In quo et vos audientes verbum veritatis Evange-
lium salutis vestrae, in quo credentes siguati estis
Spiritu promissionis Sancto qui est pignus hceredi-
tatis nostrcB in redemptionem acquisitionis in lau-
dem glorias ipsius, propter lioe et ego, audita fide
vestra in Christo Jesu et in omnes sanctos , non
cesse gratias agere pro vobis. Nova erat et recens
eorum fides pradicato sibi Evangelio, qua fide
audita, gratias Deo pro eis agit Àpostolus. Si ho-
mini gratias agerel pro eo, quod illum vel puta-
ret non prœstilisse vel nosse ; adulatio vel irri-
sio verius quam gratiarum actio diceretur. No-
lite errare, Deus non irridetur. Donum enim ejtis
est etiam incipiens fides, ne Apostoli falsa vel fal-
lax gratiarum actio merito judicetur. Quid illud,
nonne inilium fidei apparet Thessalonicensium
de quo tamen idem àpostolus Deo gratias agit,
dicens : Propterea et nos gratias agimus Deo sine
intermissione quoniam, cum percepissetis a nobis
verbum aiiditus Dei, excepistis non ut verbum bo-
miuum, sed, sieut est, vere verbum Dei, quod ope-
ratur in vobis, cui credidistis? Qiiid est quod liinc
Deo gratias agit? Kempe vaïium est atque inane,
si qui gratias agit, hoc ipse non fecit; sed quia
vanum et inane non est, profecto Deus cui de hoc
opère gratias agit, ipse fecit, ut, cumpercepissent
ab Apostolo verbum auditus Dei, exciperent illud
non ut verbum hominum, Deus igitur operatur
in cordibus hominum vocatione illa secundum
propositum suum, de qua multum locuti sum^is,
ut non înaniter audiant Evangelium , sed eo au-
dito convertantur et credant, excipientes non ut
verbum bominum, sed, sicut est, vere verbum Dei.
August., De Prœdesl. sanct., cap. xix, num. 39,
pag. 816.
[lye ET V° SIÈCLES.]
SAmT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
699
peuse. N'est-ce pas du commencement de la
foi des Tliessaloniciens que le même Apôtre
rend grâces à Dieu lorsqu'il dit dans la pre-
mière Épître qu'il leur adresse : C'est pour-
quoi noies rendons à Dieu de continuelles actions
de grâces, de ce qu'ayant entendu la parole de
Dieu que nous vous prêchions , vous l'avez reçue,
non comme la parole des hommes, mais comme
étant , ainsi qu'elle l'est véritablement , la pa-
role de Dieu qui opère en vous, qui êtes fidèles ?
Pourquoi en rend-il grâces à Dieu? C'est sans
sujet et sans raison , si celui à qui il rend
grâces n'a pas fait la chose pour laquelle il
lui rend grâces. Mais parce qu'on ne peut
accuser l'Apôtre d'avoir agi sans raison , il
faut reconnaître que ce commencement de
la foi dans les Thessaloniciens , dont il rend
grâces à Dieu , était véritablement l'ouvrage
de Dieu, et que c'était Dieu qui avait fait que,
l'Apôtre leur prêchant sa parole , ils l'avaient
reçue non comme la parole des hommes ,
mais comme la parole de Dieu , ainsi qu'elle
est véritablement. C'est donc Dieu qui, opé-
rant dans le cœur des hommes par cette vo-
cation, selon son décret éternel, fait que ce
n'est pas sans fruit qu'ils écoutent l'Évan-
gile ; mais que , l'ayant écouté , ils se con-
vertissent et croient, le recevant non comme
la parole des hommes, mais comme la pa-
role de Dieu, ainsi qu'il l'est véritable-
ment. »
Saint Augustin avait été lui-même dans
l'erreur à l'égard du commencement de la
foi, qu'il croyait être de nous-mêmes; mais il
l'abandonna, ayant lu dans saint Paul que
nous n'avons rien que nous n'ayons reçu.
« C'est ce passage, dit-il ' , qui a le plus con-
tribué â me ramener de l'erreur où j'étais,
que ce n'était pas un don de Dieu de com-
mencer à croire en lui ; que nous avions cela
de nous-mêmes, et que par là nous attirions
sur nous les grâces qui nous sont nécessai-
res pour vivre dans ce siècle avec piété,
justice et tempérance : car je ne croyais
point que pour avoir la foi nous eussions be-
soin d'être prévenus par la grâce, en sorte
que ce fût par elle qu'il nous soit donné de
prier utilement, mais que nous l'étions seu-
lement par la prédication de la vérité, sans
quoi il ne nous était pas possible de croire ;
et qu'après que l'Évangile nous avait été
prêché, c'était à nous de le recevoir, et que
nous avions cela de nous-mêmes. On peut
voir que j'ai été dans cette erreur par quel-
ques-uns des ouvrages que j'ai composés
avant d'être évêque, et entr'autres par celui
où j'ai expliqué quelques passages de l'Épltre
aux Romains, et où j'ai dit que de faire le
bien c'est une chose que nous tenons de
celui qui donne son Saint-Esprit â ceux qui
croient ; mais que c'est de nous-mêmes que
nous croyons. Je me serais bien gardé de
parler de la sorte , si j'avais su que la foi
même était un des dons que Dieu nous com-
munique par ce même Esprit. L'un et l'autre
est â nous à la vérité, à cause de notre libre
arbitre ; mais l'un et l'autre nous est donné
par l'Esprit qui produit en nous la foi et la
charité, car ce n'est pas la charité toute
seule qui vient de Dieu ; il est écrit : Que
Dieu le Père et Jésus-Christ nous donnent
la charité avec la foi. Ce que j'ai dit un peu
plus bas, qu'il est en nous de ciboire et de vou-
loir, et que c'est à celui qui répand la charité
dans nos cœurs, de donner par son Saint-Es-
prit à ceux qui croient et qui veulent la fa-
culté défaire le bien, est vrai; mais selon la
même règle , car l'un et l'autre est à nous ,
i. 1 Quid autem habes quod non aooepisti 1 Si
autem et aocepisti, quid gloriaris quasi non acce-
peris? Quo prœcipue testimonio etiam ipse con-
victus suin, cum simililer errarem putans fulem
qua in Beum crediinus non esse donxim Dei, sed a
nobis esse in nohis, etper illam nos impelrare Dei
doua quibus temperanter et juste et pie vivanms
in hoc sœculo. Neque enim fidem putabam Dei gra-
tta prœveniri, ut per illam nobis daretur quod
posceremus utiliter, nisi quia credere non posse-
mus, si non preccderet prœconium veritatis: ut
autem prœdicato nobis Evangelio consentir émus
noslrum esse proprium et nobis ex nobis esse ar-
bitrabar. Quem mewm errorem nonnulla opuscula
mea satis indicant ante episcopatum meum
scripla,. in quibus est illud quod commemorastis
in litteris vestris ubi est expositio quarumdam
propositionum ex Epistola quœ est adRomanos...
Quod ergo credimus nosirum est, quod autem bo~
num operamur illius est qui credenlibus dat Spi-
ritum Sanct'um ; profecto non dicerem, si jam
scirem etiamipsam fidem inter Dei munera reperiri
quœ dantur in eodem Spiritu. Utrumque ergo nos-
trum est propter arbitriumvoluntatis, et utrum-
que tamen dalum est per Spiritwn fidei et cha-
ritatis ; neque enim solo, charltas, sed, sicut scrip-
tum est: Charitas cum fide a Dec Patre et Domino
Jesu Christo; et quodpaulo post dixi: Nostrum est
enim credere et velle, illius autem dare credenti-
bus et volentibus facultatem bene operandi per
Spiritum Sanctum per quem charitas diffunditur in
cordibus nostris, vevum estquidem sed eadem ré-
gula et utmmque ipsius est, quia ipse prœparat
voluntatem, et utrumque nostrum quia non fit
nisi volentibus nobis. August., De Prœd. sanct,,
cap. ni, num. 7, pag. 793 et 794.
700
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
La fol n'oEt
pDs accordée i
toasi
parce que cela ne se fait point sans que
nous le voulions ; mais l'un et l'autre vient
aussi de Dieu, puisque c'est lui qui prépare
cette volonté. »
97. « Lorsque l'on prêche * l'Évangile, dit
saint Augustin, il y en a quelques-uns qui
croient et d'autres qui ne croient pas ; mais
ceux qui croient écoutent et apprennent du
Père au dedans, lorsque le prédicateur leur
parle au dehors; et ceux qui ne croient pas
écoutent au dehors, mais ils n'écoutent point
et n'apprennent point au dedans, c'est-à-dire
qu'il est donné aux uns de croire, et nonpas
aux autres, parce que nul, dit Jésus-Christ,
ne peut venir à moi si mon Père qui m'a envoyé
ne le tire ; ce qu'il exprime ensuite plus clai-
rement, en disant : Nul ne peut venir à moi,
s'il ne lui a été donné de mon Père. Ainsi, la
foi dans son commencement et dans sa per-
fection est un don de Dieu ^; et nul ne peut
douter que ce don ne soit accordé aux uns
et refusé aux autres à moins qu'il ne veuille
combattre ouvertement les paroles claires de
l'Écritm'e sainte. Or, un chi'étien ne doit
point trouver étrange que Dieu ne donne pas
cette grâce à tous les hommes, puisqu'il sait
que, par le péché d'un seul homme, tous les
hommes ont été précipités dans une con-
damnation qui est indubitablement très-juste
et très-équitable; en sorte que nul ne pour-
rait se plaindre justement de Dieu , quand
même il ne délivrerait aucun homme de
cette ruine générale de la nature. C'est donc
par une grâce qui est sans doute bien
grande que Dieu en délivre plusieurs qui
reconnaissent la peine qui leur était due,
par l'état misérable qui était de ceux qui n'en
sont point déhvrés, afin que celui qui se glo-
rifie ne se glorifie point dans ses mérites ,
qui lui sont égaux avec tous ceux qui se per-
dent, mais dans le Seigneur. Que si l'on de-
mande pourquoi Dieu en délivre l'un et n'en
délivre pas l'autre, nous répondrons avec
saint Paul, que c'est en cela proprement que
ses jugements sont impénétrables et ses
voies imcompréhensibles : car il nous est
sans doute plus avantageux d'écouter en
cette rencontre ces paroles de l'Apôtre : 0
homme, qui es-tu pour disputer contre Dieu ?
que non pas d'avoir assez de hardiesse pour
dire que nous connaissons ce que celui qui
ne peut vouloir rien d'injuste a voulu être
caché et inconnu à tous les hommes. »
98. Selon saint Augustin, la prière elle-
même est un témoignage ' très-clair de la
grâce. D'où vient qu'elle est mise * dans l'É-
criture au nombre des dons delà grâce. Nous
nesavons pas même, dit le Docteur des nations,
ce que nous devons demander à Dieu, ni com-
ment il faut demander. Mais le Saint-Esprit
lui-même prie pour nous par des gémissements
ineffables. Quand il dit que l'Esprit prie, il ne
veut dire autre chose, sinon que c'est l'Es-
prit qui nous fait prier. En effet, la plus
grande marque d'indigence, c'est de prier,
et de prier avec gémissement. Or, on ne dira
pas, sans doute, que le Saint-Esprit soit dans
l'indigence. Si donc il est dit ici qu'il prie,
nom.
1 Cwm igitur Evangelium prœdicatur, quidam
credunt, quidam non credunt , sed qui credunt,
prœdicatore forinsecus insonanLe , inlus a Pâtre
audiunt atque discunt ; qxUautemnon credunt, fo-
rts audiunt, inlus non audiunt neque discunt: hoc
est, Mis datur ut credant. Mis non dalur... Nemo
venit ad me nisi fuerit ei datuin a Pâtre meo. Au-
gust., lib. De Prœdest. sanct., cap. viii, num. 15,
pag. 80t.
2 Fides igitur et inchoata et perfecta donum Dei
est; et hoc donum quibusdam dari, quibusdam
non dari, omnino non dubitet qui non vult mani-
festissimis sacris litteris repugnare. Cur autem
non omnibus detur, fidelem movere non de.bet qui
crédit ex uno omnes esse in condemnationem, sine
dubitatione justissimam : ita ut nulla Dei esset
justa reprehensio , etiamsi nullus inde liberare-
tur. Unde constat magnam esse gratiam quod plii-
riini liberantur, et quod sibi deberetur, in eis qui
non liberantur agnoscunt, ut qui gloriatur non in
suis meritis, quœ paria videt esse damnatis, sed
in Domino glorietur. Cur autem illumpotius quain
illwm liberet, inscrutabilia sunt judicia ejus et
investigabiles viœ ejus ; melius enim et hic audi-
mus aut dicimus: 0 homo, tu quis es qui respon-
deasDeo? quam dicere audemus, quasi noverimus
quod occultum esse voluit qui tamen aliquid in-
justum velle non potuit. August.,lib. De Prœdest.
sanct., cap. ix, num. 16, pag. 801.
^ Ipsa igitur oratio, clarissima est gratiœ tes-
tificatio. August., Epist. m, num. 4, pag. 623.
'• Etiam ipsa oratio inter gratiœ munera repe-
ritur. Quid enim oremus, ait Doctor gentium, si-
cut oportet, nescimus, sed ipse Spiritus interpellât
pro nobis gemitibus inenarrabilibus. Quid est au-
tem, interpellât, nisi interpellare nos facit ? Indi-
gentis enim certissimum indicium est interpellare
gemitibus. Nullius autem rei esse indigentem fas
est credere Spiritum Sanctum. Sed ita dictum- est,
interpellât, quia interpellare nos facit, nobisqtie
interpellandi et gemendi inspirât affectum: sicut
illud in Evangelio : Non enim vos estis qui loqui-
mini, sed Spiritus Patris vestri, qui loquitur in
Tobis. Neque enim et hoc ita fit de nobis tanquam
nihil facientibus nobis, adjutorium igitur Spiritus
Sancti sic expressum est, ut ipse facere diceretur,
quod ut faciamus facit. August., Epist. 194 ad
Sixtum, num. 16, pag. 720.
[iv= ET V» SIÈCLES.] SMNT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
IV, 6.
c'est parce que c'est lui qui nous fait prier,
et qui nous inspire le désir et raffection ou
le mouvement de prier et de gémir. C'est
ainsi qu'il est dit dans l'Évangile : Ce n'est
pas vous qui parlez, mais c'est l'Esprit de votre
Père gui parle en vous. Ce n'est pas que cela
se fasse en nous, comme si nous étions sans
action; mais l'Ecriture, pour mieux mar-
quer ce secours du Saint-Esprit, dit que c'est
lui qui fait ce qu'il nous fait faire. Quand
l'Apôtre dit encore ' : Que Dieu a envoyé dans
nos cœurs l'Esprit de son Fils, qui crie : Mon
Père, mon Père, cela veut dire qu'il nous fait
crier; ce qui nous fait voir ^ que cela même
est un don de Dieu, que nous crions à Dieu
spirituellement et d'un cœm" fidèle. Que ceux-
là donc prennent garde combien ils se trom-
pent, qui pensent que nous avons de nous-
mêmes, et qu'il ne nous est pas donné de
demander, de chercher, de frapper à la
porte , et qui disent qu'en cela la grâce est
précédée par notre mérite, qu'elle le suit
lorsqu'en demandant nous le recevons, qu'en
cherchant nous trouvons, et qu'on nous ou-
vre quand nous frappons ; et qui ne veulent
pas entendre que de prier, de demander, de
chercher, de frapper à la porte, c'est un don
de la libéralité de Dieu. Car nous avons reçu
l'esprit d'adoption des enfants de Dieu, par le-
quel nous crions : mon Père, mon Père. Ce que
le bienheureux Ambroise a bien vu quand il
a dit que de prier Dieu , c'est une grâce spiri-
tuelle , selon ce qui est écrit , que nul ne peut
confesser que Jésus-Christ est le Seigneur, sinon
701
par le Saint-Esprit. Il arrive ^ quelquefois que
notre prière est si tiède ou plutôt si froide,
et même si absolument éteinte, que nous ne
nous en apei'cevons pas, et que nous n'en
avons pas la moindre douleur, puisque ce
serait prier que d'en avoir de la douleur. Or,
qu'est-ce que cela nous montre, sinon que
celui-là donne de demander, de chercher et
de frapper, qui nous commande de faire ces
choses?»
99. Les semi-pélagiens soutenaient * que
le commencement de la foi n'était pas un
don de Dieu, et ils ajoutaient à cette erreur,
que, comme nous avions de nous-mêmes le
commencement de la foi , sans que Dieu
nous le donnât , il était également en nous
de persévérer dans la foi jusqu'à la fin. « En
cela, dit saint Augustin, ils contredisaient ou-
vertement cet endroit de l'Apôtre : Qu'avez-
vous que vous n'ayez reçu ? et le bienheureux
saint Cyprien, qui dit que nous ne devons
nous glorifier de rien, puisqu'il n'y a rien
qui vienne de nous. Si la persévérance ^
n'est pas un don de Dieu , comment sauye-
rons-nous la vérité de ce que dit l'Apôtre :
// vous a été donné pour la gloire de Jésus-
Christ , no7i-seulement de croire en lui , mais
encore de souffrir pour lui. L'un regarde le
commencement, l'autre la fin : car un chré-
tien n'a corumencé à être chrétien, que lors-
qu'il a commencé à croire en Jésus-Christ;
et il ne saurait finir plus heureusement qu'en
souffrant pour Jésus -Christ. Mais l'un et
l'autre est un don de Dieu, puisqu'il est dit,
Sur la
iranco:
êlie est un
1 Ipse est enim de quo alio loco dicit : Misit
Deus Spiritum Filii sui in corda nostra, claman-
tem:Abba, Pater. Et hic quid est, clamantem, nisi
clamare facientem? August., lib. De Dono pers.,
num. 64, pag. 856.
2 Ubi intelligimus, et hoc ipsum esse Dei,utve-
raci corde et spiritaliter clamemus ad Deum. At-
tendant ergo quomodo falluntur, qxii putant
esse a nobis, non dari nobis, ut petamus, quœra-
mus, pulsemus; et. hoc esse dicunt, quod gratia
prcecedetur merito nostro, ut seqiMtwr illa, cum
accipimus petentes, et invenimus quœrentes, ape-
ritnrque pulsantibus; nec volmit intelligere etiam
hoc divini muneris esse, ut oremus, hoc est, peta-
mus, quceramus, atque pulsemus. Accepimus enim
Spiritum adoptionis filiorum , in quo tlamamus :
Abba, Pater. Quod vidit et beatus Ambrosius, ait
enim : Orare Deum, gratiae spiritalis est ; sicut scrip-
tum est ; Nemo dicit : Dominus Jésus, nisi in Spi-
ritu Sancto. August., lib. De Dono pers., num. 64,
pag. 856.
3 Nonne aliquando ipsa oratio nostra sic tepida
est, vel potius frigida et pêne nulla, imo omnino
interdum ita nulla, ut neque hoc in nobis cum do-
lore adverlamus? Quia si vel hoc dolemus, jam
oramus. Quid ergo aliud ostenditur nobis, nisi
quia et petere et quœrere et pulsare ille concedit,
qui ut hœc faciamus jubet? August., lib. I ad
Simpl.dediversisquœst., num. 21, pag. 102, tom.VI.
* Quam ficlem et incipere habere, et in ea usque
in jinem permanere, tanquam id non a Domino
accipiamus nostrum esse contendunt. Hic procul
dubio contradicitur Apostolo dicenti : Quid enim
babes, quod non accepisti? Contradicitur et mar-
tyri Cypriano dicenti : InnuUogloriandum, quando
nostrum nihil sit. August., De Dono pers., cap. xvii,
num. 43, pag. 845.
5 Quo constituto, videamus utrum hœc perseve-
rantia, de qua dictum est : Qui perseveraverit us-
que in finem, hic salvus erit , donum Dei sit. Quod
si non sit, quomodo verum est quod Apostolus
ait : Vobis donatum est pro Christo non solum ut
credatisin eum, verum etiam ut patiamini proeo?
Eorum quippe unum pertinet ad initium, alterum
ad finem, uirumque tamen est Dei donum, quia
utrumque dictum est essedonatum, sicut et superius
jam diximus. August., De Dono pers., cap. ii,
num, 2, pag. 822.
702
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
comme nous l'avons déjà remarqué , que
l'un et l'autre nous a été donné. La preuve
que cette ' persévérance est un don de Dieu
se trouve dans l'Oraison dominicale que
chaque fidèle récite tous les jours. Lors-
qu'après avoir été sanctifiés par le baptême,
nous disons à Dieu : Que votre nom soit sanc-
tifié, c'est la persévérance dans la sainteté
que nous lui demandons ; c'est-à-dire que
nous le prions de faire que nous continuions
d'être saints : car le prier sans cesse de nous
donner ce que nous avons , n'est-ce pas le
prier de faire que nous ne cessions jamais
de l'avoir? Ainsi, comme les saints, en de-
mandant à Dieu la grâce d'être saints; ne
lui demandent autre chose que de continuer
de l'être , de même lorsque ceux qui ont la
chasteté, la continence, la justice, la piété
ou quelques autres de ces vertus, qui sont
des dons de la libéralité de Dieu, lui de-
mandent ces mêmes dons qu'ils ont déjà , il
est clair qu'ils ne lui demandent autre chose
que de continuer d'avoir ces biens qu'ils re-
connaissent avoir reçus ; et s'ils obtiennent
ce qu'ils demandent, ils obtiennent la per-
sévérance qui est ce don précieux, par le-
quel on conserve tous les autres. Mais quoi-
qu'on ne puisse nier ^ que la persévérance
dans le bien jusqu'à la fin ne soit un grand
don de Dieu, et qu'elle ne procède de celui
jMoi.. 1, 17. dont il est écrit : Tout don excellent et tout
don parfait vient d'en haut et du Père des lu-
mières, on ne doit pas en conclure qu'il
faille négliger de donner des avertissements
à celui qui n'a pas persévéré, puisqu'il peut
arriver que Dieu lui donnera des mouve-
ments de pénitence, et le tirera des pièges
du diable. Ces paroles de Jésus-Christ à saint
Pierre : J'ai prié pour vous, afin que voire foi
ne défaille point, fournissent encore une
preuve que l'homme ne tient pas de lui-
même la persévérance dans le bien. Car le
Sauveur demanda-t-il autre chose pour saint
Pieri-e, sinon qu'il persévérât jusqu'à la fin?
Et n'est-il pas certain qu'on ne la devrait
point demander à Dieu, si l'homme la tenait
de l'homme, c'est-à-dire de lui-même? On en
trouve une autre preuve dans ce que dit l'A-
pôtre aux Corinthiens : Nous prions Dieu afin
que vous ne fassiez point de mal. Il est sans
doute qu'il demandait à Dieu pour eux la
persévérance , puisque celui qui quitte le
bien et qui se porte au mal fait indubitable-
ment le mal. Et dans cet autre endroit où il
dit : J'ai cette confiance, que celui gui a com-
mencé en vous une si bonne œuvre , l'achèvera
jusqu'au jour de Jésus-Christ. Que leur pro-
met-il en effet autre chose de la miséricorde
et de la grâce de Dieu , sinon la persévé-
rance dans le bien jusqu'à la fin? Mais pour-
quoi Dieu ne donne-t-il pas la persévérance '
à ceux à qui il avait donné l'amour et la cha-
Luc. i^,
1 Dioimus, inquit sanctiis Cyprianws : Sanctifîce-
tur nomen tuum, non quod optemus Deo ut sancti-
ficetur orationihus nostris, sed quod jjetamus ab eo
ut nomen ejus sanctifîcetur in uobis. Cœterum a
que Deus sanotifïcatur, qui ipse sanctificat, sed quia
ipse dixit : Sancti estote, quoniam et ego sanctus
sum, id petimus et rogamus, ut qui in baptismo
sanctificati sumus, in eo quod esse cœpimus perse-
veremus...7n sancUficalioneigiturperseverantiam,
hoc est ut in sanctificatione perseveremus, nos ab
eo petere istc doclor intelligit, cum sancUficati cli-
Cvmus : Sancliflcetui- nomen tuum. Quid est enim
aliudpetere quod accepimms, nisi ut id qiwque nobis
prœsletur ne habere desinaimis? Sicnt ergo sanctus,
cum Deum rogat ut sanctus sit, id ulique rogat
ut sanctus permaneat, ila utique et castus, cum
rogat ut castus sit; continens, ut continens sit; j'us-
tiis, ut justus; pius, ut puis, et cœtera, quœ contra
pelagianos dona Dei esse defendinius ; hoc sine du-
bio petunt, ut in eis persévèrent bonis, quœ se acce-
jrisse noverunt. Quod si accipiunt, profecto et ip-
sampersererantiam magnum Dei donum, quo cœte-
ra dona ejus conservantur, accipiunt. August., ibid.,
num. 4, pag. 824.
^ Adhœcnosnegare quidemnon possumus etiam
pcrseverantiam in bono proficientem usque in fi-
neni, magnum esse Dei munus: nec esse nisi ab
illo de quo scriptumest: Omue datum optimum et
omne donum perfectum desursum est, descendens
a Pâtre luminum. Sed non ideo est ejus, gui non
perseveraverit, negligenda correptio, ne forte det
illi Deus pœnitentiam et resipiscat de diaboli lo-
quets... nam si dixerinms istam pcrseverantiam
tam laudabilem tamque felicem sic esse hominis,
ut et non sit ex Deo; illud primitus evacuamus,
quod ait Dominus Petro : Ego rogavi pro te, ne
defîeiat fides tua. Quid enim ei rogavit nisi perse-
verantiam usque in finem? Quœ profecto si ab ho-
mine homini esset, a Deo poscenda non esset.
Deinde cum dicit Àpostolus : Oramus autem ad
Deum, ne quid faciatis mali, procul dtibio pcrse-
verantiam eis orat ad Deitm. Neque enim nihil
mali facit, qui bonum deserit et a quo decUnare
débet, inclinalur in malum non persévérons in
bono. Illo etiam loco ubi dicit; Gratias ago Deo
meo iu omui memoria vestri, semper iu omni prece
mea pro omnibus vobis cum gaudio deprecatiouem
facieus, super communioue vestra in Evangelio a
prima die usque nunc, confidens boc ipsum, quo-
niam qui cœpit in vobis opus bouum, perficiet us-
que in diem Christi Jesu: quid aliud eis quam
pcrseverantiam in bono usqtie in finent, de Dei
oniseratione promitlit ? Angust., De Corrept. et
grat., cap. vr, qiuu. 10, pag. 733.
' Hic si a me qnœratur, cur eis Deus pcrseve-
rantiam non dederit quibw eam, qua christiane
[ly" ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
703
rite par laquelle ils vivaient chrétiennement?
La cause en est inconnue , et on ne doit pas
écouter l'Apôtre avec présomption , mais
avec un sentiment humble de sa propre fai-
blesse, lorsqu'il dit : 0 homme ! qui es-tu pour
demander à Dieu qu'il te rende compte de ce
qu'il fait? Et encore : 0 abîme des richesses de
la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses se-
crets jugements sont incompréhensibles, et que
les raisons de sa conduite sont impénétrables !
Rendons-lui des actions de grâces autant
qu'il lui plaît de nous découvrir ses conseils;
et ne murmurons pas contre sa providence,
autant qu'il lui plaît de nous les cacher ; mais
croyons au contraire qu'il nous est très-utile
qu'ils nous demeurent toujours inconnus. Et
vous qui êtes ennemi de cette grâce , et qui
me demandez la raison de ce secret , ré-
pondez-moi vous-même , si vous le savez.
Vous vous confessez chrétien , et vous vous
vantez d'être catholique. Si donc vous con-
fessez que la persévérance dans le bien est un
don de Dieu, je crois que vous ignorez, aussi
bien que moi , pourquoi l'un reçoit ce don ,
et pourquoi l'autre ne le reçoit pas ; et que
nous ne pouvons tous deux pénétrer ici les
jugements impénétrables de Dieu. Ou si vous
répondez ' que c'est un effet du libre arbitre
de l'homme que vous ne défendez pas selon
la grâce de Dieu , mais contre elle , de ce
que l'un persévère dans le bien , et de ce
que l'autre n'y persévérera pas; et que ce
n'est pas Dieu qui lui donne la persévé-
rance, mais la volonté humaine qui le fait,
qu'opposerez-vous à ces paroles de Jésus-
Christ qni dit : Pierre, j'ai prié pour vous afin
que votre foi ne défaille point ? Oserez-vous
dire encore que Jésus -Christ priât afin
que la foi de Pierre ne défaillit point? Elle
eut néanmoins défailli si Pierre eût voulu
qu'elle eût défailli, c'est-à-dire s'il n'eût pas
voulu qu'elle persévérât en lui jusqu'à la
fin, comme si Pierre eût été capable d'avoir
une autre volonté que celle que Jésus-Christ
demandait pour lui à son Père, et qu'il priait
son Père de lui donner? Car qui peut igno-
rer que la foi de Pierre eût péri, si la vo-
lonté par laquelle il était fidèle se fût per-
due et eût défailli ; et qu'elle se fût au con-
traire conservée , s'il eût gardé cette même
volonté? Mais parce que c'est le Seigneur
qui p)répare la volonté, la prière que Jésus-
Christ ofirit à Dieu son Pèi'e pour lui ne
pouvait être vaine et défectueuse. Quand
donc il a prié afin que sa foi ne défaillît
point, qu'a-t-il demandé autre chose pour
lui, sinon qu'il eût une volonté très-hbre,
très-forte, très-invincible et très-persévérante
dans la foi? Voilà de quelle sorte on défend
la hberté de la volonté selon la grâce de
Dieu, et non pas contre elle. Car la volonté
humaine n'obtient pas la grâce par la liberté,
mais plutôt la liberté par la grâce, et obtient,
afin de persévérer, une délectable perpétuité
et une force insurmontable. «
100. « La nature est commune à tous ', dit
viverent, dilectionem dédit, me ignorare resporir-
deo. Non enim arroganter, sed agnoscens modii-
lum, meum audio dicentem Apostolum: 0 homo,
tu qui es qui respondeas Deo? et: 0 altitude divi-
tiarum sapientice et scientiœ Dei, quam inscrutabi-
lia sunt judicia ejus et iuvestigabiles vice ejus 1
Quantum itaqiie nobis judicia sua manifestare di-
gnatur, grattas agamus ; quantum vero abscon-
dere, non adversus ejus consilixtm miirmuremus,
sed hoc quoque nobis sahtberrimum esse credamus.
Tu autem quisquis inimicus ejus gratiœ sic inter-
rogas, ipse quiddicis? Bene quod te non negas esse
christianum et catholicum jactas. Si ergo confite-
ris, donum Dei esse perseverare in bono usque in
finem, cur hoc donum ille accipiat, ille non acci-
piat? Puto quodmecum panier nescis, et ambo hic
inscrutabilia judicia Dei penetrare non possumus.
August., ibid., cap. vm, num. 17, pag. 738 et 759.
' Aut si ad liberum arbitrium honinis, quod
non secundum Dei gratiam, sed contra eam
défendis, periinere dicis ut perseveret in hono
quisque, vel non perseveret, non Deo donanle
si perseveret, sed humana voluntate faciente;
quid molilurus es contra verba dicenlis : Rogavi
pro te, Petre, ne defîciat fides tua ? An audebis
dicere, etiam rogante Christo ne deficeret fides
Pétri , defecturam fuisse , si Petrus eam. defi-
cere voluisset, Iwc est, si eam usque in finem
perseverare noluisset; quasi aliud Petrus ullo
modo vellet, quam pro illo Christus rogasset ut
vellet ? Nam quis ignorât, tune fuisse perituram
fidem Pétri, si ea qua fidelis erat , voluntas ipsa
deficeret, etpermansuram, si eadem voluntas ma-
neret ? Sed quia piteparatur voluntas a Domino,
ideo pro illo Christi non posset esse inanis oratio.
Quando rogavit ergo ne fides ejus deficeret, quid
aliud rogavit, nisi ut haberet in fide liberrimam,
fortissimam, invictissimam, perseverantissimam
volunlatem? Ecce quemadmodum secundum gra-
tiam Dei, non contra eam, libertas defendilur
voluntatis. Voluntas quippe humana non liberta-
te consequitur gratiam, sed gratia potius liberta-
tem, et, ut perseveret, delectabilem perpetuitateni
et insuperabilem fortitudinem. August., lib. De Cor-
rept. et grat., num. 17, pag. 759.
2 Communis est omnibus natura, non gratia.
Natura non putelur gratia : sed etsi putetur gra-
tia, ideo putetur gratia, quia et ipsa gratis con-
cessa est. August., Serm. 26. m Psal. xciv, num. 4,
tom. V, pag. 137.
704
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
est commDne saint Aue'ustin, et non pas la axâce. Que l'on
ÏL tous les Lom- o ' ^
"ico" °°'' '" ^^ prenne donc point la nature pour la grâce;
ou, si l'on donne le nom de grâce à la nature,
que ce soit seulement parce qu'elle est aussi
donnée gratuitement. Outre cette grâce '■
par laquelle la nature humaine a été créée,
et qui est commune aux chrétiens et aux
païens, il y en a une bien plus grande, par la-
quelle nous avons été faits fidèles , par le
Verhe fait chair. Les dons de la nature ^ étant
communs à tous les hommes, ne mettent
point entre eux de diâ'érence ; mais la grâce
de Dieu n'étant point commune aux bons et
aux méchants, elle distingue les bons des
méchants; elle est tellement ' propre aux
chrétiens qu'elle ne leur est point commune
avec les infidèles. Cependant les pélagiens
osaient dire ^ que la natm-e, selon laquelle
nous avons été créés avec une âme raison-
nable, capable d'intelligence et faite à l'i-
mage de Dieu, est la grâce : mais ce n'est
pas là cette grâce que l'Apôtre recommande,
et qui est par la foi en Jésus-Christ. Il est
certain que cette nature nous est commune
avec les impies et les infidèles ; mais la
grâce, qui est par la foi en Jésus-Christ, est
particulière à ceux qui ont la foi. Or, la foi
n'est pas commune à tous. Voyez, dit saint
Augustin ^ à son peuple, de quelle sorte ces
hérétiques publient et relèvent la grâce gé- .
nérale, par laquelle l'homme a été créé, et 1
par laquelle nous sommes tous hommes. Par I
cette grâce générale, nous sommes hommes '
avec les impies ; mais ces impies ne sont pas
chrétiens avec nous. Or, la grâce que nous
voulons que les pélagiens publient, la grâce
que nous voulons qu'ils reconnaissent, c'est
celle par laquelle nous sommes chrétiens,
et dont l'Apôtre dit : Je ne rends point inutile gm.v,i
la grâce de Dieu: car si la justice s'acquiert par
la loi, Jésus-Christ sera mort en vain. »
Ce saint évêque excuse ceux du concile de
Palestine d'avoir absous Pelage, et de l'avoir
déclaré cathohque surce qu'il avait reconnu'
le besoin de la grâce dans l'homme pour vi-
vre justement (quoique par le nom de grâce
il entendit fi'auduleusement la nature). En
eflet des évêques catholiques ne pouvaient
croire que cet hérésiarque parlât d'aucune
autre grâce de Dieu, sinon de la grâce qu'ils
avaient accoutumé de lire dans les livres
de Dieu et de prêcher au peuple de
Dieu , savoir , de cette grâce dont l'Apôtre
dit : Je ne rends point inutile la grâce de !•*"•
Dieu, etc.; de cette grâce par laquelle nous
sommes guéris de notre infirmité, et non pas
de celle par laquelle nous sommes créés
avec notre propre volonté : car s'ils eussent
' Excepta ergo illa gratia, qua condita est hii-
mana natura (hœc enim christianis paganisque
communis est) : hœc est major gratia, non quod
per Yerbum homines creati sumus, sed quod per
Yerbum carnem factum fidèles facti sv/mus. Au-
gust., ibid., num. 7, pag. 138.
2 fiumquid enim per hœc dona (naturalia)
quœ omnibus communia sunt hominibus discer-
nuntur homines ab hominibus?... Sed gratia quœ
bonos discernit a malis, non quœ communis est
bonis et malis. August., lib. De Prœdest. sanct.,
num. 10, pag. 797.
3 Gratia christianis est propria, non christia-
nis gentilibusque communis. August., lib. I Oper.
imperf., cap. lxxxiu, pag. 922.
* Nam et hoc pelagiani nusi sunt dicere, gra-
tiam esse naturam, in qua sic creati sumus, ut
habeamus mentem rationabilem qua intelligere
valeamus, facti ad imaginem Dei... sed non hœc
est gratia, quam commendat Apostolus per fidem
Jesu Christi : hanc enim naturam eliam cum im-
piis et infidelibus certum est nobis esse commu-
nem : gratia vero per fidem Jesu Christi eorum
tantummodo est , quorum est ipsa fides. Non
enim omnium est fides. August., lib. De Gl'at. et
libero arb., cap. xiii, uum. 25, pag. 731.
'' Yidete tamen, fratres mei, quomodo illam ge-
neralem gratiam prœdicent, qua creatus est homo,
qua homines sumus : et utique et cum impiis ho-
inines sumus, sed non cum impiis christiani su-
mus. Hanc ergo gratiam-, qua christiani sumus,
ipsam volumus prœdicent, ipsam volumus agnos-
cant,ipsam volumus de qua dicit Apostolus: Non
irritam facio gratiam Dei. Nam si per legem jus-
titia , ergo Christus gratis mortuus est. August.,
Serm. 26 de Yerbis psal. xciv, cap. vnr, num. 9,
tom. V, pag. 139.
8 Gesta ecclesiastica facta esse jactantur, quibus
putatur esse purgatus fPelagiusj ; ubi quidem si
episcopi eum catholicum pronuntiarunt , non ad
ali'ud faclum. e?se credendum est, nisi quia se di-
xit Dei gratiam confileri, et ita passe hominem
suo labore acvoluntate juste vivere, ut ad hoc ad-
juvari Dei gratia non negaret. Bis enim auditis
verbis , catholici antistites nullam aliam Dei gra'
tiam intelligi potuerunt, nisi quam libris Dei lé-
gère et populis Dei prœdicare consueverunt , eam
utique de qua dicit Apostolus : Non irritam facio
gratiam Dei. Nam si per legem jnstitia , ergo Chris-
tus gratis mortuus est ; sine dubio gratiam qua
•justificamur ab iniquilate et qva salvamur ab
infirmilate, non qua creati sumus cum propria
voluntate. l\'am si intelkxissent illi episcopi eam
illum dicere gratiam, quam- etiamcum impiis ha-
bemus, cum quibus homines sumus, negare vero
eam, qua christiani et filii Dei sumus, quis eum
patienter catholicorum sacerdotwn, non dicimus
audiret', sed ante oculos suos ferret? August.,
Epist. 177 ad Innocentium, num. 2, pag. G23.
[IV" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPOxNE.
705
cru que, sous le nom de grâce , Pelage en-
tendait celle qui nous est commune avec les
impies, qui sont hommes aussi bien que
nous, et qu'il ne reconnaissait pas celle par
laquelle nous sommes chrétiens et enfants
de Dieu, quel est celui des évêques catholi-
ques qui non-seulement l'aurait pu écouter
avec patience, mais aurait pu même le souf-
frirdevant ses yeux? « II faut donc , ajoute
saint Augustin en s'adressant au pape Inno-
cent ', ou que A'otre Sainteté fasse venir Pe-
lage à Rome, et qu'elle l'interroge avec soin
pour savoir quelle est cette grâce par laquelle
il avoue que les hommes sont aidés , pour
éviter le péché et pour bien vivre ; ou il faut
l'obliger par lettres à déclarer la même
chose. Et lorsqu'on aura reconnu que la
grâce qu'il confesse, est celle que la vérité
ecclésiastique et apostolique enseigne, on
pourra l'absoudre, sans que l'Église en ait
du scrupule, et sans qu'il se puisse lui-même
cacher à l'avenir sous l'ambiguïté d'un équi-
voque. On pourra alors se réjouir de le voir
purgé de ce dont on l'accuse. Car, soit que
par la grâce il entende le libre arbitre, ou la
rémission des péchés, ou les préceptes de la
loi, il n'y a rien en tout cela qui nous aide à
arrêter les mouvements de notre concupis-
cence, et à vaincre les tentations par l'infu-
sion du Saint-Esprit. II est nécessaire qu'il
reconnaisse ouvertement cette grâce que la
doctrine chrétienne enseigne être propre et
particulière aux chrétiens : elle n'est pas la
nature, mais c'ett par elle que la nature est
sauvée. »
101. Saint Augustin montre ainsi que la
grâce est donnée gratuitement. «Comme
nous sommes chrétiens ^ et catholiques, par
la miséricorde de Dieu, nous savons que
cette grâce n'est pas donnée à tous les hom-
mes, et que ceux à qui elle est donnée, ce
n'est ni pour les mérites de leurs bonnes
œuvres, ni même pour les mérites de leur
volonté : ce qui se voit particulièrement dans
les enfants. Elle est donnée par la miséri-
corde gratuite de Dieu à ceux à qui elle est
donnée ; et c'est par un juste jugement de
Dieu qu'elle n'est pas donnée à ceux à qui
elle n'est pas donnée. En effet, le nom de
grâce ^ est une preuve qu'elle est donnée
gratuitement, et si elle est donnée gratuite-
ment, il n'y avait donc aucun mérite précé-
dent qui obligeât Dieu de la donner. S'il y
en avait, ce ne serait plus une grâce, mais
une récompense qui serait due. Si vous dites
donc que vos mérites avaient précédé la
grâce, vous voulez qu'on vous loue et non
pas Dieu ; et dès-lors vous ne reconnaissez
pas Jésus-Christ qui est venu avec la grâce
de Dieu. Voyez donc sérieusement quels
étaient vos mérites. Comprenez que vous ne
méritez que des supplices, et que l'on vous
devait, non des récompenses, mais des peines.
Quand vous reconnaîtrez ce qu'on vous de-
vait pour vos mérites, vous reconnaîtrez en
même temps ce qui vous a été donné par la
grâce, et vous honorerez Dieu par le sacri-
fice de louange. La vraie grâce qui nous est
représentée dans plusieurs passages de l'É-
criture * n'est point donnée en conséquence
La grâce
r^t Juiiuve
gratuilenuiil.
1 Aiit ergo a tua Veneratione acciendios est Ro-
mam et diligenter interrogandus, quam dical gra-
tiain, qiM fateatur, si tamen jam fateatur, ad non
peocandum justeque vivendum hommes adjtwari;
aut hoc ipsum cum eo per litteras agendum. Et
cum inventus fuerit hanc dicere, quam docet eccle-
siastica et apostolica veritas, tune sine uUo scru-
pulo Ecclesiœ, sine latibulo ambiguitatis ullius
ahsolvendns est, tune est reoera de ejus purgatione
gaudendum ; sive enim gratiam dixerit esse libe-
rum arbilrium, sive gratiam esse remissionem
peccatorum, sive gratiam esse legis prœceptum,
nihil eorum dicit quœ per subministralionem Spi-
ritus Sancti pertinent ad concupiscentias, tenla-
tionesque vincendas... illam confiteatur apertis-
sime gratiam, quam doctrina christiana demons-
trat et prœdical esse propriam christianoriim,
quœ non est natura, sed qua salvalur natura.
August., Epist, 177, num. 3 et 4, pag. 623, et nu m. 7,
pag. 624.
* Qtioniam ergo propitio Christo christiani ca-
tholici sjimus... scimiis gratiam, non omnibus ho-
IX.
■minibus dari, et qwibus datur, non solum secun-
dum mérita operum non dari; sed nec secundum
mérita voluntatis eorum quibus datur quod ma-
xime apparet in parvulis. Scimus eis quibus datur
misericordia Dei gratuita dari. Scimus eis quibus
non datur, justo judicio Dei non dari. August.,
Epist. 217, nam. 16, pag. 804.
3 Si gratta vocatur, gratis datur, si gratis datur,
nulla meritatua pirœcesseruntut detur.Nam siprœ-
cesserunt mérita tua, merces non imputatur secun-
dum gratiam sed secundum debitum. Si ergo dicis
prœcessisse mérita tua, te vis laudari, non Deum.
Ideo non agnoscis Christum, qui venit cum gratia
\T)ei. Couverte ergo te ad mérita tua, vide Ma mala
fuisse, ut non tibi deberetur nisi supplicium, nonprœ-
mium. Et cum videris quid tibi per mentwn debea-
tur, agnoscis quid per gratiam donetur, et sacri-
ficio taudis g lorificas Deum. XagusL, in Psal. xlix,
num. 31, pag. 462.
' Scriptum est : A Domino gressus hominis diri-
guntur et viam ejus volet, et: Prasparatur voluntas
a Domino, et: Deus est enim qui operatnr in vo-
43
noQ
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉ.SIASTIQUES.
de nos mérites ; c'est elle-même qui produit
le mérite en nous, lorsqu'elle nous est don-
née. Cette grâce précède ou prévient la
bonne volonté de l'homme ; elle ne la trouve
dans le cœur d.'aucun, elle l'y produit. «Mais
pourquoi, dit-on, la grâce de Dieu n'est-elle
pas donnée selon le mérite des hommes?
Saint Augustin répond que c'est parce que
Dieu est miséricordieux. Pourquoi donc
n'est-elle pas donnée à tous? Il répond ' que
c'est parce Dieu est un juge; que d'une part,
il donne sa grâce,et gratuitement, à tous ceux
h qui il la donne , et que de l'autre, il fait
voir, par l'exemple de ceux à qui il ne la
donne pas par un juste jugemsnt , com-
bien ceux à qui il la donne, lui sont rede-
vables. Ne soyons donc pas ingrats envers
Dieu, de ce que par ua efïet de sa bonne vo-
lonté, et aflu que la louange et la gloire en
soient données à sa grâce, il retire un si
grand nombre d'hommes d'une damnation
si juste; il aurait pu, sans injustice , les y
laisser tous, puisque tous sont tombés par
un seul dans une condamnation dont nous
ne saurions nous empêcher de reconnaître
la justice. Qae celui qui en est délivré soit
pénétréj de reconnaissance de la grâce qui
l'en retire ; et que celui qui ne l'est pas
confesse qu'il est traité selon qu'il mérite. Si
nous concevons bien que c'est une libéralité
de remettre la dette, et une justice d'en exi-
ger le paiement, nous n'avons pas de peine
à comprendre qu'il n'y a point d'injustice en
Dieu. »
i02. a Quel mérite, dit saint Augustin,
l'homme a-t-il - avant la grâce pour lequel il
doive la recevoir, puisque touslesbons méri-
tes qui sont en nous sont l'effet delà grâce, et
que, lorque Dieu couronne nos mérites, il ne
couronne que ses dons? Car de la même ma-
nière que notre entrée dans la vie de la foi a
été l'etfet de la miséricorde de Dieu, et que ,
s'il l'a exercée envers nous, ce n'est pas cpie
nous fussions déjà fidèles , mais afin que nous
le fussions; de même à la fin de notre course,
c'est-à-dire dans la vie éternelle, ce sera par
une abondance de miséricorde que Dieu
nous couronnera, ainsi que le dit l'Écriture.
Ce n'est donc pas en vain que l'on chante au
Seigneur : Sa miséricorde me [jréviendra, et : Sa
miséricorde me suivra. De là vient que la vie
éternelle, que nousposséderons sans fin après
les siècles,, et qui par conséquent sera la ré-
compence denos mérites précédents, nelaisse
pas d'être appelée du nom de grâce, comme
étant gratuitement donnée; non qu'elle ne
soit donnée à nos mérites, mais parce que
ces mérites mêmes nous sont donnés, et
qu'ils sont l'ouvrage de la grâce, et non pas
celui de nos propres forces. Je publierai vo-
tre propre force ' et votre justice , dit le Psal-
miste : Je publierai ce qu'a fait aux hommes
Nos n érites
sout doà doQS
do Dieu.
bis et velle. Êi inulta hiijusmodi quibus commen-
datiir vera Dei gratin-, hoc est quce non secundum
mérita nostra datur, sed dat mérita ipsa cum da-
tur, quia prœvenit hominis volimtatem bonam, nec
eam cujusqiiam invenit in corde, sedfacit- August.,
Epist. 217, uum. 5, pay. 800 et 801.
' Sed car, inquit, gratia Dei non secundum mé-
rita lioininum datui-'! Respoiideo qiioniain Deus
misericors est. Car ergo, inquit, non omnibus? Et
hic respondeo quoniain Deus judex est; ac per hoc
et gratis ab eo datur gratta; etjusto ejus in aliis
judicio deinonstratur, quid in eis quibus datwr
conférât gratin. Non itaque simus ingrati quod se-
cundum placitum voluntatis suce, in laudem- glo-
riœ graliœ suce tam multos libérât misericors
Deus de tam débita percUtione, ut, si inde neminem
liberaret, non esset injustus. Ex nno quippe om-
bles in aonclemnationem non injustam jucUcati sunt
ire sed justam. Qui ergo liberatur, gratiam clili-
gat; qui non liberatur, debitum agnoscat. Si in
remittendo débita bonitas, in exigendo cequitas in-
telligitur , nusquam esse apud Deum iniquitas in-
'Oeuitur. August., De Donopers.. cap. vnt, num. 16,
pag. 829.
2 Quod est ergo meritum hominis anle gratiam.,
quo mérita percipicU gralium, cum omne bonum
meritum noslrum, non in nobis faciatnisiqrcilia;
et cum Deus coronat mérita nostra nihilaliudco-
ronet quam munerasua? Sicutenim ab initia fidei
misericardiam consecuti sumics, non quia fidèles
eramus, sed ut essemus, sic in fine quo eril vita
ceterna., coronabit nos, sicut scriptum est : In
miseratione et misericordia. Non itaque frustra
Deo cantatur : Et misericordia ejus prœveniet
me; et : Misericordia ejus subsequetur me. Unde
et ipsa vita ceterna, quo; iitique in fine sine fine
habebitur et ideo meritis prœcedentibus reddi-
tur; tamen quia eadem mérita quibus reJditur,
non a nobis paratasunt per nastram sujficientiam,
sed in nobis factaper gratiam, etiam ipsa gratia
nuncupatur. Non ob aliud nisi quia gratis datur;
nec ideo quia non meritis datur, sed quia data
sunt et ipsa mérita quibus datur. August., Epist.
191, num. m, pag. 720 et 721.
3 Poteutiam tuam et justitiam tuam, hoc est an-
nuntiabo generationiamni su-perventuro' brachium
tuum. Et quidprcestHit l>rachium. tuum? Libéra-
lianem nastram graluitam. Hoc ergo annuntiem ,
ipsam gratiam omni generationi superventurie ;
dicani omni homini nascituro : Nihil es per te.
Deum invoca : tua peccata sunt; mérita Dei sunt :
supplicium tibi debetur, et cum prœmium venerit
sua dana coronabit, non mérita tua. Dicam omni
generationi supen'onturcv : De captiritate venisli.
[IV" ET v= SIÈCLES.] SALNT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPOiNE
la force de votre bras. Et qu'a-t-il fait ce
707
bras? il nous a délivrés par une bonté toute
gratuite. Voilti ce que je publierai. J'annon-
cerai cette grâce à toutes les races futures.
Je dirai à tous les liorames qui naîtront :
Vous n'êtes rien par vous-mêmes; invoquez
Dieu. Vous n'avez rien à vous que le péché;
tous vos mérites viennent de Dieu. Dieu ne
vous devait que des châtiments; lorsqu'il
vous récompensera, ce sera ses dons qu'il
couronnera dans vous, et non vos mérites. Je
dirai à tous les peuples à venir : Je n"ai de
moi aucune force; je n'ai de moi aucune
justice. Je ne relèverai que la force et la jus-
tice de Dieu. Je le dirai, ô bienheureux Paul M
grand prédicateur de la grâce, et je le dirai
sans crainte. C'est, à la vérité, vos mérites
que l'on couronne , mais "vos mérites sont
des dons de Dieu. Vous l'avez dit ainsi, afin
que nous le disions. Vous l'avez enseigné afin
que nous l'enseignassions. Combien donc mé-
rite d'être loué "■^ celui qui couronnera dans
nous, non nos mérites, mais ses propres dons?
Ne vantez jamais vos mérites , parce que vos
mérites ' sont ses dons. »
103.(1 LesPélagiens s'imaginent, dit saint
Augustin, qu'il y a en Dieu * acception de
personnes, si sans aucuns mérites précé-
dents, il fait miséricorde à qui il veut ; s'il
appelle ceux qu'il daigne appeler, et rend
saint et religieux celui qui lui plait. Mais ils
ne considèrent pas que celui qui est con-
damné reçoit la peine qui lui est due, et
C[ue celui qui est délivré reçoit la grâce
qui ne lui est pas due; en sorte que l'un
n'a point sujet de se plaindre, ni l'autre
de se glorifier. C'est plutôt le cas où il n'y a
point d'acception de personnes, quand tous
sont enveloppés dans la même masse de con-
damnation , afin que celui que Dieu délivre ,
apprenne de celui qu'il ne délivre pas, de
quels supplices il aurait été digne aussi bien
que ce dernier, s'il n'avait i-eçu l'assistance de
la grâce. Que si c'est une grâce, ce n'est donc
pas une récompense des mérites, mais l'effet
d'une bonté toute gratuite. Ces mêmes héré-
tiques ^ ne connaissant pas lajustice de Dieu,
et voulant établir la leur propre , ne veulent
pas qu'il ait la gloire de justifier les im-
pies par sa grâce toute gratuite ; ou bien, se
voyant pressés par les reproches des person-
nes saintes et pieuses, ils avouent tellement
qu'ils sont assistés de Dieu pour pratiquer la
justice ou pour l'avoir , qu'ils soutiennent
que c'est en considération de quelques méri-
tes de leur part, comme voulant donner les
premiers à Dieu, afin qu'il leur rende ce qui
leur est dû, quoique l'Apôtre ait dit au con-
traire : Qui lui a donné quelque chose le pre-
mier, pour en prétendre récompense? Ils croient
qu'ils préviennent parleurs mérites le secours
de celui dont ils eutendent, ou plutôt dont ils
ne veulent pas entendre cette parole que dit
le même apôtre : Que tout est de lui, en lui et
par lui. Ainsi cette grâce n'est précédée par
aucun mérite, parce que l'injuste et l'impie,
avant de la recevoir, ne méritent pas la
grâce, mais le supplice. Et elle ne serait pas
ad Adam pertinebas. Dicam hoc omni generationi
superventurœ , nullas vires meas, nullain justi-
tiain meain, sed potentiam tuam et justitiam tuam.
August., in Psal. lxx, num. S, pag. 737.
1 Quocirca, o béate Paule, magne graliceprce-
dicalor, dicam nec timeam : quis enim mihi mi-
nus succensebit ista dicenti, gaam tu qui ea di-
cenda dixistiet docenda docuisti? Dicam, inquam.,
nec timeam: Reddetur quidem meritistuis corona
sua, sed Dei dona sunt mérita tua. August., De
Gest. Pelag., num. 33, pag. 211.
2 Qui in nobis coronaturus est non mérita nos-
tra sed dona sua, quantum débet exaUari? Exal-
tate Dominum Deum nostrum. August., in Psal.
xcvni, num. 8, pag. 1064.
^ Mérita tua nusquam, jactes, quia et ipsa tua
mérita illius dona sunt. August., in Psal. cxliv,
num. 11, pag. 1617.
* Quod autem personarum acceptorem Deum se
credere existimant, si credant quod sine ullis prœ-
cedentibus meritis, cujus vult miseretur ; et quos
dignatur vocat et quem vult religiosum facit ; pa-
rum attendunt quod débita reddatur pœna dam-
nato, indebita gratia liberato ; ut nec ille se in-
dignum queratur, nec dignum se iste glorietur,
atqueibipotius aoceptionem nullam fieri persona-
rum ubi una eadem massa damnationis et ojfen-
sionis inooluit, ut liberatus de non liberato dis-
cat, quod etiam sibi supplicium conveniret, nisi
gralia subveniret, si autein gratia utique nullis
meritis reddita, sed gratuita bonitate donata. Au-
gust., Epist. 194, uum. 4, pag. 710.
5 Nolunt autem ut sit ipsi (Deo) gloria in jus-
tificandis impiis gratuita gratia, qui ejus igno-
rantes justitiam suamvoliint constituere ; veljam
conclamantium religiosorum et piorum vocibus
pressi, ita fatenlur ad habendam seu faciendam
justitiam divinitus adjuvari, ut sui prœcedat ali-
quid meriti, quasi prior es volentes dure, ut retri-
buatur eis ah illo, de quo dictum est: Quis prior
dédit illi et retribueturei'! Et suo pulanteiprœire
merito illum de quo audiunt aut potius audire
nolunt: Quoniam ex ipso et in ipso, et per ipsum
sunt omnia, etc. Et ideo percipiendœ hujus gratiœ
mérita nulla pneceduiit quoniam meritis impii,
non gratia, sed pœna debetur, nec isla esset gra-
tia si non daretur gratuita, sel débita redderetur.
Idem, ibid., num. 6 et 7, pag. 117.
708
HISTOffiE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Cor. IV, 7.
La grâce ne
suit pas, inaîà
lirécède la co-
lonie.
véritablement grâce, si elle n'était pas don-
née comme un pm^clon, mais rendue comme
une récompense et une dette. Nous cher-
chons le mérite ' qui a rendu l'homme digne
de cette miséricorde, et nous n'en trouvons
point, parce qu'il n'y en a point, de peur
que la grâce ne soit anéantie, si elle n'est
point donnée gratuitement , mais rendue à
nos mérites. Si nous disons que la foi a pré-
cédé, et qu'elle a mérité que l'homme reçût
la grâce , quel mérite avait l'homme avant
qu'il eût reçu la foi même ? Car a-t-il quelque
chose qu'il n'ait pas reçu ? Si nous disons que
la prière a précédé et qu'elle a mérité que
l'homme reçût le don de la grâce , il est cer-
tain que la prière montre clairement que ce
qu'elle obtient est un don de Dieu, alin que
l'homme ne s'imagine pas qu'il ait de lui-
même ce que nous ne demanderions pas
si nous l'avions en notre puissance. Néan-
moins, de peur qu'on ne croie qu'au moins le
mérite de laprièreprécède la grâce, et qu'ainsi
la grâce ne soit plus gratuite ni même grâce,
puisqu'elle serait rendue comme une dette,
nous voyons dans l'Écriture, que la prière
même est mise entre les dons de la grâce. »
104. «La question^ qui est entre nous, di-
sait saint Augustin à Vital, consiste à savoir
si la grâce précède ou si elle suit la volonté
de l'homme , c'est-à-dire, pour parler plus
clairement, si elle nous est donnée parce
que nous voulons, ou si Dieu fait même par
elle que nous vouhons. Mais comment Dieu'
attendrait-il les volontés des hommes, afin
queles ayant pré venues il leur donnât sa grâce,
puisque ce n'est pas en vain que nous lui
rendons grâces pour ceux qu'il a prévenus
par sa miséricorde, lorsque non-seulement
ils ne croyaient pas en lui, mais qu'ils per-
sécutaient sa doctrine par une volonté im-
pie, et qu'il les a convertis à lui avec une faci-
lité toute puissante, en les faisant vouloir,
au lieu qu'ils ne voulaient pas auparavant?
Pourquoi lui rendons -nous grâces de ce
changement si ce n'est pas lui qui le fait? Et
pourquoi lui donnons-nous des louanges
d'autant plus grandes que ceux, que nous
nous réjouissons s'être convertis à la foi, en
avaient plus d'éloignement et d'aversion, si
ce n'est pas la grâce qui change en mieux
les volontés des hommes ? Les Éfjlises de Ju-
dée qui croyaient en Jésus-Christ, ne me con-
naissaient pas de visage, dit saint Paul, elles
avaient seulement ouï dire : Celui qui autre-
fois nous persécutait annonce maintenant la
foi qu'il s'efforçait aloj's de détruire, et elles
célébT'aient la grandeur de la bonté de Dieu sur
moi. Pourquoi les fidèles célébraient-ils, en
cette occasion, la grandeur de la bonté de
Dieu, si ce n'était pas un effet de sa bonté
et de sa grâce d'avoir converti à lui le cœur
de Paul, selon que cet apôtre le déclare
lui-même, lorsqu'il nous assure, qu'il a reçu
miséricorde pour devenir fidèle, c'est-à-dire
1 Quœrimiis autem meritum misericordiœ, nea
inveniinus, quia nullum est, ne gratia evacuetur
si non gratis donatur, sed meritis redditur. Si
enim dixerimus fidem prcecessisse, in qua esset me-
ritum gratiœ, qiiid meritis habebat homo ante fi-
dem, ut reciperet: Quid euim liabet quod non ac-
cepit ? etc. Si dixerimus meritum prœcedere ora-
tionis, ut donum gratiœ consequatur impetrando
quidem oratio quidquid impetrat, evideiiter donum
Dei esse ostendit, ne homo existimel a seipso sibi
esse; quod si in potestate haberetur, non utique
posceretur. Verumtamen ne sallem orationis pu-
iarentur prœcedere mérita, quibus non gratuita
daretur gratia, sed jam nec gratia esset, quia dé-
bita redderetur, etiam ipsa oratio inter gratiœ
munera rcperitur. August., iftid., nuui. 14, la et 16,
pag. 719 et 720.
2 Quœstio quœ inter nos agitur est utrum hœc
gratia prœcedat an subsequatur hominis volunta-
tem, hoc est, ut planius id eloquar, utrum ideo
nobis datur , quia voliunus , an per ipsam Deus
etiam hoc efjiciat ut velimus. August., Epist. 217,
nuiD. 17, pag. 805.
3 Quomodo Deus exspeetat voluntates hominum,
ut prœveniant eum quibus det gratiam: cumgrn-
tias ei non immerito ugamus de iis quibus non ci
credentihus et ejus doctrinam voluntate impia per-
sequentibus misericordiam prœrogavit; eosque ad
seipsum potentissima facilitate convertit ac volen-
tes ex nolentibus fecit ? Ut quid inde ei grattas
agimus si hoc ipse non fecit? Ut quid tanto magis
eum magnificamus, quanto magis nolebant cre-
dere qiios credidisse gaudemus si gratia divina
voluntas in metius non mutatur humana. Âpos-
tolus Paiilus : Eram, inquit, igiiotus facie Eeclesiis
Judœœ, quœ simt in Cliristo ; tantuœ autem audie-
baut, quia qui aliquaudo nos persequebatur, nunc
evaugelizat fidem, quam aliqiiando vastabat, et il}
me maguificabant Dsum ; ut quid magnificabant
Deu,m, si non Deus ad seipsum cor illius viri suœ
gratiœ bonitate converterat, quando ut ipse confi-
tetur : Misericordiam consecutus est, ut lîdelis es-
set ea fide quam aliquaudo vastabat'? Ipsum etiam
verbum quod posuit, quem nisi Deum hoc tam
magnum bonum fccisse déclarât? Quid est enim :
lu me maguificabant Deum, nisi in me Deùm ma-
gnificum prœdicabant? Quomodo autem eum ma-
gniftcum prœdicabant, si magnum, illud factum
de Pauli conversione ipse non fecerat? Et quo
pacto ipse fecerat, si volenleni credere ex nolente
ipse non /ecerai? August., Epist. 217, nuiï. 24,
pag. S07.
[IV' ET V° SIECLES.]
pour embiasser cette même foi qu'il s'effor-
çait auparavant de détruire? L'expression
même dont il se sert ne marqiie-t-elle pas
que c'est Dieu qui est l'auteur d'un si grand
bien ? Car que veulent dire ces paroles : Ils
célébraient la grandeur de la bonté de Dieu
sur moi, sinon : Ils reconnaissaient et pu-
bliaient la libéralité et la bonté que Dieu
avait exercées envers moi? Or, à quel pro-
pos publier la grandeur de la bonté de Dieu
sur ce sujet, si ce n'était pas Dieu même qui
avait fait ce grand ouvrage de la conversion
de Paul? Et comment Dieu l'aurait-il fait, si
ce n'est en faisant que Paul voulût croire mal-
gré l'obstination où il était de ne croire pas? »
105. Pelage faisait consister la grâce^ par
laquelle nous sommes aidés pour ne point
pécher, ou dans la nature et le libre arbitre,
ou dans la loi et la doctrine ; en sorte que,
quand Dieu aide l'homme afin qu'il s'éloigne
du mal et fasse le bien, ce secours consiste
simplement à découvrir et à montrer ce qui
doit être pratiqué, et non à coopérer et à
inspirer la dilection pour faire accomplir à
l'homme le bien dont il a la connaissance.
« J'ai lu sa lettre, dit saint Augustin ^ et il
n'y paraît pas qu'il croie que la grâce soit
un secours ajouté à la doctrine par l'inspi-
ration d'une charité très-ardente et très-lu-
mineuse. Mais nous voulons' qu'il la recoa-
naisse, cette grâce, par laquelle la gran-
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
709
deur de la gloire future nous est non-seule-
ment promise, mais par laquelle on croit et
l'on espère ; cette grâce , par laquelle la
sagesse soit non-seulement révélée, mais
encore aimée , par laquelle on nous con-
seille tout ce qui est bon, et qui le persuade.
Voilà la grâce que Pelage doit confesser, s'il
veut non-seulement être appelé chrétien,
mais l'être en effet. Si vous mettiez*, dit en-
core saint Augustin à Julien, au nombre des
différentes espèces de grâces de Dieu, la di-
lection qui ne vient point de nous, mais de
Dieu, et que Dieu donne à ses enfants,
comme on le lit clairement dans l'Écriture,
sans laquelle dilection personne ne vit dans
la piété, et avec laquelle il n'y a personne
qui ne vive dans la piété, sans laquelle per-
sonne n'a une bonne volonté, et avec la-
quelle il Tx'j a personne qui n'ait une bonne
volonté , vous défendriez véritablement et
vous n'enfleriez pas le libre arbitre. » Et parce
que cet hérétique se vantait de reconnaître ^
des grâces d'une infinité d'espèces, avec les-
quelles l'homme pouvait garder les com-
mandements de Dieu, s'il le voulait, saint
Augustin* lui répond : « Vous dites : Dieu
nous aide en mille manières, en comman-
dant, en bénissant, en sanctifiant , en repre-
nant et en éclairant ; mais vous ne ditespoint
qu'il nous aide en nous donnant la charité.
Quand on vous demande " quels sont les
1 Nain gratiam Dei et adjutorium que adjuva-
mur ad non peccandum. , aut in natura et libero
ponit arbitrio, aut in lege alque doctrina : nt vi-
delicet, cum, adjuvat Veus hominem, ut declinet a
malo et faciat bomim, revelando et ostendendo
quid fieri debeat, adjuvare credatur ; non etiam
cooperando et dilectionem inspirando, ut id quod
faciendum esse cognoverit faciat. August., De Grat.
christ, contra Pelag., cap. m, num. 3, pag. 231.
2 Hcinc ergo epistolam Pelagii legi, et... an cre-
dat aliquod adjutorium bene agendi adjunclum
naturœ atque doctrinœ per inspirationem flagran-
tissimœ et luminosissimœ charitatis, non apparet
omnino. August., cap. xxxv, num. 38, pag. 246.
3 Sed nos eam gratiam volunius iste aliquando
fatetur, qua futurce gloriœ magnitudo non solum
promittitur , veriim etiam creditur et speratur ;
nec solum revelatur sapientia, verum et amatur ;
nec solum suadetur omne quod bonuin est, verum
et persuadetur. August., De Grat. Christ, contra
Pelag., cap. x, nam. H, pag. 235.
'» Inter divinœ gratiœ species si poneretis dilec-
tionem, quam non ex nobis ; sed ex Deo esse eam-
que Deum dare filiis suis apertissime legitis, sine
qua nemopie vivit et cum qua nemo nisipie vivit,
sine qua nullius est bona voluntas, et cum qua
nullius est nisi bona voluntas , vere liberum de-
fenderetis , non inflaretis arbitriiim. August. ,
lib. III Oper. imperf., cap. cxxii, pag. 1099 et
1100.
^ Sed affirmamus a Deo fieri hominem liberi ar-
bitra, eumque in numeris divinœ gratiœ spe-
ciebus juvari, cui possibile sit vel servare Dei
mandata vel transgredi. August., ibid., cap. cvi,
pag. 1092.
6 Tarn m-ulta dicis quib-us nos adjuvat Detts, id
est, prEecipiendo, benedicendo, sanetificando, coer-
cendo, provocando, illuminando; et non dicis cha-
ritatem dando. Ibid., pag. 1093.
7 Sed cum quœritur a vobis, quœ sint ista ad-
jutoria gratiœ Dei, edicitis quœ supra commemo-
rasti: Deum adjuvare praecipiendo, benedicendo,
sanetificando, coercendo, provocando, illuminando ;
quœ omnia etiam per homines fiant, secundum
Scripturas, nam et prœcipiunt homines et benedi-
cunt et per divina sacramenta sanctificant, et cor-
ripiendo coercent et exhortando provocant, et do-
cendo illuminant; non tamen qui plantât est ali-
quid neque qui rigat, sed qui incremenlum dat
Deus. Hoc est autem incrementum lit tinusquis-
que obediat prœceptis Dei ; quod non fit, quando
vere fit nisi charitate... hanc vos inter adjutoria
gratiœ quœ commemoratis, nominare non vultis,
ne hoc ipsum quod obedimus Deo, ejus esse gra-
710
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Couimi nt
oIIq Qgit>
Joan. Vi, /m,
secours de la grâce que tous admettez,
vous n'en rapportez point d'autres que ceux
dont vous venez de parler. Mais les hom-
mes font tout cela, selon les Écritures; car
ils commandent, ils bénissent, ils sanctifient
par les divins sacrements , ils châtient en
reprenant, ils animent en exhortant, ils éclai-
rent en enseignant : cependant et celui qui
plante et celui qui arrose ne sont rien , mais
c'est Dieu qui donne l'accroissement. Or,
cet accroissement consiste à obéir aux com-
mandements de Dieu ; ce qui ne se fait vérita-
blement que par la charité. Vous ne voulez
pas la nommer parmi les secours que vous
admettez , de peur de reconnaître que l'acte
même de la volonté qui fait que nous obéis-
sons à Dieu, vient de la grâce. Vous croi-
riez, en admettant im secours qui agit de
cette sorte sur la volonté, détruire le libre
arbitre. »
106. Personne ' ne peut venir à moi, dit Jé-
sus-Christ, si mon Père qui m'a envoyé ne l'at-
tire. « Il y a dans ces paroles, dit saint Au-
gustin, un grand éloge de la grâce. Person-
ne ne vient s'il n'est attiré. N'entreprenez
point de juger qui est celui que le Père at-
tire , ou celui qu'il n'attire pas , ni pourquoi
il attire l'an et n'attire pas l'autre, si vous
voulez ne point tomber dans l'erreur. Rece-
vez seulement cette vérité , et ayez-en l'in-
telligence. Si vous n'êtes point attiré , priez
afin que vous le soyez. Mais, que dis-je, si
nous sommes attirés à Jésus-Christ, c'est
donc malgré nous que nous croyons. On
nous fait donc violence plutôt que d'exciter
notre volonté ? Gardez-vous bien de penser
que vous soyez attirés malgré vous. C'est
votre esprit qui est attiré par l'amour. Ainsi,
nous ne devons nullement appréhender la
correction que nous pourraient l'aire, au sujet
de ces paroles du Sauveur , certaines per-
sonnes qui, ne faisant attention qu'aux ter-
mes, sont bien éloignées de comprendre les
mystères divins qu'ils renferment ; et nous ne
devons point craindre qu'elles nous disent :
Comment pouvons-nous croire par notre vo-
lonté , si nous sommes attirées? Car je ré-
ponds h ces personnes ; Ce n'est point assez de
dire que vous êtes attirées par votre volonté ;
vous l'êtes encore par le plaisir. Qu'est-ce qu'ê-
tre attiré par le plaisir ? Mettez votre plaisir
dans le Seigneur, dit David, et il vous accordera
ce que votive cœur demande. Or, s'il a été per-
mis au Poète de dire que chacun est attiré
par son plaisir, non par nécessité , mais par
volupté , non par contrainte, mais par dé-
lectation : à combien plus forte raison de-
vons-nous dire que l'homme est attiré à Jé-
sus-Christ lorsqu'il fait son plaisir de la vé-
rité, de la béatitude, de la justice, de la vie
éternelle; ce qui n'est autre chose que
Jésus-Christ ? Est-ce que les sens du corps
auront leurs plaisirs, et que l'esprit n'aura
pas les siens? Si cela était ainsi , que vou-
draient dire ces paroles du Prophète : Les
enfants des hommes espéreront étant à couvert
sous vos ailes; ils seront enivrés dans l'a-
bondance qui est dans votre maison, et vous les
ferez boire dans le torrent de vos délices, parce
que la source de la vie est dans vous, et nous
ïlog- 1'.
tiœ concedatis. Putatis quippe isto modo auferri
voluntatis arbilriiim. August., lib. III Oper. im-
perf., cap. cxiv, pag. 1097.
1 Nemo potest venire ad nie, nisi Pater qui misit
me traxerit eum; magna gratiœ commendatio.
Nemo veniL nisi tractus. Quem Irahatet quemnon
trahat, quare illum Irahat et ilium non tra,hal,
noli velle judicare, si non vis errare. Semel ac-
cipe et intellige :nondum traheris? Ora ut traha-
ris. Quid hic diciinus, fratres? Si trahimur ad
Christum, crgo inviti credimus , ergo violentia
adhibctur, non voluntas excitatur... Nolite cogi-
tare invilum trahi : trahitur anvimis et amore.
iVec timere debemus, ne ab hominibiis qui verba
perpendunt et a rébus maxime divinis intelligen-
dis longe renioti sunt, in hoc Scripturarwm sanc-
larum evangelico verbo forsitan reprehendaniiir
et dicatior nobis : Quomodo voluntate credo, si
Irahor? Ego dico : Parum est voluntate, etiam
voluptate traheris. Quid est trahi voluptale?
Delectare in Domino et dabit tibi petitiones
oordis lui. Est quœdain voluptas cordis, c»j
panis dulcis est ille cœlestis. Porro si Poetœ dicere
licuii : Trahit sua quemque voluptas, non nécessi-
tas, sed voluptas, non obligatio , sed delectatio :
quanto fortius nos dicere debemus, trahi hominem
ad Christum, qui delectatur veritate, delectatur
beatitndine, delectatur justitvt , delectatur sempi-
terna vita, quod totmn Christus est? Ànvero ha-
bent corporis sensus voluptates suas et animus
deseritur a voluptatibus suis , si animus nonliabct
voluptates suas? Unde dicitur : Filii autem liomi-
uum sub tegmine alarum tuarum .«perabunt, ine-
brialiunturab ubertate domus tua;, et torrente vo-
luptatis tua? potabis eos, quoniam apud ,te est
fons vitiB et in lumine tuo videbimus lumen. Da
amantem, et sentit quod dico. Da desiderantem,
da esurientem, da in ista solitudine peregrinan-
tem atque sitientcm et fontem œternœ patriœsus-
pirantem : da talem et scit quid dicam. Si autem
frigido loquor, nescitquid loquor. Taies erantisti
qui invicem murmurabant : Pater, inquit, quem
traxerit veuit ad me. August., Tract. 26 in Joan.,
nura. 2, pag. 494, et num, 4. pas. 'rPS.
[ir ET v= siÉcxES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HEPPONE
verrons dans votre lumière niCTne? Donnez-moi
lin homme qui aime, et il sentira ce que je
dis. Donnez-moi un homme qui désire les
biens éternels, qui en soit altéré, qui se re-
7M
garde comme étranger dans le désert de
cette vie, et qui soupire avec une soif ar-
dente vers la fontaine de sa patrie. Donnez-
moi un homme tel que celui-là, et il con-
naîtra la vérité de mes paroles. Mais si je
parle à un homme froid et insensible, il ne
saura point ce que je veux dire. Tels étaient
ceux qai murmuraient entr'eux de ce dis-
cours de Notre-Seigneur, qu'ils ne pouvaient
comprendre : Celui que mon Père attire vient
à moi. Vous montrez ' à une brebis une bran-
che verte , et vous l'attirez à vous. Vous
montrez des noix à un enfant, et vous l'atti-
rez. Il est attiré où il court, et il est attiré
par amour. Il est attiré sans qu'on fasse au-
cune violence à son corps : c'est par les
liens du cœur qu'il est attiré. Si donc ces
sortes d'objets montrés parmi les délices et
les plaisirs de la terre à ceux qui les aiment,
les attirent , qui pourrait n'être pas attiré à
Jésus-Christ quand le Père le lui fait connaî-
tre ? Et qu'est-ce que l'àme désire plus ar-
demment que la vérité ? Considérez com-
ment^ le Père céleste nous attire; il nous
délecte en nous enseignant, sans nous im-
poser de nécessité. Voilà la manière dont il
nous attire. »
Saint Augustin expliquant encore ailleurs
ces paroles de Jésus-Christ : Personne^ ne
vient à moi, si mon Père qui m'a envoyé ne
l'attire, remarque que Jésus-Christ n'a pas
dit : Si mon Père ne le conduit , mais ne l'at-
tire. (1 Cette violence, dit-il, s'exerce sur le
cœur, non sur la chair. Pourquoi donc êtes-
vous étonnés? Croyez, et vous venez. Ai-
mez, et vous êtes attirés. Ne croyez pas que
cette violence soit dure et fâcheuse ; elle est
douce et agréable. La douceur même vous
attire. Une brebis n'est-elle pas attirée lors-
qu'elle a faim, et qu'on lui montre de l'her-
be ? Cependant elle n'est pas poussée avec
la main, mais par les liens de son désir. »
Saint Augustin nous fait ordinairement
envisager la grâce comme une inspiration
de dilection, comme une bénédiction de dou-
ceur, comme une suavité, et comme une dé-
lectation céleste et victorieuse. « L'inspira-
tion de dilection *, dit-il, par laquelle nous
faisons par un saint amour ce que nous
connaissons, c'est là proprement la grâce ;
elle est cette bénédiction de douceur dont il
est parlé dans le Psaume xx , qui fait que
nous trouvons notre plaisir, et que nous dé-
sirons , c'est-à-dire que nous aimons ce que
Dieu nous commande. S'il ne nous prévient
par cette grâce, non-seulement nous n'ache-
vons rien, mais nous ne commençons rien
de nous-mêmes. Car, puisque sans Dieu
nous ne pouvons rien faire, nous ne pou-
vons aussi rien commencer ni achever sans
lui , parce qu'afîn que nous commencions, il
est dit : Sa miséricorde me préviendi^a, et afin
que nous achevions, il est dit : Sa miséri-
corde vie suivra. Quand l'âme qui vit sous la
crainte ^ n'a pas encore vaincu la mauvaise
concupiscence, qu'elle ait recours par la foi
à la miséricorde de Dieu, afin qu'il, lui donne
ce qu'il commande,. et que lui inspirant par
le Saint-Esprit la suavité de la grâce, il fasse
que le commandement lui plaise plus que
ne lui plaît ce qui l'empêche de l'accomphr:
car" celai-là nous délivre de la nécessité de
ir.
Psal.xxlt,6.
* Ramum viridem ostendis ovi et trahis illam,
nitces puero demonstrantur et trahitur, et quo
currit trahitur, amande trahilur, sine lœsione
corporis trahitur, cordis vinculo trahitur. Si ergo
ista quœ inler delicias et voluptales terrenas re-
velantur amantibus , trahunt quoniam verum
est : Traliit sua qaemque voluptas. Non trahit
revelatus Christus a Pâtre. Quid enim fortins de-
siderat anima quam veritatem? August., Tract. 26
in Joan., num. 5, pag. 496.
2 Videte quomodo trahit Pater, docendo délec-
tât, non necessitatem imponendo. Ecce qnomodo
trahit. August., ihid., num. 7, pag. 496.
s Nemo venit ad me, riisi Pater qui misit me
traxerit eum. Non dixit: Duxerit, sed : Traxerit ; ista
violentia cordi fit, non carni. Quid ergo miraris?
Crede et venis ; ama et traheris; ne arbitreris is-
lam asperam molestamque violentiam, dulds est,
suavis est, ipsa suaA>itas te trahit: nonne ovis
trahitur, cum esurienti herba inonstratur ? Et puto
quia non corpore impellitur sed desiderio colliga-
tur. August., Serm. 131, cap. ii, num. 2, pag. 641.
'' Legem... rolunt fpelagianij intelligi gratiam.
non inspirationem dilectionis, ut, cognita, sancto
aw.ore, faciamus quœ, proprie gratia est. August.,
lib. IV Contra duas Epistolas Pelag., num. H,
pag. 474.
^ Siib quo timoré anima laborans, quando con-
cupiscentiam malam non vicerit, nec timor ille
quasi custos severus abscesserit, per fidem confu-
giat ad misericordiam Dei ut det quod jubet, at-
qiie inspirata gratiœ suavitale per Spiritum Sanc-
tibm faciat plus delectare quod prœcipit quam
delectat quod impedit. August., lib. De Spiritu et
litt., cap. X.XIX, num. 51, pag. 114.
^ Ab hac ergo necessitate servitutis ille libérât
li~2
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
cette servitude du péché , qui nous donne
non - seulement des préceptes par la loi ,
mais qui nous donne encore la charité
par le Saint-Esprit, afin que par la délecta-
tion de la charité , nous vainquions la délec-
tation du péché, laquelle sans cela demeu-
rerait invincible et nous tiendrait dans l'es-
clavage. C'est la grâce ' du Saint-Esprit qui
nous délivre par Notre-Seigneur Jésus-Christ
de ce qui nous rendait coupables. Cette
grâce, en répandant la charité dans nos
cœurs, nous donne la délectation de la jus-
tice, par laquelle on réprime les dérègle-
ments de la concupiscence. »
« Nous péchons en deux manières ^ : l'une,
en ne voyant pas encore ce que nous de-
vons faire ; l'autre , en ne faisant pas ce que
nous voyons que noas devons faire. De ces
deux défauts, l'un est l'ignorance, et l'au-
tre la faiblesse. Il convient que nous les
combattions l'un et l'autre ; mais nous som-
mes certains d'être vaincus si nous ne som-
mes aidés de Dieu, non-seulement afln que
nous voyons ce qu'il faut faire; mais aussi
afin que , la santé nous étant rendue , la
délectation de la justice surmonte en nous
les délectations des choses, qui, par le désir
que nous avons de les posséder, ou par la
crainte de les perdre, nous font faire le mal
que nous voyons et que nous connaissons.
La volonté humaine est aidée ' de Dieu pour
accomplir la justice, non-seulement en ce
que riiomme a été créé de Dieu avec le li-
bre ai'bilre , et en ce qu'il a reçu la loi ,
qui lui apprend comment il doit vivre ; mais
encore, en ce qu'il reçoit le Saint-Esprit,
qui opère dans son âme la délectation et la
dilection de ce bien souverain et immuable ,
qui est Dieu même. Car le libre arbitre ne
sert de rien que pour pécher. Quand même
on connaîtrait le bien qu'il faut faire, et où il
faut tendre, on ne le ferait point, on ne l'en-
trepreudrait point, si l'on n'y trouvait du plai-
sir et si on ne l'aimait. Mais afln qu'on l'aime ,
la charité est répandue dans nos cœurs, non
par le libre arbitre , mais par le Saint-Esprit
qui nous a été donné. Comment Dieu * nous
délivre-t-il de nous-mêmes ? C'est en nous
donnant les forces de combattre nos mau-
vais désirs ; c'est en inspirant la vertu , c'est
en répandant dans notre cœur une délecta-
tion céleste , qui nous fait surmonter toutes
les délectations terrestres. »
« Chacun de nous ^ quand il s'agit de com-
mencer, de continuer ou d'accomplir quel-
que bien, tantôt il le connaît et tantôt il ne
le connaît pas ; tantôt il y trouve du plaisir
et tantôt il n'y en trouve point, afin qu'il
qui non solum dat prœcepta per legem, verum
eiiani donat per Spirilum charitatem, cujiis de-
lectatione vinoatur delectatio peccati ; alioquin
persévérât invicta et servum suum tenet : a quo
enim quis devictus est, huic et serviis addictus est?
August., lib. 1 Oper. imperf., cap. cvn, pag. 937.
> Àb hoc reatu grciviore libérât gratia Spiritiis
Sancti per Jesum Christum Dominum nostrum,
quce diffusa charitate in cordibus nostris donat
justiliœ deleclationem qua immoderatio ooncttpis-
ceiUiœ superatur. August., lib. De Fide et oper.,
uum. 43, pag. 288.
2 Duabus et causis peccamus, aiU nondum vi-
dendo quid facere debeanms , aut non faciendo
quod debere fieri jam videmus; quorum duorwm
illxid ignorantiœ malum est , hoc infirmitatis.
Contra quce qiddem jmgnare nos convenit ; sed
profecto vincimur, nisi divinitus adjuvemur, ut
non sohmi videamus quid faciendum sit, sed etiain,
accedente sanitate, delectatio justitiœ vincat in
nobis earum rerum delectationes quas vel habere
cupiendo, vel amittere metuendo, scientes viden-
lesque peccamus. Eiichirid., cap. lxxxi, num. 22,
pag. 227.
3 Nos aiitem dicimus humanam voluntatem sic
divinitus aàjurari ad faciendam jnstitiam ut, prœ-
ter quod creatus est homo cum libero arbilriovo-
luntatis prœtcrque doctrinam quœ el prœcipitur
quemadmodum rivcre debeat, accipiat Spiritum
Sctnctum quo fmt in animo ejus delectatio dilec-
tioque summi illius atque incommutabilis boni
quod Deus est... Nam neque liberum arbitrium
quidquam nisi ad peccandum valet, si lateat veri-
tatis via ; et cum id quod agendum et quo niten-
dum est cœperit non latere nisi etiam delectet et
amelur, non agitur, nonsuscipilur, non bene vi-
vitur; ut autem diligatur, charitas Dei diffunditur
in cordibus nostris non per arbitrium liberum
quod surgit ex nobis, sed per Spiritum Sanctiini
qui datus est nobis. Angnst., Uh. De Spiritu et litt.,
cap. irr, num. 5, pag. 87.
' Quomodo te a te libérât?... Dando tibi vires pu-
gna/ndi adDersus concupiscenticis tuas, inspirando
virtutem, dando menti tuœ cœlestem deleclationem,
qua omnis terrena delectatio superetur. August.,
serm. 42 de verbis Isaiœ, cap. i, num. 2, pag.
210.
» Ideo quisque nostrum bonum opus suscipere,
agere, implere, nunc scit, nuno nescit, nunc delec-
tat'ur, nunc non delectatur, ut noverit non suce
facultatis sed divini muneris esse vel quod scit,
vel quod delectatur, ac sic ab elationis vanitate
sanetur, et sciât quam vere non de terra ista sed
spirituatiter dictum sit : Domiuus dabit suavita-
tem, et terra nostra dabit fructum suum. Tanto
autem ma gis détectât opus bonum, quanto magis
diligitur Deus summiom atque incommutabile bo-
num, et auctor qualiumcumque bonorum omnium.
Aiigust., lib. De Peccat. merit. et remis., num. 27,
pag. 53.
[iV" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
713
connaisse que ce n'est pas par ses propres
forces, mais par la grâce de Dieu qu'il con-
naît le bien, ou qu'il y trouve du plaisir, et
que par là il soit guéri de toutes enflures, et
qu'il sache que ce n'est pas de cette terre
que nous voyons , mais de la terre de notre
cœur qu'il a été dit : Le Seigneur répandra sa
douceur, et notre terre portera son fruit. Or, le
bien nous plaît d'autant plus que nous aimons
davantage Dieu, qui est le bien souverain
et immuable, et l'unique auteur de tous les
biens. Comprenons, si nous pouvons ', que
Dieu, qui est bon, n'accorde pas quelquefois
même à ses saints la connaissance certaine
de quelques œuvres de justice , ou la dé-
lectation victorieuse, afin qu'ils sachent que
ce n'est pas d'eux-mêmes, mais de lui que
leur vient et la lumière qui éclaire leurs té-
nèbres, et la douceur qui fait porter du fruit
à la terre de leur cœur. Quand nous deman-
dons à Dieu le secours de sa grâce pour
faire et accomplir la justice, que lui deman-
dons-nous autre chose, sinon qu'il nous dé-
couvre ce qui nous était caché, et qu'il nous
fasse trouver doux et agréable ce qui ne
nous déplaisait pas, parce que c'est aussi
cette même grâce qui nous a appris à lui
demander ce qui auparavant nous était ca-
ché, et qui nous a fait aimer ce qui aupara-
vant ne nous plaisait pas, afin que celui qui
se glorifie ne se glorifie que dans le Sei-
gneur. Quand l'Apôtre dit que les fruits ^ de
l'esprit sont la charité, la joie, la paix, la ^Gaïai.
longanimité, l'humanité, la bonté, la foi, la
douceur, la continence, et qu'il ajoute qu'il
n'y a point de lois contre ceux qui vivent de
la sorte, il nous fait entendre que ceux-là
sont sous la loi en qui ces fruits de l'esprit
ne régnent point ; mais ceux en qui ils ré-
gnent usent légitimement de la loi, parce
qu'elle ne leur est pas donnée pour les rete-
nir, leur plus grande et plus forte délecta-
tion étant la justice. Ils régnent donc, ces
fruits spirituels, dans un homme en qui les
péchés ne régnent point. Ils régnent, ces
biens, s'ils lui plaisent, à un tel point qu'ils
l'empêchent de consentir aux tentations qui
le portent au péché. Car il est nécessaire
que nous agissions selon ce qui nous plaît
le plus. Par exemple, une femme d'une rare
beauté se présente à nous et nous excite
à la délectation de l'impureté. Mais si la
beauté intérieure et sincère de la chasteté
nous délecte davantage par la grâce qui est
dans la foi en Jésus-Christ , alors nous vi-
vons et nous opérons selon cette délectation
intérieure, de sorte que, le péché ne régnant
plus en nous pour nous faire obéir à ses
mauvais désirs, mais la justice y régnant
par la charité, nous faisons avec une grande
délectation, tout ce que nous connaissons
par elle être agréable à Dieu. »
Ce que dit ici saint Augustin qu'il est' né-
cessaire que nous agissions selon ce qui
' Nos quantum concessnm est sapiamus et in-
tettigamvs, si possumus, Dominum Deum bonxim
ideo, etiam sanclis suis aiicujns operis justi ali-
quando non tribuere vel certam scientiam vel vic-
tricem delectationem, ut cognoscant non a se ip-
sis, sed ab illo sibi esse lucem, qua illuminentur
tenebrœ eorum, et suavitatem qua det fructum
Simm terra eorum. Cum aiitem ab illoillius adju-
torium deprecamur ad faciendam perliciendam-
que justitiam, quid aliwd deprecamur quam ut
aperiat quod latebat, et suave faciat quod non
delectabat? Quia et hoc ab illo esse deprecandum
ejus gratia didicimus , dum antea laleret ejus
gralia dilexim,us, dum antea non delectaret: Ut
qui gloriatur non in se, sed in Domino glorietur.
August. , lib. Il De Peccat. merit. et remis.,
cap. XIX, num. 32 et 33, pag. 57.
2 Fruotus aiitem spiritus est, inquit, charitas, gau-
dium, pax, longanimitas, benignitas, bonitas, fides,
mansuetudo, contiuentia, el addidit: Adversus hu-
jusmodi non est lex , wi intelligamus illos sub
lege positos, in quibus ista non régnant. Nam in
quibus hœc régnant, ipsi lege légitime utuntur,
quia non est illis lex ad coercendum posita : major
enim et prœpollentior delectatio eorum justitia
est... régnant ergo spiritales isti fructus in ho-
mine, in quo peccata non régnant. Régnant aute-m
ista bona si tanlum délectant utipsa teneant ani-
mum in tentationibus, ne in pecc%li consentionem
ruât. Quod enim amplius nos détectât, secundum
id operemur necesse est : ut, verbi gralia, occur-
rit forma speciosœ femince, et movet ad delecta-
tionem fornicalionis , sed si plus détectât pulchri-
tudo illa intima et sincera species castitatis, per
graliam quœ est in fidc. Christi, secundum hanc
vivUnus, et secundMm hanc operamur, ut non ré-
gnante in nobis peccato ad obediendum desideriis
ejus, sed régnante justitia per charitatem cumma-
gna delectatione faciamus quidquid in ea Deo pla-
cere cognoscimus. August., Exposit. in Epist. ad
Galat., num. 49, pag. 972, tom. III, part. 2.
3 Si enim nécessitas nostra illa dicenda est quœ
non est in nostra potestale, sed etiamsi nolimus,
effîcit quod potest, sicut est nécessitas mortis ,
manifestum est volwitates nostras, quibus recte
vel perperam vivitur, sub tali potestate non esse...
Si autem definitur esse nécessitas, secundum
quam dicimns, necesse esse, ut ita sit aliquid, vel
ita fiât, nescio cur eam timeamus ne nobis liber-
tatem auferat voluntatis... Sic etiam cum dicimus,
necesse esse, ut, cum volumus, libero velimus ar-
bitrio ; verum procul dubio dicimus, et non ideo
714
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Force de la
grâce.
nous plaît le plus, ne marque point une né-
cessité qui détruise la liberté. Il distingue
lui-même diverses sortes de nécessité. « Si
l'on entend, dit-il, par nécessité ce qui n'est
pas en notre pouvoir et qui arrive malgré
nous, comme est la nécessité de la mort , il
est évident que nos volontés ne sont point
soumises à une nécessité de cette espèce.
Mais si l'on entend cette nécessité selon la-
quelle nous disons qu'il est nécessaire que
cela soit ainsi, ou que cela se fasse ainsi ,
je ne vois pas pourquoi nous craignons
qu'elle nous ôte la liberté de la volonté.
Ainsi quand nous disons qu'il est nécessaire
que, lorsque nous voulons, nous voulions par
notre libre arbitre, nous disons certaine-
ment vrai ; mais nous n'assujettissons pas
pour cela notre libre arbitre à une nécessité
qui ôte la liberté. »
107. Le saint Docteur s'exprime ainsi sur
la force de la grâce : « Il est certain ' que
nous voulons quand nous voulons ; mais ce-
lui-là fait que nous voulions le bien dont il
a été dit : La volonté est préparée par le Sel-
cjnenr. Il est certain que nous faisons quand
nous faisons ; mais celui qui fait que nous
faisons en donnant des forces très-efficaces
à la volonté, c'est celui qui a dit : Je ferai
que vous marcherez dans la voie de mes com-
mandements, que vous les observerez et que vous
ferez. Quand il dit : Je ferai que vous ferez,
que dit-il autre cbose sinon : Je vous ôterai ce
cœur de pierre, d'où venait que vous ne fai-
siez pas, et je vous en donnerai un de chair,
qui fera que vous ferez. Dieu', sans aucune
jussion qui retentisse au-dehors , mais par
une inspiration secrète, prépare et excite les
volontés des hommes pour accomplir très-
efficacement ce qu'il veut. Avant que la
reine ^ Estber eût parlé au roi Assuérus,
Dieu changea le cœur de ce prince par une
puissance très-secrète et très-efficace, et le
fit passer de l'indignation à la douceur, c'est-
à-dire de la volonté de nuire à la volonté de
le rendre favorable , selon cette parole de
l'Apôtre : Dieu opère en nous le vouloir et le
faire. Afin que Saul '• fut appelé du ciel, et
qu'il fût converti par une vocation si grande
et si efficace, la grâce de Dieu était seule ;
parce qu'il avait de grands mérites , mais
mauvais. Par quels '^ mérites, en effet. Dieu
l'a-t-il converti du mal au bien par une vo-
cation si admirable et si subite? Que dis-je
par quels mérites? puisque cet apôtre a dit
depuis sa conversion : Dieu nous a sauvés, non
à cause des œuvres de justice que nous eussions
faites, mais à cause de sa miséricorde. Dieu
peut corriger^ celui qu'il veut, encore que
personne ne le reprenne, et le conduire à la
douleur salutaire de la pénitence par la
puissance très-secrète et très-puissante de
sa médecine. Cette grâce'' que Dieu par sa
ipsum liberum arbilrium necessitati subjicimus
quœ adimit libertalem. August., lib. V De Civit.
Dei, cap. s, num. i, pag. 124 et 125.
1 Certum est nos velle, cwn volumus ; sed ille
facit ut velimus bonum, de quo dictum est quod
paulo ante posui: Praeparatur voluntas a Domino,
de quo dictum est : A Domino gressus liominis di-
rigentur, et viam ejus volet, de quo dictum est :
Deus est qui operatur in nobis et velle. Certum
est nos facere cumfacimus, sed ille facit ut facia-
muis, prœbendo vires efficacissimas voluntali, qui
dixit : Faciam ut in justificationibus meis ambu-
letis el judicia mea observetis et faciatis. Cuin di-
cit : Faciam ut faciatis, quid atiud dicit, nisi : Au-
ferani a vobis cor lapideum , unde non faciebalis,
et dabo vobis cor carueum, unde faciatis ? August,
lib. De Grat. et libero arb., cap. svr, num. 32, pag.
734 et 735.
2 Cur ergonoticonfiteris (Juliane) sine uUaforin-
secus sonanle jussione Deum occulta instinctu ad
quod voiuerit efficacissiine implendum prœparare
atque excilare hominumvolimiates ? Angust.ylih. III
Oper. imperf., cap. clxvi, pag. 1115.
3 Àntequam mulieris sermoneni' poscentis au-
disset, occuUissima el efflcacissima potestale con-
vertit, et translulit ab indignatione ad lenitaiem,
hoc est, a voluntate lœdendi ad volunlatein fuvcn-
di secundum illud Apostoli : Deus operatur iu vo-
bis et velle et operari pro bona voluntate. August.,
lib. I Contra duas Epist. Pelag., cap. xs, num. 38,
pag. 428.
* Ut aiUeni de cœlo vocaretur et tam magna
et efflcacissima vocatione converteretur, gratia Dei
eratsola; quia mérita ejus erant magna, sed mala.
August., lib. De Grat. et lib. arb., num. 12, pag. 724.
s Quibus meritis bonœ voluntatis Deus illum ab
his malis ad bona, mirabili repentina vocatione
convertit? Quid ergo dicam, quib^is meritis, cum
ipse clamet : Non ex operibus justitiœ quœ nos fe-
cimus, sed secundum suam misericordiam salvos
nos fecit, August., lib. 1 ConLra duas Epist. Pelag.,
cap. XIX, num. 37, pag. 427.
6 Quanivis non negetur Deus passe, quem vclit,
etiam nullo homine corripiente, corrigere, el ad
dolorem salubrem pœnilentiœ occuUissima elpo-
tentissima medicinœ suœ potestate pcrducere. Au-
gust., lib. De Corrept. et grat., cap. v, num. S,
pag. 753.
' Hœc itaque gratia quœ occulte humanis
cordibus divina largitate Iribuitur a nullo duro
corde respuitur. Ideo quippe tribuitur, ut cordis
duritia primilus auferatur. August., lib. De Prœd.
sanct., cap. viii, num. 13, pag. 799.
[lV° ET V° SIÈCLES.]
libéralité répand secrètement dans les cœurs
des hommes, n'est rejetée d'aucun cœur,
quelque dur qu'il soit, puisqu'elle n'est don-
née que pour ôter premièrement la dureté
du cœ-ur. Il a été ' pourvu à l'infirmilé de la
volonté humaine, afin que par la grâce di-
vine elle fût poussée indéclinablement et
insurmontablement, et qu'ainsi, quelque fai-
ble qu'elle fût, elle ne défaillît point, et ne
fût point vaincue par quelque adversité. Il
est vrai que Dieu a laissé le premier homme
dans la liberté, lorsqu'il était très-fort, et lui
a permis de faire ce qu'il voulait. Mais pour
les hommes qui sont faibles (depuis le péché
d'Adam), il leur a réservé le don (de sa
grâce) par lequel ils veulent le bien très-in-
vinciblement, et ne veulent pas très-invinci-
blement l'abandonner. »
Saint Paul dit dans l'Épître aux Romains
que tous ceux qui sont poussés par l'esprit de
Dieu sont enfants de Dieu, Rom. viii, 14. Saint
Augustin remarque sur ce passage que ^ l'on
ne peut douter que ce ne soit quelque chose
de plus d'être poussé, que d'être conduit:
« Car, dit-il , celui qui est conduit fait quel-
que chose, et il est conduit de Diea, afin
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
7IS
qu'il fasse bien. Mais celui qui est poussé, à
peine peut-on concevoir qu'il fasse quelque
chose. Cependant la grâce du Sauveur a tant
de pouvoir sur nos volontés, que l'Apôtre ne
craint point de dire que tous ceux qui sont
poussés par l'esprit de Dieu, sont enfants de
Dieu. Et notre volonté qui demeure toujours
libre, ne peut rien faire de mieux en nous
que de s'abondonner, pour être poussée, à ce-
lui qui ne peut rien faire de mal. Quand elle
aura fait cela, c'est-à-dire qu'elle se sera
abandonnée à Dieu pour être poussée ,
qu'elle ne doute point qu'en cela même,
elle n'ait été aidée par celui à qui le Psal-
miste dit : Votre misériœrde, mon Dieu, me ps«i, lviu.
préviendra. »
108. « Lorsque Dieu veut sauver un
homme ', dit le saint Docteur, nul libre arbi-
tre de l'homme ne résiste : car il est telle-
ment en la puissance de l'homme qui veut
ou qui ne veut pas, de vouloir ou de ne pas
vouloir qu'il n'empêche point la volonté de
Dieu, ni ne surmonte sa puissance , parce
qu'il fait ce qu'il veut de ceux qui font ce
qu'il ne veut pas. Il est donc indubitable '*,
que les volontés humaines ne peuvent résis-
Pouvoir de
DIou sur la
volonté des
horQmeSt
' Stbbventum est igiiur inlirmitati voluniatis
humance, ut divina gratia indeclinabiliter et in-
superabiliter ageretur, et ideo, quamvis infirma,
non tamen deficeret, neque adversitate aliqua vin-
ceretiir.. Fortissimo quippe dimisit atque pei'mi-
sit facere quod vellet : infirmis servavit, ut ipso
hoc donante inviciissime quod bonum est vellerit,
et hoc deserere invictissime nollent. August., lib. I
De Corrept. et grat., iium. 38, pag. 771.
' Nom procul dubio plus est agi, quam ré-
gi : qui enim regitur, aliquid agit ; et a Deo re-
gitur, ut recte agat; qui autem agitur, agere
aliquid ipse vix intelligitur : et tamen tantum
prœstat voluntatibus nostris gratia Salvatoris,
ut non dubitet Àpostolus dicere: Quotquot Spiritu
Dei aguntur, lii fiUi sunt Dei. Nec aliquid in no-
bis libéra volunlas melius potest agere, quam ut
illi se agendam commendel, qui maie agere non
potest; et hoc cum fecerit, ab illo se ut faceret,
adjutam esse non dubitet, oui dicitur in Psalmo :
Deus meus, misericordia ejus praîveniet me. Au-
gust., lib. De Gestis Pelag., num. 5, jjag. 174.
■^ Cui volenti salvum facere nullum hominum
resistit arbitrium: sic enim velle seunolle in vo-
lentis aut nolentis est potestate, ut divinam vo-
luntatem non impediat, nec superet potestatem.
Etiam de his enim qui faciunt quœ non vult, fa-
cit ipse quœ vult. August., lib. De Corrept. et
grat., cap. xiv, num. 43, pag. 774.
* Non est itaque dubitandum voluntati Dei, qui
in cœlo et in terra omnia quéecumque voluit fecit,
et qui etiam illa, quaî futura sunt fecit, humanas
vohontates non posse resistere quominus facial
ipse quod vult: quando qtndem etiam de ipsis ho-
minum voluntatibus, quod vu II, cum vult, facit.
Nisi forte fut ex multis aliqua commemorem)
quando Deus voluit Sauli regnum dare, sic erul
in potestate Israelitarum subdere se memorato
viro, sive non subdere, quod utique in eorum erat
positum voluntate, ut etiam Deo valerent resis-
tere.
Qui tamen hoc non fecit, nisi per istorum ho-
minum voluntates, sine dubio habens humano-
rum cordium quo placeret inclinandorum omni-
potentissimam potestatem. Sic enim scriptum est:
Et dimisit Samuel populum et abiit unusquisque
in locum suum : et Saul abiit in domum suam in
Gabaa; et abierunt potentes, quorum tetigit Domi-
nus corda, cum Saule, et filii pestilentes diserunt:
Quis salvabit nos? Hic? et inlionoraverunt eum
et non attulerunt ei munera. Nimquid aliquid dic-
turus est non iturum fuisse cum Saule quemquam
eorum, quorum tetigit corda Dominus, ut irent
cum illo; aut isse aliquem pestilentium, quorum,
ut hoc facerent, corda non tetigit? Item de David,
quem Dominus in regnum successu prosperiore
constituit, ita legitur : Et ambulabat David profi-
ciens et magnificabatur et Dominus erat cum illo.
HOC câim prœmissum fuisset, païUo post dictum
est : Et Spiritus induit Amasai principem triginta ,
et dixit; Tui sumus, o David, et tecum futnri, flli
Jesse, pax, pax tibi, et pax adjutoribus tuis quia
auxiliatus est tibi Deus. Nunquid iste posset ad-
versari voluntati Dei, et non potius ejus facere
voluntatem, qui in ejus corde operatus est per spi-
ritum suum quo indutus est ut hoc vellet, dicerel
716
HISTOmE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Psal.csxxiv,
6, et Is.ii, XLV,
ILid. iir,ld
ter à la volonté de Dieu, qui a fait tout ce
qu'il a voulu dans le ciel et dans la terre, et qui
a déjà fait même les choses qui sont à venir ;
les volontés des hommes ne pouvant l'em-
pêcher de faire ce qu'il veut , puisqu'il fait
d'elles-mêmes ce qu'il veut et quand il veut ;
si ce n'est peut-être que lorsque Dieu voulut
donner le royaume à Saiil, il était tellement
en la puissance des Israélites de se soumet-
Ire à ce roi , ou de ne s'y pas soumettre,
qu'ils pussent même résister à Dieu. C'est là
an exemple entre autres de la résistance
que les hommes peuvent apporter à la vo-
lonté de Dieu. Cependant Dieu n'étabht Saiil
dans le royaume que par les volontés de ces
mêmes hommes, ayant indubitablement une
puissance toute puissante de remuer les
cœurs et de les porter où il lui plaît, car il
est écrit : Samuel laissa le peuple , et chacun
s'en alla chez soi; et Saïd se retira en sa mai-
son à Gabaa ; et les grands, dont Dieu avait
touché les cœurs, s'en allèrent avec Saûl : mais
les méchants dirent: Celui-ci nous sauvera-t-il?
et ils le méprisèrent, et ne lui offrirent point
de présents. Dira-t-on que quelqu'un de ceux
dont Dieu avait touché les cœurs pour les
faire aller avec Saûl, n'alla point avec lui ,
ou que quelqu'un de ces méchants dont Dieu
n'avait point touché les cœurs pour lui faire
opérer cette action, y soit allé? Nous lisons
aussi de David que Dieu l'établit dans le
royaume avec un si heureux succès, qu'il
allait tous les jours en augmentant^ qu'il s'é-
levait déplus en plus en réputation et en gloire
et que le Seigneur était avec lui, et ensuite :
L'Esprit de Dieu remplit Amasaï qui était un
des trente princes, et il dit : Nous sommes à
vous, David, et nous serons avec vous, fils de
Jessé. La paix soit avec vous et avec ceux qui
vous assistent, parce que le Seigneur vous a se-
couru. . Celui-là pourrait-il résister" à la vo-
lonté de Dieu, et faire autre chose que la
volonté de celui qui avait fait, dans son cœur
par l'esprit dont il l'avait rempli, qu'il vou-
lait, disait et faisait ces choses? L'Écriture dit
au même endroit : Tous ces hommes de guerre
vinrent en Hébron avec un esprit d'amour et
de paix , afin d'établir David roi sur tout
Israël. Sans doute ce fut volontairement
qu'ils établirent David pour régner sur eux.
Qui ne le voit? Qui le peut nier? Car ils fai-
saient cela de cœur et d'affection, et par
une bonne volonté , avec un esprit d'amoui'
et de paix. Néanmoins ce fut celui cfui fait
ce qu'il veut dans les cœurs des hommes ,
qui forma ce respect en eux. D'où vient que
l'Écriture dit auparavant que David allait
toujours croissant, qu'î7 s'élevait de plus en plus
en réputation et en estime , et que le Seigneur
tout-puissant était avec lui? Et c'est ainsi que
le Seigneur tout-puissant qui était avec lui,
avait amené ces gens pour l'établir roi. Com-
ment les lui amena-t-il ? Les lia-t-il avec des
chaînes sensibles et matérielles? Il agit au-
dedans de leur esprit, il prit leurs cœurs, il
leur remua leurs cœurs , il les attira par leur
propre volonté, qu'il avait produite en eux. Si
donc Dieu veut établir les rois sur la terre, il a
plus en sa puissance les volontés des hommes,
qu'eux- mêmes n'ont leurs propres volontés
en leur pouvoir ; quel autre que Dieu fait que
les avertissements sont utiles à celui à qui on
les donne , et qu'il se convertit dans le cœur ,
afin d'être établi dans le royaume céleste?»
109. Cependant les prêtres de Marseille',
soutenaient que les passages de l'Écriture
tirés de l'histoire de Saiil et de David, ne
prouvaient rien, et qu'on n'en pouvait rien
conclure touchant les exhortations et les cor-
rections. « Mais c'est mal à propos, répond
saint Augustin, qu'ils - prétendent éluder ce
que j'ai fait voir par des preuves prises du li-
ée faceret? Item paulo post ait eadem Scriptura:
Omnes hi viri bellatores, dirigentes aciem eonle
pacifîeo venerunt in Hebron, ut constituèrent David
super omnem Israël. Sua volunlate utique isti
constituerunt regem David. Quis non videat ? quis
hoc neget ? non enim hoc non ex anima, ant non
ex bona volunlate fecerunt, quod fecerunt corde
P'icifico : et lam.en hoc ineis egit, qui in cordibus
homimun quod voluerit operatur. Propter quod
prœmisit Scriplura : Et ambulabat David profl-
ciens, et magnifioabatur, et Dominus omnipoteus
erat cum illo. Àc per hoc Dominus omnipotem qui
erat cum illo, adduxit istos ut eum. regem cons-
liluerent. Et quomodo adduxit ? nunquid corpo-
ralibus ullis rinculis alligavit? intus egit. corda
tenuit, corda movit, eosque voluntatibus eorum,
quasipse inillis operatus est, traxit. Si ergocum
voluerit reges in terra Deus conslituere, magis
habet in potestate voluntates hominum quam ipsi
suas, quis alitis facit ut salubris sit correplio,
et fiat in correpti corde correctio ut cœlesti con-
stiluatur in regno ? Angnsl., lib. De Corrept. et
grat., cap. xiv, mim. 45, pag. 774 et 775.
' Tcstimonia etiam Scripturœ quœ de Saule vel
David posuisti non pertinere putant ad quœstio-
nem quœ de exhorta tione versatur. Hilar., Epist.
227, num. 7, pag. 828, tom. I[.
- Frustra itaque eliam illud quod Regnorum
et Pnralipomenon Scriptura teste probavimus
cum Deus vult fieri quod non nisi volentihus ho-
[iV" ET V" SIÈCLES.]
vre des Rois et des Paralipomènes, que quand
]a volonté des*hommes est nécessaire pour
l'accomplissement de ce que Dieu a résolu, il
fait qu'elle se porte où il lai plaît, que c'est lui
qui opère en nous le vouloir d'une manière
admirable et inetïable. Car de répondre en
l'air que ces exemples ne font rien au sujet
que nous traitons , n'est-ce pas proprement
ce qu'on appelle contredii-e sans avoir rien à
dire et sans payer de raison? Si ce n'est peut-
être qu'ils veulent dire qu'ils ne s'agissait que
d'élever Saille t David à la royauté, lorsque
Dieu, comme j'ai fait voir, agissant dans les
cœurs, tourna la volonté de ceux qu'il lui
plut, selon qu'il était nécessaire pour cette
fin , mais que ces exemples ne font rien à la
question, parce qu'il s'agit duroyaume du ciel
et non pas de l'établissement d'un royaume
temporel. Ainsi leur pensée serait que ce
n'est qu'en ce qui regarde les royaumes de
la terre, mais non pas quand il s'agit de faire
acquérir aux hommes celui du ciel, que Dieu
dispose des volontés de qui il lui plaît. Je crois
néanmoins qu'il est question du royaume
du ciel et non pas d'un royaume temporel,
lorsqu'il est dit : Seigneur, faites pencher mon
cœur vers les témoignages de votre loi ; lors-
qu'il est dit : C'est le Seigneur qui prépare la
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
717
volonté; lorsqu'il est dit : Que le Seigneur
soit avec nous comme il a été avec nos pères ,
qu'il ne nous abandonne point , et qu'il ne nous
éloigne point de lui ; mais qu'il incline nos
cœurs vers lui, afin que nous marchions dans
toutes ses voies. Qu'ils reconnaissent par ces
passages et par une infinité d'autres que je
pourrais rapporter , que c'est Dieu qui pré-
pare et qui convertit les volontés des hom-
mes dans ce qui regarde le royaume du ciel
et la vie éternefie , de même que quand il
s'agit d'établir les royaumes de la terre.
Quelle absurdité serait-ce de dire que c'est
Dieu qui dispose alors les vo.lontés des hom-
mes , mais que les hommes disposent d'eux-
mêmes dans ce qu'ils font pour acquérir le
royaume du ciel. »
110. Julien le pélagien, pour montrer que
la volonté de Dieu est empêchée par la vo-
lonté humaine, citait 'les paroles de Jésus-
Christ : Jérusalem, Jérusalem, combien de fois
ai-je voulu rassembler tes enfants comme une
poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu
ne l'as pas voulu ? a II faut vous le ^ pardon-
ner, lui répond saint Augustin, si étant
homme vous vous trompez dans une chose
aussi cachée. A Dieu ne plaise que l'inten-
tion du Tout-Puissant, cjui connaît toutes
m Kcf.
Suito des
oljcctinnstou-
cLanl le pou-
voir de Dipu
sur la voloQté
des liommos.
M;itlh. XXIII,
minibus oportet fieri, inclinari eorum corda ut
hoc vellent, eo scilicet inclinante qià in nobis mi-
rabili modo et ineffabili operatur et velle, ad
causam de qua disservmus, non pertinere dixe-
runt, quid est aliud, nihil dicere et tamen con-
tradicere... An forte quia oslendimus hoc Dexim
egisse in cordibus hominum et ad hoc perduxisse
quorum ei placuit volunlates, ut rex constituere-
tur Saul sive David, ideo hœc exempta causœ
huic convenire non putant, quoniam non hoc est
temporaliter regnare in hoc sœculo, quod est in
œternum regnare cum Deo : ac per hoc existi-
mant ad régna terrena facienda Deum inclinare,
ad regnum vero cœleste obiinendum Deum non
inclinare quorum volueril volunlates? Sed puto
propler regnum cœlorum non propter regnum
terrenum esse dictum: Inclina cor meum in tes-
timonia tua; vel: A Domino gressus hominis diri-
gentur, et viam ejus volet; vel; Paratur voluutas
a Domino ; vel: Fiat Dominus noster nobiscum, si-
cut erat cum patribus nostris : non derelinquat nos,
nec avertat nos a se; inclinât corda nostva ad se,
ut eamus in omnibus viis ejus ; vel : Dabo eis cor
aliud, et spiritum novum dabo eis. Àudiant etiam
illud : Spiritum meum dabo in vobis, et faciam ut
in justificationibus meis ambuletis , et Judicia mea
observetis et faciatis. Audiant : A Domino diriguntur
gressus viri, mortalis autem quomodo intelligit vias
suas? Audiant: Omnis vir videtur sibimetipsi jus-
tus, dirigit autem corda Dominus. Audiant : Cre-
didei'unt quotquot eraut ordinati in vitam œter-
uam. Audiant hœc, et alia quœcumque non dixi,
quibus ostenditiir Deus ad regnum etiam cœlo-
rum et ad vitam œlernam parare et convertere
hominum volunlates. Cogitate autem quale sit,
ut credamus ad constituenda régna terrena ho-
minum volunlates operari Deum, et ad capessen-
dum regnum cœlorum homines operari volunla-
tes suas. August., De Prœd. sanct. , cap. xx,
num. 42, pag. 817 et 818.
' Alque omnibus vehementius quod dixit (Chris-
tus) intentionem suam humana voluntate impe-
ditam fuisse : Jérusalem , inquit , quoties volui
congregare filios tuos, sicut gallina pullos suos sub
alas suas et noluisti? post quod non sequit^ir : Sed
te nolente colligi, verum: Relinquetur vobis domus
vestra déserta ; ut illos ostendat pro malo quidem
opère jure puniri, sed ab intentione propria non
debuisse ulla necessitate revocari. Julian., apud
August. Oper. imper f., cap. xcm, pag. 926.
^ Ignoscendum est, quia in re multum abdita
ut homo falleris : absit, ut impediatur ab honiine
Omnipotentis et cuncta prœscientis intentio. Pa-
rum de re tanta cogitant vel ei excogitandœ non
sufjlciunt, qui putant Deum omnipotentem aliqind
velle, et homine infirma impediente, non posse. Si-
cut cerLumest Jérusalem filios suos ab illo colligi
noluisse, ita certum est eum etiam ipsa nolente
quoscumque eorum voluit, collegisse. Deus enim,
sicut homo ejus dixit Ambrosius, quos dignatur
vocal, et quem vult religiosum facit. August., lib.
( Oper. imperf. contra Julian., cb.^. xcni, pag. 926.
718
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
choses, soit empêchée par l'homme. Ceux-
là ne font pas assez de réflexion sur une "S'é-
rité si importante, ou ne sont pas capables
de la connaître, qui croient que Dieu tout-
puissant veut quelque chose, et qu'il ne le
peut pas, parce que l'homme faible l'empê-
che. Car, comme il est certain que Jérusa-
lem n'a pas voulu qu'il rassemblât ses en-
fants, de même il est certain qu'il n'a pas
laissé de l'assembler, malgré elle, ceux d'en-
tre eux qu'il a voulu rassembler : parce que,
comme dit Ambroise cet homme de Dieu, il
appelle ceux qu'il veut appeler et rend ver-
tueux ceux qu'il lui plaît. Dieu n'est ap-
pelé ' véritablement tout-puissant que parce
qu'il peut tout ce qu'il veut, et que l'effet de
la volonté du Tout-Puissant n'est point em-
pêché par la volonté d'aucune créature.
Qui peut donc ^ être si extravagant et si im-
pie, que de dire que Dieu ne puisse pas
changer les mauvaises volontés des hommes ,
celles qu'il veut, quand il veut et où il veut?
Mais lorsqu'il le fait, il le fait par miséri-
corde, et lorsqu'il ne le fait pas, c'est par
Rom. IX, 18. justice qu'il ne le fait pas, parce qu'zY /«îY
Eaihor. XV, miséricorde à qui il lui pieu t, et qu'il endur-
cit qui il lui plaît. 11 est dit dans l'Écriture
que Dieu changea le cœur d'Assuérus et le
lit passer de l'indignation à la clémence.
Qui ne voit qu'il est plus grand de faire '
passer un cœur de l'indignation à la clé-
mence, que de tourner vers un certain objet
un cœur qui n'est point préoccupé de pas-
sion pour d'autres, et qui est comme indif-
férent à l'égard de ceux qui l'environnent?
Que les pélagiens lisent donc et qu'ils com-
prennent , qu'ils ouvrent les yeux et qu'ils
connaissent que ce n'est point par la loi, ni
par la doctrine qui se fait sentir au dehors,
mais par une puissance intérieure, secrète,
merveilleuse et ineffable, que Dieu opère
dans les cœurs des hommes non-seulement
les vraies révélations, mais aussi les bonnes
volontés. Nous lisons aussi dans l'Écriture
que la'reine ' Esther fit à Dieu cette prière :
Mettez, Seigneur, dans ma bouche des paroles Esiher, i
sages et convenables en la présence du lion, et
transférez son cœur de l'affection à la haine
de notre ennemi. Pourquoi cette reine prie-
t-elle ainsi, si Dieu n'opère pas lui-même la
volonté dans le cœur des hommes ? En effet.
Dieu changea le cœur du roi par une puis-
sance très-cachée et très-efficace , et le fit
passer de l'indignation à la douceur, c'est-
à-dire de la volonté de nuire à la volonté de
se rendre favorable, selon cette parole de
l'Apôtre : Dieu opère en nous le vouloir. En Phiiip.n
vain objecterait-on que cette doctrine blesse
le libre arbitre. Est-ce que ces hommes de
Dieu, qui ont écrit ce c[ui est dit en cet en-
droit du changement d'Assuérus, ou plutôt,
est-ce que l'esprit de Dieu, par l'inspiration
de qui ils l'ont écrit, a combattu le libre ar-
bitre ? A Dieu ne plaise ; mais il a voulu
seulement établir à l'égard de tous les hom-
mes, et le jugement très-juste du Tout-Puis-
sant, et son secours plein de miséricorde.
On voit même " dans plusieurs endroits de
1 Neque enim oh aliud veraciter vocatur Omni-
potens, nisi quoniam quidquid vult potest, nec
voluntate cujuspiam creaturœ voiunlatis Omni-
potentis impediiur effectus. Aiigust., Enchirid. de
/ide, spe et charitate, cap. xcvi, num. 24, pag. 231
et 232.
^ Quis porro tam impie desipiat, ut dicat Deum
malas hominum voluntcUes quas voluerit, quan-
do voluerit, ubi voluerit, in bonuin non posse
convertere? Sed cum facit, per misericordiaiii fa-
cit : cum autem non facit, per judicium non facit,
qiiioniam cujus vult miseretur, et quem vult obdu-
rat. August., Enchirid. de fide, spe et cliar., cap.
cxvin, num. 23, pag. 232.
3 Convertit Deus et Iranstulit indignationem
e.jus (ÀssueriJ in lenitatem. Quis autem non vi-
deat mulio majus esse, indignationem a contra-
rio in lenitatem convertere atque transferre, quani
cor neutra afi'eclione prœoccupatum, sed inler
•utramque médium in aliquid declinare ? Legant
ergo et inlelligant, intueantur atque fateantur
■non lege atque doctrina insonante forinsccus, sed
interna et occulla, mirabili ac ine/fabili pokstale
operari Deiim. in cordibus hominum non solum
veras revelationes, sed bonas etiani voluntates. .
August., De Grat. Ctirist. contra Pelag. et Cœlest.,
cap. X.XIV, num. 25, pag. 241.
* Quid est autem quod Estlier illa regina oral
et dicit: Da sermonem couoinuum in os meum, et
verba mea clariflca in couspectu leoais, et couverte
cor ojus in odium impugnantis nos? Ut quid ista
in oratione dicit Deo, si non operatur Deus in
cordibus homiuuir voluntatem?... Anlequam mu-
lieris sermonem poscentis audisset, occultissima
et eUicacissima potestate convertit, et transtulit
ab indignatione ad lenitatem, tioc est a voluntate
Icedendi ad voluntatem favendi , secundum illud
Aposloli : Deus operatur in vobis et velle. JVitft-
quid homines Dei qui hœc scripserant, imo ipse
Spirilus Dei, quo auctore per eos ista conscripta
sunt, oppugnavil liberum hominis arbilrium?
Àbsit : sed Omnipotenlis in omnibus et judicium
juslissimum et auxiUum misericordissimum com-
mendavil. August., lib. I Contra duas Epist. Pe-
lag., cap. xx, num, 38, pag. 428.
^ Scriptnra divina, si diiigenter inspicialur.
[IV= ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'IIIPPONE.
719
rÉcriture que non-seulement .les bonnes vo-
lontés des hommes, mais encore celles qui
sont mauvaises sont tellement en la puis-
sance de Dieu, qu'il les fait incliner où il
veut et quand il veut. Qui ne ' tremblera à
la vue de ces redoutables jugements par
lesquels Dieu, fait dans les cœurs mêmes des
méchants, tout ce qu'il lui plaît, en leur ren-
dant néanmoins ce qu'ils méritent pour
leurs péchés? Roboam, fils de Salomon, re-
jeta l'avis salutaire des vieillards qui lui
conseillaient de ne point traiter le peuple
avec dureté, et suivit plutôt le sentiment des
jeunes gens comme lui , en répondant avec
menaces à ceux à qui il devait parler douce-
ment. D'où venait cela, sinon de sa propre
volonté ? C'est cependant ce qui fut cause
que dix tribus d'Israël se séparèrent de Ro-
Ijoam, et établirent Jéroboam pour leur roi,
afin que la volonté de Dieu irrité fût accom-
plie, ainsi qu'il l'avait prédit par le pro-
phète Allias ou Acliias. Ceci est arrivé par
la volonté d'un homme ; mais ce change-
ment venait du Seigneur. Il est écrit dans
le second livre des Paralipomènes, que le
Seigneur suscita contre Joram l'esprit des Phi-
listins et des Arabes voisins des Ethiopiens;
qu'îYs entrèrent dans la fei're de Juda, la rava-
gèrent et emportèrent tout ce qu'ils trouvèrent
dans le palais du roi. L'on voit par ce passage
que Dieu suscita des ennemis pour ravager
des terres qu'il jugea dignes d'une telle
peine. Dira-t-on que les Philistins et les Ara-
bes vinrent involontairement pour dissiper la
terre de Juda? ou qu'ils y vinrent par leur
volonté , en sorte qu'il soit faussement écrit
que le Seigneur suscita leur esprit pour faire
cette action? Certes l'un et l'autre est vrai, car
ils vinrent par leur volonté , et néanmoins
Dieu suscita leur esprit. Car le Tout-Puissant
opère dans le cœur des hommes le mouve-
ment de leurs volontés, afin que celui qui
ne peut rien vouloir injustement, fasse par
eux tout ce qu'il veut faire. Il est donc ma-
nifeste que Dieu opère dans le cœur des
hommes comme il lui plaît, soit pour incli-
ner leurs volontés au bien selon sa miséri-
corde, soit pour les incliner au mal selon
leurs mérites par un jugement qu'il exerce
sur eux, qui est quelquefois pubbc et quel-
quefois secret , mais qui ne peut jamais
qu'être juste. Si Dieu, par le ministère des
bons ou des mauvais anges, ou en quelque
autre mtmière que ce soit, peut agir dans le
cœur même des méchants selon leurs méri-
tes, lui qui n'a point formé leur malice, mais
ostendit non solum bonus hominum voluntates
qiias ipse facit ex malis, et a se fadas bonus in
actus bonos el in œternam dirigit vitam, verum
eliam illas quce conservant sœculi creatiiram ita
esse in Dei iJOlestate ut eas quo voluerit, quando
voluerit, facial inclinari. August., lib. De Grat. et
lib. arb., cap. xx, niim. 41, pag. 739.
• Quis non ista jiulicia, dicina contremiscat qui-
bus agit Deus in cordibus etiam malorum homi-
num quidquid vult, reddens eis tamen secundum
mérita eonim? Roboam, filius Salomonis, respuit
consilium salubre seniorum quod ei dederunt ne
cum populo dure ageret, etverbis coœvorum suo-
rum potius acquievit respondendo minaciter qui-
bus leniler debuit. Unde hoc, nisi propria^volun-
tale? sed hinc ab eo recesserunt decem tribus
Israël, et alium regem sibi constituer imt Jéro-
boam, ut irali Dei voluntas fieret, quod etiam fu-
turum esse prœdixevat. Quid enim Scriptura di-
cit : Et non audivit rex plebem quoniam erat
conversio a Domino, ut statueret verbum suiim
quod locutus est in manu AehiiB Selouitce de Jéro-
boam filio }iahaVa? Neinpe sic factum est illud per
liominis voluntatem ut tamen conversio esset a
Domino. Legite libros Paralipomenon, etinvenie-
tis in secundo libro sçriptum: Et suscitavit Domi-
nus supev Joram spiritum Philistiim et Arabum qui
flnitimi erant ^Ethiopibus et asceiiderunt in ter-
ram Juda, et dissipaverunt eam et ceperunt om-
nem substantiam. quœ in domo régis inventa est.
llic ostenditur, Deum suscitare hostes eis terris
vastandis quas tali pœna judicat dignas : num-
quid tamen Philistiim et Arabes in terrain j-u-
dœam dissipandam sine sua voluntate vmerunt
aut sic venerunt sua voluntate ut mendaciter
scriplum sit, quod Dominus ad hoc faciendum
eorum spiritum suscitavit ? Imo utrumqxie verum
est, quia et sua voluntate venerunt, et tamen spi-
ritum eorum Dominus suscitavit. Quod etiam sic
dici potest : Et eorum spiritum Dominus suscita-
vit, et tamen sua voluntate venerunt. Agit enim
Oiiinipotens in cordibus hominum etiam motum
voluntatis eorum, ut per eos agat quod per eos
agere ipse voluerit qui omnino injusti aliquid velle
non novit... Mis et talibus testimoniis divinorum
eloquiorum. quœ omnia commemorare nimis lon-
gum est, satis, quantum exislimo, manifestatur,
operari Deum in cordibus hominum ad inclinan-
das eorum voluntates quocumque voluerit, sive
ad bona pro sua misericordia, sive ad mala pro
■meritis eorum, judicio utique suo aliquando
aperto, aliquando occulto. semper tamen justo.
Si autem po'tens, sive per angelos, vel bonos vel
malos, sive quocumque alio modo operari etiam
in cordibus malorum, pro meritis eorum quorum
malitiam non ipse fecit,sed ut originaliter tracta
est ab Adam, aut crevil per propriam voluntatem:
ciuid mirmn est, si per Spiritum Sanctum operatur
in cordibus electorum suorum bona, qui operatus
est ut ipsa corda essent ex malts bona? August.,
lib. De Grat. el libero arb., cap. xsi, num. 42 et 43,
pag. 740, 741 et 742.
720
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Diou i.iêpare
lOL VOlOQté
,'homi
l'LoEm
qu'ils ont tirée originairement d'Adam, ou
qu'ils ont augmentée par leur propre vo-
lonté; qui s'étonnera qu'il opère le bien
par le Saint-Esprit dans le cœur de ses élus,
lui qui a fait que leurs cœurs mêmes de-
vinssent bons, de mauvais qu'ils étaient ? »
Comment 111. Julleu prétendait que les hommes se
"dl préparent d'eux-mêmes pour la gloire, et pour
îneni '^ le prouvor i] alléguait ces paroles de l'Écri-
pré; are. [uro '. Si ouelçiu'un se qarde pur de ces choses, il
". 21- sera unvase a honneur, sanctifie et propre au ser-
vice du Seigneur, préparépour toute sorte de ôow-
nes œuvtr s ^ uYous ne comprenez pas, lui ré-
pond saint Augustin, qu'il est dit : Si quelqu'un
se garde pur, pour faire voir que c'est par la
volonté que l'homme se purifie. Mais, ô in-
grat ! c'est le Seigneur qui prépcwe la volonté.
Ainsi l'un et l'autre est vrai, et que c'est Dieu
qui prépare les vases pour la gloire, et que
les vases se préparent eux-mêmes. Car Dieu
le fait, afin que l'homme le fasse ; comme il
aime le premier, afin que l'homme l'aime.
Lisez le prophète Ezéchiel, vous y trouverez
ces paroles, que Dieu fait que les hommes,
qui ont part à sa miséi'icorde, accomplissent
ses commandements. »
Comment H2. Sclou Saint Augustiu Dieu qui opère^
Dieu opère „ ,.
coopère en commençant, afin que nous voulions, coo-
père en achevant, lorsque nous voulons. C'est
Philip. I, c, pourquoi l'Apôtre dit : Je suis certain que celui
qui opère en vous la bonne ceuvre, l'achèvera
ii\ec no'is.
jusqu'au jour du Seigneur. Afin donc que nous
voulions, il opère sans nous ; mais lorsque
nous voulons, et que nous voulons de telle
sorte que nous agissons, il coopère avec nous.
Néanmoins, sans lui, soit qu'il opère afin que
nous voulions, soit qu'il coopère quand nous
voulons, nous ne pouvons rien pour les œu-
vres de piété. Il est dit en parlant de son opé-
ration pour nous faire vouloir : C'est Dieu qui i-hiiip.
opère en nous le vouloir ; et de la coopération
quand nous voulons déjà, et que nous faisons
en voulant : Nous savo7is que tout coopère au bien ^J*»"-
de ceux qui aiment Dieu. Lorsque l'esprit de
l'homme coopère ' avec l'Esprit de Dieu qui
opère en lui, les commandements de Dieu
s'accomplissent véritablement : ce qui ne se
fait qu'en croyant en celui qui justifie l'impie.
Cette race des Juifs, dontl'Ecritm-e dit, qu'elle
était corrompue, ■ et qu'elle aigrissait sans
cesse Dieu contre elle, n'a point eu cette foi.
C'est pourquoi il est dit dans le Psaume : Ils
n'ont point mis leur esprit en Dieu par une
véritable foi et par une vraie confiance ; et le
Saint-Esprit a usé de cette expression si par-
ticulière, pour marquer clairement la grâce
de Dieu, qui non-seulement opère la rémis-
sion des péchés, mais qui fait même que
l'esprit de l'homme coopère avec elle dans
l'exercice des bonnes œuvres. »
113. Julien accusait saint Augustin d'avoir sr
-,. • . cord du
dit* qu on me le libre arbitre quand on de- "^'"■"'
^ ■* la gràcf
1 Si ergo mundaverit quis semetipsum ab liis,
erit vas in honorem sanctificatum, utile Domino, ad
omne opus bonum paratum. Ergo ipsa vasa ita se
prœparant, wi frusira de Deo dictum sit : Qiice
prœparavit in gloriam? hoc enim apertissime di-
cis ; nec intelligis ita dictum esse : Si quis mun-
daverit semetipsum, ut ostenderetur et opus ho-
minis per voluntatem ; sed, ingrate homo, prœpa-
ratur voluntas a Domino ; ideoutrumque verum
est. et quia Deus prœparat vasa in gloriam, et
quia ipsa se prœparant. Ut enim faciat homo
Deusfacit; quia, ut diligat homo, Deus prier dili-
git. Lege Esechielemprophetam... Ista etiamverba
reperies, id est, Deum facere ut prœcepta ejiis
homines faciant, quorum miserelur , etc. August.,
lib. 1 Oper. imperf., cap. cxxxiv, pag. 949.
2 Quoniam ipse ut vetimus operatur incipiens,
qui volentibus cooperatur per/iciens, propter quod
ait Apostolus : Certus sum, quoniam qui operatur
in vobis opus bonum, perficiet usque in diem
Cbristi Jesu. Ut ergo vetimus, sinenobis operatur;
cum autem volumus, et sic volumus ut faciamus,
nobiscum cooperatur : tamensineillo vel opérante
ut vetimus, vel coopérante cum volumus, ad bona
pietatis opéra nihil vale)nus. De opérante illo «f
velimus, dictum est : Deus est euim qui operatur
iii \ohis ei \ei\c. De coopérante autem cum jam
volumus et volendo facimus : Soimus, inquit, que-
niam diligentibus Deum omnia cooperantur in bo-
num. August., lib. De Grat. et libéra arb., cap.
XVII, nuni. 33, pag. 735.
3 Quando enim cuî» spiritu Dei opérante spiri-
tus hominis cooperatur, tune quod Deus jussit
impletur : et hoc non fit, nisi credendo in eum
qui justi/icat impium. Qitam fidem non habuitge-
neratio prava et amaricans ; et ideo de illa
dictum est : Non est creditus cum Deo spiritus.
Multo enim hoc expressius dictu,m est. ad signi/i-
candam gratiam Dei., quce non solum operatur
remissionem- peccatorum, sed etiam cooperantem
sibi facit hominis spiritum in opère bonoriim, fac-
torum. August, in Psal. lxxvu, nutn. S, pag, 821.
* Asseris me in alio libro meo dùvisse, negari
liberum arbilrium , si gratia commendetur, et ite-
rum negari gratiam, si liberum commendetur arbi-
trium : calumniaris. Non hoc a me dictum est.
sed propter ipsius quœstionis difficultatem. videri
hoc posse diclmnest et putari, non est multumut
ipsa verba mea ponam unde videant qui hœc k-
gunt quemadmodum scriptis meis insidieris et qua
conscientia vel tordis vel ignaris cordibus abute-
ris, ut ideo te existiment respondere quia non vis
tacere. In novissimis enim partibus primi libri
met ad sanctum Pinianuni, cujus est titulus : De
[lV° ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
721
fend la grâce, et qu'on nie la grâce quand
on défend le libre arbitre. « Mais c'est Là, lui
répond ce Père, une pure calomnie. Je n'ai
dit en aucune façon ce que vous me faites
dii'e. J'ai dit seulement que les questions, que
l'on fait touchant la grâce et le libre arbitre,
sont si délicates qu'on paraît nier l'un quand
on établit l'autre. Il n'en coûtera pas beau-
coup pour mettre ici mes propres paroles.
Par ce moyen ceux qui liront ceci verront
aisément de quels artifices vous vous servez
pour décrier et rendre odieuse la doctrine de
mes écrits ; et avec quelle mauvaise foi, ne
pouvant vous réduire au silence, vous tâchez
d'en imposer aux personnes simples et aux
ignorants, pour leur faire croire que vous
avez répondu à tout ce qu'on a dit contre
vous. Voici donc comme je m'explique vers la
fin du premier li^Te que j'ai adressé à Pinien,
et qui a pour titre : Traité de la grâce contre
Pelage : Cette question où Von parle du libre
arbitre et de la grâce de Dieu, est si difficile à
traiter avec la précision qu'il faut que , quand
on défend le libre arbitre, il semble qu'on nie
la grâce de Dieu ; et que, quand on établit le
dogme de- la grâce de Dieu, on croirait qu'on
détruit le libre arbitre. Mais vous, comme un
homme de probité et toujours véridique, au
lieu de rapporter mes paroles telles qu'elles
sont, vous m'avez fait dire ce qu'il vous a plu.
J'ai dit qu'il était difficile de traiter cette question
avec la précision çi<'?7 /aw^; mais je n'ai pas
dit que cela fut impossible. Je dirais encore
moins ce que vous me faite dires, qu'on nie le
libre arbitre quand on défend la grâce, et qu'on
nie la grâce quand on défend le libre arbitre.
Rendez mes propres paroles, et votre calom-
nie s'en ira en fumée. Remettez ces deux
mots il semble et on croirait, dans l'endroit
où il doivent être, et tout le monde verra
avec quelle mauvaise foi vous disputez. Je
n'ai pas dit qu'on nie la grâce, mais qu'il sem-
ble qu'on nie la grâce. Je n'ai pas dit qu'on
nie le libre arbitre ou qu'on le détruit; mais
j'ai dit qu'oK croirait qu'on détruit le libre arbi-
tre. A Dieu ne plaise ^ que nous voulions
détruire le libre arbitre par la grâce. Au
contraire nous l'établissons. Car de même
que la loi n'est point détruite par la foi, de
même le libre arbitre n'est point anéanti
par la grâce ; au contraire la grâce l'établit.
Car la loi ne s'accomplit que par le libre ar-
bitre ; mais la loi ne nous donne que la con-
naissance du péché, et la foi nous obtient
la grâce contre le péché, et cette grâce guérit
notre âme du péché. Ainsi guérie, elle devient
libre ; étantlibre, elle aime la justice : et c'est
par cet amour de la justice qu'elle accomplit
ensuite la loi. De même aussi le libre arbitre
n'est point anéanti par la grâce ; au contraire
la grâce l'établit, parce qu'elle guérit la vo-
lonté qui, étant guérie par la grâce, aime la
justice librement. »
Le saint évêque, expliquant ces paroles de
l'Apôtre : Tous ceux qui sont poussés par l'Es-
prit de Dieu, sont enfants de Dieu, se fait cette
objection de la part des pélagiens, qu'il com-
bat. «Nous sommes poussés ^, me diraquel-
Bom. viir,
gratia contra Pelagium, iista, inquam, quœstio
ubi de arbitrio voluntatis et Dei gratia disputatur,
ita est ad discernendum difficilis, ut quando de-
fenditur liberum arbitrium, negari Dei gratia videa-
tur ; quando autem asseritur Dei gratia, liberum ar-
bitrium putetur auferri, etc. Tu, autem, vir hones-
tus el verax, abstulisti verba quœ dixi, et dixisisti
quoi ipse fmxisti. Ego enim dixi : Istam ad dis-
cernendum esse difficilem; non autem dixi non
passe discerni. Multo minus ergo dicerem, quod
me dixisse mentiris : Negari liberum arbitrium si
gratia commendetur, et negari gratiam si liberum
commendetur arbitrium. Redde verba mea et va-
nescet calumnia tua, repone suis locis, ubi dixi,
videatur, ubi dixi, putetur, ut appareat de re
lanta quibus a te fraudibus disputetur. Non
dixi, negari gratiam, sed, ut negari gratia videa-
tur. Non dixij negari liberum auferri arbitrium vel
auferri; sed disi, ut putetur. August., lib. IV Con-
tra Jiil., cap. VIII, num. XLVii, pag. 608.
' Liberum ergo arbitrium evacuamus per gra-
tiam? absit, sed magis liberum arbitrium statui-
mus. Sicut enim lex per fidem, sic liberum arbi-
trium per gratiam non evacuaiur, sed statuitur.
IX.
Neque enim lex impletur nisi libero arbitrio ; sed
per legem coynitio peccati, per fidem impetratio
gratiœ contra peccatum; per gratiam sanatio
animœ a vitio peccati, per anvmœ sanitatem li-
bertas arbitrii; per liberum arbitrium jusiiliœ di-
lectio, per justitice dilectionem legis operatio.
Ac per hoc, sicut lex non evacuaiur sed statuitur
per fidem, quia fides impetrat gratiam qua lex
impleatur, ita liberum arbitrium non evacuatur
sed statuitur, qui gratia sanat voluniatem qua
justitia libère diligatur. August., lib. De Spiritu,
et litt., cap. XXX, num. 52, pag. 114.
2 Quotquot Spiritu Dei aguntur bi filii sunt Dei.
Dicit mihi aliquis : Ergo agimur, non agimus.
Respondeo : Imo et agis et ageris, et tune bene
agis si a bono agaris. Spiritus enim Dei qui te
agit agenti adjutor est tibi. Ipsum nomen ad-
jutoris prœscribit tibi, quia et tu ipse aliquid
agis... Jam nunc cum auditis : Quotquot Spiritu
Dei aguntur, hi filii- sunt Dei, noKie vos dimittere.
Neque enim templum suimi sic de vobis œdificat
Deus quasi de lapidibus qui non habent motum
suum, levantur, a structore ponmilur, non sic
sunt lapides vivi : Et vos tanquam lapides vivi
46
722
HISTOmE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
qu'un, mais nous n'agissons pas. Je réponds :
vous agissez , et vous êtes poussés. Vous
agissez bien lorsque vous êtes poussés par
celui qui est bon. Car l'Esprit de Dieu qui
vous pousse vous aide lorsque vous agissez;
et le nom d'aide qu'il prend vous démontre
que vous faites quelque chose. Lors donc
que vous entendez , que cmx- là sont enfants
de Dieu qui sont poussés par l'Esprit de Dieu,
ne perdez pas courage. Dieu ne se sert pas
de vous pour bâtir son temple , comme si
vous étiez des pierres sans mouvement qui
sont élevées et placées par l'architecte. Vous
êtes des pierres vivantes, vous êtes conduits;
mais vous devez suivre et courir. Et lorsque
vous aurez suivi , il sera encore vrai de dire
que sans lui vous ne pouvez rien faii'e, parce
Bom. is,i6. que, selon l'Apôtre, cela ne dépend ni de celui
qui veut , ni de celui qui court , mais de Dieu
qui fait 7nisérico)'de. Que ceux qui disent ' :
Pourquoi nous prêche-t-on et nous ordonne-t-on
de nous éloigner du mal, et de faire le bien, si
ce n'est pas nous qui le faisons, et si c'est Dieu
qui fait en nous que nous le voulons et le fai-
sons, ne se trompent point, mais qu'ils com-
prennent plutôt, s'ils sont enfants de Dieu,
que c'est l'Esprit de Dieu qui les pousse ,
afin qu'ils fassent ce qu'ils doivent faire , et
alin qu'après l'avoir fait , ils rendent grâces
à celui qui les pousse. Car ils sont poussés
afin qu'ils fassent , et non afin qu'ils ne fas-
sent rien. On leur montre ce qu'ils doivent
faire, afin que, lorsqu'ils le font en la manière
qu'ils le doivent faire, c'est-à-dire avec amour
et avec plaisir de la justice, ils se réjouissent
d'avoir reçu cette agréable douceur que le
Seigneur leur a donnée afin que leur terre
produisît son fruit. »
En exphquant cet endroit d'Ezéchiel : Je ^^^^.^ eimi,
ferai que vous marcherez dans la voie de mes
commandements , que vous les observerez et que
vous les ferez, saint Augustin dit aux péla-
giens ^ : « Est-il possible que vous ne vous ré-
veilliez pas encore, et que vous n'entendiez
pas la vois de Dieu qui vous dit : Je ferai que
vous marcherez, je ferai que vous observerez, et
enfin je ferai que vous ferez ? Pourquoi vous
élevez-vous ? Il est vrai que nous marchons,
que nous observons ; mais c'est lui qui fait
que nous marchons, que nous observons,
que nous faisons : c'est la grâce de Dieu qui
nous fait bons, c'est sa miséricorde qui nous
prévient. L'exhortation ' que saint Paul fai-
sait à Timothée en lui disant : Conservez-vous
dans la pureté, regardait sans doute le libre
arbitre. Cependant tous n'ont pas cette ré-
solution, mais ceux à qui il a été donné de l'a-
voir. Pour ce qui est de ceux à qui cela n'a
pas été donné , ou ils ne veulent point , ou
ils n'accomplissent pas ce qu'ils veulent.
Mais ceux à qui il a été donné , veulent de
telle sorte, qu'ils accomphssent ce qu'ils veu-
lent. Lors donc que cette résolution, que tous
ne prennent pas, est prise par quelques-uns,
c'est l'ouvrage de la grâce que Dieu donne
et du libre arbitre qui agit. »
Pour montrer ce libre arbitre, saint Paul
dit : Sa grâce * n'a point été stérile en moi, mais
coaediflcainmi intemplumDei; ducimini, sedseqid-
mini : quia, cum secuti fueritis, verum erit illud
quia sine illo nihil facere potcstis. Non enirn vo-
lentis, neque currenlis, sed misereutis est Dei. Au-
gust, Serm. 157, cap. xi et xii, num. 11 et 13,
pag. 751, 755 et 756.
1 JYore se itaque [allant, qui dicunt : Ut quid no-
bis préedicatur atque prœcipitur ut declinemus a
malo et faciamus bonum , si boc nos non agimus,
sed id velle et operari Deus operatur in nobis. Sed
potius intelligant, si jilii Dei sunt, Spiritu Dei se
agi, ut quod agendum est agant, ac, cum egerint,
illi a quo agunlur gratias agant. Aguntur enim
ut aganl, non ut ipsi nihil agant ; et ad hoc eis
ostenditur quid agere debeantut, quando id agunt
sieut agendum est, id est, cum dilectione et delec-
tatione justitiœ, suavitatem quam dédit Dominas,
ut terra eorum daret fruclum suum, accepisse se
gaudeant. August. , De Corrept. et grat., num. 4,
pag. 752.
■^ Spiritum meum dabo iu vobis, et faciam ut in
justilicationibus meis ambuletis, etjudicia mea ob-
servetis et facialis 1 liane nondum evigilatis ?
Nondwn audilis, faciam ut ambuletis, faciam ut
obseTvetis; postremo, faciam ut faciatis? Quid
adliuc vos inflatis? Nos quidem ambulamus, ve-
rum est, nos observamus, nos facimus : sed ille
facit ut ambulenms, utobservemus, ut faciamus.
Hœc est gratia Dei bonos faciens nos, hœc est
misericordia ejus prœveniens nos. August., lib. IV
Contra duas Epist. Pelag., num. 15, pag. 477.
3 Numquid non liberum arbitrium Timothei est
exhortatus Àpostolus dlcens: Contins te ipsum ; et
in hac re potestatem voluntatls oslendit, qui ait :
Nonhabens necessitatem, potestatem autem habeus
sucB Toluntatis, ut servet virgiuem suam, et tamen
non omnes capiuntverbum hoc, sed quibus datum
est. Quibus enim non est datum, aut nolunt, aut
non implent quod volunt ; quibus a.ulem dattim
est, sic volunt, ut impleant quod volunt. Itaque
ut hoc verbwn, quod non ab omnibus capitur, ab
aliquibus capiatur, et Dei donum est et liberum
arbitrium. August., De Grat. et lib. arb., cap. iv,
num. 7, pag. 722.
'' Alque ut ostenderet et liberum arbitrium, 7nox
addidit: Et gratia ejus in me vaeua non fuit, sed
plus omnibus illis laboravi. Hoc enim liberiMn ar-
bitrium hominis exhortatur et in aliis, quibus
[iv° ET y siiïCLES.] SAINT AUGUSTIN ,
fai travaillé plus que tous les autres , et lors-
qu'il dit : Nous vous eshortous de ne pas re-
cevoir en vain la grâce de Dieu, les prierait-
il en cette manière s'ils avaient reçu la grâce
de telle sorte qu'ils eussent perdu leur pro-
pre volonté ? Mais afin qu'on ne crût pas que
la volonté pût quelque chose sans la grâce ,
après avoir dit : Sa grâce n'a point été stérile
en moi , j'ai travaillé plus que tous les autres ,
il ajoute aussitôt : Ce n'est pas moi , mais la
grâce de Dieu avec moi , c'est-à-dire ce n'est
pas moi seul , mais la grâce de Dieu avec
moi ; et par là il nous fait connaître que ce
n'est ni la grâce de Dieu seule , ni lui seul
qui agissait, mais la grâce de Dieu avec lui.
Afin donc que l'on ne croie pas ' que les
hommes ne soient rien par leur hbre arbitre,
il est dit dans le Psaume : Si vous entendez
aujourd'hui sa voix, n'endurcissez pas vos cœurs;
et dans Ézechiel : Faites^ vous un cceur nou-
veau et un esprit nouveau, accomplissez mes
commandements, retournez à moi et vivez. Mais
souvenons-nous que celui qui dit : Retournez
à moi et vivez, est le même à qui on dit :
Convertissez -nous, Seigneur. Souvenons-nous
que celui qui dit : Faites-vous un cœur nou-
veau, est le même qui dit aussi : Je vous don-
nerai un cœur nouveau et un esprit nouveau.
Comment donc celui qui dit : Faites-vous ,
dit-il aussi : Je vous donnerai? Pourquoi com-
EYEQUE DHIPPONE.
723
mande-t-il ce qu'il doit donner? Pom-quoi le
donne-t-il, si l'homme doit le faire ; sinon
parce qu'il donne ce qu'il commande, quand
il donne son secours à l'homme afin qu'il
fasse ce qui lui est commandé ? 11 y a tou-
jours en nous une volonté libre , mais elle
n'est pas toujours bonne : car ou elle est li-
bre à l'égard de la justice quand elle est es-
clave du péché, et alors elle est mauvaise ;
ou elle est affranchie du péché quand elle
est soumise à la justice, et alors elle est bon-
ne. Mais la grâce de Dieu est toujours bon-
ne de sa nature , et par elle il arrive que la
mauvaise volonté de l'homme est rendue
bonne de mauvaise qu'elle était auparavant.
Par elle aussi la même volonté qui a com-
mencé d'être bonne , devient meilleure et si
puissante , qu'elle peut accomplir tel com-
mandement qu'il lui plaira, quand elle le
voudra fortement et pleinement : car c'est
pour cela qu'il est écrit : Si vous voulez, vous emi.sv,
observerez les préceptes, afin que l'homme qui
l'aura voulu et ne l'aura pu , connaisse qu'il
ne l'a pas encore voulu pleinement , et qu'il
prie afin qu'il ait une volonté telle qu'elle
suffira pour accomplir les commandements.
C'est ainsi en effet qu'il est aidé , afin qu'il
fasse ce qui est commandé. »
Hà. « Nous ne "^ détruisons point le libre
arbitre de la volonté humaine, dit ce Père,
La grâce no
dÉlruit pas la
libre aiuitre ,
ilicit: Rogamus ne iu vacuum gratiam Dei susci-
piatis : ut qtiid eniin. eos rogat si graiiam sic sus-
ceperunt wê propriamperderent vohintatem? Ta-
raen ne ipsa volunias sine gratia Bei putetur boni
aliquid passe, coniiniw cum dixissei : Gralia ejus
in me vacua uon iuit, sed plus omnibus illis laijo-
Ta.'vi, sub jimxitatque ait: Nonegoautem, sed gra-
tia Uei mecum, id est non solus, sed gralia Dei
mecum, ac per hoc nec gratia Dei sola, nec ipse
solus, sed gratia Dei cum illo. August., lib. De
Grat. et libero arb., cap. v, num. 12, pag. 724.
1 JYe aulem pulelur, nihil ibi facere ipsos homi-
nes per liberum arbitrium, ideo in Psalmo dici-
tur : Nolite obdurare corda vestra, et per ipsum
Ezechielem : Projicite a vobis omnes impietates
vestras, quas impie egistis in me : et facite vobis
cor Dovum et spiritum novum, et facite omnia
mandata mea. TJt quid moriemini, domus Israël,
dicit Dominus? Quia nolo mortem morientis, dicit
Adonaï Dominus, et convertimini et vivetis. Cui
dicitur : Converte nos Deus, meminerimus eum
dicere : Projicite a vobis omnes impietates vestras :
Cum ipse juslificel impium, meminerimus ipsum
dicere: Facite vobis cor novum et spiritum novum,
qui dicit : Dabo vobis cor novum et spiritum no-
"um dabo in vobis. Quomodo ergo qui dicit : Facite
vobis, hoc dicil; Dabo vobis? Quare jubet, si ipse
daturus est ? Qnare dot, si homo faclurus est, nisi
quia dal quod jiibet, cum adjuvat ut facial cui
jubel? Semper est aulem innobis volunias libéra,
sed non semper est bona. Aut enim a juslitia li-
béra est, quando servit peccato, et tune estmala;
aut a peccalo libéra est, quando serviljustilice, et
tune est bona. Gratia vero Dei semper est bona
et per hanc fit ut sit homo bonœ voluntatis qui
prius fuit voluntatis mate. Per hanc eliam fit,
ut ipsa bona voluntas, quœ jam esse cœpit, au-
geatur, et tam magna fiai, ut possit implere di-
vina mandata qum voluerit, cum valde perfecte-
que voluerit. Ad hoc enim valet quod scriptiom
est : Si volueris, conservabis mandata, ut homo
qui voluerit et non poluerit, nondum se plene
velle cognoscat, et oret ut habeat tantam volwn-
talem, quanta sufflcit ad implenda mandata, sic
quippe adjuvatur ut facial quod jubelur. Au-
gust., lib. De Grat. et libero arb., cap. xv, num. 31,
pag. 733 et 734.
"- Proinde arbitrium voluntatis humanœ ne-
quaquam destruimus , quando Dei gratiam, qua
ipsum adjuvatur arbitrium, non superbia nega-
mus ingrata, sed grata potius pietale prœdica^
mus. Noslrum enim est velle; sed voluntas ipsa
et admonetur ut surgat, et sanat^ir ut valeat, et
dilatatur ut capiat, et impletior ut habeat. Au-
gust., lib. De Bono viduit., num. 21, pag. 380.
724
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Ambros, lib.
io Luc*, capi
lir, num. 8Ï,
pig. 1309.
et n'introduit cTuand au lieu de nier, avec un orgueil plein
paslo destin. ^ , , . n t^- i ii
d'uigratitude, la grâce de Dieu par laquelle
le libre arbitre même est aidé, nous la pu-
blions au contraire avec une piété pleine de
reconnaissance. C'est à nous, il est vrai, de
• vouloir, mais c'est notre volonté qui est ex-
citée à se lever, qui est guérie pour pouvoir,
qui est élargie pour recevoir les dons de
Dieu, et qui est remplie pour les posséder. »
Co saint Docteur cite un passage de saint
Ambroise ', où ce Père enseigne que par-
tout la vertu du Seigneur coopère dans les
aflfections humaines, que personne ne peut
rien édifier sans le Seigneur, ne peut rien
garder sans le Seigneur, ne peut rien com-
mencer sans le Seigneur. « Dira-t-on, dit il,
que ce grand homme détruit le libre arbitre,
parce qu'il relève la grâce de Dieu avec une
piété reconnaissante , comme il est digne
d'un enfant de la promesse ? Nous ^ n'éta-
blissons point le destin sous le nom de la
grâce, en disant qu'il n'y a aucun mérite qui
la précède dans les hommes : et saint Cy-
prien' ne l'établissait point non plus quand
il disait que nous ne devons nous glorifier
en rien , parce que nous n'avons rien de
nous-mêmes.
lis. « Il est certain'', dit saint Augustin,
que si l'homme est en âge d'user de sa rai-
Explicatian
de ces paroles:
Cela ne dé-
pend pas de ., , . . , . .
c.iNi qui veut son, il ne peut ni croire, ni espérer, ni ai-
ni qui court,
nuis de Dieu mcr, s'il uB lo vout : ni acquérir la palme à
qm Tait misé- ' j j. a
TÎcorJo.
Kom, IX, IG.
laquelle Dieu l'appelle par sa vocation su-
prême, s'il ne court par sa volonté. D'où
vient donc que cela ne dépend pas de celui
qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu
qui fait miséricorde, sinon parce que c'est
Dieu qui prépare la volonté ? Car si l'on dit
que cela ne dépend pas de l'homme qui
court, mais de Dieu qui fait miséricorde,
parce que cela ne se fait que par I'qu et
l'autre, c'est-à-dire par la volonté de l'hom-
me et par la miséricorde Dieu, comme s'il
était dit : La seule volonté de l'homme ne
suffit pas, il faut que la miséricorde de Dieu
s'y rencontre aussi ; il s'ensuit que la misé-
ricorde de Dieu ne suffit pas toute seule,
mais que la volonté de l'homme doit aussi
l'accompagner. Et par conséquent s'il est
juste de dire que cela ne dépend pas de
l'homme qui veut et qui court, mais de Dieu
qui fait miséricorde, parce que la volonté
de l'homme n'accomplit pas cela toute seule,
pourquoi ne pourrait-on pas dii'e au con-
traire que cela ne dépend pas de Dieu qui
fait miséricorde , mais de l'homme qui veut,
parce que la miséricorde de Dieu n'accom-
plit pas cela toute seule ? Si aucun chrétien
n'oserait dire que ce n'est pas Dieu qui fait
miséricorde, de peur de contredire manifes-
tement l'Apôtre, il faut conclure qu'il a été dit
justement que cela ne dépend pas de l'hom-
me qui veut et qui court, mais de Dieu qui
fait miséricorde, afin que l'on donne tout à
Dieu qui prépare la bonne volonté avant que
de l'aider, et qui l'aide après qu'il l'a prépa-
rée. Ainsi il n'est pas '' vrai de dire que cela
1 Ambrosius exponens Evangelium secundum
Lucam : Vides utique, inquit, quia ubique Domini
virtus studiis cooperatur humanis, ut nemo possit
Eedjficare sine Domino, nemo custodire sine Do-
mino, nemo quidquam incipere sine Domino. Num-
quid, qiiioniam hœc dicit vir tantus Ambrosius, et
gratiani Dei, sicut fiiio promissionis congruit, gra-
ta pietate commendat, ideo dcstruit liberxim ar-
bitrium? August., lib. IV Contra duas Epist. Pelag.,
num. 30, pag. 489.
2 Necsub nomine gratice fatum asserimus, quia "
nullis hominum meritis Dei gratiam dicimus ante-
cedi. August., lib. IV Contra duas Epist. Pelag.,
num. 30, pag. 489.
3 Numquid sub nomine gratiœ fatum asserit
(sanctus Cyprianus), quamvis dicat in nullo glo-
riandum, quando nostrum nihil sit? August., lib.
IV Contra duas Epist. Pelag., num. 26, pag. 484.
* Igitur non volentis, neque curreutis, sed mise-
rentis est Dei. Cumprocul dubio, si homo ejus œta-
tis est ut ratione jam utatxir, non possit credere,
sperare, diligere, nisi velit, nec pervenire ad pal-
mam supernœ vocationis Dei, nisi voluntate con-
current; quomodo ergo non voleutis neque cur-
rentis, sed misereulis est Dei, nisi quia etijrsa vo-
luntas, sicut scriptum est, a Domino praeparatur?
Alioquin, si propterea dictum est : Non volentis
neque curreutis, sed miserentis est Dei, quia ex
utroque fit, id est, et voluntate hominis, et mise-
ricordia Dei, ut sic dictum accipiamus : Non vo-
lentis neque curreutis, sed miserentis est Dei, taii-
quam diceretur : Non sufficit sola voluntas ho-
minis , si non sit etiam misericordia Dei : non
ergo sufficit, et sola misericordia Dei, si non
sit etiam voluntas hominis ; ac per hoc si recte
dictum est: Non volentis hominis, sed miseren-
tis est Dei, quia id voluntas hominis sola non
implet, cur non et e contra recte dicitur : Non mi-
serenlis est Dei, sed volentis est hominis, quia id
misericordia Dei, sola non implet ? Porro si nul-
lus dicere christianus audebit : Non miserentis
est Dei, sed volentis est hominis, neque Apostolo
apertissime contradicat, restât ut propterea recte
dictum intelligatur : Noa volentis neque currentis,
sed miserentis est Dei, ut totum Deo delur, qui
hominis voluntatem bonam et prœparat adjuvan-
dam, et adjuvat prœparatam. August., Enchirid.,
cap. xxxii, pag. 208.
^ Falsumestaatem. si quis dicit: Igitur non mi-
serentis Dei, sedvolentis atque currentis est homi-
[l\'' ET V'' SIÈCLES.]
SAUST AUGUSTIN,
ne dépend pas de Dieu qui fait miséricorde,
mais de l'homme qui veut et qui court,
parce que Dieu ne fait miséricorde en vain
à personne ; mais il appelle celui à qui il fait
miséricorde de la manière qu'il sait lui être
convenable, afin qu'il ne rejette pas celui
qui l'appelle. «
116. « Ceux ' qui, ajoute saint Augustin,
avaient été invités à ce banquet, dont il est
parlé dans l'Évangile , ne voulurent pas
tous y venir ; et ceux qui y sont venus,
n'auraient pas pu y venir, s'ils n'y avaient
été appelés. C'est pourquoi, ni ceux qui sont
venus, ne doivent pas s'attribuer à eux-
mêmes d'être venus, parce qu'ils n'y seraient
pas venus, s'ils n'avaient point été appelés ;
ni ceux qui n'ont pas voulu venir, ne doivent
pas en rejeter la faute sur autrui , mais s'en
prendre à eux-mêmes, parce qu'ils ont été
invités à venir, et qu'il leur a été libre de
venir étant appelés. La vocation donc avant
le mérite opère la volonté. C'est pom'quoi,
si quelqu'un s'attribue à lui-même d'être
venu étant appelé, il ne peut pas s'attri-
buer son appel. Mais pour celui qui ,
ayant été appelé , n'est pas venu , il n'a
pas non plus mérité d'être appelé ; mais
comme il n'y a rien eu du tout en lui qui
l'ait 'rendu digne d'être appelé, de même il
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 725
commence à se rendre digne du supplice,
pour avoir négligé de venir, étant appelé.
Personne ne ^ croit, s'il n'est appelé ; mais
tous ceux qui sont appelés ne croient pas
pour cela : car il y en a beaucoup d'appelés, et
peu d'élus. Les élus sont ceux qui n'ont pas
méprisé celui qui les a appelés, mais qui
l'ont suivi en croyant. Ésau n'a point voulu
et n'a point couru. Mais s'il avait voulu et
s'il avait couru, il serait parvenu au bout
de la course par le secours de Dieu qui en
l'appelant, lui aurait donné la grâce de vou-
loir et de courir, si, parle mépris qu'il a fait
de la vocation, il n'était devenu réprouvé.
La volonté de croire doit être regardée
comme un don de Dieu, non-seulement à
cause du libre arbitre que nous avons reçu
du Créateur avec la nature % mais aussi
parce que Dieu, en nous éclairant et nous
persuadant, agit en eflet pour nous faire
vouloir et nous faire croire. Il agit au de-
hors par les exhortations évangéliques, en et
au dedans de nous par des mouvements se-
crets qui ne sont pas en notre pouvoir ; mais
il appartient proprement à la volonté d'y
consentir ou de n'y pas consentir. Dieu agit
de cette sorte avec l'âme raisonnable pour
faire qu'elle croie : car elle ne peut rien
croire par son libre arbitre, s'il n'y a point
Mattb. XX,
16.
nis , quia nullius D eus frustra miseretur ; cujus
autem miseretur, sic eum vocat quomodo sit ei
congruere ut vocantem non respuat. August.,
lib. I De Div. quœst., mim. 13, pag. 95, tom. VI.
1 Ad illam enim cœnam,quam Dominus dicilin
Evangelio prœparatam, nec omnes qui vocati sunt
venire voluerunt, neque illi qui venerunl, venire
passent nisivocarentur; itaque nec illidebent sibi
tribuere qui venerunt, quia vocati venerunt ; nec
illi qui noluerunt venire, debent alteri tribuere,
sed tantum sibi; quoniam ut venirent, vocati erant
in libéra voluntate -, vocatio ergo ante meritum
voluntatem operatur : proplerea et si quisquam
sibi tribuit quod venit vocatus, non sibi polest
tribuere quod vocatus est. Qui autem vocatus ve-
nit, non habuit meritum prœmii ut vocaretur,
sic inchoat meritum supplicii cum vocatus venire
neglexerit. August., lib. De Divers, quœst. oc-
tog. trib. quœst. 68, num. 5, pag. 54, tom. VI.
2 Nemo itaque crédit no7i vocatus: sed non om-
nis crédit vocatus. Multi enim sunt vocati, pauei
vero electi. Utique ii qui vocantem non contemp-
serunl, sed credendo secuti sunt ; volentes autem
sine dubio crediderunt... noluit ergo Esau et non
cucurrit: sed et si voluisset et cucurrisset, Dei
adjutorio pervenisset qui ei etiam velleet currere
vocando prœstaret, nisi vocatione comtempta re-
probus fieret. August., lib. I De Divers, quœst.
quœst. 2, num. 10, pag. 93 et 94, tom. VI.
' Attendat et videat, non ideo tantum istam vo-
luntatem (qua credimusj divino muneri tribuen-
dam-, quia ex libero arbitrio est, quod nobis na-
turaïiter concreatum est : verum etiam quod vi-
sorum^ suasionibus agit Deus ut velimus et ut
credamus, sive extrinsecus, per evangelicas ex-
hortationes, sive intrinsecus, ubi nemo habct in
potestate quid ei veniat inmentem, sed consentire
vel dissentire propriœ voluntatis est. Bis ergo
modis quando Deus agit cum anima rationali, ut
ei credat, neque enim credere potest quodlibet li-
bero arbitrio, si nulla sit suasio vel vocatio cui
credat; profecto et ipsum vrlle credere Deus ope-
ratur in homine et in omnibus misericordia ejus
prœvenit nos: consentire autem vocationi Dei,
vel ab ea dissentire, propriœ voluntatis est. Quœ
resnon solum non infirmât quod dictum est: Quid
enim habes quod non accepisti ? verum etiam con-
firmât. Accipere quippe et habere anima non po-
test doua, de quibus hoc audit, nisi consentiendo ,
ac per hoc quid habeat et quid accipiat, Dei est ;
accipere autem et habere utique accipientis et ha-
bentis est. Jam si ad illam profunditatem scru-
tandam^ quisquam nos coarctet, cur illi ita siia-
deatur ut persuadeatur, illi autem non ita? Duo
sola occurrunt intérim quœ respondere mihi
placeat : 0 altitude divitiarum ! et : Numquid ini-
quitas apud Deum? Cui responsio ista displicet,
quœrat doctiores, sed caveat ne inveniat prœ-
sumptores. August., lib. De Spiritu et litt., cap,
xxxiv, num. 60, pag. 130 et 121, tom. X.
726
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
cle suasion ou de vocation : et c'est Dieu qui
opère dans l'homme la volonté de croire, sa
miséricorde nous prévenant en tout. Il est
vrai que de consentir ou de résister à la vo-
cation de Dieu, cela est proprement de la
volonté. Ce qui toutefois n'est point con-
icor. .T,7. traire à ce que dit l'Apôtre : Qu'avcz-vous que
vous n'ayez reçu? 'En effet, l'âme ne peut rece-
voir, ni avoir les dons rapportés par saint
Paul, qu'en y consentant. Ainsi ce qu'elle a
eu et ce qu'elle reçoit, vient de Dieu. Mais le
recevoir et l'avoir est de la volonté qui re-
çoit et qui a. Que si quelqu'un , dit saint'
Augustin, me presse de sonder cette profon-
deur impénétrable , pourquoi une telle sua-
sion persuade celui à qui elle est donnée,
pendant qu'un autre à qui elle est également
donnée, n'en est point persuadé, il ne me
vient dans l'esprit que ces deux choses à lui
répondre avec l'Apôtre : 0 profondeur des
richesses! etc., et: Y a-t-il en Dieu de l'in-
justice ? Que si cette réponse ne lui plaît pas ,
qu'il cherche des hommes qui soient plus
doctes, mais qu'il prenne garde d'en trouver
qui soient plus présomptueux. Quiconque
ose dire ': J'ai la foi de moi-même, je ne l'ai
donc pas reçue, contredit cette vérité très-
évidente de l'Apôtre : Qui est-ce qui vous dis-
cerne, qu'avez-vous que vous n'ayez point reçu?
Non qu'il ne soit au pouvoir du libre arbitre
de la volonté de croire ou de ne pas croire ;
mais cette volonté est préparée par le Sei-
gneur dans les élus. »
117. «Les Tyriens et les Sidoniens, dit saint , Pouno
Auffustin, ont été laisses dans la masse de i«' sidon,.,
~ ' n ont pas u
perdition^ par un jugement de Dieu. Ils au- ^îri„^""=
raient pu croire néanmoins , s'ils avaient vu
les grands miracles de Jésus- Christ. Mais
parce qu'il ne leur avait pas été donné de
croire, le moyen par lequel ils auraient cru
leur a été refusé. D'où il paraît qu'il y en a
qui ont naturellement dans leur esprit un
don divin d'intelligence qui les porterait iY
croire à l'Évangile, s'ils entendaient des pa-
roles, ou s'ils voyaient des miracles confor-
mes aux dispositions de leur esprit. Toute-
fois, si par un jugement de Dieu plus pro-
fond ils ne sont point séparés de la masse
de perdition par la prédestination de la grâ-
ce, ils n'entendent point ces paroles, et ne
voient pas ces miracles par lesquels ils
pourraient croire, s'ils les entendaient ou les
voyaient. C'est dans cette même masse de
perdition qu'ont aussi été laissés les Juifs
qui n'ont pu croire, après même avoir va
devant leui's yeux des miracles si éclatants
et si exti'aordinaires. Et pourquoi ne l'ont-
ils pu ? L'Évangile ne nous le cache point,
quand il dit : Quoique Jésus-Christ ait fait JoaD.su,
tant de miracles devant eux, ils ne croyaient
pas en lui, afin que cette parole du prophète
Isaïe fut accomplie : Seigneur, dit-il , qui a
cru à la parole qu'il a entendue de vous , et
à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé?
C'est pour cela qu'ils ne pouvaient croire,
parce que Isaïe a dit encore : Il a aveuglé leurs
Quisenim te discernitî Quid autein habes quod
nonaocepisti'? Quisquis audet dicere : Habeo ex me
ipso fidem, non ergo accepi, profecto contradi-
cil huic aperiissimœ verUaM. Non quia credere
vel non credere non est in arbitrio voluntaiis hu-
manœ, sed in electis prœparatur voluntas a Do-
■jiimo. August.jlib. DePrœd.sanct., cap. v,num.lO,
pag. 797 et 798.
2 Cœleri autem ubi, nisi in massa perditionis,
juslo divinojudicio relinquuntur ? Ubi Tyrii relicti
sunt et Sidonii, qui eliam credere potuerunt, si
mira illa Christi signa indissent? Sed qiioniam ut
crederent non erat eis datum, eliam undc crede-
rent est negatum. Ex quo apparet habere quos-
dam in ipso ingenio divinum naturaliler munus
inleUigentiœ, quo moveanlur ad fidem, si congrua
suis menlibus, vel audiant verba, vel signa cons-
piciant, et tamen si Dei alliore judicio a perditio-
nis massa non sunt gratiœ prœdeslinalionc dis-
creti, nec ipsa eis adhibmlur vel dicta divina
vel facia, fier quœ passent credere, si audircnl
iiliqne lalia vel vidèrent. In eadem perdiiionis
massa relicti sunt eliam Judivi qui non pnlne-
riml credere faclis in cunspectu suo lain niagnis
darisque virlutibus. Cui enim non poleranl cre-
dere, non tacuit Evangelium, dicens : Cum autciD
tauta signa fecisset coram eis, non crediderunt iu
eum. Ut sermo Isaiœ proplietce impleretur, quem
dixit: Domine, quis credidit auditui nostro, etbra-
cliium Domini cui revelatum est? Et ideo non po-
terant credere, quia iterum dixit Isaias:Excœcavit
oculos eorum et induravit cor illorum ut non vi-
deant oculis, nec intelligant corde, et convertantur
et sauem illos. J\'o?i erant ergo sic excœeali ociUi
nec sic induralum cor Tyriorum et Sidoniorum
quoniam credidissent, si, qualia viderunt isti, si-
gna vidissent. Sed ntc illis profuit quod poterant
credere quia prœdeslinatinon erant ub eo, cujus
inscnUabilia sunt judicia et investigabilcs vice;
nec istis obfuisset quod non polerant credere, si
ita prœdestinati essent ut eos cœcos Deus illumi-
narel, et induratis cor lapideum vellct au ferre.
Verum quod dixit Dominus de Tyriis et Sidoniis
aliquo alio modo polesl fnrtassis intclligi; nemi-
nem lamcn venire ad Clirislumnisi cui fuerit da-
tum, et eis dari qui in illn elccti sunt anle cons-
tilutionem mnndi, procul duhio confiletur, a quo
non surdis auribus cordis cloquium dirinumau-
ribus carnis audilur. Aiigust., De Dono pers.,
cap. XIV, uum. 3.'), iiag. 8o9 et SiO.
[iv" ET V" SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
yeux, et il a endurci leur cœur, de peur qu'ils
ne voient des yeux, et ne comprennent du
cœur, et que venant à se convertir, je ne les
guérisse. Les Tyriens et les Sidoniens n'a-
vaient donc pas ainsi les yeux aveuglés , ni
le cœur endurci, puisqu'ils eussent cru,
s'ils eussent vu des miracles comme ceux
que les Juifs avaient vus. Il n'a cependant
servi de rien à ceux-là d'avoir pu croire,
parce qu'ils n'étaient pas prédestinés par ce-
lui dont les jugements sont impénétrables et
les voies incompréhensibles. Et l'impuis-
sance de croire, où les autres étaient, ne les
aurait pas fait périr, s'ils eussent été prédes-
tinés, et si Dieu eût voulu dissiper leurs té-
nèbres, et leur ôter ce cœur de pierre qui
faisait leur endurcissement. Mais qu'on
puisse peut-être donner quelqu.'autre sens
à ce que Jésus-Christ dit des Tyriens et des
Sidoniens, il demeure toujours pour cons-
tant que nul ne vient à lui , que ceux à qui
il a été donné ; et que cela n'est donné qu'à
ceux qui ont été élus en lui avant la créa-
tion du monde. C'est ce que confesseront
sans doute tous ceux dont le cœur reçoit et
goûte les oracles de la vérité, à mesure que
les oreilles les entendent. »
118. Selon saint Augustin, Dieu ' nous a
révélé dans ses saintes Écritures que le libre
arbitre est dans l'homme. Dès le comrnence-
ment Dieu l'a établi et l'a laissé dans la main
de son conseil. Il a mis devant lui le feu et
l'eau, afin qu'il portât la main du côté qu'il
voudrait, La vie et la mort sont devant l' hom-
me : ce qu'il aura choisi lui sera donné. Voi-
là des paroles qui marquent bien évidem-
727
ment le libre arbitre. Nous lisons encore
dans la première Epitre de saint Jean, que
tout homme qui a cette espérance en Dieu , se
rend chaste lui-même. Ce saint Docteur ajoute
à ce propos ^ : « Voyez comment cet apô-
tre , bien loin d'ôter le libre arbitre , assure
au contraire que l'homme se rend chaste lui-
même. Qui est-ce qui nous rend chastes, si-
non Dieu ? Mais Dieu ne vous rend pas chastes
si vous ne le voulez. C'est donc parce que
vous joignez votre volonté à Dieu , que vous
vous rendez chastes vous-mêmes. Vous vous
rendez chastes non par vous-mêmes , mais
par le secours de celui qui vient pour habi-
ter en vous. Toutefois, parce que vous faites
aussi quelque chose par votre volonté , c'est
pour cela qu'on vous a attribué quelque
chose ; mais on vous l'a attribué , afin que
vous disiez avec le Psalmiste : Soyez mon
aide, ne m'abandonnez pas. Vous donc * qui
avez reçu de Dieu le libre arbitre , vous
croyez peut-être marcher de vous-mêmes
dans la voie du Seigneur, mais ne présumez
rien de vos propres forces. Si Dieu vous aban-
donne , vous perdrez com'age au milieu de
la voie, vous tomberez, vous vous égarerez,
vous vous y arrêterez. Dites-lui donc : Il est
vrai, mon Dieu, que vous m'avez donné une
volonté libre, mais sans vous mes efforts ne
sont rien. Aidez-moi , ne m'abandonnez point
et ne me méprisez point , ô mon Dieu , qui
êtes mon Sauveur : car c'est vous qui m'ai-
dez, vous qui m'avez fait ; c'est vous qui ne
m'abandonnez pas , vous qui m'avez créé.
Croyons donc sur l'autorité des saintes Écri-
tures , et que nous avons le libre arbitre ',
1 JoaD> m,
1 Revelavit autem nabis per Scripturas suas
sanctas esse in Iiomine liberwm voluntatis arbi-
trium... Ipse ab initio fecit hominem et reliquit
eum in manu consilii sui. Si volueris, conservat)ia
mandata et fidem bonam plaoiti. Apponit tibi ignem
et aquam, ad quodcumque volueris extende ma-
num tuam. In conspectu bominis vita et mors et
quodcumque placuerit dabiturei. Ecce apertissime
videmus expressum liberwm humanœ voluntatis
arbitrium. August., lib. De Grat. et libero arb.,
num. 2, pag. 718, et num. 3, pag. 719.
^ Et omnis qui babet spem banc in ipso, casti-
licat semetipsum, sicut et ipse castus est. Videte
quemadinodum non abslulit liberum arbitrium,
ul diceret : Castificat semet ipsum. Qwis nos castifl,-
cat nisiDeus? Sed Deus te nolentem non castificat.
Ergo quod adjwngis vohmtatem tuam Dec, casti-
ficas te ipsum. Castiflcas te, non de te, sed de illo
qui venit ul inhabiiet in te. Tamen quia agis ibi
aliquid volunlate, ideo et tibi aliquid tributum est.
Ideo autem tibi tributum est, ut dicas sicut in
Psalmo : Adjutor meus esto, ne derelinquas me. Si
dicis : Adjutor meus esto, aliquid agis : nam si
nihil agis, quomodo ille adjuvat ? August. , m
Epist. Jean., cap. m, num. 7, pag. 854, tom. III,
part. 2.
3 Jam tuaccepto libero arbitrio, prœsumis unde
ambules, noli de te prœsumere si te dereliqweril,
in ipsa via deficies, cades, aberrabis, remanebis ;
die ergo illi : Yoluntatem quidem liberam mihi de-
disti, sed sine te nihil est mihi conatus métis. Ad-
jutor meus esto, ne derelinquas me ; neque despi-
cias me, Deus salutaris meus. Tu enim adjuvas
qui condidisti, tu non deseris qui créas H. August.,
in Psal. sxvi, enarr. 2, num. 17, pag. 126.
* Intérim crédite divinis eloquiis, quia liberwm
est hominis arbitrium, et gratia Dei , sine cujus
adjutorio libertim arbitrium née converti potest
ad Deum, nec proficere in Deo; et quod pie cre-
ditis, wt etiam sapienter intelligatis orale: et ad
hoc ipsum enim, id est, wt sapienter inleltiganms,
est utique liberum arbitrium. Nisi enim libero ar-
728
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Psnl. csvni,
73.
Luc.
«8,
Jacobt ijB,
et qu'il y a une grâce de Dieu sans le secours
de laquelle nous ne saurions ni nous con-
vertir à Dieu , ni nous avancer vers lui par
aucun progrès dans la piété ; nous devons
prier Dieu qu'il nous fasse la grâce de goû-
ter et de comprendre cette vérité , que le li-
bre arbitre est de la partie. Car s'il n'en était
pas, l'Écriture ne nous aurait pas dit comme
elle fait : Voies qui, parmi le peuple, êtes des in-
sensés, entrez dans l'intelligence de la vérité.
Vous qui êtes fous, commencez à devenir sages.
Dès-là donc qu'il nous est ordonné de com-
prendre les vérités et de les goûter , ce qui
est le propre de la sagesse, il faut qu'il y ait
en cela de l'obéissance de notre part ; ce qui
ne saurait être , si nous n'avions point de
libre arbitre. Mais aussi, si sans le secours
de la grâce et par les seules forces de notre
libre arbitre nous pouvions avoir cette in-
telligence et cette sagesse savoureuse que
l'Écriture veut que nous ayons, le Prophète
n'aui'ait pas dit à Dieu : Donnez-moi l'intelli-
gence afin que j'apprenne vos commandements,
et l'Évangile n'aurait pas dit qne Jésus-Christ
ouvrit l'esprit à ses disciples afin qu'ils enten-
dissent les Ecritures ; et encore : Si quelqu'un
de vous manque de sagesse, qu'il la demande à
Dieu, qui donne à tous libéralement sans re-
procher ses dons, et la sagesse lui sera donnée.
Ce commandement de la part de Dieu est
une preuve incontestable du libre arbitre de
la part de l'homme. Et Dieu ne commande-
rait point, ou le commandement ne servirait
de rien ' à l'homme, si l'homme n'avait dans
le libre arbitre le pouvoir de l'accomplir.
Dieu ne commanderait point à l'homme
d'être chaste, s'il n'avait dans sa propre vo-
lonté le pouvoir d'obéir. Cependant la chas-
teté est un don de Dieu sans lequel on ne
peut garder le commandement que Dieu fait
d'être chaste. Comment la justice divine^,
qui paraît dans la punition des péchés et
dans la récompense des bonnes œuA'res sub-
sisterait-elle , si l'homme n'avait la liberté
de sa volonté ? Car l'action qui ne serait
pas au pouvoir de la volonté ne pourrait
être ni bonne ni criminelle, et par consé-
quent il y aurait de l'injustice à punir ou à
récompenser, si l'homme n'avait une volon-
té libre. Dieu' qui gouverne l'univers avec
justice ne permet point qu'on punisse ou
qu'on récompense personne s'il ne l'a méri-
té. Or, c'est le péché qui mérite le châtiment,
et ce sont les bonnes œuvres qui méritent
la récompense ; et on ne saurait imputer ni
péché ni bonnes œuvres à celui qui n'a rien
fait par sa propre volonté. Nous ne mettons
point la naissance * des hommes sous le des-
tin des étoiles, afin de délivrer de toute né-
cessité le libre arbitre par lequel on vit bien
ou mal , et cela à cause du juste jugement
de Dieu. »
Pelage objectait l'endroit oii saint Jérôme
dit que Dieu nous a créés libres , et que
bitrio intelligeremuslatquesaperemus, non nobis
prœciperetur dicente Scriptura: Intelligite ergo
qui insipientes estis in populo, et stulti aliquauJo
sapite. Eo ipso quippe quo prœceptum et impera-
tv/in est ut intelUgainus atque sapiamus , obedieii-
tia nostra requiritur, quœ nulla potest esse svne
libéra arbitrio. Sed si posset hoc ipsuin sine ad-
jutorio Dei gratice fieriper liberum arbitrium, ut
intelligeremus atque saperemus, non dicereiur
Deo: Da mihi intelleotum et discam mandata tua ;
neque in Evangelio scriptum esset ; Tune aperuit
jllis sensum ut intelligerent Scripturas ; nec Jacob^is
apostolus diceret : Si quis antem vestrum iudiget
sapientia, postulet a Deo, qui dat omnibus affluen-
ter et non improperat, et daijitur ei. August., Epist,
214, num. 7, pag. 792 et 793.
1 Ipsa divina prcecepta homini non prodessent,
nisi haberet liberum voluntalis arbitrium, quo
ea faciens ad promissa prœinia perveniret. Au-
gust., lib. De Grat. et libero arb., cap. n, pag.
718. Numquid tam multa quœ prœcipiuntvr in
lege Dei ne fornicationes et adulteria commit-
tantur indicant aliud quam liberum arbitrium?
Neque enim prœciperentur, nisi homn haberel
propriam voluntatem, qua divinis prœceplis obe-
direl. Et tamen Dei donum est, sine quo servari
castitatis prœcepta non possunt. August., lib. De
Grat. et libero arb., num. 8, pag. 722.
- Deinde illud boiium, quo commendatur ipsa
justitia in damnandis peccatis recteq-ue factis ho-
norandis, quomodo esset, si liomo careret libero
voluntalis arbitrio? Non enim aut peccatum es-
set, aut recte factum, quod non fieret voluntale,
ac per hoc et pœna injusta essel et prœmium, si
homo voluntatem non haberet liberam. August.,
lib. Il De Libero arb., cap. i, num. 3, pag. 583,
tom. I.
' Justus autem regens et gubernans universa,
nullam pœnam cuiquam. sinit immerito infligi,
nulium prœmium immerito dari. Meritum aulem
pœnœ, peccatum, ; et meritum prœinii, recte fac-
tum est. Nec peccatum autem, nec recte factum
imputari cuiquam juste potest, qui nihil fecerit
propria voluntate. August., lib. De Divers, qucest.
octoginta t7'iMis, quœst. 24, pag. 6.
'> Et nos quidem sub fato stellarum nullius ho-
minis genesim. ponimus ut liberum arbitrium vo-
luntalis, quo vel bene, vel maie vivitur propter
justum judicium Dei, ab omninecessitalia vinculo
vindicemus. kvignsi., Xih.WContra Faust., eap. v,
pag. 188j
[lY» ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
■st llbrs
iiiric de
nous ne sommes point entraînés ni au vice
ni à la vertu par nécessité, parce que là où il
y a nécessité, il n'y a point de récompense.
« Qui est-ce, lui répond saint Augustin, qui
ne reconnaît pas cette vérité ? Qui est-ce qxù
ne l'embrasse pas de tout son cœur? Qui
est-ce qui doute que Dieu n'ait ainsi créé
l'homme ? ' »
119. « Si Satan ^ parlait et que Dieu se
tût, vous auriez une excuse légitime, dit saint
Augustin. Maintenant que vos oreilles sont
placées entre Dieu qui vous avertit, et le
serpent qui vous suggère le mal, pourquoi
les prêtez-vous à celui-'ci et les détournez-
vous de celui-là ? Satan ne cesse point de
vous conseiller de commettre le mal , mais
Dieu ne cesse point de vous avertir de faire
le bien. Satan ne vous contraint point mal-
gré vous , il est en votre pouvoir de consen-
tir à ses sollicitations ou de n'y pas consen-
tir. Il n'y a rien de. plus ' mal fondé que les
blasphèmes des impies qui, voulant excuser
leurs crimes, ne veulent pas s'en avouer
coupables comme s'ils n'y avaient point de
part ; ils ont recours ou à la fortune , ou au
destin sur lequel ils rejettent le mal qu'ils
font, ou au démon ; quoique Dieu qui nous a
créés, ait voulu qu'il fût en notre pouvoir de
ne point consentir aux suggestions du dé-
mon. »
Saint Augustin avait dit dans le livre con-
tre Adimante ', manichéen, que personne ne
729
peut faire le bien s'il ne change sa volonté ,
et que cela est en notre pouvoir, comme No-
tre-Seigneur nous l'enseigne lorsqu'il dit :
Ou fuites l'arbre bon et son fruit bon, ou faites
l'arbre mauvais et son fruit mauvais. Et il
soutient dans son livre des Rétractations,
que cette manière de parler n'est point con-
traire à la grâce qu 'il prêchait dans ses au-
tres écrits. « Car il est, dit-il, au pouvoir de
l'homme de changer sa volonté en mieux ,
mais on n'a point ce pouvoir qu'il ne nous
soit donné de Dieu , dont l'Écriture dit : Il
leur a donné le pouvoir de devenir enfants de
Dieu. Car, puisqu'une chose dépend de nous
dès que nous la faisons quand nous voulons,
rien ne dépend plus de nous que notre vo-
lonté même ; mais c'est Dieu qui la prépare
et qui lui donne en cette manière le pouvoir
qu'elle n'avait pas. »
Cette explication, que ce Père donne à ses
propres paroles, peut encore servir à faire
entendre ce qu'il avait dit ensuite : « Il est en
notre pouvoir de mériter ou d'être incor-
porés à Jésus-Christ par la bonté de Dieu,
ou d'en être séparés par la sévérité de ses
jugements, parce qu'il n'y a rien en notre
pouvoir que ce qui est une suite de la déter-
mination de notre volonté. Quand le Seigneur
la prépare en la rendant forte et puissante,
elle fait aisément l'œuvre de piété qui lui
était auparavant difficile et impossible.il n'y
a, dit encore ce saint Docteur "*, que ce qui
M.illh.
U3.
1 Item quod ait fPelagmsJ a memorato fHiero-
nymoj dictum esse presbylero: Liberi arbitrii nos
condidit Deus nec advirtutem, nec ad vitia neces-
sitate trahiinur: alioquin ubi nécessitas, nec co-
rona est. Quis non agnoscat? Quis non toto corde
suscipiat? Quis aliter conditam humanam neget
esse naluram? August., De Nat. et grat. contra
Pelag., cap. lxv, num. 78, pag. 161.
2 Si Satanas loquerelur, et taceret Deus, habe-
res unde te excusares : modo aures tiiœ positœ
sunt inter monentem Deum et suggerentem ser-
pentem. Quare ut flectuntur, hinc avertuntur?
Non cessât Satanas suadere malum : sed nec Deus
cessât admonere bonum. Satanas autem non co-
git invitum: in tua potestate est consentire aut
non consentire. August., in Psal. xci, num. 3,
pag. 982.
^ Isla confessio ita Dominum laudat, ut nihil
possint impiorum valere blasphemiœ, qui, volen-
tes excusare facinora sua, nolunt suce culpœ tri-
buere quod peccant, hoc est nolunt suœ culpœ tri-
buere culpam suam. Itaque aut fortunam aut fa-
tum inveniunt quod accusent, aut diabolum, cui
non consentire in potestate nostra esse voluit
qui nos fecit. August., in Psal. vu, num. 19,
pag. 38.
4 Nisi quisque, inquom, voluBtatem mutavçrit,
bonum operari non potest, quod in nostra potestate
esse positum alio loeo docet, ubi ait; Aut facite ar-
borem bonam et fructum ejus bonum ; aut facite
arborem malam et fructum ejus malum : qiiod non
est contra gratiam Dei quamprœdicamus. In po-
testate quippe hominis est mutare in melius vo-
luntatem, sed ea potestas nulla est nisi a Deo de-
tur, de quo dictum est : Dédit sis potestatem filios
Dei fieri. Cuni enim hoc sit in potestate quod
cum volumus faciamus , nihil tam in potestate
quam ipsa voluntas est, sed prœparatur volun-
tas a Domino. Eo modo ergo dat potestatem. Sic
inlelligendum est et quod dixi postea : In nostra
potestate esse ut vel inseri bonitate Dei, vel excidi
ejus severitate mereamur; quia in potestate nostra
non est nisi quod noslram sequitur voluntatem,
quœ cum fortis et potens prœparatur a Domino,
facile fit opus pietatis, etiam quod difficile atque
impossibile fuit. AxjguBt., lib. I Retract., cap. xxii,
num. i, pag. 33.
^ Non dicimus esse in potestate nostra, nisi quod
cum volumus fit, ubi prius et maxime est ipsum
velle. Sine ullo quippe intervallo temporis prœsto
est voluntas ipsa, cum volumus; sed hane quo-
que ad bene vivendum desuper accipimus potesta-
tem, cum prœparatur voluntas a Domino. Au-
gust., lib. II Retract., cap. i, num. 2, pag. 42.
730
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Scn'tmptits
dos l'élapicns
siT le libro-
arbilre.
se fait lorsqu'on le veut, que l'on puisse dire
être en notre pouvoir : ce qui renferme prin-
cipalement le vouloir. Car aussitôt que nous
voulons, nous avons clans le moment même
le vouloir : mais nous recevons d'en haut le
pouvoir de bien vivre lorsque le Seigneur
prépare la volonté. »
120. « Selon Julien le pélagien, le libre ar-
bitre ', dit saint Augustin, était demeuré aussi
plein et entier depuis le péché, qu'il l'était
auparavant ; en sorte que plusieurs par ses
efforts renonçaient aux actions honteuses, se
retiraient de la fange des vices et séparaient
de l'éclat et de la splendeur des vertus. Par
une conséquence qu'il tirait de ce principe ,
il soutenait " que nous ne naissons point avec
le péché originel, et que notre nature est aussi
sainte et entière qu'elle était avant le péché
d'Adam. Il définissait la liberté ', un pouvoir
de commettre ou d'éviter le péché , exempt
de nécessité , de contrainte , par lequel cha-
cun peut suivre ce qu'il lui plaît, le parti de
la vertu ou du vice ; de manière que l'hom-
me soit également hbre d'obéir à Dieu quand
il commande, qu'au démon lorsqu'il* per-
suade. » Saint Augustin convient^ que c'est
là le libre arbitre qu'Adam a reçu du Créa-
teur ; mais il soutient que le libre arbitre,
corrompu ensuite par le tentateur, doit être
guéri par le Sauveur. « C'est là, dit-il à Ju-
lien, ce que vous ne voulez pas avouer, vous
autres, avec l'Église ; et c'est à cause de cela
que vous êtes hérétiques. Vous ne pensez
pas à l'état présent où vous vous trouvez vous-
mêmes. Quand le libre arbitre était tel que
vous le présentez, l'homme n'était pas en-
core sujet à la vanité. On ne disait pas alors :
J'ai été conçu dans l'iniquité. On ne disait
point : // n'y a personne exempt de souillure,
non pas même l'enfant d'un jour ; ni enfin : Je
ne fais pas le bien que je veux, mais le mal
que je ne veux pas. » ,
Juhen admettait une infinité d'espèces de
grâces, qu'il supposait être toujours prêtes
à secourir la volonté dans les actions de
vertu. Il prétendait même que ces secours,
loin de déplacer le libre arbitre, lui tenaient
uniquement lieu d'aides et d'appuis " au cas
qu'il voulût s'en servir. « Comment se pour-
rait-il faire, lui demande saint Augustin', que
ces secours déplaçassent le libre arbitre,
puisqu'ils le tiennent déplacé et asservi au
mal ? Ils le délivrent et le remettent dans la
place qu'il a perdue. Pourquoi ' donner donc
• Liberum autem arbitrium et post peccata tam
plénum, quamfuit ante peccata; siqmdem ipsius
opéra fiât ut abdieent occulta dedecoris, et flagi-
tiorum abjectis sordibus, vii-tuium comanlur in-
signibus. Julian. apud August., lib. I Oper. im-
perf., cap. xcr, pag. 925.
2 Ex quibus necessario conficitur, et nos rec-
tissime defendere, neminem cum peccata nasci :
ac per hoc tam integrum esse liberum arbitrium
quam ante volimlatis proprim usum innoxiam
in uno quogue naturam. Jnlian. apud August.,
lib. 11 Oper. imperf., cap. sx, pag. 963.
- ' Libertas igitur arbitrii, possibilitas est vel
admittendi vel vitandi peccati, expers cogeniis
necessitatis, quœ in suo ulpote jure habei, utrum
surgentium partem sequatur, id est, vel ardua
asperaque virtutum, vel demersa et palustria vo-
luplatum. Julian. apud August., lib. 1 Oper. im-
perf., cap. LXXXd, pag. 921.
' In quibus igitur consistit liberum arbitrium...
sine dubio in eo ut possibile sit homini volunla-
tem, sine aliquo inevilabili naturalium coactu,
vel immittere in crimen, vel a crimine cohibere.
Julian. apud August., lib. 111 Oper. imperf., cap.
f.ix, pag. 1094. Et ut res absobita paucis illumi-
netur exemplis ; ut tam liberum sit homini sacri-
legium facere velle, quam nolle ; iam liberum sit
parricidium velle perpctrare, quam nolle; Iam
liberum sit aduUerium commiUere relie, quam
nolle; tam possibile sit verum teslimonium per-
hibere, quamfalsum; tam liberum Deo obcdire iin-
peranli. quam diabolo persuadenli. Julian. apiul
August., lib. m Oper. imperf, cap. ex, pag. 1095.
>> Verum dicis, hoc est liberum arbitrium, taie
omnino accepit Adam, sed quod dutum est a
Conditore , et a deceptore vitiatum , utique a
Salvatore sanandum est. Roc vos non vuUis
cum Ecclesia con/iteri : hinc estis hceretici. Ho-
mo, qui non cogitas ubi sis, et in diebus malis
tanquam in bonis cœcus extolleris , quando
erat taie, quale describis, liberum arbitrium,
nondum homo vanitati similis factus erai ut dies
ejus sicut umbra prœterirent. Non enim vanitas
Deus, ad cujus similitudinem factus erat quœper
ejus gratiam. renovatur de die in diem. Nondum
dicebalur : Ego in iniquitatibus conceptus suin.
Nondum dicebatur : Ouis enim mundus est a sor-
de? Nec infans cujus est diei unins vita super ter-
rain. Prostremo non dicebatur : Non quod volo
sed quod odi, illad faoio. August., lib. 111 Oper.
imperf, cap. ex, pag. 1093.
^ Adsunt tamen adjutoria gratiœ Dei, quœ in
parte virtutis nunquam destituunt volunlatem.
Cujus (reij licet inmimerœ species, tali semper
moderatione adhibenlur, ut nunquam liberum
arbitrium loco pellanl, sedprœbcant adminicula,
qtiando eis volueril inniti. Julian. apud August,
lib. m Oper. imperf, cap. exiv, pag. 1097.
'' Unde fieri potcst, ut adjutoria gratiœ Dei li-
berum arbitrium loco pellant, quod potius vitiis
pulsum et ncquitiœ su-lijtigatum, ut in locum suum
rcdeat, libérant. August., ibid., png. 1097.
* Cur enim lu adminicula gratiœ suppoiiis bu-
?!œ voluntati, cum volnnla^ mata nulln innitahir
[IV° KT V= SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉYÊQUE D'HIPPONE.
QuollG li-
té
noQS
DS p
rdiio
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pr.
m:er
Time.
«aitli.
VI,
ei u.
des appuis à la volonté afin cpi'elle soit bonne,
puisqu'elle n'en a point pour devenir ou pour
continuer d'être mauvaise ? Est-ce qu'ici
votre balance, que vous vous efforcez de te-
nir suspendue entre deux poids égaux, en
sorte que la volonté soit aussi libre pour le
bien qu'elle l'est pour le mal, se trouvant
penchée plus d'un côté que de l'autre, ne
fait pas voir que vous parlez comme un hom-
me en délire ? »
Pelage s'était servi avant Julien de la com-
paraison d'une balance qui ne penche pas
plus d'un côté que de l'autre, pour expliquer
l'équilibre dans lequel il plaçait la volonté.
_ « Il balance, dit saint Augustin ' , avec ime
telle égalité, le pouvoir de la volonté, qu'il
assure qu'elle a autant de pouvoir pour ne
pas pécher que poiu- pécher. Mais si cela est
ainsi, ajoute ce Père, il n'y a plus lieu de
recourir au secours de la grâce de Dieu,
sans laquelle nous disons que le libre arbitre
n'a aucune force pour s'empêcher de pé-
cher. »
121. «En punition du péché, dit- il, l'homme
a perdu ^ la liberté qu'il avait de ne pas pé-
cher ; et celui-là seul le délivre d'un si grand
mal, à qui nous disons non-seulement : Re-
mettez-nous nos dettes, mais aussi : Ne nous
livrez point à la tentation, et délivrez-nous du
mal. L'homme, en usant mal de son libre
arbitre, l'a perdu, et s'est perdu lai-même^.
Car de même que celui qui se tue vit lorsqu'il
731
se tue, mais cesse de vivre en se tuant, et ne
peut se ressusciter : de même aussi, l'homme
ayant péché par son libre arbitre, le péché,
qui a été victorieux, lui a fait perdre son li-
bre arbitre. Le Libérateur promet * la li-
berté à ceux qui croient : Vous se7'ez, leur dit-
il, vraiment libres , si le Fils vous délivre :ca.T
la nature ayant été vaincue parle péché, où
elle est tombée volontairement, se trouve
privée de la liberté dont elle jouissait, selon
qu'il est écrit : Quiconque est vaincu, est esclave
de celui qui l'a vaincu. Le libre arbitre " est
donc vraiment libre, tandis qu'il n'est point
esclave des vices ni des péchés. Dieu l'avait
donné libre à l'homme, et maintenant qu'il
l'a perdu par sa faute, il n'y a que celui qui
le lui avait donné, qui puisse le lui rendre,
selon qu'il est écrit : Si le Fils vous délivre,
vous serez vraiment libres, n
Les pélagiens, outrés de ces façons de parler
de saint Augustin, lui objectaient sans cesse
qu'il niait le libre arbitre, qu'il en était le
destructeur ^ , et l'accusaient en cela de fo-
lie, d'impudence ' et d'impiété. Ils se plai-
gnaient au contraire qu'enseignant, comme
ils faisaient, que les hommes ont le libre arbi-
tre * , on les appelait célestiens et pélagiens.
« n n'en est pas ainsi , leur répond le saint
Docteur ^. Voils vous trompez ou vous tâchez-
de tromper les autres. Nous ne nions pas le
libre arbitre, mais nous disons avec la Vé-
rité même : Vous serez vraiment libres, si li
adminiculo ut mala sit, vel mala esse persistât ?
An hic libra tua, quam canaris ex utraque parte
per œqualia momenta suspendere, ut vohmtas
quanluiyi est ad malum, tantum etiamsit ad bo-
mim libéra, vergendo in unam partem, te indicat
delirantem ? Augnat, lib. III Oper. imperf., cap.
cxvni, pag. 1098. Vide lib. V Oper. imperf. , cap.
XLvni, pag. 1268.
1 Aliq^l.ando enim ita paribus momenlis potesta-
tem volunlaUs œqua lance perpendit fPelagiiisJ,
ut quantum ad peccandum, tantum etiam ad non
peccandum valere definiat. Quod si ita est, nullus
locus adjulorio gratiœ reservatur, sine qua nos
dicimus ad non peccandum nihil volimtatis ar-
bitrium valere. August., Epist. 186, num. 34,
pag. 615.
'^ Pœna peccati... periit libertas non peccandi :
a quo mala non libérât, nisi ille, cui non tantum,
dicimus: Dimitte nobis débita uostra, verumeliam :
Ne nos inferas in tentationem, sed libéra nos a
malo. August., lib. 1 Oper. imperf., cap. civ,
pag. 934.
3 Nam libero arbiirio maie uteiis homo, et se
perdidit et ipsum. Sicut enim qui se occidit, uli-
q\ie vivendo se occidit , sed se occidendo non vivit,
ncc se ipsum potèril ressosnitare cum occiderit :
ita cum libero peccaretur arbitrio, victore peccaùo,
amissum est liberum. arbitrium : a quo enim quis
devictus est, huio et servus addictus est. August.,
Enchirid., cap. xxx, num. 9, pag. 207.
' Nam. et ipsa libertas credentibus a Liberatore
promittitur. Si vos, inquit, Filius liberaverit, tune
vers liberi eritis. Yicta enim vitio in quod cecidit
voluntate, caruit liberiate natura. Hinc alia
Scriptura dicit: A quo enim quis devictus est, buic
et servus addictus est. August., De Perfect. just.,
cap. IV, num. 9, pag. 170.
^ Arbitrium igitur vohmtatis tune est vere li-
berum, . cum vitiis peccatisque non servit : taie
datum est a Deo : quod amissum proprio vitio,
7iisi a quo dari potuit, reddi non potest. Unde Ve-
ritas dicit: Si vos filius hominis liberaverit, tuno
vere liberi eritis. August., lib. XIV De civit. Dei,
cap. XI, num. 1, pag. 363.
s Julian. apud August., lib. I Oper. imperf.,
cap. cix, pag. 938.
' Julian. apud August., ibid., cap! lxxxvi,
pag. 923.
* Julian. apud August., lib. II De Nupt. et con
cup., cap. ur, num. 7, pag. 304.
^ August., ibid , num. 8, pag. 304.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
732
Fils vous délivre. Que les hommes aient le
libre arbitre, c'est de quoi nous demeurons
d'accord ' les uns et les autres ; et ce n'est
pas pour cela que vous êtes célestiens et
pélagiens ; mais qu'il y ait quelqu'un qui
soit libre pour faire le bien sans le secours
de Dieu, c'est ce que vous dites, et c'est par
là que vous êtes célestiens et pélagiens. »
Ils reprochaient encore à ce Père et à tous
les catholiques, qu'ils appellaient * mani-
chéens, que, selon leur doctrine, le libre ar-
bitre avait péri par le péché du premier
homme, et que personne n'avait présente-
ment le pouvoir de bien vivre. « Qui de nous,
leur répond ^ saint Augustin, dit que le libre
arbitre a péri dans le genre humain par le
péché du premier homme? Il est vrai que la
liberté a péri par le péché, c'est-à-dire celle
qui était dans le paradis terrestre, et qui
consistait à avoir l'immortalité avec une
pleine justice. C'est ce qui fait que la nature
humaine a besoin présentement de la grâce
de Dieu, le Seigneur disant : Si le Fils vous
délivre, vous serez véritablement libres, c'est-
à-dire libres pour faire le bien, et pour vivre
dans la justice. Car le libre arbitre a si peu
péri dans les pécheurs, que c'est par lui que
pèchent tous ceux qui pèchent et qui par l'a-
mour qu'ils ont pour le péché, trouvent leur
plaisir dans ce qu'ils ont envie de faire ; ce
qui montre qu'ils n'ont pu s'asservir au pé-
ché que par une autre sorte de liberté. Us
ne sont donc libres de la justice que par leur
libre arbitre, mais ils ne deviennent hbres
du péché que par la grâce du Sauveur. Nous
ne disons point* que le libre arbitre soit péri
dans la nature humaine par le péché d'Adam,
mais nous disons qu'il n'a de force que pour
pécher dans les hommes assujettis au diable ;
et que pour faire le bien et vivre dans la piété,
il manque de force, à moins que la volonté
de l'homme ne soit délivrée par la grâce de
Dieu, et aidée pour tout le bien qui se fait
par pensée, par parole et par action. Cette
volonté captive " ne peut pas même soupi-
rer après cette hberté salutaire sans la grâce
de Dieu : et la liberté sans la grâce ^, est
une révolte contre Dieu plutôt qu'une véri-
table liberté. Nous devons confesser ' que
nous avons le libre arbitre pour faire le bien
et le mal ; mais pour faire le mal; chacun est
libre de la justice et esclave du péché ; au
lieu que personne ne peut être libre pour le
bien, s'il n'est délivré par celui qui a dit :
Si le Fils vous délivre, vous serez vraiment li-
bres.... C'est là la foi véritable, prophéticjue,
apostolique et catholique qui reconnaît le
libre arbitre dans l'homme soit pour le bien,
soit pour le mal ; mais qui est bien éloignée
de lui donner plus qu'il ne faut , et de
' Liberum itaque m hominibus esse arbitrium,
etDeum esse nascentium conditorem utrique di-
cimus, non hinc estis cœlestiani et pelagiani : li-
berum autemesse quemquam ad agendutnbonum
sine adjutorio Dei et non erui parvulos a poLes-
tate tenebrarwin et sic transferri in regnum Dei
hoc vos dicilis, hinc estis cœlestiani et pelagiani.
August., lib.Il De Nupt. et concup, eap. ni, num. 8,
pag. 305.
' Jam ilaqiie Juliani respondeamus Epistolfe.
Dicunt, inqint, illi manichsei quibus modo non
communicamus... quia primi liominis peccato, id
est Adœ, liberum arbitrium perierit, et nemo jam
potestatem habeat bene viveudi, sed omnes iu pec-
catum Garnis suœ neeessitate cogantur. August.,
lib. I Contra duas Episl. Pelag., cap. ii, num. 4,
pag. 413.
' Quis autem nostrum dicat, quod primi homi-
nis peccato perierit liberum arbitrium de humano
génère? Libcrtas quidem periit per peccatum, sed
nia quœ in paradiso luit, habendi plenam cum
immorlalitate juslitiam : propter qxiod nalura
humana divina indiget gratia, dicente Domino :
Si vos Filius liberaverit, tune vere liberi eritis,
utique liberi ad benejusteqxte vivendum. Nain li-
berum arbitrium iisque adeo in peccatore non pe-
riit, ut per illud peccanl, maxime omnes qui cum
delectalione peccant et amorepecrati, lioc eis plncet
quod eos libet. Vnde et Apostolus : Cum esselis,
inquit, servi pecoati, liberi fuistis justitiœ. Ecce
ostenduntur etiam peccato minime potuisse nisi
alla libertate, servire. Liberi ergo a justitia non
sunt nisi arbitrio voluntatis : liberi ergo a pec-
cato non fiunt nisi gratia Salvatoris. August.,
ibid., num. 5, jiag. 413, tom. X.
* Peccato Adœ arbitrium liberum de hominum
natura periisse non dicimus ; sed ad peccandum
valere inhominihus subdilis diabolo; ad bene au-
tem pieque vivendum non valere, nisi ipsa volun-
tas hominis Dei gratia fuerit liberata, et ad omne
bonum actionis, sermonis, cogitationis adjuta.
August., lib. 11 Contra duas Epist. Pelag., cap. v,
num. 9, pag. 436. Liberum arbitrium captivatum
non nisi ad peccandum valet; ad juslitiam vero,
nisi divinitus liberatum adjutumque non valet.
August., lib. 111 Contra duas Epist. Pelag., cap. vin,
num. 24, pag. 464.
^ Sic asseril (calholicus) liberum arbitrium ut
non ex natura nescio qua semper mala, quœ nulla
est, sed ex ipso arbitrio cœpisse dicat et angeli et
hominis malum quod everlit hœresitn mani-
chœam; nec ideo tamen posse captivam volunta-
tem, nisi Dei gratia respirare in salubrem liberta-
tem, quod everlit hœresim pelagianam. August.,
lib. IV Contra duas Epist. Pelag., cap. ui, pag. 4B9.
' Libertas sine gratia non est liberlas, sed con-
tumacia. August., Epist. loi, num. 16, pag. S'îO.
' Liberumilaqioe arbitrium etad malum et ad bo-
[iv° ET v° SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
733
croii'e que sans la grâce de Dieu il soit capa-
Lle de se tourner du mal au bien, ni de per-
sévérer et d'avancer dans le bien, ni d'arri-
ver aux biens éternels, et à cet heureux état
où il ne sera plus en danger de décheoir et
d'abandonner le bien '. »
122. « La nature humaine a été créée
bonne ^, ajoute saint Augustin , et c'est par
sa propre volonté qu'elle est tombée dans
le mal qu'elle a fait sans avoir été forcée
par aucune nécessité. Mais elle ne peut
être rétablie dans le bien qu'elle a aban-
donné, que par la grâce de Dieu seul, et
non par la volonté de la liberté qu'elle a
perdue par son péché. De là, il n'y a que
celui qui l'a formée, qui puisse la rendre
bonne ', et il ne faut pas croire que la néces-
sité de pécher puisse autrement être guérie
que par la miséricorde de celui, par le pro-
fond et juste jugement duquel cette néces-
sité a suivi les enfants de celui qui a péché
sansnécessité. Pourquoi donc ne croyez-vous
pas', dit saint Augustin à Julien, que la
liberté de faire le bien a pu périr par la
volonté de l'homme, et qu'eUe ne peut
être rétablie que par la volonté de Dieu,
vous qui entendez un homme, c'est-à-dire
l'Apôtre, faire cette plainte : Je ne fais
pas le bien que je veux, mais je fais le mal
que je ne veux pas ; et après cet aveu, s'é-
crier : Qui me délivrera? et ensuite : Ce sera
la grâce de Dieu par Notre-Seigneur Jésus-
Christ ? Quand donc ^ celui qui voit dans les
membres de son corps une loi qui combat
contre la loi de son esprit, et qui le rend
captif sous la loi du péché, s'écrie : Je ne fais
pas le bien que je veux, mais je fais le mal que
je ne veux pas, vous devez nous dire comment
il n'est point entraîné au mal par la volonté
captive. Car, pour emprunter vos paroles, si
sous le poids de la mauvaise habitude il gé-
mit n'étant pas encore, selon vous, sous la
grâce de Jésus-Christ, dites-moi si cet homme
a le libre arbitre de sa volonté, ou s'il ne l'a
pas. S'il l'a, pourquoi ne fait-il pas le bien
qu'il veut, et fait-il le mal qu'il hait? Que
s'il ne l'a pas, par la raison qu'il n'est point
encore sous la grâce de Jésus-Christ, voilà
ce que je vous ai dit, ce que je vous répète
et ce que je vois bien qu'il faut vous dire
souvent. Personne ne peut, que par la grâce
de Jésus-Christ, avoir le libre arbitre de sa
volonté, soit pour faire le bien qu'il veut, soit
pour ne pas faire le mal qu 'il hait. Ce n'est pas
que la volonté captive soit entraînée au bien
comme elle est entraînée au mal; mais c'est
que, délivrée de sa captivité, elle est agréa-
blement attirée à son hbérateur par la dou-
ceur charmante de l'amour, et non par l'a-
merlume servile de la crainte. Pourquoi le
num faciendum confitendum nos habere; sedin ma-
lo faciendo liber est quisquejustitiœ serviisque pec-
cati;in bono autem liber essenulluspotest,nisifuerit
liberalus ab eo qui dixit : Si vos Filius liberaverit,
lune vereliberi eritis... Hanc fidem, quce sinedubio
vera et prophetica et apostolica et catholica fides,
etiam est infratre nostro Floro invenisse megaudeo.
August, lib. De Corrept. et grat., cap. 1, num. 2,
pag. 751.
' Fides sana catholica neque liberum arbi-
trium negal, sive in vitam malam sive in bonam;
neque tantwni ei tribuit, ut sine gratia Dei valeat
aliquid, sive ut ex malo convertatur in bonum,
sive ut in bono perseveranter proficiat, sive ut ad
bonum sempiternum perveniat, ubi jam non ti-
meat ne deficiat. August., Epist. 215, num. 4,
pag. 794.
' Confitere bonam conditam esse naturam quœ
inmalum quod fecit, nulla necessitate compulsa,
sed sua voluntate collapsa est. In bonurri' autem
quod reliquit solius Dei gratia revocaripotestnon
voluntate libertatis quam merito iniquitatis ami-
sit. August., \ih. y Oper. imperf-, cap. x, pag. 1301.
2 Propter quod voluntas bonanon redditurper-
dita, nisi ab illo a quo est condita, nec aliunde
putandum est sanari posse peccati necessitatem,
nisi miserante illo, cujus alto justoque judicio
subsecuta est posteras ejus qui sine ulla necessi-
tate peccavit. August., lib. V Oper. imperf., cap.
Lxr, p. 1280.
* Cur ergo non credis libertatem bene agendi
voluntate humanaperire potuisse, nec redire posse
nisi divina voluntate , cum audias hominem di-
centem : Nou quod volo facio bonum, sed quod
nolo malum lioc ago; et post verba talia claman-
tem : Quis me liberabit ? ac subjicientem: Gratia
Dei 1 per Jesum-Christum Dominum nostrum. Au-
gust., lib. XVI Oper. imperf. cap. xix, pag. 1326.
5 Qui per legem quam videt in membris suis re-
pugnantem legi mentis suce et captivantem se sub
lege peccati, clamât: Non quod volo facio bonum,
sed quod odi malum hoc ago; debes utique di-
cere : Quomodo non rapiatur ad malum voluntate
captiva, ut enim secundum vos intérim loquar,
si sub mala iste consuetudine gémit, nondum, si-
cut dicitis, sub Chrisii gratia constitutus, habet
iste, an non habet liberum voluntatis arbitrium?
Si habet, quare non facit bonum quod vtilt, sed
malum quod odit agit ? Si autem propterea non
habet, quia sub gratia Chrisii nondum est ; ecce
quod jam dixi, iterum dico, et vobis video sœpe
dicendum : Nemo nisi per gratiam Christi ad bo-
num quod vult agendum et ad malum quod odit
non agendum, potest habere liberum voluntatis
arbitrium , non ut voluntas ejus ad bonum sicut
ad malum captiva rapiatur, sed ut a captivitate
734
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Je: n. iv,5.
Sur li
1(5 des li
a liber*
eobeu*
Seigneur ' en parlant des fruits de la vigne,
c'est-à-dire des bonnes œuvres, dit-il : Sans
moi vous ne pouvez rien faire, sinon parce que
personne n'est libre pour bien faire, si le
Seigneur ne le met en liberté ? Cessez donc
de vous aveugler, ^ ouvrez les yeux et voyez
que si les apôtres avaient pu sans la grâce
de Jésus-Christ être libres pour faire le bien,
il n'aurait pu leur dire avec vérité : Sans
moi vous ne pouvez rien faire. »
123. « II ne faut pas s'imaginer', selon
saint Augustin, que les bienheureux n'auront
point de libre arbitre, parce qu'ils ne pourront
prendre plaisir au péché. Ils seront au con-
traire d'autant plus libres, qu'ils seront déli-
vrés du plaisir de pécher, pour prendre inva-
riablement plaisir à ne plus pécher. Le pre-
mier libre arbitre donné à l'homme dans la
création consistait à pouvoir ne pas pécher, et
aussi à pouvoir pécher. Mais ce dernier qu'il
recevra à la fin sera d'autant plus puissant,
qu'il ne pourra point pécher. Il recevra cette
perfection par le bienfait de Dieu, et non
par la puissance de sa nature. Car autre
chose est d'être Dieu , et autre chose d'être
participant de Dieu. Dieu, par nature, ne
peut pécher; mais celui qui est participant
de Dieu, reçoit de lui la grâce de ne pouvoir
pécher. Or il fallait garder cet ordre dans
le bienfait de Dieu, de donner premièrement
à l'homme un libre arbitre par lequel il pût
ne point pécher ; puis lui en donner un par
lequel il ne pourra plus pécher : celui-là
pour acquérir le mérite, et celui-ci pour re-
ccA'oir la récompense. Mais comme il a pé-
ché lorsqu'il a pu , il est délivré par une
grâce plus abondante, afin d'arriver à cette
liberté où il ne pourra plus pécher. Car com-
me la première immortalité, qu'Adam perdit
en péchant, consistait à pouvoir ne pas mou-
rir, et que la dernière consistera à ne pou-
voir mourir; de même la première liberté de
la volonté consistait à pouvoir ne pas pécher,
et la dernière consistera à ne pouvoir pé-
cher. De cette sorte l'homme ne pourra pas
plus perdre sa vertu que sa félicité. II n'en
sera pourtant pas moins libre. En effet, dira-
t-on que Dieu n'a point de libre arbitre ,
parce qu'il ne saurait pécher ? Tous les ci-
toyens de cette divine cité auront donc une
volonté libre, délivrée de tout mal et com-
blée de tout bien, jouissant sans relâche du
bonheur des joies éternelles, sans se souve-
nir de leurs fautes et de leurs peines passées;
mais sans oublier leur déhvrance, pour n'ê-
tre point ingrats envers leur libérateur. »
124. (I II n'est pas fait mention* expresse sur ic
des anges dans le livre de la Genèse, dit saint
liberata, ad Uberatorem suum liberali suavitate
amoris, non servili amaritudine timoris adtraha-
tur. August. , lib. 111 Oper. imperf. , cap. cxu,
pag. 1096.
' Àut quid est quod ait Do minus, mm de fruc-
tibus paimitum, hoc est, de bonis actibus loque-
retur : Sine me nihil potestisfacere, nisi quia nemo
ad bene agendum quem non ipse libérât, liber est.
August., Oper. imperf., cap. cxvni, pag. 109S.
2 Nolo ut definias, sed ut finias cœcilatem ; et
videas recte dici a Christo non potuisse : Sine me
nihil potestis facere, si ad bene agendum sine
gratia Christi liberi esse potuissent. Ibid., cap.
cxix, pag. 1098 et 1099.
s Née ideo liberumarbitriu7nnon habebunt quia
peccata eos delectare non poterunt ; magis quippe
erit liberum, a delectatione peccandi usque ad
delectationem non peccandi indeclinabilem libe-
ratum. Nam primum liberum arbitrium quod ho-
mini datumest, quando primum creatus est rec-
lus, potuit nonpeccare, sed potuit et peccare, hoc
autem novissimum eo potentius erit quo peccare
non polerit. Verum hoc quoque Dei munere, non
suce possibililale naturœ, aliud est enim esse Deum,
aliud participem Dei. Deus natura peccare non
potest; particeps vero Dei ab illo accipit ut pec-
care non possit. Servandi autem gradus erai di-
vini muneris, ut primum daretur liberum arbi-
triumquo nonpeccare posset homo ; novissimum,
quo peccare non potest, atque illud ad compa-
randum meritum, hoc ad recipiendum prœmium
pertineret, sed quia peccavit ista natura cum pec-
care potuit, largiore gratia liberatur, ut ad eam
perducatur liberlatem in qua peccare non possit.
Sicut enim prima immortalitas fuit, quam pec-
cando Adam perdidit, passe non mori ; ita pri-
mum liberum arbitrium posse non peccare, no-
vissimum no7i passe peccare ; sic enim erit ina-
missibilis voluntas pietatis et œquitatis quamodo
est felicitatis. Nani utique peccando nec pieta-
tem, nec felicitalem tenuimus, voluntatem vero
felicitatis nec perdita felicitate perdidimus. Certe
Deus ipse numquid quoniam peccare non potest,
ideo liberum arbitrium habere negandus est? Erit
erga illius civitatis et una in omnibus, et insepa-
rabilis in singulis voluntas libéra ab omni mata
liberata et impleta omni bono, fruens indeftcienter
œternorum jucunditale gaudiorum, oblita culpa-
rum, ablita pœnarum, nec tamen ideo suœ libera-
tionis oblita, ut liberalori suo nonsit grata. Au-
gust., lib. XXII De Civit. Dei, cap. xxx, num. 3,
pag. 700"et 701.
* Opus autem Dei esse angelos, hic (in GenesiJ
quidem ctsi non prœmisswn, non tamen evidenter
expressîun est; sed alibi hoc sancta Scriptura
clarissima voce testatur. Nam et in hymna trium
in ciimino vivorum cum prœdiclum esset: Beue-
dicite omnia opéra Domiui Domino , in executione
eorumdem operum, etiam angeli naminati sunt.
August., lib. XI De Civit. Dei, cap. ix, pag. 278.
[iv= ET y SIÈCLES.] SAINT AUGUSTES, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
Augustin , mais dans le cantique qui se
trouve au troisième chapitre du prophète
Daniel, ils sont mis entre les ouvi'ages de
Dieu. Ils sont invisibles à 'nos yeux, et com-
me citoyens de cette admirable république
dont Dieu est empereur. La foi ne nous
permet pas de douter de leur existence. Us
se sont même fait voir à plusieurs. Ce n'est
pas proprement de leur nature qu'ils sont
anges ; ce n'est que lorsqu'ils sont envoyés
de Dieu. Car le nom d'ange est un nom d'of-
fice et non de nature. Le nom propre de leur
nature est celui d'esprit, et le nom propre
de leur office est ange. En tant qu'êtres sub-
sistants, on les appelle esprits; en tant qu'en-
voyés de Dieu, on les appelle anges. Rassa-
siés^ de la vérité, de la lumière et de la sagesse
qui est immortelle, ils ne sont point, comme
nous, pressés de la faim et de la soif; d'où
vient qu'ils sont parfaitement heureux dans
cette Jérusalem céleste, d'où ils nous consi-
dèrent' et plaignent notre exil. Touchés de
compassion pour nous, ils nous secourent
suivant les ordres qu'ils reçoivent de Dieu,
afin que nous retournions un jour à notre
commune patrie, et que nous soyons ras-
sasiés avec eux de la source de la vérité
et de l'éternité. Quand ils annoncent ' quel-
que chose aux hommes, ils leur apprennent
ce qu'ils ne savaient pas auparavant, mais
lorsqu'ils rapportent quelque chose à Dieu, ils
735
ne lui annoncent que ce qu'il savait déjà ,
comme lorsqu'ils lui offrent nos prières. Ces
ministres de Dieu*, les plus excellents de
tous, ne désirent autre chose sinon que nous
adorions avec eux le même Dieu dont la con-
templation les rend heureux, et doit aussi
faire notre bonheur. Car il ne dépend point
de la vue des anges, mais de la vue de la
vérité souveraine qui nous fait aussi aimer
les anges et prendre part à leur bonheur et
à leur joie, sans leur porter envie de ce que
leur félicité n'est interrompue ni de peines
ni d'inquiétude. Au contraire nous les en ai-
mons davantage dans l'espérance de jouir
d'un semblable bonheur. C'est donc par un
mouvement de charité que nous les hono-
rons , et non par une suite de servitude.
Nous ne leur bâtissons point des temples,
parce qu'ils ne demandent point de sembla-
bles honneurs, sachant que la vertu nous
rend nous-mêmes les temples de Dieu. C'est
pour cela qu'un ange dans l'Apocalypse em-
pêche un homme de l'adorer, en lui disant
d'adorer le Dieu unique et souverain dont ils
sont serviteurs l'un et l'autre. Bâtir à quel-
que ange un temple de bois ou de pierres,
ce serait se livrer'^ à l'anathême, et se sépa-
rer de la vérité de Jésus-Christ et de l'É-
glise de Dieu, pai'ce que ce serait rendre à
la créature une servitude qui n'est due qu'à
Dieu. Ceux donc qui nous portent à les ser-
1 Qui faeit acgelos suos spiritus et ministros
suos ignem flagrantem ; et hoc, quamvis non vi-
deamus appariiionem angelorum : abscondita est
enim ab oculis nostris, et est in quadam repu-
blica magna imperatoris Dei, tamen esse angelos
novimus ex fide, et muUis appariasse scriptum
legimus et tenemus ; nec inde dubitare fas nobis
est. Spiritus autem angeli sunt; et cum spiritus
sunt, non sunt angeli; cum mitiuntur, fiunt an-
geli. Angélus enim officii nomen est, non natu-
rœ. Quceris nomen hujus naturœ, spiritus est;
quœris officium, angélus : ex eo quod est, spi-
ritus est; ex eo quod agit, angélus est. August., in
Psal. an, num. 15, pag. U40.
2 Modo angeli non siliunt quomodo nos, non
esuriuni quomodo nos; sed habent saginam veri-
tatis, lucis, immortalis sapientiœ. Ideo beati sunt
et de tanta beatitudine, quia in illa sunt civitate
Jérusalem cœlesti, unde nos modo peregrinamur,
attendunt nos peregrinos, et miserantur nos, et
jussu Domini auxilianiur nobis, ut ad illam pa-
triam communem aliquando redeamus, et ibi cum
mis fonte dominico veritatis et œternitatis ali-
quando satwremur. August, in Psal. lxii, num. 6,
pag. 609.
' Nom et angeli quœ hominibus nuntiant, nes-
cientibus nuntiant; quœ autem Deo nuntiant,
scienti nuntiant, quando illi offerxmt orationes
nostras, et ineffabili modo de actibus suis œter-
nam Veritatem, tanquam legem incommutabilem
consulunt. August., in Psal. Lxxvm, num. 1,
pag. 839.
* Hoc etiam ipsos optimos angelos et excellen-
tissima Dei ministeria velle credamus, ut unum
cum ipsis colamus Deum, cujus contemplatione
beati srmt. Neque enim et nos videndo angelum
beati sumus; sed videndo veritatem, qua etiam
ipsos diligimus angelos , et his congratulamur.
Nec invidemus quod ea paratiores, vel nullis mo-
lesliis inlerpedientibus perfruuntur ; sed magis
eos diligimus, quoniam et nos taie aliquid spe-
rare a communi Domino jussi sumus. Quare ho-
noramus eos charitate, non servitute, nec eis iem-
pla construimus. Nolunt enim se sic honorari a
nobis : quia nos ipsos cum boni sumus, templa
summi Dei esse noverunt ; recte itaque scribitur,
hominem ab angelo prohibitum ne se adoraret,
sed unum Dominum sub quo ei esset et ille con-
servus. August., lib. De Yera relig., cap. lv, num.
HO, pag. 786 et 787.
s Nonne si templum alicui sancto angelo excel-
lentissimo de lignis et lapidibus faceremus, ana-
themaremur a veritate Christi et ab Ecclesia Dei,
quoniam creaturœ exhiberemus eam seruitutem,
quœ uni tantum debetur Deo? August., Collât, cum
Maximi. arian. episc, pag. 660, tom. VIU.
736
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
\ir et à les adorer comme des dieux, doi-
vent être regardés comme semblables aux
hommes superbes qui youdraient se faire
adorer de la même sorte, si cela était en
leur pouvoir. »
Il paraît que saint Augustin veut noter
en cet endroit certains hérétiques nommés
angéhques, parce qu'ils ' penchaient beau-
coup pour le culte des anges. Il suppose ^ que
les païens rendaient des honneurs solennels
aux démons, en leur élevant des temples,
en leur dressant des autels, en leur consa-
crant des prêtres, en leur offrant des sacri-
fices. Il n'avait rien de bien décidé sur la na-
ture des anges ; s'ils sont de purs esprits, ou
s'ils ont des corps propres aux fonctions de
leur ministère. « Si nous disons , dit-il ,
qu'ils ont des corps, comment nous tirerons-
nous de ce passage de l'Écriture : Ce sont des
esprits dont Dieu fait ses ambassadeurs ? Mais
aussi, si nous disons qu'il n'en ont point, nous
aurons encore plus de peine à nous tirer de
ces autres passages, où il est dit que les anges
ont paru visiblement à quelques-uns, qui
non-seulement les ont reçus dans leur mai-
son, mais qui leur ont lavé les pieds, et leur
ont servi à boire et à manger. ' Car comment
tout cela s"est-il pu faire, si les anges n'ont
point de corps ? U semble donc qu'il faut dire
que, si les anges sont appelés esprits dans
l'Écriture, c'est de la même manière que les
hommes, qui ont très-certainement des corps,
et qui ne laissent pas d'être appelés des âmes,
comme dans cet endroit de la Genèse où il
est dit que Jacob passa en Egypte avec
soixante et quinze âmes ; et cela me paraît
plus naturel que de croire que tout ce que
nous lisons des âmes', ait pu se faire sans
qu'Usaient des corps. »
Dans le septième concile général un évo-
que de Thessalonique * parla du sentiment
qui donne des corps aux anges, comme du
sentiment de l'Église, sans que personne lui
en fit de reproche. Les théologiens d'aujour-
d'hui ne pensent pas de même. Dans le qua-
trième concile de Latran on se contente de
dire que Dieu a également tiré du néant la
créature spirituelle et corporelle. ^Mais par
ces corps que saint Augustin semble vouloir
donner aux anges, il entend des corps cé-
lestes, comme on le voit en ce qu'il dit des
démons, * qu'avant leur chute ils avaient
des corps célestes, et que, depuis leur révolte,
ils sont révêtus de corps aériens dans lesquels
ils peuvent souffrir quelque chose par l'ac-
tion du feu qui est d'une nature plus subtile
que l'air. Toutefois dans ses hvres de la Cité
de Dieu ', où il suppose que le feu de l'enfer
1 Angelici, m angelorum cultmn inclinati , quos
Epiphanius jam omnino defecisse tesiatur. August.,
lib. DeHœresib. hceres. 29, pag. 11, tom. VIII.
2 Et tamen génies omnes sub dœmonibus erant:
dœmonibus templa fabricata sunt, dœmonibus arœ
constructœ, dœmonibus sacerdotes institua, dœ-
monibus oblata sacrificia, dœmonibus arreptitii
tanquam vates inducli. August., in Psal. xciv,
num. 6, pag. 1025.
3 Einc oritur de angelis quœstio utrwm habeant
corpora suis offlciis et concursationibus congrua,
an tantum modo spiritus sint? Si enim habere
dixerimus, occurrit nobis : Qui facit angelos suos
spiritus. Si auteni non habere dixerimus, plus
habet scrupuli, quomodo scriplum sit, eos corpo-
rels hominum sensibus sine corpore prœsenlatos,
hospitio susceptos,pedes eis lotos, edentibus et bi-
bentibus minislratum. Facilius enim videri po-
test, sic esse spiritus angelos dictas, ut homines
animas sicut scriptuni est cum Jacob in Mgyplum
lot animas descendisse (neque enim corpora non
habebantj quam ut illa omnia sine corporibus
-gesta credantur. Deinde certa quœdam in Apoca-
lypsi angeli statura defiintur in ea mensura, quœ
nisi corporum esse non possit; ut quod homini-
bus apparuerit non ad falsitatem, sed ad illam
poteslatem, facilitatem spiritalium corporum re-
feratur. Sed sivc habeant angeli corpora, sive
quisqitam possit ostendere, quemadmodum corpo-
ra non habentes gerere illa omnia potuerint, in
illa tamen civitate sanctorum , ubi etiam per
Christum redempti a generatione hac in œlernum
conjungenlur millibus angelorum, voces corpo-
r aies non latentes animos indicabunt; quia in illa
societate divina nihil cogitationis proximo pole-
ril occultari;sed erit consonans in Dei laude con-
cordia, non solum spiritu, verum etiam spiritali
corpore expressa, hoc mihi videtur. Intérim, si
quid congruentius veritati vel jam tenes, vel a
doctioribus audire potueris, per te nosse studio-
sissime expecto. August., Epist. 95, uum. 8 et 9,
pag. 260.
* Joannes episcopus Thessalon., relatus in Sy-
nodo Nicœna secunda. Act. 5, pag. 797, tom. Vil Con-
ciliorum.
5 Deus ab initio temporis utramque de nihilo
condidit creaturam, spiritalem et corporalem ,
angelicam videlicet et mundanam. Coucil. Later-
ranense quartum, cap. i de fide catholica, pag.
142, tom. XI, Concil.
s Si autem transgressores illi antequam trans-
grederentur cœleslia corpora gerebant,neque hoc
mirum est, si coyiversa sunt ex pœna in aeriam
qualitatem, ut jam possint ab igné, id est ab ele -
mento naturœ superioris aliquid pati. August.,
lib. m De Genesiad litt., cap. x, uum. 15, pag. 151,
tom. m, part. 1.
' Hic occurrit quœrere, si non erit ignis incor-
poralis, sicut est animi dolor sed corporalis, tactu
noxius, ut ea possint corpora cruciari, quomodo
[lY" ET V° SIÈCLES.
SAINT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
73?
est matériel, il paraît avoir de la peine à com-
prendre comroent les démons en peuvent
être bi'ùlés. « Le même feu, dit-il, leur ser-
vira de tourment aussi bien qu'aux hommes,
puisque Jésus-Christ dit : Retirez-vous de moi,
maudits, et allez au feu éternel qui a été pré-
paré pour le diable et pour ses anges. Il faut
donc que les démons aient aussi leurs corps,
comme quelques hommes doctes l'ont cru,
composé de cet air grossier et humide qae
l'on sent, lorsque le vent l'agite. Mais si l'on
soutient, ajoute-t-il, que les démons n'ont
point de corps, il n'est pas besoin de se met-
tre beaucoup en peine de prouver le con-
traire. Car pourquoi ne dirions-nous pas que
les esprits même incorporels peuvent être
tourmentés par un feu corporel d'une ma-
nière très-réelle, mais admirable, puisque
les esprits des hommes qui sont incorporels,
peuvent être maintenant enfermés dans des
corps, et qu'ils y seront unis alors par des
liens indissolubles. Si donc les démons n'ont
point de corps, ils seront attachés à des feux
corporels pour en être tourmentés. Ayant
abandonné Diea par orgueil ils ont été pré-
cipités ' du haut des cieux dans la plus basse
et la plus grossière région de l'air, et leur
péché a été jugé ^ d'autant plus grand, qu'é-
tant d'une nature plus excellente que la nôtre
et plus parfaite, ils auraient dû se porter
moins au péché, vu que Dieu les avait com-
blés de grâces et de bienfaits. Non-seule-
ment ils l'ont abandonné, mais ils font encore
chaque jour tous leurs ' efforts pour nous
engager dans la prévarication. Mais tandis
qu&Dieu nous est favorable, ils ne peuvent
nous nuire ; ils le peuvent seulement quand
il est en colère contre nous, n
12o. Selon saint Augustin, Jésus-Christ
est * né d'une Vierge qui n'a rien perdu de
sa pureté, ni en le concevant, ni en le met-
tant au monde. Elle est demeurée vierge
jusqu'au tombeau. Lorsqu'on^ parle des pé-
chés, le saint Docteur ne veut pas qu'on la
comprenne dans ces sortes de questions,
pour l'honneur qui est dû à Notre-Seigneur.
Comment en effet pouvons-nous savoir la me-
sure de la grâce qui lui a été donnée pour
surmonter en toute manière le péché, elle
qui a mérité de concevoir et d'enfanter ce-
lui qui certainement n'a jamais eu aucun pé-
ché ? Mais ce Père ne fait point de difficulté
de dire que Marie a été plus heureuse en re-
cevant la foi de Jésus-Christ dans son cœur,
qu'en concevant sa chair dans son corps ^,
puisque sa maternité qui la hait d'un degré
Sur la
J ^■ie^g(3
in eo erit etiam pœna spirituu/m malignorum ?
Idem qtiippe ignis erit siipplirio scilicet hominum
atlributus et dœmomim, dicente Chrislo: Disce-
dite a me, maledioti, iu ignem seternum, qui pa-
ratus est diabolo et angelis ejus. JVisi quia sunt
quœdam sua etiam dœmonibus corpora, siciit
doclis hominihus visum est ex isto aère crasse
atque humido, cujus impulsus vento fiante senli-
tur Si autem quisqttam nulla Iiabere corpora
dœmones asseverat, non est de hac re aut labo-
randum operosa inquisitione , aut contentiosa
disputatione certandum. Cur enim non dicamus,
qiiamvis iniris, tamen veris modis etiam spiritus
incorporées posse pœna corporalis ignis affligi, si
spiriiîts hominum, etiam ipsi profecto incorporel
et nunc potuerunt includi corporalibus membris,
et tnnc poterunt corporum suorum vincxUis in-
solubiliter alligari? Adhœrebnntergo, sieis nulla
sunt corpora spiritus dœmonum , imo spiritus
dœmones, licet incorporel, corporels ignibus cru-
ciandi. August., lib. XXI De Civit. Dei, cap. x,
num. 1, pag. 631.
1 Angelis igitur aliquibus impia superbia dese-
rentibus Deum et in hujus aeris imum caliginem
de superna cœlesti habitatione dejectis, residuus
numerus angelorum in œterna cum Deo beatitu-
dine et sanctifMe permansit. Avigust., Enchirid.,
cap. xxvni, pag. 206 et 207. Vide Psal. csLvin,
num. 9, pag. 1C77.
* Cum vero noverimu^ bonornm omnium crea-
torem reparandis angelis malis nihil graliœ con-
IX.
tulisse, cur non potius intelligimus quod tanto
damnabilinr eorumjudicata sit culpa quanto erat
natura sublimior? Tanto enim. minus quam non
peccare debuerunt, quanto meliores nobis fuerunt.
Nunc autem in offendendo creatorem tanto exse-
crabilius benejicio ejus ingrati exstiterunt, quanto
beneflcentius sunt creati; nec eis satisfecit deser-
tores esse illius, nisi et nostri fièrent deceptores.
August. , Tract, lia in Joan., num. 7, pag. 779.
3 Isti semper habent volunlatem nocendi, nec
si placentur, nec si rogantur desimmt nocere
velle. Hoc enim malevolentiœ illoritm propriwn
est. Ergo quid faciès eos colendo, nisi ut illum of-
fendas , quo offenso in istorum polestatem labe-
ris, ut qui tibi nihil possent facere illo placato,
faciant quidquid volunt illo irato? August., in
Psal. xxvr, num. 19, pag. 127.
* Natus fChristus) de maire, quce quanivis a viro
intacta conceperit, semperque intacta permanse-
rit, virgo concipiens, virgo pariens, virgo moriens,
tamen fabro desponsata erat. August. , lib. De
Catech. rud., num. 40, pag. 288, tom. VI.
» Excepta ilaque sancta Virgine Maria, de qua
propter honorem Domini nullam prorsus cum de
peccatis agitur, haberi volo quœslionem. Unde
enim scimus quid eiplus gratiœ collatum fuerit
ad vitandum omni ex parte peccatum, quœ conci-
pere et parère meruit, quem constat nullum ha-
buisse peccatum? Aagast., lib. De Nalura. etgrat.,
cap. XXXVI, num. 42, pag. 144 et 143.
^ Beatior ergo Maria percipiendo fidem Chrisii,
47
738
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Sar las sa-
cremects.
DiiïéreDce
entre les sa-
crements da
la loi ancien-
ne et de la
nouvelle.
de parenté si proche avec Jésus-Christ, lui
eût été inutile, si en le portant dans son sein,
eUe n'eût eu aussi le bonheur de le porter
dans son cœur. Il remarque que Marie, ayant
voué à Dieu sa virginité avant que de con-
cevoir Jésus-Christ, elle s'était rendue digne
par là qu'il la choisît pour sa mèi'e , et qu'il
voulût bien naître d'eUe.
126. « Les hommes ne peuvent' s'unir en
un corps de religion ou fausse ou véritable
que par le moyen de quelques signes ou sa-
crements visibles : et il ne faut pas croire ^
qu'avant l'institution même de la circonci-
sion. Dieu n'eût donné à ses serviteuis qui
avaient la foi au Médiateur futur, quelques
sacrements capables de procurer le salut à
leurs enfants ; quoique l'Écriture pour quel-
que cause importante, mais inconnue, ne
nous les ait pas fait connaître. Il y avait dès
lors des sacrifices qui étaient des figures du
sang que devait répandre un jour Celui qui
seul peut ôter tous les péchés du monde.
On en offrait même dans le temps de la loi
à la naissance des enfants pour l'expiation
des péchés. »
127. «Les sacrements', dit saint Augustin,
et les promesses de l'Ancien Testament ne
sont pas les mêmes que dans le Nouveau ;
mais dans l'un et dans l'autre les préceptes,
les ordonnances ne diffèrent presque en rien.
Car on nous dit de même qu'aux Juifs : Vous
ne tuerez point, vous ne commettrez point d'a-
dultère ni de fornication , vous ne déroberez
point. Nous sommes coupables comme eux si
nous ne les observons pas, et indignes de
monter un jour sur la sainte montagne de
Dieu, selon ce qui est dit : Seigneur, qui ha-
bitera dans votre tabernacle, ou qui se reposera
sur votre montagne sainte ? Ce sera celui qui a
les mains innocentes et le cœvr pur. Pourquoi
les sacrements des deux lois étant différents,
avons-nous les mêmes préceptes ? C'est parce
que ces préceptes doivent servir aux règle-
ments de nos mœurs, et qu'il y a de la dif-
férence entre les sacrements qui donnent le
salut et ceux qui le promettaient : ceux de
l'Ancien Testament le promettaient, ceux du
Nouveau le donnent. Il y a donc eu un chan-
gement dans les sacrements. Ils sont deve-
nus plus aisés, en plus petit nombre et plus
salutaires dans la loi nouvelle, où Jésus-
Christ nous a soumis à un joug ' très-doux
et très-léger. C'est ce qui se voit dans le bap-
tême par lequel nous sommes consacrés au
nom de la Trinité, et dans la communion de
son corps et de son sang. C'est ^ de la plaie
que le Sauveur reçut dans son côté, étant at-
taché à la croix, qu'ont coulés les sacre-
ments de l'Église. »
128. n Le sacrement de la circoncision, dit
Exod.
13,ela.
quam concipiendo carnem Christi... Materna pro-
jnnquitas ,nihil Mariœ profuisset, nisi felicius
Christum corde quam carne gestasset ; ipsa quo-
que virginitas ejus ideo gratior et acceplior, quia
non eam conceptus Chrislus viro violaturo quam
conservaret ipse prœripuit; sed prius quam con-
ciperetur jam Deo dicatam de qua nasceretur
elegit. August., lib. De Virgin, cap. ni et iv, pag.
342, tom. VI.
1 In nullumautem nomenreligionis, seu verum,
seu falsum, coagulari homines possunt, nisi ali-
quo signacidorum vel sacramentorum visibilium
consortio colligentur. August., lib. XIX Contra
Faust., cap. xi, pag. 319.
2 Nec ideo tamen credendum est, et ante datam
circumcisionem famulos Dei, quandoquidem eis
inerat Mediatoris fides in carne venturi, nullo sa-
cramenlo ejus opilulatos fuisse parvulis suis,
quamvis quid illud esset aliqua necessaria causa
Scriptura latere voluerit. Nam et sacrificia eorum
legimus quibus utique sanguis ille figurabatur qui
solus toUit peccatum mundi: apertius eliam legis
jam tempore nascentibus parvulis ojferebanlur sa-
crificia pro peccatis. August., lib. V Contra Julian.
cap. XI, num. 45, pag. 631.
' Si enim duo Testamenta, vêtus et novum non
sunt eadem sacramenta,nec eadeni promissa, ea-
dem tamen pleraque prœcepta. Nrim: Non uccidos,
non mœchaberis, nou furaberis... et nobis prœcep-
tum est, et quîsquis ea non observaverit, deviat,
nec oninino dignus est qui accipere mereatur
montem sanctum Dei, de que diclum.est: Quis
babitabit in tabernaculo tuo, aut quis requiescet in
monte sancto tuo? Innocens manibus, et mundo
corde. Discussa ergo prœcepta aut omnia eadem
inveniuntur aut vix aliqua in Evangelio quœ non
dicta sint a Prophetis. Prœcepta eadem, sacra-
mentanon eadem, promissanon eadem. Yideamus
quare prœcepta eadem., quia secundum hœc Deo
seroire debemus. Sacramenla non eadem, quia alia
sunt sacramenla dantia salutem, aliapromittenlia
Salvatorem. Sacramenla Novi Teslamentidant sa-
lutem, sacramenla Veteris Testamenti promiserunt
Salvatorem... Uulala sunt sacramenla, fada sunt
faciliora, pauciora, salubriora. August., in Psal.
LXXiii, num. 2, pag. 769.
' Itaque tenere te vola... Dominumnostrum Je-
stim Christum, sicut ipse in Evangelio loquilur,
levi jugo suo nos subdidisse et sarcinœ levi, unde
sacranientis numéro paticissimis, observatione fa-
cillimis, significutione prœstanlissimis, societatem
novi populi colligavit, siculi est baptismus Trini-
tatis nomiiie consecratus, communicatio corporis
et sangiiinis ipsius. August., Epist. 54, nuin. 1,
pag. 124.
" De latere in cruce pendenlis lancea percusso
sacramenla Eccksiœ proflu.verunt. August., Tract.
15 in Joan., num. S, pag. 409.
[IY= ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
739
saint Augustin , était dans l'Ancien Testa-
ment la figure du baptême '. Saint Paul, dans
son Épître aux Colossiens, s'en explique très-
clairement, lorsque parlant de Jésus-Christ,
il leur dit ; C'est lui qui est le chef de toutes
les principautés, et de toutes les puissances;
comme c'est en lui que vous avez été circoncis
d'une circoncision qui n'est pas faite par la
main des hommes ; mais qui consiste dans le
dépouillement du corps des péchés que produit
la concupiscence charnelle, c'est-à-dire de la cir-
concision de Jésus-Christ. C'est avec lui que
vous avez été ensevelis par le baptême, et c'est
en lui que vous avez été ressuscites par la foi
que vous avez eue que Dieu l'a ressuscité d'en-
tre les tnorts par l'efficace de sa puissance. Car
lorsque vous étiez dans la mort de vos péchés et
dans V incirconcision de votre chair, Jésus-
Christ vous a fait revivreavec lui vous pardon-
nant tous vous vos péchés. Par là on voit évi-
demment que la circoncision faite par la
main des hommes, et donnée à Abraham, a
précédé comme figure cette circoncision qui
n'est pas faite par la main des hommes, mais
qui se fait en Jésus-Christ. La circoncision
tenait ^, pour l'aucipn peuple de Dieu, lieu de
baptême. Elle' effaçait le péché originel
dans les enfants. Car n'aj^int aucune sorte
de péché * qui leur fût propre, il ne pouvait y
avoir que le péché originel qui eût besoin
d'être effacé par ce remède établi de Dieu,
et sans lequel l'àme de l'enfant ne pouvait
manquer d'être exterminée du milieu de son
peuple. Ce qui sans doute n'arriverait ja-
mais sous un Dieu juste, s'il n'y avait un pé-
ché qui en fût la cause. Comme donc il n'y
en a point de propre dans les enfants, il faut
nécessairement que ce soit le péché qui
vient de notre origine corrompue, n
129. Selon saint Augustin, saint Jean % sur is bap-
^ leme de saint
après avoir déclaré qu'il était envoyé pour Jj»»; _ ^^
baptiser dans l'eau , rend raison de sa mis-
sion , en disant cpi'il l'avait reçue pour faire
connaître à tout Israël celui qui venait après
lui. De quelle utilité était donc son baptême?
était-il nécessaire de le recevoir? Si cela eût
été , on le donnerait encore , et on prépare-
rait par 11 les hommes à recevoir le baptême
de Jésus-Christ. «Mais, dit-il, d'où vient qu'il
est dit que le Précurseur baptisait pour le
faire connaître à tout Israël , sinon pour
nous apprendi-e que le but de son baptême
était uniquement de faire connaître Jésus-
Christ à ce peuple ? Comme donc le Précur-
seur n'avait reçu le ministère de donner avec
l'eau le baptême de pénitence , que pour
préparer la voie au Seigneur avant qu'il fût
venu , lorsqu'il fut venu et qu'il se fit con-
naître par lui-même , il eût été inutile de
continuer à lui préparer la voie ; puisque le
Seigneur est lui-même la voie par lacpielle
il conduit à lui ceux qui le connaissent ; et
c'est pour cela que le baptême de saint Jean
a cessé dès lors d'être nécessaire. Ce bap-
tême propre à saint Jean n'était pas le mê-
me ^ que celui de Jésus-Christ, que donnent
I Quod sacramentum circumcisionis in figura
prœcessisse baptismatis, quis vel mecliocriter sa-
cris litteris eruditus ignoret, cum aperlissime de
Christo dicat Apostolus: Qui est caput oinnis prin-
cipatus et potestatis, in quo etiam circutncisi estis
circumcisione non manu facta, in expoliatione
corporis Garnis in circumcisione Christi, consepulti
ei in baptismo, in quo et consurrexistis per fldeni
operationis Dei, qui suscitavit illum a morluis. Et
vos, cum essetis mortui in delictis et prœputio Gar-
nis vestrae, vivificavit cum illo, donans noliis omnia
delicta. Hujus ergo circumcisionis non manufaclœ
quœ nunc fit in Christo, similitudo promissa est
illa circumcisio manu facta, quœ data est Abra-
hœ. August., lib. VI Cent. Jul., num. IS, pag. 673.
- Certe antiquus popiUus Dei circwncisionem
pro baptismo habebat. August., lil). II Contra
LUI. Petil., cap. Lxxii, num. 162, pag. 263.
'■* Ex quo enim instituta est circumcisio in po-
pulo Dei, quod erat tune signaculum juslitiœ
fidei, ita ad significationem purgationis valebat et
in parvulis originalis veterisque peccati, sicut et
baptismus ex illo valere cœpit ad innovationem
hominis, ex quo est inslitutus. August., lib. II
De tiup. et concup. , cap xi, num. 24, pag. 313.
4 Cwn autem parvulus proprium nuUtmi ha-
beat omnino peccatum, restât ut nullum eidem
aliud auferatur nisi originale illo remedio sine
quo périt anima ejus de populo sua, quod sub juste
Deo non fierel nisi esset culpa qua fieret. Quœ
ciuoniam propria nulla est, restât ut sola originis
■vitiatœ sit culpa. August., lib. VI Contra Julian.,
cap. vu, num. 19, pag. 673.
^ Missus est enim ut baptisaret aqua. Quœsitum,
est quare? Ut manifeslaretur Israeli, dixit. Quid
profuit baptismus Joannis? Fratres mei, si pro-
fuit aliquid, et modo maneret ac baptisarentur
homines baptismo Joannis et sic venirent ad
baptismum Christi. Sed qui ait: Ut manifeslaretur
Israeli, id est ipsi Israël, populo Israël ut mani-
feslaretur Christus, venit baplizare in aqua. Ao-
cepit ministerium baptismatis Joannes, in aqua
pœnitentiœ, parare viam Domino non exsistens
Dominus : at ubi cognitus est Dominus, superfluo
ei via parabatur, quia cognoscentibus se ipse foe-
tus est via: itaque non duravit diu baptismus
Joannis. August., Tract. 4 in Joan., num. 12, pag.
317.
^ Baptizatos enim, a Paulo eos qui jam baptismo
Joannis baptizati fuissent legimns in Actibus apos-
740 HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
maintenant les ministres de l'Église. De là
■vient que saint Paul étant à Éphèse baptisa
au nom de Jésus-Christ douze disciples qd
avaient déjà reça le baptême de saint Jean.
En effet, ceux qui recevaient ce baptême ne
renaissaient pas ' ; mais par le ministère du
Précurseur qui criait : Préparez la voie au
Seigneur, ils étaient préparés et disposés à
recevoir celui dans lequel seul ils pouri'aient
renaître. Le baptême de Jésus-Christ n'est
pas seulement d'eau, mais aussi du Saint-
Esprit , afin que tous ceux qui croient en
Jésus -Christ puissent renaître par cet Es-
prit, par lequel Jésus-Christ étant né, n'a
pas eu besoin de renaître. Néanmoins Jésus
a voulu être baptisé d'eau par saint Jean ,
pour faire éclater la grandeur de son humi-
lité, et non pour effacer quelque péché qu'il
eût commis; le baptême n'ayant rien trouvé
en lui à effacer , non plas que la mort à pu-
nir. Cela est arrivé ainsi , afin que le diable
fût vaincu et terrassé , non par la violence
de la force, mais par la vérité de la justice ;
et afin que l'ayant fait mourir injustement
sans qu'il l'eût mérité par aucun crime, il
perdit justement l'empire qu'il avait acquis
sur les hommes par le mérite de leurs cri-
mes. Ainsi ce n'est point par aucune né-
cessité que Jésus-Christ a reçu le baptême
et la mort selon les ordres de Dieu, mais
par une volonté pleine de miséricorde , afin
qu'un homme ôtât le péché du monde, com-
me un seul l'avait introduit dans le monde ,
c'est-à-dire dans toute la race de hommes. »
130. (( La foi chrétienne ^, dit saint Au-
gustin , consiste principalement à croire ,
suivant les divines Écritures, que comme la
mort est venue par un homme, la résiwrection
des morts vient aussi par un autre homme ; et
que comme c'est par Adam que tous sont morts,
c'est par Jésus-Christ que tous seront vivifiés;
que le péché est entré dans le monde par un seul
homme, et la mort par le péché ; et qu'ainsi la
mo?'t a passé dans tous les hommes par celui en
qui tous ont péché. Ces passages de l'Écriture
et plusieurs autres semblables nous montrent
donc que comme de tous les descendants d'A-
dam, il n'y en a aucun qui ne naisse engagé
dans le péché et la condamnation , nul n'en
est délivré qu'en renaissant par Jésus-Christ ;
et c'est à quoi nous devons nous tenir in-
violablement, puisque nous savons que qui-
conque combat cette doctrine, n'a nulle part
à la foi de Jésus-Christ , ni à la grâce qui se
donne par le même Sauveur, et à laquelle
les enfants qui ne font que de naître parti-
cipent par le baptême aussi bien que les
adultes. Quiconque enseigne ^ que les enfants
qui meurent sans ce sacrement, seront vivi-
fiés en lui, s'élève contre la prédication de
l'Apôtre, et condamne toute l'Éghse, où l'on
se presse et où l'on court pour baptiser les
J
sur Ift
Bt-
1».
site
.lème.
du
I
Cor.
"i
2t.
Rom. V,
12,
tolorum; non ob almd nisi quia Joannis baptis-
vius non fuit Christi baptismus, sed Joanni a
Christo concessus qui Joannis proprie diceretur.
August., lib. V De Bapt., cap. ix, num. 10, pag.
146.
1 JVoJi enim renascebantur qui baptismale Joan-
nis bapti::abantur, a quo et ipse baptizatus est,
sed quodam prœcursorio illius miiiisterio qui di^
cebat: Parate viam Domino, huic uni in quo solo
renasci poterat parabantur. Hujus enim baptis-
mus est non in aqua tanlum, sicut fuit Joannis,
verum etiam in Spiritu Sancto, ut de illo Spirilu
regeneretur quisquis in Christum crédit, de quo
Christus generalus regeneratione non eguit... In
aqua ergo baptizari voluit a Jeanne, non ut ejus
iniquilas ulla dilueretur, sed ut magna commen-
daretur humilitas. Ita quippe nihil in eo baptis-
mus quod ablueret, sicut mors nihil quod puni-
ret, invenit, ut diabolus veritate justitiœ, non
violentia potestatis oppressas et victus, quoniam
ipsum sine ullo peccati merito iniquissime occide-
rat, per ipsum justissime amitteret qiios peccati
merito detinebat. Utrumque igiturab illo idest et
baptismus et mors certœ dispensationis causa non
miseranda neccssitate, sed miserante potius vo-
luntate susceptum est, ut unus peccatum toUeret
mtmdi, sicut unus peccatum misit in mundum.
hoc est, in uniDersitm genus humanum. August.,
Enchir., cap. xux, pag. 214 et 215.
^ Illud enim ubi vel maxime fides christiana
consistit, quod per homiuem mors et per hominem
resurrectio mortuorum: sicut enim in Adam omnes
moriuutur, ita et in Christo omnes vivificabnntur :
et quod, per unum liominem peccatum in hune
mundum iutravit et per peccatum moi'S : et ita
in omnes homines mors pertransiit in quo omnes
peccaverunt, etc. Et si qua alia testimonia décla-
rant neminem nasci ex Adam nisi vinculo delicti
et damnationis obstrictum, neminemque inde li-
berari nisi renascendo per Christum, tam incon-
cusse tenere debemus, ut sciamus eum qui hoc
negaverit nullo modo ad Christi fidem et ad eam
quœ per Christum datur pusillis et magnis Dei
gratiam pertinere. August., Epist. 190, num. 3,
pag. 7O0.
3 Item qtUsquis dixerit quod in Christo vivi/i-
cabuntur etiam parvuli qui sine sacramenti ejus
participatione de vita cxeunt, hic profecto et con-
tra apostoUcam prœdicationem venit, et lotam
condemnat Ecclesiam, ubi propterea cum bapti-
zandis parvuUs fesiinalur et curritur, quia sine
dubio creditur aliter eos in Clirislo vivificari om-
nino non posse. August., Epist. 106, num. 21,
pag. o92.
[IV ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
741
■ r-r,B.
enfants , parce qu'on est assuré qu'ils ne
peuvent être vivifiés en Jésus-Christ que par
le baptême. Tous ceux ^ néanmoins qui
meurent pour la confession de son nom sans
avoir été baptisés , obtiennent le pardon de
leurs péchés, de même que s'ils l'avaient
été. Car celui qui a dit que personne n'entre-
ra dans le royaume des cieux, s'il ne renaît de
l'eau et du Saint-Esprit, les a exceptés de
cette règle lorsqu'il a dit d'une manière aussi
générale : Quiconque me confessera devant les
hommes, je le confesserai aussi devant mon
itih, .\vi, Père, qui est dans les cieux : et encore : Qtci
perdra sa vie pour moi la trouvera. Et ce n'est
pas sans raison que l'Éghse honore ^ les
saints Innocents comme de véritables mar-
tyrs. Non-seulement le martyre que l'on
souffre pour le nom de Jésus-Christ peut sup-
pléer au défaut du baptême ', mais la foi et
la conversion du cœur produisent le même
effet , lorsque la nécessité du temps ne per-
met pas d'administrer ce sacrement. Le bon
larron n'est pas mort pour le nom de Jésus-
Christ, mais en punition de ses crimes, il n'a
pas soutfert non plus parce qu'il a ci'u, mais
il a cru en souffrant. Son exemple fait voir
combien la foi peut servir sans le sacrement
du baptême , suivant ce que dit l'Apôtre :
On croit du cœur pour être justifié, et on con-
fesse de bouche pour être sauvé. Mais alors
Dieu accomplit invisiblement ce qui se ferait
dans le baptême, lorsque ce n'est que la né-
cessité qui empêche qu'on ne le reçoive , et
non le mépris de la rehgion. »
131. «Parla régénération spirituelle *, con-
tinue saint Augustin, nous recevons la rémis-
sion non-seulement du péché originel, mais
encore de ceux que nous avons commis vo-
lontairement, soit par pensée, soit ^ par pa-
role, soit par action; ce qui n'empêche pas que
même depuis notre baptême nous n'ayons
besoin de dire : Pardonnez-nous nos offenses,
tant que nous demeurons en cette vie qui
est une tentation continuelle. Car quelque
vertueux que l'on soit, la vie * ne se passe
point sans avoir besoin d'obtenir la rémis-
sion des péchés , les enfants de Dieu ayant
toujours à combattre avant la mort durant
le cours de leur vie mortelle. C'est néan-
moins avec vérité que l'on dit d'eux , que
tous ceux qui sont conduits et poussés par l'Es-
prit de Dieu, sont enfants de Dieu ; mais ils
sont excités de telle sorte par l'Esprit de
Dieu , et ils s'avancent tellement vers lui
Ilom. X, 10.
EtTol* c'u
Bon-,.
10.
' Nam qwicumque etiam nonpercepto regenera-
tionis lavacro pro Christi confessione moriuntiir,
tantum eis valet ad dimittenda peccata, quantum
si abluerentur sacra fonte bapiismatis. Qui eiiim
dixit : Si qwis non reaatus fuerit ex aqua et Spi-
ritu Sancto,non intrabit in regnum cœlorum ; alia
sententia istos fecit exceptas, ubi non minus ge-
neraliler dixit : Qui me confessus fuerit coram ho-
ininihus, confitelior et ego eum oorain Pâtre meo
qui in oœlis est; et alto loco: Qui perdiderit ani-
mam suam propter me, inveniet eam. August.,
lib. XIII De Civù. Bei, cap. vu, pag. 329. Vide lib.
De Anima et ejus orig., cap. xir, pag. 367.
2 JVo»J enim frustra etiam infantes illas qui, cum
Daminus Jésus Christus necandus ab Herode quœ-
reretur,occisi sunt,in honorem marttjriim receptos
commendat Ecclesia. August., lib. 111 De Lib. arb.,
cap. XXIII, num. 68, pag. 638.
' Invenio non tantum passionem pro nomine
Christi id quod ex baptismo deerat passe supplere,
sed etiam fidem canversianemque cardis, si farte
ad celebrandum mysterium baptismi in angustiis
temponnn succurri non patest. Neque enim latra
ille pro nomine Christi crucifixus est, sed pra
meritis facinorum suorum ; nec quia credidit
passus est, sed dum patitur crédit. Quantumita-
que valeat etiam sine visibili sacramenta baptismi
quod ait Apostalus: Corde creditur ad justitiam,
ore autem oonfessio iît ad salutem, in illo latrane
declaratum est. Sed tune impletur invisibiliter
cum ministerium baptismi non cantemptus
jionis , sed articiUus necessitalis excludit.
August., lib. IV De Bapt, cap. xxii, num. 29, pag.
139.
' Régénérante autem spiritu non solum origi-
nalis, sed etiam voluntariorwm fit remissia pec-
catarum. August., lib. I De Peccat. merit. et rem.,
cap. XV, num. 20, pag. 12.
5 Propter quad nunc etiam renati ex aqua et
Spiritu, omnibusquepeccatis sive originis ex Adam,
in qua omnes peccaverunt, sive factarum, dicta-
rum cagitatianumque nastrarum in illius lavacri
mundatione deletis ; tamen quia manemus in hac
vita humana quœ tentatia est super terrani, mé-
rita dicimus: Dimitte nobis débita nostra. August.,
Epist. 187, cap. viii, num. 28, pag. 687. Baptismus
igitur abluit quidem peccata omnia, prorsus am-
nia, factorum, dictarum, cogitatorum, sive ari-
ginalia, sive addita, sive quœ ignaranter, sive quœ
scienter admissa sunt, sed non aufert infirmita-
tem, cui regeneratus resistit quando banum ago-
nem luctatur, consentit autem, quando sicut homo
in aliquo delicto prœoccnpatur. August., lib. III
Contra duas Epist. Pelag., cap. m, num. 5, pag.
449.
8 Ipsa etiam vita cœtera jam ratione utentis
œtatis, quantalibet prœpolleat fœcunditate justi-
tiœ sine peccatorum remissione non agitur. Quo-
niam filii Dei quandiu martaliter vivunt , cum
morte confligunt. Et quamvis de illis sit veraciter
dictum : Quotquot Spiritu Dei aguntur, hi filii
sunt Dei ; sic tamen spiritu Dei excitantur, et tan-
quam fiHi Dei proficiunt ad Deum, ut etiam Spi-
ritu sioo maxime aggravante corruptibili corpore,
742
HISTOffiE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Sur la ma-
ière et la fnr-
me du bap-
Cmo.
Ephes. v,22.
comme ses enfants, cpi'ils ne laissent pas
d'être emportés comme enfants des hommes
par leur propre esprit , qui est cliargé de la
pesanteur du corps , d'être agités des mou-
vements humains , et de se porter par cette
agitation vers eux-mêmes , au heu de ne se
porter que vers Dieu seul; ce qui les engage
dans le péché. 11 reste dans ' les baptisés le
mal delà concupiscence, qu'ils doivent com-
battre nécessairement , s'ils veulent faire
quelque progrès dans la vertu : les person-
nes mariées , d'une nianière glorieuse ; et
celles qui gardent la continence , d'une ma-
nière encore plus glorieuse. Mais la concu-
piscence ^ n'est point un péché , lorsqu'ils
n'y consentent point. »
132. Jésus-Christ o. aimé son Église ' et s'est
livré lui-même à la mort pour elle, afin de la
sanctifier, après l'avoir purifiée dans le bap-
tême de l'eau : c'est par la parole de vie que
Jésus-Christ nous purifie , et c'est en cela
que consiste si essentiellement le baptême
de Jésus-Christ, que si l'eau ou les paroles
de vie viennent à manquer, il n'y a point de
baptême. C'est par l'eau qui représente ex-
tériem'ement le mystère de la grâce, et par
l'esprit' qui en produit l'effet intérieurement
en brisant les hens du péché, que sont ré-
générés en un seul Jésus-Christ ceux qui ne
tirent leur origine que du seul Adam. Pour-
quoi le Seigneur ° disait-il à ses disciples:
Vous êtes déjà purs à cause de la parole que je
vous ai dite, et qu'il ne leur disait pas : Vous
êtes déjà purs à cause du baptême où vous
avez été lavés, sinon pour nous apprendre
que c'est la parole qui donne à l'eau du bap-
tême toute la vertu qu'elle a de purifier? Si
l'on sépare cette parole, l'eau ne sera que de
l'eau. Mais on joint la parole du Seigneur à
cet élément dans le baptême; et c'est ce qui
fait le sacrement qui est comme une parole
visible. Mais d'où vient que l'eau a tant de
vertu, qu'en touchant le corps, elle purifie le
cœur, si ce n'est de la parole : non parce
qu'elle est proférée, mais parce qu'elle est
ci'ue? Car autre chose est dans la parole le
son passager dont il faut se servir pour la
prononcer, autre chose est le sens perma-
nent renfermé sous les syllabes qui forment
cette parole. Celles dont on se sert en bap-
tisant, sont des paroles ^ évangéliques sans
lesquelles le baptême ne peut être consom-
mé. Si Marcion ' avait administré ce sacre-
ment en prononçant les paroles de l'Évan-
gile, c'est-à-dire en invoquant les trois per-
sonnes de la Trinité, le baptême aurait été
validement conféré, quoique cet hérétique
fût dans des sentiments diflërents de ceux de
l'Église cathohque. Quand* les disciples de
Jésus-Chi'ist reçurent l'ordre d'aller instruire
4
tanquam filii hominum quibusdam humanis moti-
bus deficiant ad seipsos, et ideo peccent. August.,
Enchir., cap. lsiv, num. 16, pag. 220.
> In baplismo remittuntur quidein cuncta pec-
cata, sed rémanent carnalium concupiscentiarum
mala, cum quibus posl baptismum, si tamenpro-
ficiunt, exerceanl sive conjugati gloriosa , sivc con"
tinentes gloriosiora certamina. August., lib. VI
Contra Jiilian., cap. xv, num 43, pag. 686.
2 Nam ipsa quidem concupiscentia jam non est
peccatum in regeneratis, quando illi ab illicita
opéra non consentitur. August., lib. I De Nup. et
Goncup-, cap. xxni, num. 23, pag. 293.
3 Sicut Christus, inquit, dilexit Ecclesiam et
seipsum tradidit pro ea, mundans eam lavacro
aqua in verbo... Ùnde? lavacro aquœ in verbo.
Quid est baplismus Christi ? lavacrum aquœ in
verbo. Toile aquam non est baptismus : toile ver-
bumnnn est baptismus. August., Tract. 13 in Joan.,
num. i, pag. 408.
' Aqua igitur exhibens forinsecus sacramentrim
gratiœ et Spiritu opérante inlrinsecus benificium,
gratiœ, solvcns vinculum culpœ, reconcilians bo-
mim naturœ, regenerans hominem. in uno Christo
ex uno Adam generatum. August., Epist. 98,
num. 2, pag. 264.
s Jam vos muudi estis proptcr verbum quod lo-
cutus sum Tobis. Quare non ail mundi estis prop-
ter baptismum quo loti estis, sed ail : Propter
verbum quod locutus sum vobis : nisi quia et in
aqua i^erbti.m mundat? Detrahe verbum et quid
est aqua nisi aqua? Accedit verbum ad elementum
et fit sacramenlum, etiamipsum tanquam visibile
verbum... Unde ista tanta virlus aquœ, ut cor-
pus tanqat et cor abluat, nisi faciente verbo, non
quia dicitur, sed quia creditur, nam' et in ipso
verbo aliud est sonus transiens, aliudvir tus ma-
liens. August., Tract. 80 in Joan., num. 3, pag.
703.
^ Deus adest evangelicis verbis suis sine qtiibus
baptismus Christi consecrari non potest... Cœte-
rum quis nesciat non esse baptismum Christi, si
verhu evangelica, quibus Symbolum constat, illic
defuerinl? Augnst, lib. VI De Bapt., cap. xxv, num.
47, pag. 176.
■■ Si Evangelicis verbis : In nomine Patris et Filii
et Spiritus Sancti, Marcion baptismum consecra-
bat, integrum erat sacramentum, quamvis (jus
fides sub eis verbis aliud opinantis quam calholi-
ca reritas docet, non esset intégra, sed fabulosis
falsitatibtis inquinata. August., lib. III De Bapt.,
cap. XV, num. 20, pag. 115.
s Ibi enim^ audie.runt discipuli : Ite, baptizate
gentes in uomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti,
intenti facti suntus, cumaudiremus: Ite, baptizate
gentes. In cujus nomine? In uomine Patris, et Fi-
[IV° ET Y° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
743
,111, te.
ml.
du
tous les peuples et de les baptiser au nom du
Pèi'e, et du Fils, et du Saint-Esprit, il ne leur
fut pas dit au pluriel : Aux noms du Père, et
du Fils, et du Saint-Esprit; parce que ces
trois personnes, n'étant qu'un même Dieu,
lorsqu'il est dit seulement au nom, cela mar-
que l'unité de nature; de même que lorsque
Dieu fit cette promesse à Jtbraham : Toutes
les nations seront bénies dans votre race, il ne
lui dit pas : Dans ceux de votre race, comme s'il
eût voulu en marquer plusieurs; mais : Dans
votre race, c'est-à-dire dans un de votre race, qui
est Jésus-Christ. Comme donc l'Écriture, en cet
endroit, disant seulement : En votre race, a
voulu marquer Jésus-Christ seul, ainsi que
saint Paul nous l'enseigne : de même lors-
qu'elle a dit en se servant du nombre singu-
lier : Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-
Esprit, elle a voulu marquer que le Père, le
Fils elle Saint-Esprit ne sont qu'un seul Dieu.»
133. Il paraît qu'en Afrique du temps de
saint Augustin, les évêques et les prêtres
étaient les seuls ministres du baptême * de
même que de la réconciliation, '■' et qu'on ne
pensait point dans les calamités publiques
de le demander aux laïques en l'absence des
prêtres; en sorte que ceux qui avaient reçu
le baptême, étaient dans ces occasions, in-
consolables de la perte de leurs amis et de
leurs parents qui mouraient sans le rece-
voir. « Ne voyons-nous pas, dit ce Père, que
quand les malheurs temporels sont extrêmes,
et qu'il n'y a plus moyen de les éviter, il y a
dans nos églises un concours presque incon-
cevable de personnes de tout sexe et de tout
âge, dont les unes demandent avec empres-
sement le baptême, d'autres d'être mises en
pénitence, et d'autres d'être réconciliées
après l'avoir faite? S'il arrive qu'il ne se trou-
ve point alors de ministre pour faire ces
fonctions, combien est déplorable le malheur
de ceux qui sortent de cette vie, sans avoir
pu être régénérés ou absous ! Combien est
grande l'affliction des fidèles à qui ils appar-
tiennent, de voir qu'ils ne les auront jamais
pour compagnons dans la vie éternelle, et
qu'ils ne participeront point à leur bonheur ! »
C'était donc une chose presque sans
exemple dans cette province que le baptême
donné par un laïque. Saint Augustin ne croit
pas néanmoins que ' la piété permette de
réitérer le baptême conféré par un laïque
dans une pressante nécessité : et il soutient
que s'il arrive à un laïque de le donner sans
y être contraint par la nécessité, il usurpe
à la vérité une fonction qui ne lui appartient
point; mais que si la nécessité l'y oblige, ou
il ne pèche point, ou la faute n'est que vé-
nielle. « C'est une * autre question, dit-il, de
savoir si ceux mêmes qui n'ont jamais été
chrétiens peuvent donner le baptême ; et il
me paraît que ce serait une témérité d'en-
treprendre de la décider avant le jugement
d'un concile assez considérable pour termi-
ner une question si importante. Il ''penchait
toutefois à dire que le baptême donné par une
lii, et Spiritus Sancti. Iste unus Deus, quia non in
nominihus unum nomen audis, unus est Deus, si-
cutdesemine Abraham dictum est et exponitPaulus,
apostolus : Insémine tuo benedicentur omnesgen-
tes, non dixit : In seminibus tanquam in multis,
sed tanquam in uno ; Ex semine tuo quod est Cliris-
tus. Sicut ergo quia ibi non dicit : In seminibus,
docere te voluit Apostolus quia unus est Christus :
sic et hic cum dictum est : In nomine, non in no-
minibus, quomodo ibi in semine, non in semini-
bus, probatur unus Deus Pater et Filius et Spiri-
tus Sanctus. August., Tract. 6 in Joan., num. 9,
pag. 334.
1 Non nisi in Ecclesia prœpositis et evangelica
lege ac dominica ordinatione fundatis licet bap-
tizare. August, lib. \\\De Bapt., cap. xvni, num. 23,
pag. 118.
^ An non cogitamus, cum ad istorum periculo-
rum pervenitur extrema, nec est potestas ulla fu-
giendi, quantus in Ecclesia fieri soleat ab utroque
sexu atque ab omni œtate concursus, aliis bajHis-
mum flagitantibus, aliis reconciliationem, aliis
etiam pœnitentiœ ipsiris actionem, omnibus con-
solationeni et sacramentorum confectionem et
erogationem? Ubi, si ministri desint, quantum
exitium sequitur eos qui de isto sœcuîo vel non
regenerati exeunt vel ligati? Quantus est etiam
luctus fidelium suorum qui eos secum in vitce
œterncB requie nonhabebunt! Quantus denique g e-
mitus omnium, et quorumdam quanta blasphe-
mia de absentia ministeriormn et ministrorum !
August., Epist. 228, num. 8, pag. 833.
3 Quanquam et si laïciis aliquis pereunti dede-
rit necessitate compulsus, quod cum ipse accipe-
ret quomodo dandum esset addidicit, nescio an
pie quisquam dixit esse repetendum,. Nulla enini
cogente necessitate si fiât alieni muneris usurpa-
tio est; si autem nécessitas urgeat aut nullum
aut veniale delictum est. August., lib. Il Contra
Epist. Parm., cap. xni, num. 29, pag. 44.
'' Et hœc quidem alia quœstio est utrum et ab
iis qui nunquam fuerunt christiani possit baptis-
mus dari, nec aliquid temere inde affirmandum est
sine auctoritate tanti concilii quantum tantœ rei
sufjxcit. August., ibid., num. 30, pag. 45.
' Verumtamen si quis forte me in eo concilio
constitutum ubi talium rerum quœstio versare-
tur non prœeedentibus talibus quorum senlentias
sequi mallem, urgeret ut dicerem quidipse senti-
rem., si eo modo affectus essem, quo eram cum isla
lU
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
personne non baptisée, est valide, comme il
a été décidé depuis. Quel que soit le minis-
tre du baptême * de Jésus-Christ , et de
quelque péché qu'il puisse être chargé, ce
n'est pas lui qui baptise, c'est celui sur le-
quel le Saint-Esprit descendit en forme de
colombe; en un mot c'est Jésus-Christ. Saint
Jean ^ apprit par l'apparition de cette co-
lombe que la sainteté qui est communiquée
dans le baptême, est tellement le propre ef-
fet de Jésus-Christ, qu'encore que ce sacre-
ment dût être conféré par plusieurs minis-
tres, les uns saints et les autres pécheurs,
la sainteté du sacrementne devait néanmoins
jamais être attribuée qu'à celui sur qui la co-
lombe apparut, et dont il a été dit : C'est
celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit. Ainsi
que ce soit Pierre qui baptise, c'est Jésus-
Christ qui baptise; que ce soit même Judas
qui baptise, c'est Jésus-Christ qui baptise.
Que s'il en était autrement, et que le bap-
tême fût plus ou moins saint à propoi'lion
du mérite de ceux qui le donnent, comme
ils n'en n'ont pas tous également, il y aurait
différents baptêmes, et chacun croirait ce-
lui qu'il a reçu meilleur à proportion des
bonnes qualités qu'il aurait reconnues en
celui de qui il l'a reçu. »
134. « Comme l'homme ' ne naît qu'une
fois selon la chair, il ne peut aussi renaître
qu'une fois selon l'esprit : et Nicodème avait
raison, lorsqu'il disait à Jésus-Christ qu'un
homme étant vieux ne pouvait pas rentrer
dans le sein de sa mère, pour renaître un*
seconde fois. Mais il aurait pu faire la propo-
sition plus générale, et l'étendre jusqu'aux
enfants nouveaux-nés , qui ne peuvent pas
plus que les vieillards rentrer dans le sein de
leur mère, pour naître une seconde fois : car
il est impossible qu'ils y rentrent les uns et
les autres, et qu'ils renaissent tout de nou-
veau. Comme le sein de l'Eghse est à l'égard
de la naissance selon l'esprit, ce que celui
de nos mères est à l'égard de la naissance
selon la chair ; il en faut raisonner de même,
et conclui'e que l'on ne peut naître qu'une
fois selon l'esprit, non plus que selon la chair;
qu'ainsi il ne faut point rebaptiser celui qui a
été baptisé par les hérétiques ou par les schis-
matiques.Mais si c'est un péché de rebaptiser'*
un hérétique à qui le sceau de la piété a déjà
été imprimé selon les règles du chiistianisme,
quel crime horrible n'est-ce pas de rebaptiser
un catholique ? Les hommes mêmes, par une
secrète inspiration ^ de Dieu ont une horreur
naturelle de la rebaptisation , et les dona-
baplisfilic
Tract.
Joan, QUI
dictarem, nequaquam dubitarem liabere eos bap-
tismum qui îMounique et a quibuscuinque illud
verbis evangelicis consecratum sine sua simitla-
tione el cum aliqua fide accepissent : quamquam
eis adsalutem spirilualem nonprodesset, si cari-
tate caruissent, qua cathoiicœ insererentur Eccle-
siœ. August., lib. VU De Bapt., cap. lui, num. 102,
pag, 20i.
1 De qtio {ChristoJ dictum est : Ipse est qui
baptizat, proinde homo quilibet minister baptismi
ejus qiialemcujnqiie sarcinam portet, non iste,
sed super quein columba descendit, ipse est qui
baptisât August., Epist. 89, uum. 3, pag. 221.
^ Quid ergo per eoluinbam didicit (Joannes) ne
mendax postea inveniatur (quod averlat a nobis
Deus opinari) nisi qiMmquam proprietatem in
Christo talem futurain, ut quamvis rnuiti miiris-
tri baptiiaturi essent sive justi, sive injusti non
tribuerelur sanciitas baptismi, nisi illi super
queni descendit columba de que dictum est : Hic
est qui baptizat ia Spiritu Sancto. Petrusbaplizet,
hic est quibaptizat: Paulus baptizet , hic est qui
baptizat; Judas baptizet, hic est qui baptizat.
Nam si pro di i-rsitate meritorum baptisma sanc-
tum est. quia diversa sunt mérita, diversa eruiiL
baptismata, et lanto quisque aliquid melius pn-
tatar accipere, quanlo a meliore videtur acce-
pisse. August., Tract. 0 in Joan., num. 7 et 8, pag.
333.
3 Regeneratio spiritalis una est sicut generatio
carnalis una est ; et quod Nicodemus Domino ait.
verum dixit : Quia non potest homo cum sit senex,
redire rursum in uterum matris suée, et nasci. Ille
quidem dixit: Quia homo cum sit senex hoc non
potest, quasi, et si infans esset, posset, omnino
enimnon potest, sive recens ab utero, sive annosa
jam œtate, redire rursum in materna viscera, et
nasci; sed sicut ad nalivitatem carnalem valent
muliebria viscera ad semel pariendum, sic ad na-
tivilatem spiritalem valent viscera Ecctesiœ ut
semel quisque baptizetur. August., Tract. 12 in
Joan., nua-. 2, pag. 383 et 384.
'■ Rebaptisare igitur hœreticum hominem qui
hœo sanctitatis signa perceperit quœ christiana
Iradidit disciplina, omnino peccatum est : rebap-
tizare aulem catholicum immanissimuni scelus
est. August., Epist. 23, uum. 2, pag. 31.
^ Quia sic homines occulta nescio qua inspira-
tione Dei detestantur, si quis ilerum baptismum
accipiat, qnem ubicumquejam acceperat, utiidem
ipsi hœretici cum inde disputant, frontem confri-
cent, et prope omnes eorum làici qui apud eos
inveleraverunt, et animosam periinaciam adver-
sus catholicam concepcrunt, hoc solum illic sibi
displicere faleantur : et mulli quipropter adipis-
ceiida aliqua commoda sœcularia, vel incommoda
devitanda transire ad eos volunt, occultis conati-
bus ambiant ut hoc eis quasi peculiari et domes-
tico beneficio prœstetur ne rebaptizentur, etnon-
nulli cœleris eorum vanis erroribns et fatsis cri-
minalionibus adversus catholicam Ecclesiam
credenles, hoc uno revocentur, ut eis sociari no-
[iV ET r SIÈCLES.] SAMT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
745
tistes, qui en faisaient usage, étaient obligés
de se faire violence pour ne pas rougir lors-
qu'on les attaquait sur ce point. C'était aussi
la seule chose que la plupart de leurs laïques,
quoique nourris et vieillis dans le schisme,
trouvaient à redire dans leur secte. Aussi
plusieurs de ceux qui voulaient s'y engager
par quelque motif d'intérêt temporel se ména-
geaient en secret la grâce de n'être point
rebaptisés. D'autres, quoique prévenus par
les calomnies que les donatistes répandaient
contre l'Eglise catholique, ne pouvaient ce-
pendant se résoudre à embrasser leur com-
munion, dans la crainte d'y recevoir un se-
cond baptême. Cette répugnance répandue
dans l'esprit de tout le monde étonna les do-
natistes, les porta à se relâcher de la sévérité
de leur discipline, et à recevoir le baptême de
ceux qu'ils avaient condamnés auparavant.
Ils aimèrent mieux recevoir et approuver
le baptême des maximianistes qu'ils avaient
rejetés pendant quelque temps, que d'enti-e-
prendre de rebaptiser un grand nombre de
personnes qui avaient suivi Félicien, Pré-
textât et plusiem's autres qu'ils avaient eux-
mêmes condamnés, »
135. « L'Église universelle * qui est très-
ancienne a toujours employé le souffle et les
exorcismes non-seulement dans le baptême
des enfants, mais encore dans celui ^ des adul-
tes. On souffle sur les enfants ', on les exorcise
afin d'éloigner d'eux la puissance du diable
qui a trompé les hommes pour s'en rendre
le possesseur. Ce n'est donc pas la créature
de Dieu qu'on exorcise et qu'on souffle, mais
seulement celui à qui appartiennent tous ceux
qui naissent dans le péché. *Ceux qui pré-
sentent les enfants au baptême répondent
pour eux qu'ils renoncent à la puissance du
démon, qu'ils promettent de se convertira
Dieu, ^ et de croire la rémission des péchés. A
l'égard des adultes ils donnaient leurs noms ^
pour être admis au baptême, et se mettaient
au nombre des catéchumènes qu'on nommait
compétents. On leur imposait les mains ' , on
faisait sur eux le signe de la Croix ^, et on
leur donnait du sel '. »
Saint Augustin appelle sacrement " ce que
les cathécumènes recevaient, et dit que,
quoique ce ne soit pas le corps de Jésus-
Christ, il est néanmoins plus saint que les
autres aliments dont nous nous nourrissons.
Sur
exorcismes
autre? ci
nionies
baiilàino.
tint ne rebaptizari cogantur. Quem sensum, ho-
minum omnia penitus corda occupantcm isti
clonaListœ metuentes jnaluerimt recipere hapiis-
mwn qxiiiapud maximianistas quos damnaverant
dahis est, et eo modo sibi linguas prœcidere et
ora oppilare, quam denuo baptizare tôt homines
Muslitanœ et Assuritanœ et aliarwm plebium quas
cum Feliciano et Prœtextato et cœteris a se dam-
natis et ad se redeuntibus susceperunt. August.,
Ub. V De Bapt., cap. v, num. 6, pag. 143.
' Cur exsufflentur baptizandi parvuli ostende,
aut univevsœ antiquissimœ Ecclesiœ hélium aper-
tissiinum indicens, exsufflari eos non debcre con-
tende. August., lib. III Oper. imperf., cap. cxliii,
pag. nos.
2 Yerumtamen parate vos, in faciès vestras
easdem exsufflationes dignissime excipere, quœ in
Ecclesia Chrisli et majoribus adhibentur et par-
vulis. August., ibid., cap. clsxxii, pag. 1121.
3 Parvuli exsufflantur et exorcizantur, ut pel-
latur ab eis diaboli potestas inimica, quœ decepit
hominem, ut possideret homines. Non ergo crea-
tura Dei in infantibus exorcizatur aut exsufflatur ;
sed ille sub quo sunt omnes qui cum peccato nas-
cuntur: est enim deinceps peccatorum. August.,
lib. De Symb., cap. i, pag. 548, tom, VI. Videlih. V
Oper, imperf., cap. lxiv, pag, 1287.
' Prius exorcizatur in eis (parvulis) et exsuf-
flatur potestas contraria; cui etiam verbis eorum
a quibus portantur, se renuntiare respondent. Au-
gust., lib. De Peccat. orig., cap. xl, num. 43,
pag. 273.
^ Vellem, aliquis istormn, qui contraria sapiunt,
mihi baptizandwnpanulum afferret. Quid in illo
agit exorcismus meus, si in familia diaboli non
tenetur? Ipse certe mihi fuerat responsurus pro
eodem parvulo quem gestaret, quia pro se illeres-
pondere non posset. Quomodo ergo dicturus erat
eum renuntiare diabolo, cujus in eo nihil esset?
Quomodo converti ad Deum, aquonon esset aver-
sus? Credere inter cœtera remissionem peccato-
rum, quœ illi nulla tribueretur? August., lib. I
De Peccat. merit. et remis., cap. xxxiv, uum. 62,
pag. 33.
^ Inde ubi tempus advenit, quo me nomen dare
oporteret. August., lib. IX Con/., cap. vi, pag. 162.
Pascha jam appropinquabat, dédit nomen inter
alios compétentes. August., lib. De Cura gerenda
pro mortuis, cap. xii, pag. 525.
' Non unius modi est sanctificatio : nam et ca-
techumenos secundum quemdam modum suum
per signum Christi et orationem manus imposi-
tionis puto sanctificari. August., lib. II De Peccat.
merit. et remis., cap. xxvi, num. i2, pag. 62.
8 Cujus (Christi) passionis et crucis signo in
fronte hodie tanquam in poste signandus es, om-
nesque christiani signantur. August., lib. De Ca-
tech. rud., cap. xx, num. 34, pag. 285.
5 Et signabar jam signo crucis ejus et signabar
ejus sale. August., lib. I Conf. cap. n, pag. 75.
'" Quod accipiunt fcatechumenij quamvis non sit
corpus Christi, sanclum est tamen, et sanctius
quam cibi quibus alimur, quoniam sacramentum
est. August., lib. H De Peccat. merit. et rem., cap.
XXVI, pag. 62. Vide lib. De Catech. rud., cap. xxvi,
num, 30, pag. 293, tom. VI.
746
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
n remarque ' que, pour préparer les caté-
chumènes au sacrement du baptême, on les
obligeait de s'abstenir de l'usage du mariage
et qu'on leur faisait pratiquer des jeûnes et
d'autres exercices de mortification et de
piété. On n'admettait point à ce sacrement
ceux qui étaient engagés dans quelque dé-
sordre scandaleux qu'ils ne s'en fussent reti-
rés auparavant. Comment, en effet, pourrait-
on admettre au baptême celui qui serait en-
gagé dans un adultère, et qui ferait dilBculté
de s'en retirer, puisqu'on n'y admettrait pas
une personne mariée qui ne pourrait se ré-
soudi-e à pratiquer les choses qui lui seraient
prescrites. C'était l'usage d'instruire d'abord
les cathécumènes du Symbole ^, pour leur
apprendre ce qu'ils devaient croire, et en-
suite de l'Oraison dominicale où ils appre-
naient qui il fallait invoquer. Car le Symbole
regarde la foi, et l'Oraison dominicale la
prière, parce que ceux qui croient sont exau-
cés quand ils prient. On leur faisait aussi
faire une profession de foi. Saint Augustin,
parlant delà conversion de Victorin, dit que ^,
lorsque l'heure fut venue de faire cette pro-
fession que ceux qui devaient être baptisés
avaient coutume de faire à Rome en certains
termes qu'ils ""apprenaient par cœur , et qu'ils
prononçaient d'un lieu éminent en présence
de tous les fidèles, les prêtres proposèrent à
Victorin de faire cette action en secret ainsi
que c'était la coutume de le proposer à ceux
que l'on jugeait pouvoir être touchés de
crainte par une pudeur et une timidité na-
turelle ; mais il aima mieux faire cette action
en public qu'en particulier. Lorscpie l'Église
accordait le baptême aux mourants *, eUe
n'omettait rien de nécessaire ni dans l'ins-
truction ni dans les cérémonies, mais elle les
abrégeait si le temps était trop court.
Saint Augustin remarque que c'est en vain
qu'on objecte, contre cet usage, l'exemple du
baptême de l'eunuque de la reine d'Ethiopie
qui parut être sans aucune cérémonie, «par-
ce que ^ dit-il, l'Écriture, en nous appre-
nant qu'il fut baptisé, nous apprend aussi qu'il
le fut avec les cérémonies que la tradition nous
a conservées, et qu'elle nous apprend devoir
être observées, quoique pour abréger, l'Écri-
ture ne le marque point en particulier. Autre-
ment, ajoute-t-il ', nous pourrions faire de
même et retrancher toutes les choses qu'il
nous est prescrit d'observer, lors même que
nous donnons le baptême dans une pressante
' Bac ergo secundum sanam doctrinam mode-
ratione servata, videamus unde agitur, id est,
utrum ad percipiendum baptismum sic admit-
tendi sunt homines, ut nulla ibi vigilet diligentia,
ne sanctum canibus detur ; usque adeo ut nec
apertissimi adulterii perpelratores et ejus perse-
verantiœ pi'ofessores a sacramenlo tantœ sancti-
tatis videantur arcendi : quo sine dubio non ad-
mitterentur, siperipsos dies, quibus eamdem gra-
tiam percepturi, suis nomimbus datis abstinentia
jej'uniis, exorcismisque purgantur, cMin suis le-
gitimis et veris uxoribus, se concubiluros profite-
rentur, atque hujus rei, quamvis alio tempore
licitœ, paucis ipsis solemnibus diebus nullam coii-
tinentiam servaturos. Quomodo igitur ad illa
sancta recusans correctionem adulter admittitur,
quo recusans observationen non admittitur conju-
gatus? August., lib. DeFide et oper., cap. vi, nuui.
8, pag. 169, tom. Vf.
2 Quia ergo dixit (Àpostolus) : Quomodo invoca-
bunt in quem noa orediderunt? ideo non acce-
pistis prius orationem, et postea Symbolum ; sed
prius Symbolum, ubi sciretis quid crederetis, et
postea orationem, ubi nossetis quem invocaretis.
Symbolum ergo pertinet ad fidem, oratio ad pre-
cem : quia qui crédit, ipse exauditur invocans.
August., Serm. 36 in Matth. G, cap. i, pag. 323,
tom. V. Vide lib. De Symbolo, cap. i, pag. 547,
tom. VI.
3 Denique ut ventum est ad horam profitendœ
fidei, quœ verbis certis conceplis, retentisque me-
moriter, de loco enmientiore in conspectu populi
fidelis Romœ reddi solet ab eis qui accessuri sunt
ad gratiam tuam, oblatum esse dicebat fSimpli-
cianus) Victorino a presbyteris, ut secretius red-
deret, sicut nonmillis qui verecundia trepidaturi
videbantur, offerri mos erat;illum. autem maluisse
salutem suam in conspectu sanctœ multitudinis
profiteri. August., lib. LXVIII Conf., cap. n, num.
5, pag. 146 et 147.
'' August., lib. De Symbolo ad cathecumenos,
cap. I, mim, 1, pag. 547, tom. VI.
^ Fit hoc ubi quemquam forte dies urget extre-
mus, ut ad verba paucissima, quibus lamen om-
nia continentur, credat, sacramenlumque perci-
piat,ut siexhacvila emigraverit, liberatus exeat
a reatu prœteritorum. peccatorum. August., lib.
De Fide et oper., cap. vi, num. 9, pag. 169.
^ Ineo quod ait (Scriptura) : Baptizaviteum Pbi-
lippus, intelligi voluit implela omnia, quœ licet
taceantur in Scriptiiris brevilatis gratia, tamen
série traditionis scimus implenda. August., lib.
De Fide et oper., cap. ix, num. 14, pag. 172.
' Curnon id sequimur? Ctir non imilamur atque
auferimus cœtera quœ necesse habemus , etiam
cum ad baplizandum temporis urget angustia,
exprimere interrogando, ut haptizandus ad cuncta
respondeat, etiamsi ea memoriœ mandare n n va-
cavit... Hœc cum dicuntur aliquando brevius at-
que constrictiiis, aliquando latiiis et uberius,
Christus evangelizatur ; et tamen non solum ad
fidem, verum etiatn quod ad mores fidelium per-
tinet, nonprœtermittitur. August., iftid.
[lye ET V= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
nécessité. Mais nous sommes obligés, dans
cette circonstance, d'interroger exactement
et de faire répondre à tout celui qui doit
être baptisé, quoiqu'il n'ait pas pu appren-
dre ces réponses par cœur. En donnant donc
ces instructions, tantôt on annonçait Jésus-
Christ à ceux qui devaient être baptisés ,
d'une manière plus courte et plus serrée,
tantôt on le faisait d'une manière plus dif-
fuse et plus étendue ; mais toujours néan-
moins sans rien omettre de ce qu'il était né-
cessaire que les fidèles sussent, non-seule-
ment par rapport k la doctrine de la foi,
mais encore par rapport à la règle des
mœurs. » Les nouveaux baptisés étaient
vêtus de robes blanches ' qu'ils conservaient
pendant la semaine de leur baptême.
136. «Nous lisons dans les Actes, dit saint
Augustin ^, que les apôtres qui étaient à
Jérusalem, ayant appris que les habitants
de Samarie avaient reçu la parole de Dieu,
leur envoyèrent Pierre et Jean qui, étant
venus, firent des prières pour eux afin qu'ils
reçussent le Saint-Esprit. Car il n'était point
encore descendu sur aucun d'eux, et ils
avaient seulement été baptisés au nom du
Seigneur Jésus. Alors ils leur imposèrent
les mains, et ils reçurent le Saint-Espi-it.
Ce n'était pas néanmoins les apôtres qui
le leur donnaient. Il n'y a que Dieu seul
qui puisse donner Dieu. Mais ils imposaient
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 747
les mains sur les baptisés, et ils priaient
pour faire descendre sur eux le Saint-Esprit.
C'est ce que l'Éghse pratique par le minis-
tère des évêques. Elle fait ' l'onction sur les
baptisés. » Saint Augustin l'appelle le sacre-
ment du chrême ', el: il la met au nombre des
signes sacrés et visibles comme le baptême ;
mais comme un sacrement diii'érent du bap-
tême. « Il opère, dit-il, dans ceux qui le re-
çoivent dignement les mêmes effets intérieurs
qu'il opéra dans les apôtres au jour de la
Pentecôte, le Saint-Esprit descendant d'une
manière invisible ^ sur ceux à qui on impose
les mains, comme il descendit d'une manière
visible sur les apôtres. Ainsi toute la diffé-
rence qu'il y a, consiste en ce que le sacre-
ment de confirmation se donne sous d'autres
signes, et qu'il n'est plus accompagné de mi-
racles extérieurs. »
137. «Nous recevons' avec un cœur et une
bouche fidèle le Médiateur de Dieu et des
hommes, Jésus-Christ homme, qui nous don-
ne son corps à manger et son sang à boire,
quoiqu'il semble plus horrible de manger de
la chair d'un homme que de le tuer, et de
boire du sang humain que de le répandre.
Les Juifs' ont approché de Jésus-Christ pour
le crucifier. Approchons-nous-en, afin de re-
cevoir son corps et son sang. Jésus-Christ
crucifié les a remplis de ténèbres ; et nous ,
en mangeant la chair du Crucifié, et en bu-
la f^rc-
rrclo
Eiiclja-
* Infantes isti, quos cernimus exterius deal-
batos, interiusque mundatos, qui candore vestUim
splendurem mentium prœjigurant, cum peccato-
rum suorum nocte premiirentur, tenebrce fue-
runt. Augast., Serm. 223, pag. 966, tom. V.
2 Quomodo ergo Deus non est qui dat Spiritum
Sanctum ? Iino quantus Deus est qui dat Deum.
Neque eniin aliquis discipulorum ejus (Christij
dedil Spiritum Sanctum. Orabant quippe ut veni-
ret in eos quibus manum imponebanl, non ipsi
eum dabant : quem morem in suis prœpositis
etiam nunc servat Ecclesia... Nos autem accipere
quideni hoc donum (Spiritus SanctiJ possumuspro
modulo nostro, effundere autem super alios non
utique possumus; sed ut hoc fiât, Deum super eos
a quo hoc efficitur invocamus. August., lib. XV
De Trinit., num. 46, pag. 999.
' Quoniam unxit eum fChristum) Deus Spiritu
Sancto, Actor. x, 38. Non utique oleo visibili,
sed dono gratiœ, quod visibili significatur un-
guento, quo baptizatos unguit Ecclesia. August.,
ibid.
* Et in hoc unguento sacramentum chrismatis
vultis inlerpretari ; quod quidem i)i génère visi-
hilium signaculorum sacrosanctum est sicut
ipse baptismus. August., lib. H Contra Litt. Pe-
tiliani, cap. civ, num. 239, pag. 293.
^ Neque enim temporalibus et sensibilibus mi-
raculis ad te slantibus per manus impositionem
modo datur Spiritus Sanctus sicut antea dabatur
ad commendationem rudis fidei et Ecclesiœ pri-
mordia dilatanda. Quis enimmmc hoc expectatut
ii quibus manus ad accipiendum Spiritum Sanc-
tum ^mponit^ir, repente incipiant linguis loqui?
Sed invisibiliter et latenter intelligitur propler
vinculum pacis eorum cordibus divina charitas
inspirari,utpossint dicere : Charitas Dei diffusa est
in cordibus nostris per Spiritum Sanctum, qui da-
tus est nobis. August., lib. 111 De Bapt., cap. xvi,
num. 21, pag. 116.
^ Mediatorem Dei et hominum hominem Chris-
tum Jesum; carnem suam nobis mandiwandum
bibendumque sanguinem dantem fideli corde at-
que ore suscipimus, quamvis horribilius videa-
tur humanam carnem manducare quam peri-
mere, et humanum sanguinem potare quam fun-
dere. August. , lib. II Contra Àdversarium legis
et prophet., num. 33, pag. 599.
' Judœi accesserunt ad illum fChristum,] ut
crucifigerent : nos ad eum. accedamus ut corpus
et sanguinem ejus accipiamus. Illi de crucijixo
tenebrati sunt. Nos manducando crucifixum et il-
luminamur. August., Enarrat. in Psal. xxxiii,
num. 10, pag. 22.
748
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
vant son satig , nous sommes remplis de
lumières. C'est de la Croix même du Sei-
gneur que ' nous recevons ce qui nous nour-
rit, parce que c'est son propre corps que
nous mangeons. Dans tout l'univers c'est le
prix même de notre rançon ^ que les fidèles
reçoivent dans l'Eucharistie : et pour en té-
moigner la réalité et la vérité ils répondent:
Amen, en le recevant. Ce sang, étant sur la
terre', aune voix forte et puissante, lorsque
toutes les nations, après l'avoir reçu, répon-
dent : Amen. C'est là la voix de ce sang, que
ce sang forme lui-même dans la bouclie des
fidèles qui en ont été rachetés. L'Eucharistie '
est le sacrement qui fait la liaison des mem-
bres de l'Église pendant qu'ils boivent ce qui
a coulé du côté de Jésus-Christ. » Sainte Mo-
nique ° ne recommandait rien autre chose ,
sinon qu'après sa mort on se souvînt d'elle
à l'autel , d'où elle savait que l'on distribue
aux fidèles la victime saiute dont le sang a
efiacé cette cédule où notre condamnation
était écrite. Ce sang^ toutefois répandu par
les Juifs a été dans la suite accordé même
aux meurtriers et aux déicides qui l'avaient
répandu. Ils ont bu en devenant fidèles par
la grâce et la miséricorde de Dieu, ce même
sang que la fureur qui les avait aveuglés ,
leur avait fait répandre. Plusieurs' d'en-
tr'eux se sont convertis : ils ont cru en celui
qu'ils avaient crucifiés. Ils ont reçu le bap-
tême , ils ont été admis à la table du Sei-
gneur, et ils ont bu, étant pleins de foi, le
sang qu'ils avaient répandu lorsqu'ils étaient
transportés de passion et de fureur. « Je
connais*, dit saint Augustin, quel est le prix
de la victime ofierte pour ma rançon ; je
mange son corps et je bois son sang : Je le
distribue aux autres; et étant moi-même au
nombre des pauvres , je désire d'être rassa-
sié de ce pain céleste avec ceux qui le man-
gent et qui en sont rassasiés. » Voyez com-
ment ce Père dit qu'il regarde Jésus-Christ
comme le prix de la rançon (c'est la réfle-
xion d'un^ auteur qui écrivait contre Béren-
ger) ; comment il dit qu'il le mange , parce
que la chair de Jésus-Christ est sa nouri'i-
ture ; et qu'il le boit , parce que le sang de
Jésus-Christ est son breuvage ; qu'il le dis-
tribue aux autres, parce qu'il était évêque;
et enfin qu'étant pauvre il désire de se ras-
sasier de Jésus-Christ, parce qu'étant hum-
ble il n'avait garde d'avoir du dégoût pom-
ce divin sacrement.
Saint Augustin, en '" expliquant dans le
premier sermon qu'il a fait sur le Psaume
XXXIII , ces paroles du premier livre des
Rois, suivant la version des Septante : // était
1 Nam et nos de criice Domini pascimur, quia
corpus ipsius manducamus. August., in Psal. c,
nuœ. 9, pag. 1088.
^ In toto orbe terrarum pretium nostrum acci-
pitur : Amen respondetur. Augnst., in Psal. csxv,
nimi. 9, pag. i424.
^ Habet enim magnamvocem Christi sanguisin
terra cum eo accepta ab omnibus gentibus res-
pondetur : Ameu. Hœc est clara vox sanguinis,
quam sanguis ipse exprimit ex ore fidelium eo-
dem sanguine redemptorum. August., lib. Xll Con-
tra Fatist., cap. x, pag. 231.
' In sacramento spei, in hoc tempore conso-
ciatur Ecclesia, quandiu bibitur quod de Christi
latere manavit. August., lib. ZII Contra Faust.,
cap. X, pag. 231.
^ Non ista mandavit nobis, sed tantummodo
memoriam sui ad altare suum fieri victimam
sanclam, qua deletum est chirographum quod erat
contrarium nobis. August., lib. IX Contra Faust.,
cap. XIII, nuni. 36, pag. 176.
^ Fusus Domini sanguis donatus est homicidis,
et non dicani deicidis : quia si oognovissent nun-
quara Dominum gloriœ crucifixissent. Modo homi-
cidis donatus est fusus sanguis innocentis , et
ipsum sanguinem quein per insaniam fuderunt,
per gratiam biberunt. August., in Psal. lxv,
num., pag. 64S.
' Conversi sunt ex ipso populo Judœoriim : con-
versi sunt, bapiisati sunt, ad mensani Domini
accesserunt ; et sanguinem, quem sœvientes fu-
derunt, credentes biberunt. August., Serm. 77,
cap. III, pag. 423.
' Ille tuus unicus : in quo sunt omnes thesauri
sapientiae et scientiœ absoondili, redemit me san-
guine suo: non calumnientur mihi superbi quo-
niam cogito prelium meum et manduco et bibo
et erogo et pauper cupio salurari ex eo inter illos
qui edunt et saturantur et laudant Dominum qui
requinmt eum. August., lib. X Conf., cap. xlîii,
num. 70, pag. 193 et 196.
^ Ecce Augustiniis Christum cogitât pretium,
suum', cumque se manducare dicit, quia cibus est;
et bibere, quia potus est, utpote caro et sanguis ;
et erogare, episcopus enim eral, et pauperem cu-
pere ex eo salurari, quia humilis nesciebat fasli-
dium diinni sacramenti. Duraudus abbas , De Cor-
pore et sanguine Christi, apud Lanfranc in Àppend.
pag. 94, colum. 2, édil. Paris., 1658.
1° Et ferebatur in manibus suis. Hoc vero, fra-
tres, quomodo posset fieri in homine quis intelli-
get ? Quis enim portatur in maliibtis suis ? Mani-
bus aliorum potest portari homo. manibus suis
nemo portatur. Quomodo intelligalur in ipso Da-
vid secundum litteramnon invenimus, in Chrislo
autem invenimus. Ferebatur enim Christus in
manibus suis, quando commendans ipsum corpus
stmm, ait: Hoc est corpus meum. Ferebat enim
ilhid corpus in manibus suis. August., in Psal,
xxxiii, num. 10, pag. 214.
[IV' ET v= SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
■porté'dans ses propres mains, dit : « Qui poui'-
ra comprendre , mes frères , comment cela
peut arriver à un homme ? Qui est-ce qui se
porte dans ses mains ? Un homme peut être
porté dans les mains des autres, mais per-
sonne n'est porté par ses propres mains.
Nous ne pouvons comprendre comment cela
se peut entendre de David à la lettre ; mais
nous trouvons comment cela s'entend de
Jésus-Christ. Il se portait dans ses mains
lorsque recommandant son corps , il dit :
Ceci est mon corps: car il portait ce corps en
ses mains, n Ce Père répète ' la même chose
dans le second discours sur ce Psaume, ra-
tifiant ainsi ce qu'il avait dit dans le pre-
mier: « Comment, dit-il, Jésus-Christ était-
il porté dans ses mains? Il y était porté en
quelque manière lorsque, étabhssant le mys-
tère de son corps et de son sang, il prit
dans ses mains, ce qui est connu des fidèles,
et qu'il disait : Ceci est mon corps, n
Guimond ^, après avoir rapporté ce passa-
ge de saint Augustin dans ses livres contre
Bérenger, dit : « Je supplie le lecteur habile
de considérer attentivement ces paroles qui
détruisent sans ressource les vaines subtili-
tés des nouveaux hérétic[ues : et je ne puis
exprimer ma joie en lisant ces témoignages
si précis de saint Augustin. » Il n'y en a
point en effet qu'il soit moins possible d'élu-
der par des interprétations détournées. Mais
ne pourrait-on pas dire qu'il y a de la con-
tradiction entre les deux passages de ce Pè-
re ; et qu'après avoir dit dans le premier,
que Jésus-Christ se portait lui-même dans ses
propres mains, il se rétracte dans le second
en disant qu'il se portait lui-même enune cer-
taine ma^iière? Non, ce saint Docteur ne dit '
rien dans le second discours qui ruine la vé-
rité qu'il avait si clairement établie dans le
premier. Mais craignant que des catéchu-
mènes ou des païens ne fussent présents à ce
second discours, il marque cette vérité plus
obscurément , afin qu'ils ne l'entendissent
ÉVÊQUE D'HIPPTDNE. 749
pas. Ce qu'il montre par ces mots : Ce que les
fidèles commissent, qui sont les termes dont
les Pères se servent lorsqu'ils veulent cacher
et voiler ce mystère à ceux qui ne sont pas
baptisés. C'est pourquoi il ajoute que Jésus-
Christ se portait lui-même en une certaine ma-
nière quand il dit : Ceci est mon corps : car il
n'use pas de ce terme pour exclure la vérité
de la présence réelle de son corps, et marquer
qu'il ne se portait en ses mains qu'en un
sens figuré et allégorique, puisqu'il dit for-
mellement dans le premier sermon que, se-
lon le sens littéral, il se portait en ses mains.
Mais il marque seulement par ces mots : £n
une certaine manière, la manière spécificpie
et particulière selon laquelle il se portait
réellement, véritablement et littéralement
en ses propres mains. Ce qu'il fait, parce
que cette manière n'est pas la manière com-
mune dont les hommes se portent, savoir
en leur propre espèce et figure, et en sou-
tenant leur propre poids par leur force cor-
porelle. Mais c'est une manière plus noble, _
plus éminente et plus excellente , qui est
propre et particulière à cette seule action-là,
savoir sous l'espèce extérieure et visible du
sacrement ; mais qui cependant n'est pas
moins vraie, réelle et actuelle. Cette façon
de parler est ordinaire à saint Augustin,
comme quand il dit que l'âme de l'homme est
immortelle selon une certaine manière''. Il ne
laisse pas d'entendi-e qu'elle l'est réellement
et véritablement; mais qu'elle ne l'est pas
comme Dieu , que saint Paul dit posséder
seul l'immortalité. Il dit encore que Dieu, en
s'incarnant, s'est uni à l'homme en quelque ma-
nière^, c'est-à-dire en une certaine manière
cpii lui est propre , et n'est pas commune
ni ordinaire, mais qui ne laisse pas d'être
réelle et actuelle. Ce qui montre que ce
Docteur ne s'est point servi de ces termes :
En une certaine manière, pour détruire la vé-
rité de l'être, mais poui' la spécifier en par-
ticulier.
' Quomodo ferebatur in manibus suis, quia
commendaret ipsum corpus suum et sangiiinetn
suum, accepit in manus suas quod norunt fidè-
les, et ipse seportabat quodammodo, cum diceret :
Hoc est corpus meum. August., in Psal. xxxni,
Serm. 2, nurn. 2, pag. 215 et 216.
2 Diligenter, quœso, omnis prudens leclor ad-
vertat qiiam efficacissime hinc omnia hœreticorum
istorum sophismata excludantur... Non salis ex-
primere possum quantum in his beati Auguslini
verbis oblector, quamtumque super horum mise-
rabili cœcitate admiror. Guitmundus, Arehiep.
advers., lib. III De Yerit. Euchar., pag. 4S6, col. 2,
tom. XVIII, Bibl. Pat.
8 Voyez l'auteur de l'Office du Saint-Sacrement,
pag. 418 et 419, édition de Paris, en 1659.
^ Anima hominis immortalis est secundum
quemdam modum suum, non enim omni modo
sicut Deus, de quo dictum est : Quia solus habet
imniortalitatem,irmoWt..vi, 16. August., £pisf. 166,
num. 3, pag. 584.
^ August., Epist. 137, cap. m, num. 12, pag. 407,
ait, Yerbum Dei voluisse suscipere hominem, et
cum illo uniri quodam modo.
7S0
HISTOIRE. GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
clltnts cri
Us 1,.,U;
f.l.Vt'Lt
■ i'I.s
;hr'.
138. « Les bons \ dit saint Augustin, se sé-
parent des méchants dans cette vie, et par
le mouvement de leurs cœurs et par la pu-
reté de leurs mœurs, quoiqu'ils mangent
avec eux le corps du Seigneur et boivent
son sang ; mais avec une grande différence,
parce que les bons sont revêtus de la robe
nuptiale pour rendre l'honneur à l'époux,
ne cherchant pas leur propre intérêt, mais
celui de Jésus-Christ ; tandis que les mé-
chants n'ont pas la robe nuptiale, c'est-à-
dire un amour très-fîdèle pour l'époux ,
cherchant leurs intérêts propres et non ceux
de Jésus-Christ. Ainsi quoiqu'assis à la mê-
me table, les ims y mangent la miséricorde,
et les autres le jugement. Comme Judas ^ en
recevant des mains du Seigneur le morceau,
donna lieu au diable d'entrer en lui ; non
que ce qu'il reçut, fût mauvais, mais parce
qu'il le reçut mal : de même celui qui prend
indignement le sacrement du Seigneur, ne
fait pas , parce qu'il est méchant , que ce
qu'il prend soit mauvais, et qu'il ne reçoive
rien parce qu'il ne le reçoit pas pour son sa-
lut. Car il n'est pas moins le corps et le sang '
de Notre-Seigneur à l'égard de ceux dont
l'Apôtre dit : Que celui qui le mange indigne-
ment, mange et boit sa condamnation. Que di-
rons-nous ' du corps et du sang de Jésus-
Christ, l'unique sacrifice pour notre salut ?
Le Seigneur assure que si quelqu'un ne
mange pas sa chair et ne boit pas son sang, il
n'aura pas la vie; mais l'Apôtre ne nous en-
seigne-t-il pas qu'il est pernicieux à ceux
qui en usent mal , en disant : Quiconque
mange le pain et boit le calice du Seigneur in-
dignement, sera coupable du corps et du sang
de Notre-Seigneur? Saint Aiigustin, après
avoir joint les justes aux méchants dans la
manière commune de recevoir le corps de
Jésus-Christ, attribue ensuite aux seuls jus-
tes une certaine manière de le recevoir qui
ne convient point aux méchants. Comment*
entendons-nous aussi ce que dit Notre-Sei-
gneur : Celui qui mange ma chair et boit mon
sang demeure en moi et moi en lui? Pourrons-
nous aussi étendre cela à ceux dont l'Apô-
tre dit, qu'ils mangent et qu'ils boivent leur
jugement, quoiqu'ils mangent la chair même
et boivent le sang même de Jésus-Christ?
Dirons-nous aussi que Judas, cet impie, qui a
trahi et vendu son Maître, est demeuré en
Jésus-Christ, et que Jésus-Christ est demeuré
en lui, parce qu'il a mangé avec les autres
disciples le premier sacrement fait des mains
de Jésus-Christ , comme l'évangéliste saint
Luc le marque plus ouvertement que les au-
tres ? Dirons-nous que ceux qui mangent
cette chair et boivent ce sang avec un cœur
hypocrite, ou qui, après avoir mangé cette
* A quibus {malisj sese boni corde intérim de
moribus séparant, simul manducanles et bibentes
corpus et sanguinem Domini, sed cum magna dw-
tinclione : quia isti in honore sponsi induti sunt
veste nuptiali, non sua quœrentes, se quœ Jesu
Christi ; illi autem non habent vestem nuptialem,
hoc est fidissimam sponsi charitatem, sua quœ-
rentes, non quœ Jesu Christi. Àc per hoc, quamvis
in uno eodemque convivio, isti misericordiam
manducant ; illi judicium. August., lib. ad Do-
natist.post collât., num. 27, pag. S97.
* Sicut enim Judas cui buccellam tradidit Domi-
nus, non malum accipiendo, sed maie accipiendo
locum in se diabolo prœbuit, sic indigne quisque
sumens Dominicum sacramentum non efficit, ut
quia ipse malus est, malum sit, aut quia non ad
salutem accipit, nihil acceperit, corpus enim Do-
mini et sanguis Domini nihilominus erat etiam
mis qiiibus dicebat Àpostolus : Qui manducat in-
digne, judicium sibi manducat et bibit. Augusl.,
lib. V De Bapt., cap. vm, num. 9, pag. 146.
3 Quid de ipso corpore et sanguine Domini
unico sacrificio pro salute nostra quamvis ipse
Dominus dicat : Nisi quis manducaverit caruem
rneam, et biberit sanguinem meum non habebit in
se vitam ; nonne idem Apostolus docet etiam per-
niciosum maie utentibus fieri: ait enim: Qui-
cumque uiauducaverit pauem et biberit calicem
Domini indigue reus erit corporis et sanguinis Do-
mini ? August., lib. Contra Cresc, cap. xxv, num.
50, pag. 403 et 404.
* Illud etiam quod ait:_ Qui manducat carnem
meam et bibit sanguinem meum in me manet et
ego iu illo, quomodo intellecturi sumus? Num-
quid etiam illos hic poterimus accipere de quibus
dicit Apostolus , quod judicium sibi manducent
et bibant, cum ipsam carnem manducent et ip-
sum sanguinem bibant ? Numquid et Judas Ma-
gistri vendilor et traditor impius, quamvis pri-
mum ipsummanibus ejus confectum sacramentum
carnis et sanguinis ejus cum cccteris discipulis, si-
cut aperlius Lucas evangelista déclarât, mandu-
caret etbiberet, mansit in Chrislo aut Chrislus in
eo?Tam multi denique qui vel corde ficto carnem
illam manducant et sanguinem bibunt ; vel cum
manducaverint, apostatce fiunt, numquid manent
in Chrislo, aut Christus in eis ? Sed profecto est
quidam modus mandueandi illam carnem et bi-
bendi illum sanguinem quomodo qui mandiicave-
rit et biberit, in Christo manet et Christus in eo.
Non ergo quocumque modo quisquam manduca-
verit carnem Christi et biberit sanguinem Christi,
mcinet in Chrislo et in illo Christtis; sed certo
quodam modo, quem modum utique ipse videbat
quando ista dicebat. August., Serm. 71 in Matth.,
cap. SI, num. 17, pag. 391 et 392.
[lV= ET V° SliCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
751
chair et bu ce sang , tombent dans l'aposta-
sie, demeurent en Jésus-Christ, et que Jésus-
Christ demeure en eux ? Mais c'est qu'il y a
une certaine manière de manger cette chair
et de boire ce sang, dont il est vrai de dire
que celui qui la mange et qui le boit, de-
meure en Jésus-Christ , et Jésus-Christ en
lui. Il n'est donc pas vrai que tous ceux qui
mangent la chair de Jésus-Christ et boivent
son sang demeurent en lui, et lui en eux de
quelque manière qu'ils le fassent, et ce n'est
vrai qu'à l'égard de ceux qui le font d'une
certaine manière qu'il avait en vue. n
139. Selon saint Augustin Jésus-Christ' a
pris la terre de la terre puisque la chair est
tirée de la terre, et il a tiré sa propre chair
de la chair de Marie, et parce qu'il a vécu
dans le monde avec cette même chair, et
qu'il nous l'a donnée à manger pour notre
salut, personne ne la mange, sans l'avoir
premièrement adorée. On a trouvé par là
comment l'escabeau des pieds de Notre-Sei-
gneur doit-être adoré, de sorte que non-seu-
lement on ne pèche point en l'adorant, mais
qu'au contraire on pèche en ne l'adorant
pas. «Mais, dit-il, est-ce la chair qui vivifie?
Le Seigneur même en exaltant cette terre,
nous dit que c'est l'esprit qui vivifie et que la
terre ne sert de rien. C'est pourquoi en vous
abaissant et vous prosternant devant quel-
que terre que ce soit, ne la regardez pas
comme terre, mais regardez-y ce Saint dont
cette terre que vous adorez est l'escabeau.
Car c'est à cause de lui que vous adorez.
L'adoration de la chair de Jésus-Christ est
commune aux méchants et aux superbes
marqués par ce verset du psaume : Tous Ifs
riches de la terre ont mangé et ont adoré. Ils
s'approchent aussi de la table de Jésus-
Christ^, on leur donne part à son corps et à
son sang; mais ils adorent seulement, et
n'en sont ni nourris, ni remplis, parce cpi'ils
ne l'imitent pas. Ils mangent Jésus-Christ
pauvre, et ils dédaignent d'être pauvres :
quoiqu'ils n'aient point été rassasiés ^ de cette
chair comme pauvres, jusqu'à l'imiter, ils
n'ont pas laissé cependant de l'adorer. Le
Seigneur invita* ses serviteurs à souper, et il
se prépara lui-même pour être leur viande.
Qui oserait manger son Seigneur? Il dit néan-
moins : Celui qui me mangera vivra par moi :
car en mangeant Jésus-Christ on mange la
vie. On ne le fait pas toutefois mourir pour
le manger; mais, au contraire, il fait vivre
les morts qui le mangent, parce qu'il est
ressuscité après qu'on l'a fait mourir. En le
mangeant on ne le divise pas en parties,
quoiqu'on divise le sacrement. Les fidèles
savent comment ils mangent la chair de Jé-
sus-Christ : chacun en prend sa part : il est
mangé par parties, néanmoins il demeure
entier , étant tout entier dans le ciel, et tout
entier dans votre cœur. Chaque fidèle re-
çoit ^ le Seigneur Jésus , qui est tout entier
en chaque partie, n'étant point diminué par
cette division. Il se donne tout entier à cha-
cun de nous. »
140. Pour combattre la réalité du corps
de Jésus-Christ dans le sacrement, Béren-
ger alléguait ces paroles que saint Augus-
tin met dans la bouche de Jésus-Christ : En-
tendez spirituellement * ee que je viens de vous
30,
Objections
contre ta |H'é-
seace réollâ.
1 Suscepit enim de terra terrain qxda caro de
terra est, et de carne Mariœ carnem accepit, et
quia in ipsa carne hic ambulavit et ipsam car~
nem nobis manducandam ad salutem dédit, nemo
autem illam carnem manducat nisi prius adora-
verit : inventum est quemadmodum adoretur taie
scahellum pedum Domini et solum non peccamus
adorando, sed peccamus non adorando. August.,
Enarrat. in Psal. xcvin, num. 9, pag. 1063.
' Manducaverunt et atJoraverunt omnes divites
terrœ. Et ipsi quippe adducti sunt ad mensam
Christi, et accipiunt de corpore et sanguine ejus;
sed adorant tantum, non etiam saturantur, quo-
niam non imitantur. Manducantes enim paupe-
rem dedignantur esse pauperes. August., Epist.
140, num. 67, pag. 447,
' Manducaverunt corpus humilitatis Domini sui
etiam divites terrœ, nec sicut pauperes saturali
sunt usque ad imitalionem, sed tamen adorave-
runt. August., Enarrat. 11 m Psal. xx, pag. 93.
'• Augustinus, in Sermone de verbis Domini : limi-
tât Dominus servos et prœparavit cibum seipsum.
Quis audeat manducare Dominum suum? Et ta'
men ait : Qui manducat me vivet propter me ; dum
enim Cfiristus manducalur, vita manducatur. Nec
occiditur ut manducetur, sed mortuos vivificat
quando manducatur quia surrexit occisus ? Née
quando manducatur partes de illo facimus. Et
quidem in sacramento sic fit. Norunt fidèles que-
madmodum carnem Christi manducent. Unusquis-
que partem suam accipit, per partes manducatur
et integer manet ; totus in cœlo, totus in corde
tuo. Algerus, lib. I De Sacram. corp. et sang.
Dom. cap. xv, pag. 266, colum. 2. Yide Bedam in
I Corinth., cap. x, pag. 364.
^ Item Ambrosius : Singuli accipiunt Christum
Dominum, et in singiilis portionibus totus est: nec
per singulos minuitur, sed integrum se prœbet in
siiigulis. August., ibid., pag. 'iiil, colum. 1.
^ Spiritualiter intelligite quod locutus swm: non
hoc corpus quod videtis, m,anducaturi estis, et
bibitu/ri illum sanguinem, quem fusuri simt qui
752
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
dire : car vous ne mangerez pas ce corps que
vous voyez : ni ne boirez pas ce sang que ceux
qui me crucifieront doivent répandre. (( Vous
vous flattez de cet endroit de saint Augustin,
lui répond Lanfranc % vous en triomphez
comme si vous étiez déjA victorieux, et vous
vous en glorifiez par vous-même comme si
vous aviez trouvé un ferme appui de votre
cause ; mais votre objection est vaine et sans
fondement. Comment se pourrait-il faire que
ce grand saint , après avoir déclaré que Jé-
sus-Christ nous a donné à manger cette mê-
me chair qu'il avait tirée delà sainte Vierge,
sa mère , et dont il était revêtu lorsqu'il vi-
vait sur la terre ; comment, dis-je, se pour-
rait-il faire qu'il rainât ces paroles si expres-
ses par d'autres toutes contraires? A Dieu ne
plaise qu'un lecteur sage et qu'un écrivain
catholique conçoive des sentiments si in-
dignes de cette colonne de l'Église, de ce
puissant défenseur de la vérité, duquel le
pape Célestin assure que , durant sa vie ,
on n'a jamais ouï dire qu'il ait seulement
été soupçonné de la moindre erreur. Aussi
ne dit-il, dans les paroles que vous rapportez,
que ce que toute l'Eglise cathohque croit et
confesse par la bouche de tous ceux qui sont
ses membres, savoir, que c'est le même corps,
et que ce n'est pas le même corps. Car nous ne
croyons pas, comme croyaient autrefois les
capharnaïtes , que nous mangions le corps
visible de Jésus-Christ, ni que nous buvions
son sang que les bourreaux devaient répan-
dre, et qu'ils devaient voir de leur propres
yeux ; mais plutôt nous croyons ce que nous
ne voyons pas, afin que notre foi subsiste
toujours, et ne soit pas anéantie, ainsi qu'elle
le serait sans doute, si les sens corporels
étaient témoins de ce qu'elle croit. D'où vient
que saint Augustin, exphquant ensuite ce qu'il
avait marqué moins clairement, dit .• Encore
qu'il soit nécessaire de célébrer ce mystère d'une
manière visible, il faut néanmoins le concevoir
d'une manière invisible. Or les capharnaïtes
s'imaginaient que le Seigneur leur comman-
dait de manger sa chair, comme des bêtes
mangent celle des autres ; ou du moins la
chair qu'ils voyaient, et le même sang que les
persécuteurs devaient répandre. »
141. On objecte encore un passage de la
lettre de saint Augustin à Boniface, où il
dit ^ que comme le sacrement du corps, est
son corps selon une certaine manière, et que
le sacrement de son sang, est son sang : de
même le sacrement de la foi, est la foi. Mais
il est à i-emarquer ^ que le mot de sacrement
se prend chez les anciens écrivains ecclésias-
tiques, aussi bien que parmi les théologiens
modernes, pour un signe visible de quelque
chose de saint et d'invisible ; en sorte que
quand saint Augustin dit que le sacrement
du corps de Jésus-Chi-ist, est en quelque ma-
nière le corps de Jésus-Christ, c'est comme
s'il disait, que le signe visible du corps de Jé-
sus-Christ est en quelque manière le corps de
Jésus-Christ. Or, c'est ce que tous les catho-
Anb
jeclion.
me crucifigent. August., in Psal. xcvni, num. 9,
pag. 1066.
" In his postremis beati Atogustini verbis exul-
tas. In his vicisse te et superiorem esse gloriaris,
hic firmamentum tuœ defensionis teinvenissegralu-
leris: Quomodo.inquis, persuadere contendis quod
veram carnem verumque sanguinem in hoc sacra-
mento sumamus, cum manifeste audias quod cor-
pus hoc videbant non essent discipuli comesturi,
neque bibituri sanguinem quem crucifigentes erant
effusiiri? Calumniosa quidem ista objectio est.
Quienim superius testatus est quod carnem quam
de matre Virgine sumpsit et in qua in terris am -
bulavit ad mamducandum nobis salubriter tribuit,
quomodo huic tam prœclarœ sententice aliqua
contraria sententia potuit obviare ? Absit a sobrio
lectore et catholico expositore tam perverse sen-
tire de Ecclesiœ columna, et firmamenlo veritatis
de quo CœlesUnus papa in decretis suis asserit,
quod nec saltem sinislrœ suspicionis rumor dum
viveret eum asperserit. Imo rêvera id dixit
quod catholica Ecclesia in omnibiis membris suis
fideliter fate'.ur et crédit quod ego quoque in pro-
fessione fidei breviler posui, breviter compreliendi,
videlicet ipsum esse corpus, et 7ion ipsum. Neque
enim eo quo ipsi putaba,nt modo credimus quod
visibile Christi corpus comedamus aut sanguinem
quem. fusuri et oculis suis conspecturi erant per-
sequentes bibamus. Sed potius id credimus quod
non videmus ut valeat esse fides quœ non potest
esse si res quœ creduntur corporalibus sensibus
constiterit subjacere. Vnde exponens quod obscure
posuit ; ei ; Si necesse est, mjMit, illud visibiliter
celebrari , oportet tamen iuvisibiliter intelligi.
Existimabant namque quod prœciperet eis Do-
minais aut bestiali more, aut humano, corpus
comedere quod videbant, aut bibere sanguinem
quem persequentes fusuri erant: hoc est aut cru-
dum. aut aqua coctum aut sjibtraclis carbonibus
in verubus assuin. Lanfranc, lib. De Corp. et sang.
Dnm., cap. xviii, pag. 246.
~ Sicut ergo secundum qiiemdam modum sa-
cramentum corporis Christi corpus Christi est,
sacramentum sanguinis Christi sanguis Christi
est, ita sacramenlum fidei fides est. August.,
Epist. 98, num. 9.
3 Voyez la note de SI. Dubois sur cette Lettre,
pag. 375 et suiv. Voyez encore l'auteur de la Per-
pétuité de la Foi, livre II, chap. 6, pag. 99,
tom. m.
j-iv» ET V' SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
ligues diraient aujourd'hui comme lui, et il
n'y en a aucun qui ne reconnaisse que le
sacrement ou le signe visible du corps de Jé-
sus-Christ n'est pas le corps même de Jésus-
Christ et qu'il ne l'est qu'en quelque manière.
Mais cela n'empêche pas que le corps de Jé-
sus-Christ ne se trouve joint à ce qui en est le
signe visible. Car il y a deux sortes de signes,
les uns qui sont joints aux choses mêmes, et
les autres qui en sont séparés ; et on dit éga-
lement des uns et des autres, qu'ils prennent
le nom des choses dont ils sont signes, et
qu'ilssont ces choses-là en quelque manière,
sans qu'on puisse conclure de cette façon de
parler, que la chose signifiée soit absente de
ce qui en est le signe. Mais, dira-t-on, il faut
bien que saint Augustin ait cru que le sacre-
ment ou le signe visible du corps de Jésus-
Christ soit de ceux à qui les choses dont ils
sont les signes ne sont pas jointes, puisqu'il
apporte en exemple un autre signe qui n'en-
ferme point la chose dont il est signe. « De
la manière, dit-il, que le sacrement du corps
de Jésus-Christ est en quelque façon le corps
de Jésus-Christ, ainsi le sacrement de la foi
est la foi. Or, le sacrement de la foi, c'est-
à-dire le baptême, n'est à l'égard des en-
fants qu'un signe vide , c'est-à-dire un signe
auquel la chose dont il est signe n'est pas
jointe , puisqu'il est certain qu'ils n'ont pas
ce mouvement de cœui' et de volonté , que
nous appelons la foi. » La comparaison que
saint Augustin fait de ceci au sacrement du
corps de Jésas-Glirist fait donc voir qu'il a
cru que celui-ci , non plus que l'autre , n'est
qu'un signe vide, auquel la chose dont il est
le signe n'est pas jointe.
Comme toute la force de cette objection
ne consiste qu'en ce qu'il ne semble pas que
saint Augustin ait pu comparer ces deux si-
gnes l'un à l'autre, à moins d'avoir cru qu'ils
sont l'un et l'autre de ceux à qui les choses
signifiées ne sont pas jointes, elle se détruit
aisément par saint Augustin même, qui , en
d'autres endroits, pour prouver que les si-
gnes prennent les noms des choses dont-ils
sont signes , apporte indifféremment des
EVEQUE D'HIPPONÉ.
■783
exemples de signes joints aux choses dont ils
sont signes, et de signes auxquels les choses
ne sont pas jointes. « Le sang, dit-il, dans
son livre contre Adimante ', est l'âme, com-
me la pierre est le Christ. Or, le sang est si-
gne de l'âme présente, et la pierre était si-
gne de Jésus-Christ absent. » Voilà donc
deux signes de différente espèce mis en pa-
rallèle par ce saint Docteur, et apportés dif-
féremment, comme les deux cités en preuve
de cette proposition : ces signes prennent le
nom des choses dont ils sont signes. Comme
donc il a pu comparer le sang signe de l'âme
avec la pierre signe de Jésus-Christ , sans
qu'on puisse présumer qu'il ait cru que l'âme
fût absente du sang , comme Jésus-Christ
était absent de la pierre qui en était le si-
gne, on ne peut pas présumer non plus que
pour avoir comparé le sacrement ou signe
visible du corps de Jésus-Chi^ist avec le sa-
crement ou signe visible de la foi dans les
enfants , il ait cru que comme ce que nous
appelons la foi ne se trouve pas joint à l'un,
le corps de Jésus-Christ ne se trouve pas
joint à l'autre. On parlerait peut-être pré-
sentement sur cette matière avec plus de
précaution, parce qu'on sait qu'il y a des
gens qui pourraient abuser de ce qu'on di-
rait ; mais saint Augustin n'était pas obligé
de prévoir que dans le xi° siècle il viendrait
un Bérenger , et dans le xvi= des prétendus-
réformés qui abuseraient de ce qu'il dit ici ,
et qui en tireraient avantage contre la pré-
sence réelle. D'ailleurs la suite de sa lettre
à Boniface fait voir qu'elle n'a pas été faite
avec autant de loisir que la chose en aurait
demandée ; et la diflBculté proposée par cet
évêque est si grande , que l'on ne peut qije
louer la manière dont saint Augustia l'a
expliqué.
142. Pour entendre une troisième objec-
tion qui est tirée d'un discours de saint Au-
gustin rapporté par saint Fulgence, et qui
est adressé aux nouveaux baptisés, il est
comme nécessaire de le donner ici tout en-
tier : « Vous avez déjà vu la nuit précé-
« dente, leur dit-il ^, les choses que vous
Aulrc ûb-
jeclloa.
1 August., lïh. Contra Adimant., cap. xii. pag. 126,
tom. VllI.
2 Hoc quod videtisinaltariDei etiam transacta
nocte vidistis, sed quid esset, quid sibi vellet,
quam magnœ rei sacramentum contineret non-
dum audistis. Quod ergo videtis, panis est et ca-
lix, quod vobis etiam oculi vestri renuntiant ;
quod aulem fides vestra postulat instrueiida, pa-
IX.
nis est corpus Christi, calix sanguis Chrisii. Bre-
viter quidem hoc dictum quod fidei forte sufficiat;
sed fides instructionem desiderat. Dicit enim, Pro-
phela : Nisi credideritis, non intelligetis. Potest
enim modo dicere : Mihi prœcepisti ut credamus,
expone ut intelligamus. Potest enim in animo cu-
jiisquam cogitatio talis suboriri : Dominus noster
Jesiis CImsius, noiriinus unde acceperit carnem,
734
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
« voyez présentement ; mais on ne yous a
« pas encore dit ce qu'elles étaient , ce
« qu'elles signifiaient, et combien celles dont
« elles sont sacrements, sont grandes et ex-
« cellentes. Ce que vous voyez donc est du
« pain , et c'est aussi ce que vos yeux vous
« déclarent. Mais l'instruction que votre foi
(I demande , est que le pain est le corps de
« Jésus-Christ et que le calice, ou ce qui
« est dans le calice , est son sang. Ceci est
« dit en peu de mots, et peut-être que ce
(( peu suffirait à la foi. Mais la foi demande
« d'être instruite. Car le Prophète dit : Si
(( vous ne croyez pas, vous n'entendrez point.
« Vous me pourrez donc dire : Puisque vous
« nous avez commandé de croire , expli-
« quez-nous ce que c'est , afin que nous en-
ce tendions. Cette pensée peut naître dans
n l'esprit de quelqu'un. Nous savons de qui
« Jésus-Christ a pris sa chair , savoir , de la
« Vierge Marie ; nous savons qu'il fut allaité
« en son enfance, qu'il fut nourri, qu'il de-
« vint grand , et parvint à l'âge d'adoles-
« cence ; qu'il souffrit les persécutions des
« Juifs , qu'il fut pendu au bois , qu'il y fut
« mis à moi't, qu'il ressuscita le troisième
n jour , qu'il monta au ciel lorsqu'il lui plut
c( d'y monter , qu'il éleva son corps , d'où il
« viendra pour juger les vivants et les morts,
« et qu'il est maintenant assis à la droite du
i< Père. Comment donc le pain est- il son
« corps, et comment le calice, ou ce qui est
« dans le calice, est-il son sang? Mes frères ,
« ces choses sont appelées sacrement, parce
« qu'auti-e chose est ce que nous voyons,
« et autre chose ce que nous concevons. Ce
« que l'on voit a une espèce corporelle ; ce
« ce que l'on conçoit a un sens spirituel. Si
« vous voulez donc concevoir le corps de
« Jésus-Christ (signifié par le sacrement, et
« auquel les espèces ont rapport) : écoutez
« l'apôtre saint Paul : Vous êtes le corps de
« Jésus-Christ et ses membres. Si vous êtes le
« corps de Jésus-Christ et ses membres, vo-
« tre mystère est mis sur la table du Sei-
« gueur. Vous avez reçu votre mystère.
(I Vous dites : Ainen, à ce que vous êtes, et
« vous y souscrivez par votre réponse. On
« vous dit : Ce corps de Jésus-Christ , et vous
« répondez : Amen. Soyez membres du corps
« de Jésus-Christ afin que voti-e Amen soit
« véritable. Pourquoi donc ce mystère s'ac-
« complit-il dans le pain ? N'apportons ici
« rien du nôtre , mais écoutons encore le
« même Apôtre parlant de ce sacrement :
(( Nous qui sommes plusieurs, dit-il, nous som-
« mes un seul corps. Entendez ceci, je vous
« en prie, et vous en réjouissez. Car ce n'est
« ici qu'unité, piété, vérité, charité ; un seul
« pain et un seul corps, quoique nous soyons
(1 plusieurs. Remarquez que le pain n'est
« pas fait d'un seul grain, mais de plusieurs.
« Quand on vous a exorcisé, vous avez pas-
« se sous la meule ; quand vous avez été
(c baptisés , vous avez été arrosés d'eau ; et
(( quand vous avez reçu le feu du Saint-Es-
« prit , on peut dire que vous avez été cuits
« comme du pain. Soyez donc ce que vous
de Virgine Maria, infans tactatus est, nutritus
est, crevit, ad juvenilem œtatem perductus est; a
Judœis persecutionem passus est, ligno suspensus
est; in ligna inlerfectus est, de ligno deposilus est,
sepuUus est, terlia die resurrexit, qiw die voluit,
in cœlum ascendit, illuc levavit corpus suuin; in-
de est venturus ut judicet vives el mortiws, ibi
est modo sedens ad dexteram Palris : quomodo
est panis corpus ejus, et calix vel quod habet ca-
lix quomodo est sanguis ejus? Ista, fratres, ideo
dicuntur sacramenla quia in eis aliud videtur,
aliiid intelligilur. Quod videtur speciem habet
corporalem; quodintelligitur fructum habet spi~
ritalem. Corpus ergo Christi, si vis intelUgere,
Apostolum audi dicentem fidelibus: Vos autem es-
tis corpus Cliristi et inembra, si ergo vos estis
corpus Christi et membra, mysterium veslrum in
mensa dominica positum'est; mysterium vestrum
accipitis. Ad id quod estis Ainen respondetis et
respondendo su-bscribitis ; audis enim corpus
Christi et respondes: Amen; eslo membrum cor-
poris Christi ut verum sit Amen. Quare ergo in
paneîNihil hoc de nostro offeramus, ipsum Apos-
tolum identidem audiamus, qui cu/m de islo sa-
Crdmento loquèretur, ait : Uuus panis, unum cor-
pus multi sumus, intelligite et gaudele, unitas,
Veritas, pietas, charitas. Ifnus panis, quisestiste
V71US panis ? Unum corpus multi. Recolite quia
panis non lit de uno grano sed multis. Quando
exorcizabavnni, quasi moleb.imini. Quando bap-
tizali estis, quasi conspersi estis. Quando Spiritus
Sancti ignem accepistis, quasi cocti estis. Eslote
quod videtis et accipile quod estis. Hoc .ipostolus
de pane dixit. Jam de calice quid inlelligeremus,
etiam non dictum, satis ostendit. Sicut enim ut
species visibilis panis, multa grana in unum
consperguntur tanquam illud fiai quod de fideli-
bus ait Scriptura sancta: Erat illis anima uua et
cor uuum lu Deum : sic et de vino, fralres, reco-
lile imde fit vinum. Grana mulla pendent ad bo-
trum, sed liquor granorum in unitate confun-
ditur. lia et Dominus Christus nos significavil,
nos ad se pertinere voluit mysterium pacis et
unilalis nostrœ in sua mensa consecravit. Qui
accipit mysterium unilalis, et non tenet vinculum
pacis, non myslerium accipit pro se, sed teslimo-
nium contra se. August., Serm. 272, pag. 1103
et HOi.
[ V' ET y" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPPONE.
7SS
n voyez , et reesTez ce que vous êtes. Voilà
« ce que l'Apôtre a dit du pain : par où il
(I nous montre assez ce que nous devons
« entendre à l'égard du calice. Comme pour
« faire cette espèce visible du pain , plu-
(( sieurs grains sont réduits en un corps
« pour représenter ce que dit l'Ecriture : Ils
« ii'avaieni-qu'uneâme et qu'un cœur en Dieu,
(I il en est de même du vin. Remarquez
« comment il est un. Plusieurs grains pen-
« daient au raisin , mais leur liqueur a été
« confondue en un corps. C'est ainsi que
« Jésus-Christ nous a voulu représenter et
« nous faire siens , consacrant sur cette ta-
« Me le mystère de notre paix et de notre
« unité. Celui qui reçoit le mystère de l'u-
« nité, et ne conserve pas le lien de la pair,
(( ne reçoit pas un mystère pour son bien ,
« mais im témoignage contre lui-même. »
Claude soutient ' que le but de saint Au-
gustin dans ce discours est d'instruire les
nouveaux baptisés de ce qu'il faut croire sur
ce mystère, d'où ce ministre infère que ce dis-
cours étant dogmatique , il est propre à éta-
blir ceux qui l'écoutaient dans la foi de ceux
de sa secte, c'est-à-dire des calvinistes. Pour
en revenir là, c'était à lui à nous faire re-
marquer dans ce discours les dogmes de
cette secte, et à montrer que saint Augustin
y a enseigné d'une manière claire et précise
les quatre dogmes essentiels à la créance
commune aux prétendus réformés , sans la-
quelle ils prétendent qu'on ne peut partici-
per dignement au sacrement de l'Eucliaris-
tie. Le premier de ces dogmes est que le
pain et le vin ont été établis par Jésus-Christ
signes , figures et sacrement de son corps
naturel. Le second que ces espèces le figu-
rent comme mort. Le troisième, qu'il s'est
engagé de remplir ce pain et ce vin d'une
efficacité surnaturelle , c'est-à-dire de com-
muniquer de nouveaux rayons de lumière et
une augmentation de grâce à ceux qui y
participent. Le quatrième , qu'il nous est
commandé de manger spirituellement le
corps de Jésus-Christ dans la participation
de ce sacrement , et que cette manducation
spirituelle consiste dans la méditation de la
mort de Jésus-Christ comme la cause de no-
tre salut. La manducation spirituelle , dit
Aubertin , autre ministre calviniste , est un
acte spécial de foi, qui a pour objet la chair
de Jésus-Christ comme ayant souffert, et
comme étant mort , et qui la regarde com-
me le soutien de notre vie.
Or, il ne se trouve aucun de ces quatre
dogmes formellement exprimés dans ce dis-
cours. Il n'y est dit nulle part en termes
exprès que le pain de l'Eucharistie soit fi-
gure du corps naturel de Jésus-Christ. Car
pour ces mots: Vous prenez le mystère du Sei-
gneur, que l'on y lit selon la version de
M. Claude , par où il pourrait peut-être en-
tendre que l'on reçoit dans ce mystère la
figure du Seigneur ; c'est ce ministre qui les
y a mis de son chef, au lieu que le texte de
saint Augustin porte : Vous avez reçu votre
mystère. Il n'y est point dit non plus que le
pain et le vin représentent Jésus-Christ com-
me immolé et comme mort. Y voit-on que
Jésus-Christ se soit obligé de donner de nou-
veaux rayons et une augmentation de grâce
à ceux qui y participeront, ni qu'il ait inon-
dé ce pain d'une efficacité spirituelle dérivée
méritoirement de sa chair divine ? Y est-il
dit que la manducation spirituelle de la chair
de Jésus-Christ nous soit commandée, et
que cette manducation consiste à méditer
que la mort de Jésus -Christ est la cause
unique de notre salut? Comme il n'y a rien
de semblable dans tout ce discours , quelle
apparence de le prendre pour un sermon
dogmatique, où saint Augustin ait eu des-
sein d'instruire les nouveaux baptisés sur ce
qu'ils devaient croire touchant l'Eucharistie?
Il paraît, au contraire très-clairement par
ce discours , et par un autre tout semblable
que ce Père fit aux nouveaux baptisés le
jour de Pâques, et sur le même sujet, qu'ils
avaient déjà participé aux mystères. « Vous
avez, leur dit-il , dans le premier de ces dis-
cours fait le jour de la Pentecôte, reçu votre
mystère. Vous avez, leur dit-il ^ dans le se-
cond , prononcé le jour de Pâques, déjà été
faits participants de la table du Seigneur . » S'ils
avaient déjà participé aux saints mystères ,
on ne peut douter qu'on ne leur eût dit ce
qu'il en fallait croire , n'y ayant point d'ap-
parence qu'après leur avoir caché ces mys-
tères avec tant de soin lorsqu'ils n'étaient
que catéchumènes, on ne les en eût pas ins-
truits, du moins lorsqu'ils étaient sur le
point d'y participer. C'était une précau-
tion nécessaire pour les préserver d'une
1 Voyez l'auteur de la Perpétuité
liv. Jl, chap. vni, pag. H 2, tom. lil.
la Foi, 2 August., Serm. 227 in die Paschœ, pag.
973,
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
'786
communion sacrilège, et les empêcher de
tomber dans cette ignorance criminelle,
dont un ancien auteur dit ' qu'on se rend
coupable lorsqu'on mange le corps de Jésus-
Christ, sans connaître sa vertu et sa dignité ,
c'est-à-dire, sans savoir qu'il est en vérité le
corps de Jésus-Christ. Aussi était-ce l'usage de
l'Église d'instruire ceux qui devaient le re-
cevoir d'une manière à ne laisser rien igno-
rer de la vertu et de la vérité de ce sacre-
ment. C'est ce que l'on voit par un endroit
de la dix-huitième catéchèse de saint Cyrille
de Jérusalem , où ce Père s'explique " en ces
termes sur ce que la foi obligeait les catéchu-
mènes d'en croire, et sur les dispositions avec
lesquelles ils devaient s'en approcher après
leur baptême. La veille du grand jour de Pâ-
ques, et de votre régénération nous vous ensei-
gnerons ce qui sera convenable, avec quelle révé-
rence et avec quel ordre il faut entrer dans le
lieu où vous serez baptisés, quelles sont les rai-
sons de toutes les saintes cérémonies que l'on y
pratique, avec quelle dévotion il faut, au sortir
du baptême, s'approcher de l'autel de Dieu et
participer aux mystères spirituels et célestes
que l'on y offre, afin que, votre âme étant illu-
minée par nos instructions et nos discours, cha-
cun de vous connaisse la grandeur des pré-
sents que Dieu lui fait. Il est donc constant
par cette discipline de l'Éghse que les nou-
veaux baptisés auxquels s'adressent les deux
discours de saint Augustin, avaient déjà reçu
une instruction dogmatique sur l'Eucha-
ristie , qui leur faisait connaître la gran-
deur du présent que Dieu leur y faisait. Né-
anmoins ce Père témoigne dans tous ces
deux discours qu'il voulait leur apprendre ce
qu'on ne leur avait point encore enseigné :
Vous avez, dit-il dans le premier ', déjà vu,
la nuit dernière, sur l'autel, les choses que vous
voyez présentement ; mais on ne vous a pas en-
core dit ce qu'elles étaient , ce qu'elles signi-
fiaient, et combien les choses dont elles sont sa-
crement sont grandes et importantes. Et dans le
second* : Vous voyez le sacrement de la table du
Seigneur, et vous y avez déjà participé la nuit
dernière. Mais vous devez savoir ce que vous
avez reçu, ce que vous recevrez, et ce que vous y
devez recevoir tous les jours. Ces nouveaux
baptisés ayant donc été déjà instruits des
dogpies essentiels, il est évident que ce n'était
pas de ces mêmes dogmes que saint Augus-
tin les voulait instruire , puisqu'il n'aurait
pu dire, à l'égard de ces dogmes, qu'ils ne
les avaient point ouïs ; et qu'il n'a prétendu
autre chose que de faire connaître à ces nou-
veaux chrétiens les raisons mystérieuses du
choix de la matière du pain et du vin , qui
font que ces espèces représentent l'unité de
tous les fidèles avec Jésus-Christ. Car cette
raison était si fortement gi'avée dans l'es-
prit de ce Père, qu'il ne perd point d'occa-
sion de la marquer , et qu'on ne voit point
qu'il en rende d'autre lorsque la matière le
porte à en alléguer. On en voit un exem-
ple dans le traité vingt -sixième sur saint
Jean, où il dit : « Notre-Seigneur'^ Jésus-Christ
nous a laissé son corps et son sang en des
choses qui de plusieurs sont réduites en une ;
car le pain qui est un, est formé de plusieurs
grains de froment , et le vin de plusieurs
grains de raisin. »
On produit un autre passage de saint Au-
gustin, tiré du cinquante-neuvième traité sur
1 Per ignorantiam aiitem percipit, qui virtuteni
ejus, et dignitatem ignorât, qui nescit, quia corpus
hoc et sanguis est secundum veritalem, sed mys-
teria quidem percipit, nescit autem mysteriorum
virtulem. Isychius, in Leviticum, lib. VI, pag. 148,
col. 2, tom. Mi, Bibl. Patr.
2 Instante vero deinceps sancto Paschalis die,
dum veslra in Christo per lavacrum regeneratio-
nis charitas illuminabitur , iterum Deo volente de
lis quœ consentanea sunt erudiemini. Quanta nimi-
rum cwn pietate, quove ordine vocatos ingredi
oporteat : cujus rei causa M«wm quodque sancto-
rum baptismi mysteriorumperfxciatur : et quanta
cum reuerentia atque ordine oporteat a baptismate
ad sanctwn Dei altare procedere, spiritalibusque
et cœlestibus quœ ibi dislribuuntur mysteriis per-
frui; ut anima vestra per doctrinœ sermo7iem
prius illustrata, per singula cognoscatis imperti-
torum vobis a Deo donorummagniludinem. Cyril,
lus, Calech. 18,num. 32, pag. 300.
' Hoc quod videtis in altare Dei , etiam
transacta nocte vidistis : sed quid esset, quid
sibi vellet, quam magnce rei sacramentum con-
tineret , nondum audistis. August., Serm. 272,
ad infantes ante altare de Sacramento, pag.
1103.
* Promiseram enim vobis, qui baptizati estis,
sermonem quo exponerem mensce dominicœ sa-
cramentum, quod modo etiam videtis, et cujus
nocte prœterita participes facti estis. Oebetis
scire quid accepistis, quid accepturi estis, quid
quotidie accipere debealis. August., Serm. 227, pag.
973.
'' Dominns noster Jésus Christus corpus et san-
guinem sunm in eis rébus commendavit, quœ ad
unum aliquid rediguntur ex multis. Namque
aliud in unum ex multis, granis confit : aliiid in
unum ex multis acinis confluit. August., Tract.
26, num. 17, pag. 500.
[IV= ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN,
saint Jean, où ce Père, comparant ' les apô-
tres à Judas dit qu'au lieu que les apôtres man-
gèrent un pain qui était le Seigneur, Judas
mangea le pain du Seigneur contre le Sei-
gneur ; que les uns reçurent la vie, l'autre le
supplice ; parce que celui qui mange indi-
gnement, mange son jugement selon l'Apô-
Ire. Mais ^ on a fait voir que saint Augustin,
par ce pain qu'il dit que Judas mangea, n'en-
tend point l'Eucharistie , mais un morceau
de pain trempé, après lequel le diable s'em-
para de lui , et qu'il le distingue expressé-
ment de l'Eucharistie dans un autre endroit '.
C'est ce qui a obligé Auberlin de reconnaître
que c'est le morceau trempé qui est marqué
par les mots de pain du Seigneur donné à
Judas, et non l'Eucharistie.
143. Saint Augustin, en expliquant ces pa-
roles de Jésus-Christ : Travaillez pour avoir
non la nourinture qui périt, mais cdle qui de-
meure pour la vie éternelle , dit ' : « Pourquoi
préparez-vous les dents et le ventre? Croyez,
et vous aurez mangé? » D'où l'on infère que
l'on ne mange le corps de Jésus-Christ que
par la foi. Mais quand ce passage s'enten-
drait du corps de Jésus-Christ et qu'il y serait
question de l'Eucharistie, il ne prouverait
rien contrôla présence réelle ; parce que l'on
aurait sujet dédire, à des gens qui regarde-
raient ce sacrement comme une nourriture
corporelle, que ce n'est pas en cette ma-
nière qu'il le faut considérer ; qu'il n'est pas
destiné à nourrir le corps, mais à nourrir
l'âme ; et que c'est pour cette raison qa'on
en prend si peu. Il n'y aurait aucun incon-
vénient pour réprimer ces pensées, qui sont
d'un homme terrestre et charnel , à se ser-
vir des termes de saint Augustin : « Pour-
quoi préparez-vous les dents et le ventre ?
Croyez, et vous aurez mangé. » On trouve
de semblables expressions dans l'auteur ' du
livre intitulé : De la Cène du Seigneur, qu'Au-
bertin et les nouveaux ministres reconnais-
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 737
sent pour défenseur de la transsubstantia-
(1 tion : Nous n'aiguisons point ', dit-il , nos
« dents pour mordre, mais nous rompons le
<i sacré pain , et nous le partageons avec une
« foi sincère. » Par où cet auteur ne veut
pas dire que l'on ne reçoit point le corps de
Jésus-Christ dans la bouche, ni qu'on ne le re-
çoit que par la foi, mais seulement qu'on ne
songe point en prenant le corps de Jésus-
Christ à satisfaire le goût du corps, et qu'on
n'est attentif qu'à le goûter par la foi. C'est ce
qu'on leur dirait avec justice, quand ce pas-
sage s'entendrait de l'Eucharistie. Mais il est
certain qu'on ne doit pas l'entendre ainsi, et
que saint Augustin n'adresse point ce dis-
cours aux chrétiens, mais aux Joifs qui sui-
vaient Jésus-Christ pour en recevoir une
nourriture corporelle.
144. Mais saint Augustin ne dit-il pas dans ^.ui
son Yi\'ve contre Adimante^ que le Seigneur ^""°''
ne fit point de difficulté de dire : Ceci est mon
corps, lorsqu'il donnait le signe de son corps?
Cela est vrai ; mais il est à remarquer que
ce Père ', dans cet endroit, n'avait dessein
d'instruire personne de ce qu'il fallait croire
de l'Eucharistie. Ainsi l'on ne doit point s'é-
tonner qu'il n'en dise précisément que ce
qui était nécessaire à son sujet. D'ailleurs la
matière qu'il traitait l'engageait à chercher
des exemples où le signe extérieur fût nom-
mé du nom de la chose signifiée ; et l'on sait
combien ces sortes de vues sont capables
d'engager les auteurs à des expressions et à
des raisonnements moins ordinaires. Voici
ce qui porta saint Augustin à user de celles-
ci : Le manichéen Adimante, pour montrer*
que le Dieu de l'Ancien Testament était con-
traire à celui du Nouveau, avait allégué
que le Dieu de l'Ancien Testament défendait
de manger du sang, par la raison que le sang
est l'âme de la chair : ce qui supposait qu'en
mangeant ce sang on pouvait nuire à l'âme,
au lieu que Jésus-Christ déclare dans l'Évan- Maith.
' un (apostoli) manducabantpaneniDominum,
ille panem Domini contra Dominum : illi vitam,
ille pœnam : qui enim man3ucat indigne, ail Apos-
ioJiiS, judicium sibi manducat. August., Tracf. 59
in Joan., num. 1, pag. 663.
^ Voyez l'auteur de la Perpétuité de la foi,
dans la préface du troisième tome, pag. 9.
3 August., Tract. 62 in Joan., num. 3, pag.
669.
4 Operamiai escam, non quse périt; sed quaeper-
manet in vitam eeternam... Ut quid paras dentés
elventrem? Crede etmanducasti. ÂTigusi., Tract. 23
in Joan., num. 12, pag. 489,
* Hœc quolies agimus, non dentés ad morden-
dvm aciiimus, sed fide sincera panem sanctum
frangimus et partimur. Auctor, lib. De Cœna Do-
mini in Appendice Oper. S. Cypriani, pag. 118,
nov. edit.
« Non enim Dominus dubitavit dicere : Hoc est
corpus meum, cum signum daret corporis sui.
August., lib. Contra Adimant., cap. xii, num. 3,
pag. 124.
7 Voyez l'auteur de la Perpétuité de la foi,
liv. II, chap. VI, pag. 9S et suivante, tom. Ilf.
8 August. , lib. Contra Adimant. , cap. xn ,
num. 1, pag. 123
758
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
gile qu'on ne peut lui nuire. Comme cette
objection n'était fondée que sur ce que le
Deui. XII, sang est appelé âme dans le Deutérouome ,
"''■ saint Augustin y répond d'abord qu'il ne s'a-
git dans cet endroit que de l'àme des bêtes,
au lieu que Jésus-Christ parle de l'àme de
l'homme. Il répond en second lieu, que le
sang est appelé âme , parce qu'il en est le
signe. Et parce qu'il avait besoin d'exemple
où le signe fût appelé du nom de la chose si-
gnifiée, il allègue celui de l'Eucharistie, où
le sacrement, selon lui, est appelé le corps
de Jésus-Christ, et celui de la pierre du dé-
sert, qui est appelée Christ par l'Apôtre.
« Le Seigneur, dit ce saint Docteur, n'a
point fait de difficulté de dire : Ceci est mon
corps, lorsqu'il donna le signe ou le sacre-
ment de son corps. » Et un peu plus bas' :
« Le sang est l'âme , comme la pierre était
Christ. » Ceux qui font cette objection, au lieu
de conclm'e des paroles de saint Augustin
qu'il a cru que le sacrement était signe du
corps de Jésus-Christ présent, comme le sang
est signe de l'âme présente, en concluent en-
core qu'il est signe de Jésus-Christ absent ,
comme la pierre du désert était signe de Jé-
sus-Christ absent. Mais ils tirent cette con-
séquence sans aucun fondement. Car ces
deux exemples, du sang qui est appelé âme,
et de la pierre qui est appelé Christ , prou-
vent qu'il y a deux sortes de signes : des si-
gnes joints aux choses , comme le visage si-
gne de l'esprit , est joint à cet esprit , les si-
gnes de maladie , aux maladies; et 1h sang
à l'âme des bêtes, selon l'opinion de saint
Augustin. Mais il y a aussi des signes sépa-
rés des choses , comme la pierre du désert
qui était séparée de Jésus-Christ, selon son
humanité , quoiqu'eUe lui fût jointe selon sa
divinité, qui est éternelle, et qui remplit
toute chose. Ces signes qu'on joint et ces si-
gnes séparés conviennent dans cette qualité
commune que l'on donne quelquefois aux si-
gnes de la chose signifiée. On dit que le sang
est l'âme : on dit que la pierre était Christ.
On ne peut donc conclure précisément de
ces expressions ni que la chose est présente,
ni qu'elle est absente. Si l'on conclut de ce
qu'il est dit que le sang est l'âme, que l'âme
est absente, c'est mal conclui-e. Si l'on con-
clut de ce que la pierre était Christ, que Jé-
sus-Christ était présent ou joint à cette pier-
re , ce sera encore mal conclure. Saint Au-
gustin dit que dans ces paroles : Ceci est mon
corps , la chose signifiée est affirmée du si-
gne : il n'ajoute rien davantage. Que suit-il
delà, que le corps de Jésus-Christ s'y trouve
présent? non : qu'il en est absent? non. Ni
l'un ni l'autre ne suit précisément de ses pa-
roles; et le passage objecté ne prouve rien
directement ni pour les catholiques ni pour
les calvinistes. C'est un passage indéterminé
dont il faut chercher le sens dans les autres
ouvrages de ce Père. Car, comme en disant
que le sang est l'âme parce qu'il en est le
signe , il a joint dans son esprit à cette ex-
pression, l'idée que ce sang était uni à l'âme,
suivant le sentiment qu'il avait de l'âme des
bêtes, quoique cette union de l'âme avec le
sang ne soit point marquée dans cette ex-
pression : Le sang est signe de l'âme: de même
en concevant que le sacrement était appelé
le corps de Jésus-Christ comme son signe, il
a pu joindre à ces idées celle de l'union de
ce sacrement au corps de Jésus-Christ , eu
la tiraat de la doctrine constante de l'Église
de son temps.
145. On forme encore une objection des
paroles dites par saint Augustin sur le Psau-
me troisième^ que Jésus-Christ témoigna
une patience admirable quand il admit Judas
au banquet 011 il recommanda et donna à ses
disciples la figure de son corps. Il est vrai
que ce Père appelle dans cet endroit l'Eu-
charistie figure et signe du corps de Jésus-
Christ ; mais il ne dit pas qu'il n'y ait dans
l'Eucharistie que cette figure et que ce signe,
et il ne prétend pas en exclure la présence
réelle du corps de Jésus-Christ. Mais il re-
connaît ailleurs que les disciples ' reçurent le
corps et le sang de Jésus-Chi'ist et non la fi-
gure de son corps et de son sang. Car, comme
on l'a déjà remarqué, l'Eucharistie peut-être
considérée et comme sacrement, et comme le
corps de Jésus-Christ réellement présent sous
les apparences du pain et du vin. Quand nous
1 Sic est sanguis anima, qiwmodo petra erat
Chrislus. August., iib. Conlra Àdimant., cap. xii,
num. 5, pag. 126.
2 In historia Novi Teslàmenii ipsa Domini nos-
tri tanta et admiranda patientia, quod eum (Ju-
dam) tamdiu pertutit tanquain bommi, cuin ejus
cogitationes non ignoraret, cum adhibuit nd con-
vivinm, in qno corporis cl sanguinis sui figuram
discipulis coinmcndavit et tradidil, etc. August.,
in Psal. iir, iiuui. 1, pag. 7.
^ Liquida apparet, quando primum accepertint
discipuli corpus et sanguinem Domini non eos ac-
cepisse jejimos. August., Epist. 34. luuii. 7, pag.
120.
[IV° ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTES, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
759
la considérons en cette dernière manière ,
nous ne prétendons point exclure la pre-
mière; et quoique nous disions que le corps
de Jésus-Christ soit présent substantielle-
ment et réellement dans l'Eucharistie , nous
ne disons pas pour cela qu'elle ne soit pas
un sacrement. De même lorsque nous disons
que l'Eucharistie est un sacrement , nous
n'en excluons pns la présence réelle.
146. Les bérengariens objectaient que
saint Augustin , dans le livre de la Docti'ine
chrétienne^, dit que le sacrement de l'autel
est un signe qu'il faut révérer , non par une
servitude charnelle, mais avec une liberté
spirituelle; et que quand l'Ecriture semble
commander un crime , c'est une locution fi-
gurée , comme en ces paroles : Si vous ne
mangez la chair du F ils de l'homme. Guimond,
l'un des disciples de Lanfi-anc^, répond que
ce Père dit en cet endroit que la célébration
1 Augustinus , in libro : De Doctrina ehristiana ,
cibuin Dominici altaris signum et figuram, ut
ipsi asser%mt nominat , dicens : « Hoc vero
tempore postea quam resurrectione Domini
nostri manifestissimum indicium nostrœ liber-
tatis illuxit, nec eorum qii,idam signorum quce
jam intelligimus operatione gravi onerali su-
« mus, sed qumdam pauoa pro multis, eadem-
que factv, facillima et intellectu augustissima et
observatione castissima ipse Dominus et apos-
tolica tradidit disciplina : simti est baptismi sa-
cramentum et celebratio corporis et sangiii-
nis Domini. Quœ unusquisque cum percipit,
quo referantur imbutus agnoscit, ut ea non car-
nali servitute , sed spiritali potius libertate ve-
neretur. Ut autem litteram seqiii et signa pro ré-
bus quœ iis significantur accipere servilis injlr-
« milatis est, ita, inutiliter signainterpretari, maie
vagantis erroris est. » August., lit. 111, cap. ix,
num.l3,pag. 49. « Audisti igitur , inquiunt,quod
sacramenta altaris, signa dicit ? Deinde infert :
Quce unusquisque cum percipit, quo referantur
imbutus agnoscit, ut ea non carnali servitute, »
sed spiriruaii potius libertate veneretur. Audisti
quia non carnali servitute, sed spirituali potius
libertate veneranda esse dicit ? Et quasi quœre-
res : Quid est carnali servitute signa venerari ?
11 Litteram, inquit, sequi et signa pro rébus quœ
Il his significantur accipere, servilis infirmilatis
Il est. Item in sequentibus : Si aiUem flagitium aut
(I facinus jubere, aut utilitatem et beneficentiam
(1 videtur vetare, figurata locutio est. Nisi man-
II ducaveritis, inquit, oarnem Filii hominis et san-
II guinem biberilis, non habebitis vitam in vobis.
Il facinus vel flagitium videtur jubere : figura
Il ergo est prœcipiens Passioni Domini esse com-
II municandum et suaviter atque utiliter recon-
II dendum in memoria quod pro nobis caro ejus
Il crucifixa et vulnerata sit. » Audisti ergo, aiunt
figuram; quid amplius requiris? Berengariani,
apud Guidmundum, lib. 11 De Verit. Euchar., pag.
150, colum. 2, tom. XVIH Bibl. Patr.
2 0 viri insipienter sapientes, nec Augustinum
intelligentes, aut certe maie pervertentes, prœ-
clara diligentia. Nusquam etenim Augustinus in
libro de Doctrina ehristiana cibum altaris Domini,
signum vel figuram vocavit , sed celebrationem
Dominici corporis signum dixit quod idem et nos
credimus. Nani quoties celebratio corporis et san-
guinis Domini agitur, non equidem Christum
iterum occidimus, sed mortem ejus in ipsa et per
ipsam celebrationem memoramus , eslque ipsa ce-
lebratio Passionis Christi qucedam commemora-
tio. Commemoratio autem passionis Christi ip-
sam passionem signiflcat. Celebratio igilur corpo-
ris et sanguinis Domini passionis Christi est si-
gnum. Et hoc est quod beatus Augustinus ait :
Il Hoc vero tempore, postea quam per resurrectio-
II nem Domini nostri manifestissimum indicium
Il nostrœ libertatis illuxit, née eorum quidem si-
(I gnorum quce jam intelligimus operatione gravi
11 onerati sumus , sed quœdam pauca pro multis.
Il eademque factu facillima et intellectu auguslis-
« sinia et observatione castissima ipse Dominus
Il et apostolica tradidit disciplina : sicuti est bap-
II tismi sacramentum et celebratio corporis et
<i sanguinis Domini. » Quod vero addidit (Augus-
tinus) : Il Quia sequi litteram et signa pro rébus
Il quœ iis significantur accipere servilis infirmi-
II tatis est , » de signis Veteris Testamenti, de qui-
bus tune loquebatur hoc dicit. Rêvera enim
servile erat et infirmum secundum litteram twn-
tum circumcidi , peeudes immolare , neomenias
et sabbata celebrare, agnum , petram et ccetera
hujusmodi quœ Christum significabant pro Christo
accipere... Ubi autem sequitur Augustinus di-
cens : 11 Si autem flagitium aut facinus jubere.
Il aut utilitatem et beneficentiam videtur vetare ,
Il figurata locutio est : Nisi manducaveritis car-
II nem filii hominis et sanguinem biberitis, non
Il habebitis vitam iu vobis, facinus vel flagitium
Il videtur jubere. Figura ergo est, prœcipiens pas-
11 sioni Domini esse communicanduni, et suaviter
11 atque utiliter in memoria recondendum, quod
Il pro nobis caro ejus crucifixa, et vulnerata sit. »
In qua re facinus vel flagitium videatur prœci-
pere, ipse Augustinus in alio loco salis diligenter
exponit. Non nostram, opinionem in verbis Augus-
tini sequamur : sed ipsum se diligentissinie ex-
ponentem audiamus. Exponens enim nonagesi-
mum octavum psalmum sic dicit: n Durum illis
Il visum est quod ait : Nisi quis manducaverit car-
II nem meam, non habebit vitam aeternam. Accepe-
II runt stulte, carnaliter illud cogitaverunt, et pu-
II taverwit quod prœcisurus esset Dominus parti-
II culas quasdam de corpore suo et daturus illis.
Il et dixerunt : Durus est hic sermo. » Sed et super
Evangelium secundum Joannem [Tract. 27, num.
3, pag. 502, et num. 5, pag. .'iOS), ubi hœc eadem
verba copiosius tractavit: « Hoc ipsum flagitium
Il vel facinus quod eum prœcipere putabant, la-
Il tissima expositione prosecutus est dicens : Hoc
Il vos scandalizat , quia dixi carnem meam do vo-
it bis manducare et sanguinem meum bibere ?
II Hoc vos nempe scandalizat. Si ergo videritis Fi-
I' lium hominis ascendentem ubi erat prius. Quid
760
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Autre Ob'
Jcclion.
du corps de Notre-Seigneur est un signe ;
parce qu'en cette action nous ne le faisons pas
mourir de nouveau, et que nous faisons seule-
ment la mémoire de sa mort; et que, ce qu'il
ajoute de la servitude charnelle, regarde les
Juifs et les signes de l'ancienne loi. Qaant
au crime que Jésus-Christ semble ordonner,
en commandant de manger sa chair , saint
Augustin s'explique nettement ailleurs , en
montrant que ce crime n'était que dans l'i-
magination grossière des capharnaïtes , qui
croyaient qu'il faudrait mettre son corps en
pièces pour le manger , comme la chair des
animaux ; et c'est en ce sens qu'il est dit que
la chair ne profite de rien. Au reste, dit Gui-
mond', nous ne craignons point de dire que
l'Eucharistie est un signe et une figure : Jé-
sus-Christ lui-même est nommé signe dans
l'Écriture : mais la figure n'exclut pas la
réalité.
147. Il est dit dans un traité ^ de saint Au-
gustin, sur saint Jean, que le corps du Sei-
gneur dans lequel il est ressuscité, peut être
dans un lieu, potest esse in uno loco. M. Ju-
rieu accuse les catholiques d'avoir falsifié
cet endroit ' , parce qu'il faisait contre la
présence réelle, en lisant comme on lisait
autrefois : Oportet esse in uno loco , au lieu de
potest, comme on lit aujourd'hui. Mais rien
n'est moins vraisemblable que cette falsifica-
tion, n est vrai que le Maître des sentences,
saint Thomas et quelques autres ont lu opor-
tet''; mais dans tous les imprimés, comme
dans les manuscrits on lit potest. Et si ces
deux auteurs ont lu oportet, c'a été en suivant
Yves de Chartres et Gratien ^ où ce passage
est rapporté en la même manière que dans
saint Thomas et dans le Maître des senten-
ces, par la faute du copiste qui a écrit ou lu
oportet au lieu de potest. Soit que le mot^o-
test ne fût pas bien écrit dans son manus-
crit, soit qu'il n'y fit pas grande réflexion et
qu'il crût qu'en cet endroit ces deux mots
oportet et potest faisaient le même sens. En
elïet, l'une et l'autre leçon fait également au
but de ces auteurs qui est de prouver que
l'on doit recevoir le corps de Jésus-Christ
d'une manière spirituelle et non charnelle,
comme il est dit dans la Rubrique et dans le
titre de Gratien. H est encore égal aujour-
d'hui qu'on lise oportet ou potest. Car ce pas-
sage de saint Augustin regarde le corps de
Jésus-Chi'ist en la manière qu'il était après
sa résurrection, c'est-à-dire dans toute son
étendue, avec toutes les apparences et ton-
tes les dimensions sensibles d'un corps. Or,
en ce sens, il est aussi vrai de dire qu'il faut
qu'il soit dans un lieu, oportet esse in uno lo-
co; qu'il estvrai, qu'il peut être dans un lieu,
potest esse in uno loco. Quelle raison auraient
donc eue les catholiques d'altérer cet endroit,
et de mettre jooto/ au lieu d'oportet?
148. On lit dans l'Écclésiaste que l'unique
bien de l'homme consiste à boire et à manger.
ce est hoc ? Eic solvit quod illos moverat, hic ape-
Il ruit unde fuerant scandalizati, hic plane si in~
« telligerent. Illi enim putabanl erogatiirum cor-
ic pus suum, ille autem dixit se ascensurum in
K cœlum utique integrum. Cum videritis Filium
« hominis ascemieDtem ubi erat prius, certe vel
<i tune videbitis quianoneo modo quo putatis, ero-
« gat corpus suum, certe vel tune intelligetis, qui
« gratia ejus non consumitur morsibus... Et
'I paulo post, quid ergo 7 Non prodest quidquam
<i caro. Non prodest quidquam ; sed quomodo
Il illi inlellexerunt. Carnem quippe sic intellcxe-
II runt, quomodo in cadavere dilaniatur , aut in
Il maeello venditur, non quomodo spiritu vege-
II tatur. Et iterum : Spiritus est qui vivificat :
Il caro autem non prodest quidquam, sicut illi in-
II tellexerunt carnem , non sicut ego do ad man-
II ducandum meam carnem. » Guidmundus, lib. II
De Yerit. Euchar., pag. 451.
' Nos quippe illam nonveremur dicere figi^ram
et sacramentum. Hic fortasse respondebil uinbra-
licus quod et dicere solitus est : Si /igura est, quo-
modo Veritas ? Si sacramentum, quoivodo verilasl
0 maie cordati hominis insulsissima ratio. Non
legisti in Evangelio ipsum Chrislum signum ap-
pellari? Dicente Simeone : Eoce hic positus est in
ruinam et in resurrectionem multorum in Israël,
et in signum cui contradicetur. Et inCantico Can-
ticorum ipse ad sponsam suam dicit : Pone me ut
signaeulum super cor tiium. In Isaia quoque legi-
tur : Erit radix Jesse, qui stat in signum populo-
pum. Quapropter si Christus est, et verus Christus
est et signum, nihil nos impedit, si hoc quod de
altari Domini stimimus, cum sit verum Christi
corpus dicatur et signum. Guidmundus, ibid.,
pag. 452.
' Corpus Domini in quo resurrexit, uno loco
esse potest. August., Tract. 30 in Joan., num. 1,
pag. 517.
3 Voyez l'auteur àeVExamen des préjugés de
M. Juriev, contre l'Église romaine, pag. 562 et
S63.
* In verbis istis : Uno loco esse potest, Editi et
MSS- quos considerare nobis licuit, omnes con-
veniunt : tametsi Ivo, Décret., part. 2, cap. vm;
Gratianiis, DeCons., dist. 2, cap.: Prima quidem;
Magister, IV Sentent, dist. 10, cap. i. Postque illos
Thomas Aquinas, III part. Quœ-:l. Lxxv, art. 1, sic
sententiam hauc référant, uno loco esse potest.
Pâtre. Bened., i\'o(. inTract. 30 in Joan., pag. 571.
i* Gratianus, De Conseernt., dist. 2, cap: Prima
qiiidcm, pag. 2105.
[IV' ET y SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
Sur quoi saint Augustin dit ' qu'il est très-
croyable que ces paroles s'entendent <( de
cette table où le Prêtre et le Médiateur du
Nouveau Testament nous appelle selon l'or-
dre de Melchisédech, et qui consiste en son
corps et en son sang : car ce sacrifice a suc-
cédé à tous les autres sacrifices de l'Ancien
Testament qui étaient les figures du sacri-
fice à venir. C'est pour quoi nous reconnais-
sons que c'est par un esprit de prophétie
que ce même Médiateur dit dans le Psau-
me XXXIX*: Vous n'avez point voulu de sacrifice
ni d'oblation, mais vous m'avez formé un corjis;
puisqu'au fieu de tous les sacrifices et de
toutes les oblations, c'est son corps qu'on
offre et qu'on distribue à ceux qui se pré-
sentent pour y participer. Les sacrifices an-
ciens ont été supprimés comme n'étant que
de simples promesses, et on nous en donne
qui contiennent l'accomplissement. Que nous
a-t-on donné pour accomplissement? Le
corps que vous connaissez, et que vous ne
connaissez pas tous ^. Et plût à Dieu qu'aucun
de ceux qui le connaissent , ne le connût
pour sa condamnation. Vous n'avez point
voulu, dit Jésus-Clu'ist, de sacrifice ni d'obla-
tion. Quoi donc, sommes -nous maintenant
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 761
sans sacrifice ? A Dieu ne plaise : Mais vous
m'avez formé un corps. Vous avez rejeté ces
sacrifices, afin de former ce corps : et avant
qu'il fût formé vous vouliez bien qu'on vous
les ofirît. L'accomplissement des choses pro-
mises a fait cesser les promesses, qui ne se-
raient pas accomplies si elles subsistaient
encore. Ce corps était promis par quelques
signes : les signes qui mai-quaient la pro-
messe ont été ôtés, parce que la vérité qui
était promise a été donnée. Nous sommes
dans ce corps, nous en sommes participants.
Les Hébreux, dans les sacrifices ' d'animaux
qu'ils offraient à Dieu en grand nombre et
en tant de manières , marquaient prophéti-
quement la victime que Jésus-Christ a de-
puis offerte sur la croix : et les chrétiens cé-
lèbrent la mémoire de ce sacrifice déjà ac-
comph, par la sacrée oblation et la partici-
pation du corps et du sang de Notre-Sei-
gneur. Quel prêtre et quel pontife * pouvait
être aussi juste et aussi saint que le Fils uni-
que de Dieu, qui n'avait aucun besoin d'of-
frir le sacrifice pour lui-même, étant exempt
de tout péché? Quelle hostie un tel pontife
pouvait-il choisir entre tout ce qui apparte-
nait aux hommes, pour l'oÉfrir pour eux, et
' rn alio libro, qui vocatur Eoclesiastes, ubi ait :
Non est boniim homini nisi quod manducabit et
bibet, quid credibilius dicere intelligitur quam
quod ad participationem mensœ hujus pertinet
quam sacerdos ipse Mediator Teslamenti Novi
exhibet secundum ordinem Melchisédech de corpore
et sanguine siio? Id enim sacrificium successit
omnibus illis sacrificiis Yeieris Testamenti quœ
immolabantur in umbra futuri : propler quod
etiam vocem illam in Psalmo tricesimo et nono
ejusdem iledialoris per Prophetiam loquentis
agnoscimus : Sacrificium et oblationem noluisti,
corpus autem perfecisti tnihi ; quia pro illis omni-
bus sacrificiis et oblationibus , corpus ejus offer-
tur, et partieipantibus ministratur. August., lib.
XVII De Civit. Dei, cap. xx, num. 2, pag. 484.
2 Sacrificia erg ailla, tanquam verbapromissiva,
ablata sunt. Quid est quod datum est completi-
vum? Corpus quod noslis, quod non omnes nos-
tis; qiLod utinam qui iiostis omnes non ad judi-
cium noveritis ! Yidete quando dictwn est, Chris-
tus enimille est Dominas noster, modo loquens ex
membris suis, modo loquens ex persona sua :
Sacrificium, inquit, et oblationem noluisti. Quid
ergo? Nosjam hoc tempore sine sacrificia dimissi
stimus? Absit : Corpus autem perfecisti mihi. Ideo
illa noluisti ut perficeres : illa valuisti ante-
quani hoc perficeres. Perfeclio promissorum
abstulit verba pramittentia : nam si adhucsunt
promitientia nondum implelum est quod promis-
sum est. Hoc pramittebatur quibusdam signis :
ablata sunt signa promiitentia, quia exhibita
est Veritas promissa. In hoc corpore sumus, hu-
jus corporis participes sumus, quod accipimus
«ovimus. August., in Psal. xxxix, num. 12,pag. 334.
8 Hebrœi autem in victimis pecorum quas offe -
rebant Deo, multis et variis modis sicut re tanta
dignum erat, prophetiam celebrabant futurœ vic-
timœ, quam Christus abtulit; unde jam christiani
peracti ejusdem sacrificii memoriam celebrabant,
sacrosancta ablatione et participatione corporis
et sanguinis Christi. August., lib. X Contra Faust.,
cap. xviil, pag. 343.
* Qui^ ergo tam justus et sanctus sacerdos,
quam unicus FiliusDei, qui non opus haberet per
sacrificium sua purgare peccata, nec originalia
nec ex humana vita quœ adduntur? Et quid tam
cangruenter ab hominibus sumeretur quod pro eis
offerretur, quam humana car a? Et quid tam ap-
tum huic immolationi, quam caro morlalis ? Et
quid tam mundum pra mundandis vitiis morta-
lium, quam sine ulla contagione carnalis concu-
piscentiœ cara natainutero et ex utero virginali?
Et quid tam grate offerri et suscipi passet quam
caro sacrificii nostri, corpus cffectum secerdatis
nostri? Ut quoniam quatuor considerantur in
omni sacrificia : Cui offeratur, a giio offeratur,
quid offeratur, pro quibus offeratur, idem, ipse
unus verusque Mediator, per sacrificium pacis re-
concilians 7ios Deo, unum cum illa maneret cui
offerebat, unwni in se faceret pro quibus offere-
bat, unus ipse esset, qui offerebat et quod offere-
bat. August., lib. IV De Trinit., cap. xiv, num. 19,
pag. 823.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
702
qu'il fût plus convenable de sacrifier, que la
chair même de l'homme ? Qu'y avait-il de
plus propre à une immolation, qu'une chair
passible et mortelle ? Quelle chair pouvait
être plus pure et plus capable de purifier les
hommes de leurs péchés, que celle qui avait
été conçue dans le sein d'une Vierge sans
être souillée parla contagion d'aucune con-
cupiscence charnelle, et qui était née sans
porter aucun préjudice à sa virginité ? Quelle
chair devenue noire victime , pouvait êti-e
plus digne d'être offerte et acceptée en sa-
crifice, que la chair devenue le corps même
de notre Souverain Prêtre, et qui réunissait
d'une manière admirable, les quatre cho-
ses essentielles qu'on doit considérer dans
tous les sacrifices. Ces quatre choses : à
qui le sacrifice est otfert ; par qui il est
offert; ce qui est offert ; et pour qui il est
offert , se trouvent réduites à l'unité dans le
sacrifice de Jésus-Christ : car en nous récon-
ciliant à Dieu par le sacrifice de paix qu'il a
ofl'ert pour nous comme seul, unique et vé-
ritable médiateur, il est demeuré une même
chose avec son Père auquel il s'offrait; il a
rendu ceux pour qui il s'offrait , une même
chose avec lui ; il était le même et l'unique
prêtre qui s'offrait; et il était la même et l'u-
nique hostie qu'il offrait. C'est pourquoi ce
véritable médiateur ' entre Dieu et les hom-
mes. Jésus-Christ homme , recevant en tant
que Dieu le sacrifice avec son Père, avec qui
il ne fait qu'un seul Dieu, a mieux aimé, en
tant qu'homme , être lui-même le sacrifice,
que de le recevoir, pour ne donner occasion
à personne de croire qu'on doit sacrifier à
quelque créature que ce soit. Ainsi il est le
prêtre et la victime tout ensemble ; et il a
voulu figurer cela dans le sacrifice que l'É-
glise lui offre tous les jours. Car comme c'est
le corps de ce chef adorable , elle s'y offre
elle-même par lui-même. Jésus-Christ a été
immolé une fois en lui-même ^, et il est im-
molé en sacrement pour le peuple, non-seu-
lement dans les solennités de Pâques , mais en-
core tous les jours : et ce n'est point men-
tir de dire qu'il est immolé. »
Bérenger ayant fait valoir ce passage de
saint Augustin comme faisant contre la pré-
sence réelle, Lanfranclui répondit ' qiie Jé-
sus-Christ n'a été immolé qu'une fois en
montrant son corps à découvert sur la croix,
lorsqu'il s'offrit à son Père étant encore pas-
sible et mortel; mais que, dans le sacrement
que l'Eglise célèbre en mémoire de cette ac-
tion, sa chair est tous les jours immolée, par-
tagée, mangée, et son sang passe du calice
dans la bouche des fidèles, l'un et l'autre
tirés de la Vierge.
149. Comme le sacrifice est l'acte le plus i-«'«n
^ D 051 dû n
solennel et le plus considérable de la religion, B'.m %>a.
c'est pour cela qu'on ne doit l'offrir* qu'à
Dieu seul. « Le peuple "" chrétien , dit saint
Augustin, célèbre en commun la mémoire des
' Unde verus ille Mediator , in quantum formam
servi accipiens mediator effectus est Dei, et homi-
num honio Christus Jésus, cum in forma Dei sa-
crificium cum' Paire sumat cum quoet unusDeus,
est, tamen in forma servi sacrificium maluit esse
quam siimere, ne vel hac occasione quisquam
existimaret cuilibet sacrificandwn esse creaturœ.
Per hoc etsacerdos est ipse offerens, ipseet obla-
tio. Cujus rei sacramentum quotidianum essevo-
luit Ecclesiœ sacrificium quœ cum ipsius capitis
corpus sit, se ipsam per ipsùm discit offerre. Au-
gust., lib. Il De Civit. Dei, cap. xx, pag. 256.
* Nonne semel immolalus est Christus in seipso,
et tamen in sacramento non solum per omnes
Paschœ solemnitates, sed omni die populis immo-
latur, nec utique mentitur qui interrogatus eum'
responderit immolari. August., Epist. 98, num. 9,
pag. 267.
' In seipso semel immolatus est Christus, quia
in manifestatione sui corporis, in distinclione
membrorum omnium verus Deus et verus homo
semel tantuyn in cruce pependit, offerens seipsum
Patri hosliam vivam, passibilem, mortalem, vi-
vorum ac mortuorum. redemptionis efficacem,
eorum videlicet quos divini consilii altitudo redi-
tnendos judicavit, prœscicit, prœdestinavit, vo-
cavit inodis atque temporibus quibus id fieri
congruebat ; in sacramento tamen quod in hujus
rei memoriam fréquentât Ecclesia, caro Domini
quotidie immolatur, dividitur, comedilur, et san-
guis ejus de calice fidelium ore potatur, utraque
vera, utraque de Virgine sumpta. Lanfranc, lib.
De Corp. et sang. Domini, cap. xv, pag. 241.
* Nam ut alianunc taceam quœ pertinent ad re-
ligionis obsequium, quo colitur Deus, sacrificium
certe nullus hominum est qui audeat dicere deberi
7iisi Dec. August., lib. X De Civit. Dei, cap. iv,
pag. 241.
^ Populus autem christianus memorias marty-
rum- religiosa solemnitate concélébrât et ad exci-
tandam imitalionem, et ut meritis eorum conso-
cietur atque orationibus adjuvetur, ita tamen ut
nulli martyrum, sed ipsi Deo martyrum, quamvis
in memoriis martyrum , constituamus altaria.Quis
enim antistitum in locis sanctorum corporum as-
sistens altari, aUquando dixil : O/ferimus tibi,Pe-
tre, aut Paule aut Cypriane. Sed quod offertur,
offertur Deo qui martyres coronavit. Àpud me-
morias eorum quos coronavit, ut ex ipsorum. lo-
corum admonitione major afj'ecius exsurgat ad
aciiendam charilalem-, et in illos quos imitari
possumus, et in illum quo adjuvante poss'.tmus.
[iv= ET v^ SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
martyrs par de religieuses soleunités, pour
s'exciter à les imiter, pour s'associer à leurs
mérites, et pour être assisté de leurs prières :
ils ne sacrifient pas pour cela à aucun mar-
tyr, mais seulement au Dieu des martyrs,
quoique nous dressions des autels dans les
mémoires des martyrs. Qui des fidèles , dit-
il, a jamais vu un prêtre debout devant un
autel, posé même sur le corps d'un martyr,
dire dans ses prières : Je vous offre ce sacri-
fice à voiis Pierre, ou Paul ouGyprien ?Nous
l'offrons à Dieu qui les a fait hommes et mar-
tyrs, et qui les a honorés dans le ciel, de la
société des saints anges, pour lui rendre grâ-
ces de leurs victoires et nous exciter à les imi-
ter. Ainsi ' tous les actes de piété et de re-
ligion qui se font aux tombeaux des saints
martyrs, sont des honneurs qu'on rend à leur
mémoire, et non pas des sacrifices qu'on leur
offre comme à des dieux. Suivant ^ la dis-
ciphne de l'Église, on ne fait au saint autel
qu'une simple commémoration des martyrs
sans prier pour eux, au lieu qu'on prié pour
les autres défunts dont on fait commémora-
tion. Car ce serait faire injure à un martyr de
prier pour lui , puisque nous devons plutôt
nous recommander à' ses prières. En effet
ils prient pour nous afin que nous suivions
leurs exemples, n
763
150. «Nous lisons dans la Genèse, dit saint
Augustin, que Melchisédech, roi de Salem,
offrit du pain et du vin, parce qu'il était prê-
tre du Dieu ti-ès-haut. Il fut alors éclairé '
jusqu'au point de désigner le sacerdoce éter-
nel du Seigneur par l'offrande des symbo-
les mystérieux qui figuraient le sacrement
de la sainte table. Ce fut en cette occasion^
qu'il bénit Abraham , et que l'on vit pour
la première fois le sacrifice que les chrétiens
offrent aujourd'hui à Dieu par toute la terre,
pour accomplir cette parole du Prophète
adressée à Jésus-Christ, qui ne s'était point
encore incarné : Vous êtes prêtre pour jamais
selon l'ordre de Melchisédech. Il ne dit pas, se-
lon l'ordre d'Aaron, qui devait être aboli par
la vérité figurée par ces ombres. Ceux , dit
saint Augustin , qui lisent l'Écriture sainte "
savent ce qu'offrit Melchisédech, quand il bé-
nit Abraham ; et ceux qui y participent voient
offrir maintenant un pareil sacrifice par toute
la terre. C'est de ce sacrifice dont parle Ma-
lachie' en la personne de Dieu, lorsqu'il dit :
Depuis le soleil levant jusqu'au couchant , mon
nom sera grand parmi les nations : on me fera
des sacrifices partout, et l'on m'offrira une abla-
tion pure, parce que mon nom est grand parmi
les nations. Ce sacrifice est celui du sacerdoce
deJésus-ChristjSelonl'ordrede Melchisédech,
Sur losarer-
doce dû la loi
criivelln.
Gen. xm,
18,
August., lib. XX Contra Fmisl., cap. xxi, pag.
347.
' Quœcumque igitur adhibentur religiosorum
obsequiain martynim lacis, ornamenta sunt me-
moriarum, non sacra vel sacrificia mortuorum,
lanquam deorum. August., lib. VUIfle Civit. Dei.,
cap. xxvn.
■^ Ideoque habet ecclesiastica disciplina, quod
fidèles noverwit cum martyres eo loco recilantwr
ad altare Dei ubi non pro ipsis orutur : pro cœ-
teris autem commemoratis defimctis oratur. In-
juria est enim pro martyre orare, cujus nos de-
bemus orationibus commendari. August., Serm.
159, num. 1, pag. 765.
3 Idée quippÉ ad ipsam mensam non sic eos
commemoramus , quemadmodum alios qui in
pace requiescunt, ut etiam pro eis oremus, sed
magis utipsipro nobis, ut eoruin vestigiis adhce-
reamus. August., Tract. 84 in Joan., num. 1,
pag. 709.
* Inde Melchisédech prolato sacramento inensce
dominicœ novit œternum ejus sacerdotium figu-
rare. August., Epist. 177, num. 12, pag. 626.
^ Sed plane tune benedictus est (Abraham) a
Melchisédech qui erat sacerdos Dei excelsi... Ibi
qiiippe primum apparuit sacrificium quod nuna
a chrislianis offertur Deu toto orbe terrarum,
impleturque illud quod longe post hoc factum per
Prophetain dicitur ad Christum qui fuerat adhuc
venturus in carne: Tu es sacerdos in asteruum
seeundum ordinem Melchisédech. ISon scilicet se-
cundum ordinem Àaron. qui ordo fuerat aufe-
rendus illucescentibus rébus, quœ illis umbris
prœnotabantur. August., lib. XVI De Civit. Dei,
cap. xxii, pag. 455.
^ Noverunt qui legunt quid protulerit Melchisé-
dech quando benedixit Abraham, et si Jam sunt
participes ejus, vident taie sacrificium nunc- of-
ferri Deo toto orbe terrarum. August., lib. I Con-
tra Advers. legis et proph., cap. xx, num. 39,
pag. 570.
■" Malachias prophetans Ecclesiam quam per
Christum cernimus propagatam Judœis apertis-
tissime dicit ex persona Dei : Non est mihi volun-
tas in vobis, et munus non suscipiam de manu
■vestra. Ab ortu enim solis usque ad occasum, ma-
gnum est nomen meum in gentibus, et in omnl
loco sacrificabitur et offeretur nomini meo oblatio
munda; quia magnum nomen meum in gentibus,
dicit Dominus. Hoc sacrificium per sacerdotium
Chrisli seeundum ordinem Melchisédech, cum in
omni loco a solis ortu usque ad occasum Deo jam
videamus offerri: sacrificium autem Judceorum,
quibus dictum est : Non est mihi voluntas in vo-
bis, neo accipiam de manibus vestris munus, ces-
sasse negare non possunt : quid adhuc expeclant
alium Christum cum hoc quod prophetatum le-
gunt, et impletum vident, impleri non potuerit,
nisi per ipsum? August., lib. XVII I De Civit. Dei,
cap. XXXV, num. 3, pag. 517.
764
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Malarh i II
Sur lo
crifiro el
firîèrfs [.<
ES niortF.
que nous voyons s'offrir depuis le soleil le-
vant jusqu'au couchant, tandis qu'on ne peut
nier que le sacrifice des Juifs, à qui Dieu dit
par le même prophète : Vous ne m' agréez jooint,
et je ne veux foint de vos présents , ne soit a-
boli.i)
Le saint évêque, dans le traité qu"il a fait
contre les Juifs ' , les presse de reconnaître
l'accomplissement de cette prophétie de Ma-
lachie, puisque l'on offre, non dans un seul
lieu, mais par toute la terre, le sacrifice des
chrétiens ; non à toutes sortes de divinités,
mais au seul Dieu d'Israël, qui a prédit ces
choses. « Jésus-Christ, dit encore ce Père %
est lui-même notre prêtre éternel selon l'or-
dre de Melchisédech, qui s'est offert comme
holocauste pour nos péchés, et qui a ordonné
de célébrer la mémoire de ce sacrifice pour
nous faire souvenir de sa passion : en sorte
que par toute la terre on offre dans l'Eglise
tout ce qu'autrefois Melchisédech offrit à
Dieu, n
151. L'hérétique ' Aetius soutenait qu'il ne
fallait ni offrir le sacrifice, ni prier pour les
morts, s'opposant en cela à la pratique de
l'Eglise. On en voit une preuve dans l'histoire
de sainte Monique ' qui, pendant sa dernière
maladie, ne se mit en peine d'autre chose, si
non que l'on fit mémoire d'elle dans le saint
sacrifice de l'autel ; ce qui fut exécuté ^ après
sa mort, comme saint Augustin le témoigne
dans ses Confessions. Cette pratique se trouve
aussi établie dans les livres desMachabées^
où nous lisons que l'on offrit des sacrifices
pour les morts. Mais quand elle ne le serait
en aucun endroit des anciennes Écritures,
ce n'est pas une petite autorité que celle de
toute l'Église, où cette coutume est en usage,
et où la recommandation des morts a lieu
dans les prières que le prêtre fait à Dieu de-
vant l'autel, L'Église fait ' ces prières pour
tous ceux qui sont morts dans la société chré-
tienne et catholique, les comprenant sous
une recommandation générale, sans nommer
leurs noms ; afin que ceux à qui les pères et
les enfants, ou les autres parents ou amis man-
quent de rendre ces derniers devoirs, les puis-
sent recevoir tous ensemble de l'Église, qui est
leur mère commune. « Les âmes des morts ',
dit-il, sont donc soulagées par la piété des vi-
vants, lorsqu'on offre pour elles lesacrifîce du
Médiateur, ou qu'on fait quelques aumônes
dans l'Église ; mais cela ne sert qu'à ceux qui,
durant leur vie, ont mérité par leurs actions
que ces choses leur pussent être utiles après
leur mort. Car il y a une certaine sorte de
* Quia ab oriente sole usque in occidentem no-
men meum clarum est factum in gentibus; et in
omni loco saorifîcium offertur nomini meo sacri-
ficium muntlum: quoniam magnum nomen meum
in gentibus, dicit Dominus omnipotens. Quid ad
hœcrespondetis? Aperite oculos tandem a Hquando
et videte ab oriente sole usque in occidentem, non
in uno sicut vobis fuerat constitutum, sed in
omni loco olferri sacrificium christianonim, non
cuilibet Beo, sed ei qui ista prœdixit, Deo Israël.
August., Tract. adversusJudœos, cap. ix, num 13
pag. 38.
- Ipse est etiam sacerdos noster in œiernum se-
cundum ordinem. Melchisédech, qui seipsum ob-
tulit holocaustum pro peccatis iiostris, et ejus
sacri/icii similitudinem celebrandam in siiœ pas-
sionis meinoriam commendavit, ut illud quod
Melchisédech obtulit Deo, jam per totum orbem
terrarum in Christi Ecclesia videamus ojferri.
August, lib. De Oclog. trib. quœst., qusest. 6, num.
2, pag. 34, tom. \l.
3 August., lib. De Hœresibus, haeresi. S3, pag. 18,
tom. 8.
* August., lib. IX, Gap. xin, num. 36, pag. 170.
5 Ibid., cap. XII, pag. 168.
* In Machabœorum libris legimus oblatum pro
mortuis sacrificium. Sed et si misquam in Scrip-
turis veteribus omnino legeretur, non parva est
universœ Ecclesiœ, quœ in hac consueludine cla-
ret, auctoritas, ubi inprecibus sacerdotis quœ Do-
mino Deo ad ejus altare funduntur, locum sxmm
habet etiam commendatio mortuorum. August.,
lib. De Cura gerenda pro mortuis, cap. i, num. 3,
pag. 516.
' Non sunt prœtermittendœ supplicationes pro
spiritibus mortuorum quas faciendas pro omni-
bus in christiana et catholica societate defunctis
etiam tacitis nominibus eorum sub generali com-
memoratione suscepit Ecclesia, ut quibus ad ista
desunt parentes , aut filii aut quicmnque cognati
vel amici, ab unaeis exhibeantur pvi matrecom-
muni. August., ibid., cap. iv, num. 6, pag. 519.
' Neque negandum est defunclorum animas
pietate suorum viventium relevari, cum pro illis
sacrificium Mediatoris offertur, vel eleemosynœ in
Ecclesia fiunt. Sed eis hœc prosunt, qui cum vi-
verent, ut hœc sibi postea possetit prodesse, me-
ruerunt. Est enim quidam vivendi modus, nec
tam bomts ut non requirat istapost mortem, nec
tam malus ut non ei prosint ista post mortem:
est vero talis in bono, ut ista non requirat, et est
rursus talis in malo, ut nec his valeat, cum ex
hac vita transierit, adjuvari... Cum ergo sacri-
ficia sive altaris sive quarumcumque eleemosyna-
rumpro baptisatis defunctis omnibus offerruntur,
pro valde bonis gratiarum actiones sunt ; pro non
l'aide malis propitiationes sunt ; pro valde malis
etiam si nulla sunt adjumenta mortuorum, qua-
lescumque vivorum consolationes sunt ; quibus au-
tem prosunt , aut ad hoc prosuunt ut sit plena re-
missio, aut certe ut tolerabilior fiat ipsa damna-
tio. August., Enchir., cap. ex, num. 29, pag. 238.
[IV' ET V SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
vie qui n'est pas si bonne qu'elle n'ait besoin
de ces secours après la mort ; et qui aussi
n'est pas si mauvaise que ces choses ne lui
puissent servir après la mort. Mais il y en a une
qui est si abondante enbonnes œuvres, qu'elle
n'a pas besoin de ces assistances : comme
au contraire, il y en a une si pleine de cor-
ruption, qu'elle n'en peut être soulagée après
cette vie. Lors donc que l'on offre ou le sa-
crifice de l'autel, ou des aumônes pour tous
les morts qui ont été baptisés, ce sont des
actions de grâces pour ceux qui ont été ex-
trêmement bons ; ce sont des intercessions
pour ceux qui n'ont pas été grands pécheurs ;
et pour ceux qui ont été fort méchants, quoi-
que ces choses ne leur apportent aucun sou-
lagement, elles donnent quelque consolation
aux vivants. Or, à l'égard de ceux à qui eUes
peuvent être utiles, elles leur servent ou pour
leur procurer un pardon entier, ou du moins
pour rendi-e leurs peines plus supportables.
Au reste il ne faut pas s'imaginer ' que les
morts ressentent aucun avantage de tous les
soins que l'on prend pour eux, sinon lorsque
nous offrons solennellement en leur faveur
ou le sacrifice de l'autel, ou des prières, ou
des aumônes, quoique d'ailleurs il soit vrai
que ces choses mêmes ne soient utiles qu'à.
ceux qui ont mérité durant leur vie qu'elles
leur fussent utiles ; mais comme nous ne
pouvons savoir quels ils sont, il faut rendre
ce devoir à tous ceux qui ont été régénérés
763
par le baptême, afin de n'omettre aucun de
ceux qui en peuvent et doivent recevoir quel-
que avantage. Pour être cathohque il ne faut
donc ni croire % ni dire, ni enseigner que
l'on doit offrir le sacrifice des chrétiens pour
ceux qui sont morts sans avoir reçu le bap-
tême. Ce sentiment est une doctrine nou-
velle, contraire à l'autorité de l'Église et à
sa discipline. Car on ne doit offrir le corps
de Jésus-Christ ' que pour ceux qui sont mem-
bres de Jésus-Christ, et on ne devient mem-
bre de Jésus-Christ que par le baptême en
Jésus-Christ, ou par la mort pour Jésus-
Christ. Il ne servirait de rien d'alléguer en
faveur de l'opinion contraire le livre des
Machabées ; puisqu'on n'y trouve point que
les sacrifices des Juifs aient été offerts pour
ceux qui n'avaient pas reçu la circoncision.
Par une semblable raison ' on ne peut offrir
le sacrifice pour les damnés : et si l'Église
connaissait, dès à présent, ceux qui sont pré-
destinés à aller avec le diable dans le feu éter-
nel, elle prierait aussi peu pour eux que pour
lui. Mais parce qu'elle n'en est pas assurée,
elle prie même pour ses ennemis qui sont
ici-bas, quoiqu'elle ne soit pas exaucée pour
tous. Elle ne l'est que pour ceux qui, quoique
ses ennemis, sont prédestinés à devenir ses
enfants, par le moyen de ses prières. Mais
prie-1-elle pour les âmes de ceux qui meurent
dans leur obstination, et qui n'entrent point
dans son sein ? Non. Pourquoi cela, sinon
1 Quœ cum ita sint, non existimemus ad mortuos,
pro quitus curam gerimus, pervenire nisi quod
pro eis sive altaris, Hve orationum, sive eleemo-
synarum sacrificiis solemniter supplicamus;
quamvis non pro quibus fiunt omnibus prosint,
sed iis tantum quibus dum vivunt comparatur ut
prosint. Sed quia non discernimus qui tint, opor-
tet ea pro regeneratis omnibus facere ut nullus
eoruni prœtermittatur, ad quos hœc bénéficia
possint et debeant pervenire. August., lib. De
Cura gerenda pro mortuis, num. 22, pag. 530.
2 Noli credere nec dicere, nec docere: Sacrifi-
cium christiaQorum pro eis qui non baptizati de
corpore exierint, offerendum , si vis esse catholi-
cus. Quia nec illud quod de Machabœorum libris
commemorasti sacrificium Judœorum pro eis, qxà
non circumcisi de corpore exierunt ostendit obla-
tum. In qua ■ tua sententia tam nova et contra
Ecclesiœ totius auctoritatem disciplinamque pro-
lata, verbo etiam insolentissimo usus es dicens:
Pro bis sans oblationes assiduas et oiîerenda jugiter
sanctorum censeo sacrificia sacerdotum. August.,
lib. 111 De Anima et ejus orig., cap. xii, num. 18.
pag. 382.
' Quis enim offerat corpus Christi, nisi pro eis
qui membra sunt Christi: ex quo autem ab illo
dictum est : Nisi quis renatus fuerit ei aqua et Spi-
ritu, non potest iutrare in regnum Dei; et alio
loco: Qui perdiderit animam suam propter me,
inveniet eam, nemo fit membnim Christi, nisi
aut baptismate in Christo aut morte pro Christo.
August., lib. 1 De Anima et ejus orig., cap. ix,
num. 18, pag. 342.
"> Denique si de aliquibus ita certa essel (Ec-
clesiaj ut qui sint illi, etiam nossel, qui licet ad-
huc in hac vita sint constituti, tamen prœdesti-
nati sunt in œternum ignem ire cum diabolo, tam
pro eis non oraret quam nec pro ipso. Sed qiiia
de nullo certa est, orat pro omnibus dumtaxat
hominibus inimicis suis in hoc corpore constitu-
as : nec tamen pro omnibus exauditur. Pro his
enim salis exauditur, qui etsi adversantur Eccle-
siœ, ita tamen sunt prcedestinati, ut pro eis exau-
diatur Ecclesia et filii efficiantur Ecclesiœ. Si qui
autem usque ad mortem habebunt cor impœni-
tens, nec ex inimicis convertentur in filios, imm-
quid jam pro eis, id est, pro talium defunctorum
spiritibus orat Ecclesial Quid ita, nisi quia jam
in parle diaboli computatur, qui dum esset in
corpore, non est translatus ad Christum ? August,,
lib. XXJ De Civit. Dei, cap. xsiv, num. 1, pag. 642i
766
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Sur les
remontes
sacrifice.
parce qu'elle compte déjà du parti du démon,
ceux qui pendant cette vie ne sont point pas-
sés à celui de Jésus-Christ? »
152. Dans les églises d'Afrique on avait
des instruments et des vases d'or et d'ar-
gent' pour l'administration des sacrements,
et ils étaient regardés comme saints et con-
sacrés par l'usage qu'on en faisait. On voit
en particulier que l'église de Carthage avait,
dès le temps de la persécution de Dioclétien,
deux calices d'or et sis d'argent^. On offrait
tous les jours le saint sacrifice' et les fidèles
y assistaient*. L'évèque, en entrant dans
l'église^ saluait le peuple, faisait faire silen-
ce, et lire les divines Écritures. On commen-
çait ordinairement par les Épîtres de saint
PauP, puis on chantait un psaume, qui était
suivi de la lecture de l'Évangile. Ensuite l'é-
vèque faisait tm discours pour expliquer ce
qu'on avait lu. En certain temps on chantait
alléluia'' selon l'ancienne tradition de l'E-
glise ; mais il y avait des jours où l'on ne le
disait pas, et cela n'était pas sans mystère.
On le chantait* tous les dimanches à l'autel
pour marquer que notre occupation doit être
un jour de louer Dieu dans le ciel : mais on
ne le chantait pas avant Pâques ^, parce
que le temps de la Passion de Jésus-Christ
marque le temps des afflictions de cette vie.
Les lectures et le discours de l'évèque ache-
vés", on renvoyait les catéchumènes : et, les
fidèles étant restés seuls , on commençait les
prières. On en faisait pour les infidèles "afin
que Dieu les convertît à la foi, pour les fidè-
les afin d'en obtenir l'augmentation. C'est par
ces prières que saint Augustin pi-ouvait con-
tre les pélagiensla nécessité de la grâce. Aux
prières et aux collectes que le prêtre faisait,
le peuple répondait : Amen^-. C'était le prê-
tre même qui exhortait les fidèles à s'unir à
lui pour prier. Dans la célébration des saints
mystères on faisait mémoire des martyrs".
Ce n'était pas néanmoins pour eux que l'on
priait mais pour les autres morts. Les fidè-
les "* offraient à l'Église ce qui était néces-
saire pour le sacrifice, croyant par là se ren-
dre Dieu propice pour leurs péchés. Du temps
de saint Augustin , l'usage s'introduisit à
Carthage de chanter des hymnes tirées des
Psaumes, tant avant l'oblation, que pen-
1 Sed enim et nos pleraque instrumenta et vasa
ex hujusmodi materia vel métallo (id est ex auro
et argentoj habemus in usum celebrandorum sa-
cramentorum, quœ ipso ministerio consecrata
sancta dicantur, in ejus honorem qui pro sainte
nostra inde servitur.Augast., Serm. 2 in Psal. cxiii,
num. 6, pag. 1262.
2 August., lib. III Cont. Cres cap. siii, pag. 151.
s Par hoc et sacerdos fChristus) est, ipse offe-
rens, ipse et oblatio. Cujus rei sacramentum quo-
tidianum esse voluit Ecclesiœ sacrificiwn, quœ
cum ipsius capitis corpus sit, se ipsam per ipsum
disait offerre. August., lib. X De Civit. Bel, cap. xx,
pag. 256.
« August., lib. IX Confes., cap. i, pag. 170.
s Procedimus ad populum, plena erat Ecele-
sia..., salulavi populum... Facto tandem silentio
Scripturarum divinarum sunt Ucta solemnia. Au
gust., lib. XXIl Ve Civit. Dei, cap. vin, num. 22,
pag. fi72.
6 Primam lectionem audivimus Apostoli-..,
deinde cantavimus Psalmum.... post hœc Evange-
lica lectio... lias lectiones quantum pro tempore
possumus, pertractemus. August., Serm. 176 de
Yerbis Àpost., cayt. i, num. 1, pag. 839.
■J Est enim Alléluia et bis Alléluia quod nobis
cantare certo tempore solemniter moris est, se-
cundum Ecclesiœ antiquam traditionem : neque
enim et hoc sine sacramento certis diebus canta-
mus. Alléluia certis quidem diebus cantamus.
August., in Psal. cvi, num. 1, pag. 1204.
. 8 unde eliam omnibus diebus dominicis id ad
allare observatur, et Alléluia canitur, quod signi-
ficat actioncm nostram futitram non esse nisi
laudare Deum. August., Epist. 55 ad Januar.,
cap. XV, num. 28, pag. 139.
^ Illud (tempus) quod est ante Pascha, signifi-
cat tribulationem, in qua modo sumus : quod vero
nunc agimus post Pascha significat beatitudinem,
inquaposteaerimiis...Proptereailludtempusinje-
juniis et orationibus exercemus, hoc vero tempus
relaxatis jejuniis in laudibus agimtis; hoc est enim
Alléluia qiwd cantamus. August., in Psal. cxlviii,
num. 1, pag. 1672 et 1673.
" Eccepost sermonem fit missa catechumenis :
manebunt fidèles, venietur ad locum orationis.
August, Serm. 50, cap. viii, num. 8, pag. 275.
" Destruunt etiam (pelagianij orationes, quas
facit Ecclesia sive pro infidelibus et doctrinœ Dei
resislentibus ut convertantur ad Deum; sive pro
fidelibus ut augeatur in eis fides et persévèrent in
ea. August., lib. De Hœresib. hœres. 88, pag. 26.
'- Kumquid ubi audieris sacerdotem Dei adejus
altare populum hortantem ad Deum orandum vel
ipsum Clara voce orantem, ut incredulas gentes
ad fidem suam venire compellat, non respondebis :
Amen? August., Epist. 17, cap. vn, num. 20,
pag, 808.
" Perhibet prœclarissimum testimoniv/m eccle-
siastica aucto7'itas, in qua fidelibus notum est;
quo loco martyres, et quo defunctœ sanctimonia-
les ad altaris sacramenta recitentur. August., lib.
De Sancta Yirgin., cap. xlv, num. 46, pag. 364,
tom. VI.
1* Accepit abs te quod offerret pro te, quomodo
accipit sacerdos a te quod pro te offerat, quando
vis plaçare Deum pro peccatis tuis. August., in
Psal. cxxis, num. 7, pag. 458.
[IV" ET V'' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
767
dant qu'on distribuait au peuple ce qui avait
été offert. Un certain Hilarus •, laïque ca-
tholique, se mit à invectiver partout contre
cette pratique : ce qui engagea saint Augus-
tin, à la prière des frères, de le réfuter.
Le saint Docteur fait mention de la pré-
face qui commence par ces paroles : Ayez vos
cœurs élevés. <( Lorsqu'on dit, dit-li : Élevons 7ios
cœurs en haut ^, vous répondez : Nous les avons
élevés vers le Seigneur. El, afin que vous n'at-
tribuiez pas vous-mêmes à vos propres for-
ces cette élévation de cœur, qui est en effet
un don de Dieu, l'évêque ou le prêtre, ayant
ouï cette réponse du peuple , dit aussitôt :
Rendons grâces au Seigneur de ce que nous avons
le cœur élevé au ciel : et vous attestez cette
vérité en disant ensuite : Qu'il est juste et rai-
sonnable de pendre grâces à celui qui nous a
fait élever notre cœur vers notre chef. » La
consécration se faisait par la parole de Dieu
et par une prière mystique dont saint Augus-
tin crut devoir supprimer les tei-mes. « Ce
pain' que vous voyez sur l'autel, dit ce saint
Docteur aux nouveaux baptisés , ayant été
sanctifié par la parole de Dieu, est le corps
de Jésus-Christ : et ce cahce ou plutôt ce qui
est contenu dans le calice, ayant été sanctifié
par la parole de Dieu , est le sang de Jésus-
Christ. Il nous a voulu confier et donner dans
ces choses le corps et le sang qu'il a versé
pour la rémission des péchés , pourvu que
vous le receviez bien, c'est-à-dire digne-
ment. Nous n'appelons * le corps et le sang
de Jésus-Christ , que ce qui , provenant des
fruits de la terre , est consacré par la prière
mj^stique, et que nous prenons pour le salut
de nos âmes en mémoire de la passion que le
Seigneur a soufferte pour l'amour de nous.
Or, ces fruits de la terre ayant reçu par la
main des hommes la forme visible de pain
et devin, ne sont sanctifiés pour devenir un
si grand mystère que par la vertu invisible
de l'Esprit de Dieu qui opère lui-même invi-
siblement tout ce que ses ministres font en
ce mystère par des actions corporelles et ex-
térieures. »
Ce Père dit ailleurs ^ que le pain et le ca-
lice sont rendus mystiques par une certaine
consécration; qu'ils ne le sont point de leur
naturel. Le sacrifice ne s'offrait pas sans le
signe de la croix ^. Après la sanctification de
ce sacrifice on disait '^ l'Oraison dominicale;
et lorsqu'on venait à ces paroles : Pardon-
nez-nous nos offenses^, l'évêque et tous les as-
1 Eilaris quidam vir tribunitius Idicus catholi-
cus, nescio unde adversus Dei ministros, ut fieri
adsolet, irritatus, morem qui tune esse apud Car-
thaginem cœperat, ut hymni ad altare dicerentur
de Psalmorum libro, sive ante oblationem, sive
cum distribuer etur populo quod fuisset oblatum,
maledica repreliensione ubicumque poterat lace-
rabat, asserens fieri non oportere. Huic respondi
jubentibus fratribus. August., lib. II Retract.,
cap. II, pag. 45.
2 Cuin dicitur: Sursum cor, respondelis : Habe-
inus ad Dominum. Et ne hocipsum quod cor ha-
belis siwsum ad Dominum, tribualis viribus ves-
tris, meritis veslris, laboribus vestris, quia Dei
donum est sursum habere cor, ideo sequitur
episcopus vel presbyter qui offert et dicit cum
responderit populus : Habemus ad Dominum, sur-
sum cor : gratias agamns Domino Deo nostro ;
quia sursiim cor habemus, gratias agamus, quia
nisi donaret, in terra cor haberemus. Et vos attes-
tamini: Dignum et justum est dicentes, ut ci gra-
tias agamus qui nos fecit sursum adnostrum ca-
put habere cor. August., Serm. 227, pag. 974.
^ Panis ille quem videtis in altari, sanctifica-
tus per verbum Dei, corpus est Chrisli. Calix ille,
imo quod habet calix, sanctificatum per ver-
bum Dei, sanguis est Christi. Per ista voluit Do-
minus commendare et sanguinem swum quem pro
nobis fudit in remissionem peccatorum. Si bene
accepistis, vos estis quod accepistis. August.,
Serm,. 227, pag. 973.
'' Corpus Christi et sanguinem dicimus; sed il-
lud tanlum quod ex fructibus terrœ acceptum et
prece mystica consecratum rite sumimus ad sa-
lutem spiritalem in memoriam pro nobis Domi-
nicœ passionis : quod cum per manus hominum
ad illam visibilem speciem perducatur, non sanc-
tificatur ut sit tam magnum sacramentum, nisi
opérante invisibiliter Spiritu Dei, cum hœc om-
nia quœ per corporales motus in illo opère fiunt,
Deus operetur, movens primitus invisibilia mi-
nistrorum. August., lib. 111 De Trinit., eap. iv,
num. 10, pag. 798.
^ Noster autem panis et calix non quilibet
{quasi pr opter Christum in spicis et in sarmentis
ligatum, sicut illi desipiunt) sed certa consecra-
iione mysticus fit nobis, non nasciiur. Proinde
quod non ita fit, quamvis sit panis et calix, ali-
mentum estrefectionis, non sacramentum religio-
nis. August., lib. II Contr. Faust., cap. xm, pag. 342.
^ Quod signum [crucis) nisi adhibeatur, sive
fronlibus credentium... sive sacrificio quo aluntur,
nihil eorum rite perficitur. August., Tract. 118
in Joan. num. 5, pag. 801.
' Deinde post sanctificationem sacrifiai Dei...
ecce ubi est peracta sanctificatio dicimus Oratio-
nem dominicam, quam accepistis et reddidistis.
August., Serm. 227, pag. 974. In Ecclesia enim ad
altare Dei quotidie dicitur ista Dominica oratio.
Idem, Serm. 58, num. 12, pag. 342.
8 Quod si falsum est, unde quotidie tundimus
pectora? Quod quoque antistites ad altare assis-
tentes cum omnibus facimus. Unde etiam orantes
dicimus quod in tota ista vita oportet ut dica-
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
168
sistants frappaient leur poitrine , se décla-
rant pécheurs. Car, si n'ayant aucun péché,
nous ne laissons pas de frapper nos poitrines
en disant : Pardonnez-nom nos offenses , il n'y
a pas de doute qu'en cela même nous nous
rendrions très-coupables , en mentant dans
la célébration des mystères. Après l'Oraison
dominicale' l'évêque disait : La paix soit avec
vous, et les chrétiens se donnaient les uns
aux autres le saint baiser qui n'était qu'un
signe de la paix intérieure qu'ils devaient
conserver entre eux. Ils recevaient l'Eucha-
ristie dans leurs mains ^ ; mais ils ne man-
geaient point la chair de Jésus-Christ sans
l'avoir adorée auparavant'. En quoi non-
seulement ils ne péchaient point; au con-
traire ils auraient péché en ne l'adorant pas.
Ils communiaient à jeun*, étant du respect
pour un si grand sacrement, que le corps
de Jésus-Christ entrât dans la bouche des
chrétiens avant toute auti-e viande : c'était
au diacre à distribuer le sang de Jésus-
Christ*. En donnant l'Eucharistie le minis-
tre disait : C'est le corps de Jésus-Christ , et
les fidèles répondaient : Ainen^. Ils répon-
daient de même après avoir reçu le précieux
sang''. Pendant qu'on en faisait la distribu-
tion' on chantait des hymnes. Après quoi
venait l'action de grâces' qui terminait l'as-
semblée.
133 Saint Augustin, consulté s'il était à
propos que les chrétiens communiassent tous
les jours, ou seulement en certains jours de
la semaine, propose en ces termes les raisons
pour et contre : « Quelqu'un dira qu'on ne
doit pas recevoir l'Eucharistie tous les jours";
t
Sur U ,
qneole coi i
lliUDioSi
mus : Dimitte nobis débita nostra , sicut et nos
dimittimus debitoribus nostris... Nam si non ha-
bemus peccata et tundentes pectora diciinus : Di-
mitte nobis débita nostra, ex hoc ipso cette et
graviter, nulle dubitante, peccamus. cum inter
ipsa sacramenta mentimur. August., Serm. 351 ,
num. 6, pag. 1353 et 1356.
' Post ipsam forationem) dicitur: Pax vobis-
cum , et osculantwr se christiani in osculo sancto.
Pacis signwm est, sicut ostendunl labia, fiât in
conscientia. Id est quomodo labia tna ad labia
fratris tui accedunt, sic cor tuuin a corde ejus
non recédât. August., Serm. 227, pag. 974.
2 Ego illum (Optatum Gildonianumj coniine-
moro... cui pacis osculum inter sacramenta co-
pulabatis, in cujus manibus Eiicharistiam pone-
batis. August., lib. H Contra Lilt. Petiliani, num.
53, pag. 233. Vide, lib. Il Parmenian. num. 13,
pag. 33.
^ Nemo auteni illain carnem manducat nisi
prius adoraverit : inventum est quemadmodum
adoretur taie scabellum pedum Dominiet nonso-
lum non peccemus adorando, sed peccemus non
adorando. Augnst., m Psal. xcxviii, num. 8, pag.
1065.
* Ex hoc enim placuit Spiritui Sancto, ut in ho-
norem tanti sacramenti in os christiani prius do-
minicum corpus intraret, quant cœteri cibi : nam
ideo per universum orbem mos iste servatur.
August., lib. l Epist. 54, cap. vi, num. 8, pag. 126..
s In ipsa Ecclcsia [Laurentius] diaconii gerebat
of/icium, ibi sacrum Christi sanguinem ministra-
vit. August., Serm. 304, cap. i, num. 1, pag. 1234.
' Àudis enim: Corpus Christi, respondes: Amen,
August., Serm. 272, pag. 1104.
' Habet enim magnam vocem Christi sanguis
in terra, cum eo accepta ab omnibus gentibus
respondetur : Amen. August., lib. XII Contra Faust.,
cap. X, pag. 231 .
« August., lib. Il Rctract., cap. xr, pag. 45.
s Quibus peractis et participato tanto sacra-
mento, gratiarum actio cuncta concluait. August.,
Epist. 149, num. 16, pag. 509.
1» Dixerit aliquis non quotidie accipiendam Eu-
charistiam. Quœsieris quare? Quoniam, inquit,
eligendi sunt dies quibus purius homo continen-
tiusque vivit, quo ad tantum sacramentum di-
gnus accédât. Qui enim manducàVerit indignus,
judicium sibi manducat et bibit. Alius contra :
Imo, inquit , si tanta est plaga peccati atque
impetus morbi ut medicamenta talia differenda
sint auctoritate antistitis, débet quisque ab alta-
rio removeri ad agendam pœnitentiam, et eadem
auctoritate reconcilia.ri. Hoc est enim indigne ac-
cipere si eo tempôre accipiat quo débet agere pœ-
nitentiam; non ut arbitrio suo, cum libet, vel
auferat se communioni, vel reddat. Cœterumpec-
caia si tanta non sunt, ut excommunicandus
quisquam homo judicetur, non se débet a quoti-
diana medicina Dominici corporis separare. Rec-
tius inter eos fartasse quispiam dirimit litem, qui
monet ut prœcipue in Christi pace permaneant ;
faciat autem unusquisque quad secmdum fidem
suam pie crédit esse faciendum. Neuter enim eo-
rum exhonorat corpus et sanguinem Bomini, sed
saluberrimum sacramentum cerlatim honorare
cantendunt. Neque enim Htigaverunt inter se, aut
quisquam eoruni se alteri prœpasuit, Zachœus et
ille Centurio, cum aller earum gaudens indomum
suam susceperit Dominum, aller dixerit: Non
sum dignns ut intres sub tectum meum. Àmbo
Salvaiorem honorificantes diversa et quasi con-
traria modo: ambo peccatis miseri, ambo miseri-
cordiam consecuti. Valet etiani ad hanc simililu-
dinem quod in primo populo unicuique manna
secundum propriam voluntatem- in ore sapiebat,
sic uniuscujusque in corde christiani sacramen-
tum illud, quo siibjugatus est mundus. Nam ille
honorando non audet quotidie sumere, et ille
honorando non audet ullo die prœ termitière.
Cantemptum sohim. non vult cibus iste, sicut nec
manna fastidium. Inde enim et Àpostolus indigne
dicit acceptum ab eis qui hoc non discernebant a
cœteris cibis veneralione singulariter débita. Au-
gust., Epist. 54 ad Januar., cap. ni, num. 4,
pag. 125.
[iV' ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN,
et si vous lui en demandez la raison, c'est,
répondra-t-il, que le chrétien, avant qiie de
communier, doit choisir quelques jours pour
vivre avec une plus grande pureté et une plus
parfaite continence, afin de se rendre digne
d'approcher d'un si grand sacrement puisque
celui qui le mange indignement, mange et boit
sa propre condamnation. Un autre soutiendra
le contraire, et dira que si la plaie du péché
est si grande, et la violence de la maladie si
extrême qu'il faille différer un tel remède,
chacun doit se retirer de l'autel par l'auto-
rité de son évêque pour faire pénitence et
se réconcilier ensuite avec Dieu par l'autorité
du même évêque, parce que c'est recevoir
indignement l'Eucharistie que de la recevoir
dans le temps qu'on doit faire pénitence ;
qu'on ne doit pas de soi-même et de son pro-
pre mouvement se retirer de la communion,
ou s'en approcher ; mais que si les péchés
ne sont pas tels qu'ils soient jugés dignes
d'excommunication, ils ne doivent pas em-
pêcher qu'on ne s'approche tous les jours du
corps du Seigneur comme d'une médecine
salutaire. Peut-être que la meilleure manière
d'accorder le différend de ces deux hommes,
c'est de les avertir qu'avant toute chose, ils
aient soin de demeurer dans la paix de Jésus-
Christ ; et que chacun suive en ceci les mou-
vements de sa foi et de sa piété : car ni l'un
ni l'autre ne déshonorent le corps du Fils de
Dieu, puisqu'au contraire ils s'efforcent d'ho-
norer comme à l'envi ce sacrement si avan-
tageux au salut des hommes. Et certes Za-
chée et le centenier de l'Évangile ne dispu-
tèrent point ensemble, et l'un ne se préféra
point à l'autre, lorsque le premier reçut le
Seigneurdans sa maison avec joie, et que le se-
cond lui dit : Seigneur, je ne suis pas digne que
vous entriez dans ma maison. Tous deux hono-
rèrent le Sauveur quoiqu'on une manière
différente et comme contraire. Tous deux
étaient misérables par leurs péchés, et tous
deuxreçurentmiséricorde. Corome donc c'est
ÉVÊQUE D'HIPPONE. 169
par respect que le premier de ces deux hom-
mes n'ose s'approcher tous les jours de la
communion, c'est aussi par respect que le
second n'a osé s'en abstenir un seul jour.
Ainsi il n'y a que le mépi'is qui soit inju-
rieux à cette viande céleste, comme le dé-
goût l'était à la manne. »
154. Selon saint Augustin, dans l'Eucharis-
tie ' nous recevons une viande visible ; mais
autre chose est le sacrement, autre chose la
vertu du sacrement. «Plusieurs, dit-il, reçoi-
vent ce qui se donne à l'autel, et ne laissent
pas de mourir, et ils meurent parce qu'ils le
reçoivent. Ce sont ceux dont l'Apôtre dit : //
mange et boit sa propre condamnation. Car le
morceau que le Seigneur donna à Judas, n'é-
tait pas de lui-même un poison ; cependant
il ne l'eut pas plutôt reçu, que le démon en-
tra dans ce malheureux, non que ce qu'il
avait reçu fût mauvais, mais parce qu'étant
méchant il avait reçu une bonne chose dans
de mauvaises dispositions. Prenez donc bien
garde, mes frères, à ce que vous faites, man-
gez spirituellement le pain céleste, et appoi'-
tez l'innocence au saint autel. Si vous ne pou-
vez éviter les péchés que les justes mêmes
commettent tous les jours, du moins n'en
commettez point de mortels. Avant de vous
approcher de la sainte table, faites une sé-
rieuse réflexion sur ces paroles que vous
avez adressées à Dieu : Pardonnez-nous nos
offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous
ont offensés. Si vous pardonnez aux autres.
Dieu aussi vous pardonnera : ainsi vous pour-
rez vous approcher du saint autel avec l'assu-
rance que ce que vous y recevrez, vous sera
une nourriture et non pas un poison. Mais
examinez-vous bien si vous pardonnez véri-
tablement : car si vous ne pardonnez point,
vous mentez en disant cette prière, et vous
mentez à celui que vous ne pouvez tromper.
Les fidèles savent ce que c'est que le corps
de Jésus-Christ ^, s'ils ne néghgent pas de se
rendre eux-mêmes le corps de Jésus-Christ.
Sur les diî-
pO?iIiOnS [iOLT
reco\oîr l'Eu-
charistie.
1 Nam et nos hodie accipimus visibilem cibum :
sed aliud est sacrainentum, aliicd virtus sacra-
menti. Qtiam multi de altari accipmnt et moriun-
tur et accipiendo moriuntur ! Unde dicit Aposto-
lus : Judicium sibi manducat et bibit. Non enim
buccella dominica venenum fuit Judœ. Et tamen
accepit, et cum accepit, in eum inimicus intravil :
non quia malum accepit, sed quia bonum maie
malus accepit. Yidete ergo fratres, paiiem cœles-
tem spiriiualiter manducare, innocentiani ad ai-
tare apportate, peccata et si sunt quotidiana, vel
non sint mortifera, antequam ad altare accedatis
IX.
attendite quid dicatis : Dimitte nobis débita nos-
tra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris.
Dimittis, dimitlitur tibi : securus accède, panis
est, non venenum. Sed vide si dimittis: nam si
non dimittis, mentiris, et ei mentiris quem non
fallis. Mehtiri Deo potes, Deum fallere non potes.
August., Tract. 26 in Joan., num. H, pag. 498.
2 Norunt fidèles corpus Christi, si corpus Christi
esse non negligamt; fiant corpus Christi, si volunt
vivere de spiritu.De spiritu Christi non vivit,nisi
corpus Christi... 0 sacramentum pietatis, o signum
unitatis, o vinculum charitatisi Qui vult vioere,
49
770
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Qu'ils deviennent donc son corps, s'ils veu-
lent vivre de son esprit. Car il n'y a que le
corps de Jésus-Christ qui vive de l'esprit de
Jésus-Christ. 0 sacrement de piété ! ô signe
d'unité ! ô lien de charité ! Celui qui veut
vivre trouve le lieu où il doit vivre, et de quoi
il doit vivre. Qu'il s'approche donc de Jésus-
Christ, qu'il croie en lui, et qu'il soit incor-
poré, afin qu'il reçoive la vie ; qu'il ne se sé-
pare point de l'union étroite qui lie tous les
membres ensemble. Qu'il ne soit ni un mem-
bre pourri qu'on doive retrancher, ni un
membre difforme dont on rougisse ; mais qu'il
soit beau, bien proportionné et sain, qu'il
demeure uni au corps, qu'il vive de Dieu et
pour Dieu, et qu'il travaille maintenant sur
la terre, afln de régner un jour dans le ciel.
Il est certain ' que celui qui ne demeure point
en Jésus-Christ, et en qui Jésus-Christ ne de-
meure pas, ne mange point spirituellement
cette chair, et ne boit point ce sang, encore
que charnellement et visiblement il presse
des dents le sacrement du corps et du sang
de Jésus-Christ ; mais qu'il reçoit ce sacre-
ment pour sa condamnation, parce qu'étant
impur il a eu la présomption d'approcher des
mystères de Jésus-Christ, dontpersonne n'ap-
proche dignement que celui qui est pur, et
du nombre de ceux dont il est dit : Bienheu-
reux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils ver-
ront Dieic. n
Il paraît qu'on doit prendre ici le terme
spirituellement, non par opposition à celui
de réellement, mais par rapport aux dispo-
sitions pures et spirituelles que l'on doit
apporter à ce sacrement. Le saint Docteur
continue ainsi : « Celui qui mange ma chair
et qui boit mon sang, dit Jésus-Christ, demeure
en moi, et je demeure en lui. C'est donc une
marque ^ que nous avons mangé sa chair et
bu son sang, s'il demeure en nous, et si nous
demeurons en lui si fidèlement que nous ne
nous en séparions jamais. Car un chi'étien
ne doit ' rien tant appréhender que d'être
séparé du corps de Jésus-Christ. S'il en est
séparé, il n'est plus un des membres de son
corps ; et s'il n'est plus un de ses membres,
il n'est plus animé et vivifié de sonespx'it. Ne
nous contentons pas de manger ' seulement
dans le sacrement le corps et le sang de Jé-
sus-Christ, ainsi que le mangent plusieurs
méchants, mangeons-le et buvons-le en telle
sorte que nous soyons aussi participants de
son esprit, afin que demeurant unis à son
corps comme ses membres, nous soyons ani-
més et vivifiés par son Espi'it-Saint. »
153. Saint Augustin ne croyait " pas qu'il
lui fût permis de séparer un chrétien de la
communion, quoique cette séparation ne fût
que pour le guérir, s'il ne confessait lui-même
son crime, ou s'il n'en était accusé et con-
vaincu dans un jugement séculier ou ecclé-
siastique. (( Car dit-il, quel est celui qui osera °
s'attribuer la liberté d'être juge et accusateur
hahetuhi vivat, habet unde vivat. Accédât, credat,
incorporetur ut vivijxcetur. Non abtiorreal a com-
page meynbrorum, non sit putre membrum quod
resecari mereatur, non sit distortum de quo eru-
bescatur : sit pulchrum, sit aptum , sit sannm :
hœreat corpori, vivat Deo de Deo : mine laboret
in terra, utpostea regnetin cœlo, August. Tract. 26
inJoan., mim. 13, pag. 499.
• Qui manducat carnem meam et bibit meum
sanguinem, in me manet, et ego in illo. Hoc est
ergo manducare illam escam et illum bibere po-
tum in Christo manere et illum manentem in se
habere. At per hoc qui non manet in Christo, et
in quo non manet Christus, procul dnbio nec man-
ducat fspirilualiterj carnem. cjus, nec bibit san-
guinem [ licet carnaliter et visibiliter premat den-
tibus sacramentuin corporis etsanguinis Christi] :
sedmagi!< tantœ rei sacramentiim ad judicium sibi
manducat et bibit; quia immundus prœsumpsit
ad Christi accedere sacrame' ta, quœ aliquis non
digne sumit, nisi qui mundus est, de quibus di-
eitur : Beati mundo corde quoniam ipsi Deum
videbuut. August., Tract. 2G in Joan., uum. 18,
pag. 501.
* Qui manducat carnem meam, et bibit sangui-
nem meum, in me manet et ego in illo. Signum
quia manducavit et bibit, hoc est si manet etma-
netur, si habitat et inhabilatur, si hœret ut non
deseratur. Hoc ergo nos docuit et admoiuit mys-
ticis verbis ut simus in ejus corpore sub ipso ca-
pite in membris ejus, edentes carnem ejus, non
relinquentes unitatem ejus. August., Tract. 27 in
Joan , num. 1, pag. 602.'
2 Mhil enim sic débet formidare christianus,
quam separari a corpore Christi; si enim separatur
a corpore Christi. non est membrum ejus, si non
est mernbrum ejus, non vegetatur spiritu ejiis.
August., ibid., num. 6, pag. 504.
* Carnem Christi et sanguinem Christi non eda-
mus tantum in sacramento, quod et multi mali;
sed itsque ad spiritus participationem manduce-
mus et bibamus ut in Domini corpore tanquam
mcmbra maiieamus, ut ejus spiritu vegetemur.
August., ibid. , uum. 11, pog. 506.
'* Nos vero a communione inohibere quemquam
non possitmus {quamvis hœc prohibitio nondum
sit mortaiis, sed medicinalis) nisi aut sponte con-
fessum, aut in aliquo sive sœcula)'i sive ecclesias-
tico judicio nominatum alque convictum. August.,
Scrm. 351, num. 10, pag. 1359.
6 Tolérât ipse Dominus Judam, diabolum, furem
et vendilorem suum; sinil accipere inter innocen-
[rv° ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN,
Sur U Jié-
ce.<:sîté do
l'ËucbaristîD.
d'un même homme ? Ne voyons-nous pas
que Jésus-Christ a toléré Judas, c'est-à-dire,
un démon, un voleur, un traître par qui il
savait qu'il devait être vendu ; et qu'il l'a
laissé participer avec la troupe innocente
du reste des apôtres, à ce prix de notre
rédemption qui est connu des fidèles. »
136. Quelques écrivains ont reproché à
saint Augustin d'avoir ense-igné que les en-
fants baptisés ne peuvent être sauvés sans
avoir reçu le sacrement de l'Eucharistie. Ils
se fondent particulièrement sur un passage
du premier livre des Mérites et de la rémis-
sion des péchés, où ce Père dit : « Écoutons'
ce que le Seigneur dit, non du sacrement du
baptême, mais de celui de sa table sainte,
dont il n'y a que les baptisés qui aient droit
d'approcher : Si vous ne mangez ma chair et
ne buvez mon sang, vous n'aurez point la vie en
vous.: Que cherchons-nous davantage ? Et que
peuvent répondre les pélagiens à une auto-
rité si précise, à moins qu'ils ne veuillent
opposer une ojiiniâtreté inflexible à la lu-
mière de la vérité ? Se trouvera-t-il quelqu'un
assez hardi pour dire que ce passage ne re-
garde point les enfants, et qu'il est possible
d'avoir la vie sans la participation de ce
corps et de ce sang? » Mais plusieurs habi-
les théologiens ont justifié saint Augustin
sur ce point, entre autres ^ le cardinal Noris
dans un ouvrage fait exprès pour la défense
de ce Père. Il y fait voir qu'il tirait des céré-
monies du baptême un ai'gument contre les
pélagiens, en leur prouvant que s'ils préten-
daient que les enfants morts sans baptême
étaient exclus du royaume du ciel, on ne
pouvait supposer que ces mêmes enfants
eussent une autre sorte de vie éternelle sur
la terre, puisque Jésus-Christ avait déclaré
que si on ne mangeait sa chair , et si on ne
ÉVÊQUE D'HIPPONE. -771
buvait son sang, on ne pouvait avoir la vie.
Or cela peut s'entendre en deux manières ;
l'une, en ce qu'on ne peut participer à l'Eu-
charistie sans avoir reçu le baptême, qui
donne droit à la recevoir. L'autre est que
parlant du baptême, il a entendu tout ce que
l'Église pratiquait en l'administrant, et il est
certain qu'on ne baptisait point sans donner
aussitôt la communion aux nouveaux bapti-
sés. On ne divisait pas trois sacrements qui
étaient donnés en même temps, le baptême,
la confirmation et l'Eucharistie , quoiqu'ils
fussent distingués en eux-mêmes ; en sorte
que si, par quelque accident ou dans un pé-
ril pressant de mort, on ne recevait le bap-
tême que comme les cliniques qui étaient
baptisés dans lem' lit, et étant à l'extrémité,
on suppléait la confirmation dans la suite.
C'est donc du baptême entier et complet par
la réception del'Eucharistie que saint Augus-
tin a parlé. Mais ce qui doit être plus remar-
qué, c'est que cette pratique de donner la
communion aux enfants incontinent après
le baptême, fut la pratique générale de toute
l'Église jusqu'au ii.^ siècle, et longtemps
après , comme il paraît par cette loi des Ca-
pitulaires, citée parRég•inon^ que le prêtre
ou le curé ait toujours l'Eucharistie prête,
afin que si quelqu'un est malade, ou quel-
que enfant, aussitôt il le communie, de peur
qu'ils ne meurent sans communion. La mê-
me discipline se trouve marquée dans les
chapitres de Gautier"^, évêque d'Orléans, et
dans plusieurs autres anciens. Mais on ne
peut guères mieux expliquer le sentiment
de saint Augustin que par les paroles de
Théodulphe, évêque de la même ville, qui
ayant parlé de la vie éternelle, dit ensuite ' :
« Nous sommes baptisés et nous sommes
nourris de sa chair, et nous buvons son
tes discipulos, quoi fidèles noverunt pretium
nostrum. August., Epist. -13, num. 23, pag. 99.
* Bominum audiamus non quidem hoc de sa-
cramento lavacri dicentem, sed de sacrainento
sanctœ mensœ suœ , quo nemo rite nisi baptiza-
tus accedit : Nisi mandueaveritis carnem, et bibe-
ritis sanguinem meum, non babebitis fitam in
vobis. Quid ultra quœrimus ? Quid ad hœc res-
ponderi potest, nisi pertinacia pugnaces nervos
adversus constantiam perspicuœ verilatis inten-
dat ? An vero quisquam etiam hoc dicere aude-
bit, quod ad parvulos hœc sententia non perti-
neat, possintque sine participatione corporis hujus
et sanguinis, in se habere vitam, etc. August.,
lib. I De Feccat. merit. et remiss, cap. xx, num.
26 et 27.
2 Cardinalia Norisius, in Yindiciis Àugustinia-
nis, parag. 4, pag. 1041 et seq., tom. 1. Edit. Vero-
nensis. Voyez M. Renaudot dans la Perpétuité de
la Foi, liv. Il, chap. x, tom. V, pag. 134 et suiv.
2 Vt presbyter semper Eucharistiam habeat
paratam, ut quando qtiis infirmaverit, aut par-
vulus infirwus fuerit , statim eum communicet,
ne sine communione moriatur. Regino, lib. I De
Ecoles, discipl., cap. lxix.
* Walterius, Aurelianensis episcopus, in Capi-
tulis, cap. VII, pag. 639, tom. VIII, Concil.
^ Propter hanc vitam adipiscendam et baptiza-
mur, et ejus carne pascimur, et ejus sanguine
potamur ; quia nequaquam possumus in ejus cor-
pus transire, nisi his sacramentis imbuamur. Sic
enim ipse ait • Caro mea vere est cibus, etc. Theo-
dulfus, Aurelianensis, lib. De Ordine baptismi,
cap. xviii, pag. 14, tom. XIV, Bibl. Pat.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
'772
sang, parce que nous ne pouvons entrer
dans son corps, si nous ne recevons ces sa-
crements ; car il dit : Ma chair est vraiment
viande, etc. » Par ce passage l'on voit que se-
lon Théodulphe, il est nécessaire pour en-
trer dans l'Église, qui est le corps de Jésus-
Christ, d'être baptisés et de recevoir son
corps et son sang qui nous sont donnés dans
l'Eucharistie. Dans le temps de la primitive
Église et dans les dix premiers siècles où l'on
n'administrait le baptême qu'en donnant
aussitôt la communion au néophite, c'était
la même chose que si l'on eût dit que l'Eu-
charistie était nécessaire pour la vie éter-
nelle. Mais cela ne signifiait pas que celui
qui mourait sans avoir participé à ce sacre-
ment ne fût pas en état de salut. Le diacre
Ferrand ne laissa pas de consulter saint Ful-
gence à l'occasion d'un Éthiopien qui, ayant
été baptisé, mourut avant que de recevoir
l'Eucharistie. Ce Père répondit' qu'aucun
fidèle ne doit être en inquiétude touchant
ceux qui étant baptisés dans leur bon sens,
et étant ensuite prévenus de la mort ne peu-
vent manger la chair du Seigneur, ni boire
son sang. (( Car si on fait réflexion, dit-il,
aux mystères de la vérité, aussi bien qu'à
la vérité du mystère, on trouvera que cela se
fait dans la régénération même. En eflet,
qu'est-ce qui se fait dans le sacrement du
saint baptême , sinon que les croyants de-
viennent membres du corps de Jésus-Christ,
et que par l'unité ecclésiastique ils entrent
dans la composition de ce corps. C'est pour-
quoi parce que nous sommes un pain et un
corps, chacun commence alors à participer
à ce pain quand il commence à être mem-
bre de ce corps. » Le pape Innocent I" ' a
cité les paroles : Si vous ne mangez ma
chair, etc. dans le même sens que saint Au-
gustin, pour prouver la nécessité du baptê-
me contre les pélagiens. Mais ni l'un ni l'au-
tre n'ont jamais cru, et on n'a jamais en-
seigné dans l'Église que la perception réelle
de l'Eucharistie fût nécessaire au salut ; et
quand les Pères ont dit que les catéchumè-
nes entraient dans le corps de Jésus-Christ
par l'Eucharistie, c'est qu'on administrait en
même temps ces sacrements par une action
sacrée, unique et non interrompue. On était
plus occupé alors à instruire les nouveaux
chrétiens de leurs devoirs, et des dispositions
qu'ils devaient apporter à ces saintes céré-
monies, qu'à former des questions subtiles
sur l'effet des sacrements ; et moins encore
à résoudi'e des difficultés qu'on ne pouvait
prévoir, et qu'on n'aurait jamais dû faire.
157. Selon saint Augustin, le sacrement
de pénitence est distingué du baptême, et
c'est par lui que nous sont remis 'les péchés
commis après le baptême. « Si un catéchu-
mène *, dit-il, est coupable d'un homicide,
ce péché lui sera remis par le baptême ; s'il
est baptisé, il lui sera remis par la pénitence
et la réconciliation. Car l'Église de Dieu a la
puissance de remettre * tous les péchés, et
c'est à cet effet que les clefs du royaume
des cieux lui ont été données. Ne pas croire
qu'elle ait ce pouvoir, c'est mépriser une si
grande grâce * et un si grand présent de
la !■<•
' Nullus autem moveri débet fidelium in illis
qui etsi légitime sana mente haplisantur, prceve-
niente velocius morte, carnem Dominimanducare
et sanguine m bibere non sinuntur: propter illam
videlicet sententiam Salvatoris : Nisi manducave-
ritis carnem Filii hominis, et biberitis ejussangui-
nem, non babebitisvitam in vobts. Quod quisquis
non solum secundum veritatis inysleria, sed se-
cundum mysterii veritatem, considerare poterit,
in ipso lavacro sanctœ regenerationis hoc fieri
providebit. Quid eiiim agilur sacramenlo sancto
baptismatis, nisi ut credentes membra Domini
nostriJesu Christi fiant, el ad conipagem corporis
ejus ecclesiastica unilate perlineant?... Quocirca
quoniam unus panis et unum corjms muUi sti^
mus, tune incipit %inusqii,isque particeps esse il-
lius unius panis, quando cœperit membrum^ esse
illius unius corporis. Falg.. Epist. ad Ferrandum,
diaconum. de Baptismo ylitliiopis, cap. xi, pag. m,
tom. IX Bibl. Pat.
2 InDocentiiis, I Epist. ad Patres Milevitani
Concilii, qui inler Augustinianas est 182, num. 5,
pag. 640. Vide Notas Patrum Benedictinorum, in
lib. I De Peccat. merit. et rem., cap. xx, pag. 15.
3 Peccala quœ maie agendo poslea committun'
tur, possunt et pœnitendo sanari sicutetiam post
buptismum fieri videmus. August., Enchirid.,
cap. xLvi, pag. 2U.
^ Si a calechumeno faclum est (homicidium)
baptismate abluitur ; et si a baptizato, pœniten-
tia et reconciliatione sanatur. August., lib. Il De
Adulter. conjug., cap. xvi, num. 6, pag. 414.
'' Nec eos audiamus qui negant Ecclesiam- Dei
omnia peccata passe dimittere. Itaque miseri, dum
in Petro petram non intelligunt, et nolunt cre-
dere datas Ecclesiœ claves regni cœlorum, ipsi
eas de manib%is amiserunt. August., lib. DeAgone
Christian., cap. xxxi, num. 33, pag. 260, tom. VI.
^ Qui vero in Ecclesia remilti peccata non cre-
dens, contemnit tantam divini muneris largita-
tem, et in hac obstinatione mentis diem claudit
extremum, reus est illo irreinissibili peccata in
Spiritum Sancliim, in quo Christus peccata di-
miltit. August., Enchirid., cap. Lxxxin, pag. 228.
[IV" ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
773
Dieu : et en demeurant opiniâtre dans cette
erreur jusqu'à la fin de ses jours, c'est se
rendre coupable du péché irrémissible con-
tre le Saint-Esprit, par qui Jésus-Christ re-
met les péchés. » Saint Augustin dit qu'il
avait fait un petit traité exprès pour expli-
quer la nature de ce péché ; mais comme il
n'en dit rien dans ses Rétractations, et que
Possidius se conlente de lui attribuer lin
écrit sur le blasphème contre le Saint-Esprit,
sans marquer si c'est un livre ou un sermon,
on croit que le traité dont ils parlent l'un et
l'autre n'est autre chose que le soixante-on-
zième sermon ' sur les paroles du Seigneur,
oii il traite en effet du péché contre le Saint-
Esprit, et où après avoir montré les difficul-
tés qui se rencontrent dans les différentes
explications qu'on en peut donner, il réduit
son sentiment' au mépris de la pénitence,
de la réconciliation et de l'unité de l'Église,
quand il dure jusqu'à la mort.
158. Le saint Docteur parle souvent de la
confession qu'on doit faire à Dieu : « Crai-
gnez-vous, dit-U', de lui confesser vos pé-
chés et qu'il ne vous condamne quand vous
les lui aurez confessés ? Au contraire si vous
voulez les lui cacher en ne les confessant
pas, vous serez condamnés un jour, aussi-
tôt que vous les confesserez. Vous appré-
hendez de confesser vos péchés à Dieu, vous
qui ne pouvez les lui cacher quand rùème
vous ne les confesseriez pas. Votre silence
orgueiUeux vous fera condamner, vous qui
pourriez vous délivrer par une humble con-
fession. Soyez dans la tristesse '* avant que
de confesser vos offenses ; mais lorsque vous
les aurez confessées, soyez ravis de joie,
parce que vous serez guéris. Votre cons-
cience ulcérée s'était remplie comme d'un
pus insupportable ; l'apostume s'était gros-
sie ; elle vous causait de grandes douleurs ;
elle troublait votre repos. Le divin médecin
se sert quelquefois de sa parole comme d'un
remède doux ; mais quelquefois il y appli-
que aussi le fer : il se sert de l'afEliction com-
me d'un rasoir tranchant pour ouvrir le mal
qui vous presse. Adorez sa main, confessez
humblement vos fautes , que toute la pour-
riture de vos ulcères sorte de votre cœur
par cette confession. Réjouissez-vous alors,
soyez ravis de joie : ce qui reste se guérira.
Mais ce n'est pas assez de se confesser à
Dieu , il faut encore se confesser à ceux qui
ont reçu de lui le pouvoir de lier et de dé-
lier. »
Saint Augustin compare le pécheur res-
suscité par la pénitence à Lazare soi'tant du
tombeau et délié par l'ordre de Jésus-Christ.
« Que lui aurait servi ^ dit-il, d'être sorti du
tombeau, si Jésus-Christ n'eût ordonné de le
délier et de le laisser aller? C'est le Seigneur
qui l'a tiré du sépulcre par sa voix. La mê-
me chose arrive dans le cœur d'un pénitent.
Lorsque vous apprenez qu'un homme fait
pénitence de ses péchés, il a déjà repris une
nouvelle vie. Lorsque vous apprenez qu'il a
fait connaître l'état de sa conscience en se
confessant, il est déjà sorti du tombeau,
mais il n'est pas encore délié. Quand l'est-
il? Par qui l'est-il? Écoutez : Ce que vous au-
rez délié sur la terre , dit Jésus-Christ , sera
délié dans le ciel. C'est donc à bon droit que
l'Église a le pouvoir d'ôter les liens du pé-
ché. Il faut néanmoins que ce soit la voix in-
térieure du Seigneur qui ressuscite Je mort.
Celui qui se confesse ^ est sorti du tombeau ,
» August., Serm. 71, pag. 384.
^ Unum ergo suffugium est, ne sit irremissi-
bilis blasphemia, ut cor pœnitens caveatur, nec
aliter pœnitentiaprodesse credatur, nisi mC tenea-
tur Ecclesia, ubi reniissio peccatorum datur, et
societas spiritus in pacis vinciilo custoditur. Au-
gust., Serm. 71, cap. sxiv, pag. 403 et 404.
3 Confiteri times Deo, ne confessum damneti Si
non confessus lates, confessus damnaberis. Times
confiteri, qui non confitendo esse non potes occul-
lus : damnaberis tacitus, qui passes liberari con-
fessus. August., in Psal. lxvi, num. 6, pag. 660.
* Ergo tristis esta antequam confitearis, confes-
sus exsulta, jam sanaberis. Conscienlia tua sa-
viem collegerat, apostema tumuerat, cruciabat te,
requiescere nonsinebat, adhibet medicus fomenta
verborum, et aliquando secat. adhibet médicinale
ferrum in correptione tribulalionis : tu agnosce
wedici manum , confitere, exeatin confessione et
defluat omnis santés : jam exsulta, jam Icelare ;
quod reliquum est, facile sanabilur. August., i6id.
num. 7, pag. 661.
^ Quid enim prodesset Lazaro, quia processit de
Vionumento, nisi diceretur: Solvite eum, et sinite
abire? Ipse quidem voce de sepulcro suscilavit ,
ipse clamando animam reddidit... fit hoc in corde
pœnitentis : cum audis hominem pœnitere, jaiit
revixit : cum audis hominem confitendo proferre
conscienliam , jam de sepulcro eductus est, sed
nondum solutus est. Quando solvitur ? et a qui-
bus solvitur? Ouse solveritis , inquit , in terra,
erunl soluta et in cœlo. Mérita per Ecclesiam dari
solutio peccatorum- potest : suscitari aulem ipse
mortuus non nisi intus clamante Domino potest:
hœc enim Beus interius agit. August., Serin. 2 in
Psal. c:r, num. 3, pag. H03.
^ Qui confite tur , processit. Quare processisse
diximus confitentem? Quia antequam confitere-
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
774
parce qu'avant sa confession il était caché.
Mais quand il se confesse , il passe des ténè-
bres à la lumière : et après qu'il se sera con-
fessé, que dira Jésus-Christ à ses ministres? »
Saint Augustin commente ici les paroles de
Notre-Seignem' à propos de Lazare : Déliez-le
et laissez-le aller ' ; et il ne pouvait mieux mar-
quer combien les pécheurs reconnaissent
que le ministère des prêtres leur est néces-
saire pour les réconcilier avec Dieu, qu'en
nous représentant ce qui se passe dans une
ville en danger d'être prise par les ennemis
et lorsqu'il n'y a plus moyen de fuir : « Alors,
dit-il , un grand concours de tout sexe et de
tout âge s'assemble dans l'Église : les uns
demandent le baptême, les autres la récon-
ciliation , et d'autres la pénitence : s'il ari-i-
ve que les ministres de l'Église soient ab-
sents , quel malheur pour ceux qui sortent
de la vie sans être régénérés, ou étant liés!
Car c'est par la puissance des clefs que les
péchés mortels^ sont remis. Faites donc pé-
nitence^ comme on la fait dans l'Église, afin
que l'Église prie pour vous. Que personne
ne dise : Je fais pénitence en secret aux yeux
de Dieu , c'est assez que celui qui doit m'ac-
corder le pardon connaisse la pénitence que
je fais au fond de mon cœur. S'il en était
ainsi, ce serait sans raison que Jésus-Christ
aurait dit : Ce que vous délierez sur la terre ,
sera délié dans le ciel ; et qu'il aurait confié
les clefs à son Église. »
139. «Un véritable pénitent, dit saint Au-
gustin, ne laisse point ^ impuni dans lui-
même le mal qu'il a fait , et moins il s'ac-
corde de pardon, plus il a lieu d'en espérer
de celui dont aucun de ceux qui le méprisent
ne peut éviter les Justes et terribles ju-
gements. Ce n'est pas assez de corriger ses
moeurs'^, ni de ne plus commettre de mau-
vaises actions, il faut encore satisfaire à
Dieu pour nos péchés passés, par la douleur
de la pénitence, par les gémissements de
l'humilité , par le sacrifice d'un cœur con-
trit, et par le mérite des aumônes dont nous
devons accompagner tous les exercices de
la pénitence, puisqu'il est écrit : Bienheu-
reux sont les misér-icordieux , parce que Dieu
leur fera miséricorde. Il ne nous est pas seu-
lement ordonné de nous abstenir du péché ,
mais aussi de prier le Seigneur de nous par-
donner nos fautes passées. Saint Pierre était
déjà fidèle, et en avait baptisé d'autres en
Jésus-Cln-ist : toutefois il fut repris par le
Sauveur , et blessé dans sa crainte , et guéri
dans ses larmes. Je crains, dit l'Apôtre aux
Corinthiens , que Dieu ne m'humihe , lors-
que je vous reviendi'ai voir , en m'obligeant
de pleurer plusieurs personnes qui sont dans
le vice depuis longtemps , et qui n'en ont
point fait pénitence. Nous avons donc de tout
côté et des préceptes qui nous ordonnent de
bien vivre , et les exemples , non-seulement
de ceux qui vivent bien, mais encore de
Sar la sa*
tur, occultus erat : cum autem confitetur, procedit
de tenebris ad lucem. Et cum confessus fuerit,
quid dicitur ministris ? Quod dictitm est ad fu-
nus Lazari : Solvite illum, et sinite abire. Oito-
modo ? Dictum est ministris apostolis : Quœ solve-
ritis in terra, soluta erunt et in cœlo. August.,
Tract. 22 in Joan, num. 7, pag. 468.
» August., Episl. 228, num. 8, pag. 833.
2 Sunt quœdam {peccataj gràvia et mortifera,
quœ nisi per vehementissimam molestiam hiimi-
lialionis cordis et contritionis spiritus et tribu-
lationis pœnitentiœ non relaxantur. Hœc dimil-
tuntur per claves Ecclesiœ. August. , Serm. 278,
cap. XH, pag. 1127.
9 Quipost uxores vestras vos illicito concubitu
maculastis, si prœter uxores vestras cum aliqua
concubuistis, agite pœmtentiam, qualis agitur in
Ecclesia, ut oret pro vobis Ecclesia. Nemo sibi
dicat: Occulte ago, apud Deum ago : novit Deus
qui mihi ignoscat , qiiia'in corde meo ago. Ergo
sine caxisa dictum est : Ouœ solveritis in terra, so-
luta erunt et in cœlo 1 Ergo sine causa sunt claves
datœ Ecclesiœ Dei? August., Serm. 392, num. 3,
pag. 1304.
' Nihilaliud agit, quem veraciter pœnitet, nisi
ut id quod mali fecerit impunitum esse non sinat.
Eo quippe modo sibi non parcenti ille pareil, eu-
jus altum justumqtiejudicium nullus contempior
evadit. August., Epist. 153, num. 6, pag. 326.
^ Non enim sufflcit mores in melius commutare
et a factis malis recedere, nisi eliam de his quœ
facta sunt satisfiat Deo per pœnitentiœ dolorem,
per humilitaiis gemitum, per contriti cordis sa-
crificium cooperantibus eleemosynis. Beati enim
miséricordes, quoniam ipsorum miserebitur Deus.
Non enim dictum est ut tantum abstineamus a
peccatis; sed : Et de prîeteritis, inquit, deprecare
Dominum, ut tibi dimittantur. Et Peints jam erat
(idelis jam in Christo et alios baptizaverat. In-
tuereergo Petrum prœsumentem, accusatum, ti-
menlem vulneratum, flentem sanatum. Jam etiam
post advenlum de cœlo Spiritus Sancti, quidam
Simon pecunia voluit eumdem Spiritum Sanctu>m
emere. Sceleratissimuin et impium mercimonium
cogitons, jam baptizatus in Christo, et tamen pœ-
nitentiœ consilium ab ipso Petro correptus acce-
pil. Dicit etiam' aposlolus Paulus, gui utiqne jide-
libus mitt'ebat Epistolas : Ne itcvum cum venero
ad vos, humiliet me Deus, et Uigeam multos ex
bis qui aute pecc-averunt, et non egerunt pœniten-
tiam super immunditia et luxuria, et fornicatioue
quam gesserunt. Circumstant ergo nos et prœcepta
[IV' ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
77S
ceux qui font pénitence pour recouvrer le
salut qu'ils avaient perdu par leurs péchés.
Le Sauveur, en parlant des œuvres de justi-
ce , les' réduit à trois, le jeûne , l'aumône ,
la prière. Dans le jeûne il a voulu compren-
dre tout ce qui châtie et mortifie notre chair ;
dans les aumônes , toute la bienveillance
qu'on peut témoigner envers le prochain, en
lui donnant ou en lui pardonnant ; et dans
la prière toutes les règles des saints désirs.
C'est en vain' que ceux qui mènent une vie
toute criminelle, sans se mettre en peine de
se coi'riger, et qui, parmi leurs crimes et
leurs désordres, font souvent des aumônes,
se flattent sur ce que Notre-Seigneur a dit :
Donnez l'aumône et toutes choses vous seront pu-
res, n faut donc bien' prendre garde que
pour ce qui est des grands péchés qui , se-
lon l'Apôtre , font perdre le royaume de
Dieu , il n'y ait autre chose à faire qu'à les
commettre tous les jours, et à les racheter
tous les jours. Nous devons changer de vie ,
et nous servir de l'aumône pour apaiser Dieu
afin qu'il noas pardonne nos péchés passés,
et non pas pour acheter de lui en quelque
sorte la licence de les commettre toujours
impunément. Car il n'accorde à personne la
liberté de pécher, encore qu'il efface par sa
miséricorde les péchés qu'on a déjà commis,
pourvu qu'on ne néglige pas de lui en faire
une satisfaction proportionnée. Quant aux
fautes légères et passagères que l'on com-
met tous les jours, et dont on n'est point
exempt en cette vie, la prière, que les fidèles
récitent chaque jour, peut servir de satis-
faction. »
160. D'après saint Augustin, « il y a trois
sortes de pénitence * dans l'usage ordinaire
de l'Église. La première est comme le tra-
vail qui précède l'enfantement de l'homme
nouveau jusqu'à ce que tous les péchés pas-
sés soient lavés par les eaux salutaires du
baptême, afin que l'enfant étant né, les dou-
leurs qui pressaient les entrailles de la mère,
finissent , et que la tristesse soit suivie de la
joie. Car tous ceux qui, étant en âge de rai-
son, se présentent aux sacrements des fidè-
les, ne peuvent entrer dans la nouvelle vie,
s'ils ne se repentent de celle qu'ils ont menée
dans le vieil homme. Il n'y a que les en-
fants qui soient exempts de cette péni-
tence lorsqu'ils reçoivent le baptême. Néan-
moins la foi de ceux qui les présentent au
baptême leur sert pour les sanctifier et
pour leur obtenir la rémission du péché ori-
ginel ; afin que, comme ils n'ont reçu toutes
les taches des péchés qu'ils peuvent avoir
que par autrui , c'est-à-dire par ceux dont
ils sont nés selon la chair, ils en soient aussi
purifiés par autrui, c'est-à-dire par ceux qui
sont interrogés et qui répondent pour eux
dans cette action. Car c'est avec grande vé-
rité que le Psalmiste dit en pleurant : i'ai été
conçu dans l'iniquité, et ma mèi'e m'a enfanté
dans les péchés. Il se trouve aussi écrit qu'il
n'y a personne qui soit pur aux yeux de Dieu,
pas même l'enfanl qui est né sur la terre de-
puis un jour. Que si l'on excepte ces enfants
(dont il ne faut pas se mettre en peine da-
vantage pour savoir quel est leur rang et
leur mérite dans la vie bienheureuse de l'au-
tre monde qui est promise aux saints; quoi-
que la piété nous oblige de croire que ce
qui se fait pour eux dans toute la terre par
l'autorité inviolable de l'Église, leur sert
pour être sauvés) , il est certain que nul des
recte faciendi et exempta non tanttim recte fa-
cientium, sed etiam pœnilentium, ad recipiendam
sahUem, quœ fuerat amissa peccando. August.,
Serm. 3S1, uum. 12, pag. 1362.
1 Unde Vominus in Evangelio, cnm dixisset :
Nolitere facere justitiam vestram coram hominibus,
ut videamini ab eis, ne istum nostrwm cursum
fine humanœ gloriœ metiremiir non est m expo-
sitione justiliœ ipsnis exseciUus, nisi tria ista,
jejunium , eleemosynas, orationes; jejunio scili-
cet wniversam corporis castigationem significans :
eleemosynis omnem benevolentiam et beneficen-
tiam vel dandi, vel ignoscendi : et oratione insi-
mians omnes régulas sancti desiderii. August.,
lib. De Perfectione justitiœ, cap. vin , num. 18 ,
pag. 274.
5 Sane qui sceleratissime vivtmt , nec curant
talem viiam moresque corrigere et inter ipsa fa-
çinora et flagilia sua eleemosynas frequentare
non cessant, frustra ideo sibi blandiuntur quo-
niam Dominus ait: Date eleemosynam, et eoce om-
niamundasuntvobis. Angast., Enchirid., cap. lxxv,
num. 20, pag. 224.
2 Sane cavendum est ne quisquam existimet in-
fanda illa crimina, qualia qui agunt, regnum,
Dei non possidebunt, quotidie perpetranda, et
eleemosynis quotidie redimenda. In melius quippe
est vita muianda et per eleemosynas de peccatis
prœieritis est propitiandus Deus ; non ad hoc
emendus quodammodo ut ea semper liceat impune
committere. Nemini enim, dédit laxamentum pec-
candi ; quanivis miserando deleat jam facta pec-
cata, si non satisfactio congrua negligatur. De
quotidianis autem brevibus levibusque peccatis,
sine quibus hœc vita non ducitur, quotidiana fi-
delixvm oralio satisfacit. August., Enchirid., cap.
Lxx et Lxxi, num. 19, pag. 223.
* August., Serm. 351, num, 2, pag. 1351 et 1353,
776
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
autres hommes ne se convertit à Jésus-Christ
pour être ce qu'il n'était pas, s'il ne se repent
d'avoir été ce qu'il était auparavant. Cette
première pénitence fut ordonnée aux Juifs,
lorsque saint Pierre leur dit : Faites péni-
tenve et recevez le baptême au nom de No-
tre-Seigneur Jésus-Christ ; c'est celle-là que
le Sauveur recommandait en disant : Faites
pénitence , car le royaume des deux approche.
C'est encore cette pénitence dont saint Jean
pai'lait aux Juifs en ces termes : Rcœe de vipè-
res, qui vous a porté à fuir de devant la colère
qui doit arriver? faites donc des fruits dignes
de pénitence. »
n La seconde pénitence ' est celle que nous
devons faire durant toute cette vie , en nous
humiliant continuellement devant Dieu pour
implorer sa miséricorde ; personne, quoique
justifié et purifié de ses péchés par le bap-
tême, ne devant s'élever comme s'il jouis-
sait déjà d'une entière assurance , sous pré-
texte qu'il ne commet point de péché qui le
rende digne d'être séparé de la communion
de l'autel. Chacun doit au contraire consei-
ver l'humilité qui est presque la seule l'ègie
de toute la vie chrétienne. »
« La troisième sorte de pénitence est '
celle que l'on doit faire pour les péchés qui
sont contre le Décalogue , et dont l'Apôtre
dit que ceux qui les commettent ne possé-
deront point le royaume de Dieu. Dans cette
pénitence, chacun doit se traiter avec beau-
coup plus de sévérité , afin que s'étant con-
damné soi-même, il ne le soit point par Dieu,
selon ce que dit le même Apôti-e : Si nous
nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point
jugés par le Seigneur. Si donc l'homme craint
ce que dit l'Écriture, que nous devons tous
comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ,
afin que chacun reçoive ce qu'il a fait étant en
ce monde, soit bien, soit mal , qu'il monte com-
me sur le tribunal de sa conscience pour
agir contre soi-même, de peur que cela ne
lui arrive en une autre manière : puisque
Dieu menace le pécheur en lui disant : Je
t'accuserai et je te représenterai devant ta face.
Ce jugement étant ainsi ordonné dans le
cœur de l'homme, il faut que la pensée tien-
ne lieu d'accusateur , la conscience de té-
moin , et la crainte de bourreau. Après quoi
les larmes doivent faire voir comme une es-
pèce de sang coulant de l'âme qui se con-
' August, Serm. 351, num. 3, pag. 1352 et mim. 4,
pag. lo3b.
2 Tertia actio est pœnitentiœ, quœ pro illis peo-
catis siùbeunda est, quœ legis Decalogus continet,
et de quibus Apostolus ait : Quoniam qui talia
agunt, reguum Dei non possidebunt. In hac ergo
pœnitenlia, majorem quisque in se severitatem
débet exercere, ut a seipso judicatus non judice-
tur a Domino, sicui idem Apostolus ait : Si euim
nos judicaremus, a Domino non judicaremur. As-
cendatitaque homo adversum se tribunal mentis
suce, si timet illud, quod oportetuos exhibere ante
trillunal Christ!, ut illic recipiat unusquisque quod
per corpus gessil, sive bonum, sive nialum. Cons-
tituât se ante faciem suam ne hoc et postea fiât :
nam niinalur hoc Deus peccatori, dicens : Arguam
te et statuam te ante faciem tuam. Atque ^ita con-
stiluto in corde judicio , adsit accusatrix cogi-
talio , lestis conscientia, curnifex timor. Inde
quidam sanguis animi confitentis per lacrymas
profluat. l'ostremo ab ipsa mente talis sententia
proferatur, wt se indignum homo judicet partici-
patione corporis et sanguinis Domini , ut qui
separari a regno cœlorum timet per ultimam sen-
tentiam summi Judkis, per ecclesiasticam disci-
plinam a sacramento cœlestis panis intérim sepa-
retur. Versatur ante oculos imago futuri judieli ,
ut cum alii accedunt ad altare Dei quo ipse non
accedit, cogitet quam sit contrentiscenda Ma pœ-
na, qua percipientibus aliis vitam œternam, alii
in mortem prœcipilanl'ur aternam. Ad hoc enim
altare quod nunc in Ecclesia est in terra positiun,
terrenis oculis expositum, ad mysteriorum divi-
norum signacula celebranda, multi etictm scele-
ratipossunt accedere, quoniam Deus conimendat
in hoc tempore patientiam suam, ut in futuro
exserat severitatem suam- Accedunt enim igno-
rantes quoniam patienti a Dei ad pœnitentiam eos
adducit. Illi autem secundum duritiam cordis sui
et cor impœniteus, thesaurizant sibi iram in die
irae et revelatiouis justi judicii Dei, qui reddet uni-
cuique seouadum opéra sua. Ad illud autem altare
quo prœcursor pro nobis introivit Jésus, quo ca-
put Ecclesiœ prœcessit membris cœteris secuturis,
nullus eorum accedere poterit, de quibus, ut jam
commemoravi, dixit Apostolus : Quoniam qui talia
agunt, regiium Dei non possidebunt. Solus enim
sacerdos, sed plane ibi totus assistet, adjuncto
scilicet corpore oui caput est, quod jam ascendit
in cœlmn. Ipse est cui dixit apostolus Petrus :
Plebs saneta, regale saeerdotium. Quomodo ergo in
interiora veii, et in illa invisibilia Saneta sanc-
torum intrare audebit aut poterit qui medicinam
cœlestis discipiinœ contemnens noluit paulisper a
visibilibus separari? Qui enim noluit humiliari,
ut exaltaretur, cum exaltari voluerit, dejicietur,
et in œternum subjungetur ab œternis sanctis,
quisquis hoc tempore per mei-ita obcdientiœ et per
sanctificationem pœnitentiœ non sibi providit lo-
cum in corpore sacerdotis. Qua enim fronte im-
pudentiœ tune volet averti faciem Dei a peccatis
suis, quinunc toto corde non dicit : Quoniam fa-
ciuus meum ego agnosco, et peccatum meum ante
me est semper? Quo pacto, quœso, Deus dignatur
ignoscere, quod in se ipse homo dedignatur agnos-
cere ? August., Serm. 351, cap. iv, num. 7, pag. 1337.
[iv« ET V SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
fesse coupable. II faut enfin gue l'esprit pro-
nonce une sentence par laquelle l'homme se
juge lui-même indigne de participer au corps
et au sang de Jésus -Christ; et que celui qui
craint d'être séparé du royaume des cieux
par le dernier arrêt du souverain juge , soit
cependant séparé du sacrement du pain cé-
leste par la disciphne de l'Église. Qu'il se
représente devant les yeux l'image du der-
nier jugement, afin que voyant les autres
qui s'approchent de l'autel de Bien dont il
n'ose approcher , il considère avec quelle
frayeur on doit appréhender le malheur d'ê-
tre précipité dans la mort éternelle, lorsque
les autres entreront dans la vie éternelle.
Car il y a plusieurs méchants qui peuvent
se présenter à l'autel qui est maintenant
établi dans l'Éghse sur la terre, et exposé
aux yeux des hommes terrestres pour célé-
brer les sacrements des mj'stères divins ,
Dieu voulant faire éclater sa patience en ce
monde, pour exercer dans l'autre la rigueur
de sa justice. Ils s'en approchent sans con-
sidérer que la patience de Dieu les attire à
la pénitence ; et par la dureté de leur cœur
et leur impénitence ils se préparent un tré-
sor de colère pour le jour de la vengeance.
Quant à cet autel où Jésus-Christ est monté
pour nous en ouvrir l'entrée, nul de ceux
dont parle l'Apôtre n'en saurait approcher ,
puisqu'il dit que ceux qui font ces choses ne
posséderont point le royaume de Dieu. Il
n'y a que le seul prêtre qui assiste à cet au-
tel : mais il y est tout entier , c'est-à-dire
avec le corps dont il est le chef, qui est déjà
monté au ciel. C'est lui-même que l'apôtre
saint Pierre a appelé le peuple saint. Je prê-
tre royal. Gomment donc celui qui , méprisant
777
la discipline de l'Eglise, n'a pas voulu être
séparé pour un peu de temps du Saint des
saints visible, osera-t-il, ou pourra-t-il en-
trer dans le Saint des saints invisible ? Car
celui qui n'aura pas voulu être humilié pour
être élevé, sera renversé quand il voudra
s'élever. Et celui qui, durant le temps de
cette vie, n'aura pas eu soin de se procurer
un lieu dans le corps de ce grand prêtre, par
ces mérites de l'obéissance qu'il doit à l'E-
glise , et par la satisfaction de la pénitence ,
sera séparé pour jamais des mystères éter-
nels. En effet, avec quel front osera-t-il pré-
tendre alors que Dieu détourne sa face de
ses péchés, puisqu'il ne dit pas maintenant
de tout son cœur : Je reconnais mon crime ,
et mon péché est toujours devant mes yeux, n
Cette troisième espèce de pénitence ' con-
sistait principalement dans la séparation de
l'Eucharistie.
161. Les crimes les plus énormes comme
l'idolâtrie ' , l'adultère et l'homicide étaient
soumis à la pénitence publique. Mais il ne
paraît pas que l'on y ait soumis toute sorte
de péchés mortels, du moins du temps de
saint Augustin. Car il divise les péchés en
trois classes ', et dit que les uns sont si grands
qu'ils méritent l'excommunication, et se doi-
vent guérir par l'humilité de cette même pé-
nitence que l'Église impose à ceux qui sont
proprement appelés pénitents ; que les au-
tres n'ont pas besoin de cette sévérité , mais
qu'ils se guérissent par les remèdes de la
correction fraternelle prescrite dans l'Évan-
gile ; que ces derniers sont ceux sans les-
quels cette vie ne se passe point , et dont le
Seigneur a institué le remède dans la prière
où il nous enseigne de lui dire : Pardonnez-
s i la ?êni-
im [ultll
• Restât pœnitentiœ terlium genus, unde ali-
quid breviter dicam... Est pœnitenlia gravior at-
que luctuosior, in qua proprie vocantur in Ec-
clesia pœnitenles, remoti etiam a Sacramento
altaris participandi, ne accipi^'ndo indigne judi-
cium sibi manducent et bibant. Illa ergo pœniten-
tia luctuosa est. Grave vulntis est, adulterium
forte commissiim est, forte homicidium, forte ali-
quod sacrilegium ; gravis res, grave vulnus,
lethale, mortiferiim. August., Serm. 351, cap. m,
mitn. 8, pag. 1370.
' Qui avtem opinantur cœtera eleemosynis facile
compensare, Iriatamen mortifera esse non dubi-
tant et excommunicationibus pxmienda, donec
pœnitentia humiliore sanentur, impudicitiam ido-
latriam, homicidium. Augu?f., lib. De Fide et
oper., cap. xix, nmii. 34, pag. 184.
' Sed nisi essent quœdam ita gravia, ut etiam
excommunicatione plectenda sint, non diceret
Aposlolus : Congregatis Tobis et meo spiritu tra-
dere ejusinodi satanse in interitum carnis, ut spi-
ritus salvus sit iu die Domiui Jesu. Unde etiam di-
cit: Ne liigeam multos qui ante peccaverunt, et
non egerunt pœnitentiam super immunditiam et
fornicationem quam gesserunt. Item nisi essent
quœdam non ea humilitale pœnitentiœ sananda,
qualis in Ecclesia datur eis qui proprie pœnitentes
vocantur, sed quibusdam correptionum medica-
mentis, non diceret ipse Dominus : Corripe eum
inter te et ipsum solum : et si te audierit, lucra-
tus es fratrem tuum. Postremo nisi essent quœ-
dam sine quibus hœc vita non agitur, non quoti-
dianam medelam poneret in oratione quam do-
cuit, ut dicamus : Dimitte nobis débita nostra,
sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. Au-
gust. lib. De Fide et oper., cap. xxvi, num. 48,
pag. 191.
778
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Galat. ir, tl.
nous nos offenses, etc. Ce Père se plaint ' que
plusieurs crimes s'étaient tournés en cou-
tume publique, et que les évêques n'osaient
pas excommunier un laïque , ou dégrader
uu ecclésiastique qui les avait commis. « En
sorte, dit-il, qu'interprétant, il y a quelques
années, l'endroit de l'Épître aux Galates où
l'Apôtre dit : J'ai peur que je n'aie travaillé
en vain parmi vous, je fus obligé de m'écrier :
Malheur à cause des péchés des hommes !
Nous n'avons en horrem- que ceux qui sont
extraordinaires. Quant à ceux qui sont ordi-
naires et communs, pour l'expiation desquels
le sang du Fils de Dieu a été répandu, quoi-
qu'ils soient si grands qu'ils ferment le
royaume du ciel à ceux qui les commettent,
néanmoins, à force de les voir, nous sommes
contraints de les tolérer, et, en les tolérant,
d'en commettre quelques-uns. » Ces grands
péchés qui excluent du royaume des cieux
ceux qui les commettent, n'étaient donc point
tous soumis à la pénitence publique , puis-
que, selon saint Augustin, on était même
contraint d'en tolérer quelques-uns. Il faut
dire la même chose du vol. (c Tous ceux ,
dit ce Père, qui ont ^ pris le bien d'autrui,
ef qui sont en pouvoir de le rendre , ne le
font pas. Lorsque nous le savons , nous les
reprenons, nous les menaçons, nous les dé-
testons , les uns en particulier, les autres en
public selon la différence des personnes ; et
nous proportionnons les remèdes à ce que
chacun paraît capable de porter , évitant
d'en appliquer qui puissent jeter les pé-
cheurs dans de plus grands excès et de plus
dangereuses conséquences pour eux-mêmes
et pour les autres. Nous les séparons même
quelquefois de la communion du saint autel,
à moins que nous n'en soyons empêchés par
quelque chose de pire. »
La pénitence ' publique était imposée pour
tous les péchés publics et scandaleux, et ce-
lui qui en était coupable devait les expier ,
non-seulement en présence de plusieurs,
mais même de tout le peuple, au cas que
l'évêque le jugeât à propos pour le bien de
l'Église. Dans ce cas, le pénitent ne devait
point résister avec opiniâtreté à son évêque,
de peur que sa plaie, qui était déjà mortelle,
ne s'enflammât et ne s'envenimât davantage
par la honte. Il devait, au contraire, se sou-
venir que Dieu résiste aux superbes et qu'il
donne sa grâce aux humbles. « Y a-t-il, en
effet, dit saint Augustin, une plus grande mi-
sère et un plus grand dérèglement d'esprit ,
que de ne point rougir d'une plaie qu'on ne
saurait cacher, et de rougir du remède qui
doit la guérir. » Nous lisons dans un canon
d'un concile de * Carthage , en 397 , auquel
saint Augustin assista, que si le crime d'unpé-
nitent a été si public et si connu de tout le
moude, qu'il ait scandahsé toute l'Église, on
doit lui imposer les mains devant le sanc-
tuaire , c'est-à-dire en présence de tout le
peuple.
L'Eglise avait ordonné très-sagement de ^
n'accorder qu'une fois cette pénitence pu-
blique, de peur que ce remède, d'autant plus
salutaire qu'il est moins exposé au mépris ,
ne fût moins utile en devenant plus commun.
' Sic nostris temporibus ita muUa mala, et si
non talia in apertam consuetudinem jain vene-
runt, ut pro lus non sohim excommunicare ali-
quem laicum non audeamus , sed nec clericum
degradare. Uiide cum exponerern ante aliquot
annos Epislolam ad Galatas in eo ipso loco iibi
ait Àpostolus : Timeo vos ne forte sine causa la-
Loraverim in vobis, exclamare compulsus sum:
Yœ peccalis homimi.m, quœ sola inusitala exhor-
rescimus, iisitala vero, pro qiiibus abluendis Filii
Dei sanguis effusus est, quamvis tam magna sint
ut omnino claudi contra se faciant regnnm Dei,
sœpe videndo omnia lolerare, sœpe tolerando
nonnulla etiam facere cogimur. August., Enchi-
rid., cap. Lxsx, num. 21, pag. 227.
' Nolentes auiem reddere, quos novimus et maie
abstulisse et unde reddant habere, arguimus, in-
crepamus, et detestamur, quosdam clam, qtiosdam
palam, sicut diversitas personarum diversam vi-
detur posse recipere medicinam , nec in aliorum
perniciem ad majorem insaniam concilari, Àli-
quando etiam, si res magis curanda non impedit,
sancti altaris communione privo/inus. August. ,
Epist. 153, num. 21, pag. 532.
2 Ut si peccatum ejus , non solum in gravi ejus
malo, sed etiam in tanto scandalo aliorum est, at-
que hoc expedire lUilitali Ecclesiœ videtur antis-
tili, in notilia multorum vel etiam totius plebis
agerc pœnitentiam non recusel, non résistai. no)i
lethali et mortiferœ plagce per pndorem addat tu-
morem. Memineril sempcr qnod superbis Deus re-
sistit, liumillbus autem dat gratiam. Quid enim est
infelkius, quid perversius , quam de ipso vulnere
quod latere nonpotest, nonerubescere, et de liga--
tura ejus erubescere ? August., Serm. 351, num. 9,
pag. 1359.
* Cujuseumque autem- pœnitentis publicum et
vulgatissimum crimen est, quod universaEcclesia
noverit, ante absidcm manus ei imponatur. Con-
cil. Carthag. 111, Can. 32, pag. 1171.
^ Quamvis ergo caute salubriterque proviswn
sit, ul locus illius humillimœ pœnitentiœ semel in
Ecclesia concedalur, ne medicina vilis mi7iu$ uli-
lis csset œgrotis, quœ tanto magis salubris est,
[IV« ET V° SIÈCLES.
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
Elle ne soumettait point les clercs à cette pé-
nitence humiliante, du moins dans le siècle
de saint Augustin, Car il remarque que,
quoiqu'il y eût des clercs donatistes à qui l'on
ne permettait pas d'exercer leurs fonctions,
on ne leur imposait pas néanmoins les mains
devant le peuple, de peur' de faire injure au
sacrement de l'ordination qu'ils conservaient
toujours. « Mais, objectaient les donatistes^
aux catholiques , s'il faut que nous fas-
sions pénitence d'avoir été séparés et en-
nemis de l'Eghse , et s'il n'y a point de salut
pour nous sans cela, comment est-ce qu'en
passant parmi vous, nous conservons la di-
gnité de la cléricature, et même de l'épisco-
pat ? 11 est vrai, leur répond saint Augustin,
c'est une plaie à la discipline, mais une plaie
salutaire, comme celle que l'on fait à un ar-
bre pour le gretfer. Quand l'Eglise ' a or-
donné que personne ne puisse entrer ou de-
meurer dans le clergé après avoir fait péni-
tence, ce n'est pas qu'elle ait douté de son
779
pouvoir pour remettre les péchés ; mais elle
a voulu s'assurer de l'humilité des pénitents,
et de la sincérité de leur conversion en leur
étant toute espérance d'élévation en cette
vie, sans préjudice de leur salut. Dans des
rencontres comme celle-ci où il s'agit de la
perte des peuples entiers, la charité veut que
l'on relâche quelque chose pour remédier à
de plus grands maux. » Les pénitents ' qui
avaient été excommuniés, c'est-à-dire sépa-
rés de l'autel à cause de leurs péchés, étaient
réconàliés après la pénitence accomplie.» Il
y a eu autrefois des " évéques en Afrique qui
ne croyaient pas qu'on dût donner la paix,
c'est-à-dire la réconciliation aux adultères ,
et qui leur fermaient entièrement l'entrée de
la pénitence ; mais ils ne se séparaient pas
pour cela des autres évêques, et ne rompaient
pas l'unité del'Éghse. Le lien de la concorde
demeurant toujours entier et indissoluble ,
chaque évêque faisait ce qu'il jugeait à pro-
pos, comme devant rendre compte à Dieu de
quanto minus conlemptibilis fuerit. Angust., Epist.
153, cap. ni, num. 7, pag. 526.
1 Et cum expedire hoc judicatu/r Ecclesiœ, ut
prœpositi eorum venientes ad catholicam socie-
tatevi, honores suos ibi non administrent ; non eis
tamen ipsa ordinationis sacramenta detrahuntur,
sed manent super eos, ideoque non eis in papule
manus imponitur, ne non homini, sed ipsi sacra-
mento fiât injuria. August. , lib. Il Cont. Epist:
Parm., cap. xni, num. 28, pag. 44.
* Si ergo, inquimit, oportet ut nos extra Eccle-
siam et adversus fuisse pœniteat, salvi ut esse
possimus, quomodo post istam pœnitentiam apud
vos clerici , vel etiam episcopi permanemtis ? Hoc
non fieret , quoniam rêvera (quod fatendum est)
fieri non deberet, nisi pacis ipsius compensatione
sanaretur : sed sibi hoc dicant et inulto maxime
humililer doleant, qui in tanta morte prœcisionis
jacent, ut isto quodam vulnere matris catholicœ
reviviscant. Cum enim prœcisus ramus inseritur,
fit aliud vulnus in arbore , quo possit recipi ut
vivat qui sine vita radicis peribat : sed cum re-
ceptus recipienti coaluerit , et vigor consequitur
et fructus. Si auiem non coaluerit , ille quidem
arescit, sed vita arboris permanebit. Est enim et
taie inserendi genus, ut nullo prœciso ramo qui
intus est, ille qui foris est inseratur, non tamen
nullo, sed vel levissimo arboris vulnere. Ita ergo
et isti cum ad radicem catholicam veniunt, nec
eis quamvis post erroris sui pœnitentiam honor
clericatus vel epiicopatus aufertur, fit quidem ali-
quid tanquam in cortice arboris matris contra
integritatem severitatis. August, Epist. 185, num.
44, pag. 660.
3 Ut enim conslituereiur in Ecclesia, ne guis-
quam post alicujus criminis pœnitentiam cleri-
catum accipiat, vel ad clericatum redeat vel in
clericatu maneat, non dcsperatione indulgentiœ,
sed rigore factum est disciplinœ : alioquin con-
tra claves datas Ecclesiœ disputabitur, de quibus
dictum est : Quae solverilis in terra, soluta erunt
et in cœlo. Sed ne forsitan etiam detectis crimi-
nibus, spe honoris ecelesiasticianimusintuniescens
superbe ageret pœnitentiam, severissime placuit,
ut post actamde crimine damnabili pœnitentiam.,
nemo sit clericus, ut desperatione temporalis al-
titudinis medicina major et verior esset humili-
tatis... Cogunt enim multas invenire medicinas
multorum expérimenta morborum; verum in
hujusmodi causis, ubi per graves dissensionum
scissuras non hujus aut illins hominis est pericu-
liim sed populorum strages jacent, deirahendum
est aliquid severitati, ut majoribus malis sanan-
dis charilas sincera subveniat. Angnsi., Epist, 185,
num. 45, pag, 660 et 661.
* Agunt etiam homines pœnitentiam, si post
baptismum ita peccaverint, ut excommunicari et
postea reconciliari mereantur ; sicut in omnibus
Ecclesiis illi qui proprie pœnilentes appellantur.
August., Epist. 265, mim. 7, pag. 898.
^ Antecessores, inquit fCyprianusJ, nostri qui-
dam de episcopis isthic in provincianostra, dan-
dam pacem mœchis non putaverunt, ut in totum
pœnitentiœ locum contra adulteria clauserunt ;
non tamen a coepiscoporun suorum collegio re-
cesserunt, aut catholicœ Ecclesiœ unitatem vel
duritiœ vel censurœ suce obstinatione ruperunt,
ut quia apud alios adulteris pax dabatur, qui
non dabat, de Ecclesia separetur. Manente con-
cordiœ vinculo, et persévérante catholicœ Eccle-
siœ individuo sacramento actxim suum disponit
et di/rigil unusquisque episcopus , rationem pro-
positi sui Domino redditurus. Cyprian., ad Epist.
Antonian., apud August., Epist. 93, num 41,
pag. 247.
780
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Sur l'cxconi-
munlcation.
Mallh. jcrtii
18.
sa conduite ; mais il est certain que ces évê-
ques, qui refusaient la réconciliation aux
adultères, étaient dans l'eri'eur : car selon la
sainte doctrine ' on doit les réconcilier aussi
bien que les autres pécheurs : et telle est la
pratique de l'Église. D'où il suit que c'était
une impiété à ces évèques de refuser de gué-
rir les membres de Jésus-Christ , et de ne
leur point appliquer les clefs de l'Eglise ,
quoiqu'ils y eussent recours. C'était vouloir
rendre inutile la patience toute miséricor-
dieuse de Dieu, qui ne laissait vivre ces pé-
cheurs qu'afîn que, par l'oblalion du sacrifice
d'un cœur contrit et humilié , et par les tra-
vaux de la pénitence, ils pussent recouvrer
la vie qu'ils avaient perdue. »
162. D'après saint Augustin, « la puisigance
d'excommunier les pécheurs est fondée sur
ces paroles de Jésus-Christ : Tout ce que
voies lierez sur la terre sera lié dans le ciel : et
tout ce que vous délierez sur la terre sera délié
dans le ciel. Lors donc* que l'Église lie quel-
qu'un par les liens de l'excomniunication , il
est lié dans le ciel, comme il l'est sur la terre :
et lorsqu'elle délie l'excommunié en le ré-
conciliant, il est aussi délié dans le ciel. L'ex-
communication ou condamnation ordonnée
par le jugement de l'évêque, quoique la
plus grande de toutes les peines de l'Église',
peut, si Dieu le veut , devenir une correc-
tion très-salutaire. Car nous ne savons pas
ce qui arrivera le jour suivant ; et il ne faut
désespérer de personne avanl la fin de cette
vie , ni contredire Dieu qui peut regarder
un excommunié, el lui donner les mouve-
ments de la pénitence, accepter le sacrifice
de son esprit afQigé et de son cœur plein de
regret, l'absoudre de son crime quelque juste
qu'ait été sa condamnation, et ne pas con-
damner lui-même celui que l'évéque a con-
damné. Cependant la nécessité de la charge
de pasteur oblige de séparer une brebis ma-
lade d'avec les saines, de peur que la conta-
gion ne se répande sur plusieurs ; quoique
celui à qui rien n'est impossible, la doive
guérir peut-être même par cette séparation.
Quand donc on est assuré * que le froment
demeurera ferme et immobile sur sa lige , et
qu'il n'y a rien à craindre , c'est-à-dire lors-
que le crime est tellement connu de tout le
monde, et si visiblement exécrable qu'il ne
trouve point de défenseur, ou du moins qu'il
n'en trouve point qui porte la chose jusqu'au
schisme, la sévérité de la discipline ne doit
pas s'endormir, puisqu'elle corrige la malice
avec d'autant plus de succès, que l'on prend
tout le soin possible d'affermir la charité.
Voici quelle doit être celle d'un évêque dans
l'excommunication des plus grands pécheurs :
son humilité doit obtenir ', par des gémisse-
' Si aulem, guodveritas hahet, et quod Ecclesia
merilo tenet, recte pœnitentibus adulleris pax da-
batur, un qui in totum locum pœnitentiœ contra
adultéras claudebant, impie ulique a/jebant qui
viembris Christi sanitatem negabant, et claves
Ecclesia: pulsantibus subtrahebant, et misericor-
dissimcB patientiœ Dei, quœ illos propterea sine-
bat vivere, ut pœnitendo sanarentur sacrificio
contriti spiritus et contribulati cordis oblato, dura
crudelilale contradicebant. Angust., Epist. 93, num.
42, pag. 248.
' Si aulem et in Ecclesia fil ut quœ in terra
ligantur, in cœlo ligentur, et quœ solvunlur in
terra, solvantur in cœlo : quia cum excommu-
nicat Ecclesia, in cœlo ligalur, excommunicatiis ;
cum reconciliatur ab Ecclesia, in cœlo solvilur,
reconciliatus. August., Tract. 51 in Joan., num.
12, pag. 633.
' Quia et ipsa quœ. damnatio nominatur, quain
facit episcopale judiciiim, qua pœna in Ecclesia
nulla major est, potest si Deus volueril, in cor-
replionem saluberrimam cedere alque proficere.
Neque einni. scimus quid contingat sequenti die;
ouï anle finemvitœ hujus desperandum est: aut
contrddici Deo polest, ne rcspicial et del pœni-
tentiam, et accepto sacrificio spiritus contribiir-
lati cordisque contriti a reatu quamvis justœ
damnationis absoloat, damnalumque ipse non
damnet. Pastoralis tamen nécessitas habet, ne
per plures serpant dira contagia, separare ab
ovibus sanis morbidam : ab illo^ cui niliil est im-
possibile, ipsa forsilan separatione sanandam.
August., lib. De Corrept. eiGrfli., cap.xv, num. 46,
pag. 775.
* Et ipse Dominus cum servis volentibus zizor
nia colligere dixit : Sinite utraque crescere usque ad
messem , prœmisit causam dicens : ne forte cum
vultis colligere zizania, eradioetis simul et trlti-
cum. Ubi salis ostendit, cum metus iste non siti-
best, sed omnino de frumenlorum certa stabilitate
certa secimlas manet, id est, quando ita cujusque
crimen notum est, omnibus execrabile apparet,
ut vel nullos prorsas vel non taies habeat defen-
sores per quos possit schisma contingere; non
dormiat severitas disciplinœ, in qua tanto est
efficacior emendalio pravilalis, quanto diligentior
conservatio charilalis. August.. lib. III Contra
Epist. Parm, num. 13, pag. I'k
^ Cum ergo ad lalem vindictayn nécessitas cogit,
humililas lugenlium débet impelrare misericor-
diam,' quam repellit superbia sœvientiiim : nec
ilUus ipsius qui de medio fratrum tollitur, débet
negligi salus; sed ita agendum est, ut el talis
vindicla sit utilis; et age7idum volo et precibus,
si corrigi objurgationibus non potest. August.,
lib. 111 Contra Epist. Parmeniani, cap. i, uum. 3,
pag. 56.
[lV° ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
ments et par des larmes, la miséricorde di-
vine, que rien ne détourne davantage que la
présomption et l'orgueil. Il ne doit pas même
négliger le salut de celui qu'il a retranché
de la société des frères : mais il doit au con-
traire faire son possible pour que cette pu-
nition lui soit utile, et employer pour lui les
vœux et les prières auprès de Dieu , s'il ne
le peut corriger par ses réprimandes et ses
remontrances. »
163. « La providence divine, dit saint
Augustin, permet * souvent que des hommes
même vertueux soient chassés de la commu-
nion de l'Église par des troubles et des tu-
multes que des personnes charnelles exci-
tent contre elles : ce qui arrive afin qu'après
avoir souffeii avec une patience extraordi-
naire cette ignominie et cette injure, pour
conserver la paix de l'Église sans vouloir y
former de schisme ou quelque nouvelle hé-
résie, ils apprennent à tout le monde par
leur exemple combien on doit servir Dieu
avec une affection véritable, et une charité
sincère. Le dessein de ces chrétiens dans
ces rencontres, est ou de retom'ner après
que la tempête sera passée : où s'ils ne le
peuvent faire, voyant qu'elle dure toujours,
ou appréhendant que leur retour n'excite les
mêmes troubles ou encore de plus grands,
ils gardent la volonté de faire du bien à ceux
mêmes qui les ont chassés par leurs violen-
ces et leurs cabales : et sans faire aucune
assemblée particuhère, ils soutiennent jus-
qu'à la mort, et confirment toujours par la
profession de leur croyance, la foi qu'ils
savent que l'on prêche dans l'Église catholi-
781
que. Ces personnes sont couronnées en se-
cret par le Père céleste, qui les voit en se
cret. Les exemples en paraissent rares ; ce
pendant il y en a, et même plus qu'on ne
saurait croire. C'est ainsi que Dieu se sert de
toute sorte d'hommes et d'exemples pour le
bien des âmes et pour l'instruction de son
peuple. Les spirituels^ et ceux qui, par une
sainte alïection tâchent de le devenir, ne sor-
tent jamais de l'Église, lors même qu'il sem-
blent en être bannis par la méchanceté des
hommes : au contraire leur vertu devient
plus pure par cette épreuve, que s'ils lui
étaient toujours demeurés extérieurement
unis. Ne s'élevant point contre l'Église, la
force invincible de leur charité les affermit
encore davantage sur la pierre solide de l'u-
nité. « Je puis dire sans témérité ' (ce sont
les paroles de saint Augustin), que si quel-
qu'un des fidèles est frappé d'anathème in-
justement , cet anathème injuste fait plus de
tort à celui qui le lance, qu'à celui qui le
souffre avec patience, puisque le Saint-Es-
prit qui habite dans les saints, et par qui on
est lié ou délié, ne fait souffrir aucune peine
à personne qu'il ne l'ait méritée. »
Dans la cinquième conférence du cinquiè-
me concile' général, on examina s'il était
permis de condamner les morts : et, un évê-
que d'Afrique, nommé Sextilien, s'étantlevé,
dit : « Nous avons des lettres d'Augustin de
sainte mémoire qui portent que ceux qui ont
eu de mauvais sentiments, quoiqu'ils n'aient
pas été condamnés pendant leur vie, doivent
être anathématisés après leur mort, quand on
découvre leurs erreurs. » Entre plusieurs le t-
1 Sœpe etiam sinit divina providentia, pernon-
nullas nimium turbulentas carnalium hominum
seditiones expelli de congregatione christiana
etiam bonos viros : quam contuvieliam vel inju-
riam sitam cum palientissime pro Ecclesiœ pace
tulerint, neque ullas novitates vel schismatis vel
hœresis moliti fuerint, docebwnt hommes, quam
vero affectu et quanta sinceritale charitatis Deo
serviendum sil. Talium ergo virorum propositum
est, aut sedatis remeare turbinibus, aut si id non
sinantur, vel eadem tempestate persévérante; vel
ne suo reditu talis aut sœvior oriatur, tenere vo-
hmtatem consuleiidi , etiam eis ipsis quorum
motibus perturbationibusque cesserunt, sine ulla
conventiculorum segregatione usque ad mortem
defendentes, et testimonio juvantes eam fidem,
quam inEeclesia calholica prœdicari sciunt. Hos
coronat in occulto Pater, in occulto videns. Ra-
rum hoc videtur genus; sed tamen exempta no»i
desunt, imo plura sunt quam credi potest. Ita
omnibus generibus hominum et cxemplorum ad
animarum curationem, et ad institutionem spirv'
talis populi ulitur divina providentia. August.,
lib. II De Vera relig., cap. vi, num. Il, pag. 752.
* Spirituales autem sive ad hoc ipsum pio stu-
dio proficientes, non eunt foras quia et cum ali-
qua vel perversitate vel necessitate hominum
videntur expelli, ibi magis probantur quam si
intus permaneant, cum adversus Ecclesiam nul-
latenus eriguntur, sed in solida unitatis petra
fortissimo charitatis robore radicantur. August.,
lib. I De Bapt., cap. xvii, num. 16, pag. 93.
5 Ill^td plane non temere dixerim, quod si quis-
quam fidelium fuerit anathematus injuste, eipo-
tius oberit qui faciet, quam ei qui hanc palielur
injuriam. Spiritus enim Sanctus habitans in
sanctis, per quem quisque ligatur aut solvitur,
immeritam nulli pœnam ingerit. August., Infrag-
mento Epist. ad Classiciamim, pag. 879.
* Coucilium Constaut. II, Collât. 5, pag. 480,
tom. V, Concil.
782
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
très de ce Père, on lut celle qui est adressée
au comte Boniface, où nous lisons : « Quand
Gécilien' autrefois évêque de Carthage, au-
rait été coupable de ce qu'on lui imputait ,
et qu'on pourrait nous le montrer, nous en
serions quittes pour anathématiser sa mé-
moire, et nous nous garderions bien d'aban-
donner pour cela l'Église de Jésus-Christ ,
dont la vérité, bien loin de dépendre de la
fantaisie et des disputes des hommes, est
établie sur le témoignage de Dieu. » Le saint
Docteur parlant encore du même ^ Cécilien ,
déclare que s'il se trouve coupable, les ca-
tholiques ne sont pas vaincus pour cela ,
parce qu'ils demeurent attachés à l'unité de
l'Église qui est invincible. «Est-il coupable?
je l'anathématise. Mais je n'abandonne pas
pour cela l'Éghse. Nous ne le nommerons
plus à l'autel au rang des évêques que nous
croyons avoir été fidèles à Dieu et innocents
, dans leur vie. »
Sur l'ordre. 164. Salut Augustlu , parlant de l'ordre
s'exprime ainsi : «L'ordre est un sacrement'
aussi bien que le baptême ; l'un* et l'autre
sont conférées à l'homme par une certaine
consécration : le premier, lorsqu'on le bap-
tise ; l'autre, lorsqu'on l'ordonne. C'est pour-
quoi il n'est pas permis, dans l'Église catholi-
que, de réitérer ni l'un ni l'autre. En effet, s'il
arrive que ceux qui tiennent le rang d'évêque
parmi les schismatiques et autres qui sont
séparés de l'Église catholique, se présen-
tent pour s'y réunir, on ne fait pas difficulté
de les recevoir pour le bien de la paix , et
de leur permettre de continuer les mêmes
fonctions qu'ils exerçaient auparavant, sans
qu'on les oblige à se faire réordonner : par-
ce qu'on est persuadé que comme le baptê-
me qu'ils ont reçu, est vafide, leur ordina-
tion l'est aussi; et que ce qu'il y avait de
mauvais est réparé par leur réunion, sans
qu'il soit nécessaire d'apporter aucun chan-
gement dans les sacrements qui sont les mê-
mes partout. Si l'on ordonne " des ecclésias-
tiques pour gouverner une assemblée des
fidèles; quand même le peuple ne s'assem-
blerait point dans la suite , le sacrement de
l'ordre ne laisserait pas de demeurer dans
ces ministres ainsi ordonnés ; et si quelqu'un
d'eux vient à être déposé de son ministère
pour quelque péché, il garde néanmoins
toujours le sacrement du Seigneur qu'il a
une fois reçu , quoique ce ne soit qu'à son
jugement et à sa condamnation. Comme il
n'y a rien^ au monde , de plus agréable et
surtout en ce temps-ci, que les dignités d'é-
vêque , de prêtre et de diacre : ni de plus
doux et de plus aisé que d'en exercer les
fonctions, quand on veut faire les choses
par manière d'acquit , et flatter les hommes
dans leurs désordres ; aussi n'y a-t-il rien
de plus malheureux , de plus pernicieux et
de plus damnable devant Dieu. Au contraire
il n'y a rien de plus saint devant lui , ni de
• Quamvis et si vera essent quœ ab eis objecta
sunt Cœciliano, et nobis passent aliquando mon-
strari, ipsum jam inortuum anathematizaremus:
sed tamen Ecclesiam Chrisli, quœ non Utigiosis
opinionibus vincitur, sed divinis atteslalionibus
comprobatur, propter q-uemlibet hominem relin-
quere non debemus. August., Episl. 185, cap. i,
niim. 4, pag. 644.
2 Si autem (Cœcilianusj inventus fuerit nocens,
si inventus fuerit reus, nec sic victi sumus, quia
unilatem Ecclesiœ, quœ invicta est, obtinemus.
« Inventus sit prorsus reus, hominem anathemo,
Christi Ecclesiam non desero... Deinceps eum ad
altare inter episcopos, quos fidèles et innocentes
credimus, non recitabimus. August., Serm. 359,
num. 6, pag. 1403.
" Ut enim sit quisque verus sacerdos, oportet
ut non solo sacraniento, sed justitia quoque in-
duatur. August., lib. Il Contra Litter. Peliliani,
cap. XXX, num. 69, pag. 237.
* Vtrumque enim sacramenlum est, et quadam
consecratione utrumque homini datur, illud cum
baptizatur, islud cum ordinatur : ideoque in ca-
tholica utrumque non licet iterari. Nam si quando
ex ipsa parte venientes etiam prœpositi pro bono
pacis correcto schismatis errore suscepti sunt,
et si visum est opus esse ut eadem officia gérè-
rent quœ gerebant, non sunt rursum ordinati:
sed sicut baptismus in eis, ita ordinatio mansit
intégra : quia in prœcisione fuerat vitiuni quod
iinitatis pace correctum est : non in sacramentis
quœ ubicumque sunt, ipsa sunt. August., lib. 11
Contra Epist. Farm., cap. xiii, num. 28, pag. 44.
^ Si fiât ordinatio cleri ad plebem congregan-
dam, etiamsi plebis congregatio non subsequa-
tur, manet tamen in illis ordinatis sacramentum
ordinationis : et si aliqua culpa quisquam ab
officio removeatur, sacraniento Domini semel
imposito, non carebit, quamvis ad judicium per-
manente. August., lib. De Bonoconjugii, cap. xxiv,
num. 32, pag. 337.
8 Nihil est in hac vita et maxime hoc tempore
facilius eb lœtius et hominibus acceptabilius epis-
copi, aut presbyteri, aut diaconi officio, si per-
functorie atque adulatorie res agatur : sed nihil
apud Deuni miserius et tristius et damnabilius.
Item nihil est in hac vita, et maxime hoc tem-
pore difficilius, laboriosius, periculosius episcopi,
aut presbyteri, aut diaconi officio, sed apud Deum
nihil beatius, si eo modo militetur quo noster
Imperator jubet. August., Epist. 21, num. i,
pag. 24.
[IV" ET V° SIÈCLES.]
plus heureux , mais en même temps de plus
pénible, de plus difiîcile et déplus orageux,
principalement dans nôtre siècle, que les
fonctions de ces mêmes dignités quand on
les veut faire selon les règles de la milice
que notre chef et notre général nous a don-
nées. »
C'était sans doute cette idée de la sainte-
té et de l'éminence du sacerdoce qui faisait
verser des larmes à saint Augustin, lorsqu'il
fut ordonné prêtre. 11 imputait la violence
qu'on lui avait faite, à ses péchés', et il
croyait que c'était la punition de quelque
faute secrète, qui lui^tait inconnue. « Dieu
a permis, dit-il, pour mes péchés , car je
n'en vois point d'autres causes , qu'on m'ait
fait violence pour me placer au gouvernail,
après le maître pilote, moi qui ne savais pas
seulement manier un aviron. Je crois que
Dieu a voulu châtier ma témérité. Car avant
que d'avoir essayé ce métier-là, je censu-
rais les fautes de la plupart des nautonniers,
comme si j'eusse été bien meilleur et plus
habile qu'eux : et je n'ai commencé à sentir
combien mes censures étaient téméraires ,
que lorsque je me suis vu engagé dans cet
emploi, quoiqu'il m'ait paru de tout temps
très-scabreux et très-difHcile. C'est ce qui me
faisait répandre, dans le temps de mon ordi-
nation , ces larmes que je ne pus cacher à
quelques-uns de mes frères qui, ne sachant
point la cause de ma douleur , s'efforçaient
avec beaucoup de charité de me consoler
par tout ce qu'ils me pouvaient dire de meil-
leur , mais dont rien n'allait à la cause du
mal. »
Il remarque ^ qu'il y en avait plusieurs à
qui l'on avait fait violence pour les obliger
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
783
d'accepter l'épiscopat , qu'on les avait pris
et emmenés par force , et tenus enfermés
jusqu'à ce qu'ils l'eussent accepté; qu'il y
avait aussi plusieurs' saints évêques qui se
démettaient de l'épiscopat par esprit d'humi-
lité ; et qu'un grand nombre d'évêques ca-
tholiques offrirent' aux donatistes d'y renon-
cer pour le bien de la paix. «Pouvons-nous,
disaient - ils , faire aucune difficulté d'of-
frir ce sacrifice d'humilité au Sauveur qui
nous a rachetés ? Il est descendu du ciel, et
a pris un corps semblable à nous, afin que
nous fussions ses membres; et nous ne vou-
drions pas descendre de nos chaires pour ne
pas laisser les membres se déchirer par un
cruel silence? Il nous suffit pour nous-mê-
mes d'être chrétiens , fidèles et soumis à Jé-
sus-Christ. C'est ce que nous devons être
aux dépens de toute chose. Que si, avec cela,
nous sommes évêques, c'est pour le service
du peuple chrétien. Usons donc de notre
épiscopat en la manière qui est la plus utile
au peuple , pour y établir l'union et la paix
de Jésus-Christ. Si nous cherchons le profit
de notre maître , pouvons-nous avoir de la
peine qu'il fasse un gain éternel aux dépens
de nos honneurs passagers? La dignité épis-
copale nous sera bien plus avantageuse , si
en la quittant nous réunissons le troupeau
de Jésus-Christ , que si nous le dissipions en
la conservant. Et serions-nous assez impu-
dents pour prétendre à la gloire que Jésus-
Christ nous promet dans l'autre vie, si notre
attacliemerit à la gloire du siècle était un
obstacle à la réunion des fidèles pour qui il
a répandu son sang? »
163. L'ordination des évêques se faisait
par l'imposition des ' mains , en invoquant
Sur le; M-
ques.
' August., Epist, 21; num. 1 et 2, pag. 23.
' Attende qwid Apostohis dixerit: Qui episoopa-
tum desiderat, boniim opus concupiscit ; et tamen
tam inulti ut episcopatum suscipiant tenentur in-
viti, perducuntwr, includuntîir, custodiuntur, pa-
tiuntur tanta quœ noluiit, donec ei$ adsit volun-
tas suscipiendi opei-is boni. August., Epist. 173. num.
2, pag. 613.
5 Denique nonnulli sancla humilitate prœditi
viri propter quœdam in se offendicula, quibus
pie religioseque movebantur, episcopatus officium
non solum sine culpa, verum etiam cum laude
posuerunt. August., lib. Il Contra Cresc, cap. xi,
num. 13, pag. 415.
* Quid enim dubitemus Redemptori nostro sa-
crificium istius humilitatis offerre ? An vero ille
de cœlis in membra humana descendit, ut mem-
bra ejns essemus ; et nos ne ipsa ejus membra
crudeli divisione lanientur, de cathedris descen-
dere formidamus ? Propter nos nihil sufficientius,
quam christiani fidèles et obedientes sumus ; hoc
ergo semper sinius. Episcopi au' em propter chris-
tianos populos ordinamur. Quod ergo christianis
populis ad christianam pacem prodest , hoc de
nostro episcopatu faciamus; si servi utiles sumus,
cur Domini œternis lucris pro nostris temporali-
bus sublimitatibiis invidemus ? Episcopalis dig-
nitas fructuosior nabis erit, si gregem Christi
magis deposita collegerit, quam retenta disperse-
rit: nam qua fronte in futuro sœculo promissum
a Christo sperabimus honorem, si christianam
in hoc sœculo noster honor impedit unitalem ?
August., Epist. 128. num. 3, pag. 378 et 379.
^ Invocatio nominis Dei super caput ipsorum
quando ordinantur episcopi, invocatio illa Dei est
non Donati. August., Serm. ad Cœsareensis Ec-
clesiœ plebem, num. 2, pag. GIS, tom. IX. Vide
lib. II Contra Cresc, cap. xi, uum. 13, pag. 415.
784
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
le nom de Dieu sur eux. Ils sont supérieurs ^
aux prêtres, ce qui se voit même par les ti-
tres d'honneur qu'on leur donne dans l'É-
glise. Aérius' s'avisa d'enseigner qu'il n'y
avait aucune différence entre les évéques et
les prêtres ; mais on sait qu'il ne donna dans
ce sentiment que parce qu'il était fâché de
n'avoir pu parvenir à l'épiscopat. Le mot
d'évêque' signifie sentinelle, d'où vient que
les évéques sont placés dans un lieu élevé
afin qu'ils aient comme une inspection sur
le peuple, et qu'ils veillent pour sa défense,
i-egardant de loin tout ce qui se passe, com-
me on place un vigneron dans quelque lieu
éminent pour veiller sur toute la vigne.
« C'est de ce lieu élevé , dit saint Augustin ,
que nous aurons un terrible compte à ren-
dre , si nous n'y sommes dans une telle dis-
position, que par une humilité profonde nous
soyons en même temps abaissés sous vos
pieds, et que nous répandions pour vous nos
prières devant Dieu , afin que celui qui con-
naît le fond de vos cœurs, veille lui-même à
votre garde. Mais devant le tribunal * de Jé-
sus-Christ, où chacun sera accusé selon sa
propre conscience, et jugé par celui qui en
connaît le fond, de quel secours nous pour-
ront être ces trônes élevés de tant de degrés,
ces chaires couvertes d'un dais, et ces trou-
pes de vierges consacrées à Dieu qui vien-
nent au-devant de nous en chantant des
hymnes et des cantiques ? Nos honneurs d'à
présent deviendront pour nous des fardeaux
qui nous accableront; ce qui nous relève
présentement, nous écrasera; et quand ces
honneurs qu'il est du bien de TÉgiise qu'on
rende à notre caractère, ne nous seraient
point imputés à crime, comme en effet Dieu
ne nous en imputera rien si nous les rece-
vons avec une intention pure , toujours ne
couvriront-ils pas les crimes dont nous nous
trouverons chargés d'ailleurs, n
C'était l'usage que les évéques fissent ^
l'anniversaire de leur ordination , et saint Au-
gustin'ne manquait pas de renouveler tous
les ans la mémoire de la sienne. Cette fête
toutefois était pour lui plutôt un jour de tris-
tesse : car elle le faisait penser plus attenti-
vement que les autres jours au poids de la
charge qui lui avait été imposée, et au compte
qu'il était obligé d'en rendre à Dieu. Plus il
vieillissait, plus cette pensée se fortifiait en
lui. La même cérémonie se pratiquait parmi
les évéques' donatistes, et ils se trouvaient en
grand nombre chez Optât le Gildonien au jour
anniversaire de son ordination. 11 était en-
core d'usage dans l'Éghse ' catholique que
l'évêque de Carthage fût ordonné non par les
évéques de Numidie, mais par ceux qui étaient
les plus proches de cette ville, comme l'é-
vêque de Rome l'était par celui d'Ostie.
166. Outre les évéques, les prêtres et les suriM
-^ ' ^ cros et le
diacres', il y avait d'autres clercs inférieurs, i"' =ie"-'
savoir des '" sous-diacres, des " acolytes, des
lecteurs ", des portiers " et des fossaires 'S
c'est-à-dire des gens qui avaient soin de la
' Quamquam enin secundum honorum voca-
bula quœ jam Ecclesiœ usus obtinuit, episcopa-
tus presbyterio major sit. August., Epist. 82, num.
33, pag. 202.
* Àerius cum esset presbyter, doluisse fertur
quod episcopus nonpotuit ordinari... dictbat eliam
presbyterwm ab episcopo nulla differentia debere
discerni. August., lib. De Hœresib. hœres. 53,
pag. 18.
2 A'am ideo altior locus posilus est episcopis,
ut ipsi superintendant et tanquam custodiant po-
pulum. Nam et grœce quod dicitur episcopus, hoc
latine superintentor interpretatur : quia superin-
tendit, quia desuper videt, quomodo enim vinitori
altior sit locus ad custodiendam vineam, sic et
episcopis altior locus factus est, et de isto alto
loco periculosn redditur ratio, nisi eo corde ste-
mus hic, ut Immilitate sub pedibus vestris simus,
et pro vobis oremus, ut qui novit mentes vestras
ipse custodiat. Augusl., in Psal. cxxvi, num. 3,
pag. 1419.
* Transit honor hujus sœculi, transit ambitio.
In futuro Chrisli judicio, nec absidœ gradalœ,
nec cathedrœ velatœ, nec sanctimonialium occur-
santium atque cantanlium grèges adhibebuntur
ad defensionem ubi cœperint accusare conscien-
tice, et conscienliarum arbiter judicare. Quœ hic
honorant, ibi onerant; quœ hic relevant, ibi gra-
vant. Ista quœ pro tempore propter Ecclesiœ uti-
litatem honori noslro exhibentur , defendentur
forte bona conscientia , defendere autem non po-
terunt malani. August., fpwf. 23,uum. 3, pag.32.
5 August., Serm. III, pag. 865.
6 Idem., Serm. 339, pag. 1308, et Serm. 340, pag.
1311.
■J August., Epist. 108, num. 5, pag. 307.
8 Cum aliud habeat Ecclesiœ catholicœ consue-
tudo ut non Numidiœ, sed propinquiores episcopi
episcopum Ecclesiœ Carthaginis ofdinant, sicut
nec romanœ Ecclesiœ ordinal aliquis episcopus
metropolitanus, sed de proximo Osliensis episco-
pus. August., in Brev. Collât, diei ïerfiœ, pag. 570
et 571.
9 August., Epist. 43, num. 1, pag. 91.
'» Idem., Serm. 356, num. 8, pag.l3S7.
" August., Epist. 191, num. 1, pag. 709.
la Idem., Epist. 209, num. 3, pag. 777.
13 August., lib. VI Co)lf., cap. il, pag. 119.
1* August., lib. Contr. Cresc, cap. 29, num. 33,
pag. 450.
[jV" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉYÊQUE D'HIPPONE.
sépulture des morts. On mettait quelquefois
des ' enfants dans le degré de lecteur.
166. Saint Augustin, marquant les senti-
ments où il était avant sa conversion, dit qu'il
regardait ^ saint Ambroise comme un homme
heureux selon le monde, le voyant si fort
honoré des plus grandes puissances de la
terre ; mais que son célibat lui paraissait fort
rude. Il pensa depuis bien différemment : car,
répondant à ceux qui après avoir répudié
leurs premières femmes, voulaient en épou-
ser d'autres sous prétexte qu'ils ne pouvaient
garder la continence, il leur propose l'exem-
ple des clercs que l'on obligait à l'obser-
ver', en les contraignant par une violence
imprévue à accepter l'honneur de la cléri-
cature. Il ajoute qu'ils ne laissaient pas de
s'acquitter fidèlement avec le secours de Dieu
d'une chose à laquelle ils n'avaient jamais
pensé s'engager. Il parait que ' les donatis-
tes obligaient aussi à la continence leurs évê-
ques et leurs prêtres , puisqu'ils en déposè-
rent plusieurs à cause qu'ils avaient eu des
enfants. Voici le raisonnement que ce Père
fait touchant le vœu de virginité : « Si la
soustraction ^ de quelque partie d'un argent
voué à Dieu, mais qui n'était utile que pour
l'usage ordinaire de la vie , a si fort déplu à
sa justice, quelle doit être sa colère, lorsque
ceux qui lui ont voué leur virginité, ne la
lui conservent pas ? Au lieu que l'argent
n'est qu'une chose à l'usage des hommes ,
celle-ci est pour ainsi dire à l'usage de Dieu
même. Les saints sont la maison et le temple
de Dieu : Dieu le consacre par sa présence ,
7gS
et il veut qu'on le lui conserve saint. Ce que
saint Pierre dit à Ananie , peut donc se dire
à une vierge consacrée à Dieu, quand elle
se marie : N'étiez-vous pas maîtresse de vo-
tre virginité, n'était-elle pas en votre pouvoir
avant que vous en eussiez fait un sac;:ifice
par une consécration solennelle ? Que celles
qui en usent de la sorte, et qui, après avoir
voué leur virginité à Dieu, viennent à se ma-
rier, s'attendent donc non au châtiment pas-
sager d'une mort temporelle, mais au sup-
phce du feu éternel (si eUes ne font péni-
tence). »
167. Les moines les plus parfaits sont
les anachorètes qui \ se dérobant à la vue
de tous les hommes, ne mangeant que du
pain qu'on leur apporte de temps en temps ,
et ne buvant que de l'eau toute pure, habi-
tent dans les déserts, y jouissent de la com-
pagnie et de l'entretien de Dieu auquel ils
sont unis par la pureté de leurs pensées , el
goûtent les délices d'une souveraine béati-
tude dans la contemplation de cette beauté
qui ne peut être envisagée que des yeux
d'une âme sainte. Il y avait d'autres moines
appelés cénobites, qui, ayant quitté les plai-
sirs du monde après les avoir méprisés , vi-
vaient en commun d'une vie toute chaste et
toute sainte, employant le temps à prier, à
lire et à conférer ensemble ; jamais ni en-
flés d'orgueil, ni agités de troubles, ni pous-
sés d'envie, mais toujours modestes, toujours
humbles et tranquilles , ils vivaient dans une
parfaite concorde et dans une perpétuelle con-
templation des grandeurs divines, et offraient
• August., lib. 1 De Cons. evangelist., num. 13.
pag. 8, tom. III.
2 Ipsiimque Ambrosium felicem quemdam ho-
minem secundum sœculum opinabar, quem sic
tantœ po testâtes honorarent ; cœlibatus tantum
ejus mihi laboriosus videbattir. August., lib. VI
Conf., cap. ni, pag. 120.
3 Unde istos, qui virilem excellentiain non pu-
tant nisi peccandi licentiam, quando terremus ne
adulterinvs conjugiis hœrendo pereant in ceter-
num, solemus eis proponere etiam continentiam
clericorum, qui plerumque ad eamdem sarcinam
subev/ndam capiuntur inviti, eamque susceptam
usque ad debitum finem, Domino adjuvante, per-
duùunt... Hœc atque hujusmodi eis ut possumus,
dicimus, qui quoquo modo a se discedentibus, vel
propter adulterium dimissis conjugibus suis, alias
volunt ducere , et cum prohibentur , infirmitatem
nobis carnis opponwU. August., lib. II De Conjug.
adult., cap. xs, num. 22, pag. 418.
* Testimonio gravidatarum femvnarum convic-
tos, vel colleyas vel presbytères vestros ab ho-
nore deponitis, quandoquidem ista exempta, ubi-
IX.
que non désuni. August., lib. II Cont. Litt. Peti-
lian., cap. sxvi, num. 61, pag. 236.
5 Hoc tanlum attendat charitas vestra, quia si
Deo displicuit delrahere de pecunia quam vove-
rantDeo, et utique illa pecunia usibus homi-
num fuerat necessaria : quomodo irascitiir Deus,
quando vovetur castitas , et non exhibetur ;
quando vovetur virginilas, et non exhibetur? Vo-
vetur enim ad usus Dei et non ad usus hominvmi;
quid est quod dixi, ad usus Dei? Quia de sanctis
Deus facit sibi domum, facit sibi templum in quo
habilare dignelur : et utique sanctum vult per-
manere templum suum.; poiest ergo virgini sanc-
timoniali nubenti dici, quod ait Pelrus de pecu-
nia : Virginilas tua numquid non manens tibi
manebat, et antequam eam voveres, in tua fuerat
potestale? Quicumque autem hoc fecerint, vove-
rint talia et non reddiderint, non se putant tem-
poralibus mortibus corripi, sed feterno ignedam-
nari. August., Serm. 148, cap. n, num. 2, pag. 703
et "04.
" Lib. 1 De Moribus Ecoles, cathol. , num. 66 et 67,
pag. 710 et 711.
50
786
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
à Dieu, comme un sacrifice qui lui était
agréable, tous les dons et toutes les grâces
qu'ils avaient reçus de sa libéralité. Nul d'en-
tre eux ne possédait rien en propre ; nul
n'était à charge à personne, travaillant des
mains à ce qui pouvait nourrir le corps, et
ne point détourner l'esprit de penser à Dieu.
Ils donnaient tous leurs ouvrages à ceux
qu'on nommait doyens, ainsi appelés à cause
que chacun d'eux avait dix moines sous sa
conduite. Cela les déchargeait du soin deleur
nourritm'e, de leurs vêtements, et de toutes
les nécessités corporelles, soit en santé, soit
en maladie. Ces doyens en prenaient le soin
et veillaient sur l'économie et sur le ména-
ge. C'était à eux à ordonner les choses dont
la faiblesse de la nature a besoin, mais ils
rendaient compte de tout à celui qu'ils appe-
laient père. Quant à ces pères, ils étaient
très-saints dans la conduite de leur vie, et
très-habiles dans la science divine. Ils n'a-
vaient rien que de noble et de relevé dans
lem-s actions et dans leurs mœurs. Ils gou-
vernaient les autres qu'ils appelaient leurs
enfants, sans orgueil et sans insolence ; et
quoiqu'ils commandassent avec grande au-
torité, on leur obéissait avec beaucoup d'af-
fection. Tous ces solitaires sortaient de lem's
cellules sur la fin du jour, et s'assemblaient
pour entendre leur père, n'ayant point man-
gé de toute la journée. Ils n'étaient pas
moins de trois mille sous chaque père ; et il
y en avait même quelquefois davantage. Ils
écoutaient ses paroles avec un zèle incroya-
ble, dans un silence merveilleux. Et selon
que ses discours les touchaient , ils mar-
quaient les mouvements et les afl'ections de
leurs cœurs par des soupirs, ou par des lar-
mes ; mais d'une manière si modeste et si
tranquille , qu'ils n'excitaient aucun bruit.
L'exhortation finie ils allaient prendre leur
repas, ne mangeant qu'autant qu'il était né-
cessaire pour la vie et pour la santé , rete-
nant la concupiscence, de peur qu'elle ne
commît quelque excès, ne fusse que dans les
choses les plus simples et les plus viles. De
sorte qu'ils ne s'abstenaient pas seulement
de la chair et du vin pour dompter les mou-
vements delà volupté, mais encore de plu-
sieurs espèces d'aliments qui excitent d'au-
tant plus l'appétit qu'ils semblent plus purs
à quelques-uns, y en ayant qui veulent au-
toriser le désir déréglé des mets délicats par
la raison mauvaise et ridicule qu'il n'y arien
que de maigre dans cette sorte de nourri-
ture. S'il restait quelque chose après la ré-
fection nécessaire, comme il arrivait sou-
vent à cause de la sobriété de leur repas ,
on le distribuait aux pauvres avec soin. Car
ils ne travaiUaient pas pour avoir en abon-
dance ce qu'il leui' fallait pour leur nourri-
tm'e : au contraue ils ne souffraient jamais
qu'il demeurât rien chez eux qui ne leur fût
absolument nécessaire, jusqnes-là çpi'ils en-
voyaient des vaisseaux chargés de vivres
dans des lieux où les habitants étaient pau-
vres. Mais la gloire de la vie monastique
était en même temps obscurcie par un grand
nombre d'hypocrites ' dispersés de tout côté,
qui, sous l'habit de moine, parcouraient les
provinces, sans être attachés à aucune de-
meure fixe et sans être envoyés de personne.
Les uns faisaient valoir des reliques de mar-
tyrs, si toutefois elles en étaient; d'autres
vantaient leurs habits , et d'autres feignaient
divers prétextes, tous demandant et exigeant
de quoi soutenir leur pauvreté lucrative, ou
de quoi récompenser leur sainteté appa-
rente. Tout cela ne servait qu'à décrier l'é-
tat dont ils faisaient profession, surtout lors-
qu'on venait à découvrir les désordres de
leur vie. Saint Paulin condamne^ l'abus
de ces faux religieux qui mettaient en com-
merce une piété qui n'avait que des dehors,
et il loue Martinien de n'avoir pas voulu imi-
ter ces gueux avares, accoutumés à courir
par mer et par terre, et qui trafiquaient du
nom qu'ils portaient.
On recevait dans les monastères toute
sorte de personnes, riches, esclaves ', affran-
chis, paysans, artisans, et l'on était persua-
dé qu'il y aurait eu du mal de ne pas rece-
voir à la profession monastique des gens de
condition vile, parce que souvent il an venait
de grands saints. Il semble aussi qu'on em-
ployait ces artisans aux mêmes métiers qu'ils
avaient exercés auparavant, et que ceux qui
avaient été riches dans le monde, travaiUaient
de leurs mains étant moines. Du moins saint
Augustin dit qu'il n'est nullement à propos
que ' les artisans deviennent oisifs dans un
genre de vie où les sénateurs et les grands
* August., lib. De Oper. monach., cap. sivni,
num. 36, pag. 498, toiu VI.
s Paulinus, Carminé 21, ad Cytherium, pag. 108.
' August., lib. De Oper. monach., cap. sxn,
pag. 492.
' August., ibid-, cap. xsv, pag. 496.
[iv= ET V» SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, É'
da monde deviennent actifs et laborieux ; ni
que les villageois soient délicats dans un lieu
où se retirent , en renonçant aux délices du
siècle, ceux qui y avaient possédé de grands
hiens. On rapporte aux moines ce que dit ce
Père ', que les donatistes se raillaient de ce
que les frères disaient : Deo gratias, quand ils
rencontraient quelqu'un de leur profession ou
de leur connaissance. Ces schismatiques dé-
chiraient autant qu'il était en eux la vie mo-
nastique , et faisaient un crime ' à saint Au-
gustni de l'avoir établie en Afrique.
Sur le mn- \Q^ Saint Augustiu ne doute point que ' le
mariage entre la Sainte Vierge et saini Joseph
n'ait été véritable , puisque l'on y trouve tous
les biens qui appartiennent au vrai mariage,
les enfants, la fidélité, le sacrement : les en-
fants en la personne de Jésus-Christ; la fidé-
lité en ce qu'il n'y a point eu d'adultère ; et
le sacrement en ce qu'il n'y a point eu de di-
iTimoih.iT, vorce. Il donne pour principe que *, dans les
noces des femmes chrétiennes , la sainteté
du sacrement est beaucoup plus considérable
que la fécondité. Il enseigne encore ' que Jé-
sus-Christ, en assistant aux noces de Cana a
voulu nous apprendre qu'il était l'auteur du
mariage : « Car il devait, dit ce Père, y avoir
un jour selon la prédiction de l'Apôtre , des
gens qui défendraient de se marier, qui ensei-
VÊQUE D'HIPPONE. 787
gneraient que le mariage est mauvais et que
le diable en est l'auteur. Cette erreur est i^"'"" ""^
néanmoins proscrite dans l'endroit de l'Évan-
gile où Jésus-Christ, consulté sur la dissolu-
tion du mariage, répond qu'elle n'a lieu que
dans le cas d'adultère; et la raison qu'il en
donne , est que l'homme ne doit point sépa-
rer ce que Dieu a joint. Ceux aussi qui sont
bien instruits de la foi catholique, savent que
Dieu est l'auteur du mariage et 'que le dé-
mon l'est du divorce. S'il est donc permis à
l'homme de quitter sg, femme , c'est dans le
cas ^ d'adultère, parce qu'elle renonce la pre-
mière à son mari , en violant la fidélité con-
jugale. Mais cette disolution ne va pas jusqu'à
rompre le lien du mariage ; il demeure ' tou-
jours. D'où vient que celui qui se marie avec
une femme séparée de son mari, pour cause
de fornication, se rend coupable d'adultère.
iSIais une femme peut ^ se marier légitime-
ment après la mort de son véritable mari,
avec celui avec lequel elle avait commis un
adultère. »
Le saint Docteur prouve ' que la stérilité
d'une femme , n'est point une raison légi-
time à un homme de la quitter pour en épou-
ser une autre qui lui donne des enfants. Saint
Cyprien condamne '° les mariages des fidèles
avec des infidèles , et dit que c'est prostituer
i August.,"*» Fsal. cxïxit, num. 6, pag. 1487.
2 August., lit). III Contra Litt. Petil, cap. xl,
num. 48, pag. 321, tom. IX.
5 Omne itaque nuptiarum bonum impletum est
in illis parentiius Christi, proies, fides, sacra-
mentum. Prolem, cognoscimus ipsum Dominum
Jesum; fidem, quia nullum adulterium : sacra-
mentuin quia nullum divortium. August. , lib. I
De Nupt. et concup., cap. xi, num. 13, pag. 287.
* In noslrarum quippe nuptiis plus valet sanc-
titas sacramenti, quamfœcunditas uteri. August.,
lib. De Bono conju,gii, cap. xviii, num. 21,
pag. 332.
' Quod Dominus invitatus venit adnuptias... con-
firmare voluit quod ipse fecit nuptias. Futuri
enim erant, de quibus dixit Apostolus, prohiben-
tes nubere, et dicentes quod malum essent nup-
tiœ, et quod diabolus eas fecisset : cumidem Do-
minus dicat in Evangelio, interrogatus utrum
liceat homini dimittere uxorem suam ex qualibet
causa, non licere excepta causa fornicatiouis. In
qua responsione, si 'meministis, hoc ait : Quod
Deus conjunxit, homo non separet. Et qui bene
eruditi sui^lin flde catholica, noverunt quod Deus
fecerit nuptias, et sicut conjtmctio a Deo, ita di-
vortium a diabolo sit. Sed propterea in causa
fornicationis licet uxorem dimittere, quia ipsa
esse uxor- prior noluit, quœ fidem conjugalem
marito non servavit. August., Tract. 9, num. 2,
pag. 360 et 361.
8 Eujus procul dubio sacramenti res est, ùt max
et femina connubio copulati quandiuvivunt inse-
parabiliter persévèrent, nec liceat, excepta causa
fornicationis, a conjuge conjugem dirimi. Hoc
enim custoditur in Christo et Ecclesia, ut vivens
cum vivente in ceternum nullo divortio separetur.
August., lib. fle IVwpi. ef concup., ca-p. x, num. 11,
pag.- 285.
' Licite itaque dimittitur conjux ob causam
fornicationis, sed manet vinculum prioris, prop-
ter quod fit reus adulterii, qui dimissam duxerit
etiam ob causam fornicationis, etc. August.,
lib. II. De Conjug. adult., num. 4, pag. 406.
8 Denique mortuo viro cum quo verum connu-
hium fuit, fieri verum connubium potest cum quo
prius adulterium fuit. August. , lib. De Nupt. et
concup., cap. x, pag. 28iî.
3 Cuju.i sacramenti (matrimonii) tanta observatio
est in cioitate Dei nostri, m monte sancto ejus,
hoc est, in Ecclesia Christi, quibusque fidelibus
conjugatis, qui sine dubio membra sunt Christi,
ut cum filiorum procreandorum causa, vel nu-
bant feminœ, vel ducantur uxores, nec sterilem
conjugem. fas sit relinquere, ut alia secunda du-
catur. August., lib. I De Nupt. et concup., cap. x,
pag. 285 et 286.
::, 10 Beatus Cyprianus in Epistola de lapsis
jungere cum infldelibus vinculum matrimonii ni-
hil aliud esse asserit, quam prostituere gentilibus
membra Christi : quœ nostris temporibus jam
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
788
aux nations les membres de Jésus-Christ. On
ne laissait pas d'en contracter de semblables
du temps de saint Augustin : et ils ne passaient
pas même pour criminels , soit parce qu'ils
ne sont pas défendus dans le Nouveau Testa-
ment, soit parce que la défense en est expri-
mée en des termes assez obscurs , et qui lais-
sent du doute.
F.it sin?u- 169. Saint Augustin raconte ainsi un fait
Ilor sur lo mu. ^ ,
"•'"sa. singulier sur le mariage : « Acyndmus étant
préfet d'Orient fit mettre * un homme en pri-
son à Antioche , parce qu'il devait une livre
d'or au fisc, et jura qu'il le ferait mourir s'il
ne payait dans un certain jour : en quoi il
considéra moins ce qu'il devait que ce qu'il
pouvait, comme cela n'est que trop oi'dinaire
à ceux qui ont l'autorité en main. Cepen-
dant le prisonnier était insolvable. Mais un
homme riche promit à sa femme de lui don-
ner la somme , si elle voulait consentir une
seule fois à la passion qu'il avait pour elle.
Elle en parla à son mari , n'osant ni rejeter
xm. moyen de lui conserver la vie , parce
qu'eUe l'aimait beaucoup ; ni rien faire sans
son aveu dans une chose dont il était plus
maître qu'elle. La crainte de la mort fit que
le mari reçut cette proposition même avec
joie. Mais le riche (aussi perfide et aussi
avare qu'impudique), après lui avoir donné
un sac plein d'or , le retira sans qu'elle s'en
aperçût , et en mit à la place un autre tout
semblable où il n'y avait que de la terre.
Quand la femme fut revenue chez elle, et
qu'elle reconnut cette fourberie, la douleur
qu'elle en eut, et le désir de sauver son mari,
la porta à déclarer publiquement tout ce qui
s'était passé, et elle en fit ses plaintes au
préfet. Ce magistrat eut assez d'équité pour
se reconnaître coupable de ce malheur par
ses menaces indisci-ètes. Il ne rougit point de
prononcer qure la livre d'or serait prise sur
ses propres biens; mais il ajouta que la fem-
me serait mise en possession de la terre du
riche où la chose était arrivée, et d'où on
avait tiré la terre qu'on lui avait donnée au
lieu d'or. »
Quel jugement ^ saint Augustin porte-t-il
de cette action ? L'approuve-t-il ? donne-t-il
quelques louanges au mari ou à la femme ?
Nullement. Il déclare qu'il n'en veut point
juger, et qu'il laisse ' à un chacun la liberté
d'en penser ce qu'il voiidra. La raison pour
laquelle il ne veut rien prononcer là-dessus,
c'est, dit-il, que cette histoire n'est pas tirée
des Hvres saints, et tout ce qu'il ajoute, c'est
que si l'on consulte les lumières de la rai-
son, l'adultère revêtu de toutes les circons-
tances marquées dans le fait dont il s'agit ,
xie frappe point si fort et ne donne pas tant
d'horreur , que quand on considère le crime
de l'adultère en lui-même, ainsi qu'il l'avait
représenté plus haut. Mais si ce Père n'a
pas voulu décider en cet endroit de la bonté
ou de la malice de l'action dont on vient de
parler , il s'en est expliqué assez clairement
ailleurs. En écrivant contre Juhen , il dit
expressément * que l'on ne doit point com-
mettre d'adultère à cause du bien qui en
procède , savoir la génération des enfants
qui, par le baptême, doivent devenir des en-
fants de Dieu ; de même qu'il n'est pas per-
mis de voler , afin d'avoir de quoi faire l'au-
mône. Il dit ailleurs ^ qu'on ne peut douter
que Dieu ne nous impute avec justice les
péchés que nous avons commis, non-seule-
ment en nous abandonnant au plaisir , mais
aussi ceux dans lesquels nous sommes tom-
bés pour éviter quelques calamités, quelques
tourments , ou la mort même. Et dans le li-
vre de la Foi et des bonnes œuvres, il soutient
que' dans l'Église non-seulement le lien, mais
le sacrement du mariage est si recomman-
non piUantur esse peccata, qiwniam re vera in
Nova Tesiamento nihil iniie prceceptwm est, et
ideo aut licere creditum est, aiit velut dubiuin
derelictum. August., lib. De Fideet oper., cap. xix.
num. 33, pag. 185.
• August., lib. 1 De Serin. Domini in monte, cap.
XVI, num. Sfl, pag. 186, tom. III, part. 2.
* Voyez VApologie de la morale des Pères de
l'Eglise, ehap. xii, pag. 327 et 328.
^ Nihil hinc in aliquam partem disputa, liceat
cuiqne œstimare quod velit : non enim de divinis
auclorilatibus deprompla historia cxl ; sed lamen,
narrnto facto, non ita respuit hoc sensus hnma-
nus, quod in illa muliere viro jit.benle commis-
swn est, quemadmodum antea cum sine wllo
exemplo, res ipsa poneretur , horruimus. August.
loco mox oitato, pag. 187.
'' Kon sunt facienda adulteria etiam volunlate
generandi regenerandos , quemadmodum nec furta
facienda sunt, etiam voluntate pascendi pauperes
sanctos. August., lib. V Contra Julian., cap. x ,
uum. 41, pag. 6i9.
^ Satis apparuit etiam. illa peccata juste impu-
tari, quœ non delectationis, causa devitandœ mo-
lesliœ alicujus, aui doloris aut mortis. August.,
lib. De Peccal. mer. et rem., num. l.'i, pag. 'i8.
'^ lu civitato Dei , in monte sancto ejus , hoc est
in Eccle.'iia... nuptiarum non solwm vinculum,
verwn etiam sacramentum ita commendatur, ut
non liceal liro uxorem suam alteri tradere :
[IV° ET V^ SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
789
dable qu'il n'est pas permis à un homme de
donner sa femme à un autre. Il condamne
Caton d'avoir prostitué 'la sienne. « Le désir
d'avoir un plus grand nombre d'enfants, dit-
il encore , n'a jamais été ^ aux serviteurs de
Dieu une raison pour faire ce que fit autre-
fois ce romain, qui donna de son vivant sa fem-
me à un autre , afin qu'elle lui peuplât sa mai-
son d'enfants comme elle avait fait la sienne.
Car dans la mariage qui se contracte parmi
nous, on a beaucoup plus d'égard à la sain-
teté du sacrement qu'à la fécondité. » Cette
doctrine a toujours été générale parmi les
chrétiens. « Nous n'avons , disait ^ Terlullien
rien de particulier que nos femmes ; de tout
ce qui est sur la terre, il n'y a qu'elles dont
nous rejetons la communauté ; et c'est d'elles
seulement au contraire qu'il y a communauté
entre les païens. » Mais pourquoi, dira-t-on,
saint Augustin n'a-t-il pas voulu décider de
la bonté ou de la malice de l'action qu'occa-
sionna Acyndinus, et pourquoi s'en excuse-
t-il sur ce que cette histoire n'est pas tirée
des livres saints? A cela on peirt répondre
que c'est assez la manière d'agir de ce Père
en cas pareil. Cela se voit dans son traité de
l'Ame et de son origine ; comme on lui ob-
jectait l'histoire de Dinocrate pour prouver
que les enfants peuvent être sauvés sans bap-
tême , la réponse qu'il donne , c'est que 'les
Actes de sainte Perpétue, où cette histoire
est rapportée, ne sont pas une écriture ca-
nonique.
170. (I Jésus-Christ qui voulait ^ honorer
ses fidèles serviteurs jusqu'à la fin du monde,
dit saint Augustin, a commencé lui-même
par honorer sa croix, en faisant que les prin-
ces de la terre qui croiraient en lui , défen-
dissent qu'on ne fît plus mourir pei'sonne
sur la croix, et que les rois la portassent sur
le front avec confiance. Si donc l'impiété °,
voyant que le roi du ciel porte le bois de son
supplice comme son sceptre, s'en moque , la
piété lui voyant porter ce bois pour y être
attaché, conçoit que c'est pour le mettre sur
le front même des rois. D'où l'on voit qu'elle
est à présent la gloire de la croix de Jésus-
Christ, puisqu'elle paraît ' sur le front mê-
me des princes , et que ce n'est point par le
fer, mais par le bois que le Sauveur a sou-
mis toute la terre. » On voyait du temps de
saint Augustin un tableau où l'on avait re-
présenté le martyre de saint Etienne. Cette
peinture ' était très-<igréable ; le saint mar-
tyr y était représenté accablé de pierres. On
y voyait aussi Paul gardant les vêtements de
ceux qui le lapidaient. On voyait encore en di-
vers endroits ' l'image d'Abraham offrant son
Sur les Ima-
fc'osde la croix
ol des saints.
quod in republica tune romana, non solum mi-
nime cutpabililer, veruin eliam laudabililer Cato
feeisse perhibetur, neque hine diutiiis modo dis-
putare opus est, cum et Mi quibus respondeonon
audeant affirmare: nuUum hoc esse peccatum,
neque negent esse aduUerium, ne ipsi Domino
sanctoque Evangelio aperte convincantur obsis-
tere. August., lib. De Fide et oper., cap. vu, num.
10, pag. 170, tom. VI.
1 Vide Plularchum, in Catoiie minore, pag. 771,
et Strabonem, lib. XII Remm geographicarum,
pag. 354.
^ Nec causa ergo numerosioris prolis fecemnt
sancti nostri, quod Cato dicilur feeisse romanus,
ut traderet vivus uxorem etiam alterius domum
filiis impleturam. In nostrarum quippe nuptiis
plus valet sanctitas sacramenti, qiiam fœcundilas
. uteri. August., lib. De Bono coajiig., cap. xviii,
num. 21, pag. 332, tom. VI.
3 Omnia indiscreta sunt apud nos, prœter uxo-
res. In isto solo consortium solvimus, in quo solo
cœteri homines consortium exercent, qui non
amicorum solummodo matrimonia usurpant, sed
et sua amicis patientissime subminislrant ; ex
illa, credo, majorum et sapientissimorum disci-
plina , grœci Socratis et romani Catonis , qu,i
uxores suas amicis communicaverunt, quas in
matrimonium duxerant liberorum causa et alibi
creandorum. Nescio quidem an invitas. Quid
enim de castitate curarent, quam mai ili facile
donaverant , 0 sapientiœ atticce, o romance gra-
vitatis exemplum I Lenones philosophus et censor.
Tertull., in ipotog'ei., cap. xxxix, pag. 352, édit. Ri-
galtii.
'' De fratre autem sanctœ Perpetuœ Dinocrate
nec scriplwa ipsa canonica est, necillasic scrip-
sit, etc. August., lib. l De Anima et ejus orig.,
cap. X, pag. 343, tom. X.
5 Sed quia ipse honoraturus erat fidèles suos in
finehujus sœculi, prias honoravit crucem in hoc
sœculo, ut terrarum principes credentes in eum,
prohibèrent aliquem nocentium cruciftgi, et quod
cum magna insultalione persecutores Judœi Do-
mino procurarunt, magna fiducia servi ejus,
eliam reges in fronte nunc portant. August.,
Serm. 88, cap. ix, num. 8, pag. 473.
" Si spectet impietas, reget regem pro virga re-
'gni lignum sui portare supplicii; si pietas, videt
regem bajulantem lignum ad semetipsum figen-
dum, quod fixurus fuerat etiamin frontibus re-
gum. August., Tract. 117, num. 3, pag. 797.
' Attende saltem gloriam crucis ipsius. Jamin
fronte regum crux illa fixa est, cui inimici insul-
taverimt, efl'ectu,s probavit virtutem : domuit or-
bem non ferro, sed ligno. August., in Psal. liv,
num. 12, pag. 508.
8 Dulcissima pictura est hœc, ubi videtis sanc-
lum Stephanum lapidari, videtis Saulum lapi-
dantium vesLimenta servantem. August,, Servi.
316, num. 5, pag. 1270.
^ August., lib. XXII Contra Faust., cap. lxxui,
pag. 404.
790
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
fils en sacrifice : et il était fort ordinaire de
peindre l'image ' de Notre-Seigneur sur les
murailles, où on le représentait entre saint
Pierre et saint Paul. Cela fut cause que des
païens, également aveugles et impies, attri-
buèrent à Jésus-Christ des livres de magie ,
qu'ils disaient être adressés à saint Pierre et
à saint Paul, comme à ses plus intimes amis.
Saint Augustin semble toutefois condamner
les peintures dans son livre des Mœurs de l'E-
glise catholique : « Je sais, dit-il ^, qu'il y en a
beaucoup qui adorent des tombeaux et des
peintures ; je sais qu'il y en a plusieurs qui
boivent sur les morts jusqu'à l'intempérance,
et qui, servant à manger aux corps qui n'ont
plus de vie, s'ensevelissent eux-mêmes sur
ceux qui sont ensevelis , croyant faussement
qu'il y a de la piété dans ces actions hon-
teuses et dissolues. » Mais il est visible que
ce saint évêque n'appelle ici adorateurs des
sépulcres et des peintures que ceux qui s'at-
tachaient trop grossièrement aux tombeaux
et aux images des saints , sans élever assez
leur cœur aux saints mêmes régnant dans
le ciel. L'Église reprenait ces abus et ins-
truisait ceux qui les commettaient, sans quit-
ter pour cela ses saintes pratiques. L'abus
consistait en ce que ces personnes qui se res-
sentaient encore des superstitions païennes
semblaient rendre aux tombeaux et aux pein-
tures des saints l'honneur de l'adoration sou-
veraine qui n'est due qu'à Dieu. C'était pom-
abolir entièrement toutes les superstitions
païennes que les évêques permettaient quel-
quefois certaines pratiques innocentes, sans
néanmoins les approuver. Ainsi, saint Augus-
tin permettait que quelques-uns dans les maux
de tête y appliquassent le livre des Evan-
giles, plutôt que de se servir de ligatures '.
(i Car l'infirmité humaine, dit-il, est venue à
un tel point , que nous sommes contents si
nous voyons un homme au lit travaillé de la
fièvre et de grandes douleurs , lorsqu'il n'a
point d'autre espérance que de s'appliquer
l'Évangile à la tête, non pas qu'il soit fait
pour cela , mais parce qu'il l'a préféré à des
hgatures. » Il rapporte l'exemple d'une fem-
me * qui , pour guérir son fils d'un mal dé-
sespéré, fit un cataplasme avec la sainte Eu-
charistie, mais sans approuver cette action ,
qui n'était recommandable que par la foi
vive de cette femme. Dans le même temps
que l'on instruisait les catéchumènes des vé-
rités du christianisme, on leur apprenait à
faire sur eux le signe de la croix. « Si nous
demandons à l'un d'eux , dit saint Augus-
tin ^ : Croyez-vous en Jésus-Christ ? Il répond
d'abord : J'y crois, et se marque du signe de
la croix. Il la porte déjà sur son front, et
il n'en a point de honte. « 11 raconte de lui-
même ° qu'aussitôt après sa naisance , sa
mère eut soin de le faire marquer du signe
de la croix en le mettant au nombre des ca-
téchumènes. Il rapporte ' un miracle fait sur
une dame de condition de la ville de Car-
tilage , qui avait au sein un cancer que les
remèdes ordinaires ne pouvaient guérir.
Avertie en songe de se présenter le jour de
Pâques au lieu où l'on baptisait les femmes,
afin que la première qui en sortirait fit le
signe de la croix sur l'endroit malade , elle
obéit et fut guérie dans le moment. Ce si-
gne était regardé avec tant de vénération
dans l'Éghse , qu'on ' l'employait dans les
cérémonies les plus saintes : « Si l'on ne
marque , dit ce Père , ou sur le front des fi-
dèles , ou sur l'eau par laquelle ils sont ré-
générés , ou sur l'huile lorsqu'on les oint du
saint chrême , ou dans le sacrifice dont ils
sont nourris, rien de tout cela ne se fait eom-
me il faut. » Les fidèles avaient même de la
vénération pour la terre ou la poussière du
tombeau de Jésus-Christ ; on en transportait
jusqu'aux extrémités du monde , et on l'op-
* August., lib. I De Cons. evang., cap. x et sr,
num. 15, 16 et 17, pag. 8, tom. III.
' Novi muUos esse sepulcrorum et picturarum
adoratores: novi niultos esse qui luxuriosissime
supermortuos bibant, et epiilas cadaveribus exhi-
bentes super sepultos seipsos sepeliant, et voraci-
tales ebrietatesqiiesuas deputenlreligioni. Augiist.,
lib. I De Morib. Ecoles, catliol., cap. xxxiv, num.
75, pag. 713.
' August., Tract. 7 in Joan., num. 12, pag.
346.
' August., lib. III Oper. imperf., cap. CLxn, pag.
ni4.
» Si dixerimus calhecvmeno : Credis in Chris-
tum? respondet: Credo, et signai se : jam crucem
Christi portât in fronte, et non erubescit de cruce
Domini sui. August., Tract. 2 in Joan., num. S,
pag. 376.
6 August., lib. I Conf., cap. xr, pag. 75.
' August., lib. ,\XII De Civit. Dei, cap. vni, num.
3, pag. 665 et 666.
8 Qiiid est, quod omnes noverunt, signum
Christi, nisi crux Christi? Quod signum jiisi adhi-
beatur sire frontibus credentium, sice ipsi aquce
ex qua regeneraniur, sive oleo quo chrismale un-
gunlur, sive sacrificio quo aliintur, nihil eorum
rite per/icitur. Tract. H8, num. 5, pag. 801.
[iV ET V" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
791
posait aux infestations du démon. Hespé-
rius ', qui en avait reçu de Jérusalem par un
de ses amis, s'en servit qtilement pour dé-
livrer sa maison de ces esprits malins. On
voit aussi que, ayant reconnu qu'ils tourmen-
taient ses esclaves et ses bestiaux qu'il avait
dans une métairie située sur le territoire de
Fussalle, il pria un des prêtres d'Hippone
de se transporter sur les lieux. Ce prêtre y
alla , y offrit le sacrifice du corps de Jésus-
Christ , fit d'ardentes prières, et aussiôt la
vexation cessa par la miséricorde de Dieu.
171. C'était l'usage de l'Église d'honorer
les reliques des saints martyrs ; et les fidèles
en portaient * sur eux dans leurs voyages.
On élevait des autels ' sur leurs tombeaux
ou sur leurs reliques, et le jour de leur fête
était célébré partout le peuple. Mais en éle-
vant des autels sur les restes précieux de
leurs corps, ce n'était pas à eux qu'on éle-
vait ces autels, c'était à Dieu qu'on faisait
un autel des reliques des martyrs. L'honneur
qu'on leur rendait faisait dire à Fauste, le
manichéen, que * les fidèles avaient mis
les martyrs à la place des idoles ; et c'est le
reproche que beaucoup d'autres novateurs
ont fait depuis à l'Église romaine. Mais, que
répondit saint Augustin à "ce manichéen?
« Le peuple chrétien *, lui dit-il, honore les
mémoires ou les tombeaux des martyrs
d'une solennité religieuse pour s'exciter à
les imiter, pour être associé à leurs mérites
et pour être aidé de leurs prières. Nous ne
sacrifions à aucun martyr, mais à Dieu seul
quoique nous dressions des autels dans les
mémoires des martyrs. Car lequel d'entre
les prêtres du Seigneur, assistant à l'autel
dans les lieux où il y a des corps saints, a
jamais dit : Pierre ou Paul, ou Cyprien, nous
vous offrons ce sacrifice? Ce qui est offert,
est offert à Dieu qui a couronné les martyrs, et
c'est souvent même au lieu où il les a cou-
ronnés, afin que la vue de ces lieux sacrés
excite dans nos cœurs une charité plus ar-
dente. Tous les auti'es actes de piété " et de
rehgion que l'on fait aux tombeaux des mar-
tyrs sont des honneurs que l'on rend à leur
mémoire, et non des sacrifices qu'on leur of-
fre comme à des dieux. Quiconque connaît
l'unique sacrifice des chrétiens qui s'offre à
Dieu sur leurs tombeaux, sait aussi qu'on ne
l'offre point aux martyrs. Nous les honorons ''
de ce culte d'amour et de société dont les
saints qui sont encore sur la terre et qui sont
1 August., lib. XXII De Civit. Dei, cap. vin, num.
C, pag. 666 et 667.
2 Honorabiles Dei famulas.... Gallam viduam
sancti propositi et ejus filiam Simpliciolam vir-
ginem sacram... venerationi tuce in Christi dilec-
tione commendo... portant sane secum reliquias
beatissimi et gloriosissimi martyris Stephani,
quas non ignorât sanctitas vestra, sicut et nos
fecimus, quani convenienter honorare debeatis.
August., Epist. 212 ad Quintil, pag. 788.
3 Commendaiur ergo charitati vestrœ et locus
et dies : utrumque celebrandum in honorem Dei
quem confessus est Stephanus. Nos enini in isto
loco non aram fecimus Stéphane, sed de reliquiis
Slephani aram Deo. Grata sunt Deo hujusmodi
altaria. August., Serm. 318, num. 1, pag. 1271.
* Nobis calumniatur Faustus, quod martyrum
memorias hoiioramus, in hoc dicens nos idola
convertisse. August., lib. XX Contra Faust., cap.
XXI, pag. 346.
s Populus autem christianus memorias marty-
rum religiosa solemnitate concélébrât, et ad exci-
tandam imitationem, et ut meritis eorum conso-
cietur, atque orationibus adjuvetur ; ita tamen ut
miiUi martyrum, sed ipsi Deo martyrum, quamois
in memoriis martyrum constituamus altaria.
Quis enim antistitum, w locis sanctorum cor-
porum assistens altari, aliquando dixit : Offe-
rimus tibi, Petre, aut Pauls, aut Cypriane? Sed
quod offertur, offerlur Deo qui martyres corona-
vit, apud memorias eorum quos coronavit ut ex
ipsorum locorum admonitions major effectus ex-
surgat ad acuendam charitatem, et in illos quos
imitari possumus, et in illum quo adjuvante pos-
sii/imis. August., lib. XX Contra Faust., cap. xxi,
pag. 347.
^ Quœcumque igitur adhibentur religiosorum
obsequia in martyrum locis, ornamenta sunt me-
moriarum , non sacra velsacrificia mortuormn
tanquam deorum... Non autem esse ista sacrificia
martyrum novit, qui novit unum quod etiam il-
lic offertur sacrificium christianorum. August.,
lib. VIII De Civit. Dei, cap. xxvii, num. 1, pag,
217 et 218.
' Colimus ergo martyres eo cultu dilectionis et
socieiatis, quo et in hac vita colunlur sancti ho-
mines Dei, quorum cor ad taleni pro evangelica
veritate passionem paratum esse sentimus. Sed
illos tanto devotius quanto securius post certa-
mina superata, quanto etiam fidentiore laude prœ-
dicamus, jam in vita feliciore victores, quam in
ista adhuc usque pugnantes. At illo cultu, quœ
grœce Xv.Tpda dicitur, latine vero uno verbo dici
non potest, cum sit quœdam proprie divinitati
débita servitus, nec colimus, nec colendum doce-
mus, insi unum Deum. Cum autem ad hune cul-
tum pertineat oblatio sacrificii, unde idololatria
dicitur eorum qui hoc etiam idolis exhibent, nul-
lo modo taie aliquid offerimus, aut offerendum
prœcipimus vel cuiquam martyri, vel cuiquam
sanctce animœ, vel cuiquam angelo : et quisquam
in hune errorem delabitur, corripitur per sanam
doctrinam, siée ut corrigatur, sive ut caveatur.
August., lib. XX Contra Faust., cap. xxt, pag, 347,
792
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Voye
pag, S2o.
cation et l'in-
lerce^sion des
saÎDts.
prêts à mourir pour la vérité de l'Évangile,
sont honorés. Mais nous avons d'autant plus
de dévotion pour les martyrs que leur salut
est plus en sûreté, depuis qu'ils sont sortis
du combat, que celui des fidèles qui combat-
tent encore. Cependant nous n'honorons et
n'enseignons d'honorer que Dieu seul de ce
culte que les Grecs appellent latrie, qui n'est
proprement dû qu'à la divinité. Et comme
l'oblation du sacrifice n'appartient qu'à ce
culte, nous ne l'oûVons, ni ne commandons
de l'offrir à aucun martyr, ni à aucune âme
sainte, ni même à aucun ange. Celui qui
tombe dans une erreur si grossière en est
aussitôt repris par la saine doctrine ou pour
le corriger, ou pour le condamner, ou pour
l'éviter. Les miracles faits dans les lieux où
reposent les saintes reliques, marquent que
Dieu même approuve l'honneur que leur
rend l'Église. »
Saint Augustin assure ^ qu'il faudrait plu-
sieurs volumes si l'on voulait écrire toutes
les merveilles arrivées par les seules reliques
du premier martyr saint Etienne. Nous en
avons rapporté quelques-unes dans l'analyse
du vingt-deuxième livre de la Cité de Dieu.
Il est bon de remarquer ici que ce Père fit
mettre ^ sur la voûte d'une chapelle où l'on
avait élevé un autel à Dieu, sur les rehques
de saint Etienne, quatre vers pour appren-
dre à tous ceux qui venaient y prier que
c'est à la vertu de Dieu qu'il faut rapporter
les miracles que font les saints,, et que c'est
de lui que nous recevons des grâces par
eux.
172. Ils intercèdent sans cesse pour
nous ' depuis qu'ils sont avec Jésus-Chi^ist,
et leurs intercessions ne finiront point que
nos gémissements dans cette vie ne soient
passés. Cela suppose clairement qu'ils ont
mémoire de ceux qui vivent sur la terre. En
etiet, saint Augustin, parlant de Nébridius,
son ami, qu'il croyait jouir dans le ciel de la
vraie félicité : « Je ne pense pas toutefois,
dit-il *, qu'il s'enivre de telle sorte, dans ce
torrent de délices, qu'il m'oublie, puisque
vous-même. Seigneur, qui êtes cette source
adorable dans laquelle il boit, ne m'oubhez
pas. » Ailleurs il invoque * saint Cyprien
comme régnant dans le ciel, afin d'être aidé
par ses prières pour imiter ses vertus et ré-
sister aux hérétiques et aux schismatiques
qui voulaient abuser de ses écrits.
173. «Nous n'observons, dit saint Augus-
tin", ni les jours, ni les années, ni les mois ,
ni les saisons , de crainte que l'Apôtre ne
nous dise : J'appréhende pour vous que je n'aie
travaillé en vain parmi vous. Car il blâme
ceux qui disent : Je ne partirai pas aujour-
d'hui , parce que c'est un jour malheureux ,
ou parce que la lune est dans une telle posi-
tion ; ou bien, je partirai afin de mieux réus-
sir , parce que les étoiles sont disposées de
telle manière. Je ne ferai point de commerce
ce mois, ou j'en ferai parce qu'une telle
étoile domine. Je ne planterai point de vi-
gnes cette année , parce qu'elle est bissex-
tile. Mais jamais les personnes sages ne croi-
ront que ceux-là observent superstitieuse-
ment les temps, qui disent : Je ne partirai
pas aujourd'hui, parce qu'il s'est élevé une
tempête ; je ne ferai pas voile , parce qu'il y
a encore des restes de l'hiver ; il est temps
de semer , parce que la terre est humectée
des pluies de l'automne ; ou qui considére-
ront les effets naturels qui sont causés par
la.diversité des' saisons, que Dieu a fait dé-
pendre de la disposition des astres dont il a
Sur les
rer.= ' lions.
Galal. |T,(
1 August., lit). XXII De Civit. Dei, cap. vui, num.
20, pag. 670.
2 Non ergo credamus superbum esse Stepha-
num, cum putamus quia virtute sitct facit quod
facit, per conservum bénéficia stimamus, hono-
rem et gloriam Domino de mus. Quid v obis plus
dicam, et multwm loquar ? Legite quatuor versus,
quos in cella scripsimiis ; legite, tenete, in corde
habete. August.., Serm, 319, num. 7, pag. 1273.
3 Omnes martyres, qui cum illo (Christo) sunt,
interpellant pro nobis. Non transeunt interpella-
tiones ipsorum, nisi cum transierit gemitus nos-
ter. August., in Psal. lxxxv, inuii. 24, pag. 317.
* Jam (Nébridius) nonponit aurem ad os m.emn,
sed spiritale os ad fonlem, tuum., et bibit, quantum
polest, sapientiam pro aoidUate sua sine fuie fe-
lix. Nec sic eum arbilror inebrlari ex ea, ul obli-
viscalur mei, cum tu, Domine, quem potat ille.
nostri sis memor. August., lib. IX Conf., cap. ni,
num. 6, pag. 139.
■> Adjuvel itaque nos orationibtis suis in istius
carnis mortalité tanquam in caliginosa nube la-
borantes, ut douante Domino, quantum- possu-
mus , bona ejus imitemur... nos longe impares
meritis suis, Ecclesiœ tamen catholicœ uuclori-
tatem, cujus ipse egregium et claiissimwm mem-
brum est, pro noslra infirmitate sectantes, adi-er-
sus hœreticos vel schismaticos enodemus quos prœ-
cisos ab unitate quamtenuit, et arescentes a chari-
tate qua viguit , et elapsos ab hwnilitatc qua
stetit, tanlo amplius improbat atque condemnat,
quàiUo ni.agis novit eos ad insidiandum perscru-
tari velle quod scripsit, et ad pacificandum imi-
lari nolle quod fecit. August., lib. VU De Dapt.,
uum. 1, pag. 185 et 18G.
" August., Epist, 33, uum. 13, pag. 133.
[IV° ET V» SIÈCLES.]
dit en les faisant : Qu'ils soient des signes, et
qu'ils marquent les temps, les jours et les an-
nées. Qui croirait', que ce fût un si grand
péché d'observer les jours , les mois, les an-
nées et les temps, comme font ceux qui veu-
lent ou ne veulent pas commencer quelque
chose à certains jours, à certains mois, à
certaines années, parce que, suivant la vaine
doctrine de quelques hommes, ils s'ima-
ginent qu'il y a des temps heureux et des
temps malheureux , si nous ne pesions et ne
considérions la grandeur de ce mal par la
crainte que l'Apôtre nous en donne , lors-
qu'il dit : Je crains que je n'aie travaillé en
vain parmi vous. Quoique ces paroles^ se li-
sent dans nos églises avec beaucoup de so-
lennité et beaucoup d'autorité , nos assem-
blées ne laissent pas d'être pleines de gens
qui consultent les mathématiciens sur ce
qu'ils ont à faire , et qui ne font pas diffi-
culté de nous avertir de commencer û ne pas
bâtir ou à faire quelque chose de semblable
aux jours qu'ils appellent égyptiens, c'est-
à-dire , aux jours malheureux qu'on dit '
être le 1 et le 23 de janvier; le 4 et le 26 de
février; le 1 et le 2S de mars; le 10 et le 20
d'avril ; le 3 et le dernier de mai; le 10 et le
17 de juin; le 13 et le 27 de juillet; le 1 et
le 24 d'aoiit ; le 3 et le 21 de septembre ; le
3 et le 22 d'octobre ; le 3 et le 28 de novem-
bre; le 7 et le 22 de décembre.»
Saint Augustin remarque* que le jour de
saint Jean, les chrétiens allaient se plonger
dans la mer par une superstition qui venait
des païens. Il en marque encore ^ beaucoup
d'autres qu'il appelle des pratiques très-vai-
nes , comme de tirer des présages lorsque
quelque membre du coi'ps vient à tressaillir;
lorsque deux amis, se promenant ensemble
côte à côte , il se rencontre une pierre , un
chien, ou un enfant entre eux deux, qu'on
marche sur la pierre , qu'on donne des sou-
flets à l'enfant, et qu'on bat le chien, comme
si ces trois choses avaient rompu l'amitié
qui est entre ces deux personnes : de mar-
cher sur le seuil de sa porte lorsqu'on passe
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE. 793
devant son logis ; de se remettre au lit lors-
qu'on éternue en se chaussant , de s'en re-
tourner au logis lorsqu'on s'est heurté en
chemin conti-e quelque chose ; quand un vê-
tement a été rongé des souris, d'être plus
touché par l'appréhension du mal qu'on s'i-
magme en devoir arriver , que de la perte
qu'on a faite. C'est à celte occasion que Ca-
ton répondit plaisamment à un homme qui
le consultait sur ce que les souris avaient
rongé ses souliers : « Ce n'est pas, lui dit-il,
une grande merveille : la chose serait bien
plus étonnante si les souliers avaient rongé
les souris. »
174. Les augures ont été traités de ridicu-
les par les plus sages d'entre les païens ; et
Cicéron, tout augure ' qu'il était, s'en moque
et reprend ceux qui règlent la conduite de
leur vie sur le cri des corbeaux et des cor-
neilles. Saint Augustin met' les livres des
Aruspices et des augures au nombre des su-
perstitions et des pactes que l'on fait avec le
démon. Il avoue qu'il s'était appliqué pen-
dant sa jeunesse à^ l'astrologie judiciaire,
mais qu'il en fut détourné par un sage vieil-
lard nommé Vindicien^ médecin fameux qui
avait reconnu par expérience la vanité de
cette science. 11 la condamne souvent, et té-
moigne" que c'est une pernicieuse supersti-
tion ; de dire la bonne aventure par l'inspec-
tion des étoiles ; que c'est tromper les hom-
mes et les réduire à une misérable servitude ,
de leur prédire ce qu'ils doivent faire et ce
qui leur doit arriver; que c'est une erreur et
une fohe" de prétendre deviner les mceurs,
les actions , les divers événements de la vie
des hommes par l'observation des astres qui
président à leur naissance; et que dépareil-
les choses qui ne sont appuyées que sur des
signes étabhspar la présomption'"^ téméraire
des hommes, doivent être mises dans le rang
des conventions faites avec les démons. Il
en conclut" que tout chrétien doit les fuir
comme des amusements extravagants, qui
entretiennent un commerce contagieux entre
les hommes et Tes démons , qui ne les ont
bur ioç au-
gures ol l'as-
troIogiB judi-
ciaire.
1 August., Enchirid., cap. lxxix, pag. 227.
5 Angust., Exposit. in Epist. ad Gai., cap. iv,
num. 35, pag. 963, tom. III, part. 2.
3 Voyez M. Tliiers, dans le Traité des supersti-
tions, chap. lU, pag. 291 et 292, tom. I.
'> Aiigust,, Serin. 196, cap. iv, num. 4, pag. 903.
6 August., lib. Il De Doct. christ., cap. xx, num.
30 et 31 , pag. 31 et 32.
« August., lib. IV De Civit. Dei, cap. xxx, pag. MO.
' August., lib. H De Doct. christ., cap. xx.num.
30, pag. 31.
8 August , lib. IV Conf., cap. in, pag. 98.
9 August., lib. VII Co«/'., cap. vi, num. 8, pag. 13S.
1» August., lib. Il De Doct. christ, cap. xxi, pag.
32.
" Ibid., num. 33, pag. 32.
12 Ibid., cap. XXII, num. 34, pag. 33.
13 Ibid., num. 36, pag. 33.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
794
inventées que pour être les conventions de
leur fausse et perfide amitié. Il ajoute que la
foi de l'Église rejette ' la nécessité fatale que
l'astrologie impose aux hommes ; parce que
si cette nécessité avait lieu , il ne faudrait
plus prier, et l'on pourrait imputer à Dieu,
auteur des astres, les plus méchantes ac-
tions : ce qui serait impie.
Saint Augustin non content de combattre
par écrit les superstitions de l'astrologie judi-
ciaire, obligeait encore ceux qui en faisaient
profession à la pénitence publique qu'il ne
leur accordait même qu'après beaucoup de
demandes et de délais. C'est ce que l'on voit
par un de ses sermons sur le Psaume lxi, où
il dit' en montrant à son peuple un de ces
astrologues pénitents : « Cette soif de l'Égli-
se lui fait désirer de faire entrer dans son
corps cet homme que vous voyez. Apprenez
par son exemple combien dans ce mélange
de chrétiens, il y en a qui bénissent Dieu
de bouche , et qui le maudissent de cœur.
Cet homme a fait autrefois profession du
christianisme et reçu le baplême : le voici
néanmoins qui revient à l'Église en état de
pénitent. Pénétré de crainte et de frayeur à
la vue de la justice de Dieu, il a recours à
sa miséricorde. L'ennemi l'a séduit après
son baptême , et il a été longtemps aban-
donné à l'astrologie judiciaire. Il a trompé
les autres après avoir été trompé le premier :
il les a fait tomber dans l'erreur où il s'était
précipité. Il a été dans l'illusion, et y a en-
traîné les autres. Il a débité beaucoup de
mensonges contre Dieu qui a donné aux hom-
mes le pouvoir de faire le bien, et le pouvoir
de ne pas faire le mal. Il publiait que ce n'é-
tait point la propre volonté de l'homme qui
lui faisait commettre un adultère, mais Vénus;
que c'était Mars, et non la volonté de l'hom-
me, qui lui faisait commettre un homicide ;
que ce n'était pas Dieu qui rendait l'homme
juste , mais Jupiter ; et plusieurs autres im-
piétés de cette natui'e. Combien pensez-vous
qu'il a tii'é d'argent des chrétiens? Mainte-
nant nous devons croire qrf'il a horreur de
ces impostures , et qu'après avoir causé la
perte de tant d'hommes , il a reconnu enfin
que le démon le perdait lui-mêras. C'est
pourquoi il retourne à Dieu par la pénitence.
Je pense, mes frères, que sa conversion vient
d'une grande crainte dont il s'est senti frap-
pé à la vue des jugements de Dieu. Car à
quel autre motif pourrions-nous l'attribuer.
Si un païen renonçait à l'astrologie judiciaire
et se convertissait , ce serait à la vérité un
grand sujet de joie pour nous ; mais on pour-
rait craindre qu'il ne se fut converti dans le
dessein d'entrer dans la cléricature. Mais
celui-ci se présente comme pénitent. 11 ne
pense qu'à trouver miséricorde. Tenez donc
vos cœurs et vos yeux ouverts sur lui. Que
vos cœurs l'aiment ; que vos yeux le veillent.
Regardez-le bien afin de le reconnaître , et
en quelque endroit que vous le trouviez, fai-
tes-le remarquer à ceux de nos frères qui
ne sont pas ici présents. Ce soin et cette vi-
gilance sont une œuvre de miséricorde et une
charité que vous lui devez pour empêcher
que le démon ne l'attaque encore , et ne dé-
tourne son cœur de Dieu. Soyez comme ses
gardiens , examinez sa conduite , informez-
vous de quelle manière il vit , afin que vous
rendiez témoignage que sa conversion est
sincère. Vous ne pouvez ignorer sa vie après
qu'on vous l'a ainsi fait voir, etrecommandé
à votre charité. Vous savez qu'il est rap-
porté dans les Actes qu'un grand nombre de
gens de la même profession que cet homme,
apportèrent tous leurs livres aux pieds des
apôtres , et que l'on en brûla un si grand
nombre que l'Ecrivain sacré n'a pas cru de-
voir omettre d'en faire l'estimation , et de
nous en mai-quer la somme. C'est sans dou-
te pour la gloire de Dieu qu'il l'a fait , afin
que d'autres hommes perdus comme ceux-là,
ne désespérassent pas de la miséricorde de
celui qui veut bien chercher ce qui est perdu.
Cet homme était une brebis égarée que le
souverain Pasteur à cherchée , qu'il a trou-
vée et qu'il a ramenée à la bergei'ie : il ap-
porte avec lui ses livres , pour brûler en ce
monde ce qui l'eût fait brûler en l'autre, afin
que l'incendie de ces ouvrages d'iniquité lui
mérite quelque rafraîcliissement. Il est bon
néanmoins que vous sachiez qu'il y a long-
temps qu'il frappe à la porte de l'Église , et
qu'il y est venu chercher le remède à ses
maux dès avant Pâques. Mais comme l'art
dont il faisait profession le rendait un peu
suspect de mensoni;e et de tromperie , nous
avons cru qu'il était bon de dilTérer à le re-
cevoir , craignant qu'il ne nous tentât. Enfin
nous l'avons reçu de pem' qu'il ne fût plus
' August., lib. II De Gcnesi ad liUeram., cap. xvii ,
pag. 144, loin. III, part. i.
August., in Psal. lu, pag. 005 et 606.
[lV« ET V" SIÈCLES.]
dangereusement tenté lui-même. Priez donc
Jésus-Christ pour lui ; offrez à son intention
les prières que vous allez faire au Seigneur
notre Dieu. Nous savons et nous nous te-
nons assurés que vos prières effaceront tou-
tes ses impiétés. »
175. Il y avait des personnes qui faisaient
mettre sur leur tête l'Évangile selon saint
Jean , lorsqu'elles avaient de grandes dou-
leurs '. Saint Augustin ne désapprouve point
tout à fait cette pratique, il loue même ceux
qui la mettaient en usage plutôt que d'avoir
recours aux ligatures , et il se réjouit de ce
qu'une personne, travaillée dans son lit de
la fièvre ou de quelque autre douleur, ne
met son espérance qu'en l'Evangile qu'elle
met sur sa tête au lieu d'employer quelque
remède superstitieux. « Mais, dit-il, si vous
mettez l'Évangile sur votre tête pour faii'e
cesser votre migraine, pourquoi ne le met-
friez-vous pas sur votre cœur afin de le gué-
rir du péché? Faites-le donc, mettez l'Evan-
gile sur votre cœur; qu'il soit guéri, cela est
bon. » Ce Père appelle ^ mauvaises et in-
fidèles les mères qui ont recours aux liga-
tures sacrilèges et aux enchantements lors-
que leurs enfants ont mal à la tête. « Il y a
maintenant, dit-il, une certaine persécution
du diable qui est plus cachée et plus fine
que n'était celle de l'Église primitive. Un
chrétien est au lit malade '; il est tourmenté
de grandes douleurs ; il prie Dieu, et Dieu
n'exauce pas ses prières, ou, pour mieux
dire, il les exauce, mais il l'éprouve, il
l'exerce, il le châtie, afin qu'il fasse voir qu'il
le traite comme son enfant. Dans le fort de
ses douleurs une femme ou un homme s'ap-
proche de son lit et lui dit : Faites cette liga-
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
793
ture ' et vous serez guéri : celui-ci et celui-là
ont été guéris, vous le pouvez savoir d'eux-
mêmes. Le malade ne se rend pas à ce dis-
cours, il n'y obéit pas, il demeure ferme, il
résiste quoiqu'avec beaucoup de peine. Le
mal qu'il souffre lui ôte les forces, mais cela
n'empêche pas qu'il ne vainque le démon. Il
devient martyr dans son lit, et celui, qui a
été attaché pour lui à une croix, lui donne la
couronne du martyre. »
176. Le sort n'est point un sortilège, ni
une chose mauvaise \ mais une marque de
la volonté de Dieu dans les occasions où les
hommes ne peuvent pas la connaître. Les
apôtres mêmes s'en servirent pour élire un
successeur à Judas dans l'apostolat ; et des
deux qui furent choisis par le jugement des
homraes, il y en eut un choisi par le juge-
ment de Dieu, déclaré par le sort. Saint Au-
gustin ne désapprouve pas qu'on ^ s'en serve
lorsque durant les persécutions il y a contes-
tation entre les prêtres, savoir qui sortira de
la ville ou qui y demeurera, lorsqu'on ne
saurait distinguer lesquels d'entre eux sont
les plus nécessaires à l'Église, ou .les plus
disposés à soutfi'ir le martyre. Mais il con-
damne ' l'usage de chercher un sort dans l'É-
vangile pour régler les affaires temporelles,
sur les paroles qui se trouvent à l'ouverture
du livre. Quoique cette pratique lui paraisse
moins dangereuse que celle de consulter les
démons, il prétend que cette coutume tend
à tourner à des usages profanes et qui ne
regardent que les affaires de cette vie, les
oracles de Dieu même qui n'a parlé que
pour celle que nous attendons.
177. Saint Augustin avait dit dans un de
ses ouvrages que ^ depuis que l'Église ca-
Sur l'uface
des sorts.
Sur las mi-
racles.
' August., Tract. 7 in Joan., nuai. 12, pag. 346.
^ August., in l'sal. lxx, num. 17, pag. 730.
3 August., Serm. 286, num. 1, pag. 1173. Vide
Serm. 318., num. 3, pag. 1213.
* Ligature se dit d'une sorte de bande qu'on at-
taclie au col, au bras, à la jambe, ou à quelque
autre partie du corps des hommes et des bêtes,
pour détourner ou chasser quelque mala^lie ou quel-
que accident.
^ Àudito nomine sortium, non debemus sortile-
gos intelligere. Sors enim non aliquid mali est,
sed res est in dubitatione humana divinam indi ■
cans vohmtatcm. Nam et sortes miserunl apos-
toli, quando Judas, tradito Domino, periit... Cœ-
pit quœri qtiis in locum ordinar:ttir : electisunt
dun judicio humano, et electus de duobus unns
judiciodivino. t\ugaRt.,Serm. 3 inPsal.xss, num.
13, pag. 160.
« August., Epist. 228, num. 12, pag. 834.
' Hi vero qui de paginis evangelicis sortes le-
gunt, etsi optandum est ut hoc potins faciant,
quam ad dwmonia consulenda concurrant : ta-
men ista mihi displicet consuetudo, ad negotia
sœcularia, et ad vitœ hujiis vanitatem, propter
aliam vitam loquentia oracula divina velle con-
vertere. August., Epist. 55, num. 37. Vide Notas
patmm Benedictinorum in hanc Augustini epis-
tolam, pag. 143.
8 Cum enim Ecclesia catholica per totum orbem
diffusa atque fundata sit, nec miracula illa in
nostra tempora durarepermissa sunt, ne animus
semper visibiUa quœreret, et eorum consuetudine
frigesceret genus humanum quorum novitate,
flagravit. August., lib. De Ver a relig., cap. xxv,
num. 47, pag. 763.
796
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Sur r
des âmes
80'iîrd'i <"i
fil dv leur:
li6ur.
tholique a été répandue et établie par toute
la terre, Dieu ne faisait plus de miracles, de
peur que les hommes ne s'accoutumassent à
ces merveilles et n'eu fussent plus toucliés
comme ils l'as'aient été lorsqu'elles étaient
nouvelles et extraordinaires. Mais, dans ses
Rétractations ' , il ne veut pas que cela se
prenne tellement à la lettre qu'il ne se fasse
plus aucun miracle au nom de Jésus-Christ.
« Car moi-même, dit-il, lorsque j'éciivaismon
livre de la Véritable religion, je savais qu'un
aveugle avait recouvré la vue en touchant
les reliques d'un des martyrs de Milan, et je
savais encore d'autres miracles dont il se
fait un si grand nombre en ce temps, qu'il n'est
aisé ni de les reconnaître tous, ni de raconter
tous ceux qu'on connaît. »
178. « Quand les âmes des fidèles ^ qui
appartiennent à Jésus-Christ sont détachées
de leurs corps, à la fin de cette vie, les puis-
sances malignes et envieuses, c'est-à-dire les
démons, n'ont aucun droit de s'en saisir. Li-
bres donc de leur servitude et de tous maux
par le divin Médiateur, elles sont reçues par
les saints anges et placées, lorsqu'elles sont
épurées de toute corruption, dans des de-
meures tranquilles jusqu'à ce qu'elles reçoi-
vent leur corps incorruptible qui ne leur sera
plus un poids, mais un rehaussement à
leur gloire. Dans la félicité ^ éternelle, on
aura tout ce que l'on aime, et l'on ne dési-
rera pas ce que l'on n'aura point. Il n'y aura
rien qui ne soit bon, Dieu y sera notre sou-
verain bien et les amateurs de ce bien su-
prême l'auront toujours présent pour en
jouir. Le comble de leur bonheur consistera
en ce qu'ils seront assurés qu'il durera éter-
nellement. Dieu sei-a la fin de nos ' désirs,
on le verra sans fin, on l'aimera sans dégoût,
on le louera sans lassitude, et cette occupa-
tion sera commune à tous, de même que la
vie éternelle. Mais il n'est pas possible de
savoir quel sera le degré de gloire propor-
tionné au mérite de chacun. Néanmoins on
ne peut douter qu'il n'y ait en cela beaucoup
de différence. Un autre avantage de cette
cité bienheureuse, est que l'on ne portera
point envie à ceux que l'on verra au-dessus
de soi , comme maintenant les anges ne
sont point envieux de la gloire des archan-
ges ; et l'on souhaitera aussi peu de posséder
ce qu'on n'aura pas reçu, quoiqu'on soit par-
faitement uni à celui qui le recevra , que le
doigt souhaite d'être l'œil, quoique l'œil et le
doigt entrent dans la structure d'an même
corps. Chacun y possédera tellement son
don, l'un plus grand, l'autre plu-s petit, qu'il
aura encore le don de n'eu point désirer de
plus graïad que le sien. »
On ne trouve rien de bien assuré dans les
écrits de ce Père sur le lieu où les âmes des
saints sont reçues aussitôt après leur mort,
ni sur la signification du sein d'Abraham. 11
décide à la vérité que ^ les saiuts, depuis la
venue de Jésus-Christ, ne vont point en en-
fer, et il dit ordinairement qu'ils reposent
1 Sed non sic accipiendum est quod dixi , ut
nunc in Christi nomine fieri miracula nulla cre-
dantur. Nain ego ipse, quando istum ipsumii-
brwn scripsi, ad mediolanensium corpora mar-
tyruin in eadein civilate cœcum illuminatum fuisse
jam noveram, et alia non nulla , qualia lam multa
etiamislis temporibus fiunt, lU nec oninia cognos-
cere, nec ea quœ cognoscimus enum rare possi-
mus. August., lib. I Retract., num. 7, p:xs. 20.
^ Quando fine hujus vitm resolvunlvr a cor-
pore, jus in eis retinendis non habent iiwidce po-
teslates... Proinde liberi a diaboli poteslate, sus-
cipiuntur ab angdis sanclis... constituuntur au-
tem purgati ab omni contagions cornqilionis in
placidis scdibus, donec recipiant corpora sua, sed
jam incorruplibilia , quœ ornent , non onerent.
Augast., lib. XV De Trinit., cap. xxv, num. 44, pag.
997.
' Inilla felicitate... quidquid amabitur, aderit;
nec desiderabitur quod non aderit. Omne quod ibi
erit, bonum erit, et summus Deus summum bo-
num erit, atque fruendum amantibus prwsto erit,
et quod est om.nino beatissimum ila-seniper fore
cerlum erit. .\ugust., lib. XIII De Trinit., cap. vu,
num. 10. pag. 933.
''Ipse finis erit desideriorumnostrorum, qui sine
fine videbilur, sine fastidio amabitur, sine faliga-
tione laudabilur. Hoc munus, hic affeclus,hic ac-
tus profecto erit omnibus, sicut ipsa cita œlerna
conimunis. Cœterum qui futuri sint pro meritis
prœmiorum etiam gradus honorum alque gloria-
rum, quis est idoheus cogitare, quanlo magis di-
cere ? Quod tamen fuluri sint, non est ambigen-
dum. Àlque id etiim beata civitas illa magnum
in se bonum videbit, quod nulii superiori ibllus
inferior invidebit, sicut nunc non invident ar-
changelis angeli cœieri; tamque nolet esse unus-
quisque quod non accepit, quamvis sit pacatis-
simo concordiœ vinculo ei qui accepit obslriclus,
qurm nec fh corpore vuU oculus esse qui est di-
gitus cum membrum utrumque contineal toiius
carnis pacata compago. Sicitaque Ivibebit donum
alius alio minus, ut hoc quoque donum habcat,
nevelilamplius..\\iiiasl.,hh.\\\l De Civil. Dei,
cap. XXX, num. 2, pag. 700.
6 Si enim non absurde credi videtur , anli-
quos etiam sanctos, qui venturi Christi tenucrunt
fidem, locis quidcm a tormentis impiorum remo-
tissimis, sed apud inferos fuisse, donec eos inde
sanguis Christi et ad ea loca descensus erueret,
ii7« ET V SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
dans le sein d'Abrabam ; mais tantôt il le dis-
tingue ' du royaume des cieux, tantôt il
confond ces deux lieux ^, et tantôt il laisse
indécis ' si le sein d'Abraham et le royaume
du ciel ne sont pas un même lieu exprimé
par diffère Qts noms.
179. Ce saint Docteur, expliquant les paro-
les du Psaume : Seigneur, ne me reprenez pas
dans votre colère, dit qu'un jour* viendra au-
quel il y aura des personnes que Dieu re-
prendra dans son indignation et qu'il corri-
gera dans sa colère ; que peut être tous ceux
qui seront repris , ne seront pas corrigés ;
qu'il y en aura toutefois quelques-uns qui
seront sauvés après avoir été repris et corri-
gés, mais que ce sera en passant par le feu,
ainsi que le dit l'Apôtre ; qu'il y en aura
d'autries qui seront repris et non pas corri-
gés, n'y ayant point de doute que Jésus-
Christ ne reprenne ceux à qui il dira : J'ai
eu faim, et vous ne m'avez point donné à man-
ger ; j'ai eu soif et vous ne m'avez pjoint donné
à boire; allez, maudits, au feu éternel qui est
préparé au démon et à ses anges. (( Ce sont ces
maux, continue le saint Docteur, maux en-
core plus effroyables que tout ce que l'on
souffre en cette vie, que craint celui qni gé-
797
mit ici dans les maux du monde, qui pi-ie et
qui dit : Seigneur , ne me reprenez point dans
votre indignation, et ne me corrigez point dans
votre colèiX'. Que je ne sois point du nombre
de ceux à qui vous direz : Allez au feu éter-
nel, etc. Ne me corrigez point dans votre co-
lère, afm de me corriger plutôt en cette vie,
et de me rendre tel qu'il n'y ait plus rien en
moi qui doive être purifié par ce feu puri-
fiant que souffriront ceux qui ne laisseront
pas d'être sauves, quoiqu'on passant par le
feu. Pourquoi? c'est parce qu'ils élèvent ici
sur le fondement un édifice de bois, de foin
et de paille. S'ils eussent élevé un édifice
d'or, d'argent et de pierres précieuses, ils
auraient été en assurance contre l'un et l'au-
tre feu, non-seulement contre ce feu éter-
nel qui tourmentera élernellement les im-
pies, mais encore contre celui qui purifiera
ceux qui ne laisseront pas d'être sauvés,
quoiqu'on passant par le feu. Parce que l'on
dit de ces personnes qu'elles seront sauvées,
on méprise ce feu par lequel elles passeront ;
cependant ce feu ne laissera pas d'être plus
horrible que lout ce qu'un homme peut souf-
frir dans cette vie. 11 est donc ' à croire qu'il
y a des fidèles qui sont sauvés d'autant plus
Cor. (I[,
profecto deinceps boni fidèles effuso illo pretio jam
redempti, prorsus inféras nesciunt, donec etiam
receptis corporibus, bona recipiant quœ meren-
tur. August., lib. XX De Civit. Dei, cap. xv, pag.
593.
Post vitam istam parvam nondum eris ubi
erunt sancti, qiiibus dicetur : \ enite , benedicti
Patris mei: percipite regnum quod vobis paratum
est ab initio mundi ; nondum ibi eris, quis nescif?
Sed jam poleris ibi esse , ubi illxim quondam ul-
cerosum. pauperem, dives ille superbus et steri-
lis in mediis suis tormentis vidit a longe requies-
centem. In illa requie positns, certe securus exs-
pectas judicii diem, quando recipias et corpus,
quando immuteris ut angelo œqueris. August. ,
Serm. 1 in Psal. xxxvi, num. 10, pag. 263.
^ Sinus Abrahœ, requies beatorum pauperum,
quorum est regnum cœlorum , in que post hanc
vitam recijnunlur. August, lib. II Quœst. evang.
quaîst. 38, num. 1, pag. 264, tom. 111. Jam sinus
Abrahœ intelligitur secretum Patris , quo post
passionem reswrgens assumptus est Dominus.
August., ibid., num. 5, pag. 266.
August., lib. IX Conf. num. 6, pag. 159. De Ne-
bridio amico suo mortuo loquens ait : Nunc ille
vivit in sinu Abraham. Qiiidquid illud est quod
illo significatnr sinu. Vide August, lib. XII De
Genesi ad litteram. , cap. xxxiv, num. 66', tom. III,
pag. 322.
* Domine, ne in indignatione tua arguas me,
neque in ira t^a amendes me. Futurum est enim
ut quidam in' ira Dei emendenlur et in indigna-
tione arguanlur; et forte non omnes qui arguun-
tur, emendabuntur ; sed tamen futuri sunt in
emendatione quidam salvi. Futurum est quidem
quia emendatio nominata est: Sic tamen quasi
par jgnem. Futuri autem quidam qui arguentur
et non emendabuntur. Nam gotique arguet eos qui-
bus dicet: Esurivi, et non dedistis mihi mandu-
care : sitivi, et non potastls me : et cœtera quœ ibi
prosequens, quamdam inhumanitatem et sterili-
tatem increpitat, malis ad sinistram constitutis,
quibus dicitur : Ite in ignem EEternum, qui para-
tus est diabolo et angelis ejus : Hœc iste graviora
forniidans, excepta v ita ista in cujus malis plangit
et gémit, rogat et dicit: Domine, ne in indignatione
tua arguas me. Non sim inter illos quibus diclu-
rus est : Ite in ignem sternum, qui paratus est
diabolo et angelis ajus, neque in ira tua amendes
me , ut in hac vita purges me, et talem me reddas
oui jam emendatorio igné non opus sit. Propter
illos qui salvi erunt , sic tamen quasi per ignem.
Quare nisi quia hic œdificant supra fundamen-
tum ligna, fœnum, stipulam? JEdificarent autem
auriun, argentum, lapides preiiosos, et de utro-
que igné securi essent; non solum de illo œterno
qui in œternwn crucialurus est impios, sed etiam
de illo qui emendabit eos qui per ignem salvi
erunt. Dicitur enim: Ipse autem salvus erit, sic
tamen quasi per ignem. Et quia dicitur: Salvus
erit, contemnilur ille ignis. Ita plane quamvis
salvi per ignem gravior tamen erit ille ignis,
quam quidquid potesc liomo pati in hac vita. Au-
gust., in Psal. xxxvii, num. 3, pag, 295.
^ Taie aliquid etiam post hanc vitam fieri in-
credibile non est... Non nullos fidèles per ignem
79&-
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Su l'éler.
nllé (les pei-
nes des dam-
née.
lardon d'autant plus tôt par un feu quiles-
pu;-go, qu'ils ont plus ou moins aimé les biens
périssables : mais cela ne se doit pas enten-
dre de ceux dont il est dit, qu'ils ne posséde-
ront point le royaume de Dieu, si ce n'est que,
ayant fait une juste et convenable pénitence,
leurs crimes leur aient été remis. La peine du
feu' passager, n'est point pour ceux qui vi-
vent dans les saletés et dans les crimes. Ce-
lui qui n'aura' pas cultivé son cliamp, et
qui l'aura laissé couvrir d'épines, aura dans
cette vie une malédiction dans ses œuvres,
et après sa mort ou le feu de la purgation,
ou la peine éternelle. »
180. D'après saint Augustin, l'Église a con-
damné l'erreur de ceux qui promettaient le
pardon au diable^, après de grands et de
longs supplices. « Les saints, dit-il, qui l'ont
aussi condamnée, ne l'ont pas fait pour avoir
envié la béatitude à personne, maisc'estqu'ils
ont vu que ce serait anéantir l'arrôt qno le
Sauveur prononcera au jour du jugement en
disant : Retirez-vous de moi, maudits , et allez
dans le feu éternel qui est préparé pour le dia-
ble et pour ses anges. Ces paroles montrent en
effet très-clairement que le diable et ses an-
ges brûleront dans un feu éternel : ce qui
est aussi marqué dans cet endroit de l'Apo-
calypse : Le diable qui les séduisait fut jeté
dans vn étancj de feu et de souffre, avec la bête,
le faux prophète, ou ils seront tourmentés jour
et nuit dans les siècles des siècles, c'est-à-dire
éternellement selon le langage ordinaire de
l'Écriture. C'est sur son autorité que la véi'i- i pei
table piété doit croire qu'il n'y aura plus de
retour à la justice pour le diable et pour ses
anges que Dieu n'a point épargnés, et qu'il
a condamnés en attendant aux noirs cachots
de l'enfer, où ils sont gardés pour être pu-
nis au dernier jugement ; qu'on les jettera
quemdam purgatorium, quanta magis minusve
bona pereuntia dilexerunt, tanto tardius certius-
gue salvari; non tamen taies de quibus dictum
est, quod regnum Dei non possidebunt, nisi con-
venienter pœnitentibus eadem crimina remittan-
lur. August., Enchirid., cap. lxix, niun. 18,
pag. 222.
' Non itaque promittatur pœna ignis transito-
ria turpiter scelerateque viventibus. August., lib.
De Fide et oper., cap. xxv, num. 47, pag. 190.
' Sed qui forte agrum non coluerit. et spinis
eum opprimi permiserU, habet in hac vita male-
dictionem terrœ suœ in omnibtis operibus suis,
et post hancvitam habebit vel ignem piirgationis
vel pœnarn, œternam. August., lib. Il Contra Ma-
nich., cap. xx, num. 30, pag. 67T.
' Àc primum quœri oportet atqxhe cognosci, cur
Ecclesia ferri' nequiverit hominum disputationem
diabolo etiam post maximas et diuturnissimas
pœnas purgationem vel indulgeiUiam pollicentem.
Neque enim tôt sancli et sacri veteribus ac novis
litteris eruditi, mundationem et regni cœlorum
bealitudinem post qualiaciimque et quantacumque
supplicia, qualibuscumque et quantiscumque anr-
gelis inviderunt : sedpotius viderunl divinamva-
cuari vel infirmari nonposse sententiam quam se
Dominus prœnunliavit in judicio prolaturum at-
que dicturum : Discedite a me, maledicti, in ignem
œternum, qui paratus est diabolo et angelis ejus.
Sic quippe ostendit œterno igné diabolum et an-
gelos ejus arsuros. Et quod scriptum est in Àpo-
coAypsi : Diabolusqui seducebat eos, missus est in
stagnum ignis et sulphurisquo et bestia et pseiido-
propheta cruciabuntur dieac nocte in saîcula sœ-
culorum. Quod ibi dictum est teternum, hic dic-
tum est in sœcula sœculorum ; quibus verbis nifiil
Scriptura divina signi/icare consuevil, niai quod
finem non habet temporis. Quamobrem prorsus nec
alia causa, nec justior atque manifestior inve-
niri polest cur verissima pietate Lenealur fixmn
et immobile, nullum regressum ad jusliliam vi-
iamque sanctorum diabolum et angelos ejus ha-
bituros nisi quia Scriptura, quœ neminem fallit,
dicit cis Deus non pepercisse, et sic ab illo esse
intérim prœdamnatos ut carceribus caliginis in-
feri retrusi traderentur servandi atque ultimo
judicio puniendi, quando eos œternus ignis acci-
piet, ubi cruciabuntur in sœcula sœculorum. Quod
si ita est, quomodo ab hujus œternitate pœnœ vel
universi vel quidam homines post quantumlibet
temporis subtrahentur, ac non siatim enervabi-
iur fides qua credilur sempiternum dœmonum
futilrum esse supplicium ? Si enim quibus dice-
tur : Discedite a me, maledicti, in ignem œternum
qui paratus est diabolo et angelis ejus, vel universi
velaliqui eorumnonsemperibierunt, quid causœ
est cur diabolus et angeli ejus semper ibi futuri
esse credantur ? An forte Dei sententia quœ in
malos et angelos et homines prof eretur, in ange-
los vera erit, in homines falsa? lia plane hoc
erit, si non quod Deus dixit, sed quod suspican-
tu,r homines, piusvalebit. Quod fier i quia non po-
test, argumenlari adversusDeum, sed divino po-
tius dum tempus est, debent parère prœcepto qui
sempiterno cupiunt carere supplicio. Deinde quale
est œternum' supplicium pro igné diulurni tempo-
ris existimare etvitam œternam credere sine fine,
cum Christus eodem ipso loco in una eademque
sententia dixerit utrumque complexus : Sic ibunt
isti in supplicium seternum, justi autem in vitam
octernara? Si utrumque œternum, profecto aut
utrumque cum fine diuturnum, aut utrumque
sine fine perpeluiim débet inteUigi. Par pari enim
relata sunt; Iiinc supplicium œternum, inde vila
œterna. Dicere autem in lioc una eodemque se/i-
su: Vita œterna sanctorum sine fine erit, suppli-
cium œternum finern habebit, muUum absurdum
est; un de quia vita œterna sanctorum sine fine
erit, supplicium quoque œternum quibus erit, fi-
nem procul dubio non habebit. August., lib. X.\l
De Civil. Dei, cap. xvii. pag. 637.
[IV» EX yc SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
dans nn feu éternel où ils seront tourmentés.
Si cela est ainsi, comment pourrait-on pré-
tendre que tous les hommes, ou même quel-
ques-uns seront délivrés de cette éternité de
peines après de longues souffrances, à moins
de donner atteinte à la foi qiîi nous enseigne
que le supplice des démons sera éternel ?
Car si ceux ou quelques-uns de ceux à qui
l'on dira : Retirez-vous de moi, maudits, allez
au feu éternel qui est préparé pour le diable et
pour ses anges, ne doivent pas toujours de-
meurer dans ce feu , pourquoi croira-t-on
que le diable et ses anges y demeureront
éternellement? Est-ce que la sentence que
Dieu prononcera contre les anges et contre
les hommes, ne sera vraie que pour les an-
ges? Il en sera ainsi si les conjectures des
hommes l'emportent sur la parole de Dieu :
mais comme cela est impossible, ceux qui
désirent de se garantir du supphce éternel,
au lieu de s'amuser à disputer contre Dieu,
doivent accomplir ses commandements tan-
dis qu'il est encore temps. D'ailleurs quelle
apparence y a-t-il à' eniendrele supplice éter-
nel d'un feu qui doit durer longtemps ; et la
vie éternelle, d'une vie qui doit durer tou-
jours, vu que Jésus-Christ au même lieu et
dans une même période comprenant l'un et
l'autre, a dit : Ceux-ci iront au supplice éter-
nel, et les justes dans la vie éternelle. Si l'un et
l'autre est éternel , on doit entendre ou que
l'un et l'autre durera longtemps et finira,
ou que l'un et l'autre durera toujours et ne
finira point. Car ces deux choses sont mises
en parallèle , d'un côté le supplice éternel, et
de l'autre la vie éternelle. De sorte qu'on ne
peut prétendre sans absurdité que dans une
même expression la vie éternelle n'ait point
de fin, et le supplice éternel en ait une. Puis
799
donc que la vie éternelle des saints ne finira
point, il en sera sans doute de même du sup-
plice des damnés. »
Saint Augustin met * Origène au nombre
de ceux qui ont enseigné que le diable et ses
anges seraient délivrés des peines, après en
avoir souffert de fort longues, et dit que l'É-
glise l'a justement condamné pour ce sujet.
Mais dans les derniers de ses ouvrages^ il ne
veut point décider si Origène a effectivement
enseigné cette erreur, avouant qu'il se trou-
vait des écrivains ecclésiastiques qui l'en dis-
culpaient.
181. «11 y a cette différence entre le schis-
matique et l'hérétique, dit le saint Docteur ^
que celui-là n'est pas séparé par une foi dif-
férente, mais par une simple rupture de so-
ciété et de communion. » Cresconius soute-
nait * qu'on ne devait pas donner le nom d'hé-
résie à la division qui était entre les catholi-
ques et les donatistes , et pour le prouver il
définissait l'une et l'autre en cette manière :
« Les hérésies ne sont qu'entre ceux qui sui-
vent des sentiments différents , et l'hérétique
est celui qui a une religion contraii'e, ou qui
explique la religion d'une façon différente ,
comme font les manichéens, les ariens, les
marcionites, les novatiens, et les autres qui
ont des sentiments contraires à la foi chrétien-
ne. Mais entre nous, ajoutait ce donatiste, qui
reconnaissons le même Christ, né, mort et res-
suscité pour nous, qui avons lamême religion,
les mêmes sacrements, et qui n'avons rien de
différent dans le culte des chrétiens , c'est
un schisme et non pas une hérésie : car l'hé-
résie est une secte de gens qui suivent des
sentiments différents , au lieu que le schisme
est la séparation des personnes qui sont d'une
même doctrine. » Saint Augustin convient de
VojPi! loni.
U.ttg. 13.'.
Sur le
scliismo ol
l'hérésie.
' Qua in re misericordior profecto fuit Orige-
nes, qui et ipsum diabolum atque angelos ejus
post graviora pro meritis et diuturniora suppli-
cia ex illis cruciatibiis eruendos atque sociandos
credidit. Sed illum et propter hoc... non immerito
reprobavit Ecclesia. August., lib. XXI De Civit.
Dei, cap. xvn, pag. 637.
"^ Diabolus... potest agere pœnitentiani et im-
petrare misericordiam Dei... quod quidem visum
est quibusdam, Origène, ut perhibetur, auctore ;
sed hoc, ut nosse le existimo, fides catholica et
sana non recepit ; wide nonnulli Grigenem quoque
ipsum alienum fuisse ab hoc errore vel probant,
vel volunt. August., lib. V Oper. imperf. contra
Julian., cap. xlvii, pag. 1268.
' Solet autem etiam quœri: Schismaticiquidab
hœreclicis distent? et hoc inveniri quod schisma-
ticos non fides diversa facial , sed communionis
disrupta societas ? August. lib. De tiept. quœst. in
Matth., num. 2, pag. 279, tom. IIl, part, 2.
* Quamquam id quod inter nos accidit schisma
potius quam heresim censés apellari oportere...
Quid sibi vult, inquis, quod ais hœreticorum sa-
crilegum errorem ? Nam hcereses non nisi intor
diversa sequentes fieri soient, nec hœreticus nisi
contrariée vel aliter inierpretatœ religionis est
cultor, ut sunt manichœi, ariani, marcionitœ,
novatiani, cœterique quorum inler se contra fi-
dem christianam diversa sententia stat. Inter nos,
quibus idem Chrislus natus, mortuus et resur-
gens, una religio, eadem sacramenta, nihil in
christiana observaiione diversum, schisma factum
non hœresis dicitur. Siquidem hceresis est di-
versa sequenti'um secta ; schisma vero eadem se-
quentium separatio. Quare et in hoc studio cri-
minandi quem tu incurreris vides errorem, cum
8t0
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
cette définition ; mais il soutient contre Cres-
couius que les donatistes sont aussi héréti-
ques, parce qu'ils rejettent le baptême des
catholiques. «Quoique j'approuve Meur dit-
il, la distinction par laquelle on dit que le
schisme est une division récente d'une so-
ciété, faite néanmoins pour quelque diû'é-
rent (car il ne peut y avoir de séparation
ni de schisme, s'il n'y a quelque pratique
diflerente), je dis que l'hérésie est un schis-
me invétéré. Vous êtes hérétiques parce vous
n'êtes pas seulement séparés , mais parce
qu'étant invétérés dans un schisme vous sui-
vez des maximes contraires en nous rebapti-
sant et parce que vous ne voulez pas reconnaî-
tre l'Église qui est le corps de Jésus-Christ. »
Fauste le manichéen définissait le schisme et
l'hérésie de la même manière. « Le schisme,
disait-iF, est, si je ne me trompe, d'être sé-
paré de société, quoiqu'on ait les mêmes sen-
timents et le même culte. L'hérésie est une
secte de personnes d'avis différents des au-
tres, et c[ui honorent Dieu d'une manière
différente. »
Saint Augustin ne laissait pas de trouver
beaucoup de difficultés à donner un défi-
nition régulière de l'hérésie , parce que
toute erreur n'est pas une hérésie, quoiqu'il
n'y ait point d'hérésie sans erreur '. C'est
pourquoi il ne s'explique pas toujours avec
précision sur ce sujet. Dans son li^Te de l'U-
tilité de la foi, il dit que l'hérétique est ' ce-
lui qui invente ou qui suit de nouvelles opi-
nions en vue de quelque intérêt temporel ,
et principalement pour acquérir de la gloire
ou du pouvoir. Définition qui semble suppo-
ser qu'une personne ne peut être hérétique
qu'il n'y entre quelque vue temporelle , ou
quelque mauvaise volonté. D'où vient que
ce Père ne veut pas ^ qu'on mette au rang
des hérétiques ceux qui ont des opinions
fausses et erronées, pourvu qu'ils ne les dé-
fendent pas avec obstination, principalement
quand ils ne les ont pas inventées par une
présomption téméraire, mais qui les ont
reçues de leurs pères ; qui chei'chent la
vérité avec toute la précaution et tout le soin
possibles , prêts à se corriger quand ils l'au-
quod schisma est hœresim vocas? August. , lib II
Contra Cresc, cap. m, nuir. 4, pag. 41t.
1 Proinde quamvis inler schisma et hœresim
magis eam distinctionem approbem qua dicitur
schisma esse recens (ongregationis ex aliqua sen-
Icntiarum diversitale dissensio (nequeenim etschis-
7na fieri potest , nisi diversum aliquid sequantur
qui fuciuntj hœresis autem schismainveteratum. :
tamenquid hinc opus est ad laborem cum me tan-
tum adjuvent definitiones tuœ ut si mihi et per
alios vestros concederet, schismaticos vos libentius
quam hœreticos dicerem. Si enim schisma faciunt,
quibus cum eis a quibus se dividunt U7ia religio
est, eadem. sacramenta, nihil in christiana obser-
vatione diversum, hinc est vcstra rebaptisatio
damnabilior, quia in una religione, eisdem sa-
cramentis nihilo in christiana obsercalione di-
verse, alius et dinersus esse non potest baptismus.
Sed quoniam nec nullwm est, nec aliquid parvutn
quod diversum sequimini, cum ab unitatis vin-
culo separati, etiam de repelitione baplismi dis-
sentUis a nobis, fit ut secundum istam ipsam de-
finitionem tiiam qua dixisti : Hœresis est autem
diversa sequentium secta; et hœretici sUis, et
victi appareatis; hœretici quidem, quod non tan-
tum divisi, verum et in rebaptizando diversum
sequimini; victi autem quia datum per nos bap-
lismum lunquam non ipsum vel tanquam nullum
sit iteratis, quodunum atque idem, nec diversum
esse fatemini August., lib. II Contra Cresc. ,
cap. vii.iiuuj. 9, pag. 'i^3. Nam et hœretici estis vel
quod in schismate inveteralo remansistis ; vel ex
tua definilione, quod de Ecclesia, quœ corpus est
Christi, vol de ileratione christiani baplismi di-
versum sequimini. Et sacrilcqus error est, non
solum a christiana unilale separatio , verum
etiam. sacramentorum, quœ secundum tuam con-
fessionem wia eademque sunt, violatio atque res-
cissio. August., lib. Il Contra Cresc, cap. vni,
pag. 4c4.
^ Schisma, nisi fallor,'est eadem opinantem at-
que eodem ritu colentem quam, cœteri solo con-
gregationis delectari dissidio. Secta vero est longe
alla opinanlem quam cœteri alio etiam sibi ac
longe dissimili ritu Divinitatis instituisse cultu-
ram. Faust, apud August., lib. XX, cap. ni, pag.
333, lom. VIII.
3 Non omnis error hœresis est, qiiamvis omnis
hœresis, quœ in vilio ponitur nisi errore aliquo
hœresis esse non possit. Quid ergo faciat hœreti-
cum, regulari quadam dejinitione comprehendi,
sicut ego exislimo. aut omnino non potest aut
difficillime potest. August., lib. I De Hœres .pag. 4,
tom. VIII.
* Hcerelicus est, utmeafert opinio, qui, alicujus
temporaiis commodi et maxime gloriœ principa-
tusque sui gratia, falsas ac novas opiniones vel
gignit, vel sequitur. August., lib. I De Utilitate
credendi, cap. i, pag. 43. tom. VIII.
^ Dixit quidem apostolus Paulus : Hœreticuiu
bomiiieni post unam correptioncm devita, sciens
quia subversus est ejusmodi, et peccat, et est a se-
metipso damuatus. Sed qui sententiam suam,
quamvis falsam atque perversam, nulla pertinaci
animositate defendunt, prœsertim quam non au-
dacia prœsumptionis suœ pepererunt, sed a se-
ductis atque in errorem lapsis parentibus accepe-
runt, quœrunt autem cauta soUicitudine veri-
tatem, corrigiparati cum invenerint, nequaquam
sunt inler hœreticos deputundi. August., E^i'sf. 43,
num. I, pag. 88.
[iV"" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVEQUE D'HIPPONE.
ront trouvée. C'est dans ce principe qu'écri-
vant à Vincent Victor qui avait avancé ' plu-
sieurs erreurs dans son livre de l'Origine de
l'ame , il lui dit : « Ne croyez pas ^ qu'ayant
ce sentiment vous soyez décha de la foi ca-
tholique, quoiqu'il soit opposé à la foi catho-
lique, si vous croyez devant Dieu qui connaît
tous les cœurs , que vous avez dit la vérité ,
et que vous ne vous arrêtiez point trop à vo-
tre sens, prêt d'abandonner votre sentiment,
si l'on découvre qu'il n'est pas probable, et
dans la disposition de condamner votre pro-
pre jugement et d'embrasser ce qui est vé-
ritable et plus sûr. Car la disposition où
vous êtes de vous corriger et d'embrasser la
vérité, vous rend cathohque, même à l'égard
des choses qui ne le sont pas, et que vous
avancez par ignorance. »
Ce Père apphque cette maxime à un hom-
me même qui serait dans l'erreur la plus con-
damnable, comme celle de Photin ', croyant
être dans la doctrine catholique. « Je n'ose-
rais pas , dit-il , appeler cet homme héréti-
que , si ce n'est que quand on lui a décou-
vert la doctrine catholique, il n'aime mieux
résister à la vraie foi , et tenir le sentiment
qtfil avait choisi. » Il paraît donc qu'il ne
suffit pas qu'un homme soit dans l'erreur
pour être hérétique , mais qu'il faut de plus
qu'il ait de la présomption et de l'opiniâ-
treté. C'est ce que dit assez clairement le
même Père dans un autre endroit * : « Ceux
qui, dans l'Église de Jésus-Christ, ont des sen-
timents corrompus et pernicieux, si, étant
repris et exhortés à rentrer dans la saine et
pure doctrine, ils résistent avec opiniâtreté,
et ne veulent ni se départir de leurs dogmes
801
pernicieux, ni quitter leurs opinions empoi-
sonnées et mortelles, mais continuent à les
défendre, deviennent hérétiques , et se re-
tirant de l'Église, ils se rangent au nombre
de ses ennemis. » On obligeait les hérétiques
de dire anathème à leurs écrits et à leurs
erreurs , comme on le voit par la conduite
que le pape Innocent et les évêques d'Afri-
que tinrent à l'égard de Pelage et de Céles-
tius. Ces évêques ^, persuadés que l'autorité
du Saint-Siège serait en cette occasion d'un
plus grand poids auprès de Pelage que la
leur, prièrent le Pape par lettres de l'obli-
ger à dire anathème au livre dont il était
auteur, afin que ses sectateurs , étonnés de
cette censure, n'osassent plus à l'avenir trou-
bler les cœurs vraiment fidèles et chrétiens,
par leurs disputes sur la grâce. Innocent lut
le livre de Pelage ", et y trouva beaucoup
de choses contre la grâce de Dieu , et beau-
coup de blasphèmes; ce qui lui fit juger que
cet hérésiarque devait anathématiser ses sen-
timents erronés, afin que ceux qu'il avait
séduits revinssent plus facilement, étant in-
formés qu'il avait lui-même anathématisé les
erreurs qu'il leur avait enseignées. Les évê-
ques d'Afrique en usèrent de même envers Cé-
lestius' : ils marquèrent au pape Zosime, qu'il
ne suffisait pas que cet hérétique avouât géné-
ralement qu'il se soumettait aux lettres du pa-
pe Innocent, mais qu'il devait encore anathé-
matiser ouvertement les mauvais sentiments
répandus dans l'écrit qui contenait sa profes-
sion de foi. Zosime en conséquence fit cher-
cher Célestius pour l'obliger à faire ce que de-
mandaient de lui ces évêques. Maisil disparut.
On peut dire en un sens que les héré-
1 August., lib. III De Anima et ejus orig., cap.
XV, num, 22, pag. 384.
2 Àbsit autem ut te arbitreris, hœe opinando, a
jide catholica recessisse, quamvis ea fideisintad-
versa catholicœ, si coram Deo , cujus in nullius
corde oculus fallitur, veradter te dixisse respicis,
non te tibi ipsi esse credulum probari ea quœ
dixeris passe ; ac studere te semper eliam pro-
priam senlentiam non tueri, si improbabilis dete-
gatur, eo quod sit tibi cordiproprio, damnato ju-
dicio, meliora magis et quœ sint veriora sectari.
Iste quippe animus , eliam in dictis per ignoran-
tiam, non catholicis, ipsa est correctionis prœnie-
ditatione ac prœparatione catholicus. August., lib.
De Anima et ejus orig., cap. xv, num. 23, pag.3 85
et 386.
3 Constituamus ergo duos aliquos isio modo,
unum eorum verbi gratia, id sentire de Christo
quod Photinus opinatus est et in ejus hœresi bap-
tizari extra Ecclesice catholicœ communionem ;
IX.
alium vero hoc idem sentire, sed in catholica bap-
tisari, existimantem ipsam esse catholicam fidem.
Istum nondiun hœreticum dico nisi manifesta sibi
doctrina catholicœ fidei resistere maluerit, et il-
lud quod tenebat elegerit. August., lib. IV DeBapt.,
cap. xvr, num. 23, pag. 133.
* Qui ergo in Ecclesia Christi morbidum aliquid
pravumque sapiunt, si correpli ut sanum rectum-
que sapiant, resistunt contumaciter suaque pesti-
fera et mortifera dogmata emendare nolunt, sed
defensare persistunt^ hœretici fiunt , et foras
exeuntes habentur in exercentibus inimicis. Au-
gust., lib. XVlIt De Civit. Dei, cap. li, num. 1, ■
pag. 533.
5 August., Epist. 177, num. 6, pag. 624, et num.
15, pag. 627.
^ lunooentius apud Augustinum , Epist. 183 ,
niim. 5, pag. 6i2.
' August., lib. Il Contra duas Epist. Pelag., cap.
Il), pag. 434.
31
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
802
ligues au lieu de nuire h l'Église catholi-
que, Font affermie, eu ce que pensant mal,
ils ont fait connaître ceux qui pensaient
bien '. Avant qu'il y eût des hérétiques, plu-
sieurs choses étaient cachées dans les Écri-
tures : ils les ont agitées par des questions ,
et par là ce qui était caché s'est découvert, et
on a mieux entendu la volonté de Dieu. Ceux
mêmes qui pouvaient les expliquer avec le
plus de succès, demeuraient cachés parmi le
peuple de Dieu, et ils ne s'appliquaient point
à résoudre les questions difficiles, parce qu'il
ne s'élevait aucun ennemi qui les pressât.
C'est pour cela qu'on n'a point traité parfaite-
ment du mystère de la Trinité avant les cla-
meurs des ariens ; ni de la pénitence avant
que les novatiens s'élevassent contre ell e ; ni de
l'efficacité du baptême avant ceux qui ont in-
troduit la rebaplisation. On n'a pas même
traité avec la dernière exactitude les choses
qui se disaient de l'unité du corps de Jésus-
Christ, avant que le schisme qui mettait les
faibles en péril, obligeât ceux qui étaient ins-
truits de ces vérités, à les traiter plus à fond,
et à éclaircir entièrement ce qu'il y a d'obs-
cur dans les Livres saints sur ce sujet. Cha-
que hérésie a apporté ^ à l'Église sa question
particulière, contre laquelle on a défendu
plus exactement la sainte Ecriture , que s'il
ne s'était jamais élevé de pareilles clisputes.
Au reste l'énormité du schisme est si grande '
que Dieu a puni plus sévèrement ce crime
même dans la loi ancienne que celui de l'i-
dolâtrie. Car l'idolâtrie ne fut punie que par
la mort seule et par l'épée , au lieu que les
schismatiques qui s'élevèrent contre Moïse
furent dévorés et engloutis tout vivants. Et
s'il arrivait dans les persécutions générales
dont l'Éghse a été agitée de temps en temps,
que les schismatiques livrassent avec nous
leurs corps aux flammes pour la confession
de la foi qui leur était commune avec nous,
on était persuadé que tous ces tourments leur
étaient inutiles pour le salut éternel*, parce
qu'étant séparés de nous, ils ne les soutfraient
pas en esprit de dilection, ne s'étudiaient pas
à consei'ver l'unité dans le lien de la paix,
et n'avaient pas par conséquent la charité. »
182. « Dieu seul " a le pouvoir de donner
la puissance légitime de régner et de com-
mander. C'est lui qui donne les royaumes "
aux bons et aux méchants princes , et nous
devons leur obéir. Car comme nous sommes
composas'' de corps et d'âme, tant que nous
1 Etenim ex hœreticis asserta est catholica, et
ex his qui maie sentkmt probati sunt qui bena
sentiunt. Multa enim lalebant in Scripturis ; et
cum prœcisi essent hœretici , qnœstionibus agita-
verunt Ecolesiam Dei : aperla sunt qiice latebant,
et intellecta est voluntas Dei... Ergo multi qui op-
time passent Soripturas dignoscere et pertracLare,
latebant in populo Dei; nec affevebant solutionem
quœstionum difficilium, cum calumniator nulius
inslaret. Numquid enim perfecte de TrinitaCe trac-
tatum est antequam oblalrarem ariani ? num-
quid perfecte de pœnitentia tractatum est ante-
quam obsisterent novatiani? Sic non perfecte de
baptismale tractatum est antequam contradice-
rent foris positi rebaptizatores ; nec de ipsa uni-
tate Christi enucleale dicta erant quce dicta sunt,
nisi postquam separatio illa urgere cœpit fratres
infirmas, ut jam illi qui nooerant hœc traclare
atque dissolvere, ne périrent infirmi, sallicltati
quœstionibus impiorum, sermonibus et disputa-
tianibus si„is, obscura legis in p^iblicum deduce-
rent. August., in PsaUn. liv, num. 22, pag. 513.
^ Didicimus enim singulas quasque hœreses in-
tulisse Ecclesiœ proprias quœstiones conlra quas
diligentius defenderelnr Scriptura divina, quam
si nulla talis necessilas cogeret. August., De Dana
pers., cap. xx, num. 53, pag. 831.
' lempore illo quo Daminus priera dclicta re-
cenlibus pœnarum exemplis cavenda monstravit,
et idolum fabricalum atque adoratum est ctpro-
pheticus liber ira régis cantemptoris incensus , et
schisma tentatum : idololatria gladio pimita est,
exusti libri bellica cœde et peregrina captivitale;
schisma hialu terrœ sepullis auctoribus vivis, et
cœteris cœlestiigne cansumptis. Quis jam dubitor-
verit hoc esse sceleratius commissum quod est
gravius vindicalum ? August. , lib. II De Bapt. ,
cap. VI, num. 9, pag. 101.
* Si aligna ingruente persecutione tradant ad
flammas nobiscum corpus suum pro fide quam
pariter confitentur, tamen, quia séparait hœc
agunt non sufj'erentes invicem in dilectione, neque
studentes servare unitatem spiriUis in vinculo pa-
cis , charitdtem utique non habendo , etiam cum
illis omnibus quœ nihil eis prosunt, ad œternam
salutem pervenire non possunt. August., lib. I De
Bapt., cap. IX , num. 12 , pag. 86.
^ Non tribuamus dandi regni atque imperii po-
testatem nisi Deo vero , qui dat felicitalem in ré-
gna cœlorum salis piis, regnum vero terrenum et
piis ac impiis, sicut ei placet, cui nihil injuste
placet. August., lib. V De Civit. Dei, cap. xxi, pag.
038.
'5 Deus ipse dat régna terrena bonis et malis.
August., lib. IV, cap. xxxiii, pag. 112.
'' Cum enim constemus anima et carpore, et
quamdiu in hac vita temporali sumus, etiam ré-
bus temporalibus ad subsidium degendœ hujus
vilœ ulamur; oportel nos ex ea parte, quœ ad
hanc vitam perlinet, subditos esse potestatlbus,
hoc est, hominibus res hu-manas cum aliquo ho-
nore administrantibus. Ex illa vero parte qua
credimus Deo, et in regnum ejus vocaniur, n07i
nos oportet esse srtbditos cuiquam homini, idip-
IV' ET V SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
803
sommes ici-bas, et que nous usons des cho-
ses temporelles pour le soutien de cette vie,
il faut que nous soyons soumis aux puissan-
ces eu ce point. Mais en ce qui regarde l'au-
tre partie de nous-mêmes par laquelle nous
croyons en Dieu , et sommes appelés pour
jouir de son royaume , nous ne devons être
assujettis à qui que ce soit , au préjudice de
ce que Dieu nous a donné pour la vie éter-
nelle. Celui-là donc se trompe fort qui, parce
qu'il est devenu chrétien , s'imagine n'être
point sujet aux puissances, ni obligé de leur
payer les tributs, et leur rendre l'honneur qui
leur est dû. Mais c'est se tromper encore da-
vantage de croire que les puissances prépo-
sées pour gouverner les choses temporelles,
aient di'oit sur notre foi. Il faut garder en ce-
la le juste tempérament que Jésus-Christ nous
a prescrit en ordonnant de rendre à César ce
qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »
Saint Augustin fait application de cette rè-
gle , par un exemple de ce qui se passa au-
trefois sous un prince païen. « Il y a eu, dit-
il ', un empereur infidèle nommé Julien. C'é-
tait un idolâtre , un méchant , un apostat. Il
avait des soldats chrétiens, et ces soldats ser-
vaient un prince infidèle. Lorsqu'il s'agissait
de la cause de Jésus-Christ, ils ne reconnais-
saient pour roi que celui qui est dans le ciel :
et quand Julien voulait qu'ils adorassent les
idoles et leur offrissent de l'encens , ils pré-
féraient Dieu à Julien. Mais lorsqu'il leur di-
sait d'aller combattre et de marcher contre
une telle nation, ils obéissaient aussitôt, dis-
tinguant fort bien entre le Seigneiu- qui est
éternel et le seigneur temporel. Néanmoins
ils demeuraient même soumis au seigneur
temporel, à cause de celui qui est éternel. »
183. Ou lit que David, loiu d'attenter à la
vie de Saiil, trembla après avoir coupé le
bord de la robe de ce prince. Sm' quoi saint
Augustin dit à Pétihen, cvêque donatiste :
« Vous m'objectez que ^ celui qui n'est pas
innocent ne peut avoir la sainteté. Je vous
demande si Saiil n'avait pas la sainteté de
son sacrement et de l'onction royale, qu'est-
ce qui causait en lui de la vénération à Da-
vid? N'est-ce pas à cause de cette onction
sainte et sacrée que David l'a honoré durant
sa vie, et qu'il a vengé sa mort ? Son cœur,
frappé de respect trembla quand il coupa le
bord de la robe de ce roi injuste, ce C[ui
montre C[ue quoique Saiil n'eût pas l'inno-
cence, il ne laissait pas d'avoir la sainteté,
non de vie et de mœurs, mais du sacrement
divin qui est saint même dans les hommes
mauvais. » Saint Augustin appelle ici sacre-
ment l'onction royale ' ou parce qu'avec tous
les Pères il donne ce nom à toutes les céré-
monies sacrées , ou parce qu'en particulier
l'onction royale dans l'Ancien Testament
était un signe sacré institué de Dieu pour
rendre les rois capables de leurs charges, et
pour figurer l'onction de Jésus-Christ. Mais
ce qu'il y a de plus important à remarquer
en cet endroit, c'est que ce saint Docteur re-
connaît, d'après l'Écriture, une sainteté in-
hérente au caractère royal qui ne peut être
effacé par aucun crime.
184. n Nous n'appelons pas*, dit saintAu-
Sur t
Sonuo ;
dc3 rois.
siim in nobis evertere mpienii quod Deus ad vi-
tam œternam donare dignatus est. Si quis ergo
pulat, quoniam christianus est, non sibi vectigal
reddendum, aut tributum, aut non esse exhiben-
dum honorem debitum eis quœ liœc curant potes-
tatibus, in magno errore lersatur. Item si qriis
sic se putat esse subdendum, ut eliam in suam fi-
dem liabere potestatem eum, quitemporalibiis ad-
minisLrandis aliqua sublimitate prœcellil, in ma-
jorem errorem labitur. Sed modus iste seruandus
est, quem Dominus ipse prœscribit, ut reddamus
Cœsari quœ Cœsaris sunt, et Deo quœ Bel sunt.
August., in Expos, propos, ex Epist. ad Rom.,
cap. Lxxn, pag. 920, tom. 111, part. 2.
* Julianus exstitit infidelis imperator, exstitit
apostata, iniquus, idololatra : milites christiani
seroierunt imperatori infideli: ubi veniebatur ad
causam Chrisli, non agnoscebant nisi illum qui
in cœlo erat. Si quando volebat ut idola calèrent,
ut tlmriflcarent, prœponebant illi Deum : quondo
aulem dicebat : Produciteaciem ; contra ite illam
genlem, statim oblemperabant. Distinguebant Do-
minum ceternum a domino temporali: et tamen
subditi erant propter Dominum œlernum, etiam
domino temporali. August. , in Psal. cxxiv, num.
7, pag. -1416.
- Si satis absolutum tibi videtur quod dixisti:
Qui non fuerit innocens, non habet sanctitatem.
Quœro si non habebat Saul sacramenti sanctita-
tem, quid in eo David venerabatur ? Si autem ha-
bebat innocentiam, quare innocentem perseque-
batur ? A'am eum propter sacrosanctam wictio-
nem et honoravit vivum, et vindicavit occisum :
et quia vel panniculum ex ejus veste prœcidit,
percusso corde Irepidavit. Ecce Saul non Iiabebat
innocentiam, et tamen habebat sanctitatem, nori
vitœ suœ fnam hoc sine innocentia nemo potest)
sed sacramenti Dei, quod et in malis hominibus
sanctiim est. August., lib. Il Contra Lilt. Peliliani,
cap. XLvni, num. 112, pag. 233.
' M. Bossuet, dans la Politique tirée de l'Ecri-
ture sainte, pag. 262 et 263, tom. I de l'édition de
Bruxelles, en 1721.
' Neque enim nos christianos quosdam impera-
804
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
consiste is o-ustiii , Certains empereurs chrétiens heu-
bonheur des D ' i- ^
"''■ reux, pour avoir règne longtemps, ou pour
être morts en paix, laissant leurs enfants suc-
cesseurs de leurs couronnes ; ou pour avoir
vaincu les ennemis de l'Etat , ou pour avoir
opprimé les séditieux. Ces biens ou ces con-
solations de cette vie malheureuse sont des
choses dont ont Joui des gens qui adoraient
les démons et qui n'appai-tenaient pas au
royaume de Dieu. Cela s'est fait par une dis-
pensation particulière de sa miséricorde,
afin que ceux qui croiraient en lui ne les
demandassent point comme y mettant leur
souverain bonheur. Mais nous appelons les
princes, heureux, quand ils font régner la
justice ; quand, au milieu des louanges qu'on
leur donne ou des respects qu'on leur rend,
ils ne s'en orgueiUissent point, mais se sou-
viennent qu'ils sont hommes ; quand ils sou-
mettent leur puissance à celle de Dieu, et la
font servir à faire fleurir son culte ; quand
ils craignent Dieu, qu'ils l'aiment et qu'ils
l'adorent ; quand ils préfèrent à leur royaume
celui où ils ne craignent point d'avoir des
associés; quand ils sont lents à punir, et
prompts à pardonner ; quand ils ne punissent
que pour le bien de l'Etat, et non pour satis-
faire leur vengeance, et qu'ils ne pardonnent
que parce qu'ils espèrent qu'on se corrigera,
et non pour donner l'impunité au crime ;
quand , étant obligés d'user de sévérité , ils
la tempèrent par quelques actions de 'dou-
ceur et de clémence ; quand ils sont d'autant
plus retenus dans leurs plaisii's, qu'ils au-
raient plus de liberté de s'js livrer ; quand
ils aiment mieux commander à leurs pas-
sions qu'à tous les peuples du monde ; quand
ils font toutes ces choses non pour la vaine
gloire, mais pour l'amour de la félicité éter-
nelle; enfin quand ils ont soin d'offrir à
Dieu pour leurs péchés le sacrifice de l'hu-
milité, de la miséricorde et de la prière.
Voilà les princes chrétiens que nous appe-
lons heureux: heureux dès ce monde par
l'espérance; et heureux lorsque ce que nous
attendons sera arrivé. »
18o. Il était d'usage parmi les catholi- sur iw
ques * de s'abstenir , non-seulement de la j«ûiie.
■ chair des animaux, mais même de quelques
fruits de la terre, uniquement pour dompter
leurs corps et humilier leurs âmes dans la
prière, et non pas qu'ils crussent ces ali-
ments impurs. L'abstinence n'en était géné-
rale que pour peu de personnes, mais ils
l'observaient presque tous pendant le ca-
rême, les uns plus, les autres moins, selon
leur pouvoir ou leur volonté. Le jeûne de
quarante jours ^ que nous appelons Carême,
et que l'on trouve pratiqué par les anciens
prophètes comme par Jésus-Christ, a été
fixé en un temps qui aboutit à la passion de
Jésus-Christ ; et l'on ne pouvait en choisir
un plus convenable, puisqu'elle nous repré-
sente la vie laborieuse que nous menons ici-
bas, et qui doit être accompagnée d'une
tempérance qui nous prive des fausses dou-
ceurs et des faux plaisirs que le monde étale
de toutes parts. On exhortait les personnes
ifores xàeo felices dicinms, quia vel diutms impe-
rarunt, vel imperantes filios morte placida reli-
querunt, vel hostes reipublicœ domuerunt, vel
inimicos cives adversus se insurgentes et cavere
et opprimere potuerunt. Hœc et alia vitœ hujus
œrumnosœ, vel munera, vel solatia, quidam
eliam cultores dœmonum accipere meruenmt,
qui non pertinent ad regnum Dei, quo pertinent
iisti : et hoc ipsius misericordia fartum est, ne ab
illo ista, qui in exim crederent, velut summa bona
desiderarent. Sed felices eos dicimus, si juste im-
perant, si inter linguas sublimiler honorantiwm
et ohsequiani'inis humilicer salutantium non ex-
tollunlur, sed se homines esse meminernnt; si
suam potestatem ad Dei cullum maxime dilatan-
dum, majestati ejus famulam faciunt: si Deum
timent, diligunt, colmit; si plus amant illud re-
gnum, ubi non timenl habere consortes; si tar-
dius vindicant, facile ignoscunt; si eamdem vin-
diclam pro necessitate regendœ tuendwque rei-
publicœ, non pro salurandis ininiicitiarum odiis
exserunt ; si eamdem veniam non ad impunita-
tem iniquitatis, sed ad spem correctionis indul-
gent; si quod aspere coguntur plerumque decer-
nere, misericordiœ lenitate et beneficiorum largi-
tate compensant : siluxtiria tanto eis est castiga-
tior quanto posset esse liberior ; si malunt
ciipiditatibus pravis, quam quibuslibet gentibus
imperare: et si hœc omnia faciunt, non propter
ardoreminanis gloriœ, sed propter charitatem fe-
licitalis œternce : si pro peccatis suis, humilitalis
et miserationis et orationis sacrificium Deo sua
vero immolare non negligunt. Taies christianos
imperalores dicimus felices intérim spe, postea re
ipsa futuros, cum id quod expestamus advene-
rit. August., lib. V De Civilate Dei , cap. xxiv ,
pag. 141.
' Christiani non hœretici, sed calholici , edo-
mandi corporis causa , propter animam in ora-
tionibus ampliushumiliandam, non quod illa esse
immunda credant, non solum a carnibus, verum
a quibusdam etiam terrœ fructibus abstinent;
vel semper, sicut pauci, vel certis diebus atque
temporibus , sicut per quadragesimam fere omnes
quanto magis quisque vel oninus seu voluerit.
seu potuerit. August., lib. XXX Contra Faust.,
cap. V, pag. 447.
2 August., Epist. oS, cap. xv, num. 28, pag. 139.
[IV" ET v° SIÈCLES.] SAINT AUGUSTLN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
805
Sur quel-
nutrcs
Ls de di>
mariées à vivre ' en continence pendant le
carême, et on ne leur recommandait pas
moins de s'abstenir - des procès et des dis-
sensions que des aliments matériels. Saint
Augustin parle d'un jeûne solennel ' après
la Pentecôte. On jeûnait aussi en Afrique la
veille de Noël : et ce saint déposa '' un prê-
tre pour l'avoir violé. Mais on ne jeûnait
point depuis Pâques ^ jusqu'à la Pentecôte ;
et pendant toute l'année c'aurait été un
gTand scandale de jeûner le dimanche ^, sur-
tout depuis l'hérésie des manichéens, qui,
regardant ce jour comme particulièrement
consacré au jeûne, ordonnaient à ceux qu'ils
appelaient awrfitoM's, d'yjeûner. LesaintDoc-"
teur croit néanmoins qu'il serait pardonnable
de jeûner ce jour-là, à ceux qui voudraient
pousser leur jeûne au-delà d'une semaine,
pour approcher d'autant plus du jeûne de
quarante jours, « comme nous savons, dit-il,
qu'il y en a qui l'ont fait. Nous avons même
appris de quelques-uns de nos frères très-
dignes de foi, qu'il s'en est trouvé un qui a
poussé son jeûne jusqu'à quarante jours. »
L'usage de l'Eglise romaine ' était de jeûner
le mercredi, le vendredi et le samedi pen-
dant toute l'année, excepté le temps pas-
cal.
186. Le schisme des ' donatistes empê-
chait les catholiques de leur écrire des let-
tres de communion, et on donnait le nom de
pacifiques à celles qu'ils leur écrivaient, par
où l'on entendait des lettres privées sem-
blables à celles qu'on écrivait aux païens.
On lisait tous les ans le livre des Actes des '
Apôtres dans les assemblées des fidèles : et
on en commençait la lecture après la fête
de Pâques. Il paraît qu'en Afrique le prédi-
cateur était seul assis, et les auditeurs de-
bout '" ; mais que dans les auti-es provinces
le peuple même s'asseyait : coutume que
saint Augustin approuve, parce que l'incom-
modité d'être debout empêche d'écouter la
parole de Dieu avec attention. Il ne pouvait
même " souffrir que dans les instructions
qui se faisaient en particulier à peu de per-
sonnes, on ne les fit pas asseoir, surtout
quand il y avait sujet de craindre que, fati-
guées de cette attitude, elles ne se retirassent
sous d'autres prétextes. Cela lui était arrivé
à l'égard d'un paysan qu'il catéchisait : mais
dans la suite il évita cet inconvénient. C'é-
tait la coutume en Afrique de prier à ge-
noux *^ et prosterné.
187. Les philosophes, nommés académi-
ciens, croyaient que quand on fait " ce que
l'on croit probable, on ne pèche point. Saint
Augustin leur fait voir que ce principe une
fois reçu on doit approuver tous les crimes ;
et il presse ainsi ces philosophes. « Un jeune
homme instruit de ce principe ne dressera-
t-il pas des embûches à la chasteté de la
femme d'autrui ? Je vous le demande à vous-
même (il s'adresse à Cicéron) puisqu'il s'a-
git ici des mœurs et de ce que peuvent faire
les jeunes gens dont l'instruction et l'éduca-
tion ont faille principal objet de vos études et
de vos écrits. "Vous ne pouvez me répondre
autre chose, sinon qu'il ne vous parait pas
probable que ce jeune homme puisse en user
Sentiment
des académi-
ciens sur h
proLablIité.
» August, Serm. 203, num. 2, pag. 920.
2 August. , ibid., num. 3, pag. 921.
' August., Serm. 357, num. 5, pag. 1394.
4 August., Epist. 65, pag. 154.
8 August., E-pist. 36, cap. viii, num. 18, pag. 75.
6 August., ibid., nuin. 27, pag. 78.
■^ August., ibid., cap. iv, num. 8, pag. 71.
' August. lib. 1 Contra litt. Petilian., cap. i,
pag. 203.
s August., Serm. 313, cap. i, num. 1, pag. 1261.
1» August., lib. De Catech. rudibus., cap. xni,
num. 19, pag. 276.
1' August., ibid., pag. 277.
" August., lib. XXII De Civit. Dei, num. 2,pag. 665.
13 Cum agit qinsque, quod ei videtur prohabile,
nec peccat, nec errât... Id igitur audiens adoles-
cens, insidiabitur pndicitiœ iixoris alienœ. Te te
consulo, M. TulH, de adolescentium moribus vi-
taqtie tractamus, cui educandœ atqueinstituendœ
omnes illœ litterce tuœ vigilaverunt. Quid aliud
didurus es, quam non tibi esse probabile ut id
faciat adolescens? At illi probabile est. Nam si ex
alieno probabili vivinius, nec tu debuisti adminis-
trare rempiiblicam, quia Epicuro visum est non
esse faciendum. Adulterabit igitur ille juvenis
conjugem alienam... sed vos me jocari arbitra-
mini : liquet dejerare per omne divinum, nescire
me prorsus quomodo iste peccaverit, si quisquis
id egerit quod probabile videtur, non peccat...
Taceo de homicidiis, sacrilegiis, omnibusque om-
nino quœ fieri aut cogitari possunt flagitiis, aut
facinoribus, quœ paucis verbis, et quod est gra-
vius, apud sapientissimos judices defenduntur:
nihil consensi, et ideo non erravi. Quomodo au~
tem non facerem quod probabile visum est. Qui
auiem non putant ista probabiliter posse persua-
deri, legant orationem Catilinœ, qua patries par-
riciditim, quo uno continentur omnia scelera,
persuasit... Illud est capitale, illud formidolo-
sum, illud optimo cuique metuendum, quodnefas
omne, sihœc ratio probabilis erit, cum probabile
cuiquam visum fuerit esse faciendum, tantum
nulli quasi vero assentiatur, non solum sine sce-
, leris, sed etiam sine erroris vituperatione com-
mitlat. August., lib. III Contra Acad., cap. svi,
num, 35 et 36, pag. 290 et 291, tom. I.
806
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
ainsi. Si cela ne vous paraît pas probable,
il le parait à ce jeune homme. Et si vous
vouliez c]u'on se conduisît par ce qui paraît
probable aux autres, vous n'auriez pas dû
gouverner la république, parce qu'Épicure
a cm que cela n'était pas à propos. Il faut
donc que vous avouiez que ce jeune homme
peut tromper la femme d'autrui. Vous croyez
peut-être que je raille : non. Je puis en celte
occasion jurer par tout ce c[u'il y a de plus
saint, que je ne vois pas comment il se pour-
rait faire que ce jeune homme péchât, s'il
est vrai qu'on ne pèche pas quand on fait ce
qu'on croit probable. Je ne parle point des
homicides, des parricides, des sacrilèges et
de tous les autres crimes qu'on peut com-
mettre ou imaginer, qui, trouvant des défen-
seurs même parmi ceux qui passent pour les
plus sages, deviennent permis par la même
raison. Car comment ces hommes ne fe-
raient-ils pas ce qui leur paraît probable?
Que ceux qui ne croient pas que tous ces
crimes puissent jamais paraître probables à
personne, lisent la harangue que fit Calilina
pour persuader qu'il était pei'mis de perdre
sa patrie : ce qui seul renferme tous les au-
tres crimes. Supposez donc qa'une chose
soit probaljle, lorsqu'elle paraît probable à
quelqu'un, il n'y a point d'action injuste
qu'un homme ne puisse faire sans craindi'e
le reproche d'avoir commis un crime, ni
même d'être tombé dans l'erreur. Consé-
quence qui fait sentir toute la malig-nité du
principe. »
suriacr«init. 188. « La craiutc ' qui uo fait pas aimer
la justice, dit saint Augustin, mais apprélien--
der le châtiment, est une crainte servile qui
ne i-egarde que les intérêts de la chair. Ainsi
ellenela crucifie point. La volonté de pécher
demeure toujours vivante, elle se fait con-
naître par les œuvres dès qu'elle peut es-
pérer l'impunité. Lorsqu'on croit que le châ-
timent suivia de près le péché, la volonté de
le commettre demeure à la vérité cachée,
mais elle est toujours vivante. Elle désirerait
que ce que la loi defeud fût permis, et elle
a de la douleur de ce qui ne l'est pas, parce
qu'elle ne se plaît point dans le bien qu'elle
commande, mais qu'elle craint d'une ma-
nière charnelle le mal dont elle est menacée.
Au contraire la charité qui est accompagnée
d'une crainte chaste, appiéhende de pécher
quand même elle le pourrait faire impuné-
ment, ou plutôt elle est persuadée que son
péché ne saurait jamais êlre impuni, puisque
l'amour t[u'elle a pour la justice lui fait con-
sidérer le péché même comme une peine.
En vain donc ^ se croit-on vainqueur du pé-
ché lorsqu'on ne s'en abstient que par la
crainte de la peine. Quoiqu'au dehors on
n'accomplisse point l'œuvre du péché et de
la mauvaise cupidité, elle ne laisse pas de
demeurer dans le cœur comme un ennemi
intérieur. Comment serait-on innocent aux
yeux de Dieu lorsqu'on voudrait faire ce qui
est défendu, s'il n'y avait point de châtiment
à craindre? D'où il suit que celui qui veut
faire ce qui est défendu, et qui ne s'en abs-
tient que parce qu'il ne le peut faire impu-
nément, est coupable dans son cœur. Car
autant qu'il est en lui, il aimerait mieux qu'il
n'y eût point de justice qui défendît et qui
punît les péchés. Qui peut douter qu'il ne
l'anéantît s'il le pouvait ? Or comment serait
juste un tel ennemi de la justice qui en abo-
lixaitles préceptes s'il le pouvait, de peur d'en
essuyer les menaces et les châtiments? Ain-
si celui qui s'abstieut du péché par la crainte
' Timor namque isle, quo non amatur justitia
sed limetur pœna, servilis est, quia cai-nalis est;
et ideo non crucifiqit carnem. Vivit enim peccandi
volunla^, quœ tune apparet in opère, quando
speratur impunitas. Cum vero pana creditur se-
cuLura, latenter vivii : vivit tamen. Mallet enim
licere, et dolel non licere quod Icx vetat : quia
non spiritaliter delectatur ejws bono; sed carna-
liler malum met^at quod minatur. Timoré autem
casto ipsa, quœ hune timorem foras m Mit, pec-
care timet charitas, etiam sisequalur impunitas:
quia necimpunitatem judicat seciUuram, quando
amore juslitiœ peccatmn ipsum ' députât pœ-
nam. August., Serm. 25 in Psal. cxvni, nuui. 7,
pag. 1315.
2 Inaniter autem putat vielorem se esse pec-
ciiti, qui pœnw timoré non peccat, quia et si non
impletur foris negolium malœ cupiditalis, ipsa
tamen mata cupiditas intus est hostis. Etquis co-
ram Dec innocens invenitur qui vult fieri quod
vetatur , si subtralias quod timetur? ac per hoc
in ipsa voluntate reus est, qui vult facere quod
non licel fieri, sed ideo nonfucit, qiiia impune non
polest fieri. Nam quantum in ipso est, malet non
esse justitiam pecca la proliibcnlem atque punien-
tem. Et utique si mallet non esse justitiam, quis
dubitaverit quod eam, si posset, auferret ! Acper
hoc quomodo justus est, justitiœ talis inimicus,
ut eam si potestas delur, prœcipientem auferat,
ne cnmminantem i^el judicantem ferai. Inimicus
ergo justitiœ est qui pœnœ timoré non peccat :
amicus autem erit si cjus amore non peccet:
tune enim vere tiinehit peccare. August., Epist.
li'j, uum. 't, pag. 470 et 471.
[IV= ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
807
de la peine est ennemi de la justice , mais
il en sera ami si c'est par son amour qu'il
s'abstient du péché. Celui-là est encore sous
la loi Vqui sent qu'il s'abstient de l'œuvre
du péché par la crainte du supplice dont la
loi menace, et non par l'amour de la justice,
n'étant ni libre ni éloigné de la volonté de
pécher. Car il est coupable dans sa volonté
même, par laquelle il aimerait mieux, s'il
était possible, qu'il n'y eût point de châti-
ment à craindre, afin de faire ce qu'il désire
dans son cœur. Mais une crainte de cette
nature, qui ne craint^ pas de perdre les em-
brassements du plus bel époux qui fut ja-
mais, mais seulement d'être précipitée dans
l'enfer, ne laisse pas d'être bonne et utile.
Celui qui fait ' le bien parce qu'il craint le
châtiment, n'aime point encore Dieu et n'est
pas au nombre des enfants, mais comme la
crainte est pour ainsi dire l'esclave de la
charité, afin que le démon ne possède pas
notre cœur, faisons-y entrer d'abord l'es-
clave, et qu'elle garde la place à la maîtresse
qui doit venir après. Agissons même par la
crainte du châtiment si nous ne pouvons en-
core agir par l'amour de la justice, la maî-
tresse viendra et fera retirer l'esclave, parce
que la charité consommée chasse la crainte.
Si nous ne sommes pas embrasés du feu du
ciel, craignons le feu de l'enfer. Si nous ne
sommes * pas touchés du désir d'être parmi
les anges, craignons d'être dans une four-
naise ardente dont les flammes ne s'étein-
dront jamais, que la crainte s'empare d'a-
bord de nous, et nous serons ensuite possé-
dés par la charité. Que la crainte soit en
nous comme un pédagogue, qu'elle n'y de-
meure pas, mais qu'elle nous conduise à la
charité comme à celle qui doit être la maî-
tresse de notre cœur. »
189. « Suivant cette règle, dit-il, de la^ cha-
rité établie de Dieu : Vous aimerez Dieu de tout
votre cœur, de toute votre âme et de tout voire
esprit, et le prochain comme vous-même, nous
devons rapporter toutes nos pensées, toutes
les actions de notre vie et tout notre enten-
dement à celui de qui nous avons reçu les
choses mêmes que nous lui donnons. C'est
pourquoi lorsque Jésus-Christ a dit : Vous
aimerez Dieu de tout votre cœur, il n'a laissé
aucune partie de notre vie qui ne doive être
remplie de cet amour et qui puisse donner
place à quelque autre objet que ce puisse
être, pour en vouloir jouir. Mais il faut que
toute autre chose qui pourrait se présenter
à notre esprit pour se faire aimer, soit com-
me enlevée et entraînée par l'amour de
Dieu, où doit se porter tout le cours et toute
l'impétuosité de notre amour. Quiconque ai-
me donc son prochain comme il faut doit faire,
en sorte que celui qu'il aime aime aussi Dieu
de tout son cœur : car en aimant ainsi son
dn Dieu,
iT.our
XXII ,
1 Sub lege est enim qui timoré supjilicii quod
lex minatur, non amore justitiœ, se sentit absti-
nere ah opère peccati, nondum liber nec alienus
a voluntate peccandi : in ipsa enim voluntate reus
est, qua mollet, si fieri posset, non esse quod ti-
meat, ut libère facial quod occulte desiderat. Au-
gust., lib. De Natura et grat., cap. lvii, num. 67,
pag. 157.
2 Ille autem iimor nondum castus prœsentiam
et pœnas timet. Timoré facit quidquidboni facit,
non timoré amiltendi bonum illud, sed timoré pa-
tiendi illud malum. Non timet ne perdat ample-
xus pulcherrimi sponsi, sed timet ne mittatur in
gehennam. Bonus est et iste timor, utilis est, non
quidem permanebit in sœculum sœculi; sed non-
dum est ille castus permanens in sœculum sœculi.
August., in Psal. cxxvn, num. 8, pag. 1441.
' Qui enim adhuc ideo bene agit, quia pœnam
timet, Deum non amat, nondum est inler fllios :
utinam tamen vel pœnam timeat : timor servus
est, charitas libéra est, et ut sic dicamus, timor
est servus charitatis. Ne possideat diabolus cor
tuum prœcedat sercus in corde tuo, et servet do-
minœ venlurœ locum.Fac, facvel UmorepœncB,si
nondum potes amore justitiœ. Veniet domina , et
servus abscedet : quia consummata charitas foras
mittit timorem. August., Serm. 157, cap. xni,
num. 1.1; pag. 756.
'' Si igné cœli non accenderis , ignem timc gc-
hennarum ; si non amas esse inter angelos Dei,
time esse inter angelos diaboli. Si non amas esse
in régna, time esse in camino ignis ardentis, inex-
tinguibilis, sempiterni. Vincat in te prias timor, et
erit amor. Timor pœdagogus sit, non ipse in te
remaneat, sed te ad charitatem, quasi ad ma-
gistrum perducat. August., Sei-m. 330, num. 7,
pag. 1348.
^ Hœc enim régula dilectionis divinitus consli-
tuta est : Diliges, inquii, proximum tuum sicut te
ipsum : Deum vero ex toto corde et ex tota anima,
et ex tota mente, ut onmes cogitationes tiias, ut
omnem vitam et omnem intellectum in illum
conféras, a quo habes ea ipsa quœ confers. Cum
autem ait : Toto corde, tota anima, tota mente,
nullam vitœ nostrœ parlem reliquit, quœ vacare
debeat et quasi locum dare ut alla re velit frui:
sed quidquid aliud diligendum veneritinanimum,
illuc rapiatxcr, quo lotus impetus dilectionis cur~
rit. Quisquis ergo recte proximum diUgit, hoc
cum eo débet agere, «f etiam ipse toto corde, tota
anima, tota mente diligat Deum.. Sic enim eum
diligens tanquam seipsum, totam dilectionem
sui et illius refert in illam dilectionem Dei, quœ
nullum a se rivulum duci extra patitur, cujus
derivatione minuatur. August., lib. I De Doclina
christ, cap. X-tii, num. 12, pag. 11,
808
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Jugomoat
dns ouvrages
de saint Au-
guslin tou-
chant la phi-
lopophie et la
r'-iigion chré-
tienno.
prochain comme soi-même , il rapporte tout
cet amour qu'il a pom- soi-même et pour
son prochain à l'amour de Dieu. Afm que '
l'homme sût s'aimer soi-même, on lui a pro-
posé une fin à laquelle il pût rapporter toutes
ses actions pour être heurei'S Car tout hom-
me qui s'aime soi-même n a d'autre volonté
que d'être heureux. Or cette fin ne consiste
qu'à s'attacher à Dieu. Quand donc on com-
mande à celui qui sait déjà s'aimer comme
il faut, d'aimer son prochain comme soi-mê-
me, que lui commande-t-on que de le por-
ter, autant qu'il est en son pouvoir, à aimer
Dieu? Voilà quel est le culte de Dieu, la vraie
religion, la solide piété et le service qui n'est
dû qu'à Dieu. »
. ARTICLE CXVm.
JUGEMENT DES OUVBA.GES DE SAINT AUGUSTIN.
ÉDITIONS qu'on en A FAITES.
1. Pour juger sainement des ouvrages de
saint Augustin , il ne faut pas les envisager
tous à la fois, mais les diviser en diverses
classes suivant les matières qui y sont trai-
tées. Ceux qu'il a composés contre les philo-
sophes païens sont admirables, soit par la
pureté et l'élégance du style, soit par la jus-
tesse et la solidité des raisons et des pensées,
soit par la clarté des solutions qu'il donne
aux difficultés les plus épineuses, et cpie les
plus habiles avaient inutilement tenté d'é-
claircir avant lui. Quelque abstraites que
soient les matières qu'il y traite, il les met
dans un si grand jour qu'elles deviennent in-
telligibles atout le monde. Il a encore cet
avantage au-dessus de ceux qui les avaient
déjà traitées, qu'il dégage insensiblement
son lecteur de l'amour des créatures , pour
le porter à n'aimer que celui dont il a reçu
l'être et la vie. Quelle pénétration d'esprit ,
quelle force et quelle variété de i-aisonne-
ments dans ses livres contre les manichéens!
Saint Paulin^ en respectait jusqu'aux pa-
roles, les regardant comme divinement ins-
pirées. On ne peut lire son hvre de la Vraie
religion sans en concevoir en même temps
une haute estime , et sentir de l'éloignement
pour toutes les religions qu'il y combat. Ses
Confessions sont à proprement parler le témoi-
gnage de son ardent amour pour Dieu. Il y
est grand partout , soit qu'il déplore les dé-
règlements de sa jeunesse , soit qu'il rende
grâces à son Libérateur. C'est le mécon-
naître de dire, comme ont fait quelques cri-
tiques, qu'il y affecte de l'éloquence et d'y
faire montre de son intelligence dans les di-
vines Écritures. Il n'est pas moins grand dans
ses livres des Rétractations, où, par un exem-
ple à imiter des plus savants hommes , il ne
rougit point d'avouer et de corriger ce qui
lui paraissait défectueux dans ses écrits :
et il le fait avec simplicité et avec bonne foi,
pensant et parlant partout modestement de
lui-même.
2. On voit dans ses Lettresxxn fonds de gé-
nie surprenant, une vaste étendue de con-
naissances , une éloquence naturelle , une
prudence consommée , un zèle vif pour les
intérêts de l'Éghse , un amour constant de
la vérité , une piété solide , une bonté qui
ne se refusait à personne, une modestie sans
égale. Consulté de tous côtés et sur toute
sorte de matières, il sait proportionner son
style à la portée et à la condition des person-
nes, n'abandonnant aucune difficulté sans la
résoudre ou du moins sans lui donner du
jour; mais laissant toujours à ceux qui le
consultaient une liberté entière de suivre ses
avis , du moins en tout ce qui ne regardait
point la foi et la doctrine de l'Église. Car il
ne' prétendait point se donner pour un doc-
teur consommé , mais pour un homme qui
cherchait à se perfectionner avec ceux que
la charité l'obligeait d'instruire. La plupart
de ses lettres peuvent être regardées comme
des traités achevés. On y trouve presque en-
tière l'histoire ecclésiastique de son temps ,
surtout celle du schisme des donatistes et de
l'hérésie pélagienne avec quantité de points
très-importants touchant le dogme, la disci-
phne et la morale.
' Vt enimhomo sese diligere nosset, constitutus
est ei finis, quo referret omnia qiue ageret, ut
beatus. esset. A'on enini qui se diligit, aliud esse
vult quam beatus. Hic autem finis est adhœrere
Dec. Jam igitur scienti diligere seipsum, cum
mandatur de proximo diligendo siciit se ipsum,
quid aliud mandatur, nisi ut ei quantum potest,
commendel diligenduin Deuni ? Hic est Dei ciiltxis,
hmc vera religio, hœc recta pietas, Itœc tantum
Deo débita servitus. August., lib. X De Civit. Dei,
cap. ni, num. 2, pag. 240.
■■' Accepimus insigne prœcipuum dilectionis et
solliciludinis luœ, opus sancli et perfecti in Do-
mino CJiristo viri fralris nostri Augustini libris
quinque confectum, quod ita miramur atque sus-
picimus, ut diclata divinitus verba credamus.
Pauliu., Epist. 24 ad Alijpium., num. 2.
3 Aiigust., Ejjisl. 261 ad Florent., pag. 899.
[IV" ET Y" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
3. C'est le fait d'un interprète de l'Écriture
d'en donner le vrai sens , et d'en tirer des
instructions qui portent le lecteur à la piété.
Saint Augustin fait l'un et l'autre dans ses
Commentaires , où il donne ordinairement
ses propres explications , n'ayant que rare-
ment recours à celles des autres. Sa réputa-
tion en ce genre était si bien établie que les
plus grands évèquesde son temps, saint Sim-
plicien de saint Milan, saint Paulin de Noie,
saint Évodiusd'Usales et beaucoup d'autres,
recouraient à lui pour l'éclaircissement de di-
vers endroits de l'Écriture, où ils trouvaient
de l'embarras et de l'obscurité. Il fut même
chargé par les conciles de Nujnidie et de Car-
tbage de la commenter tout entière. Il est
vrai qu'en expliquant l'Ancien Testament il
donne souvent dans l'allégorie ; maiste n'est
ordinairement qu'après avoir expliqué la let-
tre , ou bien parce que le sens littéral est si
clair qu'il n'a pas besoin d'explication; ou
parce qu'il l'avait expliqué ailleurs , ou en-
fin parce qu'il ne pouvait le découvrir. C'est
toujours selon la version des Septante qu'il
l'explique , la seule qui était en autorité de-
puis le siècle des apôtres. Sur la fin de ses
jours, il eut recours à la version latine faite
sur l'hébreu, c'est-à-dire à celle de saint Jé-
rôme. Pour ce qui est du Nouveau Testa-
ment , il était plus en état d'en donner par
lui-même le vrai sens, ayant' appris à cet
effet depuis son épiscopat , la langue grec-
que dont il avait eu tant d'aversion^ étant
jeune. Ses règles pour l'intelligence de la let-
tre de l'Écriture sont excellentes.
4. Si ses discours ne sont point précédés
ordinairement de ces exordes où l'orateur
s'étudie à captiver la bienveillance de ses
auditeurs , et s'ils ne sont point divisés ni
distribués avec art et avec méthode , on ne
doit point en conclure qu'il ignorât les règles
de rendre la vérité sensible et agréable;
mais c'est que la plupart ont été faits sur le
champ, et ne sont que des homélies fami-
lières , où un pasteur instruit ses brebis , un
maître ses disciples, un pèreses enfants; c'est
encore que dans ceux mêmes auxquels il s'é-
809
tait préparé, il cherchait non à se faire une ré-
putation d'éloquence , mais uniquement à
éclairer les esprits, à enflammer les cœurs, et
à déraciner les vices de l'âme. Ses discours
toutefois, quoique vides de grands mouve-
ments et peu travaillés , étaient néanmoins
applaudis, et on en était touché quelquefois
jusqu'aux larmes. «
5. Quant à ses œuvres morales, elles sont
remplies de quantité de bonnes règles, pour
la pratique de la vertu et la faite du mal. On ne
peut lire trop souvent ce livre qui a pour titre :
Manuel à Laurent. Saint Augustin y montre
d'une manière admirable que l'on sait toute
l'économie de la religion quand on fait ce que
l'on doit croire, ce que l'on doit espérer, et
ce que l'on doit aimer. Les livres De la Cité
de Dieu ' méritent aussi d'être lus sans cesse.
On ne sait qu'y admirer* davantage , ou les
maximes de religion si parfaites et si dignes
d'être enseignées par un pontife de Jésus-
Christ, ou la science de la philosophie, ou la
profonde connaissance de l'histoire, ou une
éloquence pleine d'agréments, qui charme
de telle sorte que quand on a achevé de lire
ces hvres, on voudrait qu'ils ne fussent pas en
core finis. La lecture des livres de la Foi
et des bonnes œuvres, et le Traité du symbole
sont encore très-utiles.
6. Mais aucun des anciens n'a mieux réussi
que lui à établir les vérités de la religion, et
à les défendre contre les novateurs. Il fait
l'un et l'autre en s'appuyant de l'autorité de
l'Écriture, de la tradition , et de toutes les
forces de la raison. Aucune des subtihtés de
ses adversaires ne lui échappe. Il les suit
dans tous leurs détoui's , et ne laisse pas un
de leurs raisonnements sans en faire sentir
la faiblesse. Ses travaux à cet égard le rendi-
rent célèbre dans toute la terre. Il y fut ré-
véré comme le restaurateur de la foi an-
cienne , mais haï des hérétiques , ce qui ne
concourait pas moins à sa gloire. H les traite
néanmoins avec douceur, avec bonté ^ avec
politesse , ne rendant presque jamais injure
pour injure : et il craignait si fort de s'échap-
per en termes peu mesurés envers eux, qu'il "
Ses œuvres
Dioralûs.
Ses livres
j'Our la dérea-
so de la reii-
Blon.
' Sed jam episcopus, jam senex a puera sibi
fastiditas ad grœcas litteras reversus est. Eras.
2 Augusl.. lib. I Conf., cap. xiv.
' Libros de Civitate Dei in fastidibili sedulitale
percurramus. Cassiod., lib. InsHt., cap. xvi.
* Anceps sim quid in illismagis mirer, sacerdo-
lii perfectionem, philosophiœ dogmala, historiée
im noliiiain, an facundiœ jucunditatem, quœ
cum explicaverint, adhuc requirant. Macedonius.,
Epist. ad August.
s Macte virtute, in orbe celebraris; catholici te
conditorem antiquœ rursus fidei vffiierantur atque
suspiciunt, et quod signwn majoris gloriœ est,
omnes hœretici detesta7itur. Hieron., Epist. 95 ad
August.
6 Deum rogavi et rogo ut in refellenda et re-
810
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Ses ouvra-
ges sur lagrà-
demandait à Dieu de lui donner dans les mo-
ments cp.i'il employait à réfuter leurs erreurs,
un esprit paisible et tranquille , plus occupé
de leur salut et de leur conversion que de
leur ruine. Il est le premier qui se soit appli-
qué exprès à expliquer l'invisibilité du Fils.
11 raisonne sur ce sujet et sur la plupart de
nos mystères, avec autant de sagesse que d'é-
loquence , et résout par la seule force de son
esprit plusieurs questions qu'il s'était propo-
sées lui-même , ou que d'autres avaient agi-
tées avant lui.
7. Autant les matières de la grâce sont épi-
neuses et ditiiciles à traiter, autant s'est-il
x'endu' recommandable par la manière dont
il les a traitées. Ce qu'il en a écrit contre les
pélagiens surpasse tout ce qu'en ont dit les
Pères latins qui l'ont précédé, et dont il doit
être regardé comme le prince, de l'aveu' des
plus célèbres théologiens. Il était mu de l'Es-
prit de Dieu pour écrire , comme l'on en est
convaincu, quand on lit sa vie et que l'on
considère, dans ses ouvrages, cette modestie
et cette humilité extraordinaire avec laquelle
il parle. Sa doctrine en ce point a été confir-
mée' par des mii'acles, Dieu ayant conservé
miraculeusement ses ouvrages dans l'incen-
die delà ville d'Hippone. Les conciles géné-
raux l'ont approuvée par leurs définitions ,
les saints Pères par les témoignages honora-
bles qu'ils lui ont rendus, les théologiens par
leurs ouvrages, et toute l'Église par l'utihté
qu'elle en a reçue. « Après les écrits de ce
saint et de cet éloquent évêque , disait saint
Jérôme', il n'est plus nécessaire que je tra-
vaille (contre les pélagiens). Car ou je dirais
les mêmes choses que lui, ce qui serait inu-
tile; ou, si j'en voulais chercher de nouvel-
les , ce grand espiit a déjà dit ce qui se peut
dire de meilleur et de plus excellent sur ce
sujet. » C'est aux écrits de ce Père sur la grâ-
ce que saint Prosper renvoie son cher ami
RufBn, afin'* d'y puiser comme dans une sour-
ce très-pure et très-salutaire l'intelligence de
la doctrine évangélique et apostolique tou-
chant la gràce..C'estdes lettres à Prosper et
à Hilaire que le pape Hormisdas veut** qu'on
apprenne ce que l'Église romaine et catholi-
que croit, et tient de la grâce et du libre ar-
bitre. C'est à ces mêmes lettres que les évo-
ques d'Afrique, bannis en Sardaigne, ren-
voieut' ceux qui veulent être instruits dans la
matière de la grâce : parce que ce saint évê-
que, ayant' été rempli d'en haut d'une vertu
céleste et divine, a plus travaillé que tous les
autres dans l'explication de ce mystère, ou
plutôt ce n'est pas lui qui a travaillé, mais
la grâce de Dieu avec lui , puisque Dieu s'est
ser^'^ de son esprit pour donner aux fidèles
sm- ce point une lumière plus grande et une
instruction plus parfaite. On reconnaissait
sous le pontificat de Jean II , que c'était une
vincenda hœresi vestra det mihi mentem pacatam
aique tranqiUUam, et magis de vestra correctione
quam de subversione cogilantem. August., lib.
Contra Epist. Manichœi, cap. i.
' Nihil tam admiranduin et suspiciendum red-
didit Augustinum, quam doctrina de gralia. Sua-
rez, in Proleg., cap. vi.
2 Omnium vero Latinorumprinceps est, consensii
theologorum, Augustinus, cujus de gralia sentent
tiam, quotquot deinde consecuti simt Patres et
doctores , tum vero Ecclesiœ romanœ pontifices
prœsulumque conventns aliorwn, ratamet calho-
licam esse judicariint, ut hoc satis magnum pu-
larent veritalis argumentum, quod ab Auguslino
posilum ac decretum esse constaret. Petavius,
lib. IX De Dec, cap. vi, num. 1.
3 Permoium fuisse spiritu Dei Augiistinum ad
scribendii.m, vita ipsius ac summa animidemissio
atque modestia planissime monstrarunt : qualis
vero ejus docirina fuerit, divinum signum, testi-
monia Sijnodorum generalium et Palrum, liicu-
brationes theologorum in -jus opéra, et utilitas
quœ ad universam manavit Ecclesiam, abunde
testantur. Possevin., in Apparatu , pag. 193, verbo
AHrelius.
' ScrijiSit rir sanctus et cloquens episcopus Ati-
gutinus... unde supersedendiun huic lubori cen-
seo, ne dicatur mihi illud Horatii: In Sylvam ne
ligna feras. Aut enim eamdem diceremus ex su-
per fluo, aut si nova loluerimus dicere, a claris-
simo ingenio occupata sunt meliora. Hieron., dial.
3 advers. Pelag.
^ Tu autem, dileclissime , si vere de his quœs-
tionibus inslrui desideras , sicut desiderare te
convenu , ipsis beati Aiigustini disputationibus
cognoscendis impende curam, ut in confitenda
Dei gratia defecatissimam ac saluberriinam evan-
gelicœ, apostolicœque doctrinœ intelligentiam con-
sequaris. Prosper. , Epist. ad Rufjîn , cap. ultimn.
s De arbilrio libero et gratia Dei, quid romana,
hoc est cathoUca sequatur et asseveret Ecclesia,
licet in variis libris beati Augustini, et maxime
ad Hilarium et Prosperum possit agnosci, tamen
in scriniis ecclesiaslicis expressa capitula conti-
nent^ir. Hormisdas papa, Epist. ad Possessorem.
' Prœ omnibus studium gerito , libros sancti
Augustini quos ad Prosperum et Hilarium scrip-
sil, mcmoralis fratribus légendes ingercre. Epist.
synod. concil. Sardin., cap. xvn.
8 Indutus virtute ex alto sanctus .Augustinus,
abundantius illis omnibus laboravit : ipsius enim
ministerio Dominus uberiorem hujus rei fideli-
bus suis injtructionem prœbuit. Fulg. , lib. Il De
Ycril, prœdest. cap. ii.
[IV= ET Y" SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
8U
loi dans l'Église romaine ' d'approuvei' et de
suivre la doctrine de saint Augustin; et, quel-
que temps auparavant, on avait condamné
ceux qui en enseignaient^ une conlraire. C'est
que la doctrine de ce Père , comme le dit
saint Prudence, évêque de Troyes, est très-
conforme' en tous ses points à l'autorité des
Ecritures sacrées, et que nul des docteurs de
l'Église n'eu a étudié les mystères avec plus
de soin, n'en a recherché le sens et l'intelli-
gence avec plus d'exactitude ; ne les a péné-
trées avec plus de lumières, ne les a expliquées
avec plus de vérité, ne les a éclaircies avec
plus de grâce, ne les a établies avec plus de
justice, ne les a défendues avec plus de force,
ne les a traitées avec plus d'étendue et plus
d'abondance. U ajoute « que cette doctrine lui
a été donnée par une si haute , et si magni-
fique elfusion de la grâce du ciel, qu'elle ne
peut plus être arrachée du sein de l'Église
par les efforts de quelque personne que ce
soit, puisque la sublimité du Siège apostoli-
que et l'unité de l'Église cathohque l'ont ap-
prouvée et établie d'un commun consente-
ment par leur autorité et par leur puissance,
en sorte qu'on ne doit point s'appuyer sur
elle commij sur une doctrine particulière ,
mais comme sur la doctrine universelle de
l'Église catholique. »
II faut néanmoins remarquer que saint Au-
gustin ne s'est point toujours expliqué d'une
manière uniforme sur les matières de la grâ-
ce. Avant son épiscopat, il suivait l'erreur des
semi-pélagiens ; il la rétracta depuis* avouant
que ces paroles de l'Apôtre: Qti'avez-vous que
vous n'ayez reçu, etc. , l'avaient fait changer de
sentiment et tiré de l'erreur où il était au-
trefois ; que ce n'était pas un don de Dieu de
commencer à croire en lui, que nous avions
cela de nous-mêmes, et que par là nous atti-
rions sur nous les grâces qui nous sont né-
cessaires pour vivre dans le siècle avec pié-
té, justice et tempérance. «Car je ne croyais
point, dit-il, que, pour avoir la foi, nous eus-
sions besoin d'être prévenus par la grâce,
en sorte que ce fût par elle qu'il nous fût don-
né de prier utilement, mais que nous l'étions
seulement par la prédication de la vérité sans
quoi il ne nous était pas possible de croire;
mais qu'après que l'Évangile nous avait été
prêché, c'était à nous de le recevoir, et que
nous avions cela de nous-mêmes. On peut voir
que j'ai été dans cette erreur par quelques-
uns des ouvrages que j'ai composés avant d'ê-
tre évèqne, entre autres par l'Exposition de
l'Épitre aux Romains. »
Si donc il se trouve quelque opposition vraie
ou apparente entre les écrits qu'il a faits sur
cette matière, étant jeune, et ceux qu'il a com-
posés dansim âge plus avancé, c'est à ceux-ci
qu'il faut s'attacher, suivant la remarque de
Sixte de Sienne ^ ou plutôt comme saint
Augustin l'exige lui-même de ses lecteurs.
Car en donnant, dans ses Rétractations, la liste
1 Sanctus Aiigustiniis cujus docirinam secun-
dum prœdecessorum meorum statuta romana se-
quitw et probat Ecclesia. Joan. papa, Epist. 3 ad
quosd. sénat.
2 Àdhuc majus scelus accrescit, ut sub cons-
pectu et prœseiitia sacerdotun beatce memoriœ
nieronynum atqiie Augustinum ecclesiasticonim
lumina magislrorum: Musca moritura, sicut scnp-
tum est Eccle., X, 1, extermiuans olcum suavitatis,
lacerare coutenderet. Gelasius , Epist. ad Episc. ,
per Picen., tom. [["V Concil., pag. 1176.
3 Hoc primum prœcipueque inoneo et postula,
ut docirinam bealissimi Patris Augustini, om-
nium absque ulla dubielate undequaque doclis-
siiiti sanclaruin Scripturarum axUorllali in om-
nibus concordissimam, quippe cum nullus docto-
rum abstrusa earum scrupulosius rimalus, dili-
gentiusexquisioerit,veriusinvenerit, veraciuspro-
tiilerit, luculintius enodaverit, vestri pontificatus
tempore, commenta quolibet impugnari non per-
mittalis : quando cœlesU gratiœ mwnere donata
exsislit. ut nullo ciijusquam conamine ullatenus
cvelli possit, cum eam et apostolicœ sedis subli-
mitas, et totius Ecclesiœ catholicœ unitas auto-
rilate concordissima approbarint ac roborarint,
adco ulnullus ei siiigiUariter, verumuniversitali
Ecclesiœ catholicœ cum ea et in ea queat inniti.
Prudent., Epist. adHincm. et Pard.
"> Non sic sapiebal Cyprianus, qui dixit : In nullo
gloriandum, quando nostrum niliil sit. Quodut os-
tenderet, adhibuit Apostolun lestem dicentem:
Quid liabes quod non accepisti? etc. Quo prœcipue
testimonio etiam ipse convictus sum, cum simili-
ter errarem, putans fidem qua in Deum credimus,
non esse donum Dei, sed a nobis esse in vobis, et per
illam. nos impetrare Dei dona quibus temperanler
et juste et pie vivam,us in hoc sœculo. Neque enim
fulem putabam Dei gratia prœveniri ut per illam
nobis darelur qiwd posceremus uliliter ; nisi quia
credere non possemus , si non prœcederet prœco-
niimn veritalis : ut autem prœdioato nobis Evan-
gelio consentir émus, nostrum esse proprium, et
nobis ex nobis es^e arbitrahar. Quem meum erra-
rem nonnulla opuscula mea salis indicant ante
episcopatum meum, in quibus est illud : Exposi-
tlo quorumdam es Epistola quce est ad Roma-
nos. August., lib. De Prœdest. sancl. , cap. ni.
Yide et cap. iv; et de Doiio pers.., cap. xi.
5 Neque illud hoc loco prœtermittendum arbi-
tror quod ipse in lectione Opusculorum suorum
voluit a iectoribus observari : nempe varietatem,
et ordinem quadrupUcem lemporum quibus ea
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
812
de ses ouvrages, il les place selon l'ordre des
temps auxquels ils ont été composés, les dis-
tribuant en quatre classes, dont la première
comprend ceux qu'il écrivit avant son bap-
tême , la seconde ceux qui suivirent son bap-
tême , la troisième ceux qu'il écrivit étant
prêtre, et la quatrième ceux qu'il composa
depuis son épiscopat, afin que ceux qui vou-
draient les lire dans cet ordre pussent voir le
progrès qu'il avait fait dans la science de
l'Église à mesure qu'il écrivait, et que s'ils
trouvaient quelques fautes dans ses premiers
ouvrages, ils recourussent aux derniers com-
me plus savants et plus solides. Nous finirons
le jugement que nous en avons porté, par l'é-
loge qui s'en trouve dans les vers de saint
Prosper en ces tei^mes :
Les fleuves découlants i en ses écrits divers,
Par un heureux déluge inondent l'univers,
Et sortant de sa bouche épandent sa doctrine
Par tout ce qu'en son cours le soleil illumine.
Les cœurs humbles et doux de la grâce altérés
Vont étancher leur soif en ces ruisseaux sacrés,
Et l'âme y vient goûter d'un saint plaisir ravie
Cette eau rejaillissante en l'éternelle vie.
EiiiiioDspar- 8. Los viugt-deux livres de la Cité de Dieu
liculières doî , ^ .,*. >
ueuvres do furcut mis SOUS uressc presquo aussitot aores
?ainl Aupiis- A i. A
''°bi''u "^"^ l'invention de l'imprimerie. Dans la première
édition, qui est de 1467, il n'y a ni nom d'im-
primeur ni du lieu où elle futfaite. La seconde
parut à Rome en 1468, chez Conrad Swein-
chem et Arnold Pannatz. On en fit une troisiè-
me dans la même ville en 1474 . Ces livres furent
aussi imprimés à Venise en 1470, in- fol., par
les frères Jean et Vindelin de Spire et en 1475
etl489, par.Ianson; àMayenceenl47.^; àNa-
ples en 1477 ; à Bâle en 1479 et en 1490 avec
les Commentaires de Thomas Valois , de Jac-
ques Passavant et de quelques autres ; à Fri-
bourg en 1494; à Lyon en 1520; à Bâle en
1542 , avec les Commentaires de Louis Vi-
ves ; à Paris en 1586 ; à Genève en 1596; à
Cologne en 1616, et à Hambourg en 1661,
in-4. On a ajouté dans celle-ci les Commen-
taires de Goqueus. [L'édition de Vives a paru
scriii contigit. Alia enim scripsil, cum esset cate-
chumenus, sœcularium litlerariim inflalus con-
suetvdine : alia cum primum exset baptisatus et
adliuc in sacris lilleris rudis ac tyro : alia foe-
tus presby ter exaravit erudila magis et docta;
alia dermini ad episcopatum assumptus longe
omnium eruditissima. Banc temporum dislinc-
"■ lionem idcirco Àugusiinus censuit observan-
dam, ut ex ejus consideratione adverlerent lec-
lores quomodo ipse discentium morem paula-
tim scribendo profecerit, sicque facilius ignosce^
de nouveau avec des notes de B. Salder;
Ingolstadt 1737, cinq parties in-8; d'autres
éditeurs ont paru à Bassano en 1796, in-4,
à Leipsik en 1838, 2 vol. in-4, mais sans
notes et sans commentaires; à Paris en
1838, 2 vol. in-4 avec des notes; à Cologne
en 1850 par les soins de Strange.] Jean Du-
pré et Pierre Gérard imprimèrent à Abbe-
ville en 1486, en 2 vol. in-foL, une traduction
française de la Cité de Dieu , par Raoul de
Prestes , avec des expositions où l'on trouve
beaucoup de remarques curieuses et im-
portantes pour l'histoire de France. Cette tra-
duction fut réimprimée à Paris en 1531 par
Galyot du Pré , aussi en 2 vol. in-fol . Nous
avons une seconde traduction du même ou-
vrage par Gentien Hervet à Paris en 1570 ;
cette traduction est avec les Commentaires
de Jean-Louis Vives , aussi traduits en fran-
çais, et les observations de François de Bel-
leforêts. Il y en a eu une troisième édition à
Paris chez Michel Sonnius en 1585, in-fol. Le
même ouvrage traduit en français par René
de Cerisiers, jésuite, qui a pris le titre d'au-
mônier du roi, à Paris chez Pierre le Petit,
1655, in-fol. Les dix premiers livres du même
ouvrage traduits par Louis Giry, .à Paris en
1665 et 1667, 2 vol. in-8. Le même, tra-
duction nouvelle avec des remarques, par
Pierre Lomberd, à Paris 1675, 2 vol. in-8 et
ibid. 1736, 4 vol. in-12 avec un abrégé de la
vie du traducteur. [La Cité de Dieu, ti'aduite
en français, nouvelle édition, Bourges, Gil-
les, 1818, 3 vol. in-8. La Cité de Dieu, tra-
duction nouvelle avec une introduction et des
notes par Emile Saisset, professeur à l'école
normale du collège de France , Paris , Char-
pentier, 1853, 4 vol. in-18. La Cité de Dieu.
traduction nouvelle par L. Moreau, première
partie, Poissy, imprimerie d'OlivierFulgence,
Paris, Charpentier, 1844, in-12; deuxième
partie, Paris, Waille, 1845, in-12. Deux au-
tres éditions de cette traduction ont été don-
nées depuis au public. La dernière est de
1859, chez Lecoflre à Paris, 3 vol. in-18.] ,,„^^: ^'••"
vent, si quid erratum in prioribus ejus scriptis
inveniretit, et ad ultimas ipsius lucubrationes
tanquam ad eruditiora firmioraque autoris dé-
créta confugerent. Sixtus Senensis, lib. IV Bi-
blioth. sac, pag. 204.
1 Fluinina librorum lii-undum effluxere per
omnem,
Quœ mites humilesque bibunt, campisque ani-
morum
Certant viUilis doctrinœ immiltererivos.
Prosper., Carminé de ingratis.
[IV' ET v' SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN
9. n s'est fait auss' ■un grand nombre d'é-
ditions particulières des Confessions de saint
Augustin, en latin et en français. Les latines
sont celles de Venise, 1484 , avec divers opus-
cules; de Strasbourg, 1489 et 1491 ; de Lyon,
1606 et 1675; de Dilinge, 1631; d'Anvers,
1630; de Paris, 1686; de Cologne, 1646 et
1649 ; [de Florence, avec des commentaires,
in-fol, 1737 ; de Venise avec de courtes anno-
tations, 1757, in-12 ; de Venise, 1774 ; de Leip-
sik, 1740. Ces deux dernières reproduisent
celle de Cologne de 1631. D'autres éditions
latines ont paru à Ausbourg, 1763; à Paris,
1776; à Berlin, 1822; cà Ingolstald, 1824; à
Paris, chez Mé quignon-Junior ; à Lyon, Pé-
risse frères, 1824, in-32, à Paris et à Lyon,
chez les mêmes libraires, 1836; à Leipsik en
1837 ; à Osfort en 1838.] Les éditions fran-
çaises sont; celles d'Aimar Hennequin, évê-
que de Rennes en Bretagne, à Paris, 1382 ; de
René Cerisiers à Paris, 1662; d'Arnaud d'An-
dilly , à Paris , 1656, et plusieurs fois réim-
primées depuis; de Philippe Goisbault Du-
bois, à Paris, 1687, in-8 ; on en a fait depuis
diverses réimpressions : enfin de D.Jacques
Martin, bénédictin de la Congrégation de
Saint-Maur, à Paris, 1743, in-8, avec des re-
marqpies. Ity auue traduction en castillan par
un augustin nommé Sébastien Toscano, im-
primée à Anvers, 1595, puis par Jules Mazzi-
ni. {Les Confessions, nouvelle édition , Paris ,
Lyon, Louis Janet, 1828, in-8, par M. Four-
mont, Paris, imprim. de Giraudet, 1840, in-8;
idem , par l'abbé T. Boulanger; Tours, Mame,
1845, in-12, avec une gravure ; idem, texte la-
tin et français, traduction de M. Léon de
Laporte, nouvelle édition, Paris, Noyer, 1844,
in-12 ; idem, traduction nouvelle avec préface,
par l'abbé F. de Lamennais, Paris, imprim.
de F. Didot, l'aîné, 1822, 2 vol. in-12 ; idem,
traduction nouvelle, par l'abbé Gabriel A.,
préfet des études au petit-séminaire de L.,
Lyon et Paris, Périsse frères, 1837, 2 vol.
in 18, 1838, 1844, 2 vol. in-18; idem, tra-
duction nouvelle, par M. de Saint- Victor,
avec préface par M. l'abbé de Lamennais,
et une notice historique sur les manichéens,
Paris, Charpentier, 1844, in-12; Poissy,
imprim. de Fulgence. Les Confessions, tra-
duites par M. Dubois, Paris, Belin-Man-
dar, 1823, 2 vol. in-12; traduites en français
surl'édition latine des R. P. Bénédictins, avec
des notes, par M. Dubois, nouvelle édition,
Besançon, imprim. de Deis, 1838, 2 vol.
in-12.]
ÉVEQUE D'HIPPONE.
813
10. Les Commentaires sur les Psaumes fu-
rent pubhés séparément à Bâle, 1489 ; à An-
vers, 1662 et 1680. Nous avons une traduc-
tion française de ceux qui sont sur la péni-
tence, parle sieur de l'Estang, à Paris, 1661 ;
et une de tous, à Paris, 1683 et 1739, 7 vol.
in-8, par Antoine Arnauld. On imprima en
la même ville en 1683, en français les Com-
mentaires de ce Père sur le Sennon de Jé-
sus-Christ sur la montagne , par M. Lom-
bert ; les Traités sur l'Évangile de saint Jean
et son Épitre aux Parthes, 1720; et ses Ser-
mons sur le Nouveau Testament, 1694. Ces
deux dernières traductions sont de M. Du-
bois , de même que celle des Sermons sur
quelques Épîtres de saint Paul et des autres
apôtres , à Paris en 1700. Les éditions latines
des Homélies de saint Augustin , de ses Dis-
cours sur divers sujets, de ses Questions sur
l'Ancien et le Nouveau Testament]sont d'Augs-
bourg, 1475 ; de Bâle, 1494 et 1495 ; et de
Lyon, 1497. Le traité rfe/a Concorde des qua-
tre évangélistes fut imprimé à Paris , 1538 ,
in-8; de mêmes que ses Nouveaux sermons,
c'est-à-dire ceux que le Père Sirmond avait
découverts, et qu'il fit imprimer en cette vil-
le en 1630. Pralard imprima en 1678 quatre
autres traités de saint Augustin en français.
11. Voici quelques autres éditions parti-
culières de ses Opuscules [Les Opuscules de
saint Augustin dans lesquels on trouve toute
la théologie ont été imprimés à Ratisbonne
et à Vienne, 1762-1767 en trois parties et
en 9 vol. in 8. On a donné à Vienne en Au-
triche en 1763, in-4, un choix d'opuscules de
saint Augustin très -propres à former à la
piété, un autre choix a paru à Ingolstadt,
1826, in-8 ; quelques opuscules, concernant
l'hérésie de Pelage, ont paru à Berlin, 1827,
in-8. [Les livres de la Foi et des œuvres, de la
Perfection de la justice , de la Prédestination ,
et du Don de la persévérance, à Paris en 1334.
Les deux premiers Contre la seconde réponse
de Julien , à Louvain , 1642 ; à Paris , 1617 ,
avec le livre des Actes de Pelage, et à Lyon,
1673. Les ouvrages Contre les Pélagiens, à
Paris, 1644, 2 vol. in-8, et à Louvain, 1647,
3 vol. ] Les Œuvres choisies de saint Augus-
tin sur la grâce de Dieu, le libre arbitre de
l'homme et la prédestination des saints ont
paru à Rome, par les soins du P. Foggini,
1734 ; elles ont été réimprimées à Augsbourg,
1764, 2 vol. in-8. ] Les Homélies sur les calen-
des de janvier, à Paris en 161 J, avec une let-
tre décrétale de la Sorbonne contre la fête
Les com-
mentaires sur
les psaumes.
Les discours
surl'Ecriluro,
Les Opus-
CulLS.
814
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
des fous. [h'Enchiridion à Laurent ou livre de
la foi, de l'espérance et de la charité a été pu-
blié,en 1573 et 1379, in-8; à Leipsik en 1703,
in-4etl838, in-12 ; on le trouve encore dans
le deuxième volume de la Chrestomathie pa-
tristique , pag. 241 - 336 , il a paru aussi à
Rome, 1735, ■in-4; par les soins du P. Faure
de la Société de Jésus avec des notes et des
observations théologiques ; cette édition a
paru de nouveau à Naples, 1847; à Tu-
binge, 1861, in-8, par les soins de Krabin-
ger et de Ruland.] Les livres de la Doctrine
chrétienne ont été publiés àHelmstadt, 1629,
1633, par Calixte; à Leipsik 1769, par Tée-
gius; à Rome, 1733, selon l'édition béné-
dictine ; à Bergame 1737 ; à Ingolstadt ,
1826, in-8; à Leipsik en 1836, in-16. Les So-
liloques, les Méditations, le Manuel ont paru
à Paris, chez Méquignon-Junior , en 1841,
in-32. Ces Soliloques ont été publiés par
Pélissier, professeur de phOosophie, avec
une introduction et des notes, Hachette,
1853, in-12. Les six livres de la Musique ont
été imprimés chez Beau , à Saint-Germain ,
Paris, Gaume frères , 1837 , in-12. Les Opus-
cules que l'on a imprimés en français, sont
le livre de la Sainte virginité, à Paris en 1638,
par le P. Claude Sequenot de l'Oratoire, et en
1680, avec les livres de la Manih^e de prier
pour les veuves, du Bien de la viduité , du
Bien du mariage , et du Mariage et de la
concupiscence. Les traités de la Foi, de l'es-
pérance, et de la charité , à Paris en 1648 et
1661, par Antoine Arnauld; les Mœurs de
l'Église catholique, à Paris en 1644 et 1647,
par le même ; de la Correction et de la grâ-
ce, à Paris, 1644, 1666 et 1717, 1723, par le
même; de la Véritable religion, à Paris en 1636
et 1723, par le même; de la Manière d'ensei-
gner les principes ne la religion chrétienne,
li Paris en 1678 , par M. Dubois; de la Pré-
destination des sai7ifs et du Don de la per-
sévérance , à Paris en 1676 , par le même ;
de la Doctrine chrétienne , avec le Manuel à
Laurent, par Guillaume Colleté t , à Paris en
1736, in-12, par Je même ; traité de la Doc-
trine chrétienne , traduit par Joseph Fran-
çois Bourgoin de Villefore, à Paris en 1701,
in-8. Les livres de l'Ordre et les livres du LÂ-
bre arbitre, par le même, ibid. 1701, in-8.
Les trois livres de saint Augustin Contre les
Philosophes académiciens, avec le traité du
même de la Grâce et du libre arbitre, tra-
duits par le même, ibid. 1703, iu-12. Le
traité de la Vie heureuse, traduit par le mê-
me, ibid. 1715, dans une nouvelle édition des
Confessions, ti-aduites par Arnauld d'Andillj-;
de la. Continence , de la patience, de la tem-
pérance et contre le mensonge, à Paris en 1678,
par M. Dubois ; de l'Esprit et de la lettre,
à Paris en 1697, 1700 et 1723, par le mê-
me ; les livres de la Grâce de Jésus-Christ et
du péché originel , à Paris en 1738; les six li-
vres Contre Julien, à Paris, 1736. Ces deux
traductions imprimées in-12, sont de Fran-
çois de Villeneuve de Vence, prêtre de l'Ora-
toire. Traduction du livre de saint Augustin de
la Grâce et du libre arbitre et des deux letti'es à
Valentin, par M. de Belsunce de Castelmo-
ron, évêque de Marseille, à Marseille, 1743,
in-4.
[Parmi les nouvelles traductions fran-
çaises des œuvres de saint Augustin , on
signale les suivantes : Les livres de la Doc-
trine chrétienne, avec le texte latin , Troyes,
Candon, Paris, Leclerc; Paris, Périsse, frè-
res, 1823, iu-12. Opuscules des Pères, VEn-
chiridion de saint Augustin et le Manuel, tra-
duction (sic) nouvelle par M. A*** ; les Solilo-
ques , traduction {sic) nouvelle, par M. V*'''"'',
Paris, imprim. de Didot l'aine, 1822; in-32,
avec 2 planches. Les Soliloques, le Manuel
et les Méditations..., Dôle, Joly; Besançon,
Monlarsolo, 1833, in-12; les Soliloques, le
manuel et les méditations , traduction nou-
velle, Paris, Belin-Mandar en 1833 , in-12;
les Soliloques , le manuel et les méditations ,
traduction nouvelle, revue très-exactement
sur le latin, nouvelle édition. Rennes, impr.
de Grilon Mo.reau; Paris, Belin-Maudar, 1829,
in-12; les Soliloques, traduction du latin,
nouvelle édition, Avignon, Séguin aine,
1822, in-18; les Soliloques, traduction nou-
velle..., àlaquelle sont ajoutés desù-agments
de piété tirés du même saint. Le Mans, impr.
deBelon; Paris, Méquignon-Junior , 1834,
in-12 ; les Soliloques , traduction uouveUe ,
avec des réflexions à la fin de chaque chapi-
tre, et précédées. . . , par M. l'abbé L. G***, Pa-
ris, Lagny, 1847, in-32; les Soliloques, tra-
duits du latin, nouvelle édition , Avignon ,
imprim. deChambeon, 1820, in-18. Les Vives
flammes de l'amour divin, traduit par F. Labi-
che, Limoges, Barbon, 1846, in-32. La ^/Z/Z/o-
thèque choisie des Pères de l'Eglise, par GuiUon ,
contient des analyses et des extraits étendus
des ouvrages de saint Augustin, tome XXI et
XXII. les Chefs-d'œuvre des Pères contiennent
en latin et en français les Confessions de saint
Augustin , traduites par Saporta, les Médita-
[IV° ET V' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, EVEQUE D'HIPI^ONE.
8J5
tions, les Soliloques, le Manuel et des sermons
choisis , par l'abbé Mamert , tome XII et
XIII. [ On a imprimé en espagnol les Solilo-
ques de saint Augustin; Paris, Pillet aîné,
J846, in-18.]
12. Louis Giry fit imprimer un recueil de
lettres choisies de saint Augustin en 3 vol.,
àParis, 1639; mais, en 1684, elles furent tra-
duites par M. Dubois et imprimées en 2 vol.
in-fol. et en 6 in-8. Les lettres à Sixte, à saint
Paulin , à Vital ont été mises sous presse sé-
parément, à Paris en 1676 et 1713, avec les
livres de la Prédestination et du Don de la
persévérance. Il y en a aussi quelques-unes
dans le Recueil des lettres de saint Jérôme
par Jean Lavardin, à Paris, 1623, etpardom
Guillaume Roussel, à Paris, 1713, dont l'é-
dition ne devait pas nous échapper dans le
catalogue des lettres de saint Jérôme, puisque
nous nous en sommes servis. Le traducteur
des Lettres de saint Paulin imprimées à Pa-
ris, 172-4, en a aussi traduit trois ou quatre
de saint Augustin , qui sont les réponses à
celles qu'il avait reçues du saint Évéque de
Noie. Il y a une édition latine des Lettres de
saint Augustin , à Bâle, 1493. Celle qui porte
le nom de sa Règle a été imprimée séparé-
ment, à Rome, 1481, in-fol. avec le Commen-
taire de Coi'iolan. [En 1838 M. Poujoulat a
fait paraître une nouvelle traduction des Ze?-
<res de saint Augustin, Paris, chez Lesort ,
de l'imprimerie de Munzel, à Sceaux, 4 vol.
in-8 ; cette traduction est très-estimée , elle
est précédée d'une introduction.]
13. Jean Amerbach fut le premier qui en-
- treprit une édition générale des œuvres de
ce Père avec le secours d'Augustin Dodon,
qui recueillit à cet effet tout ce qu'il en put
trouver dans les bibliothèques d'Italie, de
France et d'Allemagne. Elle est distribuée en
9 vol., dont les premiers parurent , à Bâle
en 1504, et les derniers en 1306 ; quoique dé-
fectueuse, parce qu'Amerbachn'y avait point
fait entreries Sermons, les Lettres et les Com-
mentaires sur /es Psawmes qu'il avait imprimés
en 1489 , 1494 et 1493. Cette édition fut réim-
primée à Paris , 1313. Érasme en donna une
plus complète en 1329, h Bâle, chez Frobeu.
Elle est en 10 tomes à longues lignes. On la
remit sous presse, à Paris en 1631 , avec un
ajouté de dix-sept sermons, dont six sont du
Temps, sept des Paroles de l'Apôtre, et six des
Saints; et ensuite, à Bâle, 1341, 1342, 1343,
1336, 1369, par les soins de Martin Lipsius,
de Jean Costers et de Jean Ulimmèrius. L'é-
dition de 1556 contient cincj; sermons qui n'a-
vaient pas encore été donnés; et celle de
1369, quarante-trois sur divers sujets, avec
des fragments de vingt-sept autres, tirés du
Trésor de l'abbé Eugippius, des Commentai-
res de Bède ou de Florus, diacre de l'Église
de Lyon; L'édition de Venise de l'an 1371 ,
en 10 vol. in-4 est de Valgrisius. On y a re-
tranché un grand nombre de notes mises dans
les précédentes, parce qu'on les trouvait peu
conformes à la foi orthodoxe. La même an-
née 1571 il en parut une à Paris chez Morel
et Nivelle, et deux à Lyon, la première en
1563, in-8 en 10 vol., chez Sébastien Hono-
rât; la seconde en 1571. Cependant les doc-
teurs de Louvain travaillaient à donner quel-
que chose de plus correct et de plus ample
que ce qui avait para jusque-là. Leur édition
est d'Anvers 1577, en 10 vol. in-fol. , chez
Plantin, imprimeur du roi d'Espagne. On en
fit un grand nombre de réimpressions , sa-
voir, -1 Venise, 1384; à Paris, 1386; à Ge-
nève, 1596; à Paris, 1609 1614, 1626, 1633,
1652; à Cologne, 1616, fol. ; à Lyon 1686 et
1664. L'index de cette dernière fait un onziè-
me vol. Quelque exactitude c[ueron ait ap-
portée dans cette édition, il y en eut qui lui
préférèrent celle d'Érasme. Jérôme Vignier
fut de ce nombre, et voyant que l'on avait
de temps en temps imprimé des traités de
saint Augustin qui ne se trouvaient point dans
les éditions précédentes, il les recueillit en un
seul corps pour servir de supplément à tou-
tes les éditions, où on ne les trouvait pas.
Il y joignit l'Ouvrage imparfait contre Ju-
lien, et cjuelques sermons qui n'avaient pas
encore été sous presse. Ce Supplément fut
imprimé à Paris en 2 vol. in-fol, 1654 et
1633.
14. Après tant de recherches, de soins et
de travaux , les écrits de saint Augustin ne
se trouvaient pas encore dans l'état où ils
devaient être pour contenter le public. C'est
ce qui engagea les bénédictins de la Congré-
lion de Saint-Maur à en donner mie nouvelle
édition, qui est en effet* très-correcte, et
la plus complète de toutes. Les supérieurs
jetèrent les yeux sur D. François Delfau, l'un
des plus beaux génies de son siècle ; mais
Édition dos
bén6dicLinado
Saint-lVlaur,
Nec mysterium Domini, sed mysterium ves-
rum hoc loco dixit; ut patres benedictini in emen-
datissima sua editione reprœsentant. Harduinus,
e Soeietate Jesu, De Sacrani. altaris, pag. 290.
816
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
une mort prématurée l'ayant enlevé à l'âge
de 39 ans, il n'eut que peu de part à l'entre-
prise. On lui donna pour successeur D. Tho-
mas Blampin , alors professeur en théologie
à Saint-Gei*main-des-Prés , homme d'un es-
prit juste et solide , de beaucoup de vertu ,
et d'une appHcation infatigable. H examina
lui-même tous les manuscrits qu'il put ras-
sembler, en confronta les différentes leçons,
et consulta toutes les anciennes éditions : ce
qu'il fit avec tant de diligence qu'en moins de
13 mois il fut en état de commencer l'impres-
sion de l'édition dont il était chargé. EUe est
distribuée en 1 1 vol. in-fol , Les deux premiers
commencés en 1677, parurent en 1679, à
Paris, chez Fr. Muguet, où ils furent réim-
primés, mais avec beaucoup de fautes, 1689 ;
les autres dans le cours des années suivantes
Jusqu'en 1690, que le dixième tome sortit de
dessous presse. Le onzième ne fut rendu pu-
blic que dix ans après, c'est-à-dire en 1700.
Il contient la Vie de saint Augustin, une ta-
ble générale de tous ses ouvrages , et une des
matières contenues dans chacun d'eux. Cette
Vie qui est de D. Hugues Vaillant et de D.
Jacques de Friscbe, n'est qu'une traduction
latine de celle que M. de Tillemont avait faite
en français, mais qui ne fut imprimée que
deux ans après, 1702. Us y ont néanmoins
fait quelques changements , mais de peu
d'importance. La table générale des matiè-
res est de D. Cl. Guesnié. C'est ce qu'on a de
mieux en ce genre , soit pour le choix , soit
pour l'ordre, soit pour l'arrangement. La
Critique et les Tables des sermons fausse-
ment attribués à saint Augustin sont de D.
Pierre Coûtant, e,l\'E pitre dédicatoirc, est de
D. Jean MabiUon, qui, du soir au matin,
la mit dans l'état où elle est. On l'a toutefois
regardée comme un chef-d'œuvre.
15. Le premier tome à la tète duquel elle
se trouve, se débitait avec beaucoup de ra-
pidité lorsqu'un capucin nomm é Père Joseph
de Troyes, qui avait fait imprimer le livre
de la Correction et de la grâce, avec des notes
de sa façon, tâcha d'en arrêter le cours, en
représentant àmonseigneurdeHai-Iai, arche-
vêque de Paris, que les bénédictins faisaient
dans le Manuel à Laurent , appelé ordinaire-
ment VEnchiridion , des changements de la
dernière conséquence. D'autres disent que ce
fut le Père Esprit Deaubonne qui déféra la
nouvelle édition à monseigneur l'Archevêque,
Quoiqu'il en soit, le délateur, convaincu de
faux , fut méprisé. On fit voir à monseigneur
de Harlai que le Manuel ne devant se trou-
ver que dans le sixième tome, on n'avait en-
core pris aucune résolution sur les endroits
que le capucin disait avoir été altérés sans
les avoir vus. Ainsi le second tome qui était
sous presse lors de cette délation alla son
train. C'est celui qui causa le plus d'embarras
à l'éditeur parce que, de l'avis des plus habiles
gens, il lui fallut changer l'ordre que les let-
tres avaient eu dans les anciennes éditions ,
et les placer selon le temps auquel elles a valent
été écrites , afin que l'on connût par là les
progrès que saint Augustin avait faits dans les
choses de la religion, et quels avaient été ses
derniers sentiments ; ce saint Docteur ayant
souhaité lui-même pour cette raison , qu'on
lût ses ouvrages suivant l'ordre qu'il les avait
écrits.
16. A peine le dixième tome était-il achevé
en 1699, qu'il parut sur la fin de la même an-
née , une lettre d'un inconnu qui voulait se
faire passer pour un abbé d'Allemagne. Per-
sonne n'en fut la dupe. On découvrit bientôt
qui il était, et d'où il était; et les passages
qu'il avait allégués pour décrier la nouvelle
édition , ayant été confrontés en présence de
témoins non suspects , il fut convenu que le
prétendu abbé allemand, n'était ni un théolo-
gien, ni de bonne foi. Sa lettre ne laissa pas
de passer jusqu'à Rome, et de se répandre en
beaucoup d'autres endroits. Dom Bernard de
Montfaucou alors en cette ville, j' répondit par
ime lettre latine, imprimée avec la permission
du Maître du Sacré-Palais, sous ce titre : Vin-
dicice editionis sancti'Augustini a Benedictinis
adornatce, aduersus Epistolam abbatis Germani,
auctore D. B. de Rivière, 1699, in-12. En Fran-
ce, D. FrançoisLamy, D.DenisdeSainte-Mar-
the, et quelques autres savants de la Congré-
gation de Saint-Maur, réfutèrent aussi la let-
tre de l'abbé allemand ; ce qui n'empêcha pas
qu'on ne semât de nouvelles pièces, impri-
mées et manuscrites contre l'édition de saint
Augustin. La réfutation la plus complète de
cette lettre, est celle de dom René Massuet,
imprimée à Osnabrug, ou plutôt à Rouen. Il
y détruit par treize démonstrations tout ce que
l'abbé allemand avait avancé pour donner at-
teinte à la catholicité de l'éditeur et de ses
confrères.
17. Ceux-ci s'étaient comme engagés de
mettre dans la Préface du tome de la Vie et
des Tables de saint Augustin, ce qui serait né-
cessaire pom' l'éclaircissement de ce qui en
aurait besoin dans l'édition.Monseigneur l'Ar-
[IV" ET V'= SIÈCLES.]
SAIDT AUGUSTIN, ÉVÉQUE D'HIPPONE.
817
I
chevêque de Paris en pressa l'exécution et
dom Mabillon fut chargé de l'ouvrage. Cette
pièce qui était de quarante pages in-4, com-
muniquée à plusiem"s personnes , avant d'ê-
tre rendue publique, fut approuvée des uns
et blâmée des autres. L'auteur y exposait les
motifs qui avaient porté les supérieurs de la
Congrégation, à travailler aux éditions des Pè-
res : par quels degrés on était venu à celle des
œuvres de saint Augustin ; les soins qu'on s'é-
tait donnés pour la donner dans toute la pei'-
fection que l'Église souhaitait. Il marquait en-
suite la soumission de son corps aux consti-
tutions émanées de Rome, touchant les cinq
fameuses propositions, dans le même sens que
le Pape et toute l'Église les avaient condam-
nées. Après quoi il expliquait quel a été le
but de saint Augustin dans les ouvrages qu'il
a composés sur la grâce, surtout depuis la
naissance de l'hérésie pélagienne. Les évê-
ques, à qui cette Préface fut communiquée, y
firent divers changements, et dom Mabillon
eut ordre de l'imprimer avec les modifications
qu'ils y avaient faites. Pendant qu'on l'impri-
mait, on donna à Rome un décret qui pros-
crivait les libelles pleins de calomnies répan-
dus contre la nouvelle édition de saint Augus-
tin, et le pape Clément XI adressa au supé-
rieur généi'al de la Congrégation, un bref \
daté du 19 avril 1706, qui mettait cette édi-
tion comme toutes les autres sorties de cette
Congrégation, à couvert de toute contradic-
tion. Le roi Louis XIV, plusieurs années au-
paravant, avait déjà fait défendre de rien di-
re, ou écrire dans la suite touchant l'édition
de saint Augustin. Cela paraît par une lettre
de M. de Pontchartrain du mois de novembrg
de l'année 1699. Dom MabiUon avertit dans
cette Préface, que l'on a corrigé sur la foi des
manuscrits, un endroit considérable du cha-
pitre XI du livre de la Correction et de la qrâ-
ce , où l'on a mis : Liberum arbitrium ad ma-
Irnn suffieit, ad bonum autem paruin est, nisi
adjuvctur ab omnipotenti bono; au lieu qu'on
Ut dans les éditions de Louvain, nihil est. La
raison qu'il allègue de ce changement, outre
les manuscrits , c'est que cette leçon convient
mieux dans l'endroit où est ce passage.
Après cette Préface générale, il y en a une
particuhère sxxvIgs Appendices à.e. saint Augus-
tin, placés à la fin de chaque volume des ou-
A'rages de ce saint Docteur , et sur ce qui est
contenu dans le onzième. Suit la Vie de ce Pè-
re divisée en huit livres, dont le premier le
conduit depuis sa naissance à ïagaste , jus-
qu'à ce qu'il passa d'Afrique en Italie. Le
second raconte son voyage dans cette provin-
ce, et tout ce qu'il y fit jusqu'à son retour en
Afrique. Le troisième comprend ce qu'il fit
depuis ce temps -là, jusqu'à son élévation à
l'épiscopat. Le quatrième, ce quilui arriva de
plus considérable pendant les cinq premières
années qu'il en fitles fonctions. On voit dans le
cinquième, ce qu'il fit depuisl'an 400 jusqu'en
405. Dans le sixième, comment il se compor-
ta envers les donatistes, depuis les édits don-
nés contre eux en 403, jusqu'à la Conférence
de Carthage.Le septième renferme l'histoire
des disputes qu'il eut avec les pélagiens, pen-
dant l'espace de huit ans. On trouve dans le
huitième un récit de ses actions depuis l'an
420, jusqu'à 430, auquel il mourut. Il y a la
suite de cette Vie, trois tables ou indices. Le
premier est des ouvrages de ce saint évêque,
tels qu'ils sont distribués dans chaque tome
de cette édition , comparés avec l'ordre qu'ils
tiennent dans celle de Louvain. Le second est
de ces mêmes ouvrages, selon l'ordre ancien
* Ce Bref ne se trouve point dans le Recueil de
ceux de Clément XI. Le voici tout entier. Dilecto
filio superiorî generali Congregationis S. Uauri,
ordinis S. Benedicti, Clemens papa XI. Dilecte
llli, salutem et apostolicam benedictionem. Diu-
tius prœterire silentio non posswnus quantopere
nabis acceptum probatumque sit shidium, quod
Congregatio tua sanctorum Ecclesiœ Pairum ope-
ribus recensendis, iisque nitidiori quam antea
cultu publicam in lucem proferendis impendit.
Quod quidem studium et professione virtuteque
vestra maxime dignum duximus, et non vobis
duntaxat gloriosum , veriim etiam rei christianœ
et orthodoxes imprimis religioni saluberrimun
fore confidimus. Quamobrem te monachosqne tuos
in Domino hortamur, ut in egregio hoc instituto
strenue dilig enter qit^e pergatis, pro certo haben-
IX.
tes quiquid in honorem commodumque vestrum a
Poniificia benignitate poterit projicisci, id vobis
nullo unquam tempore defutumm. Interea vero
mittiad tejussimus sacra quœdam munuscula,
iis potissimum eruditis viris arbitralu tuo distri-
b'uenda, qui ejusmodi editionibus adornandis in-
cumbunt, ut ipsis argumenta sint palernœ, qua
eos eorumque studia complectimur, charitatis.
Tibi autem, dilecte fili, prœcipuœ benevolentiœ
pignus apostolicam benedictionem peramanter
impertimur. Datum Romce apud sanctum Petrum
sub annulo piscatoris die xix aprilis 1706, ponti-
ficatus nostri anno sexto. "Voyez VBistoire des
contestations arrivées au sujet de l'édition des
ouvrages de S. Augustin domvk par les Bénédic-
tins. Cette Histoire qui est du feu père D. Vincout
Tlmillier, a été imprimée' in-'i" en 1736.
52
818
HISTOIRE GENERALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
mis en parallèle avec celui qu'on a gardé dans
cette édition. Le troisième marque les ouvra-
ges de ce Père par ordre alphabétique. Ces
trois indices sont suivis de deux autres, dont
le premier marque les matières contenues
dans les dix volumes de ses œuvres, avec au-
tant de netteté que d'exactitude ; et le second
tous les passages de l'Ecinture, que ce saint
évêque a expliqués. L'éditeur a poussé l'exac-
titude jusqu'à donner encore une table par-
ticulière des ouvrages faussement attribués
à saint Augustin , placés là dans les Appen-
dices à la fin de chaque volume.
Édiiion 18. Aussitôt que cette édition eût été ren-
d Anvers, en ^
i;oo. due publique, on en fit une réimpression à
Anvers, ou si l'on veut, à Amsterdam chez
Pierre Mortier. Ceux qui se chargèrent de ce
travail avaient d'abord eu dessein de mettre
au bas de chaque page, les remarques de
Jean le Clerc caché sous le nom de Phérépo-
nus ; mais réflexions faites, ils aimèrent mieux
suivre exactement l'édition des Bénédictins
de Saint-Maur, et renvoyèrent à la fin et dans
un volume séparé, les notes de ce critique.
Cette édition est comme celle de Paris , dis-
tribuée en onze volumes : elle a cela de dif-
férent qu'on trouve dans le dixième , l'ana-
lyse du livre de la Correction et de la grâce ;
par M. Antoine Arnauld, supprimée dans celle
de Paris, à la demande de M. de Harlai. Le
douzième tome qui est de Jean le Clerc, por-
te le titre d'Appendice aux œuvres de saint
Augustin. On y voit d'abord une préface où
cet auteur rend raison de ce qui est contenu
dans ce volume ; puis le poème de saint Pros-
per, intitulé : Deingratis; ensuite les Disserta-
tions du père Garnier , jésuite, sur l'histoire
des pélagiens. Suivent les Commentaires de
Pelage sur les Epîtres de saint Paul; et en-
fin les préfaces, les censures, les notes et les
animadversions sur toutes les œuvres de saint
Augustin, d'Érasme, de Louis Vives, du Père
Sirmond, du cardinal Noris, de Jean le Clerc,
et de quelques autres. Jean le Clerc n'ou-
blia rien pour décréditer , soit la personne ,
soit les écrits de saint Augustin. Injures, ca-
lomnies, suppositions, fausses conjectures,
tout lui était bon pour contenter la passion
basse, dont on sait qu'il était possédé de s'é-
tablir une réputation aux dépens du mérite
le plus sohde et le plus reconnu. Robert Jen-
kius, docteur du collège de Saint-Jean, a pris
contre lui la défense de ce grand évêque ,
dans un écrit anonyme imprimé à Cambridge
en 1707, in-8, "de même que Louis-Antoine
iWuratori dans le troisième livre d'un de ses
ouvrages latins, intitulé : De la Modération des
esprits dans les affaires de religion , Paris en
1714, iu-4, et Francfort en 1716, in-8.
Il est bon de remarquer qu'il y a eu deux
impressions à Paris, des deux premiers vo-
lumes de saint Augustin; l'une en 1679 et
l'autre en 1689. On peut en connaître la dif-
férence par l'Épître dédicaloire qui, dans la
première édition, n'a que cinq lignes à la pre-
mièi-e page , au lieu que l'autre en a neuf.
[ L'édition des Bénédictins a été réimpri- ,
mée à Venise en 1729-33 en 11 tomes in-fol., '
et dans la même ville, 1736-69, 18 vol. in-4;
en 1797-1807, 18 vol. in-4. Cette dernière
édition porte le nom de Venise, mais elle est
plutôt de Bassano. Les frères Gaume ont pu-
blié, à Paris, en 1836-39, une nouvelle édi-
tion, in-8, d'après les Bénédictins, mais plus
correcte, revue sur les manuscrits, augmen-
tée de nouvelles notes, de deuxlettres et de
quelques sermons publiés à part. Une autre
édition, corrigée et plus correcte, c'est le ti-
tre qu'elle porte, se trouve dans la Patrolo-
gie Migne en 16 vol., 1845. Le tome 16 est
un supplément à toutes les éditions des œu-
vres de saint Augustin. Il comprend un grand
nombre de dissei'tations ayant rapport à ce
Père et réunies ici pour la première fois. En
voici la liste : 1. Notice littéraire sur la vie ,
les écrits et les éditions de saint Augustin ,
par Schœneman. — 2. Dissertation, notes et
commentaires d'Érasme et de Phéréponus
(Jean le Clerc) sur tous les livres de saint Au-
gustin, volume par volume. — 3. Commen-
taire de Henri de Noris sur la cent soixante-
guinzième et cent soixante-seizième lettre ,
contenant le nom de tous les évêques d'Afri-
que qui assistèrent au concile contre les do-
natistes. — 4. La préface que le chanoine
Ulimmérius mit à la tête de l'édition des sei'-
mons et opuscules de saint Augustin, de Lou-
vain, 1364. — 5. La préface de Jac. Sir-
mond, mise à l'édition des nouveaux dis-
cours publiés à Paris en 1631. — 6. Préface
que Louis Vives mit en tête de l'édition de
La Cité de Dieu, ainsi que ses commentaires.
— 7. Préface de H. de Noris, sur le livre de
la Grâce du Christ. — 8. Préface de Claude
Ménard sur les deux premiers livres de l'ou-
vrage inachevé contre Julien, en 1616. —
9. Préface de Jean Ulimmérius sur la liste des
ouvrages de saint Augustin , de Possidius.
— 10. Dissertation de H. de Noris contre les
attaques dirigées récemment contre les livres
[IV= ET V'' SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
819
de saint Augustin contre les pélagiens et les
semi-pélagiens, et contre l'accusation d'igno-
rance sur certaines questions spéciales. —
11. Réponse à cent cinquante censures faites
par quelques récents détracteurs, avec la liste
de ces détracteurs. — 12. Trois traités du
P. Merlin, jésuite, mort en 1747 : 1° Vérita-
ble clef des ouvrages de saint Augustin con-
tre les pélagiens ; 2° Examen des critiques
de Bayle contre le saint Docteur ; 3° Disser-
tation sur la nature de la loi de Moïse , en
français. — 13. Quatre opuscules de saint
Augustin édités d'abord par Fontanus : 1° Li-
vre de l'Oraison ; 2° Des quatre Vertus de la
charité; 3° Homélie sur le deuxième diman-
che de l'Avent; 4° Discours sur la Circonci-
sion. — 14, Dernier cbapitre des Soliloques
découvert par Trombelli. — 13 . Quatre autres
discours douteux. — 16. Variantes sur tous
les discours de saint Augustin recueillies par
MM. Caillau et Saint- Yves. — 17. Quelques
fragments.
L'édition donnée par MM. Caillau et Guil-
lon dans les Selecti Patres, Paris 1829, et
suiv.,tome 108-14, contient toutes les œuvres
authentiques de saint Augustin avec qiiel-
ques additions , mais avec un nouvel ordre
des matières , sans la préface et les avertis-
sements donnés par les Bénédictins. On y a
joint plusieurs sermons trouvés après la pu-
blication de l'édition bénédictine. Une der-
nière édition, dédiée à Grégoire XVI, a com-
mencé à paraître à Venise, 1833, en 6 vol. in-
fol.; elle n'était pas encore achevée en 18S1.]
LETTRE
AU TRÈS-RÉVÉREND PÈRE DOM RÉMI CEILLIER
BÉNÉDICTIN DE LA CONGRÉGATION DE SAINT-VANNES , PRIEUR TITULAIRE DE FLA VIGNY EN LORRAINE ,
CONTENANT L'EXPLICATION D'UN PASSAGE DE SAINT AUGUSTIN.
Le passage, mon Très-Révérend Père, que
je me propose d'examiner ici, a été déjà si
savamment discuté par M. le président Cou-
sin, que c'est peut-être une trop grande déli-
catesse à moi de n'e m'en pas tenir à l'expli-
cation de ce docte journaliste.
Mais, comme les plus habiles gens mêmes
ne sont pas infaillibles, et que les erreurs où
ils peuvent tomber sont plus contagieuses
que celles des hommes vulgaires, parce que
l'on s'en défie moins, j'ai cru qu'il me serait
permis de combattre son sentiment. Voici ce
dont il s'agit :
Un livi'e posthume de M. Petit, médecin de
Paris, ayant vu le jour à Utreclit, en 1689 ',
M, le président Cousin en donna un extrait
avec son exactitude ordinaire dans le journal
du lundi 27 juin de la même année. Le savant
journaliste n'oubha pas d'ohser\ernn étrange
paradoxe de l'auteur, qui, fondé sur un pas-
sage de saint Augustin, avança que le saint
Docteur buvait quelquefois une assez grande
quantité de vin; mais qu'il avait- la tête forte
pour le porter, et que jamais il n'en perdait
l'usage de la raison : Quodea esset cerebri ac
mentis firmitate, ut posset in eadem vini quan-
titate, qiiœ rmiltos ad insaniam redigeret , ra-
tionis usum conservare. Homer. Nepenth., pag.
138.
Le passage de saint Augustin, sur lequel
M. Petit prétend établir son sentiment, se
trouve dans le dixième livre des Confessions ,
chap. XXXI, en ces termes : Ebrietas longe est
a me ; misereberis ne appropinquet mihi, Cra-
pula autem nonnitnquam surrepit servo tuo :
misereberis nt longe fiât a me.
M. Cousin prouve parfaitement qu'«7 n'y a
rien d'aussi mal fondé que cette imagination de
M. Petit. On peut voir ses raisons dans le
journal que j'ai indiqué. Comment faut-il donc
entendi'e le passage du saint Docteur ? Je ne
sais si l'habile journaliste est aussi heureux
dans l'explication qu'il en donne, que dans
celle qu'il réfute. « Le terme crapula, dit-il, a
(i plusieurs sens. Outre celui d'Aristote, au-
« quel il signifie la chaleur et la douleur
(I causées par le vin pris avec excès, il en
« peut avoir encore au moins deux autres,
« selon l'un desquels il est pris pour l'excès
« du manger, et, selon l'auteur, pour le plai-
« sir même de manger et de boh-e. Ce n'est
« pas axi premier que saint Augustin l'a pris ;
* Pétri Petiti philosophi, et doctoris medici,
HomeriNepenthes,sivede Helenœ medicamento, elc.
cliap. XV , Trajecti ad Rhenmn, 1C80, iu-S. N'oyez le
intitulé : Videri B. Augustinum non invalidum
potorem fuisse.
[IV° ET V" SIÈCLES.]
« car il était aussi éloigné de manger avec ex-
« ces, que de boire avec excès. Il n'a donc
« pu le prendre qu'au second ; et avouant,
« que bien qu'il s'efforçât de résister conti-
(( nueUement à la tentation du plaisir qui se
« met comme en embuscade au passage des
« aliments nécessaires pour apaiser la faim
« et la soif, et pom- entretenir la santé ; néan-
« moins il s'y laissait quelquefois surprendre.
« Cette surprise arrive aux plus parfaits, à
<( ceux même qui refusent tout à leur corps,
(1 et à ceux qui ne le nourrissent que de
« jeûnes et d'abstinences. »
M. Bayle, qui est entré dans celte contes-
tation littéraire ', a pris en main la cause de
M. Petit, quoiqu'il ait voulu faire entendre
qu'il laisse au lecteur la décision de cette dispute,
et qu'il se contente d'indiqué?' les raisons des
deux parties. Vous connaissez M. Bayle ; vous
savez, sans doute, qu'il ne témoigne presque
jamais mieux sa partialité, que quand il se
vante de ne prendre aucun parti. Je crois, dit-
il, que M. Cousin n'eût pas mal fait de donner
de bonnes preuves des deux significations du mot
crapula, qu'il a jointes à celle que M. Petit a
si bien prouvée. Ce passage suffit pour faire
voir, si je ne me trompe, que M. Bayle n'est
pas aussi indécis qu'il veut nous le persuader.
Quoiqu'il en soit, j'espère que s'il vivait en-
core, il aurait bientôt satisfaction sur l'un
des deux sens que M. Cousin donne au terme
crapula; quant à l'autre signification de ce
journaliste, je crois être en état de pi-ouver
qu'on ne saurait l'admettre.
Jacques Bernard, rendant compte de la
seconde édition du Dictionnaire historique et
critique ^ , dit « qu'il faut avouer qu'il y a
0 quelque chose de choquant dans l'exposi-
« tion de M. Petit, et qu'elle ne parait pas
« couler naturellement. Aussi, ajoute M. Ber-
« nard, a-t-eUe déplu à M. Cousin, qui l'a
« Té{\iiéeda.T:isleJou)'nal des savants. » Le nou-
velliste de la république des lettres, après
avoir rapporté l'expKcation de J\I. Cou-
sin : « Le lecteur jugera, dit-il, si cette expli-
« cation est meilleure que la précédente. Ne
« pourrait-on point soupçonner, poursuit le
« même auteur, qu'il y a une faute dans le
« texte latin, et q\i'il y manque la particule
« si ? Je ne propose ceci que comme une con-
« jecture, que j'abandonnerai à la moindre
SAINT AUGUSTIN , ÉVÊQUE D'HIPPONE.
821
« difSculté qu'on me fera. Saint Augustin
(( voudra dire qu'il ne se sent point de pen-
te chant à l'ivrognerie ; mais que s'il lui ar-
« rivait par malheur quelque tentation de ce
« côté-là, il prie Dieu de l'éloigner, et de lui
« faire la grâce d'y pouvoir résister. Ebrie-
(( tas longe est a me : misereberis ne appropinquet
(( mihi. Si crapula autem nonnunquam sur-
it répit servo tuo, misereberisut longe fiât ame.
« Pour donner même plus de sens à cette
« pensée, je prendrais le mot d'eèrzetes pour
« l'habitude, et celui de crapula pour l'acte ;
(( et je la paraphraserais ainsi : Seigneur, par
« un effet de votre grâce, je n'ai point le défaut
« de l'ivrognerie ; ayez la bonté de m'en garantir
u toujours. Que si par malheur je venais à être
« tenté ou surpris par le vin faites-moi la grâce
« de résister à la tentation, ou de me relever
« bientôt de cette chute. Je pourrais appuyer
« ma conjecture de plus d'une raison, et faire
« voir , en la comparant aux deux précéden-
« tes, qu'elle est beaucoup plus plausible. »
M. Bernard ne raisonne ainsi, que parce
qu'il s'imagine faussement, d'après M. Bayle,
qu'on ne saurait prouver aucune des deux
significations que M. Cousin donne-au terme
crapula; mais quelque inutile que soit sa con-
jecture, il la propose avec tant de modestie,
qu'on ne peut lui en savoir mauvais gré.
Un habile écrivain de nos jours, qui a dé-
fendu saint Augustin contre plusieurs atta-
ques de M. Bajde ', a répondu avec beaucoup
de force aux raisons de M. Petit, secondé de
l'auteur du Dictionnaire critique. (( La cra-
« pule, selon M. Petit, dit-il, est l'effet de
« l'ivresse , elle en est même le dernier pé-
« l'iode. C'est la douleur de tête qui reste,
« lorsque le sommeil a dissipé les vapeurs
« du vin ; et lorsqu'un homme , qui s'était
« enivré, recouvre la connaissance, et n'est
« plus dans l'aliénation d'esprit qui lui ôte le
« sentiment. Cela, poursuit le censeur de M.
« Bayle, est confirmé par un bel étalage d'é-
« l'udition. Comment donc saint Augustin a
« t-il pu dire avec vérité : L'ivresse est loin
« de moi ; mais la ci'apule surprend quelquefois
(( votre serviteur ? M. Petit prétend lever la
« contradiction, en supposant que saint Au-
« gustin avait la tête assez bonne pour boire
« beaucoup de vin sans perdre la raison,
« mais non pas sans en être incommodé le
1 Diction, crit...
' Nouv. de la
1702, art. IV.
art. S. Augustin, Rem. I.
République des Lettres ,
' Réfutation des critiques de M. Bayle sur S.
Juin Augustin, etc., à Paris, ohez Rolin fils, 1732, in-4.
Voyez le second traité, pag. 8.
822
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
(( lendemain. Il me semble pourtant que la
« contradiction demeure, ou bien M. Petit a
(I mal prouvé que le mot crapula exprime
« toujours l'efTet et le dernier période de
« l'ivresse ; et de tous les témoignages qu'il
« cite, il s'ensuit que la crapule n'estjamais
« séparée de l'ivresse. M. Bayle ne se met
« pas en peine de faire cette observation. Son
« but est de plaire à tout le monde, et il n'a
« point voulu ici manqpier l'occasion de flat-
« terles bons buveurs, en leur associant saint
« Augustin. »
L'habile censeur appuie ensuite les raisons
de M. Cousin, et fait voir la faiblesse de la
critique de M. Bayle. « M. Cousin, continue-
ce t-il, démontre par des passages très-clairs,
« tant de saint Augustin, que de Possidius,
« que le saint Docteur menait une vie,
« non-seulement sobre, mais encore austè-
<( re ; qu'il ne recherchait les aliments que
« comme il recherchait les remèdes ; qu'il
(( était toujours en garde contre le plaisir,
« lorsqu'il satisfaisait aux besoins de la na-
n ture ; qu'il se faisait une guerre continuelle
« par lesjeùnes et par l'abstinence, etqu'ainsi
« il ne doit pas être soupçonné d'avoir bu
« quelquefois avec excès. M. Bayle n'a rien
« à dire sur cela ; mais il n'a point pour M.
« Cousin la même indulgence que pour M.
'( Petit. Il passe à celui-ci de démentir les
« autorités qu'il allègue en séparant la cra-
« pule d'avec l'ivresse, et il demande à
« l'autre de bonnes preuves qui l'autorisent
« à faire signifier au vcioi crapula, le seul plai-
« sir de boire et de manger, qui se met com-
« me en embuscade au passage des aliments
« nécessaires pour apaiser la faim et la soif,
(( et pour entretenir la santé. Mais en faut-il
« d'autres preuves, que le texte même de
« saint Augustin, qui, dans l'endroit où il
« est placé, distingue autant de l'excès de
« boire, que de l'ivresse, ce qu'on apellait
(( en ce temps-là crapula ? J'en atteste la bon-
« ne foi de ceux qui se donneront la peine
(I de le lire. Et n'est-ce point assez pour M.
« Cousin, qu'on ne puisse opposer à son sen-
« timent que des autorités qui confondent
« absolument la crapule avec l'ivresse, la-
ce quelle en est entièrement distinguée dans
« le passage de saint Augustin ? »
Voilà donc deux sentiments divers sur le
passage du saint Docteur. M. Petit, et M.
Bayle, d'un côté, prétendent que crapula si-
gnifie ici l'excès du vin. De l'autre, M. le pré-
sident Cousin, et l'auteur des Critiques de
M. Bayle, après avoir réfuté cette opinion,
soutiennent que ce terme doit être pris pour le
plaisir qui accompagne l'usage des aliments.
Tout lecteur équitable jugera, ce me semble,
que la réfutation du premier sentiment est
portéejusqu'àla démonstration. Mais je doute,
que M. Cousin, et le censeur de M. Bayle, aient
prouvé avec la même évidence, que crapula
doive être pris pour le plaisir de manger et
de boire.
M. Cousin n'est pas le premier qui ait ex-
pliqué de la sorte le passage du saint Doc-
teur. Avant lui, M. Arnauld d'Andilly l'avait
rendu par ces paroles : « Je suis très-éloi-
« gné de l'ivrognerie, et j'espère qu'avec
« votre assistance je ne serai jamais si mal-
« heureux que de m'y laisser aller. Mais quel-
ce quefois la gourmandise, c'est-à-dire le plai-
cc sir de boire et de manger me surprend. »
Je demande à ces messieurs par quelle rai-
son ils donnent au terme crapula un sens dont
on ne trouve aucun exemple. M. Bayle, après
avoir dit que M. Cousin n'eût pas mal fait d'en
donner de bonnes preuves, ajoute (ju'il a con-
sulté plusieurs dictionnaires, sans y trouver la
moindre trace de cette signification.
Pour moi j'avoue, comme M. Bayle, qu'a-
près plusieurs recherches je n'ai découvert
aucun auteur qui ait employé crapula dans
le sens de M. Cousin. Le censeur du M. Bayle
n'a pu alléguer une seule autorité en faveur
du docte journaliste dont il adopte le sen-
timent. « En faut-il d'autres preuves, dit-il ,
c( que le texte même de saint Augustin, qui,
c( dans l'endroit où il est placé, distingue
c( autant de l'excès du boire, que de l'ivresse,
c( ce qu'on appellait en ce temps-là crapula ?
ce N'est-ce point assez à M. Cousin qu'on ne
ce puisse opposer à son sentiment que des
ce autorités qui confondent absolument la cra-
c( pule avec l'ivresse, laquelle en est entiè-
ce rement distinguée dans le peissage de saint
ce Augustin ? »
Cette raison, excellente contre M. Petit et
M. Bayle, serait très-bonne d'elle-même, si
crapida ne pouvait avoir d'autre sens que
l'excès du vin, et le plaisir qui accompagne
l'usage des aliments. Saint Augustin, dirait-
on, distingue crapula d'avec l'excès du vin.
Donc ce terme doit être pris pour le plaisir
de boire et de manger. Mais outre que cra-
pula ne saurait jamais signifier ce plaisir, ce
terme est pris quelcjuefois, ainsi que M. Cou-
sin en est convenu, pour l'excès dans le man-
ger : sens qu'il ne veut cependant pas lui
[rve ET ^e SIÈCLES.] SAINT AUGUSTIN,
donner ici, parce qu'il prétend que saint Au-
gustin était aussi éloigné de manger avec excès,
que de boire avec excès.
Comme ni M. Cousin, ni son défenseiu',
qui est un habile grammairien, n'ont appor-
té aucun exemple de crapula pris pour le plai-
sir de boire et de manger, il doit passer pour
constant qu'aucun auteur, avant et après
saint Augustin, n'a pris ce terme dans cette
signification. Si l'on prouve donc qu'il n'y a
mil inconvénient à faire dire au saint Docteur
qu'il a mangé quelquefois avec excès ; et si
l'on montre que cra/jwfo peut signifier l'excès
du manger, il s'ensuivra clairement, si je ne
me trompe, que c'est la seule signification
qu'on puisse, donner ici à ce terme. Or c'est
ce que je me flatle de faire voir, et ce qui
me reste à examiner.
Avant que de commencer, il parait à pro-
pos de citer le passage de saint Augxistin avec
ce qui précède et ce qui suit : Audio vocem
jubentis Dei rnei : Non graventur corda vestra
in, crapula et ebrietate. Ebrietas longe est a
me , misereberis ne appropinquet mihi ; crapula
autem nonnunquam surrepit serve tua , misei^e-
beris ut longe fiât a me. Nemo enim potest esse
continens, nisi tu des.
n est évident que saint Augustin a eu en
vue ce passage de saint Luc, xsi, 34. Atten-
dite autem vobis, ne forte graventur corda ves-
tra in crapiula et ebrietate. Cela supposé, plu-
sieurs raisons me persuadent que saint Au-
gustin avoue, qu'il s'est laissé quelquefois
surprendre à l'excès du manger :
1. La première raison, c'est que le passage
de saint Augustin doit être expliqué par celui
de saint Luc. Or tous les interprètes exnli-
quent le crapula de saint Luc, par l'excès du
manger : Prenez donc garde c\ vous, de crainte
que vos cœurs ne s' appesantissent par l'excès des
viandes et du vin. L'allusion du saint Docteur
à ce passage, est si visible, qu'il a conservé
sans doute religieusement tous les termes de
la version italique dont il se servait, et en-
tre autres le mot crapula.
2. Est-il naturel de supposer que saint Au-
gustin ait dit : J'entends la voix du Seigneur,
qui me crie dans son Évangile : Ne vous laissez
point appesantir par l'excès du manger et
du boire. Je suis très-éloigné de l'excès dans le
boire ; et jespère, ô mon Dieu, cpx'avez votre se-
cours je n' causai jamais le malheur d'y tomber.
ÉYÊQUE D'HIPPONE.
823
Mais le plaisir du manger et du boire me sur-
prend quelquefois. Quel rapport entre la dé-
fense de se livrer à l'excès' du boire ou du
manger, et l'aveu que ferait saint Augustin
d'avoir pris quelquefois du plaisir dans l'u-
sage des aliments ? N'est-il pas clair qu'il s'ac-
cuse ici d'avoir A'iolé une partie de ce com-
mandement ? Et comment l'aurait-il violé par
le seul plaisir de manger et de boire, dont
il n'est fait aucune mention dans le passage
de saint Luc qu'il rapporte ? !1 faut donc con-
clure des paroles du saint Docteur, que c'est
par l'excès du manger, qu'il confesse avoir
enfreint une partie du commandement ex-
primé dans l'Evangéliste. En expliquant ainsi
le passage de saint Augustin, on trouve, ce
me semble, un sens naturel et raisonnable :
ce qu'on ne saurait dire, si je ne me trompe,
en prenant crapula pour le simple plaisir qui
accompagne l'usage des aliments.
3. M. Cousin avoue que crapula peut signi-
fier l'excès dans le manger. M. Bayle aurait
souhaité que ce journaliste eût donné de bonnes
preuves de cette signification. Comme c'est le
sens que j'adopte, je crois être obligé d'en-
trepreadre ce que M. Cousin, qui rejetait ici
ce sens, n'était nullement tenu de faire. Saint
Isidore de Séville dit formellement que cra-
pula est un excès dans le manger, qui sur-
charge l'estomac, et cause des indigestions.
Ses termes ne peuvent être ni plus précis,
ni plus énergiques : Crapula, dit-il, est immo-
derata voracitas, quasi cruda epula, cujus cru-
ditate gravatur cor, stomachus indigestus effi-
citur '. On trouve dans un ancien auteur cité
par du Cange : Crapulatus cibo nimio ^, pour
ne rien dire du passage de saint Luc, rappor-
té ci-devant, ni de plusieurs autres, qu'il se-
rait aussi facile que superflu d'apporter. En
efi'et, crapula vient du mot grec xpamàx-n
qui signifie ces nausées, ces pesanteurs de
tête, ces indigestions que cause aussi bien
l'excès du manger, que l'excès du boire.
4. levons prie, mon T. R. Père de faire at-
tention au raisonnement qui suit, et qui pa-
raît décisif. Si saint Augustin, après avoir rap-
porté le passage de saint Luc, qu'il ne faut
pas perdre de vue, avait simplement entendu
par crapula le plaisir de manger et de boire,
se serait-il contenté de dire qu'il ne donne
pas dans l'excès du vin ? Ebrietas longe est a
me. N'aurait-il pas ajouté, qu'il ne se laisse
1 Origin. sive Etymolog. Leg. XX, cap. i.
- In Vitis Patrum Emerit., tom. Il ConcU. Hisp.,
pag. 641, col. 2. Du Cauge, Glossar. latin.
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
824
jamais surprendre à l'excès du manger, puis-
que ces deux excès sont également défendus
dans saint Luc, et que le plaisirne se trouve pas
moins dans le boire que dans le manger ? Et
mm salus sit causa edendi ef bibendi, adjungit
se, tanquam pedtssequa, periculosa jucunditas,
ctplerumqve prœire conatur, ut ejus causa fiat
quod salutis causa me facere vel dico, vel volo.
S'il n'a donc point dit qu'il ne donne pas dans
l'excès du manger, n'en doit-on pas conclure
qu'il avoue par ces paroles : Crapula autem.
nonnunquam surrepit servo tuo, qu'il s'est lais-
sé quelquefois surprendre à cet excès ? N'est-
il pas clair comme le jour, qu'il oppose l'ex-
cès du boire à celui du manger, et qu'il a
voulu dire .• Seigneur, vous me défendez de me
livrer à l'excès du manger et du boire. Audio
vocem jubentis Dei mei : Ne graventur corda
vestra in crapula et ebrietate. Quand à l'ex-
cès du boire, je ne m'y laisse jamais emporter :
Ebrietas longe est a me. Mais l'excès du man-
ger me surprend quelquefois : Crapula autem
nonnunquam surrepit servo tuo ? Comment,
en effet, peut-on entendi-e par crapula, à
quoi saint Augustin confesse qu'il ne se laisse
emporter que rarement nonnunquam, le plai-
sir de manger et de boire, qui, généralement
parlant, accompagne toujours ce besoin ; le
passage des aliments étant lui-même un plai-
sir, comme le dit saint Augustin au même
endroit. Ipse traksitus volbptas est, et non
est ALius, qua transeatur quo transire cogit né-
cessitas ? Si CG n'est pas Là se contredire, j'a-
voue que je ne me connais pas en contra-
diction. Il faut donc avouer nécessairement
que saint Augustin entend par crapula, l'ex-
cès du manger, où le plaisir, qui accompagne
l'usage des aliments, l'entraînait comme
malgré lui, et sans qu'il pût d'abord distin-
guer cet excès d'avec le pur besoin de la na-
ture.
Mais quand même saint Aug-ustiu n'aurait
pas dit d'une manière aussi claire que le plai-
sir accompagne toujours, généralement par-
lant, l'usage du boire et du manger, il ne se-
j-aitpas aisé de comprendre comment ce plai-
sir ne le surprenait que rarement , nownm-
quam, puisqu'il n'est éteint que dans ceux qui
ont perdu le goût des aliments. Or, certaine-
ment saint Augustin ne l'avait pas perdu : car
tout le chapitre d'où le passage en question
est tiré, roule sur les regrets qu'il a de ce que
les aliments flattent son goût. De tous les
saints, je ne connais que saint Bernard, qui
soit parvenu, dil-on, au point de ne se plus
trouver sensible au plaisir du boire et du
manger.
5. Et comment, encore une fois, peut-on
douter que saint Augustin ne s'accuse ici d'a-
voir mangé avec excès , lui qui, après avoir dit
à la fin du même chapitre , avec quelle pré-
caution il faut user des aliments , ajoute ces
paroles décisives? « Mais , Seigneur, qui est
« celui qui ne passe pas quelquefois lesbor-
« nés? S'il est quelqu'un qui puisse s'en flat-
« ter, il est bien parfait, et il a lieu de glorifier
« votre nom. Pour moi, je ne suis pas tel,
« parce que je suis un pécheur.» Etquisest,
Domine, qui non rapiatur aliquando extra mê-
las necessitatis? Quisquis est, magnus est, ma-
gnificet nomen tuum,. Ego autem nonsdm, quia
peccator homo sum. En vérité il y a bien lieu
d'être surpris de ne vouloir pas trouver dans
le passage que je tâche d'éclaircir, ce que
saint Augustin dit si clairement dans tout ce
chapitre.
Soit vérité, soit pure humilité, saint Augus-
tin avoue par conséquent qu'il se laisse quel-
quefois surprendre à l'excès du manger.
Qu'est-ce qui a donc pu empêcher la plupait
des interprètes d'expliquer par cet excès le
crapula du saint Docteur? Quatre raisons, si
je ne me trompe :
1° Quelques-uns, comme M. Petit et M. Bay-
le, ont paru ignorer que crapula pouvait si-
gnifier l'excès dans le manger. Je crois avoir
suffisamment prouvé que ce terme est suscep-
tible de cette signification.
2° Ceux qui expliquent crapula par le plai-
sir des aliments, ont vu que saint Augustin,
dans le chapitre d'où ce passage est tiré, se
plaint si souvent de ce plaisir, qu'ils ont cru
que ce terme ne pouvait recevoir ici d'autre
sens. Le saint Docteur en gémit, il est vrai ,
mais pourquoi? Parce qu'il appréhende que
ce plaisir dangereux, comme ill'appelle , pe-
riculosa jucunditas , ne lui fasse quelquefois
passer les bornes de la tempérance : Reficimus
enim, dit-il, quotidianas ruinas corpioris edendo
et bibendo. Nunc autem suavis estmihi nécessi-
tas, et adversus istam suavitatem pvgno, ne CA-
piAR. n avoue , comme nous l'avons vu plus
haut, qu'il ne sortait pas toujours de ce
combat à son avantage. Et quis est. Domine,
qui non rapiatur aliquando extim metas necessi-
tatis? Quisquis est, magnus est... ego autem non
SK)H. Il sait que ce plaisir, qui nous porte à
rechercher les aliments, et qui flatte notre
goût, lorsque la nécessité nous oblige de sa-
tisfaire à ce besoin, a été sagement éta]:)li
[IV" ET V'= SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
par l'Auteur de la nature, afin de nous aver-
tir de réparer nos forces, qui seraient bien-
tôt épuisées sans ce secours : Reficimus quo-
tidianas ruinas corporis, edendo et bibendo. Ce
plaisir nécessaire, généralementparlant, n'est
pas mauvais de lui-même. Mais c'est aux vé-
ritables chrétiens un sujet de gémissement,
parce qu'il est une occasion dépêcher à ceux
qui s'y laissent entraîner. Et comment s'ylais-
se-t-on entraîner? En mangeant ou en buvant
plus que la nature ne demande : Nam quod
saluti satis est, delectationi parum est, et bmve
INCERTUM FIT utruifi adhuc necessaria corporis
cura subsidium petat , an voluptaria cupiditatis
fallacia ministerium suppetat. Ad hocincertum
hilarescit infelix anima, et in eoprœparat excu-
sationispatrocinium,Gkm)BNS non AFPAViEKEquid
satis sit moderationi valetudinis, ut, obtentu sa-
lutis, obumbi'et negotium voluptatis ' . Ces ha-
biles interprètes ont donc pris l'occasion ou la
cause pour l'effet, le plaisir du manger pour
l'excès dans le manger.
Saint Augustin dit, à la vérité, que le Sei-
gneur lui avait appris à user des aliments
comme des remèdes. Mais d'en conclure avec
M. Cousin et son défenseur, que le saintDoc-
teur ne recherchait les aliments, que comme il
aurait recherché les remèdes, et qu'il usait de la
même sorte des uns et des autres, c'est dire, si
je ne me trompe, qu'il prenait les aliments
avec autant de répugnance et de dégoût qu'un
malade use des remèdes. C'est ce qu'on ne
saurait avancer avec la moindre apparence
de raison, puisque le saint Docteur gémissait
continuellement du plaisir qui accompagne
l'usage du boire et du manger. Si l'on répond
que saint Augustin, malgré ce plaisir, ne lais-
sait pas d'user des aliments avec autant de
sobriété que des remèdes, on contredit le
saint Docteur, qui avoue positivement qu'il
passe quelquefois les bornes de la tempéran-
ce à l'égard du manger. Etquis est. Domine,
qui non rapiatur aliquando extra metas necessi-
tatis? Quisquis est, magnusest... ego autemnon
sum. Saint Augustin dit dorfc uniquement
que Dieu lui avait appris qu'i7 devait user
des aliments avec autant de modération
qu'un malade use des remèdes auxquels la
seule nécessité l'oblige de recourir. Mais le
saint Docteur n'osait se rendre le témoigna-
ge qu'il suivait toujoui'S exactement l'ordre
du Seigneur rapporté dans saint Luc. Il savait
que le plaisir, qui, généralementparlant, ne
August., ibid.
825
manque jamais de se trouver comme en em-
buscade au passage des aliments, nous fait
franchir quelquefois les bornes de la tempé-
rance avec d'autant plus de facilité, qu'alors
même nous croyons souvent ne manger que
pour le besoin. Etcumsalussit causa edendi et
bibendi adjungit se, tanquam pedissequa, peri-
culosa jucunditas, et p/erumque prœire conafur
ut ejus causa fiât quod salidis causa me facere
vel dico, vel volo, Nec idem modus ufriusque
est. Nam quod saluti satis est, delectationi parum.
est, etc. Si saint Augustin ne croyait pas, de-
puis sa conversion, avoir jamais passé les
bornes de la tempérance dans l'usage du man-
ger, pourquoi toutes ces réflexions ? à quoi
bon toutes ces plaintes ? Dira-t-on qu'elles re-
gardaient l'avenir, dont il ne pouvait pas ré-
pondre? Mais n'est-il pas plus naturel de
croire qu'elles concernaient le passé?
3° Ces interprètes ne peuvent concilier le
sentiment que j'adopte avec la frugalité du
saint Docteur, si louée par les historiens de
sa vie. Mais quelle opposition y a-t-il entre
ce sentiment et le récit de ces historiens?
Saint Augustin menait une vie sobre et mor-
tifiée ; qui le nie ? Est-il donc étonnant qu'ex-
ténué par le jeûne, la faim lui ait fait de temps
en temps passer un peu les bornes de la tem-
pérance à l'égard du manger?
i" Le respect dû à saint Augustin n'a pas
permis aux adversaires que je réfute de croire
que le saint Docteur ait jamais mangé avec
excès. Mais j'ose dire que ce respect est ou-
tré, et que c'est un scrupule mal fondé. En
quoi une faute si légère peut-elle diminuer la
juste vénération qu'on a pour ce grand Doc-
teur? Les saints sont-ils impeccables sur la
terre?
Enfin si l'honneur dû à saint Augustin sem-
ble exiger absolument que nous croyions
qu'il n'a jamais passé les bornes de la tem-
pérance dans l'usage du manger , cette pieuse
opinion peut très -bien se concilier avec le
sentiment que j'embrasse. L'expérience nous
enseigne qu'une médiocre quantité d'aliments
peut incommoder un homme accoutumé à
refuser à la nature une partie de ce qu'elle
demande. On peut donc dire, sans déroger à
l'honneur de saint Augustin, qu'après avoir
mangé quelquefois un peu plus que de cou-
tume, quoiqu'on observant toujours les lois
delà sobriété, il a pu sentir quelques douleurs
de tète ou quelques indigestions, que son hu-
milité et sa crainte d'avoir passé les bornes
de la tempérance lui auront fait attribuer à
826
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
l'excès du manger. Un tel aveu, de quelque
manière qu'on l'entende, loin d'être contraire
au respect que saint Augustin mérite si légi-
timement, ou de combattre ce que les histo-
riens nous apprennent de sa frugalité, est ex-
trêmement glorieux au saint Docteur.
J'ose donc me llatter que cette explication
ne sera pas mal reçue de ceux qui , tels que
M. Bernard, ne pouvant se persuader que
saint Augustin ait employé crapula pour le
simple plaisir de manger et de boire, seraient
tentés de penser (à la vérité contre toute sor-
te de raison) que ce terme a été pris par le
saint Docteur dans la signification qiie M. Pe-
tit et M. Bayle y attachent. Quoiqu'il en soit,
mon T. R. Père je soumets mon sentiment à
vos lumières, et à votre judicieuse critique.
Il me semble, au reste, que les savants
Bénédictins qui ont donné au public les ou-
vrages du saint évêque d'Hippone , auraient
dû éclaircir ce passage , qui a partagé jus-
qu'ici plusieurs habiles gens.
J'ai l'honneur d'être avec une parfaite con-
sidération ,
Mon révérend Père,
Votre très-humble et très-obéissant
serviteur,
***
A ***, ce 12 décembre 1743.
P. S. Il y avait longtemps que cette disser-
tation était finie, lorsque je tombai derniè-
rement sur une traduction nouvelle des Con-
fessions, par un Bénédictin de la Congréga-
tion de Saint-Maur , distingué dans la répu-
blique des lettres. Je ne fus pas peu satisfait
de m'apercevoir que l'habile traducteur a
expliqué le crapula de saint Augustin dans
le sens que j'y avais donné : Pour l'excès des
viandes, fait-il dire au saint HociQuv, j'y don-
ne quelquefois. Je n'ignorais pas que quel-
ques interprètes l'avaient pris dans cette si-
gnification, comme M. Dubois, qui, pour le
dire en passant, l'a rendu en des termes peu
honorables à saint Augustin, et qui parais-
sent même aller au delà de l'original : Pour
la gourmandise, traduit cet autem-, j'avoue
qu'elle me surprend quelquefois, etc.
iSI. Arnauld d'Andilly, qui a cru que saint
Augustin avait voulu dire simplement, qu'il
lui était quelquefois arrivé de prendre plai-
sir à manger et à boire , a bien senti cepen-
dant, si je ne me trompe, que crapula ne
pouvait recevoir cette signification : car il
traduit : « Mais quelquefois la goui'inandise,
« c'est-à-dire le plaisir de mamjer et de boire,
« me surprend. »
Quoiqu'il en soit , le nouveau traducteur
joint à son explication de crapula , une re-
marque si curieuse, qu'il m'a pam d'abord
que ma dissertation devenait inutile , et que
je devais la supprimer. Mais comme le plan
de son ouvrage n'exigeait pas qu'il traitât ce
sujet avec beaucoup d'étendue, ni avec tou-
te l'érudition dont il pouvait l'orner, et qu'il
était très-capable d'y répandre, j'ai pensé
que cette exposition pouvait être encore de
quelque utilité. Le savant Bénédictin, d'ail-
leui's, semble s'être plus attaché à réfuter le
sentiment de M. Petit et de M. Bayle, que
celui de M. Cousin, et il n'a rien dit de la dé-
fense de ce dernier par l'auteur des Critiques
de M. Bayle.
Après avoir rejeté la conjecture de M. Ber-
nard, cjne j'ai rapporté ci-dessus, il prouve
que le crapula de saint Augustin ne saurait
avoir d'autre sens, que celui qu'il a dans saint
Luc. Il ajoute que ce terme signifie dans l'É-
vangéliste l'excès du manger. « Ce qui est si
« vrai , dit-il , que la version arabique rend
« ce terme par celui de satiété '. Ajoutez que
a si ce mot n'avait pas le sens que je lui don-
ce ne, on mettrait dans la bouche de Jésus-
ce Christ et de saint Augustin une espèce
« de tautologie, qui n'a pas ombre de fon-
ce dément. » Pour moi j'avoue qu'il peut y
avoir une tautologie assez bien m_arquée dans
saint Luc et dans saint Augustin , en expli-
quant crapula dans le sens de M. Petit. Mais
je n'en vois pas la plus légère apparence dans
la signification de M. Cousin.
A plusieurs écrivains qui ont employé cra-
^j!(/a pour l'excès du manger, le traducteur
ajoute un passage de la Règle de saint Be-
noît, où ce saint pfend ce terme en ce sens,
de même que le crapula de saint Luc. ce II est
ce donc démontré, poursuit-il, (jue le crapula
le de saint Augustin ne signifie , et ne peut
ce signifier que l'excès du manger... Veut-
(c on de nouvelles et de plus fortes preuves
ce de la même vérité? on n'a qu'à se souve-
ee nir que saint Augustin, dès qu'il fut dere-
ec tour de Milan à Tagaste, embrassa la vie
ce religieuse , et qu'une des premières obli-
' Je ne sais, quoi qu'eu pouse l'habile traduc-
teur, si satiété distingue x^arfiiitement l'excès du
manger d'avec celui du boire, ni même d'avec l'un
ei l'autre excès conjointement.
[IV" ET V° SIÈCLES.]
SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE D'HIPPONE.
« gâtions des religieux de ce temps-là, était
« de ne point boire de vin, ou de n'en boire
(( que fort peu. » J'avoue encore que cette
dernière raison combat le sentiment de M.
Petit. Mais comment prouve-t-elle que le cra-
pula de saint Augustin ne signifie , et ne peut
signifier que l'excès du manger?
Le traducteur finit sa remarque par un
trait d'érudition, qui achève de foudroyer le
sentiment du médecin de Paris: «OùM. Petit
H et ses semblables, dit-il, avaient-ils l'es-
« prit d'inférer du passage que j'éclaircis,
« que saint Augustin buvait quelquefois
« beaucoup de vin sans s'incommoder, lui
« qui regardait comme très-coupables, ceux
827
« qui faisaient gloire d'avaler rasades sur
« rasades, sans perdre la raison? Ces sortes
« de gens, s'écriait-il, sont d'autant plus mé-
« chants , que leurs victoires n'ont pour ob-
« jet que de vider les pintes et les brocs sans
« compter : Jam vero, si se etiam vino in-
« gurgitet, si bibat mensuras sine mensura, pa-
« rum est, quia non invenit crimen, etiam
« viri fortis accipit nomen, tanto nequior ,
« quanto sub poculo invictior. Sei'm. 133 ,
« num. 6, tom. V, col. 730 {Edit. Benedict.).
« Dira-t-on que saint Augustin ait fait ici son
« portrait? Mais c'est donner et perdre son
« temps à combattre des chimères et des
« visions. »
SUPPLÉMENT
AU CHAPITRE DE DOM CEILLIER SUR SAINT AUGUSTIN
SERMONS DE SAINT Al'Gl'STlN ÉDITÉS DEPUIS DOM CEILLIER
Édition des
Fermons T""
Ijiiés par RU-
chei Denis.
SERMONS EDITES PAR MICHEL DENIS.
1. En 1792, Michel Denis publia à Vienne
i Yol. in-fol., vingt-cinq sermons inédits de
saint Augustin, qu'il avait trouvés dans un
manuscrit de Vienne ; ils ont été réimprimés
dans la troisième édition des Œuvres de saint
Augustin donnée à Venise, tome XMII; et
depuis dans la collection Selecti Patres de
M. Caillau, tome CXXIX; dans le tome V de
l'édition Gaume, 1836-1839, où l'on se con-
tente de donner un choix de ces sei^mons
avec la critique de ceux qu'on rejette. Dans
le Supplément aux ŒuA'res de saint Augus-
tin publié par M. Caillau, chez Parent-Desbar-
res, in-fol. 18-42, et dans le tome XL VI de la
Patrologie latine de M. Migne, Michel Denis
a usé, à l'égard de ces sermons, de la plus
exacte critique, aimant mieux enlever des
ouvi'ages à saint Augustin que de lui en at-
tribuer faussement. Aussi a-t-il rejeté, com-
me douteux ou comme interprétés, trois de
ces sermons : le 1", le T et le 20°. Voici l'a-
nalyse de tous ces sermons.
p.iro'of. loi. 2. Le 1" sermon est sur lo cierge pascal.
col,' 818 oî Onnepeut douter qu'il soit de saint Augustin.
Anaii-so do Lgg comparaisons, l'allure et le style ne per-
ces scniiona. ■•■ ./ i.
mettent pas de méconnaître l'œuvre du saint
sorm. 1. Docteur. Quant au cierge pascal, il pouvait
être employé en Afrique du temps de l'évè-
que d'Hippone, puisque les anciens liturgis-
■ tes attribuent ce rit au pape Zosime, mort
en 418. — Le cierge est l'image du juste
et de Jésus-Christ : comme le cierge est la lu-
mière qui éclaire pendant la nuit, ainsi le
juste est la lumière de ce monde ténébreux.
L'abeille est l'image du juste, et de même
que l'abeille s'élève dans les airs au moyen
de deux ailes éclatantes , ainsi le juste s'élè-
ve-t-il , jusqu'aux cieux au moyen de l'amour
de Dieu et du prochain. Samson égorgeant
un lion et trouvant dans sa giieule un rayon
de miel, est l'image de Jésus-Christ renver-
sant le paganisme et produisant les vertus
chrétiennes dans le cœur des barbares.
3. Pour la veille de Pâques, ce discours
est sublime et très-digne de son auteui-, dit
l'éditeur. Saint Augustin traite de la création
du monde, des mystères de l'Incarnation et
d e la Trinité , de l'existence et de la nature de
Dieu, de l'espérance de notre immortalité.
« Dieu, dit le saint Docteur, a tout créé par
son Fils, sa parole, son verbe; de même que
notre pai'ole intériem-e n'arrive aux autres
que par le son, ainsi le Verbe de Dieu ne
nous est arrivé dans l'humanité que par l'hu-
manité, » En parlant de la sainte Trinité, il
ti'ouve le Père et le Fils dans ce verset : In
principio Deus fecit cœliim et terram ; et le
Saint-Esprit dans ces paroles : Et Spiritussu-
perferebatur aquas. Il dit que l'existence de
l'âme démontre Dieu, lui seul ayant pu la
créer. Il développe admirablement la défi-
nition que Dieu a donnée de lui-même à
Moïse : « Lui seul est, dit-il, lui seul possède
l'être par excellence.))
[iv« ET V^ SIÈCLES.] SUPPLÉMENT AU CHAPITRE SUR SAINT AUGUSTIN.
Voici comment saint Augustin répond à
celui qui lui disait : ((Montrez-moi votre Dieu :
montrez-moi vous-même ce qu'il y a de meil-
leur en vous, votre âme , et je vous montre-
rai ce qu'il y a de meilleur en toutes choses,
savoir , Dieu. Vous dites (jue votre âme est
invisible en soi, mais qu'elle se voit par ses
actes : ainsi Dieu est invisible dans son es-
sence , mais il se manifeste par ses œuvres ,
qui sont le ciel et la terre, vous-même, votre
âme et votre corps. Ne mesurez pas Dieu aux
choses (jue vous connaissez : car Dieu est au-
dessus de toutes choses. Considérez ce qui a
été dit à Moïse, lorsqu'il demanda le nom de
Dieu : Je suis celui qui suis. Cherchez cpielle
autre chose est : en comparaison de lui elle
n'est même pas. Ce qui est vraiment ne sau-
rait changer d'aucune manière : ce qui chan-
ge et flotte, et ne cesse de changer, a été et
sera. Vous n'y saisissez point le présent, il
est. A Dieu ne convient point, il fut, il sera.
Ce qui fut, n'est plus; ce qui sera, n'est pas
encore. Ce (jui arrive, pour passer, sera pour
n'être plus. Méditez, donc, si vous pouvez :
Je suis celui qui suis. »
4. Saint Augustin adresse ce sermon aux
nouveaux convertis. Il est intitulé •.Sacre-
ment de l'autel aux enfants. Le voici tout en-
tier :
(( L'obhgation de vous adi-esser la parole
et la sollicitude avec laquelle nous vous avons
enfantés pour que le Christ soit formé en vous,
nous pressé d'avei'tir votre enfance. Vous qui,
régénérés maintenant de l'eau et de l'Esprit,
apercevez par une nouveUe lumière la nour-
riture et le breuvage que voici sur cette ta-
ble du Seigneur, et qui les recevez avec une
piété neuve ; tout cela nous presse de vous
apprendre ce que signifie ce grand et divin
sacrement, cet admirable et illustre médi-
cament , ce pur et facile sacrifice, qui, non
dans la seule cité de Jérusalem, uon dans le
tabernacle de Moïse , ni dans le temple de
Salomon , ombres des choses futures , mais ,
suivant les oracles des prophètes, est immolé
depuis le lever du soleil jusqu'à son couchant,
et offert à Dieu, victime de louange, suivant
la grâce de la nouvelle alliance. Ce n'est plus
une victime sanglante qu'on cherche parmi
des troupeaux de bêtes, ce n'est plus une
brebis ou un bouc qa'on approche des autels,
mais le sacrifice de notre temps; c'est le corps
et le sang du prêtre lui-même. Car c'est de
lui qu'il a été prédit depuis si longtemps
dans les Psaumes : Tu es prêtre éternellement
829
selon l'ordre de Melchisédech. Or, que Melchi-
sédech , prêtre du Dieu Très-Haut ait offert
du pain et du vin, quand il bénit notre père
Abraham, nous le lisons au livre de la Ge-
nèse. »
(( Jésus-Christ, Notre-Seigneur, qui offrit
souffrant pour nous, ce que naissant il a pris
de nous, devenu à jamais prince des prêtres,
a donné l'ordre de sacrifier ce que vous voyez,
savoir son corps et son sang. Car son corps
percé de la lance a émis l'eau et le sang, par
où il a remis nos péchés. Vous souvenant de
cette grâce, en opérant votre salut, que c'est
Dieu qui l'opère en vous, approchez avec
crainte et tremblement de la participation de
cet autel. Reconnaissez dans le pain ce quia
pendu à la croix , dans le calice ce (jui a coulé
du côté ouvert; car tous les anciens sacrifi-
ces du peuple de Dieu figuraient, par une
variété multiple, ce sacrifice unique qai de-
vait venir. En effet , le même Christ est bre-
bis par la simiDlicité de l'innocence , et bouc
par la ressemblance de la chair du péché.
Enfin, quoi que tout ce qui a été, de tant et
diverses manières, annoncé dans les sacrifi-
ces de l'Ancien Testament, appartient à ce
sacrifice unique, qui a été révélé par le Nou-
veau Testament. »
(( Recevez donc et mangez le corps du
Christ, devenus vous-mêmes, dans le corps
du Christ, membres du Christ. Recevez et bu-
vez le sang du Christ. Afin de ne pas vous
dissoudre, mangez votre lien. Afin de ne pas
paraître vils à vos propres yeux, buvez vo-
tre prix. Comme ceci est changé en vous
quand vous le mangez et le buvez, ainsi vous-
mêmes êtes changés au corps du Christ,
lorsque vous vivez selon l'obéissance et la
piété. Car lui-même, à l'approche de sa pas-
sion, comme il faisait la Pâque avec ses dis-
ciples, prit du pain, le bénit et dit : Ceci est
mon corps, qui sera livré pour vous. Sembla-
blement il donna le cahce béni en disant :
Ceci est mon sang , le sang du Nouveau Tes-
tament, qui sera versé pour beaucoup en ré-
mission des péchés. Voilà ce que vous lisiez
dans l'ÉvangJle ou entendiez lire; mais vous
ne saviez pas que cette Eucharistie est le
Fils. Maintenant donc nettoyés de cœur dans
une conscience pure, et lavés de corps dans
une eau purifiante , approchez-vous de lui et
soyez illuminés , et vos visages ne rougiront
pas. Car si vous prenez dignement ceci, qui
appartient au Nouveau Testament , par qui
vous espérez l'héritage éternel, en observant
830
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
le nouveau commandement de vous aimer
les uns les autres, vous avez la vie en vous.
Car vous prenez cette chair de laquelle la vie
elle-même a dit : Le pain que je donnerai ,
c'est ma chair joour la vie du monde, et : Si
quelqu'un ne mange ma chair et ne boit mon
sang, il n'aura point la vie en soi. Ayant
donc la vie en lui, vous êtes avec lui dans
une même chair. Car ce sacrement ne nous
donne pas le corps du Christ de manière à
nous en séparer. L'Apôtre nous rappelle
que cela est prédit dans l'Ecriture sainte :
Et les deux seront dans une même chair. Ce
sacrement est grand, je dis, dans le Christ
et dans l'Église. Et dans un autre endroit
il dit de cette Eucharistie elle-même : Etant
une multitude nous sommes cependant un mê-
me pain , un même corps. Vous commencez
donc à recevoir ce que vous commencez à
être, si vous ne le recevez pas indignement,
pour ne pas manger et boire votre jugement.
Car ainsi parle-t-il : Quiconque mangera le
pain ou boira le calice du Seigneur indignement ,
sera coupable du corps et du sang du Seigneur.
Que l'homme s'éprouve donc lui-même , et
qu'ainsi il mange de ce pain et boive de ce
calice. Car qui mange et boit indignement,
mange et boit son jugement. »
« Or, vous le recevez dignement, si vous
vous gardez du levain de la mauvaise doc-
trine, afin d'être des azymes de sincérité et
de vérité; ou bien si vous conservez ce le-
vain de la charité , qu'une femme a caché
dans trois mesures de farine jusqu'à ce que
la totalité soit levée. Car cette femme est la
sagesse de Dieu, qui, incarnée d'une vierge,
dissémine son Evangile dans tout l'univers,
répare déjà par elle après le déluge dans les
trois fils de Noé , comme en trois mesures
jusqu'à ce que la totalité soit fermentée. C'est
ici cette totalité , que les Grecs appellent
Holon, où, si vous gardez le lien de la paix,
vous serez conformes à la totalité , ce que
les Grecs appellent Catholon, d'où l'Éghse se
nomme catholique. »
Rorm. «. 3. Le quatrième sermon est sur Pâques;
il est digne du génie de saint Augustin, quoi-
qu'il paraisse être du nombre des sermons
improvisés. Jésus-Christy estreprésenté com-
me agneau, et comme lion. Il est agneau,
puisqu'il se laisse immoler dans sa passion ;
il est lion par la force qu'il déploie dans sa
résurrection.
sorm.K. 6. Le même sujet se trouve traité dans le
cinquièaie sermon. « La mort de Jésus-Christ
est représentée comme notre espérance ; cette
mort a été volontaire. Jésus-Christ a éprouvé
la tristesse dans sa partie extérieure. Son in-
carnation a été nécessaire pour nousracheter,
car un Dieu seul pouvait satisfaire à un Dieu.
Le Verbe de Dieu, le Fils unique de Dieu a
souffert pour nous selon son âme et sa chair
passible; mais le Christ est verbe, âme et
chair. Il a souffert, il est mort comme nous di-
sons qu'Etienne, Phocas ou tout autre martyr
a souffert et est mort quant au corps. » Com-
me il y a trois Phocas, un d'Antioche, deux
de Sinope, on ne sait celui dont il est qpies-
tion ici. L'orateur s'attache ensuite à ré-
futer les ariens qui niaient la réalité de la di-
vinité de Jésus-Christ, et les apollinaristes
qui niaient laréahté de son humanité.
Dans le sixième sermon il est question du sc™. e.
sacrement de l'autel, il est adressé comme le
troisième aux enfants, c'est-à-dire aux nou-
veaux convertis. Les Bénédictins en avaient
donné un fragment au tome V, col. 9, 15, 16;
il est en entier par Denis :
« Ce que vous voyez, dit-il, sur la table du Sei-
gneur, c'est du pain et du vin. Mais ce pain et
ce vin, lorsque s'y joint le verbe oula parole,
devient le corps et le sang du Verbe. Carie mê-
me Seigneur, qui dans le principe était le Ver-
be, est Verbe en Dieu et Verbe-Dieu, ce mê-
me Verbe, par compassion pour ce qu'il a créé
à son image, s'est fait chair et a demeuré parmi
nous, comme vous savez. Parce que le Verbe
lui-même a pris l'iiomme, c'est-à-dire l'âme et
la chair de l'homme, et qu'il est devenuhom-
me en demeurant Dieu ; c'est pourquoi, com-
me il a aussi souffert pour nous, il nous a lais-
sé dans ce sacrement son corps et son sang,
et il nous a faits nous-mêmes son corps. Car
nous-mêmes, nou savons été faits de son corps,
et par sa miséricorde ce que nous recevons,
nous le sommes. » Saint Augustin fait remar-
quer par combien d'épreuves, de transmuta-
tions doivent passer les graius de blé jetés en
terre, pour devenir un seul et même pain ;
ainsi en est-il des hommes, pour devenir un
seul et même corps de Jésus-Christ.
Parlant des cérémonies de la messe, il dit
aux nouveaux communiants : « Après la sa-
lutation que vous connaissez :Le Seigneur avec
vous, vous avez entendu : En haut le cœur. Tou-
te la vie des véritables chrétiens consiste à
avoir le cœur en haut. Que veut dire : En haut
lecœur ? Espérez en Dieu, non en vous-mêmgs,
car vous êtes d'en bas : Dieu est d'en haut.
Si vous espérez en vous-mêmes, votre cœur
[iV^ ET V^ siicLES.] SUPPLÉMENT AU CHAPITRE SUR SAL\T AUGUSTIN.
831
est d'en bas non pas d'en haut. C'est pour-
quoi lorsque vous entendez dire au prêtre : Le
cœnr en haut , vous répondez : Nous l'avons
au Seigneur. Tâchez que votre réponse soit
véritable. Comme c'est un don de Dieu d'a-
voir le cœur en haut, le prêtre reprend ; Ren-
dons grâces au Seigneur notice Dieu. De quoi
rendre grâces ? De ce que nous avons le cœur
en haut; car si Dieu ne l'avait relevé, nous
serions gisants par terre. Après cela, vien-
nent les saintes prières que vous entendrez,
afin que la parole, se joignant aux dons of-
ferts, il y ait le corps et le sang du Christ. Car
ôtez la parole, c'est du pain et du vin; joi-
gnez-y la parole, aussitôt c'est autre chose.
Et quelle autre chose? Le corps et le sang du
Christ. Otez ainsi la parole, c'est du pain et du
vin : joignez-y la parole, et ce devient le sacre-
ment. A quoi vous dites : Amen. Dire : Amen
c'est souscrire. Amen signifie c'est vrai. On
dit ensuite l'Oraison dominicale que vous avez
apprise et récitée par cœur. Et pourquoi dire
cette oraison avant de recevoir le corps et le
sang du Christ ? Afin de purifier le cœur des
moindres fautes, en disant à Dieu : Pardonnez-
nous nos offenses. Après quoi l'on dit : Lapaix
soit avec vous. C'est un grand sacrement que
le baiser de paix. Baiser de manière à aimer.
Ne soyez pas un Judas qui baisait le Seigneur
delà bouche, et le trahissait dans le cœur.
Si quelqu'un vous hait, aimez-le, et vous don-
nerez le baiser avec assurance. »
7. Ce sermon ne paraît pas être au moins
en entier de saint Augustin, il y est parlé de
la Pâque et comment on doit la faire; de V Al-
léluia, des riches, des pauvres, des affligés.
8. Le huitième sermon est pour l'octave de
Pâques, il est adressé aux enfants, c'est-à-
dire aux nouveaux convertis. L'orateur y trai-
te la force et de l'effet du baptême, de l'es-
pérance qu'on doit mettre en lui. Il y montre
que le baptême, reçu hors de l'unité de l'É-
glise, ne sert pas. Il y parle contre les schis-
matiques qui se glorifiaient du baptême, et
finit par une exhortation à ceux qui viennent
de recevoir le baptême.
9. Le neuvième sermon est sur le psaume
cxvii Confitemini. Le dixième est'sur le psaume
cxLis Cantate Domino.[ll a été prononcé dans
le temps pascal; il respire l'amour et le désir
des biens éternels.
iO, Dans le onzième sermon, saint Augus-
tin expose, d'une manière admirable, le mys-
tère de la Sainte Trinité. Ce sermon a été in-
diqué par Possidius, au chapitre viii ; il a été
prêché le jour de saint Jean-Baptiste. On y
voit que saint Jean a été la véritable lumière
qui venait éclairer les hommes et lem' mon-
trer le chemin cju ciel. L'auteur y relève la
modestie de ce saint précurseur qui se dit
baptiser dans l'eau , qui s'appelle la voix du
Seigneur, quand d'après Jésus-Christ c'est
le plus grand d'entre les hommes. En par-
lant du mystère de la Sainte Trinité, saint Au-
gustin dit que le Père, le Fils et le Saint-Es-
prit ne forment qu'un seul Dieu. « En eux ,
continue-t-il , point d'antériorité ou de supé-
riorité ; le Père n'a point de principe, le Fils
est la splendeur du Père, le Saint-Esprit pro-
cède des deux. Dans le baptême de Jésus-
Christ , les trois personnes se montrent par-
faitement ; le Fils est baptisé, le Saint-Esprit
descend sur le Fils, le Père parle du haut des
cieux. Les ennemis déclarés du Cluist sont
les Juifs qui Je renient , les ennemis cachés
sont ceux qui lui préfèrent leurs passions. »
11. Ce sermon prononcé pour la vigile de scrm.12.
saint Pierre et de saint Paul est contre les
donatistes ; il est élégant et grave.
12. Dans le treizième sermon prononcé le so™. 13.
jour de la fête de saint Laurent, martyr, saint
Augustin expose comment on doit célébrer
la fête des martyrs ; il propose l'exemple des
martyrs comme un stimulant pour bien vi-
Yïe et pour veiller contre le démon; il répri-
mande ceux qui profanent les mémoires des
martyrs par l'intempérance ; il recommande
l'exemple de saint Paul aux affligés, sa cha-
rité maternelle, les bonnes œuvres qu'on doit
pratiquer : il dépeint les maux de cette vie et
les biens de la vie éternelle, et exhorte à prier
les uns pour les autres.
13. Le quatorzième sermon fut prononcé ^^sorm. nci
le jour de saint Cyprien, martyr. L'orateur y
fait l'éloge du saint martj'r au commence-
ment et à la fin. Dans le corps du discours, il
traite du triple combat des chrétiens et s'é-
lève fortement contre les spectacles des
païens.
Le quinzième est encore sur saint Cyprien.
On y voit la joie des vrais chrétiens au su-
jet de la victoire des martyrs , comment les
conseils des persécuteurs ont été déjoués par
les martyrs ; l'Eglise s'y montra victorieuse
des persécuteurs dont plusieurs se conver-
tirent en le voyant mourir avec tant de cou-
rage. Ce sermon est indiqué par Possidius au
chapitre viii.
14. Saiut Augustin prononça ce sermon scrm.ie.
le jour de la fête des saints martyrs Scilli-
832
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Serm. 17,
Setm. 10.
tains. 'Ces martyrs, natifs du bourg de Scilla,
souffrirent à Carthage vers l'an 200. Le saint
Docteur y prouve que nous ne devons pour
rien au monde renier Jésus-Christ, ni pour la
conservation de notre vie, ni pour la conser-
vation de la vie de nos amis ; il décrit le com-
bat du martyre que l'on peut avoir à soute-
nir au sujet des choses'superflues et au sujet
des choses nécessaires ; il dit les manières par
lesquelles on peutnier Jésus-Christ, la récom-
pense que la constance obtient dans le ciel.
13. Ce sermon , qui est remarquable , fut
prêché à Bulle-Royale, aujourd'hui Régie ,
entre Tunis et Constantine, sur la prière de
l'évêque de cette ville ; car, selon la remarque
de Possidius, saint Augustin prêchait partout
où il était invité à le faire. Après avoir com-
menté les paroles de saint Luc, chapitre xiv,
verset 28, et de saint Matthieu chapitre xix,
verset 16, il exhorte les fidèles à la persévé-
rance, il compare le combat des Machabées
avec les spectacles profanes, et engage for-
tement les fidèles à les fuir.
16. On voit dès le commencement que ce
discours ne fut point prononcé à' Hippone,
en Afrique. Ce fut en voyage dans un heu où
kl mémoire de saint Quadrat, martyr, était en
honneur. Cette sentence : Triahominum gêne-
ra, quœ odit Deus remanentem rétro redeuntem
oherrante, se lit parmi les sermons supposés
qui ont pour titre : Ad fratres in eremo, dix-
neuvième sermon. Ainsi , celui qui les a com-
posés connaissaitle sermon dont il est ici ques-
tion. Saint Augustin y expose les trois ma-
nières d'aller à Dieu, contenues dans la sen-
tence rapportée ci-dessus ; il propose l'exem-
ple de saint Paul et celui de saint Quadrat,
il recommande la pratique des œuvres de jus-
tice ; il veut qu'on mette de côté le respect hu-
main et qu'on ne craigne pas les insultes des
païens. Possidius fait mention de ce sermon
dans la table des œuvres du saint Docteur.
17. Ce sermon est sur les paroles de l'A-
pôtre I Corinth. xii, vers. 31 : Super eminentem
vobis viam demonstro. Dans le manuscrit, il a
pour titre : De la Charité. Ce traité remar-
quable est dirigé principalement contre les
donatistes ; la dernière partie est historique.
Saint Augustin, après avoir exalté la charité,
arrive aux donatistes, qu'il traite de mem-
bres malades et retranches de l'unité, qui ne
peuvent, à cause de cela, produire du fruit.
Il montre que l'hérétique Crispin a été juste-
ment condamné, ainsi que les donatistes eux-
mêmes, au jugement de l'Empereur, qui ren-
voya la cause à Meltiade, c'est-à-dire au sou-
verain pontife Melchiade, ou Miltiade, et à
Marc. (On ne sait que lest ce Marc dont parle
ici saint Augustin; si c'est celui qui occupa
le Saint-Siège après le successeur immédiat
de Melchiade, ou si c'est un des trois évo-
ques gaulois qui furent adjoints comme ju-
ges au pape Miltiade.) La sentence fut rendue
en faveur de Cécilien ; mais les donatistes en
appelèrent de nouveau à l'Empereur, qui
prononça aussi en faveur de Cécilien. Le
saint évêque d'Hippone exhorte ensuite les
donatistes à rentrer dans le sein de l'Église
catholique, parce qu'elle seule est la vérita-
ble, étant seule répandue dans toute la ter-
re. Possidius, au chapitre neuvième, fait
mention de deux traités ou sermons de saint
Augustin sur la charité.
18. Le vingtième sermon est sur ces paroles
du Psaume xxxviii, vers. 1-5 : Dixi : Custodiam
vias meas. L'auteur y traite principalement de
l'usage de la langue et de la fin de l'homme.
Denis le juge peu digne de saint Augustin,
soit à cause du peu de liaison qui semble ré-
gner entre les idées, soit à cause des paroles
du Psaume, qui semblent répétées plusieurs
fois à contre-temps ; aussi peut-on soupçon-
ner que la main d'un faussaire a passé par là.
19. Ce sermon a pour titre, dans le ma-
nuscrit : Sur le Riche et sur Lazare; il est sur
ces paroles du Psaume xxxii, vers. 1 : Exul-
tatejusti. L'oi'ateur établit, d'après l'histoire
du Riche et de Lazare, et d'après celle de
Job, que l'homme droit et juste ne doit ces-
ser de louer Dieu, ni à cause de la félicité des
impies, ni à cause des calamités des justes.
20. Saint Augustin commente ici les pa-
roles du Psaume li, vers. 10 : Speravi in mi-
sericordia Dei. Il traite admirablement de
l'espérance humaine et de l'espérance divi-
ne. L'exorde montre que ce discours a été
prononcé à l'ofSce du soir. L'orateur y parle
d'un évêque qui préfère la charité calme à la
charité inquiète. On ignore quel est cet évê-
que : Possidius fait mention de ce discours.
21. Les paroles du Psaume cxlv, vers. 1 :
Laudabo Dominum in vita mea etc, sont com-
mentées dans ce sermon. Saint Augustin y
traite parfaitement de la brièveté de la vie et
de la félicité passagère, ce qu'il prouve de
nouveau par l'exemple du riche et de Lazare.
22. Ce sermon est sur les paroles de saint
Luc, chap. XVI, vers. 19-31 : ffotno quidam
erat dives. R a pour titre dans le manuscrit :
Du Riche et de Lazare. L'orateur y prouve la
SUPPLÉMENT AU CHAPITRE SUR SAINT AUGUSTIN.
833
vérité de la religion chrétienne par l'accom-
plissement des prophéties; il finit en exhor-
tant à la patience. Possidius indique ce ser-
mon au chapitre viii de sa Table.
23. Saint Augustin y commente ces pa-
roles de l'Évangile de saint Matthieu', chap.
XII, 41-SO : Ecce plusquam Jonas hic. Dans le
manuscrit, il a pour titre : Férié quatrième
de la première semaine de Carême ; sermon de
saint Augustin contre les manichéens. Dans la
première partie, l'orateur traite de l'aveu-
glement des Juifs, de la rechute dans le pé-
ché, des devoirs des parents et des enfants.
Dans la dernière, il réfute les manichéens,
qui prétendaient que Notre-Seignem' n'avait
pas eu de mère, d'après les paroles de Jé-
sus-Christ, Matth. XII, 46-50 : Quœ mihi mater
est, aut qui fratres, etc.; et il relève la dignité
de Marie et sa virginité perpétuelle ^ Il mon-
tre que les paroles de l'Évangile, qui rapporte
les paroles alléguées par les manichéens, di-
sent aussi très-clairement que Marie était la
mère de Jésus-Christ : « Si , dit-il , celui qui
fait la volonté du Père de Notre-Seigneur
est son frère, sa sœur et sa mère, la Vierge
Marie n'a-t-elle pas fait la volonté du Père,
eUe qui a cru par la foi, a conçu par la foi,
elle qui a été choisie pour donner aux hom-
mes le salut, elle qui a été créée par le
Christ avant la naissance du Christ en elle?
Oui, elle a fait la volonté du Père, la Sainte
Vierge, et c'est pourquoi il y a plus pour
elle d'avoir été disciple de Jésus-Christ que
d'avoir été sa mère. Elle est plus heureuse
d'avoir été disciple de Jésus-Christ que d'a-
voir été sa mère. Marie est donc bienheu-
reuse d'avoir entendu et gardé la parole
de Dieu. Elle a plus gardé la vérité dans l'es-
prit que la chair dans le sein. La vérité,
c'est Jésus-Christ; la chair, c'est Jésus-
Christ. La vérité, Jésus-Christ, est dans l'es-
prit de Marie ; la chair, Jésus-Christ, est dans
le sein de Marie. Ce qui est dans l'esprit est
plus que ce qui est dans la chair. Sainte est
Marie, bienheureuse est Marie, mais l'Église
estmeillem-e que la Vierge Marie. Pourquoi?
parce que Marie est une portion de l'ÉgUse,
un membre saint, un excellent membre, un
membre suréminent, mais cependant un
membre de tout le corps ^. »
II.
SERMONS PUBLIES PAR FONTANI.
1. Fontani puMia en 1793, à Florence,
dans l'ouvrage intitulé : Novœ eruditorum
Deliciœ seu Bibliotheca veterum ineditorum
opusculorum, tom. III, quatre traités inédits
de saint Augustin. Il y en a un sur la pi'ière,
un sur les quatre degrés de la charité ; il y a
une homélie sur le deuxième dimanche de
l'Avent; un sermon sur la Circoncision de
Notre-Seigneur. Fesseler, au tom. n Institut.
Pati'um, pag. 415, n'a pu se prononcer sur
l'authenticité de ces traités, ne les ayant
point trouvés dans les plus grandes biblio-
thèques d'Allemagne. Actuellement on les
trouve dans le tom. XL VII de la Patrologie
latine de M. Migne, col. 1113 et suiv.
2. Il faut prier comme Jésus-Christ nous
l'enseigne ; il faut prier au nom de Jésus-
Christ, en toute humihté d'esprit et de cœur,
du fond du cœur; il n'est pas nécessaire de
dire beaucoup de paroles. Nous devons de-
mander ce que Jésus-Christ veut que nous
demandions, que le nom de Dieu soit glo-
rifié, que son règne s'étende de plus en plus,
que sa volonté s'accomplisse. On doit lui de-
mander son secours dans nos nécessités spi-
rituelles et corporelles, le prier de pardonner
nos fautes, mais en même temps nous de-
vons pardonner à notre tour; enfin il faut le
Édition des
sermons pu-
bliés par Fou»
Usi.
Premier
traité sar ta
prière.
' Hoc enim, quod modo proposui, multos habet
simismodos que quœstionis, quomodopie Dominus
Christus contempserit matrem , non qualemcum-
que matrem, tanto magis talem matrem oui sic
attulit fecunditatem , ut non adimeret integrita-
tem , matrem virginem concipientem . virginem
parientem, virginem perpetuo permanenlem. Pa-
Irolog., tom. XLVI, col. 934.
' Numquid non fecit voluntatem Patris Yirgo
Maria, quce fide credidit, fide concepit, electa est de
qua nobis salus inter homines nasceretur, creala a
Christo, antequam in illa Christus nasceretur?
fecit, fecit plane voluntatem Patris Sancta Maria:
et ideo plus est Mariœ discipulam fuisse Christi,}
quam matrem fuisse Christi. Plus est felicius dis- '
IX.
cipulam fuisse Christi, quam m.atrem fuisse Chris-
ti. Ideo Maria beata erat mater, quia et antequam
pareret, magistrum in utero portavit Inde
ergo est Maria beata, quia audioit verbum Dei et
custodivit.Pliis custodivit mente veritatem, quam
utero carnem. Veritas Christus in mente Mariœ,
caro Christus in ventre Mariœ. Plus est quod est
in mente, quam quod portatur in ventre. Sancta
Maria, beata Maria, sed m.elior est Ecclesia quam
■| ■ Yirgo Maria. Quare ? quia Maria portio est Eccle-
'rtè^siœ, sanctum membrum, excellens membrum, siù-
lÊpcreminens membrum , sed tamen totius corpo-
'û^àris membrum. Si totius corporis, plus est profecto
'i%corpus quam membrum. Ibid., col. 837-839.
33
83^
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
conjurer de ne pas nons laisser vaincre par
les ennemis de notre salut.
Dsu:<ièine 3. La cliarité a quatre degrés bien dis-
traite sur les .. , T . • t ' A ± A 1 '
quatre degrés tmcts. Le premier consiste a tout tolérer
comme Dieu , qui souffre les bons et les
mauvais, et fait luire son soleil sur les bons
et lesmécliants. Le deuxième degré consiste
à tout croire quand Dieu parle, comme fit
Abraham. Le troisième degré consiste atout
espérer de la bonté de Dieu, comme firent
les Hébi'eux en Egypte au temps de Moïse.
Le quatrième enfin à tout soufi'rir sans jamais
tomber, comme a fait Jésus-Christ.
Troisième 4. Cette homélie est très-courte. L'orateur
Se ""r'fe' j montrc que les prophéties dont il est fait
de i'A™iu ° mention dans l'Ancien Testament, n'ont eu
leur accompUssement qu'en Jésus-Christ,
qu'il est vraiment le salut de Juda, et qu'en
lui se repose l'Esprit dans sa plénitude.
QDatriSme 5. Saint Augustin commence par exalter la
'cirronSoi" bouté de Notre-Seigneur dans les différents
gneur.'™ "' mystèrcs de son incarnation et de son enfan-
ce. « Dans sa Circoncision, dit-il, le Sauveur
montre qu'il a pris réellement notre chair,
et confond les manichéens par l'accord de
l'Ancien et du Nouveau Testament. Il nous
enseigne aussi la circoncision que nous de-
vons nous imposer à nous-mêmes : celle de
nos passions. Il est porté dans le temple pour
nous apprendre à nous élever jusqu'au ciel
par nos bonnes œuvres. On offre des colom-
bes et des tourterelles. La tourterelle est le
symbole de la charité ; la colombe celui de
la chasteté : c'est par ces deux vertus que
nous devons aller à Dieu. »
in.
SERMONS PUBLIES PAR FRANGIPANE.
des fem^s 1- Éu 1819, Frangipane, moine du Mont-
KaUgipanS." Cassiu, fit paraître à Rome dix sermons de
saint Augustin, 1 vol. in-fol. Il avertit que
les quatre premiers étaient déjà imprimés
dans l'édition des Bénédictins ; mais il les
reproduit d'une manière plus correcte et
plus complète. Les six derniers étaient tout
à fait inédits. Ils sont réimprimés dans le
tom. XXII des Œuvres de saint Augustin,
données dans les Selecti Patres par M. Cail-
lau, dans le tom. XL VI de la Patrologie la-
tine, col. 939 et suiv.
Analysa d« 2. L'éditeur dédie sa publication à Pie VII.
la Prérace. '
et, dans une préface, il donne les raisons
qui lui font regarder comme authentiques
les sermons qu'il publie; il s'appuie surtout
sur les manuscrits. Il avoue que le style n'est
pas toujours une marque assurée que tel ou-
vrage n'est pas de saint Augustin ; il dit pour-
quoi les Bénédictins ne se sont pas servis
des manuscrits du Mont-Cassin. « La princi-
pale raison, dit-il, qu'on peut apporter pour
expliquer cette omission, c'est que leur édi-
tion de saint Augustin était déjà faite quand
Mabillon et Montfaucon firent leur voyage en
Italie, et qu'ils n'eurent pas le temps d'exa-
miner sérieusement des manuscrits qui dé-
passent cinq cents. »
3. Le premier sermon, déjà édité en par- s6r*°ons!°
tie dans le tom. Y des Œuvres de saint Au- ^"'°' '
gustin, col. 41, d'après Eugippe, est pubhé
en entier. Il traite des dix plaies d'Egypte,
des dix préceptes donnés par Moïse. Les ad-
ditions faites au fragment paraissent si lan-
guissantes, les sentences sont si vulgaires,
qu'on reconnaît de suite un écrivain d'une
époque bien plus récente qui a voulu le re-
faire. C'est le jugement que portent les édi-
teurs parisiens, Gaume, tom. V, 2° partie,
à la fin du vol., dans les Lectiones variantes,
pag. VI. Aussi n'ont-ils pas reproduit le ser-
mon tel qu'il est donné par Frangipane. Le
cardinal Maï l'a donné d'une manière plus
correcte, d'après un manuscrit du Vatican,
tom. I Patrum Nova Bibliotheca, pag. 15.
4. Ce sermon fut prononcé par saint Au- serm. 2.
gustin au jour anniversaire de sa consécra-
tion. Les parties , éditées par les Bénédic-
tins, se trouvent dans les trois cent trente-
neuvième et trois cent quarantième sermons.
Les additions données par Frangipane sont
encore rejetées par les éditeurs parisiens,
ibidem ac supra, pag. cxv, comme indignes
du saint Docteur, et parce que la consécra-
tion de saint Augustin se trouve renvoyée
jusqu'au mois de janvier, tandis que dans le
texte imprimé, conforme à huit manuscrits,
on lit que cette consécration eut heu avant
Noël. Frangipane appuie , il est vrai , son
sentiment sur la Chronique de saint Prosper,
mais cette Chronique est ici en opposition
avec d'autres historiens, tels que Socrate.
5. La partie déjà éditée se trouve au trois sorm.s.
cent quarante-cinquième sermon, sur le mé-
pris des choses temporelles. Frangipane re-
produit ce sermon en des termes bien diffé-
rents ; le manusci'it paraît avoir été inter-
polé; aussi les éditeurs parisiens, ibid.,
pag. Lxxxi, n'ont-ils pas publié ce texte.
6. Ce sermon, sur la Naissance du Sau- ssrm.t.
vem", est le cent quatre-vingt-neuvième de
SUPPLÉMENT AU CHAPITRE SUR SAINT AUGUSTIN.
835
l'édition bénédictine; il est reproduit ici en
entier et d'une manière plus correcte, d'a-
près sept manuscrits.
7. D'après le manuscrit, ce sermon aurait
été prêché à Carthage, sur le tombeau de
saint Cyprien, le six des Ides de septembre.
Les éditeurs parisiens refusent ce sermon au
saint Docteur, à cause de l'abondance fasti-
dieuse des paroles inutiles qu'on y rencon-
tre, qui fait qu'on ne peut le rapporter au
saint évêque , dont le style est d'ordinaire si
plein de nerf et de vigueur.
8. Même i-aison pour rejeter ce sermon,
qui d'ailleurs emprunte plusieurs choses aux
deux cent quatre-vingt-sixième et trois cent
trente-unième sermons. Il est intitulé : De
plusieurs Martyrs. Il y est question des mar-
tyrs qui souffrirent à Carthage, au nombre
de 48, en l'an 304.
9. Il est sur saint Jean-Baptiste. L'exorde
a le même défaut que les sermons précé-
dents. La péroraison a paru à Frangipane
lui-même indigne de saint Augustin.
10. Il est encore sur saint Jean-Baptiste.
L'exorde emprunté aux Lectionnaires paraît
suspect à Frangipane. Les éditeurs parisiens
rejettent ce sermon comme ayant un style
et un esprit contraires à l'esprit et au style de
saint Augustin. Sur la fin, l'auteur se dé-
chaîne contre les superstitions qui avaient
lieu la veille de la fête de saint Jean, ce
qu'on ne trouve point dans les autres ser-
mons du saint Docteur. On trouve pourtant
ce sermon dans un manuscrit du Vatican,
où il est reproduit d'une manière plus cor-
recte '.
11. Ce sermon, est sur ces paroles de saint
Luc, vii; 4 : Dimitte et dimittetur tibi. On y
trouve une grande partie du cent quatorziè-
me sermon, paraphrasée longuement. L'au-
teur y ajoute d'autres choses souvent trai-
tées par saint Augustin , et qui appartien-
nent au même sujet. La fin est une para-
phrase du quatre-vingt-deuxième sermon,
n" 2. Au reste, partout se fait remarquer la
même profusion de paroles.
12. Le dixième sermon est sur la dédicace
d'une église. Les circonlocutions et les argu-
ties que l'on remarque dans ce sermon, le
font rejeter par les éditeurs parisiens, tandis
que Frangipane reconnaît eu cela le style de
saint Augustin.
IV.
SERMONS INÉDITS DE SAINT AUGUSTIN, ÉDITÉS
PAR M. CAILLAU.
1. En 1842, parurent chez Paul Mellier,
in-fol., des sermons inédits de saint Augus-
tin, publiés par M. Caillau, Ils sont au nom-
bre de cent soixante. L'éditeur les a presque
tous tirés de la Bibliothèque du Mont-Cassin
et de celle des Médicis à Florence. Dès l'an-
née 1837 , il avait fait paraître soixante-huit
de ces sermons. L'année suivante une lutte
très-vive commença entre Monseigneur Guil-
lon, évêque de Maroc, et M. Caillau au sujet
de l'authenticité de ces sermons. M. Caillau
avait exposé, dans la Préface du tome CXXX
des Selecti Patres, les raisons qu'il avait d'at-
tribuer à saint Augustin les nouveaux ser-
mons.Monseigneur Guillon, ou plutôt M. Diib-
ner, y répondit par une dissertation critique
dans le tome V de l'édition de saint Augustin,
imprimée à Paris, chezGaume. Cette disser-
tation parut de nouveau en français , et fut
envoyée gratuitement à tous les souscrip-
teurs de l'édition susdite. Dans une réponse
imprimée chez Parent-Desbarres, en 1838,
M. Caillau chercha à réfuter cette critique et
il répondit encore plus longuement à la dis-
sertation latine, en 1842, dans le tome CXXXI
des Selecti Patres, et dans le Supplément
aux CEuvres de saint Augustin, chez Pa-
rent-Desbarres. Ce Supplément contient les
sermons inédits du saint Docteur divisés en
trois classes ; la première embrassant ses ser-
mons inédits est divisée elle-même en quatre
classes ; la deuxième donne des traités enri-
chis de nouvelles leçons; la troisième ren-
ferme ceux qui ont été rejetés par les béné-
dictins de Saint-Maur et que l'éditeur met
en forme d'appendice.
M. Caillau exige trois conditions pour at-
tribuer tel ou tel ouvrage à saint Augustin :
1° que les anciens manuscrits portent expli-
citement ou implicitement son nom ; 2° que
rien ne soit contraire au style et à la maniè-
re d'écrire de l'auteur; 3° que plusieurs choses
soient en rapport avec sa manière de parler.
Ces règles paraissent insuffisantes à Mon-
seigneur Guillon qui attaque chaque sei'mon
en particulier. Cette critique paraît à Fesse-
1er ^ tout à fait fondée, et il dit que le plus
Publication
des seniioas
inédits Bltri-
bués A faîDt
Augustin. Dé-
bals à ce su-
jol.
' Voyez Maï, Patrum Nova Bibliotheca, tom. I,
pag. 368.
" Fesseler
pag. 416.
Institutiones Patrum , tom. II ,
836
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
souvent elle n'est pas injuste. Le cardinal
Mai ' en juge autrement pour les soixante-
huit sermons publiés en 1836, les seuls qu'il
connût. La critique qu'on en fait lui paraît
excessive, et il regarde la plupart de ces ser-
mons comme authentiques. Quand on a lu
sans passion les raisons pour et contre, on se
range volontiers à l'avisdu savant Cardinal,
d'autant plus que quarante-deux sei'mons pu-
Miés par M. Caillau se trouvent aussi dans
le tome I de la Nouvelle Bibliothèque des Pè-
res, sous les numéros 14, 38, 45, 46, 48-52,
54-56, 64, 63, 69-72, 77, 81, 89, 93, 111, 117,
122, 124, 132, 134, 148, 150, 152, 154, 161,
163, 172, 175, 177, 178, 194-197. On doit ce-
pendant observer que le texte de Maï pré-
sente des variantes qui ne manquent pas
d'importance.
Dwsiondes 2. Le Supplément aux ouvrages de saint
sermons ym- * ■* o
caitiau'""^ "' A-ugustin contient lui-même deux supplé-
ments qui se divisent en quatre classes. La
première classe du premier supplément con-
tient quatre sermons sur l'Écriture; la deuxiè-
me classe, comprenant les sermons sur le
temps, en contient quarante : il y en a un sur
l'Annonciation , un sur l'Incarnation , douze
sur la Naissance de Notre-Seigneur, un sur
l'Epiphanie, un sur le Jeûne, la Miséricorde
et le Baptême , seize sur la Pâque , trois sur
les jours de Pâques, un pour le deuxième
dimanche de Pâques, deux sur l'Ascension,
un pour l'Octave de l'Ascension, deux sur la
Pentecôte. La troisième classe qui renfer-
me les sermons sur les saints en a vingt :
il y en a un sur la chasteté du patriaixhe
Joseph, un sur Zachée, deux sui* saint Vin-
cent martyr, cinq pour la conversion de
saint Paul, un sur l'apôtre saint Paul,
deux sur la naissance de saint Jean-Baptiste ,
un sur le même saint , un pour la fête des
apôti'es Pierre et Paul, un sur la pêche de
saint Pierre , un sur la chute de cet apôtre ,
trois pour la solennité des saints Machabées,
un pour une fête de Martyrs. La quatrième
classe renferme quatre sermons sur divers
sujets; il y en a un sur la Pénitence, deux
sur le Jeûne, un sur les faux amis. Ce Supplé-
ment est suivi d'un appendice qui contient
huit sermons inédits, savoir deux sermons
sur la Sexagésime, deux pour Pâques, deux
pour l'Ascension, deux pour la Pentecôte.
Le style de ces sermons n'étant pas celui de
' Biblioth. Nova Patrum, tom. 1, pag. xv de la
préface.
saint Augustin, M. CaiUau les regarde juste"
ment comme supposés.
Le deuxième supplément se divise en deux
parties ; dans la première sont contenus dix-
huit sermons sur différentes paroles de l'É-
criture sainte, ils forment la première classe ,
quarante-quatre pour les temps, ils forment
la seconde classe. Parmi ces derniers ser-
mons il y en a deux pour l'Avent, quatorze
sur la Naissance de Notre-Seigneur, un sur
la Trinité et sur l'Incarnation du Seigneur,
neuf sur l'Epiphanie , un sur l'Octave de
l'Epiphanie, un sur le baptême de Notre-
Seigneur, trois sur la Quadragésime, deux
pour les Rameaux, un sur la Cène du Sei-
gneur ou sur la Passion et les deux larrons,
un sur la Vigile de Pâques, un sur la Pâque ,
cinq pour le jour de Pâques, un pour la se-
conde férié de Pâques, un pour le temps pas-
cal, un sur V Alléluia. L'Appendice qui suit
embrasse neuf sermons sur l'Écriture sainte,
trois sur l'Avent, un pour la nuit de Noël, un
pour Noël, un pour l'Octave de Noël, un pour
la Circoncision, dix pour l'Epiphanie, un sur
les noces de Cana, un sur la Sexagésime,
un sur le commencement du jeûne, six pour
la Quadragésime, un pour les Rameaux, un
sur la tradition du Symbole. Le style et les
pensées démontrent la supposition de ces
sermons.
La seconde partie du deuxième supplé-
ment embrasse vingt-quatre sermons sur les
saints, onze sur divers sujets. Parmi les ser-
mons sur les saints il y en a un pour la chaire
de saint Pierre, un pour la fête de saint Vin-
cent martyr, un pour la fête; de saint Qua-
drat martyr, quatre pour la fête de saint
Jean-Baptiste, deux pour la fête des saints
apôtres Pierre et Paul, un pour l'Octave de
ces mêmes apôtres, un sur la chute de saint
Pierre, un pour la solennité des Machabées,
deux pour la fête de saint Laurent, deux pour
la décollation de saint Jean-Baptiste, deux
pour la fête des saints martyrs Félix et Adauc-
te, un pour la fête de saint Cyprien martyr,
un pour la fête de saint André apôtre, un pour
la fête de saint Etienne, deux pour la fête des
saints Innocents, un pour la fête des saints Cos-
me et Damien. Les sei'mons sur divers sujets
contiennent un sermon surla Trinité, une ex-
position de la foi , un sermon sur le jugement
dernier, un sur les tribulations du monde,
un sur la Pénitence , un sur la Confession,
trois sur la Réconciliation des pénitents , un
sur le Saint-Esprit.
SUPPLÉMENT AU CHAPITRE SUR SAINT AUGUSTIN.
837
On trouve à la suite de ces sermons trois
traités ou sermons. Le premier est un traité
du combat spirituel, le second est un traité
du combat des vices, le troisième est un traité
des demandes du Pater.
Ces traités sont suivis d'un appendice qui
contient vingt-six sei'mons sur le temps, vingt-
trois sur les saints, sept sur différents sujets.
Tous ces sermons sont rejetés comme suppo-
sés. Il en est de même des trois autres traités
qu'on trouve à la suite, savoir : le livre sur le
Nombre, celui sur la Compassion de la Sain-
te Vierge, et le livre sur Toutes les vertus,
que le saint Docteur aurait adressé à sa
mère.
rasétsdéTe. 3. Voici quelques-unes des pensées déve-
péflï ddn3 -*■■'■ ^
''1™-^"°^' loppéespar sainL Augustin dans les sermons
édités par M. Caillau : Cinquième sermon.
La virginité et l'humilité ont rendu Marie
mère, Jésus-Christ se communique aussi aux
vierges et aux humbles. Septième sermon :
Le Père produit le Fils, le Saint-Esprit procè-
de du Père et du Fils ; cependant il n'y a qu'un
Dieu Père, Fils et Saint-Esprit. Le Christ est
né de Marie, qui est demeurée toujours vierge
et qui l'a produit comme le soleil produit ses
rayons. Huitième sermon : La naissance de
Jésus -Christ ne peut être démontrée par la
raison, Neuvième sermon : Le saint Docteur
y montre l'accord des prophètes et des apô-
tres sur la naissance de Jésus-Clu'ist; il y ex-
pose la virginité de Marie dans son enfante-
ment. Dixième sermon : L'encens représente
la divinité, la myrrhe l'humanité, l'or la royau-
té. Treizième sermon : Nous devons naître par
nos bonnes œuvres. Dix-septième sermon :
Saint Augustin y prouve la virginité de Marie
contre les manichéens. Dix-huitième sermon :
Le Chrisl est Dieu et homme, il est né d'une
vierge, il a pris la forme de l'esclave. Ses œu-
vresmontrent qu'il est Dieu et homme. Vingt-
deuxième sermon : Jésus-Christ est sorti du
sépulcre qui était muni d'un sceau, comme il
était sorti de la Sainte Vierge .Vingt-quatrième
sermon : Jésus-Ghrist,est né de Marie de la mê-
me manière qu'il entra dans le lieu où étaient
les disciples, les portes étant fermées. Vingt"
cinquième sermon : La foi de Marie-Madeleine
est comparée avec celle de saint Pierre : Marie-
Madeleine est comparée à l'Éghse ; la foi de
cette sainte est comparée à celle des apôtres ;
Marie-Madeleine'mérita que Jésus se montrât
à elle. Vingt-sixième sermon : Jésus-Christ est
le parfum communiqué à l'Église , c'est le
parfum de la piété, de la charité, de l'obéis-
sance, de l'espérance ; le nouvel Adam ré-
pare le crime de l'ancien. Trentième ser-
mon : Le Christ est mort pour satisfaire pour
nos péchés. Trente-quatrième sermon : Saint
Augustin y explique les sacrements aux néo-
phytes; mais il y parle surtout du sacrifice
et du sacrement de l'Eucharistie. Le nou-
veau sacrifice remplace le sacrifice des vic-
times d'autrefois, selon la prophétie de Ma-
lachie. Le Christ est pain vivant et pain de
vie, comme l'attestent les paroles de Notre-
Seigneur rapportées au chapitre vi de saint
Jean; on doit croire qu'il a donné son corps
en nourriture et son sang en breuvage pour
procurer la vie éternelle. Comme l'eau est
une matière convenable pour le baptême,
ainsi le pain est très-convenable pour être
la matière du sacrement de l'Eucharistie. Le
pain et le vin, éléments qui sont consacrés
au corps et au sang de Jésus-Christ, repré-
sentent l'union qu'on doit trouver parmi les
fidèles. Jésus-Christ dans le sacrement donne
vraiment son corps et son sang. «Pendant que
nous goûtons et savourons cette nourriture ,
dit-il, notre âme en est rassasiée. En rece-
vant une parcelle de son corps, chacun de
nous le reçoit tout entier. En ne buvant que
quelques gouttes du sang divin, c'est à la vie
éternelle que le chrétien s'abreuve'. Que per-
sonne ne dise : C'est du pain que je vois ,
j'afiirme, moi, que c'est le corps du Christ.
Que personne ne dise : C'est du vin que je
bois, tous doivent dire que c'est le sang du
Christ. Le Seigneur nous a donné son corps
et son sang sous de simples apparences ; il
nous a accordé cette faveur pour éloigner
le dégoût et toute répugnance ; et cependant
' Gustu imhuiinur, mente satiamur. In exiguo
sui corporis fruste totus a singulis Christus ex-
cipitur. In parvo haustu sanguinis sacri vila
œterna potatur. Nemo dicat : Panem video, cor-
pus audio; vinum sumo, sanguinemdicant. Vomi-
nus nobis corpus et sanguinem suum in simpli-
cibus apparatibus dédit; ne fastidium aut horror
scandalizaret , induisit; sed tamen vere corpus
suum prœstitit. Audi enimquidipse dicat : Sciens,
inquit, quia murmurarent de hoc discipuli ejus,
dixit eis : Hoc vos soandalizat , si ergo videritis
Filium hominis ascendentem ubi erat prius •; Erjo
antequam ascenderet , facilius scandalizari hu-
mana potuit infirmilas ; nunc autem, cum ascen-
derit ubi erat prius, non est quisquam qui dubi-
tare de verbis illius possit, cui videt cœli régna
patuisse.
838
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
c'est vraiment son corps qu'il nous a donné.
Écoutez, en effet, ce qu'il dit lui-même :
sachant que ses disciples en murmuraient,
il leur dit : Cela vous scandalise ! Le scan-
dale cessera quand vous verrez le Fils de
l'homme remontant aux cieux où il était au-
paravant. Ainsi, donc avant son ascension,
la faiblesse humaine a pu plus facilement se
scandaliser, mais à présent qu'il est remonté
dans les cieux où il était auparavant, il n'y
a personne qui puisse douter de la parole
de celui à qui, comme on le voit, le royau-
me des cieux est ouvert. »
Les cinquante - deuxième et cinquante-
troisième sermons font ressortir les admira-
bles effets de la grâce dans la conversion de
saint Paul. Dans le cinquante-quatrième ser-
mon, qui est très-beau, saint Paul est repré-
senté comme modèle du zèle apostolique.
Cet apôtre se fait tout à tous, il ne vit que
pour ses frères et pour Jésus-Christ. Au soi-
xante-cinquième sermon, la pénitence nous
paraît comme nécessaire à tous , aux pé-
cheurs et aux justes. L'utilité du jeûne est
prouvée au soixante-sixième , par les méde-
cins, les philosophes, l'exemple des saints et
celui de Jésus-Christ. Dans le soixante-liui-
tième, saint Augustin prouve que les faux
amis sont plus à craindre que les ennemis
déclarés, vérité que l'expérience démontre
tous les jours.
Les effets et la malice du péché d'Adam
sont décrits au soixante-dixième sermon. On
y montre aussi que le péché actuel est beau-
coup plus grand que celui d'Adam, parce
qu'il renferme l'abus de la grâce de la Ré-
demption. Au cent trente -neuvième, on lit
que saint Pierre et saint Paul ont été cou-
ronnés le même jour, et que leurs corps sont
à Rome. Les sermons sur l'Incarnation, sur
l'Epiphanie , sur la Passion , sur Pâques font
ressortir excellemmentles richesses ineffables
renfermées dans ces mystères. Les sermons
sur l'Ascension, après l'exposition de la so-
lennité, apprennent aux hommes à mettre
leurs espérances dans une vie meilleure. L'o-
rateur dans tous les sermons sur les saints
martyrs, exalte les vertus et les mérites des
héros du christianisme, compare souvent la
vie présente et ses ti-ibulations passagères
avec la vie future et la gloire de la félicité
du ciel; il implore l'intercession et le se-
cours des saints, et excite ses auditeurs à
imiter les beaux exemples qu'ils nous ont
donnés.
QUATRE SERMONS EDITES TANS lE TOME XLVII DE
LA PATROLOGIE LATINE ET ATTRIBUÉS A SAINT
AUGUSTIN.
Le tome XLVII de la Patrologie latine,
col. 1151, contient quatre sermons inédits
attribués à saint Augustin. Les deux pre-
miers ont été envoyés aux éditeurs par le
bibliothécaire d'Avranches. Mabillon avait
écrit sur le manuscrit que ces sermons étaient
de saint Augustin. Le premier est sur ces
paroles de saint Paul : Fratres, si consur-
rexistiscum Christo, quœ sursum sunt quœrite.
etc. Coloss. m, 1. Le deuxième sermon est sur
ces paroles : Expurgate vêtus fermentum ut
sitis nova conspersio, etc. \Cor. v. 7. Tous deux
paraissent dignes de saint Augustin. Les deux
derniers sermons ont été pareillement trou-
vés dans un manuscrit d'Avranches, et ils ont
été publiés pour la première fois par M. Fé-
lix Ravaisson, dans l'opuscule intitulé : Rap-
ports sur les bibliothèques des départements de
l'Ouest, Paris, 1841. Ils sont sur la Résurrec-
tion de Notre-Seigneur. Le premier qui est
sans titre, exprime la joie que doit faire naî-
tre en nous la Résurrection du Sauveur. Le
deuxième qui a pour titre : Sermon du très-
illustre docteur saint A ugustin sur la Résur-
rection de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mon-
tre le triomphe de Jésus-Christ sur la mort,
l'enfer et le péché. Rien n'empêche de les
attribuer au saint Docteur.
VI.
SERMONS DE SAINT AUGUSTIN ÉDITÉS PAR LE
CARDINAL MAÏ.
1 . Le cardinal Mai avait publié dans le tom.
VIII du Spicilegium romanum, pag. 713-725,
quatre sermons inédits, savoir : un sur l'or-
dre donné par Jésus-Christ de marcher sur
la mer, un autre sur l'utilité du jeûne, le
troisième sur les noces de Cana, le quatriè-
me sur la messe quotidienne. L'illustre édi-
teur avait déjà en sa possession un plus
grand nombre de sermons. Ils ont tous paru
dans le tom. I" de l'ouvrage intitulé : Patrum
Nova Bibliotlieca, au nombre de 201. Dans
sa Préface, le Cardinal parle des divers ma-
nuscrits dont il s'est servi pour son édition,
il en discute l'âge et l'authenticité. Vient
ensuite une notice très-intéressante sur un
ouvrage peu connu , renfermant un grand
SUPPLEMENT AU CHAPITRE SUR SAINT AUGUSTIN.
839
nombre d'extraifs de discours inédits de saint
Augustin, et que tous les éditeurs ont né-
gligés jusqu'à ce jour. Cet ouvrage se nom-
me le Milleloquium veritatis; il forme deux
vol.in-fol., où sont rangées, par ordi-e alpha-
bétique, toutes les matières qui ont été trai-
tées par saint Augustin. Il fut complété et
composé dans le xiv° siècle par Barthélémy,
de l'Ordre des Ermites de saint Augustin,
que Clément VI nomma évéque d'Urbania ,
et qui mourut l'an 1330. Triumphus, maître
de Barthélémy, avait commencé le Millelo-
quium de saint Augustin. Le ililleloquium
Ambrosii est l'ouvrage exclusif de Barthélé-
my. Le Cardinal ne compte que trois éditions
du Milleloquium Augustini : l'édition de Lyon,
1555 ; celle de Paris, 1645, due à Colliérus ;
et celle de Brescia, 1734. M. Bonnetty dit en
avoir dans sa bibliothèque une deuxième
édition de Paris, 1672. Cette édition renfer-
me des améliorations et des additions qu'on
peut voir dans les Annales de philosophie aux-
quelles nous avons emprunté ces détails *.
2. La Préface est suivie de trois ta-
bles. Dans la première, les discours nou-
veaux sont divisés en cinq classes. Première
classe : discours sur l'Ancien Testament.
Deuxième classe : discours sur le Nouveau
Testament. Troisième classe : sermons pour
le temps. Quatrième classe : sermons sur
les Saints. Cinquième classe : sermons sur
divers sujets. La seconde table donne les
discours selon l'ordre alphabétique du pre-
mier mot. La troisième contient le titre de
tous les ouvrages reproduits dans le volu-
me. Quinze planches reproduisent des spéci-
mens des manuscrits qui ont servi à compo-
ser le volume. Viennent ensuite les sermons
de saint Augustin, avec notes au bas des
pages, et quelquefois avec des notices assez
étendues. On trouve en particulier une no-
tice sur Robert de Bardis, chancelier de l'É-
glise de Paris, où le Cardinal le venge contre
le jugement qu'ont porté Vignérius et les
Bénédictins sur sa Collection des discours de
saint Augustin, encore manuscrits à la Biblio-
thèque impéi'iale. L'éditeur donne la liste et
le titre des discours de cette Collection, et il
en reproduit onze.
3. Voici ce que M. Lefebvre, professeur
de théologie dogmatique, a écrit sur cette
question dans la Bévue Catholique, année
1860, pag. 264 et suiv. :
« Les deux cents sermons édités par le
cardinal Maï sont-ils authentiques ? La ques-
tion est grave et difficile ; pour la résoudre,
il faut unir l'habileté de la critique à une
connaissance approfondie des Œuvres de
saint Augustin, il faut connaître l'âge et le
caractère des manuscrits dont les sermons
sont extraits, et avoir compulsé les témoi-
gnages des anciens. Sous ces divers rap-
ports, le cardinal Maï est un juge compétent;
il s'est entouré de toutes les lumières néces-
saires pour donner une édition soignée.» Or,
en s'appuyant sur l'antiquité et le nombre
des manuscrits, sur le témoignage des an-
ciens et sur l'étude des textes, il affirme que
la plupart des nouveaux sermons sont au-
thentiques ; il considère comme douteux les
cinquante-septième , cent trente-troisième ,
cent soixante et unième, cent quati-e-vingt-
onzième et cent quatre-vingt-dix-huitième
sermons ; il déclare apocryphes les cent hui-
tième, cent quatre-vingt-quatorzième et deux
cent-unième; et il ajoute qu'un examen ulté-
rieur en fera peut-être condamner quelques
autres^.
M. E. Miller, dans un article du Journal
des savants, admet comme incontestable l'au-
thenticité des vingt-six premiers sermons;
mais il prétend qu'wwe lecture, même super-
ficielle, démontre évidemment qu'à partir du
trente - cinquième sermon, ce n'est plus saint
Augustin qui parle '. Ce jugement est trop
sommaire et trop peu motivé pour être ad-
mis sans contestation.
Voici comment M. Miller prépare ses lec-
teurs à partager son opinion : « La der-
nière édition de saint Augustin, dit-il, publiée
en 1837, chez les frères Gaume, n'a admis
qu'un seul sermon dessoixante-huit^desMM.
Anthenficltô
des sermons
édités par la
cardioal &]al.
> Tom. XL"Vin de la Collection, pag. 222, 223 et
suiv.
2 Les sermons douteux sont le cinquante-sep-
tième sur Suzanne et les vieillards; le quatre-vingt-
dix-septième sur la pénitence des Ninivites ; le
cent trente-troisième sur saint Jean, cliap. x, 22 :
le cent soixante-unième sur saint Thomas, apôtre ;
le cent quatre-vingt-onzième sur le martyre de saint
Etienne ; le cent quatre-vingt-dix-huitième pour le
commun des vierges; le cent quatre-vingt-huitième
sur la Naissance de Notre-Seigneur. Les supposés
sont le cent soixante-huitième sur Marie , mère de
Dieu et non le cent huitième, comme le dit M. Lefeb-
vre; le cent quatre-vingt-quatorzième sur l'Assomp-
tion de la bienheureuse Vierge ; le cent quatre-
vingt-quinzième sur la consécration des églises; le
deux cent-unième sur la prière. (L'éditeur.)
' Journal des savants, année 1853, pag. S69 etS70,
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
840
Caillau et Saint- Yves, et qu'un petit nombre
de ceux de Denis et du Père Frangipane,
placés pour la plupart dans l'appendix des
Dubia et des Spuria. Une exclusion aussi con-
sidérable est expliquée dans une longue et
remarquable dissertation , qu'on nous dit
être sortie de la plume de M. Diibner, et qui
renferme d'excellents principes, au moyen
desquels il est facile de reconnaître le style
et la doctrine du saint évéque d'Hippone. »
S. E. le cardinal Maï, faisant sans doute al-
lusion à cette dissertation, s'exprime ainsi,
page XV de sa Préface : Equidem contradic-
tionem aliquam adversus has novorum sermo-
num editiones excitatam in Gallia scio, cui ta-
men satis strenue repugnatum fuit, ut jam
omittam quidquid rigidiore judicio vel com-
motiore animo decertantes docti dixerunt. Une
réplique ou une réfutation de la dissertation
de M. Diibner nous est complètement incon-
nue, nous savons seulement que feu l'évêque
de Maroc, Monseigneur Guillon, dont le nom
se trouvait sur le titre du vol. de la Bibliothe-
ca selecta, a publié un mémoire en français,
pour désavouer sa participation au dit volu-
me, et pour approuver tous les résultats
consignés dans la dissertation latine. Ce mé-
moire provoqua une réponse de M. l'abbé
Caillau, dans laquelle on cherche cà prouver
que Monseignem- de Maroc était beaucoup
moins étranger qu'il ne l'a prétendu à la pu-
blication du volume en question, mais où
l'on n'entre nullement dans le fond du dé-
bat : on se borne à annoncer une réfutation
du traité latin, réfutation qui n'a jamais paru.
Nous devons croire que S. E. le cardinal A.
Mai n'a pas eu entre les mains les pièces du
procès; autrement nous ne saurions com-
ment expliquer son satis strenue repugnatum
fuit K
Ce passage exige quelques observations.
Et d'abord, quand même les sermons de M.
Caillau seraient tous apocryphes, on n'en
pourrait rien conclure contre la publication
du cardinal Maï, qui s'est servi de manus-
crits tout différents, plus anciens et plus
nombreux. Mais est-il démontré que la criti-
que de M. Diibner soit toujours fondée en
raison? Si plusieurs des sermons édités par
M. Caillau, en 1836, ne sauraient être attri-
bués à saint Augustin, il en est d'autres
dont l'authenlicité peut être soutenue. Le
cardinal l\Iaï (pag. xiv) affirme avoir lu plu-
sieurs de ces sermons dans les plus anciens
manuscrits du Vatican. Quoi qu'il en soit, M.
Miller montre qu'il n'a pas examiné les piè-
ces du procès, car la dissertation latine dont
il nie l'existence a paru à Paris en 1842,
sous le titre de Vindiciœ sermonum sancti
Augustini ineditorum ^.
Ce qui porte le Journal des savants à révo-
quer en doute l'authenticité des nouveaux
sermons, c'est qu'on y rencontre des pen-
sées faibles ou communes, un style prétentieux,
un langage pâle, diffus ou maniéré, plein de
recherches sans esprit, et une série de phrases
qui font l'effet d'un jeu et d'un exercice de
l'esprit, et qu'ainsi l'étude du génie de saint
Augustin, et souvent même le goût et le bon
sens le plus ordinaire suffisent pour déclarer
les nouveaux sermons apocryphes '.
Outre que ces griefs ne sont pas prouvés
par un nombre suffisant d'exemples, l'argu-
ment tiré de la couleur du style est souvent
trop vague et trop incertain pour servir de
critérium unique dans le j ugement à porter
sur l'authenticité d'un ouvrage. Tout, dans
un auteur, n'a pas la même valeur, ni la
même perfection de style ; le langage d'un
orateur diffère selon qu'il improvise ou (ju'il
prononce un discours préparé avec soin ; la
diversité des auditoires, la différence d'âge
et bien d'autres causes, font subir des chan-
gements à la pensée et à son expression. Aus-
si bien que les critiques les plus judicieux et
les plus exercés, en se basant sur la confor-
mité et la différence du style, ont commis
bien des méprises, et ont souvent attribue
un même ouvrage à des auteurs bien diffé-
rents.
Le cardinal Maï a prévu l'objection de M.
Miller, et il y répond en ces termes (pag.
xxvii) : Illud denique non est reticendum {mo-
nentibus ipsis Maurinis) varium fuisse pro tem-
poribus, locis, aliisgue rerumadjunctis, concio-
nantis Augustini modum : aliter enim fervens
. juvenis , ut credibile est, loquebatur; aliter
post ferme quadraginta concionatoriœ profes-
sionis annos; aliter ex abrupto, aliter ex medi-
tato; aliter publiée orans, aliter privatim dic-
tansaut scribens. Quœ régula valet, ut nepnc-
cepis de sermonibus singulis quandoque inter se
di Iferentibus judicium feramus. Qui totum
qiiidem Augustinum se legisse sine mendacio
' Journal des savants, 18S3, pag. 566. (L'éditeur.)
•' En deux formats , l'un in-fol., et l'autre in-8. ' Ibid., pag
568-570.
SUPPLÉMENT AU CHAPITRE SUR SAINT AUGUSTIN.
841
afflrmare queat, is haud modice varium divum
Patrem ultro fatebitur.Son Éminence montre
ensuite que le style de saint Augustin, dans
sa jeunesse, a dû. se ressentir de l'enflure
de Symmaque, qui lui servait de maître.
4. Voici la liste des sermons de saint Au-
gustin publiés par Maï :
I" CLASSE.
Sermons tirés de l'Ancien Testament.
Trois sermons sur Adam, Eve et la Sainte
Vierge ; un sur le péché du premier homme ;
un sui" les tuniques de peau ; un sur Caïn et
Abel; un sur le sacrifice d'Abraham; un sur
le patriarche Joseph; un sur Pharaon; un
sur les dix plaies d'Egypte ; un sur Salomon;
un sur la dédicace du temple ; un sur le pro-
phète Élie; un sur Suzanne et les vieillards. 11
y en a deux sur la pénitence des Ninivites ; un
sur le psaume xxxvi; un sur le psaume xl;
un sur le répons du psaume xl ; un sur le
répons du psaume lxxtv ; un sur le ré-
pons du psaume lsxxiii ; un sur le psaume
CXLK.
n° CLASSE.
Sermons tirés du Nouveau Testament.
Un sermon sur la divinité et l'incarnation
de Notre-Seigneur ; un sur l'Incarnation, la
Passion et la Résurrection ; un sur le baptême
de Notre-Seigneur ; un contre les Pharisiens ;
deux sur le Riche et Lazare ; un sur la Cha-
nanéenne; une sur la femme qui souffrait
d'une perte de sang; un sur les paroles de
l'Évangile : Ne donnez pas les choses saintes aux
chiens; un sur ces paroles de Jésus : Simon,
fils de Jean, m'aimez -vous? deux sermons
sur S. Pierre, sur le point d'être submer-
gé dans la mer; un sur ces paroles : Je vous
envoie comme des agneaux au milieu des loups ;
un sur les vertus de J.-C. ; un sur son hu-
milité; un sur la femme adultère ; un sur la
parabole des ouvriers de la vigne ; un sur
les noces de Cana ; un sur la résurrection de
Lazare; un sur ces paroles : Je vous loue,
à mon Père ; un sur ces paroles : Venez à moi,
vous qui souffrez ; un sur le paralytique de la
piscine ; un sur ces paroles : Celui qui mange
ma chair et boit mon sang ; un sur l'Aveugle-
né ; un sur Hyménée et Alexandre ; un sur
' Le sermon qni commence par ces mots : Zelus
que tendat, pag. 230.
le Semeur; un sur ces paroles : J'ai compas-
sion de cette foule; un sur les marchands
chassés du temple; un sur les dix plaies;
un sur quelques traités de saint Jean.
ni° CLASSE.
Sermons sur le Temps.
Dix sermons sur la Naissance du Sau-
veur; un pour l'Octave de la Nativité; un
sur la Circoncision; un pour la veille de
l'Epiphanie ; quatre sur la fête de l'Épipba-
nie; huit sur le massacre des Innocents';
deux sur la Quadi-agésime ; un sur les Ra-
meaux; deux sur la Cène; treize sur la Pas-
sion ; un sur la Croix et le Larron ; un sur le
Larron crucifié ; un sur le Samedi-Saint ;
vingt-trois sur la fête de Pâques; quatre sur
l'Octave; quatre sur l'Ascension ; un sur le
temps qui tient le milieu entre l'Ascension
et la Pentecôte ; deux sur la Pentecôte ; un
sur la Dédicace des églises; un pour leur
consécration.
rv' CLASSE.
Sermons sur les Saints.
Quatre sur saint Etienne ; deux sur saint
Jean l'évangéliste; neuf sur la naissance de
saint Jean - Baptiste ; cinq sur la fête des
apôtres Pierre et Paul; un sur celle de
saint Laurent, martyr; un sur celle de sain-
te Victoire ; deux sur celle des deux sœurs
Genès; deux sur celle des saints Félix et
Adaucte ; un sur celle de saint Cyprien ; un
sur les saints Côme et Damien ; un sur saint
André ; un sur saint Thomas, apôtre; un sur
la Sainte Vierge; un sur son Assomption;
deux sur la fête des Martyrs; un sur le
Commun des martyrs; un sur le Commun
des confesseurs; un sur la Translation des
rehques.
•V" CLASSE.
Sermons sur divers sujets.
Un sur la haine des Juifs ; deux sur l'amour
des ennemis ; un sur le pèlerinage de cette
vie; un sur la charité et l'amour dus à Dieu;
un sur l'hospitalité ; trois sur l'édification de
l'âme ; un sur la dîme ; un sur l'aumône ; un
sur V Alléluia; un sur l'ordination d'un évo-
que ; un sur la sainteté de l'âme et de la fuite
des sortilèges; un sur l'ivrognerie; un sur
la messe quotidienne ; un sur la crainte de
842
HISTOmE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLESIASTIQUES.
Choses rc-
remarquables
contenues
dans les ser-
mons publiés
par Mal.
Présence
réelle de Jé-
sus -Christ
dnns l'Eucha-
ristie.
L'Esprit-
Saint procède
du Père et du
Fils.
Contra les
Grecs.
Dieu ; deux sur ceux qui s'approclient de la
grâce; un sur les temps de barbarie; un sur
les maux du monde ; deux sur la cbarité ;
un sur l'invocalion du Saint-Esprit; deux
sur la Pénitence; deux sur la résurrection
de la chair et le jugement; une épîti^e ou
traité contre les ariens; un sur le mystère
de la Sainte Trinité ; un sur le Saint-Esprit et
sa procession du Fils ; un extrait du livre de
la Vraie religion ; une Exposition de la foi ;
un sermon sur la Prière.
5. Nous allons donner des extraits de
textes nouveaux, qui renferment la preu-
ve de quelques-uns de nos dogmes :
« Le Christ est donc présent sur l'autel ;
le Christ y est mis à mort ; le Christ est im-
molé ; le Christ y est reçu dans son corps et
dans son sang. Celui-là même qai, aujour-
d'hui, donne le pain et le calice à ses disci-
ples, celui-là même aujourd'hui consacre
ces choses. Car ce n'est point l'homme qui
consacre le corps et le sang, déposés ici, mais
c'est ce Chrisl même crucifié pour vous. Les
paroles sont proférées par la bouche du prê-
tre, mais le corps même et le sang sont con-
sacrés par la vertu et la grâce de Dieu '. »
Et ailleurs :
« Car si l'on appelait maison du Seigneur
le lieu où les bêtes étaient immolées, à plus
forte raison notre Éghse, où l'on célèbre les
sacrements de la chair et du sang du Sei-
gneur ^. »
6. « Nous faisons profession de ci'oire le
Christ Dieu et homme, et aussi l'Esprit-
Saint ni non-né, ni né, mais procédant du
Père et du Fils, parce qu'il est l'Esprit du
Père et du Fils, et lui-même consubstantiel
et coéternel à tous deux '. » « Notez, dit le
Cardinal, ce témoignage en faveur du dog-
me catholique contre les Grecs; le Saint-Es-
pi'it étant nommé l'Esprit du Fils , on en
conclut à bon droit la procession du Saint-
Esprit opérée par le Fils, et sa consubstantia-
lité. C'est ainsi que Fauste de Riez, contem-
porain d'Augustin, disait : L'Esprit -Saint
procède des deux * ; de même Otton de
Verceil, dans son onzième discours, dit :
Il n'a pas manqué d'hérétiques qui ont dit
que cet Esprit n'était pas venu du Père et du
Fils, mais seulement du Père, auxquels nous
pouvons convenablement opposer les témoi-
gnages de la Vérité même. Et après avoir
cité Jean, chap. xv, 26, et xvi, 9, il conclut :
Par ces paroles, on montre assez clairement
que l'Esprit ne procède pas seulement du
Père, mais encore également du Fils; et c'est
ainsi qu'on déjoue complètement la perfidie
des hérétiques ^. C'est ainsi qu'Otton, qui a
vécu entre Photius et Cérulaire, et beaucoup
plus ancien que le concile de Florence, ap-
pelait déjà hérésie l'opinion des Grecs ^. »
Le Cardinal cite encore une preuve de ce
dogme dans le cent quatre-vingt-troisième
discours grec, qui n'est que la traduction du
quatre-vingt-quatorzième traité in Joan., ci
où on lit : « Le Saint-Esprit n'est pas seu-
lement l'Espi'it de l'une des deux person-
nes, mais de toutes les deux''. On se ré-
jouit, ajoute le Cardinal, d'entendre sortir
de la bouche d'un Grec, et surtout d'un
schismatique comme était Planude, traduc-
teur de ce discours, ce témoignage sur le
Saint-Esprit. »
7, Le fameux passage de saint Jean : Qno-
niam très sunt, qui testimonium dant in cœlo,
Pater, Verbum et Spiritus Sanctus : et hi très
contre I
einiens.
> Christus ergo prœsto est in mensa, Christus
ibi ipse occiditur, Christus immolatur, Christus
ibi in suo corpore et sanguine sumitur. Ipse ille
qui discipulis hodie panem dédit et calicem , iste
ipse hodie consecrat ista. Non est enim homo qui
apposilum Chrisli corpus et sanguinem dedicet,
sed ille ipse Christus qui pro vobis est crucifixus.
Ore sacerdotis verba proferuntur, ipsumque cor-
pus et sanguis, Dei xnrl^tte consecrantur et gra-
tia. Serm. 143 de Mysteriis cœnœ Domini. tom. I
Bibliolh. Nova Pair., pag. 333.
2 Si enim, domus Domini vocala erat, ibbi bes-
tiœ immolabanlur, mullo mcigis Ecclesia nostra
ubi carnis et snnguitiis Domini celebrantiir sa-
cramenla. Serm. 193 de Consecrat. eccles., ibid.,
pag. 45S.
3 Christum Deum et hominem confitemur. Spi-
Titum quoque Sanctum non ingenituni, neque ge-
nilum, sed ex Pâtre Filioqueprocedentem, eo quod
Patris et Filii sit spiritus, et ipse consubstanlialis
et coœternus ambobus. Serm. 174 de Incarn. Do-
mini. Ibid., Biblioth. nova Patrum, pag. 393.
* Spiritus Sanctus de utroque procedit. Spicil.
Rom., tom. V, pag. 93.
^ Nec defuerunt hceretici, gui dicerent hune
Spiriium, non a Pâtre sirnul et Filio, sed a Pâtre
prodiisse tantummodo ; quibus ex ipsius Veritatis
congruenter possumus occurrere testimoniis...
Quibus verbis satis aperle demonstratur Spiri-
tum non tantum a Pâtre, sedelia\n a Filio pari-
ter processisse. Hœreticorum per hoc fundiius
evacuatur perfidia. Otto apud scrip. vet, tom. VI,
part. 2, pag. 27 el 28.
8 Le card. Maï. ibid., tom. 1, pag. 393.
"^ Tô ^£ nvsû/Aa «yïov ou BoL-zipou toutwv /j.ovbv ï^rt
nvsîJ/i« , àXX à./ifoTe/>àii , t. F , pag. 42B.
SUPPLÉMENT AU CHAPITRE SUR SAINT AUGUSTIN.
843
unum sunt. Et très sunt qui dant testimonium
in terra, Spiritus, et aqua, et sanguis : et M
très unum sunt , I Épist. , v. 7 et 8 : ce
passage ne se trouve pas dans plusieurs
manuscrits , soit grecs , soit latins. Aussi
le savant Cardinal regarde-t-il comme une
bonne fortune de pouvoir donner une preu-
ve nouvelle que ce passage était dans les
plus anciens manuscrits de la Bible. 11 trou-
ve cette preuve dans le Spéculum de saint
Augustin, qu'il édite et qui nous donne le
texte de l'ancienne version Italique , anté-
rieure à saint Jérôme, et même à l'Italique
déjà connue. Voici dans quels termes ce
passage est ici énoncé : Quoniam très sunt
qui testimonium dicunt in terra, Spiritus, aqua
et sanguis : et hi très, unum sunt in Christo
Jesu. — Et très sunt qui dicunt testimonium
in cœlo, Pater, Verbum et Spiritus : et hi très,
unum sunt. Specul., tom. I, 2"= part. pag. 6.
Et afin que ce texte ne se perde pas, le
Cardinal a fait graver un fac-similé du ma-
nuscrit , lequel forme la planche XIV" ,
comme nous l'avons déjà dit. De plus, le
Cardinal a ajouté une note où il explique les
transpositions qu'on remarque dans les ver-
sets , et il désigne tous les autres codex ,
soit grecs, soit latins , où se trouvent ce même
texte et les auteurs qui en ont traité. Cette
note est une vraie dissertation', mais, quoi
qu'en dise M. Bonnetty, elle renferme bien
des inexactitudes.
« Nous frappons, dit-il, nos poitrines, lors-
cfue la conscience de nos péchés nous tour-
mente. Nous nous frappons, parce qu'il y a
quelque chose d'intérieur, une certaine con-
ception mauvaise; qu'elle soit manifestée dans
la confession, et il n'y aura plus sujet d'être
tourmenté. Que tous les péchés se découvrent
et se produisent au dehors en confession'. »
« Remarquez, ajoute le savant Cardinal, ce
témoignage sur la nécessité de la confession.»
C'est ainsi que parle encore le savant Docteur
dans les sermons imprimés : « La conscience,
dit-il , est-elle oppressée par la crapule de
l'impiété , que la confession la punisse '. » La
preuve que saint Augustin ne parle pas d'une
confession faite à Dieu seul, se tire de la ma-
nière dont il s'exprime sur les clefs donnés à
Pierre et à l'Église par le Christ. « Ne sont-ce
pas là, poursuit-il, les clefs qui sont dans l'É-
glise où tous les jours on remet les péchés?*»
et ailleurs, contre ceux qui ne veulent être ab-
sous que de Dieu seul, comme nos modernes
hérétiques : « Quelqu'un dira : Que sertl'É-
glise à celui qui se confesse ? » Il répond :
« Le Seigneur dit : Ce que vous aurez délié
sur la terre, sera aussi déhé dans le ciel. »Et
peu après : « Que fait donc l'Égiise ? il lui a
été dit : Les choses que vous avez déhées sont
déliées ^ »
Dans sa deux cent vingt-huitième lettre,
numéro 8, il parle du malheur de ceux qui,
par défaut de prêtre, meurent hés, c'est-à-
dire non absous. Ici il fait aussi mention de
la communion du corps du Seigneur, c'est-
à-dire, comme nous parlons maintenant, du
saint viatique qu'on porte aux mourants^.
8. « Mes chers frères, dit-il, celui-là est
coupable d'erreur ou de péché, qui attribue
quelque tache d'inûdéhté à l'apôtre Pierre,
c'est-à-dire au fondement de l'Église, de mê-
me qu'il est téméraire d'accuser d'incrédulité
celui auquel, par ses mérites, a été donné par
Dieu le pouvoir de lier ou de délier les pé-
chés'. »
A ce texte, le Cardinal ajoute les suivants,
tirés d'ouvrages imprimés : « Dans Pierre
seul, dit-il, était figurée l'unité de tous les
pasteurs ' , » et ailleurs : « Qui ne sait que
ce principal de l'Apostolat doit être préféré à
tout autre principat ' ? » — A ces témoignages,
InfailHWlilê
de saint Picr-
1 Voir tom. I, S'' part., pag. 6, et lefao-simile p 1.
2 Tundimus peciora quando nos pungit con-
scientia peccatorum. Quum tundimus, est aliquid
intus, mala aliqua conceptio : erumpat in con-
fessionem, et non erit fortasse quod pungat :
erumpant omnia peccata in confessionem. Serai. ,
3 de Lazaro, tom. I, pag. 25.
^ Pectus premitur crapula impietatis? evomat
eam confessio. Serm. 9, num. 21 ; édit. Migne :
tom. V, des OEuvres de saint Augustin, col. 90.
' Àut non sunt istœ in Ecclesia claves , ubi
peccata quoiidie dimitiimtur ? Serm. 149, num. 7:
ibid., pag. 802.
^ Dicet aliquis : Quid prodest Ecclesia confltenti?
respondet : Dominus ait : Quce solveritis in terra
soluta erunt et in cœlo : et mox : Quid ergo facit
Ecclesia? dictum est ei ; Qufe solveritis, soluta
erunl. Serm. 67, num. 3, ibid., pag. 434.
« Le cardinal Maï,PaÉrwm.Bi6Wott. nova, tom. l,
pag. '55.
' Fratres charissimi, aut erroris freus) est aut
delicti, qui Petro apostolo, hoc est Ecclesiœ funda-
mento , aliqxiid infidelitatis adscribit; sicut te-
merarium est, dilectissimi, eum incredulitatis ar-
guere, cui solvendorum etligandorum criminum
potestas est pro meritis diviniius attributa. Serm.
59 in Nativ. Sancti Pétri, ibid., tom. I, pag.103.
8 In uno Petro figurabatur unilas omnium pas-
toruni. Serm. 147, n. 2 ; édit. Migne, tom. V, p. 798.
9 Quisnescit illum apostolatus principatum cni-
8M
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
Tradition
sur ios rol3
Mages et leurs
costumes.
Sur les par-
tisans exclu-
sifs de la phi-
.oEopbJe et do
morale ua*
.urelle.
le Cardinal ajoute encore celui d'Hincmar de
Reims : « Le bienheureux Pierre, en place
de qui les évêques exercent leurs fonctions
dans l'Église'. »
9. « Ainsi, comme nous l'avons dit, c'est en
ce jour que l'on croit que Jésus-Clirist a été
adoré par les Mages, qui' suivant une étoile,
brillant d'un éclat inaccoutumé, marchèrent
sur la terre avec leurs pieds, mais dans les
cieux avec leurs yeux''. »
La principale séduction qui se fait sentir
de nos jours, est dans ce qu'on appelle le ra-
tionalisme. Aussi le cardinal Mai s'est-il at-
taché avec un soin tout particulier à noter,
dans les œuvres nouvelles qu'il édite, tout ce
qui peut servir de preuve contre le rationa-
lisme. On peut voir ce qu'il dit à ce sujet.dans
sa Préface, pag. 9. Voici un nouveau texte
de saint Augustin sur la philosophie natu-
relle et la morale naturelle. « Le genre hu-
main serait heureux s'il comprenait bien les
paroles de'Dieu, et si les ayant reçues, il les
pratiquait : car Dieu dit aux hommes : Si
vous écoutez mes préceptes et si vous les ob-
servez, vous jouirez des biens de la terre,
mais si vous ne les observez pas, le glaive
vous consumera, /saï. i, 19 et 20. Mais parce
que le diable, corrupteur de la foi, persuade
aux hommes de vivre selon la nature, il rend
semblables aux bêtes ceux que Dieu avait
rendus semblables à lui-même, et cependant
il les retient dans les choses les plus infé-
rieures, lorsqu'il oppose la raison de la na-
ture à la foi divine'.» Le savant Cardinal ajou-
te à ce texte les paroles suivantes : « Que les
défenseurs actuels delà raison naturelle con-
tre la foi divine réfléchissent à cette sentence
salutaire de saint Augustin sur la déprava-
tion de la nature humaine, sentence que le
saint Docteur continue à inculquer, ibid. *. »
libet principatum prœferendum. De Bap., cap. ii ;
étJit. Migne, tom. IX, pag. 127.
^Beatus Petrus apostolus, cujus vice inEcclesia
funguntur episcopi. Patrol. de Migne, tom. CXXV,
pag. 799.
2 Sur quoi le Cardinal , après avoir cité Benoît
XIV {DeFesiis. I, cap. n, Bollandus, tom. I, pag. 8,
323, 664) et fait remarquer le silence de Baronius.
ajoute : <c J'ai lu dans un ancien codex du Vatican
qui appartenait autrefois à la reine de Suède, le
discours d'un anonyme sur l'Epiphanie, où le bon
auteur , quel qu'il soit, donnait non-seulement les
noms des Mages, mais encore décrivaient leurs visa-
ges et leurs vêtements.» Voici ses paroles : « En ce
jour, trois Mages venant de l'Orient avec des pré-
sents, trouvèrent Notre-Seigneur Jésus-Cbrist. Voici
l'interprétation des noms de ces trois mages : le
premier, le plus âgé, nommé Melcbior, était blanc
avec une longue barbe et une grande chevelure,
il portait une tunique verte et une casaque cou-
leur milleum , avec des souliers bordés f^ert et
blanc. Il lui offrit de l'or comme à un roi. — Le
second, du nom de Caspar, était un jeune homme
imberbe, rubicond, ayant une tunique couleur
millenican, une casaque rouge, et des chaussures
vertes; il apportait de l'encens comme à un Dieu,
et il l'adora comme tel. — Le troisième s'appelait
Patizara, il était basané, noir, tout barbu, couvert
d'une tunique rouge et d'une veste blanche, et
portait une chaussure millenican ; c'est par la
myrrhe qu'il rendit témoignage à la mort du Fils
de l'homme. Tous leurs habits étaient de soie.
Patrum Biblioth. Nova, tom. I, pag. 123.
3 Fratres charissim,i,felix est humanum genus si
aut verbaDei bene perciperet, autpercepla ser-
varet. Dixit enim hominibus Deus : Si audieritis
prcecepta:et feceritis ea, bona terrae edelis : si autem
non feceritis, gladius vos consumet. {Levitie, xxv.
1, 3.) Sed quia diabolus fidei depravator 5«-
cundum naturam vivere honiines persuadet, pe-
coribus eos similes exhibet, quos Deus suisimiles
fecit; et nihilominus eos rébus deterioribus deti-
net, cum divinœ fidei objicit naturœ rationem.
Sèrm. 71 de Adam et Eva, ibid., pag. 338.
* Tous ces textes sont reproduits presque mot
pour mot d'après la traduction des Annales de Phi-
losophie, Tom. XLVIIl de la Collect., pag. 268 et
suiv.
AUTRE SUPPLÉMENT.
REMARQUE IMPORTANTE POUR BIEN SAISIR LA
CONTROVERSE DU PÉLAGIANISME.
Pour bien saisir la controyerse du pélagia-
nisme, une remarque nous paraît fort im-
portante. Saint Augustin distingue la nature
humaine dans le premier homme d'avec la
nature humaine dans ses descendants : dans
celui-là elle était saine, dans ceux-ci elle est
blessée et malade. Pelage, au contraire,
soutient que la nature humaine est la même
dans les descendants que dans leur premier
ancêtre. Il nous semble qu'il y a dans tout
cela un peu d'équivoque. La nature est la
même quant à son essence; la nature est la
même entant qu'elle est purement humaine.
Elle n'est pas la même en tant que, dans le
premier homme, elle était en quelque sorte
divinisée par la grâce ; car ce que saint Au-
gustin dit des anges est également vrai dans
nos premiers parents : que Dieu , tout à la
fois, y créa la nature et y répandit la grâce ;
tandis que, par suite du péché, la nature n'a
plus en nous que ce qui est strictement de
son essence. Elle est déchue, blessée, viciée,
corrompue, par comparaison avec la nature
innocente et surnaturalisée du premier hom-
me ; cependant elle n'est pas viciée au point
que Dieu n'eût pu la créer dès l'origine. Ces
distinctions aperçues et formulées par la
précision plus sévère de la théologie scho-
lastique, et justifiéps par les décisions de l'É-
glise, nous paraissent nécessaires pour ne
pas s'égarer dans ce que la controverse du
pélagianisme présente quelquefois de vague
et d'indécis. (Rorbacher, Histoire de l'É-
glise catholique, tom. VII, pag. 505.)
n.
CE QUI EMBROUILLE LE PLUS LA CONTROVERSE DE
LA PRÉDESTINATION ; MOYEN DE L'ÉCLAIRCIR.
Ce qui embrouillait le plus cette contro-
verse, c'est qu'on ne s'était point encore for-
mé une idée complète et bien précise de ce
qu'est la grâce en général. On ne l'envisa-
geait que dans l'homme déchu; on ne la con-
sidérait point dans son essence. Avec la défi-
nition que nous donnent aujourd'hui les
catéchismes et la théologie : La grâce est un
don surnaturel pour mériter la vie éternelle,
qui consiste à voir Dieu en lui-même, tel
qu'il est; avec cette définition, presque tou-
tes les difficultés qui embarrassaient, du
temps de saint Augustin , disparaissent. Car
si la grâce est le moyen pour mériter de voir
Dieu en son essence, comme il y a une dis-
tance infinie entre la créature la plus par-
faite et Dieu, la grâce est nécessairement un
don surnaturel, non-seulement surnaturel à
tout homme déchu, mais à l'homme dans sa
nature entière, mais à la créature la plus
parfaite possible. La grâce est la même dans
l'ange et dans l'homme, une élévation de
l'un et de l'autre au-dessus de leur nature.
Les mauvais anges sont déchus de cet état
surnaturel par leur libre arbitre; les bons
anges y ont persévéré par la grâce, qui sou-
846
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
tenait leur libre arbitre au-dessus de lui-
même. Le premier homme est di'chu de cet
état surnaturel par son libre arbitre : il aurait
également pu y persévérer par la grâce. A
l'homme innocent il ne fallait pas moins la
grâce qu'à l'homme déchu, mais il la lui fal-
lait pour moins de choses; à l'homme déchu
il ne faut pas plus la grâce qu'à l'homme
innocent, mais il la lui faut pour plus de
choses : savoir pour guérir des plaies qu'il a
reçues dans sa nature même, et ensuite pour
remonter au-dessus de sa nature jusqu'à
Dieu, tandis qu'il ne fallait que la seconde
de ces choses au premier homme. La grâce
étant un don surnaturel , il s'ensuit que
l'homme ne peut s'y élever de lui-même, ni
la mériter par ses seules forces; naturelles;
qu'enfin elle dépend également de Dieu pour
le commencement et pour la persévérance.
L s'ensuit que si Dieu accorde à l'un plus
qu'à l'autre, il ne fait de tort à aucun, at-
tendu que la grâce est un don, non-seule-
ment au-dessus de l'individu , mais au-des-
sus de la nature même. Tellement que, si
Dieu avait créé l'homme originellement tel
qu'il est maintenant; si les misères, qui
sont la peine du péché, étaient les suites
primordiales de la nature. Dieu ne serait
point à blâmer, mais à louer. De savoir
pourquoi Dieu, en accordant des grâces suf-
fisantes à tous, en accorde de plus efficaces
aux uns qu'aux autres, c'est le secret de sa
miséricorde et de sa justice.
La grâce, étant un don au-dessus de la
nature , suppose nécessairement la nature
au-dessous. De là, si l'homme déchu de l'or-
dre surnaturel n'y peut plus aucun bien, il ne
s'ensuit pas qu'il n'en puisse plus avoir dans
l'ordre naturel, ni que ce bien soit un péché.
Que si, comme c'est en effet, sa nature mê-
me a été lésée, il s'ensuivra qu'il ne pourra
plus faire tout le bien qui est possible dans
cet ordre inférieur. Il ne méritera pas en-
core le bien de l'ordre surnaturel, la grâce ;
cependant il s'y disposei'a de loin, il provo-
quera la miséricorde divine à la lui accorder.
Voilà comme il nous semble qu'on peut con-
cilier ce qu'il y avait de vrai, éclaircir ce
qu'il y avait d'obscur de part et d'autre.
(Rorbacher , ibid. pag. 580.)
m.
JUGEMENT DE FÉNELON SUR L'ÉDITION DES (EUVIIES
DE SAINT AUGUSTIN PAR LES BÉNÉDICTINS.
Pour disculper ses confrères accusés de
favoriser le jansénisme, dans l'édition des
Œuvres de saint Augustin, MabiUon publia,
dans le onzième et dernier volume, une pré-
face générale sur toute l'édition. Cette apo-
logie ne satisfit pas, à beaucoup près, tout
le monde. En particulier, Fénelon, arche-
vêque de Cambrai, la regarda comme très-
insuffisante. Voici comment il s'en explique
dans une lettre où il signale d'abord ce
qu'elle paraissait avoir de bon, et puis ce
qu'elle avait réellement de mauvais :
« Au premier aspect, on aperçoit beau-
coup de choses bonnes qui naissent de cette
préface : 1° Les Pères Bénédictins avouent
que, suivant la doctrine de saint Augustin,
il y a des grâces suffisantes. 2° Que dans l'é-
tat de la nature déchue, il y a une différence
active, soit pour mériter et démériter, soit
que la volonté se porte au bien par la grâce
victorieuse, soit au mal par elle-même et son
propre défaut. 3° Ils avouent que saint Au-
gustin prend souvent l'expression de libre
dans un sens plus large et plus général, pour
volontaire, même nécessaire. D'où il suit in-
contestablement que tous les passages, où
saint Augustin semble enseigner que le libre
arbitre s'allie avec la nécessité, signifient
seulement la liberté largement et impropre-
ment dite, mais non la liberté de l'arbitre
nécessaire pour mériter et démériter. 4° Ils
avouent que saint Augustin emploie fré-
quemment lé mot de nécessité pour une vé-
hémente propension née du vice de la na-
ture, sens auquel il ne craint pas de recon-
naître dans l'homme, après la chute, une
dure nécessité de pécher. Parla, ils prévien-
nent toutes les objections tirées des endroits
où saint Augustin paraît enseigner que Dieu
abandonne les hommes dans une dure né-
cessité de pécher. Cette nécessité, suivant
les éditeurs, est seulement une grande diffi-
culté ou une véhémente propension. 5° Ils
avouent que, touchant la possibilité de gar-
der les commandements, il y a dans saint
Augustin tant et de si clairs témoignages,
qu'il sei-ait superfiu de les citer. 6° Ils avouent
qu'en Dieu il y a une volonté sincère de sau-
ver tous les hommes. 7° Ils insinuent assez
clairement qu'ils ont donné lieu à lem-s ad-
SUPPLÉMENT AU CHAPITRE SUR SAINT AUGUSTIN.
847
■versaires de réclamer, et font une confession
mitigée et indirecte d'avoir été trop loin.
Voilà tout ce qui, dans cette préface, me pa-
raît tendre à l'édification ou à la réparation
du scandale. »
« Mais il y a beaucoup plus de choses qui
me scandalisent. Si vous voulez les exami-
ner exactement, il faut remonter à la source :
<i 1. Les Pères Bénédictins avaient beau-
coup péché, et non véniellement, dans leur
édition. Ils y avaient fait des notes très-du-
res et intolérables. Celle-ci, par exemple,
qu'ils excusent dans leur Préface, est indi-
gne de toute excuse : La nécessité ne répugne
point à l'arbitre de la volonté. Vous croi-
riez entendre Baïus ou Jansénius ressuscité.
Il y en a beaucoup d'autres du même calibre.
En outre, ces auteurs sont condamnables
non-seulement dans ce qu'ils ont dit, mais
encore dans ce qu'ils n'ont pas dit et qu'ils
auraient dû dire. C'est une chose intolérable
en eux que cette affectation perpétuelle de
garder le silence, lorsqu'il faudrait établir le
dogme catholique sur un texte de saint Au-
gustin , contre les novateurs, qui abusent de
ce texte pour prouver leurs erreurs. Partout
où il apparaît, ne fût-ce qu'une ombre de la
grâce efficace, ils multiplient les notes, pour
habituer les oreilles du lecteur au son de la
grâce très-efficace. Au contraire, dans tous
les lieux où saint Augustin enseigne directe-
ment la grâce suffisante ou l'étabht indirec-
tement par ses principes, ils s'abstiennent
artificieusement de toute note. De plus, cha-
que fois qu'il s'agit de la grâce efficace, ils
l'appellent simplement et absolument la grâ-
ce du Christ, comme si dans l'état de la na-
ture tombée il n'y avait aucune véritable
grâce intérieure et proprement dite , hormis
celle qu'ils proclament à tout propos efficace
par elle-même. Par ces artifices, le lecteur
s'accoutume insensiblement à ce sj^stème
qu'ils appellent augustinien, en sorte que,
dans les livres d'Augustin, il ne trouve au-
cune grâce du Christ, hors la grâce efficace.
Tel est le venin que le lecteur sans défiance
avale enlisant le texte avec ces notes-là. Quoi
qu'ils puissent alléguer de subtil, d'artifi-
cieux pour se défendre, cette affectation a
dû être très-odieuse et très-suspecte à l'É-
glise. De là un chacun avait le droit bien évi-
dent de demander la réparation d'un tel
scandale. Dès le temps de Baïus et de Jan-
sénius, pendant tout un siècle, et même dès
le temps de Luther et de Calvin, l'Église a
censuré fortement ce système hérétique ,
tant au concile de Trente que dans de nom-
breuses bulles des papes. Était-il permis aux
Bénédictins d'attacher à Augustin des notes
marginales par où l'on n'insinue naturelle-
ment que ce système ? Était-il permis d'in-
culquer incessamment la grâce efficace, com-
me la seule véritable et proprement dite grâ-
ce de Jésus-Christ, et d'écarter la grâce suffi-
sante ou de la supprimer par le silence, com-
me quelque chose de trop abject et de trop
indigne pour se trouver dans Augustin ? C'est
ainsi qu'on se rit des bulles pontificales. »
« Écoutez, s'il vous plaît, ce que répon-
dent les Bénédictins : Personne, disent-ils,
ne doit avoir le moindre doute que nous ne
soyons absolument éloignés de tout esprit
de parti. Comme s'ils avaient favorisé l'es-
prit de parti, et eussent montré de la partia-
lité, s'ils n'avaient pas confondu générale-
ment toute grâce proprement dite de Jésus-
Christ avec la grâce efficace, et s'ils n'eus-
sent supprimé dans les notes tout vestige
quelconque de la grâce suffisante ! Comme
s'il ne convenait pas à des éditeurs catholi-
ques de montrer de l'éloignement pour la
doctrine de Baïus et de Jansénius ! Comme
si le zèle pour la conservation de la vérité
cathohque, était quelque chose dont les Bé-
nédictins dussent s'éloigner comme de l'es-
prit de parti ! Comme si l'Église elle-même,
si ouvertement ennemie des erreurs jansé-
niennes, était une des sectes de l'esprit de
parti desquelles les éditeurs doivent se gar-
der !...
« Vous jugerez maintenant sans peine quel
préjudice portera cette édition à la sainte
doctrine. Cette édition a été attaquée très-
vivement et très-justement par tous les Jé-
suites et par les autres congruistes modérés.
On a imposé silence aux Jésuites (de la part
du roi). L'édition demeure autorisée et le
demeurera toujours, comme devenue désor-
mais irrépréhensible. Tous les lecteurs pen-
seront qu'ils trouveront certainement dans
ces notes le pur et véritable sens d'Augustin.
La réfutation des contradicteurs donnera
une plus grande autorité à l'édition, et ainsi
la dernière erreur sera pire que la première.
Oh ! si jamais on n'avait soulevé cette con-
troverse qui procure un triomphe visible aux
éditeurs ! Que Dieu pardonne aux prélats
qui, joués par cette sophistique préface, ont
cru que cette édition ainsi purgée pouvait
être autorisée sans péril ! »
848
HISTOIRE GÉNÉRALE DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.
2. « Les Bénédictins disent que toute l'é-
conomie de la grâce divine est exposée dans
le livre de la Correction et de la grâce. Ils ajou-
tent que, dans aucun autre ouvrage, l'évê-
que d'Hippone n'a expliqué plus clairement
la diiférence de l'homme debout et innocent
d'avec l'homme tombé et coupable; que
nulle part il n'a exprimé plus exactement les
causes de persévérer, ou de ne pas persévé-
rer dans l'un et l'autre état. Je loue non
moins qu'eux le mérite de cet ouvrage, mais
je soutiens qu'on ne doit pas chercher dans
cet ouvrage seul toute l'économie de la grâce
divine. Je crois, au contraire, que les locu-
tions de ce traité doivent être nécessaire-
ment mitigées et expliquées par les innom-
brables expressions d'autres œuvres de saint
Augustin, » Fénelon en cite plusieurs exem-
ples.
3. « Voici comment les éditeurs parlent de
la Synopse analytique d'Arnauld : Au reste ,
quant à l'unité, au prix et à la foi de ladite
analyse, qui avait paru autrefois avec auto-
rité, il ne nous appartient pas d'en parler.
Par où l'on voit que, lors même qu'ils sont
forcés par la crainte de dissimuler leur pen-
sée, ils ne peuvent s'empêcher de louer ou-
vertement cet ouvrage. Or, cet ouvrage sou-
tient mordicus le dogme jansénien ; car il fait
tous ses efforts pour démontrer, par saint
Augustin, que dans l'état présent il n'y a
d'autres secours que celui qu'il appelle quo.
Conséquemment les éditeurs, même dans la
préface apologétique, où ils semblent abju-
rer le jansénisme, louent le porte-étendard
de la secte jansénienne, établissant le sys-
tème de son maître. »•
4. « C'est une dérision et une chicane que
leur déclaration dans le point essentiel :
Voilà ce que nous disons, ajouteut-ils, sans
préjudice d'une autre grâce véritable et in-
térieure, mais privée de son effet, telle que
l'école des thomistes la soutient, après saint
Augustin Et plus loin : Nous admettons
avec le saint évêque, dans les saints et les
pécheurs , des grâces moindres et suffisantes
au sens des thomistes. Ils avaient dit au-
paravant : On en conclurait faussement
qu'il n'y a plus lieu à aucun autre secours,
tels que sont les secours inefficaces, et suf-
fisants au sens des thomistes. Ils ne disent
pas vraiment suffisants, ni simplement et sans
addition suffisants; cette déclaration mani-
feste, candide, simple et pleine, les gênerait
trop. Ils ajoutent quelque chose de relatif au
sens thomistique, pour éviter une décision
précise. » Fénelon discute ensuite le point
essentiel et péremptoh'e, et signale le venin
des notes marginales ; par exemple, saint
Augustin, dans un endroit, enseigne deux
sortes de grâces, l'une qui discerne les bons
des méchants, l'autre qui est commune aux
bons et aux méchants. Les éditeurs mettent
en marge : « La grâce de Dieu est propre-
ment celle qui discerne les bons des mé-
chants. )) Par où ils tronquent perfidement
la doctrine de saint Augustin, pour soutenir
une erreur condamnée par l'Eglise.
L'illustre archevêque conclut par cette sen-
tence : « Certainement, si les évêques qui
jouissent de la faveur du prince étaient véri-
tablement théologiens, vraiment zélés pour
la vérité catholique, vraiment opposés au
jansénisme, vraiment attentifs à discuter les
chicanes, jamais ils n'auraient admis cette
préface sophistique, illusoire et envenimée,
laquelle étant une fois admise, le venin de
l'édition exercera ses ravages dans tous les
siècles futurs, au détriment incalculable de
la saine doctrine, à moins que Dieu, qui sait
et peut plus que les hommes, ne supplée à
ce qui manque de la part des prélats '. » Ce
jugement de Fénelon, esprit si modéré, mé-
rite une attention sérieuse de la part de tous
les catholiques. La suite des événements a
justifié la prévoyance de Fénelon. Dans la
controverse avec les pélagiens sur la nature
et la grâce, saint Augustin a dit ces paroles
à jamais mémorables : Rome a parlé, la cause
est finie, puisse aussi finir l'erreur ! Dans la
controverse avec les jansénistes sur la grâce
et la nature, les Bénédictins français, édi-
teurs de saint Augustin, virent plusieurs pon-
tifes romains prononcer des sentences solen-
nelles ; jamais ils ne dirent avec saint Au-
gustin : Rome a parlé, la cause est finie; ils
prendront plus ou moins ouvertementle parti
de l'erreur contre Rome ; les Bénédictins Du-
rand et Maran se laisseront exiler, non pour
la justice, mais pour l'hérésie. (Rorbacber,
ibid., tom. XXVI, pag. 121 et suiv.)
1 Œuvres de Fénelon, Versailles, tom. XV, pag.
81-109.
FIN DU TOME NEUVIÈME.
TABLE AMLïTIOm
DES
MATIÈRES CONTENUES DANS CE NEUVIÈME VOLUME.
ABBÉ. Lettre d'un prétendu abbé d'Allemagne
contre l'édition des ouvrages de saint Augustin,
donnée par les Pères Bénédictins de la congré-
gation de Saint-Maur, p. 816.
ABÉCÉDAIRE, psaume composé par saint Au-
gustin, p. 374.
ABÉLONIENS hérétiques, p. 16.
ABGAR, roi d'Édesse : s'il a écrit à Jésus-
Christ, et s'il en a reçu réponse, p. 575.
ABIMÉLECH. Son péché puni dans les femmes
qu'il avait dans sa maison, p. 493.
ABLAVIUS, vicaire d'Afrique, p. 416.
. ABONDANTIUS, prêtre, convaincu de préva-
rication, p. 16. — Déposé, p. 89.
ABRAHAM, patriarche, n'a point menti en per-
suadant à Sara de dire qu'elle était sa sœur,
p. S45.
ABRAHAM, moine, reçoit une lettre de saint
Augustin, sur les peines des enfants qui meurent
sans baptême, p. 192, 193.
ABSTINENCE des viandes : quand elle doit
avoir lieu, p. 348. — Les catholiques s'abste-
naient autrefois de la chair des animaux : l'abs-
tinence n'en était générale que pour peu de per-
sonnes, p. 804.
ABUS, comment il faut les détruire, p. 70, 71,
74, 241.
AGACE, aveugle-né, guéri par l'Eucharistie,
p. 552.
ACADÉMICIENS, conférence contre eux, p. 38.
Saint iugustin explique le dessein qu'il avait en
écrivant contre les académiciens, p. 65. Livre
contre les Académiciens, p. 37. Différence de sen-
timent entre les anciens et les nouveaux, p. 58.
ACCEPTION de personnes. Les pélagiens ac-
cusaient les catholiques d'attribuer à Dieu l'ac-
ception de personnes, p. 478. Elle n'a point lieu
IX.
quand tous sont enveloppés dans la même masse
de condamnation, p. 707.
ACTES des apôtres. On les lisait tous les ans
dans les assemblées des fidèles, p. 805. Faux Ac-
tes des apôtres composés par un certain Leu-
tius. p. 577.
ACYNDINUS, préfet d'Orient. Jugement mémo-
rable qu'il rend à Antioche, p. 788.
ADAM, s'il est sauvé, p. 143. Pourquoi tenté.
p. 206. Corrompu par sa malice, p. 309. Les pé-
lagiens prétendaient qu'Adam serait mort, quand
même il n'aurait pas péché, pag. 418 : saint
Augustin réfute cette erreur, ibid. Adam et Eve
ont été délivrés des supplices éternels par la
vertu du sang de Jésus-Christ, p. 614. Tatien
combat la foi de l'Église touchant le salut
d'Adam, ibid. et 615. Sentiment de saint Augus-
tin sur la grâce et le libre arbitre d'Adam, p.
675-676. Si Adam avait reçu le don de persévé-
rance, p. 676 et suiv.
ADÉODAT, fils de saint Augustin, p. 2.
ADIMANTE, manichéen. Saint Augustin écrit
contre lui, p. 337, 338.
AUORER. Ce qu'il faut adorer, p.6i, 64, 69.
ADRUMET, ville célèbre de la province Byza-
cène, p. 513. Dispute sur la grâce entre les moi-
nes d'Adrumet, iiid. Saint Augustin les instruit,
ibid. et suiv.
ADULTÈRE. Comment on peut le commettre.
p. 272. L'adultère est une cause de séparation en-
tre les époux, ibid. L'histoire de la femme adul-
tère ne se trouvait pas anciennement dans plu-
sieurs exemplaires grecs et latins, p. 571. Il y a
eu autrefois des évêques qui ne croyaient pas
qu'on dût donner la paix aux adultères, p. 779.
Mais ils étaient dans l'erreur, p '780.
ADVERSAIRE. Livre de saint Augustin contre
54
850
TABLE ANALYTIQUE.
l'Adversaire de la loi et des prophètes, p. 353 et
suiv.
AEI^ÈDE, abbé de Revesby', en Angleterre',
p. 65.
AÉRIUS (l'hérétique], enseignait qu'il ne fal-
lait ni offrir le sacrifice, ni prier pour les morts,
p. 764: qu'il n'y avait aucune différence entre les
évêques et les prêtres, p. 784.
AÉTIUS, capitaine romain, p. 18.
AGAPES. Saint Augustin écrit à Aurèle au su-
jet des agapes, p. 12.
AGE. Différents âges du monde, p. 266. Age
des liommes, p. 313.
ALBINE, belle-mère de Pinien, écrit à saint
Augustin, p. 448.
ALLÉGORIQUE (sens) sur la Genèse, p. 15.
ALLELUIA. L'usage où est l'Église de le chan-
ter pendant le temps pascal vient d'une ancienne
tradition, p. 619. On le chantait tous les diman-
ches à l'autel, p. 766.
ALOGES, hérétiques qui rejetaient l'Apoca-
lypse, p. 5T3.
ALYPIUS, ami de saint Augustin qui l'engage
dans l'erreur des manichéens, p. 4. Il assiste
aux conférences contre les académiciens, p. 38.
Saint Augustin lui écrit au sujet des moines,
p. 92. Et sur la conversion de deux païens, p. 181.
11 va en Italie en 420. Julien l'appelle le petit
valst de saint Augustin, p. 538. Alypius lait co-
pier les huit livres de Julien, ibid.
AMBROISE (saint) reçoit saint Augustin à Mi-
lan, p. 5; il explique les passages les plus diffi-
ciles de l'Ancien Testament, ibid. Persécuté par
l'impératrice Justine, p. 32. Il connaît par révé-
lation les corps de saint Gervais et de saint Pro-
tais, p. 33. Il reconnaît la nécessité de la grâce.
Saint Augustin l'oppose à Pelage, qui l'avait cité
avec éloge, p. 452. Passages de saint Ambroise ci-
tés par saint Augustin, p. 483, 489, 430, 492, 545.
AME. Sa nourriture, p. 40 : et son immortalité,
p. 44, 45 et 46. Comment on peut la connaître,
p. 41. Son origine, sa nature, etc., p. 45, 46, 47,
143, 144 et 160. Comment elle devient charnelle,
p. 62: sa chute, p. 321 : son premier vice, p. 63.
Comment les démons agissent sur notre âme et
lui impriment des pensées, p. 67. Si elle a un
corps après la mort, p. 140. Ce que c'est que
l'âme, p. 205 et suiv. Si les âmes voient ce qui
se passe dans cette vie, p. 281. Pourquoi Dieu
a-t-il donné une âme aux hommes, p. 309. Livre
des Deux dm es, p. 336. Saint Augustin écrit quatre
livres de l'âme et de son origine, p. 466 et suiv.
La question de l'origine de l'âme peut bien être
une de ces clioses si élevées au-dessus de nous,
qu'il ne nous est pas permis de les approfondir,
p. 472. Tertullien croit que l'âme est un corps,
p. 469. Erreurs de Victor touchant la nature de
l'âme, p. 466, 470, 471. État des âmes au sortir
du corps. 7si6. Leur bonheur, ibid.
AMBIGUÏTÉ des mots. Comment l'ôter, p. 607
et suiv.
AMEN. Les fidèles en recevant l'Eucharistie
répondaient : Amen, p. 748, 766, 768.
AMITIÉ. Quelle est la vraie amitié, p. 29,255.
AMOS. Éloquence du prophète Amos, p. 595.
AMOUR des biens du monde, quel mal il cause,
p. 18. Amour du vrai, bien, p. 70. Amour de Dieu,
p. 64, 197, 807. Amour du prochain, ibid : son
effet, p. 128 : en quoi il consiste, p. 138. Amour
de soi-même, p. 197. Sans l'amour du Créateur
personne n'use bien des créatures, p. 499, 694.
L'amour de Dieu et du prochain vient de Dieu,
p. 517. Nécessité de la grâce pour aimer Dieu,
p. 692 et suiv. Sentiment de saint Augustin sur
l'amour de Dieu, p. 807, 808.
ANASTASE, ami de saint Augustin qui lui
écrit, p. 128.
ANATHÉMATISER. Comment on doit anathé-
matiser, p. 188, 189.
ANATHÈME. Lettre sur l'anathème, p. 188 ,
189 . L'anathème injuste fait plus de tort à celui
qui le lance, qu'à celui qui le souffre avec pa-
tience, p. 781. On obligeait les hérétiques de
dire anathème à leurs écrits et â leurs erreurs,
p. 801. ^
ANGÉLIQUES hérétiques, qui penchaient beau-
coup pour le culte des anges, p. 786.
ANGES. Si les mauvais anges ont un corps, p.
204. Connaissance des anges, p. 205. Leur créa-
tion, p. 204, 205. Chute des mauvais anges, p. 260.
En quel état les anges ont été créés, p. 303. S'ils
ne sont pas coéternels à Dieu, p. 307. Occasions de
leurs oppositions , p. 307. Les bons anges n'ont
jamais été sans l'amour de Dieu, ibid. Différence
entre les anges et les hommes, p. 509. Apparition
des anges, p. 364. Sentiment de saint Augustin sur
les anges, p. 734 et suiv. Le nom d'ange est un nom
d'office et non de nature, p. 735. Les bons anges
sont demeurés dans la vérité par leur libre
arbitre, p. 522, 678. Les mauvais anges se sont
éloignés de Dieu par leur libre arbitre, p. 522,
678.
ANNE, la prophétesse, reconnut Jésus-Christ
pour Dieu dans le temple, p. 617.
ANNIEN, faux diacre de Célède, défenseur de
l'hérésie pélagienne, p. 261.
ANKONCI.VriON. Sermon de saint Augustin
pour la fête de l'Annonciation, démontré authen-
tique, p. 245.
ANTIPODES, ce qu'en pense saint Augustin,
p. 314 et notes ibid.
ANTOINE, évêque de Fussale, p. 19. Déposé de
l'épiscopat, ibid.
ANTONIN, saint Augustin lui écrit et fait son
éloge, p. 70.
APPARITIONS. Sentiment de saint Augustin
sur les apparitions, p. 141. Apparition de Samuel,
p. 252. Apparition des anges, p. 364.
APOCALYPSE. Sentiment de saint Augustin
sur l'Apocalypse, p- 573.
APOCALYfSE pleine de fables attribuée à saint
Paul, p. 576.
APOLLINARISTES (hérétiques) : leurs erreurs,
p. 646.
ARBRE. Qu'est-ce que le bon et le mauvais
arbre dont il est parlé dans saint Matthieu, chap.
TABLE ANALYTIQUE.
831
vu, p. 498. Sentiment de saint Augustin sur l'ar-
bre de vie. p. 558.
ARBITRE (libre). Livre du libre arbitre, p. 49
et suiv. Difûculté d'Évodius sur le libre arbitre,
p. 51. Tout bon mouvement du libre arbitre est
un don de Dieu, p. 50 : il ne cesse d'être libre,
avec le secours de la grâce, p. 157, 163, 174, 175 :
ce qu'il peut, p. 176, 177, 263, 298.
ARCHE. Sentiment de saint Augastiû sur Par-
chedeNoé, p. 615.
ARIENS, leur croyance, p. 152. Ils sont com-
battus, p. 222, 366- Réfutation d'un discours des
ariens, p. 357 et suiv. Conférence avec Maximin,
p. 559 et suiv.
ARMENTAIRE. Saint Augustin l'exhorte à la
continence, p. 115.
ARIVIES. Comment on doit se comporter dans
la profession des armes, p. 160.
ASELLICUS, évéque. Saint .4.ugustin lui écrit,
p. 166.
ASELLUS, prêtre de Rome, légat du pape Zo-
sime en Afrique, en 418.
ASSOMPTION de la Sainte Vierge. Sermon de
saint Augustin pour cette fête. Son authenticité,
p. 244, 245.
ASTROLOGIE, qu'il n'y faut point ajouter foi,
p. 188, 248. Ceux qui en faisaient profession n'é-
taient admis à la communion qu'après une péni-
tence publique, p. 15.
ASTROLOGIE judiciaire. Saint Augustin l'étu-
dié dans sa jeunesse, mais il en est détourné par
un sage vieillard nommé Yindioien, p. 793. La
foi de l'Église rejette la nécessité fatale que l'as-
trologie impose aux hommes, p. 794.
ASTROLOGUES, fausseté de leurs sentiments,
p. 298. Combattus, ibid. Saint Augustin met un
astrologue en pénitence, p. 794, 795.
ATHANASE (saint), patriarche d'Alexandrie, sur
la pratique pour le chant des psaumes, p. 33. De
son temps, d'après l'hérétique Julien, presque
tout le monde entier avait abandonné la foi des
apôtres, p. 541.
ATHANASIENS, nom que les ariens donnaient
aux catholiques, p. 628.
ATTRIBUTS des tcois personnes divines, p. 364.
AUDAX, évêque, écrit à saint Augustin qui lui
répond, p. 190.
AUGURES (les) ont été traités de ridicules par
les plus sages d'entre les païens, p. 793. Saint Au-
gustin met les livres des Âruspices et des augu-
res au nombre des superstitions et des pactes que
l'on fait avec le démon, ibid.
AUGUSTIN (SAIKT), évêque d'Hippone et doc-
teur de l'Eglise. Histoire de sa vie, p. 1 et suiv.
Sa naissEjnce en 354, p. 1. Son nom, ibid. Son
éducation, p. 2, L'oisiveté le fait tomber en 370,
ibid. Cause de sa chute dans l'erreur des mani-
chéens, p. 29. Il va à Carthage en 370 et 371,
ibid. Il perd son père en 871, il commence h ai-
mer la Sagesse, il entend sans maître les livres
des philosophes, p. 2 et 3. Il embrasse l'hérésie
des m.inichéens, p. 3 et 4 : il se défie des mani-
cliéens, p. 4. 11 enseigne à Carthage en 378, p.
4. II va à Rome et à Milan en 384, p. 5. 11 pro-
pose une conférence à. Fauste le manichéen, ibid.
11 demeure catéchumène dans l'Église catholique,
p. 6. Sa conversion, ibid. et suiv. : ses occupa-
tions, p. 8 et 9. Il reçoit le baptême, p. 9. Il re-
tourne en Afrique en 388, p. 9 et 10. 11 est fait
prêtre à Hippone, p. 10 et 15 : établit un monas-
tère, p. 11 : écrit à Aurèle au sujet des agapes, p.
12 et 13 : est fait coadjutenr d'Hippone, p. 13 et 14 :
il bâtit des églises et un hôpital, Ibid. Ses soins
'pour les pauvres, p. 14 et U. Quelle fut sa con-
duite envers les pécheurs, p. 15. Ses travaux con-
tre les ennemis de l'Église, p. 16. Il dépose Abun-
dantius en 401. ibid. Il est longtemps absent et
veut quitter le maniement des biens de l'É-
glise, p. 17. Il exhorte Démétriade à la virginité,
ibid. et 18. Il détourne Boniface de quitter le
monde, p. 18. Il combat les pélagiens en 412 et
les années suiv. p. 19. Il désigne Éraclius, évêque
d'Hippone, p. 20. Il travaille à apaiser les trou-
bles d'Adrumet, p. 21. Il tombe malade, ibid. et
meurt en 430, p, 21 et 22. Sa mémoire honorée
en France dès le vi' siècle, p. 22. Cause de la
chute de saint Augustin dans l'erreur des mani-
chéens, p. 29.Il,donne des règles de morale, p. 42.
Son caractère à l'égard de ses amis, pag. 66.
Règle pour un monastère de filles, p. 172. Ses
ouvrages. — Livres des Rétractations. Pourquoi
mis les premiers, p. 23 ; composés vers l'an 428,
ibid. En quel ordre ils sont écrits, ibid. Ce qu'ils
contiennent, iôid. et p. 24. Quel en est le dessein,
p. 24. Estime qu'on a faite de ces livres, ibid. —
Confessions de saint Augustin, comment ces li-
vres ont été reçus, p. 24 et 25. Ils furent écrits
vers l'an 400, p. 25. Ces Confessions sont divisées
en treize livres, ibid. ; analyse du premier, ibid.
etsuiv.; analyse du deuxième, p. 27; du troisième,
p. 27 et suiv.; analyse du quatrième, p. 29;ducin-
quième, p. 29 et 30 ; du sixième, p. 30 et 31 ; du
septième, p. 31 ; analyse du huitième, p. 32 ; du
neuvième, ibid. et 33 ; du dixième, p. 33 et 34 ;
du onzième, p. 34 et 35 ; du deuxième, p. 35 et
36 ; du treizième, p. 36 et 37. — Livres de saint
Augustin contre les Académiciens, p. 37 et suiv.
En quel temps ces livres ont été composés, p. 37;
analyse du premier livre, p. 38; du deuxième,
ibid.; du troisième, ibid. et p. 39. — Du livre de
la Vie bienheureiise, p. 40 et 41. Ce livre fut écrit
en 386, p. 40. ; analyse de cet ouvrage, ibid. et
pag. 41. — Des deux livres de l'Ordre, faits en
386, p. 41 ; analyse du premier livre, p. 42 ; et du
deuxième, ibid. et pag. 43. — De ses Soliloques,
p. 43 et suiv. Ils sont écrits en 386 ou 387, p. 43:
Analyse du premier livre, p. 43 et 44 ; du deuxiè-
me, p. 44. — Livre de l'Immortalité de l'âme, en
387 ; p. 45 ; analyse de ce livre, ibid.— Livre de
la Quantité de l'âme, en 388, ibid. 46 et 47. — Livre
de la Musique, écrit en 389. Difficultés de ce livre,
quel en est le dessein, ibid. et p 48-, analyse des
livres de la Musique , ibid. — Livre du Maître,
écrit vers l'an 389, p. 49; ce qu'il contient. — Li-
vres du Libre arbitre. Augustin l'écrit vers l'an
p. 49 «1388, suiv.; analyse du premier livre, p. 51 ;
851
TABLE ANALYTIQUE.
du deuxième, ibid. et p. 52 ; du troisième, p. 52 et
siiiv. — Deux livres sîor la Genèse, vers l'an 389,
p. 54 ; ce que contient le premier livre, p. 55 ; le
deuxième, ibid. et p. 56. Remarques sur ces deux
livres, p. 56. — Deux livres des Mœurs de l'Eglise
catholique contre les manichéens, écrits vers l'an
288 et publiés en 3S9, p. 56 et 57 ; analyse du pre-
mier livre, p. 57 et suiv. ; analyse du deuxième,
p. 60. — Livre de la Vraie religion, composé vers
l'an 590, p. 60 et 61 ; analyse de ce livre, p. 61 et
suiv. — Livres faussement attribués à saint Au-
gustin. — Livre de la Grammaire, p. 64. — Livre
des Principes de dialectique, p. 65. — Livre des
Dix catégories, ibid. — Les Principes de réthori-
que, ibid. — Règles aux clercs, ibid. — Livre de
la Vie éternelle, ibid. — Lettres de la première
classe ; lettre à Hermogénien en 386, p. 6b ; lettre
'd Zénobius, p. 66 ; lettres à Nébridius, ibid. p. 67
et 68; lettres à Romanien, à Maxime, à Célestin, à
Antonius, p. 69 et 70; à Valère, p-. 70; à Aiirèle, ibid.;
à Maximien, p. 71 et 72; à Licentius, p. 72 et73 ; à
saint Paulin, p. 73 ; à saint Jérôme, ibid. et p. 74;
à. Alypius, p. 74 et 75. — Lettres de la deuxième
classe ; lettre à saint Paulin, p. 75 ; à Proculien,
p. 76 ; à Euzèbe, ibid.; à Casulan, p. 77 et 79 ; à
Simplicien, à Profuturus, p. 78; à saint Jérôme,
p, 79 ; à Aurèle et à saint Paulin, ibid.; àGlorius,
ibid. et p. 80 ; aux deux Félix, p. 80 et 81 ; à Pu-
blicola, p. 81 ; à Eudoxe. p. 82 : à Honorât, ibid. ;
aux habitants de Suffecte, ibid. ; h Crispin, ibid.;
à Séverin, p. 83 ; à Générosus, ibid. ; à Janvier,
ibid. et suiv.; à janvier, p. 85 et 86 ; à Celer,
p. 86; à Pammaque, pag. 87; à Victorin, ibid.; à
Aurèle, ibid. ; à Théodore, p. 88 ; à Sévère, ibid. ;
à Quientien, p. 89; à Xantippe, ibid.; à Crispin,
ibid. ; à saint Jérôme, p. 00 ; à Casiorius, ibid. ;
à Nancélion, ibid.; à saint Jérôme et à saint Au-
gustin, ifiirf.; aux donatistes, iftid. ; à Félix, au
clergé d'Hippone, iftid. et p. suiv.; à un prêtre
manichéen, p. 92; à saint Paulin, ibid.; à Aly-
pius , ibid. et p. 93; à Paul, ibid.; à Cécilien,
p. 94 ; à Émérite, ibid. ; à Janvier, ibid. et p. 95;
à. Festus, ibid. et p. 96 ; à Notaire, p. 96 et 97 ; à,
Italique, p. 97, 98 ; à Vincent, le rogatiste, p. 98
et suiv. ; à saint Paulin, p. loi et 102 ; à Olym-
pius, p. 102 ; à Bonirace, p. 103 et 104; à Donat,
p. 104; à Mémor, ibid.; à Déogratias, ibid. et
p. suiv.; aux donatistes, p. 107; à Macrobe, ibid.
et suiv.; à Donat, p. 110 ; pour Faventius, ibid. ;
à Dioscore, ibid. et p. 111; à Sévère, p. 109; à
Victorien, ibid. et 110 ; à Consçntius, p. 111 et
suiv. ; au clergé d'Hippone, p. 113 et 114. —
Troisième classe des lettres de saint Augustin.
Lettres à Albine et h Alypius, p. lii et 115; à
Armentaire et à Pauline, p. 115 et 116 ; à, Mar-
cellin, p. 116 et suiv. ; à Proba, p. 118 et suiv. ;
à Volusien, p. 120 ; à Marcellin et à Apringius,
ibid. et p. 121; à Volusien, p. 121 et suiv. ; à
Jlarcellin, p 124, 125 ; à Honorât, p. 125 et 126 ;
aux donatistes, p, l'26 ; à Saturnin et iiEuplirate,
p. 127 ; à Marcellin, ibid.; à ceux de Cirthe, p.
127 et 128 ; à .\nastase, p. 128 ; à Pelage, ihid. ; à
Pauline, p. 129, 130; à Fortunatien, p. 130 131 ;
Paulin, p. 131 et suiv. ; à Proba et à Julienne,
p. 133; lettres de Macédonius et à Macédonius,
p. Iô4 et suiv. ; d'Hilaire et à Hilaire, p. 138 et
suiv, ; d'iîvodius et à Évodius, p. 140 et suiv. ; de
saint Jérôme et à saint Jérôme, p. 143 ; de Ti-
masius et à Timasius. p. 146 et suiv. ; à Évodius,
p. 147 ; à Maxime, p. 148,149; àPérégrin, p. i49;
à Donat, p 149 ; à Jean de Jérusalem, p. 151 ; à
Océanus, ibid. et p 152 ; à Boniface, p. 152 et
suiv. ; à saint Paulin, p. 154 et suiv. ; à Darda-
nius, pag. 158 ; à Julienne, p. 159 et 160 ; à Boni-
face, pag. 160 ; à Optât, ibid. et suiv. ; à Sixte,
p. 162 ; a Célestin, diacre, pag. 162 ; à Mercator,
ibid. et p. 163 ; à Sixte, p. 163 et suiv. ; lettres de
saint Jérôme à saint Augustin etde saint Augustin
àAsellicus, p. 166 ; à Hésyohius et d'Hésychius,
p. 167, 168; à Valère, p. 168, 169 ; à Donat, "p. 159;
à Largus, ibid.; à Dulcitius, ifti'd. et p. 170; à
Consent'us, p. 170, 171 : à Valère et à Claude,
p. 171 ; à Félicie, p. 171 ; à Célestin, ibid.; à Fé-
licité, ibid. et suiv. ; à Quintilien, p. 174 ; à Valen-
tin, ibid. et suiv. ;à Vital, p. 176 et suiv. ; à Pala-
tin, p. 179 ; à Proculus, ibid. ; à Boniface, ibid. et p.
180 ; lettres de Quodvulldéus et à Quodvultdéus,
p. 180, 181 ; de Prosper et d'Hilaire et de saint
Augustin à Alypius, p. 181 ; à Honorât, p. isi et
suiv. ; lettres de Darius et à Darius, p. 183 ; aux
habitants de Madaure, p. 183, 184 ; à Longinien et
deLonginien, p. 184; àDeutérius, p. l84;àCéré-
tius, p. 185; à Pascentius etde Pascentius, ibid.
et suiv.; àElpidius, p. 186, 187; à Lœtus, p. 187;
à Chrisime, ibid.; à Possidius, ibid. et p. 188 ; à
Lampadius, p. 188; à Romulus, ibid.; à Sébas-
tien, ibid.; à Restituais, ibid.; à Auxilius et à
Classicien, p. 188, 189 ; à Pancarius , p. 189 ; à
Félix à Bénénatus et à Rusticus, ibid. ; à Chris-
tinus , ibid.; à Oronce et à Martien, ibid.; à
Corneille, ifcid.; àAudax, p. 190; àCédicie.iôid. et
p. 191;àSapida, p. i9i;àMaxima, ifcid.; à Séleu-
cienne, i6id.;à Florentine, p. 192; àFabiole,ifcid.;
au peuple d'Hippone, ibid. ; à Nobilius et de Nobi-
lins à saint Augustin, ibid. ; à Pierre et à Abraham
ibid. et 19ô; à Optât, pag. 193 et 194; à Slaxime,
p. 194. — Lettres faussement attribuées à saint
Augustin : lettre à Boniface, à, Démétriade, à saint
Cyrille de Jérusalem; et de saint Cyrille de Jé-
rusalem à saint .Augustin, à Pascentius, l'Jid. —
Quatre livres de la Doctrine chrétienne, p. 194
et suiv. ; ils sont composés vers l'an 397, p. 195.
Analyse du premier livre, ibid. et suiv. ; du
deuxième livre, p. 197, 198; du troisième livre,
p. 198 et suiv. ; du quatrième livre, p. 200, 201.
— Du livre Imparfait sur la Genèse en 593, p. 201,
202 ; analyse de ce livre, p. 202. — Des douze li-
vres sur la Genèse, p.203 et suiv.; ils ont étééjrits
en 401 et publiés en 415, p. 202; ce qu'il y a de
remarquable dans ces livres, p. 203. Livre pre-
mier, ifcifi. ; livre deuxième, ibid. et 204; livre
troisième, p. 204; livre quatrième, ibid. \ livre
cinquième, ibid. et 205; livres sixième, septième,
huitième, p. 205; livre neuvième, ibid. et 206 ;
livre dixième, p. 206; livre onzième, ibid. et 207;
livre douzième, p. 207, 208. — Les Façons d
TABLE ANALYTIQUE.
853
parler de l'Heptateuque vers l'an 419, p. 208. —
Les Questions sur la Genèse, ibid. et p. 209 ; les
Questions sur l'Exode, p. 209 et sulv. : sur le Lé-
vitique, p. 2U, 212 ; sur les Nombres, p. 212 ; sur
le Deutéronome, p. 2i3; sur Josué, ibid. et -214;
sur les Juges, p. 214. — Des Notes sur Job. Ce
qu'on entend par ces notes, p. 214. —Miroir tiré
de l'Écriture sainte, p. 214, 215; autre Miroir,
p. 215; Miroir publié par le cardinal Mai, p. 215,
216. — Livres de l'Accord des évangélistes, en 399
ou 401, p. 216. Division et dessein de cet ouvrage,
ibid. Premier livre, ibid. et suiv. ; deuxième,
troisième et quatrième livres, p. 218, — Explica-
tion en deux livres du Sermon sw la montagne,
p. 218. Difficultés de ces deux livres, p. 218; ce
qu'il y ade remarquable, ibid. et 5u\y .— Questions
sur l'Evangile, composées vers l'an 400, p. 2îO.
Dix-sept questions faussement attribuées à saint
Augustin, iftid.— Traités sur l'Evangile et la pre-
mière Epître de saint Jean, vers l'an 416 ou 417,
p. 220, 221; sa méthode dans ces explications,
p 221. Pourquoi il interrompt ces explications,
ibid. Préface sur ces homélies ou traités, ibid.;
quel en est le dessein, ibid. Il y combat les ariens,
ibid. et 222 : les manicBéens , p. -222, 223 ; les do-
natistes, p. 223, 224 ; les pélagiens, p. 224 ; les phi-
losophes, ibid. — Les Questions sur l'Épître aux
Romains, p. 22S ; Explication de l'Épître aux Ro-
mains, vers l'an 391, ibid.; ce qu'il y a de remar-
quable dans cette explication, ibid.; Explication
de l'Epître aux Galates, vers l'an 394, — Ouvrages
faussement attribués à saint Augustin: les livres
des Merveilles de l'Ecriture; le livre des Bénédic-
tions des patriarches ; les dix-neuf homélies sur
l'Apocalypse, p. '229. — Explication des Psaumes
achevée vers l'an 416, p. 229 i230; en quelle ma-
nière il a expliqué les Psaumes, p. 250 ; en quel
lieu il les a expliqués ; division de l'ouvrage, ibid.
et 231 ; de quelle version il s'est servi, p. -'31. Les
préfaces sur les Psaumes ne sont point de saint
Augustin, ibid.; estimp qu'on a faite de ces Com-
mentaires, ibid. Méthode de saint Augustin dans
l'Explication des Psaumes, ibid et 252 ; réflexions
remarquables sur ces explications, ibid. et suiv.
Prière à la fin des Commentaires sur les Psaumes,
p. 234; explication du psaume xiv^ faussement
attribuée à saint Augustin, p. 235. — Sermons de
saint Augustin, p. 2Sô et suiv. : distribution des
sermons de saint Augustin. Première classe : Ser-
mons .sïW l'Écriture sainte, p. 235 et suiv. Deuxiè-
me classe : Sermons du Temps, p. 239, 240. — Troi-
sième classe ; Sermons sur les Fêtes des saints.
Ce que ces sermons contiennent de remarquable,
p. 240, 241. Quatrième classe : Sermons sur divers
sujets : ce qu'ils contiennent de remarquable,
p. 241 et suiv. Cinquième classe : Des sermons
douteux, p. 243, 244. Des sermons contenus
dans l'Appendice du V« tome. Sermons publiés
depuis D. Ceillier. Voir à la fin du volume le
Supplément. — Solution de quntre-vingt-trois
questions, p. 245 et suiv. — Les deux livres à
Simplicien écrits vers l'an 397, p. 249. Analyse du
premier livre, p. 2.50, 251 : analyse du deuxième
livre, p. 251, 252. — Des Questions à Dulcitius,
vers l'an 432, p. 252 et 255. Analyse de ces ques-
tions p. 253, 254. — Livre de la Croyance des
choses qu'on ne voit pas; il est de saint Augus-
tin, après l'an 399, p. 254; analyse de ce livre,
p. 255. — Livre de la Foi et du Symbole, en 393,
ibid; analyse de ce livre, ibid. et 256. — Livre de
la Foi et des œuvres, écrit vers l'an 415, p. 256 ;
analyse de ce livre, p. 251, 258. — Manuel à
Laurent ou Traité de la Foi, vers l'an 421 ; il est
adressé à Laurent, p. 258 et 259; analyse de ce
livre, p. 259 et suiv. — Livre du Combat chrétien,
vers l'an 396, p. 263, 264; analyse de ce livre,
p. 264. — Livre de la Manière d'instruire, vers
l'an 400, p. 264; analyse de ce traité, p. 265 et
266. Livre de la Continence : il est de saint Au-
gustin, p. 266; analyse de ce traiti^, ibid. et 267.
— Livre du Bien du mariage, vers l'an 401 , p. 267 ;
analyse de ce traité , p. 268, 269. — Livre de la
Sainte Vierge; analyse de ce livre, p. 2G9 et suiv.
— Lisre du Bien de laviduité, écvil en 414, p 271;
analyse de ce traité, ibid. et p. 272. — Traité des
Mariages adultères, p. 272; analyse du premier
livre, p. 272, 273; analyse du deuxième livre,
p. 273, 274. — Livre du Mensonge, écrit vers l'an
595, p. 274; analyse de ce livre, ifcid. et p. 275.
— Livre contre le Mensonge, à Consentius, vers
l'an 420, p. 275 ; analyse de ce livre, p. 277 et
suiv- — Livre de l'Ouvrage des moines, écrit vers
l'an 400, p. 277 : analyse de ce livre, p. 277 et
suivantes. — Livre des Prédictions des démons ,
écrit en 406 et4H, p. 279; analyse de ce livre, i6id.
et p. 280. —Livre du Soin pour les morts, écrit en
421, p. 280 ; analyse de ce livre, ibid. et suiv. —
Livre de la Patience, écrit vers l'an 418, p. 282.
Analyse de ce livre, ibid. et 283. — Sermons sur
le Symbole; ils ne sont pas de saint Augustin ,
p. 283, 284. Voyez note, ibid. Sermon sur la Dis-
cipline chrétienne, 'p.28i. Sermon sur le nouveau
Cantique et quelques autres supposés, ibid. Dis-
coiws sur l'utilité du Jeûne, ibid. et 285. Sermon
sur la prise de Rome, p. 285, 286. — Ouvrages faus-
sement attribués à saint Augustin, p. 286 et suiv.,
savoir : livre des Vingt et une questions; livre des
Soixante-cinq questions; livre de la Foi à, Pierre;
livre de l'Esprit et de l'âme; livre de l'Amitié;
livre de la Substance de l'amour ; livre de l'A -
mour de Dieu; les Soliloques de l'âme; livre des
Méditations ; livre de la Contrition du cœur, le
Manuel; le Miroir; l'autre livre du Miroir; le
livre des Trois habitations; l'Échelle du para-
dis ; le livre de la Connaissance; le livre de la
Vie chrétienne; le livre des Enseignements salu- ■
tairés; le livre des Douze abus; le Traité des
Sept vices et des sept dons du Saint-Esprit ; le
traité du Combat des vices et des vertus ; le livre
de la Sobriété et de la chasteté; le livre de la
Vraie et de la fausse pénitence; le livre de l'An-
téchrist; le Psautier ; le cantique Magnificat ; le
traité de l'Assomption de la Vierge; les deux li-
vres de la Visite des infirmes; les deux livres de
la Consolation des morts; le traité de la Con-
duite chrétienne; le discours sur le Symbole; le
854
TABLE ANALYTIQUE.
traité des Douxe pierres ; les Sermons aux frè-
res du désert. — Livres de la Cité de Dieu, p. 288
et suiv ; à quelleoccasion écrits, p. 288, 283. Saint
Augustin les commença vers l'an -113; ils ne fu-
rent achevés qu'en 4-26 ou 427, p. 289; estime
qu'on a faite de ces livres, ibid. et 290 ; analyse
du premier livre, p. 290 et suiv. ; analyse du deu-
xième livre, p. 292 et suiv.; analyse du troisième
livre, p. 294, 295. ; analyse du quatrième livre, p.
295 et suiv. ; analyse du cinquième livre, p. 298 et
suiv, ; analyse du sixième livre, p. 300. Analyse
du septième livre, p. 301 ; analyse du liuitième
livre, p. 301 et suiv. ; analyse du neuvième, p. 303 ;
du dixième, ibid. et suiv. ; analyse du onzième, p.
305 et suiv. ; du douzième, p. 307 et suiv. ; du trei-
zième, p. 309 et 310; du quatorzième, p. 310 et
suiv. ; du quinzième, p. 512 et suiv. ; du seizième,
p. 314, 315; du dix-septième, 315, 316; du dix-
huitième, p. 316 et suiv.; du dix neuvième, p.
319, 320; du vingtième, p. 320, 321; du vingt-
unième, p. 521 et suiv. ; du vingt-deuxième, p.
323 et suiv. ; — Du traité des Hérésies fait à la
prière de Quodvultdéus , vers l'an 428 , p. 330,
331. Dessein de cet ouvrage; il devait être dis-
tribué en plusieurs livres, p. 331 ; l'auteur y
parle des quatre-vingt-huit hérésies, p. 332; es-
time qu'on tait de cet ouvrage p. 332; Traité con-
tre les Juifs ; il n'est peut-être pas de saint Au-
gustin, ibid. — Livre de l'Utilité de lafoi, p. 332,
333.; analyse de ce livre , p. 333 et suiv. — Livre
des Deux âmes, en 391 ; analyse de ce livre, p.
336. — Livre contre Fortunat, en 392. ; analyse
de ce livre, i6id. et p, 397.— Livre contre Àdimante,
en 394.; analyse de ce livre, p. 337, 338.— Livre
contre l'Épitre du fondement, en 397; analyse de
ce livre, p. 338, 339. — Livre contre Fauste le
manichéen, vers l'an 404, p. 339, 340; analyse des
cinq premiers livres, p. 340, 341 ; analyse du sixiè-
me livre et des suiv., p. 341, 342; du douzième,
treizième, quatorzième, p. 342; du quinzième,
seizième, dix-septième, dix-huitième et dix-neu-
vième, p. 343 ; des vingt et vingt-unième, p. 343,
344; du vingt-deuxième, p. 344 et suiv. ; des sept
livres suiv., p. 3i7, 3<i8; des trentième, trente-
unième, trente-deuxième, trente-troisième, p.
348, 349. — Des deux livres contre Félix le ma-
nichéen ; ils ont été écrits en 404, p. 349; ana-
lyse du premier livre, p. 349 et suiv. ; du deu-
xième livre, p. 351. Livre de la Nature du bien,
vers l'an 404 ; analyse de ce livre, p. 351, 352. —
Livre contre Secondin, vers l'an 405; analyse de
ce livre, p. 552, 353. — Les livres contre l'Ad-
versaire, vers l'an 420, p. 3u3 ; analyse du pre-
mier livre, p. 354, 355; du deuxième livre, p. 353,
356. — Livre à Orose contre les Priscillianistes,
en 415, p 356; analyse de ce traité, ibid. et 357.
— Des écrits contre les Ariens. — Réponse ,nux
Sermons des ariens, vers l'an 418, p. 357 ; ana-
lyse de ce discours, ibid. et suiv, — Conférence
avec Maximin, vers l'an 427 ou 428, p. 359; analy-
se de cette conférence, p. 359, 560 ; analyse du pre-
mier livre coH-Jre Ma.rimin, p, 300; du deuxième
livre, ibid. et p. 301. — Livre sur la Trinité, com-
mencé vers l'an 400 et fini vers 416, p. 361, 362.
Dessein de cet ouvrage, pag. 362; analyse du
premier livre, p. 36-2, 3fî3 ; du deuxième livre,
p, 363, 364; du troisième livre, p. 3«4, 365; du
quatrième livre, p. 365, 366 ; du cinquième, p. 366 ;
du sixième et septième livres, p. 366, 367; du
huitième, p. 367 ; du neuvième, p. 367, 368; des
dixième, onzième, douzième et treizième livres,
p. 368; des quatorzième et quinzième, ibid. et 369.
— Ouvrages faussement attribués à saint .\.ugiis-
tin, p. 369 et suiv., savoir : Traité contre les Héré-
sies et contre les Juifs ; Dispute entre l'Eglise et la
synagogue; livre de /«Foi contre les manichéens;
de la Manière de recevoir les manichéens; du
traité de l'Unité de la Trinité; questions sur la
Trinité et sur la Genèse; les deux livres de l'In-
carnation; livres de la Trinité et de l'unité de
Dieu; livre de l'Essence de la Divinité; dialogue
de l'Unité de la Trinité; livre des Dogmes ecclé-
siastiques. — Ouvrages de saint Augustin contre
les donalistes, p. 374 et suiv.. savoir: Psaume
de S. Augustin contre leparti de Donat, p. 374 ; il
a été écrit vers l'an 393, ibid. La réfutation du
grand Donat est perdue, ibid et 375. Les trois li-
vres contre Parménien, p. 375 et suiv ; analyse
du premier livre, ibid ; analyse du deuxième
livre, p. 377 et 378 ; analyse du troisième livre,
p. 378 et suiv. — Les sept livres du Baptême con-
tre les donatistes, pag. 380 et suiv. Cet ouvrage
est composé vers l'an 400, p. 380 ; analyse du
premier livre, ibid. ; du deuxième, p. 382, 383 ;
du troisième, p. 383 et 384; du quatrième, p. 384
et suiv. ; du cinquième, p. 386 et suiv. ; des sixiè-
me et septième, p. 388, 389. Les trois livres con-
tre les Lettres de Pétilien, p. 389 et suiv; analyse
du premier livre, écrit vers l'an 400, p. 390 et
391 ; du deuxième livre, p. 391 et suiv. ; du troi-
sième livre, p. 393 et 394. Livre de l'Unité de
l'Église; il est de saint Augustin : il a été écrit en
402, pag, 394, 395; analyse de ce livre, p. 395 et
suiv. Les quatre livres contre Cresconius, p. 399
et suiv ; ces livres ont été écrits vers l'an 409 ;
analyse du premier livre, p. 399, 400 ; du deuxiè-
me, p. 400 et 401 ; du troisième, p. 401 ; du qua-
trième, ibid. et p. 402. — De l'Unité du baptême
contre Pétilien, p. 402 et suiv. ; il est écrit vers
l'an 411. p 402. Occasion de ce livre, p. 403; ana-
lyse de ce livre, ibid. et 404, —.ibrégé de la Con-
férence faite avec les donatistes, vers l'an 411 ou
412, p. 404; analyse de cet Abrégé, premier jour
de la Conférence, p. 405 et suiv. ; deuxième jour,
p. 407 ; troisième jour, p. 408, 409. — Livre a«.a;
Donalistes depuis la conférence, p. 409 ; analyse
de ce livre, p. 410. — Discours ou de la Confé-
rence en présence d'Émérite, p. 410. Discours au
peuple de Césarée, en 418, ibid. et p. 411. Confé-
rence en préstnce d'Émérite, en 418, p. 411 et
suiv. — Deux livres contre Gaudence, p. 413. vers
l'an 420 :_analyse du premier livre, ibid. et 414 ; du
deuxième, p. 414, -115. — Ouvrages faussement at-
tribués à saint Augustin. —Livre contre Fulgcn-
cc le donalisle. — Ouvi'agos do saint Augustin
contre les pélayiens, savoir ; Livre des Mérites
TABLE ANALYTIQUE.
85S
des péchés et de leur rémission ou du Baptême des
enfants, en 412, p. 417 et suiv ; analyse du premier
livre, p. 418 et suiv. ; du deuxième, p. 422 et suiv.-,
du troisième, p. 425 et suiv. — Livre de l'Esprit et
de la lettre, écrit vers l'an 412, p. 427 ; analyse de
ce traité, ibid. et suiv. — Livre de la Nature et de
la grâce, en l'an 415, p. 433; quelle a été l'occa-
sion de ce livre, p. 434 : analyse de cet ouvrage,
ibid. et suiv. —Livre de la Perfection de la jus-
tice de l'homme, vers l'an 415, p. 410; à quelle
occasion ce livre a été écrit, ibid. ; analyse de ce
livre, ibid. et suiv. — Livre des Actes de Pelage,
vers l'an -417, p. 442 ; analyse de ce livre, p. 4i3 et
suiy. _ Livres de la Grâce de Jésus-Christ et du
péché originel, en 418, p. 448 ; analyse du livre
de la Grâce de JesttS-C/insÉ,p.4i9et suiv.;analyse
du livre du Péché originel, p. -iSS. Le livre du Ma-
riage et de la concupiscence, yers l'an 419, p. 457;
analyse du premier livre, ibid. et suiv. Second li-
vre des A'ocês et de la concupiscence, \eTSÏàni20,
p. 451 ; analyse de ce livre, ibid. et suiv. Les qua-
tre livres de l'Ame et de son origine, en 419 ou 420
p. 466; analyse du premier livre, p. 467 et suiv.;
du deuxième, p. 469 et 470; du troisième, p. 470
et suiv. ; du quatrième, p. 472 et suiv. — Des qua-
tre livres à Boniface contre les Pélagiens, vers
l'an 420, p. 474; analyse du premier livre, ibid. et
suiv. ; du deuxième, p, 477 et suiv. ; du troisième,
p. 479 et suiv. ; du quatrième, p. 481 et suiv. —
Des six livres contre Julien, vers l'an 421, p. 434;
analyse du premier livre, p. 484 et suiv. ; du
deuxième, p. 488 et suiv. ; du troisième, p. 491 et
suiv.; du quatrième, p. 495 et suiv.; du cin-
quième, p. 503 et suiv. ; du sixième, p. 507 et
suiv. — Livre de la Grâce et du, libre arbitre,
écrit -vers l'an 426 ou 427, p. 512; analyse de ce
livre, p. 513 et suiv. — Livre de la, Correction et
de la grâce; à quelle occasion il a été écrit,
p. 518 ; analyse de ce livre, p. 519 et suiv. — Li-
vre de la Prédestination des saints, p. 524 et suiv.;
analyse de ce livre, p. 527 et suiv. — Livre du
Don de la persévérance; analyse de ce livre, p. 552
et suiv. — Ouvrage imparfait contre Julien : en
quelle année et à quelle occasion il a été écrit,
p. 538, 539; analyse du premier livre, p. 539 et
suiv. : du deuxième livre, p. 546 et suiv. ; du
troisième, p. 550 et suiv. ; du quatrième, p. 553,
554 ; du cinquième, p. 354, 555; du sixième, p. 555
et suiv. — Ouvrages faussement attribués à saint
Augustin, savoir : VHypomnesticon. Le livre de la
Prédestination et de la grâce. Le livre de la Pré-
destination de Dieu. La Réponse aux objections
de Vincent, p. 558, f.59. Autres pièces supposées,
p. f59. — Ouvrages perdus de saint Augustin,
p. 559 et suiv. — Doctrine de saint Augustin,
p. 564 et suiv. : sur l'Écriture sainte, ibid. ; son
inspiration, p. S64 ; son infaillibilité, ibid. et p.
565 ; sa vérité et son autorité, p. 565 et suiv. —
Règles pour distinguer les livres canoniques,
p. 567, 568; canon des Écritures, p. 568, 569. —
Livres contestés par les catholiques ou rejetés
par les hérétiques, p. 569 et suiv. — Livres per-
dus cités dans l'Écriture, et de ceux qui sont sup-
posés, p. 575 et suiv. ; sur l'antiquité des pro-
phètes, comment on les distingue des faux pro-
phètes, p. ,577, 578; sur l'obscurité des prophé-
ties, p. 578 et 579. — Prophéties, preuves de la
religion chrétienne, p. 579 et suiv. ; sur les Évan-
giles, p. 585, 586. Mystères et figures des évan-
gélistes, p. 586. Dessein des évangélistes, p. 587,
588. Objections des païens contre les Évangiles,
p. 589 et suiv. Les omissions des évangélistes
n'empêchent pas qu'ils n'aient dit ce qu'ils vou-
laient dire, p. 591, 592. Il n'y a point de contra-
diction parmi les évangélistes, p. 592. Quoique les
évangélistes diffèrent dans l'ordre de rapporter
les faits, ils s'accordent pour le fond des cho-
ses, p. 595, 594. Sur l'éloquence de l'Écriture
sainte, p. 594 et suiv. ; sur l'obscurité de l'Écri-
ture et le respect qu'on doit lui porter, p. 596,
597 ; sur les divers sens de l'Écriture, p. 597 et
suiv. ; comment il faut s'appliquer k l'étude de
l'Écriture sainte, p. 599. Règles pour l'intelli-
gence de l'Écriture, p. 600. Utilité des traduc-
tions, ibid. et suiv. Comment il faut corriger un
défaut de traduction, p. 602, 605. D'où l'on doit
tirer la connaissance des locutions inconnues,
p. 605. Quelles sont les meilleures versions,
p 604. Utilité de la connaissance des langues pour
l'intelligence de l'Écriture, p. 605. Utilité de la
connaissance de la nature et delà propriété des
choses, ibid. et 606. Utilité de la connaissance de
l'histoire, p. eOs 607. Comment ôter l'ambiguïté
des mots, p. 607 et suiv. Comment il faut en-
tendre les expressions qui renferment un pré-
cepte, p. 609, 610. L'histoire de la version des
Septante; autorité de cette version, p. 610 et
suiv. ; sur le texte du Nouveau Testament, p. 612 ;
sur la lecture de l'Écriture sainte, ibid. et suiv. ;
sur divers points d'histoire de l'Ancien Testa-
ment, p. 614 et suiv. ; sur divers points d'his-
toire du Nouveau Testament, p. 616 et suiv. — Sur
latradition,p. 618, 619.— Sur l'autorité des Pères
de l'Église, p. 619etsuiv.— Sur les conciles, p 621
et suiv. — Sur l'Église et sa catholicité, p 625 et
suiv. ; sa visibilité, p. 620 et 627; son indéfecti-
bilité, p. 627, 628. Objection contre l'indéfecti-
bilitéde l'Église, p. 628. — Sur les membres de
l'Église, p. 629 et suiv. Objection contre le mé-
lange des bons et des méchants, p. 651 et suiv.
Qu'il n'y a point de salut hors l'Église, p. 653.—
Sur la primauté de saint Pierre, ibid. et suiv. —
Sur l'Église romaine. Respec*. pour la chaire de
saint Pierre, p. 635, 6 56. — Sur l'existence et la
connaissance de Dieu; ses perfections , sa nature, p.
636 et suiv. — Sur la Trinité, p . 658 et suiv. — Sur
les missions divines et sur la procession du Saint-
Esprit, p. 640. Règles pour l'explication de certai-
nes difacultés touchant la Trinité, ibid. et suiv. —
Incarnation : conduite de Dieu dans ce mystère, p.
642 et suiv. Divinité et humanité de Jésus-Christ,
p. 644. Deux natures en Jésus-Christ en une même
personne, p. 645 et suiv. Nécessité de la foi enJé-
sus-Christ pour le salut, p. 647 et suiv. — Volonté
en Dieu de sauver tous les hommes, p. 650. Dif-
férentes explications de ces paroles : Dieu veut
856
TABLE AN
sauver tous les hommes, p. 651 et suiv. Autre
explication, p. 652. Péché originel, p. 654. Autres
preuves du péché originel, p. 655 et suiv. Mort
de Jésus-Christ pour tous les hommes, p. 653,
654. Jésus- Christ n'est point né avec le péché
originel, p. 657, 658. Les enfants des fidèles
contractent le péché originel, p. 658. Comment
le péché originel se transmet des pères aux en-
fants, p. 658, 659. État des enfants qui meurent
sans Baptême, p, 659 et suiv. Objection des semi-
pélagiens, p. «61, 662.— Prédestination, p. 662,
663. Jésus-Christ est le modèle de la prédestina-
tion des élus, p. 663, 664. Prédestination gratui-
te dans les enfants, p. 664, 665: dans les adultes,
p. 665. La prédestination est un secret même
pour les élus, p. 666 et suiv. Certitude du salut
des prédestinés, p. 668, 669. Moyens par lesquels
Dieu accoicplJt le décret de la prédestination,
p. 669. — Les réprouvés vivent pour l'utilité des
prédestinés, p. 670. Réprobation , ibid. et suiv.
Manière de prêcher la prédestination, p. 672 et
suiv.— Grâce et libre arbitre du premier homme,
p. 675, 676. Si Adam avait reçu le don de la per-
sévérance, p. 676 et suiv. Grâce des deux états,
p. 681 et suiv. Nos bonnes pensées viennent de
Dieu, p. 686. Dieu nous inspire le désir du bien.
p. 687. Réponse aux objections des pélagiens,
p. 687. Nécessité de la grâce pour les actions de
Viété et la fuite du mal, p. 689. Nécessité de la
grâce contre les tentations, p. 689 et suiv. Né-
cessité de la grâce pour la pénitence et la con-
version du pécheur, p. 691,692: pour aimer Dieu,
p. 692 et suiv. Possibilité des commandements de
Dieu, p. 694 Nécessité de la grâce pour les ac-
complir, ibid. et suiv. Demander à Dieu ce qu'il
nous commande, p. 696 et 697. La foi est un don
de Dieu, p. 697 et suiv. La foi n'est pas accordée
à tous, p. 700. La prière est un don de Dieu, ibid.
La persévérance est un don de Dieu, p. 701 et
suiv. La nature est commune à tous et non la
grâce, p. 704, 705. La grâce est donnée gratuite-
ment, p. 705,706. Nos mérites sont des dons de
Dieu,"ifcid. et 7(i7. Réponse aux objections des
pélagiens contre la grâce gratuite, p. 707 et 708.
La grâce ne suit pas, mais précèdii la volonté,
p. 708, 709. En quoi consiste la grâce, p. 709, 710.
Comment elle agit, p. 710 et suiv. Force de la
grâce, p. 714, 715. Pouvoir de Dieu sur la volonté
des hommes, p. 715, 7i6. Réponse aux objec-
tions, p. 716, 717. Suite des objections touchant
le pouvoir de Dieu sur la volonté des hommes,
p. 717 et suiv. Comment Dieu prépare la volonté
de l'homme, et comment l'homme se prépare,
p 720 Comment Dieuopère et coopère avec nous,
ibid. Accord du libre arbitre avec la grâce, p. 720
et suiv. La grâce ne détruit pas le libre arbitre,
et n'introduit pas le destin, p. 723, 724. Explica-
tion de ces paroles : Cela ne dépend pas de celui
qui veut, ni gui court, mais de Dieu qui fait mi-
séricorde, p. 724, 725. — Vocation, p. 725 et 726.
Pourquoi les Tyriens et les Sidoniens n'ont pas
cru en Jésus-Christ, p. ■;26, 727. — Libre arbitre,
p. 727 et suiv. Il est libre àl'homme de consentir
ALYTIQUE.
ou de ne pas consentir aux suggestions du dé-
mon, p. 729,730. Sentiment des pélagiens sur le
libre arbitre, p. 730, 731. Quelle liberté avons-
nous perdue par le péché du premier homme, p.
731 et suiv. La nature humaine est rétablie dans
le bien qu'ellea abandonné, p. 733, 734. Liberté
des bienheureux, p. 7^4. Sur les anges, p. 7ô4 et
suiv. Sainte-Vierge, p. 737, 738. — Sacrements.
Différence entre les sacrements de laloi ancienne
et delà loi nouvelle, p. 738. Circoncision, ibid. et
759. Baptême de saint Jean, p. 739 et suiv. Né-
cessité du baptême, 740, 741. Effets du baptême,
p. 741,742. Matière et forme du baptême, p. 742,
743. Ministre du baptême, p. 743, 744. Rebaptisa-
tion. p. 744, 745. Exorcismes et autres cérémo-
nies du baptême, p. 745 et suiv. Confirmation,
p. 747. Présence réelle dans l'Eucharistie, p. 747
et suiv. Les méchants comme les bons reçoivent
le corps de Jésus-Christ, p. 750, 751. La chair
de Jésus-Christ dans l'Eucharistie est adorable.
Comment les fidèles la mangent, p. 752. Objec-
tions contre la présence réelle, ibid. et suiv. Sa-
crifice de la nouvelle loi, p. 760 et suiv. Le sacri-
fice n'est dû qu'à Dieu, p. 762, 763. Sacerdoce de
la loi nouvelle, p. 763, 764. Sacrifices et prières
pour les morts, p. 764 et suiv. Cérémonies du sa-
crifice, p. 766 et suiv. Fréquente communion,
p. 768 et suiv. Disposition pour recevoir l'Eu-
charistie, p. 669, 670. Si l'on doit donner l'Eu-
charistie aux pécheurs occultes, p. 770. Nécessité
de l'Eucharistie, p. 771, 772. Pénitence, p. 772,
773. Confession faite à Dieu et à ses ministres,
p. 773, 774. Satisfaction, p. 774. Trois sortes de
pénitences, p. 775 et suiv. Péchés soumis à la pé-
nitence publique, p. 777 et suiv. Excommunica-
tion, p. 780 et suiv. Ordre, p. 782, 7S3 :évêqiies,
p. 783. 784 : diacres et autres clercs, p. 784 : céli-
bat des clercs : vœu de virginité, p. 785. Moines,
ibid. et suiv. Mariage, p. 787. Fait singulier sur
le mariage, p. 788, 789. Images de la croix et des
saints, p. 789 et suiv. Sur les reliques, p. 791,
792. Superstitions, p. 792, 793. Augures et astro-
logie judiciaire, p. 793 et suiv. Autres supersti-
tions, p. 795. Usage des sorts, p. 795. Miracles, ibid.
et 796 État des âmes au sortir du corps, p. 796.
Leur bonheur, ibid. et 797. Purgatoire, 797, 798.
Éternité des peines des damnés, p. 798 et 799.
Schisme et hérésie, p. 799 et suiv. Puissance
temporelle, p. 802, 803. Personne sacrée des rois,
p. 803. En quoi consiste le bonheur des rois,
ibid. et 804. Abstinence et jeûne, p. 804, 805.
Quelques points de discipline, p. 805. Sentiments
des académiciens sur la probabilité, ibid. et 806.
Crainte, p. 808, 807. Amour de Dieu, p. 807,808.
Jugement des ouvrages de saint Augustin tou-
chant la philosophie et la religion chrétienne,
p. 808. Ses lettres, ibid. Ses commentaires, p. 809.
Ses discours, ses œuvres morales, ibid. Ses livres
pour la défense de la religion, ibid. et 810. Ses
ouvrages sur la grâce, p.8]0etsuiv. Editions par-
ticulières des Œuvres de saint Augustin. Sa Cité
de Dieu, p. 812. Ses Confessions, p. 832, 813. Ses
Commentaires sur les Psaumes, p. 813. Ses Dis-
TABLE ANALYTIQUE.
857
cours sur l'Ecriture, p. 813. Les Opuscules, ibid.
et 814. Les Lettres, p. 815. Editions générales
d'Amerbacti, d'Erasme et de Louvain, ibid. Édi-
tions des Bénédictins de saint Maur, ibid. et suiv.
Édition d'Anvers en 1700, p. 818. Autres éditions
générales, ibid et 819. Supplément à Saint Au-
gustin, p. 328 et suiv.
AUIWONE des gens mariés, p. 190. Aumône re-
commandée, p. 192. Instruction sur l'aumône,
p. 19, 234. Comment elle efface les péohés,p. 338.
AURÈLE, évêque de Carthage. Saint Augustin
lui écrit, p. 12. Saint Augustin lui fait des repro-
ches d'avoir élevé un moine à la cléricature.
p. 87. Saint Augustin lui adresse le livre des Actes
de Pelage, 'p. 443.
AUTORITÉ de l'Écriture établie parmi tous les
peuples de la terre, p. 31. Autorité de l'Église,
p. m et 334.
AVIS. Il ne faut pas tant compter les avis que
les peser. Parole de Julien approuvée par saint
Augustin, p. 491.
AVITE,^ prêtre espagnol, obtient des reliques
de saint Etienne, p. 327.
AUXILIUS, évêque d'Afrique, excommunie le
magistrat Classicien, p. 15. Saint Augustin lui
écrit, p. 188.
B.
BAISER. Les chrétiens se donnaient les uns
aux autres le saint baiser qui n'était qu'une fi-
gure de la paix intérieure qu'ils devaient conser-
ver entre eux, p. 768.
BAPTEME des apôtres, p. 191. Baptême des do-
natistes, p. 72 et 82; des maximianistes, p. 82-,
des hérétiques, p. 313; des schismatiques, p. 38.
Ministre du baptême, p. 95. La nécessité du bap-
tême, p. 189. La vertu du baptême, p. 103. Dispo-
sitions pour le baptême, p. 257. Quand le bap-
tême est valide, p. 884, 385. Il est inutile aux
hérétiques, p. 586. Unité du baptême, p. 402
et suiv. Baptême de saint Jean, différent de celui
de Jésus-Christ, p. 386, 387, 739 et 740. Nécessité
du baptême, p. 740, 741. Effets du baptême,
p. 476, 480. Matière et forme du baptême, p. 742,
743. Ministre du baptême, 743, 744. Keba|.tisaiion,
p. 744, 745. Exorcismes et autres cérémonies du
baptême, p. 745 et suiv. Les parrains faisaient
le renoncement au péché au nom de l'enfant,
p. 550. Baptême des enfants, p. 103, 139, 206.
L'usage de baptiser les enfants est fondée sur la
tradition des apôtres, p. 618, 619. Les péla-
giens soutenaient que l'on baptisait les enfants
afin d'effacer les péchés qu'ils auraient commis
dans cette vie, p. 419. La validité du baptême
_ donné par les hérétiques tire son origine de la
tradition, p. 618. En quoi consiste la sanctiflca-
tion du corps par le baptême, p. 511. Les péla-
giens reprochaient aux catholiques de dire que
le baptême ne remet pas tous les péchés, p. 476.
BASILE (saint) cité par saint Augustin contre
Julien, p. 486.
BEATITUDE parfaite, p. 306. Béatitude éter-
nelle, p. 323 et sui7.
BÉISÉDICTINS (les Pères), de la Congrégation
deSaint-Maur, donnent une édition très-correcte
des ouvrages de saint A'igustin, p 815. Ce qu'en
pense Fénélon, p. 836 et suiv.
BÉNÉiVATUS. Saint Augustin lui écrit au sujet
d'une orpheline, p. 189.
BÉRANGER combat la réalité du corps de
Jésus-Christ dans le sacrement de l'Eucharistie,
p. 751 et suiv.
BÊTES. Comment transformées dans les îles,
p. 3H.
BIEN. Quel est le souverain bien, p. 111 , 357.
L'opinion des philosophes sur le souverain bien
réfutée, p. 319. Dieu fait dans l'homme beaucoup
de bien, que ne fait pas l'homme ;mais l'homme
n'en fait ai.cun que Dieu ne le lui fasse faire,
p, 479. Comme personne ne peut achever le bieu
sans le Seigneur, de même personne ne peut le
commencer sans le Seigneur, ibid. Biens des
moines, p. 9-2.
, BLAMPIN (dom Thomas), bénédictin de Saint-
Maur, célèbre par l'édition des ouvrages de saint
Augustin, p. 816.
BONIFACE, un des plus grands hommes de
l'Empire romain , p. 18, 179 : il veut se retirer
pour vivre en moine, iftid.: saint Augustin répond
à ses difficultés, p. 103.
BONIFACE (saint), pape. Saint Augustin lui
adresse quatre livres contre les pélagiens, p.
474.
G.
CABARSUSSE, ville de la Blzacène, p. 373. As-
semblée qui s'y tint, ibid.
CAINISTES (liérétiques) ils composent un
livre infâme qu'ils attribuent à saint Paul ,
p. 577.
CALAME. Les païens y persécutent les chré-
tiens, p. 96. Cette ville d'Afrique est prise par les
Vandales en 403, p. 563.
IX.
CANTIQUE. Sermon sur le nov/veau Cantique.
p. 284.
CAPTIVITÉ de Babylone, son époque, p. 317.
CARÊME. Conduite qu'on doit y tenir,- p. 239.
Jeûne des chrétiens fixé en un temps qui aboutit
à la Passion de Jésus-Christ. Pourquoi, p. 804.
CARNÉADES, philosophe académicien, p. 38.
CARTHAGE, saint Augustin y étudie la rhéto-
S3
858
TABLE ANALTTIQUE.
rique, p, 2: y enseigne, p. 4. Concile de Cartilage,
en 349, p. 11. Cette ville est prise par les Van-
dales, p. 564.
CASSIODORE, estime qu'il fait des livres des
Rétractations, p. 24. Des deux livres sur la Ge-
nèse contre les manichéens, p. 55.
CASTORIUS. Saint Augustin l'exhorte à ac-
cepter l'épiscopat, p. 90. Il devient évêque de
Vagine, ibid.
CASULAN, prêtre, ami de saint Augustin, con-
sulte sur le jeûne du samedi, p. 77.
CATÉCHUMÈNES. Instructions qu'on leur adres-
se, p. 257. Comment on les préparait au baptême,
p. 745 , 746. Les lectures et le discours de l'évêque
achevés, on renvoyait les catéchumènes, p. 766*
CATHOLIQUE. Le terme de catholique est
moins un nom de doctrine et de croyance qu'un
nom de communion, p. 624.
CATOiy, son éloge, p. 505. Ce qu'il répondit à
un homme qui l'avait consulté sur ce que les
souris avaient rongé ses souliers, p. 793.
CÉCILIEN, gouverneur de Numidie, p. 9.
CÉCILIEN, vicaire d'Afrique, p. 16. Condamné
par le concile de Carthage, p. 19. Nullité de la
procédure, ibid. Déclaré innocent, p. 80.
CÉCILIEN , évêque de Carthage est déclaré
absous dans un concile de Rome, p. 485.
CÉDICIE. Saint Augustin lui donne des ins-
tructions sur les devoirs des femmes envers
leurs maris, p. 190 191.
CEILLIER, (dom), lettre au R. P. D. Celllier,
sur un passage de Saint Augustin, p. 820.
CELER, instruit par saint Augustin, p. 86.
CÉLESTIN, saint Augustin lui écrit, p. 69, 162,
171.
CÉLESTIUS, pélagien, est condamné dans un
concile de Carthage, p. 417 et 455, Il présente une
profession de foi au pape Zozime, p. 553. Erreurs
de Célestius sur le péché originel, sur la grâce,
p. 446, 447, 453. Ses écrits réfutés par saint Au-
gustin, p. 440 et suiv. «
CÉLIBAT. Sentiment de saint Augustin sur le
célibat des clercs, p. 785.
CÉLICOLES, ce que c'est, p. 81. Loi contre
eux, ibid.
CELSE, vicaire d'Afrique, p. 416.
CÉRÉTIUS, lettre contre les priscillianistes,
p. 185.
CHAIR. Comment Jésus-Christ est connu se-
lon la chair, p. 342. La chair de tous les hom-
mes à l'exception de celle de Jésus-Christ est
une chair de péché, p. 508, 507.
CHAIRE de saint Pierre, p. 635, 636.
CH.ARITÉ. Exhortation à faire la charité,
p. 113. Inspirée de Dieu, p. 159. Bien qu'elle opère,
p. 160. Devoirs de la charité, p. 162. Cliarité faite
avec le bien de l'Église, p. 192. Excellence de la
charité, p. 227, 263. La charité commencée est
une justice commencée; la justice avancée est
une charité avancée, etc., p. 440. La charité des
plus justes n'est point entièrement parfaite du-
rant cette vie, p. 437. Julien le pélagien ne
comptait jamais parmi le secours de la grâce 1
charité, p. 552. Sans la charité personne ne vit
dans la piété, et avec elle personne ne vit sans
la piété, p. S52.
CHASTETÉ, don de Dieu, p. 127, 128, 457. La
chasteté des personnes mariées, des veuves et des
vierges, n'est pas une véritable chasteté, à moins
qu'elle ne soit accompagnée de la véritable foi,
p. 458.
CHOSES. La connaissance de la nature et de
la propriété des choses est très-utile pour l'in-
telligence de l'Écriture sainte, p. 605, 606.
CHRISIÎÏE (dame), saint Augustin la console,
p. 187.
CHRISTINUS Saint Augustin lui écrit, p. 189.
CHRYSOSTOME (saint), allégué mal à propos
par Julien, p. 485. En quel sens il a dit que les
enfants n'ont pas de péché, ibid. Ce qu'il ensei-
gne sur le péché originel, ibid. Sa lettre à Olym-
piade citée par saint Augustin, ibid.
CHUTE de saint Augustin, p. 2, 28. Cause de
la chute des anges, p. 62 et 260.
CICÉRON a vu le joug qui accable les enfants
d'Adam, mais il n'en a pas connu la cause, p. 501.
Saint Augustin dans sa jeunesse ne trouvait rien
dans l'Écriture qui fut comparable à l'éloquence
de Cicéron, p. 596. Cicéron se moque des augures,
p. 793.
CIEL. Les ignorants ravissent le ciel, p. 7. Ce
que saint Augustin entend par la création du
ciel, p. 85.
CIRCONCELLIONS. Leur irruption dans l'É-
glise d'Hippone, p. 75. Leur cruauté, p, 95, 120.
CIRCONCISION, ce que c'est, p. 313. Peine du
péché originel, p. 655. Elle l'effaçait dans les
enfants, p. 739. La circoncision était la figure
du baptême, p. 470 et 739.
CIRTHE, ville d'Afrique prise par les Vanda-
les, p. 564.
CITÉ. Livre de la Cité de Dieu, p. 288. Occa-
sion de ce livre, ibid. et p. 289. Les deux cités,
p. 803. En quoi consiste leur différence, p. 312.
CLASSICIEN, magistrat excommunié par l'é-
vêque Auxilius, p. l.'='.
CLAUDE, évêque à qui saint Augustin adresse
ses livres contre Julien, p. 484.
CLAUDE (le minisire), réfuté, p. 755 et suiv.
CLÉMENT XI. Bref de ce pape, qui met l'édi-
tion de saint Augustin, comme toutes les autres
qui sont sorties de la Congrégation de Saint-
Maur, à couvert de toute contradiction, p. 817.
CLERC (Je:in \e), ses animad versions sur les
ouvrages de saint Augustin, où il n'oublie rien
pour décréditer, soit les écrits, soit la personne
de ce saint docteur, p. 817.
CLERCS. Ils ne peuvent passer d'une Église à
une autre, p. 89. Mœurs des clercs, p. 212,243. S'ils
étaient soumis â la pénitence publique, p. 779.
Clercs inférieurs, p. 784, 785.
COLÈRE, p. 219, 220.
■ COMBAT chrétien, p. 2G3.
COMBAT de l'esprit et de la chair : ce combat
n'aurait pas eu lieu dans le paradis terrestre,
si personne n'eût péché, p, 541. Il n'y aura plus
TABLE ANALYTIQUE.
859
de combat, quand il ue restera plus de faiblesse
dans l'homme, p. 499. Combat des vierges contre
la concupiscence, p. 493. Combat dans l'état du
mariage, ibid. et 494.
COMMANDEMENTS (les) de Dieu ne sont pas
impossibles, p. 438, 694. Sur l'observation des
commandements de Dieu, p. 227. Nécessité de la
grâce pour les accomplir, p. 694 et sulv. Il y a,
selon Pelage, trois choses à distinguer par rap-
port à l'accomplissement des commandements
de Dieu, savoir : la possibilité, la volonté et
l'action, p. 449. Il faut demander à Dieu ce qu'il
nous commande, p. 696 et suiv. Saint Augustin
dit souvent à Dieu : Seigneur, donnez-moi ce
que vous commandez , et commandez ce que
vous voudrez, p, 696. Cette prière déplaît à Pe-
lage, ibid. Celui qui veut accomplir les comman-
dements de Dieu, et qui ne le peut, a déjà, à la
vérité, une bonne volonté, mais petite et faible,
il le pourra néanmoins -quand il l'aura grande
et forte, p. 517, 696.
COMMEJNTAIRES de saint Augustin sur les
Psaumes, p. 229 et suiv.
COMMUNION avec les méchants, p. 377.
COMMUNION. Sentiment de saint Augustin
sur la fréquente communion, p, 768, 769. Les
fidèles communiaient à jeun, p. 768.
CONCILE de Carthage, défauts de ce concile,
p. 79. Concile de Rome, ibid. L'autorité des con-
ciles généraux ou pléniers est très-grande et
très-salutaire dans l'Église, p. 621. En quel sens
saint Augustin dit que les conciles pléniers sont
corrigés par d'autres conciles, ibid. Cause des
pélagiens finie sans concile universel, ibid. et
p. 622. La dispute du baptême des bérétiques
entre saint Etienne et saint Cyprien ne put être
terminée que par un concile plénier, p. 622,
c'est-à-dire par le concile d'Arles, p. 623. Après
le jugement rendu contre les donatistcs, il leur
restait encore le concile plénier de l'Église uni-
verselle, p. 623.
CONCUPISCENCE, suite du péché de nos pre-
miers parents, p. 311. Combien de sortes de
concupiscence, p. 33. On appelle concupiscence
les désirs de la chair qui combattent ceux de
l'esprit, p. 553. La concupiscence de la chair est
mauvaise, et elle n'a point été donnée à l'hom-
me par lé Créateur, ibid. Elle n'était point avant
le péché du premier homme, p. 558. Elle n'aurait
pas eu lieu dans le paradis terrestre, p. 466.
Tous les hommes naissent avec la concupiscence,
et le crime n'en est remis qu'à ceux qui renais-
sent par le baptême, p. 558. Elle reste dans les
baptisés, p. 422 ; mais elle n'est plus péché,
pourvu qu'ils ne consentent point à ses mouve-
ments, quand elle porte à des actions mauvaises,
p. 4G0. Comment la concupiscence peut-elle de-
meurer dans celui qui est régénéré ? Ibid. D'où
vient que le mal de la concupiscence n'est
pas entièrement déraciné de la chair des saints
qui vivent dans la continence? p. 495. Le désor-
dre de la concupiscence, qui est le principe de
la transmission du péché originel ne doit pas
être imputé au mariage, p. 457. La concupis-
cence est d'autant plus difilcile à vaincre qu'elle
est plus fortifiée par l'habitude, p. 511.
CONFÉRENCES avec les manichéens, p. 349 et
suiv.; avec les ariens, p. 359; avec Émérite, sur
l'unité de l'Église, p. 410 et suiv. ; entre les ca-
tholiques et les donatistes. On en publie les
actes, p. 492.
CONFESSER. Dieu est dans le cœur de ceux
qui confessent leur misère, p. 80.
CONFESSION faite à Dieu et à ses ministres,
p. 773, 774. La confession des péchés est une
marque que l'on est déjà ressuscité, p. 238.
CONFESSIONS. Le but de ces livres, p. 24.
Quand ils furent écrits, p. 205. Leur division, ibid.
De la grandeur de Dieu dans le premier livre,
p. 25 et suiv. Dans le second livre Saint Augustin
déplore les dérèglements de sa jeunesse, p. 27.
Dans le troisième il dit ses inclinations, p. 27 et
suiv.Dans le quatrième, le temps qu'il a passé dans
l'erreur des manichéens, p. 29. Le cinquième
comprend l'histoire de ce qui lui arriva la vingt-
neuvième année de son âge, p. 29, 30. Dans le
sixième il traite des oblations qu'on faisait sur
les tombeaux des saints, p. 30, 31. Dans le sep-
tième, on connaît la situation de saint Augustin
à la trentième année de son âge, p. 81, 32. Dans
le huitième, se trouve l'histoire de sa conver-
sion, p 32. Dans le neuvième, il rend grâces à
Dieu de sa conversion, p. 32, 53. Dans le dixiè-
me, il dit ce qu'il était en écrivant ses Confes-
sions, son motif, p. 33, 34. Dans le onzième, il
demande l'intelligence de l'Écriture sainte,
p. 34, 35 Dans le douzième, il explique la Genèse,
p. 35, 36. Dans le treizième, il fait voir que l'on
trouve les trois personnes de la Trinité dans
les premiers versets de la Genèse, p. 38, 39.
CONFIRMATION. Sentiment de saint Augustin
sur la conflrmation, p. 747.
CONNAISSANCE. Défaut de nos connaissances ,
p. 550. Connaissance des anges, p. 204 et 205.
CONSCIENCE. Liberté de conscience accordée
par Honorius, p. 107.
CONSENTIUS, homme d'étude, adresse ses
ouvrages à saint Augustin, p. iil. Il demande
d'être instruit, p. 112 et 170. Saint Augustin lui
écrit, p. 170, et lui adresse les deux livres du
Mensonge, p. 274.
CONSOLATION. Lettre de consolation, p. 97 et
98.
CONSTANTINOPLE, menacée du feu du ciel,
p. 285, 286.
CONSTANTIN, ami de saint Augustin, p. 403.
CONSTANTIUS, évêque à qui Pelage écrit.p. 452.
CONSUBSTANTIALITÉ du Père et du Fils, p. 558
et 559.
CONTINENCE entre gens mariés, p. Ii5 et 184.
La continence est un don de Dieu, p. 159. Livre de
la Continence, p. 266 et suiv. Quand la continence
est une vertu, p. 314. Elle est un don de Dieu, en
même temps qu'elle est l'effet du libre arbitre,
p . 514. On exhortait les personnes mariées à vivre
en continence pendant le carême, p. 804, 805.
860
TABLE ANALYTIQUE.
CO?}VERS[ON. Notre conversion à Dieu est un
don de Dieu, p. 314.
CORNEILLE. Saint Augustin lui écrit sur ses
débauclies, p. 189, 190.
CORNEILLE {le centenier), avait déjà un com-
mencement de foi, quand il priait et qu'il faisait
des aumônes, p. 529.
CORRECTION. Livre de saint Augustin de la
Correction et de la grâce. On l'a regardé comme
la clé de toute sa doctrine sur la grâce, p. 519.
CORRECTION fraternelle, p. 171, 172. Comment
elle se doit faire, p. 226. Correction des pé-
cheurs, p. 228. Elle doit se faire suivant la qua-
lité des fautes, p. 238.
CORRUPTION. Peine du pécbé, p. 310.
CRAINTE, celle qui est salutaire, p. 144. Son
utilité, p. 227. Sentiment de saint Augustin sur
la crainte, p. 439, 476, 806, 807, On n'observe point
véritablement les préceptes par la seule crainte,
p. 428.
COUTANT (dora) fait la critique et les tables
des sermons faussement attribués à saint Augus-
tin, p. 816.
CRÉATION. Quelle était la vue de Dieu dans
la création, p. 68.
CRÉDIBILITÉ. Motifs de crédibilité, p. 255,
334, 335.
CRESCENT, évêque de Syracuse, p. 416.
CRESCONIUS, à qui saint Augustin écrit, p. 110.
CRESCONIUS, donatiste, p. 399 et suiv. ; propose
des difficultés sur le baptême, ibid.
CRESCONIUS, moine d'Adrumet, va trouver
saint Augustin à Hippone, qui l'instruit sur la
matière de la grâce, p. 513.
CRIME. Plusieurs d'entre les fidèles sont
exempts de crime, mais on n'est pas exempt du
péché durant cette vie, p. 476,
CRIMINELS. Si les évoques peuvent intercéder
pour eus, p. 134, 135.
CRISPIN, évêque donatiste, contraint les ca-
tholiques à se laisser rebaptiser, p. 89. Possidius
entre avec lui en conférence publique, p. 563.
CROIX. Le signe de la croix, p. 790 : il opère des
miracles, ibid. On l'employait dans les cérémo-
nies les plus saintes, ibid. Le saint sacriflce ne
s'offrait pas sans le signe de la croix, p. 767. L'eau
du baptême est sanctifiée par le signe de la croix,
p. 511.
CRUAUTÉ des habitants de Suffecte, p. 82.
CULTE des reliques, p. 59, 324 et suiv.; des ido-
les, p. 184, 220; culte des saints, p. 240; à qui le
culte de latrie est dû, p. 303; culte des martyrs
justifiés, ibid.
CUPIDITÉ (la) est seule la racine des mauvai-
ses œuvres, comme Ja charité est la racine des
bonnes, p. 451.
CYPRIEN (saint). Ce qu'en pense saint Augustin,
p. 587; saint Augustin excuse son erreur sur la
rebaptisation, p. 634. Il le cite contre les sérai-
pélàgiens, p. 532, et contre Julien, p. 486, 489.
490. Il l'invoque comme régnant dans le ciel,
p. 792.
CYR (saint), évêque de Carthage, p. 561.
D.
DAMNÉS. De l'éternité des peines des damnés,
p. 321, 322, 798, 799. On ne peut offrir le saint sa-
criflce pour eux, p. 765.
DaRDANUS, saint Augustin répond à ses diffi-
cultés, p. 158, 159.
DARIUS (le comte), écrit à saint Augustin,
p. 183, 575. Saint Augustin lui répond, p. 183.
DÉBAUCHES, p. 189, 190.
DÉCALOGUE. Tous les commandements dudé-
calogue, hors l'observation du sabbat, regardent
également les chrétiens et les juifs, p. 428.
DÉLECTATION. Dieu répand dans notre cœur
une délectation céleste qui nous fait surmonter
toutes les délectations terrestres, p. 711. Délecta-
tion victorieuse, ibid.
DELFAU (dom François) de la Congrégation de
Saint-Maur, p. 815.
DÉLUGE. Son temps, p. 313.
DÉIIÉTRIADE (fille d'Olybrius), consul, re-
çoit le voile de l'évêque Aurèle, p. 17. Pelage lui
écrit, p. 159.
DEMI-PÉLAGIENS. Ils abusent d'une expres-
sion de saint Augustin, p. 106 : leurs erreurs, p. 176.
DÉMOCRATE, maître de rhétorique de saint
Augustin, p. 2.
DÉMON (le) ou le diable n'a eu d'autre part dans
le péché du premier homme que la persuasion.
p. 466 ; il est libre à l'homme de consentir ou de
ne pas consentir aux suggestions du démon ,
p. 729. Le diable ne peut faireàl'égardde l'homme
que ce que Dieu lui permet, etc., p. 499; en quel
sens le diable est cause de la mort, et en quel
sens Dieu en est l'auteur, p. 505. Le diable n'a
plus le pouvoir de ne point pécher; il jouissait
de ce pouvoir avant sa chute, p. 554; enfants du
diable : tous les hommes qui sont enfants du dia-
ble sont aussi enfants du siècle, mais tous les
enfants du siècle ne sont pas enfants du dia-
ble, p. 480. Supplice des diables, p. 321, 522.
Comment les démons peuvent agir sur notre
âme, p. 67. Avant leur chute ils avaient des corps
célestes, mais depuis leur révolution il sont revê-
tus de corps aériens, p. 737. La foi nous enseigne
que le supplice des démons sera éternel, p. 321,
799.
DÉOGRATIAS, prêtre, saint Augustin lui écrit,
p. 104.
DÉOGRATIAS. Quand les moines rencontraient
quelqu'un de leur profession ou de leur con-
naissance, ils disaient : Deo grattas , p. 787.
DÉSIR. Le premier désir du bien vient de
Dieu, p. 478, 687. Différence qu'il y a entre sentir
de mauvais désirs, et suivre les mauvais désirs ,
p. 504.
TABLE ANALYTIQUE.
861
DESTIN. Les pélaglens accusaient les catholi-
ques d'introduire sous le nom de grâce une es-
pèce de destin, p. 478,724; ce n'est pas la force
du destin qui fait que Dieu procure aux uns le
baptême el non aux autres, p. 534.
DEUTÉRIUS, métropolitain de Césarée, p. 184,
saint Augustin lui écrit, ibid.
DIACRES (les) distribuaient aux fidèles le sang
de Jésus-Christ, p. 768.
DIEU. Comment est-il partout, p. 25 : il faut faire
tout ce qu'il ordonne, p. 28 : difïérence entre l'ou-
vrage de Dieu et celui des hommes, p. 34. De la vi-
sion de Dieu, p. 129, 130; comment lessaints de l'An-
cien Testament ont vu Dieu, p. 130; conduite de
Dieu dans l'Ancien Testament, justifiée, p. 345 et
suiv.; volonté de Dieu, p. 262; comment Dieu se
reposa après avoir créé, p. 308. Dieu en trois per-
sonnes, p. 359. Sentiment de saint Augustin sur
l'existence et la connaissance de Dieu; ses per-
fections et sa nature, p. 636 et suiv. ; on ne doit
s'attacher qu'à Dieu, p. 226.
DIEUX. Mépris qu'on doit avoir des faux dieux
p. 294; ils sont choisis, p. 300.
DIGNITÉS ecclésiastiques. Comment on doit
les regarder, p. 782, 783.
DIMANCHE. Jeûne du dimanche défendu à
cause de l'hérésie des manichéens qui jeûnaient
ce jour-là, p. 805.
DINOCRATE, frère de sainte Perpétue délivré
des peines, et transféré dans un lieu de repos par
les prières de cette sainte. Ce que saint Augustin
pense de cette histoire, p. 468.
DIOSCORE, païen converti, p. 181. Saint Augus-
tin lui reproche sa vanité, p. 111.
DIOSPOLIS ou Lydda, ville de Palestine. Il
s'y tint un concile oti Pelage fut absous, p. 448.
DISCIPLINE chrétienne. Sermon sur la disci-
pline chrétienne, p. 284.
DIVINITÉ du Fils et du Saint-Esprit, p. 148.
Sermon sur la divinité de Jésus-Christ, p. 241 et
suiv., et 363; divinité des personnes de la Sainte-
Trinité, p. 359.
DOCTRINE de Jésus-Christ, p. 124. Comment
elle profite, p. 177 : expliquée aux païens, p. 184.
Livres de la Doctrine chrétienne par saint Augus-
tin, p. 194 et suiv.
DONAT, proconsul d'Afrique, p. 17, 104, quitte
sa charge, p. 110.
DONAT, prêtre donatiste, se précipite dans un
puits, p. U9.
DONAT, premier auteur du schisme des dona-
tistes, condamné dans un concile de Rome,
p. 485.
DONATISTSS, leur histoire, p. 371 et suiv. ; ils
attentent à la vie de saint Augustin, p. 16; persé-
cutent les catholiques, ibid; rebaptisent, p. 80;
. ils sont convaincus du schisme, p. 127. Saint Au-
gustin les combat, p. 225 et 224; plusieurs sont
convertis, p. 127. Les donatistes abusent d'un pas-
sagede saint CyprJen, p.386; proposent des difû-
culté3,p. 397,405 et suiv.; ils font un crime à saint
Augustin d'avoir établi lavie monastique dans l'A-
frique, p. 787; livres de saint Augustin contre les
Donatistes perdus, p. 389; monuments touchant
l'histoire des donatistes, p. 415 et suiv.
DOYENS des monastères; leur emploi, p. 786.
DULCITlUS, tribun et notaire. Dulcitius pro-
pose à saint Augustin diverses questions, p. 252
et suiv. ; saint Augustin lui écrit, p. 169, 170.
E.
ECLANE, ville dans la Campanie, à quelques
lieues de Bénévent, p. 483.
ÉCRITURE (sainte). Sa lecture recommandée
p. 64; traduction sur l'hébreu, p. 74; utilité
des traductions , p. 600 et suiv. Exhortation à
étudier l'Écriture sainte, p. 120, 197, 1 98 ; ce qu'on
y apprend, p. 198; les moyens de l'entendre, p. 195
et suiv.; ses divers sens p. 202, 597 et suiv.
Comment on expliquait les saintes Écritures
dans l'Église, p. 2-21 ; règles pour l'intelligence
de l'Écriture sainte, p. 599 et 600; son auto-
rité, p. 382; son inspiration, p. 564; son infailli-
bilité, ibid., p. 565; sa vérité el son autorité, p.
565 et suiv.; rùgles pour distinguer les livres
canoniques de l'Écriture sainte, p. 567, 568; ca-
non des Écritures, p. 568 569; livres contestés
par les catholiques ou rejetés par les hérétiques,
p. 569 et suiv. ; livres perdus cités dans l'Écri-
ture; livres supposés, p. 573 et suiv.; éloquence
de l'Écriture sainte, p. 594 et suiv. ; obscurité de
l'Écriture et respect qu'on doit lui porter, p. 596,
597; lecture de l'Écriture sainte ; p. 612 et suiv.
ÉDESSE (la ville d') est forcée et brûlée
par Lucius Quiétus, général de Trajan, p. 575.
ÉDUCATION de saint Augustin, p. 2, et 26; des
enfants, p. 26.
ÉGALITÉ du Père et du Fils, p. 222.
ÉGLISE, ce qu'elle enseigne, p. 58 ; son pouvoir,
p. 196 ; sa conduite envers les hérétiques, p. 225 ;
ce qu'est l'Église, p. 225; hors de l'Église point
de rémission, p. 238; motifs qui engagent à la
reconnaître, p. 335, 338; et à s'y attacher, p. 623,
624. Son autorité, p. 334 ; son unité, p. 396 et suiv.;
sa catholicité, ibid. el 625; sa visibilité, p. 620 et
suiv. ; son indéfectibilité, p. 627, 628 ; membres
de l'Église, p. 628 et suiv.; objection contre le
mélange des bons et des méchants dans l'Église,
p. 628 et suiv. 11 n'y a point de salut hors l'É-
glise, p 638; il faut (î'-'Oire ce que l'Église a tou-
jours cru quoiqu'on ne puisse pas en rendre rai-
son, p. 507; on doit la chercher dans les saintes
Écritures, p. 625.
ÉGLISE romaine, p. 653; respect qu'on doit
à la Chaire de saint Pierre, p. 635.
ÉLECTION d'Héraclius pour succéder à saint
Augustin, p. 174.
862
ÉLEUSIUS, évêque catholique, p. 628.
ÉLIE (le prophète), paraîtra dans le monde
avant le jugement, etc., p. 615; il y a eu des hé-
rétiques qui ont enseigné queson Ame avait pas-
sée dans le corps de saint Jean- Baptiste, p. C17.
ELPIDIUS, arien, p. 186. 187.
ÉMÉRITE, èvêque donatiste, homme d'un bel
esprit, p. 94; saint Augustin va à Césarée en Mau-
ritanie conférer avec lui, p. 448.
EMPIRE de l'Orient, p. 316.
ENFANTS. On ne doit pas retarder leur bap-
tême, p. 126; leur jalousie, ièid.; défauts ordinai-
res des entants, p. 27 ; quel est le mérite des en-
fants, p. 54; en quoi consiste leur foi, ibid.; s'ils
pèchent par la superstition de leurs pères et mè-
res, p. 103. Enfants morts sans baptême , p. 157;
ils sont damnés sans injustice, p. 548, 659 et suiv. ;
mais ils seront traités avec moins de rigueur que
les autres damnés, p. 419, 5o6, 662; sentiments de
Pelage et despélagiens sur l'état des enfants qui
meurent sans baptême, p. 454, 659 et suiv. Selon
Victor, les enfants jouiront du royaume des deux
après la résurrection. Saint Augustin réfute cette
erreur, p. 470. Les enfants sont quelquefois tour-
mentés des démous même après avoir reçu le
baptême, p. 510.
ENFANTEMENT. Les douleurs de l'enfantement
sont une peine du péché, p. 557.
ENFERS. L'âme de Jésus-Christ descendit aux
enfers, c'est-à-dire dans les lieux oii les pé-
cheurs sont tourmentés, p. 617; Jésus-Christ en
descendant aux enfers, délivra le premier hom-
me, p. 555, 557; et les autres saints patriarches
et prophètes de l'Ancien Testament, p. 614.
ENOCH, enlevé, p. 314, s'il a écrit, ibid. Enoch
et Elle sont encore vivants, p. 558, 614; senti-
ment de saint Augustin sur les livres attribués à
Enoch, p. 574, 575.
ENSEIGNER. D'où vient que le Père n'enseigne
pas tous les hommes pour les faire venir à son
Fils, p. 529.
ÉPTSCOPAT. Violence qu'on faisait autrefois i
ceux que l'on choisissait pour l'épiscopat, p. 783.
ÉPITRES catholiques. Saint Augustin les met
toutes au rang des Écritures divines, p. 572, 573.
Il leur donne un ra-,g différent de celui qu'elles
tiennent dans nos Bibles, p. 573.
ÉQUILIBRE de Julien, p. 552.
ÉRACLl US, prêtre désigné pour succéder à saint
Augustin, p. 20, 174.
ESDRAS. Le troisième livre d'Esdras, cité,
p. 569.
ESPÉRANCE. Ce qu'en dit saint Augustin,
p. 263.
ESPRIT. Deux sortes de mauvais esprits, p. 41
ESPRIT. Livre de saint Augustin De l'Esprit et
de la lettre, p. 427 et suiv.
ESPRIT (le Saint) procédé du Père et du Fils.
p. 640. 11 est difficile de distinguer la génération
de la procession, ibid. Le Saint-Esprit n'est pas
créature, mais vrai Dieu, égal au Père et au Fils,
ibid. Le Saint-Esprit est nommé le doigt de Dieu,
p. 429.
TABLE ANALYTIQUE.
ESPRIT d'Eaubonne (le Père) capucin défère la
nouvelle édition de saint Augustin à M. d'Harlai,
archevêque de Paris, p. 816.
ESTHER. Saint Augustin cite le xiv' et le xv«
chapitre du livre d'Esther, p. 569.
ÉTERNITÉ. Idée de ce qu'elle est, p. 35; éter-
nité des peines, p. 106 ; éternité de félicité, p. 508,
3-23.
ETIENNE (saintl, ses reliques à Hippone, p. 19.
ÊTRE : Ce que c'est, il y en a de trois sortes,
p. 169 ; Étre-Souverain, ibid. et 195.
ÉTUDE, ce qu'on doit faire étudier aux enfants,
p. 26, 27.
EUCHARISTIE. Les paroles de Notre-Seigneur :
Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, quel
en est le sens, p. 1 99. Comment et quand il faut re-
cevoir l'Eucharistie, p. 84, 85; présence réelle ,
p. 240, 747 et suiv. ; les jnéchants comme les bons
reçoivent le corps de Jésus-Christ, p. 750, 751. La
chair de Jésus-Christ dans l'Eucharistie est
adorable; comment les fidèles la mangent, p. 752.
Objections contre la présence réelle, p. 752 et
suiv. Les fidèles recevaient l'Eucharistie dans leurs
mains, p. 708. La consécration se faisait par la pa-
role do Dieu et par une prière mystique, p. 767.
Sur les dispositions pour recevoir l'Eucharistie
p. 769,770; si l'on doit donner l'Eucharistie aux
pécheurs occultes, p. 770; sur la nécessité de la
recevoir, p.771 et suiv., l'Eucharistie, p.771 etsuiv.
EUDOXE, abbé d'un monastère de Caprarie,
p. 82.
EULOGE, que l'on croit avoir été archevêque
de Césarée, préside au concile de Diospolis en
415, p. 444.
EUTÉRIUS, évêque de Césarée, p. 411.
EUTROPE, évêque à qui saint Augustin adresse
le livre de la Perfection et de la justice , p. 440.
ÉVANGÉLISTES. Mystères et figures des évan-
gélistes, p. 586, 587; ordre et dignité des évan,
gélistes, p. 5S7; dessein des évangélistes, p. 588,
589. Jésus-Christ ayant conduit la main des évan-
gélistes, on peut dire que c'est lui-môme qui a
écrit l'Évangile, p. 591; les omissions des évan-
gélistes n'empêchent pas qu'ils n'aient dit ce
qu'ils devaient dire, ibid. Il n'y a point de con-
tradiclions entre les évangélistes, p. 592 etsuiv.;
quoique les évangélistes diffèrent dans l'ordre de
rapporter les faits, ils s'accordent pour le fonds
des choses, p. 593, 594.
EVANGILES, accord des Évangiles, p. 216 et
suiv.jordre, p. 217; autorité, iftid.; en quelle lan-
gue ils sont écrits, ibid. Entre tous les livres di-
vins celui de l'Évangile tient le premier rang',
p 585,586; les Évangiles sont une image de la vie
active et contemplaiive, p. 589; objections des
païens contre les Évangiles, p. 589,590.
ÉVÉOUES caiholiques consentant à quitter l'é-
piscopat pour le bien de la jiaix, p. 417. Les évê-
quessontsupérieu s aux prêtres; p. 7St; pourquoi
ils sontplacés dans les lieux élevés, ibid.; ils doi-
vent préférer le profit du Seigneur h leurs dignités
temporelles, p. 784; honneur qu'on rendait aux
évêques, ibid. Un évêque ne doit point juger seul;
TABLE ANALYTIQUE.
863
les évoques faisaient l'anniversaire de leur ordi-
nation, p. 184.
ÉVODIUS, jeune liomme de Tagasle, retourna
en Afrique avec saint Augustin, p. 9 ; propose des
difficultés sur le libre arbitre, p. 51; il demande
si l'âme a un corps après la mort, p. 140, 141.
EXCOMMUNICATION, son effet, p. 188, 189; son
usage, p. 257; elle est la plus grande de toutes les
peines de l'Église, p. 524 ; sentiment de saint Au-
gustin sur l'excommunication, p. 780 et suiv.
EXORCISMES. L'existence du péclié originel
prouvée par les exorcismes dont on se servait au
baptême, p. 421, 465, 655; l'Église universelle a
toujours employé le souffle et les exorcismes,
p. 753.
EZÉCHIEL. Explication de l'endroit de ce pro-
phète que Julien regardait comme son plus fort
argument, p. 5i2.
F.
FABIOLE. Saint Augustin lui écrit, p. 192.
FABLES. Saint Augustin blâme l'usage où l'on
est d'apprendre les fables aux enfants, p. 26.
FAÇONS (des) de parler des sept premiers li-
vres de la Bible, p. 20s.
FACULTÉS intellectuelles. Leur détail, p. 35.
FAINÉANTS, leur portrait, p. 279.
FARD, défendu, p. 187.
FASCIUS emprunte à saint Augustin dix-sept
livres d'or, p. 192.
FAUSTE, le manichéen, p. 25 338; comment il
définissait le schisme et l'hérésie, p. 800; saint
Augustin écrit contre lui, p, 339 et suiv.
FAUSTE, évoque de Riez, p. 484.
FAUTE. La faute est différente du péché, p. 211.
Exemple de quelque fautes légères dans les justes,
p. 437.
FAVENTIUS se réfugie dans l'Église d'Hip-
pone, p. 110. Il est arrêté pour dettes, ibid.
FÉLICIE, vierge. Saint Augustin la console,
p. ni.
FÉLICIEN deMeustis : sa condamnation, p. 90.
FÉLICITÉ. Saint Augustin lui écrit, p. 171.
FÉLICITÉS. Les pélagiens avaient imaginé
deux félicités éternelles, p. 548. lis accordaient
aux enfants morts sans baptême un lieu mitoyen
de repos et de félicité entre la damnation et la
vie éternelle, p. 660. Dans la vie éternelle on
aura tout ce que l'on aime, et l'on ne désirera
pas ce que l'on aura point, p. 795.
FÉLIX. Saint Augustin lui écrit au sujet d'une
difficulté entre le prêtre Boniface et le moine
Spés, p. 90 et 91.
FÉLIX le manichéen a deux conférences avec
saint Augustin, p. 349 et suiv.
FÉLIX d'Aptonge, ordinateur de Cécilien,
p, 409. •
FÉLIX, moine d'Adrumet.y apporte d'Usales la
lettre de saint Augustin au prêtre Sixte, p. 513.
FÉLIX. Saint Augustin lui écrit au sujet d'une
orpheline, p. 189.
FEMME. Possidius consulte saint Augustin
sur les ornements des femmes mariées, p. 565.
FEMME pécheresse. Si elle est la mêm.e que la
sœur du l,azare, p. 617. La pluralité des femmes
était permise aux patriarches, mais elle ne l'est
plus maintenant, p. 459.
FERRAND (le diacre) consulte saint Fulgence,
p. 772.
FESTUS, officier de l'Empire. Saint Augustin
lui écrit, p. 95.
FIDÈLES. On donne aux enfants le nom de
fidèles, quoiqu'ils ne puissent faire aucun acte
de foi, p. 419.
FLORENT, évêque, député à la cour, p. 117.
FLORENTINE. Saint Augustin lui écrit, p. J92.
FLORUS, moine d'Adrumet , transcrit l'Épî-
tre 194 de saint Augustin au prêtre Sixte, p. 513,
518.
FLORUS, célèbre entre les évoques pélagiens,
est chassé d'Italie sous le pontificat de saint
Léon, p. 538.
FOI des enfants, p. .54. De qui elle vient,
p. 16). Si elle justifie, p. 161. Si les œuvres sans
la foi sont bonnes, p. 164. Exposition de la
foi, p, 185 et suiv. Elle est un don de Dieu, p,249,
259, 697 et suiv. Son utilité, p. 533. Livre de
l'Utilité de la foi, p. 33-2 et suiv. Sentiment de
saint Augustin sur la nécessité de la foi en Jé-
sus-Christ, p. 647 et suiv. Les anciens justes
n'ont été sauvés que par la foi du Médiateur,
p. 477. La foi nous est donnée la première, et
c'est par son moyen que nous obtenons les au-
tres choses en quoi consistent les bonnes œuvres,
p. 529. Non-seulement la foi est un don de Dieu,
mais aussi son premier commencement, p. 528,
532, 687. Saint Augustin avait été dans l'erreur
à l'égard du commencement de la foi, qu'il
croyait être de nous-mêmes, etc., p. 528, 699. La
foi n'est pas accordée à tous, p. 700 et 701.
FOI (la bonne), doit Être observée à l'égard de
tout le monde, p. 160.
FONDEMENT. Livre de saint Augustin contre
YÉpître du fondement, p. 338.
FORCE. Ce que c'est, p. 49. Quand elle est
vertu, p. 57. La force que les païens ont fait
paraître venait de la cupidité, au lieu que celle
des chrétiens vient de la charité, p. 541. La
force des mots, p. 49.
FORTUNAT, évêque de Cirthe, p. iio.
FORTUNAT, prêtre manichéen. Saint Augustin
écrit contre lui, p. 336, 337.
FORTUNATIEN, p. 130.
FORTUNE. Si elle peut aider l'homme dans la
recherche de la vérité, p. 38.
FRÉNÉTIQUES. Histoire de plusieurs .frénéti-
ques, p. 207, 208.
FfiISCHE (dom Jacques) traduit en latin, ave
864
TABLE ANALYTIQUE.
D. Vaillant, la vie de saint Augustin, composée
en Français par Tillemont, p. 816,
FUGILINE, lieu du diocèse de Calame p. 563
FUIR. S'il est permis de fuir pendant la per-
sécution, p- 181.
FULGENCE (saint) 'cite le livre de saint Au-
gustin (le la Correction et de la g race, touchant,
la distinction des deux grâces, de celle d'Adam
avant son péché, et de celle par laquelle nous
sommes rachetés de la masse du péché, p. 519.
FUNÉRAILLES. Traité des Funérailles, par
saint Augustin, cité par Possidius, p. 560.
FUNDANIUS, rhéteur de Carthage, après avoir
perdu un œil, engendra un flls qui n'avait qu'un
œil en venant au monde, p. 508.
G.
GABINIEN, païen converti, p. 181.
GABIISUS, donatiste converti, p. 413.
GAIUS. Saint Augustin lui envoie ses ouvra-
ges, p. 69.
GAUDENCE, évêque de Tamugade. Saint Au-
gustin écrit deux livres contre lui, p. 413 et suiv.
GAUDEJNCE, évêque donatiste, p. 560.
GAUTIER, évêque d Orléans, p. 771.
GÉNÉRATIOiS de Jésus- Christ, p. 237.
GÉNÉROSUS, gouverneur de Numidie, p. 110.
GENÈSE (la), expliquée selon la lettre, p. £01,
202. Les douze livres sur la Genèse, p. 202 et
suiv. La Trinité dans la Genèse, p 203.
GENSÉRIC,roidesVandaiesassiègeHippone.p.21.
GÉNÉTHLIUS, évêque de Carthage, p. 12.
GERYAIS (saint) et saint Protais. Le lieu où
reposaient leurs corps est révélé à saint Am-
broise, p. 33. Miracle à cette occasion, p. 340, 341.
GLOIRE. Nous ne devons nous donner la
gloire d'aucune chose, parce qu'il n'y en a au-
cune qui vienne de nous, p, .528, 701.
GRACE de la nouvelle alliance, p. 125. Sa
nécessité, p. 155. Grâce gratuite, ibid. et 157.
Grâce des sacrements, p. 212. Ce qu'on doit
croire sur la grâce, p. 177. Sentiments de
saint Augustin sur la grâce et le libre arbi-
tre du premier homme, p. 675, 676. Il change
de sentiment sur la grâce, p. 249. De la grâce
des deux états, p. 681 et suiv. La différence de
la grâce des deux états était insupportable aux
semi-pélagiens, p. 585 et suiv. En quoi Pelage et
S.Augustin faisaient consister la grâce, p. 449 et
700. Sentiment de Julien sur la grâce, p. 476 : des
pélagiens, p. 515, 516: ces hérétiques ne recon-
naissent d'autres grâces purement gratuites que
celle qui remet à l'homme ses péchés, p. 515.
L'inspii'ation de dilection par laquelle nous fai-
sons, par un saint amour, ce que nous connais-
sons, c'est là proprement la grâce, p. 711. La
grâce proprement dite est le don de la charité
ou du saint amour, p.4&l : elle est donnée gra-
tuitement, p. 705, 706. Nous voyons tous les jours
qu'elle est donnée non-seulement avant aucune
bonne œuvre,mais même après beaucoup de mau-
vaises œuvres, p. 514. Elle est donnée sans aucun
mé'.ite, p. 167, 249 et suiv. L'exemple des enfants
fait voir que la grâce n'est pas donnée selon les
mérites, p. 499, 500. Enseigner qu'elle est donnée
selon nos mérites, n'est autre chose que de dé-
Iruiie cette même grâce, p. 475. Pourquoi la grâce
de Dieu ne nous est-elle pas donnée selon nos
mérites, p. 533. Le désir du secours de la grâce,
est le commencement de la grâce, p. 519. C'est
par elle seule que les hommes sont délivrés du
mal. Sans elle ils ne font aucun bien, ni par la
pensée, ni par la volonté, ni par l'amour, ni par
l'action, ibid. La grâce nous délivre du péché en
deux manières : l'une, en nous accordant le par-
don de nos péchés passés, l'autre en nous empê-
chant d'en commettre de nouveaux, p. 544. La
grâce renouvelle parfaitement l'homme, p. 510.
La grâce ne nous donne pas seulement de pou-
voir ce que nous voulons, mais encore de vou-
loir ce que nous pouvons, p. 681. La grâce par
laquelle la vertu se perfectionne dans l'infir-
mité, ne se borne pas à nous donner la connais-
sance de nos devoirs, mais elle s'étend jusqu'à
nous faire pratiquer ce que nous connaissons,
p. 450. La grâce est donnée aux uns par misé-
ricorde, et refusée aux autres par justice,
p. 424. Celui qui est instruit par la grâce vient
à Jésus-Christ, et celui qui n'y vient pas n'a
pas été instruit par la grâce, p.4. Nécessité
de la grâce, p. 153, 224. Si on peut avec la grâce
faire quelque bien , p. 175, 177. Nécassité de la
grâce pour les actions de piété et la fuite du
mal, p. 688, 689. Grâce contre les tentations
p. 689 et suiv. Nécessité de la grâce pour la péni-
tence et la conversion du pécheur, p. 691, 692 :
pour aimer Dieu , p. 692 et suiv. pour accomplir
ses commandements, p. 694 et suiv. La nature
est commune à tous les hommes, et non la
grâce, p. 703 et suiv. La grâce ne suit pas, mais
précède la volonté, p. 708, 709. Comment la
grâce agit, p. 710 et suiv. Force de la grâce,
p. 151, 714, 715. Abus que Pelage fait de la grâce,
p. 151. Accord du libre arbitre avec la grâce, p. 139.
720 et suiv. La grâce ne détruit pas le libre arbi-
tre, et n'introduit pas le destin, p. 159, 723, 725,
La volonté humaine n'est pas détruite par la
grâce divine, mais de mauvaise quelle était, elle
s'est rendu bonne, et aidée après qu'elle l'est
devenue, p. 518. La grâce n'a jamais paru d'une
manière plus éclatante que dans saint Paul,p.433.
GRANDEUR de Dieu, p. 25.
GRÉGOIRE (saint), évêque de Nazianze, cité par
saint Augustin, p. 486.
GRÉGOIRE (saint), évêque de Néocésarée, fait
changer de place à une montagne pour bâtir une
église, p. 433.
GUIMOND, disciple de Lanfranc, explique un
passage d e saint Augustin, p. 759, 760,
TABLE ANALYTIQUE.
863
H.
HARDOUIN (le Père), jésuite. Son jugement
sur la nouvelle édition des ouvrages de saint
Augustin, note 1, p. 815.
HÉBREUX. Si l'Épître aux Hébreux est de
saint Paul, p. 572. Saint Augustin la lui attribue,
ibid. Pourquoi saint Paul n'y a point mis son
nom, ibid.
HÉRACLIUS. Voyez ÉRACLIUS.
HERCULE, sa statue brisée par les chrétiens,
p. 82.
HÉRÉSIE (1'). Elle est un« secte de gens qui
suivent des sentiments différents, p. 800.
HÉRÉSIES (les) ne sont nées que de ce que
les Écritures ont été interprétées en mauvais
sens, etc., p. 596,597. Plusieurs hérésies ont été
condamnées sans concile, p. 483, 622. Quel bien
les hérésies apportent à l'Église, p. 537. Toutes
les hérésies sont sorties de l'Église, comme
des sarments inutiles coupés de la vigne, etc.,
p. 626. Traité des Hérésies, par saint Augustin,
p. 330 et suiv. Il y en a eu quatre-vingt-huit
d'après saint Augustin, p. 332.
HÉRÉTIQUES. Conduite de l'Église envers les
hérétiques, p. 225. Quand on doit les regarder
comme tels, p. 318, 331, 385 Les puissances de
la terre ont droit de réprimer leur audace, p. 539.
Les hérétiques n'appartiennent point à l'Église^
p. 6-29, 638. Comment on les définit, p. 799. 800.
HERMOGENIEN, ami de saint Augusiin, p. 39.
HÉROS, évêque d'Arles, chassé de son siège,
présente un libelle contre Pelage, p. 445.
HÉSYCHl US, évêque de Salone, saint Augustin
lui écrit, p. 167 et suiv.
HEUREUX. Pour être heureux il faut connaître
la vérité, p. 38, 40, 41 . Dieu seul peut rendre heu-
reux, p. 307.
HIÉRIUS, orateur, p. 29.
HILAIRE, demande à saint Augustin ses livres
des Rétractations, p. 24. Saint Augustin lui écrit,
p. 638.
HILAIRE (saint), évêque de Poitiers. Son élo-
ge, p. 485. Saint Augustin le cite contre Julien,
p. 486, 490. Passage de saint Hilaire expliqué,
p. 628.
HILAIRE, laïque; sa lettre à saint Augustin,
p. 138, 526 et suiv.
HILARIUS, tribun. Saint Augustin écrit contre
lui, p. 559 et 767.
HINCMAR cite l'Hypomnesticon, sous le nom
de saint Augustin, p. 558.
HIPPONE, ville maritime d'Afrique, p. 10.
Saint Augustin écrit au peuple d'Hippone, p.
192. Elle est assiégée par les Vandales, p. 21; et
incendiée, p. 22.
HISTOIRE. La connaissance de l'histoire est
d'un grand secours dans l'étude des saintes let-
tres, p. 606, 607. Divers point de l'histoire
de l'Ancien Testament, p. 614 et suiv. Divers
points de l'histoire du Nouveau Testament,
p. 616 et suiv.
HOMÉLIES sur saint Jean, p. 220 et suiv.
HOMICIDE. Il n'est pas permis, p. 169. Ho-
micide de soi-même défendu, p. 291. L'homicide
était soumis à la pénitence publique, p. 777.
HOMME, son origine, p 307. Différence entre
les hommes et les anges, p. 309.
HONORAT, engagé dans l'erreur par saint Au-
gustin, p. 4 ;
HONORAT, évêque donatiste. p. 82, 125; saint
Augustin lui écrit sur la fuite dans les persécu-
tions, p. 181 et suiv.
HONORIUS, empereur, donne des lois contre
les donatistes, p. 16; contre les hérétiques, p. 95;
ordonne aux évêques de souscrire k la condam-
nation de Pelage et Célestius, p. 169 ; accorde la
liberté de conscience, p. 107; défend les solen-
nités sacrilèges du paganisme, p. 563.
HOPITAL bâti par saint Augustin pour les
étrangers, p. 14.
HORTENCE, livre de Cicéron; ce qu'il contient
change le cœur de saint Augustin, p. 28.
HUMILITÉ de saint Augustin, p. 192; de Jésus-
Christ, p. 224; sa nécessité, p. 269.
HYDROMANCIE exercée par Numa, p. 301.
HYMNE. Saint Augustin cite l'hymne des trois
jeunes hébreux dans la fournaise, p. 571. H rap-
porte une hymne que les priscillianistes disaient
avoir été récitée par Jésus-Christ après la der-
nière Cène, p. 576. On chantait des hymnes tirées
des Psaumes avant l'oblation et pendant qu'on
distribuait aupeuple ce qui avait été offert,p.766,
767.
HYPOMNESTICON, ouvrage attribué à saint Au-
gustin par divers auteurs du neuvième siècle,
p. 558; il est plutôt de Marius-Mercator, p. 559.
HYPOSTASE, ce que C'est, p. 366.
I.
IDOLATRIE (1') était soumise à la pénitence pu-
blique, p. 777.
IGNORANCE. Ceux qui connaissent les com-
mandements de Dieu ne pourront s'excuser sur
leur i^^norance, p. 513. L'ignorance dans celui qui
n'a point eu connaissance de l'Évangile pourra
peut-être lui servir à n'être pas si violemment
IX.
tourmenté dans les flammes, que s'il l'avait ouï
prêcher, p. 514.
IMAGE (r)de Dieu n'est pas entièrement éteinte
dans les infidèles mêmes, p. 430; ouviages de Jé-
sus-Christ, de -saint Pierre, de saint Paul, pein-
tes sur les murailles, p. 790; autres images des
saints, p. 789, 790,
56
866
IMAGINATION. Plusieurs choses qui ne <lépen-
dent point de l'imagluation, p. 06.
L\CARNaT10N, ce que c'est, p. 62; ce qu'elle a
produit, ibid.elpdô; difiQcultés proposées, p. 121,
122, 143, 184; livre de l'Incariialion, p. 365; con-
duite de Dieu dans ce mystère, p. 642 et suiv.
INNOCENT, avocat , guéri de sa fistule par un
miracle, p. lo.
INNOCENT I, pape, ordonne évêque Julien le
pélagien, p. 483 ; jugement qu'il porte des actes du
concile de Palestine, p.433; Possidius écrit au
pape Innocent contre les pélagiens, p. 563.
INNOCENT, ou iiommc slupide, sensible seu-
lement à ce qui regardait Jésus-Clirist, p. 420.
INQUIÉTUDES (les), sont inséparables du cœur
livré à l'iniquité, p. 20 et 30.
■ INTERDIT, Lettre de saint Augustin à Célestin
sur l'interdit, p. 171.
TABLE ANALYTIQUE.
INTERPRÈTES latins de l'Écriture sainte. Le
nombre en est infini, p. 6oO.
IONIQUE (secte) p.50i.
IRÉNÉE, évêijue de Lyon, presque contempo-
rain des apôtres, p. 485; il est cité par saint Au-
gustin, p. 486.
ISIS, fille d'Inaque: elle donne aux Égyptiens
l'invention .des lettres et des caractères, p.
577.
ITALIQUE, dame romaine, saint Augustin la
console de la mort de son mari, p. 97, 98.
ITALIQUE. De toutes les versions latines de l'É-
criture, la meilleure est celle qu'on nomme Itali-
que, p. 604. L'auteur de cette version est incon-
nu, p. 605.
ITALIQUE (secte), p. 301.
I"VROGNERIE. Quel crime c'est, p. 74.
I
J.
JA, femme de Julien le pélagien, p. 483.
JACQUES (saint). I'éla,,e corrompt un passage
de l'Épître de saint Jacques, p. 435.
JACQUES, disciple de Pelage, p. 433; il ensuit
les erreurs; saint Augustin l'en retire, p. 434.
JANVIER, prêtre, fait un legs en faveur de l'É-
glise d'Hippone, p. 19.
JEAN-BAPTISTE (saint). Le jour de Saint-Jean-
Baptiste on allaita Hippone se baigner dans la
mer, p. 793.
JEAN lévaugéliste (saint). Il y en a qui croient
qu'il n'est pas mort, p. 618 ; saint Augustin com-
bat cette opinion, ibid.
JEAN, évêque de Jérusalem, p. 151. Il assiste
au concile de Diospolis, p. 443 ; saint Augustin lui
envoie son livre de la Nature et de la grâce,
p. 433.
JENKIUS (Robert), docteur du collège de Saint-
Jean à Cambridge, prend la défense de saint Au-
gustin contre Jean Le Clerc, p. 818.
JEPHTÉ, il immola véritablement sa fille,
p. 616.
JÉRÔME (saint). Son éloge. Saint Augustin le cite
en faveur du péché originel, p. 487;Julien repro-
che àsaint Jérôme d'avoir admis des péchés volon.
tairesen Jésus-Christ, p. -'53, Saint Augustin fuit
des reproches à suint Jérôme sur les sentiments
qu'il avait au sujet do la dispute de saint Pierre et
de saint Paul, p. 9o ; il lui écrit pour le détourner
de traduirede nouveau les livres de l'Écriture sur
l'hébreu, p. 90.
JÉSUS-CIIRIST, vrai médiateur, p. 34; sa divi-
nité, p, 239; couiiu selon la chair, p. 342; annoncé
par les prophètes, ibid.; temps de sa conception,
de sa naissance et de sa mort, p. 616; il est monté
au ciel à midi, p. 617 ; l'on allait en Judée adorer
ses vestiges sacrés au lieu où il était monté au
ciel, ibid.; sentiments de saint Augustin sur la
divinité et l'humanité de Jésus-Christ, p. 341,
644, et 045; sur les deux natures eu une même
personne, p. 645 et suiv. ; sur les deux volontés.
p. 647; sur la mort de Jésus- Christ pour tous les
hommes, p. 053, 654, la nature humaine de Jésus-
Christ n'est difl'érente de la nôtre, qu'en ce qu'elle
n'a pas les défauts de la nôtre, p. 506, 507 ; Jésus-
Christ n'est point né avec le péché originel, p. 657,
6D8;il est le modèle le plus illustre de la prédes-
tination p. 663, 664: il n'a point mérité par des
actes de vertu son union avec le Verbe, p. 553; il
n'est pas mort comme nous par néce.ssité, mais
parce qu'il l'a bien voulu, p. 436.
JEUNE du samedi et du dimanche, p. 77; diffé-
rents usages sur lejeiine, p. 84, 83; le jeûne est
autorisé par l'Écriture sainte, p. 85; en quoi il
consiste, p. 22o; utilité du jeûne, p. 284; défendu
dans le temps [lascal, p. 805; les Romains jeû-
naient le mercredi, le vendredi et le samedi,
excepté le temps pascal, iiid.
JEUNESSE ; désordres de la jeunesse, p. 27.
JOB. Son origine; temps auquel il a vécu
p.C16.
JOSEPH (saint). Il y a eu un véritable ma-
riage, entresaint Joseph et la Sainte Vierge,
p. 506, 787.
JOSEPH de Troyes (le Père capucin), fait im-
primer le livre de la Correction et de la grâce,
avec des notes de sa façon, p. 816. Il défère à
M. de Harlay, archevêque de Paris, la nouvelle
édition de saint Augustin, ibid.
JOUIR. Ce dont on doit jouir, p. 195.
JOURS égyptiens, p. 793.
JOVINIEN. Saint Augustin écrit contre lui le
livre du Bien du mariage, p. 267. Réponse aux
objections de Jovinien sur la continence, p. 269.
li traitait les catholiques de manichéens, p. 484;
et enseignait qu'un homme baptisé ne pouvait
pécher, p. 542.
JUDAS (le traître). Tout ce qui est dit dans le
psaume cviu s'est accompli à la lettre dans Judas,
etc., p. 617.
JUGE. Dispositions où doit être un juge pour
juger selon l'équité, p. 490.
TABLE ANALYTIQUE.
867
JUGEMENT de Dieu. Sur quoi nous serons ju-
gés, p. 233; l'heure dujugement est incertaine, p.
234. La foi de l'Église sur le jugement dernier,
p,520, 321 ; exemples des jugements de Dieu, qui
sont iaipénétrableS; p. 533.
JUIFS, application aux Juifs des paroles du
psaume xvi, p. 131 ; témoins de la vérité, .iftid. ;
Sénèque condamne leurs cérémonies, p. 3u0;
traité contre les Juifs, p. .332; leur réprobation,
ibid.; ils portent eux-mêmes les livres dont nous
nous servons pour confondre les païens, p. 582,
JULIEN l'Apostat, p. 297.
JULIEN, évêqued'Éelane,pélagien;sonliistoire,
p. 483, 484; ses écrits, p. 484 ; saint Augustin le
réfute, i6id. et suiv. etp.538 et suiv.; Julien accuse
saint Augustin de soulever contre lui les artisans
de la lie du penpie, p. 508; il l'accuse d'incons-
tance dans sa doctrine, p. 510.
JULIENNE, mère de Démétriade, p. 18.
JULIENNE, mère de Julien le pélagien , p.
483.
JURIEU (M.) , accuse les catholiques d'a-
voir falsifié un passage de saint Augustin ,
p. 760.
JUSTE. Si Dieu n'est point abandonné du
juste, il ne l'abandonne point, p. 436. i'('l;ige et
Célestius niaient que les justes qui ont précédé
la venue de Jésus-Christ aient été sauvés par sa
grftce, p 155. Tous les anciens justes n'ont été
délivrés et justifiés que par la foi à l'Incarna-
tion de Jésus-Christ, p. 647. Les justes de l'An-
cien Testament défendus contre Fauste, p. 345
et suiv.
JUSTICE (la) de Dieu ne consiste pas dans
les préceptes de la loi, qui nous inspire de
la crainte, mais dans le secours de la grâce de
Jésus-Christ, p. 434.
JUSTICE (la) des saints, soit de l'Ancien, soit
du Nouveau Testament, a été véritable, mais
non parfaite, p. 482. Quoique la parfaite justice
n'ait point d'exemple parmi les hommes, néan-
moins elle n'est pas absolument impossible,
p. 432. Les œuvres de justice sont le jetlne, l'au-
mône et la prière, p. 442.
JUSTICE, ce que c'est, p. 49, 57. En quoi elle
consiste, p 220. La vraie justice, p. 228. Ce qui
arrive quand elle est bannie d'un royaume,
p. 296.
JUSTIFICATION. Jésus-Christ mort pour la
justification des impies, p. 163, 164. Dieu justifie
l'impie non-seulement en lui remettant ses pé-
chés, mais encore en lui donnant la charité, afin
qu'il s'éloigne du mal et qu'il fasse le bien,
p. 549.
L.
LACTANCE. Passages de ce Père objectés par
Pelage, p. 439.
L/ETUS, jeunehomme. Saint Augustin lui écrit,
p. 187.
LAMY (0. François) réfute la lettre d'un pré-
tendu abbé d'Allemagne contre la dernière édi-
tion des ouvrages de saint Augustin, donnée
par les Pères Bénédictins de la Congrégation de
Saint- Maur, p. 816.
LANDULÉUS, évêque de Capoue, p. 328. Anas-
tase le bibliothécaire, lui écrivit au sujet des
reliques de saint Etienne. Ibid.
LANFRANC répond aux objections de Béranger
contre la présence réelle, p. 762 et suiv.
LANGUE. Sentiment de saint Augustin sur la
langue hébraïque, p. 616. Il y a beaucoup de
conformité entre la langue punique et l'hébraï-
que, ibid. La connaissance des langues est très-
utile pour l'intelligence de l'Écriture sainte,
p 605.
LARGUS, proconsul d'Afrique. Saint Augustin
lui écrit, p. 169.
LARRON (le bon) n'a point blasphémé contre
Jésus-Christ, p. 617. Le sang et l'eau qui sor-
tirent du côté de Jésus-Christ ont pu rejaillir
sur le bon larron et lui servir de baptême, ibid.
Saint Hilaire croit qu'il fut crucifié à la droite
du Sauveur, ibid. On peut mettre le bon larron
au nombre des martyrs, p. 468.
LATRIE: à qui on doit rendre le culte de latrie,
p. 303- Le culte de latrie n'est proprement dCl
qu'k la Divinité, p. 792.
LAURENT, ce qu'il était, p. 258. Il demande
à être instruit, ibid. Saint Augustin lui adresse
son Manuel, ibid.
LAZARE, évêque d'Aix, chassé de son diocèse,
présente un libelle contre Pelage, p. 443.
LECTEURS , clercs inférieurs. On mettait
quelquefois des enfants dans le degré des lec-
teurs, p. 785.
LECTURE des divines Écritures. On commen-
çait ordinairement le sacrifice par les Épîtres de
saint Paul, p, 766.
LEGS. Comment il faut les recevoir, p. 19.
LÉON (saint), pape, chasse Julien le pélagien
d'Italie, p. 484.
LÉPORIUS. Saint Augustin justifie sa conduite,
p. 19. Léporius rétracte ses erreurs, p. 179.
LÉRINS, Julien se retire au monastère de
Lérins, p. 484.
LETTRES de saint Augustin. Lettre à Hermo-
génien; saint Augustin explique le dessein qu'il
avait en écrivant les trois livres contre les Aca-
démiciens,p. 65, 66. A Zénohius il fait connaître
son caractère à l'égard de ses amis, p. 66; à Né-
bridius, il fait voir que l'ignorance est un obstacle
à la vie heureuse, ibid.; au même, qu'il y a des
choses qui ne dépendent pas de l'imagination,
ibid. et 67: comment les démons peuvent agir
sur nos âmes, p. 67: qu'elle était la vue de Dieu
dans la création et dans l'incarnation, p. 68.
A Romanien, il l'exhorte â profiler du loisir que
Dieu lui procurait, p. 69; à Maxime, il lui montre
combien le paganisme .est ridicule, p. 69 ; à Ce-
868
TABLE ANALYTIQUE.
lestin,Gaïus et Anlonin, sur les êtres; il y établit
cette maxime que c'est un grand bien d'aimer
le bien, p. 69 et 70 ; à Valère, il lui demande
permission de se retirer quelque temps, p. 70;
à Aurèle, il l'exhorte à corriger l'abus qui s'était
introduit en Afrique dans les festins des martyrs,
p. 70, 71 ; à Maximin, au sujet du diacre re-
baptisé, p. 71, 72 ; à Licentius, il l'exhorte à se
donner à Dieu et à rompre les chaînes qui l'at-
tachaient au monde, p, 72, 73 ; à saint Paulin,
c'est un éloge de ses vertus, p. 73 ; à saint Jé-
rôme, il le prie de traduire en latin les meilleurs
interprètes grecs de l'Écriture sainte, p. 73, 74;
à Alypius, il lui marque que l'usage des festins
sur le tombeau des martyrs était aboli, p. 74 ,
75; à saint Paulin, il l'Invite à venir en Afri-
que, p. 751 ; à Proculien, il lui offre la conférence
qu'il souhaitait, p. 761 ; à Eusèbe, au sujet d'un
jeune homme qui battait sa mère, ibid. et p. 77 ;
à Casulan, où il parle du jeûne du samedi, p. 77,
78 ; à Simplicien, c'est une exhortation à ne point
préférer le repos au besoin de l'Église, p. 78 ; à
Profuturus, il y est question de la patience que
l'on doit garder dans la maladie, p. 78, 79 ; à
saint Jérôme, il lui demande quel est le vrai
titre du livre des Ecrivains ecclésiastiques, p. 79 ;
il lui témoigne sa douleur par rapport à son
Explication de l'Épître aux Galates, p. "9 ; à
Aurèle, il le congratule d'avoir permis aux
prêtres de prêcher en sa présence, ibid.; à saint
Paulin, il lui demande une seconde fois son ou-
vrage contre les païens, ibid. ; à Glorius, Éleu-
sius, Félix et Grammaticus, donatistes, contre
leur schisme, p. 79, 80 ; aux mêmes et aux deux
Félix, aussi contre le schisme, p. 80, 82 ; à Pu-
blicola, sur dix-huit difficultés que celui-ci lui
avait proposées, p. 81, 82; à Eudoxe et à ses re-
ligieux, pour les exhorter à bien profiter du
repos, p. 82; à Honorât, il accepte de traiter par
lettres l'affaire du schisme, p. 82; aux habitants
de Suflecte, saint Augustin leur reproche leur
cruauté, ihid.\ à Crispin de Calame, touchant les
donatistes, ibid. et 83 ; à Séverin, pour l'engager
à quitter l'hérésie; p. 83; à Générosus, ofi il
prouve la succession des évêques depuis les
apôtres, ibid.; à Janvier, il fait voir que ce qui
s'observe uniformément dans toutes les églises,
diffère de ce qui est en usage, p. 83 et suiv. ; à
Celer, il l'exhorte à cesser tout commerce avec
les donatistes. p. 86, 86 ; à Pammaque, il loue son
zèle pour l'Église catholique, p. 87; à Victorin.à
qui appartenait la primatie de Numidie, ibid.; à
Aurèle, il lui fait des reproches d'avoir élevé un
moine à lacléricature, ibid. et p. 88; à Théodore,
il explique l'indulgence avec laquelle il recevait
les donatistes, p. 88. A Sévère, au sujet du
changement d'un lecteur d'une église à une autre,
ibid. ; à Justinien, prêtre qui lui avait fait quel-
ques plaintes, p. 89; à Xantippe, il lui rend
compte de la disposition d'Abondantius, p. 89 ; à
Crispin, il lui reproche d'avoir forcé des person-
nes à se laisser rebaptiser, ibid. et p. 90 ; à saint
Jérôme, il lui fait des reproches sur les senti-
ments qu'il avait sur la dispute de saint Pierre et
de saint Paul, p. 80; à Castorius, il l'exhorte à
accepter l'épiscopat. ibid. ; à Nancélion, au sujet
de la condamnation de Félicien, ibid. ; aux do-
natistes, il leur fait voir que la vérité et le salut
ne se trouvent que dans l'Église catholique,
ibid. ; à Félix et au clergé d'Hippone, au sujet
d'une difficulté entre le prêtre Boniface et le
moine Spès, qui s'accusaient réciproquement
d'nn crime infâme, p. 90, 91, 92; à un prêtre
manichéen, qui se vantait de ne point craindre
la mort, p. 92; à saint Paulin, comment il faut
quitter sa volonté quoique bonne, pour faire
celle de Dieu, p. 92 ; à Alypius, au sujet du bien
des moines, ibid. et p, 93: à Novat, pour l'enga-
ger à laisser Lucille diacre, p. 93 ; à, Paul évo-
que de la Numidie, il lui reproche ses mœurs dé-
réglées, i6id. et 94; à Cécilien, gouverneur de
Numidie, il le prie de réprimer l'orgueil des
donatistes, p. 94; à Émérite, il tâche de le tirer
du schisme des donatistes, demande si l'Église
de Jésus-Christ est celle des donatistes ou celle
des catholiques, ibid. ; à Janvier, plainte des ca-
tholiques contre les donatistes, p. 94, 95; à
Festus, du ministre du baptême, p. 95, 96; à
Nectaire, il se plaint de la persécution des
païens, p. 96, 97 ; à Italique, sur la mort de son
mari, p. 97, 98; à Vincent le rogatiste, c'est une
réponse aux difficultés de ce schismatique, p. 98
et suiv.; à saint Paulin, sur ce que les bienheu-
reux seront après cette vie, p. 101, 102 ; à Olym-
pius pour l'engager à obtenir à Boniface la grâce
qu'il demandait à l'Empereur, et il l'exhorte à
soutenir la rigueur des lois, p. lOQ, 103 ; à Boni-
ace, réponse à ses difficuliés, p. 103, 104; à
Donat, proconsul d'.-ifrique, il le priait; faire
exécuter les lois des empereurs contre les
schismaliques, p. 104 : à Mémor qui lui avait de-
mandé ses livres sur la Musique, p. 104; à Déogra-
tias, sur différentes malières, ibid. et suiv.; aux
donatistes, il prouve que les lois des empereurs
sont justes, p. 107; à Macrobe, il lui reproche
d'avoir rebaptisé un sous-diacre, p. 107, 108 ; à
Sévère, preuve de son humilité, p. 109 i à Victo-
rien, sur la cruautés des barbares, ibid. et 110 ; à
Donat, contre la vanité, p. 110; à Dioscore, il lui
reproche sa vanité, ibid. et 111 ; à Consentius, sur
la foi, etc., p. 111 et suiv. : à son clergé d Hippone,
il l'exhorte à reprendre la piété qu'il avait eue,
p. 113. Lettre à Albine sur le serment, p. 114,
115 ; à Armentaire et à Pauline, exhortation à
la continence, ibid. ; à Marcellin, règlement d'une
conférence entre les catholiques et les donatistes,
p. 116 et suiv. ; à Proba, instructions pour les
veuves, p. 118, 120; à Volusien, il l'exhorte à
étudier l'Écriture sainte, p. 120, 121 ; à Marcellin,
il le prie de ne point punir les donatistes selon
la sévérité des lois, p. 121 ; à Marcellin, sur l'a-
bolilion de l'ancienne loi, p. 121 et suiv.; à Hono-
rât,sur la grâce delà nouvelle alliance, p. 125, 126,"
aux donatistes. il dit ce qui se passa dans la
conférence de Carthage, p. 126, 127 ; à Saturnin
et à Euphrale, prêtres qui avaient quitté le schis-
I
1
TABLE ANALYTIQUE.
869
me des donatistes, p. Ii7 ; à Marcellin, du mira-
cle d'eau changée en sang, p. 127; àceuxdeCirlhe,
il témoigne la joie qu'il a de la conversion des do-
natistes, i&id.; à Anasthase.il lui dit que les peines
sont préférables aux caresses du monde, p,ia3:à
Pelage, lettre de civilité où il est pourtant ques-
tion de la grâce, p. 128, 129; à Pauline, de la
vision de Dieu, p. 129, 130 : à Fortunatien sur la
même matière, p. 130; à saint Paulin sur quel-
ques passages des Psaumes, p. 131 ; à Proba et
à Julienne, au sujet de Démétriade qui fait pro-
fession de virginité, p. 133 ; àCécilien, en faveur
de Marcellin arrêté par les donatistes, p. 133, 134;
àMacédonius, il intercède pour les criminels,
p. 134 et suiv.;leur grâce est accordée, p, 137, 138;
à Hilaire contre lespélagiens, p. 138 et suiv. ; à
Évodius, si l'âme a un corps après la mort, p.
liO et suiv. ; sur la Trinité, p. 142 et 143; â saint
Jérôme, sur l'origine de l'âme, p. 143 et suiv. ;
à Évodius, sur la Trinité, p. 147 el suiv.; h Maxi-
me, sur la divinité du Fils et du Saint-Espnt,
p. 148. Lettres à Pérégrin au sujet de Maxime,
p. 149, 150; à Aurèle de Carthage, il lui envoie
les livres de la Trinité, p. 150. Lettres à Innocent
et à Zosime sur les pélagiens, p. 150, 151; à Jean
de Jérusalem contre les pélagiens, p. 151;à Océa-
nus, pourquoi saint Paul résiste à saint Pierre,
p. 151, 152 ; à Boniface, en quoi diffèrent les do-
natistes des ariens, p. 152 et suiv. ; à Paulin,
de la prédestination et de la grâce, p. 154 et
suiv. ; à Dardanius, réponse à ses difficultés
p. 158, 159 ; à Julienne, sur la grâce contre un
livre que Pelage avait adressé à Démétriade,
p. 159, 160 ; à Boniface, instruction pour la pro-
fession des armes, fp. 160 ; à Optât, de l'origine
de l'âme, p. 160, 161 ; à Sixte, il le félicite de ne
point favoriser l'erreur des pélagiens, p. 162; à
Célestin, diacre et depuis pape, sur les devoirs
de la charité, p. 162; à Mercator, contre les pé-
lagiens, p. 162, 163; à Sixte, sur la grâce, p. 163
et suiv.; à A-sellicus, qu'il est défendu aux chré-
tiens de judaïser, p. 166 et 167 ; à Hésychius,
sur la fin du monde, p. 167 et suiv. ; à Valère,
sur le mariage, p 168, 169;àLargus, du mépris
des richesses, p. 169 ; à Dulcitius, tribun, il le
: loue de sa douceur à l'égard des donatistes, p.
169, 170; à Consentius, du corps de Jésus Christ,
p: 170 ; à Valère et à Claude, p. 171 ; à Félicie,
sur le scandale, p. 171 ; à Célestin, sur l'inter-
dit, p. 171 ; à Félicité, de la manière de suppor-
ter les maux de la vie et de la correction frater-
nelle, p. 171 et suiv. ; à Quintilien, p. 174; élec-
tion d'Héraclius pour succéder ^ saint Augustin,
p. 174 ; à Valentin, explication de la lettre au
prêtre Sixte, p. 114 et suiv. ; à Vital, il y combat
l'erreur des semi-pélagiens, p. 176 et suiv. ; à
Palatin, il établit la doctrine de la grâce, p. 179 ;
à Proculus, sur la conversion de Léporius, ibid.;
à Boniface, exhortation à la persévérance, ibid.
et p. 180 ; à Quodvultdéus, qui le prie de faire
un traité contre les hérésies, p. 180, 181 ; à Aly-
pius, sur la conversionde deux païens, p. 181,
à Honorât, s'il est permis de fuir dans les per-
sécutions, p. 181 et suiv. ; au comte Darius, pour
y traiter de la paix avec le comte Boniface, p. 183 ;
.lux habitants de Madaurc, il les exiiorte à em-
brasser la véritable religion, p. 183, 184; à Longi-
nien, pour l'engager à quitter le culte des idoles,
p.l84;àDeutérius, évêque deCésarée ou d'Alger,
contre un manichéen, p. 184,185; à Cérétius, contre
les priscillianistes, p. 185; à Pascentius, contre les
ariens, p. 183, 186; à Elpidius, il combat les er-
reurs des ariens, p. 186, 187; à Laetus, pour
l'engager à quitter le monde, p. 186 ; à Chrisime
pour la consoler, p. i87; à Possidius, contre le
luxe, p. 187, 188 ; à Lampadius, contre la supers-
tition de l'astrologie, p. 188 ; â Romulus , sur
une injustice, p. 188 ; à Sébastien, sur les scan-
dales du monde, ibid.; à Restitutus, sur la même
matière, ibid. ; à Pancarius, sur les biens de
l'Église, p. 189 ; â Félix, Bénénatus, Rusticus,
à l'occasion d'une jeune orpheline, p. 189; à
Christinus, qui le pressait de lui écrire pour
l'engager â se donner à Dieu, p. 189 ; à Oronce,
réponse de civilité, ibid. ; à Martien, il se ré-
jouit de ce qu'il est au rang des catéchumènes,
ibid.; à Auxilius et àClassicien, surl'anathèrae,
p. 188, 189 ; à Corneille, sur les débauches, ibid.
et 190; à l'évêque Audax qui lui avait demandé
une longue lettre, p 190; à Cédicie, sur la con-
tinence, p. 100, 191 ; â Sapida, pour la consoler,
p. 191 ; à Maxime, il approuve sa croyance, p. 190 ;
à Séleucit'nne, contre un novatien, iiid. et 192;
à Florentine, grande humilité de la part de saint
Augustin, p. 192; à Fabiole, lettre de piété, ibid.;
au peuple d'IIippone, au sujet d'une somme d'ar-
gent engagée, ibid. ; à Nobilius qui le priait d'al-
ler à la dédicace de son église , ibid. ; à Pierre et
à Abraham, sur le baptême des enfants, 192,193;
à Optât, de l'origine de l'âme, p. 193 ; à Maxime,
comment on peut se sanctifier, p, 194 ; lettres
faussement attribuées à saint Augustin, ibid.
LEUTIUS, auteur des Actes apocryphes des
apôtres, p. 577 .
LIBERTÉ. Quelle liberté nous avons perdue
par le péché du premier homme, p. 475, 541, 542.
Liberté de Dieu, p. 543, 734 ; des anges, p. 543,
ibid.; et des bienheureux, p. 734.
LIBRE ARBITRE, sentiment de saint Augustin,
p. 263, 513, 519, 727 et suiv. les pélagiens sur le
libre arbitre, p. 543 , 730, 731. Comment Julien
définissait le libre arbitre, p. 541 ; en quoi il le
faisait consister, p. 551. Dieu a le libre arbitre,
p. 734. Nul ne peut bien user du libre arbitre que
par la grâce, p. 477. Le libre arbitre n'a de for-
ce que pour pécher dans ceux qui sont assujet-
tis au démon, p. 478. Nous avons le libre arbitre
pour faire le bien et le mal, etc., p. 519. Le li-
bre arbitre suffit pour le mal, et il est peu de
chose pour le bien , s'il n'est aidé par le bien
tout-puissant, p. 680. Le libre arbitre n'est point
détruit par la grâce, p. 431, 723, 724. Accord du
libre arbitre avec la grâce, p. 720 et suiv.
LICENTIUS, disciple de saint Augustin, p. 8,
37.
LIGATURE, ce que c'était, p. 795, noie 4.
870
TABLE ANALYTIQUE.
LINUS, poëte théologien , et plus ancien que
les prophètes, mais il n'a point devancé Moïse,
p. 577.
tlTTÉRlL, sens littéral de la Genèse, p. 55.
LIVET, lieu du diocèse de Calame, p. 563.
LIVRE, le livre des Guerres du Seigneur, p.
573 ; quel était ce livre, p. 574.
LOCUTIONS. D'où l'on doit tirer la connais-
sance des locutions inconnues, p. 603, 604.
LOI, abolition de la loi ancienne, p. 124. Si
l'hommepeut accomplir la loi, p. 139; les œuvres
de la loi ne justifiaient personne p. 105 ; ce que la
loi de la grâce opère, p. 199 ; contre les en-
nemis de la loi, p. 355. Quel est le dessein de Dieu
en donnant la loi , p. 550. La loi de Moïse a
été donnée pour nous faire recourir à la grâce,
et la grâce pour nous faire accomplir la loi, p.
429; utilité de la loi, p. 550; la grâce nous fait
amateurs de la loi, mais la loi sans la grâce n'en
fait que des prévaricateurs, p. 5i7. Celui-là est
encore sous la loi qui sent qu'il s'abstient de
péché par la crainte du supplice dont la loi le
menace, et non par l'amour de la justice, etc.,
p. 807 ; Pelage n'admettait d'autre grâce que celle
de la loi et de la doctrine, p. 449.
LOIS contre les hérétiques, p. 16, 95, 103, 104.
Les lois ne défendent pas d'en.brasser la foi ca-
tholique, p. 334.
LONGINIEN, pontife du paganisme, p. 16. Let-
tre de saint Augustin à Longinien, p. 184.
LUCIEN fait la relation sur l'invention des re-
liques de saint Etienne, p. 327.
LUCILLE, femme espagnole, p. 625.
LUCULLUS bâtit un temple à la Félicité , p.
297.
LUSIUS (Quiétus), général de Trajan, prend de
force et briile la ville d'Édesse, 575.
LUXE défendu, p. 187.
LYDDA-, autrement dit Diospolis, ville de Pa-
lestine. On y assemble un concile, p. 448.
M.
MA.B1LL0N (D. Jean) de la Congrégation de
Saint'Maur. L'Épître dédicatoire des ouvrages
de saint .iugustin est de sa composition, p. 816;
aussi bien que la préface du dernier tome, p.
817.
MACÉDONIUS, vicaire d'.Vfrique. Saint Augus-
tin lui demande grâce pour les criminels, p. 154
et suiv.
MACHABÉES. Saint Augustin cite les livres
des Machabées, p. 764.
MACROBE, donatiste, p. 107.
MADAURE, lettre aux habitants de Madaure,
exhortation à embrasser la véritable religion, p.
183, 184.
MAGES. Sentiments de saint Augustin sur les
mages qui vinrent adorer Jésus-Christ, p. 616,
617.
MAGIE, livres de Magie attribués à Jésus-Christ,
p. 217.
MAGICIENS, leur pouvoir, p. 365.
MAITRE, livre du Maître, p. 49 50.
MAL, son origine, p. 51, 52, 60. Qu'est-ce que
le mal, sinon la privation du bien'? p. -188; Ju-
lien soutenait que personne ne faisait le mal
par nécessité, p. 554. Il est possible à la volonté
de l'homme d'éviter le mal et de faire le bien, ce
qu'il faut entendre d'une volonté que Dieu as-
siste gratuitement, p. 552.
MALHEUREUX. Sous un Dieu juste, personne
ne peut être malheureux, à moins qu'il ne le mé-
rite, p. 539.
MALICE, Dieu fait usage de la malice des pé-
cheurs, p. 28.
MANES ou Manichée, p. 337, note 1. Lettre de
Manès trouvée â Constantinople, p. 553,
MANICHÉENS, leur génie, p. 28, 57 ; leurs er-
reurs, p. 462, 487, 565. Objections sur le péché ori-
ginel, p. 53, 55. Livres contre les manichéens,
p. 54 et suiv.; leurs erreurs touchant -la diviité
p. 56 ; sur l'origine du mal, p. 54, 60. Ce
qu'ils adoraient, p. 185. Difficultés résolues,
p. 202; elles sont combattues, p. 222, 2-23, 255,
336, 337, 338, 340 et suiv.; leurs abominations, p.
352. Parallèle de la doctrine chrétienne et de
celle des manichéens, p. 348. Les pélagiens ap-
pelaient les catholiques manichéens, p. 474. Ju-
lien, en niant le péché originel, fournissait des
armes à l'hérésie des manichéens, p. 488, 555 ; ils
avaient les Psaumes en horreur, p. 584.
MANSURIUS, évêque de Carthage, successeur
de Cécilien, p. 409.
MANNE, ce qu'elle représente, p. 211.
MARC (saint). Saint Augustin cite le dernier
chapitre de saint Marc, p. 571.
MARCEL, prêtre du pape Marcellin, p. 402 et
404.
M.4.RCELLIN, pape, justifié, p. 404.
MARCELLIN, tribun, sa prison, p. 133; il pré-
side à la conférence de Carthage entre les ca'.ho-
liques et les donatistes, p. 405 et 417 ; saint Au-
gustin lui adresse les livres des Mérites des péchés
et de leur rémission, p. 418 ; le livre de l'Esprit
et de la lettre, p. 427.
MARIAGE, ce que l'on y doit observer, p. 18a
et 190 ; sa Un, p. 257 ; bien du mariage, p. 207,
268; livre de saint Augusiin sur ce sujet, ibid;
mariage indissoluble , p. 268 ; d'une vierge, s'il
est valide, p. 272; des mariages adultères, p. 272
et suiv. ; des infidèles, p. 273 ; mariage entre pa-
rents défendu, p. 313; il aurait existé dans l'état
d'innocence, p. 456. Si l'homme n'eut point pé-
ché, le mariage se fût trouvé sans concupiscence,
c'est-â-dire sans trouble, etc., p. 465. Le mariage
est un sacrement de la nouvelle loi, p. 458, 787.
Dieu est l'auteur du mariage, p. 787 ; les péla-
giens accusaient les catholiques de dire que
Dieu n'a pas institué le mariage, p. 475 ; aucun
catholique ne dit que le mariage soit mauvais,
TABLE ANALYTIQUE.
p. 455 ; trois biens cfui se rencontrent dans le ma-
riage, p. ibid. 493 ; il est plus du lien du mariage
que riiomme soit joint à une seule femme qu'i
plusieurs, p. 458; le lien du mariage est indis-
soluble, p. 787; la stérilité de la femme n'est
point une raison légitime pour l'homme de la
quitter pour en épouser une autre qui lui donne
des enfants, p, 458, 78" ; saint Cyprien con-
damne les mariages des fidèles avec les infi-
dèles, p. 788. L'usage du mariage dans d'autres
vues que pour engendrer des enfants, n'est point
exempt de péché véniel, p. 459. Fait singulier
sur le mariage, p. 788.
MARTIEN. Saint Augustin lui écrit, p. 189.
MARTINIEN, évéque, assiste à l'élection d'Hé-
raclius, p. 20.
MARTYRE (le) tient lieu du baptême, p. 468.
MARTYRS. Désordres sur les tombeaux des
martyrs, p. 71, 241 ; abolis à Hippone, p. 74. Com-
ment il faut honorer les martyrs, p 241 ; culte des
martyrs, p. 344; lorsque les martyrs ont accompli
les grands préceptes, ils l'ont fait avec une grande
volonté, c'est-à-dire avec une grande charité,
p. 695. Dans la célébration des saints mystères,
on faisait mémoire des martyrs, etc., p. 765; on
élevait des autels sur leurs tombeaux, p. 791;
honneurs qu'on leur rendait, ibid.
MASSUET (D. René) réfute la lettre d'un pré-
tendu abbé d'Allemagne contre l'édition des ou-
vrages de saint Augustin donnée par les Pères
bénédictins de Saint-Maur, p. 816.
MATIÈRE, divisilile à l'infini, p. 66, 203.
MAUX (les) de l'Empire romain ne venaient
pas des chétiens, p. 292 et suiv,
MAURENCE, évêque de Tubursique dans la Nu-
midie, p. 563.
MAXIMA (dame) : Saint Augustin lui écrit une
lettre p. 191.
MAXIME, grammairien, p. 69.
MAXIME, médecin , p. 148 ; saint Augustin lui
écrit, ibid. et p. 194.
MAXIMIANISTES. Les donatistes approuvent
le baptême donné par les maximianistes, p. 745.
MAXIMIEN renonce à l'épiscopat, p. 90.
MAXIMIN, évêque arien, a une conférence
avec saint Augustin, p. 359 et suiv.
MAXIMIN, le sinaïte,p. 71.
MÉCHANTS. Dieu fait dans les coîurs rtiêmes
des méchants tout ce qu'il lui plaît, en leur ren-
dant néanmoins ce qu'ils méritent pour leurs
péchés, p. 719.
MÉGALE, évêque de Calame, mort en 937, p.
562, 563.
MÉLANIE, femme de Pinien, écrit à saint Au-
gustin, p. 448.
MELCHIADE. prêtre du pape Marcellin, p. 404.
MELCHISÉDECH. Quelques-uns ont douté s'il
était un homme ou un ange, p. 616.
3IÉLANGE des bons et des méchants dans l'É-
glise, p. 630, 631; objection contre ce mélange,
p. 631 et suiv.
MÉMOIRE : si la mémoire dépend de l'imagi-
nation, p. 66.
871
MEMOIRE. Mémoire des apôtres, livre apo-
cryphe des priscillianistes, p. 577.
MEMOR, père Je Julien. Saint Augustin lui écrit
une lettre pleine d'amitié, p. 483.
MÉMORIUS, évêque, p. 48.
MENSONGE. Combien il est pernicieux de croi-
re^ qu'il y a des mensonges même officieux, dans
l'Ecriture sainte, p. 565; distinction du men-
songe, p. 259. Les deux livres du Mensonge et le
livre contre le Mensonge, p. 274.
MENTIR, il n'est jamais permis de mentir,
p. 74, 79, 103, 151, 132; les priscilllanlstes permet-
tent de mentir, p. 185.
MERCATOR, saint Augustin lui écrit contre les
délagiens. p. 162, 163.
MÉRITES. Dieu couronne en nous ses propres
dons et non pas nos mérites, p. 515; nos méri-
tes sont des dons de Dieu, p. 706, 707.
MILAN, établissement de la psalmodie dans
rÉglise de Milan, p. 32.
MILÈVE. ville de Numidie. On y tint un con-
cile en 402.
MINISTRE du baptême, p. 95.
MIRACLES, à qui on doit les rapporter, p. 19.
Sentiment de saint Augustin, p. 61. Miracle d'une
esclave chez les barbares, p. 110; miracle sur un
païen. p.l81; miracles des martyrs, p. 241; miracle
de l'arche d'alliance,p.304; miracles attribués aux
faux dieux, p. 297 ; pourquoi les miracles ne sont
plus si fréquents, p 324: miracles faits à l'ouver-
ture du tombeau de saint Etienne, p. 3-28. Divers
miracles rapportés par saint Augustin, p. 324 et
suiv., et p. 795, 796.
MIROIR tiré de l'Écriture, p. 214, 215. Miroir
publié parle cardinal Mal, p. 215, 216.
MISÈRES, source de nos misères, p. 3i0; elles
sont des peines du péché, p. 326.
MISÉRICORDE, elle est le remède aux maux de
cette vie, p. 218; elle mérite la gloire, p. 238-
miséricorde de Dieu, p. 251,252; comment Dieu
fait sentir sa miséricorde, p. 27; efïets de sa
miséricorde, p. 251, 252, 290.
MISSIONS divines en Dieu, p. 640.
MŒURS, saint Augustin donne des règles à
ses disciples pour les mœurs, p. 42 ; mœurs des
vrais fidèles, p. 57 ; mœurs des manichéens, ibid.
Pureté des mœurs de l'Église, p. 335 ; corruption
des mœurs chez les Romains, p. 292.
MOINES. Description des moines par saint Au-
gustin, p. 785,786; moines élevés à la cléricature,
p. 87. Si leurs biens appartiennent au monastère,
p. 92, 93. Contre l'oisiveté des moines, p. 277
et suiv. Portrait des moines fainéants, p. 279.
MOÏSE. Il est auteur du Pentateuque, p. 569;
quelques-uns ont cru qu'il n'était pas mort,
p. 616. Ses écrits tiennent le premier rang parmi
les livres canoniques, p 577.
MOiXASTÈUES, on y reçoit toutes sortes de
personnes, p. 786; on y employait les artisans
aux mêmes métiers qu'ils avaient exercés aupa-
ravant, ibid.
MONDE, sa fin, p. 167 et suiv. : sa création,
p. 203 : ses différents âges, p. 266.
872
TABLE ANALYTIQUE.
MONIQUE (sainte), mère de saint Augustin,
p. 1 ; sa mort, p. 9. Elle recommande à saint
Augustin de faire mémoire d'elle dans le saint
sacrifice de l'autel, p. 764.
MORALE, préceptes de morale, p. 82. 83.
MONTFAUCON (D. Bernard de) réfute la lettre
d'un prétendu abbé d'Allemagne, contre l'é-
dition des ouvrages de saint Augustin donnée
par les Pères Bénédictins de la Congrégation de
Saint-Maur, p. 816.
MONTAGNARDS. Les donatistes étaient ap-
pelés montagnards à Rome, p. 625.
MORT, peine du péché, p. 163, 549.
MORTS, prier pour les morts, p. 239; com-
ment la prière profite aux morts, p. 253. Du soin
qu'on doit avoir des morts, p. 280 : livre de
saint Augustin sur ce sujet, ibid et suiv.
MORTIFICATIONS (les) corporelles pratiquées
par les justes et par les pénitents font voir que
l'ennemi qu'ils ont à vaincre est au dedans d'eux-
mêmes, p. 511.
MURATORI (Louis-Antoine) prend la défense de
salut Augustin contre Jean Le Clerc ; p. 8i8.
MUSÉE n'est pas si ancien que Moïse, p. 557.
MUSIQUE : livre de la Musique, p. Al et suiv.
N.
NANCÉLION, saint Augustin lui écrit au su-
jet de la condamnation de Félicien, p. 90, 91'.
NATURE. Livre de la Nature du bien, 351. 352.
Toutes les natures, à l'exception de celle de
Dieu, sont créées, p. 352, 358 et suiv.; l'état de
notre nature a été changé par le péché du pre-
mier homme, p. 542. rélage niait que la nature
humaine ait été dépravée ou corrompue par le
péché, p. 435 ; la nature, ayant été vaincue par
le péché qu'elle a commis par sa pure volonté,
a mérité de perdre la liberté dont elle jouissait,
p. 441.
NAVIGE ou Navigius, frère de saint Augustin,
p.l, 9, 37.
NÉBRIDIUS, son assentiment sur les lettres
de saint Augustin, p. 66. Sa conversion, p, 33.
Ami de saint Augustin, p. 79-2.
NÉCESSITÉ de pécher, p. 543 et note 1. C'est
Dieu qui nous délivre de la nécessité de pécher,
non par le seul secours de la loi qui nous fait
connaître ses commandements, mais par celui de
la charité, p. 544. La nécessité de pécher ne peuj
être autrement guérie que par la miséricorde de
Dieu, p. 555 Julien le pélagien soutenait que
personne ne faisait le mal par nécessité, p.
554.
NECTAIRE, païen, ce qu'il pense d'unévêque,
p. 96.
NEMROD (le géant) fut le premier qui conçut
le dessein de la tour de Babel, p. 626.
NÉRON, les apôtres saint Pierre et saint Paul
ont souffert sous le règne de Néron, p. 618.
NOBILIUS, évêque. Saint Augustin lui écrit,
p. 192.
NOCES, secondes noces permises, p. 271.
NOËL. On jeûnait en Afrique la veille de Noël
p. S05.
NONDINAIRE, traditeur, p. 416.
NORIS (le cardinal) fait un ouvrage pour la
défense de saint Augustin, p. 771.
NOVATIEN, ses erreurs, p. 191.
NOYAT, lettre de saint Augustin pour l'enga-
ger à lui laisser Lucille, diacre, p. 93.
0.
OCÉANUS, ami de saint Jérôme. Saint Augus-
tin lui écrit, p. 151.
ŒUVRES. Lorsque l'homme commence à faire
de bonnes oeuvres, il ne doit pas se les attribuer,
mais à Dieu, p. 514. Ce n'est point par les
œuvres , mais par la grâce que ceux qui accom-
plissent la loi sont justifiés , p. 430. En quel es-
prit on doit faire les bonnes œuvres, p 227.
OFFRANDE. Les fidèles offraient à l'Eglise ce
qui était nécessaire pour le sacrifice, p. 766.
OISIVETÉ des moines, p. 277 et suiv.
OLYBRIUS, consul, p. 17.
OLYMPIUS succède à Stilicon, p. 17, 10-2.
OLYMPIUS, évéque d'Espagne, p. 485 ; il est
cité par saint Augustin, p. 486.
OPÉRER. Comment Dieu opère et coopère
avec nous, p. 720. Nous opérons l'œuvre de
notre justification en coopérant avec Dieu, parce
que sa miséricorde nous prévient, p. 437.
OPINION. Quand on ne connaît pas la dispo-
sition d'un homme, il vaut mieux en avoir bon-
ne opinion que de le blâmer témérairement, p.
407.
OPTAT , Augustin lui écrit sur l'origine de
l'âme, p. 193. 194.
ORAISON dominicale , après la sanctification
du sacrifice, on disaitl'Oraison dominicale, p. 767.
ORATEUR, qualités d'un orateur, p. 200 , 201.
ORDINATION. Possidius consulte saint Augus-
tin sur l'ordination d'un jeune homme baptisé
par les donatistes, p. 563. Les évêques faisaient
l'anniversaire de leur ordination, p. 784. L'ordi-
nation des évêques se faisait par l'imposition
des mains en invoquant le nom de Dieu sur
eux, p. 783.
ORDRE. Les deux livres de l'Ordre, p. 41 , 42.
Sentiment de saint Augustin sur l'ordre, p.782,
783.
ORGUEIL , moyen de le détruire, p. 37 , 218,
219; orgueil des philosophes, p. 224. L'orgueil
TABLE ANALYTIQUE.
est la cause de tous les vices , p. 423. Il le faut
craindre dans les bonnes actions, p. 437.
ORIGÈNE. Son sentiment sur l'âme, p. 144.
S'il a enseigné que le diable et les anges seront
délivrés des peines de l'enfer après un certain
temps, p. 199.
ORIGÉNISTES. Livre contre eux, p. 356.
ORIGINE de l'âme de Jésus-Christ, p. 143.
ORIGINEL. Le pécbé originel renferme tous
les autres, p. 260.
87
ORONGE. Saint Augustin lui écrit, p. 189.
OROSE. Il passe d'Afrique en Palestine , p.
433; et assiste au concile de Jérusalem en 415.
Saint Augustin lui adresse son livre contre les
priscillianistes et les origénistes , p- 356 et 357.
ORPHÉE, poëte théologien, n'est pas si ancien
que Moïse, p. 577.
OUVRAGE (De 1') des moines, titre d'un livre
de saint Augustin, p. 277.
P.
PAGANISME, combien il est ridicule, p. 69.
païen. Païen converti, p. 16. Sentiment d'un
païen pourun évêque, p. 96 Païen baptisé, p. 181.
PAIX. Les évêques catholiques d'Afrique con-
sentent à quitter l'épiscopat pour le bien de la
paix, p. 116.
PALATINE. Saint Augustin lui écrit S':r la
grâce, p. 179.
PALLADE, évêque de Sigabite, p. 411.
PAMMAQUE. Saint Augustin loue son zèle
pour l'Église catholique, p. 87.
PANCARIUS laïque. Saint Augustin lui écrit.
p. 189.
PARADIS (séjour des bienheureux). Victor Vin-
cent promettait le paradis aux enfants morts sans
baptême, etc., p. 470.
PARADIS (terrestre). La foi chrétienne ne dou-
te point qu'il ne subsiste encore , mais dans un
lieu caché, p. 614.
PARDON. On ne doit pas désespérer du par-
don de ses péchés, p. 226.
PASCENTIUS, arien, demande une conférence
à saint Augustin, p. 185, 186, 195.
PASSIONS. Ce qui les rend bonnes ou mau-
vaises, p. 310 ; comment on les attribue à Dieu,
p. 354 ; punition des péchés, ibid.
PATERNIEN S, hérétiques; en quoi consistait
leur hérésie, p. 505.
PATIEl^JCE. Livre de la Patience, p. 282; la pa-
tience est un don de Dieu, ibid. et 283 ; celle de
Dieu est différente de celle des hommes, ibid.;
abus que les pélagiens en faisaient, ibid.
PATRICE, père de saint Augustin, p. 1 ;'il meurt,
p. 3.
PATRIPASSIENS, leurs erreurs, p. 237.
PAUL (saint) a souffert le martyre sous le
règne de Néron, p. 618; ses Épîtres on ttsujours
été plus célèbres dans l'Église, que celles des
autres apôtres, p. 572 ; quand on cite l'Apôtre,
c'est toujours saint Paul que l'on entend, iJid.
Les pélagiens accusaient les catholiques de dire
que saint Paul avait été souillé d'impuretés, p.
475.
PAUL, jeune homme de Césarée, guéri par l'in
tercession de saint Etienne, p. 19.
PAUL, évêque de Numidie, est séparé de la
communion, p. 93.
PAUL, évêque, à qui saint Augustin adresse le
livre de la Perfection de la justice, p. 440.
IX.
PAULIN (saint), évêque de Noie. Son senti-
ment sur les ouvrages de saint Augustin, p.
809 ; ses lettres à saint Augustin, p. 72, 78, 101 ;
il fait l'épithalame des paredts de Julien le Pé-
lagien, p. 483 ; lettre de Pelage à saint Paulin,
p. 452.
PAULIN, diacre, p. 453.
PÉCHÉ. Définition du péché, p. 539, 556; ce qui
rend une action péché, p. 61, 62, 276; péché
d'Adam, p. 139. Si tous les péchés sont égaux,
p. 145, 146; le péché est différent de la faute, p.
211 ; ne pas négliger les petits péchés, p. 227;
comment on les rachète, p. 2^6; péchés de fai-
blesse, d'ignorance, de malice, p. 247 ; péchés de
pensées, p. 267. S'il est permis de faire un petit
péché pour en éviter un plus grand, p. 277.
Toute action mal faite est un péché, p. 498. La
même chose peut être péché, peine du péché et
cause du péché, p. 504, 505, 540. L'homme peut
éviter le péché, si la nature viciée par le péché
est guérie par la grâce de Dieu par Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ, p. 440. Le premier péché a
commencé par l'esprit, p. 504; saint Augustin
appelle le péché du premier homme un péché
ineffable dans sa grandeur, p. 543. En punition
du péché l'homme a perdu la liberté qu'il avait
de ne pas pécher, p. 543. Le livre des Mérites et
de la rémission des péchés de saint Augustin,
p. 666.
PÉCHÉ originel. Objection des manichéens con-
tre le péché originel, p. 55. Pelage a enseigné
la même doctrine que Célestius touchant le pé-
ché originel, même après qu'il eût été absous
à Diospolis, p. 453. Les semi-pélagiens recon-
naissaient avec les catholiques la vérité du pé-
ché originel, p. 528, 534. Les catholiques, en
croyant le péché originel, n'avaient rien de com-
mun avec les manichéens, p. 463. Le péché ori-
ginel renferme tous les autres, p. 260. Preuves
du péché originel tirées de l'Écriture, p. 420,
54, 655; autres preuves, p. 421, 655 et suiy. Les
maux que souffrent les enfants sont une preuve
du péché originel, p. B03, 505. Ojectiondes péla-
giens contre le péché originel, p.456. En quoi con-
siste la naturedu péché originel, p. 421. Le péché
originel a été comme semé dans la volonté du
premier homme, afin qu'il fût en lui, et qu'il pas-
sât de lui à tous ses descendants , p. 465. Jésus-
Christ n'est point né avec le péché originel, p.
57
èu
TABLE ANALYTIQUE.
657 et 658. Comment le péché originel se trans-
met des pères aux enfants, p. 658, 659. Saint Au-
gustin se sert de la comparaison d'un olivier
franc, dont les noyaux ne peuvent produire que
des oliviers sauvages, pour rendre croyable la
transmission du péché originel par des parents
même baptisés, p. 5o7. Le péché originel nous est
étranger en un certain sens, p. 509, 540.
PÉCHÉS véniels (les) dont la vie du juëte ne
peut être exempte, ne l'empêchent pas d'arriver
à la vie éternelle, p. 430.
PÉCHEURS. En vain ils fuient Dieu, p. 30. Cor-
rection des pécheurs, p. 228. Si l'on doit donner
l'Eucharistie aux pécheurs occultes, p. 770.
PEINES. Elles sont utiles, p. 128; comment les
supporter, p. 171, 172.
PEINTURES. Leur usage approuvé, p. 789, 790.
Saint Augustin semble les condamner, p.790; mais
en quel sens, ibid.
PELAGE, hérésiarque, combattu, p. 19, 151 ; il
donne un mauvais sens aux expressions de saint
Augustin, p. 50; ses erreurs, p. 56, 138, 154, 155,
156, 160, 161, 163 ; il adresse un livre à Démétria-
de,p.l59; 11 est chassé de la communion catholi-
que, p. 166 ; son esprit. 11 fait un long séjour à
Rome ; il compose divers ouvrages, où il jette les
semences de son erreur, p. 417 ; il écrit à saint
Paulin, à l'évêque Constantius et à la vierge Dé-
métriade, p. 452; il adresse une profession de
foi au pape Innocent I, ibid. ; il assiste au con-
cile de Diospolis, p. 443; il y est absous, p.
448. Saint Augustin excuse les évêqiics de ce
concile d'avoir absous Pelage, p. 704. Pelage,
qui avait trompé ces évoques, ne peut trom-
per l'Église romaine, p. 454. Saint Augustin écrit
contre lui le livre de la Nature et de la grâce ,
p. 433; il réfute ses erreurs, p. 448 et suiv. En quoi
Pelage faisait consister la grâce, p. 433.
PÉLAGIENS. Leur histoir,e, p. 417; écrits tou-
chant les pélagiens, p. 559 ; leur hérésie, p. 138 ;
ils sont combattus, p. 19, 151. Différence entre les
pélagiens et les ariens, p. 152; lears objections,
p. 154, 163, 707 et suiv. A quoi les pélagiens ré-
duisent la grâce, p. 160. Ils étaient appelés
de ce nom non-seulement par les catholiques,
mais encore par tous les hérétiques, p. 541. Dif-
férence entre les pélagiens et les semi-péla-
,giens, p. 528. Calomnies des pélagiens contre les
catholiques, p. 474 et suiv., 479 et suiv. Saint Au-
gustin adresse quatre livres au pape Boniface
contre les pélagiens, p. 474. 11 fait consister l'hé-
résie pélagienne en trois chefs principaux: à nier
le péché originel, à soutenir que la grâce se don-
ne selon les mérites, et que l'on peut devenir
parfaitement juste en cette vie, p. 481. Les pé-
lagiens enseignaient que le libre arbitre suffit à
l'homme pour accomplir les commandements de
Dieu, quoiqu'il ne soit ni aidé de la grâce, ni du
don du Saint-Esprit, p. 694.
PÉNITENCE. La pénitence est un don de Dieu,
p. 157, 554, 691. Nécessité de la grâce pour la pé-
nitence et la conversion du pécheur, p. 691, 692.
II y a des hommes que Dieu appelle à la pénitence
par une miséricorde toute gratuite; 'il y en a qu'il
laisse dans l'impénitence par un jugement très-
juste, p. 504. Dieu accorde aux enfants de colère
le temps, le lieu de la pénitence, quoiqu'ils ne
doivent point en profiter, p. 554. Sentiment de
saint Augustin sur le sacrement de pénitence,
772, 773. Sur la confession faite à Dieu et à ses
ministres, p. 773, 774; sur la satisfaction, p. 774,
775. Il reconnaît trois sortes de pénitence, p. 775,
et suiv. Quels sont les péchés qu'il soumet à la
pénitence publique, p. 777 et suiv.
PÉNITENT. Un véritable pénitent ne laisse
point impuni dans lui-même le mal qu'il a fait,
etc., p. 774. Les pénitents qui étaient excom-
muniés, c'est-à-dire séparés de l'autel, étaient
réconciliés après la pénitence accomplie, p.
779.
PENSÉES. Nos bonnes pensées viennent de
Dieu, p. 686.
PÉRÉGRIN. Saint Augustin lui écrit au sujet
de Maxime, p. 1-19.
PÈRES (de l'Église). Leur autorité, p. 619 et
suivants.
PERFECTION. La perfection de celte vie con-
siste à y reconnaître son imperfection, p. 480
Livre de la Perfection de la justice de saint Au-
gustin, p. 442.
PÉRIZOMATA (Genèse m, 7). Ce qu'il faut en-
tendre par ce mot, p. 504.
PERPÉTUE (sainte). Les Actes du martyre de
cette sainte ne sont pas du nombre des Écritu-
res canoniques, p. 468. Visions de sainte Per-
pétue, p. 474.
PERSÉCUTION dès âônatistes, p. 16, 17, 152,
153; des circoncellioris, p. 75. 95; des Bâ'rbài-ës,
p. 110. S'il est permis de fuir durant la
persécution, p. 18!, 182. Dieu permet les persécu-
tions pour l'avantage des élus, p. 499.
PERSÉVÉRANCE. Livre de saint Augustin du
Don de la persévérance, p. 535. La persévérance
est un don de Dieu, p. 521, 532, 7oi et suiv. Si
Adam avait reçu le don de la persévérance, p.
676 et suiv. Dieu ne doit à personne la grâce delà
persévérance, p. 521. Nous ne demandons pres-
que autre chose par l'Oraison dominicale que la
grâce de la persévérance, p. 532, 702. Nous pou-
vons bien obtenir le don de la persévérance par
nos prières, mais nous ne pouvons plus le
perdre par la résistance de notre volonté, quand
nous l'avons une fois reçu, ibid. Pourquoi Dieu
ne donne-t-il pas la persévérance à ceux à qui il
avait donné l'amour et la charité par laquelle
ils vivaient chrétiennement, p. 521, 702, 703.
PERSONNES. Un seul Dieu en trois person-
nes, p. 360 ; égalité, p. 363 et suiv.
PÉTILIEN, donaiiste: qui il était, p. 389. Trois
livres de saint Augustin contre lui , p. 389 et
suiv. Sa lettre, p. 390. Saint Augustin y répond,
p. 59.
PHILON (le juif), donne un sens allégorique à
ce que Moïse raconte du paradis terrestre,
p. 614.
PHILOSOPHES, combattus, p. 37, 224 et 319.
TABLE ANALYTIQUE.
875
Plusieurs ne se sont pas si fort écartés de la foi
chrétienne que les pélagiens, du moins à l'égard
du péché originel, p. 503.
PIERRE (saint), apôtre. Comment et par quels
yeux Jésus-Christ regarde Pierre après son
péché, p. 452. Saint Pierre a occupé le siège de
Rome, et y a fait mourir Simon le magicien,
p. 617. Saint Augustin dit que l'ombre de saint
Pierre avait ressuscité un mort, p. 618. Calomnies
des païens contre saint Pierre, p. 617. Saint Pierre
pasteur de l'Église, p. 240. Sa primauté, p. 633 et
suiv.
PIERRE, prêtre espagnol, p. 466. Victor lui
adresse deux livres contre saint Augustin, ibid.
PIERRE, moine. Saint Augustin lui écïit,
p. 192.
PIÉTÉ, incompatible avec le mensonge, p. 30.
Comment elle commence, p. 62.
PLAISIRS, ceux qui sont permis, p. 284.
PLATON. Son sentiment sur l'existence de
Dieu, p. 302.
PLATONICIENS. Ce que contiennent leurs li-
vres, p. 31 ; ce qu'ils pensent de l'âme, p. 144;
ils sont préférables aux autres philosophes,
p. 303, 304 ; ils ont eu quelque notion de
la Trinité, p. 304, 305 ; ils sont combattus,
p. 310.
POÈTES. Saint Augustin condamne l'usage de
donner les poètes aux jeunes gens, p. 26.
POLLENTIUS. Saint Augustin lui adresse ses
deux livres des Mariages adultères, p. 274.
PONCTUATION. .Saint Jérôme veut qu'on ob-
serve exactement la ponctuation et la distinction
des termes pour trouver le vrai sens de l'Écri-
ture, p. 608.
PONTICIEN, africain, officier de l'Empereur,
p. 6 et 76.
POSSIDIUS, disciple de saint Augustin, p. 562
et suiv. Qui était Possidius, ses écrits, ibid.
Témoin oculaire des actions de saint Au-
gustin, p, 22. Augustin lui écrit contre le luxe,
p. 187.
PRÉCEPTES. Différence des préceptes de l'An-
cien Testament et de ceux du Nouveau, p. 341.
Comment 11 faut entendre les expressions de
l'Écriture qui renferment un précepte, p. 609,
610.
PRÉDESTINATION. Définition de la prédesti-
nation, 525, 662. Différence qu'il y a entre la
grâce et la prédestination, p. tSO, 538, 663.
Saint Augustin reconnaît une double prédesti-
nation, l'une à la vie par la miséricorde de Dieu,
l'autre à la mort, non- seulement à cause des
péchés actuels, mais même pour le seul péché
originel, p. i73. Jésus-Christ est le modèle de la
prédestination des élus, p. 530, 663 et suiv. Pré-
destination gratuite dans les enfants, p, 664, 665:
dans les adultes, p. 665, 666. Objections des
semi- pélagiens contre la doctrine de la prédes-
tination réfutées par saint Augustin, p. 534 et
suiv. La prédestination est un secret même pour
les élus, p. 666 et suiv. Manière de prêcher la
prédestination, p. 537, 538, 672, 673. Moyens par
lesquels Dieu accomplit le décret de la prédes-
tination, p. i:69, 670. -
PRÉDESTINÉS. Certitude du salut des prédes-
tinés, p. 668, 669. Leur nombre est certain et
arrêté, p. .523, 668. Leur nombre sera aussi
grand, ou même plus grand que celui des anges
tombés, p. 669.
PRÉDICATEUR. En Afrique, le prédicateur était
seul assis, et les autres étaient debout, 805.
PRÉDICTIONS des démons , p. 279. Livre de
saint Augustin sur ce sujet, ibid. et suiv. La dif-
férence des prédictions des. démons d'avec celles
des prophètes, p. 280.
PRÊCHER. Saint Augustin n'étant que prêtre,
prêche, en présence de l'évêque Valère , contre
la coutume d'Afrique, p. 11.
PRÉFACE de la messe , saint Augustin fait
mention de la préface qui commence par ces
mots : Ayez vos cœurs élevés, etc., p. 767.
PRÉPARER son cœur ; l'homme prépare son
cœur, mais non sans le secours de Dieu, qui
touche tellement ce cœur, que l'homme le pré-
pare, p. 479.
PRESCIENCE. Comment la liberté s'accorde
avec la prescience divine , p. 52, 298 ; Dieu voit
le nombre des saints, p. 157. Accord de la pres-
cience avec le repentir, p. 251, 252. Accord de
la prescience avec le libre arbitre, p. 298. Les ob-
jections que les semi-pélagiens faisaient contre
la prédestination pouvaient aussi se faire contre
la prescience , p. 535.. Le mot de prescience si-
gnifie quelquefois prédestination, p. 537.
PRÉSENCE réelle. Voyez Eucharistie.
PRÊTRE, quelles sont ses fonctions, p.70 : ses
dispositions, iôid.
PRIÈRE. Instructions pour la prière, p. 118; ce
que c'est, p. 194. Prières pour les morts, p. 280
et 774, 765. La prière est un don de Dieu, p. 700,
701. L'église faisait des prières pour les infidèles
et pour les fidèles, p. 766. On priait à genoux et
prosterné, p. 805.
PRIMAT. Comment cette dignité se réglait en
Afrique, p. 87.
PRIMAUTÉ de saint Pierre, p. 633 et suiv.
PRIMIEN, déposé, p. 373. Origine du schisme
de Primien, ibid.
PRISCILLIAKISTES.Leurs erreurs combattues,
p. 185, 356 et suiv.
PRORA, aïeule de Démétriade, p. 18 ; saint Au-
gustin lui écrit, p. 133.
PRORABILITÉ, sentiment des académiciens
sur la probabilité, p. 805, 806.
PROBIEN, proconsul d'Afrique, p. 416
PROCÈS. On recommandait aux fidèles de
s'abstenir des procès pendant le Carêm , p. 805.
PROCESSION du Saint-Esprit, p. 640
PROCULIEN, évêque donatiste, p. 16 ; saint Au-
gustin lui écrit, p. 76.
PROCULUS. Lettre à Proculus sur la conver-
sion de Léporius, p. 179.
PROFONDEDR de la miséricorde et de la jus-
tice de Dieudansle discernement qu'il fait entre
les enfants, p. 510.
876
TABLE ANALYTIQUE.
^ PROMESSES faites aux patriarches, accomplies
'" PROPHÈTES. Ils annoncent Jésus-Clirist, p. 342
vi^t suiv. Antiquité des vrais prophètes : comment
Qn les distingue des faux prophètes, p. 577, 578.
, tes prophètes parlent souvent des choses qu'ils
*Minoncent, comme si elles étaient déjà arrivées,
'^. 582.
PROPHÉTIES. Leur obscurité , p. 578 et suiv.
Iles soni une preuve de la religion chrétienne,
579 et suiv.
. PROSPER (saint) écrit à saint Augustin au su-
jet des semi-pélagiens, p. 180, 181 ; il demande à
saint Augustin les livres des Rétractations , p.
2-1. Sa lettre à saint Augustin, p. 521 et suiv. Saint
Augustin lui adresse les livres de la Prédestina-
tion et du don de la persévérance, p. 537. Saint
Prosper fait l'éloge des ouvrages de saint Au-
gustin, p. 810.
PROVIDENCE de Dieu, p. 298.
PRUDENCE (saint) évêque de Troyes, fait l'é-
loge des ouvrages de saint Augustin, p. 811.
PRUDENCE, ce que c'est, p. 49, 58, 138,
PSALMODIE. Son établissement dans l'Église
de Milan, p. 32; pratique d'Alexandrie pour la
psalmodie, p. 33. Sentiments qu'on doit avoir dans
la psalmodie, p. 852.
PSAUMES propres à guérir l'orgueil , p. 32 ;
pratique de saint Athanase pour le chant des
psaumes, p. 33. Explication des Psaumes par
saint Augustin, p. 229 et suiv; sa méthode, p.
231. Les Psaumes que nous chantons, ont été
chantés autrefois et écrits par l'Esprit de Dieu,
p. 582. David e.n l'auteur des Psaumes, iôid. et
583 ; ces divins cantiques ont dans tous les temps
fait les délices des âmes pieuses, et la consola-
tion des cœurs pénitents, p. 584; les impréca-
tions contenues dans les Psaumes sont des pro-
phéties, p. 585. Saint Augustin croit que les
Psaumes ont été écrits en vers , p. 583 , 584 -, que
leurs titres sont canoniques, p. 583. Psaume abé-
cédaire composé par saint Augustin, p. 374.
PUBLICOLA, propose à saint Augustin dix-huit
difhcultés, p. 81.
PUDICITÉ. La pudicité conjugale est un don
de Dieu, aussi bien que la continence, p. 457.
PUISSANCE temporelle. Dieu seul aie pouvoir
de donner la puissance légitime de régner et de
commander, p. 802, 803.
PURGATOIRE. Sentiment de saint Augustin
sur le purgatoire, p. 797, 798.
PYTHAGORE et Platon. Saint Augustin désap-
prouve les louanges qu'il leur a données, p. IU9,
650. Pythagore a porté le premier le nom de phi-
losophe, p. 577.
PYTHAGORICIENS. Ce qu'ils pensent de l'à-
me, p. 144.
Q.
QUESTIONS. Quelles sont les questions qui
n'appartiennent pas à la foi. Divers exemples,
p. 454. Quatre-vingt-trois questions sur diverses
matières, p. 2i5 et suiv.
QUINTILIEN, évêque. Saint Augustin lui écrit,
p. 174.
QUODVULTDEUS, évêque de Sessite en Mauri-
tanie, donatiste, p. 407.
QUODVUFTDÉUS, diacre de Carthage, deman-
de à saint Augustin un traité des hérésies, p.
180, 181.
R.
RAISON, action de lesprit, p. 43 ; la raison dis-
tingue l'homme des bêtes, p. 51.
REBAPTISATION. Sentiment de saint Augus-
tin sur la rebaptisation, p. 744, 745.
REBAPTISÉ, diacre rebaptisé, p. 71.
RÉCOMi'ENSE éternelle, promise à ceux de la
nouvelle alliance; en quoi elle consiste, p.
429.
RÉGINON cite une loi des Capitulaires sur la
communion des enfants après le baptême, p.
771.
RÈGLE de saint Augustin, p. 6-5, 172; de Tar-
nate, de saint Césaire, ibid.
RÈGLES des manichéens, p. 60.
RELIGIEN, évêque , assiste à l'élection d'Hé-
raclius, p. 20.
RELIGION. La vraie religion, p. 61 et suiv.; ce
qu'il faut éviter en religion, ibid.; différence
de la religion chrétienne d'avec la païenne, p.
105; parallèle entre 'la religion chrétienne et la
religion païenne, p. 292; les grands biens qu'a
procurés la religion chrétienne, p. 290 et suiv.
Aucun des anciens n'a mieux réussi que saint
Augustin à établir les vérités de la religion, etc.
p. 809. De la manière d'enseigner les principes
de la religion, p. 204 et suiv.
RELIQUES. Culte des reliques, p. 59,791 et suiv.
Usage des reliques, p. 241. Possidius procure àson
Église des reliques de saint Etienne, p. 563. Moi-
nes hypocrites qui vendaient des prétendues re-
liques des martyrs, p. 786. Honneurs rendus aux
reliques des martyrs, p. 790, 791.
RE.\10NTRANCES. Leur milité, p. 520, 521, 523,
524.
RÉ\É, moine, envoie à saint Augustin les livres
de Victor, p 466,
RÉPRIMANDE. Comment on doit la faire, p.
219.
TABLE ANALYTIQUE.
877..
RÉPROBATION. Sentiment de saint Augustin
sur la réprobation, p. 670 et suiv.
RÉPROUVÉS. Saint Augustin en distingue de
différentes sortes, p. 523. Les réprouvés vivent
pour l'utilité des prédestinés, p. 670. Pourquoi
Dieu crée-t-il les réprouvés? p. 671, 672.
RESSEiMBLANCE de Dieu avec l'iiomme, p.
204.
RESTITUT, prêtre de Calame, p. 311.
RESTITUTE, évêque député à la cour, p. 17.
RESTITUTUS, diacre: saint Augustin lui écrit,
p. 188.
RÉSURRECTION. Comment elle se fera, p, 105,
106. Qualités du corps après la résurrection, p.
130, 170, 310, 326. Résurrection des enfants p. 326.
La résurrection se trouve dans les écrits des phi-
losophes, p. 326. Deux résurrections, p. 820.
RÉTHICIUS ou Rétice, évêque d'AutuB, cité
par saint Augustin, p. 485, 486, 540.
RÉTRACTATIONS (livres des). Ce que les livres
des Rétractations contiennent, p. 23; ils ont été
intitulés par Possidius, p. 24. Erreurs des semi-
pélagiens rétractées, ibid.
RICHESSES. Comment il en faut user, p. 140;
richesses spirituelles, p. 159-, le mépris qu'on
doit faire des richesses , p. 169 ; pourquoi elles
sont données, p. 233.
ROGAT, chef des rogatistes, p. 466.
ROIS. Saint Augustin appelle sacrement l'onc-.
tion royale, p. 803. En quoi consiste le bonheur
des rois, p. 803, 804.
ROMANIEN, habitant de Tagaste , fournit aux
études de saint Augustin, p. 3; il est engagé dans
l'erreur, p. 4.
ROME. Prise de Rome, p. 17. Sermon sur la
Prise de Rome. p. 283. Le siège épiscopal de Ro-
me a la prééminence sur tous les autres, p. 474;
vains efforts de Pelage pour tromper le Siège
apostolique de Rome, p. 454. Saint Augustin jus-
tifie le clergé de Rome de la prévarication dont
les pélagiens le chargeaient , p. 477, 478- Suc-
cession des évêques de Rome depuis saint Pierre
jusqu'à Anastase, p. 624.
ROMULUS. Saint Augustin lui écrit, p. 188.
ROY.AUMES. C'est Dieu qui donne les royau-
mes aux bons et aux méchants princes, et nous
devons leur obéir, p. 802.
RUSTICUS. Saint Augustin lui écrit au sujet
d'une orpheline, p. 189.
RUSTIQUE, évêque de Carlenne, p. 411.
RUSTIQUE, prêtre, supérieur des religieuses
d'Hippone, p. 20 ; saint Augustin lui écrit, p. 171
et suiv.
RUFUS, évêque de Tessalonique : dix-huit évê-
ques pélagiens iui écrivent, p. 474, 477.
i.y
SABELLIENS, leurs erreurs, p. 2-22.
SABELLIUS, erreurs de Sabellius sur la Tri-
nité, p 638.
SACERDOCE. De la loi nouvelle, p. 763, 764.
SACREMENTS. D'où dépendent leurs eSfets,p.378.
Différence entre les sacrements de la loi ancienne
et de la nouvelle, p. 738. C'est de la plaie que
le Sauveur reçut dans son côté, étant attaché
à la croix, qu'ont coulé les sacrements de l'É-
glise, ibid. Les hérétiques et les mauvais chré-
tiens ne seront pas délivrés des supplices de
l'enfer par la vertu des sacrements, p. 323.
SACRIFICE de l'ancienne loi, p. 2l( : de la
nouvelle loi. p. 2"i9. A qui on doit l'offrir, p 365.
En quoi il consiste, ibid., 366, 760 et suiv. Le sa-
crifice n'est dû qu'à Dieu seul, p. 303 et 763, 7iï3.
Sacrifice pour les morts, p. 303 et 764, 765. L'É-
glise ne l'offre ni ne commande de l'offrir à
aucun marlyr, ni à aucune âme sainte, ni même
à aucun ange, p. 792. On offrait tous les jours
le sacrifice, p. 766. L'on ne doit point offrir pour
les enfants morts sans baptême le sactiflce du
corps et du sang de Jésus-Christ, p. 467, 470. Cé-
réihonies du sacrifice, p. 766 et suiv.
SAGES. Les sept sages de la Grèce n'ont pas
vécu avant les prophètes, p. 577.
SAGESSE. Ce que c'est, p. 38, 39. La véritable
s.igesse, p. 4i. L'étude de la sigesse ne doit point
être interdite aux femmes, p. 42. Les degrés de
la sagesse, p. 197. Sentiment de saint Augustin
tir le livre de la Sagesse, [p. 530, 569, 570. De
Julien le pélagien, 553. Saint Cyprien cite le livre
de la Sagesse, p. -530. 570. Les serai -pélagien*
le rejettent, p. 530. On le lisait dans les assem-
blées publiques, ibid.
SAINTE-MARTHE (dom Denys de) réfute la
lettre d'un prétendu abbé d'Allemagne contre
l'édition des ouvrages de saint Augustin, donnée
par les Pères Bénédictins de la Congrégation de
Saint-Maur, p. 816.
SAINTETÉ. En quoi elle consiste, p. 220.
SAINTS. Les saints qui ont vécu, soit avant la
loi, soit sous la loi, ont été délivrés d'e leurs pé-
chés par le sang de Jésus-Christ, p. 475. Senti-
ment de saint Augustin sur l'invocation et l'in-
tercession des saints, p. 792.
SALO.MON. Saint Augustin en parle comme
d'un prince réprouvé, p. 616.
SALUER. L'évêque en entrant dans l'église sa-
luait le peuple, p. 766.
SAMEDI. Jeûne du samedi à Rome; ce qu'on
dit de son origine, p. 617.
SAMSON. Ce fut par un mouvement du Saint-
Esprit qu'il se tua lui-même en faisant périr ses
ennemis, p. 616.
SAMUEL. Sentiment de saint Augustin sur
l'appariiion de Samuel à Saûl, p. 616.
SANCTIFIER. Comment on peut se sanctifier,
p. 194. 212.
SAPIDA, consolée par saint Augustin, p. 191.
SATISFACTION. Voyez Pénitence.
SAUVÉS. Si tous seront sauvés, p. 262.
878
TABLE ANALYTIQUE.
SAVANT. Quand on en mérite le nom, ;p.
43.
SCANDALE dans l'Église, p. 171, 188.
SCHISMATIQUES. En quoi ils diffèrent des
catholiques, p. 381. Quelle différence il y a entre
le schismatique et l'hérétique, p. 799, 800.
SCHISME. Schisme de Primien, p. 373. Défini-
tion du schisme, p. 799, 800. L'énormité du schis-
me est si grande, que Dieu]a puni plus sévèrement
ce crime même dans la loi ancienne que l'idolâ-
trie, p. 802.
SCIENCE. Utilité de la science humaine, p. 42:
de l'Écriture sainte, p. 120, 197 et suiv.
SÉBASTIEN, moine, saint Augustin lui écrit,
p. 188.
SECONDIN, manichéen, p. 49. Saint Augustin
écrit un livre contre lui, p. 352.
SECONDIN, curé de Germanicie, dans le dio-
cèse d'Hippone, p. 189.
SECOURS, sans lequel une chose ne se fait
point, différent de celui par lequel une chose
se fait, p. 681. Julien admettait des secours tou-
jours présents à la volonté pour l'aider dans le
besoin: quels étaient ces secours, p. 552. L'hom-
me ne peut point vouloir le bien sans le secours
de Dieu, p. 542.
SEL. On donnait du sel aux catéchumènes,
d. 7i5.
SELEUCIENNE donne des instructions à saint
Augustin pour convertir un novatien, p. 191.
SEM, figure de Jésus Chrit, p, 314.
SEMI-PÉLÂGIENS, leurs erreurs, p. 524 et suiv.
et 7pl.
SÉNÈQUE. Ses lettres à saint Paul : saint Au-
gustin paraît les avoir crues véritables , p.
577.
SENS allégorique, p. 55 : sens littéral sur la
Genèse, ibid.
SEPTANTE. Histoire de la version des Sep-
tante : son autorité, p. 610 et suiv. Les Septante
ont été assistés du secours du Saint-Esprit, p.
604. Les Juifs les ont accusés de s'être trompés
en beaucoup de choses, p. 610.
SERMENT. Comment on peut l'exiger, p. 81.
Les interprètes du serment, p. 114.
SERMONS de saint Augustin. Les fruits de ses
sermons, p. 235. Sermons sur l'Écriture, p. 235 et
suiv. Les sermons de ce Père sont divisés en
cinq classes ; la première comprend ses ser-
mons sur l'Écriture ; ils sont au nombre de
quatre cent vingt-six , p. -235 et suiv. Seconde
classe : elle comprend ses sermons sur les gran-
des fêtes de l'année ; il y en a 88, p. 239 et 240.
Sur les fêtes des saints, p. 240, 241. Sur divers
sujets, p. 241, 242. Sermons douteux, p. 243.
Sermons faussement attribués à saint .\ugustin,
contenus dans l'Appendice du tome Y, p. 244,
245 : voyez ci-dessous Supplément.
SÉVÈRE, évêque de Milève, p. 20, 88. Ce qu'il
pense des écrits de saint Augustin, p. 809.
SÉVÈRE, évêque de Minorque, écrit à toute
l'Église sur les miracles opérés dans son île par
les reliques de saint Etienne, p. 329.
SÉVERIN, saint Augustin l'engage à quitter
l'hérésie, p. 83.
SEXTILIEN, évêque d'Afrique, assiste au cin-
quième concile général ; il y cite les lettres de
saint Augustin, p. 781.
SIDONIENS. Pourquoi ils n'ont pas cru en Jé-
sus-Christ, p. 726 et 727.
SIÈCLE. Vanité du siècle, p. 73.
SIGNES naturels et d'institution, p. 197.
SILVAIN de Cirthe, traditeur, p. 416.
SILVESTRE, prêtre du pape Marcellin, p. 402,
405.
SIMÉON (le vieillard), reconnut Jésus-Christ
pour Fils de Dieu, p. 617.
SIMON (le magicien). Saint Pierre le fait mou-
rir il Rome par la vertu de Dieu tout-puissant,
p. 617.
SIMPLICIEN, prêtre Id'une grande vertu, p.
g. Saint Augustin lui adresse deux livres, p.
249.
SIMPLICIUS, ami de saint Augustin avait une
mémoire tout à fait extraordinaire, p. 472.
SIXTE, prêtre, et depuis pape. Saint Augustin
lui écrit, p. 162, I63 et suiv.
SIXTE (le philosophe). Saint Augustin cite
ses sentences sous le nom du pape Sixte, p.
434.
SOCRATE. Démon de Socrate, p. 302. Ce que
pense ce philosophe des fausses divinités, p.
61.
SOLDATS. Comment ils doivent obéir à Dieu
et aux princes, p. 803.
SOLILOQUES. Quand ils furent composés ,
p. 43. Méthode de l'ouvrage, ibid. Analyse de
l'ouvrage, ibid. et suiv.
SOLITAIRES. Leur manière de vivre, p. 58
et 59.
•- SORT. Sentiment de saint Augustin sur l'usa-
ge des sorts, p. 795, 796.
SOUFFLE. On soufQait sur les enfants avant
de les admettre au baptême, p. 745.
STILICON, maître des Offices de l'Empereur: il
est tué, p. 17.
SUBSTANCE, égalité et unité de substance, p.
363, 366. Si le mot de substanceconvient à Dieu,
p. 367.
SUCCESSION des évêques depuis les apôtres,
p. 83.
SUPERSTITIONS , condamnées, p. 59, 70, 71-
Abolies, p. 74.
SUPPLICE des diables, p. 321. Supplice des
damnés, p- 322.
SUSANNE. Son histoire fait partie du livre de
Daniel, p. 570, 571.
SYBILLE. Sentiment de saint Augustin sur la
sybille d'Erithrée, p.649.
SYMBOLE, explication du symbole, p. 255
et suiv. C'était l'usage d'instruire les catéchu-
mènes sur le symbole, p. 255, 259, 746. Ser-
mons sur le symbole. Le premier seulement est
de saint Augustin, p. 283 : cependant .voir, ibid.
note 1.
TABLE ANALYTIQUE.
879
TABLES de la loi, ce qu'elles signifient, p.
211.
TAGASTE, ville d'Afrique, de la province de
Numidie, lieu de la naissance de saint Augustin,
p. 1.
TATIEN combat la foi de l'Église touchant le
salut d'Adam, p. 614, 615.
TEMPÉRANCE. Ce que c'est, p. 49, 58. Elle est
nécessaire pour diminuer les forces de la concu-
piscence, p. 493.
TEMPS. Ce que c'est que le temps, p. 35.
TENTATION, Différentes tentations auxquelles
les hommes sont exposés, quand ils sont sortis
de l'enfance, p. 503. Nécessité de la grâce pour
surmonter les tentations, p. 68g et suiv.
TERTULIANISTES à Carthage, p. 16.
TESTAMENT. Différence des deux Testaments,
p. 310, 429, 430. Ancien Testament justifié, p. 353
etsûiv. Sur le texte du Nouveau Testament, p. 612.
THÉODORE Manlius, préfet des Gaules d'Italie,
p, 40.
THÉODORE, homme de considération, deman-
de à saint Augustin comment il recevrait les
clercs donatistes, p. 88.
THÉODORE de Mopsueste : Julien le pélagien
se retire chez lui, p. 484.
THÉODOSE-le-Jeune empereur, convoque un
concile à Ephèse, p. 22. Il chasse Julien le pé-
lagien deConstantinople, p. 484.
THÉODULPHE, évêque d'Orléans : son senti-
ment sur la nécessité de l'Eucharistie, p.TTl.
THÉOLOGIE naturelle des païens : saint Au-
gustin la combat, ibid. Théologie civile, il la com-
bat aussi, ibid.
THOMAS (saint). S'il toucha véritablement les
plaies du Sauveur, p. 618.
TIMASE, disciple de Pelage, p. 433. Il en suit
les erreurs ; saint Augustin l'en retire, p. 484.
TOBIE. Son livre n'est point dans le canon des
Juifs; mais l'Église de Jésus-Christ le reçoit,
p. 569.
TRADITEURS, p. S71. Trois traités de saint
Augustin touchant les traditeurs pendant Ie,s
persécutions, cités par Possidius, p. 560.
TRADITIONS. Ce qui est de tradition ou d'usa-
ge seulement, p. 8i. Comment elle se connaît,
p. 349. Sentiment de saint Augustin sur la tradi-
tion, p. 618 et 619.
TRADUCÉENS, nom donné aux catholiques par
les pélagiens, p. 539, 541.
TRADUCTIONS de l'Écriture. Les différentes
traductions contribuent à l'intelligence de l'E-
criture, p. 600 et suiv. Comment il faut corriger
un défaut de traduction, p. 602, 603.
TRINITÉ. DifScultées proposées sur la Trinité,
p. 142. La foi de l'Église sur la Trinité, p. 147, 184.
Erreurs des arieus.combattues,p. 185, 186. Trinité
marquée dans la Genèse, p. 203. Comparée à trois
verres d'eau,p.256.Les platoniciens en ont eu quel-
ques notions, p. 303, 304.1mage de la Trinité, p.
sentiment de saint Augustin sur la Trinité, p.
638 : sur les missions divines et la procession du
Saint-Esprit, p. 640. Les trois personnes divines
sont inséparables dans leurs opérations, p. 529.
Règles pour l'explication de certaines difficultés
touchant la Trinité, p. 640 et suiv. Livres sur la
Trinité, par saint Augustin, p. 361 et suiv.
TRIGESTIUS, disciple de saint Augustin, p. 8
et 57.
TYRIENS. Pourquoi les Tyriens et les Sido-
niens n'ont pas cru en Jésus-Christ, p. 726, 727.
u.
UNION de la nature divine et de la nature hu-
maine, p. 68.
UNITÉ de l'Église, p. 285. Livre de l'Unité, p.
■ 594 et suiv.
URBAIN, évêque de Sicque, dispute contre un
pélagien, p. 690 et 691.
USER, ce dont on doit user, p. 195.
USURE défendue, p. 233.
USURIERS, obligés à la restitution, p. 136.
V.
"VAILLANT (dom Hugues), avec D. Friche, tra-
duit en latin la Vie de saint Augustin, composée
par TiUemont, p. 816.
YALENTIN, abbé d'Adrumet, à qui saint Au-
gustin écrit, au sujet de la lettre au prêtre Sixte,
p. 174 et suiv.; il lui adresse le livre de la Grâce
et du libre arbitre, p. 512.
VALÈRE, évêque d'Hippone , ordonne prêtre
saint Augustin, p. 175.
VALÈRE (le comte). Saint Augustin lui écrit,
p. 168, 169, 171 , il lui adresse les deux livres
du, Mariage et de la concupiscence, p. 165. Saint
Alypius porte au comte Yalère le second livre
du Mariage et de la concupiscence, p. 538.
VANDALES. Ils ravagent l'Afrique, p. 18, 21 ;
assiègent la ville d'Hippone, p. 31.
VANITÉ. Lettre contre la vanité, p. 12 ; qu'il
faut s'en dépouiller, p. 110. Il ne nous est pas
permis de tirer vanité de nos souffrances et de
nos tribulations, parce que c'est un don de Dieu,
p. 549.
VARRON. Son système sur les dieux, p. 300.
880
TABLE ANALYTIQUE.
VASES. Les églises d'Afrique avaient des vases
d'or et d'argent pour l'administration des sacre-
ments, etc., p. 766.
VEAU d'or : ce qu'il signifie, p. 347.
VÉRÉCUNDUS. Sa conversion, p. 32.
VERGE de miséricorde, p. 27; verge d'Aaron :
ce qu'elle signifie, p. 211.
VÉRITÉ. Comment on peut la connaître, p. 37
et 38 ; manière de la chercher, p. 45. On doit
s'instruire et prier pour arriver à la vérité, p.
335, 336 ; quand il faut la taire et quand il faut
la publier, p. 536.
VERSION. De quelle version saint Augustin
s'est servi dans l'Explication des Psaumes, p.
231. A'ersion des Septante, p. 318; versions de
l'Écriture, etc., p. 604 ; quelles sont les meilleures
versions, ibid.
VERTU. Il n'y a de véritable vertu que dans
ceux qui sont justes, p. 496. Ce n'est point le
devoir extérieur, mais îa fin qui distingue la
vertu du vice, p. 497; ce qu^l faut penser des
vertus des païens, p. 496.
VEUVES. Instructions sur le devoir des veuves,
p. 118, 271 et suiv.
VICE. Ce qui séduit dans le vice, p. 28 : com-
ment il passe des parents aux enfants, p. 506.
Si Dieu n'aide l'homme, nul n'est capable de
combattre contre ses vices, p. 556.
VICTOR Vincent écrit deux livres contre saint
Augustin, qui les réfute, p. 466 et suiv. Quelles
étaient les erreurs de Victor, p. 468 et suiv. ; il les
révoque, p. 471.
VICTORIEN, prêtre. Saint Augustin lui écrit,
p. 109.
VICTORIN prend le titre de primat de Numi-
ilie, p. 87; convoque un concile, ibid.; sa con-
version. Il fait sa profession de foi en public,
p. 746.
VIDUITÉ. Du bien de la viduité, p. 27i et suiv.
Viduité préférable au mariage, ibid.
VIE heureuse : livre de la Vie heureuse, p. 40.
A qui adressé, ibid. En quoi consiste la vie heu-
reuse, p. 119. La vie active, p. 341.
VIE éternelle, comment elle est tout ensemble
une récompense et une grâce, p. 515.
V^IERGE (Sainte la) , ne cessa de l'être, p. 127. Jé-
sus-Christ est né d'une vierge, p. 237. La Sainte-
Vierge conçue par la concupiscence de ses pa-
rents, p. 506 ; elle est demeurée toute pure et
toute vierge avant et après l'enfantement, p. 2S4,
484, 737. On ne peut savoir la mesure de la grâce
qui lui a été donnée pour surmonter en toute
manière le péché, p. 437. La Sainte-Vierfie a été
plus heureuse en recevant la foi de J.-C dans son
cœur, qu'en concevant sa chair dans son corps,
p. 739. Ce n'est point l'action de l'homme qui a
ouvert le sein de la Sainte-Vierge, c'est le Saint-
Esprit qui a répandu dans ce sein inviolable une
semence parfaitement pure, p. 456.
VIERGES sages, et vierges folles, p. 126.
VIERGES chrétiennes ; elles soutiennent la sain-
teté de leur profession par la pureté de leur âme
et de leur corps, p. 505. Le mérite des vierges,
p. 133, 159. Quel crime commet une vierge en se
mariant, p. 239, 272.
VINC1£NT, rogatiste, p. 98; il est le chef des
rogatistes, p. 466, 470.
VINDICIEN, médecin. Dieu se sert de lui pour
détromper saint Augustin, p. 4.
VIRGINITÉ. Livre rfe la Virginité, p. 269 et suiv.
Mérite de la virginité, p. 269; elle est préférable
au mariage, ibid. et suiv. La virginité est un don
de Dieu, p. 269.
VITAL. Saint Augustin lui écrit au sujet des
semi-pélagiens, p. 176, 177.
VITAL : de Carthage, son sentiment sur la foi,
p. 697.
VOCATION. Sentiment de saint Augustin sur la
vocation, p.725,726.Ce Père distinguedeux sortes
de vocation, l'une commune et l'autre particu-
lière, p. 531.
VŒUX. Comment on doit les accomplir, p. 234,
272 ; quel péché de les transgresser, p. 272. Vœux
de virginité, p. 785.
VOL. Jugement de saint Augustin sur le Tol
qu'il avait commis, p. 27.
VOLONTÉ. Pourquoi elle s'éloigne de Dieu, p.
52. Comment il faut renoncer à sa volonté pour
faire celle de Dieu, p. 92. Dieu prépare la volon-
té, p. 178. Dieu a la volonté de sauver tous les
hommes, p. 262, 650 et suiv Volonté des hommes
dans l'ordre des choses, p. 298; volonté, cause de
la chute des anges, p. 807 ; cause des mauvaises
actions, iftid. La volonté de Dieu prévient l'hom-
me par le bien, p. 310. Sentiment de saint Au-
gustin sur la volonté en Dieu de sauver tous les
hommes, p. 499. Pouvoir de Dieu sur la volonté
des hommes, p. 715 et suiv. Dieu par une puis-
sance intérieure secrète, merveilleuse et ineffa-
ble opère dans les cœurs des hommes les bon-
nes volontés, p. 451 et 718. Le Dieu tout-puis-
sant peut convertir à la foi les volontés perver-
ses et contraires à la foi, p. 516. Il y a toujours
en nous une volonté libre; mais elle n'est pas
toujours bonne, ibid. La volonté humaine n'ob-
tient pas la grâce par la liberté, mais elle ob-
tient la liberté par la grâce, p. 521. Comment
Dieu prépare la volonté de l'homme et comment
l'homme se prépare, p. 720. Saint Augustin ad-
met deux volontés en J.-C, p 647. La volonté
est toujours ou bonne quand elle aime la justice,
ou mauvaise quand elle ne l'aime pas, p. 424.
VOLUPTÉ. Cicéron regardait la volupté du corps
comme contraire à la liberté de l'esprit, p. 503.
Platon dit que les voluptés du corps sont des
amorces et des appâts qui engagent les hommes
dans toutes sortes de crimes, ibid. Les auteurs
païens out reconnu que la volupté est ennemie
de la philosophie, p 506.
VOLUSIEN, oncle de la jeune Mélanie, saint
Augustin lui écrit et l'exhorte à étudier l'Écri-
ture sainte, p. 120.
TABLE ANALYTIQUE. 881
, - ■-"'^'>-
X.
XANTIPPE, primat de Numidie, p. 89.
z.
ZACHARIE, père de saint Jean-Baptiste, était les matières de la grâce, p. 484 ; il l'accuse de
{jrand- pontife, p. 617. prévarication, p. 635; saint Augustin l'en justi-
ZÉNOBIUS, homme d'esprit et ami de saint Au- fle, p. 510. Le même saint excuse bénignement la
gustin, p. 41. conduite de Zosime à l'égard de Célestius, p. 453
ZOSIME (pape). Julien lepélagien lui écrit sur et 477, 478.
FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE.
TABLE
DES ADDITIONS PRINCIPALES FAITES PAR L'ÉDITEUR.
E.
ÉDITIONS et traductions nouvelles de saint Augustin, p. 8)2 et suiv.
M.
MIROIR de saint Augustin publié parle cardinal MUSIQUE. Abrégé des six livres de la Musique,
Mai, p. 215, 216. p. 48.
SERMONS. Les sermons sur l'Annonciation et sur
l'Assomption sont authentiques, p. 244, 245.
SUPPLÉMENTS. Premier supplément aux sermons
de saint Augustin. joVingt-cinq s';rmons publiés par
Uenys, p. 882 et suiv. 2» Sermon publié par Fontani.
p. 833, 834; premier sermon sur la prière, p. 833 ;
deuxième sur les quatre degrés de la charité, p. 834 j
troisième sur le IP dimanche de l'Avent,i6id.; qua-
trième sur la Circoncision de Notre-Seigneur. 3°
Analyse des sermons publiés par Frangipane. Édi-
tions de ces sermons, p. 834. Analyse de la préface
de l'éditeur, ibid. Analyse des dix sermons, ibid et
p. 835. 4» Sermons publiés par M. Caillau, p. 835 et
Buiv. Publication de ces sermons; débats à ce su-
jet, p. 835 et 836. Division des sermons publiés
par M. Caillau , p. 836 , 837. Pensées développées
dans quelques-uns de ces sermons, p. 837, 838.
5° Sermons édités dans le tome XLVII de la
Patrologie latine, Analyse de ces sermons , p.
838. 6° Sermons édités par le cardinal Mai. Pré-
face du cardinal Mai, p. 838. 839. Tables du
premier volume de la Pratrum nova bibl., p. 839.
Authenticité des sermons édités par le cardinal
Mai, ibid. et suiv. Division des sermons de saint
Augustin, p. 841 et suiv. Choses remarquables con-
tenues dans les sermons publiés par Maï , p. 842 et
suiv. Présence réelle de Jésus-Christ, p. 812. Pro-
cession du Saint-Esprit. Trinité prouvée par le té-
moignage de saint Augustin , ibid. Sur la confes-
sion, p. 843. Infaillibilité de saint Pierre, ibid. Sur
les rois mages, p. 844. Sur les partisans exclusifs
de la raison naturelle, ibid.
Deuxième supplément ou notes additionnelles
pour expliquer la doctrine de saint Augustin sur la
grâce, p. 845, 846.
Troisième supplément. Sentiment de Fénélon
sur l'édition des œuvres de saint Augustin, par les
Bénédictins, p. 846 et suiv.
TABLE
DES NOTES PRINCIPALES AJOUTÉES PAR L'ÉDITEUR.
p.
25, not. 4 et 5
31 - 1
33 — 1
36 — 1
42 - 1
61—3
Pag. 1, not. 1. Ouvrages à consulter sur saint
Augustin.
P. 22, not. 2. Reliques de saint Augustin.
D. Geilliei repris.
P. 64, not. 1. Grammaire latine de saint Augus-
tin.
P. 82, not. 1. Sentiment sur l'homicide en cas
d'injuste aggression.
P. 203. not. 1. Sommaires ou chapitres sur la Ge-
nèse publiés par le cardinal Mai.
P. 283, not. 2. Les trois derniers discours sur le
symbole sont de saint Augustin.
P. 314, not. 1. Sur le sentiment de saint Augus-
tin par rapport aux antipodes.
P. 333, not. 1. Sommaires ou prologue du livre
de l'Utilité de la foi, donnés par le cardinal Mai.
P. 337, not. 1. Sur Manichée ou Manès.
362, not. 7. Sommaires des quinze livres sur la
Trinité publiés par le cardinal Mai.
243, not. 1. Le sermon 239 sur la naissance de
J.-C. est authentique.
P. 244, not. 1. Plusieurs autres sermons regardés
comme supposés, sont authentiques.
P. 417, not. 1. Sur les pélagiens et le pélagia-
nisme ouvrages à consulter.
P. 543, not. 1. Ce que saint Augustin entend par
nécessité de pécher.
Ibid., not 2. Ce qu'il entend par liberté.
P. 564, not. Fragments nouveaux de la Vie de
saint Augustin, par Possidius.
Ibid. not. 2. Edition de la Vie de saint Augus-
tin, par Possidius.
P. 814, not. 2. Sur le costume des roiç mages,
ERRATA.
Page 16, ligne 12, colonne 2, Proculien, lisez : Proculien.
— 25, à la marge, après: Elles sont divisées en 13 livres, ajoutez : analyse du 1" livre-
— 31, — analyse du V livre,
— 57, — — publiés,
— 00, — voyez tome IX, X,
— 65, ligne 45, colonne de gauche, Revesby,
— 66, à la marge,
— 101, ligne 20, — Tichorius,
— 112. colonne 1, manchette : Constantionple,
— 138, à la marge, lettre 155,
— 157, ligne 17, colonne de droite, Thimothée,
— 191, à la marge, lettre 295,
— 314, note 1, tome GCXIII,
— 559, article XV,
— 564, article XVI,
— 764, hgne 23, Aétius,
— 721, ligne 34, colonne 1 : faite dires,
— 727, ligne 22, colonne 2 : en et,
— 781, ligne 16, colonne 1 : contre elles,
— 808, article CXVIII,
lisez : du VU' livre.
— en 389.
— tom. Vni, pag. 127ets.
— Reverbi.
— lettre à Zénobius.
— Tichonius
— Constantinople.
— lettre 156.
— Timothée.
— 266.
— tom. IL
— xn.
— xm.
— Aérius.
— faites dire.
— et.
— contr'eux.
— XV.
— 817, au titre : SAIDÏ, — SAINT.
— 832, ligne 28 et 29, colonne 2 : Quœ odit Deits rémanente rétro redeuntem aberrante,
lisez: quœ odit Deus : remanentem, rétro redeuntem, aberrantem.
Pag. 832, ligne 54, colonne 1 : super eminentem, lisez : super eminentem.
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