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Full text of "Histoire générale des traités de paix et autres transactions principales entre toutes les puissances de l'Europe depuis la paix de Westphalie; ouvrage comprenant les travaux de Koch, Schoell, etc., entièrement refondus et continués jusqu'à ce jour"

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HISTOIRE  GENERALE 


DES 


TRAITÉS  DE  PAIX 


DE  L'IMPRIMERIE  DE  CRAPELET, 

ni'E    I>E   VAUCIKARD,   9. 


V*  »  -y» 


HISTOIRE  GÉNÉRALE 


DES 


TRAITÉS  DE  PAIX 


AUTRES  TRANSAC 

ENTRE  TOUTES  LEJ 

DEPUIS   LA 


NCIPALES 

s  DE  L'ErUOPE 

HAI.IE 


LES  TRAVAftr  DE  KOCH,  ÉCHOELL,  ETG 


PARIS  :    AMYOT,  RUE  DE   LA    PAIX 


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SUITE 


QUATRIÈME  PÉRIODE 


ou 


HISTOIRE  DES  TRAITES 

DEPUIS  LE  COMMENCEMENT  DES  GUERRES  DE  LA  RÉVOLUTION 
FRANÇAISE  JUSQU'AU  TRAITÉ  DE  PARIS  DE  181 K 

1791—1815 


XI 


QUATRIÈME  PÉRIODE, 


OU 


HISTOIRE  DES  TRAITES 

DEPUIS  LE  COMMENCEMENT  DES  GUERRES  DE  LA  RÉVOLUTION 
FRANÇAISE  JUSQU'AU  TRAITÉ  DE  PARIS  DE  181  S. 

1791—1815. 


CHAPITRE  XXXVII  (suite). 

TBÀITÉS  DE  PAIX  DE  TILSITT  CONCLUS,    LES   7  ET  9  JUILLET   1807, 
E.MRE  LA  FnANCE,   LA  RUSSIE   ET  LA  PRUSSE. 


SECTION  IV  (suite). 

SYSTEME    CONTINENTAL    FRANÇAIS;   SYSTÈME    BRITANNIQUE   1)E    BLOCUS    MARITIME, 
ET  AUTRES  CONSÉQUENCES  IMMÉDIATES  DE  LA  PAIX  DE  TILSITT. 

Polémique  semi-offlcielle  entre  les  Cabinets  de  Londres  et  de  Paris.  —  Le 
chevalier  de  Gentx,  le  comte  d'Hauterive\  —  l.  Observations  sur  le 
rapport  du  minisire  des  Relations  Extérieures ,  duc  de  Bassano ,  com- 
muniqué au  Sénat,  le  10  mars  1812. — II.  Observations  sur  les  décrets 
de  Berlin  et  de  Milan  et  les  ordres  du  conseil  britannique  à  l'occasion  des 
notes  du  Moniteur  ajoutéesà  la  déclaration  du  gouvernement  anglais  du 
21  avril,  pour  servir  de  suite  aux  observations  sur  le  rapport  du  mi- 

'  Nous  avons  fait  allusion  précédemment  à  une  controverse  qui  avait 
eu  lieu  entre  ces  deux  antagonistes.  C'est  qu'en  effet,  sous  le  consuiat, 
M.  d'HAUTERivB  avait  écrit  le  livre  intitulé:  De  l'État  de  la  France  à  la 
fin  de  lan  VIII,  où  se  trouvait  réfuté,  mais  avec  courtoisie,  l'ouvrage 
de  M.  de  Gentz  qui  fut  son  premier  titre  à  la  célébrité,  VEssai  sur  l'ad- 
ministration des  finances  et  la  richesse  nationale  de  la  Grande-Bre- 
tagne. Napoléon  fut  si  satisfait  de  la  publication  de  l'État  de  la  France, 
qu'il  61  remettre,  de  sa  propre  cassette,  une  gratification  de  vingt-cinq 
mille  francs  à  l'auteur,  que  plus  tard  il  nomma  conseiller  d'État  et  créa 


nislre  des  Relations  Extérieures  de  France  du  10  mars.— §  1".  De  la 
prétendue  autorité  du  traité  d'Ulrecht  dans  les  questions  de  Droit  ma- 
ritime.—§  2.  Des  motifs  et  du  caractère  des  ordres  du  conseil  opposés 
par  le  gouvernement  britannique  aux  décrets  de  Berlin  et  de  Milan.  — 
§  3.  Des  conditions  exigées  par  le  gouvernement  anglais  pour  la  révoca- 
tion des  ordres  du  conseil.  —  §  4 .  De  la  prétendue  révocation  des  décrets 
de  Berlin  et  de  Milan  à  l'égard  des  Étals-Unis  d'Amérique.  —  §  5.  Des 
conditions  attachées  par  la  France  à  la  révocation  définitive  des  décrets 
de  Berlin  et  de  Milan.  — §C.  Des  avantages  que  l'Angleterre  aurait  à 
espérer  de  la  révocation  des  ordres  du  conseil.  —  III.  Mémoire  sur  les 
principes  et  les  lois  de  la  neutralité  maritime.  —  §  1".  Droit  public  de 
l'Europe,  relativement  à  la  neutralité  maritime  avant  1756. —  §  2.  Droit 
public  de  l'Europe  relativement  à  la  neutralité  maritime,  de  1766 
à  1775. —§  3.  Droit  public  de  l'Europe  relativement  "a  la  neutralité 
maritime,  de  1775  à  1802.  —  §  4.  Droit  public  de  l'Europe  relativement 
à  la  neutralité  maritime,  depuis  le  renouvellement  de  la  guerre  en  1803. 


I. 
OBSERVATIONS 

S13R  LE  RAPPORT  DU  MINISTRE  DES  RELATIONS  EXTÉRIEURES  DE  FRANCE,  SER- 
VANT d'introduction  aux  décrets  SUR  UNE  NOUVELLE  ORGANISATION  DE  LA 
CARDE  NATIONALE. 

(Rédigées  par  M.  de  Gentz  au  mois  de  mai  1812.) 

S  1". 

Ce  rapport,  que  l'on  peut  regarder  comme  le  pre- 
mier manifeste  de  la  grande  guerre  qui  se  prépare 
dans  ce  moment ,  n'est  qu'un  exposé  des  prétendus 
attentats  de  l'Angleterre  contre  les  droits  des  neutres 
dans  les  guerres  maritimes,  et  des  mesures  successi- 
Yement  adoptées  par  le  gouvernement  français  pour 
venger  et  protéger  ces  droits.  L'auteur  du  rapport 
commence  par  mettre  en  fait  a  que  les  droits  de  la 

comte  de  l'empire.  Pour  M.  de  Gentz,  on  sait  que  l'ambassadeur  d'Au- 
triche à  Berlin,  lui  ayant  donné  à  entendre  qu'un  homme  de  son  mé- 
trite  serait  le  bienvenu  à  Vienne,  il  se  rendit  en  effet  dans  cette  ca- 
pitale et  y  fut  attaché  à  la  chancellerie  d'État.  Toutefois,  avant  de 
prendre  des  engagements,  le  traducteur  de  Buuke  avait  fait  un  voyage 
à  Londres  où  les  témoignages  les  plus  flatteurs  lui  furent  prodigués  ; 
c'est  à  cette  occasion  qu'il  recueillit  les  premiers  fruits  de  ses  travaux 
par  la  pension  considérable  que  M.  Pitt  lui  fit  allouer. 


neutralité  maritime  ont  été  réglés  solennellement  par 
le  traité  d'Utrecht,  devenu  la  loi  commune  des  na- 
tions ,  »  et  que  i<  cette  loi  a  été  textuellement  renou- 
velée dans  tous  les  traités  subséquents,  w  II  en  vient  de 
là  au  récit  des  «  arrêts  arbitraires  et  tyranniques  »  par 
lesquels  l'Angleterre  a  violé  les  principes  consacrés 
par  le  traité  d'Utrecht,  et  des  actes  de  représailles  que 
la  France  a  opposés  à  ces  arrêts;  et  le  résultat  fmal 
est  la  nécessité  urgente  d'employer  toutes  les  forces 
disponibles  de  la  France  pour  exclure  les  neutres  de 
certains  ports  à  l'extrémité  du  continent,  où  de  temps 
en  temps  ils  pourraient  introduire  quelques  ballots  de 
marchandises  anglaises  ! 

Le  gouvernement  français  doit  s'imaginerj  qu'avec 
le  désir  ou  le  pouvoir  de  lui  résister ,  ses  contempo- 
rains, plongés  dans  une  stupidité  absolue ,  ont  perdu 
jusqu'au  souvenir  de  tout  ce  qui  s'est  passé  au  milieu 
d'eux,  jusqu'à  la  dernière  trace  de  l'histoire  et  de 
l'ancien  Droit  public  de  l'Europe,  ou  jusqu'à  la  faculté 
de  lire,  de  comparer  et  de  réfléchir.  Autrement  il  ne 
leur  offrirait  pas  comme  des  oracles  diplomatiques 
des  fables  si  maladroitement  tissues,  que  le  plus  cré- 
dule de  leurs  lecteurs  devrait  regarder  comme  uue 
insulte  la  prétention  de  les  lui  faire  avaler. 

Une  réfutation  satisfaisante  de  chaque  partie,  ou, 
pour  mieux  dire,  de  chaque  phrase  de  ce  rapport,  ne 
serait  pas  une  tâche  dilïicile.  Je  me  bornerai  ici  à  exa- 
minertrès-succinctementce  qui  concerne  les  questions 
de  Droit.  J'atteindrai  mon  but,  si  je  réussis  à  prouver: 

Que  le  traité  d'Utrecht,  à  l'époque  même  de  sa  si- 
gnature, n'a  pas  été  j  n'a  pas /)u  être,  et  n'a  jamais 
prétendu  être  «  la  loi  commune  des  nations  pour  les 
droits  maritimes;  » 

Que  ce  traité,  loin  d'acquérir  plus  tard  une  auto- 
rité qu'il  n'avait  pas  eue  dans  son  origine,  a  été  com- 


^  6  — 

plétement  étranger  à  tous  les  rapports  et  événements 
postérieurs; 

Que  dans  la  lutte  qui ,  depuis  1806,  s'est  engagée 
entre  la  France  et  l'Angleterre ,  pour  soumettre  le 
commerce  de  tous  les  pays  du  monde  à  un  système 
d'interdiction  réciproque,  la  France  a  été  le  véritable 
agresseur ,  tandis  que  l'Angleterre  n'a  constamment 
agi  que  par  voie  de  représailles  ;  enfin 

Que  les  principes  proclamés  dans  le  manifeste  du 
16  mars,  pour  justifier  la  nouvelle  guerre  qui  va  em~ 
braser  le  continent,  sont  les  mêmes,  poussés  cepen- 
dant à  un  excès  jusqu'ici  inconnu ,  qui  ont  caracté- 
risé la  marche  du  gouvernement  français  dans  toutes 
les  époques  de  cette  lutte  fatale. 

Pour  qu'une  loi  commune  des  nations  sur  les  limites 
entre  les  droits  des  États  belligésants  et  des  États  neu- 
tres dans  les  guerres  maritimes,  eût  pu  se  former,  il 
aurait  fallu  que  toutes  les  puissances  indépendantes , 
dûment  représentées  dans  un  congrès  général,  se 
fussent  concertées  sur  les  règles  à  suivre  dans  cette 
branche  du  Droit  public ,  et  qu'un  code  reconnu  et 
sanctionné  par  toutes  les  parties  intéressées ,  eût  été 
le  résultat  de  leurs  travaux. 

Je  ne  puis  pas  m'étendre  ici  sur  tout  ce  qu'il  y  a 
d'inadmissible,  et  même  d'absurde  dans  une  supposi- 
tion pareille.  Il  suffit  de  savoir  qu'aucune  entreprise 
de  ce  genre  n'a  jamais  été  exécutée,  ni  seulement  ten- 
tée, et  surtout  que  le  traité  d'Utrecht ,  tel  qui  est,  n'a 
aucun  trait  de  ressemblance  avec  un  code  de  Droit  pu- 
blic, ou  une  loi  commune  des  nations. 

Ce  qu'on  appelle  généralement  le  traité  d'Utrecht, 
n'est,  comme  tout  le  monde  sait,  qu'un  assemblage 
do  traités  séparés ,  conclus  entre  les  différentes  puis- 
sances qui  avaient  pris  part  à  la  guerre  de  la  succes- 
sion d'Espagne.  Parmi  ces  traités,  il  s'en  trouve  trois 


concernant  la  navigation  et  le  commerce,  l'un  fait 
entre  la  France  et  V Angleterre ,  l'autre  entre  V Angle- 
terre et  V Espagne,  le  troisième  entre  la  France  et  la 
Hollande. 

Dans  le  traité  entre  la  France  et  V Angleterre,  il  est 
stipulé  que ,  dans  une  guerre  maritime  dans  laquelle 
l'une  ou  l'autre  de  ces  deux  puissances  resterait  neutre, 
le  pavillon  de  celle-ci  couvrira  les  marchandises  ap- 
partenantes aux  ennemis  de  la  puissance  belligérante, 
et  de  plus  que,  par  marchandises  de  contrebande  con- 
fîscables  dans  toute  espèce  de  vaisseau,  on  n'entendra 
que  les  objets  directement  applicables  à  la  guerre.  Ces 
deux  articles,  déterminés  de  tout  temps  d'une  ma- 
nière particulière  et  différente  par  chaque  traité  indi- 
viduel de  navigation,  constituaient  à  la  fin  du  xvif  et 
au  commencement  du  xv!!!*"  siècle  à  peu  près  la  ques- 
tion tout  entière  des  droits  des  puissances  neutres 
dans  les  guerres  maritimes.  Par  les  traités  antérieurs 
de  1 655  et  1 677  la  France  et  l'Angleterre  étaient  déjà 
convenues  à  l'égard  de  ces  articles  des  mêmes  conces- 
sions réciproques  qui  se  trouvent  dans  le  traité 
d'Utrecht;  et  ces  concessions  ont  été  renouvelées  et 
renforcées  même  en  faveur  de  la  puissance  supposée 
neutre  dans  le  fameux  traité  de  commerce  de  1 786. 

Lorsqu'on  réfléchit  à  la  situation  respective  de  ces 
deux  puissances ,  on  ne  saurait  s'étonner  que ,  dans 
tous  les  traités  entre  elles  relativement  à  cet  objet,  on 
ait  accordé  la  plus  grande  latitude  aux  droits  de  celle 
des  deux  qui  serait  neutre  dans  une  guerre  maritime 
de  l'autre.  La  raison  en  est  claire  :  le  cas  supposé  était 
si  peu  probable,  que  tout  ce  que  l'on  se  promettait  mu 
tuellement,  ne  revenait,  pour  ainsi  dire,  qu'à  un  sim- 
ple compliment  diplomatique.  Depuis  la  décadence  de 
l'Espagne,  et  plus  tard  de  la  Hollande ,  la  France  et 
l'Angleterre  étaient  les   deux  puissances  prépondé- 


—  8  — 

rarites  sur  mer.  Soit  directement,  soit  indirectement, 
toute  guerre  maritime,  tant  soit  peu  importante  et  du- 
rable, devait  ou  commencer  ou  finir  par  être  une  guerre 
entre  l'Angleterre  et  la  France;  et  telle  a  été  effecti- 
vement l'histoire  de  toutes  celles  qui  ont  eu  lieu  depuis 
la  fin  du  xvii^  siècle.  Une  guerre  maritime,  dans  la- 
quelle l'une  ou  l'autre  de  ces  puissances  se  serait  dé- 
clarée neutre,  était  très-difficile  à  concevoir.  Elles  ne 
risquaient  rien  en  la  supposant.  Plus  elles  étaient  ri- 
vales, plus  même  leur  état  de  rivalité  dégénérait  en 
état  d'hostilité  habituelle  ,  moins  il  leur  en  coûtait 
d'être  libérales  l'une  envers  l'autre  dans  une  hypo- 
thèse qui,  àce  qu'elles  comprenaient  parfaitement  bien, 
ne  pouvait  jamais  se  réaliser. 

Mais  les  stipulations  éventuelles  sur  les  droits  de  la 
navigation  neutre ,  consignées  dans  un  traité  entre  la 
France  et  l'Angleterre,  ne  liaient  aucune  des  deux  par- 
ties contractantes  dans  leurs  rapports  avec  d'autres 
puissances;  il  n'en  résultait  aucun  principe  univer- 
sel ;  chaque  partie  conservait  la  liberté  de  s'arranger 
sur  cet  objet  avec  tout  autre  État  aux  conditions  qui 
lui  paraissaient  les  plus  praticables  ou  les  plus  utiles. 

Le  traité  de  navigation  et  de  commerce  entre  VAîi- 
gleterre  et  V Espagne,  faisant  suite  au  traité  de  paix  et 
d'amitié  qu'elles  avaient  signé  à  Utrecht,  ne  fut  que 
la  confirmation  d'un  traité  de  1667,  que  l'on  inséra 
textuellement  dans  celui  de  1713.  Dans  ce  traité,  assez 
favorable  d'ailleurs  à  la  partie  éventuellement  neutre, 
le  principe  que  le  pavillon  couvre  la  marchandise^  ne  se 
trouve  cependant  point  énoncé  ;  circonstance  essen- 
tielle, qui  prouve  d'abord  combien  ces  traités  séparés 
étaient  peu  connexes  l'un  avec  l'autre,  et  ensuite, 
combien  on  était  loin  de  considérer  le  principe  de  la  li- 
berté des  marchandises  ennemies  sous  pavillon  neutre 
comme  une  loi  généralement  établie;  car  si  on  l'avait 


—  9  — 

cru  tel,  le  silence  d'un  traité  formel  sur  un  article 
d'aussi  grand  intérêt  serait  tout  à  fait  inexplicable. 

Le  traité  de  commerce  entre  la  France  et  la  Hollajidey 
conclu  à  Utrecht,  étant  absolument  étranger  à  V An- 
gleterre, il  serait  inutile  de  s'y  arrêter. 

Quant  aux  autres  puissances  de  l'Europe,  quanta 
celles  même  qui  avaient  eu  part  aux  négociations 
d'Utrecht,  ou  qui  furent  comprises  dans  les  différents 
traités,  telles  que  le  Portugal,  la  Prusse,  la  Suède,  la 
Savoie,  la  Toscane,  Gènes,  Venise,  etc.,  pas  un  mot 
ne  fut  dit  pour  fixer  leurs  droits  maritimes,  ou  les  li- 
mites de  leur  neutralité  future,  ni  d'après  un  principe 
commun  ,  ni  vis-à-vis  d'aucune  des  puissances  qui 
avaient  coopéré  à  la  paix  générale. 

Pour  savoir  au  juste  quelle  idée  le  gouvernement 
français  de  ce  temps  devait  se  former  lui-même  de  la 
valeur  de  ses  stipulations  sur  les  droits  de  la  neutra- 
lité, et  de  l'effet  qu'elles  pouvaient  avoir  comme  prin- 
cipes généraux  dans  cette  matière,  on  n'a  qu'à  jeter 
un  coup  d'œil  sur  les  lois  qui  composaient  alors  le 
code  maritime  de  la  France, 

Aucun  pays  n'a  poussé  plus  loin  que  la  France  la 
sévérité  de  sa  législation  contre  la  liberté  des  neutres 
dans  les  guerres  maritimes.  Les  ordonnances  de  Fran- 
çois /"(l  536et  1 543),  de  Henri  J/(1 554),  de  Charles  IX 
(1569),  de  Henri //i  (1584),  etc.,  avaient  toutes  dé- 
claré sans  aucune  restriction  ,  non-seulement  «  que  la 
marchandise  ennemie  était  conûscable  à  bord  d'un 
bâtiment  neutre,  »  mais,  ce  qui  était  bien  autrement 
fort,  ((  que  la  marchandise  ennemie  entraînait  aussi 
dans  la  confiscation  toute  marchandise  chargée  avec 
elle,  et  le  bâtiment  lui-même,  quel  qu'en  fût  le  pro- 
priétaire. »  La  célèbre  ordonnance  de  la  marine  de 
1 68 1 ,  que  les  Français  ont  regardée  pendant  longtemps 
comme  un  des  monuments  de  gloire  de  Louis  XIV, 


—  10  — 

sanctionna  les  mêmes  principes,  en  y  ajoutant  des  ar- 
ticles extrêmement  onéreux  sur  les  preuves  à  fournir 
delà  neutralité  d'un  bâtiment,  sur  les  passe-ports, 
factures,  certificats  de  toute  espèce,  sur  les  formes  de 
procédure  dans  le  jugement  des  prises.  Le  règle- 
ment pour  les  prises  de  1704,  publié  dans  cette  même 
guerre  que  le  traité  d'Utrechta  suivi,  fut  absolument 
conforme  à  ces  ordonnances.  «  S'il  se  trouve  sur  les 
vaisseaux  neutres  des  effets  appartenants  à  l'ennemi, 
les  vaisseaux  et  la  charge  seront  de  bonne  prise,  »  dit 
l'article  7  de  ce  règlement.  Celui  de  1744  modifia,  il 
est  vrai,  une  des  clauses  les  plus  dures  de  ces  lois, 
mais  en  conservant  soigneusement  tout  le  reste  ,  l'ar- 
ticle 5  de  ce  règlement  déclare  «  sujettes  à  la  confis- 
cation les  marchandises  appartenantes  aux  ennemis 
sur  des  navires  neutres  ou  alliés  ,  »  ajoutant  toutefois 
«  que  les  navires  seraient  relâchés.  » 

Si,  comme  on  ne  rougit  pas  de  l'affirmer  aujour- 
d'hui, les  droits  maritimes  des  neutres  avaient  été 
réglés  solennellement  par  les  traités  d'Utrecht,  il  serait 
inconcevable  que  la  législation  maritime  de  la  France 
ne  se  fut  ressentie  de  ce  grand  événement ,  ni  à  l'é- 
poque où  il  doit  avoir  eu  lieu ,  ni  même  trente  ans 
après  *. 

'  La  dernière  loi  même  qui  ait  paru  sur  cet  objet  avant  la  Révolution, 
le  Règlement  concernant  la  navigation  des  bâtiments  neutres  en  temps 
de  guerre,  du'26  juillet  1778,  n'a  pas  articulé  le  principe  que  le  pavillon 
couvre  la  marchandise.  Il  est  vrai  qu'il  n'a  pas,  non  plus,  à  l'exemple 
des  lois  précédentes,  annoncé  le  principe  opposé  ;  mais,  à  en  juger  par 
l'extrême  rigueur  de  toutes  les  autres  dispositions  de  ce  règlement,  par 
la  nature  des  preuves  exigées  dans  l'article  2  pour  justifier  de  la  pro- 
priété neutre,  enfin,  par  l'article  dernier,  qui  maintient  l'ordonnance 
de  1681  «  en  tout  ce  à  quoi  il  n'aura  pas  été  dérogé  par  le  présent 
règlement,  »  il  est  évident  qne  jusqu'en  1788  le  gouvernement  fran- 
çais n'avait  point  l'intention  sérieuse  d'attribuer  au  pavillon  neutre  le 
pouvoir  de  couvrir  la  marchandise  ennemie. — Ce  n'est  qu'à  l'appari- 
tion de  la  neutralité  armée  de  1780  que  la  France  a  brusquement  changé 


—  Il  — 

Et  pour  répondre  à  ceux  qui  croiraient  peut-être 
que  les  ordonnances  n'avaient  rien  de  commun  avec 
les  traités ,  que  la  législation  allait  son  train  d'un 
côté,  et  le  Droit  des  gens  de  l'autre,  je  vais  citer  un 
cas  mémorable,  qui  ne  laissera  plus  de  doute  à  cet 
égard. 

Les  villes  hanséatiques  {Lubeckj  Brime  et  Hambourg) 
jouissaient  depuis  le  milieu  du  xvii^  siècle  d'une  fa- 
veur particulière  de  la  part  du  gouvernement  français. 
Le  cardinal  Mazarin  leur  avait  accordé  en  1565  un 
traité  dans  lequel  il  était  dit  w  que,  pour  l'égard  des 
villes  hanséatiques.  Sa  Majesté,  dérogeant  aux  ordon- 
nances ,  veut  et  entend  que  lesdits  habitants  soient 
déchargés  de  la  rigueur  d'icelles  pendant  quinze  an- 
nées, en  sorte  que  la  robe  de  l'ennemi  ne  confisque 
point  celle  de  l'amij  et  que  les  navires  à  eux  appar- 
tenants, soient  libres  et  rendent  toutes  leurs  charges 
libres,  bien  qu'il  y  eût  de  la  marchandise  appar- 
tenante à  l'ennemi.  »  En  1716,  trois  ans  après 
le  traité  d'Utrecht!  les  villes  hanséatiques  récla- 
mèrent le  renouvellement  de  ce  traité.  Elles  l'ob- 
tinrent; mais  voici  dans  quels  termes  l'article  princi- 
pal était  conçu  :  «  Les  vaisseaux  sur  lesquels  se  trou- 
veront des  marchandises  appartenantes  aux  ennemis 
de  Sa  Majesté  ne  pourront  être  confisqués,  non  plus 
que  le  reste  de  leur  cargaison,  mais  seulement  lesdites 
marchandises  appartenantes  aux  ennemis,  de  même 
que  celles  de  contrebande  ;  Sa  Majesté  dérogeant  à  cet 
égard  à  tous  usages  et  ordonnances  à  ce  contraires , 
même  à  celles  des  années  1536,  1584  et  1681  ,  qui 
portent  que  la  robe  ennemie  confisque  la  marchandise 
et  le  vaisseau  ami.  »  On  leur  tenait  compte,  comme 

de  langage,  et  qu'avec  une  effronterie  digne  de  l'aurore  de  ses  beaux 
jours,  elle  a  soutenu"  que  le  grandobjet  de  ses  ordonnances  avait  toujours 
été  le  principe  de  la  liberté  des  mers  !  » 


—  12  — 

d'une  faveur  extraordinaire,  de  n'avoir  retranché  dans 
ce  nouveau  traité  que  la  moitié  des  droits  que  celui  de 
1^55  leur  avait  accordés'  î 

C'est  ainsi  que  le  gouvernement  français  envisa- 
geait et  respectait  lui-même  le  traité  d'UtrechtI  C'est 
ainsi  que  ce  traité  était  devenu  w  la  loi  commune  des 
ations  pour  les  droits  du  pavillon  neutre  !  » 

S  2. 

Cette  loi,  continue  le  ministre  rapporteur,  textuel- 
lement renouvelée  dans  tous  les  traites  subséquents,  a 
consacré  les  principes  suivants,  etc. 

Je  crois  en  avoir  dit  assez  pour  faire  juger  si ,  à 
l'époque  même  de  sa  conclusion,  le  traité  d'Utrecht  a 
pu  avoir  la  force  d'une  loi  générale  y  ou  consacrer 
des  principes  quelconques.  L'assertion  sèche  et  tran- 
chante, «  que  ce  traité  a  été  textuellement  renouvelé 
dans  tous  les  traités  subséquents,  »  se  trouve  si  com- 
plètement démentie  par  une  quantité  de  documents 
que  tout  le  monde  peut  consulter,  que  ceux  même 
qui  ont  le  mieux  suivi  la  marche  et  l'esprit  des  pu- 
blications officielles  du  gouvernement  français  , 
doivent  avoir  été  frappés  de  sa  témérité.  Le  fait  est 
que,  parmi  les  nombreux  traités  qui,  depuis  1713  jus- 
qu'à nos  jours,  ont  statué  sur  les  droits  maritimes  des 
différentes  nations,  on  n'en  rencontrera  pas  un  où  le 


•  Le  traité  que  les  villes  hanséatiques  obtinrent  de  la  France  en  1769 
fut  conforme  en  tout  à  celui  de  1716.  Mais  un  fait  plus  curieux  encore, 
parce  qu'il  touche  de  si  près  à  l'année  climatérique  de  1780,  c'est 
qu'une  convention  que  le  gouvernement  français  fit  signer  le  18  sep- 
tembre 1779  avec  le  duc  de  Meckîenbourg-Schwerin,  sanctionna  encore 
une  fois  toute  la  sévérité  des  anciennes  ordonnances,  et,  entre  autres, 
déclara  très-positivement  sujette  à  confiscation  toute  marchandise  enne 
mie ,  qui  se  trouverait  dans  un  bâtiment  neutre. 


—  13  — 

traité  d'Utrecht  soit  renouvelé,  confirmé,  ou  cité 
comme  modèle*.  Les  hommes  qui  négociaient  ces  trai- 
tés, savaient  bien  que  quelques  règles  purement  con- 
ventionnelles établies  en  1713  entre  la  France  et  l'An- 
2;leterre,  ou  la  France  et  la  Hollande,  n'étaient  point 
obligatoires,  ni  pour  des  puissances  que  ces  règles  ne 
regardaient  en  rien ,  ni  pour  celles  même  qui  en 
étaient  réciproquement  convenues,  dans  leurs  rapports 
politiques  avec  d'autres  États.  Sous  quel  titre  un  né- 
gociateur danois  eût-il  exigé  d'un  négociateur  anglais 
d'admettre  les  stipulations  d'Utrecht  comme  base  des 
droits  dont  le  pavillon  de  l'un  ou  de  l'autre  pays  joui- 
rait pendant  sa  neutralité?  Dans  les  bons  temps  de  la 
Diplomatie,  un  contre-sens  pareil  ne  serait  entré  dans 
la  tête  de  personne. 

Mais  quand  même  le  traité  d'Utrecht  aurait  été,  ce 
qu'il  ne  fut  certainement  pas,  le  résultat  formel  et  avoué 
d'une  délibération  commune  de  toutes  les  puissances 
sur  les  conditions  et  les  privilèges  de  la  neutralité  dans 
les  guerres  maritimes,  et  par  conséquent  un  véritable 
code  de  lois,  il  est  clair  que  les  révolutions  survenues 
dans  le  système  politique  depuis  1713  auraient  néces- 
sité, et  même  à  plusieurs  reprises,  une  révision  gé- 
nérale de  ce  code,  à  moins  d'abandonner  les  questions 
les  plus  importantes  et  les  plus  problématiques  à  la 
décision  des  armes  ou  à  des  arrangements  particuliers. 

Ce  n'est  pas  pour  renforcer  une  thèse  que  je  crois 

'  Le  seul  traité  du  xviii*  siècle  dans  lequel  le  traité  d'Utrecht, 
c'est-à-dire  l'une  ou  l'autre  des  conventions  particulières  sur  la  navi- 
gation et  le  commerce,  signées  à  la  suite  du  principal  et  véritable  traité 
d'Utrecht ,  se  trouve  nommé,  est  un  traité  fait  entre  la  France  et  la 
Hollande,  en  <739.  Mais  il  faut  voir  à  quel  propos  et  dans  quel  sens. 
C'est  parce  que  «  le  traité  de  commerce  conclu  à  Utrecht,  etc.  pour  vingt- 
cinq  années  étant  expiré  le  il  d'avril  de  l'année  dernière,  les  deux 
puissances,  etc.,  etc.  »  Étrange  phénomène,  qu'une  loi  commune  de^ 
nations  qui  expire  9près  un  rè^v.Q  de  vingt-cinq  ans!  _ 


—  u  — 

suffisamment  établie ,  mais  pour  l'éclaircir  et  la  dé- 
velopper, que  j'ajouterai  les  observations  suivantes 
sur  quelques-uns  des  principaux  changements  qui 
ont  eu  lieu  depuis  un  siècle  par  rapport  aux  intérêts 
respectifs  des  puissances  neutres  et  des  puissances 
belligérantes  dans  les  guerres  de  mer. 

Lorsque  le  traité  d'Utrechtfut  signé,  plusieurs  États, 
aujourd'hui  d'une  influence  majeure,  n'existaient  pas, 
ou  n'avaient  point  pris  leur  rang  parmi  les  puissances 
maritimes.  Je  ne  citerai  que  la  Riissie  et  les  États- 
Unis  de  r Amérique.  Toutes  les  grandes  discussions  sur 
les  droits  du  pavillon  neutre ,  qui  ont  occupé  et  agité 
l'Europe  depuis  trente  ans,  furent  amenées  par  l'une 
ou  l'autre  de  ces  deux  puissances.  Or,  quel  que  fût  le 
fondement  de  leurs  prétentions,  il  serait  extravagant 
de  soutenir  que  la  Russie  ou  les  Etats-Unis  de  V Améri- 
que eussent  pu  faire  valoir  contre  la  France^  V Espagne, 
V Angleterre,  etc.,  les  principes  d'un  traité  qui  avait 
précédé  leur  maturité,  ou  même  leur  naissance  poli- 
tique. 

D'un  autre  côté,  à  mesure  que  le  commerce  des  na- 
tions s'est  augmenté  ;  que  la  sphère  de  leur  navigation 
s'est  étendue;  que  de  nouveaux  rapports  ont  été  créés, 
non-seulement  entre  les  pays  voisins ,  mais  entre  les 
points  du  globe  les  plus  éloignés  l'un  de  l'autre;  que 
la  guerre  maritime  considérée  comme  guerre  commer- 
ciale a  acquis  une  importance  égale  et  quelquefois 
supérieure  à  celle  de  la  guerre  continentale,  dont  elle 
n'était  autrefois  qu'un  accessoire  :  les  questions  rela- 
tives aux  droits  des  neutres  dans  cette  guerre  se  sont 
multipliées,  compliquées,  agrandies,  ont  présenté  de 
nouvelles  faces  et  des  problèmes  jadis  inconnus.  A 
l'époque  du  traité  d'Utrecht ,  par  exemple ,  et  même 
quarante  ans  plus  tard,  personne  n'avait  songé  à  exa- 
miner ou  à  déterminer  jusqu'où  pouvait  s'étendre  le 


—  15  — 

droit  d'un  État  neutre  de  faire  le  commerce  avec  les 
colonies  d'une  puissance  belligérante.  Ce  n'est  que 
dans  la  guerre  de  1756  que  cette  grande  et  épineuse 
question  fut  discutée  pour  la  première  fois  entre  l'An- 
gleterre et  la  Hollande.  Aucun  traité  ne  la  décida  alors, 
et  quoique,  dans  la  guerre  allumée  par  la  Révolution 
de  France,  elle  ait  reparu  avec  plus  de  force  que  jamais, 
et  soit  devenue  l'objet  capital  des  discussions  entre 
l'Angleterre  et  les  Etats-Unis  de  l'Amérique,  aucun 
traité  ne  l'a  décidée  jusqu'à  ce  jour.  La  question  si 
des  bâtiments  neutres  convoyés  par  un  vaisseau  de 
guerre  étaient  sujets  à  la  Visitation,  eut  à  peu  près  le 
même  sort.  Elle  avait  été  partiellement  agitée  entre 
la  Hollande  et  la  Suède  en  1 742,  et  entre  l'Angleterre 
et  la  Hollande  en  1762;  mais  on  l'avait  passée  sous 
silence  dans  le  fameux  acte  de  neutralité  armée  de  1 780  ; 
ce  n'est  qu'en  1 800  que  pour  la  première  fois  elle  fut 
mise  en  avant  d'une  manière  formelle  et  péremptoire  j 
et  le  traité  de  Pétersbourg  du  17  juin  1801  fut  le  pre- 
mier qui  essaya  de  la  fixer  entre  l'Angleterre  et  les 
puissances  maritimes  du  Nord  '. 

Mais  ce  qui,  dans  les  grands  événements  de  la  der- 
nière partie  du  siècle  passé,  a  plus  influé  que  toute 
autre  cause  directe  sur  les  rapports  entre  les  belligé- 
rants et  les  neutres,  c'est  le  changement  qui  s'est  opéré 
dans  les  forces  respectives  des  deux  puissances  prin- 
cipalement intéressées  à  toute  question  de  Droit  mari- 
time. Ce  que  nous  avons  à  dire  sur  les  effets  de  ce 
changement  nous  conduira  directement  à  l'examen  des 
accusations  portées  contre  le  gouvernement  anglais, 
«  pour  avoir  substitué  aux  maximes  du  Droit  public 
des  règles  arbitraires  et  tyranniques.  » 


'  Sur  le  Congrès  de  Saint-Pétersbourg  et  les  conventions  qui  s'en- 
suivirent, voy.  t.  VI,  p.  377  de  cette  Histoire  des  Traités. 


—  16  — 


S  3. 


Depuis  la  guerre  pour  la  succession  d'Espagne,  et 
notamment  depuis  la  bataille  navale  de  la  Hogue ,  la 
marine  française  s'est  trouvée  dans  un  état  de  déca- 
dence progressive.  Le  rétablissement  de  cette  marine 
ayant  été  négligé  sous  la  longue  et  paisible  admi- 
nistration du  cardinal  de  Fleury,  la  France,  dans  la 
guerre  de  1756  et  après  la  paix  de  1763,  ne  put  plus 
se  dissimuler  que  la  supériorité  maritime  était  acquise 
à  l'Angleterre.  Dans  la  guerre  pour  l'indépendance  de 
l'Amérique,  les  forces  navales  de  la  France  se  relevè- 
rent momentanément;  mais  bientôt  les  désordres  de 
la  Révolution  et  l'ascendant  irrésistible  de  la  marine 
britannique  achevèrent  de  les  paralyser.  Une  pareille 
situation  devait  inspirer  à  la  France  un  attachement 
décidé  pour  tout  ce  qui  tenait  à  la  cause  de  la  neutralité 
maritime,  attachement  qui  ne  pouvait  que  s'accroître 
avec  le  sentiment  de  sa  propre  faiblesse.  Par  la  nature 
des  choses,  la  navigation  neutre,  considérée  sous  le  rap- 
port du  commerce,  est  un  puissant  appui  pour  la  partie 
faible,  et  un  contre-poids  sensible  à  la  prépondérance  de 
la  partie  forte  dans  les  guerres  maritimes.  Les  hommes 
éclairés  n'auraient  jamais  été  dupes  de  ces  grandes 
protestations  philanthropiques  dont  le  gouvernement 
français  remplissait  le  monde  en  faveur  d'un  système 
qui  touchait  de  bien  plus  près  à  ses  propres  intérêts 
qu'à  ceux  de  la  neutralité  maritime.  Cependant  per- 
sonne ne  lui  aurait  reproché  sa  prédilection  naturelle 
pour  ce  système,  personne  ne  lui  aurait  fait  le  procès 
pour  avoir  encouragé,  fomenté,  prôné  toute  réclama- 
tion, tout  acte  public,  toute  confédération  juste  ou  in- 
juste, tendant  à  favoriser  la  navigation  et  le  commerce 
des  neutres  aux  dépens  d'un  rival  redoutable.  Jusqu'au 


—  17  — 

cri  banal  de  liberté  des  mers ,  quoique  toujours  dé- 
placé ou  perfide,  parce  qu'il  confond,  soit  par  igno- 
rance, soit  par  mauvaise  foi,  des  objets  totalement 
distincts ,  lui  aurait  été  pardonné  comme  ruse  de 
guerre.  Mais  lorsque,  sous  prétexte  de  défendre  les 
droits  mal  définis  des  neutres,  ce  gouvernement  a 
envahi  les  droits  les  plus  clairs  et  les  plus  sacrés  de 
ses  voisins,  lorsqu'il  s'est  servi  de  ce  cri  de  liberté  des 
mers  pour  écraser  systématiquement  toute  espèce  de  li- 
berté sur  la  terre,  lorsque,  après  avoir  lui-même  dé- 
claré criminel,  proscrit,  et  anéanti  tout  ce  qui  pré- 
tendait à  un  reste  de  neutralité,  il  a  évoqué  le  fantôme 
de  cette  neutralité  pour  justifier  les  démarches  les 
plus  épouvantables,  c'est  alors  que  le  sourire  qu'exci- 
tait autrefois  le  charlatanisme  de  sa  protection  offi- 
cieuse, a  dû  faire  place  à  l'indignation  et  à  Ihorreur. 
De  même  que  la  France,  comme  partie  faible  dans 
les  guerres  maritimes ,  était  intéressée  à  favoriser  les 
neutres,  l'Angleterre,  forte  et  victorieuse  sur  mer, 
avait  un  intérêt  évident  à  soutenir  les  droits  des  puis- 
sances belligérantes  *.  Ces  droits  sont  dans  une  infi- 
nité de  cas  en  contradiction  directe  avec  ceux  des  neu- 
tres; les  traités,  sources  et  organes  de  toute  législation 
entre  des  États  indépendants,  sont  aussi  le  seul  moyen 
imaginable  pour  aplanir  cette  contradiction.  11  ne  peut 

'  Le  cosmopolitisme  de  nos  jours  a  consacré  l'opinion  tout  à  fait  ab- 
surde qu'un  homme  juste  et  soi-disant  impartial  doit  toujours  se  ranger 
du  côté  des  neutres  et  regarder  les  puissances  belligérantes  comme  les 
oppresseurs  naturels  de  ces  victimes  innocentes.  Un  grand  pubiiciste 
du  XVI'  siècle  a  déjà  combattu  cette  chimère,  en  relevant  avec  une  sa- 
gacité admirable  la  différence  entre  l'intérêt  d'un  pays  neutre  et  celui 
d'un  pays  en  guerre.  Il  dit:  «  Lucrum  illi  commerciorum  sibi  perire 
nolunt.  Belligérantes  nolunt  fieri,  quod  contra  salutem  suam  est.  Jus 
commerciorum  œquum  est;  at  hoc  œquius  tuendae  salutis;  est  illud 
privatorum,  hoc  est  regnorum.  Cedat  ergo  regno  mercatura  ,  pecunia 
saluti  !  »  Albericus  Gentilis,  De  jure  belli.  —  Voilà  la  philosophie  et 
la  philanthropie  d'un  homme  d'État. 

XI  2 


—  18  — 

y  avoir  de  limite  légale  ni  au  droit  d'une  puissance  bel- 
ligérante, ni  à  celui  d'une  puissance  neutre,  que  celle 
qu'elles   se    sont    réciproquement  imposée  par  des 
traités,   et  aucune  des   deux   n'abuse  de  son   droit 
qu'autant  qu'elle  agit  contre  les  traités.  Le  gouver- 
nement anglais  les  a  constamment  respectés.  Dans 
les  coalitions  hostiles  dirigées  contre  ce  gouverne- 
ment en  1780  et  1800,  dans  ses  longs   et  pénibles 
débats  avec  les  États-Unis  de  l'Amérique,  dans  les  dia- 
tribes mêmes  de  son  ennemi  mortel,  la  seule  arme 
dont  on  ne  se  soit  jamais  servi,  était  l'appel  à  des  con- 
ventions positives.  De  n'avoir  pas  voulu  se  relâcher 
sur  des  traités  que  les  neutres  et  leurs  protecteurs  ne 
jugeaient  plus  convenables  à  leurs  intérêts,  ou  bien 
de  n'avoir  pas  voulu,  à  chaque  nouvelle  prétention  des 
neutres,  se  lier  par  quelque  nouveau  traité  sur  des 
points  que  les  anciens  avaient  laissés  indécis ,  ce  se- 
raient là  les  seuls  torts  de  l'Angleterre,  s'il  était  possi- 
ble de  lui  en  trouver.  Ses  amis  mêmes,  en  discutant 
ces  matières,  lui  ont  quelquefois  reproché,  non  pas  un 
manque  de  loyauté,  mais  un  manque  de  générosité 
envers  les  neutres.  Je  n'examinerai  point  si,  dans  d'au- 
tres temps,  et  dans  d'autres  circonstances,  il  eût  été 
facile  de  justifier  ce  reproche.  Je  sais  bien  qu'appli- 
qué à  la  situation  où  l'Angleterre  s'est  trouvée  dans 
la  guerre  actuelle,  il  est  d'une  injustice  choquante. 
Quoi!   engagée  dans  un  combat  à  mort,  vis-à-vis 
d'un  ennemi  qui  a  mille  fois  proclamé  que  son  exis- 
tence est  incompatible  avec  la  sûreté  et  la  prospérité 
du  continent,  réduite  à  ses  moyens  individuels  par  la 
désertion  ou  l'asservissement  de  tous  ses  anciens  alliés, 
l'Angleterre  devait  encore  faire  des  sacrifices  gratuits? 
Voyant  quel  parti  la  France  savait  tirer  de  la  naviga- 
tion neutre,  voyant  que  c'était  cette  navigation  qui 
protégeait  ses  ennemis  contre  les  effets  de  sa  supériorité 


—  19  — 

maritime,  elle  devait  de  son  propre  chef,  ou,  puisque 
tel  était  le  bon  plaisir  de  ses  adversaires,  resserrer  la 
sphère  des  droits  que  ces  traités  lui  avaient  conservés, 
ou  en  accorder  aux  neutres  au  delà  de  ce  que  les  trai- 
tés avaient  consacré?  Il  me  semble  que  le  gouverne- 
ment anglais,  en  se  soumettant  aux  stipulations  posi- 
tives qui  fixaient  pour  telle  ou  telle  puissance  l'exercice 
de  sa  neutralité  légale,  et  en  adoptant  pour  les  points 
que  les  traités  n'avaient  pas  déterminés  un  système 
dans  lequel  l'intérêt  suprême  de  sa  propre  conservation 
était  combiné,  autant  que  possible,  avec  les  avantages 
réclamés  par  les  neutres,  avait  satisfait  non-seulement 
à  ses  devoirs  rigoureux,  mais  à  tout  ce  que  l'équité, 
la  générosité  et  les  égards  pour  les  intérêts  d'un  tiers 
pouvaient  exiger. 

Ce  système,  pour  tout  dire  en  un  mot,  aurait  fini 
par  contenter  les  neutres,  si  on  leur  avait  laissé  le 
temps  et  la  liberté  de  consulter  leurs  vrais  intérêts;  et 
c'est  un  fait  que  l'histoire  saura  maintenir  contre  tous 
les  mensonges  postérieurs,  qu'au  moment  ou  V ennemi 
de  V Angleterre  lançait  contre  elle  ses  premiers  arrêts  de 
•proscription f  la  question  de  la  neutralité  maritime  avait 
cessé  d'agiter  les  Cabinets,  et,  à  l'exception  de  quelques 
discussions  peu  orageuses  entre  l'Angleterre  et  les 
Américains,  n'occupait  plus  que  les  tribunaux  et  les 
spéculateurs  mercantiles*.  Le  traité  de  Pétersbourg 

'  Use  trouve  à  cet  égard  un  aveu  remarquable  dans  le  rapport  même 
qui  a  donné  lieu  à  ces  observations.  Il  y  est  dit  qu'à  l'époque  de  la 
paix  d! Amiens  «  la  législation  maritime  reposait  encore  sur  ses  ancien- 
nes bases.  »  Mon  objet  ne  saurait  être  de  relever  les  défauts  de  logi- 
que ,  de  raisonnement  et  d'ensemble  dans  une  pièce  où  la  vérité  et  les 
faits  sont  traités  avec  si  peu  de  cérémonie.  Mais  il  est  certain  que  cet 
appel  inattendu  à  l'époque  de  1803,  tout  en  trahissant  la  plus  profonde 
ignorance  sur  l'état  de  la  question ,  admet  ce  qu'un  ministre  de  France 
aurait  toujours  dû  contester  :  que  la  discussion  des  droits  maritimes 
était  fermée  à  cette  époque  ;  circonstance  qui  figurerait  beaucoup  mieux 
«lans  un  manifeste  britannique. 


—  20  — 

de  1 801 ,  et  l'accession  des  Cours  de  Copenhague  et  de 
Stockholm  à  ce  traité  avaient  mis  un  terme  à  toutes  les 
disputes  entre  l'Angleterre  et  les  puissances  du  Nord. 
La  Prusse,  sans  avoir  eu  part  à  ce  traité,  profitait  ce- 
pendant, et  grandement,  de  tout  ce  qu'il  contenait  de 
favorable  aux  neutres.  On  peut  donc  soutenir,  sans 
crainte  d'un  démenti  quelconque,  que  pour  l'Europe 
la  question  de  la  neutralité  maritime  était  jugée  et  ex- 
pédiée autant  qu'elle  pouvait  l'être  au  milieu  des  ora- 
ges de  la  guerre.  Quant  aux  États-Unis  de  l'Amérique, 
il  est  vrai  que,  grâce  à  la  funeste  influence  de  la  fac- 
tion française,  qui  avait  empêché  la  ratification  com- 
plète du  sage  traité  négocié  par  M.  Jay  en  J794,  plu- 
sieurs articles  d'une  grande  importance,  et  notamment 
celui  du  commerce  neutre  intermédiaire  entre  les  co- 
lonies d'une  puissance  belligérante  et  la  métropole  ne 
se  trouvaient  pas  positivement  décidés,  et  restaient 
dans  le  vague  de  ce  qu'on  veut  bien  appeler  le  Droit 
des  gens  naturel,  c'est-à-dire  que  le  plus  fort  était  in- 
dubitablement autorisé  à  les  résoudre  d'après  sa  vo- 
lonté et  ses  intérêts.  Cependant  le  gouvernement  an- 
glais, loin  de  se  prévaloir  du  silence  des  traités,  pour 
déclarer  illégal  tout  commerce  que  les  négociants  de 
l'Amérique  feraient  avec  les  colonies  de  ses  ennemis, 
se  contenta  de  régler  ce  commerce  par  les  restrictions 
les  moins  onéreuses  pour  les  neutres.  L'ordre  du  Con- 
seil du  24  juin  1 803  enjoignit  aux  commandants  des 
vaisseaux  de  guerre  et  aux  armateurs  «  de  ne  saisir 
aucun  bâtiment  neutre  employé  au  commerce  direct 
entre  les  colonies  de  l'ennemi  et  le  pays  neutre  auquel 
appartenait  le  bâtiment,  pourvu  que  la  cargaison  fût 
la  propriété  d'un  habitant  de  ce  pays.  »  Cette  instruc- 
tion, déjà  assez  favorable,  fut  encore  incalculablement 
étendue  par  les  principes  adoptés  dans  les  cours 
d'Amirauté  de  Londres,  d'après  lesquels,  lorsqu'un 


—  21   — 

Lâtiment  américain  avait  porté  en  Amérique  une  car- 
gaison de  marchandises  coloniales  d'une  des  colonies 
de  l'ennemi,  il  suffisait  que  cette  cargaison  eût  été  dé- 
barquée (en  effet  ou  en  apparence)  dans  quelque  port 
des  États-Unis  ,  pour  la  faire  passer  immédiatement 
après  dans  les  ports  du  pays  ennemi  en  Europe.  Les 
fraudes  innombrables  auxquelles  cet  excès  de  libéra- 
lité avait  donné  lieu ,  forcèrent  enfin  les  tribunaux 
britanniques  (au  mois  de  juillet  1805)  de  déclarer  que 
le  fait  seul  du  débarquement  momentané  dans  un  port 
des  États-Unis,  et  du  payement  des  droits  pour  la  car- 
gaison, ne  serait  plus  regardé  comme  preuve  suffisante 
de  la  légalité  du  voyage  d'un  bâtiment  portant  des  mar- 
chandises coloniales  aux  pays  ennemis  en  Europe,  ou 
des  marchandises  des  pays  ennemis  en  Europe  à  leurs 
colonies.  Mais,  à  cette  modification  près,  rien  ne 
changea  dans  la  marche  des  tribunaux;  l'instruction 
de  1803  ne  fut  point  abrogée;  la  liberté  générale  des 
négociants  américains  de  commercer  avec  les  colonies 
hostiles  dans  toutes  les  parties  du  monde  d'un  côté, 
et  leurs  ports  en  Europe  de  l'autre,  resta  intacte,  et 
l'Océan  ne  cessa  de  se  couvrir  de  vaisseaux  neutres, 
trafiquant  pour  le  compte  des  ennemis  de  l'Angleterre', 

*  D'après  les  registres  des  douanes  publiés  en  Amérique,  les  habi- 
tants de  celte  nation  avaient  introduit  en  Europe,  dans  l'année  finissant 
le  dernier  septembre  1806  ,  une  quantité  de  sucre  et  de  café ,  égale  au 
produit  de  toutes  les  possessions  françaises  et  espagnoles  dans  le  golfe 
de  Mexique.  L'île  de  (2uba  seule  leur  avait  fourni  un  million  soixante- 
quinze  mille  quintaux  de  sucre.  Pas  la  dixième  partie  de  celte  exporta- 
tion ne  fut  légalement  acquise  par  les  Américains  ;  pour  tout  le  reste  , 
ils  n'étaient  absolument  que  les  facteurs  et  colporteurs  des  puissances 
en  guerre. 

Pour  se  former  une  idée  juste  de  l'énormilé  des  abus  de  celte  navi- 
gation ,  des  avantages  que  les  ennemis  et  les  neutres  en  tiraient,  des 
pertes  immenses  qui  en  résultaient  pour  l'Angleterre,  de  l'esprit  de  jus- 
tice et  de  modération  de  ces  tribunaux  de  l'Amirauté  ,  décriés  et  flétris 
sur  le  continent  par  les  plus  indignes  calomnies,  enfin  de  la  noire  ingra- 


—  22  — 

Il  est  tout  simple  qu'en  dépit  d'une  conduite  aussi 
mesurée,  l'avidité  insatiable  de  quelques  individus,  le& 
pertes  bien  méritées  que  d'autres  avaient  faites  par 
des  spéculations  notoirement  illégales,  l'esprit  de  parti 
nourri  par  le  langage  habituel  des  feuilles  françaises, 
et  par  les  déclarations  d'une  foule  de  plats  écrivains 
qui  s'étaient  enrôlés  dans  la  cause  de  la  neutralité  ma- 
ritime, ne  cessaient  d'ameuter  l'opinion  publique  con- 
tre le  despotisme  du  gouvernement  anglais.  Mais  le* 
hommes  justes  et  éclairés  dans  l'un  et  l'autre  continent, 
et  particulièrement  dans  les  endroits  où  on  pouvait  le 
mieux  juger  les  besoins  et  les  intérêts  du  commerce^ 
savaient  apprécier  ces  clameurs.  Si  l'on  eût  pu  se 
tromper  sur  les  principes  et  sur  les  mesures  adop- 
tés de  part  et  d'autre,  les  effets,  au  moins,  parlaient 
trop  éloquemment,  pour  ne  pas  écraser  toutes  les  ca- 
lomnies. Les  négociants  de  Copenhague ,  de  Gothen- 
bourg,  de  Pétersbourg,  de  Riga,  de  Kœnigsberg,  de 
Dantzig,  de  Hambourg,  d'Embden,  comme  ceux  des 
ports  et  des  villes  commerçantes  de  toutes  les  côtes  des 
États-Unis  de  l'Amérique  voyaient  bien  ce  que  c'était 
que  ce  joug  de  fer  que  l'Angleterre  imposait  à  la  navi- 
gation neutre.  Partout  d'immenses  richesses  s'accu- 
mulèrent sous  ce  régime  si  décrié;  dans  les  temps  les 
plus  florissants  de  l'Europe,  le  commerce  de  la  plupart 
de  ces  villes  n'avait  été  ni  plus  actif  ni  mieux  récom- 
pensé ;  leur  prospérité,  malheureusement  à  la  veille  de 
sa  chute,  se  communiquait  à  l'intérieur  des  pays,  ra- 
nimait l'agriculture,  les  fabriques,  toutes  les  branches 

titude  des  Américains,  et  de  la  nullité  de  leurs  principaux  griefs  contre 
le  gouvernement  anglais,  on  n'a  qu'à  lire  un  ouvrage  publié  en  automne 
4805  par  un  des  premiers  jurisconsultes  et  publicistes  de  l'Angleterre, 
M.  Stephen,  sous  le  titre  de  War  in  disguise  (  or  the  frauds  of  the  neu- 
tral  flags.  London,  1806).  L'importance  des  faits  et  la  force  des  argu- 
ments contenus  dans  cet  ouvrage  lui  assignent  un  rang  distingué  parmi 
les  écrits  politiques  de  notre  temps. 


—  23  — 

de  l'industrie,  se  faisait  sentir  dans  les  parties  les  plus 
séquestrées  du  continent,  dans  les  vastes  plaines  de 
la  Pologne  et  de  la  Russie,  dans  les  vallées  des  Hautes- 
Alpes,  comme  dans  les  champs  et  les  ateliers  de  la 
Saxe,  de  l'Autriche,  de  la  Prusse.  Quand  on  se  de- 
mande comment  l'Europe  a  pu  résister  si  longtemps 
à  tant  de  fléaux  réunis  qui  pèsent  sur  elle,  sans  tom- 
ber dans  un  appauvrissement  total,  la  solution  de  ce 
problème  ne  se  trouve  que  dans  ce  grand  fonds  d'opu- 
lence, dans  ces  ressources  toujours  renaissantes  qui, 
malgré  les  ravages  des  guerres  et  des  révolutions,  lui 
étaient  assurées  par  ses  communications  avec  l'An- 
gleterre ,  et  par  ce  même  commerce  maritime  que 
celle-ci  doit  avoir  cruellement  opprimé. 

Tel  était  le  vrai  état  des  choses ,  lorsque  le  décret 
du  21  novembre  1 806 ,  connu  sous  le  nom  de  décret 
de  Berlirif  déclara  les  Iles  Britanniques,  non-seulement 
en  état  de  blocus,  mais  exclues  de  toute  espèce  de  com- 
munauté sociale,  et  retranchées,  pour  ainsi  dire,  du 
corps  des  peuples  civilisés. 

Ce  décret,  le  plus  audacieusement  injuste  dont  This- 
toire  conserve  le  souvenir',  on  entreprend  de  le  justifier 
aujourd'hui  comme  un  acte  purement  défensif,  comme 
une  simple  mesure  de  représailles,  provoquée  par  les 
attentats  du  gouvernement  anglais.  «  Le  décret  de  Ber- 
lin, dit  le  rapport,  répondit  à  la  déclaration  de  1806. 
Le  blocus  des  Iles  Britanniques  fut  opposé  au  blocus 
imaginaire  établi  par  l'Angleterre.  » 

'  Le  fameux  décret  du  Directoire  du  22  nivôse  1797  n'était  après  tout 
qu'un  jeu  d'enfants  en  comparaison  de  celui-ci.  Il  ordonnait  la  confisca- 
tion de  chaque  vaisseau  qui  porterait  une  seule  pièce  de  marchandise 
anglaise,  mais  il  n'attaquait  pas  le  commerce  dans  ses  racines.  Il  fit 
beaucoup  de  mal  aux  individus,  mais  il  ne  tarissait  pas  dans  les  trois 
quarts  du  continent  toutes  les  sources  de  prospérité  publique  et  privée. 
Enfin,  il  supposait  au  moins  une  force  maritime  quelconque;  celui  de 
Berlin  n'était  absolument  calculé  que  sur  les  progrès  irrésistibles  d'un 
système  d'envahissement  et  d'oppression. 


—  24  — 

Que  le  décret  de  Berlin ,  prototype  fatal  d'un  nou- 
veau genre  d'hostilités,  cause  première  d'une  succes- 
sion de  maux  dont  le  dernier  terme  échappe  à  l'ima- 
gination comme  au  calcul,  a  porté  un  coup  mortel  à 
l'Europe,  personne  ne  s'avisera  de  le  nier.  Si  ce  dé- 
cret funeste  a  été  provoqué  par  la  déclaration  de  1 806, 
les  auteurs  de  celle-ci  sont  sans  contredit  hautement 
responsables  de  tout  ce  que  le  décret  de  Berlin  a  en- 
traîné de  calamités  et  d'horreurs.  Mais  quelle  était 
donc  cette  déclaration  de  1806?  En  croirons-nous 
le  gouvernement  français  sur  sa  parole?  Quelle  que 
soit  l'indifférence  ou  la  légèreté  coupable  avec  la- 
quelle les  lecteurs  de  toutes  les  classes  reçoivent  au- 
jourd'hui les  manifestes  de  ce  gouvernement,  sans  les 
examiner,  sans  les  méditer,  sans  vérifier  aucun  fait, 
aucune  date,  sans  les  confronter  avec  ce  qui  s'est 
passé  sous  les  yeux,  sans  employer  enfin  les  moyens 
les  plus  simples  pour  empêcher  au  moins  que  la  vé- 
rité ne  soit  maltraitée  dans  l'asile  de  leur  propre  con- 
science, refuserons-nous  cependant  quelques  moments 
d'attention  et  de  recherche  à  une  question  de  cette 
extrême  importance,  ou  l'abandonnerons-nous,  comme 
tant  d'autres,  au  jugement  définitif  du  tribunal  le 
plus  suspect  qui  ait  jamais  prononcé  dans  sa  propre 
cause? 

Le  blocus  par  merdes  places  occupées  par  l'ennemi 
est  une  des  opérations  dont  la  sphère  a  dû  naturelle- 
ment s'agrandir  avec  les  moyens  et  les  forces  dispo- 
nibles des  puissances  maritimes.  Autrefois  on  bloquait 
un  port  pour  quelque  but  passager  ou  local,  pour 
s'emparer  des  vaisseaux  qui  s'y  trouvaient,  pour  re- 
tenir une  escadre  qui  avait  le  projet  d'en  sortir,  pour 
couper  les  moyens  de  défense  à  une  ville  qu'il  s'agis- 
sait de  prendre.  Dans  des  vues  plus  vastes  et  plus 
combinées,  on  bloquera  aujourd'hui  une  vingtaine  de 


—  25  — 

ports  à  la  fois*.  La  légalité  ou  l'illégalité  d'une  entre- 
prise ne  peut  pas  dépendre  de  la  grandeur  de  l'échelle 
sur  laquelle  elle  est  placée.  Par  quels  sophismes  con- 
testerait-on à  une  puissance  continentale  le  droit  d'at- 
taquer un  ennemi  sur  chaque  point  de  ses  possessions 
en  même  temps,  si  elle  a  un  nombre  de  troupes  suf- 
fisantes pour  exécuter  ce  plan?  Écouterait-on  dans 
une  occasion  pareille  les  vaines  protestations  d'un 
voisin  neutre?  11  en  est  de  même  du  blocus  maritime 
des  côtes.  La  définition  que  les  plus  zélés  avocats  des 
neutres  ont  donnée  d'une  place  bloquée,  que  c'est 
M  celle  dans  laquelle  un  bâtiment  étranger  ne  pourrait 
essayer  d'entrer  sans  s'exposer  à  un  danger  réel,  » 
n'est  point  du  tout  inapplicable  à  une  réunion  de  ports 
sur  la  même  côte.  Tout  dépend  de  la  mesure  des 
forces  dont  une  puissance  peut  disposer  pour  l'exécu- 
tion réelle  d'un  dessein,  légal  en  lui-même.  Or,  sans 
entrer  dans  des  calculs  de  détail  sur  ce  qu'il  faut  de 
bâtiments  de  guerre  pour  bloquer  tant  et  tant  de  places, 
et  telle  ou  telle  étendue  de  côtes,  il  est  évident  que, 
si  les  différents  blocus  auxquels  l'Angleterre  a  eu  re- 
cours, n'avaient  pas  été  constamment  appuyés  de 
forces  considérables  et  suffisantes,  les  ennemis  aussi 
bien  que  les  neutres,  au  lieu  de  crier  contre  ces 
blocus,  s'en  seraient  moqués,  comme  d'une  pure  fan- 
faronnade. L'effect  direct  et  visible  qui  a  accompagné 

'  La  même  chose  a  cependant  eu  lieu  dans  des  temps  où  les  forces 
navales  des  puissances  étaient  fort  inférieures  à  ce  qu'elles  sont  deve- 
nues plus  tard.  Les /foi/ondats,  parunéditdu  26  juin  <630,  déclarè- 
rent en  état  de  blocus  toutes  les  côtes  et  rivières  de  la  Flandre.  Bync- 
KERSHOEK  (unedes  grandes  autorités  du  commencement  du  xviu« siècle) 
en  citant  et  défendaut  cet  édit,  y  ajoute  même  un  exemple  plus  ancien. 
«  Idem  plane  jamo/»m  tempore  noscentis  reipublicœ  sancilum  fuerat. 
Ex  edicto  ordinum  Hollandia;  27  jul.  -loSi,  exteri  nonhostes  ad  port  us 
Flandriœ  commeantes  navium  mercÀtmque  publicatione  puniuntur.  » 
Quest,  Jur.  Publ.,  L.  I,  c.  ii. 


—  26  — 

ces  mesures,  que  d'ailleurs  ne  réprouvait  aucun  prin- 
cipe de  Droit  public,  était  la  preuve  de  leur  réalité'. 

Mais  il  ne  suffit  pas,  pour  la  justification  d'une 
mesure,  qu'elle  n'ait  aucun  caractère  d'illégalité  ou 
d'injustice  directe.  Le  droit  le  plus  indubitable  en  lui- 
même  peut  devenir  un  instrument  d'oppression.  On 
peut  en  faire  un  usage  tellement  outré,  tellement  ré- 
voltant, que  ceux  qui  en  souffriraient  seraient  au 
moins  complètement  excusables,  en  saisissant  tout 
ce  qui  se  trouverait  à  leur  portée,  pour  déjouer  ou 
repousser  ouvertement  des  actes  incompatibles  avec 
leurs  premiers  intérêts.  La  déclaration  de  1806  se 
trouvait-elle  peut-être  dans  cette  catégorie? 

Cette  déclaration  prononça  le  blocus  contre  les 
côtes,  ports  et  rivières  depuis  l'Elbe  jusqu'à  Brest; 
mais  la  seule  partie  de  ces  côtes  qu'elle  désigna  comme 
rigoureusement  bloquée  était  celle  comprise  entre  Os- 
tende  et  V embouchure  de  la  Seine.  Elle  l'avait  été  depuis 
longtemps;  et  je  présume  que  le  partisan  le  plus  dé- 
terminé du  gouvernement  français ,  s'il  veut  se  rap- 
peler pourquoi  elle  l'était,  que  c'est  dans  les  ports 
compris  dans  ce  blocus  rigoureux,  que  se  firent  pen- 
dant plusieurs  années  les  vastes  préparatifs  pour  une 
descente  dans  les  Iles  Britanniques,  ne  se  permettrait 
pas  de  blâmer  cette  mesure.  Quant  aux  ports  de  l'Al- 
lemagne septentrionale  (et  même  de  la  Hollande),  la 
déclaration  portait  «  que  l'entrée  et  la  sortie  de  ces 

'  L'interdiction  générale  de  tout  commerce  avec  un  grand  pays  dif- 
fère essentiellement  du  blocus  de  ses  ports  et  de  ses  côtes,  en  ce  qu'elle 
prétend  s'exécuter  sans  l'emploi  direct  d'aucune  force  disponible,  et  as- 
sujettit ainsi  tous  ceux  qui  sont  étrangers  à  la  guerre ,  à  un  simple  acte 
de  volonté  absolue  de  la  part  d'un  belligérant.  Tel  fut  le  principe  du  dé- 
cret de  Berlin,  tel  aussi  le  principe  des  ordres  du  Conseil  Britannique 
du  mois  de  novembre  1 807  que  ce  décret  avait  fait  naître.  Aucune  trace 
d'une  prétention  pareille  ne  se  trouvera  dans  les  actes  du  gouvernement 
anglais,  antérieurs  à  ces  ordres  du  Conseil. 


—  27  — 

ports  ne  sera  point  défendue  aux  vaisseaux  neutres, 
pourvu  que  ceux  qui  arrivent,  n'aient  été  frétés,  ou 
ceux  qui  sortent  ne  soient  destinés  à  se  rendre  dans  un 
des  ports  de  l'ennemi,  et  que  leur  cargaison  ne  consiste 
ni  en  propriétés  de  l'ennemi,  ni  en  contrebande  de 
guerre.  »  C'est  ainsi  que  la  déclaration  du  1 6  mai  1 806 
u  anéantit  d'un  seul  mot  les  droits  de  tous  les  États  mari- 
times, »  et  que,  «  du  moment  de  cette  déclaration,  l'An- 
gleterre ne  reconnut  plus  de  neutres  sur  les  mers  !  » 

Voyons  maintenant  ce  qui  avait  amené  cette  décla- 
ration, et  comment  elle  fut  jugée  dans  son  temps.  La 
Prusse,  à  l'instigation  de  la  France,  s'était  emparée 
de  tous  les  pays  composant  l'Électorat  de  Hanovre ,  et, 
avant  même  que  cet  acte  d'iniquité  fût  pleinement 
consommé,  avait  notifié  par  un  ordre  du  28  mars  1 806 
«  que ,  d'après  un  traité  conclu  entre  le  roi  de  Prusse 
et  l'empereur  des  Français ,  l'entrée  des  ports  de  la 
mer  du  Nord  et  des  rivières  qui  se  jettent  dans  cette 
mer,  serait  fermée  à  la  navigation  et  au  commerce 
britanniques ,  et  qu'on  procéderait  aux  arrangements 
nécessaires  pour  empêcher  toute  importation  et  tout 
passage  des  marchandises  anglaises.  »  C'est  cette  me- 
sure hostile  qui  amena  la  déclaration  du  16  mai.  Ce 
n'est  point  contre  les  neutres,  c'est  contre  la  Prusse, 
agissant  de  concert  avec  la  France ,  et  excluant  for- 
mellement le  commerce  anglais  de  tous  les  ports  de 
l'Elbe,  du  Wéser,  et  de  l'Ems  ,  que  cette  déclaration 
était  dirigée.  Il  serait  inutile  de  discuter  ici  le  droit  du 
gouvernement  britannique  de  prendre  des  mesures 
sévères  contre  la  Prusse  ;  cette  question  au  moins  ne 
paraîtra  douteuse  à  personne. 

Aucune  des  puissances  neutres  de  l'Europe  n'ima- 
gina de  se  plaindre  de  ces  mesures.  Elles  y  voyaient 
l'effet  direct,  le  contre-coup  naturel  d'une  agression 
gratuite,  qui  fit  un  mal  prodigieux  à  l'Angleterre. 


—  28  — 

Leurs  intérêts  d'ailleurs  n'y  étaient  pas  sensiblement 
compromis,  et  le  gouvernement  anglais,  pour  mettre 
au  grand  jour  combien  il  était  éloigné  de  Tintentionde 
les  blesser,  publia,  peu  de  jours  après  la  déclaration 
du  16  mai,  un  ordre  en  date  du  21 ,  portant  «  que  Sa 
Majesté  Britannique,  toujours  animée  du  désir  d'éviter 
autant  que  les  opérations  de  la  guerre  le  rendaient 
possible,  tout  ce  qui  pouvait  nuire  au  commerce  des 
Etats  en  paix  avec  l'Angleterre,  enjoignait  strictement 
à  tous  ses  vaisseaux,  armateurs,  etc.,  de  n'arrêter 
aucun  bâtiment  quils  rencontreraient  dans  la  mer  Bal- 
tique,»  démarche  d'une  indulgence  remarquable,  vu 
que  presque  tous  les  ports  de  la  Prusse  se  trouvaient 
sur  la  Baltique,  et  que  l'Angleterre,  en  assurant  la 
liberté  de  la  navigation  dans  cette  mer,  favorisait  les 
neutres  à  ses  propres  dépens.  Ajoutons  à  tout  cela  que 
la  Russie  et  la  Suède  étaient,  à  l'époque  de  la  décla- 
ration de  1806,  les  alliés  intimes  de  l'Angleterre,  et 
que  le  Danemark  se  consolait  aisément  de  la  ferme- 
ture de  l'Elbe  et  du  Wéser  par  le  profit  immense  qui 
lui  en  revint  pour  ses  ports  sur  les  côtes  de  Holstein 
et  de  Sleswic.  Les  seules  victimes  de  cet  état  des  choses 
étaient  les  villes  de  Hambourg  et  Brème;  mais  à  qui 
devaient-elles  s'en  prendre  de  leurs  souffrances,  si  ce 
ne  fut  au  Cabinet  de  Berlin,  instrument  du  gouver- 
nement français? 

Voilà  les  faits  dans  toute  leur  exactitude.  Mais  ce 
qui  me  paraît  plus  remarquable  que  tout  le  reste ,  c'est 
que  la  France  elle-même  ne  songea  pas  à  se  plaindre 
de  la  déclaration  du  1 6  mai ,  et  n'en  a  jamais  fait  men- 
tion dans  aucune  occasion  précédente.  Il  faut  se  rap- 
peler qu'à  l'époque  où  cette  pièce  parut,  une  négociation 
de  paix  était  entamée  avec  l'Angleterre.  Elle  avait  été 
conçue  et  mise  en  train  par  M.  Fox,  le  seul  des  ministres 
à  la  tête  des  affaires  britanniques,  dont  le  gouvernement 


—  29  — 

français  ait  toujours  parlé  avec  des  égards  aussi  près 
de  l'attachement  que  du  respect.  Ce  même  ministre, 
que  personne  n'a  jamais  suspecté  de  projets  hostiles 
contre  les  neutres,  était  l'auteur  du  système  de  re- 
présailles adopté  contre  la  Prusse,  et  dont  la  déclara- 
tion du  16  mai  faisait  partie.  Mais  indépendamment 
de  ce  que  les  principes  ou  le  caractère  personnel  de 
M.  Fox  pouvaient  prêter  d'appui  à  cette  déclaration, 
il  est  évident  que,  comme  les  neutres  eux-mêmes  ne 
s'en  plaignaient  pas,  le  gouvernement  français  man- 
quait de  tout  prétexte  pour  en  faire  un  sujet  de  do- 
léances. Après  la  mort  de  M.  Fox  et  la  rupture  des 
négociations  de  Paris,  le  nord  de  l'Allemagne  devenant 
le  théâtre  d'une  nouvelle  guerre,  le  gouvernement 
anglais  eût  été  amplement  autorisé  à  continuer  et  à 
renforcer  môme  le  blocus.  Au  lieu  de  cela,  il  y  renonça, 
au  moment  où  cette  malheureuse  guerre  allait  éclater, 
et  par  une  circulaire  du  25  septembre ,  que  M.  le 
duc  de  Bassano  a  eu  grand  soin  de  ne  pas  citer ,  fit 
annoncer  «  que  le  blocus  des  côtes  d'Allemagne  était 
levé,  et  que  la  navigation  entre  VEms  et  l'Elbe  était 
aussi  libre  qu'avant  la  déclaration  c?w  16  mai.  » 

Le  décret  de  Berlin  n'a  donc  point  été  provoqué  par 
la  déclaration  du  16  mai  1806,  et  n'a  rien  eu  de  com- 
mun avec  cette  déclaration.  Et  lorsqu'on  affirme  au- 
jourd'hui «  que  ce  fut  en  1806  que  commença  l'exé- 
cution de  ce  système  qui  tendait  à  faire  fléchir  la  loi 
commune  des  nations  devant  les  ordres  du  Conseil  et 
les  règlements  d'Amirauté  de  Londres,  »  tout  homme 
dont  l'aveuglement  n'est  pas  incurable,  doit  s'aper- 
cevoir que  ce  n'est  là  qu'un  misérable  subterfuge, 
inventé  longtemps  après  coup,  pour  faire  retomber  sur 
son  adversaire  la  responsabilité  d'un  attentat  odieux, 
dont  tous  les  sophismes  du  monde  n'absoudront  ja- 
mais le  seul  et  véritable  auteur. 


—  30  — 

Si  le  décret  de  Berlin  ne  répondait  pas  à  la  déclara- 
tion de  1806,  il  est  clair  qu'il  ne  répondait  à  rien.  Et 
en  effet  on  aurait  beau  fouiller  dans  les  archives  des 
temps  passés  et  présents,  on  n'en  trouverait  ni  mo- 
dèle, ni  prétexte.  Il  est  sorti  de  la  boîte  de  Pandore, 
où  le  génie  du  mal  l'avait  enfanté  de  ses  propres  con- 
ceptions. Proies  sine  matre  creata  ! 

Tout  acte  de  représailles,  que  l'honneur,  l'intérêt 
et  la  loi  de  sa  conservation,  pouvaient  suggérer  au 
gouvernement  anglais,  était  justifié  d'avance  par  ce 
décret.  La  neutralité  ne  saurait  exister  qu'autant  que 
les  puissances  belligérantes  s'accordent  sur  le  principe 
général  que  leurs  droits  de  guerre  sont  plus  ou  moins 
limités  par  ceux  que  les  neutres  leur  opposent.  Du 
moment  qu'une  des  puissances  belligérantes  met  sa 
volonté  absolue  à  la  place  de  cette  règle  fondamentale; 
que,  sans  consulter  ni  les  traités,  ni  les  intérêts  par- 
ticuliers des  neutres,  ni  ses  propres  rapports  avec  eux, 
elle  défend  indistinctement  tout  commerce  et  toute  cor- 
respondance avec  les  possessions  et  les  sujets  de  la 
puissance  ennemie,  déclare  de  bonne  prise  chaque 
vaisseau  qui  aura  contrevenu  à  cette  loi ,  saisit ,  par- 
tout où  son  bras  peut  les  atteindre ,  les  marchandises 
du  pays  excommunié,  quel  qu'en  soit  le  possesseur 
actuel,  il  ne  s'agit  plus  des  formes  ou  des  nuances; 
les  bases  de  la  neutralité  sont  subverties;  ses  attributs 
sont  annulés  en  masse;  son  existence  légale  est  finie. 
Si,  dans  un  tel  état  de  choses,  la  partie  adverse  res- 
pecte encore  un  droit  neutre  quelconque,  c'est  un 
acte  d'indulgence  et  de  générosité;  car  il  serait  in- 
juste et  même  déraisonnable  d'exiger  qu'elle  recon- 
nût à  elle  seule  ce  qui  n'a  de  sens,  de  réalité  et  de 
valeur,  que  dans  la  supposition  d'un  principe  commun, 
admis  et  avoué  par  toutes  les  parties  intéressées.  L'An- 
gleterre était  donc ,  par  le  fait  du  décret  de  Berlin, 


—  31  — 

dispensée  de  toute  obligation  stricte  de  ménager  les 
intérêts  des  neutres.  Son  ennemi  lui  avait  hautement 
annoncé  que  dorénavant  il  ne  mettrait  plus  aucune 
borne  à  ses  hostilités  ;  il  les  poussait  même  par  anti- 
cipation au  delà  de  son  pouvoir  réel  ;  et  privé  de  toute 
force  maritime,  il  faisait  pressentir  le  projet  cruel  de 
marcher  à  la  destruction  de  l'Angleterre  par  la  conquête 
et  la  ruine  successive  de  tous  les  peuples  du  continent, 
projet  dont,  depuis  le  décret  de  Berlin,  l'exécution 
s'est  avancée  sans  relâche. 

Et  quelle  fut  la  première  résolution  par  laquelle  le 
gouvernement  anglais  répondit  à  cette  provocation 
inouïe?  L'ordre  du  Conseil  du  7  janvier  1807,  lequel, 
après  avoir  exprimé  «  la  répugnance  du  Roi  à  suivre 
l'exemple  de  l'ennemi ,  et  à  procéder  à  des  extrémités 
nuisibles  au  commerce  des  Etats  qui  ne  prennent  pas 
part  à  la  guerre,  »  se  contente  de  déclarer  «  qu'il  ne 
sera  permis  à  aucun  vaisseau  neutre  de  faire  le  com- 
merce entre  un  port  appartenant  à  l'ennemi  ou  placé 
sous  le  pouvoir  de  ses  armes,  et  un  autre  port  de  la 
même  description.  »  Par  conséquent  tout  le  commerce 
direct  qui  se  faisait  entre  les  pays  neutres  et  les  pays 
soumis  à  la  France ,  y  compris  les  colonies  de  ces  pays, 
restait  sur  ses  anciennes  bases  !  Cet  acte  d'une  modé- 
ration extraordinaire  ne  portait  pas  trop  l'empreinte 
d'un  gouvernement  qui ,  d'après  les  termes  du  décret 
de  Berlin ,  «  n'avait  d'autre  but  que  de  détruire  toutes 
communications  entre  les  peuples,  et  de  ramener  les 
temps  de  barbarie.  » 

Ce  ne  fut  qu'après  la  paix  de  Tilsitt,  époque  d'un 
acharnement  redoublé  et  de  nouveaux  plans  gigan- 
tesques contre  l'Angleterre,  que  parurent  enfin  les 
ordres  du  Conseil  du  ]]  novembre  1 807.  Ces  ordres  por- 
taient, il  est  vrai,  à  l'exemple  du  décret  de  Berlin, 
sur  des  principes  d'une  interdiction  générale  de  com- 


--  32  — 

merce  avec  les  pays  soumis  à  l'ennemi;  mais  bien 
différents  encore  du  modèle,  ils  annonçaient  dans 
chacune  de  leurs  clauses  le  désir  de  modifier  en  faveur 
des  neutres  la  rigueur  du  principe  général.  A  l'époque 
où  ils  furent  publiés,  toutes  les  côtes  de  notre  conti- 
nent étaient  en  état  d'hostilité  contre  l'Angleterre;  la 
navigation  neutre  était  nulle  de  fait  en  Europe,  et  le 
seul  pays  qui  pût  prétendre  à  quelques  ménagements, 
c'étaient  les  Etats-Unis  de  l'Amérique.  Les  ordres  de 
novembre  1807  ne  privaient  point  leurs  bâtiments  de 
la  liberté  de  se  rendre  de  l'un  ou  l'autre  de  leurs  pro- 
pres ports  dans  les  ports  des  colonies  ennemies,  ou 
de  ces  ports-ci  à  un  port  de  leur  propre  pays.  Quant  au 
commerce  de  l'Europe,  leurs  vaisseaux  furent  astreints 
à  la  condition  de  débarquer  d'abord  à  un  des  ports  de 
la  Grande-Bretagne,  sauf  à  continuer  de  là  leur  voyage 
à  tel  port  des  pays  ennemis  qu'ils  choisiraient,  et 
d'emporter  toute  leur  cargaison,  à  l'exception  de  cer- 
taines marchandises  spécifiées,  qui  ne  seraient  ré- 
exportées qu'avec  une  licence  \  Des  instructions  pos- 
térieures modifièrent  ces  dispositions  dans  plusieurs 
points  essentiels;  mais  aucune  n'ayant  satisfait  les 
Américains,  le  gouvernement  anglais  annula  en- 
fin les  ordres  de  1807,  et  leur  substitua  l'ordre  du 
26  avril  1809,  par  lequel  l'interdiction  du  commerce 
fut  restreinte  aux  ports  de  la  France,  de  la  Hollande,  et 
de  la  haute  Italie,  tandis  que  les  ports  de  la  Baltique, 
du  nord  de  l'Allemagne  jusqu'à  l'Ems,  de  l'Espagne, 
du  Portugal ,  et  de  toute  la  Méditerranée,  à  l'exception 


'  Le  soi-disant  tribut  que  l'Angleterre  doit  avoir  demandé  aux  Amé- 
ricains, n'était  autre  chose  qu'un  droit  de  transit,  qu'on  paraissait  vou- 
loir attacher  à  cette  dernière  classe  de  marchandises.  Mais  il  faut  savoir 
que  cet  impôt ,  dont  les  ordres  du  Conseil  ne  font  pas  mention,  n'a  ja- 
mais été  réalisé,  pas  même  dans  le  court  intervalle  entre  la  publica- 
tion de  ces  ordres  et  leur  abrogation  en  i809. 


—  Sa- 
de ceux  de  France  et  du  royaume  d'Italie,  restaient 
ouverts  à  la  navigation  neutre.  Les  organes  du  gouver- 
nement français  ont  pris  le  parti,  sans  doute  très- 
commode,  d'ignorer  tout  à  fait  ce  changement  essen- 
tiel. Une  réticence  pareille  aurait  suffi  pour  décréditer 
toute  autre  pièce  diplomatique;  on  n'en  sera  que  mé- 
diocrement surpris  dans  celle  que  nous  examinons  ici. 

On  a  vivement  agité  en  Angleterre  la  question  si 
ces  ordres  du  Conseil  ont  été  en  dernière  analyse  favo- 
rables ou  contraires  aux  intérêts  du  pays.  Les  avis  des 
hommes  éclairés  se  sont  parlagés  à  ce  sujet;  mais  la 
question  étroitement  liée  à  plusieurs  autres  articles 
du  système  commercial  que  les  circonstances  ont  fait 
adopter  au  ministère  britannique,  exige  de  grands 
développements  et  des  recherches  très-approfondies. 
Cette  question  est  entièrement  différente  de  celle  que 
nous  avons  discutée.  Il  n'appartient  qu'à  l'Angleterre 
de  juger  si,  sous  le  point  de  vue  de  son  propre  inté- 
rêt, les  ordres  du  Conseil  ont  été  sages  ou  répréhen- 
sibles.  Les  ministres  anglais  se  fussent-ils  trompés 
dans  leurs  calculs,  leurs  ennemis  n'auraient  qu'à  se 
féliciter  de  leurs  erreurs.  Le  grand  point  qu'il  s'agis- 
sait d'établir  pour  nous  autres,  c'est  que,  dans  cette 
longue  série  d'actes  hostiles  et  de  réactions  sinistres, 
la  France  a  porté  les  premiers  coups  j  que  les  ordres  du 
Conseil  britannique  étaient  des  mesures  de  représailles 
dans  toute  la  force  du  terme,  et  que  le  gouvernement 
anglais,  loin  de  blesser  gratuitement  les  droits  et  les 
intérêts  des  neutres,  les  a  reconnus,  respectés  et  mé- 
nagés, autant  que  le  lui  permettaient  la  loi  de  son 
propre  salut,  et  la  situation  sans  exemple  dans  laquelle 
son  ennemi  l'avait  placé. 

«  Le  décret  de  Berlin ,  ))  dit  le  rapport ,  «  répon- 
dit à  la  déclaration  de  1806. — Le  décret  de  Milan 
répondit  aux  arrêts  de  1807.  m  Je  crois  avoir  fourni 
X{  3 


—  34  — 

dans  ces  observations  les  données  nécessaires  pour 
rectifier  cette  généalogie.  Le  décret  de  Berlin  ne  fut 
provoqué,  ne  fut  justifié  par  aucun  acte  antérieur. 
Les  arrêts  de  4807  répondaient  au  décret  de  Berlin. 
Si  le  décret  de  Milan  répondit  aux  arrêts  de  1 807, 
qui,  sans  le  décret  de  Berlin,  n'auraient  jamais  vu  le 
jour,  il  ne  fit  donc  que  renchérir  sur  l'injustice  de  la 
mesure  primitive  qui  avait  provoqué  les  arrêts  de 
1807. 

Le  décret  de  Milan  vient  d'être  solennellement  pro- 
clamé comme  base  et  motif  de  la  nouvelle  guerre  qui 
va  s'allumer  sur  le  continent.  «Il  faut,  »  dit  l'ora- 
teur du  gouvernement  français ,  «  que  toutes  les 
forces  disponibles  de  la  France  puissent  se  porter 
partout  où  le  pavillon  anglais  et  les  pavillons  dénatio- 
nalisés voudraient  aborder.  »  Tout  le  monde  sait  que 
le  pavillon  anglais  n'a  pu  être  admis  dans  les  ports  de 
la  puissance  contre  laquelle  cette  menace  est  dirigée. 
Le  seul  tort  de  cette  puissance  serait  donc  de  ne  pas 
avoir  assez  rigoureusement  exclu  ce  que  l'on  nomme 
ici  les  pavillons  dénationalisés.  Voyons  à  quoi  ce  grief 
se  réduit. 

Le  décret  de  Milan  avait  déclaré  dénationalisé  tout 
bâtiment  neutre  qui  se  serait  soumis  à  la  législation 
anglaise,  «  soit  en  touchant  dans  un  port  anglais» 
(avant  de  continuer  sa  course) ,  «  soit  en  payant  tribut 
à  l'Angleterre.  »  11  est  clair  que  cette  définition  arbi- 
traire se  rapportait  à  la  clause  des  ordres  du  Conseil 
du  mois  de  novembre  1807,  suivant  laquelle  les  bâti- 
ments neutres,  voulant  faire  le  commerce  avec  des 
pays  européens  soumis  à  la  France ,  devaient  aupara- 
vant débarquer  dans  un  port  britannique,  et  (à  ce  que 
l'on  supposait  faussement  alors)  y  payer  certains  droits. 


—  35  — 

Mais  toute  cette  clause  fut  complètement  abolie  par 
Tordre  postérieur  du  26  avril  1809.  Par  conséquent, 
la  définition  d'un  bâtiment  dénationalisé,  telle  que  le 
décret  de  Milan  l'avait  donnée,  n'a  aujourd'hui  ni 
sens,  ni  objet,  et  avant  de  s'armer  de  toutes  ses  ter- 
reurs, pour  foudroyer  ceux  qui  se  sont  rendus  cou- 
pables de  l'admission  dans  leurs  ports  de  bâtiments 
dénationalisés,  le  gouvernement  français  aurait  dû  au 
moins  instruire  l'Europe  en  quoi  il  fait  consister  main> 
tenant  un  délit  qu'avec  toute  la  mauvaise  volonté  du 
monde ,  personne  ne  'pouvait  plus  commettre  en  1 811 , 
dans  le  sens  qui  y  était  attaché  en  1807. 

Rassembler  quatre  cent  mille  hommes  pour  punir 
une  puissance  indépendante  d'un  crime,  non-seule- 
ment imaginaire,  mais  encore  indéfinissable,  et  nul 
d'après  le  code  même  que  l'on  prétend  exécuter! 
Nous  sommes  familiarisés  avec  la  marche  expéditive 
et  les  formes  peu  conciliantes  du  despotisme  j  nous 
n'en  avons  que  trop  vu  de  ces  manifestes  justificatifs, 
tout  aussi  révoltants  que  les  démarches  qu'ils  avaient 
l'air  de  défendre.  Mais  il  me  semble  que,  dans  le 
temps  même  où  nous  vivons,  on  a  rarement  vu  un 
acte  plus  directement  attentatoire  à  tous  les  droits  et 
à  tous  les  principes,  placé  sur  un  plus  frêle  échafau- 
dage, ou  attaché  à  un  prétexte  plus  futile.  En  suppo- 
sant que  l'empereur  de  Russie  n'eût  pas  hermétique- 
ment fermé  ses  ports  contre  chaque  navire  américain 
ou  chaque  contrebandier  de  la  Baltique,  cette  indul- 
gence, dictée  par  les  besoins  de  son  empire,  interdite 
par  aucun  traité  ni  publié  ni  secret,  innocente  même 
d'après  la  lettre  de  ces  décrets  arbitraires,  lancés  par 
un  tribunal  incompétent,  peut-elle  motiver,  peut-elle 
colorer,  peut-elle  expliquer  seulement  le  projet  de 
bouleverser  encore  une  fois  l'Europe,  d'écraser  les 
tristes  débris  de  l'ancienne  prospérité  de  tant  de  pays 


—  36  — 

intermédiaires ,  et  de  verser  le  sang  de  tant  de  mal- 
heureux peuples,  qui  ont  déjà  payé,  au  prix  de  tout  ce 
qu'ils  avaient  à  perdre,  ces  mêmes  arrêts  de  proscrip- 
tion dont  cette  guerre  vraiment  sacrilège  doit  prolon- 
ger la  durée?  Et  tout  cela,  nous  dit  le  rapport, 
«  pour  ramener  les  Anglais  aux  principes  consacrés 
par  le  traité  d'Utrecbt  »  qui  n'en  a  jamais  consacré 
aucun,  et  «  pour  assurer  la  neutralité  maritime  » 
contre  laquelle  l'Angleterre  n'a  jamais  protesté  ! 

Pour  ajouter  un  dernier  trait  à  ce  tableau,  il  ne  sera 
pas  inutile  de  s'arrêter  un  moment  sur  la  conduite  gé- 
nérale du  gouvernement  français  envers  ces  neutres 
qui  lui  ont  fourni  de  si  nombreux  prétextes.  Le  mot 
de  ralliement  liberté  des  mers,  proche  parent  des  priii- 
cipes  de  la  Révolution,  a  été  légué  par  chaque  gou- 
vernement révolutionnaire  à  ses  successeurs  et  héri- 
tiers, et  celui  qui  les  a  remplacés  tous,  n'a  pas  négligé 
cette  partie  de  leur  héritage.  Cette  soi-disant  liberté 
des  mers  n'ayant  jamais  été  clairement  définie,  chacun 
y  attachait  le  sens  que  ses  lumières  ou  ses  intérêts  lui 
indiquaient;  mais  à  travers  cette  confusion  d'idées 
que  le  sophisme  et  l'imposture  entretenaient  avec 
beaucoup  de  soin,  tout  le  monde  parvint  enfin  à  com- 
prendre qu'il  s'agissait  de  certains  droits  exclusive- 
ment applicables  à  un  état  de  guerre.  La  liberté  des 
mers  n'avait  jamais  été  troublée  en  temps  de  paix;  ja- 
mais on  n'avait  pu  accuser  l'Angleterre  de  s'être  pré- 
valu alors  de  sa  prépondérance  navale  contre  la  navi- 
gation ou  le  commerce  des  plus  faibles  nations  de  la 
terre.  La  prétendue  tyrannie  qu'on  lui  reprocha  ne 
consistait  donc  qu'à  maintenir  des  principes  et  des 
traités  établis  pour  limiter  les  avantages  (assez  grands 
malgré  toutes  les  restrictions)  dont  la  navigation  et  le 
commerce  neutre  jouissaient  pendant  les  guerres  ma- 
ritimes. La  question  de  la  liberté  des  mers  enfin  n'était 


—  37  — 

autre  chose  que  celle  des  droits  du  pavillon  neutre. 
Mais  par  la  plus  étrange  inconséquence,  quels  qu'en 
aient  été  la  source  et  le  motif,  la  France,  protectrice 
déclarée  de  la  neutralité,  n'a  jamais  mis  en  avant  cette 
question  dans  aucune  de  ses  négociations  avec  l'An- 
gleterre. On  n'en  trouve  pas  de  trace,  ni  dans  celle  de 
Lille  en  1 797,  ni  dans  celle  de  1 801 ,  qui  conduisit  aux 
préliminaires  de  Londres,  ni  dans  celle  de  1802,  qui 
fut  terminée  par  le  traité  d'Amiens,  ni  dans  celle  de 
1803,  qui  précéda  la  nouvelle  rupture,  ni  dans  celle 
enfin  de  1806.  C'est  un  fait,  qui  doit  frapper  et  sur- 
prendre tout  le  monde,  quoique  (de  ma  connais- 
sance au  moins)  il  n'ait  encore  été  relevé  par  personne, 
qu'après  tant  de  fureurs  et  de  menaces ,  et  après  tant 
de  serments  solennels  «  de  tout  sacrifier  pour  cette 
cause  sacrée  de  la  liberté  du  commerce  et  des  mers  ,  » 
le  gouvernement  français  ait  pu  traiter  huit  mois  avec 
l'Angleterre ,  sans  que  l'on  ait  accordé  aux  droits  du 
pavillon  neutre ,  je  ne  dis  pas  une  heure  de  discussion, 
mais  seulement  les  stériles  honneurs  du  procès-verbal  ! 
Cet  oubli  inconcevable,  ou  cet  acte  de  mauvaise  foi 
sans  exemple,  a  cependant  eu  lieu  à  la  même  époque 
où,  d'après  ce  que  l'on  nous  dit  aujourd'hui ,  «  la  dé- 
claration du  16  mai  1806  venait  d'anéantir  d'un  seul 
mot  les  droits  de  tous  les  Etats  maritimes,  »  et  peu  de 
mois  avant  le  décret  de  Berlin  ! 

Et  voilà  le  gouvernement  qui  aujourd'hui ,  oti , 
grâce  à  ses  soins,  il  n'y  a  plus  de  puissance  neutre 
sur  le  globe ,  où  toute  question  de  neutralité  paraît 
éteinte  et  submergée  dans  le  gouffre  fatal  qui  a  en- 
glouti le  Droit  public  tout  entier,  réunit  le  ban  et  l'ar- 
rière-ban  de  l'Europe  dans  une  nouvelle  croisade 
contre  les  oppresseurs  de  la  liberté  maritime,  et  pour 
bien  prouver  la  sincérité  de  ses  motifs,  menace  la 
seule  puissance  continentale,  qui  ait  encore  accordé 


—  38  — 

dans  ses  ports  un  dernier  reste  de  protection  aux  der- 
niers soupirs  de  la  navigation  neutre  ! 

Je  sais  bien  de  quel  œil  on  envisage  de  nos  jours 
les  efforts  solitaires  et  impuissants  d'un  écrivain  pour 
défendre  la  vérité  et  le  bon  droit  dans  les  affaires  po- 
litiques. «  A  quoi  sert  de  combattre  les  mauvais  rai- 
sonnements de  ceux  dont  on  ne  peut  pas  repousser  les 
baïonnettes?  Vos  arguments,  vos  discussions  répon- 
dront-elles à  quatre  cent  raille  hommes?  Phrases  contre 
phrases,  le  plus  habile  est  toujours  celui  qui  sait  le 
mieux  soutenir  les  siennes.  »  Tel  est  le  langage  com- 
mun et  tel  est  l'effet  naturel  de  cette  dégradation  et 
dépravation  secrète  que  l'habitude  d'obéir  et  de  se  taire 
introduit  insensiblement  dans  tous  les  cœurs.  Mais  que 
ceux  au  moins  qui  ont  préservé  de  la  contagion  la 
meilleure  partie  d'eux-mêmes  ne  cessent  de  protester 
contre  ces  maximes  pernicieuses!  Supportons  avec 
résignation  ce  que  nous  n'avons  pas  le  pouvoir  de 
guérir;  n'ajoutons  à  nos  maux  ni  des  démarches  pas- 
sionnées et  mal  calculées,  qui  ne  feraient  que  les 
rendre  plus  irréparables,  ni  des  déclamations  bruyan- 
tes, qui  irritent  les  méchants  sans  les  affaiblir  !  Mais 
gardons-nous  de  confondre  dans  une  lâche  indiffé- 
rence le  bien  et  le  mal,  l'innocent  et  le  coupable, 
l'oppresseur  et  les  victimes  !  Démasquons  le  sophisme 
et  l'imposture ,  ne  fût-ce  que  pour  l'instruction  et  la 
satisfaction  d'un  petit  nombre  d'élus,  ou  pour  que  la 
postérité  ne  nous  suppose  pas  tous  complices  des  for- 
faits que  nous  n'avons  pas  pu  empêcher!  Que  dans  ces 
moments  critiques  et  décisifs,  où  de  nouvelles  scènes 
de  désolation  vont  s'ouvrir,  l'attention  des  hommes 
justes  et  éclairés  se  détourne  un  moment  du  spectacle 
qui  les  entoure,  et  s'arrête  sur  le  fond  du  grand  pro- 
cès. Qu'alors  des  réflexions  sérieuses  sur  les  auteurs 
des  calamités  publiques,  sur  leur  marche,  leur  lan- 


—  39  — 

gage,  leurs  motifs  réels  et  prétendus,  leurs  moyens  de 
diriger  l'opinion  (puissance  toujours  redoutable, 
quelque  avilie  qu'elle  paraisse  aujourd'hui)  réveillent 
et  occupent  les  bons  esprits  !  Et  que  surtout  pour  la 
conservation  de  ce  qui  est  supérieur  aux  catastrophes 
du  temps,  l'amour  de  la  vérité  et  l'horreur  du  men- 
songe et  de  l'injustice  ne  s'éteignent  pas  dans  les  âmes 
honnêtes  ! 


u. 

OBSERVATIONS 

SUR  LES  DÉCRETS  DE  BERLIN  ET  DE  MILAN  ,  ET  LES  ORDRES  DD  CONSEIL  BRI- 
TANNIQUE A  l'occasion  des  notes  du  MONITEUR  AJOUTÉES  A  LA  DÉCLARATION 
DU  GOUVERNEMENT  ANGLAIS  DU  21  AVRIL  1812,  POUR  SERVIR  DE  SUITE  AUX 
OBSERVATIONS  SUR  LE  RAPPORT  DU  MINISTRE  DES  RELATIONS  EXTÉRIEURES  DE 
FRANCE   DU    10  MARS. 

(Écrites  par  M.  de  Gentï,  au  commencement  de  juin  <813.) 

Le  gouvernement  anglais  a  publié,  en  date  du 
21  avril,  une  déclaration  officielle  pour  exposer  ses 
principes,  rappeler  sa  conduite ,  et  annoncer  la  marche 
qu'il  va  suivre  par  rapport  à  la  révolution  violente  que 
les  décrets  de  Berlin  et  de  Milan  ont  opérée  dans  les 
relations  commerciales  de  tous  les  pays  civilisés.  Dans 
cette  pièce ,  également  remarquable  par  la  fermeté 
avec  laquelle  le  ministère  britannique  défend  et  main- 
tient le  système  de  justes  représailles,  que  son  ennemi 
l'a  forcé  d'adopter ,  et  par  la  loyauté  et  la  franchise 
avec  laquelle  il  se  déclare  prêt  à  renoncer  à  ce  sys- 
tème, aussitôt  que  les  actes  hostiles  qui  l'ont  rendu 
nécessaire  auront  disparu,  la  question  est  replacée  sur 
ses  véritables  bases ,  les  fausses  accusations  et  les  ca- 


—  40  — 

lomnies  contre  l'Angleterre  rentrent  dans  le  néant,  et 
les  habitants  de  l'ancien  et  du  nouveau  continent  ap- 
prennent à  quoi  s'en  tenir  sur  une  des  sources  les  plus 
fécondes  des  maux  qui  les  affligent,  et  sur  le  seul 
moyen  efficace  d'y  mettre  un  terme.  «  Du  moment , 
dit  la  déclaration ,  que  les  décrets  de  Berlin  et  de  Mi- 
lan seront  révoqués  sans  restriction  par  un  acte  au- 
thentique et  promulgué  comme  tel,  les  ordres  du 
Conseil  du  7  janvier  1 807  et  du  26  avril  1 809  seront 
et  sont  déclarés  d'avance ,  et  sans  qu'il  y  ait  même 
besoin  d'un  nouvel  avertissement,  pleinement  et  en- 
tièrement abolis.  » 

Le  Moniteur  du  8  mai,  en  traduisant  cette  déclara- 
tion ,  l'a  accompagnée  d'une  série  de  notes ,  dont  le 
premier  aspect  doit  faire  pâlir  l'homme  le  plus  intré- 
pide et  le  plus  exercé  à  cette  lutte  ;  non  pas ,  on  s'en 
doutera  bien,  par  la  force  des  faits  ou  des  arguments 
qu'elles  contiennent;  mais,  au  contraire,  par  l'absence 
de  toute  espèce  de  principe  et  de  raisonnement,  par  le 
désordre  absolu  qui  y  règne,  par  la  difficulté  extrême 
de  saisir  un  adversaire  qui ,  ne  pouvant  soutenir  au- 
cun combat  régulier,  nous  jette  des  pierres  à  droite  et 
à  gauche ,  et  nous  accable  quelquefois  par  l'excès  de 
sa  déraison  plus  qu'un  autre  ne  le  ferait  par  la  dialec- 
tique la  plus  victorieuse.  On  ne  sait,  en  effet,  de  quoi 
s'étonner  le  plus  dans  toutes  ces  incroyables  rapsodies 
que  l'on  veut  faire  passer  de  ce  côté-là  pour  des  dé- 
ductions de  Droit  public.  On  voit  bien  que  l'objet  prin- 
cipal de  ces  pièces  est  toujours  de  dénaturer  les  ques- 
tions, de  pervertir  les  faits,  de  brouiller  et  de  confondre 
toutes  les  données ,  de  dérouter  et  de  fatiguer  enfin 
tellement  l'attention  publique,  que  personne  n'ait  plus 
l'envie  ou  le  courage  d'aller  à  la  recherche  de  la  vérité 
à  travers  un  dédale  de  mensonges.  Mais  il  n'est  pas 
moins  certain  que  les  rédacteurs  de  ces  compositions 


—  41  — 

bizarres  paraissent  souvent  si  peu  au  fait  de  l'objet  di- 
rect de  leurs  propres  sophismes,  si  étrangers  aux  ques- 
tions qu'ils  ont  à  traiter,  si  mal  informés  sur  les  cir- 
constances les  plus  essentielles,  et  sur  les  événements 
les  plus  récents ,  qu'on  a  de  la  peine  à  tout  expliquer 
par  l'iniquité  de  leur  but,  et  à  ne  pas  attribuer  à  la 
médiocrité  de  leurs  moyens  une  partie  au  moins  de 
leurs  égarements.  Peu  de  pièces  de  ce  genre  présen- 
tent ce  double  caractère  au  point  où  il  se  retrouve  dans 
ces  notes.  Si  la  mauvaise  foi  y  tient  le  premier  rang , 
on  ne  peut  pas  l'accuser  au  moins  de  dominer  sans 
partage  et  sans  rivale. 

Pour  porter  de  l'ordre  dans  ce  chaos  et  jeter  quelque 
intérêt  sur  une  discussion  qui  ne  serait  que  monotone 
et  insipide,  si  je  voulais  suivre  mon  texte  pas  à  pas  , 
je  tâcherai  de  réunir  dans  un  petit  nombre  de  cadres 
les  points  qui  ont  principalement  besoin  d'être  éclair- 
cis ,  et  qui  en  même  temps  méritent  de  l'être. 

1"  Obligé  de  rentrer  encore  une  fois  dans  la  ques- 
tion de  la  prétendue  autorité  du  traité  d'Utrecht  rela- 
tivement aux  droits  maritimes,  je  tâcherai  d'abord  de 
l'expédier.  Je  m'occuperai  ensuite  :  2°  des  motifs,  du 
sens  et  du  caractère  des  ordres  du  Conseil,  opposés 
aux  décrets  de  Berlin  et  de  Milan  ;  3"  des  conditions 
exigées  par  le  gouvernement  britannique  pour  la  ré- 
vocation de  ces  ordres  du  Conseil  ;  4°  de  la  prétendue 
révocation  des  décrets  de  Berlin  et  de  Milan  par  rap- 
port aux  États-Unis  de  l'Amérique;  5°  des  conditions 
exigées  par  le  gouvernement  français  pour  l'abolition 
définitive  de  ces  décrets  j  6°  des  avantages  que  le  gou- 
vernement britannique  pourrait  espérer  de  la  révoca- 
tion des  ordres  du  Conseil. 

Dans  les  observations  précédentes  sur  le  rapport  au 
Sénat  publié  par  le  Moniteur  du  16  mars,  j'ai  essayé 
de  répandre  quelque  lumière  sur  la  vraie  origine  des 


—  42  — 

décrets  de  Berlin  et  de  Milan ,  et  sur  celle  des  ordres 
du  Conseil  britannique.  Mon  principal  objet  sera,  cette 
fois-ci,  d'examiner  si  en  effet  il  dépend  du  gouverne- 
ment anglais  de  faire  cesser  les  uns  et  de  supprimer 
les  autres.  Il  est  impossible  de  traiter  ces  questions 
sans  toucher  à  la  dispute  entre  l'Angleterre  et  les  États- 
Unis  de  l'Amérique  ;  et  comme  les  rapports  entre  ces 
deux  gouvernements  sont  extrêmement  peu  connus , 
ou  excessivement  mal  jugés  sur  le  continent,  les  per- 
sonnes qui  liront  ces  feuilles  me  sauront  peut-être  gré 
de  leur  avoir  fourni  quelques  moyens  de  plus  pour  s'y 
orienter. 

81". 

De  la  prétendue  autorité  du  traité  d'Utrecht  dans  les  questions 
de  Droit  maritime. 

C'est  pour  me  débarrasser  de  ce  sujet  aride,  et  non 
pas  à  cause  de  son  importance  particulière,  que  je  lui 
assigne  la  première  place.  Je  sens  même  une  espèce 
de  répugnance  à  rentrer  dans  une  discussion  où  il  ne 
s'agit  que  de  rétablir  des  faits  falsifiés  sans  art  et  sans 
scrupule ,  et  de  combattre  des  erreurs  soutenues  avec 
une  mauvaise  foi  évidente.  Dans  la  première  partie  de 
ces  observations ,  j'ai  fait  voir  combien  il  était  faux 
et  même  absurde  de  présenter  le  traité  d'Utrecht  comme 
étant  aujourd'hui,  ou  ayant  été  dans  aucun  temps, 
la  loi  commune  des  nations  pour  les  droits  de  la 
neutralité  maritime.  Le  Moniteur  vient  de  repro- 
duire cette  thèse  ;  mais  pour  le  coup  il  s'est  armé  de 
toutes  pièces  ;  il  traîne  à  sa  suite  un  arsenal  formi- 
dable de  dates  et  de  citations.  Par  une  trentaine  de 
documents  anciens  et  nouveaux  (allégués  dans  la  on- 
zième des  notes  qui  accompagnent  la  déclaration  bri- 
tannique ) ,  il  prétend  prouver  au  delà  de  toute  objec- 


—  na- 
tion #f  que  le  traité  d'Utrecht,  fondé  sur  les  traités 
antérieurs ,  consacré  par  tous  les  traités  postérieurs,  pré- 
sentant d'une  manière  solennelle  les  principes  constam- 
ment adoptés  par  tous  les  États  de  l'Europe ,  est  à  juste 
titre  considéré  comme  la  loi  commune  des  nations.  » 

Cet  étalage  d'érudition  apocryphe  pourrait  encore 
dérouter  quelques  lecteurs,  et  affaiblir  la  confiance 
dans  les  faits  et  les  raisonnements  que  j'avais  opposés 
aux  rêves  des  publicistes  français.  Il  me  paraît  donc 
indispensable  de  dévoiler  la  nullité  absolue  de  ce  que 
ces  publicistes  ont  imaginé  de  nouveau  pour  emporter 
cette  question  dans  leur  sens.  Indépendamment  de  son 
résultat  direct,  ce  petit  travail  fournira  encore  un 
exemple  curieux  de  ce  que  c'est  que  leur  exactitude  et 
leur  véracité,  lors  même  qu'ils  s'avisent  d'en  appeler 
aux  sources  et  de  se  couvrir  d'arguments  historiques. 

Nous  avons  vu  que  quelques  traités  particuliers 
de  commerce  et  de  navigation,  ajoutés  à  l'instrument 
principal  de  la  paix  d'Utrecht,  avaient,  parmi  d'au- 
tres objets,  réglé  aussi  les  droits  de  la  navigation 
neutre  dans  le  cas  d'une  guerre  maritime  ;  mais  ces 
traités  ne  pouvaient  lier  que  ceux  qui  les  avaient  né- 
gociés et  signés.  Ainsi  non-seulement  les  stipulations 
de  la  France  vis-à-vis  de  quelque  puissance  que  ce  fût , 
mais  encore  les  engagements  par  l'Angleterre ,  dans 
ses  deux  traités  avec  la  France  et  l'Espagne ,  étaient 
nuls  et  de  toute  nullité  pour  les  rapports  de  l'Angle- 
terre avec  d'autres  puissances.  Et ,  si  le  traité  d'Utrecht 
avait  été,  comme  on  l'a  faussement  soutenu,  renou- 
velé dans  cent  traités  subséquents,  il  est  clair  qu'au- 
cun de  ces  traités  n'aurait  jamais  eu  force  pour  l'An- 
gleterre ,  à  moins  qu'elle  n'en  eût  été  partie,  et  qu'alors 
même  ce  qu'elle  eût  pu  promettre  à  telle  ou  telle  puis- 
sance n'aurait  point  été  obligatoire  pour  elle  vis-à-vis  de 
telle  autre  puissance  non  comprise  dans  le  même  traité. 


—  44  — 

D'après  ce  principe  incontestable ,  nous  pouvons 
d'abord  retrancher,  sans  autre  examen ,  toutes  celles 
des  conventions  citées  par  le  Moniteur,  auxquelles 
l'Angleterre  n'a  pas  participé'  ;  car,  comme  l'argument 
n'est  dirigé  que  contre  elle,  elles  ne  font  rien,  abso- 
lument rien  à  la  question.  Reste  donc  à  examiner  les 
traités  par  lesquels  l'Angleterre  s'est  liée.  Voici,  d'a- 
près la  note  du  Moniteur,  l'énumération  de  ceux  dans 
lesquels  elle  doit  avoir  sanctionné  les  principes  du 
Droit  maritime  consignés  dans  les  traités  de  commerce 
d'Utrecht,  et  notamment  celui  que  le  pavillon  neutre 
protège  la  marchandise  ennemie. 

Entre  l'Angleterre  et  la  France ,  en  1 783  et  1 786  ; 

Entre  l'Angleterre  et  la  Russie,  en  1734; 

Entre  l'Angleterre  et  la  Suède,  en  1740,  1766  et 
1783; 

Entre  l'Angleterre  et  la  Hollande,  en  1782; 

Entre  l'Angleterre  et  la  Prusse,  en  1785. 

Quant  aux  conventions  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre ,  le  traité  de  Versailles  de  1 783 ,  sans  rien  arrê- 
ter à  cet  égard ,  annonça  seulement  «  qu'on  travaille- 
rait à  des  arrangements  de  commerce  entre  les  deux 
nations  sur  le  fondement  de  la  réciprocité  et  de  la 
convenance  mutuelle.  »  Cet  article  conduisit  au  fa- 
meux traité  de  commerce  de  1 786,  dans  lequel  les  droits 

*  Il  y  aurait  beaucoup  de  choses  à  dire  sur  l'aulhenticité  et  l'exacti- 
tude de  cette  partie  même  des  citations.  Le  traité  de  1725,  par  exemple, 
entre  l'Espagne  et  V Autriche  comme  souveraine  des  Pays-Bas,  que  tout 
le  monde  peut  consulter  dans  Dumont  (vol.  VIII,  P.  II,  p.  4 14),  ne  dit 
pas  un  mot  de  la  liberté  des  marchandises  ennemies  sous  pavillon  neu- 
tre, etc.  Mais  je  m'en  tiens  à  ce  qui  regarde  la  question  directe. 

Par  la  même  raison,  et  pour  ne  pas  trop  m'appesantir  sur  un  sujet 
très-sec  en  lui-même ,  je  passerai  aussi  les  traités  antérieurs  au  traité 
d'Utrecht.  Nous  en  aurons  assez  de  celui-ci  et  de  ceux  qui  doivent  l'a- 
voir confirmé.  En  attendant  le  lecteur  peut  être  persuadé  qu'en  remon- 
tant à  des  temps  plus  reculés,  la  thèse  que  je  combats,  ne  gagnerait  pas 
un  aspect  plus  favorable. 


—  45  — 

de  la  navigation  neutre  furent  déterminés  d'une  manière 
extrêmement  favorable  à  celle  des  deux  puissances 
dont  on  supposait  la  neutralité  dans  une  guerre  mari- 
time de  l'autre.  Je  crois  avoir  suffisamment  expliqué , 
dans  la  première  partie  de  ces  observations,  quelle 
était  la  raison  particulière  de  la  grande  libéralité  avec 
laquelle  cet  article  se  trouve  rédigé  dans  les  différents 
traités  conclus  entre  l'Angleterre  et  la  France  pendant 
le  XVIII*  siècle ,  que  le  cas  présumé  dans  ces  traités  ne 
pouvait  guère  se  réaliser  et  ne  se  réalisa  jamais,  et 
que  rien  n'était  moins  fait  pour  tirer  à  conséquence 
que  ces  stipulations  de  pure  étiquette'. 

Des  six  autres  traités  cités  dans  la  note  du  Moîii- 
teuTy  il  y  en  a  quatre  qu'on  cherchera  en  vain  dans  tous 
les  Recueils  diplomatiques  publiés  en  Europe  ;  et  les 
deux  qui  restent  sont  aussi  nuls  pour  ce  qu'ils  doivent 
prouver  que  comme  s'ils  n'existaient  pas  non  plus.  On 
aura  de  la  peine,  je  le  sens  bien ,  à  croire  à  une  pa- 
reille manière  de  procéder;  mais  ceux  qui  connaissent 
l'histoire  diplomatique  du  siècle  passé,  ou  qui  sont  en 
état  de  vérifier  les  faits,  jugeront  s'il  y  a  de  l'inexac- 
titude ou  de  l'exagération  dans  les  éclaircissements 
suivants. 

1"  Le  traité  de  1734  entre  l'Angleterre  et  la  Russie 
ne  fait  aucune  mention  du  droit  de  la  puissance  sup- 
posée neutre  en  temps  de  guerre  maritime,  de  trans- 
porter les  marchandises  appartenantes  aux  ennemis 
de  la  puissance  belligérante.  Il  spécifie  les  articles  qui 
seront  réputés  contrebande  de  guerre,  et,  comme  tels, 
sujets  à  la  confiscation ,  et  ajoute  que  ni  le  vaisseau , 

'  Le  traité  de  4786  ne  fut  au  reste  conclu  que  pour  douze  ans,  et  il  est 
plus  que  probable  que,  même  sans  l'intervention  de  la  guerre ,  il  n'eût 
point  été  renouvelé.  Ce  traité  était  un  des  principaux  griefs  que  les 
chefs  de  la  Révolution  alléguèrent  contre  l'ancien  gouvernement  fran- 
çiis. 


—  46  — 

ni  les  passagers ,  ni  le  reste  de  la  cargaison  ne  parta- 
geront le  sort  de  ces  articles.  Voilà  tout  ce  que  ce  traité 
(qui  doit  avoir  consacré  les  principes  de  celui  d'U- 
trecht  !  )  a  statué  sur  la  navigation  neutre.  Le  traité 
que  les  mêmes  puissances  conclurent  en  1 766  répéta 
les  mêmes  dispositions.  Après  la  publication  solen- 
nelle des  articles  adoptés  en  1 780  par  les  puissances 
qui  prirent  part  à  la  neutralité  armée ,  quoique  l'An- 
gleterre eût  constamment  protesté  contre  ces  principes, 
on  aurait  pu  croire  que  la  Russie ,  auteur  et  chef  de 
cette  association,  ne  consentirait  plus  à  un  traité  sur 
les  affaires  maritimes,  sans  que  le  droit  de  couvrir 
indistinctement  toute  espèce  de  marchandise  y  fût 
assuré  au  pavillon  neutre  ;  cependant  les  articles  rela- 
tifs à  la  navigation  neutre,  dans  le  traité  de  commerce 
avec  l'Angleterre  de  1 797,  étaient  littéralement  copiés 
d'après  ceux  des  traités  de  1734  et  de  1766.  Enfin, 
dans  la  convention  de  1801,  la  dernière  sur  cet  objet, 
non-seulement  entre  l'Angleterre  et  la  Russie ,  mais  la 
dernière  en  général  à  laquelle  l'Angleterre  ait  eu  part, 
il  est  expressément  stipulé  que  les  marchandises  ap- 
partenant à  l'ennemi ,  quoique  transportées  dans  les 
vaisseaux  d'un  neutre ,  sont  sujettes  à  la  confiscation. 
2"  Aucun  traité  n'a  eu  lieu  entre  l'Angleterre  et  la 
Suède,  ni  en  1740,  ni  en  1783.  Le  traité  de  1766,  ex- 
clusivement calculé,  à  ce  qu'il  paraît,  sur  des  rela- 
tions de  paix  et  d'amitié,  rédigé  dans  des  termes  très- 
généraux  et  très-insignifiants,  n'a  pas  articulé  une 
syllabe  ni  sur  les  droits,  ni  sur  les  limites  de  la  neu- 
tralité dans  les  guerres  maritimes.  — •  Il  fallait  ou  une 
innocence,  ou  une  effronterie  peu  commune,  pour  se 
permettre  de  citer  cette  pièce ,  et  en  général ,  de  tou- 
cher, dans  une  discussion  comme  celle-ci,  aux  anciens 
rapports  entre  l'Angleterre  et  la  Suède.  Ceux  même 
qui  ne  sont  pas  très-versés  dans  ces  matières,  doivent 


—  47  — 

pourtant  avoir  entendu  dire  que  jusqu'à  ce  que  la 
Suède  eût  accédé  à  la  convention  de  1801  ,  il  n'y  a 
point  eu  d'autre  règle  pour  les  droits  respectifs  de  ces 
deux  puissances  dans  les  guerres  maritimes,  que  les 
traités  de  1661  et  de  1665;  traités  peu  favorables  aux 
prétentions  des  neutres,  dans  lesquels  le  dénombre- 
ment des  articles,  considérés  comme  contrebande  de 
guerre ,  comprend  jusqu'aux  vivres  fournis  aux  enne- 
mis de  la  puissance  belligérante ,  et  dans  lesquels  il 
est  clairement  établi  que  le  navire  ne  couvrira  point 
la  cargaison. 

3"  Le  soi-disant  traité  de  1 782  entre  l'Angleterre  et 
la  Hollande  est  encore  une  production  spontanée  de 
la  veine  poétique  decespublicistes.  Dès  l'année  1780 
le  gouvernement  britannique,  à  la  suite  de  ses  lon- 
gues disputes  avec  les  États-Généraux,  avait  formelle- 
ment suspendu  tous  les  traités  qui  subsistaient  entre 
l'Angleterre  et  les  Provinces-Unies  des  Pays-Bas,  et 
notamment  celui  de  1 674 ,  qui  favorisait  beau- 
coup la  navigation  neutre  en  temps  de  guerre. 
Peu  après  la  guerre  avait  éclaté  en  1792,  l'Angle- 
terre ,  faisant  faire  des  offres  de  paix  aux  États- 
Généraux,  y  ajouta  celle  du  renouvellement  de  tous 
les  anciens  traités.  Cette  offre,  par  l'acceptation  de 
laquelle  les  privilèges  de  la  navigation  neutre  auraient 
été  rétablis  pour  la  Hollande  sur  le  pied  du  traité  de 
1 674 ,  mais  qui  aurait  aussi  obligé  les  Hollandais  à 
faire  cause  commune  avec  l'Angleterre ,  et  à  fournir 
les  secours  stipulés  dans  un  grand  nombre  de  traités, 
fut  rejetée  à  deux  reprises.  Lorsqu'on  négocia  la  paix 
en  1783,  il  fut  de  nouveau  question  de  cette  clause; 
mais  le  parti  français  s'y  opposa  avec  plein  succès , 
et  il  en  arriva  que,  dans  le  traité  de  paix  de  1 783,  les 
questions  relatives  à  la  navigation  neutre  furent  pas- 
sées sous  silence,  et  que  depuis  aucune  de  ces  ques- 


-  48  -  ^ 

lions  n'a  été  ni  fixée ,  ni  seulement  discutée  entre  les 
deux  États. 

4°  Pour  terminer  dignement  cette  liste  de  docu- 
ments imaojinaires,  ils  y  ajoutent  un  traité  entre  l'An- 
gleterre et  la  Prusse  de  1785.  11  n'y  a  jamais  eu  de 
traité  de  commerce  ou  de  navigation  quelconque  entre 
ces  deux  puissances,  et  au  surplus  elles  n'ont  rien  pu 
signer,  puisqu'elles  n'avaient  rien  négocié  en  1785. 
Il  est  possible  que  les  savants  rédacteurs  de  ces 
notes  aient  eu  l'idée  vague  d'un  traité  conclu  en  1785 
entre  la  Prusse  et  les  États-Unis  de  l'Amérique  *.  Mais 
quelle  que  soit  la  source  de  leur  erreur,  elle  achève 
toujours  de  caractériser  leur  démonstration. 

Ainsi,  au  lieu  de  gagner  du  terrain,  ils  se  sont  affai- 
blis et  battus  eux-mêmes;  et  les  citations  incorrectes , 
controuvées ,  ou  déplacées ,  par  lesquelles  ils  ont  cru 
renforcer  leur  thèse,  ne  serviront  qu'à  la  décréditer 
davantage,  et  à  la  rendre  ridicule  aux  yeux  des  hommes 
instruits.  Il  serait  fort  inutile  d'examiner  si  aujour- 
d'hui ce  qu'ils  appellent  le  traité  d'Utrecht,  peut  avoir 
force  de  loi  pour  qui  que  ce  soit  au  monde.  Il  est  cer- 
tain qu'il  n'en  a  plus  dans  aucun  sens  et  sous  aucun 
rapport  pour  l'Angleterre.  Il  est  également  certain  que 
si  le  gouvernement  anglais,  par  quelques  traités  par- 
ticuliers de  commerce  et  de  navigation  signés  à Utrecht, 
a  pris  des  engagements  (  et  des  engagements  rien 
moins  que  perpétuels  )  avec  la  France  et  l'Espagne ,  ses 

*  Dans  ce  traité,  qui  est  une  vraie  curiosité  diplomatique,  les  deux 
puissances  contractantes,  pourvoyant  au  cas  d'une  guerre  qui  pourrait 
survenir  entre  elles,  s'engageaient  à  n'accorder  aucune  commission  à 
des  vaisseaux  armés  en  course  pour  prendre  les  vaisseaux  marchands 
ou  pour  interrompre  le  commerce.  On  doit  s'étonner  que  cette  clause 
philanthropique,  s'appliquant  ici  à  une  supposition  pas  beaucoup  plus 
invraisemblable  que  celle  de  la  neutralité  de  la  France  ou  de  l'Angle- 
terre dans  une  guerre  maritime,  ne  soit  pas  élevée  aussi  au  rang  d'une 
loi  commune  des  nations. 


—  49  — 

droits  et  ses  devoirs  envers  d'autres  puissances  n'ont 
jamais  pu  dépendre  de  ces  engagements;  que,  dans 
les  différentes  conventions  que  l'Angleterre,  à  diffé- 
rentes époques,  a  négociées  avec  ces  autres  puissances, 
l'extension  du  droit  de  neutralité  dans  les  guerres  ma- 
ritimes a  varié  sans  cesse  d'après  les  intérêts  respec- 
tifs ,  d'après  les  avantages  réciproquement  accordés  , 
d'après  des  considérations  particulières  de  toute  es- 
pèce, locales ,  politiques ,  commerciales';  que  l'Ai*- 
gleterre,  protestant  contre  des  règles  arbitraires,  et 
soi-disant  générales ,  que  personne  n'était  autorisé  à 
lui  imposer,  a  usé  d'un  droit  qui  appartient  à  toute 
puissance  indépendante;  qu'elle  n'a  jamais  reconnu 
une  législation  universelle  en  fait  de  droits  maritimes, 
mais  qu'aussi  elle  n'y  a  pas  prétendu  de  sa  part;  en- 
fin, que  cette  loi  commune  des  nations  que  le  traité 
d'Utrecht  doit  avoir  solennellement  établie,  et  qui 
doit  avoir  été  confirmée  par  tous  les  traités  subsé- 
quents, n'est  qu'une  phrase  banale  de  plus,  imaginée 
pour  égarer  l'opinion  publique  et  pour  colorer  les  plus 
injustes  prétentions. 


S  2. 

Des  motifs  et  du  caractère  des  ordres  du  Conseil  opposés  par  le 
gouvernement  britannique  aux  décrets  de  Berlin  et  de  Milan. 

Il  est  dit  dans  la  dernière  déclaration  du  gouver- 

•  La  seule  des  nations  maritimes  vis-à-vis  de  laquelle  l'Angleterre  ait 
constamment  reconnu  le  privilège,  considéré  à  faux  comme  un  droit  du 
pavillon  neutre,  de  couvrir  la  marchandise  ennemie,  est  la  nation por- 
iugaise.  Elle  l'avait  obtenu  par  le  traité  du  10  juilleHeSl,  qui  n'a  jamais 
été  ni  modifié,  ni  suspendu.  Cette  faveur  était  fondée  sur  de  bonnes 
raisons.  La  nation  portugaise  avait,  de  son  côté,  bien  mérité  de  l'Angle- 
terre, et  lui  avait  de  tout  temps  donné  des  preuves  d'une  affection  parti- 
culière.—  Heureusement  pour  l'indépendance  et  la  pro?péiité  future  du 
Portugal  ce  sentiment  s'est  conservé  jusqu'à  nos  jours. 

XI  4 


—  50  — 

nement  anglais  :  «  Depuis  l'époque  où  l'injustice  et 
la  violence  toujours  croissantes  du  gouvernement 
français  ne  permirent  plus  à  Sa  Majesté  de  renfer- 
mer l'exercice  des  droits  de  la  guerre  dans  ses  limites 
ordinaires,  etc.,  etc.  »  —  A  ces  mots  le  Moniteur  s'é- 
crie :  ((  A  quel  propos  s'agit-il  ici  de  l'exercice  des 
droits  de  la  guerre  renfermé  dans  ses  limites  ordi- 
naires? La  guerre  donne-t-elle  donc  des  droits  sur  les 
neutres  ?  —  Parce  que  la  France  a  conquis  la  Bel- 
gique ,  l'exercice  du  droit  de  la  guerre  ne  peut  être 
renfermé  dans  ses  limites  ordinaires  à  l'égard  des 
États-Unis?  etc.,  etc.  » 

11  est  clair  que  «  l'injustice  et  la  violence  toujours 
croissantes  »  dont  le  gouvernement  anglais  se  plaint 
dans  ce  passage ,  ne  se  rapporte  pas  au  système  de 
conquête  et  d'agrandissement  dont  le  continent  est 
depuis  tant  d'années  la  victime,  et  que  c'est  une  mau- 
vaise et  plate  chicane ,  que  d'interpréter  ce  passage 
comme  si  l'Angleterre  avait  voulu  justifier  l'extension 
des  droits  de  la  guerre  à  l'égard  des  neutres,  par  la 
conquête  de  la  Belgique,  ou  par  tel  autre  envahisse- 
ment territorial.  ■ —  «  L'injustice  et  la  violence  »  qu'on 
relève  ici ,  est  celle  que  le  gouvernement  français  a 
exercée,  non  pas  contre  l'un  ou  l'autre  pays,  mais 
contre  toutes  les  nations  de  la  terre,  et  contrôles  neu- 
tres autant  que  contre  les  belligérants ,  par  l'interdit 
général  qu'il  prononça  en  1 806  sur  toute  communi- 
cation avec  les  Iles  Britanniques.  C'est  cette  mesure, 
jusque-là  sans  exemple,  que  les  ministres  d'Angleterre 
ont  vue,  lorsqu'ils  parlent  des  actes  d'injustice  et  de 
violence  qui  ont  forcé  Sa  Majesté  Britannique  d'étendre 
l'exercice  des  droits  de  la  guerre  au  delà  de  ses  li- 
mites ordinaires. 

Mais  la  guerre,  poursuit  le  rédacteur  des  notes 
avec  une  bonhomie  vraiment  admirable,  «  la  guerre 


—  51   — 

donne- t-elle  donc  un  droit  quelconque  sur  les  neutres? 
Les  neutres  ne  sont-ils  pas  exceptés  du  droit  de  la 
guerre?»  (Notes  1,  2,  7.)  —  Voilà  le  gouvernement 
français  à  une  hauteur  à  laquelle  les  apôtres  les  plus 
hardis  de  la  neutralité  n'avaient  jamais  osé  s'élan- 
cer. Si  quelqu'un  avançait  de  bonne  foi  une  doc- 
trine pareille,  il  vaudrait  la  peine  de  remonter  avec 
lui  aux  principes,  de  lui  prouver  par  des  raisonne- 
ments solides  que  l'idée  d'une  neutralité  absolue, 
qu'aucun  exercice  des  droits  légitimes  de  la  guerre 
ne  saurait  atteindre  ,  répugne  aux  premières  notions 
du  Droit  public,  et  qu'il  serait  aussi  contraire  à  la  lo- 
gique qu'à  la  justice,  de  n'admettre  ni  limites,  ni  mo- 
difications aux  prétentions  des  neutres,  pendant  que 
l'on  exigerait  de  l'autre  côté  que  les  droits  des  puis- 
sances belligérantes  fussent  limités  et  modifiés  par 
ceux  des  neutres!  — Mais  ici,  où  nous  ne  combattons 
que  des  sophismes  que  le  moment  fait  éclore,  et  que 
le  moment  qui  suit  ne  retrouve  plus,  des  armes  plus 
simples  nous  suffisent. 

Si  les  neutres  sont  «exceptés  du  droit  de  la  guerre,» 
ou,  pour  parler  plus  correctement  et  plus  intelligible- 
ment ,  si  leurs  droits  sont  au-dessus  de  toute  restric- 
tion que  l'état  de  guerre  et  les  droits  des  puissances 
belligérantes  pourraient  y  mettre,  que  signifie  ce 
nombre  prodigieux  de  traités  par  lesquels  les  limites 
de  l'exercice  de  ces  droits  ont  été  réglées ,  non  pas 
d'après  un  principe  uniforme,  mais  d'après  des  com- 
binaisons toujours  variées,  tantôt  plus,  tantôt  moins 
en  faveur  des  neutres?  Sur  quoi  étaient  fondées  et  à 
quoi  aboutissaient  ces  ordonnances  souvent  renouve- 
lées ,  par  lesquelles  les  différents  geuvernements ,  et 
celui  de  France  plus  habituellement  et  plus  stricte- 
ment qu'aucun  autre,  indiquaient  les  bornes  du  com- 
merce et  de  la  navigation  neutre  en  temps  de  guerre 


—  52  — 

maritime?  —  Et  si  «  le  principe  fondamental  des 
droits  des  neutres  est  que  le  pavillon  couvre  la  mar- 
chandise »  (Note  2),  comment  s'est-il  fait  que  toutes 
ces  ordonnances  aient  ignoré,  méconnu,  ou  ouverte- 
ment rejeté  ce  principe? 

Mais  le  décret  de  Berlin  n'était-il  donc  pas  lui- 
même  l'acte  d'hostilité  le  plus  caractérisé  et  le  plus 
outrageant  contre  ce  qui ,  depuis  le  moment  de 
sa  publication ,  eût  osé  prétendre  aux  droits  ou  aux 
avantages  de  la  neutralité?  —  On  voudrait  nous  faire 
croire  aujourd'hui,  et  la  plus  grande  partie  de  ces 
notes  est  principalement  consacrée  à  cette  tâche,  que 
le  décret  de  Berlin  n'était  qu'un  simple  règlement  mu- 
nicipal,  pour  exclure  les  marchandises  anglaises  des 
pays  soumis  à  la  France,  ou  occupés  par  ses  armées, 
et  que  le  gouvernement  français,  en  portant  ce  décret, 
n'a  point  outrepassé  le  pouvoir  qu'un  État  souverain 
peut  légitimement  exercer  au  temps  de  guerre ,  et 
même  en  temps  de  paix ,  lorsque  des  considérations 
d'intérêt  ou  de  politique  l'engagent  à  fermer  son  ter- 
ritoire contre  les  productions  de  tel  ou  tel  peuple. 
Voyons  s'il  y  a  une  ombre  de  vraisemblance  dans  cette 
explication  tardive  et  forcée. 

Le  décret  de  Berlin  s'annonce  dès  son  préambule, 
non  pas  comme  un  règlement  de  commerce,  ou  comme 
une  mesure  de  police  administrative,  mais  avec  toute 
la  pompe  et  toute  la  sévérité  d'un  code  criminel. 
Après  avoir  accusé  l'Angleterre  de  tout  ce  que  l'on 
peut  imaginer  de  plus  odieux,  après  avoir  solennelle- 
ment proclamé  l'intention  de  la  punir  de  ses  délits,  il 
déclare  «  que  les  Iles  Britanniques  sont  mises  en  état 
de  blocus ,  et  que  toute  communication  et  toute  cor- 
respondance avec  elles  est  défendue.  »  Sont-ce  là  les 
termes  d'une  loi  prohibitive  ordinaire?  Le  blocus  des 
Iles  Britanniques  peut-il  entrer  dans  la  sphère  d'une 


—  53  — 

loi  municipale,  ou  d'un  régime  de  douaniers?  La  me- 
sure générale  est-elle  modifiée,  est-elle  adoucie  par  une 
restriction  quelconque  en  faveur  d'aucun  peuple  ou 
d'aucun  individu?  Qui  a  jamais  pu  jeter  les  yeux  sur 
cet  arrêt  de  proscription,  unique  dans  l'histoire,  sans 
y  reconnaître  sur-le-champ  le  style  usurpé  d'un  lé- 
gislateur suprême,  qui  dans  le  délire  d'une  ambition, 
trop  nourrie  par  des  succès  fabuleux ,  regardait  déjà 
l'univers  comme  son  patrimoine! 

Il  est  possible  que,  dans  un  temps  où  on  aime  à  ré- 
duire les  plus  hautes  questions  de  la  politique  à  des 
calculs  de  gain  et  de  perte ,  l'opinion  que  j'ai  formée 
sur  cet  objet,  et  dont  je  suis  profondément  pénétré,  ne 
soit  pas  celle  de  beaucoup  de  monde;  mais  je  me 
hâte  de  la  consigner  ici  comme  une  des  bases  prin- 
cipales de  mon  système.  J'ai  toujours  cru  qu'indé- 
pendamment de  toute  considération  de  droit  et  de 
toute  communication  d'intérêt  proprement  dit,  le  dé- 
cret de  Berlin  appelait  le  gouvernement  britannique 
aux  représailles  les  plus  prononcées  et  les  plus  vigou- 
reuses, sous  le  seul  point  de  vue  de  l'honneur  natio- 
nal mortellement  blessé.  Jamais,  selon  moi,  injure 
plus  sanglante  n'a  été  offerte  à  une  nation  magna- 
nime. Les  prétextes  sur  lesquels  cet  acte  est  fondé,  ses 
motifs  avoués,  son  but  clairement  énoncé,  le  caractère 
et  la  forme  de  ces  dispositions,  le  langage  qui  les  ex- 
prime, chaque  mot,  depuis  le  préambule  jusqu'au  der- 
nier article,  ne  respire  que  la  colère  et  le  ressentiment 
d'un  chef  irrité  par  la  résistance  d'une  poignée  de  su- 
jets rebelles  à  ses  lois,  qu'un  châtiment  sévère  doit  ra- 
mener à  la  raison  et  à  leur  devoir.  Je  défie  tout  homme 
d'un  sens  droit  de  lire  le  décret  de  Berlin ,  et  de  ne 
pas  être  frappé  de  la  vérité  de  cette  observation.  Il  me 
sera  donc  aussi  permis  d'ajouter  qu'aux  yeux  de  ceux 
qui  regardent  l'honneur  comme  le  trésor  le  plus  sa- 


—  54  — 

cré,  l'appui  le  plus  respectable,  et  la  ressource  la  plus 
précieuse  d'un  gouvernement,  le  ministère  britan- 
nique eût  été  complètement  justifié,  s'il  avait  répondu 
à  un  outrage  aussi  cruel  par  quelque  démarche  plus 
éclatante  même  que  les  ordres  du  Conseil  du  mois  de 
novembre  1 807  '. 

Mais  quelle  que  soit  sur  cette  question,  morale  au- 
tant que  politique,  la  manière  de  voir  et  de  sentir  des 
contemporains ,  il  suffît  d'analyser  les  détails  du  dé- 
cret de  Berlin  pour  juger  si  le  plus  audacieux  sophiste 
réussirait  à  le  présenter  comme  un  règlement  de  po- 
lice commerciale,  ou  à  nous  donner  le  change  sur  sa 
connexion  directe  avec  les  plus  grands  rapports  du 
Droit  public,  et  les  plus  grands  intérêts  du  monde  ci- 
vilisé. 

Le  décret  ordonne,  «  qu'aucun  bâtiment  venant  di- 
■  rectement  de  l'Angleterre  ou  des  colonies  anglaises , 
ou  y  ayant  été  depuis  la  publication  du  décret,  ne  sera 
reçu  dans  aucun  port.»  — Cela  ne  s'appelle  pas, 
comme  on  le  prétend  aujourd'hui,  «  défendre  Ventrée 
des  marchandises  anglaises ,  comme  contraire  à  la  lé- 
gislation des  douanes  de  France.  »  — 'Le  bâtiment, 
quel  que  soit  son  propriétaire ,  quelle  que  soit  sa  car- 
gaison, quel  que  soit  le  dernier  but  de  son  voyage,  est 
proscrit  pour  le  simple  fait  d'avoir  touché  aux  côtes  de 
l'Angleterre  ou  de  ses  colonies.  Je  serais  curieux  d'ap- 
prendre d'un  défenseur  des  droits  des  neutres,  dans 
quel  code  de  neutralité  se  trouve  le  principe  ou  la 
sanction  d'une  mesure  pareille. 

((  Tout  magasin ,  toute  propriété ,  toute  marchan- 
dise, de  quelque  nature  qu'elle  puisse  être,  apparte- 

*  C'est  sous  ce  rapport-là  que  l'ordre  du  Conseil  du  7  janvier  4807 
m'a  toujours  paru  peu  satisfaisant,  quoique  le  système  de  modération 
dans  lequel  il  était  conçu,  pût  avoir  des  motifs  très-bien  calculés  à 
d'autres  égards. 


55 


nant  à  l'Angleterre,  ou  provenant  de  ces  fabriques  et 
de  ses  colonies,  est  déclarée  de  bonne  prise,  »  par  les 
articles  4  et  5  de  ce  décret.  Je  ne  relèverai  pas  ici 
l'injustice  révoltante  de  ces  articles,  auxquels,  pour 
comble  d'atrocité,  on  a  donné  même  un  effet  rétroac- 
tif, qui  a  porté  la  ruine  et  la  misère  dans  une  quantité 
de  pays  jadis  florissants ,  ni  l'affreuse  inconséquence 
de  ceux  qui  ont  imaginé  ce  grand  acte  de  spoliation , 
tout  en  se  récriant  sur  ce  que  la  guerre  maritime  ne 
respectait  pas  les  propriétés  particulières!  —  Ce  qui  re- 
garde plus  directement  notre  question ,  c'est  que  la 
manière  dont  ces  articles  sont  rédigés,  n'admet  au- 
cune distinction,  aucune  modification  ,  pour  sauver 
les  droits  d'un  tiers ,  qui  ne  se  trouverait  soumis  à 
aucun  titre  aux  arrêts  de  cette  étrange  législation. 
Que  le  propriétaire  d'une  marchandise  proscrite  soit 
sujet  de  l'Angleterre ,  de  la  France ,  d'un  souverain 
allié,  d'une  puissance  neutre  ,  habitant  d'un  pays  en- 
vahi par  les  troupes  française,  ou  placé  hors  de  toute 
atteinte  de  la  guerre,  tout  cela  est  indifférent;  pour 
être  confisqué  comme  propriété  anglaise,  il  suffit  que 
l'objet  soit  censé  provenir  du  sol,  des  fabriques  ou  des 
colonies  de  l'Angleterre'.  ■ —  Si  des  lois  municipales 
ou  commerciales  peuvent  s'étendre  jusque-là,  il  eût  été 
plus  simple  de  déclarer  que  la  juridiction  du  gouver- 
nement français  embrassait  tous  les  pays  de  la  terre. 
«  Les  lettres  et  paquets  adressés  ou  en  Angleterre, 
ou  à  un  Anglais,  ou  écrits  en  langue  anglaise,  n'au- 

•  Nous  voyons  ici  le  même  gouvernement  qui  a  soutenu  avec  tant 
d'obstination,  et  qui  soutient  aujourd'hui  encore,  sans  se  déconcerter, 
«  que  le  pavillon  doit  couvrir  la  marchandise,  lors  même  qu'elle  appar- 
tient à  un  ennemi,  »  non-seulement  renverser  ce  principe,  mais  établir 
ce  qui  lui  est  diamétralement  contraire  par  une  fiction  de  droit  que  per- 
sonne n'avait  encore  imaginée,  et  moyennant  laquelle  des  marchandises 
d'origine  anglaise,  ou  supposées  telles,  doivent  être  considérées  comme 
propriété  ennemie,  lors  même  quelles  appartiendraient  a  un  ami. 


—  se- 
ront pas  cours  aux  postes,  et  seront  saisis.  «  Serait-il 
possible  de  transformer  en  règlement  de  police  inté- 
rieure une  mesure  scandaleusement  tyrannique,  qui 
frappait  des  personnes  et  des  endroits  sur  lesquels  le 
gouvernement  français  n'avait  pas  la  plus  légère  ap- 
parence d'un  pouvoir  légitime?  Au  moment  où  le 
décret  de  Berlin  fut  publié ,  plusieurs  pays  considé- 
rables (tels  que  tous  ceux  qui  composaient  la  monarchie 
autrichienne,  etc.)  dont  la  neutralité  était  claire  et 
reconnue,  se  voyaient  arbitrairement  privés  de  tout 
moyen  de  communication  avec  l'Angleterre ,  et  atta- 
qués surtout  dans  une  partie  très-sensible  de  leurs 
intérêts  par  l'exécution  du  décret  dans  les  malheu- 
reuses villes  de  commerce  du  nord  de  l'Allemagne  '. 
Et  quand  on  pense  que  l'occupation  même  de  ces 
villes,  étrangères  de  tout  temps  à  la  guerre  conti- 
nentale comme  à  la  guerre  maritime,  neutres  et  paci- 
fiques par  excellence,  ne  put  avoir  lieu  qu'au  mépris 
de  tous  les  droits  et  de  tous  les  principes,  comment 
caractériser  le  front  capable  de  soutenir  que  le  décret 
de  Berlin  n'était  qu'un  acte  de  police  territoriale ,  et 
ne  compromettait  en  rien  l'exercice  de  la  neutralité  ! 
Mais  à  quel  propos,  diront-ils,  nous  entretenir  de 
la  neutralité  continentale;  c'est  la  neutralité  maritime 
que  nous  défendons.  Saisir  tout  ce  qui  est  suspect 
d'origine  anglaise  dans  chaque  endroit  que  nos  armes 
ou  nos  menaces  peuvent  atteindre,  piller  les  maga- 
sins, confisquer  les  propriétés  des  particuliers,  fer- 
mer les  bureaux  de  poste,  détruire  toutes  les  commu- 
nications, ruiner  tous  les  peuples  du  continent,  amis 
ou  ennemis,  armés  ou  neutres,  voilà  le  droit  de  la 

'  Pour  calculer  l'effet  de  ce  seul  article  du  décret  de  Berlin,  il  faut 
savoir  qu'avant  cette  loi  barbare,  le  nombre  de  lettres  remises  seule- 
ment au  bureau  de  poste  de  Hambourg  pour  l'Angleterre,  montait 
chaque  jour  de  courrier  à  vingt  mille  et  au  delà. 


—  57  — 

guerre!  Mais  vexer  sur  mer  «  les  Américains  et  les 
Ottomans ,  dont  le  territoire  n'est  pas  occupé  par  la 
France  \  »  rien  au  monde  ne  saurait  le  justifier  !  Ce 
langage  serait  insupportable,  s'il  était  fondé  même 
sur  quelque  distinction  ou  restriction  réelle;  mais  il 
l'est  d'autant  plus  que  le  décret  de  Berlin  n'articulait 
pas  un  mot  de  réserve  pour  les  droits  des  neutres  sur 
mer.  «  Tout  bâtiment  (dit  l'article  8)  qui  contre- 
viendra à  la  disposition  ci-dessus,  sera  saisi,  et  le 
navire  et  la  cargaison  seront  confisqués,  comme  s'ils 
étaient  propriété  anglaise.  »  D'après  cet  article,  rien 
n'empêchait  les  croiseurs  français  de  courir  sus  à  tous 
les  bâtiments  neutres,  en  les  accusant  seulement  de 
l'intention  d'entrer  dans  quelque  port  du  continent, 
après  avoir  touché  à  un  port  de  l'Angleterre.  11  est 
certain  et  généralement  connu  qu'une  quantité  de 
bâtiments  américains  ont  été  pris  et  condamnés  sous 
ce  prétexte;  et  si  le  nombre  n'en  fut  pas  plus  grand, 
ce  n'est  pas  au  moins  à  un  manque  de  volonté  de  la 
part  des  Français  qu'on  doit  l'attribuer. 

D'ailleurs,  s'il  avait  pu  rester  un  doute  sur  cette 
question,  le  décret  de  Milan  y  exclusivement  occupé 
des  saisies  en  mer,  aurait  suffi  pour  le  faire  disparaître. 
Je  sais  bien  que  les  défenseurs  de  ce  décret  diront 
qu'il  était  un  acte  de  représailles  contre  les  ordres  du 
Conseil  britannique.  Mais  outre  que,  dans  la  première 
partie  de  ces  observations,  je  crois  avoir  suflisam- 
ment  démasqué  cette  objection,  je  soutiens  que,  si 
elle  était  même  juste  et  solide,  le  gouvernement  français 
aurait  perdu  le  droit  de  l'employer.  Car  si  les  neutres, 
comme  il  ne  cesse  de  nous  le  répéter,  «  ne  peuvent 
être  assujettis  à  une  autorité  quelconque,  »  si  une  fois 

'  On  prendrait  cette  phrase  pour  un  sarcasme  amer,  si  elle  ne  se 
trouvait  pas  littéralement  dans  le  Moniteur ^  et  même  répétée  plusieurs 
fois  (voy.  les  Notes  4  et  10). 


—  58  — 

pour  toutes  ils  sont  «  exceptés  du  droit  de  la  guerre ,  » 
il  doit  être  également  impossible  de  restreindre  leur 
liberté  par  des  actes  de  représailles,  ou  par  des  or- 
donnances directes. 

Il  faut  le  dire,  parce  que  tel  est  le  fait.  Ces  dis- 
tinctions chimériques,  ces  subtilités  insidieuses,  dont 
le  Moniteur  se  décore  aujourd'hui,  mais  qui  ne  datent 
pas  de  bien  loin ,  lui  ont  été  suggérées  par  les  diplo- 
mates américains  qui,  parmi  d'autres  assertions  in- 
soutenables, prétendaient  aussi  que  le  décret  de  Berlin 
n'avait  pas  positivement  articulé  la  saisie  des  vais- 
seaux neutres  en  pleine  mer.  Les  auteurs  de  ce  pitoyable 
subterfuge ,  qui  reparaît  encore  dans  les  pièces  les 
plus  récentes ,  avaient  bien  sollicité  dans  le  temps  et 
obtenu  même  du  ministre  de  la  marine  de  France,  une 
espèce  d'explication  du  décret  qui  avait  l'air  de  favo- 
riser leur  découverte.  Mais  lorsqu'ils  demandèrent 
ensuite  que  cette  explication  fût  sanctionnée  par  l'au- 
torité suprême,  on  leur  fit  savoir,  après  beaucoup  de 
délais,  que  le  décret  serait  exécuté  dans  toute  sa 
rigueur. 

Il  faut  s'aveugler  à  dessein  contre  l'évidence  pour 
ne  pas  reconnaître  enfin  que  les  ordres  du  Conseil 
britannique  du  mois  de  novembre  1 807  étaient  par- 
faitement et  amplement  justifiés,  non-seulement  par 
le  principe,  mais  aussi  par  toute  la  teneur  et  par 
chaque  détail  du  décret  de  Berlin,  et  que  les  ministres 
anglais  ont  pu  dire  en  toute  vérité  dans  leur  dernière 
déclaration  officielle  :  (f  que  Sa  Majesté  a  cherché,  par 
un  usage  restreint  et  modéré  des  droits  de  représailles 
auxquels  les  décrets  de  la  France  la  forçaient  d'avoir 
recours,  à  réconcilier  les  États  neutres  avec  ces  me- 
sures, que  la  conduite  de  l'ennemi  avait  rendues 
inévitables,  n  En  effet ,  l'esprit  et  les  dispositions  de 
ces  ordres  étaient  fort  éloignés  de  toute  rigueur  gra- 


—  59  — 

tuite  ou  excessive.  Le  décret  de  Berlin  avait  défendu 
comme  une  action  criminelle  toute  communication  avec 
les  Iles  Britanniques;  en  réponse  à  cet  attentat  violent, 
les  ordres  du  Conseil  se  bornaient  à  interdire  le  com- 
merce direct  avec  la  France  et  les  pays  soumis  à  son 
pouvoir.  Si ,  dans  les  démarches  de  part  et  d'autre ,  il 
y  avait  eu  réciprocité  parfaite,  la  différence  des  motifs 
les  distinguerait  encore  d'une  manière  décisive.  La 
France  agissait  par  sa  propre  impulsion,  l'Angleterre 
par  la  nécessité  de  se  défendre.  Mais  en  comparant  les 
mesures  respectives  telles  qu'elles  sont,  on  s'aperçoit 
qu'au  lieu  d'une  réciprocité  exacte,  elles  présentent 
plutôt  les  contrastes  les  plus  frappants.  Chaque  phrase 
des  ordres  du  Conseil  exprime  le  désir  du  gouverne- 
ment anglais  de  soulager,  autant  qu'il  était  possible , 
ceux  qui,  sans  leur  faute,  devaient  souffrir  de  l'effet 
de  ses  représailles;  dans  le  décret  de  Berlin,  au  con- 
traire, on  ne  rencontre  pas  la  trace  d'un  ménage- 
ment; tout  y  est  enveloppé  dans  la  même  disgrâce,  et 
les  coups  portés  par  ce  sinistre  arrêt  tombaient  aussi 
directement  sur  l'Europe  continentale  et  sur  tous  les 
peuples  civilisés  que  sur  les  habitants  des  Iles  Britan- 
niques. Dans  les  formes  mêmes  la  différence  se  fait 
sentir.  Les  ordres  du  Conseil  sont  rédigés  avec  le 
calme  et  la  décence  qui  conviennent  à  des  actes  pu- 
blics; les  décrets  de  Berlin  et  de  Milan  sont  les  explo- 
sions d'un  volcan  révolutionnaire. 

L'esprit  de  modération  qui  avait  guidé  les  auteurs 
des  ordres  du  Conseil  de  1807,  se  fit  remarquer  de 
nouveau  dans  les  changements  que  l'on  y  apporta  de 
temps  en  temps,  et  qui  tous  avaient  pour  but  d'en 
adoucir  la  rigueur.  Par  l'ordre  du  20  avril  1809,  qui 
dispensa  les  bâtiments  neutres  de  toucher  aux  ports 
de  l'Angleterre,  et  retrancha  de  l'interdiction  du  com- 
merce une  grande  étendue  de  côtes  et  de  ports ,  les 


—  eo  -^ 

ordres  du  mois  de  novembre  1 807  furent  entièrement 
abrogés.  Jusqu'ici  les  Français,  soit  par  mauvaise 
foi,  soit  par  ignorance  réelle,  avaient  pris  le  parti  de 
se  taire  sur  tous  ces  changements  essentiels.  Tout  à 
coup  ils  trouvent  plus  convenable  de  les  calomnier, 
de  les  dénigrer,  d'y  reconnaître  une  preuve  de  plus 
de  la  prétention  monstrueuse  du  gouvernement  anglais 
d'assujettir  l'Océan  à  ses  lois  *. 

Des  déclamations  contre  la  tyrannie  des  mers  sont , 
selon  eux ,  partout  à  leur  place  ;  comment  les  auraient- 
ils  négligées  cette  fois-ci  !  «  L'Océan  appartient-il  donc 
à  l'Angleterre?  Où  est  l'acte,  où  est  l'autorité  qui  lui 
a  fait  concession  de  l'Océan  ?  Pourquoi  les  délits  com- 
mis sur  l'Océan  ne  sont-ils  pas  jugés  aux  assises  de 
Westminster?  etc.,  etc.  »  Une  grande  partie  des  notes 
est  remplie  de  ces  extravagances.  Nous  ne  nous  y  ar- 
rêterons qu'un  instant.  Les  ordres  du  Conseil  n'ont 
rien  de  commun  avec  l'empire  des  mers.  L'Océan 
n'est  le  domaine  de  personne;  et  l'Angleterre  n'en  a 
jamais  réclamé  ni  la  propriété,  ni  la  souveraineté. 
Mais  les  vaisseaux  qui  en  temps  de  guerre  parcourent 
cet  Océan,  et  leur  cargaison,  leur  destination,  leur 
route,  les  pays  d'où  ils  viennent  et  où  ils  vont,  et  le 

•  Voici  comment  le  Moniteur  travestit  dans  une  de  ses  notes  le  pas- 
sage de  la  déclaration  ofScielle  où  il  est  question  de  ces  changements. 
«  Sa  Majesté  Britannique ,  par  pitié  pour  l'Europe,  voulut  bien  limiter 
les  restrictions  que  ses  arrêts  du  Conseil  imposaient  au  commerce  neutre. 
Tous  les  mots  de  ce  paragraphe  excitent  l'indignation.  »  (Note  3.)  — Ce 
qui  doit  bien  vivement  l'exciter,  c'est  ce  mépris  total  pour  la  vérité,  qui 
est  que  les  rédacteurs  de  ces  diatribes,  en  répétant  dans  une  note  un 
passage  dont  ils  viennent  de  donner  eux-mêmes  le  texte  authentique, 
n'hésitent  pas  à  le  falsifier  sur-le-champ.  Dans  celui  qu'ils  ont  attaqué 
ici,  il  n'y  avait  pas  un  mot  qui  pût  être  construit  en  pitié  pour  l'Europe. 
Le  sens  même  y  répugne  absolument.  La  substitution  de  l'ordre  du 
Conseil  de  1809  à  ceux  de  1807  ne  tendait  qu'à  modifier  les  restrictions 
que  ceux-ci  avaient  imposées  aux  Américains.  C'est  en  leur  faveur  que 
le  gouvernement  anglais,  «  ayant  égard  à  la  situation  où  se  trouvait 
l'Europe  en  1809,»  limita  l'efifet  des  premiers  ordres  du  Conseil. 


—  61   — 

système  politique  et  commercial  de  ces  pays,  et  les 
relations  qu'ils  entretiennent  ou  qu'ils  forment  avec 
ceux  qui  sont  engagés  dans  la  lutte,  tous  ces  objets 
regardent  de  bien  près  les  droits  et  les  intérêts  d'une 
puissance  belligérante.  La  guerre  maritime  ne  serait 
qu'un  jeu ,  elle  deviendrait  même  absolument  nulle,  si 
les  peuples  qui  la  font  n'étaient  pas  autorisés  à  sou- 
mettre à  des  règles  et  à  des  limites  la  navigation  de 
ceux  qui  voudraient  cultiver  la  paix  pendant  les  orages. 
Dans  ce  sens,  la  mer  n'a  jamais  été  libre,  ne  le  sera 
jamais,  et  ne  peut  pas  l'être.  La  liberté  des  mers  est 
synonyme  de  la  neutralité  absolue  ;  l'une  et  l'autre  sont 
également  impraticables,  et  même  inconcevables.  Le 
vrai  Droit  des  gens,  tel  qu'il  était  avant  les  sophistes 
de  nos  jours,  et  tel  qu'en  dépit  de  leurs  chimères  il  se 
maintiendra  dans  les  têtes  bien  organisées ,  doit  inva- 
riablement reconnaître  ces  principes.  Leur  application 
a  pu  être  moins  sévère,  moins  tranchante,  moins  sen- 
sible, tant  que  la  guerre  elle-même  était  contenue  dans 
des  bornes  plus  étroites.  A  mesure  qu'elle  s'est  affran- 
chie de  ces  bornes,  qu'elle  a  gagné  soit  en  étendue  et 
en  variété  de  moyens,  soit  en  violence  et  en  férocité, 
tout  ce  qui  l'accompagne  et  tout  ce  qui  en  dépend  a 
dû  subir  les  mêmes  changements;  et  les  neutres, 
quelque  chose  qu'ils  fassent  pour  s'y  dérober,  et 
quelque  honneur  et  respect  que  les  autres  puissent 
porter  à  leurs  droits ,  doivent  à  un  certain  degré  par- 
tager le  sort  commun.  Jamais  le  gouvernement  anglais 
n'aurait  adopté  de  son  propre  chef  une  mesure  telle 
que  les  ordres  du  Conseil;  mais  le  décret  de  Berlin 
avait  complètement  changé  la  face  de  la  guerre,  et  il 
était  peu  sensé  de  prétendre  qu'au  milieu  d'un  trem- 
blement de  terre  qui  bouleversait  une  telle  masse  de 
pays,  l'Océan,  qui  les  entoure,  conservât  son  calme 
et  sa  sérénité. 


—  62 


S  3. 

Des  conditions  exigées  par  le  gouvernement  anglais  pour  la 
révocation  des  ordres  du  Conseil. 

On  ne  peut  rien  imaginer  de  plus  clair,  de  plus  po- 
sitif et  de  plus  juste,  que  la  condition  à  laquelle  le 
gouvernement  anglais  attache  la  révocation  de  ses  or- 
dres du  Conseil.  «  A  dater  du  jour  où  les  décrets  de 
Berlin  et  de  Milan  seront  révoqués  sans  réserve  et  res- 
triction par  un  acte  authentique,  les  ordres  du  Conseil 
seront  et  sont  déclarés  d'avance  absolument  et  complè- 
tement supprimés.  »  Qui  aurait  cru  qu'un  langage  si 
peu  équivoque  pût  encore  fournir  matière  aux  inter- 
prétations les  plus  calomnieuses? 

Le  Moniteur  s'accroche  à  un  passage  de  la  déclara- 
tion ,  où  il  est  dit  que  Sa  Majesté  Britannique  avait  tou- 
jours été  prête  à  renoncer  à  ses  actes  de  représailles, 
si  les  décrets  de  l'ennemi,  qui  la  forçaient  d'y  avoir 
recours,  avaient  été  abolis,  et  que  le  commerce  des  na- 
tions neutres  eût  été  rendu  à  son  cours  accoutumé.  On 
aurait  dit  qu'il  n'était  pas  possible  de  se  méprendre 
sur  le  sens  de  cette  phrase.  Rendre  le  commerce  des 
neutres  à  son  cours  accoutumé  ne  pouvait  signifier  ici 
autre  chose  que  remettre  ce  commerce  dans  l'état  où  il  se 
trouvait  avant  les  décrets  de  Berlin  et  de  Milan.  Sur  des 
millions  de  personnes  qui  liraient  cette  déclaration, 
il  n'y  en  aurait  pas  une,  je  crois,  qui  l'entendrait  dif- 
féremment. 

Mais  voici  l'explication  du  Moniteur  :  «  Les  Notes 
de  M.  Foster^  au  gouvernement  des  États-Unis  nous 
apprennent  suffisamment  ce  que  l'Angleterre  entend 
par  rendre  le  commerce  des  neutres  à  son  cours  accoutumé, 

•  Alors  ministre  d'Angleterre  près  les  États-Unis  de  l'Amérique. 


—  63  — 

Il  faut  détruire  les  fabriques  de  sucre  de  betteraves, 
déraciner  les  pastels  qui  donnent  au  continent  l'indigo 
indigène,  défendre  la  culture  du  coton  et  ces  nombreuses 
fabriques  qui  remplacent  les  produits  de  l'industrie 
anglaise,  et  qui  font  de  si  rapides  progrès  en  France, 
en  Autriche,  en  Saxe,  dans  le  duché  de  Berg.  Il  faut, 
tandis  que  l'Angleterre  met  des  droits  de  50  à  200  pour 
1 00  sur  les  vins  de  France,  etc.,  recevoir  les  marchan- 
dises anglaises  en  France,  et  n'imposer  à  leur  intro- 
duciion  que  des  droits  de  5  à  10  pour  100.  Alors  le 
commerce  sera  rendu  à  son  cours  accoutumé.  Voilà 
ce  qui  a  été  parfaitement  expliqué  par  les  Notes  de 
M.  Foster,  auxquelles  le  ministère  américain  a  répondu 
avec  autant  de  fermeté  que  de  talent,  etc.,  etc.  i) 
(Note  2.)  Un  moment  après  ils  ajoutent  :  «  L'Angle- 
terre entend  qu'elle  se  servira  des  neutres  pour  influer 
par  leur  moyen  sur  les  tarifs  municipaux  de  son  en- 
nemi, que  les  neutres  obligeront  la  France  à  recevoir 
les  marchandises  anglaises,  et  prêteront  leur  appui  à 
l'Angleterre  pour  qu'elle  parvienne  à  joindre  la  sou- 
veraineté universelle  de  la  terre  à  la  souveraineté  des 
mers.  Les  réponses  de  M.  Monroe  à  cette  prétention  si 
singulière  ont  un  tel  caractère  de  force  et  de  vérité 
que  nous  n'avons  rien  à  y  ajouter.  » 

Les  éloges  prodigués  ici  au  gouvernement  améri- 
cain sont  une  critique  bien  plus  amcre  de  sa  conduite 
que  tout  ce  que  les  défenseurs  les  plus  zélés  des  droits 
de  l'Angleterre  peuvent  avoir  dit  ou  écrit  contre  lui. 
Les  ministres  des  Etats-Unis  ont  mérité  une  partie  de 
ces  éloges.  Il  faut  cependant  rendre  à  chacun  ce  qui 
lui  est  dû.  Les  Notes  de  M.  Monroe  ne  sont  pas  respon- 
sables du  verbiage  insensé  que  je  viens  de  citer.  Les 
betteraves  y  \e  pastel,  les  tarifs,  lu  souveraineté  univer- 
selle, tout  cela  est  de  la  pure  invention  des  écrivains 
du  Moniteur.  Mais  lorsqu'à  la  suite  de  ce  déluge  d'ab- 


__  64  — 

surdités,  ils  prétendent  que  l'Angleterre,  pour  révo- 
quer les  ordres  du  Conseil,  a  exigé  «  que  les  neutres 
obligeront  la  France  à  recevoir  les  marchandises  an- 
glaises ,  il  est  difficile  de  nier  que  c'est  M.  Monroe  qui 
leur  a  administré  ce  chef  d'accusation. 

Ce  ministre  avait  inféré  de  quelques  passages  des 
Notes  de  M.  Poster,  que  l'Angleterre  insistait  sur  l'ad- 
mission des  produits  de  ses  manufactures  dans  les 
ports  de  la  France  et  de  ses  tributaires,  comme  sur 
une  condition  préalable  pour  révoquer  les  ordres  du 
Conseil,  et  qu'elle  faisait  un  tort  aux  États-Unis  de 
l'Amérique  de  ce  qu'ils  se  soumettaient  aux  lois  qui 
défendaient  l'importation  de  ces  articles.  M.  Poster  a 
constamment  protesté  contre  une  explication  aussi  peu 
conforme  au  sens  de  ses  Notes.  En  dépit  de  ses  protes- 
tations ,  on  avait  su  accréditer  l'idée  que  tel  était  le 
fond  de  ses  griefs  et  de  ses  moyens  d'accommodement. 
11  s'en  expliqua  donc  de  nouveau  dans  une  Note  du 
17  décembre  1811,  et  déclara  formellement  qu'aucun 
passage  de  celles  qui  l'avaient  précédée  n'autorisait  à 
lui  imputer  la  prétention  que  les  États-Unis  insistas- 
sent sur  l'entrée  des  marchandises  anglaises  en  France, 
ou  sur  des  modifications  dans  les  règlements  qui  la 
défendaient.  M.  Monroe  y  sans  convenir  de  son  erreur, 
paraît  cependant  avoir  senti  que  la  thèse  n'était  plus 
soutenablej  car  dans  sa  réponse  du  14  janvier  1812, 
d'ailleurs  aussi  peu  juste  et  satisfaisante  que  tout  le 
reste  delà  correspondance,  il  abandonna  cette  partie 
du  procès. 

Le  gouvernement  français  a  connu  les  deux  der- 
nières  pièces  ;  il  en  a  donné  des  traductions  dans  ses 
propres  feuilles.  N'importe  !  Il  était  décidé  à  ne  pas 
lâcher  prise  sur  cet  article ,  et  à  s'étayer  «  de  la  saine 
doctrine  du  ministère  américain.  »  Dorénavant  il  n'y 
a  plus  moyen  d'en  sortir.  Tant  qu'une  feuille  française 


—  G5  — 

s'occupera,  se  souviendra  de  cette  affaire,  l'assertion 
de  M.  Monroe  y  retentira  comme  une  vérité  inatta- 
quable, et  comme  si  elle  n'avait  jamais  été  ni  relevée, 
ni  réfutée ,  ni  désavouée. 

M.  Poster  (on  le  voit  bien  par  les  pièces  publiées 
jusqu'ici)  est  un  homme  trop  éclairé  et  trop  versé 
dans  les  questions  qu'il  doit  traiter,  pour  avoir  pu  con- 
fondre la  législation  commerciale  de  l'intérieur  d'un 
État  avec  son  système  de  conduite  vis-à-vis  des  puis- 
sances indépendantes ,  ennemies  ou  neutres ,  ou  pour 
avoir  pu  imaginer  que  les  Américains  devraient  servir 
l'Angleterre  en  faisant  modifier  le  régime  prohibitif  et 
«  les  tarifs  municipaux  »  de  la  France.  Le  juste  grief 
de  M.  Fosler  a  été  que ,  contre  tous  les  principes  du 
Droit  des  gens  jusqu'ici  reconnus  et  suivis,  les  décrets 
de  Napoléon  prononçaient  la  confiscation  d'une  mar- 
chandise, par  la  seule  raison  qu'elle  était  d'origine 
anglaise,  et  quel  qu'en  fût  le  propriétaire  actuel,  et 
que  d'après  cette  législation  tyrannique,  la  simple 
possession  d'un  objet  provenant  du  territoire  ou  de 
l'industrie  britannique  était  regardée  comme  un  acte 
criminel.  Il  s'est  plaint  de  ce  que  le  gouvernement  des 
États-Unis  ait  pu  acquiescer  à  un  système  pareil,  le 
protéger  par  toutes  sortes  de  faveurs ,  le  seconder  de 
tous  les  sophismes  de  sa  Diplomatie,  pendant  qu'il 
accablait  de  reproches  amers  une  puissance  dont  tout 
le  tort  consistait  à  avoir  opposé  des  représailles  modé- 
rées à  ce  même  système  inventé  par  son  ennemi  dans 
le  but  avoué  de  la  détruire. 

Pour  révoquer  ses  actes  de  représailles,  le  gouver- 
nement anglais  ne  demande  que  la  suppression  pure 
et  simple  des  décrets  de  Berlin  et  de  Milan.  Il  n'a  ja- 
mais demandé  davantage,  et  je  ne  crois  pas  que,  sans 
sacrifier  ce  qu'il  doit  avoir  de  plus  cher,  il  puisse  se 
contenter  de  moins.  Nous  examinerons  tout  à  l'heure 
XI  5 


—  66  — 

de  quel  droit  on  peut  soutenir  que  ces  décrets  ont  été 
révoqués  à  l'égard  des  Américains.  Mais  ils  le  seraient 
dans  ce  sens-là  de  la  manière  la  plus  complète  et  la 
plus  catégorique,  que  le  gouvernement  anglais  n'en 
serait  pas  moins  autorisé,  et  même  obligé  par  principe 
et  par  devoir,  à  les  envisager  comme  subsistant  dans 
toute  leur  plénitude.  La  question  à  laquelle  ces  actes 
hostiles  ont  donné  lieu  n'est  pas  seulement  une  ques- 
tion entre  telle  ou  telle  puissance  neutre  d'un  côté,  et 
la  France  ou  l'Angleterre  de  l'autre;  c'est  une  question 
directe  entre  l'Angleterre  et  la  France.  On  peut  dis- 
puter longtemps  et  dans  tous  les  sens  sur  l'avantage 
réel  ou  apparent  qui  reviendrait  à  l'Angleterre  d'une 
révocation  'partielle  du  décret  de  Berlin  ;  la  moindre 
réparation  d'un  outrage  pareil ,  c'est  de  le  faire  cesser 
sans  réserve  ,  d'amender  l'acte  qui  le  contient.  Se  con- 
tenter, dans  une  affaire  de  cette  nature,  de  biais,  de 
modifications  ,  de  demi-rétractations ,  serait  un  parti 
dangereux,  quand  ce  ne  serait  pas  un  parti  imprati- 
cable ;  ici  ce  serait  l'un  et  l'autre  à  la  fois. 


§4. 

De  la  prétendue  révocation  des  décrets  de  Berlin  et  de  Milan  à 
l'égard  des  États-Unis  de  l'Amérique. 

Dans  la  correspondance  entre  l'Angleterre  et  les 
États-Unis,  on  a  agité  pendant  six  mois  la  question  si 
les  décrets  français  ont  été  révoqués,  ou  non,  par  rap- 
port à  r Amérique.  Une  aussi  singulière  incertitude, 
des  discussions  aussi  prolongées  et  aussi  compliquées 
sur  un  point  de  fait  prouvent  au  moins  que,  si  la  ré- 
vocation a  eu  lieu,  elle  ne  peut  pas  avoir  eu  un  carac- 
tère bien  positif  et  bien  prononcé.  En  effet,  le  peu  de 
pièces  publiées  à  ce  sujet  en  France,  à  commencer  par 


-^  67  — 

la  lettre  du  ministre  Champagny  au  général  Arnistrong 
du  5  août  1 81 0,  sont  conçues  dans  des  termes  si  va- 
gues, si  louches,  ou  si  conditionnels,  qu'il  était  presque 
également  permis  de  croire  ou  de  ne  pas  croire  à  la 
révocation.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'elle  n'a  jamais 
été  formellement  annoncée  par  des  actes  authentiques 
et  publics*. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  Moniteur  assure  aujourd'hui 
que  les  décrets  sont  révoqués  par  rapport  à  l'Amérique, 
sans  clause  ni  restriction.  En  accordant  à  cette  asser- 
tion toute  l'autorité  à  laquelle  elle  puisse  prétendre, 
en  reconnaissant  le  Moniteur  comme  organe  avoué  du 
gouvernement  français,  il  s'ensuivrait  tout  au  plus 
que  ce  gouvernement  veut  enfin  regarder  ses  décrets 
comme  abolis  à  l'égard  des  Américains.  Mais  une  in- 
sinuation pareille,  appuyée  sur  aucun  document  légal 
et  connu,  suffirait-elle  pour  établir  un  fait  jusqu'ici  au 
moins  extrêmement  douteux?  Et  si  elle  prenait  même 
les  formes  d'un  document  légal,  pourrait -elle  nous 
convaincre  de  ce  qui  serait  ouvertement  démenti  par 
des  faits  d'un  genre  opposé  ou  par  d'autres  déclara- 
tions claires  et  formelles?  Il  faut  savoir,  avant  tout,  ce 
que  le  gouvernement  français  entend  par  la  révocation 
sans  clause  ni  restriction  de  ses  décrets,  à  l'égard  des 
Américains. 

En  lisant  les  notes  du  Moniteur,  et  en  consultant,  ce 


*  On  cite  (dans  les  notes  5  et  12)  un  décret  du  28  atTi7  181 1  comme 
ne  laissant  plus  de  doute  sur  cette  question.  Personne  ne  connaît  ce 
décret;  il  n'a  pas  été  imprimé  dans  le  Moniteur,  et  ce  qui  me  paraît 
plus  extraordinaire ,  il  n'en  est  fait  aucune  mention  dans  les  Notes  de 
M.  MoNROE,  que  nous  connaissons  pourtant  (en  partie  au  moins)  jusqu'au 
mois  de  janvier  1812.  Comment  M.  Monroe,  qui  attachait  tant  de  prix 
à  prouver  la  révocation  des  décrets,  aurait-il  gardé  le  silence  sur  une 
pièce  aussi  décisive?  Je  ne  suis  pas  en  état  de  résoudre  ce  problème. 
Mais  on  verra  bientôt  que  l'existence  ou  la  non-existence  d'un  pareil 
décret  n'atfecterait  guère  mon  raisonnement. 


—  68  — 

qui  est  de  bien  plus  de  poids ,  les  communicaticns 
officielles  entre  M.  Monroe  et  M.  Foster,  il  est  impos- 
sible de  ne  pas  s'apercevoir  que  le  gouvernement  des 
États-Unis  lui-même  n'a  jamais  envisagé  la  prétendue 
révocation  des  décrets  de  Berlin  et  de  Milan  que  rela- 
tivement aux  articles  de  ces  décrets  qui  autorisaient 
les  croiseurs  français  à  saisir  leurs  vaisseaux  en  pleine 
mer,  lorsqu'ils  étaient  suspects  d'avoir  communiqué 
avec  l'Angleterre  ou  ses  possessions,  ou  de  porter  des 
marchandises  d'origine  britannique.  Mais  la  révoca- 
tion de  ces  articles  (en  la  supposant  parfaitement  prou- 
vée) serait-elle  une  révocation  des  décrets,  sans  clause 
ni  restriction ,  en  ne  les  considérant  même  que  dans 
leurs  rapports  avec  les  Américains?  Mais  l'article  qui 
refuse  l'entrée  dans  tous  les  ports  que  le  gouvernement 
français  peut  atteindre,  à  tout  bâtiment  sans  exception 
qui  se  serait  trouvé  en  contact  avec  l'Angleterre  ou 
quelque  pays  gouverné  par  elle,  mais  celui  qui  pro- 
nonce la  confiscation  de  tout  ce  qui  provient  du  terri- 
toire et  des  fabriques  britanniques,  quel  qu'en  soit  le 
possesseur  actuel,  ne  regardent-ils  point  l'Amérique  ? 
Et  peut-on  citer,  je  ne  dis  pas  une  pièce  authentique, 
mais  le  moindre  indice  direct  ou  indirect  prouvant  que 
l'abolition  de  ces  articles-là  ait  jamais  été  réalisée  ou 
seulement  projetée?  Le  langage  du  Moniteur  ne  nous 
apprend-il  pas  plutôt  qu'ils  seront  sévèrement  main- 
tenus contre  tout  le  monde?  Et  la  peine  que  s'est  don- 
née M.  Monroe  pour  les  défendre,  comme  alliés  du  sys- 
tème municipal  de  la  France,  ne  prouve-t-elle  pas  assez 
que  le  gouvernement  américain  les  croyait  en  pleine 
vigueur? 

Supposons  enfin  que  tôt  ou  tard  Napoléon  pousse  la 
condescendance  pour  les  États-Unis  jusqu'à  déclarer 
par  un  acte  authentique  que  toutes  les  dispositions  du 
décret  de  Berlin  et  de  Milan  sont  révoquées  à  l'égard 


—  Go- 
des Américains;  cet  acte  pourrait-il  satisfaire  le  gou- 
vernement britannique?  Selon  ma  manière  de  voir, 
aucunement.  Loin  d'abolir  ces  odieux  décrets,  une  dé- 
marche pareille  ne  ferait  que  les  confirmer  de  nou- 
veau. Il  ne  s'agit  pas  des  faveurs  et  privilèges  que  le 
gouvernement  français  peut  juger  à  propos  d'accorder 
à  telle  ou  telle  nation.  Les  décrets  ont  été  portés  contre 
l'Angleterre;  c'est  comme  tels ,  c'est  dans  toute  leur 
étendue,  c'est  purement  et  simplement,  qu'ils  doivent 
être  révoqués. 

Les  États-Unis,  en  insistant  sur  la  révocation  des 
ordres  du  Conseil,  comme  suite  de  la  révocation  des 
décrets  de  Berlin  et  de  Milan,  n'ont  ni  la  raison  ni  la 
justice  de  leur  côté.  Car,  dans  le  cas  même  qu'ils  fus- 
sent en  état  de  produire  quelque  document  authen- 
tique et  positif  par  lequel  la  France  relevât  les  habi- 
tants de  leur  pays  de  l'effet  de  toutes  les  clauses  de  ces 
décrets,  je  soutiens  qu'ils  n'auraient  aucun  droit 
d'exiger  du  gouvernement  anglais ,  soit  la  révocation 
de  ses  ordres  du  Conseil,  soit  un  privilège  analogue  à 
celui  que,  dans  cette  supposition  (peu  probable) ,  ils 
auraient  obtenu  de  la  France.  La  révocation  des  or- 
dres du  Conseil  ne  peut  pas  dépendre  des  rapports, 
quels  qu'ils  soient,  entre  la  France  et  l'Amérique. 
Et  entre  une  mesure  par  laquelle  les  décrets  de 
Berlin  et  de  Milan  seraient  révoqués  ou  suspendus  â 
l'égard  des  Américains,  et  une  autre  qui  révoquerait  ou 
suspendrait  en  leur  faveur  les  ordres  du  Conseil  bri- 
tannique, il  n'y  aurait  aucune  parité  d'effets,  aucune 
réciprocité  réelle.  Car  la  France,  tout  en  supprimant 
ses  décrets  à  l'égard  des  États-Unis,  les  maintiendrait 
dans  toute  leur  force  contre  l'Angleterre,  contre  l'Eu- 
rope, contre  tous  les  pays  qu'elle  pourrait  enchaîner 
à  ses  lois  ;  tandis  que  l'Angleterre ,  en  permettant 
aux  Américains  de  communiquer  librement  avec  la 


—  70  — 

France  et  tout  ce  qui  dépend  d'elle ,  retirerait  ses  or- 
dres du  Conseil,  non-seulement  par  rapport  aux  Amé- 
ricains, mais  par  rapport  à  tous  les  pays  directement 
ou  indirectement  soumis  à  son  ennemi;  c'est-à-dire 
qu'elle  renoncerait  par  le  fait  à  tout  son  système  de 
représailles. 

Loin  d'affaiblir  les  motifs  qui  jusqu'ici  ont  déter- 
miné le  ministère  britannique  à  ne  pas  s'écarter  de  ce 
système,  la  manière  dont  le  Moniteur  s'explique  sur  la 
révocation  des  décrets  à  l'égard  des  Américains,  est 
plutôt  faite  pour  les  confirmer  et  pour  les  renforcer. 
Le  gouvernement  français  avait  le  choix  de  faire  croire 
qu'il  se  relâchait  de  son  ancienne  rigueur,  ou  par  un 
esprit  de  justice  et  de  conciliation,  ou  par  respect  pour 
les  intérêts  des  neutres,  ou  par  une  prédilection  parti- 
culière pour  les  États-Unis  de  l'Amérique.  Mais,  au  lieu 
de  se  prévaloir  de  l'une  ou  de  l'autre  de  ces  supposi- 
tions, il  les  désavoue  et  les  détruit  lui-même.  Il  nous 
apprend  que  les  décrets  ont  été  adoucis,  ou  (pour  par- 
ler avec  le  Moniteur)  révoqués  à  l'égard  des  Américains, 
parce  que  ceux-ci  se  sont  mis  dans  une  attitude  hostile 
contre  VAngleterreK  «  Rien  n'est  plus  dangereux  qu'un 
imprudent  ami,  »  dit  le  grand  fabuliste.  Il  faut  con- 
venir que  les  ministres  américains  ont  plaidé  avec 


'  Trois  fois  on  a  répété  dans  ces  notes  que  les  décrets  sont  révoqués 
pour  l'Amérique,  et  chaque  fois,  ce  qui  est  bien  remarquable  ,  on  a 
immédiatement  ajouté  que  telle  était  la  raison  de  cet  acte  d'indulgence  : 
«  Les  motifs  de  cette  révocation  sont  connus  de  l'Europe.  La  législature 
des  États-Unis  a  mis  en  interdit  le  commerce  anglais  ;  les  côtes  ont  été 
armées;  et  les  compatriotes  de  Washington,  animés  de  son  esprit,  se 
sont  indignés  du  joug  de  plomb  que  l'on  voulait  faire  peser  sur  eux,  et  se 
sont  montrés  prêts  à  soutenir  leurs  droits  par  les  armes.  »  (Note  5.)  — 
«  Les  décrets  ont  été  révoqués  parce  que  les  États-Unis  sont  en  hostilité 
dec/aree  contre -les  actes  britanniques,  etc.  >'  (Note  12.)  —  «  La  France  a 
révoqué  ses  décrets pa^xe  que  l'Amérique,  en  frappant  de  prohibition  le 
commerce  britannique,  a  soutenu  avec  fermeté  ses  droits,  etc.,  etc.  » 
(Note  13.) 


—  71   — 

bien  plus  d'adresse  et  de  savoir-faire  la  mauvaise  cause 
du  gouvernement  français,  que  celui-ci  n'en  a  mis  à 
plaider  la  leur.  Si  les  décrets  de  Berlin  et  de  Milan  ne 
subsistent  plus  dans  toute  leur  étendue  par  rapport  à 
l'Amérique,  c'est  parce  que  les  Américains  sont  pres- 
que en  guerre  ouverte  contre  l'Angleterre,  et  se  prépa- 
rent à  l'être  tout  à  fait!  Quelle  excellente  raison  pour 
engager  le  gouvernement  britannique  à  rétracter  ses 
ordres  du  Conseil  en  faveur  de  ces  mêmes  Américains  ! 
La  France,  pour  les  récompenser  de  l'attitude  mena- 
çante qu'ils  ont  adoptée  contre  l'Angleterre,  les  affran- 
chit ou  prétend  les  affranchir  d'une  partie  des  entraves 
que  ses  décrets  leur  avaient  imposées.  Fort  bien.  Mais 
à  quel  titre  exigeraient-ils  la  même  chose  de  l'Angle- 
terre, vis-à-vis  de  laquelle  leurs  propres  amis,  pour 
le  coup  témoins  peu  suspects ,  les  disent  «  en  état 
d'hostilité ,  »  et  «  prêts  à  soutenir  leurs  droits  par  les 
armes?» 

Le  Moniteur  ajoute  encore  :  «  Ce  que  la  France  a  fait 
pour  les  Américains,  elle  est  prête  à  le  faire  pour  toute 
autre  puissance  neutre.  C'est-à-dire  toute  autre  puis- 
sance neutre  qui  se  mettra  en  état  d'hostilité  contre 
l'Angleterre  (plaisante  manière,  pour  le  dire  en  pas- 
sant, de  constater  sa  neutralité  !).  Comme  il  n'existe 
plus  de  neutres  aujourd'hui,  il  n'y  avait  pas  beaucoup 
de  risque  dans  cette  offre  généreuse.  Cependant  il  est 
toujours  curieux  de  la  confronter  avec  les  procédés 
réels  de  ceux  qui  la  font.  Si  une  puissance  neutre  mé- 
rite aux  yeux  de  la  France  des  ménagements  particu- 
liers par  cela  seul  qu'elle  a  pris  une  attitude  hostile 
contre  l'Angleterre,  il  semblerait  qu'une  puissance 
indépendante,  actuellement  en  guerre  contre  elle,  dût 
être  traitée  avec  bien  plus  de  faveur.  Mais  nous  avons 
vu  une  puissance  du  premier  ordre  en  Europe  faire  la 
guerre  à  l'Angleterre  pendant  quatre  ans ,  sans  quo 


—  72  — 

jamais  la  plus  petite  clause  du  grand  système  de  pro- 
scription ait  été  abrogée  ou  suspendue  à  son  égard. 
Tout  au  contraire,  nous  avons  vu  cette  grande  puis- 
sance accusée,  chicanée,  menacée,  pour  la  moindre 
déviation,  réelle  ou  apparente,  dans  l'exécution  de 
ce  système;  et  nous  l'avons  vue  enfin  formellement 
attaquée  pour  cause  de  contravention  à  un  article 
du  traité  de  Milan .  Quant  à  la  mauvaise  foi  qui 
éclate  dans  des  contrastes  pareils,  il  ne  vaut  plus  la 
peiiie  de  la  relever;  la  lumière  paraît  enfin  avoir  percé 
sur  ce  point-là;  mais  on  est  surpris  et  confondu  en  en- 
tendant tous  les  jours  encore  vanter  l'intelligence  su- 
périeure et  la  politique  profonde  d'un  gouvernement 
qui  ne  cesse  de  donner  à  l'Europe  le  spectacle  de  ces 
contradictions  choquantes,  et  s'empresse  de  les  con- 
signer dans  ses  feuilles  publiques,  comme  s'il  avait 
peur  de  les  voir  échapper  aux  contemporains  et  à  la 
postérité. 


S  5. 

Des  conditions  attachées  par  la  France  à  la  révocation  défini- 
tive des  décrets  de  Berlin  et  de  Milan. 

Les  conditions  sur  lesquelles,  d'après  ces  notes  du 
Moniteur,  la  France  insiste  pour  révoquer  les  décrets 
de  Berlin  et  de  Milan,  sont  que  l'Angleterre  supprime 
ses  ordres  du  Conseil  de  1807  et  de  1809,  mais  en 
même  temps  la  déclaration  de  blocus  du  16  mai  1806; 
attendu  que,  «  sans  la  révocation  du  blocus  de  1806, 
celle  des  arrêts  de  1 807  et  de  1 809  serait  illusoire.  » 
—  «  Si  le  gouvernement  anglais,  dit  la  note  1 3,  révo- 
que sa  déclaration  du  16  mai  1806,  le  décret  de  Ber- 
lin, qui  n'en  est  qu'un  acte  de  représailles,  sera  révo- 
qué de  droit.  Si  le  gouvernement  anglais  révoque  ses 


—  73  — 

arrêts  du  H  novembre  1807,  le  décret  de  Milan,  qui 
n'est  qu'un  acte  de  représailles  de  ces  arrêts,  sera  ré- 
voqué de  droit.  » 

Fidèle  au  système  audacieux  et  invariablement  suivi 
par  tous  les  gouvernements  nés  de  la  Révolution,  d'ac- 
cuser ceux  qu'il  s'agissait  de  dépouiller  ou  d'écraser, 
non-seulement  de  torts  et  de  crimes  imaginaires  ^  mais 
précisément  de  ces  mêmes  torts  et  de  ces  mêmes  crimes 
auxquels  les  accusateurs  allaient  se  livrer,  ou  quils  ve- 
naient de  commettre  contre  eux,  le  gouvernement  fran- 
çais a  pris  le  parti  de  représenter  comme  des  actes  de 
représailles  les  décrets  éminemment  agressifs  de  Ber- 
lin et  de  Milan.  En  exigeant  aujourd'hui  que  l'Angle- 
terre révoque  ses  ordres  du  Conseil ,  avant  que  la 
France  eût  abrogé  ses  décrets,  il  est  tout  simple  que 
l'on  se  serve  encore  de  la  même  tactique.  Car,  sans 
employer  un  artifice  pareil,  ce  serait  trop  insulter  au 
sens  commun  et  à  toute  idée  de  justice  et  de  conve- 
nance, que  de  prétendre  que  la  révocation  des  ordres 
du  Conseil,  amenés  et  provoqués  par  les  décrets  fran- 
çais, précédât  la  révocation  de  ces  décrets. 

Je  crois  avoir  suffisamment  expliqué,  dans  la  pre- 
mière partie  de  ces  observations,  ce  que  c'était  que  la 
déclaration  du  IG  mai  1806,  et  à  quel  point  il  fallait 
avoir  renversé  toutes  les  idées  et  dénaturé  tous  les 
faits,  pour  soutenir  qu'elle  avait  été,  ou  qu'elle  eût 
pu  être  la  cause  du  décret  de  Berlin.  Cette  déclaration 
fut  légalement  révoquée  au  mois  de  septembre  1806; 
si  elle  a  été  remplacée  depuis  par  quelque  autre  acte 
de  la  même  nature  ',  il  aurait  fallu  ou  citer  cet  acte , 

'  J'avouesincèrement  que  je  ne  sais  passi  la  déclaration  du  \  ^mai\  806 
a  jamais  élé  remise  en  vigueur,  ou  si  quelque  mesure  analogue  a  sub- 
sisté se/jareme/U  des  ordres  du  Conseil.  A  en  juger  d'après  quelques 
pa.-sages  de  la  correspondance,  entre  M.  Monrob  et  M.  Foster,  je  serais 
presque  tenté  de  le  croire;  mais  privé  de  tous  les  moyens  nécessaires 


—  74  — 

ou  se  contenter  de  protester  en  général  contre  le  prin- 
cipe de  toute  mesure  pareille.  Insister  sur  la  révoca- 
tion de  la  déclaration  du  16  mai  comme  telle,  est 
aujourd'hui  complètement  absurde. 

Il  ne  l'est  pas  moins  d'annoncer  que  la  révocation 
du  décret  de  Milan  suivra  celle  des  ordres  du  Conseil 
du  1 1  novembre  1807.  Ces  ordres  ne  subsistent  plus; 
ils  sont  remplacés  par  l'ordre  du  26  avril  1809.  Dans 
le  sens  même  du  gouvernement  français,  le  décret  de 
Milan,  comme  je  crois  l'avoir  prouvé,  est  nul  et  de 
toute  nullité,  puisqu'il  se  rapportait  tout  entier  à  une 
clause  des  ordres  de  1 807,  qui  a  été  supprimée  dans 
celui  de  1 809. 

Mais  ce  qui  est  bien  plus  essentiel  que  tous  ces 
anachronismes,  et  toute  cette  confusion  de  faits  et  de 
dates,  c'est  la  prétention  du  gouvernement  français 
de  faire  renoncer  l'Angleterre  au  principe  de  blocus 
maritime,  tel  qu'elle  l'a  soutenu  jusqu'ici,  et  tel  qu'il 
a  servi  de  base  à  la  déclaration  du  16  mai  1806.  Il  me 
paraît  nécessaire  d'ajouter  encore  quelques  éclaircis- 
sements à  ce  que  j'ai  dit  sur  cet  objet  dans  la  première 
partie  de  ces  observations. 

«  La  Grande-Bretagne,  «  dit  M.  Poster  dans  une 
de  ses  lettres  à  M.  Monroe,  «  n'a  jamais  contesté  que , 
suivant  les  usages  du  Droit  des  gens,  tout  blocus, 
pour  pouvoir  être  justifié ,  doit  être  appuyé  par  des 
forces  suffisantes,  et  mettre  en  danger  tout  navire  qui 
tenterait  d'échapper  à  ses  effets.  Ce  fut  d'après  ce  prin- 
cipe reconnu  que  le  blocus  de  mai  1 806  ne  fut  notifié 
par  M.  Fox  y  alors  secrétaire  d'État,  qu'après  qu'il  se 

pour  vérifier  ce  fait,  je  ne  puis  ni  l'affirmer  ni  le  nier  positivement. 
Cette  circonstance,  au  reste,  comme  on  le  verra  tout  à  l'heure,  est  peu 
essentielle  pour  la  question  principale.  Car  il  ne  s'agit  pas  de  tel  ou  tel 
acte  individuel,  mais  de  savoir  si  l'Angleterre  peut  et  doit  renoncer  au 
droit  sur  lequel  la  déclaration  du  16  mat  était  fondée,  et  que  la  France 
lui  conteste  aujourd'hui. 


—  75  — 

fût  convaincu  par  un  rapport  du  bureau  de  l'Amirauté, 
que  l'Amirauté  avait  et  emploierait  les  moyens  de 
garder  toute  la  côte  depuis  Brest  jusqu'à  l'Elbe,  et  de 
mettre  réellement  ce  blocus  à  exécution.  Le  blocus  du 
mois  de  mai  1806  était  donc  juste  et  légitime  dès  son 
origine,  puisqu'il  était  appuyé,  tant  dans  l'intention 
qu'en  effet,  par  des  forces  navales  suffisantes.  —  Les 
ordres  du  Conseil  furent  fondés  sur  un  principe  diffé- 
rent y  etc.,  etc.  >j 

Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  possible  de  définir  le 
droit  de  blocus  d'une  manière  plus  claire,  plus  rai- 
sonnable et  plus  juste.  L'explication  de  M.  Foster  est 
d'ailleurs  parfaitement  d'accord  avec  l'idée  fondamen- 
tale du  droit  de  blocus,  admise  par  tous  les  publi- 
cistes  et  par  ceux  même  qui  ont  le  plus  déraisonné  sur 
les  limites  de  son  exécution.  Si  l'extension  donnée  à 
ce  droit  dans  les  guerres  maritimes  de  notre  temps  a 
paru  contraster  avec  ce  que  l'on  avait  vu  autrefois,  et 
a  fait  croire  à  des  observateurs  superficiels  qu'elle 
était  contraire  aux  anciens  usages,  la  raison  en  est 
que  l'on  n'a  pas  assez  réfléchi  sur  les  effets  naturels 
et  nécessaires  du  progrès  de  tous  les  moyens  mari- 
times. Je  défie  d'établir  un  principe  quelconque  auto- 
risant une  puissance  à  bloquer  un  port  de  son  ennemi, 
lorsqu'elle  peut  le  faire  avec  un  nombre  de  vaisseaux 
suffisant,  qui  n'autorisât  la  même  puissance  à  bloquer 
toute  une  côte  hostile,  si  elle  peut  disposer  de  forces 
suffisantes  pour  réaliser  cette  entreprise  dans  le  sens 
habituel  et  généralement  reçu  de  ce  terme.  11  n'y  a 
rien  de  plus  déplacé  que  d'appeler  une  opération  pa- 
reille un  blocus  sur  le  papier.  Si  les  blocus  déclarés  et 
exécutés  par  le  gouvernement  anglais  n'avaient  été 
que  cela,  il  est  probable  que  les  injures  que  lui  ont 
adressées  ses  ennemis  et  quelques  neutres  qui  avaient 
adopté  leur  langage,  auraient  été  bien  moins  violentes. 


—  76  — 

D'un  autre  côté,  la  définition  du  droit  de  blocus 
maritime  que  la  France  voudrait  mettre  en  avant,  est 
tout  à  fait  inadmissible,  et  contrarie  en  même  temps 
toutes  les  idées  reçues.  Elle  prétend  que  le  droit  de 
blocus  n'est  applicable  qu'aux  «  places  fortes,  réelle- 
ment investies  de  forces  suffisantes  '.  »  D'après  cette 
définition,  on  n'aurait  jamais  pu  bloquer  un  j^ort  non 
fortifié,  et  les  puissances  qui,  par  l'infériorité  de  leurs 
forces  navales ,  seraient  exposées  à  des  attaques  de  ce 
genre  n'auraient  qu'à  raser  leurs  côtes,  et  détruire 
tout  ce  qui  s'appelle  fortification,  batterie,  etc.,  pour 
rendre  nulle  toute  espèce  de  blocus  maritime.  On  a 
beau  analyser,  disséquer,  tourner  et  retourner  dans 
tous  les  sens  l'idée  d'un  droit  de  blocus,  on  n'y  trou- 
vera pas  le  moindre  fondement,  pas  le  moindre  pré- 
texte pour  une  restriction  si  parfaitement  arbitraire. 

Jamais  aucun  ministère  britannique  ne  reconnaî- 
tra cette  législation  de  pure  fantaisie.  Du  jour  où 
l'Angleterre  s'y  soumettrait,  sa  prépondérance  mari- 
time ne  serait  plus  qu'un  fantôme  sans  réalité.  Exiger 
qu'elle  renferme  l'exercice  de  ses  droits  dans  les 
bornes  étroites  que  son  ennemi  veut  gratuitement  éta- 
blir, c'est  autant  que  lui  dire  sans  détour  :  Nous 
reconnaissons  et  nous  sentons  votre  supériorité;  mais 
nous  prétendons  que  vous  n'en  usiez  que  jusqu'au 
terme  que  nous  jugerons  à  propos  de  vous  fixer!  Il 
me  semble  que  l'Angleterre  serait  tout  aussi  autorisée 
à  répondre  ;  Vous  êtes  aujourd'hui  la  première  puis- 
sance continentale;  mais,  comme  votre  conscription 
militaire ,  et  plusieurs  autres  moyens  récemment  in- 
ventés pour  multiplier  et  perfectionner  vos  forces , 
nous  gênent  et  nous  déplaisent,  vous  reprendrez  l'an- 
cien système  militaire,  tel  qu'il  était  en  usage  chez 
vous  avant  la  Révolution. 

*  Voy.  \q préambule  du  décret  de  Berlin. 


/  / 


Le  gouvernement  anglais  s'est  avancé  aussi  loin 
que  possible,  il  a  accordé  tout  ce  que  l'on  peut  rai- 
sonnablement prétendre,  en  déclarant  qu'aussitôt  que 
les  décrets  de  Berlin  et  de  Milan  seront  abolis ,  il 
révoquera  et  révoque  dès  à  présent  les  ordres  du 
7  janvier  1807,  et  du  26  avril  1809,  qui  sont  les  seuls 
actes  de  représailles  aujourd'hui  en  vigueur.  C'est  là 
le  vrai  ultimatum  de  cette  affaire.  Un  pas  plus  loin , 
et  la  modération  deviendrait  faiblesse. 


S  6. 

Des  avantages  que  l'Angleterre  aurait  à  espérer  de  la  révocation 
des  ordres  du  Conseil. 

On  a  souvent  représenté,  au  Parlement  et  dans 
des  écrits  publics,  le  bien  qui  résulterait  de  l'abolition 
des  ordres  du  Conseil  pour  le  commerce  britannique 
en  général ,  et  particulièrement  pour  les  relations  po- 
litiques et  commerciales  entre  la  Grande-Bretagne  et 
les  États-Unis  de  l'Amérique.  Si  le  but  de  ces  repré- 
sentations était  de  faire  révoquer  les  ordres  du  Conseil, 
sans  que  les  décrets  de  Berlin  et  de  Milan  fussent  ré- 
voqués de  même,  elles  tendaient  aune  mesure  incom- 
patible avec  la  dignité  du  gouvernement  anglais,  à 
une  mesure  de  rétractation  humiliante  qui,  comme 
telle ,  ne  méritait  pas  d'être  discutée.  Le  projet  d'aban- 
donner le  système  actuellement  établi  doit,  pour  ne 
pas  être  rejeté  d'emblée,  nécessairement  porter  sur 
la  supposition  que  la  France  révoquerait  ses  décrets 
aussitôt  que  l'Angleterre  aurait  révoqué  ses  ordres  du 
Conseil  *. 

'  Les  adversaires  que  les  ordres  du  Conseil  ont  en  Angleterre,  sont 
assez  d'accord  sur  le  mal  qu'ils  attribuent  à  cette  mesure;  mais  ils  ne 
paraissent  pas  l'être  sur  la  nature  du  remède;  et  il  n'est  pas  toujours 


—  78  — 

Cette  supposition ,  fausse  et  chimérique  de  tout 
temps,  me  paraît  aujourd'hui  absolument  inadmis- 
sible. 

Je  suis  persuadé  que  Napoléon  n'a  pas  nourri  un 
instant  l'intention  sérieuse  de  révoquer  ses  décrets, 
à  quelque  prix  et  sous  quelques  conditions  qu'il  eût 
pu  le  faire.  Je  ne  veux  pas  citer  à  l'appui  de  cette 
opinion  les  déclamations  intarissables  de  ses  organes 
sur  le  mal  prodigieux  que  le  système  continental  a  fait 
et  fera  encore  à  l'Angleterre  '.  L'ineptie  de  ces  tirades 
est  telle,  qu'il  y  aurait  presque  un  manque  de  bonne 
foi  à  les  traiter  comme  des  raisonnements,  ou  à  les 
considérer  seulement  comme  le  vrai  fond  des  pensées 
de  Napoléon.  Je  m'en  tiens  à  ce  qui  est  plus  sérieux, 
plus  réel  et  plus  analogue  à  son  caractère.  Il  prétend 
que  ces  décrets  sont  des  lois  fondamentales  de  son  em- 
pire; il  les  a  proclamés  tels  dans  toutes  les  occasions; 
et  quoiqu'il  nous  en  coûte  de  comprendre  une  théo- 
rie pareille,  c'est  sa  manière  de  voir,  de  penser  et 
d'agir.  Lorsqu'il  a  eu  l'air  d'accorder  quelques  modi- 
fications de  ces  décrets  aux  Américains,  il  ne  songeait 

facile  de  saisir  avec  précision  le  but  auquel  ils  visent.  Quelques-uns,  à  ea 
juger  d'après  leurs  discours  au  Parlementou  d'après  leurs  écrits,  ontl'air 
de  désirer  l'abolition  des  ordres  du  Conseil  à  tout  prix  et  à  toute  condi- 
tion. Il  y  en  a  d'autres  qui,  adoptant  la  manière  de  voir  de  MM.  Maret 
et  MoNROE,  regardent  les  prosteslations  insignifiantes  du  gouvernement 
français  vis-à-vis  des  Américains,  comme  preuve  que  l'abolition  des 
décrets  a  déjà  eu  lieu,  et  prétendent  que  d'après  cela  il  n'y  a  plus  à 
hésiter  sur  la  révocation  des  ordres  du  Conseil.  D'autres  enfin  semblent 
persuadés  que,  pourvu  que  l'Angleterre  donnât  l'exemple,  la  France  ne 
pourrait  pas  se  refuser  à  céder  de  son  côté  et  à  supprimer  ses  décrets. 
Le  premier  de  ces  avis  est  repoussé  par  des  principes  immuables  ;  le 
second  par  l'évidence  des  faits  contraires  ;  le  troisième  est  donc  le  seul 
sur  lequel  il  soit  encore  permis  de  raisonner. 

'  La  note  12  en  offre  de  nouveau  un  tableau  effrayant,  où  l'on  voit  la 
banqueroute  des  finances  anglaises  s'avancer  à  pas  de  géant  par  les 
betteraves,  les  pastels,  et  les  progrès  énormes  des  fabriques  de  l'Alle- 
magne. 


—  79  — 

pas  de  bien  loin  à  en  altérer  le  fond  et  la  substance, 
et  jusqu'aux  époques  les  plus  récentes  il  a  fait  annon- 
cer avec  emphase  qu'ils  seraient  invariablement  main- 
tenus. Je  dis  plus,  il  ne  peut  pas  changer  de  système 
à  cet  égard;  et  dans  ce  moment-ci  moins  que  jamais. 
Ces  décrets  sont  les  dernières  armes  qui  lui  restent 
contre  l'Angleterre,  Sa  marine  est  réduite  à  une  im- 
puissance totale;  il  a  perdu  tout  ce  que  la  France  et 
ses  alliés  et  tributaires  possédaient  d  établissements  et 
de  colonies  dans  les  différentes  parties  du  globe;  et, 
pour  comble  de  mortification  ^  ses  armées  ont  été  ar^ 
rêtées  et  paralysées  partout  où  elles  ont  rencontré  des 
armées  britanniques.  En  renonçant  encore  à  la  guerre 
commerciale  y  il  s'avouerait  complètement  vaincu.  Ses 
ministres  et  flatteurs  lui  ont  fait  croire,  et  il  a  effecti- 
vement cru  pendant  quelque  temps,  que  le  soi-disant 
système  continental ,  dont  les  décrets  de  Berlin  et  de 
Milan  forment  la  base,  déiruirait  le  commerce,  l'in- 
dustrie, les  ressources  de  l'Angleterre,  et  la  forcerait 
à  une  paix  humiliante.  Peut-être  que,  malgré  les  rai- 
sons qui  auraient  dû  l'éloigner  et  le  dégoûter  de  cette 
espérance,  il  y  tient  encore  à  un  certain  degré.  Mais 
qu'il  y  tienne  ou  non ,  il  est  vivement  intéressé  à  ce 
que  le  public  ne  la  croie  pas  perdue.  En  révoquant 
ses  décrets ,  il  reconnaîtrait  que  les  coups  qu'il  avait 
médités  contre  le  commerce  de  l'Angleterre  ne  sont 
pas  plus  exécutables  que  tant  d'autres  dont  il  l'avait 
menacée j  et  dès  lors  l'opinion  des  contemporains, 
quelque  égarée  et  gangrenée  qu'elle  puisse  être ,  ne 
verrait  plus  dans  la  continuation  de  cette  guerre  qu'un 
acharnement  sans  calcul  et  sans  but,  et  le  présage 
d'une  défaite  absolue. 

Si  la  supposition  qu'en  révoquant  les  ordres  du 
Conseil,  le  gouvernement  britannique  engagerait  f^a- 
poléon  à  l'abolition  pure  et  simple  de  ses  décrets,  n'a 


—  80  — 

jamais  eu  de  fondement  réel,  elle  est  devenue  com- 
plètement insoutenable  par  le  soin  qu'il  a  mis  lui- 
même  à  détromper  ceux  qui  se  livreraient  encore  à  cette 
erreur. 

Plus  d'une  fois  déjà  il  avait  fait  entendre  et  même 
distinctement  articuler  que  la  révocation  des  ordres 
du  Conseil  ne  le  contenterait  pas,  si  le  gouvernement 
anglais  ne  renonçait  en  même  temps  à  ses  principes 
de  blocus.  Mais  en  dernier  lieu  (et  nous  le  voyons  de 
nouveau  par  les  notes  du  8  mai) ,  cet  article  a  été  élevé 
au  rang  d'une  condition  expresse  et  irrémissible  de  la 
révocation  de  ses  décrets  contre  l'Angleterre.  Nous 
savons  quels  sont  ces  principes  de  blocus,  et  ce  qu'il 
prétend  mettre  à  leur  place.  Il  ne  suffit  donc  plus  au- 
jourd'hui d'abandonner  les  ordres  du  Conseil;  il  s'agit 
de  savoir  si  ceux  qui  insistent  sur  cette  mesure,  sont 
préparés  à  abandonner  de  même  le  système  de  blocus 
maintenant  en  vigueur,  à  adopter  sur  ce  point  capital 
les  définitions  et  les  doctrines  de  Napoléon,  à  renver- 
ser, en  un  mot,  tout  le  code  de  droits  de  guerre  mari- 
time, tel  que  l'Angleterre  l'a  soutenu  jusqu'à  ce  jour. 
Je  ne  sais  s'il  y  aurait  parmi  les  Anglais  des  per- 
sonnes assez  éblouies  par  des  théories  spécieuses  et 
stériles,  ou  assez  alarmées  de  quelques  murmures  po- 
pulaires, peut-être  mal  interprétés,  pour  consentir  à 
un  aussi  énorme  sacrifice;  mais  je  ne  crois  pas  que 
l'on  oserait  le  proposer  à  une  assemblée  comme  le 
Parlement  britannique. 

Cependant,  tout  en  reconnaissant  la  vérité  de  ce 
que  je  dis,  on  pourrait  encore  déplorer  cet  état  des 
choses  comme  un  grand  malheur,  et  regretter  amère- 
ment que,  par  l'injustice  et  l'obstination  de  l'ennemi, 
l'Angleterre  soit  privée  des  avantages  que  lui  assure- 
rait la  révocation  des  ordres  du  Conseil  et  le  réta- 
blissement de  l'ancien  système  commercial.  Jusqu'à 


—  81  — 

quel  point  ces  regrets  seraient-ils  fondés?  —  Pour  ap- 
profondir cette  question,  lors  même  que  je  m'en  sen- 
tirais la  force,  il  me  faudrait  une  grande  connaissance 
des  détails,  il  me  faudrait  des  données  bien  autre- 
ment abondantes  et  décisives  que  celles  que  je  pos- 
sède. Je  puis  basarder  cependant  quelques  réflexions 
générales  que  ceux  qui  sont  plus  instruits  que  moi 
sauront  apprécier  et  rectifier. 

Il  me  paraît  d'abord  certain  que,  par  la  révocation 
des  ordres  du  Conseil,  accompagnée  ou  suivie  de  la 
révocation  formelle  des  décrets  français  (car  il  m'est 
impossible  de  séparer  l'une  de  l'autre),  l'Angleterre 
gagnerait  peu  de  chose  pour  ses  relations  commerciales 
avec  le  continent  européen.  Il  n'y  a  aucune  raison 
de  croire  que  les  dispositions  personnelles  de  son 
ennemi  en  deviendraient  plus  modérées  ou  plus  bien- 
veillantes; et  cet  ennemi  conserverait  tous  les  moyens 
pour  exécuter  sous  d'autres  prétextes  et  dans  d'autres 
formes  son  système  de  persécution  et  de  proscription 
contre  le  commerce  et  l'industrie  britanniques.  Il  ne 
serait  jamais  parvenu  à  établir  et  à  perfectionner  ce 
système,  sans  frapper  de  ces  coups  violents  dont  le 
décret  de  Berlin  a  été  le  premier  signal.  Mais  ces  coups 
une  fois  portés,  il  n'a  plus  besoin  de  mesures  extraor- 
dinaires pour  exécuter  ses  projets,  autant  que  leur 
propre  extravagance  lui  permettra  de  les  exécuter. 
Les  anciennes  communications  sont  détruites;  les  an- 
ciens liens  sont  brisés  ;  les  pays  opprimés  par  la 
France  ont  perdu  pour  longtemps  ce  qui  constitue  la 
base  et  le  ressort  du  commerce;  le  découragement  et 
la  terreur  sont  dans  toutes  les  âmes.  Aujourd'hui  de 
simples  lois  prohibitives,  appuyées  de  toute  la  rigueur 
d'une  police  vigilante,  suffiraient  pour  empêcher  le 
retour  aux  anciennes  habitudes,  et  les  décrets  de 
proscription  disparaîtraient  entièrement,  que  les  trois 
XI  6 


—  82  — 

quarts  du  continent  de  l'Europe  n'en  seraient  pas^ 
moins  inaccessibles  aux  vaisseaux  et  aux  marchan- 
dises britanniques. 

Si  la  révocation  même  des  décrets  de  Berlin  et  de 
Milan  ne  rétablissait  pas  les  relations  commerciales 
avec  le  continent,  il  est  beaucoup  plus  diflicile  d'ima- 
giner comment  celle  des  ordres  du  Conseil,  considérée 
séparément,  pourrait  produire  cet  effet.  Les  ordres 
du  Conseil  n'ont  rien  ajouté  aux  obstacles  que  les 
décrets  de  la  France  avaient  créés  par  rapport  aux 
communications  directes  entre  l'Angleterre  et  les  dif- 
férentes parties  de  l'Europe,  ni  par  conséquent  au 
mal  que  l'Angleterre  a  pu  éprouver  par  la  stagnation 
de  cette  branche  de  son  commerce.  Depuis  que  les 
ordres  du  Conseil  subsistent,  il  n'y  a  plus  eu  en  Eu- 
rope de  neutralité  légalement  avouée.  L'accès  des 
côtes  et  des  ports  que  les  décrets  français  n'ont  pas 
pu  atteindre ,  n'a  point  été  compromis  par  les  ordres 
du  Conseil;  et  le  commerce  indirect  et  clandestin,  qui 
a  eu  lieu  en  dépit  des  décrets,  a  été  plutôt  favorisé 
que  contrarié  par  ces  ordres. 

En  soutenant  que  les  mesures  de  représailles  du 
gouvernement  anglais  n'ont  rien  ajouté  aux  mauvais 
effets  que  les  décrets  de  l'ennemi  ont  eus  pour  les 
rapports  de  commerce  avec  l'Europe,  je  ne  puis,  ni 
ne  désire  même  beaucoup  pouvoir  aborder  la  discus- 
sion des  avantages  positifs  que  plusieurs  défenseurs 
des  ordres  du  Conseil  leur  ont  attribués  sous  ce  même 
point  de  vue.  Mais  quelles  que  soient  la  nature  et  la  va- 
leur de  ces  avantages  (vivement  contestés  par  d'au- 
tres), je  n'y  comprendrais  jamais  l'extension  donnée 
en  dernier  lieu  au  système  des  licences.  Si  ce  système 
a  fait  du  bien  au  commerce  anglais,  il  me  semble  que 
l'on  ne  peut  point  en  réclamer  le  mérite  pour  les  or- 
dres du  Conseil j  mais,  par  la  même  raison,  je  trou- 


—  83  — 

verais  extrêmement  injuste  de  les  rendre  responsables 
des  inconvénients  et  des  abus  qui  ont  accompagné  le 
système  des  licences.  Autant  que  j'ai  pu  pénétrer  cette 
matière  j  il  m'a  paru  que  la  question  des  licences 
n'aurait  pas  dû  être  confondue  arec  celle  des  ordres 
du  Conseil  j  ces  deux  questions,  loin  de  s'attacher  l'une 
à  l'autre,  sont  d'un  caractère  absolument  opposé.  Que 
le  principe  du  système  des  licences  soit  bon  ou  mau- 
vais, nécessaire  ou  dangereux,  conforme  ou  contraire 
aux  maximes  du  Droit  des  gens  et  de  la  morale  publi- 
que, il  est  toujours  également  étranger  au  principe  sur 
lequel  les  ordres  du  Conseil  étaient  fondés'. 

Jusqu'ici  nous  n'avons  fixé  notre  attention  que 
sur  les  changements  que  la  révocation  des  ordres  du 
Conseil  opérerait  dans  les  rapports  directs  entre 
l'Angleterre  et  le  continent  de  l'Europe;  mais  il 
nous  reste  à  examiner  si  l'effet  de  cette  révocation  ne 
serait  pas  bien  plus  sensible  et  plus  marquant  dans 
les  rapports  entre  l'Angleterre  et  les  États-Unis  de 
l'Amérique. 


'  M.  Caiwing,  qui  ne  pouvait  certainement  pas  se  tromper  sur  le 
principe,  l'esprit  et  les  motifs  des  ordres  du  Conseil  du  'mois  de  no- 
vembre 1807,  s'en  est  expliqué  dans  un  excellent  discours,  prononcé 
le  3  mars  dernier  sur  la  motion  de  M.  BuoccnAM,  où  il  dit  entre  autres 
que  i(  s'il  s'agissait  de  bien  caractériser  les  ordres  du  Conseil,  il  en  dirait 
que  ces  actes  étaient  d'autant  plus  parfaits,  qu'ils  se  rapprochaient 
davantage  de  l'esprit  d'une  mesure  de  guerre,  et  s'éloignaient  de  celui 
d'une  mesure  commerciale.  » 

Dans  ce  même  discours,  que  je  n'ai  pu  lire  sans  une  satisfaction  pro^ 
fonde,  puisqu'il  m'a  prouvé  que  mes  idées  générales  sur  le  principe  «t 
le  caractère  des  ordres  du  Conseil  s'accordent  avec  celles  d'un  homme 
d'État  aussi  supérieur,  M.  Canning,  en  parlant  des  licences,  soutient 
même,  si  j'ai  bien  saisi  le  sens  de  ses  paroles,  «  qu'une  puissance  belli- 
gérante n'a  pas  le  droit  de  permettre  à  ses  sujets  un  commerce  dont  elle 
exclurait  les  neutres.  »  Je  ne  sais  pas  si  celte  opinion  pourrait  être 
établie  en  principe  rigoureux;  mais,  dans  l'application,  je  préférerais 
sans  hésiter  la  sévérité  d'une  règle  pareille  à  la  trop  grande  facilité  pour 
les  exceptions  en  sens  contraire. 


—  84  — 

On  est  accoutumé  à  regarder  les  ordres  du  Con- 
seil comme  la  cause  principale  du  mécontentement 
des  Américains  contre  le  gouvernement  anglais;  mé- 
contentement qui,  d'abord,  a  produit  ces  malheureux 
actes  prohibitifs  par  lesquels  tout  commerce  légal 
entre  l'Angleterre  et  l'Amérique  se  trouve  suspendu, 
qui  a  dérangé  toutes  les  relations  politiques,  enve- 
nimé toutes  les  discussions  entre  les  deux  États ,  et 
s'est  enfin  développé  au  point  de  les  menacer  d'une 
rupture  ouverte.  Il  me  paraît  bien  plus  juste  de  consi- 
dérer les  ordres  du  Conseil  comme  un  des  prétextes 
que  comme  la  cause  de  ce  mécontentement. 

En  suivant  la  conduite  du  gouvernement  améri- 
cain ,  dans  chaque  époque  de  ces  dernières  guerres , 
il  est  impossible  de  n'y  pas  reconnaître  la  partialité 
la  plus  prononcée  et  la  plus  soutenue  pour  la  cause 
de  la  France.  Je  ne  prends  pas  sur  moi  de  décider  par 
quel  motif  le  parti  qui,  depuis  la  mort  de  Washington 
et  la  retraite  de  M.  Adams,  s'est  emparé  de  toutes  les 
fonctions  publiques ,  a  été  guidé  dans  cette  partialité  ; 
si  c'était  l'amertume  que  les  anciens  ressentiments 
contre  l'Angleterre  avaient  laissée  dans  les  esprits, 
ou  la  jalousie  de  sa  supériorité  actuelle,  ou  la  crainte 
chimérique  de  quelque  projet  hostile  de  sa  part,  ou  le 
dépit  d'un  gouvernement  populaire,  particulièrement 
susceptible  d'être  blessé  par  tout  ce  qui  ressemble  à 
un  manque  de  procédés  ou  de  ménagement,  ou  l'irri- 
tation contre  le  parti  opposé ,  accusé  de  trop  d'indul- 
gence pour  l'Angleterre,  et  dont  le  tort  réel  n'est 
peut-être  que  celui  d'aspirer  à  son  tour  aux  places  et 
au  pouvoir,  ou  si  c'était  enfin  l'effet  réuni  de  toutes 
ces  causes,  ou  d'autres  encore  qu'il  est  plus  difficile 
de  pénétrer*.  Mais,  quelle  que  soit  la  clef  de  l'énigme, 

'  Je  suis  loin  cependant  de  favoriser  ou  de  nourrir  le  plus  léger 
soupçon  contre  l'intégrité  de  ceux  qui  dirigent  les  affaires  des  États- 


le  fait  ne  saurait  être  contesté.  La  France  les  a  vexés 
de  toutes  les  manières,  les  a  dépouillés,  maltraités, 
insultés  dans  toutes  les  occasions;  le  récit  des  avanies 
qu'ils  ont  essuyées  de  sa  part  depuis  vingt  ans ,  rem- 
plirait des  volumes;  ils  ont  tout  dissimulé,  tout  ex- 
cusé, tout  pardonné.  Mais  aussitôt  qu'il  a  été  question 
d'un  différend  quelconque  avec  l'Angleterre ,  ces 
hommes  si  doux,  si  tolérants,  si  pacifiques  pour  son 
ennemi,  se  sont  montrés  sévères,  intraitables,  exi- 
geants, pointilleux  à  l'excès.  Dans  les  mesures  qu'une 
nécessité  impérieuse  et  l'intérêt  direct  de  sa  conserva- 
tion prescrivaient  au  gouvernement  anglais,  ils  n'ont 
vu  que  l'intention  d'opprimer  l'Amérique,  d'entraver 
son  commerce,  d'étouffer  son  industrie  naissante.  A 
une  époque  où  tout  le  commerce  des  colonies  fran- 
çaises, espagnoles,  hollandaises  passait  par  leurs 
mains ,  où  tous  les  ports  de  l'Europe  étaient  remplis 
de  leurs  vaisseaux,  où  on  n'apercevait  presque  plus 
sur  l'Océan  que  le  pavillon  britannique  et  le  leur,  et 
où  l'Angleterre  observait  à  leur  égard  des  principes 
d'une  libéralité  extrême,  il  ne  fallait  que  quelque  acte 
de  rigueur  exercé  contre  des  abus  trop  violents  par 
un  tribunal  notoirement  incapable  d'un  procédé  in- 
juste ,  il  ne  fallait  que  quelque  désagrément  momen- 
tané, amené  par  hasard,  ou  par  la  faute  d'un  indi- 

Unis.  L'idée  de  ce  qu'on  appelle  vulgairement  corniplion  serait  telle- 
ment déplacée  ici,  que  je  n'ai  pas  besoin  de  l'écarter  une  fois  pour 
toutes;  mais  je  n'admets  pas  seulement  ce  genre  de  corruption  morale 
que  l'astuce,  en  employant  la  flatterie,  peut  exercer  contre  les  hommes 
les  plus  purs.  Même,  à  cet  égard,  le  gouvernement  français  ne  s'est 
jamais  mis  en  frais  pour  les  Américains;  il  les  a  traités,  au  contraire , 
avec  beaucoup  de  sécheresse  et  de  hauteur  ;  et  lor.-que  Champa- 
GNY  leur  a  assuré  «  que  l'Empereur  les  aimait,  »  on  ne  conçoit  pas 
que  ce  ton  de  protection  arrogante  n'ait  pas  soulevé  toutes  les  âmes. 
Mais  il  n'y  a  «  que  la  morgue  des  minisires  anglais  »  qui  puisse  exciter 
leur  colère. 


—  86  — 

vidu,  pour  les  faire  crier  au  meurtre  et  à  la  tyrannie. 
Les  motions  hostiles  contre  l'Angleterre ,  les  embar- 
gos, les  actes  de  non-importation  ^  précurseurs  des 
actes  de  non-intercourse,  étaient  à  l'ordre  du  jour  long- 
temps avant  les  ordres  du  Conseil;  et  comme  la  liste 
de  leurs  griefs  était  inépuisable ,  on  est  bien  autorisé 
à  croire  que,  quand  même  ces  ordres  du  Conseil  n'au- 
raient jamais  paru,  ils  seraient  arrivés,  d'aigreur  en 
aigreur  et  de  disputes  en  disputes,  au  point  où  nous 
les  voyons  aujourd'hui. 

Ce  qui  prouve  surtout  que ,  dans  cette  longue 
carrière  de  prédilection  pour  la  France  et  d'acharne- 
ment contre  l'Angleterre,  que  le  gouvernement  amé- 
ricain vient  de  parcourir,  les  sentiments  personnels 
doivent  l'avoir  emporté  sur  les  calculs  politiques, 
c'est  que  tous  les  principes  honorables,  et  tous  les  in- 
térêts bien  entendus ,  auraient  dû  engager  ce  gouver- 
nement dans  une  route  diamétralement  opposée.  La 
cause  de  l'Angleterre  était  la  sienne;  sans  compter 
tant  de  liens  plus  ou  moins  sacrés  qui  subsistaient 
entre  l'Amérique  et  son  ancienne  mère  patrie,  celle-ci 
combattait  pour  l'indépendance  générale  y  pour  les 
peuples  autant  que  pour  les  trônes,  pour  les  républi- 
ques autant  que  pour  les  monarchies,  contre  une  puis- 
sance qui  avait  hautement  annoncé  le  projet  de  tout 
dominer  ou  de  tout  écraser  autour  d'elle.  La  victoire 
la  plus  décisive  que  l'Angleterre  eût  pu  remporter 
dans  cette  lutte,  ne  pouvait  jamais  effrayer  les  Améri- 
cains ,  mais  si  elle  succombait ,  V univers  appartenait 
à  la  France;  et  il  eût  fallu  un  délire  d'aveuglement  et 
d'orgueil,  pour  faire  imaginer  à  l'Amérique  qu'elle  se 
soutiendrait  toute  seule  dans  ces  vastes  ruines.  En  ad- 
mettant que,  pendant  les  premières  époques  de  la  Ré- 
volution, malgré  l'horreur  que  sa  marche  et  son 
caractère  devaient  inspirer  à  tout  ami  éclairé  de  la  li- 


—  87  — 

berté,  le  nom  de  république,  et  l'affectation  de  quel- 
ques formes  républicaines  aient  pu  en  imposer  aux 
Américains,  on  aurait  cru  au  moins  qu'ils  change- 
raient de  sentiments  et  de  système ,  lorsque  tout  cet 
échafaudage  républicain  fut  réduit  en  poussihre,  et  Va- 
narchie  la  plus  féroce  remplacée  par  un  despotisme  sans 
bornes.  Mais  on  s'aperçut  avec  étonnement  que  leurs 
affections,  leurs  procédés,  leurs  ménagements  res- 
taient les  mêmes,  tandis  que  leurs  craintes,  leurs  ja- 
lousies, leurs  antipathies  planaient  exclusivement  sur 
ceux  qui  arrêtaient  les  progrès  de  ce  despotisme.  Cet 
étonnement  augmenta  encore,  lorsqu'on  vit  leur  pro- 
fonde indifférence  aux  attentats  cruels  commis  contre 
le  peuple  espagnol ,  et  cette  absence  totale  d'intérêt 
pour  l'héroïsme  soutenu  avec  lequel  ce  peuple  défen- 
dait sa  liberté ,  et  ce  silence  d'une  neutralité  morale, 
plus  choquante  que  toute  neutralité  politique,  qu'ils 
gardaient  au  milieu  des  vicissitudes  d'un  spectacle 
aussi  lugubre  et  aussi  majestueux.  Le  dévouement 
magnanime  avec  lequel  la  nation  britannique  avait 
épousé  la  cause  des  Espagnols,  loin  d'arracher  à  ces 
imperturbables  égoïstes  un  seul  témoignage  de  satis- 
faction ou  d'admiration,  les  encourageait  plutôt  à 
poursuivre  avec  d'autant  plus  de  ténacité  les  froides 
chicanes  dont  ils  accablaient  le  gouvernement  an- 
glais. Enfin ,  voyant  que  l'incendie  gagnait  cette 
vaste  partie  de  la  monarchie  espagnole  dont  ils  sont 
voisins,  ils  parurent  sur  la  scène;  mais  ce  ne  fut  que 
pour  s'assurer^  par  des  coups  portés  dans  les  tmebres, 
la  possession  de  quelques  provinces  détachées  de  cette 
monarchie,  et  pour  favoriser  dans  les  autres  la  rébellion 
et  la  guerre  civile. 

Mais  ce  n'est  pas  tout  encore  que  cet  abandon  des 
principes  généreux,  et  cette  persévérance  dans  un 
système  si  peu  analogue  au  caractère  d'un  gouverne- 


—  88  — 

nient  républicain;  il  n'y  a  pas  même  d'intérêt  direct 
et  prochain ,  pas  de  considération  d'avantage  ou  de 
perte  positive,  qui  ait  pu  engager  les  chefs  des  États- 
Unis  à  changer  de  marche  politique.  Il  est  clair  que, 
dans  l'état  actuel  des  choses,  ils  ont  comparativement 
peu  à  gagner  par  l'amitié  de  la  France  ,  et  peu  à 
perdre  en  risquant  sa  disgrâce;  tandis  qu'ils  ont 
beaucoup  à  conserver,  beaucoup  à  espérer,  et  beau- 
coup à  craindre  du  côté  de  l'Angleterre.  Leur  commerce 
seul  avec  les  lies  Britanniques  était  infiniment  supé- 
rieur à  celui  qu'ils  faisaient  avec  la  France,  et  bien 
plus  important  pour  eux  que  celui  de  tout  le  conti- 
nent européen.  Leurs  entreprises  dans  les  autres  par- 
ties du  globe ,  leurs  expéditions  mercantiles  dans  les 
grandes  Indes ,  leurs  rapports  avec  tout  l'archipel  des 
Antilles ,  leurs  spéculations  sur  l'Amérique  méridio- 
nale, tout  cela  ne  leur  est  assuré  que  par  leur  bonne  intelli- 
gence  avec  le  gouvernement  anglais  ;  tout  cela  peut  s  éva- 
nouir au  premier  choc  d\me  rupture.  Mais  plutôt  que 
de  déplaire  à  la  France ,  ils  ont  ou  actuellement  sa- 
crifié, ou  grièvement  compromis  ces  immenses  avan- 
tages. Ils  ont  fermé  leurs  ports  aux  vaisseaux  anglais, 
et  défendu  à  leurs  sujets,  par  un  vrai  acte  de  suicide 
politique,  toute  communication  avec  l'Angleterre.  Non 
contents  de  ces  mesures  rigoureuses,  après  lesquelles 
on  aurait  cru  au  moins  leurs  comptes  avec  l'Angle- 
terre plus  que  soldés,  ils  ont  continué  à  crier  contre 
le  gouvernement  britannique,  à  lui  demander  répara- 
tion pour  toutes  sortes  d'offenses  imaginaires ,  à  an- 
noncer dans  leurs  Assemblées  législatives  que  la 
guerre  était  inévitable,  à  en  préparer  les  moyens  au- 
tant que  leurs  faibles  ressources  le  permettaient. 
Comment  expliquer  une  conduite  aussi  extraordi- 
naire, sans  admettre  que  ce  gouvernement  est  entraîné 
par  quelque  impulsion  secrète,  plus  puissante  que 


—  89  — 

tous  les  principes  et  tous  les  calculs,  par  un  esprit 
d'animosité  et  d'obstination  qui  lui  ferait  embrasser 
les  mesures  les  plus  contraires  à  ses  propres  intérêts, 
pourvu  que  ce  ne  fussent  pas  celles  qui  les  mettraient 
d'accord  avec  l'Angleterre? 

Les  discussions  sur  les  ordres  du  Conseil  qui  ont 
eu  lieu  entre  les  deux  gouvernements  depuis  l'arrivée 
de  M.  Forster  en  Amérique,  confirment  malheureuse- 
ment cette  conjecture.  Chaque  pièce  sortie  des  bu- 
reaux américains  porte  le  cachet  de  ces  dispositions 
hostiles;  et  si  les  chefs  des  États-Unis  avaient  sincè- 
rement désiré  l'amitié  de  l'Angleterre  ,  ils  n'auraient 
jamais  entamé  cette  dispute.  Us  savaient  parfaitement 
bien  que  la  simple  modification  de  quelques  clauses 
des  décrets  de  Berlin  et  de  Milan,  en  faveur  d'une  na- 
tion que  la  France  avait  tant  d'intérêt  à  ménager,  ne 
déciderait  pas  lAngleterre  à  une  démarche  aussi  écla- 
tante que  la  révocation  des  ordres  du  Conseil;  et  ils 
pouvaient  d'autant  moins  s'y  attendre ,  que  le  fait 
même  de  la  prétendue  modification  ne  reposait  sur 
aucun  fondement  solide,  sur  aucun  document  présen- 
table, et  que  le  langage  et  les  actions  du  gouverne- 
ment français  le  démentaient  d'un  jour  à  l'autre.  Les 
chefs  des  États-Unis  ne  sont  pas  assez  égarés  par  les 
malheureuses  préventions  qui  les  guident,  ils  sont 
encore  trop  clairvoyants,  ils  connaissent  trop  ce 
qu'un  gouvernement  libre  doit  à  l'opinion  publique 
et  à  l'honneur  national,  ils  sont  trop  instruits  sur  l'é- 
tat des  choses  en  Angleterre,  et  sur  ce  qu'un  minis- 
tère britannique  peut  ou  ne  peut  pas  faire  sans  com- 
promettre ses  premiers  intérêts,  pour  qu'ils  aient  pu 
tomber  dans  une  erreur  pareille.  Leur  manière  de  trai- 
ter ces  objets  peut  les  rendre  suspects  d'un  manque  de 
bonne  foi,  mais  non  pas  de  jugement  et  d'intelligence. 
Il  y  a  bien  loin  des  déclamations  furieuses  du  Moni- 


—  90  — 

teur  aux  sophismes  adroits  de  M.  Monroe.  Or,  si  les  mi- 
nistres américains  n'ont  pas  pu  se  dissimuler  qu'ils 
exigeaient  du  gouvernement  anglais  ce  que  celui-ci 
n'accorderait  jamais,  et  ne  pouvait  pas  accorder,  il  est 
clair  que  toutes  leurs  négociations  ne  doivent  être 
considérées  que  comme  des  moyens  habilement  choisis 
pour  perpétuer  la  querelle,  et  comme  des  préludes  à  de 
nouvelles  hostilités. 

On  paraît  généralement  persuadé  que  cet  état  de 
crise  finira  par  une  guerre  ouverte.  Cette  opinion  a 
peut-être  été  adoptée  avec  trop  de  précipitation.  La 
situation  respective  des  deux  gouvernements  est  telle 
que,  malgré  tout  ce  qui  s'est  passé  au  Congrès  améri- 
cain ,  et  toutes  les  résolutions  qu'il  a  prises ,  et  tous 
les  armements  qu'il  a  ordonnés,  il  est  difficile  de  com- 
prendre de  quelle  manière ,  sous  quelle  forme  et  de 
quel  coté  cette  guerre  pourrait  éclater.  En  fermant 
leurs  ports  à  l'Angleterre ,  et  se  refusant  à  toute  com- 
munication avec  elle,  les  États-Unis  ont  fait  ce  qui 
était  en  leur  pouvoir  pour  se  venger  des  ordres  du 
Conseil.  L'Angleterre,  comme  de  raison,  a  protesté  et 
ne  cessera  de  protester  contre  ces  mesures;  mais  elle 
n'a  jamais  annoncé  l'intention  d'aller  plus  loin,  et  de 
rompre  la  paix  avec  l'Amérique,  dans  le  cas  où  celle-ci 
ne  consentirait  pas  à  changer  de  système.  Ce  ne  sera 
donc  pas,  selon  toute  apparence,  le  gouvernement 
anglais  qui  déclarera  la  guerre.  De  l'autre  côté,  les 
États-Unis  ne  peuvent  plus  se  regarder  comme  partie 
purement  et  simplement  souffrante;  en  admettant 
même  que  les  ordres  du  Conseil  aient  été,  comme  ils 
le  prétendent,  une  mesure  attentatoire  à  leurs  droits, 
ils  ne  sont  pas  restés  en  arrière;  ils  ont  amplement 
riposté  par  l'acte  de  non-iniercourse,  on  ne  conçoit 
pas  sous  quel  titre  et  prétexte  ils  en  viendraient  à  une 
déclaration  de  guerre,  lorsque  ce  sont  eux  qui  ont 


—  91  — 

frappé  les  derniers  coups  dans  ce  démêlé.  Et  quand 
ensuite  on  réflécliit  sur  la  situation  des  États-Unis, 
sur  la  disproportion  extrême  entre  leurs  moyens  et 
ceux  de  la  puissance  qu'ils  provoqueraient,  sur  les 
sacrifices  énormes  par  lesquels  ils  commenceraient 
cette  guerre,  sur  les  pertes  incalculables  qu'elle  leur 
ferait  essuyer ,  sur  la  destruction  de  toutes  les  bran- 
ches de  leur  prospérité  actuelle,  qui  en  serait  proba- 
blement le  résultat  final ,  on  a  de  la  peine  à  ima- 
giner que,  sans  nécessité  évidente  et  sans  espoir 
d'arriver  par  là  à  un  meilleur  ordre  de  choses ,  un 
gouvernement  responsable  de  ses  démarches  se  portât 
à  un  tel  excès  de  démence. 

Cependant,  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  le 
danger  d'une  guerre  ouverte  entre  l'Angleterre  et 
l'Amérique  soit  le  seul  motif  pour  désirer  de  voir 
cesser  leur  mésintelligence  actuelle.  Considérée  en 
grand,  cette  guerre  serait  certainement  funeste  à  l'un 
et  à  l'autre  pays.  Car ,  quoi  qu'en  disent  les  calculs 
rétrécis  d'une  cupidité  mal  entendue,  ou  d'une  ja- 
lousie aveugle ,  les  vrais  intérêts,  les  intérêts  durables 
de  l'Angleterre,  ne  sont  point  et  ne  peuvejit  pas  être 
en  opposition  avec  ceux  des  Américains ,  et  il  est  im- 
possible que  ce  qui  appauvrirait  ou  ruinerait  l'Amé- 
rique, ne  fût  pas,  en  dernier  résultat,  un  mal 
très-réel  pour  l'Angleterre*.  Mais  les  inconvénients 
directs  de  cette  guerre  seraient  au  moins  mêlés  de 
quelques  avantages  momentanés,  et  les  revers  mêmes 
quelle  ferait  éprouver  aux  Américains ,  conduiraient 
peut-être  à  quelques  changements  heureux;  tandis  que 
le  système  de  prohibition  exercé  aujourd'hui  contre 

'  II  n'y  a  pas  un  homme  d'État  en  Angleterre  qui  ne  soit  convaincu 
de  celte  vérité;  et  si  on  y  trouve  quelques  esprits  bornés  qui  la  mécon- 
naissent, il  est  Tort  injuste  de  rendre  le  gouvernement  et  la  partie 
éclairée  de  la  nation  responsables  des  erreurs  de  quelques  individus. 


—  92  — 

le  commerce  britannique ,  est  un  mal  sans  contre- 
poids et  sans  compensation.  Il  est  certain  que  la  sus- 
pension du  commerce  avec  les  États-Unis  est  non-seu- 
lement une  privation  de  plus  ajoutée  à  celles  que  le 
système  continental  a  infligées  à  l'Angleterre ,  mais 
qu'elle  est  par  elle-même  plus  fatale  aux  intérêts  de 
son  industrie,  de  ses  manufactures,  et  de  ses  rapports 
pécuniaires  avec  les  autres  pays,  que  tout  ce  qu'elle  a 
pu  souffrir  de  l'exclusion  de  ses  marchandises  des  ports 
et  marchés  du  continent  européen. 

Mais  quel  remède  proposer  contre  ce  mal?  La 
révocation  des  ordres  du  Conseil  sans  la  révocation 
préalable  des  décrets  de  Berlin  et  de  Milan ,  est  une 
mesure  à  laquelle  le  gouvernement  anglais  ne  se  prê- 
tera jamais,  ne  peut  et  ne  doit  pas  se  prêter.  La  di- 
gnité nationale  est  supérieure  à  toute  autre  considéra- 
tion; et  si  on  voulait  la  sacrifier  ici,  ce  serait  même  un 
grand  sacrifice  en  pure  perte;  car  nous  avons  vu  que, 
d'après  les  déclarations  du  gouvernement  français,  la 
révocation  des  ordres  du  Conseil  ne  suffirait  pas  pour 
faire  cesser  les  décrets.  Et,  quant  à  l'espoir  que  la 
France  pût  se  décider  à  les  abolir  purement  et  sim- 
plement ,  soit  avant ,  soit  après  la  révocation  des  or- 
dres du  Conseil,  on  doit  le  regarder  comme  tout  à  fait 
nul. 

Le  vrai  bienfaiteur  commun  de  l'Angleterre  et  de 
l'Amérique  serait  celui  qui  découvrirait  le  moyen  d'a- 
planir leurs  différends,  sans  la  révocation  des  ordres 
du  Conseil.  Il  faudrait  beaucoup  de  courage,  beau- 
coup de  talent,  et  beaucoup  de  bonheur  pour  amener 
un  dénoûment  pareil;  mais  c'est  le  seul  qui  concilie- 
rait tout  et  qui  répondrait  à  tout;  et  par  cette  raison 
même  je  ne  puis  pas  me  résoudre  à  le  regarder 
comme  absolument  impossible.  Je  suppose  et  crois 
pouvoir  supposer  que,  pour  obtenir  un  si  grand  bien. 


—  93  — 

le  gouvernement  anglais  ne  s'arrêterait  à  aucune 
question  accessoire ,  consentirait  à  tout  sacrifice  qui 
ne  serait  pas  incompatible  avec  sa  dignité,  se  prêterait 
avec  cette  facilité  qui  ne  peut  jamais  compromettre  le 
fort,  lorsqu'elle  est  employée  vis-à-vis  du  faible,  à 
l'arrangement  de  tous  ces  objets  secondaires  que  les 
Américains  jugeraient  essentiels  à  l'intérêt  ou  même 
au  point  d'honneur  de  leur  pays ,  et  leur  accorderait 
enfin  chaque  modification  des  ordres  du  Conseil  qui 
n'en  altérerait  pas  le  principe  et  la  substance.  Après 
cela,  il  s'agirait  de  faire  comprendre  au  gouvernement 
des  État-Unis  combien  il  serait  plus  avantageux  pour 
ses  intérêts  présents  et  futurs,  d'accepter  les  proposi- 
tions de  l'Angleterre,  que  d'insister  sur  la  révocation 
des  ordres  du  Conseil,  en  s'exposant  à  la  durée  indé- 
finie d'un  état  de  choses  aussi  pénible  pour  les  Améri- 
cains que  pour  l'Angleterre,  ou  aux  dangers  incalcu- 
lables d'une  guerre  dans  laquelle  toutes  les  chances 
seraient  contre  eux. 

En  résumant  ce  qui  a  été  dit  dans  cet  article,  il 
me  paraît  qu'il  y  a  d'assez  bonnes  raisons  pour  ne 
pas  se  livrer  à  des  regrets  excessifs  sur  les  obstacles 
qui  combattent  la  révocation  des  ordres  du  Conseil. 
Cette  mesure ,  accompagnée  même  de  l'abolition  des 
décrets  de  la  France,  ne  ferait  rien  ou  presque  rien 
pour  le  rétablissement  du  commerce  de  l'Angleterre 
avec  la  partie  du  continent  européen  qui  est  aujour- 
d'hui fermée  à  ses  vaisseaux.  11  est  très-incertain 
qu'elle  amenât  un  changement  efficace  dans  ses  rela- 
tions avec  les  États-Unis  de  l'Amérique,  et  surtout  dans 
les  sentiments  et  les  dispositions  du  gouvernement 
américain.  Et,  enfin ,  si  un  tel  changement  n'est  pas 
devenu  impossible,  il  doit  y  avoir,  pour  l'atteindre, 
une  route  moins  opposée  aux  premiers  intérêts  de 
l'Angleterre,  plus  honorable,  plus  sûre,  plus  directe 


—  94  — 

et  plus  satisfaisante,  que  celle  qui  partirait  de  la  ré- 
vocation des  ordres  du  Conseil. 


m. 

MÉMOIRE 

SUR  LES   PRINCIPES  ET   LES   LOIS   DE    LA    NEL'TRALITÉ    MARITIME    ACCOMPAGNÉ   DE 
PIÈCES   OFFICIELLES   JUSTIFICATIVES  '. 

(Rédigé  par  le  comte  (I'Hauterive  ,  en  4812.) 

S  1". 

Droit  public  de  l'Europe,  relativement  à  la  neutralité  maritime 
avant  1756. 

Le  droit,  parmi  les  hommes  civilisés,  dérive  des 
lois.  Le  droit  civil,  qui  garantit  les  propriétés  parti- 
culières, est  formé  par  les  lois  civiles;  le  droit  public, 
qui  règle  les  relations  des  nations  policées  entre  elles, 
est  également  établi  par  des  lois;  mais  les  nations 
étant  indépendantes,  et  aucune  d'elles  ne  pouvant 
prescrire  des  lois  aux  autres,  il  en  résulte  que  ces  lois, 
dont  l'ensemble  forme  le  droit  public,  ne  sont  et  ne 
peuvent  être  que  les  traités  qu'elles  ont  conclus  et  si- 
gnés solennellement.  Ainsi,  demander  quels  étaient 
les  droits  des  neutres  sur  mer  avant  1 756,  c'est,  en 
d'autres  termes,  demander  ce  que  règlent  sur  ce  point 
important  les  traités  conclus,  avant  cette  époque,  par 
les  diverses  puissances  de  l'Europe. 

Nous  allons  éclaircir  cette  question,  et  résoudre 
toutes  les  difficultés  qu'elle  présente,  en  donnant  l'a- 
nalyse de  ces  traités. 

Nous  en  tirons  d'abord  les  principes  suivants,  sur 
lesquels  on  ne  saurait  trop  appuyer,  puisqu'ils  sont 

*  Voy.  à  la  fin  de  ce  volume  Notes  et  Documentfi,_ 


—  95  — 

la  base  du  droit  maritime;  que  c'est  par  leur  violation 
que  les  neutres  ont  perdu  l'usage  des  mers,  le  bien 
de  tous  les  peuples ,  et  que  c'est  pour  le  rétablisse- 
ment de  ces  grands  principes  qu'est  armé  aujourd'hui 
le  continent  européen  ; 

1  "  Le  pavillon  couvre  la  marchandise ,  c'est-à-dire 
qu'un  bâtiment  neutre  a  le  droit  de  transporter  libre- 
ment les  propriétés  ennemies,  et  que  les  propriétés 
amies,  embarquées  sur  un  bâtiment  ennemi,  se  trou- 
vent confisquées  avec  le  bâtiment. 

T  Toutes  les  marchandises,  de  quelque  espèce 
qu'elles  soient,  sont  couvertes  par  le  pavillon,  et  peu- 
vent, en  conséquence,  être  librement  transportées, 
à  l'exception  des  marchandises  dites  contrebande  de 
guerre.  Ce  sont  les  armes,  les  harnais  et  les  munitions 
de  guerre,  et  il  est  expressément  stipulé  que  les  muni- 
tions navales  ne  peuvent  être  regardées  comme  contre- 
bande. 

3"  Les  bâtiments  neutres  peuvent  naviguer  libre- 
ment et  sans  empêchement  sur  toutes  les  cotes,  et  d'un 
port  à  l'autre ,  des  pays  en  guerre ,  avec  la  seule  res- 
triction de  ne  point  pénétrer  dans  les  ports  réellement 
bloqués.  Par  port  bloqué,  on  entend  un  port  assiégé  et 
en  prévention  d'être  pris. 

4°  Le  droit  de  visite  est  né  du  besoin  de  s'assurer 
qu'un  vaisseau  neutre  ne  transporte  pas  à  l'ennemi 
des  marchandises  de  contrebande;  mais  ce  point  est 
réglé  par  les  traités  de  la  manière  la  plus  avantageuse 
au  commerce  et  à  l'honneur  des  États  neutres.  Il  y  est 
établi  que  le  bâtiment  qui  voudra  visiter  un  vaisseau 
marchand,  s'arrêtera  hors  de  la  portée  du  canon,  en- 
verra une  seule  chaloupe,  et  se  bornera  à  faire  monter 
à  bord  deux  ou  trois  hommes  qui ,  dans  cet  état  d'in- 
fériorité par  lequel  l'honneur  du  pavillon  est  suffisam- 
ment garanti,  se  feront  représenter  les  passe-ports  et 


—  96  — 

connaissements  du  navire.  Si,  par  hasard;  il  s'y  trouve 
de  la  contrebande,  elle  doit  seule  être  saisie,  et  le  bâti- 
ment, avec  le  reste  de  sa  cargaison^  peut  continuer  li- 
brement sa  route. 

Ces  principes  sont  proclamés  solennellement  dans 
tous  les  traités  conclus  depuis  la  seconde  moitié  du 
XVI i"  siècle,  et  l'Angleterre  elle-même  les  a  reconnus 
et  sanctionnés  dans  ses  traités  avec  la  France,  les 
Provinces-Unies,  le  Portugal,  etc. 

Le  traité  conclu  le  1 0  juillet  1 654  entre  l'Angleterre 
et  le  Portugal  (n"  1)  consacre,  dans  l'article  23,  l'im- 
portant principe  de  la  garantie  de  la  marchandise  par 
le  pavillon. 

Le  traité  de  1 655,  entre  la  France  et  l'Angleterre 
(n"  2),  est  particulièrement  remarquable.  L'article  1 5 
porte  que  le  pavillon  couvre  la  marchandise,  à  l'ex- 
ception de  la  contrebande  :  «  à  savoir,  poudre  et 
mousquets,  et  toute  sorte  d'armes  et  de  munitions  de 
guerre.  »  Le  même  article  défend  d'introduire  des 
munitions  de  bouche  dans  une  place  assiégée,  ce  qui 
borne  le  droit  de  blocus  au  cas  où  un  port  se  trouve 
réellement  investi  et  attaqué  par  terre  et  par  mer. 

Dans  le  traité  de  1 668,  entre  la  Hollande  et  l'Angle- 
terre (n"  3),  l'article  l''""  énonce  le  principe  que  les 
neutres  ont  le  droit  de  naviguer  et  commercer  d'un 
port  à  l'autre  sur  les  côtes  de  l'ennemi.  L'article  2  est 
conçu  en  ces  termes  : 

«  Cette  liberté  de  naviguer  et  de  commercer  s'éten- 
dra à  toutes  les  espèces  de  marchandises,  excepté  celles 
qui  sont  déclarées  de  contrebande.  » 

L'article  suivant  porte  que  de  ce  nombre  sont  seu- 
lement les  armes  et  les  munitions  de  guerre;  et  dans 
l'article  4,  il  est  dit  que  tous  les  autres  objets  peuvent 
être  transportés  partout  librement,  excepté  dans  les 
villes  et  lieux  bloqués  et  investis. 


—  97  — 

La  manière  de  visiter  les  Lâtiments  marchands  pour 
s'assurer  qu'ils  ne  transportent  pas  de  contrebande , 
est  réglée  dans  Tarticle  8;  et  enfin  l'article  10  établit 
que  le  sort  des  marchandises  est  décidé  par  la  qualité 
de  neutre  ou  d'ennemi  du  bâtiment,  c'est-à-dire  que  le 
pavillon  couvre  la  marchandise. 

Le  traité  de  commerce  signé  à  Utrecht  le  1 1  avril 
4713,  entre  l'Angleterre  et  la  France  (n°  4),  constate, 
par  l'article  17,  la  liberté  qu'ont  les  neutres  de  négo- 
cier d'un  port  à  l'autre  des  pays  en  guerre,  et  renferme 
le  principe  que  le  pavillon  couvre  la  marchandise. 
Après  avoir  excepté  de  cette  garantie  les  marchandises 
de  contrebande,  l'article  19  porte  que  les  armes,  les 
harnais  et  les  munitions  de  guerre  sont  seuls  réputés 
telles.  L'article  20  faitl'énumération  des  marchandises 
qui  ne  peuvent  être  regardées  comme  contrebande,  et 
déclare  qu'elles  peuvent  être  librement  transportées 
partout,  excepté  dans  les  places  assiégées,  bloquées  et 
investies.  Enfin,  l'article  24  règle  le  droit  de  visite. 

Le  traité  du  même  jour  (n°  5)  entre  la  France  et  les 
Provinces-Unies,  contient  absolument  les  mêmes  sti- 
pulations. 

Les  dispositions  des  traités  d'Utrecht  ont  servi  de 
règle,  jusqu'en  1756,  à  la  législation  maritime  :  ainsi 
les  droits  des  neutres  étaient  bien  reconnus.  La  fran- 
chise de  leurs  pavillons,  la  liberté  de  la  navigation,  le 
caractère  des  marchandises  de  contrebande,  et  le  droit 
de  blocus,  étaient  fixés  par  les  traités;  et  il  était  ré- 
servé à  l'Angleterre  de  détruire  une  partie  du  droit 
public  si  bien  établi  par  ses  propres  engagements  et 
ceux  des  autres  puissances  de  l'Europe  ! 


XI 


—  98  — 


S  2. 


Droit  public  de  V Europe ,  relativement  à  la  neutralité  maritime 
de  1756  à  1775. 

Nous  venons  de  voir  quel  était  le  droit  public  relati- 
vement aux  droits  des  neutres  sur  les  mers  avant  la 
guerre  de  1756.  —  Nous  allons  examiner  si,  dans  la 
période  qui  s'est  écoulée  depuis  l'origine  de  cette 
guerre  jusqu'en  1775,  il  a  éprouvé  quelques  change- 
ments; nous  verrons  que,  malgré  les  efforts  de  l'An- 
gleterre et  ses  actes  arbitraires,  les  traités  ont  con- 
stamment renouvelé  et  consacré  les  principes  de  celui 
d'Utrecht. 

En  effet,  à  peine  l'Angleterre  se  trouva-t-elle  enga- 
gée dans  la  guerre  qui  éclata  en  1756,  qu'elle  pré- 
tendit établir  deux  nouveaux  principes  directement 
'contraires  à  tous  les  traités,  mais  auxquels  elle  met- 
tait une  importance  proportionnée  aux  avantages 
qu'elle  croyait  en  retirer.  Elle  chercha  d'abord  à  les 
introduire  sans  éclat,  de  peur  d'appeler  la  résistance 
des  puissances  intéressées  à  les  combattre;  mais, 
après  la  première  période  de  la  guerre,  enhardie  par 
les  succès  que  lui  assurait  sa  supériorité  maritime, 
elle  ne  craignit  plus  d'avouer  qu'elle  prétendait  ajouter 
à  la  législation  existante,  des  lois  nouvelles  en  opposi- 
tion directe  avec  les  lois  et  les  obligations  qu'elle  s'était 
imposées  à  elle-même  par  les  traités  les  plus  solennels. 

Elle  attaqua  d'abord  les  principes  établis  sur  le 
caractère  des  objets  de  contrebande,  et  elle  en  étendit 
considérablement  la  liste,  en  y  comprenant,  sous  le 
nom  de  munitions  navales,  tout  ce  qui  sert  à  la  con- 
struction et  à  l'équipement  des  vaisseaux;  sous  le 
prétexte  de  nuire  à  la  marine  de  ses  ennemis,  prétexte 


—  99  — 

injuste  et  frivole,  puisque,  pour  nuire  à  ses  ennemis, 
il  aurait  été  aussi  légitime  de  défendre  aux  neutres  de 
commercer  avec  eux,  et  d'anéantir  ainsi  toute  naviga- 
tion autre  que  celle  des  sujets  de  la  Grande-Bretagne. 

La  seconde  règle  que  l'Angleterre  voulut  établir  est 
que  les  neutres  n'ont  pas  le  droit  de  faire  le  commerce 
des  colonies  d'un  État  belligérant,  parce  que,  disait 
le  ministère  anglais,  ils  ne  pouvaient  le  faire  en  temps 
de  paix.  —  Une  pareille  prétention  viole  tous  les  prin- 
cipes du  droit  public. — Vouloir  empêcher  les  neutres 
de  faire  le  commerce  avec  une  colonie,  c'est  agir 
comme  si  l'on  en  était  déjà  le  maître;  c'est  anticiper 
sur  le  droit  de  conquête,  et  c'est  en  même  temps 
s'arroger  des  droits  sur  les  neutres,  et  leur  prescrire 
des  ordres  comme  à  ses  propres  sujets. —  Au  reste, 
on  connaît  plutôt  les  ordres  de  l'Angleterre,  dans  cette 
guerre,  par  leurs  effets  et  les  aveux  de  ses  ministres  S 
que  par  leur  teneur  littérale.  Les  instructions  données 
à  cette  époque  en  Angleterre,  et  qui  y  portent  le  nom 
de  Règles  de  la  guerre  (Rule  ofwar\  ne  sont  bien  con- 
nues que  des  juges  de  l'Amirauté;  en  sorte  que  la  po- 
sition des  neutres  se  trouvait  encore  aggravée.  Ils 
étaient  non-seulement  obligés  de  se  soumettre  à  des 
lois  qui  pesaient  sur  leur  commerce,  et  qui  émanaient 
d'une  puissance  étrangère,  mais  encore  à  des  lois  dont 
le  texte  leur  était  inconnu  ! 

Les  gouvernements  du  continent  ne  pressentirent 
pas  toutes  les  conséquences  de  ces  innovations ,  et 
n'opposèrent  pas  aux  prétentions  de  l'Angleterre  la 
résistance  que  commandaient  l'honneur  de  leurs  na- 
tions et  les  intérêts  de  leurs  sujets.  L'attention  des 
puissances  de  l'Europe  était  détournée  par  la  guerre 
continentale  :  cependant  les  États  maritimes  firent  des 

'  Voy.  le  n°  6,  page  77  de  ce  volume. 


—  100  — 

représentations;  les  publicistes  combattirent  ces  maxi- 
mes nouvelles  ;  l'opinion  publique  se  prononça;  et  le 
gouvernement  anglais,  ne  se  croyant  pas  encore  dis- 
pensé d'user  de  ménagements  et  en  état  de  braver 
ouvertement  la  voix  des  peuples,  jugea  nécessaire  de 
faire  paraître  un  mémoire  justificatif  de  sa  conduite*. 
Ce  mémoire  fut  écrit  par  lord  Liverpool.  Quoique  cet 
écrivain  veuille  défendre  des  principes  contraires  à 
ceux  qui  étaient  alors  adoptés  en  Europe,  il  y  recon- 
naît cependant  expressément  qu'un  port  ne  peut  être 
bloqué  légalement  que  lorsque  la  puissance  qui  veut 
en  interdire  l'accès,  entretient  devant  ce  port  des  for- 
ces assez  considérables  pour  empêcher  l'entrée  et  la 
sortie:  mais  c'est  dans  cet  ouvrage,  qui  porte,  en 
quelque  sorte,  un  caractère  officiel,  que  se  montre 
pour  la  première  fois  à  découvert  la  doctrine  de  l'An- 
gleterre, relativement  à  la  domination  qu'elle  prétend 
exercer  sur  la  navigation  des  neutres.  On  y  voit  clai- 
rement que  jusqu'à  l'époque  de  la  guerre  de  1756,  le 
droit  de  transporter  des  marchandises  ennemies  sur 
des  bâtiments  neutres  était  bien  reconnu  par  l'Angle- 
terre, et  qu'alors  seulement  elle  osa  montrer  l'inten- 
tion de  violer  le  droit  public  sanctionné  par  les  traités, 
et  d'enfreindre  tous  ses  engagements;  et  enfin,  malgré 
tout  l'art  de  l'apologiste,  on  reconnaît  aisément  qu'il 
ne  s'appuie  que  sur  de  vains  prétextes,  et  que  l'An- 
gleterre, ne  prenant  dans  cette  circonstance  d'autre 
guide  que  son  intérêt,  et  ne  se  conduisant  que  d'après 
le  sentiment  de  sa  supériorité  navale,  n'établit  pas 
des  principes  de  législation  maritime,  mais  use  seu- 
lement du  droit  du  plus  fort.  Aussi  dès  que  la  paix 

'  Ce  travail ,  qui  ouvrit  la  carrière  des  honneurs  à  Charles  Jenki.vsois 
(comte  de  Liverpool  en  1796),  a  été  publié  en  HbS;  il  a  pour  litre  : 
Discours  sur  la  conduite  du  gouvernement  de  la  Grande-Bretagne  à 
l'égard  des  Puissances  neutres. 


—  101    ^ 

reparut,  elle  n'essaya  pas  même  de  soutenir  ses  pré- 
tentions; et  le  second  article  du  traité  de  1763  (n''  7) 
entre  la  France  et  l'Angleterre,  renouvelant  et  confir- 
mant le  traité  de  commerce  d'Utrecht,  rétablit  le  droit 
publicrelativement  aux  droits  des  neutres  sur  mer,  dans 
l'état  où  nous  avons  vu  qu'il  était  avant  cette  guerre. 

Peu  de  temps  après,  l'Angleterre  consacra  de  nou- 
veau, dans  son  traité  de  commerce  avec  la  Russie, 
les  principes  contraires  à  ceux  qu'elle  avait  voulu 
faire  prévaloir.  Ce  traité  (n°  8  ) ,  conclu  en  1 766 , 
énonce,  dans  l'article  1 0,  le  principe  de  la  liberté  du 
commerce  des  neutres  sur  les  côtes  et  entre  tous  les 
ports  de  l'ennemi,  et  définit,  dans  l'article  11,  les 
objets  de  contrebande,  sans  rien  ajouter  à  ceux  qui 
sont  indiqués  dans  le  traité  d'Utrecht.  La  Grande- 
Bretagne  se  conformait  donc  au  droit  public  reconnu  de 
l'Europe;  mais  elle  se  réservait  de  reproduire  ses  préten- 
tions aussitôt  que  son  intérêt  lui  en  donnerait  le  conseil. 


S  3. 

Droit  public  de  l'Europe.,  relativement  à  la  neutralité  maritime., 
de  1775  à  1802. 

La  guerre  d'Amérique  éclata  en  1775.  Avant  que 
la  France  y  fût  engagée,  elle  proclama  dans  son  traité 
de  commerce  avec  les  États-Unis,  les  principes  que 
nous  venons  d'établir,  comme  ayant  toujours  servi 
de  base  au  droit  maritime.  L'article  23  de  ce  traité 
(n°  9),  porte  que  le  pavillon  couvre  les  marchandises; 
l'article  24  porte  que  toutes  les  marchandises  autres 
que  les  objets  de  contrebande  déterminés  comme  dans 
le  traité  d'Utrecht,  peuvent  être  librement  transpor- 
tées, si  ce  n'est  aux  places  assiégées,  bloquées  ou  in- 
vesties; et  l'article  27  règle  la  manière  dont  pourra  se 


—  102  — 

faire  la  visite  des  vaisseaux  marchands.  Mais  aussitôt 
que  la  France  et  l'Espagne  furent  entraînées  dans  la 
guerre,  l'Angleterre  reprit  la  marche  qu'elle  s'était 
tracée  dans  celle  de  1756.  Elle  érigea  en  lois  et  en 
principes  fixes  les  règles  de  conduite  qu'elle  y  avait 
suivies,  et  prétendit  y  soumettre  toutes  les  nations 
du  monde.  Elle  alla  même  jusqu'à  montrer  sa  singu- 
lière doctrine. sur  le  droit  de  blocus;  et  l'on  sait,  par 
la  condamnation  de  quelques  navires  hollandais  qui 
se  rendaient  à  Rochefort,  dont  le  port  n'était  nulle- 
ment bloqué,  que  la  cour  de  l'Amirauté  osa  poser  en 
principe  que  les  porls  de  France  étaient,  par  leur  posi- 
tioUf  tenus  naturellement  en  état  de  blocus  par  les  ports 
d'Angleterre.  Mais  les  circonstances  n'étaient  plus  les 
mêmes;  toutes  les  puissances  du  continent  étaient  en 
paix  les  unes  avec  les  autres.  Leur  attention  se  porta 
tout  entière  sur  les  atteintes  que  le  système  maritime 
adopté  par  l'Angleterre  faisait  à  leurs  droits.  La  su- 
périorité de  l'Angleterre  sur  les  mers  paraissant  de 
plus  en  plus  menaçante,  les  puissances  continentales 
en  sentirent  davantage  la  nécessité  de  se  prémunir 
contre  l'abus  qu'elle  ferait  de  ses  forces  pour  établir 
un  système  qu'il  était  de  leur  intérêt  autant  que  de 
leur  honneur  de  repousser.  L'impératrice  de  Russie 
entreprit  de  les  réunir  pour  la  défense  de  leurs  droits 
communs  :  elle  rappela  les  principes  du  droit  public 
sur  les  mers,  qui  protègent  également  le  fort  et  le 
faible;  et  elle  réussit  à  faire  adopter  ceux  qu'elle  pro- 
clama comme  règle  de  sa  conduite,  par  le  Danemark, 
la  Suède,  la  Prusse,  la  Hollande,  l'Autriche,  le  Por- 
tugal et  les  Deux-Siciles.  C'est  au  mois  de  mars  1 780, 
que  la  Russie  fit  notifier  aux  Cours  de  Versailles,  de 
Madrid  et  de  Londres ,  les  règles  qu'elle  se  proposait 
d'observer,  et  dont  elle  demandait  l'observation  aux 
puissances  belligérantes  (n°  10).  Les  principes  con- 


—  103  — 

tenus  dans  cette  déclaration,  et  qui  ont  été  insérés 
dans  tous  les  traités  conclus  alors  par  la  Russie  avec 
les  puissances  qui  adhérèrent  à  son  système  et  qui 
formèrent  la  ligue  connue  sous  le  nom  de  neutralité 
armée,  sont  les  suivants  : 

«  1°  Les  vaisseaux  neutres  peuvent  naviguer  libre- 
ment de  port,  en  port,  et  sur  les  côtes  des  nations  en 
guerre. 

«  2"  Les  effets  appartenant  aux  sujets  des  nations 
en  guerre  seront  libres  sur  les  vaisseaux  neutres,  à 
l'exception  des  marchandises  de  contrebande. 

«  3"  On  ne  regardera  comme  marchandises  de  con- 
trebande que  celles  qui  sont  désignées  comme  telles 
dans  Tarticle  1 1  du  traité  de  commerce  entre  la  Russie 
et  l'Angleterre  (les  armes  et  munitions  de  guerre). 

«  4°  Pour  déterminer  ce  qui  caractérise  un  port 
bloqué,  on  n'accordera  cette  dénomination  qu'à  celui 
où  il  y  a,  par  la  disposition  de  la  puissance  qui  l'at- 
taque avec  des  vaisseaux  arrêtés  et  suffisamment  pro- 
ches, un  danger  évident  d'entrer. 

«  5"  Ces  principes  serviront  de  règle,  dans  les  pro- 
cédures et  règlements,  sur  la  légalité  des  prises  '.  » 

On  voit  donc  que  ces  principes  ne  sont  point  une 
innovation;  ce  sont  les  principes  qui,  avant  1756, 
formaient  le  droit  maritime  de  l'Europe ,  puisqu'ils 
sont  consacrés  dans  les  traités  antérieurs  à  cette 
époque,  et  qu'ils  ont  été  établis  de  nouveau  dans  les 
traités  conclus  depuis  la  guerre  de  1756.  —  Les  prin- 
cipes que  l'Angleterre  présentait  comme  autant  de 

'  Voy.  la  résolution  des  États  Généraux  sur  la  déclaration  de  la 
Russie  (n"  \\)\  la  déclaration  du  Danemark  au  sujet  de  la  navigation 
neutre  (n°  12);  la  déclaration  de  la  Suède  (n»  13);  la  convention  entre 
la  Russie  et  le  Danemark  (n"  14)  ;  la  convention  entre  la  Russie  et 
la  Suède  (n°  15)  ;  le  mémoire  de  la  Cour  de  Russie  (n°  16)  ;  la  [déclara- 
tion  des  États  Généraux  pour  annoncer  leur  accession  à  la  neutralité 
armée  (n°  17),  etc. 


—  104  — 

droits  des  puissances  belligérantes ,  se  trouvèrent 
donc  formellement  repoussés  par  la  réunion  de  toutes 
les  puissances  neutres;  et  le  gouvernement  anglais, 
craignant  d'armer  contre  lui  les  États  qui  avaient 
formé  la  neutralité  armée,  céda  à  l'opinion  de  l'Eu- 
rope. Elle  sut  à  la  vérité  se  dispenser  de  déclarer 
qu'elle  renonçait  à  ses  prétentions;  mais  elle  les  dis- 
simula jusqu'à  un  moment  plus  favorable;  elle  mit 
dans  sa  conduite  une  modération  auparavant  incon- 
nue, et  sa  réponse  à  la  Cour  de  Russie  (n"  18)  fut 
aussi  conciliante  qu'elle  pouvait  la  faire,  sans  admettre 
positivement  tous  les  principes  qu'elle  cherchait  à 
détruire. 

La  paix  survint  sur  ces  entrefaites,  et  les  véritables 
bases  du  droit  maritime  furent  de  nouveau  posées  par 
l'article  2  de  la  paix  de  Versailles  (n"  19),  qui  renou- 
velle et  confirme  le  traité  de  commerce  d'Utrecht.  Les 
sages  principes  de  ce  traité  furent  proclamés  encore 
solennellement  dans  tous  les  traités  conclus  à  cette 
époque  entre  les  différentes  puissances  du  continent*, 
et  même  dans  le  traité  de  navigation  et  de  commerce, 
entre  la  France  et  l'Angleterre,  conclu  le  26  septem- 
bre 1786  (n°  25).  Les  articles  20,  23  et  29  de  ce 
traité,  consacrent  les  importants  principes  que  le  pa- 
villon couvre  la  marchandise,  et  que  les  neutres  ont 
le  droit  de  naviguer  et  de  commercer  d'un  port  à 
l'autre  des  pays  en  guerre,  si  ce  n'est  aux  ports  as- 
siégés, bloqués  et  investis.  L'article  22  donne  la  défi- 
nition des  objets  de  contrebande,  telle  qu'elle  est  dans 
le  traité  d'Utrecht ,  et  détruit  ainsi  la  prétention  d'y 
faire  comprendre  les  munitions  navales  :  l'article  26 

»  Voy.  le  traité  entre  la  Russie  et  la  Porte,  de  1783  (n"  20)  ;  entre  la 
Russie  et  l'Autriche,  de  1785  (n°  21);  entre  la  Prusse  et  les  États-Unis, 
de  (1785  (n'>22);  entre  la  France  et  la  Hollande,  de  1785  (n°  23); 
entre  la  Suède  et  les  État£-Unis,  de  1785  (n»  24). 


—  103  — 

règle  la  manière  dont  pourra  se  faire  la  visite  d'un 
bâtiment,  elle  est  conforme  aux  principes  fixés  dans 
le  traité  d'Utrecht. 

Tel  était  l'état  de  la  législation  maritime  dans  Tin- 
tervalle  qui  s'est  écoulé  entre  la  paix  de  1783  et  la 
guerre  amenée  par  la  révolution  de  France.  Les  prin- 
cipes proclamés  lors  de  la  neutralité  armée  étaient 
reconnus  par  toutes  les  puissances;  l'Angleterre  elle- 
même,  malgré  ses  efforts,  en  temps  de  guerre, 
pour  les  détruire,  avait  été  forcée  de  les  consacrer 
dans  un  traité  avec  la  France  :  ils  doivent  donc  être 
considérés  comme  étant  la  loi  des  nations  à  cette  épo- 
que, aussi  bien  qu'ils  l'étaient  avant  la  guerre  de 
1756.  Mais  l'Angleterre  attendait  l'occasion  de  repro- 
duire son  système,  et  elle  ne  devait  pas  tarder  à  la 
rencontrer. 

La  guerre,  après  avoir  embrasé  le  continent,  éclata 
en  1793  entre  l'Angleterre  et  la  France.  Les  princi- 
pales puissances  qui  avaient  fondé  la  neutralité  ar- 
mée, étaient  engagées  dans  la  lutte  contre  la  nouvelle 
république;  la  Grande-Bretagne  ne  pouvait  donc  trou- 
ver un  moment  plus  favorable  pour  faire  renaître  les 
droits  prétendus  qu'elle  s'était  arrogés  dans  les  guerres 
précédentes.  Ce  système  oppressif  fut,  cette  fois,  hau- 
tement proclamé.  Les  instructions  du  8  juin  1793 
(n°  26),  et  les  ordres  du  Conseil  du  6  novembre  de  la 
même  année  (n"  27),  défendirent  d'introduire  des 
vivres  dans  les  ports  de  France,  et  prescrivirent  aux 
neutres  la  défense  de  faire  le  commerce  de  ses  colo- 
nies. Les  puissances  de  l'Europe,  occupées  d'autres 
intérêts,  ne  réclamèrent  point  contre  l'application  de 
cette  nouvelle  doctrine  :  cependant  la  Suède  et  le 
Danemark ,  qui  seuls  avaient  conservé  la  neutralité, 
formèrent,  dès  le  mois  de  mars  1794,  une  convention 
pour  la  protection  de  la  libre  et  légitime  navigation 


—  106  -^ 

de  leurs  sujets ,  et  pour  fermer  Ventrée  de  la  Balti- 
que aux  vaisseaux  armés  des  puissances  belligérantes 
(n"  28). 

Les  Américains  étaient  la  nation  la  plus  lésée  par 
le  nouveau  système  suivi  par  l'Angleterre;  ils  hasar- 
dèrent quelques  représentations  :  l'Angleterre,  sans 
les  admettre  entièrement,  modifia  néanmoins  ses  dis- 
positions précédentes  par  ses  ordres  du  Conseil  du 
8  janvier  1794,  et  les  restreignit  à  l'interdiction  du 
commerce  des  neutres  entre  les  colonies  françaises  et 
la  France  (n°  29).  Mais  au  mois  de  novembre  de  la 
même  année,  les  Etats-Unis,  dirigés  par  une  adminis- 
tration aveugle,  signèrent  un  traité  de  navigation  et 
de  commerce  avec  l'Angleterre,  dans  lequel  ils  aban- 
donnaient tous  les  principes  du  droit  maritime,  et 
reconnaissaient  toutes  les  prétentions  de  cette  puis- 
sance. Selon  ce  traité  (n°  30),  le  pavillon  ne  couvre 
plus  la  marchandise;  la  contrebande  est  augmentée 
des  munitions  navales.  Toutefois ,  ce  traité  honteux 
ne  peut  pas  plus  être  allégué  contre  le  droit  public 
de  l'Europe  que  tous  les  actes  arbitraires  exercés  par 
l'Angleterre;  ce  n'est  également  que  l'abus  de  la  force. 
Les  Américains  saisirent  la  première  occasion  de  s'af- 
franchir de  ces  stipulations;  et  c'est  dans  les  clauses 
injustes  de  ce  traité  qu'il  faut  chercher  la  principale 
origine  de  l'inimitié  qui  divise  les  deux  peuples. 

Le  commerce  des  nations  de  l'Europe  qui  avaient 
pu  conserver  la  neutralité,  n'ayant  pour  appui  que  les 
principes  des  traités  que  l'Angleterre  ne  respectait 
plus,  fut  exposé  à  toutes  les  violences  et  à  l'avidité  des 
croiseurs  anglais  ;  mais  cet  état  de  choses  ne  pouvait 
manquer,  par  l'excès  du  mal,  de  faire  naître  la  résis- 
tance. Les  injustices  réitérées  de  l'Angleterre  excitè- 
rent dans  des  gouvernements  plus  sensibles  à  l'hon- 
neur et  plus  capables  de  soutenir  et  de  protéger  les 


—  107  — 

droits  de  leurs  peuples ,  une  indignation  qui  réveilla 
les  idées  d'où  l'on  avait  vu  dériver,  vingt  ans  aupara- 
vant, le  grand  principe  de  la  neutralité  armée. 

Dès  la  fin  de  1799,  la  Cour  de  Danemark  avait  eu 
quelques  démêlés  avec  l'Angleterre,  à  l'occasion  de  la 
saisie  d'un  convoi  danois  dont  l'escorte  n'avait  pas 
voulu  permettre  la  visite  insultante  d'une  escadre 
anglaise.  L'empereur  Paul  F'  sentit  qu'il  était  temps 
de  s'opposer  aux  empiétements,  sans  cesse  croissants, 
de  l'Angleterre;  et  depuis  longtemps  lassé  de  la  poli- 
tique arrogante  de  cette  puissance,  il  posa  les  prin- 
cipes d'une  nouvelle  neutralité  armée ,  appela  les 
royaumes  du  Nord  à  leur  défense,  et  se  décida  à  met- 
tre, au  mois  de  novembre  1800,  l'embargo  sur  tous  les 
bâtiments  anglais  qui  se  trouvaient  dans  les  ports  de 
la  Russie.  La  Suède,  le  Danemark  et  la  Prusse  adop- 
tèrent ces  principes;  et  ils  furent  insérés  dans  un 
traité  entre  la  Russie  et  la  Suède,  conclu  à  Saint- 
Pétersbourg  le  1 6  décembre  1 800  ;  traité  auquel  accé- 
dèrent le  Danemark  et  la  Prusse,  par  des  traités  sépa- 
rés, du  16  et  du  18  du  même  mois. 

Les  principes  contenus  dans  ces  traités  (n""  31 ,  32, 
33),  sont  textuellement  les  mômes  que  ceux  de  la 
neutralité  armée  de  1780  :  les  deux  suivants  y  sont 
ajoutés  : 

«  1"  Tout  bâtiment  naviguant  vers  un  port  bloqué, 
ne  pourra  être  regardé  comme  ayant  contrevenu  à  la 
convention,  que  lorsque,  après  avoir  été  averti  par  le 
commandant  du  blocus  de  l'état  du  port,  il  tâcherait 
d'y  pénétrer,  en  employant  la  force  ou  la  ruse. 

c(  2"  La  déclaration  de  l'officier  commandant  le 
vaisseau  qui  accompagnera  un  convoi  de  bâtiments 
marchands ,  que  son  convoi  n'a  à  bord  aucune  mar- 
chandise de  contrebande,  doit  suffire  pour  qu'il  n'y 
ait  lieu  à  aucune  visite.  » 


—  108  — 

Ces  deux  principes  ne  sont  qu'une  déduction  de 
ceux  qui  étaient  déjà  adoptés  par  toutes  les  nations  ; 
et  ces  traités  n'étaient  donc  autre  chose  qu'une  nou- 
velle proclamation  des  maximes  constantes  du  droit 
maritime;  mais  l'Angleterre  était  devenue  trop  puis- 
sante pour  laisser  consolider  ainsi  les  droits  des  neu- 
tres. Elle  traita  cette  convention  des  puissances  du 
Nord  pour  le  maintien  de  leur  neutralité,  d'entreprise 
hoslilCy  et  les  vieux  principes  qu'elles  rappelaient,  de 
systhne  nouveau.  Une  flotte  anglaise  parut  dans  la 
Baltique,  défit  les  Danois,  menaça  Copenhague  d'un 
bombardement,  et  la  Cour  de  Danemark  conclut,  avec 
l'amiral  anglais,  un  armistice  qui  la  détachait  de  la 
quadruple  alliance.  En  même  temps  Paul  P"  cessa  de 
vivre.  Son  successeur,  encore  mal  affermi  sur  le  trône, 
pris  en  quelque  sorte  au  dépourvu  par  la  menace 
d'une  attaque  de  la  flotte  anglaise,  et  craignant  de 
commencer  son  règne  au  milieu  des  embarras  de  la 
guerre,  entra  en  négociation;  et  le  résultat  des  circon- 
stances malheureuses  où  il  se  trouvait  placé,  fut  le 
traité  signé  entre  la  Russie  et  l'Angleterre  le  17  juin 
1801  (n°  34).  Ce  traité  conserve,  à  la  vérité,  les  prin- 
cipes de  la  neutralité  armée  sur  la  libre  navigation 
des  neutres  d'un  port  à  l'autre  des  nations  en  guerre, 
sur  les  marchandises  de  contrebande,  et  sur  le  blocus; 
mais  il  abandonne  l'important  principe  de  la  garantie 
des  marchandises  par  le  pavillon,  et  permet  aux  vais- 
seaux de  guerre  des  puissances  belligérantes  de  visiter 
les  navires  marchands,  même  lorsqu'ils  sont  convoyés. 
Ainsi  la  puissance  qui  avait  réclamé  le  plus  hautement 
les  droits  sacrés  des  neutres,  non-seulement  abandonna 
leur  défense,  mais  sanctionna  dans  ce  traité  une  clause 
funeste  et  contraire  au  droit  public  établi  par  tous  les 
traités  antérieurs  conclus  par  les  nations  de  l'Europe. 

Bientôt  après ,  la  paix  maritime  fut  rétablie  par  le 


—  109  — 

traité  d'Amiens.  11  n'est  point  question,  dans  ce  traité, 
du  droit  des  neutres,  et  il  laissait  ainsi  ce  point  en 
suspens  ;  mais  on  peut  dire,  cependant,  qu'à  cette  épo- 
que le  droit  public  de  l'Europe  sur  la  navigation  des 
mers  était  encore  intact;  du  moins  l'Angleterre,  mal- 
gré tous  ses  efforts,  n'avait  pu  faire  insérer  des  stipu- 
lations qui  y  fussent  contraires ,  que  dans  un  seul 
traité,  traité  qui  ne  regardait  que  la  Russie,  et  qui  ne 
pouvait  changer  en  rien  les  droits  des  autres  nations. 


S  4. 

Droit  public  de  l'Europe,  relativement  à  la  neutralité  maritime, 
depuis  le  renouvellement  de  la  guerre  en  1803. 

La  guerre  maritime  s'étant  rallumée  en  1803, 
l'Angleterre,  qui  craignait  de  réunir  de  nouveau 
contre  elle  les  puissances  du  Nord ,  parut  vouloir  du 
moins  respecter  son  traité  avec  la  Russie  ;  elle  permit 
même  aux  neutres  de  commercer  directement  et  indi- 
rectement avec  les  colonies  françaises.  Mais  en  1805  , 
la  face  des  choses  changea  sur  le  continent,  et  aussitôt 
on  vi  t  reparaître  les  prétentions  despotiques  du  système 
maritime  de  l'Angleterre. 

Le  27  juin  1805,  un  acte  du  Parlement  établit, 
dans  les  îles  anglaises  d'Amérique,  des  ports  aux- 
quels on  donna  le  nom  de  ports  francs.  Ces  ports 
furent  destinés  à  servir  d'entrepôt  pour  le  commerce 
des  colonies;  et  il  est  dit  dans  cet  acte,  qu'ils  servi- 
raient même  aux  sujets  de  la  Grande-Bretagne  pour  y 
importer  les  produits  des  îles  françaises  (n°  35).  Les 
ordres  du  Conseil,  du  3  août  suivant  (n"  36),  prescri- 
virent aux  neutres  de  faire  le  commerce  des  colonies 
françaises  exclusivement  par  le  médium  de  ces  ports 
francs.  Au  moyen  de  cette  disposition  arbitraire,  le 


—  110  — 

commerce  neutre  se  trouva  assujetti  au  régime  des 
douanes  et  aux  règlements  de  l'Amirauté  anglaise. 
Les  États-Unis  réclamèrent  vivement  contre  ces  me- 
sures*; mais  leurs  réclamations  n'eurent  aucun  suc- 
cès; et  au  mois  de  mai  1806,  une  Note  de  M.  Fox  au 
ministre  d'Amérique ,  à  Londres ,  mit  enfin  au  jour 
toute  l'extension  que  l'Angleterre  voulait  donner  à  sa 
tyrannie  maritime.  Cette  Note  (n°  38)  annonce  aux 
États-Unis  qu'un  blocus  fictif,  établi  par  un  simple 
ordre  du  Conseil,  depuis  l'embouchure  de  l'Elbe  jus- 
qu'à Brest,  interdit  aux  neutres  l'entrée  de  tous  les 
ports  et  de  toutes  les  rades  compris  entre  ces  deux 
points.  L'Angleterre  avait  donc  résolu  le  problème 
qu'elle  cherchait  depuis  longtemps  à  résoudre,  celui 
de  s'affranchir  de  toutes  les  obligations  que  lui  impo- 
saient les  traités ,  et  particulièrement  de  celles  qui 
étaient  contenues  dans  son  traité  avec  la  Russie.  Et 
certes,  le  droit  qu'elle  s'arrogeait  est  tel,  que,  s'il 
était  reconnu ,  l'Angleterre  pourrait  aussi  bien  décla- 
rer en  état  de  blocus  toutes  les  côtes  et  toutes  les 
mers;  et  dès  lors  il  serait  inutile  de  discuter  aucun 
des  droits  des  neutres.  Si  ce  prétendu  droit  avait 
existé  avant  cette  guerre,  jamais  les  nations  ne  se  se- 
raient donné  la  peine  de  conclure  un  seul  traité;  et 
les  Anglais  n'auraient  pas  eu  le  moindre  intérêt  à 
s'arroger  le  droit  de  défendre  aux  neutres  le  transport 
des  munitions  navales  et  de  leur  interdire  le  com- 
merce des  colonies.  Il  leur  aurait  suiTi  de  déclarer 
toutes  les  possessions  de  leurs  ennemis  en  état  de  blo- 
cus. Si  l'Angleterre  ne  l'a  point  fait,  c'est  qu'elle  n'o- 
sait encore  annoncer  une  pareille  prétention;  et  il  a 
fallu  qu'elle  se  crût  bien  assurée  de  sa  supériorité 


♦  Voy.  le  message  du  président  du  Congrès,  du  17  janvier  1806 
(n^a?). 


—  i11  — - 

navale ,  pour  avouer  toute  l'étendue  de  son  système 
maritime  ! 

Cette  violation  de  tous  les  principes ,  cet  oubli 
absolu  du  Droit  des  gens ,  forcèrent  la  France  à  user 
de  représailles.  Elle  attendit  six  mois  pour  laisser  le 
temps  aux  représentations  des  neutres  de  produire 
l'effet  qu'ils  devaient  en  attendre;  mais  l'Angleterre 
persistant  dans  son  système  de  blocus  fictif,  et  en 
étendant  de  plus  en  plus  l'application  ,  le  décret 
connu  sous  le  nom  de  décret  de  Berlin ,  parut  le 
21  novembre  1806  (n"  39).  Par  ce  décret,  l'Empereur, 
ne  faisant  que  diriger  contre  l'Angleterre  les  prin- 
cipes qu'elle  proclamait,  déclara  les  lies  Britanniques 
en  état  de  blocus;  toutefois,  respectant  les  droits  des 
neutres,  qu'eux-mêmes  paraissaient  abandonner,  et 
les  respectant  jusque  dans  les  mesures  de  légitime 
défense  auxquelles  il  était  forcé  de  recourir,  l'Empe- 
reur fit  déclarer  aux  Américains ,  par  le  ministre  de 
la  marine,  que  ce  décret  ne  serait  point  exécuté  en 
pleine  mer  :  sage  modification  qui  bornait  son  action 
au  territoire  et  aux  ports  de  la  France,  et  le  rendait, 
par  conséquent,  une  simple  mesure  municipale,  contre 
laquelle  les  nations  neutres  n'avaient  aucun  droit  de 
réclamer. 

Peu  de  temps  après  (le  7  janvier  1807),  un  ordre 
du  Conseil  d'Angleterre  (n"  40)  «  défendit  à  tout  na- 
vire neutre  de  faire  le  commerce  d'un  port  à  un  au- 
tre ,  si  ces  ports  appartenaient  ou  étaient  dans  la 
possession  de  la  France  ou  de  ses  alliés ,  ou  s'ils 
étaient  assez  soumis  à  son  influence ,  pour  n'avoir 
aucun  commerce  avec  l'Angleterre.  »  Et  par  un  se- 
cond ordre  du  1 1  novembre  1 807  (n"  41  ),  le  gouver- 
nement anglais  déclara  en  état  de  blocus  tous  les 
ports  dépendant  de  la  France  et  de  ses  alliés,  ceux  de 
tous  les  pays  en  guerre  avec  l'Angleterre,  ceux  des 


—  112  — 

pays  de  l'Europe  dont  le  pavillon  anglais  était  exclu, 
quoique  ces  pays  ne  fussent  point  en  guerre  avec  la 
Grande-Bretagne,  et  enfin  tous  les  ports  des  colonies 
appartenant  à  ses  ennemis  :  les  exceptions  qui  furent 
mises  à  ce  blocus  général,  permettent  bien  aux  neutres 
d'entrer  dans  les  ports  qui  ne  sont  pas  effectivement 
anglais,  mais  à  la  cbarge  de  mouiller  en  Angleterre, 
d'y  prendre  des  licences  et  d'y  acquitter  certains 
droits ,  rendant  ainsi  tributaires  de  l'Angleterre 
toutes  les  nations  qui  ne  prenaient  pas  les  armes  contre 
elle! 

Les  bâtiments  neutres  qui  seraient  trouvés  munis 
de  certificats  d'origine  délivrés  par  des  agents  de  la 
France  ,  sont  en  même  temps  déclarés  de  bonne 
prise;  et  un  autre  ordre  du  même  jour  (n°  42)  dé- 
clare également  de  bonne  prise  tout  bâtiment  qui  au- 
rait appartenu  à  un  ennemi  de  l'Angleterre,  «  nonob- 
stant toute  vente  qui  aurait  pu  en  être  faite  à  des 
neutres.  » 

De  même  que  l'acte  par  lequel  le  gouvernement 
britannique  avait  établi  un  blocus  fictif  des  côtes  de 
Brest  à  l'embouchure  de  l'Elbe  avait  appelé  le  dé- 
cret de  Berlin;  de  même  ces  nouvelles  dispositions 
de  l'Angleterre  exigèrent  que  la  France  y  opposât  de 
nouvelles  mesures.  Dès  que  l'Empereur  en  fut  in- 
struit, il  déclara,  le  17  décembre  1807,  par  un  dé- 
cret rendu  à  Milan  (n°  43),  que  «  tout  bâtiment,  de 
quelque  nation  qu'il  fût,  qui  aurait  souffert  la  visite 
d'un  vaisseau  anglais,  ou  se  serait  soumis  à  un 
voyage  en  Angleterre,  ou  aurait  payé  une  imposition 
quelconque  au  gouvernement  anglais,  était  de  fait  dé- 
nationalisé. »  Le  principe  sur  lequel  est  fondée  cette 
mesure  est  évident.  Tout  comme  une  nation  ne  peut 
laisser  violer  son  territoire  pour  exercer  des  actes 
d'hostilité  contre  vous  sans  se  déclarer  votre  enne- 


—  113  — 

mie,  ainsi  une  nation  ne  peut  laisser  violer  son 
pavillon  pour  l'avantage  de  votre  ennemi ,  sans  se  dé- 
nationaliser, c'est-à-dire,  sans  perdre  la  protection  à 
laquelle  ce  pavillon  avait  droit  comme  appartenant 
à  une  nation  neutre. 

Le  même  décret  met  les  îles  britanniques  en  état 
de  blocus  sur  mer  comme  sur  terre;  et  il  y  est  dit 
qu'il  sera  en  vigueur  jusqu'au  moment  où  l'Angle- 
terre reviendra  à  des  principes  conformes  au  Droit  des 
gens. 

Depuis  cette  époque ,  l'Angleterre  n'a  apporté  au- 
cune modification  à  ses  ordres  du  Conseil.  Nous  ne 
nous  étendrons  pas  sur  sa  conduite  envers  les  Amé- 
ricains ,  sur  l'abus  continuel  qu'elle  a  fait  de  ses 
forces;  personne  n'ignore  qu'elle  en  est  arrivée  à  mé- 
connaître tous  les  droits  des  neutres.  L'Europe  sait  les 
tristes  résultats  de  ce  système,  auquel  la  France  a  été 
obligée  d'opposer  les  décrets  de  Berlin  et  de  Milan  ; 
mais  elle  n'a  cessé  de  le  répéter  :  que  l'Angleterre 
révoque  ses  ordres  du  Conseil;  qu'elle  ne  regarde  plus 
les  mers,  qui  sont  le  bien  de  toutes  les  nations, 
comme  son  propre  domaine;  qu'elle  reconnaisse  le 
Droit  maritime  fondé  sur  les  usages  et  les  traités  de 
l'Europe  entière,  et  la  France  arrêtera  ses  mesures  de 
représailles.  Le  Droit  maritime  n'est  point  une  chose 
douteuse  et  hypothétique;  les  nations  du  Continent 
le  redemandent  tel  qu'il  était  avant  la  guerre 
de  1756,  tel  qu'il  était  avant  et  après  la  guerre  d'A- 
mérique. Il  est  suffisamment  exposé  dans  les  pages 
qui  précèdent  :  nous  allons  les  résumer,  et  nous  en 
tirerons  les  conclusions  suivantes,  qui  ne  sauraient 
être  contestées. 

1  °  Avant  la  guerre  de  1 75G,  tous  les  gouvernements 
s'accordaient  sur  les  droits  de  la  navigation  neutre, 
quant  à  la  franchise  du  pavillon ,  au  caractère  des  ob- 

XI  8 


^  114  — 

jets  de  contrebande,  aux  principes  du  droit  de  blocus, 
et  à  la  liberté  de  naviguer  sur  les  côtes  et  aux  ports 
ennemis;  ces  droits  sont  consacrés  par  des  clauses  for- 
melles dans  les  traités  conclus  avant  cette  époque  entre 
toutes  les  puissances. 

2°  L'Angleterre  elle-même  a  reconnu  et  consacré 
ces  droits  dans  une  suite  de  traités  conclus  avec  les 
principales  puissances  de  l'Europe. 

3**  Dans  le  cours  de  la  guerre  de  sept  ans,  l'Angle- 
terre jugea  à  propos  d'ajouter  à  la  liste  des  articles 
de  contrebande  les  munitions  navales,  et  de  mettre 
des  entraves  au  commerce  des  neutres  avec  les  colonies 
ennemies. 

4°  L'Angleterre  abandonna,  à  la  paix,  ses  préten- 
tions; mais  elle  les  reproduisit  dans  la  guerre  de  l'A- 
mérique, et  la  résistance  de  l'Europe  à  cette  innovation 
produisit  la  neutralité  armée  de  1 780. 

5°  La  guerre  étant  terminée,  l'Angleterre  reconnut 
de  nouveau  les  principes  du  Droit  maritime;  cepen- 
dant elle  les  viola  tous  dès  que  les  hostilités  recom- 
mencèrent; et  les  puissances  du  Nord  reformèrent, 
pour  la  défendre,  la  neutralité  armée  de  1 800.  Malgré 
la  malheureuse  issue  de  cette  quadruple  alliance ,  le 
traité  conclu  à  cette  époque  entre  l'Angleterre  et  la 
Russie  conserva  encore  aux  neutres  une  partie  de 
leurs  droits,  en  consacrant  le  principe  de  la  liberté 
de  leur  navigation  aux  côtes  et  ports  des  États  belli- 
gérants, en  restreignant  la  contrebande  aux  armes 
et  munitions  de  guerre ,  et  en  fixant  le  caractère  du 
blocus. 

6°  L'Angleterre ,  voulant  s'affranchir  de  ces  liens 
qui  défendaient  encore  les  droits  des  neutres,  eut  re- 
cours, en  1 806,  à  sa  nouvelle  doctrine  sur  le  blocus. 

7°  Forcée  de  s'opposer  à  une  innovation  aussi  fu- 
neste, la  France  publia,  par  représailles,  le  décret  de 


—  115  — 

Berlin,  et  opposa  ensuite  le  décret  de  Milan  aux  nou- 
veaux ordres  du  Conseil  britannique,  qui  obligeaient 
les  bâtiments  neutres  à  venir  en  Angleterre  y  acquitter 
un  tribut. 

8"  Enfin  les  décrets  de  Berlin  et  de  Milan  n'ayant 
été  pris  que  par  représailles  des  mesures  attentatoires 
au  Droit  des  gens  adoptées  par  l'Angleterre,  ils  ne 
peuvent  être  révoqués  que  lorsqu'elle  sera  revenue 
aux  véritables  principes  du  Droit  maritime  qu'elle  ou- 
trage si  violemment  depuis  le  commencement  de  la 
guerre  actuelle.  L'Angleterre  oserait-elle  prétendre  au 
privilège  singulier  de  réclamer  sur  terre  le  Droit  public 
qu'elle  a  détruit  sur  les  mers? 


A  l'époque  où  paraissaient  les  trois  Mémoires  que 
Ton  vient  de  lire,  le  système  continental  était  sapé  dans 
sa  base,  et  la  lutte  européenne  allait  changer  de  théâtre. 
Ici  donc  se  termine  l'étude  des  questions  maritimes. 
On  a  vu  comment  les  systèmes  de  la  France  et  de  la 
Grande-Bretagne  naquirent  forcément  et  en  concur- 
rence; comment  ils  se  provoquèrent  mutuellement,  se 
fondèrent  sur  des  nécessités  semblables,  et  se  soutin- 
rent par  des  efforts  parallèles;  mais,  et  cette  remarque 
n'a  pas  échappé  à  la  sagacité  de  nos  lecteurs,  les  efforts 
de  l'Angleterre  avaient  pour  eux  les  faveurs  d'un 
rayonnement  facile  ;  par  la  destruction  ou  l'asservis- 
sement de  toutes  les  marines  de  l'Europe,  l'Amirauté 
de  Londres  était  devenue  comme  présente  à  tous  les 
points  des  mers;  de  plus,  tandis  que,  au  sein  même 
de  la  nation  anglaise ,  le  patriotisme  pouvait  soutenir 
les  projets  du  gouvernement,  et  que  l'intérêt  individuel 
pouvait  s'unir  presque  généralement  aux  mouvements 
du  patriotisme ,  il  était  encore  possible  et  facile  aux 
Anglais  de  faire  accéder  à  leur  plan  le  plus  grand 


—  116  — 

nombre  des  peuples  européens;  ceux-ci  trouvaient 
presque  tous  un  avantage  direct  à  commercer  avec 
l'Angleterre  qui,  soit  en  achetant  leurs  produits,  soit 
en  se  chargeant  seulement  de  les  transporter  ailleurs 
et  de  les  vendre,  était  en  état  de  les  satisfaire  au  moins 
jusqu'à  un  certain  point. 

Au  contraire,  par  le  système  de  Napoléon,  toute 
l'Europe  était  en  souffrance';  c'était  pour  toutes  les 
nations  du  Continent  un  système  d'austérité  et  de  pri- 
vations; en  sorte  que  pour  l'établir  généralement  et 
avec  permanence,  il  aurait  fallu  imprimer  à  toute  l'Eu- 
rope l'esprit  modeste  du  christianisme  ,  en  même 
temps  que  le  patriotisme  ardent  des  Romains.  Un  tel 
effort  dans  sa  généralité  était  impossible  ;  la  France  uni- 
quement ou  du  moins  quelques  Français,  devaient  en 
recueillir  immédiatement  les  fruits  ;  comment  espérer 
qu'en  faveur  d'une  seule  nation  du  Continent,  toutes 
les  autres  nations  mettraient  leur  honneur  et  leur 
force  à  faire  abnégation  de  leurs  plus  légitimes  inté- 
rêts? Napoléon  seul  était  capable  de  se  faire  ù  un  tel 
point  illusion. 

*  Un  mot  de  Louis-Napoléon  Bonaparte,  père  du  Président  actuel  de 
la  République  française,  et  qui  occupait  alors  le  trône  de  Hollande, 
caractérise  assez  bien  la  situation.  «  L'on  concevra  aisément,  dit-il  en 
s'exprimant  à  la  troisième  personne,  l'horreur  que  le  Roi  conçut  pour  la 
violente  mesure  du  blocus ,  qui  ruinait  le  pays  en  général  et  les  parti- 
culiers, qui  l'empêchait  de  faire  aucun  bien  et  rendait  sa  position  si  pé-, 
nible  ;  cependant  on  lui  en  voulait  de  tous  les  côtés ,  et  quand  il  était 
mis  par  là  à  la  torture,  pour  ainsi  dire ,  on  soupçonnait  même  ses  in- 
tentions. 

«  Le  Roi  s'entretenait  un  jour  à  Amsterdam  avec  le  ministre  de  Russie, 
prince  Serge  Dolgorouki,  militaire  distingué,  dévoué  à  son  pays  et  à 
son  maître ,  sur  la  résistance  inconcevable  de  la  Hollande  au  manque 
de  tout  commerce....  Nous  vivons  d'espérance  et  au  jour  le  jour,  comme 
le  ciel  le  permet.  L'ambassadeur,  qui  apparemment  voulait  découvrir 
s'il  y  avait  quelques  adoucissements  secrets  dans  les  mesures  du  blocus, 
répondit  en  riant  :  Ah!  sire ,  il  e.s<  avec  le  ciel  des  accommodements.  — 
Oui,  monsieur,  lui  répliqua  le  Roi,  mais  il  n'en  est  point  avec  l'enfer; 
puis  il  changea  de  discours.  » 


CHAPITRE  XXXVITI. 

TRAITÉ  DE  PAIX  DE  VIENNE  OU  DE  SCHOENBRUNN ,   DU  14   OCTOBRL 
1809,   ENTRE  LV  FRANCE  ET  L'AUTRICHE. 

La  paix  de  Schœnbriinn  termina  la  guerre  qui , 
improprement  qualifiée  de  cinquième  coalition  contre 
la  France,  était  la  quatrième  tentative  que  faisait 
l'Autriche  pour  soustraire  ses  peuples  et  l'Europe  en- 
tière au  joug  de  Napoléon. 

L'exemple  d'une  nation  qui,  longtemps  méconnue, 
luttait,  depuis  près  d'une  année,  contre  toutes  les 
forces  de  la  France,  avait  excité  dans  les  âmes  de  ceux 
qui  pouvaient  apprécier  tant  d'énergie,  un  enthou- 
siasme qui  fit  croire  à  l'Autriche  que  le  moment  de 
la  délivrance  était  arrivé.  Mais  cette  puissance,  que 
l'Angleterre  ne  put  seconder  comme  elle  l'aurait  voulu, 
succomba  sous  les  forces  réunies  du  Continent,  dont  il 
semblait  que  les  souverains  fussent  entraînés  fatale- 
ment à  river  les  fers  qui  les  enchaînaient. 

Nous  diviserons  ce  chapitre  en  trois  sections. 

La  première  comprend  le  renversement  du  trône 
d'Espagne,  la  captivité  de  ses  rois  légitimes  et  le  com- 
mencement de  la  guerre  de  la  Péninsule;  les  deux 
autres  sections  sont  consacrées  à  la  guerre  d'Autriche 
et  aux  transactions  de  Schœnbriinn. 


SECTION  PREMIÈRE. 

RENVERSEMENT  DU  TRÔNE  D'ESPAGNE. 


«  Un  empire  fondé  comme  celui  de  Napoléon  ne  peut 
jamais  reposer  sur  des  bases  solides  :  une  faute,  un  re- 
vers dans  une  campagne,  l'exposent  à  chaque  instant  à 
des  tempêtes  que  toute  la  vigueur  de  son  chef  est  inca- 
pable de  surmonter;  il  était  donné  à  l'empereur  des 
Français  de  fournir  un  mémorable  exemple  de  cette  vé- 
rité. C'est  une  ample  niaiière  à  méditations  que  de  voir 
le  premier  coup  porté  à  la  puissance  de  Napoléon,  le 
coup  qui  décida  par  la  suite  de  sa  fortune,  partir  d'un 
point  qu'il  regardait ,  lui-môme  plus  que  tout  le  monde , 
comme  le  moins  dangereux.  » 


«  Cette  malheureuse  guerre  m'a  perdu.  Toutes  les  cir- 
constances de  mes  désastres  viennent  se  rattacher  à  ce 
nœud  fatal.  Elle  a  compliqué  mes  embarras,  divisé  mes 
forces,  ouvert  une  aile  aux  Anglais,  détruit  ma  moralité 
en  Europe.  »        (Napoléon  ,  Mémorial  de  Las-Cases.) 

Aperçu  de  l'ancienne  puissance  de  l'Espagne.  —  Ses  ministres  veulent 
sauver  le  roi-marlyr.— Avènement  de  Charles  7F.— -Don  Manuel  Godoy, 
duc  de  la  Àlcudia,  premier  ministre.— Portrait  de  ce  favori.— Caractère 
du  roi  Charles  IV.— PavU  du  Prince  royal. — Effet  produit  sur  le  public 
par  le  mariage  de  Godoy  avec  l'infante  Marie-Thérèse  de  Bourbon.  — 
Asservissement  de  l'Espagne  à  la  France.  —  Le  plus  grand  forfait  poli- 
tique de  Napoléon,  -r  Son  opinion  erronée  à  l'égard  des  Espagnols.  — 
Situation  politique  de  l'Espagne  au  moment  où  Napoléon  songe  à  s'en 
emparer.— Le  parti  de  l'Opposition ,  ayant  pour  chefs  le  duc  de  l'infan- 
tado  et  le  chanoine  don  Juan  Escoiquig,  trame  le  renversement  du 
favori. — Le  prince  des  Asturies  adhère  à  ce  projet.— Intrigues  pour  dés- 
unir la  famille  royale.  —  Le  Prince  royal  sollicite  la  main  d'une  nièce 
de  Napoléon.  —  Godoy  apprend  cette  démarche  par  son  agent,  à  Paris, 
don  Eugenio  Yzquierdo.  —Accusation  qu'il  porte  contre  le  Prince,  qui 
est  arrêté  ainsi  que  ses  partisans.  —  Charles  IV  pardonne  à  son  fils,  et 
les  juges  absolvent  ses  confidents.  —  Refroidissement  de  Napoléon  pour 
Godoy.  —  Napoléon,  à  Milan,  invite  la  reine  d'Élrurie  à  partir  pour  Ma- 
drid. —  Circonstance  curieuse  qui  fait  soupçonner  à  MM.  deMelcy  et  de 
Labrador  les  projets  de  Napoléon  sur  l'Espagne.  —  Inquiétude  de  la 
Cour  de  Madrid.  — Elle  demande  la  main  d'une  princesse  de  la  famille 
impériale.  —  Les  troupes  françaises  pénètrent  au  cœur  de  l'Espagne.— 
Yzquierdo  vient  rendre  compte  à  Madrid  des  projets  supposés  de  Napo- 
léon. ■—  La  cour  d'Espagne  prend  la  résolution  de  passer  en  Amérique. 
—  Émeute  qui  éclate,  le  19  mars,  à  Aranjuez.  —  Godoy  est  arraché  des 
mains  du  peuple  et  sauvé  par  le  prince  des  Asturies.  —  Pillage  du  palais 
de  Godoy,  à  Madrid.— Abdication  du  roi  Charles  IV  en  faveur  de  son 


—  119  — 

fils,  qui  prend  le  nom  de  Ferdinand  VIL  —  Il  fait  annoncer  son  avè- 
nement à  Napoléon.  —  La  reine  d'Élrurie  cnlre  en  correspondanco 
avec  Murât.  —  Charles  IV  proleste  contre  son  abdication.  — Entrée  de 
Ferdinand  VII  dans  la  capitale. —  Intrigues  pour  éloigner  le  Roi  de  Ma- 
drid. —  Oa  prépare  les  appartements  de  Napoléon  au  palais  royal.  — 
Insinuations  du  général  Saiary.  —Ferdinand  VII  se  résout  à  aller  au- 
devant  de  A'apoie'oM.— Personnages  qui  accompagnent  le  Roi  à  Rayonne. 

—  Formation  d'une  Junte  suprême  de  gouvernement.  —  Circonstance 
particulière  qui  détermine  le  départ  du  Roi.  —  Dépêche  expédiée  de 
Paris  à  Godoy,  par  Y;iquierdo.  —  Récit  du  voyage  du  Roi.  —  Déception 
de  Ferdinand  Vil  en  arrivant  à  Rayonne.  —  Napoléon  le  déclare  re- 
belle et  lui  enjoint  de  désigner  un  fondé  de  pouvoir.  —  M,  de  Cevallos  ^ 
refusé,  est  remplacé  par  M.  de  Labrador.  —  Négociation  de  M.  de  La- 
brador avec  M.  de  Champagny.  —Conférence  entre  Napoléon  et  le  con- 
seiller d'État  d'Escoiquis.  —  Conditions  offertes  à  Ferdinand  VII  en 
échange  de  sa  renonciation,  —  Charles  IV  arrive  à  Rayonne.  —  Moyens 
que  l'on  emploie  pour  fléchir  Ferdinand  VIL  —  Double  renonciation  de 
ce  prince.  — Fameux  traité  de  Rayonne,  du  6  mai  1808,  entre  Napoléon 
et  Charles  IV;  le  général  Vuroc  :  le  prince  de  la  Paix.  —  Ferdinand  VII 
adhère  à  la  cession  du  trône  d'Espagne  faite  par  son  père.  —  Con- 
vention du  10  mai  1808,  entre  Napoléon  et  Ferdinand  VII;  le  général 
Duroc  :  don  Juan  Escoiquig.  —  Protestations  de  Ferdinand  IV,  roi  de 
Naples  et  de  Sicile,  et  de  l'infant  don  Pedro.  —  Départ  de  la  famille 
royale  d'Espagne  pour  la  France.  —  Le  roi  Cluirles  IV,  que  Napoléon 
laisse  dans  la  détresse  à  Marseille,  est  obligé  de  vendre  ses  diamants.  — 
Représailles  des  Rourbons,  en  1814.  — M.  de  Varias  laguna  fait  ren- 
voyer en  Espagne  les  pierreries  de  la  reine  Marie-Louise.  —  Les  dia- 
mants de  la  couronne  enlevés  à  Madrid,  par  Murât,  estimés  43  millions.— 
Le  Conseil  royal  désigne  Josep/t  Bonaparte  comme  successeur  au  trône 
d'Espagne.  —  Convocation  à  Rayonne  d'une  junte  de  160  notables.  — 
Cette  assemblée  accepte,  le  7  juillet,  la  nouvelle  Constitution  octroyée 
pariVopoieon.— Trois  cent  mille  Français  ou  alliés  succomberont  pen- 
dant la  guerre  allumée  pour  soutenir  le  nouvel  établissement.—  Joseph 
part  pour  Madrid.  —  Traité  secret  de  Rayonne,  du  5  juillet  1808,  entre 
Napoléon  et  Joseph  Bonaparte  ;U.  de  Champagny  .  le  duc  de  Gallo.—  Le 
royaume  deNaplesest  donné  à  Joachim  ilurat. —  Statut  constitutionnel 
du  16  juillet  1808.  —  Le  grand-duché  de  Rerg  est  rétrocédé  à  Napoléon. 

—  La  couronne  d'Espagne  proposée,  antérieurement,  au  roi  Louis  Bo- 
naparte. —  Lettre  de  l'Empereur.  —  Insurrection  du  2  mai  à  Madrid.  — 
Décrets  de  Ferdinand  VII,  relatifs  au  commencement  des  hostilités  et  à 
la  convocation  des  Cortès.  —  Lettre  de  ce  prince  au  commandant  de 
l'armée  des  Âsturies.  —  Mouvements  populaires  dans  les  principales 
villes.  —  Massacres  et  régime  de  la  terreur.  —  Formation  des  juntes 
centrales.  —  La  Junte  suprême  de  Séville  exerce  le  pouvoir  souverain 
au  nom  de  Ferdinand  VII.  —  Elle  déclare  la  guerre  à  Napoléon.  — 
Proclamation  du  29  mai.  —  Déclaration  du  C  juin.  —  Adresse  de  Palafox 
à  Napoléon.  —  Étal  des  forces  espagnoles.  —  Moyens  de  résistance  "a 
l'invasion. —  Instructions  générales  pour  les  guérillas.  —  Princii)aux 
chefs  de  guérillas.  —  Curieux  catéchisme  populaire.  —  L'amiral  Hosilly, 
retenu  dans  le  port  de  Cadix,  est  obligé  de  capituler.  —  Expédition  du 
général  Moncey  contre  Valence.  —  Ralaille  de  Médina  del  Rio  Seco,  du 


—  120  — 

14  juillel;  maréchal  Bessières  sur  le  général  Cuesta.  —  Combat  et  capi- 
tulation de  Baylen,  du  20  juillet;  CastaTios  sur  Dupont.  -~  Joseph  Bona- 
parte abandonne  Madrid  le  i"  août.  — Belle  proclamation  de  Castanos. 

—  La  ville  de  Saragosse  assiégée  depuis  le  14  juin  jusqu'au  13  août,  par 
Lefebrre-Desnouettes,  est  défendue  avec  succès  par  Palafox.  —  Lettre 
fameuse  de  Palafox  en  réponse  à  une  demande  de  soumission.  —  Le 
marquis  de  la  Romana  débarque  à  la  Corogne.  —  Publication  du  gou- 
vernement britannique  annonçant  le  rétablissement  de  la  paix  avec 
l'Espagne.  —  Les  Portugais  suivent  l'exemple  de  l'Espagne.  —  Commen- 
cement de  l'insurrection,  le  6  juin,  à  Oporto.  — Expédition  de  sir  Artlmr 
Weîlesley  {Wellington)  contre  Lisbonne.  —  Le  général  Spencer  arrive 
de  Cadix  et  prend  part  aux  opérations.—  Combat  de  Rorissa,  le  17  août; 
sir  Arthur  Weîlesley  sur  le  général  Lahorde.  —  Bataille  de  Vimeiro , 
le  21  août;  sir  Arthur  Weîlesley  sur  le  duc  d'Abrantès.  —  Sir  New  Dal- 
rymplfi  prend  le  commandement  de  l'armée.  —  Armistice  de  Cintra,  le 
22  août,  et  convention  de  Lisbonne  le  30.  —  Weîlesley,  Murray  :  Kel- 
lermann.  —  Jugement  porté  en  Angleterre  sur  la  convention  de  Cintra. 

—  L'amiral  Siniavine,  par  la  convention  du  Tage,  du  3  septembre,  re- 
met l'escadre  russe  à  l'amiral  Cotton.  —  Elle  est  rendue  à  l'empereur 
Alexatidre,  en  1814.  —  Nouveaux  développements  de  la  politique  de 
Napoléon.  —  Message  qu'il  adresse  au  Sénat,  le  4  septembre  1808. — 
Premier  rapport  fait  à  l'Empereur,  le  24  avril,  par  le  ministre  des  Rela- 
tions Extérieures,  Champagny.  —  Second  rapport,  du  1"  septembre. — 
Rapport  fait  à  l'Empereur  par  le  ministre  de  la  guerre,  comte  d'Hune- 
bourg.  —  Motifs  du  sénatus-consulte  exposés  par  le  comte  Regnault  de 
Saint-Jean  d'Angdy.  —  Rapport  fait  au  Sénat  par  le  comte  de  Lace'pède. 

—  Napoléon  fait  proposer  une  entrevue  à  l'empereur  Alexandre.  — 
Congrès  d'Erfurlb,  en  octobre  1808.  —  Principaux  résultats  des  confé- 
rences des  deux  Empereurs.  —  Consentement  donné  par  l'empereur 
Alexandre  aux  projets  de  Napoléon  sur  l'Espagne.  —  Adhésion  de 
Napoléon  à  la  réunion  définitive  des  provinces  moldo-valaques  à  l'em- 
pire russe.  —  Motifs  de  cette  extension  de  limites.  —  Question  du  par- 
tage de  la  Turquie.  —  Projet  de  reconstituer  les  empires  d'Orient  et 
d'Occident,  —  Intervention  de  l'empereur  Alexandre  en  faveur  de  la 
Prusse. — Accession  du  duc  d'Oldenbourg  à  la  confédération  du  Rhin.  — 
Au  moment  de  son  départ  de  Saint-Pétersbourg,  l'empereur  Alexandre 
apprend  le  bombardement  de  Baltisch-Port.  — Arrivée  des  deux  Empe- 
reurs àErfurth,  le  27  septembre.— Les  rois  de  Bavière,  de  Saxe,  deWiir- 
temberg,  de  Westphalie  et  soixante  et  onze  princes  se  trouvent  réunis 
àErfurth.—  Dignitaires  et  ministres  d'État  des  premières  puissances. — 
Circonstances  diverses  du  séjour  des  souverains  à  Erfurlh.  —  Motif  du 
changement  de  l'ambassade  russe  à  Paris.  —  Le  prince  Kourakine  rem- 
place le  comte  Tolstoï.  —  Napoléon  donne  audience  à  l'Envoyé  de  l'em- 
pereur d'Autriche.  —  Convention  secrète  d'Erfurth,  du  12 octobre  1808, 
entre  la  France  et  la  Russie;  le  comte  de  Champagny  :  le  comte  Roum  antsnf. 
—Projet  de  nouer  une  négociation  avec  l'Angleterre.  —  Les  souverains 
distribuent  les  décorations  et  présents  d'usage.— Munificence  d'^  lexandre. 

—  Axiome  de  iVapo/^on  au  sujet  des  présents  diplomatiques.— Un  mot  de 
Louis  Xf  T.  — Séparation  du  Congrès,  le  14  octobre.  —  Impressions  que 
l'entrevue  d'Erfurth  laisse  dans  l'esprit  de  iV^apoZe'o/i.-  Négociation  pour 
la  paix  maritime.— Lettres  d'Alexandre  et  de  Napoléon  à  George  II/,  12  oc- 


—  121   — 

tobre  1808.  — Lettre  d'accompagnement  de  MM.  de  Champagny  et  Rom- 
mantsofaM,  Canning.  —  Note  en  réponse  (28  octobre)  de  M.  Canning,  et 
lettre  d'accompagement  au  comte  Rouinantsof.  —  Notes  en  réponse 
(28  novembre)  des  ministres  de  Russie  et  de  France.  —  Dernières  Notes  de 
M.  Canning  (9  décembre),  —  Rupture  des  négociations.—  Déclaration  du 
roi  d'Angleterre  du  15  novembre  1808.— Seconde  campagne  de  1808  dans 
la  Péninsule.  —  Formation  de  la  Junte  suprême  centrale.  —  La  grande 
armée  envahit  l'Espagne. —  Napoléon  arrive  à  Rayonne  le  3  novembre. 

—  Combat  de  Guenez,  le  7  novembre;  les  Français  sur  Blake. — 
Bataille  de  Burgos,  le  10  novembre;  maréchal  Sou/t  sur  le  comte  de 
BeMder.  —  Bataille  d'Espinosa ,  les  10  et  il  novembre;  maréchal 
Tictor  sur  Blake  et  la  Romana.  —  Bataille  de  Tudela,  le  23  novembre; 
maréchal  Latines  sur  Castanos.  —  Bataille  de  Somo-Sierra,  le  30  no- 
vembre; Napoléon  sur  San  Juan.  —  A'opoîeon  s'établit  à  Chamartin. 

—  Le  prince  de  iVeu/"c^drei  somme  Madrid  de  se  rendre. —Vigoureux 
préparatifs  de  défense  de  la  part  des  habitants.  —  Don  Tomas  Morla 
et  don  Bernardo  Iriarte  sont  envoyés  en  parlementaires.  —  Relation 
de  l'audience  qu'ils  obtiennent  de  l'Empereur.  —  Origine  des  pré- 
ventions de  Napoléon  contre  le  président  de  la  Junte  centrale, 
Florida-Blanca.  —  Napoléon  et  le  célèbre  diplomate  de  Rayneial,  — 
Occupation  de  Madrid  par  l'armée  française. —  L'Inquisition  est  abolie. 

—  Napoléon  instruit  de  la  marche  de  l'armée  anglaise  sur  Valladolid,  se 
porte  à  sa  rencontre.—  Retraite  du  général  Moore  sur  la  Corogne.—  5^a- 
foléon  api>Tead  à  Benavente  les  armements  de  l'Autriche.  —  Le  duc  de 
Dalmatie  est  investi  du  commandement  de  l'armée.—  Napoléon  arrive  à 
Paris  le  23  janvier  1 809.— Bataille  de  la  Corogne  le  IG  janvier;  le  maréchal 
Soult  sur  le  général  Moore,  blessé  mortellement.  —  Capitulation  de  la 
Corogne  le  19.  —  Le  maréchal  Soull  est  maître  de  toute  la  province.  — 
L'Angleterre  conclut  une  alliance  intime  avec  l'Espagne. — Traité  de 
Londres  du  14  janvier  1809;  M.  Canning:  don  Juan  Ruiz de Apodaca. — 
Considérations  générales  sur  les  événements  accomplis  dans  la  Péninsule. 

Quelques  lignes  d'un  grand  écrivain  doivent  servir 
de  préambule  à  notre  récit.  «  Depuis  la  dernière 
moitié  du  xv*  siècle  jusqu'au  commencement  du  xvii", 
dit  M.  de  Chateaubriand ,  l'Espagne  fut  la  première 
nation  de  l'Europe  :  elle  dota  l'univers  d'un  nouveau 
monde;  ses  aventuriers  furent  de  grands  hommes; 
ses  capitaines  devinrent  les  premiers  généraux  de  la 
terre;  elle  imposa  ses  manières  et  jusqu'à  ses  vête- 
ments aux  diverses  Cours;  elle  régnait  dans  les  Pays- 
Bas  par  mariage,  en  Italie  et  en  Portugal  par  conquête, 
en  Allemagne  par  élection,  en  France  par  nos  guerres 
civiles;  elle  menaça  l'existence  de  l'Angleterre  après 
avoir  épousé  la  fille  de  Hetiri  VIII /  elle  vit  nos  rois 


—  122  — 

dans  ses  prisons  et  ses  soldats  à  Paris;  sa  langue  et 
son  génie  nous  donnèrent  Corneille.  Enfin  elle  tomba; 
sa  fameuse  infanterie  mourut  àRocroy,  de  la  main  du 
grand  Condé;  mais  l'Espagne  n'expira  point  avant 
qTÏ Anne  d'Autriche  n'eût  mis  au  jour  Louis  XIV ,  qui  fut 
l'Espagne  même  transportée  sur  le  trône  de  France, 
alors  que  le  soleil  ne  se  couchait  pas  sur  les  terres  de 
Charles-Quint.  » 

L'Espagne ,  sous  la  famille  de  Louis  le  Grand,  s'en- 
sevelit dans  la  Péninsule  jusqu'au  commencement 
de  la  Révolution.  Ses  ministres^  voulurent  sauver 
Louis  XVI;  «  mais  Dieu  attirait  à  lui  le  martyr  ;  on  ne 
change  point  les  desseins  de  la  Providence  à  l'heure 
de  la  transformation  des  peuples.  » 

Charles  IV  fut  appelé  à  la  couronne  en  1778.  Peu 
après  parut  sur  la  scène  Godoy.  D'abord  favori  de  la 
reine  Marie-Louise,  il  ne  tarda  pas  à  captiver  la  bien- 
veillance de  Charles  IV  lui-même.  Huit  ans  s'étaient 
à  peine  écoulés  depuis  son  entrée  dans  les  gardes,  que 
Godoy j  avec  le  titre  de  duc  de  la  Alcudia,  était  déjà  à  la 
tête  des  affaires,  et  jouissait  d'un  crédit  tel  que  nul  autre 
favori  peut-être  n'en  avait  eu  de  semblable  à  la  cour  de 
Madrid,  sans  qu'aucun  talent  remarquable  justifiât  aux 
yeuxdupubliccetascendantextraordinairesur le  couple 

*  Le  comte  cI'Aranda  (qui  venait  de  remplacer  Florida-Blanca)  et 
don  Manuel  Godoy,  son  successeur,  au  lieu  de  rompre  toule  relation 
avec  la  France,  à  l'exemple  des  autres  gouvernements ,  et  dans  l'espoir 
de  conserver  quelque  influence  au  sein  de  la  Convention ,  avaient  non- 
seulement  déclaré  la  neutralité  de  l'Espagne,  mais  ils  avaient  aussi  retiré 
les  forces  qui  couvraient  les  Pyrénées.  Enfin  le  jour  même  du  jugement 
de  l'infortuné  monarque,  au  moment  du  dépouillement  des  votes,  le 
président  de  la  Convention  annonça  une  communication  du  ministre 
des  Affaires  Étrangères  qui  transmettait  une  dépêche  de  l'ambassadeur 
d'Espagne.  Le  chevalier  d'OcARiz  oS'rait,  si  l'on  voulait  suspendre  le 
jugement  de  Louis,  d'expédier  sur-le-champ  un  courrier  à  sa  Cour  pour 
solliciter  sa  médiation  armée  entre  les  puissances  belligérantes  ;  et  il  se 
flattait  du  succès  de  cette  démarche. 


—  423  — 

royal.  Ce  n'était  pourtant  pas  non  plus  un  homme  dé- 
pourvu de  capacité;  de  l'aveu  même  de  ses  ennemis, 
son  jugement  était  naturellement  sain ,  son  intelli- 
gence extrême,  sa  mémoire  prodigieuse.  Lorsque  l'ha- 
bitude l'eut  familiarisé  avec  les  affaires,  ses  décisions 
étaient  promptes  et  heureuses.  11  connaissait  parfaite- 
ment les  hommes  et  les  employait  avec  un  tact  particu- 
lier; mais  ses  dispositions  naturelles  n'avaient  point 
été  cultivées  par  l'éducation.  Godoy  ne  savait  pas  d'autre 
langue  que  la  sienne,  qu'il  parlait  incorrectement.  Ses 
manières  n'avaient  rien  de  distingué  ;  ses  expressions 
étaient  triviales,  quelquefois  grossières  ;  son  style  était 
incorrect;  il  ignorait  les  notions  les  plus  simples  et  les 
plus  élémentaires  des  sciences  et  des  arts,  et  ne  savait 
pas  un  mot  d'histoire  ni  de  géographie.  Aussi,  dans  la 
longue  carrière  de  sa  faveur,  joua-t-il  mal  son  rôle  dans 
les  scènes  d'apparat.  A  la  vérité,  la  fortune  ne  lui 
avait  pas  donné  le  temps  d'étudier;  transporté  comme 
par  enchantement  d'une  caserne  au  pinacle,  sa  raison 
n'était  formée  ni  par  l'expérience  de  l'âge  ni  par  celle 
du  malheur.  11  donnait  à  sa  toilette  une  importance 
ridicule  et  soignait  son  teint  comme  aurait  pu  le  faire 
une  jolie  femme.  Avare  et  cupide,  il  s'occupait  des 
plus  petits  détails  de  sa  dépense,  acceptait  les  plus 
modiques  présents,  était  mesquin  dans  ceux  qu'il  fai- 
sait lui-même;  il  touchait  les  émoluments  de  ses 
moindres  places.  Sans  aucun  goût  pour  l'état  militaire, 
il  aimait  à  se  chamarrer  de  marques  distinctives  et  de 
broderies;  mais  il  ne  paraissait  jamais  aux  revues  et 
parades,  et  ne  commandait  jamais  les  manœuvres  des 
troupes.  Ses  ennemis  lui  reprochent  encore  d'avoir 
mené  une  vie  licencieuse,  d'avoir  aimé  la  basse  flatte- 
rie, de  n'avoir  jamais  donné  preuve  de  courage,  et 
d'avoir  persécuté  et  exilé  beaucoup  de  monde;  on  ne 
lui  épargne  qu'une  seule  imputation ,  celle  d'avoir  ré- 


—  124  — 

pandu  le  sang.  C'est  sous  de  telles  couleurs  qu'on  nous 
présente,  dans  une  publication  faite  par  ordre  de  Fer- 
dinand VII f  rhomme  auquel  le  faible  Charles  IV ^  livra 
les  destinées  de  l'Espagne ,  qu'il  éleva  à  la  grandesse , 
qu'il  fit  généralissime  des  forces  de  terre,  grand  ami- 
ral, etc.  Il  avait  même  une  garde,  et  il  ne  tenait  qu'à 
lui  de  se  considérer  comme  le  vice-roi  d'Espagne  et 
des  Indes.  Le  prince  des  Asturies  trouvant  cet  homme 
entre  lui  et  la  Reine  lui  voua  une  haine  implacable,  et 
tous  les  mécontents  furent  dès  lors  du  parti  du  Prince 
royal.  Ce  fut  un  spectacle  révoltant  pour  la  nation 
de  voir  la  Reine  préférer  un  favori  à  son  propre  fils. 
Cela  seul  suffisait  pour  faire  haïr  généralement  le  pre- 
mier et  attirer  tout  l'intérêt  public  sur  le  Prince. 
Mais  l'indignation  fut  au  comble ,  quand  on  vit 
le  débonnaire  Charles  IV  pousser  la  condescendance 
pour  la  Reine  jusqu'à  forcer  sa  propre  cousine,  la 
fille  de  l'infant  don  Louis  de  Bourbon ^  à  épouser  le 
favori  '. 

'  Ceux  qui  n'ont  pas  connu  personnellement  le  roi  Charles  IV,  disait 
un  de  ses  ambassadeurs ,  n'ont  pas  une  idée  exacte  de  lui.  Il  ne  man- 
quait pas  d'esprit  naturel  et  il  avait  assez  d'instruction  ;  mais  Charles  III 
lui  avait  inspiré  le  goût  de  la  chasse,  et,  lorsqu'il  revenait  de  la  chasse, 
il  ne  voulait  s'occuper  de  rien.  Aussi  reçut-il  comme  un  bienfait  de  la 
part  de  la  Reine  la  présentation  du  jeune  Godot  comme  ministre,  et  il 
fut  encore  plus  enchanté  lorsque  la  Reine  demanda  à  être  admise  au 
Conseil  ;  car  alors  Charles  IV,  calculant  que  son  avis  ne  pouvait  pré- 
valoir contre  l'opinion  de  la  Reine  et  celle  du  favori,  cédait  à  sa  paresse 
naturelle  et  ne  prenait  aucune  part  aux  délibérations.  Plus  tard ,  il 
se  plaisait  mieux  à  Naples  qu'au  palais  Borghèse  de  Rome,  où  il 
habitait  avec  la  Reine  et  Godoy.  Il  disait  un  jour  qu'il  aimait  beaucoup 
Naples  à  cause  de  son  climat;  mais  qu'il  préférait  finir  ses  jours  eu 
Espagne,  où  il  n'aurait  rien  à  craindre,  n'ayant  jamais  fait  de  mal  à 
personne.  «  //  n'en  serait  pas  de  même,  ajoutait-il,  j^our  Madame  et  pour 
Godoy  qui  ont  été  la  cause  de  la  ruine  de  l'Espagne.  » 

*  Afin  de  contre-balancer  l'irritation  des  esprits ,  on  voulut  relever 
l'origine  de  Godoy,  et  des  généalogistes  furent  chargés  de  lui  trouver 
d'illustres  ancêtres  :  un  d'eux  mérita  la  palme  ;  il  parvint  à  faire  re- 
monter la  filiation  de  Godoy  jusqu'à  l'empereur  Montezuma. 


—  125  — 

Le  premier  acte  éclatant  de  la  politique  extérieure 
de  Godoy  avait  été  la  conclusion  de  la  paix  de  Baie  \ 
Depuis  ce  traité,  TEspagne  s'était  montrée  l'alliée  fidèle 
de  la  France  ;  elle  avait  livré  à  Napoléon  ses  Hottes , 
ses  troupes,  ses  trésors;  elle  s'était  soumise  sans  mur- 
mure à  tous  les  sacrifices  que  ce  dominateur  imposait 
à  ses  alliés ,  et  avait  obtempéré  à  toutes  ses  réquisi- 
tions. Tant  de  déférence  fut  récompensée  par  la  plus 
odieuse  ingratitude.  Nous  allons  rapporter  le  plus 
grand  forfait  politique  de  Napoléon;  un  acte  si  indi- 
gne de  la  majesté  souveraine,  que  l'Europe  étonnée  ne 
voulut  pas  y  ajouter  foi,  et  que  les  documents  les  plus 
authentiques  furent  à  peine  suilisants  pour  vaincre 
l'incrédulité  de  ceux  qui  pensaient  qu'un  pareil  retour 
aux  pratiques  ténébreuses  de  l'Italie  du  moyen  âge 
était  impossible,  au  milieu  de  notre  civilisation.  «  Pas 
plus  après  leur  mort  que  de  leur  vivant,  a  dit  M.  Guizot , 
il  ne  faut  flatter  les  grands  hommes;  et  leurs  er- 
reurs, leurs  torts,  leurs  vices,  leurs  crimes,  quand  ils 
en  ont  commis,  doivent  être  mis  en  lumière  et  sévère- 
ment jugés.  C'est  le  droit  et  le  devoir  de  l'histoire*.  » 

Depuis  douze  ans,  comme  nous  l'avons  dit,  la  cour 
de  Madrid  s'était  asservie  à  don  Manuel  Godoy.  La 
pusillanimité  et  l'inconséquence  qu'il  montra  dans  les 
conjonctures  difficiles  où  se  trouvait  l'Espagne ,  con- 
tribuèrent à  affermir  l'erreur  qui  faisait  considérer  les 
Espagnols  comme  une  nation  dégénérée,  plongée  dans 
l'apathie  et  incapable  du  moindre  effort.  C'est  ainsi 
que  des  observateurs  superficiels  nous  avaient  dépeint 

•  C'est  ce  traité  qui  lui  valut  le  titre  de  itrince  de  la  Paix  (d'un 
domaine  en  Amérique,  et  aussi  par  allusion  ) ,  chose  toute  nouvelle  en 
Espagne,  où  l'on  ne  donnait  le  titre  de  prince  qu'à  l'héritier  de  la  cou- 
ronne. Yoy.  t.  V,  p.  305  de  celle  Histoire  des  Traités. 

*  Discours  d'inauguration  de  la  slalue  de  Guillaume  ll  Conqué- 
rant. 


—  126  — 

une  nation  pleine  de  patriotisme,  animée  d'un  zèle 
ardent  pour  l'honneur,  attachée  à  son  Dieu,  à  sa  reli- 
gion, à  ses  mœurs,  à  ses  institutions*;  mais  à  laquelle 
l'incurie  d'une  suite  de  gouvernements  d'intrigue  et 
d'égoïsme  n'avait  pas  permis  de  déployer  ses  vertus. 
Napoléon  la  supposa  telle,  lorsque,  confondant  la  gra- 
vité avec  l'indifférence  ,  il  crut  qu'il  lui  serait  facile 
de  subjuguer  un  peuple,  à  ses  yeux,  incapable  de 
manier  les  armes. 

•  La  situation  politique  de  l'Espagne ,  au  moment  où  Napoléon  son- 
gea à  l'annexer  à  sa  cause,  était  bien  différente  de  celle  où  s'était  trou- 
vée la  France,  au  moment  où  la  Révolution  avait  éclaté.  En  France,  il 
y  a  soixante  ans,  les  hommes  des  classes  élevées  n'étaient  pas  les  seuls 
qui  eussent  ouvert  leur  esprit  aux  idées  philosophiques  ;  ces  idées  avaient 
également  gagné  le  peuple  :  ainsi  c'était  le  corps  entier  de  la  nation  qui 
en  était  pénétré,  ce  qui  rendait  inévitable  le  renouvellement  de  toutes 
les  institutions.  Il  n'en  était  pas  de  même  en  Espagne  ;  les  hommes  des 
premiers  rangs,  qui  avaient  voyagé  et  participé  à  la  civilisation  euro- 
péenne, étaient  seuls  éclairés  :  c'est  aussi  parmi  eux  uniquement  qu'il 
se  forma  un  parti  français.  Or  c'est  par  le  peuple  que  l'on  fait  les  révo- 
lutions; quand  il  y  résiste,  quand  il  s'y  oppose,  elles  sont  impossibles. 

Deux  dogmes  régnaient  en  Espagne  sur  l'opinion  du  peuple,  le  dogme 
de  la  légitimité  de  la  famille  régnante  et  le  dogme  catholique,  l'un  et 
l'autre  assez  ardents  pour  repousser  avec  fanatisme  les  attaques  qui 
leur  étaient  livrées,  l'un  et  l'autre,  s'ils  étaient  opprimés,  pouvant 
prendre  les  couleurs  fortes  du  patriotisme  et  les  couleurs  horribles  de 
la  vengeance. 

Napoléon  attaqua  le  premier  de  ces  dogmes;  aussitôt  le  peuple  an- 
glais, qui  a  exclu  de  son  Droit  public  la  légitimité  de  droit  divin,  en  devient 
le  défenseur  chez  le  peuple  espagnol,  et  il  annexe  à  cette  cause  celle 
du  dogme  catholique  que  cependant  il  repousse  également  de  son  île. 
On  a  toujours  vu  et  l'on  verra  toujours  que  la  force  politique  emploie 
les  leviers  de  tous  genres,  parce  que,  étant  la  force  la  plus  générale 
entre  les  hommes,  tous  les  leviers  humains  lui  appartiennent  également. 
La  conduite  des  Anglais,  en  cette  circonstance,  était  naturelle  ;  elle  était 
de  droit;  elle  était  motivée  par  la  résistance  à  la  destruction. 

Le  grand  malheur  pour  Napoléon,  à  cette  époque,  c'est  que  les  cir- 
constances lui  tendirent  un  piège;  la  division,  déjà  très-prononcée  dans 
la  famille  régnante ,  lui  fournit  les  moyens  de  saisir  un  trône  sans 
coup  férir  ;  il  crut  devoir  mettre  à  profit  une  situation  de  choses  res- 
semblante à  celle  qui  s'était  fréquemment  présentée  dans  l'histoire  des 
Romains  Mais  il  oubliait  que  les  Romains,  dont  il  imitait  la  conduite. 


—  127  — 

Il  s'était  formé  dans  la  capitale  de  l'Espagne  un  parti 
qui  travaillait  à  délivrer  la  nation  de  la  honte  d'être  gou- 
vernée par  un  homme  aussi  généralement  détesté  que 
don  Manuel  Got/oî/.  Le  duc  de  l'Jn/anfarfo,  d'une  des  pre- 
mières maisons  castillanes,  le  chanoine  don  Juan  Es- 
coiquiZf  qui  avait  élevé  le  prince  des  AsturieSy  étaient 
à  la  tête  de  ce  parti.  Ils  y  entraînèrent  l'héritier  de  la 
couronne  ,  prince  de  vingt-trois  ans,  manquant  d'ex- 
périence. Dès  l'année  1 806 ,  il  avait  remis  au  duc  de 
Vlnfantado  un  décret  par  lequel  il  le  nommait  com- 
mandant des  troupes  de  la  Nouvelle-Castille,  pour  le 
cas  où  son  père  viendrait  à  mourir.  On  rédigea  un  mé- 
moire dans  lequel  les  crimes  du  favori  étaient  détail- 
lés, et  où  l'on  invitait  le  Roi  à  éloigner  de  sa  personne 
un  ministre  odieux  à  la  nation.  Le  Prince  avait  éga- 
lement dressé  par  écrit  le  plan  de  l'association. 

JVa/)o^eon  n'ignorait  pas  les  dispositions  du  Prince; 
il  résolut  de  s'en  servir  afin  de  jeter  la  désunion  dans 
la  famille  royale ,  et  d'en  profiter  pour  l'exécution  de 
ses  desseins.  Le  prince  des  Asturies  communiqua 
son  projet  à  l'ambassadeur  de  France ,  qui  flatta 
ses  passions  pour  s'emparer  de  son  secret.  Ce  fut 
d'après  le  conseil  de  ce  ministre  qu'il  écrivit,  le 
1 1  octobre  1 807 ,  à  l'Empereur  ,  une  lettre  dans 
laquelle  il  exprimait  son  désir  de  s'unir  à  une  prin- 

ne  rencontraient  jamais,  dans  leurs  usurpations,  d'autre  obstacle  à  ren 
verser  que  celui  de  la  force  nationale  ;  le  fanatisme  religieux  était  étran- 
ger aux  peuples  leurs  contemporains  ;  et  il  était  rare  que  ceux-ci , 
lorsqu'ils  étaient  attaqués,  trouvassent  des  appuis  vigoureux  dans  les 
peuples  de  leur  voisinage  ;  les  communications  entre  peuples  contig;us 
n'étaient  pas  encore  devenues  faciles  ;  et ,  de  plus ,  l'histoire  de  l'espèce 
humaine,  encore  mal  recueillie,  peu  connue ,  ne  frappait  ni  les  peuples 
ni  les  rois  d'une  forte  prévoyance.  Aujourd'hui ,  la  facilité  et  la  multi- 
plicité des  communications  entre  les  États,  les  a  tous  rendus  avertis  et 
solidaires.  Napoléon  était  trop  impatient,  trop  emporté  pour  faire  de 
ces  réflexions  générales,  seul  guide  de  la  prudence;  dans  l'impétuosité 
de  ses  désirs,  il  confondait  tous  les  peuples  et  tous  les  temps. 


—  128  — 

cesse  de  France  *.  Celui-ci  ne  rejeta  ni  n'accueillit  la 
demande  ;  mais  Godoy,  que  le  traité  de  Fontainebleau 
venait  de  créer  souverain  des  Algarves,  fut  instruit 
des  démarches  de  l'héritier  de  la  couronne  par  le  con- 
seillerd'Étatdon  Eugenio  Yzquierdo,  directeur  duMusée 
d'histoire  naturelle  à  Madrid,  et  qui,  à  l'ombre  des 
recherches  scientifiques  auxquelles  il  se  livrait  à  Paris, 
suivait  dans  cette  résidence  les  négociations  que  lui 
confiait  le  favori.  Ce  dernier  trouva  moyen  de  se  saisir 
des  papiers  du  prince  des  Asturiesj  et  tel  fut  le  pouvoir 
qu'il  exerçait  sur  le  couple  royal ,  qu'il  lui  persuada 
qu'un  fils  avait  voulu  non-seulement  ravir  le  trône  à 
son  père ,  mais  même  préméditait  d'attenter  à  ses 
jours  -. 

Le  30  octobre  1 807 ,  le  prince  des  Asluries  et  ses  con- 
fidents furent  arrêtés.  L'audacieux  favori  transgressa 
tout  respect  humain  jusqu'à  faire  signer  au  faible  mo- 
narque une  proclamation  par  laquelle  il  accusa  son  fils 
d'un  parricide.  L'indignation  qu'une  nation  généreuse 
devait  ressentir  à  la  lecture  d'une  accusation  qu'il  au- 
rait fallu  dérober  au  public,  si  elle  avait  été  fondée,  se 
tourna  tout  entière  contre  Godoy;  on  le  supposait  capable 
de  consommer  le  crime  qui  paraissait  être  le  but  de  cette 


•  Il  était  question  ici  d'une  fille  de  Lucien  Bonaparte.  Don  Juan 
EscoiQuiz ,  dans  la  célèbre  conversation  qu'il  eut  avec  Napoléon,  le 
2  mai  i  808 ,  et  que  nous  rapporterons  plus  loin,  rappela  à  celui-ci  que 
la  lettre  de  Ferdinand  avait  été  sollicitée,  au  nom  de  Napoléon,  par 
son  ambassadeur,  M.  de  Beadharnais.  Napoléon  répondit  :  «  En  ce 
cas ,  mon  ambassadeur  oulre-passa  ses  pouvoirs  ;  »  expression  vague 
d'un  faible  désaveu. 

*  Cette  accusation  était  fondée  sur  le  décret  remis  au  duc  de  I'In- 
fantado,  que  nous  avons  cité  plus  haut.  Le  Prince,  interrogé  sur  ce 
chef  d'accusation,  répondit  qu'ayant  soupçonné  que  Godoy  pourrait 
s'emparer  du  gouvernement,  si,  par  malheur,  le  Roi,  son  père,  venait  à 
mourir,  on  lui  conseilla  de  prendre  d'avance  cette  mesure,  en  confiant 
au  duc  de  I'Lnfantado  le  pouvoir  de  diriger  au  besoin  la  force  ar- 
mée, dans  le  cas  où  il  faudrait  soutenir  l'héritier  de  la  couronne. 


—  129  — 

intrigue.  Don  Manuel,  de  son  côté,  effrayé  du  silence 
observé  dans  cette  circonstance  par  Napoléon ,  dont 
les  troupes  entraient  alors  en  Espagne ,  aux  termes 
du  traité  de  Fontainebleau,  fit  jouer  à  la  Reine  le  rôle 
de  médiatrice  entre  un  père  irrité  et  un  fils  auquel  on 
avait  arraché  l'aveu  de  ses  liaisons  avec  un  ministre 
étranger. 

Une  proclamation  du  5  novembre  apprit  à  la  nation 
que  le  cœur  paternel  du  Roi  avait  pardonné  au  prince 
des  Asturies.  On  fit  cependant  le  procès  à  ses  confi- 
dents; mais,  grâce  à  l'intégrité  des  juges,  l'influence 
de  Godoy  fut  impuissante  à  leur  faire  reconnaître  un 
crime  dans  une  action  qui  ne  méritait  que  d'être 
taxée  d'imprudence,  ou  tout  au  plus  d'indiscrétion. 
Cet  événement  avait  affaibli  la  considération  dont 
jouissait  la  famille  royale,  et  porté  au  comble  la 
haine  publique  contre  le  prince  de  la  Paix;  ce 
ministre  perdait  chaque  jour  de  son  autorité.  Les  nou- 
velles qu'il  recevait  de  son  agent  en  France  le  trou- 
blaient. Napoléon  j,  voyant  que  Godoy  s'était  compro- 
mis, et  que  l'opinion  publique  se  déclarait  contre  le 
couple  royal,  ne  répondit  pas  aux  lettres  du  29  octo- 
bre ,  par  lesquelles  on  lui  avait  annoncé  la  prétendue 
conspiration;  ce  silence  était  bien  fait  pour  exciter 
des  inquiétudes  dans  l'esprit  d'êtres  pusillanimes;  il 
pouvait  les  entraîner  à  quelque  inconséquence  dont 
on  profiterait  pour  les  perdre.  On  trouva  un  prétexte 
pour  ne  pas  laisser  approcher  Yzquierdo  de  la  personne 
de  celui  auprès  duquel  il  était  accrédité,  afin  qu'il  ne 
pût  pénétrer  le  fond  de  sa  pensée.  La  précipitation  avec 
laquelle  la  reine  d'Éfjune*  fut  obligée  d'abandonner 

'  On  se  rappelle  que  Napoléon,  qui  avait  cédé  la  Toscane  à  l'Espagne, 

au  prix  de  la  Louisiane,  de  trente  millions  de  francs  et  de  six  vaisseaux 

de  ligne  armés,  jugea  à  propos  de  la  reprendre  en  donnant  à  la  reine 

d'ÉTRiRiE,  veuve  depuis  1803,  la  ville  d'Oporto  et  un  territoire  de  trois 

XI  9 


—  130  — 

son  trône,  avant  d'avoir  été  mise  en  possession  de 
l'indemnité  qu'on  lui  avait  promise,  augmenta  les 
craintes  de  la  cour  de  Madrid.  Godoy^  se  voyant 
menacé  de  perdre  les  bonnes  grâces  de  Napoléon ,  en- 


cent  mille  âmes,  en  échange  de  la  Toscane  peuplée  de  plus  d'un  million 
d'habitants.  Aumoment  dont  nous  parlons,  Napoléon  se  trouvait  à  Milan; 
il  écrivit  de  cette  résidence  à  la  reine  d'Étrurie  que  le  traité  d'échange 
entre  laToscane  et  le  territoire  d'Oporto  pour  cette  princesse  et  celui  des 
Algarvespour  le  prince  de  la  Paix,  n'aurait  dû  s'effectuer  qu'à  la  paix 
générale,  mais  qu'une  imprudence  de  M.  de  BeauhaRiNAIS  avait  rendu 
ce  traité  public;  que  dès  lors  la  Reine  ne  pouvait  plus  rester  à  Florence, 
et  qu'il  la  priait  de  se  rendre  à  Milan.  Lorsque  la  Reine  fut  arrivée  dans 
cette  ville,  Napoléon  décida  le  voyage  de  cette  princesse  pour  Madrid. 
Le  séjour  de  Napoléon  à  Milan  a  été  marqué  par  une  autre  circon- 
stance curieuse  et  relative  aux  affaires  d'Espagne.  Presque  tous  les  jours 
il  allait  faire  de  longues  visites  à  M.  de  Melcy,  alors  duc  de  Lodi  ;  ce 
ministre  avait  des  parents  en  Espagne  et  il  avait  habité  Saragosse,  il 
possédait  en  outre  le  comté  de  Héril.  On  croyait  que  les  longues  visites 
de  Napoléon  avaient  pour  but  les  affaires  d'Italie,  mais  il  ne  faisait  que 
prendre  quelques  livres  et  surtout  examiner  la  carte  d'Espagne,  ce  qui 
fit  penser  à  MM.  de  Melcy  et  de  Labrador  ,  et  au  général  O'Farril  , 
alors  auprès  de  la  reine  d'Étrurie,  que  Napoléon  avait  des  vues  sur  la 
Péninsule.  Ce  qui  n'était  qu'un  soupçon  devint  bientôt  une  certitude; 
effectivement,  un  souverain,  qui  se  trouvait  aussi  à  Milan ,  dit  un  jour 
à  MM.  de  Labrador  et  O'Farril  qu'il  était  l'allié  de  Napoléon  ,  mais 
qu'avant  tout  il  était  l'ami  et  le  parent  du  roi  d'Espagne;  qu'il  leur  disait 
donc  en  confidence  que,  se  promenant  en  voiture  avec  Napoléon, 
celui-ci  avait  demandé  au  général  Berthier  quand  les  cent  mille  hommes 
seraient  prêts  à  passer  les  monts.  Comme  toute  l'Italie  était  alors  occupée 
par  les  troupes  françaises,  évidemment  par  ces  cent  mille  hommes  prêts 
à  passer  les  monts ,  on  ne  pouvait  entendre  qu'une  armée  française 
s'apprêtant  à  franchir  les  Pyrénées. 

M.  de  Labrador  ,  qui  était  ministre  d'Espagne  auprès  de  la  reine 
d'Étrurie,  informa  sa  Gourde  ces  propos  par  un  courrier  extraordinaire; 
mais  l'aveuglement  de  la  reine  Marie-Louise  et  de  Godoy  était  tel 
qu'on  lui  répondit  que  jamais  le  Cabinet  espagnol  n'avait  reçu  autant 
de  preuves  de  la  bienveillance  de  Napoléon,  à  qui  on  donnait  le  titre 
d'intime  ami  et  d'allié.  A  ce  moment,  le  futur  prince  des  Algarves  avait 
encore  la  simplicité  de  croire  à  l'exécution  du  traité  de  Fontainebleau. 
Il  ne  comprenait  pas  la  politique  astucieuse ,  mais  profonde,  au  moyen 
de  laquelle  Napoléon  ,  en  introduisant  les  armées  françaises  dans  le 
cœur  de  la  Péninsule,  réussirait  d'un  seul  coup  à  abattre  le  Portugal  et 
à  se  rendre  l'arbitre  des  destinées  de  l'Espagne. 


—  131  — 

gagea  le  Roi  et  la  Reine  à  lui  demander  pour  leur  ù\s 
la  main  d'une  princesse  delà  famille  impériale.  Napo- 
léon l'accorda  en  termes  vagues;  il  nia  d'avoir  reçu 
une  demande  semblable  du  prince  des  Asturies, 

Cependant,  le  nombre  des  troupes  françaises  qui 
avaient  passé  les  Pyrénées,  sous  le  prétexte  de  se  ren- 
dre en  Portugal,  augmentait  journellement,  et  la  fer- 
mentation s'accroissait  parmi  le  peuple  :  en  vain  la 
Cour  essaya-t-elle  de  le  calmer;  les  proclamations 
qu'elle  publia  trahissaient  l'embarras  où  elle  se  trou- 
vait. La  seconde  armée  française  dont  Murât  avait 
pris  le  commandement,  dans  les  premiers  jours  de 
janvier  1808,  s'approchait,  à  marches  lentes,  de  la 
capitale,  pendant  que  Napoléon  exprimait  son  mécon- 
tentement de  ce  qu'après  avoir  recherché  la  main 
d'une  princesse  française,  on  ne  donnait  pas  suite 
à  cette  demande.  C'est  alors  qu  Yzquierdo  arriva  de 
Paris  ù  Aranjuez,  et  fit  part  à  don  Manuel  Godoy  d'une 
conférence  qu'il  avait  eue  avec  le  prince  de  Talleyrand, 
dans  laquelle  celui-ci  s'était  montré  très-courroucé 
contre  le  prince  de  la  Paix,  et  avait  donné  à  entendre 
que  le  mouvement  de  l'armée  française  sur  Madrid 
n'avait  d'autre  but  que  l'éloignement  de  ce  favori. 
Aussitôt  que  le  Roi  et  la  Reine  eurent  connaissance 
de  cette  communication,  on  prit  la  résolution,  dans 
le  plus  grand  secret,  à  l'exemple  de  la  cour  de  Por- 
tugal, d'abandonner  le  royaume,  de  partir  pour  Ca- 
dix, et  de  là  pour  l'Amérique  espagnole.  C'était  juste- 
ment le  but  que  s'était  proposé  Napoléon. 

Il  fut  convenu  que  l'on  se  rendrait  d'abord  à  Sé- 
ville;  mais  lorsque  ce  projet  transpira  dans  le  public, 
il  répandit  une  si  grande  consternation ,  que  le  Roi 
fut  obligé  de  déclarer,  par  une  proclamation  du 
16  mars  ,  qu'il  y  renonçait. 

Les  préparatifs  du  voyage  n'en  ayant  pas  moins 


—  132  — 

continué,  un  tumulte  éclata  à  Aranjuez  le  19  mars; 
aussitôt  l'hôtel  du  prince  de  la  Paix  est  forcé  et  mis 
au  pillage;  Godoy,  abandonné  de  ses  propres  gardes, 
se  cache  dans  un  grenier,  où  il  est  découvert  et  arrêté 
après  trente -six  heures  d'angoisses;  entraîné  dans 
la  rue,  blessé  et  couvert  de  sang,  il  n'est  soustrait  à 
la  fureur  du  peuple  que  par  le  prince  même  des  Astu- 
rieSy  qui  promit  de  lui  réserver  un  jugement  solennel. 

Charles  IV  destitua  le  prince  de  la  Paix  et  ses  adhé- 
rents, des  charges  qu'ils  remplissaient.  Cette  condes- 
cendance tardive  ne  servit  qu'à  augmenter  le  désor- 
dre, carie  peuple  de  Madrid  se  crut  dès  lors  autorisé 
à  saccager  le  palais  du  favori;  du  reste,  sa  fureur  se 
porta  uniquement  contre  Godoy,  et  pas  un  cri  ne  s'é- 
leva contre  le  Roi. 

Le  jour  même  de  l'émeute,  Charles  IV  exhorta,  par 
une  proclamation,  les  habitants  de  la  capitale  à  bien 
accueillir  les  troupes  françaises  qui,  se  rendant  à  Ca- 
dix, passeraient  par  Madrid;  par  un  décret,  il  char- 
gea le  prince  des  Asturies  de  diriger  le  procès  du 
prince  de  la  Paix;  et  par  un  second  décret  il  renonça 
au  trône  en  faveur  de  son  fils. 

On  a  pu  dire,  dans  le  temps,  que  cette  démarche 
avait  été  imposée  par  la  violence;  mais  on  sait  aujour- 
d'hui que  rien  ne  coûta  moins  au  Roi  que  cette  réso- 
lution; elle  fut,  pour  ainsi  dire,  une  suite  du  dégoût 
que  depuis  longtemps  il  éprouvait  pour  les  affaires  du 
gouvernement,  et  qu'il  n'avait  surmonté  que  pour 
complaire  à  la  Reine  et  à  son  favori  *. 

•  Il  montrait  la  plus  grande  satisfaction ,  et  dit  au  nonce  du  Pape , 
monseigneur  Gravina,  et  au  comle  Strogonoff,  ministre  de  Russie,  qu'il 
n'avait  jamais  rien  fait  avec  autant  de  plaisir  ;  et,  pourle  prouver ,  il  ajouta 
que  son  bonheur  était  tel ,  qu'il  lui  avait  rendu ,  malgré  le  rhumatisme 
qui  le  tourmentait,  la  faculté  de  signer.  Au  reste ,  l'éloignement  qu'avait 
Charles  IV  pour  les  affaires  s'explique  parfaitement  par  le  genre  de 
vie  qu'avait  adopté  ce  prince.  Il  ne  s'était  jamais  occupé  que  de  sa  pas- 


—  133  — 

Le  premier  soin  du  nouveau  roi,  qui  prit  le  nom  de 
Ferdinand  VII,  fut  de  rétablir  la  tranquillité  à  Madrid  j 
il  fallut  quatre  jours  pour  obtenir  ce  résultat. 

Le  plan  de  Napoléon  se  trouva  bouleversé  par  l'évé- 
nement du  19  mars.  Au  lieu  d'une  Cour  faible  et  per- 
due dans  l'opinion  publique,  il  trouvera  un  jeune 
prince,  entouré  de  conseillers  énergiques ,  et  acclamé 
avec  enthousiasme  par  son  peuple.  Cependant  Murât 
et  Dupont  se  rapprochaient  de  Madrid,  l'un  par  la  route 
de  Valladolid ,  et  l'autre  par  celle  de  Ségovie.  Le  2  avril, 
Napoléon  quitta  Paris  pour  se  rendre  à  Bayonne  ;  le  nou- 
veau roi  lui  fit  annoncer  son  avènement  au  trône.  L'En- 
voyé de  Ferdinand  VII  fut  reçu  avec  froideur;  mais 
Napoléon  ne  s'expliqua  pas  sur  ses  vues.  Cependant 
Charles  IV  était  mécontent  de  ce  qu'on  lui  eut  assigné 
Badajoz  pour  sa  résidence  future  ;  son  épouse  regret- 
tait vivement  un  trône  auquel  le  désir  de  sauver  le 
prince  de  la  Paix  avait  seul  pu  la  faire  renoncer.  A 
son  instigation,  la  reine  d'Etrurie,  sa  fille,  entra  en 
correspondance  avec  le  grand-duc  de  Berg,  confident 
supposé,  mais  à  tort,  des  projets  de  son  beau-frère  ; 
ce  prince,  auquel  s'offrait  la  perspective  de  la  cou- 
ronne d'Espagne,  pour  lui-même,  saisit  avec  empres- 
sement cette  occasion  pour  rendre  impossible  une  ré- 
conciliation entre  le  père  et  le  fils.  Un  de  ses  aides  de 
camp  fut  député  auprès  de  Charles  IV,  qui  lui  remit 
une  protestation ,  datée  du  21  mars ,  mais  écrite  en 

sion  pour  la  chasse  et  de  Tenfantillage  appelé  maison  de  ferme  ou  casa 
del  labrador,  qu'il  avait  fait  bâtir  dans  le  jardin  d'Aranjuez,  et  qui  n'a 
jamais  servi  pour  donner  un  logement  à  la  famille  royale  ni  pour  une 
fête  quelconque.  C'était  tout  simplement  un  magasin  de  pendules,  de 
petits  meubles  et  de  curiosités,  achetés  la  plupart  à  Paris,  à  des  prix 
exorbitants.  Le  rez-de-chaussée  de  celle  petite  maison  étant  au-dessous 
du  niveau  du  Tage,  devenait  en  hiver  un  petit  lac.  Malgré  cela,  en  1 808, 
Charles  IV,  à  qui  la  goutte  ne  permetlait  plus  l'amusement  de  la 
chasse,  avait  donné  l'ordre  de  réunir  deux  millions  de  réaux  pour  agran- 
dir cette  singulière  maison  de  plaisance. 


—  134  — 

réalité  le  23,  et  dans  laquelle  il  déclara  son  abdication 
extorquée  par  la  violence  et  nulle. 

Le  23  mars,  Murât  entra  dans  Madrid  à  la  tête  d'une 
partie  de  ses  troupes;  les  autres  campèrent  sur  les 
hauteurs  qui  entourent  cette  ville.  Le  lendemain,  Fer- 
dinand VII  qui,  depuis  l'abdication  de  son  père,  avait 
habité  Aranjuez,  fit  son  entrée  dans  la  capitale.  Sen- 
tant l'impossibilité  de  rien  entreprendre  de  décisif, 
tant  que  le  Roi  se  trouverait  entouré  de  ses  sujets, 
Murât  résolut  de  tout  tenter  pour  l'éloigner  de  Madrid. 
Il  fut  aidé  dans  ce  dessein  par  des  suggestions  perfi- 
des venues  d'un  autre  côté,  et  qui,  trompant  le  jeune 
roi  sur  les  dispositions  de  Napoléon,  l'entraînèrent 
dans  l'abîme.  Ferdinand  avait  d'ailleurs  envoyé  son 
frère  don  CaWos  à  la  rencontre  de  l'empereur  des  Fran- 
çais, qui,  par  un  ordre  du  jour  du  2  avril,  annonçait 
à  l'armée  son  arrivée  prochaine. 

c(  Dès  lors  on  lui  prépara  un  appartement  au  palais 
royal ,  et  aussitôt  l'ambassadeur  Beauharnais  fit  dé- 
poser sur  une  table  du  salon  le  petit  chapeau  et  les 
autres  attributs  inséparables  de  son  maître.  Le  gé- 
néral Savary  demanda  s'il  ne  serait  pas  convenable 
que  le  prince  des  Asturies ,  nom  que  l'on  donnait  au 
roi  Ferdinand,  allât  au-devant  de  Sa  Majesté  Impériale. 
Le  duc  de  San  Carlos,  grand  maître  de  la  maison  du 
Roi,  le  duc  de  Vinfantado ,  ami  de  Sa  Majesté,  et  le 
chanoine  Escoiquiz,  qui  avait  été  son  précepteur,  dé- 
cidèrent facilement  le  roi  Ferdinand  à  se  porter  jus- 
qu'à Buitrago  pour  y  recevoir  son  auguste  hôte.  » 

Ferdinand  VII  fixa  son  départ  au  10  avril,  après 
avoir  préalablement  ordonné  que  les  ministres  don 
Francisco  Gil  de  Lemus,  don  Miguel  Josef  de  Azanza, 
don  Gonzalo  O'Farril  et  don  Sébastian  Pinuela,  pré- 
sidés par  l'infant  don  Antonio  formeraient  une  junte 
suprême  de  gouvernement ,  chargée  d'administrer  en  son 


—  135  — 

absence,  autorisée  à  prendre  les  mesures  d'urgence, 
et  devant,  pour  les  affaires  ordinaires,  en  référer  au 
Roi  par  l'intermédiaire  de  M.  de  Cevallosj  secrétaire 
d'États 

11  convient  de  mentionner  ici  une  circonstance  par- 
ticulière, qui  contribua  à  décider  Ferdinand  VU  à  ce 
voyage  ;  c'est  que  peu  après  les  événements  d'Aran- 
juez,  il  était  arrivé  un  courrier  adressé  à  Godoy,  et 
porteur  de  dépêches  d'Yzquierdo.  Cet  agent  y  rendait 
compte  des  conversations  qu'il  avait  eues  avec  MM.  de 
Talleyrand  et  Duroc ,  et  d'après  lesquelles  il  paraissait 
que  les  vues  de  Napoléon  se  bornaient  à  se  faire  céder 
les  provinces  du  nord  de  l'Èbre,  contre  le  Portugal 
auquel  il  renoncerait.  Le  roi  Ferdinand  se  flattait  qu'il 
se  rachèterait  de  ces  prétentions  par  l'abandon  de  la 
Navarre  ou  par  la  concession  d'un  chemin  militaire 
conduisant  en  Portugal. 

La  dépêche  expédiée  par  don  Eugenio  Yzquierdo, 
était  conçue  en  ces  termes  : 

«  La  situation  des  choses  ne  me  laisse  pas  le  temps 
de  rapporter  dans  tous  les  détails  les  conversations 


'  Ferdinand  VII  emmenait  avec  lui  dans  son  voyage,  outre  son  mi- 
nistre des  Affaires  Étrangères  Cevallos,  le  duc  de  I'Infantado,  le  duc 
de  San  Carlos,  le  marquis  Musquiz,  le  marquis  de  Labrador,  don 
Juan  de  Escoiquiz,  le  cumte  de  Villariezo  et  les  marquis  de  Ayerbe, 
de  GuADALGAZAR  et  de  Feria.  A  ce  cortège  royal  se  joignit,  à  Bayonne, 
celui  qui  accompagna  l'infant  don  Carlos,  et  qui  était  composé  de  don 
Antonio  Correa,  don  Pedro  Macanaz,  don  Pasqual  Vallejo  et  don 
Ignacio  Correa  :  les  ducs  de  Frias  et  de  Medinaceli  ,  et  le  comte 
Fernan  Nunez  ,  duc  de  Montellano  ,  qui  avaient  élé  envoyés  précé- 
demment pour  complimenter  Napoléon  ,  so  réunirent  au  Roi  dans  la 
même  ville.  Quoique  toutes  ces  personnes  n'entrassent  pas  au  Conseil 
privé,  qui  se  composait  principalement  de  celles  qui  étaient  parties  de 
Madrid,  avec  le  Roi  ;  cependant  elles  jouissaient  de  la  confiance  de  ce 
prince  et  pouvaient  aider  de  leurs  avis  dans  ces  circonstances  dé- 
licates. 


—  136  — 

que,  depuis  mon  retour  de  Madrid,  j'ai  eues,  par  ordre 
de  l'Empereur,  tant  avec  le  grand  maréchal  du  palais 
le  général  Dmtoc,  qu'avec  le  vice-grand-électeur  prince 
de  Bénévent. 

«  Ainsi  je  me  bornerai  à  rendre  compte  des  moyens 
que,  dans  ces  conversations,  l'on  m'a  proposés,  pour 
régler  et  même  terminer  à  l'amiable  les  affaires  entre 
l'Espagne  et  la  France)  moyens  qui  m'ont  été  commu- 
niqués, avec  l'intention  que  mon  gouvernement  prenne 
le  plus  promptement  possible  une  résolution  sur  cet 
objet. 

«  Qu'il  y  ait  actuellement  en  Espagne  plusieurs 
corps  de  troupes  françaises ,  c'est  un  fait  notoire. 

«  Lerésultatquepeut  avoir  la  présence  de  ces  troupes 
est  caché  dans  l'avenir.  Un  arrangement  entre  les  gou- 
vernements français  et  espagnol ,  fait  à  leur  mutuelle 
satisfaction,  peut  arrêter  les  événements,  et  se  convertir 
en  un  traité  solennel  et  définitif  sur  les  bases  suivantes  : 

«  1'"^Base.  Les  Espagnols  et  les  Français  pourront 
librement  et  mutuellement  faire  le  commerce  dans  les 
colonies  respectives  des  deux  nations ,  en  payant  les 
mêmes  droits  auxquels  sont  assujettis  les  naturels. 

«  Ce  privilège  sera  exclusif,  et  nulle  puissance  autre 
que  la  française ,  ne  pourra  l'obtenir  en  Espagne ,  de 
même  que  la  seule  nation  espagnole  en  pourra  jouir  en 
France. 

«  2"  Base.  Le  Portugal  est  aujourd'hui  possédé  parla 
France  :  la  communication  entre  ces  deux  États  exige 
une  route  militaire ,  et  par  conséquent  un  passage  con- 
tinuel de  troupes  par  l'Espagne,  pour  garnir  le  Por- 
tugal et  le  défendre  contre  l'Angleterre;  ce  qui  serait 
une  source  de  dépenses,  de  dégoûts,  de  tracasseries, 
et  peut-être  de  fréquents  motifs  de  brouilleries. 

«  Cet  objet  pourrait  se  réglera  l'amiable,  en  laissant 
tout  le  Portugal  à  l'Espagne,  sous  la  condition  de  donner 


—  137  — 

un  équivalent  à  la  France  dans  les  provinces  espagnoles 
contiguès  à  cet  empire. 

«  3^  Base.  Fixer  une  fois  la  succession  au  trône  d'Es- 
pagne. 

«  4*  Base.  Faire  un  traité  d'alliance  offensive  et  dé- 
fensive, dans  lequel  le  nombre  de  troupes,  dont  les 
deux  puissances  devraient  se  secourir  réciproque- 
ment, serait  stipulé. 

«  Telles  sont  les  bases  sur  lesquelles  se  peut  conso- 
lider et  changer  en  traité  un  arrangement  capable  de 
terminer  heureusement  la  crise  politique  dans  laquelle  se 
trouvent  VEspagne  et  la  France, 

«  Dans  des  matières  de  cette  importance,  je  dois  me 
borner  à  exécuter  fidèlement  les  ordres  que  je  reçois. 

«  Lorsqu'il  est  question  de  l'existence  de  l'État,  de 
son  honneur  et  de  celui  du  gouvernement,  le  souve- 
rain et  son  Conseil  doivent  seuls  décider. 

«  Cependant,  mon  ardent  amour  pour  la  patrie 
m'oblige  de  dire  que,  dans  nos  conférences,  j'ai  fait 
au  prince  de  Bénévent  les  observations  suivantes  : 

«  1  °  Qu'ouvrir  nos  Amériques  au  commerce  français, 
ce  serait  réellement  les  partager  entre  l'Espagne  et  la 
France,  et  le  faire  exclusivement  au  profit  de  celle-ci. 

«  Ce  serait  de  plus  éloigner  la  paix,  et  perdre ,  jus- 
qu'à ce  qu'elle  fût  signée,  nos  communications  et 
celles  des  Français  avec  ces  contrées. 

«  J'ai  ajouté  que  quand  même  l'on  admettrait  le  com- 
merce français,  l'on  ne  pourrait  jamais  souffrir,  qu'au 
mépris  de  nos  lois  fondamentales,  les  sujets  de  la  France 
s'établissent  dans  nos  colonies. 

«2°  Pour  ce  qui  concerne  le  Portugal,  j'ai  rappelé 
les  conventions  du  27  octobre  dernier  ;  j'ai  fait  voir  le 
sacrifice  du  roi  d'Étrurie,  le  peu  que  vaut  le  Portugal 
sans  ses  colonies ,  son  inutilité  pour  l'Espagne  ;  j'ai 
fait  une  peinture  fidèle  de  l'horreur  que  causerait  aux 


^  138  — 

pays  voisins  des  Pyrénées,  la  perte  de  leurs  lois,  de 
leurs  franchises,  de  leurs  usages,  de  leur  idiome,  et 
surtout  la  nécessité  d'obéir  à  un  gouvernement  étran- 
ger. 

«  J'ai  ajouté  que  je  ne  pourrais  jamais  signer  la  ces- 
sion de  la  Navarre,  pour  ne  pas  être  l'objet  de  l'exécra- 
tion de  mes  compatriotes,  comme  je  le  serais,  en  effet, 
s'il  était  connu  qu'un  Navarrais  eût  apposé  son  nom 
au  bas  d'un  pareil  acte. 

«  Enfin,  j'ai  insinué  que  si  l'on  ne  trouvait  d'au- 
tres moyens,  il  serait  possible  d'ériger  un  nouveau 
royaume  ou  une  vice-royauté  d'Ibérie,  en  stipulant  que 
cet  État  serait  toujours  soumis  aux  lois  et  aux  règle- 
ments qui  le  régissent  à  présent ,  et  que  ses  habitants 
conserveraient  leurs  usages  et  leurs  privilèges.  Ce 
royaume  ou  cette  vice-royauté  pourrait  se  donner  au 
roi  d'Étrurie  ou  à  tout  autre  infant  de  Castille. 

«  3^  Quant  à  l'article  concernant  la  succession  d' Espagne, 
fai  développé  ce  que  Sa  Majesté  m'a  ordonné  de  dire  de 
sa  part ,  et  je  crois  l'avoir  fait  de  manière  à  dissiper 
toutes  les  calomnies  inventées  par  les  malveillants  de  notre 
pays,  et  qui  avaient  égaré  l'opinion  publique  dans  ce- 
lui-ci. 

«  Pour  ce  qui  concerne  l'alliance  offensive  et  défen- 
sive ,  dans  la  chaleur  de  mon  zèle  patriotique ,  j'ai 
demandé  au  prince  de  Bénévent ,  si  l'on  voulait  faire 
de  l'Espagne  un  équivalent  à  la  confédération  du  Rhin, 
en  l'obligeant  à  fournir  un  contingent,  et  colorer  ce 
tribut  du  nom  honorable  de  traité  d'alliance  offensive 
et  défensive  ;  j'ai  montré  qu'étant  en  paix  avec  la 
France,  nous  n'avions  pas  besoin  de  ses  secours  pour 
défendre  nos  foyers;  que  les  Canaries,  le  Ferrol  et 
Buenos-Aires  en  faisaient  foi  ;  que  l'Afrique  est 
nulle,  etc.,  etc.,  etc. 

«  Le  projet  du  mariage  est  regardé  comme  une  affaire 


—  139  — 

décidée  :  il  aura  lieu ,  mais  il  sera  l'objet  d'une  négo- 
ciation particulière ,  et  ne  se  traitera  point  dans  l'ar- 
rangement dont  j'envoie  les  bases.  • 

((  Quant  au  titre  d'empereur  que  doit  prendre  le  Roi, 
notre  maître,  cet  article  n'a  offert  ni  n'offre  à  présent 
la  moindre  difficulté. 

«  L'on  m'a  chargé  de  demander  les  réponses  les  plus 
promptes,  afin  de  prévenir  les  fatales  conséquences 
que  pourrait  occasionner  le  moindre  retard  à  se  mettre 
d'accord. 

((  L'on  recommande  aussi  d'éviter  avec  le  plus  grand 
soin  tout  acte  hostile  et  tout  mouvement  qui  pourrait 
éloigner  l'heureux  arrangement  qui  peut  encore  se 
faire. 

«  A  la  demande  qui  m'a  été  faite,  si  le  Roi,  notre 
maître,  devait  aller  en  Andalousie,  j'ai  répondu  la  vé- 
rité :  que  je  ne  savais  rien.  Interrogé  aussi  si  je  croyais 
qu'il  fût  parti,  j'ai  dit  que  je  ne  le  pensais  pas ,  vu  la 
confiance  que  Leurs  Majestés  et  Votre  Altesse  avaient 
dans  les  procédés  de  l'Empereur. 

«  J'ai  demandé  en  conséquence,  qu'en  attendant  la 
réponse,  l'on  convînt  provisoirement  de  suspendre  la 
marche  des  troupes  françaises  dans  l'intérieur  de  l'Es- 
pagne, et  que  l'on  fît  sortir  de  la  Castille  celles  qui  y 
étaient.  Je  n'ai  rien  obtenu.  Mais  je  présume  que  si  les 
bases  proposées  sont  acceptées ,  l'on  peut  espérer  que 
ces  troupes  recevront  l'ordre  de  s'éloigner  de  la  rési- 
dence de  Leurs  Majestés. 

«  L'on  a  écrit  que  des  troupes  marchaient  de  Ta- 
lavera  sur  Madrid;  que  Votre  Altesse  m'avait  expédié 
un  courrier.  J'ai  satisfait  à  tout ,  en  disant  ce  que  je 
savais. 

«  L'on  croit  ici  que  Votre  Altesse  est  partie  pour 
Séville  avec  Leurs  Majestés;  comme  je  ne  sais  rien, 
j'ordonne  au  courrier  d'aller  jusqu'à  ce  qu'il  rencontre 


—  140 


Votre  Altesse.  Les  troupes  françaises  le  laisseront  pas- 
ser, selon  l'assurance  que  m'en  a  donné  le  grand  ma- 
réchal du  palais  impérial. 

«  Paris,  24  de  mars  de  1808.  » 


Lorsque  Fei'dinayid  VII ,  ne  pouvant  soupçonner  les 
desseins  cachés  de  Napoléon,  s'était  déterminé  à  par- 
tir pour  Buitrago ,  (c  il  avait  été  formellement  stipulé 
que  le  Roi  reviendrait  avec  sa  suite  passer  la  nuit 
à  Madrid  ;  l'Envoyé  de  Napoléon  obtint  que  l'on  pour- 
suivît, sur  l'assurance  qu'il  donna  que  l'empereur 
des  Français  viendrait  dans  cette  ville  embrasser  le 
roi  Ferdinand.  Le  marquis  de  Miisquiz  et  M.  de  La- 
brador firent  tout  ce  qui  dépendait  d'eux  pour  empê- 
cher cette  funeste  résolution;  mais  les  trois  conseil- 
lers du  Roi  disaient  que  l'Espagne  n'avait  pas  assez  de 
baïonnettes  pour  s'opposer  à  la  volonté  de  Napoléon. 
On  partit  donc  pour  Burgos  oii  Savary  répétale  même 
manège ,  et  il  fut  décidé  que  l'on  irait  jusqu'à  Vitoria, 
parce  que,  disait  Savary,  l'aspect  que  présentaient  les 
affaires  du  Nord  ne  permettaient  pas  à  Napoléon  de 
venir  jusqu'à  Burgos.  A  Vitoria  le  peuple  montra  plus 
de  bon  sens  que  les  conseillers  du  Roi,  et  il  s'opposa 
au  départ  de  Sa  Majesté,  en  coupant  les  harnais  des 
mulets  attelés  à  la  voiture.  Mais  on  fit  venir  des  troupes 
et  on  trompa  les  habitants  de  Vitoria  en  faisant  pla- 
carder une  proclamation  au  nom  du  Roi,  dans  laquelle 
on  déclarait  que  tous  les  différends  qui  existaient 
étaient  aplanis  ;  que  Sa  Majesté  n'allait  que  pour  em- 
brasser son  ami  l'Empereur  et  qu'il  reviendrait  tout 
de  suite  à  Madrid. 

«  On  partit  donc  de  Vitoria  pour  Irun ,  que  l'on  ne 
devait  pas  dépasser.  La  voiture  où  se  trouvaient  MM.  de 


—  141   — 

Musquiz  et  de  Labrador  se  cassa  près  de  Vergara ,  et 
on  dut  passer  la  nuit  à  la  réparer  ;  lorsque  ces  deux 
diplomates  arrivèrent  à  Irun ,  le  Roi  était  déjà  à 
Bayonne ,  où  devait  s'accomplir  l'acte  de  perfidie  le 
plus  révoltant  que  l'on  ait  jamais  osé  commettre  dans 
l'Europe  civilisée.  » 

Dès  le  jour  même  de  l'arrivée  de  Ferdinand  VII 
(20  avril),  on  jeta  le  masque.  Le  général  Savary  vint  an- 
noncer au  Prince  que  Napoléon  était  décidé  à  ne  pas  per- 
mettre que  le  trône  d'Espagne  fûtplus  longtemps  occupé 
par  une  dynastie  qui  n'oublierait  pas  qu'une  de  ses 
branches  avait  régné  en  France.  Bientôt  après,  «  Napoléon 
déclara  de  vive  voix  au  roi  Ferdinand  qu'il  le  regardait 
comme  rebelle  envers  son  père  et  son  roi,  et  en  même 
temps  il  lui  signifia  qu'il  eût  à  nommer  une  personne 
chargée  de  traiter  avec  son  ministre  Champagny,  pour 
réparer  les  torts  de  l'Espagne  à  l'égard  de  l'Empe- 
reur. Le  principal  grief  était  la  proclamation  du  géné- 
ralissime Godoy,  publiée  en  1 806.  Pour  satisfaire  à  cette 
prétention  si  extraordinaire,  le  roi  Ferdinand  nomma 
son  ministre  des  Affaires  Étrangères,  M.  Cevallos; 
mais  Napoléon  le  refusa  en  disant  qu'il  le  regardait 
comme  traître  au  roi  Charles  IV ^  et  ce  fut  alors  qu'il 
désigna  M.  de  Labrador,  qui  fut  accepté  non  sans  ob- 
jection par  Napoléon.  Celui-ci,  occupait  alors  la  petite 
maison  de  campagne  de  Marrac  :  M.  de  Labrador  s'y 
rendit  pour  avoir  la  première  conférence  avec  M.  de 
Champagny.  La  chambre  où  avait  lieu  cette  conférence 
n'était  séparée  du  salon  où  se  tenait  Napoléon  que  par 
un  rideau ,  de  façon  qu*il  entendait  ce  que  les  pléni- 
potentiaires se  disaient. 

«  M.  de  Champagny  commença  par  dire  à  M.  de 
Labrador  qu'il  le  considérait  comme  un  homme  trop 
éclairé  pour  pouvoir  se  faire  illusion  sur  l'état  de 
l'Espagne  :  que  l'Empereur,  malgré  son  génie,  sa  re- 


—  142  — 

nommée  et  ses  armées  constamment  victorieuses,  ne 
pouvait  être  tranquille  sur  son  trône  tant  que  celui 
d'Espagne  serait  occupé  par  un  Bourbon ,  qui  aurait 
toujours  la  pensée  de  venger  ses  parents  de  la  branche 
aînée  ;  qu'ainsi  le  sort  de  l'Espagne  était  irrévocable- 
ment fixé;  que  Napoléon  avait  décidé  de  placer  sur  le 
trône  d'Espagne  son  frère  Joseph;  que  l'on  choisirait 
pour  ministres  du  nouveau  roi  les  Espagnols  les  plus 
capables ,  et  que  ceux  qui  s'opposeraient  aux  desseins 
de  l'Empereur  devaient  craindre  sa  toute-puissance. 
{(  M.  de  Labrador  répondit  à  M.  de  Champagny  que 
ni  lui  ni  l'Empereur  son  maître  ne  connaissaient  l'Es- 
pagne ni  les  Espagnols;  que  lui,  comme  plénipoten- 
tiaire de  Ferdinand  F//,  roi  d'Espagne,  il  étendrait 
son  bras  droit  sur  la  table  et  se  le  laisserait  couper 
plutôt  que  d'apposer  une  signature,  qui  le  déshonore- 
rait aux  yeux  de  l'Espagne  et  du  monde  entier.  Cette 
réponse  fut  connue  du  général  Bertîuer,  et  ce  fut  à 
cette  occasion  qu'il  dit  que  M.  de  Labrador  était  le  plus 
féroce  des  Espagnols.  Le  général  Berthier  se  trompait: 
la  guerre  de  Napoléon  contre  l'Espagne  a  dû  le  per- 
suader que,  lorsqu'il  s'agit  d'indépendance,  tous  les 
Espagnols  partageaient  l'opinion  de  M.  de  Labrador.  » 

Après  cet  aperçu  de  la  négociation  de  M.  de  La- 
brador^  nous  allons  assister  à  la  curieuse  conférence  qui 
eut  lieu  entre  Napoléon  et  le  conseiller  d'État  Escoiquizy 
et  dans  laquelle  l'Empereur  développa  sa  politique  à 
l'égard  de  l'Espagne.  Voici  le  compte  rendu  de  l'an- 
cien gouverneur  de  Ferdinand  VU. 

«  —  Le  21  du  mois  et  an  susdits,  environ  à  sept 
heures  et  demie  du  soir,  l'Empereur  fît  venir  dans  son 
cabinet,  au  château  de  Marrac,  ledit  EscoiquiZy  et  eut 
avec  lui  le  dialogue  suivant  : 

«  L'Empereur.   Depuis  longtemps ,  chanoine ,  sur 


—  143  ~ 

l'idée  que  l'on  m'a  donnée  de  votre  droiture  et  de  votre 
instruction ,  je  désirais  causer  avec  vous  sur  les  affaires 
de  votre  Prince  :  et  bien  plus  à  présent,  que  dans  ma 
situation,  je  dois  prendre  part  au  malheur  du  Roi, 
son  père,  qui  a  demandé  ma  protection.  Je  la  lui  dois. 
Toute  l'Europe  a  les  yeux  ouverts  sur  moi.  Les  circon- 
stances dans  lesquelles,  au  milieu  de  ses  gardes  sou- 
levés et  du  peuple  en  tumulte ,  il  fit  à  Aranjuez  l'ab- 
dication de  la  couronne,  font  bien  connaître  qu'elle 
fut  forcée  ;  et  comme  à  cette  époque  mes  armées  étaient 
déjà  en  Espagne,  et  voisines  du  lieu  de  la  scène,  l'on 
pourrait  croire  que  j'ai  eu  quelque  part  à  cette  vio- 
ïence,  qui  donne  à  toutes  les  Cours  l'exemple  d'un  fils 
qui  a  conspiré  contre  son  père  et  qui  l'a  détrôné.  Je 
dois  éviter  un  pareil  soupçon  ,  et  faire  voir  au  monde 
que  je  ne  suis  point  capable  d'appuyer  un  attentat 
aussi  injuste  que  scandaleux.  En  conséquence,  je  ne 
me  résoudrai  jamais  à  reconnaître  le  prince  Ferdinand 
comme  roi  légitime  d'Espagne,  tant  que  son  père, 
qui  m'a  adressé  une  réclamation  formelle  contre  sa 
prétendue  abdication,  n'aura  pas  renouvelé  celle-ci 
en  pleine  liberté. 

u  D'un  autre  côté ,  l'intérêt  de  mon  empire  exige 
que  la  maison  de  Bourbon ,  que  je  dois  regarder  comme 
une  ennemie  implacable  de  la  mienne ,  ne  règne  plus 
en  Espagne.  C'est  aussi  ce  qu'il  y  a  de  plus  avantageux 
pour  votre  nation,  puisque,  en  lui  ôtant  une  dynastie 
dont  les  derniers  rois  lui  ont  causé  les  maux  dont  elle 
est  si  irritée,  elle  obtiendra,  sous  la  nouvelle  que  je  lui 
proposerai  de  placer  sur  le  trône,  une  Constitution 
meilleure,  et  par  ce  moyen  une  alliance  intime  avec 
la  France,  qui  la  garantira  pour  toujours  du  seul  en- 
nemi qui,  par  son  voisinage  et  par  son  pouvoir,  pour- 
rait lui  être  redoutable.  Le  roi  Charles  IV  lui-même, 
connaissant  que  ses  fils  sont  incapables  de  tenir  les 


—  144  — 

rênes  du  gouvernement  dansées  temps  difficiles,  et  dans 
l'espoir  d'éviter  à  ses  peuples  les  malheurs  qui  les  me- 
nacent, est  prêt  à  me  céder  ses  droits  au  trône  ainsi 
que  ceux  de  sa  famille. 

«  Ces  motifs  m'ont  déterminé  à  ne  point  souffrir  que 
la  dynastie  dés  Bourbons  règne  désormais  en  Espagne  ; 
mais,  plein  d'estime,  comme  je  le  suis,  pour  le  prince 
Ferdinand  qui  est  venu  me  voir  avec  tant  de  confiance 
à  Bayonne,  c'est  avec  lui  que  je  veux  traiter  cette  af- 
faire. J'ai  l'intention  de  lui  faire  un  sort  qui  le  dédom- 
magera, autant  que  possible,  tant  lui  que  ses  frères, 
de  ce  que  ma  politique  leur  fait  perdre  en  Espagne. 

(f  Vous  lui  proposerez  donc,  de  ma  part,  de  renoncer 
à  tous  ses  droits  à  la  couronne  d'Espagne;  moyennant 
quoi ,  je  lui  céderai  celle  d'Étrurie  avec  le  titre  de  roi, 
et  une  entière  indépendance,  pour  lui  et  ses  héritiers 
mâles,  à  perpétuité.  Je  lui  avancerai  aussi,  en  pur 
don ,  une  année  des  revenus  de  cet  État,  pour  y  faire 
son  établissement. 

«  Aussitôt  après  la  signature,  pour  l'assurer  encore 
plus  de  mon  amitié ,  je  lui  donnerai  ma  nièce  pour 
épouse.  S'il  accède  à  ce  traité ,  il  se  conclura  à  l'instant 
avec  toutes  les  formes  et  la  solennité  requises  :  sinon, 
je  traiterai  avec  son  père,  qui  arrivera  l'un  de  ces 
jours,  et  dans  ce  cas,  ni  le  Prince  ni  ses  frères  ne  se- 
ront plus  admis  à  aucune  négociation ,  et  ne  devront 
compter  sur  aucune  espèce  d'indemnité.  Quant  à  l'Es- 
pagne, si  le  Prince  accepte  mes  propositions,  je  ga- 
rantirai par  le  même  traité  son  intégrité  et  son  in- 
dépendance sous  la  nouvelle  dynastie,  ainsi  que  la 
conservation  de  ses  lois  ,  de  sa  religion  et  de  ses  usages. 
Voilà  à  quoi  se  réduit  mon  système  sur  ce  point  :  car 
je  ne  veux  pour  moi  pas  même  un  village  d'Espagne. 
Si  ces  propositions  ne  conviennent  point  à  votre  Prince, 
et  qu'il  veuille  retourner  en  Espagne ,  il  est  libre  :  il 


—  145  — 

peut  partir  quand  il  voudra,  toutefois  après  être  con- 
venu avec  moi  du  temps  nécessaire  à  son  retour,  après 
lequel  les  hostilités  commenceront  entre  nous. 

«  Escoiquiz.  Sire ,  je  suis  infiniment  flatté  d'avoir 
l'honneur  de  pouvoir  exprimer  personnellement  à  Votre 
Majesté  Impériale  et  Royale  les  sentiments  d'admira- 
tion et  le  profond  respect  que  depuis  si  longtemps  je 
professe  pour  elle.  Je  suis,  en  même  temps,  extrême- 
ment reconnaissant  de  la  bonne  opinion  que  Votre 
Majesté  Impériale  a  daigné  prendre  de  mon  caractère, 
et  je  regarde  comme  une  obligation  sacrée  de  la  justi- 
fier en  parlant  à  Votre  Majesté  avec  la  sincérité  dont 
un  homme  d'honneur  ne  doit  jamais  s'écarter.  Je  crois 
aussi  que  je  ne  pourrais  pas  faire  à  Votre  Majesté  une 
injure  plus  cruelle  que  de  dissimuler  ou  de  cacher  le 
moindre  de  mes  sentiments  sur  une  affaire  qui  inté- 
resse autant  sa  gloire  que  le  bonheur  de  mon  Roi  et  de 
ma  patrie  auxquels  je  dois  une  fidélité  à  toute  épreuve. 
J'espère  donc  que  Votre  Majesté  Impériale  daignera  me 
permettre  de  lui  parler  avec  une  franchise  digne  de 
mon  caractère  et  de  tout  le  respect  que  je  lui  dois. 

M  L'Empereur.  Vous  pouvez  dire  tout  ce  que  vous  vou- 
drez ;  je  sais  que  vous  êtes  un  honnête  homme,  et  loin 
de  m'offenser  de  votre  sincérité,  je  vous  en  estimerai 
davantage. 

«  Escoiquiz.  Daprès  cette  assurance.  Sire,  je  dois  vous 
exprimer  l'étonnement  que  m'a  causé  un  projet  que 
mon  Roi  et  ma  nation  étaient  si  éloignés  de  soupçon- 
ner, d'après  l'étroite  liaison  qui  depuis  plus  d'un  siècle 
subsiste  entre  les  deux  nations ,  rendue  encore  plus 
intime  sous  l'empire  de  Votre  Majesté  ;  d'après  tous  les 
efforts  que ,  depuis  cette  époque  jusqu'aujourd'hui , 
l'Espagne  a  faits  pour  soutenir  la  France  dans  toutes 
ses  guerres ,  y  compris  celle  qu'entreprit  Votre  Majesté 
Impériale  pour  détrôner  la  branche  des  Bourbons  qui 
Xi  10 


—  146  — 

régnait  à  Naples  :  efforts  qui  ont  coûté  à  l'Espagne  le 
sacrifice  de  ses  flottes  et  de  ses  trésors ,  et  qui  l'ont 
entièrement  épuisée;  d'après  que  son  gouvernement 
a  remis  ses  places  frontières  et  ouvert  sa  capitale  aux 
troupes  de  Votre  Majesté  avec  toute  la  confiance  que 
peut  inspirer  l'amitié  la  plus  aveugle;...  d'après  les 
intentions  publiques  du  roi  Ferdinand ,  de  donner  sa 
main  à  une  princesse  de  votre  auguste  maison,  désir 
qui ,  quoique  sollicité  au  nom  de  Votre  Majesté  par  son 
ambassadeur  M.  de  Beauharnais ,  fut  regardé  comme 
un  crime  et  fut  sur  le  point  de  coûter  la  vie  au  Prince  ; . . . 
d'après  enfin  que  dans  le  peu  de  jours  qu'il  y  a  qu'il  est 
monté  sur  le  trône,  il  a  renouvelé  le  même  désir,  et  a 
donné  à  Votre  Majesté  tant  de  preuves  du  même  atta- 
chement et  de  la  même  sincérité,  surtout  celle  de  venir, 
avec  tant  de  confiance  ,  se  remettre  entre  ses  mains 
comme  dans  celles  de  l'amitié,  malgré  le  refus  con- 
stant des  représentants  de  Votre  Majesté  pour  le  recon- 
naître pour  Roi  légitime. 

«  Persuadé  que  ce  refus  et  le  projet  de  priver  le  roi 
Ferdinand  et  sa  dynastie  de  la  couronne  d'Espagne,  ne 
peuvent  provenir  que  des  rapports  mensongers  par- 
venus aux  oreilles  de  Votre  Majesté  sur  les  affaires  de 
notre  pays ,  je  la  supplie  de  me  permettre  d'en  faire 
connaître  l'état  véritable,  et  de  montrer  que  ce  projet 
est  aussi  contraire  aux  intérêts  politiques  de  Votre  Ma- 
jesté qu'à  ceux  de  l'Espagne  et  de  mon  Souverain. 

«  Je  commencerai  par  un  récit  simple  et  véridique 
des  faits  qui  ont  précédé  l'abdication  du  roi  Charles  IV , 
ce  qui  suffira,  vu  la  notoriété  de  tout  ce  qui  s'est  passé 
alors ,  pour  prouver  que  loin  d'être  forcée,  cette  abdi- 
cation a  été  au  contraire  libre  et  volontaire  de  sa  part. 
Je  reprendrai  les  choses  de  plus  haut,  c'est-à-dire 
depuis  la  trop  fameuse  conspiration  de  l'Escurial,  qui, 
comme  j'aurai  l'honneur  de  le  démontrer  à  Votre  Ma- 


—  147  — 

jesté  Impériale,  ne  fut  qu'une  accusation  calomnieuse 
et  atroce,  intentée  contre  le  roi  Ferdinand f  alors  prince 
des  AsturieSf  par  la  malignité  du  prince  de  la  Paix, 
appuyée  par  les  préventions  de  la  Reine  en  faveur  du 
favori ,  et  par  la  simple  crédulité  de  Charles  IV.  Per- 
sonne, mieux  que  moi,  ne  peut  parler  de  ces  événe- 
ments ,  puisque  j'ai  été  le  premier  mobile  de  toutes 
les  démarches  qui  servirent  de  base  à  cette  ridicule 
procédure  criminelle. 

«  Elles  se  bornèrent  aux  conférences  que  j'eus  au 
nom  du  prince  don  Ferdinand,  avec  M.  de  Beauharnais, 
ambassadeur  de  Votre  Majesté  Impériale  à  Madrid,  et 
à  la  lettre  que  je  lui  remis  de  la  part  de  Son  Altesse 
Royale  pour  Votre  Majesté  ,  par  laquelle  il  implorait 
ses  bons  offices  auprès  du  Roi  et  de  la  Reine,  pour  les 
amener  à  approuver  le  désir  qu'il  avait  de  s'unir  avec 
une  princesse  de  votre  auguste  maison ,  ce  qui  était 
pour  Son  Altesse  Royale  un  moyen  infaillible  de  dé- 
concerter tous  les  projets  du  prince  de  la  Paix,  en  se 
mettant  sous  la  puissante  protection  de  Votre  Majesté 
Impériale  et  Royale. 

«  V Empereur.  En  cette  occasion  mon  ambassadeur  a 
outre-passé  ses  pouvoirs  ;  car  je  ne  lui  ai  jamais  donné 
l'ordre  de  traiter  avec  le  prince  des  Asturies,  et  encore 
bien  moins  de  lui  demander  une  semblable  lettre  qui, 
dans  toute  autre  circonstance,  eût  été  un  acte  formel 
de  désobéissance  au  Roi  son  père  ;  je  dis  dans  une 
autre  circonstance,  parce  que  je  ne  prétends  pas  vous 
inculper  pour  cela ,  quoique  je  sache  très-bien  que 
c'est  par  votre  conseil  que  le  Prince  m'écrivit;  mais  il 
se  trouvait  dans  une  position  si  extraordinaire,  qu'elle 
rend  très-excusable  cette  démarche ,  tant  pour  lui  que 
pour  vous. 

«  Escoiquiz.  En  effet,  Sire,  je  vois  avec  une  grande 
satisfaction  que  Votre  Majesté  est  persuadée  que  cette 


—  148  — 

démarche  fut  une  conséquence  de  la  juste  défiance  que 
nous  donnait  l'ambition  effrénée  du  prince  de  la  Paix, 
et  les  trames  obscures  qu'il  ourdissait  pour  opprimer 
le  prince  Ferdinand,  dans  le  cas  où  son  père,  qui  était 
alors  dangereusement  malade,  viendrait  à  manquer, 
soit  pour  usurper  le  trône,  soit  pour  conserver,  malgré 
lui ,  sous  quelque  titre  que  ce  fût ,  l'autorité  absolue 
dont  il  jouissait. 

«  VEmpereur.  Je  suis  parfaitement  instruit  de  tout 
cela.  Je  sais  aussi  que  ce  que  l'on  a  imputé  à  crime 
tant  à  vous  qu'au  duc  de  Vlnfantado  ,  ainsi  qu'aux  au- 
tres personnes  impliquées  dans  le  procès  de  l'Escurial, 
ne  fut  que  l'effet  de  votre  loyauté,  et  n'eut  d'autre 
but  que  d'empêcher,  par  les  mesures  d'une  juste  pré- 
caution, les  projets  que  vous  croyiez  formés  contre 
votre  Prince  pour  l'époque  de  la  mort  de  son  père , 
mais  sans  avoir  jamais  manqué  au  respect  et  à  la  lidé- 
lité  que  vous  lui  deviez  pendant  sa  vie. 

u  Escuiquiz.  Je  n'ai  donc  rien  à  ajouter  à  ce  que  la 
perspicacité  de  Votre  Majesté  lui  a  déjà  fait  pénétrer, 
si  ce  n'est  que  la  contradiction  de  deux  décrets  succes- 
sifs publiés  au  nom  du  roi  Charles  avant  l'instruction 
de  cette  cause,  et  la  sentence  unanime  prononcée  par 
les  onze  conseillers  qui  la  jugèrent,  par  laquelle  ils 
nous  déclarèrent  innocents ,  et  nous  renvoyèrent  ab- 
sous, malgré  les  intrigues,  les  menaces  et  le  despo- 
tisme du  prince  de  la  Paix ,  et  malgré  les  impressions 
défavorables  que  le  Roi  et  la  Reine  avaient  conçues 
contre  nous:  cequisuffitpourdissiperjusqu'aumoindre 
doute  sur  la  conduite  du  Prince  et  sur  la  nôtre  dans 
toute  cette  affaire. 

«  VEmpereur.  Je  connais  tous  ces  détails,  ainsi  que 
l'innocence  du  prince  Ferdinand  et  la  vôtre,  dans  tout 
ce  qui  s'est  passé  à  cette  époque;  mais  l'odieux  évé- 
nement d'Aranjuez,  cette  abdication  du  roi  Charles 


—  149  — 

faite  au  milieu  d'un  peuple  en  fureur,  cette  défection 
de  ses  gardes,  qui  au  lieu  de  le  défendre  servirent  à 
l'opprimer,  et  le  forcèrent  à  la  faire  ;  cette  facilité  du 
prince  Ferdinand  à  l'accepter,  tout  cela ,  dis-je ,  ne 
doit-il  pas  faire  croire  à  l'Europe  entière ,  comme  à 
moi,  que  cette  abdication  n'a  été  ni  libre  ni  volon- 
taire? Bien  plus,  le  roi  Charles,  dans  le  premier  mo- 
ment où  il  jouit  d'une  ombre  de  liberté,  c'est-à-dire, 
deux  jours  après,  a  complété  la  preuve  de  la  violence 
qui  lui  avait  été  faite,  en  m'adressant,  contre  sa  légi- 
timité, une  protestation  en  bonne  forme,  faite  le  jour 
même  de  l'abdication ,  et  en  implorant  ma  protection 
pour  défendre  sa  vie  et  son  autorité  contre  son  fils  et 
ses  sujets. 

i<  Escoiquiz.  Je  ne  puis  exprimer.  Sire,  combien  je 
m'estime  heureux  d'avoir  à  discuter  cette  matière  de- 
vant un  Monarque  doué  d'un  génie  aussi  supérieur 
que  celui  de  Votre  Majesté  Impériale,  de  connaissances 
aussi  vastes  et  d'un  caractère  encore  plus  grand  que 
sa  puissance.  Je  suis  persuadé  que  dans  ce  moment 
où  j'ai  l'honneur  de  lui  parler,  Votre  Majesté  lit  dans 
mon  cœur  et  y  voit  ma  franchise  et  ma  sincérité ,  ce 
qui  m'inspire  la  plus  grande  confiance.  Je  vais  donc 
présenter  à  Votre  Majesté  les  événements  d'Aranjuez 
sous  leur  véritable  point  de  vue ,  et  dissiper  l'im- 
pression sinistre  qu'ils  ont  faite  sur  son  esprit,  par 
le  faux  jour  sous  lequel  ils  lui  ont  été  offerts. 

«  Il  est  certain  que  je  n'étais  point  à  Aranjuez  à  cette 
époque,  puisque,  par  suite  du  procès  de  l'Escurial , 
j'étais  exilé,  ainsi  que  le  duc  de  Vinfantado,  et  confiné 
dans  un  couvent  au  milieu  d'un  désert,  à  cent  lieues 
de  la  Cour ,  mais  depuis,  j'ai  pris  les  informations  les 
plus  exactes  et  les  plus  détaillées  de  tout  ce  qui  s'y  est 
passé  dans  ces  circonstances.  Ces  événements  étant  de 
notoriété  publique,  je  puis  garantir  9.  Votre  Majesté  la 


—  450  — 

véracité  de  mon  récit,  sur  le  témoignage  unanime  de 
l'Espagne  entière ,  et  sur  celui  des  personnes  impar- 
tiales et  témoins  oculaires  que  j'ai  consultés.  Voici  le  fait. 

((  Le  mouvement  du  peuple  à  Aranjuez  n'a  pas  eu 
d'autre  cause  que  l'indignation  publique  portée  à  son 
comble ,  par  la  nouvelle  certaine  du  projet  de  conduire 
le  roi  et  toute  sa  famille  en  Andalousie,  et  par  la  crainte 
que  de  là  ce  Prince,  à  l'exemple  de  la  cour  de  Portu- 
gal, n'allât  s'établir  dans  quelqu'une  de  ses  colonies 
d'Amérique.  En  effet,  tout  avait  été  tranquille,  jusqu'à 
ce  que  ces  préparatifs  pour  ce  fatal  voyage,  l'avis  offi- 
ciel qui  en  fut  donné  au  conseil  de  Castille ,  et  l'ordre 
envoyé  à  la  garnison  de  Madrid  de  venir  en  toute  dili- 
gence à  Aranjuez,  pour  en  assurer  l'exécution,  ne  per- 
mirent plus  au  pul3lic  d'en  douter.  Cette  certitude  ne 
pouvait  manquer  de  faire  la  plus  funeste  impression 
sur  un  peuple  aussi  jaloux  que  l'Espagnol  de  la  gloire 
de  sa  nation  et  aussi  attaché  à  ses  rois  ;  les  troupes 
elles-mêmes  devaient  partager  ces  sentiments ,  voyant 
que  l'on  essayait  de  les  faire  servir  d'intruments  à 
l'exécution  d'un  projet  si  honteux  et  si  préjudiciable 
à  l'Espagne. 

«  Dans  cet  état  d'exaspération  générale  des  esprits,  il 
n'y  avait  pas  besoin,  pour  qu'ils  se  déchaînassent,  ni 
de  plans,  ni  de  suggestions  étrangères.  Le  soulèvement 
du  peuple  n'eut  réellement  d'autre  mobile  que  l'ac- 
croissement rapide  et  simultané  de  la  haine  qu'il  nour- 
rissait depuis  si  longtemps  contre  le  prince  de  la  Paix, 
causée  par  la  certitude  qu'il  était  encore  l'auteur  de 
ce  projet  désastreux. 

«  Le  seul  but  du  tumulte  fut  de  punir  le  favori ,  et 
d'empêcher  la  fuite  du  roi  et  celle  de  sa  famille;  et 
le  peuple,  naturellement  bon,  conservant,  au  milieu 
de  sa  plus  grande  fureur,  tout  son  respect  et  toute  sa 
fidélité  pour  le  Roi ,  se  contenta  de  chercher  le  prince 


—  151  — 

de  la  Paix  dans  sa  maison;  et  ne  l'y  ayant  pas  ren- 
contré, de  demander  à  Sa  Majesté  son  juste  châtiment 
et  la  révocation  de  l'ordre  de  départ,  mais  sans  se  per- 
mettre la  moindre  plainte  contre  Leurs  Majestés,  pour 
les  personnes  desquelles  il  montra  toujours  la  plus  pro- 
fonde vénération,  ne  cessant  de  répéter  les  cris  de 
Vive  le  Roi ,  et  manifestant  son  attachement  par  de 
continuelles  acclamations. 

«  Quant  aux  gardes  du  corps  et  aux  autres  troupes 
qui  étaient  à  Aranjuez,  bien  loin  de  prendre  part  à  la 
sédition  ,  ils  s'empressèrent  d'aller  sauver  la  maison 
du  prince  de  la  Paix  de  la  fureur  du  peuple ,  et  après 
y  avoir  réussi,  ils  vinrent  se  réunir  à  celles  qui  étaient 
en  bataille  devant  le  palais,  pour  contenir,  s'il  était 
nécessaire ,  l'effervescence  de  la  multitude,  et  bien  dis- 
posés à  défendre  Leurs  Majestés ,  si  quelque  malveil- 
lant, ce  qui  n'arriva  point,  se  hasardait  à  leur  man- 
quer de  respect. 

«  A  la  vérité,  en  même  temps  que  ces  troupes  rem- 
plissaient et  auraient  toujours  rempli  une  obligation 
aussi  sacrée,  je  suis  persuadé  qu'elles  se  seraient  re- 
fusées à  assassiner  ce  bon  peuple  pour  défendre  la  ty- 
rannie du  prince  de  la  Paix,  et  pour  faciliter  le  funeste 
voyage  de  la  cour;  mais  enfin  on  ne  les  mit  point  à 
cette  épreuve.  Et  si  on  leur  eût  donné  de  pareils  or- 
dres, auraient-ils  dû  les  exécuter?  eût-il  été  juste 
d'exiger  qu'elles  contribuassent  à  la  ruine  de  leur  pa- 
trie, qui  eût  été  une  conséquence  infaillible  de  leur 
obéissance?  J'en  appelle ,  pour  décider  cette  question, 
au  cœur  magnanime  de  Votre  Majesté  Impériale. 

«  Je  sais  aussi  que  les  chefs  de  ces  différents  corps 
militaires,  consultés  par  le  Roi  et  la  Reine  dans  le 
commencement  du  tumulte  sur  les  moyens  de  l'apai- 
ser, parlèrent  à  Leurs  Majestés  dans  le  même  sens  , 
c'est-à-dire,  en  leur  conseillant  de  renoncer  au  projet 


—  152  — 

de  partir,  d'avoir  égard  aux  demandes  du  peuple,  et 
d'éloigner  de  la  cour  le  prince  de  la  Paix^  après  l'avoir 
dépouillé  des  dignités  sans  exemple  qu'il  avait  arra- 
chées à  la  bonté  du  Roi.  Je  suis  persuadé  également 
que  tous  ces  chefs  eussent  montré  une  répugnance  in- 
vincible à  employer  la  force  pour  réduire  au  silence 
un  peuple,  dont  le  seul  crime  était  de  manifester  son 
amour  pour  son  Roi,  en  lui  demandant  les  choses  les 
plus  justes  et  les  plus  nécessaires  à  la  félicité  de  Leurs 
Majestés  et  à  celle  de  leur  famille  et  de  toute  la  nation. 

«  Et  fallait-il  davantage  que  ces  sages  conseils,  pour 
que  l'ennemi  le  plus  cruel  de  sa  patrie,  le  prince  de 
la  Paix,  et  le  Roi  et  la  Reine,  séduits  par  ses  artifices, 
peignissentà  Votre  Majesté  Impériale  les  chefs  et  les  trou- 
pes à  leurs  ordres,  comme  les  rebelles  les  plus  déclarés  ? 

«  Les  faits,  après  tout,  même  à  cette  époque  démen- 
tirent bien  cette  imputation,  ainsi  que  celle  que  Leurs 
Majestés  n'auront  pas  manqué  de  faire  devant  Votre 
Majesté  Impériale  à  leur  fils  le  roi  Ferdinand.  En  effet, 
le  lendemain  de  l'émeute ,  le  prince  de  la  Paix  ayant 
été  trouvé  caché  dans  un  grenier  de  sa  maison,  le 
peuple  se  souleva  de  nouveau  et  commençait  à  le 
maltraiter,  lorsque  les  gardes  du  corps,  suivis  d'au- 
tres troupes,  accoururent  à  son  secours  et  le  dé- 
fendirent de  sa  fureur,  jusqu'à  ce  que  le  prince  des 
Asturies  lui-même ,  se  présentant  au  milieu  de  la  foule, 
parvint  à  la  calmer  à  force  d'exhortations,  et  en  lui 
promettant  que  l'on  ferait  le  procès  au  favori ,  ce  qui 
donna  aux  gardes  du  corps  le  moyen  de  le  sauver  en 
le  conduisant  dans  leur  quartier,  où  il  arriva  n'ayant 
encore  reçu  que  quelques  légères  blessures. 

«  A  peine  y  était-il  enfermé  que  le  peuple  s'apaisa, 
et  après  avoir  salué  Leurs  Majestés  par  des  acclamations 
réitérées,  il  se  dispersa  entièrement.  Pendant  le  temps 
que  dura  l'émeute,  qui  une  fois  apaisée  ne  se  renou- 


—  153  — 

vêla  pins,  Ton  n'a  pas  entendu  une  seule  voix  s'élever 
contre  Leurs  Majestés  ni  contre  leur  gouvernement,  et 
cela ,  Sire ,  est  un  fait  incontestable  et  de  notoriété 
publique. 

«  Ce  fut  après  le  rétablissement  de  la  plus  profonde 
tranquillité,  ce  jour-là  même,  à  quatre  heures  de 
l'après-midi ,  que  le  roi  Charles  fit  appeler  don  Pedro 
Cevallos ,  son  secrétaire  d'État,  et  que  sans  que  per- 
sonne eût  pensé  à  dire  à  Sa  Majesté  un  seul  mot  pour 
l'engager  à  renoncer  à  la  couronne,  ni  même  qu'une 
telle  idée  fût  venue  à  qui  que  ce  soit,  il  lui  répéta  ce 
qu'il  avait  déjà  dit  souvent  les  années  précédentes  et 
devant  plusieurs  autres  individus  de  sa  cour,  qu'il 
était  fatigué  de  régner,  et  qu'il  soupirait  après  une 
tranquillité  que  l'état  de  sa  santé  lui  rendait  néces- 
saire; il  ajouta  qu'il  voulait  profiter  de  ce  moment 
pour  se  démettre  de  la  couronne  en  faveur  du  Prince 
son  fils  et  son  héritier,  et  ordonna  audit  secrétaire 
d'État  de  rédiger  à  cet  effet  un  décret  dans  la  forme 
usitée  en  pareil  cas ,  et  de  le  lui  apporter  immédiate- 
ment à  signer  :  se  qui  se  fit  dans  la  même  soirée. 
Ensuite  le  roi  Charles  le  communiqua  au  prince  Fer- 
dinand,  en  présence  de  la  famille  royale  et  des  prin- 
cipaux personnages  de  la  Cour,  témoignant  la  plus 
grande  satisfaction  de  ce  qu'il  venait  de  conclure,  et, 
entre  autres  choses ,  dit  au  nonce  du  Pape ,  monsei- 
gneur Gravina,  et  à  l'ambassadeur  de  Russie,  le  comte 
de  Strogonoffy  qu'il  n  avait  jamais  rien  fait  de  meil- 
leur cœur,  ajoutant  pour  preuve,  qu'étant  depuis  long- 
temps, à  cause  de  ses  douleurs  rhumatismales,  hors 
d'état  d'écrire,  la  joie  dans  cette  circonstance  lui  avait 
fait  recouvrer  ses  forces  pour  signer  son  abdication  de  sa 
main;  enfin,  toutes  ses  actions  et  tous  ses  discours  ne 
peuvent  laisser  le  moindre  doute  à  personne ,  sur  la 
liberté  avec  laquelle  cet  acte  a  été  consommé. 


—  154  — 

«  Je  n'en  suis  pas  moins  persuadé  que  dans  les 
pays  étrangers  où  l'on  ignore  l'état  dans  lequel,  à  cette 
époque,  étaient  les  choses  en  Espagne,  l'on  aura  peut- 
être  blâmé  le  prince  Ferdinand  de  n'avoir  point  refusé, 
ou  tout  au  moins  différé  son  adhésion  à  une  abdica- 
tion faite  dans  des  circonstances  si  extraordinaires , 
soit  par  un  effet  de  son  respect  filial,  soit  pour  ne  point 
compromettre  sa  réputation  :  mais  cette  objection  n'en 
est  pas  une  pour  les  personnes  instruites  de  ce  qui  se 
passait  alors ,  et  elles  voient  clairement  que  les  cir- 
constances ne  permettaient  point  au  prince  Ferdinand 
de  balancer  ni  de  différer  d'un  moment  à  accepter 
l'abdication.  En  effet,  le  moindre  retard  entraînait  la 
perte  de  l'Espagne.  La  Reine,  qui  uniquement  occupée 
des  dangers  du  prince  de  la  Paix,  et  des  moyens  de  le 
sauver,  ne  s'était  point  opposée  à  l'abdication,  revenue 
peut-être  à  elle-même  ce  jour-là ,  eût  fait  changer  de 
résolution  à  son  époux  aussi  facilement  qu'elle  l'en- 
gagea ,  après  avoir  consommé  cet  acte ,  à  protester 
contre,  et  à  le  déclarer  arraché  par  la  force.  Quiconque 
connaît  son  caractère  et  sa  prévention  pour  le  prince 
de  la  Paix ,  ne  peut  douter  qu'encouragée  par  cette 
première  démarche ,  elle  n'eût  obtenu  du  malheureux 
Roi  de  lui  rendre  la  liberté  et  de  le  replacer  à  la  tête 
du  gouvernement.  Et  quelles  horribles  conséquences 
n'en  devait-il  point  résulter?  La  haine  déjà  implacable 
du  peuple  pour  le  favori ,  changée  bientôt  en  déses- 
poir, et  tournée  à  la  fin  contre  le  Roi  et  la  Reine,  les 
eût  précipités  du  trône  et  entraînés  dans  le  même 
abîme ,  eux,  leur  famille  et  la  nation  elle-même,  dés- 
ormais détruite  et  anéantie.  Que  Votre  Majesté  juge  à 
présent.  Sire,  si  le  Prince,  par  une  délicatesse  hors 
de  saison,  devait  exposer  son  royaume  à  de  si  terribles 
catastrophes. 

«  V Empereur.  De  quelques  couleurs  que  l'on  veuille 


—  165  — 

peindre  la  révolte  d'Aranjuez  et  ses  suites,  il  faut, 
chanoine,  que  vous  conveniez  que  les  apparences  et 
nommément  la  protestation  du  roi  Charles,  faite  le  jour 
même  de  son  abdication  et  peu  d'instants  après  l'avoir 
signée,  prouvent  aux  yeux  de  tous  ceux  qui  ne  connais- 
sent point  les  dispositions  secrètes  que  vous  attribuez 
au  Roi  et  à  la  Reine  son  épouse,  prouvent,  dis-je ,  à 
toute  l'Europe,  à  l'exception  d'un  petit  nombre  de  vos 
compatriotes  qui  peuvent  en  être  instruits,  que  l'abdi- 
cation ne  fut  ni  libre  ni  volontaire,  mais  forcée,  en  ce 
qu'elle  est  le  résultat  d'une  détermination  prise  par  le 
roi  Charles ,  au  milieu  de  la  consternation  et  de  la 
crainte  que  lui  causait  une  émeute  aussi  effrayante  et 
en  ce  qu'elle  a  été  signée  ce  jour-là  même,  quoique 
le  calme  fût  rétabli  en  apparence.  Il  est  inconcevable 
aussi,  que  dans  un  terme  aussi  court,  il  eût  pu  chan- 
ger de  sentiment  au  point  de  protester  contre  son  ab- 
dication, si  elle  eût  été  volontaire.  Aussi  chacun  la  ju- 
gera arrachée  par  la  crainte  d'un  péril  imminent. 

«  Escoiquiz.  Sire,  je  n'ai  donné  aux  événements  d'A- 
ranjuez d'autres  couleurs  que  celles  de  la  pure  vérité, 
notoire  à  tous  les  Espagnols,  et  qui  sera  connue  avec 
la  même  certitude  par  tous  les  peuples  de  l'Europe , 
s'ils  prennent  la  peine  de  la  chercher  exactement.  Je 
dis  la  même  chose  des  circonstances  qui  accompagnè- 
rent l'abdication  du  roi  Charles.  Par  conséquent,  si 
dans  quelque  pays  étranger,  faute  des  précautions 
nécessaires  pour  trouver  la  vérité,  l'on  en  juge  diffé- 
remment qu'en  Espagne,  ce  sera  une  opinion  fausse 
qui ,  comme  beaucoup  d'autres,  ne  doivent  point  servir 
de  règle.  Le  Roi  ni  aucun  membre  de  sa  famille  n'ayant, 
comme  je  l'ai  déjà  dit,  jamais  couru  le  moindre  dan- 
ger, ce  ne  peut  certainement  point  être  la  crainte  qui 
ait  dicté  son  abdication. 

«  Au  reste,  Sire,  j'avoue  que  le  changement  subit  de 


—  156  — 

résolution  que  fait  voir  sa  protestation  signée  le  même 
jour  (quoique  j'aie  eu  des  raisons  de  la  croire  faite 
deux  jours  plus  tard,  lorsqu'il  l'envoya  à  Votre  Majesté 
Impériale  ) ,  étonnera  sans  doute  tous  ceux  qui  ne  con- 
naissent point  l'incroyable  faiblesse  de  ce  malheureux 
Roi  ;  mais  elle  •  paraîtra  naturelle  aux  personnes  in- 
struites de  son  caractère.  Esclave  de  la  Reine,  dépo- 
sitaire de  sa  confiance,  il  aurait  signé  et  signerait  en- 
core, à  la  moindre  proposition  de  cette  Princesse,  l'acte 
le  plus  contraire  à  ses  propres  opinions,  de  même 
qu'il  signa  sa  protestation  dictée  par  la  Reine,  qui, 
égarée  par  ses  préventions  contre  son  fils  et  par  le 
désir  de  sauver  le  prince  de  la  Paix,  craignait  pour 
lui  la  rigueur  du  jugement  dont  il  était  menacé.  Mais, 
Sire ,  je  parle  ici  d'une  chose  qui  ne  peut  avoir  échappé 
à  une  vue  aussi  pénétrante  que  celle  de  Votre  Majesté, 
non  plus  que  la  faiblesse  étonnante  du  roi  Charles , 
qui  l'a  fait  tomber  dans  tant  d'erreurs  inconcevables, 
et  qui,  j'ose  le  dire,  est  connue  de  tout  l'univers. 

«  V Empereur.  Je  n'ignore  point,  chanoine,  ce  que 
l'on  conte  de  son  peu  de  caractère  ;  mais  il  y  a  dans 
son  abdication,  indépendamment  de  celles  que  j'ai 
déjà  rapportées,  d'autres  circonstances  qui  confirment 
sa  nullité.  Un  acte  comme  celui-là,  qui  demande  de 
longues  réflexions,  qui  doit  être  pesé  d'avance,  et  mû- 
rement par  les  représentants  du  royaume,  qui  doit  se 
faire  avec  le  calme  et  la  solennité  que  demande  son 
importance,  et  dans  le  sein  de  la  plus  grande  tranquil- 
lité, et  qui,  au  contraire,  au  mépris  de  ces  précautions, 
a  été  résolu  et  exécuté  si  promptement  au  milieu  d'une 
sédition,  et  révoqué  par  son  auteur  comme  arraché 
par  la  violence  le  même  jour,  ou,  si  vous  le  voulez, 
deux  jours  après,  ne  paraîtrajamais  libre  et  volontaire 
aux  yeux  des  gens  sensés.  Rappelez-vous  les  exemples 
qu'offre  l'histoire  même  d'Espagne,  soit  de  Charles  F, 


—  15T  — 

soit  de  Philippe  V,  et  vous  verrez  avec  quelle  exacti- 
tude s'observèrent  toutes  les  formalités  que  j'ai  indi- 
quées. Quelle  différence  ne  voit-on  pas  entre  ces  actes 
et  celui  d'Aranjuez? 

«  Escoiquiz.  Je  conviens,  Sire,  qu'ils  diffèrent  sous 
quelque  rapport,  mais  non  de  manière  à  infirmer  la 
valeur  de  celui  de  Charles  IV.  Pour  qu'un  acte  de 
cette  nature  soit  complet,  il  ne  faut  que  la  liberté  de 
celui  qui  le  fait,  et  qu'il  soit  revêtu  des  formalités 
exigées  par  ces  lois  :  ces  deux  conditions  ont  été  ob- 
servées dans  l'abdication  dont  nous  parlons.  Je  crois 
avoir  prouvé  que  le  Roi  était  libre.  Pour  ce  qui  regarde 
la  solennité  de  l'acte,  il  a  été  passé  devant  le  secrétaire 
d'État,  signé  par  le  Roi,  communiqué  suivant  les 
formes  au  Conseil  et  à  toute  la  Cour,  sans  la  moindre 
réclamation  de  la  part  de  Sa  Majesté,  et  avec  ordre  de 
le  faire  connaître  à  tous  ses  sujets  ;  il  n'y  pas  de  loi 
qui  exige  davantage.  Toute  autre  formalité  purement 
accessoire  ne  peut  iniluer  d'aucune  manière  sur  la  va- 
lidité de  l'acte ,  et  dépend  uniquement  de  la  volonté 
de  celui  qui  le  fait  ou  des  circonstances;  l'omission 
dans  le  cas  présent  de  ces  formalités  accessoires  doit 
s'imputer  au  caprice  du  roi  Cliarles  lui-même,  qui  seul 
était  le  maître  de  les  pratiquer  ou  de  les  négliger,  et 
aux  malheureuses  circonstances  dans  lesquelles  sa 
mauvaise  administration  avait  mis  le  royaume,  et  qui 
exigeaient  les  remèdes  les  plus  prompts.  Je  ne  dis  rien 
de  sa  protestation,  puisque  son  abdication  ayant  été 
complète  et  valide,  il  n'avait  pas  le  droit  de  la  rétrac- 
ter, et  celle-là,  conséquemment,  doit  être  considérée 
comme  nulle  et  non  avenue,  et  comme  un  pur  effet 
de  l'inconstance  trop  naturelle  aux  hommes. 

«  Cette  explication  me  paraît  plus  que  snllisanle, 
pour  détruire  toutes  les  difficultés  élevées  sur  la  validité 
de  l'acte  d'abdication;  mais  pour  la  compléter,  je  dois 


—  158  — 

ajouter  que  cette  résolution  du  roi  Charles  ne  doit  point 
être  considérée  comme  prise  inopinément  ni  au  mo- 
ment précis  de  l'émeute  d'Aranjuez,  mais  comme  une 
suite  d'une  disposition  très-ancienne  et  bien  décidée 
du  Roi ,  fondée  sur  le  mauvais  état  de  sa  santé  et  sur 
l'insurmontable  dégoût  qu'il  ressentait  pour  les  affaires . 
Indépendamment  des  preuves  de  cette  disposition,  que 
pendant  les  années  précédentes  il  avait  données  à  ses 
ministres  et  à  d'autres  personnes  de  la  Cour,  ce  fut  elle 
qui  lui  dicta  les  décrets  par  lesquels  il  se  déchargea , 
longtemps  auparavant  sur  le  prince  de  la  Paix,  du 
commandement  de  ses  forces  de  terre  et  de  mer,  et 
par  laquelle  il  lui  donna  le  droit  de  faire  par  lui-même 
la  paix  et  la  guerre,  motivant  toutes  ces  concessions 
sur  le  mauvais  état  et  la  délicatesse  de  sa  santé.  Pour 
tout  dire ,  eu  un  mot ,  l'autorité  dont  il  revêtit  ce  fa- 
vori fut  telle,  qu'il  ne  conserva  que  le  nom  seul  de 
Roi  :  ainsi  la  renonciation  en  faveur  du  Prince  son 
fils  ne  fut  qu'une  répétition  de  celle  faite  auparavant 
entre  les  mains  du  prince  de  la  Paix ,  avec  cette  unique 
différence,  qu'étant  au  profit  de  son  héritier  légitime, 
il  lui  céda  le  titre  avec  l'autorité  de  Roi. 

«  L'Empereur.  Malgré  toutes  vos  réflexions,  chanoine, 
je  m'en  tiendrai  toujours  à  mon  principe,  qu'une  ab- 
dication faite  le  jour  d'une  insurrection  populaire  et 
révoquée  immédiatement  après,  ne  peut  jamais  être 
considérée  comme  légitime.  Mais  laissant  cela  de  côté, 
puis-je  oublier  que  les  intérêts  démon  empire  et  ceux 
de  ma  famille  exigent  que  les  Bourbons  ne  régnent  plus 
en  Espagne?  (En  disant  ces  paroles,  l'Empereur,  de 
la  meilleure  humeur  du  monde,  me  prit  l'oreille,  et  me 
la  tirant  en  badinant,  ajouta)  :  Quand  même  vous  au- 
riez raison,  chanoine,  dans  tout  ce  que  vous  avez  dit, 
je  vous  répéterais ,  mauvaise  polili(jue. 

M  Escoiquiz,  Je  connais,  Sire,  toute  la  force  de  ce 


—  159  — 

mot;  mais  je  me  flatte  encore  de  pouvoir  prouver 
qu'une  politique  solide,  c'est-à-dire  le  véritable  intérêt 
de  Votre  Majesté  et  de  son  empire,  s'oppose  à  cette  dé- 
termination. Je  n'ignore  pas  l'énorme  différence  qu'il 
y  a  entre  mes  faibles  lumières  sur  ces  matières,  et  les 
vastes  et  profondes  connaissances  de  Votre  Majesté 
Impériale  ;  mais  comme  le  caractère  du  roi  Ferdinand, 
celui  de  la  nation  espagnole  et  ses  dispositions  actuelles 
doivent  entrer  pour  beaucoup  dans  le  calcul  nécessaire 
pour  se  déterminer  dans  le  cas  présent,  et  que  j'ai  sur 
ces  objets  des  données  certaines,  qui  à  raison  de  l'éloi- 
gnement  ne  seront  peut-être  point  parvenues  à  Votre 
Majesté ,  il  pourrait  arriver  que  mes  raisons  fissent 
impression  sur  elle,  et  qu'elle  convînt  de  la  solidité  de 
ma  manière  de  penser. 

«  L'Empereur  (  souriant  avec  la  même  bonne  humeur 
et  me  tirant  l'oreille  assez  fortement).  L'on  m'a  beau- 
coup parlé  de  vous,  chanoine,  et  je  vois  en  effet  que 
vous  allez  bien  loin. 

«  Escoiquiz  (souriant  aussi).  J'en  demande  pardon  a 
Votre  Majesté  ;  mais  il  me  paraît  qu'elle  va  beaucoup 
plus  loin  que  moi  :  les  faits  le  disent.  L'avantage  n'est 
assurément  pas  de  mon  côté. 

«  V Empereur  (  après  avoir  beaucoup  ri  ).  Mais  reve- 
nons à  notre  objet.  Il  est  impossible  que  vous  ne  voyiez 
pas,  comme  moi,  que  tant  que  les  Bourbons  régneront 
en  Espagne ,  je  ne  pourrai  compter  sur  une  alliance 
sincère  avec  elle.  Sans  doute  ils  la  feindront  tant  qu'ils 
seront  seuls  ,  parce  que  l'infériorité  de  leurs  forces  ne 
leur  permet  pas  de  me  nuire;  mais  leur  haine  n'at- 
tendra pour  se  réunir  à  mes  ennemis  et  pour  m'atta- 
quer,  que  le  moment  où  ils  me  verraient  occupé  par 
une  guerre  dans  le  Nord ,  chose  à  laquelle  je  suis  ex- 
posé à  chaque  instant  :  et  je  ne  veux  pas  d'autre  preuve 
de  ce  que  je  vous  dis,  que  la  perfidie  avec  laquelle  le 


—  160  — 

même  Charles  /K,  malgré  sa  prétendue  fidélité  à  mon 
alliance,  voulut  me  faire  la  guerre  dans  le  moment  où 
il  me  crut  le  plus  embarrassé  par  celle  de  Prusse ,  peu 
de  jours  avant  la  bataille  d'Iéna ,  et  qu'à  cette  fin  il 
répandit  dans  son  royaume  la  fameuse  proclamation 
que  vous  connaissez ,  destinée  à  armer  tous  ses  sujets 
contre  moi.  Ainsi  donc,  tant  que  les  Bourbons  occu- 
peront ce  trône ,  je  ne  serai  jamais  sans  crainte  de  ce 
côté-là j  car  les  forces  d'Espagne,  toujours  considéra- 
bles ,  pourraient  le  devenir  davantage  sous  le  gouver- 
nement d'un  homme  à  talents,  et  m'incommoder  beau- 
coup. Ne  vous  étonnez  donc  pas  si  je  vous  répète , 
mauvaise  politique. 

«  Escoiquiz.  Que  Votre  Majesté  Impériale  me  permette 
de  l'assurer  que  la  branche  des  Bourbons  d'Espagne , 
dans  les  circonstances  où  elle  se  trouve ,  bien  loin  de 
donner  à  Votre  Majesté  la  moindre  jalousie ,  doit  être 
chaque  jour  plus  fidèle  à  son  alliance  et  plus  utile  au 
système  qu'elle  veut  établir  sur  le  continent  j  et  qu'au 
contraire  rien  ne  peut  lui  être  plus  funeste ,  ainsi  qu'aux 
intérêts  de  sa  maison  et  de  son  empire,  que  de  la  pri- 
ver du  trône. 

«  Et  d'abord  cette  branche  des  Bourbons,  séparée 
depuis  longtemps  des  autres,  ne  peut  avoir  pour  elles 
un  grand  attachement,  fondé  sur  les  liens  d'une  parenté 
déjà  si  éloignée.  Ferdinand  VI  en  donna  une  bonne 
preuve,  par  son  refus  de  contracter  la  moindre  alliance 
avec  celle  qui  régnait  en  France,  non-seulement  il  ne 
la  soutint  point  dans  ses  guerres  avec  la  Prusse  et  l'An- 
gleterre, mais  quoiqu'il  voulût  paraître  observer  la 
plus  exacte  neutralité,  il  n'en  témoigna  pas  moins  tou- 
tefois sans  y  manquer  ouvertement,  sa  préférence  et  sa 
prédilection  pour  les  Anglais,  ennemis  de  la  France. 

«  Si  Charles  III  sou  successeur  changea  de  système, 
et  conclut  avec  la  branche  de  France  le  fameux  pacte 


—  161   — 

de  famille ,  chacun  sait  que  ce  ne  fut  point  par  atta- 
chement pour  elle ,  mais  par  ressentiment  contre  les 
Anglais,  qui  lui  avaient  fait  l'injure  sanglante  de  l'obli- 
ger, par  la  présence  d'une  escadre,  sous  peine  de  voir 
bombarder  Naples ,  où  il  régnait  alors ,  à  retirer  les 
troupes  qu'il  avait  dans  l'armée  de  Philippe  Y  son  père, 
en  lui  fixant  insolemment  le  terme  de  deux  heures  pour 
se  décider;  offense  qu'il  ne  put  jamais  oublier. 

«  Charles  IV  fit,  il  est  vrai,  la  guerre  à  la  France  à 
l'époque  de  la  mort  de  Louis  XVI;  mais  l'eût-il  entre- 
prise, si  l'on  se  fût  contenté  de  détrôner  et  d'exiler  cet 
infortuné  monarque?  Il  n'éclata  en  effet  que  quand  il 
vit  ses  jours  en  danger,  et  même  alors  il  consentait  à 
reconnaître  l'exclusion  donnée  à  cette  dynastie.  Ce  ne 
furent  donc  point  des  considérations  de  parenté,  mais 
son  indignation  contre  un  attentat  qui  menaçait  tous 
les  rois,  qui  lui  mit  les  armes  à  la  main. 

«  Gustave,  roi  de  Suède,  qui  n'avait  rien  de  commun 
avec  les  Bourbons  ,  fit  encore  davantage  ;  il  eût  fallu 
n'être  pas  roi  pour  ne  pas  prendre  le  même  parti  dans 
une  pareille  circonstance.  Cependant,  à  peine  un  gou- 
vernement plus  modéré  eut-il  remplacé  en  France  la 
tyrannie ,  que  Charles  IV  s'empressa ,  non-seulement 
de  faire  la  paix ,  mais  de  resserrer  avec  ce  gouverne- 
ment, son  alliance  précédente,  et  ces  dispositions  ami- 
cales se  sont  accrues  encore,  depuis  que  pour  le  bon- 
heur de  la  France  et  de  l'Europe  entière.  Votre  Majesté 
gouverne  cet  État.  En  effet,  Sire,  l'exil  des  princes 
français,  la  destruction  de  leurs  espérances,  la  perte 
même  du  trône  de  Naples,  enlevé  à  son  frère,  loin 
de  faire  la  moindre  impression  sur  l'esprit  du  roi 
Charles  /F,  n'ont  fait  que  rendre  plus  intime  son  al- 
liance avec  Votre  Majesté  Impériale. 

«  Quant  à  la  proclamation  publiée  à  l'époque  de  la 
bataille  d'Iéna,  sur  laquelle  Votre  Majesté  fonde  ses 
XI  11 


—  162  — 

soupçons  d'une  haine  innée  chez  les  Bourhons  contre 
sa  personne  et  sa  maison,  il  est  certain  que  par  les 
circonstances  qui  raccompagnèrent,  elle  doit  être  con- 
sidérée comme  la  déclaration  de  guerre  la  plus  for- 
melle ;  mais  fut-elle  l'ouvrage  d'un  Bourbon  ^  de  Char- 
les IV?  Votre  Majesté  sait,  aussi  bien  que  moi,  qu'elle 
fut  celui  du  prince  de  la  Paix  y  qui  eut  à  surmonter 
toute  la  répugnance  du  Roi ,  qui  ne  céda  à  ses  sollici- 
tations que  par  une  faiblesse  aussi  incroyable  que  pu- 
blique, et  qu'ainsi  elle  ne  peut  être  citée  comme  preuve 
de  la  haine  du  Roi  contre  Votre  Majesté  et  contre  sa 
famille. 

((  Et  que  pourrai-je  dire  de  l'amitié  de  son  fils  Ferdi- 
nand ^  de  son  attachement,  de  son  estime  et  de  son 
respect  pour  Votre  Majesté  Impériale,  qu'elle  ne  sache 
déjà?  N'étant  encore  que  prince  des  Asturies,  il  en 
donna  une  preuve  bien  forte ,  lorsqu'au  risque  de  sa 
vie ,  il  exposa  à  Votre  Majesté  le  désir  qu'il  avait  de 
s'unir  à  une  Princesse  de  sa  maison.  A  peine  a-t-il 
occupé  le  trône,  qu'il  s'est  empressé  de  renouveler  par 
écrit  la  même  proposition  j  et  non  content  de  cela , 
malgré  la  proposition  des  représentants  de  Votre  Ma- 
jesté à  le  reconnaître  pour  roi,  il  est  venu  solliciter  en 
personne  la  même  faveur,  et  s'est  remis  entre  ses 
mains  avec  une  confiance  filiale.  Nul  soupçon ,  nulle 
crainte  ne  l'ont  retenu  ;  il  avait  une  trop  grande  idée 
de  la  justice  et  de  la  générosité  '  d'un  héros,  objet  de 
son  admiration,  pour  concevoir  la  moindre  défiance. 

«  Quelles  raisons  pourrait  donc  avoir  Votre  Majesté 
Impériale,  pour  craindre  de  sa  part  la  moindre  inimi- 

«  *  Il  faut  remarquer  que  ce  langage  était  indispensable  pour  tirer 
parti  de  cet  homme  vain  et  cruel.  La  vérité  ne  pouvait  arriver  jusqu'à 
son  cœur  qu'à  travers  la  vapeur  des  expressions  les  plus  flatteuses.  J'é- 
tais à  Bayonne,  et  je  parlais  à  un  Attila;  je  n'ai  pas  besoin  d'en  dire 
davantage.  » 


—  163  — 

tié ,  la  plus  légère  aversion  contre  son  auguste  famille 
ou  son  empire ,  dont  l'alliance  est  d'ailleurs ,  et  sous 
tous  les  rapports,  le  premier  besoin  politique  de  l'Es- 
pagne? Et  si  l'union  qu'il  désire  avec  une  Princesse 
impériale ,  vient  à  se  réaliser,  n'appartiendra-t-il  pas 
de  plus  près  à  la  maison  de  son  épouse,  et  ne  tien- 
dra-t-il  pas  davantage  à  ses  intérêts  qu'à  des  parents 
éloignés  qu'il  a  toujours  vus  avec  indifférence?  Ne 
prendra-t-il  pas  alors  tous  les  sentiments  d'un  fils  de 
Votre  Majesté,  et  d'un  prince  de  sa  famille? 

«  L'Empereur.  Allons,  chanoine,  vous  nous  débitez 
dès  contes.  Vous  êtes  trop  instruit  pour  ne  pas  con- 
naître qu'une  femme  est  un  lien  bien  faible  pour  fixer 
la  conduite  d'un  Prince,  et  qu'il  ne  peut  entrer  en  com- 
paraison avec  les  nœuds  du  sang  et  ceux  d'une  origine 
commune.  Et  qui  peut  compter  sur  l'influence  que 
l'épouse  de  Ferdinand  exercera  sur  son  cœur  !  ne  dé- 
pend-elle pas  entièrement  du  hasard  et  des  circon- 
stances? sa  mort  ne  rompra-t-elle  pas  toute  harmonie 
entre  la  maison  de  son  époux  et  la  mienne?  et  quand 
même  elle  serait  parvenue  à  endormir,  pendantsa  vie, 
leur  haine  mutuelle ,  ne  se  réveillera-t-elle  pas  avec 
plus  d'ardeur  dans  cette  circonstance? 

«  Escoiquiz.  Malgré  tout  cela,  je  me  flatte  que  Votre 
Majesté  ne  prendra  point  mes  propositions  pour  des 
contes,  si  elle  daigne  considérer  l'ascendant  que  dans 
le  cas  particulier  qui  intéresse  si  éminemment  le  bien 
de  ses  sujets ,  une  épouse  remplie  de  mérite  et  de  ju- 
gement doit  forcément  exercer  sur  un  Prince  jeune  , 
équitable  et  sensible,  et  quelle  force  elle  puisera  dans 
l'attachement  de  son  époux,  pour  peu  qu'elle  ajoute  à 
ses  grâces  naturelles  un  peu  de  cet  art,  qui  ne  manque 
jamais  à  son  sexe,  surtout  pour  faire  valoir  la  raison. 
Je  le  dis,  Sire,  avec  cette  franchise,  parce  que  je  ne 
parle  point  à  un  Monarque  ordinaire,  auquel  je  pour- 


—  164  -— 

rais,  si  j'étais  capable  d'altérer  la  vérité,  non-seule- 
ment dissimuler  ma  façon  de  penser,  mais  peut-être 
faire  adopter  des  idées  fausses  ;  j'ai  au  contraire  l'hon- 
neur de  traiter  avec  Votre  Majesté  Impériale ,  dont  la 
pénétration  ne  peut  être  mise  en  défaut.  Je  serais  donc 
bien  maladroit  si  tous  mes  discours  ne  respiraient  pas 
la  plus  grande  sincérité,  qui  seule  peut  les  faire  valoir. 

«  Dans  ce  sens,  et  même  dans  la  supposition  que  le 
mariage  projeté  ne  se  réaliserait  point,  la  douceur  et 
le  caractère  pacifique  du  roi  Ferdinand  devraient  suf- 
fire pour  convaincre  Votre  Majesté  que  jamais  ce  Prince 
ne  renoncera  à  une  alliance  qui  lui  assure  la  protec- 
tion de  la  seule  puissance  qui  peut  menacer  son  exis- 
tence politique  ;  alliance  dont  ses  plus  chers  intérêts 
lui  prescrivent  la  religieuse  observation.  Sur  ce  point, 
la  façon  de  penser  de  tous  ceux  qui  entourent  notre 
jeune  Monarque ,  et  dont  Votre  Majesté  doit  être  in- 
formée, doit  confirmer  cette  vérité. 

«  L'Empereur.  Je  sais  que  vous  et  ceux  qui  partagent 
actuellement  sa  confiance,  connaissez  trop  bien  ses 
vrais  intérêts,  pour  lui  inspirer  d'autres  sentiments. 
Mais  vous  figurez-vous  par  hasard,  que  jeune  comme 
il  l'est,  il  vous  conservera  pendant  six  mois  la  même 
confiance?  Ne  vous  laissez  pas  éblouir,  chanoine,  vous 
êtes  trop  honnête  homme.  Le  premier  courtisan  adroit 
le  trompera,  s'emparera  avant  peu  de  toute  sa  faveur, 
TOUS  fera  éloigner  des  affaires,  et  gagné  par  l'Angle- 
terre, lui  fera  adopter  un  système  diamétralement  op- 
posé au  sien.  Non,  non,  je  ne  puis  m'y  fier. 

K  Escoiquiz,  Je  suis  assuré.  Sire,  que  notre  jeune 
Monarque  nous  connaît  trop  bien  pour  nous  retirer 
facilement  sa  confiance. 

«  D'ailleurs ,  son  caractère  quoique  pacifique ,  est 
bien  éloigné  d'être  faible  :  il  a  du  talent  et  de  la  fermeté, 
et  il  en  acquerra  chaque  jour  davantage  par  Texpé- 


—  165  — 

rience;  et  il  faudrait  qu'il  fût  réellement  le  plus  faible 
et  le  plus  inepte  des  hommes,  pour  que,  quand  même 
il  nous  aurait  éloignés  de  sa  personne,  il  se  décidât, 
sur  les  simples  insinuations  d'un  favori,  supposé  qu'il 
en  eût  un,  à  renoncer  à  une  alliance  dont  tous  ses  su- 
jets reconnaissent  les  avantages  incalculables.  Mais  en 
admettant,  ce  dont  je  suis  fort  éloigné,  cette  supposi- 
tion comme  possible ,  ce  ne  serait  jamais  dans  le  cas 
où  il  serait  uni  à  une  Princesse  de  la  maison  de  Votre 
Majesté  Impériale  ;  tous  les  favoris  du  monde  ne  pour- 
raient alors  balancer  un  moment  l'empire  de  son  épouse. 

u  L'Empereur.  Vous  avez  intérêt,  chanoine,  à  vanter 
à  présent  la  force  de  cet  ascendant;  mais  moi  je  n'y 
ai  pas  tant  de  confiance. 

a  Escoiquiz.  Sire,  vous  n'y  croyez  pas  autant,  per- 
mettez-moi de  le  dire  à  Votre  Majesté ,  parce  qu'elle 
juge  le  caractère  des  autres  Princes  d'après  le  sien  , 
qui  est  une  exception  à  la  règle,  puisqu'il  ne  cède  ja- 
mais àd'autre  impulsion  qu'à  celle  de  son  propre  génie. 

«  L'Empereur,  Allons,  chanoine,  vous  ne  faites  que 
bâtir  des  châteaux  en  l'air.  Pourrai-je  jamais  être  aussi 
sûr  de  l'Espagne  sous  le  gouvernement  des  Bourbons^ 
que  sous  celui  d'un  prince  de  ma  famille?  Celui-ci 
pourrait  peut-être  avoir  quelque  brouillerie  avec  moi 
ou  avec  mes  successeurs,  mais  ne  sera  jamais  un 
ennemi  de  ma  maison,  jamais  n'en  désirera  la  ruine, 
comme  les  Bourbons,  et  la  défendra  au  contraire  toutes 
les  fois  que  son  existence  sera  menacée. 

u  Escoiquiz.  En  un  mot,  Sire,  sans  répéter  les  motifs 
de  confiance  que  j'ai  détaillés,  tant  que  Votre  Majesté 
vivra,  elle  n'a  pas  besoin  d'autre  garant  de  la  fidé- 
lité de  l'Espagne,  soit  qu'elle  obéisse  à  un  Bourbon , 
soit  qu'elle  soit  gouvernée  par  un  Prince  de  sa  maison, 
que  la  seule  prépondérance  de  ses  talents  et  de  ses 
forces.  Quant  aux  successeurs  de  Votre  Majesté,  si,  ce 


—  166  — 

qui  me  paraît  difficile,  ils  héritent  de  son  génie  aussi 
bien  que  de  ses  vastes  États ,  ils  auront  les  mêmes 
motifs  de  sécurité  j  et  dans  le  cas  contraire  ,  le  péril 
d'être  attaqué  par  l'Espagne  sera  le  même,  soit  qu'il 
y  règne  un  Bourbon  ou  un  Prince  de  la  famille  impé- 
riale; car,  comme  l'histoire  nous  le  montre  à  chaque 
page ,  les  liens  du  sang  n'engagent  à  rien  les  souve- 
rains :  le  moindre  intérêt,  la  plus  petite  ambition,  le 
caprice  d'un  ministre  en  crédit,  celui  d'un  favori,  un 
engagement  avec  une  autre  famille ,  suffisent  pour 
changer  en  ennemis  irréconciliables  les  plus  proches 
parents. 

u  Mais,  laissant  ces  choses  comme  trop  obscures,  je 
demande  à  Votre  Majesté  la  permission  de  revenir  aux 
probabilités  que  nous  offre  le  présent ,  les  seules  que 
les  hommes  doivent  consulter  de  préférence,  et  que  je 
lui  expose ,  comme  je  l'ai  proposé  ,  les  funestes  con- 
séquences qu'entraînerait  pour  Votre  Majesté  et  pour 
son  empire  un  changement  de  dynastie  en  Espagne. 

«  Toute  l'Europe,  les  yeux  fixés  sur  Bayonne,  attend 
l'issue  du  voyage  du  roi  Ferdinand.  Si  Votre  Majesté , 
dans  cette  circonstance,  ne  prend  conseil  que  de  son 
cœur  noble  et  magnanime ,  je  suis  sûr  que  tous  les 
peuples  lui  rendront  justice,  et  applaudiront  à  sa  gé- 
nérosité. Les  puissances  ennemies  de  Votre  Majesté  ou , 
envieuses  de  sa  gloire,  seront  forcées  d'avouer  qu'elle 
est  aussi  juste  avec  ses  alliés  que  terrible  pour  ses 
adversaires.  Cette  preuve  de  modération  diminuera 
leur  jalousie ,  refroidira  leur  haine ,  dissipera  les 
craintes  de  perdre  leur  indépendance,  craintes  semées 
par  l'Angleterre,  et  déjouera  les  intrigues  de  cette  im- 
placable ennemie,  dont  l'unique  but  est  de  former 
une  nouvelle  coalition  contre  Votre  Majesté. 

«  Quant  à  la  nation  espagnole,  qui  adore  son  jeuee 
monarque,  qui  attend  son  retour  avec  une  impatience 


—  167  — 

incalculable,  qui  se  flatte  que  Votre  Majesté  sera  son 
appui ,  et  qu'elle  lui  tiendra  lieu  des  parents  qu'il  n'a 
jamais  connus  que  par  leur  haine  injuste  et  contre 
nature,  qui  nourrit  enfin  la  douce  espérance  de  voir 
assurer  pour  toujours,  par  le  mariage  de  ce  Prince 
chéri ,  une  étroite  alliance  entre  les  deux  peuples ,  il 
est  impossible  de  peindre  la  joie  qu'elle  éprouverait 
de  le  recevoir  des  mains  de  Votre  Majesté  Impériale. 

«  Votre  nom.  Sire,  sera  gravé  dans  le  cœur  de  tous 
les  Espagnols,  comme  celui  du  sauveur  de  la  monar- 
chie; ils  ne  sauront  que  faire  pour  vous  prouver  leur 
vive  reconnaissance.  Si  Votre  Majesté,  comme  elle  l'a 
fait  espérer,  honore  de  sa  présence  la  capitale ,  en  y 
ramenant  le  jeune  Roi ,  toute  la  nation  la  recevra  à 
genoux,  la  bénira  et  conservera  un  souvenir  éternel 
de  ses  bienfaits;  et  quand  même  le  roi  Ferdinand^ 
attaché  par  tant  de  nœuds  et  surtout  par  ceux  de  la 
reconnaissance  à  Votre  Majesté  Impériale ,  voudrait 
jamais  les  rompre,  l'horreur  qu'un  tel  projet  inspire- 
rait à  tous  les  Espagnols  le  forcerait  bientôt  à  y  re- 
noncer; mais  c'est  une  supposition  que  le  caractère 
loyal  du  Roi  ne  permet  pas  d'admettre.  Ferdinand  et 
ses  sujets,  amis  inséparables  de  Votre  Majesté,  la  défen- 
dront à  l'envide  toutes  leurs  forces  contre  ses  ennemis. 
Aussi  intéressés  que  les  Français  à  abattre  l'orgueil 
des  tyrans  des  mers,  les  richesses  des  Indes  et  la  ma- 
rine respectable  qu'ils  pourront  augmenter  rapide- 
ment, étant  désormais  sûrs  de  l'unique  puissance  qui 
les  puisse  attaquer  par  terre,  les  rendront  pour  Votre 
Majesté  les  alliés  les  plus  utiles,  et  lui  donneront  les 
moyens  de  mettre  l'Angleterre  à  la  raison.  Quelle  gloire 
donc  et  quelle  utilité  Votre  Majesté  ne  trouvera-t-elle 
pas  dans  une  conduite  aussi  conforme  à  la  véritable 
pelitique  qu'aux  nobles  inclinations  de  son  cœur? 

«  Si  au  contraire  Votre  Majesté  insiste  sur  le  change- 


—  168  — 

ment  de  dynastie,  elle  portera  à  son  comble  la  jalousie 
et  la  haine  des  puissances  même  les  plus  indifférentes. 
Leur  défiance  et  leur  crainte  de  perdre  leur  propre 
indépendance,  éveillées  par  un  exemple  aussi  terrible 
contre  l'allié  le  plus  fidèle  ,  donneront  de  nouvelles  et 
de  plus  puissantes  armes  à  l'Angleterre  pour  les  réunir 
contre  "Votre  Majesté ,  et  rendre  la  guerre  intermi- 
nable. 

((  Et  que  dirai-je  des  Espagnols?...  N'en  doutez  pas, 
Sire,  ils  vous  jureront  une  haine  éternelle,  qu'ils  con- 
serveront pendant  des  siècles  contre  la  maison  de 
Votre  Majesté  et  contre  la  France.  Je  parle  par  expé- 
rience, Sire;  quoiqu'il  se  soit  passé  cent  ans  depuis 
la  guerre  de  la  succession  sous  Philippe  F,  le  ressenti- 
ment des  provinces  d'Aragon  ,  de  Catalogne  et  de  Va- 
lence, contre  sa  dynastie,  contre  la  France  et  contre 
les  Castillans  eux-mêmes  qui  avaient  défendu  ses 
droits,  ne  s'est  vraiment  calmé  qu'à  l'époque  du  cou- 
ronnement de  Ferdinand  :  l'horreur  qu'avait  récem- 
ment inspirée  la  tyrannie  du  prince  de  la  Paix,  et  les 
espérances  de  bonheur  que  leur  donnait  le  caractère 
du  nouveau  Roi,  ont  seules  été  capables  de  les  réunir 
sincèrement  au  reste  des  Espagnols  ,  et  de  vaincre 
leurs  préventions  contre  la  famille  régnante  ;  car  jus- 
qu'à ce  moment,  il  ne  leur  a  manqué  qu'une  occasion 
pour  lever  contre  elle  l'étendard  de  la  révolte. 

«  Et  après  tout,  quelle  différence  entre  cette  époque, 
où  il  s'agissait  de  prendre  parti  entre  deux  Princes 
dont  les  droits  étaient  douteux  et  qui  partageaient  tous 
les  esprits ,  et  le  cas  présent,  où  il  ne  peut  y  avoir  le 
moindre  doute ,  où  ils  ont  un  Roi  qu'ils  adorent ,  et 
que  la  force  seule  pourra  leur  en  faire  reconnaître  un 
autre?  Non  ,  ce  ne  serait  qu'après  l'extermination  to- 
tale des  Espagnols  que  celui-ci  pourrait  monter  sur 
le  trône. 


—  ir.9  — 

((  VEmpereiir.  Chanoine ,  vous  vous  appesantissez 
beaucoup  sur  les  difïicultés.  Je  ne  crains  rien  de  la 
seule  puissance  qui  pourrait  me  donner  quelque  in- 
quiétude. L'empereur  de  Russie  ,   auquel  je  fis  part, 
lors  de  notre  entrevue  de  Tilsitt ,  de  mes  projets  sur 
l'Espagne,  qui  datent  de  cette  époque,  les  approuva, 
et  me  donna  sa  parole  de  n'en  point  contrarier  l'exé- 
cution. Quant  aux  autres  puissances,  elles  se  garderont 
bien  de  remuer,  et  vos  Espagnols  feront  peu  ou  point 
de  résistance.  D'abord ,  tous  les  grands  ainsi  que  les 
gens  riches  non-seulement  resteront  tranquilles,  dans 
la  crainte  de  perdre  leurs  propriétés,   mais  encore 
useront  de  tout  leur  crédit  sur  le  peuple  pour  le  calmer. 
Bien  plus,  le  clergé  et  les  moines,  que  je  rendrai  res- 
ponsables du  moindre  désordre,  emploieront  leur  in- 
fluence pour  le  même  objet.  Il  ne  reste  donc  à  craindre 
que  quelques  émeutes  de  la  populace;  mais  des  puni- 
tions sévères  les  feront  bientôt  rentrer  dans  le  devoir. 
Croyez  qu'il  est  très-facile  de  soumettre  les  pays  où  il 
y  a  beaucoup  de  moines  ;  j'en  ai  déjà  fait  l'expérience. 
Les  Espagnols  eux-mêmes  en  seront  un  nouvel  exem- 
ple, surtout  quand  ils  verront  que  je  leur  garantis  l'inté- 
grité et  l'indépendance  de  la  monarchie;   que  je  leur 
donne  une  Constitution  plus  libre  et  plus  raisonnable, 
et  que  je  leur  promets  la  conservation  de  leur  religion 
et  de  leurs  coutumes. 

«  Escoiquiz.  Je  respecte,  Sire,  les  opinions  de  Votre 
Majesté  Impériale  ;  je  reconnais  le  néant  de  mes  lu- 
mières et  de  mes  connaissances  politiques.  Mais  Votre 
Majesté  Impériale  daignera  me  pardonner  si,  instruit 
à  fond  du  caractère  de  mes  concitoyens,  je  me  hasarde 
à  lui  dire  que  je  crois  que  les  grands ,  les  riches  ,  les 
ecclésiastiques  et  les  moines  donneront  au  peuple 
l'exemple  des  plus  grands  sacrifices  et  du  plus  vif  en- 
thousiasme pour  leur  roi  Ferdinand  y  et  que  toute  la 


—  170  — 

nation  en  masse  se  lèvera  avec  une  ardeur  et  une  cqn- 
stance  invincibles  pour  repousser  tout  autre  souverain 
que  l'on  voudrait  lui  donner. 

«  L'Empereur.  Quand  tout  cela  arriverait ,  quand  je 
devrais  sacrifier  deux  cent  mille  hommes,  je  n'en  par- 
viendrai pas  moins  à  mes  fins,  et  je  suis  bien  éloigné 
de  croire  que  la  conquête  d'Espagne  puisse  coûter 
autant, 

«  Escoiquiz.  Mon  opinion  ne  doit  être  comptée  pour 
rien  à  côté  de  celle  de  Votre  Majesté;  je  conviens 
que  dans  le  premier  moment,  vos  troupes  sont  prêtes 
et  maîtresses  de  Madrid  et  des  places  frontières,  tandis 
que  les  Espagnols  n'ont  ni  soldats,  ni  argent,  ni  pro- 
visions de  guerre,  ni  même  un  point  de  réunion,  ni 
autorité  qui  les  dirige  ;  eh  bien  !  ils  éprouveront  des 
revers,  ils  seront  battus,  ils  souffriront  beaucoup; 
mais  tout  cela,  loin  de  les  subjuguer,  les  aigrira;  la 
fureur  leur  donnera  des  armes,  le  désespoir  les  réunira 
et  leur  fera  sentir  la  nécessité  d'adopter  un  système 
énergique  de  gouvernement  :  le  Portugal  fera  cause 
commune  avec  eux;  l'Angleterre  l'épuisera pour  sou- 
tenir une  guerre  si  utile  à  ses  vues  :  l'aspérité  du  sol 
offrira  aux  Espagnols  les  plus  fortes  positions  :  sept 
cents  lieues  de  côtes  les  mettront  à  même  de  recevoir, 
sur  tous  les  points ,  toutes  les  provisions  et  tous  les 
secours  dont  ils  pourront  avoir  besoin ,  soit  de  leurs 
riches  colonies  qui  leur  prodigueront  leurs  trésors, 
soitde  l'Angleterre  :  une  population  de  quatorze  millions 
d'âmes,  y  compris  celle  du  Portugal,  fournira  autant 
d'hommes  que  l'on  voudra.  Les  Français,  au  contraire, 
privés  des  secours  de  la  mer,  dans  un  pays  vaste,  mal- 
sain pour  eux  et  peu  abondant  en  vivres,  seront  réduits 
à  faire  venir,  par  terre,  leurs  provisions  de  leur  propre 
patrie ,  à  travers  une  contrée  semée  d'ennemis  et  de 
partis  innombrables  qui  leur  opposeront  partout  des 


—  471  — 

obstacles  presque  insurmontables;  et  quand  même  ils 
obtiendraient  sur  eux  des  avantages  partiels,  ils  n'en 
périront  pas  moins  en  détail,  et  seront  à  la  fin  forcés 
de  renoncer  à  l'entreprise. 

«  Mais  je  veux  accorder,  qu'après  la  guerre  la  plus 
sanglante  et  la  plus  dévastatrice,  ils  réussissent  à 
mettre  l'Espagee  à  leurs  pieds;  jamais  la  nouvelle  dy- 
nastie ne  se  verra  tranquille  sur  son  trône  ;  elle  sera 
sur  un  volcan  dont  la  force  pourra  seule  retarder  l'ex- 
plosion. Votre  Majesté  Impériale  sera  forcée  d'entre- 
tenir toujours  deux  ou  trois  cent  mille  bommes  dans 
les  provinces  pour  les  contenir.  Le  nouveau  Roi  ne 
régnera  que  sur  un  monceau  de  ruines  et  de  cadavres, 
sur  les  tristes  restes  d'un  peuple  désespéré  et  digne 
d'un  meilleur  sort,  enfin  sur  des  esclaves  furieux , 
prompts,  à  la  moindre  occasion,  à  rompre  leurs  chaî- 
nes. Et  cette  occasion  ne  peut  leur  manquer  un  peu 
plus  tôt,  un  peu  plus  tard  :  les  Anglais  et  les  autres 
puissances,  jalouses  de  la  France,  la  leur  offriront 
bientôt.  Cette  guerre  sera  une  hydre  toujours  renais- 
sante, et  quand  même  l'Espagne  ne  parviendrait  point 
à  secouer  le  joug  de  Votre  Majesté,  elle  sera  peut-être, 
par  la  suite  et  sous  ses  successeurs ,  la  cause  de  la 
destruction  de  sa  maison. 

«  Mais  en  supposant,  contre  ma  propre  conviction, 
que  l'Espagne  soit  soumise  et  tranquille,  qu'elle  se 
résigne  et  qu'elle  s'accoutume  à  une  domination  étran- 
gère ,  de  quelle  utilité  serait  son  alliance  pour  Votre 
Majesté  et  pour  son  empire?  Ruinée,  dépeuplée,  ré- 
duite à  la  plus  grande  misère ,  privée  de  ses  immenses 
colonies ,  et  par  conséquent  de  ses  richesses  et  de  sa 
marine,  elle  serait  pour  la  France  une  charge  d'autant 
plus  incommode  que  l'immense  étendue  de  ses  côtes 
l'expose  à  de  fréquentes  invasions  de  la  part  des  Anglais. 

«  VEmpereur.  Vous  allez  trop  vite,  chanoine;  voua 


—  172  — 

regardez  comme  infaillible  que  l'Espagne  perde  ses 
colonies,  et  j'ai  au  contraire  les  espérances  les  mieux 
fondées  de  les  conserver.  Ne  croyez  pas  que  je  me  sois 
endormi,  je  me  suis  ménagé  des  intelligences  avec 
l'Amérique  espagnole;  j'ai  envoyé  d'avance,  pour  les 
cultiver,  plusieurs  frégates  sur  les  côtes,  et  j'attends 
tout  de  ces  mesures. 

((  Escoiquiz.  Je  connais  trop  la  faible  portée  de  mes 
lumières.  Sire,  pour  me  hasardera  contredire  ces  es- 
pérances :  il  est  possible  que  le  temps  m'en  démontre 
la  solidité  ;  cependant  les  données  que  j'ai  sur  la  dis- 
position des  esprits  dans  nos  colonies,  ne  me  permet- 
tent pas  de  douter  qu'elles  ne  se  séparent  de  la  métro- 
pole avant  de  reconnaître  une  nouvelle  dynastie  :  je 
dis  plus,  sous  le  règne  même  de  Ferdinand ,  le  moindre 
mécontentement  suffirait  pour  rompre  une  union  qui 
ne  tient  plus  qu'aux  faibles  liens  de  l'habitude.  Est-il 
donc  vraisemblable  qu'elle  subsisterait  après  l'entier 
bouleversement  des  idées,  et,  si  vous  le  voulez,  des 
préjugés  de  ses  habitants  ? 

«  Votre  Majesté  me  pardonnera ,  Sire,  si ,  fort  de  la 
liberté  qu'elle  a  daigné  m'accorder  de  lui  parler  sans 
déguisement,  je  me  hasarde  à  dire,  que  je  suis  si  sûr 
que  l'effet  infaillible  du  changement  d^  dynastie  serait 
la  défection  de  nos  colonies ,  et  que  je  parierais  tout 
ce  que  j'ai  de  plus  précieux  au  monde,  en  faveur  de 
ce  fatal  résultat. 

«  Et  quels  seront  les  effets  de  cette  séparation?  L'Es- 
pagne, qui  ne  fait  de  commerce  actif  qu'avec  ses  colo- 
nies, desquelles  elle  tire  aussi  presque  toutes  ses  pro- 
visions navales ,  restera  sans  marine  marchande  ni 
militaire,  et  par  conséquent  celle  de  France,  son  alliée, 
se  trouvera  affaiblie  d'autant  contre  les  Anglais.  La 
France  en  outre  perdrait  la  part  immense  du  commerce 
qu'elle  fait  avec  ses  colonies,  à  raison  des  privilèges 


—  173  — 

que  son  amitié  avec  l'Espagne  lui  avait  fait  accorder, 
et  qui  pourraient  être  augmentés  encore  sous  le  règne 
de  Ferdinand. 

«  Toute  l'Europe ,  dont  le  numéraire  s'est  merveil- 
leusementaccrudepuisl'établissement  de  nos  colonies 
par  l'importation  de  leurs  riches  métaux,  le  verra,  dans 
peu  d'années,  diminuer  dans  la  même  proportion;  elle 
sera  en  même  temps  privée ,  comme  elle  l'est  déjà  en 
grande  partie,  des  productions  de  l'Asie,  de  celles  de 
l'Amérique  dont  elle  ne  peut  pas  se  passer,  ou  sera 
forcée  de  les  payer  au  prix  que  le  caprice  des  Anglais 
y  voudra  mettre. 

«  Que  dire  de  l'Angleterre?  Elle  regardera  le  chan- 
gement de  dynastie  en  Espagne  comme  l'événement  le 
plus  heureux  qui  lui  soit  arrivé  depuis  son  établisse- 
ment en  corps  de  nation  :  maîtresse  de  la  mer,  elle  le 
sera  aussi  de  tout  le  commerce,  et  par  conséquent  de 
l'or,  de  l'argent  et  des  productions  de  l'Amérique;  sa 
population,  ses  richesses,  sa  marine,  prendront  un 
accroissement  incalculable;  ses  trésors,  d'autant  plus 
considérables  que  le  numéraire  sera  plus  rare  dans  le 
reste  de  l'Europe,  la  mettront  à  même  d'acheter  et 
d'armer  les  autres  nations  contre  Votre  Majesté,  et 
même  de  lui  susciter  les  troubles  domestiques  les  plus 
dangereux.  L'argent  est  le  mobile  le  plus  puissant;  et 
peut-on  deviner  les  résultats  que  pourraient  avoir  de 
pareils  efforts? 

«  V Empereur.  Outre  que,  comme  je  vous  l'ai  déjà  dit, 
chanoine ,  vous  allez  beaucoup  trop  vite  dans  vos  cal- 
culs, je  ne  suis  point  d'accord  avec  vous  sur  les  prin- 
cipes qui  leur  servent  de  base  :  je  n'ai  rien  à  vous 
dire,  si  ce  n'est  que  je  réfléchirai  encore  sur  ces  ma- 
tières ,  et  que  demain  je  vous  ferai  connaître  ma  dé- 
termination irrévocable. 

«  Escoiquiz.  J'espère,  Sire,  de  la  générosité  et  de  la 


—  174  — 

profonde  sagesse  de  Votre  Majesté,  que  sa  décision 
sera  favorable  à  mon  Roi  et  à  ma  patrie.  » 

(c  Voilà,  à  de  très-faibles  différences  près,  dans  l'or- 
dre de  la  conversation ,  ce  qui  se  passa  dans  la  pre- 
mière conférence. 

«  Le  jour  suivant  je  fus  appelé  de  nouveau  auprès  de 
l'Empereur,  qui  débuta  par  me  dire  qu'il  avait  enfin 
irrévocablement  pris  la  résolution  de  changer  la  dy- 
nastie en  Espagne  ,  qu'en  conséquence  j'en  fisse  part 
au  prince  Ferdinand,  et  que  celui-ci  répondît  catégo- 
riquement et  avant  l'arrivée  du  roi  Charles  son  père, 
s'il  acceptait  l'échange  de  ses  droits  sur  l'Espagne 
contre  la  couronne  de  Toscane;  que,  dans  ce  cas,  le 
traité  se  ferait  immédiatement  et  avec  la  plus  grande 
solennité;  que  si  Son  Altesse  Royale  refusait  d'accéder 
à  ces  propositions  ,  elle  n'y  gagnerait  rien  ,  puisque 
Sa  Majesté  Impériale  obtiendrait  la  même  cession  du 
Roi  son  père;  que  la  Toscane  resterait  réunie  à  la 
France,  et  que  le  Prince  se  trouverait  sans  indemnités. 

i<  Désespéré  dé  voir  toute  espérance  évanouie,  je  n'en 
reproduisis  pas  moins,  sous  un  nouveau  point  de  vue 
et  avec  toute  l'énergie  dont  je  fus  capable,  les  raisons 
les  plus  fortes  que  j'avais  déjà  développées,  pour  es- 
sayer de  le  faire  changer  de  système  ;  mais  voyant 
tous  mes  efforts  inutiles,  je  lui  dis  : 

«  Sire,  la  résolution  de  Votre  Majesté  est  d'autant  plus 
douloureuse  pour  moi ,  qu'avec  le  malheur  de  mon  Roi 
et  de  ma  patrie,  j'ai  encore  à  pleurer  la  perte  de  ma 
réputation  et  de  celle  de  tous  ceux  qui  entouraient  le 
roi  Ferdinand  lorsqu'il  s'est  décidé  à  venir  ici.  L'on 
nous  en  rendra  responsables ,  et  moi  surtout ,  à  qui 
l'on  suppose  plus  d'empire  sur  son  esprit;  et  quoique 
mon  caractère  soit  trop  connu  pouf  que  le  public  ju- 
dicieux puisse  m'accuser  de  trahison,  je  n'en  serai  pas 
moins  regardé  comme  le  plus  aveugle  et  le  plus  impru- 


—  175  — 

dent  des  hommes  ;  quand  même  l'on  finirait  par  sa- 
voir qu'avant  même  que  nous  fussions  décidés  à  lui 
donner  un  pareil  conseil ,  le  Roi ,  pressé  par  les  in- 
stances de  l'ambassadeur  de  Votre  Majesté ,  lui  avait 
donné  sa  parole  sans  nous  avoir  consultés,  et  même 
avait  fixé  le  jour  de  son  départ,  l'on  nous  reprochera 
toujours,  pour  le  moins,  de  ne  l'avoir  pas  fait  changer 
de  résolution. 

f(  L'Empereur.  Malgré  cela,  chanoine,  vous  n'avez  pas 
de  motifs  de  vous  affliger  :  ni  vous  ni  ceux  qui  se  trou- 
Vent  dans  le  même  cas  ne  pouviez  avoir  le  moindre 
soupçon  de  mes  intentions,  que  personne  ne  connais- 
sait, et  contre  lesquelles  il  y  avait,  en  apparence,  les 
plus  fortes  raisons  politiques  et  les  données  les  plus 
propres  à  vous  tranquilliser  :  telles  sont  les  raisons 
que  vous  m'avez  exposées. 

c<  Escoiquiz.  Cela  n'est  pas  douteux,  Sire;  mais  le 
peuple,  qui  ne  juge  jamais  d'après  des  données  qu'il 
ignore,  ou  des  maximes  politiques  hors  de  sa  portée, 
qui  suit  son  inclination  naturelle  à  croire  tout  ce  qu'il 
y  a  de  pis ,  et  qui  malheureusement  dans  cette  cir- 
constance a  rencontré  juste ,  ne  nous  pardonnera  ja- 
mais d'avoir  laissé  le  Roi  venir  à  Rayonne. 

((  L'Empereur.  Et  dans  les  circonstances  dans  les- 
quelles vous  vous  trouviez,  quel  autre  parti  pouviez- 
vous  prendre  que  celui  de  venir  à  Rayonne? 

«  Escoiquiz.  Je  sais  bien.  Sire,  que  par  l'inconceva- 
ble conduite  du  prince  de  la  Paix,  les  places  et  les  pro- 
vinces frontières  étant  au  pouvoir  de  Votre  Majesté 
Impériale,  la  capitale  entourée  de  soixante  mille  hommes 
de  vos  troupes,  qui  pouvaient  la  détruire  dans  un 
instant,  les  dispositions  connues  du  roi  Charles  et  de 
la  Reine  de  soutenir  de  leur  nom  et  de  leur  autorité 
vos  entreprises  ,  tout  faisait  voir  que  le  jeune  Roi  était 
à  la  disposition  de  Votre  Majesté,  qui  pouvait  le  faire 


—  176  ■— 

venir  ici  sans  qu'aucune  résistance  fut  possible.  Mais 
qui  pourra  persuader  cette  vérité  à  la  majorité  du 
public,  qui  se  compose  d'ignorants,  de  malintentionnés 
et  de  têtes  chaudes  ?  Qui  pourra  lui  faire  perdre  l'idée, 
toute  absurde  qu'elle  est ,  que  la  faible  garnison  qui 
était  alors  à  Madrid,  réunie  à  une  populace  désarmée, 
suffisait,  non-seulement  pour  défendre  le  Roi,  mais 
même  pour  exterminer  l'armée  française?  Et  ce 
qui  est  incroyable,  c'est  que  cette  ridicule  confiance, 
cette  extravagante  opinion ,  non-seulement  séduisirent 
alors  le  peuple  de  Madrid,  mais  encore  la  plus  grande 
partie  des  membres  du  Conseil  secret  du  Roi,  ce  qui 
mit  un  obstacle  invincible  à  l'exécution  du  seul  moyen 
(dans  le  cas  où  l'on  eût  voulu  l'employer)  qui  pût 
mettre  en  liberté  le  roi  Ferdinand.  Ce  projet,  d'un 
autre  côté,  faisait  craindre  des  suites  si  épouvanta- 
bles ,  qu'il  était  impossible  que  nous  l'adoptassions , 
à  moins  d'avoir  eu  la  certitude  du  projet  de  Votre  Ma- 
jesté de  détrôner  le  Roi ,  et  malheureusement  nous 
avions  les  plus  fortes  raisons  pour  croire  le  contraire. 

'(  L'Empereur.  Et  quel  était  ce  moyen ,  chanoine  ? 

u  Escoiquiz.  Celui  de  faire  échapper  secrètement  le 
jeune  Roi. 

«  V Empereur.  Et  oii  l'auriez-vous  conduit? 

«  Escoiquiz.  A  Algésiras,  Sire,  où  nous  avions  déjà 
quelques  troupes,  et  où  nous  étions  très- près  de 
Gibraltar. 

«  L'Empereur.  Ensuite, qu'auriez-vous  fait? 

«  Escoiquiz.  Toujours  constants  dans  la  maxime  de 
conserver  avec  Votre  Majesté  une  alliance  étroite,  mais 
honorable,  nous  vous  eussions  proposé  de  la  continuer, 
sous  la  condition  précise  de  nous  rendre  sans  délai  nos 
places  frontières,  et  de  retirer  de  l'Espagne  toutes  les 
troupes  françaises  ;  et  si  Votre  Majesté  eût  refusé  ces 
conditions,  nous  lui  eussions  fait  la  guerre  de  tous 


—  177  — 

nos  moyens  et  jusqu'à  la  dernière  extrémité.  Tel  eût 
été  mon  avis  dans  le  cas  où,  de  quelque  manière,  nous 
fussions  parvenus  à  connaître  les  intentions  véritables 
de  Votre  Majesté. 

u  L'Empereur.  Vous  avez  raison,  et  c'est  effectivement 
tout  ce  qu'il  y  avait  à  faire. 

t(  Escoiquiz.  Ah!  Sire,  si  nous  avions  eu  quelques 
mois  devant  nous,  si  les  événements  d'Aranjuez  fus- 
sent arrivés  avant  l'entrée  des  troupes  de  Votre  Ma- 
jesté en  Espagne ,  et  avant  que  ce  misérable  prince 
de  la  Paix  eût  eu  l'inexplicable  condescendance  de 
leur  livrer  nos  places  frontières ,  nous  serions  exempts 
des  malheurs  qui  nous  affligent!  Votre  Majesté  aurait 
trouvé  dans  notre  jeune  Roi  un  allié  fidèle  et  utile; 
ou,  dans  le  cas  où  elle  aurait  voulu  exécuter  son  plan 
actuel,  nous  avions  assez  de  forces ,  sinon  pour  enva- 
hir les  provinces  de  Votre  Majesté ,  du  moins  pour 
défendre  les  nôtres;  mais  ce  vil,  ce  perfide  favori.... 
Excusez,  Sire,  si  je  lui  donne  les  épithètes  qu'il 
mérite.... 

a  V  Empereur  (en  m'interrompant).Mais  vous  donnez 
de  lui  une  idée  qui  n'est  pas  juste;  il  ne  s'est  pas  si 
mal  conduit  dans  son  administration. 

«  Escoiquiz.  Ah!  Sire,  que  je  m'estimerais  heureux 
d'avoir  une  conférence  avec  lui  sous  les  yeux  de  Votre 
Majesté  ;  c'est  alors  qu'elle  verrait  la  vérité  confondre 
l'imposture  !  elle  connaîtrait  toutes  les  fautes  de  ce 
malheureux;  elle  le  verrait  pâle  et  muet  en  présence 
d'un  accusateur  qu'il  ne  pourrait  tromper. 

((  Je  sais  bien  cependant  que  la  pénétration  de  Votre 
Majesté  n'a  pas  besoin  de  pareilles  preuves  pour  con- 
naître son  caractère ,  celui  du  Roi  père  et  de  la  Reine, 
de  la  bonté  desquels  il  a  abusé;  et  je  n'ai  jamais  pu  me 
persuader  que  dans  le  fond  de  son  cœur  >'otre  Majesté 
pût  l'estimer,  ni  méconnaître  l'innocence  du  prince 
XI  12 


—  178  — 

Ferdinand  :  supposer  d'autres  sentiments  à  Votre 
Majesté,  ce  serait  lui  faire  injure,  quoique  la  puissante 
raison  d'État  l'empêche  de  les  manifester  dans  sa 
conduite. 

«  L'Empereur  (souriant).  Sans  convenir  précisément 
de  tout  ce  que  vous  avancez,  je  sais  ce  que  sont  les 
femmes  et  les  favoris  ;  mais  enfin  la  loi  suprême  des 
souverains ,  le  bien  de  l'État  m'imposent  l'obligation 
de  faire  ce  que  je  fais. 

«  Escoiquiz.  Après  avoir  épuisé  tout  ce  que  j'avais  à 
dire  à  Votre  Majesté  sur  ces  affaires  ,  il  serait  inutile 
d'y  insister  davantage,  et  je  me  borne  à  la  supplier 
humblement  de  consulter  encore  plus  l'équité  et  la 
générosité  de  son  cœur,  que  la  voix  toujours  incer- 
taine de  la  politique ,  avant  de  mettre  son  projet  à 
exécution. 

«  L'Empereur  (en  souriant  et  me  tirant  l'oreille  avec 
force).  Mais,  chanoine,  vous  ne  voulez  donc  pas  en- 
trer dans  mes  idées? 

f(  Escoiquiz  (souriant aussi).  Bien  au  contraire,  Sire, 
je  désirerais  de  tout  mon  cœur  ramener  Votre  Majesté 
aux  miennes,  fût-ce  aux  dépens  de  mes  oreilles;  maié 
nos  intérêts  sont  opposés ,  ce  qui  m'afflige  d'autant 
plus  ,  que  mon  admiration  et  mon  attachement  pour 
Votre  Majesté,  croissant  à  chaque  instant  depuis  que 
j'ai  l'honneur  de  parler  avec  elle ,  il  me  serait  bien  doux 
de  lui  donner  une  preuve  de  mon  respect  par  une  en- 
tière conformité  à  ses  volontés;  mais  une  obligation  sa- 
crée m'en  empêche,  et  Votre  Majesté  me  rendra  justice. 

((  V Empereur.  Oui,  je  vous  la  rends,  votre  conduite 
est  celle  d'un  honnête  homme  et  d'un  sujet  fidèle.  » 

((  Ce  jour-là,  et  les  suivants,  l'Empereur  parla  des 
mêmes  affaires  avec  les  ducs  de  VInfantado  et  de 
Saint-Charles j  et  avec  don  Pedro  Cevallos,  ministre 


—  179  — 

d'État  du  jeune  Roi,  soit  réunis,  soit  séparément,  quel- 
quefois même  en  ma  présence ,  et  toujours  sur  le  même 
ton.  Vainement  ils  firent  valoir  les  mêmes  raisons  que 
j'ai  déjà  rapportées ,  chacun  sous  un  aspect  différent, 
avec  la  plus  grande  force  et  la  plus  noble  franchise  : 
sa  résolution  était  prise  et  elle  était,  comme  il  l'avait 
dit,  invariable. 

f(  J'eus  quelques  autres  conférences  particulières  , 
également  inutiles,  avec  Sa  Majesté  Impériale.  Les  trois 
personnes  que  je  viens  de  citer  et  moi  en  eûmes  aussi 
avec  le  général  Savary  et  M.  de  Champagny,  ministre 
des  Relations  Extérieures  ;  moi  en  particulier  avec 
M.  de  Pradt,  évêque  de  Poitiers,  aumônier  de  l'Em- 
pereur, et  quelque  temps  après  archevêque  de  Malines  : 
toutes  ces  conférences  n'aboutirent  à  rien. 

((  Un  matin  entre  autres,  en  présence  du  roi  Ferdi- 
nand et  de  son  frère  l'infant  don  Carlos ,  je  fis  à  l'Em- 
pereur un  discours  assez  long ,  dans  lequel ,  après 
avoir  touché  légèrement  les  raisons  que  précédemment 
je  lui  avais  développées,  j'essayai  de  l'émouvoir,  et 
par  la  considération  de  sa  propre  gloire ,  et  par  la 
compassion  que  devaient  inspirer  ces  Princes  infor- 
tunés, plus  dignes  de  pitié  que  de  véritables  orphelins, 
puisque  leurs  parents ,  pour  lesquels  ils  avaient  tou- 
jours eu  le  plus  respectueux  attachement,  étaient  leurs 
ennemis  les  plus  implacables.  Comme  je  parlais  du 
cœur,  je  le  fis  avec  tant  de  force  et  de  sensibilité , 
qu'un  instant  je  le  vis  ému;  mais  sans  doute  s'en 
apercevant  lui-même,  et  pour  le  dissimuler,  il  m'inter- 
rompit ;  et  se  retournant  du  côté  des  Princes,  il  leur 
dit  :  Ce  chanoine  aime  beaucoup  Vos  Altesses;  ce  qui 
rendit  la  conversation  générale ,  et  dissipa  ma  dernière 
illusion.  L'après-midi  du  même  jour,  l'Empereur, 
après  avoir  conféré  avec  le  duc  de  Xlnfanladoy  lui  dit 
en  plaisantant  :  Le  chanoine  m'a  fait  ce  matin  une  ha" 


—  180  — 

rangue  dans  le  goût  de  celles  de  Cicéron;  mais  il  ne 
veut  pas  entrer  dans  les  raisons  de  mon  plan.  —  Voilà  à 
quoi  se  réduisit  tout  le  fruit  de  mon  éloquence  cicé- 
ronienne.  » 


Les  explications  que  vient  de  donner  Napoléon,  nous 
ont  appris  qu'il  offrait  à  Ferdinand  VU,  en  échange  de 
sa  renonciation,  le  royaume  d'Étrurie,  et  la  main  d'une 
princesse  de  la  maison  impériale  ;  mais  le  Roi,  sou- 
tenu par  des  conseillers  fidèles ,  don  Pedro  Cevallos , 
don  Juan  Escoiquiz,  et  l'inébranlable  Labrador,  refusa 
un  pareil  accommodement  et  réclama  la  liberté  de  re- 
tourner en  Espagne. 

On  s'aperçut  que  pour  fléchir  Ferc^manc?  VII,  il  fallait 
tenter  d'autres  moyens.  Charles  IV,  la  reine  Marie- 
Louise  et  le  prince  de  la  Paix,  que  Murât  avait  forcé 
la  Régence  de  lui  livrer,  arrivèrent,  le  30  avril,  à 
Rayonne.  Napoléon  abusa  de  la  faiblesse  du  vieux  Roi 
et  des  passions  de  la  Reine,  pour  les  entraîner  l'un  et 
l'autre  à  une  action  révoltante  ;  ils  devinrent  les  ac- 
cusateurs de  leur  fils.  Charles  IV  déclara  qu'il  ne 
voulait  pas  remonter  sur  le  trône ,  mais  qu'il  deman- 
dait que  son  fils  renonçât  à  la  couronne  pour  qu'elle 
fût  cédée  à  Napoléon,  La  postérité  croira-t-elle  qu'un 
père  qui  aimait  ses  enfants,  ait  voulu  non-seulement 
déshériter  un  fils,  contre  lequel  on  pouvait  lui  avoir 
inspiré  des  préventions,  mais  encore  dépouiller  de  son 
patrimoine  toute  sa  famille,  en  faveur  d'un  étranger  ? 

Ferdinand  VII  résista  d'abord;  mais,  intimidé,  pri- 
sonnier, et  cédant  à  la  volonté  de  son  père,  il  fit,  le 
1"  mai,  une  renonciation  conditionnelle  de  sa  cou- 
ronne en  faveur  de  son  père,  renonciation  qui  devait 
être  sanctionnée  en  présence  des  Cortès.  Enfin,  quel- 


—  181   — 

quos  jours  plus  tard,  on  le  força,  par  des  menaces  et 
des  injures,  à  signer  une  renonciation  absolue,  mais 
qui  porte  tous  les  caractères  de  la  violence. 

Ce  fut  la  veille  même  de  cet  acte  imposé  à  Ferdi- 
nand VU ,  et  cette  circonstance  est  remarquable ,  que 
Charles  IV  avait  conclu  le  fameux  traité  de  Bayonne, 
dont  voici  le  texte  : 

«  Napoléon,  empereur  des  Français,  roi  d'Italie, 
protecteur  de  la  confédération  du  Rhin,  et  Charles  IV, 
roi  desEspagnes  et  des  Indes,  animés  d'un  égal  désir 
de  mettre  promptement  un  terme  à  l'anarchie  à  la- 
quelle est  en  proie  l'Espagne,  de  sauver  cette  brave 
nation  des  agitations  des  factions,  voulant  lui  épar- 
gner toutes  les  convulsions  de  la  guerre  civile  et 
étrangère,  et  la  placer  sans  secousse  dans  la  seule 
position  qui,  dans  la  circonstance  extraordinaire  dans 
laquelle  elle  se  trouve,  puisse  maintenir  son  inté- 
grité, lui  garantir  ses  colonies  et  la  mettre  à  même 
de  réunir  tous  ses  moyens  à  ceux  de  la  France  pour 
arriver  à  une  paix  maritime,  ont  résolu  de  réunir  tous 
leurs  efforts  et  de  régler,  dans  une  convention  parti- 
culière, de  si  chers  intérêts.  A  cet  effet,  ils  ont 
nommé,  savoir  : 

((  S.  M.  l'empereur  des  Français,  roi  d'Italie,  pro- 
tecteur de  la  confédération  du  Rhin,  M.  le  général  de 
division  Duroc,  grand  maréchal  du  palais;  et  S.  M.  le 
roi  des  Espagnes  et  des  Indes,  S.  A.  S.  M.  Manuel 
Godoy,  prince  de  la  Paix,  comte  de  Evora  Monti;  les- 
quels, après  avoir  échangé  leurs  pleins  pouvoirs, 
sont  convenus  de  ce  qui  suit  : 

«  Art,  1  ''.  S.  M.  le  roi  Charles  n'ayant  eu  en  vue 
toute  sa  vie  que  le  bonheur  de  ses  sujets,  et  constant 
dans  le  principe  que  tous  les  actes  d'un  souverain  ne 
doivent  être  faits  que  pour  arriver  à  ce  but,  les  cir- 


-.  182  — 

constances  actuelles  ne  pouvant  être  qu'une  source  de 
dissensions  d'autant  plus  funestes,  que  les  factions 
ont  divisé  sa  propre  famille,  a  résolu  de  céder,  comme 
il  cède  par  le  présent,  à  S.  M.  l'empereur  Napoléon, 
tous  ses  droits  sur  le  trône  des  Espagnes  et  des  Indes, 
comme  le  seul  qui ,  au  point  où  en  sont  arrivées  les 
choses,  peut  rétablir  l'ordre;  entendant  que  ladite 
cession  n'ait  lieu  qu'afin  de  faire  jouir  ses  sujets  des 
deux  conditions  suivantes  : 

«Art.  2.  L'intégrité  du  royaume  sera  maintenue; 
le  prince  que  S.  M.  l'empereur  Napoléon  jugera  devoir 
placer  sur  le  trône  d'Espagne  sera  indépendant,  et  les 
limites  de  l'Espagne  ne  souffriront  aucune  altération. 
La  religion  catholique,  apostolique  et  romaine,  sera 
la  seule  en  Espagne.  Il  ne  pourra  y  être  toléré  aucune 
religion  réformée  et  encore  moins  infidèle,  suivant 
l'usage  établi  aujourd'hui. 

«  Art.  3.  Tous  actes  faits  contre  ceux  de  nos  fidèles 
sujets,  depuis  la  révolution  d'Aranjuez,  sont  nuls  et  de 
nulle  valeur,  et  leurs  propriétés  leur  seront  rendues. 

«  Art.  4.  S.  M.  le  roi  Charles  ayant  ainsi  assuré  la 
prospérité,  l'intégrité  et  l'indépendance  de  ses  sujets, 
S.  M.  l'Empereur  s'engage  à  donner  refuge  dans  ses 
États  au  roi  Charles  y  à  la  Reine,  à  sa  famille,  au 
prince  de  la  Paix  y  ainsi  qu'à  ceux  de  leurs  serviteurs 
qui  voudront  les  suivre ,  lesquels  jouiront  en  France 
d'un  rang  équivalent  à  celui  qu'ils  possédaient  en 
Espagne. 

«  Art.  5.  Le  palais  impérial  de  Compiègne,  les  parcs 
et  forêts  qui  en  dépendent,  seront  à  la  disposition  du 
roi  Charles,  sa  vie  durant. 

«  Art.  6.  S.  M.  l'empereur  donne  et  garantit  à  S.  M. 
le  roi  Charles  une  liste  civile  de  trente  millions  de 
réaux,  que  S.  M.  l'empereur  Napoléon  lui  fera  payer 
directement  tous  les  mois  par  le  trésor  de  la  couronne. 


—  183  — 

A  la  mort  du  roi  Charles ^  deux  millions  de  revenu 
formeront  le  douaire  de  la  Reine. 

M  Art.  7.  S.  M.  l'empereur  Napoléon  s'engage  à  ac- 
corder à  tous  les  infants  d'Espagne  une  rente  annuelle 
de  quatre  cent  mille  francs  pour  en  jouir  à  perpétuité 
eux  et  leurs  descendants,  sauf  la  réversibilité  de  la- 
dite rente  d'une  branche  à  l'autre,  en  cas  de  l'extinc- 
tion de  l'une  d'elles,  et  en  suivant  les  lois  civiles.  En 
cas  d'extinction  de  toutes  les  branches,  lesdites  rentes 
seront  réversibles  à  la  couronne  de  France. 

«  Art.  8.  S.  M.  l'empereur  Napoléon  fera  tel  arran- 
gement qu'il  jugera  convenable  avec  le  futur  roi 
d'Espagne  pour  le  payement  de  la  liste  civile  et  des 
rentes  comprises  dans  les  articles  précédents;  mais 
S.  M.  le  roi  Charles  /F  n'entend  avoir  de  relation  pour 
cet  objet  qu'avec  le  trésor  de  France. 

«  Art.  9.  S.  M.  l'empereur  Napoléon  donne  en 
échange  à  S.  M.  le  roi  Charles  le  château  de  Cham- 
bord,  avec  les  parcs,  forêts  et  fermes  qui  en  dépen- 
dent, pour  en  jouir  en  toute  propriété,  et  en  disposer 
comme  bon  lui  semblera. 

((  Art.  10.  En  conséquence,  S.  M.  le  roi  Charles  re- 
nonce, en  faveur  de  S.  M.  l'empereur  Napoléon  f  à 
toutes  les  propriétés  allodiales  et  particulières  non 
appartenantes  à  la  couronne  d'Espagne,  mais  qu'il 
possède  en  propre.  Les  infants  d'Espagne  continue- 
ront à  jouir  du  revenu  des  commanderies  qu'ils  pos- 
sèdent en  Espagne. 

«  Art.  1 1 .  La  présente  convention  sera  ratifiée ,  et 
les  ratifications  en  seront  échangées  dans  huit  jours, 
ou  le  plus  tôt  qu'il  sera  possible. 

«  Fait  à  Bayonne ,  le  5  mai  1 808. 

((  Signé  Duroc. — Le  prince  de  la  Paix.  » 


—  184  — 

C'est  ainsi  que  Charles  IV  échangea  contre  le  châ- 
teau de  Chambord  dont  il  ne  put  prendre  possession, 
et  pour  une  pension  de  sept  millions  et  demi  de  francs 
qui  ne  lui  fut  pas  payée,  un  des  plus  beaux  trônes  du 
monde,  la  monarchie  de  l'Espagne  et  des  Indes; 
c'est  ainsi  que  les  chefs  de  deux  gouvernements  dis- 
posèrent d'une  nation  antique,  grande  et  estimable, 
comme  on  disposerait  d'un  troupeau  ! 

La  renonciation  de  Charles  IV  ne  suffisait  pas  pour 
sanctionner  l'usurpation  ;  il  fallait  encore  celle  des 
princes  d'Espagne.  Ferdinand  VII  avait  bien  déjà  re- 
noncé en  faveur  de  son  père;  mais  lorsqu'il  adhéra  à 
la  cession  faite  par  celui-ci,  on  ne  lui  avait  laissé  le 
choix  qu'entre  V abdication  ou  la  mort\  Voici  la  con- 
vention qui  fut  conclue  à  Bayonne,  le  \0  mai  1 808  : 

«S.  M.  l'empereur  des  Français,  roi  d'Italie,  protec- 
teur de  la  confédération  du  Rhin,  et  S.  A.  R.  le  prince 
des  Asturies ,  ayant  des  différends  à  régler,  ont  nommé 
pour  leurs  plénipotentiaires;  savoir  :  S.  M.  l'empereur 
des  Français,  roi  d'Italie,  M.  le  général  de  division 
Vuroc,  grand  maréchal  du  palais;  et  S.  A.  R.  le  prince 
des  Asturies,  don  Juan  Escoiquiz,  conseiller  d'État  de  Sa 
Majesté  Catholique,  chevalier  grand'croix  de  l'Ordre 
de  Charles  III;  lesquels,  après  avoir  échangé  leurs 
pleins  pouvoirs,  sont  convenus  des  articles  suivants  : 

«Art.  ]"  S.  A.  R.  le  prince  des  Asturies  adhère  à  la 
cession  faite,  par  le  roi  Charles,  de  ses  droits  au  trône 
d'Espagne  et  des  Indes  en  faveur  de  S.  M.  l'empe- 
reur des  Français,  roi  d'Italie;  renonce,  autant  que 

*  «  Prince,  lui  dit  Napoléon  dans  la  dernière  conférence,  il  faut  opter 
entre  la  cession  ou  la  mort.  »  (Cevallos.)  «  Bientôt  l'Empereur  menaça 
de  la  mort  le  roi  Ferdinand  et  les  infants  don  Carlos  et  don  Antonio, 
s'ils  ne  renonçaient  pas  à  leurs  droits  à  la  succession  au  trône,  en  qua- 
lité de  prince  des  Asturies  et  d'infants.  Les  princes  cédèrent  au  grand 
maréchal  Duuoc  qui  leur  parla  dans  les  mêmes  termes,  au  nom  de 
son  maître.  »  (Escoiquiz.) 


—  185  — 

besoin,  aux  droits  qui  lui  sont  acquis  comme  prince 
des  Asturies ,  à  la  couronne  des  Espagnes  et  des  Indes. 

uArt.  2.  S.  M.  l'empereur  des  Français,  roi  d'Italie, 
accorde,  en  France,  à  S.  A.  R.  le  prince  des  Asturies 
le  titre  d'altesse  royale  avec  tous  les  honneurs  et  pré- 
rogatives dont  jouissent  les  princes  de  son  sang.  Les 
descendants  de  S.  A.  R.  le  prince  des  Asturies  con- 
serveront le  titre  de  prince,  celui  d'altesse  sérénis- 
sime,  et  auront  toujours  le  même  rang,  en  France, 
que  les  princes  dignitaires  de  l'empire. 

u  Art.  3.  S.  M.  l'empereur  des  Français,  roi  d'Italie, 
cède  et  donne  par  les  présentes,  en  toute  propriété,  à 
S.  A.  R.  le  prince  des  Asturies  et  à  ses  descendants 
les  palais,  parcs,  fermes  de  Navarre,  et  les  bois  qui 
en  dépendent,  jusqu'à  la  concurrence  de  cinquante 
mille  arpents,  le  tout  dégrevé  d'hypothèques  et  pour 
en  jouir  en  toute  propriété,  à  dater  de  la  signature  dm 
présent  traité. 

«Art.  A.  Ladite  propriété  passera  auxenfants  et  hé- 
ritiers de  S.  A.  R.  le  prince  des  Asturies;  à  leur  dé- 
faut, aux  enfants  et  héritiers  de  l'infant  don  Charles; 
à  défaut  de  ceux-ci,  aux  descendants  et  héritiers  de 
l'infant  don  Francisque;  et  enfin,  à  leur  défaut,  aux 
enfants  et  héritiers  de  l'infant  don  Antoine.  Il  sera  ex- 
pédié des  lettres  patentes  et  particulières  de  ce  prince  à 
celui  de  ces  héritiers  auquel  reviendra  ladite  propriété. 

«Art.  5.  S.  M.  l'empereur  des  Français,  roi  d'Italie, 
accorde  à  S.  A.  R.  le  prince  des  Asturies  quatre  cent 
mille  francs  de  rente  apanagère  sur  le  trésor  de  France, 
et  payables  par  douzième  chaque  mois,  pour  en  jouir 
lui  et  ses  descendants;  et,  venant  à  manquer  la  des- 
cendance directe  de  S.  A.  R.  le  prince  des  Asturies, 
cette  rente  apanagère  passera  à  l'infant  don  Charles, 
à  ses  enfants  et  héritiers;  et,  à  leur  défaut,  à  l'infant 
don  Francisque,  à  ses  descendants  et  héritiers. 


—  186  —  • 

«  Art.  6.  Indépendamment  de  ce  qui  est  stipulé  dans 
les  articles  précédents,  S.  M.  l'empereur  des  Français, 
roi  d'Italie,  accorde  à  S.  A.  R.  le  prince  des  Asturies 
une  rente  de  six  cent  mille  francs  également  sur  le 
trésor  de  France,  pour  en  jouir  sa  vie  durant.  La 
moitié  de  ladite  rente  sera  réversible  sur  la  tête  de  la 
princesse  son  épouse,  si  elle  lui  survit. 

«Art.  7.  S.  M.  l'empereur  des  Français,  roi  d'Italie, 
accorde  et  garantit  aux  infants  don  Antoine  j  oncle  de 
S.  A.  R.  le  prince  des  Asturies  ^  don  Charles  et  don 
Francisque,  frères  dudit  prince  : 

«  1"  Le  titre  d'altesse  royale,  avec  tous  les  honneurs 
et  prérogatives  dont  jouissent  les  princes  de  son  sangj 
les  descendants  de  Leurs  Altesses  Royales  conserve- 
ront le  titre  de  prince ;,  celui  d'altesse  sérénissime,  et 
auront  toujours  le  même  rang  en  France  que  les  prin- 
tes  dignitaires  de  l'empire  j 

«2''  La  jouissance  du  revenu  de  toutes  leurs  com- 
manderies  en  Espagne,  leur  vie  durant; 

«  3°  Une  rente  apanagère  de  quatre  cent  mille  francs 
pour  en  jouir  eux  et  leurs  héritiers  à  perpétuité  ;  en- 
tendant Sa  Majesté  Impériale  que  les  infants  don  An- 
toine ,  don  Charles  et  don  Francisque,  venant  à  mou- 
rir sans  laisser  d'héritiers,  ou  leur  postérité  venant  à 
s'éteindre ,  lesdites  rentes  apanagères  appartiendront 
à  S.  A.  R.  le  prince  des  Asturies,  ou  à  ses  descendants 
et  héritiers;  le  tout  aux  conditions  que  LL.  AA.  RR. 
don  Charles ,  don  Antoine  et  don  Francisque  adhèrent 
au  présent  traité. 

«  Art.  8.  Le  présent  traité  sera  ratifié,  et  les  ratifica- 
tions en  seront  échangées  dans  huit  jours,  ou  plus  tôt 
si  faire  se  peut. 

«  Rayonne,  le  10  mai  1808. 

«  Signé  l>i]Koc.  —  Juan  de  Escoiquiz.  » 


—  187  -- 

En  supposant  que  des  princes  puissent  ainsi  dis- 
poser de  leurs  couronnes  en  faveur  d'étrangers,  sans 
consulter  la  nation  de  laquelle  ils  les  tiennent,  et  qui 
rentre  nécessairement  dans  ses  droits  primitifs ,  si 
elle  est  abandonnée  par  la  dynastie  qu'elle  a  choisie, 
il  manquait  néanmoins  à  la  renonciation  de  Charles  IV 
et  des  autres  princes  qui  avaient  signé  les  actes  de 
Bayonne,  le  consentement  de  deux  membres  de  la 
maison  d'Espagne,  auxquels  ces  actes  ne  pouvaient 
porter  aucun  préjudice.  L'un  était  Ferdinand  IV ,  roi 
des  Deux-Siciles ,  frère  de  Charles  IV;  ce  monarque 
couvrit  ses  droits  par  une  protestation  du  9  juillet 
1808;  l'autre  était  don  Pedro,  fils  de  Gabriel,  frère 
puîné  de  Charles  IV  et  de  Ferdinand  IV.  Ce  jeune 
prince  s'était  trouvé  à  Lisbonne,  lorsque  la  Cour  de 
Portugal  s'embarqua  pour  Rio-Janeiro  ;  il  l'y  accom- 
pagna, et  échappa  ainsi  à  la  prison  qui  fut  le  sort 
réservé  aux  autres  membres  de  sa  famille*. 

Peu  après  la  signature  du  traité  de  Bayonne,  Char- 
les IV j  la  reine  son  épouse,  la  reine  d'Étrurie  leur 
fille,  et  ce  prince  de  la  Paix,  l'auteur  de  cette  triste 
catastrophe,  furent  conduits  à  Compiègne;  mais, 
comme  le  vieux  roi  trouva  le  climat  du  nord  de  la 
France  trop  froid,  on  lui  permit  de  se  rendre  à  Mar- 
seille, oii  souvent  il  manqua  du  nécessaire*.  Ses  fils. 


'  L'infant  don  Pedro,  marié  à  la  fille  aînée  du  Prince  régent,  depuis 
Jean  VI,  roi  de  Portugal,  est  mort  au  Brésil  le  4  juin  1842,  laissant  un 
fiU,  don  SÉBASTIEN,  né  le  4  novembre  i8<i,  et  aujourd'hui  grand  prieur 
de  Saint-Jean. 

*  Lorsque  le  roi  Charles  IV  et  sa  femme  s'étaient  rendus  d'Aranjuez 
à  Bayonne,  le  Roi  n'avait  pour  son  usage  que  quelques  bijoux,  consis- 
tant en  une  ganse  de  brillants  pour  le  chapeau  ,  une  garniture  de  bou- 
lons d'habits ,  une  poignée  d'épée  et  d'autres  menus  objets.  Tout  cela 
fut  vendu  à  Marseille,  parce  que  Napoléon  ne  donna  pas  les  sommes 
promises,  tant  qu'il  sut  que  le  Roi  avait  quelques  valeurs  à  sa  disposi- 
tion. Celte  circonstance  explique  pourquoi  Napoléon  fut  mal  venu  à  se 


—  188  — 

au  lieu  d'être  installés  au  château  de  Navarre,  obtin- 
rent pour  prison  le  château  de  Valençai,  dont  Nopo- 
léon  disposait  ainsi  sans  l'agrément  du  propriétaire,  le 
prince  de  Talleyrand, 

Murai,  que  Charles  IV,  peu  de  jours  avant  son  ab- 
dication, avait  nommé  son  lieutenant  général ,  gou- 
vernait le  royaume.  Le  13  mai,  il  prévint  le  Conseil 
royal  que,  tous  les  droits  à  la  couronne  d'Espagne 
ayant  été  cédés  à  Napoléon  et  devant  passer  à  un  de 
ses  frères.  Napoléon  désirait  que  le  Conseil  fît  con- 
naître celui  à  qui  il  donnait  la  préférence;  bien  en- 
tendu que,  par  cette  désignation,  le  Conseil  ne  serait 
pas  censé  approuver  ou  désapprouver  les  précédents 
traités,  et  sans  préjudice  des  droits  de  Charles  IV  et 
de  ses  fils.  Le  Conseil  répondit,  le  même  jour,  qu'il 
lui  paraissait  convenable  que  le  choix  tombât  sur  le 
frère  aîné  de  Napoléon.  Le  Conseil  fut  obligé  d'en- 
voyer cette  déclaration  à  Bayonne  par  deux  de  ses 
membres ,  don  Josef  Colon  et  don  Manuel  de  hardi- 
zabal.  Une  proclamation  de  Napoléon  au.  25  mai  appela  à 


plaindre,  en  4814,  de  l'inexécution,  par  les  BouneoNS,  des  clauses  du 
traité  de  Fontainebleau,  relatives  aux  sommes  promises. 

Quant  à  la  reine  Marie-Louise  ,  elle  avait  rapporté  pour  six  millions 
de  pierreries,  et  'elle  avait  remis  ces  joyaux  à  M*""  Tddo  qui ,  après  la 
mort  de  la  Reine,  épousa  Godoy.  M.  de  Vargas  Laguna,  ministre  d'Es- 
pagne à  Rome,  qui  devait  sa  fortune  à  Godoy,  mais  qui  était  un  de  ces 
hommes  ne  transigeant  jamais  avec  leur  devoir,  parla  si  fermement  à 
Charles  IV  de  l'obligation  où  il  était  de  faire  rendre  à  la  couronne 
d'Espagne  ce  qui  lui  appartenait,  qu'il  finit  par  l'obtenir;  les  diamants 
furent  donc  envoyés  à  Madrid ,  où  ils  furent  partagés  entre  les  princes- 
ses, d'après  la  volonté  d'une  des  infantes,  à  l'influence  de  laquelle  per- 
sonne ne  résistait.  Les  autres  trésors.que  la  Cour  possédait  en  pierreries, 
avaient  été  enlevés  par  Murât,  le  2  mai  1808.  Un  Piémontais,  ministre 
de  Napoléon  à  Naples  pendant  le  règne  de  Murât  ,  assurait  que  les 
diamants  avaient  été  estimés  quarante-trois  millions!  Celte  estimation 
paraît  un  peu  élevée,  mais  la  couronne  devait  être  riche  en  joyaux  dans 
un  pays  où  elle  disposait  de  tout  sans  contrôle,  et  où  le  Mexique  et  le 
Pérou  avaient  versé  soixante-deux  milliards. 


—  189  — 

Bayonne  une  Junte,  composée  de  cent  cinquante  Espa- 
gnols notables,  pour  donner  à  l'usurpation  un  air  de 
légitimité'.  Elle  s'assembla  le  15  juin;  mais,  dès  le  6, 
Napoléon  avait  nommé  roi  d'Espagne  son  frère  Joseph, 
qu'il  avait  fait  revenir  de  Naples.  On  proposa  à  la 
Junte  une  Constitution,  qu'elle  accepta  le  7  juillet,  et 
le  surlendemain  le  nouveau  Roi  partit  pour  occuper 


'  Voici  qu'elle  était  la  composition  de  cette  Assemblée  : 
Miguel  Josef  de  Aza.nza,  Mariano  Luis  de  Uhquuo,  Antonio  Ranz 
RoMANiLi.os,  Josef  Colon  ,  Manuel  de  Lardizabal,  Sébastian  de  Tor- 
RES,  Ignacio  Martinez  de  Villela,  Domingo  Cervino,  Luis  Idiaqcez, 
Andres  de  Herrast/,  Pedro  de  Porras,  le  prince  de  Castelfra.nco,  le 
duc  de  DEL  Parque,  l'archevêque  deBuRoos,  Fr.  Miguel  de  Acevedo,  vi- 
caire général  de  Saint-François,  Fr.  Jorge  Rey,  vicaire  général  de  Saint- 
Augustin,  Fr,  Augustin  Perez  de  Valladolid,  général  de  Saint-Jean  do 
Dieu,  F.  le  duc  de  Frias,  F.  le  duc  de  Hijar,  F.  le  comte  d'ORCAz,  J.  le 
marquis  de  Santacrlz,  V.  le  comte  de  Fernan  Nu.nez,  M.  le  comte  de 
Santa  Ck)LOMA ,  le  marquis  de  Castellanos,  le  marquis  de  Bendana, 
Miguel  EscuuERo,  Luis  Gainza,  Juan  José  Maria  de  Lardizabal,  le 
marquis  de  Monteiiermoso,  comte  de  Treviana,  Vicente  del  Castillo, 
Simon  Perez  de  Cevallos,  Luis  Saiz,  Damaso  Castillo  Larroy,  Cristo- 
bal  Cladera,  Josef  Joaquin  del  Moral,  Francisco  Antonio  Zea  ,  Jo- 
sef Ramon  Mila  de  la  ;Roca,  Ignacio  de  Texada,  Nicolas  de  IIerreua, 
Tomas  la  Pena,  Ramon  Maria  de  Adurriaga,  D.  Manuel  de  Pelayo, 
Manuel  Maria  de  Upateguy,  Fermin  Ignacio  Baunza,  RaymundoExEN- 
hard  y  Salinas,  Manuel  Romero,  Francisco  Amoros,  Zenon  Alonzo, 
Luis  Melendez,  Francisco  Angulo,  Roque  Novella,  Eugenio  de  Sam- 
PELAYO,  Manuel  Garcia  de  IbPrada,  Juan  Soler,  Gabriel  Benito  de 
Orbegozo,  Pedro  de  Isla,  Francisco  Antonio  de  EchagCe,  Pedro  Ce- 
vallos, le  duc  de  I'Infantado,  Josef  Gomez  Hermosilla,  Vicente 
ÂLCALA  Galiano,  Miguel  Ricardo  de  Alava,  Cristobal  de  Go.ngora,  Pa- 
blo  Arribas,  Josef  Garriga,  Mariano  Agustin,  l'amiral  marquis  de 
Ariza  y  EsTEPA,  le  comte  de  Castelflorido  ,  le  comte  de  Noblejas, 
maréchal  do  Castille,  Joaquin  Xavier  Uriz,  Luis  Marcehno  Pereyra, 
Ignacio  Musquiz,  Vicente  Gonzalez  de  Arnao,  Miguel  Ignacio  de  la  Ma- 
drid, le  marquis  de  Espeja,  Juan  Antonio  Llorentb,  Julian  de  Fuen- 
TEs,  Mateo  de  Norzagaray  ,  Josef  Odoardo  y  Grandpe,  Antonio 
SoTO,  prémontré,  Juan  Nepomuceno  de  Rosales,  le  marquis  de  Casa- 
Calvo,  le  comte  de  Torre-Musquiz;  le  marquis  de  las  IIormazas,  Fer- 
nando Calixto  Nunez,  Clémente  Antonio  Pisador,  D.  Pedro  Larriva 
ToRREs,  Antonio  Savi.non,  José  Maria  Tineo,  Juan  Mauri. 


— .  190  — 

un  trône  que  des  torrents  de  sang  répandus  pour  une 
cause  si  injuste  ne  purent  affermir*. 

C'est  ici  que  nous  devons  rapporter  le  seul  traité 
qui  ait  été  conclu  par  Joseph ,  pendant  son  règne  dis- 
puté ;  il  fut  signé  à  Bayonne ,  le  5  juillet  \  808 ,  par 
M.  de  Champagny  et  le  duc  de  Gallo.  En  voici  le  texte, 
que  nous  avons  fait  traduire  de  l'espagnol  : 

Napoléon ,  par  la  grâce  de  Dieu  et  de  la  Constitu- 
tion, empereur  des  Français,  roi  d'Italie,  protecteur 
de  la  confédération  du  Rhin ,  ayant  vu  et  examiné  le 
traité  conclu,  et  signé  à  Bayonne,  le  5  juillet  1808,  par 
M.  de  Champagny f  notre  ministre  des  Affaires  Étran- 
gères, grand  cordon  de  la  Légion  d'honneur,  etc.,  en 
vertu  des  pleins  pouvoirs  que  nous  lui  avions  donnés 
à  cet  effet,  avec  le  marquis  de  Gallo,  ministre  des 
Affaires  Étrangères  de  S.  M.  le  roi  de  Naples  et  de 
Sicile,  chevalier  de  l'Ordre  de  la  Toison-d'Or,  etc., 
également  muni  de  pleins  pouvoirs,  et  dont  la  teneur 
suit  : 

«  S.  M.  l'empereur  des  Français ,  roi  d'Italie ,  pro- 
tecteur de  la  confédération  du  Rhin ,  voulant  donner 
à  son  auguste  frère,  S.  M.  Joseph  Bonaparte  y  roi  de 
Naples  et  de  Sicile,  prince  français  et  grand-électeur 
de  l'Empire,  une  nouvelle  preuve  de  confiance  et  d'af- 
fection fraternelle,  et  devant  s'entendre  avec  lui  à  l'é- 
gard des  arrangements  dont  dépendent  la  tranquillité 
et  prospérité  du  midi  de  l'Europe ,  ainsi  que  l'intérêt 

*  Napoléon,  dans  son  entretien  avec  le  conseiller  d'État  Escoiquiz, 
disait  «  quand  je  devrais  sacrifier  deux  cent  mille  hommes,  je  n'en  par- 
viendrai pas  moins  à  mes  fins  ;  et  je  suis  bien  éloigné  de  croire  que  la 
conquête  d'Espagne  puisse  coûter  autant.  »  Dans  ce  froid  calcul  des  pro- 
babilités, Napoléon  se  trompait  d'un  tiers  :  ce  sont  trois  csnt  mille 
Français  ou  alliés  qui  ont  été  immolés  dans  la  Péninsule.  Voilà  ce  que 
coûta  le  Midi  à  Napoléon;  nous  verrons  bientôt  ce  que  lui  coûtera  le 
Nord.  — Quel  holocauste  à  l'ambition  d'un  seul!  0  divin  créateur! 
0  sainte  humanité! 


—  191  — 

de  la  France ,  Leurs  Majestés  ont  nommé  pour  leurs 
plénipotentiaires  respectifs,  savoir  : 

«  S.  M.  l'empereur  des  Français  ,  roi  d'Italie ,  pro- 
tecteur de  la  confédération  du  Rhin ,  Son  Excellence 
M.  Nomphre  de  Champagny,  grand  cordon  de  la  Légion 
d'honneur,  commandeur  de  l'Ordre  de  la  couronne  de 
fer,  grand'croix  de  l'Ordre  de  Saint-Joseph  de  Wurtz- 
bourg  et  de  la  Fidélité  de  Bade ,  son  ministre  des  Af- 
faires Étrangères; 

«  Et  S.  M.  le  roi  de  Naples  et  de  Sicile,  S.  E. 
M.  Martin  Mastrilli,  marquis  de  Gallo,  des  ducs 
de  MariglianOy  membre  de  son  Conseil  d'Etat  et  son 
ministre  des  Affaires  Étrangères,  chevalier  de  l'Ordre 
de  la  Toison-d'Or,  grand  dignitaire  de  l'Ordre  des 
Deux-Siciles  et  de  la  Couronne  de  fer; 

«  Lesquels,  après  s'être  communiqué  leurs  pleins 
pouvoirs ,  sont  convenus  des  articles  suivants  : 

«  Art.  1".  S.  M.  l'empereur  des  Français  cède  à 
S.  M.  le  roi  de  Naples  et  de  Sicile  les  droits  à  la  cou- 
ronne d'Espagne  et  des  Indes  qu'il  a  acquis  en  vertu 
de  la  cession  qui  lui  a  été  faite  par  le  roi  Charles  l\\ 
et  à  laquelle  ont  adhéré  le  prince  des  Asturies,  et  les 
princes  infants  d'Espagne. 

(f  S.  M.  le  roi  Joseph  Bonaparte  en  jouira  perpétuel- 
lement lui  et  ses  successeurs  mâles  par  droit  de  pri- 
mogéniture,  et  avec  exclusion  perpétuelle  des  femmes 
et  de  leur  descendance,  conformément  aux  constitu- 
tions de  l'Espagne  qui  seront  déterminées  plus  tard. 

«  Jrt.  2.  A  défaut  de  descendance  masculine ,  na- 
turelle et  légitime  de  S.  M.  le  roi  Joseph  Bonaparte,  la 
couronne  d'Espagne  et  des  Indes  retournera  à  S.  M. 
l'empereur  et  à  ses  héritiers  et  descendants  mâles , 
naturels  et  légitimes  ou  adoplifs. 

((  A  défaut  de  descendants  mâles,  naturels  et  légi- 
times ou  adoplifs  de  S,  M.  l'empereur,  la  couronne 


—  192  — 

d'Espagne  et  des  Indes  appartiendra  aux  descendants 
mâles,  naturels  et  légitimes  du  prince  Louis  Bonaparte, 
roi  de  Hollande. 

«  A  défaut  de  descendance  masculine,  naturelle  et 
légitime  ou  adopti\  e  de  S.  M.  le  roi  de  Hollande ,  la 
couronne  d'Espagne  et  des  Indes  appartiendra  aux 
descendants  masculins  naturels  et  légitimes  du  prince 
Jérôme  Bonaparte,  roi  de  Westphalie; 

«  Et  à  défaut  de  ceux-ci,  à  celui  qui  aura  été  dési- 
gné sur  le  testament  du  dernier  roi,  soit  parmi  ses 
parents  les  plus  proches,  soit  parmi  les  plus  dignes  de 
gouverner  l'Espagne. 

«  Art.  3.  La  couronne  d'Espagne  et  des  Indes  ne 
pourra  jamais  être  réunie  à  une  autre  couronne  sur 
une  même  tête. 

{<  Art.  4.  S.  M.  le  roi  Joseph  Bonaparte,  après  son 
avènement  au  trône  d'Espagne ,  s'oblige  à  remplir 
toutes  les  charges  et  conditions  imposées  à  S.  M.  l'Em- 
pereur par  le  traité  du  5  mai  1 808,  conclu  avec  le  roi 
Charles  IV,  et  par  le  traité  du  1 0  mai ,  conclu  avec  le 
prince  des  Asturies,  auquel  ont  adhéré  les  autres 
princes  infants  d'Espagne,  sauf  celles  qui  par  leur 
nature  doivent  recevoir  leur  exécution  en  France. 

((  En  conséquence,  S.  M.  Joseph  Bonaparte  devra  re- 
mettre par  douzièmes ,  tous  les  mois  ,  dans  le  trésor 
public  de  France,  depuis  le  1  "mai  dernier,  les  sommes 
annuelles  ci-après ,  savoir  : 

«  Sept  millions  et  demi  de  francs  pour  être  payés  au 
roi  Charles  IV. 

«  Un  million  de  francs  pour  être  payés  à  don  Fer- 
dinand-Marie-François-de-Paule ,  prince  des  Asturies. 

«  Quatre  cent  mille  francs  pour  être  payés  à  l'in- 
fant don  Charles-Marie-Isidore. 

«  Quatre  cent  mille  francs  à  l'infant  don  Francois- 
de-Paulc- Antoine-Marie. 


—  193  — 

«  Quatre  cent  mille  francs  à  l'infant,  frère  de  Char- 
les IVf  don  Aîitoine-Pascal-François-Jean-Népoimicene- 
Ramon-Silvestre. 

«  Art.  5.  A  la  mort  du  roi  Charles  I\\  la  rente  de 
sept  millions  et  demi  de  francs  s'éteindra  en  faveur 
du  trésor  d'Espagne  ;  mais  le  trésor  payera,  à  titre  de 
douaire,  à  la  reine  Louise-Marie-Thérèse ,  si  elle  survit 
à  son  époux,  une  rente  annuelle  viagère  de  deux  mil- 
lions de  francs  ;  et  cette  rente  s'éteindra  également  en 
faveur  du  trésor  d'Espagne  à  la  mort  de  ladite  prin- 
cesse. 

«  Art.  6.  Du  million  assigné  à  don  Ferdinand  , 
prince  des  AsturieSf  quatre  cent  mille  francs  appar- 
tiendront à  ses  descendants  ;  et  quand  la  descendance 
directe  de  ce  prince  manquera,  cette  rente  alimen- 
taire passera  à  l'infant  don  Charles ,  à  ses  enfants  et 
héritiers,  et  à  défaut  à  l'infant  don  François  et  à  ses 
descendants  et  héritiers. 

«  Les  autres  six  cent  mille  francs  forment  une  rente 
viagère  qui  s'éteindra  à  la  mort  du  prince  Ferdinand  diW 
bénéfice  du  trésor  d'Espagne,  sauf  la  moitié  de  ladite 
rente ,  qui  sera  réversible  à  la  princesse  son  épouse , 
si  elle  lui  survit,  et  qui  lui  sera  payée  jusqu'à  sa 
mort. 

«  On  payera  perpétuellement  aux  infants  don  Charles, 
don  François  et  don  Antoine,  à  leurs  descendants  et 
héritiers  les  rentes  de  quatre  cent  mille  francs  à  eux 
assignées  ;  et  dans  le  cas  où  leur  postérité  viendrait  à 
s'éteindre,  ces  rentes  seront  réversibles  sur  le  prince 
àon  Ferdinand  f  ses  héritiers  et  ses  descendants  :  si  ce 
prince  décédait,  et  si  sa  descendance  venait  à  s'é- 
teindre, lesdites  rentes  s'éteindront  aussi  en  faveur  du 
trésor  d'Espagne. 

«  Art.  7.  S.  M.   l'Empereur  cède  à  S.  M.  Joseph 
Bonaparte,    les  biens  allodiaux  appartenant  au  roi 
XI  13 


—  194  — 

Charles  y  abandonnés  par  celui-ci  à  S.   M.  l'Empe- 
reur par  l'article  10  du  traité  du  5  mai. 

«  Art.  8.  S.  M.  l'Empereur  ayant  cédé  au  roi  Char- 
lei  IV y  le  palais  et  terre  de  Chambord ,  et  au  prince 
des  Asturies  le  palais,  terre  et  forêts  de  Navarre,  on 
fera  une  app"réciation  de  la  valeur  de  ces  propriétés , 
desquelles  S.  M.  le  roi  Joseph  s'oblige  à  rembourser  la 
valeur  à  S.  M.  l'Empereur,  et  à  payer  jusqu'à  l'époque 
du  remboursement  un  intérêt  égal  à  la  rente  de  ces 
terres,  tel  qu'il  résultera  de  la  taxe. 

«  Art.  9.  S.  M.  le  roi  Joseph  Bonaparte  accepte  les  ces- 
sions faites  en  sa  faveur  par  son  auguste  frère  sous 
les  conditions  ci-dessus;  et  cède  à  son  tour  à  S.  M. 
l'empereur  des  Français  ses  droits  à  la  couronne  de 
Naples  el  de  Sicile,  pour  en  jouir  ou  en  disposer  de  la 
manière  qui  conviendra  le  mieux  à  S.  M.  l'Empereur. 

«  Art.  10.  S.  M.  l'Empereur  garantit  l'exécution  et 
la  stabilité  de  la  Constitution  qu'elle  a  décrétée  de  con- 
cert avec  S.  M.  le  roi  Joseph,  pour  le  royaume  de  Na- 
ples et  de  Sicile. 

«  Art.  1 1 .  Il  y  aura  perpétuellement  alliance  offensive 
et  défensive  sur  mer  et  sur  terre  entre  S.  M.  l'Empe- 
reur et  S.  M.  Joseph  Bonaparte,  roi  d'Espagne  et  des 
Indes,  et  entre  leurs  successeurs  respectifs. 

«Art.  12.  Le  contingent  des  deux  puissances,  en 
cas  de  guerre  continentale,  soit  en  Afrique,  soit  en 
Europe,  se  réglera  de  la  manière  suivante  : 

«  La  France  donnera  cinquante  mille  hommes  d'in- 
fanterie et  dix  mille  hommes  de  cavalerie  présents 
sous  les  armes,  depuis  le  moment  qu'ils  traverse- 
ront la  frontière,  et  un  train  d'artillerie  proportionné 
à  cette  armée. 

«  L'Espagne  donnera  vingt-quatre  mille  hommes 
d'infanterie ,  et  six  mille  de  cavalerie  effectifs  au  mo- 
ment de  traverser  la  frontière,   et  un  train  d'artille- 


—  195  — 

rie  de  cinquante  pièces  attelées  et  approvisionnées, 
ainsi  qu'un  nombre  proportionné  d'artilleurs ,  mi- 
neurs et  sapeurs.  Les  solde  et  équipement  des  trou- 
pes qui  forment  lesdits  contingents  seront  pour  le 
compte  de  la  puissance  qui  les  présente. 

«  Dans  les  cas  urgents,  les  deux  hautes  parties  con- 
tractantes se  promettent  mutuellement,  aux  mêmes 
conditions,  chacune  pour  la  cause  de  l'autre,  lé 
nombre  de  troupes  que  les  circonstances  rendraient 
nécessaires,  et  en  général  tout  l'appui  qu'elles  pour- 
ront se  prêter. 

«Art.  13.  Dans  le  cas  d'une  guerre  maritime,  les 
forces  des  deux  puissances  se  réuniront,  pour  protéger 
et  défendre  réciproquement  leurs  États,  colonies  et 
leurs  établissements  respectifs  dans  les  quatre  parties 
du  monde. 

«Dans  ce  cas,  la  France  donnerait  quatre-vingts 
vaisseaux  de  ligne  de  deux  ou  de  trois  ponts,  et  un 
nombre  proportionné  de  frégates  et  autres  bâtiments 
de  guerre  plus  petits. 

M  Et  l'Espagne  contribuerait  avec  cinquante  vais- 
seaux de  ligne  de  deux  et  de  trois  ponts,  et  un 
nombre  proportionné  de  frégates  et  autres  bâtiments 
de  guerre  plus  petits. 

uArt.  14.  S.  M.  le  roi  d'Espagne  s'oblige  à  tenir  le 
port  du  Passage  en  état  de  servir  de  port  de  carénage, 
d'armement  et  d'arrivée  pour  les  navires,  soit  fran- 
çais, soit  espagnols,  à  creuser  à  cet  effet  la  darse  inté- 
rieure dudit  port,  et  à  faire  les  autres  travaux  qui 
seraient  nécessaires  pour  cet  objet. 

«Art.  15.  Les  deux  parties  contractantes  stipule- 
ront entre  elles  un  système  de  douanes  fixes  et  tno- 
dérées,  avantageux  au  commerce  des  deux  pays.  Les 
sujets  des  deux  puissances  seront  traités  réciproque- 
ment dans  les  États  de  Tune  et  de  l'autre,  comme  là 


—  196  — 

nalion  la  plus  favorisée,  et  on  assurera  la  préférence, 
tant  en  Espagne  qu'en  France,  aux  marchandises  res- 
pectives des  deux  nations  sur  les  autres  marchandises 
étrangères  de  la  même  qualité. 

«Art.  16.  Le  présent  traité  restera  secret,  jusqu'à 
ce  que  les  deux  hautes  parties  contractantes  conviennent 
de  le  publier.  Les  ratifications  seront  échangées  à 
Bayonnedans  le  délai  de  huit  jours. 

«  Fait  à  Bayonne,  le  5  juillet  1808. 

((  J.  B.  NoMPÈRE  DE  Champagny.  —  Lc  mar- 
quis  de  Gallo.  » 

Article  séparé. 

"  S.  M.  Joseph  Bonaparte,  roi  d'Espagne  et  des  Indes, 
s'oblige  à  verser  par  douzièmes,  tous  les  mois,  au 
trésor  public  de  France,  la  somme  annuelle  de  quatre 
cent  mille  francs,  qu'on  remettra  à  la  reine  Marie-Louise- 
Joséphine  et  à  ses  descendants ,  en  compensation  de 
tous  ses  droits  et  prétentions  quelconques. 

f(  Au  décès  de  cette  princesse  et  à  l'extinction  de  sa 
descendance ,  cette  rente  de  quatre  cent  mille  francs 
cessera  en  faveur  du  trésor  d'Espagne. 

«  Le  présent  article  séparé  se  considérera  comme 
partie  du  traité  conclu  et  signé  par  nous  aujourd'hui, 
et  se  publiera  en  même  temps. 

('  Fait  à  Bayonne,  le  5  juillet  1808. 

«  i.  B.  NoMPÈRE  DE  Champagny.  —  Le  mar- 
quis DE  Gallo.  » 

«  Nous  avons  approuvé  et  approuvons  le  précédent 
traité  dans  tout  et  chacun  des  articles  qu'il  contient, 
déclarons  qu'il  est  accepté,  ratifié  et  confirmé,  et  nous 
promettons  qu'il  sera  observé  inviolablcmcnt. 


—  197  — 

«En  foi  de  quoi  nous  avons  expédié  les  présentes 
signées  de  notre  main,  contre-signées  et  scellées  de 
notre  sceau  impérial.    ' 

u  A  Bayonne  ;  juillet  1 808. 

((  Napoléon. 
«  Par  l'Empereur , 
«  Le  ministre  secrétaire  d'État, 
«  IIugues-B.  Maret. 
u  Le  ministre  des  Affaires  Étrangères , 
«  Champagny.  » 

Article  secret. 

i<  Napoléon  y  par  la  grâce  de  Dieu  et  la  Constitution, 
Empereur  des  Français,  roi  d'Italie,  protecteur  de  la 
confédération  du  Uhin,  ayant  vu  et  examiné  l'article 
secret,  fait,  conclu  et  signé  à  Bayonne,  le  5  juillet 
1808,  par  M.  Champagny,  notre  ministre  des  Affaires 
Etrangères,  grand-cordon  de  la  Légion  d'honneur,  etc., 
en  vertu  des  pleins  pouvoirs  que  nous  lui  avons  don- 
nés à  l'effet,  avec  le  marquis  de  Galloy  ministre  des 
Affaires  Étrangères  de  S.  M.  le  roi  de  Naples  et  de 
Sicile,  chevalier  de  l'Ordre  de  la  Toison-d'Or,  etc., 
pourvu  également  de  pleins  pouvoirs,  duquel  article 
secret  la  teneur  est  comme  il  suit  : 

((  Article  secret.  S.  M.  l'Empereur  garantit  à  l'Espagne 
l'intégrité  des  colonies  qu'elle  possède  actuellement. 
En  échange  de  cette  obligation,  S.  M.  le  roi  d'Es- 
pagne s'oblige  à  permettre,  à  la  paix  générale,  l'intro- 
duction dans  les  colonies  espagnoles  des  deux  Indes 
d'une  quantité  de  marchandises  françaises  qui  se  dé- 
terminera à  cette  époque,  lesquelles  seront  transportées 
sur  des  navires  français,  qui  pourront  sortir  de  Bor- 


—  198  — 

deaux  ou  de  Marseille,  et  seront  autorisés  à  convertir 
le  produit  des  marchandises  qu'ils  introduiraient  en 
produits  et  marchandises  de  ces  colonies,  pour  le 
transporter  directement  en  France.  Ces  navires  et  car- 
gaisons ne  souffriront  d'autres  charges,  ni  ne  payeront 
d'autres  droits  que  ceux  imposés  aux  nationaux. 

«  Le  présent  article  sera  ratifié,  et  les  ratifications 
seront  échangées  en  même  temps  qu'on  échangera  celles 
du  traité  de  cette  date. 

M  Fait  à  Bayonne,  le  5  juillet  1808. 

«  J.  B.  NoMPÈRE  DE  Champagny.  —  Lc  mar- 
quis  de  Gallo.  » 

((  Nous  avons  approuvé  et  approuvons  l'article  se- 
cret ci-dessus.  Déclarons  que  nous  l'acceptons,  rati- 
fions et  confirmons,  et  nous  promettons  qu'il  sera 
observé  inviolablement. 

«  En  foi  de  quoi  nous  avons  expédié  les  présentes 
signées  de  notre  main,  contre-signées  et  scellées  avec 
notre  sceau  impérial. 

«  A  Bayonne,  juillet  1808  \ 

u  Napoléon. 

«  Par  l'Empereur, 

«  Le  ministre  secrétaire  d'État, 
«  Hugues-B.  Maret. 

«  Le  ministre  des  Affaires  Étrangères, 
«  Champagny.  » 


Les   ratifications  de  ce  traité  furent  échangées   à 
Bayonne,  le  8  juillet.  On  conserve  aux  archives  des 

*  Le  traité  de  Bayonne  du  5  juillet  1808  manque  dans  !e  Recueil  de 
M.  de  Martens. 


—  199  — 

Affaires  Étrangères ,  à  Madrid,  les  ratifications  ori- 
ginales de  Napoléon;  elles  avaient  été  soustraites  de 
ce  dépôt  en  octobre  1812,  et  elles  y  furent  réintégrées 
le  18  mars  1813,  en  vertu  d'un  ordre  royal  signé  par 
don  Antoine  Cano  Manuel,  ministre  de  grâce  et  de 
justice. 

Par  un  autre  acte  qualifié  Statut  constitutionnel , 
signé  à  Bayonne  le  15  juillet,  le  royaume  des  Deux- 
Siciles,  ou  plutôt  celui  de  Naples,  auquel  Joseph  avait 
renoncé,  fut  donné  par  Napoléon  à  Joachim  Murât  et 
à  sa  descendance  mâle  et  légitime,  de  manière  cepen- 
dant que  si  son  épouse  lui  survivait,  elle  monterait 
sur  le  trône  après  lui.  A  l'extinction  des  descendants 
de  Joachim  Murât  et  de  Caroline  Bonaparte,  la  cou-» 
ronne  écherra  aux  descendants  mâles,  naturels  et  lé- 
times  ou  adoptifs  de  Napoléon,  de  Joseph,  de  Louis 
et  de  Jérôme  Bonaparte.  Enfin,  conformément  au 
système  fédéral,  d'après  lequel  les  trônes  érigés  par 
Napoléon  ne  devaient  être  que  des  parties  du  grand 
empire,  la  dignité  de  grand  amiral  de  France  fut  atta- 
chée à  la  couronne  de  Naples.  Quant  au  grand-duché 
de  Berg,  on  sait  déjà  qu'il  fut  rétrocédé  à  Napoléon\ 
Dès  le  31  juillet,  il  en  fit  prendre  possession  par  le 
conseiller  d'État  Beugnot;  mais  au  mois  de  mars  1 809, 
il  en  donna  l'investiture  au  fils  du  roi  de  Hollande. 

La  transmutation  des  couronnes  d'Espagne  et  de 
Naples  avait  été  précédée  d'une  circonstance  intéres- 
sante. Napoléon  avait  en  effet  projeté,  dans  l'origine, 
de  placer  sur  le  trône  d'Espagne  son  frère  Louis  Bona-^ 
parte,  et  dès  le  27  mars  1 808,  il  lui  avait  écrit  la  lettre 
suivante  : 

•  Voy.  Confédération  du  Rhin,  t.  V  de  cette  Histoire  des  Traités. 


—  200  — 

«  Mon  frère, 

«  Le  roi  d'Espagne  vient  d'abdiquer.    Le  prince 
de  la  Paix  a  été  mis  en  prison.  Un  commencement 
d'insurrection  a  éclaté  à  Madàd.  Dans  cette  circon- 
stance, mes  troupes  étaient  éloignées  de  quarante  lieues 
de  Madrid;  le  grand-duc  de  Berg  a  dû  y  entrer  le  23 
avec  quarante  mille  hommes.  Jusqu'à  cette   heure, 
le  peuple  m'appelle  à  grands  cris.  Certain  que  je  n'aurai 
de  paix  solide  avec  l'Angleterre  qu'en  donnant  un 
grand  mouvement  au  Continent,  j'ai  résolu  de  mettre 
un  prince  français  sur  le  trône  d'Espagne.  Le  climat 
de  la  Hollande  ne  vous  convient  pas.  D'ailleurs  la 
Hollande   ne  saurait  sortir  de  ses  ruines.  Dans  le 
tourbillon  du  monde,  que  la  paix  ait  lieu  ou  non,  il 
n*y  a  pas  de  moyen  pour  qu'elle  se  soutienne.  Dans 
cette  situation  de  choses,  je  pense  à  vous  pour  le  trône 
d'Espagne.  Vous  serez  souverain  d'une  nation  géné- 
reuse, de  onze  millions  d'hommes,  et  de  colonies  im- 
portantes. Avec  de  l'économie  et  de  l'activité,  l'Espagne 
peut  avoir  soixante  mille  hommes  sous  les  armes  et 
cinquante  vaisseaux  dans  ses  ports.  Répondez-moi 
catégoriquement  quelle  est  votre  opinion  sur  ce  projet. 
Vous  sentez  que  ce  n'est  encore  qu'un  projet,  et  que 
quoique  j'aie  cent  mille  hommes  en  Espagne,  il  est 
possible,  par  les  circonstances  qui  peuvent  survenir, 
ou  que  je  marche  directement  et  que  tout  soit  fait 
dans  quinze  jours;  ou  que  je  marche  plus  lentement, 
et  que  cela  soit  le  secret  de  plusieurs  mois  d'opérations. 
Répondez-moi  catégoriquement  :  si  je  vous  nomme 
roi   d'Espagne,  l'agréez-vous?  Puis-je  compter  sur 
vous?  Comme  il  serait  possible  que  votre  courrier  ne 
me  trouvât  plus  à  Paris,  et  qu'alors  il  faudrait  qu'il 
traversât  l'Espagne  au  milieu  des  chances  que  l'on  ne 
peut  prévoir;  répondez-moi  seulement  ces  deux  mots  : 


—  201   — 

j'ai  reçu  votre  lettre  du  tel  jour,  et  je  réponds  oui,  et 
alors  je  compterai  que  vous  ferez  ce  que  je  voudrai; 
ou  bien  Jion,  ce  qui  voudra  dire  que  vous  n'agréez  pas 
ma  proposition.  Vous  pourrez  ensuite  écrire  une  lettre 
où  vous  développerez  vos  idées  en  détail  sur  ce  que 
vous  voulez ,  et  vous  l'adresserez  sous  l'enveloppe  de 
votre  femme,  à  Paris.  Si  j'y  suis,  elle  me  la  remettra; 
sinon,  elle  vous  la  renverra. 

«  Ne  mettez  personne  dans  votre  confidence,  et  ne 
parlez  à  qui  que  ce  soit,  je  vous  prie,  de  l'objet  de 
cette  lettre  ;  car  il  faut  qu'une  chose  soit  faite  pour 
qu'on  avoue  d'y  avoir  pensé,  etc.,  etc.  » 

Le  roi  Louis  rapporte  que  sa  surprise  égala  son  in- 
dignation en  recevant  une  proposition  qu'il  regardait 
comme  impolitique j  injuste  et  honteuse,  h  Je  ne  suis  pas 
un  gouverneur  de  province,  disait-il  à  ce  sujet.  11  n'y 
a  pas  d'autre  promotion  pour  un  roi  que  celle  du  ciel; 
ils  sont  tous  égaux.  De  quel  droit  pourrais-je  aller  de- 
mander un  serment  de  fidélité  à  un  autre  peuple,  si  je 
ne  restais  pas  fidèle  à  celui  que  j'ai  prêté  à  la  Hollande 
en  montant  sur  le  trône?  »  Il  répondit  en  conséquence, 
et  refusa  vertement. 

D'ailleurs  ,  un  autre  article  l'avait  cruellement 
blessé.  Il  lui  fut  prouvé  de  nouveau  ce  qu'il  tâchait 
en  vain  de  se  dissimuler.  Ces  mots  :  c<  Le  climat 
de  la  Hollande  ne  vous  convient  pas;  d'ailleurs  elle  ne 
saurait  sortir  de  ses  ruines ,  prouvaient  d'une  manière 
irrécusable  qu'on  l'avait  poussé  sur  le  trône  pour  le 
perdre,  et  pour  perdre  aussi  le  pays. 

La  nomination  de  Joseph  comme  roi  d'Espagne 
n'eut  donc  lieu  que  par  suite  du  refus  de  Louis  Bona- 
parte. Mais  si  l'Empereur  se  flattait  que  les  Espagnols 
accepteraient  un  roi  de  sa  main,  son  erreur  fiitpromp- 


—  202  — 

teraent  dissipée.  Ce  peuple,  fier  et  valeureux,  montra  à 
l'Europe  comment  on  secoue  le  joug  de  l'oppression  ! 

Une  insurrection  qui  éclata  le  2  mai  à  Madrid ,  et 
que  l'on  étouffa  dans  le  sang ,  fut  le  prélude  de  plus 
grands  événements.  Le  5  mai,  Ferdinand  avait  signé 
deux  décrets ,  l'un  adressé  à  la  Junte  de  gouverne- 
ment qu'il  avait  établie  à  Madrid  avant  son  départ, 
et  l'autre  au  Conseil  royal,  et,  à  son  défaut,  à  quelque 
chancellerie  que  ce  fût.  Le  premier  autorisait  la  Junte 
à  se  transférer  elle-même,  ou  en  substituant  ses  pou- 
voirs à  une  ou  plusieurs  personnes ,  dans  tel  lieu 
qu'elle  jugerait  convenable,  et  à  exercer,  en  son  nom 
et  à  sa  place,  la  souveraineté;  lui  enjoignant  de  com- 
mencer les  hostilités  au  moment  même  où  elle  ap- 
prendrait que  le  Roi  serait  conduit  dans  l'intérieur  de 
la  France ,  ce  qu'on  n'obtiendrait  de  lui  que  par  vio- 
lence, et  de  s'opposer,  dans  ce  cas,  par  tous  les 
moyens  que  l'on  pourrait  mettre  en  usage,  à  l'entrée 
de  nouvelles  troupes  françaises  sur  le  territoire  de  la 
Péninsule.  Le  second  décret  portait  l'ordre  de  convo- 
quer les  Corlès  dans  l'endroit  qui  paraîtrait  le  plus 
favorable  à  leur  prompte  réunion,  afin  qu'elles  eussent 
à  s'occuper  uniquement  et  sans  délai  de  rassembler 
les  forces  nécessaires  pour  la  défense  du  royaume. 

Ces  deux  décrets,  qu'il  avait  fallu  confier  à  un  mes- 
sager à  pied,  n'arrivèrent  à  Madrid  que  lorsque  la 
Junte  avait  reçu  le  décret  du  6,  qui  la  dissolvait.  Elle 
ne  put  donc  pas  les  publier;  mais  on  donna  la  plus 
grande  publicité  à  une  lettre  que  Ferdinand  avait 
adressée ,  le  8  ,  au  commandant  de  l'armée  des  Astu- 
ries,  et  qui  était  conçue  en  ces  termes  : 

«  Nobles  Asturiens  !  Je  suis  entouré  d'ennemis  de  tous 
côtés;  je  suis  la  victime  de  la  perfidie.  Vous  avez  sauvé 
l'Espagne  dans  des  circonstances  beaucoup  plus  diffici- 
les que  celles  où  nous  nous  trouvons.  Étant  moi-même 


—  203  — 

prisonnier,  je  ne  réclame  pas  de  vous  ma  couronne; 
mais  je  demande  que ,  d'après  un  plan  bien  concerté 
avec  les  provinces  voisines,  vous  conserviez  votre 
indépendance;  je  demande  que  vous  ne  vous  cour- 
biez jamais  sous  un  joug  étranger  ;  que  vous  ne  vous 
soumettiez  jamais  au  perfide  ennemi  qui  a  dépouillé 
de  ses  droits  votre  malheureux  Ferdinand. 
M  Rayonne ,  le  8  mai  1 808.  » 

Cette  lettre  dut  causer  la  plus  vive  impression  sur 
une  nation  altière,  passionnée  et  courageuse.  Elle 
ne  fut  en  rien  diminuée  par  une  proclamation  que  l'on 
avait  fait  signer  à  Ferdinand  VII  et  à  ses  frères,  à  leur 
arrivée  à  Bordeaux  le  12  mai,  et  par  laquelle  ils 
engageaient  les  Espagnols  à  ne  pas  s'opposer  aux 
vues  bienfaisantes  de  Napoléon,  Il  était  évident  que 
cette  signature  leur  avait  été  arrachée  dans  la  captivité. 
Un  cri  général  d'indignation  s'éleva  dans  toute  l'Es- 
pagne :  le  peuple  prit  les  armes  partout  où  la  présence 
des  troupes  françaises  n'étouffa  pas  l'insurrection. 
La  ville  de  Valence  renonça,  dès  le  23  mai,  à  l'obéis- 
sance du  gouvernement  de  Madrid.  Séville  suivit  cet 
exemple  le  20  ;  don  Joseph  Palafooo  organisa,  le  27, 
à  Saragosse  ,  l'insurrection  de  l' Aragon.  Ces  mouve- 
ments populaires  furent  accompagnés,  dans  plusieurs 
endroits  d'excès  horribles.  «  Le  tocsin  se  fit  entendre 
de  toute  part,  et  la  populace  effrénée  commença  une 
série  d'attentats  contre  tous  ceux  que  son  caprice 
désignait  comme  fauteurs  des  projets  de  Napoléon. 
Elle  s'acharna  spécialement  sur  les  chefs,  militaires 
et  civils ,  et  sur  ceux  qu'elle  croyait  avoir  joui  de  plus 
de  faveur  sous  le  règne  de  Charles  IV.  On  compte  au 
nombre  des  victimes  de  sa  fureur  insensée,  le  capi- 
taine général  de  marine  don  Francisco  de  Borja; 
le  marquis  del  Socorro,  capitaine  général  de  l'Anda- 


—  m  — 

îousie;  le  comte  de  Torrefremo,  gouverneur  de  Bada- 
joz  ;  don  Santiago  de  CAizinan  et  Villorùt,  gouverneur 
de  Tortose;  le  lieutenant  général  don  Antonio  Filan- 
gieriy'  les  maréchaux  de  camp  don  Miguel  Cevallos  y 
et  don  Pedro  Truxillo;  don  Juan  de  Toda,  gouverneur 
de  Villa-Franca  de  Panades;  le  comte  delAguila,  à 
Séville,  et  le  baron  de  Albanat^  à  Valence.  Tous  fu- 
rent assassinés  et  mis  en  morceaux  dans  les  soulève- 
ments. »  Ces  massacres  produisirent  une  terreur  uni- 
verselle ,  et  telle  devint  alors  l'anarchie,  que  ceux  qui 
gouvernaient  se  trouvèrent  dans  la  dure  nécessité  de 
plier  devant  la  lie  du  peuple,  et  de  se  prêter  à  tous 
ses  affreux  caprices. 

La  partie  saine  de  la  nation  s'empressa  de  mettre 
lin  à  ces  scènes  d'horreur,  en  formant  des  juntes  cen- 
trales. La  forme  populaire  du  régime  des  villes  d'Es- 
pagne fournit  le  moyen  de  les  organiser.  Séville  en 
donna  l'exemple  le  27  mai.  La  junte  centrale  qui  y 
fut  établie,  rejetant  l'autorité  du  Conseil  souverain  de 
Madrid,  parce  que  cette  capitale  était  entre  les  mains 
de  l'ennemi ,  s'arrogea  un  pouvoir  indépendant  qu'elle 
exerça  au  nom  du  roi  Ferdinand  VIL  Par  une  procla- 
mation du  29  mai,  elle  appela  la  nation  à  la  défense 
de  la  patrie,  de  son  roi,  de  ses  propriétés  et  de  ses 
lois.  Le  6  juin,  elle  déclara,  au  nom  de  Ferdinand  VII, 
la  guerre  à  Napoléon,  et  aussi  à  la  France,  tant  qu'elle 
restera  soumise  à  son  joug. 

On  se  ferait  difficilement  une  idée  des  sentiments 
patriotiques  et  de  l'enthousiasme  qui  enflammaient 
alors  la  nation  espagnole ,  si  l'on  n'avait  sous  les  yeux 
quelques-unes  des  pièces  remarquables  qui  furent 
publiées  à  cette  époque.  Dans  ce  nombre  il  faut  par- 
ticulièrement distinguer  les  actes  précités  du  29  mai 
et  du  6  juin,  ainsi  que  l'adresse  de  Palafox  à  Na- 
poléon, qui  trouvent  ici  leur  place. 


—  205 


Vroclamation  de  la  Junte  suprême  de  Séville,  du  29  mai  1808. 

Espagnols  j 

«  La  ville  de  Séville  s'est  livrée  aux  élans  de  cette 
fidélité  dont  elle  a  dans  tous  les  temps  donné  à  ses 
souverains  tant  de  preuves  héroïques.  On  lui  enleva 
son  Roi ,  auquel  elle  avait  prêté  serment  et  qu'elle 
avait  reçu  avec  des  acclamations  sans  exemple.  Les 
principes  de  la  monarchie  furent  foulés  aux  pieds,  vos 
propriétés,  vos  institutions,  vos  femmes;  tout  ce  qui 
vous  est  cher  est  menacé.  La  sainte  religion ,  notre 
seule  espérance,  sera  anéantie  ou  réduite  à  de  simples 
formalités  extérieures  ;  elle  est  sans  appui  et  sans  pro- 
tection. Tous  ces  malheurs  nous  arrivent  de  la  part 
d'une  puissance  étrangère,  non  par  la  force  des  armes 
mais  par  la  ruse  et  par  la  perfidie.  On  s'est  servi  de 
nous-mêmes  contre  nous;  on  a  rendu  complices  de 
ces  abominations  ceux  qui  se  disaient  les  chefs  de  notre 
gouvernement ,  et  qui ,  par  la  bassesse  de  leurs  senti- 
ments ou  par  lâcheté,  et  peut-être  par  d'autres  motifs 
que  le  temps  et  la  justice  dévoileront,  n'ont  pas  hé- 
sité à  trahir  leur  patrie.  Il  est  donc  devenu  nécessaire 
de  rompre  les  liens  qui  attachaient  les  Espagnols  à  ce 
gouvernement ,  et  qui  les  empêchaient  de  se  réveiller 
et  de  faire  usage  de  ce  courage  par  lequel  ils  se  sont, 
dans  tous  les  siècles,  couverts  de  gloire  et  ont  défendu 
l'honneur  de  la  nation,  leurs  lois,  leursRoiset  leur  foi. 

«  En  conséquence ,  les  habitants  de  Séville  se  sont 
assemblés  le  27  mai ,  et  avec  le  concours  de  tous  les 
magistrats  et  de  toutes  les  autorités  établies ,  et  des 
personnes  les  plus  respectables  de  toutes  les  condi- 
tions, ils  ont  nommé  une  Junte  suprême  de  gouver- 
nement, l'ont  revêtue  des  pouvoirs  nécessaires,  et  lui 


—  206  — 

ont  enjoint  de  défendre  la  religion,  la  patrie,  les  lois 
et  le  Roi.  Nous  avons  accepté  cette  belle  mission;  nous 
jurons  de  la  remplir,  et  nous  comptons  sur  la  force  de 
toute  la  nation ,  après  avoir  de  nouveau  proclamé 
comme  notre  Roi,  Ferdinand  VII j  et  avoir  juré  de 
mourir  pour  lui.  Tel  fut  notre  vœu  solennel,  il  sera 
celui  de  toute  l'Espagne. 

«  Une  prétendue  Junte  de  gouvernement  qui,  à  peine 
établie,  viola  les  lois  fondamentales  de  la  monarchie; 
un  président  nommé  d'une  manière  illégale,  qui,  s'il 
avait  quelques  talents  pour  occuper  cette  place ,  s'en 
est  bientôt  rendu  indigne  ;  qui  d'ailleurs ,  né  hors  du 
royaume,  ne  pouvait  pas  être  élevé  à  ce  poste;  sa  con- 
duite incertaine,  qui  tendait  à  renverser  le  monarque 
dont  il  tenait  son  pouvoir,  et  les  lois,  par  lesquelles 
seules  il  pouvait  avoir  quelque  autorité,  ne  peuvent 
ni  ne  doivent  nous  inspirer  le  moindre  respect  :  rien 
de  tout  cela  ne  saurait  comprimer  notre  fidélité,  ni 
ébranler  notre  attachement  à  des  devoirs  que  nous 
avions  contractés  comme  sujets,  comme  chrétiens, 
comme  hommes  libres  et  indépendants  de  toute  puis- 
sance étrangère. 

«  Nous  pouvions  encore  moins  être  retenus  par  l'au- 
torité du  premier  tribunal  de  la  nation  ,  le  Conseil  de 
Castille.  Sa  faiblesse  s'est  manifestée  dans  les  démar- 
ches incertaines  et  contradictoires  que  les  membres 
dont  il  est  composé  firent  dans  cette  occasion  impor- 
tante, où  ils  auraient  dû  au  contraire  montrer  ce  cou- 
rage héroïque  dont  tant  de  motifs  et  l'honneur  lui-même 
leur  faisaient  un  devoir.  La  faiblesse  de  ce  corps,  ou 
peut-être  son  crime ,  fut  manifeste  lorsqu'il  osa  pro- 
clamer l'ordre  de  reconnaître  et  exécuter  l'acte  d'abdi- 
cation de  Charles  IV  en  faveur  d'un  souverain  étranger; 
abdication  évidemment  nulle  et  non  avenue,  parce  que 
(Èèlui  qui  Ta  signée  n'en  avait  pas  le  droit;  parce  que 


—  !i07  — 

la  monarchie  n'est  pas  sa  propriété,  et  que  la  nation 
espagnole  ne  se  compose  pas  d'un  vil  troupeau  dont  on 
puisse  disposer  arbitrairement  j  et  parce  que  le  Prince 
est  parvenu  au  trône  par  le  droit  de  sa  naissance  et 
par  les  lois  fondamentales  de  la  monarchie,  qui  déter- 
niinent  d'une  manière  immuable  l'ordre  de  la  succes- 
sion; lois  sur  lesquelles  le  Conseil  de  Castille  n'a  aucune 
autorité,  et  à  la  conservation  desquelles  il  est  chargé 
de  veiller.  Cette  abdication  est  encore  nulle  par  la 
violence  qui  l'a  arrachée  à  Charles  IV,  et  qui  est  plus 
grande  et  mieux  prouvée  que  celle  qu'on  prétend  avoir 
précédé  sa  première  abdication.  Elle  est  nulle,  parce 
que  les  abdications  prétendues  de  Ferdinand  VU ,  de 
son  oncle  et  de  son  frère,  supposé  même  qu'elles  fus- 
sent authentiques ,  ont  été  arrachées  par  la  contrainte, 
ainsi  que  le  disent  clairement  les  paroles  de  ces  actes. 
Toutes  ces  abdications  sont  nulles,  parce  que  plusieurs 
Princes  de  la  famille  royale  qui  ont  droit  à  la  couronne 
n'y  ont  pas  renoncé,  mais  l'ont  au  contraire  conservé 
dans  son  intégrité,  sans  parler  de  la  perfidie  sans 
exemple  avec  laquelle  on  a  bafoué  la  nation  espagnole. 
C'est  à  notre  alliance  et  aux  sacrifices  que  nous  avons 
faits,  que  la  nation  française  doit  une  grande  partie 
de  ses  victoires.  On  enleva  nos  braves  soldats,  on  les 
conduisit  dans  les  régions  les  plus  éloignées,  où  on 
les  fit  combattre  pour  le  gouvernement  français.  Ce 
n'est  pourtant  pas  que  ce  gouvernement  eût  besoin  de 
ce  secours  ;  il  ne  le  demanda  que  pour  nous  affaiblir. 
Prétextant  sans  cesse  notre  bien-être,  ce  gouvernement 
fit  entrer  ses  troupes  en  Espagne,  alléguant  une  expé- 
dition contre  un  ennemi  dont  il  n'est  plus  question 
maintenant.  Par  un  élan  courageux  le  peuple  empêcha 
le  départ  du  Roi.  Quoique  le  gouvernement  français 
eût  dû  s'applaudir  de  la  tournure  que  cet  événement 
avait  prise,  non-seulement  il  garda  à  ce  sujet  le  plus 


—  208  — 

profond  silence,  mais  il  en  prit  même  occasion  pour 
nous  opprimer.  On  accuse  notre  nation  d'une  discorde 
qui  n'existe  pas,  car  jamais  nation  ne  fut  plus  unanime 
dans  l'amour  de  son  Roi.  Ce  gouvernement  perfide 
attira,  par  des  machinations  infâmes,  notre  Roi  sur 
son  territoire  :  avec  une  générosité  sans  exemple  le 
Roi  se  confia  à  des  paroles  trompeuses ,  et  se  jeta  entre 
les  bras  de  ce  gouvernement  qui,  avec  une  perfidie 
dont  l'histoire  de  toutes  les  nations  et  de  tous  les  siè- 
cles n'offre  aucune  trace,  le  fit  prisonnier,  le  traita 
avec  indignité,  et  le  força  à  des  actes  que  toute  l'Es- 
pagne a  vus  avec  horreur.  En  se  servant  de  la  même 
hypocrisie,  on  conduisit  les  parents  de  Sa  Majesté  hors 
de  notre  pays  pour  les  forcer  à  des  injustices  propres 
à  déshonorer,  jusqu'à  la  postérité  la  plus  reculée,  leurs 
noms  illustres.  De  même  les  autres  Princes  de  la  mai- 
son royale  furent  enlevés  ;  on  n'épargna  pas  même 
ceux  dont  la  jeunesse  aurait  dû  leur  servir  de  protec- 
tion au  milieu  des  peuples  les  plus  barbares. 

«  Napoléon  appelle  à  lui  la  nation  espagnole;  il  nomme 
à  son  gré  de  prétendus  députés,  détermine  arbitrai- 
rement le  mode  d'élection  des  autres  qui ,  dans  un  pays 
étranger,  doivent  traiter  des  intérêts  les  plus  sacrés  de 
la  nation ,  pendant  que  lui-même  publie  une  lettre  se- 
crète et  respectueuse  que  le  roi  Ferdinand,  étant  en- 
core Prince  royal,  lui  avait  adressée;  il  la  proclame 
criminelle  et  contraire  aux  droits  des  souverains;  et 
peut-être  lui-même  avait-il  provoqué  cette  lettre  dont 
il  veut  maintenant  faire  un  crime  à  son  auteur  !  C'est 
un  crime  en  effet,  et  un  crime  de  haute  trahison, 
qu'une  nation  indépendante  obéisse  à  un  Prince  étran- 
ger, qu'elle  aille,  sous  ses  yeux  et  sous  sa  direction, 
délibérer  sur  des  objets  qui  concernent  son  bonheur;  et 
ni  les  habitants  de  Séville,  ni  quelque  Espagnol  que 
ce  soit,  ne  pousseront  l'oubli  des  convenances  et  de  la 


—  209  — 

loyauté  au  point  de  commettre  un  crime  dont  un  es- 
clave même  ne  se  souillerait  pas. 

«  Cet  homme  a  employé  mille  moyens  infâmes  pour 
nous  tromper;  il  répand  des  pamphlets  et  journaux 
séditieux  pour  corrompre  l'opinion  publique  ;  il  y 
annonce  le  respect  des  lois  et  de  la  religion ,  tandis 
qu'il  viole  les  unes  et  qu'il  outrage  l'autre;  il  ne  re- 
jette aucun  projet  qui  puisse  servir  à  nous  imposer  un 
joug  de  fer.  Il  pousse  le  mensonge  au  point  de  dire 
dans  un  de  ses  libelles  qu'il  est  d'accord  avec  le  Chef 
de  l'Eglise,  le  Vicaire  de  Jésus-Christ,  tandis  que  toute 
l'Europe  et  les  nations  barbares  elles-mêmes  savent 
qu'il  le  tient  sous  l'oppression ,  qu'il  a  dépouillé  ce 
Pontife  de  ses  États  ,  et  l'a  privé  de  la  société  de  ses 
Cardinaux,  et  tout  cela  par  violence  et  dans  le  but 
d'entraver  le  gouvernement  de  l'Église ,  qui  appartient 
au  Pape  par  la  volonté  de  notre  divin  Sauveur. 

«  Espagnols  !  tout  nous  oblige  à  nous  réunir  pour 
prévenir  de  pareilles  atrocités.  Ce  n'est  pas  une  révo- 
lution que  nous  allons  faire  en  Espagne;  nous  deman- 
dons seulement  à  protéger  ce  que  nous  avons  de  plus 
sacré  contre  celui  qui,  sous  le  masque  de  l'amitié  et 
de  l'alliance  ,  nous  en  a  dépouillés  ,  et  qui  voudrait 
nous  priver  de  nos  Rois  et  de  notre  religion.  Sacrifions 
tout  pour  une  cause  si  juste;  et  si  nous  devons  tout 
perdre  ,  que  ce  soit  en  combattant  et  en  hommes 
d'honneur. 

«  Réunissons-nous  tous  !  notre  peuple  est  prêt  à  pren- 
dre les  armes;  sommons  les  hommes  de 'lettres  de 
toutes  les  provinces  pour  qu'ils  soutiennent  l'opinion 
publique  et  réfutent  ces  infâmes  libelles  que  notre 
ennemi  ne  cesse  de  publier.  Que  chacun  combatte  à 
sa  manière  ;  que  l'Église  espagnole  sollicite  sans  cesse 
le  secours  du  Dieu  des  armées,  dont  la  protection 
nous  est  assurée  par  la  justice  de  notre  cause. 
XI  H 


—  210  -- 

«  Et  qu'aurions-nous  à  craindre  ?  L'ennemi  n'a  pas 
en  Espagne  une  aussi  grande  armée  qu'il  l'annonce 
dans  le  dessein  de  nous  effrayer;  celle  qui  s'y  trouve 
est  composée  d'hommes  de  toutes  les  nations  enrôlés 
de  force ,  et  soupirant  après  le  moment  où  ils  pour- 
ront rompre  leur  chaîne.  Les  positions  que  ces  troupes 
ont  prises  sont  telles  qu'il  est  facile  de  les  forcer;  au 
reste ,  la  conscience  de  défendre  une  mauvaise  cause 
décourage  l'homme  le  plus  vaillant. 

«Toute  l'Europe,  applaudissant  à  nos  efforts,  accourra 
à  notre  secours.  L'Italie,  l'Allemagne,  tout  le  Nord, 
qui  gémissent  sous  le  joug  de  l'oppresseur,  saisiront 
l'occasion  que  nous  leur  offrons  pour  le  secouer,  et 
pour  reprendre  leurs  lois  et  leurs  Princes  que  la  France 
leur  a  enlevés.  La  France  elle-même  ne  voudra  pas  se 
couvrir  de  la  honte  qui  rejaillirait  sur  elle,  si  elle  se 
laissait  forcer  à  servir  d'instrument  à  une  perfidie 
qui  annonce  le  sort  qu'on  lui  prépare  à  elle-même. 
Non,  les  Français  ne  verseront  pas  leur  noble  sang 
pour  une  cause  si  infâme.  Ils  ont  souffert  des  maux 
sans  fin ,  parce  qu'on  les  a  constamment  bercés  de 
l'espoir  d'une  paix  et  d'un  bien-être  qu'ils  n'obtien- 
dront que  sous  l'empire  de  la  raison ,  de  la  religion 
et  des  lois,  et  lorsqu'ils  respecteront  les  droits  des 
autres  peuples. 

((  Espagnols  !  la  patrie,  nos  propriétés,  nos  lois,  votre 
liberté,  vos  Rois,  votre  sainte  religion,  et  l'espoir 
d'une  vie  éternelle  que  cette  religion  vous  assure,  sont 
menacés  d'un  danger  imminent  auquel  ils  ne  peuvent 
échapper  que  par  votre  courage. 

«Donné  à  Séville ,  le  29  mai  1808. 

w  Par  ordre  de  la  Junte  suprême  de  gouvernement, 

((  Signé  Don  Juan  Bautista  Etteler. 
«  Don  Juan  Pardo.  » 


—  21i    -r- 


Dédaration  de  guerre  de  l'Espagne  contre  Napoléon  Z*"",  empe- 
reur des  Français^  du  6 juin  1808. 

«  Fei^dinand  VII ^  roi  d'Espagne  et  des  Indes,  et  en 
son  nom,  la  Junte  suprême  des  deux  royaumes. 

«  La  France ,  ou  plutôt  Napoléon  P%  empereur  des 
Français  ,  a  rompu  d'une  manière  perfide  les  liens  qui 
subsistaient  entre  lui  et  l'Espagne.  11  a  enlevé  à  ce 
royaume  ses  Princes,  et  les  a  engagés  par  la  con- 
trainte à  signer  des  actes  d'abdication ,  que  l'univers 
entier  a  reconnu  nuls  et  non  avenus.  Par  la  violence 
il  les  a  forcés  de  lui  transférer  tous  leurs  droits  de 
souveraineté ,  cession  qu'ils  n'avaient  pas  le  pouvoir 
de  faire. 

«  Par  une  insolence  sans  exemple ,  il  déclare  avoir 
choisi  un  roi  d'Espagne.  Il  a  fait  entrer  ses  troupes 
dans  le  royaume,  les  a  distribuées  dans  les  différentes 
provinces,  et  leur  a  ordonné  de  s'emparer  des  places 
fortes  et  de  la  capitale.  Ces  troupes  se  sont  rendues 
coupables  de  rapine,  de  meurtres  et  de  cruautés  inouïes. 
Ces  entreprises  criminelles ,  Bonaparte  ne  les  a  pas 
exécutées  par  la  force  de  ses  armes;  il  les  a  couvertes 
du  manteau  de  l'amitié  et  a  prétexté  sa  sollicitude 
pour  notre  bonheur.  Il  a  récompensé  par  l'ingratitude 
la  plus  noire  les  services  que  la  nation  espagnole  lui 
avait  rendus;  il  n'a  pas  rougi  de  payer  la  loyauté  es- 
pagnole par  la  ruse,  la  fraude  et  la  trahison  :  conduite 
qu'aucun  peuple  et  aucun  prince,  quelque  ambitieux  et 
quelque  barbare  qu'il  fût,  ne  s'est  jamais  permise  envers 
un  autre  peuple  ou  un  autre  gouvernement.  Enfin  il  a 
franchement  déclaré  que  c'était  son  intention  de  ren- 
verser la  monarchie  et  ses  lois  les  plus  sacrées;  et  il  a 
prouvé  par  le  fait  combien  peu  il  respecte  la  religion 
que  les  Espagnols  professent  depuis  la  venue  au  monde 


—  212  — 

du  divin  Sauveur,  et  que,  fidèles  à  leur  serment ,  ils 
ont  toujours  maintenue  dans  sa  pureté. 

«Pour  mettre  un  terme  à  ces  atrocités,  nous  nous 
sommes  vus  forcés  de  prendre  les  armes ,  seul  remède 
dont  nous  puissions  espérer  un  succès  assuré.  En  con- 
séquence, nous  publions,  à  la  face  de  l'Europe,  que 
nous  déclarons  la  guerre  à  Bonaparte. 

«  C'est  au  nom  de  notre  Roi,  Ferdinand  V7/,  et  de  toute 
la  nation  espagnole,  que  nous  déclarons  la  guerre  par 
terre  et  par  mer,  à  l'empereur  Napoléon  ^  et  aussi  à  la 
France,  tant  qu'elle  restera  soumise  à  son  joug.  Nous 
ordonnons  à  tous  les  Espagnols  de  commencer  les  hos- 
tilités envers  les  Français,  et  de  leur  faire  tout  le  mal 
que  les  lois  de  la  guerre  autorisent.  Nous  ordonnons 
qu'un  embargo  soit  mis  sur  tous  les  bâtiments  fran- 
çais qui  se  trouvent  dans  nos  ports ,  et  que  le  séques- 
tre soit  posé  sur  toute  propriété  appartenant  au  gou- 
vernement français  ou  à  des  individus  de  cette  nation, 
dont  les  Espagnols  pourront  s'emparer. 

((  Nous  ordonnons  en  même  temps  qu'aucun  mal  ne 
soit  fait  à  la  nation  anglaise,  qu'on  respecte  son  gou- 
vernement, qu'on  ne  mette  aucun  empêchement  à  ce 
que  les  vaisseaux  appartenant  à  son  Roi ,  ou  à  des  par- 
ticuliers, ne  continuent  leur  route,  et  que  les  propriétés 
des  Anglais  qui  peuvent  se  trouver  sur  le  sol  de  l'Es- 
pagne soient  soustraites  à  tout  séquestre  ou  à  toute 
autre  atteinte. 

((  Nous  déclarons  que  nous  avons  établi  un  commerce 
libre  avec  la  Grande-Bretagne ,  et  que  nous  le  main- 
tiendrons intact  ;  que  nous  avons  conclu  avec  cet  Etat 
un  armistice  qui,  à  ce  que  nous  espérons,  sera  bientôt 
changé  en  une  paix  solide  et  durable.  Nous  promet- 
tons de  ne  poser  les  armes  que  lorsque  l'empereur 
Napoléon  aura  rendu  à  l'Espagne  Ferdinand  VU,  son 
souverain  légitime,  et  les  autres  personnes  de  la  mai- 


—  213  — 

son  royale,  ot  qu'il  aura  pris  l'engagement  formel  de 
respecter  désormais  les  lois  sacrées  d'une  nation  qu'il 
a  outragée,  et  de  reconnaître  la  liberté ,  l'intégrité  et 
l'indépendance  de  l'Espagne. 

«  Et  afin  que  notre  résolution  ferme  et  inébranlable 
soit  portée  à  la  connaissance  de  tonte  la  nation  espa- 
gnole ,  et  obtienne  son  effet  entier,  nous  ordonnons 
que  la  présente  déclaration  soit  imprimée,  proclamée, 
afficbée  aux  lieux  accoutumés ,  répandue  dans  la  ca 
pitale  et  dans  les  provinces  de  l'Espagne  et  des  deux 
Amériques,  enfin  publiée  en  Europe,  en  Asie  et  en 
Afrique. 

«  Donné  au  palais  royal  d'Alcazar  à  Séville,  le  6  juin 
1808. 

«  Au  nom  de  la  Junte  suprême, 

f(  Signé  Juan  Bautista  Pardo,  Emmanuel 
Maria  Acuilar  ,  secrétaires.  » 


Adresse  à  Napoléon,  publiée  à  Valence  le  7  juin  1808. 

((  Napoléon ,  le  voile  qui  couvrait  ta  perfidie  est  dé- 
chiré. Le  mystère  dans  lequel  l'hypocrisie  s'envelop- 
pait est  éclairci.  Elle  est  dévoilée  ton  ambition  effrénée 
qui  ne  connaît  ni  borne  ni  loi.  Elle  est  le  mobile  de 
toutes  tes  machinations  compliquées.  Elle  t'a  enseigné 
ces  paroles  mielleuses  et  astucieuses  par  lesquelles  tu 
réussis  à  tromper  la  bonne  foi.  Tu  trompes  pour  sé- 
duire; tu  séduis  pour  faire  la  guerre  ;  tu  fais  la  guerre 
pour  piller;  tu  pilles  pour  régner;  tu  règnes  pour  dé- 
truire. 

«  Que  Rome  etNaples  nous  servent  de  témoins.  Nous 
en  appelons  à  l'Allemagne  et  à  la  Prusse,  à  la  Toscane 
et  à  toute  l'Italie,  à  la  Suisse  et  à  la  Hollande,  au  For- 


—  214  — 

tugal  et  à  notre  Espagne.  Toi-même,  Napoléon,  ré-, 
ponds,  sois  une  fois  maître  de  tes  passions,  qu'une 
parole  de  vérité  sorte  une  seule  fois  de  ta  bouche.  Que 
deviendra  l'Espagne  quand  tu  l'auras  ravagée  et  as- 
servie, quand  tu  la  gouverneras ,  toi  ou  un  de  tes  com- 
plices, quand  tu  auras  enlevé  à  nos  ateliers  les  mains 
laborieuses  qui  les  mettaient  en  mouvement,  quand 
tu  auras  arraché  de  leurs  foyers  trois  cent  mille  hom- 
mes pour  être  égorgés  dans  une  terre  lointaine,  où 
leurs  corps  pourriront  sans  sépulture?  Nos  bras  sont- 
ils  réservés  à  t'aider  dans  l'exécution  de  ce  projet  que 
tu  nourris  en  secret,  de  détruire  la  maison  impériale 
d'Autriche  environnée  de  siècles  de  gloire  ?  Lui  pré- 
pares-tu déjà  des  funérailles  comme  à  la  maison  des 
Bourbons  ? 

«  Et  parvenu  à  ce  but,  les  guerriers  que  tu  enlèveras 
aux  champs  fertiles  de  l'Autriche ,  comment  les  em- 
ploieras-tu pour  être  les  instruments  et  les  soutiens  de 
ta  tyrannie?  Parcourront-ils  l'Allemagne  pour  ren- 
verser ces  trônes  chancelants  auxquels  tu  as  donné 
une  existence  éphémère?  Alors  le  titre  imposant  d'em- 
pereur d'Occident  te  suffira-t-il  enfin  ?  Ou  bien  as-tu 
promis  tes  secours  à  la  Russie  pour  renverser  et  la 
Prusse,  et  la  Porte  et  la  Perse?  Sera-t-il  permis  alors 
à  son  czarde  s'intituler  empereur  d'Orient?  Napoléon, 
défie-toi  de  toi-même  :  jamais  tu  ne  permettras  qu'il 
existe  auprès  de  toi  un  homme  qui  soit  ton  égal.  Tu 
prendrais  les  armes  pour  anéantir  ton  meilleur  ami. 
Ton  ambition  ne  connaît  pas  de  borne  ,  mais  elle 
n'échappera  pas  au  châtiment  qui  lui  est  dû. 

«Dis,  quelle  destinée  prépares-tu  à  l'Espagne,  à 
cette  Espagne  qui  s'était  placée  comme  amie  et  comme 
alliée  à  tes  côtés,  qui  pour  toi  avait  combattu  la  Grande- 
Bretagne  ,  et  dont  les  trésors  t'ont  aidé  à  vaincre  à 
Marengo,  à  Austerlitz,  à  léna  et  à  Eylau?  Ta  magna- 


—  215  — 

jiimité  si  vantée ,  quelle  récompense  a-t-elle  réservée  à 
ces  Espagnols  qui  par  ton  ordre  doivent  verser  leur 
sang  dans  la  Scandinavie,  et  à  une  nation  qui  jusqu'à 
ce  jour  s'est  soumise  à  tes  lois  et  à  tes  caprices  ?  Tu 
nous  avais  ,  pour  tous  ces  sacrifices  ,  solennellement 
promis  ton  amitié,  ta  foi,  ta  reconnaissance  et  ta  pro- 
tection. 

«  Combien  il  est  heureux  le  pays  qui  a  obtenu  un  tel 
protecteur  !  Le  ciel  t'a  envoyé  sur  la  terre  pour  répan- 
dre la  joie  parmi  nous.  Tes  bourreaux  inondent  l'Es- 
pagne ;  tu  as  transporté  à  Bayonne  notre  maison  royale, 
sans  doute  pour  inculquer  à  ses  Princes  tes  maximes 
politiques,  pendant  que  toi-même  tu  condescends  à 
instruire  nos  grands  dans  l'art  de  gouverner.  Napoléon, 
change  de  rôle,  cesse  de  jouer  cette  comédie  qui  a  trop 
duré  ;  il  est  temps  que  le  spectacle  se  termine  par 
une  scène  de  sang  et  d'horreur.  Tous  les  Espagnols 
doivent -ils,  dans  leur  faiblesse,  être  la  victime 
de  la  fourbe ,  comme  l'ont  été  les  Charles  et  les  Fer- 
dinand? doivent-ils,  comme  le  prince  de  la  Paix, 
trahir  leur  patrie?  L'Espagne  doit-elle  trembler  devant 
le  colosse  de  ta  puissance  fantastique?  Doit-elle  frémir 
des  imprécations  que  vomissent  contre  elle  tes  adu- 
lateurs et  tes  esclaves  ?  Doit-elle  imiter  ses  Princes , 
qui,  égarés  par  les  lueurs  perfides  que  tu  as  fait 
briller  à  leurs  yeux ,  les  ont  suivies  jusque  dans  les 
cachots  de  la  France,  où  tu  les  a  renfermés  ?  L'Espa- 
gne doit-elle  remettre  entre  tes  mains  le  choix  d'un 
souverain,  ou,  comme'l'Italie ,  placer  sur  ta  tête  une 
couronne  de  plus?  Que  d'autres  te  préconisent  arbitre 
de  la  paix;  qu'ils  soumettent  à  ta  décision  les  dissen- 
sions fomentées  par  ta  perfidie;  continue  à  punir  les 
crimes  que  tu  as  créés!  quant  à  nous,  aucune  loi  ne 
te  permet  de  nous  juger,  de  nous  châtier. 

«  Où  te  conduit  ta  démence?  H  est  une  vérité  que  nous 


—  216  — 

sentions  vivement  depuis  longtemps,  c'est  que,  grâce 
à  ton  amitié ,  l'Espagne  n'est  plus  qu'un  squelette  dé- 
charné ;  nous  savions  qu'ils  ont  été  gagnés  par  toi , 
ces  traîtres  qui  t'ont  juré  fidélité  par  la  tête  de  leur 
chef,  le  prince  de  la  Paix.  Nous  savions  qu'il  a  existé 
quelques  Espagnols  de  bonne  foi,  qui  jusqu'à  présent 
ont  cru  à  ta  loyauté.  Mais  écoute  ce  que  nous  recon- 
naissons maintenant,  ce  que  nous  savons,  ce  que  nous 
croyons,  ce  que  nous  espérons,  car  aujourd'hui  la 
nation  n'a  plus  qu'une  opinion ,  qu'un  sentiment,  et 
nous  allons  te  les  faire  connaître. 

«  Tes  paroles  ne  sont  que  faussetés  ;  tes  traités  ne 
sont  que  trahisons  ;  la  soif  de  sang  qui  te  dévore  est 
insatiable,  tu  es  ce  Roi  des  ténèbres  entouré  de  nuées 
de  sauterelles  infernales  ;  c'est  toi  que  l'Apocalypse 
a  nommé;  tu  t'appelles  Apollyoïif  c'est-à-dire,  le  des- 
tructeur ;  tu  es  sorti  des  abîmes  de  l'enfer  pour  ré- 
gner sur  la  terre  ;  tu  veux  que  nous  avalions  à  longs 
traits  le  calice  amer  que  tu  as  préparé  aux  peuples , 
dont  le  bonheur  et  la  liberté  ne  sont  vantés  que  par 
toi  ;  tes  paroles,  tes  sentiments  et  tes  actions  répon- 
dent à  la  bassesse  de  ta  naissance ,  à  la  conduite  que 
tu  as  toujours  tenue ,  à  ta  religion ,  car  tu  n'en  pro- 
fesses pas  d'autre.  Voilà  ce  que  nous  reconnaissons. 
Écoute  maintenant  ce  que  nous  savons. 

«  Sous  un  prétexte  spécieux  tu  as  envoyé  tes  merce- 
naires pour  nous  asservir  et  nous  exterminer;  tes  vils 
courtisans  ont  acheté  des  amis  pour  toi ,  des  ennemis 
pour  les  Bourbons;  tu  as  forgé  des  lettres  et  des  actes 
d'abdication  ;  tu  as  arraché  par  force  les  signatures  de 
Charles  et  de  Ferdinand;  tu  as  beau  les  dire  volon- 
taires ces  signatures,  elles  ne  seront  jamais  légales, 
car  elles  sont  les  enfants  de  ton  ambition  et  de  ta  vio- 
lence ;  tu  promets  du  soulagement  aux  cultivateurs  ; 
tu  expulses   le  propriétaire  de  son  domaine,   et  tu 


—  217  — 

prends  pour  la  part  le  tiers  des  productions  de  la  terre. 
Il  existe  en  France  un  père  auquel  la  nature  a  donné 
sept  fils,  tu  ne  lui  en  as  pas  laissé  un  seul  pour  sou- 
tien de  sa  vieillesse.  11  existe  en  France  une  veuve, 
mère  de  cinq  fils,  il  n'en  reste  plus  un  seul.  Si  tu  étais 
le  maître  de  l'Espagne,  nos  enfants  ne  seraient  plus  à 
nousj  jamais  ils  ne  reverraient  le  sol  qui  les  a  vus 
naître ,  ou  bien  ils  n'y  reviendraient  que  lorsque  les 
guerres  qui  se  renouvellent  sans  cesse  auraient  fini , 
et  elles  ne  peuvent  finir  qu'avec  ta  vie.  Tu  traiterais 
la  religion  dominante  comme  tu  l'as  traitée  dans  les 
autres  pays  ;  tu  chasses  les  prêtres  de  leurs  demeures, 
tu  profanes  et  tu  renverses  les  temples,  tu  voles  les 
vases  sacrés ,  tu  frappes  de  ton  épée  les  dons  de  la 
piété,  tu  brises  les  images  des  saints,  et,  profitant  des 
ténèbres  de  la  nuit,  tu  enlèves  les  trésors  du  sanctuaire. 
Voilà  ce  que  l'Espagne  sait.  Écoute  ce  qu'elle  croit. 

«  Tu  es  l'ennemi  de  toute  l'Europe;  tu  es  le  destruc- 
teur du  commerce;  des  arts  de  la  paix,  de  l'agricul- 
ture. La  religion  fuit  devant  toi  aussitôt  que  tu  t'ap- 
proches d'un  pays.  Tu  veux  envoyer  par  delà  les 
montagnes  et  les  mers  trois  cent  mille  enfants  de 
l'Espagne;  tu  veux  nous  ravir  notre  or,  afin  qu'il  ne 
nous  reste  rien  et  que  nous  n'ayons  plus  qu'à  pleurer 
notre  malheur,  notre  pauvreté,  notre  misère.  N'est-ce 
pas  là  le  sort  même  des  potentats  dont  tu  nous  vantes 
le  bonheur?  Tu  as  invoqué ,  tu  as  fomenté  la  dissen- 
sion entre  le  père  et  le  fils  ;  tu  as  répandu  les  semences 
de  la  désunion  entre  Charles  et  Ferdinand;  tu  as  pro- 
fité de  la  faiblesse  du  premier,  de  la  bonté  du  second, 
et  de  la  perfidie  du  prince  de  la  Paix.  Ce  dernier  s'est 
engagé  à  te  livrer  comme  une  proie  les  villes  royales 
d'Espagne,  Madrid,  Tolède  et  Séville.  Tu  as  appelé  à 
Bayonne  la  maison  de  Bourbon  afin  d'enterrer  sa  gran- 
deur. Tu  es  semblable  au  monstre  épouvantable  qui  se 


—  218  — 

lève  pour  annoncer  l'approche  épouvantable  du  der- 
nier jour.  Voilà  ce  que  croit  l'Espagne.  Écoute  ce 
qu'elle  espère. 

«  L'Espagne  n'espère  rien  de  toi,  car  tu  n'as  rien  à 
lui  offrir.  Elle  espère ,  par  la  réunion  de  ses  peuples, 
te  combattre  et  déchirer  les  lacs  dont  tu  l'as  envelop- 
pée. Elle  espère  que  ses  enfants  aimeront  mieux  verser 
leur  sang  dans  la  terre  de  leurs  ancêtres  pour  leurs 
foyers  paternels  et  la  religion  de  leurs  aïeux ,  que  de 
prodiguer  ce  sang,  sous  ta  conduite,  dans  des  contrées 
étrangères ,  où  le  guerrier  qui  succombera  sera  dé- 
voré par  les  vautours  et  les  bêtes  féroces.  Elle  espère 
qu'elle  ne  sera  gouvernée  par  aucun  homme  qui  ait , 
comme  toi ,  à  rougir  de  sa  naissance.  Elle  espère 
vaincre  dans  le  combat  qu'elle  soutiendra  contre  toi , 
afin  que  les  États  que  tu  as  asservis  et  ravagés  en  Europe 
puissent  de  nouveau  respirer  librement.  Elle  espère 
que  tu  finiras  comme  ces  tyrans  des  anciens  temps, 
Nabuchodonosor ,  Sardanapale ,  et  tous  ces  Princes 
superbes  qui  du  haut  de  leurs  trônes  daignaient  sou- 
rire quand  la  sottise  et  la  bassesse,  la  flatterie  et  l'im- 
piété, prosternées  à  leurs  pieds  dans  la  poussière,  les 
nommaient  tout-puissants.  Ces  espérances  de  l'Espagne 
sont  fondées,  non  sur  sa  confiance  dans  ses  propres 
forces,  mais  sur  sa  confiance  dans  la  puissance  de 
l'Être  Suprême,  qui  a  déjà  dévoilé  et  anéanti  la  trame 
ourdie  le  19  mars.  Elle  espère,  l'Espagne,  que  la 
divine  Majesté  ne  t'accordera  jamais  le  pouvoir  d'ex- 
terminer ceux  qui,  pleins  de  foi,  s'inclinent  devant 
le  signe  sacré  de  notre  rédemption.  Que  la  croix  soit 
notre  bannière  de  guerre  qui  nous  serve  à  nous  re- 
connaître les  uns  les  autres  ;  c'est  par  elle  que  l'Es- 
pagne s'était  préparée  à  la  conquête  du  nouveau 
monde;  Dieu  et  son  Saint  l'avaient  élue  pour  ce  grand 
ouvrage.  C'est  pourquoi  elle  espère  t'arracher  ce  que 


—  219  — 

tu  as  ravi  à  Dieu ,  à  l'Église,  à  toute  l'Europe,  t' abais- 
ser en  proportion  de  tes  forfaits,  délivrer  le  monde  de 
ta  tyrannie  et  de  ta  doctrine  perverse ,  afin  que  tu 
tombes  comme  un  fils  du  péché,  comme  un  parjure, 
comme  un  ennemi  de  Dieu ,  de  l'Église ,  de  l'humanité. 

«  Oui,  c'est  le  ferme  fondement  de  notre  espérance. 
Mais  dis-nous,  toi,  qu'espères  tu  ?  Espères-tu  que 
nous  te  proclamerons  roi?  Jamais ,  jamais.  Le  sort  de 
l'Italie  est  présent  à  nos  yeux.  Espères-tu  que  nous 
nommerons  ton  frère?  Jamais.  Les  malheurs  de  Naples 
nous  remplissent  d'effroi.  C'est  envers  Ferdinand  que 
nous  avons  contracté  des  obligations ,  nous  lui  avons 
juré  obéissance  comme  héritier  de  son  père.  Espères- 
tu  trouver  des  amis  en  Espagne?  Jamais.  Nous  savons 
comment  tu  as  récompensé  Moreau,  Pichegru  et  Ville- 
neuve,  qui  ont  contribué  médiatement  ou  immédiate- 
ment à  la  grandeur  de  ton  trône.  Espères-tu  que  l'Es- 
pagne te  reconnaîtra  pour  son  vainqueur?  Espères-tu 
faire  croire  à  tes  bulletins,  quand  ils  annonceront  que, 
dans  un  combat  décisif,  vingt-cinq  Français  sont 
tombés ,  tandis  que  trois  mille  Espagnols  ont  péri  ? 
Toute  l'Espagne  mentira-t-elle,  parce  que  le  mensonge 
t'est  utile  et  te  plaît? 

(f  Nous  avouons  que  tu  t'es  emparé  des  forteresses 
que  tu  as  nommées  dans  tes  gazettes,  et  que  ton  ami 
le  prince  de  la  Paix  t'a  livrées;  nous  avouons  qu'un 
soulèvement  du  peuple  de  Madrid,  qui  s'était  armé  de 
couteaux,  t'a  coûté  cinq  mille  soldats  et  privé  de  la  vie 
deux  cents  citoyens  de  cette  ville.  Cette  vérité  géné- 
ralement connue  ,  aucun  de  tes  journaux  ne  l'a  an- 
noncée. 

«  Espères -tu  conquérir  l'Espagne  à  main  armée  ? 

Sache  que  tu  peux  beaucoup  perdre,  et  que  jamais  tu 

ne  gafjneras  un  cœur.  Sache  qu'un  châtiment  éclatant 

peut  tarder,  mais  atteint  toujours  les  forfaits  éclatants. 

I 


—  220  -^ 

Saclie  que  tes  propres  guerriers  t'abandonneront  un 
jour  et  tourneront  l'épée  contre  toi.  Sache  que  d'au- 
tres nations  indignées  se  soulèveront ,  tandis  que  tu 
aiguises  tes  dents  pour  déchirer  l'Espagne.  Sache  que 
le  lion  d'Esdras  régnera  deux  fois  comme  roi  ;  que  le 
fameux  lion  de  Roncevaux  ,  couché  depuis  si  long- 
temps, se  réveillera  et  se  redressera.  Ce  lion  est  l'Es- 
pagne ;  il  se  prépare  pour  commencer  un  combat  à 
mort,  pour  porter  la  croix  en  trophée  jusqu'aux  confins 
du  monde. 

«Tremble,  Napoléon!  il  s'approche  le  moment  où  tu 
cesseras  d'être  invincible.  Tremble  devant  l'Espagne, 
non  à  cause  de  sa  propre  force ,  mais  à  cause  de  ta 
conscience.  Tremble  devant  Dieu  qui  protège  l'Espa- 
gne et  en  qui  elle  se  confie.  Le  Tout-Puissant,  qui, 
par  le  bras  d'un  petit  nombre  d'enfants  d'Israël,  a 
vaincu  les  armées  des  Philistins  et  exterminé  les 
troupes  innombrables  de  Xerxes,  enverra  ses  anges 
contre  toi.  Comme  alors  ils  combattront  dans  les  rangs 
des  Espagnols  dans  une  guerre  sainte  dont  la  religion 
est  l'objet;  elle  sera  dissipée  comme  la  paille,  cette 
armée  que  le  despotisme  a  formée  pour  le  combat ,  et 
que  le  démon  a  remplie  de  désespoir. 

n  Napoléon,  qu'ont  fait  nos  souverains  légitimes  pour 
que ,  d'une  manière  inouïe  dans  les  annales  de  l'Eu- 
rope, tu  aies  creusé  pour  eux  l'abîme  où  tu  les  pré- 
cipites? Pleins  de  confiance,  n'ont-ils  pas  conclu  avec 
toi  le  pacte  de  la  fidélité,  et  ne  t'ont-ils  pas  ouvert  les 
portes  de  la  péninsule  espagnole ,  afin  que  les  enfants 
de  la  France  corrompissent  nos  mœurs  et  détruisis- 
sent la  foi  et  l'espérance  de  nos  religieux  enfants? 
N'ont-ils  pas  prodigué  les  trésors  de  leurs  royaumes 
pour  t'affermir  sur  le  trône  chancelant  de  la  France? 
En   récompense,    tu  as  inondé   les  villes  frontières 


—  221   — 

d'Espagne  des  productions  de  la  France;  cela  t'était 
permis,  et  c'était  interdit  à  l'Angleterre,  quoique  toi 
seul  eusses  énervé  notre  industrie  et  notre  commerce. 
N'est-ce  pas  ce  qui  a  donné  lieu  à  la  guerre  désastreuse 
qui  nous  a  tous  appauvris?  Cependant,  pour  récom- 
penser notre  roi,  tu  as  précipité  son  frère  et  sa  race 
du  trône  de  Naples ,  et  tu  lui  as  extorqué  à  lui-même 
la  renonciation  à  son  trône  héréditaire.  Ne  t'a-t-il  pas 
donné  ses  flottes  pour  protéger  les  tiennes  contre  la 
puissance  de  l'Angleterre  toujours  victorieuse?  En  re- 
connaissance, n'a-t-il  pas  fallu  que  Villeneuve,  par  ton 
ordre,  conduisît  l'un  après  l'autre  nos  meilleurs  vais- 
seaux au  combat,  afin  que  dans  la  mêlée  la  mer  les 
engloutît,  afin  que  l'illustre  Gravina  tombât,  afin  que 
l'élite  de  notre  nation  fût ,  comme  ce  brave ,  couverte 
de  blessures  et  mourût? 

«  N'as-tu  pas,  de  concert  avec  Godoy  le  traître,  enlevé 
la  flotte  d'argent  de  la  Vera-Cruz ,  avec  des  frégates 
françaises  montées  par  des  matelots  hollandais ,  et 
munies  du  pavillon  anglais,  afin  que  les  peuples  déçus 
ne  soupçonnassent  pas  que  tu  étais  le  moteur  secret 
de  cet  attentat?  Notre  roi  ne  t'a-t-il  pas  donné  des 
troupes  de  soldats  belliqueux ,  suivies  de  tout  l'appa- 
reil de  la  guerre ,  pour  combattre  pour  toi  et  avec  toi 
contre  tes  ennemis?  Ne  t'envoyait-il  pas  toutes  les 
sommes  que  Godoy  avait  ramassées  en  levant  de  nou- 
veaux impôts,  en  pillant  les  fondations  anciennes,  en 
dissipant  les  biens  communaux,  en  volant  les  monas- 
tères et  les  citoyens?  Voilà  ce  que  notre  roi  a  fait  pour 
toi  !  Et  c'est  pour  cela  que  tu  as  arraché  de  dessus  la 
tête  de  sa  fille  la  couronne  d'Étrurie  depuis  longtemps 
mise  en  vente,  payée  et  plus  de  dix  fois  pesée  contre 
l'or  de  l'Espagne.  Nos  princes  ne  t'ont-ils  pas  permis 
de  faire,  à  leur  préjudice,  traverser  leur  pays  par  ton 
armée,  pour  marcher  contre  le  Portugal?  N'onl-ils  pas 


—  222  — 

réprimé  avec  violence  leur  sentiment  intime  de  l'équité 
pour  t'aider  dans  tes  actes  d'iniquité  ?  Et  c'est  pour 
cela  que  la  fille  de  notre  Roi,  et  chaque  personne  de 
la  maison  royale  de  Portugal ,  eussent  porté  tes  fers  , 
si  l'assistance  vigilante  de  l'Angleterre  ne  les  eût  pas 
enlevées. 

{(  Cruel  !  de  concert  avec  Godoy  le  traître  et  le  fourbe , 
tu  as  conjuré  contre  Charles,  et  tu  as  rejeté  ton  noir 
forfait  sur  Ferdinand  innocent.  L'assassinat  de  l'un 
des  Rois  et  l'accusation  de  l'autre  devaient  livrer  le 
trône  d'Espagne  à  ta  discrétion. 

M  L'innocence  ayant  triomphé ,  la  tentative  du  crime 
ayant  échoué ,  tu  as  feint  pour  nous  de  la  sollicitude  ; 
tu  as  voulu  défendre  les  ports  de  l'Espagne,  emporter 
d'assaut  le  rocher  de  Gibraltar  ;  tu  as  voulu  subjuguer 
les  côtes  d'Afrique,  nos  voisines  et  nos  ennemies. 

«  Tout  cela  n'était  que  forfanterie,  mensonge  et  ar- 
tifices. Nous  sommes  instruits,  nous  savons  tout!  Ta 
puissance  n'a  rien  pu  effectuer  de  ce  que  tu  as  promis  ; 
mais  tes  discours  fallacieux ,  colportés  par  tes  vils  et 
officieux  complices ,  ont  séduit  le  cœur  de  plusieurs 
Espagnols  honnêtes. 

«  C'est  ainsi  que  tu  as  pu  demander  que  l'on  admît 
tes  troupes  dans  l'intérieur  du  royaume  j  c'est  ainsi 
que  Godoy  a  pu  te  livrer  les  places  fortes  dans  l'inté- 
rieur du  royaume;  c'est  ainsi  que  tu  as  pu,  au  milieu 
de  la  paix ,  occuper  hostilement  la  Catalogne ,  notre 
frontière. 

«  Alors,  alors  enfin  tous  les  peuples  de  l'Espagne 
t'ont  pénétré;  mais  nous  avons  obéi  encore,  nous  avons 
gardé  le  silence,  nous  avons  souffert  patiemment. 

«  Le  roi  d'Espagne  s'est  tu,  les  peuples  de  l'Espagne 
se  sont  tus  comme  lui;  mais  ils  veillaient. 

«Tu  as  voulu  engager  toute  la  famille  de  nos  souve- 


—  223  — 

rains  à  une  fuite  honteuse ,  afin  de  saisir  le  royaume 
ainsi  abandonné;  mais  les  amis  les  plus  fidèles  de  la 
patrie  se  sont  pressés  autour  de  Charles  et  de  Ferdi- 
nand, pour  que  le  vieillard  affaibli  cédât  à  son  fils 
plus  vigoureux  la  défense  de  la  couronne  en  danger. 
Tu  as  alors  voulu  entrer  en  personne  sur  le  territoire 
espagnol;  persuadé  par  ses  sujets  les  plus  fidèles,  en- 
touré par  les  hommes  les  plus  éclairés  de  son  peuple, 
le  jeune  monarque,  plein  de  respect  et  de  confiance 
pour  toi ,  s'est  hâté  d'aller  à  ta  rencontre  jusqu'à 
Bayonne.  Là  tu  as  voulu,  dans  une  réunion  solennelle 
de  la  maison  royale,  aux  yeux  de  toute  l'Europe,  dé- 
cider du  bonheur  de  l'Espagne;  mais  là  se  déchira 
tout  à  coup  le  voile  qui  cachait  la  perfidie  de  ton 
cœur;  là  tu  as  ravi  la  liberté  aux  Rois  et  à  leur  famille  ; 
là  tu  t'es,  comme  un  brigand,  emparé  de  la  couronne 
d'Espagne ,  pour  la  mettre  sur  la  tête  de  ton  frère. 
C'est  ainsi  que  tu  as  récompensé  nos  Rois  ;  c'est  ainsi 
que  tu  nous  as  comblés  de  bonheur  ;  voilà  où  mènent 
les  alliances  que  l'on  conclut  avec  toi. 

«  Généreux  compatriotes  et  frères  d'armes,  ressentez 
cet  affront  déloyal,  pensez  à  la  douleur  du  jeune  mo- 
narque, réfléchissez  à  l'affliction  du  vieux  Roi  et  de  sa 
noble  compagne. 

«  Nous  les  avons  sans  cesse  devant  nos  âmes  fières, 
l'humiliation  d'une  résignation  forcée ,  l'opprobre 
d'une  arrestation  accompagnée  de  violences,  l'obscu- 
rité d'un  cachot  humide  que  Napoléon  leur  prépare 
peut-être.  Espagnols,  ne  vous  laissez  pas  tromper  par 
les  mensonges,  qui  lui  sont  si  familiers  !  Il  ressemble 
au  prince  du  ténébreux  abîme,  qui  d'abord  pervertit 
et  ensuite  précipite  dans  une  ruine  totale.  Songez  à 
toutes  les  belles  promesses  qu'il  a  faites  en  Italie ,  et 
au  mal  qu'il  y  a  opéré  !  Les  villes  d'Italie,  jadis  floris- 
santes et  célèbres ,  sont  aujourd'hui  désertes  et  igno- 


—  224  — 

rees.  Rome  la  sainte  est  par  Napoléon  devenue  l'impie, 
Naples  l'heureuse  est  dans  un  état  pitoyable,  Venise  la 
riche  est  misérable.  Gènes  la  superbe  est  abaissée,  Milan 
la  grande  est  dépeuplée ,  Florence  la  belle  est  flétrie , 
Bologne  la  grasse  soutient  à  peine  l'existence  languis- 
sante de  ses  citoyens;  Padoue  la  savante  a  perdu  le 
savoir  qui  faisait  sa  célébrité;  Ravenne  V antique  est 
obligée  de  se  plier  à  de  nouveaux  vices  et  à  de  nou- 
veaux crimes. 

«  Quel  salut,  nous,  habitants  de  l'Espagne,  pouvons- 
nous  attendre  d'un  homme  que  l'enfer  a  vomi  pour 
nous  pervertir?  11  est  encore  temps  de  nous  garantir 
de  ses  atteintes  :  aux  armes,  aux  armes  !  Que  le  cri  de 
guerre  et  de  détresse  retentisse  de  l'orient  à  l'occident, 
de  la  mer  du  midi  à  celle  du  septentrion  !  Citoyens , 
volez  aux  clochers,  faites  entendre  le  son  lugubre  du 
tocsin  !  Enflammez  dans  les  cœurs  irréprochables  cet 
esprit  héroïque  des  temps  anciens  qui  jadis  vous 
rendit  la  terreur  de  vos  oppresseurs,  et  anéantit  les 
légions  romaines  jusqu'alors  toujours  victorieuses. 
Nous  évoquons  la  Catalogne,  la  Cantabrie  et  l'ancienne 
îSumance.  Pensez,  Espagnols,  aux  combats  livrés  aux 
Normands  et  aux  Sarrasins  !  Rappelez-vous  des  chaînes 
et  des  liens  de  fer  que  vous  avez  jadis  brisés  dans  le 
port  de  Marseille  !  Rappelez-vous  que  vous  avez  arra- 
ché Jean  II  du  milieu  d'une  armée  de  trente  mille 
Français!  Souvenez -vous,  généreux  Espagnols,  de 
Catalan  Aldara,  ce  héros  dont  le  bras  amena  prison- 
nier dans  votre  pays  le  roi  de  France  lui-même, 
François  /". 

«  Ces  faits  éclatants  des  temps  qui  ont  précédé  le 
nôtre  doivent  l'éclairer.  Ne  tremblez  donc  pas  devant  la 
foule  de  vos  ennemis  !  Vous,  nobles  et  riches,  ouvrez 
vos  trésors ,  nourrissez  les  pauvres ,  afin  qu'ils  puis- 
sent d'un  bras  vigoureux  saisir  le  glaive  de  la  ven- 


—  225  — 

geance;  serrez-vous  comme  frères  les  uns  contre  les 
autres,  et,  rangés  en  ordre,  volez  pour  faire  triom- 
pher la  patrie!  Guerriers,   prenez  courage  contre  le 
lion  rugissant  de  la  Numidie.  Prêtres,  criez  vengeance, 
vengeance  contre  le  destructeur  des  autels  !  Artisans, 
forgez  des  armes  et  fouillez  la  terre  pour  en  arracher 
le  fer!  Mères,  refusez  pour  un  instant  le  sein  à  vos 
enfants ,    afin  qu'ils  sentent  quel  malheur  les  attend 
quand  ils  seront  hommes!  Enfants,  remplissez  l'air 
de  vos  lamentations,  et  accompagnez-en  nos  chants  de 
combat!  Vous,  animaux  des  forêts,  sortez  de  vos  ca- 
vernes, de  vos  antres,  de  vos  repaires;  tombez  avec 
nous  sur  les  Français  depuis  les  Pyrénées  jusqu'à  la 
Sierra-Morena,  afin  que  nous  en  purgions  la  terre;  que 
nous  conquérions  la  paix,  et  que  nous  vengions  notre 
Roi ,  notre  religion  et  notre  patrie  !  » 


La  lecture  des  pièces  que  nous  venons  de  reproduire 
sufiira  désormais  pour  expliquer  les  scènes  de  carnage 
et  d'horreur  qui  pendant  six  ans  désolèrent  la  Pénin- 
sule; nous  pouvons  donc  maintenant  reprendre  le 
cours  de  notre  récit. 

Lorsque  la  Junte  résolut  la  démarche  hardie  de 
déclarer  la  guerre,  elle  n'avait  ni  armes,  ni  muni- 
lions,  ni  trésor,  et  à  peine  une  armée.  L'Espagne 
avait,  il  est  vrai,  à  cette  époque,  cent  mille  hommes  sur 
pied,  en  y  comprenant  les  milices  provinciales;  mais  de 
ces  troupes,  quinze  mille  hommes  servaient  en  Dane- 
mark, en  qualité  d'auxiliaires  de  la  France;  trente- 
cinq  mille  se  trouvaient  en  Portugal  ou  sur  sa  fron- 
tière, et,  de  ce  nombre,  vingt  mille  étaient  sous  les 
ordres  du  général  français  Junot;  quinze  mille  garnis- 
saient les  places  de  TAfrique,  les  îles  Baléares  et  les 
Canaries;  et  quinze  mille  les  places  de  l'inléricur;  des 
XI  15 


—  226  — 

vingt  mille  restants,  dix  mille  se  trouvaient  en  Galice, 
et  devinrent  le  noyau  de  l'armée  d'insurrection  dans 
le  nord  de  la  Péninsule  ;  de  même  que  dix  mille  hommes 
formant  le  camp  de  Saint-Roch  destiné  au  siège  de  Gi- 
braltar, devinrent  celui  de  l'armée  d'Andalousie.  Telles 
furent  les  forces  que  l'Espagne  opposa  à  cent  mille 
hommes  de  troupes  aguerries,  qui  étaient  maîtresses 
des  provinces  intérieures  du  royaume,  de  plusieurs 
places  fortes  et  du  royaume  de  Portugal,  et  à  la  tête 
desquelles  se  trouvaient  les  généraux  les  plus  habiles 
et  les  plus  expérimentés. 

Si,  en  considérant  cette  disproportion  de  ressources, 
on  est  tenté  d'accuser  les  Espagnols  d'une  grande  té- 
mérité inspirée  par  un  aveugle  enthousiasme,  on  doit 
convenir  néanmoins  que  différentes  circonstances  pa- 
raissaient leur  présager  un  heureux  succès ,  pourvu 
que  des  revers  partiels  et  peut-être  prolongés  ne 
vinssent  pas  abattre  leur  constance.  Il  faut  d'abord 
compter  pour  quelque  chose  cette  confiance  que  leur 
donnaient  la  justice  de  leur  cause  et  la  persuasion  que 
la  Providence  ne  permettrait  pas  l'asservissement  de 
leur  patrie.  Cette  confiance  était  générale  et  absolue. 
L'enthousiasme  des  Espagnols  était  porté  jusqu'au 
délire ,  mais  il  était  en  même  temps  raisonné  :  c'était 
l'entraînement  d'hommes  qui  avaient  froidement  cal- 
culé la  prépondérance  de  la  force  qui  leur  était  oppo- 
sée; d'hommes  préparés  à  supporter  des  privations, 
des  défaites  et  des  désastres;  d'hommes  persuadés 
qu'en  employant  avec  une  incessante  persévérance 
tous  les  moyens  qu'ils  avaient  pour  harceler  leurs  en- 
nemis, ils  parviendraient  à  détruire  des  armées  qu'ils 
ne  pouvaient  pas  attaquer  de  front. 

Diverses  circonstances  se  réunissaient  pour  exalter 
leur  courage.  La  position  géographique  et  l'étendue  de 
leur  pays  doivent  être  comptées  parmi  les  plus  impor- 


—  227  — 

tantes.  Baignée  de  trois  côtés  par  la  mer,  la  Péninsule 
ne  peut  être  attaquée  que  d'un  seul  côté  par  des  forces 
de  terre,  tandis  que  ses  côtes  lui  assurent  une  libre 
communication  avec  ses  colonies,  avec  la  Grande- 
Bretagne,  qui  allait  être  son  alliée,  et  avec  la  Suède, 
la  seule  puissance  continentale  qui  résistait  encore  à 
Napoléon.  Les  principales  villes,  et  les  nombreux 
ports  de  l'Espagne,  séparés  les  uns  des  autres  par  des 
intervalles  considérables,  ne  pouvaient  pas  tous  être 
occupés  par  une  armée  ennemie,  quelque  nombreuse 
qu'elle  fût.  Dans  l'intérieur,  et  surtout  dans  le  nord, 
le  terrain  coupé  et  montueux  présente  des  défilés  dif- 
ficiles à  traverser,  et  même  des  forts  que  l'artillerie 
peut  à  peine  atteindre.  Les  plaines  des  deux  Castilles 
et  de  l'Estrémadure  n'offrent  guère  plus  de  facilité  à 
une  invasion,  que  les  montagnes  qui  les  séparent  des 
autres  provinces.  L'excessive  chaleur  du  climat  et  les 
fièvres  intermittentes  qu'elle  produit,  devaient  être  de 
puissants  auxiliaires  contre  des  étrangers.  Les  Fran- 
çais devaient  y  trouver  peu  de  ressources  pour  les  sub- 
sistances et  les  fourrages,  et  de  grandes  difficultés 
pour  en  opérer  les  transports.  Anciennement,  il  avait 
existé,  dans  chaque  village  d'Espagne,  de  petits  gre- 
niers, nommés  positoSf  où  les  laboureurs  étaient  obli- 
gés de  déposer  tous  les  ans  une  partie  de  leur  récolte 
pour  servir  dans  des  années  de  disette.  Dans  la  guerre 
du  Portugal  de  1801,  le  gouvernement  s'était  emparé 
de  ces  provisions  pour  entretenir  l'armée;  et,  comme 
il  n'avait  pas  tenu  la  promesse  de  les  restituer,  il  n'y 
eut  plus  moyen  d'engager  les  paysans  à  confier  aux 
greniers  publics  une  partie  de  leur  moisson.  Mais  ce 
qui  surtout  fit  espérer  aux  Espagnols  le  succès  de  leur 
entreprise,  c'est  la  manière  dont  ils  se  proposaient  de 
faire  la  guerre,  par  petites  bandes  destinées  à  inter- 
cepter les  vivres  de  l'ennemi,  à  abîmer  les  chemins  et 


—  228  — 

les  ponts  sur  lesquels  il  devait  passer,  à  exécuter 
contre  lui  des  coups  de  main  et  des  surprises,  aie 
harceler  enfin  de  toutes  les  manières,  en  ne  lui 
laissant  pas  un  seul  instant  de  repos.  Cette  guérilla^ 


'  Ou  plutôt  guerrilla.  De  ce  mot  espagnol  qui  signifie  petite  guerre, 
on  fit  le  nom  des  bandes  ou  corps  francs  eux-mêmes.  Les  bandes  de 
guérillas  les  plus  redoutées  étaient  celles  de  Renovales,  d'Espoz  y 
Mina  et  de  son  neveu,  dans  les  montagnes  de  la  Navarre  et  de  l'Aragon  ; 
de  Juan  Martin  ,  surnomme  l'Empecinado,  dans  les  environs  de  Ma- 
drid ;  de  JuLiAN  Sanciiez,  dans  le  pays  de  Salamanque;  de  Rovera,  en 
Catalogne  ;  de  Juan  Palades,  entre  la  Sierra-Morena  et  Tolède  ;  du  curé 
MÉRiNO,  EL  PRINCIPE,  daus  la  (lastille;  du  frère  Sapia,  dans  les  mon- 
tagnes de  Soria;  de  Juan  Abril,  près  de  Ségovie;  et  de  Former,  el 
Marquesito,  dans  les  Asluries  et  la  Biscaye. 

Lorsque  le  peuple  espagnol  s'organisa  en  guérillas  ,  «  les  forêts  s'ar- 
mèrent, dit  M.  de  Chateaubriand  ,  les  buissons  devinrent  ennemis.  Les 
représailles  n'arrêtèrent  rien ,  parce  que  dans  ce  pays  les  représailles 
sont  naturelles.  Vainqueurs  des  meilleurs  soldats  de  l'Europe,  nous 
versions  le  sang  des  moines  avec  cette  rage  impie  que  la  France  tenait 
de  la  démence  athée  de  la  Terreur.  Ce  furent  pourtant  ces  milices  du 
cloître  qui  mirent  un  terme  aux  succès  de  nos  vieux  soldats;  ils  ne 
s'attendaient  guère  à  rencontrercesenfroqués,  à  cheval  comme  des  dra- 
gons de  feu  sur  les  poutres  enbrasées  des  édifices  de  Saragosse,  char- 
geant leurs  escopeltes  parmi  les  flammes,  au  son  des  mandolinei,  au 
chant  des  boléros  et  au  Requiem  de  la  messe  des  morts.  Les  ruines  de 
Sagonte  applaudirent.  »  «  Le  peuple,  ajoute  un  autre  historien,  dé- 
ployait un  courage  qui  approchait  de  la  fureur,  et  c'était  la  fureur  d'un 
peuple  fanatique.  Des  prêtres  commandaient  ;  ils  publiaient  des  miracles 
et  prêchaient  l'assassinat;  leurs  hommes  croyaient  et  obéissaient.  Les 
soldats  français  avaient  à  se  défendre  contre  des  individus  qui  répétaient 
comme  articles  de  foi  cette  espèce  de  catéchisme  :  «  Dis-moi,  mon  enfant, 
qui  es-tu?— -E>pagnol  par  la  grâce  de  Dieu,  — Que  veux-tu  dire  par 
là?  —  Homme  de  bien.  —  Quel  est  l'ennemi  de  notre  félicité?  —  L'em- 
pereur des  Français.  —  Qui  est-ce?  —  C'est  un  mécréant,  la  source 
de  tous  les  maux,  le  destructeur  de  tous  les  biens,  le  foyer  de  tous  les 
vices.—  Combien  a-l-il  de  natures?  —  Deux;  la  nature  humaine  et 
la  nature  diabolique.  —  Combien  y  a-t-il  d'empereurs  des  Français? 
— Un  véritable,  en  trois  personnes  trompeuses.  —  Comment  les  nomme- 
t-on?  —  Napoléon,  Murât  et  Manuel  Godoy.  — Lequel  des  trois  est 
le  plus  méchant? —  Ils  le  sont  tous  également.  —  De  quoi  dérive  Napo- 
léon? —  Du  péché.  —  MuRAT?  —  De  Napoléon.  —  Et  Godoy  ?  —  De 
la  fornication  des  deux.  —  Quel  est  l'esprit  du  premier?—  L'orgueil  et 
le  despotisme.  —  Du  second  ?  —  La  rapine  et  la  cruauté.  —  Du  troi- 


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si  destructive  pour  les  armées  françaises ,  a  été  orga- 
nisée par  une  Instruction  remarquable  que  la  junte 
suprême  publia,  peu  de  temps  après  qu'elle  eut  pris  la 
noble  résolution  de  s'opposer  à  l'asservissement  de  la 
patrie.  Voici  cette  publication  qui  eut  un  grand  reten- 
tissement en  Europe,  et  par  laquelle  on  semblait  dire 
aux  peuples  subjugués  parla  France,  qu'ils  n'avaient 
qu'à  se  transformer  en  guérillas  pour  expulser  les  op- 
presseurs de  leur  territoire  et  reconquérir  leur  liberté. 


Instructions  générales  pour  la  formation  des  armées  espagnoles 
et  (le  la  levée  en  masse. 

«  Les  mesures  suivantes  doivent  être  observées  par 
les  différentes  provinces  de  l'Espagne,  dans  la  néces- 
sité où  les  ont  mises  les  Français  de  s'opposer  à  l'in- 
juste et  violente  prise  de  possession  que  les  armées 
françaises  sont  dans  l'intention  d'effectuer.  On  ne  peut 
un  seul  instant  douter  de  l'énergie  avec  laquelle  toutes 
les  provinces  de  l'Espagne  s'efforceront  de  déjouer  et 
de  détruire  les  mauvais  desseins  des  Français ,  et 
qu'elles  sacrifieront  même  leur  vie  dans  cette  conjonc- 
ture si  importante  et  unique  dans  les  annales  de  la 
nation,  unique  tant  par  la  nature  même  des  cboses 
que  par  l'ingratitude  et  la  perfidie  avec  lesquelles  les 
Français  ont  travaillé  à  nous  asservir,  et  poursuivent 
l'exécution  de  cette  œuvre  d'iniquité. 

((1"  Le  point  le  plus  important  est  d'éviter  toute  ba- 

sième? —  La  cupidité,  la  trahison  et  l'ignorance.  —  Que  sont  les  Fran- 
çais? —  D'anciens  chrétiens  devenus  hérétiques.  —  Quel  supplice  mé- 
rite l'Espagnol  qui  manque  à  ses  devoirs?  —  La  mort  et  l'infamie  des 
traîtres.  —  Comment  les  Espagnols  doivent-ils  se  conduire?  —  D'après 
les  maximes  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  —  Qui  nous  délivrera  de 
nos  ennemis?  —  La  confiance  entre  nous  autres,  et  les  armes.  — 
Est-ce  un  péché  de  mettre  un  Français  à  mort? — Non,  mon  père;  on 
gagne  le  ciel  en  tuant  un  de  ces  chiens  d'hérétiques.  » 


—  230  — 

taille  rangée,  et  de  se  convaincre  qu'elle  nous  mettrait 
dans  le  plus  grand  danger,  sans  aucune  utilité,  et 
même  sans  aucune  espérance.  Plusieurs  motifs  vien- 
nent à  l'appui  de  cette  mesure;  tout  homme  raison- 
nable les  apercevra  aisément. 

«  2°  Il  nous  convient  donc  de  faire  la  petite  guerre 
avec  des  corps  isolés,  de  gêner,  de  fatiguer  l'armée 
ennemie ,  en  lui  coupant  les  vivres ,  en  rompant  les 
ponts ,  en  faisant  des  abatis  sur  les  points  convena- 
bles, et  en  usant  de  moyens  semblables.  La  position 
géographique  de  l'Espagne,  ses  montagnes  nombreuses 
et  les  défilés  étroits  qu'elles  offrent,  ses  rivières  et  ses 
fleuves,  la  position  même  de  ses  provinces,  nous  in- 
vitent même  à  choisir  ce  mode  de  guerre,  qui  ne  peut 
qu'être  avantageux  pour  nous. 

«  3°  11  est  absolument  indispensable  que  chaque  pro- 
vince ait  un  général  doué  de  talents  reconnus,  et 
distingué  par  autant  d'expérience  que  le  permet  la 
nouveauté  de  notre  position,  qui,  par  une  fidélité  hé- 
roïque, inspire  de  la  confiance  à  tous,  et  que  chaque 
général  ait  sous  son  commandement  des  officiers  de 
mérite,  et  surtout  des  artilleurs  et  des  ingénieurs. 

«  4°  L'unité  des  plans  bien  combinés  étant  l'âme  de 
toutes  les  entreprises  auxquelles  concourent  plusieurs 
volontés  unies,  et  assurant  et  facilitant  seule  une  heu- 
reuse issue,  il  paraît  indispensablement  nécessaire 
que  l'on  ait  trois  généraux  supérieurs  qui  s'entendent 
entre  eux;  à  savoir  un  qui  commande  dans  les  quatre 
royaumes  d'Andalousie  ,  Murcie  et  l'Eslrémadure  in- 
férieure; un  autre  en  Galicie,  dans  l'Estrémadure  su- 
périeure ,  dans  la  vieille  et  la  nouvelle  Castille  et 
Léon;  un  dans  Valence,  Aragon  et  Catalogne.  Ensuite 
il  en  faut  nommer  un  de  grande  considération  pour  la 
Navarre,  les  provinces  de  Biscaye,  Montanas,  les  As- 
turies,  Rioja,  et  la  partie  septentrionale  de  la  nouvelle 


—  231   — 

Castille;  et  cela  par  les  motifs  qui  seront  déduits 
plus  bas. 

((  5"  Chacun  de  ces  généraux  et  de  ces  généraux  su- 
périeurs réunira  une  armée  de  vétérans  et  de  paysans, 
et  se  mettra  en  état  de  tenter  des  entreprises  et  de  se- 
courir les  points  les  plus  exposés  ,  en  entretenant 
constamment  néanmoins  une  correspondance  ouverte 
et  continuelle  avec  ses  collègues,  afin  qu'ils  agissent 
tous  de  concert,  et  que  l'un  puisse  venir  au  secours 
de  l'autre. 

«  6"  Les  localités  exigent  que  Madrid  et  la  Manche 
aient  un  général  particulier  qui  conçoive  et  qui  exécute 
les  entreprises  commandées  par  ces  localités.  Son  seul 
objet  doit  être  de  semer  des  obstacles  sur  le  chemin 
de  l'ennemi,  de  lui  enlever  ses  vivres,  de  le  harceler 
tantôt  sur  ses  flancs,  tantôt  sur  ses  derrières,  enfin  de 
ne  pas  lui  laisser  un  instant  de  repos.  Le  courage  des 
habitants  de  ces  provinces  est  connu;  bien  dirigés,  ils 
exécuteront  des  opérations  de  ce  genre  avec  une  ar- 
deur louable.  Pendant  la  guerre  de  la  Succession,  les 
ennemis  pénétrèrent  deux  fois  dans  le  cœur  du  royaume 
et  jusqu'à  la  capitale;  cette  marche  fut  la  cause  véri- 
table de  leur  défaite  et  de  leur  destruction ,  enfin  leur 
fit  manquer  leur  but. 

«  7"  Les  généraux  supérieurs  du  nord  et  de  l'est  fer- 
meront l'entrée  des  provinces  soumises  à  leur  com- 
mandement ,  et  marcheront  au  secours  du  point  par 
lequel  l'ennemi  tentera  de  piénétrer,  afin  de  garantir, 
autant  qu'il  sera  possible,  les  habitants  de  ces  pro- 
vinces du  pillage  et  de  la  dévastation  :  les  montagnes 
et  les  défilés  qui  garnissent  les  confins  de  ces  provinces 
leur  faciliteront  l'exécution  de  ces  mesures. 

«  8°  Les  fonctions  confiées  au  général  de  la  Navarre, 
de  la  Biscaye  ,  et  de  toute  cette  partie,  sont  les  plus 
importantes  de  toutes  :  en  conséquence,  les  généraux 


—  232  — 

du  nord  et  de  l'est  l'aideront  de  troupes  et  de  tous  les 
secours  qu'il   leur  demandera.  Son  principal  devoir 
sera  de  fermer  l'entrée  de  l'Espagne  à  de  nouvelles 
troupes  françaises,  ainsi  que  de  harceler  et  de  détruire 
celles  qui,  de  ce  côté,  tenteraient  de  retourner  en 
France.  Les  montagnes  sont  très-favorables  à  cette 
espèce  de  guerre,  qui  doit  nécessairement  être  heu- 
reuse si  elle  est  concertée  et  exécutée  convenablement. 
On  peut  dire  la  même  chose  des  points  par  lesquels 
les  troupes  françaises  qui  sont  en  Portugal  pourraient 
essayer  d'entrer  en  Espagne,  ainsi  que  de  ceux  par 
lesquels  elles  pourraient  pénétrer  en  Catalogne  en  ve- 
nant du  Roussillon.  Quant  à  l'Aragon ,  il  n'a  pas  beau- 
coup à  craindre  une  invasion.  On  peut  même  croire 
que  les  Français  ne  pourront  pas  sortir  du  Portugal , 
car  les  proclamations  que  nous  y  avons  répandues  ont 
contribué  à  augmenter  la  haine  dont  les  Portugais 
sont  animés  contre  les  Français ,   à  cause  des  maux 
qu'ils  leur  ont  fait,  et  de  la  dureté  de  leur  gouvernement. 
t<  9"  H  sera  très-avantageux  que  les  généraux  supé- 
rieurs et  autres  répandent  fréquemment  des  procla- 
mations parmi  le  peuple  pour  entretenir  son  courage 
et  sa  fidélité,  en  lui  montrant  qu'il  a  tout  à  craindre 
de  la  perfidie  avec  laquelle  les  Français  en  ont  usé 
envers  l'Espagne  et  son  Roi;  que  si  jamais  ils  parve- 
naient à  être  nos  maîtres ,  nous  perdrions  tout ,  nos 
Rois,  notre  monarchie,  nos  propriétés,  la  liberté, 
l'indépendance  et  la  religion  ;  qu'il  vaut  mieux  sacri- 
fier sa  vie  et  sa  fortune  pour  la  défense  du  Roi  et  de 
la  patrie.  Les  généraux  diront  aux  Espagnols  que  si , 
ce  qu'à  Dieu  ne  plaise,  nous  sommes  réservés  à  l'es- 
clavage,  nous  périrons  les  armes  à   la  main  et  en 
hommes  courageux ,  et  que  nous  n'irons  pas ,  comme 
un  troupeau  de  bétail ,  tendre  notre  cou  au  joug,  ainsi 
que  le  voulait  notre  ancien  gouvernement,  en  ajou- 


—  233  — 

tant  la  honte  et  l'infamie  à  tous  les  maux  de  l'Espagne. 
Jamais  la  France  n'a  régné  sur  nous,  ni  n'a  mis  le 
pied  sur  notre  territoire  ;  nous ,  au  contraire ,  nous 
avons  souvent  dominé  sur  les  Français,  non  par  la 
trahison,  mais  par  la  force  de  nos  armes.  Nous  avons 
fait  leur  Roi  prisonnier  et  fait  trembler  la  nation. 
Nous  sommes  encore  les  mêmes  Espagnols ,  et  la 
France,  l'Europe  et  l'univers  verront  que  nous  ne 
sommes  pas  moins  braves  que  nos  illustres  aïeux. 

'(  1 0"  Tous  les  hommes  de  lettres  seront  invités  à  pu- 
blier des  instructions  pour  éclairer  l'opinion  publique 
et  stimuler  le  zèle  de  la  nation  :  ils  réfuteront  les  in- 
fâmes journaux  de  Madrid,  que  la  condescendance  de 
l'ancien  gouvernement  a  tolérés,  et  qui,  sous  le  nou- 
veau gouvernement,  augmentent  d'impudence.  Nos 
écrivains  dévoileront  les  mensonges  et  les  contradic- 
tions de  ces  journaux,  et  couvriront  d'ignominie  leurs 
misérables  auteurs.  De  temps  en  temps  ils  étendront 
leurs  observations  sur  ces  journaux  de  Paris ,  rédigés 
par  de  vrais  charlatans.  Ils  démasqueront  aux  yeux 
des  Espagnols  et  de  toute  l'Europe  ces  vils  rédacteurs 
de  mensonges,  dont  la  plume  vénale  est  payée  pour 
chaque  louange  qu'ils  donnent  au  tyran  oppresseur  de 
leur  patrie ,  et  qui  se  rendent  aussi  complices  de  ses 
attentats'.  Que  ces  misérables  tremblent  devant  l'Es- 
pagne! Que  le  gouvernement  français  et  ses  suppôts 
sachent  que  nous  les  avons  pénétrés;  qu'ils  nous  in- 
spirent de  l'horreur,  et  que  nous  aimerions  mieux 


'  Les  auteurs  de  celte  Instruction  ont  confondu  les  deux  classes  de 
rédacteurs  qui  travaillaient  aux  journaux  de  Paris;  les  uns  étaient 
choisis  parmi  des  hommes  distingués  par  leurs  lumières  et  leur  attache- 
ment aux  principes  éternels  de  la  morale  et  du  droit  ;  leurs  noms ,  bien 
que  sous  le  voile  des  lettres  de  l'alphabet,  étaient  très-connus  du  public; 
les  autres,  sous  les  noms  de  censeurs  ou  de  collaborateurs,  étaient  im- 
posés par  l'autorité ,  et  ne  pouvaient  être  que  les  organes  de  ?a  volonté. 


—  234  — 

perdre  la  vie  que  nous  soumettre  à  un  joug  aussi  in- 
fâme que  celui  qu'ils  supportent. 

«  1  r  On  ne  négligera  pas  de  dire  et  de  bien  incul- 
quer à  la  nation  qu'aussitôt  que  nous  serons  délivrés 
de  cette  guerre  cruelle  à  laquelle  les  Français  nous 
ont  forcés ,  qu'aussitôt  que  nous  aurons  recouvré  la 
tranquillité,  et  que  notre  Roi  et  souverain  Ferdi- 
nand VII  aura  été  rétabli  sur  le  trône,  les  Cortès  seront 
assemblées  sous  son  autorité  ,  que  les  abus  seront  ré- 
formés, et  qu'on  nous  donnera  des  lois  conformes  aux 
lumières  du  siècle,  et  capables  de  faire  notre  bonheur. 
Pour  nous  donner  ces  lois ,  nous  n'avons  pas  besoin 
des  instructions  des  Français,  qui,  selon  leur  coutume, 
et  sous  prétexte  d'amitié  et  de  zèle  pour  notre  bien- 
être,  n'ont  fait  que  nous  piller,  déshonorer  nos  femmes, 
nous  massacrer,  nous  priver  de  notre  liberté,  de  nos 
institutions  et  de  notre  Roi,  et  blasphémer  notre  sainte 
religion.  Voilà  ce  qu'ils  ont  fait,  ce  qu'ils  font,  ce 
qu'ils  feront  aussi  longtemps  qu'ils  seront  poussés 
par  cet  esprit  infernal  de  trahison  et  d'ambition  qui 
les  tyrannise  eux-mêmes. 

«Publié  par  ordre  de  la  Junte  suprême. 

«  Signé  Juan  Bautista  Pardo. 


A  l'exemple  de  Séville,  d'autres  capitales,  et  notam- 
ment Valence,  établirent  des  juntes  provinciales;  mais 
toutes  reconnurent,  quoique  tacitement,  cette  espèce 
de  supériorité  que  la  Junte  d'Andalousie  s'était  arrogée 
pour  le  bien  de  la  nation,  et  qu'elle  exerça  jusqu'au 
mois  de  septembre,  où  se  forma  la  Junte  suprême  cen- 
trale d'Aranjuez.  L'importance  de  l'Andalousie,  ren- 


—  235  — 

fermant  à  elle  seule  plus  d'un  cinquième  de  la  popula- 
tion de  l'Espagne,  possédant  la  seule  fonderie  de  ca- 
nons du  royaume,  et  pouvant  avec  un  noyau  d'armée, 
compter  sur  l'assistance  de  la  flotte  anglaise  de  lord 
Collingicood  croisant  devant  Cadix,  et  sur  celle  de  la 
garnison  de  Gibraltar,  motivait  suffisamment  le  pou- 
voir que  l'on  semblait  déférer  à  la  Junte  de  Sé\  ille. 

Nous  n'entrerons  pas  dans  le  détail  des  événements 
qui  se  passèrent  dans  les  différentes  provinces,  ni  des 
combats  partiels  qui  furent  livrés  entre  les  Espagnols 
et  les  Français.  11  suffit,  pour  notre  but,  de  consi- 
gner les  résultats. 

Depuis  la  bataille  de  Trafalgar,  l'amiral  français 
Rosiliy  se  trouvait  dans  le  port  de  Cadix,  avec  cinq  vais- 
seaux de  ligne  et  une  frégate,  montés  par  quatre  mille 
soldats  et  matelots.  Don  ïomas  Morla,  qui  avait  suc- 
cédé à  Solano  dans  le  commandement  de  la  ville,  força 
l'amiral  Rosiliy  à  lui  remettre  ces  forces,  par  une  ca" 
pitulation  qui  fut  signée  le  14  juin. 

Une  expédition  que  le  maréchal  Moncey  entreprit  le 
21  juin,  avec  quinze  mille  hommes,  pour  réduire  Va- 
lence, échoua.  Le  général  Caro  le  harcela  dans  sa  mar- 
che avec  tant  de  succès,  qu'il  fut  obligé  de  se  retirer  à 
Madrid,  après  avoir  perdu  le  tiers  de  son  monde. 

Un  corps  de  trente-cinq  mille  Espagnols,  formé  dans 
les  Asturies,  en  Galice,  Léon  et  Estrémadure,  et  com- 
mandé par  le  général  Cuesta,  marcha  sur  Burgos.  Le 
maréchal  Bessieres  le  défit  le  14  juillet  à  Médina  del  Rio 
Seco  :  la  soumission  momentanée  des  provinces  de 
Léon,  Palencia,  Valladolid,  Zamora  etSalamanque  fut 
le  résultat  de  cette  journée. 

Il  fut  balancé  par  un  échec  considérable  que  les 
Françaiséprouvèrent  d'un  autre  côté.  LegénéralZ)w/)ow<, 
à  la  tête  de  dix-huit  mille  ou  vingt  mille  hommes,  s'était 
avancéjusqu'à  AndujaretCordoue,  oij  ses  troupes  com- 


—  236  — 

mirent  de  graves  excès.  CastaûoSy  général  en  chef  de 
l'armée  d'Andalousie,  s'étant  porté  contre  lui  avec  des 
forces  supérieures,  Dupont  se  retira  à  Baylen  pour  se 
rapprocher  d'un  secours  de  huit  mille  hommes  que  Sa- 
vary^  qui ,  depuis  le  départ  de  Murât,  commandait  en 
chefàMadrid,  lui  envoyait  sous  le  général Be//mrc?. Mais 
Castanos  coupa  la  communication  non-seulement  entre 
BeUiard  et  Dupont,  mais  aussi  entre  celui-ci  et  le  géné- 
ral/^We/^  qui  commandait  un  détachementde  son  armée 
fort  de  six  mille  hommes.  Le  20  juillet,  Dupont  atta- 
qua les  Espagnols,  et  fut  battu.  Il  signa,  le  même  jour, 
une  capitulation  par  laquelle  il  se  rendit  prisonnier  de 
guerre  avec  huit  mille  hommes  qui  lui  restaient.  Le  gé- 
néral Fedelf  qui,  de  son  côté,  avait  remporté  un  avan- 
tage sur  le  général  Pena^  obtint  des  conditions  plus  fa- 
vorables. On  convint  que  sa  division  serait  renvoyée 
par  mer  à  Rochefort.  Napoléon  n'a  cessé  de  déplorer  la 
capitulation  de  Baylen  comme  le  principe  des  désas- 
tres qu'il  éprouva  en  Espagne.  En  effet,  cet  événe- 
ment inspira  une  grande  confiance  à  la  nation  espa- 
gnole, et  on  commença  en  Europe  à  la  regarder  comme 
une  puissance.  Il  força  Joseph  Bonaparte  de  quitter, 
le  1'"^  août,  Madrid,  où  il  n'avait  fait  son  entrée  que  le 
20  juillet,  et  de  se  retirer  à  Burgos. 

La  capitulation  de  Baylen  fournit  à  Caslafios  l'occa- 
sion de  proclamer  les  sentiments  d'humanité  qui  doi- 
vent remplir  l'âme  de  tout  général  victorieux.  Nous 
qui  comptons  pour  quelque  chose  dans  l'histoire  les 
larmes  des  peuples,  nous  recueillons  avec  bonheur  les 
paroles  sublimes  que  l'on  va  lire  : 


—  237  — . 


Proclamation  du  général  Castanos,  du  21  juillet  1808. 

«  Espagnols, 

«  Si  vous  voulez  être  de  bons  soldats,  apprenez  avant 
tout  à  respecter  le  malheur.  En  vertu  de  la  capitula- 
tion que  je  viens  de  publier,  les  troupes  françaises, 
commandées  par  le  brave  Dupont,  traverseront  sans 
armes,  et  comme  prisonnières  de  guerre,  toute  l'An- 
dalousie, pour  être  embarquées  à  San  Lucar  et  con- 
duites à  Rochefort.  Pères  qui  avez  des  fils  dans  mon 
armée,  donnez  à  ces  braves  tous  les  secours  dont  ils 
ont  besoin,  tous  les  soins  qu'ils  vous  demanderont. 
Pensez  que  le  même  sort  peut  tomber  sur  vos  enfants, 
si,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise,  la  fortune  nous  était  con- 
traire, et  que  dans  ce  cas  vous  souhaiteriez  qu'ils  fus- 
sent traités  avec  humanité  et  bienfaisance.  Quiconque 
osera  insulter  un  Français  sera  sur-le-champ  conduit 
au  quartier  général,  traduit  devant  un  conseil  de 
guerre,  et  fusillé  dans  les  vingt-quatre  heures.  Soldats 
de  mon  armée,  écrivez  ou  faites  écrire  à  vos  parents 
que  les  Français  sont  braves,  qu'ils  sont  bons  et  qu'ils 
méritent  d'être  traités  avec  magnanimité.  S'ils  sont 
venus  pour  nous  combattre,  c'est  qu'on  le  leur  avait 
ordonné,  ils  sont  innocents  des  offenses  qui  nous  ont 
été  faites,  et  de  la  honte  et  de  l'opprobre  dont  leur 
gouvernement  voulait  nous  couvrir  aux  yeux  de  la 
postérité. 

«  Anduxar,  21  juillet  1808. 

«  Signé  François-Xavier  de  CASTA5ios.  » 


La  campagne  d'Aragon  fut  encore  plus  glorieuse 


—  238  — 

pour  les  Espagnols  que  celles  de  Valence  et  d'Anda- 
lousie; elle  offre  un  événement  extraordinaire,  le 
siège  de  Saragosse  par  Lefebvre-Desnouettes.  Cette  ville 
fut  attaquée,  pour  la  première  fois,  le  14  juin,  et  en- 
suite, avec  des  forces  plus  considérables,  le  28.  Le 
génie  de  Palafox  créa  une  armée  et  tous  les  moyens  de 
défense  qui  manquaient.  Toute  la  population,  sans  ex- 
cepter les  femmes  et  les  enfants,  prit  les  armes  et  tra- 
vailla aux  fortifications  et  à  la  fabrication  de  la  poudre. 
Quoique  les  Français  se  fussent  rendus  maîtres  d'une 
partie  de  la  ville ,  la  persévérance  et  le  courage  in- 
dompté des  partisans  les  en  expulsèrent.  Ils  furent 
obligés  de  se  retirer  le  1 3  août. 

Cependant,  quelques  jours  après  Lefebvre-Desnouet- 
tes somma  Palafox  de  se  soumettre  avec  son  armée  , 
C'est  alors  que  l'Espagnol  lui  adressa  la  lettre  fameuse 
que  voici  ; 

«  Albarracin ,  en  Aragon ,  28  août  1 808. 
«  Monsieur, 

«  Les  événements  qui  se  sont  passés  depuis  deux 
mois  auraient  dû  vous  faire  sentir  qu'en  m'écrivant 
vous  ne  pouviez  pas,  ainsi  que  vous  le  pratiquez  avec 
d'autres,  vous  dispenser  do  me  parler  le  langage  du 
bon  sens,  de  la  raison  et  de  l'honneur.  Si  les  autres 
nations  de  l'Europe  avaient  pensé  et  agi  comme  nous, 
vous  ne  seriez  point  ici;  mais,  tant  qu'il  plaira  à  Dieu 
de  vous  y  laisser  pour  l'expiation  de  nos  péchés,  nous 
vous  apprendrons  du  moins  à  nous  respecter.  Vous 
me  conjurez  de  poser  les  armes,  au  nom  du  bonheur 
de  l'Espagne^  et  depuis  quand,  je  vous  prie,  un  géné- 
ral révolutionnaire  français  prend-il  un  si  vif  intérêt 
au  sort  d'une  nation  qui,  de  toutes  celles  de  l'Europe, 
devrait  lui  être  la  plus  étrangère  par  son  esprit  reli- 


—  239  — 

gieux,  ses  mœurs,  ses  habitudes,  par  sa  fidélité  sur- 
tout envers  son  légitime  souverain?  Les  Espagnols,  il 
est  vrai,  voyagent  peu  :  mais,  avant  même  que  vous 
fussiez  venus  chez  eux,  leur  prêcher,   à  coups  de 
baïonnette,  vos  maximes  sur  le  bonheury  ils  connais- 
saient parfaitement  l'espèce  de  celui  que  vous  aviez 
donné  à  la  Hollande,  à  la  Suisse,  à  Tltalie,  à  l'Allema- 
gne, à  la  Pologne,  à  vos  alliés  surtout,  et  à  vos  mal- 
heureux concitoyens  eux-mêmes  que  vous  traînez  en- 
chaînés sur  nos  frontières,  pour  y  planter  vos  drapeaux 
souillés  du  sang  de  vos  princes  et  de  celui  de  toute 
l'Europe.  Quel  bonheur,  grand  Dieu  î  que  celui  qui 
nous  est  offert  par  un  général  de  l'héritier  universel  de 
toute  la  Révolution  française!  Mon  sang  se  glace  dans 
les  veines  à  la  seule  idée  de  la  possibilité  d'un  pareil 
bonheur.  Tout  féroce  qu'était  Attilaf  il  avait  dans  l'âme 
plus  de  véritable  grandeur  que  celui  qui  vous  lance 
sur  nous  pour  nous  dévorer,  car  Attila  annonçait  hau- 
tement les  projets  de  son  ambition.  En  entrant  en  Ita- 
lie, il  ne  s'était  point  proclamé  son  ami,  son  allié;  les 
Huns  ne  s'appelaient  point  eux-mêmes  :  la  grande  na- 
tion; l'Italie  ne  leur  avait  pas,  comme  nous,  ouvert 
pendant  douze  ans  ses  trésors,  donné  ses  flottes,  con- 
fié ses  armées....  Le  terrible  conquérant  cependant, 
saisi  de  respect  à  la  vue  du  pape  Léoîi  le  Grand,  baissa 
devant  lui  son  épée  ensanglantée,  et  Rome  fut  épar- 
gnée; ajoutez  que  le  pontife  n'avait  point  quitté  son 
siège  pour  aller  couronner  Attila;  ce  dernier  néan- 
moins, malgré  ce  trait  qui  l'honore,  fut  surnommé  le 
fléau  de  Dieu.  Quel  nom,  monsieur,  la  postérité  don- 
nera-t-elle  au  vôtre  ? 

«  Vous  me  conjurez  de  poser  les  armes  pour  assurer 
le  repos  de  l'Espagne....  Et  qui  l'a  troublé  ce  repos? 
Depuis  Ferdinand  le  Catholique  jusqu'au  jour  oîi  vous 
avez  mis  le  pied  sur  cette  terre,  notre  tranquillité  n'a 


—  240  — 

été  troublée  qu'une  seule  fois  :  ce  fut  quand  nous  nous 
battîmes  contre  la  moitié  de  l'Europe  pour  assurer  le 
trône  de  toutes  les  Espagnes  ou  des  Deux-Indes  à  un 
prince  de  voire  nation;  c'est  pour  nous  récompenser 
sans  doute  de  ces  généreux  efforts,  que,  pour  notre 
repos  et  notre  gloire,  vous  voulez  aujourd'hui  substi- 
tuer un  Corse  au  petit-fils  de  Henri  IV  et  de  Louis  XIV? 
Mais,  si  vous  pouviez  dire  vrai,  si,  pendant  un  seul 
moment,  le  vœu  de  notre  bonheur  et  de  notre  repos 
pouvait  être  gravé  dans  votre  âme,  je  pourrais,  à  mon 
tour,  vous  indiquer  le  véritable  moyen  de  les  assurer: 
«  Repassez  les  Pyrénées,  vous  dirais-je,  et  l'Espagne, 
dès  le  moment  même,  redeviendra  tranquille  !  Ce  n'est 
point  à  la  nation  la  plus  signalée  par  la  légèreté  de 
Bon  esprit,  par  la  mobilité  de  son  caractère  et  par  son 
inquiète  turbulence,  qu'il  appartient  de  prêcher  le 
repos  aux  braves  et  paisibles  Castillans.  Si  cependant 
la  fureur  de  propager  vos  maximes  vous  tourmente, 
allez  dans  certaines  contrées  philosophiques,  dont  les 
savants  et  les  raisonneurs  vous  prêteront  sans  doute 
une  oreille  complaisante,  et  ne  manqueront  pas  de 
célébrer  votre  modération,  votre  tolérance,  la  perfec- 
tion de  votre  discipline,  la  beauté  de  votre  tenue,  le 
ravissement  de  vos  hôtes  en  vous  recevant  chez  eux, 
leur  désespoir  en  vous  perdant,  vos  idées  libérales, 
l'horreur  de  votre  empereur  pour  la  guerre,  son  amour 
de  la  paix,  ils  endoctrineront  les  armées  destinées  à 
vous  combattre,  ils  leur  prouveront  que  c'est  une  sot- 
tise de  vous  résister;  et  il  y  aura  par  conséquent,  je 
n'en  doute  pas,  encore  plus  d'une  bataille  d'Iéna;  et 
les  Magdebourg,  comme  ci-devant,  tomberont  au  seul 
son  de  vos  trompettes.  »  Mais,  nous  autres  pauvres  Es- 
pagnols, qui,  malgré  l'immense  foyer  de  lumières  ré- 
pandues par  la  révolution  française,  continuons  d'aller 
en  pèlerinage  à  Saint-Jacques  de  Compostella,  nous 


—  241   — 

sommes  trop  ignorants  pour  renverser  noire  antique 
Constitution  et  pour  faire  tomber  la  tête  de  nos  Rois. 
Le  croiriez-vous  bien,  mon  cher  monsieur,  le  dernier 
de  nos  bacheliers  de  Salamanque  pense  être  pbis  rai- 
sonnable' que  le  premier  de  vos  présidents  d'Institut; 
et  le  plus  mince  de  nos  hidalgos  se  croit  plus  vérita- 
blement noble  qu'un  duc  à'Abranths  ou  de  Dantzigl 
Que  faire  avec  une  pareille  nation?  avouez  qu'il  n'y  a 
point  là  de  point  de  contact  pour  les  réformateurs  du 
genre  humain. 

«  Vous  prétendez  que  le  peuple  espagnol  est  égaré 
par  ses  moines;  j'avoue  que  ceux-ci  jusqu'à  présent  se 
sont  montrés  très-actifs,  et  qu'ils  n'ont  pas  peu  con- 
tribué à  faire  chasser  Junot-Ahrantes  du  Portugal,  et 
don  Joseph  de  Madrid.  Mais  quand  tous  les  reproches 
qu'on  fait  aux  moines  depuis  l'existence  des  Ordres 
religieux  seraient  aussi  fondés  qu'ils  le  sont  peu,  nous 
croyons  que  ce  seul  service  qu'ils  ont  rendu  à  l'Espa- 
gne et  à  toute  l'Europe  suffirait  pour  les  réconcilier 
avec  tout  véritable  ami  du  bon  ordre  et  de  l'humanité. 
Les  Hollandais,  les  Prussiens,  les  Hessois  et  tant  d'au- 
tres n'avaient  point  de  moines.  Eh  bien,  qu'ont  fait 
ces  peuples  pour  vous  résister?  que  sont-ils  devenus 
entre  vos  mains?  quelle  énergie  montrent-ils  pour  s'en 
délivrer?  Le  peuple  espagnol  d'ailleurs,  malgré  cette 
superstition  qui  vous  embarrasse  bien  plus  qu'elle  ne 
le  gêne,  a  un  attachement  invincible  pour  sa  patrie  et 
pour  toutes  les  institutions  de  ses  ancêtresj  il  sait  que 
sa  religion  et  ses  moines  ne  l'ont  pas  empêché  de  bat- 
tre votre  fameux  Roland  à  Roncevaux,  de  chasser  les 
Maures  de  l'Espagne,  d'accueillir  Christophe  Colomb, 
partout  ailleurs  dédaigné,  de  conquérir  le  nouveau 
monde,  de  produire  la  brillante  époque  du  règne  de 

'  A  quoi  éervenl  les  sciences  et  les  beaux-arts ,  s'il5  n'épurent  et  ne 
dirigent  pas  au  bien  les  sentiments  et  la  raison? 

XI  16 


—  242  — 

Charles-Quint f  et  de  faire  prisonnier  àPavie  votre  bon 
François  P%  qui  valait  bien  vos  Joseph  Napoléon,  vos  Na- 
poléon-Louis et  vos  Joachim-Napoléon.  Ce  peuple  voit 
tous  les  jours  ces  pauvres  récollets  et  capucins  porter 
les  consolations  de  la  religion,  les  secours  de  la  cha- 
rité dans  le  réduit  ignoré  du  pauvre  et  dans  les  hôpi- 
taux, pendant  qu'au  sortir  peut-être  de  quelque  orgie, 
les  membres  de  vos  lycées  se  bornent  à  écrire  de 
belles  phrases  sur  l'humanité,  et  à  encenser  bassement 
celui  qui  la  foule  aux  pieds.  Ce  peuple,  pendant  l'af- 
freuse épidémie  qui  ravagea,  il  y  a  trois  ans,  Cadix, 
Malaga,  Alicante,  a  vu  ces  moines  ne  point  désemparer 
de  ces  villes,  que  les  philosophes  surtout  avaient  alors 
grand  soin  de  fuir;  il  les  a  vus  ces  moines  braver  la 
mort  sous  ses  formes  les  plus  hideuses,  soigner  les 
pestiférés,  emporter  les  cadavres  sur  leurs  épaules, 
leur  donner  la  sépulture  avec  une  charité  et  un  aban- 
don de  tout  intérêt  personnel,  bien  autrement  dignes 
d'éloges  que  des  discours  sur  l'acide  muriatique  oxy- 
géné, ou  des  divagations  sur  la  crânologie. 

«  Après  toutes  ces  belles  sorties,  il  fallait  bien  aussi 
s'attendre  que  M.  le  général  en  ferait  une  contre  l'In- 
quisition j  et  j'ai  remarqué  avec  plaisir  que  vous  vous 
étiez  étendu  sur  ce  sujet  avec  toute  la  complaisance 
d'un  ancien  Maure  de  Grenade.  Cela  m'a  tellement 
réjoui,  que  je  ne  balance  point  à  donner  un  nouvel 
aliment  à  votre  zèle,  en  vous  déclarant  formellement 
que,  loin  d'être  dégoCités  du  Saint-Office,  nous  croyons 
au  contraire  que,  quoiqu'il  ait  perdu  depuis  fort 
longtemps  tout  ce  qu'il  y  avait  d'excessif  dans  l'exer- 
cice de  son  autorité,  c'est  lui  qui  a  principalement 
contribué  à  nous  prémunir  contre  vos  maximes  sédi- 
tieuses ,  antireligieuses  et  antisociales;  que  nous 
croyons  fermement  lui  devoir,  en  grande  partie,  notre 
attachement  au  sol  de  la  patrie,   notre  horreur  des 


—  243  — 

innovations  qui  vous  ont  perdus,  et  le  maintien  de 
cette  énergique  caractère  national,  presque  partout 
ailleurs  effacé,  dégradé,  avili;  que  nous  nous  félici- 
tons de  voir  encore  parmi  nous  des  nobles  et  des  capi- 
talistes assez  fiers ,  assez  sensibles  à  l'honneur,  pour 
être  prêts  à  périr  mille  fois  plutôt  que  de  courber  la 
tête  sous  la  plus  honteuse  et  la  plus  dégoûtante  tyran- 
nie qui  ait  jamais  affligé  et  déshonoré  l'humanité.  Et 
vous-même,  monsieur,  ne  croyez-vous  pas  que  l'Eu- 
rope serait  bien  plus  tranquille  et  plus  heureuse  si,  en 
1789,  notre  Sainte-Hermandad  avait  pu  se  saisir  d'une 
cinquantaine  de  vos  plus  chauds  discoureurs ,  les  af- 
fubler d'un  samhenito  à  flammes  renversées,  leur  ap- 
pliquer en  place  de  Grève  une  bonne  et  vigoureuse 
flagellation ,  et  les  mettre  ensuite,  pendant  un  an,  à  la 
diète  rafraîchissante  et  salutaire  de  Charenton  ?  Croyez- 
vous  qu'après  l'administration  de  ce  remède  nous 
eussions  eu  des  Marat,  des  Robespierre,  des  Jourdan 
coupe-tête,  des  Montagnards,  des  Brissotins,  des FeutV- 
lants,  des  sans-culottes ,  des  fusillades,  des  noyades, 
des  Marseillais,  des  chauffeurs,  des  septembriseurs,  des 
Cayenne,  un  Temple,  ses  tortures  et  ses  oubliettes? 
Non ,  monsieur,  nous  n'aurions  rien  de  tout  cela,  pas 
même  de  Corses  pour  rois,  ni  une  grande  nation  qui 
déchire  les  autres  nations  à  belles  dents,  et  qui,  depuis 
dix-neuf  ans,  peut  se  vanter  d'avoir  massacré  ou  fait 
massacrer  trois  millions  de  créatures  humaines,  et  de 
n'être  pas  encore  rassasiée  de  sang....  Ah!  monsieur, 
quel  épouvantable  Saint-Oflice  que  le  vôtre  I 

«  Vous  terminez,  monsieur,  cette  longue  et  singulière 
épître  par  des  menaces;  les  plaines  de  l'Aragon  et  les 
quarante-deux  assauts  de  Saragosse  ont  dû  vous  prou- 
ver que  le  cœur  des  Espagnols  n'est  pas  plus  accessi- 
ble à  la  crainte  qu'à  la  corruption.  Vous  parlez  ensuite 
de  guerre  interminable  ;  quant  à  cela  il  faut  vojiis  ren- 


-,  244  — 

dre  justice  :  nous  savons  que  vous  avez  une  patience 
à  toute  épreuve;  car,  depuis  vingt  ans  que  durent  vos 
convulsions  il  ne  serait  guère  possible  d'imaginer  un 
mal,  soit  physique,  soit  moral,  auquel  vous  ne  vous 
soyez  soumis  avec  un  stoïcisme  qui  eût  fait  rougir 
Épictète.  Votre  Roi,  le  plus  honnête  homme  peut-être 
qui  fût  parmi  vous,  a  été  traîné  à  l'échafaud  après 
avoir  été  abreuvé  pendant  quatre  ans  des  plus  lâches 
et  des  plus  infâmes  outrages —  Vous  l'avez  vu  sans 
murmurer.  Le  sang  de  vos  plus  dignes  citoyens  a  été 
versé  à  flots  par  une  poignée  de  scélérats vous  l'a- 
vez vu  sans  murmurer.  Les  crimes  les  plus  atroces 
ont  souillé  pendant  sept  ans  toute  la  surface  de  la 
France....  vous  l'avez  vu  et  entendu  sans  murmurer. 
Trois  cent  soixante  de  vos  prêtres  ont  été  égorgés, 
dans  un  seul  jour,  dans  la  grande  capitale  de  la  grande 
nation....  et  la  grande  nation  l'a  vu  sans  murmurer. 
Vous  avez  pendant  quinze  ans  changé  de  gouverne- 
ment et  de  joug  aussi  souvent  qu'il  a  plu  à  vos  geô- 
liers de  vous  les  imposer et  vous  avez  porté  votre 

muselière  sans  murmurer.  Depuis  huit  ans  on  vous 
traîne  des  bords  du  Nil  à  ceux  de  la  Vistule  ,  et  de  la 
Vistule  à  l'Èbre  et  au  Tage,  en  vous  faisant  faucher  et 
en  vous  fauchant  comme  l'herbe  des  champs....  pas 
un  mot ,  pas  un  mouvement  pour  rompre  cette  horri- 
ble et  dégoûtante  servitude.  Oui ,  Français ,  si  sédi- 
tieux sous  le  meilleur  des  Rois  ,  vous  êtes  devenus  le 
peuple  le  plus  patient  sous  vos  tyrans  j  et  je  ne  doute 
pas  que  vous  ne  vous  prêtiez  à  toutes  les  impulsions 
qu'on  va  vous  donner  pour  ensanglanter  ma  malheu- 
reuse patrie.  Mais  sachez  que  nous  sommes  prêts  à 
tout;  et  que  la  patience  aussi  qui  nous  caractérise, 
partant  d'un  principe  bien  autrement  pur  et  sacré  que 
la  vôtre,  vous  fera  sentir  la  différence  qu'il  y  a  entre 
des  hommes  enflammés  de  l'amour  de  la  patrie,  et  des 


—  245  — 

furieux  qui ,  après  avoir  déshonoré  la  leur,  se  plaisent 
à  s'entourer  de  ruines  et  de  cadavres.  Le  sort  peut  tra- 
hir wn  moment  la  sainte  justice  de  notre  cause,  mais 
jamais,  non  jamais  vous  ne  gagnerez  nos  cœurs.  Sou- 
venez-vous qu'une  petite  peuplade  d'Espagnols  chré- 
tiens, réfugiés  dans  les  montagnes  des  Asturies,  a 
bravé  pendant  sept  siècles  toute  la  puissance  des  Mau- 
res, et  que  ces  Maures....  ont  fini  par  être  chassés  de 
toutes  les  Espagnes. 

«  Signé  Palafox  ,  général  en  chef  de  l'armée 
du  royaume  d'Aragon.  » 


Peu  de  jours  après  la  levée  du  siège  de  Saragosse, 
les  Espagnols  reçurent  un  secours  auquel  ils  ne  de- 
vaient pas  s'attendre  ;  c'était  l'arrivée  de  sept  mille 
hommes  de  troupes  réglées,  qui  débarquèrent  le  30  sep- 
tembre à  la  Corogne.  Ils  faisaient  partie  du  corps  que 
Charles  IV  avait  été  obligé  de  îouvmvk  Napoléon  et  que 
celui-ci  avait  envoyé  dans  les  îles  danoises,  pour  for- 
mer l'avant-garde  de  l'armée  de  Bernadolte,  destinée 
à  envahir  la  Suède.  Ce  corps,  commandé  par  le  mar- 
quis de  la  Romana ,  avait  d'abord  prêté  serment  de 
fidélité  à  Joseph  Bonaparte ^  mais  ce  général,  instruit 
parles  soins  de  l'amiral  Keats,  qui  commandait  la 
flotte  anglaise  dans  la  Baltique,  de  l'insurrection  de 
ses  compatriotes,  conçut  le  projet  de  conserver  ces 
troupes  à  son  souverain  légitime.  11  s'empara  du  port 
de  Nyborg  en  Fionie ,  et  s'embarqua,  le  1 0  août  1 808, 
sur  des  bâtiments  de  transport  que  l'amiral  lui  four- 
nit. 11  ne  put  ainsi  emmener  que  sept  mille  hommes. 

Ce  fut  là  un  des  premiers  avantages  que  la  nation 


—  246  — 

espagnole  tira  du  rétablissement  de  la  paix  avec  TAn- 
gleterre. 

En  effet,  dès  le  4  juillet  1808  le  gouvernement  bri- 
tannique avait  publié  l'ordre  suivant  : 

«  Sa  Majesté  ayant  pris  en  considération  les  glorieux 
efforts  de  la  iiation  espagnole  pour  la  délivrance  de 
sa  patrie  de  l'usurpation  de  la  France,  et  les  assu- 
rances que  Sa  Majesté  a  reçues  de  diverses  provinces 
d'Espagne,  de  leurs  dispositions  amicales  envers  ce 
royaume,  Sa  Majesté,  de  l'avis  de  son  Conseil  privé, 
a  bien  voulu  ordonner,  et  il  est  conséquemment  or- 
donné : 

«1**  Que  toute  hostilité  contre  l'Espagne,  de  la  part 
de  Sa  Majesté,  cessera  immédiatement  j 

«  2°  Que  le  blocus  de  tous  les  ports  d'Espagne, 
excepté  ceux  qui  peuvent  être  encore  sous  l'influence 
de  la  France,  sera  sur-le-champ  levé  ; 

«  3'  Que  tous  les  vaisseaux  et  bâtiments  apparte- 
nant à  l'Espagne  seront  librement  admis  dans  les  ports 
de  la  domination  de  Sa  Majesté,  comme  avant  les  pré- 
sentes hostilités; 

«  4"  Que  tous  les  vaisseaux  et  bâtiments  apparte- 
nant à  l'Espagne  qui  seront  rencontrés  sur  mer  par 
les  vaisseaux  et  croisières  de  Sa  Majesté,  seront  traités 
de  la  même  manière  que  ceux  des  États  qui  sont  amis 
de  Sa  Majesté,  et  qu'il  leur  sera  permis  de  faire  tel 
commerce  que  Sa  Majesté  regarde  maintenant  comme 
fait  légitimement  par  des  vaisseaux  neutres; 

«  5"  Que  tous  les  vaisseaux  et  marchandises  appar- 
tenant à  des  personnes  qui  résident  dans  les  colonies 
espagnoles ,  qui  seront  arrêtés  après  cejourd'hui  par 
quelque  croisière  de  Sa  Majesté,  seront  conduits  dans 
un  port  et  soigneusement  tenus  sous  bonne  garde  pour 
attendre  les  ordres  ultérieurs  de  Sa  Majesté,  jusqu'à 
ce  qu'il  soit  connu  si  lesdites   colonies  ou  aucune 


—  247  —  -' 

d'icelles  dans  lesquelles  les  propriétaires  de  tels  vais- 
seaux et  marchandises  résident,  ont  fait  cause  com- 
mune avec  l'Espagne  contre  la  puissance  de  la 
France,  etc.  » 

L'exemple  de  TEspagne  encouragea  les  Portugais  à 
briser  le  joug  insupportable  que  faisait  peser  sur  eux  l'oc- 
cupation française  Le  mouvement  commença  à  Oporto 
le  6  juin  1808;  la  Junte  qui  y  fut  établie  sous  la  pré- 
sidence de  l'évêque,  organisa  l'insurrection  sur  tous 
les  points  du  royaume  où  les  Français  ne  se  trouvaient 
pas  en  forces  supérieures.  Une  armée  anglaise ,  com- 
mandée par  sir  Arthur  Wellesley ,  si  célèbre  depuis 
sous  le  nom  de  Wellington,  arriva  devant  Oporto. 
Cette  armée,  forte  de  dix  mille  hommes,  s'était  pré- 
sentée à  la  Corogne,  le  23  juillet,  peu  de  jours  après 
la  bataille  de  Médina  del  Rio  Seco.  Sir  Arthur  offrit  ce 
secours  à  la  Junte  de  la  Galice;  mais  celle-ci  répondit 
qu'elle  ne  demandait  à  la  Grande-Bretagne  que  de 
l'argent,  des  armes  et  des  munitions;  elle  ajouta  que 
le  corps  anglais  serait  dans  le  cas  de  rendre  le  plus 
grand  service  aux  Portugais ,  et  par  suite  à  la  nation 
espagnole ,  s'il  était  employé  à  chasser  les  Fran- 
çais de  Lisbonne.  De  la  Corogne  sir  Arthur  se  di- 
rigea sur  Oporto;  mais  l'évêque  l'ayant  averti  que  les 
Portugais  étaient  assez  forts  pour  repousser  les  Fran- 
çais, il  laissa  ses  troupes  devant  Oporto,  et  se  rendit, 
de  sa  personne,  auprès  de  sir  Charles  CottoUj,  com- 
mandant de  la  flotte  à  l'embouchure  du  Tage,  pour 
combiner  avec  lui  l'attaque  de  Lisbonne.  Ce  fut  de  là 
qu'il  transmit  au  général  Spencer ,  qui  se  trouvait  à 
Cadix  avec  six  mille  hommes,  l'ordre  de  venir  le  join- 
dre. Averti  qu'il  allait  recevoir  un  autre  renfort  de 
cinq  mille  hommes ,  que  lui  amenait  le  général  Atis- 
truthery  et  que  Junot  était  affaibli  par  l'obligation  où  il 


—  248  — 

avait  été  d'envoyer  six  mille  hommes  dans  le  midi  du 
Portugal,  qui  s'était  insurgé,  sir  Arthur  Wclledey  dé- 
barqua le  31  juillet  ses  troupes  dans  la  baie  de  Mon- 
dego,  et  prit  position  sur  les  hauteurs  de  Leyria.  Le 
corps  de  Spencer  étant  arrivé,  Wellesley  se  mit  en 
marche,  le  9  août,  sur  Lisbonne;  il  remporta,  le  17, 
à  Rorissa,  une  victoire  sur  le  général  Laborde.  Le  len- 
demain de  cette  affaire  arriva  le  corps  à'Aîistruther. 
Comme  sir  John  Moore  devait  amener  sous  peu  un 
nouveau  renfort,  le  général  Jmiot  résolut  de  le  pré- 
venir et  de  livrer  bataille.  Elle  eut  lieu ,  le  21 ,  à  Vi- 
meiro.  Le  général  français  ayant  échoué  dans  son  en- 
treprise contre  cette  ville,  fut  obligé  de  se  retirer  à 
Lisbonne. 

L'armée  victorieuse  avança  jusqu'à  Cintra  où  sir 
Hew  Dalrymple  prit,  le  22,  le  commandement  général 
de  tous  les  corps  anglais.  Junot  fit  immédiatement 
demander  un  armistice  ,  afin  de  traiter  d'une  conven- 
tion pour  l'évacuation  du  Portugal  par  les  Français. 

L'armistice  fut  effectivement  conclu  à  Cintra,  le  22 
août ,  entre  sir  Arthur  Wellesley  et  le  général  Keller- 
mannK  La  convention  définitive  fut  signée,  le  30,  à 
Lisbonne,  par  sir  George  Murray,  au  nom  du  général 
en  chef,  et  le  général  de  division  Kellermann,  au  nom 
de  Junot,  duc  à'  Jhrantès.  En  voici  les  stipulations  qui 
sont  énoncées  en  22  articles  : 

((  Toutes  les  places  et  forts  du  Portugal,  occupés  par 
les  troupes  françaises,  seront  remis  à  l'armée  anglaise 
dans  l'état  où  ils  se  trouvent.  Art.  1 . 

a  Les  troupes  françaises  évacueront  le  Portugal  avec 
leurs  armes  et  bagages;  elles  ne  seront  pas  considé- 
rées comme  prisonnières  de  guerre,  et,  à  leur  arrivée 
en  France,  elles  auront  la  liberté  de  servir.  Art,  2. 

*  Martens,  Recueil,  t.  XII,  p.  94. 


—  249  — 

«Le  gouvernement  anglais  fournira  des  moyens  de 
transport  à  l'armée  française  qui  sera  débarquée  dans 
un  des  ports  de  France  entre  Rochefort  et  l'Orient. 
Art.  3. 

«  Cette  armée  emportera  toute  son  artillerie  de  cali- 
bre français  avec  les  cbevaux  et  les  caissons  renfer- 
mant soixante  charges  par  canon.  Toute  autre  artil- 
lerie, toutes  les  armes  et  munitions,  les  arsenaux  de 
mer  et  de  terre  seront  remis  à  l'armée  et  à  la  flotte 
anglaise ,  dans  l'état  où  ils  se  trouveront  lors  de  la 
ratification  de  la  convention.  Art.  4. 

«  L'armée  française  emportera  tous  équipages  et 
toutes  propriétés  de  l'armée,  c'est-à-dire  la  caisse 
militaire  et  les  voitures  attachées  au  service  des  hôpi- 
taux et  commissariats.  Il  lui  est  permis  de  dispo- 
ser pour  son  compte  de  la  partie  des  effets  que  le  gé- 
néral en  chef  jugerait  inutiles  d'embarquer.  Tous  les 
individus  ont  également  la  liberté  de  disposer  de  leurs 
propriétés,  et  On  garantit  pleine  sécurité  aux  ache- 
teurs. Art.  5. 

«  La  cavalerie  embarquera  ses  chevaux,  ainsi  que  les 
généraux  et  officiers  ;  mais  le  nombre  des  chevaux  à 
embarquer  pour  les  troupes  n'excédera  pas  six  cents 
et  celui  des  chevaux  à  embarquer  pour  l'état-major 
n'excédera  pas  deux  cents.  Dans  tous  les  cas,  l'armée 
française  disposera  de  ceux  de  ses  chevaux  qui  ne  se- 
ront pas  embarqués.  ^4?'^.  6. 

((  L'embarquement  aura  lieu  en  trois  divisions,  dont 
la  dernière  se  composera  principalement  des  garnisons 
des  places,  de  la  cavalerie,  de  l'artillerie,  des  malades 
et  des  équipages.  La  première  division  sera  embar- 
quée dans  les  sept  jours  qui  suivront  la  ratification. 
Art.  7. 

«  Les  garnisons  d'Elvas  et  de  ses  forts,  de  Péniche  et 
Palméla  seront  embarquées  à  Lisbonne;  celle  d'Al- 


—  250  — 

meida,  à  Porto  ou  dans  le  port  le  plus  voisin.  Elles 
seront  accompagnées  dans  leur  marche  par  des  com- 
missaires anglais  chargés  de  pourvoir  à  leur  subsi- 
stance. Art.  8. 

«  Tous  les  malades  et  blessés  qu'on  ne  peut  pas  em- 
barquer avec,  les  troupes,  seront  confiés  à  Tarmée  an- 
glaise. Ils  seront  entretenus  aux  frais  du  gouvernement 
anglais,  et,  sous  la  condition  de  parfait  rembourse- 
ment ,  le  gouvernement  anglais  pourvoira  à  leur 
retour.  Art.  9. 

«  Aussitôt  que  les  bâtiments  employés  au  transport 
de  l'armée  française  auront  effectué  leur  débarque- 
ment dans  les  ports  français,  on  leur  donnera  les  faci- 
lités nécessaires  pour  retourner  en  Angleterre  sans 
délai,  et  des  sûretés  contre  toute  capture  jusqu'à  leur 
entrée  dans  un  port  ami.  Art.  10. 

«L'armée  française  sera  concentrée  à  Lisbonne  et  à 
deux  lieues  à  la  ronde  j  l'armée  anglaise  avancera 
jusqu'à  trois  lieues  de  la  capitale ,  et  se  placera  de 
manière  à  laisser  entre  les  deux  armées  une  distance 
d'environ  une  lieue.  Art.  1 1 . 

«Tous  arrérages  de  contributions,  réquisitions  ou 
réclamations  quelconques  du  gouvernement  français 
envers  des  sujets  portugais  sont  annulés,  et  tout  sé- 
questre mis  sur  des  propriétés  mobilières  et  immobi- 
lières est  levé.  Art.  1 5. 

«  Amnistie  est  accordée  à  tous  les  indigènes.  Ai^t.  1 7. 

«  Il  sera  permis  au  général  en  chef  d'envoyer  un 
officier  en  France  pour  y  porter  la  nouvelle  de  cette 
capitulation;  le  général  anglais  fournira  un  navire 
pour  transporter  cet  officier  à  Bordeaux  ou  Rochefort'.» 

Cette  convention ,  si  honorable  qu'il  n'en  existe 
peut-être  pas  un  exemple  dans  les  annales  de  la  guerre, 

*  Voy.  Martens  ,  Recueily  t.  XII ,  p.  96. 


—  254  — 

excita  un  vif  mécontentement  en  Angleterre,  où  Ton 
avait  espéré  que  l'armée  du  duc  diJhrantès,  renfermée 
entre  les  forces  britanniques  et  celles  des  insurgés,  se- 
rait faite  prisonnière  de  guerre.  La  conduite  des  géné- 
raux qui  y  avaient  pris  part  fut  examinée  par  un  conseil 
de  guerre,  et  approuvée  par  une  majorité  de  quatre 
voix  contre  trois;  mais  le  Roi  fit  déclarer  ofliciellement 
à  sir  Hew  Dalrymple  qu'il-  n'était  pas  satisfait  des  ar- 
ticles de  la  convention. 

L'escadre  russe,  qui,  revenue  du  Levant*,  se  trou- 
vait encore  dans  le  Tage,  fut  obligée  de  se  rendre  à 
l'amiral  sir  Charles  Cotton.  Le  3  septembre,  le  vice- 
amiral  Siniavine  signa  une  convention  en  deux  articles 
ainsi  conçus  : 

((  Les  vaisseaux  de  guerre  russes  qui  se  trouvent  dans 
le  Tage,  ainsi  qu'ils  sont  spécifiés  dans  la  liste  ci-jointe, 
seront  remis  de  suite,  avec  toutes  leurs  provisions,  à  l'a- 
miralCofiow. Ils  seront  envoyés  en  Angleterre  etgardés  en 
dépôt  par  S.  M.  Britannique  pour  être  rendus  à  S.  M.  L 
de  Russie,  dans  l'espace  de  six  mois  après  la  conclu- 
sion de  la  paix  entre  S.  M.  Britannique  et  S.  M.  de 
toutes  les  Russies.  Art.  V\ 

«  Le  vice-amiral  Siniavine  retournera  en  Russie  avec 
les  officiers,  matelots  et  soldats  sous  son  commande- 
ment, sans  aucune  stipulation  ou  condition  relative- 
ment à  leur  service  futur.  Ils  y  seront  transportés  aux 
frais  de  S.  M.  Britannique.  Art.  2.  » 

Les  vaisseaux  remis  aux  Anglais  en  vertu  de  cette 
convention  étaient  au  nombre  de  dix,  portant  six  cent 
soixante-seize  canons.  Ils  furent  restitués  à  l'empereur 
Alexandre  en  1814. 

Napoléon  n'était  plus  à  s'apercevoir  qu'il  s'était 

•  Voy.  t.X,p.  379. 


—  252  -- 

trompé,  en  croyant  vaincre  l'Ibérie,  comme  la  Ger- 
manie, par  violence  et  par  séduction.  Il  avait  fait  et 
défait  des  rois;  mais  il  ne  suffisait  pas  de  distribuer  des 
couronnes  et  de  livrer  des  peuples  avec  une  aussi 
déplorable  facilité  :  le  plus  inquiétant  était  d'obtenir  le 
consentement  de  ces  mêmes  peuples;  et  déjà  nous 
l'avons  vu,  les  Espagnols  et  les  Portugais,  en  insur- 
rection contre  les  troupes  françaises,  et  aidés  par  les 
Anglais,  avaient  mis  en  feu  toute  la  Péninsule.  11  fallait 
donc  des  renforts  à  la  grande  armée;  c'est  alors  que 
Napoléon  informa  le  Sénat  des  nouveaux  développe- 
ments de  sa  politique.  Ils  se  trouvent  amplement  ex- 
posés dans  le  message  et  les  rapports  que  nous  allons 
reproduire,  et  qui  forment  la  contre-partie  des  publi- 
cations espagnoles. 


Message  de  VEmpereur. 

«  Sénateurs,  mon  ministre  des  Relations  Extérieures 
mettra  sous  vos  yeux  les  différents  traités  relatifs  à 
l'Espagne,  et  les  constitutions  acceptées  par  la  Junte 
espagnole. 

«  Mon  ministre  de  la  Guerre  vous  fera  connaître 
les  besoins  et  la  situation  de  mes  armées  dans  les 
différentes  parties  du  monde. 

«  Je  suis  résolu  à  pousser  les  affaires  d'Espagne 
avec  la  plus  grande  activité,  et  à  détruire  les  armées 
que  l'Angleterre  a  débarquées  dans  ce  pays. 

(c  La  sécurité  future  de  mes  peuples ,  la  prospérité 
du  commerce  et  la  paix  maritime  sont  également 
attachées  à  ces  importantes  opérations. 

('  Mon  alliance  avec  l'empereur  de  Russie  ne  laisse 
à  l'Angleterre  aucun  espoir  dans  ses  projets.  Je  crois 
à  la  paix  du  Continent,  mais  je  ne  veux  ni  ne  dois 


—  253  — 

dépendre  des  faux  calculs  et  des  erreurs  des  autres 
Cours,  et  puisque  mes  voisins  augmentent  leurs 
armées,  il  est  de  mon  devoir  d'augmenter  les  miennes. 

«  L'empire  de  Constantinople  est  en  proie  aux 
plus  afî'reux  bouleversements;  le  sultan  Sélim,  le 
meilleur  empereur  qu'aient  eu  depuis  longtemps  les 
Ottomans,  vient  de  mourir  de  la  main  de  ses  propres 
neveux.  Cette  catastrophe  m'a  été  sensible. 

«  J'impose  avec  confiance  de  nouveaux  sacrifices  à 
mes  peuples;  ils  sont  nécessaires  pour  leur  en  épar- 
gner de  plus  considérables,  et  pour  nous  conduire  au 
grand  résultat  de  la  paix  générale,  qui  doit  seule  être 
regardée  comme  le  moment  du  repos. 

«  Français,  je  n'ai  dans  mes  projets  qu'un  but, 
votre  bonheur  et  la  sécurité  de  vos  enfants;  et,  si  je 
vous  connais  bien,  vous  vous  hâterez  de  répondre  au 
nouvel  appel  qu'exige  l'intérêt  de  la  patrie.  Vous 
m'avez  dit  si  souvent  que  vous  m'aimiez!  Je  recon- 
naîtrai la  vérité  de  vos  sentiments  à  l'empressement 
que  vous  mettrez  à  seconder  des  projets  si  intimement 
liés  à  vos  plus  chers  intérêts,  à  l'honneur  de  l'empire 
et  à  ma  gloire. 

«  Donné  en  notre  palais  impérial  de  Saint-Cloud , 
le  4  septembre  1808. 

«  Signé  Napoléon,  m 


Premier  rapport  fait  à  VEmpereurpar  le  ministre  des  Relations 
Extérieures. 

«  Bayonne,le24  avril  1808. 

((  Sire,  la  sûreté  de  votre  empire,  l'affermissement 
de  sa  puissance,  la  nécessité  d'employer  tous  les 
moyens  pour  forcer  à  la  paix  un  gouvernement  qui, 
se  faisant  un  jeu  du  sang  des  hommes  et  de  la  viola- 


—  254  — 

tion  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré  parmi  eux,  a 
mis  en  principe  la  guerre  perpétuelle,  imposent  à 
Votre  Majesté  l'obligation  de  mettre  un  terme  à  l'anar- 
chie qui  menace  l'Espagne  et  aux  dissensions  qui  la 
déchirent.  La  circonstance  est  grave,  le  choix  du 
parti  à  prendre  extrêmement  important  :  il  tient  à  des 
considérations  qui  intéressent  au  plus  haut  degré  et 
la  France  et  l'Europe. 

«  De  tous  les  États  de  l'Europe  il  n'en  est  aucun 
dont  le  sort  soit  plus  nécessairement  lié  à  celui  de  la 
France  que  l'Espagne  :  l'Espagne  est  pour  la  France 
ou  une  amie  utile  ou  une  ennemie  dangereuse.  Une 
alliance  intime  doit  uiiir  les  deux  nations,  ou  une  ini- 
mitié implacable  les  séparer.  Malheureusement  la  ja- 
lousie et  la  défiance  qui  existent  entre  deux  nations  voi- 
sines ont  fait  de  cette  inimitié  l'état  le  plus  habituel 
des  choses  :  c'est  ce  qu'attestent  les  pages  sanglantes 
de  l'histoire.  La  rivalité  de  Charles  V  et  de  Fran- 
çois J"""  n'était  pas  moins  la  rivalité  des  deux  nations 
que  celle  de  leurs  souverains  ;  elle  fut  continuée  sous 
leurs  successeurs.  Les  troubles  de  la  Ligue  furent 
suscités  et  fomentés  par  l'Espagne;  elle  ne  fut  point 
étrangère  aux  désordres  de  la  Fronde;  et  la  puissance 
de  Louis  XIV  ne  commença  à  s'élever  que  lorsque  après 
avoir  vaincu  l'Espagne  il  forma  avec  la  maison  alors  ré- 
gnante dans  ce  royaume  une  alliance  qui  dans  la  suite  fit 
passer  cette  couronne  sur  la  tête  de  son  petit-fils.  Cet 
acte  de  sa  prévoyante  politique  a  valu  aux  deux  con- 
trées un  siècle  de  paix  après  trois  siècles  de  guerre. 

«  Mais  cet  état  de  choses  a  cessé  avec  la  cause  qui 
l'avait  fait  naître  j  la  Révolution  française  a  brisé  le 
lien  permanent  qui  unissait  les  deux  nations.  Et  lors 
de  la  troisième  coalition,  lorsque  l'Espagne  prodi- 
guait à  la  France  des  protestations  d'amitié,  elle 
promettait  secrètement  son  assistance  aux  coalisés, 


—  255  — 

comme  l'ont  fait  connaître  les  pièces  communiquées 
au  parlement  d'Angleterre.  Le  ministère  anglais  se 
détermina  par  ce  motif  à  ne  rien  entreprendre  contre 
l'Amérique  espagnole,  regardant  déjà  l'Espagne 
comme  son  alliée,  et  l'Espagne,  ainsi  que  l'Angle- 
terre, présageant  la  défaite  de  vos  armées.  Les  événe- 
ments trompèrent  cette  attente,  et  l'Espagne  resta 
amie. 

«  A  l'époque  de  la  quatrième  coalition  l'Espagne 
montra  plus  ouvertement  ses  dispositions  hostiles,  et 
trahit  par  un  acte  public  le  secret  de  ses  engagements 
avec  l'Angleterre.  On  ne  peut  oublier  cette  fameuse 
proclamation  qui  précéda  de  neuf  jours  la  bataille 
d'Iéna,  par  laquelle  toute  l'Espagne  était  appelée  aux 
armes,  lorsque  aucun  ennemi  ne  la  menaçait,  et  qui 
fut  suivie  de  mesures  promptement  effectuées,  puis- 
que l'établissement  militaire  de  ce  royaume  fut  porté 
de  cent  dix-huit  mille  hommes  à  cent  quarante  mille. 
Alors  le  bruit  s'était  répandu  que  l'armée  de  Votre 
Majesté  était  cernée,  que  l'Autriche  allait  se  déclarer 
contre  elle;  et  l'Espagne  crut  pouvoir  aussi  se  déclarer 
impunément.  La  victoire  d'Iéna  vint  confondre  ses 
projets. 

«  Le  moment  est  arrivé  de  donner  à  la  France,  du 
côté  des  Pyrénées,  une  sécurité  invariable;  il  faut 
que,  si  jamais  elle  se  trouve  exposée  à  de  nouveaux 
dangers,  elle  puisse,  loin  d'avoir  à  craindre  l'Espa- 
gne, attendre  d'elle  des  secours,  et  qu'au  besoin  les 
armées  espagnoles  marchent  pour  la  défendre. 

(c  Dans  son  état  actuel  l'Espagne,  mal  gouvernée, 
sert  mal,  ou  plutôt  ne  sert  point  la  cause  commune 
contre  l'Angleterre.  Sa  marine  est  négligée;  à  peine 
compte-t-on  quelques  vaisseaux  dans  ses  ports,  et  ils 
sont  dans  le  plus  mauvais  état;  les  magasins  man- 
quent d'approvisionnements;  les  ouvriers  et  les  ma- 


—  256  — 

telots  ne  sont  pas  payés;  il  ne  se  fait  dans  ses  ports 
ni  radoubs  ni  constructions ,  ni  armements.  Il  règne 
dans  toutes  les  branches  de  l'administration  le  plus  hor- 
rible désordre;  toutes  les  ressources  de  la  monarchie 
sont  dilapidées;  l'État,  chargé  d'une  dette  énorme, 
est  sans  crédit;  les  produits  de  la  vente  des  biens  du 
clergé,  destinés  à  diminuer  cette  dette,  ont  une  autre 
destination;  enfin,  dans  la  pénurie  de  ses  moyens, 
l'Espagne,  en  abandonnant  totalement  sa  marine, 
s'occupe  cependant  de  l'augmentation  de  ses  troupes 
de  terre.  De  si  grands  maux  ne  peuvent  être  guéris 
que  par  de  grands  changements. 

«  L'objet  le  plus  pressant  des  sollicitudes  de  Votre 
Majesté  est  la  guerre  contre  l'Angleterre.  L'Angleterre 
annonce  ne  vouloir  se  prêter  à  aucun  accommodement. 
Toutes  les  ouvertures  de  Votre  Majesté  ont  été  repous- 
sées ou  négligées.  L'impuissance  de  faire  la  guerre 
déterminera  seule  l'Angleterre  à  conclure  la  paix.  La 
guerre  contre  elle  ne  peut  donc  être  poussée  avec 
trop  de  vigueur.  L'Espagne  a  des  ressources  mari- 
times  qui  sont  perdues  pour  elle  et  pour  la  France; 
il  faut  qu'un  bon  gouvernement  les  fasse  renaître,  les 
améliore  par  une  judicieuse  organisation,  et  que 
Votre  Majesté  les  dirige  contre  l'ennemi  commun  pour 
arriver  enfin  à  cette  paix  que  l'humanité  réclame, 
dont  l'Europe  entière  a  si  grand  besoin.  Tout  ce  qui 
conduit  à  ce  but  est  légitime.  L'intérêt  de  la  France , 
celui  de  l'Europe  continentale  ne  permettent  pas  à 
Votre  Majesté  de  négliger  les  seuls  moyens  par  les- 
quels la  guerre  contre  l'Angleterre  peut  être  pour- 
suivie avec  succès. 

«  La  situation  actuelle  de  l'Espagne  compromet  la 
sûreté  de  la  France  et  le  sort  de  la  guerre  contre  l'An- 
gleterre :  le  pays  de  l'Europe  qui  offre  le  plus  de 
moyens  maritimes  est  celui  qui  en  a  le  moins. 


—  257  — 

«Sire,  l'Espagne  sera  pour  la  France  une  amie 
sincère  et  fidèle,  et  la  guerre  contre  l'Angleterre  ne 
pourra  être  continuée  avec  l'espérance  d'arriver  à  la 
paix  que  lorsqu'un  intérêt  commun  unira  les  deux 
maisons  régnant  sur  la  France  et  sur  l'Espagne.  La 
dynastie  qui  gouverne  l'Espagne,  par  ses  affections, 
ses  souvenirs,  ses  craintes,  sera  toujours  l'ennemie 
cachée  de  la  France;  ennemie  d'autant  plus  perfide 
qu'elle  se  présente  comme  amie,  cédant  tout  à  la 
France  victorieuse,  prête  à  l'accabler  du  moment  où 
sa  destinée  deviendrait  incertaine. 

«  Il  faut,  pour  l'intérêt  de  l'Espagne  comme  pour 
celui  de  la  France,  qu'une  main  ferme  vienne  réta- 
blir l'ordre  dans  son  administration,  dont  le  désordre 
a  avili  son  gouvernement,  et  prévenir  la  ruine  vers 
laquelle  elle  marche  à  grands  pas.  Il  faut  qu'un 
prince  ami  de  la  France  par  sentiment,  par  intérêt, 
n'ayant  point  à  la  craindre,  et  ne  pouvant  être  un 
objet  de  défiance  pour  elle,  consacre  toutes  les  res- 
sources de  l'Espagne  à  sa  prospérité  intérieure,  au 
rétablissement  de  sa  marine,  au  succès  de  la  cause 
qui  lie  l'Espagne  à  la  France  et  au  continent.  C'est 
l'ouvrage  de  Louis  XIV  qu'il  faut  recommencer. 

«  Ce  que  la  politique  conseille,  la  justice  l'autorise. 
L'Espagne  s'est  réellement  mise  en  guerre  avec  Votre 
Majesté  :  ses  intelligences  avec  l'Angleterre  étaient 
un  acte  hostile;  sa  proclamation  du  5  octobre  une  véri- 
table déclaration  de  guerre,  qui  aurait  été  suivie  d'une 
agression  si  Votre  Majesté  n'avait  pas  vaincu  à  léna. 
Alors  les  départements  de  la  gauche  de  la  Loire,  que 
Votre  Majesté  avait  laissés  sans  troupes,  auraient  été 
obligés  d'accourir  pour  repousser  ce  nouvel  ennemi. 

«  Les    commerçants  français  en  Espagne   avaient 
perdu  leurs  anciens  privilèges  ;  les  lois  de  douane 
étaient  dirigées  principalement  contre  le  commerce 
XI  17 


—  258  — 

français;  elles  étaient  remarquables  par  leur  arbitraire 
et  leurs  perpétuelles  variations.  Ces  variations  ne 
pouvaient  être  connues;  elles  n'avaient  aucune  publi- 
cité; ce  n'était  que  dans  les  bureaux  des  douanes 
que  l'on  apprenait  que  la  loi  de  la  veille  n'était  plus 
celle  du  lendemain.  Les  marcbandises  confisquées, 
souvent  sans  prétexte,  n'étaient  jamais  rendues; 
toutes  les  réclamations  faites  par  des  Français,  ou 
pour  des  intérêts  français  étaient  repoussées.  Pendant 
que  l'Espagne  faisait  ainsi  la  guerre  en  détail  aux 
Français  et  à  leur  commerce,  tous  ses  ports,  et  prin- 
cipalement ceux  du  golfe  de  Gascogne,  étaient  ouverts 
au  commerce  anglais.  Les  lois  de  blocus,  proclamées 
en  Espagne  comme  en  France,  n'étaient  qu'un  moyen 
de  plus  de  favoriser  cette  contrebande  des  Anglais, 
dont  les  marchandises  se  répandaient  de  l'Espagne 
dans  le  reste  de  l'Europe. 

((  Mais,  indépendamment  des  considérations  que 
je  viens  de  retracer,  les  circonstances  actuelles  ne 
permettent  pas  à  Votre  Majesté  de  ne  point  intervenir 
dans  les  affaires  de  ce  royaume.  Le  roi  d'Espagne  a 
été  précipité  de  son  trône;  Votre  Majesté  est  appelée 
à  juger  entre  le  père  et  le  fils.  Quel  parti  prendra-t-elle? 
Voudrait-elle  sacrifier  la  cause  des  souverains,  et 
permettre  un  outrage  fait  à  la  majesté  du  trône?  Vou- 
drait-elle laisser  sur  le  trône  d'Espagne  un  prince 
qui  ne  pourra  se  soustraire  au  joug  des  Anglais  qu'au- 
tant que  Votre  Majesté  entretiendra  constamment  une 
armée  puissante  en  Espagne?  Si,  au  contraire,  Votre 
Majesté  se  détermine  à  replacer  Charles  IV  sur  son 
trône,  elle  sait  qu'elle  ne  peut  le  faire  sans  avoir  à 
vaincre  une  grande  résistance,  et  sans  faire  couler  le 
sang  français.  Ce  sang,  que  la  nation  prodigue  pour 
la  défense  de  ses  propres  intérêts,  peut- il  être  versé 
pour  l'intérêt  d'un  roi  étranger  dont  le  sort  n'importe 


—  259  — 

nullement  à  la  France?  Enûn  Votre  Majesté  peut-elle, 
ne  prenant  aucun  intérêt  à  ces  grands  différends, 
abandonner  la  nation  espagnole  à  son  sort,  lorsque 
déjà  une  extrême  fermentation  l'agite,  et  que  l'Angle- 
terre y  sème  le  trouble  et  l'anarchie?  Votre  Majesté 
doit-elle  laisser  cette  nouvelle  proie  à  dévorer  à  l'An- 
gleterre? Non,  sans  doute.  Ainsi  Votre  Majesté,  obli- 
gée de  s'occuper  de  la  régénération  de  l'Espagne  d'une 
manière  utile  pour  ce  royaume,  utile  pour  la  France , 
ne  doit  donc  ni  rétablir  au  prix  de  beaucoup  de  sang 
un  roi  détrôné ,  ni  abandonner  l'Espagne  à  elle-même; 
car  dans  ces  deux  dernières  hypothèses  ce  serait  la 
livrer  aux  Anglais,  dont  l'argent  et  les  intrigues  ont 
amené  les  déchirements  de  ce  pays. 

«  J'ai  exposé  à  Votre  Majesté  les  circonstances  qui 
l'obligent  à  prendre  une  grande  détermination.  La 
politique  la  conseille,  la  justice  l'autorise,  les  trou- 
bles de  l'Espagne  en  imposent  la  nécessité.  Votre  Ma- 
jesté doit  pourvoir  à  la  sûreté  de  son  empire,  et  sau- 
ver l'Espagne  de  l'influence  de  l'Angleterre. 

('  Je  suis  avec  respect,  etc. 

«  Signé  Ghampagny.  » 


Second  rapport  fait  à  l'Empereur  par  le  ministre  des  Relations 
Extérieures. 

«  Paris,  le  1""  septembre  1808. 

i<  Sire,  j'ai  l'honneur  de  proposer  à  Votre  Majesté 
de  communiquer  au  Sénat  les  deux  traités  qui  ont  mis 
la  couronne  d'Espagne  entre  ses  mains,  et  la  Consti- 
tution que  sous  ses  auspices ,  et  éclairée  par  ses  lu- 
mières, la  Junte  rassemblée  à  Bayonne,  après  de 
mûres  et  libres  délibérations ,  a  adoptée  pour  la  gloire 


—  260  — 

du  nom  espagnol,  et  la  prospérité  de  ce  royaume  et 
de  ses  colonies. 

{(  Si,  dans  les  dispositions  que  Votre  Majesté  a 
faites,  la  sécurité  de  la  France  a  été  votre  soin  prin- 
cipal, l'intérêt  de  l'Espagne  lui  a  cependant  été  cher, 
et,  en  unissant  les  deux  États  par  l'alliance  la  plus 
intime,  la  prospérité  et  la  gloire  de  l'un  et  de  l'autre 
étaient  également  le  but  qu'elle  se  proposait.  Les 
troubles  qui  se  manifestaient  alors  en  Espagne  exci- 
taient particulièrement  la  sollicitude  de  Votre  Majesté  ; 
elle  en  craignait  les  progrès;  elle  en  prévoyait  les 
funestes  conséquences  ;  elle  espérait  les  prévenir  par 
des  moyens  de  persuasion  et  par  des  mesures  d'une 
sage  et  humaine  politique.  Votre  Majesté  intervenait 
comme  médiateur  au  milieu  des  Espagnols  divisés;  elle 
leur  montrait  d'un  côté  l'anarchie  qui  les  menaçait,  de 
l'autre  l'Angleterre  s'apprêtant  à  profiter  de  leurs  di- 
visions pour  s'approprier  ce  qui  est  à  sa  convenance; 
elle  leur  indiquait  le  port  qui  devait  les  sauver  de  ce 
double  danger,  une  Constitution  sage,  prévoyante, 
propre  à  pourvoir  à  tous  les  besoins,  et  dans  laquelle 
les  idées  libérales  se  conciliaient  avec  les  institutions 
anciennes  dont  l'Espagne  désire  la  conservation. 

«  L'attente  de  Votre  Majesté  a  été  trompée.  Des  in- 
térêts particuliers ,  les  intrigues  de  l'étranger,  son  or 
corrupteur,  ont  prévalu.  Pourquoi  est-il  si  facile  ,  en 
déchaînant  leurs  passions,  de  conduire  les  peuples  à 
leur  propre  ruine!  Dans  un  précédent  rapport  j'ai 
fait  connaître  à  Votre  Majesté  l'influence  qu'acqué- 
raient les  Anglais  en  Espagne,  le  parti  nombreux 
qu'ils  s'étaient  formé,  les  amis  qu'ils  s'étaient  faits 
dans  les  ports  de  commerce,  surtout  par  l'appât  du 
rétablissement  des  relations  commerciales  ;  je  les 
avais  montrés  à  Votre  Majesté  auteurs  du  mouvement 
qui  avait  renversé  le  trône  de  Charles  IV,  et  fauteurs 


—  261   — 

des  désordres  populaires  qui  prirent  naissance  à  cette 
époque.  Ils  avaient  brisé  le  frein  salutaire  qui,  pour 
son  intérêt,  tient  le  peuple  dans  la  soumission.  La 
populace  espagnole,  ayant  secoué  le  joug  de  l'auto- 
rité, aspirait  à  gouverner.  L'or  des  Anglais,  les  in- 
trigues des  agents  de  l'Inquisition,  qui  craignaient 
de  perdre  leur  empire,  l'influence  des  moines,  si 
nombreux  en  Espagne,  et  qui  redoutaient  une  ré- 
forme, ont  dans  ce  moment  de  crise  occasionné  l'in- 
surrection de  plusieurs  provinces  espagnoles,  dans 
lesquelles  la  voix  des  hommes  sages  a  été  méconnue 
ou  étouffée,  et  plusieurs  d'entre  eux  rendus  victimes 
de  leur  courageuse  opposition  aux  désordres  populai- 
res ;  et  on  a  vu  une  épouvantable  anarchie  se  répandre 
dans  la  plus  grande  partie  de  l'Espagne.  Votre  Majesté 
permettra-t-elle  que  l'Angleterre  puisse  dire:  l'Espagne 
est  une  de  mes  provinces;  mon  pavillon ,  chassé  de  la 
Baltique,  des  mers  du  Nord,  du  Levant,  et  même  des 
rivages  de  Perse,  domine  aux  portes  de  France...  i 

u  Non,  jamais,  Sire  !  Pour  prévenir  tant  de  honte 
et  de  malheurs,  deux  millions  de  braves  sont  prêts, 
s'il  le  faut,  à  franchir  les  Pyrénées,  et  les  Anglais 
seront  chassés  de  la  presqu'île. 

«  Si  les  Français  combattent  pour  la  liberté  des 
mers,  il  faut,  pour  la  conquérir,  commencer  par  ar- 
racher l'Espagne  à  l'influence  des  tyrans  des  mers. 

«  S'ils  combattent  pour  la  paix,  ils  ne  peuvent 
l'obtenir  qu'après  avoir  chassé  de  l'Espagne  les  en- 
nemis de  la  paix, 

«  Si  Votre  Majesté ,  embrassant  l'avenir  comme  le 
présent,  aspire  au  noble  but  de  laisser  après  elle  son 
empire  calme,  tranquille,  et  environné  de  puissances 
amies,  elle  doit  commener  par  assurer  son  influence 
sur  les  Espagnes. 

«  Enfin,    si  l'honneur  est  le  premier   sentiment 


—  262  — 

comme  le  premier  bien   des  Français ,  il  faut  que 
Votre  Majesté  tire  une  prompte  vengeance  des  outra- 
ges faits  au  nom  français,  et  des  atrocités  dont  un  si 
grand  nombre  de  nos  compatriotes  ont  été  victimes. 
Des  Français  établis  en  Espagne  depuis  plus  de  qua- 
rante ans ,  exerçant  en  paix  leur  utile  industrie,  et  re- 
gardant presque  l'Espagne  comme  leur  patrie,  ont  été 
massacrés;  partout  les  propriétés  françaises  ont  été  en- 
levées; les  agents  consulaires  de  Votre  Majesté  ont 
éprouvé  un  traitement  qu'ils  n'auraient  pas  redouté 
dans  les  pays  les  plus  barbares.  De  quelle  estime,  de 
quelle  considération  jouirait  en  Europe  le  nom  fran- 
çais, si,  dans  un  pays  si  voisin  de  nous,  des  injures 
aussi  atroces  et  aussi  publiques  restaient  impunies? 
Elles  doivent  être  réparées ,  mais  réparées  comme  il 
convient  à  des  Français,  par  la  victoire  ! 

((  Ce  n'est  pas  un  faible  avantage  que  la  probabilité 
de  rencontrer  enfin  les  Anglais ,  de  les  serrer  corps  à 
corps,  de  leur  faire  aussi  éprouver  les  maux  de  la 
guerre,  de  cette  guerre  dont  ils  ignorent  les  dangers, 
puisqu'ils  ne  la  font  qu'avec  leur  or.  Les  jonglais  se- 
ront battus,  détruits,  dispersés,  à  moins  qu'ils  ne  se 
hâtent  de  fuir,  comme  ils  ont  fait  à  Toulon,  au  Helder, 
à  Dunkerque,  en  Suède,  et  dans  tous  les  lieux  où  les 
armées  françaises  ont  pu  les  apercevoir;  mais  leur  ex- 
pulsion de  l'Espagne  sera  la  ruine  de  leur  cause.  Ce 
dernier  échec  aura  épuisé  leurs  moyens ,  en  même 
temps  qu'anéanti  leurs  dernières  espérances,  et  la  paix 
en  deviendra  plus  probable. 

«  Cependant  toute  l'Europe  fait  dans  cette  lutte  des 
vœux  pour  la  France. 

c<  La  France  et  la  Russie  font  cause  commune  contre 
l'Angleterre. 

(c  Le  Danemark   soutient  avec  honneur  une  lutte 
qu'il  n'a  pas  provoquée. 


—  263  — 

f<  La  Suède,  trahie  et  abandonnée  par  l'allié  auquel 
un  Cabinet  insensé  l'a  sacrifiée ,  a  déjà  perdu  ses  plus 
importantes  provinces,  et  marche  à  cette  ruine,  effet 
inévitable  de  l'alliance  et  de  l'amitié  de  l'Angleterre. 

K  Tel  sera  le  sort  des  insurgés  de  l'Espagne.  Lorsque 
la  lutte  sera  sérieusement  engagée,  les  Anglais  aban- 
donneront l'Espagne,  après  lui  avoir  fait  le  funeste 
présent  de  la  guerre  civile,  de  la  guerre  étrangère ,  et 
de  l'anarchie,  le  plus  cruel  des  fléaux.  Ce  sera  à  la  sa- 
gesse et  à  la  bienfaisance  de  Votre  Majesté  à  réparer  les 
maux  qu'ils  auront  faits. 

«  La  Cour  de  Vienne  a  constamment  témoigné  à 
Votre  Majesté  les  intentions  les  plus  amicales.  Indi- 
gnée de  la  politique  de  l'Angleterre,  elle  a  voulu  rap- 
peler son  ministre  de  Londres,  renvoyer  le  ministre 
anglais  qui  était  à  Vienne,  fermer  ses  ports  à  l'Angle- 
terre, et  se  mettre  avec  elle  en  état  d'hostilité.  Elle 
vient  d'ajouter  à  ces  mesures  en  interdisant  dans  ses 
ports  l'admission  des  bâtiments  qui,  sous  pavillon 
neutre,  ne  sont  que  les  colporteurs  des  denrées  et  des 
marchandises  anglaises.  Votre  Majesté  a  cultivé  ces 
dispositions  bienveillantes  ;  elle  a  témoigné  à  la  Cour 
de  Vienne  amitié  et  confiance,  et  plusieurs  fois  elle 
lui  a  fait  connaître  que  la  France  prend  à  sa  prospé- 
rité un  véritable  intérêt.  Cependant  vers  ces  derniers 
temps  cette  puissance  a  porté  ses  armements  outre 
mesure  :  ses  forces  militaires  sont  aujourd'hui  hors 
de  toute  proportion  avec  sa  population  et  ses  finances. 
Vos  ministres ,  Sire ,  n'ont  voulu  le  remarquer  que 
pour  faire  sentir  à  Votre  Majesté  la  nécessité  d'aug- 
menter ses  forces,  afin  de  conserver  toujours  la  supé- 
riorité relative  qui  existe  entre  la  puissance  et  la  po- 
pulation des  deux  empires. 

«  Une  nouvelle  révolution  a  éclaté  à  Constantinople. 
Le  sultan  Mustapha  a  été  déposé. 


—  264  — 

«  Les  Américains,  ce  peuple  qui  mettait  sa  fortune, 
sa  prospérité  et  presque  son  existence  dans  le  com- 
merce, ont  donné  l'exemple  d'un  grand  et  courageux 
sacrifice  ;  ils  se  sont  interdit  par  un  embargo  général 
tout  commerce,  toute  navigation,  plutôt  que  de  se  sou- 
mettre honteusement  à  ce  tribut  que  les  Anglais  pré- 
tendent imposer  aux  navigateurs  de  toutes  les  nations. 

«  L'Allemagne,  l'Italie ,  la  Suisse  ,  la  Hollande  sont 
paisibles,  et  n'attendent  que  la  paix  maritime  pour  se 
livrer  à  toute  leur  industrie. 

«  Cette  paix  est  le  vœu  du  monde  ;  mais  l'Angle- 
terre s'y  oppose  ,  et  l'Angleterre  est  l'ennemie  du 
monde. 

«  La  nation  française,  l'Europe  entière  savent  tous 
les  efforts  de  Votre  Majesté  pour  la  paix;  elles  savent 
que  ses  entreprises  sont  le  résultat  immédiat  de  l'inu- 
tilité des  tentatives  qu'elle  a  faites  pour  l'obtenir. 

((  Le  dévouement  du  peuple  français  est  sans  bornes, 
et  c'est  surtout  dans  cette  circonstance ,  qui  intéresse 
si  essentiellement  son  honneur  et  sa  sûreté,  qu'il  fera 
éclater  ses  sentiments ,  et  qu'il  se  montrera  digne  de 
recueillir  l'héritage  de  gloire  et  de  bonheur  que  Votre 
Majesté  lui  prépare. 

«  Je  suis  avec  respect,  etc. 

«  Sig7ié  Champagny.  » 

(  Le  ministre  donne  connaissance  au  Sénat  des  tfmtés 
conclus  avec  le  roi  d'Espagne^  Charles  IV,  et  son  pis 
le  prince  des  Asturies.) 


—  265  — 

Rapport  fait  à  l'Empereur  par  le  ministre  de  la  Guerre. 
«  Du  r""  septembre  1808. 

«  Sire ,  j'ai  l'honneur  de  soumettre  à  Votre  Majesté 
l'état  de  situation  de  ses  armées  en  Pologne,  enPrusse 
et  enSilésie,  en  Danemark,  en  Dalmatie,  en  Albanie, 
en  Italie,  àNaples,  et  dans  lesEspagnes;  j'y  joins 
celui  de  ses  armées  de  réserve  à  Boulogne ,  sur  les 
côtes,  sur  le  Rhin,  et  dans  l'intérieur. 

•j  Votre  Majesté  verra  que  jamais  la  France  n'a  eu 
de  plus  nombreuses  et  de  plus  belles  armées  ,  et  que 
jamais  elles  n'ont  été  mieux  entretenues  ni  mieux 
approvisionnées. 

«  Cependant  les  divers  événements  qui  ont  eu  lieu 
en  Espagne  ont  produit  une  perte  assez  considérable; 
résultat  de  l'opération,  aussi  inconcevable  que  pénible 
pour  l'honneur  français,  du  corps  du  général  Dupont. 
Votre  Majesté  a  fait  connaître  l'intention  où  elle  était 
de  réunir  plus  de  deux  cent  mille  hommes  au  delà  des 
Pyrénées,  sans  cependant  affaiblir  ni  ses  armées 
d'Allemagne  ni  celle  de  Dalmatie. 

((  Pour  arriver  à  ce  but  une  levée  de  qualrc-vingt 
mille  hommes  paraît  indispensable.  Votre  Majesté 
ne  peut  prendre  ces  quatre-vingt  mille  hommes  que 
dans  les  quatre  classes  de  la  conscription  des  années 
1806,  1807,  1808  et  1809. 

«  Il  est  constaté,  par  les  registres  tenus  dans  mon 
ministère,  qu'indépendamment  des  hommesqui  se  sont 
mariés  depuis  quatre  ans,  la  conscription  de  ces  années 
pourraitencore  en  fournir  six  cent  mille.  En  faisant  sur 
ce  nombreunelevéedequatre-vingtmillehommes.  Votre 
Majesté  aura  appelé  un  conscrit  sur  sept,  et  les  cadres 
de  l'armée  se  rempliront  de  soldats  de  vingt-un ,  de 


—  266  — 

vingt-deux  et  de  vingt-trois  ans,  c'est-à-dire  d'hommes 
faits  et  prêts  à  supporter  les  fatigues  de  la  guerre. 

((  Il  n'a  point  échappé  à  la  prévoyance  de  Votre 
Majesté  qu'un  tel  accroissement  de  forces  nécessiterait 
une  augmentation  de  dépense  de  plusieurs  millions 
pour  le  département  de  la  Guerre.  Votre  Majesté  ne 
veut  pas  que  je  l'entretienne  de  cet  objet  dans  ce  rap- 
port j  son  ministre  des  Finances  s'est  chargé  d'y  faire 
face  sans  augmenter  en  aucune  manière  les  imposi- 
tions établies  par  la  dernière  loi. 

«  Il  est  vrai,  Sire,  que  l'usage  suivi  dans  ces  der- 
nières années  aurait  pu  jusqu'à  un  certain  point  porter 
une  partie  de  vos  peuples  à  se  regarder  comme  libérés 
du  devoir  de  la  conscription,  du  moment  où  ils  au- 
raient, sur  la  masse  totale,  fourni  le  contingent  de- 
mandé pour  l'année,  et  sous  ce  rapport  ce  que  je  pro- 
pose à  Votre  Majesté  semblerait  exiger  de  la  part  de 
ses  sujets  un  sacrifice.  Mais  ,  Sire,  il  n'est  personne 
qui  ne  sache  qu'aux  termes  des  lois.  Votre  Majesté  se- 
rait autorisée  à  appeler  sous  ses  drapeaux  la  totalité 
de  la  conscription  non-seulement  des  quatre  dernières 
années,  mais  même  des  années  antérieures  j  et  quand 
il  s'agirait  d'un  sacrifice  réel,  quel  est  le  sacrifice  que 
Votre  Majesté  n'ait  pas  le  droit  d'attendre  de  l'amour 
de  ses  peuples  ?  Qui  de  nous  ignore  que  Votre  Majesté 
se  sacrifie  elle-même  entièrement  pour  le  bonheur  de 
la  France,  et  que  de  la  prompte  réussite  de  ses  grands 
desseins  dépend  le  repos  du  monde ,  sa  sûreté  future 
et  le  rétablissement  de  la  paix  maritime,  sans  laquelle 
il  n'est  pour  la  France  ni  calme  ni  tranquillité  ? 

a  En  proposant  à  Votre  Majesté  de  déclarer  que 
désormais  aucun  rappel  de  conscription  antérieure 
n'aura  lieu ,  je  ne  fais ,  Sire ,  que  prévenir  vos  vues 
paternelles. 

f(  Je  crois  utile  de  proposer  en  même  temps  à  Votre 


—  267  — 

Majesté  de  décréter  la  levée  de  la  conscription  de  1 81 0, 
et  d'en  déterminer  le  nombre  dès  ce  moment  à  quatre- 
vingt  mille,  afin  de  former  au  besoin  des  camps  de 
réserve,  et  de  garder  nos  cotes  au  printemps.  Cette 
conscription  ne  serait  levée  que  dans  le  cas  où  Votre 
Majesté  aurait  à  craindre  la  guerre  de  la  part  d'autres 
puissances,  et  elle  ne  le  serait  pas  avant  le  mois  de 
janvier  prochain. 

«  Sire ,  c'est  un  malheur  attaché  à  la  situation  ac- 
tuelle de  l'Europe  que,  lorsqu'une  puissance  sort  de 
l'état  de  forces  que  comporte  sa  population,  les  autres 
puissances  ne  peuvent  se  dispenser  d'augmenter  le 
leur  dans  la  même  proportion. 

«  L'Angleterre  ,  indépendamment  de  l'immense 
quantité  de  ses  matelots,  a  plus  de  deux  cent  mille 
hommes  sur  pied  ;  elle  ne  s'occupe  à  toutes  les  ses- 
sions de  sa  législature  que  de  l'accroissement  de  ses 
troupes  de  terre.  Les  forces  de  l'Autriche  ont  été  con- 
sidérablement augmentées.  La  France,  quoiqu'elle  ait 
des  armées  plus  nombreuses  que  toutes  les  autres 
puissances  ,  a  cependant  moins  d'hommes  sous  les 
armes  qu'aucune  d'elles  relativement  à  sa  population. 

«  Votre  ministre  des  Relations  Extérieures  m'a  assuré 
qu'une  étroite  alliance  existait  entre  Votre  Majesté  et 
la  Russie.  Les  armements  de  l'Autriche  avaient  sou- 
vent excité  ma  sollicitude;  le  ministre  y  a  répondu  en 
me  donnant  la  certitude  que  les  meilleurs  rapports 
existaient  avec  l'Autriche ,  et  qu'il  fallait  regarder  ses 
levées,  soit  comme  des  précautions ,  soit  comme  le 
résultat  des  craintes  que  s'efforcent  de  faire  naître 
dans  toutes  les  Cours  de  l'Europe  les  nombreux  agents 
que  l'Angleterre  soudoie  encore  sur  le  Continent. 

«  Mais  s'il  n'appartient  pas  à  mon  ministère  d'ap- 
profondir les  vues  et  les  intérêts  des  Cours,  et  de  pé- 
nétrer dans  le  labyrinthe  de  la  politique ,  il  n'en  est 


—  -208  '^ 

pas  moins  de  mon  devoir  de  ne  rien  négliger  pour 
que  les  armées  de  Votre  Majesté  conservent  sur  tous 
les  points  toute  la  supériorité  qu'elles  peuvent  avoir. 
Celles  d'Albanie  et  de  Dalmatie ,  de  Danemark  et  de 
l'Elbe  ne  peuvent  point  éprouver  de  diminution  dans 
les  circonstances  actuelles. 

«  Les  dispositions  que  je  propose  à  Votre  Majesté 
donnent  à  l'armée  d'Espagne  deux  cent  mille  hommes 
sans  affaiblir  les  autres  armées;  de  sorte  que,  malgré 
l'accroissement  de  nos  forces  au  delà  des  Pyrénées, 
lorsque  la  conscription  de  1810  viendra  à  être  levée, 
Votre  Majesté  aura  accru  ses  armées  d'Allemagne,  du 
Nord  et  de  l'Italie ,  de  plus  de  quatre-vingt  mille 
hommes. 

«  Et  quand,  pour  éviter  la  crise  où  l'a  entraîné  une 
politique  aussi  fausse  que  passionnée ,  le  gouverne- 
ment anglais  ,  s'agitant  de  toutes  parts,  ne  craint  pas 
de  réunir  aux  ressources  qu'il  tire  de  ses  vastes  finances 
et  de  ses  nombreuses  flottes  toutes  les  armes  de  l'in- 
trigue ,  de  la  corruption  et  de  l'imposture,  qu'y  au- 
rait-il d'extraordinaire  que  l'immense  population  de 
la  France  offrît  le  spectacle  d'un  million  d'hommes 
armés,  prêts  à  punir  l'Angleterre  et  tous  ceux  qu'elle 
aurait  séduits ,  et  présentant  partout  cette  masse  de 
forces  pour  couvrir  du  même  bouclier  l'honneur  et  la 
sûreté  de  la  France  ? 

«Quel  autre  résultat,  Sire,  devra-t-on  attendre 
d'armées  si  nombreuses  et  d'une  position  si  formi- 
dable ,  si  ce  n'est  le  prompt  rétablissement  du  calme 
en  Espagne,  celui  de  la  paix  maritime ,  et  cette  tran- 
quillité générale,  l'objet  des  vœux  constants  de  Votre 
Majesté?  Beaucoup  de  sang  aura  été  épargné,  parce 
que  beaucoup  d'hommes  auront  été  prêts  à  en  répan- 
dre ;  un  bonheur  permanent ,  préparé  par  les  combi- 
naisons de  votre  puissant  génie,  sera  l'effet,  Sire,  des 


—  269  — 

nouvelles  preuves  d'amour  et  de  dévouement  que  vous 
donneront  vos  peuples ,  et  de  la  noble  contenance  de 
cette  nation  que  Votre  Majesté  a  désignée  sous  le  nom 
de  grande  à  la  postérité. 

«  Ministre  de  la  Guerre,  et  à  ce  titre  organe  des  sol- 
dats français,  qu'il  me  soit  permis,  Sire ,  d'être  l'in- 
terprète de  leurs  sentiments  pour  vous.  Votre  Majesté 
nous  verra  toujours  prêts  à  sacrifier  notre  vie  pour  sa 
gloire,  qui  est  inséparable  de  la  gloire  nationale,  à 
laquelle  elle  a  tant  ajouté ,  et  pour  les  grands  intérêts 
de  la  patrie. 

«  Je  suis  avec  respect,  etc. 

«  Signé  comte  d'HuNEBOURC.  » 


Motifs  du  sénatus-consuîte  qui  met  à  la  disposition  du  Gou- 
vernement cent  soixante  mille  conscrits ,  savoir  :  vingt  mille 
sur  chacune  des  années  1806,  1807,  1808,  1809,  et  quatre- 
vingt  mille,  sur  l'année  1810;  exposés  par  M.  le  comte  Re- 
GNAULT  (de  Saim-Jeais-d'Angely  ),  Conseiller  d'État. 

«  Monseigneur,  sénateurs,  vous  avez  vu  continuer 
avec  succès  et  avec  gloire  cette  lutte  honorable  oh  la 
France  combat ,  pour  le  droit  des  nations  et  l'indé- 
pendance de  l'Europe,  contre  l'Angleterre  usurpant  la 
domination  des  mers  et  le  monopole  du  commerce  du 
monde. 

«  D'un  côté  l'empire  français ,  uni  à  ses  alliés,  dé- 
ploie tout  ce  que  le  génie  a  de  puissance,  tout  ce  que 
la  nation  a  d'énergie  ,  tout  ce  que  les  armées  ont  de 
bravoure,  tout  ce  que  le  peuple  a  de  dévouement. 

«  Le  ministère  anglais  épuise,  d'un  autre  côté,  tout 
ce  que  l'intrigue  a  d'activité,  tout  ce  que  la  mauvaise 
foi  a  d'astuce,  tout  ce  que  la  corruption  a  d'odieux, 
tout  ce  que  l'inhumanité  a  de  cruel. 


'..  —  270  — 

«  C'est  à  l'aide  de  ces  moyens  que  l'Angleterre  re- 
tarde encore  cette  union  générale  du  Continent,  cette 
ligue  universelle  de  l'Europe  qui  menace  sa  tyrannie 
maritime,  et  qui  doit  la  détruire. 

K  Déjà  les  côtes  de  France ,  de  Russie ,  d'Italie , 
d'Allemagne,  de  Turquie,  sont  interdites  à  la  Grande- 
Bretagne. 

«  Mais  elle  a  obtenu  le  honteux  succès  d'amener 
l'Espagne  à  la  guerre  civile  par  l'anarchie,  et  son  uni- 
que objet  dans  ce  nouvel  attentat  est  d'ouvrir  à  ses 
marchandises  un  accès  sur  le  Continent. 

«  11  faut  le  lui  fermer;  il  faut  que  les  armes  achè- 
vent d'exécuter  dans  les  Espagnes  l'arrêt  d'exil  pro- 
noncé par  le  Continent  contre  les  Anglais  1 

«  Sans  doute  ,  messieurs ,  et  vous  venez  d'en  avoir 
l'assurance  par  le  rapport  du  ministre  de  la  Guerre , 
nos  armées ,  dans  leur  état  actuel ,  pourraient  fournir 
toutes  les  forces  nécessaires  à  l'accomplissement  de 
cette  résolution  sans  compromettre  la  sûreté  et  la  gloire 
de  l'empire. 

«  Toutefois,  il  est  des  règles  que  la  sagesse  ne  per- 
met pas  de  violer,  et  en  assurant  la  prompte  pacifica- 
tion des  Espagnes  par  l'action  d'une  force  puissante, 
il  ne  faut  pas  laisser  craindre  l'affaiblissement  de  nos 
armées  en  Allemagne ,  quand  une  puissance  voisine 
s'est  occupée  de  fortifier  les  siennes. 

«  Il  faut  donc  en  même  temps  pourvoir  à  une  aug- 
mentation actuelle  et  à  une  augmentation  à  venir  de 
nos  armées. 

«  Afin  de  remplir  les  besoins  du  moment,  la  justice 
et  la  sagesse  se  réunissent  pour  conseiller  un  appel 
sur  les  conscriptions  précédentes. 

(f  Sa  Majesté  n'a  pas  jugé  convenable  de  remonter 
au  delà  des  quatre  dernières  années. 

«  Elle  a  pensé  qu'on  pouvait  appeler  vingt  mille 


—  271   — 

hommes  sur  chaque  classe,  ou  quatre-vingt  mille  sur 
les  quatre  classes,  dont  le  nombre  total  était  d'un  mil- 
lion cinq  cent  huit  mille  huit  cent  vingt-sept,  et  sur 
lesquelles  on  n'a  levé  que  trois  cent  vingt  mille  deux 
cent  soixante  et  dix  hommes. 

«  Les  conscrits  mariés  avant  l'appel  resteront  dans 
leurs  foyers,  et  une  disposition  positive  rendra  à  une 
liberté  absolue  toutes  les  classes  de  conscrits  des  an- 
nées antérieures,  jusques  et  y  compris  l'an  xiv. 

«  Cette  levée,  messieurs,  d'après  le  mode  suivi  pour 
les  tirages  pendant  les  années  sur  lesquelles  elle  est 
prise,  sera  effectuée  avec  facilité,  et  employée  avec 
avantage. 

«  Elle  sera  effectuée  avec  facilité ,  puisque  tous  les 
conscrits  ont  leur  numéro ,  et  que  le  contingent  de 
chaque  canton ,  étant  déterminé ,  sera  rempli  sans 
aucune  des  formes  préalables  auxquelles  il  a  déjà  été 
pourvu. 

«  Elle  sera  employée  avec  avantage ,  parce  que  les 
hommes  qui  la  composeront,  parvenus  à  la  force  de 
l'âge,  seront  bien  plus  propres  à  remplir  les  devoirs 
et  à  supporter  les  fatigues  de  la  vie  militaire. 

«  Après  avoir  pourvu  au  présent  par  cette  levée.  Sa 
Majesté  a  jugé  convenable  de  satisfaire  en  même  temps 
à  la  prévoyance  en  appelant  conditionnellement  quatre- 
vingt  mille  hommes  sur  la  conscription  de  1 81 0. 

«  Cette  partie  des  forces  dont  vous  êtes  appelés, 
messieurs,  à  voter  la  disposition,  ne  sera  levée  qu'a- 
près le  1"  janvier  prochain,  et  destinée  qu'à  la  défense 
des  côtes,  à  moins  qu'une  agression  nouvelle  n'en  né- 
cessite plus  promptement  l'emploi. 

«  Les  armées  de  Sa  Majesté  auront  ainsi ,  messieurs, 
la  force  positive  et  la  force  éventuelle  nécessaires  pour 
rendre  la  paix  à  l'Espagne,  la  maintenir  dans  le  reste 
de  l'Europe,  en  imposer  si  la  France  était  menacée, 


—  272  — 

vaincre  si  elle  était  attaquée,  et  déconcerter  les  efforts 
de  l'intrigue  par  l'appareil  de  la  puissance. 

«  Et  ce  nouveau  développement  donné  à  notre  sys- 
tème militaire  s'opérera  pourtant  sans  augmentation 
dans  les  impositions  publiques. 

«  Les  subsides  votés  par  la  dernière  loi  de  finances 
sufiisent  pour  pourvoir  à  tous  les  besoins. 

i(  Tel  est  donc  l'avantage  de  notre  position,  que  , 
quand  on  ne  peut  dans  les  États  voisins  combattre  ou 
menacer  la  France  sans  excéder  par  des  levées  d'bom- 
mes  la  proportion  de  la  population,  sans  épuiser  les 
ressources  des  finances  et  employer  celle  du  papier- 
monnaie,  il  sullit  à  Sa  Majesté  de  rapprocher  les  ar- 
mées de  leur  proportion  avec  la  population  de  son  em- 
pire, et  d'user  des  ressources  pécuniaires  que  l'ordre, 
l'économie  et  la  prévoyance  lui  ont  ménagées. 

«  N'en  doutez  pas  cependant,  sénateurs,  Sa  Majesté 
a  calculé  dans  sa  sollicitude,  et  évalué,  dans  son  amour 
pour  ses  peuples,  l'étendue  des  sacrifices  que  la  gloire 
et  la  sûreté  nationale  prescrivent  à  la  sagesse  et  à  !a 
prudence  du  souverain  de  demander. 

«  Mais  vous  le  savez,  messieurs,  on  assure  le  triom- 
phe en  multipliant  les  moyens  de  l'obtenir  ;  on  achète 
moins  chèrement  la  victoire  quand  on  la  dispute  moins 
longtemps;  on  évite  même  la  nécessité  de  vaincre  en 
montrant  qu'on  en  a  la  puissance;  et  le  cœur  de  Sa 
Majesté  est  avare  du  sang  de  ses  sujets  autant  qu'at- 
tentif à  leur  sûreté  et  soigneux  de  leur  gloire.  >j 

(^Le Sénat  renvoie  ces  différentes  communications ^  ainsi 
que  le  projet  de  sénatus-consulte,  à  une  commission  com- 
posée de  MM»  les  comtes  Lacépède,  Saint-Vallier,  G.  Gar- 
nier,  le  maréchal  duc  de  Dantzick,  et  le  comte  Colchen; 
et  la  séance  est  ajournée  au  ]0  du  même  mois  pour  en- 
tendre le  rapport  de  cette  commission.  ) 


—  273  — 


Rapport  fait  au  Sénat  par  le  comte  de  Lacépède  (séance  du 
10  septembre  ISOS ,  présidée  par  l'archichancelier.) 

«  Monseigneur,  sénateurs,  vous  avez  renvoyé  à  votre 
commission  spéciale  le  message  de  Sa  Majesté  Impé- 
riale et  Royale,  les  traités  relatifs  à  l'Espagne,  les 
Constitutions  acceptées  par  la  Junte  espagnole,  les 
rapports  des  ministres  des  Relations  Extérieures  et  de 
la  Guerre  sur  la  situation  de  l'Europe  et  sur  celle  des 
armées  de  Sa  Majesté  dans  les  différentes  parties  du 
monde,  et  le  projet  de  sénatus-consulte  qui  vous  a  été 
présenté  au  nom  de  l'Empereur  par  les  orateurs  du 
Conseil  d'État. 

«  Quels  grands  objets,  sénateurs,  vous  avez  aujour- 
d'hui sous  les  yeux,  et  dans  quelle  circonstance  vous 
êtes  appelés  à  délibérer  ! 

«  Vous  avez  admiré  les  plans  de  la  sagesse  du  mo- 
narque et  l'étendue  de  sa  prévoyance. 

«  Vous  vous  êtes  plu  à  considérer  le  spectacle  de  sa 
puissance  en  voyant  ses  nombreuses  et  si  redoutables 
armées  pleines  d'ardeur  et  de  force ,  et  n'attendant 
qu'un  signal  pour  exécuter  ses  ordres. 

«  Comme  le  peuple  français,  vous  partagez  tous  ses 
sentiments. 

«  Vous  éprouvez  une  vive  satisfaction  de  l'alliance 
de  Sa  Majesté  Impériale  et  Royale  avec  l'empereur  de 
Russie,  et  de  la  constance  des  résolutions  de  ce  grand 
monarque  contre  les  ennemis  de  l'Europe  et  du  monde. 

«  Vous  espérez ,  avec  l'Empereur,  que  la  paix  du 
continent  ne  sera  pas  troublée. 

«  Mais  il  ne  veut  pas  que  la  destinée  de  la  France 
dépende  des  faux  calculs  que  pourraient  faire  des  Cours 
étrangères  qu'entraînerait  ce  gouvernement  insu- 
laire qui,  depuis  tant  d'années,  cause  tous  les  maux 
XI  18 


—  274  — 

qui  ont  affligé  le  monde;  et  la  volonté  du  peuple  fran- 
çais est  la  même  que  celle  de  son  Empereur. 

f(  Une  puissance ,  malgré  la  confiance  que  doivent 
inspirer  ses  dispositions  amicales  et  les  rapports  qui 
existent  entre  elle  et  la  France ,  a  élevé  ses  forces  mi- 
litaires au-dessus  de  toute  proportion  avec  sa  popula- 
tion et  ses  finances. 

«  Des  secousses  terribles  ne  cessent  d'agiter  le  trône 
sanglant  de  Constantinople,  et  ces  commotions  peuvent 
ébranler  de  vastes  contrées. 

((  L'anarchie ,  ce  monstre  aveugle  et  féroce  dont  le 
génie  de  Napoléon  a  délivré  la  France,  vient  d'allumer 
ses  brandons  et  d'élever  ses  échafauds  au  milieu  des 
Espagnes. 

((  L'Angleterre  s'est  empressée  d'y  précipiter  ses 
phalanges,  et  de  mêler  ses  drapeaux  aux  enseignes 
hideuses  des  satellites  de  la  terreur. 

«  Prodiguant  son  or  corrupteur,  ses  récits  menson- 
gers, et  ses  promesses  plus  mensongères  encore,  elle 
cherche  à  étendre  le  terrible  incendie  qu'elle  a  allumé. 

«  Ce  n'est  qu'en  éteignant  ces  feux  sur  tous  les  points 
qu'ils  dévorent,  ce  n'est  qu'en  détruisant  les  cohortes 
britanniques  que  l'Empereur  peut  garantir  la  sécurité 
de  la  France,  et  conquérir  cette  paix  maritime,  cette 
paix  générale  qui  seule  donnera  à  la  France  et  à  l'Eu- 
rope le  repos  si  nécessaire  à  leur  prospérité. 

«  Ce  n'est  qu'alors  que  les  vœux  de  l'Empereur  et 
les  vôtres  pourront  être  remplis. 

K  Napoléon  veut  hâter,  par  le  déploiement  de  toute 
sa  puissance,  cette  époque  fortunée. 

(c  Grâces  immortelles  lui  en  soient  rendues! 

«  L'Angleterre  a  juré  que  le  commerce  du  continent 
serait  anéanti ,  que  l'industrie  de  la  France  périrait , 
qu'elle  seule  ferait  le  commerce  du  monde ,  asservi  à 
son  monopole. 


—  275  — 

«  Ses  serments  seront  vains. 

«Déjà  nos  véritables  ennemis ,  aveuglés  par  leur 
orgueil  insensé,  viennent  se  livrer  dans  les  mains 
du  héros  de  la  France. 

«  L'Océan  environnait  leur  asile  d'une  barrière  que 
leurs  vaisseaux  faisaient  regarder  comme  difficile  à 
franchir. 

«  Dans  le  délire  de  leurs  vains  projets ,  ils  ont  osé 
la  franchir  eux-mêmes,  et  se  présenter  sur  les  bords 
espagnols. 

«  Ah  !  du  moins  qu'une  fois  ils  renoncent  à  leur 
système  d'alliance  trompeuse  et  d'amitié  perfide  ! 
qu'ils  n'abandonnent  pas  tout  d'un  coup  les  Espagnols 
égarés  comme  ils  ont  délaissé  tous  ceux  qui  ont 
compté  sur  leur  foi  !  qu'ils  ne  se  hâtent  pas  de  fuir 
comme  à  Toulon,  à  Dunkerque,  à  Quiberon,  au  Hel- 
der,  dans  le  Hanovre,  en  Calabre,  et  partout  où  ils  ont 
vu  de  loin  le  vol  des  aigles  françaises?  que,  tous  réu- 
nis sur  la  péninsule  espagnole,  ils  attendent  les  sol- 
dats français,  et  que  la  fin  de  la  guerre  d'Espagne  soit 
en  même  temps  la  fin  de  la  guerre  du  monde! 

«  Et  cependant  quels  sont  dans  ces  provinces  espa- 
gnoles les  alliés  de  l'Angleterre  ? 

«  L'ignorance,  le  fanatisme  et  la  cruauté. 

«  Que  paraît-elle  vouloir  y  soutenir?  Le  règne  de  la 
superstition;  elle  qui,  au  lieu  de  donner  aux  catholi- 
ques  d'Irlande  la  jouissance  de  leurs  droits  impres- 
criptibles, les  a  condamnés  aux  persécutions  et  à 
l'exil! 

«  Ou  sont  maintenant  en  Espagne  les  descendants 
de  ces  braves  Castillans  qui  ont  fait  l'admiration  du 
monde?  Où  sont  ces  Espagnols  nobles  et  généreux,  il-r 
lustres  par  leur  naissance,  respectables  par  leurs  di- 
gnités ,  recommandables  par  leurs  lumières ,  vénérés 
par  leurs  vertus  bienfaisantes?  Dans  la  tombe  où  les  a 


—  276  — 

précipités  la  hache  des  insurgés,  aiguisée  par  des  An- 
glais; ou  dans  les  fers  d'une  populace  effrénée,  et  sol- 
dée par  l'Angleterre;  ou  dans  cet  abattement  et  cette 
stupeur  qui  les  livrent  sans  résistance  au  torrent  d'une 
foule  insensée,  et  les  abandonnent  aujourd'hui  à  ses 
horribles  caresses,  et  demain  à  ses  poignards  ! 

«  C'est  le  bras  de  l'Empereur  qui  les  délivrera  ! 

«  Et  ces  Français  passagers,  désarmés,  ou  corn- 
merçants  paisibles,  qui  ont  été  lâchement  massacrés, 
c'est  le  bras  de  l'Empereur  qui  vengera  leur  sang! 

«  La  guerre  d'Espagne  pourrait-elle  être  plus  forte- 
ment commandée  par  la  politique,  par  la  justice,  par 
la  nécessité? 

((  Quels  droits  plus  sacrés  que  des  traités  solennels 
librement  proposés ,  librement  consentis ,  librement 
exécutés  ?  qu'un  pacte  social  librement  discuté,  libre- 
ment accepté  et  librement  juré  par  une  Junte  natio- 
nale sur  les  autels  du  Dieu  qui  punit  les  parjures! 

«  Et  d'ailleurs  point  de  sûreté  pour  la  France  tant 
que  l'Espagne  ne  sera  pas  son  alliée  fidèle ,  et  qu'elle 
pourra  livrer  ses  ports  et  ses  rivages,  si  étendus,  à  l'en- 
nemi de  la  France  et  du  continent. 

«  Louis  XIV  ne  perdit  jamais  de  vue  cette  impor- 
tante vérité. 

((  Dès  le  moment  où  il  prit  les  rênes  du  gouverne- 
ment ,  il  fut  dirigé  par  cette  pensée  profonde  ;  elle  lui 
mérita,  plus  que  toute  autre,  le  surnom  de  grand;  et  sa 
constance  à  la  suivre  valut  à  la  France  un  siècle  de 
paix  avec  l'Espagne. 

K  Ah!  combien  les  ombres  royales  ôe Louis XIV,  de 
François  P"  et  du  grand  Henri  doivent  être  consolées 
par  la  résolution  généreuse  de  Napoléon  ! 

((  Mais  si  la  puissance  de  Louis  XIV  et  l'étendue  de 
ses  Etats  lui  avaient  permis  de  montrer  dans  les  Espa- 
gues  cet  appareil  redoutable  de  forces  que  l'Empereur 


— ■  2T7  — 

va  y  déployer,  au  lieu  d'une  guerre  qui  a  pesé  pendant 
dix  ans  sur  la  France  et  sur  l'Espagne ,  peu  de  temps 
lui  aurait  sufli  pour  exécuter  ses  nobles  projets,  comme 
peu  de  jours  suffiront  au  plus  grand  des  capitaines  pour 
faire  jouir  les  Espagnols  loyaux,  fidèles,  et  maintenant 
opprimés  par  la  terreur,  de  la  liberté  civile,  du  calme, 
de  la  prospérité  qui  leur  est  depuis  si  longtemps  in- 
connue, de  la  religion  qui  leur  est  chère,  et  du  bon- 
heur d'être  gouvernés  par  l'auguste  frère  de  Napoléon, 

«  Vous  vous  empresserez ,  sénateurs ,  d'adopter  le 
projet  de  sénatus-consulte  que  Sa  Majesté  Impériale  et 
Royale  vous  a  fait  présenter. 

«  Vous  y  reconnaîtrez  d'ailleurs  la  sollicitude  de  Sa 
Majesté  Impériale  et  Royale  pour  tous  les  intérêts  de  la 
nation. 

«  Parmi  les  conscrits  des  quatre  classes  appelées 
par  le  titre  premier  de  ce  sénatus-consulte, 

«  Ceux  qui  sont  mariés  ne  se  sépareront  pas  de  la 
nouvelle  famille  qu'ils  ont  donnée  à  l'État  ; 

«  Ceux  qui  ont  été  réformés  légalement  resteront 
dans  leurs  foyers. 

«  Aucun  nouveau  contingent  ne  sera  demandé  aux 
conscrits  des  années  qui  ont  précédé  1806. 

«  Les  quatre-vingt  mille  braves  qui  vont  se  rendre 
à  la  voix  de  la  patrie  ont  déjà  atteint  l'âge  où  l'on  n'a 
pas  besoin  d'être  préparé  aux  fatigues  de  la  guerre . 

«  Que  sont  à  côté  des  ressources  de  la  France  celles 
de  ces  gouvernements  qui ,  dépensant  dans  un  an  les 
revenus  de  plusieurs  années,  et  consommant  leurs  ca- 
pitaux les  plus  précieux ,  ne  soldent  les  hommes  que 
leur  pays  peut  à  peine  leur  fournir  qu'avec  ces  mon- 
naies fictives  dont  la  valeur  idéale,  diminuant  chaque 
jour,  entraîne  dans  l'abîme  et  la  fortune  de  l'État  et  la 
richesse  des  particuliers,  et,  ce  qui  est  encore  plus  fu- 
neste, la  bonne  foi  de  tous  ! 


—  278  — 

«  L'Empereur  fait  entendre  la  voix  de  la  patrie  ou- 
tragée et  de  l'honneur  blessé;  de  cet  honneur,  objet 
de  l'enthousiasme  des  nations  généreuses ,  qui  avec 
tant  de  raison  se  regarderaient  comme  dénuées  de  tout 
si  elles  pouvaient  le  perdre ,  et  croient  que  tout  est 
sauvé  tant  qu'elles  ne  l'ont  pas  perdu. 

i<  Les  Français  vont  répondre  à  cette  voix  sacrée. 

<(  Il  réclame  un  nouveau  gage  de  leur  amour. 

«  Avec  quelle  ardeur  ils  accourront  vers  lui? 

«  Oui,  rien  ne  peut  ébranler  l'Empereur  dans  le 
devoir  qui  lui  est  imposé  d'assurer  la  prospérité  de  la 
France  ,  la  tranquillité  de  nos  neveux,  la  paix  de  l'Eu- 
rope ,  la  gloire  de  notre  patrie  ;  cette  gloire  sans  la- 
quelle un  grand  peuple  ne  verrait,  dans  un  avenir  as- 
sez rapproché,  que  l'insulte,  l'outrage,  et  un  déplora- 
ble asservissement  ! 

«  Et  toujours  le  Sénat  et  le  peuple  seconderont 
l'Empereur  dans  ce  qu'il  croira  devoir  entreprendre 
pour  garantir  de  si  grands  intérêts.  » 

(Sur  ce  rapport f  et  immédiatement ,  le  Sénat  adopte j 
avec  .le  sénatus-consulte  relatif  aux  levées  de  conscrits, 
le  projet  d'adresse  qui  lui  est  proposé  par  le  comte  de 
Lacépède.  ) 


Les  événements  de  la  Péninsule  rendaient  pres- 
sante, non-seulement  cette  nouvelle  levée  d'hommes, 
mais  encore  la  prompte  réunion  de  troupes  déjà  exer- 
cées; Napoléon  résolut  donc  de  diriger  en  toute  hâte 
sur  l'Espagne  une  partie  des  corps  de  la  grande  armée 
qui  occupaient  la  Prusse  et  l'Allemagne  ;  mais  avant 
de  s'engager  ainsi  dans  une  guerre  ouverte  de  l'autre 
côté  des  monts ,  il  voulut  assurer  sa  position  du  côté 
de  l'Europe,  en  resserrant  ses  liens  avec  la  Russie, 


—  279  — 

afin  d'imposer  à  l'Autriche,  qui ,  à  cette  époque,  effec- 
tuait des  armements  considérables,  manifestement 
dirigés  contre  la  France.  En  conséquence,  il  fit  deman- 
der à  l'empereur  Alexandre  une  entrevue.  Cette  propo- 
sition ayant  été  acceptée,  un  mois  après  le  retour  de 
Napoléon  à  Paris ,  les  deux  Empereurs  se  retrouvaient 
aux  conférences  d'Erfurth. 

C'est  alors  que  l'Europe  vit  le  spectacle  extraordi- 
naire d'une  réunion  de  souverains  et  d'hommes  d'État, 
telle  qu'il  n'en  avait  jamais  eu  lieu  jusqu'alors.  Ces 
espèces  d'assemblées  de  princes  étaient  fréquentes  dans 
le  moyen  âge,  surtout  à  l'époque  des  croisades  ,  et  à 
l'occasion  des  Diètes  germaniques.  Elles  étaient  deve- 
nues rares  depuis  que  les  intérêts  compliqués  des  mo- 
narques ne  permettaient  plus  que  les  affaires  fussent 
traitées  sans  l'entremise  de  ministres  et  d'ambassa- 
sadeurs. 

Le  congrès  d'Erfurth  s'annonçait  comme  devant  ame- 
ner de  grands  changements  dans  la  politique  générale; 
mais  il  ne  produisit  d'autre  résultat  que  ce  concert  de 
mesures  qui  a  été  depuis  observé  dans  les  Cabinets  de 
Saint-Pétersbourg  et  des  Tuileries  concernant  la  paix  à 
faire  avec  l'Angleterre,  les  rapports  entre  la  France  et 
l'Autriche ,  les  affaires  de  l'Espagne ,  de  l'Italie  et  de 
la  Turquie. 

A  l'exception  des  communications  faites  au  Cabinet 
britannique,  et  que  nous  rapporterons  tout  à  l'heure, 
rien  d'authentique  n'a  été  publié  sur  les  négociations 
qui  ont  eu  lieu  entre  Alexandre  P^  ei  Napoléon;  cepen- 
dant il  est  acquis  à  l'histoire  qu'une  convention  secrète 
a  été  signée  le  12  octobre  entre  ces  deux  monarques. 
Par  ce  traité,  dont  nous  insérons  plus  loin  l'analyse, 
Napoléon  obtint  de  son  allié  le  consentement  à  l'élé- 
vation de  Joseph  Bonaparte  au  trône  d'Espagne  ,  ainsi 
qu'aux  changements  effectués  en  Italie,  et  la  promesse 


—  280  — 

de  faire  cause  commune  avec  la  France,  dans  le  cas 
d'une  déclaration  de  guerre  de  la  part  de  l'Autriche. 
La  question  d'Espagne  avait  été  déjà  discutée  à  TiUitt 
par  les  deux  souverains,  mais  à  un  point  de  vue  diffé- 
rent, car,  il  faut  ici  le  dire,  cette  entreprise  finissait 
autrement  qu  Alexandre  ne  l'avait  pensé.  Néanmoins, 
dans  cette  nouvelle  circonstance,  ce  monarque  faisait 
tous  les  sacrifices  qui  lui  paraissaient  devoir  conduire 
à  une  paix  générale.  «  La  Russie  s'y  livrait  de  bonne 
foi,  dit  un  ministre  de  Napoléon,  autant  par  bonne 
intention  philanthropique,  que  pour  voir  la  France  dés- 
armer, et  pouvoir  elle-même  bientôt  reprendre  des 
relations  commerciales,  de  la  privation  desquelles  elle 
souffrait  trop ,  le  pays  ne  pouvant  s'en  passer.  » 

En  échange  des  concessions  de  l'empereur  Alexan- 
dre, Napoléon  s'engagea  à  ne  pas  s'opposer  à  la  réu- 
nion définitive,  à  l'empire  russe,  de  la  Moldavie  et 
de  la  Valachie.  Nous  avons  vu  que  différentes  circon- 
stances, parfaitement  expliquées  par  l'empereur 
Alexandre  à  l'Envoyé  de  France  Savary^,  avaient  fait 
ajourner  l'évacuation  de  ces  provinces,  que  les  troupes 
russes  auraient  dû  effectuer  à  la  suite  de  l'armistice  de 
Slobodséa,  conclu  avec  les  Turcs,  en  vertu  du  traité 
de  Tilsitt;  et  Ton  n'a  pas  oublié  que  l'abandon  des  in- 
térêts de  la  Porte ,  de  la  part  de  Napoléon ,  était  motivé 
parle  changement  des  dispositions  du  Divan  à  l'égard 
de  la  France.  Une  révolution  du  Sérail  avait  fait  périr 
le  sultan  Sélim  III,  qui  était  dévoué  aux  intérêts  de 
Napoléon.  Le  nouveau  sultan,  Mustapha  IV,  se  rappro- 
cha au  contraire  des  Anglais,  qui  réussirent  à  lui  don- 
ner de  l'ombrage  sur  l'union  intime  qui  régnait  entre 
les  Cabinets  de  Pétersbourg  et  des  Tuileries. 

Pour  ce  qui  est  du  projet  d'agrandissement  en  lui- 

♦  Voy.  t.  X,  p,  245. 


—  281  — 

même,  de  la  part  de  la  Russie;  du  propre  aveu  des 
ministres  français,  rien  de  plus  légitime.  Quand,  à  l'oc- 
cident de  l'Europe,  la  France  avait  fondé  un  empire  qui 
ne  connaissait  plus  de  limites  ;  quand  cet  empire  com- 
prenait, non-seulement  le  territoire  enclos  entre  le 
Rhin,  les  Alpes  et  les  Pyrénées,  mais  le  Piémont,  la 
Toscane,  la  Hollande,  l'Espagne  et  une  partie  des 
nations  germaniques;  quand,  d'autre  part,  l'Angle- 
terre envahissait  toutes  les  colonies  de  la  France  et  de 
ses  alliés,  il  était  naturel  que  l'empereur  de  Russie 
voulût ,  de  son  côté,  donner  à  ses  États  une  extension 
que  réclament  les  intérêts  de  ses  peuples;  ainsi  donc, 
l'annexion  des  provinces  du  Danube,  ces  deux  yeux  de 
la  Turquie  sur  l'Europe ,  n'était,  à  vrai  dire,  qu'un 
contre-poids  nécessaire  à  l'exagération  des  forces  de 
l'Angleterre  et  de  la  France. 

La  question  du  partage  de  l'empire  Ottoman  fut  de 
nouveau  agitée  entre  les  deux  souverains;  mais  Napo- 
léon s'efforça  de  démontrer  à  l'empereur  Alexandre 
l'inopportunité  de  cette  grande  entreprise.  Depuis  Til- 
siltt,  il  avait  demandé  à  son  ambassadeur  à  Cons- 
tantinople  un  rapport  sur  ce  projet,  et  comme  les 
conclusions  du  mémoire  très-étendu  qu'avait  rédigé 
le  général  Sébastiani  tendaient  au  rejet  formel  de  la 
proposition  du  démembrement  de  l'empire  turc ,  Na- 
poléon était  fermement  résolu  à  ne  pas  y  consentir.  Et 
cependant,  circonstance  importante  à  recueillir,  il 
paraît  certain  que  les  deux  monarques  étaient  conve- 
nus, àErfurth  même,  «  de  se  constituer  un  jour,  l'un 
empereur  d'Orient,  l'autre  empereur  d'Occident,  et 
que  le  fleuve  de  l'Elbe  formerait  la  limite  entre  les 
deux  empires  *.  » 


•  Cette  information,  que  nous  avons  obtenue  d'un  des  hommes  d'État 
le  mieux  initiés  aux  grands  événements  de  l'époque,  doit  être  rappro- 


—  282  — 

Tel  était  l'ensemble  des  intérêts  que  les  deux  souve- 
rains avaient  à  régler;  à  moins  que  l'on  ne  doive  y 
comprendre  un  projet  d'alliance  de  famille  sur  lequel 
nous  reviendrons,  lorsque  nous  aurons  à  signaler  les 
causes  de  la  rupture  entre  la  France  et  la  Russie,  En 
outre,  dans  le  cours  des  conférences,  l'empereur  A/eiran- 
dre  ne  négligea  pas  l'occasion  qui  se  présentait  d'allé- 
ger, autant  que  possible,  le  sort  de  la  Prusse.  Nous  avons 
dit  déjà  que  l'intervention  de  ce  monarque  fit  décider 
l'éloignement  définitif  des  troupes  françaises  qui  oc- 
cupaient encore  le  pays ,  et  détermina  Napoléon  à  ré- 
duire de  vingt  millions  le  montant  de  la  dette  de  la 
Prusse. 

Quant  à  l'accession  du  duc  d'Oldenbourg  à  la  con- 
fédération du  Rhin,  qui  eut  également  lieu  à  Erfurth, 
nous  avons  fait  connaître  la  négociation  dont  elle  avait 
été  l'objet. 

A  l'époque  des  conférences,  la  Russie  était  fort 
occupée  de  la  guerre  de  Finlande,  et  l'Empereur 
était  au  moment  de  son  départ  lorsqu'il  reçut  la  nou- 
velle d'un  grave  incident  concernant  les  opérations  de 
cette  guerre.  La  flotte  russe  était  alors  bloquée  à  Bal- 
tisch-Port  par  les  Anglais  et  les  Suédois.  Sir  James 
Saumarez  avait  proposé  à  l'amiral  Kanikof  de  laisser 
sortir  la  moitié  de  sa  flotte,  à  la  condition  que  l'autre 
moitié  lui  serait  livrée.  L'amiral  russe  ayant  refusé 
d'adhérer  à  cette  proposition,  les  Anglais  avaient  com- 
mencé le  bombardement.  Toutefois,  comme  nous  le 
verrons  plus  tard,  la  flotte  russe  parvint  à  s'ouvHr 
un  passage  sans  avoir  perdu  un  seul  bâtiment. 

L'empereur  Alexandre  quitta  Saint-Pétersbourg  le 
14  septembre.   Napoléon  avait  envoyé  le  maréchal 

chée  du  sens  et  de  l'esprit  de  l'article  onze  de  la  convention  secrète  du 
42  octobre,  voy.  ci-après  p.  288. 


—  283  — 

Latines  pour  le  recevoir  sur  la  limite  des  pays  occu- 
pés par  l'armée  française,  et  avait  nommé  le  général 
Oudinot  gouverneur  d'Erfurth.  Napoléon  arriva  dans 
cette  ville,  le  27,  vers  les  dix  heures  du  matin.  Après 
quelques  audiences  d'étiquette,  il  repartit,  accom- 
pagné d'une  suite  nombreuse ,  et  s'avança  jusqu'à 
deux  lieues  d'Erfurth,  où  l'on  découvrit  enfin  le  cor- 
tège de  l'empereur  Alexandre,  qui  venait  de  Weimar, 
où  il  avait  séjourné  les  25  et  26.  Napoléon  arriva  au 
galop ,  et  mit  pied  à  terre  pour  embrasser  l'empereur 
de  Russie,  à  la  sortie  de  sa  voiture.  Les  deux  souve- 
rains avaient  échangé  les  insignes  de  leurs  Ordres.  Ils 
remontèrent  presque  aussitôt  à  cheval,  et  revinrent  en 
conversant  jusqu'à  Erfurth.  Toute  la  population  des 
campagnes  bordait  le  grand^chemin.  Le  temps  était  ma- 
gnifique et  paraissait  sourire  à  cet  événement.  L'artille- 
rie de  rempart  les  salua,  les  troupes  bordaient  la  haie, 
et  toutes  les  personnes  de  marque  qui  étaient  venues 
pour  prendre  part  à  la  solennité,  se  trouvèrent  au  pa- 
lais qui  avait  été  préparé  pour  l'empereur  Alexandre , 
au  moment  où  il  venait  y  mettre  pied  à  terre,  accom- 
pagné de  l'empereur  Napoléon. 

Peu  de  jours  après,  on  voyait  réunis  à  Erfurth  les 
rois  de  Bavure,  de  Saxe,  de  fVûrtemhergy  le  roi  et  la 
reine  de  Westphalie,  le  grand-duc  Constantin,  frère 
d'Alexandre  I"",  le  prince  Guillaume  de  Prusse,  le 
grand-duc  et  la  grande-duchesse  de  Bade,  la  princesse 
de  Latonr  et  Taxis,  sœur  de  la  reine  de  Prusse,  le 
prince  Primat,  le  prince  royal  de  Bavière ,  les  princes 
héréditaires  de  Bade,  de  Darmstadt,  de  Mecklenbourg- 
Schicérin,  et  de  Mecklenbourg  -  Strélitz  ^  le  duc  de 
Saxe-H^eimar,  dont  le  fils  avait  épousé  la  grande- 
duchesse  Marie,  sœur  de  l'empereur  de  Russie,  et  chez 
lequel,  en  quelque  sorte  avait  lieu  cette  réunion,  les 
ducs  de  Saxe-Gotha  f  de  Saxe-Cobourg ,  de  Saxe-Hild- 


—  284  — 

hourghausen  y  de  Saxe-Meiningen ,  le  duc  de  Holstein- 
Oldenbourg,  le  duc  de  Nassau-lJsingen,  le  prince  de 
NassaU'Weilhourg  f  les  ducs  d'Anhalt,  les  princes  de 
Schwartzbourgj  de  Reuss,  de  Lippe,  de  Waldeck,  de 
Liechtenstein,  le  duc  d'itrenèer^',  les  princes  de  Hohen^ 
zollern,  de  Salm-Salm,  de  Salm-Kyrhourg ,  d'/sem- 
bourg,  de  la  Leyen,  ainsi  que  beaucoup  d'autres  prin- 
ces appartenant  à  ces  maisons  souveraines. 

Parmi  les  dignitaires  et  les  ministres  d'État  des 
premières  puissances ,  on  remarquait  les  comtes  Rou- 
mantsof  et  Speranski ,  les  princes  Galitsyne ,  Gaga- 
rine  et  Troubelzkoîf  les  comtes  Tolstoï,  Chow^alofei 
Araktscheief,  de  la  Russie  ;  le  comte  de  Champagny,  le 
prince  de  Talleyrand,  M.  Maret  (duc  de  Bassano)  le 
prince  de  Neufchâtel,  le  maréchal  Soult,  de  la  France  ; 
le  comte  de  Goltz,  de  la  Prusse;  le  comte  de  Montge- 
las,  de  la  Bavière;  le  comte  de  Bose,  du  Danemark; 
le  comte  de  Furstenstein ,  du  royaume  de  Westphalie  , 
le  comte  de  Taube,  de  Wurtemberg;  le  comte  de  Man- 
fredini,  de  Wiirtzbourg  ;  le  comte  de  Beust,  du  prince 
Primat  de  la  Confédération  du  Rhin;  le  baron  Thum- 
mal,  de  Saxe-Gotha  ;  le  baron  de  Hammerstein,  d'Ol- 
denbourg. Le  comte  Tolstoï,  ambassadeur  de  Russie , 
et  le  baron  de  Dalberg,  ministre  de  Bade  à  Paris 
avaient  suivi  Napoléon  à  Erfurth  ;  le  baron  de  Vincent 
y  vint  en  mission  spéciale,  de  la  part  de  l'empereur 
d'Autriche;  MM.  de  Caulaincourt ,  ambassadeur  de 
France  à  Saint-Pétersbourg,  et  de  Bourgoing,  ministre 
à  Dresde,  s'y  rendirent  également. 

Pendant  le  séjour  que  les  deux  empereurs  firent  à 
Erfurth,  Napoléon  donna  constamment  la  droite  à 
l'empereur  Alexandre,  comme  faisant  les  honneurs  et 
étant  chez  lui.  Les  palais  qu'ils  occupèrent  avaient  été 
meublés  par  le  garde-meuble  de  la  couronne  et  dé- 
frayés par  la  liste  civile  française. 


—  285  — 

'  Tous  les  jours  Napoléon  reçut  à  dîner  l'empereur 
Alexandre f  \e  ^Tând-àiic  Constantin  son  frère,  et  les 
souverains.  Les  principaux  acteurs  du  Théâtre-Fran- 
çais donnèrent  de  nombreuses  représentations  des 
meilleures  tragédies ,  Cinna ,  Andromaque ,  Britanni- 
cuSf  Mithridate;  et  tout  le  monde  se  rappelle  la  cour- 
toisie de  l'empereur  Alexandre  à  saisir,  dans  Œdipe , 
une  allusion  gracieuse,  et  qui  devait  toucher  Napoléon, 

Les  deux  empereurs  passèrent  trois  semaines  à 
Erfurth  dans  les  termes  de  la  plus  intime  familiarité, 
et  semblant  chaque  jour  plus  empressés,  l'un  et  l'au- 
tre, d'accéder  au  moindre  de  leurs  vœux.  C'est  ainsi 
que  Napoléon  ayant  témoigné  quelque  désir  de  voir 
changer  l'ambassade  russe  à  Paris,  l'empereur  Alexan- 
dre désigna  sur-le-champ  pour  ce  poste  le  prince  Kou- 
rakinCf  alors  ambassadeur  à  Vienne.  Le  motif  énoncé  de 
cette  mutation  était  «  que  son  prédécesseur,  le  général 
comte  Tolstoï,  plus  militaire  que  diplomate,  s'enga- 
geait souvent  à  Paris  dans  des  discussions  de  guerre 
avec  des  généraux  qui  n'étaient  pas  plus  diplomates 
que  lui,  mais  aussi  bons  militaires,  et  qu'il  pouvait 
en  résulter  des  inconvénients,  en  ce  que  ces  généraux 
rapportaient  comme  des  paroles  d'oracle  ce  que  leur 
avait  dit  l'ambassadeur  de  Russie.  » 

A  Weimar,  dans  les  journées  du  6  et  du  7  octobre, 
il  y  eut  des  chasses,  des  banquets,  des  bals  qui  fu- 
rent donnés,  avec  une  grande  magnificence,  à  toute 
la  Cour  d'Erfurth  par  le  duc  de  Saxe-Weimar. 

De  retour  à  Erfurth ,  Napoléon  donna  audience  au 
baron  de  Vincent,  chargé  par  l'empereur  d'Autriche 
d'une  mission  spéciale  que  nous  ferons  connaître  plus 
tard. 

C'est  le  même  jour  de  cette  audience ,  que  les  plé- 
nipotentiaires de  France  et  de  Russie ,  le  comte  Rou- 
manisofei  M.  deChampagny  signèrent  une  convention 


—  286  — 

secrétissime,  qui  peut  être  regardée  comme  l'appendice 
de  la  paix  de  Tilsitt. 

Voici  l'analyse  de  ce  traité  t/w  1 2  octobre  1 808. 

L'article  premier  confirme  et  au  besoin  renouvelle 
l'alliance  de  Tilsitt  et  l'engagement  mutuel  des  deux 
Empereurs,  aon-seulement  de  ne  faire  aucune  paix  sé- 
parée, mais  encore  de  n'entrer  avec  l'ennemi  dans 
aucune  négociation  et  de  n'écouter  aucune  proposition 
que  d'un  commun  accord. 

Par  l'article  deux^  les  parties  contractantes,  unies 
pour  la  paix  comme  pour  la  guerre ,  conviennent  de 
nommer  des  plénipotentiaires  pour  traiter  avec  l'An- 
gleterre, el  de  les  envoyer,  à  cet  effet,  dans  telle  ville 
du  continent  que  l'Angleterre  désignera. 

L'article  trois  concerne  l'union  qu'il  importe  d'éta- 
blir entre  les  deux  plénipotentiaires  des  deux  puis- 
sances et  le  mode  à  suivre  pour  maintenir  cette  union 
dans  la  négociation  avec  le  gouvernement  anglais. 

D'après  l'article  quatre^  la  base  qui  sera  proposée  à 
l'Angleterre  sera  Yuii  possidetis. 

Les  articles  cinq  et  six  indiquent  jusqu'où  s'étend 
l'état  de  possession  pour  la  Russie  et  pour  la  France , 
spécialement  : 

Par  l'article  cinq ,  les  deux  puissances  s'engagent  à 
regarder  comme  condition  absolue  de  la  paix  avec 
l'Angleterre ,  qu'elle  reconnaîtra  la  Finlande ,  la  Va- 
lachiej  la  Moldavie  y  comme  faisant  partie  de  l'empire 
de  Russie. 

Par  l'article  six  y  elles  s'engagent  à  regarder  égale- 
ment comme  condition  absolue  de  la  paix,  que  l'Angle- 
terre reconnaisse,  indépendamment  de  Xuti  possidetis, 
le  nouvel  ordre  de  choses  établi  par  la  France  et  l'Es- 
pagne. 

L'article  sept,  qui  n'est  qu'un  développement  de 
l'article  trois,  est  relatif  à  la  franchise  de  communi- 


—  287  — 

cations  qui  doit  régner  entre  les  plénipotentiaires 
respectifs. 

L'article  huit ,  implicitement  contenu  dans  l'article 
cinq  j  a  pour  objet  de  déterminer  d'une  manière  spé- 
ciale la  reconnaissance,  par  l'empereur  des  Français, 
des  provinces  moldo-valaques  comme  possessions 
russes  ;  il  est  ainsi  conçu  :  «  S.  M.  l'empereur  de 
toutes  les  Russies ,  d'après  les  révolutions  et  chan- 
gements qui  agitent  l'empire  Ottoman,  et  qui  ne  lais- 
sent aucune  possibilité  de  donner,  et  par  conséquent 
aucune  espérance  d'obtenir  des  garanties  suffisantes 
pour  les  personnes  et  les  biens  des  habitants  de  la 
Moldavie  et  de  la  Valachie ,  ayant  déjà  porté  les  li- 
mites de  son  empire  jusqu'au  Danube,  et  réuni  la 
Valachie  et  la  Moldavie  à  son  empire,  ne  pouvant 
qu'à  cette  condition  reconnaître  l'intégrité  de  l'empire 
Ottoman,  S.  M.  l'empereur  Napoléon  reconnaît  ladite 
réunion  et  les  limites  russes  de  ce  côté,  portées  jus- 
qu'au Danube.  » 

Par  l'article  neuf,  on  stipule  que  l'article  huit  sera 
tenu  secret,  et  en  outre,  que  la  Russie  entamera, 
soit  à  Constantinople ,  soit  partout  ailleurs,  une  né- 
gociation afin  d'obtenir  à  l'amiable,  si  cela  se  peut, 
la  cession  des  deux  provinces  ;  que  la  France  renonce 
à  sa  médiation;  que  les  plénipotentiaires  des  deux 
nations  s'entendront  sur  le  langage  à  tenir,  afin  de  ne 
pas  compromettre  l'amitié  existante  entre  la  France  et 
la  Porte,  ainsi  que  la  sûreté  des  Français  résidant  dans 
les  Echelles ,  et  pour  empêcher  la  Porte  de  se  jeter 
dans  les  bras  de  l'Angleterre. 

L'article  diœ  règle  les  obligations  réciproques  des 
deux  parties;  il  porte  textuellement  :  «  Dans  le  cas  où  la 
Porte  Ottomane,  se  refusant  à  la  cession  des  deux  pro- 
vinces ,  la  guerre  viendrait  à  se  rallumer,  l'empereur 
Napoléon  n'y  prendra  aucune  part  et  se  bornera  à  em- 


—  288  — 

ployer  ses  bons  offices  auprès  de  la  Porte  Ottomane  ; 
mais  s'il  arrivait  que  l'Autriche  ou  quelque  autre 
puissance  fît  cause  commune  avec  l'empire  Ottoman 
dans  ladite  guerre,  S.  M.  l'empereur  Napoléon  fe- 
rait immédiatement  cause  commune  avec  la  Russie, 
devant  regarder  ce  cas  comme  un  de  ceux  de  l'alliance 
qui  unit  les  deux  empires. 

«  Dans  le  cas  où  l'Autriche  se  mettrait  en  guerre 
contre  la  France,  l'empereur  de  Russie  s'engage  à  se 
déclarer  contre  l'Autriche,  ce  cas  étant  également  de 
ceux  auxquels  s'applique  l'alliance  qui  unit  les  deux 
empires.  » 

Par  l'article  onze  y  les  deux  puissances  s'engagent 
à  maintenir  l'intégrité  des  autres  possessions  de  l'em- 
pire Ottoman,  ne  voulant  ni  faire  elles-mêmes  ni  souf- 
frir qu'il  soit  fait  aucune  entreprise  contre  cet  empire, 
«  sans  qu'elles  en  soient  préalablement  convenues.  » 

Par  l'article  douze  ^  et  en  prévision  d'unca.sws  helli, 
les  deux  puissances  conviennent  de  se  réunir  de  nou- 
veau dans  le  délai  d'un  an ,  pour  s'entendre  sur  les 
opérations  de  la  guerre  commune  et  sur  les  moyens  de 
la  poursuivre  avec  toutes  les  forces  et  toutes  les  res- 
sources des  deux  empires. 

L'article  treize  est  relatif  au  roi  de  Danemark.  Il 
porte  que  les  deux  Empereurs,  voulant  reconnaître  la 
loyauté  et  la  persévérance  avec  lesquelles  le  roi  de 
Danemark  a  soutenu  la  cause  commune,  s'engagent  à 
lui  procurer  un  dédommagement  pour  ses  sacrifices, 
et  à  reconnaître  les  acquisitions  qu'il  aura  été  dans  le 
cas  de  faire  durant  la  présente  guerre. 

Enfin,  par  l'article  quatorze,  les  deux  puissances 
prennent  l'engagement  de  tenir  la  convention  secrète 
pendant  l'espace  de  dix  années. 

Telles  étaient  les  clauses  de  la  convention  du  1 2  oc- 
tobre. On  voit  que  les  questions  principales  entre  les 


—  289  — 

puissances  y  étaient  réglées,  et  que  le  but  réel  de  l'en- 
trevue d'Erfurth  venait  ainsi  d'être  atteint. 

Il  ne  s'agissait  plus  que  de  donner  satisfaction  au 
vœu  général  touchant  la  paix  maritime.  On  résolut 
en  conséquence  de  faire  une  démarche  en  commun 
auprès  de  l'Angleterre  pour  tâcher  seulement  de  nouer 
une  négociation.  Bien  qu'au  fond  ce  projet  n'eût  rien 
de  sérieux ,  il  fut  convenu  que  le  comte  Roumantsof, 
ministre  des  Affaires  Etrangères ,  se  rendrait  à  Paris 
avec  des  pleins  pouvoirs  pour  donner  suite,  en  ce 
qui  concernait  la  Russie ,  à  la  réponse  que  l'on  devait 
attendre  du  cabinet  de  Londres.  Nous  présenterons 
tout  à  l'heure  le  résumé  de  cette  négociation. 

Le  14  octobre  fut  le  jour  de  la  séparation  du  con- 
grès. Dès  la  veille,  les  décorations,  les  présents  avaient 
été  échangés.  A  cette  occasion  l'empereur  Alexandre^ 
fidèle  aux  nobles  traditions  de  la  grande  Catherine  j  se 
montra  magnifique  ;  les  portraits ,  les  chiffres ,  les 
diamants,  toutes  ces  marques  d'estime,  de  bienveil- 
lance auxquelles  on  attache  tant  de  prix  dans  les  Cours, 
furent  distribuées  par  ce  prince  avec  une  libéralité 
vraiment  impériale.  On  raconte  que  Napoléon  j  piqué 
de  ce  que  les  présents  de  l'empereur  Alexandre  exci- 
taient l'admiration  par  leur  richesse,  et  effaçaient  les 
siens,  formula  son  mécontentement  par  un  axiome  res- 
trictif :  Donner  convenablement,  disait-il,  c'est  hono- 
rer; donner  beaucoup,  c'est  corrompre.  La  proposition 
est  économique ,  mais  nous  ne  voyons  pas  qu'elle  ait 
jamais  été  à  l'usage  des  couronnes.  Louis  XIV  ré- 
pondait fièrement  aux  observations  d'un  ministre  par- 
cimonieux :  Majesté  oblige. 

Au  moment  de  quitter  Erfurth,  l'empereur  Alexan- 
dre vint  dire  adieu  à  Napoléon.  Les  deux  monarques, 
après  une  longue  conversation,  montèrent  à  cheval  el 
sortirent  ensemble  de  la  ville.  Ils  allèrent  jusqu'à  la 
XI  19 


—  290  — 

distance  de  deux  lieues  où  les  voitures  de  l'empereur 
Alexandre  attendaient.  Pendant  tout  ce  trajet  les  deux 
souverains  s'entretinrent  seuls  ensemble  ;  «  et  quant 
à  ce  qu'ils  se  dirent ,  personne  n'en  sut  rien ,  parce 
que  l'on  ne  trotta  même  point,  et  que,  par  discrétion, 
les  deux  suites  restèrent  à  une  grande  distance  en  ar- 
rière. «  Ils  mirent  enfin  pied  à  terre,  se  promenèrent 
encore  quelques  moments ,  puis  s'embrassèrent  avec 
les  apparences  de  la  plus  grande  cordialité.  Ils  ne 
devaient  plus  se  revoir  que  les  armes  à  la  main. 

«  Napoléon  revint  à  Erfurth  au  petit  pas ,  et  parais- 
sant rêveur  et  pensif.  «  C'est  qu'en  effet  il  subissait 
déjà  l'ascendant  de  la  politique  à! Alexandre ^  c'est 
qu'il  comprenait  que  lui,  naguère  encore  disposant  en 
maître  de  l'Europe  conquise,  il  n'allait  plus  y  exercer 
qu'un  pouvoir  contrôlé  ;  il  jugeait  bien  qu'il  lui  fau- 
drait désormais  composer  avec  un  rival  de  puissance, 
et  qu'à  ce  moment  même  obligé  de  réclamer  le  con- 
sentement de  la  Russie  à  ses  projets  sur  l'Espagne,  s'il 
ne  sortait  pas  vainqueur  de  cette  entreprise,  c'était 
infailliblement  l'empereur  Alexandre  qui  deviendrait 
l'arbitre  des  destinées  du  monde. 

Nous  devons  maintenant  revenir  au  principal  objet 
apparent  des  conférences  d'Erfurth,  c'est-à-dire  la  né- 
gociation pour  la  paix  maritime  ^ 

Le  12  octobre  1808,  Alexandre  et  Napoléon  adres- 
sèrent à  George  lll  la  lettre  suivante  : 

«  Sire, 

«  Les  circonstances  actuelles  de  l'Europe  nous  ont 
réunis  à  Erfurth.  Notre  première  pensée  est  de  céder 

•  La  correspondance  à  laquelle  les  négociations  avec  l'Angleterre  ont 
donné  lieu ,  a  été  mise  sous  les  yeux  du  parlement  d'Angleterre ,  au 
mois  de  janvier  1809 ,  sous  le  titre  de  Correspondence  iviih  the  Russian 
and  French  government,  relative  to  the  overture  received  from  Erfurth. 


—  291  — 

au  vœu  et  aux  besoins  de  tous  les  peuples,  et  de  cher- 
cher, par  une  prompte  pacification  avec  Votre  Majesté, 
le  remède  le  plus  efficace  aux  malheurs  qui  pèsent  sur 
toutes  les  nations.  Nous  en  faisons  connaître  notre 
sincère  désir  à  Votre  Majesté  par  cette  présente  lettre. 

f(  La  guerre  longue  et  sanglante  qui  a  déchiré  le  Con- 
tinent est  terminée,  sans  qu'elle  puisse  se  renouveler. 
Beaucoup  de  changements  ont  eu  lieu  enEurope  ;  beau- 
coup d'États  ont  été  bouleversés.  La  cause  en  est  dans 
l'état  d'agitation  et  de  malheur  où  la  cessation  du  com- 
merce maritime  a  placé  les  plus  grands  peuples.  De 
plus  grands  changements  peuvent  encore  avoir  lieu, 
et  tout  contraires  à  la  politique  de  la  nation  anglaise. 
La  paix  est  donc  à  la  fois  dans  l'intérêt  des  peuples  du 
Continent,  comme  dans  l'intérêt  des  peuples  de  la 
Grande-Bretagne. 

((  Nous  nous  réunissons  pour  prier  Votre  Majesté 
d'écouter  la  voix  de  l'humanité,  en  faisant  taire  celle 
des  passions,  de  chercher,  avec  l'intention  d'y  parve- 
nir, à  concilier  tous  les  intérêts,  et  par  là  garantir 
toutes  les  puissances  qui  existent,  et  assurer  le  bon- 
heur de  l'Europe  et  de  cette  génération  à  la  tête  de 
laquelle  la  Providence  nous  a  placés. 

c(  Signé  Napoléon.  —  Alexandre.  » 

Le  comte  Nicolas  Roumantsof  et  M.  de  Champagny 
transmirent  à  M.  Canning  deux  expéditions  de  cette 
lettre.  Les  deux  lettres  d'accompagnement  sont  presque 
conformes.  Chaque  ministre  dit  que  son  souverain 
espère  que  la  grandeur  et  la  sincérité  de  cette  démarche 
seront  appréciées,  et  qu'on  ne  peut  attribuer  à  faiblesse  *, 

*  Les  mots  en  italique  sont  exactement  reproduits  d'après  le  Moniteur  ; 
mais  la  vérité  est  qu'ils  ne  se  trouvaient  pas  dans  la  lettre  du  comte 
Roumantsof;  un  sentiment  de  dignité  a  sûrement  déterminé  le  ministre 
d'ALEXANDRE  à  lôs  Omettre. 


— .  292  ~ 

ce  qui  est  le  résultat  de  l'intime  liaison  des  deux  plus 
grands  monarques  du  Continent,  unis  pour  la  paix 
comme  pour  la  guerre;  chacun  ajoute  que  son  Empe- 
reuravait  nommé  des  plénipotentiaires  qui  attendraient 
à  Paris  la  réponse  de  Londres,  et  se  rendraient  dans  la 
ville  du  Continent,  où  ceux  de  la  Grande-Bretagne  et 
de  ses  alliés  seraient  envoyés;  enfin,  qu'il  était  disposé 
à  admettre  pour  base  le  principe  de  Vuti  possidetis, 
précédemment  proposé  par  l'Angleterre,  et  telle  autre 
base  fondée  sur  la  justice,  et  sur  la  réciprocité  et  l'é- 
galité qui  doivent  régner  entre  toutes  les  grandes 
nations. 

M.  Canning  transmit  le  28  octobre,  à  l'ambassadeur 
de  Russie,  à  Paris,  une  Note  en  réponse  à  la  lettre 
d'Erfurth,  avec  une  lettre  d'accompagnement  :  «  Quel- 
que disposée  qu'aurait  pu  être  Sa  Majesté,  dit  le  mi- 
nistre, de  répondre  directement  à  S.  M.  l'empereur  de 
Russie,  vous  ne  pourrez  vous  empêcher  de  sentir, 
monsieur  l'ambassadeur,  que,  par  la  manière  inusitée 
dont  les  lettres,  signées  par  Sa  Majesté  Impériale, 
ont  été  rédigées,  et  qui  les  a  privées  entièrement 
du  caractère  d'une  communication  particulière  per- 
sonnelle. Sa  Majesté  s'est  trouvée  dans  l'impos- 
sibilité de  se  servir  de  cette  marque  de  respect 
envers  l'empereur  de  Russie,  sans  reconnaître  en 
même  temps  des  titres  que  Sa  Majesté  n'a  pas  re- 
connus. »  Cette  observation  fait  allusion  à  la  circon- 
stance que  'Napoléon  était  qualifié,  dans  la  lettre,  d'em- 
pereur des  Français,  titre  que  le  Cabinet  de  Londres 
n'avait  pas  reconnu.  Quant  à  la  manière  que  le  ministre 
de  la  Grande-Bretagne  déclare  inusitée,  nous  rappel- 
lerons que,  pour  la  même  raison,  la  lettre  que  iVa/3o/eo?? 
Bonaparte  avait  adressée  au  roi  d'Angleterre,  le  26  dé- 
cembre 1799,  était  restée  sans  réponse. 

Le  ministre  de  la  Grande-Bretagne  dit  encore  dans 


—  293  — 

sa  lettre  que  son  souverain  se  proposait  de  communi- 
quer au  roi  de  Suède  et  au  gouvernement  existant  de 
l'Espagne  la  proposition  qui  lui  avait  été  adressée,  et 
qu'il  demandait  une  déclaration  positive  que  la  France 
reconnaissait  le  gouvernement  d'Espagne  comme  par- 
ticipant aux  négociations;  convaincu,  comme  il  était, 
que  l'Empereur  n'a  pu  être  porté  à  sanctionner,  par 
son  concours  ou  par  son  approbation,  des  usurpations 
dont  le  principe  n'était  pas  moins  injuste  que  l'exem- 
ple n'en  était  dangereux  pour  tous  les  souverains  lé- 
gitimes. 

La  Note  officielle  qui  accompagnait  cette  lettre  et 
dont  une  expédition  fut  aussi  adressée  à  M.  de  Cliam- 
pagny,  était  de  la  teneur  suivante  : 

Le  Roi  a  constamment  déclaré  qu'il  désirait  la  paix, 
et  qu'il  était  prêt  à  entrer  en  négociation  pour  une 
paix  générale  sur  des  termes  conformes  à  ce  qu'exi- 
gent l'honneur  de  sa  couronne ,  sa  fidélité  à  ses  enga- 
gements ,  le  repos  durable  et  la  sécurité  de  l'Europe. 

Si  l'état  du  Continent  est  un  état  d'excitation  et  de 
misère,  si  plusieurs  États  ont  été  renversés,  si  d'au- 
tres encore  sont  menacés  de  l'être,  c'est  une  consola- 
tion pour  le  Roi  de  penser  qu'aucune  partie  de  ces 
convulsions  qu'on  a  déjà  éprouvées  ou  dont  on  est 
menacé  pour  l'avenir  ne  peut  en  aucun  point  lui  être 
imputée. 

Le  Roi  reconnaît  volontiers  que  d'aussi  terribles 
changements  sont  en  effet  contraires  à  la  politique  de 
la  Grande-Bretagne,  si  la  cause  de  tant  de  misère  se 
trouve  dans  la  stagnation  des  relations  commerciales , 
quoiqu'on  ne  dût  point  attendre  de  Sa  Majesté  qu'elle 
apprît  seulement  avec  regret  que  le  système  imaginé 
pour  la  destruction  du  commerce  de  ses  sujets  est  re- 
tombé sur  ceux  qui  en  ont  été  les  auteurs  ou  les  in- 
struments, cependant  il  n'est  ni  dans  les  dispositions 


-.  294  — 

de  Sa  Majesté  ni  dans  le  caractère  du  peuple  sur  lequel 
elle  règne,  de  se  réjouir  des  privations  et  des  malheurs 
des  nations  même  qui  se  sont  coalisées  contre  elle. 

Sa  Majesté  désire  avec  sollicitude  la  fin  des  souf- 
frances du  Continent. 

u  En  s'engageant  dans  la  guerre  actuelle,  Sa  Majesté 
a  eu  pour  objet  immédiat  la  sûreté  nationale.  Cette 
guerre  ne  s'est  prolongée  que  parce  que  ses  ennemis 
n'ont  offert  aucun  moyen  de  la  terminer  avec  sécurité 
et  d'une  manière  honorable.  Mais  dans  le  cours  d'une 
guerre  continuée  pour  sa  propre  défense,  de  nouvelles 
obligations  ont  été  imposées  à  Sa  Majesté  en  faveur 
des  puissances  que  les  agressions  d'un  ennemi  com- 
mun ont  forcées  de  faire  cause  commune  avec  elle,  ou 
qui  ont  sollicité  l'assistance  et  l'appui  de  Sa  Majesté 
pour  le  recouvrement  de  leur  indépendance  nationale, 
les  intérêts  des  couronnes  de  Portugal  et  ceux  de 
Sa  Majesté  Sicilienne,  confiés  à  l'amitié  et  à  la  pro- 
tection de  Sa  Majesté.  Sa  Majesté  tient  au  roi  de  Suède 
par  l'alliance  la  plus  étroite  et  par  des  stipulations 
qui  unissent  leurs  conseils  pour  la  paix  comme  pour 
la  guerre. 

«  Sa  Majesté  n'est  pas  encore  liée  à  l'Espagne  par 
aucun  acte  formel;  mais  elle  a  contracté  avec  cette  na- 
tion, à  la  face  de  l'univers,  des  engagements  non 
moins  sacrés,  et  qui,  dans  l'opinion  de  Sa  Majesté,  la 
lient  autant  que  les  traités  les  plus  solennels.  Sa  Ma- 
jesté suppose  donc  qu'en  lui  proposant  des  négocia- 
tions pour  la  paix  générale,  les  relations  entre  elle  et 
la  monarchie  espagnole  ont  été  clairement  prises  en 
considération,  et  que  l'on  a  entendu  que  le  gouverne- 
ment, agissant  au  nom  de  Ferdinand  VU,  serait  par- 
tie des  négociations  dans  lesquelles  Sa  Majesté  est  in- 
vitée à  entrer.  » 

Comme  le  comte  Rovmantsof,  ministre  des  Âffei- 


—  295  — 

res  Étrangères  de  l'empereur  de  Russie,  se  trouvait  à 
Paris,  il  répondit  directement  à  cette  Note  le  1 6-28  no- 
vembre 1808.  L'admission  au  congrès  des  rois  alliés 
de  la  Grande-Bretagne,  dit-il ,  ne  peut  être  l'objet 
d'aucune  difficulté;  mais  on  ne  peut  étendre  ce  prin- 
cipe jusqu'à  admettre  des  plénipotentiaires  de  la  na- 
tion espagnole,  ou,  comme  M.  Roumantsof  les  ap- 
pelle, des  insurgés  espagnols.  Il  annonce  que  son 
maître  a  reconnu  Joseph  Bonaparte,  et  qu'il  ne  sé- 
parera pas  ses  intérêts  de  ceux  de  son  allié  Napoléon. 
Saisissant  adroitement  l'annonce  qu'il  n'existait  pas 
de  traité  entre  la  Grande-Bretagne  et  les  Espagnols , 
il  exprime  sa  satisfaction  qu'une  diversité  d'opinion 
sur  les  Espagnols  ne  pourra  pas  empêcher  l'ouverture 
du  congrès. 

Cette  Note  est  écrite  avec  dignité;  mais  celle  du  mi- 
nistre français,  n'est  pas  une  des  meilleures  produc- 
tions qui  soient  sorties  du  département  des  Affaires 
Étrangères.  Son  auteur  semble  craindre  que  la  dé- 
marche de  Napoléon  pour  la  paix  ne  soit  attribuée  à 
faiblesse.  Quoique  rien  dans  la  Note  anglaise  n'indique 
une  telle  opinion,  M.  de  Champagny  dit  :  «  Les  deux 
Empereurs  s'étaient  flattés  qu'on  ne  se  serait  pas  mé- 
pris à  Londres  sur  le  but  de  leur  démarche.  Le  minis- 
tère anglais  l'aurait-il  attribuée  à  faiblesse  et  à  besoin, 
lorsque  tout  homme  d'État  impartial  reconnaît ,  dans 
l'esprit  de  paix  et  de  modération  qui  l'a  dictée,  le  ca- 
ractère de  la  puissance  et  de  la  véritable  grandeur  ?  « 
Bientôt  comparant  une  nation  qui  repousse  un  joug 
que  l'usurpateur  veut  lui  imposer,  à  des  sujets  révol- 
tés contre  l'autorité  légitime,  il  demande  :  «Qu'aurait 
dit  le  gouvernement  anglais,  si  on  lui  avait  proposé 
d'admettre  (au  congrès)  les  insurgés  catholiques  ir- 
landais? La  France,  sans  avoir  de  traité  avec  eux  ,  a 
eu  aussi  avec  eux  des  rapports,  leur  a  fait  des  pro- 


—  296  — 

messes,  et  souvent  leur  a  envoyé  des  secours.  »  Tel 
était  alors  le  bouleversement  des  idées  sur  la  justice, 
que  des  hommes  mêmes  qui  s'efforçaient  de  faire  en- 
visager le  gouvernement  de  Napoléon  comme  légitime, 
retombaient  sans  cesse  dans  des  erreurs  que  les  pre- 
mières notions  du  Droit  réfutent  suffisamment. 

Les  dernières  Notes  de  M.  Canning  sont  du  9  dé- 
cembre. Dans  celle  qui  est  adressée  à  M.  de  Champagny, 
on  remarque  ce  passage  :  «  Il  est  spécialement  ordonné 
au  soussigné,  par  Sa  Majesté,  de  s'abstenir  de  relever 
les  choses  et  les  expressions  insultantes  pour  Sa  Ma- 
jesté, pour  ses  alliés  et  pour  la  nation  espagnole,  dont 
abonde  la  Note  officielle  transmise  par  M.  de  Champa- 
gny  Sa  Majesté  est  déterminée  à  ne  pas  abandonner 

la  cause  de  la  nation  espagnole  et  delà  royauté  légitime 
d'Espagne;  et  la  prétention  de  la  France,  d'exclure  de 
la  négociation  le  gouvernement  central  et  suprême 
agissant  au  nom  de  S.  M.  C.  Ferdinand  VII  y  est  telle, 
que  Sa  Majesté  ne  pourrait  l'admettre  sans  acquiescer 
à  une  usurpation  qui  n'a  rien  de  comparable  dans 
l'histoire  du  monde.  » 

Dans  la  Note  adressée  au  comte  Roiunansof,  M.  Can- 
ning dit  :  «  Sa  Majesté  ne  peut  concevoir  par  quelle  obli- 
gation de  devoir  ou  d'intérêt,  ou  par  quel  principe  de 
politique  russe  \  Sa  Majesté  Impériale  peut  s'être 
trouvée  forcée  de  reconnaître  le  droit  que  s'est  arrogé 
la  France,  de  déposer  et  d'emprisonner  des  souve- 
rains, ses  amis,  et  de  s'attribuer  à  elle-même  la  sou- 
veraineté de  nations  loyales  et  indépendantes.  Si  tels 
sont  les  principes  auxquels  l'Empereur  s'est  inviola- 
blement  attaché ,  pour  le  soutien  desquels  il  a  engagé 
l'honneur  et  les  ressources  de  son  empire ,  et,  s'il  est 
uni  à  la  France  pour  les  établir  par  la  guerre  et  les 

•  C'est  ainsi  qu'on  lit  cette  phrase  dans  le  Moniteur.  Il  faut  sans  doute 
la  remplacer  par  celle-ci  :  Par  quel  principe  de  la  politique  russe,  etc. 


—  297  — 

maintenir  clans  la  paix,  Sa  Majesté  y  voit  avec  un  pro- 
fond regret  une  détermination  d'aggraver  et  de  pro- 
longer les  maux  de  l'Europe.  Mais  on  ne  peut  lui 
attribuer  d'occasionner  la  continuation  des  calamités 
de  la  guerre ,  en  faisant  évanouir  toute  espérance 
d'une  paix  incompatible  avec  la  justice  et  l'honneur,  n 
Les  négociations  furent  ainsi  rompues ,  et  le  Parle- 
ment d'Angleterre  en  fut  instruit  par  une  déclaration 
du  Roi,  en  date  du  16  décembre  1808.  On  voit,  par 
cette  pièce,  qu'indépendamment  des  raisons  dévelop- 
pées dans  les  Notes  de  ses  Ministres,  le  gouvernement 
britannique  avait  encore  un  motif  secret  pour  ne  pas 
faire  la  paix  dans  ce  moment;  c'était  l'espoir  que  l'Au- 
triche se  déclarerait  bientôt  contre  Napoléon.  Le  mes- 
sage y  fait  allusion  par  ce  passage  ;  «  Comme  il  n'était 
pas  possible  de  parvenir  à  la  paix,  l'apparence  prolon- 
gée d'une  négociation  ne  pouvait  être  utile  qu'à  l'en- 
nemi. Elle  aurait  donné  à  la  France  le  moyen  de  semer 
laméfiance  et  la  jalousie  dans  les  Conseils  de  ceux  qui  se 
sont  réunis  pour  résister  à  son  oppression.  Et  si  parmi 
les  nations  sur  lesquelles  pèse  V alliance  de  la  France^ 
ou  parmi  celles  qui  reçoivent  d'elle  une  indépendance 
douteuse,  précaire  et  incertaine,  il  y  en  avait  qui  pus- 
sent encore  rester  incertaines  sur  le  choix  entre  une 
ruine  certaine ,  résultant  d'une  inaction  prolongée , 
et  les  dangers  incertains  d'un  effort,  pour  échappera 
cette  ruine,  la  trompeuse  perspective  d'une  paix  entre 
la  Grande-Bretagne  et  la  France  ne  manquerait  pas 
d'être  extrêmement  funeste  à  ces  nations.  Le  vain  es- 
poir du  retour  de  la  tranquillité  pourrait  ralentir  leurs 
préparatifs,  ou  leur  résolution  pourrait  être  ébranlée 
par  la  crainte  d'être  obligés  à  continuer  seuls  la  lutte. 


'  Le  Moniteur  du  1l>  décembre  4810  a  retranché  la  phrase  imprimée 
en  italique. 


—  298  — 

Sa  Majesté  penchait  fortement  à  croire  qu'au  fond 
c'était  là  le  principal  but  des  propositions  qui  lui 
avaient  été  adressées  d'Erfurth.  » 

Pendant  ces  négociations,  de  nouvelles  scènes  de 
guerre  s'étaient  ouvertes  en  Espagne.  Jusqu'alors 
la  défense  de  la  patrie  avait  été  dirigée  par  les  di- 
verses juntes  provinciales,  d'accord  avec  celle  de 
Séville,  ou  sous  son  autorité;  mais  la  délivrance 
de  la  capitale  de  la  présence  du  Roi  intrus,  comme 
on  le  désignait  alors,  permit  de  concentrer  l'au- 
torité entre  les  mains  d'une  Junte  suprême  cen- 
trale,  formée  de  deux  députés  choisis  par  chaque 
junte  provinciale.  Cette  mesure,  dont  on  ne  pouvait 
présager  qu'un  grand  bien ,  devint  par  événement 
très-préjudiciable  à  la  cause  des  Espagnols.  Les  juntes 
provinciales ,  voulant  retenir  dans  leurs  mains  le  pou- 
voir qu'elles  avaient  acquis,  ne  déférèrent  aux  dépu- 
tés qu'ils  envoyèrent  à  Madrid  qu'une  autorité  extrê- 
mement bornée,  et  subordonnée  à  la  leur.  Ainsi  la 
Junte  centrale,  au  lieu  d'une  représentation  nationale, 
ou  d'un  gouvernement  indépendant,  ne  fut  qu'une 
assemblée  de  délégués  responsables  envers  ceux  qui 
les  avaient  envoyés.  Un  corps,  composé  de  pareils 
éléments,  ne  put  acquérir  la  considération,  ni  agir 
avec  l'énergie  qui  auraient  été  requises  dans  un  temps 
si  difficile. 

La  Junte  suprême  centrale  s'assembla,  pour  la  pre- 
mière fois,  le  25  septembre,  dans  le  palais  du  Roi,  à 
Aranjuez,  sous  la  présidence  du  comte  de  Florida 
Blanca,  et  son  installation  fut  inaugurée  par  la  procla- 
mation suivante  : 

«  Depuis  qu'en  l'année  1795  l'Espagne  eut  déposé 
les  armes  qu'elle  avait  prises  contre  le  parti  des  agi- 
tateurs et  des  régicides  français,  et  que  par  le  traité 


—  299  -. 

d'alliance  de  1796  elle  eut  contracté  une  union  intime 
avec  cette  puissance,  sa  ponctualité  religieuse  à  obser- 
ver toutes  les  conditions  de  cette  alliance  n'a  pas  été 
moindre  que  sa  patience  à  supporter  les  maux  innom- 
brables qui  en  ont  été  le  résultat.  Au  milieu  de  tous 
les  changements  de  formes  suivis  par  les  gouverne- 
ments qui  ont  successivement  régi  la  France ,  et  qui , 
sous  des  noms  différents ,  ont  manifesté  le  même  sys- 
tème d'avidité  et  de  destruction,  leur  caractère  essen- 
tiel ,  tant  BOUS  le  Directoire  que  sous  le  Consulat  et 
l'Empire ,  l'Espagne  a  reconnu  et  respecté  chez  son 
allié  les  droits  d'une  nation  indépendante.  Elle  a  par 
son  alliance  contribué  à  la  gloire  et  à  la  grandeur  de 
la  France,  dans  la  ferme  espérance  de  vaincre,  par  une 
conduite  si  généreuse,  l'ambition  sans  mesure  du  Ca- 
binet français,  ou  de  voir  enfin  arriver  le  moment  dé- 
siré par  tous  les  amis  de  l'humanité,  où  un  gouverne- 
ment moins  turbulent  pourrait  s'établir  dans  ce  pays. 
Aucun  événement  subséquent  n'a  pu  ébranler  la  réso- 
lution de  l'Espagne;  ni  les  usurpations  de  l'empereur 
des  Français  en  Europe,  ni  la  négligence  avec  laquelle 
la  France,  dans  ses  négociations  avec  les  autres  puis- 
sances, soignait  les  intérêts  de  l'Espagne,  ni  les  mor- 
tifications endurées  par  les  princes  parents  ou  alliés  de 
la  famille  royale ,  ni  enfin  le  ton  de  supériorité  ou  le 
manque  d'égards  réciproques  par  lesquels  on  répon- 
dait à  la  condescendance  infatigable  de  l'Espagne.  Énu- 
mérer  particulièrement  chacun  des  griefs  dont  elle  a 
à  se  plaindre  serait  une  tâche  fastidieuse.  Dans  une 
période  de  trois  années  elle  fut  obligée  de  voir  détrô- 
ner le  souverain  des  Deux-Siciles,  frère  de  son  Roi,  de 
voir  ses  intérêts  négligés  au  congrès  d'Amiens,  où  le 
Cabinet  de  Paris  consentit  à  ce  qu'elle  perdît  l'île  de  la 
Trinité,  quoiqu'il  eût  promis  le  contraire,  et  cela  pour 
la  récompenser  de  son  assistance  loyale  dans  une 


—  300  — 

guerre  désastreuse  qu'elle  n'avait  entreprise  que  pour 
la  France;  elle  fut  obligée  de  voir  l'indépendance  du 
Portugal  menacée  plus  d'une  fois,  afin  d'en  prendre 
occasion  d'exiger  des  subsides  accablants^  parce  que 
l'on  enveloppait  dans  ces  difficultés  l'Espagne,  obli- 
gée, pour  empêcher  la  chute  finale  du  Portugal,  de 
suivre  à  grands  frais  une  direction  opposée  aux  inten- 
tions de  son  souverain;  elle  fut  obligée  de  voir  le  gou- 
vernement français  lui  intimer  l'ordre  de  lui  céder 
l'importante  colonie  de  la  Louisiane,  avec  le  projet 
formé,  comme  la  suite  l'a  prouvé,  de  la  vendre  pour 
une  somme  d'argent  à  une  troisième  puissance,  sans 
en  prévenir  l'Espagne.  Comme  unique  récompense  de 
ce  sacrifice,  ainsi  que  de  plusieurs  autres  non  moins 
chers,  et  de  l'état  de  Parme  ravi  à  un  Infant  d'Espa- 
gne, elle  a  vu  la  possession  incertaine  de  la  Toscane 
donnée  à  ce  prince,  avec  le  projet,  comme  la  suite  l'a 
prouvé,  de  lui  reprendre  ce  pays,  sous  le  prétexte  de 
lui  procurer  une  indemnité  dans  le  nord  du  Portugal, 
promesse  que  la  France  n'a  jamais  pu  ni  voulu  effec- 
tuer. Plus  récemment  enfin  elle  a  vu  comment  l'avi- 
dité insensée  d'un  favori  odieux  qui  gouvernait  des- 
potiquement  la  monarchie  a  été  flattée  par  des  illusions 
décevantes  pour  pouvoir  asservir  et  démembrer  cette 
monarchie.  D'un  autre  côté  on  élevait  à  un  taux  im- 
modéré, l'entrée  des  marchandises  espagnoles  dans  les 
ports  de  France;  on  refusait  constamment  les  dédom- 
magements dus  à  la  couronne  et  aux  sujets  du  Roi,  et 
on  laissait  toutes  les  réclamations  sans  y  faire  aucune- 
ment droit.  Cependant  l'Espagne  a,  sans  se  plaindre, 
donné  ses  flottes  à  la  France,  a  mis  ses  troupes  ù  sa 
disposition,  lui  a  ouvert  ses  trésors  ;  elle  a  accordé  des 
subsides  pour  prévenir  avec  l'Angleterre  une  rupture 
qu'il  fut  ensuite  impossible  d'éviter;  et  pendant  que  le 
gouvernement  français  se  vantait  hautement  lui-même, 


—  301   — 

de  la  manière  la  plus  ridicule,  qu'un  de  ses  soins  prin- 
cipaux était  de  récompenser  et  de  couvrir  de  gloire  ses 
alliés,  le  royaume  d'Espagne,  le  plus  ancien,  le  plus 
puissant,  le  plus  fidèle  de  ses  alliés,  était  sacrifié,  ap- 
pauvri et  traité  plus  mal  qu'un  neutre  perfi.de.  Des 
offenses  si  nombreuses,  des  pertes  si  considérables 
eussent  sans  doute  ouvert  depuis  longtemps  les  yeux 
du  gouvernement,  s'il  n'eût  pas  été,  par  malheur, 
dans  les  mains  de  l'infâme  auteur  du  traité  de  1796, 
dans  les  mains  de  don  Manuel  Godoy.  La  politique 
atroce,  l'ambition  de  l'empereur  iVaj9o/eo?î,  destructrice, 
insatiable,  vit  avec  joie  l'humiliation  de  l'Espagne, 
qui  était  l'ouvrage  de  ses  mains,  et  la  conduite  extra- 
vagante du  favori  despote. 

«  Déchirant  le  voile  qui  couvrait  mal  ses  desseins , 
Napoléon  résolut ,  sans  en  rougir,  la  ruine  de  la  fa- 
mille royale,  et  la  destruction  d'une  nation  généreuse 
qui  s'était  sacrifiée  pour  la  France;  il  avait  décidé 
dans  son  intérieur  que  l'Espagne  ne  serait  plus  indé- 
pendante, et,  sans  même  savoir  quelle  voie  le  con- 
duirait à  son  but,  il  mit  la  main  à  l'œuvre.  Ici 
commencent  les  scènes  d'iniquité,  les  machinations 
mensongères,  les  perfidies  affreuses  qu'il  fallut  mettre 
en  mouvement  pour  fouler  aux  pieds  les  liens  de  la 
paix  et  de  l'alliance,  le  respect  pour  le  prince  et  pour 
la  nation ,  et  les  apparences  de  témoignages  de  recon- 
naissance si  souvent  répétés.  L'empereur  des  Fran- 
çais attisait  soigneusement  le  feu  de  la  discorde  que 
l'influence  perfide  du  favori  avait  réussi  à  allumer 
dans  le  sein  même  de  la  famille  royale.  Il  épie  le  mo- 
ment ,  et,  contre  la  teneur  expresse  d'une  convention, 
il  envoie  dans  la  Péninsule  des  armées  innombrables, 
sous  le  prétexte  de  les  faire  aller  aux  côtes  d'Afrique 
voisines,  pour  y  mettre  à  exécution  un  plan  d'attaque 
contre  un  autre  ennemi.  Ses  troupes,  au  mépris  des 


—  302  — 

promesses  les  plus  sacrées,  occupèrent  les  places 
frontières,  sous  le  prétexte  de  simples  mesures  et  de 
précautions  militaires;  et  pendant  qu'à  Paris  on  né- 
gociait le  démembrement  de  l'Espagne  avec  un  pléni- 
potentiaire affidé  du  favori,  les  troupes  de  l'usurpa- 
teur s'approchèrent  de  la  capitale  pour  effrayer  les 
souverains  aveuglés  ,  et  les  contraindre  à  suivre 
l'exemple  de  la  maison  de  Bragance.  La  révolution 
imprévue  arrivée  à  Aranjuez  le  1 7  et  le  1 9  mars  fit 
échouer  ce  projet  désastreux.  L'abdication  volontaire 
du  roi  Charles  IV  ayant  placé  sur  le  trône  son  fils  aîné 
le  prince  royal,  si  chéri  par  le  peuple  à  cause  de  sa 
jeunesse  et  de  son  infortune ,  l'ennemi  implacable  de 
l'indépendance  de  l'Espagne  changea  de  marche,  et 
imagina  de  rendre  la  nation  orpheline,  afin  d'en  faire 
ensuite  la  proie  de  son  avidité.  Avec  l'aide  de  ses  di- 
gnes satellites,  et  des  artifices  de  la  ruse  la  plus  basse, 
il  attira  à  Bayonne  le  jeune  Roi,  objet  de  l'adoration  de 
l'Espagne,  sous  le  faux  semblant  de  l'y  embrasser 
comme  ami ,  et  de  l'y  reconnaître  roi  j  les  auteurs  des 
jours  du  Roi  captif,  ses  frères,  ses  parents  furent  at- 
tirés dans  la  même  ville,  et  les  bannissant  de  leur 
pays  d'une  manière  non  moins  inouïe  qu'audacieuse, 
il  les  force  à  signer  une  abdication  nulle  et  imagi- 
naire, et  se  fait,  dans  sa  démence,  maître  d'un  trône 
qu'il  profane  par  son  nom  et  par  celui  de  son  frère 
Joseph  Bonaparte.  Des  bandes  d'assassins,  de  brigands 
inondent  la  malheureuse  Espagne  de  sang  et  d'hor- 
reurs, et,  avec  une  impudence  criminelle  connue 
d'eux  seuls,  ils  transforment  le  patriotisme  en  dés- 
obéissance, l'honneur  national  en  barbarie  et  en  sot- 
tise, et  l'attachement  pour  les  souverains  légitimes 
en  révolte  et  en  parjure.  Ils  pillent  les  habitants,  dés- 
honorent les  vierges,  profanent  les  temples  et  les 
images  des  saints  ;  ne  respectant  pas  même  le  Dieu 


—  303  — 

qu'ils  prétendent  adorer,  tandis  qu'ils  le  foulent  à 
leurs  pieds  sacrilèges,  ils  parlent  aux  habitants  de 
l'Espagne  de  bonheur  et  de  régénération,  et  cepen- 
dant ils  ravagent  leurs  champs,  dépouillent  leurs  tem- 
ples, dévastent  leurs  habitations,  s'efforcent  de  dé- 
truire leurs  institutions,  leurs  lois  et  leurs  droits,  et 
veulent  employer  la  jeunesse  espagnole  asservie  et 
les  richesses  de  la  nation  pour  faire  la  guerre  à  d'au- 
tres peuples  avec  lesquels  nous  vivons  en  paix  et  de 
bon  accord. 

«  La  nation,  par  sa  bravoure  et  son  patriotisme,  a 
humilié  l'orgueil  de  l'usurpateur,  anéanti  ses  armées, 
et  le  front  ceint  de  lauriers  elle  poursuit  ses  ennemis 
implacables.  Toutes  les  provinces  se  sont  armées  pour 
la  défense  d'une  cause  si  juste  j  même  avant  la  créa- 
tion du  gouvernement  central,  quelques  provinces 
ont  formellement  déclaré  la  guerre  à  la  France;  toutes 
ont  pris  part  à  cette  guerre,  la  continuent  encore  au- 
jourd'hui avec  la  plus  vive  ardeur,  et  il  n'est  aucun 
Espagnol  qui  n'ait  juré  dans  son  cœur  de  vaincre  ou 
de  mourir  pour  sa  patrie ,  son  roi  et  sa  foi.  ^La  su- 
prême Junte  centrale  des  royaumes  d'Espagne  et  des 
Indes ,  qui  gouverne  au  nom  de  notre  Roi  et  souve- 
rain chéri  Ferdinand  V7/,  et  qui  a  été  reconnue  par 
toute  la  nation ,  déclare  que  depuis  le  20  avril  dernier, 
jour  auquel  on  a  à  Rayonne  insulté  de  la  manière  la 
plus  ignoble  à  la  souveraineté  du  roi  Ferdinand  VU, 
ainsi  qu'à  la  dignité  de  la  nation,  et  qu'on  les  a  foulées 
aux  pieds,  tous  les  liens  qui  attachaient  l'Espagne  au 
gouvernement  français  sont  rompus ,  de  même  que 
tous  les  traités  quelconques,  quelle  que  soit  leur  date, 
qui  existaient  avec  la  France.  En  conséquence,  la  Junte 
suprême  regarde  depuis  ce  jour  toutes  les  actions  que  le 
Droit  des  gens  permet  en  état  de  guerre,  comme  légi- 
time, de  même  que  toutes  les  hostilités  commises  par  les 


—  304  — 

provinces  et  les  individus  dans  la  lutte  qu'ils  soutien- 
dront isolément  jusqu'au  moment  heureux  où  la 
réunion  nationale  s'opérera;  elle  déclare  aussi  de  la 
manière  la  plus  solennelle  que,  depuis  ladite  époque 
du  20  avril ,  la  nation  espagnole  est  en  état  de  guerre 
avec  la  France,  et  que  cette  guerre,  la  plus  juste  qu'au- 
cune  nation  ait  jamais  faite ,  continuera  par  terre  et 
par  mer  contre  l'empereur  des  Français,  roi  d'Italie, 
et  contre  ses  États  et  ses  sujets,  aussi  longtemps  que 
ces  derniers  continueront,  sous  le  joug  de  l'oppression, 
à  soutenir  les  projets  de  l'oppresseur  commun;  parce 
que  l'Espagne,  qui  s'est  vue  forcée  à  prendre  les  armes 
pour  protéger  la  dignité  de  son  Roi  bien-aimé  et  l'in- 
dépendance de  la  nation,  ne  peut,  comme  elle  l'eût 
désiré,  faire  une  différence  entre  l'empereur  Napoléon 
qui  l'attaque,  et  la  nation  française  qu'il  gouverne, 
jusqu'à  ce  que  celle-ci  ouvre  les  yeux  et  obtienne  de 
nouveau  son  ancienne  dignité.  La  Junte  centrale  su- 
prême déclare  en  même  temps  que  les  puissances 
qui  gémissent  sous  le  joug  pesant  de  l'empereur 
Napoléon  continueront  avec  l'Espagne  les  rapports 
qui  ne  sont  contraires  ni  à  son  intérêt  raisonnable  ni 
aux  lois  de  l'équité  naturelle,  aussi  longtemps  qu'elles 
ne  commettront,  ni  médiatement  ni  immédiatement, 
aucune  hostilité  contre  l'Espagne.  Elle  déclare  enfin 
qu'elle  a  prononcé  le  serment  solennel  de  ne  prêter 
l'oreille  à  aucune  proposition  de  paix,  tant  que  Fer- 
dinand yilf  son  souverain  chéri,  ne  sera  pas  en  pos- 
session de  son  trône,  et  que  l'indivisibilité  absolue  de 
l'Espagne  et  de  ses  possessions  américaines,  sans  con- 
sentir la  cession  du  moindre  village,  ne  sera  pas  posée 
comme  la  première  condition.  En  conséquence  elle 
ordonne  qu'il  soit  transmis  à  toutes  les  parties  de  la 
monarchie  espagnole,  tant  au  dedans  qu'au  dehors  de 
la  Péninsule,  les  édits  et  les  décrets  qui  ont  pour  but 


—  305  — 

leur  défense  et  celle  de  tous  les  citoyens  espagnols,  et 
le  dommage  de  l'ennemi. 

u  Aranjuez,  le  14  novembre  1808. 

«  Signé  le  comte  de  Florida-Blanca.  » 

La  Junte  suprême  débuta  par  l'établissement  d'un 
nouveau  conseil  de  guerre ,  composé  du  général  Cas- 
taiîoSf  président,  de  don  Tomas  de  Morlay  des  mar- 
quis de  CastelaVy  de  Polacia,  et  de  don  Antonio  Burro. 
La  force  armée  fut  divisée  en  trois  corps  :  le  premier, 
dit  armée  du  Nord,  et  formant  l'aile  gauche,  était 
commandée  par  Blake ,  ayant  sous  ses  ordres  le  mar- 
quis de  la  Romana.  On  estima  ses  forces  à  cinquante- 
cinq  mille  hommes  ;  mais  la  Junte  de  Madrid  et  les 
gouvernements  espagnols  qui  l'ont  suivie  ont  con- 
stamment eu  pour  maxime  d'exagérer  leurs  forces. 
Cette  fausse  politique,  en  trompant  quelquefois  les 
Anglais,  a  été  la  cause  de  démarches  pernicieuses.  H 
est  probable  que  les  troupes  réglées  de  Blake  ne  pas- 
sèrent pas  de  beaucoup  dix-sept  mille  hommes,  com- 
posés de  ce  noyau  de  forces  qui,  à  l'époque  de  la  ré- 
volution, s'était  trouvé  en  Galice,  et  des  sept  mille 
hommes  que  le  marquis  de  la  Romana  avait  amenés 
de  la  Fionie.  Ce  fut  par  une  exagération  semblable 
qu'on  estima  à  soixante-cinq  mille  hommes  l'armée 
du  centre ,  dont  Caslanos  prit  le  commandement. 
L'aile  droite,  ou  l'armée  d'Aragon,  qu'on  disait  de 
vingt  mille  hommes,  fut  confiée  à  don  Josef  Palafox, 
qui  d'ailleurs  l'avait  réellement  créée. 

L'armée  française,  alors  réduite  à  cinquante  mille 
hommes,  avait  son  quartier  général  à  Vitoria.  Son 
aile  droite  était  commandée  par  Gouvion-Saint'Cyrf  le 
centre  par  le  maréchal  Moncey,  l'aile  gauche  par  les 
maréchaux  A>//,  Bessières  et  Lefebvre. 

M  20 


—  306  — 

Napoléon  qui  était  arrivé  d'Erfurth  à  Paris  le  25  oc- 
tobre, pour  l'ouverture  de  la  session  du  Corps  législa- 
tif, était  reparti  immédiatement  après,  et,  dès  le  3  no- 
vembre, il  se  retrouvait  à  Bayonne.  Il  se  mit  aussitôt  à 
la  tête  de  ses  armées,  où  sa  présence  allait  ramener  la 
victoire.  On  ^ait  déjà  qu'il  avait  été  précédé  par  des  ren- 
forts considérables  :  c'étaient  les  troupes  qui  revenaient 
de  la  Prusse,  et  les  corps  auxiliaires  que  son  frère  Jé- 
rome,  le  Prince  Primat,  et  les  grands-ducs  de  Bade  et 
deDarmstadtlui  avaient  fournis.  Ils  portèrent  l'armée 
française,  en  Espagne,  à  cent  treize  mille  hommes, 
et  vers  la  fin  de  l'année  à  cent  quatre-vingt  mille. 
Une  succession  d'avantages ,  remportés  sous  sa  direc- 
tion par  ses  généraux ,  le  conduisit  promptement  jus- 
qu'aux portes  de  Madrid.  Nous  nous  bornerons  à 
donner  la  date  des  principaux  combats  :  Le  7  novembre 
combat  de  Guenezj  Blake  et  la  Romana  sont  battus 
par  Lefehvre.  Le  10  novembre,  combat  de  Burgos; 
le  maréchal  Soult  y  délit  le  comte  de  Belvédère,  qui 
commandait  l'armée  de  l'Estrémadure,  formant  une 
division  de  l'armée  de  Blake.  Le  quartier  général  de 
Napoléon  était,  le  15  novembre,  à  Burgos.  L'armée 
de  Blake  et  Romana  fut  défaite,  les  10  et  1 1  novembre, 
dans  la  bataille  d'Espinosa,  par  Victor ,  celle  de  Cas- 
tanos  le  fut,  le  23,  à  Tudela,  par  Lannes  et  Victor; 
enfin  la  réserve  espagnole,  sous  les  ordres  du  comte 
San  Juan,  fut  culbutée,  le  30,  dans  les  défilés  de 
Somo-Sierra,  par  Napoléon  en  personne. 

Le  2  décembre,  quatrième  anniversaire  de  son  cou- 
ronnement. Napoléon  parut  devant  Madrid.  Il  s'établit 
à  Chamartin,  propriété  du  duc  de  VInfantado. 

Dès  le  lendemain ,  l'armée  française  occupait  toutes 
les  positions  militaires ,  et  pouvait  enlever  la  capitale 
en  quelques  heures;  déjà  les  voltigeurs  se  répandaient 
dans  les  faubourgs  et  des  obus  atteignaient  les  édifices 


—  307  — 

de  la  cité.  Le  prince  de  Neufchâtel  somma  la  ville  dé 
se  rendre.  Le  peuple,  consulté  par  les  magistrats,  re- 
poussa d'abord  toute  proposition;  les  dangers  d'un 
assaut  ne  l'épouvantaient  pas  :  il  avait  dépavé  les  rues, 
crénelé  les  maisons,  matelassé  les  fenêtres,  élevé  des 
barricades ,  établi  des  batteries  sur  des  charrettes , 
réuni  une  quantité  considérable  d'artillerie  et  de  mu- 
nitions, et  préparé  tous  les  moyens  possibles  de  dé- 
fense; enfin  il  se  montrait  déterminé  à  la  résistance 
la  plus  opiniâtre.  Les  dispositions  des  habitants  de 
Madrid  furent  transmises  au  prince  de  Neufchâtel  par 
le  général  Morla  et  don  Bernardo  IriartCf  qui  avaient 
été  envoyés  en  parlementaires.  Voici  les  curieux  dé- 
tails *  qiïlridrte  a  laissés  sur  l'audience  que  lui  et  son 
collègue  obtinrent  de  Napoléon. 

«La.  Junte  permanente,  militaire  et  politique, 
m'ayant  nommé  ainsi  que  don  Tomas  de  Morla  pour 
aller  parlementer  avec  le  prince  de  Neufchâtel  à  Cha- 
martin,  sur  la  capitulation  de  la  ville  de  Madrid,  par 
suite  du  dernier  délai  que  l'Empereur  accorda  jusqu'à 
six  heures  du  matin  du  lendemain  (4  novembre  1 808), 
nous  partîmes  le  3  après  la  nuit  tombante,  et  montâ- 
mes à  cheval  dans  l'hôtel  des  postes.  Nous  eûmes  une 
conférence  avec  le  prince  de  Neufchâtel  dans  sa  lente, 
sans  pouvoir  obtenir  qu'on  nous  accordât  quelques 
heures  de  plus  que  six  heures  du  matin  du  4  ;  et  je 
lui  demandai  moi-même  qu'il  interposât  sa  médiation 
auprès  de  l'Empereur  et  Roi  pour  la  réussite.  Le  prince 
alla  de  sa  tente  à  celle  de  l'Empereur  pour  l'instruire 
de  ce  que  nous  venions  de  proposer.  Un  quart  d'heure 
après,  le  prince   revint;  et  nous  ayant  dit  que  Sa 

•  Celle  relation ,  que  nous  avons  fait  traduire  de  l'espagnol,  a  été 
publiée  pour  la  première  fois  par  M.  Martinez  de  la  Rosa,  dans 
son  grand  et  beau  travail  intitulé  :  Espiritu  del  Sigh.  'Madrid), 
t.  VII,  p.  9. 


—  308  — 

Majesté  Impériale  et  Royale  voulait  nous  recevoir  dans 
sa  tente,  nous  y  entrâmes. 

f(Sa  Majesté  nous  reçut  debout;  et  Morla,  ayant 
commencé  à  parler,  en  lui  demandant  bien  des  fois, 
prosterné  et  presque  à  genoux ,  qu'elle  traitât  Madrid 
avec  miséricorde,  et  qu'elle  accordât  quelque  trêve, 
Sa  Majesté  s'y  refusa  avec  des  gestes  continuels  et 
violents,  marchant  en  avant  et  en  arrière.  Ses  mou- 
vements se  multiplièrent  quand  Sa  Majesté  fit  atten- 
tion aux  prières  de  Morla,  qui  demandait  miséri- 
corde avec  les  mains  croisées,  tout  courbé,  et  avec  la 
tête  qui  touchait  presque  ses  pieds*.  Quoique  je  n'aie 
pas  vu  ses  larmes,  il  me  sembla  qu'elles  tombaient  de 
ses  yeux  et  qu'il  pleurait  effectivement,  d'après  le  ton 
de  sa  voix  et  ses  gémissements.  Moi,  plein  de  honte, 
confus  et  fâché  de  tant  d'humiliation  et  de  l'effet  que 
ces  gémissements  faisaient  sur  l'Empereur,  je  pris  le 
parti  de  parler  en  m'exprimant  en  ces  termes  :  «  Sire , 
«  frère  de  celui  qui  eut  le  bonheur  de  signer  la  paix 
«  de  Bâle  et  de  renouer  les  nœuds  des  deux  nations , 
«  qui  ne  devraient  jamais  être  séparées  l'une  de  l'au- 
{(  tre,  combien  je  m'estimerais  heureux  moi-même  si  je 
«  parvenais  à  obtenir  d'un  héros  tel  que  Votre  Majesté 
«  la  conservation  et  le  bien  de  la  ville  de  Madrid  î  » 
Sa  Majesté  m'interrompit ,  après  m'avoir  regardé 
lixement,  sans  doute  frappé  de  la  différence  de  style 
et  du  ton  avec  lesquels  je  m'exprimais,  ainsi  que 
par  le  souvenir  d'avoir  signé  la  paix  à  Bâle  avec  un 
frère  de  celui  qui  lui  parlait,  en  me  disant  :  «  Ce  peuple 
«  de  Madrid,  ce  peuple  qui  ose....  Je  sais  les  moyens 
«  qui  sont  préparés  et  dont  il  compte  se  servir;  mais 
t<  les  boulets  de  canon,  les  bombes,  prendront  le  de- 
(f  vant,  sans  exposer  un  seul  de  mes  soldats.  J'ai  as- 

'  L'expression  de  Morla,  d'un  ton  presque  larmoyant  fut;  «Sire,  ayez 
«  pitié  de  ce  peuple;  ayez  pitié  de  ce  peuple  !  » 


—  309  — 

(f  sez  de  munitions;  et,  au  surplus,  j'en  ai  trouvé  en 
«  grande  quantité  dans  votre  Retire  :  si  cela  ne  suffit 
«  pas  et  si  ce  peuple  s'obstine,  je  ferai  pratiquer  des 
«  mines,  et  je  réduirai  en  cendres  et  la  ville  et  tous  ses 
«  habitants....  Ce  peuple....  m  J'interrompis  Sa  Majesté, 
en  profitant  d'une  petite  pause  qu'elle  fit,  en  lui  disant: 
((  Sire,  Madrid  est-il  comparable  au  peuple  de  Paris 
{(  pendant  la  Révolution?  »  Sa  Majesté  me  répliqua  : 
«  Ce  peuple  est  bien  tranquille,  bien  asservi....  »  Et 
moi,  en  lui  répondant,  je  lui  dis  :  «  Ce  n'est  que  trop 
«  vrai.  ))  Ici,  ou  un  peu  auparavant.  Sa  Majesté  dit  avec 
violence  et  irritée  :  «  Et  vos  moines  !  ces  moines ,  je 
((  sais  comment  ils  agissent.  »Sans  doute,  Sa  Majesté 
savait  que  les  moines  allaient  ces  jours-là  par  les  rues, 
à  pied  et  achevai,  armés,  provoquant  le  peuple.  Je 
tâchai  de  calmer  l'Empereur,  en  lui  disant  que  parmi 
les  moines  il  y  en  avait  de  différentes  classes  :  quel- 
ques-uns imprudents  et  peu  réfléchis,  qui  se  laissaient 
entraîner  par  un  zèle  indiscret;  mais  que  la  plupart 
d'entre  eux  étaient  bons,  passant  le  temps  dans  leurs 
cellules,  leur  chapelet  à  la  main.  Ce  à  quoi  l'Empereur 
répliqua:  «  Avec  leurs  chapelets  à  la  main,  ils  vous 
«  commandent  en  maîtres.  »  Et  moi  je  lui  dis  :  «  Sire, 
((  ils  commandent  les  dévotes  et  des  hommes  faibles 
«  qui  leur  ressembleront;  mais  aucunement  la  partie 
((  des  hommes  sensés  de  la  nation  espagnole.  »  Alors 
l'Empereur  se  rejeta  sur  les  Anglais,  en  employant 
les  expressions  en  conséquence  et  qu'ils  méritent 
si  bien.  Je  me  tus;  car  je  pensais  (comme  j'ai  toujours 
pensé)  de  la  même  manière  que  l'Empereur  à  l'égard 
du  Cabinet  britannique. 

«Le  parti  est  pris,»  ajouta-t-il.  «Pas  un  seul 
Bourbon  ne  doit  rester  sur  aucun  trône.  »  Je  demandai 
à  Sa  Majesté  Impériale  et  Royale  qu'elle  daignât  accor- 
der quelques  heures  de  plus  que  celle  fixée  à  six  heures 


—  310  — 

du  matin  ;  et  puisque  Sa  Majesté  exigeait  que  la  Junte 
permanente  qui  était  convoquée  apaisât  le  peuple, 
je  lui  fis  observer  que  ceci  était  impossible  pendant  la 
nuit;  et  que  le  peuple  s'inquiéterait  davantage  si  Ton 
tirait  ces  individus  de  leur  lit,  où  ils  se  reposaient  des 
fatigues  de  la.  journée  :  «  Point  du  tout;  à  six  heures 
précises,  »  répliqua  l'Empereur,  sans  écouter  les  ré- 
flexions que  je  lui  fis ,  pour  nous  accorder  un  court 
délai  afin  d'instruire  la  Junte  de  la  crise  et  de  la  né- 
cessité où  se  trouvait  Madrid  de  capituler. 

J'osai  enfin  lui  dire  la  chose  la  plus  difficile  et  pres- 
que la  plus  téméraire,  savoir  :  Que  nous  avions  une 
autorité  déjà  reconnue,  et  que  nous  devions  compter 
sur  elle.  L'Empereur,  à  ce  moment,  fit  un  geste 
violent,  fixant  ses  yeux  sur  moi  ;  et  j'y  répondis  en  lui 
disant  :  «  Sire,  ce  n'est  pas  un  prétexte,  et  encore 
«  moins  un  délai  pour  attendre  une  réponse.  C'est 
«  uniquement  pour  remplir  notre  devoir  en  lui  faisant 
«  connaître  la  situation  où  nous  nous  trouvons.  C'est 
((  un  devoir  que  nous  devons  remplir;  et  je  me  flatte 
«  que  Votre  Majesté  Impériale  et  Royale  aura  plus  de 
((  confiance  dans  des  individus  qui  agissent  de  la  sorte 
«  que  dans  ceux  qui  agiraient  autrement.  ^)L'Empereur 
me  demanda  :  «  Et  quelle  est  cette  autorité  ?  »  Je  lui 
répondis  :  «  Sire ,  c'est  celle  de  la  Junte  centrale,  » 
L'Empereur  répliqua  :  «  La  Junte  centrale ,  composée 
«  de  membres....  Cette  Junte,  dont  le  président  est  ce 
«  Florida-Blanca,  ce  Florida-Blanca,  qui  a  été  de  tout 
«  temps  l'ami  dévoué  des  Anglais,  et  l'ennemi  juré  de 
«  la  France^  »  L'Empereur,  déjà  apaisé  après  ce  sou- 

'  Ces  paroles  amères  de  Napoléon  contre  Florida-Blanca,  se 
rapportent  à  une  circonstance  intéressante  et  qu'il  est  utile  de  faire 
connaître.  Un  négociateur  qui  a  légué  à  des  fils  dignes  de  lui  un 
des  beaux  noms  de  la  Diplomatie  française,  M.  de  Rayneval,  dont 
le  grand  Frédéric  avait  prédit  les  succès  dès  son  apparition  dans  le 
monde  politique ,  et  qui  jusqu'à  ses  derniers  jours  fut  consulté  par  les 


—  311  — 

lagement  contre  le  comte  de  Florida-Blànca ,  continua 
(l'un  ton  modéré ,  en  exprimant  ce  qu'il  offrait  en 
substance  en  faveur  de  la  ville  de  Madrid,  si  ses  ha- 
bitants se  conduisaient  bien  et  se  tranquillisaient. 
L'Empereur  offrit  donc  que  les  propriétés ,  les  habita- 


plus  illustres  personnages  de  l'Europe,  M.  de  Bayneval,  disons-nous,  à 
la  suite  d'un  conseil  que  lui  avait  demandé  le  grand-duc  de  Bade,  rela- 
tivement à  un  projet  de  Constitution,  avait  été  l'objet  d'une  mesure  in- 
juste de  la  part  de  Napoléon.  »  M.  d'HAUiERivE,  interpellé  sur  les  torts 
que  pouvait  avoir  M.  de  Bayneval  ,  avait  répondu  à  l'Empereur  :  a  On 
«  a  arrêté  violemment  M.  de  Bayneval;  cependant  il  n'a  commis  au- 
«  cun  délit  réel  et  n'a  jamais  pensé  à  offenser  l'Empereur.  D'ailleurs , 
«  en  saine  Diplomatie  ,  M.  de  Bayneval,  que  je  connais  depuis  vingt- 
«  quatre  ans,  mérite  la  mention  la  plus  honorée.  C'est  lui  qui,  en 
«  1763,  osa  demander  à  l'Angleterre  la  restitution  de  Gibraltar,  pris 
«  par  eux  sur  les  Espagnols,  en  4704,  et  qui  l'obtint.  »  Napoléon  re- 
leva vivement  la  tète  comme  un  Cid ,  et  interrompit  M.  d'HAUiERivE  : 
«  Eh  bien  ,  qu'est-il  arrivé  après?  —  Sire,  il  est  arrivé  que  Gibraltar 
«  allait  être  rendu.  Chaules  III  était  un  Castillan  enthousiaste:  ce  prince 
«  exultait;  il  s'apprêtait  à  étendre  jusqu'aux  extrémités  de  la  Péninsule 
€  ce  bras  lié  jusqu'alors  par  des  entraves  ;  mais  le  ministre  Florida- 
«  Blanca  ,  tenant  plus  à  une  mauvaise  possession  en  Amérique  qu'au 
«  bonheur  de  refaire,  tout  d'une  pièce,  l'Espagne  manchotte,  Florida- 
<  Blanca  ,  qui  n'était  pas  aussi  Castillan  que  son  maître ,  pourtant  ù\s 
«  d'un  Français,  renonça  à  une  telle  réparation. — C'est  beau  de  la  part  de 
«  la  France;  c'est  grand;  je  ne  savais  pas  cela.  Voilà  comme  on  sert 
«  ses  aUiés!  »  s'écria  Napoléon.  Le  lendemain  M.  de  Gassendi  ,  rap- 
porteur au  Conseil  d'État  dans  l'affaire  de  M.  de  Bayneval,  voulut  en 
entretenir  l'Empereur.  Mais  déjà  il  ne  se  souvenait  plus  de  Bade ,  ni 
môme  de  l'avis  donné  à  son  Prince  de  mieux  garder  ses  frontières,  et 
de  réclamer  plus  vivement  contre  une  violation  sans  excuse.  Napoléon 
ne  parlait  à  Gassendi  que  de  Gibraltar  redemandé,  obtenu  et  lâchement 
rendu  par  Florida-Blanca.  M.  de  Champagny,  à  la  porte  du  cabinet , 
désirait  remettre  un  rapport  pour  appuyer  la  révélation  de  M.  d'HAU- 
TERIVE  ;  Napoléon  défendit  qu'on  ouvrît  à  M.  de  Champagny,  et  M.  de 
Bayneval  recouvra  la  liberté.  «  Ce  mouvement  de  Napoléon  ,  ajoute 
un  biographe  ,  méritait  d'être  rappelé.  Sans  doute  il  pouvait  se  com- 
pliquer de  quelque  haine  contre  les  Anglais  ;  mais  on  n'en  doit  pas 
moins  rendre  hommage  à  ce  sentiment  qui  saisit  rapidement  les  faits 
et  les  droits,  et  à  cet  applaudissement  généreux,  qui  ne  sera  pas  dans 
l'histoire  des  services  de  M.  de  Bayneval  un  de  ses  moindres  litres  de 
gloire.  »  (Voy.  sur  la  négociation  relative  à  Gibraltar  les  explications 
que  nous  avons  données,  t.  IV,  p.  328  de  cette  Histoire  des  Traités.) 


—  31-2  — 

lions  et  la  vie  des  individus  seraient  respectées,  ainsi 
que  les  églises,  la  religion  catholique,  etc. ,  etc. 

«  L'Empereur  ajouta  que  nous  ne  devions  compter 
sur  aucun  secours,  parce  que  le  maréchal  Ney  avait 
mis  en  déroute  une  seconde  fois  l'armée  du  centre 
(avant  lui,  le  prince  de  Neufchâtel  l'avait  signifié  aussi 
à  la  Junte)  ;  et  que  si  nous  en  doutions ,  il  était  prêt  à 
délivrer  un  passe-port,  pour  s'en  convaincre,  à  l'offi- 
cier espagnol  qu'on  voudrait  désigner. 

«  Au  moment  de  sortir  de  l'audience,  et  tout  près 
de  la  tente  impériale,  MorlUf  effrayé  et  tremblant,  me 
dit  :  «  Moi,  mon  ami  Iriarte,  je  ne  rentre  pas  à  Ma- 
(f  drid.  »  La  crainte  d'être  mal  reçu  par  le  peuple,  qui 
nous  avait  vus  partir,  l'intimida.  Moi,  d'un  ton  résolu, 
je  lui  répliquai  :  «  Eh  bien,  si  fait  moi  j  que  sommes- 
«  nous  venus  faire?  Je  vais  prendre  mon  cheval.  » 
Alors  nous  montâmes  sur  les  chevaux,  et  nous  des- 
cendîmes à  la  porte  même  de  l'hôtel  des  postes ,  d'où 
nous  étions  sortis,  sans  rencontrer  à  peine  de  monde. 
Plus  tard ,  je  regrettai  de  ne  pas  avoir  dit  à  Morla,  en 
approuvant  sa  prudence  :  «  Oui ,  à  la  bonne  heure , 
f(  restez  ici  ;  j'irai  rendre  compte  à  la  Junte  du  résultat 
((  de  notre  mission.  »  Il  eût  été  vraiment  étrange  de 
me  voir  rentrer  tout  seul,  sans  mon  collèg\te,  et  ra- 
conter à  la  Junte  notre  double  entrevue. 

Nous  mîmes  en  conséquence  la  Junte  au  courant  du 
résultat,  et  l'on  procéda  à  la  convocation  des  conseils, 
de  la  municipalité,  des  prélats,  etc.  » 

Les  menaces  de  Napoléon,  que  venaient  de  rappor- 
ter les  parlementaires,  et  les  invitations  des  magistrats, 
les  prières  des  notables,  et  par-dessus  tout  les  mœurs 
d'une  "grande  ville  déterminèrent  enfin  le  peuple  à 
abandonner  la  résolution  d'une  défense.  Le  4  décem- 
bre, à  dix  heures  du  matin,  la  ville  de  Madrid  fut 
remise  aux  troupes  françaises. 


—  ma  — 

Le  même  jour,  Napoléon  rendit  plusieurs  décrets, 
dont  voici  les  principales  dispositions  : 

1°  Le  tribunal  de  l'Inquisition  est  aboli,  comme 
attentatoire  à  la  souveraineté  et  à  l'autorité  civile. 

2°  Le  nombre  des  couvents  actuellement  existants 
en  Espagne  est  réduit  au  tiers ,  et  jusqu'à  ce  que  cette 
réduction  soit  obtenue,  il  ne  sera  fait  aucune  admis- 
sion au  noviciat;  les  ecclésiastiques  réguliers  pourront 
renoncer  à  la  vie  commune,  et  vivre  en  ecclésias- 
tiques séculiers. 

3"  Tous  droits  féodaux,  toute  redevance  person- 
nelle, tous  droits  exclusifs,  etc.,  sont  supprimés ,  et 
abolis  en  Espagne. 

4°  Les  barrières  existantes  de  province  à  province 
sont  supprimées,  et  les  douanes  transportées  aux 
frontières. 

Napoléon  ne  jouit  pas  d'un  long  repos  dans  sa  nou- 
velle résidence.  Le  25  septembre,  Jolm  Moore,  qui 
commandait  une  division  de  l'armée  anglaise  en  Por- 
tugal ,  eut  ordre  de  se  mettre  à  la  tête  de  vingt  mille 
hommes  pour  marcher  au  secours  des  Espagnols,  en 
se  réunissant  à  quinze  mille  hommes  de  troupes  fraî- 
ches, commandées  par  Baird,  qui  furent  envoyées  à 
la  Corogne.  Ces  troupes  étant  arrivées  le  13  octobre  ', 
Moore  se  mit  en  marche,  le  27 ,  de  Lisbonne.  Il  ar- 
riva, le  13  novembre,  à  Salamanque,  et  opéra,  le 
20  décembre ,  sa  jonction  complète  avec  Baird  à  Sahu- 
gan.  On  assure  que  le  plan  de  cette  expédition  avait 
été  combiné  par  lord  Castlereagh  et  le  marquis  de 
la  Romanay  sur  de  fausses  données  quant  à  la  force 
et  à  la  composition  des  armées  espagnoles,  et  qu'il 
n'avait  pas  été  communiqué  à  sir  /Mo  Dalrymplef  ni 

'  Elles  ne  purent  débarqiierque  le31,faufpd'unordrede  la  Junte  cen- 
trale de  Madrid. 


^  314  — 

même  au  général  Mûore,  avant  qu'il  reçût  l'ordre  de 
l'exécuter.  On  avait  aussi  cru  inutile  de  consulter  la 
Junte  centrale  ou  les  juntes  provinciales.  Il  paraît  que 
sir  John  Moorey  qui  ne  pouvait  s'empêcher  d'obéir  à 
des  ordres  supérieurs,  désapprouvait  le  plan  de  cette 
opération.  11  fut  si  mal  servi  par  les  Espagnols,  qu'on 
lui  cacha  même,  par  une  fausse  politique,  les  événe- 
ments qui  s'étaient  passés  à  Madrid  j  et  il  ne  les  apprit 
que  le  14  décembre.  Le  20  de  ce  mois.  Napoléon 
quitta  cette  ville  avec  quarante  mille  hommes  pour 
marcher  au  secours  de  Soult ,  menacé  par  Moore.  Ce- 
lui-ci se  retira  alors  sur  la  Corogne  ;  son  armée ,  exas- 
pérée contre  les  Espagnols,  commit  dans  cette  re- 
traite, d'affreux  désordres.  Napoléon,  dans  sa  marche 
sur  Astorga,  serrant  de  près  l'armée  ennemie,  reçut 
un  courrier  porteur  de  dépêches  de  M.  de  Champagny, 
par  lesquelles  ce  ministre  l'informait  des  événements 
qui  se  préparaient  en  Allemagne;  ces  nouvelles  l'en- 
gagèrent à  remettre  le  commandement  de  l'armée  au 
maréchal  Soult ,  et  à  partir  pour  Paris,  où  il  arriva 
le  23  janvier  1809. 

L'armée  anglaise  atteignit,  le  14  janvier,  la  Corogne 
où  elle  devait  être  embarquée  :  arrêtée  dans  cette  opé- 
ration par  défaut  d'embarcations,  elle  fut  jointe  par 
Soult  qui  l'attaqua,  le  16  janvier,  près  de  la  Corogne. 
John  Moore  y  un  des  capitaines  les  plus  distingués  de 
l'Angleterre,  et  auquel  cette  retraite  fit  le  plus  grand 
honneur,  fut  tué  dans  cette  action.  Les  Anglais  éprou- 
vèrent une  perte  considérable  ;  mais  ils  effectuèrent 
leur  embarquement  les  17  et  18  janvier.  La  Corogne 
se  rendit  le  19;  le  lendemain,  le  maréchal  Soult  y  fit 
son  entrée,  et  ayant  la  fin  du  mois,  il  acheva  la  con- 
quête de  la  Galice. 

L'opération  militaire  dont  nous  venons  de  parler  a 
été  hautement  blâmée  par  les  hommes  de  guerre  :  on  a 


—  31.5  — 

reproché  au  ministre  anglais  de  l'avoir  ordonnée;  mais 
on  a  rendu  justice  à  la  manière  dont  Moore  l'exécuta. 
Elle  coûta  aux  Anglais  six  mille  hommes,  autant  de 
chevaux,  et  une  quantité  considérable  d'effets  mili- 
taires; mais  elle  fut  de  la  plus  grande  utilité  à  l'Espa- 
gne. Elle  força  les  Français  d'ajourner  la  conquête  du 
midi  de  ce  royaume,  ruina  leurs  équipages,  diminua 
leur  nombre,  et  les  fatigua  au  point  que,  pendant 
plusieurs  mois,  ils  ne  purent  entreprendre  rien  d'im- 
portant. 

On  était  déjà  presque  sûr  en  Angleterre  de  la  mal- 
heureuse issue  de  l'expédition  de  Moore,  lorsque  le 
ministère,  pour  relever  le  courage  des  Espagnols,  con- 
clut avec  eux  une  intime  alliance.  Le  traité  fut  signé 
à  Londres  le]  U  janvier  \S09f  par  M.  Canning,  au  nom 
de  la  Grande-Bretagne,  et  par  don  Juan  Ruiz  de  Apo- 
daca,  pour  la  Junte  suprême  d'Espagne  et  des  Indes, 
agissant  au  nom  de  Ferdinand  VII.  Il  se  compose  da 
cinq  articles. 

Il  y  aura  entre  le  roi  du  royaume-uni  de  la  Grande- 
Bretagne  et  d'Irlande,  et  Ferdinand  VU,  ainsi  qu'en- 
tre tous  leurs  royaumes  et  États,  une  paix  chrétienne, 
durable  et  inaltérable,  amitié  éternelle  et  sincère,  et 
une  alliance  intime  pendant  la  guerre  :  il  y  aura  oubli 
total  de  toutes  les  hostilités  commises  à  la  dernière 
guerre.  Art.  1 . 

Varticle  2  règle  tout  ce  qui  concerne  les  prises 
faites  après  la  déclaration  du  4  juillet  1 808. 

Sa  Majesté  Britannique  s'engage  à  assister  de  toutes 
ses  forces  la  nation  espagnole  dans  sa  lutte  avec  la 
France ,  et  promet  de  ne  reconnaître  aucun  autre  roi 
d'Espagne  et  des  Indes,  que  Ferdinand  VII  et  ses  héri- 
tiers, ou  tel  autre  que  la  nation  espagnole  reconnaî- 
trait, tandis  que  le  gouvernement  espagnol  s'engage 
à  ne  céder,  en  aucun  cas,  aucune  portion  du  terri- 


—  310  — 

toire  ou  des  possessions  de  la  monarchie  d'Espagne 
dans  aucune  partie  du  monde.  Art.  3. 

Les  parties  contractantes  sont  convenues  de  faire 
cause  commune  contre  la  France,  et  de  ne  conclure 
la  paix  avec  cette  puissance  que  de  concert  et  d'un 
commun  accord.  Art.  A. 

Le  cinquième  article  stipule  l'époque  des  ratifications. 

Un  premier  article  séparé  oblige  le  gouvernement 
espagnol  à  prendre  les  moyens  les  plus  eflicaces  pour 
empêcher  que  les  escadres  espagnoles,  dans  les  ports 
d'Espagne,  ainsi  que  l'escadre  française,  prise  au 
mois  de  juin  dans  le  port  de  Cadix,  ne  tombent  au 
pouvoir  de  la  France,  et  la  Grande-Bretagne  promet 
de  coopérer  à  ce  but. 

Un  second  article  séparé  statue  qu'il  sera  négocié  un 
traité  qui  déterminera  le  montant  des  forces  auxi- 
liaires à  fournir  par  la  Grande-Bretagne,  en  vertu  de 
l'article  3. 

Enfin  un  article  additionnel  parle  des  intérêts  du 
commerce  qui,  suivant  une  coutume  fort  sage,  ne 
sont  jamais  oubliés  dans  les  transactions  politiques 
de  la  Grande-Bretagne.  On  se  promet  de  négocier  un 
traité  de  commerce,  aussitôt  que  les  circonstances 
le  permettront,  et,  en  attendant,  de  procurer  au  com- 
merce des  sujets  respectifs  toutes  les  facilités  possi- 
bles pour  autant  qu'elles  reposent  sur  la  base  de  la 
réciprocité  *. 


C'est  ici  que  se  termine  la  première  période  de 
l'histoire  du  détrônement  de  la  maison  royale  d'Espa- 
gne. On  a  vu  qu'un  mois  de  campagne  avait  suffi  pour 
que  la  capitale  du  royaume  fût  conquise,  en  même 
temps  que  les  armées  étaient  dispersées.  Cependant 

*  Martens,  Recueil,  t.  XII,  p.  463. 


—  317  — 

jamais  de  si  grands  résultats  n'avaient  eu  si  peu  de 
portée.  Dans  le  cercle  que  renfermaient  les  baïonnettes, 
on  cédait  à  la  force.  Mais  au  delà,  pas  une  ville  n'ou- 
vrait ses  portes.  Pas  un  seul  acte  de  soumission;  par- 
tout un  enthousiasme  sombre,  une  exaltation  prête  à 
tous  les  sacrifices.  Napoléon  publiait  des  amnisties; 
on  les  dédaignait,  et  l'insurrection  tirait  de  nouvelles 
forces  des  fautes  mêmes ,  des  défauts  d'organisation 
qui  avaient  facilité  les  triomphes  de  la  grande  armée. 

Et  cependant  la  Junte  centrale  n'avait  pu  saisir  le 
pouvoir  dictatorial  ;  elle  n'avait  pu  même  songer 
à  mettre  de  l'unité  dans  la  défense,  à  nommer  un 
général  en  chef  et  à  amalgamer  les  forces  fournies  par 
les  diverses  provinces.  Les  armées  se  composaient 
donc  :  l'une  d'Aragonnais,  de  Valenciens,  d'Andalous; 
l'autre  de  Galiciens,  d'Asturiens,  de  Basques;  tous 
conservant  leurs  drapeaux,  leurs  rivalités;  tous  com- 
mandés par  des  généraux  qui,  n'étant  point  conte- 
nus par  la  main  de  fer  d'un  pouvoir  suprême,  se 
livraient,  en  présence  même  du  danger,  aux  passions, 
aux  mésintelligences  qui  troublaient  le  bon  accord  de 
leurs  troupes. 

De  là,  la  promptitude  des  généraux  français  à  gagner 
des  batailles  où  l'on  a  peine  à  saisir  quelques  traits 
saillants.  Mais,  après  ces  batailles,  les  vaincus,  de  re- 
tour dans  leurs  provinces,  formèrent  l'élément  d'une 
défense  plus  concentrée  et  plus  opiniâtre.  Ainsi  les 
Aragonnais ,  qui  n'avaient  pu  résister  à  Tudela , 
secondés  par  les  Andalous  et  les  Valenciens ,  se  ré- 
fugièrent dans  Saragosse%  ville  ouverte  où  ils  sou- 

'  Il  existait  à  Saragosse  un  parti  qui  appelait  l'archiduc  Charles  au 
trône  d'Espagne.  On  trouve  à  l'égard  de  ce  parti  autrichien  des  insinua- 
tions assez  directes  dans  la  correspondance  de  l'ambassadeur  d'Espagne 
a  Vienne,  don  Eusebio  Bakdaxi  et  Azara  ,  avec  le  comte  de  Met- 
TERMCH.  Voyez  l'ouvrage  précité  de  AI.  Marti >ez  de  la  Rosa,  Espiritu 
del  Siglo. 


—  318  — 

tinrent  un  siège  qui  rappelle  les  souvenirs  de  Numance 
et  de  Sagonte.  Si  jamais  Napoléon  a  mesuré,  avec  un 
sentiment  de  doute,  l'étendue  de  la  tâche  qu'il  s'était 
imposée,  ce  dut  être,  lorsque  maître  de  Madrid,  il  vit 
surgir  sur  ses  pas  une  Vendée,  aux  proportions  de  treize 
millions  d'âmfes  et  de  vingt-sept  mille  lieues  carrées. 
A  cette  heure  néanmoins ,  la  prédiction  faite  aux 
parlementaires  espagnols  était  accomplie.  «  Pas  un 
seul  Bourbon  ne  doit  rester  sur  aucun  trône,  »  avait  dit 
Napoléon;  et,  en  effet,  tous  les  Bourbons  étaient  préci- 
pités du  trône.  Jusqu'à  présent  on  n'avait  expulsé  de 
leurs  États  que  des  rois  ennemis.  L'Espagne  devait 
fournir  la  preuve  que  les  souverains  amis  et  alliés 
n'étaient  pas  plus  assurés  des  leurs.  «  C'est  qu'il  y  a 
une  Némésis  de  l'histoire,  a  dit  un  brillant  écrivain', 
qui  ne  manque  jamais  d'infliger  un  châtiment  sévère 
aux  faiblesses  et  aux  iniquités  ;  et  sans  confondre  la 
morale  avec  la  politique ,  on  peut  affirmer  que  les  ini- 
quités dont  la  marche  des  événements  a  été  mêlée,  sont 
toujours  revenues,  avec  une  élasticité  terrible,  frapper 
le  peuple  qui  les  avait  commises.  »  Ainsi  Charles  IV,  par 
une  impardonnable  faiblesse,  avait  contribué  à  chasser 
son  frère,  sa  fille  et  son  gendre  :  le  tour  de  son  expul- 
sion était  maintenant  venu.  Remplacé  par  un  fils  que 
lui  préfèrent  ses  peuples  j  attiré  dans  le  piège  avec 
toute  sa  famille  par  le  ravisseur  des  trônes,  et  privé 
de  la  liberté  en  même  temps  que  de  la  couronne,  ce 
prince  et  sa  maison  devaient  réaliser  aux  yeux  de  l'u- 
nivers étonné,  ces  fictions  par  lesquelles  la  scène  tra- 
gique retraçait  depuis  longtemps  les  fautes  et  les  mal- 
heurs des  races  royales  de  l'antiquité. 

*  M.  Philarète  Chasles. 


riN. 


NOTES  ET  DOCUMENTS\ 


I. 

Page  96. 


Extrait  du  traité  de  paix  et  d'alliance ,  entre  0.  Cromwell  et 
Jean  /F,  roi  de  Portugal^  du  Id  juillet  1654  *. 

tbaodction. 

Abt.  18. 

Il  est  permis  aux  peuples  et  sujets  de  l'uue  des  deux  parties 
contractantes,  d'entrer  et  de  séjourner  dans  les  ports  de  l'au- 
tre, et  d'en  sortir  librement,  non-seulement  avec  des  bâtiments 
marchands  et  de  transport ,  mais  même  avec  des  vaisseaux  de 
guerre  armés,  pour  repousser  les  forces  ennemies,  soit  qu'ils  y 
aient  été  poussés  par  la  tempête,  soit  qu'ils  s'y  présentent  pour 
se  radouber  et  s'y  approvisionner,  pourvu  toutefois  qu'ils  n'ex- 
cèdent pas  le  nombre  de  six  vaisseaux  de  guerre,  et  qu'ils  ne 
séjournent  pas  dans  les  ports  ou  sur  les  côtes  plus  longtemps 
qu'il  ne  sera  nécessaire,  dans  la  crainte  d'alarmer  le  commerce 
des  autres  nations  alliées  et  amies  ;  et,  s'il  arrivait  qu'un  nom- 
bre extraordinaire  de  vaisseaux  se  présentât  devant  ces  ports, 
sans  avoir  préalablement  obtenu  une  permission  de  la  puis- 
sance à  laquelle  ces  ports  appartiendraient,  il  ne  leur  sera  per- 
mis d'y  entrer  qu'autant  qu'ils  y  seront  forcés  par  la  violence 
de  la  tempête  ou  par  quelque  autre  nécessité  urgente,  pour  se 
soustraire  aux  périls  de  la  mer  et  du  naufrage  :  dans  ce  cas, 
ils  feront  connaître  sur-le-champ  au  commandant  ou  au  magis. 
trat  supérieur  de  ce  lieu ,  la  cause  de  leur  arrivée,  et  ils  n'y  sé- 
journeront que  le  temps  que  ledit  commandant  ou  magistrat 
leur  aura  accordé ,  évitant,  durant  leur  séjour,  toutes  les  ac- 
tions hostiles  qui  pourraient  porter  préjudice  à  ladite  républi- 
que ou  audit  roi. 

'  Le  texte  des  pièces  ci-après  relatées  est  fsaciement  conforme  au  texte  d« 
l'édition  de  Vimprimerie  impériale, 
'  Becueil  de  Dumont,  vol.  VI,  p.  81  de  la  deuxième  paille. 


—  320 


Art.  19. 


Il  est  stipulé  que,  ni  ladite  république,  ui  le  roi,  ne  pourront 
permettre  que  les  vaisseaux  et  marchandises  appartenant  à 
l'une  des  deux  puissances  ou  à  ses  sujets,  qui  auront  été  cap- 
turés, en  quelque  temps  que  ce  soit,  par  les  ennemis  de  l'autre 
ou  ses  rebelles,  et  transférés  dans  les  ports  ou  pays  soumis  à 
l'autorité  de  Tune  d'elles ,  soient  vendus  au  préjudice  de  leurs 
maîtres  ou  propriétaires;  mais  ils  seront  rendus  à  ces  proprié- 
taires ou  à  leurs  fondés  de  procuration,  pourvu  qu'ils  justifient 
leur  droit  de  propriété  sur  lesdils  vaisseaux  ou  marchandises, 
avant  qu'ils  soient  vendus  et  déchargés,  et  qu'ils  produisent  les 
preuves  de  leur  propriété ,  dans  le  cours  de  trois  mois  après 
l'entrée  desdits  vaisseaux  et  marchandises,  et  que,  dans  le 
même  espace  de  temps ,  ces  propriétaires  payent  et  acquittent 
les  frais  de  la  conservation  et  de  la  garde  desdits  vaisseaux  et 
marchandises. 

.  23. 

Il  est  également  stipulé  que  les  biens  et  marchandises  appar- 
tenant à  ladite  république  et  au  roi,  et  à  leurs  peuples  et  sujets 
respectifs,  qui  auront  été  trouvés  à  bord  des  bâtiments  ennemis 
de  l'une  ou  l'autre  puissance ,  pourront  être  confisqués  avec  ces 
bâtiments,  et  vendus  publiquement  ;  mais  que  tous  les  biens  et 
marchandises  appartenant  aux  ennemis  de  l'une  ou  de  l'autre 
puissance ,  et  qui  auront  été  chargés  sur  des  vaisseaux  appar- 
tenant à  l'une  ou  à  l'autre,  ou  à  leurs  peuples  et  sujets  respec- 
tifs, resteront  intacts. 


II. 

Page  96. 

Extrait  du  traité  de  paix  et  de  commerce  conclu  entre  la  France 
et  l'Angleterre,  le  3  novembre  1655  '. 

Art.  15. 

En  attendant  qu'on  puisse  établir  quelque  chose  de  certain 
pour  empêcher  les  désordres  qui  pourraient  arriver  sur  mer,  a 

'  Léonard,  t.  V,  p.  63. 


—  321  — 

clé  convenu  que  durant  quatre  ans,  à  compter  du  jour  de  la  ra- 
tification du  présent  traité ,  les  navires  appartenant  aux  sujets 
et  peuples  de  part  et  d'autre,  qui  trafiqueront  sur  la  mer  Médi- 
terranée ou  du  Levant,  ou  sur  l'Océan ,  seront  libres  et  rendront 
leur  charge  libre,  bien  qu'il  y  eût  dedans  de  la  marchandise, 
même  des  grains  et  légumes,  appartenant  aux  ennemis  de  l'un 
ou  de  l'autre  ;  sauf  et  excepté  toutefois  les  marchandises  de 
contrebande,  à  savoir  :  poudre,  mousquets  et  toute  sorte  d'ar- 
mes, munitions,  chevaux  et  équipages  servant  à  la  guerre; 
même  ne  pourront  transporter  des  hommes  pour  le  service  des 
ennemis;  auquel  cas,  tant  les  navires  que  marchandises  et 
équipages  seront  de  bonne  prise,  ce  qui  sera  aussi  sévèrement 
exécuté  contre  ceux  qui  transporteront  des  hommes,  blés  et 
vivres,  dans  une  place  assiégée  par  l'un  ou  par  l'autre. 

Art.   22. 

Les  peuples  et  habitants  de  ladite  république  pourront  sûre- 
ment et  librement  naviguer  et  trafiquer  dans  les  royaumes, 
pays  et  lieux  qui  sont  en  paix,  amitié  ou  neutralité  avec  elle,  et 
il  ne  leur  sera  donné  aucun  trouble  ni  empêchement  par  les 
navires  ou  sujets  dudit  Roi,  encore  qu'il  y  eût  inimitié  et  hosti- 
lités entre  Sa  Majesté  et  ces  royaumes,  pays  et  lieux,  ou  aucun 
d'iceux.  Le  même  sera  observé  de  la  part  de  la  république  en- 
vers les  sujets  et  peuples  de  France,  pourvu  que  ledit  trafic  ne 
se  fasse  en  aucun  port  ou  ville  assiégée  par  l'un  ou  par  l'autre 
des  confédérés,  et  pourvu  que  ni  l'un  ni  l'autre,  leurs  sujets  et 
peuples ,  ne  transportent  des  marchandises  de  contrebande 
dans  lesdits  royaumes,  pays  et  lieux  qui  sont  en  inimitié  et  hos- 
tilité avec  l'un  ou  l'autre;  à  la  charge  aussi  que  l'article  15, 
touchant  les. marchandises  défendues  ou  de  contrebande,  et  les 
villes  ou  places  assiégées,  sera  observé  de  part  et  d'autre. 


XI  21 


—  322  — 

III. 

Page  96. 

TRADUCTION. 

Traité  de  commerce  entre  Charles  II,  roi  d' Angleterre ,  et  les 
Provinces-Unies  des  Pays-Bas ,  fait  à  la  Haye,  le  17  fé- 
vrier 1668  *. 

Article  premier. 

11  sera  permis  aux  sujets  et  habitants  de  la  Grande-Bretagne 
de  naviguer  et  de  commercer  en  pleine  liberté  et  sécurité  dans 
tous  les  royaumes,  pays,  États  avec  lesquels  la  Grande-Breta- 
gne est  ou  sera  en  état  de  paix,  d'amitié  ou  de  neutralité;  et  ils 
ne  seront  troublés,  dans  cette  liberté,  par  aucuns  vaisseaux  de 
guerre,  galères,  corvettes  ou  autres  bâtiments  appartenant  aux 
Provinces-Unies  ou  à  leurs  sujets,  quand  même  la  guerre  vien- 
drait à  s'allumer  entre  lesdites  Provinces-Unies,  d'une  part,  et 
de  l'autre,  lesdits  royaumes,  pays  ,  États  alliés  à  la  Grande- 
Bretagne,  ou  respectant  la  neutralité  à  son  égard. 

Art.  2. 

Cette  liberté  de  naviguer  et  de  commercer  s'étendra  à  toutes 
les  espèces  de  marchandises,  excepté  seulement  celles  qui  sont 
déclarées  de  contrebande. 

Art.  3. 

Dans  ce  nombre ,  sont  comprises  seulement  les  armes  à  feu 
de  tout  genre  et  celles  qui  y  ont  rapport ,  comme  les  canons, 
bombes ,  mortiers ,  pétards,  grenades,  saucissons,  affûts,  pou- 
dre à  canon,  mèches,  salpêtre,  balles,  lances,  épées,  casques, 
cuirasses,  haches,  chevaux,  harnais,  fourreaux  de  pistolet,  gi- 
bernes, baudriers,  et  autres  ustensiles  façonnés  pour  la  guerre, 
et  appelés  généralement  en  français  assortiments  servant  à 
l'usage  de  la  guerre. 

Art.  4. 

Dans  le  nombre  des  marchandises  prohibées  ne  seront  pas 
compris  le  blé ,  le  froment ,  ni  les  autres  grains  et  légumes, 

'  Extrait  du  Corps  universel  diplomatique  du  Droit  des  gens ,  par  Du- 
MONT,  t.  VII,  p.  74. 


—  323  — 

l'huile,  le  vin ,  le  sel ,  ni  en  général  les  provisions  et  denrées  ; 
mais  tous  les  objets  ainsi  que  toutes  les  marchandises  qui  ne 
sont  pas  spécifiés  dans  l'article  précédent,  seront  entièrement 
libres,  et  il  sera  permis  de  les  transporter  dans  les  lieux  appar- 
tenant aux  ennemis  des  Provinces-Unies ,  excepté  seulement 
les  villes  et  les  lieux  bloqués  ou  investis. 

Art.  5, 

Mais,  afin  que  ces  stipulations  soient  observées  convenable- 
ment et  avec  ordre ,  il  est  convenu  que  les  vaisseaux  et  bâti- 
ments anglais  qui,  ayant  de  ces  marchandises  à  bord,  entreront 
dans  les  ports  des  Provinces-Unies  pour  se  rendre  ensuite  dans 
les  lieux  ennemis  desdites  provinces,  seront  tenus  de  présenter 
aux  officiers  de  ces  ports,  des  passe-ports  qui  contiennent  l'in- 
dication des  marchandises  qui  composeront  leur  cargaison,  et 
dont  l'état  aura  été  approuvé  et  signé  du  sceau  ordinaire  par 
les  officiers  des  cours  maritimes  ou  de  l'amirauté  des  lieux 
d'oîi  ils  auront  mis  à  la  voile ,  avec  la  désignation  du  lieu  de 
leur  destination,  le  tout  dans  la  forme  ordinaire  et  accoutu- 
mée; et,  après  l'exhibition  de  ces  passe-ports,  ces  vaisseaux 
ne  pourront  être  détenus,  gênés,  empêchés,  sous  quelque  pré- 
texte que  ce  soit,  de  continuer  leur  route. 

Art.  6. 

Les  vaisseaux  et  bâtiments  anglais  qui  se  tiendraient  dans 
les  mouillages  des  côtes  des  Provinces-Unies ,  mais  qui  n'au- 
ront pas  le  dessein  d'entrer  dans  les  ports  ou  d'y  débarquer 
leurs  marchandises,  ne  seront  pas  tenus  de  rendre  compte  de 
leurs  cargaisons,  à  moins  qu'on  ne  les  soupçonne  de  porter  à 
l'ennemi  des  marchandises  de  contrebande ,  comme  il  a  déjà 
été  dit. 

Art.  7. 

Dans  ce  cas  de  soupçon  légitime ,  les  sujets  du  roi  de  la 
Grande-Bretagne  seront  tenus  d'exhiber  leurs  passe-ports  dans 
la  forme  qui  vient  d'être  désignée. 

Art.  8. 

Que  s'ils  s'approchaient  des  côtes  et  étaient  rencontrés  au 
large  par  des  bâtiments  appartenant  soit  aux  Provinces-Unies, 
soit  à  ceux  de  leurs  sujets  qui  les  auraient  équipés  à  leurs 


—  324  — 

frais,  mais  avec  un  diplôme  public  ,  afin  de  prévenir  tout  in- 
convénient, ces  vaisseaux  des  Provinces-Unies  ou  de  leurs  su- 
jets n'approcheront  pas  des  vaisseaux  anglais;  mais,  se  tenant 
hors  de  la  portée  du  canon ,  ils  pourront  mettre  à  la  mer  une 
chaloupe  ,  et  monter,  avec  deux  ou  trois  hommes  seulement, 
à  bord  des  vaisseaux  anglais,  pour  se  faire  représenter  par  le 
commandant  .ou  maître  du  vaisseau  les  passe-poris  ci-dessus 
spécifiés,  ainsi  que  les  lettres  de  marque  constatant  la  pro- 
priété du  navire ,  conformément  à  un  formulaire  qui  sera  joint 
à  ce  traité,  afin  de  s'assurer  de  la  cargaison,  et  en  même  temps 
du  nom  et  du  domicile  du  maître  ou  commandant ,  ainsi  que 
du  nom  du  navire;  de  vérifier,  par  ce  double  moyen,  s'ils  ne 
portent  pas  à  l'ennemi  des  marchandises  prohibées,  et  de  con- 
naître l'état  du  navire  et  de  son  maître  ou  commandant.  Ces 
passe-ports  et  lettres  obtiendront  une  pleine  confiance;  mais, 
pour  (ju'il  ne  reste  aucun  doute  sur  leur  authenticité,  on  y  em- 
ploiera de  certains  caractères ,  signes  et  sceaux  du  Roi  et  des 
Provinces-Unies. 

Art.  9. 

Si,  dans  les  vaisseaux  ou  bâtiments  anglais,  qui  feraient 
voile  vers  des  ports  ennemis  des  Provinces-Unies,  on  décou- 
vrait, par  les  moyens  ci-dessus  énoncés,  des  marchandises  pro- 
hibées ou  de  contrebande,  on  les  retirerait  de  ces  vaisseaux, 
et  on  les  mettrait  en  vente  en  présence  et  par  l'autorité  des 
juges  maritimes  ou  autres  compétents ,  sans  que  toutefois  ni  le 
vaisseau ,  ni  les  autres  marchandises  non  prohibées  qui  s'y 
trouveraient  puissent  être  vendus  ou  confisqués. 

Art.  10. 

11  est  convenu  en  outre  que  toute  marchandise  chargée  par 
les  sujets  du  roi  de  la  Grande-Bretagne  sur  des  vaisseaux  en- 
nemis des  Provinces-Unies ,  quand  même  elle  ne  serait  pas 
comprise  au  nombre  des  marchandises  de  contrebande,  sera 
condamnée  et  confisquée  avec  toutes  les  autres  marchandises  qui 
se  trouveraient  dans  le  même  vaisseau  ,  sans  exception  quel- 
conque. Au  contraire,  tout  ce  qui  sera  saisi  dans  les  vaisseaux 
appartenant  aux  sujets  du  roi  de  la  Grande-Bretagne  ,  quoique 
chargés  en  tout  ou  en  partie  par  les  ennemis  des  Provinces- 
Unies  ,  sera  libre  et  intact ,  à  l'exception  des  marchandises 
prohibées,  dont  l'examen  se  fera  conformément  aux  règlcb 
établies  dans  les  paragraphes  précédents. 


—  325  — 

IV. 

Page  97. 

Extrait  du  traité  de  commerce ,  signé  à  f'frecht,  te  1\  avril 
1713,  entre  la  France  et  V Angleterre. 

Art.   17. 

Il  sera  permis  à  tous  les  sujets  du  Roi  Très-Ch rélien ,  et  de 
la  reine  de  la  Grande-Bretagne ,  de  naviguer  avec  leurs  vais- 
seaux, en  toute  sûreté  et  liberté,  et  sans  distinction  de  ceux  à 
qui  les  marchandises  de  leur  chargement  appartiendront,  de 
quelque  port  que  ce  soit,  dans  les  lieux  qui  sont  déjà  ou  qui 
seront  ci-après  en  guerre  avec  le  Roi  Très-Chrétien,  ou  avec  la 
reine  de  la  Grande-Bretagne.  11  sera  aussi  permis  auxdits  su- 
jets de  naviguer  et  de  négocier  avec  leurs  vaisseaux  et  mar- 
chandises, avec  la  même  liberté  et  sûreté,  des  lieux,  ports  et 
endroits  appartenant  aux  ennemis  des  deux  parties  ou  de  l'une 
d'elles,  sans  être  aucunement  inquiétés  ni  troublés,  et  d'aller 
directement,  non-seulement  desdits  lieux  ennemis  à  un  lieu 
neutre,  mais  encore  d'un  lieu  ennemi  à  un  autre  lieu  ennemi, 
soit  qu'ils  soient  sous  la  juridiction  d'un  même  ou  de  diffé- 
rents princes  ;  et  comme  il  a  été  stipulé ,  par  rapport  aux  na- 
vires et  aux  marchandises  ,  que  les  vaisseaux  libres  rendront 
les  marchandises  libres,  et  que  l'on  regardera  comme  libre 
tout  ce  qui  sera  trouvé  sur  les  vaisseaux  appartenant  aux  su- 
jets de  l'un  et  de  l'autre  royaume,  quoique  tout  le  chargement 
ou  une  partie  du  chargement  appartienne  aux  ennemis  de  Leurs 
Majestés,  à  l'exception  cependant  des  marchandises  de  contre- 
bande, lesquelles  étant  interceptées,  il  sera  procédé  conformé- 
ment à  l'esprit  des  articles  suivants  ;  de  même,  il  a  été  convenu 
que  cette  môme  liberté  doit  s'étendre  aussi  aux  personnes  qui 
naviguent  sur  un  vaisseau  libre,  de  manière  que,  quoiqu'elles 
soient  ennemies  des  deux  parties  ou  de  l'une  d'elles,  elles  ne 
seront  point  tirées  du  vaisseau  libre,  si  ce  n'est  que  ce  fussent 
des  gens  de  guerre  actuellement  au  service  desdils  ennemis. 

Aai.  18. 

Cette  liberté  de  navigation  et  de  commerce  s'étendra  à  toute 
sorte  de  marchandises,  à  la  réserve  seulement  de  celles  qui 


—  326  — 

sont  exprimées  dans  l'article  suivant,  et  désignées  sous  le  nom 
de  marchandises  de  contrebande. 

Art.   19. 

On  comprendra  sous  ce  nom  de  marchandises  de  contre- 
bande ou  défendues,  les  armes,  canons,  arquebuses,  mortiers, 
pétards,  bombes,  grenades,  saucisses,  cercles  poissés,  affûts, 
fourchettes  ,  bandoulières ,  poudre  à  canon  ,  mèches,  salpêtre, 
balles,  piques,  épées,  morions,  casques,  cuirasses,  hallebar- 
des, javelines,  fourreaux  de  pistolet,  baudriers,  chevaux  avec 
leurs  harnais,  et  tous  autres  semblables  genres  d'armes  et  d'in- 
struments de  guerre  servant  à  l'usage  des  troupes. 

Art.  20. 

On  ne  mettra  point  au  nombre  des  marchandises  défendues, 
celles  qui  suivent  ;  savoir  :  toute  sorte  de  draps  et  tous  autres 
ouvrages  de  manufactures  de  laine,  de  lin,  de  soie,  de  coton 
et  de  toute  autre  matière ,  tout  genre  d'habillements  avec  les 
choses  qui  servent  ordinairement  à  les  faire  ;  or,  argent  mon- 
nayé et  non  monnayé,  étain  ,  fer,  plomb,  cuivre,  laiton,  char- 
bons à  fourneau,  blé,  orge,  et  toute  autre  sorte  de  grains  et  de 
légumes;  la  nicotiane,  vulgairement  appelée  tabac;  toute  sorte 
d'aromates,  chairs  salées  et  fumées,  poissons  salés,  fromages, 
beurre,  bière,  huile,  vins,  sucre  ;  toute  sorte  de  sels  et  de  pro- 
visions servant  à  la  nourriture  et  à  la  subsistance  des  hommes; 
tout  genre  de  coton,  cordages,  câbles,  voiles,  toiles  propres  à 
faire  des  voiles  ;  ancres  et  parties  d'ancres,  quelles  qu'elles  puis- 
sent être  ;  mâts  de  navire,  planches  ,  madriers,  poutres  de 
toute  sorte  d'arbres  ;  et  de  toutes  les  autres  choses  nécessaires 
pour  construire  ou  radouber  les  vaisseaux.  On  ne  regardera 
pas  non  plus  comme  marchandises  de  contrebande ,  celles  qui 
n'auront  pas  pris  la  forme  de  quelque  instrument  ou  attirail 
servant  à  l'usage  de  la  guerre  sur  terre  ou  sur  mer,  encore 
moins  celles  qui  ne  sont  pas  comprises  et  spécialement  dési- 
gnées dans  l'article  précédent  ;  en  sorte  qu'elles  pourront  être 
librement  transportées  par  les  sujets  des  deux  royaumes, 
même  dans  les  lieux  ennemis,  excepté  seulement  dans  les  pla- 
ces assiégées,  bloquées  et  investies. 

Art.  24. 
Que  si  les  vaisseaux  desdils  sujets  ou  habitants  de  Leurs  Se- 


—  327  — 

rénissimes  Majestés,  de  part  et  d'autre,  étaient  rencontrés  fai- 
sant route  sur  les  côtes  ou  en  pleine  mer,  par  quelques  vais- 
seaux de  guerre  de  Leurs  Sérénissimes  Majestés ,  ou  par  quel- 
ques vaisseaux  armés  par  des  particuliers,  lesdits  vaisseaux  de 
guerre  ou  armateurs  particuliers,  pour  éviter  tout  désordre, 
demeureront  hors  de  la  portée  du  canon,  et  pourront  envoyer 
leurs  chaloupes  au  bord  du  vaisseau  marchand  qu'ils  auront 
rencontré,  et  y  entrer  seulement  au  nombre  de  deux  ou  trois 
hommes  ,  à  qui  seront  montrées,  par  le  maître  ou  capitaine  de 
ce  vaisseau  ou  bâtiment,  les  lettres  de  mer  qui  contiennent  la 
preuve  de  la  propriété  du  vaisseau  ,  et  conçues  dans  la  forme 
insérée  au  présent  traité  ;  et  il  sera  libre  au  vaisseau  qui  les 
aura  montrées,  de  poursuivre  sa  route  sans  qu'il  soit  permis  de 
le  molester  et  le  visiter  en  façon  quelconque,  ou  de  lui  donner  la 
chasse,  ou  de  l'obliger  à  se  détourner  du  lieu  de  sa  destination. 


V. 

Page  97. 

Extrait  du  traité  de  navigation  et  de  commerce ,  entre  la 
France  et  les  Provinces-Unies  des  Pays-Bas^  signé  le 
11  avriiniZ,à  Utrecht. 

Aet.  17. 

Tous  les  sujets  et  habitants  de  France  et  des  Provinces- 
Unies,  pourront,  en  toute  sûreté  et  liberté,  naviguer  avec  leurs 
vaisseaux ,  et  trafiquer  avec  leurs  marchandises ,  sans  distinc- 
tion de  qui  puissent  être  les  propriétaires  d'icelles ,  de  leurs 
ports,  royaumes  et  provinces ,  et  aussi  des  ports  et  royaumes 
des  autres  États  ou  princes ,  vers  les  places  de  ceux  qui  sont 
déjà  ennemis  déclarés ,  tant  de  la  France  que  des  Provinces- 
Unies,  ou  de  l'un  des  deux,  ou  qui  pourraient  le  devenir. 
Comme  aussi  les  mêmes  sujets  et  habitants  pourront ,  avec  la 
même  sûreté  et  liberté,  naviguer  avec  leurs  vaisseaux,  et  tra- 
fiquer avec  leurs  marchandises,  sans  distinction  de  qui  puis- 
sent être  les  propriétaires  d'icelles,  des  lieux,  ports  et  rades  do 
ceux  qui  sont  ennemis  de  l'une  et  de  l'autre  desdites  parties, 
ou  de  l'une  des  deux  en  particulier,  sans  contradiction  ou  dé- 
tourbier  de  qui  que  ce  soit,  non-seulement  à  droiture  desdites 


—  328  — 

places  ennemies  vers  un  lieu  neutre ,  mais  aussi  d'une  place 
ennemie  à  l'autre,  soit  qu'elles  se  trouvent  situées  sous  la  juridic- 
tion d'un  même  souverain,  soit  qu'elles  le  soient  sous  des  divers. 

Art.  18. 

Ce  transport  et  ce  trafic  s'étendront  à  toute  sorte  de  mar- 
chandises, à  l'exception  de  celles  de  contrebande. 

Art.  19. 

En  ce  genre  de  marchandises  de  contrebande,  s'entend  seu- 
lement être  compris  toutes  sortes  d'armes  à  feu,  et  autres  as- 
sortiments d'icelles,  comme  canons,  mousquets,  mortiers,  pé- 
tards, bombes,  grenades,  saucisses,  cercles  poissés,  affûts, 
fourchettes,  bandoulières,  poudre,  mèches,  casques,  cuirasses, 
hallebardes,  salpêtre,  balles,  piques,  épées,  morions,  javeli- 
nes ,  chevaux,  selles  de  cheval,  fourreaux  de  pistolet,  bau- 
driers, et  autres  assortiments  servant  à  l'usage  de  la  guerre. 

Art.   20. 

Ne  seront  compris  dans  ce  genre  de  marchandises  de  con- 
trebande, les  froments,  blé  et  autres  graines,  légumes,  huiles, 
vins,  sel,  ni  généralement  tout  ce  qui  appartient  à  la  nourri- 
ture et  sustentation  de  la  vie  ,  mais  demeureront  libres  comme 
les  autres  marchandises  et  denrées  non  comprises  en  l'article 
précédent,  et  en  sera  le  transport  permis  même  aux  lieux  en- 
nemis desdits  seigneurs  États  ;  sauf  aux  villes  et  places  assié- 
gées, bloquées  ou  investies. 

Art.  24. 

Que  s'ils  étaient  dans  les  rades ,  ou  étaient  rencontrés  en 
pleine  mer  par  quelque  navire  desdits  seigneurs  États ,  ou 
d'armateurs  particuliers  leurs  sujets,  lesdits  navires  des  Pro- 
vinces-Unies, pour  éviter  tout  désordre,  n'approcheront  pas 
plus  près  des  Français  que  de  la  portée  du  canon  ,  et  pourront 
envoyer  leur  petite  barque  ou  chaloupe  au  bord  des  navires  ou 
barques  françaises,  et  faire  entrer  dedans  deux  ou  trois 
hommes  seulement ,  à  qui  seront  montrés  les  passe-ports  et 
ettres  de  mer,  par  le  maître  ou  patron  des  navires  français, 
en  la  manière  ci-dessus  spécifiée,  selon  le  formulaire  desdites 
lettres  de  mer,  qui  sera  inséré  à  la  fin  de  ce  traité,  par  lesquels 
passe-ports  et  lettres  de  mer  il  puisse  apparoir  non-seulement 


—  329  — 

de  sa  charge,  mais  aussi  du  lien,  de  la  demeure  et  résidence 
tant  du  maître  et  patron  que  du  navire  même,  afin  que,  par 
ces  deux  moyens,  on  puisse  connaître  s'ils  portent  des  mar- 
chandises de  contrebande  ,  et  qu'il  apparaisse  suffisamment 
tant  de  la  qualité  du  navire  que  de  son  maître  et  patron  ;  aux- 
quels passe-ports  et  lettres  de  mer  se  devra  donner  entière  foi 
et  créance  :  et  afin  que  l'on  en  connaisse  mieux  la  validité,  et 
qu'elles  ne  puissent,  en  aucune  manière,  être  falsifiées  et  con- 
trefaites, seront  donnés  certaines  marques  et  contre-seing  de 
Sadite  Majesté,  et  desdits  seigneurs  États  Généraux. 


VI*. 

Page  99. 

Extrait  du  registre  des  résolutions  de  LL.  HH.  PP.  les  sei- 
gneurs États  Généraux  des  Provinces-Unies^  sur  le  Mémoire 
remis  par  M.  Yorck^  dans  une  conférence  ou,  ce  ministre  a 
été  appelé  par  LL.  HH.  PP. 

Vendredi,  le  22  décembre  1758. 

M.  Yorck,  ministre  plénipotentiaire  de  S.  M.  le  roi  de  la 
Grande-Bretagne ,  ayant  demandé  d'entrer  en  conférence  avec 
MM,  les  députés  de  Leurs  Hautes  Puissances,  pour  les  affaires 
étrangères,  leur  a  remis  le  pro  memoria  ci-dessous  inséré. 

"  Dans  la  conférence  que  j'ai  obtenue  de  Leurs  Hautes  Puis- 
sances le  7  de  ce  mois,  j'ai  eu  l'honneur  d'annoncer  que  le  Roi 
mon  maître  m'avait  autorisé  et  instruit  par  ses  ordres,  d'en- 
trer en  négociation  avec  telles  personnes  que  Leurs  Hautes 
Puissances  jugeraient  à  propos  de  nommer  pour  cet  effet  ;  mais 
que,  l'affaire  exigeant  du  détail ,  il  ne  serait  pas  possible  d'en 
venir  à  bout  sans  quelque  éclaircissement  ultérieur.  C'est  avec 
bien  du  plaisir  que  je  vois  ouvrir  nos  conférences  aujourd'hui 
sur  ce  sujet  important,  et  je  me  flatte  que  si  Leurs  Hautes 
Puissances  sont  animées  du  même  désir  qu'est  Sa  Majesté  pour 
une  réconciliation  parfaite,  nous  la  verrons  bientôt  arriver. 

«  Leurs  Hautes  Puissances,  par  deux  résolutions  des  12  et 
25  septembre  de  cette  année,  qu'elles  m'ont  fait  remettre  le 

'  Par  une  erreur  typographique ,  le  renvoi  de  ceUe  pi^cc  a  été  indiqué  : 
page  77  de  ce  volume,  au  lieu  de  :  Notes  et  Documents. 


—  330  — 

lendemain,  ont  jugé  nécessaire  de  faire  quelques  difficultés  sur 
l'admission  de  la  déclaration  que  j'ai  eu  l'honneur  de  leur  faire 
au  nom  du  Roi  contre  le  commerce  que  leurs  sujets  font  aux 
colonies  françaises  en  Amérique,  et  pour  le  compte  des  Fran- 
çais de  ces  mômes  colonies.  Sa  Majesté  en  ayant  été  instruite, 
m'a  ordonné  de  déclarer  qu'elle  ne  saurait  se  départir  de  sa 
déclaration  précédente.  Elle  ne  croit  pas  cette  prétention  fon- 
dée dans  les  traités  qui  existent  entre  Sa  Majesté  et  la  répu- 
blique ;  et  si  même  les  personnes  intéressées  dans  ce  com- 
merce en  pouvaient  assez  tordre  le  sens  pour  éblouir  leurs 
partisans  et  former  là-dessus  un  grief  contre  l'Angleterre,  le  Roi 
est  persuadé  que  Leurs  Hautes  Puissances  verront  avec  plaisir 
que  Sa  Majesté  éloigne  la  discussion  de  ce  traité,  qui  se  trouve 
lié  avec  tant  d'autres  qui  intéressent  également  ce  royaume, 
et  qu'elle  s'attache  uniquement  à  rendre  tous  les  services  et 
faire  toutes  les  grâces  aux  sujets  de  ses  anciens  aUiés  ,  qui  ne 
préjudicient  pas  notoirement  au  bien-être  et  au  salut  de  son 
peuple.  C'est  sous  ce  point  de  vue  que  Sa  Majesté  regarde  le 
commerce  direct  ou  indirect  avec  les  colonies  françaises  en  Amé- 
rique. Sa  Majesté  étant  en  guerre  avec  le  Roi  Très-Chrétien,  ne 
saurait  espérer  d'en  sortir  avec  sûreté,  ni  obtenir  une  paix 
prompte  et  stable,  l'unique  but  de  Sa  Majesté,  si  les  puissances 
qui  se  sont  déclarées  neutres  dans  cette  guerre ,  au  lieu  de  se 
contenter  de  faire  leur  propre  commerce  avec  sûreté,  s'arro- 
gent le  droit  de  faire  en  même  temps  celui  de  ses  ennemis, 
qu'il  n'est  pas  permis  de  faire  en  temps  de  paix.  L'injustice 
d'un  tel  procédé  est  trop  claire  pour  avoir  besoin  qu'on  en  dise 
davantage  ,  et  on  ose  en  appeler  à  la  conduite  même  de  Leurs 
Hautes  Puissances  en  pareil  cas  ;  jamais  elles  ne  l'ont  permis, 
et  le  salus  populi  s'est  toujours  déclaré  contre  ,  dans  tous  les 
pays  qui  se  sont  trouvés  dans  des  circonstances  semblables. 

«  Sa  Majesté  voit  fleurir  et  verrait  accroître  avec  plaisir  le 
commerce  de  ses  voisins,  d'abord  que  cette  première  loi  ne  s'y 
oppose  pas,  et  elle  ne  peut  jamais  se  persuader  que  ses  an- 
ciens alliés  soient  les  premiers  à  vouloir,  pour  les  profits  pas- 
sagers de  quelques  particuliers ,  que  l'Angleterre  soit  lésée  si 
essentiellement.  Envisagé  sous  ce  point  de  vue,  je  ne  saurais 
douter  que  Leurs  Hautes  Puissances  ne  donnent  au  Roi  la  salis- 
faction  d'apprendre  qu'elles  y  renoncent  de  bonne  foi  pour 
leurs  sujets,  et  que  cette  pierre  d'achoppement  ne  soit  ôtée 
pour  toujours.  En  constatant  ce  point ,  Sa  Majesté  m'ordonne 
de  comprendre  le  chargement  d'un  vaisseau  à  un  autre ,  com- 


—  331  — 

munément  appelé  overshcppen ,  qui  se  fait  d'un  vaisseau  fran- 
çais à  un  vaisseau  hollandais,  quand  le  premier,  n'osant  con- 
tinuer sa  route,  cherche  à  se  sauver  sous  pavillon  neutre,  afin 
d'éviter  la  rencontre  des  vaisseaux  du  Roi  en  mer.  Leurs 
Hautes  Puissances ,  en  reconnaissant  la  justice  de  ma  première 
demande,  ne  sauraient  me  refuser  la  seconde ,  puisque  ce  se- 
rait déclarer  qu'on  traite  de  bonne  foi,  tandis  qu'en  même 
temps  on  laisserait  une  porte  plus  dangereuse  ouverte  pour  la 
fraude,  laquelle  l'équité  de  Leurs  Hautes  Puissances  désap- 
prouvera en  toute  occasion,  s'il  s'agit  maintenant  de  fermer  la 
porte  à  toute  dispute  ultérieure ,  et  de  faire  renaître  entre  les 
deux  nations  la  bonne  harmonie  et  le  bon  voisinage. 

«  Le  dernier  point  de  mes  instructions,  qui  regarde  les  de- 
mandes amicales  que  Sa  Majesté  fait  à  Leurs  Hautes  Puissan- 
ces ,  exige  un  peu  plus  de  détails  que  je  ne  suis  à  même  d'en 
fournir  ;  mais  je  dois  pourtant  le  déclarer,  en  me  réservant  de 
m'expliquer  plus  précisément  ensuite.  Le  Roi  mon  maître  ,  de- 
puis le  commencement  de  la  guerre ,  a  vu  passer,  non  sans 
peine,  devant  ses  ports,  mais  sans  les  molester,  un  grand  nom- 
bre de  vaisseaux  hollandais  chargés  de  tous  les  matériaux 
pour  charger,  construire  et  réparer  les  flottes  de  ses  ennemis. 
Sa  Majesté  demande  que  certaines  munitions  navales  soient 
comprises  dans  la  classe  des  contrebandes  ;  mais  elle  s'enten- 
dra avec  Leurs  Hautes  Puissances ,  pour  que  le  commerce  in- 
nocent de  leurs  sujets  (s'il  m'est  permis  de  me  servir  de  ce 
terme)  au  nord  de  l'Europe  ,  ne  soit  pas  enveloppé  dans  cet 
article.  Leurs  Hautes  Puissances ,  qui  sont  elles-mêmes  une 
puissance  maritime  ,  et  qui  savent  en  disputer  et  en  défendre 
les  prérogatives ,  ne  pourront  jamais  contester  que ,  dans  la 
présente  guerre  contre  la  France ,  il  ne  soit  de  l'intérêt  et  du 
devoir  du  Roi  d'empêcher  que  la  marine  de  son  ennemi  ne 
devienne  trop  formidable ,  et  de  faire  son  possible  pour  l'affai- 
blir. Pourra-t-on  disputer  que  les  munitions  navales  ne  soient 
aussi  nuisibles  que  les  boulets ,  les  bombes  et  la  poudre  à 
canon? 

«  Voilà  jusqu'où  portent  mes  instructions  par  rapport  à  la 
satisfaction  que  le  Roi  se  croirait  en  droit  d'exiger  de  l'amitié 
et  de  la  justice  de  la  république,  quand  môme  il  n'y  aurait  pas 
d'autres  fondements  sur  lesquels  il  pût  bâtir  ses  prétentions  ; 
mais  j'ai  déjà  déclaré  que  le  désir  pur  de  Sa  Majesté  de  lier  sa 
sûreté  avec  le  commerce  de  Leurs  Hautes  Puissances,  m'em- 
pêche de  m'étendre  là-dessus. 


—  332  — 

«  Je  viens  présentement  aux  articles  de  la  résolution  du 
25  septembre  de  cette  année. 

«  1°  Quant  à  la  demande  contenue  dans  les  premiers  arti- 
cles ,  je  dois  faire  observer  à  Leurs  Hautes  Puissances  que  ce 
même  traité  qu'elles  réclament  avec  tant  de  force ,  prescrit  la 
manière  de  procéder  en  cas  de  saisie  ou  de  détention  ,  et 
qu'elles  ne  doivent  point  vouloir  une  coercition  de  pouvoir 
extrajudiciaire  de  la  part  de  Sa  Majesté,  dont  les  mains  sont 
liées ,  et  par  les  lois  vis-à-vis  de  ses  sujets,  et  par  les  traités 
vis-à-vis  des  puissances  étrangères.  S'il  y  a  eu  des  sentences 
hors  des  règles,  ou  que  le  juge  se  soit  laissé  séduire  par  les 
apparences  au  temps  de  l'audience,  ou  qu'il  y  ait  eu  des  délais 
dont  on  s'est  cru  en  droit  de  se  plaindre,  le  tribunal  suprême 
établi  pour  juger  en  dernier  ressort,  a  toujours  été  prêt  à  revi- 
ser et  corriger  les  abus ,  s'il  y  en  a  eu  dans  les  cours  inférieu- 
res. Mais  Leurs  Hautes  Puissances  me  permettront  de  dire, 
sans  décider  la  question,  que  jusqu'à  présent  aucun  appel  n'a 
été  porté  jusque-là,  malgré  les  assurances  que  plusieurs  per- 
sonnes en  ont  données  à  Leurs  Hautes  Puissances.  C'est  un 
fait  dont  tout  le  monde  s'étonne  en  Angleterre  ;  et  si  les  appe- 
lants avaient  voulu  être  amis,  le  nombre  des  plaintes  aurait 
certainement  diminué  considérablement.  Cependant,  pour 
aider  et  soulager  les  sujets  de  Leurs  Hautes  Puissances  autant 
qu'il  est  possible,  et  pour  ne  pas  confondre  l'innocent  avec  le 
coupable,  Sa  Majesté  vient  d'ordonner  qu'on  lui  remette  une 
liste  exacte  de  tous  les  vaisseaux  hollandais  détenus  dans  les 
ports,  afin  de  faire  entendre  raison  aux  capteurs  de  vaisseaux 
arrêtés  sous  des  prétextes  frivoles  ,  pour  les  engager  à  les  re- 
lâcher, et  de  presser  la  décision  des  jugements  de  tous.  S'il 
reste  quelque  chose  à  faire  pour  l'aisance  ultérieure  et  la  sû- 
reté future  de  la  navigation  de  la  république ,  Sa  Majesté  s'y 
prêtera  volontiers. 

«  La  nation  souhaite  de  seconder  les  intentions  favorables  du 
Roi  là-dessus  ;  mais  ces  choses  ,  qui  regardent  l'intérieur,  ne 
sauraient  être  traitées  vis-à-vis  de  l'étranger.  Je  me  flatte  que 
ces  assurances  suffiront  pour  calmer  les  craintes  mal  fondées 
qui  se  sont  élevées  parmi  un  certain  nombre  de  personnes 
dans  ce  pays. 

«  11  faut,  dans  des  affaires  aussi  importantes  et  aussi  com- 
phquées,  un  peu  de  confiance  et  un  éloignement  pour  tout  ce 
qui  peut  aigrir. 

2°  Au  second  article  de  la  susdite  résolution,  j'ose  presque 


—  333  — 

assurer  Vos  Hautes  Puissances  que  si  elles  entrent  cordiale- 
ment dans  la  situation  de  Su  Majesté  dans  la  présente  guerre, 
et  lui  témoignent  de  la  facilité  dans  les  points  qu'elle  croit 
pouvoir  exiger  de  leur  part  ,  elles  auront  toute  la  satisfaction 
et  toute  la  siîrelé  possibles,  l'intention  de  Sa  Majesté  étant  que 
les  sujets  de  Vos  Hautes  Puissances  puissent  en  plein  jouir  des 
privilèges  et  immunités  du  traité  de  1674,  autant  que  l'accom- 
modement présent  n'y  déroge  point. 

«  3°  Sur  le  troisième  article  :  lorsque  Leurs  Hautes  Puis- 
sances seront  d'accord  avec  Sa  Majesté  sur  les  points  que  j'ai 
demandés  au  nom  du  roi,  il  ne  sera  pas  difficile  de  s'entendre 
sur  le  contenu  de  celui-ci. 

«  A"  Cet  article  renferme  des  plaintes  qui  ne  sont  peut- 
être  que  trop  fondées,  des  excès  de  quelques-uns  des  arma- 
teurs anglais  ou  soi-disant  tels ,  et  Sa  Majesté  est  véritable- 
ment pcinée  qu'à  la  honte  de  ses  sujets,  de  pareilles  violences 
aient  été  commises  ;  toute  la  nation  s'unit  pour  vouloir  les 
réprimer. 

«  Je  prends  la  liberté  de  communiquer  ici  l'ordre  émané  de 
l'amirauté  de  la  Grande-Bretagne  pour  cet  effet ,  et  pour  l'hon- 
neur de  la  bourse  de  Londres ,  d'y  ajouter  un  avertissement  de 
leur  part,  pour  aider  à  amener  en  justice  les  coupables.  Sa 
Majesté  demande  à  Leurs  Hautes  Puissances  de  l'aider  à  mettre 
ordre  à  ces  excès  ,  en  encourageant  leurs  sujets  de  poursuivre 
les  coupables  juridiquement,  dans  laquelle  poursuite  ils  auront 
toute  la  protection  et  tout  l'encouragement  possibles  ;  et  le  Roi 
s'étonne  qu'après  tant  d'instances  faites  dans  ce  pays-ci  pour 
procurer  des  témoins,  aucun  n'a  voulu,  malgré  toutes  les  offres 
faites  pour  le  récompenser,  entreprendre  le  voyage.  Qu'il  me 
soit  permis  d'ajouter  ici  qu'il  y  a  de  l'injustice  à  souffler  le  feu 
contre  une  nation  voisine ,  qui  ne  demande  pas  mieux  que 
d'aider  à  punir  les  coupables  renfermés  dans  son  sein. 

««  5°  Je  prends  la  liberté  de  m'en  référer  au  contenu  de  mon 
premier  article,  pour  répondre  au  cinquième  de  la  résolution 
de  Leurs  Hautes  Puissances ,  en  y  ajoutant  que  le  Roi  verra 
avec  plaisir  tous  les  moyens  (ju'on  pourra  lui  proposer  pour 
constater  la  vérité  des  papiers  des  vaisseaux  dont  il  n'y  a  eu 
que  trop  d'abus  jusqu'à  présent.  » 

Sur  quoi,  ayant  été  délibéré,  il  a  été  trouvé  bon  et  arrêté 
tjue  copie  du  susdit  pro  memoria  sera  remise  à  M.  Welderen  et 
autres  députés  de  Leurs  Hautes  Puissances  pour  les  affaires 
étrangères,  pour  visiter,  examiner  et  prendre  là-dessus  les 


—  334  — 

sages  considérations  et  l'avis  de  Son  Altesse  Royale,  et  de  faire 
rapport  de  tout  ceci  à  l'assemblée. 


VII. 

Page  101. 

Extrait  du  traité  définitif  entre  Sa  Majesté  Britannique,  le  Roi 
Très-Chrétien,  et  le  Roi  d'Espagne;  signé  à  Paris,  le  10  fé- 
vrier 1763. 

Art.    11. 

Les  traités  de  Weslphalie  de  1648;  ceux  de  Madrid,  entre 
les  couronnes  de  la  Grande-Bretagne  et  d'Espagne,  de  1667 
et  de  1670  ;  les  traités  de  paix  de  Nimègue,  de  1678  et  de  1679  ; 
de  Ryswyck,  de  1697  ;  ceux  de  paix  et  de  commerce  d'Utrecht, 
de  1713;  celui  de  Bade,  de  1714,  etc.,  servent  de  base  et  de 
fondement  à  la  paix  et  au  présent  traité;  et  pour  cet  effet  ils 
sont  tous  renouvelés  et  confirmés  dans  la  meilleure  forme  , 
ainsi  que  tous  les  traités  en  général  qui  subsistaient  entre  les 
hautes  parties  contractantes  avant  la  guerre ,  et  comme  s'ils 
étaient  insérés  ici  mot  à  mot,  en  sorte  qu'ils  devront  être  ob- 
servés exactement  à  l'avenir,  dans  tous  leurs  points,  auxquels 
il  n'est  pas  dérogé  par  le  présent  traité ,  nonobstant  tout  ce 
qui  pourrait  avoir  été  stipulé  au  contraire  par  aucune  des  hau- 
tes parties  contractantes;  et  toutes  lesdites  parties  déclarent 
qu'elles  ne  permettront  pas  qu'il  subsiste  aucun  privilège, 
grâce  ou  indulgence,  contraire  aux  traités  ci-dessus  confirmés, 
à  l'exception  de  ce  qui  aura  été  accordé  et  stipulé  par  le  pré- 
sent traité. 

VIII. 

Page  101. 

Extrait  du  traité  de  commerce  et  de  navigation^  signé  à  Saint- 
Pétersbourg,  le  20  juin  1766^  entre  l'empereur  de  toutes  les 
Russies  et  la  Grande-Bretagne. 

Art.  10. 

Commerce  neutre  en  temps  de  guerre. 

Il  sera  permis  aux  sujets  des  deux  hautes  parties  contrac- 
tantes ,  d'aller,  venir  et  commercer  librement  dans  les  États 
avec  lesquels  Tune  ou  l'autre  de  ces  parties  se  trouvera,  pré- 


—  335  — 

sentement  ou  à  l'avenir,  en  guerre,  bien  entendu  qu'ils  ne  por- 
tent point  de  munitions  à  l'ennemi  :  on  en  excepte  néanmoins 
les  places  actuellement  bloquées  ou  assiégées,  tant  par  terre 
que  par  mer  ;  mais  en  tout  autre  temps  et  à  l'exception  des 
munitions  de  guerre,  les  susdits  sujets  pourront  transporter 
dans  ces  places  toute  autre  sorte  de  marchandises ,  ainsi  que 
des  passagers,  sans  le  moindre  empêchement.  Quant  à  la  visite 
des  vaisseaux  marchands,  les  vaisseaux  de  guerre  et  les  arma- 
teurs se  comporteront  aussi  favorablement  que  la  raison  de 
guerre,  pour  lors  existante,  pourra  jamais  le  permettre  vis-à- 
vis  des  puissances  les  plus  amies  qui  resteront  neutres ,  en 
observant  le  plus  qu'il  sera  possible,  les  principes  et  les  règles 
du  droit  des  gens  généralement  reconnus. 

Art.  11. 
Contrebande  de  guerre. 

Tous  les  canons,  mortiers,  armes  à  feu,  pistolets,  bombes, 
grenades,  boulets,  balles,  fusils,  pierres  à  feu,  mèches,  pou- 
dre, salpêtre  ,  soufre ,  cuirasses  ,  piques ,  épées  ,  ceinturons, 
poches  à  cartouches,  selles  et  brides,  au  delà  de  la  quantité 
qui  peut  être  nécessaire  pour  l'usage  du  vaisseau  ,  ou  au  delà 
de  celle  que  doit  avoir  chaque  homme  servant  sur  le  vaisseau 
et  passager,  seront  réputés  provisions  ou  munitions  de  guerre; 
et  s'il  s'en  trouve ,  elles  seront  confisquées  ,  selon  les  lois, 
comme  contrebande  ou  effets  prohibés  :  mais ,  ni  les  vais- 
seaux, ni  les  passagers,  ni  les  autres  marchandises  qui  se  trou- 
veront en  même  temps,  ne  seront  détenus  ni  empêchés  de 
continuer  leur  voyage. 


IX. 

Page  101. 


Extrait  du  traité  de  commerce,  signé  le  6  février  1778,  entre 
la  France  et  les  États-Unis  de  l  Amérique. 

ÂBT.  23. 

liberté  dn  commerce  avec  l'ennemi  :  droit  du  pavillon  neutre. 

Il  sera  permis  à  tous  et  chacun  des  sujets  du  Roi  Très-Chré- 
tien ,  et  aux  citoyens ,  peuples  et  habitants  des  susdits  États- 
Unis  ,  de  naviguer  avec  leurs  bâtiments ,  avec  toute  liberté  et 


—  336  — 

sûreté,  sans  qu'il  puisse  être  lait  d'exception  à  cet  égard ,  à 
raison  des  propriétaires  des  marchandises  chargées  sur  lesdits 
bâtiments  ,  venant  de  quelque  port  que  ce  soit ,  et  destinés 
pour  quelque  place  d'une  puissance  actuellement  ennemie,  ou 
qui  pourra  l'être  dans  la  suite,  de  Sa  Majesté  Très-Chrétienne  ou 
des  États-Unis.  Il  sera  également  permis  aux  sujets  ou  habi- 
lanls  susmenliennés,  de  naviguer  avec  leurs  vaisseaux  et  mar- 
chandises, et  de  fréquenter  avec  la  même  liberté  et  sûreté  les 
places ,  ports  et  havres  des  puissances  ennemies  des  deux 
parties  contractantes,  ou  d'une  d'entre  elles,  sans  opposition 
ni  trouble,  et  de  faire  le  commerce  non -seulement  directe- 
ment des  ports  de  l'ennemi  susdit  à  un  port  neutre,  mais 
aussi  d'un  port  ennemi  à  un  autre  port  ennemi,  soit  qu'il  se 
trouve  sous  sa  juridiction  ou  sous  celle  de  plusieurs  ;  et  il  est 
stipulé  par  le  présent  traité  que  les  bâtiments  libres  assure- 
ront également  la  liberté  des  marchandises ,  et  qu'on  jugera 
libres  toutes  les  choses  qui  se  trouveront  à  bord  des  navires 
appartenant  aux  sujets  d'une  des  deux  parties  contractantes, 
quand  même  le  chargement  ou  partie  d'icelui,  appartiendrait 
aux  ennemis  de  l'une  des  deux  ;  bien  entendu  néanmoins  que 
la  contrebande  sera  toujours  exceptée.  Il  est  également  con- 
venu que  cette  même  liberté  s'étendrait  aux  personnes  qui 
pourraient  se  trouver  à  bord  du  bâtiment  libre,  quand  même 
elles  seraient  ennemies  de  l'une  des  deux  parties  contractan- 
tes ;  et  elles  ne  pourront  être  enlevées  desdits  navires ,  à 
moins  qu'elles  ne  soient  militaires  et  actuellement  au  service 
de  l'ennemi. 

Art.  24. 

Marchandises  de  contrebande  et  marchandises  libres. 

Cette  liberté  de  navigation  et  de  commerce  doit  s'étendre 
sur  toute  sorte  de  marchandises,  à  l'exception  seulement  de 
celles  qui  sont  désignées  sous  le  nom  de  contrebande.  Sous 
ce  nom  de  contrebande  ou  de  marchandises  prohibées ,  doi- 
vent être  compris  les  armes,  canons,  bombes  avec  leurs  fusées, 
et  autres  choses  y  relatives  ;  boulets,  poudre  à  tirer,  mèches, 
piques,  épées  ,  lances,  dards,  hallebardes,  mortiers,  pétards, 
grenades ,  salpêtre ,  fusils ,  balles,  boucliers ,  casques ,  cuiras- 
ses, colles  de  mailles  et  autres  armes  de  celte  espèce,  propres 
à  armer  les  soldats  ;  porte-mousquetons,  baudriers ,  chevaux 
avec  leurs  équipages ,   et  tous  autres  instruments  de  guerre 


—  337  — 

quelconques.  Ixs  marchandises  dénommées  ci-après  ne  seront 
pas  comprises  parmi  la  contrebande  ou  choses  prohibées  ;  sa- 
voir :  toute  sorte  de  draps,  et  toutes  autres  étoffes  de  laine, 
lin,  soie,  coton,  ou  d'autres  matières  quelconques;  toute  sorte 
de  vêtements  avec  les  étoffes  dont  on  a  coutume  de  les  faire  ; 
l'or  et  l'argent  monnayé  ou  non,  l'étain,  le  fer,  laiton,  cuivre, 
airain  ,  charbon  ;  de  même  que  le  froment  et  l'orge ,  et  toute 
autre  sorte  de  blés  et  légumes;  tabac  et  toute  sorte  d'épice- 
ries ;  la  viande  salée  et  fumée,  poisson  salé,  fromage,  beurre, 
bière,  huiles,  vins,  sucre,  et  toute  espèce  de  sel,  et  en  général 
toutes  provisions  servant  pour  la  nourriture  de  l'homme  et 
pour  le  soutien  de  la  vie;  de  plus,  toute  sorte  de  coton,  de 
chanvre,  lin,  goudron,  poix,  cordes,  câbles,  voiles,  toiles  à 
voiles,  ancres,  parties  d'ancres,  mâts ,  planches ,  madriers, 
bois  de  toute  espèce  ;  et  toutes  autres  choses  propres  à  la  con- 
struction et  réparation  des  vaisseaux  ,  et  autres  matières  quel- 
conques qui  n'ont  pas  la  forme  d'un  instrument  préparé  pour 
la  guerre  par  terre  comme  par  mer,  ne  seront  pas  considérées 
comme  contrebande,  et  encore  moins  celles  qui  sont  déjà  pré- 
parées pour  quelque  autre  usage.  Toutes  les  choses  dénom- 
mées ci-dessus  doivent  être  comprises  parmi  les  marchandises 
libres,  de  même  que  toutes  les  autres  marchandises  et  effets  qui 
ne  sont  pas  compris  et  particulièrement  nommés  dans  l'énu- 
mération  des  marchandises  de  contrebande,  de  manière  qu'elles 
pourront  être  transportées  et  conduites  de  la  manière  la  plus 
libre,  par  les  sujets  des  deux  parties  contractantes,  dans  des 
places  ennemies,  à  l'exception  néanmoins  de  celles  qui  se  trou- 
veraient actuellement  assiégées  ou  investies. 

Art.   27. 

Visitation  par  des  vaisseaux  de  guerre. 

Lorsqu'un  bâtiment  appartenant  auxdits  sujets ,  peuples  et 
habitants  de  l'une  des  deux  parties  contractantes,  sera  rencon- 
tré naviguant  le  long  des  côtes  ou  en  pleine  mer  par  un  vais- 
seau de  guerre  de  l'autre  ou  par  un  armateur,  ledit  vaisseau 
de  guerre  ou  armateur,  aiiu  d'éviter  tout  désordre,  se  tiendra 
hors  de  la  portée  du  canon,  et  pourra  envoyer  sa  chaloupe  à 
bord  du  bâtiment  marchand,  et  y  faire  entrer  deux  ou  trois 
hommes,  auxquels  le  maître  ou  commandant  du  bâtiment 
montrera  son  passe-port,  lequel  devra  être  conforme  à  la  for- 
mule annexée  au  présent  traité,  et  constatera  la  propriété  du 
xt  22 


—  338  — 

bâtiment;  et  après  que  ledit  bâtiment  aura  exhibé  un  pareil 
passe-port,  il  lui  sera  libre  de  continuer  son  voyage  ;  et  ne  sera 
permis  de  le  molester  ni  de  chercher  en  aucune  manière  à  lui 
donner  la  chasse,  ou  de  le  forcer  de  quitter  la  course  qu'il  s'é- 
tait proposée. 


X. 

Page  102. 


Déclaration  de  S.  M.  l'impératrice  de  toutes  les  Russies  aux 
cours  de  Londres,  Versailles  et  Madrid ^  présentée  dans  le 
mois  de  mars  1780*. 

L'impératrice  de  toutes  les  Russies  a  si  bien  manifesté  les 
sentiments  de  justice,  d'équité  et  de  modération  qui  l'animent, 
et  a  donné  des  preuves  si  évidentes  ,  pendant  le  cours  de  la 
guerre  qu'elle  avait  à  soutenir  contre  la  Porte  Ottomane ,  des 
égards  qu'elle  a  pour  les  droits  de  la  neutralité  et  de  la  liberté 
du  commerce  général ,  qu'elle  peut  s'en  rapporter  au  témoi- 
gnage de  toute  l'Europe.  Cette  conduite ,  ainsi  que  les  princi- 
pes d'impartialité  qu'elle  a  déployés  pendant  la  guerre  actuelle, 
ont  dû  lui  inspirer  la  juste  confiance  que  ses  sujets  jouiraient 
paisiblement  des  fruits  de  leur  industrie  et  des  avantages  ap- 
partenant à  toute  nation  neutre.  L'expérience  a  cependant 
prouvé  le  contraire  :  ni  ces  considérations-là,  ni  les  égards  dus 
à  ce  que  prescrit  le  droit  des  gens  universel ,  n'ont  pu  empê- 
cher que  les  sujets  de  Sa  Majesté  impériale  n'aient  été  souvent 
molestés  dans  leur  navigation  et  arrêtés  dans  leurs  opérations 
par  celles  des  puissances  belligérantes.  Ces  entraves  mises  à  la 
liberté  du  commerce  général  et  de  celui  de  la  Russie  en  parti- 
culier, sont  de  nature  à  exciter  l'attention  des  souverains  et  de 
toutes  les  nations  neutres.  L'Impératrice  voit  résulter  pour  elle 
l'obligation  de  l'en  affranchir  par  tous  les  moyens  compati- 
bles avec  sa  dignité  et  avec  le  bien-être  de  ses  sujets;  mais 
avant  d'en  venir  à  l'effet,  et  dans  l'intention  sincère  de  préve- 
nir de  nouvelles  atteintes,  elle  a  cru  être  de  sa  justice  d'exposer 
aux  yeux  de  l'Europe  les  principes  qu'elle  va  suivre  et  qui  sont 

'  Recueil  des  traites,  par  MARTEKiJ,  t.  Il,  p.  74. 


—  339  — 

propres  à  lever  tout  malentendu  ,  et  ce  qui  pourrait  y  donner 
lieu.  Elle  le  fait  avec  d'autant  plus  de  confiance,  qu'elle  trouve 
consignés  ces  principes  dans  le  droit  primitif  des  peuples  que 
toute  nation  est  fondée  à  réclamer,  et  que  les  puissances  belli- 
gérantes ne  sauraient  les  invalider  sans  violer  les  lois  de  la 
neutralité  et  sans  violer  les  maximes  qu'elles  ont  adoptées, 
nommément  dans  différents  traités  et  engagements  publics.  Ils 
se  réduisent  aux  points  qui  suivent  : 

1»  Que  les  vaisseaux  neutres  puissent  naviguer  librement  de 
port  en  port  et  sur  les  côtes  des  nations  en  guerre  ; 

2°  Que  les  effets  appartenant  aux  sujets  desdites  puissances 
en  guerre  soient  libres  sur  les  vaisseaux  neutres,  à  l'exception 
des  marchandises  de  contrebande  ; 

3°  Que  l'Impératrice  se  tient ,  quant  à  la  fixation  de  celles-ci, 
à  ce  qui  est  énoncé  dans  les  articles  10  et  11  de  son  traité  de 
commerce  avec  la  Grande-Bretagne ,  en  étendant  ces  obliga- 
tions à  toutes  les  puissances  en  guerre  ; 

4"  Que  pour  déterminer  ce  qui  caractérise  un  port  bloqué, 
on  n'accorde  cette  dénomination  qu'à  celui  où  il  y  a ,  par  la 
disposition  de  la  puissance  qui  l'attaque  avec  des  vaisseaux 
arrêtés  et  suffisamment  proches,  un  danger  évident  d'entrer  ; 

5"  Que  ces  principes  servent  de  règles  dans  les  procédures 
et  les  jugements  sur  la  légalité  des  prises. 

Sa  Majesté  Impériale,  en  les  manifestant,  ne  balance  pas  à  dé- 
clarer que,  pour  les  maintenir,  et  afin  de  protéger  l'honneur  de 
son  pavillon,  la  sûreté  du  commerce  et  de  la  navigation  de  ses 
sujets,  contre  qui  que  ce  soit,  elle  fait  appareiller  une  partie 
considérable  de  ses  forces  maritimes.  Cette  mesure  n'influera 
cependant  d'aucune  manière  sur  la  stricte  et  rigoureuse  neu- 
tralité qu'elle  a  saintement  observée ,  et  qu'elle  observera  tant 
qu'elle  ne  sera  provoquée  et  forcée  de  sortir  des  bornes  de  mo- 
dération et  d'impartialité  parfaite.  Ce  n'est  que  dans  cette  extré- 
mité que  sa  flotte  aura  ordre  de  se  porter  partout  où  l'honneur, 
l'intérêt  et  le  besoin  l'appelleront. 

En  donnant  cette  assurance  formelle,  avec  la  franchise  pro- 
pre à  son  caractère,  l'Impératrice  ne  peut  que  se  promettre 
que  les  puissances  belligérantes ,  pénétrées  des  sentiments  de 
justice  et  d'équité  dont  elle  est  animée,  contribueront  à  l'ac- 
complissement de  ses  vues  salutaires,  qui  tendent  si  manifeste- 
ment à  l'utilité  de  toutes  les  nations  et  à  l'avantage  même  de 
celles  en  guerre;  qu'en  conséquence  elles  muniront  leurs  ami- 
rautés et  officiers  commandants ,  d'instructions  analogues  et 


—  340  — 

conformes  aux  principes  ci-dessus  énoncés ,  puisés  dans  le 
code  primitif  des  peuples  et  adoptés  si  souvent  dans  leurs  con- 
ventions. 


XI. 

Page  103. 


Extrait  du  registre  des  résolutions  de  LL.  UR.  PP.  les  États 
Généraux  des  Provinces -Unies  des  Pays-Bas,  du  lundi 
24  avril  1780;  en  réponse  au  Mémoire  de  la  Russie,  présenté 
le  3  avril. 

Ayant  été  délibéré  par  résomption  sur  le  Mémoire  que  le 
jjrince  de  Gallitzin,  envoyé  extraordinaire  de  S.  M.  l'impéra- 
trice de  toutes  les  Russies ,  a  présenté  à  l'assemblée  le  3  du 
courant,  accompagné  d'une  déclaration  faite  par  Sadite  Majesté 
Impériale  aux  cours  d'Angleterre,  de  France  et  d'Espagne  ,  au 
sujet  de  la  liberté  du  commerce  et  de  la  navigation  de  ses  su- 
jets, et  par  lequel  Mémoire  ce  ministre  fait  connaître  à  Leurs 
Hautes  Puissances  les  dispositions  de  sa  souveraine  à  protéger, 
de  concert  avec  les  puissances  neutres,  le  commerce  cl  la  navi- 
gation de  leurs  sujets  respectifs,  le  tout  mentionné  plus  au 
long  dans  les  actes  du  3  susdit,  il  a  été  trouvé  bon  et  arrêté 
qu'il  sera  répondu  à  M.  le  prince  de  Gallitzin  sur  sondii  Mé- 
moire, que  Leurs  Hautes  Puissances  ont  reçu  avec  beaucoup  de 
satisfaction  la  communication  qu'il  a  plu  à  Sa  Majesté  Impériale 
de  leur  faire  donner  de  ses  vues,  et  de  la  déclaration  qu'elle  a 
fait  faire  aux  cours  de  Londres,  de  Versailles  et  de  Madrid; 
que  Leurs  Hautes  Puissances  envisagent  cette  communication 
comme  une  preuve  éclatante  des  bonnes  dispositions  de  Sa  Ma- 
jesté Impériale  pour  la  république,  et  qu'elles  se  font  un  honneur 
et  un  devoir  d'y  répondre  cordialement  et  avec  sincérité;  que 
Leurs  Hautes  Puissanceslouent  et  considèrent  comme  un  nouvel 
ctfet  de  la  magnanimité  et  de  la  justice  reconnues  de  Sa  Majesté 
Impériale,  aussi  bien  le  but  qu'elle  s'est  proposé  que  les  moyens 
qu'elle  a  conçus  pour  maintenir,  pendant  la  guerre  présente, 
la  plus  exacte  neutralité  et  pour  assurer  non-seulement  l'hon- 
neur du  pavillon  russe  et  la  liberté  du  commerce  et  de  la  na- 
vigation de  SCS  sujets,  et  ne  pas  permettre  qu'aucune  des  puis- 


—  341  — 

sances  qui  sont  en  guerre  y  porte  la  moindre  atteinte ,  mais 
aussi  pour  veiller  pour  les  libertés  et  le  repos  de  l'Europe,  et 
établir  et  fixer  sur  les  fondements  les  plus  solides  de  l'équité  et 
du  droit  des  gens  et  des  traités  qui  subsistent,  un  système  équi- 
table pour  la  navigation  et  le  commerce  des  puissances  neu- 
tres. 

Que  Leurs  Hautes  Puissances  désirant  entretenir  ainsi  que  Sa 
Majesté  Impériale  une  exacte  neutralité  durant  la  guerre  pré- 
sente, n'ont  que  trop  expérimenté  les  dommages  que  souflVent 
la  navigation  et  le  commerce  des  puissances  neutres,  par  les 
idées  vagues  et  arbitraires  que  se  font  les  puissances  belligé- 
rantes du  droit  des  neutres  ,  selon  qu'elles  y  sont  portées  par 
leur  intérêt  particulier  et  les  opérations  de  la  guerre  ;  et  que 
c'est  pour  cette  raison  que  Leurs  Hautes  Puissances  jugent, 
ainsi  que  Sa  Majesté  Impériale,  qu'il  est  de  la  première  nécessité 
que  ce  droit  soit  établi  sur  des  fondements  solides,  et  main- 
tenu de  concert  par  les  puissances  maritimes  neutres;  que  re- 
lativement à  la  détermination  de  ce  droit,  Leurs  Hautes  Puis- 
sances se  conformant  entièrement  aux  cinq  points  contenus 
dans  la  déclaration  faite  par  Sa  Majesté  Impériale  aux  cours  de 
Versailles,  de  Madrid  et  de  Londres,  et  communiquée  de  sa 
part  à  Leurs  Hautes  Puissances,  le  3  avril,  par  M.  le  prince  de 
Gallitzin,  sont,  à  l'exemple  de  Sa  Majesté  Impériale,  toutes  prêtes 
à  faire  une  déclaration  semblable  aux  puissances  belligérantes  : 
Leurs  Hautes  Puissances  étant  aussi  très-disposées  à  entrer  avec 
cette  princesse,  et  les  autres  puissances  maritimes  neutres,  en 
conférence  sur  les  mesures  par  lesquelles  ,  en  observant  une 
neutralité  exacte  entre  les  puissances  qui  sont  en  guerre,  la 
liberté  de  la  navigation  du  commerce  puisse  être  maintenue 
à  forces  réunies,  de  la  manière  la  plus  efficace ,  tant  pour  l'a- 
venir que  pour  le  présent. 

Et  sera  remis  extrait  de  la  présente  résolution  de  Leurs 
Hautes  Puissances  par  l'agent  Van-der-Burch  de  Spierings- 
hoech,  à  M.  le  prince  de  G«//?7sïn,  envoyé  extraordinaire  de 
S,  M,  l'impératrice  de  toutes  les  Russies,  lequel  sera  prié  d'en 
faire  part  à  Sa  Majesté  Impériale,  et  de  lui  présenter  celte 
réponse  sous  l'aspect  le  plus  favorable,  l'accompagnant  de  ses 
bons  offices. 


-JrU      .'.t- 


—  342  — 

XII. 

Page  103. 

Copie  de  la  déclarât  ion  de  Sa  Majesté  Danoise,  aux  cours  de  Lon- 
dres, de  Versailles  et  de  Madrid,  datée  du  S  juillet  1780. 

Si  la  neutralité  la  plus  exacte  et  la  plus  parfaite,  avec  la  na- 
vigation la  plus  régulière  et  le  respect  le  plus  inviolable  pour 
les  traités ,  avait  pu  mettre  la  liberté  du  commerce  maritime 
des  sujets  du  roi  de  Danemark  et  de  Norvège  à  l'abri  des  mal- 
heurs qui  devraient  être  inconnus  à  des  nations  qui  sont  en 
paix,  et  libres  et  indépendantes,  il  ne  serait  point  nécessaire 
de  prendre  de  nouvelles  mesures  pour  leur  assurer  cette  li- 
berté à  laquelle  elles  ont  le  droit  le  plus  incontestable.  Le  roi 
de  Danemark  a  toujours  fondé  sa  gloire  et  sa  grandeur  sur  l'es- 
time et  la  confiance  des  autres  peuples  ;  il  s'est  fait,  depuis  le 
commencement  de  son  règne ,  la  loi  de  témoigner  à  toutes  les 
puissances  amies  les  ménagements  les  plus  convenables,  de  les 
convaincre  de  ses  sentiments  pacifiques  et  de  son  désir  sincère 
de  contribuer  au  bonheur  général  de  l'Europe  :  ses  procédés 
les  plus  uniformes,  et  que  rien  ne  peut  obscurcir,  en  font  foi. 
11  ne  s'est  jusqu'à  présent  adressé  qu'aux  puissances  belligé- 
rantes elles-mêmes,  pour  obtenir  le  redressement  de  ses  griefs  ; 
et  il  n'a  jamais  manqué  de  modération  dans  ses  demandes,  ni 
de  reconnaissance  lorsqu'elles  ont  eu  le  succès  qu'elles  de- 
vaient avoir;  mais  la  navigation  neutre  a  été  trop  souvent  mo- 
lestée, et  le  commerce  de  ses  sujets  le  plus  innocent,  trop  fré- 
quemment troublé ,  pour  que  le  Roi  ne  se  crût  pas  obligé  de 
prendre  actuellement  des  mesures  propres  à  s'assurer  à  lui- 
même  et  à  ses  alliés  la  sûreté  du  commerce  et  de  la  naviga- 
tion, et  le  maintien  des  droits  inséparables  de  la  liberté  et  de 
l'indépendance.  Si  les  devoirs  de  la  neutralité  sont  sacrés,  le 
droit  des  gens  a  aussi  ses  arrêts  avoués  par  toutes  les  nations 
impartiales,  établis  par  la  coutume,  et  fondés  sur  l'équité  et  la 
raison.  Une  nation  indépendante  et  neutre  ne  perd  point,  par 
la  guerre  d'autrui,  les  droits  qu'elle  avait  avant  cette  guerre, 
puisque  la  paix  existe  pour  elle  avec  tous  les  peuples  belligé- 
rants ,  sans  recevoir  et  sans  avoir  à  suivre  les  lois  d'aucun 
d'eux.  Elle  est  autorisée  à  faire,  dans  tous  les  lieux  (la  contre- 


—  343  — 

bande  exceptée),  le  trafic  qu'elle  aurait  droit  de  faire  si  la  paix 
existait  dans  toute  l'Europe,  comme  elle  existe  pour  elle.  Le  Roi 
ne  prétend  rien  au  delà  de  ce  que  la  neutralité  lui  attribue; 
celle-ci  est  sa  règle  et  celle  de  son  peuple  ;  et  Sa  Majesté  ne  pou- 
vant avouer  le  principe  qu'une  nation  belligérante  est  en  droit 
d'interrompre  le  commerce  de  ses  États ,  elle  a  cru  devoir  à 
soi-même,  à  ses  peuples,  fidèles  observateurs  de  ses  règle- 
ments, et  aux  puissances  en  guerre  elles-mêmes,  de  leur  expo- 
ser les  principes  suivants,  qu'elle  a  toujours  eus,  et  qu'elle 
avouera  et  soutiendra  toujours,  de  concert  avec  S.  M.  l'impé- 
ratrice de  toutes  les  Russies,  dont  elle  a  reconnu  les  sentiments 
entièrement  conformes  aux  siens  : 

1°  Que  les  vaisseaux  neutres  peuvent  naviguer  librement  de 
port  en  port,  et  sur  les  côtes  des  nations  en  guerre  ; 

2"  Que  les  effets  appartenant  aux  sujets  des  puissances  en 
guerre,  soient  libres  sur  les  vaisseaux  neutres ,  à  l'exception 
des  marchandises  de  contrebande  ; 

3°  Qu'on  n'entende,  sous  cette  dénomination  de  contre- 
bande ,  que  ce  qui  est  expressément  désigné  comme  tel  dans 
l'article  3  de  son  traité  de  commerce  avec  la  Grande-Bretagne, 
de  l'année  1670,  et  dans  les  articles  26  et  27  de  son  traité  de 
commerce  avec  la  France,  de  l'année  1742  ;  et  le  Roi  avouera 
également  ce  qui  se  trouve  fixé  dans  ceci  vis-à-vis  de  toutes  les 
puissances  avec  qui  il  n'a  point  de  traité  ; 

4°  Qu'on  regarde  comme  un  port  bloqué,  celui  dans  lequel 
aucun  bâtiment  ne  peut  entrer  sans  un  danger  évident,  à  cause 
des  vaisseaux  de  guerre  stationnés  pour  en  former  de  près  le 
blocus  effectif; 

5°  Que  ces  principes  servent  de  règle  dans  les  procédures,  et 
que  justice  soit  rendue  avec  promptitude ,  et  après  les  docu- 
ments de  mer,  conformes  aux  traités  et  aux  usages  reçus. 

Sa  Majesté  ne  balance  point  à  déclarer  qu'elle  maintiendra 
ces  principes,  ainsi  que  l'honneur  de  son  pavillon,  et  la  liberté 
et  l'indépendance  du  commerce  et  de  la  navigation  de  ses  su- 
jets, et  que  c'est  pour  cet  effet  qu'elle  a  fait  armer  une  partie  de 
sa  flotte,  quoiqu'elle  désire  de  conserver  avec  toutes  les  puis- 
sances en  guerre ,  non-seulement  la  bonne  intelligence,  mais 
même  toute  l'intimité  que  la  neutralité  peut  admettre,  etc. 

Signé  Bernstorf. 


XIII. 

Page  103. 

Copie  de  la  déclaration  de  Sa  Majesté  Suédoise  aux  puissances 
belligérantes;  expédiée  aux  cours  de  Versailles ,  de  Londres 
et  de  Madrid^  datée d' Aix-la-Chapelle,  le  21  juillet  1780. 

Depuis  le  commencement  de  la  présente  guerre,  le  Roi  a  eu 
soin  de  faire  connaître  sa  façon  de  penser  à  toute  l'Europe.  Il 
s'est  imposé  la  loi  d'une  parfaite  neutralité. 

11  en  a  rempli  les  devoirs  avec  une  exactitude  scrupuleuse; 
et  il  a  cru  pouvoir  jouir,  en  conséquence,  des  droits  attachés 
à  la  qualité  d'un  souverain  absolument  neutre.  Malgré  cela,  ses 
sujets  commerçants  ont  été  obligés  de  réclamer  sa  protection, 
et  Sa  Majesté  s'est  trouvée  dans  la  nécessité  de  la  leur  accor- 
der. Pour  remplir  cet  objet,  le  Roi  fit  armer  un  certain  nombre 
de  vaisseaux  de  guerre  dès  l'année  passée  ;  il  en  employa  une 
partie  sur  les  côtes  de  son  royaume,  et  l'autre  à  servir  de  con- 
voi aux  bâtiments  marchands  suédois  dans  les  différentes  mers 
où  le  commerce  de  ses  sujets  les  faisait  naviguer;  il  fit  part 
de  ces  mesures  aux  puissances  belligérantes,  et  il  se  préparait 
à  les  continuer  dans  le  courant  de  cette  année  ,  lorsque  d'au- 
tres Cours,  (jui  avaient  également  adopté  la  neutralité,  lui  firent 
part  des  dispositions  oiî  elles  se  trouvaient,  conformes  à  celles 
du  Roi,  et  tendant  au  môme  but.  L'impératrice  de  Russie  fit 
remettre  une  déclaration  aux  cours  de  Londres ,  de  Versailles 
et  de  Madrid  ,  par  laquelle  elle  les  instruisait  de  la  résolution 
où  elle  était  de  défendre  le  commerce  de  ses  sujets  et  le  droit 
universel  des  nations  neutres.  Cette  déclaration  portait  sur  des 
principes  si  justes  du  droit  des  gens  et  des  traités  subsistants, 
qu'il  ne  parut  pas  possible  de  les  révoquer  en  doute;  le  Roi  les 
a  trouvés  entièrement  d'accord  avec  sa  propre  cause,  avec  le 
traité  conclu  en  1760  entre  la  Suède  et  l'Angleterre,  et  celui 
de  la  France  et  de  la  Suède  en  1741  ;  et  Sa  Majesté  n'a  pu  se 
dispenser  de  reconnaître  et  d'adopter  ces  mêmes  principes, 
non-seulement  par  rapport  aux  puissances  avec  lesquelles  ces- 
dits  traités  sont  en  vigueur,  mais  aussi  par  rapport  à  celles 
qui  se  trouvent  déjà  impliquées  dans  la  présente  guerre  ,  ou 
qui  pourront  le  devenir  dans  la  suite,  et  avec  lesquelles  le  Roi 
est  dans  le  cas  de  ne  pas  avoir  de  traités  à  réclamer  :  c'est  la 


—  345  — 

loi  universelle  ;  et  au  défaut  des  engagoraenls  particuliers, 
celle-là  devient  obligatoire  pour  toutes  les  nations.  En  consé- 
quence, le  Roi  déclare  actuellement  de  nouveau  qu'il  observera 
la  même  neutralité  et  avec  la  même  exactitude  qu'il  l'a  fait  par 
le  passé.  Il  défendra  à  ses  sujets,  sous  de  grièves  peines  ,  do 
s'écarter,  en  manière  quelconque,  des  devoirs  que  leur  impose 
une  pareille  neutralité  ;  mais  il  protégera  leur  commerce  légi- 
time par  tous  les  moyens  possibles,  lorsqu'ils  le  feront  confor- 
mément aux  principes  ci-dessus  mentionnés. 


XIV. 

Page  103. 


Extrait  de  la  convention  maritime  entre  la  Russie  et  le  Dane- 
mark,  signée  à  Copenhague,  le  ^9  juillet  1780. 

Aet.  3. 

Principes  à  l'égard  du  commerce  libre. 

La  contrebande  déterminée  est  exclue  du  commerce  des 
nations  neutres  en  conformité  des  traités  et  stipulations 
expresses  subsistant  entre  les  hautes  parties  contractantes  et 
les  puissances  en  guerre ,  et  nommément  en  vertu  du  traité  de 
commerce  conclu  entre  la  Russie  et  la  Grande-Bretagne  le 
11  juillet  1770,  et  de  celui  conclu  entre  le  Danemark  et  la 
France  le  23  août  1742.  S.  M.  l'impératrice  de  toutes  les  Rus- 
sies  et  S.  M.  le  roi  de  Danemark  et  de  Norvège  entendent  et 
veulent  que  tout  autre  trafic  soit  et  reste  parfaitement  libre. 
Leurs  Majestés,  après  avoir  déjà  réclamé,  dans  leurs  déclara- 
tions faites  aux  puissances  belligérantes,  les  principes  géné- 
raux du  droit  naturel,  dont  la  liberté  du  commerce  et  de  la  na- 
vigation, de  même  que  les  droits  des  peuples  neutres,  sont  une 
conséquence  directe,  ont  résolu  de  ne  les  point  laisser  plus 
longtemps  dépendre  d'une  interprétation  arbitraire  suggérée 
par  les  intérêts  isolés  et  momentanés.  Dans  cette  vue ,  elles 
sont  convenues  : 

1'  Que  tout  vaisseau  peut  naviguer  librement  de  port  en 
port  et  sur  les  côtes  des  nations  en  guerre  ; 

2°  Que  les  effets  appartenant  aux  sujets  desdites  puissances 


—  346  — 

en  guerre  soient  libres  sur  les  vaisseaux  neutres,  à  l'exception 
des  marchandises  de  contrebande  ; 

3°  Que,  pour  déterminer  ce  qui  caractérise  un  port  bloqué, 
on  n'accorde  cette  dénomination  qu'à  celui  où  il  y  a,  par  la  dis- 
position de  la  puissance  qui  l'attaque  avec  des  vaisseaux  arrê- 
tés et  suffisamment  proches,  un  danger  évident  d'entrer  ; 

4°  Que  les  vaisseaux  neutres  ne  peuvent  être  arrêtés  que  sur 
de  justes  causes  et  faits  évidents  ;  qu'ils  soient  jugés  sans  re- 
tard ;  que  la  procédure  soit  toujours  uniforme,  prompte  et  lé- 
gale ;  et  que  chaque  fois ,  outre  les  dédommagements  qu'on 
accorde  à  ceux  qui  ont  fait  des  pertes  sans  avoir  été  en  faute, 
il  soit  rendu  une  satisfaction  complète  pour  l'insulte  faite  au 
pavillon  de  Leurs  Majestés. 


XV. 

Page  103. 


Extrait  de  la  convention  maritime  pour  le  maintien  du  com- 
merce et  de  la  navigation  neutre,  signée  le  1\  juillet  (  1"  août) 
1780,  entre  la  Suède  et  la  Russie. 

Art.  3. 

Frinci'pes  à  l'égard  du  commerce  libre. 

Là  contrebande  déterminée  est  exclue  du  commerce  des  na- 
tions neutres,  en  conformité  des  traités  et  stipulations  expres- 
ses subsistant  entre  les  hautes  parties  contractantes  et  les 
puissances  en  guerre ,  et  nommément  en  vertu  du  traité  de 
commerce  conclu  entre  la  Suède  et  la  Grande-Bretagne  le 
21  octobre  1661,  et  du  traité  préliminaire  de  commerce  entre 
la  Suède  et  la  France,  fait  en  1741,  ainsi  que  du  traité  de  com- 
merce conclu  entre  la  Russie  et  la  Grande-Bretagne  le  20  juin 
1766.  S.  M.  le  roi  de  Suède  et  S.  M.  l'impératrice  de  toutes  les 
Russies  entendent  et  veulent  que  tout  autre  trafic  soit  et  reste 
parfaitement  Ubre.  Leurs  Majestés,  après  avoir  déjà  réclamé, 
dans  leurs  déclarations  faites  aux  puissances  belligérantes,  les 
principes  généraux  du  droit  naturel,  dont  la  liberté  du  com- 
merce et  de  la  navigation,  de  même  que  les  droits  des  peuples 
neutres,  sont  une  conséquence  directe ,  ont  résolu  de  ne  les 


—  347  — 

point  laisser  plus  longtemps  dépendre  d'une  interprétation  ar- 
bitraire^ suggérée  par  des  intérêts  isolés  et  momentanés.  Dans 
cette  vue,  elles  sont  convenues  : 

1°  Que  tout  vaisseau  peut  naviguer  librement  de  port  en 
port  et  sur  les  côtes  des  nations  en  guerre  ; 

2°  Que  les  effets  appartenant  aux  sujets  desdites  puissances 
en  guerre,  soient  libres  sur  les  vaisseaux  neutres,  à  l'exception 
des  marchandises  de  contrebande  ; 

3»  Que ,  pour  déterminer  ce  qui  caractérise  un  port  bloqué, 
on  n'accorde  cette  dénomination  qu'à  celui  où  il  y  a,  par  la  dis- 
position de  la  puissance  qui  l'attaque  avec  des  vaisseaux  arrê- 
tés et  suffisamment  proches,  un  danger  évident  d'entrer  ; 

4*  Que  les  vaisseaux  neutres  ne  peuvent  être  arrêtés  que  sur 
de  justes  causes  et  faits  évidents  ;  qu'ils  soient  jugés  sans  re- 
tard ;  que  la  procédure  soit  toujours  uniforme,  prompte  et  lé- 
gale, et  que  chaque  fois,  outre  les  dédommagements  qu'on  ac- 
corde à  ceux  qui  ont  fait  des  perles  sans  avoir  été  en  faute,  il 
soit  rendu  une  satisfaction  complète  pour  l'insulte  faite  au 
pavillon  de  Leurs  Majestés. 


XVI. 

Page  103. 


Copie  du  Mémoire  de  la  cour  de  Russie ,  présenté  aux  cours  des 
puissances  belligérantes,  pour  leur  notifier  l'accession  du 
Danemark  et  de  la  Suède  au  système  de  la  neutralité  armée; 
année  1780. 

Le  soussigné,  envoyé,  etc.,  a  reçu  ordre  de  sa  Cour  de  com- 
muniquer à  celle  de....  une  convention  arrêtée  et  signée  à 
Saint-Pétersbourg  le  28  juin  (9  juillet),  entre  S.  M.  l'impéra- 
trice de  toutes  les  Russies,  sa  souveraine,  et  S.  M.  le  roi  de 
Danemark  et  de  Norvège,  le  21  juillet  (l"'' août),  entre  Sa  Majesté 
Impériale  et  S.  M.  le  roi  de  Suède  ,  qui  a  pour  seul  et  unique 
objet  le  maintien  des  droits,  des  libertés  appartenant  à  toutes 
les  nations  neutres.  Empressé  de  s'en  acquitter,  il  prie  le  mi- 
nistère de  Sa  Majesté de  vouloir  bien  la  porter  à  la  connais- 
sance du  Roi.  Sa  Majesté  retrouvera,  dans  tous  les  points  et  arti- 
cles de  ce  traité,  l'expression  des  principes  d'une  impartialité  et 


—  3/..8  — 

neutralité  parfaites,  ainsi  que  des  sentiments  de  justice  et  d'é- 
quité qui  guident  constamment  l'Impératrice  sa  souveraine,  et 
qui  l'ont  décidée  à  prendre  les  mesures  propres  à  mettre  ses 
sujets  à  l'abri  des  pertes ,  vexations  et  dangers  auxquels  eux, 
leur  commerce  et  leur  navigation  pourraient  être  exposés  par 
les  malheureuses  suites  de  la  guerre  maritime  qui  trouble  le 
repos  de  l'Europe. 

L'Impératrice  se  flatte  et  se  promet  de  l'amitié  et  de  l'esprit 
de  justice  dont  est  animée  Sa  Majesté...,  qu'elle  reconnaîtra 
l'équité  et  l'intention  pacifique  de  cette  convention,  et  qu'elle 
fera  tenir  la  main  à  l'exécution  des  ordres  qu'elle  a  fait  expé- 
dier à  tous  ses  officiers  et  commandants  de  ses  vaisseaux  de 
guerre,  ainsi  qu'à  ses  armateurs,  de  respecter  les  droits  et  les 
libertés  des  nations  neutres,  tout  comme  Sa  Majetsé  Impériale  a 
pourvu  à  ce  que  ses  sujets  ne  fassent  point  de  commerce  illi- 
cite au  désavantage  de  l'une  ou  l'autre  des  puissances  en 
guerre. 


XVII. 

Page  103. 


Copie  de  la  déclaration  des  États  Généraux  des  Provinces- 
Unies,  remise  par  leurs  ministres  aux  cours  des  puissances 
belligérantes ,  pour  leur  notifier  leur  accession  aux  conven- 
tions maritimes  entre  la  Russie,  d'un  côté,  et  le  Danemark  et 
la  Suède,  de  l'autre. 

L'article  10  de  la  double  convention  des  cours  de  Copen- 
hague et  de  Saint-Pétersbourg,  communiqué  à  celle  de  Lon- 
dres (Versailles,  Madrid),  énonçant  le  consentement  des  hautes 
parties  contractantes  à  l'accession  des  autres  puissances  égale- 
ment neutres  ;  LL.  HH.  PP.  les  seigneurs  I^tals  Généraux  des 
Provinces-Unies  se  sont  déterminées  à  former  de  concert  avec 
S.  M.  l'impératrice  de  toutes  les  Russies  et  LL.  MM.  les  deux 
Rois  ses  alliés,  une  union  fondée  sur  un  système  juste  et  rai- 
sonnable de  neutralité  sur  mer,  et  ayant  pour  but  le  maintien 
des  intérêts  et  des  droits  de  leurs  sujets.  Pour  cet  effet,  elles 
ont  accédé  en  qualité  de  parties  principales  contractantes,  par 
un  acte  formel,  signé   à  Saint-Pétersbourg  le  24  décembre 


^  349  — 

1780,  aux  conventions  de  Copenhague  el  de  Saint-Péters- 
bourg, conclues,  le  28  juin (9  juillet)  et  le  21  juillet  (  1"  août) 
1780,  entre  S.  M.  l'impératrice  de  toutes  les  Russies,  et  LL. 
MM.  les  rois  de  Danemark  et  de  Suède. 

Le  soussigné  ambassadeur  (envoyé),  ayant  l'honneur  de 
communiquer  cet  acte  au  ministère  de  Sa  Majesté  Britannique 
(Très-Chrétienne,  Catholique),  le  prie  de  vouloir  bien  le  porter 
à  la  connaissance  du  Roi  son  maître  :  Sa  Majesté  y  trouvera 
une  nouvelle  expression  des  principes  de  l'impartiahté  dont 
LL.  HH.  PP.  ses  maîtres  font  constamment  profession ,  et  qui 
répondent  si  bien  aux  sentiments  de  justice  et  d'équité  qui  les 
ont  décidés  à  adopter  le  seul  moyen  propre  à  mettre  leurs 
sujets  à  l'abri  des  pertes ,  vexations  et  dangers  auxquels  eux, 
leur  commerce  et  leur  navigation  pourraient  être  exposés 
par  les  malheureuses  suites  de  la  guerre  maritime  qui  trouble 
le  repos  de  l'Europe. 

Leui-s  Hautes  Puissances  se  flattent  et  se  promettent  de  l'a- 
mitié et  de  l'esprit  de  justice  dont  est  animée  Sa  Majesté  Britan- 
nique Très-Chrétienne,  Catholique)  qu'elle  reconnaîtra  l'équité  et 
l'intention  pacifique  d'une  telle  mesure,  et  qu'elle  fera  tenir  la 
main  à  l'exécution  des  ordres  qu'elle  a  fait  expédiera  tous  les 
officiers  et  commandants  de  ses  vaisseaux  de  guerre,  ainsi 
qu'à  ses  armateurs  ,  de  respecter  les  droits  et  les  libertés  des 
nations  neutres ,  tout  comme  Leurs  Hautes  Puissances  ont 
pourvu  à  ce  que  les  sujets  de  la  république  ne  fassent  point 
de  commerce  illicite  au  désavantage  de  l'une  et  de  l'autre  des 
puissances  en  guerre. 


XVIII. 

Page  104. 


Réponse  de  la  cour  de  Londres  à  la  déclaration  de  l'impéra- 
Iricc  de  Russie,  louchant  le  commerce  neutre,  datée  du  28  fé- 
vrier 1780,  et  présentée  à  la  cour  de  Londres  le  V  avril  1780. 

Pendant  tout  le  cours  de  la  guerre  dans  laquelle  le  roi  de  la 
(irande-Brelagne  se  trouve  engagé  par  l'agression  de  la  France 
et  de  l'Espagne ,  il  a  manilesté  les  sentiments  de  justice,  d'é- 
quité et  de  modération  qui  gouvernent  toutes  ses  démarches. 


—  350  — 

Sa  Majesté  a  réglé  sa  conduite  envers  les  puissances  amies  et 
neutres,  d'après  la  leur  à  son  égard,  la  conformant  aux  princi- 
pes les  plus  clairs  et  les  plus  généralement  reconnus  du  droit 
des  gens,  qui  est  la  seule  loi  entre  les  nations  qui  n'ont  point  de 
traité,  et  à  la  teneur  de  ses  différents  engagements  avec  d'au- 
tres puissances,  lesquels  engagements  ont  varié  cette  loi  pri- 
mitive par  des  stipulations  mutuelles,  et  l'ont  variée  de  beau- 
coup de  manières  différentes,  selon  la  volonté  et  la  convenance 
des  parties  contractantes. 

Fortement  attaché  à  S.  M.  l'impératrice  de  toutes  les  Rus- 
sies,  par  les  liens  d'une  amitié  réciproque  et  d'un  intérêt 
commun,  le  Roi,  dès  le  commencement  de  ces  troubles,  donna 
les  ordres  les  plus  précis  de  respecter  le  pavillon  de  Sa  Majesté 
et  le  commerce  de  ses  sujets,  selon  le  droit  des  gens  et  la  te- 
neur des  engagements  qu'il  a  contractés  dans  son  traité  de 
commerce  avec  elle,  et  qu'il  remplira  avec  l'exactitude  la  plus 
scrupuleuse.  Les  ordres  à  ce  sujet  ont  été  renouvelés ,  et  on 
veillera  strictement  à  leur  exécution.  Il  est  à  présumer  qu'ils 
empêcheront  toute  irrégularité  ;  mais  s'il  arrivait  qu'il  y  eût  la 
moindre  violation  de  ces  ordres  réitérés ,  les  tribunaux  d'ami- 
rauté qui ,  dans  ce  pays-ci ,  comme  dans  tous  les  autres,  sont 
établis  pour  connaître  de  pareilles  matières,  et  qui,  dans  tous 
les  cas,  jugent  uniquement  par  le  droit  général  des  nations  et 
par  les  stipulations 'particulières  des  différents  traités,  redres- 
seraient ces  torts  d'une  manière  si  équitable ,  que  Sa  Majesté 
Impériale  serait  entièrement  satisfaite  de  leurs  décisions ,  et  y 
reconnaîtrait  cet  esprit  de  justice  qui  l'anime  elle-même. 


XIX. 

Page  104. 


Extrait  du  traité  définitif  de  paix  et  d'amitié  entre  le  roi  de  la 
Grande-Bretagne  et  le  Roi  Très-Chrétien,  signé  à  Versailles 
le  3  septembre  1783. 

Art.  2. 

Renowcellemenl  des  traités. 

Les  traités  de  Westphalie  de  1648  ;  les  traités  de  paix  de  Ni- 
raègue,  de  1678  et  1679;  de  Ryswyck,  de  1697;  ceux  de  paix 


—  351  — 

et  de  commerce  d'Utrech,  de  1713  ;  celui  de  Bade,  de  1714,  etc. , 
servent  de  base  et  de  fondement  à  la  paix  et  au  présent  traité  ; 
et  pour  cet  effet ,  ils  sont  tous  renouvelés  et  confirmés  dans  la 
meilleure  forme,  ainsi  que  tous  les  traités  en  général  qui  sub- 
sistaient entre  les  hautes  parties  contractantes  avant  la  guerre, 
et  comme  s'ils  étaient  insérés  ici  mot  à  mot ,  en  sorte  qu'ils 
devront  être  observés  exactement  à  l'avenir,  dans  toute  leur 
teneur,  et  religieusement  exécutés  de  part  et  d'autre ,  dans 
tous  les  points  auxquels  il  n'est  pas  dérogé  par  le  présent 
traité  de  paix. 


XX. 

Page  104. 


Extrait  du  traité  de  commerce  entre  l'empire  de  Russie  et  la 
Porte  Ottomane,  conclu  à  Constantinople  le  ^Ijuin  1783. 

Art.  40. 

Contrebande  de  guerre. 

Lorsqu'une  des  parties  contractantes  se  trouverait  en  guerre 
avec  une  puissance  étrangère  quelconque,  il  n'est  pas  défendu 
aux  sujets  de  l'autre  partie  contractante  de  faire  leur  com- 
merce avec  celle-ci,  et  de  fréquenter  ses  États,  pourvu  qu'ils 
n'importent  pas  chez  l'ennemi  des  munitions  ou  provisions  de 
guerre.  On  comprendra  sous  la  dénomination  de  munitions  de 
guerre,  les  choses  suivantes  ;  savoir  :  canons ,  mortiers,  armes 
à  feu,  pistolets,  bombes,  grenades,  boulets,  balles,  fusils,  pier- 
res à  feu,  mèches,  poudre ,  salpêtre,  soufre,  cuirasses,  piques, 
épées,  ceinturons,  poches  à  cartouches,  selles  et  brides,  en 
exceptant  toutefois  la  quantité  nécessaire  pour  la  défense  du 
vaisseau  et  de  son  équipage.  Au  reste,  les  effets  qui  ne  se  trou- 
vent point  spécifiés  ici ,  ne  seront  pas  réputés  munitions  de 
guerre  et  navales. 


—  352  — 

XXI. 

Page  104. 

Extrait  du  traité  de  commerce  et  de  navigation,  signé  en  1784, 
entre  l'empereur  des  Romains  et  V impératrice  de  Russie,  et 
publié,  en  1785,  en  forme  d'édit,  dans  leurs  États  respectifs. 

ÉDIT  DE  l'impératrice  DE  RUSSIE. 

Art.  12. 
Maintien  du  système  de  neutralité  armée. 

Ayant  reconnu  l'utilité  et  le  but  salutaire  des  principes  du 
système  de  la  neutralité  armée,  que,  de  concert  avec  plusieurs 
autres  puissances,  nous  avons  adoptés  pendant  la  dernière 
guerre  maritime,  nous  sommes  résolue,  non-seulement  de  veil- 
ler à  leur  maintien  en  général,  mais  de  les  faire  observer  aussi 
et  exécuter  vis-à-vis  des  sujets  de  S.  M.  l'Empereur  :  en 
conséquence ,  s'il  arrivait  que  nous  fussions  engagée  dans  une 
guerre  avec  d'autres  États  ,  nous  voulons  que  la  communica- 
tion et  le  commerce  libre  des  sujets  autrichiens  avec  ces 
mêmes  États  ne  soieat  point  pour  cela  interrompus  ;  mais  dans 
un  tel  cas,  ils  jouiront  des  avantages  renfermés  dans  les  quatre 
axiomes  suivants  : 

1°  Que  tout  vaisseau  pourra  naviguer  librement  de  port  en 
port  et  sur  les  côtes  des  nations  en  guerre  ; 

2°  Que  les  effets  appartenant  aux  sujets  des  puissances  en 
guerre  seront  libres  sur  les  vaisseaux  neutres,  à  l'exception 
des  marchandises  de  contrebande  ; 

3°  Que,  pour  déterminer  ce  qui  caractérise  un  port  bloqué, 
on  n'accordera  cette  dénomination  qu'à  celui  où  les  vaisseaux 
de  la  puissance  qui  l'attaque ,  en  seront  suffisamment  proches, 
et  postés  de  façon  qu'il  y  ait  un  danger  évident  d'y  entrer  ; 

4"  Que  les  vaisseaux  neutres  ne  pourront  être  arrêtés  que 
sur  de  justes  causes  et  des  faits  évidents;  qu'ils  seront  jugés 
sans  retard  ;  que  la  procédure  sera  toujours  uniforme,  prompte 
et  légale  ;  et  que  chaque  Ibis,  outre  les  dédommagements  que 
l'on  accordera  à  ceux  qui  ont  fait  des  pertes  sans  avoir  été  en 
faute,  il  sera  rendu  une  satisfaction  complète  pour  l'insulte 
faite  au  pavillon  lésé. 


—  353  — 

Art.  13. 
Visitation  sur  mer. 

Les  navires  marchands  des  sujets  de  S.  M.  l'Empereur,  na- 
viguant seuls,  et  lorsqu'ils  seront  rencontrés,  ou  sur  les  côtes, 
ou  en  pleine  mer,  par  nos  vaisseaux  de  guerre  ou  par  des  ar- 
mateurs particuliers ,  en  subiront  la  visite  ;  mais  tandis  qu'il 
ne  sera  pas  permis,  en  ce  cas,  auxdits  navires  marchands  de 
rien  jeter  de  leurs  papiers  en  mer,  nous  ordonnons  à  nosdils 
vaisseaux  de  guerre  ou  armateurs  de  rester  de  leur  côté  con- 
stamment hors  de  la  portée  du  canon  des  navires  marchands 
autrichiens;  et  pour  obvier  entièrement  à  tout  désordre,  de 
ne  jamais  envoyer  au  delà  de  deux  ou  trois  hommes  dans  leurs 
chaloupes,  à  bord  des  derniers,  pour  faire  examiner  les  passe- 
ports et  lettres  de  mer  qui  constateront  la  propriété  et  les  char- 
gements de  ces  navires  ;  mais  aussitôt  que  de  tels  navires  mar- 
chands se  trouveront  escortés  par  un  ou  plusieurs  vaisseaux 
de  guerre,  la  simple  déclaration  de  l'officier  commandant  l'es- 
corte,  que  ces  navires  ne  portent  pas  de  contrebande ,  doit 
être  envisagée  comme  pleinement  suffisante ,  et  aucune  visite 
n'aura  plus  lieu. 


edit  de  l  empereur  d  autriche. 

Art.  14. 

Jfatntten  du  système  de  neutralité. 

Ayant  reconnu  l'utilité  et  le  but  salutaire  des  principes  du 
système  de  la  neutralité  armée,  que,  de  concert  avec  plusieurs 
autres  puissances ,  nous  avons  adopté  pendant  la  dernière 
guerre  maritime,  nous  sommes  résolus,  non-seulement  do 
veiller  à  leur  maintien  en  général ,  mais  de  les  faire  observer 
aussi  et  exécuter  vis-à-vis  des  sujets  de  S.  M.  l'impératrice  do 
Russie.  En  conséquence,  s'il  arrivait  que  nous  fussions  engagés 
dans  une  guerre  avec  d'autres  Etats,  nous  voulons  que  la  com- 
munication et  le  commerce  libre  des  sujets  russes  avec  ces 
mêmes  Étals  ne  soient  point  interrompus  pour  cela  ;  dans  un 
tel  cas,  ils  jouiront  des  avantages  renfermés  dans  les  quatre 
axiomes  suivants  : 

XI  23 


—  354  — 

1°  Que  tout  vaisseau  pourra  naviguer  librement  de  port  en 
port  et  sur  les  côtes  des  nations  en  guerre  ; 

2°  Que  les  effets  appartenant  aux  sujets  des  puissances  en 
guerre,  seront  libres  sur  les  vaisseaux  neutres  ,  à  l'exception 
des  marchandises  de  contrebande  ; 

3°  Que  pour  déterminer  ce  qui  caractérise  un  port  bloqué, 
on  n'accordera  cette  dénomination  qu'à  celui  où  les  vaisseaux 
de  la  puissance  qui  l'attaque,  en  seront  suffisamment  proches, 
et  postés  de  façon  qu'il  y  ait  un  danger  évident  d'y  entrer  ; 

4°  Que  les  vaisseaux  neutres  ne  pourront  être  arrêtés  que 
sur  de  justes  causes  et  sur  des  faits  évidents  ;  qu'ils  seront  jugés 
sans  retard  ;  que  la  procédure  sera  toujours  uniforme,  prompte 
et  légale ,  et  que  chaque  fois,  outre  les  dédommagements  que 
l'on  accordera  à  ceux  qui  ont  fait  des  pertes  sans  avoir  été  en 
faute ,  il  sera  rendu  une  satisfaction  complète  pour  l'insulte 
faite  au  pavillon  lésé. 

Akt.   15. 

Visitation  sur  mer. 

Les  navires  marchands  des  sujets  de  S.  M.  l'impératrice  de 
Russie,  naviguant  seuls,  et  lorsqu'ils  seront  rencontrés,  ou  sur 
les  côtes  ou  en  pleine  mer,  par  nos  vaisseaux  de  guerre  ou  par 
des  armateurs  particuliers  ,  en  subiront  la  visite  ;  mais  tandis 
qu'il  ne  sera  pas  permis,  en  ce  cas,  auxdits  navires  marchands, 
de  rien  jeter  de  leurs  papiers  en  mer,  nous  ordonnons  à  nos- 
dits  vaisseaux  de  guerre  ou  armateurs  de  rester  de  leur  côté 
constamment  hors  de  la  portée  du  canon  des  navires  mar- 
chands russes,  et,  pour  obvier  entièrement  à  tout  désordre,  de 
ne  jamais  envoyer  au  delà  de  deux  ou  trois  hommes  dans  leurs 
chaloupes,  à  bord  des  derniers,  pour  faire  examiner  les  passe- 
ports et  lettres  de  mer  qui  constateront  la  propriété  et  les  char- 
gements de  ces  navires  ;  mais  aussitôt  que  de  tels  navires 
marchands  se  trouveront  escortés  par  un  ou  plusieurs  vais- 
seaux de  guerre,  la  simple  déclaration  de  l'officier  comman- 
dant l'escorte  ,  que  ces  navires  ne  portent  pas  de  contrebande, 
doit  être  envisagée  comme  pleinement  suffisante,  et  aucune 
visite  n'aura  plus  lieu. 


—  355  —  ; 

XXII. 

Page  104. 

Extrait  du  traité  d'amitié  et  de  commerce  entre  S.  M.  le  roi 
de  Prusse  et  les  États-Unis  d'Amérique,  signé  à  la  Haye 
le  10  septembre  1785. 

Aet.  12. 

Commerce  neutre. 

Si  l'une  des  parties  contractantes  était  en  guerre  avec  une 
autre  puissance ,  la  libre  correspondance  et  le  commerce  des 
citoyens  ou  sujets  de  la  partie  qui  demeure  neutre  envers  les 
puissances  belligérantes,  ne  seront  point  interrompus.  Au  con- 
traire, et  dans  ce  cas  comme  en  pleine  paix,  les  vaisseaux  de 
la  partie  neutre  pourront  naviguer  en  toute  sûreté  dans  les 
ports  et  sur  les  côtes  des  puissances  belligérantes ,  les  vais- 
seaux libres  rendant  les  marchandises  libres;  en  tant  qu'on  re- 
gardera comme  libre  tout  ce  qui  sera  à  bord  d'un  navire 
appartenant  à  la  partie  neutre,  quand  même  ces  effets  appar- 
tiendraient à  l'ennemi  de  l'autre.  La  même  liberté  s'étendra  aux 
personnes  qui  se  trouveront  à  bord  d'un  vaisseau  libre,  quand 
même  elles  seraient  ennemies  de  l'autre  partie,  excepté  que  ce 
fussent  des  gens  de  guerre  actuellement  au  service  de  l'ennemi. 

Art.  13. 

Contrebande. 

Dans  le  cas  où  l'une  des  parties  contractantes  se  trouverait 
en  guerre  avec  une  autre  puissance,  il  a  été  convenu  que,  pour 
prévenir  les  difficultés  et  les  discussions  qui  surviennent  ordi- 
nairement par  rapport  aux  marchandises  ci- devant  appelées 
de  contrebande,  telles  qu'armes,  munitions  et  autres  provisions 
de  toute  espèce,  aucun  de  ces  articles  chargés  à  bord  des  vais- 
seaux des  citoyens  ou  sujets  de  l'une  des  parties  et  destinés 
pour  l'ennemi  de  l'autre ,  ne  sera  censé  de  contrebande,  au 
point  d'impliquer  confiscation  ou  condamnation,  et  d'entraîner 
la  perte  de  la  propriété  des  individus.  Néanmoins  il  sera  per- 
mis d'arrêter  ces  sortes  de  vaisseaux  et  eflets,  et  de  les  retenir 
pendant  tout  le  temps  que  le  preneur  croira  nécessaire  pour 
prévenir  les  inconvénients  et  les  dommages  qui  pourraient  en 
résulter  autrement  j  mais,  dans  ce  cas,  on  accordera  une  eom- 


—  350  — 

pensation  raisonnable  pour  les  pertes  qui  auraient  été  occasion- 
nées par  la  saisie  :  et  il  sera  permis  en  outre  aux  preneurs 
d'employer  à  leur  service,  en  tout  ou  en  partie,  les  munitions 
militaires  détenues ,  en  payant  aux  propriétaires  la  pleine  va- 
leur, à  déterminer  sur  le  prix  qui  aura  cours  à  l'endroit  de  leur 
destination  ;  n]ais  que,  dans  le  cas  énoncé  d'un  vaisseau  arrêté 
pour  des  articles  ci-devant  appelés  contrebande,  si  le  maître 
du  navire  consentait  à  délivrer  les  marchandises  suspectes,  il 
aura  la  liberté  de  le  faire,  et  le  navire  ne  sera  plus  amené  dans 
le  port,  ni  détenu  plus  longtemps,  mais  aura  toute  liberté  de 
poursuivre  sa  course. 

Abt.  15. 

Visitation  sur  mer. 
Pour  prévenir  entièrement  tout  désordre  et  toute  violence 
en  pareil  cas,  il  a  été  stipulé  que,  lorsque  des  navires  de  la 
partie  neutre,  naviguant  sans  convoi,  rencontreront  quelque 
vaisseau  de  guerre  public  ou  particulier  de  l'autre  partie ,  le 
vaisseau  de  guerre  n'approchera  le  navire  neutre  qu'au  delà  de 
la  portée  du  canon ,  et  n'enverra  pas  plus  de  deux  ou  trois 
hommes  dans  sa  chaloupe  à  bord ,  pour  examiner  les  lettres 
de  mer  ou  passe-ports  :  et  toutes  les  personnes  appartenant  à 
quelque  vaisseau  de  guerre  public  ou  particulier,  qui  moleste- 
ront ou  insulteront ,  en  quelque  manière  que  ce  soit ,  l'équi- 
page, les  vaisseaux  ou  effets  de  l'autre  partie,  seront  respon- 
sables, en  leurs  personnes  et  en  leurs  biens,  de  tous  dommages 
et  intérêts ,  pour  lesquels  il  sera  donné  caution  suffisante  par 
tous  les  commandants  de  vaisseaux  armés  en  course,  avant 
qu'ils  reçoivent  leurs  commissions. 


XXIII. 

Page  104. 


Extrait  du  traité  d'alliance  défensive  entre  5.  M.  le  roi  Très- 
Chrétien  et  les  États  Généraux  des  Provinces-Unies  des 
Pays-Bas,  à  Fontainebleau,  le  10  novembre  1785. 

Art.  8. 

Commerce  neutre. 

Lorsqu'il  se  déclarera  une  guerre  maritime  à  laquelle  les 
deux  hautes  parues  contractantes  ne  prendront  aucune  part, 


—  357  — 

elles  se  garantiront  mutuellement  la  liberté  des  mers,  confor- 
mément au  principe  qui  veut  qae pavilloîi  ami  sauve  marchan- 
dise ennemie,  sauf  toutefois  les  exceptions  énoncées  dans  les 
articles  19  et  20  du  traité  de  commerce  signé  à  Utreclit,  le 
11  avril  1713,  entre  la  France  et  les  Provinces-Unies,  lesquels 
articles  auront  la  môme  force  et  valeur  que  s'ils  étaient  insé- 
rés mot  à  mot  dans  le  présent  traité. 


XXIV. 

Page  104. 


Extrait  du  traité  d'amitié  et  de  commerce  conclu  entre  S.  M. 
le  roi  de  Suède  et  les  États-Unis  de  l'Amérique  septentriO' 
nale,  le  3  avril  1783. 

Aut.  7. 

Libre  commerce  en  temps  de  guerre.  Le  navire  couvre  la  cargaison. 

11  sera  permis  à  tous  el  à  chacun  des  sujets  et  habitants  du 
royaume  de  Suède,  ainsi  qu'à  ceux  des  États-Unis,  de  navi- 
guer, avec  leurs  bâtiments,  en  toute  sûreté  et  liberté,  et  sans 
distinction  de  ceux  à  qui  les  marchandises  et  leurs  charge- 
ments appartiendront,  de  quelque  port  que  ce  soit.  Il  sera  per- 
mis également  aux  sujets  et  habitants  des  deux  Ktats,  de  na- 
viguer et  de  négocier  avec  leurs  vaisseaux  et  marchandises,  et 
de  fréquenter,  avec  la  même  liberté  et  sûreté,  les  places,  porls 
et  havres  des  puissances  ennemies  des  deux  parties  contrac- 
tantes, ou  de  l'une  d'elles,  sans  être  aucunement  inquiétés  ni 
troublés,  et  de  faire  le  commerce  non-seulement  directement 
des  ports  de  l'ennemi  à  un  port  neutre,  mais  encore  d'un  port 
ennemi  à  un  autre  port  ennemi,  soit  qu'il  se  trouve  sous  la  ju- 
ridiction d'un  même  ou  de  différents  princes.  Et  comme  il  est 
reçu,  par  le  présent  traité,  par  rapport  aux  navires  et  aux  mar- 
chandises, que  les  vaisseaux  libres  rendront  les  marchandises 
libres,  et  que  l'on  regardera  comme  libre  tout  ce  qui  sera  ù 
bord  des  navires  appartenant  aux  sujets  de  l'une  ou  de  l'autre 
des  parties  contractantes,  quand  même  le  chargement  ou  par- 
tie d'icelui  appartiendrait  aux  ennemis  de  l'un  des  deux,  bien 
entendu  néanmoins  que  les  marchandises  de  contrebande  se- 
ront toujours  exceptées,  lesquelles  étant  interceptées,  il  sera 
procédé  conformément  à  l'esprit  des  articles  suivants.  Il  est 
également  convenu  que  cette  môme  liberté  s'étendra  aux  per- 


—  358  — 

sonnes  qui  naviguent  sur  un  vaisseau  libre  ;  de  manière  que, 
quoiqu'elles  soient  ennemies  des  deux  parties  ou  de  l'une  d'el- 
les ,  elles  ne  seront  point  tirées  du  vaisseau  libre ,  si  ce  n'est 
que  ce  fussent  des  gens  de  guerre  actuellement  au  service  des- 
dits ennemis. 

Art.  8. 

Exception. 

Cette  liberté  de  navigation  et  de  commerce  s'étendra  à  toute 
sorte  de  marchandises,  à  la  réserve  seulement  de  celles  qui  sont 
exprimées  dans  l'article  suivant,  et  désignées  sous  le  nom  de 
marchandises  de  contrebande. 

Abt.  9. 

Contrebande, 

On  comprendra  sous  le  nom  de  marchandises  de  contrebande 
ou  défendues ,  les  armes ,  canons,  boulets,  arquebuses,  mous- 
quets, mortiers,  bombes,  pétards,  grenades,  saucisses,  cercles 
poissés,  affûts ,  fourchettes ,  bandoulières,  poudre  à  canon,  mè- 
ches, salpêtre,  soufre,  balles,  piques,  sabres,  épées,  morions, 
casques,  cuirasses,  hallebardes ,  javelines,  pistolets  et  leurs 
fourreaux,  baudriers,  baïonnettes,  chevaux  avec  leurs  harnais, 
et  tous  autres  semblables  genres  d'armes  et  d'instruments  de 
guerre  servant  à  l'usage  des  troupes. 

Art.    10. 

Marchandises  libres. 

On  ne  mettra  point  au  nombre  des  marchandises  défendues, 
celles  qui  suivent  ;  savoir  :  toute  sorte  de  draps  et  tous  autres 
ouvrages  de  manufactures  de  laine,  de  lin,  de  soie  ,  de  coton 
et  de  toute  autre  matière  ;  tout  genre  d'habillements,  avec  les 
choses  qui  servent  ordinairement  à  les  faire  ;  or,  argent  mon- 
nayé ou  non  monnayé,  étain,  fer,  plomb,  cuivre,  laiton,  char- 
bon à  fourneau,  blé,  orge,  et  toute  autre  sorte  de  grains  et  do 
légumes,  la  nicotiane,  vulgairement  appelée  tabac ,  toute  sorte 
d'aromates,  chairs  salées  et  fumées,  poissons  salés,  fromage  et 
beurre,  bière,  huile,  vins,  sucre,  toute  sorte  de  sels  et  de  pro- 
visions servant  à  la  nourriture  et  à  la  subsistance  des  hommes  ; 
tout  genre  de  coton,  chanvre,  lin,  poix  tant  liquide  que  sèche, 
cordages,  câbles,  voiles,  toiles  propres  à  faire  des  voiles;  an- 
cres et  parties  d'ancre,  quelles  qu'elles  puissent  être,  mâts  de 


—  359  — 

navire,  planches,  madriers,  poulres  de  toute  sorte  d'arbres  ;  et 
toutes  autres  choses  nécessaires  pour  construire  ou  pour  ra- 
douber les  vaisseaux.  On  ne  regardera  pas  non  plus  comme 
marchandises  de  contrebande  celles  qui  n'auront  pas  pris  la 
forme  de  quelque  instrument  ou  attirail  servant  à  l'usage  de  la 
guerre  sur  terre  ou  sur  mer  ;  encore  moins  celles  qui  sont  pré- 
parées ou  travaillées  pour  tout  autre  usage  :  toutes  ces  choses 
seront  censées  marchandises  libres,  de  même  que  toutes  celles 
qui  ne  sont  point  comprises  et  spécialement  désignées  sous 
aucune  interprétation  prétendue  d'icelles  ,  être  comprises  sous 
les  effets  prohibés  ou  de  contrebande  ;  au  contraire,  elles  pour- 
ront être  librement  transportées  par  les  sujets  du  Roi  et  des 
États-Unis,  même  dans  les  lieux  ennemis  ,  excepté  seulement 
dans  les  places  assiégées,  bloquées  ou  investies  ;  et  pour  telles 
seront  tenues  uniquement  les  places  entourées  de  près  par 
quelqu'une  des  puissances  belligérantes. 

ÂBT.  25. 

Visitation  sur  mer. 

Lorsqu'un  vaisseau  appartenant  aux  sujets  et  habitants  de 
l'une  des  deux  parties,  naviguant  en  pleine  mer,  sera  rencon- 
tré par  un  vaisseau  de  guerre  ou  armateur,  pour  éviter  tout 
désordre,  il  se  tiendra  hors  de  la  portée  du  canon  ;  mais  pourra 
toutefois  envoyer  sa  chaloupe  à  bord  du  navire  marchand,  et 
y  faire  entrer  deux  ou  trois  hommes ,  auxquels  le  maître  ou  le 
commandant  dudit  navire  montrera  son  passe-port  qui  constate 
la  propriété  du  navire  ;  et  après  que  ledit  bâtiment  aura  exhibé 
son  passe-port,  il  lui  sera  libre  de  continuer  son  voyage, 'et  il  ne 
sera  pas  permis  de  le  molester  ni  de  chercher  en  aucune  ma- 
nière à  lui  donner  la  chasse  ou  à  le  forcer  de  quitter  la  course 
qu'il  s'était  proposée. 


XXV. 

Page  105. 


Extrait  du  traité  de  navigation  et  de  commerce  entre  la  France 
et  la  Grande-Bretagne,  conclu  à  Versailles  le  26  septem- 
bre 1786. 

Â&TicLE  PAErnsa. 

Il  a  été  convenu ,  etc. 


—  360  — 

Art.  16. 

Il  ne  sera  pas  permis  aux  armateurs  étrangers  qui  ne  seront 
pas  sujets  de  l'une  où  de  l'autre  couronne,  et  qui  auront  com- 
mission de  quelque  autre  prince  ou  État  ennemi  de  l'un  ou  de 
l'autre,  d'armer  leurs  vaisseaux  dans  les  ports  de  l'un  ou  de 
l'autre  desdits  deux  royaumes,  d'y  vendre  ce  qu'ils  auront  pris, 
ou  de  changer  "en  quelque  manière  que  ce  soit  ni  d'acheter 
même  d'autres  vivres  que  ceux  qui  leur  seront  nécessaires  pour 
parvenir  au  port  le  plus  prochain  du  prince  dont  ils  auront  ob- 
tenu des  commissions. 

Art.  20. 

Il  sera  permis  à  tous  les  sujets  du  Roi  Très-Chrétien  et  du  roi 
de  la  Grande-Bretagne  ,  de  naviguer  avec  leurs  vaisseaux  en 
toute  sûreté  et  liberté ,  et  sans  distinction  de  ceux  à  qui  les 
marchandises  de  leurs  chargements  appartiendront,  de  quelque 
port  que  ce  soit,  dans  les  lieux  qui  sont  déjà  ou  qui  seront  ci- 
après  en  guerre  avec  le  Roi  Très-Chrétien  ou  avec  le  roi  de  la 
Grande-Bretagne.  Il  sera  aussi  permis  auxdits  sujets  de  navi- 
guer et  de  négocier  avec  leurs  vaisseaux  et  marchandises,  avec 
la  même  liberté  et  sûreté ,  des  lieux,  ports  et  endroits  apparte- 
nant aux  ennemis  des  deux  parties  ou  de  l'une  d'elles ,  sans 
être  aucunement  inquiétés  ni  troublés  ,  et  d'aller  directement, 
non-seulement  desdits  lieux  ennemis  à  un  lieu  neutre,  mais 
encore  d'un  lieu  ennemi  à  un  autre  lieu  ennemi ,  soit  qu'ils 
soient  sous  la  juridiction  d'un  même  ou  de  différents  princes  : 
et  comme  il  a  été  stipulé  par  rapport  aux  navires  et  aux  mar- 
chandises, que  l'on  regardera  comme  libre  tout  ce  qui  sera 
trouvé  sur  les  vaisseaux  appartenant  aux  sujets  de  l'un  et  de 
l'autre  royaume,  quoique  tout  le  chargement  ou  une  partie  de 
ce  môme  chargement  appartienne  aux  ennemis  de  Leurs  Ma- 
jestés, à  l'exception  cependant  des  marchandises  de  contre- 
bande, lesquelles  étant  interceptées,  il  sera  procédé  conformé- 
ment à  l'esprit  des  articles  suivants  ;  de  même  il  a  été  convenu 
que  cette  même  liberté  doit  s'étendre  aussi  aux  personnes  qui 
naviguent  sur  un  vaisseau  libre,  de  manière  que  quoiqu'elles 
soient  ennemies  des  deux  parties  ou  de  l'une  d'elles,  elles  ne 
seront  point  tirées  du  vaisseau  libre,  si  ce  n'est  que  ce  fussent 
des  gens  de  guerre  actuellement  au  service  desdits  ennemis,  et 
se  transportant  pour  être  employés  comme  militaires  dans  leurs 
flottes  ou  dans  leurs  armées. 


—  .%1  — 

Art.  21. 

Celle  lilxjrlé  de  navigation  de  commerce  s'clendra  à  toute 
sorte  de  marchandises,  à  la  n'-serve  seulement  de  celles  qui 
seront  exprimées  dans  l'article  suivant  et  désignées  sous  le 
nom  de  marchandises  de  contrebande. 

Art.  22. 

On  comprendra  sous  ce  nom  de  marchandises  de  contre- 
bande ou  défendues,  les  armes,  canons,  arquebuses,  mortiers, 
pétards  ,  bombes,  grenades,  saucisses,  cercles  poissés,  affûts, 
fourchettes,  bandoulières,  poudre  à  canon,  mèches,  salpêtre, 
balles,  piques,  épées,  morions,  casques,  cuirasses,  hallebardes, 
javelines,  fourreaux  de  pistolet,  baudriers,  chevaux  avec  leurs 
harnais,  et  tous  autres  semblables  genres  d'armes  et  d'instru- 
ments de  guerre  servant  à  l'usage  des  troupes. 

Art.  23. 

On  ne  mettra  point  au  nombre  des  marchandises  défendues 
celles  qui  suivent;  savoir  :  toute  sorte  de  draps ,  et  tous  autres 
ouvrages  de  manufactures  de  laine,  de  lin,  de  soie,  de  coton  et 
de  toute  autre  matière;  tout  genre  d'habillements,  avec  les 
choses  qui  servent  ordinairement  à  les  faire  ;  or,  argent  mon- 
nayé ou  non  monnayé  ,  étain,  fer,  plomb,  cuivre,  laiton,  char- 
bon à  fourneau,  blé,  orge,  et  toute  autre  sorte  de  grains  et  de 
légumes,  le  tabac,  toute  sorte  d'aromates,  chairs  salées  et  fu- 
mées ,  poissons  salés ,  fromages  et  beurre ,  bière,  huiles,  vins, 
sucre,  toute  sorlc  de  sels  et  de  provisions  servant  à  la  nourri- 
ture et  à  la  subsistance  des  hommes;  tout  genre  de  coton,  cor- 
dages, câbles,  voiles,  toiles  propres  à  faire  des  voiles,  chan- 
vre, suif,  goudron,  brai  et  résine;  ancres  et  parties  d'ancre, 
quelles  qu'elles  puissent  être;  mâts  de  navire,  planches,  ma- 
driers, poutres  de  toute  sorte  d'arbres,  et  toutes  les  autres  cho- 
ses nécessaires  pour  construire  ou  pour  radouber  des  vaisseaux. 
On  ne  regardera  pas  non  plus  comme  marchandises  de  contre- 
bande celles  qui  n'auront  pas  pris  la  forme  de  quelque  instru- 
ment ou  attirail  servant  à  l'usage  de  la  guerre  sur  terre  ou  sur 
mer;  encore  moins  celles  qui  sont  préparées  ou  travaillées  pour 
tout  autre  usage:  toutes  ces  choses  seront  censées  marchan- 
dises non  défendues,  de  même  que  toutes  celles  qui  ne  sont  pas 
comprises  et  spécialement  désignées  dans  l'article  précédent  ; 


—  362  — 

en  sorte  qu'elles  pourront  être  librement  transportées  par  les 
sujets  des  deux  royaumes,  même  dans  les  lieux  ennemis, 
excepté  seulement  dans  des  places  assiégées,  bloquées  ou  in- 
vesties. 

Aet.  24. 

Mais,  pour  éviter  et  prévenir  la  discorde  et  toute  sorte  d'ini- 
mitiés de  part  et  d'autre  ,  il  a  été  convenu  qu'en  cas  que  l'une 
des  deux  parties  se  trouvât  engagée  en  guerre  ,  les  vaisseaux 
et  les  bâtiments  appartenant  aux  sujets  de  l'autre  partie  de- 
vront être  munis  de  lettres  de  mer  qui  contiendront  le  nom,  la 
propriété  et  la  grandeur  du  vaisseau  ,  de  même  que  le  nom  et 
le  lieu  de  l'habitation  du  maître  ou  du  capitaine  de  ce  vaisseau  ; 
en  sorte  qu'il  paraisse  que  ce  vaisseau  appartient  véritablement 
et  réellement  aux  sujets  de  l'une  et  de  l'autre  partie;  et  ces  let- 
tres de  mer  seront  accordées  et  conçues  dans  la  forme  annexée 
au  présent  traité.  Elles  seront  aussi  renouvelées  chaque  année, 
s'il  arrive  que  le  vaisseau  revienne  dans  le  cours  de  l'an.  Il  a 
été  aussi  convenu  que  ces  sortes  de  vaisseaux  chargés  ne  de- 
vront pas  être  seulement  munis  des  lettres  de  mer  ci-dessus 
mentionnées,  mais  encore  des  certificats  contenant  les  espèces 
de  la  charge ,  le  lieu  d'où  le  vaisseau  est  parti  et  celui  de  sa 
destination,  afin  que  l'on  puisse  connaître  s'il  ne  porte  aucune 
des  marchandises  défendues  ou  de  contrebande  spécifiées 
dans  l'article  22  de  ce  traité  ;  lesquels  certificats  seront  expé- 
diés par  les  officiers  du  lieu  d'où  le  vaisseau  sortira,  selon  la 
coutume  ;  il  sera  libre  aussi ,  si  on  le  désire  et  si  on  le  juge  à 
propos ,  d'exprimer  dans  lesdites  lettres  à  qui  appartiennent 
lesdites  marchandises. 

Art.  25. 

Les  vaisseaux  des  sujets  et  habitants  des  royaumes  respec- 
tifs arrivant  sur  quelque  côte  de  l'un  ou  de  l'autre,  sans  cepen- 
dant vouloir  entrer  dans  le  port,  ou  y  étant  entrés  et  ne  vou- 
lant pas  débarquer  ou  rompre  leurs  charges,  ne  seront  obligés 
de  rendre  compte  de  leurs  chargements  ,  qu'au  cas  qu'il  y  eût 
des  indices  certains  qui  les  rendissent  suspects  de  porter  aux 
ennemis  de  l'une  des  deux  hautes  parties  contractantes,  des 
marchandises  défendues,  appelées  de  contrebande. 

Art.  26. 
Si  les  vaisseaux  desdits  sujets  ou  habitants  des  États  respec- 


—  363  — 

tifs  de  Leurs  Sércnissimes  Majestés  étaient  rencontrés  faisant 
roule  sur  les  côtes  ou  en  pleine  mer,  par  quelques  vaisseaux  de 
guerre  de  Leurs  Sérénissimes  Majestés,  ou  par  quelques  vais- 
seaux armés  par  des  particuliers,  lesdits  vaisseaux  de  guerre 
ou  armateurs  particuliers,  pour  éviter  tout  désordre,  demeure- 
ront hors  de  la  portée  du  canon ,  et  pourront  envoyer  leur 
chaloupe  à  bord  du  vaisseau  marchand  qu'ils  auront  rencontré, 
et  y  entrer  seulement  au  nombre  de  deux  ou  trois  hommes,  à 
qui  seront  montrées,  par  le  maître  ou  capitaine  de  ce  vaisseau 
ou  bâtiment,  les  lettres  de  mer  qui  contiennent  la  preuve  de  la 
propriété  du  vaisseau,  et  conçues  dans  la  forme  annexée  au 
présent  traité  ;  et  il  sera  libre  au  vaisseau  qui  les  aura  mon- 
trées de  poursuivre  sa  route,  sans  qu'il  soit  permis  de  le  mo- 
lester et  visiter  en  façon  quelconque ,  ou  de  lui  donner  la 
chasse,  ou  de  l'obliger  à  se  détourner  du  lieu  de  sa  destination. 

Art.  27. 

Le  bâtiment  marchand  appartenant  aux  sujets  de  l'une  des 
deux  hautes  parties  contractantes,  qui  aura  résolu  d'aller  dans 
un  port  ennemi  de  l'autre,  et  dont  le  voyage  et  l'espèce  de 
marchandise  de  son  chargement  seront  justement  soupçonnés, 
sera  tenu  de  produire  en  pleine  mer,  aussi  bien  que  dans  les 
ports  et  rades,  non-seulement  ses  lettres  de  mer,  mais  aussi 
des  certificats  qui  marquent  que  ces  marchandises  ne  sont  pas 
du  nombre  de  celles  qui  ont  été  défendues  et  qui  sont  énoncées 
dans  l'article  22  de  ce  traité. 

Art.  28. 

Si,  par  l'exhibition  des  certificats  susdits  contenant  un  état 
du  chargement,  l'autre  partie  y  trouve  quelques-unes  de  ces 
sortes  de  marchandises  défendues  et  déclarées  de  contrebande 
par  l'article  22  de  ce  traité,  et  qui  soient  destinées  pour  un 
port  de  l'obéissance  de  ses  ennemis,  il  ne  sera  pas  permis  de 
rompre  ni  d'ouvrir  les  écoutilles,  caisses,  coffres,  balles,  ton- 
neaux, et  autres  vases  trouvés  sur  ce  navire,  ni  d'en  détourner 
la  moindre  partie  des  marchandises,  soit  que  ce  vaisseau  ap- 
partienne aux  sujets  de  la  France  ou  à  ceux  de  la  Grande- 
Bretagne,  à  moins  que  son  chargement  n'ait  été  mis  à  terre  en 
présence  des  officiers  de  l'amirauté,  et  qu'il  n'ait  été  par  eux 
fait  inventaire  desdites  marchandises  :  elles  ne  pourront  aussi 
être  vendues,  échangées  ou  autrement  aliénées,  de  quelque 


—  364  — 

manière  qiip  ce  puisse  être,  qu'après  que  le  procès  aura  été 
lait  dans  les  règles  et  selon  les  lois  et  les  coutumes  contre  ces 
marchandises  défendues,  et  que  les  juges  de  l'amirauté  respec- 
tivement les  auront  confisquées  par  sentence,  à  la  réserve 
néanmoins,  tant  du  vaisseau  même,  que  des  autres  marchan- 
dises qui  y  auront  été  trouvées  ,  et  qui ,  en  vertu  de  ce  traité, 
doivent  être  censées  libres,  et  sans  qu'elles  puissent  être  rete- 
nues sous  prétexte  qu'elles  seraient  chargées  avec  des  mar- 
chandises défendues,  et  encore  moins  être  confisquées  comme 
une  prise  légitime  ;  et  supposé  que  lesdites  marchandises  de 
contrebande  ne  faisant  qu'une  partie  de  la  charge,  le  patron  du 
vaisseau  agréât,  consentit  et  offrît  de  les  livrer  au  vaisseau  qui 
les  a  découvertes,  en  ce  cas  celui-ci,  après  avoir  reçu  les  mar- 
chandises de  bonne  prise,  sera  tenu  de  laisser  aller  aussitôt  le 
bâtiment ,  et  ne  l'empêchera  en  aucune  manière  de  poursuivre 
sa  route  vers  le  lieu  de  sa  destination. 

Art.   29. 

Il  a  été  au  contraire  convenu  et  accordé  que  tout  ce  qui  se 
trouvera  chargé  par  les  sujets  et  habitants  de  part  et  d'autre, 
eu  un  navire  appartenant  aux  ennemis  de  l'autre,  bien  que  ce 
ne  fût  pas  des  marchandises  de  contrebande  ,  sera  confisqué 
comme  s'il  appartenait  à  l'ennemi  même,  excepté  les  marchan- 
dises et  effets  qui  auront  été  chargés  dans  ce  vaisseau  avant  la 
déclaration  de  la  guerre  ou  l'ordre  général  des  représailles,  ou 
même  depuis  la  déclaration,  pourvu  que  c'ait  été  dans  les  ter- 
mes qui  suivent;  à  savoir  :  de  deux  mois  après  cette  déclara- 
tion, ou  l'ordre  des  représailles  ,  si  elles  ont  été  chargées  dans 
quelque  port  et  lieu  compris  dans  l'espace  qui  est  entreArchan- 
gcl,  Saint-Pétersbourg  et  les  Sorlingues,  et  entre  lesSorlingues 
et  la  ville  de  Gibraltar  ;  de  dix  semaines  dans  la  mer  Méditerra- 
née, etde  huit  mois  dans  tous  les  autres  pays  ou  lieux  du  monde, 
de  manière  que  les  marchandises  des  sujets  de  l'un  et  l'autre 
prince,  tant  celles  qui  sont  de  contrebande,  que  les  autres  qui 
auront  été  chargées,  ainsi  qu'il  est  dit,  sur  quelque  vaisseau  en- 
nemi, avant  la  guerre  ou  même  depuis  sa  déclaration,  dans  les 
temps  et  les  termes  susdits,  ne  seront  enaucune  manière  sujettes 
à  confiscation  ,  mais  seront  sans  délai  et  de  bonne  foi  rendues 
aux  propriétaires  qui  les  redemanderont,  en  sorte  néanmoins 
qu'il  ne  soii  nullement  permis  de  porter  ensuite  ces  marchan- 
dises dans  les  ports  ennemis,  si  elles  sont  de  contrebande. 


—  365  ~ 

XXVI. 

Page  105. 

Instruction  aux  commandants  des  vaisseaux  de  guerre  de  Sa 
Majesté,  et  des  corsaires  qui  ont  ou  qui  auront  des  lettres  de 
marque  contre  la  France 

Donné  à  notre  palais  de  Saint-James,  le  8  juin  1793. 

1°  Il  est  permis  d'arrêter  et  de  détenir  tous  bâtiments  char- 
gés en  lotalilé  ou  en  partie  de  blé,  farine  ou  grain  destinés 
pour  la  France  ou  aucuns  ports  occupes  par  les  armées  de 
France,  et  de  les  envoyer  dans  les  ports  qui  conviendront  le 
mieux,  afin  que  lesdits  grains,  froments  ou  farines  soient  ache- 
tés pour  le  compte  du  gouvernement  de  Sa  Majesté,  et  que  les 
bâtiments  soient  relâchés  après  la  vente,  et  après  avoir  reçu 
le  fret  qu'il  serait  juste  d'accorder,  ou  que  les  capitaines  de  ce 
bâtiment,  en  donnant  une  bonne  caution  approuvée  par  l'ami- 
rauté, aient  la  permission  de  se  rendre  dans  les  porls  d'aucuns 
pays  en  amitié  avec  Sa  Majesté ,  pour  y  disposer  de  leurs  car- 
gaisons de  grains ,  froments  ou  farines. 

2°  11  est  permis  aux  commandants  de  guerre  de  Sa  Majesté, 
et  des  corsaires  qui  ont  ou  qui  auront  des  lettres  de  marque 
contre  la  France,  d'arrêter  tous  bâtiments,  quelle  que  soit  la 
cargaison,  qui  tenteraient  d'entrer  dans  un  port  bloqué,  et  de 
les  faire  condamner  ainsi  que  leurs  cargaisons,  excepté  les  bâ- 
timents suédois  et  danois  ,  qui  seront  empêchés  d'entrer  pour 
la  première  fois;  mais  s'ils  tentaient  une  seconde  fois ,  ils  se- 
raient condamnés  aussi. 

3°  Dans  le  cas  où  Sa  Majesté  déclarerait  un  port  en  état  de 
blocus,  il  est  enjoint  par  les  présentes  aux  commandants  des 
vaisseaux  de  guerre  de  Sa  Majesté  et  des  corsaires,  s'ils  ren- 
contrent à  la  mer  des  bâtiments  qui,  par  leurs  expéditions,  pa- 
raîtraient destinés  pour  un  port  bloqué,  mais  qui  auraient  mis 
à  la  voile  des  ports  de  leurs  pays  respectifs  avant  que  la  décla- 
ration du  blocus  y  fût  arrivée,  de  les  en  avertir,  et  de  leur  con- 
seiller d'aller  dans  un  autre  port,  de  ne  point  les  molester  en- 
suite, à  moins  qu'il  ne  leur  paraisse  qu'ils  ont  continué  leur 
route  avec  l'intention  d'entrer  dans  un  port  bloqué,  dans  lequel 
cas  ils  seront  sujets  à  être  pris  et  à  être  condamnés  ainsi  que 


—  366  — 

tous  bâtiments,  partout  où  ils  soient  trouvés,  qui  paraitraient 
avoir  fait  voile  de  leurs  ports  pour  un  port  que  Sa  Majesté  au- 
rait déclaré  en  état  de  blocus,  après  que  ladite  déclaration  au- 
rait été  connue  dans  le  pays  d'où  ils  seraient  partis ,  et  tous 
ceux  qui,  dans  le  cours  de  leurs  voyages,  auraient  été  avertis 
qu'un  port  aurait  été  bloqué,  et  cependant  auraient  continué 
leur  route  pour  y  entrer. 

Signé  G.  R. 


XXVII. 

Page  105. 


Ordre  du  conseil  d'Angleterre. 
6  novembre  1 793  *. 

Les  commandants  des  vaisseaux  de  guerre  et  des  corsaires, 
ayant  lettres  de  marque  contre  la  France,  arrêteront  et  détien- 
dront tous  bâtiments  chargés  de  marchandises  du  produit  de 
quelques  colonies  appartenant  à  la  France,  ou  portant  des  pro- 
visions et  autres  articles  pour  l'usage  desdites  colonies,  et  les 
poursuivront  devant  nos  cours  d'amirauté,  pour  leur  être  ad- 
jugés ainsi  que  les  cargaisons. 


XXVIII. 

Page  106. 


Traité  passé,  le  27  mars  179 A,  entre  le  roi  de  Suède  et  le  roi  de 
Danemark,  pour  la  défense  commune  de  la  liberté  et  de  la 
sûreté  du  commerce  danois  et  suédois. 

S.  M.  le  roi  de  Danemark  et  de  Norvège,  et  S.  M,  le  roi  de 
Suède,  considérant  combien  il  importe  à  leurs  sujets  de  jouir 
avec  sécurité ,  paix  et  tranquillité ,  des  avantages  attachés  à 
une  neutralité  parfaite,  s'appuyant  sur  des  traités  authentiques, 
et  profondément  pénétrés  du  sentiment  de  leurs  devoirs  vis-à- 

.   '  Examinatlou  of  Uie  Biilisli  doclrine,  p.  1  05. 


—  367  — 

vis  de  leurs  sujets,  ne  pouvant  d'ailleurs  dissimuler  l'embarras 
inévitable  de  leur  situation  dans  la  guerre  qui  agite  la  plus 
grande  partie  de  l'Europe,  sont  convenus  et  conviennent  d'unir 
les  mesures  qu'ils  prendront  pour  la  défense  de  leurs  intérêts 
communs,  et  de  donner  aux  peuples  qu'ils  gouvernent ,  à 
l'exemple  de  leurs  prédécesseurs,  toute  la  protection  qu'ils  ont 
droit  d'attendre  de  leur  sollicitude  paternelle  ;  et  désirant ,  en 
outre,  de  resserrer  encore  plus  étroitement  les  liens  de  l'amitié 
qui  subsiste  si  heureusement  entre  eux,  ont  nommé,  à  cet  effet. 
Sa  Majesté  Danoise,  son  ministre  d'État  et  des  Affaires  Étran- 
gères, le  sieur  André-Pierre,  comte  de  Bernstorf,  chevalier  de 
l'ordre  de  l'Éléphant,  etc.,  et  S.  M.  le  roi  de  Suède,  le  sieur  Eric 
Magnus,  baron  Staël  Holstein,  chambellan  de  S.  M.  la  reine 
douairière  de  Suède,  et  chevalier  de  l'ordre  de  TÉpée  ;  les- 
quels, après  avoir  échangé  leurs  pleins  pouvoirs ,  sont  conve- 
nus des  articles  suivants  : 

ÀBTICXE  FREMIEB. 

Leurs  Majestés  déclarent  solennellement  qu'elles  maintien- 
dront la  plus  parfaite  neutralité  pendant  le  cours  de  la  présente 
guerre;  qu'elles  se  garderont,  autant  qu'il  pourra  dépendre 
d'elles  ,  de  tout  ce  qui  pourra  les  brouiller  avec  les  puissances 
leurs  amies  et  alliées,  et  qu'elles  continueront  de  marquer, 
comme  elles  l'ont  fait  constamment  dans  des  circonstances 
quelquefois  difficiles,  tous  les  égards,  et  même  toute  la  défé- 
rence amicale,  compatibles  avec  leur  propre  dignité. 

Art.  2. 

Elles  déclarent,  en  outre,  qu'elles  ne  réclament  aucun  avan- 
tage qui  ne  serait  pas  clairement  et  incontestablement  fonde 
sur  les  traités  respectifs  qu'elles  ont  avec  les  puissances  belli- 
gérantes. 

Art.  3. 

Leurs  Majestés  s'engagent  aussi,  réciproquement,  et  en  face 
de  toute  l'Europe,  à  ne  pas  réclamer,  dans  des  cas  non  spécifiés 
dans  les  traités,  aucun  avantage  qui  ne  serait  pas  fondé  sur  la 
loi  universelle  des  nations  jusqu'ici  reconnue  et  respectée  par 
toutes  les  puissances  et  par  tous  les  souverains  de  l'Europe, 
et  de  laquelle  elles  peuvent  aussi  peu  supposer  qu'aucune  puis- 
sance de  l'Europe  veuille  s'écarter,  qu'elles  se  sentent  elles- 
mêuie»  incapables  de  le  faire. 


308  — 


Art.  4. 


Leurs  Majestés,  fondant  sur  une  base  si  juste  la  revendica- 
tion et  le  maintien  de  leurs  droits  incontestables,  donneront  à 
la  navigation  légitime  de  leurs  sujets,  lorsqu'elle  sera  circon- 
scrite dans  les  termes  des  traités  subsistants,  et  conforme  à  ces 
mômes  traités,"  toute  la  protection  qu'elle  mérite,  envers  tous 
ceux  qui,  au  mépris  de  ce  que  Leurs  Majestés  attendent  et  es- 
pèrent, voudraient  et  tenteraient  de  troubler  leurs  sujets  dans 
l'exercice  légal  de  droits  sanctionnés ,  dont  la  jouissance  ne 
saurait  être  refusée  aux  nations  neutres  et  indépendantes. 

Art.  5. 

Pour  atteindre  le  but  qu'elles  se  proposent ,  Leurs  Majestés 
s'engagent  à  équiper  chacune,  aussitôt  que  la  saison  pourra  le 
permettre,  une  escadre  de  huit  vaisseaux  de  ligne ,  avec  un 
nombre  proportionné  de  frégates,  et  de  les  pourvoir  de  tout  ce 
qu'il  faudra  pour  leur  faire  tenir  la  mer. 

Art.  6. 

Ces  escadres  se  réuniront  ou  se  sépareront,  ainsi  qu'on  le 
jugera  plus  convenable  pour  l'intérêt  commun,  qui  sera  inter- 
prété des  deux  côtés  avec  l'amitié  qui  subsiste  si  heureuse- 
ment entre  les  deux  puissances. 

Art.  7. 

11  ne  sera  fait  absolument  aucune  espèce  de  distinction  que 
ce  puisse  être,  entre  les  intérêts  et  les  pavillons  des  deux  na- 
tions, excepté  celle  que  pourront  exiger  les  traités  subsistants 
avec  les  autres  nations.  Bien  plus,  dans  tous  les  cas  de  défense 
de  convoi  ou  autrement,  sans  aucune  exception,  les  vaisseaux 
danois  défendront  les  vaisseaux  suédois  et  leur  pavillon, 
comme  si  c'étaient  ceux  de  leur  propre  nation  ,  et  réciproque- 
ment. 

Art.  8. 

Pour  l'ordre  et  le  commandement,  dans  tous  les  cas,  il  est 
convenu  d'adopter  la  teneur  des  articles  6  et  17  contenus  dans 
la  convention  du  12  juillet  1756. 


—  369  — 

Art.  9. 

Les  États  situés  en  Allemagne ,  tant  du  Danemark  que  de  la 
Suède,  sont  réciproquement  et  entièrement  exceptés  de  celte 
convention. 

Art.   10. 

La  mer  Baltique  ayant  toujours  été  regardée  comme  une  mer 
fermée  et  inaccessible  aux  vaisseaux  armés  des  puissances 
belligérantes  éloignées ,  est  déclarée  de  nouveau  telle  par  les 
parties  contractantes,  qui  sont  bien  résolues  de  maintenir  cette 
mer  dans  la  plus  parfaite  tranquillité. 

Art.   11. 

Leurs  Majestés  s'engagent  à  faire  conjointement  une  commu- 
nication officielle  de  cette  convention  à  toutes  les  puissances 
en  guerre,  en  y  ajoutant  les  assurances  les  plus  solennelles  de 
leur  désir  sincère  de  persévérer  et  continuer  à  vivre  avec  ces 
puissances  dans  la  plus  parfaite  harmonie,  et  de  la  cimenter, 
loin  d'y  porter  atteinte  par  cette  mesure,  qui  ne  tend  (ju'ù  assu- 
rer des  droits  maintenus  et  garantis  par  ces  puissances  elles- 
mêmes  ,  dans  tous  les  cas  où  elles  étaient  neutres  et  en  paix, 
sans  que  le  Danemark  ni  la  Suède  aient  jamais  seulement  songé 
à  les  interrompre  dans  la  possession  de  ces  droits. 

Art.  12. 

Mais  si,  par  malheur,  le  cas  venait  à  se  présenter  que  quel- 
que puissance,  au  mépris  des  traités  et  de  la  loi  universelle  des 
nations,  ne  respectât  pas  la  base  de  la  société  et  du  bonheur 
général,  et  voulût  inquiéter  la  navigation  légitime  des  sujets  de 
Leurs  Majestés  Danoise  et  Suédoise ,  alors  les  parties  contrac- 
tantes, après  avoir  épuisé  tous  les  moyens  possibles  de  concilia- 
tion, etavoir  fait  en  commun  les  remontrances  les  plus  pressantes 
pour  obtenir  la  satisfaction  et  les  indemnités  qui  leur  seront 
dues,  feront  usage  de  représailles,  au  plus  tard  quatre  mois 
après  l'inutile  réclamation  de  leurs  droits ,  et  cela  partout  où 
elles  le  jugeront  convenable  ,  la  mer  Baltique  toujours  néan- 
moins exceptée  ;  et  ces  puissances  répondront  entièrement  l'une 
pour  l'autre,  et  se  soutiendront  également  l'une  l'autre,  quelle 
que  soit  celle  qui  ait  été  attaquée  et  insultée  relativement  à  la 
présente  convention. 

XI  24 


—  370  — 

Art.  13. 

Cette  convention  subsistera  dans  toute  sa  teneur  durant  la 
présente  guerre ,  à  moins  qu'il  ne  soit  convenu ,  pour  l'intérêt 
des  parties  respectives,  d'y  faire  quelque  changement  ou  addi- 
tion utile  ou  même  nécessaire. 

Art.  14. 

Sa  ratification  aura  lieu  quinze  jours  après  que  le  présent 
traité  aura  été  signé  et  échangé. 

Siffné  Bernstorf,  Staël  db  Holstein. 


XXIX. 

Page  106. 


Ordre  du  conseil  d'Angleterre. 
8  janvier  1794. 

Instructions  données  aux  commandants  de  nos  vaisseaux  de 
guerre  et  des  corsaires  qui  ont  des  lettres  de  marque  contre  la 
France  K 

Attendu  que,  par  une  instruction  du  6  novembre  1793  aux 
commandants  de  nos  vaisseaux  de  guerre  et  des  corsaires,  nous 
leur  avions  signifié  d'arrêter  et  de  détenir  tous  bâtiments  char- 
gés de  marchandises  du  produit  d'aucunes  colonies  apparte- 
nant à  la  France  ou  portant  des  provisions  et  autres  articles 
pour  l'usage  desdites  colonies,  et  de  les  poursuivre,  ainsi  que 
leurs  cargaisons,  devant  nos  cours  d'amirauté,  pour  être  con- 
damnés légalement;  il  nous  plaît  de  révoquer  ladite  instruc- 
tion ;  et  à  sa  place,  nous  avons  jugé  à  propos  de  donner  les 
présentes  instructions  pour  être  observées  par  les  comman- 
dants de  nos  vaisseaux  de  guerre  et  des  corsaires  qui  ont  des 
lettres  de  marque  contre  la  France. 

1°  Ils  arrêteront,  pour  être  condamnés  légalement,  tous  bâ- 
timents avec  leurs  cargaisons  du  produit  des  îles  occidentales 

'  Examination  of  the  British  doctrine,  p.  107. 


—  371  — 

de  la  France,  et  allant  directement  d'un  port  desdites  îles  à  un 
autre  en  Europe. 

2°  Ils  arrêteront,  pour  être  condamnés  légalement ,  tous 
bâtiments  avec  leurs  cargaisons  du  produit  desdites  îles,  qui 
seraient  la  propriété  des  sujets  de  la  France ,  quel  que  soit  le 
port  pour  lequel  ils  seraient  destinés. 

3"  Us  arrêteront  tous  bâtiments  cherchant  à  entrer  dans  les 
ports  desdites  colonies ,  qui  sont  ou  seraient  bloqués  par  les 
forces  de  Sa  Majesté  ou  de  ses  alliés ,  et  les  feront  condamner, 
ainsi  que  leurs  cargaisons  ,  conformément  au  deuxième  article 
des  premières  instructions  datées  du  8  juin  1793. 

4°  Ils  arrêteront  tous  bâtiments  chargés ,  en  totalité  ou  en 
partie,  de  munitions  navales  ou  militaires  destinées  pour  les 
ports  desdites  îles,  et  les  enverront  dans  un  port  appartenant 
à  Sa  Majesté ,  pour  y  être  poursuivis ,  avec  leurs  cargaisons, 
conformément  aux  règlements  du  droit  des  nations. 


XXX. 

Page  106. 


Extrait  du  traité  d'amitié,  de  commerce  et  de  navigation, 
entre  Sa  Majesté  Britannique  et  les  États-Unis  d'Amérique, 
conclu  le  19  novembre  1794,  ratifié  le  28  octobre  1795. 

Art.   17. 

Commerce  en  temps  de  guerre. 

Il  est  convenu  que ,  dans  tous  les  cas  où  les  vaisseaux  se- 
ront pris  ou  détenus  sur  un  juste  soupçon  d'avoir  à  bord  des 
propriétés  appartenant  à  l'ennemi ,  ou  de  lui  porter  aucun  des 
articles  qui ,  en  temps  de  guerre,  passent  pour  contrebande, 
ledit  vaisseau  sera  amené  au  port  le  plus  voisin  et  le  plus  con- 
venable; et  si  l'on  trouve,  en  effet,  sur  son  bord  aucune  pro- 
priété appartenant  à  l'ennemi,  cette  partie  seulement  de  la  car- 
gaison sera  confisquée,  et  le  vaisseau  sera  remis  en  liberté  avec 
le  reste  de  son  chargement ,  pour  continuer  sa  route  sans  au- 
cun empêchement  :  et  il  est  convenu  qu'on  prendra  toutes  les 
mesures  propres  à  prévenir  les  relards  de  décision  des  cas  de 
navires  ou  cargaisons  ainsi  soumis  à  un  jugement,  et  de  paye- 


—  372  — 

ment  ou  recouvrement  de  l'indemnité  adjugée,  ou  que  l'on 
aura  consenti  à  payer  aux  capitaines  ou  propriétaires  de  ces 
bâtiments. 

Art.   18. 

Liste  de  contrebande. 

Dans  l'intention  de  régler  ce  qui ,  à  l'avenir,  sera  regardé 
comme  contrebande  de  guerre  ,  il  est  convenu  que,  sous  cette 
dénomination,  seront  comprises  toutes  les  armes  et  fournitures 
servant  à  la  guerre  par  terre  et  par  mer,  telles  que  canons,  fu- 
sils, mortiers,  pétards,  bombes,  grenades,  carcasses,  saucis- 
sons, affûts  de  canon ,  fourchettes  à  soutenir  les  mousquets, 
bandoulières,  poudre  à  canon,  mèches,  salpêtre,  boulets,  pi- 
(jues,  épécs,  armures  de  tôle ,  cuirasses,  javelots,  lances,  jave- 
lines, équipement  de  cheval ,  et  généralement  toutes  les  autres 
fournitures  servant  à  la  guerre  ;  comme  aussi  le  bois  pour  la 
construction  des  vaisseaux ,  la  poix  ou  résine ,  le  cuivre  de 
doublage  en  feuilles,  les  voiles,  chanvres  et  cordages,  et  géné- 
ralement tout  ce  qui  peut  être  d'une  utilité  directe  pour  l'équi- 
])ement  des  vaisseaux,  excepté  le  fer  en  barres,  et  le  sapin  dé- 
bité en  planches.  Tous  les  articles  ci-dessus  mentionnés  sont 
i«ù  déclarés  objets  qui  pourront  être  justement  confisqués,  tou- 
tes les  fois  qu'on  essayera  de  les  porter  à  l'ennemi. 


XXXI. 

Page  107 


Conventions  entre  S.  M.  le  roi  de  Suède,  d'une  part,  et  S.  M. 
l'empereur  de  toutes  les  RiÈsies,  de  l'autre,  pour  le  rétablis- 
sement d'une  neutralité  armée. 

INous  Gustave-Adolphe ,  par  la  grâce  de  Dieu ,  roi  de  Suède, 
des  Goths  et  des  Vandales,  etc.,  savoir  faisons  qu'ayant,  d'ac- 
cord avec  le  sérénissime  et  très-puissant  prince  Paul  /"■■,  par 
lu  grâce  de  Dieu  ,  empereur  de  toutes  les  Russies,  etc.,  etc., 
notre  très-cher  frère ,  cousin ,  voisin  et  particulièrement  bon 
ami,  jugé  bon  et  nécessaire  de  nous  concerter  mutuellement 
sur  des  mesures  communes  pour  protéger  le  commerce  et  la 
navigation  de  nos  sujets,  et  de  maintenir  le  respect  dû  à  nos 


—  373  — 

pavillons  respectifs,  et  qu'ayant ,  à  l'effet  de  conclnre  cet  ou- 
vrage salutaire,  de  notre  côté,  nommé  et  autorisé  notre  amé 
et  féal  M.  le  baron  Court-Louis-Bogislas-Christophe  de  Ste- 
ding,  un  des  seigneurs  du  royaume,  notre  ambassadeur  extraor- 
dinaire à  la  cour  de  Russie,  lieutenant  général  dans  nos  ar- 
mées, colonel  d'un  régiment  d'infanterie,  etc.,  etc.;  et  S.  M. 
l'empereur  de  toutes  les  Russies,  ayant,  de  son  côté,  choisi 
pareillement  et  autorisé  M.  le  comte  Théodore  de  Rostopchin, 
son  conseiller,  etc.,  etc.  ;  lesdits  commissaires  plénipotentiai- 
res viennent  de  convenir,  arrêter,  signer  et  sceller  une  con- 
vention à  Saint-Pétersbourg,  le  16  décembre  de  la  présente 
année,  dont  suit  la  teneur  mot  pour  mot  : 

Au  nom  de  ,  etc. 

La  liberté  de  la  navigation  et  la  sûreté  du  commerce  des 
puissances  neutres  ayant  été  compromises,  et  les  principes  du 
droit  des  nations  méconnus  dans  la  présente  guerre  maritime, 
S.  M.  le  roi  de  Suède  et  S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Russies, 
guidées  par  leur  amour  pour  la  justice  et  par  une  égale  solli- 
citude pour  tout  ce  qui  peut  concourir  à  la  prospérité  publique 
dans  leurs  États  ,  ont  jugé  convenable  de  donner  une  nouvelle 
sanction  aux  principes  de  neutralité,  qui,  indestructibles  dans 
leur  essence,  ne  sollicitent  que  le  concours  des  gouvernements 
intéressés  à  leur  maintien,  pour  les  faire  respecter.  Dans  celte 
vue,  Sa  Majesté  Impériale  a  manifesté,  par  sa  déclaration  du 
1 5  août ,  aux  cours  du  nord ,  qu'un  même  intérêt  engage  à  des  me- 
sures uniformes  dans  de  pareilles  circonstances,  combien  il  lui 
tenait  à  cœur  de  rétablir  dans  son  inviolabilité  le  droit  commun  à 
tous  les  peuples  de  naviguer  et  commercer  librement,  et  indé- 
pendamment des  intérêts  momentanés  des  parties  belligérantes. 
Sa  Majesté  Suédoise  partageait  les  vœux  et  les  sentiments  de 
son  auguste  allié  ,  et  une  heureuse  analogie  d'intérêts,  en  ci- 
mentant leur  confiance  réciproque,  a  déterminé  la  résolution 
de  rétablir  le  système  de  la  neutralité  armée,  qui  avait  été  suivi 
avec  tant  de  succès  pendant  la  dernière  guerre  d'Amérique,  en 
renouvelant  ses  maximes  bienfaisantes  dans  une  nouvelle  con- 
vention adaptée  aux  circonstances  actuelles. 

Pour  cet  effet,  S.  M.  le  roi  de  Suède  et  S.  M.  l'empereur  de 
toutes  les  Russies  ont  nommé  leurs  plénipotentiaires  déjà  nom- 
més, qui ,  après  l'échange  de  leurs  pleins  pouvoirs  respectifs, 
sonl  convenus  des  articles  suivants  : 


--  374  — 

Article  premier. 

S.  M.  le  roi  de  Suède  et  S.  M.  l'empereur  de  toules  lesRus- 
sies  déclarent  vouloir  tenir  la  main  à  la  plus  rigoureuse  exé- 
cution des  défenses  portées  contre  le  commerce  de  contre- 
bande de  leurs  sujets  avec  quelle  que  ce  soit  des  puissances 
déjà  en  guerre.ou  qui  pourraient  y  entrer  dans  la  suite. 

Art,  2. 

Pour  éviter  toute  équivoque  et  tout  malentendu  sur  ce  qui 
doit  être  qualifié  de  contrebande,  S.  M.  le  roi  de  Suède  et 
S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Russies  déclarent  qu'elles  ne 
reconnaissent  pour  telle  que  les  objets  suivants;  savoir  :  ca- 
nons, mortiers,  armes  à  feu,  pistolets,  bombes,  grenades, 
boulets,  balles,  fusils,  pierres  à  feu,  mèches,  poudre,  salpêtre, 
soufre,  cuirasses,  piques,  épées,  ceinturons,  gibernes,  selles 
et  brides ,  en  exceptant  toutefois  la  quantité  qui  peut  être  né- 
cessaire pour  la  défense  du  vaisseau  et  de  ceux  qui  en  compo- 
sent l'équipage  ;  et  tous  les  autres  articles  quelconques ,  non 
désignés  ici ,  ne  sont  pas  réputés  munitions  de  guerre  et  na- 
vales, ni  sujets  à  confiscation  ,  et,  par  conséquent ,  passeront 
librement  sans  être  assujettis  à  la  moindre  difficulté.  Il  est 
aussi  convenu  que  le  présent  article  ne  portera  aucun  préju- 
dice aux  stipulations  particulières  des  traités  antérieurs  avec 
les  parties  belligérantes,  par  lesquelles  des  objets  de  pareil 
genre  seraient  réservés,  prohibés  ou  permis. 

Art.  3. 

Tout  ce  qui  peut  être  objet  de  contrebande  étant  ainsi  dé- 
terminé et  exclu  du  commerce  des  nations  neutres ,  d'après  le 
dispositif  de  l'article  précédent,  S.  M.  le  roi  de  Suède  et  Sa  Ma- 
jesté Impériale  entendent  et  veulent  que  tout  autre  trafic  soit  et 
reste  parfaitement  libre.  Leurs  Majestés,  pour  mettre  sous  une 
sauvegarde  suffisante  les  principes  généraux  du  droit  naturel, 
dont  la  liberté  du  commerce  et  de  la  navigation,  de  même  que 
les  droits  des  peuples  neutres,  sont  une  conséquence  directe, 
ont  résolu  de  ne  les  point  laisser  plus  longtemps  dépendre 
d'une  interprétation  arbitraire,  suggérée  par  des  intérêts  iso- 
lés et  momentanés.  Dans  cette  vue,  elles  sont  convenues  : 

1°  Que  tout  vaisseau  peut  naviguer  librement  de  port  en 
port  et  sur  les  côtes  des  nations  en  guerre  j 


—  375  — 

2'  Que  les  effets  appartenant  aux  sujets  desdites  puissances 
en  guerre  soient  libres  sur  les  vaisseaux  neutres ,  à  l'exception 
des  marchandises  de  contrebande  ; 

3»  Que ,  pour  déterminer  ce  qui  caractérise  un  port  bloqué, 
on  n'accorde  celte  dénomination  qu'à  celui  où  il  y  a,  par  la 
disposition  de  la  puissance  qui  l'attaque  avec  des  vaisseaux 
arrêtés  et  suffisamment  proches,  un  danger  évident  d'entrer; 
et  que  tout  bâtiment  naviguant  vers  un  port  bloqué  ne  pourra 
être  regardé  comme  ayant  contrevenu  à  la  présente  conven- 
tion ,  que  lorsque  après  avoir  été  averti  par  le  commandant  du 
blocus ,  de  l'état  du  port ,  il  tâchera  d'y  pénétrer  en  employant 
la  force  ou  la  ruse  ; 

4°  Que  les  vaisseaux  neutres  ne  peuvent  être  arrêtés  que  sur 
de  justes  causes  et  faits  évidents  ;  qu'ils  soient  jugés  sans  re- 
lard ;  que  la  procédure  soit  toujours  uniforme ,  prompte  et  lé- 
gale, et  que,  chaque  fois,  outre  les  dédommagements  qu'on 
accorde  à  ceux  qui  ont  fait  des  pertes  sans  avoir  été  en  contra- 
vention, il  soit  rendu  une  satisfaction  complète  pour  l'insulte 
faite  au  pavillon  de  Leurs  Majestés  ; 

6°  Que  la  déclaration  de  l'officier  commandant  les  vaisseaux 
de  la  marine  royale  ou  impériale  qui  accompagneront  le  con- 
voi d'un  ou  de  plusieurs  bâtiments  marchands,  que  son  convoi 
n'a  à  bord  aucune  marchandise  de  contrebande ,  doit  suffire 
pour  qu'il  n'y  ait  lieu  à  aucune  visite  sur  son  bord  ni  à  celui 
des  bâtiments  de  son  convoi. 

Pour  assurer  d'autant  mieux  à  ces  principes  le  respect  dû  à 
des  stipulations  dictées  par  le  désir  désintéressé  de  maintenir 
les  droits  imprescriptibles  des  nations  neutres,  et  donner  une 
nouvelle  preuve  de  leur  loyauté  et  de  leur  amour  pour  la  jus- 
tice, les  hautes  puissances  contractantes  prennent  ici  l'enga- 
gement le  plus  formel  de  renouveler  les  défenses  les  plus  sévè- 
res à  leurs  capitaines ,  soit  de  haut  bord ,  soit  de  la  marine 
marchande,  de  charger,  tenir  ou  receler  à  leurs  bords  aucun 
des  objets  qui,  aux  termes  de  la  présente  convention,  pour- 
raient être  réputés  de  contrebande,  et  de  tenir  scrupuleuse- 
ment la  main  à  l'exécution  des  ordres  qu'elles  feront  publier 
dans  leurs  amirautés  et  partout  où  besoin  sera  ;  à  l'effet  de 
quoi  l'ordonnance  qui  renouvellera  cette  défense  sous  les 
peines  les  plus  graves  ,  sera  imprimée  à  la  suite  du  pré- 
sent acte,  pour  qu'il  n'en  puisse  être  prétendu  cause  d'igno- 
rance. 


--  376  — 

Art.  4. 

Pour  protéger  le  commerce  commun  de  leurs  sujets,  sur  le 
fondement  des  principes  ci-dessus  f'tablis,S.  M.  le  roi  de  Suède 
et  Sa  Majesté  Impériale  ont  jugé  à  propos  d'équiper  séparément 
un  nombre  de  vaisseaux  de  guerre  et  de  frégates  proportionné 
à  ce  but;  les  escadres  de  chaque  puissance  ayant  à  prendre  la 
station  et  devant  être  employées  aux  convois  qu'exigent  son 
commerce  et  sa  navigation ,  conformément  à  la  nature  et  à  la 
qualité  du  trafic  de  chaque  nation. 

Art.  5. 

Pour  prévenir  tous  les  inconvénients  qui  peuvent  provenir 
de  la  mauvaise  foi  de  ceux  qui  se  servent  du  pavillon  d'une 
nation  sans  lui  appartenir,  on  convient  d'établir  pour  règle  in- 
violable, qu'un  bâtiment  quelconque,  pour  être  regardé  comme 
propriété  d'un  pays  dont  il  porte  le  pavillon  ,  doit  avoir  à  son 
bord  le  capitaine  du  vaisseau  et  la  moitié  de  l'équipage  des 
gens  du  pays,  les  papiers  et  passe-ports  en  bonne  et  due  forme  ; 
mais  tout  bâtiment  qui  n'observera  point  cette  règle,  et  qui 
contreviendra  aux  ordonnances  publiées  à  cet  effet  et  impri- 
mées à  la  suite  de  la  présente  convention,  perdra  tous  les 
droits  à  la  protection  des  puissances  contractantes ,  et  le 
gouvernement  auquel  il  appartiendra  supportera  seul  les  per- 
tes, dommages  et  désagréments  qui  en  résulteront. 

Art.  6. 

Si  cependant  il  arrivait  que  les  vaisseaux  marchands  de 
l'une  des  puissances  se  trouvassent  dans  un  parage  où  les  vais- 
seaux de  guerre  de  la  même  nation  ne  fussent  pas  stationnés, 
et  où  ils  ne  pourraient  avoir  recours  à  leurs  propres  convois, 
alors  le  commandant  des  vaisseaux  de  guerre  de  l'autre  puis- 
sance, s'il  en  est  requis,  doit,  de  bonne  foi  et  sincèrement, 
leur  prêter  les  secours  dont  ils  pourraient  avoir  besoin  ;  et  en 
tel  cas,  les  vaisseaux  de  guerre  et  frégates  de  l'une  des  puis- 
sances serviront  de  soutien  et  d'appui  aux  vaisseaux  mar- 
chands de  l'autre  ;  bien  entendu  cependant  que  les  réclamants 
n'auraient  fait  aucun  commerce  illicite  ni  contraire  aux  prin- 
cipes de  la  neutralité. 

Art.  7. 

Cette  convention  n'aura  point  d'effet  rétroactif,  et  par  con- 


—  377  — 

séquenl  on  ne  prendra  aucune  part  aux  différends  nés  avant  la 
conclusion,  à  moins  qu'il  ne  soit  question  d'actes  de  violence 
continués ,  tendant  à  fonder  un  système  oppressif  pour  toutes 
les  nations  neutres  de  l'Europe  en  général. 

Art.  8. 

S'il  arrivait,  malgré  tous  les  soins  les  plus  attentifs  des  deux 
puissances,  et  malgré  l'observation  de  la  neutralité  la  plus  par- 
faite de  leur  part,  que  les  vaisseaux  marchands  de  S.  M.  le  roi  de 
Suède  ou  de  Sa  Majesté  Impériale  fussent  insultés,  pillés  ou  pris 
par  les  vaisseaux  de  guerre  ou  armateurs  de  l'une  ou  l'autre 
des  puissances  en  guerre ,  alors  le  ministre  de  la  partie  lésée 
auprès  du  gouvernement  dont  les  vaisseaux  de  guerre  ou  ar- 
mateurs auront  commis  de  tels  attentats ,  y  fera  des  représen- 
tations ,  réclamera  le  vaisseau  marchand  enlevé,  et  insistera 
sur  les  dédommagements  convenables,  en  ne  perdant  jamais 
de  vue  la  réparation  de  l'insulte  faite  au  pavillon.  Le  ministre 
de  l'autre  partie  contractante  se  joindra  à  lui,  et  appuiera  ses 
plaintes  de  la  manière  la  plus  énergique  et  la  plus  efticace  ;  et 
ainsi,  il  sera  agi  d'un  accord  commun  et  parfait.  Que  si  l'on 
refusait  de  rendre  justice  sur  ces  plaintes,  ou  si  l'on  remettait 
de  la  rendre  d'un  temps  à  l'autre,  alors  Leurs  Majestés  useront 
de  représailles  contre  la  puissance  qui  la  leur  refuserait,  et  elles 
se  concerteraient  incessamment  sur  la  manière  la  plus  efficace 
d'effectuer  ces  justes  représailles. 

Art.  9. 

S'il  arrivait  que  l'une  ou  l'autre  des  puissances,  ou  toutes  les 
deux  ensemble ,  à  l'occasion  ou  en  haine  de  la  présente  con- 
vention, ou  pour  quelque  cause  qui  y  aurait  rapport,  fût  in- 
quiétée, molestée  ou  attaquée,  il  a  été  également  convenu  que 
les  deux  puissances  feront  cause  commune  pour  se  défendre 
réciproquement,  et  pour  travailler  et  agir  de  concert  à  se  pro- 
curer une  pleine  et  entière  satisfaction,  tant  pour  l'insulte  faite 
à  leur  pavillon  ,  que  pour  les  pertes  causées  à  leurs  sujets. 

Art.  10. 

Les  principes  et  les  mesures  adoptés  par  le  présent  acte  se- 
ront également  applicables  à  toutes  les  guerres  maritimes  dont 
l'Europe  aurait  le  malheur  d'être  troublée.  Ces  stipulations  se- 
ront, en  conséquence,  regardées  comme  permanentes,  etser- 


—  378  — 

viront  de  règle  aux  puissances  contractantes,  en  matière  de 
commerce  et  de  navigation,  et  toutes  les  fois  qu'il  s'agira  d'ap- 
précier les  droits  des  nations  neutres. 

Art.  11. 

Le  but  et  l'objet  principal  de  cette  convention  étant  d'assurer 
la  liberté  générale  du  commerce  et  de  la  navigation ,  S.  M.  le 
roi  de  Suède  et  Sa  Majesté  Impériale  conviennent  et  s'engagent 
d'avance  à  consentir  que  d'autres  puissances  également  neutres 
y  accèdent,  et  qu'en  adoptant  les  principes  elles  eu  partagent 
les  obligations  ainsi  que  les  avantages. 

Art.  12. 

Afin  que  les  puissances  en  guerre  ne  puissent  prétendre 
cause  d'ignorance  des  arrangements  pris  entre  Leurs  Majestés, 
elles  conviennent  de  porter  à  la  connaissance  des  parties  bel- 
ligérantes les  mesures  qu'elles  ont  prises  entre  elles,  d'autant 
moins  hostiles,  qu'elles  ne  sont  au  détriment  d'aucun  autre 
pays,  mais  tendent  uniquement  à  la  sûreté  du  commerce  et  de 
la  navigation  de  leurs  sujets  respectifs. 

Art.   13. 

La  présente  convention  sera  ratifiée  par  les  deux  parties 
contractantes,  et  les  ratifications  échangées  ,  en  bonne  et  due 
forme  dans  l'espace  de  six  semaines,  et  plus  tôt  si  faire  se  peut, 
à  compter  du  jour  de  la  signature. 

En  foi  de  quoi,  nous  soussignés,  en  vertu  de  nos  pleins  pou- 
voirs, l'avons  signée  et  y  avons  apposé  le  cachet  de  nos  armes. 

Fait  à  Saint-Pétersbourg,  le  -^  décembre,  l'an  1800. 

Signé  Court  Steding.  —  Comte  Rostopchin. 


XXXIL 

Page  107. 


Convention  de  neutralité  maritime  armée  ^  conclue  entre  LL. 
MM.  l'empereur  de  toutes  les  Russies  et  le  roi  de  Danemark, 
à  Saint-Pétersbourg,  le -^décembre  1800, 

Nous  Paul  I",  par  la  grâce  de  Dieu ,  empereur  et  autocrate 
de  toutes  les  Russies,  etc.,  etc.,  etc.,  savoir  faisons  qu'en  con- 


—  379  — 

séquence  de  notre  désir,  conforme  à  celui  de  S.  M.  le  roi  de 
Danemark,  nos  plénipotentiaires  respectifs  ,  munis  d'instruc- 
tions et  pleins  pouvoirs  nécessaires,  ont  arrêté  et  signé  à  Saint- 
Pétersbourg,  le  ^  décembre,  l'an  1800,  une  convention  de 
neutralité  maritime  armée,  dont  la  teneur  suit  ici  mot  à  mot  : 
Au  nom  de  la  très-sainte  et  indivisible  Trinité ,  la  liberté  de 
la  navigation  et  la  sûreté  du  commerce  des  puissances  neutres 
ayant  été  compromises,  et  les  principes  du  droit  des  nations 
méconnus  dans  la  présente  guerre  maritime,  S.  M.  l'empereur 
de  toutes  les  Russies  et  S.  M.  le  roi  de  Danemark  et  de  Nor- 
vège, guidées  par  leur  armour  pour  lajuslice  et  par  une  égale 
sollicitude  pour  tout  ce  qui  peut  concourir  à  la  prospérité  pu- 
blique dans  leurs  États,  ont  jugé  convenable  de  donner  une 
nouvelle  sanction  aux  principes  de  neutralité  qui,  indestructi- 
bles dans  leur  essence,  ne  sollicitent  que  le  concours  des  gou- 
vernements intéressés  à  leur  maintien ,  pour  les  faire  respecter. 
Dans  cette  vue,  Sa  Majesté  Impériale  a  manifesté,  par  sa  décla- 
ration du  15  août  aux  cours  du  nord  ,  qu'un  même  intérêt  en- 
gage à  des  mesures  uniformes  dans  de  pareilles  circonstances, 
combien  il  lui  tenait  à  cœur  de  rétablir  dans  son  inviolabilité  le 
droit  commun  à  tous  les  peuples  de  commercer  librement  et 
indépendamment  des  intérêts  momentanés  des  parties  belligé- 
rantes. Sa  Majesté  Danoise  partageait  les  vœux  et  les  sentiments 
de  son  auguste  allié  ;  et  une  heureuse  analogie  d'intérêts,  en 
cimentant  leur  confiance  réciproque,  a  déterminé  la  résolution 
de -rétablir  le  système  de  la  neutralité  armée,  qui  avait  été  suivi 
avec  tant  de  succès  pendant  la  dernière  guerre  d'Amérique,  en 
renouvelant  ses  maximes  bienfaisantes  dans  une  nouvelle  con- 
vention adaptée  aux  circonstances  actuelles. 

Pour  cet  effet ,  S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Russies ,  et 
S.  M.  le  roi  de  Danemark  et  de  Norvège,  ont  nommé  pour  leurs 
plénipotentiaires  ;  savoir  :  Sa  Majesté  Impériale  le  sieur  comte 
Théodore  de  Rostopsin,  son  conseiller  privé  actuel,  membre  de 
son  conseil ,  principal  ministre  du  collège  des  Affaires  Étran- 
gères, directeur  général  des  postes  de  l'empire,  grand  chance- 
lier et  grand'croix  de  l'ordre  souverain  de  Saint-Jean  de  Jérusa- 
lem, chevalier  des  ordres  de  Saint-André,  de  Saint-Alexandre  de 
Newsky,  et  de  Sainte-Anne  de  première  classe,  deceux  de  Saint- 
Lazare,  de  l'Annonciade,  de  Saint-Maurice  et  Lazare,  de  Saint- 
Ferdinand  et  de  Saint-Hubert;  et  Sa  Majesté  Danoise,  le  sieur 
Niels  de  Rosenkrantz ,  son  envoyé  extraordinaire  et  ministre 
plénipotentiaire  auprès  de  S,  M.  l'empereur  de  toutes  les  Rus- 


—  380  — 

sies ,  son  chambellan  et  aide  de  camp  général  ;  lesquels ,  après 
l'échange  de  leurs  pleins  pouvoirs  respectifs ,  sont  convenus 
des  articles  suivants  : 

Article  premier. 

Commerce  de  contrebande. 

S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Russies,  et  S.  M.  le  roi  de 
Danemark  et  de  Norvège,  déclarent  vouloir  tenir  la  main  à  la 
plus  rigoureuse  exécution  des  défenses  portées  contre  le  com- 
merce de  contrebande  de  leurs  sujets  avec  qui  que  ce  soit  des 
puissances  déjà  en  guerre  ou  qui  pourraient  y  entrer  dans  la 
suite. 

Art.  2. 

Notion  de  la  contrebande. 

Pour  éviter  toute  équivoque  et  tout  malentendu  sur  ce  qui 
doit  être  qualifié  de  contrebande ,  S.  M.  I.  de  toutes  les  Rus- 
sies, et  S.  M.  le  roi  de  Danemark  et  de  Norvège,  déclarent 
qu'elles  ne  reconnaissent  pour  telle  que  les  objets  suivants; 
savoir  :  canons,  mortiers,  armes  à  feu,  pistolets,  bombes,  gre- 
nades, boulets,  balles,  fusils  ,  pierres  à  feu,  mèches  ,  poudre, 
salpêtre,  soufre,  cuirasses  ,  piques,  épées,  ceinturons,  giber- 
nes, selles  et  brides,  en  exceptant  toutefois  la  quantité  qui  peut 
être  nécessaire  pour  la  défense  du  vaisseau  et  de  ceux  qui  en 
composent  l'équipage  ;  et  tous  les  autres  articles  quelconques 
non  désignés  ici  ne  seront  pas  réputés  munitions  de  guerre  et 
navales,  ni  sujets  à  confiscation  ,  et  par  conséquent  passeront 
librement  sans  être  assujettis  à  la  moindre  difficulté.  Il  est 
aussi  convenu  que  le  présent  article  ne  portera  aucun  préju- 
dice aux  stipulations  particulières  des  traités  antérieurs  avec 
les  parties  belligérantes,  par  lesquelles  des  objets  de  pareil 
genre  seraient  réservés ,  prohibés  ou  permis. 

Art.  3. 

Principes  de  la  liberté  du  commerce  neutre. 

Tout  ce  qui  peut  être  objet  de  contrebande  étant  ainsi  déter- 
miné et  exclu  du  commerce  des  nations  neutres,  d'après  le 
dispositif  de  l'article  précédent,  S.  M.  l'empereur  de  toutes  les 
Russies  et  S.  M.  le  roi  de  Danemark  et  de  Norvège  entendent 
et  veulent  que  tout  autre  trafic  soit  et  reste  parfaitement  libre. 


— -  381   — 

Leurs  Majestés,  pour  mellre  sous  une  sauvegarde  suffisante  les 
principes  généraux  du  droit  naturel,  dont  la  liberté  du  eom- 
merce  et  de  la  navigation,  de  même  que  les  droits  des  peuples 
neutres,  sont  une  conséquence  directe,  ont  résolu  de  ne  les 
point  laisser  plus  longtemps  dépendre  d'une  interprétation  ar- 
bitraire, suggérée  par  des  intérêts  isolés  et  momentanés.  Dans 
cette  vue,  elles  sont  convenues  : 

1»  Que  tout  vaisseau  peut  naviguer  librement  de  port  en 
port,  et  sur  les  côtes  des  nations  en  guerre  ; 

2"  Que  les  effets  appartenant  aux  sujets  desdites  puissances 
en  guerre  soient  libres  sur  les  vaisseaux  neutres,  à  l'exception 
des  marchandises  de  contrebande  ; 

3°  Que ,  pour  déterminer  ce  qui  caractérise  un  port  bloqué, 
on  n'accorde  cette  dénomination  qu'à  celui  où  il  y  a,  par  la  dis- 
position de  la  puissance  qui  l'attaque  avec  des  vaisseaux  arrê- 
tés et  suffisamment  proches,  un  danger  évident  d'entrer;  et 
que  tout  bâtiment  naviguant  vers  un  port  bloqué ,  ne  pourra 
être  regardé  comme  ayant  contrevenu  à  la  présente  conven- 
tion, que  lorsqu'après  avoir  été  averti  par  le  commandant  du 
blocus,  de  l'état  du  port,  il  tâchera  d'y  pénétrer  en  employant 
la  force  ou  la  ruse  ; 

4"  Que  les  vaisseaux  neutres  ne  peuvent  être  arrêtés  que  sur 
de  justes  causes  et  laits  évidents  ;  qu'ils  soient  jugés  sans  re- 
lard ;  que  la  procédure  soit  toujours  uniforme,  prompte  et  lé- 
gale, et  que,  chaque  fois,  outre  le  dédommagement  qu'on  ac- 
corde à  ceux  qui  ont  fait  des  pertes  sans  avoir  été  en  contra- 
vention ,  il  soit  rendu  une  satisfaction  complète  pour  l'insulte 
faite  au  pavillon  de  Leurs  Majestés  ; 

5°  Que  la  déclaration  de  l'officier  commandant  le  vaisseau 
ou  les  vaisseaux  de  la  marine  impériale  ou  royale  qui  accom- 
pagneront le  convoi  d'un  ou  de  plusieurs  bâtiments  mar- 
chands, que  son  convoi  n'a  à  bord  aucune  marchandise  de 
contrebande ,  doit  suffire  pour  qu'il  n'y  ait  lieu  à  aucune  visite 
sur  son  bord,  ni  sur  celui  des  bâtiments  de  son  convoi. 

Pour  assurer  d'autant  mieux  à  ces  principes  le  respect  dû  à 
des  stipulations  dictées  par  le  désir  désintéressé  de  maintenir 
les  droits  imprescriptibles  des  nations  neutres,  et  donner  une 
nouvelle  preuve  de  leur  loyauté  et  de  leur  amour  pour  la  jus- 
tice, les  hautes  parties  contractantes  prennent  ici  rengage- 
ment le  plus  formel  de  renouveler  les  défenses  les  plus  sévères 
à  leurs  capitaines,  soit  de  haut  bord ,  soit  de  la  marine  mar- 
chande, de  charger,  tenir  ou  receler  à  leurs  bords  aucun  des 


—  382  — 

objets  qui,  aux  termes  de  la  présente  convention,  pourraient 
être  réputés  de  contrebande,  et  de  tenir  respectivement  la  main 
à  l'exécution  des  ordres  qu'elles  feront  publier  dans  leurs  ami- 
rautés, et  partout  où  besoin  sera;  à  l'effet  de  quoi ,  l'ordon- 
nance qui  renouvellera  cette  défense  sous  les  peines  les  plus 
graves,  sera  imprimée  à  la  suite  du  présent  acte,  pour  qu'il 
n'en  puisse  être  prétendu  cause  d'ignorance. 

Art.  4. 

Armements  pour  la  protéger. 

Pour  protéger  le  commerce  commun  de  leurs  sujets  sur  le 
fondement  des  principes  ci-dessus  établis,  S.  M.  l'empereur  de 
toutes  les  Russies ,  et  S.  M.  le  roi  de  Danemark  et  de  Norvège 
ont  jugé  à  propos  d'équiper  séparément  un  nombre  de  vais- 
seaux de  guerre  et  de  frégates  proportionné  à  ce  but  ;  les  esca- 
dres de  chaque  puissance  ayant  à  prendre  la  station  et  devant 
être  employées  aux  convois  qu'exigent  son  commerce  et  sa  na- 
vigation, conformément  à  la  nature  et  à  la  qualité  du  trafic  de 
chaque  nation. 

Art.  5. 

Pavillon  national. 

Pour  prévenir  tous  les  inconvénients  qui  peuvent  provenir  de 
la  mauvaise  foi  de  ceux  qui  se  servent  du  pavillon  d'une  nation 
sans  lui  appartenir,  on  convient  d'établir  pour  règle  inviola- 
ble, qu'un  bâtiment  quelconque,  pour  être  regardé  comme  pro- 
priété du  pays  dont  il  porte  le  pavillon ,  doit  avoir  à  son  bord 
le  capitaine  du  vaisseau  et  la  moitié  de  l'équipage  des  gens  du 
pays ,  les  papiers  et  passe-ports  en  bonne  et  due  forme  ;  mais 
tout  bâtiment  qui  n'observera  pas  cette  règle ,  et  qui  contre- 
viendra aux  ordonnances  publiées  à  cet  effet  et  imprimées  à  la 
suite  de  la  présente  convention,  perdra  tous  les  droits  à  la  pro- 
tection des  puissances  contractantes ,  et  le  gouvernement  au- 
quel il  appartiendra  supportera  seul  les  pertes ,  dommages  et 
désagréments  qui  en  résulteraient. 

Art.  6. 

Assistance  mutuelle. 

Si  cependant  il  arrivait  que  les  vaisseaux  marchands  de  l'une 
des  puissances  se  trouvassent  dans  un  parage  où  les  vaisseaux 


—  383  — 

de  guerre  de  la  même  nation  ne  fussent  pas  stationnés ,  et  où 
ils  ne  pourraient  pas  avoir  recours  à  leurs  propres  convois,  alors 
le  commandant  des  vaisseaux  de  guerre  de  l'autre  puissance, 
s'il  en  est  requis,  doit  de  bonne  foi  et  sincèrement  leur  prêter 
les  secours  dont  ils  pourraient  avoir  besoin  ;  et  en  tel  cas ,  les 
vaisseaux  de  guerre  et  frégates  de  l'une  des  puissances  servi- 
ront de  soutien  et  d'appui  aux  vaisseaux  marchands  de  l'autre  ; 
bien  entendu  cepeodant  que  les  réclamants  n'auraient  fait  au- 
cun commerce  illicite  ni  contraire  aux  principes  de  la  neutra- 
lité. 

Aet.  7. 

Effet  rétroactif. 

Celte  convention  n'aura  point  d'effet  rétroactif,  et  par  con- 
séquent on  ne  prendra  aucune  part  aux  différends  nés  avant  sa 
conclusion,  à  moins  qu'il  ne  soit  question  d'actes  de  violence 
continués,  tendant  à  fonder  un  système  oppressif  pour  toutes 
les  nations  neutres  de  l'Europe  en  général. 

Akt.  8. 
Satisfaction  qu'on  exigera  en  cas  d'abus. 

S'il  arrivait,  malgré  tous  les  soins  les  plus  attentifs  des  deux 
puissances,  et  malgré  l'observation  de  la  neutralité  la  plus  par- 
faite de  leur  part,  que  les  vaisseaux  marchands  de  S.  M.  l'empe- 
reur de  toutes  les  Kussies,  ou  de  S.  M.  le  roi  de  Danemark  et 
de  Norvège,  fussent  insultés,  pillés  ou  pris  par  les  vaisseaux 
de  guerre  ou  armateurs  de  l'une  ou  l'autre  des  puissances  en 
guerre,  alors  le  ministre  de  la  partie  lésée  auprès  du  gouver- 
nement dont  les  vaisseaux  de  guerre  ou  armateurs  auront  com- 
mis de  tels  attentats  ,  y  fera  des  représentations,  réclamera  le 
vaisseau  marchand  enlevé,  et  insistera  sur  les  dédommage- 
ments convenables ,  en  ne  perdant  jamais  de  vue  la  réparation 
de  l'insulte  faite  au  pavillon.  Le  minisire  de  l'autre  partie  con- 
tractante se  joindra  à  lui,  et  appuiera  ses  plaintes  de  la  manière 
la  plus  énergique  et  la  plus  efficace  ,  et  ainsi  il  sera  agi  d'un 
commun  et  parfait  accord.  Que  si  l'on  refusait  de  rendre  justice 
sur  ces  plaintes,  ou  si  l'on  remettait  de  la  rendre  d'un  temps  à 
l'autre ,  alors  Leurs  Majestés  useront  de  représailles  contre  la 
puissance  qui  la  leur  refuserait ,  et  elles  se  concerteront  inces- 
samment sur  la  manière  la  plus  efficace  d'effectuer  ces  justes 
représailles. 


—  384  — 

Art.  9. 

Alliance. 

S'il  arrivait  que  l'une  ou  l'autre  des  deux  puissances,  ou 
toutes  les  deux  ensemble,  à  l'occasion  ou  en  haine  de  la  pré- 
sente convention  ,  ou  pour  quelque  cause  qui  y  aurait  rapport, 
fût  inquiétée,  molestée  ou  attaquée,  il  a  été  également  convenu 
que  les  deux  puissances  feront  cause  commune  pour  se  défen- 
dre réciproquement ,  et  pour  travailler  et  agir  de  concert  à  se 
procurer  une  pleine  et  entière  satisfaction,  tant  pour  l'insulte 
faite  à  leur  pavillon,  que  pour  les  pertes  causées  à  leurs  sujets. 

Art.  10. 

Guerres  futures. 

Les  principes  et  les  mesures  adoptés  par  le  présent  acte  se- 
ront également  applicables  à  toutes  les  guerres  maritimes  par 
lesquelles  l'Europe  aurait  le  malheur  d'être  troublée.  Ces  sti- 
pulations seront,  en  conséquence,  regardées  comme  perma- 
nentes, et  serviront  de  règle  aux  puissances  contractantes,  en 
matière  de  commerce  et  de  navigation  ,  et  toutes  les  fois  qu'il 
s'agira  d'apprécier  les  droits  des  nations  neutres. 

Art.    11. 

Accessions  des  neutres. 

Le  but  et  l'objet  principal  de  cette  convention  étant  d'assu- 
rer la  liberté  générale  du  commerce  et  de  la  navigation,  S.  M. 
l'empereur  de  toutes  les  Russies  et  S.  M.  le  roi  de  Danemark  et 
de  Norvège  conviennent  et  s'engagent  d'avance  à  consentir 
que  d'autres  puissances  également  neutres  y  accèdent,  et  qu'eu 
adoptant  les  principes,  elles  en  partagent  les  obligations  ainsi 
que  les  avantages. 

Art.  42. 

Communication  aux  helligérants. 

Afin  que  les  puissances  en  guerre  ne  puissent  prétendre 
cause  d'ignorance  des  arrangements  pris  entre  Leursdites  Ma- 
jestés, elles  conviennent  de  porter  à  la  connaissance  des  par- 
ties belligérantes  les  mesures  qu'elles  ont  concertées  entre 
elles,  d'autant  moins  hostiles,  qu'elles  ne  sont  au  détriment 


—  385  — 

d'aucun  autre  pays  ,  mais  tendent  uniquement  à  la  sûreté  du 
commerce  et  de  la  navigation  de  leurs  sujets  respectifs. 

Art.   13. 

La  présente  convention  sera  ratifiée  par  les  deux  parties  con- 
tractantes, et  les  ratifications  échangées,  en  bonne  et  duc 
forme,  dans  Fespacede  six  semaines,  ou  plus  tôt  si  faire  se  peut, 
à  compter  du  jour  de  la  signature.  En  foi  de  quoi,  nous  sous- 
signés, en  vertu  de  nos  pleins  pouvoirs  ,  l'avons  signée  et  y 
avons  apposé  le  cachet  de  nos  armes. 

Fait  à  Saint-Pétersbourg,  le  4  (16)  décembre  1800. 

(  L.  S.  )  Signé  comte  Rostops(n, 
(L.  S.  )  Signé  Niels  de  Rosenkrantz. 

Les  ratifications  ont  été  échangées  le  10  février  1801. 


XXXÏII. 

Page  107. 


Convention  de  neu (rallié  maritime  armée,  concilie  entre  LL. 
MM.  r empereur  de  toutes  les  Kussies  et  le  roi  de  Prusse,  à 
Saint-Pétersbourg,  le  -^  décembre  1800,  avec  l'article  sup' 
plémentaire  ratifié  le  6  février  1801. 

Nous  Paul  I",  par  la  grâce  de  Dieu  ,  empereur  et  autocrate 
de  toutes  les  Uussies,  de  Moscovie,  Kiovie,  Wladimiric,  Novo- 
gorod;  czar  de  Casan,  czar  d'Astracan,  czar  de  Sibérie,  czar  de 
la  Chersonèse-Taurique  ;  seigneur  de  Plescau,  et  grand-duc  do 
Smolenske,  de  Lilhuanio,  Wolhynie  et  Podolie;  duc  d'F^stonie, 
de  Livonie,  de  Courlande  et  Semigalle ,  de  Samogitie,  Carélie, 
Twer,  Ingorie,  Permie,  Viatka,  Bulgarie,  et  d'autres  ;  seigneur 
et  grand-duc  de  Novogorod  inférieur,  de  Czernigovie,  Rezau, 
Polock ,  Bestow,  Saruslaw,  Belooserie,  Udorie,  Obdorie,  Con- 
dinie,  Witepsk,  Milislaw  ;  dominateur  de  tout  le  côté  du  nord  ; 
seigneur  d'Iverie,  et  prince  héréditaire  et  souverain  des  czars 
de  Cartalinie  et  Géorgie,  comme  aussi  de  Cabardiuie,  des  prin- 
ces de  (Izircassie,  de  Gorsky,  et  d'autres  ;  successeur  de  Nor- 
vège} duc  de  Schlesweik-Holslcin,  de  Storraarie,  de  Dithmar- 
XI  25 


—  386  — 

sen ,  et  d'Oldenbourg  ;  seigneur  de  Jever,  et  grand  maître  de 
l'ordre  souverain  de  Saint-Jean  de  Jérusalem,  etc.,  etc. 

Savoir  faisons  qu'en  conséquence  de  notre  désir,  conforme 
à  celui  de  S.  M.  le  roi  de  Prusse,  nos  plénipotentiaires  respec- 
tifs, munis  d'instructions  et  pleins  pouvoirs  nécessaires ,  ont 
arrêté  et  signé  à  Saint-Pétersbourg,  le  j^  décembre,  l'an  1800, 
une  convention  de  neutralité  maritime  armée ,  dont  la  teneur 
suit  ici  mot  à  mot  : 

Au  nom  de  la  très-sainte  et  indivisible  Trinité. 

La  liberté  de  la  navigation  et  la  sûreté  du  commerce  des 
puissances  neutres  ayant  été  compromises,  et  les  principes  du 
droit  des  nations  méconnus  dans  la  présente  guerre  maritime, 
S.  M,  l'empereur  de  toutes  les  Russies  et  S.  M.  le  roi  de  Prusse, 
guidées  par  leur  amour  pour  la  justice  et  par  une  égale  solli- 
citude pour  tout  ce  qui  peut  concourir  à  la  prospérité  publique 
dans  leurs  États,  ont  jugé  convenable  de  donner  une  nouvelle 
sanction  aux  principes  de  neutralité  qui,  indestructibles  de  leur 
essence ,  ne  sollicitent  que  le  concours  des  gouvernements  in- 
téressés à  leur  maintien,  pour  les  faire  respecter.  Dans  cette  vue, 
Sa  Majesté  impériale  a  manifesté,  par  sa  déclaration  du  15  août, 
aux  cours  du  nord  ,  qu'un  même  intérêt  engage  à  des  mesures 
uniformes  dans  de  pareilles  circonstances,  combien  il  lui  te- 
nait à  cœur  de  rétablir  dans  son  inviolabilité  le  droit  commun 
à  tous  les  peuples  de  naviguer  et  commercer  librement  et  indé- 
pendamment des  intérêts  momentanés  des  parties  belligérantes. 
Sa  Majesté  Prussienne  partageait  les  vœux  et  les  sentiments 
de  son  auguste  allié;  et  une  heureuse  analogie  d'intérêts,  en  ci- 
mentant leur  confiance  réciproque ,  a  déterminé  la  résolution 
de  rétablir  le  système  de  la  neutralité  armée,  qui  avait  été  suivi 
avec  tant  de  succès  pendant  la  dernière  guerre  d'Amérique, 
en  renouvelant  ses  maximes  bienfaisantes  dans  une  nouvelle 
convention  adaptée  aux  circonstances  actuelles. 

Pour  cet  effet,  S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Russies,  et 
S.  M.  le  roi  de  Prusse,  ont  nommé  pour  leurs  plénipotentiaires, 
savoir  :  Sa  Majesté  Impériale,  le  sieur  comte  Théodore  de  Ros- 
topsin,  son  conseiller  privé  actuel,  membre  de  son  conseil, prin- 
cipal ministre  du  collège  des  Affaires  Étrangères,  directeur  gé- 
néral des  postes  de  l'empire,  grand  chancelier  et  grand'croix 
de  l'ordre  souverain  de  Saint-Jean  de  Jérusalem,  chevalier  des 
ordies  de  Saint-André,  de   Saint-Alexandre  Newsky,  et  de 


—  387  — 

Sainte-Anne  de  première  classe,  de  ceux  de  Saint-Lazare,  de 
l'Annonciade,  de  Saint-Maurice  et  Lazare,  de  Saint-Ferdinand 
et  de  Saint-Hubert  ;  et  Sa  Majesté  Prussienne ,  le  sieur  comte 
Spiridon  àeLuzi,  lieutenant  général  d'infanterie  de  ses  armées, 
son  envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  auprès 
de  S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Russies,  chevalier  de  l'ordre 
de  l'Aigle-Rouge  et  de  l'ordre  pour  le  mérite  ;  lesquels ,  après 
l'échange  de  leurs  pleins  pouvoirs,  sont  convenus  des  articles 
suivants  : 

Article  premier. 

Commpree  de  contrebande. 

S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Russies  et  S.  M.  le  roi  de 
Prusse  déclarent  vouloir  tenir  la  main  à  la  plus  rigoureuse 
exécution  des  défenses  portées  contre  le  commerce  de  contre- 
bande de  leurs  sujets  avec  qui  que  ce  soit  des  puissances  déjà 
en  guerre  ou  qui  pourraient  y  entrer  dans  la  suite. 

Art.  2. 

Notion  de  la  contrebande. 

Pour  éviter  toute  équivoque  et  tout  malentendu  sur  ce  qui 
doit  être  qualifié  de  contrebande,  S.  M.  l'empereur  de  toutes 
les  Russies  et  Sa  Majesté  Prussienne  déclarent  qu'elles  ne  re- 
connaissent pour  telle  que  les  objets  suivants;  savoir  :  canons, 
mortiers,  armes  à  feu,  pierres  à  feu  ,  mèches ,  poudre ,  salpê- 
tre ,  soufre  ,  cuirasses ,  piques ,  épées ,  ceinturons ,  gibernes, 
selles  et  brides,  en  exceptant  toutefois  la  quantité  qui  peut  être 
nécessaire  pour  la  défense  du  vaisseau  et  de  ceux  qui  en  com- 
posent l'équipage  ;  et  tous  les  autres  articles  quelconques,  non 
désignés  ici,  ne  seront  pas  réputés  munitions  de  guerre  et  na- 
vales, ni  sujets  à  confiscation,  et  par  conséquent  passeront 
librement,  sans  être  assujettis  à  la  moindre  difficulté.  Il  est 
aussi  convenu  que  le  présent  article  ne  portera  aucun  préjudice 
aux  stipulations  particulières  des  traités  antérieurs  avec  les 
parties  belligérantes,  par  lesquelles  des  objets  de  pareil  genre 
seraient  réservés,  prohibés  ou  permis. 

Art.  3. 

Principes  de  la  liberté  du  commerce  neutre. 

Tout  ce  qui  peut  être  objet  de  contrebande  étant  ainsi  déter- 
miné et  exclu  du  commerce  des  nations  neutres,  d'après  le 


—  388  — 

dispositif  de  l'article  précédent,  S.  M,  l'empereur  de  toutes  les 
Russies  et  Sa  Majesté  Prussienne  entendent  et  veulent  que  tout 
autre  trafic  soit  et  reste  parfaitement  libre.  Leurs  Majestés,  pour 
mettre  sous  une  sauvegarde  suffisante  les  principes  généraux 
du  droit  naturel,  dont  la  liberté  du  commerce  et  de  la  naviga- 
tion, de  même  que  les  droits  des  peuples  neutres,  sont  une 
conséquence  directe,  ont  résolu  de  ne  les  point  laisser  plus 
longtemps  dépendre  d'une  interprétation  arbitraire,  suggérée 
par  des  intérêts  isolés  et  momentanés.  Dans  cette  vue,  elles 
sont  convenues  : 

1°  Que  tout  vaisseau  peut  naviguer  librement  de  port  en 
port  et  sur  les  côtes  des  nations  en  guerre  ; 

2°  Que  les  effets  appartenant  aux  sujets  des  puissances  en 
guerre  soient  libres  sur  les  vaisseaux  neutres,  à  l'exception  des 
marchandises  de  contrebande  ; 

3"  Que,  pour  déterminer  ce  qui  caractérise  un  port  bloqué, 
on  n'accorde  cette  dénomination  qu'à  celui  où  il  y  a,  par  la 
disposition  de  la  puissance  qui  l'attaque  avec  des  vaisseaux 
arrêtés  et  suffisamment  proches,  un  danger  évident  d'entrer; 
«t  que  tout  bâtiment  naviguant  vers  un  port  bloqué  ne  pourra 
être  regardé  comme  ayant  contrevenu  à  la  présente  conven- 
tion, que  lorsque  après  avoir  été  averti  par  le  commandant  du 
blocus,  de  l'état  du  port,  il  tâchera  d'y  pénétrer  en  employant 
la  force  ou  la  ruse  ; 

4°  Que  les  vaisseaux  neutres  ne  peuvent  être  arrêtés  que 
sur  de  justes  causes  et  faits  évidents;  qu'ils  soient  jugés  sans 
relard;  que  la  procédure  soit  toujours  uniforme,  prompte  et 
légale,  et  que,  chaque  ibis,  outre  le  dédommagement  qu'on 
accorde  à  ceux  qui  ont  fait  des  pertes  sans  avoir  été  en  contra- 
vention, il  soit  rendu  une  satisfaction  complète  pour  l'insulte 
laite  au  pavillon  de  Leurs  Majestés  ; 

5"  Que  la  déclaration  de  l'officier  commandant  le  vaisseau 
ou  les  vaisseaux  de  la  marine  impériale  ou  royale  qui  accom- 
pagneront le  convoi  d'un  ou  de  plusieurs  bâtiments  mar- 
chands, que  son  convoi  n'a  à  bord  aucune  marchandise  de 
contrebande,  doit  suffire  pour  qu'il  n'y  ait  lieu  à  aucune  visite 
sur  son  bord,  ni  sur  celui  des  bâtiments  de  son  convoi. 

Pour  assurer  d'autant  mieux  à  ces  principes  le  respect  dû  à 
des  stipulations  dictées  par  le  désir  désintéressé  de  maintenir 
les  droits  imprescriptibles  des  nations  neutres,  et  donner  une 
nouvelle  preuve  de  leur  loyauté  et  de  leur  amour  pour  la  jus- 
tice, les  hautes  parties  contractantes  prennent  ici  l'engagement 


—  389  — 

le  plus  formel  de  renouveler  les  défenses  les  plus  sévères  à 
leurs  capitaines,  soit  de  haut  bord,  soit  de  la  marine  mar- 
chande, de  charger,  tenir  ou  receler  à  leurs  bords,  aucun  des 
objets  qui ,  aux  termes  de  la  présente  convention,  pourraient 
être  réputés  de  contrebande,  et  de  tenir  respectivement  la 
main  à  l'exécution  des  ordres  qu'elles  feront  publier  dans  leurs 
amirautés,  et  partout  où  besoin  sera  ;  à  l'effet  de  quoi,  l'ordon- 
nance qui  renouvellera  cette  défense  sous  les  peines  les  plus 
graves,  sera  imprimée  à  la  suite  du  présent  acte,  pour  qu'il 
n'en  puisse  être  prétendu  cause  d'ignorance. 

Art.  4. 
Protection  pour  les  vaisseatix  prussiens. 

En  réciprocité  de  cette  accession.  S.  M.  l'empereur  de  toutes 
les  Russies  fera  jouir  le  commerce  et  la  navigation  des  sujets 
prussiens,  de  la  protection  de  ses  flottes,  en  ordonnant  à  tous 
les  chefs  de  ses  escadres  de  protéger  et  défendre ,  contre  toute 
insulte  et  molestalion ,  les  navires  marchands  prussiens  qui  se 
trouveront  sur  leur  route,  comme  ceux  d'une  puissance  amie, 
alliée,  et  stricte  observatrice  de  la  neutralité;  bien  entendu 
cependant  que  les  susdits  navires  ne  seront  employés  à  aucun 
commerce  illicite  ni  contraire  aux  règles  de  la  neutralité  la 
plus  exacte. 

La  môme  protection  et  la  même  assistance  seront  accordées 
au  pavillon  prussien,  de  la  part  des  vaisseaux  de  guerre  danois 
et  suédois,  conformément  aux  principes  de  la  neutralité  ar- 
mée ;  et  S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Russies  s'engage  à  con- 
courir, s'il  est  nécessaire,  aux  arrangements  qui  doivent  être 
stipulés  pour  cet  effet  dans  les  conventions  séparées  à  conclure 
ensuite  du  présent  acte  entre  les  cours  de  Berlin,  de  Copenha- 
gue et  de  Stockholm. 

Art.  5. 

Effet  rétroactif. 

Celte  convention  n'aura  point  d'effet  rétroactif,  et  par  con- 
séquent on  ne  prendra  uucune  part  aux  différends  nés  avant  sa 
conclusion  ,  à  moins  qu'il  ne  soit  question  d'actes  de  violence 
continués,  tendant  à  former  un  système  oppressif  pour  toutes  les 
nations  neutres  de  l'Europe  en  général. 


—  390  — 

Art.  6. 

Satisfaction  en  cas  d'abus. 

S'il  arrivait,  malgré  tous  les  soins  les  plus  attentifs  des  deux 
puissances,  et  malgré  l'observation  de  la  neutralité  la  plus  par- 
faite de  leur  part,  que  les  vaisseaux  marchands  de  S.  M.  l'em- 
pereur de  toutes  les  Russies  ou  deSaMajeslé  Prussienne  fussent 
insultés,  pillés- ou  pris  par  les  vaisseaux  de  guerre  ou  arma- 
teurs de  l'une  ou  l'autre  des  puissances  en  guerre,  alors  le  mi- 
nistre de  la  partie  lésée  auprès  du  gouvernement  dont  les  vais- 
seaux de  guerre  ou  armateurs  auront  commis  de  tels  attentats, 
y  fera  des  représentations,  réclamera  le  vaisseau  marchand 
enlevé,  et  insistera  sur  les  dédommagements  convenables,  en 
ne  perdant  jamais  de  vue  la  réparation  de  l'insulte  faite  au  pa- 
villon. Le  ministre  de  l'autre  partie  contractante  se  joindra  à 
lui,  et  appuiera  ses  plaintes  de  la  manière  la  plus  énergique  et 
la  plus  efficace  ;  et  ainsi  il  sera  agi  d'un  commun  et  parfait  ac- 
cord. Que  si  l'on  refusait  de  rendre  justice  sur  ces  plaintes,  ou 
si  l'on  remettait  de  la  rendre  d'un  temps  à  l'autre,  alors  Leurs 
Majestés  useront  de  représailles  contre  la  puissance  qui  la  leur 
refuserait ,  et  elles  se  concerteront  incessamment  sur  la  ma- 
nière la  plus  efficace  d'effectuer  ces  justes  représailles. 

Art.  7. 

Alliance, 

S'il  arrivait  que  l'une  ou  l'autre  des  deux  puissances ,  ou 
toutes  les  deux  ensemble,  à  l'occasion  ou  en  haine  de  la  pré- 
sente convention,  ou  pour  quelque  cause  qui  y  aurait  rapport, 
fût  inquiétée,  molestée  ou  attaquée,  il  a  été  également  convenu 
que  les  deux  puissances  feront  cause  commune  pour  se  dé- 
fendre réciproquement,  et  pour  travailler  et  agir  de  concert  à 
se  procurer  une  pleine  et  entière  satisfaction,  tant  pour  l'in- 
sulte faite  à  leur  pavillon  que  pour  les  pertes  causées  à  leurs 
sujets. 

Art.  8. 

Guerres  futures. 

Les  principes  et  les  mesures  adoptés  par  le  présent  acte  se- 
ront également  applicables  à  toutes  les  guerres  maritimes  par 
lesquelles  l'Europe  aurait  le  malheur  d'être  troublée.  Ces  sti- 
pulations seront,  en  conséquence,  regardées  comme  perma- 


—  391  — 

nentes,  et  serviront  de  règle  aux  puissances  contractantes,  en 
matière  de  commerce  et  de  navigation,  et  toutes  les  fois  qu'il 
s'agira  d'apprécier  les  droits  des  nations  neutres. 

Abt.  9. 

Accession  des  neutres. 

Le  but  de  l'objet  principal  de  cette  convention  étant  d'as- 
surer la  liberté  générale  du  commerce  et  de  la  navigation , 
S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Russies  et  Sa  Majesté  Prussienne 
conviennent  et  s'engagent  d'avance  à  consentir  que  d'autres 
puissances  également  neutres  y  accèdent ,  et  qu'en  adoptant  les 
principes,  elles  en  partagent  les  obligations  ainsi  que  les  avan- 
tages. 

Art.  10. 

Communication  aux  belligérants. 

Afin  que  les  puissances  en  guerre  ne  puissent  prétendre 
cause  d'ignorance  des  arrangements  pris  entre  Leursdites  Ma- 
jestés, elles  conviennent  de  porter  à  la  connaissance  des  par- 
ties belligérantes  les  mesures  qu'elles  ont  contractées  entre 
elles,  d'autant  moins  hostiles,  qu'elles  ne  sont  au  détriment 
d'aucun  pays,  mais  tendent  uniquement  à  la  sûreté  du  com- 
merce et  de  la  navigation  de  leurs  sujets  respectifs. 

Art.  11. 
Satification, 

La  présente  convention  sera  ratifiée  par  les  deux  parties 
contractantes,  et  les  ratifications  échangées,  en  bonne  et  due 
forme,  dans  l'espace  de  six  semaines ,  ou  plus  tôt  si  faire  se 
peut,  à  compter  du  jour  de  la  signature. 

En  foi  de  quoi ,  nous  soussignés ,  en  vertu  de  nos  pleins 
pouvoirs ,  l'avons  signée  et  y  avons  apposé  le  cachet  de  nos 
armes. 

Fait  à  Saint-Pétersbourg,  le  ^  décembre  1800, 

(US.)  comte  de  Rostopsin 
(L.  S.)Spiridon,  comte  de  Luzi. 

A  ces  causes ,  et  après  avoir  suffisamment  examiné  ce  traité 
de  neutrahté  armée  ,  nous  l'avons  agréé ,  confirmé  et  ratifié, 


—  39Q  — 

ainsi  que  nous  l'agréons ,  confirmons  et  ratifions  par  les  pré- 
sentes dans  tous  ses  articles;  promettant  sur  notre  parole  et 
foi  impériale  ,  pour  nous  et  nos  héritiers,  de  remplir  inviola- 
blement  tout  ce  qui  a  été  stipulé  par  la  susdite  convention. 

De  plus,  et  indépendamment  des  stipulations  contenues 
dans  la  convention  ci-dessus  transcrite ,  S.  M.  le  roi  de  Prusse 
ayant  agréé  un  article  supplémentaire  que  nous  lui  avons  pro- 
posé, conçu  en  termes  suivants  :  «  Pour  prévenir  tous  les  in- 
convénients qui  peuvent  provenir  de  la  mauvaise  foi  de  ceux 
qui  se  servent  du  pavillon  d'une  nation  sans  lui  appartenir,  on 
convient  d'établir,  pour  règle  inviolable,  qu'un  bâtiment  quel- 
conque ,  pour  être  regardé  comme  propriété  du  pays  dont  il 
porte  le  pavillon,  doit  avoir  à  son  bord  le  capitaine  du  vais- 
seau et  la  moitié  de  l'équipage  des  gens  du  pays,  les  papiers 
et  passe- ports  en  bonne  et  due  forme  :  mais  tout  bâtiment  qui 
n'observera  pas  cette  règle ,  et  qui  contreviendra  aux  ordon- 
nances publiées  à  cet  effet  et  imprimées  à  la  suite  de  la  pré- 
sente convention  ,  perdra  tous  les  droits  à  la  protection  des 
puissances  contractantes;  et  le  gouvernement  auquel  il  appar- 
tiendra, supportera  seul  les  pertes,  dommages  et  désagréments 
qui  en  résulteront.  » 

Et  cet  article  additionnel  ayant  uniquement  pour  objet  de 
parer,  avec  d'autant  plus  d'efficacité  ,  aux  abus  de  tout  com- 
merce frauduleux  et  de  contrebande,  nous  l'avons  confirmé  et 
ratifié ,  ainsi  que  nous  le  ratifions  et  confirmons  par  les  pré- 
sentes ;  promettant  sur  notre  parole  et  foi  impériale,  pour  nous 
et  nos  héritiers ,  de  remplir  inviolablement  tout  ce  qui  a  été 
stipulé  par  le  susdit  article. 

En  foi  de  quoi,  nous  avons  signé  cette  ratification  impériale 
de  notre  propre  main ,  et  y  avons  fait  apposer  le  sceau  de  l'em- 
pire. 

Donné  à  notre  château  de  Saint-Michel,  le  6  février,  l'an  de 
grâce  1801,  et  de  notre  règne  la  cinquième  année. 

Pacl. 
Contresigné  comte  de  Rostopsin. 


—  393  — 

XXXIV. 

Page  108, 

Convention  maritime  entre  la  Russie  et  la  Grande-Bretagne, 
signée  à  Saint-Pétersbourg,  le  -pjjuin  1801,  avec  deux  ar- 
ticles séparés  de  la  même  date. 

Le  désir  mutuel  de  S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Russies ,  et 
de  S.  M.  le  roi  du  royaume-uni  de  la  Grande-Bretagne  et  de 
l'Irlande,  étant  non-seulement  de  s'entendre  entre  elles  sur 
les  différends  qui  ont  altéré  en  dernier  lieu  la  bonne  intelli- 
gence et  les  rapports  d'amitié  qui  subsistaient  entre  les  deux 
États ,  mais  encore  de  prévenir  à  l'avance ,  par  des  explica- 
tions franches  et  précises  à  l'égard  de  la  navigation  de  leurs 
sujets  respectifs,  le  renouvellement  de  semblables  altercations 
et  les  troubles  qui  pourraient  en  être  la  suite;  et  l'objet  de  la 
sollicitude  de  Leurs  dites  Majestés  étant  de  parvenir  le  plus  tôt 
que  faire  se  pourra  à  un  arrangement  équitable  de  ces  diflFé- 
rends ,  et  à  une  fixation  invariable  de  leurs  principes  sur  les 
droits  de  la  neutralité ,  dans  leur  application  à  leurs  monar- 
chies respectives  ,  afin  de  resserrer  de  plus  en  plus  les  liens 
d'amitié  et  de  bonne  correspondance  dont  elles  reconnaissent 
l'utilité  et  les  avantages  ,  elles  ont  nommé  et  choisi  pour  leurs 
plénipotentiaires;  savoir  :  S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Rus- 
sies, le  ^ÀeuvNikuita,  comte  de  Panin,  etc.  ;  et  S.  M.  le  roi  de 
la  Grande-Bretagne,  Abbin,  baron  de  Saint-Helens,  etc.  ;  les- 
quels, après  s'être  communiqué  leurs  pleins  pouvoirs,  et  les 
avoir  trouvés  en  bonne  et  due  forme,  sont  convenus  des  points 
et  articles  suivants  : 

Article  premier. 

11  y  aura  désormais ,  entre  S.  M.  l'empereur  de  toutes  les 
Russies  et  Sa  Majesté  Britannique,  leurs  sujets,  États  et  pays  de 
leur  domination,  bonne  et  inaltérable  amitié  et  intelligence  ;  et 
subsisteront,  comme  par  le  passé,  tous  les  rapports  politiques, 
de  commerce  et  autres  d'une  utilité  commune,  entre  les  sujets 
respectifs ,  sans  qu'ils  puissent  être  troublés  ni  inquiétés  en 
manière  quelconque. 

Art.  2. 

S.  M.  l'Empereur  et  Sa  Majesté  Britannique  déclarent  vouloir 


—  394  — 

tenir  la  main  à  la  plus  rigoureuse  exécution  des  dëfenses  por- 
tées contre  le  commerce  de  contrebande  de  leurs  sujets  avec 
les  ennemis  de  l'une  ou  de  l'autre  des  hautes  parties  contrac- 
tantes. 

Art.  3. 

S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Russies  et  Sa  Majesté  Britan- 
nique ayant  résolu  de  mettre  sous  une  sauvegarde  suffisante  la 
liberté  du  commerce  et  delà  navigation  de  leurs  sujets,  dans  le 
cas  où  l'une  d'entre  elles  serait  en  guerre ,  tandis  que  l'autre 
serait  neutre,  elles  sont  convenues  : 

1°  Que  les  vaisseaux  de  la  puissance  neutre  pourront  navi- 
guer librement  aux  ports  et  sur  les  côtes  des  nations  en  guerre  ; 

2°  Que  les  effets  embarqués  sur  les  vaisseaux  neutres  seront 
libres,  à  l'exception  de  la  contrebande  de  guerre  et  des  pro- 
priétés ennemies;  et  il  est  convenu  de  ne  pas  comprendre  au 
nombre  des  dernières,  les  marchandises  du  produit  du  cru  ou 
de  la  manufacture  des  pays  en  guerre  qui  auraient  été  acquises 
par  des  sujets  de  la  puissance  neutre  et  seraient  transportées 
pour  leur  compte  ;  lesquelles  marchandises  ne  peuvent  être 
exceptées,  en  aucun  cas,  de  la  franchise  accordée  au  pavillon 
de  ladite  puissance  ; 

3°  Que,  pour  éviter  aussi  toute  équivoque  et  tout  malentendu 
sur  ce  qui  doit  être  qualifié  de  contrebande  de  guerre,  S.  M. 
l'empereur  de  toutes  les  Russies,  et  Sa  Majesté  Britannique,  dé- 
clarent, conformément  à  l'article  11  du  traité  de  commerce  con- 
clu entre  les  deux  couronnes  le  ^  février  1797,  qu'elles  ne  re- 
connaissent pour  telle  que  les  objets  suivants  ;  savoir  :  canons, 
mortiers,  armes  à  feu,  pistolets,  bombes,  grenades,  boulets, 
balles,  fusils,  pierres  à  feu,  mèches,  poudre,  salpêtre,  soufre, 
cuirasses,  piques,  épées,  ceinturons,  gibernes,  selles  et  brides  ; 
en  exceptant  toutefois  la  quantité  des  susdits  articles  qui  peut 
être  nécessaire  pour  la  défense  du  vaisseau  et  de  ceux  qui  en 
composent  l'équipage  ;  et  tous  les  autres  articles  quelconques, 
non  désignés  ici ,  ne  seront  pas  réputés  munitions  de  guerre 
et  navales ,  ni  sujets  à  confiscation  ,  et  par  conséquent  passe- 
ront librement  sans  être  assujettis  à  la  moindre  difficulté ,  à 
moins  qu'ils  ne  puissent  être  réputés  propriétés  ennemies, 
dans  le  sens  arrêté  ci-dessus.  11  est  aussi  convenu  que  ce  qui 
est  stipulé  dans  le  présent  article,  ne  portera  aucun  préjudice 
aux  stipulations  particulières  de  l'une  ou  de  l'autre  couronne 


—  395  — 

avec  d'autres  puissances ,  par  lesquelles  des  objets  de  pareil 
genre  seraient  réservés,  prohibés  ou  permis  ; 

4°  Que,  pour  déterminer  ce  qui  caractérise  un  port  bloqué, 
on  n'accorde  cette  dénomination  qu'à  celui  oiî  il  y  a ,  par  la 
disposition  de  la  puissance  qui  l'attaque  avec  des  vaisseaux 
arrêtés  ou  suffisamment  proches,  un  danger  évident  d'entrer; 

6°  Que  les  vaisseaux  de  la  puissance  neutre  ne  peuvent  être 
arrêtés  que  sur  de  justes  causes  et  faits  évidents  ;  qu'ils  soient 
jugés  sans  relard ,  et  que  la  procédure  soit  toujours  uniforme, 
prompte  et  légale. 

Pour  assurer  d'autant  mieux  le  respect  dû  à  ces  stipulations, 
dictées  par  le  désir  sincère  de  concilier  tous  les  intérêts  et 
donner  une  nouvelle  preuve  de  leur  loyauté  et  de  leur  amour 
pour  la  justice,  les  hautes  parties  contractantes  prennent  ici 
l'engagement  le  plus  formel  de  renouveler  les  défenses  les  plus 
sévères  à  leurs  capitaines,  soit  de  haut  bord,  soit  de  la  marine 
marchande,  de  charger,  tenir  ou  receler  à  leur  bord  aucun  des 
objets  qui ,  aux  termes  de  la  présente  convention  ,  pourraient 
être  réputés  de  contrebande,  et  de  tenir  respectivement  la 
main  à  l'exécution  des  ordres  qu'elles  auront  publiés  dans 
leurs  amirautés  et  partout  oîi  besoin  sera. 

Abt.  4. 

Les  deux  hautes  parties  contractantes ,  voulant  encore  pré- 
venir tout  sujet  de  dissension  à  l'avenir,  en  limitant  le  droit  de 
visite  des  vaisseaux  marchands  allant  sous  convoi  aux  seuls 
cas  où  la  puissance  belligérante  pourrait  essuyer  un  préjudice 
réel  par  l'abus  du  pavillon  neutre,  sont  convenues  ; 

1°  Que  le  droit  de  visiter  les  navires  marchands  appartenant 
aux  sujets  d'une  des  puissances  contractantes  naviguant  sous 
le  convoi  d'un  vaisseau  de  guerre  de  ladite  puissance ,  ne  sera 
exercé  que  par  les  vaisseaux  de  guerre  de  la  partie  belligé- 
rante, et  ne  s'étendra  jamais  aux  armateurs,  corsaires  et  au- 
tres bâtiments  qui  n'appartiennent  pas  à  la  flotte  impériale  ou 
royale  de  Leurs  Majestés,  mais  que  leurs  sujets  auraient  armés 
en  guerre  ; 

2°  Que  les  propriétaires  de  tous  les  navires  marchands  ap- 
partenant aux  sujets  de  l'un  des  souverains  contractants,  qui 
seront  destinés  à  aller  sous  convoi  d'un  vaisseau  de  guerre, 
seront  tenus,  avant  qu'ils  reçoivent  leurs  instructions  de  navi- 
gation, de  produire  au  commandant  du  vaisseau  de  convoi 


—  39C  — 

leurs  passe-ports  et  certificats  ou  lettres  de  mer,  dans  la  forme 
annexée  au  présent  traité  ; 

3°  Que,  lorsqu'un  vaisseau  de  guerre  ayant  sous  son  convoi 
des  navires  marchands ,  sera  rencontré  par  un  vaisseau  ou  des 
vaisseaux  de  guerre  de  l'autre  partie  contractante  qui  se  trou- 
vera alors  en  état  de  guerre,  pour  éviter  tout  désordre,  on  se 
tiendra  hors  de  la  portée  du  canon,  à  moins  que  l'état  de  la 
mer  ou  le  lieu  de  la  rencontre  ne  nécessite  un  plus  grand  rap- 
prochement ;  et  le  commandant  du  vaisseau  de  la  puissance 
belligérante  enverra  une  chaloupe  à  bord  du  vaisseau  de  con- 
voi, où  il  sera  procédé  réciproquement  à  la  vérification  des  pa- 
piers et  certificats  qui  doivent  constater,  d'une  part,  que  le 
vaisseau  de  guerre  neutre  est  autorisé  à  prendre  sous  son  es- 
corte tels  ou  tels  vaisseaux  marchands  de  sa  nation,  chargés  de 
telles  cargaisons  et  pour  tels  ports;  de  l'autre  part,  que  le  vais- 
seau de  guerre  de  la  partie  belligérante  appartient  à  la  flotte 
impériale  ou  royale  de  Leurs  Majestés  ; 

4°  Cette  vérification  faite,  il  n'y  aura  lieu  à  aucune  visite,  si 
les  papiers  sont  reconnus  en  règle  et  s'il  n'existe  aucun  motif 
valable  de  suspicion.  Dans  le  cas  contraire,  le  commandant  du 
vaisseau  de  guerre  neutre  (  y  étant  dûment  requis  par  le  com- 
mandant du  vaisseau  ou  des  vaisseaux  de  la  puissance  belligé- 
rante) doit  amener  et  détenir  son  convoi  pendant  le  temps 
nécessaire  pour  la  visite  des  bâtiments  qui  le  composent  ;  et  il 
aura  la  faculté  de  nommer  et  déléguer  un  ou  plusieurs  officiers 
pour  assister  à  la  visite  desdits  bâtiments ,  laquelle  se  fera  en 
sa  présence  sur  chaque  bâtiment  marchand,  conjointement 
avec  un  ou  plusieurs  officiers  préposés  par  le  commandant  du 
vaisseau  de  la  partie  belligérante  ; 

5°  S'il  arrive  que  le  commandant  du  vaisseau  ou  des  vais- 
seaux de  la  puissance  en  guerre ,  ayant  examiné  les  papiers 
trouvés  à  bord  et  ayant  interrogé  le  maître  et  l'équipage  du 
vaisseau,  aperçoive  des  raisons  justes  et  suffisantes  pour  déte- 
nir le  navire  marchand ,  afin  de  procéder  à  une  recherche  ul- 
térieure, il  notifiera  cette  intention  au  comnjandant  du  vais- 
seau de  convoi ,  qui  aura  le  pouvoir  d'ordonner  à  un  officier 
de  rester  à  bord  du  navire  ainsi  détenu,  et  assister  à  l'examen 
de  la  cause  de  sa  détention.  Le  navire  marchand  sera  amené 
tout  de  suite  au  port  le  plus  proche  et  le  plus  convenable,  ap- 
partenant à  la  puissance  belligérante,  et  la  recherche  ulté- 
rieure sera  conduite  avec  toute  la  diligence  possible. 


397  — 


Art.  5. 


Il  est  également  convenu  que ,  si  quelque  navire  marchand 
ainsi  convoyé  était  détenu  sans  une  cause  juste  et  suffisante,  le 
commandant  du  vaisseau  ou  des  vaisseaux  de  la  puissance 
belligérante  sera  non -seulement  tenu,  envers  les  propriétaires 
du  navire  et  de  la  cargaison,  à  une  compensation  pleine  et  par- 
faite pour  toutes  pertes,  frais,  dommages  et  dépenses  occa- 
sionnés par  une  telle  détention  ;  mais  il  subira  encore  une 
punition  ultérieure  pour  tout  acte  de  violence  ou  autre  fraude 
qu'il  aurait  commis,  suivant  ce  que  la  nature  du  cas  pourrait 
exiger.  Par  contre,  il  ne  sera  point  permis  ,  sous  quelque  pré- 
texte que  ce  soit ,  au  vaisseau  de  convoi ,  de  s'opposer  par  la 
force  à  la  détention  du  navire  ou  des  navires  marchands  par  le 
vaisseau  ou  les  vaisseaux  de  guerre  de  la  puissance  belligé- 
rante ;  obligation  à  laquelle  le  commandant  du  vaisseau  du 
convoi  n'est  point  tenu  envers  les  corsaires  et  armateurs. 

Art.  6. 

Les  hautes  parties  contractantes  donneront  des  ordres  pré- 
cis et  efficaces  pour  que  les  sentences  sur  les  prises  faites  en 
mer  soient  conformes  aux  règles  de  la  plus  exacte  justice  et 
équité ,  qu'elles  soient  rendues  par  des  juges  non  suspects  et 
qui  ne  soient  point  intéressés  dans  l'affaire  dont  il  sera  ques- 
tion. Le  gouvernement  des  États  respectifs  veillera  à  ce  que  les- 
dites  sentences  soient  promptement  et  dûment  exécutées  selon 
les  formes  prescrites. 

En  cas  de  détention  mal  fondée  ou  autre  contravention  aux 
règles  stipulées  par  le  présent  article,  il  sera  accordé  aux  pro- 
priétaires d'un  tel  navire  et  de  la  cargaison ,  des  dédommage- 
ments proportionnés  à  la  perte  qu'on  leur  aura  occasionnée. 
Les  règles  à  observer  pour  ces  dédommagements  ,  et  pour  le 
cas  de  détention  mal  fondée,  de  même  que  les  principes  à  sui- 
vre pour  accélérer  les  procédures,  feront  la  matière  d'articles 
additionnels,  que  les  parties  contractantes  conviennent  d'ar- 
rêter entre  elles ,  et  qui  auront  même  force  et  valeur  que  s'ils 
étaient  insérés  dans  le  présent  acte.  Pour  cet  effet,  Leurs  Majes- 
tés Impériale  et  Britannique  s'engagent  mutuellement  de  mettre 
la  main  à  l'œuvre  salutaire  qui  doit  servir  de  complément  à  ces 
stipulations,  et  de  se  communiquer,  sans  délai,  les  vues  que 


—  398  — 

leur  suggérera  leur  égale  sollicitude  pour  prévenir  les  moin- 
dres sujets  de  contestation  à  l'avenir. 

Aai.  7. 

Pour  obvier  à  tous  les  inconvénients  qui  peuvent  provenir 
de  la  mauvaise  foi  de  ceux  qui  se  servent  du  pavillon  d'une 
nation  sans  lui  appartenir,  on  convient  d'établir  pour  règle  in- 
violable qu'un  bâtiment  quelconque,  pour  être  regardé  comme 
propriété  du  pays  dont  il  porte  le  pavillon ,  doit  avoir  à  son 
bord  le  capitaine  du  vaisseau  et  la  moitié  de  l'équipage  des  genS 
du  pays,  et  les  papiers  et  passe-ports  en  bonne  et  due  forme. 
Mais  tout  bâtiment  qui  n'observera  pas  celte  règle ,  et  qui  con- 
treviendra aux  ordonnances  publiées  à  cet  effet ,  perdra  tous 
les  droits  à  la  protection  des  puissances  contractantes. 

Art.  8. 

Les  principes  et  les  mesures  adoptés  par  le  présent  acte 
seront  également  applicables  à  toutes  les  guerres  maritimes  où 
l'une  des  deux  puissances  serait  engagée ,  tandis  que  l'autre 
resterait  neutre.  Ces  stipulations  seront  en  conséquence  re- 
gardées comme  permanentes ,  et  serviront  de  règle  constante 
aux  puissances  contractantes ,  en  matière  de  commerce  et  de 
navigation. 

Art.  9. 

S.  M.  le  roi  de  Danemark  et  S.  M.  le  roi  de  Suède  seront  im- 
médiatement invités  par  Sa  Majesté  Impériale,  au  nom  des  deux 
puissances  contractantes ,  à  accéder  à  la  présente  convention, 
et,  en  même  temps,  à  renouveler  et  confirmer  leurs  traités  res- 
pectifs de  commerce  avec  Sa  Majesté  Britannique;  et  Sadite 
Majesté  s'engage,  moyennant  les  actes  qui  auront  constaté  cet 
accord,  de  rendre  et  restituer  à  l'une  et  l'autre  de  ces  puissances, 
toutes  les  prises  qui  ont  été  faites  sur  elles,  ainsi  que  les  terres  et 
pays  de  leur  domination  qui  ont  été  conquis  par  les  armes  de 
Sa  Majesté  Britannique,  depuis  la  rupture,  dans  l'état  oîi  se  trou- 
vaient ces  possessions  à  l'époque  où  les  troupes  de  Sa  Majesté 
Britannique  y  sont  entrées.  Les  ordres  de  Sa  Majesté ,  pour  la 
restitution  de  ces  prises  et  de  ces  conquêtes,  seront  expédiés 
immédiatement  après  l'échange  des  ratifications  des  actes  par 
lesquels  la  Suède  et  le  Danemark  accéderont  au  présent  traité. 


—  399  — 


Art.   10. 


La  présente  convention  sera  ratifiée  par  les  deux  parties 
contractantes ,  et  les  ratifications  échangées  à  Saint-Péters- 
bourg, dans  l'espace  de  deux  mois  pour  tout  délai,  à  compter 
du  jour  de  la  signature. 

En  foi  de  quoi,  etc.  Fait  à  Saint-Pétersbourg  le  ^  juin  1801. 

Signé  le  comte  Pànin. —  Saint-Hele?<s. 


Formulaire  des  passe-ports  et  lettres  de  mer  gui  doivent  être 
délivrés,  dans  les  amirautés  respectives  des  Etats  des  deux 
hautes  parties  contractantes,  aux  vaisseaux  et  bâtiments  qui 
en  sortiront,  conformément  à  l'article  4  du  présent  traité. 

Faisons  savoir  que  nous  avons  donné  congé  et  permission  à 
N...,  dans  la  ville  ou  lieu  de  N.,,,  maître  ou  conducteur  du 
vaisseau  de  N...,  appartenant  à  N...,  du  port  de  N...  tonneaux 
ou  environ,  qui  se  trouve  à  présent  au  port  et  havre  de  N..., 
de  s'en  aller  à  N...,  chargé  de  N...,  pour  le  compte  de  N..., 
après  que  la  visite  de  son  vaisseau  aura  été  faite  avant  son  dé- 
part, selon  la  manière  usitée ,  par  les  ofiSciers  préposés  à  cet 
effet  ;  et  ledit  N....  ou  tel  autre  fondé  de  pouvoirs  pour  le  rem- 
placer, sera  tenu  de  produire  dans  chaque  port  ou  havre  où  il 
entrera  avec  ledit  vaisseau,  aux  officiers  du  lieu,  le  présent 
congé,  et  de  porterie  pavillon  de  N....  durant  son  voyage.  En 
foi  de  quoi,  etc. 

Premier  article  séparé  de  la  convention  entre  la  Russie  et  l'An- 
gleterre, signé  à  Saint-Pétersbourg,  le -^  juin  1801. 

Les  intentions  pures  et  magnanimes  de  S.  M.  l'empereur  de 
toutes  les  Russies  l'ayant  déjà  porté  à  restituer  les  navires  et 
les  biens  des  sujets  britanniques  qui  avaient  été  séquestrés  en 
Russie ,  Sadite  Majesté  confirme  cette  disposition  dans  toute  sou 
étendue,  et  Sa  Majesté  Rritannique  s'engage  également  à  donner 
immédiatement  des  ordres  pour  faire  lever  tout  séquestre  sur 
les  propriétés  russes,  danoises  et  suédoises  détenues  dans  les 
ports  de  la  Grande-Rretagne  ;  et  pour  constater  d'autant  mieux 
son  désir  sincère  de  terminer  à  l'amiable  les  différends  surve- 
nus entre  la  Grande-Rretagne  et  les  cours  du  nord,  et  pour 
qu'aucun  incident  ne  puisse  apporter  des  entraves  à  celte  œu- 


—  400  — 

vre  salutaire,  Sa  Majesté  Britannique  s'engage  à  donner  des  or- 
dres aux  commandants  de  ses  forces  de  terre  et  de  mer,  pour 
que  l'armistice  actuellement  subsistant  avec  les  cours  de  Dane- 
mark et  de  Suède  soit  prolongé  jusqu'au  terme  de  trois  mois  à 
dater  de  ce  jour  ;  et  S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Russies, 
guidé  par  les  mêmes  motifs,  s'engage,  au  nom  de  ses  alliés,  de 
faire  maintenir  également  cet  armistice  pendant  ledit  terme. 
En  foi  de  quoi ,  etc. 


Second  article  séparé  de  la  susdite  convention,  signé  à  Saint- 
Pétersbourg  le  ^juin  1801. 

Les  différends  et  malentendus  qui  subsistaient  entre  S.  M. 
l'empereur  de  toutes  les  Russies  et  S.  M.  le  roi  du  royaume-uni 
de  la  Grande-Bretagne  et  de  l'Irlande,  étant  ainsi  terminés,  et 
les  précautions  prises  par  la  présente  convention  ne  donnant 
plus  lieu  de  craindre  qu'ils  puissent  troubler  à  l'avenir  l'har- 
monie et  la  bonne  intelligence  que  les  deux  hautes  parties  con- 
tractantes ont  à  cœur  de  consolider,  Leursdites  Majestés  con- 
firment de  nouveau ,  par  la  présente  convention  ,  le  traité  de 
commerce  du  ^t  février  1797,  dont  toutes  les  stipulations  sont 
rappelées  ici  pour  être  maintenues  dans  toute  leur  étendue. 

En  foi  de  quoi,  etc. 

Articles  additionnels  à  la  convention  conclue  à  Saint-Péters- 
bourg le  Yîjuin  1801,  entre  la  Russie  et  l'Angleterre,  arrêtés 
à  Moscou  le  ^  octobre  1801. 

Comme ,  par  l'article  6  de  la  convention  conclue  le  ^  juin 
1801,  entre  S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Russies  et  Sa  Majesté 
Britannique,  il  a  été  stipulé  que  les  deux  hautes  parties  con- 
tractantes arrêteraient  entre  elles  des  articles  additionnels  qui 
fixeraient  les  règles  et  les  principes  à  suivre ,  tant  pour  l'accé- 
lération des  procédures  judiciaires  sur  des  prises  faites  en  mer, 
que  pour  les  dédommagements  qui  seraient  dus  aux  proprié- 
taires des  navires  et  des  cargaisons  neutres,  dans  le  cas  d'une 
détention  mal  fondée,  Leursdites  Majestés  ont  nommé  et  auto- 
risé, à  cet  effet  :  S.  M.  l'empereur  de  toutes  les  Russies,  le 
sieur  Alexandre,  prince  de  Kmirakin,  son  vice-chancelier,  etc., 
et  le  comte  de  Kotschoubey ,  son  conseiller  privé  actuel,  etc.  ; 
et  Sa  Majesté   Britannique,  le  lord  Saint-Helens ,  pair  du 


—  401   — 

royaume,  etc.;  lesquels,  en  vertu  de  leurs  pleins  pouvoirs  res- 
pectifs, sont  convenus  des  articles  suivants  : 

Article  premier. 

En  cas  de  détention  mal  fondée,  ou  autre  contravention  aux 
règles  convenues ,  il  sera  accordé  aux  propriétaires  du  navire 
ainsi  détenu  et  de  sa  cargaison,  pour  chaque  jour  de  retard, 
des  dédommagements  proportionnés  à  la  perte  qu'il  en  aurait 
soufferte,  en  raison  du  fret  dudit  navire  et  de  la  nature  de  sa 
cargaison. 

Art.  2. 

Si  les  ministres  de  l'une  des  hautes  parties  contractantes,  ou 
autres  personnes  accréditées  de  sa  part,  portaient  des  plaintes 
contre  les  jugements  qui  auraient  été  rendus  sur  lesdites  prises 
par  les  cours  des  amirautés  respectives,  l'affaire  sera  évoquée, 
en  Russie,  au  sénat  dirigeant  ;  et  dans  la  Grande-Bretagne,  au 
conseil  du  Roi. 

Art.  3. 

Des  deux  côtés ,  on  examinera  soigneusement  si  les  règles 
et  précautions  stipulées  dans  la  présente  convention  ont  été 
observées  ;  ce  qui  devra  être  fait  avec  toute  la  célérité  possible. 
Les  deux  hautes  parties  contractantes  s'engagent  de  plus  à 
adopter  les  moyens  les  plus  efficaces ,  pour  que  les  jugements 
de  leurs  différents  tribunaux ,  sur  les  prises  faites  en  mer,  ne 
soient  sujets  à  aucun  délai  inutile. 

Art.  4. 

Les  effets  en  litige  ne  pourront  être  vendus  ni  déchargés 
avant  le  jugement  définitif,  sans  une  nécessité  réelle  et  pres- 
sante, qui  aura  été  constatée  devant  la  cour  de  l'amirauté,  et 
moyennant  une  commission  autorisée  à  cet  effet  ;  et  il  ne  sera 
point  permis  aux  capteurs  de  rien  retirer  ni  enlever,  de  leur 
propre  autorité,  d'un  vaisseau  ainsi  détenu. 

Ces  articles  additionnels ,  faisant  partie  de  la  convention 
du -^  juin  1801,  au  nom  de  Leurs  Majestés  Impériale  et  Britan- 
nique, auront  la  même  force  et  valeur  que  s'ils  étaient  insérés 
mot  à  mot  dans  ladite  convention. 

En  foi  de  quoi,  nous  soussignés ,  munis  des  pleins  pouvoirs 
XI  2f) 


—  402  — 

de  Leursdites  Majestés,  avons  signé  les  présents  articles  addi- 
tionnels, et  y  avons  apposé  le  cachet  de  nos  armes. 
Fait  à  Moscou,  le  ^  octobre  1801. 

Signé  le  prince  de  Kourakin  ;  le  comte 

KOTSCnOUBEÏ  ;  lord  SilNI-HELENS- 


XXXV. 

Page  109. 


Acte  du  parlement,  du  27  juin  1805,  pour  confirmer  et  étendre 
les  dispositions  concernant  les  ports  francs  dans  les  îles  occi- 
dentales. 

Il  sera  établi  des  ports  francs  à  la  Jamaïque,  à  la  Grenade,  à 
la  Dominique ,  à  Ântigue ,  à  la  Trinité ,  à  Tabago  ,  à  Tortole,  à 
la  Nouvelle-Providence,  à  Saint- Vincent  et  aux  Bermudes. 

Ces  ports ,  distribués  dans  toutes  les  îles  occidentales ,  dans 
la  vue  d'entretenir  un  commerce  avantageux  avec  les  colonies 
et  comptoirs  des  ennemis  de  la  Grande-Bretagne  dans  ces  pa- 
rages ,  sont  ouverts  pour  toutes  leurs  productions  précieuses 
et  pour  les  petits  bâtiments  n'ayant  qu'un  seul  pont,  qui  ap- 
partiendraient et  qui  seraient  navigues  par  les  habitants  des- 
dites colonies  et  comptoirs. 

Les  ennemis  de  la  Grande-Bretagne  peuvent  aussi  exporter, 
des  ports  ci-dessus  désignés,  du  rhum,  des  nègres,  et  toute 
espèce  de  marchandises ,  excepté  des  munitions  navales  qui  y 
auraient  été  importées  dans  des  bâtiments  anglais. 

Il  sera  pourvu  en  même  temps  à  la  réexportation  par  des 
bâtiments  anglais,  des  produits  ou  marchandises  y  désignées 
et  portées  des  colonies  et  des  comptoirs  de  ses  ennemis  dans 
les  ports  de  la  Grande-Bretagne  et  de  ses  possessions,  confor- 
mément aux  règlements  prescrits  par  l'acte  de  navigation. 


XXXVI. 

Page  109. 
Résolution  du  conseil  privé  d'Angleterre,  du  3  août  iS05K 
Le  commerce  avec  les  comptoirs  et  îles  appartenant  à  l'en- 
'  Examination  of  ilieBriiish  doctrine. 


—  403  — 

nemi  en  Amérique  et  dans  les  îles  occidentales ,  doit  se  faire  à 
l'avenir  par  le  médium  des  ports  francs  anglais  dans  les  îles 
occidentales,  et  non  autrement. 


XXXVII. 

Page  110. 


Message  du  'président  des  États-Unis  au  sénat  et  à  la  chambre 
des  représentants  des  États-Unis. 

17  janvier  1806. 

Dans  mon  message  aux  deux  chambres  du  congrès,  à  l'ou- 
verture de  la  session  actuelle ,  j'ai  présenté  à  leur  attention, 
entre  autres  sujets,  l'oppression  de  notre  commerce  et  de  notre 
navigation  par  la  conduite  irrégulière  des  bâtiments  armés, 
publics  et  particuliers ,  et  par  l'introduction  de  principes  nou- 
veaux, dérogeant  aux  droits  des  neutres  et  contraires  à  l'usage 
des  nations. 

Les  mémoires  de  plusieurs  corps  de  marchands  des  États- 
Unis  vous  sont  communiqués  avec  le  présent,  et  développeront 
ces  principes  et  cette  conduite ,  qui  sont  très-ruineux  pour 
notre  commerce  et  notre  navigation. 

Le  droit  d'un  neutre,  d'avoir  des  liaisons  commerciales  avec 
toutes  les  parties  des  domaines  du  belligérant ,  permis  par  les 
lois  des  nations,  à  l'exception  des  ports  bloqués  et  de  la  con- 
trebande de  guerre,  paraissait  avoir  été  décidé  entre  la  Grande- 
Bretagne  et  les  États-Unis ,  par  la  sentence  de  leurs  commis- 
saires nommés  mutuellement  pour  décider  sur  cette  question 
et  d'autres  discussions  entre  les  deux  nations ,  et  par  le  paye- 
ment des  dommages  arbitrés  par  eux ,  contre  la  Grande- 
Bretagne,  pour  les  infractions  de  ce  droit.  En  conséquence, 
quand  on  s'est  aperçu  qu'on  faisait  revivre  le  même  principe,  et 
qu'on  y  en  ajoutait  d'autres  nouveaux,  ce]qui  augmentait  les  in- 
jures, on  a  donné  des  instructions  au  ministre  plénipotentiaire 
à  la  cour  de  Londres,  et  il  a  fait  les  remontrances  convenables 
à  ce  sujet.  Elles  ont  été  suivies  d'une  suspension  partielle  et 
temporaire  seulement,  sans  aucun  désaveu  du  principe.  Il  a  en 
conséquence  été  instruit  de  presser  ce  sujet  de  nouveau,  de  le 
présenter  plus  entièrement  à  la  barre  de  la  raison ,  et  d'insister 


—  404  — 

sur  des  droits  trop  évidents  et  trop  importants  pour  les  aban- 
donner. Dans  le  môme  temps,  le  mal  se  continue  par  des  con- 
damnations fondées  sur  le  principe  qui  est  nié. 

C'est  dans  ces  circonstances  qu'on  présente  le  sujet  à  la  con- 
sidération du  congrès. 

Sur  la  presse  de  nos  matelots,  nos  remontrances  n'ont  ja- 
mais discontinué.  Nous  avons  eu  un  moment  l'espérance  d'un 
arrangement  que  nous  aurions  pu  accepter,  mais  elle  s'est  éva- 
nouie aussitôt;  et  quoiqu'on  s'en  relâche  de  temps  à  autre  dans 
les  mers  éloignées,  elle  se  continue  cependant  dans  celles  du 
voisinage.  Les  bases  et  les  principes  sur  lesquels  les  réclama- 
tions à  ce  sujet  sont  faites,  vous  sont  commuiqués  par  l'extrait 
ci-joint  des  instructions  à  notre  ministre  de  Londres. 

Signé  Jefferson. 


XXXVIII. 


•   Page  110. 

ISote  de  M.  Fox  à  M.  Munroe. 

16  mai  1806. 

Le  soussigné,  premier  secrétaire  d'État  de  Sa  Majesté,  chargé 
du  département  des  affaires  étrangères,  a  reçu  de  Sa  Majesté 
l'ordre  de  prévenir  M.  Munroe  que  le  Roi ,  considérant  les  me- 
sures extraordinaires  que  l'ennemi  vient  de  prendre,  dans  l'in- 
tention de  ruiner  le  commerce  de  ses  sujets,  a  cru  convenable 
d'ordonner  que  les  mesures  nécessaires  seraient  prises  pour  le 
blocus  des  côtes ,  rivières  et  ports  depuis  l'Elbe  jusqu'au  port 
de  Brest  inclusivement ,  et  que  lesdites  côtes ,  rivières  et  ports 
sont  et  doivent  être  considérés  comme  bloqués  ;  mais  que  Sa 
Majesté  déclare  que  ce  blocus  n'empêchera  pas  que  les  bâti- 
ments neutres  chargés  de  marchandises  non  appartenant  aux 
ennemis  de  Sa  Majesté  et  qui  ne  sont  pas  de  contrebande,  d'ap- 
procher desdites  côtes,  d'entrer  ou  de  faire  voile  desdites  ri- 
vières et  ports  (excepté  les  côtes  ,  rivières  et  ports  depuis  Os- 
tendc  jusqu'à  la  Seine,  depuis  longtemps  en  état  de  blocus  et 
qui  y  sont  encore),  pourvu  que  lesdits  bâlimcnls  qui  appro- 
cheront et  qui  entreront  ainsi  (excepté  comme   ci-dessus), 


—  405  — 

n'aient  pris  leur  cargaison  dans  aucun  port  appartenant  aux 
ennemis  de  Sa  Majesté  ou  en  leur  possession  ,  et  que  lesdits 
bâtiments  qui  feront  voile  desdites  rivières  et  ports  (  excepté 
comme  ci-dessus),  ne  soient  destinés  pour  aucun  port  appar- 
tenant aux  ennemis  de  Sa  Majesté  ou  en  leur  possession ,  et 
n'aient  pas  préalablement  enfreint  le  droit  de  blocus. 

M.  Munroe  est  donc  prié  de  prévenir  les  consuls  et  les  né- 
gociants américains  résidant  en  Angleterre,  que  les  côtes,  ri- 
vières et  ports  ci-dessus  mentionnés,  doivent  être  regardés 
comme  en  état  de  blocus  ,  et  que  dès  lors  toutes  les  mesures 
autorisées  par  les  lois  des  nations  et  par  les  traités  respectifs 
entre  Sa  Majesté  et  ces  puissances  neutres,  seront  adoptées  et 
exécutées  envers  les  bâtiments  qui  chercheraient  à  enfreindre 
ledit  droit  de  blocus  après  cette  notification. 

Le  soussigné  prie  M.  Munroe  d'agréer  les  assurances  de  sa 
haute  considération. 

Signé  Ch.  J.  Fox. 


XXXIX. 

Page  111. 

Au  palais  de  la  Reine,  le  7  janvier  1807. 

Le  Roi  présent  en  son  conseil  ; 

D'après  certains  ordres  du  gouvernement  français  qui,  con- 
traires aux  usages  de  la  guerre,  tendent  à  prohiber  le  commerce 
de  toutes  les  puissances  neutres  avec  les  possessions  de  Sa 
Majesté,  et  à  empêcher  ces  puissances  d'importer  dans  aucun 
pays  des  marchandises  provenant  du  sol,  du  produit  ou  des 
manufactures  des  possessions  de  Sa  Majesté;  et  comme  ce 
gouvernement  a  osé  déclarer  toutes  les  possessions  de  Sa  Ma- 
jesté en  état  de  blocus ,  dans  le  moment  même  où  les  flottes  de 
la  France  et  de  ses  alliés  sont  elles-mêmes  renfermées  dans 
leurs  propres  ports ,  par  l'effet  de  la  supériorité ,  de  la  valeur 
et  de  la  discipline  de  la  marine  anglaise  ;  et  comme  de  telles 
atteintes  de  la  part  de  l'ennemi  donneraient  à  Sa  Majesté  le 
droit  incontestable  de  représailles,  et  que  Sa  Majesté,  en  insis- 
tant sur  la  proliibition  de  tout  commerce  avec  la  France,  pour- 


—  406  — 

rait  se  promettre  d'effectuer  ce  que  la  France  s'était  vainement 
efforcée  de  faire  contre  le  commerce  des  États  de  Sa  Majesté, 
c'est-à-dire  une  prohibition  que  la  supériorité  des  forces  na- 
vales de  Sa  Majesté  lui  permettrait  d'exécuter,  en  bloquant, 
dès  à  présent,  les  ports  et  les  côtes  de  l'ennemi  avec  des  croi- 
sières et  des  escadres  nombreuses ,  de  manière  à  en  rendre 
l'approche  et  l'entrée  également  dangereuses;  et  comme  Sa 
Majesté ,  tout  en  ne  voulant  pas  suivre  l'exemple  de  ses  enne- 
mis ,  en  en  venant  à  une  extrémité  si  funeste  aux  nations  qui 
ne  sont  pour  rien  dans  la  guerre  actuelle,  puisque  cette  mesure 
détruirait  leur  commerce  ordinaire,  et  désirant  défendre  de  son 
mieux  les  droits  et  les  intérêts  de  son  peuple ,  croit  ne  devoir 
pas  souffrir  les  mesures  prises  par  ses  ennemis,  sans  faire 
quelques  efforts ,  de  son  côté  ,  pour  annuler  cette  violence  et 
faire  tomber  sur  eux  les  maux  causés  par  leur  propre  injus- 
tice. 

Sa  Majesté,  par  et  avec  l'avis  de  son  conseil  privé,  veut  bien 
ordonner,  et  il  est  ordonné  par  ces  présentes,  qu'aucun  bâti- 
ment ne  pourra  faire  le  commerce  d'un  port  avec  un  autre,  si 
lesdits  ports  appartiennent  ou  sont  en   la  possession  de  la 
France  ou  de  ses  alliés ,  ou  lui  sont  assez  soumis  pour  n'avoir 
aucun  commerce  avec  l'Angleterre  ;  et  les  commandants  des 
vaisseaux  de  guerre  ou  des  corsaires  de  Sa  Majesté  auront  et 
ont  l'ordre  d'avertir  chaque  bâtiment  neutre  venant  d'un  port 
semblable  et  se  rendant  dans  un  autre,  de  cesser  leur  voyage 
et  de  ne  pas  se  rendre  à  leur  destination  ;  et  tout  vaisseau  ainsi 
averti,  ou  tout  vaisseau  venant  d'un  port  semblable,  après  un 
laps  de  temps  suffisant  pour  connaître  l'ordre  de  Sa  Majesté, 
que  l'on  trouvera  faisant  route  pour  un  port  semblable  ,  sera 
capturé,  amené  et  déclaré ,  ainsi  que  sa  cargaison ,  de  bonne 
prise.  Et  les  premiers  secrétaires  d'État ,  les  lords  commissai- 
res de  l'amirauté ,  et  les  juges  de  la  haute  cour  d'amirauté  et 
des  cours  de  vice-amiraux ,  prendront ,  chacun  en  ce  qui  le 
concerne,  les  mesures  nécessaires  pour  assurer  ces  disposi- 
tions. 

Signé  Faukener. 


—  407  — 

XL. 

Page  111. 

Supplément  à  la  Gazette]  de  Londres,  du  samedi 
14  novembre  1807. 

Au  palais  de  la  Reine,  le  11  novembre  1807. 
Le  Roi  étant  présent  à  son  conseil  ; 

Sa  Majesté  considérant  que  le  gouvernement  français  a  pro- 
clamé naguère  un  certain  décret  qui  établit  un  système  de 
guerre  jusqu'alors  sans  exemple  contre  ce  royaume,  et  tendant 
particulièrement  à  la  destruction  de  son  commerce  et  de  ses 
ressources,  d'après  lequel  les  îles  anglaises  ont  été  déclarées 
en  état  de  blocus,  de  manière  que  tous  les  bâtiments  quelcon- 
ques faisant  le  commerce  avec  les  États  de  Sa  Majesté  sont, 
ainsi  que  leur  cargaison,  sujets  à  la  confiscation  et  à  la  con- 
damnation ; 

Considérant  que ,  par  le  même  décret ,  tout  commerce  en 
marchandises  anglaises  est  prohibé,  et  tout  article  de  denrée 
appartenant  à  l'Angleterre  ou  provenant  de  ses  colonies  ou  de 
ses  manufactures  est  déclaré  de  bonne  prise  ;  considérant  que 
les  nations  qui  sont  alliées  à  la  France  et  celles  qui  sont  sous 
son  influence  ont  été  requises  d'exécuter,  comme  en  effet  elles 
ont  exécuté  et  exécutent  de  semblables  ordres  ; 

Considérant  que  le  décret  de  Sa  Majesté  du  7  janvier  dernier 
n'a  pas  eu  l'effet  qu'on  s'en  proposait,  soit  de  forcer  l'ennemi 
à  révoquer  cette  mesure ,  ou  d'engager  les  nations  neutres  à 
s'interposer  efficacement  pour  en  obtenir  la  révocation,  mais 
que  bien  au  contraire,  on  amis  récemment  beaucoup  plus  de 
sévérité  dans  son  exécution  ; 

Considérant  enfin  que,  dans  ces  circonstances.  Sa  Majesté  se 
trouve  forcée  à  prendre  de  nouvelles  mesures  pour  établir  et 
maintenir  ses  justes  droits  et  pour  conserver  cette  puissance 
maritime  que,  par  les  faveurs  spéciales  de  la  Providence  ,  elle 
tient  de  la  valeur  de  son  peuple ,  et  dont  l'existence  n'est  pas 
moins  essentielle  à  la  protection  des  États  qui  conservent  en- 
core leur  indépendance,  et  au  bonheur  ainsi  qu'à  l'intérêt  du 
genre  humain,  qu'elle  ne  l'est  à  la  sûreté  et  à  la  prospérité  des 
États  de  Sa  Majesté. 


—  408  — 

Sa  Majesté ,  ayant  pris  à  ce  sujet  l'avis  de  son  conseil  privé, 
ordonne,  par  ces  présentes,  que  tous  les  ports  et  toutes  les 
places  de  France  et  de  ses  alliés ,  ceux  de  tout  autre  pays  en 
guerre  avec  Sa  Majesté,  ceux  des  pays  d'Europe  dont  le  pavil- 
lon anglais  est  exclu,  quoique  ces  ports  ne  soient  pas  en  guerre 
avec  Sa  Majesté,  qu'enfin  tous  les  ports  et  places  des  colonies 
appartenant  aux  ennemis  de  Sa  Majesté,  seront  désormais  sou- 
mis aux  mômes  restrictions,  relativement  au  commerce  et  à  la 
navigation  (sauf  les  exceptions  ci-après  spécifiées),  que  s'ils 
étaient  actuellement  bloqués  de  la  manière  la  plus  rigoureuse 
par  les  forces  navales  de  Sa  Majesté.  En  conséquence ,  tout 
commerce  dans  les  articles  provenant  du  sol  ou  des  manufac- 
tures des  pays  susmentionnés,  sera  désormais  regardé  comme 
illégal;  et  tout  navire  quelconque  sortant  de  ces  pays  ou  de- 
vant s'y  rendre,  sera  capturé  légitimement,  et  cette  prise  ainsi 
que  sa  cargaison  adjugées  au  capteur. 

Mais  quoique  Sa  Majesté  ait  bien  le  droit,  d'après  les  motifs 
exposés  ci-dessus,  de  prendre  une  semblable  mesure,  relative- 
ment à  tous  les  pays  et  à  toutes  les  colonies  de  ses  ennemis, 
sans  exception  ni  qualification ,  elle  n'a  pas  voulu  néanmoins 
entraver  le  commerce  des  neutres  plus  qu'il  n'est  nécessaire 
pour  remplir  la  juste  résolution  qu'elle  a  adoptée  à  l'effet  de 
combattre  les  projets  de  ses  ennemis,  et  de  les  rendre  eux- 
mêmes  victimes  de  leur  propre  violence  et  de  leur  injustice;  et 
voulant  bien  encore  se  persuader  qu'il  est  possible  (tout  en 
remplissant  le  but  qu'elle  se  propose  )  de  permettre  aux  neu- 
tres de  s'approvisionner  de  denrées  coloniales  pour  leur  propre 
usage  ,  et  même  d'autoriser,  pour  le  présent,  un  certain  com- 
merce avec  les  ennemis  de  Sa  Majesté ,  qui  pourra  avoir  lieu 
directement  avec  les  ports  des  États  de  Sa  Majesté  ou  de  ses 
alliés,  de  la  manière  ci-après  déterminée. 

Sa  Majesté  déclare  qu'elle  n'entend  pas  que  le  présent  ordre 
soit  applicable  : 

1°  Aux  navires  appartenant  à  des  puissances  qui  ne  sont  pas 
comprises  dans  les  blocus,  lesquels  navires  auraient  fait  voile 
des  ports  des  pays  auxquels  ils  appartiennent,  soit  en  Europe 
ou  en  Amérique ,  ou  de  quelque  port  libre  dans  les  colonies  de 
Sa  Majesté  (en  se  conformant  aux  règlements  établis  pour  le 
genre  de  commerce  qui  peut  se  faire  dans  lesdits  ports),  pour 
se  rendre  directement  dans  quelque  port  des  colonies  appar- 
tenant aux  ennemis  de  Sa  Maiesté  ou  de  ces  mêmes  colonies, 


—  409  — 

aussi  directement,  dans  les  pays  aux(iiicls  ils  appartiennent,  ou 
dans  quelque  port  libre  appartenant  à  Sa  Majesté  ; 

2°  Aux  navires  appartenant  à  des  pays  non  en  guerre  avec 
Sa  Majesté,  lesquels  auront  fait  voile  ,  en  se  soumettant  à  tels 
règlements  qu'il  plaira  à  Sa  Majesté  de  publier,  et  ce  pour  se 
rendre  directement,  de  quelque  port  ou  place  de  la  Grande- 
Bretagne,  ou  bien  de  Gibraltar  ou  de  Malte,  ou  d'un  port  ap- 
partenant aux  alliés  de  Sa  Majesté ,  au  lieu  qui  sera  désigné 
dans  son  acquit  à  la  douane; 

3°  Aux  navires  appartenant  à  des  pays  non  en  guerre  avec 
Sa  Majesté,  lesquels  viendraient  d'un  port  d'Europe  compris 
dans  la  présente  mesure  de  blocus,  pour  se  rendre  directement 
dans  quelque  port  ou  place  d'Europe  appartenant  à  Sa  Majesté; 
bien  entendu  que  l'exception  dont  il  s'agit  n'est  pas  applicable 
à  des  navires  qui  entreraient  dans  un  port  actuellement  bloqué 
par  des  escadres  ou  des  vaisseaux  de  guerre  de  Sa  Majesté,  ou 
qui  tenteraient  de  sortir  desdits  ports. 

En  conséquence ,  il  est  enjoint  à  tous  bâtiments  de  guerre, 
corsaires  et  autres ,  naviguant  en  vertu  d'une  commission  de 
Sa  Majesté,  d'informer  tous  les  navires  qui  auraient  commencé 
leur  voyage  avant  d'avoir  eu  connaissance  du  présent  ordre,  et 
qui  seraient  destinés  pour  un  port  de  France,  ou  de  ses  colo- 
nies, ou  de  ses  alliés,  ou  pour  tout  autre  pays  en  guerre  avec 
Sa  Majesté ,  ou  dont  le  pavillon  anglais  est  exclu ,  et  qui  se- 
raient en  contravention  avec  les  dispositions  ci-dessus,  qu'ils 
aient  à  discontinuer  leur  voyage ,  ou  à  se  rendre  dans  un  port 
quelconque  d'Angleterre ,  ou  bien  à  Gibraltar  ou  à  Malte  ;  et 
tout  navire  qui  sera  pris  après  avoir  contrevenu  aux  disposi- 
tions des  présentes,  sera  déclaré  de  bonne  prise,  ainsi  que  la 
cargaison,  et  le  tout  adjugé  aux  capteurs. 

Et  attendu  que  des  pays  non  engagés  dans  la  guerre  ont 
acquiescé  à  ces  ordres  de  la  France ,  en  prohibant  tout  com- 
merce dans  les  articles  provenant  des  États  ou  des  manufac- 
tures de  la  Grande-Bretagne  ,  et  que  les  négociants  de  ces 
mêmes  pays  ont  concouru  à  rendre  ces  prohibitions  efficaces, 
en  acceptant  de  certaines  personnes  se  qualifiant  du  titre  d'a- 
gents commerciaux  de  l'ennemi,  résidant  dans  les  ports  neu- 
tres, certains  documents  appelés  certificats  d'origine,  lesquels 
-constatent  que  les  objets  embarqués  ne  proviennent  ni  des  pos- 
sessions ni  des  manufactures  anglaises. 

Et  comme  cet  expédient  a  été  imaginé  par  la  France,  et  quo 
ces  négociants  s'y  sont  soumis  comme  faisant  partie  du  non» 


—  410  — 

veau  système  de  guerre  dirigé  contre  le  commerce  de  ce 
royaume ,  et  qu'il  est  par  conséquent  essentiellement  néces- 
saire à  l'Angleterre  de  résister  à  cette  mesure ,  Sa  Majesté,  de 
l'avis  de  son  conseil  privé,  ordonne  ,  par  ces  présentes,  que 
tout  navire  qui  sera  muni  d'un  semblable  certificat,  après 
avoir  eu  connaissance  du  présent  ordre,  sera  confisqué  commp 
de  bonne  prise. 

Les  lords  commissaires  de  la  trésorerie  de  Sa  Majesté,  les 
lords  commissaires  de  l'amirauté  et  les  cours  d'amirauté,  sont 
chargés  de  l'exécution  du  présent  décret. 

Signé  N.  Faukener. 


XLI. 

Page  111. 
Deuxième  décret. 


Attendu  que  les  articles  du  cru  ou  des  manufactures  des 
pays  étrangers  ne  peuvent  être  importés  dans  ce  pays  que 
dans  des  navires  anglais,  ou  dans  des  bâtiments  appartenant 
aux  pays  d'oiî  ces  articles  sont  tirés,  à  moins  qu'un  ordre 
du  conseil  n'autorise  spécialement  de  nouvelles  mesures  à  ce 
sujet  ; 

Sa  Majesté  prenant  en  considération  son  décret  en  date  de 
ce  jour,  relativement  au  commerce  qui  peut  se  faire  avec  les 
ports  de  l'ennemi,  et  jugeant  convenable  que  tout  navire  ap- 
partenant à  une  puissance  amie  ou  alliée  de  Sa  Majesté  puisse 
avoir  la  faculté  d'importer  dans  ce  pays-ci  des  articles  prove- 
nant du  cru  ou  des  manufactures  des  pays  qui  sont  en  guerre 
avec  Sa  Majesté. 

Sa  Majesté,  de  l'avis  de  son  conseil  privé,  ordonne,  par  ces 
présentes,  que  toutes  les  denrées  et  marchandises  spécifiées  et 
comprises  dans  un  acte  du  Parlement ,  passé  dans  la  quarante- 
troisième  année  du  règne  de  Sa  Majesté ,  et  qui  a  pour  titre  : 
«  Acte  qui  révoque  les  droits  de  douanes  payables  dans  la 
Grande-Bretagne,  et  qui  en  substitue  de  nouveaux,  »  pour- 
ront être  importées  des  ports  ennemis  par  des  navires  appar- 
tenant à  des  puissances  amies  ou  alliées  de  l'Angleterre,  et  ce, 
en  acquittant  les  droits  de  douanes ,  et  en  participant  aux  re- 
mises qui  sont  actuellement  établies  par  la  loi,  en  faveur  de 


—  411   — 

l'importation  de  certaines  marchandises  ;  et  pour  ce  qui  est  des 
denrées  et  marchandises  dont  l'importation  est  autorisée  pour 
être  mises  en  dépôt  sans  payement  de  droits ,  en  vertu  d'un 
acte  passé  la  quarante-troisième  année  du  règne  de  Sa  Ma- 
jesté, elles  pourront  être  importées,  en  se  soumettant  aux 
clauses  dudit  acte.  Quant  à  tous  les  articles  dont  l'importation 
en  Angleterre  est  prohibée  par  la  loi ,  il  est  ordonné  que  l'im- 
portation en  sera  permise  pour  être  réexportées  dans  tout  pays 
ami  ou  allié  de  Sa  Majesté. 

Sa  Majesté  ordonne,  en  outre,  que  tout  navire  qui  arriverait 
dans  un  port  du  royaume-uni,  ou  à  Gibraltar,  ou  à  Malte,  d'a- 
près l'avertissement  qu'il  aurait  reçu  du  présent  ordre ,  sera 
autorisé  à  poursuivre  son  voyage ,  ou  à  se  rendre  dans  un  port 
ami  -,  et  pour  cet  effet ,  il  lui  sera  délivré,  par  le  collecteur  ou 
le  contrôleur  des  douanes ,  un  certificat  constatant  qu'il  s'est 
conformé  au  présent  ordre.  Mais,  dans  le  cas  où  des  bâtiments, 
ainsi  avertis,  préféreraient  d'importer  leur  cargaison,  ils  en 
auront  la  faculté  aux  mômes  termes  et  aux  mêmes  conditions 
que  si  leur  chargement  avait  été  fait  en  conformité  des  dispo- 
sitions prescrites  par  Sa  Majesté. 

Il  est  de  plus  ordonné  que  tous  les  bâtiments,  qui  arriveront 
dans  un  port  du  royaume-uni ,  ou  à  Gibraltar  et  à  Malte,  et  ce 
pour  déférer  au  présent  ordre ,  auront  la  faculté ,  relativement 
à  tous  les  articles  qui  composeront  leur  cargaison,  excepté  le 
sucre ,  le  café ,  le  vin ,  l'eau-de-vie  et  le  tabac ,  de  faire  voile 
pour  tout  port  quelconque  qui  sera  désigné  dans  l'acquit  des 
douanes  ;  et  quant  aux  articles  qui  viennent  d'être  exceptés,  ils 
ne  pourront  les  exporter  qu'en  vertu  d'une  licence  de  Sa  Ma- 
jesté, et  ce  dans  les  places  et  aux  conditions  qui  leur  seront 
prescrites. 

Les  lords  commissaires,  etc. 


XLII. 

Page  112. 
Troisième  décret. 


Attendu  que  toute  vente  de  bâtiment  faite  par  un  ennemi  à 
un  autre,  est  considérée  par  la  France  comme  illégale  ; 
Et  comme  une  grande  partie  de  la  marine  de  France  et  de 


—  412  — 

SOS  alliés  a  été  protégée ,  dans  le  cours  des  présentes  hostilités , 
par  de  prétendus  transferts  à  des  neutres  ; 

Considérant  enfin  qu'on  peut  opposer  à  l'ennemi  les  mêmes 
armes  dont  il  se  sert  ; 

Sa  Majesté  ordonne  que  désormais  tout  transfert  de  cette 
nature  sera  regardé  comme  illégal,  et  que  tout  bâtiment  qui 
aura  appartenu  aux  ennemis ,  nonobstant  toute  vente  qui  au- 
rait pu  en  être  faite  à  des  neutres  ,  sera  de  bonne  prise ,  et  ad- 
jugé aux  capteurs.  Le  présent  ordre  aura  son  exécution  aussi- 
tôt après  qu'il  se  sera  écoulé  un  temps  suffisant  pour  que  les 
dispositions  en  soient  connues  dans  les  ports  et  places  où  ces 
prétendues  ventes  ont  pu  avoir  lieu. 

Les  lords  commissaires,  etc. 

Signé  N.  Fackener. 


XLIII. 

Paae  112. 


Décret  impérial  contenant  de  nouvelles  mesures  contre  le  sys- 
tème maritime  de  l'Angleterre. 

Au  palais  royal  de  Milan,  le  17  décembre  1807. 

Napoléon ,  empereur  des  Français ,  roi  d'Italie  et  protec- 
teur de  la  confédération  du  Rhin  ; 

Vu  les  dispositions  arrêtées  par  le  gouvernement  britanni- 
que, en  date  du  1 1  novembre  dernier,  qui  assujettissent  les 
bâtiments  des  puissances  neutres,  amies  et  même  alliées  de 
l'Angleterre,  non-seulement  à  une  visite  par  les  corsaires  an- 
glais, mais  encore  à  une  station  obligée  en  Angleterre,  et  à  une 
imposition  arbitraire  de  tant  pour  cent  sur  leur  chargement, 
qui  doit  être  réglée  par  la  législation  anglaise  ; 

Considérant  que,  par  ces  actes,  le  gouvernement  anglais  a 
dénationalisé  les  bâtiments  de  toutes  les  nations  de  l'Europe  ; 
qu'il  n'est  au  poiivoir  d'aucun  gouvernement  de  transiger  sur 
son  indépendance  et  sur  ses  droits,  tous  les  souverains  de 
l'Europe  étant  solidaires  de  la  souveraineté  et  de  l'indépen- 
dance de  leur  pavillon;  que  si,  par  une  faiblesse  inexcusable 
et  qui  serait  une  tache  ineffaçable  aux  yeux  de  la  postérité,  on 
laissait  passer  en  principe  et  consacrer  par  l'usage  une  pareille 


—  413  — 

tyrannie,  les  Anglais  en  prendraient  acte  pour  l'établir  en  droit, 
comme  ils  ont  profite  de  la  tolérance  des  gouvernements  pour 
établir  l'infâme  principe  que  le  pavillon  ne  couvre  pas  la  mar- 
chandise, et  pour  donner  à  leur  droit  de  blocus  une  extension 
arbitraire  et  attentatoire  à  la  souveraineté  des  États, 
Nous  avons  décrété  et  décrétons  ce  qui  suit  : 

Article  premier. 

Tout  bâtiment,  de  quelque  nation  qu'il  soit,  qui  aura  souf- 
fert la  visite  d'un  vaisseau  anglais,  ou  se  sera  soumis  à  un 
voyage  en  Angleterre,  ou  aura  payé  une  imposition  quelconque 
au  gouvernement  anglais,  est  par  cela  seul  déclaré  dénationa- 
lisé, a  perdu  la  garantie  de  son  pavillon  et  est  devenu  pro- 
priété anglaise. 

Art.  2. 

Soit  que  lesdits  bâtiments,  ainsi  dénationalisés,  entrent  dans 
nos  ports  ou  dans  ceux  de  nos  alliés,  soit  qu'ils  tombent  au 
pouvoir  de  nos  vaisseaux  de  guerre  ou  de  nos  corsaires,  ils 
sont  déclarés  de  bonne  et  valable  prise. 

Art.  3. 

Les  îles  britanniques  sont  déclarées  en  état  de  blocus  sur 
mer  comme  sur  terre. 

Tout  bâtiment,  de  quelque  nation  qu'il  soit,  quel  que  soit  son 
chargement,  expédié  des  ports  de  l'Angleterre  ou  des  colonies 
anglaises  ou  depuis  occupées  par  les  troupes  anglaises,  ou  al- 
lant en  Angleterre  ou  dans  les  colonies  anglaises  ,  ou  dans  des 
pays  occupés  par  les  troupes  anglaises,  est  de  bonne  prise, 
comme  contrevenant  au  présent  décret  ;  il  sera  capturé  par 
nos  vaisseaux  de  guerre  ou  par  nos  corsaires,  et  adjugé  au 
capteur. 

Art.  4. 

Ces  mesures,  qui  ne  sont  qu'une  juste  réciprocité  pour  le 
système  barbare  adopté  par  le  gouvernement  anglais,  qui  as- 
simile sa  législation  à  celle  d'Alger,  cesseront  d'avoir  leur  effet 
pour  toutes  les  nations  qui  sauraient  obliger  le  gouvernement 
anglais  à  respecter  leur  pavillon. 

Elles  continueront  d'être  en  vigueur  pendant  tout  le  tenjps 
que  ce  gouvernement  ne  reviendra  point  aux  principes  du  droit 


—  414  ^ 

des  gens,  qui  règlent  les  relations  des  États  civilisés  dans  l'é- 
tat de  guerre.  Les  dispositions  du  présent  décret  seront  abro- 
gées et  nulles  par  le  fait,  dès  que  le  gouvernement  anglais  sera 
revenu  aux  principes  du  droit  des  gens,  qui  sont  aussi  ceux  de 
la  justice  et  de  l'honneur. 

Art.  6. 

Tous  nos  ministres  sont  chargés  de  l'exécution  du  présent 
décret,  qui  sera  inséré  au  Bulletin  des  lois. 

Signé  Napoléon. 

Par  l'Empereur  : 
Le  secrétaire  d'État,  signé  Hugces  B.  Mabet. 


FIN  DU  TOMB  ONZISMK. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


DU  ONZIÈME  VOLUME. 


SUITE 


QUATRIÈME  PÉRIODE, 

ou 

HISTOIRE  DES  TRAITÉS  DEPUIS  LE  COMMENCEMENT  DES 

GUERRES   DE  LA   RÉVOLUTION   FRANÇAISE   JUSQUAU 

TRAITE  DE  PARIS  DE   1815.  —  1791-1815. 

CHAPITRE  XXXVII  (suite). 

TRAITÉS  DE  PAIX  DE  TILSITT,  CONCLUS,   LES  7  ET  9  JUILLET   1807 
ENTRE  LA  FRANCE,   LÀ  RUSSIE  ET  LA  PRUSSE. 

Page  3. 

SECTION  IV. 

Deuxième  partie. 

SYSTÈME  CONTINENTAL  FRANÇAIS  ;  SYSTÈME  BRITANNIQUE  DE   BLOCUS   MARITIME  ; 
ET  AUTRES   CONSÉQUENCES  IMMÉDIATES  DE  LA  PAIX  DE  T]LS1TT« 

Page  3. 


Polémique  semi-offlcielle  entre 
les  Cabiaels  de  Londres  et  de 
Paris 4 

Le  chevalier  de  Gent:i:  le  comte 
A'Hauterive ib. 

I.  Observations  sur  le  rapport 
du  ministre  des  Relations  Ex- 
térieures, duc  de  Bassano, 
communiqué  au  Sénat ,  le 

10  mars  1812 ib. 

II.  Observations  sur  les  décrets 
de  Bçrlin  et  de  Milan,  et  les 


ordres  du  Conseil  britanni- 
que à  l'occasion  des  notes  du 
Moniteur,  ajoutées  à  la  dé- 
claration du  gouvernement 
anglais  du  21  avril,  pour  ser- 
vir de  suite  aux  observations 
sur  le  rapport  du  ministre 
des  Relations  Extérieures  de 
France,  du  10  mars 39 

1.  Oe  la  prétendue  autorité 
du  traité  d'Ulrechl  dans  les 
questions  de  Droit  maritime,    'i^ 


416  — 


§  2.  Des  moUfs  cl  du  caractère 
des  ordres  du  Conseil  oppo- 
sés par  le  gouvcrnemenl  bri- 
tannique aux  décrets  de  Ber- 
lin et  de  Milan 49 

45  3.  Des  conditions  exigées  par 
le  gouvernement  anglais  pour 
la  révocation  des  ordres  du 
Conseil C"2 

§  4.  Delà  prétend\ie  révocation 
des  décrets  de  Berlin  et  de 
Milan  à  l'égard  des  États- 
Unis  d'Amérique GG 

§  6.  Des  conditions  attachées 
par  la  France  à  la  révocation 
définitive  des  décrets  de 
Berlin  et  de  Milan 7 

^  6.  Des  avantages  que  l'Angle- 
terre aurait  à  espérer  de  la 
révocation  des  ordres  du 
Conseil 77 

III.  Mémoire  sur  les  principes  et 


les  lois  de  la  neutralité  ma- 
ritime     î)4 

§  1.  Droit  public  de  l'Europe 
relativement  à  la  neutralité 
maritime  avant  1750 ib. 

§  2.  Droit  public  de  l'Europe 
relativement  à  la  neutralité 
maritime,  de  1766  à  1775. . .     98 

§  3.  Droit  public  de  l'Europe 
relativement  à  la  neutra- 
lité maritime ,  de  1775  à 
1802 101 

§  4.  Droit  public  de  l'Europe 
relativement  à  la  neutra- 
lité maritime  ,  depuis  le  re- 
nouvellement de  la  guerre 
en  1803 10!) 

Résumé  comparatif  des  deux 
systèmes  anglais  et  français.  115 

Une  réponse  du  roi  Louis  Bona- 
parte au  prince  Dolgorouki.  IIG 


CHAPITRE  XXXVIIl. 


TRAITÉ  DE   PAIX  DE  VIENNE  OU  DE   SCHŒNBRUNN ,  DU    14  OCTOBllÈ 
1809,    ENTRE   LA   FRANCE  ET  l'aUTRICHE. 

Page  117. 
SECTION  PREMIÈRE. 

RENVERSEMENT  DU  TRÔNE  D'eSPAGNE. 

Page  118. 


Aperçu  de  l'ancienne  puis- 
sance de  l'Espagne 121 

Ses  ministres  veulent  sauver  le 
roi-martyr 122 

Avènement  de  Charles  IV —    ib. 

Don  Manuel  Godoy ,  duc  de  la 
Alcudia,  premier  ministre. .   ib. 

Portrait  de  ce  favori 123 

Caractère  du  roi  Charles  IV. .  124 

Parti  du  Prince  royal ib. 

Effet  produit  sur  le  public  par 
le  mariage  de  Godoy  avec 
l'infante  Marie -Thérèse  de 
Bourbon ib. 

Asservissement  de  l'Espagne  à 
la  France 125 

Le  plus  grand  forfait  polili<iue 
de  Napoléon ib. 


Son  opinion  erronée  à  l'égard 
des  Espagnols.. < 125 

Situation  politique  de  l'Espa- 
gne au  moment  où  Napoléon 
songe  à  s'en  emparer 126 

Le  parti  de  l'opposition,  ayant 
pour  chefs  le  duc  de  Vlnfan- 
tado  et  le  chanoine  don  Juan 
Escoiqui^,  trame  le  renver- 
sement du  favori 127 

Le  prince  des  Âsturies  adhère 
à  ce  projet ib. 

Intrigues  pour  désunir  la  fa- 
mille royale ib. 

Le  Prince  royal  sollicite  la 
main  d'une  nièce  de  Napo- 
léon,      ib. 

Godoy  ai)i)reod  celle  démarche 


417  — 


Iiar  sou  agent  à  Paris  dou 
Hugenio  Ysquierdo 128 

Accusation  qu'il  porte  contre 
le  Prince,  qui  est  arrêté  ainsi 
que  ses  partisans ib. 

Charles  IV  pardonne  à  son  fils 
et  les  juges  absolvent  ses 
confidents 129 

Refroidissement  de  Napoléon 
pour  Godoy ib. 

Napoléon  à  Milan  invite  la 
reine  d'Étrurie  à  partir  pour 
Madrid ih. 

Circonstance  curieuse  qui  fait 
soupçonner  à  MM.  de  Melcy 
et  de  Labrador  les  projets 
de  Napoléon  sur  l'Espagne. .  130 

Inauiétude  de  la  Cour  de  Ma- 
drid     ib. 

Elle  demande  la  main  d'une 
princesse  de  la  famille  impé- 
riale    131 

Les  troupes  françaises  pénè- 
trent au  cœur  de  l'Espagne,   ib. 

Ysquierdo  vient  rendre  compte 
à  Madrid  des  projets  suppo- 
sés de  Napoléon ib. 

La  cour  d'Espagne  prend  la  ré- 
solution de  passer  en  Amé- 
rique      ib. 

Émeute  qui  éclate,  le  I9  mars, 
à  Aranjuez 132 

Ondoy  est  arraché  des  mains 
du  peuple  et  sauvé  par  le 
prince  des  Asturies ib. 

Pillage  du  palais  de  Godoy  à 
Madrid ib. 

Abdication  du  roi  Charles  IV 
en  faveur  de  son  fils,  qui 
prend  le  nom  de  Ferdi- 
nand Vil ib. 

11  fait  annoncer  son  avène- 
ment à  Napoléon 133 

La  reine  d'Étrurie  entre  en 
correspondance  avec  Murât    ib. 

Charles  /F proleste  contre  son 

abdication ib. 

Entrée  de  Ferdinand  VII  dans 

la  capitale  134 

Intrigues  pour  éloigner  le  roi 

de  Madrid ib. 

On  prépare  les  appartements 

de  Napoléon  au  palais  royal .    ib. 

Insinuations  du  général  Sa- 
vary ib. 

M 


Ferdinand  Vil  se  résout  à  al- 
ler au-devant  de  Napoléon..  134 

Personnages  qui  accompagnent 
le  Roi  à  Rayonne ib. 

Formalion|d'une  Junte  suprême 
de  gouvernement ib. 

Circonstance  particulière  qui 
détermine  le  départ  du  Roi .  135 

Dépêche  expédiée  de  Paris  à 
Godoy,  par  Yfquierdo ib. 

Récit  du  voyage  du  Roi 140 

Déception  de  Ferdinand  VII 
en  arrivant  à  Rayonne 14 1 

Napoléon  le  déclare  rebelle  et 
lui  enjoint  de  désigner  un 
fondé  de  pouvoir ib. 

M.  de  Cevallos,  refusé,  est  rem- 
placé par  M.  de  Labrador. . .    ib. 

Négociation  de  M.  de  Labrador 
avec  M.  de  Champagny.. . .     ib. 

Conférence  entre  Napoléon  et 
le  conseiller  d'Étal  û'Escoi- 
quiz 142 

Conditions  offertes  à  Ferdi- 
nand VII  en  échange  de  sa 
renonciation 180 

Charles  IV  arrive  à  Rayonne. .   ib. 

Moyens  que  l'on  emploie  pour 
fléchir  Ferdinand  VII ib. 

Double  renonciation  de  ce 
prince 181 

Fameux  traité  de  Rayonne,  du 
5  mai  1808,  entre  Napoléon 
et  Charles  IV;  le  général 
Duroc  :  le  prince  de  la  Paix.    ib. 

Ferdinand  VII  adhère  à  la  ces- 
sion du  trône  d'Espagne  faite 
par  son  père 184 

Convention  du  10  mai  1808, 
entre  Napoléon  et  Ferdi- 
nand VII;  le  général Duroc: 
don  Juan  Escoiquix ib. 

Proteslations  de  Ferdinand  IV, 
roi  de  Naples  et  de  Sicile,  et 
de  l'infant  don  Pedro 187 

Départ  de  la  famille  royale 
d'Espagne  pour  la  France. . .   ib. 

Le  roi  Charles  IV,  que  Napo- 
léon laisse  dans  la  détresse  à 
Marseille,  est  obligé  de  ven- 
dre ses  diamants ib. 

Représailles  des  Rourbons  en 
1814 188 

M.  de  Vargas  Laguna  fait  ren- 
voyer en  Espagne  les  pierre- 
ries delà  reine  Marie-Louise,    ib. 

27 


—  418  — 


Les  diamants  de  la  couronue 
enlevés  à  Madrid ,  par  Ifit- 
rat,  estimés  43  millions 188 

Le  Conseil  royal  désigne  Jo- 
seph Bonaparte  comme  suc- 
cesseur au  trône  d'Espagne.,   ib. 

Convocation  à  Bayonne  d'une 
Junle  de  cent  cinquante  no- 
tables  ; 189 

Celle  assemblée  accepte,  le 
7  juillet,  la  nouvelle  Consti- 
tution octroyée  par. Yapoie'on,  ib. 

Trois  cent  mille  Français  ou  al- 
liés succomberont  pendant  la 
guerre  allumée  pour  soute- 
nir le  nouvel  établissement.  i90 

Joseph  part  pour  Madrid ib. 

Traité  secret  de  Bayonne  ,  du 
6  juillet  1808 ,  entre  Napo- 
Ic'on  et  Joseph  Bonaparte  ; 
M.  de  Champagny  :  le  duo 
àe  Gallo ib. 

Le  royaume  de  Naples  est 
donné  à  Joachim  Mural 199 

Statut  constitutionnel  du  1 5  juil- 
let 1808 ib. 

Le  grand-duché  de  Berg  est  ré- 
trocédé à  Napoléoi ib. 

La  couronne  d'Espagne  propo- 
sée antérieurement  au  roi 
Loxiis  Bonaparte ib. 

Lettre  de  l'Empereur. .   ib. 

Insurrection  du  2  mai  à  Madrid.  201 

Décrets  de  Ferdinand  VU  rela- 
tifs au  commencement  des 
hostilités  et  à  la  convocation 
des  Cortès 202 

Lettre  de  ce  prince  au  com- 
mandant de  l'armée  des  As- 
turies 203 

Mouvements  populaires  dans 
les  principales  villes ib. 

Massacres  et  régime  de  la  ter- 
reur     ib. 

Formation  des  juntes  centrales.  204 

La  Junte  suprême  de  Séville 
exerce  le  pouvoir  souverain 
au  nom  de  Ferdinand  VIL.  ib. 

Elle  déclare  la  guerre  à  Na- 
poléon     ib. 

Proclamation  du  29  mai 205 

Déclaration  du  6  juin 211 

Adresse  de Palafox  à  Napoléon.  2 1 3 
État  des  forces  espagnoles —  22ô 


Moyens  de  résistance  à  l'inva- 
sion   226 

Instructions  générales  pour  les 
guérillas 228 

Principaux  chefs  de  guérillas,  ib. 

Curieux  catéchisme  populaire,  ib. 

L'amiral  Rosilly ,  retenu  dans 
le  port  de  Cadix,  est  obligé 
de  capituler 235 

Expédition  du  général  Moncey 
contre  Valence il. 

Bataille  de  Médina  del  Rio 
Seco,  du  14  juUlet;  maré- 
réchal  Bessières  sur  le  géné- 
ral Cxiesta ib. 

Combat  et  capitulation  de  Bay- 
len,  du  20  juillet;  Castanos 
sur  Dupont ib. 

Joseph  Napoléon  abandonne 
Madrid  le  i"  août 230 

Belle  proclamation  de  Castor- 
nos 237 

La  ville  de  Saragosse  assiégée 
depuis  le  14  juin  jusqu^au 
13  août  par  Lefebvre-Des- 
nouettes,  est  détendue  avec 
succès  par  Palafox 238 

Lettre  fameuse  de  Palafox  en 
réponse  à  une  demande  de 
soumission ib. 

Le  marquis  de  la  llomana  dé- 
barque à  la  Corogne 245 

Publication  du  gouvernement 
britannique  annonçant  le  ré- 
tablissement de  la  paix  avec 
l'Espagne 246 

Les  Portugais  suivent  l'exem- 
ple de  l'Espagne 247 

Commencement  de  l'insurrec- 
tion, le  6  juin ,  à  Oporto ib. 

Expédition  de  sir  Arthur  Wel- 
lesley  {Wellington)  contre 
Lisbonne ib. 

Le  général  Spencer  arrive  de 
Cadix  et  prend  part  aux  opé- 
rations   248 

Combat  de  Rorissa,  le  17  août; 
sir  Arthur  Wellesley  sur  le 
général  Laborde ib. 

Bataille  de  Vimeiro^  le  21  août  ; 
sir  Arthur  Wellesley  sur  le 
duc  à'Abrantès ib. 

Sir  Ueio  Dalrymple  prend  le 
commandement  de  l'armée,  ib- 

Armislice  de  Cintra,  le  22  août, 
et  convention  de  Lisbonne,  le 


—  419 


30;  Wellesley,  Murray  ;  KeU 
lermann 2'»8 

Jugement  porté  en  Angleterre 
sur  la  convention  de  (Cintra.  251 

L'amiral  Siniavine,  par  la  con- 
vention du  Tase ,  du  3  sep- 
tembre, remet  l'escadre  russe 
à  l'amiral  Cotton ih. 

Elle  est  rendue  à  l'empereur 
Alexandre,  en  \^li ib. 

Nouveaux  développements  de 
la  politique  de  Napoléon ....  252 

Message  qu'il  adresse  au  Sénat, 
le  4  septembre  1 808 ib. 

Premier  rapport  fait  à  l'Empe- 
reur, le  24  avril,  par  le  mi- 
nistre des  Relations  Extérieu- 
res, Champagmj  253 

Second  rapport,  du  1"  septem- 
bre    259 

Rapport  fait  à  l'Empereur  par 
le  ministre  de  la  Guerre, 
comte  d'Hunebourg 265 

Motifs  du  sénatus-consulte  ex- 
posés par  le  comte  Regnault 
de  Saint- Jean  d'Angely  269 

Rapport  fait  au  Sénat  par  le 
comte  de  Lace'pède 273 

Napoléon  fait  proposer  une  en- 
trevue à  l'empereur  Alexan- 
dre   278 

Congrès  d'Erfurlh,  en  octobre 
1808 279 

Principaux  résultats  des  confé- 
rences des  deux  Empereurs,   ib. 

Consentement  donné  par  l'em- 
pereur ^1  iejrandre  aux  projets 
de  A^apoieon sur  l'Espagne. .    ib. 

Adhésion  de  Napoléon  à  la  réu- 
nion définitive  des  provinces 
moldo-valaques  à  l'empire 
russe 280 

Motifs  de  cette  extension  de  li- 
mites     ib. 

Question  du  partage  de  la  Tur- 
quie   281 

Projet  de  reconstituer  les  em- 
pires d'Orient  et  d'Occident,    ib. 

Intervention  de  l'empereur 
Alexandre  en  faveur  de  la 
Prusse , 282 

Accession  du  duc  A'Oldenbourg 
a  la  confédération  du  Rhin . .   ib. 

Au  moment  de  son  départ  de 
Saint  -  Pétersbourg,  l'empe- 
reur Alexandre  apprend  le 
bombardement  de  Ballisch- 
Port ib. 


Arrivée  des  deux  Empereurs  à 
Erfurlh,  le  27  septembre  . . .  283 

Les  rois  de  Bavière,  de  Saxe, 
de  Wurtemberg  et  de  West- 
phalie,  et  soixante  et  onze 
princes,  se  trouvent  réunis  à 
Erfurlh ib. 

Dignitaires  et  ministres  d'État 
des  premières  puissances. ..  284 

Circonstances  diverses  du  sé- 
jour dessouverains  àErfurth.  ib. 

Motif  du  changement  de  l'am- 
bassade russe  à  Paris 285 

Le  prince  Kourakine  remplace 
le  comte  Tolstoï ib. 

Napoléon  donne  audience  à 
l'Envoyé  de  l'empereur  d'Au- 
triche      ib. 

Convention  secrète  d'Erfurth, 
du  12  octobre  1808  ,  enlre  la 
France  et  la  Russie:  le  comte 
de  Champagny  :  le  comte 
Roumantsof 286 

Projet  de  nouer  une  négocia- 
tion avec  l'Angleterre 289 

Les  souverains  distribuent  les 
décorations  et  présents  d'u- 
sage     ib. 

Axiome  de  Napoléon  au  sujet 
des  présents  diplomatiques,    ib. 

Munificence  d'Alexandre ib. 

Séparation  du  congrès,  le  14 
octobre ib. 

Un  mot  de  Louis  XIV ib. 

Impression  que  l'entrevue  d'Er- 
furth laisse  dans  l'esprit  de 
Napoléon 290 

Négociation  pour  la  paix  mari- 
lime  ib. 

Lettres  d'Alexandre  et  de  iVa- 
poléon  à  George  III,  12  oc- 
tobre  1803 ib. 

Lettre  d'accompagnement  de 
MM.  de  Champagny  et  Rou- 
mantsof, à  M.  Canning 291 

Note  en  réponse  (28  octobre) 
de  M.  Canning ,  et  lettre 
d'accompagnement  au  comte 
Roumantsof 292 

Notes  en  réponse  (26  novembre) 
des  ministres  de  Russie  et  de 
France 295 

Dernières  Notes  de  M.  Canning 
(9  décembre) 296 

Rupture  des  négociations 297 

Déclaration  du  roi  d'Angle- 
terre, du. 15  novembre  1808.    ib. 


—  /i20  — 


Seconde  campagne  de  1808, 
dans  la  Péninsule 298 

Formation  de  la  Junte  suprême 
centrale ib. 

La  grande  armée  envahit  l'Es- 
pagne 305 

Napoléon  arrive  à  Bayonne,  le 
3  novembre 30G 

Combat  de  Guenez,  le  7  novem- 
bre ;  les  Français  Sur  Blake.    ib. 

Bataille  de  Burgos,  le  10  no- 
vembre ;  maréchal  Soult  sur 
le  comte  de  Belvéder ib. 

Bataille  d'Espinosa,  les  10  et  1 1 
novembre;  maréchal  Victor 
sur  Blake  et  la  Romana ib. 

Bataille deTudela,  le  23 novem- 
bre ,  maréchal  Lannes  sur 
Castanos ib. 

Bataille  de  Somo-Sierra,  le 
30  novembre  ;  Napoléon  sur 
Son  Juan ib. 

Napoléon  s'établit  à  Chamartin.  30G 

Le  prince  de  Neufchâtel  somme 
Madrid  de  se  rendre 307 

Vigoureux  préparatifs  de  dé- 
fense de  la  part  des  habitants,    ib. 

Don  Tomas  Morla  et  don  Ber- 
nardo  Iriarte  sont  envoyés 
en  parlementaires ib. 

Relation  de  l'audience  qu'ils 
obtiennent  de  l'Empereur. . .  308 

Origine  des  préventions  de 
Napoléon  contre  le  président 
de  la  Junte  centrale,  Flo- 
rida-Blanca 310 


Napoléon  et  le  célèbre  diplo- 
mate de  Rayneval 3iO 

Occupation  de  Madrid  par  l'ar- 
mée française 312 

L'Inquisition  est  abolie ib. 

Napoléon,  instruit  de  la  mar- 
che de  l'armée  anglaise  sur 
Valladolid,  se  porte  à  sa  ren- 
contre     314 

Retraite  du  général  Moore  sur 
la  Corogne ib. 

Napoléon  apprend  à  Benavente 
les  armements  de  l'Autriche,  ib. 

Le  duc  de  Dalmatie  est  investi 
du  commandement  de  l'ar- 
mée      ib. 

Napoléon  arrive  à  Paris  le 
23  janvier  1809 ib. 

Bataille  de  la  Corogne,  le 
16  janvier;  le  maréchal  Soult 
sur  le  général  Moore,  blessé 
mortellement ib. 

Capitulation  de  la  Corogne , 
le  19 ib. 

Le  maréchal  5ou2t  est  maître  de 
toute  la  province ib. 

L'Angleterre  conclut  une  al- 
liance intime  avec  l'Espa- 
gne   315 

Traité  de  Londres,  du  14  jan- 
vier 1809  :  M.  Canning  :  don 
Juan  Ruiz  de  Apodaca ib. 

Considérations  générales  sur 
les  événements  accomplis 
dans  la  Péninsule 310 


NOTES  ET  DOCUMENTS. 


I.  Extrait  du  traité  de  paix  et 
d'alliance  entre  0.  Cromwell 
et  Jean  IV,  roi  de  Portugal, 

du  10  juillet  1654 319 

II.  Extrait  du  traité  de  paix  et 
de  commerce,  conclu  entre 
la  France  et  l'Angleterre,  le 

3  novembre  1655 320 

m.  Traité  de  commerce  entre 
Oiarles  II,  roi  d'Angleterre, 
et  les  Provinces-Unies  des 
Pays-Bas,  fait  à  la  Haye,  le 
17  février  16G8 322 

IV.  Extrait  du  traité  de  com- 
merce signé    à  Utrecht,  le 


11  avril  1713,  entre  la  France 
et  l'Angleterre 325 

V.  Extrait  du  traité  de  naviga- 
tion et  de  commerce  entre  la 
France  et  les  Provinces-Unies 
des  Pays-Bas,  signé  le  1 1  avril 
1713,  à  Utrecht 327 

Yl.  Extrait  du  registre  des  ré- 
solutions de  LL.  HH.  PP.  les 
seigneurs  Étals  Généraux  des 
Provinces-Unies,  sur  le  mé- 
moire remis  par  M.  Yorck, 
dans  une  conférence  où  ce 
minisire  a  été  appelé  par 
Leurs  Hautes  Puissances 329 

Vil.  Extrait  du  traité  définitif 


/i21   — 


entre  Sa  Majeslé  Britannique, 
le  Roi  Très-Clirélien  et  le  roi 
d'Espagne ,  signé  à  Paris  le 
10  février  1763 334 

VIII.  Extrait  du  traité  de  com- 
merce et  de  navigation  signé 
à  Saint-Pétersbourg  le  20  juin 
1*66,  entre  l'empereur  de 
toutes  les  Russies  et  la 
Grande-Bretagne ib. 

X.  Extrait  du  traité  de  com- 
merce, signé  le  6  février  1778, 
entre  la  France  et  les  États- 
Unis  de  l'Amérique 335 

X.  Déclaration  de  S.  M.  l'impé- 
ratrice de  toutes  les  Russies 
aux  cours  de  Londres,  Ver- 
sailles et  Madrid,  jirésenlée 
dans  le  mois  de  mars  1780. .  338 

XI.  Extrait  du  registre  des  ré- 
solutions de  LL,  HH.  PP.  les 
Étals  Généraux  des  Provinces- 
Unies  des  Pays-Bas,  du  lundi 
24  avril  1780,  en  réponse  au 
mémoire  de  la  Russie,  pré- 
senté le  3  avril 340 

XII.  Copie  de  la  déclaration  de 
Sa  Majesté  Danoise  aux  cours 
de  Londres  ,  de  Versailles  et 
de  Madrid,  datée  du  8  juillet 
1780 342 

XIII.  Copie  de  la  déclaration  de 
Sa  Majesté  Suédoise  aux  puis- 
sances belligérantes,  expé- 
diée aux  coure  de  Vereailles, 
de  Londres  et  de  Madrid,  da- 
tée d'Aix-la-Chapelle,  le  21 
juillet  1780 344 

XIV.  Extrait  de  la  convention 
maritime  entre  la  Russie  et 
le  Danemark,  signée  à  Co- 
penhague, le  9  juillet  1780..  345 

XV.  Extrait  de  la  convention 
maritime  pour  le  maintien 
du  commerce  et  de  la  navi- 
gation neutre  ,  signée  le 
2!  juillet  (l"  août)  1780,  en- 
tre la  Suède  et  la  Russie 34G 

XVI.  Copie  du  mémoire  de  la 
cour  de  Russie,  présenté  aux 
cours  des  puissances  belligé- 
rantes ,  pour  leur  notifier 
l'accession  du  Danemark  et 
de  la  Suède  au  système  de  la 
neutralité  armée-,  1780 347 

XVII.  Copie  du  mémoire  de  la 
cour  de  Russie,  présenté  aux 
cours  des  puissances  belligé- 
rantes ,   pour  leur  notifier 


l'accession  du  Danemark  et 
de  la  Suède  au  système  de  la 
neutralité  armée;  1780 348 

XVIII.  Réponse  de  la  cour  de 
Londres  à  la  déclaration  de 
l'impératrice  de  Russie,  tou- 
chant le  commerce  neutre, 
datée  du  28  février  1780,  et 
présentée  à  la  cour  de  Lon- 
dres le  1"  avril  1780 349 

XIX.  Extrait  du  traité  définitif 
de  paix  et  d'amitié  entre  le 
roi  de  la  Grande-Bretagne 
et  le  Roi  Très-Chrétien,  signé 
à  Versailles  le  3  septemnre 
1783 350 

XX.  Extrait  du  traité  de  com- 
merce entre  l'empire  de  Rus- 
sie et  la  Porte  Ottomane , 
conclu  à  Constantinople  le 
10-21  juin  1783 351 

XXI.  Extrait  du  traité  de  com- 
merce et  de  navigation ,  si- 
gné en  1784,  entre  l'empe- 
reur des  Romains  et  l'impé- 
ratrice de  Russie,  et  publié, 
en  1785 ,  en  forme  d'édil , 
dans  leurs  Étals  respectifs  . .  352 

XXII.  Extrait  du  traité  d'ami- 
tié et  de  commerce  entre 
S.  M.  le  roi  de  Prusse  et  les 
États-Unis  d'Amérique,  signé 
à  la  Haye  le  10  septembre 
1785 355 

XXIII.  Extrait  du  traité  d'al- 
liance défensive  entre  S.  M.  le 
Roi  Très-Chrétien  et  les  États 
Généraux  des  Provinces- 
Unies  des  Pays-Bas ,  à  Fon- 
tainebleau ,  le  10  novembre 
1785 356 

XXIV.  Extrait  du  traité  d'ami- 
tié et  de  commerce  conclu 
entre  S.  M.  le  roi  de  Suède 
et  les  États-Unis  de  l'Amé- 
rique    septentrionale  ,     le 

3  avril  1783 357 

XXV.  Extrait  du  traité  de  navi- 
gation et  de  commerce  en- 
tre la  France  et  la  Grande- 
Bretagne,  conclu  à  Versailles 

le  26  septembre  1786 359 

XXVI.  Instruction  aux  com- 
mandants des  vaisseaux  de 
guerre  de  Sa  Majesté,  et  des 
corsaires  qui  ont  ou  qui  au- 
ront des  lettres  de  marque, 
contre  la  France 365 


—  422  — 


36C 


ib. 


XXVIT.  Ordre  du  Conseil  d'An- 
gleterre, C  novembre  1T93. 

XXVllI.  Traité  passé,  le  27  mars 
1794,  entre  le  roi  de  Suède  et 
le  roi  de  Danemark,  pour  la 
défense  commune  de  la  li- 
berté et  de  la  sûreté  du  com- 
merce danois  et  suédois 

XIX.  Ordre  du  Conseil  d'An- 
gleterre, 8  janviec  1794 370 

XXX.  Extrait  du  traité  d'amilié, 
de  commerce  et  de  naviga- 
tion, entre  Sa  Majesté  Britan- 
nique et  les  États-Unis  d'Amé- 
rique, conclu  le  19  novembre 
1794,  ratifié  le  28  octobre  1795  37 1 

XXXI.  Conventions  entre  S.  M.  le 
roi  de  Suède,  d'une  part,  et 
8,  M.  l'empereur  de  toutes 
les  Russies,  de  l'autre,  pour 
le  rétablissement  d'une  neu- 
tralité armée 372 

XXXII.  Convention  de  neutra- 
lité maritime  armée ,  con- 
clue entre  LL,  MM.  l'empe- 
reur de  toutes  les  Russies  et 
le  roi  de  Danemark,  à  Saint- 
Pétersbourg,  le  4-16  décem- 
bre 1800 378 

XXXIII.  Convention  de  neutra- 
lité maritime  armée,  conclue 
entre  LL.  MM.  l'empereur  de 
toutes  les  Russies  et  le  roi  de 
Prusse,  à  Saint-Pétersbourg, 
le  C-18  décembre  1800,  avec 


l'article  supplémenlaire  ra« 
titié  le  6  février  1801 38i^ 

XXXIV.  Convention  maritime 
entre  la  Russie  et  la  Grande- 
Rretagne,  signée  à  Saint- 
Pétersbourg  le  5-17  juin  1801, 
avec  deux  articles  séparés  de 

la  même  date 393 

Carte  de  l'Europe  en  1807. 

XXXV.  Acte  du  Parlement,  du 
27  juin  1805,  pour  confirmer 
et  étendre  les  dispositions 
concernant  les  ports  francs 
dans  les  îles  occidentales. . .  402 

XXXVI.  Résolution  du  Conseil 
privé  d'Angleterre,  du  3  août 
1805 ï^. 

XXXVII.  Message  du  président 
des  Etats-Unis  au  Sénat  et  à 
la  Chambre  des  représen- 
tants des  États-Unis 403 

XXXVI II.  Note   de    M.  Fox  à 

M.  Munroe , 404 

XXXIX 405 

XL.  Supplément  à  la  Gazette 
de  Londres,  du  samedi  14  no- 
vembre 1807 407 

XLI.  Deuxième  décret 410 

XLIl.  Troisième  décret 411 

XLIII.  Décret  impérial  conte- 
nant de  nouvelles  mesures 
contre  le  système  maritime 
de  l'Angleterre 412 


CARTE  DE  L'EUROPE  EN  1807. 


FIN    I>r   LA    TAI'.U:. 


L>E   LlUPniUSr.IÏ    DE  CRAPELET,    Rl'B   DE    VAVCIRARD      9 


«JX  Garden,   Guillaume  de,   comte 

152  Histoire  générale 

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1. 11 


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