HISTOIRE GENERALE
DES
TRAITÉS DE PAIX
DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET,
ni'E I>E VAUCIKARD, 9.
V* » -y»
HISTOIRE GÉNÉRALE
DES
TRAITÉS DE PAIX
AUTRES TRANSAC
ENTRE TOUTES LEJ
DEPUIS LA
NCIPALES
s DE L'ErUOPE
HAI.IE
LES TRAVAftr DE KOCH, ÉCHOELL, ETG
PARIS : AMYOT, RUE DE LA PAIX
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SUITE
QUATRIÈME PÉRIODE
ou
HISTOIRE DES TRAITES
DEPUIS LE COMMENCEMENT DES GUERRES DE LA RÉVOLUTION
FRANÇAISE JUSQU'AU TRAITÉ DE PARIS DE 181 K
1791—1815
XI
QUATRIÈME PÉRIODE,
OU
HISTOIRE DES TRAITES
DEPUIS LE COMMENCEMENT DES GUERRES DE LA RÉVOLUTION
FRANÇAISE JUSQU'AU TRAITÉ DE PARIS DE 181 S.
1791—1815.
CHAPITRE XXXVII (suite).
TBÀITÉS DE PAIX DE TILSITT CONCLUS, LES 7 ET 9 JUILLET 1807,
E.MRE LA FnANCE, LA RUSSIE ET LA PRUSSE.
SECTION IV (suite).
SYSTEME CONTINENTAL FRANÇAIS; SYSTÈME BRITANNIQUE 1)E BLOCUS MARITIME,
ET AUTRES CONSÉQUENCES IMMÉDIATES DE LA PAIX DE TILSITT.
Polémique semi-offlcielle entre les Cabinets de Londres et de Paris. — Le
chevalier de Gentx, le comte d'Hauterive\ — l. Observations sur le
rapport du minisire des Relations Extérieures , duc de Bassano , com-
muniqué au Sénat, le 10 mars 1812. — II. Observations sur les décrets
de Berlin et de Milan et les ordres du conseil britannique à l'occasion des
notes du Moniteur ajoutéesà la déclaration du gouvernement anglais du
21 avril, pour servir de suite aux observations sur le rapport du mi-
' Nous avons fait allusion précédemment à une controverse qui avait
eu lieu entre ces deux antagonistes. C'est qu'en effet, sous le consuiat,
M. d'HAUTERivB avait écrit le livre intitulé: De l'État de la France à la
fin de lan VIII, où se trouvait réfuté, mais avec courtoisie, l'ouvrage
de M. de Gentz qui fut son premier titre à la célébrité, VEssai sur l'ad-
ministration des finances et la richesse nationale de la Grande-Bre-
tagne. Napoléon fut si satisfait de la publication de l'État de la France,
qu'il 61 remettre, de sa propre cassette, une gratification de vingt-cinq
mille francs à l'auteur, que plus tard il nomma conseiller d'État et créa
nislre des Relations Extérieures de France du 10 mars.— § 1". De la
prétendue autorité du traité d'Ulrecht dans les questions de Droit ma-
ritime.—§ 2. Des motifs et du caractère des ordres du conseil opposés
par le gouvernement britannique aux décrets de Berlin et de Milan. —
§ 3. Des conditions exigées par le gouvernement anglais pour la révoca-
tion des ordres du conseil. — § 4 . De la prétendue révocation des décrets
de Berlin et de Milan à l'égard des Étals-Unis d'Amérique. — § 5. Des
conditions attachées par la France à la révocation définitive des décrets
de Berlin et de Milan. — §C. Des avantages que l'Angleterre aurait à
espérer de la révocation des ordres du conseil. — III. Mémoire sur les
principes et les lois de la neutralité maritime. — § 1". Droit public de
l'Europe, relativement à la neutralité maritime avant 1756. — § 2. Droit
public de l'Europe relativement à la neutralité maritime, de 1766
à 1775. —§ 3. Droit public de l'Europe relativement "a la neutralité
maritime, de 1775 à 1802. — § 4. Droit public de l'Europe relativement
à la neutralité maritime, depuis le renouvellement de la guerre en 1803.
I.
OBSERVATIONS
S13R LE RAPPORT DU MINISTRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES DE FRANCE, SER-
VANT d'introduction aux décrets SUR UNE NOUVELLE ORGANISATION DE LA
CARDE NATIONALE.
(Rédigées par M. de Gentz au mois de mai 1812.)
S 1".
Ce rapport, que l'on peut regarder comme le pre-
mier manifeste de la grande guerre qui se prépare
dans ce moment , n'est qu'un exposé des prétendus
attentats de l'Angleterre contre les droits des neutres
dans les guerres maritimes, et des mesures successi-
Yement adoptées par le gouvernement français pour
venger et protéger ces droits. L'auteur du rapport
commence par mettre en fait a que les droits de la
comte de l'empire. Pour M. de Gentz, on sait que l'ambassadeur d'Au-
triche à Berlin, lui ayant donné à entendre qu'un homme de son mé-
trite serait le bienvenu à Vienne, il se rendit en effet dans cette ca-
pitale et y fut attaché à la chancellerie d'État. Toutefois, avant de
prendre des engagements, le traducteur de Buuke avait fait un voyage
à Londres où les témoignages les plus flatteurs lui furent prodigués ;
c'est à cette occasion qu'il recueillit les premiers fruits de ses travaux
par la pension considérable que M. Pitt lui fit allouer.
neutralité maritime ont été réglés solennellement par
le traité d'Utrecht, devenu la loi commune des na-
tions , » et que i< cette loi a été textuellement renou-
velée dans tous les traités subséquents, w II en vient de
là au récit des « arrêts arbitraires et tyranniques » par
lesquels l'Angleterre a violé les principes consacrés
par le traité d'Utrecht, et des actes de représailles que
la France a opposés à ces arrêts; et le résultat fmal
est la nécessité urgente d'employer toutes les forces
disponibles de la France pour exclure les neutres de
certains ports à l'extrémité du continent, où de temps
en temps ils pourraient introduire quelques ballots de
marchandises anglaises !
Le gouvernement français doit s'imaginerj qu'avec
le désir ou le pouvoir de lui résister , ses contempo-
rains, plongés dans une stupidité absolue , ont perdu
jusqu'au souvenir de tout ce qui s'est passé au milieu
d'eux, jusqu'à la dernière trace de l'histoire et de
l'ancien Droit public de l'Europe, ou jusqu'à la faculté
de lire, de comparer et de réfléchir. Autrement il ne
leur offrirait pas comme des oracles diplomatiques
des fables si maladroitement tissues, que le plus cré-
dule de leurs lecteurs devrait regarder comme uue
insulte la prétention de les lui faire avaler.
Une réfutation satisfaisante de chaque partie, ou,
pour mieux dire, de chaque phrase de ce rapport, ne
serait pas une tâche dilïicile. Je me bornerai ici à exa-
minertrès-succinctementce qui concerne les questions
de Droit. J'atteindrai mon but, si je réussis à prouver:
Que le traité d'Utrecht, à l'époque même de sa si-
gnature, n'a pas été j n'a pas /)u être, et n'a jamais
prétendu être « la loi commune des nations pour les
droits maritimes; »
Que ce traité, loin d'acquérir plus tard une auto-
rité qu'il n'avait pas eue dans son origine, a été com-
^ 6 —
plétement étranger à tous les rapports et événements
postérieurs;
Que dans la lutte qui , depuis 1806, s'est engagée
entre la France et l'Angleterre , pour soumettre le
commerce de tous les pays du monde à un système
d'interdiction réciproque, la France a été le véritable
agresseur , tandis que l'Angleterre n'a constamment
agi que par voie de représailles ; enfin
Que les principes proclamés dans le manifeste du
16 mars, pour justifier la nouvelle guerre qui va em~
braser le continent, sont les mêmes, poussés cepen-
dant à un excès jusqu'ici inconnu , qui ont caracté-
risé la marche du gouvernement français dans toutes
les époques de cette lutte fatale.
Pour qu'une loi commune des nations sur les limites
entre les droits des États belligésants et des États neu-
tres dans les guerres maritimes, eût pu se former, il
aurait fallu que toutes les puissances indépendantes ,
dûment représentées dans un congrès général, se
fussent concertées sur les règles à suivre dans cette
branche du Droit public , et qu'un code reconnu et
sanctionné par toutes les parties intéressées , eût été
le résultat de leurs travaux.
Je ne puis pas m'étendre ici sur tout ce qu'il y a
d'inadmissible, et même d'absurde dans une supposi-
tion pareille. Il suffit de savoir qu'aucune entreprise
de ce genre n'a jamais été exécutée, ni seulement ten-
tée, et surtout que le traité d'Utrecht , tel qui est, n'a
aucun trait de ressemblance avec un code de Droit pu-
blic, ou une loi commune des nations.
Ce qu'on appelle généralement le traité d'Utrecht,
n'est, comme tout le monde sait, qu'un assemblage
do traités séparés , conclus entre les différentes puis-
sances qui avaient pris part à la guerre de la succes-
sion d'Espagne. Parmi ces traités, il s'en trouve trois
concernant la navigation et le commerce, l'un fait
entre la France et V Angleterre , l'autre entre V Angle-
terre et V Espagne, le troisième entre la France et la
Hollande.
Dans le traité entre la France et V Angleterre, il est
stipulé que , dans une guerre maritime dans laquelle
l'une ou l'autre de ces deux puissances resterait neutre,
le pavillon de celle-ci couvrira les marchandises ap-
partenantes aux ennemis de la puissance belligérante,
et de plus que, par marchandises de contrebande con-
fîscables dans toute espèce de vaisseau, on n'entendra
que les objets directement applicables à la guerre. Ces
deux articles, déterminés de tout temps d'une ma-
nière particulière et différente par chaque traité indi-
viduel de navigation, constituaient à la fin du xvif et
au commencement du xv!!!*" siècle à peu près la ques-
tion tout entière des droits des puissances neutres
dans les guerres maritimes. Par les traités antérieurs
de 1 655 et 1 677 la France et l'Angleterre étaient déjà
convenues à l'égard de ces articles des mêmes conces-
sions réciproques qui se trouvent dans le traité
d'Utrecht; et ces concessions ont été renouvelées et
renforcées même en faveur de la puissance supposée
neutre dans le fameux traité de commerce de 1 786.
Lorsqu'on réfléchit à la situation respective de ces
deux puissances , on ne saurait s'étonner que , dans
tous les traités entre elles relativement à cet objet, on
ait accordé la plus grande latitude aux droits de celle
des deux qui serait neutre dans une guerre maritime
de l'autre. La raison en est claire : le cas supposé était
si peu probable, que tout ce que l'on se promettait mu
tuellement, ne revenait, pour ainsi dire, qu'à un sim-
ple compliment diplomatique. Depuis la décadence de
l'Espagne, et plus tard de la Hollande , la France et
l'Angleterre étaient les deux puissances prépondé-
— 8 —
rarites sur mer. Soit directement, soit indirectement,
toute guerre maritime, tant soit peu importante et du-
rable, devait ou commencer ou finir par être une guerre
entre l'Angleterre et la France; et telle a été effecti-
vement l'histoire de toutes celles qui ont eu lieu depuis
la fin du xvii^ siècle. Une guerre maritime, dans la-
quelle l'une ou l'autre de ces puissances se serait dé-
clarée neutre, était très-difficile à concevoir. Elles ne
risquaient rien en la supposant. Plus elles étaient ri-
vales, plus même leur état de rivalité dégénérait en
état d'hostilité habituelle , moins il leur en coûtait
d'être libérales l'une envers l'autre dans une hypo-
thèse qui, àce qu'elles comprenaient parfaitement bien,
ne pouvait jamais se réaliser.
Mais les stipulations éventuelles sur les droits de la
navigation neutre , consignées dans un traité entre la
France et l'Angleterre, ne liaient aucune des deux par-
ties contractantes dans leurs rapports avec d'autres
puissances; il n'en résultait aucun principe univer-
sel ; chaque partie conservait la liberté de s'arranger
sur cet objet avec tout autre État aux conditions qui
lui paraissaient les plus praticables ou les plus utiles.
Le traité de navigation et de commerce entre VAîi-
gleterre et V Espagne, faisant suite au traité de paix et
d'amitié qu'elles avaient signé à Utrecht, ne fut que
la confirmation d'un traité de 1667, que l'on inséra
textuellement dans celui de 1713. Dans ce traité, assez
favorable d'ailleurs à la partie éventuellement neutre,
le principe que le pavillon couvre la marchandise^ ne se
trouve cependant point énoncé ; circonstance essen-
tielle, qui prouve d'abord combien ces traités séparés
étaient peu connexes l'un avec l'autre, et ensuite,
combien on était loin de considérer le principe de la li-
berté des marchandises ennemies sous pavillon neutre
comme une loi généralement établie; car si on l'avait
— 9 —
cru tel, le silence d'un traité formel sur un article
d'aussi grand intérêt serait tout à fait inexplicable.
Le traité de commerce entre la France et la Hollajidey
conclu à Utrecht, étant absolument étranger à V An-
gleterre, il serait inutile de s'y arrêter.
Quant aux autres puissances de l'Europe, quanta
celles même qui avaient eu part aux négociations
d'Utrecht, ou qui furent comprises dans les différents
traités, telles que le Portugal, la Prusse, la Suède, la
Savoie, la Toscane, Gènes, Venise, etc., pas un mot
ne fut dit pour fixer leurs droits maritimes, ou les li-
mites de leur neutralité future, ni d'après un principe
commun , ni vis-à-vis d'aucune des puissances qui
avaient coopéré à la paix générale.
Pour savoir au juste quelle idée le gouvernement
français de ce temps devait se former lui-même de la
valeur de ses stipulations sur les droits de la neutra-
lité, et de l'effet qu'elles pouvaient avoir comme prin-
cipes généraux dans cette matière, on n'a qu'à jeter
un coup d'œil sur les lois qui composaient alors le
code maritime de la France,
Aucun pays n'a poussé plus loin que la France la
sévérité de sa législation contre la liberté des neutres
dans les guerres maritimes. Les ordonnances de Fran-
çois /"(l 536et 1 543), de Henri J/(1 554), de Charles IX
(1569), de Henri //i (1584), etc., avaient toutes dé-
claré sans aucune restriction , non-seulement « que la
marchandise ennemie était conûscable à bord d'un
bâtiment neutre, » mais, ce qui était bien autrement
fort, (( que la marchandise ennemie entraînait aussi
dans la confiscation toute marchandise chargée avec
elle, et le bâtiment lui-même, quel qu'en fût le pro-
priétaire. » La célèbre ordonnance de la marine de
1 68 1 , que les Français ont regardée pendant longtemps
comme un des monuments de gloire de Louis XIV,
— 10 —
sanctionna les mêmes principes, en y ajoutant des ar-
ticles extrêmement onéreux sur les preuves à fournir
delà neutralité d'un bâtiment, sur les passe-ports,
factures, certificats de toute espèce, sur les formes de
procédure dans le jugement des prises. Le règle-
ment pour les prises de 1704, publié dans cette même
guerre que le traité d'Utrechta suivi, fut absolument
conforme à ces ordonnances. « S'il se trouve sur les
vaisseaux neutres des effets appartenants à l'ennemi,
les vaisseaux et la charge seront de bonne prise, » dit
l'article 7 de ce règlement. Celui de 1744 modifia, il
est vrai, une des clauses les plus dures de ces lois,
mais en conservant soigneusement tout le reste , l'ar-
ticle 5 de ce règlement déclare « sujettes à la confis-
cation les marchandises appartenantes aux ennemis
sur des navires neutres ou alliés , » ajoutant toutefois
« que les navires seraient relâchés. »
Si, comme on ne rougit pas de l'affirmer aujour-
d'hui, les droits maritimes des neutres avaient été
réglés solennellement par les traités d'Utrecht, il serait
inconcevable que la législation maritime de la France
ne se fut ressentie de ce grand événement , ni à l'é-
poque où il doit avoir eu lieu , ni même trente ans
après *.
' La dernière loi même qui ait paru sur cet objet avant la Révolution,
le Règlement concernant la navigation des bâtiments neutres en temps
de guerre, du'26 juillet 1778, n'a pas articulé le principe que le pavillon
couvre la marchandise. Il est vrai qu'il n'a pas, non plus, à l'exemple
des lois précédentes, annoncé le principe opposé ; mais, à en juger par
l'extrême rigueur de toutes les autres dispositions de ce règlement, par
la nature des preuves exigées dans l'article 2 pour justifier de la pro-
priété neutre, enfin, par l'article dernier, qui maintient l'ordonnance
de 1681 « en tout ce à quoi il n'aura pas été dérogé par le présent
règlement, » il est évident qne jusqu'en 1788 le gouvernement fran-
çais n'avait point l'intention sérieuse d'attribuer au pavillon neutre le
pouvoir de couvrir la marchandise ennemie. — Ce n'est qu'à l'appari-
tion de la neutralité armée de 1780 que la France a brusquement changé
— Il —
Et pour répondre à ceux qui croiraient peut-être
que les ordonnances n'avaient rien de commun avec
les traités , que la législation allait son train d'un
côté, et le Droit des gens de l'autre, je vais citer un
cas mémorable, qui ne laissera plus de doute à cet
égard.
Les villes hanséatiques {Lubeckj Brime et Hambourg)
jouissaient depuis le milieu du xvii^ siècle d'une fa-
veur particulière de la part du gouvernement français.
Le cardinal Mazarin leur avait accordé en 1565 un
traité dans lequel il était dit w que, pour l'égard des
villes hanséatiques. Sa Majesté, dérogeant aux ordon-
nances , veut et entend que lesdits habitants soient
déchargés de la rigueur d'icelles pendant quinze an-
nées, en sorte que la robe de l'ennemi ne confisque
point celle de l'amij et que les navires à eux appar-
tenants, soient libres et rendent toutes leurs charges
libres, bien qu'il y eût de la marchandise appar-
tenante à l'ennemi. » En 1716, trois ans après
le traité d'Utrecht! les villes hanséatiques récla-
mèrent le renouvellement de ce traité. Elles l'ob-
tinrent; mais voici dans quels termes l'article princi-
pal était conçu : « Les vaisseaux sur lesquels se trou-
veront des marchandises appartenantes aux ennemis
de Sa Majesté ne pourront être confisqués, non plus
que le reste de leur cargaison, mais seulement lesdites
marchandises appartenantes aux ennemis, de même
que celles de contrebande ; Sa Majesté dérogeant à cet
égard à tous usages et ordonnances à ce contraires ,
même à celles des années 1536, 1584 et 1681 , qui
portent que la robe ennemie confisque la marchandise
et le vaisseau ami. » On leur tenait compte, comme
de langage, et qu'avec une effronterie digne de l'aurore de ses beaux
jours, elle a soutenu" que le grandobjet de ses ordonnances avait toujours
été le principe de la liberté des mers ! »
— 12 —
d'une faveur extraordinaire, de n'avoir retranché dans
ce nouveau traité que la moitié des droits que celui de
1^55 leur avait accordés' î
C'est ainsi que le gouvernement français envisa-
geait et respectait lui-même le traité d'UtrechtI C'est
ainsi que ce traité était devenu w la loi commune des
ations pour les droits du pavillon neutre ! »
S 2.
Cette loi, continue le ministre rapporteur, textuel-
lement renouvelée dans tous les traites subséquents, a
consacré les principes suivants, etc.
Je crois en avoir dit assez pour faire juger si , à
l'époque même de sa conclusion, le traité d'Utrecht a
pu avoir la force d'une loi générale y ou consacrer
des principes quelconques. L'assertion sèche et tran-
chante, « que ce traité a été textuellement renouvelé
dans tous les traités subséquents, » se trouve si com-
plètement démentie par une quantité de documents
que tout le monde peut consulter, que ceux même
qui ont le mieux suivi la marche et l'esprit des pu-
blications officielles du gouvernement français ,
doivent avoir été frappés de sa témérité. Le fait est
que, parmi les nombreux traités qui, depuis 1713 jus-
qu'à nos jours, ont statué sur les droits maritimes des
différentes nations, on n'en rencontrera pas un où le
• Le traité que les villes hanséatiques obtinrent de la France en 1769
fut conforme en tout à celui de 1716. Mais un fait plus curieux encore,
parce qu'il touche de si près à l'année climatérique de 1780, c'est
qu'une convention que le gouvernement français fit signer le 18 sep-
tembre 1779 avec le duc de Meckîenbourg-Schwerin, sanctionna encore
une fois toute la sévérité des anciennes ordonnances, et, entre autres,
déclara très-positivement sujette à confiscation toute marchandise enne
mie , qui se trouverait dans un bâtiment neutre.
— 13 —
traité d'Utrecht soit renouvelé, confirmé, ou cité
comme modèle*. Les hommes qui négociaient ces trai-
tés, savaient bien que quelques règles purement con-
ventionnelles établies en 1713 entre la France et l'An-
2;leterre, ou la France et la Hollande, n'étaient point
obligatoires, ni pour des puissances que ces règles ne
regardaient en rien , ni pour celles même qui en
étaient réciproquement convenues, dans leurs rapports
politiques avec d'autres États. Sous quel titre un né-
gociateur danois eût-il exigé d'un négociateur anglais
d'admettre les stipulations d'Utrecht comme base des
droits dont le pavillon de l'un ou de l'autre pays joui-
rait pendant sa neutralité? Dans les bons temps de la
Diplomatie, un contre-sens pareil ne serait entré dans
la tête de personne.
Mais quand même le traité d'Utrecht aurait été, ce
qu'il ne fut certainement pas, le résultat formel et avoué
d'une délibération commune de toutes les puissances
sur les conditions et les privilèges de la neutralité dans
les guerres maritimes, et par conséquent un véritable
code de lois, il est clair que les révolutions survenues
dans le système politique depuis 1713 auraient néces-
sité, et même à plusieurs reprises, une révision gé-
nérale de ce code, à moins d'abandonner les questions
les plus importantes et les plus problématiques à la
décision des armes ou à des arrangements particuliers.
Ce n'est pas pour renforcer une thèse que je crois
' Le seul traité du xviii* siècle dans lequel le traité d'Utrecht,
c'est-à-dire l'une ou l'autre des conventions particulières sur la navi-
gation et le commerce, signées à la suite du principal et véritable traité
d'Utrecht , se trouve nommé, est un traité fait entre la France et la
Hollande, en <739. Mais il faut voir à quel propos et dans quel sens.
C'est parce que « le traité de commerce conclu à Utrecht, etc. pour vingt-
cinq années étant expiré le il d'avril de l'année dernière, les deux
puissances, etc., etc. » Étrange phénomène, qu'une loi commune de^
nations qui expire 9près un rè^v.Q de vingt-cinq ans! _
— u —
suffisamment établie , mais pour l'éclaircir et la dé-
velopper, que j'ajouterai les observations suivantes
sur quelques-uns des principaux changements qui
ont eu lieu depuis un siècle par rapport aux intérêts
respectifs des puissances neutres et des puissances
belligérantes dans les guerres de mer.
Lorsque le traité d'Utrechtfut signé, plusieurs États,
aujourd'hui d'une influence majeure, n'existaient pas,
ou n'avaient point pris leur rang parmi les puissances
maritimes. Je ne citerai que la Riissie et les États-
Unis de r Amérique. Toutes les grandes discussions sur
les droits du pavillon neutre , qui ont occupé et agité
l'Europe depuis trente ans, furent amenées par l'une
ou l'autre de ces deux puissances. Or, quel que fût le
fondement de leurs prétentions, il serait extravagant
de soutenir que la Russie ou les Etats-Unis de V Améri-
que eussent pu faire valoir contre la France^ V Espagne,
V Angleterre, etc., les principes d'un traité qui avait
précédé leur maturité, ou même leur naissance poli-
tique.
D'un autre côté, à mesure que le commerce des na-
tions s'est augmenté ; que la sphère de leur navigation
s'est étendue; que de nouveaux rapports ont été créés,
non-seulement entre les pays voisins , mais entre les
points du globe les plus éloignés l'un de l'autre; que
la guerre maritime considérée comme guerre commer-
ciale a acquis une importance égale et quelquefois
supérieure à celle de la guerre continentale, dont elle
n'était autrefois qu'un accessoire : les questions rela-
tives aux droits des neutres dans cette guerre se sont
multipliées, compliquées, agrandies, ont présenté de
nouvelles faces et des problèmes jadis inconnus. A
l'époque du traité d'Utrecht , par exemple , et même
quarante ans plus tard, personne n'avait songé à exa-
miner ou à déterminer jusqu'où pouvait s'étendre le
— 15 —
droit d'un État neutre de faire le commerce avec les
colonies d'une puissance belligérante. Ce n'est que
dans la guerre de 1756 que cette grande et épineuse
question fut discutée pour la première fois entre l'An-
gleterre et la Hollande. Aucun traité ne la décida alors,
et quoique, dans la guerre allumée par la Révolution
de France, elle ait reparu avec plus de force que jamais,
et soit devenue l'objet capital des discussions entre
l'Angleterre et les Etats-Unis de l'Amérique, aucun
traité ne l'a décidée jusqu'à ce jour. La question si
des bâtiments neutres convoyés par un vaisseau de
guerre étaient sujets à la Visitation, eut à peu près le
même sort. Elle avait été partiellement agitée entre
la Hollande et la Suède en 1 742, et entre l'Angleterre
et la Hollande en 1762; mais on l'avait passée sous
silence dans le fameux acte de neutralité armée de 1 780 ;
ce n'est qu'en 1 800 que pour la première fois elle fut
mise en avant d'une manière formelle et péremptoire j
et le traité de Pétersbourg du 17 juin 1801 fut le pre-
mier qui essaya de la fixer entre l'Angleterre et les
puissances maritimes du Nord '.
Mais ce qui, dans les grands événements de la der-
nière partie du siècle passé, a plus influé que toute
autre cause directe sur les rapports entre les belligé-
rants et les neutres, c'est le changement qui s'est opéré
dans les forces respectives des deux puissances prin-
cipalement intéressées à toute question de Droit mari-
time. Ce que nous avons à dire sur les effets de ce
changement nous conduira directement à l'examen des
accusations portées contre le gouvernement anglais,
« pour avoir substitué aux maximes du Droit public
des règles arbitraires et tyranniques. »
' Sur le Congrès de Saint-Pétersbourg et les conventions qui s'en-
suivirent, voy. t. VI, p. 377 de cette Histoire des Traités.
— 16 —
S 3.
Depuis la guerre pour la succession d'Espagne, et
notamment depuis la bataille navale de la Hogue , la
marine française s'est trouvée dans un état de déca-
dence progressive. Le rétablissement de cette marine
ayant été négligé sous la longue et paisible admi-
nistration du cardinal de Fleury, la France, dans la
guerre de 1756 et après la paix de 1763, ne put plus
se dissimuler que la supériorité maritime était acquise
à l'Angleterre. Dans la guerre pour l'indépendance de
l'Amérique, les forces navales de la France se relevè-
rent momentanément; mais bientôt les désordres de
la Révolution et l'ascendant irrésistible de la marine
britannique achevèrent de les paralyser. Une pareille
situation devait inspirer à la France un attachement
décidé pour tout ce qui tenait à la cause de la neutralité
maritime, attachement qui ne pouvait que s'accroître
avec le sentiment de sa propre faiblesse. Par la nature
des choses, la navigation neutre, considérée sous le rap-
port du commerce, est un puissant appui pour la partie
faible, et un contre-poids sensible à la prépondérance de
la partie forte dans les guerres maritimes. Les hommes
éclairés n'auraient jamais été dupes de ces grandes
protestations philanthropiques dont le gouvernement
français remplissait le monde en faveur d'un système
qui touchait de bien plus près à ses propres intérêts
qu'à ceux de la neutralité maritime. Cependant per-
sonne ne lui aurait reproché sa prédilection naturelle
pour ce système, personne ne lui aurait fait le procès
pour avoir encouragé, fomenté, prôné toute réclama-
tion, tout acte public, toute confédération juste ou in-
juste, tendant à favoriser la navigation et le commerce
des neutres aux dépens d'un rival redoutable. Jusqu'au
— 17 —
cri banal de liberté des mers , quoique toujours dé-
placé ou perfide, parce qu'il confond, soit par igno-
rance, soit par mauvaise foi, des objets totalement
distincts , lui aurait été pardonné comme ruse de
guerre. Mais lorsque, sous prétexte de défendre les
droits mal définis des neutres, ce gouvernement a
envahi les droits les plus clairs et les plus sacrés de
ses voisins, lorsqu'il s'est servi de ce cri de liberté des
mers pour écraser systématiquement toute espèce de li-
berté sur la terre, lorsque, après avoir lui-même dé-
claré criminel, proscrit, et anéanti tout ce qui pré-
tendait à un reste de neutralité, il a évoqué le fantôme
de cette neutralité pour justifier les démarches les
plus épouvantables, c'est alors que le sourire qu'exci-
tait autrefois le charlatanisme de sa protection offi-
cieuse, a dû faire place à l'indignation et à Ihorreur.
De même que la France, comme partie faible dans
les guerres maritimes , était intéressée à favoriser les
neutres, l'Angleterre, forte et victorieuse sur mer,
avait un intérêt évident à soutenir les droits des puis-
sances belligérantes *. Ces droits sont dans une infi-
nité de cas en contradiction directe avec ceux des neu-
tres; les traités, sources et organes de toute législation
entre des États indépendants, sont aussi le seul moyen
imaginable pour aplanir cette contradiction. 11 ne peut
' Le cosmopolitisme de nos jours a consacré l'opinion tout à fait ab-
surde qu'un homme juste et soi-disant impartial doit toujours se ranger
du côté des neutres et regarder les puissances belligérantes comme les
oppresseurs naturels de ces victimes innocentes. Un grand pubiiciste
du XVI' siècle a déjà combattu cette chimère, en relevant avec une sa-
gacité admirable la différence entre l'intérêt d'un pays neutre et celui
d'un pays en guerre. Il dit: « Lucrum illi commerciorum sibi perire
nolunt. Belligérantes nolunt fieri, quod contra salutem suam est. Jus
commerciorum œquum est; at hoc œquius tuendae salutis; est illud
privatorum, hoc est regnorum. Cedat ergo regno mercatura , pecunia
saluti ! » Albericus Gentilis, De jure belli. — Voilà la philosophie et
la philanthropie d'un homme d'État.
XI 2
— 18 —
y avoir de limite légale ni au droit d'une puissance bel-
ligérante, ni à celui d'une puissance neutre, que celle
qu'elles se sont réciproquement imposée par des
traités, et aucune des deux n'abuse de son droit
qu'autant qu'elle agit contre les traités. Le gouver-
nement anglais les a constamment respectés. Dans
les coalitions hostiles dirigées contre ce gouverne-
ment en 1780 et 1800, dans ses longs et pénibles
débats avec les États-Unis de l'Amérique, dans les dia-
tribes mêmes de son ennemi mortel, la seule arme
dont on ne se soit jamais servi, était l'appel à des con-
ventions positives. De n'avoir pas voulu se relâcher
sur des traités que les neutres et leurs protecteurs ne
jugeaient plus convenables à leurs intérêts, ou bien
de n'avoir pas voulu, à chaque nouvelle prétention des
neutres, se lier par quelque nouveau traité sur des
points que les anciens avaient laissés indécis , ce se-
raient là les seuls torts de l'Angleterre, s'il était possi-
ble de lui en trouver. Ses amis mêmes, en discutant
ces matières, lui ont quelquefois reproché, non pas un
manque de loyauté, mais un manque de générosité
envers les neutres. Je n'examinerai point si, dans d'au-
tres temps, et dans d'autres circonstances, il eût été
facile de justifier ce reproche. Je sais bien qu'appli-
qué à la situation où l'Angleterre s'est trouvée dans
la guerre actuelle, il est d'une injustice choquante.
Quoi! engagée dans un combat à mort, vis-à-vis
d'un ennemi qui a mille fois proclamé que son exis-
tence est incompatible avec la sûreté et la prospérité
du continent, réduite à ses moyens individuels par la
désertion ou l'asservissement de tous ses anciens alliés,
l'Angleterre devait encore faire des sacrifices gratuits?
Voyant quel parti la France savait tirer de la naviga-
tion neutre, voyant que c'était cette navigation qui
protégeait ses ennemis contre les effets de sa supériorité
— 19 —
maritime, elle devait de son propre chef, ou, puisque
tel était le bon plaisir de ses adversaires, resserrer la
sphère des droits que ces traités lui avaient conservés,
ou en accorder aux neutres au delà de ce que les trai-
tés avaient consacré? Il me semble que le gouverne-
ment anglais, en se soumettant aux stipulations posi-
tives qui fixaient pour telle ou telle puissance l'exercice
de sa neutralité légale, et en adoptant pour les points
que les traités n'avaient pas déterminés un système
dans lequel l'intérêt suprême de sa propre conservation
était combiné, autant que possible, avec les avantages
réclamés par les neutres, avait satisfait non-seulement
à ses devoirs rigoureux, mais à tout ce que l'équité,
la générosité et les égards pour les intérêts d'un tiers
pouvaient exiger.
Ce système, pour tout dire en un mot, aurait fini
par contenter les neutres, si on leur avait laissé le
temps et la liberté de consulter leurs vrais intérêts; et
c'est un fait que l'histoire saura maintenir contre tous
les mensonges postérieurs, qu'au moment ou V ennemi
de V Angleterre lançait contre elle ses premiers arrêts de
•proscription f la question de la neutralité maritime avait
cessé d'agiter les Cabinets, et, à l'exception de quelques
discussions peu orageuses entre l'Angleterre et les
Américains, n'occupait plus que les tribunaux et les
spéculateurs mercantiles*. Le traité de Pétersbourg
' Use trouve à cet égard un aveu remarquable dans le rapport même
qui a donné lieu à ces observations. Il y est dit qu'à l'époque de la
paix d! Amiens « la législation maritime reposait encore sur ses ancien-
nes bases. » Mon objet ne saurait être de relever les défauts de logi-
que , de raisonnement et d'ensemble dans une pièce où la vérité et les
faits sont traités avec si peu de cérémonie. Mais il est certain que cet
appel inattendu à l'époque de 1803, tout en trahissant la plus profonde
ignorance sur l'état de la question , admet ce qu'un ministre de France
aurait toujours dû contester : que la discussion des droits maritimes
était fermée à cette époque ; circonstance qui figurerait beaucoup mieux
«lans un manifeste britannique.
— 20 —
de 1 801 , et l'accession des Cours de Copenhague et de
Stockholm à ce traité avaient mis un terme à toutes les
disputes entre l'Angleterre et les puissances du Nord.
La Prusse, sans avoir eu part à ce traité, profitait ce-
pendant, et grandement, de tout ce qu'il contenait de
favorable aux neutres. On peut donc soutenir, sans
crainte d'un démenti quelconque, que pour l'Europe
la question de la neutralité maritime était jugée et ex-
pédiée autant qu'elle pouvait l'être au milieu des ora-
ges de la guerre. Quant aux États-Unis de l'Amérique,
il est vrai que, grâce à la funeste influence de la fac-
tion française, qui avait empêché la ratification com-
plète du sage traité négocié par M. Jay en J794, plu-
sieurs articles d'une grande importance, et notamment
celui du commerce neutre intermédiaire entre les co-
lonies d'une puissance belligérante et la métropole ne
se trouvaient pas positivement décidés, et restaient
dans le vague de ce qu'on veut bien appeler le Droit
des gens naturel, c'est-à-dire que le plus fort était in-
dubitablement autorisé à les résoudre d'après sa vo-
lonté et ses intérêts. Cependant le gouvernement an-
glais, loin de se prévaloir du silence des traités, pour
déclarer illégal tout commerce que les négociants de
l'Amérique feraient avec les colonies de ses ennemis,
se contenta de régler ce commerce par les restrictions
les moins onéreuses pour les neutres. L'ordre du Con-
seil du 24 juin 1 803 enjoignit aux commandants des
vaisseaux de guerre et aux armateurs « de ne saisir
aucun bâtiment neutre employé au commerce direct
entre les colonies de l'ennemi et le pays neutre auquel
appartenait le bâtiment, pourvu que la cargaison fût
la propriété d'un habitant de ce pays. » Cette instruc-
tion, déjà assez favorable, fut encore incalculablement
étendue par les principes adoptés dans les cours
d'Amirauté de Londres, d'après lesquels, lorsqu'un
— 21 —
Lâtiment américain avait porté en Amérique une car-
gaison de marchandises coloniales d'une des colonies
de l'ennemi, il suffisait que cette cargaison eût été dé-
barquée (en effet ou en apparence) dans quelque port
des États-Unis , pour la faire passer immédiatement
après dans les ports du pays ennemi en Europe. Les
fraudes innombrables auxquelles cet excès de libéra-
lité avait donné lieu , forcèrent enfin les tribunaux
britanniques (au mois de juillet 1805) de déclarer que
le fait seul du débarquement momentané dans un port
des États-Unis, et du payement des droits pour la car-
gaison, ne serait plus regardé comme preuve suffisante
de la légalité du voyage d'un bâtiment portant des mar-
chandises coloniales aux pays ennemis en Europe, ou
des marchandises des pays ennemis en Europe à leurs
colonies. Mais, à cette modification près, rien ne
changea dans la marche des tribunaux; l'instruction
de 1803 ne fut point abrogée; la liberté générale des
négociants américains de commercer avec les colonies
hostiles dans toutes les parties du monde d'un côté,
et leurs ports en Europe de l'autre, resta intacte, et
l'Océan ne cessa de se couvrir de vaisseaux neutres,
trafiquant pour le compte des ennemis de l'Angleterre',
* D'après les registres des douanes publiés en Amérique, les habi-
tants de celte nation avaient introduit en Europe, dans l'année finissant
le dernier septembre 1806 , une quantité de sucre et de café , égale au
produit de toutes les possessions françaises et espagnoles dans le golfe
de Mexique. L'île de (2uba seule leur avait fourni un million soixante-
quinze mille quintaux de sucre. Pas la dixième partie de celte exporta-
tion ne fut légalement acquise par les Américains ; pour tout le reste ,
ils n'étaient absolument que les facteurs et colporteurs des puissances
en guerre.
Pour se former une idée juste de l'énormilé des abus de celte navi-
gation , des avantages que les ennemis et les neutres en tiraient, des
pertes immenses qui en résultaient pour l'Angleterre, de l'esprit de jus-
tice et de modération de ces tribunaux de l'Amirauté , décriés et flétris
sur le continent par les plus indignes calomnies, enfin de la noire ingra-
— 22 —
Il est tout simple qu'en dépit d'une conduite aussi
mesurée, l'avidité insatiable de quelques individus, le&
pertes bien méritées que d'autres avaient faites par
des spéculations notoirement illégales, l'esprit de parti
nourri par le langage habituel des feuilles françaises,
et par les déclarations d'une foule de plats écrivains
qui s'étaient enrôlés dans la cause de la neutralité ma-
ritime, ne cessaient d'ameuter l'opinion publique con-
tre le despotisme du gouvernement anglais. Mais le*
hommes justes et éclairés dans l'un et l'autre continent,
et particulièrement dans les endroits où on pouvait le
mieux juger les besoins et les intérêts du commerce^
savaient apprécier ces clameurs. Si l'on eût pu se
tromper sur les principes et sur les mesures adop-
tés de part et d'autre, les effets, au moins, parlaient
trop éloquemment, pour ne pas écraser toutes les ca-
lomnies. Les négociants de Copenhague , de Gothen-
bourg, de Pétersbourg, de Riga, de Kœnigsberg, de
Dantzig, de Hambourg, d'Embden, comme ceux des
ports et des villes commerçantes de toutes les côtes des
États-Unis de l'Amérique voyaient bien ce que c'était
que ce joug de fer que l'Angleterre imposait à la navi-
gation neutre. Partout d'immenses richesses s'accu-
mulèrent sous ce régime si décrié; dans les temps les
plus florissants de l'Europe, le commerce de la plupart
de ces villes n'avait été ni plus actif ni mieux récom-
pensé ; leur prospérité, malheureusement à la veille de
sa chute, se communiquait à l'intérieur des pays, ra-
nimait l'agriculture, les fabriques, toutes les branches
titude des Américains, et de la nullité de leurs principaux griefs contre
le gouvernement anglais, on n'a qu'à lire un ouvrage publié en automne
4805 par un des premiers jurisconsultes et publicistes de l'Angleterre,
M. Stephen, sous le titre de War in disguise ( or the frauds of the neu-
tral flags. London, 1806). L'importance des faits et la force des argu-
ments contenus dans cet ouvrage lui assignent un rang distingué parmi
les écrits politiques de notre temps.
— 23 —
de l'industrie, se faisait sentir dans les parties les plus
séquestrées du continent, dans les vastes plaines de
la Pologne et de la Russie, dans les vallées des Hautes-
Alpes, comme dans les champs et les ateliers de la
Saxe, de l'Autriche, de la Prusse. Quand on se de-
mande comment l'Europe a pu résister si longtemps
à tant de fléaux réunis qui pèsent sur elle, sans tom-
ber dans un appauvrissement total, la solution de ce
problème ne se trouve que dans ce grand fonds d'opu-
lence, dans ces ressources toujours renaissantes qui,
malgré les ravages des guerres et des révolutions, lui
étaient assurées par ses communications avec l'An-
gleterre , et par ce même commerce maritime que
celle-ci doit avoir cruellement opprimé.
Tel était le vrai état des choses , lorsque le décret
du 21 novembre 1 806 , connu sous le nom de décret
de Berlirif déclara les Iles Britanniques, non-seulement
en état de blocus, mais exclues de toute espèce de com-
munauté sociale, et retranchées, pour ainsi dire, du
corps des peuples civilisés.
Ce décret, le plus audacieusement injuste dont This-
toire conserve le souvenir', on entreprend de le justifier
aujourd'hui comme un acte purement défensif, comme
une simple mesure de représailles, provoquée par les
attentats du gouvernement anglais. « Le décret de Ber-
lin, dit le rapport, répondit à la déclaration de 1806.
Le blocus des Iles Britanniques fut opposé au blocus
imaginaire établi par l'Angleterre. »
' Le fameux décret du Directoire du 22 nivôse 1797 n'était après tout
qu'un jeu d'enfants en comparaison de celui-ci. Il ordonnait la confisca-
tion de chaque vaisseau qui porterait une seule pièce de marchandise
anglaise, mais il n'attaquait pas le commerce dans ses racines. Il fit
beaucoup de mal aux individus, mais il ne tarissait pas dans les trois
quarts du continent toutes les sources de prospérité publique et privée.
Enfin, il supposait au moins une force maritime quelconque; celui de
Berlin n'était absolument calculé que sur les progrès irrésistibles d'un
système d'envahissement et d'oppression.
— 24 —
Que le décret de Berlin , prototype fatal d'un nou-
veau genre d'hostilités, cause première d'une succes-
sion de maux dont le dernier terme échappe à l'ima-
gination comme au calcul, a porté un coup mortel à
l'Europe, personne ne s'avisera de le nier. Si ce dé-
cret funeste a été provoqué par la déclaration de 1 806,
les auteurs de celle-ci sont sans contredit hautement
responsables de tout ce que le décret de Berlin a en-
traîné de calamités et d'horreurs. Mais quelle était
donc cette déclaration de 1806? En croirons-nous
le gouvernement français sur sa parole? Quelle que
soit l'indifférence ou la légèreté coupable avec la-
quelle les lecteurs de toutes les classes reçoivent au-
jourd'hui les manifestes de ce gouvernement, sans les
examiner, sans les méditer, sans vérifier aucun fait,
aucune date, sans les confronter avec ce qui s'est
passé sous les yeux, sans employer enfin les moyens
les plus simples pour empêcher au moins que la vé-
rité ne soit maltraitée dans l'asile de leur propre con-
science, refuserons-nous cependant quelques moments
d'attention et de recherche à une question de cette
extrême importance, ou l'abandonnerons-nous, comme
tant d'autres, au jugement définitif du tribunal le
plus suspect qui ait jamais prononcé dans sa propre
cause?
Le blocus par merdes places occupées par l'ennemi
est une des opérations dont la sphère a dû naturelle-
ment s'agrandir avec les moyens et les forces dispo-
nibles des puissances maritimes. Autrefois on bloquait
un port pour quelque but passager ou local, pour
s'emparer des vaisseaux qui s'y trouvaient, pour re-
tenir une escadre qui avait le projet d'en sortir, pour
couper les moyens de défense à une ville qu'il s'agis-
sait de prendre. Dans des vues plus vastes et plus
combinées, on bloquera aujourd'hui une vingtaine de
— 25 —
ports à la fois*. La légalité ou l'illégalité d'une entre-
prise ne peut pas dépendre de la grandeur de l'échelle
sur laquelle elle est placée. Par quels sophismes con-
testerait-on à une puissance continentale le droit d'at-
taquer un ennemi sur chaque point de ses possessions
en même temps, si elle a un nombre de troupes suf-
fisantes pour exécuter ce plan? Écouterait-on dans
une occasion pareille les vaines protestations d'un
voisin neutre? 11 en est de même du blocus maritime
des côtes. La définition que les plus zélés avocats des
neutres ont donnée d'une place bloquée, que c'est
M celle dans laquelle un bâtiment étranger ne pourrait
essayer d'entrer sans s'exposer à un danger réel, »
n'est point du tout inapplicable à une réunion de ports
sur la même côte. Tout dépend de la mesure des
forces dont une puissance peut disposer pour l'exécu-
tion réelle d'un dessein, légal en lui-même. Or, sans
entrer dans des calculs de détail sur ce qu'il faut de
bâtiments de guerre pour bloquer tant et tant de places,
et telle ou telle étendue de côtes, il est évident que,
si les différents blocus auxquels l'Angleterre a eu re-
cours, n'avaient pas été constamment appuyés de
forces considérables et suffisantes, les ennemis aussi
bien que les neutres, au lieu de crier contre ces
blocus, s'en seraient moqués, comme d'une pure fan-
faronnade. L'effect direct et visible qui a accompagné
' La même chose a cependant eu lieu dans des temps où les forces
navales des puissances étaient fort inférieures à ce qu'elles sont deve-
nues plus tard. Les /foi/ondats, parunéditdu 26 juin <630, déclarè-
rent en état de blocus toutes les côtes et rivières de la Flandre. Bync-
KERSHOEK (unedes grandes autorités du commencement du xviu« siècle)
en citant et défendaut cet édit, y ajoute même un exemple plus ancien.
« Idem plane jamo/»m tempore noscentis reipublicœ sancilum fuerat.
Ex edicto ordinum Hollandia; 27 jul. -loSi, exteri nonhostes ad port us
Flandriœ commeantes navium mercÀtmque publicatione puniuntur. »
Quest, Jur. Publ., L. I, c. ii.
— 26 —
ces mesures, que d'ailleurs ne réprouvait aucun prin-
cipe de Droit public, était la preuve de leur réalité'.
Mais il ne suffit pas, pour la justification d'une
mesure, qu'elle n'ait aucun caractère d'illégalité ou
d'injustice directe. Le droit le plus indubitable en lui-
même peut devenir un instrument d'oppression. On
peut en faire un usage tellement outré, tellement ré-
voltant, que ceux qui en souffriraient seraient au
moins complètement excusables, en saisissant tout
ce qui se trouverait à leur portée, pour déjouer ou
repousser ouvertement des actes incompatibles avec
leurs premiers intérêts. La déclaration de 1806 se
trouvait-elle peut-être dans cette catégorie?
Cette déclaration prononça le blocus contre les
côtes, ports et rivières depuis l'Elbe jusqu'à Brest;
mais la seule partie de ces côtes qu'elle désigna comme
rigoureusement bloquée était celle comprise entre Os-
tende et V embouchure de la Seine. Elle l'avait été depuis
longtemps; et je présume que le partisan le plus dé-
terminé du gouvernement français , s'il veut se rap-
peler pourquoi elle l'était, que c'est dans les ports
compris dans ce blocus rigoureux, que se firent pen-
dant plusieurs années les vastes préparatifs pour une
descente dans les Iles Britanniques, ne se permettrait
pas de blâmer cette mesure. Quant aux ports de l'Al-
lemagne septentrionale (et même de la Hollande), la
déclaration portait « que l'entrée et la sortie de ces
' L'interdiction générale de tout commerce avec un grand pays dif-
fère essentiellement du blocus de ses ports et de ses côtes, en ce qu'elle
prétend s'exécuter sans l'emploi direct d'aucune force disponible, et as-
sujettit ainsi tous ceux qui sont étrangers à la guerre , à un simple acte
de volonté absolue de la part d'un belligérant. Tel fut le principe du dé-
cret de Berlin, tel aussi le principe des ordres du Conseil Britannique
du mois de novembre 1 807 que ce décret avait fait naître. Aucune trace
d'une prétention pareille ne se trouvera dans les actes du gouvernement
anglais, antérieurs à ces ordres du Conseil.
— 27 —
ports ne sera point défendue aux vaisseaux neutres,
pourvu que ceux qui arrivent, n'aient été frétés, ou
ceux qui sortent ne soient destinés à se rendre dans un
des ports de l'ennemi, et que leur cargaison ne consiste
ni en propriétés de l'ennemi, ni en contrebande de
guerre. » C'est ainsi que la déclaration du 1 6 mai 1 806
u anéantit d'un seul mot les droits de tous les États mari-
times, » et que, « du moment de cette déclaration, l'An-
gleterre ne reconnut plus de neutres sur les mers ! »
Voyons maintenant ce qui avait amené cette décla-
ration, et comment elle fut jugée dans son temps. La
Prusse, à l'instigation de la France, s'était emparée
de tous les pays composant l'Électorat de Hanovre , et,
avant même que cet acte d'iniquité fût pleinement
consommé, avait notifié par un ordre du 28 mars 1 806
« que , d'après un traité conclu entre le roi de Prusse
et l'empereur des Français , l'entrée des ports de la
mer du Nord et des rivières qui se jettent dans cette
mer, serait fermée à la navigation et au commerce
britanniques , et qu'on procéderait aux arrangements
nécessaires pour empêcher toute importation et tout
passage des marchandises anglaises. » C'est cette me-
sure hostile qui amena la déclaration du 16 mai. Ce
n'est point contre les neutres, c'est contre la Prusse,
agissant de concert avec la France , et excluant for-
mellement le commerce anglais de tous les ports de
l'Elbe, du Wéser, et de l'Ems , que cette déclaration
était dirigée. Il serait inutile de discuter ici le droit du
gouvernement britannique de prendre des mesures
sévères contre la Prusse ; cette question au moins ne
paraîtra douteuse à personne.
Aucune des puissances neutres de l'Europe n'ima-
gina de se plaindre de ces mesures. Elles y voyaient
l'effet direct, le contre-coup naturel d'une agression
gratuite, qui fit un mal prodigieux à l'Angleterre.
— 28 —
Leurs intérêts d'ailleurs n'y étaient pas sensiblement
compromis, et le gouvernement anglais, pour mettre
au grand jour combien il était éloigné de Tintentionde
les blesser, publia, peu de jours après la déclaration
du 16 mai, un ordre en date du 21 , portant « que Sa
Majesté Britannique, toujours animée du désir d'éviter
autant que les opérations de la guerre le rendaient
possible, tout ce qui pouvait nuire au commerce des
Etats en paix avec l'Angleterre, enjoignait strictement
à tous ses vaisseaux, armateurs, etc., de n'arrêter
aucun bâtiment quils rencontreraient dans la mer Bal-
tique,» démarche d'une indulgence remarquable, vu
que presque tous les ports de la Prusse se trouvaient
sur la Baltique, et que l'Angleterre, en assurant la
liberté de la navigation dans cette mer, favorisait les
neutres à ses propres dépens. Ajoutons à tout cela que
la Russie et la Suède étaient, à l'époque de la décla-
ration de 1806, les alliés intimes de l'Angleterre, et
que le Danemark se consolait aisément de la ferme-
ture de l'Elbe et du Wéser par le profit immense qui
lui en revint pour ses ports sur les côtes de Holstein
et de Sleswic. Les seules victimes de cet état des choses
étaient les villes de Hambourg et Brème; mais à qui
devaient-elles s'en prendre de leurs souffrances, si ce
ne fut au Cabinet de Berlin, instrument du gouver-
nement français?
Voilà les faits dans toute leur exactitude. Mais ce
qui me paraît plus remarquable que tout le reste , c'est
que la France elle-même ne songea pas à se plaindre
de la déclaration du 1 6 mai , et n'en a jamais fait men-
tion dans aucune occasion précédente. Il faut se rap-
peler qu'à l'époque où cette pièce parut, une négociation
de paix était entamée avec l'Angleterre. Elle avait été
conçue et mise en train par M. Fox, le seul des ministres
à la tête des affaires britanniques, dont le gouvernement
— 29 —
français ait toujours parlé avec des égards aussi près
de l'attachement que du respect. Ce même ministre,
que personne n'a jamais suspecté de projets hostiles
contre les neutres, était l'auteur du système de re-
présailles adopté contre la Prusse, et dont la déclara-
tion du 16 mai faisait partie. Mais indépendamment
de ce que les principes ou le caractère personnel de
M. Fox pouvaient prêter d'appui à cette déclaration,
il est évident que, comme les neutres eux-mêmes ne
s'en plaignaient pas, le gouvernement français man-
quait de tout prétexte pour en faire un sujet de do-
léances. Après la mort de M. Fox et la rupture des
négociations de Paris, le nord de l'Allemagne devenant
le théâtre d'une nouvelle guerre, le gouvernement
anglais eût été amplement autorisé à continuer et à
renforcer môme le blocus. Au lieu de cela, il y renonça,
au moment où cette malheureuse guerre allait éclater,
et par une circulaire du 25 septembre , que M. le
duc de Bassano a eu grand soin de ne pas citer , fit
annoncer « que le blocus des côtes d'Allemagne était
levé, et que la navigation entre VEms et l'Elbe était
aussi libre qu'avant la déclaration c?w 16 mai. »
Le décret de Berlin n'a donc point été provoqué par
la déclaration du 16 mai 1806, et n'a rien eu de com-
mun avec cette déclaration. Et lorsqu'on affirme au-
jourd'hui « que ce fut en 1806 que commença l'exé-
cution de ce système qui tendait à faire fléchir la loi
commune des nations devant les ordres du Conseil et
les règlements d'Amirauté de Londres, » tout homme
dont l'aveuglement n'est pas incurable, doit s'aper-
cevoir que ce n'est là qu'un misérable subterfuge,
inventé longtemps après coup, pour faire retomber sur
son adversaire la responsabilité d'un attentat odieux,
dont tous les sophismes du monde n'absoudront ja-
mais le seul et véritable auteur.
— 30 —
Si le décret de Berlin ne répondait pas à la déclara-
tion de 1806, il est clair qu'il ne répondait à rien. Et
en effet on aurait beau fouiller dans les archives des
temps passés et présents, on n'en trouverait ni mo-
dèle, ni prétexte. Il est sorti de la boîte de Pandore,
où le génie du mal l'avait enfanté de ses propres con-
ceptions. Proies sine matre creata !
Tout acte de représailles, que l'honneur, l'intérêt
et la loi de sa conservation, pouvaient suggérer au
gouvernement anglais, était justifié d'avance par ce
décret. La neutralité ne saurait exister qu'autant que
les puissances belligérantes s'accordent sur le principe
général que leurs droits de guerre sont plus ou moins
limités par ceux que les neutres leur opposent. Du
moment qu'une des puissances belligérantes met sa
volonté absolue à la place de cette règle fondamentale;
que, sans consulter ni les traités, ni les intérêts par-
ticuliers des neutres, ni ses propres rapports avec eux,
elle défend indistinctement tout commerce et toute cor-
respondance avec les possessions et les sujets de la
puissance ennemie, déclare de bonne prise chaque
vaisseau qui aura contrevenu à cette loi , saisit , par-
tout où son bras peut les atteindre , les marchandises
du pays excommunié, quel qu'en soit le possesseur
actuel, il ne s'agit plus des formes ou des nuances;
les bases de la neutralité sont subverties; ses attributs
sont annulés en masse; son existence légale est finie.
Si, dans un tel état de choses, la partie adverse res-
pecte encore un droit neutre quelconque, c'est un
acte d'indulgence et de générosité; car il serait in-
juste et même déraisonnable d'exiger qu'elle recon-
nût à elle seule ce qui n'a de sens, de réalité et de
valeur, que dans la supposition d'un principe commun,
admis et avoué par toutes les parties intéressées. L'An-
gleterre était donc , par le fait du décret de Berlin,
— 31 —
dispensée de toute obligation stricte de ménager les
intérêts des neutres. Son ennemi lui avait hautement
annoncé que dorénavant il ne mettrait plus aucune
borne à ses hostilités ; il les poussait même par anti-
cipation au delà de son pouvoir réel ; et privé de toute
force maritime, il faisait pressentir le projet cruel de
marcher à la destruction de l'Angleterre par la conquête
et la ruine successive de tous les peuples du continent,
projet dont, depuis le décret de Berlin, l'exécution
s'est avancée sans relâche.
Et quelle fut la première résolution par laquelle le
gouvernement anglais répondit à cette provocation
inouïe? L'ordre du Conseil du 7 janvier 1807, lequel,
après avoir exprimé « la répugnance du Roi à suivre
l'exemple de l'ennemi , et à procéder à des extrémités
nuisibles au commerce des Etats qui ne prennent pas
part à la guerre, » se contente de déclarer « qu'il ne
sera permis à aucun vaisseau neutre de faire le com-
merce entre un port appartenant à l'ennemi ou placé
sous le pouvoir de ses armes, et un autre port de la
même description. » Par conséquent tout le commerce
direct qui se faisait entre les pays neutres et les pays
soumis à la France , y compris les colonies de ces pays,
restait sur ses anciennes bases ! Cet acte d'une modé-
ration extraordinaire ne portait pas trop l'empreinte
d'un gouvernement qui , d'après les termes du décret
de Berlin , « n'avait d'autre but que de détruire toutes
communications entre les peuples, et de ramener les
temps de barbarie. »
Ce ne fut qu'après la paix de Tilsitt, époque d'un
acharnement redoublé et de nouveaux plans gigan-
tesques contre l'Angleterre, que parurent enfin les
ordres du Conseil du ]] novembre 1 807. Ces ordres por-
taient, il est vrai, à l'exemple du décret de Berlin,
sur des principes d'une interdiction générale de com-
-- 32 —
merce avec les pays soumis à l'ennemi; mais bien
différents encore du modèle, ils annonçaient dans
chacune de leurs clauses le désir de modifier en faveur
des neutres la rigueur du principe général. A l'époque
où ils furent publiés, toutes les côtes de notre conti-
nent étaient en état d'hostilité contre l'Angleterre; la
navigation neutre était nulle de fait en Europe, et le
seul pays qui pût prétendre à quelques ménagements,
c'étaient les Etats-Unis de l'Amérique. Les ordres de
novembre 1807 ne privaient point leurs bâtiments de
la liberté de se rendre de l'un ou l'autre de leurs pro-
pres ports dans les ports des colonies ennemies, ou
de ces ports-ci à un port de leur propre pays. Quant au
commerce de l'Europe, leurs vaisseaux furent astreints
à la condition de débarquer d'abord à un des ports de
la Grande-Bretagne, sauf à continuer de là leur voyage
à tel port des pays ennemis qu'ils choisiraient, et
d'emporter toute leur cargaison, à l'exception de cer-
taines marchandises spécifiées, qui ne seraient ré-
exportées qu'avec une licence \ Des instructions pos-
térieures modifièrent ces dispositions dans plusieurs
points essentiels; mais aucune n'ayant satisfait les
Américains, le gouvernement anglais annula en-
fin les ordres de 1807, et leur substitua l'ordre du
26 avril 1809, par lequel l'interdiction du commerce
fut restreinte aux ports de la France, de la Hollande, et
de la haute Italie, tandis que les ports de la Baltique,
du nord de l'Allemagne jusqu'à l'Ems, de l'Espagne,
du Portugal , et de toute la Méditerranée, à l'exception
' Le soi-disant tribut que l'Angleterre doit avoir demandé aux Amé-
ricains, n'était autre chose qu'un droit de transit, qu'on paraissait vou-
loir attacher à cette dernière classe de marchandises. Mais il faut savoir
que cet impôt , dont les ordres du Conseil ne font pas mention, n'a ja-
mais été réalisé, pas même dans le court intervalle entre la publica-
tion de ces ordres et leur abrogation en i809.
— Sa-
de ceux de France et du royaume d'Italie, restaient
ouverts à la navigation neutre. Les organes du gouver-
nement français ont pris le parti, sans doute très-
commode, d'ignorer tout à fait ce changement essen-
tiel. Une réticence pareille aurait suffi pour décréditer
toute autre pièce diplomatique; on n'en sera que mé-
diocrement surpris dans celle que nous examinons ici.
On a vivement agité en Angleterre la question si
ces ordres du Conseil ont été en dernière analyse favo-
rables ou contraires aux intérêts du pays. Les avis des
hommes éclairés se sont parlagés à ce sujet; mais la
question étroitement liée à plusieurs autres articles
du système commercial que les circonstances ont fait
adopter au ministère britannique, exige de grands
développements et des recherches très-approfondies.
Cette question est entièrement différente de celle que
nous avons discutée. Il n'appartient qu'à l'Angleterre
de juger si, sous le point de vue de son propre inté-
rêt, les ordres du Conseil ont été sages ou répréhen-
sibles. Les ministres anglais se fussent-ils trompés
dans leurs calculs, leurs ennemis n'auraient qu'à se
féliciter de leurs erreurs. Le grand point qu'il s'agis-
sait d'établir pour nous autres, c'est que, dans cette
longue série d'actes hostiles et de réactions sinistres,
la France a porté les premiers coups j que les ordres du
Conseil britannique étaient des mesures de représailles
dans toute la force du terme, et que le gouvernement
anglais, loin de blesser gratuitement les droits et les
intérêts des neutres, les a reconnus, respectés et mé-
nagés, autant que le lui permettaient la loi de son
propre salut, et la situation sans exemple dans laquelle
son ennemi l'avait placé.
« Le décret de Berlin , )) dit le rapport , « répon-
dit à la déclaration de 1806. — Le décret de Milan
répondit aux arrêts de 1807. m Je crois avoir fourni
X{ 3
— 34 —
dans ces observations les données nécessaires pour
rectifier cette généalogie. Le décret de Berlin ne fut
provoqué, ne fut justifié par aucun acte antérieur.
Les arrêts de 4807 répondaient au décret de Berlin.
Si le décret de Milan répondit aux arrêts de 1 807,
qui, sans le décret de Berlin, n'auraient jamais vu le
jour, il ne fit donc que renchérir sur l'injustice de la
mesure primitive qui avait provoqué les arrêts de
1807.
Le décret de Milan vient d'être solennellement pro-
clamé comme base et motif de la nouvelle guerre qui
va s'allumer sur le continent. «Il faut, » dit l'ora-
teur du gouvernement français , « que toutes les
forces disponibles de la France puissent se porter
partout où le pavillon anglais et les pavillons dénatio-
nalisés voudraient aborder. » Tout le monde sait que
le pavillon anglais n'a pu être admis dans les ports de
la puissance contre laquelle cette menace est dirigée.
Le seul tort de cette puissance serait donc de ne pas
avoir assez rigoureusement exclu ce que l'on nomme
ici les pavillons dénationalisés. Voyons à quoi ce grief
se réduit.
Le décret de Milan avait déclaré dénationalisé tout
bâtiment neutre qui se serait soumis à la législation
anglaise, « soit en touchant dans un port anglais»
(avant de continuer sa course) , « soit en payant tribut
à l'Angleterre. » 11 est clair que cette définition arbi-
traire se rapportait à la clause des ordres du Conseil
du mois de novembre 1807, suivant laquelle les bâti-
ments neutres, voulant faire le commerce avec des
pays européens soumis à la France , devaient aupara-
vant débarquer dans un port britannique, et (à ce que
l'on supposait faussement alors) y payer certains droits.
— 35 —
Mais toute cette clause fut complètement abolie par
Tordre postérieur du 26 avril 1809. Par conséquent,
la définition d'un bâtiment dénationalisé, telle que le
décret de Milan l'avait donnée, n'a aujourd'hui ni
sens, ni objet, et avant de s'armer de toutes ses ter-
reurs, pour foudroyer ceux qui se sont rendus cou-
pables de l'admission dans leurs ports de bâtiments
dénationalisés, le gouvernement français aurait dû au
moins instruire l'Europe en quoi il fait consister main>
tenant un délit qu'avec toute la mauvaise volonté du
monde , personne ne 'pouvait plus commettre en 1 811 ,
dans le sens qui y était attaché en 1807.
Rassembler quatre cent mille hommes pour punir
une puissance indépendante d'un crime, non-seule-
ment imaginaire, mais encore indéfinissable, et nul
d'après le code même que l'on prétend exécuter!
Nous sommes familiarisés avec la marche expéditive
et les formes peu conciliantes du despotisme j nous
n'en avons que trop vu de ces manifestes justificatifs,
tout aussi révoltants que les démarches qu'ils avaient
l'air de défendre. Mais il me semble que, dans le
temps même où nous vivons, on a rarement vu un
acte plus directement attentatoire à tous les droits et
à tous les principes, placé sur un plus frêle échafau-
dage, ou attaché à un prétexte plus futile. En suppo-
sant que l'empereur de Russie n'eût pas hermétique-
ment fermé ses ports contre chaque navire américain
ou chaque contrebandier de la Baltique, cette indul-
gence, dictée par les besoins de son empire, interdite
par aucun traité ni publié ni secret, innocente même
d'après la lettre de ces décrets arbitraires, lancés par
un tribunal incompétent, peut-elle motiver, peut-elle
colorer, peut-elle expliquer seulement le projet de
bouleverser encore une fois l'Europe, d'écraser les
tristes débris de l'ancienne prospérité de tant de pays
— 36 —
intermédiaires , et de verser le sang de tant de mal-
heureux peuples, qui ont déjà payé, au prix de tout ce
qu'ils avaient à perdre, ces mêmes arrêts de proscrip-
tion dont cette guerre vraiment sacrilège doit prolon-
ger la durée? Et tout cela, nous dit le rapport,
« pour ramener les Anglais aux principes consacrés
par le traité d'Utrecbt » qui n'en a jamais consacré
aucun, et « pour assurer la neutralité maritime »
contre laquelle l'Angleterre n'a jamais protesté !
Pour ajouter un dernier trait à ce tableau, il ne sera
pas inutile de s'arrêter un moment sur la conduite gé-
nérale du gouvernement français envers ces neutres
qui lui ont fourni de si nombreux prétextes. Le mot
de ralliement liberté des mers, proche parent des priii-
cipes de la Révolution, a été légué par chaque gou-
vernement révolutionnaire à ses successeurs et héri-
tiers, et celui qui les a remplacés tous, n'a pas négligé
cette partie de leur héritage. Cette soi-disant liberté
des mers n'ayant jamais été clairement définie, chacun
y attachait le sens que ses lumières ou ses intérêts lui
indiquaient; mais à travers cette confusion d'idées
que le sophisme et l'imposture entretenaient avec
beaucoup de soin, tout le monde parvint enfin à com-
prendre qu'il s'agissait de certains droits exclusive-
ment applicables à un état de guerre. La liberté des
mers n'avait jamais été troublée en temps de paix; ja-
mais on n'avait pu accuser l'Angleterre de s'être pré-
valu alors de sa prépondérance navale contre la navi-
gation ou le commerce des plus faibles nations de la
terre. La prétendue tyrannie qu'on lui reprocha ne
consistait donc qu'à maintenir des principes et des
traités établis pour limiter les avantages (assez grands
malgré toutes les restrictions) dont la navigation et le
commerce neutre jouissaient pendant les guerres ma-
ritimes. La question de la liberté des mers enfin n'était
— 37 —
autre chose que celle des droits du pavillon neutre.
Mais par la plus étrange inconséquence, quels qu'en
aient été la source et le motif, la France, protectrice
déclarée de la neutralité, n'a jamais mis en avant cette
question dans aucune de ses négociations avec l'An-
gleterre. On n'en trouve pas de trace, ni dans celle de
Lille en 1 797, ni dans celle de 1 801 , qui conduisit aux
préliminaires de Londres, ni dans celle de 1802, qui
fut terminée par le traité d'Amiens, ni dans celle de
1803, qui précéda la nouvelle rupture, ni dans celle
enfin de 1806. C'est un fait, qui doit frapper et sur-
prendre tout le monde, quoique (de ma connais-
sance au moins) il n'ait encore été relevé par personne,
qu'après tant de fureurs et de menaces , et après tant
de serments solennels « de tout sacrifier pour cette
cause sacrée de la liberté du commerce et des mers , »
le gouvernement français ait pu traiter huit mois avec
l'Angleterre , sans que l'on ait accordé aux droits du
pavillon neutre , je ne dis pas une heure de discussion,
mais seulement les stériles honneurs du procès-verbal !
Cet oubli inconcevable, ou cet acte de mauvaise foi
sans exemple, a cependant eu lieu à la même époque
où, d'après ce que l'on nous dit aujourd'hui , « la dé-
claration du 16 mai 1806 venait d'anéantir d'un seul
mot les droits de tous les Etats maritimes, » et peu de
mois avant le décret de Berlin !
Et voilà le gouvernement qui aujourd'hui , oti ,
grâce à ses soins, il n'y a plus de puissance neutre
sur le globe , où toute question de neutralité paraît
éteinte et submergée dans le gouffre fatal qui a en-
glouti le Droit public tout entier, réunit le ban et l'ar-
rière-ban de l'Europe dans une nouvelle croisade
contre les oppresseurs de la liberté maritime, et pour
bien prouver la sincérité de ses motifs, menace la
seule puissance continentale, qui ait encore accordé
— 38 —
dans ses ports un dernier reste de protection aux der-
niers soupirs de la navigation neutre !
Je sais bien de quel œil on envisage de nos jours
les efforts solitaires et impuissants d'un écrivain pour
défendre la vérité et le bon droit dans les affaires po-
litiques. « A quoi sert de combattre les mauvais rai-
sonnements de ceux dont on ne peut pas repousser les
baïonnettes? Vos arguments, vos discussions répon-
dront-elles à quatre cent raille hommes? Phrases contre
phrases, le plus habile est toujours celui qui sait le
mieux soutenir les siennes. » Tel est le langage com-
mun et tel est l'effet naturel de cette dégradation et
dépravation secrète que l'habitude d'obéir et de se taire
introduit insensiblement dans tous les cœurs. Mais que
ceux au moins qui ont préservé de la contagion la
meilleure partie d'eux-mêmes ne cessent de protester
contre ces maximes pernicieuses! Supportons avec
résignation ce que nous n'avons pas le pouvoir de
guérir; n'ajoutons à nos maux ni des démarches pas-
sionnées et mal calculées, qui ne feraient que les
rendre plus irréparables, ni des déclamations bruyan-
tes, qui irritent les méchants sans les affaiblir ! Mais
gardons-nous de confondre dans une lâche indiffé-
rence le bien et le mal, l'innocent et le coupable,
l'oppresseur et les victimes ! Démasquons le sophisme
et l'imposture , ne fût-ce que pour l'instruction et la
satisfaction d'un petit nombre d'élus, ou pour que la
postérité ne nous suppose pas tous complices des for-
faits que nous n'avons pas pu empêcher! Que dans ces
moments critiques et décisifs, où de nouvelles scènes
de désolation vont s'ouvrir, l'attention des hommes
justes et éclairés se détourne un moment du spectacle
qui les entoure, et s'arrête sur le fond du grand pro-
cès. Qu'alors des réflexions sérieuses sur les auteurs
des calamités publiques, sur leur marche, leur lan-
— 39 —
gage, leurs motifs réels et prétendus, leurs moyens de
diriger l'opinion (puissance toujours redoutable,
quelque avilie qu'elle paraisse aujourd'hui) réveillent
et occupent les bons esprits ! Et que surtout pour la
conservation de ce qui est supérieur aux catastrophes
du temps, l'amour de la vérité et l'horreur du men-
songe et de l'injustice ne s'éteignent pas dans les âmes
honnêtes !
u.
OBSERVATIONS
SUR LES DÉCRETS DE BERLIN ET DE MILAN , ET LES ORDRES DD CONSEIL BRI-
TANNIQUE A l'occasion des notes du MONITEUR AJOUTÉES A LA DÉCLARATION
DU GOUVERNEMENT ANGLAIS DU 21 AVRIL 1812, POUR SERVIR DE SUITE AUX
OBSERVATIONS SUR LE RAPPORT DU MINISTRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES DE
FRANCE DU 10 MARS.
(Écrites par M. de Gentï, au commencement de juin <813.)
Le gouvernement anglais a publié, en date du
21 avril, une déclaration officielle pour exposer ses
principes, rappeler sa conduite , et annoncer la marche
qu'il va suivre par rapport à la révolution violente que
les décrets de Berlin et de Milan ont opérée dans les
relations commerciales de tous les pays civilisés. Dans
cette pièce , également remarquable par la fermeté
avec laquelle le ministère britannique défend et main-
tient le système de justes représailles, que son ennemi
l'a forcé d'adopter , et par la loyauté et la franchise
avec laquelle il se déclare prêt à renoncer à ce sys-
tème, aussitôt que les actes hostiles qui l'ont rendu
nécessaire auront disparu, la question est replacée sur
ses véritables bases , les fausses accusations et les ca-
— 40 —
lomnies contre l'Angleterre rentrent dans le néant, et
les habitants de l'ancien et du nouveau continent ap-
prennent à quoi s'en tenir sur une des sources les plus
fécondes des maux qui les affligent, et sur le seul
moyen efficace d'y mettre un terme. « Du moment ,
dit la déclaration , que les décrets de Berlin et de Mi-
lan seront révoqués sans restriction par un acte au-
thentique et promulgué comme tel, les ordres du
Conseil du 7 janvier 1 807 et du 26 avril 1 809 seront
et sont déclarés d'avance , et sans qu'il y ait même
besoin d'un nouvel avertissement, pleinement et en-
tièrement abolis. »
Le Moniteur du 8 mai, en traduisant cette déclara-
tion , l'a accompagnée d'une série de notes , dont le
premier aspect doit faire pâlir l'homme le plus intré-
pide et le plus exercé à cette lutte ; non pas , on s'en
doutera bien, par la force des faits ou des arguments
qu'elles contiennent; mais, au contraire, par l'absence
de toute espèce de principe et de raisonnement, par le
désordre absolu qui y règne, par la difficulté extrême
de saisir un adversaire qui , ne pouvant soutenir au-
cun combat régulier, nous jette des pierres à droite et
à gauche , et nous accable quelquefois par l'excès de
sa déraison plus qu'un autre ne le ferait par la dialec-
tique la plus victorieuse. On ne sait, en effet, de quoi
s'étonner le plus dans toutes ces incroyables rapsodies
que l'on veut faire passer de ce côté-là pour des dé-
ductions de Droit public. On voit bien que l'objet prin-
cipal de ces pièces est toujours de dénaturer les ques-
tions, de pervertir les faits, de brouiller et de confondre
toutes les données , de dérouter et de fatiguer enfin
tellement l'attention publique, que personne n'ait plus
l'envie ou le courage d'aller à la recherche de la vérité
à travers un dédale de mensonges. Mais il n'est pas
moins certain que les rédacteurs de ces compositions
— 41 —
bizarres paraissent souvent si peu au fait de l'objet di-
rect de leurs propres sophismes, si étrangers aux ques-
tions qu'ils ont à traiter, si mal informés sur les cir-
constances les plus essentielles, et sur les événements
les plus récents , qu'on a de la peine à tout expliquer
par l'iniquité de leur but, et à ne pas attribuer à la
médiocrité de leurs moyens une partie au moins de
leurs égarements. Peu de pièces de ce genre présen-
tent ce double caractère au point où il se retrouve dans
ces notes. Si la mauvaise foi y tient le premier rang ,
on ne peut pas l'accuser au moins de dominer sans
partage et sans rivale.
Pour porter de l'ordre dans ce chaos et jeter quelque
intérêt sur une discussion qui ne serait que monotone
et insipide, si je voulais suivre mon texte pas à pas ,
je tâcherai de réunir dans un petit nombre de cadres
les points qui ont principalement besoin d'être éclair-
cis , et qui en même temps méritent de l'être.
1" Obligé de rentrer encore une fois dans la ques-
tion de la prétendue autorité du traité d'Utrecht rela-
tivement aux droits maritimes, je tâcherai d'abord de
l'expédier. Je m'occuperai ensuite : 2° des motifs, du
sens et du caractère des ordres du Conseil, opposés
aux décrets de Berlin et de Milan ; 3" des conditions
exigées par le gouvernement britannique pour la ré-
vocation de ces ordres du Conseil ; 4° de la prétendue
révocation des décrets de Berlin et de Milan par rap-
port aux États-Unis de l'Amérique; 5° des conditions
exigées par le gouvernement français pour l'abolition
définitive de ces décrets j 6° des avantages que le gou-
vernement britannique pourrait espérer de la révoca-
tion des ordres du Conseil.
Dans les observations précédentes sur le rapport au
Sénat publié par le Moniteur du 16 mars, j'ai essayé
de répandre quelque lumière sur la vraie origine des
— 42 —
décrets de Berlin et de Milan , et sur celle des ordres
du Conseil britannique. Mon principal objet sera, cette
fois-ci, d'examiner si en effet il dépend du gouverne-
ment anglais de faire cesser les uns et de supprimer
les autres. Il est impossible de traiter ces questions
sans toucher à la dispute entre l'Angleterre et les États-
Unis de l'Amérique ; et comme les rapports entre ces
deux gouvernements sont extrêmement peu connus ,
ou excessivement mal jugés sur le continent, les per-
sonnes qui liront ces feuilles me sauront peut-être gré
de leur avoir fourni quelques moyens de plus pour s'y
orienter.
81".
De la prétendue autorité du traité d'Utrecht dans les questions
de Droit maritime.
C'est pour me débarrasser de ce sujet aride, et non
pas à cause de son importance particulière, que je lui
assigne la première place. Je sens même une espèce
de répugnance à rentrer dans une discussion où il ne
s'agit que de rétablir des faits falsifiés sans art et sans
scrupule , et de combattre des erreurs soutenues avec
une mauvaise foi évidente. Dans la première partie de
ces observations , j'ai fait voir combien il était faux
et même absurde de présenter le traité d'Utrecht comme
étant aujourd'hui, ou ayant été dans aucun temps,
la loi commune des nations pour les droits de la
neutralité maritime. Le Moniteur vient de repro-
duire cette thèse ; mais pour le coup il s'est armé de
toutes pièces ; il traîne à sa suite un arsenal formi-
dable de dates et de citations. Par une trentaine de
documents anciens et nouveaux (allégués dans la on-
zième des notes qui accompagnent la déclaration bri-
tannique ) , il prétend prouver au delà de toute objec-
— na-
tion #f que le traité d'Utrecht, fondé sur les traités
antérieurs , consacré par tous les traités postérieurs, pré-
sentant d'une manière solennelle les principes constam-
ment adoptés par tous les États de l'Europe , est à juste
titre considéré comme la loi commune des nations. »
Cet étalage d'érudition apocryphe pourrait encore
dérouter quelques lecteurs, et affaiblir la confiance
dans les faits et les raisonnements que j'avais opposés
aux rêves des publicistes français. Il me paraît donc
indispensable de dévoiler la nullité absolue de ce que
ces publicistes ont imaginé de nouveau pour emporter
cette question dans leur sens. Indépendamment de son
résultat direct, ce petit travail fournira encore un
exemple curieux de ce que c'est que leur exactitude et
leur véracité, lors même qu'ils s'avisent d'en appeler
aux sources et de se couvrir d'arguments historiques.
Nous avons vu que quelques traités particuliers
de commerce et de navigation, ajoutés à l'instrument
principal de la paix d'Utrecht, avaient, parmi d'au-
tres objets, réglé aussi les droits de la navigation
neutre dans le cas d'une guerre maritime ; mais ces
traités ne pouvaient lier que ceux qui les avaient né-
gociés et signés. Ainsi non-seulement les stipulations
de la France vis-à-vis de quelque puissance que ce fût ,
mais encore les engagements par l'Angleterre , dans
ses deux traités avec la France et l'Espagne , étaient
nuls et de toute nullité pour les rapports de l'Angle-
terre avec d'autres puissances. Et , si le traité d'Utrecht
avait été, comme on l'a faussement soutenu, renou-
velé dans cent traités subséquents, il est clair qu'au-
cun de ces traités n'aurait jamais eu force pour l'An-
gleterre , à moins qu'elle n'en eût été partie, et qu'alors
même ce qu'elle eût pu promettre à telle ou telle puis-
sance n'aurait point été obligatoire pour elle vis-à-vis de
telle autre puissance non comprise dans le même traité.
— 44 —
D'après ce principe incontestable , nous pouvons
d'abord retrancher, sans autre examen , toutes celles
des conventions citées par le Moniteur, auxquelles
l'Angleterre n'a pas participé' ; car, comme l'argument
n'est dirigé que contre elle, elles ne font rien, abso-
lument rien à la question. Reste donc à examiner les
traités par lesquels l'Angleterre s'est liée. Voici, d'a-
près la note du Moniteur, l'énumération de ceux dans
lesquels elle doit avoir sanctionné les principes du
Droit maritime consignés dans les traités de commerce
d'Utrecht, et notamment celui que le pavillon neutre
protège la marchandise ennemie.
Entre l'Angleterre et la France , en 1 783 et 1 786 ;
Entre l'Angleterre et la Russie, en 1734;
Entre l'Angleterre et la Suède, en 1740, 1766 et
1783;
Entre l'Angleterre et la Hollande, en 1782;
Entre l'Angleterre et la Prusse, en 1785.
Quant aux conventions entre la France et l'Angle-
terre , le traité de Versailles de 1 783 , sans rien arrê-
ter à cet égard , annonça seulement « qu'on travaille-
rait à des arrangements de commerce entre les deux
nations sur le fondement de la réciprocité et de la
convenance mutuelle. » Cet article conduisit au fa-
meux traité de commerce de 1 786, dans lequel les droits
* Il y aurait beaucoup de choses à dire sur l'aulhenticité et l'exacti-
tude de cette partie même des citations. Le traité de 1725, par exemple,
entre l'Espagne et V Autriche comme souveraine des Pays-Bas, que tout
le monde peut consulter dans Dumont (vol. VIII, P. II, p. 4 14), ne dit
pas un mot de la liberté des marchandises ennemies sous pavillon neu-
tre, etc. Mais je m'en tiens à ce qui regarde la question directe.
Par la même raison, et pour ne pas trop m'appesantir sur un sujet
très-sec en lui-même , je passerai aussi les traités antérieurs au traité
d'Utrecht. Nous en aurons assez de celui-ci et de ceux qui doivent l'a-
voir confirmé. En attendant le lecteur peut être persuadé qu'en remon-
tant à des temps plus reculés, la thèse que je combats, ne gagnerait pas
un aspect plus favorable.
— 45 —
de la navigation neutre furent déterminés d'une manière
extrêmement favorable à celle des deux puissances
dont on supposait la neutralité dans une guerre mari-
time de l'autre. Je crois avoir suffisamment expliqué ,
dans la première partie de ces observations, quelle
était la raison particulière de la grande libéralité avec
laquelle cet article se trouve rédigé dans les différents
traités conclus entre l'Angleterre et la France pendant
le XVIII* siècle , que le cas présumé dans ces traités ne
pouvait guère se réaliser et ne se réalisa jamais, et
que rien n'était moins fait pour tirer à conséquence
que ces stipulations de pure étiquette'.
Des six autres traités cités dans la note du Moîii-
teuTy il y en a quatre qu'on cherchera en vain dans tous
les Recueils diplomatiques publiés en Europe ; et les
deux qui restent sont aussi nuls pour ce qu'ils doivent
prouver que comme s'ils n'existaient pas non plus. On
aura de la peine, je le sens bien , à croire à une pa-
reille manière de procéder; mais ceux qui connaissent
l'histoire diplomatique du siècle passé, ou qui sont en
état de vérifier les faits, jugeront s'il y a de l'inexac-
titude ou de l'exagération dans les éclaircissements
suivants.
1" Le traité de 1734 entre l'Angleterre et la Russie
ne fait aucune mention du droit de la puissance sup-
posée neutre en temps de guerre maritime, de trans-
porter les marchandises appartenantes aux ennemis
de la puissance belligérante. Il spécifie les articles qui
seront réputés contrebande de guerre, et, comme tels,
sujets à la confiscation , et ajoute que ni le vaisseau ,
' Le traité de 4786 ne fut au reste conclu que pour douze ans, et il est
plus que probable que, même sans l'intervention de la guerre , il n'eût
point été renouvelé. Ce traité était un des principaux griefs que les
chefs de la Révolution alléguèrent contre l'ancien gouvernement fran-
çiis.
— 46 —
ni les passagers , ni le reste de la cargaison ne parta-
geront le sort de ces articles. Voilà tout ce que ce traité
(qui doit avoir consacré les principes de celui d'U-
trecht ! ) a statué sur la navigation neutre. Le traité
que les mêmes puissances conclurent en 1 766 répéta
les mêmes dispositions. Après la publication solen-
nelle des articles adoptés en 1 780 par les puissances
qui prirent part à la neutralité armée , quoique l'An-
gleterre eût constamment protesté contre ces principes,
on aurait pu croire que la Russie , auteur et chef de
cette association, ne consentirait plus à un traité sur
les affaires maritimes, sans que le droit de couvrir
indistinctement toute espèce de marchandise y fût
assuré au pavillon neutre ; cependant les articles rela-
tifs à la navigation neutre, dans le traité de commerce
avec l'Angleterre de 1 797, étaient littéralement copiés
d'après ceux des traités de 1734 et de 1766. Enfin,
dans la convention de 1801, la dernière sur cet objet,
non-seulement entre l'Angleterre et la Russie , mais la
dernière en général à laquelle l'Angleterre ait eu part,
il est expressément stipulé que les marchandises ap-
partenant à l'ennemi , quoique transportées dans les
vaisseaux d'un neutre , sont sujettes à la confiscation.
2" Aucun traité n'a eu lieu entre l'Angleterre et la
Suède, ni en 1740, ni en 1783. Le traité de 1766, ex-
clusivement calculé, à ce qu'il paraît, sur des rela-
tions de paix et d'amitié, rédigé dans des termes très-
généraux et très-insignifiants, n'a pas articulé une
syllabe ni sur les droits, ni sur les limites de la neu-
tralité dans les guerres maritimes. — • Il fallait ou une
innocence, ou une effronterie peu commune, pour se
permettre de citer cette pièce , et en général , de tou-
cher, dans une discussion comme celle-ci, aux anciens
rapports entre l'Angleterre et la Suède. Ceux même
qui ne sont pas très-versés dans ces matières, doivent
— 47 —
pourtant avoir entendu dire que jusqu'à ce que la
Suède eût accédé à la convention de 1801 , il n'y a
point eu d'autre règle pour les droits respectifs de ces
deux puissances dans les guerres maritimes, que les
traités de 1661 et de 1665; traités peu favorables aux
prétentions des neutres, dans lesquels le dénombre-
ment des articles, considérés comme contrebande de
guerre , comprend jusqu'aux vivres fournis aux enne-
mis de la puissance belligérante , et dans lesquels il
est clairement établi que le navire ne couvrira point
la cargaison.
3" Le soi-disant traité de 1 782 entre l'Angleterre et
la Hollande est encore une production spontanée de
la veine poétique decespublicistes. Dès l'année 1780
le gouvernement britannique, à la suite de ses lon-
gues disputes avec les États-Généraux, avait formelle-
ment suspendu tous les traités qui subsistaient entre
l'Angleterre et les Provinces-Unies des Pays-Bas, et
notamment celui de 1 674 , qui favorisait beau-
coup la navigation neutre en temps de guerre.
Peu après la guerre avait éclaté en 1792, l'Angle-
terre , faisant faire des offres de paix aux États-
Généraux, y ajouta celle du renouvellement de tous
les anciens traités. Cette offre, par l'acceptation de
laquelle les privilèges de la navigation neutre auraient
été rétablis pour la Hollande sur le pied du traité de
1 674 , mais qui aurait aussi obligé les Hollandais à
faire cause commune avec l'Angleterre , et à fournir
les secours stipulés dans un grand nombre de traités,
fut rejetée à deux reprises. Lorsqu'on négocia la paix
en 1783, il fut de nouveau question de cette clause;
mais le parti français s'y opposa avec plein succès ,
et il en arriva que, dans le traité de paix de 1 783, les
questions relatives à la navigation neutre furent pas-
sées sous silence, et que depuis aucune de ces ques-
- 48 - ^
lions n'a été ni fixée , ni seulement discutée entre les
deux États.
4° Pour terminer dignement cette liste de docu-
ments imaojinaires, ils y ajoutent un traité entre l'An-
gleterre et la Prusse de 1785. 11 n'y a jamais eu de
traité de commerce ou de navigation quelconque entre
ces deux puissances, et au surplus elles n'ont rien pu
signer, puisqu'elles n'avaient rien négocié en 1785.
Il est possible que les savants rédacteurs de ces
notes aient eu l'idée vague d'un traité conclu en 1785
entre la Prusse et les États-Unis de l'Amérique *. Mais
quelle que soit la source de leur erreur, elle achève
toujours de caractériser leur démonstration.
Ainsi, au lieu de gagner du terrain, ils se sont affai-
blis et battus eux-mêmes; et les citations incorrectes ,
controuvées , ou déplacées , par lesquelles ils ont cru
renforcer leur thèse, ne serviront qu'à la décréditer
davantage, et à la rendre ridicule aux yeux des hommes
instruits. Il serait fort inutile d'examiner si aujour-
d'hui ce qu'ils appellent le traité d'Utrecht, peut avoir
force de loi pour qui que ce soit au monde. Il est cer-
tain qu'il n'en a plus dans aucun sens et sous aucun
rapport pour l'Angleterre. Il est également certain que
si le gouvernement anglais, par quelques traités par-
ticuliers de commerce et de navigation signés à Utrecht,
a pris des engagements ( et des engagements rien
moins que perpétuels ) avec la France et l'Espagne , ses
* Dans ce traité, qui est une vraie curiosité diplomatique, les deux
puissances contractantes, pourvoyant au cas d'une guerre qui pourrait
survenir entre elles, s'engageaient à n'accorder aucune commission à
des vaisseaux armés en course pour prendre les vaisseaux marchands
ou pour interrompre le commerce. On doit s'étonner que cette clause
philanthropique, s'appliquant ici à une supposition pas beaucoup plus
invraisemblable que celle de la neutralité de la France ou de l'Angle-
terre dans une guerre maritime, ne soit pas élevée aussi au rang d'une
loi commune des nations.
— 49 —
droits et ses devoirs envers d'autres puissances n'ont
jamais pu dépendre de ces engagements; que, dans
les différentes conventions que l'Angleterre, à diffé-
rentes époques, a négociées avec ces autres puissances,
l'extension du droit de neutralité dans les guerres ma-
ritimes a varié sans cesse d'après les intérêts respec-
tifs , d'après les avantages réciproquement accordés ,
d'après des considérations particulières de toute es-
pèce, locales , politiques , commerciales'; que l'Ai*-
gleterre, protestant contre des règles arbitraires, et
soi-disant générales , que personne n'était autorisé à
lui imposer, a usé d'un droit qui appartient à toute
puissance indépendante; qu'elle n'a jamais reconnu
une législation universelle en fait de droits maritimes,
mais qu'aussi elle n'y a pas prétendu de sa part; en-
fin, que cette loi commune des nations que le traité
d'Utrecht doit avoir solennellement établie, et qui
doit avoir été confirmée par tous les traités subsé-
quents, n'est qu'une phrase banale de plus, imaginée
pour égarer l'opinion publique et pour colorer les plus
injustes prétentions.
S 2.
Des motifs et du caractère des ordres du Conseil opposés par le
gouvernement britannique aux décrets de Berlin et de Milan.
Il est dit dans la dernière déclaration du gouver-
• La seule des nations maritimes vis-à-vis de laquelle l'Angleterre ait
constamment reconnu le privilège, considéré à faux comme un droit du
pavillon neutre, de couvrir la marchandise ennemie, est la nation por-
iugaise. Elle l'avait obtenu par le traité du 10 juilleHeSl, qui n'a jamais
été ni modifié, ni suspendu. Cette faveur était fondée sur de bonnes
raisons. La nation portugaise avait, de son côté, bien mérité de l'Angle-
terre, et lui avait de tout temps donné des preuves d'une affection parti-
culière.— Heureusement pour l'indépendance et la pro?péiité future du
Portugal ce sentiment s'est conservé jusqu'à nos jours.
XI 4
— 50 —
nement anglais : « Depuis l'époque où l'injustice et
la violence toujours croissantes du gouvernement
français ne permirent plus à Sa Majesté de renfer-
mer l'exercice des droits de la guerre dans ses limites
ordinaires, etc., etc. » — A ces mots le Moniteur s'é-
crie : (( A quel propos s'agit-il ici de l'exercice des
droits de la guerre renfermé dans ses limites ordi-
naires? La guerre donne-t-elle donc des droits sur les
neutres ? — Parce que la France a conquis la Bel-
gique , l'exercice du droit de la guerre ne peut être
renfermé dans ses limites ordinaires à l'égard des
États-Unis? etc., etc. »
11 est clair que « l'injustice et la violence toujours
croissantes » dont le gouvernement anglais se plaint
dans ce passage , ne se rapporte pas au système de
conquête et d'agrandissement dont le continent est
depuis tant d'années la victime, et que c'est une mau-
vaise et plate chicane , que d'interpréter ce passage
comme si l'Angleterre avait voulu justifier l'extension
des droits de la guerre à l'égard des neutres, par la
conquête de la Belgique, ou par tel autre envahisse-
ment territorial. ■ — « L'injustice et la violence » qu'on
relève ici , est celle que le gouvernement français a
exercée, non pas contre l'un ou l'autre pays, mais
contre toutes les nations de la terre, et contrôles neu-
tres autant que contre les belligérants , par l'interdit
général qu'il prononça en 1 806 sur toute communi-
cation avec les Iles Britanniques. C'est cette mesure,
jusque-là sans exemple, que les ministres d'Angleterre
ont vue, lorsqu'ils parlent des actes d'injustice et de
violence qui ont forcé Sa Majesté Britannique d'étendre
l'exercice des droits de la guerre au delà de ses li-
mites ordinaires.
Mais la guerre, poursuit le rédacteur des notes
avec une bonhomie vraiment admirable, « la guerre
— 51 —
donne- t-elle donc un droit quelconque sur les neutres?
Les neutres ne sont-ils pas exceptés du droit de la
guerre?» (Notes 1, 2, 7.) — Voilà le gouvernement
français à une hauteur à laquelle les apôtres les plus
hardis de la neutralité n'avaient jamais osé s'élan-
cer. Si quelqu'un avançait de bonne foi une doc-
trine pareille, il vaudrait la peine de remonter avec
lui aux principes, de lui prouver par des raisonne-
ments solides que l'idée d'une neutralité absolue,
qu'aucun exercice des droits légitimes de la guerre
ne saurait atteindre , répugne aux premières notions
du Droit public, et qu'il serait aussi contraire à la lo-
gique qu'à la justice, de n'admettre ni limites, ni mo-
difications aux prétentions des neutres, pendant que
l'on exigerait de l'autre côté que les droits des puis-
sances belligérantes fussent limités et modifiés par
ceux des neutres! — Mais ici, où nous ne combattons
que des sophismes que le moment fait éclore, et que
le moment qui suit ne retrouve plus, des armes plus
simples nous suffisent.
Si les neutres sont «exceptés du droit de la guerre,»
ou, pour parler plus correctement et plus intelligible-
ment , si leurs droits sont au-dessus de toute restric-
tion que l'état de guerre et les droits des puissances
belligérantes pourraient y mettre, que signifie ce
nombre prodigieux de traités par lesquels les limites
de l'exercice de ces droits ont été réglées , non pas
d'après un principe uniforme, mais d'après des com-
binaisons toujours variées, tantôt plus, tantôt moins
en faveur des neutres? Sur quoi étaient fondées et à
quoi aboutissaient ces ordonnances souvent renouve-
lées , par lesquelles les différents geuvernements , et
celui de France plus habituellement et plus stricte-
ment qu'aucun autre, indiquaient les bornes du com-
merce et de la navigation neutre en temps de guerre
— 52 —
maritime? — Et si « le principe fondamental des
droits des neutres est que le pavillon couvre la mar-
chandise » (Note 2), comment s'est-il fait que toutes
ces ordonnances aient ignoré, méconnu, ou ouverte-
ment rejeté ce principe?
Mais le décret de Berlin n'était-il donc pas lui-
même l'acte d'hostilité le plus caractérisé et le plus
outrageant contre ce qui , depuis le moment de
sa publication , eût osé prétendre aux droits ou aux
avantages de la neutralité? — On voudrait nous faire
croire aujourd'hui, et la plus grande partie de ces
notes est principalement consacrée à cette tâche, que
le décret de Berlin n'était qu'un simple règlement mu-
nicipal, pour exclure les marchandises anglaises des
pays soumis à la France, ou occupés par ses armées,
et que le gouvernement français, en portant ce décret,
n'a point outrepassé le pouvoir qu'un État souverain
peut légitimement exercer au temps de guerre , et
même en temps de paix , lorsque des considérations
d'intérêt ou de politique l'engagent à fermer son ter-
ritoire contre les productions de tel ou tel peuple.
Voyons s'il y a une ombre de vraisemblance dans cette
explication tardive et forcée.
Le décret de Berlin s'annonce dès son préambule,
non pas comme un règlement de commerce, ou comme
une mesure de police administrative, mais avec toute
la pompe et toute la sévérité d'un code criminel.
Après avoir accusé l'Angleterre de tout ce que l'on
peut imaginer de plus odieux, après avoir solennelle-
ment proclamé l'intention de la punir de ses délits, il
déclare « que les Iles Britanniques sont mises en état
de blocus , et que toute communication et toute cor-
respondance avec elles est défendue. » Sont-ce là les
termes d'une loi prohibitive ordinaire? Le blocus des
Iles Britanniques peut-il entrer dans la sphère d'une
— 53 —
loi municipale, ou d'un régime de douaniers? La me-
sure générale est-elle modifiée, est-elle adoucie par une
restriction quelconque en faveur d'aucun peuple ou
d'aucun individu? Qui a jamais pu jeter les yeux sur
cet arrêt de proscription, unique dans l'histoire, sans
y reconnaître sur-le-champ le style usurpé d'un lé-
gislateur suprême, qui dans le délire d'une ambition,
trop nourrie par des succès fabuleux , regardait déjà
l'univers comme son patrimoine!
Il est possible que, dans un temps où on aime à ré-
duire les plus hautes questions de la politique à des
calculs de gain et de perte , l'opinion que j'ai formée
sur cet objet, et dont je suis profondément pénétré, ne
soit pas celle de beaucoup de monde; mais je me
hâte de la consigner ici comme une des bases prin-
cipales de mon système. J'ai toujours cru qu'indé-
pendamment de toute considération de droit et de
toute communication d'intérêt proprement dit, le dé-
cret de Berlin appelait le gouvernement britannique
aux représailles les plus prononcées et les plus vigou-
reuses, sous le seul point de vue de l'honneur natio-
nal mortellement blessé. Jamais, selon moi, injure
plus sanglante n'a été offerte à une nation magna-
nime. Les prétextes sur lesquels cet acte est fondé, ses
motifs avoués, son but clairement énoncé, le caractère
et la forme de ces dispositions, le langage qui les ex-
prime, chaque mot, depuis le préambule jusqu'au der-
nier article, ne respire que la colère et le ressentiment
d'un chef irrité par la résistance d'une poignée de su-
jets rebelles à ses lois, qu'un châtiment sévère doit ra-
mener à la raison et à leur devoir. Je défie tout homme
d'un sens droit de lire le décret de Berlin , et de ne
pas être frappé de la vérité de cette observation. Il me
sera donc aussi permis d'ajouter qu'aux yeux de ceux
qui regardent l'honneur comme le trésor le plus sa-
— 54 —
cré, l'appui le plus respectable, et la ressource la plus
précieuse d'un gouvernement, le ministère britan-
nique eût été complètement justifié, s'il avait répondu
à un outrage aussi cruel par quelque démarche plus
éclatante même que les ordres du Conseil du mois de
novembre 1 807 '.
Mais quelle que soit sur cette question, morale au-
tant que politique, la manière de voir et de sentir des
contemporains , il suffît d'analyser les détails du dé-
cret de Berlin pour juger si le plus audacieux sophiste
réussirait à le présenter comme un règlement de po-
lice commerciale, ou à nous donner le change sur sa
connexion directe avec les plus grands rapports du
Droit public, et les plus grands intérêts du monde ci-
vilisé.
Le décret ordonne, « qu'aucun bâtiment venant di-
■ rectement de l'Angleterre ou des colonies anglaises ,
ou y ayant été depuis la publication du décret, ne sera
reçu dans aucun port.» — Cela ne s'appelle pas,
comme on le prétend aujourd'hui, « défendre Ventrée
des marchandises anglaises , comme contraire à la lé-
gislation des douanes de France. » — 'Le bâtiment,
quel que soit son propriétaire , quelle que soit sa car-
gaison, quel que soit le dernier but de son voyage, est
proscrit pour le simple fait d'avoir touché aux côtes de
l'Angleterre ou de ses colonies. Je serais curieux d'ap-
prendre d'un défenseur des droits des neutres, dans
quel code de neutralité se trouve le principe ou la
sanction d'une mesure pareille.
(( Tout magasin , toute propriété , toute marchan-
dise, de quelque nature qu'elle puisse être, apparte-
* C'est sous ce rapport-là que l'ordre du Conseil du 7 janvier 4807
m'a toujours paru peu satisfaisant, quoique le système de modération
dans lequel il était conçu, pût avoir des motifs très-bien calculés à
d'autres égards.
55
nant à l'Angleterre, ou provenant de ces fabriques et
de ses colonies, est déclarée de bonne prise, » par les
articles 4 et 5 de ce décret. Je ne relèverai pas ici
l'injustice révoltante de ces articles, auxquels, pour
comble d'atrocité, on a donné même un effet rétroac-
tif, qui a porté la ruine et la misère dans une quantité
de pays jadis florissants , ni l'affreuse inconséquence
de ceux qui ont imaginé ce grand acte de spoliation ,
tout en se récriant sur ce que la guerre maritime ne
respectait pas les propriétés particulières! — Ce qui re-
garde plus directement notre question , c'est que la
manière dont ces articles sont rédigés, n'admet au-
cune distinction, aucune modification , pour sauver
les droits d'un tiers , qui ne se trouverait soumis à
aucun titre aux arrêts de cette étrange législation.
Que le propriétaire d'une marchandise proscrite soit
sujet de l'Angleterre , de la France , d'un souverain
allié, d'une puissance neutre , habitant d'un pays en-
vahi par les troupes française, ou placé hors de toute
atteinte de la guerre, tout cela est indifférent; pour
être confisqué comme propriété anglaise, il suffit que
l'objet soit censé provenir du sol, des fabriques ou des
colonies de l'Angleterre'. ■ — Si des lois municipales
ou commerciales peuvent s'étendre jusque-là, il eût été
plus simple de déclarer que la juridiction du gouver-
nement français embrassait tous les pays de la terre.
« Les lettres et paquets adressés ou en Angleterre,
ou à un Anglais, ou écrits en langue anglaise, n'au-
• Nous voyons ici le même gouvernement qui a soutenu avec tant
d'obstination, et qui soutient aujourd'hui encore, sans se déconcerter,
« que le pavillon doit couvrir la marchandise, lors même qu'elle appar-
tient à un ennemi, » non-seulement renverser ce principe, mais établir
ce qui lui est diamétralement contraire par une fiction de droit que per-
sonne n'avait encore imaginée, et moyennant laquelle des marchandises
d'origine anglaise, ou supposées telles, doivent être considérées comme
propriété ennemie, lors même quelles appartiendraient a un ami.
— se-
ront pas cours aux postes, et seront saisis. « Serait-il
possible de transformer en règlement de police inté-
rieure une mesure scandaleusement tyrannique, qui
frappait des personnes et des endroits sur lesquels le
gouvernement français n'avait pas la plus légère ap-
parence d'un pouvoir légitime? Au moment où le
décret de Berlin fut publié , plusieurs pays considé-
rables (tels que tous ceux qui composaient la monarchie
autrichienne, etc.) dont la neutralité était claire et
reconnue, se voyaient arbitrairement privés de tout
moyen de communication avec l'Angleterre , et atta-
qués surtout dans une partie très-sensible de leurs
intérêts par l'exécution du décret dans les malheu-
reuses villes de commerce du nord de l'Allemagne '.
Et quand on pense que l'occupation même de ces
villes, étrangères de tout temps à la guerre conti-
nentale comme à la guerre maritime, neutres et paci-
fiques par excellence, ne put avoir lieu qu'au mépris
de tous les droits et de tous les principes, comment
caractériser le front capable de soutenir que le décret
de Berlin n'était qu'un acte de police territoriale , et
ne compromettait en rien l'exercice de la neutralité !
Mais à quel propos, diront-ils, nous entretenir de
la neutralité continentale; c'est la neutralité maritime
que nous défendons. Saisir tout ce qui est suspect
d'origine anglaise dans chaque endroit que nos armes
ou nos menaces peuvent atteindre, piller les maga-
sins, confisquer les propriétés des particuliers, fer-
mer les bureaux de poste, détruire toutes les commu-
nications, ruiner tous les peuples du continent, amis
ou ennemis, armés ou neutres, voilà le droit de la
' Pour calculer l'effet de ce seul article du décret de Berlin, il faut
savoir qu'avant cette loi barbare, le nombre de lettres remises seule-
ment au bureau de poste de Hambourg pour l'Angleterre, montait
chaque jour de courrier à vingt mille et au delà.
— 57 —
guerre! Mais vexer sur mer « les Américains et les
Ottomans , dont le territoire n'est pas occupé par la
France \ » rien au monde ne saurait le justifier ! Ce
langage serait insupportable, s'il était fondé même
sur quelque distinction ou restriction réelle; mais il
l'est d'autant plus que le décret de Berlin n'articulait
pas un mot de réserve pour les droits des neutres sur
mer. « Tout bâtiment (dit l'article 8) qui contre-
viendra à la disposition ci-dessus, sera saisi, et le
navire et la cargaison seront confisqués, comme s'ils
étaient propriété anglaise. » D'après cet article, rien
n'empêchait les croiseurs français de courir sus à tous
les bâtiments neutres, en les accusant seulement de
l'intention d'entrer dans quelque port du continent,
après avoir touché à un port de l'Angleterre. 11 est
certain et généralement connu qu'une quantité de
bâtiments américains ont été pris et condamnés sous
ce prétexte; et si le nombre n'en fut pas plus grand,
ce n'est pas au moins à un manque de volonté de la
part des Français qu'on doit l'attribuer.
D'ailleurs, s'il avait pu rester un doute sur cette
question, le décret de Milan y exclusivement occupé
des saisies en mer, aurait suffi pour le faire disparaître.
Je sais bien que les défenseurs de ce décret diront
qu'il était un acte de représailles contre les ordres du
Conseil britannique. Mais outre que, dans la première
partie de ces observations, je crois avoir suflisam-
ment démasqué cette objection, je soutiens que, si
elle était même juste et solide, le gouvernement français
aurait perdu le droit de l'employer. Car si les neutres,
comme il ne cesse de nous le répéter, « ne peuvent
être assujettis à une autorité quelconque, » si une fois
' On prendrait cette phrase pour un sarcasme amer, si elle ne se
trouvait pas littéralement dans le Moniteur ^ et même répétée plusieurs
fois (voy. les Notes 4 et 10).
— 58 —
pour toutes ils sont « exceptés du droit de la guerre , »
il doit être également impossible de restreindre leur
liberté par des actes de représailles, ou par des or-
donnances directes.
Il faut le dire, parce que tel est le fait. Ces dis-
tinctions chimériques, ces subtilités insidieuses, dont
le Moniteur se décore aujourd'hui, mais qui ne datent
pas de bien loin , lui ont été suggérées par les diplo-
mates américains qui, parmi d'autres assertions in-
soutenables, prétendaient aussi que le décret de Berlin
n'avait pas positivement articulé la saisie des vais-
seaux neutres en pleine mer. Les auteurs de ce pitoyable
subterfuge , qui reparaît encore dans les pièces les
plus récentes , avaient bien sollicité dans le temps et
obtenu même du ministre de la marine de France, une
espèce d'explication du décret qui avait l'air de favo-
riser leur découverte. Mais lorsqu'ils demandèrent
ensuite que cette explication fût sanctionnée par l'au-
torité suprême, on leur fit savoir, après beaucoup de
délais, que le décret serait exécuté dans toute sa
rigueur.
Il faut s'aveugler à dessein contre l'évidence pour
ne pas reconnaître enfin que les ordres du Conseil
britannique du mois de novembre 1 807 étaient par-
faitement et amplement justifiés, non-seulement par
le principe, mais aussi par toute la teneur et par
chaque détail du décret de Berlin, et que les ministres
anglais ont pu dire en toute vérité dans leur dernière
déclaration officielle : (f que Sa Majesté a cherché, par
un usage restreint et modéré des droits de représailles
auxquels les décrets de la France la forçaient d'avoir
recours, à réconcilier les États neutres avec ces me-
sures, que la conduite de l'ennemi avait rendues
inévitables, n En effet , l'esprit et les dispositions de
ces ordres étaient fort éloignés de toute rigueur gra-
— 59 —
tuite ou excessive. Le décret de Berlin avait défendu
comme une action criminelle toute communication avec
les Iles Britanniques; en réponse à cet attentat violent,
les ordres du Conseil se bornaient à interdire le com-
merce direct avec la France et les pays soumis à son
pouvoir. Si , dans les démarches de part et d'autre , il
y avait eu réciprocité parfaite, la différence des motifs
les distinguerait encore d'une manière décisive. La
France agissait par sa propre impulsion, l'Angleterre
par la nécessité de se défendre. Mais en comparant les
mesures respectives telles qu'elles sont, on s'aperçoit
qu'au lieu d'une réciprocité exacte, elles présentent
plutôt les contrastes les plus frappants. Chaque phrase
des ordres du Conseil exprime le désir du gouverne-
ment anglais de soulager, autant qu'il était possible ,
ceux qui, sans leur faute, devaient souffrir de l'effet
de ses représailles; dans le décret de Berlin, au con-
traire, on ne rencontre pas la trace d'un ménage-
ment; tout y est enveloppé dans la même disgrâce, et
les coups portés par ce sinistre arrêt tombaient aussi
directement sur l'Europe continentale et sur tous les
peuples civilisés que sur les habitants des Iles Britan-
niques. Dans les formes mêmes la différence se fait
sentir. Les ordres du Conseil sont rédigés avec le
calme et la décence qui conviennent à des actes pu-
blics; les décrets de Berlin et de Milan sont les explo-
sions d'un volcan révolutionnaire.
L'esprit de modération qui avait guidé les auteurs
des ordres du Conseil de 1807, se fit remarquer de
nouveau dans les changements que l'on y apporta de
temps en temps, et qui tous avaient pour but d'en
adoucir la rigueur. Par l'ordre du 20 avril 1809, qui
dispensa les bâtiments neutres de toucher aux ports
de l'Angleterre, et retrancha de l'interdiction du com-
merce une grande étendue de côtes et de ports , les
— eo -^
ordres du mois de novembre 1 807 furent entièrement
abrogés. Jusqu'ici les Français, soit par mauvaise
foi, soit par ignorance réelle, avaient pris le parti de
se taire sur tous ces changements essentiels. Tout à
coup ils trouvent plus convenable de les calomnier,
de les dénigrer, d'y reconnaître une preuve de plus
de la prétention monstrueuse du gouvernement anglais
d'assujettir l'Océan à ses lois *.
Des déclamations contre la tyrannie des mers sont ,
selon eux , partout à leur place ; comment les auraient-
ils négligées cette fois-ci ! « L'Océan appartient-il donc
à l'Angleterre? Où est l'acte, où est l'autorité qui lui
a fait concession de l'Océan ? Pourquoi les délits com-
mis sur l'Océan ne sont-ils pas jugés aux assises de
Westminster? etc., etc. » Une grande partie des notes
est remplie de ces extravagances. Nous ne nous y ar-
rêterons qu'un instant. Les ordres du Conseil n'ont
rien de commun avec l'empire des mers. L'Océan
n'est le domaine de personne; et l'Angleterre n'en a
jamais réclamé ni la propriété, ni la souveraineté.
Mais les vaisseaux qui en temps de guerre parcourent
cet Océan, et leur cargaison, leur destination, leur
route, les pays d'où ils viennent et où ils vont, et le
• Voici comment le Moniteur travestit dans une de ses notes le pas-
sage de la déclaration ofScielle où il est question de ces changements.
« Sa Majesté Britannique , par pitié pour l'Europe, voulut bien limiter
les restrictions que ses arrêts du Conseil imposaient au commerce neutre.
Tous les mots de ce paragraphe excitent l'indignation. » (Note 3.) — Ce
qui doit bien vivement l'exciter, c'est ce mépris total pour la vérité, qui
est que les rédacteurs de ces diatribes, en répétant dans une note un
passage dont ils viennent de donner eux-mêmes le texte authentique,
n'hésitent pas à le falsifier sur-le-champ. Dans celui qu'ils ont attaqué
ici, il n'y avait pas un mot qui pût être construit en pitié pour l'Europe.
Le sens même y répugne absolument. La substitution de l'ordre du
Conseil de 1809 à ceux de 1807 ne tendait qu'à modifier les restrictions
que ceux-ci avaient imposées aux Américains. C'est en leur faveur que
le gouvernement anglais, « ayant égard à la situation où se trouvait
l'Europe en 1809,» limita l'efifet des premiers ordres du Conseil.
— 61 —
système politique et commercial de ces pays, et les
relations qu'ils entretiennent ou qu'ils forment avec
ceux qui sont engagés dans la lutte, tous ces objets
regardent de bien près les droits et les intérêts d'une
puissance belligérante. La guerre maritime ne serait
qu'un jeu , elle deviendrait même absolument nulle, si
les peuples qui la font n'étaient pas autorisés à sou-
mettre à des règles et à des limites la navigation de
ceux qui voudraient cultiver la paix pendant les orages.
Dans ce sens, la mer n'a jamais été libre, ne le sera
jamais, et ne peut pas l'être. La liberté des mers est
synonyme de la neutralité absolue ; l'une et l'autre sont
également impraticables, et même inconcevables. Le
vrai Droit des gens, tel qu'il était avant les sophistes
de nos jours, et tel qu'en dépit de leurs chimères il se
maintiendra dans les têtes bien organisées , doit inva-
riablement reconnaître ces principes. Leur application
a pu être moins sévère, moins tranchante, moins sen-
sible, tant que la guerre elle-même était contenue dans
des bornes plus étroites. A mesure qu'elle s'est affran-
chie de ces bornes, qu'elle a gagné soit en étendue et
en variété de moyens, soit en violence et en férocité,
tout ce qui l'accompagne et tout ce qui en dépend a
dû subir les mêmes changements; et les neutres,
quelque chose qu'ils fassent pour s'y dérober, et
quelque honneur et respect que les autres puissent
porter à leurs droits , doivent à un certain degré par-
tager le sort commun. Jamais le gouvernement anglais
n'aurait adopté de son propre chef une mesure telle
que les ordres du Conseil; mais le décret de Berlin
avait complètement changé la face de la guerre, et il
était peu sensé de prétendre qu'au milieu d'un trem-
blement de terre qui bouleversait une telle masse de
pays, l'Océan, qui les entoure, conservât son calme
et sa sérénité.
— 62
S 3.
Des conditions exigées par le gouvernement anglais pour la
révocation des ordres du Conseil.
On ne peut rien imaginer de plus clair, de plus po-
sitif et de plus juste, que la condition à laquelle le
gouvernement anglais attache la révocation de ses or-
dres du Conseil. « A dater du jour où les décrets de
Berlin et de Milan seront révoqués sans réserve et res-
triction par un acte authentique, les ordres du Conseil
seront et sont déclarés d'avance absolument et complè-
tement supprimés. » Qui aurait cru qu'un langage si
peu équivoque pût encore fournir matière aux inter-
prétations les plus calomnieuses?
Le Moniteur s'accroche à un passage de la déclara-
tion , où il est dit que Sa Majesté Britannique avait tou-
jours été prête à renoncer à ses actes de représailles,
si les décrets de l'ennemi, qui la forçaient d'y avoir
recours, avaient été abolis, et que le commerce des na-
tions neutres eût été rendu à son cours accoutumé. On
aurait dit qu'il n'était pas possible de se méprendre
sur le sens de cette phrase. Rendre le commerce des
neutres à son cours accoutumé ne pouvait signifier ici
autre chose que remettre ce commerce dans l'état où il se
trouvait avant les décrets de Berlin et de Milan. Sur des
millions de personnes qui liraient cette déclaration,
il n'y en aurait pas une, je crois, qui l'entendrait dif-
féremment.
Mais voici l'explication du Moniteur : « Les Notes
de M. Foster^ au gouvernement des États-Unis nous
apprennent suffisamment ce que l'Angleterre entend
par rendre le commerce des neutres à son cours accoutumé,
• Alors ministre d'Angleterre près les États-Unis de l'Amérique.
— 63 —
Il faut détruire les fabriques de sucre de betteraves,
déraciner les pastels qui donnent au continent l'indigo
indigène, défendre la culture du coton et ces nombreuses
fabriques qui remplacent les produits de l'industrie
anglaise, et qui font de si rapides progrès en France,
en Autriche, en Saxe, dans le duché de Berg. Il faut,
tandis que l'Angleterre met des droits de 50 à 200 pour
1 00 sur les vins de France, etc., recevoir les marchan-
dises anglaises en France, et n'imposer à leur intro-
duciion que des droits de 5 à 10 pour 100. Alors le
commerce sera rendu à son cours accoutumé. Voilà
ce qui a été parfaitement expliqué par les Notes de
M. Foster, auxquelles le ministère américain a répondu
avec autant de fermeté que de talent, etc., etc. i)
(Note 2.) Un moment après ils ajoutent : « L'Angle-
terre entend qu'elle se servira des neutres pour influer
par leur moyen sur les tarifs municipaux de son en-
nemi, que les neutres obligeront la France à recevoir
les marchandises anglaises, et prêteront leur appui à
l'Angleterre pour qu'elle parvienne à joindre la sou-
veraineté universelle de la terre à la souveraineté des
mers. Les réponses de M. Monroe à cette prétention si
singulière ont un tel caractère de force et de vérité
que nous n'avons rien à y ajouter. »
Les éloges prodigués ici au gouvernement améri-
cain sont une critique bien plus amcre de sa conduite
que tout ce que les défenseurs les plus zélés des droits
de l'Angleterre peuvent avoir dit ou écrit contre lui.
Les ministres des Etats-Unis ont mérité une partie de
ces éloges. Il faut cependant rendre à chacun ce qui
lui est dû. Les Notes de M. Monroe ne sont pas respon-
sables du verbiage insensé que je viens de citer. Les
betteraves y \e pastel, les tarifs, lu souveraineté univer-
selle, tout cela est de la pure invention des écrivains
du Moniteur. Mais lorsqu'à la suite de ce déluge d'ab-
__ 64 —
surdités, ils prétendent que l'Angleterre, pour révo-
quer les ordres du Conseil, a exigé « que les neutres
obligeront la France à recevoir les marchandises an-
glaises , il est difficile de nier que c'est M. Monroe qui
leur a administré ce chef d'accusation.
Ce ministre avait inféré de quelques passages des
Notes de M. Poster, que l'Angleterre insistait sur l'ad-
mission des produits de ses manufactures dans les
ports de la France et de ses tributaires, comme sur
une condition préalable pour révoquer les ordres du
Conseil, et qu'elle faisait un tort aux États-Unis de
l'Amérique de ce qu'ils se soumettaient aux lois qui
défendaient l'importation de ces articles. M. Poster a
constamment protesté contre une explication aussi peu
conforme au sens de ses Notes. En dépit de ses protes-
tations , on avait su accréditer l'idée que tel était le
fond de ses griefs et de ses moyens d'accommodement.
11 s'en expliqua donc de nouveau dans une Note du
17 décembre 1811, et déclara formellement qu'aucun
passage de celles qui l'avaient précédée n'autorisait à
lui imputer la prétention que les États-Unis insistas-
sent sur l'entrée des marchandises anglaises en France,
ou sur des modifications dans les règlements qui la
défendaient. M. Monroe y sans convenir de son erreur,
paraît cependant avoir senti que la thèse n'était plus
soutenablej car dans sa réponse du 14 janvier 1812,
d'ailleurs aussi peu juste et satisfaisante que tout le
reste delà correspondance, il abandonna cette partie
du procès.
Le gouvernement français a connu les deux der-
nières pièces ; il en a donné des traductions dans ses
propres feuilles. N'importe ! Il était décidé à ne pas
lâcher prise sur cet article , et à s'étayer « de la saine
doctrine du ministère américain. » Dorénavant il n'y
a plus moyen d'en sortir. Tant qu'une feuille française
— G5 —
s'occupera, se souviendra de cette affaire, l'assertion
de M. Monroe y retentira comme une vérité inatta-
quable, et comme si elle n'avait jamais été ni relevée,
ni réfutée , ni désavouée.
M. Poster (on le voit bien par les pièces publiées
jusqu'ici) est un homme trop éclairé et trop versé
dans les questions qu'il doit traiter, pour avoir pu con-
fondre la législation commerciale de l'intérieur d'un
État avec son système de conduite vis-à-vis des puis-
sances indépendantes , ennemies ou neutres , ou pour
avoir pu imaginer que les Américains devraient servir
l'Angleterre en faisant modifier le régime prohibitif et
« les tarifs municipaux » de la France. Le juste grief
de M. Fosler a été que , contre tous les principes du
Droit des gens jusqu'ici reconnus et suivis, les décrets
de Napoléon prononçaient la confiscation d'une mar-
chandise, par la seule raison qu'elle était d'origine
anglaise, et quel qu'en fût le propriétaire actuel, et
que d'après cette législation tyrannique, la simple
possession d'un objet provenant du territoire ou de
l'industrie britannique était regardée comme un acte
criminel. Il s'est plaint de ce que le gouvernement des
États-Unis ait pu acquiescer à un système pareil, le
protéger par toutes sortes de faveurs , le seconder de
tous les sophismes de sa Diplomatie, pendant qu'il
accablait de reproches amers une puissance dont tout
le tort consistait à avoir opposé des représailles modé-
rées à ce même système inventé par son ennemi dans
le but avoué de la détruire.
Pour révoquer ses actes de représailles, le gouver-
nement anglais ne demande que la suppression pure
et simple des décrets de Berlin et de Milan. Il n'a ja-
mais demandé davantage, et je ne crois pas que, sans
sacrifier ce qu'il doit avoir de plus cher, il puisse se
contenter de moins. Nous examinerons tout à l'heure
XI 5
— 66 —
de quel droit on peut soutenir que ces décrets ont été
révoqués à l'égard des Américains. Mais ils le seraient
dans ce sens-là de la manière la plus complète et la
plus catégorique, que le gouvernement anglais n'en
serait pas moins autorisé, et même obligé par principe
et par devoir, à les envisager comme subsistant dans
toute leur plénitude. La question à laquelle ces actes
hostiles ont donné lieu n'est pas seulement une ques-
tion entre telle ou telle puissance neutre d'un côté, et
la France ou l'Angleterre de l'autre; c'est une question
directe entre l'Angleterre et la France. On peut dis-
puter longtemps et dans tous les sens sur l'avantage
réel ou apparent qui reviendrait à l'Angleterre d'une
révocation 'partielle du décret de Berlin ; la moindre
réparation d'un outrage pareil , c'est de le faire cesser
sans réserve , d'amender l'acte qui le contient. Se con-
tenter, dans une affaire de cette nature, de biais, de
modifications , de demi-rétractations , serait un parti
dangereux, quand ce ne serait pas un parti imprati-
cable ; ici ce serait l'un et l'autre à la fois.
§4.
De la prétendue révocation des décrets de Berlin et de Milan à
l'égard des États-Unis de l'Amérique.
Dans la correspondance entre l'Angleterre et les
États-Unis, on a agité pendant six mois la question si
les décrets français ont été révoqués, ou non, par rap-
port à r Amérique. Une aussi singulière incertitude,
des discussions aussi prolongées et aussi compliquées
sur un point de fait prouvent au moins que, si la ré-
vocation a eu lieu, elle ne peut pas avoir eu un carac-
tère bien positif et bien prononcé. En effet, le peu de
pièces publiées à ce sujet en France, à commencer par
-^ 67 —
la lettre du ministre Champagny au général Arnistrong
du 5 août 1 81 0, sont conçues dans des termes si va-
gues, si louches, ou si conditionnels, qu'il était presque
également permis de croire ou de ne pas croire à la
révocation. Ce qui est certain, c'est qu'elle n'a jamais
été formellement annoncée par des actes authentiques
et publics*.
Quoi qu'il en soit, le Moniteur assure aujourd'hui
que les décrets sont révoqués par rapport à l'Amérique,
sans clause ni restriction. En accordant à cette asser-
tion toute l'autorité à laquelle elle puisse prétendre,
en reconnaissant le Moniteur comme organe avoué du
gouvernement français, il s'ensuivrait tout au plus
que ce gouvernement veut enfin regarder ses décrets
comme abolis à l'égard des Américains. Mais une in-
sinuation pareille, appuyée sur aucun document légal
et connu, suffirait-elle pour établir un fait jusqu'ici au
moins extrêmement douteux? Et si elle prenait même
les formes d'un document légal, pourrait -elle nous
convaincre de ce qui serait ouvertement démenti par
des faits d'un genre opposé ou par d'autres déclara-
tions claires et formelles? Il faut savoir, avant tout, ce
que le gouvernement français entend par la révocation
sans clause ni restriction de ses décrets, à l'égard des
Américains.
En lisant les notes du Moniteur, et en consultant, ce
* On cite (dans les notes 5 et 12) un décret du 28 atTi7 181 1 comme
ne laissant plus de doute sur cette question. Personne ne connaît ce
décret; il n'a pas été imprimé dans le Moniteur, et ce qui me paraît
plus extraordinaire , il n'en est fait aucune mention dans les Notes de
M. MoNROE, que nous connaissons pourtant (en partie au moins) jusqu'au
mois de janvier 1812. Comment M. Monroe, qui attachait tant de prix
à prouver la révocation des décrets, aurait-il gardé le silence sur une
pièce aussi décisive? Je ne suis pas en état de résoudre ce problème.
Mais on verra bientôt que l'existence ou la non-existence d'un pareil
décret n'atfecterait guère mon raisonnement.
— 68 —
qui est de bien plus de poids , les communicaticns
officielles entre M. Monroe et M. Foster, il est impos-
sible de ne pas s'apercevoir que le gouvernement des
États-Unis lui-même n'a jamais envisagé la prétendue
révocation des décrets de Berlin et de Milan que rela-
tivement aux articles de ces décrets qui autorisaient
les croiseurs français à saisir leurs vaisseaux en pleine
mer, lorsqu'ils étaient suspects d'avoir communiqué
avec l'Angleterre ou ses possessions, ou de porter des
marchandises d'origine britannique. Mais la révoca-
tion de ces articles (en la supposant parfaitement prou-
vée) serait-elle une révocation des décrets, sans clause
ni restriction , en ne les considérant même que dans
leurs rapports avec les Américains? Mais l'article qui
refuse l'entrée dans tous les ports que le gouvernement
français peut atteindre, à tout bâtiment sans exception
qui se serait trouvé en contact avec l'Angleterre ou
quelque pays gouverné par elle, mais celui qui pro-
nonce la confiscation de tout ce qui provient du terri-
toire et des fabriques britanniques, quel qu'en soit le
possesseur actuel, ne regardent-ils point l'Amérique ?
Et peut-on citer, je ne dis pas une pièce authentique,
mais le moindre indice direct ou indirect prouvant que
l'abolition de ces articles-là ait jamais été réalisée ou
seulement projetée? Le langage du Moniteur ne nous
apprend-il pas plutôt qu'ils seront sévèrement main-
tenus contre tout le monde? Et la peine que s'est don-
née M. Monroe pour les défendre, comme alliés du sys-
tème municipal de la France, ne prouve-t-elle pas assez
que le gouvernement américain les croyait en pleine
vigueur?
Supposons enfin que tôt ou tard Napoléon pousse la
condescendance pour les États-Unis jusqu'à déclarer
par un acte authentique que toutes les dispositions du
décret de Berlin et de Milan sont révoquées à l'égard
— Go-
des Américains; cet acte pourrait-il satisfaire le gou-
vernement britannique? Selon ma manière de voir,
aucunement. Loin d'abolir ces odieux décrets, une dé-
marche pareille ne ferait que les confirmer de nou-
veau. Il ne s'agit pas des faveurs et privilèges que le
gouvernement français peut juger à propos d'accorder
à telle ou telle nation. Les décrets ont été portés contre
l'Angleterre; c'est comme tels , c'est dans toute leur
étendue, c'est purement et simplement, qu'ils doivent
être révoqués.
Les États-Unis, en insistant sur la révocation des
ordres du Conseil, comme suite de la révocation des
décrets de Berlin et de Milan, n'ont ni la raison ni la
justice de leur côté. Car, dans le cas même qu'ils fus-
sent en état de produire quelque document authen-
tique et positif par lequel la France relevât les habi-
tants de leur pays de l'effet de toutes les clauses de ces
décrets, je soutiens qu'ils n'auraient aucun droit
d'exiger du gouvernement anglais , soit la révocation
de ses ordres du Conseil, soit un privilège analogue à
celui que, dans cette supposition (peu probable) , ils
auraient obtenu de la France. La révocation des or-
dres du Conseil ne peut pas dépendre des rapports,
quels qu'ils soient, entre la France et l'Amérique.
Et entre une mesure par laquelle les décrets de
Berlin et de Milan seraient révoqués ou suspendus â
l'égard des Américains, et une autre qui révoquerait ou
suspendrait en leur faveur les ordres du Conseil bri-
tannique, il n'y aurait aucune parité d'effets, aucune
réciprocité réelle. Car la France, tout en supprimant
ses décrets à l'égard des États-Unis, les maintiendrait
dans toute leur force contre l'Angleterre, contre l'Eu-
rope, contre tous les pays qu'elle pourrait enchaîner
à ses lois ; tandis que l'Angleterre , en permettant
aux Américains de communiquer librement avec la
— 70 —
France et tout ce qui dépend d'elle , retirerait ses or-
dres du Conseil, non-seulement par rapport aux Amé-
ricains, mais par rapport à tous les pays directement
ou indirectement soumis à son ennemi; c'est-à-dire
qu'elle renoncerait par le fait à tout son système de
représailles.
Loin d'affaiblir les motifs qui jusqu'ici ont déter-
miné le ministère britannique à ne pas s'écarter de ce
système, la manière dont le Moniteur s'explique sur la
révocation des décrets à l'égard des Américains, est
plutôt faite pour les confirmer et pour les renforcer.
Le gouvernement français avait le choix de faire croire
qu'il se relâchait de son ancienne rigueur, ou par un
esprit de justice et de conciliation, ou par respect pour
les intérêts des neutres, ou par une prédilection parti-
culière pour les États-Unis de l'Amérique. Mais, au lieu
de se prévaloir de l'une ou de l'autre de ces supposi-
tions, il les désavoue et les détruit lui-même. Il nous
apprend que les décrets ont été adoucis, ou (pour par-
ler avec le Moniteur) révoqués à l'égard des Américains,
parce que ceux-ci se sont mis dans une attitude hostile
contre VAngleterreK « Rien n'est plus dangereux qu'un
imprudent ami, » dit le grand fabuliste. Il faut con-
venir que les ministres américains ont plaidé avec
' Trois fois on a répété dans ces notes que les décrets sont révoqués
pour l'Amérique, et chaque fois, ce qui est bien remarquable , on a
immédiatement ajouté que telle était la raison de cet acte d'indulgence :
« Les motifs de cette révocation sont connus de l'Europe. La législature
des États-Unis a mis en interdit le commerce anglais ; les côtes ont été
armées; et les compatriotes de Washington, animés de son esprit, se
sont indignés du joug de plomb que l'on voulait faire peser sur eux, et se
sont montrés prêts à soutenir leurs droits par les armes. » (Note 5.) —
« Les décrets ont été révoqués parce que les États-Unis sont en hostilité
dec/aree contre -les actes britanniques, etc. >' (Note 12.) — « La France a
révoqué ses décrets pa^xe que l'Amérique, en frappant de prohibition le
commerce britannique, a soutenu avec fermeté ses droits, etc., etc. »
(Note 13.)
— 71 —
bien plus d'adresse et de savoir-faire la mauvaise cause
du gouvernement français, que celui-ci n'en a mis à
plaider la leur. Si les décrets de Berlin et de Milan ne
subsistent plus dans toute leur étendue par rapport à
l'Amérique, c'est parce que les Américains sont pres-
que en guerre ouverte contre l'Angleterre, et se prépa-
rent à l'être tout à fait! Quelle excellente raison pour
engager le gouvernement britannique à rétracter ses
ordres du Conseil en faveur de ces mêmes Américains !
La France, pour les récompenser de l'attitude mena-
çante qu'ils ont adoptée contre l'Angleterre, les affran-
chit ou prétend les affranchir d'une partie des entraves
que ses décrets leur avaient imposées. Fort bien. Mais
à quel titre exigeraient-ils la même chose de l'Angle-
terre, vis-à-vis de laquelle leurs propres amis, pour
le coup témoins peu suspects , les disent « en état
d'hostilité , » et « prêts à soutenir leurs droits par les
armes?»
Le Moniteur ajoute encore : « Ce que la France a fait
pour les Américains, elle est prête à le faire pour toute
autre puissance neutre. C'est-à-dire toute autre puis-
sance neutre qui se mettra en état d'hostilité contre
l'Angleterre (plaisante manière, pour le dire en pas-
sant, de constater sa neutralité !). Comme il n'existe
plus de neutres aujourd'hui, il n'y avait pas beaucoup
de risque dans cette offre généreuse. Cependant il est
toujours curieux de la confronter avec les procédés
réels de ceux qui la font. Si une puissance neutre mé-
rite aux yeux de la France des ménagements particu-
liers par cela seul qu'elle a pris une attitude hostile
contre l'Angleterre, il semblerait qu'une puissance
indépendante, actuellement en guerre contre elle, dût
être traitée avec bien plus de faveur. Mais nous avons
vu une puissance du premier ordre en Europe faire la
guerre à l'Angleterre pendant quatre ans , sans quo
— 72 —
jamais la plus petite clause du grand système de pro-
scription ait été abrogée ou suspendue à son égard.
Tout au contraire, nous avons vu cette grande puis-
sance accusée, chicanée, menacée, pour la moindre
déviation, réelle ou apparente, dans l'exécution de
ce système; et nous l'avons vue enfin formellement
attaquée pour cause de contravention à un article
du traité de Milan . Quant à la mauvaise foi qui
éclate dans des contrastes pareils, il ne vaut plus la
peiiie de la relever; la lumière paraît enfin avoir percé
sur ce point-là; mais on est surpris et confondu en en-
tendant tous les jours encore vanter l'intelligence su-
périeure et la politique profonde d'un gouvernement
qui ne cesse de donner à l'Europe le spectacle de ces
contradictions choquantes, et s'empresse de les con-
signer dans ses feuilles publiques, comme s'il avait
peur de les voir échapper aux contemporains et à la
postérité.
S 5.
Des conditions attachées par la France à la révocation défini-
tive des décrets de Berlin et de Milan.
Les conditions sur lesquelles, d'après ces notes du
Moniteur, la France insiste pour révoquer les décrets
de Berlin et de Milan, sont que l'Angleterre supprime
ses ordres du Conseil de 1807 et de 1809, mais en
même temps la déclaration de blocus du 16 mai 1806;
attendu que, « sans la révocation du blocus de 1806,
celle des arrêts de 1 807 et de 1 809 serait illusoire. »
— « Si le gouvernement anglais, dit la note 1 3, révo-
que sa déclaration du 16 mai 1806, le décret de Ber-
lin, qui n'en est qu'un acte de représailles, sera révo-
qué de droit. Si le gouvernement anglais révoque ses
— 73 —
arrêts du H novembre 1807, le décret de Milan, qui
n'est qu'un acte de représailles de ces arrêts, sera ré-
voqué de droit. »
Fidèle au système audacieux et invariablement suivi
par tous les gouvernements nés de la Révolution, d'ac-
cuser ceux qu'il s'agissait de dépouiller ou d'écraser,
non-seulement de torts et de crimes imaginaires ^ mais
précisément de ces mêmes torts et de ces mêmes crimes
auxquels les accusateurs allaient se livrer, ou quils ve-
naient de commettre contre eux, le gouvernement fran-
çais a pris le parti de représenter comme des actes de
représailles les décrets éminemment agressifs de Ber-
lin et de Milan. En exigeant aujourd'hui que l'Angle-
terre révoque ses ordres du Conseil , avant que la
France eût abrogé ses décrets, il est tout simple que
l'on se serve encore de la même tactique. Car, sans
employer un artifice pareil, ce serait trop insulter au
sens commun et à toute idée de justice et de conve-
nance, que de prétendre que la révocation des ordres
du Conseil, amenés et provoqués par les décrets fran-
çais, précédât la révocation de ces décrets.
Je crois avoir suffisamment expliqué, dans la pre-
mière partie de ces observations, ce que c'était que la
déclaration du IG mai 1806, et à quel point il fallait
avoir renversé toutes les idées et dénaturé tous les
faits, pour soutenir qu'elle avait été, ou qu'elle eût
pu être la cause du décret de Berlin. Cette déclaration
fut légalement révoquée au mois de septembre 1806;
si elle a été remplacée depuis par quelque autre acte
de la même nature ', il aurait fallu ou citer cet acte ,
' J'avouesincèrement que je ne sais passi la déclaration du \ ^mai\ 806
a jamais élé remise en vigueur, ou si quelque mesure analogue a sub-
sisté se/jareme/U des ordres du Conseil. A en juger d'après quelques
pa.-sages de la correspondance, entre M. Monrob et M. Foster, je serais
presque tenté de le croire; mais privé de tous les moyens nécessaires
— 74 —
ou se contenter de protester en général contre le prin-
cipe de toute mesure pareille. Insister sur la révoca-
tion de la déclaration du 16 mai comme telle, est
aujourd'hui complètement absurde.
Il ne l'est pas moins d'annoncer que la révocation
du décret de Milan suivra celle des ordres du Conseil
du 1 1 novembre 1807. Ces ordres ne subsistent plus;
ils sont remplacés par l'ordre du 26 avril 1809. Dans
le sens même du gouvernement français, le décret de
Milan, comme je crois l'avoir prouvé, est nul et de
toute nullité, puisqu'il se rapportait tout entier à une
clause des ordres de 1 807, qui a été supprimée dans
celui de 1 809.
Mais ce qui est bien plus essentiel que tous ces
anachronismes, et toute cette confusion de faits et de
dates, c'est la prétention du gouvernement français
de faire renoncer l'Angleterre au principe de blocus
maritime, tel qu'elle l'a soutenu jusqu'ici, et tel qu'il
a servi de base à la déclaration du 16 mai 1806. Il me
paraît nécessaire d'ajouter encore quelques éclaircis-
sements à ce que j'ai dit sur cet objet dans la première
partie de ces observations.
« La Grande-Bretagne, « dit M. Poster dans une
de ses lettres à M. Monroe, « n'a jamais contesté que ,
suivant les usages du Droit des gens, tout blocus,
pour pouvoir être justifié , doit être appuyé par des
forces suffisantes, et mettre en danger tout navire qui
tenterait d'échapper à ses effets. Ce fut d'après ce prin-
cipe reconnu que le blocus de mai 1 806 ne fut notifié
par M. Fox y alors secrétaire d'État, qu'après qu'il se
pour vérifier ce fait, je ne puis ni l'affirmer ni le nier positivement.
Cette circonstance, au reste, comme on le verra tout à l'heure, est peu
essentielle pour la question principale. Car il ne s'agit pas de tel ou tel
acte individuel, mais de savoir si l'Angleterre peut et doit renoncer au
droit sur lequel la déclaration du 16 mat était fondée, et que la France
lui conteste aujourd'hui.
— 75 —
fût convaincu par un rapport du bureau de l'Amirauté,
que l'Amirauté avait et emploierait les moyens de
garder toute la côte depuis Brest jusqu'à l'Elbe, et de
mettre réellement ce blocus à exécution. Le blocus du
mois de mai 1806 était donc juste et légitime dès son
origine, puisqu'il était appuyé, tant dans l'intention
qu'en effet, par des forces navales suffisantes. — Les
ordres du Conseil furent fondés sur un principe diffé-
rent y etc., etc. >j
Je ne crois pas qu'il soit possible de définir le
droit de blocus d'une manière plus claire, plus rai-
sonnable et plus juste. L'explication de M. Foster est
d'ailleurs parfaitement d'accord avec l'idée fondamen-
tale du droit de blocus, admise par tous les publi-
cistes et par ceux même qui ont le plus déraisonné sur
les limites de son exécution. Si l'extension donnée à
ce droit dans les guerres maritimes de notre temps a
paru contraster avec ce que l'on avait vu autrefois, et
a fait croire à des observateurs superficiels qu'elle
était contraire aux anciens usages, la raison en est
que l'on n'a pas assez réfléchi sur les effets naturels
et nécessaires du progrès de tous les moyens mari-
times. Je défie d'établir un principe quelconque auto-
risant une puissance à bloquer un port de son ennemi,
lorsqu'elle peut le faire avec un nombre de vaisseaux
suffisant, qui n'autorisât la même puissance à bloquer
toute une côte hostile, si elle peut disposer de forces
suffisantes pour réaliser cette entreprise dans le sens
habituel et généralement reçu de ce terme. 11 n'y a
rien de plus déplacé que d'appeler une opération pa-
reille un blocus sur le papier. Si les blocus déclarés et
exécutés par le gouvernement anglais n'avaient été
que cela, il est probable que les injures que lui ont
adressées ses ennemis et quelques neutres qui avaient
adopté leur langage, auraient été bien moins violentes.
— 76 —
D'un autre côté, la définition du droit de blocus
maritime que la France voudrait mettre en avant, est
tout à fait inadmissible, et contrarie en même temps
toutes les idées reçues. Elle prétend que le droit de
blocus n'est applicable qu'aux « places fortes, réelle-
ment investies de forces suffisantes '. » D'après cette
définition, on n'aurait jamais pu bloquer un j^ort non
fortifié, et les puissances qui, par l'infériorité de leurs
forces navales , seraient exposées à des attaques de ce
genre n'auraient qu'à raser leurs côtes, et détruire
tout ce qui s'appelle fortification, batterie, etc., pour
rendre nulle toute espèce de blocus maritime. On a
beau analyser, disséquer, tourner et retourner dans
tous les sens l'idée d'un droit de blocus, on n'y trou-
vera pas le moindre fondement, pas le moindre pré-
texte pour une restriction si parfaitement arbitraire.
Jamais aucun ministère britannique ne reconnaî-
tra cette législation de pure fantaisie. Du jour où
l'Angleterre s'y soumettrait, sa prépondérance mari-
time ne serait plus qu'un fantôme sans réalité. Exiger
qu'elle renferme l'exercice de ses droits dans les
bornes étroites que son ennemi veut gratuitement éta-
blir, c'est autant que lui dire sans détour : Nous
reconnaissons et nous sentons votre supériorité; mais
nous prétendons que vous n'en usiez que jusqu'au
terme que nous jugerons à propos de vous fixer! Il
me semble que l'Angleterre serait tout aussi autorisée
à répondre ; Vous êtes aujourd'hui la première puis-
sance continentale; mais, comme votre conscription
militaire , et plusieurs autres moyens récemment in-
ventés pour multiplier et perfectionner vos forces ,
nous gênent et nous déplaisent, vous reprendrez l'an-
cien système militaire, tel qu'il était en usage chez
vous avant la Révolution.
* Voy. \q préambule du décret de Berlin.
/ /
Le gouvernement anglais s'est avancé aussi loin
que possible, il a accordé tout ce que l'on peut rai-
sonnablement prétendre, en déclarant qu'aussitôt que
les décrets de Berlin et de Milan seront abolis , il
révoquera et révoque dès à présent les ordres du
7 janvier 1807, et du 26 avril 1809, qui sont les seuls
actes de représailles aujourd'hui en vigueur. C'est là
le vrai ultimatum de cette affaire. Un pas plus loin ,
et la modération deviendrait faiblesse.
S 6.
Des avantages que l'Angleterre aurait à espérer de la révocation
des ordres du Conseil.
On a souvent représenté, au Parlement et dans
des écrits publics, le bien qui résulterait de l'abolition
des ordres du Conseil pour le commerce britannique
en général , et particulièrement pour les relations po-
litiques et commerciales entre la Grande-Bretagne et
les États-Unis de l'Amérique. Si le but de ces repré-
sentations était de faire révoquer les ordres du Conseil,
sans que les décrets de Berlin et de Milan fussent ré-
voqués de même, elles tendaient aune mesure incom-
patible avec la dignité du gouvernement anglais, à
une mesure de rétractation humiliante qui, comme
telle , ne méritait pas d'être discutée. Le projet d'aban-
donner le système actuellement établi doit, pour ne
pas être rejeté d'emblée, nécessairement porter sur
la supposition que la France révoquerait ses décrets
aussitôt que l'Angleterre aurait révoqué ses ordres du
Conseil *.
' Les adversaires que les ordres du Conseil ont en Angleterre, sont
assez d'accord sur le mal qu'ils attribuent à cette mesure; mais ils ne
paraissent pas l'être sur la nature du remède; et il n'est pas toujours
— 78 —
Cette supposition , fausse et chimérique de tout
temps, me paraît aujourd'hui absolument inadmis-
sible.
Je suis persuadé que Napoléon n'a pas nourri un
instant l'intention sérieuse de révoquer ses décrets,
à quelque prix et sous quelques conditions qu'il eût
pu le faire. Je ne veux pas citer à l'appui de cette
opinion les déclamations intarissables de ses organes
sur le mal prodigieux que le système continental a fait
et fera encore à l'Angleterre '. L'ineptie de ces tirades
est telle, qu'il y aurait presque un manque de bonne
foi à les traiter comme des raisonnements, ou à les
considérer seulement comme le vrai fond des pensées
de Napoléon. Je m'en tiens à ce qui est plus sérieux,
plus réel et plus analogue à son caractère. Il prétend
que ces décrets sont des lois fondamentales de son em-
pire; il les a proclamés tels dans toutes les occasions;
et quoiqu'il nous en coûte de comprendre une théo-
rie pareille, c'est sa manière de voir, de penser et
d'agir. Lorsqu'il a eu l'air d'accorder quelques modi-
fications de ces décrets aux Américains, il ne songeait
facile de saisir avec précision le but auquel ils visent. Quelques-uns, à ea
juger d'après leurs discours au Parlementou d'après leurs écrits, ontl'air
de désirer l'abolition des ordres du Conseil à tout prix et à toute condi-
tion. Il y en a d'autres qui, adoptant la manière de voir de MM. Maret
et MoNROE, regardent les prosteslations insignifiantes du gouvernement
français vis-à-vis des Américains, comme preuve que l'abolition des
décrets a déjà eu lieu, et prétendent que d'après cela il n'y a plus à
hésiter sur la révocation des ordres du Conseil. D'autres enfin semblent
persuadés que, pourvu que l'Angleterre donnât l'exemple, la France ne
pourrait pas se refuser à céder de son côté et à supprimer ses décrets.
Le premier de ces avis est repoussé par des principes immuables ; le
second par l'évidence des faits contraires ; le troisième est donc le seul
sur lequel il soit encore permis de raisonner.
' La note 12 en offre de nouveau un tableau effrayant, où l'on voit la
banqueroute des finances anglaises s'avancer à pas de géant par les
betteraves, les pastels, et les progrès énormes des fabriques de l'Alle-
magne.
— 79 —
pas de bien loin à en altérer le fond et la substance,
et jusqu'aux époques les plus récentes il a fait annon-
cer avec emphase qu'ils seraient invariablement main-
tenus. Je dis plus, il ne peut pas changer de système
à cet égard; et dans ce moment-ci moins que jamais.
Ces décrets sont les dernières armes qui lui restent
contre l'Angleterre, Sa marine est réduite à une im-
puissance totale; il a perdu tout ce que la France et
ses alliés et tributaires possédaient d établissements et
de colonies dans les différentes parties du globe; et,
pour comble de mortification ^ ses armées ont été ar^
rêtées et paralysées partout où elles ont rencontré des
armées britanniques. En renonçant encore à la guerre
commerciale y il s'avouerait complètement vaincu. Ses
ministres et flatteurs lui ont fait croire, et il a effecti-
vement cru pendant quelque temps, que le soi-disant
système continental , dont les décrets de Berlin et de
Milan forment la base, déiruirait le commerce, l'in-
dustrie, les ressources de l'Angleterre, et la forcerait
à une paix humiliante. Peut-être que, malgré les rai-
sons qui auraient dû l'éloigner et le dégoûter de cette
espérance, il y tient encore à un certain degré. Mais
qu'il y tienne ou non , il est vivement intéressé à ce
que le public ne la croie pas perdue. En révoquant
ses décrets , il reconnaîtrait que les coups qu'il avait
médités contre le commerce de l'Angleterre ne sont
pas plus exécutables que tant d'autres dont il l'avait
menacée j et dès lors l'opinion des contemporains,
quelque égarée et gangrenée qu'elle puisse être , ne
verrait plus dans la continuation de cette guerre qu'un
acharnement sans calcul et sans but, et le présage
d'une défaite absolue.
Si la supposition qu'en révoquant les ordres du
Conseil, le gouvernement britannique engagerait f^a-
poléon à l'abolition pure et simple de ses décrets, n'a
— 80 —
jamais eu de fondement réel, elle est devenue com-
plètement insoutenable par le soin qu'il a mis lui-
même à détromper ceux qui se livreraient encore à cette
erreur.
Plus d'une fois déjà il avait fait entendre et même
distinctement articuler que la révocation des ordres
du Conseil ne le contenterait pas, si le gouvernement
anglais ne renonçait en même temps à ses principes
de blocus. Mais en dernier lieu (et nous le voyons de
nouveau par les notes du 8 mai) , cet article a été élevé
au rang d'une condition expresse et irrémissible de la
révocation de ses décrets contre l'Angleterre. Nous
savons quels sont ces principes de blocus, et ce qu'il
prétend mettre à leur place. Il ne suffit donc plus au-
jourd'hui d'abandonner les ordres du Conseil; il s'agit
de savoir si ceux qui insistent sur cette mesure, sont
préparés à abandonner de même le système de blocus
maintenant en vigueur, à adopter sur ce point capital
les définitions et les doctrines de Napoléon, à renver-
ser, en un mot, tout le code de droits de guerre mari-
time, tel que l'Angleterre l'a soutenu jusqu'à ce jour.
Je ne sais s'il y aurait parmi les Anglais des per-
sonnes assez éblouies par des théories spécieuses et
stériles, ou assez alarmées de quelques murmures po-
pulaires, peut-être mal interprétés, pour consentir à
un aussi énorme sacrifice; mais je ne crois pas que
l'on oserait le proposer à une assemblée comme le
Parlement britannique.
Cependant, tout en reconnaissant la vérité de ce
que je dis, on pourrait encore déplorer cet état des
choses comme un grand malheur, et regretter amère-
ment que, par l'injustice et l'obstination de l'ennemi,
l'Angleterre soit privée des avantages que lui assure-
rait la révocation des ordres du Conseil et le réta-
blissement de l'ancien système commercial. Jusqu'à
— 81 —
quel point ces regrets seraient-ils fondés? — Pour ap-
profondir cette question, lors même que je m'en sen-
tirais la force, il me faudrait une grande connaissance
des détails, il me faudrait des données bien autre-
ment abondantes et décisives que celles que je pos-
sède. Je puis basarder cependant quelques réflexions
générales que ceux qui sont plus instruits que moi
sauront apprécier et rectifier.
Il me paraît d'abord certain que, par la révocation
des ordres du Conseil, accompagnée ou suivie de la
révocation formelle des décrets français (car il m'est
impossible de séparer l'une de l'autre), l'Angleterre
gagnerait peu de chose pour ses relations commerciales
avec le continent européen. Il n'y a aucune raison
de croire que les dispositions personnelles de son
ennemi en deviendraient plus modérées ou plus bien-
veillantes; et cet ennemi conserverait tous les moyens
pour exécuter sous d'autres prétextes et dans d'autres
formes son système de persécution et de proscription
contre le commerce et l'industrie britanniques. Il ne
serait jamais parvenu à établir et à perfectionner ce
système, sans frapper de ces coups violents dont le
décret de Berlin a été le premier signal. Mais ces coups
une fois portés, il n'a plus besoin de mesures extraor-
dinaires pour exécuter ses projets, autant que leur
propre extravagance lui permettra de les exécuter.
Les anciennes communications sont détruites; les an-
ciens liens sont brisés ; les pays opprimés par la
France ont perdu pour longtemps ce qui constitue la
base et le ressort du commerce; le découragement et
la terreur sont dans toutes les âmes. Aujourd'hui de
simples lois prohibitives, appuyées de toute la rigueur
d'une police vigilante, suffiraient pour empêcher le
retour aux anciennes habitudes, et les décrets de
proscription disparaîtraient entièrement, que les trois
XI 6
— 82 —
quarts du continent de l'Europe n'en seraient pas^
moins inaccessibles aux vaisseaux et aux marchan-
dises britanniques.
Si la révocation même des décrets de Berlin et de
Milan ne rétablissait pas les relations commerciales
avec le continent, il est beaucoup plus diflicile d'ima-
giner comment celle des ordres du Conseil, considérée
séparément, pourrait produire cet effet. Les ordres
du Conseil n'ont rien ajouté aux obstacles que les
décrets de la France avaient créés par rapport aux
communications directes entre l'Angleterre et les dif-
férentes parties de l'Europe, ni par conséquent au
mal que l'Angleterre a pu éprouver par la stagnation
de cette branche de son commerce. Depuis que les
ordres du Conseil subsistent, il n'y a plus eu en Eu-
rope de neutralité légalement avouée. L'accès des
côtes et des ports que les décrets français n'ont pas
pu atteindre , n'a point été compromis par les ordres
du Conseil; et le commerce indirect et clandestin, qui
a eu lieu en dépit des décrets, a été plutôt favorisé
que contrarié par ces ordres.
En soutenant que les mesures de représailles du
gouvernement anglais n'ont rien ajouté aux mauvais
effets que les décrets de l'ennemi ont eus pour les
rapports de commerce avec l'Europe, je ne puis, ni
ne désire même beaucoup pouvoir aborder la discus-
sion des avantages positifs que plusieurs défenseurs
des ordres du Conseil leur ont attribués sous ce même
point de vue. Mais quelles que soient la nature et la va-
leur de ces avantages (vivement contestés par d'au-
tres), je n'y comprendrais jamais l'extension donnée
en dernier lieu au système des licences. Si ce système
a fait du bien au commerce anglais, il me semble que
l'on ne peut point en réclamer le mérite pour les or-
dres du Conseil j mais, par la même raison, je trou-
— 83 —
verais extrêmement injuste de les rendre responsables
des inconvénients et des abus qui ont accompagné le
système des licences. Autant que j'ai pu pénétrer cette
matière j il m'a paru que la question des licences
n'aurait pas dû être confondue arec celle des ordres
du Conseil j ces deux questions, loin de s'attacher l'une
à l'autre, sont d'un caractère absolument opposé. Que
le principe du système des licences soit bon ou mau-
vais, nécessaire ou dangereux, conforme ou contraire
aux maximes du Droit des gens et de la morale publi-
que, il est toujours également étranger au principe sur
lequel les ordres du Conseil étaient fondés'.
Jusqu'ici nous n'avons fixé notre attention que
sur les changements que la révocation des ordres du
Conseil opérerait dans les rapports directs entre
l'Angleterre et le continent de l'Europe; mais il
nous reste à examiner si l'effet de cette révocation ne
serait pas bien plus sensible et plus marquant dans
les rapports entre l'Angleterre et les États-Unis de
l'Amérique.
' M. Caiwing, qui ne pouvait certainement pas se tromper sur le
principe, l'esprit et les motifs des ordres du Conseil du 'mois de no-
vembre 1807, s'en est expliqué dans un excellent discours, prononcé
le 3 mars dernier sur la motion de M. BuoccnAM, où il dit entre autres
que i( s'il s'agissait de bien caractériser les ordres du Conseil, il en dirait
que ces actes étaient d'autant plus parfaits, qu'ils se rapprochaient
davantage de l'esprit d'une mesure de guerre, et s'éloignaient de celui
d'une mesure commerciale. »
Dans ce même discours, que je n'ai pu lire sans une satisfaction pro^
fonde, puisqu'il m'a prouvé que mes idées générales sur le principe «t
le caractère des ordres du Conseil s'accordent avec celles d'un homme
d'État aussi supérieur, M. Canning, en parlant des licences, soutient
même, si j'ai bien saisi le sens de ses paroles, « qu'une puissance belli-
gérante n'a pas le droit de permettre à ses sujets un commerce dont elle
exclurait les neutres. » Je ne sais pas si celte opinion pourrait être
établie en principe rigoureux; mais, dans l'application, je préférerais
sans hésiter la sévérité d'une règle pareille à la trop grande facilité pour
les exceptions en sens contraire.
— 84 —
On est accoutumé à regarder les ordres du Con-
seil comme la cause principale du mécontentement
des Américains contre le gouvernement anglais; mé-
contentement qui, d'abord, a produit ces malheureux
actes prohibitifs par lesquels tout commerce légal
entre l'Angleterre et l'Amérique se trouve suspendu,
qui a dérangé toutes les relations politiques, enve-
nimé toutes les discussions entre les deux États , et
s'est enfin développé au point de les menacer d'une
rupture ouverte. Il me paraît bien plus juste de consi-
dérer les ordres du Conseil comme un des prétextes
que comme la cause de ce mécontentement.
En suivant la conduite du gouvernement améri-
cain , dans chaque époque de ces dernières guerres ,
il est impossible de n'y pas reconnaître la partialité
la plus prononcée et la plus soutenue pour la cause
de la France. Je ne prends pas sur moi de décider par
quel motif le parti qui, depuis la mort de Washington
et la retraite de M. Adams, s'est emparé de toutes les
fonctions publiques , a été guidé dans cette partialité ;
si c'était l'amertume que les anciens ressentiments
contre l'Angleterre avaient laissée dans les esprits,
ou la jalousie de sa supériorité actuelle, ou la crainte
chimérique de quelque projet hostile de sa part, ou le
dépit d'un gouvernement populaire, particulièrement
susceptible d'être blessé par tout ce qui ressemble à
un manque de procédés ou de ménagement, ou l'irri-
tation contre le parti opposé , accusé de trop d'indul-
gence pour l'Angleterre, et dont le tort réel n'est
peut-être que celui d'aspirer à son tour aux places et
au pouvoir, ou si c'était enfin l'effet réuni de toutes
ces causes, ou d'autres encore qu'il est plus difficile
de pénétrer*. Mais, quelle que soit la clef de l'énigme,
' Je suis loin cependant de favoriser ou de nourrir le plus léger
soupçon contre l'intégrité de ceux qui dirigent les affaires des États-
le fait ne saurait être contesté. La France les a vexés
de toutes les manières, les a dépouillés, maltraités,
insultés dans toutes les occasions; le récit des avanies
qu'ils ont essuyées de sa part depuis vingt ans , rem-
plirait des volumes; ils ont tout dissimulé, tout ex-
cusé, tout pardonné. Mais aussitôt qu'il a été question
d'un différend quelconque avec l'Angleterre , ces
hommes si doux, si tolérants, si pacifiques pour son
ennemi, se sont montrés sévères, intraitables, exi-
geants, pointilleux à l'excès. Dans les mesures qu'une
nécessité impérieuse et l'intérêt direct de sa conserva-
tion prescrivaient au gouvernement anglais, ils n'ont
vu que l'intention d'opprimer l'Amérique, d'entraver
son commerce, d'étouffer son industrie naissante. A
une époque où tout le commerce des colonies fran-
çaises, espagnoles, hollandaises passait par leurs
mains , où tous les ports de l'Europe étaient remplis
de leurs vaisseaux, où on n'apercevait presque plus
sur l'Océan que le pavillon britannique et le leur, et
où l'Angleterre observait à leur égard des principes
d'une libéralité extrême, il ne fallait que quelque acte
de rigueur exercé contre des abus trop violents par
un tribunal notoirement incapable d'un procédé in-
juste , il ne fallait que quelque désagrément momen-
tané, amené par hasard, ou par la faute d'un indi-
Unis. L'idée de ce qu'on appelle vulgairement corniplion serait telle-
ment déplacée ici, que je n'ai pas besoin de l'écarter une fois pour
toutes; mais je n'admets pas seulement ce genre de corruption morale
que l'astuce, en employant la flatterie, peut exercer contre les hommes
les plus purs. Même, à cet égard, le gouvernement français ne s'est
jamais mis en frais pour les Américains; il les a traités, au contraire ,
avec beaucoup de sécheresse et de hauteur ; et lor.-que Champa-
GNY leur a assuré « que l'Empereur les aimait, » on ne conçoit pas
que ce ton de protection arrogante n'ait pas soulevé toutes les âmes.
Mais il n'y a « que la morgue des minisires anglais » qui puisse exciter
leur colère.
— 86 —
vidu, pour les faire crier au meurtre et à la tyrannie.
Les motions hostiles contre l'Angleterre , les embar-
gos, les actes de non-importation ^ précurseurs des
actes de non-intercourse, étaient à l'ordre du jour long-
temps avant les ordres du Conseil; et comme la liste
de leurs griefs était inépuisable , on est bien autorisé
à croire que, quand même ces ordres du Conseil n'au-
raient jamais paru, ils seraient arrivés, d'aigreur en
aigreur et de disputes en disputes, au point où nous
les voyons aujourd'hui.
Ce qui prouve surtout que , dans cette longue
carrière de prédilection pour la France et d'acharne-
ment contre l'Angleterre, que le gouvernement amé-
ricain vient de parcourir, les sentiments personnels
doivent l'avoir emporté sur les calculs politiques,
c'est que tous les principes honorables, et tous les in-
térêts bien entendus , auraient dû engager ce gouver-
nement dans une route diamétralement opposée. La
cause de l'Angleterre était la sienne; sans compter
tant de liens plus ou moins sacrés qui subsistaient
entre l'Amérique et son ancienne mère patrie, celle-ci
combattait pour l'indépendance générale y pour les
peuples autant que pour les trônes, pour les républi-
ques autant que pour les monarchies, contre une puis-
sance qui avait hautement annoncé le projet de tout
dominer ou de tout écraser autour d'elle. La victoire
la plus décisive que l'Angleterre eût pu remporter
dans cette lutte, ne pouvait jamais effrayer les Améri-
cains , mais si elle succombait , V univers appartenait
à la France; et il eût fallu un délire d'aveuglement et
d'orgueil, pour faire imaginer à l'Amérique qu'elle se
soutiendrait toute seule dans ces vastes ruines. En ad-
mettant que, pendant les premières époques de la Ré-
volution, malgré l'horreur que sa marche et son
caractère devaient inspirer à tout ami éclairé de la li-
— 87 —
berté, le nom de république, et l'affectation de quel-
ques formes républicaines aient pu en imposer aux
Américains, on aurait cru au moins qu'ils change-
raient de sentiments et de système , lorsque tout cet
échafaudage républicain fut réduit en poussihre, et Va-
narchie la plus féroce remplacée par un despotisme sans
bornes. Mais on s'aperçut avec étonnement que leurs
affections, leurs procédés, leurs ménagements res-
taient les mêmes, tandis que leurs craintes, leurs ja-
lousies, leurs antipathies planaient exclusivement sur
ceux qui arrêtaient les progrès de ce despotisme. Cet
étonnement augmenta encore, lorsqu'on vit leur pro-
fonde indifférence aux attentats cruels commis contre
le peuple espagnol , et cette absence totale d'intérêt
pour l'héroïsme soutenu avec lequel ce peuple défen-
dait sa liberté , et ce silence d'une neutralité morale,
plus choquante que toute neutralité politique, qu'ils
gardaient au milieu des vicissitudes d'un spectacle
aussi lugubre et aussi majestueux. Le dévouement
magnanime avec lequel la nation britannique avait
épousé la cause des Espagnols, loin d'arracher à ces
imperturbables égoïstes un seul témoignage de satis-
faction ou d'admiration, les encourageait plutôt à
poursuivre avec d'autant plus de ténacité les froides
chicanes dont ils accablaient le gouvernement an-
glais. Enfin , voyant que l'incendie gagnait cette
vaste partie de la monarchie espagnole dont ils sont
voisins, ils parurent sur la scène; mais ce ne fut que
pour s'assurer^ par des coups portés dans les tmebres,
la possession de quelques provinces détachées de cette
monarchie, et pour favoriser dans les autres la rébellion
et la guerre civile.
Mais ce n'est pas tout encore que cet abandon des
principes généreux, et cette persévérance dans un
système si peu analogue au caractère d'un gouverne-
— 88 —
nient républicain; il n'y a pas même d'intérêt direct
et prochain , pas de considération d'avantage ou de
perte positive, qui ait pu engager les chefs des États-
Unis à changer de marche politique. Il est clair que,
dans l'état actuel des choses, ils ont comparativement
peu à gagner par l'amitié de la France , et peu à
perdre en risquant sa disgrâce; tandis qu'ils ont
beaucoup à conserver, beaucoup à espérer, et beau-
coup à craindre du côté de l'Angleterre. Leur commerce
seul avec les lies Britanniques était infiniment supé-
rieur à celui qu'ils faisaient avec la France, et bien
plus important pour eux que celui de tout le conti-
nent européen. Leurs entreprises dans les autres par-
ties du globe , leurs expéditions mercantiles dans les
grandes Indes , leurs rapports avec tout l'archipel des
Antilles , leurs spéculations sur l'Amérique méridio-
nale, tout cela ne leur est assuré que par leur bonne intelli-
gence avec le gouvernement anglais ; tout cela peut s éva-
nouir au premier choc d\me rupture. Mais plutôt que
de déplaire à la France , ils ont ou actuellement sa-
crifié, ou grièvement compromis ces immenses avan-
tages. Ils ont fermé leurs ports aux vaisseaux anglais,
et défendu à leurs sujets, par un vrai acte de suicide
politique, toute communication avec l'Angleterre. Non
contents de ces mesures rigoureuses, après lesquelles
on aurait cru au moins leurs comptes avec l'Angle-
terre plus que soldés, ils ont continué à crier contre
le gouvernement britannique, à lui demander répara-
tion pour toutes sortes d'offenses imaginaires , à an-
noncer dans leurs Assemblées législatives que la
guerre était inévitable, à en préparer les moyens au-
tant que leurs faibles ressources le permettaient.
Comment expliquer une conduite aussi extraordi-
naire, sans admettre que ce gouvernement est entraîné
par quelque impulsion secrète, plus puissante que
— 89 —
tous les principes et tous les calculs, par un esprit
d'animosité et d'obstination qui lui ferait embrasser
les mesures les plus contraires à ses propres intérêts,
pourvu que ce ne fussent pas celles qui les mettraient
d'accord avec l'Angleterre?
Les discussions sur les ordres du Conseil qui ont
eu lieu entre les deux gouvernements depuis l'arrivée
de M. Forster en Amérique, confirment malheureuse-
ment cette conjecture. Chaque pièce sortie des bu-
reaux américains porte le cachet de ces dispositions
hostiles; et si les chefs des États-Unis avaient sincè-
rement désiré l'amitié de l'Angleterre , ils n'auraient
jamais entamé cette dispute. Us savaient parfaitement
bien que la simple modification de quelques clauses
des décrets de Berlin et de Milan, en faveur d'une na-
tion que la France avait tant d'intérêt à ménager, ne
déciderait pas lAngleterre à une démarche aussi écla-
tante que la révocation des ordres du Conseil; et ils
pouvaient d'autant moins s'y attendre , que le fait
même de la prétendue modification ne reposait sur
aucun fondement solide, sur aucun document présen-
table, et que le langage et les actions du gouverne-
ment français le démentaient d'un jour à l'autre. Les
chefs des États-Unis ne sont pas assez égarés par les
malheureuses préventions qui les guident, ils sont
encore trop clairvoyants, ils connaissent trop ce
qu'un gouvernement libre doit à l'opinion publique
et à l'honneur national, ils sont trop instruits sur l'é-
tat des choses en Angleterre, et sur ce qu'un minis-
tère britannique peut ou ne peut pas faire sans com-
promettre ses premiers intérêts, pour qu'ils aient pu
tomber dans une erreur pareille. Leur manière de trai-
ter ces objets peut les rendre suspects d'un manque de
bonne foi, mais non pas de jugement et d'intelligence.
Il y a bien loin des déclamations furieuses du Moni-
— 90 —
teur aux sophismes adroits de M. Monroe. Or, si les mi-
nistres américains n'ont pas pu se dissimuler qu'ils
exigeaient du gouvernement anglais ce que celui-ci
n'accorderait jamais, et ne pouvait pas accorder, il est
clair que toutes leurs négociations ne doivent être
considérées que comme des moyens habilement choisis
pour perpétuer la querelle, et comme des préludes à de
nouvelles hostilités.
On paraît généralement persuadé que cet état de
crise finira par une guerre ouverte. Cette opinion a
peut-être été adoptée avec trop de précipitation. La
situation respective des deux gouvernements est telle
que, malgré tout ce qui s'est passé au Congrès améri-
cain , et toutes les résolutions qu'il a prises , et tous
les armements qu'il a ordonnés, il est difficile de com-
prendre de quelle manière , sous quelle forme et de
quel coté cette guerre pourrait éclater. En fermant
leurs ports à l'Angleterre , et se refusant à toute com-
munication avec elle, les États-Unis ont fait ce qui
était en leur pouvoir pour se venger des ordres du
Conseil. L'Angleterre, comme de raison, a protesté et
ne cessera de protester contre ces mesures; mais elle
n'a jamais annoncé l'intention d'aller plus loin, et de
rompre la paix avec l'Amérique, dans le cas où celle-ci
ne consentirait pas à changer de système. Ce ne sera
donc pas, selon toute apparence, le gouvernement
anglais qui déclarera la guerre. De l'autre côté, les
États-Unis ne peuvent plus se regarder comme partie
purement et simplement souffrante; en admettant
même que les ordres du Conseil aient été, comme ils
le prétendent, une mesure attentatoire à leurs droits,
ils ne sont pas restés en arrière; ils ont amplement
riposté par l'acte de non-iniercourse, on ne conçoit
pas sous quel titre et prétexte ils en viendraient à une
déclaration de guerre, lorsque ce sont eux qui ont
— 91 —
frappé les derniers coups dans ce démêlé. Et quand
ensuite on réflécliit sur la situation des États-Unis,
sur la disproportion extrême entre leurs moyens et
ceux de la puissance qu'ils provoqueraient, sur les
sacrifices énormes par lesquels ils commenceraient
cette guerre, sur les pertes incalculables qu'elle leur
ferait essuyer , sur la destruction de toutes les bran-
ches de leur prospérité actuelle, qui en serait proba-
blement le résultat final , on a de la peine à ima-
giner que, sans nécessité évidente et sans espoir
d'arriver par là à un meilleur ordre de choses , un
gouvernement responsable de ses démarches se portât
à un tel excès de démence.
Cependant, il s'en faut de beaucoup que le
danger d'une guerre ouverte entre l'Angleterre et
l'Amérique soit le seul motif pour désirer de voir
cesser leur mésintelligence actuelle. Considérée en
grand, cette guerre serait certainement funeste à l'un
et à l'autre pays. Car , quoi qu'en disent les calculs
rétrécis d'une cupidité mal entendue, ou d'une ja-
lousie aveugle , les vrais intérêts, les intérêts durables
de l'Angleterre, ne sont point et ne peuvejit pas être
en opposition avec ceux des Américains , et il est im-
possible que ce qui appauvrirait ou ruinerait l'Amé-
rique, ne fût pas, en dernier résultat, un mal
très-réel pour l'Angleterre*. Mais les inconvénients
directs de cette guerre seraient au moins mêlés de
quelques avantages momentanés, et les revers mêmes
quelle ferait éprouver aux Américains , conduiraient
peut-être à quelques changements heureux; tandis que
le système de prohibition exercé aujourd'hui contre
' II n'y a pas un homme d'État en Angleterre qui ne soit convaincu
de celte vérité; et si on y trouve quelques esprits bornés qui la mécon-
naissent, il est Tort injuste de rendre le gouvernement et la partie
éclairée de la nation responsables des erreurs de quelques individus.
— 92 —
le commerce britannique , est un mal sans contre-
poids et sans compensation. Il est certain que la sus-
pension du commerce avec les États-Unis est non-seu-
lement une privation de plus ajoutée à celles que le
système continental a infligées à l'Angleterre , mais
qu'elle est par elle-même plus fatale aux intérêts de
son industrie, de ses manufactures, et de ses rapports
pécuniaires avec les autres pays, que tout ce qu'elle a
pu souffrir de l'exclusion de ses marchandises des ports
et marchés du continent européen.
Mais quel remède proposer contre ce mal? La
révocation des ordres du Conseil sans la révocation
préalable des décrets de Berlin et de Milan , est une
mesure à laquelle le gouvernement anglais ne se prê-
tera jamais, ne peut et ne doit pas se prêter. La di-
gnité nationale est supérieure à toute autre considéra-
tion; et si on voulait la sacrifier ici, ce serait même un
grand sacrifice en pure perte; car nous avons vu que,
d'après les déclarations du gouvernement français, la
révocation des ordres du Conseil ne suffirait pas pour
faire cesser les décrets. Et, quant à l'espoir que la
France pût se décider à les abolir purement et sim-
plement , soit avant , soit après la révocation des or-
dres du Conseil, on doit le regarder comme tout à fait
nul.
Le vrai bienfaiteur commun de l'Angleterre et de
l'Amérique serait celui qui découvrirait le moyen d'a-
planir leurs différends, sans la révocation des ordres
du Conseil. Il faudrait beaucoup de courage, beau-
coup de talent, et beaucoup de bonheur pour amener
un dénoûment pareil; mais c'est le seul qui concilie-
rait tout et qui répondrait à tout; et par cette raison
même je ne puis pas me résoudre à le regarder
comme absolument impossible. Je suppose et crois
pouvoir supposer que, pour obtenir un si grand bien.
— 93 —
le gouvernement anglais ne s'arrêterait à aucune
question accessoire , consentirait à tout sacrifice qui
ne serait pas incompatible avec sa dignité, se prêterait
avec cette facilité qui ne peut jamais compromettre le
fort, lorsqu'elle est employée vis-à-vis du faible, à
l'arrangement de tous ces objets secondaires que les
Américains jugeraient essentiels à l'intérêt ou même
au point d'honneur de leur pays , et leur accorderait
enfin chaque modification des ordres du Conseil qui
n'en altérerait pas le principe et la substance. Après
cela, il s'agirait de faire comprendre au gouvernement
des État-Unis combien il serait plus avantageux pour
ses intérêts présents et futurs, d'accepter les proposi-
tions de l'Angleterre, que d'insister sur la révocation
des ordres du Conseil, en s'exposant à la durée indé-
finie d'un état de choses aussi pénible pour les Améri-
cains que pour l'Angleterre, ou aux dangers incalcu-
lables d'une guerre dans laquelle toutes les chances
seraient contre eux.
En résumant ce qui a été dit dans cet article, il
me paraît qu'il y a d'assez bonnes raisons pour ne
pas se livrer à des regrets excessifs sur les obstacles
qui combattent la révocation des ordres du Conseil.
Cette mesure , accompagnée même de l'abolition des
décrets de la France, ne ferait rien ou presque rien
pour le rétablissement du commerce de l'Angleterre
avec la partie du continent européen qui est aujour-
d'hui fermée à ses vaisseaux. 11 est très-incertain
qu'elle amenât un changement efficace dans ses rela-
tions avec les États-Unis de l'Amérique, et surtout dans
les sentiments et les dispositions du gouvernement
américain. Et, enfin , si un tel changement n'est pas
devenu impossible, il doit y avoir, pour l'atteindre,
une route moins opposée aux premiers intérêts de
l'Angleterre, plus honorable, plus sûre, plus directe
— 94 —
et plus satisfaisante, que celle qui partirait de la ré-
vocation des ordres du Conseil.
m.
MÉMOIRE
SUR LES PRINCIPES ET LES LOIS DE LA NEL'TRALITÉ MARITIME ACCOMPAGNÉ DE
PIÈCES OFFICIELLES JUSTIFICATIVES '.
(Rédigé par le comte (I'Hauterive , en 4812.)
S 1".
Droit public de l'Europe, relativement à la neutralité maritime
avant 1756.
Le droit, parmi les hommes civilisés, dérive des
lois. Le droit civil, qui garantit les propriétés parti-
culières, est formé par les lois civiles; le droit public,
qui règle les relations des nations policées entre elles,
est également établi par des lois; mais les nations
étant indépendantes, et aucune d'elles ne pouvant
prescrire des lois aux autres, il en résulte que ces lois,
dont l'ensemble forme le droit public, ne sont et ne
peuvent être que les traités qu'elles ont conclus et si-
gnés solennellement. Ainsi, demander quels étaient
les droits des neutres sur mer avant 1 756, c'est, en
d'autres termes, demander ce que règlent sur ce point
important les traités conclus, avant cette époque, par
les diverses puissances de l'Europe.
Nous allons éclaircir cette question, et résoudre
toutes les difficultés qu'elle présente, en donnant l'a-
nalyse de ces traités.
Nous en tirons d'abord les principes suivants, sur
lesquels on ne saurait trop appuyer, puisqu'ils sont
* Voy. à la fin de ce volume Notes et Documentfi,_
— 95 —
la base du droit maritime; que c'est par leur violation
que les neutres ont perdu l'usage des mers, le bien
de tous les peuples , et que c'est pour le rétablisse-
ment de ces grands principes qu'est armé aujourd'hui
le continent européen ;
1 " Le pavillon couvre la marchandise , c'est-à-dire
qu'un bâtiment neutre a le droit de transporter libre-
ment les propriétés ennemies, et que les propriétés
amies, embarquées sur un bâtiment ennemi, se trou-
vent confisquées avec le bâtiment.
T Toutes les marchandises, de quelque espèce
qu'elles soient, sont couvertes par le pavillon, et peu-
vent, en conséquence, être librement transportées,
à l'exception des marchandises dites contrebande de
guerre. Ce sont les armes, les harnais et les munitions
de guerre, et il est expressément stipulé que les muni-
tions navales ne peuvent être regardées comme contre-
bande.
3" Les bâtiments neutres peuvent naviguer libre-
ment et sans empêchement sur toutes les cotes, et d'un
port à l'autre , des pays en guerre , avec la seule res-
triction de ne point pénétrer dans les ports réellement
bloqués. Par port bloqué, on entend un port assiégé et
en prévention d'être pris.
4° Le droit de visite est né du besoin de s'assurer
qu'un vaisseau neutre ne transporte pas à l'ennemi
des marchandises de contrebande; mais ce point est
réglé par les traités de la manière la plus avantageuse
au commerce et à l'honneur des États neutres. Il y est
établi que le bâtiment qui voudra visiter un vaisseau
marchand, s'arrêtera hors de la portée du canon, en-
verra une seule chaloupe, et se bornera à faire monter
à bord deux ou trois hommes qui , dans cet état d'in-
fériorité par lequel l'honneur du pavillon est suffisam-
ment garanti, se feront représenter les passe-ports et
— 96 —
connaissements du navire. Si, par hasard; il s'y trouve
de la contrebande, elle doit seule être saisie, et le bâti-
ment, avec le reste de sa cargaison^ peut continuer li-
brement sa route.
Ces principes sont proclamés solennellement dans
tous les traités conclus depuis la seconde moitié du
XVI i" siècle, et l'Angleterre elle-même les a reconnus
et sanctionnés dans ses traités avec la France, les
Provinces-Unies, le Portugal, etc.
Le traité conclu le 1 0 juillet 1 654 entre l'Angleterre
et le Portugal (n" 1) consacre, dans l'article 23, l'im-
portant principe de la garantie de la marchandise par
le pavillon.
Le traité de 1 655, entre la France et l'Angleterre
(n" 2), est particulièrement remarquable. L'article 1 5
porte que le pavillon couvre la marchandise, à l'ex-
ception de la contrebande : « à savoir, poudre et
mousquets, et toute sorte d'armes et de munitions de
guerre. » Le même article défend d'introduire des
munitions de bouche dans une place assiégée, ce qui
borne le droit de blocus au cas où un port se trouve
réellement investi et attaqué par terre et par mer.
Dans le traité de 1 668, entre la Hollande et l'Angle-
terre (n" 3), l'article l''"" énonce le principe que les
neutres ont le droit de naviguer et commercer d'un
port à l'autre sur les côtes de l'ennemi. L'article 2 est
conçu en ces termes :
« Cette liberté de naviguer et de commercer s'éten-
dra à toutes les espèces de marchandises, excepté celles
qui sont déclarées de contrebande. »
L'article suivant porte que de ce nombre sont seu-
lement les armes et les munitions de guerre; et dans
l'article 4, il est dit que tous les autres objets peuvent
être transportés partout librement, excepté dans les
villes et lieux bloqués et investis.
— 97 —
La manière de visiter les Lâtiments marchands pour
s'assurer qu'ils ne transportent pas de contrebande ,
est réglée dans Tarticle 8; et enfin l'article 10 établit
que le sort des marchandises est décidé par la qualité
de neutre ou d'ennemi du bâtiment, c'est-à-dire que le
pavillon couvre la marchandise.
Le traité de commerce signé à Utrecht le 1 1 avril
4713, entre l'Angleterre et la France (n° 4), constate,
par l'article 17, la liberté qu'ont les neutres de négo-
cier d'un port à l'autre des pays en guerre, et renferme
le principe que le pavillon couvre la marchandise.
Après avoir excepté de cette garantie les marchandises
de contrebande, l'article 19 porte que les armes, les
harnais et les munitions de guerre sont seuls réputés
telles. L'article 20 faitl'énumération des marchandises
qui ne peuvent être regardées comme contrebande, et
déclare qu'elles peuvent être librement transportées
partout, excepté dans les places assiégées, bloquées et
investies. Enfin, l'article 24 règle le droit de visite.
Le traité du même jour (n° 5) entre la France et les
Provinces-Unies, contient absolument les mêmes sti-
pulations.
Les dispositions des traités d'Utrecht ont servi de
règle, jusqu'en 1756, à la législation maritime : ainsi
les droits des neutres étaient bien reconnus. La fran-
chise de leurs pavillons, la liberté de la navigation, le
caractère des marchandises de contrebande, et le droit
de blocus, étaient fixés par les traités; et il était ré-
servé à l'Angleterre de détruire une partie du droit
public si bien établi par ses propres engagements et
ceux des autres puissances de l'Europe !
XI
— 98 —
S 2.
Droit public de V Europe , relativement à la neutralité maritime
de 1756 à 1775.
Nous venons de voir quel était le droit public relati-
vement aux droits des neutres sur les mers avant la
guerre de 1756. — Nous allons examiner si, dans la
période qui s'est écoulée depuis l'origine de cette
guerre jusqu'en 1775, il a éprouvé quelques change-
ments; nous verrons que, malgré les efforts de l'An-
gleterre et ses actes arbitraires, les traités ont con-
stamment renouvelé et consacré les principes de celui
d'Utrecht.
En effet, à peine l'Angleterre se trouva-t-elle enga-
gée dans la guerre qui éclata en 1756, qu'elle pré-
tendit établir deux nouveaux principes directement
'contraires à tous les traités, mais auxquels elle met-
tait une importance proportionnée aux avantages
qu'elle croyait en retirer. Elle chercha d'abord à les
introduire sans éclat, de peur d'appeler la résistance
des puissances intéressées à les combattre; mais,
après la première période de la guerre, enhardie par
les succès que lui assurait sa supériorité maritime,
elle ne craignit plus d'avouer qu'elle prétendait ajouter
à la législation existante, des lois nouvelles en opposi-
tion directe avec les lois et les obligations qu'elle s'était
imposées à elle-même par les traités les plus solennels.
Elle attaqua d'abord les principes établis sur le
caractère des objets de contrebande, et elle en étendit
considérablement la liste, en y comprenant, sous le
nom de munitions navales, tout ce qui sert à la con-
struction et à l'équipement des vaisseaux; sous le
prétexte de nuire à la marine de ses ennemis, prétexte
— 99 —
injuste et frivole, puisque, pour nuire à ses ennemis,
il aurait été aussi légitime de défendre aux neutres de
commercer avec eux, et d'anéantir ainsi toute naviga-
tion autre que celle des sujets de la Grande-Bretagne.
La seconde règle que l'Angleterre voulut établir est
que les neutres n'ont pas le droit de faire le commerce
des colonies d'un État belligérant, parce que, disait
le ministère anglais, ils ne pouvaient le faire en temps
de paix. — Une pareille prétention viole tous les prin-
cipes du droit public. — Vouloir empêcher les neutres
de faire le commerce avec une colonie, c'est agir
comme si l'on en était déjà le maître; c'est anticiper
sur le droit de conquête, et c'est en même temps
s'arroger des droits sur les neutres, et leur prescrire
des ordres comme à ses propres sujets. — Au reste,
on connaît plutôt les ordres de l'Angleterre, dans cette
guerre, par leurs effets et les aveux de ses ministres S
que par leur teneur littérale. Les instructions données
à cette époque en Angleterre, et qui y portent le nom
de Règles de la guerre (Rule ofwar\ ne sont bien con-
nues que des juges de l'Amirauté; en sorte que la po-
sition des neutres se trouvait encore aggravée. Ils
étaient non-seulement obligés de se soumettre à des
lois qui pesaient sur leur commerce, et qui émanaient
d'une puissance étrangère, mais encore à des lois dont
le texte leur était inconnu !
Les gouvernements du continent ne pressentirent
pas toutes les conséquences de ces innovations , et
n'opposèrent pas aux prétentions de l'Angleterre la
résistance que commandaient l'honneur de leurs na-
tions et les intérêts de leurs sujets. L'attention des
puissances de l'Europe était détournée par la guerre
continentale : cependant les États maritimes firent des
' Voy. le n° 6, page 77 de ce volume.
— 100 —
représentations; les publicistes combattirent ces maxi-
mes nouvelles ; l'opinion publique se prononça; et le
gouvernement anglais, ne se croyant pas encore dis-
pensé d'user de ménagements et en état de braver
ouvertement la voix des peuples, jugea nécessaire de
faire paraître un mémoire justificatif de sa conduite*.
Ce mémoire fut écrit par lord Liverpool. Quoique cet
écrivain veuille défendre des principes contraires à
ceux qui étaient alors adoptés en Europe, il y recon-
naît cependant expressément qu'un port ne peut être
bloqué légalement que lorsque la puissance qui veut
en interdire l'accès, entretient devant ce port des for-
ces assez considérables pour empêcher l'entrée et la
sortie: mais c'est dans cet ouvrage, qui porte, en
quelque sorte, un caractère officiel, que se montre
pour la première fois à découvert la doctrine de l'An-
gleterre, relativement à la domination qu'elle prétend
exercer sur la navigation des neutres. On y voit clai-
rement que jusqu'à l'époque de la guerre de 1756, le
droit de transporter des marchandises ennemies sur
des bâtiments neutres était bien reconnu par l'Angle-
terre, et qu'alors seulement elle osa montrer l'inten-
tion de violer le droit public sanctionné par les traités,
et d'enfreindre tous ses engagements; et enfin, malgré
tout l'art de l'apologiste, on reconnaît aisément qu'il
ne s'appuie que sur de vains prétextes, et que l'An-
gleterre, ne prenant dans cette circonstance d'autre
guide que son intérêt, et ne se conduisant que d'après
le sentiment de sa supériorité navale, n'établit pas
des principes de législation maritime, mais use seu-
lement du droit du plus fort. Aussi dès que la paix
' Ce travail , qui ouvrit la carrière des honneurs à Charles Jenki.vsois
(comte de Liverpool en 1796), a été publié en HbS; il a pour litre :
Discours sur la conduite du gouvernement de la Grande-Bretagne à
l'égard des Puissances neutres.
— 101 ^
reparut, elle n'essaya pas même de soutenir ses pré-
tentions; et le second article du traité de 1763 (n'' 7)
entre la France et l'Angleterre, renouvelant et confir-
mant le traité de commerce d'Utrecht, rétablit le droit
publicrelativement aux droits des neutres sur mer, dans
l'état où nous avons vu qu'il était avant cette guerre.
Peu de temps après, l'Angleterre consacra de nou-
veau, dans son traité de commerce avec la Russie,
les principes contraires à ceux qu'elle avait voulu
faire prévaloir. Ce traité (n° 8 ) , conclu en 1 766 ,
énonce, dans l'article 1 0, le principe de la liberté du
commerce des neutres sur les côtes et entre tous les
ports de l'ennemi, et définit, dans l'article 11, les
objets de contrebande, sans rien ajouter à ceux qui
sont indiqués dans le traité d'Utrecht. La Grande-
Bretagne se conformait donc au droit public reconnu de
l'Europe; mais elle se réservait de reproduire ses préten-
tions aussitôt que son intérêt lui en donnerait le conseil.
S 3.
Droit public de l'Europe., relativement à la neutralité maritime.,
de 1775 à 1802.
La guerre d'Amérique éclata en 1775. Avant que
la France y fût engagée, elle proclama dans son traité
de commerce avec les États-Unis, les principes que
nous venons d'établir, comme ayant toujours servi
de base au droit maritime. L'article 23 de ce traité
(n° 9), porte que le pavillon couvre les marchandises;
l'article 24 porte que toutes les marchandises autres
que les objets de contrebande déterminés comme dans
le traité d'Utrecht, peuvent être librement transpor-
tées, si ce n'est aux places assiégées, bloquées ou in-
vesties; et l'article 27 règle la manière dont pourra se
— 102 —
faire la visite des vaisseaux marchands. Mais aussitôt
que la France et l'Espagne furent entraînées dans la
guerre, l'Angleterre reprit la marche qu'elle s'était
tracée dans celle de 1756. Elle érigea en lois et en
principes fixes les règles de conduite qu'elle y avait
suivies, et prétendit y soumettre toutes les nations
du monde. Elle alla même jusqu'à montrer sa singu-
lière doctrine. sur le droit de blocus; et l'on sait, par
la condamnation de quelques navires hollandais qui
se rendaient à Rochefort, dont le port n'était nulle-
ment bloqué, que la cour de l'Amirauté osa poser en
principe que les porls de France étaient, par leur posi-
tioUf tenus naturellement en état de blocus par les ports
d'Angleterre. Mais les circonstances n'étaient plus les
mêmes; toutes les puissances du continent étaient en
paix les unes avec les autres. Leur attention se porta
tout entière sur les atteintes que le système maritime
adopté par l'Angleterre faisait à leurs droits. La su-
périorité de l'Angleterre sur les mers paraissant de
plus en plus menaçante, les puissances continentales
en sentirent davantage la nécessité de se prémunir
contre l'abus qu'elle ferait de ses forces pour établir
un système qu'il était de leur intérêt autant que de
leur honneur de repousser. L'impératrice de Russie
entreprit de les réunir pour la défense de leurs droits
communs : elle rappela les principes du droit public
sur les mers, qui protègent également le fort et le
faible; et elle réussit à faire adopter ceux qu'elle pro-
clama comme règle de sa conduite, par le Danemark,
la Suède, la Prusse, la Hollande, l'Autriche, le Por-
tugal et les Deux-Siciles. C'est au mois de mars 1 780,
que la Russie fit notifier aux Cours de Versailles, de
Madrid et de Londres , les règles qu'elle se proposait
d'observer, et dont elle demandait l'observation aux
puissances belligérantes (n° 10). Les principes con-
— 103 —
tenus dans cette déclaration, et qui ont été insérés
dans tous les traités conclus alors par la Russie avec
les puissances qui adhérèrent à son système et qui
formèrent la ligue connue sous le nom de neutralité
armée, sont les suivants :
« 1° Les vaisseaux neutres peuvent naviguer libre-
ment de port, en port, et sur les côtes des nations en
guerre.
« 2" Les effets appartenant aux sujets des nations
en guerre seront libres sur les vaisseaux neutres, à
l'exception des marchandises de contrebande.
« 3" On ne regardera comme marchandises de con-
trebande que celles qui sont désignées comme telles
dans Tarticle 1 1 du traité de commerce entre la Russie
et l'Angleterre (les armes et munitions de guerre).
« 4° Pour déterminer ce qui caractérise un port
bloqué, on n'accordera cette dénomination qu'à celui
où il y a, par la disposition de la puissance qui l'at-
taque avec des vaisseaux arrêtés et suffisamment pro-
ches, un danger évident d'entrer.
« 5" Ces principes serviront de règle, dans les pro-
cédures et règlements, sur la légalité des prises '. »
On voit donc que ces principes ne sont point une
innovation; ce sont les principes qui, avant 1756,
formaient le droit maritime de l'Europe , puisqu'ils
sont consacrés dans les traités antérieurs à cette
époque, et qu'ils ont été établis de nouveau dans les
traités conclus depuis la guerre de 1756. — Les prin-
cipes que l'Angleterre présentait comme autant de
' Voy. la résolution des États Généraux sur la déclaration de la
Russie (n" \\)\ la déclaration du Danemark au sujet de la navigation
neutre (n° 12); la déclaration de la Suède (n» 13); la convention entre
la Russie et le Danemark (n" 14) ; la convention entre la Russie et
la Suède (n° 15) ; le mémoire de la Cour de Russie (n° 16) ; la [déclara-
tion des États Généraux pour annoncer leur accession à la neutralité
armée (n° 17), etc.
— 104 —
droits des puissances belligérantes , se trouvèrent
donc formellement repoussés par la réunion de toutes
les puissances neutres; et le gouvernement anglais,
craignant d'armer contre lui les États qui avaient
formé la neutralité armée, céda à l'opinion de l'Eu-
rope. Elle sut à la vérité se dispenser de déclarer
qu'elle renonçait à ses prétentions; mais elle les dis-
simula jusqu'à un moment plus favorable; elle mit
dans sa conduite une modération auparavant incon-
nue, et sa réponse à la Cour de Russie (n" 18) fut
aussi conciliante qu'elle pouvait la faire, sans admettre
positivement tous les principes qu'elle cherchait à
détruire.
La paix survint sur ces entrefaites, et les véritables
bases du droit maritime furent de nouveau posées par
l'article 2 de la paix de Versailles (n" 19), qui renou-
velle et confirme le traité de commerce d'Utrecht. Les
sages principes de ce traité furent proclamés encore
solennellement dans tous les traités conclus à cette
époque entre les différentes puissances du continent*,
et même dans le traité de navigation et de commerce,
entre la France et l'Angleterre, conclu le 26 septem-
bre 1786 (n° 25). Les articles 20, 23 et 29 de ce
traité, consacrent les importants principes que le pa-
villon couvre la marchandise, et que les neutres ont
le droit de naviguer et de commercer d'un port à
l'autre des pays en guerre, si ce n'est aux ports as-
siégés, bloqués et investis. L'article 22 donne la défi-
nition des objets de contrebande, telle qu'elle est dans
le traité d'Utrecht , et détruit ainsi la prétention d'y
faire comprendre les munitions navales : l'article 26
» Voy. le traité entre la Russie et la Porte, de 1783 (n" 20) ; entre la
Russie et l'Autriche, de 1785 (n° 21); entre la Prusse et les États-Unis,
de (1785 (n'>22); entre la France et la Hollande, de 1785 (n° 23);
entre la Suède et les État£-Unis, de 1785 (n» 24).
— 103 —
règle la manière dont pourra se faire la visite d'un
bâtiment, elle est conforme aux principes fixés dans
le traité d'Utrecht.
Tel était l'état de la législation maritime dans Tin-
tervalle qui s'est écoulé entre la paix de 1783 et la
guerre amenée par la révolution de France. Les prin-
cipes proclamés lors de la neutralité armée étaient
reconnus par toutes les puissances; l'Angleterre elle-
même, malgré ses efforts, en temps de guerre,
pour les détruire, avait été forcée de les consacrer
dans un traité avec la France : ils doivent donc être
considérés comme étant la loi des nations à cette épo-
que, aussi bien qu'ils l'étaient avant la guerre de
1756. Mais l'Angleterre attendait l'occasion de repro-
duire son système, et elle ne devait pas tarder à la
rencontrer.
La guerre, après avoir embrasé le continent, éclata
en 1793 entre l'Angleterre et la France. Les princi-
pales puissances qui avaient fondé la neutralité ar-
mée, étaient engagées dans la lutte contre la nouvelle
république; la Grande-Bretagne ne pouvait donc trou-
ver un moment plus favorable pour faire renaître les
droits prétendus qu'elle s'était arrogés dans les guerres
précédentes. Ce système oppressif fut, cette fois, hau-
tement proclamé. Les instructions du 8 juin 1793
(n° 26), et les ordres du Conseil du 6 novembre de la
même année (n" 27), défendirent d'introduire des
vivres dans les ports de France, et prescrivirent aux
neutres la défense de faire le commerce de ses colo-
nies. Les puissances de l'Europe, occupées d'autres
intérêts, ne réclamèrent point contre l'application de
cette nouvelle doctrine : cependant la Suède et le
Danemark , qui seuls avaient conservé la neutralité,
formèrent, dès le mois de mars 1794, une convention
pour la protection de la libre et légitime navigation
— 106 -^
de leurs sujets , et pour fermer Ventrée de la Balti-
que aux vaisseaux armés des puissances belligérantes
(n" 28).
Les Américains étaient la nation la plus lésée par
le nouveau système suivi par l'Angleterre; ils hasar-
dèrent quelques représentations : l'Angleterre, sans
les admettre entièrement, modifia néanmoins ses dis-
positions précédentes par ses ordres du Conseil du
8 janvier 1794, et les restreignit à l'interdiction du
commerce des neutres entre les colonies françaises et
la France (n° 29). Mais au mois de novembre de la
même année, les Etats-Unis, dirigés par une adminis-
tration aveugle, signèrent un traité de navigation et
de commerce avec l'Angleterre, dans lequel ils aban-
donnaient tous les principes du droit maritime, et
reconnaissaient toutes les prétentions de cette puis-
sance. Selon ce traité (n° 30), le pavillon ne couvre
plus la marchandise; la contrebande est augmentée
des munitions navales. Toutefois , ce traité honteux
ne peut pas plus être allégué contre le droit public
de l'Europe que tous les actes arbitraires exercés par
l'Angleterre; ce n'est également que l'abus de la force.
Les Américains saisirent la première occasion de s'af-
franchir de ces stipulations; et c'est dans les clauses
injustes de ce traité qu'il faut chercher la principale
origine de l'inimitié qui divise les deux peuples.
Le commerce des nations de l'Europe qui avaient
pu conserver la neutralité, n'ayant pour appui que les
principes des traités que l'Angleterre ne respectait
plus, fut exposé à toutes les violences et à l'avidité des
croiseurs anglais ; mais cet état de choses ne pouvait
manquer, par l'excès du mal, de faire naître la résis-
tance. Les injustices réitérées de l'Angleterre excitè-
rent dans des gouvernements plus sensibles à l'hon-
neur et plus capables de soutenir et de protéger les
— 107 —
droits de leurs peuples , une indignation qui réveilla
les idées d'où l'on avait vu dériver, vingt ans aupara-
vant, le grand principe de la neutralité armée.
Dès la fin de 1799, la Cour de Danemark avait eu
quelques démêlés avec l'Angleterre, à l'occasion de la
saisie d'un convoi danois dont l'escorte n'avait pas
voulu permettre la visite insultante d'une escadre
anglaise. L'empereur Paul F' sentit qu'il était temps
de s'opposer aux empiétements, sans cesse croissants,
de l'Angleterre; et depuis longtemps lassé de la poli-
tique arrogante de cette puissance, il posa les prin-
cipes d'une nouvelle neutralité armée , appela les
royaumes du Nord à leur défense, et se décida à met-
tre, au mois de novembre 1800, l'embargo sur tous les
bâtiments anglais qui se trouvaient dans les ports de
la Russie. La Suède, le Danemark et la Prusse adop-
tèrent ces principes; et ils furent insérés dans un
traité entre la Russie et la Suède, conclu à Saint-
Pétersbourg le 1 6 décembre 1 800 ; traité auquel accé-
dèrent le Danemark et la Prusse, par des traités sépa-
rés, du 16 et du 18 du même mois.
Les principes contenus dans ces traités (n"" 31 , 32,
33), sont textuellement les mômes que ceux de la
neutralité armée de 1780 : les deux suivants y sont
ajoutés :
« 1" Tout bâtiment naviguant vers un port bloqué,
ne pourra être regardé comme ayant contrevenu à la
convention, que lorsque, après avoir été averti par le
commandant du blocus de l'état du port, il tâcherait
d'y pénétrer, en employant la force ou la ruse.
c( 2" La déclaration de l'officier commandant le
vaisseau qui accompagnera un convoi de bâtiments
marchands , que son convoi n'a à bord aucune mar-
chandise de contrebande, doit suffire pour qu'il n'y
ait lieu à aucune visite. »
— 108 —
Ces deux principes ne sont qu'une déduction de
ceux qui étaient déjà adoptés par toutes les nations ;
et ces traités n'étaient donc autre chose qu'une nou-
velle proclamation des maximes constantes du droit
maritime; mais l'Angleterre était devenue trop puis-
sante pour laisser consolider ainsi les droits des neu-
tres. Elle traita cette convention des puissances du
Nord pour le maintien de leur neutralité, d'entreprise
hoslilCy et les vieux principes qu'elles rappelaient, de
systhne nouveau. Une flotte anglaise parut dans la
Baltique, défit les Danois, menaça Copenhague d'un
bombardement, et la Cour de Danemark conclut, avec
l'amiral anglais, un armistice qui la détachait de la
quadruple alliance. En même temps Paul P" cessa de
vivre. Son successeur, encore mal affermi sur le trône,
pris en quelque sorte au dépourvu par la menace
d'une attaque de la flotte anglaise, et craignant de
commencer son règne au milieu des embarras de la
guerre, entra en négociation; et le résultat des circon-
stances malheureuses où il se trouvait placé, fut le
traité signé entre la Russie et l'Angleterre le 17 juin
1801 (n° 34). Ce traité conserve, à la vérité, les prin-
cipes de la neutralité armée sur la libre navigation
des neutres d'un port à l'autre des nations en guerre,
sur les marchandises de contrebande, et sur le blocus;
mais il abandonne l'important principe de la garantie
des marchandises par le pavillon, et permet aux vais-
seaux de guerre des puissances belligérantes de visiter
les navires marchands, même lorsqu'ils sont convoyés.
Ainsi la puissance qui avait réclamé le plus hautement
les droits sacrés des neutres, non-seulement abandonna
leur défense, mais sanctionna dans ce traité une clause
funeste et contraire au droit public établi par tous les
traités antérieurs conclus par les nations de l'Europe.
Bientôt après , la paix maritime fut rétablie par le
— 109 —
traité d'Amiens. 11 n'est point question, dans ce traité,
du droit des neutres, et il laissait ainsi ce point en
suspens ; mais on peut dire, cependant, qu'à cette épo-
que le droit public de l'Europe sur la navigation des
mers était encore intact; du moins l'Angleterre, mal-
gré tous ses efforts, n'avait pu faire insérer des stipu-
lations qui y fussent contraires , que dans un seul
traité, traité qui ne regardait que la Russie, et qui ne
pouvait changer en rien les droits des autres nations.
S 4.
Droit public de l'Europe, relativement à la neutralité maritime,
depuis le renouvellement de la guerre en 1803.
La guerre maritime s'étant rallumée en 1803,
l'Angleterre, qui craignait de réunir de nouveau
contre elle les puissances du Nord , parut vouloir du
moins respecter son traité avec la Russie ; elle permit
même aux neutres de commercer directement et indi-
rectement avec les colonies françaises. Mais en 1805 ,
la face des choses changea sur le continent, et aussitôt
on vi t reparaître les prétentions despotiques du système
maritime de l'Angleterre.
Le 27 juin 1805, un acte du Parlement établit,
dans les îles anglaises d'Amérique, des ports aux-
quels on donna le nom de ports francs. Ces ports
furent destinés à servir d'entrepôt pour le commerce
des colonies; et il est dit dans cet acte, qu'ils servi-
raient même aux sujets de la Grande-Bretagne pour y
importer les produits des îles françaises (n° 35). Les
ordres du Conseil, du 3 août suivant (n" 36), prescri-
virent aux neutres de faire le commerce des colonies
françaises exclusivement par le médium de ces ports
francs. Au moyen de cette disposition arbitraire, le
— 110 —
commerce neutre se trouva assujetti au régime des
douanes et aux règlements de l'Amirauté anglaise.
Les États-Unis réclamèrent vivement contre ces me-
sures*; mais leurs réclamations n'eurent aucun suc-
cès; et au mois de mai 1806, une Note de M. Fox au
ministre d'Amérique , à Londres , mit enfin au jour
toute l'extension que l'Angleterre voulait donner à sa
tyrannie maritime. Cette Note (n° 38) annonce aux
États-Unis qu'un blocus fictif, établi par un simple
ordre du Conseil, depuis l'embouchure de l'Elbe jus-
qu'à Brest, interdit aux neutres l'entrée de tous les
ports et de toutes les rades compris entre ces deux
points. L'Angleterre avait donc résolu le problème
qu'elle cherchait depuis longtemps à résoudre, celui
de s'affranchir de toutes les obligations que lui impo-
saient les traités , et particulièrement de celles qui
étaient contenues dans son traité avec la Russie. Et
certes, le droit qu'elle s'arrogeait est tel, que, s'il
était reconnu , l'Angleterre pourrait aussi bien décla-
rer en état de blocus toutes les côtes et toutes les
mers; et dès lors il serait inutile de discuter aucun
des droits des neutres. Si ce prétendu droit avait
existé avant cette guerre, jamais les nations ne se se-
raient donné la peine de conclure un seul traité; et
les Anglais n'auraient pas eu le moindre intérêt à
s'arroger le droit de défendre aux neutres le transport
des munitions navales et de leur interdire le com-
merce des colonies. Il leur aurait suiTi de déclarer
toutes les possessions de leurs ennemis en état de blo-
cus. Si l'Angleterre ne l'a point fait, c'est qu'elle n'o-
sait encore annoncer une pareille prétention; et il a
fallu qu'elle se crût bien assurée de sa supériorité
♦ Voy. le message du président du Congrès, du 17 janvier 1806
(n^a?).
— i11 — -
navale , pour avouer toute l'étendue de son système
maritime !
Cette violation de tous les principes , cet oubli
absolu du Droit des gens , forcèrent la France à user
de représailles. Elle attendit six mois pour laisser le
temps aux représentations des neutres de produire
l'effet qu'ils devaient en attendre; mais l'Angleterre
persistant dans son système de blocus fictif, et en
étendant de plus en plus l'application , le décret
connu sous le nom de décret de Berlin , parut le
21 novembre 1806 (n" 39). Par ce décret, l'Empereur,
ne faisant que diriger contre l'Angleterre les prin-
cipes qu'elle proclamait, déclara les lies Britanniques
en état de blocus; toutefois, respectant les droits des
neutres, qu'eux-mêmes paraissaient abandonner, et
les respectant jusque dans les mesures de légitime
défense auxquelles il était forcé de recourir, l'Empe-
reur fit déclarer aux Américains , par le ministre de
la marine, que ce décret ne serait point exécuté en
pleine mer : sage modification qui bornait son action
au territoire et aux ports de la France, et le rendait,
par conséquent, une simple mesure municipale, contre
laquelle les nations neutres n'avaient aucun droit de
réclamer.
Peu de temps après (le 7 janvier 1807), un ordre
du Conseil d'Angleterre (n" 40) « défendit à tout na-
vire neutre de faire le commerce d'un port à un au-
tre , si ces ports appartenaient ou étaient dans la
possession de la France ou de ses alliés , ou s'ils
étaient assez soumis à son influence , pour n'avoir
aucun commerce avec l'Angleterre. » Et par un se-
cond ordre du 1 1 novembre 1 807 (n" 41 ), le gouver-
nement anglais déclara en état de blocus tous les
ports dépendant de la France et de ses alliés, ceux de
tous les pays en guerre avec l'Angleterre, ceux des
— 112 —
pays de l'Europe dont le pavillon anglais était exclu,
quoique ces pays ne fussent point en guerre avec la
Grande-Bretagne, et enfin tous les ports des colonies
appartenant à ses ennemis : les exceptions qui furent
mises à ce blocus général, permettent bien aux neutres
d'entrer dans les ports qui ne sont pas effectivement
anglais, mais à la cbarge de mouiller en Angleterre,
d'y prendre des licences et d'y acquitter certains
droits , rendant ainsi tributaires de l'Angleterre
toutes les nations qui ne prenaient pas les armes contre
elle!
Les bâtiments neutres qui seraient trouvés munis
de certificats d'origine délivrés par des agents de la
France , sont en même temps déclarés de bonne
prise; et un autre ordre du même jour (n° 42) dé-
clare également de bonne prise tout bâtiment qui au-
rait appartenu à un ennemi de l'Angleterre, « nonob-
stant toute vente qui aurait pu en être faite à des
neutres. »
De même que l'acte par lequel le gouvernement
britannique avait établi un blocus fictif des côtes de
Brest à l'embouchure de l'Elbe avait appelé le dé-
cret de Berlin; de même ces nouvelles dispositions
de l'Angleterre exigèrent que la France y opposât de
nouvelles mesures. Dès que l'Empereur en fut in-
struit, il déclara, le 17 décembre 1807, par un dé-
cret rendu à Milan (n° 43), que « tout bâtiment, de
quelque nation qu'il fût, qui aurait souffert la visite
d'un vaisseau anglais, ou se serait soumis à un
voyage en Angleterre, ou aurait payé une imposition
quelconque au gouvernement anglais, était de fait dé-
nationalisé. » Le principe sur lequel est fondée cette
mesure est évident. Tout comme une nation ne peut
laisser violer son territoire pour exercer des actes
d'hostilité contre vous sans se déclarer votre enne-
— 113 —
mie, ainsi une nation ne peut laisser violer son
pavillon pour l'avantage de votre ennemi , sans se dé-
nationaliser, c'est-à-dire, sans perdre la protection à
laquelle ce pavillon avait droit comme appartenant
à une nation neutre.
Le même décret met les îles britanniques en état
de blocus sur mer comme sur terre; et il y est dit
qu'il sera en vigueur jusqu'au moment où l'Angle-
terre reviendra à des principes conformes au Droit des
gens.
Depuis cette époque , l'Angleterre n'a apporté au-
cune modification à ses ordres du Conseil. Nous ne
nous étendrons pas sur sa conduite envers les Amé-
ricains , sur l'abus continuel qu'elle a fait de ses
forces; personne n'ignore qu'elle en est arrivée à mé-
connaître tous les droits des neutres. L'Europe sait les
tristes résultats de ce système, auquel la France a été
obligée d'opposer les décrets de Berlin et de Milan ;
mais elle n'a cessé de le répéter : que l'Angleterre
révoque ses ordres du Conseil; qu'elle ne regarde plus
les mers, qui sont le bien de toutes les nations,
comme son propre domaine; qu'elle reconnaisse le
Droit maritime fondé sur les usages et les traités de
l'Europe entière, et la France arrêtera ses mesures de
représailles. Le Droit maritime n'est point une chose
douteuse et hypothétique; les nations du Continent
le redemandent tel qu'il était avant la guerre
de 1756, tel qu'il était avant et après la guerre d'A-
mérique. Il est suffisamment exposé dans les pages
qui précèdent : nous allons les résumer, et nous en
tirerons les conclusions suivantes, qui ne sauraient
être contestées.
1 ° Avant la guerre de 1 75G, tous les gouvernements
s'accordaient sur les droits de la navigation neutre,
quant à la franchise du pavillon , au caractère des ob-
XI 8
^ 114 —
jets de contrebande, aux principes du droit de blocus,
et à la liberté de naviguer sur les côtes et aux ports
ennemis; ces droits sont consacrés par des clauses for-
melles dans les traités conclus avant cette époque entre
toutes les puissances.
2° L'Angleterre elle-même a reconnu et consacré
ces droits dans une suite de traités conclus avec les
principales puissances de l'Europe.
3** Dans le cours de la guerre de sept ans, l'Angle-
terre jugea à propos d'ajouter à la liste des articles
de contrebande les munitions navales, et de mettre
des entraves au commerce des neutres avec les colonies
ennemies.
4° L'Angleterre abandonna, à la paix, ses préten-
tions; mais elle les reproduisit dans la guerre de l'A-
mérique, et la résistance de l'Europe à cette innovation
produisit la neutralité armée de 1 780.
5° La guerre étant terminée, l'Angleterre reconnut
de nouveau les principes du Droit maritime; cepen-
dant elle les viola tous dès que les hostilités recom-
mencèrent; et les puissances du Nord reformèrent,
pour la défendre, la neutralité armée de 1 800. Malgré
la malheureuse issue de cette quadruple alliance , le
traité conclu à cette époque entre l'Angleterre et la
Russie conserva encore aux neutres une partie de
leurs droits, en consacrant le principe de la liberté
de leur navigation aux côtes et ports des États belli-
gérants, en restreignant la contrebande aux armes
et munitions de guerre , et en fixant le caractère du
blocus.
6° L'Angleterre , voulant s'affranchir de ces liens
qui défendaient encore les droits des neutres, eut re-
cours, en 1 806, à sa nouvelle doctrine sur le blocus.
7° Forcée de s'opposer à une innovation aussi fu-
neste, la France publia, par représailles, le décret de
— 115 —
Berlin, et opposa ensuite le décret de Milan aux nou-
veaux ordres du Conseil britannique, qui obligeaient
les bâtiments neutres à venir en Angleterre y acquitter
un tribut.
8" Enfin les décrets de Berlin et de Milan n'ayant
été pris que par représailles des mesures attentatoires
au Droit des gens adoptées par l'Angleterre, ils ne
peuvent être révoqués que lorsqu'elle sera revenue
aux véritables principes du Droit maritime qu'elle ou-
trage si violemment depuis le commencement de la
guerre actuelle. L'Angleterre oserait-elle prétendre au
privilège singulier de réclamer sur terre le Droit public
qu'elle a détruit sur les mers?
A l'époque où paraissaient les trois Mémoires que
Ton vient de lire, le système continental était sapé dans
sa base, et la lutte européenne allait changer de théâtre.
Ici donc se termine l'étude des questions maritimes.
On a vu comment les systèmes de la France et de la
Grande-Bretagne naquirent forcément et en concur-
rence; comment ils se provoquèrent mutuellement, se
fondèrent sur des nécessités semblables, et se soutin-
rent par des efforts parallèles; mais, et cette remarque
n'a pas échappé à la sagacité de nos lecteurs, les efforts
de l'Angleterre avaient pour eux les faveurs d'un
rayonnement facile ; par la destruction ou l'asservis-
sement de toutes les marines de l'Europe, l'Amirauté
de Londres était devenue comme présente à tous les
points des mers; de plus, tandis que, au sein même
de la nation anglaise , le patriotisme pouvait soutenir
les projets du gouvernement, et que l'intérêt individuel
pouvait s'unir presque généralement aux mouvements
du patriotisme , il était encore possible et facile aux
Anglais de faire accéder à leur plan le plus grand
— 116 —
nombre des peuples européens; ceux-ci trouvaient
presque tous un avantage direct à commercer avec
l'Angleterre qui, soit en achetant leurs produits, soit
en se chargeant seulement de les transporter ailleurs
et de les vendre, était en état de les satisfaire au moins
jusqu'à un certain point.
Au contraire, par le système de Napoléon, toute
l'Europe était en souffrance'; c'était pour toutes les
nations du Continent un système d'austérité et de pri-
vations; en sorte que pour l'établir généralement et
avec permanence, il aurait fallu imprimer à toute l'Eu-
rope l'esprit modeste du christianisme , en même
temps que le patriotisme ardent des Romains. Un tel
effort dans sa généralité était impossible ; la France uni-
quement ou du moins quelques Français, devaient en
recueillir immédiatement les fruits ; comment espérer
qu'en faveur d'une seule nation du Continent, toutes
les autres nations mettraient leur honneur et leur
force à faire abnégation de leurs plus légitimes inté-
rêts? Napoléon seul était capable de se faire ù un tel
point illusion.
* Un mot de Louis-Napoléon Bonaparte, père du Président actuel de
la République française, et qui occupait alors le trône de Hollande,
caractérise assez bien la situation. « L'on concevra aisément, dit-il en
s'exprimant à la troisième personne, l'horreur que le Roi conçut pour la
violente mesure du blocus , qui ruinait le pays en général et les parti-
culiers, qui l'empêchait de faire aucun bien et rendait sa position si pé-,
nible ; cependant on lui en voulait de tous les côtés , et quand il était
mis par là à la torture, pour ainsi dire , on soupçonnait même ses in-
tentions.
« Le Roi s'entretenait un jour à Amsterdam avec le ministre de Russie,
prince Serge Dolgorouki, militaire distingué, dévoué à son pays et à
son maître , sur la résistance inconcevable de la Hollande au manque
de tout commerce.... Nous vivons d'espérance et au jour le jour, comme
le ciel le permet. L'ambassadeur, qui apparemment voulait découvrir
s'il y avait quelques adoucissements secrets dans les mesures du blocus,
répondit en riant : Ah! sire , il e.s< avec le ciel des accommodements. —
Oui, monsieur, lui répliqua le Roi, mais il n'en est point avec l'enfer;
puis il changea de discours. »
CHAPITRE XXXVITI.
TRAITÉ DE PAIX DE VIENNE OU DE SCHOENBRUNN , DU 14 OCTOBRL
1809, ENTRE LV FRANCE ET L'AUTRICHE.
La paix de Schœnbriinn termina la guerre qui ,
improprement qualifiée de cinquième coalition contre
la France, était la quatrième tentative que faisait
l'Autriche pour soustraire ses peuples et l'Europe en-
tière au joug de Napoléon.
L'exemple d'une nation qui, longtemps méconnue,
luttait, depuis près d'une année, contre toutes les
forces de la France, avait excité dans les âmes de ceux
qui pouvaient apprécier tant d'énergie, un enthou-
siasme qui fit croire à l'Autriche que le moment de
la délivrance était arrivé. Mais cette puissance, que
l'Angleterre ne put seconder comme elle l'aurait voulu,
succomba sous les forces réunies du Continent, dont il
semblait que les souverains fussent entraînés fatale-
ment à river les fers qui les enchaînaient.
Nous diviserons ce chapitre en trois sections.
La première comprend le renversement du trône
d'Espagne, la captivité de ses rois légitimes et le com-
mencement de la guerre de la Péninsule; les deux
autres sections sont consacrées à la guerre d'Autriche
et aux transactions de Schœnbriinn.
SECTION PREMIÈRE.
RENVERSEMENT DU TRÔNE D'ESPAGNE.
« Un empire fondé comme celui de Napoléon ne peut
jamais reposer sur des bases solides : une faute, un re-
vers dans une campagne, l'exposent à chaque instant à
des tempêtes que toute la vigueur de son chef est inca-
pable de surmonter; il était donné à l'empereur des
Français de fournir un mémorable exemple de cette vé-
rité. C'est une ample niaiière à méditations que de voir
le premier coup porté à la puissance de Napoléon, le
coup qui décida par la suite de sa fortune, partir d'un
point qu'il regardait , lui-môme plus que tout le monde ,
comme le moins dangereux. »
« Cette malheureuse guerre m'a perdu. Toutes les cir-
constances de mes désastres viennent se rattacher à ce
nœud fatal. Elle a compliqué mes embarras, divisé mes
forces, ouvert une aile aux Anglais, détruit ma moralité
en Europe. » (Napoléon , Mémorial de Las-Cases.)
Aperçu de l'ancienne puissance de l'Espagne. — Ses ministres veulent
sauver le roi-marlyr.— Avènement de Charles 7F.— -Don Manuel Godoy,
duc de la Àlcudia, premier ministre.— Portrait de ce favori.— Caractère
du roi Charles IV.— PavU du Prince royal. — Effet produit sur le public
par le mariage de Godoy avec l'infante Marie-Thérèse de Bourbon. —
Asservissement de l'Espagne à la France. — Le plus grand forfait poli-
tique de Napoléon, -r Son opinion erronée à l'égard des Espagnols. —
Situation politique de l'Espagne au moment où Napoléon songe à s'en
emparer.— Le parti de l'Opposition , ayant pour chefs le duc de l'infan-
tado et le chanoine don Juan Escoiquig, trame le renversement du
favori. — Le prince des Asturies adhère à ce projet.— Intrigues pour dés-
unir la famille royale. — Le Prince royal sollicite la main d'une nièce
de Napoléon. — Godoy apprend cette démarche par son agent, à Paris,
don Eugenio Yzquierdo. —Accusation qu'il porte contre le Prince, qui
est arrêté ainsi que ses partisans. — Charles IV pardonne à son fils, et
les juges absolvent ses confidents. — Refroidissement de Napoléon pour
Godoy. — Napoléon, à Milan, invite la reine d'Élrurie à partir pour Ma-
drid. — Circonstance curieuse qui fait soupçonner à MM. deMelcy et de
Labrador les projets de Napoléon sur l'Espagne. — Inquiétude de la
Cour de Madrid. — Elle demande la main d'une princesse de la famille
impériale. — Les troupes françaises pénètrent au cœur de l'Espagne.—
Yzquierdo vient rendre compte à Madrid des projets supposés de Napo-
léon. ■— La cour d'Espagne prend la résolution de passer en Amérique.
— Émeute qui éclate, le 19 mars, à Aranjuez. — Godoy est arraché des
mains du peuple et sauvé par le prince des Asturies. — Pillage du palais
de Godoy, à Madrid.— Abdication du roi Charles IV en faveur de son
— 119 —
fils, qui prend le nom de Ferdinand VIL — Il fait annoncer son avè-
nement à Napoléon. — La reine d'Élrurie cnlre en correspondanco
avec Murât. — Charles IV proleste contre son abdication. — Entrée de
Ferdinand VII dans la capitale. — Intrigues pour éloigner le Roi de Ma-
drid. — Oa prépare les appartements de Napoléon au palais royal. —
Insinuations du général Saiary. —Ferdinand VII se résout à aller au-
devant de A'apoie'oM.— Personnages qui accompagnent le Roi à Rayonne.
— Formation d'une Junte suprême de gouvernement. — Circonstance
particulière qui détermine le départ du Roi. — Dépêche expédiée de
Paris à Godoy, par Y;iquierdo. — Récit du voyage du Roi. — Déception
de Ferdinand Vil en arrivant à Rayonne. — Napoléon le déclare re-
belle et lui enjoint de désigner un fondé de pouvoir. — M, de Cevallos ^
refusé, est remplacé par M. de Labrador. — Négociation de M. de La-
brador avec M. de Champagny. —Conférence entre Napoléon et le con-
seiller d'État d'Escoiquis. — Conditions offertes à Ferdinand VII en
échange de sa renonciation, — Charles IV arrive à Rayonne. — Moyens
que l'on emploie pour fléchir Ferdinand VIL — Double renonciation de
ce prince. — Fameux traité de Rayonne, du 6 mai 1808, entre Napoléon
et Charles IV; le général Vuroc : le prince de la Paix. — Ferdinand VII
adhère à la cession du trône d'Espagne faite par son père. — Con-
vention du 10 mai 1808, entre Napoléon et Ferdinand VII; le général
Duroc : don Juan Escoiquig. — Protestations de Ferdinand IV, roi de
Naples et de Sicile, et de l'infant don Pedro. — Départ de la famille
royale d'Espagne pour la France. — Le roi Cluirles IV, que Napoléon
laisse dans la détresse à Marseille, est obligé de vendre ses diamants. —
Représailles des Rourbons, en 1814. — M. de Varias laguna fait ren-
voyer en Espagne les pierreries de la reine Marie-Louise. — Les dia-
mants de la couronne enlevés à Madrid, par Murât, estimés 43 millions.—
Le Conseil royal désigne Josep/t Bonaparte comme successeur au trône
d'Espagne. — Convocation à Rayonne d'une junte de 160 notables. —
Cette assemblée accepte, le 7 juillet, la nouvelle Constitution octroyée
pariVopoieon.— Trois cent mille Français ou alliés succomberont pen-
dant la guerre allumée pour soutenir le nouvel établissement.— Joseph
part pour Madrid. — Traité secret de Rayonne, du 5 juillet 1808, entre
Napoléon et Joseph Bonaparte ;U. de Champagny . le duc de Gallo.— Le
royaume deNaplesest donné à Joachim ilurat. — Statut constitutionnel
du 16 juillet 1808. — Le grand-duché de Rerg est rétrocédé à Napoléon.
— La couronne d'Espagne proposée, antérieurement, au roi Louis Bo-
naparte. — Lettre de l'Empereur. — Insurrection du 2 mai à Madrid. —
Décrets de Ferdinand VII, relatifs au commencement des hostilités et à
la convocation des Cortès. — Lettre de ce prince au commandant de
l'armée des Âsturies. — Mouvements populaires dans les principales
villes. — Massacres et régime de la terreur. — Formation des juntes
centrales. — La Junte suprême de Séville exerce le pouvoir souverain
au nom de Ferdinand VII. — Elle déclare la guerre à Napoléon. —
Proclamation du 29 mai. — Déclaration du C juin. — Adresse de Palafox
à Napoléon. — Étal des forces espagnoles. — Moyens de résistance "a
l'invasion. — Instructions générales pour les guérillas. — Princii)aux
chefs de guérillas. — Curieux catéchisme populaire. — L'amiral Hosilly,
retenu dans le port de Cadix, est obligé de capituler. — Expédition du
général Moncey contre Valence. — Ralaille de Médina del Rio Seco, du
— 120 —
14 juillel; maréchal Bessières sur le général Cuesta. — Combat et capi-
tulation de Baylen, du 20 juillet; CastaTios sur Dupont. -~ Joseph Bona-
parte abandonne Madrid le i" août. — Belle proclamation de Castanos.
— La ville de Saragosse assiégée depuis le 14 juin jusqu'au 13 août, par
Lefebrre-Desnouettes, est défendue avec succès par Palafox. — Lettre
fameuse de Palafox en réponse à une demande de soumission. — Le
marquis de la Romana débarque à la Corogne. — Publication du gou-
vernement britannique annonçant le rétablissement de la paix avec
l'Espagne. — Les Portugais suivent l'exemple de l'Espagne. — Commen-
cement de l'insurrection, le 6 juin, à Oporto. — Expédition de sir Artlmr
Weîlesley {Wellington) contre Lisbonne. — Le général Spencer arrive
de Cadix et prend part aux opérations.— Combat de Rorissa, le 17 août;
sir Arthur Weîlesley sur le général Lahorde. — Bataille de Vimeiro ,
le 21 août; sir Arthur Weîlesley sur le duc d'Abrantès. — Sir New Dal-
rymplfi prend le commandement de l'armée. — Armistice de Cintra, le
22 août, et convention de Lisbonne le 30. — Weîlesley, Murray : Kel-
lermann. — Jugement porté en Angleterre sur la convention de Cintra.
— L'amiral Siniavine, par la convention du Tage, du 3 septembre, re-
met l'escadre russe à l'amiral Cotton. — Elle est rendue à l'empereur
Alexatidre, en 1814. — Nouveaux développements de la politique de
Napoléon. — Message qu'il adresse au Sénat, le 4 septembre 1808. —
Premier rapport fait à l'Empereur, le 24 avril, par le ministre des Rela-
tions Extérieures, Champagny. — Second rapport, du 1" septembre. —
Rapport fait à l'Empereur par le ministre de la guerre, comte d'Hune-
bourg. — Motifs du sénatus-consulte exposés par le comte Regnault de
Saint-Jean d'Angdy. — Rapport fait au Sénat par le comte de Lace'pède.
— Napoléon fait proposer une entrevue à l'empereur Alexandre. —
Congrès d'Erfurlb, en octobre 1808. — Principaux résultats des confé-
rences des deux Empereurs. — Consentement donné par l'empereur
Alexandre aux projets de Napoléon sur l'Espagne. — Adhésion de
Napoléon à la réunion définitive des provinces moldo-valaques à l'em-
pire russe. — Motifs de cette extension de limites. — Question du par-
tage de la Turquie. — Projet de reconstituer les empires d'Orient et
d'Occident, — Intervention de l'empereur Alexandre en faveur de la
Prusse. — Accession du duc d'Oldenbourg à la confédération du Rhin. —
Au moment de son départ de Saint-Pétersbourg, l'empereur Alexandre
apprend le bombardement de Baltisch-Port. — Arrivée des deux Empe-
reurs àErfurth, le 27 septembre.— Les rois de Bavière, de Saxe, deWiir-
temberg, de Westphalie et soixante et onze princes se trouvent réunis
àErfurth.— Dignitaires et ministres d'État des premières puissances. —
Circonstances diverses du séjour des souverains à Erfurlh. — Motif du
changement de l'ambassade russe à Paris. — Le prince Kourakine rem-
place le comte Tolstoï. — Napoléon donne audience à l'Envoyé de l'em-
pereur d'Autriche. — Convention secrète d'Erfurth, du 12 octobre 1808,
entre la France et la Russie; le comte de Champagny : le comte Roum antsnf.
—Projet de nouer une négociation avec l'Angleterre. — Les souverains
distribuent les décorations et présents d'usage.— Munificence d'^ lexandre.
— Axiome de iVapo/^on au sujet des présents diplomatiques.— Un mot de
Louis Xf T. — Séparation du Congrès, le 14 octobre. — Impressions que
l'entrevue d'Erfurth laisse dans l'esprit de iV^apoZe'o/i.- Négociation pour
la paix maritime.— Lettres d'Alexandre et de Napoléon à George II/, 12 oc-
— 121 —
tobre 1808. — Lettre d'accompagnement de MM. de Champagny et Rom-
mantsofaM, Canning. — Note en réponse (28 octobre) de M. Canning, et
lettre d'accompagement au comte Rouinantsof. — Notes en réponse
(28 novembre) des ministres de Russie et de France. — Dernières Notes de
M. Canning (9 décembre), — Rupture des négociations.— Déclaration du
roi d'Angleterre du 15 novembre 1808.— Seconde campagne de 1808 dans
la Péninsule. — Formation de la Junte suprême centrale. — La grande
armée envahit l'Espagne. — Napoléon arrive à Rayonne le 3 novembre.
— Combat de Guenez, le 7 novembre; les Français sur Blake. —
Bataille de Burgos, le 10 novembre; maréchal Sou/t sur le comte de
BeMder. — Bataille d'Espinosa , les 10 et il novembre; maréchal
Tictor sur Blake et la Romana. — Bataille de Tudela, le 23 novembre;
maréchal Latines sur Castanos. — Bataille de Somo-Sierra, le 30 no-
vembre; Napoléon sur San Juan. — A'opoîeon s'établit à Chamartin.
— Le prince de iVeu/"c^drei somme Madrid de se rendre. —Vigoureux
préparatifs de défense de la part des habitants. — Don Tomas Morla
et don Bernardo Iriarte sont envoyés en parlementaires. — Relation
de l'audience qu'ils obtiennent de l'Empereur. — Origine des pré-
ventions de Napoléon contre le président de la Junte centrale,
Florida-Blanca. — Napoléon et le célèbre diplomate de Rayneial, —
Occupation de Madrid par l'armée française. — L'Inquisition est abolie.
— Napoléon instruit de la marche de l'armée anglaise sur Valladolid, se
porte à sa rencontre.— Retraite du général Moore sur la Corogne.— 5^a-
foléon api>Tead à Benavente les armements de l'Autriche. — Le duc de
Dalmatie est investi du commandement de l'armée.— Napoléon arrive à
Paris le 23 janvier 1 809.— Bataille de la Corogne le IG janvier; le maréchal
Soult sur le général Moore, blessé mortellement. — Capitulation de la
Corogne le 19. — Le maréchal Soull est maître de toute la province. —
L'Angleterre conclut une alliance intime avec l'Espagne. — Traité de
Londres du 14 janvier 1809; M. Canning: don Juan Ruiz de Apodaca. —
Considérations générales sur les événements accomplis dans la Péninsule.
Quelques lignes d'un grand écrivain doivent servir
de préambule à notre récit. « Depuis la dernière
moitié du xv* siècle jusqu'au commencement du xvii",
dit M. de Chateaubriand , l'Espagne fut la première
nation de l'Europe : elle dota l'univers d'un nouveau
monde; ses aventuriers furent de grands hommes;
ses capitaines devinrent les premiers généraux de la
terre; elle imposa ses manières et jusqu'à ses vête-
ments aux diverses Cours; elle régnait dans les Pays-
Bas par mariage, en Italie et en Portugal par conquête,
en Allemagne par élection, en France par nos guerres
civiles; elle menaça l'existence de l'Angleterre après
avoir épousé la fille de Hetiri VIII / elle vit nos rois
— 122 —
dans ses prisons et ses soldats à Paris; sa langue et
son génie nous donnèrent Corneille. Enfin elle tomba;
sa fameuse infanterie mourut àRocroy, de la main du
grand Condé; mais l'Espagne n'expira point avant
qTÏ Anne d'Autriche n'eût mis au jour Louis XIV , qui fut
l'Espagne même transportée sur le trône de France,
alors que le soleil ne se couchait pas sur les terres de
Charles-Quint. »
L'Espagne , sous la famille de Louis le Grand, s'en-
sevelit dans la Péninsule jusqu'au commencement
de la Révolution. Ses ministres^ voulurent sauver
Louis XVI; « mais Dieu attirait à lui le martyr ; on ne
change point les desseins de la Providence à l'heure
de la transformation des peuples. »
Charles IV fut appelé à la couronne en 1778. Peu
après parut sur la scène Godoy. D'abord favori de la
reine Marie-Louise, il ne tarda pas à captiver la bien-
veillance de Charles IV lui-même. Huit ans s'étaient
à peine écoulés depuis son entrée dans les gardes, que
Godoy j avec le titre de duc de la Alcudia, était déjà à la
tête des affaires, et jouissait d'un crédit tel que nul autre
favori peut-être n'en avait eu de semblable à la cour de
Madrid, sans qu'aucun talent remarquable justifiât aux
yeuxdupubliccetascendantextraordinairesur le couple
* Le comte cI'Aranda (qui venait de remplacer Florida-Blanca) et
don Manuel Godoy, son successeur, au lieu de rompre toule relation
avec la France, à l'exemple des autres gouvernements , et dans l'espoir
de conserver quelque influence au sein de la Convention , avaient non-
seulement déclaré la neutralité de l'Espagne, mais ils avaient aussi retiré
les forces qui couvraient les Pyrénées. Enfin le jour même du jugement
de l'infortuné monarque, au moment du dépouillement des votes, le
président de la Convention annonça une communication du ministre
des Affaires Étrangères qui transmettait une dépêche de l'ambassadeur
d'Espagne. Le chevalier d'OcARiz oS'rait, si l'on voulait suspendre le
jugement de Louis, d'expédier sur-le-champ un courrier à sa Cour pour
solliciter sa médiation armée entre les puissances belligérantes ; et il se
flattait du succès de cette démarche.
— 423 —
royal. Ce n'était pourtant pas non plus un homme dé-
pourvu de capacité; de l'aveu même de ses ennemis,
son jugement était naturellement sain , son intelli-
gence extrême, sa mémoire prodigieuse. Lorsque l'ha-
bitude l'eut familiarisé avec les affaires, ses décisions
étaient promptes et heureuses. 11 connaissait parfaite-
ment les hommes et les employait avec un tact particu-
lier; mais ses dispositions naturelles n'avaient point
été cultivées par l'éducation. Godoy ne savait pas d'autre
langue que la sienne, qu'il parlait incorrectement. Ses
manières n'avaient rien de distingué ; ses expressions
étaient triviales, quelquefois grossières ; son style était
incorrect; il ignorait les notions les plus simples et les
plus élémentaires des sciences et des arts, et ne savait
pas un mot d'histoire ni de géographie. Aussi, dans la
longue carrière de sa faveur, joua-t-il mal son rôle dans
les scènes d'apparat. A la vérité, la fortune ne lui
avait pas donné le temps d'étudier; transporté comme
par enchantement d'une caserne au pinacle, sa raison
n'était formée ni par l'expérience de l'âge ni par celle
du malheur. 11 donnait à sa toilette une importance
ridicule et soignait son teint comme aurait pu le faire
une jolie femme. Avare et cupide, il s'occupait des
plus petits détails de sa dépense, acceptait les plus
modiques présents, était mesquin dans ceux qu'il fai-
sait lui-même; il touchait les émoluments de ses
moindres places. Sans aucun goût pour l'état militaire,
il aimait à se chamarrer de marques distinctives et de
broderies; mais il ne paraissait jamais aux revues et
parades, et ne commandait jamais les manœuvres des
troupes. Ses ennemis lui reprochent encore d'avoir
mené une vie licencieuse, d'avoir aimé la basse flatte-
rie, de n'avoir jamais donné preuve de courage, et
d'avoir persécuté et exilé beaucoup de monde; on ne
lui épargne qu'une seule imputation , celle d'avoir ré-
— 124 —
pandu le sang. C'est sous de telles couleurs qu'on nous
présente, dans une publication faite par ordre de Fer-
dinand VII f rhomme auquel le faible Charles IV ^ livra
les destinées de l'Espagne , qu'il éleva à la grandesse ,
qu'il fit généralissime des forces de terre, grand ami-
ral, etc. Il avait même une garde, et il ne tenait qu'à
lui de se considérer comme le vice-roi d'Espagne et
des Indes. Le prince des Asturies trouvant cet homme
entre lui et la Reine lui voua une haine implacable, et
tous les mécontents furent dès lors du parti du Prince
royal. Ce fut un spectacle révoltant pour la nation
de voir la Reine préférer un favori à son propre fils.
Cela seul suffisait pour faire haïr généralement le pre-
mier et attirer tout l'intérêt public sur le Prince.
Mais l'indignation fut au comble , quand on vit
le débonnaire Charles IV pousser la condescendance
pour la Reine jusqu'à forcer sa propre cousine, la
fille de l'infant don Louis de Bourbon ^ à épouser le
favori '.
' Ceux qui n'ont pas connu personnellement le roi Charles IV, disait
un de ses ambassadeurs , n'ont pas une idée exacte de lui. Il ne man-
quait pas d'esprit naturel et il avait assez d'instruction ; mais Charles III
lui avait inspiré le goût de la chasse, et, lorsqu'il revenait de la chasse,
il ne voulait s'occuper de rien. Aussi reçut-il comme un bienfait de la
part de la Reine la présentation du jeune Godot comme ministre, et il
fut encore plus enchanté lorsque la Reine demanda à être admise au
Conseil ; car alors Charles IV, calculant que son avis ne pouvait pré-
valoir contre l'opinion de la Reine et celle du favori, cédait à sa paresse
naturelle et ne prenait aucune part aux délibérations. Plus tard , il
se plaisait mieux à Naples qu'au palais Borghèse de Rome, où il
habitait avec la Reine et Godoy. Il disait un jour qu'il aimait beaucoup
Naples à cause de son climat; mais qu'il préférait finir ses jours eu
Espagne, où il n'aurait rien à craindre, n'ayant jamais fait de mal à
personne. « // n'en serait pas de même, ajoutait-il, j^our Madame et pour
Godoy qui ont été la cause de la ruine de l'Espagne. »
* Afin de contre-balancer l'irritation des esprits , on voulut relever
l'origine de Godoy, et des généalogistes furent chargés de lui trouver
d'illustres ancêtres : un d'eux mérita la palme ; il parvint à faire re-
monter la filiation de Godoy jusqu'à l'empereur Montezuma.
— 125 —
Le premier acte éclatant de la politique extérieure
de Godoy avait été la conclusion de la paix de Baie \
Depuis ce traité, TEspagne s'était montrée l'alliée fidèle
de la France ; elle avait livré à Napoléon ses Hottes ,
ses troupes, ses trésors; elle s'était soumise sans mur-
mure à tous les sacrifices que ce dominateur imposait
à ses alliés , et avait obtempéré à toutes ses réquisi-
tions. Tant de déférence fut récompensée par la plus
odieuse ingratitude. Nous allons rapporter le plus
grand forfait politique de Napoléon; un acte si indi-
gne de la majesté souveraine, que l'Europe étonnée ne
voulut pas y ajouter foi, et que les documents les plus
authentiques furent à peine suilisants pour vaincre
l'incrédulité de ceux qui pensaient qu'un pareil retour
aux pratiques ténébreuses de l'Italie du moyen âge
était impossible, au milieu de notre civilisation. « Pas
plus après leur mort que de leur vivant, a dit M. Guizot ,
il ne faut flatter les grands hommes; et leurs er-
reurs, leurs torts, leurs vices, leurs crimes, quand ils
en ont commis, doivent être mis en lumière et sévère-
ment jugés. C'est le droit et le devoir de l'histoire*. »
Depuis douze ans, comme nous l'avons dit, la cour
de Madrid s'était asservie à don Manuel Godoy. La
pusillanimité et l'inconséquence qu'il montra dans les
conjonctures difficiles où se trouvait l'Espagne , con-
tribuèrent à affermir l'erreur qui faisait considérer les
Espagnols comme une nation dégénérée, plongée dans
l'apathie et incapable du moindre effort. C'est ainsi
que des observateurs superficiels nous avaient dépeint
• C'est ce traité qui lui valut le titre de itrince de la Paix (d'un
domaine en Amérique, et aussi par allusion ) , chose toute nouvelle en
Espagne, où l'on ne donnait le titre de prince qu'à l'héritier de la cou-
ronne. Yoy. t. V, p. 305 de celle Histoire des Traités.
* Discours d'inauguration de la slalue de Guillaume ll Conqué-
rant.
— 126 —
une nation pleine de patriotisme, animée d'un zèle
ardent pour l'honneur, attachée à son Dieu, à sa reli-
gion, à ses mœurs, à ses institutions*; mais à laquelle
l'incurie d'une suite de gouvernements d'intrigue et
d'égoïsme n'avait pas permis de déployer ses vertus.
Napoléon la supposa telle, lorsque, confondant la gra-
vité avec l'indifférence , il crut qu'il lui serait facile
de subjuguer un peuple, à ses yeux, incapable de
manier les armes.
• La situation politique de l'Espagne , au moment où Napoléon son-
gea à l'annexer à sa cause, était bien différente de celle où s'était trou-
vée la France, au moment où la Révolution avait éclaté. En France, il
y a soixante ans, les hommes des classes élevées n'étaient pas les seuls
qui eussent ouvert leur esprit aux idées philosophiques ; ces idées avaient
également gagné le peuple : ainsi c'était le corps entier de la nation qui
en était pénétré, ce qui rendait inévitable le renouvellement de toutes
les institutions. Il n'en était pas de même en Espagne ; les hommes des
premiers rangs, qui avaient voyagé et participé à la civilisation euro-
péenne, étaient seuls éclairés : c'est aussi parmi eux uniquement qu'il
se forma un parti français. Or c'est par le peuple que l'on fait les révo-
lutions; quand il y résiste, quand il s'y oppose, elles sont impossibles.
Deux dogmes régnaient en Espagne sur l'opinion du peuple, le dogme
de la légitimité de la famille régnante et le dogme catholique, l'un et
l'autre assez ardents pour repousser avec fanatisme les attaques qui
leur étaient livrées, l'un et l'autre, s'ils étaient opprimés, pouvant
prendre les couleurs fortes du patriotisme et les couleurs horribles de
la vengeance.
Napoléon attaqua le premier de ces dogmes; aussitôt le peuple an-
glais, qui a exclu de son Droit public la légitimité de droit divin, en devient
le défenseur chez le peuple espagnol, et il annexe à cette cause celle
du dogme catholique que cependant il repousse également de son île.
On a toujours vu et l'on verra toujours que la force politique emploie
les leviers de tous genres, parce que, étant la force la plus générale
entre les hommes, tous les leviers humains lui appartiennent également.
La conduite des Anglais, en cette circonstance, était naturelle ; elle était
de droit; elle était motivée par la résistance à la destruction.
Le grand malheur pour Napoléon, à cette époque, c'est que les cir-
constances lui tendirent un piège; la division, déjà très-prononcée dans
la famille régnante , lui fournit les moyens de saisir un trône sans
coup férir ; il crut devoir mettre à profit une situation de choses res-
semblante à celle qui s'était fréquemment présentée dans l'histoire des
Romains Mais il oubliait que les Romains, dont il imitait la conduite.
— 127 —
Il s'était formé dans la capitale de l'Espagne un parti
qui travaillait à délivrer la nation de la honte d'être gou-
vernée par un homme aussi généralement détesté que
don Manuel Got/oî/. Le duc de l'Jn/anfarfo, d'une des pre-
mières maisons castillanes, le chanoine don Juan Es-
coiquiZf qui avait élevé le prince des AsturieSy étaient
à la tête de ce parti. Ils y entraînèrent l'héritier de la
couronne , prince de vingt-trois ans, manquant d'ex-
périence. Dès l'année 1 806 , il avait remis au duc de
Vlnfantado un décret par lequel il le nommait com-
mandant des troupes de la Nouvelle-Castille, pour le
cas où son père viendrait à mourir. On rédigea un mé-
moire dans lequel les crimes du favori étaient détail-
lés, et où l'on invitait le Roi à éloigner de sa personne
un ministre odieux à la nation. Le Prince avait éga-
lement dressé par écrit le plan de l'association.
JVa/)o^eon n'ignorait pas les dispositions du Prince;
il résolut de s'en servir afin de jeter la désunion dans
la famille royale , et d'en profiter pour l'exécution de
ses desseins. Le prince des Asturies communiqua
son projet à l'ambassadeur de France , qui flatta
ses passions pour s'emparer de son secret. Ce fut
d'après le conseil de ce ministre qu'il écrivit, le
1 1 octobre 1 807 , à l'Empereur , une lettre dans
laquelle il exprimait son désir de s'unir à une prin-
ne rencontraient jamais, dans leurs usurpations, d'autre obstacle à ren
verser que celui de la force nationale ; le fanatisme religieux était étran-
ger aux peuples leurs contemporains ; et il était rare que ceux-ci ,
lorsqu'ils étaient attaqués, trouvassent des appuis vigoureux dans les
peuples de leur voisinage ; les communications entre peuples contig;us
n'étaient pas encore devenues faciles ; et , de plus , l'histoire de l'espèce
humaine, encore mal recueillie, peu connue , ne frappait ni les peuples
ni les rois d'une forte prévoyance. Aujourd'hui , la facilité et la multi-
plicité des communications entre les États, les a tous rendus avertis et
solidaires. Napoléon était trop impatient, trop emporté pour faire de
ces réflexions générales, seul guide de la prudence; dans l'impétuosité
de ses désirs, il confondait tous les peuples et tous les temps.
— 128 —
cesse de France *. Celui-ci ne rejeta ni n'accueillit la
demande ; mais Godoy, que le traité de Fontainebleau
venait de créer souverain des Algarves, fut instruit
des démarches de l'héritier de la couronne par le con-
seillerd'Étatdon Eugenio Yzquierdo, directeur duMusée
d'histoire naturelle à Madrid, et qui, à l'ombre des
recherches scientifiques auxquelles il se livrait à Paris,
suivait dans cette résidence les négociations que lui
confiait le favori. Ce dernier trouva moyen de se saisir
des papiers du prince des Asturiesj et tel fut le pouvoir
qu'il exerçait sur le couple royal , qu'il lui persuada
qu'un fils avait voulu non-seulement ravir le trône à
son père , mais même préméditait d'attenter à ses
jours -.
Le 30 octobre 1 807 , le prince des Asluries et ses con-
fidents furent arrêtés. L'audacieux favori transgressa
tout respect humain jusqu'à faire signer au faible mo-
narque une proclamation par laquelle il accusa son fils
d'un parricide. L'indignation qu'une nation généreuse
devait ressentir à la lecture d'une accusation qu'il au-
rait fallu dérober au public, si elle avait été fondée, se
tourna tout entière contre Godoy; on le supposait capable
de consommer le crime qui paraissait être le but de cette
• Il était question ici d'une fille de Lucien Bonaparte. Don Juan
EscoiQuiz , dans la célèbre conversation qu'il eut avec Napoléon, le
2 mai i 808 , et que nous rapporterons plus loin, rappela à celui-ci que
la lettre de Ferdinand avait été sollicitée, au nom de Napoléon, par
son ambassadeur, M. de Beadharnais. Napoléon répondit : « En ce
cas , mon ambassadeur oulre-passa ses pouvoirs ; » expression vague
d'un faible désaveu.
* Cette accusation était fondée sur le décret remis au duc de I'In-
fantado, que nous avons cité plus haut. Le Prince, interrogé sur ce
chef d'accusation, répondit qu'ayant soupçonné que Godoy pourrait
s'emparer du gouvernement, si, par malheur, le Roi, son père, venait à
mourir, on lui conseilla de prendre d'avance cette mesure, en confiant
au duc de I'Lnfantado le pouvoir de diriger au besoin la force ar-
mée, dans le cas où il faudrait soutenir l'héritier de la couronne.
— 129 —
intrigue. Don Manuel, de son côté, effrayé du silence
observé dans cette circonstance par Napoléon , dont
les troupes entraient alors en Espagne , aux termes
du traité de Fontainebleau, fit jouer à la Reine le rôle
de médiatrice entre un père irrité et un fils auquel on
avait arraché l'aveu de ses liaisons avec un ministre
étranger.
Une proclamation du 5 novembre apprit à la nation
que le cœur paternel du Roi avait pardonné au prince
des Asturies. On fit cependant le procès à ses confi-
dents; mais, grâce à l'intégrité des juges, l'influence
de Godoy fut impuissante à leur faire reconnaître un
crime dans une action qui ne méritait que d'être
taxée d'imprudence, ou tout au plus d'indiscrétion.
Cet événement avait affaibli la considération dont
jouissait la famille royale, et porté au comble la
haine publique contre le prince de la Paix; ce
ministre perdait chaque jour de son autorité. Les nou-
velles qu'il recevait de son agent en France le trou-
blaient. Napoléon j, voyant que Godoy s'était compro-
mis, et que l'opinion publique se déclarait contre le
couple royal, ne répondit pas aux lettres du 29 octo-
bre , par lesquelles on lui avait annoncé la prétendue
conspiration; ce silence était bien fait pour exciter
des inquiétudes dans l'esprit d'êtres pusillanimes; il
pouvait les entraîner à quelque inconséquence dont
on profiterait pour les perdre. On trouva un prétexte
pour ne pas laisser approcher Yzquierdo de la personne
de celui auprès duquel il était accrédité, afin qu'il ne
pût pénétrer le fond de sa pensée. La précipitation avec
laquelle la reine d'Éfjune* fut obligée d'abandonner
' On se rappelle que Napoléon, qui avait cédé la Toscane à l'Espagne,
au prix de la Louisiane, de trente millions de francs et de six vaisseaux
de ligne armés, jugea à propos de la reprendre en donnant à la reine
d'ÉTRiRiE, veuve depuis 1803, la ville d'Oporto et un territoire de trois
XI 9
— 130 —
son trône, avant d'avoir été mise en possession de
l'indemnité qu'on lui avait promise, augmenta les
craintes de la cour de Madrid. Godoy^ se voyant
menacé de perdre les bonnes grâces de Napoléon , en-
cent mille âmes, en échange de la Toscane peuplée de plus d'un million
d'habitants. Aumoment dont nous parlons, Napoléon se trouvait à Milan;
il écrivit de cette résidence à la reine d'Étrurie que le traité d'échange
entre laToscane et le territoire d'Oporto pour cette princesse et celui des
Algarvespour le prince de la Paix, n'aurait dû s'effectuer qu'à la paix
générale, mais qu'une imprudence de M. de BeauhaRiNAIS avait rendu
ce traité public; que dès lors la Reine ne pouvait plus rester à Florence,
et qu'il la priait de se rendre à Milan. Lorsque la Reine fut arrivée dans
cette ville, Napoléon décida le voyage de cette princesse pour Madrid.
Le séjour de Napoléon à Milan a été marqué par une autre circon-
stance curieuse et relative aux affaires d'Espagne. Presque tous les jours
il allait faire de longues visites à M. de Melcy, alors duc de Lodi ; ce
ministre avait des parents en Espagne et il avait habité Saragosse, il
possédait en outre le comté de Héril. On croyait que les longues visites
de Napoléon avaient pour but les affaires d'Italie, mais il ne faisait que
prendre quelques livres et surtout examiner la carte d'Espagne, ce qui
fit penser à MM. de Melcy et de Labrador , et au général O'Farril ,
alors auprès de la reine d'Étrurie, que Napoléon avait des vues sur la
Péninsule. Ce qui n'était qu'un soupçon devint bientôt une certitude;
effectivement, un souverain, qui se trouvait aussi à Milan , dit un jour
à MM. de Labrador et O'Farril qu'il était l'allié de Napoléon , mais
qu'avant tout il était l'ami et le parent du roi d'Espagne; qu'il leur disait
donc en confidence que, se promenant en voiture avec Napoléon,
celui-ci avait demandé au général Berthier quand les cent mille hommes
seraient prêts à passer les monts. Comme toute l'Italie était alors occupée
par les troupes françaises, évidemment par ces cent mille hommes prêts
à passer les monts , on ne pouvait entendre qu'une armée française
s'apprêtant à franchir les Pyrénées.
M. de Labrador , qui était ministre d'Espagne auprès de la reine
d'Étrurie, informa sa Gourde ces propos par un courrier extraordinaire;
mais l'aveuglement de la reine Marie-Louise et de Godoy était tel
qu'on lui répondit que jamais le Cabinet espagnol n'avait reçu autant
de preuves de la bienveillance de Napoléon, à qui on donnait le titre
d'intime ami et d'allié. A ce moment, le futur prince des Algarves avait
encore la simplicité de croire à l'exécution du traité de Fontainebleau.
Il ne comprenait pas la politique astucieuse , mais profonde, au moyen
de laquelle Napoléon , en introduisant les armées françaises dans le
cœur de la Péninsule, réussirait d'un seul coup à abattre le Portugal et
à se rendre l'arbitre des destinées de l'Espagne.
— 131 —
gagea le Roi et la Reine à lui demander pour leur ù\s
la main d'une princesse delà famille impériale. Napo-
léon l'accorda en termes vagues; il nia d'avoir reçu
une demande semblable du prince des Asturies,
Cependant, le nombre des troupes françaises qui
avaient passé les Pyrénées, sous le prétexte de se ren-
dre en Portugal, augmentait journellement, et la fer-
mentation s'accroissait parmi le peuple : en vain la
Cour essaya-t-elle de le calmer; les proclamations
qu'elle publia trahissaient l'embarras où elle se trou-
vait. La seconde armée française dont Murât avait
pris le commandement, dans les premiers jours de
janvier 1808, s'approchait, à marches lentes, de la
capitale, pendant que Napoléon exprimait son mécon-
tentement de ce qu'après avoir recherché la main
d'une princesse française, on ne donnait pas suite
à cette demande. C'est alors qu Yzquierdo arriva de
Paris ù Aranjuez, et fit part à don Manuel Godoy d'une
conférence qu'il avait eue avec le prince de Talleyrand,
dans laquelle celui-ci s'était montré très-courroucé
contre le prince de la Paix, et avait donné à entendre
que le mouvement de l'armée française sur Madrid
n'avait d'autre but que l'éloignement de ce favori.
Aussitôt que le Roi et la Reine eurent connaissance
de cette communication, on prit la résolution, dans
le plus grand secret, à l'exemple de la cour de Por-
tugal, d'abandonner le royaume, de partir pour Ca-
dix, et de là pour l'Amérique espagnole. C'était juste-
ment le but que s'était proposé Napoléon.
Il fut convenu que l'on se rendrait d'abord à Sé-
ville; mais lorsque ce projet transpira dans le public,
il répandit une si grande consternation , que le Roi
fut obligé de déclarer, par une proclamation du
16 mars , qu'il y renonçait.
Les préparatifs du voyage n'en ayant pas moins
— 132 —
continué, un tumulte éclata à Aranjuez le 19 mars;
aussitôt l'hôtel du prince de la Paix est forcé et mis
au pillage; Godoy, abandonné de ses propres gardes,
se cache dans un grenier, où il est découvert et arrêté
après trente -six heures d'angoisses; entraîné dans
la rue, blessé et couvert de sang, il n'est soustrait à
la fureur du peuple que par le prince même des Astu-
rieSy qui promit de lui réserver un jugement solennel.
Charles IV destitua le prince de la Paix et ses adhé-
rents, des charges qu'ils remplissaient. Cette condes-
cendance tardive ne servit qu'à augmenter le désor-
dre, carie peuple de Madrid se crut dès lors autorisé
à saccager le palais du favori; du reste, sa fureur se
porta uniquement contre Godoy, et pas un cri ne s'é-
leva contre le Roi.
Le jour même de l'émeute, Charles IV exhorta, par
une proclamation, les habitants de la capitale à bien
accueillir les troupes françaises qui, se rendant à Ca-
dix, passeraient par Madrid; par un décret, il char-
gea le prince des Asturies de diriger le procès du
prince de la Paix; et par un second décret il renonça
au trône en faveur de son fils.
On a pu dire, dans le temps, que cette démarche
avait été imposée par la violence; mais on sait aujour-
d'hui que rien ne coûta moins au Roi que cette réso-
lution; elle fut, pour ainsi dire, une suite du dégoût
que depuis longtemps il éprouvait pour les affaires du
gouvernement, et qu'il n'avait surmonté que pour
complaire à la Reine et à son favori *.
• Il montrait la plus grande satisfaction , et dit au nonce du Pape ,
monseigneur Gravina, et au comle Strogonoff, ministre de Russie, qu'il
n'avait jamais rien fait avec autant de plaisir ; et, pourle prouver , il ajouta
que son bonheur était tel , qu'il lui avait rendu , malgré le rhumatisme
qui le tourmentait, la faculté de signer. Au reste , l'éloignement qu'avait
Charles IV pour les affaires s'explique parfaitement par le genre de
vie qu'avait adopté ce prince. Il ne s'était jamais occupé que de sa pas-
— 133 —
Le premier soin du nouveau roi, qui prit le nom de
Ferdinand VII, fut de rétablir la tranquillité à Madrid j
il fallut quatre jours pour obtenir ce résultat.
Le plan de Napoléon se trouva bouleversé par l'évé-
nement du 19 mars. Au lieu d'une Cour faible et per-
due dans l'opinion publique, il trouvera un jeune
prince, entouré de conseillers énergiques , et acclamé
avec enthousiasme par son peuple. Cependant Murât
et Dupont se rapprochaient de Madrid, l'un par la route
de Valladolid , et l'autre par celle de Ségovie. Le 2 avril,
Napoléon quitta Paris pour se rendre à Bayonne ; le nou-
veau roi lui fit annoncer son avènement au trône. L'En-
voyé de Ferdinand VII fut reçu avec froideur; mais
Napoléon ne s'expliqua pas sur ses vues. Cependant
Charles IV était mécontent de ce qu'on lui eut assigné
Badajoz pour sa résidence future ; son épouse regret-
tait vivement un trône auquel le désir de sauver le
prince de la Paix avait seul pu la faire renoncer. A
son instigation, la reine d'Etrurie, sa fille, entra en
correspondance avec le grand-duc de Berg, confident
supposé, mais à tort, des projets de son beau-frère ;
ce prince, auquel s'offrait la perspective de la cou-
ronne d'Espagne, pour lui-même, saisit avec empres-
sement cette occasion pour rendre impossible une ré-
conciliation entre le père et le fils. Un de ses aides de
camp fut député auprès de Charles IV, qui lui remit
une protestation , datée du 21 mars , mais écrite en
sion pour la chasse et de Tenfantillage appelé maison de ferme ou casa
del labrador, qu'il avait fait bâtir dans le jardin d'Aranjuez, et qui n'a
jamais servi pour donner un logement à la famille royale ni pour une
fête quelconque. C'était tout simplement un magasin de pendules, de
petits meubles et de curiosités, achetés la plupart à Paris, à des prix
exorbitants. Le rez-de-chaussée de celle petite maison étant au-dessous
du niveau du Tage, devenait en hiver un petit lac. Malgré cela, en 1 808,
Charles IV, à qui la goutte ne permetlait plus l'amusement de la
chasse, avait donné l'ordre de réunir deux millions de réaux pour agran-
dir cette singulière maison de plaisance.
— 134 —
réalité le 23, et dans laquelle il déclara son abdication
extorquée par la violence et nulle.
Le 23 mars, Murât entra dans Madrid à la tête d'une
partie de ses troupes; les autres campèrent sur les
hauteurs qui entourent cette ville. Le lendemain, Fer-
dinand VII qui, depuis l'abdication de son père, avait
habité Aranjuez, fit son entrée dans la capitale. Sen-
tant l'impossibilité de rien entreprendre de décisif,
tant que le Roi se trouverait entouré de ses sujets,
Murât résolut de tout tenter pour l'éloigner de Madrid.
Il fut aidé dans ce dessein par des suggestions perfi-
des venues d'un autre côté, et qui, trompant le jeune
roi sur les dispositions de Napoléon, l'entraînèrent
dans l'abîme. Ferdinand avait d'ailleurs envoyé son
frère don CaWos à la rencontre de l'empereur des Fran-
çais, qui, par un ordre du jour du 2 avril, annonçait
à l'armée son arrivée prochaine.
c( Dès lors on lui prépara un appartement au palais
royal , et aussitôt l'ambassadeur Beauharnais fit dé-
poser sur une table du salon le petit chapeau et les
autres attributs inséparables de son maître. Le gé-
néral Savary demanda s'il ne serait pas convenable
que le prince des Asturies , nom que l'on donnait au
roi Ferdinand, allât au-devant de Sa Majesté Impériale.
Le duc de San Carlos, grand maître de la maison du
Roi, le duc de Vinfantado , ami de Sa Majesté, et le
chanoine Escoiquiz, qui avait été son précepteur, dé-
cidèrent facilement le roi Ferdinand à se porter jus-
qu'à Buitrago pour y recevoir son auguste hôte. »
Ferdinand VII fixa son départ au 10 avril, après
avoir préalablement ordonné que les ministres don
Francisco Gil de Lemus, don Miguel Josef de Azanza,
don Gonzalo O'Farril et don Sébastian Pinuela, pré-
sidés par l'infant don Antonio formeraient une junte
suprême de gouvernement , chargée d'administrer en son
— 135 —
absence, autorisée à prendre les mesures d'urgence,
et devant, pour les affaires ordinaires, en référer au
Roi par l'intermédiaire de M. de Cevallosj secrétaire
d'États
11 convient de mentionner ici une circonstance par-
ticulière, qui contribua à décider Ferdinand VU à ce
voyage ; c'est que peu après les événements d'Aran-
juez, il était arrivé un courrier adressé à Godoy, et
porteur de dépêches d'Yzquierdo. Cet agent y rendait
compte des conversations qu'il avait eues avec MM. de
Talleyrand et Duroc , et d'après lesquelles il paraissait
que les vues de Napoléon se bornaient à se faire céder
les provinces du nord de l'Èbre, contre le Portugal
auquel il renoncerait. Le roi Ferdinand se flattait qu'il
se rachèterait de ces prétentions par l'abandon de la
Navarre ou par la concession d'un chemin militaire
conduisant en Portugal.
La dépêche expédiée par don Eugenio Yzquierdo,
était conçue en ces termes :
« La situation des choses ne me laisse pas le temps
de rapporter dans tous les détails les conversations
' Ferdinand VII emmenait avec lui dans son voyage, outre son mi-
nistre des Affaires Étrangères Cevallos, le duc de I'Infantado, le duc
de San Carlos, le marquis Musquiz, le marquis de Labrador, don
Juan de Escoiquiz, le cumte de Villariezo et les marquis de Ayerbe,
de GuADALGAZAR et de Feria. A ce cortège royal se joignit, à Bayonne,
celui qui accompagna l'infant don Carlos, et qui était composé de don
Antonio Correa, don Pedro Macanaz, don Pasqual Vallejo et don
Ignacio Correa : les ducs de Frias et de Medinaceli , et le comte
Fernan Nunez , duc de Montellano , qui avaient élé envoyés précé-
demment pour complimenter Napoléon , so réunirent au Roi dans la
même ville. Quoique toutes ces personnes n'entrassent pas au Conseil
privé, qui se composait principalement de celles qui étaient parties de
Madrid, avec le Roi ; cependant elles jouissaient de la confiance de ce
prince et pouvaient aider de leurs avis dans ces circonstances dé-
licates.
— 136 —
que, depuis mon retour de Madrid, j'ai eues, par ordre
de l'Empereur, tant avec le grand maréchal du palais
le général Dmtoc, qu'avec le vice-grand-électeur prince
de Bénévent.
« Ainsi je me bornerai à rendre compte des moyens
que, dans ces conversations, l'on m'a proposés, pour
régler et même terminer à l'amiable les affaires entre
l'Espagne et la France) moyens qui m'ont été commu-
niqués, avec l'intention que mon gouvernement prenne
le plus promptement possible une résolution sur cet
objet.
« Qu'il y ait actuellement en Espagne plusieurs
corps de troupes françaises , c'est un fait notoire.
« Lerésultatquepeut avoir la présence de ces troupes
est caché dans l'avenir. Un arrangement entre les gou-
vernements français et espagnol , fait à leur mutuelle
satisfaction, peut arrêter les événements, et se convertir
en un traité solennel et définitif sur les bases suivantes :
« 1'"^Base. Les Espagnols et les Français pourront
librement et mutuellement faire le commerce dans les
colonies respectives des deux nations , en payant les
mêmes droits auxquels sont assujettis les naturels.
« Ce privilège sera exclusif, et nulle puissance autre
que la française , ne pourra l'obtenir en Espagne , de
même que la seule nation espagnole en pourra jouir en
France.
« 2" Base. Le Portugal est aujourd'hui possédé parla
France : la communication entre ces deux États exige
une route militaire , et par conséquent un passage con-
tinuel de troupes par l'Espagne, pour garnir le Por-
tugal et le défendre contre l'Angleterre; ce qui serait
une source de dépenses, de dégoûts, de tracasseries,
et peut-être de fréquents motifs de brouilleries.
« Cet objet pourrait se réglera l'amiable, en laissant
tout le Portugal à l'Espagne, sous la condition de donner
— 137 —
un équivalent à la France dans les provinces espagnoles
contiguès à cet empire.
« 3^ Base. Fixer une fois la succession au trône d'Es-
pagne.
« 4* Base. Faire un traité d'alliance offensive et dé-
fensive, dans lequel le nombre de troupes, dont les
deux puissances devraient se secourir réciproque-
ment, serait stipulé.
« Telles sont les bases sur lesquelles se peut conso-
lider et changer en traité un arrangement capable de
terminer heureusement la crise politique dans laquelle se
trouvent VEspagne et la France,
« Dans des matières de cette importance, je dois me
borner à exécuter fidèlement les ordres que je reçois.
« Lorsqu'il est question de l'existence de l'État, de
son honneur et de celui du gouvernement, le souve-
rain et son Conseil doivent seuls décider.
« Cependant, mon ardent amour pour la patrie
m'oblige de dire que, dans nos conférences, j'ai fait
au prince de Bénévent les observations suivantes :
« 1 ° Qu'ouvrir nos Amériques au commerce français,
ce serait réellement les partager entre l'Espagne et la
France, et le faire exclusivement au profit de celle-ci.
« Ce serait de plus éloigner la paix, et perdre , jus-
qu'à ce qu'elle fût signée, nos communications et
celles des Français avec ces contrées.
« J'ai ajouté que quand même l'on admettrait le com-
merce français, l'on ne pourrait jamais souffrir, qu'au
mépris de nos lois fondamentales, les sujets de la France
s'établissent dans nos colonies.
«2° Pour ce qui concerne le Portugal, j'ai rappelé
les conventions du 27 octobre dernier ; j'ai fait voir le
sacrifice du roi d'Étrurie, le peu que vaut le Portugal
sans ses colonies , son inutilité pour l'Espagne ; j'ai
fait une peinture fidèle de l'horreur que causerait aux
^ 138 —
pays voisins des Pyrénées, la perte de leurs lois, de
leurs franchises, de leurs usages, de leur idiome, et
surtout la nécessité d'obéir à un gouvernement étran-
ger.
« J'ai ajouté que je ne pourrais jamais signer la ces-
sion de la Navarre, pour ne pas être l'objet de l'exécra-
tion de mes compatriotes, comme je le serais, en effet,
s'il était connu qu'un Navarrais eût apposé son nom
au bas d'un pareil acte.
« Enfin, j'ai insinué que si l'on ne trouvait d'au-
tres moyens, il serait possible d'ériger un nouveau
royaume ou une vice-royauté d'Ibérie, en stipulant que
cet État serait toujours soumis aux lois et aux règle-
ments qui le régissent à présent , et que ses habitants
conserveraient leurs usages et leurs privilèges. Ce
royaume ou cette vice-royauté pourrait se donner au
roi d'Étrurie ou à tout autre infant de Castille.
« 3^ Quant à l'article concernant la succession d' Espagne,
fai développé ce que Sa Majesté m'a ordonné de dire de
sa part , et je crois l'avoir fait de manière à dissiper
toutes les calomnies inventées par les malveillants de notre
pays, et qui avaient égaré l'opinion publique dans ce-
lui-ci.
« Pour ce qui concerne l'alliance offensive et défen-
sive , dans la chaleur de mon zèle patriotique , j'ai
demandé au prince de Bénévent , si l'on voulait faire
de l'Espagne un équivalent à la confédération du Rhin,
en l'obligeant à fournir un contingent, et colorer ce
tribut du nom honorable de traité d'alliance offensive
et défensive ; j'ai montré qu'étant en paix avec la
France, nous n'avions pas besoin de ses secours pour
défendre nos foyers; que les Canaries, le Ferrol et
Buenos-Aires en faisaient foi ; que l'Afrique est
nulle, etc., etc., etc.
« Le projet du mariage est regardé comme une affaire
— 139 —
décidée : il aura lieu , mais il sera l'objet d'une négo-
ciation particulière , et ne se traitera point dans l'ar-
rangement dont j'envoie les bases. •
(( Quant au titre d'empereur que doit prendre le Roi,
notre maître, cet article n'a offert ni n'offre à présent
la moindre difficulté.
« L'on m'a chargé de demander les réponses les plus
promptes, afin de prévenir les fatales conséquences
que pourrait occasionner le moindre retard à se mettre
d'accord.
(( L'on recommande aussi d'éviter avec le plus grand
soin tout acte hostile et tout mouvement qui pourrait
éloigner l'heureux arrangement qui peut encore se
faire.
« A la demande qui m'a été faite, si le Roi, notre
maître, devait aller en Andalousie, j'ai répondu la vé-
rité : que je ne savais rien. Interrogé aussi si je croyais
qu'il fût parti, j'ai dit que je ne le pensais pas , vu la
confiance que Leurs Majestés et Votre Altesse avaient
dans les procédés de l'Empereur.
« J'ai demandé en conséquence, qu'en attendant la
réponse, l'on convînt provisoirement de suspendre la
marche des troupes françaises dans l'intérieur de l'Es-
pagne, et que l'on fît sortir de la Castille celles qui y
étaient. Je n'ai rien obtenu. Mais je présume que si les
bases proposées sont acceptées , l'on peut espérer que
ces troupes recevront l'ordre de s'éloigner de la rési-
dence de Leurs Majestés.
« L'on a écrit que des troupes marchaient de Ta-
lavera sur Madrid; que Votre Altesse m'avait expédié
un courrier. J'ai satisfait à tout , en disant ce que je
savais.
« L'on croit ici que Votre Altesse est partie pour
Séville avec Leurs Majestés; comme je ne sais rien,
j'ordonne au courrier d'aller jusqu'à ce qu'il rencontre
— 140
Votre Altesse. Les troupes françaises le laisseront pas-
ser, selon l'assurance que m'en a donné le grand ma-
réchal du palais impérial.
« Paris, 24 de mars de 1808. »
Lorsque Fei'dinayid VII , ne pouvant soupçonner les
desseins cachés de Napoléon, s'était déterminé à par-
tir pour Buitrago , (c il avait été formellement stipulé
que le Roi reviendrait avec sa suite passer la nuit
à Madrid ; l'Envoyé de Napoléon obtint que l'on pour-
suivît, sur l'assurance qu'il donna que l'empereur
des Français viendrait dans cette ville embrasser le
roi Ferdinand. Le marquis de Miisquiz et M. de La-
brador firent tout ce qui dépendait d'eux pour empê-
cher cette funeste résolution; mais les trois conseil-
lers du Roi disaient que l'Espagne n'avait pas assez de
baïonnettes pour s'opposer à la volonté de Napoléon.
On partit donc pour Burgos oii Savary répétale même
manège , et il fut décidé que l'on irait jusqu'à Vitoria,
parce que, disait Savary, l'aspect que présentaient les
affaires du Nord ne permettaient pas à Napoléon de
venir jusqu'à Burgos. A Vitoria le peuple montra plus
de bon sens que les conseillers du Roi, et il s'opposa
au départ de Sa Majesté, en coupant les harnais des
mulets attelés à la voiture. Mais on fit venir des troupes
et on trompa les habitants de Vitoria en faisant pla-
carder une proclamation au nom du Roi, dans laquelle
on déclarait que tous les différends qui existaient
étaient aplanis ; que Sa Majesté n'allait que pour em-
brasser son ami l'Empereur et qu'il reviendrait tout
de suite à Madrid.
« On partit donc de Vitoria pour Irun , que l'on ne
devait pas dépasser. La voiture où se trouvaient MM. de
— 141 —
Musquiz et de Labrador se cassa près de Vergara , et
on dut passer la nuit à la réparer ; lorsque ces deux
diplomates arrivèrent à Irun , le Roi était déjà à
Bayonne , où devait s'accomplir l'acte de perfidie le
plus révoltant que l'on ait jamais osé commettre dans
l'Europe civilisée. »
Dès le jour même de l'arrivée de Ferdinand VII
(20 avril), on jeta le masque. Le général Savary vint an-
noncer au Prince que Napoléon était décidé à ne pas per-
mettre que le trône d'Espagne fûtplus longtemps occupé
par une dynastie qui n'oublierait pas qu'une de ses
branches avait régné en France. Bientôt après, « Napoléon
déclara de vive voix au roi Ferdinand qu'il le regardait
comme rebelle envers son père et son roi, et en même
temps il lui signifia qu'il eût à nommer une personne
chargée de traiter avec son ministre Champagny, pour
réparer les torts de l'Espagne à l'égard de l'Empe-
reur. Le principal grief était la proclamation du géné-
ralissime Godoy, publiée en 1 806. Pour satisfaire à cette
prétention si extraordinaire, le roi Ferdinand nomma
son ministre des Affaires Étrangères, M. Cevallos;
mais Napoléon le refusa en disant qu'il le regardait
comme traître au roi Charles IV ^ et ce fut alors qu'il
désigna M. de Labrador, qui fut accepté non sans ob-
jection par Napoléon. Celui-ci, occupait alors la petite
maison de campagne de Marrac : M. de Labrador s'y
rendit pour avoir la première conférence avec M. de
Champagny. La chambre où avait lieu cette conférence
n'était séparée du salon où se tenait Napoléon que par
un rideau , de façon qu*il entendait ce que les pléni-
potentiaires se disaient.
« M. de Champagny commença par dire à M. de
Labrador qu'il le considérait comme un homme trop
éclairé pour pouvoir se faire illusion sur l'état de
l'Espagne : que l'Empereur, malgré son génie, sa re-
— 142 —
nommée et ses armées constamment victorieuses, ne
pouvait être tranquille sur son trône tant que celui
d'Espagne serait occupé par un Bourbon , qui aurait
toujours la pensée de venger ses parents de la branche
aînée ; qu'ainsi le sort de l'Espagne était irrévocable-
ment fixé; que Napoléon avait décidé de placer sur le
trône d'Espagne son frère Joseph; que l'on choisirait
pour ministres du nouveau roi les Espagnols les plus
capables , et que ceux qui s'opposeraient aux desseins
de l'Empereur devaient craindre sa toute-puissance.
{( M. de Labrador répondit à M. de Champagny que
ni lui ni l'Empereur son maître ne connaissaient l'Es-
pagne ni les Espagnols; que lui, comme plénipoten-
tiaire de Ferdinand F//, roi d'Espagne, il étendrait
son bras droit sur la table et se le laisserait couper
plutôt que d'apposer une signature, qui le déshonore-
rait aux yeux de l'Espagne et du monde entier. Cette
réponse fut connue du général Bertîuer, et ce fut à
cette occasion qu'il dit que M. de Labrador était le plus
féroce des Espagnols. Le général Berthier se trompait:
la guerre de Napoléon contre l'Espagne a dû le per-
suader que, lorsqu'il s'agit d'indépendance, tous les
Espagnols partageaient l'opinion de M. de Labrador. »
Après cet aperçu de la négociation de M. de La-
brador^ nous allons assister à la curieuse conférence qui
eut lieu entre Napoléon et le conseiller d'État Escoiquizy
et dans laquelle l'Empereur développa sa politique à
l'égard de l'Espagne. Voici le compte rendu de l'an-
cien gouverneur de Ferdinand VU.
« — Le 21 du mois et an susdits, environ à sept
heures et demie du soir, l'Empereur fît venir dans son
cabinet, au château de Marrac, ledit EscoiquiZy et eut
avec lui le dialogue suivant :
« L'Empereur. Depuis longtemps , chanoine , sur
— 143 ~
l'idée que l'on m'a donnée de votre droiture et de votre
instruction , je désirais causer avec vous sur les affaires
de votre Prince : et bien plus à présent, que dans ma
situation, je dois prendre part au malheur du Roi,
son père, qui a demandé ma protection. Je la lui dois.
Toute l'Europe a les yeux ouverts sur moi. Les circon-
stances dans lesquelles, au milieu de ses gardes sou-
levés et du peuple en tumulte , il fit à Aranjuez l'ab-
dication de la couronne, font bien connaître qu'elle
fut forcée ; et comme à cette époque mes armées étaient
déjà en Espagne, et voisines du lieu de la scène, l'on
pourrait croire que j'ai eu quelque part à cette vio-
ïence, qui donne à toutes les Cours l'exemple d'un fils
qui a conspiré contre son père et qui l'a détrôné. Je
dois éviter un pareil soupçon , et faire voir au monde
que je ne suis point capable d'appuyer un attentat
aussi injuste que scandaleux. En conséquence, je ne
me résoudrai jamais à reconnaître le prince Ferdinand
comme roi légitime d'Espagne, tant que son père,
qui m'a adressé une réclamation formelle contre sa
prétendue abdication, n'aura pas renouvelé celle-ci
en pleine liberté.
u D'un autre côté , l'intérêt de mon empire exige
que la maison de Bourbon , que je dois regarder comme
une ennemie implacable de la mienne , ne règne plus
en Espagne. C'est aussi ce qu'il y a de plus avantageux
pour votre nation, puisque, en lui ôtant une dynastie
dont les derniers rois lui ont causé les maux dont elle
est si irritée, elle obtiendra, sous la nouvelle que je lui
proposerai de placer sur le trône, une Constitution
meilleure, et par ce moyen une alliance intime avec
la France, qui la garantira pour toujours du seul en-
nemi qui, par son voisinage et par son pouvoir, pour-
rait lui être redoutable. Le roi Charles IV lui-même,
connaissant que ses fils sont incapables de tenir les
— 144 —
rênes du gouvernement dansées temps difficiles, et dans
l'espoir d'éviter à ses peuples les malheurs qui les me-
nacent, est prêt à me céder ses droits au trône ainsi
que ceux de sa famille.
« Ces motifs m'ont déterminé à ne point souffrir que
la dynastie dés Bourbons règne désormais en Espagne ;
mais, plein d'estime, comme je le suis, pour le prince
Ferdinand qui est venu me voir avec tant de confiance
à Bayonne, c'est avec lui que je veux traiter cette af-
faire. J'ai l'intention de lui faire un sort qui le dédom-
magera, autant que possible, tant lui que ses frères,
de ce que ma politique leur fait perdre en Espagne.
(f Vous lui proposerez donc, de ma part, de renoncer
à tous ses droits à la couronne d'Espagne; moyennant
quoi , je lui céderai celle d'Étrurie avec le titre de roi,
et une entière indépendance, pour lui et ses héritiers
mâles, à perpétuité. Je lui avancerai aussi, en pur
don , une année des revenus de cet État, pour y faire
son établissement.
« Aussitôt après la signature, pour l'assurer encore
plus de mon amitié , je lui donnerai ma nièce pour
épouse. S'il accède à ce traité , il se conclura à l'instant
avec toutes les formes et la solennité requises : sinon,
je traiterai avec son père, qui arrivera l'un de ces
jours, et dans ce cas, ni le Prince ni ses frères ne se-
ront plus admis à aucune négociation , et ne devront
compter sur aucune espèce d'indemnité. Quant à l'Es-
pagne, si le Prince accepte mes propositions, je ga-
rantirai par le même traité son intégrité et son in-
dépendance sous la nouvelle dynastie, ainsi que la
conservation de ses lois , de sa religion et de ses usages.
Voilà à quoi se réduit mon système sur ce point : car
je ne veux pour moi pas même un village d'Espagne.
Si ces propositions ne conviennent point à votre Prince,
et qu'il veuille retourner en Espagne , il est libre : il
— 145 —
peut partir quand il voudra, toutefois après être con-
venu avec moi du temps nécessaire à son retour, après
lequel les hostilités commenceront entre nous.
« Escoiquiz. Sire , je suis infiniment flatté d'avoir
l'honneur de pouvoir exprimer personnellement à Votre
Majesté Impériale et Royale les sentiments d'admira-
tion et le profond respect que depuis si longtemps je
professe pour elle. Je suis, en même temps, extrême-
ment reconnaissant de la bonne opinion que Votre
Majesté Impériale a daigné prendre de mon caractère,
et je regarde comme une obligation sacrée de la justi-
fier en parlant à Votre Majesté avec la sincérité dont
un homme d'honneur ne doit jamais s'écarter. Je crois
aussi que je ne pourrais pas faire à Votre Majesté une
injure plus cruelle que de dissimuler ou de cacher le
moindre de mes sentiments sur une affaire qui inté-
resse autant sa gloire que le bonheur de mon Roi et de
ma patrie auxquels je dois une fidélité à toute épreuve.
J'espère donc que Votre Majesté Impériale daignera me
permettre de lui parler avec une franchise digne de
mon caractère et de tout le respect que je lui dois.
M L'Empereur. Vous pouvez dire tout ce que vous vou-
drez ; je sais que vous êtes un honnête homme, et loin
de m'offenser de votre sincérité, je vous en estimerai
davantage.
« Escoiquiz. Daprès cette assurance. Sire, je dois vous
exprimer l'étonnement que m'a causé un projet que
mon Roi et ma nation étaient si éloignés de soupçon-
ner, d'après l'étroite liaison qui depuis plus d'un siècle
subsiste entre les deux nations , rendue encore plus
intime sous l'empire de Votre Majesté ; d'après tous les
efforts que , depuis cette époque jusqu'aujourd'hui ,
l'Espagne a faits pour soutenir la France dans toutes
ses guerres , y compris celle qu'entreprit Votre Majesté
Impériale pour détrôner la branche des Bourbons qui
Xi 10
— 146 —
régnait à Naples : efforts qui ont coûté à l'Espagne le
sacrifice de ses flottes et de ses trésors , et qui l'ont
entièrement épuisée; d'après que son gouvernement
a remis ses places frontières et ouvert sa capitale aux
troupes de Votre Majesté avec toute la confiance que
peut inspirer l'amitié la plus aveugle;... d'après les
intentions publiques du roi Ferdinand , de donner sa
main à une princesse de votre auguste maison, désir
qui , quoique sollicité au nom de Votre Majesté par son
ambassadeur M. de Beauharnais , fut regardé comme
un crime et fut sur le point de coûter la vie au Prince ; . . .
d'après enfin que dans le peu de jours qu'il y a qu'il est
monté sur le trône, il a renouvelé le même désir, et a
donné à Votre Majesté tant de preuves du même atta-
chement et de la même sincérité, surtout celle de venir,
avec tant de confiance , se remettre entre ses mains
comme dans celles de l'amitié, malgré le refus con-
stant des représentants de Votre Majesté pour le recon-
naître pour Roi légitime.
« Persuadé que ce refus et le projet de priver le roi
Ferdinand et sa dynastie de la couronne d'Espagne, ne
peuvent provenir que des rapports mensongers par-
venus aux oreilles de Votre Majesté sur les affaires de
notre pays , je la supplie de me permettre d'en faire
connaître l'état véritable, et de montrer que ce projet
est aussi contraire aux intérêts politiques de Votre Ma-
jesté qu'à ceux de l'Espagne et de mon Souverain.
« Je commencerai par un récit simple et véridique
des faits qui ont précédé l'abdication du roi Charles IV ,
ce qui suffira, vu la notoriété de tout ce qui s'est passé
alors , pour prouver que loin d'être forcée, cette abdi-
cation a été au contraire libre et volontaire de sa part.
Je reprendrai les choses de plus haut, c'est-à-dire
depuis la trop fameuse conspiration de l'Escurial, qui,
comme j'aurai l'honneur de le démontrer à Votre Ma-
— 147 —
jesté Impériale, ne fut qu'une accusation calomnieuse
et atroce, intentée contre le roi Ferdinand f alors prince
des AsturieSf par la malignité du prince de la Paix,
appuyée par les préventions de la Reine en faveur du
favori , et par la simple crédulité de Charles IV. Per-
sonne, mieux que moi, ne peut parler de ces événe-
ments , puisque j'ai été le premier mobile de toutes
les démarches qui servirent de base à cette ridicule
procédure criminelle.
« Elles se bornèrent aux conférences que j'eus au
nom du prince don Ferdinand, avec M. de Beauharnais,
ambassadeur de Votre Majesté Impériale à Madrid, et
à la lettre que je lui remis de la part de Son Altesse
Royale pour Votre Majesté , par laquelle il implorait
ses bons offices auprès du Roi et de la Reine, pour les
amener à approuver le désir qu'il avait de s'unir avec
une princesse de votre auguste maison , ce qui était
pour Son Altesse Royale un moyen infaillible de dé-
concerter tous les projets du prince de la Paix, en se
mettant sous la puissante protection de Votre Majesté
Impériale et Royale.
« V Empereur. En cette occasion mon ambassadeur a
outre-passé ses pouvoirs ; car je ne lui ai jamais donné
l'ordre de traiter avec le prince des Asturies, et encore
bien moins de lui demander une semblable lettre qui,
dans toute autre circonstance, eût été un acte formel
de désobéissance au Roi son père ; je dis dans une
autre circonstance, parce que je ne prétends pas vous
inculper pour cela , quoique je sache très-bien que
c'est par votre conseil que le Prince m'écrivit; mais il
se trouvait dans une position si extraordinaire, qu'elle
rend très-excusable cette démarche , tant pour lui que
pour vous.
« Escoiquiz. En effet, Sire, je vois avec une grande
satisfaction que Votre Majesté est persuadée que cette
— 148 —
démarche fut une conséquence de la juste défiance que
nous donnait l'ambition effrénée du prince de la Paix,
et les trames obscures qu'il ourdissait pour opprimer
le prince Ferdinand, dans le cas où son père, qui était
alors dangereusement malade, viendrait à manquer,
soit pour usurper le trône, soit pour conserver, malgré
lui , sous quelque titre que ce fût , l'autorité absolue
dont il jouissait.
« VEmpereur. Je suis parfaitement instruit de tout
cela. Je sais aussi que ce que l'on a imputé à crime
tant à vous qu'au duc de Vlnfantado , ainsi qu'aux au-
tres personnes impliquées dans le procès de l'Escurial,
ne fut que l'effet de votre loyauté, et n'eut d'autre
but que d'empêcher, par les mesures d'une juste pré-
caution, les projets que vous croyiez formés contre
votre Prince pour l'époque de la mort de son père ,
mais sans avoir jamais manqué au respect et à la lidé-
lité que vous lui deviez pendant sa vie.
u Escuiquiz. Je n'ai donc rien à ajouter à ce que la
perspicacité de Votre Majesté lui a déjà fait pénétrer,
si ce n'est que la contradiction de deux décrets succes-
sifs publiés au nom du roi Charles avant l'instruction
de cette cause, et la sentence unanime prononcée par
les onze conseillers qui la jugèrent, par laquelle ils
nous déclarèrent innocents , et nous renvoyèrent ab-
sous, malgré les intrigues, les menaces et le despo-
tisme du prince de la Paix , et malgré les impressions
défavorables que le Roi et la Reine avaient conçues
contre nous: cequisuffitpourdissiperjusqu'aumoindre
doute sur la conduite du Prince et sur la nôtre dans
toute cette affaire.
« VEmpereur. Je connais tous ces détails, ainsi que
l'innocence du prince Ferdinand et la vôtre, dans tout
ce qui s'est passé à cette époque; mais l'odieux évé-
nement d'Aranjuez, cette abdication du roi Charles
— 149 —
faite au milieu d'un peuple en fureur, cette défection
de ses gardes, qui au lieu de le défendre servirent à
l'opprimer, et le forcèrent à la faire ; cette facilité du
prince Ferdinand à l'accepter, tout cela , dis-je , ne
doit-il pas faire croire à l'Europe entière , comme à
moi, que cette abdication n'a été ni libre ni volon-
taire? Bien plus, le roi Charles, dans le premier mo-
ment où il jouit d'une ombre de liberté, c'est-à-dire,
deux jours après, a complété la preuve de la violence
qui lui avait été faite, en m'adressant, contre sa légi-
timité, une protestation en bonne forme, faite le jour
même de l'abdication , et en implorant ma protection
pour défendre sa vie et son autorité contre son fils et
ses sujets.
i< Escoiquiz. Je ne puis exprimer. Sire, combien je
m'estime heureux d'avoir à discuter cette matière de-
vant un Monarque doué d'un génie aussi supérieur
que celui de Votre Majesté Impériale, de connaissances
aussi vastes et d'un caractère encore plus grand que
sa puissance. Je suis persuadé que dans ce moment
où j'ai l'honneur de lui parler, Votre Majesté lit dans
mon cœur et y voit ma franchise et ma sincérité , ce
qui m'inspire la plus grande confiance. Je vais donc
présenter à Votre Majesté les événements d'Aranjuez
sous leur véritable point de vue , et dissiper l'im-
pression sinistre qu'ils ont faite sur son esprit, par
le faux jour sous lequel ils lui ont été offerts.
« Il est certain que je n'étais point à Aranjuez à cette
époque, puisque, par suite du procès de l'Escurial ,
j'étais exilé, ainsi que le duc de Vinfantado, et confiné
dans un couvent au milieu d'un désert, à cent lieues
de la Cour , mais depuis, j'ai pris les informations les
plus exactes et les plus détaillées de tout ce qui s'y est
passé dans ces circonstances. Ces événements étant de
notoriété publique, je puis garantir 9. Votre Majesté la
— 450 —
véracité de mon récit, sur le témoignage unanime de
l'Espagne entière , et sur celui des personnes impar-
tiales et témoins oculaires que j'ai consultés. Voici le fait.
(( Le mouvement du peuple à Aranjuez n'a pas eu
d'autre cause que l'indignation publique portée à son
comble , par la nouvelle certaine du projet de conduire
le roi et toute sa famille en Andalousie, et par la crainte
que de là ce Prince, à l'exemple de la cour de Portu-
gal, n'allât s'établir dans quelqu'une de ses colonies
d'Amérique. En effet, tout avait été tranquille, jusqu'à
ce que ces préparatifs pour ce fatal voyage, l'avis offi-
ciel qui en fut donné au conseil de Castille , et l'ordre
envoyé à la garnison de Madrid de venir en toute dili-
gence à Aranjuez, pour en assurer l'exécution, ne per-
mirent plus au pul3lic d'en douter. Cette certitude ne
pouvait manquer de faire la plus funeste impression
sur un peuple aussi jaloux que l'Espagnol de la gloire
de sa nation et aussi attaché à ses rois ; les troupes
elles-mêmes devaient partager ces sentiments , voyant
que l'on essayait de les faire servir d'intruments à
l'exécution d'un projet si honteux et si préjudiciable
à l'Espagne.
« Dans cet état d'exaspération générale des esprits, il
n'y avait pas besoin, pour qu'ils se déchaînassent, ni
de plans, ni de suggestions étrangères. Le soulèvement
du peuple n'eut réellement d'autre mobile que l'ac-
croissement rapide et simultané de la haine qu'il nour-
rissait depuis si longtemps contre le prince de la Paix,
causée par la certitude qu'il était encore l'auteur de
ce projet désastreux.
« Le seul but du tumulte fut de punir le favori , et
d'empêcher la fuite du roi et celle de sa famille; et
le peuple, naturellement bon, conservant, au milieu
de sa plus grande fureur, tout son respect et toute sa
fidélité pour le Roi , se contenta de chercher le prince
— 151 —
de la Paix dans sa maison; et ne l'y ayant pas ren-
contré, de demander à Sa Majesté son juste châtiment
et la révocation de l'ordre de départ, mais sans se per-
mettre la moindre plainte contre Leurs Majestés, pour
les personnes desquelles il montra toujours la plus pro-
fonde vénération, ne cessant de répéter les cris de
Vive le Roi , et manifestant son attachement par de
continuelles acclamations.
« Quant aux gardes du corps et aux autres troupes
qui étaient à Aranjuez, bien loin de prendre part à la
sédition , ils s'empressèrent d'aller sauver la maison
du prince de la Paix de la fureur du peuple , et après
y avoir réussi, ils vinrent se réunir à celles qui étaient
en bataille devant le palais, pour contenir, s'il était
nécessaire , l'effervescence de la multitude, et bien dis-
posés à défendre Leurs Majestés , si quelque malveil-
lant, ce qui n'arriva point, se hasardait à leur man-
quer de respect.
« A la vérité, en même temps que ces troupes rem-
plissaient et auraient toujours rempli une obligation
aussi sacrée, je suis persuadé qu'elles se seraient re-
fusées à assassiner ce bon peuple pour défendre la ty-
rannie du prince de la Paix, et pour faciliter le funeste
voyage de la cour; mais enfin on ne les mit point à
cette épreuve. Et si on leur eût donné de pareils or-
dres, auraient-ils dû les exécuter? eût-il été juste
d'exiger qu'elles contribuassent à la ruine de leur pa-
trie, qui eût été une conséquence infaillible de leur
obéissance? J'en appelle , pour décider cette question,
au cœur magnanime de Votre Majesté Impériale.
« Je sais aussi que les chefs de ces différents corps
militaires, consultés par le Roi et la Reine dans le
commencement du tumulte sur les moyens de l'apai-
ser, parlèrent à Leurs Majestés dans le même sens ,
c'est-à-dire, en leur conseillant de renoncer au projet
— 152 —
de partir, d'avoir égard aux demandes du peuple, et
d'éloigner de la cour le prince de la Paix^ après l'avoir
dépouillé des dignités sans exemple qu'il avait arra-
chées à la bonté du Roi. Je suis persuadé également
que tous ces chefs eussent montré une répugnance in-
vincible à employer la force pour réduire au silence
un peuple, dont le seul crime était de manifester son
amour pour son Roi, en lui demandant les choses les
plus justes et les plus nécessaires à la félicité de Leurs
Majestés et à celle de leur famille et de toute la nation.
« Et fallait-il davantage que ces sages conseils, pour
que l'ennemi le plus cruel de sa patrie, le prince de
la Paix, et le Roi et la Reine, séduits par ses artifices,
peignissentà Votre Majesté Impériale les chefs et les trou-
pes à leurs ordres, comme les rebelles les plus déclarés ?
« Les faits, après tout, même à cette époque démen-
tirent bien cette imputation, ainsi que celle que Leurs
Majestés n'auront pas manqué de faire devant Votre
Majesté Impériale à leur fils le roi Ferdinand. En effet,
le lendemain de l'émeute , le prince de la Paix ayant
été trouvé caché dans un grenier de sa maison, le
peuple se souleva de nouveau et commençait à le
maltraiter, lorsque les gardes du corps, suivis d'au-
tres troupes, accoururent à son secours et le dé-
fendirent de sa fureur, jusqu'à ce que le prince des
Asturies lui-même , se présentant au milieu de la foule,
parvint à la calmer à force d'exhortations, et en lui
promettant que l'on ferait le procès au favori , ce qui
donna aux gardes du corps le moyen de le sauver en
le conduisant dans leur quartier, où il arriva n'ayant
encore reçu que quelques légères blessures.
« A peine y était-il enfermé que le peuple s'apaisa,
et après avoir salué Leurs Majestés par des acclamations
réitérées, il se dispersa entièrement. Pendant le temps
que dura l'émeute, qui une fois apaisée ne se renou-
— 153 —
vêla pins, Ton n'a pas entendu une seule voix s'élever
contre Leurs Majestés ni contre leur gouvernement, et
cela , Sire , est un fait incontestable et de notoriété
publique.
« Ce fut après le rétablissement de la plus profonde
tranquillité, ce jour-là même, à quatre heures de
l'après-midi , que le roi Charles fit appeler don Pedro
Cevallos , son secrétaire d'État, et que sans que per-
sonne eût pensé à dire à Sa Majesté un seul mot pour
l'engager à renoncer à la couronne, ni même qu'une
telle idée fût venue à qui que ce soit, il lui répéta ce
qu'il avait déjà dit souvent les années précédentes et
devant plusieurs autres individus de sa cour, qu'il
était fatigué de régner, et qu'il soupirait après une
tranquillité que l'état de sa santé lui rendait néces-
saire; il ajouta qu'il voulait profiter de ce moment
pour se démettre de la couronne en faveur du Prince
son fils et son héritier, et ordonna audit secrétaire
d'État de rédiger à cet effet un décret dans la forme
usitée en pareil cas , et de le lui apporter immédiate-
ment à signer : se qui se fit dans la même soirée.
Ensuite le roi Charles le communiqua au prince Fer-
dinand, en présence de la famille royale et des prin-
cipaux personnages de la Cour, témoignant la plus
grande satisfaction de ce qu'il venait de conclure, et,
entre autres choses , dit au nonce du Pape , monsei-
gneur Gravina, et à l'ambassadeur de Russie, le comte
de Strogonoffy qu'il n avait jamais rien fait de meil-
leur cœur, ajoutant pour preuve, qu'étant depuis long-
temps, à cause de ses douleurs rhumatismales, hors
d'état d'écrire, la joie dans cette circonstance lui avait
fait recouvrer ses forces pour signer son abdication de sa
main; enfin, toutes ses actions et tous ses discours ne
peuvent laisser le moindre doute à personne , sur la
liberté avec laquelle cet acte a été consommé.
— 154 —
« Je n'en suis pas moins persuadé que dans les
pays étrangers où l'on ignore l'état dans lequel, à cette
époque, étaient les choses en Espagne, l'on aura peut-
être blâmé le prince Ferdinand de n'avoir point refusé,
ou tout au moins différé son adhésion à une abdica-
tion faite dans des circonstances si extraordinaires ,
soit par un effet de son respect filial, soit pour ne point
compromettre sa réputation : mais cette objection n'en
est pas une pour les personnes instruites de ce qui se
passait alors , et elles voient clairement que les cir-
constances ne permettaient point au prince Ferdinand
de balancer ni de différer d'un moment à accepter
l'abdication. En effet, le moindre retard entraînait la
perte de l'Espagne. La Reine, qui uniquement occupée
des dangers du prince de la Paix, et des moyens de le
sauver, ne s'était point opposée à l'abdication, revenue
peut-être à elle-même ce jour-là , eût fait changer de
résolution à son époux aussi facilement qu'elle l'en-
gagea , après avoir consommé cet acte , à protester
contre, et à le déclarer arraché par la force. Quiconque
connaît son caractère et sa prévention pour le prince
de la Paix , ne peut douter qu'encouragée par cette
première démarche , elle n'eût obtenu du malheureux
Roi de lui rendre la liberté et de le replacer à la tête
du gouvernement. Et quelles horribles conséquences
n'en devait-il point résulter? La haine déjà implacable
du peuple pour le favori , changée bientôt en déses-
poir, et tournée à la fin contre le Roi et la Reine, les
eût précipités du trône et entraînés dans le même
abîme , eux, leur famille et la nation elle-même, dés-
ormais détruite et anéantie. Que Votre Majesté juge à
présent. Sire, si le Prince, par une délicatesse hors
de saison, devait exposer son royaume à de si terribles
catastrophes.
« V Empereur. De quelques couleurs que l'on veuille
— 165 —
peindre la révolte d'Aranjuez et ses suites, il faut,
chanoine, que vous conveniez que les apparences et
nommément la protestation du roi Charles, faite le jour
même de son abdication et peu d'instants après l'avoir
signée, prouvent aux yeux de tous ceux qui ne connais-
sent point les dispositions secrètes que vous attribuez
au Roi et à la Reine son épouse, prouvent, dis-je , à
toute l'Europe, à l'exception d'un petit nombre de vos
compatriotes qui peuvent en être instruits, que l'abdi-
cation ne fut ni libre ni volontaire, mais forcée, en ce
qu'elle est le résultat d'une détermination prise par le
roi Charles , au milieu de la consternation et de la
crainte que lui causait une émeute aussi effrayante et
en ce qu'elle a été signée ce jour-là même, quoique
le calme fût rétabli en apparence. Il est inconcevable
aussi, que dans un terme aussi court, il eût pu chan-
ger de sentiment au point de protester contre son ab-
dication, si elle eût été volontaire. Aussi chacun la ju-
gera arrachée par la crainte d'un péril imminent.
« Escoiquiz. Sire, je n'ai donné aux événements d'A-
ranjuez d'autres couleurs que celles de la pure vérité,
notoire à tous les Espagnols, et qui sera connue avec
la même certitude par tous les peuples de l'Europe ,
s'ils prennent la peine de la chercher exactement. Je
dis la même chose des circonstances qui accompagnè-
rent l'abdication du roi Charles. Par conséquent, si
dans quelque pays étranger, faute des précautions
nécessaires pour trouver la vérité, l'on en juge diffé-
remment qu'en Espagne, ce sera une opinion fausse
qui , comme beaucoup d'autres, ne doivent point servir
de règle. Le Roi ni aucun membre de sa famille n'ayant,
comme je l'ai déjà dit, jamais couru le moindre dan-
ger, ce ne peut certainement point être la crainte qui
ait dicté son abdication.
« Au reste, Sire, j'avoue que le changement subit de
— 156 —
résolution que fait voir sa protestation signée le même
jour (quoique j'aie eu des raisons de la croire faite
deux jours plus tard, lorsqu'il l'envoya à Votre Majesté
Impériale ) , étonnera sans doute tous ceux qui ne con-
naissent point l'incroyable faiblesse de ce malheureux
Roi ; mais elle • paraîtra naturelle aux personnes in-
struites de son caractère. Esclave de la Reine, dépo-
sitaire de sa confiance, il aurait signé et signerait en-
core, à la moindre proposition de cette Princesse, l'acte
le plus contraire à ses propres opinions, de même
qu'il signa sa protestation dictée par la Reine, qui,
égarée par ses préventions contre son fils et par le
désir de sauver le prince de la Paix, craignait pour
lui la rigueur du jugement dont il était menacé. Mais,
Sire , je parle ici d'une chose qui ne peut avoir échappé
à une vue aussi pénétrante que celle de Votre Majesté,
non plus que la faiblesse étonnante du roi Charles ,
qui l'a fait tomber dans tant d'erreurs inconcevables,
et qui, j'ose le dire, est connue de tout l'univers.
« V Empereur. Je n'ignore point, chanoine, ce que
l'on conte de son peu de caractère ; mais il y a dans
son abdication, indépendamment de celles que j'ai
déjà rapportées, d'autres circonstances qui confirment
sa nullité. Un acte comme celui-là, qui demande de
longues réflexions, qui doit être pesé d'avance, et mû-
rement par les représentants du royaume, qui doit se
faire avec le calme et la solennité que demande son
importance, et dans le sein de la plus grande tranquil-
lité, et qui, au contraire, au mépris de ces précautions,
a été résolu et exécuté si promptement au milieu d'une
sédition, et révoqué par son auteur comme arraché
par la violence le même jour, ou, si vous le voulez,
deux jours après, ne paraîtrajamais libre et volontaire
aux yeux des gens sensés. Rappelez-vous les exemples
qu'offre l'histoire même d'Espagne, soit de Charles F,
— 15T —
soit de Philippe V, et vous verrez avec quelle exacti-
tude s'observèrent toutes les formalités que j'ai indi-
quées. Quelle différence ne voit-on pas entre ces actes
et celui d'Aranjuez?
« Escoiquiz. Je conviens, Sire, qu'ils diffèrent sous
quelque rapport, mais non de manière à infirmer la
valeur de celui de Charles IV. Pour qu'un acte de
cette nature soit complet, il ne faut que la liberté de
celui qui le fait, et qu'il soit revêtu des formalités
exigées par ces lois : ces deux conditions ont été ob-
servées dans l'abdication dont nous parlons. Je crois
avoir prouvé que le Roi était libre. Pour ce qui regarde
la solennité de l'acte, il a été passé devant le secrétaire
d'État, signé par le Roi, communiqué suivant les
formes au Conseil et à toute la Cour, sans la moindre
réclamation de la part de Sa Majesté, et avec ordre de
le faire connaître à tous ses sujets ; il n'y pas de loi
qui exige davantage. Toute autre formalité purement
accessoire ne peut iniluer d'aucune manière sur la va-
lidité de l'acte , et dépend uniquement de la volonté
de celui qui le fait ou des circonstances; l'omission
dans le cas présent de ces formalités accessoires doit
s'imputer au caprice du roi Cliarles lui-même, qui seul
était le maître de les pratiquer ou de les négliger, et
aux malheureuses circonstances dans lesquelles sa
mauvaise administration avait mis le royaume, et qui
exigeaient les remèdes les plus prompts. Je ne dis rien
de sa protestation, puisque son abdication ayant été
complète et valide, il n'avait pas le droit de la rétrac-
ter, et celle-là, conséquemment, doit être considérée
comme nulle et non avenue, et comme un pur effet
de l'inconstance trop naturelle aux hommes.
« Cette explication me paraît plus que snllisanle,
pour détruire toutes les difficultés élevées sur la validité
de l'acte d'abdication; mais pour la compléter, je dois
— 158 —
ajouter que cette résolution du roi Charles ne doit point
être considérée comme prise inopinément ni au mo-
ment précis de l'émeute d'Aranjuez, mais comme une
suite d'une disposition très-ancienne et bien décidée
du Roi , fondée sur le mauvais état de sa santé et sur
l'insurmontable dégoût qu'il ressentait pour les affaires .
Indépendamment des preuves de cette disposition, que
pendant les années précédentes il avait données à ses
ministres et à d'autres personnes de la Cour, ce fut elle
qui lui dicta les décrets par lesquels il se déchargea ,
longtemps auparavant sur le prince de la Paix, du
commandement de ses forces de terre et de mer, et
par laquelle il lui donna le droit de faire par lui-même
la paix et la guerre, motivant toutes ces concessions
sur le mauvais état et la délicatesse de sa santé. Pour
tout dire , eu un mot , l'autorité dont il revêtit ce fa-
vori fut telle, qu'il ne conserva que le nom seul de
Roi : ainsi la renonciation en faveur du Prince son
fils ne fut qu'une répétition de celle faite auparavant
entre les mains du prince de la Paix , avec cette unique
différence, qu'étant au profit de son héritier légitime,
il lui céda le titre avec l'autorité de Roi.
« L'Empereur. Malgré toutes vos réflexions, chanoine,
je m'en tiendrai toujours à mon principe, qu'une ab-
dication faite le jour d'une insurrection populaire et
révoquée immédiatement après, ne peut jamais être
considérée comme légitime. Mais laissant cela de côté,
puis-je oublier que les intérêts démon empire et ceux
de ma famille exigent que les Bourbons ne régnent plus
en Espagne? (En disant ces paroles, l'Empereur, de
la meilleure humeur du monde, me prit l'oreille, et me
la tirant en badinant, ajouta) : Quand même vous au-
riez raison, chanoine, dans tout ce que vous avez dit,
je vous répéterais , mauvaise polili(jue.
M Escoiquiz, Je connais, Sire, toute la force de ce
— 159 —
mot; mais je me flatte encore de pouvoir prouver
qu'une politique solide, c'est-à-dire le véritable intérêt
de Votre Majesté et de son empire, s'oppose à cette dé-
termination. Je n'ignore pas l'énorme différence qu'il
y a entre mes faibles lumières sur ces matières, et les
vastes et profondes connaissances de Votre Majesté
Impériale ; mais comme le caractère du roi Ferdinand,
celui de la nation espagnole et ses dispositions actuelles
doivent entrer pour beaucoup dans le calcul nécessaire
pour se déterminer dans le cas présent, et que j'ai sur
ces objets des données certaines, qui à raison de l'éloi-
gnement ne seront peut-être point parvenues à Votre
Majesté , il pourrait arriver que mes raisons fissent
impression sur elle, et qu'elle convînt de la solidité de
ma manière de penser.
« L'Empereur ( souriant avec la même bonne humeur
et me tirant l'oreille assez fortement). L'on m'a beau-
coup parlé de vous, chanoine, et je vois en effet que
vous allez bien loin.
« Escoiquiz (souriant aussi). J'en demande pardon a
Votre Majesté ; mais il me paraît qu'elle va beaucoup
plus loin que moi : les faits le disent. L'avantage n'est
assurément pas de mon côté.
« V Empereur ( après avoir beaucoup ri ). Mais reve-
nons à notre objet. Il est impossible que vous ne voyiez
pas, comme moi, que tant que les Bourbons régneront
en Espagne , je ne pourrai compter sur une alliance
sincère avec elle. Sans doute ils la feindront tant qu'ils
seront seuls , parce que l'infériorité de leurs forces ne
leur permet pas de me nuire; mais leur haine n'at-
tendra pour se réunir à mes ennemis et pour m'atta-
quer, que le moment où ils me verraient occupé par
une guerre dans le Nord , chose à laquelle je suis ex-
posé à chaque instant : et je ne veux pas d'autre preuve
de ce que je vous dis, que la perfidie avec laquelle le
— 160 —
même Charles /K, malgré sa prétendue fidélité à mon
alliance, voulut me faire la guerre dans le moment où
il me crut le plus embarrassé par celle de Prusse , peu
de jours avant la bataille d'Iéna , et qu'à cette fin il
répandit dans son royaume la fameuse proclamation
que vous connaissez , destinée à armer tous ses sujets
contre moi. Ainsi donc, tant que les Bourbons occu-
peront ce trône , je ne serai jamais sans crainte de ce
côté-là j car les forces d'Espagne, toujours considéra-
bles , pourraient le devenir davantage sous le gouver-
nement d'un homme à talents, et m'incommoder beau-
coup. Ne vous étonnez donc pas si je vous répète ,
mauvaise politique.
« Escoiquiz. Que Votre Majesté Impériale me permette
de l'assurer que la branche des Bourbons d'Espagne ,
dans les circonstances où elle se trouve , bien loin de
donner à Votre Majesté la moindre jalousie , doit être
chaque jour plus fidèle à son alliance et plus utile au
système qu'elle veut établir sur le continent j et qu'au
contraire rien ne peut lui être plus funeste , ainsi qu'aux
intérêts de sa maison et de son empire, que de la pri-
ver du trône.
« Et d'abord cette branche des Bourbons, séparée
depuis longtemps des autres, ne peut avoir pour elles
un grand attachement, fondé sur les liens d'une parenté
déjà si éloignée. Ferdinand VI en donna une bonne
preuve, par son refus de contracter la moindre alliance
avec celle qui régnait en France, non-seulement il ne
la soutint point dans ses guerres avec la Prusse et l'An-
gleterre, mais quoiqu'il voulût paraître observer la
plus exacte neutralité, il n'en témoigna pas moins tou-
tefois sans y manquer ouvertement, sa préférence et sa
prédilection pour les Anglais, ennemis de la France.
« Si Charles III sou successeur changea de système,
et conclut avec la branche de France le fameux pacte
— 161 —
de famille , chacun sait que ce ne fut point par atta-
chement pour elle , mais par ressentiment contre les
Anglais, qui lui avaient fait l'injure sanglante de l'obli-
ger, par la présence d'une escadre, sous peine de voir
bombarder Naples , où il régnait alors , à retirer les
troupes qu'il avait dans l'armée de Philippe Y son père,
en lui fixant insolemment le terme de deux heures pour
se décider; offense qu'il ne put jamais oublier.
« Charles IV fit, il est vrai, la guerre à la France à
l'époque de la mort de Louis XVI; mais l'eût-il entre-
prise, si l'on se fût contenté de détrôner et d'exiler cet
infortuné monarque? Il n'éclata en effet que quand il
vit ses jours en danger, et même alors il consentait à
reconnaître l'exclusion donnée à cette dynastie. Ce ne
furent donc point des considérations de parenté, mais
son indignation contre un attentat qui menaçait tous
les rois, qui lui mit les armes à la main.
« Gustave, roi de Suède, qui n'avait rien de commun
avec les Bourbons , fit encore davantage ; il eût fallu
n'être pas roi pour ne pas prendre le même parti dans
une pareille circonstance. Cependant, à peine un gou-
vernement plus modéré eut-il remplacé en France la
tyrannie , que Charles IV s'empressa , non-seulement
de faire la paix , mais de resserrer avec ce gouverne-
ment, son alliance précédente, et ces dispositions ami-
cales se sont accrues encore, depuis que pour le bon-
heur de la France et de l'Europe entière. Votre Majesté
gouverne cet État. En effet, Sire, l'exil des princes
français, la destruction de leurs espérances, la perte
même du trône de Naples, enlevé à son frère, loin
de faire la moindre impression sur l'esprit du roi
Charles /F, n'ont fait que rendre plus intime son al-
liance avec Votre Majesté Impériale.
« Quant à la proclamation publiée à l'époque de la
bataille d'Iéna, sur laquelle Votre Majesté fonde ses
XI 11
— 162 —
soupçons d'une haine innée chez les Bourhons contre
sa personne et sa maison, il est certain que par les
circonstances qui raccompagnèrent, elle doit être con-
sidérée comme la déclaration de guerre la plus for-
melle ; mais fut-elle l'ouvrage d'un Bourbon ^ de Char-
les IV? Votre Majesté sait, aussi bien que moi, qu'elle
fut celui du prince de la Paix y qui eut à surmonter
toute la répugnance du Roi , qui ne céda à ses sollici-
tations que par une faiblesse aussi incroyable que pu-
blique, et qu'ainsi elle ne peut être citée comme preuve
de la haine du Roi contre Votre Majesté et contre sa
famille.
(( Et que pourrai-je dire de l'amitié de son fils Ferdi-
nand ^ de son attachement, de son estime et de son
respect pour Votre Majesté Impériale, qu'elle ne sache
déjà? N'étant encore que prince des Asturies, il en
donna une preuve bien forte , lorsqu'au risque de sa
vie , il exposa à Votre Majesté le désir qu'il avait de
s'unir à une Princesse de sa maison. A peine a-t-il
occupé le trône, qu'il s'est empressé de renouveler par
écrit la même proposition j et non content de cela ,
malgré la proposition des représentants de Votre Ma-
jesté à le reconnaître pour roi, il est venu solliciter en
personne la même faveur, et s'est remis entre ses
mains avec une confiance filiale. Nul soupçon , nulle
crainte ne l'ont retenu ; il avait une trop grande idée
de la justice et de la générosité ' d'un héros, objet de
son admiration, pour concevoir la moindre défiance.
« Quelles raisons pourrait donc avoir Votre Majesté
Impériale, pour craindre de sa part la moindre inimi-
« * Il faut remarquer que ce langage était indispensable pour tirer
parti de cet homme vain et cruel. La vérité ne pouvait arriver jusqu'à
son cœur qu'à travers la vapeur des expressions les plus flatteuses. J'é-
tais à Bayonne, et je parlais à un Attila; je n'ai pas besoin d'en dire
davantage. »
— 163 —
tié , la plus légère aversion contre son auguste famille
ou son empire , dont l'alliance est d'ailleurs , et sous
tous les rapports, le premier besoin politique de l'Es-
pagne? Et si l'union qu'il désire avec une Princesse
impériale , vient à se réaliser, n'appartiendra-t-il pas
de plus près à la maison de son épouse, et ne tien-
dra-t-il pas davantage à ses intérêts qu'à des parents
éloignés qu'il a toujours vus avec indifférence? Ne
prendra-t-il pas alors tous les sentiments d'un fils de
Votre Majesté, et d'un prince de sa famille?
« L'Empereur. Allons, chanoine, vous nous débitez
dès contes. Vous êtes trop instruit pour ne pas con-
naître qu'une femme est un lien bien faible pour fixer
la conduite d'un Prince, et qu'il ne peut entrer en com-
paraison avec les nœuds du sang et ceux d'une origine
commune. Et qui peut compter sur l'influence que
l'épouse de Ferdinand exercera sur son cœur ! ne dé-
pend-elle pas entièrement du hasard et des circon-
stances? sa mort ne rompra-t-elle pas toute harmonie
entre la maison de son époux et la mienne? et quand
même elle serait parvenue à endormir, pendantsa vie,
leur haine mutuelle , ne se réveillera-t-elle pas avec
plus d'ardeur dans cette circonstance?
« Escoiquiz. Malgré tout cela, je me flatte que Votre
Majesté ne prendra point mes propositions pour des
contes, si elle daigne considérer l'ascendant que dans
le cas particulier qui intéresse si éminemment le bien
de ses sujets , une épouse remplie de mérite et de ju-
gement doit forcément exercer sur un Prince jeune ,
équitable et sensible, et quelle force elle puisera dans
l'attachement de son époux, pour peu qu'elle ajoute à
ses grâces naturelles un peu de cet art, qui ne manque
jamais à son sexe, surtout pour faire valoir la raison.
Je le dis, Sire, avec cette franchise, parce que je ne
parle point à un Monarque ordinaire, auquel je pour-
— 164 -—
rais, si j'étais capable d'altérer la vérité, non-seule-
ment dissimuler ma façon de penser, mais peut-être
faire adopter des idées fausses ; j'ai au contraire l'hon-
neur de traiter avec Votre Majesté Impériale , dont la
pénétration ne peut être mise en défaut. Je serais donc
bien maladroit si tous mes discours ne respiraient pas
la plus grande sincérité, qui seule peut les faire valoir.
« Dans ce sens, et même dans la supposition que le
mariage projeté ne se réaliserait point, la douceur et
le caractère pacifique du roi Ferdinand devraient suf-
fire pour convaincre Votre Majesté que jamais ce Prince
ne renoncera à une alliance qui lui assure la protec-
tion de la seule puissance qui peut menacer son exis-
tence politique ; alliance dont ses plus chers intérêts
lui prescrivent la religieuse observation. Sur ce point,
la façon de penser de tous ceux qui entourent notre
jeune Monarque , et dont Votre Majesté doit être in-
formée, doit confirmer cette vérité.
« L'Empereur. Je sais que vous et ceux qui partagent
actuellement sa confiance, connaissez trop bien ses
vrais intérêts, pour lui inspirer d'autres sentiments.
Mais vous figurez-vous par hasard, que jeune comme
il l'est, il vous conservera pendant six mois la même
confiance? Ne vous laissez pas éblouir, chanoine, vous
êtes trop honnête homme. Le premier courtisan adroit
le trompera, s'emparera avant peu de toute sa faveur,
TOUS fera éloigner des affaires, et gagné par l'Angle-
terre, lui fera adopter un système diamétralement op-
posé au sien. Non, non, je ne puis m'y fier.
K Escoiquiz, Je suis assuré. Sire, que notre jeune
Monarque nous connaît trop bien pour nous retirer
facilement sa confiance.
« D'ailleurs , son caractère quoique pacifique , est
bien éloigné d'être faible : il a du talent et de la fermeté,
et il en acquerra chaque jour davantage par Texpé-
— 165 —
rience; et il faudrait qu'il fût réellement le plus faible
et le plus inepte des hommes, pour que, quand même
il nous aurait éloignés de sa personne, il se décidât,
sur les simples insinuations d'un favori, supposé qu'il
en eût un, à renoncer à une alliance dont tous ses su-
jets reconnaissent les avantages incalculables. Mais en
admettant, ce dont je suis fort éloigné, cette supposi-
tion comme possible , ce ne serait jamais dans le cas
où il serait uni à une Princesse de la maison de Votre
Majesté Impériale ; tous les favoris du monde ne pour-
raient alors balancer un moment l'empire de son épouse.
u L'Empereur. Vous avez intérêt, chanoine, à vanter
à présent la force de cet ascendant; mais moi je n'y
ai pas tant de confiance.
a Escoiquiz. Sire, vous n'y croyez pas autant, per-
mettez-moi de le dire à Votre Majesté , parce qu'elle
juge le caractère des autres Princes d'après le sien ,
qui est une exception à la règle, puisqu'il ne cède ja-
mais àd'autre impulsion qu'à celle de son propre génie.
« L'Empereur, Allons, chanoine, vous ne faites que
bâtir des châteaux en l'air. Pourrai-je jamais être aussi
sûr de l'Espagne sous le gouvernement des Bourbons^
que sous celui d'un prince de ma famille? Celui-ci
pourrait peut-être avoir quelque brouillerie avec moi
ou avec mes successeurs, mais ne sera jamais un
ennemi de ma maison, jamais n'en désirera la ruine,
comme les Bourbons, et la défendra au contraire toutes
les fois que son existence sera menacée.
u Escoiquiz. En un mot, Sire, sans répéter les motifs
de confiance que j'ai détaillés, tant que Votre Majesté
vivra, elle n'a pas besoin d'autre garant de la fidé-
lité de l'Espagne, soit qu'elle obéisse à un Bourbon ,
soit qu'elle soit gouvernée par un Prince de sa maison,
que la seule prépondérance de ses talents et de ses
forces. Quant aux successeurs de Votre Majesté, si, ce
— 166 —
qui me paraît difficile, ils héritent de son génie aussi
bien que de ses vastes États , ils auront les mêmes
motifs de sécurité j et dans le cas contraire , le péril
d'être attaqué par l'Espagne sera le même, soit qu'il
y règne un Bourbon ou un Prince de la famille impé-
riale; car, comme l'histoire nous le montre à chaque
page , les liens du sang n'engagent à rien les souve-
rains : le moindre intérêt, la plus petite ambition, le
caprice d'un ministre en crédit, celui d'un favori, un
engagement avec une autre famille , suffisent pour
changer en ennemis irréconciliables les plus proches
parents.
u Mais, laissant ces choses comme trop obscures, je
demande à Votre Majesté la permission de revenir aux
probabilités que nous offre le présent , les seules que
les hommes doivent consulter de préférence, et que je
lui expose , comme je l'ai proposé , les funestes con-
séquences qu'entraînerait pour Votre Majesté et pour
son empire un changement de dynastie en Espagne.
« Toute l'Europe, les yeux fixés sur Bayonne, attend
l'issue du voyage du roi Ferdinand. Si Votre Majesté ,
dans cette circonstance, ne prend conseil que de son
cœur noble et magnanime , je suis sûr que tous les
peuples lui rendront justice, et applaudiront à sa gé-
nérosité. Les puissances ennemies de Votre Majesté ou ,
envieuses de sa gloire, seront forcées d'avouer qu'elle
est aussi juste avec ses alliés que terrible pour ses
adversaires. Cette preuve de modération diminuera
leur jalousie , refroidira leur haine , dissipera les
craintes de perdre leur indépendance, craintes semées
par l'Angleterre, et déjouera les intrigues de cette im-
placable ennemie, dont l'unique but est de former
une nouvelle coalition contre Votre Majesté.
« Quant à la nation espagnole, qui adore son jeuee
monarque, qui attend son retour avec une impatience
— 167 —
incalculable, qui se flatte que Votre Majesté sera son
appui , et qu'elle lui tiendra lieu des parents qu'il n'a
jamais connus que par leur haine injuste et contre
nature, qui nourrit enfin la douce espérance de voir
assurer pour toujours, par le mariage de ce Prince
chéri , une étroite alliance entre les deux peuples , il
est impossible de peindre la joie qu'elle éprouverait
de le recevoir des mains de Votre Majesté Impériale.
« Votre nom. Sire, sera gravé dans le cœur de tous
les Espagnols, comme celui du sauveur de la monar-
chie; ils ne sauront que faire pour vous prouver leur
vive reconnaissance. Si Votre Majesté, comme elle l'a
fait espérer, honore de sa présence la capitale , en y
ramenant le jeune Roi , toute la nation la recevra à
genoux, la bénira et conservera un souvenir éternel
de ses bienfaits; et quand même le roi Ferdinand^
attaché par tant de nœuds et surtout par ceux de la
reconnaissance à Votre Majesté Impériale , voudrait
jamais les rompre, l'horreur qu'un tel projet inspire-
rait à tous les Espagnols le forcerait bientôt à y re-
noncer; mais c'est une supposition que le caractère
loyal du Roi ne permet pas d'admettre. Ferdinand et
ses sujets, amis inséparables de Votre Majesté, la défen-
dront à l'envide toutes leurs forces contre ses ennemis.
Aussi intéressés que les Français à abattre l'orgueil
des tyrans des mers, les richesses des Indes et la ma-
rine respectable qu'ils pourront augmenter rapide-
ment, étant désormais sûrs de l'unique puissance qui
les puisse attaquer par terre, les rendront pour Votre
Majesté les alliés les plus utiles, et lui donneront les
moyens de mettre l'Angleterre à la raison. Quelle gloire
donc et quelle utilité Votre Majesté ne trouvera-t-elle
pas dans une conduite aussi conforme à la véritable
pelitique qu'aux nobles inclinations de son cœur?
« Si au contraire Votre Majesté insiste sur le change-
— 168 —
ment de dynastie, elle portera à son comble la jalousie
et la haine des puissances même les plus indifférentes.
Leur défiance et leur crainte de perdre leur propre
indépendance, éveillées par un exemple aussi terrible
contre l'allié le plus fidèle , donneront de nouvelles et
de plus puissantes armes à l'Angleterre pour les réunir
contre "Votre Majesté , et rendre la guerre intermi-
nable.
(( Et que dirai-je des Espagnols?... N'en doutez pas,
Sire, ils vous jureront une haine éternelle, qu'ils con-
serveront pendant des siècles contre la maison de
Votre Majesté et contre la France. Je parle par expé-
rience, Sire; quoiqu'il se soit passé cent ans depuis
la guerre de la succession sous Philippe F, le ressenti-
ment des provinces d'Aragon , de Catalogne et de Va-
lence, contre sa dynastie, contre la France et contre
les Castillans eux-mêmes qui avaient défendu ses
droits, ne s'est vraiment calmé qu'à l'époque du cou-
ronnement de Ferdinand : l'horreur qu'avait récem-
ment inspirée la tyrannie du prince de la Paix, et les
espérances de bonheur que leur donnait le caractère
du nouveau Roi, ont seules été capables de les réunir
sincèrement au reste des Espagnols , et de vaincre
leurs préventions contre la famille régnante ; car jus-
qu'à ce moment, il ne leur a manqué qu'une occasion
pour lever contre elle l'étendard de la révolte.
« Et après tout, quelle différence entre cette époque,
où il s'agissait de prendre parti entre deux Princes
dont les droits étaient douteux et qui partageaient tous
les esprits , et le cas présent, où il ne peut y avoir le
moindre doute , où ils ont un Roi qu'ils adorent , et
que la force seule pourra leur en faire reconnaître un
autre? Non , ce ne serait qu'après l'extermination to-
tale des Espagnols que celui-ci pourrait monter sur
le trône.
— ir.9 —
(( VEmpereiir. Chanoine , vous vous appesantissez
beaucoup sur les difïicultés. Je ne crains rien de la
seule puissance qui pourrait me donner quelque in-
quiétude. L'empereur de Russie , auquel je fis part,
lors de notre entrevue de Tilsitt , de mes projets sur
l'Espagne, qui datent de cette époque, les approuva,
et me donna sa parole de n'en point contrarier l'exé-
cution. Quant aux autres puissances, elles se garderont
bien de remuer, et vos Espagnols feront peu ou point
de résistance. D'abord , tous les grands ainsi que les
gens riches non-seulement resteront tranquilles, dans
la crainte de perdre leurs propriétés, mais encore
useront de tout leur crédit sur le peuple pour le calmer.
Bien plus, le clergé et les moines, que je rendrai res-
ponsables du moindre désordre, emploieront leur in-
fluence pour le même objet. Il ne reste donc à craindre
que quelques émeutes de la populace; mais des puni-
tions sévères les feront bientôt rentrer dans le devoir.
Croyez qu'il est très-facile de soumettre les pays où il
y a beaucoup de moines ; j'en ai déjà fait l'expérience.
Les Espagnols eux-mêmes en seront un nouvel exem-
ple, surtout quand ils verront que je leur garantis l'inté-
grité et l'indépendance de la monarchie; que je leur
donne une Constitution plus libre et plus raisonnable,
et que je leur promets la conservation de leur religion
et de leurs coutumes.
« Escoiquiz. Je respecte, Sire, les opinions de Votre
Majesté Impériale ; je reconnais le néant de mes lu-
mières et de mes connaissances politiques. Mais Votre
Majesté Impériale daignera me pardonner si, instruit
à fond du caractère de mes concitoyens, je me hasarde
à lui dire que je crois que les grands , les riches , les
ecclésiastiques et les moines donneront au peuple
l'exemple des plus grands sacrifices et du plus vif en-
thousiasme pour leur roi Ferdinand y et que toute la
— 170 —
nation en masse se lèvera avec une ardeur et une cqn-
stance invincibles pour repousser tout autre souverain
que l'on voudrait lui donner.
« L'Empereur. Quand tout cela arriverait , quand je
devrais sacrifier deux cent mille hommes, je n'en par-
viendrai pas moins à mes fins, et je suis bien éloigné
de croire que la conquête d'Espagne puisse coûter
autant,
« Escoiquiz. Mon opinion ne doit être comptée pour
rien à côté de celle de Votre Majesté; je conviens
que dans le premier moment, vos troupes sont prêtes
et maîtresses de Madrid et des places frontières, tandis
que les Espagnols n'ont ni soldats, ni argent, ni pro-
visions de guerre, ni même un point de réunion, ni
autorité qui les dirige ; eh bien ! ils éprouveront des
revers, ils seront battus, ils souffriront beaucoup;
mais tout cela, loin de les subjuguer, les aigrira; la
fureur leur donnera des armes, le désespoir les réunira
et leur fera sentir la nécessité d'adopter un système
énergique de gouvernement : le Portugal fera cause
commune avec eux; l'Angleterre l'épuisera pour sou-
tenir une guerre si utile à ses vues : l'aspérité du sol
offrira aux Espagnols les plus fortes positions : sept
cents lieues de côtes les mettront à même de recevoir,
sur tous les points , toutes les provisions et tous les
secours dont ils pourront avoir besoin , soit de leurs
riches colonies qui leur prodigueront leurs trésors,
soitde l'Angleterre : une population de quatorze millions
d'âmes, y compris celle du Portugal, fournira autant
d'hommes que l'on voudra. Les Français, au contraire,
privés des secours de la mer, dans un pays vaste, mal-
sain pour eux et peu abondant en vivres, seront réduits
à faire venir, par terre, leurs provisions de leur propre
patrie , à travers une contrée semée d'ennemis et de
partis innombrables qui leur opposeront partout des
— 471 —
obstacles presque insurmontables; et quand même ils
obtiendraient sur eux des avantages partiels, ils n'en
périront pas moins en détail, et seront à la fin forcés
de renoncer à l'entreprise.
« Mais je veux accorder, qu'après la guerre la plus
sanglante et la plus dévastatrice, ils réussissent à
mettre l'Espagee à leurs pieds; jamais la nouvelle dy-
nastie ne se verra tranquille sur son trône ; elle sera
sur un volcan dont la force pourra seule retarder l'ex-
plosion. Votre Majesté Impériale sera forcée d'entre-
tenir toujours deux ou trois cent mille bommes dans
les provinces pour les contenir. Le nouveau Roi ne
régnera que sur un monceau de ruines et de cadavres,
sur les tristes restes d'un peuple désespéré et digne
d'un meilleur sort, enfin sur des esclaves furieux ,
prompts, à la moindre occasion, à rompre leurs chaî-
nes. Et cette occasion ne peut leur manquer un peu
plus tôt, un peu plus tard : les Anglais et les autres
puissances, jalouses de la France, la leur offriront
bientôt. Cette guerre sera une hydre toujours renais-
sante, et quand même l'Espagne ne parviendrait point
à secouer le joug de Votre Majesté, elle sera peut-être,
par la suite et sous ses successeurs , la cause de la
destruction de sa maison.
« Mais en supposant, contre ma propre conviction,
que l'Espagne soit soumise et tranquille, qu'elle se
résigne et qu'elle s'accoutume à une domination étran-
gère , de quelle utilité serait son alliance pour Votre
Majesté et pour son empire? Ruinée, dépeuplée, ré-
duite à la plus grande misère , privée de ses immenses
colonies , et par conséquent de ses richesses et de sa
marine, elle serait pour la France une charge d'autant
plus incommode que l'immense étendue de ses côtes
l'expose à de fréquentes invasions de la part des Anglais.
« VEmpereur. Vous allez trop vite, chanoine; voua
— 172 —
regardez comme infaillible que l'Espagne perde ses
colonies, et j'ai au contraire les espérances les mieux
fondées de les conserver. Ne croyez pas que je me sois
endormi, je me suis ménagé des intelligences avec
l'Amérique espagnole; j'ai envoyé d'avance, pour les
cultiver, plusieurs frégates sur les côtes, et j'attends
tout de ces mesures.
(( Escoiquiz. Je connais trop la faible portée de mes
lumières. Sire, pour me hasardera contredire ces es-
pérances : il est possible que le temps m'en démontre
la solidité ; cependant les données que j'ai sur la dis-
position des esprits dans nos colonies, ne me permet-
tent pas de douter qu'elles ne se séparent de la métro-
pole avant de reconnaître une nouvelle dynastie : je
dis plus, sous le règne même de Ferdinand , le moindre
mécontentement suffirait pour rompre une union qui
ne tient plus qu'aux faibles liens de l'habitude. Est-il
donc vraisemblable qu'elle subsisterait après l'entier
bouleversement des idées, et, si vous le voulez, des
préjugés de ses habitants ?
« Votre Majesté me pardonnera , Sire, si , fort de la
liberté qu'elle a daigné m'accorder de lui parler sans
déguisement, je me hasarde à dire, que je suis si sûr
que l'effet infaillible du changement d^ dynastie serait
la défection de nos colonies , et que je parierais tout
ce que j'ai de plus précieux au monde, en faveur de
ce fatal résultat.
« Et quels seront les effets de cette séparation? L'Es-
pagne, qui ne fait de commerce actif qu'avec ses colo-
nies, desquelles elle tire aussi presque toutes ses pro-
visions navales , restera sans marine marchande ni
militaire, et par conséquent celle de France, son alliée,
se trouvera affaiblie d'autant contre les Anglais. La
France en outre perdrait la part immense du commerce
qu'elle fait avec ses colonies, à raison des privilèges
— 173 —
que son amitié avec l'Espagne lui avait fait accorder,
et qui pourraient être augmentés encore sous le règne
de Ferdinand.
« Toute l'Europe , dont le numéraire s'est merveil-
leusementaccrudepuisl'établissement de nos colonies
par l'importation de leurs riches métaux, le verra, dans
peu d'années, diminuer dans la même proportion; elle
sera en même temps privée , comme elle l'est déjà en
grande partie, des productions de l'Asie, de celles de
l'Amérique dont elle ne peut pas se passer, ou sera
forcée de les payer au prix que le caprice des Anglais
y voudra mettre.
« Que dire de l'Angleterre? Elle regardera le chan-
gement de dynastie en Espagne comme l'événement le
plus heureux qui lui soit arrivé depuis son établisse-
ment en corps de nation : maîtresse de la mer, elle le
sera aussi de tout le commerce, et par conséquent de
l'or, de l'argent et des productions de l'Amérique; sa
population, ses richesses, sa marine, prendront un
accroissement incalculable; ses trésors, d'autant plus
considérables que le numéraire sera plus rare dans le
reste de l'Europe, la mettront à même d'acheter et
d'armer les autres nations contre Votre Majesté, et
même de lui susciter les troubles domestiques les plus
dangereux. L'argent est le mobile le plus puissant; et
peut-on deviner les résultats que pourraient avoir de
pareils efforts?
« V Empereur. Outre que, comme je vous l'ai déjà dit,
chanoine , vous allez beaucoup trop vite dans vos cal-
culs, je ne suis point d'accord avec vous sur les prin-
cipes qui leur servent de base : je n'ai rien à vous
dire, si ce n'est que je réfléchirai encore sur ces ma-
tières , et que demain je vous ferai connaître ma dé-
termination irrévocable.
« Escoiquiz. J'espère, Sire, de la générosité et de la
— 174 —
profonde sagesse de Votre Majesté, que sa décision
sera favorable à mon Roi et à ma patrie. »
(c Voilà, à de très-faibles différences près, dans l'or-
dre de la conversation , ce qui se passa dans la pre-
mière conférence.
« Le jour suivant je fus appelé de nouveau auprès de
l'Empereur, qui débuta par me dire qu'il avait enfin
irrévocablement pris la résolution de changer la dy-
nastie en Espagne , qu'en conséquence j'en fisse part
au prince Ferdinand, et que celui-ci répondît catégo-
riquement et avant l'arrivée du roi Charles son père,
s'il acceptait l'échange de ses droits sur l'Espagne
contre la couronne de Toscane; que, dans ce cas, le
traité se ferait immédiatement et avec la plus grande
solennité; que si Son Altesse Royale refusait d'accéder
à ces propositions , elle n'y gagnerait rien , puisque
Sa Majesté Impériale obtiendrait la même cession du
Roi son père; que la Toscane resterait réunie à la
France, et que le Prince se trouverait sans indemnités.
i< Désespéré dé voir toute espérance évanouie, je n'en
reproduisis pas moins, sous un nouveau point de vue
et avec toute l'énergie dont je fus capable, les raisons
les plus fortes que j'avais déjà développées, pour es-
sayer de le faire changer de système ; mais voyant
tous mes efforts inutiles, je lui dis :
« Sire, la résolution de Votre Majesté est d'autant plus
douloureuse pour moi , qu'avec le malheur de mon Roi
et de ma patrie, j'ai encore à pleurer la perte de ma
réputation et de celle de tous ceux qui entouraient le
roi Ferdinand lorsqu'il s'est décidé à venir ici. L'on
nous en rendra responsables , et moi surtout , à qui
l'on suppose plus d'empire sur son esprit; et quoique
mon caractère soit trop connu pouf que le public ju-
dicieux puisse m'accuser de trahison, je n'en serai pas
moins regardé comme le plus aveugle et le plus impru-
— 175 —
dent des hommes ; quand même l'on finirait par sa-
voir qu'avant même que nous fussions décidés à lui
donner un pareil conseil , le Roi , pressé par les in-
stances de l'ambassadeur de Votre Majesté , lui avait
donné sa parole sans nous avoir consultés, et même
avait fixé le jour de son départ, l'on nous reprochera
toujours, pour le moins, de ne l'avoir pas fait changer
de résolution.
f( L'Empereur. Malgré cela, chanoine, vous n'avez pas
de motifs de vous affliger : ni vous ni ceux qui se trou-
Vent dans le même cas ne pouviez avoir le moindre
soupçon de mes intentions, que personne ne connais-
sait, et contre lesquelles il y avait, en apparence, les
plus fortes raisons politiques et les données les plus
propres à vous tranquilliser : telles sont les raisons
que vous m'avez exposées.
c< Escoiquiz. Cela n'est pas douteux, Sire; mais le
peuple, qui ne juge jamais d'après des données qu'il
ignore, ou des maximes politiques hors de sa portée,
qui suit son inclination naturelle à croire tout ce qu'il
y a de pis , et qui malheureusement dans cette cir-
constance a rencontré juste , ne nous pardonnera ja-
mais d'avoir laissé le Roi venir à Rayonne.
(( L'Empereur. Et dans les circonstances dans les-
quelles vous vous trouviez, quel autre parti pouviez-
vous prendre que celui de venir à Rayonne?
« Escoiquiz. Je sais bien. Sire, que par l'inconceva-
ble conduite du prince de la Paix, les places et les pro-
vinces frontières étant au pouvoir de Votre Majesté
Impériale, la capitale entourée de soixante mille hommes
de vos troupes, qui pouvaient la détruire dans un
instant, les dispositions connues du roi Charles et de
la Reine de soutenir de leur nom et de leur autorité
vos entreprises , tout faisait voir que le jeune Roi était
à la disposition de Votre Majesté, qui pouvait le faire
— 176 ■—
venir ici sans qu'aucune résistance fut possible. Mais
qui pourra persuader cette vérité à la majorité du
public, qui se compose d'ignorants, de malintentionnés
et de têtes chaudes ? Qui pourra lui faire perdre l'idée,
toute absurde qu'elle est , que la faible garnison qui
était alors à Madrid, réunie à une populace désarmée,
suffisait, non-seulement pour défendre le Roi, mais
même pour exterminer l'armée française? Et ce
qui est incroyable, c'est que cette ridicule confiance,
cette extravagante opinion , non-seulement séduisirent
alors le peuple de Madrid, mais encore la plus grande
partie des membres du Conseil secret du Roi, ce qui
mit un obstacle invincible à l'exécution du seul moyen
(dans le cas où l'on eût voulu l'employer) qui pût
mettre en liberté le roi Ferdinand. Ce projet, d'un
autre côté, faisait craindre des suites si épouvanta-
bles , qu'il était impossible que nous l'adoptassions ,
à moins d'avoir eu la certitude du projet de Votre Ma-
jesté de détrôner le Roi , et malheureusement nous
avions les plus fortes raisons pour croire le contraire.
'( L'Empereur. Et quel était ce moyen , chanoine ?
u Escoiquiz. Celui de faire échapper secrètement le
jeune Roi.
« V Empereur. Et oii l'auriez-vous conduit?
« Escoiquiz. A Algésiras, Sire, où nous avions déjà
quelques troupes, et où nous étions très- près de
Gibraltar.
« L'Empereur. Ensuite, qu'auriez-vous fait?
« Escoiquiz. Toujours constants dans la maxime de
conserver avec Votre Majesté une alliance étroite, mais
honorable, nous vous eussions proposé de la continuer,
sous la condition précise de nous rendre sans délai nos
places frontières, et de retirer de l'Espagne toutes les
troupes françaises ; et si Votre Majesté eût refusé ces
conditions, nous lui eussions fait la guerre de tous
— 177 —
nos moyens et jusqu'à la dernière extrémité. Tel eût
été mon avis dans le cas où, de quelque manière, nous
fussions parvenus à connaître les intentions véritables
de Votre Majesté.
u L'Empereur. Vous avez raison, et c'est effectivement
tout ce qu'il y avait à faire.
t( Escoiquiz. Ah! Sire, si nous avions eu quelques
mois devant nous, si les événements d'Aranjuez fus-
sent arrivés avant l'entrée des troupes de Votre Ma-
jesté en Espagne , et avant que ce misérable prince
de la Paix eût eu l'inexplicable condescendance de
leur livrer nos places frontières , nous serions exempts
des malheurs qui nous affligent! Votre Majesté aurait
trouvé dans notre jeune Roi un allié fidèle et utile;
ou, dans le cas où elle aurait voulu exécuter son plan
actuel, nous avions assez de forces , sinon pour enva-
hir les provinces de Votre Majesté , du moins pour
défendre les nôtres; mais ce vil, ce perfide favori....
Excusez, Sire, si je lui donne les épithètes qu'il
mérite....
a V Empereur (en m'interrompant).Mais vous donnez
de lui une idée qui n'est pas juste; il ne s'est pas si
mal conduit dans son administration.
« Escoiquiz. Ah! Sire, que je m'estimerais heureux
d'avoir une conférence avec lui sous les yeux de Votre
Majesté ; c'est alors qu'elle verrait la vérité confondre
l'imposture ! elle connaîtrait toutes les fautes de ce
malheureux; elle le verrait pâle et muet en présence
d'un accusateur qu'il ne pourrait tromper.
(( Je sais bien cependant que la pénétration de Votre
Majesté n'a pas besoin de pareilles preuves pour con-
naître son caractère , celui du Roi père et de la Reine,
de la bonté desquels il a abusé; et je n'ai jamais pu me
persuader que dans le fond de son cœur >'otre Majesté
pût l'estimer, ni méconnaître l'innocence du prince
XI 12
— 178 —
Ferdinand : supposer d'autres sentiments à Votre
Majesté, ce serait lui faire injure, quoique la puissante
raison d'État l'empêche de les manifester dans sa
conduite.
« L'Empereur (souriant). Sans convenir précisément
de tout ce que vous avancez, je sais ce que sont les
femmes et les favoris ; mais enfin la loi suprême des
souverains , le bien de l'État m'imposent l'obligation
de faire ce que je fais.
« Escoiquiz. Après avoir épuisé tout ce que j'avais à
dire à Votre Majesté sur ces affaires , il serait inutile
d'y insister davantage, et je me borne à la supplier
humblement de consulter encore plus l'équité et la
générosité de son cœur, que la voix toujours incer-
taine de la politique , avant de mettre son projet à
exécution.
« L'Empereur (en souriant et me tirant l'oreille avec
force). Mais, chanoine, vous ne voulez donc pas en-
trer dans mes idées?
f( Escoiquiz (souriant aussi). Bien au contraire, Sire,
je désirerais de tout mon cœur ramener Votre Majesté
aux miennes, fût-ce aux dépens de mes oreilles; maié
nos intérêts sont opposés , ce qui m'afflige d'autant
plus , que mon admiration et mon attachement pour
Votre Majesté, croissant à chaque instant depuis que
j'ai l'honneur de parler avec elle , il me serait bien doux
de lui donner une preuve de mon respect par une en-
tière conformité à ses volontés; mais une obligation sa-
crée m'en empêche, et Votre Majesté me rendra justice.
(( V Empereur. Oui, je vous la rends, votre conduite
est celle d'un honnête homme et d'un sujet fidèle. »
(( Ce jour-là, et les suivants, l'Empereur parla des
mêmes affaires avec les ducs de VInfantado et de
Saint-Charles j et avec don Pedro Cevallos, ministre
— 179 —
d'État du jeune Roi, soit réunis, soit séparément, quel-
quefois même en ma présence , et toujours sur le même
ton. Vainement ils firent valoir les mêmes raisons que
j'ai déjà rapportées , chacun sous un aspect différent,
avec la plus grande force et la plus noble franchise :
sa résolution était prise et elle était, comme il l'avait
dit, invariable.
f( J'eus quelques autres conférences particulières ,
également inutiles, avec Sa Majesté Impériale. Les trois
personnes que je viens de citer et moi en eûmes aussi
avec le général Savary et M. de Champagny, ministre
des Relations Extérieures ; moi en particulier avec
M. de Pradt, évêque de Poitiers, aumônier de l'Em-
pereur, et quelque temps après archevêque de Malines :
toutes ces conférences n'aboutirent à rien.
(( Un matin entre autres, en présence du roi Ferdi-
nand et de son frère l'infant don Carlos , je fis à l'Em-
pereur un discours assez long , dans lequel , après
avoir touché légèrement les raisons que précédemment
je lui avais développées, j'essayai de l'émouvoir, et
par la considération de sa propre gloire , et par la
compassion que devaient inspirer ces Princes infor-
tunés, plus dignes de pitié que de véritables orphelins,
puisque leurs parents , pour lesquels ils avaient tou-
jours eu le plus respectueux attachement, étaient leurs
ennemis les plus implacables. Comme je parlais du
cœur, je le fis avec tant de force et de sensibilité ,
qu'un instant je le vis ému; mais sans doute s'en
apercevant lui-même, et pour le dissimuler, il m'inter-
rompit ; et se retournant du côté des Princes, il leur
dit : Ce chanoine aime beaucoup Vos Altesses; ce qui
rendit la conversation générale , et dissipa ma dernière
illusion. L'après-midi du même jour, l'Empereur,
après avoir conféré avec le duc de Xlnfanladoy lui dit
en plaisantant : Le chanoine m'a fait ce matin une ha"
— 180 —
rangue dans le goût de celles de Cicéron; mais il ne
veut pas entrer dans les raisons de mon plan. — Voilà à
quoi se réduisit tout le fruit de mon éloquence cicé-
ronienne. »
Les explications que vient de donner Napoléon, nous
ont appris qu'il offrait à Ferdinand VU, en échange de
sa renonciation, le royaume d'Étrurie, et la main d'une
princesse de la maison impériale ; mais le Roi, sou-
tenu par des conseillers fidèles , don Pedro Cevallos ,
don Juan Escoiquiz, et l'inébranlable Labrador, refusa
un pareil accommodement et réclama la liberté de re-
tourner en Espagne.
On s'aperçut que pour fléchir Ferc^manc? VII, il fallait
tenter d'autres moyens. Charles IV, la reine Marie-
Louise et le prince de la Paix, que Murât avait forcé
la Régence de lui livrer, arrivèrent, le 30 avril, à
Rayonne. Napoléon abusa de la faiblesse du vieux Roi
et des passions de la Reine, pour les entraîner l'un et
l'autre à une action révoltante ; ils devinrent les ac-
cusateurs de leur fils. Charles IV déclara qu'il ne
voulait pas remonter sur le trône , mais qu'il deman-
dait que son fils renonçât à la couronne pour qu'elle
fût cédée à Napoléon, La postérité croira-t-elle qu'un
père qui aimait ses enfants, ait voulu non-seulement
déshériter un fils, contre lequel on pouvait lui avoir
inspiré des préventions, mais encore dépouiller de son
patrimoine toute sa famille, en faveur d'un étranger ?
Ferdinand VII résista d'abord; mais, intimidé, pri-
sonnier, et cédant à la volonté de son père, il fit, le
1" mai, une renonciation conditionnelle de sa cou-
ronne en faveur de son père, renonciation qui devait
être sanctionnée en présence des Cortès. Enfin, quel-
— 181 —
quos jours plus tard, on le força, par des menaces et
des injures, à signer une renonciation absolue, mais
qui porte tous les caractères de la violence.
Ce fut la veille même de cet acte imposé à Ferdi-
nand VU , et cette circonstance est remarquable , que
Charles IV avait conclu le fameux traité de Bayonne,
dont voici le texte :
« Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie,
protecteur de la confédération du Rhin, et Charles IV,
roi desEspagnes et des Indes, animés d'un égal désir
de mettre promptement un terme à l'anarchie à la-
quelle est en proie l'Espagne, de sauver cette brave
nation des agitations des factions, voulant lui épar-
gner toutes les convulsions de la guerre civile et
étrangère, et la placer sans secousse dans la seule
position qui, dans la circonstance extraordinaire dans
laquelle elle se trouve, puisse maintenir son inté-
grité, lui garantir ses colonies et la mettre à même
de réunir tous ses moyens à ceux de la France pour
arriver à une paix maritime, ont résolu de réunir tous
leurs efforts et de régler, dans une convention parti-
culière, de si chers intérêts. A cet effet, ils ont
nommé, savoir :
(( S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, pro-
tecteur de la confédération du Rhin, M. le général de
division Duroc, grand maréchal du palais; et S. M. le
roi des Espagnes et des Indes, S. A. S. M. Manuel
Godoy, prince de la Paix, comte de Evora Monti; les-
quels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs,
sont convenus de ce qui suit :
« Art, 1 ''. S. M. le roi Charles n'ayant eu en vue
toute sa vie que le bonheur de ses sujets, et constant
dans le principe que tous les actes d'un souverain ne
doivent être faits que pour arriver à ce but, les cir-
-. 182 —
constances actuelles ne pouvant être qu'une source de
dissensions d'autant plus funestes, que les factions
ont divisé sa propre famille, a résolu de céder, comme
il cède par le présent, à S. M. l'empereur Napoléon,
tous ses droits sur le trône des Espagnes et des Indes,
comme le seul qui , au point où en sont arrivées les
choses, peut rétablir l'ordre; entendant que ladite
cession n'ait lieu qu'afin de faire jouir ses sujets des
deux conditions suivantes :
«Art. 2. L'intégrité du royaume sera maintenue;
le prince que S. M. l'empereur Napoléon jugera devoir
placer sur le trône d'Espagne sera indépendant, et les
limites de l'Espagne ne souffriront aucune altération.
La religion catholique, apostolique et romaine, sera
la seule en Espagne. Il ne pourra y être toléré aucune
religion réformée et encore moins infidèle, suivant
l'usage établi aujourd'hui.
« Art. 3. Tous actes faits contre ceux de nos fidèles
sujets, depuis la révolution d'Aranjuez, sont nuls et de
nulle valeur, et leurs propriétés leur seront rendues.
« Art. 4. S. M. le roi Charles ayant ainsi assuré la
prospérité, l'intégrité et l'indépendance de ses sujets,
S. M. l'Empereur s'engage à donner refuge dans ses
États au roi Charles y à la Reine, à sa famille, au
prince de la Paix y ainsi qu'à ceux de leurs serviteurs
qui voudront les suivre , lesquels jouiront en France
d'un rang équivalent à celui qu'ils possédaient en
Espagne.
« Art. 5. Le palais impérial de Compiègne, les parcs
et forêts qui en dépendent, seront à la disposition du
roi Charles, sa vie durant.
« Art. 6. S. M. l'empereur donne et garantit à S. M.
le roi Charles une liste civile de trente millions de
réaux, que S. M. l'empereur Napoléon lui fera payer
directement tous les mois par le trésor de la couronne.
— 183 —
A la mort du roi Charles ^ deux millions de revenu
formeront le douaire de la Reine.
M Art. 7. S. M. l'empereur Napoléon s'engage à ac-
corder à tous les infants d'Espagne une rente annuelle
de quatre cent mille francs pour en jouir à perpétuité
eux et leurs descendants, sauf la réversibilité de la-
dite rente d'une branche à l'autre, en cas de l'extinc-
tion de l'une d'elles, et en suivant les lois civiles. En
cas d'extinction de toutes les branches, lesdites rentes
seront réversibles à la couronne de France.
« Art. 8. S. M. l'empereur Napoléon fera tel arran-
gement qu'il jugera convenable avec le futur roi
d'Espagne pour le payement de la liste civile et des
rentes comprises dans les articles précédents; mais
S. M. le roi Charles /F n'entend avoir de relation pour
cet objet qu'avec le trésor de France.
« Art. 9. S. M. l'empereur Napoléon donne en
échange à S. M. le roi Charles le château de Cham-
bord, avec les parcs, forêts et fermes qui en dépen-
dent, pour en jouir en toute propriété, et en disposer
comme bon lui semblera.
(( Art. 10. En conséquence, S. M. le roi Charles re-
nonce, en faveur de S. M. l'empereur Napoléon f à
toutes les propriétés allodiales et particulières non
appartenantes à la couronne d'Espagne, mais qu'il
possède en propre. Les infants d'Espagne continue-
ront à jouir du revenu des commanderies qu'ils pos-
sèdent en Espagne.
« Art. 1 1 . La présente convention sera ratifiée , et
les ratifications en seront échangées dans huit jours,
ou le plus tôt qu'il sera possible.
« Fait à Bayonne , le 5 mai 1 808.
(( Signé Duroc. — Le prince de la Paix. »
— 184 —
C'est ainsi que Charles IV échangea contre le châ-
teau de Chambord dont il ne put prendre possession,
et pour une pension de sept millions et demi de francs
qui ne lui fut pas payée, un des plus beaux trônes du
monde, la monarchie de l'Espagne et des Indes;
c'est ainsi que les chefs de deux gouvernements dis-
posèrent d'une nation antique, grande et estimable,
comme on disposerait d'un troupeau !
La renonciation de Charles IV ne suffisait pas pour
sanctionner l'usurpation ; il fallait encore celle des
princes d'Espagne. Ferdinand VII avait bien déjà re-
noncé en faveur de son père; mais lorsqu'il adhéra à
la cession faite par celui-ci, on ne lui avait laissé le
choix qu'entre V abdication ou la mort\ Voici la con-
vention qui fut conclue à Bayonne, le \0 mai 1 808 :
«S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, protec-
teur de la confédération du Rhin, et S. A. R. le prince
des Asturies , ayant des différends à régler, ont nommé
pour leurs plénipotentiaires; savoir : S. M. l'empereur
des Français, roi d'Italie, M. le général de division
Vuroc, grand maréchal du palais; et S. A. R. le prince
des Asturies, don Juan Escoiquiz, conseiller d'État de Sa
Majesté Catholique, chevalier grand'croix de l'Ordre
de Charles III; lesquels, après avoir échangé leurs
pleins pouvoirs, sont convenus des articles suivants :
«Art. ]" S. A. R. le prince des Asturies adhère à la
cession faite, par le roi Charles, de ses droits au trône
d'Espagne et des Indes en faveur de S. M. l'empe-
reur des Français, roi d'Italie; renonce, autant que
* « Prince, lui dit Napoléon dans la dernière conférence, il faut opter
entre la cession ou la mort. » (Cevallos.) « Bientôt l'Empereur menaça
de la mort le roi Ferdinand et les infants don Carlos et don Antonio,
s'ils ne renonçaient pas à leurs droits à la succession au trône, en qua-
lité de prince des Asturies et d'infants. Les princes cédèrent au grand
maréchal Duuoc qui leur parla dans les mêmes termes, au nom de
son maître. » (Escoiquiz.)
— 185 —
besoin, aux droits qui lui sont acquis comme prince
des Asturies , à la couronne des Espagnes et des Indes.
uArt. 2. S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie,
accorde, en France, à S. A. R. le prince des Asturies
le titre d'altesse royale avec tous les honneurs et pré-
rogatives dont jouissent les princes de son sang. Les
descendants de S. A. R. le prince des Asturies con-
serveront le titre de prince, celui d'altesse sérénis-
sime, et auront toujours le même rang, en France,
que les princes dignitaires de l'empire.
u Art. 3. S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie,
cède et donne par les présentes, en toute propriété, à
S. A. R. le prince des Asturies et à ses descendants
les palais, parcs, fermes de Navarre, et les bois qui
en dépendent, jusqu'à la concurrence de cinquante
mille arpents, le tout dégrevé d'hypothèques et pour
en jouir en toute propriété, à dater de la signature dm
présent traité.
«Art. A. Ladite propriété passera auxenfants et hé-
ritiers de S. A. R. le prince des Asturies; à leur dé-
faut, aux enfants et héritiers de l'infant don Charles;
à défaut de ceux-ci, aux descendants et héritiers de
l'infant don Francisque; et enfin, à leur défaut, aux
enfants et héritiers de l'infant don Antoine. Il sera ex-
pédié des lettres patentes et particulières de ce prince à
celui de ces héritiers auquel reviendra ladite propriété.
«Art. 5. S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie,
accorde à S. A. R. le prince des Asturies quatre cent
mille francs de rente apanagère sur le trésor de France,
et payables par douzième chaque mois, pour en jouir
lui et ses descendants; et, venant à manquer la des-
cendance directe de S. A. R. le prince des Asturies,
cette rente apanagère passera à l'infant don Charles,
à ses enfants et héritiers; et, à leur défaut, à l'infant
don Francisque, à ses descendants et héritiers.
— 186 — •
« Art. 6. Indépendamment de ce qui est stipulé dans
les articles précédents, S. M. l'empereur des Français,
roi d'Italie, accorde à S. A. R. le prince des Asturies
une rente de six cent mille francs également sur le
trésor de France, pour en jouir sa vie durant. La
moitié de ladite rente sera réversible sur la tête de la
princesse son épouse, si elle lui survit.
«Art. 7. S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie,
accorde et garantit aux infants don Antoine j oncle de
S. A. R. le prince des Asturies ^ don Charles et don
Francisque, frères dudit prince :
« 1" Le titre d'altesse royale, avec tous les honneurs
et prérogatives dont jouissent les princes de son sangj
les descendants de Leurs Altesses Royales conserve-
ront le titre de prince ;, celui d'altesse sérénissime, et
auront toujours le même rang en France que les prin-
tes dignitaires de l'empire j
«2'' La jouissance du revenu de toutes leurs com-
manderies en Espagne, leur vie durant;
« 3° Une rente apanagère de quatre cent mille francs
pour en jouir eux et leurs héritiers à perpétuité ; en-
tendant Sa Majesté Impériale que les infants don An-
toine , don Charles et don Francisque, venant à mou-
rir sans laisser d'héritiers, ou leur postérité venant à
s'éteindre , lesdites rentes apanagères appartiendront
à S. A. R. le prince des Asturies, ou à ses descendants
et héritiers; le tout aux conditions que LL. AA. RR.
don Charles , don Antoine et don Francisque adhèrent
au présent traité.
« Art. 8. Le présent traité sera ratifié, et les ratifica-
tions en seront échangées dans huit jours, ou plus tôt
si faire se peut.
« Rayonne, le 10 mai 1808.
« Signé l>i]Koc. — Juan de Escoiquiz. »
— 187 --
En supposant que des princes puissent ainsi dis-
poser de leurs couronnes en faveur d'étrangers, sans
consulter la nation de laquelle ils les tiennent, et qui
rentre nécessairement dans ses droits primitifs , si
elle est abandonnée par la dynastie qu'elle a choisie,
il manquait néanmoins à la renonciation de Charles IV
et des autres princes qui avaient signé les actes de
Bayonne, le consentement de deux membres de la
maison d'Espagne, auxquels ces actes ne pouvaient
porter aucun préjudice. L'un était Ferdinand IV , roi
des Deux-Siciles , frère de Charles IV; ce monarque
couvrit ses droits par une protestation du 9 juillet
1808; l'autre était don Pedro, fils de Gabriel, frère
puîné de Charles IV et de Ferdinand IV. Ce jeune
prince s'était trouvé à Lisbonne, lorsque la Cour de
Portugal s'embarqua pour Rio-Janeiro ; il l'y accom-
pagna, et échappa ainsi à la prison qui fut le sort
réservé aux autres membres de sa famille*.
Peu après la signature du traité de Bayonne, Char-
les IV j la reine son épouse, la reine d'Étrurie leur
fille, et ce prince de la Paix, l'auteur de cette triste
catastrophe, furent conduits à Compiègne; mais,
comme le vieux roi trouva le climat du nord de la
France trop froid, on lui permit de se rendre à Mar-
seille, oii souvent il manqua du nécessaire*. Ses fils.
' L'infant don Pedro, marié à la fille aînée du Prince régent, depuis
Jean VI, roi de Portugal, est mort au Brésil le 4 juin 1842, laissant un
fiU, don SÉBASTIEN, né le 4 novembre i8<i, et aujourd'hui grand prieur
de Saint-Jean.
* Lorsque le roi Charles IV et sa femme s'étaient rendus d'Aranjuez
à Bayonne, le Roi n'avait pour son usage que quelques bijoux, consis-
tant en une ganse de brillants pour le chapeau , une garniture de bou-
lons d'habits , une poignée d'épée et d'autres menus objets. Tout cela
fut vendu à Marseille, parce que Napoléon ne donna pas les sommes
promises, tant qu'il sut que le Roi avait quelques valeurs à sa disposi-
tion. Celte circonstance explique pourquoi Napoléon fut mal venu à se
— 188 —
au lieu d'être installés au château de Navarre, obtin-
rent pour prison le château de Valençai, dont Nopo-
léon disposait ainsi sans l'agrément du propriétaire, le
prince de Talleyrand,
Murai, que Charles IV, peu de jours avant son ab-
dication, avait nommé son lieutenant général , gou-
vernait le royaume. Le 13 mai, il prévint le Conseil
royal que, tous les droits à la couronne d'Espagne
ayant été cédés à Napoléon et devant passer à un de
ses frères. Napoléon désirait que le Conseil fît con-
naître celui à qui il donnait la préférence; bien en-
tendu que, par cette désignation, le Conseil ne serait
pas censé approuver ou désapprouver les précédents
traités, et sans préjudice des droits de Charles IV et
de ses fils. Le Conseil répondit, le même jour, qu'il
lui paraissait convenable que le choix tombât sur le
frère aîné de Napoléon. Le Conseil fut obligé d'en-
voyer cette déclaration à Bayonne par deux de ses
membres , don Josef Colon et don Manuel de hardi-
zabal. Une proclamation de Napoléon au. 25 mai appela à
plaindre, en 4814, de l'inexécution, par les BouneoNS, des clauses du
traité de Fontainebleau, relatives aux sommes promises.
Quant à la reine Marie-Louise , elle avait rapporté pour six millions
de pierreries, et 'elle avait remis ces joyaux à M*"" Tddo qui , après la
mort de la Reine, épousa Godoy. M. de Vargas Laguna, ministre d'Es-
pagne à Rome, qui devait sa fortune à Godoy, mais qui était un de ces
hommes ne transigeant jamais avec leur devoir, parla si fermement à
Charles IV de l'obligation où il était de faire rendre à la couronne
d'Espagne ce qui lui appartenait, qu'il finit par l'obtenir; les diamants
furent donc envoyés à Madrid , où ils furent partagés entre les princes-
ses, d'après la volonté d'une des infantes, à l'influence de laquelle per-
sonne ne résistait. Les autres trésors.que la Cour possédait en pierreries,
avaient été enlevés par Murât, le 2 mai 1808. Un Piémontais, ministre
de Napoléon à Naples pendant le règne de Murât , assurait que les
diamants avaient été estimés quarante-trois millions! Celte estimation
paraît un peu élevée, mais la couronne devait être riche en joyaux dans
un pays où elle disposait de tout sans contrôle, et où le Mexique et le
Pérou avaient versé soixante-deux milliards.
— 189 —
Bayonne une Junte, composée de cent cinquante Espa-
gnols notables, pour donner à l'usurpation un air de
légitimité'. Elle s'assembla le 15 juin; mais, dès le 6,
Napoléon avait nommé roi d'Espagne son frère Joseph,
qu'il avait fait revenir de Naples. On proposa à la
Junte une Constitution, qu'elle accepta le 7 juillet, et
le surlendemain le nouveau Roi partit pour occuper
' Voici qu'elle était la composition de cette Assemblée :
Miguel Josef de Aza.nza, Mariano Luis de Uhquuo, Antonio Ranz
RoMANiLi.os, Josef Colon , Manuel de Lardizabal, Sébastian de Tor-
RES, Ignacio Martinez de Villela, Domingo Cervino, Luis Idiaqcez,
Andres de Herrast/, Pedro de Porras, le prince de Castelfra.nco, le
duc de DEL Parque, l'archevêque deBuRoos, Fr. Miguel de Acevedo, vi-
caire général de Saint-François, Fr. Jorge Rey, vicaire général de Saint-
Augustin, Fr, Augustin Perez de Valladolid, général de Saint-Jean do
Dieu, F. le duc de Frias, F. le duc de Hijar, F. le comte d'ORCAz, J. le
marquis de Santacrlz, V. le comte de Fernan Nu.nez, M. le comte de
Santa Ck)LOMA , le marquis de Castellanos, le marquis de Bendana,
Miguel EscuuERo, Luis Gainza, Juan José Maria de Lardizabal, le
marquis de Monteiiermoso, comte de Treviana, Vicente del Castillo,
Simon Perez de Cevallos, Luis Saiz, Damaso Castillo Larroy, Cristo-
bal Cladera, Josef Joaquin del Moral, Francisco Antonio Zea , Jo-
sef Ramon Mila de la ;Roca, Ignacio de Texada, Nicolas de IIerreua,
Tomas la Pena, Ramon Maria de Adurriaga, D. Manuel de Pelayo,
Manuel Maria de Upateguy, Fermin Ignacio Baunza, RaymundoExEN-
hard y Salinas, Manuel Romero, Francisco Amoros, Zenon Alonzo,
Luis Melendez, Francisco Angulo, Roque Novella, Eugenio de Sam-
PELAYO, Manuel Garcia de IbPrada, Juan Soler, Gabriel Benito de
Orbegozo, Pedro de Isla, Francisco Antonio de EchagCe, Pedro Ce-
vallos, le duc de I'Infantado, Josef Gomez Hermosilla, Vicente
ÂLCALA Galiano, Miguel Ricardo de Alava, Cristobal de Go.ngora, Pa-
blo Arribas, Josef Garriga, Mariano Agustin, l'amiral marquis de
Ariza y EsTEPA, le comte de Castelflorido , le comte de Noblejas,
maréchal do Castille, Joaquin Xavier Uriz, Luis Marcehno Pereyra,
Ignacio Musquiz, Vicente Gonzalez de Arnao, Miguel Ignacio de la Ma-
drid, le marquis de Espeja, Juan Antonio Llorentb, Julian de Fuen-
TEs, Mateo de Norzagaray , Josef Odoardo y Grandpe, Antonio
SoTO, prémontré, Juan Nepomuceno de Rosales, le marquis de Casa-
Calvo, le comte de Torre-Musquiz; le marquis de las IIormazas, Fer-
nando Calixto Nunez, Clémente Antonio Pisador, D. Pedro Larriva
ToRREs, Antonio Savi.non, José Maria Tineo, Juan Mauri.
— . 190 —
un trône que des torrents de sang répandus pour une
cause si injuste ne purent affermir*.
C'est ici que nous devons rapporter le seul traité
qui ait été conclu par Joseph , pendant son règne dis-
puté ; il fut signé à Bayonne , le 5 juillet \ 808 , par
M. de Champagny et le duc de Gallo. En voici le texte,
que nous avons fait traduire de l'espagnol :
Napoléon , par la grâce de Dieu et de la Constitu-
tion, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur
de la confédération du Rhin , ayant vu et examiné le
traité conclu, et signé à Bayonne, le 5 juillet 1808, par
M. de Champagny f notre ministre des Affaires Étran-
gères, grand cordon de la Légion d'honneur, etc., en
vertu des pleins pouvoirs que nous lui avions donnés
à cet effet, avec le marquis de Gallo, ministre des
Affaires Étrangères de S. M. le roi de Naples et de
Sicile, chevalier de l'Ordre de la Toison-d'Or, etc.,
également muni de pleins pouvoirs, et dont la teneur
suit :
« S. M. l'empereur des Français , roi d'Italie , pro-
tecteur de la confédération du Rhin , voulant donner
à son auguste frère, S. M. Joseph Bonaparte y roi de
Naples et de Sicile, prince français et grand-électeur
de l'Empire, une nouvelle preuve de confiance et d'af-
fection fraternelle, et devant s'entendre avec lui à l'é-
gard des arrangements dont dépendent la tranquillité
et prospérité du midi de l'Europe , ainsi que l'intérêt
* Napoléon, dans son entretien avec le conseiller d'État Escoiquiz,
disait « quand je devrais sacrifier deux cent mille hommes, je n'en par-
viendrai pas moins à mes fins ; et je suis bien éloigné de croire que la
conquête d'Espagne puisse coûter autant. » Dans ce froid calcul des pro-
babilités, Napoléon se trompait d'un tiers : ce sont trois csnt mille
Français ou alliés qui ont été immolés dans la Péninsule. Voilà ce que
coûta le Midi à Napoléon; nous verrons bientôt ce que lui coûtera le
Nord. — Quel holocauste à l'ambition d'un seul! 0 divin créateur!
0 sainte humanité!
— 191 —
de la France , Leurs Majestés ont nommé pour leurs
plénipotentiaires respectifs, savoir :
« S. M. l'empereur des Français , roi d'Italie , pro-
tecteur de la confédération du Rhin , Son Excellence
M. Nomphre de Champagny, grand cordon de la Légion
d'honneur, commandeur de l'Ordre de la couronne de
fer, grand'croix de l'Ordre de Saint-Joseph de Wurtz-
bourg et de la Fidélité de Bade , son ministre des Af-
faires Étrangères;
« Et S. M. le roi de Naples et de Sicile, S. E.
M. Martin Mastrilli, marquis de Gallo, des ducs
de MariglianOy membre de son Conseil d'Etat et son
ministre des Affaires Étrangères, chevalier de l'Ordre
de la Toison-d'Or, grand dignitaire de l'Ordre des
Deux-Siciles et de la Couronne de fer;
« Lesquels, après s'être communiqué leurs pleins
pouvoirs , sont convenus des articles suivants :
« Art. 1". S. M. l'empereur des Français cède à
S. M. le roi de Naples et de Sicile les droits à la cou-
ronne d'Espagne et des Indes qu'il a acquis en vertu
de la cession qui lui a été faite par le roi Charles l\\
et à laquelle ont adhéré le prince des Asturies, et les
princes infants d'Espagne.
(f S. M. le roi Joseph Bonaparte en jouira perpétuel-
lement lui et ses successeurs mâles par droit de pri-
mogéniture, et avec exclusion perpétuelle des femmes
et de leur descendance, conformément aux constitu-
tions de l'Espagne qui seront déterminées plus tard.
« Jrt. 2. A défaut de descendance masculine , na-
turelle et légitime de S. M. le roi Joseph Bonaparte, la
couronne d'Espagne et des Indes retournera à S. M.
l'empereur et à ses héritiers et descendants mâles ,
naturels et légitimes ou adoplifs.
(( A défaut de descendants mâles, naturels et légi-
times ou adoplifs de S, M. l'empereur, la couronne
— 192 —
d'Espagne et des Indes appartiendra aux descendants
mâles, naturels et légitimes du prince Louis Bonaparte,
roi de Hollande.
« A défaut de descendance masculine, naturelle et
légitime ou adopti\ e de S. M. le roi de Hollande , la
couronne d'Espagne et des Indes appartiendra aux
descendants masculins naturels et légitimes du prince
Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie;
« Et à défaut de ceux-ci, à celui qui aura été dési-
gné sur le testament du dernier roi, soit parmi ses
parents les plus proches, soit parmi les plus dignes de
gouverner l'Espagne.
« Art. 3. La couronne d'Espagne et des Indes ne
pourra jamais être réunie à une autre couronne sur
une même tête.
{< Art. 4. S. M. le roi Joseph Bonaparte, après son
avènement au trône d'Espagne , s'oblige à remplir
toutes les charges et conditions imposées à S. M. l'Em-
pereur par le traité du 5 mai 1 808, conclu avec le roi
Charles IV, et par le traité du 1 0 mai , conclu avec le
prince des Asturies, auquel ont adhéré les autres
princes infants d'Espagne, sauf celles qui par leur
nature doivent recevoir leur exécution en France.
(( En conséquence, S. M. Joseph Bonaparte devra re-
mettre par douzièmes , tous les mois , dans le trésor
public de France, depuis le 1 "mai dernier, les sommes
annuelles ci-après , savoir :
« Sept millions et demi de francs pour être payés au
roi Charles IV.
« Un million de francs pour être payés à don Fer-
dinand-Marie-François-de-Paule , prince des Asturies.
« Quatre cent mille francs pour être payés à l'in-
fant don Charles-Marie-Isidore.
« Quatre cent mille francs à l'infant don Francois-
de-Paulc- Antoine-Marie.
— 193 —
« Quatre cent mille francs à l'infant, frère de Char-
les IVf don Aîitoine-Pascal-François-Jean-Népoimicene-
Ramon-Silvestre.
« Art. 5. A la mort du roi Charles I\\ la rente de
sept millions et demi de francs s'éteindra en faveur
du trésor d'Espagne ; mais le trésor payera, à titre de
douaire, à la reine Louise-Marie-Thérèse , si elle survit
à son époux, une rente annuelle viagère de deux mil-
lions de francs ; et cette rente s'éteindra également en
faveur du trésor d'Espagne à la mort de ladite prin-
cesse.
« Art. 6. Du million assigné à don Ferdinand ,
prince des AsturieSf quatre cent mille francs appar-
tiendront à ses descendants ; et quand la descendance
directe de ce prince manquera, cette rente alimen-
taire passera à l'infant don Charles , à ses enfants et
héritiers, et à défaut à l'infant don François et à ses
descendants et héritiers.
« Les autres six cent mille francs forment une rente
viagère qui s'éteindra à la mort du prince Ferdinand diW
bénéfice du trésor d'Espagne, sauf la moitié de ladite
rente , qui sera réversible à la princesse son épouse ,
si elle lui survit, et qui lui sera payée jusqu'à sa
mort.
« On payera perpétuellement aux infants don Charles,
don François et don Antoine, à leurs descendants et
héritiers les rentes de quatre cent mille francs à eux
assignées ; et dans le cas où leur postérité viendrait à
s'éteindre, ces rentes seront réversibles sur le prince
àon Ferdinand f ses héritiers et ses descendants : si ce
prince décédait, et si sa descendance venait à s'é-
teindre, lesdites rentes s'éteindront aussi en faveur du
trésor d'Espagne.
« Art. 7. S. M. l'Empereur cède à S. M. Joseph
Bonaparte, les biens allodiaux appartenant au roi
XI 13
— 194 —
Charles y abandonnés par celui-ci à S. M. l'Empe-
reur par l'article 10 du traité du 5 mai.
« Art. 8. S. M. l'Empereur ayant cédé au roi Char-
lei IV y le palais et terre de Chambord , et au prince
des Asturies le palais, terre et forêts de Navarre, on
fera une app"réciation de la valeur de ces propriétés ,
desquelles S. M. le roi Joseph s'oblige à rembourser la
valeur à S. M. l'Empereur, et à payer jusqu'à l'époque
du remboursement un intérêt égal à la rente de ces
terres, tel qu'il résultera de la taxe.
« Art. 9. S. M. le roi Joseph Bonaparte accepte les ces-
sions faites en sa faveur par son auguste frère sous
les conditions ci-dessus; et cède à son tour à S. M.
l'empereur des Français ses droits à la couronne de
Naples el de Sicile, pour en jouir ou en disposer de la
manière qui conviendra le mieux à S. M. l'Empereur.
« Art. 10. S. M. l'Empereur garantit l'exécution et
la stabilité de la Constitution qu'elle a décrétée de con-
cert avec S. M. le roi Joseph, pour le royaume de Na-
ples et de Sicile.
« Art. 1 1 . Il y aura perpétuellement alliance offensive
et défensive sur mer et sur terre entre S. M. l'Empe-
reur et S. M. Joseph Bonaparte, roi d'Espagne et des
Indes, et entre leurs successeurs respectifs.
«Art. 12. Le contingent des deux puissances, en
cas de guerre continentale, soit en Afrique, soit en
Europe, se réglera de la manière suivante :
« La France donnera cinquante mille hommes d'in-
fanterie et dix mille hommes de cavalerie présents
sous les armes, depuis le moment qu'ils traverse-
ront la frontière, et un train d'artillerie proportionné
à cette armée.
« L'Espagne donnera vingt-quatre mille hommes
d'infanterie , et six mille de cavalerie effectifs au mo-
ment de traverser la frontière, et un train d'artille-
— 195 —
rie de cinquante pièces attelées et approvisionnées,
ainsi qu'un nombre proportionné d'artilleurs , mi-
neurs et sapeurs. Les solde et équipement des trou-
pes qui forment lesdits contingents seront pour le
compte de la puissance qui les présente.
« Dans les cas urgents, les deux hautes parties con-
tractantes se promettent mutuellement, aux mêmes
conditions, chacune pour la cause de l'autre, lé
nombre de troupes que les circonstances rendraient
nécessaires, et en général tout l'appui qu'elles pour-
ront se prêter.
«Art. 13. Dans le cas d'une guerre maritime, les
forces des deux puissances se réuniront, pour protéger
et défendre réciproquement leurs États, colonies et
leurs établissements respectifs dans les quatre parties
du monde.
«Dans ce cas, la France donnerait quatre-vingts
vaisseaux de ligne de deux ou de trois ponts, et un
nombre proportionné de frégates et autres bâtiments
de guerre plus petits.
M Et l'Espagne contribuerait avec cinquante vais-
seaux de ligne de deux et de trois ponts, et un
nombre proportionné de frégates et autres bâtiments
de guerre plus petits.
uArt. 14. S. M. le roi d'Espagne s'oblige à tenir le
port du Passage en état de servir de port de carénage,
d'armement et d'arrivée pour les navires, soit fran-
çais, soit espagnols, à creuser à cet effet la darse inté-
rieure dudit port, et à faire les autres travaux qui
seraient nécessaires pour cet objet.
«Art. 15. Les deux parties contractantes stipule-
ront entre elles un système de douanes fixes et tno-
dérées, avantageux au commerce des deux pays. Les
sujets des deux puissances seront traités réciproque-
ment dans les États de Tune et de l'autre, comme là
— 196 —
nalion la plus favorisée, et on assurera la préférence,
tant en Espagne qu'en France, aux marchandises res-
pectives des deux nations sur les autres marchandises
étrangères de la même qualité.
«Art. 16. Le présent traité restera secret, jusqu'à
ce que les deux hautes parties contractantes conviennent
de le publier. Les ratifications seront échangées à
Bayonnedans le délai de huit jours.
« Fait à Bayonne, le 5 juillet 1808.
(( J. B. NoMPÈRE DE Champagny. — Lc mar-
quis de Gallo. »
Article séparé.
" S. M. Joseph Bonaparte, roi d'Espagne et des Indes,
s'oblige à verser par douzièmes, tous les mois, au
trésor public de France, la somme annuelle de quatre
cent mille francs, qu'on remettra à la reine Marie-Louise-
Joséphine et à ses descendants , en compensation de
tous ses droits et prétentions quelconques.
f( Au décès de cette princesse et à l'extinction de sa
descendance , cette rente de quatre cent mille francs
cessera en faveur du trésor d'Espagne.
« Le présent article séparé se considérera comme
partie du traité conclu et signé par nous aujourd'hui,
et se publiera en même temps.
(' Fait à Bayonne, le 5 juillet 1808.
« i. B. NoMPÈRE DE Champagny. — Le mar-
quis DE Gallo. »
« Nous avons approuvé et approuvons le précédent
traité dans tout et chacun des articles qu'il contient,
déclarons qu'il est accepté, ratifié et confirmé, et nous
promettons qu'il sera observé inviolablcmcnt.
— 197 —
«En foi de quoi nous avons expédié les présentes
signées de notre main, contre-signées et scellées de
notre sceau impérial. '
u A Bayonne ; juillet 1 808.
(( Napoléon.
« Par l'Empereur ,
« Le ministre secrétaire d'État,
« IIugues-B. Maret.
u Le ministre des Affaires Étrangères ,
« Champagny. »
Article secret.
i< Napoléon y par la grâce de Dieu et la Constitution,
Empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la
confédération du Uhin, ayant vu et examiné l'article
secret, fait, conclu et signé à Bayonne, le 5 juillet
1808, par M. Champagny, notre ministre des Affaires
Etrangères, grand-cordon de la Légion d'honneur, etc.,
en vertu des pleins pouvoirs que nous lui avons don-
nés à l'effet, avec le marquis de Galloy ministre des
Affaires Étrangères de S. M. le roi de Naples et de
Sicile, chevalier de l'Ordre de la Toison-d'Or, etc.,
pourvu également de pleins pouvoirs, duquel article
secret la teneur est comme il suit :
(( Article secret. S. M. l'Empereur garantit à l'Espagne
l'intégrité des colonies qu'elle possède actuellement.
En échange de cette obligation, S. M. le roi d'Es-
pagne s'oblige à permettre, à la paix générale, l'intro-
duction dans les colonies espagnoles des deux Indes
d'une quantité de marchandises françaises qui se dé-
terminera à cette époque, lesquelles seront transportées
sur des navires français, qui pourront sortir de Bor-
— 198 —
deaux ou de Marseille, et seront autorisés à convertir
le produit des marchandises qu'ils introduiraient en
produits et marchandises de ces colonies, pour le
transporter directement en France. Ces navires et car-
gaisons ne souffriront d'autres charges, ni ne payeront
d'autres droits que ceux imposés aux nationaux.
« Le présent article sera ratifié, et les ratifications
seront échangées en même temps qu'on échangera celles
du traité de cette date.
M Fait à Bayonne, le 5 juillet 1808.
« J. B. NoMPÈRE DE Champagny. — Lc mar-
quis de Gallo. »
(( Nous avons approuvé et approuvons l'article se-
cret ci-dessus. Déclarons que nous l'acceptons, rati-
fions et confirmons, et nous promettons qu'il sera
observé inviolablement.
« En foi de quoi nous avons expédié les présentes
signées de notre main, contre-signées et scellées avec
notre sceau impérial.
« A Bayonne, juillet 1808 \
u Napoléon.
« Par l'Empereur,
« Le ministre secrétaire d'État,
« Hugues-B. Maret.
« Le ministre des Affaires Étrangères,
« Champagny. »
Les ratifications de ce traité furent échangées à
Bayonne, le 8 juillet. On conserve aux archives des
* Le traité de Bayonne du 5 juillet 1808 manque dans !e Recueil de
M. de Martens.
— 199 —
Affaires Étrangères , à Madrid, les ratifications ori-
ginales de Napoléon; elles avaient été soustraites de
ce dépôt en octobre 1812, et elles y furent réintégrées
le 18 mars 1813, en vertu d'un ordre royal signé par
don Antoine Cano Manuel, ministre de grâce et de
justice.
Par un autre acte qualifié Statut constitutionnel ,
signé à Bayonne le 15 juillet, le royaume des Deux-
Siciles, ou plutôt celui de Naples, auquel Joseph avait
renoncé, fut donné par Napoléon à Joachim Murât et
à sa descendance mâle et légitime, de manière cepen-
dant que si son épouse lui survivait, elle monterait
sur le trône après lui. A l'extinction des descendants
de Joachim Murât et de Caroline Bonaparte, la cou-»
ronne écherra aux descendants mâles, naturels et lé-
times ou adoptifs de Napoléon, de Joseph, de Louis
et de Jérôme Bonaparte. Enfin, conformément au
système fédéral, d'après lequel les trônes érigés par
Napoléon ne devaient être que des parties du grand
empire, la dignité de grand amiral de France fut atta-
chée à la couronne de Naples. Quant au grand-duché
de Berg, on sait déjà qu'il fut rétrocédé à Napoléon\
Dès le 31 juillet, il en fit prendre possession par le
conseiller d'État Beugnot; mais au mois de mars 1 809,
il en donna l'investiture au fils du roi de Hollande.
La transmutation des couronnes d'Espagne et de
Naples avait été précédée d'une circonstance intéres-
sante. Napoléon avait en effet projeté, dans l'origine,
de placer sur le trône d'Espagne son frère Louis Bona-^
parte, et dès le 27 mars 1 808, il lui avait écrit la lettre
suivante :
• Voy. Confédération du Rhin, t. V de cette Histoire des Traités.
— 200 —
« Mon frère,
« Le roi d'Espagne vient d'abdiquer. Le prince
de la Paix a été mis en prison. Un commencement
d'insurrection a éclaté à Madàd. Dans cette circon-
stance, mes troupes étaient éloignées de quarante lieues
de Madrid; le grand-duc de Berg a dû y entrer le 23
avec quarante mille hommes. Jusqu'à cette heure,
le peuple m'appelle à grands cris. Certain que je n'aurai
de paix solide avec l'Angleterre qu'en donnant un
grand mouvement au Continent, j'ai résolu de mettre
un prince français sur le trône d'Espagne. Le climat
de la Hollande ne vous convient pas. D'ailleurs la
Hollande ne saurait sortir de ses ruines. Dans le
tourbillon du monde, que la paix ait lieu ou non, il
n*y a pas de moyen pour qu'elle se soutienne. Dans
cette situation de choses, je pense à vous pour le trône
d'Espagne. Vous serez souverain d'une nation géné-
reuse, de onze millions d'hommes, et de colonies im-
portantes. Avec de l'économie et de l'activité, l'Espagne
peut avoir soixante mille hommes sous les armes et
cinquante vaisseaux dans ses ports. Répondez-moi
catégoriquement quelle est votre opinion sur ce projet.
Vous sentez que ce n'est encore qu'un projet, et que
quoique j'aie cent mille hommes en Espagne, il est
possible, par les circonstances qui peuvent survenir,
ou que je marche directement et que tout soit fait
dans quinze jours; ou que je marche plus lentement,
et que cela soit le secret de plusieurs mois d'opérations.
Répondez-moi catégoriquement : si je vous nomme
roi d'Espagne, l'agréez-vous? Puis-je compter sur
vous? Comme il serait possible que votre courrier ne
me trouvât plus à Paris, et qu'alors il faudrait qu'il
traversât l'Espagne au milieu des chances que l'on ne
peut prévoir; répondez-moi seulement ces deux mots :
— 201 —
j'ai reçu votre lettre du tel jour, et je réponds oui, et
alors je compterai que vous ferez ce que je voudrai;
ou bien Jion, ce qui voudra dire que vous n'agréez pas
ma proposition. Vous pourrez ensuite écrire une lettre
où vous développerez vos idées en détail sur ce que
vous voulez , et vous l'adresserez sous l'enveloppe de
votre femme, à Paris. Si j'y suis, elle me la remettra;
sinon, elle vous la renverra.
« Ne mettez personne dans votre confidence, et ne
parlez à qui que ce soit, je vous prie, de l'objet de
cette lettre ; car il faut qu'une chose soit faite pour
qu'on avoue d'y avoir pensé, etc., etc. »
Le roi Louis rapporte que sa surprise égala son in-
dignation en recevant une proposition qu'il regardait
comme impolitique j injuste et honteuse, h Je ne suis pas
un gouverneur de province, disait-il à ce sujet. 11 n'y
a pas d'autre promotion pour un roi que celle du ciel;
ils sont tous égaux. De quel droit pourrais-je aller de-
mander un serment de fidélité à un autre peuple, si je
ne restais pas fidèle à celui que j'ai prêté à la Hollande
en montant sur le trône? » Il répondit en conséquence,
et refusa vertement.
D'ailleurs , un autre article l'avait cruellement
blessé. Il lui fut prouvé de nouveau ce qu'il tâchait
en vain de se dissimuler. Ces mots : c< Le climat
de la Hollande ne vous convient pas; d'ailleurs elle ne
saurait sortir de ses ruines , prouvaient d'une manière
irrécusable qu'on l'avait poussé sur le trône pour le
perdre, et pour perdre aussi le pays.
La nomination de Joseph comme roi d'Espagne
n'eut donc lieu que par suite du refus de Louis Bona-
parte. Mais si l'Empereur se flattait que les Espagnols
accepteraient un roi de sa main, son erreur fiitpromp-
— 202 —
teraent dissipée. Ce peuple, fier et valeureux, montra à
l'Europe comment on secoue le joug de l'oppression !
Une insurrection qui éclata le 2 mai à Madrid , et
que l'on étouffa dans le sang , fut le prélude de plus
grands événements. Le 5 mai, Ferdinand avait signé
deux décrets , l'un adressé à la Junte de gouverne-
ment qu'il avait établie à Madrid avant son départ,
et l'autre au Conseil royal, et, à son défaut, à quelque
chancellerie que ce fût. Le premier autorisait la Junte
à se transférer elle-même, ou en substituant ses pou-
voirs à une ou plusieurs personnes , dans tel lieu
qu'elle jugerait convenable, et à exercer, en son nom
et à sa place, la souveraineté; lui enjoignant de com-
mencer les hostilités au moment même où elle ap-
prendrait que le Roi serait conduit dans l'intérieur de
la France , ce qu'on n'obtiendrait de lui que par vio-
lence, et de s'opposer, dans ce cas, par tous les
moyens que l'on pourrait mettre en usage, à l'entrée
de nouvelles troupes françaises sur le territoire de la
Péninsule. Le second décret portait l'ordre de convo-
quer les Corlès dans l'endroit qui paraîtrait le plus
favorable à leur prompte réunion, afin qu'elles eussent
à s'occuper uniquement et sans délai de rassembler
les forces nécessaires pour la défense du royaume.
Ces deux décrets, qu'il avait fallu confier à un mes-
sager à pied, n'arrivèrent à Madrid que lorsque la
Junte avait reçu le décret du 6, qui la dissolvait. Elle
ne put donc pas les publier; mais on donna la plus
grande publicité à une lettre que Ferdinand avait
adressée , le 8 , au commandant de l'armée des Astu-
ries, et qui était conçue en ces termes :
« Nobles Asturiens ! Je suis entouré d'ennemis de tous
côtés; je suis la victime de la perfidie. Vous avez sauvé
l'Espagne dans des circonstances beaucoup plus diffici-
les que celles où nous nous trouvons. Étant moi-même
— 203 —
prisonnier, je ne réclame pas de vous ma couronne;
mais je demande que , d'après un plan bien concerté
avec les provinces voisines, vous conserviez votre
indépendance; je demande que vous ne vous cour-
biez jamais sous un joug étranger ; que vous ne vous
soumettiez jamais au perfide ennemi qui a dépouillé
de ses droits votre malheureux Ferdinand.
M Rayonne , le 8 mai 1 808. »
Cette lettre dut causer la plus vive impression sur
une nation altière, passionnée et courageuse. Elle
ne fut en rien diminuée par une proclamation que l'on
avait fait signer à Ferdinand VII et à ses frères, à leur
arrivée à Bordeaux le 12 mai, et par laquelle ils
engageaient les Espagnols à ne pas s'opposer aux
vues bienfaisantes de Napoléon, Il était évident que
cette signature leur avait été arrachée dans la captivité.
Un cri général d'indignation s'éleva dans toute l'Es-
pagne : le peuple prit les armes partout où la présence
des troupes françaises n'étouffa pas l'insurrection.
La ville de Valence renonça, dès le 23 mai, à l'obéis-
sance du gouvernement de Madrid. Séville suivit cet
exemple le 20 ; don Joseph Palafooo organisa, le 27,
à Saragosse , l'insurrection de l' Aragon. Ces mouve-
ments populaires furent accompagnés, dans plusieurs
endroits d'excès horribles. « Le tocsin se fit entendre
de toute part, et la populace effrénée commença une
série d'attentats contre tous ceux que son caprice
désignait comme fauteurs des projets de Napoléon.
Elle s'acharna spécialement sur les chefs, militaires
et civils , et sur ceux qu'elle croyait avoir joui de plus
de faveur sous le règne de Charles IV. On compte au
nombre des victimes de sa fureur insensée, le capi-
taine général de marine don Francisco de Borja;
le marquis del Socorro, capitaine général de l'Anda-
— m —
îousie; le comte de Torrefremo, gouverneur de Bada-
joz ; don Santiago de CAizinan et Villorùt, gouverneur
de Tortose; le lieutenant général don Antonio Filan-
gieriy' les maréchaux de camp don Miguel Cevallos y
et don Pedro Truxillo; don Juan de Toda, gouverneur
de Villa-Franca de Panades; le comte delAguila, à
Séville, et le baron de Albanat^ à Valence. Tous fu-
rent assassinés et mis en morceaux dans les soulève-
ments. » Ces massacres produisirent une terreur uni-
verselle , et telle devint alors l'anarchie, que ceux qui
gouvernaient se trouvèrent dans la dure nécessité de
plier devant la lie du peuple, et de se prêter à tous
ses affreux caprices.
La partie saine de la nation s'empressa de mettre
lin à ces scènes d'horreur, en formant des juntes cen-
trales. La forme populaire du régime des villes d'Es-
pagne fournit le moyen de les organiser. Séville en
donna l'exemple le 27 mai. La junte centrale qui y
fut établie, rejetant l'autorité du Conseil souverain de
Madrid, parce que cette capitale était entre les mains
de l'ennemi , s'arrogea un pouvoir indépendant qu'elle
exerça au nom du roi Ferdinand VIL Par une procla-
mation du 29 mai, elle appela la nation à la défense
de la patrie, de son roi, de ses propriétés et de ses
lois. Le 6 juin, elle déclara, au nom de Ferdinand VII,
la guerre à Napoléon, et aussi à la France, tant qu'elle
restera soumise à son joug.
On se ferait difficilement une idée des sentiments
patriotiques et de l'enthousiasme qui enflammaient
alors la nation espagnole , si l'on n'avait sous les yeux
quelques-unes des pièces remarquables qui furent
publiées à cette époque. Dans ce nombre il faut par-
ticulièrement distinguer les actes précités du 29 mai
et du 6 juin, ainsi que l'adresse de Palafox à Na-
poléon, qui trouvent ici leur place.
— 205
Vroclamation de la Junte suprême de Séville, du 29 mai 1808.
Espagnols j
« La ville de Séville s'est livrée aux élans de cette
fidélité dont elle a dans tous les temps donné à ses
souverains tant de preuves héroïques. On lui enleva
son Roi , auquel elle avait prêté serment et qu'elle
avait reçu avec des acclamations sans exemple. Les
principes de la monarchie furent foulés aux pieds, vos
propriétés, vos institutions, vos femmes; tout ce qui
vous est cher est menacé. La sainte religion , notre
seule espérance, sera anéantie ou réduite à de simples
formalités extérieures ; elle est sans appui et sans pro-
tection. Tous ces malheurs nous arrivent de la part
d'une puissance étrangère, non par la force des armes
mais par la ruse et par la perfidie. On s'est servi de
nous-mêmes contre nous; on a rendu complices de
ces abominations ceux qui se disaient les chefs de notre
gouvernement , et qui , par la bassesse de leurs senti-
ments ou par lâcheté, et peut-être par d'autres motifs
que le temps et la justice dévoileront, n'ont pas hé-
sité à trahir leur patrie. Il est donc devenu nécessaire
de rompre les liens qui attachaient les Espagnols à ce
gouvernement , et qui les empêchaient de se réveiller
et de faire usage de ce courage par lequel ils se sont,
dans tous les siècles, couverts de gloire et ont défendu
l'honneur de la nation, leurs lois, leursRoiset leur foi.
« En conséquence , les habitants de Séville se sont
assemblés le 27 mai , et avec le concours de tous les
magistrats et de toutes les autorités établies , et des
personnes les plus respectables de toutes les condi-
tions, ils ont nommé une Junte suprême de gouver-
nement, l'ont revêtue des pouvoirs nécessaires, et lui
— 206 —
ont enjoint de défendre la religion, la patrie, les lois
et le Roi. Nous avons accepté cette belle mission; nous
jurons de la remplir, et nous comptons sur la force de
toute la nation , après avoir de nouveau proclamé
comme notre Roi, Ferdinand VII j et avoir juré de
mourir pour lui. Tel fut notre vœu solennel, il sera
celui de toute l'Espagne.
« Une prétendue Junte de gouvernement qui, à peine
établie, viola les lois fondamentales de la monarchie;
un président nommé d'une manière illégale, qui, s'il
avait quelques talents pour occuper cette place , s'en
est bientôt rendu indigne ; qui d'ailleurs , né hors du
royaume, ne pouvait pas être élevé à ce poste; sa con-
duite incertaine, qui tendait à renverser le monarque
dont il tenait son pouvoir, et les lois, par lesquelles
seules il pouvait avoir quelque autorité, ne peuvent
ni ne doivent nous inspirer le moindre respect : rien
de tout cela ne saurait comprimer notre fidélité, ni
ébranler notre attachement à des devoirs que nous
avions contractés comme sujets, comme chrétiens,
comme hommes libres et indépendants de toute puis-
sance étrangère.
« Nous pouvions encore moins être retenus par l'au-
torité du premier tribunal de la nation , le Conseil de
Castille. Sa faiblesse s'est manifestée dans les démar-
ches incertaines et contradictoires que les membres
dont il est composé firent dans cette occasion impor-
tante, où ils auraient dû au contraire montrer ce cou-
rage héroïque dont tant de motifs et l'honneur lui-même
leur faisaient un devoir. La faiblesse de ce corps, ou
peut-être son crime , fut manifeste lorsqu'il osa pro-
clamer l'ordre de reconnaître et exécuter l'acte d'abdi-
cation de Charles IV en faveur d'un souverain étranger;
abdication évidemment nulle et non avenue, parce que
(Èèlui qui Ta signée n'en avait pas le droit; parce que
— !i07 —
la monarchie n'est pas sa propriété, et que la nation
espagnole ne se compose pas d'un vil troupeau dont on
puisse disposer arbitrairement j et parce que le Prince
est parvenu au trône par le droit de sa naissance et
par les lois fondamentales de la monarchie, qui déter-
niinent d'une manière immuable l'ordre de la succes-
sion; lois sur lesquelles le Conseil de Castille n'a aucune
autorité, et à la conservation desquelles il est chargé
de veiller. Cette abdication est encore nulle par la
violence qui l'a arrachée à Charles IV, et qui est plus
grande et mieux prouvée que celle qu'on prétend avoir
précédé sa première abdication. Elle est nulle, parce
que les abdications prétendues de Ferdinand VU , de
son oncle et de son frère, supposé même qu'elles fus-
sent authentiques , ont été arrachées par la contrainte,
ainsi que le disent clairement les paroles de ces actes.
Toutes ces abdications sont nulles, parce que plusieurs
Princes de la famille royale qui ont droit à la couronne
n'y ont pas renoncé, mais l'ont au contraire conservé
dans son intégrité, sans parler de la perfidie sans
exemple avec laquelle on a bafoué la nation espagnole.
C'est à notre alliance et aux sacrifices que nous avons
faits, que la nation française doit une grande partie
de ses victoires. On enleva nos braves soldats, on les
conduisit dans les régions les plus éloignées, où on
les fit combattre pour le gouvernement français. Ce
n'est pourtant pas que ce gouvernement eût besoin de
ce secours ; il ne le demanda que pour nous affaiblir.
Prétextant sans cesse notre bien-être, ce gouvernement
fit entrer ses troupes en Espagne, alléguant une expé-
dition contre un ennemi dont il n'est plus question
maintenant. Par un élan courageux le peuple empêcha
le départ du Roi. Quoique le gouvernement français
eût dû s'applaudir de la tournure que cet événement
avait prise, non-seulement il garda à ce sujet le plus
— 208 —
profond silence, mais il en prit même occasion pour
nous opprimer. On accuse notre nation d'une discorde
qui n'existe pas, car jamais nation ne fut plus unanime
dans l'amour de son Roi. Ce gouvernement perfide
attira, par des machinations infâmes, notre Roi sur
son territoire : avec une générosité sans exemple le
Roi se confia à des paroles trompeuses , et se jeta entre
les bras de ce gouvernement qui, avec une perfidie
dont l'histoire de toutes les nations et de tous les siè-
cles n'offre aucune trace, le fit prisonnier, le traita
avec indignité, et le força à des actes que toute l'Es-
pagne a vus avec horreur. En se servant de la même
hypocrisie, on conduisit les parents de Sa Majesté hors
de notre pays pour les forcer à des injustices propres
à déshonorer, jusqu'à la postérité la plus reculée, leurs
noms illustres. De même les autres Princes de la mai-
son royale furent enlevés ; on n'épargna pas même
ceux dont la jeunesse aurait dû leur servir de protec-
tion au milieu des peuples les plus barbares.
« Napoléon appelle à lui la nation espagnole; il nomme
à son gré de prétendus députés, détermine arbitrai-
rement le mode d'élection des autres qui , dans un pays
étranger, doivent traiter des intérêts les plus sacrés de
la nation , pendant que lui-même publie une lettre se-
crète et respectueuse que le roi Ferdinand, étant en-
core Prince royal, lui avait adressée; il la proclame
criminelle et contraire aux droits des souverains; et
peut-être lui-même avait-il provoqué cette lettre dont
il veut maintenant faire un crime à son auteur ! C'est
un crime en effet, et un crime de haute trahison,
qu'une nation indépendante obéisse à un Prince étran-
ger, qu'elle aille, sous ses yeux et sous sa direction,
délibérer sur des objets qui concernent son bonheur; et
ni les habitants de Séville, ni quelque Espagnol que
ce soit, ne pousseront l'oubli des convenances et de la
— 209 —
loyauté au point de commettre un crime dont un es-
clave même ne se souillerait pas.
« Cet homme a employé mille moyens infâmes pour
nous tromper; il répand des pamphlets et journaux
séditieux pour corrompre l'opinion publique ; il y
annonce le respect des lois et de la religion , tandis
qu'il viole les unes et qu'il outrage l'autre; il ne re-
jette aucun projet qui puisse servir à nous imposer un
joug de fer. Il pousse le mensonge au point de dire
dans un de ses libelles qu'il est d'accord avec le Chef
de l'Eglise, le Vicaire de Jésus-Christ, tandis que toute
l'Europe et les nations barbares elles-mêmes savent
qu'il le tient sous l'oppression , qu'il a dépouillé ce
Pontife de ses États , et l'a privé de la société de ses
Cardinaux, et tout cela par violence et dans le but
d'entraver le gouvernement de l'Église , qui appartient
au Pape par la volonté de notre divin Sauveur.
« Espagnols ! tout nous oblige à nous réunir pour
prévenir de pareilles atrocités. Ce n'est pas une révo-
lution que nous allons faire en Espagne; nous deman-
dons seulement à protéger ce que nous avons de plus
sacré contre celui qui, sous le masque de l'amitié et
de l'alliance , nous en a dépouillés , et qui voudrait
nous priver de nos Rois et de notre religion. Sacrifions
tout pour une cause si juste; et si nous devons tout
perdre , que ce soit en combattant et en hommes
d'honneur.
« Réunissons-nous tous ! notre peuple est prêt à pren-
dre les armes; sommons les hommes de 'lettres de
toutes les provinces pour qu'ils soutiennent l'opinion
publique et réfutent ces infâmes libelles que notre
ennemi ne cesse de publier. Que chacun combatte à
sa manière ; que l'Église espagnole sollicite sans cesse
le secours du Dieu des armées, dont la protection
nous est assurée par la justice de notre cause.
XI H
— 210 --
« Et qu'aurions-nous à craindre ? L'ennemi n'a pas
en Espagne une aussi grande armée qu'il l'annonce
dans le dessein de nous effrayer; celle qui s'y trouve
est composée d'hommes de toutes les nations enrôlés
de force , et soupirant après le moment où ils pour-
ront rompre leur chaîne. Les positions que ces troupes
ont prises sont telles qu'il est facile de les forcer; au
reste , la conscience de défendre une mauvaise cause
décourage l'homme le plus vaillant.
«Toute l'Europe, applaudissant à nos efforts, accourra
à notre secours. L'Italie, l'Allemagne, tout le Nord,
qui gémissent sous le joug de l'oppresseur, saisiront
l'occasion que nous leur offrons pour le secouer, et
pour reprendre leurs lois et leurs Princes que la France
leur a enlevés. La France elle-même ne voudra pas se
couvrir de la honte qui rejaillirait sur elle, si elle se
laissait forcer à servir d'instrument à une perfidie
qui annonce le sort qu'on lui prépare à elle-même.
Non, les Français ne verseront pas leur noble sang
pour une cause si infâme. Ils ont souffert des maux
sans fin , parce qu'on les a constamment bercés de
l'espoir d'une paix et d'un bien-être qu'ils n'obtien-
dront que sous l'empire de la raison , de la religion
et des lois, et lorsqu'ils respecteront les droits des
autres peuples.
(( Espagnols ! la patrie, nos propriétés, nos lois, votre
liberté, vos Rois, votre sainte religion, et l'espoir
d'une vie éternelle que cette religion vous assure, sont
menacés d'un danger imminent auquel ils ne peuvent
échapper que par votre courage.
«Donné à Séville , le 29 mai 1808.
w Par ordre de la Junte suprême de gouvernement,
(( Signé Don Juan Bautista Etteler.
« Don Juan Pardo. »
— 21i -r-
Dédaration de guerre de l'Espagne contre Napoléon Z*"", empe-
reur des Français^ du 6 juin 1808.
« Fei^dinand VII ^ roi d'Espagne et des Indes, et en
son nom, la Junte suprême des deux royaumes.
« La France , ou plutôt Napoléon P% empereur des
Français , a rompu d'une manière perfide les liens qui
subsistaient entre lui et l'Espagne. 11 a enlevé à ce
royaume ses Princes, et les a engagés par la con-
trainte à signer des actes d'abdication , que l'univers
entier a reconnu nuls et non avenus. Par la violence
il les a forcés de lui transférer tous leurs droits de
souveraineté , cession qu'ils n'avaient pas le pouvoir
de faire.
« Par une insolence sans exemple , il déclare avoir
choisi un roi d'Espagne. Il a fait entrer ses troupes
dans le royaume, les a distribuées dans les différentes
provinces, et leur a ordonné de s'emparer des places
fortes et de la capitale. Ces troupes se sont rendues
coupables de rapine, de meurtres et de cruautés inouïes.
Ces entreprises criminelles , Bonaparte ne les a pas
exécutées par la force de ses armes; il les a couvertes
du manteau de l'amitié et a prétexté sa sollicitude
pour notre bonheur. Il a récompensé par l'ingratitude
la plus noire les services que la nation espagnole lui
avait rendus; il n'a pas rougi de payer la loyauté es-
pagnole par la ruse, la fraude et la trahison : conduite
qu'aucun peuple et aucun prince, quelque ambitieux et
quelque barbare qu'il fût, ne s'est jamais permise envers
un autre peuple ou un autre gouvernement. Enfin il a
franchement déclaré que c'était son intention de ren-
verser la monarchie et ses lois les plus sacrées; et il a
prouvé par le fait combien peu il respecte la religion
que les Espagnols professent depuis la venue au monde
— 212 —
du divin Sauveur, et que, fidèles à leur serment , ils
ont toujours maintenue dans sa pureté.
«Pour mettre un terme à ces atrocités, nous nous
sommes vus forcés de prendre les armes , seul remède
dont nous puissions espérer un succès assuré. En con-
séquence, nous publions, à la face de l'Europe, que
nous déclarons la guerre à Bonaparte.
« C'est au nom de notre Roi, Ferdinand V7/, et de toute
la nation espagnole, que nous déclarons la guerre par
terre et par mer, à l'empereur Napoléon ^ et aussi à la
France, tant qu'elle restera soumise à son joug. Nous
ordonnons à tous les Espagnols de commencer les hos-
tilités envers les Français, et de leur faire tout le mal
que les lois de la guerre autorisent. Nous ordonnons
qu'un embargo soit mis sur tous les bâtiments fran-
çais qui se trouvent dans nos ports , et que le séques-
tre soit posé sur toute propriété appartenant au gou-
vernement français ou à des individus de cette nation,
dont les Espagnols pourront s'emparer.
(( Nous ordonnons en même temps qu'aucun mal ne
soit fait à la nation anglaise, qu'on respecte son gou-
vernement, qu'on ne mette aucun empêchement à ce
que les vaisseaux appartenant à son Roi , ou à des par-
ticuliers, ne continuent leur route, et que les propriétés
des Anglais qui peuvent se trouver sur le sol de l'Es-
pagne soient soustraites à tout séquestre ou à toute
autre atteinte.
(( Nous déclarons que nous avons établi un commerce
libre avec la Grande-Bretagne , et que nous le main-
tiendrons intact ; que nous avons conclu avec cet Etat
un armistice qui, à ce que nous espérons, sera bientôt
changé en une paix solide et durable. Nous promet-
tons de ne poser les armes que lorsque l'empereur
Napoléon aura rendu à l'Espagne Ferdinand VU, son
souverain légitime, et les autres personnes de la mai-
— 213 —
son royale, ot qu'il aura pris l'engagement formel de
respecter désormais les lois sacrées d'une nation qu'il
a outragée, et de reconnaître la liberté , l'intégrité et
l'indépendance de l'Espagne.
« Et afin que notre résolution ferme et inébranlable
soit portée à la connaissance de tonte la nation espa-
gnole , et obtienne son effet entier, nous ordonnons
que la présente déclaration soit imprimée, proclamée,
afficbée aux lieux accoutumés , répandue dans la ca
pitale et dans les provinces de l'Espagne et des deux
Amériques, enfin publiée en Europe, en Asie et en
Afrique.
« Donné au palais royal d'Alcazar à Séville, le 6 juin
1808.
« Au nom de la Junte suprême,
f( Signé Juan Bautista Pardo, Emmanuel
Maria Acuilar , secrétaires. »
Adresse à Napoléon, publiée à Valence le 7 juin 1808.
(( Napoléon , le voile qui couvrait ta perfidie est dé-
chiré. Le mystère dans lequel l'hypocrisie s'envelop-
pait est éclairci. Elle est dévoilée ton ambition effrénée
qui ne connaît ni borne ni loi. Elle est le mobile de
toutes tes machinations compliquées. Elle t'a enseigné
ces paroles mielleuses et astucieuses par lesquelles tu
réussis à tromper la bonne foi. Tu trompes pour sé-
duire; tu séduis pour faire la guerre ; tu fais la guerre
pour piller; tu pilles pour régner; tu règnes pour dé-
truire.
« Que Rome etNaples nous servent de témoins. Nous
en appelons à l'Allemagne et à la Prusse, à la Toscane
et à toute l'Italie, à la Suisse et à la Hollande, au For-
— 214 —
tugal et à notre Espagne. Toi-même, Napoléon, ré-,
ponds, sois une fois maître de tes passions, qu'une
parole de vérité sorte une seule fois de ta bouche. Que
deviendra l'Espagne quand tu l'auras ravagée et as-
servie, quand tu la gouverneras , toi ou un de tes com-
plices, quand tu auras enlevé à nos ateliers les mains
laborieuses qui les mettaient en mouvement, quand
tu auras arraché de leurs foyers trois cent mille hom-
mes pour être égorgés dans une terre lointaine, où
leurs corps pourriront sans sépulture? Nos bras sont-
ils réservés à t'aider dans l'exécution de ce projet que
tu nourris en secret, de détruire la maison impériale
d'Autriche environnée de siècles de gloire ? Lui pré-
pares-tu déjà des funérailles comme à la maison des
Bourbons ?
« Et parvenu à ce but, les guerriers que tu enlèveras
aux champs fertiles de l'Autriche , comment les em-
ploieras-tu pour être les instruments et les soutiens de
ta tyrannie? Parcourront-ils l'Allemagne pour ren-
verser ces trônes chancelants auxquels tu as donné
une existence éphémère? Alors le titre imposant d'em-
pereur d'Occident te suffira-t-il enfin ? Ou bien as-tu
promis tes secours à la Russie pour renverser et la
Prusse, et la Porte et la Perse? Sera-t-il permis alors
à son czarde s'intituler empereur d'Orient? Napoléon,
défie-toi de toi-même : jamais tu ne permettras qu'il
existe auprès de toi un homme qui soit ton égal. Tu
prendrais les armes pour anéantir ton meilleur ami.
Ton ambition ne connaît pas de borne , mais elle
n'échappera pas au châtiment qui lui est dû.
«Dis, quelle destinée prépares-tu à l'Espagne, à
cette Espagne qui s'était placée comme amie et comme
alliée à tes côtés, qui pour toi avait combattu la Grande-
Bretagne , et dont les trésors t'ont aidé à vaincre à
Marengo, à Austerlitz, à léna et à Eylau? Ta magna-
— 215 —
jiimité si vantée , quelle récompense a-t-elle réservée à
ces Espagnols qui par ton ordre doivent verser leur
sang dans la Scandinavie, et à une nation qui jusqu'à
ce jour s'est soumise à tes lois et à tes caprices ? Tu
nous avais , pour tous ces sacrifices , solennellement
promis ton amitié, ta foi, ta reconnaissance et ta pro-
tection.
« Combien il est heureux le pays qui a obtenu un tel
protecteur ! Le ciel t'a envoyé sur la terre pour répan-
dre la joie parmi nous. Tes bourreaux inondent l'Es-
pagne ; tu as transporté à Bayonne notre maison royale,
sans doute pour inculquer à ses Princes tes maximes
politiques, pendant que toi-même tu condescends à
instruire nos grands dans l'art de gouverner. Napoléon,
change de rôle, cesse de jouer cette comédie qui a trop
duré ; il est temps que le spectacle se termine par
une scène de sang et d'horreur. Tous les Espagnols
doivent -ils, dans leur faiblesse, être la victime
de la fourbe , comme l'ont été les Charles et les Fer-
dinand? doivent-ils, comme le prince de la Paix,
trahir leur patrie? L'Espagne doit-elle trembler devant
le colosse de ta puissance fantastique? Doit-elle frémir
des imprécations que vomissent contre elle tes adu-
lateurs et tes esclaves ? Doit-elle imiter ses Princes ,
qui, égarés par les lueurs perfides que tu as fait
briller à leurs yeux , les ont suivies jusque dans les
cachots de la France, où tu les a renfermés ? L'Espa-
gne doit-elle remettre entre tes mains le choix d'un
souverain, ou, comme'l'Italie , placer sur ta tête une
couronne de plus? Que d'autres te préconisent arbitre
de la paix; qu'ils soumettent à ta décision les dissen-
sions fomentées par ta perfidie; continue à punir les
crimes que tu as créés! quant à nous, aucune loi ne
te permet de nous juger, de nous châtier.
« Où te conduit ta démence? H est une vérité que nous
— 216 —
sentions vivement depuis longtemps, c'est que, grâce
à ton amitié , l'Espagne n'est plus qu'un squelette dé-
charné ; nous savions qu'ils ont été gagnés par toi ,
ces traîtres qui t'ont juré fidélité par la tête de leur
chef, le prince de la Paix. Nous savions qu'il a existé
quelques Espagnols de bonne foi, qui jusqu'à présent
ont cru à ta loyauté. Mais écoute ce que nous recon-
naissons maintenant, ce que nous savons, ce que nous
croyons, ce que nous espérons, car aujourd'hui la
nation n'a plus qu'une opinion , qu'un sentiment, et
nous allons te les faire connaître.
« Tes paroles ne sont que faussetés ; tes traités ne
sont que trahisons ; la soif de sang qui te dévore est
insatiable, tu es ce Roi des ténèbres entouré de nuées
de sauterelles infernales ; c'est toi que l'Apocalypse
a nommé; tu t'appelles Apollyoïif c'est-à-dire, le des-
tructeur ; tu es sorti des abîmes de l'enfer pour ré-
gner sur la terre ; tu veux que nous avalions à longs
traits le calice amer que tu as préparé aux peuples ,
dont le bonheur et la liberté ne sont vantés que par
toi ; tes paroles, tes sentiments et tes actions répon-
dent à la bassesse de ta naissance , à la conduite que
tu as toujours tenue , à ta religion , car tu n'en pro-
fesses pas d'autre. Voilà ce que nous reconnaissons.
Écoute maintenant ce que nous savons.
« Sous un prétexte spécieux tu as envoyé tes merce-
naires pour nous asservir et nous exterminer; tes vils
courtisans ont acheté des amis pour toi , des ennemis
pour les Bourbons; tu as forgé des lettres et des actes
d'abdication ; tu as arraché par force les signatures de
Charles et de Ferdinand; tu as beau les dire volon-
taires ces signatures, elles ne seront jamais légales,
car elles sont les enfants de ton ambition et de ta vio-
lence ; tu promets du soulagement aux cultivateurs ;
tu expulses le propriétaire de son domaine, et tu
— 217 —
prends pour la part le tiers des productions de la terre.
Il existe en France un père auquel la nature a donné
sept fils, tu ne lui en as pas laissé un seul pour sou-
tien de sa vieillesse. 11 existe en France une veuve,
mère de cinq fils, il n'en reste plus un seul. Si tu étais
le maître de l'Espagne, nos enfants ne seraient plus à
nousj jamais ils ne reverraient le sol qui les a vus
naître , ou bien ils n'y reviendraient que lorsque les
guerres qui se renouvellent sans cesse auraient fini ,
et elles ne peuvent finir qu'avec ta vie. Tu traiterais
la religion dominante comme tu l'as traitée dans les
autres pays ; tu chasses les prêtres de leurs demeures,
tu profanes et tu renverses les temples, tu voles les
vases sacrés , tu frappes de ton épée les dons de la
piété, tu brises les images des saints, et, profitant des
ténèbres de la nuit, tu enlèves les trésors du sanctuaire.
Voilà ce que l'Espagne sait. Écoute ce qu'elle croit.
« Tu es l'ennemi de toute l'Europe; tu es le destruc-
teur du commerce; des arts de la paix, de l'agricul-
ture. La religion fuit devant toi aussitôt que tu t'ap-
proches d'un pays. Tu veux envoyer par delà les
montagnes et les mers trois cent mille enfants de
l'Espagne; tu veux nous ravir notre or, afin qu'il ne
nous reste rien et que nous n'ayons plus qu'à pleurer
notre malheur, notre pauvreté, notre misère. N'est-ce
pas là le sort même des potentats dont tu nous vantes
le bonheur? Tu as invoqué , tu as fomenté la dissen-
sion entre le père et le fils ; tu as répandu les semences
de la désunion entre Charles et Ferdinand; tu as pro-
fité de la faiblesse du premier, de la bonté du second,
et de la perfidie du prince de la Paix. Ce dernier s'est
engagé à te livrer comme une proie les villes royales
d'Espagne, Madrid, Tolède et Séville. Tu as appelé à
Bayonne la maison de Bourbon afin d'enterrer sa gran-
deur. Tu es semblable au monstre épouvantable qui se
— 218 —
lève pour annoncer l'approche épouvantable du der-
nier jour. Voilà ce que croit l'Espagne. Écoute ce
qu'elle espère.
« L'Espagne n'espère rien de toi, car tu n'as rien à
lui offrir. Elle espère , par la réunion de ses peuples,
te combattre et déchirer les lacs dont tu l'as envelop-
pée. Elle espère que ses enfants aimeront mieux verser
leur sang dans la terre de leurs ancêtres pour leurs
foyers paternels et la religion de leurs aïeux , que de
prodiguer ce sang, sous ta conduite, dans des contrées
étrangères , où le guerrier qui succombera sera dé-
voré par les vautours et les bêtes féroces. Elle espère
qu'elle ne sera gouvernée par aucun homme qui ait ,
comme toi , à rougir de sa naissance. Elle espère
vaincre dans le combat qu'elle soutiendra contre toi ,
afin que les États que tu as asservis et ravagés en Europe
puissent de nouveau respirer librement. Elle espère
que tu finiras comme ces tyrans des anciens temps,
Nabuchodonosor , Sardanapale , et tous ces Princes
superbes qui du haut de leurs trônes daignaient sou-
rire quand la sottise et la bassesse, la flatterie et l'im-
piété, prosternées à leurs pieds dans la poussière, les
nommaient tout-puissants. Ces espérances de l'Espagne
sont fondées, non sur sa confiance dans ses propres
forces, mais sur sa confiance dans la puissance de
l'Être Suprême, qui a déjà dévoilé et anéanti la trame
ourdie le 19 mars. Elle espère, l'Espagne, que la
divine Majesté ne t'accordera jamais le pouvoir d'ex-
terminer ceux qui, pleins de foi, s'inclinent devant
le signe sacré de notre rédemption. Que la croix soit
notre bannière de guerre qui nous serve à nous re-
connaître les uns les autres ; c'est par elle que l'Es-
pagne s'était préparée à la conquête du nouveau
monde; Dieu et son Saint l'avaient élue pour ce grand
ouvrage. C'est pourquoi elle espère t'arracher ce que
— 219 —
tu as ravi à Dieu , à l'Église, à toute l'Europe, t' abais-
ser en proportion de tes forfaits, délivrer le monde de
ta tyrannie et de ta doctrine perverse , afin que tu
tombes comme un fils du péché, comme un parjure,
comme un ennemi de Dieu , de l'Église , de l'humanité.
« Oui, c'est le ferme fondement de notre espérance.
Mais dis-nous, toi, qu'espères tu ? Espères-tu que
nous te proclamerons roi? Jamais , jamais. Le sort de
l'Italie est présent à nos yeux. Espères-tu que nous
nommerons ton frère? Jamais. Les malheurs de Naples
nous remplissent d'effroi. C'est envers Ferdinand que
nous avons contracté des obligations , nous lui avons
juré obéissance comme héritier de son père. Espères-
tu trouver des amis en Espagne? Jamais. Nous savons
comment tu as récompensé Moreau, Pichegru et Ville-
neuve, qui ont contribué médiatement ou immédiate-
ment à la grandeur de ton trône. Espères-tu que l'Es-
pagne te reconnaîtra pour son vainqueur? Espères-tu
faire croire à tes bulletins, quand ils annonceront que,
dans un combat décisif, vingt-cinq Français sont
tombés , tandis que trois mille Espagnols ont péri ?
Toute l'Espagne mentira-t-elle, parce que le mensonge
t'est utile et te plaît?
(f Nous avouons que tu t'es emparé des forteresses
que tu as nommées dans tes gazettes, et que ton ami
le prince de la Paix t'a livrées; nous avouons qu'un
soulèvement du peuple de Madrid, qui s'était armé de
couteaux, t'a coûté cinq mille soldats et privé de la vie
deux cents citoyens de cette ville. Cette vérité géné-
ralement connue , aucun de tes journaux ne l'a an-
noncée.
« Espères -tu conquérir l'Espagne à main armée ?
Sache que tu peux beaucoup perdre, et que jamais tu
ne gafjneras un cœur. Sache qu'un châtiment éclatant
peut tarder, mais atteint toujours les forfaits éclatants.
I
— 220 -^
Saclie que tes propres guerriers t'abandonneront un
jour et tourneront l'épée contre toi. Sache que d'au-
tres nations indignées se soulèveront , tandis que tu
aiguises tes dents pour déchirer l'Espagne. Sache que
le lion d'Esdras régnera deux fois comme roi ; que le
fameux lion de Roncevaux , couché depuis si long-
temps, se réveillera et se redressera. Ce lion est l'Es-
pagne ; il se prépare pour commencer un combat à
mort, pour porter la croix en trophée jusqu'aux confins
du monde.
«Tremble, Napoléon! il s'approche le moment où tu
cesseras d'être invincible. Tremble devant l'Espagne,
non à cause de sa propre force , mais à cause de ta
conscience. Tremble devant Dieu qui protège l'Espa-
gne et en qui elle se confie. Le Tout-Puissant, qui,
par le bras d'un petit nombre d'enfants d'Israël, a
vaincu les armées des Philistins et exterminé les
troupes innombrables de Xerxes, enverra ses anges
contre toi. Comme alors ils combattront dans les rangs
des Espagnols dans une guerre sainte dont la religion
est l'objet; elle sera dissipée comme la paille, cette
armée que le despotisme a formée pour le combat , et
que le démon a remplie de désespoir.
n Napoléon, qu'ont fait nos souverains légitimes pour
que , d'une manière inouïe dans les annales de l'Eu-
rope, tu aies creusé pour eux l'abîme où tu les pré-
cipites? Pleins de confiance, n'ont-ils pas conclu avec
toi le pacte de la fidélité, et ne t'ont-ils pas ouvert les
portes de la péninsule espagnole , afin que les enfants
de la France corrompissent nos mœurs et détruisis-
sent la foi et l'espérance de nos religieux enfants?
N'ont-ils pas prodigué les trésors de leurs royaumes
pour t'affermir sur le trône chancelant de la France?
En récompense, tu as inondé les villes frontières
— 221 —
d'Espagne des productions de la France; cela t'était
permis, et c'était interdit à l'Angleterre, quoique toi
seul eusses énervé notre industrie et notre commerce.
N'est-ce pas ce qui a donné lieu à la guerre désastreuse
qui nous a tous appauvris? Cependant, pour récom-
penser notre roi, tu as précipité son frère et sa race
du trône de Naples , et tu lui as extorqué à lui-même
la renonciation à son trône héréditaire. Ne t'a-t-il pas
donné ses flottes pour protéger les tiennes contre la
puissance de l'Angleterre toujours victorieuse? En re-
connaissance, n'a-t-il pas fallu que Villeneuve, par ton
ordre, conduisît l'un après l'autre nos meilleurs vais-
seaux au combat, afin que dans la mêlée la mer les
engloutît, afin que l'illustre Gravina tombât, afin que
l'élite de notre nation fût , comme ce brave , couverte
de blessures et mourût?
« N'as-tu pas, de concert avec Godoy le traître, enlevé
la flotte d'argent de la Vera-Cruz , avec des frégates
françaises montées par des matelots hollandais , et
munies du pavillon anglais, afin que les peuples déçus
ne soupçonnassent pas que tu étais le moteur secret
de cet attentat? Notre roi ne t'a-t-il pas donné des
troupes de soldats belliqueux , suivies de tout l'appa-
reil de la guerre , pour combattre pour toi et avec toi
contre tes ennemis? Ne t'envoyait-il pas toutes les
sommes que Godoy avait ramassées en levant de nou-
veaux impôts, en pillant les fondations anciennes, en
dissipant les biens communaux, en volant les monas-
tères et les citoyens? Voilà ce que notre roi a fait pour
toi ! Et c'est pour cela que tu as arraché de dessus la
tête de sa fille la couronne d'Étrurie depuis longtemps
mise en vente, payée et plus de dix fois pesée contre
l'or de l'Espagne. Nos princes ne t'ont-ils pas permis
de faire, à leur préjudice, traverser leur pays par ton
armée, pour marcher contre le Portugal? N'onl-ils pas
— 222 —
réprimé avec violence leur sentiment intime de l'équité
pour t'aider dans tes actes d'iniquité ? Et c'est pour
cela que la fille de notre Roi, et chaque personne de
la maison royale de Portugal , eussent porté tes fers ,
si l'assistance vigilante de l'Angleterre ne les eût pas
enlevées.
{( Cruel ! de concert avec Godoy le traître et le fourbe ,
tu as conjuré contre Charles, et tu as rejeté ton noir
forfait sur Ferdinand innocent. L'assassinat de l'un
des Rois et l'accusation de l'autre devaient livrer le
trône d'Espagne à ta discrétion.
M L'innocence ayant triomphé , la tentative du crime
ayant échoué , tu as feint pour nous de la sollicitude ;
tu as voulu défendre les ports de l'Espagne, emporter
d'assaut le rocher de Gibraltar ; tu as voulu subjuguer
les côtes d'Afrique, nos voisines et nos ennemies.
« Tout cela n'était que forfanterie, mensonge et ar-
tifices. Nous sommes instruits, nous savons tout! Ta
puissance n'a rien pu effectuer de ce que tu as promis ;
mais tes discours fallacieux , colportés par tes vils et
officieux complices , ont séduit le cœur de plusieurs
Espagnols honnêtes.
« C'est ainsi que tu as pu demander que l'on admît
tes troupes dans l'intérieur du royaume j c'est ainsi
que Godoy a pu te livrer les places fortes dans l'inté-
rieur du royaume; c'est ainsi que tu as pu, au milieu
de la paix , occuper hostilement la Catalogne , notre
frontière.
« Alors, alors enfin tous les peuples de l'Espagne
t'ont pénétré; mais nous avons obéi encore, nous avons
gardé le silence, nous avons souffert patiemment.
« Le roi d'Espagne s'est tu, les peuples de l'Espagne
se sont tus comme lui; mais ils veillaient.
«Tu as voulu engager toute la famille de nos souve-
— 223 —
rains à une fuite honteuse , afin de saisir le royaume
ainsi abandonné; mais les amis les plus fidèles de la
patrie se sont pressés autour de Charles et de Ferdi-
nand, pour que le vieillard affaibli cédât à son fils
plus vigoureux la défense de la couronne en danger.
Tu as alors voulu entrer en personne sur le territoire
espagnol; persuadé par ses sujets les plus fidèles, en-
touré par les hommes les plus éclairés de son peuple,
le jeune monarque, plein de respect et de confiance
pour toi , s'est hâté d'aller à ta rencontre jusqu'à
Bayonne. Là tu as voulu, dans une réunion solennelle
de la maison royale, aux yeux de toute l'Europe, dé-
cider du bonheur de l'Espagne; mais là se déchira
tout à coup le voile qui cachait la perfidie de ton
cœur; là tu as ravi la liberté aux Rois et à leur famille ;
là tu t'es, comme un brigand, emparé de la couronne
d'Espagne , pour la mettre sur la tête de ton frère.
C'est ainsi que tu as récompensé nos Rois ; c'est ainsi
que tu nous as comblés de bonheur ; voilà où mènent
les alliances que l'on conclut avec toi.
« Généreux compatriotes et frères d'armes, ressentez
cet affront déloyal, pensez à la douleur du jeune mo-
narque, réfléchissez à l'affliction du vieux Roi et de sa
noble compagne.
« Nous les avons sans cesse devant nos âmes fières,
l'humiliation d'une résignation forcée , l'opprobre
d'une arrestation accompagnée de violences, l'obscu-
rité d'un cachot humide que Napoléon leur prépare
peut-être. Espagnols, ne vous laissez pas tromper par
les mensonges, qui lui sont si familiers ! Il ressemble
au prince du ténébreux abîme, qui d'abord pervertit
et ensuite précipite dans une ruine totale. Songez à
toutes les belles promesses qu'il a faites en Italie , et
au mal qu'il y a opéré ! Les villes d'Italie, jadis floris-
santes et célèbres , sont aujourd'hui désertes et igno-
— 224 —
rees. Rome la sainte est par Napoléon devenue l'impie,
Naples l'heureuse est dans un état pitoyable, Venise la
riche est misérable. Gènes la superbe est abaissée, Milan
la grande est dépeuplée , Florence la belle est flétrie ,
Bologne la grasse soutient à peine l'existence languis-
sante de ses citoyens; Padoue la savante a perdu le
savoir qui faisait sa célébrité; Ravenne V antique est
obligée de se plier à de nouveaux vices et à de nou-
veaux crimes.
« Quel salut, nous, habitants de l'Espagne, pouvons-
nous attendre d'un homme que l'enfer a vomi pour
nous pervertir? 11 est encore temps de nous garantir
de ses atteintes : aux armes, aux armes ! Que le cri de
guerre et de détresse retentisse de l'orient à l'occident,
de la mer du midi à celle du septentrion ! Citoyens ,
volez aux clochers, faites entendre le son lugubre du
tocsin ! Enflammez dans les cœurs irréprochables cet
esprit héroïque des temps anciens qui jadis vous
rendit la terreur de vos oppresseurs, et anéantit les
légions romaines jusqu'alors toujours victorieuses.
Nous évoquons la Catalogne, la Cantabrie et l'ancienne
îSumance. Pensez, Espagnols, aux combats livrés aux
Normands et aux Sarrasins ! Rappelez-vous des chaînes
et des liens de fer que vous avez jadis brisés dans le
port de Marseille ! Rappelez-vous que vous avez arra-
ché Jean II du milieu d'une armée de trente mille
Français! Souvenez -vous, généreux Espagnols, de
Catalan Aldara, ce héros dont le bras amena prison-
nier dans votre pays le roi de France lui-même,
François /".
« Ces faits éclatants des temps qui ont précédé le
nôtre doivent l'éclairer. Ne tremblez donc pas devant la
foule de vos ennemis ! Vous, nobles et riches, ouvrez
vos trésors , nourrissez les pauvres , afin qu'ils puis-
sent d'un bras vigoureux saisir le glaive de la ven-
— 225 —
geance; serrez-vous comme frères les uns contre les
autres, et, rangés en ordre, volez pour faire triom-
pher la patrie! Guerriers, prenez courage contre le
lion rugissant de la Numidie. Prêtres, criez vengeance,
vengeance contre le destructeur des autels ! Artisans,
forgez des armes et fouillez la terre pour en arracher
le fer! Mères, refusez pour un instant le sein à vos
enfants , afin qu'ils sentent quel malheur les attend
quand ils seront hommes! Enfants, remplissez l'air
de vos lamentations, et accompagnez-en nos chants de
combat! Vous, animaux des forêts, sortez de vos ca-
vernes, de vos antres, de vos repaires; tombez avec
nous sur les Français depuis les Pyrénées jusqu'à la
Sierra-Morena, afin que nous en purgions la terre; que
nous conquérions la paix, et que nous vengions notre
Roi , notre religion et notre patrie ! »
La lecture des pièces que nous venons de reproduire
sufiira désormais pour expliquer les scènes de carnage
et d'horreur qui pendant six ans désolèrent la Pénin-
sule; nous pouvons donc maintenant reprendre le
cours de notre récit.
Lorsque la Junte résolut la démarche hardie de
déclarer la guerre, elle n'avait ni armes, ni muni-
lions, ni trésor, et à peine une armée. L'Espagne
avait, il est vrai, à cette époque, cent mille hommes sur
pied, en y comprenant les milices provinciales; mais de
ces troupes, quinze mille hommes servaient en Dane-
mark, en qualité d'auxiliaires de la France; trente-
cinq mille se trouvaient en Portugal ou sur sa fron-
tière, et, de ce nombre, vingt mille étaient sous les
ordres du général français Junot; quinze mille garnis-
saient les places de TAfrique, les îles Baléares et les
Canaries; et quinze mille les places de l'inléricur; des
XI 15
— 226 —
vingt mille restants, dix mille se trouvaient en Galice,
et devinrent le noyau de l'armée d'insurrection dans
le nord de la Péninsule ; de même que dix mille hommes
formant le camp de Saint-Roch destiné au siège de Gi-
braltar, devinrent celui de l'armée d'Andalousie. Telles
furent les forces que l'Espagne opposa à cent mille
hommes de troupes aguerries, qui étaient maîtresses
des provinces intérieures du royaume, de plusieurs
places fortes et du royaume de Portugal, et à la tête
desquelles se trouvaient les généraux les plus habiles
et les plus expérimentés.
Si, en considérant cette disproportion de ressources,
on est tenté d'accuser les Espagnols d'une grande té-
mérité inspirée par un aveugle enthousiasme, on doit
convenir néanmoins que différentes circonstances pa-
raissaient leur présager un heureux succès , pourvu
que des revers partiels et peut-être prolongés ne
vinssent pas abattre leur constance. Il faut d'abord
compter pour quelque chose cette confiance que leur
donnaient la justice de leur cause et la persuasion que
la Providence ne permettrait pas l'asservissement de
leur patrie. Cette confiance était générale et absolue.
L'enthousiasme des Espagnols était porté jusqu'au
délire , mais il était en même temps raisonné : c'était
l'entraînement d'hommes qui avaient froidement cal-
culé la prépondérance de la force qui leur était oppo-
sée; d'hommes préparés à supporter des privations,
des défaites et des désastres; d'hommes persuadés
qu'en employant avec une incessante persévérance
tous les moyens qu'ils avaient pour harceler leurs en-
nemis, ils parviendraient à détruire des armées qu'ils
ne pouvaient pas attaquer de front.
Diverses circonstances se réunissaient pour exalter
leur courage. La position géographique et l'étendue de
leur pays doivent être comptées parmi les plus impor-
— 227 —
tantes. Baignée de trois côtés par la mer, la Péninsule
ne peut être attaquée que d'un seul côté par des forces
de terre, tandis que ses côtes lui assurent une libre
communication avec ses colonies, avec la Grande-
Bretagne, qui allait être son alliée, et avec la Suède,
la seule puissance continentale qui résistait encore à
Napoléon. Les principales villes, et les nombreux
ports de l'Espagne, séparés les uns des autres par des
intervalles considérables, ne pouvaient pas tous être
occupés par une armée ennemie, quelque nombreuse
qu'elle fût. Dans l'intérieur, et surtout dans le nord,
le terrain coupé et montueux présente des défilés dif-
ficiles à traverser, et même des forts que l'artillerie
peut à peine atteindre. Les plaines des deux Castilles
et de l'Estrémadure n'offrent guère plus de facilité à
une invasion, que les montagnes qui les séparent des
autres provinces. L'excessive chaleur du climat et les
fièvres intermittentes qu'elle produit, devaient être de
puissants auxiliaires contre des étrangers. Les Fran-
çais devaient y trouver peu de ressources pour les sub-
sistances et les fourrages, et de grandes difficultés
pour en opérer les transports. Anciennement, il avait
existé, dans chaque village d'Espagne, de petits gre-
niers, nommés positoSf où les laboureurs étaient obli-
gés de déposer tous les ans une partie de leur récolte
pour servir dans des années de disette. Dans la guerre
du Portugal de 1801, le gouvernement s'était emparé
de ces provisions pour entretenir l'armée; et, comme
il n'avait pas tenu la promesse de les restituer, il n'y
eut plus moyen d'engager les paysans à confier aux
greniers publics une partie de leur moisson. Mais ce
qui surtout fit espérer aux Espagnols le succès de leur
entreprise, c'est la manière dont ils se proposaient de
faire la guerre, par petites bandes destinées à inter-
cepter les vivres de l'ennemi, à abîmer les chemins et
— 228 —
les ponts sur lesquels il devait passer, à exécuter
contre lui des coups de main et des surprises, aie
harceler enfin de toutes les manières, en ne lui
laissant pas un seul instant de repos. Cette guérilla^
' Ou plutôt guerrilla. De ce mot espagnol qui signifie petite guerre,
on fit le nom des bandes ou corps francs eux-mêmes. Les bandes de
guérillas les plus redoutées étaient celles de Renovales, d'Espoz y
Mina et de son neveu, dans les montagnes de la Navarre et de l'Aragon ;
de Juan Martin , surnomme l'Empecinado, dans les environs de Ma-
drid ; de JuLiAN Sanciiez, dans le pays de Salamanque; de Rovera, en
Catalogne ; de Juan Palades, entre la Sierra-Morena et Tolède ; du curé
MÉRiNO, EL PRINCIPE, daus la (lastille; du frère Sapia, dans les mon-
tagnes de Soria; de Juan Abril, près de Ségovie; et de Former, el
Marquesito, dans les Asluries et la Biscaye.
Lorsque le peuple espagnol s'organisa en guérillas , « les forêts s'ar-
mèrent, dit M. de Chateaubriand , les buissons devinrent ennemis. Les
représailles n'arrêtèrent rien , parce que dans ce pays les représailles
sont naturelles. Vainqueurs des meilleurs soldats de l'Europe, nous
versions le sang des moines avec cette rage impie que la France tenait
de la démence athée de la Terreur. Ce furent pourtant ces milices du
cloître qui mirent un terme aux succès de nos vieux soldats; ils ne
s'attendaient guère à rencontrercesenfroqués, à cheval comme des dra-
gons de feu sur les poutres enbrasées des édifices de Saragosse, char-
geant leurs escopeltes parmi les flammes, au son des mandolinei, au
chant des boléros et au Requiem de la messe des morts. Les ruines de
Sagonte applaudirent. » « Le peuple, ajoute un autre historien, dé-
ployait un courage qui approchait de la fureur, et c'était la fureur d'un
peuple fanatique. Des prêtres commandaient ; ils publiaient des miracles
et prêchaient l'assassinat; leurs hommes croyaient et obéissaient. Les
soldats français avaient à se défendre contre des individus qui répétaient
comme articles de foi cette espèce de catéchisme : « Dis-moi, mon enfant,
qui es-tu?— -E>pagnol par la grâce de Dieu, — Que veux-tu dire par
là? — Homme de bien. — Quel est l'ennemi de notre félicité? — L'em-
pereur des Français. — Qui est-ce? — C'est un mécréant, la source
de tous les maux, le destructeur de tous les biens, le foyer de tous les
vices.— Combien a-l-il de natures? — Deux; la nature humaine et
la nature diabolique. — Combien y a-t-il d'empereurs des Français?
— Un véritable, en trois personnes trompeuses. — Comment les nomme-
t-on? — Napoléon, Murât et Manuel Godoy. — Lequel des trois est
le plus méchant? — Ils le sont tous également. — De quoi dérive Napo-
léon? — Du péché. — MuRAT? — De Napoléon. — Et Godoy ? — De
la fornication des deux. — Quel est l'esprit du premier?— L'orgueil et
le despotisme. — Du second ? — La rapine et la cruauté. — Du troi-
— 229 —
si destructive pour les armées françaises , a été orga-
nisée par une Instruction remarquable que la junte
suprême publia, peu de temps après qu'elle eut pris la
noble résolution de s'opposer à l'asservissement de la
patrie. Voici cette publication qui eut un grand reten-
tissement en Europe, et par laquelle on semblait dire
aux peuples subjugués parla France, qu'ils n'avaient
qu'à se transformer en guérillas pour expulser les op-
presseurs de leur territoire et reconquérir leur liberté.
Instructions générales pour la formation des armées espagnoles
et (le la levée en masse.
« Les mesures suivantes doivent être observées par
les différentes provinces de l'Espagne, dans la néces-
sité où les ont mises les Français de s'opposer à l'in-
juste et violente prise de possession que les armées
françaises sont dans l'intention d'effectuer. On ne peut
un seul instant douter de l'énergie avec laquelle toutes
les provinces de l'Espagne s'efforceront de déjouer et
de détruire les mauvais desseins des Français , et
qu'elles sacrifieront même leur vie dans cette conjonc-
ture si importante et unique dans les annales de la
nation, unique tant par la nature même des cboses
que par l'ingratitude et la perfidie avec lesquelles les
Français ont travaillé à nous asservir, et poursuivent
l'exécution de cette œuvre d'iniquité.
((1" Le point le plus important est d'éviter toute ba-
sième? — La cupidité, la trahison et l'ignorance. — Que sont les Fran-
çais? — D'anciens chrétiens devenus hérétiques. — Quel supplice mé-
rite l'Espagnol qui manque à ses devoirs? — La mort et l'infamie des
traîtres. — Comment les Espagnols doivent-ils se conduire? — D'après
les maximes de Notre-Seigneur Jésus-Christ. — Qui nous délivrera de
nos ennemis? — La confiance entre nous autres, et les armes. —
Est-ce un péché de mettre un Français à mort? — Non, mon père; on
gagne le ciel en tuant un de ces chiens d'hérétiques. »
— 230 —
taille rangée, et de se convaincre qu'elle nous mettrait
dans le plus grand danger, sans aucune utilité, et
même sans aucune espérance. Plusieurs motifs vien-
nent à l'appui de cette mesure; tout homme raison-
nable les apercevra aisément.
« 2° Il nous convient donc de faire la petite guerre
avec des corps isolés, de gêner, de fatiguer l'armée
ennemie , en lui coupant les vivres , en rompant les
ponts , en faisant des abatis sur les points convena-
bles, et en usant de moyens semblables. La position
géographique de l'Espagne, ses montagnes nombreuses
et les défilés étroits qu'elles offrent, ses rivières et ses
fleuves, la position même de ses provinces, nous in-
vitent même à choisir ce mode de guerre, qui ne peut
qu'être avantageux pour nous.
« 3° 11 est absolument indispensable que chaque pro-
vince ait un général doué de talents reconnus, et
distingué par autant d'expérience que le permet la
nouveauté de notre position, qui, par une fidélité hé-
roïque, inspire de la confiance à tous, et que chaque
général ait sous son commandement des officiers de
mérite, et surtout des artilleurs et des ingénieurs.
« 4° L'unité des plans bien combinés étant l'âme de
toutes les entreprises auxquelles concourent plusieurs
volontés unies, et assurant et facilitant seule une heu-
reuse issue, il paraît indispensablement nécessaire
que l'on ait trois généraux supérieurs qui s'entendent
entre eux; à savoir un qui commande dans les quatre
royaumes d'Andalousie , Murcie et l'Eslrémadure in-
férieure; un autre en Galicie, dans l'Estrémadure su-
périeure , dans la vieille et la nouvelle Castille et
Léon; un dans Valence, Aragon et Catalogne. Ensuite
il en faut nommer un de grande considération pour la
Navarre, les provinces de Biscaye, Montanas, les As-
turies, Rioja, et la partie septentrionale de la nouvelle
— 231 —
Castille; et cela par les motifs qui seront déduits
plus bas.
(( 5" Chacun de ces généraux et de ces généraux su-
périeurs réunira une armée de vétérans et de paysans,
et se mettra en état de tenter des entreprises et de se-
courir les points les plus exposés , en entretenant
constamment néanmoins une correspondance ouverte
et continuelle avec ses collègues, afin qu'ils agissent
tous de concert, et que l'un puisse venir au secours
de l'autre.
« 6" Les localités exigent que Madrid et la Manche
aient un général particulier qui conçoive et qui exécute
les entreprises commandées par ces localités. Son seul
objet doit être de semer des obstacles sur le chemin
de l'ennemi, de lui enlever ses vivres, de le harceler
tantôt sur ses flancs, tantôt sur ses derrières, enfin de
ne pas lui laisser un instant de repos. Le courage des
habitants de ces provinces est connu; bien dirigés, ils
exécuteront des opérations de ce genre avec une ar-
deur louable. Pendant la guerre de la Succession, les
ennemis pénétrèrent deux fois dans le cœur du royaume
et jusqu'à la capitale; cette marche fut la cause véri-
table de leur défaite et de leur destruction , enfin leur
fit manquer leur but.
« 7" Les généraux supérieurs du nord et de l'est fer-
meront l'entrée des provinces soumises à leur com-
mandement , et marcheront au secours du point par
lequel l'ennemi tentera de piénétrer, afin de garantir,
autant qu'il sera possible, les habitants de ces pro-
vinces du pillage et de la dévastation : les montagnes
et les défilés qui garnissent les confins de ces provinces
leur faciliteront l'exécution de ces mesures.
« 8° Les fonctions confiées au général de la Navarre,
de la Biscaye , et de toute cette partie, sont les plus
importantes de toutes : en conséquence, les généraux
— 232 —
du nord et de l'est l'aideront de troupes et de tous les
secours qu'il leur demandera. Son principal devoir
sera de fermer l'entrée de l'Espagne à de nouvelles
troupes françaises, ainsi que de harceler et de détruire
celles qui, de ce côté, tenteraient de retourner en
France. Les montagnes sont très-favorables à cette
espèce de guerre, qui doit nécessairement être heu-
reuse si elle est concertée et exécutée convenablement.
On peut dire la même chose des points par lesquels
les troupes françaises qui sont en Portugal pourraient
essayer d'entrer en Espagne, ainsi que de ceux par
lesquels elles pourraient pénétrer en Catalogne en ve-
nant du Roussillon. Quant à l'Aragon , il n'a pas beau-
coup à craindre une invasion. On peut même croire
que les Français ne pourront pas sortir du Portugal ,
car les proclamations que nous y avons répandues ont
contribué à augmenter la haine dont les Portugais
sont animés contre les Français , à cause des maux
qu'ils leur ont fait, et de la dureté de leur gouvernement.
t< 9" H sera très-avantageux que les généraux supé-
rieurs et autres répandent fréquemment des procla-
mations parmi le peuple pour entretenir son courage
et sa fidélité, en lui montrant qu'il a tout à craindre
de la perfidie avec laquelle les Français en ont usé
envers l'Espagne et son Roi; que si jamais ils parve-
naient à être nos maîtres , nous perdrions tout , nos
Rois, notre monarchie, nos propriétés, la liberté,
l'indépendance et la religion ; qu'il vaut mieux sacri-
fier sa vie et sa fortune pour la défense du Roi et de
la patrie. Les généraux diront aux Espagnols que si ,
ce qu'à Dieu ne plaise, nous sommes réservés à l'es-
clavage, nous périrons les armes à la main et en
hommes courageux , et que nous n'irons pas , comme
un troupeau de bétail , tendre notre cou au joug, ainsi
que le voulait notre ancien gouvernement, en ajou-
— 233 —
tant la honte et l'infamie à tous les maux de l'Espagne.
Jamais la France n'a régné sur nous, ni n'a mis le
pied sur notre territoire ; nous , au contraire , nous
avons souvent dominé sur les Français, non par la
trahison, mais par la force de nos armes. Nous avons
fait leur Roi prisonnier et fait trembler la nation.
Nous sommes encore les mêmes Espagnols , et la
France, l'Europe et l'univers verront que nous ne
sommes pas moins braves que nos illustres aïeux.
'( 1 0" Tous les hommes de lettres seront invités à pu-
blier des instructions pour éclairer l'opinion publique
et stimuler le zèle de la nation : ils réfuteront les in-
fâmes journaux de Madrid, que la condescendance de
l'ancien gouvernement a tolérés, et qui, sous le nou-
veau gouvernement, augmentent d'impudence. Nos
écrivains dévoileront les mensonges et les contradic-
tions de ces journaux, et couvriront d'ignominie leurs
misérables auteurs. De temps en temps ils étendront
leurs observations sur ces journaux de Paris , rédigés
par de vrais charlatans. Ils démasqueront aux yeux
des Espagnols et de toute l'Europe ces vils rédacteurs
de mensonges, dont la plume vénale est payée pour
chaque louange qu'ils donnent au tyran oppresseur de
leur patrie , et qui se rendent aussi complices de ses
attentats'. Que ces misérables tremblent devant l'Es-
pagne! Que le gouvernement français et ses suppôts
sachent que nous les avons pénétrés; qu'ils nous in-
spirent de l'horreur, et que nous aimerions mieux
' Les auteurs de celte Instruction ont confondu les deux classes de
rédacteurs qui travaillaient aux journaux de Paris; les uns étaient
choisis parmi des hommes distingués par leurs lumières et leur attache-
ment aux principes éternels de la morale et du droit ; leurs noms , bien
que sous le voile des lettres de l'alphabet, étaient très-connus du public;
les autres, sous les noms de censeurs ou de collaborateurs, étaient im-
posés par l'autorité , et ne pouvaient être que les organes de ?a volonté.
— 234 —
perdre la vie que nous soumettre à un joug aussi in-
fâme que celui qu'ils supportent.
« 1 r On ne négligera pas de dire et de bien incul-
quer à la nation qu'aussitôt que nous serons délivrés
de cette guerre cruelle à laquelle les Français nous
ont forcés , qu'aussitôt que nous aurons recouvré la
tranquillité, et que notre Roi et souverain Ferdi-
nand VII aura été rétabli sur le trône, les Cortès seront
assemblées sous son autorité , que les abus seront ré-
formés, et qu'on nous donnera des lois conformes aux
lumières du siècle, et capables de faire notre bonheur.
Pour nous donner ces lois , nous n'avons pas besoin
des instructions des Français, qui, selon leur coutume,
et sous prétexte d'amitié et de zèle pour notre bien-
être, n'ont fait que nous piller, déshonorer nos femmes,
nous massacrer, nous priver de notre liberté, de nos
institutions et de notre Roi, et blasphémer notre sainte
religion. Voilà ce qu'ils ont fait, ce qu'ils font, ce
qu'ils feront aussi longtemps qu'ils seront poussés
par cet esprit infernal de trahison et d'ambition qui
les tyrannise eux-mêmes.
«Publié par ordre de la Junte suprême.
« Signé Juan Bautista Pardo.
A l'exemple de Séville, d'autres capitales, et notam-
ment Valence, établirent des juntes provinciales; mais
toutes reconnurent, quoique tacitement, cette espèce
de supériorité que la Junte d'Andalousie s'était arrogée
pour le bien de la nation, et qu'elle exerça jusqu'au
mois de septembre, où se forma la Junte suprême cen-
trale d'Aranjuez. L'importance de l'Andalousie, ren-
— 235 —
fermant à elle seule plus d'un cinquième de la popula-
tion de l'Espagne, possédant la seule fonderie de ca-
nons du royaume, et pouvant avec un noyau d'armée,
compter sur l'assistance de la flotte anglaise de lord
Collingicood croisant devant Cadix, et sur celle de la
garnison de Gibraltar, motivait suffisamment le pou-
voir que l'on semblait déférer à la Junte de Sé\ ille.
Nous n'entrerons pas dans le détail des événements
qui se passèrent dans les différentes provinces, ni des
combats partiels qui furent livrés entre les Espagnols
et les Français. 11 suffit, pour notre but, de consi-
gner les résultats.
Depuis la bataille de Trafalgar, l'amiral français
Rosiliy se trouvait dans le port de Cadix, avec cinq vais-
seaux de ligne et une frégate, montés par quatre mille
soldats et matelots. Don ïomas Morla, qui avait suc-
cédé à Solano dans le commandement de la ville, força
l'amiral Rosiliy à lui remettre ces forces, par une ca"
pitulation qui fut signée le 14 juin.
Une expédition que le maréchal Moncey entreprit le
21 juin, avec quinze mille hommes, pour réduire Va-
lence, échoua. Le général Caro le harcela dans sa mar-
che avec tant de succès, qu'il fut obligé de se retirer à
Madrid, après avoir perdu le tiers de son monde.
Un corps de trente-cinq mille Espagnols, formé dans
les Asturies, en Galice, Léon et Estrémadure, et com-
mandé par le général Cuesta, marcha sur Burgos. Le
maréchal Bessieres le défit le 14 juillet à Médina del Rio
Seco : la soumission momentanée des provinces de
Léon, Palencia, Valladolid, Zamora etSalamanque fut
le résultat de cette journée.
Il fut balancé par un échec considérable que les
Françaiséprouvèrent d'un autre côté. LegénéralZ)w/)ow<,
à la tête de dix-huit mille ou vingt mille hommes, s'était
avancéjusqu'à AndujaretCordoue, oij ses troupes com-
— 236 —
mirent de graves excès. CastaûoSy général en chef de
l'armée d'Andalousie, s'étant porté contre lui avec des
forces supérieures, Dupont se retira à Baylen pour se
rapprocher d'un secours de huit mille hommes que Sa-
vary^ qui , depuis le départ de Murât, commandait en
chefàMadrid, lui envoyait sous le général Be//mrc?. Mais
Castanos coupa la communication non-seulement entre
BeUiard et Dupont, mais aussi entre celui-ci et le géné-
ral/^We/^ qui commandait un détachementde son armée
fort de six mille hommes. Le 20 juillet, Dupont atta-
qua les Espagnols, et fut battu. Il signa, le même jour,
une capitulation par laquelle il se rendit prisonnier de
guerre avec huit mille hommes qui lui restaient. Le gé-
néral Fedelf qui, de son côté, avait remporté un avan-
tage sur le général Pena^ obtint des conditions plus fa-
vorables. On convint que sa division serait renvoyée
par mer à Rochefort. Napoléon n'a cessé de déplorer la
capitulation de Baylen comme le principe des désas-
tres qu'il éprouva en Espagne. En effet, cet événe-
ment inspira une grande confiance à la nation espa-
gnole, et on commença en Europe à la regarder comme
une puissance. Il força Joseph Bonaparte de quitter,
le 1'"^ août, Madrid, où il n'avait fait son entrée que le
20 juillet, et de se retirer à Burgos.
La capitulation de Baylen fournit à Caslafios l'occa-
sion de proclamer les sentiments d'humanité qui doi-
vent remplir l'âme de tout général victorieux. Nous
qui comptons pour quelque chose dans l'histoire les
larmes des peuples, nous recueillons avec bonheur les
paroles sublimes que l'on va lire :
— 237 — .
Proclamation du général Castanos, du 21 juillet 1808.
« Espagnols,
« Si vous voulez être de bons soldats, apprenez avant
tout à respecter le malheur. En vertu de la capitula-
tion que je viens de publier, les troupes françaises,
commandées par le brave Dupont, traverseront sans
armes, et comme prisonnières de guerre, toute l'An-
dalousie, pour être embarquées à San Lucar et con-
duites à Rochefort. Pères qui avez des fils dans mon
armée, donnez à ces braves tous les secours dont ils
ont besoin, tous les soins qu'ils vous demanderont.
Pensez que le même sort peut tomber sur vos enfants,
si, ce qu'à Dieu ne plaise, la fortune nous était con-
traire, et que dans ce cas vous souhaiteriez qu'ils fus-
sent traités avec humanité et bienfaisance. Quiconque
osera insulter un Français sera sur-le-champ conduit
au quartier général, traduit devant un conseil de
guerre, et fusillé dans les vingt-quatre heures. Soldats
de mon armée, écrivez ou faites écrire à vos parents
que les Français sont braves, qu'ils sont bons et qu'ils
méritent d'être traités avec magnanimité. S'ils sont
venus pour nous combattre, c'est qu'on le leur avait
ordonné, ils sont innocents des offenses qui nous ont
été faites, et de la honte et de l'opprobre dont leur
gouvernement voulait nous couvrir aux yeux de la
postérité.
« Anduxar, 21 juillet 1808.
« Signé François-Xavier de CASTA5ios. »
La campagne d'Aragon fut encore plus glorieuse
— 238 —
pour les Espagnols que celles de Valence et d'Anda-
lousie; elle offre un événement extraordinaire, le
siège de Saragosse par Lefebvre-Desnouettes. Cette ville
fut attaquée, pour la première fois, le 14 juin, et en-
suite, avec des forces plus considérables, le 28. Le
génie de Palafox créa une armée et tous les moyens de
défense qui manquaient. Toute la population, sans ex-
cepter les femmes et les enfants, prit les armes et tra-
vailla aux fortifications et à la fabrication de la poudre.
Quoique les Français se fussent rendus maîtres d'une
partie de la ville , la persévérance et le courage in-
dompté des partisans les en expulsèrent. Ils furent
obligés de se retirer le 1 3 août.
Cependant, quelques jours après Lefebvre-Desnouet-
tes somma Palafox de se soumettre avec son armée ,
C'est alors que l'Espagnol lui adressa la lettre fameuse
que voici ;
« Albarracin , en Aragon , 28 août 1 808.
« Monsieur,
« Les événements qui se sont passés depuis deux
mois auraient dû vous faire sentir qu'en m'écrivant
vous ne pouviez pas, ainsi que vous le pratiquez avec
d'autres, vous dispenser do me parler le langage du
bon sens, de la raison et de l'honneur. Si les autres
nations de l'Europe avaient pensé et agi comme nous,
vous ne seriez point ici; mais, tant qu'il plaira à Dieu
de vous y laisser pour l'expiation de nos péchés, nous
vous apprendrons du moins à nous respecter. Vous
me conjurez de poser les armes, au nom du bonheur
de l'Espagne^ et depuis quand, je vous prie, un géné-
ral révolutionnaire français prend-il un si vif intérêt
au sort d'une nation qui, de toutes celles de l'Europe,
devrait lui être la plus étrangère par son esprit reli-
— 239 —
gieux, ses mœurs, ses habitudes, par sa fidélité sur-
tout envers son légitime souverain? Les Espagnols, il
est vrai, voyagent peu : mais, avant même que vous
fussiez venus chez eux, leur prêcher, à coups de
baïonnette, vos maximes sur le bonheury ils connais-
saient parfaitement l'espèce de celui que vous aviez
donné à la Hollande, à la Suisse, à Tltalie, à l'Allema-
gne, à la Pologne, à vos alliés surtout, et à vos mal-
heureux concitoyens eux-mêmes que vous traînez en-
chaînés sur nos frontières, pour y planter vos drapeaux
souillés du sang de vos princes et de celui de toute
l'Europe. Quel bonheur, grand Dieu î que celui qui
nous est offert par un général de l'héritier universel de
toute la Révolution française! Mon sang se glace dans
les veines à la seule idée de la possibilité d'un pareil
bonheur. Tout féroce qu'était Attilaf il avait dans l'âme
plus de véritable grandeur que celui qui vous lance
sur nous pour nous dévorer, car Attila annonçait hau-
tement les projets de son ambition. En entrant en Ita-
lie, il ne s'était point proclamé son ami, son allié; les
Huns ne s'appelaient point eux-mêmes : la grande na-
tion; l'Italie ne leur avait pas, comme nous, ouvert
pendant douze ans ses trésors, donné ses flottes, con-
fié ses armées.... Le terrible conquérant cependant,
saisi de respect à la vue du pape Léoîi le Grand, baissa
devant lui son épée ensanglantée, et Rome fut épar-
gnée; ajoutez que le pontife n'avait point quitté son
siège pour aller couronner Attila; ce dernier néan-
moins, malgré ce trait qui l'honore, fut surnommé le
fléau de Dieu. Quel nom, monsieur, la postérité don-
nera-t-elle au vôtre ?
« Vous me conjurez de poser les armes pour assurer
le repos de l'Espagne.... Et qui l'a troublé ce repos?
Depuis Ferdinand le Catholique jusqu'au jour oîi vous
avez mis le pied sur cette terre, notre tranquillité n'a
— 240 —
été troublée qu'une seule fois : ce fut quand nous nous
battîmes contre la moitié de l'Europe pour assurer le
trône de toutes les Espagnes ou des Deux-Indes à un
prince de voire nation; c'est pour nous récompenser
sans doute de ces généreux efforts, que, pour notre
repos et notre gloire, vous voulez aujourd'hui substi-
tuer un Corse au petit-fils de Henri IV et de Louis XIV?
Mais, si vous pouviez dire vrai, si, pendant un seul
moment, le vœu de notre bonheur et de notre repos
pouvait être gravé dans votre âme, je pourrais, à mon
tour, vous indiquer le véritable moyen de les assurer:
« Repassez les Pyrénées, vous dirais-je, et l'Espagne,
dès le moment même, redeviendra tranquille ! Ce n'est
point à la nation la plus signalée par la légèreté de
Bon esprit, par la mobilité de son caractère et par son
inquiète turbulence, qu'il appartient de prêcher le
repos aux braves et paisibles Castillans. Si cependant
la fureur de propager vos maximes vous tourmente,
allez dans certaines contrées philosophiques, dont les
savants et les raisonneurs vous prêteront sans doute
une oreille complaisante, et ne manqueront pas de
célébrer votre modération, votre tolérance, la perfec-
tion de votre discipline, la beauté de votre tenue, le
ravissement de vos hôtes en vous recevant chez eux,
leur désespoir en vous perdant, vos idées libérales,
l'horreur de votre empereur pour la guerre, son amour
de la paix, ils endoctrineront les armées destinées à
vous combattre, ils leur prouveront que c'est une sot-
tise de vous résister; et il y aura par conséquent, je
n'en doute pas, encore plus d'une bataille d'Iéna; et
les Magdebourg, comme ci-devant, tomberont au seul
son de vos trompettes. » Mais, nous autres pauvres Es-
pagnols, qui, malgré l'immense foyer de lumières ré-
pandues par la révolution française, continuons d'aller
en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostella, nous
— 241 —
sommes trop ignorants pour renverser noire antique
Constitution et pour faire tomber la tête de nos Rois.
Le croiriez-vous bien, mon cher monsieur, le dernier
de nos bacheliers de Salamanque pense être pbis rai-
sonnable' que le premier de vos présidents d'Institut;
et le plus mince de nos hidalgos se croit plus vérita-
blement noble qu'un duc à'Abranths ou de Dantzigl
Que faire avec une pareille nation? avouez qu'il n'y a
point là de point de contact pour les réformateurs du
genre humain.
« Vous prétendez que le peuple espagnol est égaré
par ses moines; j'avoue que ceux-ci jusqu'à présent se
sont montrés très-actifs, et qu'ils n'ont pas peu con-
tribué à faire chasser Junot-Ahrantes du Portugal, et
don Joseph de Madrid. Mais quand tous les reproches
qu'on fait aux moines depuis l'existence des Ordres
religieux seraient aussi fondés qu'ils le sont peu, nous
croyons que ce seul service qu'ils ont rendu à l'Espa-
gne et à toute l'Europe suffirait pour les réconcilier
avec tout véritable ami du bon ordre et de l'humanité.
Les Hollandais, les Prussiens, les Hessois et tant d'au-
tres n'avaient point de moines. Eh bien, qu'ont fait
ces peuples pour vous résister? que sont-ils devenus
entre vos mains? quelle énergie montrent-ils pour s'en
délivrer? Le peuple espagnol d'ailleurs, malgré cette
superstition qui vous embarrasse bien plus qu'elle ne
le gêne, a un attachement invincible pour sa patrie et
pour toutes les institutions de ses ancêtresj il sait que
sa religion et ses moines ne l'ont pas empêché de bat-
tre votre fameux Roland à Roncevaux, de chasser les
Maures de l'Espagne, d'accueillir Christophe Colomb,
partout ailleurs dédaigné, de conquérir le nouveau
monde, de produire la brillante époque du règne de
' A quoi éervenl les sciences et les beaux-arts , s'il5 n'épurent et ne
dirigent pas au bien les sentiments et la raison?
XI 16
— 242 —
Charles-Quint f et de faire prisonnier àPavie votre bon
François P% qui valait bien vos Joseph Napoléon, vos Na-
poléon-Louis et vos Joachim-Napoléon. Ce peuple voit
tous les jours ces pauvres récollets et capucins porter
les consolations de la religion, les secours de la cha-
rité dans le réduit ignoré du pauvre et dans les hôpi-
taux, pendant qu'au sortir peut-être de quelque orgie,
les membres de vos lycées se bornent à écrire de
belles phrases sur l'humanité, et à encenser bassement
celui qui la foule aux pieds. Ce peuple, pendant l'af-
freuse épidémie qui ravagea, il y a trois ans, Cadix,
Malaga, Alicante, a vu ces moines ne point désemparer
de ces villes, que les philosophes surtout avaient alors
grand soin de fuir; il les a vus ces moines braver la
mort sous ses formes les plus hideuses, soigner les
pestiférés, emporter les cadavres sur leurs épaules,
leur donner la sépulture avec une charité et un aban-
don de tout intérêt personnel, bien autrement dignes
d'éloges que des discours sur l'acide muriatique oxy-
géné, ou des divagations sur la crânologie.
« Après toutes ces belles sorties, il fallait bien aussi
s'attendre que M. le général en ferait une contre l'In-
quisition j et j'ai remarqué avec plaisir que vous vous
étiez étendu sur ce sujet avec toute la complaisance
d'un ancien Maure de Grenade. Cela m'a tellement
réjoui, que je ne balance point à donner un nouvel
aliment à votre zèle, en vous déclarant formellement
que, loin d'être dégoCités du Saint-Office, nous croyons
au contraire que, quoiqu'il ait perdu depuis fort
longtemps tout ce qu'il y avait d'excessif dans l'exer-
cice de son autorité, c'est lui qui a principalement
contribué à nous prémunir contre vos maximes sédi-
tieuses , antireligieuses et antisociales; que nous
croyons fermement lui devoir, en grande partie, notre
attachement au sol de la patrie, notre horreur des
— 243 —
innovations qui vous ont perdus, et le maintien de
cette énergique caractère national, presque partout
ailleurs effacé, dégradé, avili; que nous nous félici-
tons de voir encore parmi nous des nobles et des capi-
talistes assez fiers , assez sensibles à l'honneur, pour
être prêts à périr mille fois plutôt que de courber la
tête sous la plus honteuse et la plus dégoûtante tyran-
nie qui ait jamais affligé et déshonoré l'humanité. Et
vous-même, monsieur, ne croyez-vous pas que l'Eu-
rope serait bien plus tranquille et plus heureuse si, en
1789, notre Sainte-Hermandad avait pu se saisir d'une
cinquantaine de vos plus chauds discoureurs , les af-
fubler d'un samhenito à flammes renversées, leur ap-
pliquer en place de Grève une bonne et vigoureuse
flagellation , et les mettre ensuite, pendant un an, à la
diète rafraîchissante et salutaire de Charenton ? Croyez-
vous qu'après l'administration de ce remède nous
eussions eu des Marat, des Robespierre, des Jourdan
coupe-tête, des Montagnards, des Brissotins, des FeutV-
lants, des sans-culottes , des fusillades, des noyades,
des Marseillais, des chauffeurs, des septembriseurs, des
Cayenne, un Temple, ses tortures et ses oubliettes?
Non , monsieur, nous n'aurions rien de tout cela, pas
même de Corses pour rois, ni une grande nation qui
déchire les autres nations à belles dents, et qui, depuis
dix-neuf ans, peut se vanter d'avoir massacré ou fait
massacrer trois millions de créatures humaines, et de
n'être pas encore rassasiée de sang.... Ah! monsieur,
quel épouvantable Saint-Oflice que le vôtre I
« Vous terminez, monsieur, cette longue et singulière
épître par des menaces; les plaines de l'Aragon et les
quarante-deux assauts de Saragosse ont dû vous prou-
ver que le cœur des Espagnols n'est pas plus accessi-
ble à la crainte qu'à la corruption. Vous parlez ensuite
de guerre interminable ; quant à cela il faut vojiis ren-
-, 244 —
dre justice : nous savons que vous avez une patience
à toute épreuve; car, depuis vingt ans que durent vos
convulsions il ne serait guère possible d'imaginer un
mal, soit physique, soit moral, auquel vous ne vous
soyez soumis avec un stoïcisme qui eût fait rougir
Épictète. Votre Roi, le plus honnête homme peut-être
qui fût parmi vous, a été traîné à l'échafaud après
avoir été abreuvé pendant quatre ans des plus lâches
et des plus infâmes outrages — Vous l'avez vu sans
murmurer. Le sang de vos plus dignes citoyens a été
versé à flots par une poignée de scélérats vous l'a-
vez vu sans murmurer. Les crimes les plus atroces
ont souillé pendant sept ans toute la surface de la
France.... vous l'avez vu et entendu sans murmurer.
Trois cent soixante de vos prêtres ont été égorgés,
dans un seul jour, dans la grande capitale de la grande
nation.... et la grande nation l'a vu sans murmurer.
Vous avez pendant quinze ans changé de gouverne-
ment et de joug aussi souvent qu'il a plu à vos geô-
liers de vous les imposer et vous avez porté votre
muselière sans murmurer. Depuis huit ans on vous
traîne des bords du Nil à ceux de la Vistule , et de la
Vistule à l'Èbre et au Tage, en vous faisant faucher et
en vous fauchant comme l'herbe des champs.... pas
un mot , pas un mouvement pour rompre cette horri-
ble et dégoûtante servitude. Oui , Français , si sédi-
tieux sous le meilleur des Rois , vous êtes devenus le
peuple le plus patient sous vos tyrans j et je ne doute
pas que vous ne vous prêtiez à toutes les impulsions
qu'on va vous donner pour ensanglanter ma malheu-
reuse patrie. Mais sachez que nous sommes prêts à
tout; et que la patience aussi qui nous caractérise,
partant d'un principe bien autrement pur et sacré que
la vôtre, vous fera sentir la différence qu'il y a entre
des hommes enflammés de l'amour de la patrie, et des
— 245 —
furieux qui , après avoir déshonoré la leur, se plaisent
à s'entourer de ruines et de cadavres. Le sort peut tra-
hir wn moment la sainte justice de notre cause, mais
jamais, non jamais vous ne gagnerez nos cœurs. Sou-
venez-vous qu'une petite peuplade d'Espagnols chré-
tiens, réfugiés dans les montagnes des Asturies, a
bravé pendant sept siècles toute la puissance des Mau-
res, et que ces Maures.... ont fini par être chassés de
toutes les Espagnes.
« Signé Palafox , général en chef de l'armée
du royaume d'Aragon. »
Peu de jours après la levée du siège de Saragosse,
les Espagnols reçurent un secours auquel ils ne de-
vaient pas s'attendre ; c'était l'arrivée de sept mille
hommes de troupes réglées, qui débarquèrent le 30 sep-
tembre à la Corogne. Ils faisaient partie du corps que
Charles IV avait été obligé de îouvmvk Napoléon et que
celui-ci avait envoyé dans les îles danoises, pour for-
mer l'avant-garde de l'armée de Bernadolte, destinée
à envahir la Suède. Ce corps, commandé par le mar-
quis de la Romana , avait d'abord prêté serment de
fidélité à Joseph Bonaparte ^ mais ce général, instruit
parles soins de l'amiral Keats, qui commandait la
flotte anglaise dans la Baltique, de l'insurrection de
ses compatriotes, conçut le projet de conserver ces
troupes à son souverain légitime. 11 s'empara du port
de Nyborg en Fionie , et s'embarqua, le 1 0 août 1 808,
sur des bâtiments de transport que l'amiral lui four-
nit. 11 ne put ainsi emmener que sept mille hommes.
Ce fut là un des premiers avantages que la nation
— 246 —
espagnole tira du rétablissement de la paix avec TAn-
gleterre.
En effet, dès le 4 juillet 1808 le gouvernement bri-
tannique avait publié l'ordre suivant :
« Sa Majesté ayant pris en considération les glorieux
efforts de la iiation espagnole pour la délivrance de
sa patrie de l'usurpation de la France, et les assu-
rances que Sa Majesté a reçues de diverses provinces
d'Espagne, de leurs dispositions amicales envers ce
royaume, Sa Majesté, de l'avis de son Conseil privé,
a bien voulu ordonner, et il est conséquemment or-
donné :
«1** Que toute hostilité contre l'Espagne, de la part
de Sa Majesté, cessera immédiatement j
« 2° Que le blocus de tous les ports d'Espagne,
excepté ceux qui peuvent être encore sous l'influence
de la France, sera sur-le-champ levé ;
« 3' Que tous les vaisseaux et bâtiments apparte-
nant à l'Espagne seront librement admis dans les ports
de la domination de Sa Majesté, comme avant les pré-
sentes hostilités;
« 4" Que tous les vaisseaux et bâtiments apparte-
nant à l'Espagne qui seront rencontrés sur mer par
les vaisseaux et croisières de Sa Majesté, seront traités
de la même manière que ceux des États qui sont amis
de Sa Majesté, et qu'il leur sera permis de faire tel
commerce que Sa Majesté regarde maintenant comme
fait légitimement par des vaisseaux neutres;
« 5" Que tous les vaisseaux et marchandises appar-
tenant à des personnes qui résident dans les colonies
espagnoles , qui seront arrêtés après cejourd'hui par
quelque croisière de Sa Majesté, seront conduits dans
un port et soigneusement tenus sous bonne garde pour
attendre les ordres ultérieurs de Sa Majesté, jusqu'à
ce qu'il soit connu si lesdites colonies ou aucune
— 247 — -'
d'icelles dans lesquelles les propriétaires de tels vais-
seaux et marchandises résident, ont fait cause com-
mune avec l'Espagne contre la puissance de la
France, etc. »
L'exemple de TEspagne encouragea les Portugais à
briser le joug insupportable que faisait peser sur eux l'oc-
cupation française Le mouvement commença à Oporto
le 6 juin 1808; la Junte qui y fut établie sous la pré-
sidence de l'évêque, organisa l'insurrection sur tous
les points du royaume où les Français ne se trouvaient
pas en forces supérieures. Une armée anglaise , com-
mandée par sir Arthur Wellesley , si célèbre depuis
sous le nom de Wellington, arriva devant Oporto.
Cette armée, forte de dix mille hommes, s'était pré-
sentée à la Corogne, le 23 juillet, peu de jours après
la bataille de Médina del Rio Seco. Sir Arthur offrit ce
secours à la Junte de la Galice; mais celle-ci répondit
qu'elle ne demandait à la Grande-Bretagne que de
l'argent, des armes et des munitions; elle ajouta que
le corps anglais serait dans le cas de rendre le plus
grand service aux Portugais , et par suite à la nation
espagnole , s'il était employé à chasser les Fran-
çais de Lisbonne. De la Corogne sir Arthur se di-
rigea sur Oporto; mais l'évêque l'ayant averti que les
Portugais étaient assez forts pour repousser les Fran-
çais, il laissa ses troupes devant Oporto, et se rendit,
de sa personne, auprès de sir Charles CottoUj, com-
mandant de la flotte à l'embouchure du Tage, pour
combiner avec lui l'attaque de Lisbonne. Ce fut de là
qu'il transmit au général Spencer , qui se trouvait à
Cadix avec six mille hommes, l'ordre de venir le join-
dre. Averti qu'il allait recevoir un autre renfort de
cinq mille hommes , que lui amenait le général Atis-
truthery et que Junot était affaibli par l'obligation où il
— 248 —
avait été d'envoyer six mille hommes dans le midi du
Portugal, qui s'était insurgé, sir Arthur Wclledey dé-
barqua le 31 juillet ses troupes dans la baie de Mon-
dego, et prit position sur les hauteurs de Leyria. Le
corps de Spencer étant arrivé, Wellesley se mit en
marche, le 9 août, sur Lisbonne; il remporta, le 17,
à Rorissa, une victoire sur le général Laborde. Le len-
demain de cette affaire arriva le corps à'Aîistruther.
Comme sir John Moore devait amener sous peu un
nouveau renfort, le général Jmiot résolut de le pré-
venir et de livrer bataille. Elle eut lieu , le 21 , à Vi-
meiro. Le général français ayant échoué dans son en-
treprise contre cette ville, fut obligé de se retirer à
Lisbonne.
L'armée victorieuse avança jusqu'à Cintra où sir
Hew Dalrymple prit, le 22, le commandement général
de tous les corps anglais. Junot fit immédiatement
demander un armistice , afin de traiter d'une conven-
tion pour l'évacuation du Portugal par les Français.
L'armistice fut effectivement conclu à Cintra, le 22
août , entre sir Arthur Wellesley et le général Keller-
mannK La convention définitive fut signée, le 30, à
Lisbonne, par sir George Murray, au nom du général
en chef, et le général de division Kellermann, au nom
de Junot, duc à' Jhrantès. En voici les stipulations qui
sont énoncées en 22 articles :
(( Toutes les places et forts du Portugal, occupés par
les troupes françaises, seront remis à l'armée anglaise
dans l'état où ils se trouvent. Art. 1 .
a Les troupes françaises évacueront le Portugal avec
leurs armes et bagages; elles ne seront pas considé-
rées comme prisonnières de guerre, et, à leur arrivée
en France, elles auront la liberté de servir. Art, 2.
* Martens, Recueil, t. XII, p. 94.
— 249 —
«Le gouvernement anglais fournira des moyens de
transport à l'armée française qui sera débarquée dans
un des ports de France entre Rochefort et l'Orient.
Art. 3.
« Cette armée emportera toute son artillerie de cali-
bre français avec les cbevaux et les caissons renfer-
mant soixante charges par canon. Toute autre artil-
lerie, toutes les armes et munitions, les arsenaux de
mer et de terre seront remis à l'armée et à la flotte
anglaise , dans l'état où ils se trouveront lors de la
ratification de la convention. Art. 4.
« L'armée française emportera tous équipages et
toutes propriétés de l'armée, c'est-à-dire la caisse
militaire et les voitures attachées au service des hôpi-
taux et commissariats. Il lui est permis de dispo-
ser pour son compte de la partie des effets que le gé-
néral en chef jugerait inutiles d'embarquer. Tous les
individus ont également la liberté de disposer de leurs
propriétés, et On garantit pleine sécurité aux ache-
teurs. Art. 5.
« La cavalerie embarquera ses chevaux, ainsi que les
généraux et officiers ; mais le nombre des chevaux à
embarquer pour les troupes n'excédera pas six cents
et celui des chevaux à embarquer pour l'état-major
n'excédera pas deux cents. Dans tous les cas, l'armée
française disposera de ceux de ses chevaux qui ne se-
ront pas embarqués. ^4?'^. 6.
(( L'embarquement aura lieu en trois divisions, dont
la dernière se composera principalement des garnisons
des places, de la cavalerie, de l'artillerie, des malades
et des équipages. La première division sera embar-
quée dans les sept jours qui suivront la ratification.
Art. 7.
« Les garnisons d'Elvas et de ses forts, de Péniche et
Palméla seront embarquées à Lisbonne; celle d'Al-
— 250 —
meida, à Porto ou dans le port le plus voisin. Elles
seront accompagnées dans leur marche par des com-
missaires anglais chargés de pourvoir à leur subsi-
stance. Art. 8.
« Tous les malades et blessés qu'on ne peut pas em-
barquer avec, les troupes, seront confiés à Tarmée an-
glaise. Ils seront entretenus aux frais du gouvernement
anglais, et, sous la condition de parfait rembourse-
ment , le gouvernement anglais pourvoira à leur
retour. Art. 9.
« Aussitôt que les bâtiments employés au transport
de l'armée française auront effectué leur débarque-
ment dans les ports français, on leur donnera les faci-
lités nécessaires pour retourner en Angleterre sans
délai, et des sûretés contre toute capture jusqu'à leur
entrée dans un port ami. Art. 10.
«L'armée française sera concentrée à Lisbonne et à
deux lieues à la ronde j l'armée anglaise avancera
jusqu'à trois lieues de la capitale , et se placera de
manière à laisser entre les deux armées une distance
d'environ une lieue. Art. 1 1 .
«Tous arrérages de contributions, réquisitions ou
réclamations quelconques du gouvernement français
envers des sujets portugais sont annulés, et tout sé-
questre mis sur des propriétés mobilières et immobi-
lières est levé. Art. 1 5.
« Amnistie est accordée à tous les indigènes. Ai^t. 1 7.
« Il sera permis au général en chef d'envoyer un
officier en France pour y porter la nouvelle de cette
capitulation; le général anglais fournira un navire
pour transporter cet officier à Bordeaux ou Rochefort'.»
Cette convention , si honorable qu'il n'en existe
peut-être pas un exemple dans les annales de la guerre,
* Voy. Martens , Recueily t. XII , p. 96.
— 254 —
excita un vif mécontentement en Angleterre, où Ton
avait espéré que l'armée du duc diJhrantès, renfermée
entre les forces britanniques et celles des insurgés, se-
rait faite prisonnière de guerre. La conduite des géné-
raux qui y avaient pris part fut examinée par un conseil
de guerre, et approuvée par une majorité de quatre
voix contre trois; mais le Roi fit déclarer ofliciellement
à sir Hew Dalrymple qu'il- n'était pas satisfait des ar-
ticles de la convention.
L'escadre russe, qui, revenue du Levant*, se trou-
vait encore dans le Tage, fut obligée de se rendre à
l'amiral sir Charles Cotton. Le 3 septembre, le vice-
amiral Siniavine signa une convention en deux articles
ainsi conçus :
(( Les vaisseaux de guerre russes qui se trouvent dans
le Tage, ainsi qu'ils sont spécifiés dans la liste ci-jointe,
seront remis de suite, avec toutes leurs provisions, à l'a-
miralCofiow. Ils seront envoyés en Angleterre etgardés en
dépôt par S. M. Britannique pour être rendus à S. M. L
de Russie, dans l'espace de six mois après la conclu-
sion de la paix entre S. M. Britannique et S. M. de
toutes les Russies. Art. V\
« Le vice-amiral Siniavine retournera en Russie avec
les officiers, matelots et soldats sous son commande-
ment, sans aucune stipulation ou condition relative-
ment à leur service futur. Ils y seront transportés aux
frais de S. M. Britannique. Art. 2. »
Les vaisseaux remis aux Anglais en vertu de cette
convention étaient au nombre de dix, portant six cent
soixante-seize canons. Ils furent restitués à l'empereur
Alexandre en 1814.
Napoléon n'était plus à s'apercevoir qu'il s'était
• Voy. t.X,p. 379.
— 252 --
trompé, en croyant vaincre l'Ibérie, comme la Ger-
manie, par violence et par séduction. Il avait fait et
défait des rois; mais il ne suffisait pas de distribuer des
couronnes et de livrer des peuples avec une aussi
déplorable facilité : le plus inquiétant était d'obtenir le
consentement de ces mêmes peuples; et déjà nous
l'avons vu, les Espagnols et les Portugais, en insur-
rection contre les troupes françaises, et aidés par les
Anglais, avaient mis en feu toute la Péninsule. 11 fallait
donc des renforts à la grande armée; c'est alors que
Napoléon informa le Sénat des nouveaux développe-
ments de sa politique. Ils se trouvent amplement ex-
posés dans le message et les rapports que nous allons
reproduire, et qui forment la contre-partie des publi-
cations espagnoles.
Message de VEmpereur.
« Sénateurs, mon ministre des Relations Extérieures
mettra sous vos yeux les différents traités relatifs à
l'Espagne, et les constitutions acceptées par la Junte
espagnole.
« Mon ministre de la Guerre vous fera connaître
les besoins et la situation de mes armées dans les
différentes parties du monde.
« Je suis résolu à pousser les affaires d'Espagne
avec la plus grande activité, et à détruire les armées
que l'Angleterre a débarquées dans ce pays.
(c La sécurité future de mes peuples , la prospérité
du commerce et la paix maritime sont également
attachées à ces importantes opérations.
(' Mon alliance avec l'empereur de Russie ne laisse
à l'Angleterre aucun espoir dans ses projets. Je crois
à la paix du Continent, mais je ne veux ni ne dois
— 253 —
dépendre des faux calculs et des erreurs des autres
Cours, et puisque mes voisins augmentent leurs
armées, il est de mon devoir d'augmenter les miennes.
« L'empire de Constantinople est en proie aux
plus afî'reux bouleversements; le sultan Sélim, le
meilleur empereur qu'aient eu depuis longtemps les
Ottomans, vient de mourir de la main de ses propres
neveux. Cette catastrophe m'a été sensible.
« J'impose avec confiance de nouveaux sacrifices à
mes peuples; ils sont nécessaires pour leur en épar-
gner de plus considérables, et pour nous conduire au
grand résultat de la paix générale, qui doit seule être
regardée comme le moment du repos.
« Français, je n'ai dans mes projets qu'un but,
votre bonheur et la sécurité de vos enfants; et, si je
vous connais bien, vous vous hâterez de répondre au
nouvel appel qu'exige l'intérêt de la patrie. Vous
m'avez dit si souvent que vous m'aimiez! Je recon-
naîtrai la vérité de vos sentiments à l'empressement
que vous mettrez à seconder des projets si intimement
liés à vos plus chers intérêts, à l'honneur de l'empire
et à ma gloire.
« Donné en notre palais impérial de Saint-Cloud ,
le 4 septembre 1808.
« Signé Napoléon, m
Premier rapport fait à VEmpereurpar le ministre des Relations
Extérieures.
« Bayonne,le24 avril 1808.
(( Sire, la sûreté de votre empire, l'affermissement
de sa puissance, la nécessité d'employer tous les
moyens pour forcer à la paix un gouvernement qui,
se faisant un jeu du sang des hommes et de la viola-
— 254 —
tion de tout ce qu'il y a de plus sacré parmi eux, a
mis en principe la guerre perpétuelle, imposent à
Votre Majesté l'obligation de mettre un terme à l'anar-
chie qui menace l'Espagne et aux dissensions qui la
déchirent. La circonstance est grave, le choix du
parti à prendre extrêmement important : il tient à des
considérations qui intéressent au plus haut degré et
la France et l'Europe.
« De tous les États de l'Europe il n'en est aucun
dont le sort soit plus nécessairement lié à celui de la
France que l'Espagne : l'Espagne est pour la France
ou une amie utile ou une ennemie dangereuse. Une
alliance intime doit uiiir les deux nations, ou une ini-
mitié implacable les séparer. Malheureusement la ja-
lousie et la défiance qui existent entre deux nations voi-
sines ont fait de cette inimitié l'état le plus habituel
des choses : c'est ce qu'attestent les pages sanglantes
de l'histoire. La rivalité de Charles V et de Fran-
çois J""" n'était pas moins la rivalité des deux nations
que celle de leurs souverains ; elle fut continuée sous
leurs successeurs. Les troubles de la Ligue furent
suscités et fomentés par l'Espagne; elle ne fut point
étrangère aux désordres de la Fronde; et la puissance
de Louis XIV ne commença à s'élever que lorsque après
avoir vaincu l'Espagne il forma avec la maison alors ré-
gnante dans ce royaume une alliance qui dans la suite fit
passer cette couronne sur la tête de son petit-fils. Cet
acte de sa prévoyante politique a valu aux deux con-
trées un siècle de paix après trois siècles de guerre.
« Mais cet état de choses a cessé avec la cause qui
l'avait fait naître j la Révolution française a brisé le
lien permanent qui unissait les deux nations. Et lors
de la troisième coalition, lorsque l'Espagne prodi-
guait à la France des protestations d'amitié, elle
promettait secrètement son assistance aux coalisés,
— 255 —
comme l'ont fait connaître les pièces communiquées
au parlement d'Angleterre. Le ministère anglais se
détermina par ce motif à ne rien entreprendre contre
l'Amérique espagnole, regardant déjà l'Espagne
comme son alliée, et l'Espagne, ainsi que l'Angle-
terre, présageant la défaite de vos armées. Les événe-
ments trompèrent cette attente, et l'Espagne resta
amie.
« A l'époque de la quatrième coalition l'Espagne
montra plus ouvertement ses dispositions hostiles, et
trahit par un acte public le secret de ses engagements
avec l'Angleterre. On ne peut oublier cette fameuse
proclamation qui précéda de neuf jours la bataille
d'Iéna, par laquelle toute l'Espagne était appelée aux
armes, lorsque aucun ennemi ne la menaçait, et qui
fut suivie de mesures promptement effectuées, puis-
que l'établissement militaire de ce royaume fut porté
de cent dix-huit mille hommes à cent quarante mille.
Alors le bruit s'était répandu que l'armée de Votre
Majesté était cernée, que l'Autriche allait se déclarer
contre elle; et l'Espagne crut pouvoir aussi se déclarer
impunément. La victoire d'Iéna vint confondre ses
projets.
« Le moment est arrivé de donner à la France, du
côté des Pyrénées, une sécurité invariable; il faut
que, si jamais elle se trouve exposée à de nouveaux
dangers, elle puisse, loin d'avoir à craindre l'Espa-
gne, attendre d'elle des secours, et qu'au besoin les
armées espagnoles marchent pour la défendre.
(c Dans son état actuel l'Espagne, mal gouvernée,
sert mal, ou plutôt ne sert point la cause commune
contre l'Angleterre. Sa marine est négligée; à peine
compte-t-on quelques vaisseaux dans ses ports, et ils
sont dans le plus mauvais état; les magasins man-
quent d'approvisionnements; les ouvriers et les ma-
— 256 —
telots ne sont pas payés; il ne se fait dans ses ports
ni radoubs ni constructions , ni armements. Il règne
dans toutes les branches de l'administration le plus hor-
rible désordre; toutes les ressources de la monarchie
sont dilapidées; l'État, chargé d'une dette énorme,
est sans crédit; les produits de la vente des biens du
clergé, destinés à diminuer cette dette, ont une autre
destination; enfin, dans la pénurie de ses moyens,
l'Espagne, en abandonnant totalement sa marine,
s'occupe cependant de l'augmentation de ses troupes
de terre. De si grands maux ne peuvent être guéris
que par de grands changements.
« L'objet le plus pressant des sollicitudes de Votre
Majesté est la guerre contre l'Angleterre. L'Angleterre
annonce ne vouloir se prêter à aucun accommodement.
Toutes les ouvertures de Votre Majesté ont été repous-
sées ou négligées. L'impuissance de faire la guerre
déterminera seule l'Angleterre à conclure la paix. La
guerre contre elle ne peut donc être poussée avec
trop de vigueur. L'Espagne a des ressources mari-
times qui sont perdues pour elle et pour la France;
il faut qu'un bon gouvernement les fasse renaître, les
améliore par une judicieuse organisation, et que
Votre Majesté les dirige contre l'ennemi commun pour
arriver enfin à cette paix que l'humanité réclame,
dont l'Europe entière a si grand besoin. Tout ce qui
conduit à ce but est légitime. L'intérêt de la France ,
celui de l'Europe continentale ne permettent pas à
Votre Majesté de négliger les seuls moyens par les-
quels la guerre contre l'Angleterre peut être pour-
suivie avec succès.
« La situation actuelle de l'Espagne compromet la
sûreté de la France et le sort de la guerre contre l'An-
gleterre : le pays de l'Europe qui offre le plus de
moyens maritimes est celui qui en a le moins.
— 257 —
«Sire, l'Espagne sera pour la France une amie
sincère et fidèle, et la guerre contre l'Angleterre ne
pourra être continuée avec l'espérance d'arriver à la
paix que lorsqu'un intérêt commun unira les deux
maisons régnant sur la France et sur l'Espagne. La
dynastie qui gouverne l'Espagne, par ses affections,
ses souvenirs, ses craintes, sera toujours l'ennemie
cachée de la France; ennemie d'autant plus perfide
qu'elle se présente comme amie, cédant tout à la
France victorieuse, prête à l'accabler du moment où
sa destinée deviendrait incertaine.
« Il faut, pour l'intérêt de l'Espagne comme pour
celui de la France, qu'une main ferme vienne réta-
blir l'ordre dans son administration, dont le désordre
a avili son gouvernement, et prévenir la ruine vers
laquelle elle marche à grands pas. Il faut qu'un
prince ami de la France par sentiment, par intérêt,
n'ayant point à la craindre, et ne pouvant être un
objet de défiance pour elle, consacre toutes les res-
sources de l'Espagne à sa prospérité intérieure, au
rétablissement de sa marine, au succès de la cause
qui lie l'Espagne à la France et au continent. C'est
l'ouvrage de Louis XIV qu'il faut recommencer.
« Ce que la politique conseille, la justice l'autorise.
L'Espagne s'est réellement mise en guerre avec Votre
Majesté : ses intelligences avec l'Angleterre étaient
un acte hostile; sa proclamation du 5 octobre une véri-
table déclaration de guerre, qui aurait été suivie d'une
agression si Votre Majesté n'avait pas vaincu à léna.
Alors les départements de la gauche de la Loire, que
Votre Majesté avait laissés sans troupes, auraient été
obligés d'accourir pour repousser ce nouvel ennemi.
« Les commerçants français en Espagne avaient
perdu leurs anciens privilèges ; les lois de douane
étaient dirigées principalement contre le commerce
XI 17
— 258 —
français; elles étaient remarquables par leur arbitraire
et leurs perpétuelles variations. Ces variations ne
pouvaient être connues; elles n'avaient aucune publi-
cité; ce n'était que dans les bureaux des douanes
que l'on apprenait que la loi de la veille n'était plus
celle du lendemain. Les marcbandises confisquées,
souvent sans prétexte, n'étaient jamais rendues;
toutes les réclamations faites par des Français, ou
pour des intérêts français étaient repoussées. Pendant
que l'Espagne faisait ainsi la guerre en détail aux
Français et à leur commerce, tous ses ports, et prin-
cipalement ceux du golfe de Gascogne, étaient ouverts
au commerce anglais. Les lois de blocus, proclamées
en Espagne comme en France, n'étaient qu'un moyen
de plus de favoriser cette contrebande des Anglais,
dont les marchandises se répandaient de l'Espagne
dans le reste de l'Europe.
(( Mais, indépendamment des considérations que
je viens de retracer, les circonstances actuelles ne
permettent pas à Votre Majesté de ne point intervenir
dans les affaires de ce royaume. Le roi d'Espagne a
été précipité de son trône; Votre Majesté est appelée
à juger entre le père et le fils. Quel parti prendra-t-elle?
Voudrait-elle sacrifier la cause des souverains, et
permettre un outrage fait à la majesté du trône? Vou-
drait-elle laisser sur le trône d'Espagne un prince
qui ne pourra se soustraire au joug des Anglais qu'au-
tant que Votre Majesté entretiendra constamment une
armée puissante en Espagne? Si, au contraire, Votre
Majesté se détermine à replacer Charles IV sur son
trône, elle sait qu'elle ne peut le faire sans avoir à
vaincre une grande résistance, et sans faire couler le
sang français. Ce sang, que la nation prodigue pour
la défense de ses propres intérêts, peut- il être versé
pour l'intérêt d'un roi étranger dont le sort n'importe
— 259 —
nullement à la France? Enûn Votre Majesté peut-elle,
ne prenant aucun intérêt à ces grands différends,
abandonner la nation espagnole à son sort, lorsque
déjà une extrême fermentation l'agite, et que l'Angle-
terre y sème le trouble et l'anarchie? Votre Majesté
doit-elle laisser cette nouvelle proie à dévorer à l'An-
gleterre? Non, sans doute. Ainsi Votre Majesté, obli-
gée de s'occuper de la régénération de l'Espagne d'une
manière utile pour ce royaume, utile pour la France ,
ne doit donc ni rétablir au prix de beaucoup de sang
un roi détrôné , ni abandonner l'Espagne à elle-même;
car dans ces deux dernières hypothèses ce serait la
livrer aux Anglais, dont l'argent et les intrigues ont
amené les déchirements de ce pays.
« J'ai exposé à Votre Majesté les circonstances qui
l'obligent à prendre une grande détermination. La
politique la conseille, la justice l'autorise, les trou-
bles de l'Espagne en imposent la nécessité. Votre Ma-
jesté doit pourvoir à la sûreté de son empire, et sau-
ver l'Espagne de l'influence de l'Angleterre.
(' Je suis avec respect, etc.
« Signé Ghampagny. »
Second rapport fait à l'Empereur par le ministre des Relations
Extérieures.
« Paris, le 1"" septembre 1808.
i< Sire, j'ai l'honneur de proposer à Votre Majesté
de communiquer au Sénat les deux traités qui ont mis
la couronne d'Espagne entre ses mains, et la Consti-
tution que sous ses auspices , et éclairée par ses lu-
mières, la Junte rassemblée à Bayonne, après de
mûres et libres délibérations , a adoptée pour la gloire
— 260 —
du nom espagnol, et la prospérité de ce royaume et
de ses colonies.
{( Si, dans les dispositions que Votre Majesté a
faites, la sécurité de la France a été votre soin prin-
cipal, l'intérêt de l'Espagne lui a cependant été cher,
et, en unissant les deux États par l'alliance la plus
intime, la prospérité et la gloire de l'un et de l'autre
étaient également le but qu'elle se proposait. Les
troubles qui se manifestaient alors en Espagne exci-
taient particulièrement la sollicitude de Votre Majesté ;
elle en craignait les progrès; elle en prévoyait les
funestes conséquences ; elle espérait les prévenir par
des moyens de persuasion et par des mesures d'une
sage et humaine politique. Votre Majesté intervenait
comme médiateur au milieu des Espagnols divisés; elle
leur montrait d'un côté l'anarchie qui les menaçait, de
l'autre l'Angleterre s'apprêtant à profiter de leurs di-
visions pour s'approprier ce qui est à sa convenance;
elle leur indiquait le port qui devait les sauver de ce
double danger, une Constitution sage, prévoyante,
propre à pourvoir à tous les besoins, et dans laquelle
les idées libérales se conciliaient avec les institutions
anciennes dont l'Espagne désire la conservation.
« L'attente de Votre Majesté a été trompée. Des in-
térêts particuliers , les intrigues de l'étranger, son or
corrupteur, ont prévalu. Pourquoi est-il si facile , en
déchaînant leurs passions, de conduire les peuples à
leur propre ruine! Dans un précédent rapport j'ai
fait connaître à Votre Majesté l'influence qu'acqué-
raient les Anglais en Espagne, le parti nombreux
qu'ils s'étaient formé, les amis qu'ils s'étaient faits
dans les ports de commerce, surtout par l'appât du
rétablissement des relations commerciales ; je les
avais montrés à Votre Majesté auteurs du mouvement
qui avait renversé le trône de Charles IV, et fauteurs
— 261 —
des désordres populaires qui prirent naissance à cette
époque. Ils avaient brisé le frein salutaire qui, pour
son intérêt, tient le peuple dans la soumission. La
populace espagnole, ayant secoué le joug de l'auto-
rité, aspirait à gouverner. L'or des Anglais, les in-
trigues des agents de l'Inquisition, qui craignaient
de perdre leur empire, l'influence des moines, si
nombreux en Espagne, et qui redoutaient une ré-
forme, ont dans ce moment de crise occasionné l'in-
surrection de plusieurs provinces espagnoles, dans
lesquelles la voix des hommes sages a été méconnue
ou étouffée, et plusieurs d'entre eux rendus victimes
de leur courageuse opposition aux désordres populai-
res ; et on a vu une épouvantable anarchie se répandre
dans la plus grande partie de l'Espagne. Votre Majesté
permettra-t-elle que l'Angleterre puisse dire: l'Espagne
est une de mes provinces; mon pavillon , chassé de la
Baltique, des mers du Nord, du Levant, et même des
rivages de Perse, domine aux portes de France... i
u Non, jamais, Sire ! Pour prévenir tant de honte
et de malheurs, deux millions de braves sont prêts,
s'il le faut, à franchir les Pyrénées, et les Anglais
seront chassés de la presqu'île.
« Si les Français combattent pour la liberté des
mers, il faut, pour la conquérir, commencer par ar-
racher l'Espagne à l'influence des tyrans des mers.
« S'ils combattent pour la paix, ils ne peuvent
l'obtenir qu'après avoir chassé de l'Espagne les en-
nemis de la paix,
« Si Votre Majesté , embrassant l'avenir comme le
présent, aspire au noble but de laisser après elle son
empire calme, tranquille, et environné de puissances
amies, elle doit commener par assurer son influence
sur les Espagnes.
« Enfin, si l'honneur est le premier sentiment
— 262 —
comme le premier bien des Français , il faut que
Votre Majesté tire une prompte vengeance des outra-
ges faits au nom français, et des atrocités dont un si
grand nombre de nos compatriotes ont été victimes.
Des Français établis en Espagne depuis plus de qua-
rante ans , exerçant en paix leur utile industrie, et re-
gardant presque l'Espagne comme leur patrie, ont été
massacrés; partout les propriétés françaises ont été en-
levées; les agents consulaires de Votre Majesté ont
éprouvé un traitement qu'ils n'auraient pas redouté
dans les pays les plus barbares. De quelle estime, de
quelle considération jouirait en Europe le nom fran-
çais, si, dans un pays si voisin de nous, des injures
aussi atroces et aussi publiques restaient impunies?
Elles doivent être réparées , mais réparées comme il
convient à des Français, par la victoire !
(( Ce n'est pas un faible avantage que la probabilité
de rencontrer enfin les Anglais , de les serrer corps à
corps, de leur faire aussi éprouver les maux de la
guerre, de cette guerre dont ils ignorent les dangers,
puisqu'ils ne la font qu'avec leur or. Les jonglais se-
ront battus, détruits, dispersés, à moins qu'ils ne se
hâtent de fuir, comme ils ont fait à Toulon, au Helder,
à Dunkerque, en Suède, et dans tous les lieux où les
armées françaises ont pu les apercevoir; mais leur ex-
pulsion de l'Espagne sera la ruine de leur cause. Ce
dernier échec aura épuisé leurs moyens , en même
temps qu'anéanti leurs dernières espérances, et la paix
en deviendra plus probable.
« Cependant toute l'Europe fait dans cette lutte des
vœux pour la France.
c< La France et la Russie font cause commune contre
l'Angleterre.
(c Le Danemark soutient avec honneur une lutte
qu'il n'a pas provoquée.
— 263 —
f< La Suède, trahie et abandonnée par l'allié auquel
un Cabinet insensé l'a sacrifiée , a déjà perdu ses plus
importantes provinces, et marche à cette ruine, effet
inévitable de l'alliance et de l'amitié de l'Angleterre.
K Tel sera le sort des insurgés de l'Espagne. Lorsque
la lutte sera sérieusement engagée, les Anglais aban-
donneront l'Espagne, après lui avoir fait le funeste
présent de la guerre civile, de la guerre étrangère , et
de l'anarchie, le plus cruel des fléaux. Ce sera à la sa-
gesse et à la bienfaisance de Votre Majesté à réparer les
maux qu'ils auront faits.
« La Cour de Vienne a constamment témoigné à
Votre Majesté les intentions les plus amicales. Indi-
gnée de la politique de l'Angleterre, elle a voulu rap-
peler son ministre de Londres, renvoyer le ministre
anglais qui était à Vienne, fermer ses ports à l'Angle-
terre, et se mettre avec elle en état d'hostilité. Elle
vient d'ajouter à ces mesures en interdisant dans ses
ports l'admission des bâtiments qui, sous pavillon
neutre, ne sont que les colporteurs des denrées et des
marchandises anglaises. Votre Majesté a cultivé ces
dispositions bienveillantes ; elle a témoigné à la Cour
de Vienne amitié et confiance, et plusieurs fois elle
lui a fait connaître que la France prend à sa prospé-
rité un véritable intérêt. Cependant vers ces derniers
temps cette puissance a porté ses armements outre
mesure : ses forces militaires sont aujourd'hui hors
de toute proportion avec sa population et ses finances.
Vos ministres , Sire , n'ont voulu le remarquer que
pour faire sentir à Votre Majesté la nécessité d'aug-
menter ses forces, afin de conserver toujours la supé-
riorité relative qui existe entre la puissance et la po-
pulation des deux empires.
« Une nouvelle révolution a éclaté à Constantinople.
Le sultan Mustapha a été déposé.
— 264 —
« Les Américains, ce peuple qui mettait sa fortune,
sa prospérité et presque son existence dans le com-
merce, ont donné l'exemple d'un grand et courageux
sacrifice ; ils se sont interdit par un embargo général
tout commerce, toute navigation, plutôt que de se sou-
mettre honteusement à ce tribut que les Anglais pré-
tendent imposer aux navigateurs de toutes les nations.
« L'Allemagne, l'Italie , la Suisse , la Hollande sont
paisibles, et n'attendent que la paix maritime pour se
livrer à toute leur industrie.
« Cette paix est le vœu du monde ; mais l'Angle-
terre s'y oppose , et l'Angleterre est l'ennemie du
monde.
« La nation française, l'Europe entière savent tous
les efforts de Votre Majesté pour la paix; elles savent
que ses entreprises sont le résultat immédiat de l'inu-
tilité des tentatives qu'elle a faites pour l'obtenir.
(( Le dévouement du peuple français est sans bornes,
et c'est surtout dans cette circonstance , qui intéresse
si essentiellement son honneur et sa sûreté, qu'il fera
éclater ses sentiments , et qu'il se montrera digne de
recueillir l'héritage de gloire et de bonheur que Votre
Majesté lui prépare.
« Je suis avec respect, etc.
« Sig7ié Champagny. »
( Le ministre donne connaissance au Sénat des tfmtés
conclus avec le roi d'Espagne^ Charles IV, et son pis
le prince des Asturies.)
— 265 —
Rapport fait à l'Empereur par le ministre de la Guerre.
« Du r"" septembre 1808.
« Sire , j'ai l'honneur de soumettre à Votre Majesté
l'état de situation de ses armées en Pologne, enPrusse
et enSilésie, en Danemark, en Dalmatie, en Albanie,
en Italie, àNaples, et dans lesEspagnes; j'y joins
celui de ses armées de réserve à Boulogne , sur les
côtes, sur le Rhin, et dans l'intérieur.
•j Votre Majesté verra que jamais la France n'a eu
de plus nombreuses et de plus belles armées , et que
jamais elles n'ont été mieux entretenues ni mieux
approvisionnées.
« Cependant les divers événements qui ont eu lieu
en Espagne ont produit une perte assez considérable;
résultat de l'opération, aussi inconcevable que pénible
pour l'honneur français, du corps du général Dupont.
Votre Majesté a fait connaître l'intention où elle était
de réunir plus de deux cent mille hommes au delà des
Pyrénées, sans cependant affaiblir ni ses armées
d'Allemagne ni celle de Dalmatie.
(( Pour arriver à ce but une levée de qualrc-vingt
mille hommes paraît indispensable. Votre Majesté
ne peut prendre ces quatre-vingt mille hommes que
dans les quatre classes de la conscription des années
1806, 1807, 1808 et 1809.
« Il est constaté, par les registres tenus dans mon
ministère, qu'indépendamment des hommesqui se sont
mariés depuis quatre ans, la conscription de ces années
pourraitencore en fournir six cent mille. En faisant sur
ce nombreunelevéedequatre-vingtmillehommes. Votre
Majesté aura appelé un conscrit sur sept, et les cadres
de l'armée se rempliront de soldats de vingt-un , de
— 266 —
vingt-deux et de vingt-trois ans, c'est-à-dire d'hommes
faits et prêts à supporter les fatigues de la guerre.
(( Il n'a point échappé à la prévoyance de Votre
Majesté qu'un tel accroissement de forces nécessiterait
une augmentation de dépense de plusieurs millions
pour le département de la Guerre. Votre Majesté ne
veut pas que je l'entretienne de cet objet dans ce rap-
port j son ministre des Finances s'est chargé d'y faire
face sans augmenter en aucune manière les imposi-
tions établies par la dernière loi.
« Il est vrai, Sire, que l'usage suivi dans ces der-
nières années aurait pu jusqu'à un certain point porter
une partie de vos peuples à se regarder comme libérés
du devoir de la conscription, du moment où ils au-
raient, sur la masse totale, fourni le contingent de-
mandé pour l'année, et sous ce rapport ce que je pro-
pose à Votre Majesté semblerait exiger de la part de
ses sujets un sacrifice. Mais , Sire, il n'est personne
qui ne sache qu'aux termes des lois. Votre Majesté se-
rait autorisée à appeler sous ses drapeaux la totalité
de la conscription non-seulement des quatre dernières
années, mais même des années antérieures j et quand
il s'agirait d'un sacrifice réel, quel est le sacrifice que
Votre Majesté n'ait pas le droit d'attendre de l'amour
de ses peuples ? Qui de nous ignore que Votre Majesté
se sacrifie elle-même entièrement pour le bonheur de
la France, et que de la prompte réussite de ses grands
desseins dépend le repos du monde , sa sûreté future
et le rétablissement de la paix maritime, sans laquelle
il n'est pour la France ni calme ni tranquillité ?
a En proposant à Votre Majesté de déclarer que
désormais aucun rappel de conscription antérieure
n'aura lieu , je ne fais , Sire , que prévenir vos vues
paternelles.
f( Je crois utile de proposer en même temps à Votre
— 267 —
Majesté de décréter la levée de la conscription de 1 81 0,
et d'en déterminer le nombre dès ce moment à quatre-
vingt mille, afin de former au besoin des camps de
réserve, et de garder nos cotes au printemps. Cette
conscription ne serait levée que dans le cas où Votre
Majesté aurait à craindre la guerre de la part d'autres
puissances, et elle ne le serait pas avant le mois de
janvier prochain.
« Sire , c'est un malheur attaché à la situation ac-
tuelle de l'Europe que, lorsqu'une puissance sort de
l'état de forces que comporte sa population, les autres
puissances ne peuvent se dispenser d'augmenter le
leur dans la même proportion.
« L'Angleterre , indépendamment de l'immense
quantité de ses matelots, a plus de deux cent mille
hommes sur pied ; elle ne s'occupe à toutes les ses-
sions de sa législature que de l'accroissement de ses
troupes de terre. Les forces de l'Autriche ont été con-
sidérablement augmentées. La France, quoiqu'elle ait
des armées plus nombreuses que toutes les autres
puissances , a cependant moins d'hommes sous les
armes qu'aucune d'elles relativement à sa population.
« Votre ministre des Relations Extérieures m'a assuré
qu'une étroite alliance existait entre Votre Majesté et
la Russie. Les armements de l'Autriche avaient sou-
vent excité ma sollicitude; le ministre y a répondu en
me donnant la certitude que les meilleurs rapports
existaient avec l'Autriche , et qu'il fallait regarder ses
levées, soit comme des précautions , soit comme le
résultat des craintes que s'efforcent de faire naître
dans toutes les Cours de l'Europe les nombreux agents
que l'Angleterre soudoie encore sur le Continent.
« Mais s'il n'appartient pas à mon ministère d'ap-
profondir les vues et les intérêts des Cours, et de pé-
nétrer dans le labyrinthe de la politique , il n'en est
— -208 '^
pas moins de mon devoir de ne rien négliger pour
que les armées de Votre Majesté conservent sur tous
les points toute la supériorité qu'elles peuvent avoir.
Celles d'Albanie et de Dalmatie , de Danemark et de
l'Elbe ne peuvent point éprouver de diminution dans
les circonstances actuelles.
« Les dispositions que je propose à Votre Majesté
donnent à l'armée d'Espagne deux cent mille hommes
sans affaiblir les autres armées; de sorte que, malgré
l'accroissement de nos forces au delà des Pyrénées,
lorsque la conscription de 1810 viendra à être levée,
Votre Majesté aura accru ses armées d'Allemagne, du
Nord et de l'Italie , de plus de quatre-vingt mille
hommes.
« Et quand, pour éviter la crise où l'a entraîné une
politique aussi fausse que passionnée , le gouverne-
ment anglais , s'agitant de toutes parts, ne craint pas
de réunir aux ressources qu'il tire de ses vastes finances
et de ses nombreuses flottes toutes les armes de l'in-
trigue , de la corruption et de l'imposture, qu'y au-
rait-il d'extraordinaire que l'immense population de
la France offrît le spectacle d'un million d'hommes
armés, prêts à punir l'Angleterre et tous ceux qu'elle
aurait séduits , et présentant partout cette masse de
forces pour couvrir du même bouclier l'honneur et la
sûreté de la France ?
«Quel autre résultat, Sire, devra-t-on attendre
d'armées si nombreuses et d'une position si formi-
dable , si ce n'est le prompt rétablissement du calme
en Espagne, celui de la paix maritime , et cette tran-
quillité générale, l'objet des vœux constants de Votre
Majesté? Beaucoup de sang aura été épargné, parce
que beaucoup d'hommes auront été prêts à en répan-
dre ; un bonheur permanent , préparé par les combi-
naisons de votre puissant génie, sera l'effet, Sire, des
— 269 —
nouvelles preuves d'amour et de dévouement que vous
donneront vos peuples , et de la noble contenance de
cette nation que Votre Majesté a désignée sous le nom
de grande à la postérité.
« Ministre de la Guerre, et à ce titre organe des sol-
dats français, qu'il me soit permis, Sire , d'être l'in-
terprète de leurs sentiments pour vous. Votre Majesté
nous verra toujours prêts à sacrifier notre vie pour sa
gloire, qui est inséparable de la gloire nationale, à
laquelle elle a tant ajouté , et pour les grands intérêts
de la patrie.
« Je suis avec respect, etc.
« Signé comte d'HuNEBOURC. »
Motifs du sénatus-consuîte qui met à la disposition du Gou-
vernement cent soixante mille conscrits , savoir : vingt mille
sur chacune des années 1806, 1807, 1808, 1809, et quatre-
vingt mille, sur l'année 1810; exposés par M. le comte Re-
GNAULT (de Saim-Jeais-d'Angely ), Conseiller d'État.
« Monseigneur, sénateurs, vous avez vu continuer
avec succès et avec gloire cette lutte honorable oh la
France combat , pour le droit des nations et l'indé-
pendance de l'Europe, contre l'Angleterre usurpant la
domination des mers et le monopole du commerce du
monde.
« D'un côté l'empire français , uni à ses alliés, dé-
ploie tout ce que le génie a de puissance, tout ce que
la nation a d'énergie , tout ce que les armées ont de
bravoure, tout ce que le peuple a de dévouement.
« Le ministère anglais épuise, d'un autre côté, tout
ce que l'intrigue a d'activité, tout ce que la mauvaise
foi a d'astuce, tout ce que la corruption a d'odieux,
tout ce que l'inhumanité a de cruel.
'.. — 270 —
« C'est à l'aide de ces moyens que l'Angleterre re-
tarde encore cette union générale du Continent, cette
ligue universelle de l'Europe qui menace sa tyrannie
maritime, et qui doit la détruire.
K Déjà les côtes de France , de Russie , d'Italie ,
d'Allemagne, de Turquie, sont interdites à la Grande-
Bretagne.
« Mais elle a obtenu le honteux succès d'amener
l'Espagne à la guerre civile par l'anarchie, et son uni-
que objet dans ce nouvel attentat est d'ouvrir à ses
marchandises un accès sur le Continent.
« 11 faut le lui fermer; il faut que les armes achè-
vent d'exécuter dans les Espagnes l'arrêt d'exil pro-
noncé par le Continent contre les Anglais 1
« Sans doute , messieurs , et vous venez d'en avoir
l'assurance par le rapport du ministre de la Guerre ,
nos armées , dans leur état actuel , pourraient fournir
toutes les forces nécessaires à l'accomplissement de
cette résolution sans compromettre la sûreté et la gloire
de l'empire.
« Toutefois, il est des règles que la sagesse ne per-
met pas de violer, et en assurant la prompte pacifica-
tion des Espagnes par l'action d'une force puissante,
il ne faut pas laisser craindre l'affaiblissement de nos
armées en Allemagne , quand une puissance voisine
s'est occupée de fortifier les siennes.
« Il faut donc en même temps pourvoir à une aug-
mentation actuelle et à une augmentation à venir de
nos armées.
« Afin de remplir les besoins du moment, la justice
et la sagesse se réunissent pour conseiller un appel
sur les conscriptions précédentes.
(f Sa Majesté n'a pas jugé convenable de remonter
au delà des quatre dernières années.
« Elle a pensé qu'on pouvait appeler vingt mille
— 271 —
hommes sur chaque classe, ou quatre-vingt mille sur
les quatre classes, dont le nombre total était d'un mil-
lion cinq cent huit mille huit cent vingt-sept, et sur
lesquelles on n'a levé que trois cent vingt mille deux
cent soixante et dix hommes.
« Les conscrits mariés avant l'appel resteront dans
leurs foyers, et une disposition positive rendra à une
liberté absolue toutes les classes de conscrits des an-
nées antérieures, jusques et y compris l'an xiv.
« Cette levée, messieurs, d'après le mode suivi pour
les tirages pendant les années sur lesquelles elle est
prise, sera effectuée avec facilité, et employée avec
avantage.
« Elle sera effectuée avec facilité , puisque tous les
conscrits ont leur numéro , et que le contingent de
chaque canton , étant déterminé , sera rempli sans
aucune des formes préalables auxquelles il a déjà été
pourvu.
« Elle sera employée avec avantage , parce que les
hommes qui la composeront, parvenus à la force de
l'âge, seront bien plus propres à remplir les devoirs
et à supporter les fatigues de la vie militaire.
« Après avoir pourvu au présent par cette levée. Sa
Majesté a jugé convenable de satisfaire en même temps
à la prévoyance en appelant conditionnellement quatre-
vingt mille hommes sur la conscription de 1 81 0.
« Cette partie des forces dont vous êtes appelés,
messieurs, à voter la disposition, ne sera levée qu'a-
près le 1" janvier prochain, et destinée qu'à la défense
des côtes, à moins qu'une agression nouvelle n'en né-
cessite plus promptement l'emploi.
« Les armées de Sa Majesté auront ainsi , messieurs,
la force positive et la force éventuelle nécessaires pour
rendre la paix à l'Espagne, la maintenir dans le reste
de l'Europe, en imposer si la France était menacée,
— 272 —
vaincre si elle était attaquée, et déconcerter les efforts
de l'intrigue par l'appareil de la puissance.
« Et ce nouveau développement donné à notre sys-
tème militaire s'opérera pourtant sans augmentation
dans les impositions publiques.
« Les subsides votés par la dernière loi de finances
sufiisent pour pourvoir à tous les besoins.
i( Tel est donc l'avantage de notre position, que ,
quand on ne peut dans les États voisins combattre ou
menacer la France sans excéder par des levées d'bom-
mes la proportion de la population, sans épuiser les
ressources des finances et employer celle du papier-
monnaie, il sullit à Sa Majesté de rapprocher les ar-
mées de leur proportion avec la population de son em-
pire, et d'user des ressources pécuniaires que l'ordre,
l'économie et la prévoyance lui ont ménagées.
« N'en doutez pas cependant, sénateurs, Sa Majesté
a calculé dans sa sollicitude, et évalué, dans son amour
pour ses peuples, l'étendue des sacrifices que la gloire
et la sûreté nationale prescrivent à la sagesse et à !a
prudence du souverain de demander.
« Mais vous le savez, messieurs, on assure le triom-
phe en multipliant les moyens de l'obtenir ; on achète
moins chèrement la victoire quand on la dispute moins
longtemps; on évite même la nécessité de vaincre en
montrant qu'on en a la puissance; et le cœur de Sa
Majesté est avare du sang de ses sujets autant qu'at-
tentif à leur sûreté et soigneux de leur gloire. >j
(^Le Sénat renvoie ces différentes communications ^ ainsi
que le projet de sénatus-consulte, à une commission com-
posée de MM» les comtes Lacépède, Saint-Vallier, G. Gar-
nier, le maréchal duc de Dantzick, et le comte Colchen;
et la séance est ajournée au ]0 du même mois pour en-
tendre le rapport de cette commission. )
— 273 —
Rapport fait au Sénat par le comte de Lacépède (séance du
10 septembre ISOS , présidée par l'archichancelier.)
« Monseigneur, sénateurs, vous avez renvoyé à votre
commission spéciale le message de Sa Majesté Impé-
riale et Royale, les traités relatifs à l'Espagne, les
Constitutions acceptées par la Junte espagnole, les
rapports des ministres des Relations Extérieures et de
la Guerre sur la situation de l'Europe et sur celle des
armées de Sa Majesté dans les différentes parties du
monde, et le projet de sénatus-consulte qui vous a été
présenté au nom de l'Empereur par les orateurs du
Conseil d'État.
« Quels grands objets, sénateurs, vous avez aujour-
d'hui sous les yeux, et dans quelle circonstance vous
êtes appelés à délibérer !
« Vous avez admiré les plans de la sagesse du mo-
narque et l'étendue de sa prévoyance.
« Vous vous êtes plu à considérer le spectacle de sa
puissance en voyant ses nombreuses et si redoutables
armées pleines d'ardeur et de force , et n'attendant
qu'un signal pour exécuter ses ordres.
« Comme le peuple français, vous partagez tous ses
sentiments.
« Vous éprouvez une vive satisfaction de l'alliance
de Sa Majesté Impériale et Royale avec l'empereur de
Russie, et de la constance des résolutions de ce grand
monarque contre les ennemis de l'Europe et du monde.
« Vous espérez , avec l'Empereur, que la paix du
continent ne sera pas troublée.
« Mais il ne veut pas que la destinée de la France
dépende des faux calculs que pourraient faire des Cours
étrangères qu'entraînerait ce gouvernement insu-
laire qui, depuis tant d'années, cause tous les maux
XI 18
— 274 —
qui ont affligé le monde; et la volonté du peuple fran-
çais est la même que celle de son Empereur.
f( Une puissance , malgré la confiance que doivent
inspirer ses dispositions amicales et les rapports qui
existent entre elle et la France , a élevé ses forces mi-
litaires au-dessus de toute proportion avec sa popula-
tion et ses finances.
« Des secousses terribles ne cessent d'agiter le trône
sanglant de Constantinople, et ces commotions peuvent
ébranler de vastes contrées.
(( L'anarchie , ce monstre aveugle et féroce dont le
génie de Napoléon a délivré la France, vient d'allumer
ses brandons et d'élever ses échafauds au milieu des
Espagnes.
(( L'Angleterre s'est empressée d'y précipiter ses
phalanges, et de mêler ses drapeaux aux enseignes
hideuses des satellites de la terreur.
« Prodiguant son or corrupteur, ses récits menson-
gers, et ses promesses plus mensongères encore, elle
cherche à étendre le terrible incendie qu'elle a allumé.
« Ce n'est qu'en éteignant ces feux sur tous les points
qu'ils dévorent, ce n'est qu'en détruisant les cohortes
britanniques que l'Empereur peut garantir la sécurité
de la France, et conquérir cette paix maritime, cette
paix générale qui seule donnera à la France et à l'Eu-
rope le repos si nécessaire à leur prospérité.
« Ce n'est qu'alors que les vœux de l'Empereur et
les vôtres pourront être remplis.
K Napoléon veut hâter, par le déploiement de toute
sa puissance, cette époque fortunée.
(c Grâces immortelles lui en soient rendues!
« L'Angleterre a juré que le commerce du continent
serait anéanti , que l'industrie de la France périrait ,
qu'elle seule ferait le commerce du monde , asservi à
son monopole.
— 275 —
« Ses serments seront vains.
«Déjà nos véritables ennemis , aveuglés par leur
orgueil insensé, viennent se livrer dans les mains
du héros de la France.
« L'Océan environnait leur asile d'une barrière que
leurs vaisseaux faisaient regarder comme difficile à
franchir.
« Dans le délire de leurs vains projets , ils ont osé
la franchir eux-mêmes, et se présenter sur les bords
espagnols.
« Ah ! du moins qu'une fois ils renoncent à leur
système d'alliance trompeuse et d'amitié perfide !
qu'ils n'abandonnent pas tout d'un coup les Espagnols
égarés comme ils ont délaissé tous ceux qui ont
compté sur leur foi ! qu'ils ne se hâtent pas de fuir
comme à Toulon, à Dunkerque, à Quiberon, au Hel-
der, dans le Hanovre, en Calabre, et partout où ils ont
vu de loin le vol des aigles françaises? que, tous réu-
nis sur la péninsule espagnole, ils attendent les sol-
dats français, et que la fin de la guerre d'Espagne soit
en même temps la fin de la guerre du monde!
« Et cependant quels sont dans ces provinces espa-
gnoles les alliés de l'Angleterre ?
« L'ignorance, le fanatisme et la cruauté.
« Que paraît-elle vouloir y soutenir? Le règne de la
superstition; elle qui, au lieu de donner aux catholi-
ques d'Irlande la jouissance de leurs droits impres-
criptibles, les a condamnés aux persécutions et à
l'exil!
« Ou sont maintenant en Espagne les descendants
de ces braves Castillans qui ont fait l'admiration du
monde? Où sont ces Espagnols nobles et généreux, il-r
lustres par leur naissance, respectables par leurs di-
gnités , recommandables par leurs lumières , vénérés
par leurs vertus bienfaisantes? Dans la tombe où les a
— 276 —
précipités la hache des insurgés, aiguisée par des An-
glais; ou dans les fers d'une populace effrénée, et sol-
dée par l'Angleterre; ou dans cet abattement et cette
stupeur qui les livrent sans résistance au torrent d'une
foule insensée, et les abandonnent aujourd'hui à ses
horribles caresses, et demain à ses poignards !
« C'est le bras de l'Empereur qui les délivrera !
« Et ces Français passagers, désarmés, ou corn-
merçants paisibles, qui ont été lâchement massacrés,
c'est le bras de l'Empereur qui vengera leur sang!
« La guerre d'Espagne pourrait-elle être plus forte-
ment commandée par la politique, par la justice, par
la nécessité?
(( Quels droits plus sacrés que des traités solennels
librement proposés , librement consentis , librement
exécutés ? qu'un pacte social librement discuté, libre-
ment accepté et librement juré par une Junte natio-
nale sur les autels du Dieu qui punit les parjures!
« Et d'ailleurs point de sûreté pour la France tant
que l'Espagne ne sera pas son alliée fidèle , et qu'elle
pourra livrer ses ports et ses rivages, si étendus, à l'en-
nemi de la France et du continent.
« Louis XIV ne perdit jamais de vue cette impor-
tante vérité.
(( Dès le moment où il prit les rênes du gouverne-
ment , il fut dirigé par cette pensée profonde ; elle lui
mérita, plus que toute autre, le surnom de grand; et sa
constance à la suivre valut à la France un siècle de
paix avec l'Espagne.
K Ah! combien les ombres royales ôe Louis XIV, de
François P" et du grand Henri doivent être consolées
par la résolution généreuse de Napoléon !
(( Mais si la puissance de Louis XIV et l'étendue de
ses Etats lui avaient permis de montrer dans les Espa-
gues cet appareil redoutable de forces que l'Empereur
— ■ 2T7 —
va y déployer, au lieu d'une guerre qui a pesé pendant
dix ans sur la France et sur l'Espagne , peu de temps
lui aurait sufli pour exécuter ses nobles projets, comme
peu de jours suffiront au plus grand des capitaines pour
faire jouir les Espagnols loyaux, fidèles, et maintenant
opprimés par la terreur, de la liberté civile, du calme,
de la prospérité qui leur est depuis si longtemps in-
connue, de la religion qui leur est chère, et du bon-
heur d'être gouvernés par l'auguste frère de Napoléon,
« Vous vous empresserez , sénateurs , d'adopter le
projet de sénatus-consulte que Sa Majesté Impériale et
Royale vous a fait présenter.
« Vous y reconnaîtrez d'ailleurs la sollicitude de Sa
Majesté Impériale et Royale pour tous les intérêts de la
nation.
« Parmi les conscrits des quatre classes appelées
par le titre premier de ce sénatus-consulte,
« Ceux qui sont mariés ne se sépareront pas de la
nouvelle famille qu'ils ont donnée à l'État ;
« Ceux qui ont été réformés légalement resteront
dans leurs foyers.
« Aucun nouveau contingent ne sera demandé aux
conscrits des années qui ont précédé 1806.
« Les quatre-vingt mille braves qui vont se rendre
à la voix de la patrie ont déjà atteint l'âge où l'on n'a
pas besoin d'être préparé aux fatigues de la guerre .
« Que sont à côté des ressources de la France celles
de ces gouvernements qui , dépensant dans un an les
revenus de plusieurs années, et consommant leurs ca-
pitaux les plus précieux , ne soldent les hommes que
leur pays peut à peine leur fournir qu'avec ces mon-
naies fictives dont la valeur idéale, diminuant chaque
jour, entraîne dans l'abîme et la fortune de l'État et la
richesse des particuliers, et, ce qui est encore plus fu-
neste, la bonne foi de tous !
— 278 —
« L'Empereur fait entendre la voix de la patrie ou-
tragée et de l'honneur blessé; de cet honneur, objet
de l'enthousiasme des nations généreuses , qui avec
tant de raison se regarderaient comme dénuées de tout
si elles pouvaient le perdre , et croient que tout est
sauvé tant qu'elles ne l'ont pas perdu.
i< Les Français vont répondre à cette voix sacrée.
<( Il réclame un nouveau gage de leur amour.
« Avec quelle ardeur ils accourront vers lui?
« Oui, rien ne peut ébranler l'Empereur dans le
devoir qui lui est imposé d'assurer la prospérité de la
France , la tranquillité de nos neveux, la paix de l'Eu-
rope , la gloire de notre patrie ; cette gloire sans la-
quelle un grand peuple ne verrait, dans un avenir as-
sez rapproché, que l'insulte, l'outrage, et un déplora-
ble asservissement !
« Et toujours le Sénat et le peuple seconderont
l'Empereur dans ce qu'il croira devoir entreprendre
pour garantir de si grands intérêts. »
(Sur ce rapport f et immédiatement , le Sénat adopte j
avec .le sénatus-consulte relatif aux levées de conscrits,
le projet d'adresse qui lui est proposé par le comte de
Lacépède. )
Les événements de la Péninsule rendaient pres-
sante, non-seulement cette nouvelle levée d'hommes,
mais encore la prompte réunion de troupes déjà exer-
cées; Napoléon résolut donc de diriger en toute hâte
sur l'Espagne une partie des corps de la grande armée
qui occupaient la Prusse et l'Allemagne ; mais avant
de s'engager ainsi dans une guerre ouverte de l'autre
côté des monts , il voulut assurer sa position du côté
de l'Europe, en resserrant ses liens avec la Russie,
— 279 —
afin d'imposer à l'Autriche, qui , à cette époque, effec-
tuait des armements considérables, manifestement
dirigés contre la France. En conséquence, il fit deman-
der à l'empereur Alexandre une entrevue. Cette propo-
sition ayant été acceptée, un mois après le retour de
Napoléon à Paris , les deux Empereurs se retrouvaient
aux conférences d'Erfurth.
C'est alors que l'Europe vit le spectacle extraordi-
naire d'une réunion de souverains et d'hommes d'État,
telle qu'il n'en avait jamais eu lieu jusqu'alors. Ces
espèces d'assemblées de princes étaient fréquentes dans
le moyen âge, surtout à l'époque des croisades , et à
l'occasion des Diètes germaniques. Elles étaient deve-
nues rares depuis que les intérêts compliqués des mo-
narques ne permettaient plus que les affaires fussent
traitées sans l'entremise de ministres et d'ambassa-
sadeurs.
Le congrès d'Erfurth s'annonçait comme devant ame-
ner de grands changements dans la politique générale;
mais il ne produisit d'autre résultat que ce concert de
mesures qui a été depuis observé dans les Cabinets de
Saint-Pétersbourg et des Tuileries concernant la paix à
faire avec l'Angleterre, les rapports entre la France et
l'Autriche , les affaires de l'Espagne , de l'Italie et de
la Turquie.
A l'exception des communications faites au Cabinet
britannique, et que nous rapporterons tout à l'heure,
rien d'authentique n'a été publié sur les négociations
qui ont eu lieu entre Alexandre P^ ei Napoléon; cepen-
dant il est acquis à l'histoire qu'une convention secrète
a été signée le 12 octobre entre ces deux monarques.
Par ce traité, dont nous insérons plus loin l'analyse,
Napoléon obtint de son allié le consentement à l'élé-
vation de Joseph Bonaparte au trône d'Espagne , ainsi
qu'aux changements effectués en Italie, et la promesse
— 280 —
de faire cause commune avec la France, dans le cas
d'une déclaration de guerre de la part de l'Autriche.
La question d'Espagne avait été déjà discutée à TiUitt
par les deux souverains, mais à un point de vue diffé-
rent, car, il faut ici le dire, cette entreprise finissait
autrement qu Alexandre ne l'avait pensé. Néanmoins,
dans cette nouvelle circonstance, ce monarque faisait
tous les sacrifices qui lui paraissaient devoir conduire
à une paix générale. « La Russie s'y livrait de bonne
foi, dit un ministre de Napoléon, autant par bonne
intention philanthropique, que pour voir la France dés-
armer, et pouvoir elle-même bientôt reprendre des
relations commerciales, de la privation desquelles elle
souffrait trop , le pays ne pouvant s'en passer. »
En échange des concessions de l'empereur Alexan-
dre, Napoléon s'engagea à ne pas s'opposer à la réu-
nion définitive, à l'empire russe, de la Moldavie et
de la Valachie. Nous avons vu que différentes circon-
stances, parfaitement expliquées par l'empereur
Alexandre à l'Envoyé de France Savary^, avaient fait
ajourner l'évacuation de ces provinces, que les troupes
russes auraient dû effectuer à la suite de l'armistice de
Slobodséa, conclu avec les Turcs, en vertu du traité
de Tilsitt; et Ton n'a pas oublié que l'abandon des in-
térêts de la Porte , de la part de Napoléon , était motivé
parle changement des dispositions du Divan à l'égard
de la France. Une révolution du Sérail avait fait périr
le sultan Sélim III, qui était dévoué aux intérêts de
Napoléon. Le nouveau sultan, Mustapha IV, se rappro-
cha au contraire des Anglais, qui réussirent à lui don-
ner de l'ombrage sur l'union intime qui régnait entre
les Cabinets de Pétersbourg et des Tuileries.
Pour ce qui est du projet d'agrandissement en lui-
♦ Voy. t. X, p, 245.
— 281 —
même, de la part de la Russie; du propre aveu des
ministres français, rien de plus légitime. Quand, à l'oc-
cident de l'Europe, la France avait fondé un empire qui
ne connaissait plus de limites ; quand cet empire com-
prenait, non-seulement le territoire enclos entre le
Rhin, les Alpes et les Pyrénées, mais le Piémont, la
Toscane, la Hollande, l'Espagne et une partie des
nations germaniques; quand, d'autre part, l'Angle-
terre envahissait toutes les colonies de la France et de
ses alliés, il était naturel que l'empereur de Russie
voulût , de son côté, donner à ses États une extension
que réclament les intérêts de ses peuples; ainsi donc,
l'annexion des provinces du Danube, ces deux yeux de
la Turquie sur l'Europe , n'était, à vrai dire, qu'un
contre-poids nécessaire à l'exagération des forces de
l'Angleterre et de la France.
La question du partage de l'empire Ottoman fut de
nouveau agitée entre les deux souverains; mais Napo-
léon s'efforça de démontrer à l'empereur Alexandre
l'inopportunité de cette grande entreprise. Depuis Til-
siltt, il avait demandé à son ambassadeur à Cons-
tantinople un rapport sur ce projet, et comme les
conclusions du mémoire très-étendu qu'avait rédigé
le général Sébastiani tendaient au rejet formel de la
proposition du démembrement de l'empire turc , Na-
poléon était fermement résolu à ne pas y consentir. Et
cependant, circonstance importante à recueillir, il
paraît certain que les deux monarques étaient conve-
nus, àErfurth même, « de se constituer un jour, l'un
empereur d'Orient, l'autre empereur d'Occident, et
que le fleuve de l'Elbe formerait la limite entre les
deux empires *. »
• Cette information, que nous avons obtenue d'un des hommes d'État
le mieux initiés aux grands événements de l'époque, doit être rappro-
— 282 —
Tel était l'ensemble des intérêts que les deux souve-
rains avaient à régler; à moins que l'on ne doive y
comprendre un projet d'alliance de famille sur lequel
nous reviendrons, lorsque nous aurons à signaler les
causes de la rupture entre la France et la Russie, En
outre, dans le cours des conférences, l'empereur A/eiran-
dre ne négligea pas l'occasion qui se présentait d'allé-
ger, autant que possible, le sort de la Prusse. Nous avons
dit déjà que l'intervention de ce monarque fit décider
l'éloignement définitif des troupes françaises qui oc-
cupaient encore le pays , et détermina Napoléon à ré-
duire de vingt millions le montant de la dette de la
Prusse.
Quant à l'accession du duc d'Oldenbourg à la con-
fédération du Rhin, qui eut également lieu à Erfurth,
nous avons fait connaître la négociation dont elle avait
été l'objet.
A l'époque des conférences, la Russie était fort
occupée de la guerre de Finlande, et l'Empereur
était au moment de son départ lorsqu'il reçut la nou-
velle d'un grave incident concernant les opérations de
cette guerre. La flotte russe était alors bloquée à Bal-
tisch-Port par les Anglais et les Suédois. Sir James
Saumarez avait proposé à l'amiral Kanikof de laisser
sortir la moitié de sa flotte, à la condition que l'autre
moitié lui serait livrée. L'amiral russe ayant refusé
d'adhérer à cette proposition, les Anglais avaient com-
mencé le bombardement. Toutefois, comme nous le
verrons plus tard, la flotte russe parvint à s'ouvHr
un passage sans avoir perdu un seul bâtiment.
L'empereur Alexandre quitta Saint-Pétersbourg le
14 septembre. Napoléon avait envoyé le maréchal
chée du sens et de l'esprit de l'article onze de la convention secrète du
42 octobre, voy. ci-après p. 288.
— 283 —
Latines pour le recevoir sur la limite des pays occu-
pés par l'armée française, et avait nommé le général
Oudinot gouverneur d'Erfurth. Napoléon arriva dans
cette ville, le 27, vers les dix heures du matin. Après
quelques audiences d'étiquette, il repartit, accom-
pagné d'une suite nombreuse , et s'avança jusqu'à
deux lieues d'Erfurth, où l'on découvrit enfin le cor-
tège de l'empereur Alexandre, qui venait de Weimar,
où il avait séjourné les 25 et 26. Napoléon arriva au
galop , et mit pied à terre pour embrasser l'empereur
de Russie, à la sortie de sa voiture. Les deux souve-
rains avaient échangé les insignes de leurs Ordres. Ils
remontèrent presque aussitôt à cheval, et revinrent en
conversant jusqu'à Erfurth. Toute la population des
campagnes bordait le grand^chemin. Le temps était ma-
gnifique et paraissait sourire à cet événement. L'artille-
rie de rempart les salua, les troupes bordaient la haie,
et toutes les personnes de marque qui étaient venues
pour prendre part à la solennité, se trouvèrent au pa-
lais qui avait été préparé pour l'empereur Alexandre ,
au moment où il venait y mettre pied à terre, accom-
pagné de l'empereur Napoléon.
Peu de jours après, on voyait réunis à Erfurth les
rois de Bavure, de Saxe, de fVûrtemhergy le roi et la
reine de Westphalie, le grand-duc Constantin, frère
d'Alexandre I"", le prince Guillaume de Prusse, le
grand-duc et la grande-duchesse de Bade, la princesse
de Latonr et Taxis, sœur de la reine de Prusse, le
prince Primat, le prince royal de Bavière , les princes
héréditaires de Bade, de Darmstadt, de Mecklenbourg-
Schicérin, et de Mecklenbourg - Strélitz ^ le duc de
Saxe-H^eimar, dont le fils avait épousé la grande-
duchesse Marie, sœur de l'empereur de Russie, et chez
lequel, en quelque sorte avait lieu cette réunion, les
ducs de Saxe-Gotha f de Saxe-Cobourg , de Saxe-Hild-
— 284 —
hourghausen y de Saxe-Meiningen , le duc de Holstein-
Oldenbourg, le duc de Nassau-lJsingen, le prince de
NassaU'Weilhourg f les ducs d'Anhalt, les princes de
Schwartzbourgj de Reuss, de Lippe, de Waldeck, de
Liechtenstein, le duc d'itrenèer^', les princes de Hohen^
zollern, de Salm-Salm, de Salm-Kyrhourg , d'/sem-
bourg, de la Leyen, ainsi que beaucoup d'autres prin-
ces appartenant à ces maisons souveraines.
Parmi les dignitaires et les ministres d'État des
premières puissances , on remarquait les comtes Rou-
mantsof et Speranski , les princes Galitsyne , Gaga-
rine et Troubelzkoîf les comtes Tolstoï, Chow^alofei
Araktscheief, de la Russie ; le comte de Champagny, le
prince de Talleyrand, M. Maret (duc de Bassano) le
prince de Neufchâtel, le maréchal Soult, de la France ;
le comte de Goltz, de la Prusse; le comte de Montge-
las, de la Bavière; le comte de Bose, du Danemark;
le comte de Furstenstein , du royaume de Westphalie ,
le comte de Taube, de Wurtemberg; le comte de Man-
fredini, de Wiirtzbourg ; le comte de Beust, du prince
Primat de la Confédération du Rhin; le baron Thum-
mal, de Saxe-Gotha ; le baron de Hammerstein, d'Ol-
denbourg. Le comte Tolstoï, ambassadeur de Russie ,
et le baron de Dalberg, ministre de Bade à Paris
avaient suivi Napoléon à Erfurth ; le baron de Vincent
y vint en mission spéciale, de la part de l'empereur
d'Autriche; MM. de Caulaincourt , ambassadeur de
France à Saint-Pétersbourg, et de Bourgoing, ministre
à Dresde, s'y rendirent également.
Pendant le séjour que les deux empereurs firent à
Erfurth, Napoléon donna constamment la droite à
l'empereur Alexandre, comme faisant les honneurs et
étant chez lui. Les palais qu'ils occupèrent avaient été
meublés par le garde-meuble de la couronne et dé-
frayés par la liste civile française.
— 285 —
' Tous les jours Napoléon reçut à dîner l'empereur
Alexandre f \e ^Tând-àiic Constantin son frère, et les
souverains. Les principaux acteurs du Théâtre-Fran-
çais donnèrent de nombreuses représentations des
meilleures tragédies , Cinna , Andromaque , Britanni-
cuSf Mithridate; et tout le monde se rappelle la cour-
toisie de l'empereur Alexandre à saisir, dans Œdipe ,
une allusion gracieuse, et qui devait toucher Napoléon,
Les deux empereurs passèrent trois semaines à
Erfurth dans les termes de la plus intime familiarité,
et semblant chaque jour plus empressés, l'un et l'au-
tre, d'accéder au moindre de leurs vœux. C'est ainsi
que Napoléon ayant témoigné quelque désir de voir
changer l'ambassade russe à Paris, l'empereur Alexan-
dre désigna sur-le-champ pour ce poste le prince Kou-
rakinCf alors ambassadeur à Vienne. Le motif énoncé de
cette mutation était « que son prédécesseur, le général
comte Tolstoï, plus militaire que diplomate, s'enga-
geait souvent à Paris dans des discussions de guerre
avec des généraux qui n'étaient pas plus diplomates
que lui, mais aussi bons militaires, et qu'il pouvait
en résulter des inconvénients, en ce que ces généraux
rapportaient comme des paroles d'oracle ce que leur
avait dit l'ambassadeur de Russie. »
A Weimar, dans les journées du 6 et du 7 octobre,
il y eut des chasses, des banquets, des bals qui fu-
rent donnés, avec une grande magnificence, à toute
la Cour d'Erfurth par le duc de Saxe-Weimar.
De retour à Erfurth , Napoléon donna audience au
baron de Vincent, chargé par l'empereur d'Autriche
d'une mission spéciale que nous ferons connaître plus
tard.
C'est le même jour de cette audience , que les plé-
nipotentiaires de France et de Russie , le comte Rou-
manisofei M. deChampagny signèrent une convention
— 286 —
secrétissime, qui peut être regardée comme l'appendice
de la paix de Tilsitt.
Voici l'analyse de ce traité t/w 1 2 octobre 1 808.
L'article premier confirme et au besoin renouvelle
l'alliance de Tilsitt et l'engagement mutuel des deux
Empereurs, aon-seulement de ne faire aucune paix sé-
parée, mais encore de n'entrer avec l'ennemi dans
aucune négociation et de n'écouter aucune proposition
que d'un commun accord.
Par l'article deux^ les parties contractantes, unies
pour la paix comme pour la guerre , conviennent de
nommer des plénipotentiaires pour traiter avec l'An-
gleterre, el de les envoyer, à cet effet, dans telle ville
du continent que l'Angleterre désignera.
L'article trois concerne l'union qu'il importe d'éta-
blir entre les deux plénipotentiaires des deux puis-
sances et le mode à suivre pour maintenir cette union
dans la négociation avec le gouvernement anglais.
D'après l'article quatre^ la base qui sera proposée à
l'Angleterre sera Yuii possidetis.
Les articles cinq et six indiquent jusqu'où s'étend
l'état de possession pour la Russie et pour la France ,
spécialement :
Par l'article cinq , les deux puissances s'engagent à
regarder comme condition absolue de la paix avec
l'Angleterre , qu'elle reconnaîtra la Finlande , la Va-
lachiej la Moldavie y comme faisant partie de l'empire
de Russie.
Par l'article six y elles s'engagent à regarder égale-
ment comme condition absolue de la paix, que l'Angle-
terre reconnaisse, indépendamment de Xuti possidetis,
le nouvel ordre de choses établi par la France et l'Es-
pagne.
L'article sept, qui n'est qu'un développement de
l'article trois, est relatif à la franchise de communi-
— 287 —
cations qui doit régner entre les plénipotentiaires
respectifs.
L'article huit , implicitement contenu dans l'article
cinq j a pour objet de déterminer d'une manière spé-
ciale la reconnaissance, par l'empereur des Français,
des provinces moldo-valaques comme possessions
russes ; il est ainsi conçu : « S. M. l'empereur de
toutes les Russies , d'après les révolutions et chan-
gements qui agitent l'empire Ottoman, et qui ne lais-
sent aucune possibilité de donner, et par conséquent
aucune espérance d'obtenir des garanties suffisantes
pour les personnes et les biens des habitants de la
Moldavie et de la Valachie , ayant déjà porté les li-
mites de son empire jusqu'au Danube, et réuni la
Valachie et la Moldavie à son empire, ne pouvant
qu'à cette condition reconnaître l'intégrité de l'empire
Ottoman, S. M. l'empereur Napoléon reconnaît ladite
réunion et les limites russes de ce côté, portées jus-
qu'au Danube. »
Par l'article neuf, on stipule que l'article huit sera
tenu secret, et en outre, que la Russie entamera,
soit à Constantinople , soit partout ailleurs, une né-
gociation afin d'obtenir à l'amiable, si cela se peut,
la cession des deux provinces ; que la France renonce
à sa médiation; que les plénipotentiaires des deux
nations s'entendront sur le langage à tenir, afin de ne
pas compromettre l'amitié existante entre la France et
la Porte, ainsi que la sûreté des Français résidant dans
les Echelles , et pour empêcher la Porte de se jeter
dans les bras de l'Angleterre.
L'article diœ règle les obligations réciproques des
deux parties; il porte textuellement : « Dans le cas où la
Porte Ottomane, se refusant à la cession des deux pro-
vinces , la guerre viendrait à se rallumer, l'empereur
Napoléon n'y prendra aucune part et se bornera à em-
— 288 —
ployer ses bons offices auprès de la Porte Ottomane ;
mais s'il arrivait que l'Autriche ou quelque autre
puissance fît cause commune avec l'empire Ottoman
dans ladite guerre, S. M. l'empereur Napoléon fe-
rait immédiatement cause commune avec la Russie,
devant regarder ce cas comme un de ceux de l'alliance
qui unit les deux empires.
« Dans le cas où l'Autriche se mettrait en guerre
contre la France, l'empereur de Russie s'engage à se
déclarer contre l'Autriche, ce cas étant également de
ceux auxquels s'applique l'alliance qui unit les deux
empires. »
Par l'article onze y les deux puissances s'engagent
à maintenir l'intégrité des autres possessions de l'em-
pire Ottoman, ne voulant ni faire elles-mêmes ni souf-
frir qu'il soit fait aucune entreprise contre cet empire,
« sans qu'elles en soient préalablement convenues. »
Par l'article douze ^ et en prévision d'unca.sws helli,
les deux puissances conviennent de se réunir de nou-
veau dans le délai d'un an , pour s'entendre sur les
opérations de la guerre commune et sur les moyens de
la poursuivre avec toutes les forces et toutes les res-
sources des deux empires.
L'article treize est relatif au roi de Danemark. Il
porte que les deux Empereurs, voulant reconnaître la
loyauté et la persévérance avec lesquelles le roi de
Danemark a soutenu la cause commune, s'engagent à
lui procurer un dédommagement pour ses sacrifices,
et à reconnaître les acquisitions qu'il aura été dans le
cas de faire durant la présente guerre.
Enfin, par l'article quatorze, les deux puissances
prennent l'engagement de tenir la convention secrète
pendant l'espace de dix années.
Telles étaient les clauses de la convention du 1 2 oc-
tobre. On voit que les questions principales entre les
— 289 —
puissances y étaient réglées, et que le but réel de l'en-
trevue d'Erfurth venait ainsi d'être atteint.
Il ne s'agissait plus que de donner satisfaction au
vœu général touchant la paix maritime. On résolut
en conséquence de faire une démarche en commun
auprès de l'Angleterre pour tâcher seulement de nouer
une négociation. Bien qu'au fond ce projet n'eût rien
de sérieux , il fut convenu que le comte Roumantsof,
ministre des Affaires Etrangères , se rendrait à Paris
avec des pleins pouvoirs pour donner suite, en ce
qui concernait la Russie , à la réponse que l'on devait
attendre du cabinet de Londres. Nous présenterons
tout à l'heure le résumé de cette négociation.
Le 14 octobre fut le jour de la séparation du con-
grès. Dès la veille, les décorations, les présents avaient
été échangés. A cette occasion l'empereur Alexandre^
fidèle aux nobles traditions de la grande Catherine j se
montra magnifique ; les portraits , les chiffres , les
diamants, toutes ces marques d'estime, de bienveil-
lance auxquelles on attache tant de prix dans les Cours,
furent distribuées par ce prince avec une libéralité
vraiment impériale. On raconte que Napoléon j piqué
de ce que les présents de l'empereur Alexandre exci-
taient l'admiration par leur richesse, et effaçaient les
siens, formula son mécontentement par un axiome res-
trictif : Donner convenablement, disait-il, c'est hono-
rer; donner beaucoup, c'est corrompre. La proposition
est économique , mais nous ne voyons pas qu'elle ait
jamais été à l'usage des couronnes. Louis XIV ré-
pondait fièrement aux observations d'un ministre par-
cimonieux : Majesté oblige.
Au moment de quitter Erfurth, l'empereur Alexan-
dre vint dire adieu à Napoléon. Les deux monarques,
après une longue conversation, montèrent à cheval el
sortirent ensemble de la ville. Ils allèrent jusqu'à la
XI 19
— 290 —
distance de deux lieues où les voitures de l'empereur
Alexandre attendaient. Pendant tout ce trajet les deux
souverains s'entretinrent seuls ensemble ; « et quant
à ce qu'ils se dirent , personne n'en sut rien , parce
que l'on ne trotta même point, et que, par discrétion,
les deux suites restèrent à une grande distance en ar-
rière. « Ils mirent enfin pied à terre, se promenèrent
encore quelques moments , puis s'embrassèrent avec
les apparences de la plus grande cordialité. Ils ne
devaient plus se revoir que les armes à la main.
« Napoléon revint à Erfurth au petit pas , et parais-
sant rêveur et pensif. « C'est qu'en effet il subissait
déjà l'ascendant de la politique à! Alexandre ^ c'est
qu'il comprenait que lui, naguère encore disposant en
maître de l'Europe conquise, il n'allait plus y exercer
qu'un pouvoir contrôlé ; il jugeait bien qu'il lui fau-
drait désormais composer avec un rival de puissance,
et qu'à ce moment même obligé de réclamer le con-
sentement de la Russie à ses projets sur l'Espagne, s'il
ne sortait pas vainqueur de cette entreprise, c'était
infailliblement l'empereur Alexandre qui deviendrait
l'arbitre des destinées du monde.
Nous devons maintenant revenir au principal objet
apparent des conférences d'Erfurth, c'est-à-dire la né-
gociation pour la paix maritime ^
Le 12 octobre 1808, Alexandre et Napoléon adres-
sèrent à George lll la lettre suivante :
« Sire,
« Les circonstances actuelles de l'Europe nous ont
réunis à Erfurth. Notre première pensée est de céder
• La correspondance à laquelle les négociations avec l'Angleterre ont
donné lieu , a été mise sous les yeux du parlement d'Angleterre , au
mois de janvier 1809 , sous le titre de Correspondence iviih the Russian
and French government, relative to the overture received from Erfurth.
— 291 —
au vœu et aux besoins de tous les peuples, et de cher-
cher, par une prompte pacification avec Votre Majesté,
le remède le plus efficace aux malheurs qui pèsent sur
toutes les nations. Nous en faisons connaître notre
sincère désir à Votre Majesté par cette présente lettre.
f( La guerre longue et sanglante qui a déchiré le Con-
tinent est terminée, sans qu'elle puisse se renouveler.
Beaucoup de changements ont eu lieu enEurope ; beau-
coup d'États ont été bouleversés. La cause en est dans
l'état d'agitation et de malheur où la cessation du com-
merce maritime a placé les plus grands peuples. De
plus grands changements peuvent encore avoir lieu,
et tout contraires à la politique de la nation anglaise.
La paix est donc à la fois dans l'intérêt des peuples du
Continent, comme dans l'intérêt des peuples de la
Grande-Bretagne.
(( Nous nous réunissons pour prier Votre Majesté
d'écouter la voix de l'humanité, en faisant taire celle
des passions, de chercher, avec l'intention d'y parve-
nir, à concilier tous les intérêts, et par là garantir
toutes les puissances qui existent, et assurer le bon-
heur de l'Europe et de cette génération à la tête de
laquelle la Providence nous a placés.
c( Signé Napoléon. — Alexandre. »
Le comte Nicolas Roumantsof et M. de Champagny
transmirent à M. Canning deux expéditions de cette
lettre. Les deux lettres d'accompagnement sont presque
conformes. Chaque ministre dit que son souverain
espère que la grandeur et la sincérité de cette démarche
seront appréciées, et qu'on ne peut attribuer à faiblesse *,
* Les mots en italique sont exactement reproduits d'après le Moniteur ;
mais la vérité est qu'ils ne se trouvaient pas dans la lettre du comte
Roumantsof; un sentiment de dignité a sûrement déterminé le ministre
d'ALEXANDRE à lôs Omettre.
— . 292 ~
ce qui est le résultat de l'intime liaison des deux plus
grands monarques du Continent, unis pour la paix
comme pour la guerre; chacun ajoute que son Empe-
reuravait nommé des plénipotentiaires qui attendraient
à Paris la réponse de Londres, et se rendraient dans la
ville du Continent, où ceux de la Grande-Bretagne et
de ses alliés seraient envoyés; enfin, qu'il était disposé
à admettre pour base le principe de Vuti possidetis,
précédemment proposé par l'Angleterre, et telle autre
base fondée sur la justice, et sur la réciprocité et l'é-
galité qui doivent régner entre toutes les grandes
nations.
M. Canning transmit le 28 octobre, à l'ambassadeur
de Russie, à Paris, une Note en réponse à la lettre
d'Erfurth, avec une lettre d'accompagnement : « Quel-
que disposée qu'aurait pu être Sa Majesté, dit le mi-
nistre, de répondre directement à S. M. l'empereur de
Russie, vous ne pourrez vous empêcher de sentir,
monsieur l'ambassadeur, que, par la manière inusitée
dont les lettres, signées par Sa Majesté Impériale,
ont été rédigées, et qui les a privées entièrement
du caractère d'une communication particulière per-
sonnelle. Sa Majesté s'est trouvée dans l'impos-
sibilité de se servir de cette marque de respect
envers l'empereur de Russie, sans reconnaître en
même temps des titres que Sa Majesté n'a pas re-
connus. » Cette observation fait allusion à la circon-
stance que 'Napoléon était qualifié, dans la lettre, d'em-
pereur des Français, titre que le Cabinet de Londres
n'avait pas reconnu. Quant à la manière que le ministre
de la Grande-Bretagne déclare inusitée, nous rappel-
lerons que, pour la même raison, la lettre que iVa/3o/eo??
Bonaparte avait adressée au roi d'Angleterre, le 26 dé-
cembre 1799, était restée sans réponse.
Le ministre de la Grande-Bretagne dit encore dans
— 293 —
sa lettre que son souverain se proposait de communi-
quer au roi de Suède et au gouvernement existant de
l'Espagne la proposition qui lui avait été adressée, et
qu'il demandait une déclaration positive que la France
reconnaissait le gouvernement d'Espagne comme par-
ticipant aux négociations; convaincu, comme il était,
que l'Empereur n'a pu être porté à sanctionner, par
son concours ou par son approbation, des usurpations
dont le principe n'était pas moins injuste que l'exem-
ple n'en était dangereux pour tous les souverains lé-
gitimes.
La Note officielle qui accompagnait cette lettre et
dont une expédition fut aussi adressée à M. de Cliam-
pagny, était de la teneur suivante :
Le Roi a constamment déclaré qu'il désirait la paix,
et qu'il était prêt à entrer en négociation pour une
paix générale sur des termes conformes à ce qu'exi-
gent l'honneur de sa couronne , sa fidélité à ses enga-
gements , le repos durable et la sécurité de l'Europe.
Si l'état du Continent est un état d'excitation et de
misère, si plusieurs États ont été renversés, si d'au-
tres encore sont menacés de l'être, c'est une consola-
tion pour le Roi de penser qu'aucune partie de ces
convulsions qu'on a déjà éprouvées ou dont on est
menacé pour l'avenir ne peut en aucun point lui être
imputée.
Le Roi reconnaît volontiers que d'aussi terribles
changements sont en effet contraires à la politique de
la Grande-Bretagne, si la cause de tant de misère se
trouve dans la stagnation des relations commerciales ,
quoiqu'on ne dût point attendre de Sa Majesté qu'elle
apprît seulement avec regret que le système imaginé
pour la destruction du commerce de ses sujets est re-
tombé sur ceux qui en ont été les auteurs ou les in-
struments, cependant il n'est ni dans les dispositions
-. 294 —
de Sa Majesté ni dans le caractère du peuple sur lequel
elle règne, de se réjouir des privations et des malheurs
des nations même qui se sont coalisées contre elle.
Sa Majesté désire avec sollicitude la fin des souf-
frances du Continent.
u En s'engageant dans la guerre actuelle, Sa Majesté
a eu pour objet immédiat la sûreté nationale. Cette
guerre ne s'est prolongée que parce que ses ennemis
n'ont offert aucun moyen de la terminer avec sécurité
et d'une manière honorable. Mais dans le cours d'une
guerre continuée pour sa propre défense, de nouvelles
obligations ont été imposées à Sa Majesté en faveur
des puissances que les agressions d'un ennemi com-
mun ont forcées de faire cause commune avec elle, ou
qui ont sollicité l'assistance et l'appui de Sa Majesté
pour le recouvrement de leur indépendance nationale,
les intérêts des couronnes de Portugal et ceux de
Sa Majesté Sicilienne, confiés à l'amitié et à la pro-
tection de Sa Majesté. Sa Majesté tient au roi de Suède
par l'alliance la plus étroite et par des stipulations
qui unissent leurs conseils pour la paix comme pour
la guerre.
« Sa Majesté n'est pas encore liée à l'Espagne par
aucun acte formel; mais elle a contracté avec cette na-
tion, à la face de l'univers, des engagements non
moins sacrés, et qui, dans l'opinion de Sa Majesté, la
lient autant que les traités les plus solennels. Sa Ma-
jesté suppose donc qu'en lui proposant des négocia-
tions pour la paix générale, les relations entre elle et
la monarchie espagnole ont été clairement prises en
considération, et que l'on a entendu que le gouverne-
ment, agissant au nom de Ferdinand VU, serait par-
tie des négociations dans lesquelles Sa Majesté est in-
vitée à entrer. »
Comme le comte Rovmantsof, ministre des Âffei-
— 295 —
res Étrangères de l'empereur de Russie, se trouvait à
Paris, il répondit directement à cette Note le 1 6-28 no-
vembre 1808. L'admission au congrès des rois alliés
de la Grande-Bretagne, dit-il , ne peut être l'objet
d'aucune difficulté; mais on ne peut étendre ce prin-
cipe jusqu'à admettre des plénipotentiaires de la na-
tion espagnole, ou, comme M. Roumantsof les ap-
pelle, des insurgés espagnols. Il annonce que son
maître a reconnu Joseph Bonaparte, et qu'il ne sé-
parera pas ses intérêts de ceux de son allié Napoléon.
Saisissant adroitement l'annonce qu'il n'existait pas
de traité entre la Grande-Bretagne et les Espagnols ,
il exprime sa satisfaction qu'une diversité d'opinion
sur les Espagnols ne pourra pas empêcher l'ouverture
du congrès.
Cette Note est écrite avec dignité; mais celle du mi-
nistre français, n'est pas une des meilleures produc-
tions qui soient sorties du département des Affaires
Étrangères. Son auteur semble craindre que la dé-
marche de Napoléon pour la paix ne soit attribuée à
faiblesse. Quoique rien dans la Note anglaise n'indique
une telle opinion, M. de Champagny dit : « Les deux
Empereurs s'étaient flattés qu'on ne se serait pas mé-
pris à Londres sur le but de leur démarche. Le minis-
tère anglais l'aurait-il attribuée à faiblesse et à besoin,
lorsque tout homme d'État impartial reconnaît , dans
l'esprit de paix et de modération qui l'a dictée, le ca-
ractère de la puissance et de la véritable grandeur ? «
Bientôt comparant une nation qui repousse un joug
que l'usurpateur veut lui imposer, à des sujets révol-
tés contre l'autorité légitime, il demande : «Qu'aurait
dit le gouvernement anglais, si on lui avait proposé
d'admettre (au congrès) les insurgés catholiques ir-
landais? La France, sans avoir de traité avec eux , a
eu aussi avec eux des rapports, leur a fait des pro-
— 296 —
messes, et souvent leur a envoyé des secours. » Tel
était alors le bouleversement des idées sur la justice,
que des hommes mêmes qui s'efforçaient de faire en-
visager le gouvernement de Napoléon comme légitime,
retombaient sans cesse dans des erreurs que les pre-
mières notions du Droit réfutent suffisamment.
Les dernières Notes de M. Canning sont du 9 dé-
cembre. Dans celle qui est adressée à M. de Champagny,
on remarque ce passage : « Il est spécialement ordonné
au soussigné, par Sa Majesté, de s'abstenir de relever
les choses et les expressions insultantes pour Sa Ma-
jesté, pour ses alliés et pour la nation espagnole, dont
abonde la Note officielle transmise par M. de Champa-
gny Sa Majesté est déterminée à ne pas abandonner
la cause de la nation espagnole et delà royauté légitime
d'Espagne; et la prétention de la France, d'exclure de
la négociation le gouvernement central et suprême
agissant au nom de S. M. C. Ferdinand VII y est telle,
que Sa Majesté ne pourrait l'admettre sans acquiescer
à une usurpation qui n'a rien de comparable dans
l'histoire du monde. »
Dans la Note adressée au comte Roiunansof, M. Can-
ning dit : « Sa Majesté ne peut concevoir par quelle obli-
gation de devoir ou d'intérêt, ou par quel principe de
politique russe \ Sa Majesté Impériale peut s'être
trouvée forcée de reconnaître le droit que s'est arrogé
la France, de déposer et d'emprisonner des souve-
rains, ses amis, et de s'attribuer à elle-même la sou-
veraineté de nations loyales et indépendantes. Si tels
sont les principes auxquels l'Empereur s'est inviola-
blement attaché , pour le soutien desquels il a engagé
l'honneur et les ressources de son empire , et, s'il est
uni à la France pour les établir par la guerre et les
• C'est ainsi qu'on lit cette phrase dans le Moniteur. Il faut sans doute
la remplacer par celle-ci : Par quel principe de la politique russe, etc.
— 297 —
maintenir clans la paix, Sa Majesté y voit avec un pro-
fond regret une détermination d'aggraver et de pro-
longer les maux de l'Europe. Mais on ne peut lui
attribuer d'occasionner la continuation des calamités
de la guerre , en faisant évanouir toute espérance
d'une paix incompatible avec la justice et l'honneur, n
Les négociations furent ainsi rompues , et le Parle-
ment d'Angleterre en fut instruit par une déclaration
du Roi, en date du 16 décembre 1808. On voit, par
cette pièce, qu'indépendamment des raisons dévelop-
pées dans les Notes de ses Ministres, le gouvernement
britannique avait encore un motif secret pour ne pas
faire la paix dans ce moment; c'était l'espoir que l'Au-
triche se déclarerait bientôt contre Napoléon. Le mes-
sage y fait allusion par ce passage ; « Comme il n'était
pas possible de parvenir à la paix, l'apparence prolon-
gée d'une négociation ne pouvait être utile qu'à l'en-
nemi. Elle aurait donné à la France le moyen de semer
laméfiance et la jalousie dans les Conseils de ceux qui se
sont réunis pour résister à son oppression. Et si parmi
les nations sur lesquelles pèse V alliance de la France^
ou parmi celles qui reçoivent d'elle une indépendance
douteuse, précaire et incertaine, il y en avait qui pus-
sent encore rester incertaines sur le choix entre une
ruine certaine , résultant d'une inaction prolongée ,
et les dangers incertains d'un effort, pour échappera
cette ruine, la trompeuse perspective d'une paix entre
la Grande-Bretagne et la France ne manquerait pas
d'être extrêmement funeste à ces nations. Le vain es-
poir du retour de la tranquillité pourrait ralentir leurs
préparatifs, ou leur résolution pourrait être ébranlée
par la crainte d'être obligés à continuer seuls la lutte.
' Le Moniteur du 1l> décembre 4810 a retranché la phrase imprimée
en italique.
— 298 —
Sa Majesté penchait fortement à croire qu'au fond
c'était là le principal but des propositions qui lui
avaient été adressées d'Erfurth. »
Pendant ces négociations, de nouvelles scènes de
guerre s'étaient ouvertes en Espagne. Jusqu'alors
la défense de la patrie avait été dirigée par les di-
verses juntes provinciales, d'accord avec celle de
Séville, ou sous son autorité; mais la délivrance
de la capitale de la présence du Roi intrus, comme
on le désignait alors, permit de concentrer l'au-
torité entre les mains d'une Junte suprême cen-
trale, formée de deux députés choisis par chaque
junte provinciale. Cette mesure, dont on ne pouvait
présager qu'un grand bien , devint par événement
très-préjudiciable à la cause des Espagnols. Les juntes
provinciales , voulant retenir dans leurs mains le pou-
voir qu'elles avaient acquis, ne déférèrent aux dépu-
tés qu'ils envoyèrent à Madrid qu'une autorité extrê-
mement bornée, et subordonnée à la leur. Ainsi la
Junte centrale, au lieu d'une représentation nationale,
ou d'un gouvernement indépendant, ne fut qu'une
assemblée de délégués responsables envers ceux qui
les avaient envoyés. Un corps, composé de pareils
éléments, ne put acquérir la considération, ni agir
avec l'énergie qui auraient été requises dans un temps
si difficile.
La Junte suprême centrale s'assembla, pour la pre-
mière fois, le 25 septembre, dans le palais du Roi, à
Aranjuez, sous la présidence du comte de Florida
Blanca, et son installation fut inaugurée par la procla-
mation suivante :
« Depuis qu'en l'année 1795 l'Espagne eut déposé
les armes qu'elle avait prises contre le parti des agi-
tateurs et des régicides français, et que par le traité
— 299 -.
d'alliance de 1796 elle eut contracté une union intime
avec cette puissance, sa ponctualité religieuse à obser-
ver toutes les conditions de cette alliance n'a pas été
moindre que sa patience à supporter les maux innom-
brables qui en ont été le résultat. Au milieu de tous
les changements de formes suivis par les gouverne-
ments qui ont successivement régi la France , et qui ,
sous des noms différents , ont manifesté le même sys-
tème d'avidité et de destruction, leur caractère essen-
tiel , tant BOUS le Directoire que sous le Consulat et
l'Empire , l'Espagne a reconnu et respecté chez son
allié les droits d'une nation indépendante. Elle a par
son alliance contribué à la gloire et à la grandeur de
la France, dans la ferme espérance de vaincre, par une
conduite si généreuse, l'ambition sans mesure du Ca-
binet français, ou de voir enfin arriver le moment dé-
siré par tous les amis de l'humanité, où un gouverne-
ment moins turbulent pourrait s'établir dans ce pays.
Aucun événement subséquent n'a pu ébranler la réso-
lution de l'Espagne; ni les usurpations de l'empereur
des Français en Europe, ni la négligence avec laquelle
la France, dans ses négociations avec les autres puis-
sances, soignait les intérêts de l'Espagne, ni les mor-
tifications endurées par les princes parents ou alliés de
la famille royale , ni enfin le ton de supériorité ou le
manque d'égards réciproques par lesquels on répon-
dait à la condescendance infatigable de l'Espagne. Énu-
mérer particulièrement chacun des griefs dont elle a
à se plaindre serait une tâche fastidieuse. Dans une
période de trois années elle fut obligée de voir détrô-
ner le souverain des Deux-Siciles, frère de son Roi, de
voir ses intérêts négligés au congrès d'Amiens, où le
Cabinet de Paris consentit à ce qu'elle perdît l'île de la
Trinité, quoiqu'il eût promis le contraire, et cela pour
la récompenser de son assistance loyale dans une
— 300 —
guerre désastreuse qu'elle n'avait entreprise que pour
la France; elle fut obligée de voir l'indépendance du
Portugal menacée plus d'une fois, afin d'en prendre
occasion d'exiger des subsides accablants^ parce que
l'on enveloppait dans ces difficultés l'Espagne, obli-
gée, pour empêcher la chute finale du Portugal, de
suivre à grands frais une direction opposée aux inten-
tions de son souverain; elle fut obligée de voir le gou-
vernement français lui intimer l'ordre de lui céder
l'importante colonie de la Louisiane, avec le projet
formé, comme la suite l'a prouvé, de la vendre pour
une somme d'argent à une troisième puissance, sans
en prévenir l'Espagne. Comme unique récompense de
ce sacrifice, ainsi que de plusieurs autres non moins
chers, et de l'état de Parme ravi à un Infant d'Espa-
gne, elle a vu la possession incertaine de la Toscane
donnée à ce prince, avec le projet, comme la suite l'a
prouvé, de lui reprendre ce pays, sous le prétexte de
lui procurer une indemnité dans le nord du Portugal,
promesse que la France n'a jamais pu ni voulu effec-
tuer. Plus récemment enfin elle a vu comment l'avi-
dité insensée d'un favori odieux qui gouvernait des-
potiquement la monarchie a été flattée par des illusions
décevantes pour pouvoir asservir et démembrer cette
monarchie. D'un autre côté on élevait à un taux im-
modéré, l'entrée des marchandises espagnoles dans les
ports de France; on refusait constamment les dédom-
magements dus à la couronne et aux sujets du Roi, et
on laissait toutes les réclamations sans y faire aucune-
ment droit. Cependant l'Espagne a, sans se plaindre,
donné ses flottes à la France, a mis ses troupes ù sa
disposition, lui a ouvert ses trésors ; elle a accordé des
subsides pour prévenir avec l'Angleterre une rupture
qu'il fut ensuite impossible d'éviter; et pendant que le
gouvernement français se vantait hautement lui-même,
— 301 —
de la manière la plus ridicule, qu'un de ses soins prin-
cipaux était de récompenser et de couvrir de gloire ses
alliés, le royaume d'Espagne, le plus ancien, le plus
puissant, le plus fidèle de ses alliés, était sacrifié, ap-
pauvri et traité plus mal qu'un neutre perfi.de. Des
offenses si nombreuses, des pertes si considérables
eussent sans doute ouvert depuis longtemps les yeux
du gouvernement, s'il n'eût pas été, par malheur,
dans les mains de l'infâme auteur du traité de 1796,
dans les mains de don Manuel Godoy. La politique
atroce, l'ambition de l'empereur iVaj9o/eo?î, destructrice,
insatiable, vit avec joie l'humiliation de l'Espagne,
qui était l'ouvrage de ses mains, et la conduite extra-
vagante du favori despote.
« Déchirant le voile qui couvrait mal ses desseins ,
Napoléon résolut , sans en rougir, la ruine de la fa-
mille royale, et la destruction d'une nation généreuse
qui s'était sacrifiée pour la France; il avait décidé
dans son intérieur que l'Espagne ne serait plus indé-
pendante, et, sans même savoir quelle voie le con-
duirait à son but, il mit la main à l'œuvre. Ici
commencent les scènes d'iniquité, les machinations
mensongères, les perfidies affreuses qu'il fallut mettre
en mouvement pour fouler aux pieds les liens de la
paix et de l'alliance, le respect pour le prince et pour
la nation , et les apparences de témoignages de recon-
naissance si souvent répétés. L'empereur des Fran-
çais attisait soigneusement le feu de la discorde que
l'influence perfide du favori avait réussi à allumer
dans le sein même de la famille royale. Il épie le mo-
ment , et, contre la teneur expresse d'une convention,
il envoie dans la Péninsule des armées innombrables,
sous le prétexte de les faire aller aux côtes d'Afrique
voisines, pour y mettre à exécution un plan d'attaque
contre un autre ennemi. Ses troupes, au mépris des
— 302 —
promesses les plus sacrées, occupèrent les places
frontières, sous le prétexte de simples mesures et de
précautions militaires; et pendant qu'à Paris on né-
gociait le démembrement de l'Espagne avec un pléni-
potentiaire affidé du favori, les troupes de l'usurpa-
teur s'approchèrent de la capitale pour effrayer les
souverains aveuglés , et les contraindre à suivre
l'exemple de la maison de Bragance. La révolution
imprévue arrivée à Aranjuez le 1 7 et le 1 9 mars fit
échouer ce projet désastreux. L'abdication volontaire
du roi Charles IV ayant placé sur le trône son fils aîné
le prince royal, si chéri par le peuple à cause de sa
jeunesse et de son infortune , l'ennemi implacable de
l'indépendance de l'Espagne changea de marche, et
imagina de rendre la nation orpheline, afin d'en faire
ensuite la proie de son avidité. Avec l'aide de ses di-
gnes satellites, et des artifices de la ruse la plus basse,
il attira à Bayonne le jeune Roi, objet de l'adoration de
l'Espagne, sous le faux semblant de l'y embrasser
comme ami , et de l'y reconnaître roi j les auteurs des
jours du Roi captif, ses frères, ses parents furent at-
tirés dans la même ville, et les bannissant de leur
pays d'une manière non moins inouïe qu'audacieuse,
il les force à signer une abdication nulle et imagi-
naire, et se fait, dans sa démence, maître d'un trône
qu'il profane par son nom et par celui de son frère
Joseph Bonaparte. Des bandes d'assassins, de brigands
inondent la malheureuse Espagne de sang et d'hor-
reurs, et, avec une impudence criminelle connue
d'eux seuls, ils transforment le patriotisme en dés-
obéissance, l'honneur national en barbarie et en sot-
tise, et l'attachement pour les souverains légitimes
en révolte et en parjure. Ils pillent les habitants, dés-
honorent les vierges, profanent les temples et les
images des saints ; ne respectant pas même le Dieu
— 303 —
qu'ils prétendent adorer, tandis qu'ils le foulent à
leurs pieds sacrilèges, ils parlent aux habitants de
l'Espagne de bonheur et de régénération, et cepen-
dant ils ravagent leurs champs, dépouillent leurs tem-
ples, dévastent leurs habitations, s'efforcent de dé-
truire leurs institutions, leurs lois et leurs droits, et
veulent employer la jeunesse espagnole asservie et
les richesses de la nation pour faire la guerre à d'au-
tres peuples avec lesquels nous vivons en paix et de
bon accord.
« La nation, par sa bravoure et son patriotisme, a
humilié l'orgueil de l'usurpateur, anéanti ses armées,
et le front ceint de lauriers elle poursuit ses ennemis
implacables. Toutes les provinces se sont armées pour
la défense d'une cause si juste j même avant la créa-
tion du gouvernement central, quelques provinces
ont formellement déclaré la guerre à la France; toutes
ont pris part à cette guerre, la continuent encore au-
jourd'hui avec la plus vive ardeur, et il n'est aucun
Espagnol qui n'ait juré dans son cœur de vaincre ou
de mourir pour sa patrie , son roi et sa foi. ^La su-
prême Junte centrale des royaumes d'Espagne et des
Indes , qui gouverne au nom de notre Roi et souve-
rain chéri Ferdinand V7/, et qui a été reconnue par
toute la nation , déclare que depuis le 20 avril dernier,
jour auquel on a à Rayonne insulté de la manière la
plus ignoble à la souveraineté du roi Ferdinand VU,
ainsi qu'à la dignité de la nation, et qu'on les a foulées
aux pieds, tous les liens qui attachaient l'Espagne au
gouvernement français sont rompus , de même que
tous les traités quelconques, quelle que soit leur date,
qui existaient avec la France. En conséquence, la Junte
suprême regarde depuis ce jour toutes les actions que le
Droit des gens permet en état de guerre, comme légi-
time, de même que toutes les hostilités commises par les
— 304 —
provinces et les individus dans la lutte qu'ils soutien-
dront isolément jusqu'au moment heureux où la
réunion nationale s'opérera; elle déclare aussi de la
manière la plus solennelle que, depuis ladite époque
du 20 avril , la nation espagnole est en état de guerre
avec la France, et que cette guerre, la plus juste qu'au-
cune nation ait jamais faite , continuera par terre et
par mer contre l'empereur des Français, roi d'Italie,
et contre ses États et ses sujets, aussi longtemps que
ces derniers continueront, sous le joug de l'oppression,
à soutenir les projets de l'oppresseur commun; parce
que l'Espagne, qui s'est vue forcée à prendre les armes
pour protéger la dignité de son Roi bien-aimé et l'in-
dépendance de la nation, ne peut, comme elle l'eût
désiré, faire une différence entre l'empereur Napoléon
qui l'attaque, et la nation française qu'il gouverne,
jusqu'à ce que celle-ci ouvre les yeux et obtienne de
nouveau son ancienne dignité. La Junte centrale su-
prême déclare en même temps que les puissances
qui gémissent sous le joug pesant de l'empereur
Napoléon continueront avec l'Espagne les rapports
qui ne sont contraires ni à son intérêt raisonnable ni
aux lois de l'équité naturelle, aussi longtemps qu'elles
ne commettront, ni médiatement ni immédiatement,
aucune hostilité contre l'Espagne. Elle déclare enfin
qu'elle a prononcé le serment solennel de ne prêter
l'oreille à aucune proposition de paix, tant que Fer-
dinand yilf son souverain chéri, ne sera pas en pos-
session de son trône, et que l'indivisibilité absolue de
l'Espagne et de ses possessions américaines, sans con-
sentir la cession du moindre village, ne sera pas posée
comme la première condition. En conséquence elle
ordonne qu'il soit transmis à toutes les parties de la
monarchie espagnole, tant au dedans qu'au dehors de
la Péninsule, les édits et les décrets qui ont pour but
— 305 —
leur défense et celle de tous les citoyens espagnols, et
le dommage de l'ennemi.
u Aranjuez, le 14 novembre 1808.
« Signé le comte de Florida-Blanca. »
La Junte suprême débuta par l'établissement d'un
nouveau conseil de guerre , composé du général Cas-
taiîoSf président, de don Tomas de Morlay des mar-
quis de CastelaVy de Polacia, et de don Antonio Burro.
La force armée fut divisée en trois corps : le premier,
dit armée du Nord, et formant l'aile gauche, était
commandée par Blake , ayant sous ses ordres le mar-
quis de la Romana. On estima ses forces à cinquante-
cinq mille hommes ; mais la Junte de Madrid et les
gouvernements espagnols qui l'ont suivie ont con-
stamment eu pour maxime d'exagérer leurs forces.
Cette fausse politique, en trompant quelquefois les
Anglais, a été la cause de démarches pernicieuses. H
est probable que les troupes réglées de Blake ne pas-
sèrent pas de beaucoup dix-sept mille hommes, com-
posés de ce noyau de forces qui, à l'époque de la ré-
volution, s'était trouvé en Galice, et des sept mille
hommes que le marquis de la Romana avait amenés
de la Fionie. Ce fut par une exagération semblable
qu'on estima à soixante-cinq mille hommes l'armée
du centre , dont Caslanos prit le commandement.
L'aile droite, ou l'armée d'Aragon, qu'on disait de
vingt mille hommes, fut confiée à don Josef Palafox,
qui d'ailleurs l'avait réellement créée.
L'armée française, alors réduite à cinquante mille
hommes, avait son quartier général à Vitoria. Son
aile droite était commandée par Gouvion-Saint'Cyrf le
centre par le maréchal Moncey, l'aile gauche par les
maréchaux A>//, Bessières et Lefebvre.
M 20
— 306 —
Napoléon qui était arrivé d'Erfurth à Paris le 25 oc-
tobre, pour l'ouverture de la session du Corps législa-
tif, était reparti immédiatement après, et, dès le 3 no-
vembre, il se retrouvait à Bayonne. Il se mit aussitôt à
la tête de ses armées, où sa présence allait ramener la
victoire. On ^ait déjà qu'il avait été précédé par des ren-
forts considérables : c'étaient les troupes qui revenaient
de la Prusse, et les corps auxiliaires que son frère Jé-
rome, le Prince Primat, et les grands-ducs de Bade et
deDarmstadtlui avaient fournis. Ils portèrent l'armée
française, en Espagne, à cent treize mille hommes,
et vers la fin de l'année à cent quatre-vingt mille.
Une succession d'avantages , remportés sous sa direc-
tion par ses généraux , le conduisit promptement jus-
qu'aux portes de Madrid. Nous nous bornerons à
donner la date des principaux combats : Le 7 novembre
combat de Guenezj Blake et la Romana sont battus
par Lefehvre. Le 10 novembre, combat de Burgos;
le maréchal Soult y délit le comte de Belvédère, qui
commandait l'armée de l'Estrémadure, formant une
division de l'armée de Blake. Le quartier général de
Napoléon était, le 15 novembre, à Burgos. L'armée
de Blake et Romana fut défaite, les 10 et 1 1 novembre,
dans la bataille d'Espinosa, par Victor , celle de Cas-
tanos le fut, le 23, à Tudela, par Lannes et Victor;
enfin la réserve espagnole, sous les ordres du comte
San Juan, fut culbutée, le 30, dans les défilés de
Somo-Sierra, par Napoléon en personne.
Le 2 décembre, quatrième anniversaire de son cou-
ronnement. Napoléon parut devant Madrid. Il s'établit
à Chamartin, propriété du duc de VInfantado.
Dès le lendemain , l'armée française occupait toutes
les positions militaires , et pouvait enlever la capitale
en quelques heures; déjà les voltigeurs se répandaient
dans les faubourgs et des obus atteignaient les édifices
— 307 —
de la cité. Le prince de Neufchâtel somma la ville dé
se rendre. Le peuple, consulté par les magistrats, re-
poussa d'abord toute proposition; les dangers d'un
assaut ne l'épouvantaient pas : il avait dépavé les rues,
crénelé les maisons, matelassé les fenêtres, élevé des
barricades , établi des batteries sur des charrettes ,
réuni une quantité considérable d'artillerie et de mu-
nitions, et préparé tous les moyens possibles de dé-
fense; enfin il se montrait déterminé à la résistance
la plus opiniâtre. Les dispositions des habitants de
Madrid furent transmises au prince de Neufchâtel par
le général Morla et don Bernardo IriartCf qui avaient
été envoyés en parlementaires. Voici les curieux dé-
tails * qiïlridrte a laissés sur l'audience que lui et son
collègue obtinrent de Napoléon.
«La. Junte permanente, militaire et politique,
m'ayant nommé ainsi que don Tomas de Morla pour
aller parlementer avec le prince de Neufchâtel à Cha-
martin, sur la capitulation de la ville de Madrid, par
suite du dernier délai que l'Empereur accorda jusqu'à
six heures du matin du lendemain (4 novembre 1 808),
nous partîmes le 3 après la nuit tombante, et montâ-
mes à cheval dans l'hôtel des postes. Nous eûmes une
conférence avec le prince de Neufchâtel dans sa lente,
sans pouvoir obtenir qu'on nous accordât quelques
heures de plus que six heures du matin du 4 ; et je
lui demandai moi-même qu'il interposât sa médiation
auprès de l'Empereur et Roi pour la réussite. Le prince
alla de sa tente à celle de l'Empereur pour l'instruire
de ce que nous venions de proposer. Un quart d'heure
après, le prince revint; et nous ayant dit que Sa
• Celle relation , que nous avons fait traduire de l'espagnol, a été
publiée pour la première fois par M. Martinez de la Rosa, dans
son grand et beau travail intitulé : Espiritu del Sigh. 'Madrid),
t. VII, p. 9.
— 308 —
Majesté Impériale et Royale voulait nous recevoir dans
sa tente, nous y entrâmes.
f(Sa Majesté nous reçut debout; et Morla, ayant
commencé à parler, en lui demandant bien des fois,
prosterné et presque à genoux , qu'elle traitât Madrid
avec miséricorde, et qu'elle accordât quelque trêve,
Sa Majesté s'y refusa avec des gestes continuels et
violents, marchant en avant et en arrière. Ses mou-
vements se multiplièrent quand Sa Majesté fit atten-
tion aux prières de Morla, qui demandait miséri-
corde avec les mains croisées, tout courbé, et avec la
tête qui touchait presque ses pieds*. Quoique je n'aie
pas vu ses larmes, il me sembla qu'elles tombaient de
ses yeux et qu'il pleurait effectivement, d'après le ton
de sa voix et ses gémissements. Moi, plein de honte,
confus et fâché de tant d'humiliation et de l'effet que
ces gémissements faisaient sur l'Empereur, je pris le
parti de parler en m'exprimant en ces termes : « Sire ,
« frère de celui qui eut le bonheur de signer la paix
« de Bâle et de renouer les nœuds des deux nations ,
« qui ne devraient jamais être séparées l'une de l'au-
{( tre, combien je m'estimerais heureux moi-même si je
« parvenais à obtenir d'un héros tel que Votre Majesté
« la conservation et le bien de la ville de Madrid î »
Sa Majesté m'interrompit , après m'avoir regardé
lixement, sans doute frappé de la différence de style
et du ton avec lesquels je m'exprimais, ainsi que
par le souvenir d'avoir signé la paix à Bâle avec un
frère de celui qui lui parlait, en me disant : « Ce peuple
« de Madrid, ce peuple qui ose.... Je sais les moyens
« qui sont préparés et dont il compte se servir; mais
t< les boulets de canon, les bombes, prendront le de-
(f vant, sans exposer un seul de mes soldats. J'ai as-
' L'expression de Morla, d'un ton presque larmoyant fut; «Sire, ayez
« pitié de ce peuple; ayez pitié de ce peuple ! »
— 309 —
(f sez de munitions; et, au surplus, j'en ai trouvé en
« grande quantité dans votre Retire : si cela ne suffit
« pas et si ce peuple s'obstine, je ferai pratiquer des
« mines, et je réduirai en cendres et la ville et tous ses
« habitants.... Ce peuple.... m J'interrompis Sa Majesté,
en profitant d'une petite pause qu'elle fit, en lui disant:
(( Sire, Madrid est-il comparable au peuple de Paris
{( pendant la Révolution? » Sa Majesté me répliqua :
« Ce peuple est bien tranquille, bien asservi.... » Et
moi, en lui répondant, je lui dis : « Ce n'est que trop
« vrai. )) Ici, ou un peu auparavant. Sa Majesté dit avec
violence et irritée : « Et vos moines ! ces moines , je
(( sais comment ils agissent. »Sans doute, Sa Majesté
savait que les moines allaient ces jours-là par les rues,
à pied et achevai, armés, provoquant le peuple. Je
tâchai de calmer l'Empereur, en lui disant que parmi
les moines il y en avait de différentes classes : quel-
ques-uns imprudents et peu réfléchis, qui se laissaient
entraîner par un zèle indiscret; mais que la plupart
d'entre eux étaient bons, passant le temps dans leurs
cellules, leur chapelet à la main. Ce à quoi l'Empereur
répliqua: « Avec leurs chapelets à la main, ils vous
« commandent en maîtres. » Et moi je lui dis : « Sire,
(( ils commandent les dévotes et des hommes faibles
« qui leur ressembleront; mais aucunement la partie
(( des hommes sensés de la nation espagnole. » Alors
l'Empereur se rejeta sur les Anglais, en employant
les expressions en conséquence et qu'ils méritent
si bien. Je me tus; car je pensais (comme j'ai toujours
pensé) de la même manière que l'Empereur à l'égard
du Cabinet britannique.
«Le parti est pris,» ajouta-t-il. «Pas un seul
Bourbon ne doit rester sur aucun trône. » Je demandai
à Sa Majesté Impériale et Royale qu'elle daignât accor-
der quelques heures de plus que celle fixée à six heures
— 310 —
du matin ; et puisque Sa Majesté exigeait que la Junte
permanente qui était convoquée apaisât le peuple,
je lui fis observer que ceci était impossible pendant la
nuit; et que le peuple s'inquiéterait davantage si Ton
tirait ces individus de leur lit, où ils se reposaient des
fatigues de la. journée : « Point du tout; à six heures
précises, » répliqua l'Empereur, sans écouter les ré-
flexions que je lui fis , pour nous accorder un court
délai afin d'instruire la Junte de la crise et de la né-
cessité où se trouvait Madrid de capituler.
J'osai enfin lui dire la chose la plus difficile et pres-
que la plus téméraire, savoir : Que nous avions une
autorité déjà reconnue, et que nous devions compter
sur elle. L'Empereur, à ce moment, fit un geste
violent, fixant ses yeux sur moi ; et j'y répondis en lui
disant : « Sire, ce n'est pas un prétexte, et encore
« moins un délai pour attendre une réponse. C'est
« uniquement pour remplir notre devoir en lui faisant
« connaître la situation où nous nous trouvons. C'est
(( un devoir que nous devons remplir; et je me flatte
« que Votre Majesté Impériale et Royale aura plus de
(( confiance dans des individus qui agissent de la sorte
« que dans ceux qui agiraient autrement. ^)L'Empereur
me demanda : « Et quelle est cette autorité ? » Je lui
répondis : « Sire , c'est celle de la Junte centrale, »
L'Empereur répliqua : « La Junte centrale , composée
« de membres.... Cette Junte, dont le président est ce
« Florida-Blanca, ce Florida-Blanca, qui a été de tout
« temps l'ami dévoué des Anglais, et l'ennemi juré de
« la France^ » L'Empereur, déjà apaisé après ce sou-
' Ces paroles amères de Napoléon contre Florida-Blanca, se
rapportent à une circonstance intéressante et qu'il est utile de faire
connaître. Un négociateur qui a légué à des fils dignes de lui un
des beaux noms de la Diplomatie française, M. de Rayneval, dont
le grand Frédéric avait prédit les succès dès son apparition dans le
monde politique , et qui jusqu'à ses derniers jours fut consulté par les
— 311 —
lagement contre le comte de Florida-Blànca , continua
(l'un ton modéré , en exprimant ce qu'il offrait en
substance en faveur de la ville de Madrid, si ses ha-
bitants se conduisaient bien et se tranquillisaient.
L'Empereur offrit donc que les propriétés , les habita-
plus illustres personnages de l'Europe, M. de Bayneval, disons-nous, à
la suite d'un conseil que lui avait demandé le grand-duc de Bade, rela-
tivement à un projet de Constitution, avait été l'objet d'une mesure in-
juste de la part de Napoléon. » M. d'HAUiERivE, interpellé sur les torts
que pouvait avoir M. de Bayneval , avait répondu à l'Empereur : a On
« a arrêté violemment M. de Bayneval; cependant il n'a commis au-
« cun délit réel et n'a jamais pensé à offenser l'Empereur. D'ailleurs ,
« en saine Diplomatie , M. de Bayneval, que je connais depuis vingt-
« quatre ans, mérite la mention la plus honorée. C'est lui qui, en
« 1763, osa demander à l'Angleterre la restitution de Gibraltar, pris
« par eux sur les Espagnols, en 4704, et qui l'obtint. » Napoléon re-
leva vivement la tète comme un Cid , et interrompit M. d'HAUiERivE :
« Eh bien , qu'est-il arrivé après? — Sire, il est arrivé que Gibraltar
« allait être rendu. Chaules III était un Castillan enthousiaste: ce prince
« exultait; il s'apprêtait à étendre jusqu'aux extrémités de la Péninsule
€ ce bras lié jusqu'alors par des entraves ; mais le ministre Florida-
« Blanca , tenant plus à une mauvaise possession en Amérique qu'au
« bonheur de refaire, tout d'une pièce, l'Espagne manchotte, Florida-
< Blanca , qui n'était pas aussi Castillan que son maître , pourtant ù\s
« d'un Français, renonça à une telle réparation. — C'est beau de la part de
« la France; c'est grand; je ne savais pas cela. Voilà comme on sert
« ses aUiés! » s'écria Napoléon. Le lendemain M. de Gassendi , rap-
porteur au Conseil d'État dans l'affaire de M. de Bayneval, voulut en
entretenir l'Empereur. Mais déjà il ne se souvenait plus de Bade , ni
môme de l'avis donné à son Prince de mieux garder ses frontières, et
de réclamer plus vivement contre une violation sans excuse. Napoléon
ne parlait à Gassendi que de Gibraltar redemandé, obtenu et lâchement
rendu par Florida-Blanca. M. de Champagny, à la porte du cabinet ,
désirait remettre un rapport pour appuyer la révélation de M. d'HAU-
TERIVE ; Napoléon défendit qu'on ouvrît à M. de Champagny, et M. de
Bayneval recouvra la liberté. « Ce mouvement de Napoléon , ajoute
un biographe , méritait d'être rappelé. Sans doute il pouvait se com-
pliquer de quelque haine contre les Anglais ; mais on n'en doit pas
moins rendre hommage à ce sentiment qui saisit rapidement les faits
et les droits, et à cet applaudissement généreux, qui ne sera pas dans
l'histoire des services de M. de Bayneval un de ses moindres litres de
gloire. » (Voy. sur la négociation relative à Gibraltar les explications
que nous avons données, t. IV, p. 328 de cette Histoire des Traités.)
— 31-2 —
lions et la vie des individus seraient respectées, ainsi
que les églises, la religion catholique, etc. , etc.
« L'Empereur ajouta que nous ne devions compter
sur aucun secours, parce que le maréchal Ney avait
mis en déroute une seconde fois l'armée du centre
(avant lui, le prince de Neufchâtel l'avait signifié aussi
à la Junte) ; et que si nous en doutions , il était prêt à
délivrer un passe-port, pour s'en convaincre, à l'offi-
cier espagnol qu'on voudrait désigner.
« Au moment de sortir de l'audience, et tout près
de la tente impériale, MorlUf effrayé et tremblant, me
dit : « Moi, mon ami Iriarte, je ne rentre pas à Ma-
(f drid. » La crainte d'être mal reçu par le peuple, qui
nous avait vus partir, l'intimida. Moi, d'un ton résolu,
je lui répliquai : « Eh bien, si fait moi j que sommes-
« nous venus faire? Je vais prendre mon cheval. »
Alors nous montâmes sur les chevaux, et nous des-
cendîmes à la porte même de l'hôtel des postes , d'où
nous étions sortis, sans rencontrer à peine de monde.
Plus tard , je regrettai de ne pas avoir dit à Morla, en
approuvant sa prudence : « Oui , à la bonne heure ,
f( restez ici ; j'irai rendre compte à la Junte du résultat
(( de notre mission. » Il eût été vraiment étrange de
me voir rentrer tout seul, sans mon collèg\te, et ra-
conter à la Junte notre double entrevue.
Nous mîmes en conséquence la Junte au courant du
résultat, et l'on procéda à la convocation des conseils,
de la municipalité, des prélats, etc. »
Les menaces de Napoléon, que venaient de rappor-
ter les parlementaires, et les invitations des magistrats,
les prières des notables, et par-dessus tout les mœurs
d'une "grande ville déterminèrent enfin le peuple à
abandonner la résolution d'une défense. Le 4 décem-
bre, à dix heures du matin, la ville de Madrid fut
remise aux troupes françaises.
— ma —
Le même jour, Napoléon rendit plusieurs décrets,
dont voici les principales dispositions :
1° Le tribunal de l'Inquisition est aboli, comme
attentatoire à la souveraineté et à l'autorité civile.
2° Le nombre des couvents actuellement existants
en Espagne est réduit au tiers , et jusqu'à ce que cette
réduction soit obtenue, il ne sera fait aucune admis-
sion au noviciat; les ecclésiastiques réguliers pourront
renoncer à la vie commune, et vivre en ecclésias-
tiques séculiers.
3" Tous droits féodaux, toute redevance person-
nelle, tous droits exclusifs, etc., sont supprimés , et
abolis en Espagne.
4° Les barrières existantes de province à province
sont supprimées, et les douanes transportées aux
frontières.
Napoléon ne jouit pas d'un long repos dans sa nou-
velle résidence. Le 25 septembre, Jolm Moore, qui
commandait une division de l'armée anglaise en Por-
tugal , eut ordre de se mettre à la tête de vingt mille
hommes pour marcher au secours des Espagnols, en
se réunissant à quinze mille hommes de troupes fraî-
ches, commandées par Baird, qui furent envoyées à
la Corogne. Ces troupes étant arrivées le 13 octobre ',
Moore se mit en marche, le 27 , de Lisbonne. Il ar-
riva, le 13 novembre, à Salamanque, et opéra, le
20 décembre , sa jonction complète avec Baird à Sahu-
gan. On assure que le plan de cette expédition avait
été combiné par lord Castlereagh et le marquis de
la Romanay sur de fausses données quant à la force
et à la composition des armées espagnoles, et qu'il
n'avait pas été communiqué à sir /Mo Dalrymplef ni
' Elles ne purent débarqiierque le31,faufpd'unordrede la Junte cen-
trale de Madrid.
^ 314 —
même au général Mûore, avant qu'il reçût l'ordre de
l'exécuter. On avait aussi cru inutile de consulter la
Junte centrale ou les juntes provinciales. Il paraît que
sir John Moorey qui ne pouvait s'empêcher d'obéir à
des ordres supérieurs, désapprouvait le plan de cette
opération. 11 fut si mal servi par les Espagnols, qu'on
lui cacha même, par une fausse politique, les événe-
ments qui s'étaient passés à Madrid j et il ne les apprit
que le 14 décembre. Le 20 de ce mois. Napoléon
quitta cette ville avec quarante mille hommes pour
marcher au secours de Soult , menacé par Moore. Ce-
lui-ci se retira alors sur la Corogne ; son armée , exas-
pérée contre les Espagnols, commit dans cette re-
traite, d'affreux désordres. Napoléon, dans sa marche
sur Astorga, serrant de près l'armée ennemie, reçut
un courrier porteur de dépêches de M. de Champagny,
par lesquelles ce ministre l'informait des événements
qui se préparaient en Allemagne; ces nouvelles l'en-
gagèrent à remettre le commandement de l'armée au
maréchal Soult , et à partir pour Paris, où il arriva
le 23 janvier 1809.
L'armée anglaise atteignit, le 14 janvier, la Corogne
où elle devait être embarquée : arrêtée dans cette opé-
ration par défaut d'embarcations, elle fut jointe par
Soult qui l'attaqua, le 16 janvier, près de la Corogne.
John Moore y un des capitaines les plus distingués de
l'Angleterre, et auquel cette retraite fit le plus grand
honneur, fut tué dans cette action. Les Anglais éprou-
vèrent une perte considérable ; mais ils effectuèrent
leur embarquement les 17 et 18 janvier. La Corogne
se rendit le 19; le lendemain, le maréchal Soult y fit
son entrée, et ayant la fin du mois, il acheva la con-
quête de la Galice.
L'opération militaire dont nous venons de parler a
été hautement blâmée par les hommes de guerre : on a
— 31.5 —
reproché au ministre anglais de l'avoir ordonnée; mais
on a rendu justice à la manière dont Moore l'exécuta.
Elle coûta aux Anglais six mille hommes, autant de
chevaux, et une quantité considérable d'effets mili-
taires; mais elle fut de la plus grande utilité à l'Espa-
gne. Elle força les Français d'ajourner la conquête du
midi de ce royaume, ruina leurs équipages, diminua
leur nombre, et les fatigua au point que, pendant
plusieurs mois, ils ne purent entreprendre rien d'im-
portant.
On était déjà presque sûr en Angleterre de la mal-
heureuse issue de l'expédition de Moore, lorsque le
ministère, pour relever le courage des Espagnols, con-
clut avec eux une intime alliance. Le traité fut signé
à Londres le] U janvier \S09f par M. Canning, au nom
de la Grande-Bretagne, et par don Juan Ruiz de Apo-
daca, pour la Junte suprême d'Espagne et des Indes,
agissant au nom de Ferdinand VII. Il se compose da
cinq articles.
Il y aura entre le roi du royaume-uni de la Grande-
Bretagne et d'Irlande, et Ferdinand VU, ainsi qu'en-
tre tous leurs royaumes et États, une paix chrétienne,
durable et inaltérable, amitié éternelle et sincère, et
une alliance intime pendant la guerre : il y aura oubli
total de toutes les hostilités commises à la dernière
guerre. Art. 1 .
Varticle 2 règle tout ce qui concerne les prises
faites après la déclaration du 4 juillet 1 808.
Sa Majesté Britannique s'engage à assister de toutes
ses forces la nation espagnole dans sa lutte avec la
France , et promet de ne reconnaître aucun autre roi
d'Espagne et des Indes, que Ferdinand VII et ses héri-
tiers, ou tel autre que la nation espagnole reconnaî-
trait, tandis que le gouvernement espagnol s'engage
à ne céder, en aucun cas, aucune portion du terri-
— 310 —
toire ou des possessions de la monarchie d'Espagne
dans aucune partie du monde. Art. 3.
Les parties contractantes sont convenues de faire
cause commune contre la France, et de ne conclure
la paix avec cette puissance que de concert et d'un
commun accord. Art. A.
Le cinquième article stipule l'époque des ratifications.
Un premier article séparé oblige le gouvernement
espagnol à prendre les moyens les plus eflicaces pour
empêcher que les escadres espagnoles, dans les ports
d'Espagne, ainsi que l'escadre française, prise au
mois de juin dans le port de Cadix, ne tombent au
pouvoir de la France, et la Grande-Bretagne promet
de coopérer à ce but.
Un second article séparé statue qu'il sera négocié un
traité qui déterminera le montant des forces auxi-
liaires à fournir par la Grande-Bretagne, en vertu de
l'article 3.
Enfin un article additionnel parle des intérêts du
commerce qui, suivant une coutume fort sage, ne
sont jamais oubliés dans les transactions politiques
de la Grande-Bretagne. On se promet de négocier un
traité de commerce, aussitôt que les circonstances
le permettront, et, en attendant, de procurer au com-
merce des sujets respectifs toutes les facilités possi-
bles pour autant qu'elles reposent sur la base de la
réciprocité *.
C'est ici que se termine la première période de
l'histoire du détrônement de la maison royale d'Espa-
gne. On a vu qu'un mois de campagne avait suffi pour
que la capitale du royaume fût conquise, en même
temps que les armées étaient dispersées. Cependant
* Martens, Recueil, t. XII, p. 463.
— 317 —
jamais de si grands résultats n'avaient eu si peu de
portée. Dans le cercle que renfermaient les baïonnettes,
on cédait à la force. Mais au delà, pas une ville n'ou-
vrait ses portes. Pas un seul acte de soumission; par-
tout un enthousiasme sombre, une exaltation prête à
tous les sacrifices. Napoléon publiait des amnisties;
on les dédaignait, et l'insurrection tirait de nouvelles
forces des fautes mêmes , des défauts d'organisation
qui avaient facilité les triomphes de la grande armée.
Et cependant la Junte centrale n'avait pu saisir le
pouvoir dictatorial ; elle n'avait pu même songer
à mettre de l'unité dans la défense, à nommer un
général en chef et à amalgamer les forces fournies par
les diverses provinces. Les armées se composaient
donc : l'une d'Aragonnais, de Valenciens, d'Andalous;
l'autre de Galiciens, d'Asturiens, de Basques; tous
conservant leurs drapeaux, leurs rivalités; tous com-
mandés par des généraux qui, n'étant point conte-
nus par la main de fer d'un pouvoir suprême, se
livraient, en présence même du danger, aux passions,
aux mésintelligences qui troublaient le bon accord de
leurs troupes.
De là, la promptitude des généraux français à gagner
des batailles où l'on a peine à saisir quelques traits
saillants. Mais, après ces batailles, les vaincus, de re-
tour dans leurs provinces, formèrent l'élément d'une
défense plus concentrée et plus opiniâtre. Ainsi les
Aragonnais , qui n'avaient pu résister à Tudela ,
secondés par les Andalous et les Valenciens , se ré-
fugièrent dans Saragosse% ville ouverte où ils sou-
' Il existait à Saragosse un parti qui appelait l'archiduc Charles au
trône d'Espagne. On trouve à l'égard de ce parti autrichien des insinua-
tions assez directes dans la correspondance de l'ambassadeur d'Espagne
a Vienne, don Eusebio Bakdaxi et Azara , avec le comte de Met-
TERMCH. Voyez l'ouvrage précité de AI. Marti >ez de la Rosa, Espiritu
del Siglo.
— 318 —
tinrent un siège qui rappelle les souvenirs de Numance
et de Sagonte. Si jamais Napoléon a mesuré, avec un
sentiment de doute, l'étendue de la tâche qu'il s'était
imposée, ce dut être, lorsque maître de Madrid, il vit
surgir sur ses pas une Vendée, aux proportions de treize
millions d'âmfes et de vingt-sept mille lieues carrées.
A cette heure néanmoins , la prédiction faite aux
parlementaires espagnols était accomplie. « Pas un
seul Bourbon ne doit rester sur aucun trône, » avait dit
Napoléon; et, en effet, tous les Bourbons étaient préci-
pités du trône. Jusqu'à présent on n'avait expulsé de
leurs États que des rois ennemis. L'Espagne devait
fournir la preuve que les souverains amis et alliés
n'étaient pas plus assurés des leurs. « C'est qu'il y a
une Némésis de l'histoire, a dit un brillant écrivain',
qui ne manque jamais d'infliger un châtiment sévère
aux faiblesses et aux iniquités ; et sans confondre la
morale avec la politique , on peut affirmer que les ini-
quités dont la marche des événements a été mêlée, sont
toujours revenues, avec une élasticité terrible, frapper
le peuple qui les avait commises. » Ainsi Charles IV, par
une impardonnable faiblesse, avait contribué à chasser
son frère, sa fille et son gendre : le tour de son expul-
sion était maintenant venu. Remplacé par un fils que
lui préfèrent ses peuples j attiré dans le piège avec
toute sa famille par le ravisseur des trônes, et privé
de la liberté en même temps que de la couronne, ce
prince et sa maison devaient réaliser aux yeux de l'u-
nivers étonné, ces fictions par lesquelles la scène tra-
gique retraçait depuis longtemps les fautes et les mal-
heurs des races royales de l'antiquité.
* M. Philarète Chasles.
riN.
NOTES ET DOCUMENTS\
I.
Page 96.
Extrait du traité de paix et d'alliance , entre 0. Cromwell et
Jean /F, roi de Portugal^ du Id juillet 1654 *.
tbaodction.
Abt. 18.
Il est permis aux peuples et sujets de l'uue des deux parties
contractantes, d'entrer et de séjourner dans les ports de l'au-
tre, et d'en sortir librement, non-seulement avec des bâtiments
marchands et de transport , mais même avec des vaisseaux de
guerre armés, pour repousser les forces ennemies, soit qu'ils y
aient été poussés par la tempête, soit qu'ils s'y présentent pour
se radouber et s'y approvisionner, pourvu toutefois qu'ils n'ex-
cèdent pas le nombre de six vaisseaux de guerre, et qu'ils ne
séjournent pas dans les ports ou sur les côtes plus longtemps
qu'il ne sera nécessaire, dans la crainte d'alarmer le commerce
des autres nations alliées et amies ; et, s'il arrivait qu'un nom-
bre extraordinaire de vaisseaux se présentât devant ces ports,
sans avoir préalablement obtenu une permission de la puis-
sance à laquelle ces ports appartiendraient, il ne leur sera per-
mis d'y entrer qu'autant qu'ils y seront forcés par la violence
de la tempête ou par quelque autre nécessité urgente, pour se
soustraire aux périls de la mer et du naufrage : dans ce cas,
ils feront connaître sur-le-champ au commandant ou au magis.
trat supérieur de ce lieu , la cause de leur arrivée, et ils n'y sé-
journeront que le temps que ledit commandant ou magistrat
leur aura accordé , évitant, durant leur séjour, toutes les ac-
tions hostiles qui pourraient porter préjudice à ladite républi-
que ou audit roi.
' Le texte des pièces ci-après relatées est fsaciement conforme au texte d«
l'édition de Vimprimerie impériale,
' Becueil de Dumont, vol. VI, p. 81 de la deuxième paille.
— 320
Art. 19.
Il est stipulé que, ni ladite république, ui le roi, ne pourront
permettre que les vaisseaux et marchandises appartenant à
l'une des deux puissances ou à ses sujets, qui auront été cap-
turés, en quelque temps que ce soit, par les ennemis de l'autre
ou ses rebelles, et transférés dans les ports ou pays soumis à
l'autorité de Tune d'elles , soient vendus au préjudice de leurs
maîtres ou propriétaires; mais ils seront rendus à ces proprié-
taires ou à leurs fondés de procuration, pourvu qu'ils justifient
leur droit de propriété sur lesdils vaisseaux ou marchandises,
avant qu'ils soient vendus et déchargés, et qu'ils produisent les
preuves de leur propriété , dans le cours de trois mois après
l'entrée desdits vaisseaux et marchandises, et que, dans le
même espace de temps , ces propriétaires payent et acquittent
les frais de la conservation et de la garde desdits vaisseaux et
marchandises.
. 23.
Il est également stipulé que les biens et marchandises appar-
tenant à ladite république et au roi, et à leurs peuples et sujets
respectifs, qui auront été trouvés à bord des bâtiments ennemis
de l'une ou l'autre puissance , pourront être confisqués avec ces
bâtiments, et vendus publiquement ; mais que tous les biens et
marchandises appartenant aux ennemis de l'une ou de l'autre
puissance , et qui auront été chargés sur des vaisseaux appar-
tenant à l'une ou à l'autre, ou à leurs peuples et sujets respec-
tifs, resteront intacts.
II.
Page 96.
Extrait du traité de paix et de commerce conclu entre la France
et l'Angleterre, le 3 novembre 1655 '.
Art. 15.
En attendant qu'on puisse établir quelque chose de certain
pour empêcher les désordres qui pourraient arriver sur mer, a
' Léonard, t. V, p. 63.
— 321 —
clé convenu que durant quatre ans, à compter du jour de la ra-
tification du présent traité , les navires appartenant aux sujets
et peuples de part et d'autre, qui trafiqueront sur la mer Médi-
terranée ou du Levant, ou sur l'Océan , seront libres et rendront
leur charge libre, bien qu'il y eût dedans de la marchandise,
même des grains et légumes, appartenant aux ennemis de l'un
ou de l'autre ; sauf et excepté toutefois les marchandises de
contrebande, à savoir : poudre, mousquets et toute sorte d'ar-
mes, munitions, chevaux et équipages servant à la guerre;
même ne pourront transporter des hommes pour le service des
ennemis; auquel cas, tant les navires que marchandises et
équipages seront de bonne prise, ce qui sera aussi sévèrement
exécuté contre ceux qui transporteront des hommes, blés et
vivres, dans une place assiégée par l'un ou par l'autre.
Art. 22.
Les peuples et habitants de ladite république pourront sûre-
ment et librement naviguer et trafiquer dans les royaumes,
pays et lieux qui sont en paix, amitié ou neutralité avec elle, et
il ne leur sera donné aucun trouble ni empêchement par les
navires ou sujets dudit Roi, encore qu'il y eût inimitié et hosti-
lités entre Sa Majesté et ces royaumes, pays et lieux, ou aucun
d'iceux. Le même sera observé de la part de la république en-
vers les sujets et peuples de France, pourvu que ledit trafic ne
se fasse en aucun port ou ville assiégée par l'un ou par l'autre
des confédérés, et pourvu que ni l'un ni l'autre, leurs sujets et
peuples , ne transportent des marchandises de contrebande
dans lesdits royaumes, pays et lieux qui sont en inimitié et hos-
tilité avec l'un ou l'autre; à la charge aussi que l'article 15,
touchant les. marchandises défendues ou de contrebande, et les
villes ou places assiégées, sera observé de part et d'autre.
XI 21
— 322 —
III.
Page 96.
TRADUCTION.
Traité de commerce entre Charles II, roi d' Angleterre , et les
Provinces-Unies des Pays-Bas , fait à la Haye, le 17 fé-
vrier 1668 *.
Article premier.
11 sera permis aux sujets et habitants de la Grande-Bretagne
de naviguer et de commercer en pleine liberté et sécurité dans
tous les royaumes, pays, États avec lesquels la Grande-Breta-
gne est ou sera en état de paix, d'amitié ou de neutralité; et ils
ne seront troublés, dans cette liberté, par aucuns vaisseaux de
guerre, galères, corvettes ou autres bâtiments appartenant aux
Provinces-Unies ou à leurs sujets, quand même la guerre vien-
drait à s'allumer entre lesdites Provinces-Unies, d'une part, et
de l'autre, lesdits royaumes, pays , États alliés à la Grande-
Bretagne, ou respectant la neutralité à son égard.
Art. 2.
Cette liberté de naviguer et de commercer s'étendra à toutes
les espèces de marchandises, excepté seulement celles qui sont
déclarées de contrebande.
Art. 3.
Dans ce nombre , sont comprises seulement les armes à feu
de tout genre et celles qui y ont rapport , comme les canons,
bombes , mortiers , pétards, grenades, saucissons, affûts, pou-
dre à canon, mèches, salpêtre, balles, lances, épées, casques,
cuirasses, haches, chevaux, harnais, fourreaux de pistolet, gi-
bernes, baudriers, et autres ustensiles façonnés pour la guerre,
et appelés généralement en français assortiments servant à
l'usage de la guerre.
Art. 4.
Dans le nombre des marchandises prohibées ne seront pas
compris le blé , le froment , ni les autres grains et légumes,
' Extrait du Corps universel diplomatique du Droit des gens , par Du-
MONT, t. VII, p. 74.
— 323 —
l'huile, le vin , le sel , ni en général les provisions et denrées ;
mais tous les objets ainsi que toutes les marchandises qui ne
sont pas spécifiés dans l'article précédent, seront entièrement
libres, et il sera permis de les transporter dans les lieux appar-
tenant aux ennemis des Provinces-Unies , excepté seulement
les villes et les lieux bloqués ou investis.
Art. 5,
Mais, afin que ces stipulations soient observées convenable-
ment et avec ordre , il est convenu que les vaisseaux et bâti-
ments anglais qui, ayant de ces marchandises à bord, entreront
dans les ports des Provinces-Unies pour se rendre ensuite dans
les lieux ennemis desdites provinces, seront tenus de présenter
aux officiers de ces ports, des passe-ports qui contiennent l'in-
dication des marchandises qui composeront leur cargaison, et
dont l'état aura été approuvé et signé du sceau ordinaire par
les officiers des cours maritimes ou de l'amirauté des lieux
d'oîi ils auront mis à la voile , avec la désignation du lieu de
leur destination, le tout dans la forme ordinaire et accoutu-
mée; et, après l'exhibition de ces passe-ports, ces vaisseaux
ne pourront être détenus, gênés, empêchés, sous quelque pré-
texte que ce soit, de continuer leur route.
Art. 6.
Les vaisseaux et bâtiments anglais qui se tiendraient dans
les mouillages des côtes des Provinces-Unies , mais qui n'au-
ront pas le dessein d'entrer dans les ports ou d'y débarquer
leurs marchandises, ne seront pas tenus de rendre compte de
leurs cargaisons, à moins qu'on ne les soupçonne de porter à
l'ennemi des marchandises de contrebande , comme il a déjà
été dit.
Art. 7.
Dans ce cas de soupçon légitime , les sujets du roi de la
Grande-Bretagne seront tenus d'exhiber leurs passe-ports dans
la forme qui vient d'être désignée.
Art. 8.
Que s'ils s'approchaient des côtes et étaient rencontrés au
large par des bâtiments appartenant soit aux Provinces-Unies,
soit à ceux de leurs sujets qui les auraient équipés à leurs
— 324 —
frais, mais avec un diplôme public , afin de prévenir tout in-
convénient, ces vaisseaux des Provinces-Unies ou de leurs su-
jets n'approcheront pas des vaisseaux anglais; mais, se tenant
hors de la portée du canon , ils pourront mettre à la mer une
chaloupe , et monter, avec deux ou trois hommes seulement,
à bord des vaisseaux anglais, pour se faire représenter par le
commandant .ou maître du vaisseau les passe-poris ci-dessus
spécifiés, ainsi que les lettres de marque constatant la pro-
priété du navire , conformément à un formulaire qui sera joint
à ce traité, afin de s'assurer de la cargaison, et en même temps
du nom et du domicile du maître ou commandant , ainsi que
du nom du navire; de vérifier, par ce double moyen, s'ils ne
portent pas à l'ennemi des marchandises prohibées, et de con-
naître l'état du navire et de son maître ou commandant. Ces
passe-ports et lettres obtiendront une pleine confiance; mais,
pour (ju'il ne reste aucun doute sur leur authenticité, on y em-
ploiera de certains caractères , signes et sceaux du Roi et des
Provinces-Unies.
Art. 9.
Si, dans les vaisseaux ou bâtiments anglais, qui feraient
voile vers des ports ennemis des Provinces-Unies, on décou-
vrait, par les moyens ci-dessus énoncés, des marchandises pro-
hibées ou de contrebande, on les retirerait de ces vaisseaux,
et on les mettrait en vente en présence et par l'autorité des
juges maritimes ou autres compétents , sans que toutefois ni le
vaisseau , ni les autres marchandises non prohibées qui s'y
trouveraient puissent être vendus ou confisqués.
Art. 10.
11 est convenu en outre que toute marchandise chargée par
les sujets du roi de la Grande-Bretagne sur des vaisseaux en-
nemis des Provinces-Unies , quand même elle ne serait pas
comprise au nombre des marchandises de contrebande, sera
condamnée et confisquée avec toutes les autres marchandises qui
se trouveraient dans le même vaisseau , sans exception quel-
conque. Au contraire, tout ce qui sera saisi dans les vaisseaux
appartenant aux sujets du roi de la Grande-Bretagne , quoique
chargés en tout ou en partie par les ennemis des Provinces-
Unies , sera libre et intact , à l'exception des marchandises
prohibées, dont l'examen se fera conformément aux règlcb
établies dans les paragraphes précédents.
— 325 —
IV.
Page 97.
Extrait du traité de commerce , signé à f'frecht, te 1\ avril
1713, entre la France et V Angleterre.
Art. 17.
Il sera permis à tous les sujets du Roi Très-Ch rélien , et de
la reine de la Grande-Bretagne , de naviguer avec leurs vais-
seaux, en toute sûreté et liberté, et sans distinction de ceux à
qui les marchandises de leur chargement appartiendront, de
quelque port que ce soit, dans les lieux qui sont déjà ou qui
seront ci-après en guerre avec le Roi Très-Chrétien, ou avec la
reine de la Grande-Bretagne. 11 sera aussi permis auxdits su-
jets de naviguer et de négocier avec leurs vaisseaux et mar-
chandises, avec la même liberté et sûreté, des lieux, ports et
endroits appartenant aux ennemis des deux parties ou de l'une
d'elles, sans être aucunement inquiétés ni troublés, et d'aller
directement, non-seulement desdits lieux ennemis à un lieu
neutre, mais encore d'un lieu ennemi à un autre lieu ennemi,
soit qu'ils soient sous la juridiction d'un même ou de diffé-
rents princes ; et comme il a été stipulé , par rapport aux na-
vires et aux marchandises , que les vaisseaux libres rendront
les marchandises libres, et que l'on regardera comme libre
tout ce qui sera trouvé sur les vaisseaux appartenant aux su-
jets de l'un et de l'autre royaume, quoique tout le chargement
ou une partie du chargement appartienne aux ennemis de Leurs
Majestés, à l'exception cependant des marchandises de contre-
bande, lesquelles étant interceptées, il sera procédé conformé-
ment à l'esprit des articles suivants ; de même, il a été convenu
que cette môme liberté doit s'étendre aussi aux personnes qui
naviguent sur un vaisseau libre, de manière que, quoiqu'elles
soient ennemies des deux parties ou de l'une d'elles, elles ne
seront point tirées du vaisseau libre, si ce n'est que ce fussent
des gens de guerre actuellement au service desdils ennemis.
Aai. 18.
Cette liberté de navigation et de commerce s'étendra à toute
sorte de marchandises, à la réserve seulement de celles qui
— 326 —
sont exprimées dans l'article suivant, et désignées sous le nom
de marchandises de contrebande.
Art. 19.
On comprendra sous ce nom de marchandises de contre-
bande ou défendues, les armes, canons, arquebuses, mortiers,
pétards, bombes, grenades, saucisses, cercles poissés, affûts,
fourchettes , bandoulières , poudre à canon , mèches, salpêtre,
balles, piques, épées, morions, casques, cuirasses, hallebar-
des, javelines, fourreaux de pistolet, baudriers, chevaux avec
leurs harnais, et tous autres semblables genres d'armes et d'in-
struments de guerre servant à l'usage des troupes.
Art. 20.
On ne mettra point au nombre des marchandises défendues,
celles qui suivent ; savoir : toute sorte de draps et tous autres
ouvrages de manufactures de laine, de lin, de soie, de coton
et de toute autre matière , tout genre d'habillements avec les
choses qui servent ordinairement à les faire ; or, argent mon-
nayé et non monnayé, étain , fer, plomb, cuivre, laiton, char-
bons à fourneau, blé, orge, et toute autre sorte de grains et de
légumes; la nicotiane, vulgairement appelée tabac; toute sorte
d'aromates, chairs salées et fumées, poissons salés, fromages,
beurre, bière, huile, vins, sucre ; toute sorte de sels et de pro-
visions servant à la nourriture et à la subsistance des hommes;
tout genre de coton, cordages, câbles, voiles, toiles propres à
faire des voiles ; ancres et parties d'ancres, quelles qu'elles puis-
sent être ; mâts de navire, planches , madriers, poutres de
toute sorte d'arbres ; et de toutes les autres choses nécessaires
pour construire ou radouber les vaisseaux. On ne regardera
pas non plus comme marchandises de contrebande , celles qui
n'auront pas pris la forme de quelque instrument ou attirail
servant à l'usage de la guerre sur terre ou sur mer, encore
moins celles qui ne sont pas comprises et spécialement dési-
gnées dans l'article précédent ; en sorte qu'elles pourront être
librement transportées par les sujets des deux royaumes,
même dans les lieux ennemis, excepté seulement dans les pla-
ces assiégées, bloquées et investies.
Art. 24.
Que si les vaisseaux desdils sujets ou habitants de Leurs Se-
— 327 —
rénissimes Majestés, de part et d'autre, étaient rencontrés fai-
sant route sur les côtes ou en pleine mer, par quelques vais-
seaux de guerre de Leurs Sérénissimes Majestés , ou par quel-
ques vaisseaux armés par des particuliers, lesdits vaisseaux de
guerre ou armateurs particuliers, pour éviter tout désordre,
demeureront hors de la portée du canon, et pourront envoyer
leurs chaloupes au bord du vaisseau marchand qu'ils auront
rencontré, et y entrer seulement au nombre de deux ou trois
hommes , à qui seront montrées, par le maître ou capitaine de
ce vaisseau ou bâtiment, les lettres de mer qui contiennent la
preuve de la propriété du vaisseau , et conçues dans la forme
insérée au présent traité ; et il sera libre au vaisseau qui les
aura montrées, de poursuivre sa route sans qu'il soit permis de
le molester et le visiter en façon quelconque, ou de lui donner la
chasse, ou de l'obliger à se détourner du lieu de sa destination.
V.
Page 97.
Extrait du traité de navigation et de commerce , entre la
France et les Provinces-Unies des Pays-Bas^ signé le
11 avriiniZ,à Utrecht.
Aet. 17.
Tous les sujets et habitants de France et des Provinces-
Unies, pourront, en toute sûreté et liberté, naviguer avec leurs
vaisseaux , et trafiquer avec leurs marchandises , sans distinc-
tion de qui puissent être les propriétaires d'icelles , de leurs
ports, royaumes et provinces , et aussi des ports et royaumes
des autres États ou princes , vers les places de ceux qui sont
déjà ennemis déclarés , tant de la France que des Provinces-
Unies, ou de l'un des deux, ou qui pourraient le devenir.
Comme aussi les mêmes sujets et habitants pourront , avec la
même sûreté et liberté, naviguer avec leurs vaisseaux, et tra-
fiquer avec leurs marchandises, sans distinction de qui puis-
sent être les propriétaires d'icelles, des lieux, ports et rades do
ceux qui sont ennemis de l'une et de l'autre desdites parties,
ou de l'une des deux en particulier, sans contradiction ou dé-
tourbier de qui que ce soit, non-seulement à droiture desdites
— 328 —
places ennemies vers un lieu neutre , mais aussi d'une place
ennemie à l'autre, soit qu'elles se trouvent situées sous la juridic-
tion d'un même souverain, soit qu'elles le soient sous des divers.
Art. 18.
Ce transport et ce trafic s'étendront à toute sorte de mar-
chandises, à l'exception de celles de contrebande.
Art. 19.
En ce genre de marchandises de contrebande, s'entend seu-
lement être compris toutes sortes d'armes à feu, et autres as-
sortiments d'icelles, comme canons, mousquets, mortiers, pé-
tards, bombes, grenades, saucisses, cercles poissés, affûts,
fourchettes, bandoulières, poudre, mèches, casques, cuirasses,
hallebardes, salpêtre, balles, piques, épées, morions, javeli-
nes , chevaux, selles de cheval, fourreaux de pistolet, bau-
driers, et autres assortiments servant à l'usage de la guerre.
Art. 20.
Ne seront compris dans ce genre de marchandises de con-
trebande, les froments, blé et autres graines, légumes, huiles,
vins, sel, ni généralement tout ce qui appartient à la nourri-
ture et sustentation de la vie , mais demeureront libres comme
les autres marchandises et denrées non comprises en l'article
précédent, et en sera le transport permis même aux lieux en-
nemis desdits seigneurs États ; sauf aux villes et places assié-
gées, bloquées ou investies.
Art. 24.
Que s'ils étaient dans les rades , ou étaient rencontrés en
pleine mer par quelque navire desdits seigneurs États , ou
d'armateurs particuliers leurs sujets, lesdits navires des Pro-
vinces-Unies, pour éviter tout désordre, n'approcheront pas
plus près des Français que de la portée du canon , et pourront
envoyer leur petite barque ou chaloupe au bord des navires ou
barques françaises, et faire entrer dedans deux ou trois
hommes seulement , à qui seront montrés les passe-ports et
ettres de mer, par le maître ou patron des navires français,
en la manière ci-dessus spécifiée, selon le formulaire desdites
lettres de mer, qui sera inséré à la fin de ce traité, par lesquels
passe-ports et lettres de mer il puisse apparoir non-seulement
— 329 —
de sa charge, mais aussi du lien, de la demeure et résidence
tant du maître et patron que du navire même, afin que, par
ces deux moyens, on puisse connaître s'ils portent des mar-
chandises de contrebande , et qu'il apparaisse suffisamment
tant de la qualité du navire que de son maître et patron ; aux-
quels passe-ports et lettres de mer se devra donner entière foi
et créance : et afin que l'on en connaisse mieux la validité, et
qu'elles ne puissent, en aucune manière, être falsifiées et con-
trefaites, seront donnés certaines marques et contre-seing de
Sadite Majesté, et desdits seigneurs États Généraux.
VI*.
Page 99.
Extrait du registre des résolutions de LL. HH. PP. les sei-
gneurs États Généraux des Provinces-Unies^ sur le Mémoire
remis par M. Yorck^ dans une conférence ou, ce ministre a
été appelé par LL. HH. PP.
Vendredi, le 22 décembre 1758.
M. Yorck, ministre plénipotentiaire de S. M. le roi de la
Grande-Bretagne , ayant demandé d'entrer en conférence avec
MM, les députés de Leurs Hautes Puissances, pour les affaires
étrangères, leur a remis le pro memoria ci-dessous inséré.
" Dans la conférence que j'ai obtenue de Leurs Hautes Puis-
sances le 7 de ce mois, j'ai eu l'honneur d'annoncer que le Roi
mon maître m'avait autorisé et instruit par ses ordres, d'en-
trer en négociation avec telles personnes que Leurs Hautes
Puissances jugeraient à propos de nommer pour cet effet ; mais
que, l'affaire exigeant du détail , il ne serait pas possible d'en
venir à bout sans quelque éclaircissement ultérieur. C'est avec
bien du plaisir que je vois ouvrir nos conférences aujourd'hui
sur ce sujet important, et je me flatte que si Leurs Hautes
Puissances sont animées du même désir qu'est Sa Majesté pour
une réconciliation parfaite, nous la verrons bientôt arriver.
« Leurs Hautes Puissances, par deux résolutions des 12 et
25 septembre de cette année, qu'elles m'ont fait remettre le
' Par une erreur typographique , le renvoi de ceUe pi^cc a été indiqué :
page 77 de ce volume, au lieu de : Notes et Documents.
— 330 —
lendemain, ont jugé nécessaire de faire quelques difficultés sur
l'admission de la déclaration que j'ai eu l'honneur de leur faire
au nom du Roi contre le commerce que leurs sujets font aux
colonies françaises en Amérique, et pour le compte des Fran-
çais de ces mômes colonies. Sa Majesté en ayant été instruite,
m'a ordonné de déclarer qu'elle ne saurait se départir de sa
déclaration précédente. Elle ne croit pas cette prétention fon-
dée dans les traités qui existent entre Sa Majesté et la répu-
blique ; et si même les personnes intéressées dans ce com-
merce en pouvaient assez tordre le sens pour éblouir leurs
partisans et former là-dessus un grief contre l'Angleterre, le Roi
est persuadé que Leurs Hautes Puissances verront avec plaisir
que Sa Majesté éloigne la discussion de ce traité, qui se trouve
lié avec tant d'autres qui intéressent également ce royaume,
et qu'elle s'attache uniquement à rendre tous les services et
faire toutes les grâces aux sujets de ses anciens aUiés , qui ne
préjudicient pas notoirement au bien-être et au salut de son
peuple. C'est sous ce point de vue que Sa Majesté regarde le
commerce direct ou indirect avec les colonies françaises en Amé-
rique. Sa Majesté étant en guerre avec le Roi Très-Chrétien, ne
saurait espérer d'en sortir avec sûreté, ni obtenir une paix
prompte et stable, l'unique but de Sa Majesté, si les puissances
qui se sont déclarées neutres dans cette guerre , au lieu de se
contenter de faire leur propre commerce avec sûreté, s'arro-
gent le droit de faire en même temps celui de ses ennemis,
qu'il n'est pas permis de faire en temps de paix. L'injustice
d'un tel procédé est trop claire pour avoir besoin qu'on en dise
davantage , et on ose en appeler à la conduite même de Leurs
Hautes Puissances en pareil cas ; jamais elles ne l'ont permis,
et le salus populi s'est toujours déclaré contre , dans tous les
pays qui se sont trouvés dans des circonstances semblables.
« Sa Majesté voit fleurir et verrait accroître avec plaisir le
commerce de ses voisins, d'abord que cette première loi ne s'y
oppose pas, et elle ne peut jamais se persuader que ses an-
ciens alliés soient les premiers à vouloir, pour les profits pas-
sagers de quelques particuliers , que l'Angleterre soit lésée si
essentiellement. Envisagé sous ce point de vue, je ne saurais
douter que Leurs Hautes Puissances ne donnent au Roi la salis-
faction d'apprendre qu'elles y renoncent de bonne foi pour
leurs sujets, et que cette pierre d'achoppement ne soit ôtée
pour toujours. En constatant ce point , Sa Majesté m'ordonne
de comprendre le chargement d'un vaisseau à un autre , com-
— 331 —
munément appelé overshcppen , qui se fait d'un vaisseau fran-
çais à un vaisseau hollandais, quand le premier, n'osant con-
tinuer sa route, cherche à se sauver sous pavillon neutre, afin
d'éviter la rencontre des vaisseaux du Roi en mer. Leurs
Hautes Puissances , en reconnaissant la justice de ma première
demande, ne sauraient me refuser la seconde , puisque ce se-
rait déclarer qu'on traite de bonne foi, tandis qu'en même
temps on laisserait une porte plus dangereuse ouverte pour la
fraude, laquelle l'équité de Leurs Hautes Puissances désap-
prouvera en toute occasion, s'il s'agit maintenant de fermer la
porte à toute dispute ultérieure , et de faire renaître entre les
deux nations la bonne harmonie et le bon voisinage.
« Le dernier point de mes instructions, qui regarde les de-
mandes amicales que Sa Majesté fait à Leurs Hautes Puissan-
ces , exige un peu plus de détails que je ne suis à même d'en
fournir ; mais je dois pourtant le déclarer, en me réservant de
m'expliquer plus précisément ensuite. Le Roi mon maître , de-
puis le commencement de la guerre , a vu passer, non sans
peine, devant ses ports, mais sans les molester, un grand nom-
bre de vaisseaux hollandais chargés de tous les matériaux
pour charger, construire et réparer les flottes de ses ennemis.
Sa Majesté demande que certaines munitions navales soient
comprises dans la classe des contrebandes ; mais elle s'enten-
dra avec Leurs Hautes Puissances , pour que le commerce in-
nocent de leurs sujets (s'il m'est permis de me servir de ce
terme) au nord de l'Europe , ne soit pas enveloppé dans cet
article. Leurs Hautes Puissances , qui sont elles-mêmes une
puissance maritime , et qui savent en disputer et en défendre
les prérogatives , ne pourront jamais contester que , dans la
présente guerre contre la France , il ne soit de l'intérêt et du
devoir du Roi d'empêcher que la marine de son ennemi ne
devienne trop formidable , et de faire son possible pour l'affai-
blir. Pourra-t-on disputer que les munitions navales ne soient
aussi nuisibles que les boulets , les bombes et la poudre à
canon?
« Voilà jusqu'où portent mes instructions par rapport à la
satisfaction que le Roi se croirait en droit d'exiger de l'amitié
et de la justice de la république, quand môme il n'y aurait pas
d'autres fondements sur lesquels il pût bâtir ses prétentions ;
mais j'ai déjà déclaré que le désir pur de Sa Majesté de lier sa
sûreté avec le commerce de Leurs Hautes Puissances, m'em-
pêche de m'étendre là-dessus.
— 332 —
« Je viens présentement aux articles de la résolution du
25 septembre de cette année.
« 1° Quant à la demande contenue dans les premiers arti-
cles , je dois faire observer à Leurs Hautes Puissances que ce
même traité qu'elles réclament avec tant de force , prescrit la
manière de procéder en cas de saisie ou de détention , et
qu'elles ne doivent point vouloir une coercition de pouvoir
extrajudiciaire de la part de Sa Majesté, dont les mains sont
liées , et par les lois vis-à-vis de ses sujets, et par les traités
vis-à-vis des puissances étrangères. S'il y a eu des sentences
hors des règles, ou que le juge se soit laissé séduire par les
apparences au temps de l'audience, ou qu'il y ait eu des délais
dont on s'est cru en droit de se plaindre, le tribunal suprême
établi pour juger en dernier ressort, a toujours été prêt à revi-
ser et corriger les abus , s'il y en a eu dans les cours inférieu-
res. Mais Leurs Hautes Puissances me permettront de dire,
sans décider la question, que jusqu'à présent aucun appel n'a
été porté jusque-là, malgré les assurances que plusieurs per-
sonnes en ont données à Leurs Hautes Puissances. C'est un
fait dont tout le monde s'étonne en Angleterre ; et si les appe-
lants avaient voulu être amis, le nombre des plaintes aurait
certainement diminué considérablement. Cependant, pour
aider et soulager les sujets de Leurs Hautes Puissances autant
qu'il est possible, et pour ne pas confondre l'innocent avec le
coupable, Sa Majesté vient d'ordonner qu'on lui remette une
liste exacte de tous les vaisseaux hollandais détenus dans les
ports, afin de faire entendre raison aux capteurs de vaisseaux
arrêtés sous des prétextes frivoles , pour les engager à les re-
lâcher, et de presser la décision des jugements de tous. S'il
reste quelque chose à faire pour l'aisance ultérieure et la sû-
reté future de la navigation de la république , Sa Majesté s'y
prêtera volontiers.
« La nation souhaite de seconder les intentions favorables du
Roi là-dessus ; mais ces choses , qui regardent l'intérieur, ne
sauraient être traitées vis-à-vis de l'étranger. Je me flatte que
ces assurances suffiront pour calmer les craintes mal fondées
qui se sont élevées parmi un certain nombre de personnes
dans ce pays.
« 11 faut, dans des affaires aussi importantes et aussi com-
phquées, un peu de confiance et un éloignement pour tout ce
qui peut aigrir.
2° Au second article de la susdite résolution, j'ose presque
— 333 —
assurer Vos Hautes Puissances que si elles entrent cordiale-
ment dans la situation de Su Majesté dans la présente guerre,
et lui témoignent de la facilité dans les points qu'elle croit
pouvoir exiger de leur part , elles auront toute la satisfaction
et toute la siîrelé possibles, l'intention de Sa Majesté étant que
les sujets de Vos Hautes Puissances puissent en plein jouir des
privilèges et immunités du traité de 1674, autant que l'accom-
modement présent n'y déroge point.
« 3° Sur le troisième article : lorsque Leurs Hautes Puis-
sances seront d'accord avec Sa Majesté sur les points que j'ai
demandés au nom du roi, il ne sera pas difficile de s'entendre
sur le contenu de celui-ci.
« A" Cet article renferme des plaintes qui ne sont peut-
être que trop fondées, des excès de quelques-uns des arma-
teurs anglais ou soi-disant tels , et Sa Majesté est véritable-
ment pcinée qu'à la honte de ses sujets, de pareilles violences
aient été commises ; toute la nation s'unit pour vouloir les
réprimer.
« Je prends la liberté de communiquer ici l'ordre émané de
l'amirauté de la Grande-Bretagne pour cet effet , et pour l'hon-
neur de la bourse de Londres , d'y ajouter un avertissement de
leur part, pour aider à amener en justice les coupables. Sa
Majesté demande à Leurs Hautes Puissances de l'aider à mettre
ordre à ces excès , en encourageant leurs sujets de poursuivre
les coupables juridiquement, dans laquelle poursuite ils auront
toute la protection et tout l'encouragement possibles ; et le Roi
s'étonne qu'après tant d'instances faites dans ce pays-ci pour
procurer des témoins, aucun n'a voulu, malgré toutes les offres
faites pour le récompenser, entreprendre le voyage. Qu'il me
soit permis d'ajouter ici qu'il y a de l'injustice à souffler le feu
contre une nation voisine , qui ne demande pas mieux que
d'aider à punir les coupables renfermés dans son sein.
«« 5° Je prends la liberté de m'en référer au contenu de mon
premier article, pour répondre au cinquième de la résolution
de Leurs Hautes Puissances , en y ajoutant que le Roi verra
avec plaisir tous les moyens (ju'on pourra lui proposer pour
constater la vérité des papiers des vaisseaux dont il n'y a eu
que trop d'abus jusqu'à présent. »
Sur quoi, ayant été délibéré, il a été trouvé bon et arrêté
tjue copie du susdit pro memoria sera remise à M. Welderen et
autres députés de Leurs Hautes Puissances pour les affaires
étrangères, pour visiter, examiner et prendre là-dessus les
— 334 —
sages considérations et l'avis de Son Altesse Royale, et de faire
rapport de tout ceci à l'assemblée.
VII.
Page 101.
Extrait du traité définitif entre Sa Majesté Britannique, le Roi
Très-Chrétien, et le Roi d'Espagne; signé à Paris, le 10 fé-
vrier 1763.
Art. 11.
Les traités de Weslphalie de 1648; ceux de Madrid, entre
les couronnes de la Grande-Bretagne et d'Espagne, de 1667
et de 1670 ; les traités de paix de Nimègue, de 1678 et de 1679 ;
de Ryswyck, de 1697 ; ceux de paix et de commerce d'Utrecht,
de 1713; celui de Bade, de 1714, etc., servent de base et de
fondement à la paix et au présent traité; et pour cet effet ils
sont tous renouvelés et confirmés dans la meilleure forme ,
ainsi que tous les traités en général qui subsistaient entre les
hautes parties contractantes avant la guerre , et comme s'ils
étaient insérés ici mot à mot, en sorte qu'ils devront être ob-
servés exactement à l'avenir, dans tous leurs points, auxquels
il n'est pas dérogé par le présent traité , nonobstant tout ce
qui pourrait avoir été stipulé au contraire par aucune des hau-
tes parties contractantes; et toutes lesdites parties déclarent
qu'elles ne permettront pas qu'il subsiste aucun privilège,
grâce ou indulgence, contraire aux traités ci-dessus confirmés,
à l'exception de ce qui aura été accordé et stipulé par le pré-
sent traité.
VIII.
Page 101.
Extrait du traité de commerce et de navigation^ signé à Saint-
Pétersbourg, le 20 juin 1766^ entre l'empereur de toutes les
Russies et la Grande-Bretagne.
Art. 10.
Commerce neutre en temps de guerre.
Il sera permis aux sujets des deux hautes parties contrac-
tantes , d'aller, venir et commercer librement dans les États
avec lesquels Tune ou l'autre de ces parties se trouvera, pré-
— 335 —
sentement ou à l'avenir, en guerre, bien entendu qu'ils ne por-
tent point de munitions à l'ennemi : on en excepte néanmoins
les places actuellement bloquées ou assiégées, tant par terre
que par mer ; mais en tout autre temps et à l'exception des
munitions de guerre, les susdits sujets pourront transporter
dans ces places toute autre sorte de marchandises , ainsi que
des passagers, sans le moindre empêchement. Quant à la visite
des vaisseaux marchands, les vaisseaux de guerre et les arma-
teurs se comporteront aussi favorablement que la raison de
guerre, pour lors existante, pourra jamais le permettre vis-à-
vis des puissances les plus amies qui resteront neutres , en
observant le plus qu'il sera possible, les principes et les règles
du droit des gens généralement reconnus.
Art. 11.
Contrebande de guerre.
Tous les canons, mortiers, armes à feu, pistolets, bombes,
grenades, boulets, balles, fusils, pierres à feu, mèches, pou-
dre, salpêtre , soufre , cuirasses , piques , épées , ceinturons,
poches à cartouches, selles et brides, au delà de la quantité
qui peut être nécessaire pour l'usage du vaisseau , ou au delà
de celle que doit avoir chaque homme servant sur le vaisseau
et passager, seront réputés provisions ou munitions de guerre;
et s'il s'en trouve , elles seront confisquées , selon les lois,
comme contrebande ou effets prohibés : mais , ni les vais-
seaux, ni les passagers, ni les autres marchandises qui se trou-
veront en même temps, ne seront détenus ni empêchés de
continuer leur voyage.
IX.
Page 101.
Extrait du traité de commerce, signé le 6 février 1778, entre
la France et les États-Unis de l Amérique.
ÂBT. 23.
liberté dn commerce avec l'ennemi : droit du pavillon neutre.
Il sera permis à tous et chacun des sujets du Roi Très-Chré-
tien , et aux citoyens , peuples et habitants des susdits États-
Unis , de naviguer avec leurs bâtiments , avec toute liberté et
— 336 —
sûreté, sans qu'il puisse être lait d'exception à cet égard , à
raison des propriétaires des marchandises chargées sur lesdits
bâtiments , venant de quelque port que ce soit , et destinés
pour quelque place d'une puissance actuellement ennemie, ou
qui pourra l'être dans la suite, de Sa Majesté Très-Chrétienne ou
des États-Unis. Il sera également permis aux sujets ou habi-
lanls susmenliennés, de naviguer avec leurs vaisseaux et mar-
chandises, et de fréquenter avec la même liberté et sûreté les
places , ports et havres des puissances ennemies des deux
parties contractantes, ou d'une d'entre elles, sans opposition
ni trouble, et de faire le commerce non -seulement directe-
ment des ports de l'ennemi susdit à un port neutre, mais
aussi d'un port ennemi à un autre port ennemi, soit qu'il se
trouve sous sa juridiction ou sous celle de plusieurs ; et il est
stipulé par le présent traité que les bâtiments libres assure-
ront également la liberté des marchandises , et qu'on jugera
libres toutes les choses qui se trouveront à bord des navires
appartenant aux sujets d'une des deux parties contractantes,
quand même le chargement ou partie d'icelui, appartiendrait
aux ennemis de l'une des deux ; bien entendu néanmoins que
la contrebande sera toujours exceptée. Il est également con-
venu que cette même liberté s'étendrait aux personnes qui
pourraient se trouver à bord du bâtiment libre, quand même
elles seraient ennemies de l'une des deux parties contractan-
tes ; et elles ne pourront être enlevées desdits navires , à
moins qu'elles ne soient militaires et actuellement au service
de l'ennemi.
Art. 24.
Marchandises de contrebande et marchandises libres.
Cette liberté de navigation et de commerce doit s'étendre
sur toute sorte de marchandises, à l'exception seulement de
celles qui sont désignées sous le nom de contrebande. Sous
ce nom de contrebande ou de marchandises prohibées , doi-
vent être compris les armes, canons, bombes avec leurs fusées,
et autres choses y relatives ; boulets, poudre à tirer, mèches,
piques, épées , lances, dards, hallebardes, mortiers, pétards,
grenades , salpêtre , fusils , balles, boucliers , casques , cuiras-
ses, colles de mailles et autres armes de celte espèce, propres
à armer les soldats ; porte-mousquetons, baudriers , chevaux
avec leurs équipages , et tous autres instruments de guerre
— 337 —
quelconques. Ixs marchandises dénommées ci-après ne seront
pas comprises parmi la contrebande ou choses prohibées ; sa-
voir : toute sorte de draps, et toutes autres étoffes de laine,
lin, soie, coton, ou d'autres matières quelconques; toute sorte
de vêtements avec les étoffes dont on a coutume de les faire ;
l'or et l'argent monnayé ou non, l'étain, le fer, laiton, cuivre,
airain , charbon ; de même que le froment et l'orge , et toute
autre sorte de blés et légumes; tabac et toute sorte d'épice-
ries ; la viande salée et fumée, poisson salé, fromage, beurre,
bière, huiles, vins, sucre, et toute espèce de sel, et en général
toutes provisions servant pour la nourriture de l'homme et
pour le soutien de la vie; de plus, toute sorte de coton, de
chanvre, lin, goudron, poix, cordes, câbles, voiles, toiles à
voiles, ancres, parties d'ancres, mâts , planches , madriers,
bois de toute espèce ; et toutes autres choses propres à la con-
struction et réparation des vaisseaux , et autres matières quel-
conques qui n'ont pas la forme d'un instrument préparé pour
la guerre par terre comme par mer, ne seront pas considérées
comme contrebande, et encore moins celles qui sont déjà pré-
parées pour quelque autre usage. Toutes les choses dénom-
mées ci-dessus doivent être comprises parmi les marchandises
libres, de même que toutes les autres marchandises et effets qui
ne sont pas compris et particulièrement nommés dans l'énu-
mération des marchandises de contrebande, de manière qu'elles
pourront être transportées et conduites de la manière la plus
libre, par les sujets des deux parties contractantes, dans des
places ennemies, à l'exception néanmoins de celles qui se trou-
veraient actuellement assiégées ou investies.
Art. 27.
Visitation par des vaisseaux de guerre.
Lorsqu'un bâtiment appartenant auxdits sujets , peuples et
habitants de l'une des deux parties contractantes, sera rencon-
tré naviguant le long des côtes ou en pleine mer par un vais-
seau de guerre de l'autre ou par un armateur, ledit vaisseau
de guerre ou armateur, aiiu d'éviter tout désordre, se tiendra
hors de la portée du canon, et pourra envoyer sa chaloupe à
bord du bâtiment marchand, et y faire entrer deux ou trois
hommes, auxquels le maître ou commandant du bâtiment
montrera son passe-port, lequel devra être conforme à la for-
mule annexée au présent traité, et constatera la propriété du
xt 22
— 338 —
bâtiment; et après que ledit bâtiment aura exhibé un pareil
passe-port, il lui sera libre de continuer son voyage ; et ne sera
permis de le molester ni de chercher en aucune manière à lui
donner la chasse, ou de le forcer de quitter la course qu'il s'é-
tait proposée.
X.
Page 102.
Déclaration de S. M. l'impératrice de toutes les Russies aux
cours de Londres, Versailles et Madrid ^ présentée dans le
mois de mars 1780*.
L'impératrice de toutes les Russies a si bien manifesté les
sentiments de justice, d'équité et de modération qui l'animent,
et a donné des preuves si évidentes , pendant le cours de la
guerre qu'elle avait à soutenir contre la Porte Ottomane , des
égards qu'elle a pour les droits de la neutralité et de la liberté
du commerce général , qu'elle peut s'en rapporter au témoi-
gnage de toute l'Europe. Cette conduite , ainsi que les princi-
pes d'impartialité qu'elle a déployés pendant la guerre actuelle,
ont dû lui inspirer la juste confiance que ses sujets jouiraient
paisiblement des fruits de leur industrie et des avantages ap-
partenant à toute nation neutre. L'expérience a cependant
prouvé le contraire : ni ces considérations-là, ni les égards dus
à ce que prescrit le droit des gens universel , n'ont pu empê-
cher que les sujets de Sa Majesté impériale n'aient été souvent
molestés dans leur navigation et arrêtés dans leurs opérations
par celles des puissances belligérantes. Ces entraves mises à la
liberté du commerce général et de celui de la Russie en parti-
culier, sont de nature à exciter l'attention des souverains et de
toutes les nations neutres. L'Impératrice voit résulter pour elle
l'obligation de l'en affranchir par tous les moyens compati-
bles avec sa dignité et avec le bien-être de ses sujets; mais
avant d'en venir à l'effet, et dans l'intention sincère de préve-
nir de nouvelles atteintes, elle a cru être de sa justice d'exposer
aux yeux de l'Europe les principes qu'elle va suivre et qui sont
' Recueil des traites, par MARTEKiJ, t. Il, p. 74.
— 339 —
propres à lever tout malentendu , et ce qui pourrait y donner
lieu. Elle le fait avec d'autant plus de confiance, qu'elle trouve
consignés ces principes dans le droit primitif des peuples que
toute nation est fondée à réclamer, et que les puissances belli-
gérantes ne sauraient les invalider sans violer les lois de la
neutralité et sans violer les maximes qu'elles ont adoptées,
nommément dans différents traités et engagements publics. Ils
se réduisent aux points qui suivent :
1» Que les vaisseaux neutres puissent naviguer librement de
port en port et sur les côtes des nations en guerre ;
2° Que les effets appartenant aux sujets desdites puissances
en guerre soient libres sur les vaisseaux neutres, à l'exception
des marchandises de contrebande ;
3° Que l'Impératrice se tient , quant à la fixation de celles-ci,
à ce qui est énoncé dans les articles 10 et 11 de son traité de
commerce avec la Grande-Bretagne , en étendant ces obliga-
tions à toutes les puissances en guerre ;
4" Que pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué,
on n'accorde cette dénomination qu'à celui où il y a , par la
disposition de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux
arrêtés et suffisamment proches, un danger évident d'entrer ;
5" Que ces principes servent de règles dans les procédures
et les jugements sur la légalité des prises.
Sa Majesté Impériale, en les manifestant, ne balance pas à dé-
clarer que, pour les maintenir, et afin de protéger l'honneur de
son pavillon, la sûreté du commerce et de la navigation de ses
sujets, contre qui que ce soit, elle fait appareiller une partie
considérable de ses forces maritimes. Cette mesure n'influera
cependant d'aucune manière sur la stricte et rigoureuse neu-
tralité qu'elle a saintement observée , et qu'elle observera tant
qu'elle ne sera provoquée et forcée de sortir des bornes de mo-
dération et d'impartialité parfaite. Ce n'est que dans cette extré-
mité que sa flotte aura ordre de se porter partout où l'honneur,
l'intérêt et le besoin l'appelleront.
En donnant cette assurance formelle, avec la franchise pro-
pre à son caractère, l'Impératrice ne peut que se promettre
que les puissances belligérantes , pénétrées des sentiments de
justice et d'équité dont elle est animée, contribueront à l'ac-
complissement de ses vues salutaires, qui tendent si manifeste-
ment à l'utilité de toutes les nations et à l'avantage même de
celles en guerre; qu'en conséquence elles muniront leurs ami-
rautés et officiers commandants , d'instructions analogues et
— 340 —
conformes aux principes ci-dessus énoncés , puisés dans le
code primitif des peuples et adoptés si souvent dans leurs con-
ventions.
XI.
Page 103.
Extrait du registre des résolutions de LL. UR. PP. les États
Généraux des Provinces -Unies des Pays-Bas, du lundi
24 avril 1780; en réponse au Mémoire de la Russie, présenté
le 3 avril.
Ayant été délibéré par résomption sur le Mémoire que le
jjrince de Gallitzin, envoyé extraordinaire de S. M. l'impéra-
trice de toutes les Russies , a présenté à l'assemblée le 3 du
courant, accompagné d'une déclaration faite par Sadite Majesté
Impériale aux cours d'Angleterre, de France et d'Espagne , au
sujet de la liberté du commerce et de la navigation de ses su-
jets, et par lequel Mémoire ce ministre fait connaître à Leurs
Hautes Puissances les dispositions de sa souveraine à protéger,
de concert avec les puissances neutres, le commerce cl la navi-
gation de leurs sujets respectifs, le tout mentionné plus au
long dans les actes du 3 susdit, il a été trouvé bon et arrêté
qu'il sera répondu à M. le prince de Gallitzin sur sondii Mé-
moire, que Leurs Hautes Puissances ont reçu avec beaucoup de
satisfaction la communication qu'il a plu à Sa Majesté Impériale
de leur faire donner de ses vues, et de la déclaration qu'elle a
fait faire aux cours de Londres, de Versailles et de Madrid;
que Leurs Hautes Puissances envisagent cette communication
comme une preuve éclatante des bonnes dispositions de Sa Ma-
jesté Impériale pour la république, et qu'elles se font un honneur
et un devoir d'y répondre cordialement et avec sincérité; que
Leurs Hautes Puissanceslouent et considèrent comme un nouvel
ctfet de la magnanimité et de la justice reconnues de Sa Majesté
Impériale, aussi bien le but qu'elle s'est proposé que les moyens
qu'elle a conçus pour maintenir, pendant la guerre présente,
la plus exacte neutralité et pour assurer non-seulement l'hon-
neur du pavillon russe et la liberté du commerce et de la na-
vigation de SCS sujets, et ne pas permettre qu'aucune des puis-
— 341 —
sances qui sont en guerre y porte la moindre atteinte , mais
aussi pour veiller pour les libertés et le repos de l'Europe, et
établir et fixer sur les fondements les plus solides de l'équité et
du droit des gens et des traités qui subsistent, un système équi-
table pour la navigation et le commerce des puissances neu-
tres.
Que Leurs Hautes Puissances désirant entretenir ainsi que Sa
Majesté Impériale une exacte neutralité durant la guerre pré-
sente, n'ont que trop expérimenté les dommages que souflVent
la navigation et le commerce des puissances neutres, par les
idées vagues et arbitraires que se font les puissances belligé-
rantes du droit des neutres , selon qu'elles y sont portées par
leur intérêt particulier et les opérations de la guerre ; et que
c'est pour cette raison que Leurs Hautes Puissances jugent,
ainsi que Sa Majesté Impériale, qu'il est de la première nécessité
que ce droit soit établi sur des fondements solides, et main-
tenu de concert par les puissances maritimes neutres; que re-
lativement à la détermination de ce droit, Leurs Hautes Puis-
sances se conformant entièrement aux cinq points contenus
dans la déclaration faite par Sa Majesté Impériale aux cours de
Versailles, de Madrid et de Londres, et communiquée de sa
part à Leurs Hautes Puissances, le 3 avril, par M. le prince de
Gallitzin, sont, à l'exemple de Sa Majesté Impériale, toutes prêtes
à faire une déclaration semblable aux puissances belligérantes :
Leurs Hautes Puissances étant aussi très-disposées à entrer avec
cette princesse, et les autres puissances maritimes neutres, en
conférence sur les mesures par lesquelles , en observant une
neutralité exacte entre les puissances qui sont en guerre, la
liberté de la navigation du commerce puisse être maintenue
à forces réunies, de la manière la plus efficace , tant pour l'a-
venir que pour le présent.
Et sera remis extrait de la présente résolution de Leurs
Hautes Puissances par l'agent Van-der-Burch de Spierings-
hoech, à M. le prince de G«//?7sïn, envoyé extraordinaire de
S, M, l'impératrice de toutes les Russies, lequel sera prié d'en
faire part à Sa Majesté Impériale, et de lui présenter celte
réponse sous l'aspect le plus favorable, l'accompagnant de ses
bons offices.
-JrU .'.t-
— 342 —
XII.
Page 103.
Copie de la déclarât ion de Sa Majesté Danoise, aux cours de Lon-
dres, de Versailles et de Madrid, datée du S juillet 1780.
Si la neutralité la plus exacte et la plus parfaite, avec la na-
vigation la plus régulière et le respect le plus inviolable pour
les traités , avait pu mettre la liberté du commerce maritime
des sujets du roi de Danemark et de Norvège à l'abri des mal-
heurs qui devraient être inconnus à des nations qui sont en
paix, et libres et indépendantes, il ne serait point nécessaire
de prendre de nouvelles mesures pour leur assurer cette li-
berté à laquelle elles ont le droit le plus incontestable. Le roi
de Danemark a toujours fondé sa gloire et sa grandeur sur l'es-
time et la confiance des autres peuples ; il s'est fait, depuis le
commencement de son règne , la loi de témoigner à toutes les
puissances amies les ménagements les plus convenables, de les
convaincre de ses sentiments pacifiques et de son désir sincère
de contribuer au bonheur général de l'Europe : ses procédés
les plus uniformes, et que rien ne peut obscurcir, en font foi.
11 ne s'est jusqu'à présent adressé qu'aux puissances belligé-
rantes elles-mêmes, pour obtenir le redressement de ses griefs ;
et il n'a jamais manqué de modération dans ses demandes, ni
de reconnaissance lorsqu'elles ont eu le succès qu'elles de-
vaient avoir; mais la navigation neutre a été trop souvent mo-
lestée, et le commerce de ses sujets le plus innocent, trop fré-
quemment troublé , pour que le Roi ne se crût pas obligé de
prendre actuellement des mesures propres à s'assurer à lui-
même et à ses alliés la sûreté du commerce et de la naviga-
tion, et le maintien des droits inséparables de la liberté et de
l'indépendance. Si les devoirs de la neutralité sont sacrés, le
droit des gens a aussi ses arrêts avoués par toutes les nations
impartiales, établis par la coutume, et fondés sur l'équité et la
raison. Une nation indépendante et neutre ne perd point, par
la guerre d'autrui, les droits qu'elle avait avant cette guerre,
puisque la paix existe pour elle avec tous les peuples belligé-
rants , sans recevoir et sans avoir à suivre les lois d'aucun
d'eux. Elle est autorisée à faire, dans tous les lieux (la contre-
— 343 —
bande exceptée), le trafic qu'elle aurait droit de faire si la paix
existait dans toute l'Europe, comme elle existe pour elle. Le Roi
ne prétend rien au delà de ce que la neutralité lui attribue;
celle-ci est sa règle et celle de son peuple ; et Sa Majesté ne pou-
vant avouer le principe qu'une nation belligérante est en droit
d'interrompre le commerce de ses États , elle a cru devoir à
soi-même, à ses peuples, fidèles observateurs de ses règle-
ments, et aux puissances en guerre elles-mêmes, de leur expo-
ser les principes suivants, qu'elle a toujours eus, et qu'elle
avouera et soutiendra toujours, de concert avec S. M. l'impé-
ratrice de toutes les Russies, dont elle a reconnu les sentiments
entièrement conformes aux siens :
1° Que les vaisseaux neutres peuvent naviguer librement de
port en port, et sur les côtes des nations en guerre ;
2" Que les effets appartenant aux sujets des puissances en
guerre, soient libres sur les vaisseaux neutres , à l'exception
des marchandises de contrebande ;
3° Qu'on n'entende, sous cette dénomination de contre-
bande , que ce qui est expressément désigné comme tel dans
l'article 3 de son traité de commerce avec la Grande-Bretagne,
de l'année 1670, et dans les articles 26 et 27 de son traité de
commerce avec la France, de l'année 1742 ; et le Roi avouera
également ce qui se trouve fixé dans ceci vis-à-vis de toutes les
puissances avec qui il n'a point de traité ;
4° Qu'on regarde comme un port bloqué, celui dans lequel
aucun bâtiment ne peut entrer sans un danger évident, à cause
des vaisseaux de guerre stationnés pour en former de près le
blocus effectif;
5° Que ces principes servent de règle dans les procédures, et
que justice soit rendue avec promptitude , et après les docu-
ments de mer, conformes aux traités et aux usages reçus.
Sa Majesté ne balance point à déclarer qu'elle maintiendra
ces principes, ainsi que l'honneur de son pavillon, et la liberté
et l'indépendance du commerce et de la navigation de ses su-
jets, et que c'est pour cet effet qu'elle a fait armer une partie de
sa flotte, quoiqu'elle désire de conserver avec toutes les puis-
sances en guerre , non-seulement la bonne intelligence, mais
même toute l'intimité que la neutralité peut admettre, etc.
Signé Bernstorf.
XIII.
Page 103.
Copie de la déclaration de Sa Majesté Suédoise aux puissances
belligérantes; expédiée aux cours de Versailles , de Londres
et de Madrid^ datée d' Aix-la-Chapelle, le 21 juillet 1780.
Depuis le commencement de la présente guerre, le Roi a eu
soin de faire connaître sa façon de penser à toute l'Europe. Il
s'est imposé la loi d'une parfaite neutralité.
11 en a rempli les devoirs avec une exactitude scrupuleuse;
et il a cru pouvoir jouir, en conséquence, des droits attachés
à la qualité d'un souverain absolument neutre. Malgré cela, ses
sujets commerçants ont été obligés de réclamer sa protection,
et Sa Majesté s'est trouvée dans la nécessité de la leur accor-
der. Pour remplir cet objet, le Roi fit armer un certain nombre
de vaisseaux de guerre dès l'année passée ; il en employa une
partie sur les côtes de son royaume, et l'autre à servir de con-
voi aux bâtiments marchands suédois dans les différentes mers
où le commerce de ses sujets les faisait naviguer; il fit part
de ces mesures aux puissances belligérantes, et il se préparait
à les continuer dans le courant de cette année , lorsque d'au-
tres Cours, (jui avaient également adopté la neutralité, lui firent
part des dispositions oiî elles se trouvaient, conformes à celles
du Roi, et tendant au môme but. L'impératrice de Russie fit
remettre une déclaration aux cours de Londres , de Versailles
et de Madrid , par laquelle elle les instruisait de la résolution
où elle était de défendre le commerce de ses sujets et le droit
universel des nations neutres. Cette déclaration portait sur des
principes si justes du droit des gens et des traités subsistants,
qu'il ne parut pas possible de les révoquer en doute; le Roi les
a trouvés entièrement d'accord avec sa propre cause, avec le
traité conclu en 1760 entre la Suède et l'Angleterre, et celui
de la France et de la Suède en 1741 ; et Sa Majesté n'a pu se
dispenser de reconnaître et d'adopter ces mêmes principes,
non-seulement par rapport aux puissances avec lesquelles ces-
dits traités sont en vigueur, mais aussi par rapport à celles
qui se trouvent déjà impliquées dans la présente guerre , ou
qui pourront le devenir dans la suite, et avec lesquelles le Roi
est dans le cas de ne pas avoir de traités à réclamer : c'est la
— 345 —
loi universelle ; et au défaut des engagoraenls particuliers,
celle-là devient obligatoire pour toutes les nations. En consé-
quence, le Roi déclare actuellement de nouveau qu'il observera
la même neutralité et avec la même exactitude qu'il l'a fait par
le passé. Il défendra à ses sujets, sous de grièves peines , do
s'écarter, en manière quelconque, des devoirs que leur impose
une pareille neutralité ; mais il protégera leur commerce légi-
time par tous les moyens possibles, lorsqu'ils le feront confor-
mément aux principes ci-dessus mentionnés.
XIV.
Page 103.
Extrait de la convention maritime entre la Russie et le Dane-
mark, signée à Copenhague, le ^9 juillet 1780.
Aet. 3.
Principes à l'égard du commerce libre.
La contrebande déterminée est exclue du commerce des
nations neutres en conformité des traités et stipulations
expresses subsistant entre les hautes parties contractantes et
les puissances en guerre , et nommément en vertu du traité de
commerce conclu entre la Russie et la Grande-Bretagne le
11 juillet 1770, et de celui conclu entre le Danemark et la
France le 23 août 1742. S. M. l'impératrice de toutes les Rus-
sies et S. M. le roi de Danemark et de Norvège entendent et
veulent que tout autre trafic soit et reste parfaitement libre.
Leurs Majestés, après avoir déjà réclamé, dans leurs déclara-
tions faites aux puissances belligérantes, les principes géné-
raux du droit naturel, dont la liberté du commerce et de la na-
vigation, de même que les droits des peuples neutres, sont une
conséquence directe, ont résolu de ne les point laisser plus
longtemps dépendre d'une interprétation arbitraire suggérée
par les intérêts isolés et momentanés. Dans cette vue , elles
sont convenues :
1' Que tout vaisseau peut naviguer librement de port en
port et sur les côtes des nations en guerre ;
2° Que les effets appartenant aux sujets desdites puissances
— 346 —
en guerre soient libres sur les vaisseaux neutres, à l'exception
des marchandises de contrebande ;
3° Que, pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué,
on n'accorde cette dénomination qu'à celui où il y a, par la dis-
position de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrê-
tés et suffisamment proches, un danger évident d'entrer ;
4° Que les vaisseaux neutres ne peuvent être arrêtés que sur
de justes causes et faits évidents ; qu'ils soient jugés sans re-
tard ; que la procédure soit toujours uniforme, prompte et lé-
gale ; et que chaque fois , outre les dédommagements qu'on
accorde à ceux qui ont fait des pertes sans avoir été en faute,
il soit rendu une satisfaction complète pour l'insulte faite au
pavillon de Leurs Majestés.
XV.
Page 103.
Extrait de la convention maritime pour le maintien du com-
merce et de la navigation neutre, signée le 1\ juillet ( 1" août)
1780, entre la Suède et la Russie.
Art. 3.
Frinci'pes à l'égard du commerce libre.
Là contrebande déterminée est exclue du commerce des na-
tions neutres, en conformité des traités et stipulations expres-
ses subsistant entre les hautes parties contractantes et les
puissances en guerre , et nommément en vertu du traité de
commerce conclu entre la Suède et la Grande-Bretagne le
21 octobre 1661, et du traité préliminaire de commerce entre
la Suède et la France, fait en 1741, ainsi que du traité de com-
merce conclu entre la Russie et la Grande-Bretagne le 20 juin
1766. S. M. le roi de Suède et S. M. l'impératrice de toutes les
Russies entendent et veulent que tout autre trafic soit et reste
parfaitement Ubre. Leurs Majestés, après avoir déjà réclamé,
dans leurs déclarations faites aux puissances belligérantes, les
principes généraux du droit naturel, dont la liberté du com-
merce et de la navigation, de même que les droits des peuples
neutres, sont une conséquence directe , ont résolu de ne les
— 347 —
point laisser plus longtemps dépendre d'une interprétation ar-
bitraire^ suggérée par des intérêts isolés et momentanés. Dans
cette vue, elles sont convenues :
1° Que tout vaisseau peut naviguer librement de port en
port et sur les côtes des nations en guerre ;
2° Que les effets appartenant aux sujets desdites puissances
en guerre, soient libres sur les vaisseaux neutres, à l'exception
des marchandises de contrebande ;
3» Que , pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué,
on n'accorde cette dénomination qu'à celui où il y a, par la dis-
position de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrê-
tés et suffisamment proches, un danger évident d'entrer ;
4* Que les vaisseaux neutres ne peuvent être arrêtés que sur
de justes causes et faits évidents ; qu'ils soient jugés sans re-
tard ; que la procédure soit toujours uniforme, prompte et lé-
gale, et que chaque fois, outre les dédommagements qu'on ac-
corde à ceux qui ont fait des perles sans avoir été en faute, il
soit rendu une satisfaction complète pour l'insulte faite au
pavillon de Leurs Majestés.
XVI.
Page 103.
Copie du Mémoire de la cour de Russie , présenté aux cours des
puissances belligérantes, pour leur notifier l'accession du
Danemark et de la Suède au système de la neutralité armée;
année 1780.
Le soussigné, envoyé, etc., a reçu ordre de sa Cour de com-
muniquer à celle de.... une convention arrêtée et signée à
Saint-Pétersbourg le 28 juin (9 juillet), entre S. M. l'impéra-
trice de toutes les Russies, sa souveraine, et S. M. le roi de
Danemark et de Norvège, le 21 juillet (l"'' août), entre Sa Majesté
Impériale et S. M. le roi de Suède , qui a pour seul et unique
objet le maintien des droits, des libertés appartenant à toutes
les nations neutres. Empressé de s'en acquitter, il prie le mi-
nistère de Sa Majesté de vouloir bien la porter à la connais-
sance du Roi. Sa Majesté retrouvera, dans tous les points et arti-
cles de ce traité, l'expression des principes d'une impartialité et
— 3/..8 —
neutralité parfaites, ainsi que des sentiments de justice et d'é-
quité qui guident constamment l'Impératrice sa souveraine, et
qui l'ont décidée à prendre les mesures propres à mettre ses
sujets à l'abri des pertes , vexations et dangers auxquels eux,
leur commerce et leur navigation pourraient être exposés par
les malheureuses suites de la guerre maritime qui trouble le
repos de l'Europe.
L'Impératrice se flatte et se promet de l'amitié et de l'esprit
de justice dont est animée Sa Majesté..., qu'elle reconnaîtra
l'équité et l'intention pacifique de cette convention, et qu'elle
fera tenir la main à l'exécution des ordres qu'elle a fait expé-
dier à tous ses officiers et commandants de ses vaisseaux de
guerre, ainsi qu'à ses armateurs, de respecter les droits et les
libertés des nations neutres, tout comme Sa Majetsé Impériale a
pourvu à ce que ses sujets ne fassent point de commerce illi-
cite au désavantage de l'une ou l'autre des puissances en
guerre.
XVII.
Page 103.
Copie de la déclaration des États Généraux des Provinces-
Unies, remise par leurs ministres aux cours des puissances
belligérantes , pour leur notifier leur accession aux conven-
tions maritimes entre la Russie, d'un côté, et le Danemark et
la Suède, de l'autre.
L'article 10 de la double convention des cours de Copen-
hague et de Saint-Pétersbourg, communiqué à celle de Lon-
dres (Versailles, Madrid), énonçant le consentement des hautes
parties contractantes à l'accession des autres puissances égale-
ment neutres ; LL. HH. PP. les seigneurs I^tals Généraux des
Provinces-Unies se sont déterminées à former de concert avec
S. M. l'impératrice de toutes les Russies et LL. MM. les deux
Rois ses alliés, une union fondée sur un système juste et rai-
sonnable de neutralité sur mer, et ayant pour but le maintien
des intérêts et des droits de leurs sujets. Pour cet effet, elles
ont accédé en qualité de parties principales contractantes, par
un acte formel, signé à Saint-Pétersbourg le 24 décembre
^ 349 —
1780, aux conventions de Copenhague el de Saint-Péters-
bourg, conclues, le 28 juin (9 juillet) et le 21 juillet ( 1" août)
1780, entre S. M. l'impératrice de toutes les Russies, et LL.
MM. les rois de Danemark et de Suède.
Le soussigné ambassadeur (envoyé), ayant l'honneur de
communiquer cet acte au ministère de Sa Majesté Britannique
(Très-Chrétienne, Catholique), le prie de vouloir bien le porter
à la connaissance du Roi son maître : Sa Majesté y trouvera
une nouvelle expression des principes de l'impartiahté dont
LL. HH. PP. ses maîtres font constamment profession , et qui
répondent si bien aux sentiments de justice et d'équité qui les
ont décidés à adopter le seul moyen propre à mettre leurs
sujets à l'abri des pertes , vexations et dangers auxquels eux,
leur commerce et leur navigation pourraient être exposés
par les malheureuses suites de la guerre maritime qui trouble
le repos de l'Europe.
Leui-s Hautes Puissances se flattent et se promettent de l'a-
mitié et de l'esprit de justice dont est animée Sa Majesté Britan-
nique Très-Chrétienne, Catholique) qu'elle reconnaîtra l'équité et
l'intention pacifique d'une telle mesure, et qu'elle fera tenir la
main à l'exécution des ordres qu'elle a fait expédiera tous les
officiers et commandants de ses vaisseaux de guerre, ainsi
qu'à ses armateurs , de respecter les droits et les libertés des
nations neutres , tout comme Leurs Hautes Puissances ont
pourvu à ce que les sujets de la république ne fassent point
de commerce illicite au désavantage de l'une et de l'autre des
puissances en guerre.
XVIII.
Page 104.
Réponse de la cour de Londres à la déclaration de l'impéra-
Iricc de Russie, louchant le commerce neutre, datée du 28 fé-
vrier 1780, et présentée à la cour de Londres le V avril 1780.
Pendant tout le cours de la guerre dans laquelle le roi de la
(irande-Brelagne se trouve engagé par l'agression de la France
et de l'Espagne , il a manilesté les sentiments de justice, d'é-
quité et de modération qui gouvernent toutes ses démarches.
— 350 —
Sa Majesté a réglé sa conduite envers les puissances amies et
neutres, d'après la leur à son égard, la conformant aux princi-
pes les plus clairs et les plus généralement reconnus du droit
des gens, qui est la seule loi entre les nations qui n'ont point de
traité, et à la teneur de ses différents engagements avec d'au-
tres puissances, lesquels engagements ont varié cette loi pri-
mitive par des stipulations mutuelles, et l'ont variée de beau-
coup de manières différentes, selon la volonté et la convenance
des parties contractantes.
Fortement attaché à S. M. l'impératrice de toutes les Rus-
sies, par les liens d'une amitié réciproque et d'un intérêt
commun, le Roi, dès le commencement de ces troubles, donna
les ordres les plus précis de respecter le pavillon de Sa Majesté
et le commerce de ses sujets, selon le droit des gens et la te-
neur des engagements qu'il a contractés dans son traité de
commerce avec elle, et qu'il remplira avec l'exactitude la plus
scrupuleuse. Les ordres à ce sujet ont été renouvelés , et on
veillera strictement à leur exécution. Il est à présumer qu'ils
empêcheront toute irrégularité ; mais s'il arrivait qu'il y eût la
moindre violation de ces ordres réitérés , les tribunaux d'ami-
rauté qui , dans ce pays-ci , comme dans tous les autres, sont
établis pour connaître de pareilles matières, et qui, dans tous
les cas, jugent uniquement par le droit général des nations et
par les stipulations 'particulières des différents traités, redres-
seraient ces torts d'une manière si équitable , que Sa Majesté
Impériale serait entièrement satisfaite de leurs décisions , et y
reconnaîtrait cet esprit de justice qui l'anime elle-même.
XIX.
Page 104.
Extrait du traité définitif de paix et d'amitié entre le roi de la
Grande-Bretagne et le Roi Très-Chrétien, signé à Versailles
le 3 septembre 1783.
Art. 2.
Renowcellemenl des traités.
Les traités de Westphalie de 1648 ; les traités de paix de Ni-
raègue, de 1678 et 1679; de Ryswyck, de 1697; ceux de paix
— 351 —
et de commerce d'Utrech, de 1713 ; celui de Bade, de 1714, etc. ,
servent de base et de fondement à la paix et au présent traité ;
et pour cet effet , ils sont tous renouvelés et confirmés dans la
meilleure forme, ainsi que tous les traités en général qui sub-
sistaient entre les hautes parties contractantes avant la guerre,
et comme s'ils étaient insérés ici mot à mot , en sorte qu'ils
devront être observés exactement à l'avenir, dans toute leur
teneur, et religieusement exécutés de part et d'autre , dans
tous les points auxquels il n'est pas dérogé par le présent
traité de paix.
XX.
Page 104.
Extrait du traité de commerce entre l'empire de Russie et la
Porte Ottomane, conclu à Constantinople le ^Ijuin 1783.
Art. 40.
Contrebande de guerre.
Lorsqu'une des parties contractantes se trouverait en guerre
avec une puissance étrangère quelconque, il n'est pas défendu
aux sujets de l'autre partie contractante de faire leur com-
merce avec celle-ci, et de fréquenter ses États, pourvu qu'ils
n'importent pas chez l'ennemi des munitions ou provisions de
guerre. On comprendra sous la dénomination de munitions de
guerre, les choses suivantes ; savoir : canons , mortiers, armes
à feu, pistolets, bombes, grenades, boulets, balles, fusils, pier-
res à feu, mèches, poudre , salpêtre, soufre, cuirasses, piques,
épées, ceinturons, poches à cartouches, selles et brides, en
exceptant toutefois la quantité nécessaire pour la défense du
vaisseau et de son équipage. Au reste, les effets qui ne se trou-
vent point spécifiés ici , ne seront pas réputés munitions de
guerre et navales.
— 352 —
XXI.
Page 104.
Extrait du traité de commerce et de navigation, signé en 1784,
entre l'empereur des Romains et V impératrice de Russie, et
publié, en 1785, en forme d'édit, dans leurs États respectifs.
ÉDIT DE l'impératrice DE RUSSIE.
Art. 12.
Maintien du système de neutralité armée.
Ayant reconnu l'utilité et le but salutaire des principes du
système de la neutralité armée, que, de concert avec plusieurs
autres puissances, nous avons adoptés pendant la dernière
guerre maritime, nous sommes résolue, non-seulement de veil-
ler à leur maintien en général, mais de les faire observer aussi
et exécuter vis-à-vis des sujets de S. M. l'Empereur : en
conséquence , s'il arrivait que nous fussions engagée dans une
guerre avec d'autres États , nous voulons que la communica-
tion et le commerce libre des sujets autrichiens avec ces
mêmes États ne soieat point pour cela interrompus ; mais dans
un tel cas, ils jouiront des avantages renfermés dans les quatre
axiomes suivants :
1° Que tout vaisseau pourra naviguer librement de port en
port et sur les côtes des nations en guerre ;
2° Que les effets appartenant aux sujets des puissances en
guerre seront libres sur les vaisseaux neutres, à l'exception
des marchandises de contrebande ;
3° Que, pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué,
on n'accordera cette dénomination qu'à celui où les vaisseaux
de la puissance qui l'attaque , en seront suffisamment proches,
et postés de façon qu'il y ait un danger évident d'y entrer ;
4" Que les vaisseaux neutres ne pourront être arrêtés que
sur de justes causes et des faits évidents; qu'ils seront jugés
sans retard ; que la procédure sera toujours uniforme, prompte
et légale ; et que chaque Ibis, outre les dédommagements que
l'on accordera à ceux qui ont fait des pertes sans avoir été en
faute, il sera rendu une satisfaction complète pour l'insulte
faite au pavillon lésé.
— 353 —
Art. 13.
Visitation sur mer.
Les navires marchands des sujets de S. M. l'Empereur, na-
viguant seuls, et lorsqu'ils seront rencontrés, ou sur les côtes,
ou en pleine mer, par nos vaisseaux de guerre ou par des ar-
mateurs particuliers , en subiront la visite ; mais tandis qu'il
ne sera pas permis, en ce cas, auxdits navires marchands de
rien jeter de leurs papiers en mer, nous ordonnons à nosdils
vaisseaux de guerre ou armateurs de rester de leur côté con-
stamment hors de la portée du canon des navires marchands
autrichiens; et pour obvier entièrement à tout désordre, de
ne jamais envoyer au delà de deux ou trois hommes dans leurs
chaloupes, à bord des derniers, pour faire examiner les passe-
ports et lettres de mer qui constateront la propriété et les char-
gements de ces navires ; mais aussitôt que de tels navires mar-
chands se trouveront escortés par un ou plusieurs vaisseaux
de guerre, la simple déclaration de l'officier commandant l'es-
corte, que ces navires ne portent pas de contrebande , doit
être envisagée comme pleinement suffisante , et aucune visite
n'aura plus lieu.
edit de l empereur d autriche.
Art. 14.
Jfatntten du système de neutralité.
Ayant reconnu l'utilité et le but salutaire des principes du
système de la neutralité armée, que, de concert avec plusieurs
autres puissances , nous avons adopté pendant la dernière
guerre maritime, nous sommes résolus, non-seulement do
veiller à leur maintien en général , mais de les faire observer
aussi et exécuter vis-à-vis des sujets de S. M. l'impératrice do
Russie. En conséquence, s'il arrivait que nous fussions engagés
dans une guerre avec d'autres Etats, nous voulons que la com-
munication et le commerce libre des sujets russes avec ces
mêmes Étals ne soient point interrompus pour cela ; dans un
tel cas, ils jouiront des avantages renfermés dans les quatre
axiomes suivants :
XI 23
— 354 —
1° Que tout vaisseau pourra naviguer librement de port en
port et sur les côtes des nations en guerre ;
2° Que les effets appartenant aux sujets des puissances en
guerre, seront libres sur les vaisseaux neutres , à l'exception
des marchandises de contrebande ;
3° Que pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué,
on n'accordera cette dénomination qu'à celui où les vaisseaux
de la puissance qui l'attaque, en seront suffisamment proches,
et postés de façon qu'il y ait un danger évident d'y entrer ;
4° Que les vaisseaux neutres ne pourront être arrêtés que
sur de justes causes et sur des faits évidents ; qu'ils seront jugés
sans retard ; que la procédure sera toujours uniforme, prompte
et légale , et que chaque fois, outre les dédommagements que
l'on accordera à ceux qui ont fait des pertes sans avoir été en
faute , il sera rendu une satisfaction complète pour l'insulte
faite au pavillon lésé.
Akt. 15.
Visitation sur mer.
Les navires marchands des sujets de S. M. l'impératrice de
Russie, naviguant seuls, et lorsqu'ils seront rencontrés, ou sur
les côtes ou en pleine mer, par nos vaisseaux de guerre ou par
des armateurs particuliers , en subiront la visite ; mais tandis
qu'il ne sera pas permis, en ce cas, auxdits navires marchands,
de rien jeter de leurs papiers en mer, nous ordonnons à nos-
dits vaisseaux de guerre ou armateurs de rester de leur côté
constamment hors de la portée du canon des navires mar-
chands russes, et, pour obvier entièrement à tout désordre, de
ne jamais envoyer au delà de deux ou trois hommes dans leurs
chaloupes, à bord des derniers, pour faire examiner les passe-
ports et lettres de mer qui constateront la propriété et les char-
gements de ces navires ; mais aussitôt que de tels navires
marchands se trouveront escortés par un ou plusieurs vais-
seaux de guerre, la simple déclaration de l'officier comman-
dant l'escorte , que ces navires ne portent pas de contrebande,
doit être envisagée comme pleinement suffisante, et aucune
visite n'aura plus lieu.
— 355 — ;
XXII.
Page 104.
Extrait du traité d'amitié et de commerce entre S. M. le roi
de Prusse et les États-Unis d'Amérique, signé à la Haye
le 10 septembre 1785.
Aet. 12.
Commerce neutre.
Si l'une des parties contractantes était en guerre avec une
autre puissance , la libre correspondance et le commerce des
citoyens ou sujets de la partie qui demeure neutre envers les
puissances belligérantes, ne seront point interrompus. Au con-
traire, et dans ce cas comme en pleine paix, les vaisseaux de
la partie neutre pourront naviguer en toute sûreté dans les
ports et sur les côtes des puissances belligérantes , les vais-
seaux libres rendant les marchandises libres; en tant qu'on re-
gardera comme libre tout ce qui sera à bord d'un navire
appartenant à la partie neutre, quand même ces effets appar-
tiendraient à l'ennemi de l'autre. La même liberté s'étendra aux
personnes qui se trouveront à bord d'un vaisseau libre, quand
même elles seraient ennemies de l'autre partie, excepté que ce
fussent des gens de guerre actuellement au service de l'ennemi.
Art. 13.
Contrebande.
Dans le cas où l'une des parties contractantes se trouverait
en guerre avec une autre puissance, il a été convenu que, pour
prévenir les difficultés et les discussions qui surviennent ordi-
nairement par rapport aux marchandises ci- devant appelées
de contrebande, telles qu'armes, munitions et autres provisions
de toute espèce, aucun de ces articles chargés à bord des vais-
seaux des citoyens ou sujets de l'une des parties et destinés
pour l'ennemi de l'autre , ne sera censé de contrebande, au
point d'impliquer confiscation ou condamnation, et d'entraîner
la perte de la propriété des individus. Néanmoins il sera per-
mis d'arrêter ces sortes de vaisseaux et eflets, et de les retenir
pendant tout le temps que le preneur croira nécessaire pour
prévenir les inconvénients et les dommages qui pourraient en
résulter autrement j mais, dans ce cas, on accordera une eom-
— 350 —
pensation raisonnable pour les pertes qui auraient été occasion-
nées par la saisie : et il sera permis en outre aux preneurs
d'employer à leur service, en tout ou en partie, les munitions
militaires détenues , en payant aux propriétaires la pleine va-
leur, à déterminer sur le prix qui aura cours à l'endroit de leur
destination ; n]ais que, dans le cas énoncé d'un vaisseau arrêté
pour des articles ci-devant appelés contrebande, si le maître
du navire consentait à délivrer les marchandises suspectes, il
aura la liberté de le faire, et le navire ne sera plus amené dans
le port, ni détenu plus longtemps, mais aura toute liberté de
poursuivre sa course.
Abt. 15.
Visitation sur mer.
Pour prévenir entièrement tout désordre et toute violence
en pareil cas, il a été stipulé que, lorsque des navires de la
partie neutre, naviguant sans convoi, rencontreront quelque
vaisseau de guerre public ou particulier de l'autre partie , le
vaisseau de guerre n'approchera le navire neutre qu'au delà de
la portée du canon , et n'enverra pas plus de deux ou trois
hommes dans sa chaloupe à bord , pour examiner les lettres
de mer ou passe-ports : et toutes les personnes appartenant à
quelque vaisseau de guerre public ou particulier, qui moleste-
ront ou insulteront , en quelque manière que ce soit , l'équi-
page, les vaisseaux ou effets de l'autre partie, seront respon-
sables, en leurs personnes et en leurs biens, de tous dommages
et intérêts , pour lesquels il sera donné caution suffisante par
tous les commandants de vaisseaux armés en course, avant
qu'ils reçoivent leurs commissions.
XXIII.
Page 104.
Extrait du traité d'alliance défensive entre 5. M. le roi Très-
Chrétien et les États Généraux des Provinces-Unies des
Pays-Bas, à Fontainebleau, le 10 novembre 1785.
Art. 8.
Commerce neutre.
Lorsqu'il se déclarera une guerre maritime à laquelle les
deux hautes parues contractantes ne prendront aucune part,
— 357 —
elles se garantiront mutuellement la liberté des mers, confor-
mément au principe qui veut qae pavilloîi ami sauve marchan-
dise ennemie, sauf toutefois les exceptions énoncées dans les
articles 19 et 20 du traité de commerce signé à Utreclit, le
11 avril 1713, entre la France et les Provinces-Unies, lesquels
articles auront la môme force et valeur que s'ils étaient insé-
rés mot à mot dans le présent traité.
XXIV.
Page 104.
Extrait du traité d'amitié et de commerce conclu entre S. M.
le roi de Suède et les États-Unis de l'Amérique septentriO'
nale, le 3 avril 1783.
Aut. 7.
Libre commerce en temps de guerre. Le navire couvre la cargaison.
11 sera permis à tous el à chacun des sujets et habitants du
royaume de Suède, ainsi qu'à ceux des États-Unis, de navi-
guer, avec leurs bâtiments, en toute sûreté et liberté, et sans
distinction de ceux à qui les marchandises et leurs charge-
ments appartiendront, de quelque port que ce soit. Il sera per-
mis également aux sujets et habitants des deux Ktats, de na-
viguer et de négocier avec leurs vaisseaux et marchandises, et
de fréquenter, avec la même liberté et sûreté, les places, porls
et havres des puissances ennemies des deux parties contrac-
tantes, ou de l'une d'elles, sans être aucunement inquiétés ni
troublés, et de faire le commerce non-seulement directement
des ports de l'ennemi à un port neutre, mais encore d'un port
ennemi à un autre port ennemi, soit qu'il se trouve sous la ju-
ridiction d'un même ou de différents princes. Et comme il est
reçu, par le présent traité, par rapport aux navires et aux mar-
chandises, que les vaisseaux libres rendront les marchandises
libres, et que l'on regardera comme libre tout ce qui sera ù
bord des navires appartenant aux sujets de l'une ou de l'autre
des parties contractantes, quand même le chargement ou par-
tie d'icelui appartiendrait aux ennemis de l'un des deux, bien
entendu néanmoins que les marchandises de contrebande se-
ront toujours exceptées, lesquelles étant interceptées, il sera
procédé conformément à l'esprit des articles suivants. Il est
également convenu que cette môme liberté s'étendra aux per-
— 358 —
sonnes qui naviguent sur un vaisseau libre ; de manière que,
quoiqu'elles soient ennemies des deux parties ou de l'une d'el-
les , elles ne seront point tirées du vaisseau libre , si ce n'est
que ce fussent des gens de guerre actuellement au service des-
dits ennemis.
Art. 8.
Exception.
Cette liberté de navigation et de commerce s'étendra à toute
sorte de marchandises, à la réserve seulement de celles qui sont
exprimées dans l'article suivant, et désignées sous le nom de
marchandises de contrebande.
Abt. 9.
Contrebande,
On comprendra sous le nom de marchandises de contrebande
ou défendues , les armes , canons, boulets, arquebuses, mous-
quets, mortiers, bombes, pétards, grenades, saucisses, cercles
poissés, affûts , fourchettes , bandoulières, poudre à canon, mè-
ches, salpêtre, soufre, balles, piques, sabres, épées, morions,
casques, cuirasses, hallebardes , javelines, pistolets et leurs
fourreaux, baudriers, baïonnettes, chevaux avec leurs harnais,
et tous autres semblables genres d'armes et d'instruments de
guerre servant à l'usage des troupes.
Art. 10.
Marchandises libres.
On ne mettra point au nombre des marchandises défendues,
celles qui suivent ; savoir : toute sorte de draps et tous autres
ouvrages de manufactures de laine, de lin, de soie , de coton
et de toute autre matière ; tout genre d'habillements, avec les
choses qui servent ordinairement à les faire ; or, argent mon-
nayé ou non monnayé, étain, fer, plomb, cuivre, laiton, char-
bon à fourneau, blé, orge, et toute autre sorte de grains et do
légumes, la nicotiane, vulgairement appelée tabac , toute sorte
d'aromates, chairs salées et fumées, poissons salés, fromage et
beurre, bière, huile, vins, sucre, toute sorte de sels et de pro-
visions servant à la nourriture et à la subsistance des hommes ;
tout genre de coton, chanvre, lin, poix tant liquide que sèche,
cordages, câbles, voiles, toiles propres à faire des voiles; an-
cres et parties d'ancre, quelles qu'elles puissent être, mâts de
— 359 —
navire, planches, madriers, poulres de toute sorte d'arbres ; et
toutes autres choses nécessaires pour construire ou pour ra-
douber les vaisseaux. On ne regardera pas non plus comme
marchandises de contrebande celles qui n'auront pas pris la
forme de quelque instrument ou attirail servant à l'usage de la
guerre sur terre ou sur mer ; encore moins celles qui sont pré-
parées ou travaillées pour tout autre usage : toutes ces choses
seront censées marchandises libres, de même que toutes celles
qui ne sont point comprises et spécialement désignées sous
aucune interprétation prétendue d'icelles , être comprises sous
les effets prohibés ou de contrebande ; au contraire, elles pour-
ront être librement transportées par les sujets du Roi et des
États-Unis, même dans les lieux ennemis , excepté seulement
dans les places assiégées, bloquées ou investies ; et pour telles
seront tenues uniquement les places entourées de près par
quelqu'une des puissances belligérantes.
ÂBT. 25.
Visitation sur mer.
Lorsqu'un vaisseau appartenant aux sujets et habitants de
l'une des deux parties, naviguant en pleine mer, sera rencon-
tré par un vaisseau de guerre ou armateur, pour éviter tout
désordre, il se tiendra hors de la portée du canon ; mais pourra
toutefois envoyer sa chaloupe à bord du navire marchand, et
y faire entrer deux ou trois hommes , auxquels le maître ou le
commandant dudit navire montrera son passe-port qui constate
la propriété du navire ; et après que ledit bâtiment aura exhibé
son passe-port, il lui sera libre de continuer son voyage, 'et il ne
sera pas permis de le molester ni de chercher en aucune ma-
nière à lui donner la chasse ou à le forcer de quitter la course
qu'il s'était proposée.
XXV.
Page 105.
Extrait du traité de navigation et de commerce entre la France
et la Grande-Bretagne, conclu à Versailles le 26 septem-
bre 1786.
Â&TicLE PAErnsa.
Il a été convenu , etc.
— 360 —
Art. 16.
Il ne sera pas permis aux armateurs étrangers qui ne seront
pas sujets de l'une où de l'autre couronne, et qui auront com-
mission de quelque autre prince ou État ennemi de l'un ou de
l'autre, d'armer leurs vaisseaux dans les ports de l'un ou de
l'autre desdits deux royaumes, d'y vendre ce qu'ils auront pris,
ou de changer "en quelque manière que ce soit ni d'acheter
même d'autres vivres que ceux qui leur seront nécessaires pour
parvenir au port le plus prochain du prince dont ils auront ob-
tenu des commissions.
Art. 20.
Il sera permis à tous les sujets du Roi Très-Chrétien et du roi
de la Grande-Bretagne , de naviguer avec leurs vaisseaux en
toute sûreté et liberté , et sans distinction de ceux à qui les
marchandises de leurs chargements appartiendront, de quelque
port que ce soit, dans les lieux qui sont déjà ou qui seront ci-
après en guerre avec le Roi Très-Chrétien ou avec le roi de la
Grande-Bretagne. Il sera aussi permis auxdits sujets de navi-
guer et de négocier avec leurs vaisseaux et marchandises, avec
la même liberté et sûreté , des lieux, ports et endroits apparte-
nant aux ennemis des deux parties ou de l'une d'elles , sans
être aucunement inquiétés ni troublés , et d'aller directement,
non-seulement desdits lieux ennemis à un lieu neutre, mais
encore d'un lieu ennemi à un autre lieu ennemi , soit qu'ils
soient sous la juridiction d'un même ou de différents princes :
et comme il a été stipulé par rapport aux navires et aux mar-
chandises, que l'on regardera comme libre tout ce qui sera
trouvé sur les vaisseaux appartenant aux sujets de l'un et de
l'autre royaume, quoique tout le chargement ou une partie de
ce môme chargement appartienne aux ennemis de Leurs Ma-
jestés, à l'exception cependant des marchandises de contre-
bande, lesquelles étant interceptées, il sera procédé conformé-
ment à l'esprit des articles suivants ; de même il a été convenu
que cette même liberté doit s'étendre aussi aux personnes qui
naviguent sur un vaisseau libre, de manière que quoiqu'elles
soient ennemies des deux parties ou de l'une d'elles, elles ne
seront point tirées du vaisseau libre, si ce n'est que ce fussent
des gens de guerre actuellement au service desdits ennemis, et
se transportant pour être employés comme militaires dans leurs
flottes ou dans leurs armées.
— .%1 —
Art. 21.
Celle lilxjrlé de navigation de commerce s'clendra à toute
sorte de marchandises, à la n'-serve seulement de celles qui
seront exprimées dans l'article suivant et désignées sous le
nom de marchandises de contrebande.
Art. 22.
On comprendra sous ce nom de marchandises de contre-
bande ou défendues, les armes, canons, arquebuses, mortiers,
pétards , bombes, grenades, saucisses, cercles poissés, affûts,
fourchettes, bandoulières, poudre à canon, mèches, salpêtre,
balles, piques, épées, morions, casques, cuirasses, hallebardes,
javelines, fourreaux de pistolet, baudriers, chevaux avec leurs
harnais, et tous autres semblables genres d'armes et d'instru-
ments de guerre servant à l'usage des troupes.
Art. 23.
On ne mettra point au nombre des marchandises défendues
celles qui suivent; savoir : toute sorte de draps , et tous autres
ouvrages de manufactures de laine, de lin, de soie, de coton et
de toute autre matière; tout genre d'habillements, avec les
choses qui servent ordinairement à les faire ; or, argent mon-
nayé ou non monnayé , étain, fer, plomb, cuivre, laiton, char-
bon à fourneau, blé, orge, et toute autre sorte de grains et de
légumes, le tabac, toute sorte d'aromates, chairs salées et fu-
mées , poissons salés , fromages et beurre , bière, huiles, vins,
sucre, toute sorlc de sels et de provisions servant à la nourri-
ture et à la subsistance des hommes; tout genre de coton, cor-
dages, câbles, voiles, toiles propres à faire des voiles, chan-
vre, suif, goudron, brai et résine; ancres et parties d'ancre,
quelles qu'elles puissent être; mâts de navire, planches, ma-
driers, poutres de toute sorte d'arbres, et toutes les autres cho-
ses nécessaires pour construire ou pour radouber des vaisseaux.
On ne regardera pas non plus comme marchandises de contre-
bande celles qui n'auront pas pris la forme de quelque instru-
ment ou attirail servant à l'usage de la guerre sur terre ou sur
mer; encore moins celles qui sont préparées ou travaillées pour
tout autre usage: toutes ces choses seront censées marchan-
dises non défendues, de même que toutes celles qui ne sont pas
comprises et spécialement désignées dans l'article précédent ;
— 362 —
en sorte qu'elles pourront être librement transportées par les
sujets des deux royaumes, même dans les lieux ennemis,
excepté seulement dans des places assiégées, bloquées ou in-
vesties.
Aet. 24.
Mais, pour éviter et prévenir la discorde et toute sorte d'ini-
mitiés de part et d'autre , il a été convenu qu'en cas que l'une
des deux parties se trouvât engagée en guerre , les vaisseaux
et les bâtiments appartenant aux sujets de l'autre partie de-
vront être munis de lettres de mer qui contiendront le nom, la
propriété et la grandeur du vaisseau , de même que le nom et
le lieu de l'habitation du maître ou du capitaine de ce vaisseau ;
en sorte qu'il paraisse que ce vaisseau appartient véritablement
et réellement aux sujets de l'une et de l'autre partie; et ces let-
tres de mer seront accordées et conçues dans la forme annexée
au présent traité. Elles seront aussi renouvelées chaque année,
s'il arrive que le vaisseau revienne dans le cours de l'an. Il a
été aussi convenu que ces sortes de vaisseaux chargés ne de-
vront pas être seulement munis des lettres de mer ci-dessus
mentionnées, mais encore des certificats contenant les espèces
de la charge , le lieu d'où le vaisseau est parti et celui de sa
destination, afin que l'on puisse connaître s'il ne porte aucune
des marchandises défendues ou de contrebande spécifiées
dans l'article 22 de ce traité ; lesquels certificats seront expé-
diés par les officiers du lieu d'où le vaisseau sortira, selon la
coutume ; il sera libre aussi , si on le désire et si on le juge à
propos , d'exprimer dans lesdites lettres à qui appartiennent
lesdites marchandises.
Art. 25.
Les vaisseaux des sujets et habitants des royaumes respec-
tifs arrivant sur quelque côte de l'un ou de l'autre, sans cepen-
dant vouloir entrer dans le port, ou y étant entrés et ne vou-
lant pas débarquer ou rompre leurs charges, ne seront obligés
de rendre compte de leurs chargements , qu'au cas qu'il y eût
des indices certains qui les rendissent suspects de porter aux
ennemis de l'une des deux hautes parties contractantes, des
marchandises défendues, appelées de contrebande.
Art. 26.
Si les vaisseaux desdits sujets ou habitants des États respec-
— 363 —
tifs de Leurs Sércnissimes Majestés étaient rencontrés faisant
roule sur les côtes ou en pleine mer, par quelques vaisseaux de
guerre de Leurs Sérénissimes Majestés, ou par quelques vais-
seaux armés par des particuliers, lesdits vaisseaux de guerre
ou armateurs particuliers, pour éviter tout désordre, demeure-
ront hors de la portée du canon , et pourront envoyer leur
chaloupe à bord du vaisseau marchand qu'ils auront rencontré,
et y entrer seulement au nombre de deux ou trois hommes, à
qui seront montrées, par le maître ou capitaine de ce vaisseau
ou bâtiment, les lettres de mer qui contiennent la preuve de la
propriété du vaisseau, et conçues dans la forme annexée au
présent traité ; et il sera libre au vaisseau qui les aura mon-
trées de poursuivre sa route, sans qu'il soit permis de le mo-
lester et visiter en façon quelconque , ou de lui donner la
chasse, ou de l'obliger à se détourner du lieu de sa destination.
Art. 27.
Le bâtiment marchand appartenant aux sujets de l'une des
deux hautes parties contractantes, qui aura résolu d'aller dans
un port ennemi de l'autre, et dont le voyage et l'espèce de
marchandise de son chargement seront justement soupçonnés,
sera tenu de produire en pleine mer, aussi bien que dans les
ports et rades, non-seulement ses lettres de mer, mais aussi
des certificats qui marquent que ces marchandises ne sont pas
du nombre de celles qui ont été défendues et qui sont énoncées
dans l'article 22 de ce traité.
Art. 28.
Si, par l'exhibition des certificats susdits contenant un état
du chargement, l'autre partie y trouve quelques-unes de ces
sortes de marchandises défendues et déclarées de contrebande
par l'article 22 de ce traité, et qui soient destinées pour un
port de l'obéissance de ses ennemis, il ne sera pas permis de
rompre ni d'ouvrir les écoutilles, caisses, coffres, balles, ton-
neaux, et autres vases trouvés sur ce navire, ni d'en détourner
la moindre partie des marchandises, soit que ce vaisseau ap-
partienne aux sujets de la France ou à ceux de la Grande-
Bretagne, à moins que son chargement n'ait été mis à terre en
présence des officiers de l'amirauté, et qu'il n'ait été par eux
fait inventaire desdites marchandises : elles ne pourront aussi
être vendues, échangées ou autrement aliénées, de quelque
— 364 —
manière qiip ce puisse être, qu'après que le procès aura été
lait dans les règles et selon les lois et les coutumes contre ces
marchandises défendues, et que les juges de l'amirauté respec-
tivement les auront confisquées par sentence, à la réserve
néanmoins, tant du vaisseau même, que des autres marchan-
dises qui y auront été trouvées , et qui , en vertu de ce traité,
doivent être censées libres, et sans qu'elles puissent être rete-
nues sous prétexte qu'elles seraient chargées avec des mar-
chandises défendues, et encore moins être confisquées comme
une prise légitime ; et supposé que lesdites marchandises de
contrebande ne faisant qu'une partie de la charge, le patron du
vaisseau agréât, consentit et offrît de les livrer au vaisseau qui
les a découvertes, en ce cas celui-ci, après avoir reçu les mar-
chandises de bonne prise, sera tenu de laisser aller aussitôt le
bâtiment , et ne l'empêchera en aucune manière de poursuivre
sa route vers le lieu de sa destination.
Art. 29.
Il a été au contraire convenu et accordé que tout ce qui se
trouvera chargé par les sujets et habitants de part et d'autre,
eu un navire appartenant aux ennemis de l'autre, bien que ce
ne fût pas des marchandises de contrebande , sera confisqué
comme s'il appartenait à l'ennemi même, excepté les marchan-
dises et effets qui auront été chargés dans ce vaisseau avant la
déclaration de la guerre ou l'ordre général des représailles, ou
même depuis la déclaration, pourvu que c'ait été dans les ter-
mes qui suivent; à savoir : de deux mois après cette déclara-
tion, ou l'ordre des représailles , si elles ont été chargées dans
quelque port et lieu compris dans l'espace qui est entreArchan-
gcl, Saint-Pétersbourg et les Sorlingues, et entre lesSorlingues
et la ville de Gibraltar ; de dix semaines dans la mer Méditerra-
née, etde huit mois dans tous les autres pays ou lieux du monde,
de manière que les marchandises des sujets de l'un et l'autre
prince, tant celles qui sont de contrebande, que les autres qui
auront été chargées, ainsi qu'il est dit, sur quelque vaisseau en-
nemi, avant la guerre ou même depuis sa déclaration, dans les
temps et les termes susdits, ne seront enaucune manière sujettes
à confiscation , mais seront sans délai et de bonne foi rendues
aux propriétaires qui les redemanderont, en sorte néanmoins
qu'il ne soii nullement permis de porter ensuite ces marchan-
dises dans les ports ennemis, si elles sont de contrebande.
— 365 ~
XXVI.
Page 105.
Instruction aux commandants des vaisseaux de guerre de Sa
Majesté, et des corsaires qui ont ou qui auront des lettres de
marque contre la France
Donné à notre palais de Saint-James, le 8 juin 1793.
1° Il est permis d'arrêter et de détenir tous bâtiments char-
gés en lotalilé ou en partie de blé, farine ou grain destinés
pour la France ou aucuns ports occupes par les armées de
France, et de les envoyer dans les ports qui conviendront le
mieux, afin que lesdits grains, froments ou farines soient ache-
tés pour le compte du gouvernement de Sa Majesté, et que les
bâtiments soient relâchés après la vente, et après avoir reçu
le fret qu'il serait juste d'accorder, ou que les capitaines de ce
bâtiment, en donnant une bonne caution approuvée par l'ami-
rauté, aient la permission de se rendre dans les porls d'aucuns
pays en amitié avec Sa Majesté , pour y disposer de leurs car-
gaisons de grains , froments ou farines.
2° 11 est permis aux commandants de guerre de Sa Majesté,
et des corsaires qui ont ou qui auront des lettres de marque
contre la France, d'arrêter tous bâtiments, quelle que soit la
cargaison, qui tenteraient d'entrer dans un port bloqué, et de
les faire condamner ainsi que leurs cargaisons, excepté les bâ-
timents suédois et danois , qui seront empêchés d'entrer pour
la première fois; mais s'ils tentaient une seconde fois , ils se-
raient condamnés aussi.
3° Dans le cas où Sa Majesté déclarerait un port en état de
blocus, il est enjoint par les présentes aux commandants des
vaisseaux de guerre de Sa Majesté et des corsaires, s'ils ren-
contrent à la mer des bâtiments qui, par leurs expéditions, pa-
raîtraient destinés pour un port bloqué, mais qui auraient mis
à la voile des ports de leurs pays respectifs avant que la décla-
ration du blocus y fût arrivée, de les en avertir, et de leur con-
seiller d'aller dans un autre port, de ne point les molester en-
suite, à moins qu'il ne leur paraisse qu'ils ont continué leur
route avec l'intention d'entrer dans un port bloqué, dans lequel
cas ils seront sujets à être pris et à être condamnés ainsi que
— 366 —
tous bâtiments, partout où ils soient trouvés, qui paraitraient
avoir fait voile de leurs ports pour un port que Sa Majesté au-
rait déclaré en état de blocus, après que ladite déclaration au-
rait été connue dans le pays d'où ils seraient partis , et tous
ceux qui, dans le cours de leurs voyages, auraient été avertis
qu'un port aurait été bloqué, et cependant auraient continué
leur route pour y entrer.
Signé G. R.
XXVII.
Page 105.
Ordre du conseil d'Angleterre.
6 novembre 1 793 *.
Les commandants des vaisseaux de guerre et des corsaires,
ayant lettres de marque contre la France, arrêteront et détien-
dront tous bâtiments chargés de marchandises du produit de
quelques colonies appartenant à la France, ou portant des pro-
visions et autres articles pour l'usage desdites colonies, et les
poursuivront devant nos cours d'amirauté, pour leur être ad-
jugés ainsi que les cargaisons.
XXVIII.
Page 106.
Traité passé, le 27 mars 179 A, entre le roi de Suède et le roi de
Danemark, pour la défense commune de la liberté et de la
sûreté du commerce danois et suédois.
S. M. le roi de Danemark et de Norvège, et S. M, le roi de
Suède, considérant combien il importe à leurs sujets de jouir
avec sécurité , paix et tranquillité , des avantages attachés à
une neutralité parfaite, s'appuyant sur des traités authentiques,
et profondément pénétrés du sentiment de leurs devoirs vis-à-
. ' Examinatlou of Uie Biilisli doclrine, p. 1 05.
— 367 —
vis de leurs sujets, ne pouvant d'ailleurs dissimuler l'embarras
inévitable de leur situation dans la guerre qui agite la plus
grande partie de l'Europe, sont convenus et conviennent d'unir
les mesures qu'ils prendront pour la défense de leurs intérêts
communs, et de donner aux peuples qu'ils gouvernent , à
l'exemple de leurs prédécesseurs, toute la protection qu'ils ont
droit d'attendre de leur sollicitude paternelle ; et désirant , en
outre, de resserrer encore plus étroitement les liens de l'amitié
qui subsiste si heureusement entre eux, ont nommé, à cet effet.
Sa Majesté Danoise, son ministre d'État et des Affaires Étran-
gères, le sieur André-Pierre, comte de Bernstorf, chevalier de
l'ordre de l'Éléphant, etc., et S. M. le roi de Suède, le sieur Eric
Magnus, baron Staël Holstein, chambellan de S. M. la reine
douairière de Suède, et chevalier de l'ordre de TÉpée ; les-
quels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs , sont conve-
nus des articles suivants :
ÀBTICXE FREMIEB.
Leurs Majestés déclarent solennellement qu'elles maintien-
dront la plus parfaite neutralité pendant le cours de la présente
guerre; qu'elles se garderont, autant qu'il pourra dépendre
d'elles , de tout ce qui pourra les brouiller avec les puissances
leurs amies et alliées, et qu'elles continueront de marquer,
comme elles l'ont fait constamment dans des circonstances
quelquefois difficiles, tous les égards, et même toute la défé-
rence amicale, compatibles avec leur propre dignité.
Art. 2.
Elles déclarent, en outre, qu'elles ne réclament aucun avan-
tage qui ne serait pas clairement et incontestablement fonde
sur les traités respectifs qu'elles ont avec les puissances belli-
gérantes.
Art. 3.
Leurs Majestés s'engagent aussi, réciproquement, et en face
de toute l'Europe, à ne pas réclamer, dans des cas non spécifiés
dans les traités, aucun avantage qui ne serait pas fondé sur la
loi universelle des nations jusqu'ici reconnue et respectée par
toutes les puissances et par tous les souverains de l'Europe,
et de laquelle elles peuvent aussi peu supposer qu'aucune puis-
sance de l'Europe veuille s'écarter, qu'elles se sentent elles-
mêuie» incapables de le faire.
308 —
Art. 4.
Leurs Majestés, fondant sur une base si juste la revendica-
tion et le maintien de leurs droits incontestables, donneront à
la navigation légitime de leurs sujets, lorsqu'elle sera circon-
scrite dans les termes des traités subsistants, et conforme à ces
mômes traités," toute la protection qu'elle mérite, envers tous
ceux qui, au mépris de ce que Leurs Majestés attendent et es-
pèrent, voudraient et tenteraient de troubler leurs sujets dans
l'exercice légal de droits sanctionnés , dont la jouissance ne
saurait être refusée aux nations neutres et indépendantes.
Art. 5.
Pour atteindre le but qu'elles se proposent , Leurs Majestés
s'engagent à équiper chacune, aussitôt que la saison pourra le
permettre, une escadre de huit vaisseaux de ligne , avec un
nombre proportionné de frégates, et de les pourvoir de tout ce
qu'il faudra pour leur faire tenir la mer.
Art. 6.
Ces escadres se réuniront ou se sépareront, ainsi qu'on le
jugera plus convenable pour l'intérêt commun, qui sera inter-
prété des deux côtés avec l'amitié qui subsiste si heureuse-
ment entre les deux puissances.
Art. 7.
11 ne sera fait absolument aucune espèce de distinction que
ce puisse être, entre les intérêts et les pavillons des deux na-
tions, excepté celle que pourront exiger les traités subsistants
avec les autres nations. Bien plus, dans tous les cas de défense
de convoi ou autrement, sans aucune exception, les vaisseaux
danois défendront les vaisseaux suédois et leur pavillon,
comme si c'étaient ceux de leur propre nation , et réciproque-
ment.
Art. 8.
Pour l'ordre et le commandement, dans tous les cas, il est
convenu d'adopter la teneur des articles 6 et 17 contenus dans
la convention du 12 juillet 1756.
— 369 —
Art. 9.
Les États situés en Allemagne , tant du Danemark que de la
Suède, sont réciproquement et entièrement exceptés de celte
convention.
Art. 10.
La mer Baltique ayant toujours été regardée comme une mer
fermée et inaccessible aux vaisseaux armés des puissances
belligérantes éloignées , est déclarée de nouveau telle par les
parties contractantes, qui sont bien résolues de maintenir cette
mer dans la plus parfaite tranquillité.
Art. 11.
Leurs Majestés s'engagent à faire conjointement une commu-
nication officielle de cette convention à toutes les puissances
en guerre, en y ajoutant les assurances les plus solennelles de
leur désir sincère de persévérer et continuer à vivre avec ces
puissances dans la plus parfaite harmonie, et de la cimenter,
loin d'y porter atteinte par cette mesure, qui ne tend (ju'ù assu-
rer des droits maintenus et garantis par ces puissances elles-
mêmes , dans tous les cas où elles étaient neutres et en paix,
sans que le Danemark ni la Suède aient jamais seulement songé
à les interrompre dans la possession de ces droits.
Art. 12.
Mais si, par malheur, le cas venait à se présenter que quel-
que puissance, au mépris des traités et de la loi universelle des
nations, ne respectât pas la base de la société et du bonheur
général, et voulût inquiéter la navigation légitime des sujets de
Leurs Majestés Danoise et Suédoise , alors les parties contrac-
tantes, après avoir épuisé tous les moyens possibles de concilia-
tion, etavoir fait en commun les remontrances les plus pressantes
pour obtenir la satisfaction et les indemnités qui leur seront
dues, feront usage de représailles, au plus tard quatre mois
après l'inutile réclamation de leurs droits , et cela partout où
elles le jugeront convenable , la mer Baltique toujours néan-
moins exceptée ; et ces puissances répondront entièrement l'une
pour l'autre, et se soutiendront également l'une l'autre, quelle
que soit celle qui ait été attaquée et insultée relativement à la
présente convention.
XI 24
— 370 —
Art. 13.
Cette convention subsistera dans toute sa teneur durant la
présente guerre , à moins qu'il ne soit convenu , pour l'intérêt
des parties respectives, d'y faire quelque changement ou addi-
tion utile ou même nécessaire.
Art. 14.
Sa ratification aura lieu quinze jours après que le présent
traité aura été signé et échangé.
Siffné Bernstorf, Staël db Holstein.
XXIX.
Page 106.
Ordre du conseil d'Angleterre.
8 janvier 1794.
Instructions données aux commandants de nos vaisseaux de
guerre et des corsaires qui ont des lettres de marque contre la
France K
Attendu que, par une instruction du 6 novembre 1793 aux
commandants de nos vaisseaux de guerre et des corsaires, nous
leur avions signifié d'arrêter et de détenir tous bâtiments char-
gés de marchandises du produit d'aucunes colonies apparte-
nant à la France ou portant des provisions et autres articles
pour l'usage desdites colonies, et de les poursuivre, ainsi que
leurs cargaisons, devant nos cours d'amirauté, pour être con-
damnés légalement; il nous plaît de révoquer ladite instruc-
tion ; et à sa place, nous avons jugé à propos de donner les
présentes instructions pour être observées par les comman-
dants de nos vaisseaux de guerre et des corsaires qui ont des
lettres de marque contre la France.
1° Ils arrêteront, pour être condamnés légalement, tous bâ-
timents avec leurs cargaisons du produit des îles occidentales
' Examination of the British doctrine, p. 107.
— 371 —
de la France, et allant directement d'un port desdites îles à un
autre en Europe.
2° Ils arrêteront, pour être condamnés légalement , tous
bâtiments avec leurs cargaisons du produit desdites îles, qui
seraient la propriété des sujets de la France , quel que soit le
port pour lequel ils seraient destinés.
3" Us arrêteront tous bâtiments cherchant à entrer dans les
ports desdites colonies , qui sont ou seraient bloqués par les
forces de Sa Majesté ou de ses alliés , et les feront condamner,
ainsi que leurs cargaisons , conformément au deuxième article
des premières instructions datées du 8 juin 1793.
4° Ils arrêteront tous bâtiments chargés , en totalité ou en
partie, de munitions navales ou militaires destinées pour les
ports desdites îles, et les enverront dans un port appartenant
à Sa Majesté , pour y être poursuivis , avec leurs cargaisons,
conformément aux règlements du droit des nations.
XXX.
Page 106.
Extrait du traité d'amitié, de commerce et de navigation,
entre Sa Majesté Britannique et les États-Unis d'Amérique,
conclu le 19 novembre 1794, ratifié le 28 octobre 1795.
Art. 17.
Commerce en temps de guerre.
Il est convenu que , dans tous les cas où les vaisseaux se-
ront pris ou détenus sur un juste soupçon d'avoir à bord des
propriétés appartenant à l'ennemi , ou de lui porter aucun des
articles qui , en temps de guerre, passent pour contrebande,
ledit vaisseau sera amené au port le plus voisin et le plus con-
venable; et si l'on trouve, en effet, sur son bord aucune pro-
priété appartenant à l'ennemi, cette partie seulement de la car-
gaison sera confisquée, et le vaisseau sera remis en liberté avec
le reste de son chargement , pour continuer sa route sans au-
cun empêchement : et il est convenu qu'on prendra toutes les
mesures propres à prévenir les relards de décision des cas de
navires ou cargaisons ainsi soumis à un jugement, et de paye-
— 372 —
ment ou recouvrement de l'indemnité adjugée, ou que l'on
aura consenti à payer aux capitaines ou propriétaires de ces
bâtiments.
Art. 18.
Liste de contrebande.
Dans l'intention de régler ce qui , à l'avenir, sera regardé
comme contrebande de guerre , il est convenu que, sous cette
dénomination, seront comprises toutes les armes et fournitures
servant à la guerre par terre et par mer, telles que canons, fu-
sils, mortiers, pétards, bombes, grenades, carcasses, saucis-
sons, affûts de canon , fourchettes à soutenir les mousquets,
bandoulières, poudre à canon, mèches, salpêtre, boulets, pi-
(jues, épécs, armures de tôle , cuirasses, javelots, lances, jave-
lines, équipement de cheval , et généralement toutes les autres
fournitures servant à la guerre ; comme aussi le bois pour la
construction des vaisseaux , la poix ou résine , le cuivre de
doublage en feuilles, les voiles, chanvres et cordages, et géné-
ralement tout ce qui peut être d'une utilité directe pour l'équi-
])ement des vaisseaux, excepté le fer en barres, et le sapin dé-
bité en planches. Tous les articles ci-dessus mentionnés sont
i«ù déclarés objets qui pourront être justement confisqués, tou-
tes les fois qu'on essayera de les porter à l'ennemi.
XXXI.
Page 107
Conventions entre S. M. le roi de Suède, d'une part, et S. M.
l'empereur de toutes les RiÈsies, de l'autre, pour le rétablis-
sement d'une neutralité armée.
INous Gustave-Adolphe , par la grâce de Dieu , roi de Suède,
des Goths et des Vandales, etc., savoir faisons qu'ayant, d'ac-
cord avec le sérénissime et très-puissant prince Paul /"■■, par
lu grâce de Dieu , empereur de toutes les Russies, etc., etc.,
notre très-cher frère , cousin , voisin et particulièrement bon
ami, jugé bon et nécessaire de nous concerter mutuellement
sur des mesures communes pour protéger le commerce et la
navigation de nos sujets, et de maintenir le respect dû à nos
— 373 —
pavillons respectifs, et qu'ayant , à l'effet de conclnre cet ou-
vrage salutaire, de notre côté, nommé et autorisé notre amé
et féal M. le baron Court-Louis-Bogislas-Christophe de Ste-
ding, un des seigneurs du royaume, notre ambassadeur extraor-
dinaire à la cour de Russie, lieutenant général dans nos ar-
mées, colonel d'un régiment d'infanterie, etc., etc.; et S. M.
l'empereur de toutes les Russies, ayant, de son côté, choisi
pareillement et autorisé M. le comte Théodore de Rostopchin,
son conseiller, etc., etc. ; lesdits commissaires plénipotentiai-
res viennent de convenir, arrêter, signer et sceller une con-
vention à Saint-Pétersbourg, le 16 décembre de la présente
année, dont suit la teneur mot pour mot :
Au nom de , etc.
La liberté de la navigation et la sûreté du commerce des
puissances neutres ayant été compromises, et les principes du
droit des nations méconnus dans la présente guerre maritime,
S. M. le roi de Suède et S. M. l'empereur de toutes les Russies,
guidées par leur amour pour la justice et par une égale solli-
citude pour tout ce qui peut concourir à la prospérité publique
dans leurs États , ont jugé convenable de donner une nouvelle
sanction aux principes de neutralité, qui, indestructibles dans
leur essence, ne sollicitent que le concours des gouvernements
intéressés à leur maintien, pour les faire respecter. Dans celte
vue, Sa Majesté Impériale a manifesté, par sa déclaration du
1 5 août , aux cours du nord , qu'un même intérêt engage à des me-
sures uniformes dans de pareilles circonstances, combien il lui
tenait à cœur de rétablir dans son inviolabilité le droit commun à
tous les peuples de naviguer et commercer librement, et indé-
pendamment des intérêts momentanés des parties belligérantes.
Sa Majesté Suédoise partageait les vœux et les sentiments de
son auguste allié , et une heureuse analogie d'intérêts, en ci-
mentant leur confiance réciproque, a déterminé la résolution
de rétablir le système de la neutralité armée, qui avait été suivi
avec tant de succès pendant la dernière guerre d'Amérique, en
renouvelant ses maximes bienfaisantes dans une nouvelle con-
vention adaptée aux circonstances actuelles.
Pour cet effet, S. M. le roi de Suède et S. M. l'empereur de
toutes les Russies ont nommé leurs plénipotentiaires déjà nom-
més, qui , après l'échange de leurs pleins pouvoirs respectifs,
sonl convenus des articles suivants :
-- 374 —
Article premier.
S. M. le roi de Suède et S. M. l'empereur de toules lesRus-
sies déclarent vouloir tenir la main à la plus rigoureuse exé-
cution des défenses portées contre le commerce de contre-
bande de leurs sujets avec quelle que ce soit des puissances
déjà en guerre.ou qui pourraient y entrer dans la suite.
Art, 2.
Pour éviter toute équivoque et tout malentendu sur ce qui
doit être qualifié de contrebande, S. M. le roi de Suède et
S. M. l'empereur de toutes les Russies déclarent qu'elles ne
reconnaissent pour telle que les objets suivants; savoir : ca-
nons, mortiers, armes à feu, pistolets, bombes, grenades,
boulets, balles, fusils, pierres à feu, mèches, poudre, salpêtre,
soufre, cuirasses, piques, épées, ceinturons, gibernes, selles
et brides , en exceptant toutefois la quantité qui peut être né-
cessaire pour la défense du vaisseau et de ceux qui en compo-
sent l'équipage ; et tous les autres articles quelconques , non
désignés ici , ne sont pas réputés munitions de guerre et na-
vales, ni sujets à confiscation , et, par conséquent , passeront
librement sans être assujettis à la moindre difficulté. Il est
aussi convenu que le présent article ne portera aucun préju-
dice aux stipulations particulières des traités antérieurs avec
les parties belligérantes, par lesquelles des objets de pareil
genre seraient réservés, prohibés ou permis.
Art. 3.
Tout ce qui peut être objet de contrebande étant ainsi dé-
terminé et exclu du commerce des nations neutres , d'après le
dispositif de l'article précédent, S. M. le roi de Suède et Sa Ma-
jesté Impériale entendent et veulent que tout autre trafic soit et
reste parfaitement libre. Leurs Majestés, pour mettre sous une
sauvegarde suffisante les principes généraux du droit naturel,
dont la liberté du commerce et de la navigation, de même que
les droits des peuples neutres, sont une conséquence directe,
ont résolu de ne les point laisser plus longtemps dépendre
d'une interprétation arbitraire, suggérée par des intérêts iso-
lés et momentanés. Dans cette vue, elles sont convenues :
1° Que tout vaisseau peut naviguer librement de port en
port et sur les côtes des nations en guerre j
— 375 —
2' Que les effets appartenant aux sujets desdites puissances
en guerre soient libres sur les vaisseaux neutres , à l'exception
des marchandises de contrebande ;
3» Que , pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué,
on n'accorde celte dénomination qu'à celui où il y a, par la
disposition de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux
arrêtés et suffisamment proches, un danger évident d'entrer;
et que tout bâtiment naviguant vers un port bloqué ne pourra
être regardé comme ayant contrevenu à la présente conven-
tion , que lorsque après avoir été averti par le commandant du
blocus , de l'état du port , il tâchera d'y pénétrer en employant
la force ou la ruse ;
4° Que les vaisseaux neutres ne peuvent être arrêtés que sur
de justes causes et faits évidents ; qu'ils soient jugés sans re-
lard ; que la procédure soit toujours uniforme , prompte et lé-
gale, et que, chaque fois, outre les dédommagements qu'on
accorde à ceux qui ont fait des pertes sans avoir été en contra-
vention, il soit rendu une satisfaction complète pour l'insulte
faite au pavillon de Leurs Majestés ;
6° Que la déclaration de l'officier commandant les vaisseaux
de la marine royale ou impériale qui accompagneront le con-
voi d'un ou de plusieurs bâtiments marchands, que son convoi
n'a à bord aucune marchandise de contrebande , doit suffire
pour qu'il n'y ait lieu à aucune visite sur son bord ni à celui
des bâtiments de son convoi.
Pour assurer d'autant mieux à ces principes le respect dû à
des stipulations dictées par le désir désintéressé de maintenir
les droits imprescriptibles des nations neutres, et donner une
nouvelle preuve de leur loyauté et de leur amour pour la jus-
tice, les hautes puissances contractantes prennent ici l'enga-
gement le plus formel de renouveler les défenses les plus sévè-
res à leurs capitaines , soit de haut bord , soit de la marine
marchande, de charger, tenir ou receler à leurs bords aucun
des objets qui, aux termes de la présente convention, pour-
raient être réputés de contrebande, et de tenir scrupuleuse-
ment la main à l'exécution des ordres qu'elles feront publier
dans leurs amirautés et partout où besoin sera ; à l'effet de
quoi l'ordonnance qui renouvellera cette défense sous les
peines les plus graves , sera imprimée à la suite du pré-
sent acte, pour qu'il n'en puisse être prétendu cause d'igno-
rance.
-- 376 —
Art. 4.
Pour protéger le commerce commun de leurs sujets, sur le
fondement des principes ci-dessus f'tablis,S. M. le roi de Suède
et Sa Majesté Impériale ont jugé à propos d'équiper séparément
un nombre de vaisseaux de guerre et de frégates proportionné
à ce but; les escadres de chaque puissance ayant à prendre la
station et devant être employées aux convois qu'exigent son
commerce et sa navigation , conformément à la nature et à la
qualité du trafic de chaque nation.
Art. 5.
Pour prévenir tous les inconvénients qui peuvent provenir
de la mauvaise foi de ceux qui se servent du pavillon d'une
nation sans lui appartenir, on convient d'établir pour règle in-
violable, qu'un bâtiment quelconque, pour être regardé comme
propriété d'un pays dont il porte le pavillon , doit avoir à son
bord le capitaine du vaisseau et la moitié de l'équipage des
gens du pays, les papiers et passe-ports en bonne et due forme ;
mais tout bâtiment qui n'observera point cette règle, et qui
contreviendra aux ordonnances publiées à cet effet et impri-
mées à la suite de la présente convention, perdra tous les
droits à la protection des puissances contractantes , et le
gouvernement auquel il appartiendra supportera seul les per-
tes, dommages et désagréments qui en résulteront.
Art. 6.
Si cependant il arrivait que les vaisseaux marchands de
l'une des puissances se trouvassent dans un parage où les vais-
seaux de guerre de la même nation ne fussent pas stationnés,
et où ils ne pourraient avoir recours à leurs propres convois,
alors le commandant des vaisseaux de guerre de l'autre puis-
sance, s'il en est requis, doit, de bonne foi et sincèrement,
leur prêter les secours dont ils pourraient avoir besoin ; et en
tel cas, les vaisseaux de guerre et frégates de l'une des puis-
sances serviront de soutien et d'appui aux vaisseaux mar-
chands de l'autre ; bien entendu cependant que les réclamants
n'auraient fait aucun commerce illicite ni contraire aux prin-
cipes de la neutralité.
Art. 7.
Cette convention n'aura point d'effet rétroactif, et par con-
— 377 —
séquenl on ne prendra aucune part aux différends nés avant la
conclusion, à moins qu'il ne soit question d'actes de violence
continués , tendant à fonder un système oppressif pour toutes
les nations neutres de l'Europe en général.
Art. 8.
S'il arrivait, malgré tous les soins les plus attentifs des deux
puissances, et malgré l'observation de la neutralité la plus par-
faite de leur part, que les vaisseaux marchands de S. M. le roi de
Suède ou de Sa Majesté Impériale fussent insultés, pillés ou pris
par les vaisseaux de guerre ou armateurs de l'une ou l'autre
des puissances en guerre , alors le ministre de la partie lésée
auprès du gouvernement dont les vaisseaux de guerre ou ar-
mateurs auront commis de tels attentats , y fera des représen-
tations , réclamera le vaisseau marchand enlevé, et insistera
sur les dédommagements convenables, en ne perdant jamais
de vue la réparation de l'insulte faite au pavillon. Le ministre
de l'autre partie contractante se joindra à lui, et appuiera ses
plaintes de la manière la plus énergique et la plus efticace ; et
ainsi, il sera agi d'un accord commun et parfait. Que si l'on
refusait de rendre justice sur ces plaintes, ou si l'on remettait
de la rendre d'un temps à l'autre, alors Leurs Majestés useront
de représailles contre la puissance qui la leur refuserait, et elles
se concerteraient incessamment sur la manière la plus efficace
d'effectuer ces justes représailles.
Art. 9.
S'il arrivait que l'une ou l'autre des puissances, ou toutes les
deux ensemble , à l'occasion ou en haine de la présente con-
vention, ou pour quelque cause qui y aurait rapport, fût in-
quiétée, molestée ou attaquée, il a été également convenu que
les deux puissances feront cause commune pour se défendre
réciproquement, et pour travailler et agir de concert à se pro-
curer une pleine et entière satisfaction, tant pour l'insulte faite
à leur pavillon , que pour les pertes causées à leurs sujets.
Art. 10.
Les principes et les mesures adoptés par le présent acte se-
ront également applicables à toutes les guerres maritimes dont
l'Europe aurait le malheur d'être troublée. Ces stipulations se-
ront, en conséquence, regardées comme permanentes, etser-
— 378 —
viront de règle aux puissances contractantes, en matière de
commerce et de navigation, et toutes les fois qu'il s'agira d'ap-
précier les droits des nations neutres.
Art. 11.
Le but et l'objet principal de cette convention étant d'assurer
la liberté générale du commerce et de la navigation , S. M. le
roi de Suède et Sa Majesté Impériale conviennent et s'engagent
d'avance à consentir que d'autres puissances également neutres
y accèdent, et qu'en adoptant les principes elles eu partagent
les obligations ainsi que les avantages.
Art. 12.
Afin que les puissances en guerre ne puissent prétendre
cause d'ignorance des arrangements pris entre Leurs Majestés,
elles conviennent de porter à la connaissance des parties bel-
ligérantes les mesures qu'elles ont prises entre elles, d'autant
moins hostiles, qu'elles ne sont au détriment d'aucun autre
pays, mais tendent uniquement à la sûreté du commerce et de
la navigation de leurs sujets respectifs.
Art. 13.
La présente convention sera ratifiée par les deux parties
contractantes, et les ratifications échangées , en bonne et due
forme dans l'espace de six semaines, et plus tôt si faire se peut,
à compter du jour de la signature.
En foi de quoi, nous soussignés, en vertu de nos pleins pou-
voirs, l'avons signée et y avons apposé le cachet de nos armes.
Fait à Saint-Pétersbourg, le -^ décembre, l'an 1800.
Signé Court Steding. — Comte Rostopchin.
XXXIL
Page 107.
Convention de neutralité maritime armée ^ conclue entre LL.
MM. l'empereur de toutes les Russies et le roi de Danemark,
à Saint-Pétersbourg, le -^décembre 1800,
Nous Paul I", par la grâce de Dieu , empereur et autocrate
de toutes les Russies, etc., etc., etc., savoir faisons qu'en con-
— 379 —
séquence de notre désir, conforme à celui de S. M. le roi de
Danemark, nos plénipotentiaires respectifs , munis d'instruc-
tions et pleins pouvoirs nécessaires, ont arrêté et signé à Saint-
Pétersbourg, le ^ décembre, l'an 1800, une convention de
neutralité maritime armée, dont la teneur suit ici mot à mot :
Au nom de la très-sainte et indivisible Trinité , la liberté de
la navigation et la sûreté du commerce des puissances neutres
ayant été compromises, et les principes du droit des nations
méconnus dans la présente guerre maritime, S. M. l'empereur
de toutes les Russies et S. M. le roi de Danemark et de Nor-
vège, guidées par leur armour pour lajuslice et par une égale
sollicitude pour tout ce qui peut concourir à la prospérité pu-
blique dans leurs États, ont jugé convenable de donner une
nouvelle sanction aux principes de neutralité qui, indestructi-
bles dans leur essence, ne sollicitent que le concours des gou-
vernements intéressés à leur maintien , pour les faire respecter.
Dans cette vue, Sa Majesté Impériale a manifesté, par sa décla-
ration du 15 août aux cours du nord , qu'un même intérêt en-
gage à des mesures uniformes dans de pareilles circonstances,
combien il lui tenait à cœur de rétablir dans son inviolabilité le
droit commun à tous les peuples de commercer librement et
indépendamment des intérêts momentanés des parties belligé-
rantes. Sa Majesté Danoise partageait les vœux et les sentiments
de son auguste allié ; et une heureuse analogie d'intérêts, en
cimentant leur confiance réciproque, a déterminé la résolution
de -rétablir le système de la neutralité armée, qui avait été suivi
avec tant de succès pendant la dernière guerre d'Amérique, en
renouvelant ses maximes bienfaisantes dans une nouvelle con-
vention adaptée aux circonstances actuelles.
Pour cet effet , S. M. l'empereur de toutes les Russies , et
S. M. le roi de Danemark et de Norvège, ont nommé pour leurs
plénipotentiaires ; savoir : Sa Majesté Impériale le sieur comte
Théodore de Rostopsin, son conseiller privé actuel, membre de
son conseil , principal ministre du collège des Affaires Étran-
gères, directeur général des postes de l'empire, grand chance-
lier et grand'croix de l'ordre souverain de Saint-Jean de Jérusa-
lem, chevalier des ordres de Saint-André, de Saint-Alexandre de
Newsky, et de Sainte-Anne de première classe, deceux de Saint-
Lazare, de l'Annonciade, de Saint-Maurice et Lazare, de Saint-
Ferdinand et de Saint-Hubert; et Sa Majesté Danoise, le sieur
Niels de Rosenkrantz , son envoyé extraordinaire et ministre
plénipotentiaire auprès de S, M. l'empereur de toutes les Rus-
— 380 —
sies , son chambellan et aide de camp général ; lesquels , après
l'échange de leurs pleins pouvoirs respectifs , sont convenus
des articles suivants :
Article premier.
Commerce de contrebande.
S. M. l'empereur de toutes les Russies, et S. M. le roi de
Danemark et de Norvège, déclarent vouloir tenir la main à la
plus rigoureuse exécution des défenses portées contre le com-
merce de contrebande de leurs sujets avec qui que ce soit des
puissances déjà en guerre ou qui pourraient y entrer dans la
suite.
Art. 2.
Notion de la contrebande.
Pour éviter toute équivoque et tout malentendu sur ce qui
doit être qualifié de contrebande , S. M. I. de toutes les Rus-
sies, et S. M. le roi de Danemark et de Norvège, déclarent
qu'elles ne reconnaissent pour telle que les objets suivants;
savoir : canons, mortiers, armes à feu, pistolets, bombes, gre-
nades, boulets, balles, fusils , pierres à feu, mèches , poudre,
salpêtre, soufre, cuirasses , piques, épées, ceinturons, giber-
nes, selles et brides, en exceptant toutefois la quantité qui peut
être nécessaire pour la défense du vaisseau et de ceux qui en
composent l'équipage ; et tous les autres articles quelconques
non désignés ici ne seront pas réputés munitions de guerre et
navales, ni sujets à confiscation , et par conséquent passeront
librement sans être assujettis à la moindre difficulté. Il est
aussi convenu que le présent article ne portera aucun préju-
dice aux stipulations particulières des traités antérieurs avec
les parties belligérantes, par lesquelles des objets de pareil
genre seraient réservés , prohibés ou permis.
Art. 3.
Principes de la liberté du commerce neutre.
Tout ce qui peut être objet de contrebande étant ainsi déter-
miné et exclu du commerce des nations neutres, d'après le
dispositif de l'article précédent, S. M. l'empereur de toutes les
Russies et S. M. le roi de Danemark et de Norvège entendent
et veulent que tout autre trafic soit et reste parfaitement libre.
— - 381 —
Leurs Majestés, pour mellre sous une sauvegarde suffisante les
principes généraux du droit naturel, dont la liberté du eom-
merce et de la navigation, de même que les droits des peuples
neutres, sont une conséquence directe, ont résolu de ne les
point laisser plus longtemps dépendre d'une interprétation ar-
bitraire, suggérée par des intérêts isolés et momentanés. Dans
cette vue, elles sont convenues :
1» Que tout vaisseau peut naviguer librement de port en
port, et sur les côtes des nations en guerre ;
2" Que les effets appartenant aux sujets desdites puissances
en guerre soient libres sur les vaisseaux neutres, à l'exception
des marchandises de contrebande ;
3° Que , pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué,
on n'accorde cette dénomination qu'à celui où il y a, par la dis-
position de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrê-
tés et suffisamment proches, un danger évident d'entrer; et
que tout bâtiment naviguant vers un port bloqué , ne pourra
être regardé comme ayant contrevenu à la présente conven-
tion, que lorsqu'après avoir été averti par le commandant du
blocus, de l'état du port, il tâchera d'y pénétrer en employant
la force ou la ruse ;
4" Que les vaisseaux neutres ne peuvent être arrêtés que sur
de justes causes et laits évidents ; qu'ils soient jugés sans re-
lard ; que la procédure soit toujours uniforme, prompte et lé-
gale, et que, chaque fois, outre le dédommagement qu'on ac-
corde à ceux qui ont fait des pertes sans avoir été en contra-
vention , il soit rendu une satisfaction complète pour l'insulte
faite au pavillon de Leurs Majestés ;
5° Que la déclaration de l'officier commandant le vaisseau
ou les vaisseaux de la marine impériale ou royale qui accom-
pagneront le convoi d'un ou de plusieurs bâtiments mar-
chands, que son convoi n'a à bord aucune marchandise de
contrebande , doit suffire pour qu'il n'y ait lieu à aucune visite
sur son bord, ni sur celui des bâtiments de son convoi.
Pour assurer d'autant mieux à ces principes le respect dû à
des stipulations dictées par le désir désintéressé de maintenir
les droits imprescriptibles des nations neutres, et donner une
nouvelle preuve de leur loyauté et de leur amour pour la jus-
tice, les hautes parties contractantes prennent ici rengage-
ment le plus formel de renouveler les défenses les plus sévères
à leurs capitaines, soit de haut bord , soit de la marine mar-
chande, de charger, tenir ou receler à leurs bords aucun des
— 382 —
objets qui, aux termes de la présente convention, pourraient
être réputés de contrebande, et de tenir respectivement la main
à l'exécution des ordres qu'elles feront publier dans leurs ami-
rautés, et partout où besoin sera; à l'effet de quoi , l'ordon-
nance qui renouvellera cette défense sous les peines les plus
graves, sera imprimée à la suite du présent acte, pour qu'il
n'en puisse être prétendu cause d'ignorance.
Art. 4.
Armements pour la protéger.
Pour protéger le commerce commun de leurs sujets sur le
fondement des principes ci-dessus établis, S. M. l'empereur de
toutes les Russies , et S. M. le roi de Danemark et de Norvège
ont jugé à propos d'équiper séparément un nombre de vais-
seaux de guerre et de frégates proportionné à ce but ; les esca-
dres de chaque puissance ayant à prendre la station et devant
être employées aux convois qu'exigent son commerce et sa na-
vigation, conformément à la nature et à la qualité du trafic de
chaque nation.
Art. 5.
Pavillon national.
Pour prévenir tous les inconvénients qui peuvent provenir de
la mauvaise foi de ceux qui se servent du pavillon d'une nation
sans lui appartenir, on convient d'établir pour règle inviola-
ble, qu'un bâtiment quelconque, pour être regardé comme pro-
priété du pays dont il porte le pavillon , doit avoir à son bord
le capitaine du vaisseau et la moitié de l'équipage des gens du
pays , les papiers et passe-ports en bonne et due forme ; mais
tout bâtiment qui n'observera pas cette règle , et qui contre-
viendra aux ordonnances publiées à cet effet et imprimées à la
suite de la présente convention, perdra tous les droits à la pro-
tection des puissances contractantes , et le gouvernement au-
quel il appartiendra supportera seul les pertes , dommages et
désagréments qui en résulteraient.
Art. 6.
Assistance mutuelle.
Si cependant il arrivait que les vaisseaux marchands de l'une
des puissances se trouvassent dans un parage où les vaisseaux
— 383 —
de guerre de la même nation ne fussent pas stationnés , et où
ils ne pourraient pas avoir recours à leurs propres convois, alors
le commandant des vaisseaux de guerre de l'autre puissance,
s'il en est requis, doit de bonne foi et sincèrement leur prêter
les secours dont ils pourraient avoir besoin ; et en tel cas , les
vaisseaux de guerre et frégates de l'une des puissances servi-
ront de soutien et d'appui aux vaisseaux marchands de l'autre ;
bien entendu cepeodant que les réclamants n'auraient fait au-
cun commerce illicite ni contraire aux principes de la neutra-
lité.
Aet. 7.
Effet rétroactif.
Celte convention n'aura point d'effet rétroactif, et par con-
séquent on ne prendra aucune part aux différends nés avant sa
conclusion, à moins qu'il ne soit question d'actes de violence
continués, tendant à fonder un système oppressif pour toutes
les nations neutres de l'Europe en général.
Akt. 8.
Satisfaction qu'on exigera en cas d'abus.
S'il arrivait, malgré tous les soins les plus attentifs des deux
puissances, et malgré l'observation de la neutralité la plus par-
faite de leur part, que les vaisseaux marchands de S. M. l'empe-
reur de toutes les Kussies, ou de S. M. le roi de Danemark et
de Norvège, fussent insultés, pillés ou pris par les vaisseaux
de guerre ou armateurs de l'une ou l'autre des puissances en
guerre, alors le ministre de la partie lésée auprès du gouver-
nement dont les vaisseaux de guerre ou armateurs auront com-
mis de tels attentats , y fera des représentations, réclamera le
vaisseau marchand enlevé, et insistera sur les dédommage-
ments convenables , en ne perdant jamais de vue la réparation
de l'insulte faite au pavillon. Le minisire de l'autre partie con-
tractante se joindra à lui, et appuiera ses plaintes de la manière
la plus énergique et la plus efficace , et ainsi il sera agi d'un
commun et parfait accord. Que si l'on refusait de rendre justice
sur ces plaintes, ou si l'on remettait de la rendre d'un temps à
l'autre , alors Leurs Majestés useront de représailles contre la
puissance qui la leur refuserait , et elles se concerteront inces-
samment sur la manière la plus efficace d'effectuer ces justes
représailles.
— 384 —
Art. 9.
Alliance.
S'il arrivait que l'une ou l'autre des deux puissances, ou
toutes les deux ensemble, à l'occasion ou en haine de la pré-
sente convention , ou pour quelque cause qui y aurait rapport,
fût inquiétée, molestée ou attaquée, il a été également convenu
que les deux puissances feront cause commune pour se défen-
dre réciproquement , et pour travailler et agir de concert à se
procurer une pleine et entière satisfaction, tant pour l'insulte
faite à leur pavillon, que pour les pertes causées à leurs sujets.
Art. 10.
Guerres futures.
Les principes et les mesures adoptés par le présent acte se-
ront également applicables à toutes les guerres maritimes par
lesquelles l'Europe aurait le malheur d'être troublée. Ces sti-
pulations seront, en conséquence, regardées comme perma-
nentes, et serviront de règle aux puissances contractantes, en
matière de commerce et de navigation , et toutes les fois qu'il
s'agira d'apprécier les droits des nations neutres.
Art. 11.
Accessions des neutres.
Le but et l'objet principal de cette convention étant d'assu-
rer la liberté générale du commerce et de la navigation, S. M.
l'empereur de toutes les Russies et S. M. le roi de Danemark et
de Norvège conviennent et s'engagent d'avance à consentir
que d'autres puissances également neutres y accèdent, et qu'eu
adoptant les principes, elles en partagent les obligations ainsi
que les avantages.
Art. 42.
Communication aux helligérants.
Afin que les puissances en guerre ne puissent prétendre
cause d'ignorance des arrangements pris entre Leursdites Ma-
jestés, elles conviennent de porter à la connaissance des par-
ties belligérantes les mesures qu'elles ont concertées entre
elles, d'autant moins hostiles, qu'elles ne sont au détriment
— 385 —
d'aucun autre pays , mais tendent uniquement à la sûreté du
commerce et de la navigation de leurs sujets respectifs.
Art. 13.
La présente convention sera ratifiée par les deux parties con-
tractantes, et les ratifications échangées, en bonne et duc
forme, dans Fespacede six semaines, ou plus tôt si faire se peut,
à compter du jour de la signature. En foi de quoi, nous sous-
signés, en vertu de nos pleins pouvoirs , l'avons signée et y
avons apposé le cachet de nos armes.
Fait à Saint-Pétersbourg, le 4 (16) décembre 1800.
( L. S. ) Signé comte Rostops(n,
(L. S. ) Signé Niels de Rosenkrantz.
Les ratifications ont été échangées le 10 février 1801.
XXXÏII.
Page 107.
Convention de neu (rallié maritime armée, concilie entre LL.
MM. r empereur de toutes les Kussies et le roi de Prusse, à
Saint-Pétersbourg, le -^ décembre 1800, avec l'article sup'
plémentaire ratifié le 6 février 1801.
Nous Paul I", par la grâce de Dieu , empereur et autocrate
de toutes les Uussies, de Moscovie, Kiovie, Wladimiric, Novo-
gorod; czar de Casan, czar d'Astracan, czar de Sibérie, czar de
la Chersonèse-Taurique ; seigneur de Plescau, et grand-duc do
Smolenske, de Lilhuanio, Wolhynie et Podolie; duc d'F^stonie,
de Livonie, de Courlande et Semigalle , de Samogitie, Carélie,
Twer, Ingorie, Permie, Viatka, Bulgarie, et d'autres ; seigneur
et grand-duc de Novogorod inférieur, de Czernigovie, Rezau,
Polock , Bestow, Saruslaw, Belooserie, Udorie, Obdorie, Con-
dinie, Witepsk, Milislaw ; dominateur de tout le côté du nord ;
seigneur d'Iverie, et prince héréditaire et souverain des czars
de Cartalinie et Géorgie, comme aussi de Cabardiuie, des prin-
ces de (Izircassie, de Gorsky, et d'autres ; successeur de Nor-
vège} duc de Schlesweik-Holslcin, de Storraarie, de Dithmar-
XI 25
— 386 —
sen , et d'Oldenbourg ; seigneur de Jever, et grand maître de
l'ordre souverain de Saint-Jean de Jérusalem, etc., etc.
Savoir faisons qu'en conséquence de notre désir, conforme
à celui de S. M. le roi de Prusse, nos plénipotentiaires respec-
tifs, munis d'instructions et pleins pouvoirs nécessaires , ont
arrêté et signé à Saint-Pétersbourg, le j^ décembre, l'an 1800,
une convention de neutralité maritime armée , dont la teneur
suit ici mot à mot :
Au nom de la très-sainte et indivisible Trinité.
La liberté de la navigation et la sûreté du commerce des
puissances neutres ayant été compromises, et les principes du
droit des nations méconnus dans la présente guerre maritime,
S. M, l'empereur de toutes les Russies et S. M. le roi de Prusse,
guidées par leur amour pour la justice et par une égale solli-
citude pour tout ce qui peut concourir à la prospérité publique
dans leurs États, ont jugé convenable de donner une nouvelle
sanction aux principes de neutralité qui, indestructibles de leur
essence , ne sollicitent que le concours des gouvernements in-
téressés à leur maintien, pour les faire respecter. Dans cette vue,
Sa Majesté impériale a manifesté, par sa déclaration du 15 août,
aux cours du nord , qu'un même intérêt engage à des mesures
uniformes dans de pareilles circonstances, combien il lui te-
nait à cœur de rétablir dans son inviolabilité le droit commun
à tous les peuples de naviguer et commercer librement et indé-
pendamment des intérêts momentanés des parties belligérantes.
Sa Majesté Prussienne partageait les vœux et les sentiments
de son auguste allié; et une heureuse analogie d'intérêts, en ci-
mentant leur confiance réciproque , a déterminé la résolution
de rétablir le système de la neutralité armée, qui avait été suivi
avec tant de succès pendant la dernière guerre d'Amérique,
en renouvelant ses maximes bienfaisantes dans une nouvelle
convention adaptée aux circonstances actuelles.
Pour cet effet, S. M. l'empereur de toutes les Russies, et
S. M. le roi de Prusse, ont nommé pour leurs plénipotentiaires,
savoir : Sa Majesté Impériale, le sieur comte Théodore de Ros-
topsin, son conseiller privé actuel, membre de son conseil, prin-
cipal ministre du collège des Affaires Étrangères, directeur gé-
néral des postes de l'empire, grand chancelier et grand'croix
de l'ordre souverain de Saint-Jean de Jérusalem, chevalier des
ordies de Saint-André, de Saint-Alexandre Newsky, et de
— 387 —
Sainte-Anne de première classe, de ceux de Saint-Lazare, de
l'Annonciade, de Saint-Maurice et Lazare, de Saint-Ferdinand
et de Saint-Hubert ; et Sa Majesté Prussienne , le sieur comte
Spiridon àeLuzi, lieutenant général d'infanterie de ses armées,
son envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire auprès
de S. M. l'empereur de toutes les Russies, chevalier de l'ordre
de l'Aigle-Rouge et de l'ordre pour le mérite ; lesquels , après
l'échange de leurs pleins pouvoirs, sont convenus des articles
suivants :
Article premier.
Commpree de contrebande.
S. M. l'empereur de toutes les Russies et S. M. le roi de
Prusse déclarent vouloir tenir la main à la plus rigoureuse
exécution des défenses portées contre le commerce de contre-
bande de leurs sujets avec qui que ce soit des puissances déjà
en guerre ou qui pourraient y entrer dans la suite.
Art. 2.
Notion de la contrebande.
Pour éviter toute équivoque et tout malentendu sur ce qui
doit être qualifié de contrebande, S. M. l'empereur de toutes
les Russies et Sa Majesté Prussienne déclarent qu'elles ne re-
connaissent pour telle que les objets suivants; savoir : canons,
mortiers, armes à feu, pierres à feu , mèches , poudre , salpê-
tre , soufre , cuirasses , piques , épées , ceinturons , gibernes,
selles et brides, en exceptant toutefois la quantité qui peut être
nécessaire pour la défense du vaisseau et de ceux qui en com-
posent l'équipage ; et tous les autres articles quelconques, non
désignés ici, ne seront pas réputés munitions de guerre et na-
vales, ni sujets à confiscation, et par conséquent passeront
librement, sans être assujettis à la moindre difficulté. Il est
aussi convenu que le présent article ne portera aucun préjudice
aux stipulations particulières des traités antérieurs avec les
parties belligérantes, par lesquelles des objets de pareil genre
seraient réservés, prohibés ou permis.
Art. 3.
Principes de la liberté du commerce neutre.
Tout ce qui peut être objet de contrebande étant ainsi déter-
miné et exclu du commerce des nations neutres, d'après le
— 388 —
dispositif de l'article précédent, S. M, l'empereur de toutes les
Russies et Sa Majesté Prussienne entendent et veulent que tout
autre trafic soit et reste parfaitement libre. Leurs Majestés, pour
mettre sous une sauvegarde suffisante les principes généraux
du droit naturel, dont la liberté du commerce et de la naviga-
tion, de même que les droits des peuples neutres, sont une
conséquence directe, ont résolu de ne les point laisser plus
longtemps dépendre d'une interprétation arbitraire, suggérée
par des intérêts isolés et momentanés. Dans cette vue, elles
sont convenues :
1° Que tout vaisseau peut naviguer librement de port en
port et sur les côtes des nations en guerre ;
2° Que les effets appartenant aux sujets des puissances en
guerre soient libres sur les vaisseaux neutres, à l'exception des
marchandises de contrebande ;
3" Que, pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué,
on n'accorde cette dénomination qu'à celui où il y a, par la
disposition de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux
arrêtés et suffisamment proches, un danger évident d'entrer;
«t que tout bâtiment naviguant vers un port bloqué ne pourra
être regardé comme ayant contrevenu à la présente conven-
tion, que lorsque après avoir été averti par le commandant du
blocus, de l'état du port, il tâchera d'y pénétrer en employant
la force ou la ruse ;
4° Que les vaisseaux neutres ne peuvent être arrêtés que
sur de justes causes et faits évidents; qu'ils soient jugés sans
relard; que la procédure soit toujours uniforme, prompte et
légale, et que, chaque ibis, outre le dédommagement qu'on
accorde à ceux qui ont fait des pertes sans avoir été en contra-
vention, il soit rendu une satisfaction complète pour l'insulte
laite au pavillon de Leurs Majestés ;
5" Que la déclaration de l'officier commandant le vaisseau
ou les vaisseaux de la marine impériale ou royale qui accom-
pagneront le convoi d'un ou de plusieurs bâtiments mar-
chands, que son convoi n'a à bord aucune marchandise de
contrebande, doit suffire pour qu'il n'y ait lieu à aucune visite
sur son bord, ni sur celui des bâtiments de son convoi.
Pour assurer d'autant mieux à ces principes le respect dû à
des stipulations dictées par le désir désintéressé de maintenir
les droits imprescriptibles des nations neutres, et donner une
nouvelle preuve de leur loyauté et de leur amour pour la jus-
tice, les hautes parties contractantes prennent ici l'engagement
— 389 —
le plus formel de renouveler les défenses les plus sévères à
leurs capitaines, soit de haut bord, soit de la marine mar-
chande, de charger, tenir ou receler à leurs bords, aucun des
objets qui , aux termes de la présente convention, pourraient
être réputés de contrebande, et de tenir respectivement la
main à l'exécution des ordres qu'elles feront publier dans leurs
amirautés, et partout où besoin sera ; à l'effet de quoi, l'ordon-
nance qui renouvellera cette défense sous les peines les plus
graves, sera imprimée à la suite du présent acte, pour qu'il
n'en puisse être prétendu cause d'ignorance.
Art. 4.
Protection pour les vaisseatix prussiens.
En réciprocité de cette accession. S. M. l'empereur de toutes
les Russies fera jouir le commerce et la navigation des sujets
prussiens, de la protection de ses flottes, en ordonnant à tous
les chefs de ses escadres de protéger et défendre , contre toute
insulte et molestalion , les navires marchands prussiens qui se
trouveront sur leur route, comme ceux d'une puissance amie,
alliée, et stricte observatrice de la neutralité; bien entendu
cependant que les susdits navires ne seront employés à aucun
commerce illicite ni contraire aux règles de la neutralité la
plus exacte.
La môme protection et la même assistance seront accordées
au pavillon prussien, de la part des vaisseaux de guerre danois
et suédois, conformément aux principes de la neutralité ar-
mée ; et S. M. l'empereur de toutes les Russies s'engage à con-
courir, s'il est nécessaire, aux arrangements qui doivent être
stipulés pour cet effet dans les conventions séparées à conclure
ensuite du présent acte entre les cours de Berlin, de Copenha-
gue et de Stockholm.
Art. 5.
Effet rétroactif.
Celte convention n'aura point d'effet rétroactif, et par con-
séquent on ne prendra uucune part aux différends nés avant sa
conclusion , à moins qu'il ne soit question d'actes de violence
continués, tendant à former un système oppressif pour toutes les
nations neutres de l'Europe en général.
— 390 —
Art. 6.
Satisfaction en cas d'abus.
S'il arrivait, malgré tous les soins les plus attentifs des deux
puissances, et malgré l'observation de la neutralité la plus par-
faite de leur part, que les vaisseaux marchands de S. M. l'em-
pereur de toutes les Russies ou deSaMajeslé Prussienne fussent
insultés, pillés- ou pris par les vaisseaux de guerre ou arma-
teurs de l'une ou l'autre des puissances en guerre, alors le mi-
nistre de la partie lésée auprès du gouvernement dont les vais-
seaux de guerre ou armateurs auront commis de tels attentats,
y fera des représentations, réclamera le vaisseau marchand
enlevé, et insistera sur les dédommagements convenables, en
ne perdant jamais de vue la réparation de l'insulte faite au pa-
villon. Le ministre de l'autre partie contractante se joindra à
lui, et appuiera ses plaintes de la manière la plus énergique et
la plus efficace ; et ainsi il sera agi d'un commun et parfait ac-
cord. Que si l'on refusait de rendre justice sur ces plaintes, ou
si l'on remettait de la rendre d'un temps à l'autre, alors Leurs
Majestés useront de représailles contre la puissance qui la leur
refuserait , et elles se concerteront incessamment sur la ma-
nière la plus efficace d'effectuer ces justes représailles.
Art. 7.
Alliance,
S'il arrivait que l'une ou l'autre des deux puissances , ou
toutes les deux ensemble, à l'occasion ou en haine de la pré-
sente convention, ou pour quelque cause qui y aurait rapport,
fût inquiétée, molestée ou attaquée, il a été également convenu
que les deux puissances feront cause commune pour se dé-
fendre réciproquement, et pour travailler et agir de concert à
se procurer une pleine et entière satisfaction, tant pour l'in-
sulte faite à leur pavillon que pour les pertes causées à leurs
sujets.
Art. 8.
Guerres futures.
Les principes et les mesures adoptés par le présent acte se-
ront également applicables à toutes les guerres maritimes par
lesquelles l'Europe aurait le malheur d'être troublée. Ces sti-
pulations seront, en conséquence, regardées comme perma-
— 391 —
nentes, et serviront de règle aux puissances contractantes, en
matière de commerce et de navigation, et toutes les fois qu'il
s'agira d'apprécier les droits des nations neutres.
Abt. 9.
Accession des neutres.
Le but de l'objet principal de cette convention étant d'as-
surer la liberté générale du commerce et de la navigation ,
S. M. l'empereur de toutes les Russies et Sa Majesté Prussienne
conviennent et s'engagent d'avance à consentir que d'autres
puissances également neutres y accèdent , et qu'en adoptant les
principes, elles en partagent les obligations ainsi que les avan-
tages.
Art. 10.
Communication aux belligérants.
Afin que les puissances en guerre ne puissent prétendre
cause d'ignorance des arrangements pris entre Leursdites Ma-
jestés, elles conviennent de porter à la connaissance des par-
ties belligérantes les mesures qu'elles ont contractées entre
elles, d'autant moins hostiles, qu'elles ne sont au détriment
d'aucun pays, mais tendent uniquement à la sûreté du com-
merce et de la navigation de leurs sujets respectifs.
Art. 11.
Satification,
La présente convention sera ratifiée par les deux parties
contractantes, et les ratifications échangées, en bonne et due
forme, dans l'espace de six semaines , ou plus tôt si faire se
peut, à compter du jour de la signature.
En foi de quoi , nous soussignés , en vertu de nos pleins
pouvoirs , l'avons signée et y avons apposé le cachet de nos
armes.
Fait à Saint-Pétersbourg, le ^ décembre 1800,
(US.) comte de Rostopsin
(L. S.)Spiridon, comte de Luzi.
A ces causes , et après avoir suffisamment examiné ce traité
de neutrahté armée , nous l'avons agréé , confirmé et ratifié,
— 39Q —
ainsi que nous l'agréons , confirmons et ratifions par les pré-
sentes dans tous ses articles; promettant sur notre parole et
foi impériale , pour nous et nos héritiers, de remplir inviola-
blement tout ce qui a été stipulé par la susdite convention.
De plus, et indépendamment des stipulations contenues
dans la convention ci-dessus transcrite , S. M. le roi de Prusse
ayant agréé un article supplémentaire que nous lui avons pro-
posé, conçu en termes suivants : « Pour prévenir tous les in-
convénients qui peuvent provenir de la mauvaise foi de ceux
qui se servent du pavillon d'une nation sans lui appartenir, on
convient d'établir, pour règle inviolable, qu'un bâtiment quel-
conque , pour être regardé comme propriété du pays dont il
porte le pavillon, doit avoir à son bord le capitaine du vais-
seau et la moitié de l'équipage des gens du pays, les papiers
et passe- ports en bonne et due forme : mais tout bâtiment qui
n'observera pas cette règle , et qui contreviendra aux ordon-
nances publiées à cet effet et imprimées à la suite de la pré-
sente convention , perdra tous les droits à la protection des
puissances contractantes; et le gouvernement auquel il appar-
tiendra, supportera seul les pertes, dommages et désagréments
qui en résulteront. »
Et cet article additionnel ayant uniquement pour objet de
parer, avec d'autant plus d'efficacité , aux abus de tout com-
merce frauduleux et de contrebande, nous l'avons confirmé et
ratifié , ainsi que nous le ratifions et confirmons par les pré-
sentes ; promettant sur notre parole et foi impériale, pour nous
et nos héritiers , de remplir inviolablement tout ce qui a été
stipulé par le susdit article.
En foi de quoi, nous avons signé cette ratification impériale
de notre propre main , et y avons fait apposer le sceau de l'em-
pire.
Donné à notre château de Saint-Michel, le 6 février, l'an de
grâce 1801, et de notre règne la cinquième année.
Pacl.
Contresigné comte de Rostopsin.
— 393 —
XXXIV.
Page 108,
Convention maritime entre la Russie et la Grande-Bretagne,
signée à Saint-Pétersbourg, le -pjjuin 1801, avec deux ar-
ticles séparés de la même date.
Le désir mutuel de S. M. l'empereur de toutes les Russies , et
de S. M. le roi du royaume-uni de la Grande-Bretagne et de
l'Irlande, étant non-seulement de s'entendre entre elles sur
les différends qui ont altéré en dernier lieu la bonne intelli-
gence et les rapports d'amitié qui subsistaient entre les deux
États , mais encore de prévenir à l'avance , par des explica-
tions franches et précises à l'égard de la navigation de leurs
sujets respectifs, le renouvellement de semblables altercations
et les troubles qui pourraient en être la suite; et l'objet de la
sollicitude de Leurs dites Majestés étant de parvenir le plus tôt
que faire se pourra à un arrangement équitable de ces diflFé-
rends , et à une fixation invariable de leurs principes sur les
droits de la neutralité , dans leur application à leurs monar-
chies respectives , afin de resserrer de plus en plus les liens
d'amitié et de bonne correspondance dont elles reconnaissent
l'utilité et les avantages , elles ont nommé et choisi pour leurs
plénipotentiaires; savoir : S. M. l'empereur de toutes les Rus-
sies, le ^ÀeuvNikuita, comte de Panin, etc. ; et S. M. le roi de
la Grande-Bretagne, Abbin, baron de Saint-Helens, etc. ; les-
quels, après s'être communiqué leurs pleins pouvoirs, et les
avoir trouvés en bonne et due forme, sont convenus des points
et articles suivants :
Article premier.
11 y aura désormais , entre S. M. l'empereur de toutes les
Russies et Sa Majesté Britannique, leurs sujets, États et pays de
leur domination, bonne et inaltérable amitié et intelligence ; et
subsisteront, comme par le passé, tous les rapports politiques,
de commerce et autres d'une utilité commune, entre les sujets
respectifs , sans qu'ils puissent être troublés ni inquiétés en
manière quelconque.
Art. 2.
S. M. l'Empereur et Sa Majesté Britannique déclarent vouloir
— 394 —
tenir la main à la plus rigoureuse exécution des dëfenses por-
tées contre le commerce de contrebande de leurs sujets avec
les ennemis de l'une ou de l'autre des hautes parties contrac-
tantes.
Art. 3.
S. M. l'empereur de toutes les Russies et Sa Majesté Britan-
nique ayant résolu de mettre sous une sauvegarde suffisante la
liberté du commerce et delà navigation de leurs sujets, dans le
cas où l'une d'entre elles serait en guerre , tandis que l'autre
serait neutre, elles sont convenues :
1° Que les vaisseaux de la puissance neutre pourront navi-
guer librement aux ports et sur les côtes des nations en guerre ;
2° Que les effets embarqués sur les vaisseaux neutres seront
libres, à l'exception de la contrebande de guerre et des pro-
priétés ennemies; et il est convenu de ne pas comprendre au
nombre des dernières, les marchandises du produit du cru ou
de la manufacture des pays en guerre qui auraient été acquises
par des sujets de la puissance neutre et seraient transportées
pour leur compte ; lesquelles marchandises ne peuvent être
exceptées, en aucun cas, de la franchise accordée au pavillon
de ladite puissance ;
3° Que, pour éviter aussi toute équivoque et tout malentendu
sur ce qui doit être qualifié de contrebande de guerre, S. M.
l'empereur de toutes les Russies, et Sa Majesté Britannique, dé-
clarent, conformément à l'article 11 du traité de commerce con-
clu entre les deux couronnes le ^ février 1797, qu'elles ne re-
connaissent pour telle que les objets suivants ; savoir : canons,
mortiers, armes à feu, pistolets, bombes, grenades, boulets,
balles, fusils, pierres à feu, mèches, poudre, salpêtre, soufre,
cuirasses, piques, épées, ceinturons, gibernes, selles et brides ;
en exceptant toutefois la quantité des susdits articles qui peut
être nécessaire pour la défense du vaisseau et de ceux qui en
composent l'équipage ; et tous les autres articles quelconques,
non désignés ici , ne seront pas réputés munitions de guerre
et navales , ni sujets à confiscation , et par conséquent passe-
ront librement sans être assujettis à la moindre difficulté , à
moins qu'ils ne puissent être réputés propriétés ennemies,
dans le sens arrêté ci-dessus. 11 est aussi convenu que ce qui
est stipulé dans le présent article, ne portera aucun préjudice
aux stipulations particulières de l'une ou de l'autre couronne
— 395 —
avec d'autres puissances , par lesquelles des objets de pareil
genre seraient réservés, prohibés ou permis ;
4° Que, pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué,
on n'accorde cette dénomination qu'à celui oiî il y a , par la
disposition de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux
arrêtés ou suffisamment proches, un danger évident d'entrer;
6° Que les vaisseaux de la puissance neutre ne peuvent être
arrêtés que sur de justes causes et faits évidents ; qu'ils soient
jugés sans relard , et que la procédure soit toujours uniforme,
prompte et légale.
Pour assurer d'autant mieux le respect dû à ces stipulations,
dictées par le désir sincère de concilier tous les intérêts et
donner une nouvelle preuve de leur loyauté et de leur amour
pour la justice, les hautes parties contractantes prennent ici
l'engagement le plus formel de renouveler les défenses les plus
sévères à leurs capitaines, soit de haut bord, soit de la marine
marchande, de charger, tenir ou receler à leur bord aucun des
objets qui , aux termes de la présente convention , pourraient
être réputés de contrebande, et de tenir respectivement la
main à l'exécution des ordres qu'elles auront publiés dans
leurs amirautés et partout oîi besoin sera.
Abt. 4.
Les deux hautes parties contractantes , voulant encore pré-
venir tout sujet de dissension à l'avenir, en limitant le droit de
visite des vaisseaux marchands allant sous convoi aux seuls
cas où la puissance belligérante pourrait essuyer un préjudice
réel par l'abus du pavillon neutre, sont convenues ;
1° Que le droit de visiter les navires marchands appartenant
aux sujets d'une des puissances contractantes naviguant sous
le convoi d'un vaisseau de guerre de ladite puissance , ne sera
exercé que par les vaisseaux de guerre de la partie belligé-
rante, et ne s'étendra jamais aux armateurs, corsaires et au-
tres bâtiments qui n'appartiennent pas à la flotte impériale ou
royale de Leurs Majestés, mais que leurs sujets auraient armés
en guerre ;
2° Que les propriétaires de tous les navires marchands ap-
partenant aux sujets de l'un des souverains contractants, qui
seront destinés à aller sous convoi d'un vaisseau de guerre,
seront tenus, avant qu'ils reçoivent leurs instructions de navi-
gation, de produire au commandant du vaisseau de convoi
— 39C —
leurs passe-ports et certificats ou lettres de mer, dans la forme
annexée au présent traité ;
3° Que, lorsqu'un vaisseau de guerre ayant sous son convoi
des navires marchands , sera rencontré par un vaisseau ou des
vaisseaux de guerre de l'autre partie contractante qui se trou-
vera alors en état de guerre, pour éviter tout désordre, on se
tiendra hors de la portée du canon, à moins que l'état de la
mer ou le lieu de la rencontre ne nécessite un plus grand rap-
prochement ; et le commandant du vaisseau de la puissance
belligérante enverra une chaloupe à bord du vaisseau de con-
voi, où il sera procédé réciproquement à la vérification des pa-
piers et certificats qui doivent constater, d'une part, que le
vaisseau de guerre neutre est autorisé à prendre sous son es-
corte tels ou tels vaisseaux marchands de sa nation, chargés de
telles cargaisons et pour tels ports; de l'autre part, que le vais-
seau de guerre de la partie belligérante appartient à la flotte
impériale ou royale de Leurs Majestés ;
4° Cette vérification faite, il n'y aura lieu à aucune visite, si
les papiers sont reconnus en règle et s'il n'existe aucun motif
valable de suspicion. Dans le cas contraire, le commandant du
vaisseau de guerre neutre ( y étant dûment requis par le com-
mandant du vaisseau ou des vaisseaux de la puissance belligé-
rante) doit amener et détenir son convoi pendant le temps
nécessaire pour la visite des bâtiments qui le composent ; et il
aura la faculté de nommer et déléguer un ou plusieurs officiers
pour assister à la visite desdits bâtiments , laquelle se fera en
sa présence sur chaque bâtiment marchand, conjointement
avec un ou plusieurs officiers préposés par le commandant du
vaisseau de la partie belligérante ;
5° S'il arrive que le commandant du vaisseau ou des vais-
seaux de la puissance en guerre , ayant examiné les papiers
trouvés à bord et ayant interrogé le maître et l'équipage du
vaisseau, aperçoive des raisons justes et suffisantes pour déte-
nir le navire marchand , afin de procéder à une recherche ul-
térieure, il notifiera cette intention au comnjandant du vais-
seau de convoi , qui aura le pouvoir d'ordonner à un officier
de rester à bord du navire ainsi détenu, et assister à l'examen
de la cause de sa détention. Le navire marchand sera amené
tout de suite au port le plus proche et le plus convenable, ap-
partenant à la puissance belligérante, et la recherche ulté-
rieure sera conduite avec toute la diligence possible.
397 —
Art. 5.
Il est également convenu que , si quelque navire marchand
ainsi convoyé était détenu sans une cause juste et suffisante, le
commandant du vaisseau ou des vaisseaux de la puissance
belligérante sera non -seulement tenu, envers les propriétaires
du navire et de la cargaison, à une compensation pleine et par-
faite pour toutes pertes, frais, dommages et dépenses occa-
sionnés par une telle détention ; mais il subira encore une
punition ultérieure pour tout acte de violence ou autre fraude
qu'il aurait commis, suivant ce que la nature du cas pourrait
exiger. Par contre, il ne sera point permis , sous quelque pré-
texte que ce soit , au vaisseau de convoi , de s'opposer par la
force à la détention du navire ou des navires marchands par le
vaisseau ou les vaisseaux de guerre de la puissance belligé-
rante ; obligation à laquelle le commandant du vaisseau du
convoi n'est point tenu envers les corsaires et armateurs.
Art. 6.
Les hautes parties contractantes donneront des ordres pré-
cis et efficaces pour que les sentences sur les prises faites en
mer soient conformes aux règles de la plus exacte justice et
équité , qu'elles soient rendues par des juges non suspects et
qui ne soient point intéressés dans l'affaire dont il sera ques-
tion. Le gouvernement des États respectifs veillera à ce que les-
dites sentences soient promptement et dûment exécutées selon
les formes prescrites.
En cas de détention mal fondée ou autre contravention aux
règles stipulées par le présent article, il sera accordé aux pro-
priétaires d'un tel navire et de la cargaison , des dédommage-
ments proportionnés à la perte qu'on leur aura occasionnée.
Les règles à observer pour ces dédommagements , et pour le
cas de détention mal fondée, de même que les principes à sui-
vre pour accélérer les procédures, feront la matière d'articles
additionnels, que les parties contractantes conviennent d'ar-
rêter entre elles , et qui auront même force et valeur que s'ils
étaient insérés dans le présent acte. Pour cet effet, Leurs Majes-
tés Impériale et Britannique s'engagent mutuellement de mettre
la main à l'œuvre salutaire qui doit servir de complément à ces
stipulations, et de se communiquer, sans délai, les vues que
— 398 —
leur suggérera leur égale sollicitude pour prévenir les moin-
dres sujets de contestation à l'avenir.
Aai. 7.
Pour obvier à tous les inconvénients qui peuvent provenir
de la mauvaise foi de ceux qui se servent du pavillon d'une
nation sans lui appartenir, on convient d'établir pour règle in-
violable qu'un bâtiment quelconque, pour être regardé comme
propriété du pays dont il porte le pavillon , doit avoir à son
bord le capitaine du vaisseau et la moitié de l'équipage des genS
du pays, et les papiers et passe-ports en bonne et due forme.
Mais tout bâtiment qui n'observera pas celte règle , et qui con-
treviendra aux ordonnances publiées à cet effet , perdra tous
les droits à la protection des puissances contractantes.
Art. 8.
Les principes et les mesures adoptés par le présent acte
seront également applicables à toutes les guerres maritimes où
l'une des deux puissances serait engagée , tandis que l'autre
resterait neutre. Ces stipulations seront en conséquence re-
gardées comme permanentes , et serviront de règle constante
aux puissances contractantes , en matière de commerce et de
navigation.
Art. 9.
S. M. le roi de Danemark et S. M. le roi de Suède seront im-
médiatement invités par Sa Majesté Impériale, au nom des deux
puissances contractantes , à accéder à la présente convention,
et, en même temps, à renouveler et confirmer leurs traités res-
pectifs de commerce avec Sa Majesté Britannique; et Sadite
Majesté s'engage, moyennant les actes qui auront constaté cet
accord, de rendre et restituer à l'une et l'autre de ces puissances,
toutes les prises qui ont été faites sur elles, ainsi que les terres et
pays de leur domination qui ont été conquis par les armes de
Sa Majesté Britannique, depuis la rupture, dans l'état oîi se trou-
vaient ces possessions à l'époque où les troupes de Sa Majesté
Britannique y sont entrées. Les ordres de Sa Majesté , pour la
restitution de ces prises et de ces conquêtes, seront expédiés
immédiatement après l'échange des ratifications des actes par
lesquels la Suède et le Danemark accéderont au présent traité.
— 399 —
Art. 10.
La présente convention sera ratifiée par les deux parties
contractantes , et les ratifications échangées à Saint-Péters-
bourg, dans l'espace de deux mois pour tout délai, à compter
du jour de la signature.
En foi de quoi, etc. Fait à Saint-Pétersbourg le ^ juin 1801.
Signé le comte Pànin. — Saint-Hele?<s.
Formulaire des passe-ports et lettres de mer gui doivent être
délivrés, dans les amirautés respectives des Etats des deux
hautes parties contractantes, aux vaisseaux et bâtiments qui
en sortiront, conformément à l'article 4 du présent traité.
Faisons savoir que nous avons donné congé et permission à
N..., dans la ville ou lieu de N.,,, maître ou conducteur du
vaisseau de N..., appartenant à N..., du port de N... tonneaux
ou environ, qui se trouve à présent au port et havre de N...,
de s'en aller à N..., chargé de N..., pour le compte de N...,
après que la visite de son vaisseau aura été faite avant son dé-
part, selon la manière usitée , par les ofiSciers préposés à cet
effet ; et ledit N.... ou tel autre fondé de pouvoirs pour le rem-
placer, sera tenu de produire dans chaque port ou havre où il
entrera avec ledit vaisseau, aux officiers du lieu, le présent
congé, et de porterie pavillon de N.... durant son voyage. En
foi de quoi, etc.
Premier article séparé de la convention entre la Russie et l'An-
gleterre, signé à Saint-Pétersbourg, le -^ juin 1801.
Les intentions pures et magnanimes de S. M. l'empereur de
toutes les Russies l'ayant déjà porté à restituer les navires et
les biens des sujets britanniques qui avaient été séquestrés en
Russie , Sadite Majesté confirme cette disposition dans toute sou
étendue, et Sa Majesté Rritannique s'engage également à donner
immédiatement des ordres pour faire lever tout séquestre sur
les propriétés russes, danoises et suédoises détenues dans les
ports de la Grande-Rretagne ; et pour constater d'autant mieux
son désir sincère de terminer à l'amiable les différends surve-
nus entre la Grande-Rretagne et les cours du nord, et pour
qu'aucun incident ne puisse apporter des entraves à celte œu-
— 400 —
vre salutaire, Sa Majesté Britannique s'engage à donner des or-
dres aux commandants de ses forces de terre et de mer, pour
que l'armistice actuellement subsistant avec les cours de Dane-
mark et de Suède soit prolongé jusqu'au terme de trois mois à
dater de ce jour ; et S. M. l'empereur de toutes les Russies,
guidé par les mêmes motifs, s'engage, au nom de ses alliés, de
faire maintenir également cet armistice pendant ledit terme.
En foi de quoi , etc.
Second article séparé de la susdite convention, signé à Saint-
Pétersbourg le ^juin 1801.
Les différends et malentendus qui subsistaient entre S. M.
l'empereur de toutes les Russies et S. M. le roi du royaume-uni
de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, étant ainsi terminés, et
les précautions prises par la présente convention ne donnant
plus lieu de craindre qu'ils puissent troubler à l'avenir l'har-
monie et la bonne intelligence que les deux hautes parties con-
tractantes ont à cœur de consolider, Leursdites Majestés con-
firment de nouveau , par la présente convention , le traité de
commerce du ^t février 1797, dont toutes les stipulations sont
rappelées ici pour être maintenues dans toute leur étendue.
En foi de quoi, etc.
Articles additionnels à la convention conclue à Saint-Péters-
bourg le Yîjuin 1801, entre la Russie et l'Angleterre, arrêtés
à Moscou le ^ octobre 1801.
Comme , par l'article 6 de la convention conclue le ^ juin
1801, entre S. M. l'empereur de toutes les Russies et Sa Majesté
Britannique, il a été stipulé que les deux hautes parties con-
tractantes arrêteraient entre elles des articles additionnels qui
fixeraient les règles et les principes à suivre , tant pour l'accé-
lération des procédures judiciaires sur des prises faites en mer,
que pour les dédommagements qui seraient dus aux proprié-
taires des navires et des cargaisons neutres, dans le cas d'une
détention mal fondée, Leursdites Majestés ont nommé et auto-
risé, à cet effet : S. M. l'empereur de toutes les Russies, le
sieur Alexandre, prince de Kmirakin, son vice-chancelier, etc.,
et le comte de Kotschoubey , son conseiller privé actuel, etc. ;
et Sa Majesté Britannique, le lord Saint-Helens , pair du
— 401 —
royaume, etc.; lesquels, en vertu de leurs pleins pouvoirs res-
pectifs, sont convenus des articles suivants :
Article premier.
En cas de détention mal fondée, ou autre contravention aux
règles convenues , il sera accordé aux propriétaires du navire
ainsi détenu et de sa cargaison, pour chaque jour de retard,
des dédommagements proportionnés à la perte qu'il en aurait
soufferte, en raison du fret dudit navire et de la nature de sa
cargaison.
Art. 2.
Si les ministres de l'une des hautes parties contractantes, ou
autres personnes accréditées de sa part, portaient des plaintes
contre les jugements qui auraient été rendus sur lesdites prises
par les cours des amirautés respectives, l'affaire sera évoquée,
en Russie, au sénat dirigeant ; et dans la Grande-Bretagne, au
conseil du Roi.
Art. 3.
Des deux côtés , on examinera soigneusement si les règles
et précautions stipulées dans la présente convention ont été
observées ; ce qui devra être fait avec toute la célérité possible.
Les deux hautes parties contractantes s'engagent de plus à
adopter les moyens les plus efficaces , pour que les jugements
de leurs différents tribunaux , sur les prises faites en mer, ne
soient sujets à aucun délai inutile.
Art. 4.
Les effets en litige ne pourront être vendus ni déchargés
avant le jugement définitif, sans une nécessité réelle et pres-
sante, qui aura été constatée devant la cour de l'amirauté, et
moyennant une commission autorisée à cet effet ; et il ne sera
point permis aux capteurs de rien retirer ni enlever, de leur
propre autorité, d'un vaisseau ainsi détenu.
Ces articles additionnels , faisant partie de la convention
du -^ juin 1801, au nom de Leurs Majestés Impériale et Britan-
nique, auront la même force et valeur que s'ils étaient insérés
mot à mot dans ladite convention.
En foi de quoi, nous soussignés , munis des pleins pouvoirs
XI 2f)
— 402 —
de Leursdites Majestés, avons signé les présents articles addi-
tionnels, et y avons apposé le cachet de nos armes.
Fait à Moscou, le ^ octobre 1801.
Signé le prince de Kourakin ; le comte
KOTSCnOUBEÏ ; lord SilNI-HELENS-
XXXV.
Page 109.
Acte du parlement, du 27 juin 1805, pour confirmer et étendre
les dispositions concernant les ports francs dans les îles occi-
dentales.
Il sera établi des ports francs à la Jamaïque, à la Grenade, à
la Dominique , à Ântigue , à la Trinité , à Tabago , à Tortole, à
la Nouvelle-Providence, à Saint- Vincent et aux Bermudes.
Ces ports , distribués dans toutes les îles occidentales , dans
la vue d'entretenir un commerce avantageux avec les colonies
et comptoirs des ennemis de la Grande-Bretagne dans ces pa-
rages , sont ouverts pour toutes leurs productions précieuses
et pour les petits bâtiments n'ayant qu'un seul pont, qui ap-
partiendraient et qui seraient navigues par les habitants des-
dites colonies et comptoirs.
Les ennemis de la Grande-Bretagne peuvent aussi exporter,
des ports ci-dessus désignés, du rhum, des nègres, et toute
espèce de marchandises , excepté des munitions navales qui y
auraient été importées dans des bâtiments anglais.
Il sera pourvu en même temps à la réexportation par des
bâtiments anglais, des produits ou marchandises y désignées
et portées des colonies et des comptoirs de ses ennemis dans
les ports de la Grande-Bretagne et de ses possessions, confor-
mément aux règlements prescrits par l'acte de navigation.
XXXVI.
Page 109.
Résolution du conseil privé d'Angleterre, du 3 août iS05K
Le commerce avec les comptoirs et îles appartenant à l'en-
' Examination of ilieBriiish doctrine.
— 403 —
nemi en Amérique et dans les îles occidentales , doit se faire à
l'avenir par le médium des ports francs anglais dans les îles
occidentales, et non autrement.
XXXVII.
Page 110.
Message du 'président des États-Unis au sénat et à la chambre
des représentants des États-Unis.
17 janvier 1806.
Dans mon message aux deux chambres du congrès, à l'ou-
verture de la session actuelle , j'ai présenté à leur attention,
entre autres sujets, l'oppression de notre commerce et de notre
navigation par la conduite irrégulière des bâtiments armés,
publics et particuliers , et par l'introduction de principes nou-
veaux, dérogeant aux droits des neutres et contraires à l'usage
des nations.
Les mémoires de plusieurs corps de marchands des États-
Unis vous sont communiqués avec le présent, et développeront
ces principes et cette conduite , qui sont très-ruineux pour
notre commerce et notre navigation.
Le droit d'un neutre, d'avoir des liaisons commerciales avec
toutes les parties des domaines du belligérant , permis par les
lois des nations, à l'exception des ports bloqués et de la con-
trebande de guerre, paraissait avoir été décidé entre la Grande-
Bretagne et les États-Unis , par la sentence de leurs commis-
saires nommés mutuellement pour décider sur cette question
et d'autres discussions entre les deux nations , et par le paye-
ment des dommages arbitrés par eux , contre la Grande-
Bretagne, pour les infractions de ce droit. En conséquence,
quand on s'est aperçu qu'on faisait revivre le même principe, et
qu'on y en ajoutait d'autres nouveaux, ce]qui augmentait les in-
jures, on a donné des instructions au ministre plénipotentiaire
à la cour de Londres, et il a fait les remontrances convenables
à ce sujet. Elles ont été suivies d'une suspension partielle et
temporaire seulement, sans aucun désaveu du principe. Il a en
conséquence été instruit de presser ce sujet de nouveau, de le
présenter plus entièrement à la barre de la raison , et d'insister
— 404 —
sur des droits trop évidents et trop importants pour les aban-
donner. Dans le môme temps, le mal se continue par des con-
damnations fondées sur le principe qui est nié.
C'est dans ces circonstances qu'on présente le sujet à la con-
sidération du congrès.
Sur la presse de nos matelots, nos remontrances n'ont ja-
mais discontinué. Nous avons eu un moment l'espérance d'un
arrangement que nous aurions pu accepter, mais elle s'est éva-
nouie aussitôt; et quoiqu'on s'en relâche de temps à autre dans
les mers éloignées, elle se continue cependant dans celles du
voisinage. Les bases et les principes sur lesquels les réclama-
tions à ce sujet sont faites, vous sont commuiqués par l'extrait
ci-joint des instructions à notre ministre de Londres.
Signé Jefferson.
XXXVIII.
• Page 110.
ISote de M. Fox à M. Munroe.
16 mai 1806.
Le soussigné, premier secrétaire d'État de Sa Majesté, chargé
du département des affaires étrangères, a reçu de Sa Majesté
l'ordre de prévenir M. Munroe que le Roi , considérant les me-
sures extraordinaires que l'ennemi vient de prendre, dans l'in-
tention de ruiner le commerce de ses sujets, a cru convenable
d'ordonner que les mesures nécessaires seraient prises pour le
blocus des côtes , rivières et ports depuis l'Elbe jusqu'au port
de Brest inclusivement , et que lesdites côtes , rivières et ports
sont et doivent être considérés comme bloqués ; mais que Sa
Majesté déclare que ce blocus n'empêchera pas que les bâti-
ments neutres chargés de marchandises non appartenant aux
ennemis de Sa Majesté et qui ne sont pas de contrebande, d'ap-
procher desdites côtes, d'entrer ou de faire voile desdites ri-
vières et ports (excepté les côtes , rivières et ports depuis Os-
tendc jusqu'à la Seine, depuis longtemps en état de blocus et
qui y sont encore), pourvu que lesdits bâlimcnls qui appro-
cheront et qui entreront ainsi (excepté comme ci-dessus),
— 405 —
n'aient pris leur cargaison dans aucun port appartenant aux
ennemis de Sa Majesté ou en leur possession , et que lesdits
bâtiments qui feront voile desdites rivières et ports ( excepté
comme ci-dessus), ne soient destinés pour aucun port appar-
tenant aux ennemis de Sa Majesté ou en leur possession , et
n'aient pas préalablement enfreint le droit de blocus.
M. Munroe est donc prié de prévenir les consuls et les né-
gociants américains résidant en Angleterre, que les côtes, ri-
vières et ports ci-dessus mentionnés, doivent être regardés
comme en état de blocus , et que dès lors toutes les mesures
autorisées par les lois des nations et par les traités respectifs
entre Sa Majesté et ces puissances neutres, seront adoptées et
exécutées envers les bâtiments qui chercheraient à enfreindre
ledit droit de blocus après cette notification.
Le soussigné prie M. Munroe d'agréer les assurances de sa
haute considération.
Signé Ch. J. Fox.
XXXIX.
Page 111.
Au palais de la Reine, le 7 janvier 1807.
Le Roi présent en son conseil ;
D'après certains ordres du gouvernement français qui, con-
traires aux usages de la guerre, tendent à prohiber le commerce
de toutes les puissances neutres avec les possessions de Sa
Majesté, et à empêcher ces puissances d'importer dans aucun
pays des marchandises provenant du sol, du produit ou des
manufactures des possessions de Sa Majesté; et comme ce
gouvernement a osé déclarer toutes les possessions de Sa Ma-
jesté en état de blocus , dans le moment même où les flottes de
la France et de ses alliés sont elles-mêmes renfermées dans
leurs propres ports , par l'effet de la supériorité , de la valeur
et de la discipline de la marine anglaise ; et comme de telles
atteintes de la part de l'ennemi donneraient à Sa Majesté le
droit incontestable de représailles, et que Sa Majesté, en insis-
tant sur la proliibition de tout commerce avec la France, pour-
— 406 —
rait se promettre d'effectuer ce que la France s'était vainement
efforcée de faire contre le commerce des États de Sa Majesté,
c'est-à-dire une prohibition que la supériorité des forces na-
vales de Sa Majesté lui permettrait d'exécuter, en bloquant,
dès à présent, les ports et les côtes de l'ennemi avec des croi-
sières et des escadres nombreuses , de manière à en rendre
l'approche et l'entrée également dangereuses; et comme Sa
Majesté , tout en ne voulant pas suivre l'exemple de ses enne-
mis , en en venant à une extrémité si funeste aux nations qui
ne sont pour rien dans la guerre actuelle, puisque cette mesure
détruirait leur commerce ordinaire, et désirant défendre de son
mieux les droits et les intérêts de son peuple , croit ne devoir
pas souffrir les mesures prises par ses ennemis, sans faire
quelques efforts , de son côté , pour annuler cette violence et
faire tomber sur eux les maux causés par leur propre injus-
tice.
Sa Majesté, par et avec l'avis de son conseil privé, veut bien
ordonner, et il est ordonné par ces présentes, qu'aucun bâti-
ment ne pourra faire le commerce d'un port avec un autre, si
lesdits ports appartiennent ou sont en la possession de la
France ou de ses alliés , ou lui sont assez soumis pour n'avoir
aucun commerce avec l'Angleterre ; et les commandants des
vaisseaux de guerre ou des corsaires de Sa Majesté auront et
ont l'ordre d'avertir chaque bâtiment neutre venant d'un port
semblable et se rendant dans un autre, de cesser leur voyage
et de ne pas se rendre à leur destination ; et tout vaisseau ainsi
averti, ou tout vaisseau venant d'un port semblable, après un
laps de temps suffisant pour connaître l'ordre de Sa Majesté,
que l'on trouvera faisant route pour un port semblable , sera
capturé, amené et déclaré , ainsi que sa cargaison , de bonne
prise. Et les premiers secrétaires d'État , les lords commissai-
res de l'amirauté , et les juges de la haute cour d'amirauté et
des cours de vice-amiraux , prendront , chacun en ce qui le
concerne, les mesures nécessaires pour assurer ces disposi-
tions.
Signé Faukener.
— 407 —
XL.
Page 111.
Supplément à la Gazette] de Londres, du samedi
14 novembre 1807.
Au palais de la Reine, le 11 novembre 1807.
Le Roi étant présent à son conseil ;
Sa Majesté considérant que le gouvernement français a pro-
clamé naguère un certain décret qui établit un système de
guerre jusqu'alors sans exemple contre ce royaume, et tendant
particulièrement à la destruction de son commerce et de ses
ressources, d'après lequel les îles anglaises ont été déclarées
en état de blocus, de manière que tous les bâtiments quelcon-
ques faisant le commerce avec les États de Sa Majesté sont,
ainsi que leur cargaison, sujets à la confiscation et à la con-
damnation ;
Considérant que , par le même décret , tout commerce en
marchandises anglaises est prohibé, et tout article de denrée
appartenant à l'Angleterre ou provenant de ses colonies ou de
ses manufactures est déclaré de bonne prise ; considérant que
les nations qui sont alliées à la France et celles qui sont sous
son influence ont été requises d'exécuter, comme en effet elles
ont exécuté et exécutent de semblables ordres ;
Considérant que le décret de Sa Majesté du 7 janvier dernier
n'a pas eu l'effet qu'on s'en proposait, soit de forcer l'ennemi
à révoquer cette mesure , ou d'engager les nations neutres à
s'interposer efficacement pour en obtenir la révocation, mais
que bien au contraire, on amis récemment beaucoup plus de
sévérité dans son exécution ;
Considérant enfin que, dans ces circonstances. Sa Majesté se
trouve forcée à prendre de nouvelles mesures pour établir et
maintenir ses justes droits et pour conserver cette puissance
maritime que, par les faveurs spéciales de la Providence , elle
tient de la valeur de son peuple , et dont l'existence n'est pas
moins essentielle à la protection des États qui conservent en-
core leur indépendance, et au bonheur ainsi qu'à l'intérêt du
genre humain, qu'elle ne l'est à la sûreté et à la prospérité des
États de Sa Majesté.
— 408 —
Sa Majesté , ayant pris à ce sujet l'avis de son conseil privé,
ordonne, par ces présentes, que tous les ports et toutes les
places de France et de ses alliés , ceux de tout autre pays en
guerre avec Sa Majesté, ceux des pays d'Europe dont le pavil-
lon anglais est exclu, quoique ces ports ne soient pas en guerre
avec Sa Majesté, qu'enfin tous les ports et places des colonies
appartenant aux ennemis de Sa Majesté, seront désormais sou-
mis aux mômes restrictions, relativement au commerce et à la
navigation (sauf les exceptions ci-après spécifiées), que s'ils
étaient actuellement bloqués de la manière la plus rigoureuse
par les forces navales de Sa Majesté. En conséquence , tout
commerce dans les articles provenant du sol ou des manufac-
tures des pays susmentionnés, sera désormais regardé comme
illégal; et tout navire quelconque sortant de ces pays ou de-
vant s'y rendre, sera capturé légitimement, et cette prise ainsi
que sa cargaison adjugées au capteur.
Mais quoique Sa Majesté ait bien le droit, d'après les motifs
exposés ci-dessus, de prendre une semblable mesure, relative-
ment à tous les pays et à toutes les colonies de ses ennemis,
sans exception ni qualification , elle n'a pas voulu néanmoins
entraver le commerce des neutres plus qu'il n'est nécessaire
pour remplir la juste résolution qu'elle a adoptée à l'effet de
combattre les projets de ses ennemis, et de les rendre eux-
mêmes victimes de leur propre violence et de leur injustice; et
voulant bien encore se persuader qu'il est possible (tout en
remplissant le but qu'elle se propose ) de permettre aux neu-
tres de s'approvisionner de denrées coloniales pour leur propre
usage , et même d'autoriser, pour le présent, un certain com-
merce avec les ennemis de Sa Majesté , qui pourra avoir lieu
directement avec les ports des États de Sa Majesté ou de ses
alliés, de la manière ci-après déterminée.
Sa Majesté déclare qu'elle n'entend pas que le présent ordre
soit applicable :
1° Aux navires appartenant à des puissances qui ne sont pas
comprises dans les blocus, lesquels navires auraient fait voile
des ports des pays auxquels ils appartiennent, soit en Europe
ou en Amérique , ou de quelque port libre dans les colonies de
Sa Majesté (en se conformant aux règlements établis pour le
genre de commerce qui peut se faire dans lesdits ports), pour
se rendre directement dans quelque port des colonies appar-
tenant aux ennemis de Sa Maiesté ou de ces mêmes colonies,
— 409 —
aussi directement, dans les pays aux(iiicls ils appartiennent, ou
dans quelque port libre appartenant à Sa Majesté ;
2° Aux navires appartenant à des pays non en guerre avec
Sa Majesté, lesquels auront fait voile , en se soumettant à tels
règlements qu'il plaira à Sa Majesté de publier, et ce pour se
rendre directement, de quelque port ou place de la Grande-
Bretagne, ou bien de Gibraltar ou de Malte, ou d'un port ap-
partenant aux alliés de Sa Majesté , au lieu qui sera désigné
dans son acquit à la douane;
3° Aux navires appartenant à des pays non en guerre avec
Sa Majesté, lesquels viendraient d'un port d'Europe compris
dans la présente mesure de blocus, pour se rendre directement
dans quelque port ou place d'Europe appartenant à Sa Majesté;
bien entendu que l'exception dont il s'agit n'est pas applicable
à des navires qui entreraient dans un port actuellement bloqué
par des escadres ou des vaisseaux de guerre de Sa Majesté, ou
qui tenteraient de sortir desdits ports.
En conséquence , il est enjoint à tous bâtiments de guerre,
corsaires et autres , naviguant en vertu d'une commission de
Sa Majesté, d'informer tous les navires qui auraient commencé
leur voyage avant d'avoir eu connaissance du présent ordre, et
qui seraient destinés pour un port de France, ou de ses colo-
nies, ou de ses alliés, ou pour tout autre pays en guerre avec
Sa Majesté , ou dont le pavillon anglais est exclu , et qui se-
raient en contravention avec les dispositions ci-dessus, qu'ils
aient à discontinuer leur voyage , ou à se rendre dans un port
quelconque d'Angleterre , ou bien à Gibraltar ou à Malte ; et
tout navire qui sera pris après avoir contrevenu aux disposi-
tions des présentes, sera déclaré de bonne prise, ainsi que la
cargaison, et le tout adjugé aux capteurs.
Et attendu que des pays non engagés dans la guerre ont
acquiescé à ces ordres de la France , en prohibant tout com-
merce dans les articles provenant des États ou des manufac-
tures de la Grande-Bretagne , et que les négociants de ces
mêmes pays ont concouru à rendre ces prohibitions efficaces,
en acceptant de certaines personnes se qualifiant du titre d'a-
gents commerciaux de l'ennemi, résidant dans les ports neu-
tres, certains documents appelés certificats d'origine, lesquels
-constatent que les objets embarqués ne proviennent ni des pos-
sessions ni des manufactures anglaises.
Et comme cet expédient a été imaginé par la France, et quo
ces négociants s'y sont soumis comme faisant partie du non»
— 410 —
veau système de guerre dirigé contre le commerce de ce
royaume , et qu'il est par conséquent essentiellement néces-
saire à l'Angleterre de résister à cette mesure , Sa Majesté, de
l'avis de son conseil privé, ordonne , par ces présentes, que
tout navire qui sera muni d'un semblable certificat, après
avoir eu connaissance du présent ordre, sera confisqué commp
de bonne prise.
Les lords commissaires de la trésorerie de Sa Majesté, les
lords commissaires de l'amirauté et les cours d'amirauté, sont
chargés de l'exécution du présent décret.
Signé N. Faukener.
XLI.
Page 111.
Deuxième décret.
Attendu que les articles du cru ou des manufactures des
pays étrangers ne peuvent être importés dans ce pays que
dans des navires anglais, ou dans des bâtiments appartenant
aux pays d'oiî ces articles sont tirés, à moins qu'un ordre
du conseil n'autorise spécialement de nouvelles mesures à ce
sujet ;
Sa Majesté prenant en considération son décret en date de
ce jour, relativement au commerce qui peut se faire avec les
ports de l'ennemi, et jugeant convenable que tout navire ap-
partenant à une puissance amie ou alliée de Sa Majesté puisse
avoir la faculté d'importer dans ce pays-ci des articles prove-
nant du cru ou des manufactures des pays qui sont en guerre
avec Sa Majesté.
Sa Majesté, de l'avis de son conseil privé, ordonne, par ces
présentes, que toutes les denrées et marchandises spécifiées et
comprises dans un acte du Parlement , passé dans la quarante-
troisième année du règne de Sa Majesté , et qui a pour titre :
« Acte qui révoque les droits de douanes payables dans la
Grande-Bretagne, et qui en substitue de nouveaux, » pour-
ront être importées des ports ennemis par des navires appar-
tenant à des puissances amies ou alliées de l'Angleterre, et ce,
en acquittant les droits de douanes , et en participant aux re-
mises qui sont actuellement établies par la loi, en faveur de
— 411 —
l'importation de certaines marchandises ; et pour ce qui est des
denrées et marchandises dont l'importation est autorisée pour
être mises en dépôt sans payement de droits , en vertu d'un
acte passé la quarante-troisième année du règne de Sa Ma-
jesté, elles pourront être importées, en se soumettant aux
clauses dudit acte. Quant à tous les articles dont l'importation
en Angleterre est prohibée par la loi , il est ordonné que l'im-
portation en sera permise pour être réexportées dans tout pays
ami ou allié de Sa Majesté.
Sa Majesté ordonne, en outre, que tout navire qui arriverait
dans un port du royaume-uni, ou à Gibraltar, ou à Malte, d'a-
près l'avertissement qu'il aurait reçu du présent ordre , sera
autorisé à poursuivre son voyage , ou à se rendre dans un port
ami -, et pour cet effet , il lui sera délivré, par le collecteur ou
le contrôleur des douanes , un certificat constatant qu'il s'est
conformé au présent ordre. Mais, dans le cas où des bâtiments,
ainsi avertis, préféreraient d'importer leur cargaison, ils en
auront la faculté aux mômes termes et aux mêmes conditions
que si leur chargement avait été fait en conformité des dispo-
sitions prescrites par Sa Majesté.
Il est de plus ordonné que tous les bâtiments, qui arriveront
dans un port du royaume-uni , ou à Gibraltar et à Malte, et ce
pour déférer au présent ordre , auront la faculté , relativement
à tous les articles qui composeront leur cargaison, excepté le
sucre , le café , le vin , l'eau-de-vie et le tabac , de faire voile
pour tout port quelconque qui sera désigné dans l'acquit des
douanes ; et quant aux articles qui viennent d'être exceptés, ils
ne pourront les exporter qu'en vertu d'une licence de Sa Ma-
jesté, et ce dans les places et aux conditions qui leur seront
prescrites.
Les lords commissaires, etc.
XLII.
Page 112.
Troisième décret.
Attendu que toute vente de bâtiment faite par un ennemi à
un autre, est considérée par la France comme illégale ;
Et comme une grande partie de la marine de France et de
— 412 —
SOS alliés a été protégée , dans le cours des présentes hostilités ,
par de prétendus transferts à des neutres ;
Considérant enfin qu'on peut opposer à l'ennemi les mêmes
armes dont il se sert ;
Sa Majesté ordonne que désormais tout transfert de cette
nature sera regardé comme illégal, et que tout bâtiment qui
aura appartenu aux ennemis , nonobstant toute vente qui au-
rait pu en être faite à des neutres , sera de bonne prise , et ad-
jugé aux capteurs. Le présent ordre aura son exécution aussi-
tôt après qu'il se sera écoulé un temps suffisant pour que les
dispositions en soient connues dans les ports et places où ces
prétendues ventes ont pu avoir lieu.
Les lords commissaires, etc.
Signé N. Fackener.
XLIII.
Paae 112.
Décret impérial contenant de nouvelles mesures contre le sys-
tème maritime de l'Angleterre.
Au palais royal de Milan, le 17 décembre 1807.
Napoléon , empereur des Français , roi d'Italie et protec-
teur de la confédération du Rhin ;
Vu les dispositions arrêtées par le gouvernement britanni-
que, en date du 1 1 novembre dernier, qui assujettissent les
bâtiments des puissances neutres, amies et même alliées de
l'Angleterre, non-seulement à une visite par les corsaires an-
glais, mais encore à une station obligée en Angleterre, et à une
imposition arbitraire de tant pour cent sur leur chargement,
qui doit être réglée par la législation anglaise ;
Considérant que, par ces actes, le gouvernement anglais a
dénationalisé les bâtiments de toutes les nations de l'Europe ;
qu'il n'est au poiivoir d'aucun gouvernement de transiger sur
son indépendance et sur ses droits, tous les souverains de
l'Europe étant solidaires de la souveraineté et de l'indépen-
dance de leur pavillon; que si, par une faiblesse inexcusable
et qui serait une tache ineffaçable aux yeux de la postérité, on
laissait passer en principe et consacrer par l'usage une pareille
— 413 —
tyrannie, les Anglais en prendraient acte pour l'établir en droit,
comme ils ont profite de la tolérance des gouvernements pour
établir l'infâme principe que le pavillon ne couvre pas la mar-
chandise, et pour donner à leur droit de blocus une extension
arbitraire et attentatoire à la souveraineté des États,
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article premier.
Tout bâtiment, de quelque nation qu'il soit, qui aura souf-
fert la visite d'un vaisseau anglais, ou se sera soumis à un
voyage en Angleterre, ou aura payé une imposition quelconque
au gouvernement anglais, est par cela seul déclaré dénationa-
lisé, a perdu la garantie de son pavillon et est devenu pro-
priété anglaise.
Art. 2.
Soit que lesdits bâtiments, ainsi dénationalisés, entrent dans
nos ports ou dans ceux de nos alliés, soit qu'ils tombent au
pouvoir de nos vaisseaux de guerre ou de nos corsaires, ils
sont déclarés de bonne et valable prise.
Art. 3.
Les îles britanniques sont déclarées en état de blocus sur
mer comme sur terre.
Tout bâtiment, de quelque nation qu'il soit, quel que soit son
chargement, expédié des ports de l'Angleterre ou des colonies
anglaises ou depuis occupées par les troupes anglaises, ou al-
lant en Angleterre ou dans les colonies anglaises , ou dans des
pays occupés par les troupes anglaises, est de bonne prise,
comme contrevenant au présent décret ; il sera capturé par
nos vaisseaux de guerre ou par nos corsaires, et adjugé au
capteur.
Art. 4.
Ces mesures, qui ne sont qu'une juste réciprocité pour le
système barbare adopté par le gouvernement anglais, qui as-
simile sa législation à celle d'Alger, cesseront d'avoir leur effet
pour toutes les nations qui sauraient obliger le gouvernement
anglais à respecter leur pavillon.
Elles continueront d'être en vigueur pendant tout le tenjps
que ce gouvernement ne reviendra point aux principes du droit
— 414 ^
des gens, qui règlent les relations des États civilisés dans l'é-
tat de guerre. Les dispositions du présent décret seront abro-
gées et nulles par le fait, dès que le gouvernement anglais sera
revenu aux principes du droit des gens, qui sont aussi ceux de
la justice et de l'honneur.
Art. 6.
Tous nos ministres sont chargés de l'exécution du présent
décret, qui sera inséré au Bulletin des lois.
Signé Napoléon.
Par l'Empereur :
Le secrétaire d'État, signé Hugces B. Mabet.
FIN DU TOMB ONZISMK.
TABLE DES MATIÈRES
DU ONZIÈME VOLUME.
SUITE
QUATRIÈME PÉRIODE,
ou
HISTOIRE DES TRAITÉS DEPUIS LE COMMENCEMENT DES
GUERRES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE JUSQUAU
TRAITE DE PARIS DE 1815. — 1791-1815.
CHAPITRE XXXVII (suite).
TRAITÉS DE PAIX DE TILSITT, CONCLUS, LES 7 ET 9 JUILLET 1807
ENTRE LA FRANCE, LÀ RUSSIE ET LA PRUSSE.
Page 3.
SECTION IV.
Deuxième partie.
SYSTÈME CONTINENTAL FRANÇAIS ; SYSTÈME BRITANNIQUE DE BLOCUS MARITIME ;
ET AUTRES CONSÉQUENCES IMMÉDIATES DE LA PAIX DE T]LS1TT«
Page 3.
Polémique semi-offlcielle entre
les Cabiaels de Londres et de
Paris 4
Le chevalier de Gent:i: le comte
A'Hauterive ib.
I. Observations sur le rapport
du ministre des Relations Ex-
térieures, duc de Bassano,
communiqué au Sénat , le
10 mars 1812 ib.
II. Observations sur les décrets
de Bçrlin et de Milan, et les
ordres du Conseil britanni-
que à l'occasion des notes du
Moniteur, ajoutées à la dé-
claration du gouvernement
anglais du 21 avril, pour ser-
vir de suite aux observations
sur le rapport du ministre
des Relations Extérieures de
France, du 10 mars 39
1. Oe la prétendue autorité
du traité d'Ulrechl dans les
questions de Droit maritime, 'i^
416 —
§ 2. Des moUfs cl du caractère
des ordres du Conseil oppo-
sés par le gouvcrnemenl bri-
tannique aux décrets de Ber-
lin et de Milan 49
45 3. Des conditions exigées par
le gouvernement anglais pour
la révocation des ordres du
Conseil C"2
§ 4. Delà prétend\ie révocation
des décrets de Berlin et de
Milan à l'égard des États-
Unis d'Amérique GG
§ 6. Des conditions attachées
par la France à la révocation
définitive des décrets de
Berlin et de Milan 7
^ 6. Des avantages que l'Angle-
terre aurait à espérer de la
révocation des ordres du
Conseil 77
III. Mémoire sur les principes et
les lois de la neutralité ma-
ritime î)4
§ 1. Droit public de l'Europe
relativement à la neutralité
maritime avant 1750 ib.
§ 2. Droit public de l'Europe
relativement à la neutralité
maritime, de 1766 à 1775. . . 98
§ 3. Droit public de l'Europe
relativement à la neutra-
lité maritime , de 1775 à
1802 101
§ 4. Droit public de l'Europe
relativement à la neutra-
lité maritime , depuis le re-
nouvellement de la guerre
en 1803 10!)
Résumé comparatif des deux
systèmes anglais et français. 115
Une réponse du roi Louis Bona-
parte au prince Dolgorouki. IIG
CHAPITRE XXXVIIl.
TRAITÉ DE PAIX DE VIENNE OU DE SCHŒNBRUNN , DU 14 OCTOBllÈ
1809, ENTRE LA FRANCE ET l'aUTRICHE.
Page 117.
SECTION PREMIÈRE.
RENVERSEMENT DU TRÔNE D'eSPAGNE.
Page 118.
Aperçu de l'ancienne puis-
sance de l'Espagne 121
Ses ministres veulent sauver le
roi-martyr 122
Avènement de Charles IV — ib.
Don Manuel Godoy , duc de la
Alcudia, premier ministre. . ib.
Portrait de ce favori 123
Caractère du roi Charles IV. . 124
Parti du Prince royal ib.
Effet produit sur le public par
le mariage de Godoy avec
l'infante Marie -Thérèse de
Bourbon ib.
Asservissement de l'Espagne à
la France 125
Le plus grand forfait polili<iue
de Napoléon ib.
Son opinion erronée à l'égard
des Espagnols.. < 125
Situation politique de l'Espa-
gne au moment où Napoléon
songe à s'en emparer 126
Le parti de l'opposition, ayant
pour chefs le duc de Vlnfan-
tado et le chanoine don Juan
Escoiqui^, trame le renver-
sement du favori 127
Le prince des Âsturies adhère
à ce projet ib.
Intrigues pour désunir la fa-
mille royale ib.
Le Prince royal sollicite la
main d'une nièce de Napo-
léon, ib.
Godoy ai)i)reod celle démarche
417 —
Iiar sou agent à Paris dou
Hugenio Ysquierdo 128
Accusation qu'il porte contre
le Prince, qui est arrêté ainsi
que ses partisans ib.
Charles IV pardonne à son fils
et les juges absolvent ses
confidents 129
Refroidissement de Napoléon
pour Godoy ib.
Napoléon à Milan invite la
reine d'Étrurie à partir pour
Madrid ih.
Circonstance curieuse qui fait
soupçonner à MM. de Melcy
et de Labrador les projets
de Napoléon sur l'Espagne. . 130
Inauiétude de la Cour de Ma-
drid ib.
Elle demande la main d'une
princesse de la famille impé-
riale 131
Les troupes françaises pénè-
trent au cœur de l'Espagne, ib.
Ysquierdo vient rendre compte
à Madrid des projets suppo-
sés de Napoléon ib.
La cour d'Espagne prend la ré-
solution de passer en Amé-
rique ib.
Émeute qui éclate, le I9 mars,
à Aranjuez 132
Ondoy est arraché des mains
du peuple et sauvé par le
prince des Asturies ib.
Pillage du palais de Godoy à
Madrid ib.
Abdication du roi Charles IV
en faveur de son fils, qui
prend le nom de Ferdi-
nand Vil ib.
11 fait annoncer son avène-
ment à Napoléon 133
La reine d'Étrurie entre en
correspondance avec Murât ib.
Charles /F proleste contre son
abdication ib.
Entrée de Ferdinand VII dans
la capitale 134
Intrigues pour éloigner le roi
de Madrid ib.
On prépare les appartements
de Napoléon au palais royal . ib.
Insinuations du général Sa-
vary ib.
M
Ferdinand Vil se résout à al-
ler au-devant de Napoléon.. 134
Personnages qui accompagnent
le Roi à Rayonne ib.
Formalion|d'une Junte suprême
de gouvernement ib.
Circonstance particulière qui
détermine le départ du Roi . 135
Dépêche expédiée de Paris à
Godoy, par Yfquierdo ib.
Récit du voyage du Roi 140
Déception de Ferdinand VII
en arrivant à Rayonne 14 1
Napoléon le déclare rebelle et
lui enjoint de désigner un
fondé de pouvoir ib.
M. de Cevallos, refusé, est rem-
placé par M. de Labrador. . . ib.
Négociation de M. de Labrador
avec M. de Champagny.. . . ib.
Conférence entre Napoléon et
le conseiller d'Étal û'Escoi-
quiz 142
Conditions offertes à Ferdi-
nand VII en échange de sa
renonciation 180
Charles IV arrive à Rayonne. . ib.
Moyens que l'on emploie pour
fléchir Ferdinand VII ib.
Double renonciation de ce
prince 181
Fameux traité de Rayonne, du
5 mai 1808, entre Napoléon
et Charles IV; le général
Duroc : le prince de la Paix. ib.
Ferdinand VII adhère à la ces-
sion du trône d'Espagne faite
par son père 184
Convention du 10 mai 1808,
entre Napoléon et Ferdi-
nand VII; le général Duroc:
don Juan Escoiquix ib.
Proteslations de Ferdinand IV,
roi de Naples et de Sicile, et
de l'infant don Pedro 187
Départ de la famille royale
d'Espagne pour la France. . . ib.
Le roi Charles IV, que Napo-
léon laisse dans la détresse à
Marseille, est obligé de ven-
dre ses diamants ib.
Représailles des Rourbons en
1814 188
M. de Vargas Laguna fait ren-
voyer en Espagne les pierre-
ries delà reine Marie-Louise, ib.
27
— 418 —
Les diamants de la couronue
enlevés à Madrid , par Ifit-
rat, estimés 43 millions 188
Le Conseil royal désigne Jo-
seph Bonaparte comme suc-
cesseur au trône d'Espagne., ib.
Convocation à Bayonne d'une
Junle de cent cinquante no-
tables ; 189
Celle assemblée accepte, le
7 juillet, la nouvelle Consti-
tution octroyée par. Yapoie'on, ib.
Trois cent mille Français ou al-
liés succomberont pendant la
guerre allumée pour soute-
nir le nouvel établissement. i90
Joseph part pour Madrid ib.
Traité secret de Bayonne , du
6 juillet 1808 , entre Napo-
Ic'on et Joseph Bonaparte ;
M. de Champagny : le duo
àe Gallo ib.
Le royaume de Naples est
donné à Joachim Mural 199
Statut constitutionnel du 1 5 juil-
let 1808 ib.
Le grand-duché de Berg est ré-
trocédé à Napoléoi ib.
La couronne d'Espagne propo-
sée antérieurement au roi
Loxiis Bonaparte ib.
Lettre de l'Empereur. . ib.
Insurrection du 2 mai à Madrid. 201
Décrets de Ferdinand VU rela-
tifs au commencement des
hostilités et à la convocation
des Cortès 202
Lettre de ce prince au com-
mandant de l'armée des As-
turies 203
Mouvements populaires dans
les principales villes ib.
Massacres et régime de la ter-
reur ib.
Formation des juntes centrales. 204
La Junte suprême de Séville
exerce le pouvoir souverain
au nom de Ferdinand VIL. ib.
Elle déclare la guerre à Na-
poléon ib.
Proclamation du 29 mai 205
Déclaration du 6 juin 211
Adresse de Palafox à Napoléon. 2 1 3
État des forces espagnoles — 22ô
Moyens de résistance à l'inva-
sion 226
Instructions générales pour les
guérillas 228
Principaux chefs de guérillas, ib.
Curieux catéchisme populaire, ib.
L'amiral Rosilly , retenu dans
le port de Cadix, est obligé
de capituler 235
Expédition du général Moncey
contre Valence il.
Bataille de Médina del Rio
Seco, du 14 juUlet; maré-
réchal Bessières sur le géné-
ral Cxiesta ib.
Combat et capitulation de Bay-
len, du 20 juillet; Castanos
sur Dupont ib.
Joseph Napoléon abandonne
Madrid le i" août 230
Belle proclamation de Castor-
nos 237
La ville de Saragosse assiégée
depuis le 14 juin jusqu^au
13 août par Lefebvre-Des-
nouettes, est détendue avec
succès par Palafox 238
Lettre fameuse de Palafox en
réponse à une demande de
soumission ib.
Le marquis de la llomana dé-
barque à la Corogne 245
Publication du gouvernement
britannique annonçant le ré-
tablissement de la paix avec
l'Espagne 246
Les Portugais suivent l'exem-
ple de l'Espagne 247
Commencement de l'insurrec-
tion, le 6 juin , à Oporto ib.
Expédition de sir Arthur Wel-
lesley {Wellington) contre
Lisbonne ib.
Le général Spencer arrive de
Cadix et prend part aux opé-
rations 248
Combat de Rorissa, le 17 août;
sir Arthur Wellesley sur le
général Laborde ib.
Bataille de Vimeiro^ le 21 août ;
sir Arthur Wellesley sur le
duc à'Abrantès ib.
Sir Ueio Dalrymple prend le
commandement de l'armée, ib-
Armislice de Cintra, le 22 août,
et convention de Lisbonne, le
— 419
30; Wellesley, Murray ; KeU
lermann 2'»8
Jugement porté en Angleterre
sur la convention de (Cintra. 251
L'amiral Siniavine, par la con-
vention du Tase , du 3 sep-
tembre, remet l'escadre russe
à l'amiral Cotton ih.
Elle est rendue à l'empereur
Alexandre, en \^li ib.
Nouveaux développements de
la politique de Napoléon .... 252
Message qu'il adresse au Sénat,
le 4 septembre 1 808 ib.
Premier rapport fait à l'Empe-
reur, le 24 avril, par le mi-
nistre des Relations Extérieu-
res, Champagmj 253
Second rapport, du 1" septem-
bre 259
Rapport fait à l'Empereur par
le ministre de la Guerre,
comte d'Hunebourg 265
Motifs du sénatus-consulte ex-
posés par le comte Regnault
de Saint- Jean d'Angely 269
Rapport fait au Sénat par le
comte de Lace'pède 273
Napoléon fait proposer une en-
trevue à l'empereur Alexan-
dre 278
Congrès d'Erfurlh, en octobre
1808 279
Principaux résultats des confé-
rences des deux Empereurs, ib.
Consentement donné par l'em-
pereur ^1 iejrandre aux projets
de A^apoieon sur l'Espagne. . ib.
Adhésion de Napoléon à la réu-
nion définitive des provinces
moldo-valaques à l'empire
russe 280
Motifs de cette extension de li-
mites ib.
Question du partage de la Tur-
quie 281
Projet de reconstituer les em-
pires d'Orient et d'Occident, ib.
Intervention de l'empereur
Alexandre en faveur de la
Prusse , 282
Accession du duc A'Oldenbourg
a la confédération du Rhin . . ib.
Au moment de son départ de
Saint - Pétersbourg, l'empe-
reur Alexandre apprend le
bombardement de Ballisch-
Port ib.
Arrivée des deux Empereurs à
Erfurlh, le 27 septembre . . . 283
Les rois de Bavière, de Saxe,
de Wurtemberg et de West-
phalie, et soixante et onze
princes, se trouvent réunis à
Erfurlh ib.
Dignitaires et ministres d'État
des premières puissances. .. 284
Circonstances diverses du sé-
jour dessouverains àErfurth. ib.
Motif du changement de l'am-
bassade russe à Paris 285
Le prince Kourakine remplace
le comte Tolstoï ib.
Napoléon donne audience à
l'Envoyé de l'empereur d'Au-
triche ib.
Convention secrète d'Erfurth,
du 12 octobre 1808 , enlre la
France et la Russie: le comte
de Champagny : le comte
Roumantsof 286
Projet de nouer une négocia-
tion avec l'Angleterre 289
Les souverains distribuent les
décorations et présents d'u-
sage ib.
Axiome de Napoléon au sujet
des présents diplomatiques, ib.
Munificence d'Alexandre ib.
Séparation du congrès, le 14
octobre ib.
Un mot de Louis XIV ib.
Impression que l'entrevue d'Er-
furth laisse dans l'esprit de
Napoléon 290
Négociation pour la paix mari-
lime ib.
Lettres d'Alexandre et de iVa-
poléon à George III, 12 oc-
tobre 1803 ib.
Lettre d'accompagnement de
MM. de Champagny et Rou-
mantsof, à M. Canning 291
Note en réponse (28 octobre)
de M. Canning , et lettre
d'accompagnement au comte
Roumantsof 292
Notes en réponse (26 novembre)
des ministres de Russie et de
France 295
Dernières Notes de M. Canning
(9 décembre) 296
Rupture des négociations 297
Déclaration du roi d'Angle-
terre, du. 15 novembre 1808. ib.
— /i20 —
Seconde campagne de 1808,
dans la Péninsule 298
Formation de la Junte suprême
centrale ib.
La grande armée envahit l'Es-
pagne 305
Napoléon arrive à Bayonne, le
3 novembre 30G
Combat de Guenez, le 7 novem-
bre ; les Français Sur Blake. ib.
Bataille de Burgos, le 10 no-
vembre ; maréchal Soult sur
le comte de Belvéder ib.
Bataille d'Espinosa, les 10 et 1 1
novembre; maréchal Victor
sur Blake et la Romana ib.
Bataille deTudela, le 23 novem-
bre , maréchal Lannes sur
Castanos ib.
Bataille de Somo-Sierra, le
30 novembre ; Napoléon sur
Son Juan ib.
Napoléon s'établit à Chamartin. 30G
Le prince de Neufchâtel somme
Madrid de se rendre 307
Vigoureux préparatifs de dé-
fense de la part des habitants, ib.
Don Tomas Morla et don Ber-
nardo Iriarte sont envoyés
en parlementaires ib.
Relation de l'audience qu'ils
obtiennent de l'Empereur. . . 308
Origine des préventions de
Napoléon contre le président
de la Junte centrale, Flo-
rida-Blanca 310
Napoléon et le célèbre diplo-
mate de Rayneval 3iO
Occupation de Madrid par l'ar-
mée française 312
L'Inquisition est abolie ib.
Napoléon, instruit de la mar-
che de l'armée anglaise sur
Valladolid, se porte à sa ren-
contre 314
Retraite du général Moore sur
la Corogne ib.
Napoléon apprend à Benavente
les armements de l'Autriche, ib.
Le duc de Dalmatie est investi
du commandement de l'ar-
mée ib.
Napoléon arrive à Paris le
23 janvier 1809 ib.
Bataille de la Corogne, le
16 janvier; le maréchal Soult
sur le général Moore, blessé
mortellement ib.
Capitulation de la Corogne ,
le 19 ib.
Le maréchal 5ou2t est maître de
toute la province ib.
L'Angleterre conclut une al-
liance intime avec l'Espa-
gne 315
Traité de Londres, du 14 jan-
vier 1809 : M. Canning : don
Juan Ruiz de Apodaca ib.
Considérations générales sur
les événements accomplis
dans la Péninsule 310
NOTES ET DOCUMENTS.
I. Extrait du traité de paix et
d'alliance entre 0. Cromwell
et Jean IV, roi de Portugal,
du 10 juillet 1654 319
II. Extrait du traité de paix et
de commerce, conclu entre
la France et l'Angleterre, le
3 novembre 1655 320
m. Traité de commerce entre
Oiarles II, roi d'Angleterre,
et les Provinces-Unies des
Pays-Bas, fait à la Haye, le
17 février 16G8 322
IV. Extrait du traité de com-
merce signé à Utrecht, le
11 avril 1713, entre la France
et l'Angleterre 325
V. Extrait du traité de naviga-
tion et de commerce entre la
France et les Provinces-Unies
des Pays-Bas, signé le 1 1 avril
1713, à Utrecht 327
Yl. Extrait du registre des ré-
solutions de LL. HH. PP. les
seigneurs Étals Généraux des
Provinces-Unies, sur le mé-
moire remis par M. Yorck,
dans une conférence où ce
minisire a été appelé par
Leurs Hautes Puissances 329
Vil. Extrait du traité définitif
/i21 —
entre Sa Majeslé Britannique,
le Roi Très-Clirélien et le roi
d'Espagne , signé à Paris le
10 février 1763 334
VIII. Extrait du traité de com-
merce et de navigation signé
à Saint-Pétersbourg le 20 juin
1*66, entre l'empereur de
toutes les Russies et la
Grande-Bretagne ib.
X. Extrait du traité de com-
merce, signé le 6 février 1778,
entre la France et les États-
Unis de l'Amérique 335
X. Déclaration de S. M. l'impé-
ratrice de toutes les Russies
aux cours de Londres, Ver-
sailles et Madrid, jirésenlée
dans le mois de mars 1780. . 338
XI. Extrait du registre des ré-
solutions de LL, HH. PP. les
Étals Généraux des Provinces-
Unies des Pays-Bas, du lundi
24 avril 1780, en réponse au
mémoire de la Russie, pré-
senté le 3 avril 340
XII. Copie de la déclaration de
Sa Majesté Danoise aux cours
de Londres , de Versailles et
de Madrid, datée du 8 juillet
1780 342
XIII. Copie de la déclaration de
Sa Majesté Suédoise aux puis-
sances belligérantes, expé-
diée aux coure de Vereailles,
de Londres et de Madrid, da-
tée d'Aix-la-Chapelle, le 21
juillet 1780 344
XIV. Extrait de la convention
maritime entre la Russie et
le Danemark, signée à Co-
penhague, le 9 juillet 1780.. 345
XV. Extrait de la convention
maritime pour le maintien
du commerce et de la navi-
gation neutre , signée le
2! juillet (l" août) 1780, en-
tre la Suède et la Russie 34G
XVI. Copie du mémoire de la
cour de Russie, présenté aux
cours des puissances belligé-
rantes , pour leur notifier
l'accession du Danemark et
de la Suède au système de la
neutralité armée-, 1780 347
XVII. Copie du mémoire de la
cour de Russie, présenté aux
cours des puissances belligé-
rantes , pour leur notifier
l'accession du Danemark et
de la Suède au système de la
neutralité armée; 1780 348
XVIII. Réponse de la cour de
Londres à la déclaration de
l'impératrice de Russie, tou-
chant le commerce neutre,
datée du 28 février 1780, et
présentée à la cour de Lon-
dres le 1" avril 1780 349
XIX. Extrait du traité définitif
de paix et d'amitié entre le
roi de la Grande-Bretagne
et le Roi Très-Chrétien, signé
à Versailles le 3 septemnre
1783 350
XX. Extrait du traité de com-
merce entre l'empire de Rus-
sie et la Porte Ottomane ,
conclu à Constantinople le
10-21 juin 1783 351
XXI. Extrait du traité de com-
merce et de navigation , si-
gné en 1784, entre l'empe-
reur des Romains et l'impé-
ratrice de Russie, et publié,
en 1785 , en forme d'édil ,
dans leurs Étals respectifs . . 352
XXII. Extrait du traité d'ami-
tié et de commerce entre
S. M. le roi de Prusse et les
États-Unis d'Amérique, signé
à la Haye le 10 septembre
1785 355
XXIII. Extrait du traité d'al-
liance défensive entre S. M. le
Roi Très-Chrétien et les États
Généraux des Provinces-
Unies des Pays-Bas , à Fon-
tainebleau , le 10 novembre
1785 356
XXIV. Extrait du traité d'ami-
tié et de commerce conclu
entre S. M. le roi de Suède
et les États-Unis de l'Amé-
rique septentrionale , le
3 avril 1783 357
XXV. Extrait du traité de navi-
gation et de commerce en-
tre la France et la Grande-
Bretagne, conclu à Versailles
le 26 septembre 1786 359
XXVI. Instruction aux com-
mandants des vaisseaux de
guerre de Sa Majesté, et des
corsaires qui ont ou qui au-
ront des lettres de marque,
contre la France 365
— 422 —
36C
ib.
XXVIT. Ordre du Conseil d'An-
gleterre, C novembre 1T93.
XXVllI. Traité passé, le 27 mars
1794, entre le roi de Suède et
le roi de Danemark, pour la
défense commune de la li-
berté et de la sûreté du com-
merce danois et suédois
XIX. Ordre du Conseil d'An-
gleterre, 8 janviec 1794 370
XXX. Extrait du traité d'amilié,
de commerce et de naviga-
tion, entre Sa Majesté Britan-
nique et les États-Unis d'Amé-
rique, conclu le 19 novembre
1794, ratifié le 28 octobre 1795 37 1
XXXI. Conventions entre S. M. le
roi de Suède, d'une part, et
8, M. l'empereur de toutes
les Russies, de l'autre, pour
le rétablissement d'une neu-
tralité armée 372
XXXII. Convention de neutra-
lité maritime armée , con-
clue entre LL, MM. l'empe-
reur de toutes les Russies et
le roi de Danemark, à Saint-
Pétersbourg, le 4-16 décem-
bre 1800 378
XXXIII. Convention de neutra-
lité maritime armée, conclue
entre LL. MM. l'empereur de
toutes les Russies et le roi de
Prusse, à Saint-Pétersbourg,
le C-18 décembre 1800, avec
l'article supplémenlaire ra«
titié le 6 février 1801 38i^
XXXIV. Convention maritime
entre la Russie et la Grande-
Rretagne, signée à Saint-
Pétersbourg le 5-17 juin 1801,
avec deux articles séparés de
la même date 393
Carte de l'Europe en 1807.
XXXV. Acte du Parlement, du
27 juin 1805, pour confirmer
et étendre les dispositions
concernant les ports francs
dans les îles occidentales. . . 402
XXXVI. Résolution du Conseil
privé d'Angleterre, du 3 août
1805 ï^.
XXXVII. Message du président
des Etats-Unis au Sénat et à
la Chambre des représen-
tants des États-Unis 403
XXXVI II. Note de M. Fox à
M. Munroe , 404
XXXIX 405
XL. Supplément à la Gazette
de Londres, du samedi 14 no-
vembre 1807 407
XLI. Deuxième décret 410
XLIl. Troisième décret 411
XLIII. Décret impérial conte-
nant de nouvelles mesures
contre le système maritime
de l'Angleterre 412
CARTE DE L'EUROPE EN 1807.
FIN I>r LA TAI'.U:.
L>E LlUPniUSr.IÏ DE CRAPELET, Rl'B DE VAVCIRARD 9
«JX Garden, Guillaume de, comte
152 Histoire générale
G35
1. 11
PLEASE DO NOT REMOVE
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