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Full text of "Histoire générale et système comparé des langues sémitiques"

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1 


; 


HISTOIRE  GÉNÉRALE 

ET  SYSTÈME  COMPARÉ 


DB$ 


LANGUES  SÉMITIQUES 


CHEZ  BENJAMIN  DUPRAT. 

LIBRilRB    OB  LMffbTITUT,    DB    LA    BlBLlOTHàqCB    IMPésiALB,   ETC. 
RUE    DIT    CLOfTRB    SAINT-BEHOtT,    N*    7, 

ET  CHEZ  AUGUSTE  DURAND, 

LIBRAIRK, 
RDK    DBS    GRàs,    N"    5 


HISTOIRE  GÉNÉRALE 

ET  SYSTÈME  COMPARÉ 

DES 

LANGUES  SÉMITIQUES, 

PA« 

ERNEST  RENAN. 

OUVRAtiE    COtlRO^INé    PAR    L'INSTITUT. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

HISTOIRE  GÉNÉRALE  DES  LANGCES  SÉMITIQUES. 


PARIS. 

IMPnmé   PAR   AUTORISATIOK   DE   L'EHPBREUR 

A  L'IMPRIMERIE  IMPÉRIALE. 


PRÉFACE. 


La  première  esquisse  de  cet  ouvrage  fut  présentée  au 
concours  du  prix  Volney,  en  18/17.  ^®  m'étais  proposé 
de  faire,  selon  la  mesure  de  mes  forces,  pour  les  langues 
sémitiques  ce  que  M.  Bopp  a  fait  pour  les  langues  indo- 
européennes, c'est-à-dire  un  tableau  du  système  gram- 
matical ,  qui  montrât  de  quelle  manière  les  Sémites  sont 
arrivés  à  donner  par  la  parole  une  expression  complète 
à  la  pensée.  Le  livre  était,  de  la  sorte,  essentiellement 
théorique  :  dans  une  introduction  générale ,  je  plaçais 
un  rapide  exposé  de  Thistoire  des  langues  sémitiques ,  et 
une  série  de  considérations  qui  excédaient  le  cadre  d  une 
grammaire  comparée.  Plus  je  réfléchis  à  Téconomie  de 
mon  sujet,  plus  cette  introduction  acquit  à  mes  yeux 
d'importance;  bientôt  elle  devint  une  moitié  du  livre 
lui-même,  et  ainsi  s'est  formé  le  volume  que  je  publie  en 
ce  moment.  Les  langues  étant  le  produit  immédiat  de  la 
conscience  humaine,  se  modifient  sans  cesse  avec  elle, 
et  la  vraie  théorie  des  langues  n'est,  en  un  sens,  que 
leur  histoire.  Etudier  un  idiome  à  un  moment  donné 
de  son  existence  peut  être  utile,  s'il  s'agit  d'un  idiome 
qu'on  apprend  uniquement  pour  le  parler  ou  en  inter- 


Il  PRÉFACE. 

prêter  les  monuments  ;  mais  s'arrêter  là  est  aussi  peu 
profitable  pour  la  philologie  comparée  qu'il  le  serait 
pour  la  science  des  corps  organisés  de  connaître  ce 
qu'ils  sont  au  moment  de  leur  pleine  maturité,  sans  re- 
chercher les  lois  de  leur  développement.  L'exposition 
grammaticale  elle-même  suppose  des  notions  étendues 
d'histoire  littéraire.  Comment  présenter  d'une  manière 
complète  le  système  de  la  langue  hébraïque,  si  l'on  n'a 
établi  préalablement  la  chronologie  des  textes  hébreux 
qui  nous  sont  parvenus  ?  Gomment  s'expliquer  les  ap- 
parentes bizarreries  de  la  grammaire  et  du  diction- 
naire arabes,  si  l'on  ne  connaît  les  circonstances  dans 
lesquelles  s'est  formé  l'idiome  littéraire  du  monde  mu- 
sulman? 

En  partant  de  ce  principe,  on  arrive  à  envisager  la 
théorie  scientifique  d'une  famille  de  langues  comme  ren- 
fermant deux  parties  essentielles  :  d'abord,  l'histoire  ex- 
térieure  des  idiomes  c[ui  la  composent,  leur  rôle  dans  le 
temps  et  l'espace,  leur  géographie  et  leur  chronologie, 
l'ordre  et  le  caractère  des  monuments  écrits  qui  nous 
les  font  connaître  ;  puis  leur  histoire  intérieure^  le  déve- 
loppement organique  de  leurs  procédés,  leur  grammaire 
comparative,  en  un  mot,  envisagée  non  comme  une 
loi  immuable,  mais  comme  un  sujet  de  perpétuels  chan- 
gements. Toutes  les  familles  de  langues  n'exigent  pas 
ou  ne  comportent  pas  également  ces  deux  séries  d'inves- 
tigations ;  dans  l'état  actuel  des  études ,  il  ne  serait  guères 
possible  de  faire  pour  les. langues  indo-européennes 
la  contre-partie  historique,  sans  laquelle  la  grammaire 


PRÉFACE.  m 

générale  est  toujours  plus  ou  moins  incomplète.  Le  champ 
si  réduit  de  la  famille  sémitique  et  la  certitude  avec  la- 
quelle elle  se  laisse  embrasser  dans  toute  ses  branches 
offrent,  au  contraire,  pour  le  travail  dont  nous  par- 
lons, de  grandes  facilités. 

Mon  essai  de  philologie  sémitique  s'est  ainsi  trouvé 
divisé  en  deux  parties,  Tune  historique  y  l'autre  théorique  ^ 
que  l'on  peut  envisager  à  volonté  ou  comme  deux  ou- 
vrages séparés  ou  comme  deux  tomes  d'un  même  ou- 
vrage. Bien  qu'à  plusieurs  égards  le  présent  volume  doive 
paraître  défectuelix,  si  on  ne  le  rattache  par  la  pensée 
à  celui  qui  le  complétera,  j'ose  croire  cependant  que, 
même  en  l'envisageant  comme  un  livre  distinct,  on  trou- 
vera qu'd  a  par  lui-même  son  unité  et  son  intérêt.  Peutr 
être  le  tableau  des  destinées  d'une  famille  de  langues 
qui  a  évidemment  achevé  la  série  de  ses  révolutions  in- 
térieures, puisqu'elle  n'est  plus  représentée  que  par  un 
seul  idiome,  l'arabe,  offrira-t-il  pour  l'histoire  générale 
du  langage  un  spectacle  instructif. 

Les  langues  sémitiques  ont  eu,  dans  l'histoire  de  la 
philologie,  cette  singulière  destinée  que,  d'un  côté,  à  une 
époque  fort  ancienne ,  elles  ont  suggéré  la  méthode  com- 
parative aux  savants  qui  les  cultivaient,  et  que,  d'un 
autre  côté ,  lorsque  cette  méthode  est  devenue  un  puis- 
sant instrument  de  découverte ,  dans  les  premières  an- 
nées de  ce  siècle ,  elles  sont  entrées  pour  peu  de  chose 
dans  le  mouvement  nouveau  qui  allait  régénérer  la  lin- 
guistique. On  peut  dire  que  les  grammairiens  juifs  du 
x'  et  du  xi^  siècle  font  déjà  de  la  philologie  comparée, 


lY  PRÉFACE. 

puisqu'ils  se  servent  de  la  connaissance  de  l'arabe  et 
même  des  dialectes  araniéens  pour  éclaircir  les  diffi- 
cultés de  l'hébreu.  Dès  le  ivn^  siècle,  les  langues  sémi- 
tiques ont  eu,  grâce  aux  travaux  de  Hottinger,  de  Louis 
de  Dieu ,  de  Gastel ,  des  grammaires  et  des  dictionnaires 
comparés.  Au  xvnf,  la  philologie  sémitique  traversa, 
par  l'école  de  Schultens,  les  exagérations  que  la  mé- 
thode comparative  entraîne  d'ordinaire  avec  elle.  L'unité 
de  la  famille*  sémitique  a  été  aperçue  dès  l'antiquité , 
tandis  qu^en  181  &,  on  avait  à  peine  soupçonné  les 
liens  qui  rattachent  entre  eux  les  rameaux  épars  de  la 
famille  indo-européenne.  Et  pourtant,  quelle  différence 
dans  les  résultats  de  la  méthode  comparative  appliquée 
à  ces  deux  familles  de  langues  I  Trois  ou  quatre  années 
d'étude  suffirent  pour  dévoiler,  au  moyen  de  l'analyse  des 
langues  indo-européennes ,  les  lois  les  plus  profondes  du 
langage,  tandis  que  la  philologie  sémitique  est  restée 
jusqu'à  nos  jours  renfermée  en  elle-même,  et  presque 
étrangère  au  mouvement  général  de  la  science.  La  cause 
de  ce  singulier  phénomène  doit  être  cherchée  dans  le 
caractère  même  des  idiomes  sémitiques.  Des  langues 
qui  ont  présenté  une  vie  intérieure  si  peu  active  étaient 
incapables  de  révéler  l'organisme  du  langage  et  les  lois 
de  ses  décompositions.  Nous  montrerons  que  la  faculté 
qu'ont  les  langues  indo-européennes  de  se  reproduire  et 
de  renaître  en  quelque  sorte  de  leurs  cendres  manque 
presque  entièrement  aux  langues  sémitiques  :  elles  n'ont 
pas  eu  de  révolutions  profondes,  pas  de  développe- 
ment, pas  de  progrès.  L'étude  exclusive  des  langues 


PRÉFACE.  Y 

sémitiques  ne  pouvait  enianter  de  grands  linguistes ,  pas 
plus  que  le  spectacle  de  l'histoire  de  la  Chine  ne  saurait 
inspirer  de  grands  historiens.  Ajoutons  que  Thahitude  de 
ne  point  écrire  les  voyelles,  effaçant  les  nuances  légères 
dans  lesquelles  consiste  toute  Imdividualité  des  dialectes, 
réduit  les  textes  sémitiques  à  une  sorte  de  squelette, 
excellent  pour  Tétude  anatomique  du  langage ,  mais  qui 
n  est  guère  propre  à  l'étude  du  mouvement  et  de  la  vie. 
D'un  autre  côté,  la  philologie  sémitique  présente  un 
grand  avantage,  qui,  dans  l'état  actuel  de  la  linguis- 
tique, mérite  d'être  surtout  apprécié.  Incontestablement 
moins  féconde  que  la  philologie  indo-européenne,  elle 
est  aussi  plus  assurée,  moins  sujette  aux  déceptions.  La 
matière  de  la  philologie  sémitique  n'a  pas  cette  fluidité , 
cette  aptitude  aux  trans£Drmations  qui  caractérise  la  ma- 
tière de  la  philologie  indo-européenne.  Elle  est  métal- 
lique ,  si  j'ose  le  dire ,  et  a  conservé  depuis  la  plus  haute 
antiquité,  et  peut>4tre  depuis  les  premiers  jours  de  l'ap- 
parition du  langage,  la  plus  frappante  identité.  En  gé- 
néral, l'étude  des  langues  sémitiques  inspire  une  philo- 
logie sévère  et  pleine  de  réserve.  Or  je  pense,  comme 
M.  Ewald  \  que  la  philologie  comparée ,  à  l'heure  qu'il 
est,  a  plus  besoin  d'être  retenue  que  d'être  excitée  à  la 
hardiesse.  Les  merveilleux  résultats  obtenus  par  les  Bopp, 
les  Schlegel,  les  Humboldt,  les  Burnouf  ont  inspiré  en 
Allemagne  une  sorte  d'ivresse  à  des  jeunes  gens,  avides 
de  thèses  nouvelles,  qui,  mis  prématurément,  par  l'en- 
seignement des  universités,  en  possession  des  plus  hautes 

^  Zekêekytfir  die  Kunde  des  M&rgenhmdes ,  t.  V,  p.  &95  et  suiv. 


VI  PRÉFACE. 

théories ,  ont  cru  pouvoir,  dès  leurs  premiers  pas  dans  la 
science,  égaler  les  découvertes  des  grands  maîtres,  sans 
songer  que  ces  découvertes  avaient  été  le  fruit  de  longues 
recherches.  En  feuilletant  quelques  dictionnaires,  on  s  est 
donné  à  peu  de  frais  un  semblant  de  philologie  com- 
parée. Il  est  plus  commode,  en  effet,  de  débuter  par  des 
rapprochements  hardis,  qui  n'exigent  pas  un  bien  vaste 
savoir,  que  de  se  livrer  au  travail  patient  des  textes. 
Certes,  l'ancienne  école,  qui  ne  se  proposait  d'autre  but 
dans  les  études  orientales  que  de  lire,  de  parler  ou 
d'écrire  un  ou  plusieurs  idiomes  de  l'Orient,  sans  ratta- 
cher ces  études  à  un  ensemble  de  vues  historiques,  phi- 
losophiques, littéraires,  pouvait  être  à  bon  droit  taxée 
d'insuffisance.  Mais  il  vaudrait  mieux  ne  pas  l'avoir  dé- 
passée que  de  courir  de  telles  aventures.  La  philologie 
timide  peut  être  incomplète  ;  mais  il  est  moins  fâcheux 
d'être  incomplet  que  chimérique.  On  est  surtout  obligé 
à  de  grandes  précautions,  quand  il  s'agit  d'une  science 
aussi  délicate  que  la  linguistique ,  où  la  bonne  méthode 
confine  à  la  mauvaise  par  des  limites  impossibles  à  dé- 
finir, et  où  il  n'existe  d'autre  critérium  de  la  vérité  qu'un 
sentiment  qui  ne  peut  se  transmettre  par  la  démons- 
tration, et  dont  les  personnes  non  initiées  accueillent 
naturellement  le  témoignage  avec  quelque  défiance. 

En  blâmant  des  témérités  de  méthode  qui  ne  sem- 
blent propres  qu'à  jeter  du  discrédit  sur  la  philologie 
comparée,  je  n'ignore  pas  qu'à  beaucoup  d'excellents 
juges  je  paraîtrai  souvent  moi-même  trop  porté  aux  con- 
jectures. Toutes  les  généralités  prêtent  à  la  critique,  et 


PRÉFACE.  Yii 

si  Ton  voulait  réduire  Thistoire  à  des  thèses  inattaquables, 
il  faudrait  lui  refuser  le  droit  de  dépasser  l'ordre  des  faits 
purement  matériels  ;  mais  ce  serait  du  même  coup  l'a- 
baisser, ou  plutôt  la  détruire.  Le  passé  se  montre  à  nous 
obscur,  complexe,  parfois  contradictoire.  La  simplicité 
et  la  clarté ,  si  recherchées  des  esprits  exclusivement  ana- 
lytiques, ne  sont  bien  souvent  que  des  apparences  trom-* 
penses.  Le  monde,  comme  nous  le  connaissons,  n'est  ni 
simple,  ni  clair;  on  ne  le  rend  tel  qu'en  le  présentant 
volontairement  d'une  manière  partielle.  Je  serai  excusé , 
si  les  incertitudes  qu'on  pourra  relever  dans  ce  livre 
viennent  du  sujet  lui-même,  et  non  de  l'auteur.  Nous 
n'avons  pas  le  droit  d'effacer  les  contradictions  de  l'his- 
toire ,  et  le  progrès  des  sciences  critiques  n'est  possible 
qu'à  la  condition  d'une  rigoureuse  bonne  foi,  unique- 
ment attentive  à  découvrir  la  signification  des  faits,  sans 
en  rien  dissimuler. 

Ce  serait  donc  méconnaître  les  limites  que  j'ai  posées 
à  ma  propre  pensée  que  de  s'attacher  isolément  à  tel 
ou  tel  passage  de  cet  essai ,  qui  a  besoin  d'être  contrôlé 
et  complété  par  un  autre.  Les  jugements  sur  les  races 
doivent  toujours  être  entendus  avec  beaucoup  de  res- 
trictions :  l'influence  primordiale  de  la  race,  quelque 
immense  part  qu'il  convienne  de  lui  attribuer  dans  le 
mouvement  des  choses  humaines ,  est  balancée  par  une 
foule  d'autres  influences,  qui  parfois  semblent  dominer 
ou  même  étoufler  entièrement  celle  du  sang.  Combien 
d'Israélites  de  nos  jours,  qui  descendent  en  droite  ligne 
des  anciens  habitants  de  la  Palestine,  n'ont  rien  du 


vfii  PRÉFACE. 

caractère  sémitique,  et  ne  sont  pins  que  des  hommes 
modernes,  entraînés  et  assimilés  par  cette  grande  force 
supérieure  aux  races  et  destructive  des  originalités  lo- 
cales ,  qu'on  appelle  la  civilisation  !  Toutes  les  assertions 
sur  les  Sémites  impliquent  de  semblables  réserves.  Les 
caractères  essentiels  que  j'ai  attribués  à  cette  race  et 
aux  idiomes  qu'elle  a  parlés  ne  conviennent  de  tout  point 
qu'aux  Sémites  purs,  tels  que  les  Térachites,  les  Arabes, 
les  Araméens  proprement  dits ,  et  ne  se  vérifient  qu'im- 
parfaitement en  Phénicie,  à  Babylone,  dans  l'Yémen, 
dans  l'Ethiopie.  Mais  il  est  évident  que,  pour  parler  des 
Sémites  en  général,  je  devais  considérer  de  préférence 
les  branches  de  la  famille  qui  ont  été  le  moins  modifiées 
par  le  contact  avec  l'étranger,  et  ont  le  mieux  conservé 
les  traits  généraux  de  la  famille.  Si  Ton  veut  que  je  me 
sois  laissé  dominer  trop  exclusivement  par  la  considéra- 
tion des  Sémites  purs,  nomades  et  monothéistes,  et  que 
j'aie  trop  effacé  de  mon  tableau  les  Sémites  païens,  in- 
dustriels, commerçants,  je  ne  m'en  défendrai  pas,  pour- 
vu que  l'on  m'accorde  que  les  premiers  seuls  nous  ont 
laissé  des  monuments  écrits,  et  que,  seuls  aussi,  ils 
représentent  pour  nous,  dans  l'histoipe  des  langues, 
l'esprit  sémitique. 


HISTOIRE  GÉNÉRALE 


DBS 


LANGUES  SÉMITIQUES 


LIVRE    PREMIER. 


QUESTIONS  D'ORIGINE. 


CHAPITRE  PREMIER. 

CARACTBRB  G^RiRAL  DES  PEUPLES  ET  DES  LANGUES  SiWTIQDBS. 


S  I. 

« 

Au  sudrouest  de  TAsie ,  dans  la  région  comprise  entre  la  Mé-  . 
diterranée ,  la  chaîne  du  Taurus ,  le  Tigre,  et  les  mers  qui  en- 
tourent la  péninside  arabique ,  est  situé  le  berceau  d'une  famille 
de  langues  beaucoup  moins  remarquables  par  l'étendue  des  pays 
qu'elles  ont  primitivement  occupés ,  que  par  un  haut  caractère 
d'homogénéité  et  par  le  rôle  qu'elles  ont  joué  dans  l'histoire 
de  l'esprit  humain.  Les  anciens ,  qui  furent  déjà  frappés  de  leur 
unité ^,  les  appelèrent  langues  orientales^  désignation  devenue 

*  Priflden,  butiL  Y,  a  ;  Indore  de  SériUe ,  Orig,  liv.  IX  ^  chap.  i  ;  Jnliani  HaU- 
cani..fragiD.  tpud  Mai,  SpieiL  Bom.  t  X,  p.  siohii  i. 

*  CeÊt  la  déDomination  employée  par  S.  Jérôme.  Grêlait  ansd  celle  des  savants 

I.  1  • 


2  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

trop  générale  depuis  que  les  peuples  de  FAsie  ont  été  l'objet 
d'explorations  plus  exactes;  les  savants  modernes,  à  la  suite 
d'Eichhorn ,  se  sont  accordés  à  leur  donner  le  nom  de  langues 
sémitiques.  Hais  cette  dénomination  est  tout  à  fait  défectueuse , 
puisqu'un  grand  nombre  de  peuples  qui  pariaient  des  langues 
sémitiques,  les  Phéniciens,  par  exemple,  et  plusieurs  tribus 
arabes ,  étaient ,  d'après  la  table  du  x*  chapitre  de  la  Genèse , 
issus  de  Gham ,  et  qu'au  contraire  des  peuples  donnés  par  le 
même  document  comme  issus  de  Sem ,  les  Elamitespar  exemple , 
ne  parlaient  point  une  langue  sémitique.  Il  sera  démontré  plus 
tard  que  le  sens  de  ce  précieux  document  est  géographique ,  et 
nullement  ethnographique ,  en  sorte  que  le  nom  de  Sem  y  dé- 
signe la  zone  moyenne  de  la  terre ,  sans  distinction  de  race.  Si 
l'on  convenait  de  donner  aux  familles  de  langues  des  noms  formés 
de  leurs  termes  extrêmes ,  comme  on  le  fait  pour  les  langues 
indo-européennes,  le  véritable  nom  des  langues  qui  nous  oc- 
cupent serait  syroHxrahes^ .  Du  reste,  la  dénomination  de  sémir- 
tiques  ne  peut  avoir  d'inconvément,  du  moment  qu'on  la  prend 
comme  une  simple  appellation  conventionnelle  et  que  l'on  s'est 
expliqué  sur  ce  qu  elle  renferme  de  profondément  inexact. 

Sans  rien  préjuger  sur  la  grave  question  de  l'unité  primi- 
tive des  langues  sémitiques  et  des  langues  ariennes,  il  faut  dire, 
ce  semble,  que,  dans  l'état  actuel  de  la  science,  les  langues 
sémitiques  doivent  être  envisagées  conmae  correspondant  à  une 
division  du  genre  humain  ;  en  effet,  le  caractère  des  peuples 
qui  les  ont  pariées  est  marqué  dans  l'histoire  par  des  traits 


dtt  dernier  âkle.  (Voy.  Uinmm  de  l* Académie  du  hêcriptiom  êi  BeUn-LtUm, 
t  XXXVI,  p.  ii3.) 

*  Leibnii  {ffoumaux  êêêait  nar  Ventmdmunt  kmuùn,  liv.  III,  chap.  ii,  S  i) 
propose  de  donner  à  ces  langues  le  nom  à'arabiqum ,  dénomination  (jui  aurait  Tin- 
convénient  de  désigner  le  tont  par  une  de  ses  parties. 


LIVRE  I,  CHAPITItt  I.  3 

aussi  originaax  que  les  langues  qui  ont  servi  de  formule  et  de 
limite  à  leur  pensée.  G*est  beaucoup  moins,  il  est  vrai,  dans 
Tordre  politique  que  dans  l'ordre  religieux  que  s'est  exercée 
leur  influence.  L'antiquité  nous  les  montre  à  peine  jouant  un 
rftle  adif  dans  les  grandes  conquêtes  qiii  traversèrent  l'Asie  ; 
la  civilisatiGn  de  Ninive  et  celle  de  Babylone ,  dans  leurs  traits 
essentiels,  n'appartiennent  pas  (j'essayerai  de  l'établir)  à  des 
peuples  de  cette  race,  et  peut-être  avant  la  puissante  impul*- 
sîon  donnée  à  la  nation  arabe  par  une  religion  nouvelle ,  cher- 
dieraii-on  vainement  dans  l'histoire  des  traces  d'un  grand  em- 
pire sémitique.  Mais  ce  qu'ils  ne  firent  point  dans  l'ordre  des 
choses  extérieures ,  ils  le  firent  dans  l'ordre  moral ,  et  l'on  peut , 
sans  exagération ,  leur  attribuer  au  moins  une  moitié  de  l'onivre 
intellectuelle  de  l'humanité.  Des  deux  mots,  en  effet,  qui,  jus*- 
qn'ici ,  ont  servi  de  symbole  à  l'esprit  dans  sa  marche  vers  le 
vrai,  celui  démence  ou  de  philosophie  leur  fut  presque  étranger; 
mais  toujours  ils  entendirent  avec  un  instinct  supérieur,  avec 
un  sens  spécial ,  si  j'ose  le  dire ,  celui  de  religion.  La  recherche 
réfléchie,  indépendante,  sévère,  courageuse,  philosophique, 
en  un  mot,  de  la  vérité,  semble  avoir  été  le  parttge  de  cette 
race  indo-européenne ,  qui ,  du  fond  de  l'Inde  jusqu'aux  extré- 
mités de  l'Occident  et  du  Nord ,  depuis  les  §iècles  les  plus  re- 
culés jusqu'aux  temps  modernes ,  a  cherché  à  expliquer  Dieu , 
l'homme  et  le  monde  par  un  système. rationnel,  et  a  laissé  der- 
rière elle,  comme  échelonnées  aux  divers  degrés  de  sou  his- 
toire ,  des  créations  philosophiques  toujours  et  partout  soumises 
aux  lois  d'un  développement  logique.  Mais  à  la  race  sémitique 
appartiement  ces  intuitions  fermes  et  sûres,  qui  dégagèrent 
tout  d'abord  là  divinité  de  ses  voiles,  et,  sans  réflexion  ni  rai- 
sonnement, atteignirent  la  forme  religieuse  la  plus  épurée  que 
l'antiquité  ait  connue.  L'école  philosophique  a  sa  patrie  dans 


1. 


!  y-* 


4  HISTOIRE  QGS  LANGUES  SÉMITIQUES. 

la  Grèce  et  dans  Tlnde ,  au  milieu  d'une  race  curieuse  et  vive- 
ment préoccupée  du  secret  des  choses;  le  psaume  et  la  pro- 
phétie, la  sagesse  s'expliquant  en  énigmes  et  en  synûJ><)|es, 
rhymne  pur,  le  livre  révélé ,  tel  est  le  partage  de  la  race  théo- 
cratique  des  Sémites.  C'est,  par  excellence,  le  peuple  de  Dieu 
et  le  peuple  des  religions,  destiné  à  les  créer  et  à  les  propager. 
Et,  en  effet,  n'est-il  pas  remarquable  que  les  trois  religions  qui 
jusqu'ici  ont  joué  le  plus  grand  rôle  dans  l'histoire  de  la  civili- 
sation, les  trois  religions  marquées  d'un  caractère  spécial  de 
durée,  de  fécondité,  de  prosélytisme,  et  liées  d'ailleurs  entre 
elles  par  des  rapports  si  étroits  qu'elles  semblent  trois  rameaux 
du  même  tronc,  trois  traductions  inégalement  pures  d'une 
même  idée ,  sont  nées  toutes  les  trois  parmi  les  peuples  sémi- 
tiques, et,  de  là,  se  sont  élancées  à  la  conquête  de  hautes  des- 
tinées? Il  n'y  a  que  quelques  journées  de  Jérusalem  au  Sinaî  et 
du  Sinaî  à  la  Mecque. 

Ce  serait  pousser  outre  mesure  le  panthéisme  en  histoire  que 
de  mettre  toutes  les  races  sur  un  pied  d'égalité ,  et ,  sous  pré- 
texte que  la  nature  humaine  est  toujours  belle,  de  chercher 
dans  ses  diverses  combinaisons,  la  même  plénitude  et  la  même 
richesse.  Je  suis  donc  le  premier  à  reconnaître  que  la  rac&  sémi- 
tique, comparée  à  la  race  indo-européenne,  représente  réelle- 
ment une  combinaison  inférieure  de  la  nature  humaine  ^  EU» 

1  Pavais 'écrit  ce  paragraphe  avant  de  connaître  trois  ou  quatre  belles  pages 
qae  M.  Lassen  a  consacrées  au  même  sujet  {InHêche  AUerthutnihimie ,  1 1 ,  p.  & 1 6- 
617).  Pai  été  singulièrement  frappé  d^étre  arrivé ,  par  Tétude  des  langues  sémi- 
tiques, à  une  opinion  semblable,  sur  presque  tous  les  points,  à  celle  d^un  des  sa- 
vants qui  ont  le  mieux  connu  de  nos  jours  le  monde  indo-arien.  M.  Lassen  voit 
avec  raison,  dans  la  subjectivité,  le  trait  fondamental  du  caractère  sémitique.  Gbes 
aucune  autre  race,  les  passions  égoïstes  n^ont  eu  plus  de  développement;  la  vie 
arabe  n^est  qu^une  succession  de  haines  et  de  vengeances.  M.  Lassen ,  toutefois,  ne 
me  parait  pas  suffisamment  juste  envers  Tesprit  religieux  des  Sémites ,  quMl  trouve 
étroit  et  intolérant ,  parce  quils  affirmaient  que  tons  les  cultes  étrangers  étaient 


LIVRE  I,  CHAPITRE  I.  5 

n  a  ni  cette  hauteur  de  spiritualisme  que  Tlnde  et  la  Germanie 
seules  ont  connue ,  ni  ce  sentiment  de  la  mesure  et  de  la  par- 
faite beauté  que  la  Grèce  a  légué  aux  nations  néo-latines, 
ni  cette  sensibilité  délicate  et  profonde  qui  est  le  trait  dominant 
des  peuples  celtiques.  La  conscience  sémitique  est  claire ,  mais 
peu  étendue  ;  elle  comprend  merveilleusement  l'unité ,  elle  ne 
sait  pas  atteindre  la  multiplicîlé.  Le  monothàsme  en  résume  et 
en  explique  tous  les  caractères. 

CTest  la  gloire  de  la  race  sémitique  d'avoir  atteint,  dès  ses 
premiers  jours,  la  notion  de  la  divinité  que  tous  les  autres 
peuples  devaient  adopter  à  son  exemple  et  sur  la  foi  de  sa  pré- 
dication. Cette  race  n'a  jamais  conçu  le  gouvernement  de 
l'univers  que  comme  une  monarchie  absolue;  sa  théodicée  n'a 
pas  fait  un  pas  depuis  le  livre  de  Job  ;  les  grandeurs  et  les  aber- 
rations du  polythéisme  lui  sont  toujours  restées  étrangères. 
On  n'invente  pas  le  monothéisme  :  l'Inde,  qui  a  pensé  avec 
tant  d'originalité  et  de  profondeur ,  n'y  est  pas  encore  arrivée 
de  nos  jours  ;  toute  la  force  de  l'esprit  grec  n'eût  pas  suffi  pour 
y  ramener  l'humanité  sans  la  coopération  des  Sémites  ;  on  peut 
affirmer  de  même  que  ceux-ci  n'eussent  jamais  conquis  le  dogme 
de  l'unité  divine,  s'ils  ne  l'avaient  trouvé  dans  les  instincts 
les  plus  impérieux  de  leur  esprit  et  de  leur  cœur.  Les  Sémites 
ne  comprirent  point  en  Dieu  la  variété,  la  pluralité,  le  sexe: 

(aux  et  sans  valeur,  tandis  (jue  les  Indo^Européens,  avant  leur  conversiou  au 
dnristîaniBme  on  à  ridamisme,  n^ont  jamais  vu  dans  la  religion  qu^une  chose  es- 
sentidlement  relative.  Ge  reproche  serait  mérité,  si  les  Sémites,  comme  le  sup- 
pose M.  Lassen,  avaient  anathématisé  les  religions  locales  au  nom  d^nne  rdigion 
locale;  mais  leur  tendance  étant  précisément  de  substituer  le  Dieu  suprême  aux 
divinités  nationales,  leur  intolérance  était  toute  logique  et  partait  d^une  idée  reli- 
gieuse sopérienre.  M.  Léo  a  adressé  à  M.  Lassen  des  objections  parfois  fondées, 
mais  conçues  d^un  point  de  vue  bien  peu  scientifique  (  LeAr6«cJ^  dar  Umwnal- 
gmehiektê,  1. 1,  p.  a6-39,  3*  édit.). 


6  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

ie  mot  déeêse  serait  en  hâ)reu  ie  plua  horrible  barbarisme. 
Tous  les  noms  par  lesquels  la  race  sémitique  a  désigné  la  divi*^ 
nité  :  El,  Eloh,  Adon,  Baal,  EUon,  ^haddai,  Jehovah,  AUak, 
lors  même  qu^ils  revêtent  la  forme  plurielle,  impliquent  tous 
ridée  de  suprême  et  ineommunicable  puissance  >  de  parfaite 
unité.  La  nature ,  dW  autre  côté ,  tient  peu  de  place  dans  les 
religions  sémitiques  :  le  désert .isst  monothéiste;  sublime  dans 
son  immense  uniformité ,  il  révéla  tout  d'abord  à  l'honmie  Tidée 
de  l'infini,  mais  non  le  sentiment  de  cette  vie  incessamment 
créatrice  qu'une  nature  plus  féconde  a  inspiré  à  d'autres  races. 
Voilà  pourquoi  l'Arabie  a  toujours  été  le  boulevard  du  mono** 
théisme  le  plus  exalté.  Ge  serait  une  erreur  d'envisager  Mahomet 
comme  ayant  fondé  le  monothéisme  chez  les  Arabes.  Le  culte 
d'Allah  suprême  {AUak  taâla)  avait  toujours  été  le  fond  de  la 
religion  de  l'Arabie.  Si  nous  voyons  quelques  branches  de  la 
famille  sémitique,  les  Phéniciens,  par  exemple,  tomber  dans 
le  paganisme ,  ce  fut  l'effet  de  migrations  et  d'influences  étran-^ 
gères,  qui  les  firent  entrer  dans  les  voies  profanes  de  la  civilisa- 
tion, du  connnerce  et  de  l'industrie.  Les  branches  attachées  à 
l'écrit  primitif,  telles  que  les  Térachites  ou  Abraharaides, 
restèrent  pures  de  toute  infidélité ,  et  les  réformes  religieuses 
pour  les  Sémites  consistèrent  désormais  à  revenir  à  la  religion 
d'Abraham. 

Ainsi  les  cultes  vraiment  sémitiques  n'ont  jamais  dépassé 
la  simple  religion  patriarcale,  religion  sans  mysticisme,  sans 
théologie  subtile,  confinant  presque  chez  le  bédouin  à  l'in- 
crédulité. De  nos  jours,  le  mouvement  des  Wahhabis  n'a-t-il 
pas  failli  aboutir  à  un  nouvel  islam ,  sans  autre  prestige  que 
l'éternelle  idée  de  l'Arabie  :  simplifier  Dieu ,  écarter  sans  cesse 
toutes  les  superfétations  qui  tendent  à  s'ajouter  à  la  nudité  du 
culte  pur?  De  là  ce  trait  caractéristique,  que  les  Sémites  n'ont 


LIVRE  I,  CHAPITRE  I.  7 

jamaôs  eu  de  mythologie.  La  façoo  nette  et  simple  dont  ils 
concluent  Dieu  séparé  du  monde,  n  engendrant  point,  n'étant 
point  engendré ,  n'ayant  point  de  semblable ,  excluait  ces  grands 
poèiaes  divins,  où  l'Inde,  la  Perse,  la  Grèce  ont  développé 
leur  fantaisie ,  et  qui  n'étaient  possibles  que  dans  l'imagina- 
lioB  d'une  race  laissant  flotter  indécises  les  limites  de  Dieu , 
de  Illunianité  et  de  l'univers.  La  mythologie,  c'est  le  panthéisme 
en  rdigioa;  or  l'esprit  le  plus  éloigné  du  panthéisme, c'est  as- 
surément l'esprit  sémitique.  Qu'il  y  a  loin ,  de  cette  étroite  et 
flim|de  conception  d'un  Dieu  isolé  du  monde,  et  d'un  monde 
façonné  connue  un  vase  entre  les  mains  du  potier,  à  la  théo- 
gonie indo-européenne,  animant  et  divinisant  la  nature,  com- 
prenant la  vie  comme  une  lutte,  l'univers  comme  un  perpétuel 
changement ,  et  transportant,  en  quelque  sorte,  dans  les  dynas- 
ties divines  la  révolution  et  le  progrès! 

L'intolérance  des  peuples  sémitiques  est  la  conséquence  né- 
cesssaire  de  leur  monothéisme.  Les  peuples  indo-européens, 
avant  leur  conversion  aux  idées  sémitiques ,  n'ayant  jamais  pris 
leur- religion  comme  la  vérité  absolue,  mais  comme  une  sorte 
d'héritage  de  famille  ou  de  caste ,  devaient  rester  étrangers  à 
Pinlolérance  et  au  prosélytisme  :  voilà  pourquoi  on  ne  trouve 
que  chez  ces  peuples  la  liberté  de  penser,  l'esprit  d'examen  et 
de  recherche  individuelle.  Les  Sémites^  au  conb^aire,  aspirant 
à  réaliser  un  culte  indépendant  des  variétés  provinciales,  de- 
vaient déclarer  mauvaises  toutes  les  religions  différentes  de  la 
leur.  L'intolérance  est  bien  réellement  en  ce  sens  un  fait  de  la 
race  sémitique ,  et  une  partie  des  leigs  bons  et  mauvais  qu'elle 
a  faits  au  monde.  Le  phénomène  extraordinaire  de  la  conquête 
musulmane  n'était  possible  qu'au  sein  d'une  race  incapable 
comme  celle-ci  de  saisir  les  diversités ,  et  dont  tout  le  symb(^e 
se  résume  en  un  mot  :  Dieu  est  Dieu.  Certes,  la  tolérance  indo- 


8  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

européenne  partait  d'un  sentiment  plus  élevé  de  la  destinée 
humaine  et  d'une  plus  grande  largeur  d'esprit;  mais  qui  osera 
dire  qu'en  révélant  l'unité  divine ,  et  en  supprimant  définitive- 
ment les  religions  locales ,  la  race  sémitique  n'a  pas  posé  la 
pierre  fondamentale  de  l'unité  et  du  progrès  de  l'humamté? 

Au  monothéisme  se  rattache  un  autre  trait  essentiel  de  la  race 
sémitique  :  je  veux  dire  le  prophétisme.  Le  prophétisme  est  la 
forme  sous  laquelle  s'opèrent  tous  les  grands  mouvements  chez 
les  Sémites ,  et ,  de  même  qu'à  chaque  âge  du  monde  corres- 
pond chez  les  Indiens  un  nouvel  Avatar,  de  même  chez  les 
Sémites ,  à  toutes  lès  grandes  révohitions  religieuses  et  poli- 
tiques correspoihd  un  prophète.  Les  peuples  primitifs  se  croyant 
sans  cesse  en  rapport  immédiat  avec  la  divinité ,  et  envisageant 
les  grands  événements  de  l'ordre  physique  et  de  l'ordre  moral 
comme  des  effets  de  l'action  directe  d'êtres  supérieurs ,  n'ont 
eu  que  deux  manières  de  concevoir  cette  influence  de  Dieu 
dans  le  gouvernement  de  l'univers  :  ou  bien  la  force  divine 
s'incarne  sous  une  forme  humaine,  c'est  Y  Avatar  indien;  ou 
bien  Dieu  se  choisit  pour  organe  un  mortel  privilégié,  c'est  le 
Nabi  ou  prophète  sémitique.  Il  y  a  si  loin ,  en  effet ,  de  Dieu  à 
l'homme  dans  le  système  sémitique ,  que  la  communication  de 
l'un  à  l'autre  ne  peut  s'opérer  que  par  un  interprète  restant 
toujours  parfaitement  distinct  de  celui  qui  rmspire«  L'idée  de 
révélation  est  en  ce  sens  une  idée  sémitique.  Elle  apparaît  dès 
les  origines  de  la  race.  Le  Coran  n'imagine  pas  d'autre  tlassi- 
fication  des  peuples  que  celle-ci  :  peuples  qui  ont  une  révéla- 
tion (un  /nre),  peuples  qui  n'en  ont  pas. 

L'absence  de  culture  philosophique  et  scientifique  chez  les 
Sémites  tient,  ce  me  semble,  au  manque  d'étendue,  de  variété 
et,  par  conséquent,  d'esprit  analytique,  qui  les  distingue. 
Les  facultés  qui  engendrent  la  mythologie,  en  effet, «sont  les 


LIVRE  1,  CHAPITRE  I.  9 

mêmes  qui  engendrent  ia  philosophie,  et  ce  n'est  pas  sans 
raison  que  l'Inde  et  la  Grèce  nouis  présentent  le  phénomène 
de  la  plus  riche  mythologie  à  côté  de  la  plus  profonde  meta-, 
physique.  Exclusivement  frappés  de  l'unité  de  gouvernement 
qui  édate  dans  le  monde ,  les  Sémites  n'ont  vu  dans  le  déve- 
loppement des  choses  que  l'accomplissement  inflexible  de  la 
volonté  d'un  être  supérieur;  ils  n'ont  jamais  compris  la  multi- 
plicité dans  l'univers.  Or,  la  conception  de  la  multiplicité  dans 
l'univers ,  c'est  le  polythéisme  chez  les  peuples  enfants  ;  c'est  la 
science  chez  les  peuples  arrivés  à  l'âge  mûr.  Voilà  pourquoi  la 
sagesse  sémitique  n'a  jamais  dépassé  le  proverbe  et  la  para- 
bole, &  peu  près  comme  si  la  philosophie  grecque  eût  pris  son 
point  d'arrêt  aux  maximes  des  sept  sages  de  la  Grèce.  Le  Livre 
de  Job  et  le  Kohéleth,  qui  nous  représentent  le  plus  haut 
degré  de  la  philosophie  sémitique ,  ne  font  que  retourner  les 
problèmes  sous  toutes  les  formes ,  sans  jamais  avancer  d'un  pas 
vers  la  réponse;  la  dialectique,  l'esprit  serré  et  pressant  de 
Socrate  y  font  complètement  défaut.  Si  parfois  le  Kohéleth 
semble  plus  près  d'une  solution ,  c'est  pour  aboutir  à  des  for^ 
mules  anti-scientifiques  :  ce  Vanité  des  vanités. . .  Rien  de  nou- 
veau sous  le  soleil. . .  Augmenter  sa  science ,  c'est  augmenter 
sa  peine. .  .^;v  formules  dont  la  conclusion  est  :  Jouir  et  servir 
Dieu ,  —  les  deux  pôles  de  la  vie  sémitique. 

Les  peuples  sémitiques  manquent  presque  complètement 
de  curiosité.  Leur  idée  de  la  puissance  de  Dieu  est  telle  que 
rien  ne  les  étonne.  Aux  récits  les  plus  surprenants ,  aux  spec- 
tacles les  plus  capables  de  le  frapper,  l'Arabe  n'oppose  qu'une 
réflexion  :  «(Dieu  est  puissant  I??  comme  dans  le  doute,  après 

^  EeM.  cb.  1  :  «Pai  voulu  rechercher  ce  qui  se  passe  sous  le  dd ,  et  j^ai  vu  que 

«  c^éfutie  {»re  occupation  que  Dieu  ait  donnée  aui  fik  des  hommes Tai  appli- 

tr  qoéiDQD  cœur  à  la  sdenoe , . . . .  et  j^ai  vu  que  ce  n^élait  qu^affliction  d^e^rit.  ^v 


10  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

avoir  eiposé  les  opinions  pour  et  contre ,  il  se  garde  ie  con- 
dure,  et  s'échappe  par  la  formule  ^1  ^i  «Dieu^  le  sait!» 
L'explication  de  toute  chose  est  à  leurs  yeux  trop  prochaine  et 
trop  simple  pour  laisser  place  à  la  recherche  rationnelle.  Dieu 
est,  Dieu  a  créé  le  monde;  cela  dit,  tout  est  dit.  —  Si  Ton 
objecte  le  développement  philosophique  et  scientifique  des 
Arabes  sous  les  Abbasides,  il  faut  répondre  que  c'est  un  abus 
de  donner  le  nom  de  pkUofopkie  arabe  à  une  philosophie  qui 
n'est  qu'un  emprunt  fait  à  la  Grèce,  et  qui  n'a  jamais  eu  au- 
cune f  acine  dans  la  péninsule  arabique.  Cette  philosophie  est 
écrite  m  arabe,  voilà  tout.  Elle  n'a  fleuri  que  dans  les  parties 
les  plus  reculées  de  l'empire  musulman,  en  Espagne,  au  Ma* 
roc,  à  Samarkand,  et  bien  loin  d'être  un  produit  naturel  de 
l'esprit  sémitique,  elle  représente  plutôt  la  réaction  du  génie 
indo-européen  de  la  Perse  contre  l'islamione ,  c'est-à-dire  contre 
l'un  des  produits  les  plus  purs  de  l'esprit  sémitique. 

La  poésie  des  peuples  sémitiques  se  distingue  par  les  mêmes 
caractères.  La  variété  y  manque  absolument.  Les  thèmes  de  la 
poésie  sont,  chez  les  Sémites,  peu  nombreux  et  bien  vite  épui- 
sés. Cette  race  n'a  connu ,  à  frai  dire  que  deux  sortes  de  poé- 
sies :  la  poésie  parabolique ,  le  masehal  hébreu ,  dont  les  livres 
attribués  à  Salomon  sont  le  type  le  plus  parfait,  et  la  poésie 
subjective,  lyrique,  conmie  nous  dirions,  représentée  par  le 
psaume  hébreu  et  la  kanda  arabe  ^ ,  formes  courtes,  ne  dépas- 
sant jamais  une  centaine  de  vers,  exprimant  un  sentiment  per^ 
sonnel ,  un  état  de  l'âme ,  et  dont  l'auteur  est  lui-même  le  héros. 
Ce  caractère  éminemment  subjectif  de  la  poésie  arabe  et  de  ht 

*  La  poésie  des  MoaUakat  est,  sans  contredit,  la  plus  subjecti¥e  de  toutes  les 
poésies,  les  poèmes  de  cette  sorte  n^ayant  aucun  sujet  déterminé  et  étant  Texpres- 
sion  de  la  penonndlité  du  poète,  si  bien  qu*on  ne  peut  les  désigner  que  par  le 
nom  même  de  leur  auteur  :  la  MoaUaka  d'Anêara,  la  Moallaka  i'ïmrouBcait,  etc. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  I.  11 

poésie  hébraïque  Uent  lui-même  à  un  autre  trait  essentiel  de 
Tesprit  sémitique,  je  veux  dire  à  Tabsence  complète  d'imagina- 
tion créatrice  et,  par  conséquent,  de  fiction.  Le  poète  sémitique 
ne  se  résigne  jamais  à  prendre  au  sérieux  un  sujet,  un  thème 
étranger  k  lui-^méme.  Ainsi  nulle  trace  de  poésie  narrative  ou 
dramatique  ^  aucune  de  ces  grandes  compositions  où  le  poète 
doit  s'effacer  :  la  fiction  des  Sémites  ne  s'élève  jamais  au-dessus 
de  l'apologue  ;  le  conte  leur  est  venu  de  l'Inde  et  ne  s'est  dé- 
veloppé parmi  eux  que  bien  tard. 

En  général,  le  sentiment  des  nuances  manque  profondément 
aux  peuples  sémitiques.  Leur  conception  est  entière ,  absolue , 
embrassant  très-peu  de  chose ,  mais  l'embrassant  très-fortement. 
Les  législations  purement  sémitiques  ne  connaissent  guère 
qu'une  seule  peine,  la  peine  de  mort.  La  monotonie  de  l'his- 
toire musulman^,  renfermée  dans  le  jeu  continu  des  mêmes 
passions,  a  firappé  tous  ceux  qui  se  sont  occupés  de  l'Orient. 
D'un  autre  cAté,  la  polygamie,  conséquence  d'une  vie  primi- 
tivement nomade,  s'est  opposée  chez  les  Sémites  au  dévelop- 
pemaat  de  tout  ce  que  nous  appelons  société ,  et  a  formé  une 
race  exclusivement  virile ,  sans  I^EÎbilité  ni  finesse.  De  là  cette 
tenue  sévère,  ce  tour  d'esprit  sérieux  et  opposé  à  toute  fantaisie, 
cette  gravité  qui  les  enq[>éche  de  se  dérider  jamais.  Les  Sémites 
manquent  presque  complétemmt  de  la  faculté  de  rire,  et  la 
tendance  toute  contraire  qui  caractérise  les  Français  «st  pour 
les  Arabes  de  l'Algérie  un  perpétuel  siget  d'étonnement 

De  là  aussi,  chez  ces  peuples,  le  manque  absolu  d'arts  plas- 
tiques. L'enluminure  des  manuscrits,  où  les  Turcs  et  les  Per- 
sans ont  déployé  un  sentiment  si  vif  de  la  couleur,  est  antipa- 
thique aux  Arabes  et  tout  è  fait  inconnue  dans  les  pays  où 
l'esprit  arabe  s'est  conservé  pur,  dans  le  Maroc  par  exemple. 
La  musique ,  l'art  subjectif  par  excellence ,  est  le  seul  que  les 


12  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Sémites  aient  connu.  La  peinture  et  la  sculpture  ont  toujours 
été  frappées  chez  eux  d'une  interdiction  religieuse  ;  leur  naïf 
réalisme  ne  se  prétait  pas  à  la  fiction,  qui  est  la  condition 
essentielle  de  ces  deux  arts.  Un  musulman,  à  qui  Bruce  mon- 
trait un  poisson  peint,  après  un  moment  de  surprise,  lui 
fit  cette  question  :  c(Si  ce  poisson,  au  jour  du  jugement,  se 
lève  contre  toi  et  t'accuse  en  ces  termes  :  Tu  m  as  donné 
un  corps ,  mais  point  d'âme  vivante  ;  que  lui  répondras-tu  ?  jf 
Les  prescriptions  sans  cesse  répétées  des  livres  mosaïques  contre 
toute  représentation  figurée,  le  zèle  iconoclaste  de  Mahomet 
prouvent  manifestement  la  tendance  de  ces  peuples  à  prendre 
la  statue  pour  un  être  réel  et  animé.  Les  races  plus  artistes , 
capables  de  détacher  l'idée  du  symbole,  n'étaient  point  obli- 
gées à  tant  de  sévérité. 

Le  monothéisme  et  l'absence  de  mythologie  expliquent  cet 
autre  caractère  fondamental  des  littératures  sémitiques,  qu'elles 
n'ont  pas  d'épopée  ^  La  grande  épopée  indo-européenne  n'e^t 
possible  qu'avec  la  lutte  des  éléments  divins ,  dans  un  monde 
envisagé  comme  un  vaste  champ  de  bataille  où  les  dieux  et 
les  hommes  se  livrent  de  pe^étuels  coinbats.  Mais  que  faire 
pour  l'épopée  de  ce  Jéhovah  solitaire,  qui  est  Celui  qui  est? 
Quelle  lutte  engager  contre  le  Dieu  de  Job,  qui  ne  répond  à 
l'homme  que  par  des  coups  de  tonnerre  ?  Sous  un  tel  régime,  la 
création  mythologique  ne  pouvait  aboutir  qu'à  des  exécuteurs 
des  ordres  de  Dieu,  à  des  anges^^  ou  messagers,  sans  variété 
individuelle,  sans  initiative  ni  passion. 

*  Les  récits  d^Antar,  quoiqu^ib  forment  un  cyde  bien  caractérisé,  ne  sont 
pas  une  épopée.  L^intérét  y  est  tout  individuel,  et  bien  que  l'orgueii  national  de 
TArabie  et  sa  rivalité  avec  la  Perse  soient  la  pensée  dominante  de  cette  curieuse 
composition ,  aucune  cause  suffisamment  nationale  n^est  mise  en  jeu  pour  qu'il 
soit  permis  d*y  voir  autre  chose  qu^un  roman. 

*  ï/cs  développements  ultérieurs  que  prit  la  théorie  des  anges  chei  les  Juifs , 


LIVRE  I,  CHAPITRE  I.  13 

Sous  le  rapport  de  la  vie  civile  et  politique ,  la  race  des  Sé- 
mites se  distingue  par  le  même  caractère  de  simplicité.  Elle 
n^a  jamais  compris  la  civilisation  dans  le  sens  que  nous  don- 
nons à  ce  mot  ;  on  ne  trouve  dans  son  sein  ni  grands  empires 
organisés,  ni  commerce,  ni  esprit  public,  rien  qui  rappelle  la 
tf  oXire/a  des  Grecs  ;  rien  aussi  qui  rappelle  la  monarchie  abso- 
lue de  ITgypte  ou  de  la  Perse.  La  véritable  société  sémitique 
est  celle  de  la  tente  et  de  la  tribu  :  aucune  institution  politique 
et  judiciaire,  l'homme  libre  sans  autre  autorité  et  sans  autre 
garantie  que  celle  de  la  famille.  Les  questions  d'aristocratie, 
de  démocratie ,  de  féodalité ,  qui  renferment  tous  les  secrets 
de  l'histoire  des  peuples  ariens ,  n'on(  pas  de  sens  pour  les  Sé- 
mites. L'aristocratie ,  n'ayant  pas  chez  eux  une  origine  mili- 
taire, est  acceptée  sans  contestation  et  sans  la  moindre  répu- 
gnance. La  noblesse  sémitique  '  est  toute  patriarcale  :  elle  ne 
tient  pas  à  une  conquête  ;  elle  a  sa  source  dans  le  sang.  Quant 
au  pouvoir  suprême,  le  Sémite  ne  l'accorde  rigoureusement 
qu'à  Dieu.  Les  Juifs  ne  passèrent  à  une  organisation  royale  et 
à  un  état  de  civilisation  stable  qu'à  une  époque  déjà  avancée 
de  leur  développement,  à  l'imitution  des  autres  peuples^.  J'au- 
rai à  m'expliquer  plus  tard  sur  les  exceptions  apparentes  que 
présentent  la  Phénicie  et  la  Syrie.  Qu'il  me  suffise,  pour  le  mo- 
ment ,  de  faire  observer  que  l'esprit  sémitique  a  toujours  été 
fort  altéré  en  Aramée  par  le  contact  de  l'étranger,  et  que  cet 
esprit  ne  s'est  manifesté  que  sous  deux  formes  vraiment  pures  : 
la  forme  hébraïque  ou  le  mosalsme ,  et  la  forme  arabe  ou  l'isla- 
misme. Encore  doit-on  reconnaître  que  la  forme  hébraïque 
s'est  si  promptement  mélangée  et  dépasse  si  étonnamment  en 

déreioppements  qm  ont  bien  quelque  chose  de  mythologique,  sont  des  emprunts 
bits  aux  férouers  de  la  Perse. 
>  I  Samuel,  chap.nii. 


U  HISTOIRE  DBS  LANGUES  SÉMITIQUES. 

quelques  points  les  limites  de  l'esprit  particulier  d'une  race , 
que  c'est  vraiment  l'Arabie  qui  doit  être  prise  pour  mesure  de 
l'esprit  sémitique.  Or  l'anarchie  la  plus  complète,  tel  a  tou- 
jours été  l'état  politique  de  la  race  arabe.  Cette  race  nous 
présente  le  singulier  spectacle  d'une  société  se  soutenant  à  sa 
manière ,  sans  aucune  espèce  de  gouvernement  ou  d'idée  de 
souveraineté.  Les  étranges  révolutions  des  premiers  siècles  de 
l'islamisme ,  l'extermination  de  la  famille  du  prophète  et  du 
parti  resté  fidèle  aux  mœurs  de  l'Heâjaz,  venldent  de  l'inca- 
pacité absolue  de  rien  fonder  et  de  l'impossibilité  où  était  la 
race  sémitique  de  se  développer  à  sa  guise  dans  un  pays  qui , 
conmie  la  Perse,  ^PP^Ue  une  organisation  régulière.  Au  con* 
traire,  partout  où  cette  race  a  trouvé  un  sol  approprié  à  sa 
vie  nomade ,  en  Syrie ,  en  Palestine  et  surtout  en  Afrique ,  elle 
s'y  est  établie  comme  chez  elle ,  si  bien  qu'à  cette  heure  les 
limites  de  l'Arabie  sont,  à  proprement  parier,  les  limites  du 
désert. 

L'inféricMrité  militaire  des  Sémites  tient  à  cette  incapacité 
de  toute  discipline  et  de  toute  subordination.  Pour  se  créer 
des  armées  régulières,  ils  furent  obligés  de  recourir  à  des 
mercenaires  :  ainsi  6rent  David,  les  Phéniciens,  les  Cartha- 
ginois, les  khalifes.  Ce  fut  la  plaie  mortelle  de  tous  les  états 
sémitiques  :  la  ruine  du  khalifat  n'eut  pas  d'autre  cause.  La 
conquête  musulmane  elle-même  se  fit  sans  organisation  et 
sans  tactique  ;  le  khalife  n'a  rien  d'un  souverain  ni  d'un  chef 
militaire  :  «'est  un  viee-prùphite.  Le  plus  illustre  représentant 
de  la  race  sémitique  de  nos  jours ,  Abd-el-Kader ,  est  un  sa- 
vant, un  homme  de  méditation  religieuse  et  de  fortes  pas- 
sions, nullement  un  soldat.  Mahomet  eut  le  même  caractère. 
L'abnégation  de  la  personnalité  et  le  sentiment  de  la  hiérarchie, 
conditions  essentielles  de  toute  milice ,  sont  profondément  an- 


LIVRE  I,  CHAPITRE  I.  15 

tîpathiqiies  h  Tindividualisipe  et  à  ia  fierté  indomptable  des 
Sémites. 

La  moralité  elle-même  fat  toojomi^  entendue  par  cette  race 
d*uae  manière  fort  différente  de  la  nôtre.  Le  Sémite  ne  con- 
naît goère  de  devoirs  qn'envers  lui-même.  Poursuivre  sa  ven* 
geance,  revendiquer  ce  qu'il  croit  être  son  droit,  est  à  ses  yeux 
une  sorte  d'obligation.  Au  contraire,  lui  demander  de  tenir 
sa  parole,  de  rendre  la  justice  d'une  manière  désintéressée, 
c'est  lui  demander  une  chose  impossible.  Rien  ne  tient  dans 
ces  âmes  passionnées  contre  le  sentiment  indompté  du  mai.  La 
religion  d'ailleurs  est  pour  le  Sémite  une  sorte  de  devoir  spé- 
cial, qui  n'a  qu'un  lien  fort  éloigné  avec  la  morale  de  tous  les 
jours.  De  là  ces  caractères  étranges  de  l'histoire  biblique ,  qui 
provoquent  l'objection ,  et  devant  lesquels  l'apologie  est  aussi 
déplacée  que  le  dénigrement  :  un  David,  par  exemple,  chez  qui 
les  mœurs  d'un  soldat  de  fortune  s'unissent  à  la  piété  Ja  plus 
exquise  et  à  la  poésie  la  plus  sentimentale  ^  ;  un  Salomon ,  que 
les  actes  de  la  politique  la  moins  scrupuleuse  n'empêchent  pas 
d'être  reconnu  pour  le  plus  sage  des  rois.  Presque  tous  les 
prophètes  de  l'ancienne  école,  Samuel,  Élie,  échappent  de 
même  à  toutes  nos  règles  de  critique  morale.  Le  mélange  bi* 
zarre  de  sincérité  et  de  mensonge,  d'exaltation  religieuse  et 
dZégoisme  qui  nous  firappe  dans  Mahomet,  la  facilité  avec  la- 
quelle les  musulmans  avouent  que  dans  plusieurs  circonstances 
le  prophète  obéit  plutôt  è  sa  passion  qu'à  son  devoir,  ne  peu- 
vent s'expliquer  que  par  cette  espèce  de  relâchement,  qui  rend 
les  Sémites  profondément  indifférents  sur  le  choix  des  moyens, 

• 

*  Eooore  cette  poéâe  eetréSie  toujours  un  peu  égoûte.  On  dirait  que  Dieu 
n'existe  <{ne  pour  lui;  sMl  aime  Jéhovah,  c'est  qUe  Jéhovah  est  son  protecteur 
spécial,  intéressé  à  sa  cause,  obKgé  h  le  faire  parvenir  et  à  le  venger  de  ses 


16  HISTOIRE'DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

quand  ils  ont  pu  se  persuader  que  le  but  à  atteindre  est  la 
volonté  de  Dieu.  Notre  manière  désintéressée  et  pour  ainsi  dire 
abstraite  de  juger  les  choses  leur  est  complètement  inconnue. 
Ainsi  la  race  sémitique  se  reconnaît  presque  uniquement 
à  des  caractères  négatifs  :  elle  n'a  ni  mythologie,  ni  épo- 
pée, ni  science,  ni  philosophie,  ni  fiction,  ni  arts  plastiques, 
ni  vie  civile;  en  tout,  absence  de  complexité,  de  nuances, 
sentiment  exclusif  de  lunité.  Il  n'y  a  pas  de  variété  dans  le 
monothéisme.  Au  lieu  de  cet  immense  cordon  qui,  depuis 
rirlande  jusqu'aux  fles  de  la  Malaisie,  trace  le  domaine  de  la 
race  indo-européenne,  les  Sémites  nous  apparaissent  confinés 
dans  un  coin  de  l'Asie.  Au  lieu  de  ces  profondes  individualités 
qui ,  dans  le  sein  de  la  famille  indo-«uropéenne ,  laissent  place 
à  des  variétés  aussi  tranchées  que  celles  qui  séparent  les  bran- 
ches indienne,  iranienne,  pélasgique,  germanique,  slave, 
celtique,  nous  n'avons  ici  qu'une  famille  homogène  et  sans 
division  intérieure  bien  caractérisée.  Malgré  l'évidente  af- 
finité qui  réunit  les  idiomes  de  l'Inde,  de  la  Perse,  de  la 
Grèce ,  de  l'Italie ,  de  la  Germanie ,  des  peuples  slaves  et  cel- 

■ 

tiques,  on  ne  peut  nier  que  ces  idiomes  ne  forment  des  groupes 
très-profondément  distincts ,  qui  se  subdivisent  eux-mêmes  en 
d'autres  dialectes.  Chez  les  Sémites,  au  contraire,  la  famille 
se  divise  immédiatement  en  directes ,  qui  ne  diffèrent  pas  plus 
l'un  de  l'autre  que  dans  l'intérieur  de  la  famille  indo-euro- 
péenne les  variétés  d'un  groupe  donné ,  du  groupe  germani- 
que, par  exemple  (teutonique,  néeriandais,  Scandinave).  La  ci- 
vilisation sémitique  de  même  n'a  qu'un  seul  type ,  et  ne  tarde 
jamais  à  rencontrer  sa  lin^ite  :  on  a  remarqué  avec  raison  que 
la  domination  arabe  a  exactement  le  même  caractère  dans  les 
pays  les  plus  éloignés  où  elle  a  été  portée,  en  Afrique,  en  Si- 
cile, en  Espagne.  L'infini,  la  diversité,  le  germe  dû  d^velop- 


F 


LIVRE  I.  CHAPITRE  I.  17 

pement  et  du  progrès  semUent  refusés  aux  peuples  dont  nous 
avons  à  parler. 

En  toute  chose,  on  le  voit,  la  race  sémitique  nous  apparaît 
comme  une  race  incomplète  par  sa  simplicité  même.  Elle  est, 
si  j ose  le  dire,  à  la  famille  indo-européenne ,  ce  que  le  clair- 
obscur  est  à  la  peinture,  ce  que  le  plain-chant  est  à  la  musique 
moderne;  elle  manque  de  cette  variété,  de  cette  largeur,  de 
cette  surabondance  de  vie  qui  est  la.condition  de  la  perfecti- 
bilité. Semblables  à  ces  natures  peu  fécondes  qui,  après  une 
gracieuse  enfance,  n'arrivent  qu'à  une  médiocre  virilité,  les 
nations  sémitiques  ont  eu  leur  complet  épanouissement  à 
leur  premier  âge,  et  n'ont  plus  de  r61e  à  leur  âge  mûr.  L'Ara- 
bie, il  est  vrai,  conserve  encore  toute  son  originalité,  et  mène 
sa  vie  propre ,  de  nos  jours ,  à  peu  près  conmie  au  temps  d'Ismaël  ; 
mais  cette  énergie  de  la  vie  nomade  ne  saurait  être  d'aucun 
emploi  dans  l'œuvre  de  la  civilisation  moderne  ;  elle  n'aboutira 
sans  doute  qu'à  créer  un  dernier  boulevard  à  l'islamisme ,  qui 
finira  ainsi  par  où  il  a  commencé ,  par  n'être  plus  que  la  reli- 
gim  du  Arabes,  selon  l'idée  de  Mahomet. 

S  U. 

L'unité,  la  simplicité,  qui  distinguent  la  race  sémitique,  se 
retrouvent  dans  les  langues  sémitiques  elles-mêmes.  L'abstrac- 
tion leur  est  inconnue;  la  métaphysique,  impossible.  La  lan- 
gue étant  le  moule  nécessaire  des  opérations  intellectuelles 
d'un  peuple,  un  idiome  presque  dénué  de  syntaxe,  sans  va- 
riété de  construction ,  privé  de  ces  conjonctions  qui  établissent 
entre  les  membres  de  la  pensée  des  relations  si  délicates,  pei- 
gnant tous  les  objets  par  leurs  qualités  extérieures,  devait  être 
éminemment  propre  anx  éloquentes  inspiratioùs  des  voyants  et 
à  la  peinture  de  fugitives  impressioos  ;  mais  devait  se  refuser 

I.  9 


18  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

à  toute  plûiosophie,  à  toute  spécokiioii  purement  intellec- 
tuelle. Imaginer  un  Aristote  ou  un  Kant  avec  on  pareil  ins- 
trument, est  aussi  impossible  que  de  coneevoir  une  Iliade  ou 
un  poëme  comme  celui  de  Job  écrits  dans  nos  langues  méta- 
physiques et  compliquées.  Ajoalez  que  les  kngues  sémitiques , 
surtout  les  pluâ  anciennes,  sont  peu  psécises,  et  ne  disent  les 
chojses  qu'à  peu  près.  Leurs  formules  n'ont  pas  cette  exactitude 
qui ,  chez  nous ,  ne  laisse  point  de  jdace  à  l'équivoque.  Quand 
on  cherche  à  traduire  dans  nos  langues  européennes,  où  cha^e 
mot  n'a  qu'un  sens,  les  plus  anciens  monumeirts  de  1»  poésie 
hébraïque,  on  éprouve  le  besoin  de  s'adresser  des  questions 
et  de  faire  une  foule  de  distinctions ,  auxqueUes  Fauteur  ne 
pensait  point,  mais  auxquelles  le  mécanisme  de  nos  idiomes 
nous  force  de  songer. 

Ce  caractère  physique  et  sensuel  nous  semble  le  trait  do- 
^  minant  de  la  famille  de  langues  qui  fait  l'objet  de  notre  étude. 
Les  racines  en  sont  presque  toutes  empruntées  &l'imitation  de 
la  nature,  et  laissent  entrevoir,  comme  à  travers  un  cristal 
transparent,  les  impressions  qui,  réfléchies  par  la  conscience 
des  premiers  hommes,  produisirent  le  langage.  Les  mots  dé- 
rivés s'y  forment  d'après  des  lois  simples  et  réguhères.  Le  verbe 
oflRre  un*  caractère  encore  sensible  de  priorité.  Les  consonnes 
dét^[3ninent  à  elles  seules  le  sens  des  mots,  et  seules  aussi 
sont  exprimées  par  l'écriture.  Les  gutturales  et  les  sifflantes  y 
abondent,  comme  dans  toutes  les  langues  qui  ont  conservé  à 
un  haut  degré  leur  caractère  primitif.  La  conjagaison,  qui  se 
prête  avec  une  merveilleuse  flexibilité  à  peindre  les  relations 
extérieures  des  idées,  est  tout  à  fait  incapable  d'en  exprimer 
les  relations  métaphysiques,  faute  de  temps  et  de  modes  bien 
caractérisés.  Par  les  formes  <liverses  d'une  même  racine  ver- 
bale à  laquelle  sera,  je  suppose,  attachée  l'idée  de  grandeur. 


LIVRE  1,  CHAPITRE  I.  19 

l'hébreu  ponira  exprimer  tooteg  ees  nuances  :  étn  gnmd,  k 
fam  grtmd  (s'eno^eîUir),  êograndir,  rendte  grani  (^ver), 
Mater  grand  (exadter,  céiëbrer),  Mre  rendu  grcmd,  etc.,  et  ne 
saura  cbre  arec  exactitude  ^A  s'agit  do  présent  ou  de  Tavenir, 
d'une  férité  oimditionnette  ou  subordonnée.  Le  nom  n'a  que 
peu  de  flexions,  et  bien  que  l'arabe  littéral  offire  un  système 
de  dédînaisons,  il  fafut  avouer  au  moinâ  que  ce  mécanisme  n'est 
pas  de  Feasenee  des  langues  sémitiques,  et  n'existe  dans  les 
{dos  aneiennea  qu'à  Tétat  mdimentaire  :  quelques  monosyflabes 
panrasites,  qui  s'ag^tinent  au  commencement  des  mots,  tien* 
MBt  lieu  des  flexions  finales.  Les  autres  particules  constituent 
moins  une  chnse  de  mots  à  part  qu'un  certain  emploi  du  subs- 
lanAif  priré  de  toute  signification  déterminée  et  réduit  à  un 
rMe  purement  abstrait.  Enfin  la  construction  générale  de  la 
pkrase  offre  un  tel  caractère  de  simplicité,  sinrtoul  dans  la 
narration,  qu'on  ne  peut  y  comparer  que  les  natfs  récits  d'un 
enfant.  Au  tiéu  de  ces  daYMits  enroulements  de  phrase  (ctirdif- 
tm,  canqnrehenm,  comme  W  appelle  Gicéron)  sous  lesquels  le 
grec  et  le  latin  assendiienl  avec  tant  ^art  les  membres  divers 
dfune  mâme  pensée,  les  Sémites  ne  savent  que  faire  succéder 
les  propositions  les  unes  aux  autres ,  en  employant  pour  fout  ar- 
tifice la  simple  copule  et,  qui  leur  tient  Keu  de  presque  foutes* 
les  conjonctions. 

M.  Ewald  a  fait  observer  avec  raison  que  la  langue  des  Sé^ 
milles  est  plutôt  poétique  et  lyrique  qu'oratoire  et  épique^. 
En  effet  l'art  oratoire ,  dans  le  sens  classique ,  leur  a  toujours 
été  étranger.  La  grammaire  des  Sémites  ignore  presque  l^arf  de 
sdbordonner  les  membres  de  la  phrase.  Elle  accuse  chez  la  race 
qui  l'a  créée  une  évidente  infériorité  des  facultés  du  raisonne- 
ment, mais  un  goût  très-vif  des  réalités  et  des  sensations  fort 

'  Grmmn.  dêr  Mr.  Spr.  S  16. 


a. 


20  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

délicates.  La  perspective  manque  complètement  au  style  sé- 
mitique; on  y  chercherait  vainement  ces  saillies,  ces  recub, 
ces  demi-jours,  qui  donnent  aux  langues  ariennes  comme  une 
seconde  puissance  d'expression.  IHanes  et  sans  inversion,  les 
langues  sémitiques  ne  connaissent  d'autre  procédé  que  la  juxta- 
position des  idées,  k  la  manière  de  la  peinture  byzantine  ou 
des  bas-reliefis  de  Ninive.  Il  faut  même  avouer  que  l'idée  de 
styk,  telle  que  nous  l'entendons,  manque  complètement  aux 
Sémites.  Leur  période  est  très-courte;  la  région  du  discours 
qu'ils  embrassent  à  la  fois  ne  dépasse  pas  une  ou  deux  lignes. 
Uniquement  préoccupés  de  la  pensée  actuelle ,  ils  ne  préparent 
point  d'avance  le  mécanisme  de  la  phrase ,  et  ne  songent  ja- 
mais à  ce  qui  précède  ni  à  ce  qui  doit  venir.  De  là ,  d'étranges 
inadvertances ,  oiï  les  entraînent  leur  incapacité  de  suivre  jus- 
qu'au bout  un  même  tour  et  l'habitude  où  ib  sont  de  ne  ja- 
mais revenir  sur  leurs  pas  pour  corriger  ce  qui  est  écrit  ^  On 
dirait  la  conversation  la  plus  abandonnée  prise  sur  le  hîi  et 
immédiatement  fixée  par  l'écriture. 

Dans  la  structure  de  la  phrase,  comme  dans  toute  leur  cons- 
titution intellectuelle ,  il  y  a  chez  les  Sémites  une  complication 
de  moins  que  chez  les  Ariens.  Il  leur  manque  un  des  degrés 
de  combinaison  que  nous  jugeons  nécessaires  pour  l'expression 
complète  de  la  pensée.  Joindre  les  mots  dans  une  proposition  est 
leur  dernier  effort;  ils  be  songent  point  à  faire  subir  la  même 
opération  aux  propositions  elles-mêmes.  C'est,  pour  prendre 
l'expression  d'Aristote  ^ ,  le  styk  injm,  procédant  par  atomes 
accumulés,  en  opposition  avec  la  rondeur  achevée  de  la  pé- 
riode grecque  et  latine.  Tout  ce  qui  peut  s'appeler  nombre  ora- 

^  Voir  k  singulière  théorie  des  grammairiens  arabes  sor  la  fignre  dite  ptmwir' 
tatif  d'errewr  (iâèi\  i}iyi)* 

*  nhêt.  1.  m,  c.  fin,  édit.  Bekker. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  I.  31 

toire  leur  resta  inconnu  :  l'éloquence  n'est  pour  eux  qu'une  vive 
succession  de  tours  pressants  et  d'images  hardies  :  en  rhétorique 
comme  en  architecture ,  l'arabesque  est  leur  procédé  favori. 

L'importance  du  verset  dans  le  style  des  Sémites  est  la  meil- 
leure preuve  du  manque  absolu  de  construction  intérieure  qui 
caractérise  leur  phrase.  Le  verset  n'a  rien  de  commun  avec  la 
période  grecque  et  latine,  puisqu'il  n'offire  pas  une  suite  de 
membres  dépendants  les  «uns  des  autres  :  c'est  une  coupe  à 
peu  près  arbitraire  dans  une  série  de  propositions  séparées  par 
des  virgules.  Rien  de  nécessaire  n*en  détermine  la  longueur  ; 
le  verset  correspond  à  ces  repos  que  la  respiration  impoie, 
lors  même  que  le  sens  ne  les  exige  pas.  L'auteur  s'arrête,  non 
par  le  sentiment  d'une  période  naturelle  du  discours,  mais 
par  le  simple  besoin  de  s'arrêta.  Qu'on  essaye  de  diviser  de 
la  sorte  un  discours  de  Démosthène  ou  de  Gicéron,  et  l'on 
sentira  combien  le  verset  tient  à  l'essence  même  des  langues 
sémitiques.  Ce  n'est  qu'à  une  époque  relativement  moderne 
qu'elles  renoncèrent  à  cet  artifice,  insuffisant  remède  contre 
la  fatigante  uniformité  à  laquelle  les  condamnait  leur  façon 
trop  simple  d'entendre  le  discours. 

On  peut  dire  que  les  langues  ariennes  comparées  aux  langues 
sémitiques  sont  les  langues  de  l'abstraction  et  de  la  métaphy- 
sique comparées  à  celles  du  réalisme  et  de  la  sensualité.  Avec 
leur  souplesse  merveilleuse ,  leurs  flexions  variées ,  leurs  par- 
ticules délicates,  leurs  mots  composés,  et  surtout  grâce  à  l'ad- 
mirable secret  de  l'inversion,  qui  permet  de  conserver  l'ordre 
naturel  des  idées  sans  nuire  à  la  détermination  des  rapports 
grammaticaux,  les  langues  ariennes  nous  transportent  tout 
d'abord  en  plein  idéalisme ,  et  nous  feraient  envisager  la  créa- 
tion de  la  parole  comme  un  fait  essentiellement  transcendental. 
Si  on  ne  considérait,  au  contraire,  que  les  langues  sémitiques, 


SS  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

on  pourrait  croira  ([ue  la  sensation  présida  seule  aui  ptemiers 
actes  de  la  peosée  humaine  et  que  h  langage  ne  fut  d'abord 
qu'une  sorte  de  reflet  du  monde  extérieur.  En  parcourant  la 
s^ie  des  ra^es  sémitiques,  à  peine  en  rencoiftre*t-on  une 
seule  qui  n'offi?e  un  premier  sens  matériel,  appliqué,  par  des 
transitions  plus  ou  moins  immédiates,  aux  choses  intdlec- 
taelles.  S'agit-il  d'exprimer  un  sentiment  de  l'âme,  on  a  f>^ 
cours  au  mouvement  organique  qui  d'ordinaine  en  est  le  âigne. 
Ainsi,  la  colère  s'exprime  en  hébreu  d'une  foule  de  manières 
également  pittoresques ,  et  toutes  empruntées  à  des  faits  physiolo- 
giques. Tantôt  la  métaphore  est  prise  du  souffle  rapide  et  animé 
qui  accompagne  la  passion  (^m);  tantôt  de  la  chaleur  (non, 
}nn),  du  bouillonnement  ("^^y);  tantôt  de  l'action  de  briser 
avec  fracas  (tn);  tantôt  du  frémissement  {oy^).  Le  décourar 
gement,  le  désespoir  sont  exprimés  dans  cette  langue  par  la 
liquéfaction  intérieure,  la  dissolution  du  cœur  (hDD,  dkd,  md); 
la  crainte ,  par  le  relâchement  des  reins.  L'orgueil  se  peint  par 
l'âéyation  de  la  tête,  la  taille  haute  et  roide  (gn,  VH^  H02, 
"Donn).  La  pati^ice,  c'est  la  longueur  du  «ouffle  (o^bk  1*ik); 
l'impatience,  la  brièveté  (d^dk  ns^p).  Le  désir,  c'est  la  soif  (nds) 
ou  la  pâleur  (^s).  Le  pardpn  s'exprime  par  une  foule  de  méta- 
phores empruntées  à  l'idée  de  couvrir,  cacher,  passer  sur  une 
faute  un  enduit  qui  l'efface  (nD3,  nos,  jA^).  Dans  le  livre  de 
Job ,  Dieu  coud  les  péchés  dans  un  sac ,  y  met  son  sceau ,  puk  le 
jette  derrière  son  dos;  tout  cela  pour  signifier  oublier.  Remuer 
la  tête ,  se  regarder  les  uns  les  autres ,  laisser  tomber  ses  bras , 
sont  autant  d'expressions  que  l'hébreu  préfère  de  beaucoup, 
pour  exprimer  le  dédain,  l'indécision,  l'abattement,  à  toutes 
nos  expressions  psychologiques.  On  peut  même  dire  que  cette 
dernière  classe  de  mots  manque  presque  complètement  en  hé- 
breu ,  ou  du  moins  qu'on  y  ajoute  toujours  la  peinture  de  la 


UVBE  I,  CHAPITRE  I.  28 

cirDûDitaAce  physique  :  II  se  mit  en  oolère,  et  son  visage  s*en- 
flamna^  ;  il  oonit  la  bouche ,  et  dit,  etc. 

D  aatres  idées  plus  ou  moins  abstraites  ont  reçu  leur  signe , 
dans  Los  kagves  sémitiques,  d'un  procédé  semblable.  L'idée  du 
vrai  se  lire  de  la  solicité,  de  la  stabflité  (pM,  ps,  chald.  s*»!*», 
Iw^j^);  oflUe  du  beau,  de  la  sfdendeur  ("i^Dt;);  celle  du  bien, 
de  la  reditiide  {"^v^);  cette  du  mal,  de  la  déviation,  de  la 
Hgne courbe «(msr,  Vi3^,  ^nbno),  ou  de  la  puanteur (sries).  Faire 
ou  créer,  c'est  primitivement  taiHw  (ssv,  Mna);  décider  quel- 
que chose,  c'est  trancher  (nu,  u&Aift,  (J^^i);  penser,  c'est 
parler.  Vos  (osy)  signifie  la  mbstance,  l'intime  d'une  chose, 
el  sert,  en  hâ>feu,  d'équivalent  au  pronom  ^.  —  Je  n'ignore 
pas  que  des  faits  analogues  se  remarquent  dans  toutes  les  lan- 
gues, et  que  les  idiomes  ariens  fourniraient  presque  autant 
d'eiempies  où  l'on  verrait  de  même  la  pensée  pure  engagée 
dans  ime  forme  concrète  et  sensible.  Mais  ce  qui  distingue  la 
fiumlle  sémitique ,  c'est  que  l'umon  primitive  de  la  sensation 
et  de  ridée  s'y  est  toujours  eonserrée,  c'est  que  l'un  des  deux 
termes  n'y  a  point  iait  oublier  l'autre ,  conune  cda  est  arrivé 
dans  les  langues  ariennes,  c'est  que  l'idéalisation,  en  un  mot, 
ne  «y  est  jamus  t^érée  d'une  manière  complète  ;  si  bien  que 
dans  dliaqne  mot  on  crmt  entendre  encore  l'écho  des  sensations 
priaûtives  qui  déterminèrent  le  choix  des  premiers  nomencla- 
tenrs. 

Un  tel  système  gnunmatical  sent  évid»mnent  l'enfance  de 
l'écrit  humain ,  et  il  est  permis ,  sans  tomber  dans  les  rêves  de 
l'anciemie  phikiogie ,  de  croire  que  1^  langues  sémitiques  nous 
ont  conservé ,  plus  clairement  qu'aucune  autre  Camille ,  le  sou» 
venir  d'un  des  langages  que  l'homme  dut  parler  au  premier 

^  Il  se  mit  en  colère,  et  son  visage  tomba  {Gen.  iv,  5),  pour  exprimer  un 
dépit  sournois  el  concentré. 


^ 


U  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

éveil  de  sa  conscience.  Supposer  qa*il  y  eut  à  Toiigine  de  llia- 
manité  une  seule  langue  primitive,  dont  toutes  les  autres 
dérivent  par  descendance  directe»  c'est  imposer  aux  faits 
l'hypothèse,  et  peut-être  l'hypothèse  la  moins  probaUe^.  Mais 
que,  parmi  les  idiomes  dont  la  connaissance  nous  est  acces- 
sible, il  y  en  ait  qui,  mieux  que  d'autres,  aient  gardé  le  type 
du  langage  des  premiers  jours,  c'est  là  un  fait  qui  résulte  des 
notions  les  plus  simples  de  la  philologie  comparée.  La  vieille 
école  se  rendit  ridicule  en  voulant  ressaisir,  à  travers  l'im- 
mense réseau  de  complication  dont  se  sont  enveloppées  nos 
langues  occidentdes,  la  trace  du  monde  primitif.  Mais  il  est 
des  langues,  moins  tourmentées  par  les  révolutions,  moins 
variables  dans  leur  forme,  pariées  par  des  peuples  dévoués  à 
l'immobilité,  peuples  d'une  extrême  ténacité  dans  leurs  opi- 
nions et  leurs  mœurs,  chez  lesquels  le  mouvement  des  idées 
ne  nécessite  point  de  continuelles  modifications  dans  le  lan- 
gage; celles-là  subsistent  encore  conune  des  témoins  des  pro- 
cédés primitifs  au  moyen  desquels  l'homme  donna  d'abord  à  sa 
pensée  une  expression  extérieure  et  sociale.  Je  dis  de»  proMk 
primàîfs  ;  car,  pour  la  langue  même  que  parièrent  les  ancêtres 
des  diverses  races,  n'espérons  jamais  y  atteindre.  De  même 
que  le  géologue  aurait  tort  de  composer  le  centre  du  g^obe  des 
masses  que  l'on  rencontre  aux  dernières  profondeurs  accessibles 
à  l'expérience  ;  de  même ,  ce  serait  témérité  de  chercher  à  con- 
cevoir l'état  originaire  des  langues  d'après  l'analogie  de  l'état 
actuel ,  et  de  regarder  comme  absolument  primitifs  les  idiomes 
qui  doivent  être  placés  en  tête  de  leurs  familles  respectives, 
sous  le  rapport  de  l'ancienneté. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  I.  35 


CHAPITRE  IL 

SXTBNSION  PUMITIVB  DU  DOMAINB  DES  LANGUES  SEMITIQUES. 


S  I. 

> 

Les  langaes  sëniitiqiies  nous  apparaissent,  dès  les  temps 
anté-historiques,  cantonnées  dans  les  mêmes  régions  où  nous 
les  voyons  pariées  encore  aujourd'hui,  et  d'où  dles  ne  sont 
guère  sorties  que  par  les  ccdonies  phéniciennes  et  l'invasion 
musulmane  :  je  veux  dire  dans  l'espace  péninsulaire  fermé  au 
nord  par  les  montagnes  de  l'Arménie  et  k  l'est  par  les  mon- 
tagnes qui  limitent  le  bassin  du  Tigre.  Aucune  famille  de  lan* 
gnes  n'a  moins  voyagé ,  ni  moins  rayonné  à  l'extérieur;  on  cher- 
cherait en  vain ,  en  ddiors  du  sudM>uest  de  l'Asie ,  quelque  trace 
bien  caractérisée  du  séjour  anté-historique  des  Sémites.  Les 
antiques  souvenirs  de  géographie  et  d'histoire ,  consignés  dans 
les  premières  pages  de  la  Genèse,  pages  qu'on  est  en  droit  d'en- 
visager comme  les  archives  conununes  de  la  race  sémitique, 
peuvent  seuls  nous  fournir  quelques  conjectures  sur  les  mi- 
grations qui  précédèrent  l'entrée  des  Sémites  dans  la  région 
où  l'on  serait  tenté,  au  premier  coup  d'œil,  de  les  croire  au- 
tochthones. 

Les  Sémites,  en  effet,  sont  sans  contredit  la  race  qui  a  con- 
servé le  souvenir  le  plus  distinct  de  ses  origines.  La  noblesse 
consistant  uniquement  chez  eux  à  descendre  en  droite  ligne 
du  patriarche  ou  chef  de  la  tribu ,  nulle  part  on  ne  tient  tant 
à  ses  généalogies,  nulle  part  on  n'en  possède  de  si  longues  et 


S6  HISTOIRE  BCS  LANGUES  SÉMITIQUES. 

si  authentiqaes.  La  généalogie  est  la  forme  essentielle  de  tontes 
les  histoires  primitives  chez  les  Sémites  (nn^in).  Les  Thdledoth 
des  Hébreux,  malgré  leurs  lacunes,  leurs  contradictions  et  les 
différents  remaniements  qu'elles  ont  subis,  sont  certainement 
les  documents  historiques  qui  nous  font  approcher  le  plus  près 
de  l'origine  de  l'humanité.  De  là  ce  fait  remarquable  que  les 
autres  races,  ayant  perdu  leurs  souvenirs  primitifs,  n'ont 
trouvé  rien  de  mieux  à  faire  que  de  se  rattacher  aux  souve- 
nirs sémitiques;  en  sorte  que -les  origines  racontées  dans  la 
Genèse  sont  devenues,  dans  l'opinion  générale,  les  origines  du 
gênée  hum«n. 

Ces  souvenirs  particuliers  de  la  race  sémitique ,  qui  eom* 
preonent  à  peu  près  les  onxe  prmûen  chapitres  de  la  Genèse, 
se  divisent  en  deux  parties  hîen  distinctes.  Dans  la  pàaae  anté- 
difaivie&ne,  c'est  une  géograj^e  fdbtdease,  à  laquelie  il  est 
fort  difficile  «kjlrouver  un  sens  positif;  ce  sont  des  généalogies 
fictives ,  dont  les  degrés  6<Kit  remplis ,  soit  par  des  noms  d'anciens 
héros  et  peut-être  de  divinités  qu'on  retrouve  diei  les  auties 
peuples  sémitiques,  soit  par  des  mots  exprimant  des  idées,  et 
dont  la  signification  n'était  {dus  aperçue  ^  Ce  sont  des  fiiagmeiits 
de  souvenirs  confondus ,  où  le  rêve  se  mêle  à  la  réatité ,  k 
fea  près  comme  dans  les  souvenirs  de  la  première  enfonce. 

^  Ewald,  Geêchiehte  det  VoUcet  Itrael,  I,  p.  Sog  et  suiv.;  Lengerke,  Kentum. 
p.  xTii,  et  suiv.;  Moyen,  Die  Fkœtimer,  I,  i39-i33.  Il  est  impossible  de  dé> 
pbyer  plus  de  pénétration  que  ne  Ta  fidt  M.  fiwald  pour  inteqiréier  ces  pages 
antiques.  Je  dois  dire  cependant  que,  dans  mon  opinion,  M.  Ewaid  cède  beau- 
coup trop  à  la  tentation  de  comparer  les  origines  bebrœo-«émitiques  aux  cosmogo- 
nies  indo-ariennes.  Ainsi  il  croit  trouver,  dans  les  idées  primitives  des  Sémites , 
beraoonp  pk»  de  symbolisme  et  de  myth<rfogie  qu^elIes  n^en  renfermèrent  en 
réalité;  il  voit,  dans  les  patriarches  primitifii,  des  dieux  et  des  déesses,  dont  les 
noms  pour  la  plupart  forent  inconnus  aux  Sémites;  il  cherche ,  dans  les  nombres , 
des  symétries  trop  exactes;  il  fait,  entre  les  mythes  sémitiques  et  ceux  de  Tlnde, 
des  rapprochements  au  moins  hasardés. 


LlYfiE  I,  GHAPITKE  IL  S7 

Qudifaes  peEsoRfiag^  plus  péek,  iels^ae  Haadk,  «ttrâagé 
oomiiie  ufi  saint,  JUin  ou  Kidnaa^  et  Lémek,  aiuqudis  se  rat- 
tachent des  idées  de  vieleiMse  et  dont  le  nom  sert  de  refrain 
à  tun  diani  popiilaine  d'uAe  singulière  barbarie,  ajj^araifisent 
seuls  jpoor  donner  une  pkyâononiie  historique  k  ces  récits.  A 
partir  du  déluge,  au  contraire,  les  souvenins  ont  un  caractère 
beaucoup  plus  féel.  Les  généalogies  se  composent  en  général 
de  nems  de  YOks  (&«»g,  Sâdon).  de  pays  (Axph«.d,  Am^, 
Ghanann),  de  montagnes  {Masch,  Biphath).  Quelques  mots 
désignant  des  évAiements,  tels  que  Phdeg,  Schélah,  peut-être 
ESber^  y  paraissent  coicore  ^  ;  mais  la  géographie  ri^se  sur  un 
fond  aoiide,  et  l'interprétation  ethnograf^ique  et  historique 
peut  s'esereer  déflormaifi  en  toute  sûreté. 

Nous  fféaervims  pour  une  autre  discussion  les  lumières  que 
Ton  peut  tôer  de  la  géograf^  mythologique,  contenue  prin- 
ripsiement  au  second  fihB|ftitre  de  la  Genèse.  Quant  aux  souve- 
nins  delà  périodeinteanédiaire ,  comprise  entre  Noéet  Abraham , 
«oîci,  ee  me  semble^  les  inductions  qu'il  est  permis  d'en  tirer 
KdnkBrement  am  phis  anciens  mouvements  de  la  race  séoiitique 
avant  aen  entrée  dans  la  terre  où  depuis  les  ten^  hifitoriqnes 
BOUS  la  voyons  établie. 

De  ces  mouvements ,  il  n'en  est  qu'un  senl  (et  probablement 
ce  fut  le  dernier)  sur  lequel  nous  ayons  des  données  précises  ; 
ce^  eehû  de  Térach  ou  Tharé  (6^.  xi,  3i)'.  Ici  nous  entrons 

'  L*idenlité  de  ces  deux  personnages  n^est  pas  douteuse,  si  Ton  considère  que 
ia  géaéri^gie  da  dbapitro  t  est,  au  fond,  la  même  que  celle  du  diapilre  »t,  avec 
de  Jéfin  dun^pemenls  et  des  tnmspoeitinns  Ge  sont  évidemment  deux  Yenioos 
anei  différentes  d^noe  même  généalogie,  que  les  dermers  rédacteurs  ont  mjaes 
bout  é  bout ,  n^en  voyant  pas  bien  dairement  Tidentité  Ibndamenlate. 

>  JSmtàà^  «gr.  «L  p.  346  et  swv. 

'  Les  vues  nouvelies,  généndsment  adoptées  en  Aliemagne  sur  ce  poinl,  ont 
élé  surtout  dévdoppées  par  M.  Bertbeau ,  Zur  Gnchichte  der  /«rsattsn  (  Gœt> 
tingue,  186s),  p.  aoU  et  suiv. 


28  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

réellement  dans  l'histoire  ;  la  vie  des  patriarches  ne  dépasse 
plus  guère  les  limites  naturelles  de  la  vie  humaine  ^  et  bien  cpie 
Tharé  paraisse  encore  être  fils  d'une  ville  (Nahor),  que  parmi 
ses  enfants  se  trouvent  des  noms  de  villes,  et  qu'il  soit  lui- 
même  peut-être  l'éponyme  d'une  émigration  ^,  on  sent  évidem- 
ment qu'on  a  affaire  à  un  événement  capital ,  à  celui  qui  trans- 
porta d'Our-Kasdim  en  Ghanaan  une  nombreuse  famille  de 
tribus  sémitiques  (Béni- Israël,  Edomites,  Moabites,  Ammo- 
nites, etc.).  Quelle  position  assigner  à  Oui^Kasdim?  Tout  porte 
à  identifier  ce  nom  avec  celui  d'Arphaxad^,  quand  on  voit 
ailleurs  {Gen.  x,  â&  ;  xi,  lo)  Arphaxad  institué  chef  de  la  des- 
cendance d'Héber  et  de  Tharé  ;  car  dans  le  style  des  Tholedoth, 
dire  qu'Héber  et  Tharé  sont  fils  d'Arphaxad,  cei^  veut  dire 
qu'ils  sont  venus  du  pays  d'Arphaxad.  Or,  le  pays  d'Arphaxad , 
ou  pays  des  Koêdes,  désigne,  selon  l'opinion  générale,  lapro- 
nace'd^kfi^axJrtSj  placée  par  Ptolémée  au  nord  de  l'Assyrie, 
vers  les  monts  Gardyéet,  dans  le  pays  actuel  des  Kurdes.  Tharé, 
en  effet,  meurt  à  Harran,  au  milieu  à  peu  près  de  la  route 
qu'il  poursuivait  vers  le  sud-ouest,  et  c'est  Abram,  personnage 
définitivement  réel  et  historique,  qui  conduit  l'émigration  en 
Palestine.  Q  n'y  était  pas  du  reste  le  premier  de  sa  race  ;  car 
indépendamment  des  Ghananéens,  il  y  trouva  un  chef  sémite 
et  monothéiste  comme  lui,  Melchisédech ,  avec  lequel  il  fit 
amitié.  Mais  longtemps  encore  la  Mésopotamie  resta  le  centre 

'  L*ci8a^  d'envisager  une  tribu  opmme  un  individu  auqud  on  attribue  de» 
aventures  personnelles,  usage  très-firéquent  cbei  les  peuples  sémitiques,  est  sin- 
gulièrement favorisé  par  la  locution ^33,  >  •  '  •  v^  «fils  dei»,  qui  sert  à 

former  les  noms  ethniques. 

*  AWR-KASD  ou  AFR-KASD  =>  ARF-KASD  =  XApa  rSh  YjoûMùw,  chec 
les  Septante.  Aucun  doute  au  moins  ne  peut  rester  sur  la  position  septentrionale 
de  ce  point  de  départ  des  Térachites.  Voy.  Tuch ,  Kommêntar  Hber  ék  Gmmiê , 
p.  a8A  ;  Lengerke ,  Kenaan ,  p.  9 1  a. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IL  S9 

de  la  famille  térachite,  et  c*est  là  que  rarisiocratie,  fidèle  aux 
idées  sémitîcpies  sur  la  pureté  du  sang,  envoya ,  jus^'à  son  en*- 
trée  en  Egypte  »  chercher  des  femmes  pour  ses  fils. 

Les  détails  de  la  généalogie  d'Arphaxad,  convenablement 
interprétés,  nous  conduisent  aux  mêmes  résultats.  Les  trois 
noms  rhp^  lav,  :iSb,  qui  y  figurent,  paraissent  être  des  noms 
abstraits  signifiant  dimiêno,  transùus  (fluminis),  disperm^. 
Seraient-ce  les  moments  divers  de  l'émigration  ?  Quoi  qu'il  en 
soit,  les  noms  de  las  et  n^y  (Hébreux,  ol  eepdTcu)^  qui  certain 
nement  à  l'origine  ne  s'appliquaient  pas  seulement  aux  Israé- 
lites, ne  laissent  lieu  à  aucun  doute,  et  se  rapportent  évidem- 
ment à  une  époque  où  une  partie  de  la  population  sémitique 
habitait  en  deçà  de  l'Euphrate,  et  une  autre  au  delà^.  Les  noms 
de  Raghé,  Sarug,  Nahor,  Harran,  qui  figurent  dans  la  même 
généalogie,  paraissent  représenter  des  villes  échelonnées  du 
nord  au  sud  depuis  la  source  du  Tigre  jusqu'à  l'endroit  où  les 
Térachites  passèrent  l'Euphrate  ^ ,  et  peuvent  ainsi  désigner 
les  principales  stations  de  l'émigration.  Dans  une  autre  généa- 
logie {Gen.  xxn,  3â),  la  race  de  Tharé  est  de  nouveau  ratta- 
chée à  Kiud,  c'est-àrdire  au  pays  des  Garduques  ou  Ghaldée 
primitive^.  Enfin,  on  a  remarqué  que  les  noms  propres  de  l'&ge 
patriarcal  renferment  beaucoup  d'aramaismes  ^. 


'  Tacb^  Kommeniar,  p.  967;  Knobd,  Diê  VcsOcerUfil  der  Gmietiê,  p.  169. 

*  Bwild,  Guek,  I,  337;  Knobd,  op.  ai.  p.  176  et  sniv.,  et  les  observations 
de  M.  Ewald,  /oArMcAsr  der  Inbl  Wiêtaueh^,  lU,  908;'  Gesenins,  Geiek.  der 
hebr,  Spr.  p.  11-19,  et  7^.  s.  b.  v.  ;  Bertheau,  Zur  Geêch,  der  ler,  p.  ao5  et 
smT.  On  ne  pent  voir  qa^on  paradoie  dans  Topinion  de  M.  de  Lengerke,  qui 
ciiercbe ,  cfaei  les  Ibériens  du  Gaocase ,  Texplication  du  nom  des  Hébreui  {Kenaan, 
p.  91&  et  suiv.),  bien  que  les  preoves  par  lesquelles  il  établit  Torigine  sq^ten- 
trionale  de  ces  deniiers  conservent  toute  leur  force. 

'  Ewald,  (fsick lits  F.  lin-.  I,  3i6-3i7;Tudi,p.98o;  Lengerke,  p.  916  eisoîv. 

*  Tocb,  Komtneatar,  p*  396. 

^  Widieibaus,  De  N,  T.  wn.  lyr.  mU,  p.  33  et  suiv. 


30  HISTOIRE  DBS  LAN«UBS  SÉMITIQUES. 

Déjà  nous  sflîsÎBMns  la  directioii  da  moavemeBt  des  Sétaitm 
an  nord-est  au  snd-ovest.  D'autres  Mis ,  dû  rester  confirmeof 
cet  aperçu.  Bien  que  ifapplieatioa  àes  noms  du  Tigre  et  de 
l'Euphrate  à  deux  àes  quatre  fleuves  du  Paradis  paraisse  arti- 
fieielle  et  rektvrement  moderne ,  eBe  indique  au  moins  que 
c'est  vers  les  sources  de  ces  deux  fleuves  qu'une  tradition  pla- 
çait YEden  ou  le  séjour  primitif  de  la  race  sémiti^jpsK.  Le  plus 
ancien  somenir  postniiluviett ,  celui  des  montagnes  d'Ararat, 
nous  reporte  au  nord  dePArm^ie,  sur  les  bords  de  TAraxe,  i 
la  fafauteur  d'Erivan  ^.  Le  nom  de  Mnek,  Ynn  des  membres  de 
la  ftmiUe  d^Aram  (6011.  x,  ^3),  rappelle  tes  monts  Mamm  qui 
séparent  l'Arménie  de  la  Mésopeitamie  *.  Un  passage  d'Ames 
(ix,  7)  fait  venir  les  Araméens  du  pays  de  Ktr,  et  sous  ce  mot 
la  plupart  des  exégètes  voient  le  fleuve  Gyrus  (Kur),  dont  le 
nom  sert  encore  aujourdliui  à  désigner  le  pays  environnant  '. 
C'est  là  une  interprétation  fort  attaquaUe  sans  doute  ;  néan- 
moins il  faut  avouer  que  tout  non»  convie  à  chercher  le  premier 
séjour  historique  des  Sémites  dans  les  montagnes  d'Arménie, 
entre  le  coiffs  supérieur  du  Tigre  et  àe\  TEuj^rate  et  le  Gyrus. 
H  est  remarquable  que  le  tableau  etlmographique  du  x*  cha- 
pitre de  la  Genèse  accuse  une  connaissance  étendue  des  radies 
septentrionales ,  groupées  autour  du  Caucase  et  de  la  mer  Noire  » 
tandis  que  du  c6té  de  l'Orient,  tout  ce  qui  est  au  delà  de  l'Ely- 
maide  et  de  la  Médie  est  pour  le  rédacteur  une  terre  inconnue. 

Une  tradition  adoptée  par  les  Hébreux  et  exprimée  par  un 
curieux  mythe  étymologique  (Gen.  xi,  1-9)9  place,  il  est  vrai, 
le  point  de  dispersion  des  races  dans  la  plaine  de  Sennaar,  et 

*  Winer,  BSbL  tMmotrtÊrhttk,  au  mof  AfwroL 

*  Bochart,  Phakg^  1.  II,  ch.  n;  Knobe!,  IK#  Vœlkniefi^ âgr  Gmma^  P*^'7 
eCsuiv. 

^  Michadi8,6ÎN0i2.giiogr.  H^.extêtrœ,  II,  tai;SîÊpphm,  aihx,  Mr.  aigi; 
Gesenius ,  TheBounu ,  à  ce  mot  ;  Knobel ,  p.  1 5o  et  buiy. 


LITRE  I,  CHAPITRE  IL  M 

raltadie  ce  fait  à  ia  coD»traetion  de  Bdi^ykitte.  M»s  cette  U* 
gende  ne  paraît  pa»  fort  aneèeni»  ^  ;  die  s'expKqne  par  cer- 
Cailles  particularités  cani«téristi<fae9  de  la  Babylonie  :  d'une 
pari,  le  nagalier  mélaage  de  langues  qu'oflrait  Babjjone,  la 
vîUe  oè  l'on  ne  sestendaiipas,  la  viileêetm^uiim;  de  raulre, 
Taspeel  de  cette  plaÎM  infinie  qui  semblait  fiôte  pour  servir  de 
lîeQ  d'assemblée  à  tout  le  genre  kumain;  enfin  l'impression 
d'éComienieni  que  derak  causer  à  des  popidations  ignorantes  et 
étraoïgkes  dans  le  pays  la  vue  de  la  tour  de  Béli»  (aujourd'hui 
Bîrs-'NMirod^).  Ce  gigantesque  monument  devint  pour  rimagî- 
nation  le  point  de  départ  des  nations,  une  sorte  à^anMie  dm 
«omb^  ecnnme  étaient  TAft^tiX^  de  Delphes  pour  les  GreGs,  la 
fanlastiqiie  coupole  d'Artn  ou  la  Gaaba  pour  les  Arabes, la  rosace 
da  Saint  Soldera  pour  le  moyen  ftge  chrétien.  Tous  les  vieux 
monnments  dont  la  signification  n'est  plus  bien  comprise ,  en- 
fantent ces  sofftea  de  légendes ,  qm  se  combinent  d'ordinaire  avec 
les  traits  saffianls  de  b  physiononûe  géographique  et  ethn6* 
gr^ihique  du  pays. 

Qoeique  Pénngration  de  Tharé  nous  soit  présentée  comme 
pmrenent  spontanée ,  il  est  naturel  de  supposer  que  les  causes 
détenninasles  de  ce  grand  bit  et  d'une  feule  d'antres  mouve- 
onenla  ansdagoes,  furent  la  prsssiim  des  races  qui  s'accumu- 
kîenl  vers  le  Cancase,  et  la  création  de  grands  empires  non 
sémitiques  sur  le  cours  du  Tigre  ^.  Nemrod ,  la  première  person- 
iHficatH>n  de  la  force  conquérante  et  brutale  aux  yeux  des  Se- 
mkes,  est  représenté  sous  des  traits  de  violence  [Gen.  x,  8-f  o). 
La  fondation  de  Babylone  est  réprouvée  bien  plus  vivement 

*  Herod.  I,  178,  i83.  Cf.  Fremel,  Joum.  oiiat,  juin  i853,  et  Oppert,  dans 
h  Ittkwktift  4»  èmki»\m  m/rpnà.  Gt$elkcki^,  t  ¥11,  p.  &06  et  smv. 

*  Kimîk,  MéUmgÊi  omûU,  publiés  par  i^ertftpro  de  Mnl^Pétenboarj^,  t.  f , 
p.  Sao  et  imiv.  (i85i  ). 


32  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES.      . 

encore,  comme  une  œuvre  d orgueil,  une  révolte  contre  Dieu 
{^Gen.  XI,  1-9).  Ces  constructions  gigantesques,  cette  puis- 
sante organisation  de  la  force ,  ce  despotisme  où  le  roi  usur- 
pait la  place  de  Dieu,  devaient  être  souverainement  antipathi- 
ques aux  mœurs  simples ,  à  la  fierté ,  aux  goûts  d'indépendance , 
à  la  religion  élevée ,  qui  ont  toujours  distingué  les  Sémites. 
Aussi  les  grands  faits  auxquels  se  rattachent  les  noms  de  Nem- 
rod,  d'Assur,  de  Ninus  nous  apparaissent-ils  comme  des  faits 
anti-sémitiques ,  et  sommes-nous  inclinés  à  y  voir  la  cause  du 
mouvement  qui  porta  les  Sémites  de  FArménie  et  du  Kurdistan 
vers  les  régions  du  sud,  mieux  appropriées  à  leur  vie  nomade. 
Incapables,  en  effet,  de  toute  organisation  militaire,  ils  avaient 
besoin  du  désert  pour  se  défendre.  Voilà  pourquoi,  tandis  que, 
dans  le  nord,  ils  ne  surent  que  plier,  à  toutes  les  époques, 
devant  les  Iraniens  et  les  autres  grandes  puissances  des  bords 
du  Tigre ,  au  midi ,  ils  eurent  le  privilège  unique  dans  le  monde 
de  n'être  jamais  atteints  par  la  conquête  étrangère. 

Quelles  forent  les  races  dont  la  pression  détermina  ce  mou- 
vement des  Sémites,  qu'on  peut  fixer  approximativement  k 
l'an  '9000  avant  l'ère  chrétienne?  Dans  l'Arphaxad,  ce  furent  * 
sans  doute  des  Ariens  :  tout  porte  à  croire,  en  effet,  que  les 
Kasdes  appartenaient  à  la  race  indo-européenne;  peu  de  temps 
après  le  passage  de  l'Euphrate  par  les  Térachites,  nous  voyons 
une  invasion  de  chefs  ariens  pénétrer  jusqu'au  cœur  des  pays 
sémitiques  (Gen.  ch.  xiv)^  Mais  sur  le  Tigre,  ce  furent  sans 
doute  des  Couschites  ou  Géphènes.  Nemrod  (  Gen.  x ,  8  )  est  ex- 
pressément rattaché  à  Gousch,  et,  en  effet,  on  retrouve  son 
nom  dans  la  série  des  dynasties  égyptiennes^.  Le  caractère  de 

*  Cf.  Kunik,  Mékmgeê  atialiqim ,  1 1,  p.  611  et  suiv.,  «^  1«  obsemlûms  dé 
M.TwhàKDB\BZmtid^dêrdt¥itdimmêrg.  GeiêUê,  1. 1, p.  161  et  saÎT.  (i8i6). 

*  Lepiim,  Cknmolegiê  der  Mgfptmr,  I,  p.  9t3. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  II.  33 

Fancieime  civilisation  assyrienne,  qui  se  rapproche  parfois  de 
celle  de  l*Egypte  ^ ,  s'éloigne  presque  autant  de  la  civilisation 
arienne  de  l'Iran  que  de  celle  des  Sémites.  Peut-être  la  race 
gigantesque  et  impie  des  NeJilm{Gen.  vi,  i-^),  issue,  selon  la 
tradition  hébraïque ,  de  démons  incubes ,  et  dont  les  crimes  ame- 
nèrent le  déluge ,  nous  représente*t-elle  le  premier  contact  des 
Sémites  avec  ces  races  étrangères  et  profanes ,  qui  leur  appa- 
raissaient connue  dénuées  de  toute  religion. 

On  ne  peut  douter  que  les  Sémites ,  en  se  portant  vers  le 
sud  et  Touest,  n'aient  trouvé  sur  quelques  points  des  établis- 
sements chamites  ou  couschites  antérieurs^.  Gela  est  certain 
du  moins  pour  ITémen  et  rAbyssinie  :  on  peut  même  dire, 
en  général,  que  c'est  aux  Couschites  qu'appartiennent  les  pre- 
mières fondations  de  la  civilisation  matérielle  en  Orient.  Sur  la 
plupart  des  points  cependant,  les  Sémites  ne  paraissent  avoir 
trouvé  à  leur  arrivée  que  des  races  à  demi  sauvages ,  telles  que 
les  Refam,  les  Z(mizammm^ ,  etc.,  qu'ils  exterminèrent.  De  là 
rient  la  grande  pureté  de  leur  langue  et  de  leur  sang.  N'ayant 
contracté  aucune  alliance  avec  les  premières  couches  de  popu- 
lations, ils  restèrent  dans  la  simplicité  primitive,  et  n'admirent 
dans  leur  sein  presque  aucun  élément  étranger.  On  peut  dire 
que  le  contact  vraiment  fécond  des  Sémites  et  des  peuples  voi- 
sins n'a  commencé  que  vers  le  vu'  ou  le  viii*  siècle  avant  l'ère 

^  LepsiiiB,  t^  pa$$im;  Kunik,  op.  ot.  p.  5i  i  et  soiv. 

*  Voir,  sor  ce  sujet,  les  ingénienses  recherches  de  H.  le  baron  d*Eckstein, 
dans  TAAmueumfrançm»  des  sa  avril  et  97  mai  i85&. 

3  Le  nom  des  Zomiominim ,  formé  probablement  par  imitation  des  sons  barbares 
de  Unr  langue  (comme  le  mot  ^(îpScLpos  hii-méme),  suffirait  pour  prouver  qn^ils 
n^étaient  point  Sémites.  Je  n^ésite  pas  à  rapprocher  ce  mot  de  Tarabe  *  ^l^  •  Data 
presque  toutes  les  langues,  le  mot  qui  signifie  étranger  vient  de  6^gay«r,  parler 
d*aDe  manière  confuse.  Ârab.  Zk  I  ;  hébr.  79^^  (cf.  Gesen.  Tktê,  s.  b.  v.)  ;  sanscr. 

^wavvCiMp» 

1.  3 


S&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

chrétienne.  Du  haut  de  leur  monothéisme,  il»  regardaîrai  en 
pitié,  comme  le  font  encore  aujourd'hui  les  juifs  et  les  musul-' 
mans ,  ceux  qui  n'adoraient  pas  Dieu  d'une  manière  aussi  épu- 
rée. Ceci  s'applique  surtout  à  la  branche  térachite  ^ ,  qui  s'en- 
visagea de  bonne  heure  comme  le  pettph  de  Dieu,  et  qui  fit  la 
première  le  mot  tuuûme  synonyme  de  peieM  (  d^13  ,  génies).  Il 
faut  supposer  qu'il  y  eut  longtemps  dans  TArphaxad  un  foyer 
d'aristocratie  patriarcale  «t  monothéiste ,  qui  resta  fidèle  ^  la 
vie  sémitique  à  côté  des  états  constitués  des  races  ariennes  et 
couschites.  Même  en  sortant  de  ce  sanctuaire,  les  tribus  émi- 
grantes  se  regardaient  connue  liées  envers  Dieu  par  une  al- 
liance et  un  pacte  spécial  ;  c'est  ainsi  que  nous  voyons  Abra- 
ham ,  Isaac ,  Jacob  continuant  en  Ghanaan  et  en  Egypte  leur 
noble  vie  de  pasteurs,  riches,  fiers,  chefe  d'une  nombreuse 
domesticité)  en  possession  d'idées  religieuses  pures  et  sim[des, 
traversant  les  diverses  civilisations  sans  s'y  confondre  et  sans 
en  rien  accepter. 

Peut-on  se  former  quelque  idée  des  divisions  de  la  race  sé- 
mitique à  cette  époque  reculée ,  et  de  l'ordre  dans  lequel  les 
différentes  branches  qui  la  composaient  se  séparèrent  les  unes 
des  autres?  A  s'en  tenir  au  x*  chapitre  de  la  Genèse,  cette  race 
se  diviserait  en  trois  groupes^  :  i°  groupe  araméen  ou  syria- 
que; 9''  groupe  arphaxadite,  c'est-À-dire  venant  d'Arphaxad, 
et  se  subdivisant  lui-même  en  Térachites  (Israélites,  Madia- 
nites,  Moabites,  Ismaélites,  etc.)  et  en  Joktanides  ou  Arabes 
méridionaux;  S""  groupe  chananéen,  rejeté  par  l'ethnographe 
hébreu  dans  la  famille  de  Gham ,  mais  que  l'analogie  de  lan- 

*  Gonf.  Bertheau,  Zvr  Ge$ch.  der  laraeUten,  p.  918  et  suiv. 

-  n  nW  question  id  ni  dxlamf  ni  (TAwar,  ni  de  Lnd,  qui  sont  SAniteê  dans 
ie  sens  bibKque ,  mais  non  dans  te  sens  ethnographique  etlingoislique  qu*on  dottiie 
à  ce  mol. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IL  36 

gage  rattache  nécessairement  aux  Aramëens,  aux  Tërachites 
et  aux  Arabes.  La  classification  fournie  par  l'étude  des  lan- 
gaes  serait  un  peu  différente.  Le  groupe  araméen  conserve  sa 
physionomie  isolée.  Mais  on  ne  voit  pas  la  raison  qui  a  pu 
faire  rattacher  par  l'ethnographe  hébreu  les  Joktanides  aux 
Térachites  :  le  lien  spécial  établi  entre  Joktan  et  Héber  (  Gen, 
X,  aS)  parait  artificiel^.  Si  l'on  remarque  d'ailleurs  :  i^  que 
la  famille  des  langues  sémitiques  nk)ffre  aucune  de  ces  cou- 
pures profondes  que  présentent  les  langues  indo-européennes 
et  qui  tracent  dans  le  sein  de  ces  dernières  langues  des  clas- 
sifications si  marquées;  9^  que  la, plus  profonde  division  qui 
s'observe  dans  la  famille  des"  langues  sémitiques  est  cdle  qui 
sépare  l'arabe  de  toutes  les  autres ,  l'arabe  ayant  des  procédés 
pitres  dont  on  trouve  à  peine  le  germe  en  hébreu  et  en  sy- 
riaque ;  3"^  que  l'arabe  ressemble  plus  à  l'araméen  qu'à  l'hé- 
breu ,  —  on  est  tenté  d'assigner  la  formule  suivante  à  l'émigra- 
tion sémitique  :  Aram,  centre  commun  de  la  race,  au  nord; 
—  la  branche  joktanide  se  porte  la  première  vers  le  sud,  et  s'é- 
tablit dans  la  péninsule  arabe ,  dont  la  partie  méridionale  était 
déjà  occupée  par  des  Gouschites  ; — les  Thérachites ,  restés  fi- 
dèles au  monothéisoie ,  se  détachent  plus  tard  d'Aram,  et  pren- 
nent le  nom  d^ Hébreux  {^ol  vepéxaî)  en  passant  l'Euphrate.  — 
Aram  subit  de  plus  en  plus  la  pression  des  races  ariennes,  et, 
perdant  peu  à  peu  son  caractère ,  devient  presque  étranger  à  la 
famille  sémitique. 

L'histoire  détaillée  que  nous  possédons  des  aventures  des 
Beni-Israêl ,  avant  leur  établissement  définitif  en  Ghanaan,  peut 

*  M. Ewald  (Geick.  ée$  F.  braelf  I,  337)  mt  dant  les  Joktanides  on  rameau 
des  JMfimir  primit^,  c^esl-à-dira  de  b  branche  séiiiiii([ae  qui  passa  rSophrale 
Tors  Harran.  liais  comment  ei^kpier  alors  les  formes  partîcidières  de  la  gram- 
maire  joktanide  et  ses  affinitésplus  étroites  avec  i*araméen  cp^avec  Thébreii  ? 

3. 


\ 


36  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

nous  donner  une  idée  de  la  vie  intérieure  d'une  tribu  sémi- 
tique 9  durant  cette  période  de  migration  ;  vie  parfaitement  iden- 
tique 9  du  reste ,  à  celle  des  Arabes  bédouins ,  si  bien  que  rien 
n'est  plus  semblable  au  récit  de  Tépoque  patriarcale  dans  la 
Genèse  c[ue  le  tableau  de  la  vie  arabe  anté-islamique.  Le  sé- 
jour des  Israélites  dans  un  canton  de  l'Egypte  nous  représente 
de  même  les  rapports  des  Sémites  avec  les  populations  cou- 
schites  et  cbamites ,  établies  bien  plus  anciennement  sur  le  soL 
Les  Israélites  ne  furent  pas ,  du  reste ,  la  seule  tribu  sémitique 
qui  traversa  ainsi  l'Egypte  et  les  pays  voisins.  Les  critiques  les 
plus  éminents  ^  ont  vu  dan^  les  Hyksos  (Arabes  suivant  Mané- 
thon ,  Phéniciens  selon  Eusèbe  et  le  Syncelle)  un  flot  de  nomades 
sémites ,  qui  troubla  pour  un  temps  la  civilisation  égyptienne , 
et  finit  par  céder  à  la  résistance  qu'une  société  organisée  oppose 
toujours  avec  succès  à  la  force  indisciplinée.  Les  Phéniciens  et 
les  Philistins  continuèrent  longtemps  de  leur  c6té  cette  vie  de 
courses  et  d'aventures;  et  il  n'est  pas  impossible  que  les  Hyksos 
nous  représentent  une  de  leurs  invasions  dans  le  pays  des  Pha- 
raons \  Le  nom  de  Chetas,  par  lequel  les  inscriptions  hiéro- 
glyphiques désignent  les  Hyksos,  serait  dans  cette  hypothèse 

*  Movere,  Dig  Phœnkiery  1 1, p.  Sa  etsniv. ;  Ewald,  Gtich,  du  V.  Igr.  I,  p.  hkb 
et sniv. ;  Knobel,  Diê  Vœlherttfil der  Getwn»,  p.  ao8  et  suiv. ;  Bunsen,  /Egyptam 
SteUe,  liv.  III,  p.  3  et  suiv.;  Guigniaut,  BeUgiom  de  VantiquUé,  t  II,  3* partie» 
p.  83&-835;  Lengerke,  Kenaan,  p.  363  et  suiv.;  Bertheau,  Zw  Geich.  derlsnu- 
htm,  p.  999  et  suiv.;  Schwartse,  Da»  uUe  ^gyptm,  passim;  Humboidt,  Cosmoê^ 
n,  953-954  (trad.6alu8ky);  A.  Haury,  Revue  archéolog,  VIII*  année,  p.  179. 

*  G^est  bien  à  tort,  toutefoû,  que  MM.  Bertheau,  Knobel  et  les  autres  savants 
qui  ont  érigé  en  système  les  migrations  des  Sémites  vers  l^Occident,  ont  pris  comme 
des  documents  historiques  les  récits  des  Arabes  sur  les  Amalécites  ou  AmaUka.  Ges 
récits'ne  sont  qu^une  contrefaçon  des  traditions  juives,  et  ce  qu^ils  Semblent  offrir 
d^originid  vient  de  rapprochements  arbitraires,  tés  que  ceux  où  la  critique  arabe 
se  donne  si  souvent  carrière.  Voir  cependant  Ewald,  Geeeh,  dee  V,  I$r.  I,  339-36  o 
(  9*  édit) ,  et  Caussin  de  Perceval,  Eeeai  nar  VhiêUnre  dee  AraBee  aeani  ^ielamieme , 
t.  I.  p.  19* 


LIVRE  I,  CHAPITRE  II.  37 

identique  à  wtm ,  ancien  n<Hn  des  Ghananéens.  La  haine  des 

w 

^lyptiens  contre  ta  race  blonde  ou  rousse  {mpli6sy^  personnifiée 
en  Typhon,  s'adressait  sans  doute  à  ces  hordes  sëmiticpes  : 
plusieurs  noms  de  peuples  sémiticpes ,  en  effet,  paraissent  tirés 
de  la  couleur  rousse  de  leur  teint  [Édomiies,  Himyariieê,  Oo/yx-> 
XBS^  Éryihriens,  mer  Erythrée,  ainsi  nommée  peut-^tre  à  cause 
de  ses  riverains'). 

Quoi  qu'il  en  soit,  aucun  de  ces  mouvements  n'aboutit  à 
changer  les  limites  ni  la  population  des  pays  occupés  tout 
d*abord  par  les  Sémites.  On  aperçoit  ici  l'immense  différence  de 
la  race  indo-européenne  et  de  la  race  sémitique.  Sem  manque 
presque  absolument  de  la  force  d'expansion  qui ,  selon  l'étymo-* 
l<^;iste  hébreu  (  Gen.  ix ,  a  7  ) ,  fait  le  caractère  essentiel  de  Japhet, 
Le  mode  de  propagation  de  la  race  indo-européenne  était  l'expul- 
sion de  la  jeunesse,  la  formation  de  bandes  hardies  et  entrepre- 
nantes, composées  de  tout  ce  qui  était  né  au  printemps  (ver 
uierum^)  :  de  là  cette  foule  de  noms  de  peuples  signifiantyî^i/j^^ 
errants,  exilée \  Les  derniers  faits  de  ce  genre,  les  invasions 
normandes,  ne  sont  éloignés  de  nous  que  de  quelques  siècles; 
et  même  de  nos  jours ,  cette  activité  envahissante ,  pour  avoir 
changé  de  forme ,  n'en  continue  pas  moins  à  s'exercer  par  la 
diffusion  de  la  race  anglo-saxonne  en  Amérique  et  dans  le  monde 
entier.  Rien  de  semblable  chez  la  race  sémitique.  Les  progrès 
de  l'islamisme  furent  un  fait  de  prosélytisme  bien  plutôt  que  de 
conquête.  Nulle  part,  en  effet,  la  race  arabe  ne  put  s'établir 
d'une  manière  stable  ;  partout ,  après  avoir  fondé  son  idée  re- 
ligieuse, elle  disparaît.  L'Afrique  seule  fut  réellement  conquise 

>  ¥ioi.  Ik hii.  et  Omr.  aa,  3o,  3i,  33;  Diod.  Sic.  I,  88. 

*  Knobel ,  op.  eii.  p.  1 35  et  suiv. ;  Moven,  op.  ett.  t  II ,  i** partie,  p.  1  et  eiiiv. 
'  FeiliFrBgiiL  (edid.  Egfjer),  p.  &&,  9o3,  910. 

*  Berf^nÊmk^ÏAtpeiipluprmiil^dêhroeêâÊJt^ 
65,  59,53, 


38  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

par  la  race  arabe  »  à  caiiae  de  certaines  affinités  particidières  àt 
climat.  Le  nomade  gagne  de  proche  en  proche ,  toutes  les  fois 
qu  illrouve  un  sol  accommodé  à  son  genre  de  vie.  Mais  ce  mode 
dWvahissement,  analogue  à  celui  du  sable  dans  le  désert,  n'a 
rien  de  commun  avec  la  force  de  propagation  qui  a  porté ,  dès 
une  haute  antiquité,  la  race  indo-européenne  de  Tlmaûs  à 
l'Atlantique,  et  lui  fait  de  nos  jours  achever  avec  une  si  pro- 
digieuse rapidité  la  conquête  du  monde  entier. 

Il  semble  que  les  Sémites  aient  conservé  beaucoup  plus  long- 
temps qu'aucune  autre  race  le  sentiment  de  leur  unité.  Non- 
seulement  les  Hébreux  connaissent  leur  fraternité  avec  les  Edo- 
mites,  les  Moabites,  les  Ammonites,  les  Madianites  et  les  autres 
tribus  voisines  de  la  Palestine  ;  mais  ils  savent  leur  communauté 
d*origine  avec  les  Arabes  ismaélites  et  les  Araméens;  Abram, 
le  hâmt  père,  est  le  lien  commun  par  lequel  ils  établissent  cette 
parenté,  que  la  philologie  confirme  d'une  maniera  éclatante  ^ 
Les  généalogies  du  x*  chapitre  de  la  Genèse,  qu  nous  repré- 
sentent l'ethnographie  des  Hébreux  vers  Tan  i  q  o  o  avant  J.  G.  ^ , 
ne  correspondent  nullement ,  il  est  vrai ,  aux  divisions  que  fournit 
la  linguistique  moderne.  Mais  il  faut  se  rappeler  que  ce  tableau 
gtauçe  les  peuples,  non  par  race,  mais  par  climat;  sa  base  est 
géographique  et  non  ethnographique  '.  Jâphet,  Sem  et  Gham 

>  Gm.  zxii ,  90  et  soiv.;  xx?,  i  et  9uiv.  ;  xxt,  i  a  et  suiv.  ;  oonf.  Bertheaa,  Zwr 
Geàeh,  der  hr.  p.  aïo  et  suiv.  Je  ne  puis  croire,  toutefois,  que  la  tradition  par 
laquelle  les  Arabes  se  rattachât  à  Abraham  et  aux  généalogies  bibliques  ait  une 
videur  historique.  Cette  tradition  n^est,  à  mes  yeux,  qu^un  reflet  de  cdis  des 
Juifs,  qui,  dans  les  sièdes  qui  précèdent  risUanisme,  exercèrent  sur  Téducation 
du  peuple  arabe  une  influence  si  décisive. 

*  Knobel,  Dk  VcBOcaUtfêl  der  Csimm,  p.  k;  Bwdd,  MrMeW  dêr  hêUtehm 
lf^tMeiite^,in(i85i),p.  907.  >  «  •  = 

'  G*est  Topinion  des  meilleurs  exégètes  :  Ro6enmàiiflr,^(iiMi&ii«à  derlM.  AUm-' 
tiiumikimdej  I,  i,  i&o  et  suiv.;  Lengerke,  Kenaan,  p.  908  et  suiv.;  Tadi,  Kom- 
mentar,  p.  969  et  suiv.  ;  Bertheau,  Zttr  Ge$eh.  der  I$rael.  p.  1 73  et  suiv.  ;  Winer, 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IL  39 

y  rq>fé6eBl6iit  les  trois  lones ,  boréale ,  moyenne  et  australe  ; 
aucun  de  ces  noms  ne  peut  désigner  une  race,  dans  le  sens 
scientifique  que  nous  donnons  à  ce  mot.  Pour  ne  parler  que  de 
Sem,  entre  les  cinq  fils  qui  lui  sont  attribués  :  Elam,  Âssur, 
Arpkaxad,  Lud  et  Aram,  ce  dernier  seul  est  «émùique,  dans 
le  sens  linguistique  du  mot  Elam  est  probablement  le  nom  de 
Vbran  =  Aùryama,  zend  Airjana,  dérivé  lui-même  de  l'antique 
nom  de  la  race  indo-européenne ,  Atrya,  Aryya  ^ .  Assur  est  cou- 
schite  et  indo-européen.  Arphaxad  est  un  terme  géographique , 
et  n'a  d'autre  nq>port  avec  les  peuples  dits  sémitiques  que 
d'avoir  été  leur  point  de  départ.  Le  nom  de  peuple  qui,  d'après 
Iliypothèse  généralement  reçue >  y  est  renfermé  [ArphnKasd), 
iq>partient  à  la  fiimille  indo-européenne.  Les  plus  grandes  obscu- 
rités planent  sur  la  signification  de  Lud.  —  Il  est  clair  d'après 
tout  cda ,  que  le  nom  de  Sem  désignait  simplement ,  pour  les 
Hébreux,  la  région  moyenne  delà  partie  du  globe  qu'ils  con- 
naissaient^; ils  n'y  attachaient  aucune  idée  ethnograj^que  bien 
icte,  puisqu'ils  donnent  place  dans  la  famille  sémitique 


BibL  ReahDœrt,  II ,  &&8 ,  665.  L^erreur  principale  du  livre  d'aiileura  estimable  de 
M.  Knobd  est  d^avoir  méconnu  ce  principe  essentiel.  M.  Knebel  ne  semble  pas 
aTDÎr  aasex  compris  le  vagne  de  la  géographie  primitive ,  la  manière  aii>itniire  dont 
s^y  ttsaieDi  les  ctossificatiog»  de  peuples,  et  les  fautes  qui  doivent  s'être  pissées 
dms  08B  aortes  de  documents.  En  génénd,  les  anciens  manquaient  du  sentiment 
edmograplnque  comme  du  sentiment  linguistique ,  et  leurs  affirmations  en  ce  genre 
n^ont  de  valeur  que  par  les  faits  positifs  qu'elles  nous  apprennent  et  les  inductions 
qu^efles  nous  permettent  de  tirer. 

'  De  là  aussi  Irak,  Anyaka,  V.  le  méuL  de  M.  Mûller  sur  Le  p^vi,  Journal 
mim,  iivril,  1839,  p.  998  et  suiv.;  Zeiiiehrfft  fir  dû  Ktmdê  dm  MorgndandeB, 
III  t-p.  98A  ;  Kunik ,  MU  oêioL  p.  6 1 9  et  suiv.  ;  Bumouf ,  Commmtairêêurlê  Yaena , 
p.  &6o. 

'  ibntile  d'ajouter  que ,  pour  le  rédacteur  hébreu ,  ces  noms  étaient  de  véritables 
qionymes,  comme  eeni  que  Tethnographie  primitive  place  à  Torigine  de  tous  les 
pea|des:  HeUen,  Doras,  ^Ins,  etc.  Mais  leur  valeur  géographique  n'en  est  pas 
moins  réelle. 


M  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

aux  Iraniens,  avec  lesquels  ils  n'avaient  aucun  rapport  de  race, 
et  qu'ils  en  excluent  les  Ghananéens ,  auxquels  pourtant  ils  te- 
naient de  si  près  ^ . 

Quant  au  sens  radical  des  noms  de  Sem,  de  Japket  et  de  Cham, 
il  est  fort  obscur.  M.  Knobel  y  trouve  une  désignation  des  races 
par  la  couleur,  ce  qui  convient  à  Cham  (noir),  mais  bien  peu  à 
Japhet,  et  nullement  à  Sem  ^.  M.  Ewald  y  cherche  la  trace  d'une 
trilogie  titanique,  originaire  de  l'Arménie  '.  D'autres  voient  dans 
le  nom  de  Sem  un  titre  honorifique  (açf ,  ^oire),  analogue  à 
celui  des  Aryas  (vénérables).  Buttmann  y  voyait  le  nom  d'Uranus 
(oe^  =  Q^pef  I)^.  Je  serais  porté  pour  ma  part ,  à  rapprocher  ce 
nom  du  mot  Jjt*  par  lequel  les  Arabes  désignent  la  Syrie,  et  à 
y  voir  un  simple  nom  de  pays ,  de  même  c[ue  le  nom  de  Cham 
paraît  être  le  nom  propre  de  l'Egypte  ^.  Prononcé  avec  VimaU, 
selon  l'usage  de  Syrie,  le  nom  arabe  précité  est,  en  efiet, 
pour  le  son  l'équivalent  exact  du  mot  hébreu. 

On  comprend  maintenant  combien  fut  malheureuse  l'idée 
d'Eichhom,  lorsqu'il  donna  le  nom  de  êémUîque  à  la  famille  des 
langues  syro-arabes.  Ce  nom,  que  l'usage  nous  oblige  de  con- 
server, a  été  et  sera  longtemps  la  cause  d'une  foule  de  con- 

'  Peat-étre  le  nom  de  Couteh  recèie-t-il  aiusi  àm  peuples  sémitiques,  rejetés 
dans  la  famille  de  Gfaam,  nm'quement  â  cause  de  leur  situation  méridionale.  II  est 
certain,  du  moins,  que  dans  les  pays  désignés  comme  eouêchitUf  on  parle  des 
dialectes  sémitiques  depuis  une  haute  antiquité. 

*  Die  VœUterUfel  der  Genmê,  p.  187  et  suiv. 

>  Ge$ch,  dn  F.  /«r.  I ,  p.  87^  et  suiv.  (  s*  édit  ).  Il  est  surprenant  que  M.  Ewald 
fasse  intervenir  comme  des  autorités  dans  cette  discussion  les  historiens  arméniens , 
tandis  qn*il  est  évident  que  ces  auteurs,  à  commencer  par  Moïse  de  IQiorène,  n*ont 
fait  qu^essayer  un  syncrétisme  grossier  des  récits  hdléniqnes  et  bibliques,  sans  y 
ajouter  aucune  donnée  nouvelle  sur  les  temps  antiques  de  Thistoire  de  TOrient. 

*  My(Ao2ogii«,  I,  p.  aai  et  suiv. 

'  Ghampollion ,  UÉgypte  jotct  kê  Fkaraom  >  I ,  p.  1  o&  et  suiv.  ;  Gramm.  égfpt. 
p.  1 5 9  ;  Bunsen ,  /Egyptem  SteUê  m  dtr  WtlUgeiehiehiè ,  I ,  p.  698. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  II.  &1 

fusioDs.  Je  répète  encore  une  fois  que  le  nom  de  Simitei  n  a 
dans  cet  écrit  qu'une  signification  de  pure  convention  :  il  y 
désigne  les  peuples  qui  ont  parlé  hébreu,  syriaque,  arabe  ou 
quelque  dialecte  voisin,  et  nullement  les  peuples  qui  sont  donnés 
daas  le  x*  chapitre  de  la  Genèse  comme  issus  de  Sem ,  lesquels 
smit,  au  moins  pour  la  moitié,  d'origine  arienne. 

S  n. 

On  reconnaîtra  qu'en  général  nous  sommes  beaucoup  plus 
portés  à  resserrer  qu'à  étendre  les  limites  de  la  race  sémitique. 
Le  domaine  de  cette  race  nous  parait  singulièrement  étroit,  si 
nous  le  comparons  aux  immenses  espaces  que  les  langues  indo- 
européennes et  touraniennes  occupent  depuis  les  temps  les  plus 
reculés;  à  l'heure  qu'il  est,  on  peut  affirmer  que  la  somme 
des  individus  de  sang  sémitique  ne  dépasse  pas  trente  millions  ^ , 
tandis  que  les  langues  indo-européennes  sont  pariées  par  plus 
de  quatre  cents  millions  d'individus.  Rien  de  plus  arbitraire 
que  les  procédés  par  lesquels  on  s'est  habitué  à  étendre  outre 
mesure  le  domaine  du  sémitisme.  On  parie  de  couches  anté- 
historiques  de  Sémites  répandus  en  Asie  Mineure,  en  Grèce, 
en  Egypte,  sur  tout  le  littoral  de  la  Méditerranée,  sans  se  faire 
une  idée  exacte  du  sans  qu'on  doit  attacher  à  ce  nom.  L'indi- 
vidualité de  la  race  sémitique  ne  nous  ayant  été  révélée  que 
par  l'analyse  du  langage,  analyse  singulièrement  confirmée, 
il  est  vrai ,  par  l'étude  des  mœurs ,  des  littératures ,  des  religions , 
cette  race  étant,  en  quelque  sorte,  créée  par  la  philologie,  il 

'  AralMe 6  millions. 

Popaiatioiu  syiieones  etarabes  de  la  Turquie  d^Asie 6 

Arabes  répandus  en  É(j[ypto,  sur  les  côtes  bariiaresques,  dans  le 

Sahara  et  dans  le  Soudan lo 

Populations  sémitiques  de  TAbyssinie  et  de  TAlnque  orientale.     3 
Juifs  répandus  dans  le  monde  entier h 


ai  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

n'y  a  réellement  qu'un  seul  critérium  pour  reconaattre  les  Sé- 
mites; c'-est  le  langage.  Le  type  des  langues  '  sémitiques  est 
d'ailleurs  si  tranché ,  et  oSre  si  peu  de  variété ,  que  le  doute 
sur  le  caractère  sémitique  de  tel  ou  tel  idiome ,  même  peu  connu , 
ne  saurait  jamais  être  de  longue  durée.  Pose  dire  qu'il  n'y  a  pas 
de  race  plus  reconnaissable ,  et  qui  porte  plus  notoirement  sur 
le  front  son  air  de  famille.  'Toutefois ,  comme  des  opinions  diffé- 
rentes se  sont  accréditées  sur  ce  sujet,  et  que  d'ailleui^  il  im- 
porte de  marquer  certaines  limites  avec  plus  de  précision  que 
nous  ne  l'avons  &it  jusqu'ici,  nous  allons  discuter  les  frontières 
des  langues  sémitiques,  sur  les  trois  points  par  lesquels  elles 
confinent  aux  langues  indo^uropéennes  et  chamitiques  :  i"*  do 
côté  de  l'Asie  Mineure  et  de  l'Arménie,  a*"  du  c6té  de  l'Assyrie 
et  de  la  Perse ,  S"*  du  côté  de  l'Egypte. 

Certes  il  est  vraisemblable  que  la  race  sémitique ,  canton- 
née d'abord  dans  les  montagnes  de  l'Arménie  et  de  la  Gor- 
dyène ,  ne  se  sera  pas  déversée  eiclusivement  vers  le  sud ,  mais 
qu'elle  aura  jeté  bien  des  rameaux  vers  l'ouest,  sur  le  versant 
septentrional  du  Taurus.  Gela  est  vraisemUable,  dis-je,  mais 
au  fond  rien  ne  l'établit  d'une  manière  historique.  Il  est  impos* 
sible  de  montrer  en  Asie  Mineure,  au  nord  du  Taurus,  une 
trace  manifeste  de  langues  sémitiques.  Les  suppositions  de 
Bodiart^  d'Adelung^,  de  Heeren^  à  cet  égard  sont  bien  peu 
fondées.  Dans  un  récent  opuscule  \  M.  Paul  Bœtticher  s'est 
attaché  à  recueillir  lous  les  mots  mysiens ,  phrygiens ,  lydiens , 
cariens,  cappadociens ,  pon tiques,  paphlagoniens ,  ciliciem, 
bithyniens  qui  se  trouvent  dans  les  auteurs  grecs  et  laUns,  et 

*  Qumaan,  p.  535. 

>  MtcArûiato,  t.  II,  p.  3a. 

'  De  Imguù  imperii  penici,  in  Cmiunent.  ioe,  Giftting,  Ci.  philol.  et  fabtor.  t.  Vllf , 
p.  93  et  SUIT. 

*  Ariea  (Ha]»,  i85i). 


LIVRE  I,  CHAPITRE  II.  &3 

senJide  avom  montré  qu'en  général  ils  appartiennent  h  la  famille 
des  langues  indo-arîennes.  Quelques-uns  de  ces  rappcoehements 
paraissent  incontestables  :  Ex.  hayouos'  Ze^<PfKiyio$(He8y€h.), 
sanscr.  Bkagavai;  Baga,  Dieu,  dans  les  inscriptions  persanes  ; 
Bog,  IHeu,  en  slave  ^ 

Déjà  Frâret,  dans  le  mémoire  justement  célèbre  où  il  a  si 
bien  entrevu  Tunité  de  la  famille  indo^uropéenne,  avait  éta- 
bli que  les  langues  de  la  plupart  des  peuples  de  l'Asie  Mineure 
appartenaient  à  une  même  famille^.  Son  raisonnement,  bien 
que  faîUe  sur  certains  points ,  mérite  d'être  reproduit.  -. —  Stra- 
boB  affirme  que  le  fond  de  la  langue  des  Gariens,  qu'Homère 
appdle  0afSap6(potfPOi  ',  était  un  grec  barbare  K  Or,  Hérodote 
noms  apprend  que  les  Gariens,  les  Mysiens  et  les  Lydiens  étaient 
èp^XokT^oi  \  Voilà  donc  un  premier  groupe  rattaché  aux  lan- 
gues helléniques.  —  D'un  autre  côté,  Hérodote  regarde  les 
Phrygiens  et  les  Arméniens  eosmae  frères  et  nous  dit  que  dans 
l'armée  de  Xerxès  ils  ne  formaient  qu'un  seul  corps  commandé 
par  les  mêmes  dbefe^  Eudoxe  nous  apprend  de  plus -que  ces 
peuples  parlaient  des  dialectes  fort  re6sendt>lants  entre  eux  : 
T^  (pwpp  «ro»^  ^puyiiouHrtp,  dit-il  en  parlant  des  Arméniens*^.. 
Enfin  Strabon  caractérise  ainsi,  d'après  d'anciennes  autorités, 
la  langue  aqpâenne  :  MiSoXtiJi^y  iraïf  «ai  iitQ)(pp6ytov^.  De 
Unîtes  ces  aflfaiités,  Fréret  conclut  qu'une  seule  famille  do  lan- 
gues à  été  pailée  depuis  l'Arménie  jusqu'aux  rivages  le$  plus 

'  GonL  Pott,  El^moL  Ponehungen,  p.  ixztu  et  93S-s36. 

'  nittd.  U,  867. 

«  Strab.  Géogr.  Ut.  XIV,  p.  &55  (édit  GaMmb.). 

*  Bérod. 1, 17t. 
•Hérod.VU,73. 

^  Endnx.  apnd  Staph.  Byt.  v.  ÂpfAcyls. 

*  P.  393(édit.Gafiaub.). 


a  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

occidentaux  de  l'Asie  Mineure ,  et  qu'elle  se  rattachait  à  la  fa- 
mille étendue  dont  la  langue  grecque  elle-même  n'était  qu'un 
rameau. 

Les  recherches  plus  récentes  de  l'ethnographie  n'ont  rien 
révélé  qui  contredise  essentiellement  ces  résultats.  Sans  doute 
elles  ont  montré  des  nuances  là  où  Fréret  ne  voyait  qu'unifor- 
mité; mais,  à  part  quelques  colonies  phéniciennes,  l'Asie  Mi« 
neure  est  restée ,  dans  son  ensemble ,  indo-arienne.  Gesenius 
a  démontré  que  la  Gappadoce  et  le  Pont  jusqu'à  l'Halys,  oà 
Bochart  et  les  anciens  ethnographes  voulaient  voir  des  Sémites^ 
en  s'appuyant  surtout  du  nom  de  Asuxôtrupot  appliqué  aux 
habitants  de  ce  pays,  n'avaient  rien  de  sémitique^. — Les  Ga- 
rions, que  MM.  Movers^  et  Bertheau^  ont  rattachés  aux  Gha- 
nanéens,  étaient  vraisemblablement  d'anciens  Lélèges  ou  Pé- 
lasges  ^. — L'identification  des  Lydiens  avec  Lud,  fils  de  Sem ,  est 
fort  douteuse^,  et  d'ailleurs  n'avons-nous  pas  démontré  que  la 
catégorie  biblique  des  Sémites  renfermait  une  foule  de  peuples 
qui  ne  pariaient  pas  les  langues  dites  sémitiques?  Les  Lydiens 
paraissent  avoir  formé  un  même  corps  de  nation  avec  les  Phry- 
gieos,  dont  la  parenté  avec  les  Arméniens  est  aujourd'hui  re- 
connue ^.  M.  Bœtticher  ''  croit  pourtant  distinguer  en  Lydie 
deux  couches  de  population ,  l'une  arienne ,  l'autre  sémitique. 
A  celle-ci  appartiendraient  les  noms  de  Sadyattes,  MyaUes, 

'  GnehiehU  der  Kebr.  Spr.  S  À ,  p.  h-b. 

'  Die Phœnkier,  I,  p.  176! siiiv. 

^  Zur  Guehiekte  dtr  hraeUten,  p.  igS. 

*  Knobel,  Die  VwUeerkfil  der  Geneiii,  p.  98  et  suiv.  Voyez  cependant  Soldan, 
[/«6er  die  Karer  und  Leieger,  dans  le  Rheini$ehee  Mutewn,  III ,  1 835 ,  p.  87  et  suiv. 

*  Tuch,  Kommentar  Ober  die  Geneeie,  p.  a5&. 

*  Go0che,D0artafia  Unguœ gentiefue  atmemacœ  indoïe{Bero\.  18À7);  Knobel, 
Die  Vœïk.  der  Genee.  p.  36  et  suiv.  Sar  les  inscriptions  phrygiennes,  en  caractère 
grec  archaïque,  oonf.  Teiier,  Deecripiion  de  VAeie  Mwieure^  p.  i53  et  suiv. 

^  Rudmenia  mythoL  Mimt  (Berol.  1868),  p.  i3-i/t. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IL  h& 

AlyaUe»,  dont  la  physionomie  sémitique  est  en  effet  très-frap* 
pante.  —  Quant  aux  Bithyniens,  aux  Mariandyniens  et  aux 
Paphlagoniens ,  leur  affinité  avec  les  Thraces  est  attestée  par 
toute  l'antiquité. 

Sur  le  versant  méridional  du  Taurus ,  au  contraire ,  il  pa- 
raît difficile  de  méconnaître  la  présence  des  Sémites  ^  Peut- 
être  faut-il  chercher  en  Gilicie  les  Érembes  d'Homère  (0<^«* 
9k y  IV,  8&),  dont  le  nom  rappelle  celui  des  Araméem  ^Iûdh^^ 
et  que  Lycophron  semble  placer  en  effet  dans  ces  parages^. 
Un  témoignage  plus  positif  est  celui  de  Strabon ,  qui  nous  ap- 
prend que  la  Gilicie  fut  d'abord  habitée  par  des  Syriens  ^.  Les 
monnaies  de  Gilicie  forment,  dans  la  numismatique  phéni- 
cienne, une  classe  à  part^,  et  accusent,  dans  ce  pays,  un  dé- 
veloppement sémitique  particulier. 

Les  Solymes ,  anciens  habitants  de  la  Lycie ,  de  la  Pamphy- 
lie  et  de  la  Pisidie  (Hom.  //•  VI,  i8&;  Odyss.  V,  âSa),  étaient 
aussi  probablement  d'origine  sémitique.  Les  noms  de  peuples 
tirés  de  la  racine  dVv^  sont  nombreux  chez  les  Sémites.  Soly- 
mus,  père  des  Solymes,  était  fils  de  Jupiter  et  de  Chaldène^. 
Un  vers  de  Ghérile,  conservé  par  Josèphe'',  prouve  qu'ils  par- 
laient une  langue  analogue  au  phénicien  : 

^  Knobd,  p.  9do-a3i  ;  Moven,  1 1,  p.  i3  et  sniv.;  t.  II,  ii,  p.  170  etsuiv. 

*  Strabon,  1. 1,  p.  98  et  Biiiv.;  L  XIII,  p.  ASi  (édit  GuMuboa).  Gomme  on 
disait  J^éfidStf  pour  Xififu^ . 

>  iikMn<lra,v.g897  (édit  Dehèqpie). 

*  Strabon,!.  XIU,  p.  A3 1. 

»  Gesenins,  Mimifiik p&om.  p.  975  et  smv.;  De  Lupes,  Etwttfiiriafiti^^ 

tiqme SêÊ êoitapie»  (18&6),  p.  55  etc. 

*  Stepb.Byi.v.nf<n^ 

'  Qmira  Apkm,  I,  99;  Eoseb.  Prœp.  Evang.  IX,  9.  Inutiie  d'ajouter  qae  l'i- 
doBtification  qae  ks  Joiis  essuyaient  d'établir  entre  les  Solymes  et  les  Hiérosoly- 
miles  est  chimérique.  Gonf.  Tadte,  HiiL  V,  9. 


&6  HISTOIRE  DBS  LANGUES  SÉMITIQUES. 

La  haute  antiquité  de  leur  séjour  en  Lycie  empêcherait  d'ail^ 
leurs  de  les  envisager  comme  une  simple  colonie  phénicienne  ^ 
On  est  donc  porté  à  croire  que  la  race  araméenne  se  glissa  le 
long  des  côtes ,  entre  les  montagnes  et  la  mer,  jusqu'en  Lycie  ^. 
Mais ,  de  bonne  heure ,  cette  pointe  avancée  du  sémitisme  dis- 
parut sous  Teffort  des  races  helléniques.  L'tte  de  Chypre ,  qui , 
par  suite  des  nombreuses  migrations  chananéennes ,  fut  anssi 
pour  un  temps  une  terre  sémitique  ',  subit  bientôt  les  influences 
égyptiennes,  grecques  et  persanes,  et  perdit,  dans  ces  chan- 
gements, toute  individualité. 

Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici  des  colonies  que  les 
Phéniciens  répandirent  dans  toutes  les  régions  maritimes  con-* 
nues  des  anciens.  Ces  colonies,  si  Ton  excepte  celles  qui  cou- 
vrirent la  côte  septentrionale  de  TAfrique,  n'eurent  jamais  le 
caractère  de  véritables  faits  ethnographiques,  et  ne  fondèrent 
nulle  part  un  établissement  définitif  de  la  race  sémitique. 
M.  Movers,  auquel  on  ne  peut  contester  une  vaste  érudition, 
mais  qui  paratt  ne  posséder  que  médiocrement  le  sentiment 
de  la  philologie  comparée,  et  même,  conune  Ta  fait  observer 
M.  Ewald,  le  sentiment  spécial  de  la  philologie  sémitique,  a 
fort  exagéré  l'importance  des  n&igrations  chananéennes.  Les 
traces  de  mythes  phéniciens ,  qu'il  croit  reconnaître  dans  pres- 
que tout  le  monde  méditerranéen,  sont  souvent  chimériques  et 

appuyées  sur  des  étymologies  superficielles  à  la  manière  de 

• 

^  MoTen,  op.  eiL  I,  i5-i6;  Knobel,  op.  cU.  p.  93o*93i. 

*  Soint-Martm,  Joum.  de»  Sa»,  avril  1891,  p.  3&3-9&&.  L^eiplication  dw  ins- 
criptions lydeones  à  i*aide  da  sémitique ,  proposée  par  SainUMartia ,  laisse  du  reste 
beaucoup  à  désirer.  De  nouvelles  inscriptions  bien  plus  importantes  ont  été  dé- 
couvertes par  M.  Fellow  :  An  aeeomU  of  Hiôowrie»  m  lAfcia  (London ,  1 8&1  ). 

^  Movers,  Hfid,  t  I,  p.  is-i3;  t  II,  1'*  part.  p.  77;  t*part.  p.  ao3  etsuiv.; 
De  Luynes,  NumiÊmatiquê  sC imariptiem  cypriote  (tSSa),  et  E$uii  êw  la  mmù- 
matique  dêê  tatrapie» ,  p.  89 ,  1 1 0  et  sniv. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IL  A? 

Bochart.  Les  transQiissioiis  de  mythes  sont  toij^urs  fort  diffi- 
ciles à  démmitrer,  à  cause  de  Tidentité  de  la  nature  hnmune 
qui  s'exprime  en  des  points  divers  par  des  conceptions  ana- 
logues. Les  Phéniciens,  d'ailleurs,  ne  nous  apparaissent  pas 
comme  nn  peuple  fécond  en  créations^  mythologiques,  et  Tin- 
Bumce  qu'on  leur  attribue,  en  ce  sens,  est  contraire  à  l'esprit 
général  des  Sémites.  Il  en  faut  dire  autant  de  rimportance 
qu'on  voudrait  leur  prêter  dans  l'histoire  de  l'art.  Garthage 
nous  donne  la  mesure  de  ce  que  pouvait  devenir  une  colonie 
phénicienne  placée  dans  les  meilleures  conditions  ;  or,  on  ne 
vmt  nidle  aSoiîlé  entre  la  physionomie  de  la  civilisation  car- 
thaginoise et  le  rôle  que  les  Phéniciens  auraient  joué  dans  le 
monde  égyptien  et  hdiénique,  selon  les  vues  que  nous  com- 
battons ici. 

Ce  que  nous  avons  dit  de  l'Asie  Mineure  s'applique  à  l'Ar- 
ménie. D^uis  les  temps  historiques,  l'Arménie  nous  apparaît 
comme  une  terre  arienne,  bien  qu'elle  ait  dû  être  le  séjour 
prindtif  des  Sémites.  Togarma ,  l'^onyme  biblique  de  l'Armé* 
nie,  est  dairement  rattaché  aux  races  du  Nord  [Gen.  x,  3). 
La  langue  arménienne,  sur  le  caractère  de  laquelle  on  avait 
dfflliord  pu  hésiter,  est  maintenant  rapportée  avec  certitude  au 
groupe  des  langues  indo-européennes  ^  Les  analogies  que  Po^ 
âdonius^  voulait  trouver  entre  les  Syriens  et  les  Arméniens, 
pour  la  langue,  les  mœurs  et  la  physionomie,  étaient  sans 
doute  de  ces  ressemblances  superficielles  par  lesquelles  les  géo- 
graphes anciens ,  privés  de  l'instrument  de  la  philologie ,  étaient 
si  souvent  induits  en  erreur. 


'  IfamiMui,  dans  la  Zétêtskrififir  die  KumU de»  Morffmlmtdm,  I,  aâs ;  Petsiv 
mann ,  dans  Ritter,  Erékimde,  X,  p.  679  et  suiv.  ;  Goaebe,  De  «rima  Imgmm  gefh- 
rMffMMffliMbb  (Berlin,  i%h^), 
*  Cité  par  Strabon ,  p.  98 ,  édit.  Gasaobon. 


&8  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Autant  les  Sémites  ont  peu  rayonné  sur  içs  populations  indo- 
européennes  de  i'ouest  et  du  nord,  autant  celles-ci  ont  peu 
entamé  le  terrain  proprement  sémitique.  Un  mur ,  tracé  sans 
doute  par  la  nature  du  sol  et  du  climat,  semble  avoir  existé 
jusqu^au  iy*  siècle  avant  l'ère  chrétienne  entre  le  monde  sé- 
mitique et  les  Ariens-Pélasges  d'Asie  Mineure,  de  Grèce  et 
d'Italie.  La  question  d'une  intrusion  des  races  de  l'Occident 
parmi  les  Sémites  ne  peut  être  agitée  qu'à  propos  des  Philistins. 
De  graves  raisons  ont  pu  faire  croire  que  cet  intéressant  petit 
peuple,  qui  a  exercé  une  influence  si  décisive  sur  la  nation 
juive,  et,  par  conséquent,  sur  les  destinées  du  genre  humain, 
n'était  pas  sémitique.  Une  hypothèse  très-vraisemblable ,  adop- 
tée par  les  meilleurs  exégètes  et  ethnographes,  Rosenmûller, 
Gesenius,Tuch,  Hitzig,  Bertheau,  Lengerke,  Movers,  EwaldS 
les  fait  venir  de  Crète.  Le  nom  seul  de  ner^fi  (ÀXX^Xoi)  in- 
dique une  origine  étrangère  ou  de  longues  migrations ,  et  rap- 
pefle  celui  des  Pélasges.  Plusieurs  fois  ils  sont  appelés  dans  les 
écrivains  hébreux  Q^2i;i3  (I  Sam.  |xxx,  i  &  ;  Soph.  n,  5  ;  Ézéch.  xxv, 
16),  mot  où  l'on  ne  peut  se  refuser  à  reconnaître  le  nom  des 
Criiûis.  Ailleurs  (II  Sam.  xx,  s3;  II  Rtig.  xi,  &,  19),  ce  mot 
paratt  s'échanger  contre  celui  de  n3  (Garions),  pour  désigner 
la  garde  du  corps  des  rois  de  Juda  :  on  sait  que  les  Garions 
étaient  alliés  aux  Grétois,  et  jouaient  comme  eux  dans  l'anti- 
quité le  rôle  de  mercenaires^.  Les  traditions  hébraïques  sont 

'  Hitzig,  Urge$ehichtê und  MyAologie  der  PkSuUBer  (Leipiig,  i8&5),  p.  i&  et 
sniv.;  Geseniiu,  T^ataunif,  am  mots  liront  ^D'ID*  «te  ;  Ewald,  GtickieJUê  de» 
VoOeet  Israël,  I ,  p.  SaB  et  suiv.  (  9*  éd.)  ;  Bertheau ,  Zw  Geiehichlêder  hrad.  p.  1 86 
et  suiv.;  Movens,  Die  Phamzier,  I,  p.  3-&,  10,  97-99,  33  et  suiv.  663;  Tuch, 
Konmenlarûberdie  Gensi.  p.  9&3;  Lengerke,  Kenaan,!^  p.  igS  et  suiv.;  Knobel, 
Di$  VœUcmiitfel  der  Geneeù,  p.  91 5  et  suiv.  Voir  cependant  les  observations  de 
M.  Quatremère,  iotim.  deê  Sav.  mai  18&6. 

*  Ewald,  Geieh.  I,  996;  Winer,  M/.  Realm.  art.  KrêtKi und  Piethi ;  Bertheau, 
Zur  Geech,  der  lêraeL  p.  307,  3i3  et  soiv. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  II.  &9 

du  m<»iis  UBanimes  pour  faire  venir  les  Philistins  de  Tfle  de 
Q^fhior^,  mot  vague,  qui,  comme  les  noms  de  Ktitim,  de  Thargi» 
et  SOpUr,  n'offirait  aux  Hébreux  dautre  idée  que  celle  d'un 
pays  maritime  et  lointain.  Le  mot  Cefhtor,  il  est  vrai,  corres- 
pond assez  bien  k  celui  de  Kinpos.  Mais  quand  on  voit  les 
Hébreux  désigner  en  général  toutes  les  fies  et  les  côtes  de  la 
Méditerranée  par  KiUm  (nom  propre  de  la  ville  de,  Gittium 
dans  rfle  de  Chypre)  et  Tharsis  (la  colonie  phénicienne  de 
Tartesse  en  Espagne),  on  admet  facilement  qu'ils  aient  pu  ap- 
pliquer le  nom  de  Vue  de  Chypre  à  bien  d'autres  lies  et  en 
particulier  à  la  Crète  ^.  Etienne  de  Byzance  '  nous  présente 
la  ville  de  Gaza  comme  une  colonie  Cretoise.  La  singulière  ex- 
pression Krethi  et  PUthi,  désignant  les  gardes  du  corps  du  roi 
David,  s'explique  dans  cette  hypothèse.  David,  qui  avait  fait 
un  long  séjour  chez  les  Philistins ,  et  qui  paraît  leur  avoir  em- 
prunté toutes  ses  idées  d'organisation  militaire ,  aura  très-bien 
pu  se  former  une  garde  d'étrangers  pour  réussir  dans  son  projet 
de  soumettre  toutes  les  tribus  à  celle  de  Juda.  PUthi  serait  une 
abréviation  de  Piitchthi,  et  les  deux  mots  auraient  été  réunis  par 
un  de  ces  jeux  de  sons  si  recherchés  du  peuple^. 

Quant  à  la  langue  des  Philistins ,  il  faut  avouer  que  presque 
tout  ce  qui  nous  en  reste  s'explique  par  les  langues  sémi- 
tiques; en  particulier  par  l'hébreu  :  riT^ , ^3)3r^^3 ,  ]\y^^\  quel- 

^  Le  diap.x  de  la  Genèse,  v.i&,Beinblele8  fidrevenir  d'Egypte  ou  da  pays  des 
(ItithHn  Mais  il  est  pn^xable  qa^  y  a  ea  cet  eodroit  une  tmnspoeitîon,  et  qa*il 
faat  placer  les  mots  DWnD3  DMI  après  D^n)^D3« 

*  S^il  était  permis  d^ajonter  une  conjecture  à  tant  d'antres,  je  proposerais  de 
noir  dans  Capkêor  le  nom  de  Gythère:  Kvdp:r=KF0p,  qui  a  fort  bien  pu  être  ap- 
pliqué à  rUe  de  Crète.  Cette  explication  est  du  moins  aussi  probable  que  celle 
de  M.  Ewald,  qui  voit  Gaphtor  dans  Kv3t&»  ou  Gydonie. 

'  Aux  mots  Tdla,  et  Miy«lMt. 

*  Conf.  Ewald,  Kritiêehe  GrammaUk,^,  997. 

*  Soit  de  y\  «poisson  ,7  soit  de  pi  «frumentum.»  ^ayàv  6s  Mt  Z/tw» 

1.  h 


50  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

<{àefois  par  l^aramëen  :  Mapvds  (nom  du  Jupiter  de  Gaia), 
oàJVM)  «seigneur  des  hommes»,  ou  K^ID^  Dominuf  noMler^. 
La  religion  des  Philistins  paratt  aussi  avoir  des  rapports  avee 
o^e  des  Phéniciens.  Cependant  le  mot  philistin  le  plus  carae^ 
térisé  que  nous  possédions,  po ,  signifiant /irmee ou jE^entorgne^ 
n'a  pas  d'analogie  sémitique  bien  déterminée  ^.  A  l'époque  de 
Néhémie,  les  habitants  d'Asdod  ou  Azot  parlaient  une  langue 
différente  de  celle  des  Juifs  [Néhém.  xiii,  9 3).  Mais  tout  cela 
est  évidemment  insuffisant  pour  asseoir  aucune  hypothèse  vrai- 
semblable sur  l'origine  des  Philistins.  Les  efforts  de  M.  Hitag 
pour  les  rattacher  aux  Pélasges,  et  pour  expliquer  les  mots 
philistins  par  les  langues  indo-eurc^éennes  n'ont  abouti  à  rien 
de  satisfaisant'.  Tout  ce  qu'on  peut  affirmer,  c'est  que  ce  petit 
peuple  vint  d'une  des  tles  de  la  Méditerranée  s'établir  à  l'angle 
de  la  Palestine  et  du  diSsert  d'Egypte,  d'où  il  expulsa  les  Av- 
véens,  peuplade  probablement  chananéenne.  [Deuiér.  ii,  â3.) 
Ce  fait  d'une  population  qni  semble  sémitique,  venant  de 
rOocident,  a  donné  lieu  à  un  système  assez  répandu  en  Alle- 
magne \  d'après  lequel  la  Crète,  la  Carie,  et,  en  général,  les 
fies  et  les  côtes  de  la  Grèce ,  auraient  été  occupées  avant  l'ar- 
rivée des  Hellènes  par  une  race  sémitique  et  chananéenne 
(Ére^pnte^),  qui,  refoulée  par  les  nouveaux  venus,  se  serait 
portée  vers  les  rivages  d'Egypte  et  de  Chanaan ,  en  laissant  son 

6  H  ^éydtw,  iwttMl  t^pB  mop  xai  dporpop,  ixXi^  ZeO«  Apérpto^.  Philo  Bibt. 
{Smichon,Jragm,  edit.  Orelli,  p.  96,  3â). 

1  Etienne  de  Byiaiioe,  au  mot  Tàia;  Vie  de  S.  Hiterion,  daoB  Rosweyde,  Fi'te 
Palmm,  p.  77  et  suiv.;  ooaf.  Selden,  De  Ha  «yrii,  p.  i&i  (Âmsterdnn,  1680). 

*  Gesenius,  Geich,  der  Mr.  Spr,  p.  55. 

'  Urgtiehiehte  und  My^iologi$  der  PhiUiiaer,  p.  33  et  suiv. 

*  Bertheau,  Zur  Geteh,  der  1er.  p.  190  et  suiv.;  Leogerke,  Kenoâm,  p.  195  et 
suiv.;  Movers,  Die  Phemixier,  I,  p.  10,  S7,  33;  II,  11,  p.  17-91  ;  Ewald,  Getçk, 
de»  V.  hr.  1,  p.  399  et  suiv.  (9*  édit). 


LIVRE  I,  CHAPITRE  II.  51 

aom  {Kari,  Krtti)  aux  côtes  qu'elle  avait  habitées,  et  le  nom 
de  ïipSeofùs  {\vi\  fleuve)  à  divers  fleuves  de  Crète  et  du  con- 
tment  ^  Souvent  même  on  rapporte  à  ces  hordes  de  Sémites 
erranls  l'invasion  de  l'Egypte  par  les  Hyksos  ^.  Ce  sont  là ,  je 
l'avoue,  des  hardiesses  qu'il  ne  me  paratt  pas  bon  d'imiter. 
Quand  on  voit  des  hommes  aussi  habiles  que  MM.  Hitzig,  Mo^ 
vers,  Quatremère  soutenir,  le  premier,  l'origine  anenne;  le 
second,  l'origine  sémitique;  le  troisième,  l'origine  africaine 
des  Philistins,  et  expliquer  le  petit  nombre  de  mots  qui  nous 
restent  de  leur  langue  par  le  sanscrit,  l'hébreu,  le  berber,  la 
défiance  ert  naturellement  commandée.  S'il  fallait  cependant 
énoncer  une  conjecture,  je  dirais  que  l'antipathie  qui  ne  cessa 
d'exister  entre  les  Philistins  et  les  tribus  sémitiques  environ- 
nantes, leur  système  politique  et  militaire  si  profondément  dis* 
tinct  de  celui  des  Sémites,  feraient  croire  qu'ils  n'apparte- 
naient pas  à  la  même  race  '.  Il  semble  que  les  idées  nouvelles 
de  gouvernement  qui  se  font  jour  avec  David  dans  l'esprit  des 
Israélites ,  et  qui  sont  fort  opposées  à  l'esprit  général  des  Sé- 
mites, provenaient  en  partie  des  Philistins. 

S  in. 

La  firontière  ori^itale  des  langues  sémitiques  n'est  pas  fa- 
cile à  déterminer.  Comme,  dès  la  plus  haute  antiquité,  il 
s'opéra  sur  les  bords  du  Tigré  un  grand  mélange  des  races  sémi- 
tiques, couschites,  ariennes  et  peut-être  touraniennes;  que  sou- 

'  Odtf$ê.my  99«;  RM,  VII,  i35;  Hérod.  I,  7;  ÀpoBod.  II,  ti,  3. 

^  Hérodote  (II,  i«8)  nous  apprend,  en  effet,  que  les  Egyptiens  attrilmaient 
la  oonatmctiofi  des  pyramides  au  berger  PhUitk  ou  Fhûitkm,  dont  le  nom  rap- 
pefle  bien  Ton  de  ceox  des  Philistins,  PMii  on  Phekti. 

'  Le  nom  de  UaXat&Jhii  qui,  chei  Hérodote,  déng;ne  la  Judée  entière,  est 
ansR  bien  remarquable,  en  ce  qn*il  établit  que  pour  les  nations  bellémques  le 
pays  des  Inraétites  n^élait  connu  que  comme  pays  des  Philistins. 

4. 


53  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

t 

vent  la  race  conc[uérante  et  la  race  conquise  conservèrent  leurs 
idiomes  distincts,  tout  en  cohabitant  dans  les  mêmes  murs, 
tandis  que  d'autres  fois  il  se  forma  des  dialectes  mixtes,  tels 
que  le  pehlvi,  les  questions  de  linguistique  relatives  à  ces  con- 
trées sont  singulièrement  compliquées.  Ainsi ,  il  est  certain  que 
dans  l'intérieur  de  Babylone,  il  se  parlait  des  langues  diffé- 
rentes, qui  n'étaient  pas  conçrises  d'un  quartier  à  l'autre  ^ 
Le  mythe  de  la  tour  de  confusion,  fondé  sur  l'étymologie  fic- 
tive du  nom  de  Babel,  reposait  sur  l'extrême  difficulté  que  les 
classes  diverses  de  la  population  y  trouvaient  à  s'entendre  ^.  Il 
semble  en  effet  que  cette  division  des  langues  correspondait  à 
des  divisions  de  castes;  c'est  ainsi  que  nous  voyons  Daniel  et 
ses  compagnons,  en  passant  d'une  classe  à  une  autre,  changer 
leurs  noms  hébreux  contre  des  noms  chaldéens  non  sémiti- 
ques [Dan.  I,  7)^. 

Au  milieu  de  cette  confusion,  voici  les  résultats  qui  parais- 
sent susceptibles  d'être  admis  avec  quelque  certitude  : 

i""  Nous  avons  cherché  à  établir  précédemment  que  le  séjour 
le  plus  ancien  des  peuples  sémitique^  devait  être  cherché  au 
delà  du  Tigre,  dans  les  montagnes  de  la  Gordyène  et  de  l'A- 
turie.  Le  passage  du  Tigre  par  ces  mêmes  peuplades  et  leur 
établissement  dans  la  Mésopotamie  dépassent  toute  date  appré- 
ciable. L'histoire  ne  commence  pour  elles  qu'au  moment  où 

'  M.  Qnatremère,  Mémoire  géogr.  tw  la  Bàb^lome,  p.  91. 

*  Ëy  èè  t9  BinSvA^yi  «roAO  mXjlfiot  dvSpAwùtv  ytpiaStu  iXkotBvôp  xwtotmaéjh 
TUS»  rii9  laXètUa»  (Euflèbe,  Q¥nn.  Arm,  i**  part.  p.  19-90,  édit  Aucher);  Ba- 
6vAfl^  . . .  ttdfifuxtop  ^Xov  . . .  «éfticet  (Eschyle,  Pênes,  5i ). 

'  Tous  les  édits  des  rois  de  Babylone  rapportés  dans  le  livre  de  Danid  (  m ,  &  ; 
T,  19;  Ti,  96;  vil,  16;  vu,  3i),  commencent  par  ces  mots  :  «On  voos  fait  sa- 

«voir,  peuples,  tribus,  ktngw» »  Ce  livre,  qui  n^est  que  du  11*  siècle  avant 

rère  chrétienne,  n'a,  il  est  vrai,  aucune  autorité  liistorique;  toutefois,  son  té- 
moignage a  de  la  valeur  pour  nous  attester  un  fait  qui  fut  longtemps  caraetéria- 
tique  de  la  Babylonie. 


.^ 


n 


LIVRE  I,  CHAPITRE  II.  53 

les  Térachites  passent  l'Euphrate  et  deviennent  Hébreux  (ot 
ospdfroi»  ceui:  d'au  delà).  On  peut  donc  envisager  la  race  sé- 
mitique comme  indigène  dans  le  bassin  supérieur  du  Tigre,  en 
conservant  à  ce  mot  le  sens  relatif  qu'il  doit  toujours  garder 
en  ethnographie. 

s"*  A  une  époque  également  anté*bistorique ,  nous  trouvons 
sur  le  Tigre  et  le  bas  Euphrate  une  race  étrangère  aux  Sémi- 
tes y  les  Gouschites ,  représentés  dans  les  souvenirs  des  Hébreux 
par  le  personnage  de  Nemrod  (  Gen.  x,  8-t  a  )  ^  et  dont  le  nom 
se  retrouve  dans  celui  des  D^n^s  ou  Cuthéens,  des  lUaaiot 
dHérodote,  des  Kootraîoi  et  du  Khomùtan  actuel^.  Tout  porte 
à  croire  qu'identiques  aux  Géphènes,  auxquels  la  tradition 
grecque  attribuait  la  fondation  du  premier  empire  ch^déen , 
ils  procédèrent  du  sud  au  nord,  et  se  portèrent  de  la  Susiane 
et  de  la  Babylonie  vers  l'Assyrie.  Babylone,  Ninive,  plusieurs 
des  grands  centres  de  population  groupés  autour  de  Ninive  et 
que  les  explorations  récentes  viennent  de  rendre  à  la  lumière , 
durent  à  ces  Gouschites  leur  promit  fondation.  Il  n'est  pas 
impossible  que  l'arrivée  de  ces  étrangers  dans  la  région  supé- 
rieure du  Tigre  ait  déterminé  les  premiers  mouvements  des 
Sémites,  et  qu'il  y  ait,  sans  doute  par  le  plus  grand  des  ha- 
sards, quelque  vérité  dans  la  fable  racontée  par  Tacite ,  et  d'a- 
près laquelle  les  Hébreux  seraient  :  «iËthiopum  proies,  quos 
«  rege  Cepheo  metus  atque  odium  mutare  sedes  perpulerit  '.  v 
Le  caractère  grandiose  des  constructions  babyloniennes  et  ni- 
nivites,  le  développement  scientifique  de  la  Ghaldée,  les  rap- 

'  Probablement  VAnuretatàa  lend,  le  Èkrdad  du  penan,  le  ManU  des  Hin- 
doos.  (  Gonf.  Bœtlicher,  Ariea,  p.  17  ;  Rudùn,  tmfth.  gémit,  p.  19-90). 

*  Iforen,  Die  Phœniziier,  t.  II,  i**  partie,  p.  269,  976,  s84  etsuiv.;  t.  II, 
s*  part.  p.  10&,  io5,  388;  Kjiobd,  Die  VmJkertufil  der  Geneeû,  p.  95i,  889  et 
8aiT.;D*Eduteiii,daii8  VAAenaumfrtmçaiÊ,  99  avril,  97  mai,  19  août  i856.  - 

'  Hiet.  Uv,  V,  ch.  H. 


5&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

ports  incontestables  de  la  civilisation  assynenne  avec  cdle  de 
l'Egypte  S  auraient  leur  cause  djems  cette  première* assise  de 
peuples  matérialistes,  constructeurs,  auxquels  le  monde  entier 
doit,  avec  le  système  métrique,  les  plus  anciennes  connais- 
sances qui  tiennent  à  l'astronomie,  aux  mathématiques  et  à 
l'industrie  ^. 

Ces  conjectures  sont,  du  reste,  en  pariait  accord  avec  les 
récents  travaux  de  M.  Oppert  sur  les  inscriptions  babyloniennes 
et  les  recherches  de  M.  Fresnel  sur  les  langues  de  l'Arabie 
méridionale.  Tous  deux  sont  persuadés  que  la  langue  des  ins- 
criptions babyloniennes  est  un  dialecte  sémitique  analogue  au 
dialecte  du  pays  de  Mahrah ,  situé  au  nord-est  de  l'Hadramaut. 
Or,  le  dialecte  du  pays  de  Mahrah  semble  représenter  un 
reste  de  l'ancienne  langue  de  Oousch.  M.  Fresnel  conclut  de 
là  que  c'est  en  Arabie  qu'il  faut  chercher  le  point  de  départ  des 
Gouschites  de  Nemrod  '.  Si  ces  hypothèses  sont  confirmées  par 
un  plus  mûr  examen,  il  faudra  créer  un  groupe  de  langues 
8émitique9''C0U8chàe8 ,  renfermant  l'himyarite,  le  g^ez,  le  mahri, 
la  langue  des  inscriptions  babyloniennes.  Mais  dans  l'état  ac- 
tuel de  la  science,  il  serait  prématuré  d'adopter  à  cet  égard 
aucune  formule  définitive. 

3"*  Les  noms  SArf-Kasà,  Awr-^Kasdim,  donnés  au  pays  d'où 
sortirent  les  Sémites  hébreux,  le  nom  de  JTasJ  qui  est  mis  de 
nouveau  en  rapport  avec  eux  (  Gen.  xxii ,  a  â  )  semblent  indi- 
quer qu'au  moment  où  cette  grande  émigration  se  dirigea  vers 
le  sud,  l'Assyrie  proprement  dite  et  la  Gordyène  étaient  d^à 
occupées  par  les  Kasdes  ou  Ghaldéens  primitifs,  que  tout  porte 

^  Gonf.  Kunik,  Mâtmgt»  anaUqvm  âe  VAead.âBS«àA-?iUnlb.  t  I,  p.  5o4  et 
soiv.  5is  el8uiv.;Lep6iu0,  Ckiimhgiê  dtr^gypter,  I  (Berlio,  i838),pawûii, 

*  Basdth^MeirologiâcheUmimuekimg^ 
dm-  lêroêUtenf  p.  99  et  bqîv. 

^  Jotim.  atiat.  juillet  1 853 ,  p.  38  et  suiv. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IL  55 

à  rattacher  à  ir  race  indo-arienne.  Nous  reviendrons  sur  ces 
Kasdes,  quand  nous  les  retrouverons,  non  plus  à  Tétat  de 
fflontagnards  à  demi-bariMires ,  mais  à  Tétat  de  dominateurs  de 
i'Orie&t,  sur  toute  la  ligne  du  Tigre  et  de  TEuphrate. 

&"*  Peu  après  l'émigration  des  Térachites,  à  Fépoque  d'A* 
brakam,  c'estp-à-dire  deni  mille  ans  environ  avant  Tère  due- 
tienne,  nous  trouvons  déjà  des  Iraniens  sur  le  Tigre  et  dans  la 
{dune  de  Sennaar.  Ariok  ou  Ariaka,  roi  d'Ellasar  ^,  Amraphel  ou 
Amarapàiay  roi  de  Sennaar,  alliés  de  Kedar-Laomr ,  roi  d'Elam 
(Inm);  et  de  Tbédal,  roi  des  Gfjm  ou  païens  (  G#fi.  ch.  xnr), 
portent  manifestement  dans  leur  nom  la  trace  d'une  origine 
arinme  ^.  Ces  rois  nous  apparaissent  déjà  exerçant  leur  suze- 
raineté jusqu'au  coeur  du  pays  de  Ghanaan ,  où  il  n'y  avait  en- 
core que  peu  de  Sémites  ',  et  vaincus  par  la  fière  et  puissante 
tribu  d'Abraham,  qui  campait  alors  dans  ces  parages.  —  Les 
noms  de  Tigre  et  de  Pkrat  sont  iraniens  et  non  sémitiques  ^. 
Les  noms  des  plus  anciennes  dynasties  fabuleuses  des  rois 
d'Assyrie,  tels  qn'ini»^  Aramu,  Mithrœus,  sont  également 


ariens  ^ 


S"*  D'Abraham  jusqu'à  la  première  moitié  du  viii*  siècle  avant 
l'ère  chrétienne ,  c'est-à-dire  pendant  près  de  douce  cents  ans ,  le 
|da8  profond  silence  règne  dans  les  annales  hébraïques  sur  les 
états  du  Tigre  et  du  bas  Euphrate.  Pendant  tout  ce  temps  les 
rdatioDs  d'Israël  sont  exclusivement  bornées  à  l'Egypte ,  à  la 

'  Larian,  maintenant  Nimroud,  près  dfi  MomouI,  atXbn  M.  Qaatnmère 
{hum.  du  Sœo,  1869,  p.  568 ,  6o5  et  suiv.). 

*  Kimik,  MAu^vf  oMÎaliqitn,  1. 1,  p.  595,  61 1  et  soiv.;  conf.  les  observations 
delf.Tnch,dan8la  ZsitMAr^i&rD.Ar.  GassO.  t.  I,p.  161  etsoiv. 

^  Les  pei^iies  qo'ils  ont  â  comliattre  sont  avant  tout  les  Re&îm ,  les  Zoonm , 
les  Émim,  non  sémili<jues. 

*  Buraouf,  CommmU  mur  U  YmpM,  I ,  addit.  p.  cliiii  et  siriv. 

*  Kunik ,  iè«l.  p.  61 9 ,  699 ,  63o. 


56  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Phénicie  et  à  ia  Syrie  de  Damas.  Tout  à  coup ,  sous  le  règne 
d'Osias,  roi  de  Juda,  de  Menahem,  roi  d'Israël,  à  Tépocpie 
brillante  d'Âmos,  d'Osée,  d'Isaîe  (vers  770  avant  l'ère  chré- 
tienne), apparaît  dans  l'histoire,  des  Sémites  une  puissance 
formidable,  dont  rien  jusque-là  n'avait  pu  leur  donner  une 
idée.  Les  écrits  d'Isaïe  nous  attestent  en  plusieurs  endroits 
Tétonnement  et  la  terreur  que  causèrent  tout  d'abord  aux  pe- 
tits^  états  sémitiques ,  qui  ne  connaissaient  d'autres  guerres  que 
des  razzias,  cette  redoutable  organisation  militaire,  cette  vaste 
féodalité  qui  faisait  tout  aboutir  à  un  même  centre ,  cette 
science  de  gouvernement  qui  leur  était  si  complètement  in- 
connue. On  sent,  au  premier  coup  d'œil,  qu'on  a  affaire  à 
une  autre  race,  et  qu'il  n'y  a  rien  de  sémitique  dans  la  force 
nouvelle  qui  va  conduire  le  sémitisme  à  deux  doigts  du  néant. 
A  Ninive ,  le  contraste  est  plus  frappant  encore.  C'est  une  im- 
mense civilisation  matérielle,  dont  la  physionomie  ne  rentre 
nuUement  dans  le  type  général  de  l'esprit  sémitique.  La  vie 
sémitique  se  présente  à  nous  conune  simple,  étroite,  patriar- 
cale ,  étrangère  à  tout  esprit  politique  ;  le  Sémite  n'est  pas  tra- 
vailleur ;  la  patience  et  la  soumission  que  supposent  cjiez  un 
peuple  des  constructions  comme  celles  de  l'Egypte  et  de  l'As- 
syrie lui  manquent.  A  Ninive,  au  contraire,  nous  trouvons 
un  grand  développement  de  civilisation  proprement  dite,  une 
royauté  absolue,  des  arts  plastiques  et  mécaniques  très-avancés, 
une  architecture  colossale,  un  culte  mythologique  empreint 
d'idées  iraniennes ,  la  tendance  à  envisager  la  personne  du  roi 
comme  une  divinité ,  un  grand  esprit  de  conquête  et  de  cen- 
tralisation. 

A  défaut  de  la  langue  à  jamais  perdue  de  ces  conquérants  ' , 

*  Les  prophèt«8  (/«.  ix?iii,  11;  xxiiii,  19;  Jér.  t,  i5;  Dmiér,  ixfiii,  69) 
prëoentent  les  peuples  d^Assyrie  et  de  Babylone  comme  un  peuple  dont  les  Juifs 


LIVRE  I,  CHAPITRE  II.  57 

si  nous  étudions  leurs  noms  propres,  nous  n'hésiterons  pas  à 
les  déclarer  étrangers  aux  Sémites.  Rien  n'est  si  facile  à  recon- 
naître, au  premier  coup  d'œil,  qu'un  nom  propre  sémitique  : 
or,  les  noms  nouveaux,  qui  frappèrent  pour  la  première  fois 
l'oreille  des  contemporains  d'Isale ,  les  noms  de  TighahrPiliser , 
de  Sanhirib,  SAtarhadion,  échappent  à  toutes  les  lois  qui  s'ob- 
servent  dans  les  noms  hébreux,  phéniciens,  syriaques,  arabes ^ 
Les  tentatives  d'Eichhorn,  d'Adelung,  d'Olshausen,  pour  ex- 
pliquer ces  noms  par  les  langues  sémitiques,  ont  complètement 
édioué.  Lorsbach,  Gesenius,  fioUen,  en  l^s  tirant  du  persan, 
ont  été  bien  plus  près  de  la  vérité ,  quoiqu'ils  n'aient  pas  tou- 
jours porté  dans  cette  analyse  Id  rigueur  désirable^.  Plusieurs 
noms  de  rois  assyriens,  conservés  par  Eusèbe  et  le  Syncelle, 
sont  médoperses^.  Tout  porte  à  croire,  par  conséquent,  que 
la  dynastie  qui  éleva  à  un  si  haut  degré,  au  viii*  siècle,  la 
puissance  de  Ninive  était  d'origine  arienne. 

6*  Quelques  années  après  l'apparition  des  rois  de  Ninive 
dans  les  affaires  de  l'Asie  occidentale,  vers  le  milieu  du 
VIII*  siècle,  une  dynastie  qui  offire  avec  celle  de  Ninive  des 
croisements  souvent  difficiles  à  démêler,  nous  apparaît  à  Ba- 
bylone.  D  est  probable  que  ces  deux  dynasties  n'étaient  que 
les  deux  branches,  tantôt  séparées,  tantôt  réunies,  d'une  même 
race  qui  régnait  alors  sur  le  Tigre  et  le  bas  Euphrate.  En  effet, 
les  noms  des  rois  assyriens  de  Ninive  et  des  rois  de  Babylone , 

n^enteodent  pas  k  langue;  mais  ces  passages  n^ont  pas  assex  de  prédsioD  pour 
({a*U  soit  p«niiis  d^en  tirer  une  oondusion  arrêtée. 

>  Ewald,  Gmtk.  à»  YfXb»  Itrad,  L  UI,  i"  part.  p.  399-300;  Winer,  Gram- 
moÈîk  iet  IM,  vnd  targwn,  CkaUL  p.  1  et  9. 

*  Cf.  Gesenins,  Ge$eh.  dtr  hèbr.  Spr.  p.  69  et  suiv.;  Tkeê,  passim;  KnobeL 
Dm  VaOuriêfii,  p.  156-167. 

'  Enseb.  Ouron,  orm.,  1"  part.  p.  98  etsm?.  (ëdit.  Aucher);  Georgii  Syn- 
cellt  Cknmof^.  p.  io3,  S07,  etc.  (Paris,  i65a). 


58  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

conservés  par  les  historiens  hébreux ,  appartiennent  à  une  même 
langue.  La  physionomie  de  ces  noms  et  les  procédés  de  com- 
position sont  identiques  de  part  et  d'autre  ;  souvent ,  ce  sont  les 
mêmes  mots  qui  servent  de  composants.  Ainsi,  on  retrouve 
dans  les  noms  propres  des  deux  nations  les  mots  *idkVd  ,  lOK  ou 
iiiH ,  pKni  et  ]1H.  Ces  analogies  semblent  indiquer  que  la  langue 
de  ia  dynastie  régnante  à  Babylone  était  la  même  que  celle  de 
Ninive,  et  que  les  questions  relatives  à  la  langue  et  aux  anti- 
quités de  ces  deux  peuples  doivent  être  réunies.  Il  est  remar^ 
quable,  cependant,  que  les  noms  de  dieux,  Nebo,  Nergal,  Me- 
rodak,  Bal,  ne  se  trouvent  que  dans  la  composition  des  noms 
babyloniens.  Or,  parmi  ces  noms ,  celui  de  Merodak,  qui  entre 
dans  la  composition  de  tant  de  noms  propres ,  Smmardak,  Mar^ 
dokempad,  Ev^Merodak,  etc.  est  certainement  iranien.  Il  faut 
en  dire  autant  des  noms  de  dignités  de  Tempire  assyro-baby- 
Ionien ,  nnD ,  "is^D ,  tï^i^D ,  etc. ,  dont  plusieurs  continueront  k 
être  employés  sous  la  dynastie  achéménide. 

'f  Au  vif  siècle  9  un  nom  que  nous  avons  déjà  trouvé  dans 
les  souvenirs  les  plus  anciens  des  Hébreux ,  celui  des  Koidim  ou 
Gfaaldéens ,  reparatt  tout  à  coup ,  après  quinze  cents  ans  d'oubli , 
dans  les  affaires  de  TOrient.  La  plus  grande  obscurité  plane  sur 
les  circonstances  qui  amenèrent  ce  peuple  à  régner  à  Baby- 
lone ^  Quoi  qu'il  en  soit,  dès  la  fin  du  vii*  siècle,  le  nom  des 
Kasdîm  est  indissolublement  lié  à  celui  de  Babylone ,  et  à  peu 
près  synonyme  de  Babyloniens  et  même  quelquefois  à* Assyriens  ^. 
Ezéchiel  (chap.  xxiii)  les  représente  comme  vêtus  d'habits  ma- 
gnifiques ^  montés  sur  des  chevaux  superbes ,  portant  de  longues 

1  Le  passage  à*I$a»ê,  uni,  i3,  réacNidrait  la  question,  s^il  était  dairement 
intdli^le.  Maibeareusemenl,  oe  passage  présente  de  grandes  olMCorités.  (Voy. 
Gesenius,  CommetU,  ûber  Jet.  a.  h.  i.) 

*  Jér,  ui,  4;  XIII,  35;  uv,  ]«,  etc.;  Pètudo-h.  xli,  i,  5;  xl?iii,  i&,  30  ; 
Ezéeh.  xxiii,  33. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IL  59 

tiares  pendantes ,  et  les  appelle  alternativement  oner^ ,  ^as  ^ ja. 
Nd>acadnezar ,  le  plus  cél^re  des  princes  de  cette  dynastie ,  est 
expressément  qualifié  de  Chaldéen  {Esdr.  y,  ta). 

Ce  que  nous  av<ms  dit  sur  l'idiome  des  dynasties  régnantes 
à  Ninive  et  à  Babylone ,  s'applique ,  par  conséquent ,  aux  Ghal- 
déens.  Le  livre  de  Daniel  distingue  expressément  la  langue  des 
Ghaldéens  de  la  langue  vulgaire  de  Babylone  (le  sémitique 
sans  doute  ))  et  nous  présente  l'étude  de  la  littérature  des 
Qialdéens  conmie  un  privilège  de  la  classe  noble,  une  sorte 
d'enseignement  réservé  ^  qui  se  donnait  dans  une  école  du  pa- 
lais ^  Malheureusement  ce  livre,  assez  moderne,  parait  écrit 
sans  aucun  sentiment  de  la  réalité  historique  :  peut-être  le 
mot  ChaUéens  y  est-il  déjà  pris  dans  le  sens  conventionnel  que 
lui  donnaient  les  Grecs  et  les  Latins  (XoXJSouoi-  yévos  MdycâP^ 
Hesych.)^.  Il  est  remarquable  pourtant  que  les  noms  de  cour 
que  reçoivent  Daniel  et  ses  compagnons  à  la  place  de  leurs 
noms  juifs,  n'ont  rien  de  sémitique  [Dan.  i*  y)* 

Nous  avons  admis  précédemment  que  la  population  des 
Kaiie$  s'établit ,  dès  une  haute  antiquité ,  dans  les  montagnes  qui 
limitent  au  nord-est  le  bassin  supérieur  du  Tigre.  Tous  les 
géographes  anciens  placent  des  Ghaldéens  en  Arménie,  dans 
le  Pont  et  le  pays  des  Ghalybes  '.  Là  était  sans  doute  la  Ghaldée 

*  «Le  rai  ordonna  à  son  grand  eimuqne  de  loi  aanener  les  pins  beau  et  las 
epfais  nobles  des  enfants  d^Israâ  et  ceux  qd  étaient  instmils  dans  toute  sorte 
«deadenees,  afin  qu'ils  habitassent  don  palais,  et  fussent  instraits  dans  la  litté- 
«rature  et  la  langue  des  Ghaldéens.»  (Dtm,  i,  6.)  —  Si  nous  voyons  un  peu  plus 
loin  (il,  A)  les  Ghaldéens  parler  en  aroni^,»c'est  sans  doute  un  aitifiee  de  Tau- 
teoT,  pour  intercaler  dans  son  texte  un  firagment  écrit  en  cette  langne;  car  le 
discours  fini,  il  continue  son  rédt  en  araméen« 

*  Dan.  n,  a,  L  CL  Winer,  M2.  Beahxmt.  I,  aai-aaa;  De  Welte,  £mU- 
fifYniilaiii.  7.  S  955  a. 

'  Gf.  Winer,  BAI  Hêahoœrt,  i.  I,  p.  317-916;  Knobei,  Die  Vmiktirk^  der 
(rtiwmt,  p.  i63. 


60  HISTOIRE.DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

primitive,  un  repaire  de  belliqueux  montagnards,  redoutés 
dans  tout  TOrient  pour  leurs  brigandages  ^,  servant  dans  les 
armées  étrangères,  et  jusque  dans  Tlnde,  comme  mercenaires^, 
parfaitement  semblables ,  en  un  mot ,  à  ce  que  sont  de  nos  jours , 
dans  les  mêmes  contrées,  les  Kurdes,  avec  lesquels  on  a  tant  de 
raisons  pour  les  identifier. 

En  effet,  entre  les  deux  formes  du  nom  de  ce  peuple,  l'une 
hébraïque,  Kasdm,  l'autre  grecque  XalSaloi,  on  est  autorisé  à 
supposer  la  forme  intermédiaire  Kard,  voisine  de  la  première 
par  l'affinité  des  lettres  s  et  r^  et  de  la  seconde  par  l'affinité  des 
liquides  /  et  r  '.  Cette  forme  réparait ,  aux  diverses  époques ,  avec 
une  persistance  remarquable  dans  les  noms  de  peuplades  et  de 
montagnes  du  Kurdistan  :  KdpSeucetj  KapSoS/fti^^  KopStaiot^ 
ropSvriPoi^  Fopiuaioi,  KJpTioi,  Gordiani,  Kardu  (nom  de  la 
province  d'Ararat  dans  la  paraphrase  chaidaîque,  et  du  mont 
Ararat  chez  les  Syriens)^,  Kurdes;  dans  les  inscriptions  cunéi- 
formes de  Persépolis,  Kudraha  ou  Ghudrâiâ^.  Cette  identité, 
aperçue  par  Michaelis,  Schlœzer,  Friedrich,  Heeren,  mais  dé- 
montrée d'abord  par  MM.  Lassen  et  Cari  Ritter'',  est  mainte- 

^  Habacuc,  i,  6  et  suiv.;  Job,  i,  17;  Xénoplioii,  Cyrop.  III,  i,  3&;  Ânab, 
IV,  m,  û;  VII,  Tiii,  a5. 

*  Xénoph.  Cyrop,  III,  11,  7;  VII,  11,  5;  Ânab,  IV,  m,  k. 

^  M.  Oppert  croit  pourtant  que  le  passage  de  Ka»d  à  KM  s^explique  directe- 
ment par  Taffinité  des  lettres  2  et  <  dans  ie  dialecte  des  inscriptions  babyloniennes  : 
ainsi  la  forme  atU^hd  y  deviendrait  aUapheL 

*  Cette  dernière  forme  est  sans  doute  venue  aux  Grecs  par  Tarménien ,  comme 
rindique  la  terminaison  pluridle  Gardoukh, 

^  Âssem.  BibL  onmt.  II ,  1 1 3  ;  III ,  9*  part  p.  73&. 
"  Bumouf,  Mém,  tur  quelqwi  ifucr,  euné^.  p.  i&o;  Lassen,  loc.  w^ra  cîL 
7  Lassen,  iKf  dlp§ni§chm  KeUmêekr^tenwmPsnêpolii  (Bonn,  i836),  p#  81- 
86,  et  dans  la  Zeitêchift  fir  Us  Ktmde  dê$  Morgenhndeê,  t.  VI  (i8â5), 
p.  &9-5o ;  Westergaard,  tbid,  p.  370  et  suiv.  ;  Jacquet,  Joumai  atiat.  juin  1 838 , 
p.  593  et  suiv.;  Ritter,  Erdkwidê,  Aufl.  I  (1818),  t.  Il,  p.  788-796;  t.  VHT, 
p.  90  et  suiv.;  t.  IX ,  p.  63o. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  II.  61 

nant  généralement  admise  ^  On  est  donc  autorisé  h  chercher 
dans  la  langue  des  Kurdes  les  traces  de  Tancienne  langue  des 
Ghaldéens.  Or,  la  langue  kurde  se  rattache  de  la  manière  la 
plus  évidente ,  aux  dialectes  iraniens ,  et  même  aux  formes  les 
plus  anciennes  de  ces  dialectes.  Cest  à  tort  que  Ton  a  présenté 
cette  langue  comme  un  mélange  de  persan  et  de  sémitique, 
analogue  au  pehivi  ^.  Les  mots  sémitiques  y  sont  peu  nom- 
breux, et  s'y  sont  introduits  soit  par  l'arabe  depuis  l'islamisme, 
soit  par  Taraméen ,  à  l'époque  des  missions  nestoriennes  ^.  Le 
turc  depuis  quelques  siècles  y  a  introduit  presque  autant  de 
mots  que  l'arabe  et  le  syriaque  réunis. 

Tous  ces  £dts  semblent  nous  inviter  à  considérer  les  Ghal- 
déens établis  à  Babylone  au  vii*  siècle  avant  notre  ère ,  comme 
un  rameau  détaché  de  la  famille  iranienne  qui  s'établit  plus  de 
deux  mille  ans  avant  notre  ère  dans  les  montagnes  du  Kur- 
distan ,  où  on  la  retrouve  encore  aujourd'hui.  Peutrétre  l'ha- 
bitude où  étaient  ces  peuples  de  se  mettre  à  la  solde  des  Etats 
voisins,  leuraura-t-elle  livré  Babylone,  de  la  même  manière  que 
Bagdad  tomba,  quinze  cents  ans  plus  tard,  sous  la  dépendance 
des  milices  du  Nord,  que  le  khalifat  était  obligé  d'entretenir. 
Devenus  la  caste  dominante  à  Babylone ,  ils  auront ,  comme  les 
Turcs ,  donné  leur  nom  au  pays ,  bien  que  l'immense  majorité 
de  la  population  appartint  à  une  autre  race.  Mais  comment  ce 

>  Geseniiis,  Thêi.  au  mot  D^'7er3  ;  Roediger  et  Pott,  dans  la  ZeiUehr^fSr  die 
KmJê  d»  Oorgmlmdm,  L  m  (  18&0),  p.  6  et  siôy.;  Ewald,  GêêehieKtê  d» 
Foflw  hr.  I,  333;  Layard,  Diêcoverieg  m  the  rvûu  qfNmeoeh  and  Babyhn,  wUh 
fnswb  m  Amema,  Kurdùtan,  etc.  (London,  i853),pa«fM9i;  Konik,  M^angei 
«mC  I,  53i  et  Buiv.,  5&o,  note;  Hitzig,  Drgeêch,  dit  PhHàtam',  p.  &6;  Pott, 
dans  r&wyci.  d*Ench  et  Grnber,  art.  hdagmrm,  Spra^êtamm,  p.  59;  Lengerke, 
Kemaam ,  p.  sao-aai. 

*  Ad^ing,  iÊMtkndaiê,  I,  aSi,  997;  Klaproth,  Aii^pahfghtta,  p.  76  etsuiv. 

^  Rœdiger  et  Pott,  Kurdiêchê  Studimi,  dans  la  ZnUckr^fir  die  Kunde  dei 
ihpgmitmdu,  t  m  (18&0),  init.;  Ritter,  Erdkmdê,  i,  IX,  p.  698  et  tmv. 


n 


68  HISTOIRE  DBS  LANGUES  SÉMITIQUES. 

nom  de  Chaldéem,  qui  semble ,  dans  les  écrivains  hébreux ,  dé- 
signer un  peuple  exclusivement  militaire ,  en  était-il  venu ,  dès 
Fépoque  d'Hérodote  ^  à  désigner  une  classe  de  prêtres ,  et ,  quel- 
ques siècles  après,  un  corps  de  savants',  c'est  ce  qu'il  est  assez 
difficile  d'expliquer.  Peut-être,  conune  les  Mèdes,  avec  lesquels 
ils  ont  plus  d'un  lien  de  parenté ,  ou  conune  le^  Celtes ,  dont 
on  a  voulu  les  rapprocher,  les  Kasdes  avaient^-ils ,  à  cAté  de 
leurs  institutions  militaires,  une  dasse  sacerdotale  analogue 
aux  Druides  ou  aux  Mobeds  ^.  Peut-être  aussi  leurs  institutions 
scientifiques  étaient-elles  un  héritage  des  anciens  Couschites, 
qui  paraissent  avoir  eu  les  premiers  en  Asie  des  connaissances 
astronomiques  et  physiques.  La  distinction  des  Kasdes  (ce  mot 
désignant  la  caste  scientifique  et  sacerdotale)  et  des  Ghaldéens 
(militaires)  adoptée  par  quelques  savants ,  résoudrait  ces  diffi- 
cultés. Mais  il  serait  singulier  que  les  écrivains  hébreux,  qui 
doivent  être  sur  ce  sujet  les  mieux  renseignés ,  euss^it  réuni 
des  peuples  si  divers  sous  le  nom  de  oncf 9 ,  surtout  quand  on 
voit  aussi  chez  les  Grecs  le  mot  XoX&tiof  désigner  tour  à  tour 
les  hordes  de  montagnards  à  demi-sauvages  des  monts  Car- 
duques  et  la  classe  savante  de  Babylone. 

8^  Les  Perses,  en  se  substituant,  vers  le  milieu  du  vi*  siècle, 
aux  Ghaldéens  dans  la  domination  de  l'Orient,  ne  firent  donc 
que  continuer  sur  le  Tigre  et  le  bas  Euphrate  l'action  que 
la  race  iranienne,  sous  des  noms  divers,  était  en  possession 
d'y  exercer  depuis  les  temps  anté-historiques.  Dans  ma  pensée, 
toute  la  grande  civilisation  qu'on  désigne  du  nom  un  peu  vague 
d'assyrienne,  avec  ses  arts  plastiques,  son  écriture  cunéiforme, 
sa  religion  en  grande  partie  arienne ,  ses  institutions  militaires 

'  Hérod.  fftii.1,  i8if  i83. 

*  Du.  II,  9,  5, 10;  IV,  &;  T,  7,  11. 

'  BcrgUMum, LmfmÊf^itfinmt^ de Uraee deJtffkê, p..t5, a3, Ao, A7 ctmiv. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IL  63 

et  sacerdotales,  nest  pas  l'œuvre  des  Sëmites  ^  La  puissante 
faculté  de  conquête  et  de  centralisation,  qui  semble  avoir  été 
le  privilège  de  TÂssyrie ,  est  précisément  ce  qui  manque  le  plus 
à  la  race  sémitique.  S'il  est,  au  contraire,  un  don  qui  semble 
appartenir  en  propre  à  la  race  indo-européenne ,  c'est  celui-là. 
La  race  tartare  n'a  couru  le  monde  que  pour  détruire  ;  la  Chine 
et  l'Egypte  ^  n'ont  su  que  durer  et  s'entourer  d'un  mur  ;  les 
races  sémitiques  n'ont  connu  que  le  prosélytisme  religieux;  la 
race  indo-européenne  seule  a  été  conquérante  à  \a  grande 
manièffe,  à  la  manière  de  Gyrus,  d'Alexandre,  des  Romains , 
de  Gharlemagne.  L'Assyrie  nous  apparaît  à  cet  égard  comme  un 
premier  essai  d'empire  unitaire,  fondé  par  une  aristocratie 
féodale ,  ayant  à  côté  d'dle ,  comme  en  Médie  et  en  Perse ,  une 
caste  religieuse.  Nous  sommes  donc  autorisés  à  rattacher  la 
classe  dominante  de  l'Assyrie,  au  moins  depuis  le  viii*  siècle, 
à  la  race  indo-«rienne. 

Quant  au  fond  de  la  population ,  à  ^inive  comme  dans  la 
Babylonie,  elle  était  sans  doute  sémitique.  Nos  idées  sur  les 
Gouschites  ne  sont  point  encore  assez  arrêtées  pour  qu'on  puisse 
dire  dans  quel  rapport  était  cette  race  avec  les  Sémites ,  et  si 
eiie  n*était  dle^même,  à  Babylone,  dans  l'Yémen,  en  Ethiopie, 
qu'une  fraction  particulière  de  la  race  sémitique.  Ge  qu'il 
y  a  de  certain ,  c'est  que  la  plupart  des  localités  d'Assyrie  et  de 
Babylonie  portent  des  noms  sémitiques,  dès  la  plus  haute 
antiquité.  Tels  sont  les  noms  de  villes  :  n^y  nsnn ,  mentionnée 

'  G^est  ce  qu^a  très-bien  vu  M.  Kunik,  Mélangm  a$ùu.  1,  p»  53o  et  siûy. 
699,  63o.  L^opinion  qui  regarde  les  empires  de  Ninive  et  de  Babylone  comme 
•éBDftiqaM,  ne  peot  ^uère  être  soutenue  que  par  des  personnes  étrangères  aux 
élodea  sémitiqneB;  Spiegel,  Aveita,  1,1**  Excurs;  Dunker,  Geich.  de»  AlUr- 
c&«ms,I  (1869). 

*  Les  conquêtes  lointaines  de  Sésoetris  paraissent  n^étre  qu^un  roman ,  ou  du 
mouM  ont  été  fbrt'exagérées. 


6&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

dans  le  plus  ancien  document  relatif  à  TAssyrie  [Gen.  x,  1 1  ), 
Gaugamèle ,  Mespila  ;  et  les  noms  de  rivières  Zab  ou  Lifcus  (aicî 
=  Xiixos)j  Zabate  ou  Caprus  ({j(<iA2LZ  =  caprea).  Les  noms 
du  grand  dieu  babylonien  Bel,  de  la  déesse  de  la  fortune  Gad, 
ainsi  que  des  dieux  assyriens  "^Vd^ik,  ^l^D^y,  j^V2i  sont  sémi- 
tiques ou  renferment  au  moins  des  éléments  sémitiques.  Il  en 
faut  dire  autant  du  composant  pK  (  seigneur  ),  qui  entre  dans 
plusieurs  noms  propres  pK^s  [cui  Belus  dommus  e9t)y  etc.,  et 
peut-être  "même  du  nom  de  Sémiramis.  Enfin  au  deuxième 
livre  des  Rois  (c/xviii,  cf.  h.  c.  xxxvi),  on  voit  un  envoyé  du 
roi  Sanhérib,  nommé  Rabschaké,  entretenir  une  conversation 
du  bas  des  remparts  de  Jérusalem  avec  les  habitants,  et  le 
grand-prétre  Eliakim  le  prier  de  ne  pas  parier  hébreu,  mais 
araméen  (n^pnK),  afin  que  le  peuple  ne  puisse  le  comprendre. 
Son  nom  même  (nptf^sn),  et  celui  de  son  compagnon  (ono^s*)) , 
sont  deux  noms  de  dignités  purement  sémitiques. 

9**  Il  semble  assez  naturel  de  supposer,  d'après  ce  qui  vient 
d'être  dit,  que  sous  Tune  des  trois  sortes  d'inscriptions  cunéi- 
formes se  cache  un  idiome  sémitique.  C'est  en  effet  une  opinion 
généralement  admise  qu'il  faut  chercher  dans  les  langues  sémi- 
tiques l'explication  des  inscriptions  de  la  seconde  espèce,  dites 
assyriennes  et  babyloniennes.  Et  cette  opinion ,  il  faut  le  dire, 
n'est  pas  seulement  professée  par  les  savants  qui  avec  plus  de 
hardiesse  et  d'ardeur  que  de  philologie  et  de  méthode ,  se  sont 
lancés  dans  l'interprétation  de  textes  peut-être  à  jamais  fer- 
més pour  la  science.  Elle  est  celle  des  deux  hommes  les  plus  ca- 
pables de  faire  autorité  sur  ce  sujet,  et  qui ,  après  avoir  fait  faire 
à  l'interprétation  des  inscriptions  de  la  première  espèce  un  pas 
décisif,  ont  eu  le  courage  et  la  bonne  foi  de  s'arrêter  quand  les 
moyens  d'investigation  leur  ont  manqué.  M.  Lassen  est  persuadé 
que  dans  les  inscriptions  cupéiformes  trilingues,  l'un  des  textes 

9 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IL  65 

doit  être  e^  àraméen.  M.  Eugène  Bumouf,  d*un  autre  côté, 
après  avoir  consacré  beaucoup  de  temps  au  déchiffrement  des 
inscriptions  assyriennes,  sentit  lui  manquer  les  instruments 
qui  Tavaient  si  bien  servi  dans  le  déchiffrement  des  inscrip- 
tions persanes,  et  s'arrêta  devant  la  conviction  que  ces  ins- 
criptions couvraient  une  langue  sémitique.  Avec  cette  réserve 
scrupuleuse  qu'il  portait  dans  tous  ses  travaux,  il  ne  voulut 
.  pas  rester  sur  un  terrain  où  il  ne  pouvait  déployer  toutes  ses 
ressources,  et,  donnant  un  exemple  trop  rarement  suivi,  il 
aima  mieux  laisser  inédites  de  vastes  recherches,  que  d'aban- 
donner quelque  chose  au  hasard  et  de  traiter  un  sujet  pour 
lequel  il  n'était  pas  spécialement  préparé. 

Quelle  que  soit  la  valeur  de  ces  autorités,  il  est  remar- 
quable que  les  personnes  qui  ont  fait  des  langues  sémitiques  une 
étude  particulière ,  sont  en  général  peu  disposées  à  voir  une 
langue  sémitique  derrière  cet  étrange  alphabet.  La  répugnance 
instinctive  qu'elles  éprouvent  à  cet  égard,  tient  à  des  raisons 
au  fond  très-sérieuses.  Les  langues  sémitiques,  en  effet,  dès  la 
plus'  haute  antiquité,  ont  eu  leur  alphabet  propre,  dont  le 
type  le  plus  ancien  est  l'alphabet  phénicien  ;  à  aucune  époque, 
ni  sur  aucun  point  du  monde,  une  langue  sémitique  ne  s'est 
écrite  avec  un  alphabet  différent  de  celui-là  ^  ;  l'alphabet  him- 
yarite  et  l'alphabet  ghez  eux-mêmes,  qui  semblaient  d'abord 
isolés,  entrent  aujourd'hui  dans  la  famille  des  alphabets  dérivés 
du  phénicien.  Il  y  a  donc  un  alphabet  sémitique,  inséparable 
des  langues  sémitiques.  Que  l'alphabet  phénicien  dans  l'anti- 
quité, l'alphabet  arabe  au  moyen  âge  aient  été  adoptés  par  des 

• 

^  L^eipression  avpiaxà  ypéft^utra  a  certainement  désigné,  dans  Tantiquité, 
de»  ioflcriptions  cunéifornM^  (Diod.  Sic  II,  xiii,  a);  mais  Temploi  indécis  des 
mots  lettreB  <wyriewiigt,  «3frinmef ,  ehMtuqueê,  ne  permet  de  tirer  de  ce  fait  an- 
cane  induction.  (Voy.  Jacquet,  dans  le  Journal  asiatique  y  mai  i838,  p.  /î/ia  et 
soiv.;  Quatremère,  Mém,  i%tr  la  Nabot,  p.  1 96-1219.) 

j.         '  6 


66  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

peuples  qui  jufique-ià  n'avaient  point  écrit  ;  que'  l'écriture  cu- 
néiforme se  soit  appliquée  indistinctement  à  des  langues  qui 
n'avaient  pas  d'alphabet  propre ,  conune  les  dialectes^  non- 
sémitiques  de  l'Assyrie ,  de  la  Perse  et  de  la  SIédie ,  rien  de 
plus  simple  :  mais  qu'on  ait  écrit  avec  ces  derniers  caractères 
des  langues  qui  avaient  déjà  leur  alphabet,  et  un  alphabet 
plus  parfait,  c'est  ce  qui  semble  contraire  k  toutes  les  aaalogies. 
Pour  la  haute  antiquité,  une  langue  est  inséparable  de  son 
alphabet  :  quelquefois  même  nous  voyons,  en  Orient,  l'alpha- 
bet déterminer  le  nom  de  la  langue  ;  c'est  ainsi  qu'aujourd'hui 
de  l'arabe  é^rit  en  caractère  syriaque  dans  le  Mont  Liban  ne 
s'appelle  plus  de  l'arabe,  mais  du  kartehauni. 

Ce  qui  confirme  ce  raisonnement  de  la  manière  la  plus  frap* 
pante,  c'est  qu'en  effet  à  Ninive  et  à  Babylone,  sur  les  briques 
mêmes  ou  les  gâteaux  d'argile  qui  portent  des  inscriptions  en 
caractères  cunéiformes,  on  trouve  parfois  des  hién^yphes 
égyptiens  et  des  inscriptions  en  langue  et  en  caractère  sé- 
mitiques. Que  conclure  de  ce  fait  capital ,  dont  les  dernières 
fouilles  de  M.  Layard  et  de  M.  Fresnel  ontfoumi  de  nombreux 
exemples  \  sinon  que  l'usage  d'écrire  chaque  langue  dans  son 
alphabet  ne  souffrait  pas  d'exception  en  Assyrie  ?  On  pourrait 
supposer,  il  est  vrai,  que  l'alphabet  cunéiforme,  en  qualité 
d'alphabet  monumental,  pouvait  s'appliquer  à  des  langues 


'  Il  ne  faut  pas  compter  au  nombre  de  oes  anciens  monnmento  de  lM|»gnpliie 
sémitique  les  piats  de  brome  portant  des  inscriptions  en  caractères  hébraïques 
et  êMttanghelo,  que  M.  Layard  a  trouvés  à  Babylone,  et  que  Ton  a  voulu,  bien  è 
tort,  rapporter  à  Tépoque  la  plus  ancienne  du  séjour  des  Juifs  en  Assyrie  (Diê- 
C0vene$  in  the  ntifu  o/Nmeoeh  and  Babyhm,^.  Sog  et  suiv.).  Les  idées  magiques 
et  cabalistiques  qui  s^y  rencontrent  et  qui  raj^lent  le  livre  d^Hénoch,  feraient 
regarder  ces  inscriptions  comme  Touvrage  des  Gnoatiques  ou  des  Sabiens,  et, 
en  tous  cas,  obligent  de  les  rapporter  à  une  date  bien  plus  récente  que  celle 
qu'on  voulait  ieur  attribuer. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  II.  67 

divines,  de  même  qae  M.  Laasen  et  M.  Layard  ^  ont  suppose, 
non  sans -vraisemblance,  que  Tali^babet  sémitique  devait  é|re 
Falphabet  cursif  de  rOrient  assyrien  et*  persan.  Mais  la  parité 
n  est  pas  entière  ;  car  on  comprend  que  des  langues  qui  n'oni 
qa*un  alphi^et  in]|»raticable  dans  les  relations  privées  emprun- 
tent ailleurs  leur  alphabet  cursif,  tandis  qu'on  ne  concevrait  pas 
qu'une  langue  possédant  un  alphabet  aussi  parfait  que  l'ali^UH 
bet  sénodtique  se  fût  laissé  écrire  dans  un  caractère  aussi  im- 
parfait et  aussi  compliqué  que  celui  des  inscriptions  cunéi- 
formes. L'écriture  alphabétique  est  depuis  une  hante  antiquité 
le  privilège  particulier  des  Sémites  :  c'est  aux  Sémites  que  le 
monde  doit  l'alphabet  de  ving^-deux  lettres.  Gomment  supposer 
que,  pour  écrire  sur  les  moiuiments  les  langues  sénûtiques, 
on  les  eût  dépouillées  de  l'alphabet  qu'on  leur  empruntait 
pour  l'usage  privé  ?  Il  est  clair  que  toutes  ces  considérations 
devraient  céder  devant  un  déchiffrement  vraiment  scientifique , 
qui  étaUirait  que  l'une  des  écritures  cunéiformes  recèle  une 
langue  sénûtique.  Mais  juscpi'à  ce  que  cette  démonstration  ait 
été  fournie  (et  il  faut  avouer  qu'elle  ne  l'est  pas  encore),  on 
en  sera  réduit  aux  conjectures  et  aux  opinions  préjudicielles. 
Or,  je  dois  dire  qu'avec  le  sentiment  que  je  peux  avoir  du 
sémitîsme,  il  me  répugne  profondément  d'admettre  qu'une 
langue  purement  sémitique  ait  jamais  été  écrite  dans  cet  al-' 
[Jiabet. 

Je  n'ignore  pas  que  cette  manière  de  voir  eai  en  opposition 
avec  celle  de  la  plupart  des  savants  qui  se  sont  occupés  jus- 
qu'ici du  déchiffrement  des  inscriptions  de  la  deuxième  espèce. 
Remarquons  toutefois  que,  même  en  acceptant  comme  établie» 
les  lectures  proposées,  celles  de  M.  de  Saulcy,  de  M.  Oppert, 


>  Luam,  àBmh  ZêUêMftfir  di$  Kvnde  dm  Morgmkmdêt ,  i.  VI  (i8&5), 
p.  569  ;  Layard,  Diaeovêneê,  p.  i55,  366. 

5. 


68  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

par  exemple,  il  s^en  faut  que  l'on  obtienne  un  idiome  pure- 
ment sémitique.  Tous  reconnaissent  que  Tidiome  caché  sous  ces 
inscriptions  ne  ressemble  à  aucun  des  dialectes  sémitiques  ac- 
tuellement existants ^  Mais,  s'il  en  est  ainsi,  avec  combien  de 
réserve  ne  doit-on  pas  se  laisser  aller  au  dangereux  penchant 
de  supposer  des  formes  et  des  mots  inconnus  dans  une  famille 
aussi  honH)gène  et  aussi  limitée  que  la  famille  sémitique  !  Gham- 
poUion  déprécia  sa  méthode,  en  créant  de  sa  propre  autorité, 
pour  le  besoin  de  ses  explications,  des  mots  dont  le  copte  ne 
présente  aucun  vestige;  j'ose  dire,  au  contraire,  que  Bumouf 
n'a  jamais  inventé  une  seule  forme  grammaticale  sans  y  être 
invinciblement  conduit  par  l'analogie. 

M.  Oppert  suppose  que  la  langue  des  inscriptions  de  la 
deuxième  espèce  se  rapproche  de  l'ehkili,  du  mahri,  en  un 
mot  de  la  branche  d'idiomes  qui  semble  devoir  porter  le 
nom  de  causchùe^.  Or,  bien  que  ces  idiomes  offrent  un  fond 
sémitique,  ils  diffèrent  assez  sensiblement  du  reste  de  la  fa- 
mille, pour  y  former  une  classe  tout  à  fait  à  part.  Je  suis  per- 
suadé du  moins  que  si  un  dialecte  de  cette  espèce  a  été  parlé 
sur  les  bords  du  Tigre  et  de  TEuphrate,  cet  idiome  y  était 
considéré  comme  distinct  de  l'araméen.  C'est  là  au  fond  tout 
ce  qu'il  importe  de  maintenir.  Qu'une  langue  à  demi  sémi- 
tique ,  comme  les  idiomes  couschites ,  ou  mêlée  de  sémitique  et 
d'arien,  comme  le  pehlvi',  ait  été  écrite  en  caractères  cunéi- 
formes, il  n'y  a  en  cela  rien  d'impossible.  La  seule  hypothèse 

^  Oppert,  dans  VAtheruBum français,  ai  oct.  i85&. 

'  M.  Baiisen  développe  une  hypothèse  analogue,  OutUnet,  I,  198  et  soiv. 
(London,  iSbh), 

^  Plusieurs  savants,  tels  que  M.  Holxmann  (de  Garlsruhe),  croient  que  les 
inscriptions  dites  médiqvêt  sont  conçues  dans  un  idiome  mixte  de  cette  espèce. 
Cf.  Zeitêchr^  der  deutêchen  morgetdândùchên  GmeUêche^,  t.  V  (i85i  ),  p.  ià5 
et  suiv. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IL  69 

qui  répugne ,  est  celle  d'un  dialecte  purement  sémitique ,  comme 
serait  Taraméen,  avec  ses  formes  simples,  sa  division  régulière 
de  la  sj'Uabe,  ses  articulations  si  nettement  classées,  écrit  dans 
un  alphabet  différent  de  celui  que  les  Sémites  eux-mêmes  se 
créèrent  pour  leur  usage  personnel. 

Je  m'abstiendrai,  en  conséquence,  de  faire  usage,  dans  le 
cours  de  cet  écrit,  d'aucune  interprétation  des  écritures  cunéi- 
formes de  la  seconde  et  de  la  troisième  espèce.  En  supposant 
que  plusieurs  des  résultats  annoncés  arrivent  un  jour  à  une 
démonstration  rigoureuse,  mon  essai  se  trouvera  incomplet 
dans  quelques-unes  de  ses  parties,  et  l'on  pourra  me  repro- 
cher de  n'avoir  pas  tenu  compte  de  travaux  qui ,  si  on  leur  ac- 
cordait une  valeur  pleinement  scientifique,  seraient  sans  doute 
de  la  plus  haute  importance  pour  l'histoire  des  langues  sémi- 
tiques. Mais  ce  serait  là  un  inconvénient  moindre,  à  mes  yeux,, 
que  celui  d'accorder  ici  une  place  à  des  données  sur  lesquelles 
n'a  point  encore  passé  un  contrôle  assez  sévère.  S'il  faut  savoir 
gré  aux  personnes  qui  s'aventurent  sur  ces  terres  inconnues, 
en  s'exposant  à  mille  chances  d'erreur  et  de  non-succès,  la 
plus  grande  réserve  est  commandée  en  présence  de  résultats 
conbadictoires ,  obtenus  par  une  méthode  incertaine ,  et  quel- 
quefois présentés  sans  aucune  démonstration.  N'est-on  pas  ex- 
cusable de  douter,  en  pareille  matière,  quand  on  voit  l'homme 
qui  s'est  fait  le  plus  grand  renom  dans  les  études  assyriennes, 
M.  Rawlinson ,  soutenir  que  les  Assyriens  ne  distinguaient  pas 
les  noms  propres  par  le  son,  mais  par  le  sens,  et  que,  pour  in^- 
diquer  le  nom  d'un*  roi,  par  exemple,  il  était  permis  d'em- 
ployer tous  les  synonymes  qui  rendaient  à  peu  près  la  même  ' 
idée;  —  que  le  nom  de  chaque  dieu  est  souvent  représenté 
par  des  monogrammes  différents  les  uns  des  autres  et  arbi- 
trairement choisis  ;  —  qu'un  même  caractère  se  lisait  de  plu- 


70  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

sieurs  manières ,  et  doit  être  eonsidëré  tour  à  tour  comme  idéo- 
graphique ou  phonétique ,  alphabétique  ou  syllabique ,  selon  le 
besoin  de  l'interprétation;  —  quand  on  voit,  dis-je,  M.  Raw- 
linson  avouer  que  plusieurs  de  ses  lectures  sont  données  uni- 
quement pour  la  commodité  des  identifications ,  que  souvent 
il  s'est  permis  de  modifier  la  forme  des  caractères  pour  les 
rendre  plus  intelligibles^;  —  quand  on  le  voit,  enfin,  bâtir 
sur  ces  frêles  hypothèses  une  chronologie  et  un  panthéon  chi- 
mériques de  l'ancien  empire  d'Assyrie  ?  Que  penser  des  ins- 
criptions, dites  médiques,  qui  seraient  écrites,  s'il  fidlait  en 
croire  le  même  savant,  dans  une  langue  où  la  déclinaison  se- 
rait turque ,  la  structure  générale  du  discours  indo-européenne , 
le  pronom  sémitique ,  les  adverbes  indo-*européens ,  la  conjugai- 
son tartare  et  celtique,  le  vocabulaire  turc,  mêlé  de  persan  et  de 
sémitique  ?  A  cette  méthode ,  je  préfère  encore  celle  de  M.  Nor- 
ris,  qui,  persuadé  comme  MM.  Westergaard  et  de  Saulcy, 
que  la  langue  des  inscriptions  de  la  troisième  espèce  est  scy- 
tique  ou  tartare  (ce  que  je  ne  veux  pas  nier),  entreprend  de 
les  expliquer  par  l'osdak  et  le  tchérémisse,  et  prétend  nous 
donner,  avec  le  secours  des  inscriptibns,  une  grammaire  scy- 
thique  complète^.  Il  faut  manquer  bien  pnrfbndément  du  sen- 
timent de  la  philologie  pour  s'imaginer  qu'en  réunissant  sur 
sa  table  quelques  dictionnaires,  on  pourra  résoudre  le  pro- 
blème infiniment  déUcat,  s'il  n'est  pas  insoluble,  d'une  langue 
inconnue  écrite  dans  un  alphabet  en  grande  partie  inconnu. 
Lors  même  que  la  langue  des  inscriptions  serait  parfaitement 
déterminée,  ce  ne  serait  que  par  une  connaissamce  intime  de 

^  Voir  les  obBervations  de  M.  de  Longpérier,  mow  aroft^Jofî^,  i5  aoât 
1 85o ,  et  de  M.  de  Saalcy,  Aàienœvim  fronçai» ,  a8  mai ,  1 1  juin ,  1 7  septembre 
i853. 

*  Jùwmal  oj  the  r<nfàl  oMiie  Sœwtjf,  vol.  XV,  part.  1 . 


LIVRE  I,  CHAPITRE  II.  71 

tous  les  idiomes  voisins  qu'on  pourrait  arriver  à  donner  avec 
certitude  Texplication  grammaticale  et  l'interprétation  de  ces 
textes  <4)seurs. 

i  o\  La  dynastie  achéménide  acheva  d'opérer,  sur  les  bords 
du  Tigre,  la  fusion  des  langues  sémitiques  et  iraniennes.  Le 
pehivi  ou  huzwaresch,  qui  représente  ce  mélange,  est  tellement 
chargé  de  mots  araméens  qu'on  doit  l'envisager  cooune  un 
idiome  métis.  C'est  bien  à  tort,  toutefois,  que  William  Jones, 
Balbi  et  les  anciens  linguistes  le  placèrent  parmi  les  langues 
séoiitiques.  La  grammaire,  en  effet,  est  le  vrai  crùerium  pour 
la  classification  des  langues  ;  or,  la  granunaire  pehlvie  est  tout 
iranienne  ^.  Le  point  de  formation  du  pehivi  doit  être  placé 
dans  les  provinces  occidentales  de  la  Perse  ^,  en  Susiane,  se- 
lon Erskine  et  Bask  ;  dans  la  Ghaldée  du  nord ,  selon  d'autres 
conjectures^.  Il  semble,  toutefois,  qu'à  l'époque  de  l'ère  chré- 
tienne  les  limites  des  langues  sémitiques  étaient,  du  côté  de 
la  Perse,  à  peu  près  ce  qu'elles  sont  aujourd'hui;  c'est-à-dire 
qu'elles  s'étendaient  jusqu'aux  montagnes  qui  limitent  à  l'orient 
le  bassin  du  Tigre  et  du  Zab.  Deux  mots  de  la  langue  de  l'A- 
diabène,  qui  nous  ont  été  conservés  par  Josèphe\  sont  pure- 
ment araméens.  Les  noms  des  rois  de  cette  contrée  sont,  il  est 
vrai,  persans  ;  mais  je  n'oserais  conclure  de  là,  avec  M.  Qua- 

^  Mâlier,  Mftn.  mar  k  fMoi,  dans  le  Journal  mmUfue,  avril  1889  ;  LasBeo, 
dus  ia  ZâUehr^fir  dk  Kunde  det  Morgmkmdes,  VI,  p.  5&7;  Spiegel,  dans  la 
Zmtaehriftfir  dis  Wisêemcht^ der  Spnehe  de  Hœfer,  t.  I,  p.  64  et  suy. 

*  MoU,  Le  Lnre  det  roie,  1 1 ,  préf.  p.  uii-xit. 

'  Fott,  E^fmfl'  Fet^hemgem,  Eînl.  p.  nui.  Gependol,  dans  TEncydopédie 
d*Eneh  et  Graber  (artirie  bÊdogentmiêeker  Spre^heiamm,  p.  5a  ei  sihy.), 
M.  Pott  cherche  à  établir  (pe  le  pebhd  nom  représente  la  langue  des  Partfaes, 
remplacée,  A  fépoqae  des  Sassanides,  par  le  parm;  tefie  est  aussi  Topinion  de 
M,  Quatremère. 

*  De  beUo  Jud,  1.  V,  c.  xi  ;  AtUifq.  1.  XX ,  c  11. 


72  HISTOIRE  DES  LAKGUES  SÉMITIQUES. 

■ 

tremèreS  que  la  langue  du  pays  fût  mêlée  de  persan  et  de 
syriaque  :  une  dynastie  étrangère  porte  ses  noms  avec  elle  ; 
l'histoire  d'Arménie  présente  une  foule  de  souverains  avec  des 
noms  persans ,  sans  que  jamais  le  persan  ait  été  la  langue  de 
TArméoie. 

S  IV. 

Il  nous  reste  à  discuter  les  frontières  de  la  race  sémitique 
du  côté  deTisthmade  Suez,  et  à  rechercher  si  la  langue  copte, 
qui  nous  représente  avec  une  exactitude  suffisante  l'ancien 
égyptien ,  doit  être  rangée  dans  la  même  famille  que  l'hébreu , 
l'arabe  et  le  syriaque.  Les  premiers  savants  qui  s'occupèrent 
du  copte,  Barthélémy,  de  Guignes,  Giorgi,  de  Rossi,  Kopp, 
frappés  de  quelques  analogies  extérieures ,  s'empressèrent  de 
proclamer  la  ressemblance  de  cette  langue  avec  l'hébreu.  Re- 
naudot  avait  déjà  aperçu  le  peu  de  solidité  de  ces  rapproche- 
ments, et  M.  Quatremère,  dans  le  savant  mémoire  où  il  établit 
peut  la  première  fois  le  véritable  caractère  et  l'importance  de 
la  langue  copte  ^,  n'hésita  point  à  déclarer  que  cette  langue 
constitue  une  langue  mère  et  sans  analogie  avec  aucun  autre 
idiome  connu. 

La  méthode  de  la  philologie  comparée ,  éclose  en  Allemagne 
au  commencement  de  ce  siècle,  a  fait  nattre  une  nouvelle  sé- 
rie d'efforts  pour  classer  la  langue  copte.  M.  Lepsius  fit  pa- 
raître ,  en  1 836 ,  deux  opuscules  ^,  où,  par  la  comparaison  des 

'  Mém,  aur  hê  NabaL  p.  68,  ia5,  ia6. 

'  Mém.  êur  la  langue  et  la  Uuérahtre  de  VEgypte  (Paris,  i8o8) ,  p.  i6. 

^  Zwei  eprachoerglmehende  Abhandlungen, I.  Ueber  die  Anordvng  und  Verwandi- 
êchafldee  Setnitûchen,  Indùchen,  ^(hiopisehen,  Altpertischen  und  AU-^gyptûdien 
A^habetê.  II.  U^>er  dm  Ureprung  und  die  Verwandtêchtfi  der  Zahhoorter  m  der 
Indo-germamechen ,  Semitùehen  und  Koptitehen  Spraehe  (Bertin,  i836).  Voir 
aussi  une  lettre  du  même  savant  publiée  par  le  D'  Wiseman  dans  ses  Coifér. 
iur  lê$  rapport»  entre  la  science  et  la  reUgion  rhéiUe,  V  dise,  s*  part.' 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IL  73 

noms  de  nombre  et  des  alphabets,  il  cherche  à  établir  Tiden- 
tité  originelle  des  trois  familles  indo-européenne,  sémitique  et 
copte.  Toutefois,  il  reconnaissait  que  le  copte  formait  un  ra- 
meau parfaitement  distinct  et  presque  aussi  différent  du  ra- 
meau sémitique  que  celui-ci  l'est  du  rameau  indo-européen. 
M.  Schwartze  a  soutenu  la  même  thèse  ^  Le  copte,  suivant  ce 
philologue,  forme  à  lui  seul  une  famille,  analogue  aux  langues 
sémitiques  par  sa  grammaire  et  aux  langues  indo-germaniques 
par  ses  racines,  mais,  en^général ,  plus  rapprochée  des  langues 
sémitiques  par  un  caractère  de  simplicité ,  par  le  manque  de 
structure  logique  et  le  degré  de  culture  auquel  elle  est  par- 
venue. 

M.  Théodore  Benfey,  dans  une  dissertation  spéciale  ^,  a  re- 
pris le  parallèle  du  copte  et  des  langues  sémitiques,  et  re- 
cueilli avec  un  soin  minutieux  tous  les  faits  grammaticaux  qui 
peuvent  servir  à  cette  comparaison.  La  conclusion  de  son  livre, 
c'est  que  la  famille  sémitique  doit  se  diviser  en  deux  branches 
séparées  par  l'isthme  de  Suez  :  la  branche  asiatique ,  renfer-^ 
mant  toutes  les  langues  qu'on  est  convenu  d'appeler  sémitiques, 
et  la  branche  africaine,  renfermant  le  copte  et  toutes  les  langues 
de  l'Afirique  septentrionale  jusqu'à  l'Atlantique.  Ces  deux  bran- 
ches s'étant  séparées  à  une  époque  où  elles  possédaient  encore 
leur  fécondité  organique ,  se  sont  développées  à  part  et  en  diver- 
geant de  plus  en  plus  l'une  de  l'autre.  Elles  forment  ainsi,  dans 
la  famille  sémitique,  une  division  analogue  à  celle  que  cons- 
tituent, dans  la  famille  indo-européenne,  la  branche  celtique, 
la  branche  slave,  la  branche  germanique,  etc.,  lesquelles  of- 

*  Da$  akê  ^gyptm  (Leipôg,  i8&3),  2*  part,  p^  976,  io33,  sooS  et  suiv.; 
KapiiBche  Grammatik  (Berlin,  i85o) ,  p.  6-7. 

'  Uêber  doi  VerhàUniêi  der  /Egyptuehen  Spraehe  zum  Semùiieheti  Spraehêtamm 
(Leipng,  iShh). 


là  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

frent  toas  les  traits  d'une  évidente  parenté  i  quoiqu'elles  aient 
suivi  des  lois  de  développement  fort  différentes ,  par  suite  d'une 
scission  originelle.  M.  Bunsen  ^  a  adopté  les  mêmes'  conciu-' 
sîons  et  cherché  à  démontrer  que  les  formes  et  les  racines 
de  l'ancien  égyptien  ne  s'expliquent  ni  par  l'arien  ni  par  le 
sémitique  isolés,  mais  par  ces  deux  familles  à  la  fois.  Plus 
récemment,  M.  Ernest  Meier^  et  M.  Paul  Bœtticher'  ont  es- 
sayé d'appuyer  la  même  thèse  par  des  arguments  empnMtés 
à  la  comparaison  des  radicaux.  Du  même  sentiment,  enfin, 
semble  se  rapprocher  M.  Ae  Rougé  ^,  quand  il  insiste  sur  les 
analogies  du  copte  avec  l'hébreu  et  cherche  à  établir  que  plus 
on  remonte  dans  l'antiquité  de  la  langue  égyptienne,  plus  oh 
y  trouve  de  ressemblances,  surtout  quant  à  la  syntaxe,  avec 
les  langues  sémitiques. 

Ajoutons,  toutefois,  que  ces  divers  travaux  n'ont  point  passé 
sans  de  vives  contradictions.  MM.  Pott  *,  Ewald  ^  Wenrich  "^ 
protestèrent  à  diverses  reprises  contre  l'abus  de  la  méthode 

1  /Egifpkm  StêOe  m  der  WeUgBtMike,  V  livre,  p.  xi,  nii,  338  et  mi. 
(  Hambourg,  i8&5.)  —  Dans  son  récent  ouvrage,  intitulé  :  (huUne$  oj  t^  pfctb- 
«op^y  ofwmenal  hiitory,  appUed  to  kmguage  and  rsi^gfion  (L  I",  p.  i83  et  suiv. 
t.  n ,  p.  58  et  soiv.),  M.  Bunsen  regarde  la  langue  de  TÉgypte  comme  représen- 
tant vmû  preoiière  couche  anté-faistoriqae  dn  sëmilisme  :  les  langues  de  la  GU- 
dée  formeraient  la  seconde  couche.  On  remarquera  que  la  thèse  générale  de  mon 
livre,  sur  Thomogénéité  des  langues  sémitiques,  est  opposée  à  ce  sentiment,  et 
que  je  n^admets  d^autre  sémitîsme  que  celui  que  M.  Bunsen  appdle  hùUmqvê 
(hébreu,  araméen  et  arabe). 

*  l&brmeke»  Wurubocnierbuck  (Manheim,  i8&5),  Asihang  ubtr  doê  Vêt- 
hâUmês  de$  ^gypt  Spraehitammet  zum  Semitiichen. 

^  Wurze^orêchungen  (  Halle ,  1 8  5  s  ). 

*  Mémoin  »wr  Vûucr^tion  du  tombeau  d^Ahmk,  p.  igS.  Paris,  i85i.  (Ex- 
trait des  Mé».  de  VAead.  de$  mter,  et  beUe94BUreê  y  Savants  étrangers ,  t.  HI.  ) 

'  HaUiichê  Jahrhûchm',  publiés  par  Echtenneyer  et  Ruge,  i838,  p.  &6i. 

*  OmtlmgûeKÊ  gdehrte  Amêigm)  i8ft5,  p.  ig6k. 
'  Wiener  JaM,  der  Ut,  i.C\Ym,  p.  lUg, 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IL  .  75 

comparative  appKqaée  à  des  langues  aussi  dissemblables. 
M.  Ewald  surtout  \  à  propos  du  livre  de  M.  Benfey,  insista 
vivement  sur  le  tort  que  de  pareils  ouvrages  faisaient  H  la  phi- 
logie,  en  répandant  sur  la  méthode  de  cette  science  une  teinte 
de  vague  et  d'aibitraire.  Les  regrettables  personnalités  que  ce 
savant  mêle  presque  toiogours  à  ses  critiques  enlèvent,  il  est 
vrai,  beaucoup  de  force  à  ses  observations.  On  ne  peut  nier, 
cependant,  que  trop  souvent  les  comparaisons  de  ce  genre  ne 
se  fassent,  en  Allemagne,  sans  une  étude  suffisante  des  langues 
qu'il  s'agit  de  comparer,  et  sans  cette  profonde  connaissance 
des  âéments  du  problème  qui  seule  peut  inspirer  une  pleine 
confiance  dans  les  résultats  annoncés  par  l'auteur. 

L'opinion  de  M.  Ewald  sera ,  ce  me  semble ,  cette  de  toutes 
'  les  personnes  qui  auront  été  amenées  par  leurs  études  à  un  sen- 
timent délicat  du  génie  des  langues  sémitiques.  Et  d'abord, 
on  avoue ,  ce  qui  est  grave  assurément ,  que  les  ressemblances 
lexicologiques  sont  nulles,  ou  presque  nulles,  entre  les  deux 
groupes.  Quant  aux  ressemblances  grammaticales,  toutes  n'ont 
pas  un  caractère  également  démonstratif.  Les  analogies  de  syn- 
taxe prouvent  ici  fort  peu  de  chose  :  elles  tiennent  beaucoup 
plus  à  un  degré  de  culture  intellectuelle  analogue  qu'à  une 
identité  primitive.  On  ferait  une  liste  presque  aussi  longue 
que  celle  de  M.  Benfey,  des  idiotismes  qui  se  rencontrent  à  la 
fois  en  hébreu  et  dans  les  plus  anciens  auteurs  grecs,  sans 
qu'on  voulût  en  conclure  que  le  grec  et  l'hébreu  dérivent  d'une 
même  source.  Une  pensée  forte,  vive,  figurée,  à  une  époque 
où  la  langue  a  encore  conservé  sa  naïveté  et  sa  liberté,  s'ex- 
primera par  des  tours  analogues  chez  les  peuples  les  plus  di- 
vers. Le  style  d'Eschyle  est  presque  celui  des  poètes  hébreux. 
La  poésie  runiquedes  Scandinaves  offre  des  analogies  frap- 

àm  Kt»^  det  Motgmdtmdei ,  t.  V  (i8ââ),  p.  6s5  elsuiv. 


76  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

pentes,  pour  le  tour,  avec  l'ancienne  poésie  parabolique  des 
Sémites.  En  voudrait -on  conclure  la  parenté  des  Grecs,  des 
Scandinaves  et  des  Hébreux  ? 

Il  est,  je  le  sais,  des  analogies  plus  profondes  et  beaucoup 
plus  considérables  aux  yeux  des  linguistes,  qui  semblent  rat- 
tacher la  langue  copte  aux  idiomes  sémitiques.  L'identité  des 
pronoms ,  et  surtout  de  la  manière  de  les  traiter  dans  les  deux 
langues,  est  assurément  un  fait  étrange.  Cette  identité  s'ob- 
serve jusque  dans  les  détails  qui  semblent  les  plus  accessoires  : 
plusieurs  irrégularités  apparentes  du  pronom  sémitique  (le  chan- 
gement du  n  en  *]  à  l'affixe,  par  exemple),  trouvent  même  dans 

la  théorie  du  pronom  copte  une  satisfaisante  explication. 

« 

PBOKOMS  ISOL^. 

Copte.  Hébreu. 

i^p.sing.  5.nOK '•piK 

3*  p.  sÎQg.  nTOK  et  en  baschmourique  St2^K.  .    nriK  pour  nn^K 
i"  p.  pi.    B-UOn  et  en  baschmourique  ^ItS-Xt  • . .  un^K 

a*  p.  pi.    iïnfttnn oriKpourDWK 

PBOlfOMS  SUFFIXES. 

Copte.  Hébreu, 

i-p.sing.  ï ^ ^ 

a'p.sing.  K. , 1 

3*p.sing.  CJ[ î 

i^p.pi.    ît U 

2*p. pi.     ^Eît DD 

Les  analogies  des  noms  de  nombre,  signalées  par  M.  Lep- 
sius ,  ne  sont  pas  moins  frappantes.  Exemples  :  Cn5.*7(  =  d^:^^  ; 
Cy OJUL^  =  vbv  ;  CO  =  C?«?  ;  C&Ujq  =  Vac?  ;  OJJULO-îfn  = 

n:iDis^9  etc.  L'agglutination  des  mots  accessoires,  l'assimilation 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IL  77 

des  coDsoimes,  le  rôle  secondaire  de  la  voyelle,  son  instabilité 
qui  la  fait  souvent  omettre  dans  Técriture ,  sont  autant  de  traits 
qui  rapprochent  singulièrement  la  grammaire  égyptienne  de 
la  grammaire  hébraïque.  —  La  conjugaison  elle-même  n'est 
pas  sans  quelques  analogies  dans  les  deux  langues  :  le  présent 
copte,  conune  le  second  temps  des  langues  sémitiques,  se  forme 
par  Tagg^utination  du  pronom  en  tête  de  la  racine  verbale  ;  les 
autres  temps  se  forment  au  moyen  d'une  composition  semblable 
à  celle  qu'emploient  les  langues  araméennes.  On  trouve,  en 
copte,  l'emploi  d'une  forme  cansative  analogue  à  Yhiphil,  et 
la  voix  passive  y  est  marquée ,  comme  dans  les  langues  sémi- 
tiques, par  une  modification  de  ki  voyelle  du  radical.  —  La 
théorie  des  particules  offre  aussi,  de  part  et  d'autre,  quelques 
ressemblances;  la  conjonction  copte,  comme  la  conjonction 
arabe,  est  susceptible  de  régime  :  ^J3S^=zetùjmi  ipse;  5->pOK 
=eurtu.  Enfin,  upe  entente  analogue  de  la  phrase  et  une  con- 
cation  presque  identique  des  rapports  grammaticaux  établis- 
sent entre  les  deux  systèmes  de  langues  d'incontestables  affi- 
nités. 

Mais  ces  affinités  suffisent-elles  pour  ranger  dans  une  même 
famille  les  langues  entre  lesquelles  on  les  observe?  Sont-ce 
de  simples  ressemblances  comme  on  en  remarque  entre  toutes 
les  langues,  ou  des  analogies  vraiment  organiques  et  tenant  à 
une  conmiune  origine  ?  C'est  ici  que  le  problème  devient  déli- 
cat et,  à  vrai  dire,  presque  insoluble.  11  implique  une  ques- 
tion de  méthode  sur  laquelle,  dans  l'état  actuel  de  la  linguis- 
tique ,  on  ne  peut  rien  dire  de  bien  précis.  L'histoire  naturelle 
a  des  signes  parfaitement  déterminés  pour  établir  les  embran- 
chements, les  classes,  les  genres  et  les  espèces;  la  linguistique 
n'en  a  pas.  C'est  une  question  de  degré ,  sur  laquelle  l'appré- 
ciation individuelle  de  chaque  linguiste  pourra  varier.  Si  l'on 


78  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

veut  attribuer  à  la  classificalioD  des  langues  en  familles  un  sens 
positif,  en  doit  faire  correspondre  cette  division  à  un  fait  réel 
et  historique.  Elle  doit  vouloir  dire  qu'à  l'origine  de  l'humanité 
le  langage  apparut  sous  un  ou  plusieurs  types ,  qui  ont  pro- 
duit »  par  leur  développement,  toutes  les  divtf sites  actuelles. 
Or,  nous  n'avons  pas  assez  de  lumières  sur  les  temps  primitifs 
pour  aborder  ce  difficile  problème.  Le  naturaliste  nest  pas 
obligé  de  décider  si  chaque  genre  représente  une  forme  de 
création  primordiale  :  il  se  contente  de  dire  que  les  goures , 
dans  l'état  actuel  de  notre  planète,  sont  irréductibles.  Le  lin- 
guiste, dont  les  hypothèses  impliquent ,  quoi  qu'il  fasse,  une 
assertion  historique ,  serait  4enu  à  quelque  chose  de  plus  ;  et 
pourtant  il  ne  possède  qu'un  seul  critérium  pour  établir  la  di^ 
tinction  des  familles,  c'est  l'impossibilité  d'expliquer  cimmient 
le  système  de  l'une  a  pu  sortir  du  système  de  l'autre  par  des 
transformations  régulières.  De  là  au  fait  primitif,  qui  seul 
pourrait  offirir  aux  classifications  linguistiques  une  base  solide 
et  clairement  intelligible ,  il  y  a  un  abhne  qu'aucun  e^rit  sage 
ne  se  décidera  jamais  à  franchir. 

Du  moins ,  à  la  question  ainsi  posée  :  «  Peut-on  expliquer  par 
un  développement  organique  comment  le  système  des  langues 
sémitiques  a  pu  engepdrer  le  système  de  la  langue  copte ,  ou  réci* 
proquement  ?  »  il  faut  répondre  sans  hésiter  d'une  manière  néga- 
tive. Des  rapprochements  partiels ,  comme  ceux  que  l'on  signale, 
sont  tout  à  fait  insuffisants  pour  établir  une  affinité  primitive. 
Un  système  granunatical  v|i  tout  d'une  pièce,  et,  il  est  absurde 
de  supposer  que  deux  groupes  de  langues  possèdent  en  commun 
une  moitié  de  leur  grammaire  sans  se  ressembler  par  l'autre. 
Certes  il  nous  est  difficile  d'expliquer  l'identité  d'âéments  en 
apparence  aussi  accidentels  que  les  pronoms  et  les  noms  de 
nombre.  Quelle  raison  a  pu  déterminer  les  races  diverses  à 


LIVBE  I,  CHAPITRE  II.  79 

(Mrendre  le  t  pour  caractéristique  de  la  seconde  persouae  du 
flogulier,  In  pour  caractéristique  de  la  première  personne  du 
pluriel  ?  n  serait  puâril  de  le  rechercher.  Avouons  pourtant  que 
les  preiaiers  hommes  ont  pu  se  laisser  guider  en  cela  par  des 
analogies  qui  nous  échappent.  La  théorie  du  pronom^  tient  d'une 
manière  si  intime  à  la  constitution  même  de  Tesprit  humain , 
qu  elle  appartient  presque  aux  catégories  de  la  logique ,  et  doit, 
coflime  ces  catégories ,  se  retrouver  partout  la  même.  Quant  aui 
noms  de  nombre,  ils  se  rattacheraient  de  très-près  aux  pro- 
noms ,  s'il  fallait  ajouter  foi  aux  vues  ingénieuses  que  M.  Lepsius 
luinméme  »  dans  la  seconde  des  dissert^ious  précitées,  a  émises 
sur  ce  sujet. 

L'élément  le  plus  essentiel  sur  lequel  on  puisse  instituer 
la  comparaison  des  langues,  ce  sont  assurément  les  flexions 
du  nom  et  du  verbe  ;  or,  c'est  précisément  par  ce  côté  que  le 
système  de  la  langue  égyptienne  diffère  du  système  sémiti- 
que. La  langue  égyptienne  mérite  à  peine  de  prendre  rang 
parmi  les  langues  à  fierions.  Plus  on  remonte  vers  son  état 
primitif,  plus  on  trouve  une  langue  analogue  au  chinois,  une 
langue  monosyllabique,  sans  ciment,  si  j'ose  le  dire,  expri- 
mant les  modalités  par  des  exposants  groupés,  mais  non  agglu- 
tinés autour  de  la  racine.  Ces  exposants  sont  eux-mêmes  des 
UÊ(Àsplem$,  qui  dépouillent  accidentellement  leur  rignification 
pour  devçnir  des  signes  de  grammaire.  On  ne  peut  voir  un 
^E^  du  hasard  dans  ce  fait,  que  l'écriture  idéographique  se 
rencontre  précisément  appliquée  aux  deux  langues  qui,  par 
leur  structure ,  appelaient  pour  ainsi  dire  ce  genre  de  notation. 
Une  langue  habituée  k  donner  à  chaque  idée  et  à  chaque  rap- 
port son  expression  isolée ,  devait  être  amenée  à  choisir  un  sys- 
tème graphique  analogue ,  peignant  les  choses  et  leurs  rapports 
par  un  signe  indivis.  Au  contraire ,  on  ne  concevrait  pas  que  les 


80  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

» 

langues  sémitiques,  avec  leurs  fleidons  délicates,  se  fussent  créé 
un  instrument  aussi  mal  approprié  à  leur  nature.  L'écriture 
alphabétique  fondée  sur  l'emploi  d'un  petit  nombre  de  carac- 
tères, est  un  des  traits  les  plus  essentiels  des  langues  sémi- 
tiques. 

J'ajouterai  à  propos  de  l'Egypte  ce  que  j'ai  dit  des  civilisa- 
tions de  l'Assyrie  et  de  la  Babylonie.  La  civilisation  égyp- 
tienne, envisagée  dans  son  ensemble,  n'a  rien  de  sémitique. 
La  langue  et  l'esprit  des  Sémites  nous  apparaissent  avec  un  si 
grand  caractère  d'uniformité  qu'il  répugne  d'admettre,  dans  le 
sein  de  cette  famille,  des  branches  qui  s'éloignent  d'une  ma- 
nière essentielle  du  type  général.  Si  la  langue  et  l'histoire  de 
l'Egypte  présentent  des  éléments  sémitiques  difficiles  k  mécon- 
nahre,  il  faut  se  rappeler  que  durant  plusieurs  siècles,  l'in- 
fluence sémitique  fut  très-forte  en  Egypte  *.  L'Egypte  n'était 
qu'une  étroite  vallée  entourée  de  Sémites  nomades,  qui  vivaient 
à  côté  de  la  population  sédentaire ,  tantôt  soumis ,  comme  nous 
le  voyons  pour  les  Beni-Israël,  tantôt  maîtres,  conmie  dans  le 
cas  des  Hyksos,  mais  toujours  détestés  (^Çen.  xlvi,  34).  L'étroite 
vallée  du  Nil  portait  seule  le  nom  de  Xn/x/  (terre  noire);  le 
reste  du  pays  s'appelait  XiGin^  à  l'ouest,  ApaSia^  à  l'est  Cette 
seconde  partie ,  où  l'on  ne  voyait  qu'un  prolongement  de  l'Ara- 
bie, était  occupée  alors  comme  de  nos  jours,  par  des  Bédouins: 
on  a  remarqué  que  la  terre  de  Goschen,  habitée  par  Jies  Israé- 
lites, était  elle-même  un  désert  fort  ressemblant  à  la  région 
sémitique  de  l'Asie^. 

Il  faut  donc  former  pour  la  langue  et  la  civilisation  de  l'E- 
gypte une  famille  à  part,  qu'on  appellera,  si  l'on  veut,  chami- 

^  Mover8,'Di9  Phcenàier,  I,  33  et suiv.;  Joum,  qfthe royal amai,  SodêL  i85A, 
p.  198. 

*  Bertheau ,  Zur  G«ich.  der  I$rael,  p.  aâo  ;  conf.  Gm,  ch.  xlti. 


LIVRE  I.  CHAPITRE  IL  '    81 

tique.  An  même  groupe  appartiennent  sans  doute  les  dialectes 
noo-sëmitiques  de  TAbyssinie  et  de  la  Nubie  :  plusieurs  mots 
de  l'ancien  égyptien  s'expliquent,  ditr-on,  par  ces  langues^.  Des 
recherches  ultérieures  nous  révéleront  si,  comme  on  Ta  con- 
jecturé non  sans  raison,  les  langues  indigènes  du  nord  de 
TAfrique,  le  berber  par  exemple,  qui  parait  représenter  le 
libyque  et  le  numide  anciens ,  doivent  être  rangés  dans  la  même 
famille  ^ 

Mais  ce  qu'il  est  permis  d'affirmer  dès  à  présent ,  contraire- 
ment à  une  opinion  trop  souvent  émise ,  c'est  que  le  berber  n'ap- 
partient pas  à  la  famille  sémitique.  Sa  position  vis-à-vis  de  cette 
famille  est  à  peu  près  la  même  que  celle  du  copte  ;  tout  en  présen- 
tant avec  l'hébreu  de  nombreuses  affinités  grammaticales,  le 
berber  en  est  complètement  distinct  pour  le  dictionnaire.  Il  a 
subi  d'ailleurs,  une  longue  influence  sémitique,  par  suite  de 
ses  rapports  avec  le  carthaginois  et  l'arabe.  Sans  cesse  envahie, 
en  effet,  depuis  plus  de  mille  ans  avant  l'ère  chrétienne,  par  des 
populations  cfaananéennes  ou  arabes  ',  l'Afrique  septentrionale 
devint  réellement  une  terre  sémitique,  non  pas  sans  doute  au 
même  titre  que  l'Arabie ,  la  Palestine ,  le  bassin  du  Tigre  et  de 
l'Euphrate,  mais  en  ce  sens  qu'à  une  époque  connue,  la  race 
sémitique  y  a  fait  prédominer  son  idiome.  Il  est  même  remar- 
quable que  l'arabe  ne  fut  réellement  conquérant  que  de  ce  côté. 
Ni  au  nord,  ni  à  l'est,  il  ne  réussit  à  reculer  beaucoup  la  li- 
mite des  langues  sémitiques ,  et  ne  put  forcer  l'obstacle  que  lui 
opposèrent  le  persan ,  l'arménien  et  les  dialectes  tartares.  Vers 
l'ouest,  au  contraire,  sur  une  ligne  prodigieusement  étendue, 

'  De  Rongé,  bufiript,  du  Umbêou  ^Akmk,  p.  i84. 

*  Judas,  EtÊtde  démamtratioê  d$  la  hmgue  phémeiermê  et  de  la  langue  Ubyque,  ' 
p.  so5  etsniv.  ;  Journal  atiaiique,  mai  18&7,  p.  i^55;  Movera,  Die  Pkentàierf  t.  Il , 
s' part.  p.  36&  et  sniv. 

^  Morers,  L  II,  9*  part.  p.  &19  et  raiv. 

I.  6 


SS  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

il  devint  la  langue  vulgaire  des  pays  conquis  par  Fislamisme. 
Les  traditions  des  Arabes  sur  kurs  migrations  anté-isiamiques 
en  Barbarie  \  traditions  empruntées  aux  fiables  des  rabbins  sur 
le  passage  des  Gbananéens  en  Afrique»  n*ont  sans  doute  par 
elles-mêmes  aucune  valeur  historique  ;  elles  répondent  c^n* 
dant  à  un  fait  réel ,  aux  profondes  racines  que  la  race  arabe  a 
daAs  ce  pays,  devenu  en  quelque  sorte  le  sanctuaire  du  sémi- 
tisme  :  on  peut  dire,  en  effet,  que  l'Afrique  du  nord,  et  en 
particulier  le  Maroc ,  est  de  nos  jours  le  pomt  du  monde  où 
Tesprit  arabe  s'est  le  mieux  conservé ,  et  semble  le  moins  près 
de  céder  aux  influences  de  l'étrange. 

'  Voir,  sur  ce  sujet,  une  curieuse  lettre  d^Abd-et-Kader  au  général  Daumas 
(Rtvut  det  dêHx  mofuin ,  1 5  février  1 85&  ). 


LIVRE  I,  CHAPITRE  III.  83 


CHAPITRE  in. 

OUIGINE  DES  DIALECTES. HYPOTHÂSE  D'UNE  LANGUE  SEMITIQUE 

PRIMITIVE. 


S  I. 

Dàs  une  haute  antiquité,  nous  trouvons  les  langues  sémiti- 
ques divisées  en  dialectes  fort  ressemblants  Tun  à  l'autre ,  mais 
dont  chacun  néanmoins  avait  sa  physionomie  distincte.  Quelle 
idée  se  former  du  phénomène  primitif  qui  produisit  ces  varié- 
tés? Gomment  expliquer  Torigine  des  dialectes  et  l'apparition 
des  propriétés  qui  les  caractérisent?  L'homogénéité  si  frappante 
de  la  Camille  sémitique  donne  un  relief  tout  particulier  à  ce 
problème ,  et  fournit  pour  le  résoudre  des  données  auxquelles 
ne  ccmduirait  pas  également  l'étude  des  autres  familles,  dont 
l'unité  a  été  si  profondément  brisée. 

Ecartons  d'abord  toute  idée  d'une  série  linéaire,  en  vertu  de 
laquelle  l'une  de  ces  langues  serait  mère  et  les  autres  dérivées, 
en  sorte  que,  de  la  plus  ancienne  à  la  plus  Dqiodeme,  il  y  eût 
filiation  directe,  comme  le  voulait  l'ancienne  philologie.  Les 
langues  qu^  représentent  de  véritables  individualités  (je  ne 
parie  pas  des  idiomes  de  seconde  et  de  troisième  formation , 
comme  le  français,  lliindoustani,  etc.)  se  produisent  parallè*- 
lement,  et  non  comme  les  anneaux  d'une  même  chaîne;  elles 
sont  sœurs,  et  non  filles  les  unes  des  autres.  Nulle  d'entre  elles 
n'a  le  droit  de  réclamer  la  primogéniture ,  et  s'il  en  est  qui  of- 
frent une  physionomie  plus  ancienne,  ce  n'est  pas  qu'elles  aient 

6. 


8&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

sur  les  autres  l'avantage  d'une  véritable  priorité,  mais  c'est 
qu'elles  ont  été  plus  tôt  arrêtées  dans  la  série  de  leurs  révolu- 
tions. L'hébreu,  par  exemple,  peut,  en  un  sens,  être  consi- 
déré comme  plus  ancien  que  l'arabe;  non  pas  que,  chrono- 
logiquetnent,  la  première  de  ces  langues  soit  antérieure  à  la 
seconde,  mais  parce  que  la  première,  ayant  moius  vécu,  s'est 
moins  développée  que  la  seconde,  et  présente  ainsi  avec  plus 
de  pureté  le  système  primitif  de  la  famille  à  laquelle  elle  ap- 
partient. 

Mais,  s'il  faut  renoncer  à  chercher  parmi  les  dialectes  actuel- 
lement existants  l'idiome  sémitique  primordial,  ne  peut-on 
pas,  du  moins,  admettre  que  ces  dialectes  tirent  leur  origine 
d'une  langue  maintenant  évanouie,  qui  serait  le  prototype 
commun  de  la  famille  et  aurait  renfermé  en  germe  les  procé- 
dés que  les  branches  diverses  se  sont  partagés.  Des  faits  par- 
ticuliers aux  langues  sémitiques  donnent,  il  faut  l'avouer,  à 
cette  hypothèse  un  grand  air  de  vraisemblance.  Telle  est  la 
facilité  avec  laquelle  le  système  des  langues  sémitiques  se 
laisse  ramener  à  un  état  plus  simple  qu'on  est  tenté  de  croire 
à  l'existence  historique  et  à  la  priorité  de  cet  état,  en  vertu 
du  principe,  si  souvent  trompeur,  que  la  simplicité  est  anté- 
rieure à  la  complexité.  De  bonne  heure,  cette  idée  se  produisit 
parmi  les  savants  voués  à  l'étude  des  langues  sémitiques.  Elle 
a  été  adoptée,  au  moins  comme  probable,  par  Michaelis,  Ade- 
lung,  Klaproth,  Gesenius,  Guillaume  de  Humb^ldt,  et  elle 
est  devenue  de  nos  jours,  en  Allemagne,  la  base  d'un  système 
de  philologie  comparée  dont  nous  aurons,  plus  tard,  à  appré- 
cier la  valeur  *. 

'  J.  D.  Michaelis,  SuppJem,  ad  L$x,  hebr,  p.  3&5  et  i&5s;  J.  H.  Michadis, 
notes  au  TraUé  de  la  poétie  dm  Hébreux  de  Lowth,  leçon  3*;  Adelong,  Mt'lftr.  I, 
3oi  ;  Klaproth,  ObêtrvaiùmM  êur  fet  raeme§  dêê  hmgttêi  iémitiquêê,  è  la  mite  des 


LIVRE  1,  CHAPITRE  III.  85 

On  sait,  que ,  dans  Tétat  actuel  des  langues  sémitiques , 
toutes  les  racines  verbales  sont  trilitères  ;  le  petit  nombre  de 
racines  quadrilitères,  qui  se  rencontrent  en  hébreu,  en  sy- 
riaque et  en  arabe ,  ne  sont  pas  des  racines  réelles  :  ce  sont  des 
formes  dérivées  ou  composées  qu'on  s'est  habitué  à  envisager 
comme  des  mots  primitifs  et  simples.  Mais  les  racines  trilitères 
elles-mêmes  ne  sont  pas  le  dernier  degré  auquel  il  soit  donné 
d'atteindre.  Parmi  ces  racines^  en  effet,  il  est  des  classes  en- 
tières qui  ne  sont  trilitères  que  par  une  fiction  grammaticale  : 
tels  sont  les  veibes  dits  concaves  et  gemmés,  qui  restent  trili- 
tères et  monosyllabiques  dans  presque  toute  leur  conjugaison. 
—  D'autres  classes  de  verbes ,  quoique  plus  réellement  trili- 
tères j  se  distinguent  par  la  faiblesse  d'une  de  leurs  radicales 
qui,  dans  certains  cas,  tombe,  devient  voyelle  ou  cesse  de  se 
prononcer  :  tels  sont  les  verbes  dits  faibles  ou  mparfaits.  Le 
rAle  de  la  troisième  radicale  dans  ces  verbes  est  si  peu  impor- 
tant qu'un  thème  bilitère,  tel  que  i:,  peut  devenir  trilitère 
de  plusieurs  manières  sans  changer  de  signification  (ii3,  iij, 
nij),  et  que  des  verbes  très- différents,  tels  que  tfl3  et  tf3>, 
identiques  par  deux  de  leurs  radicales,  s'empruntent  souvent 
des  temps  l'un  à  l'autre.  —  Enfin ,  les  verbes  qui  se  montrent 

ArBtwjwi  de  M erian,  p.  909  ;  Geseniufl ,  Ltkrgébâude  dtr  hebr.  Spr.  p.  1 83  et  amv.  ; 
Gitefc.  der  A«6r.  Spr,  p.  i5,  et  préface  de  son  Dictionnaire  (édit  allemande), 
p.&;S.Liitiatto,  At>iegom«itiu{tiiiagnifiim.  fiogi^^  81 

et  fÛT.;  G.  de  Homboldt,  Ueber  di$  VenehitdeHheU  dêi  mêmeUiehen  Spraehbmm 
(introdnctkm  à  rJStim  iur  le  kawi,  p.  cgcxxti-gccxxtii  )  ;  J.  Fûrst ,  lÂbrorum  êoeror. 
cmcftrd.  (Leipi.  i8fto),  pnef.;  Dditnch,  Jeturun^  p.  i58  et  suiv.;  Dietrich 
(de  Marbonrg),  Abhandkukgen  fir  êmnàiêeke  Wortfonchung  (Leipog,  iSkà); 
P.  Bœttkher,  Wuneybnehmgm  (Halle,  iSSa  ),  et  On  (ft«  elau^eation  oftmmtk 
f99U,  appendice  B  ao  t  II  des  OiKimat  de  M.  de  Bunsen.  Le  D'  (depuis  cardinal) 
Wiseman  a  développé  d'excellenles  vues  sur  ce  sujet,  dans  son  second  disconrs 
«or  Tétode  comparée  des  langues,  où  des  conséquences  bien  hasardées  sont  tirées 
de  principes  en  général  trè^flnement  aperçus. 


86  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

constamment  sous  la  fonne  triiitëre  ne  sont  pas,. pour  cela, 
inattaquables  à  Fanalyse.  Parmi  leurs  trois  radicales,  en  effet, 
il  en  est  presque  toujours  une  plus  faible  que  les  autres  et  qui 
parait  tenir  moins  essentiellement  au  fond  de  la  signification  ^ 

On  est  ainsi  amené  à  se  représenter  chaque  racine  sémiti- 
que comme  essentiellement  composée  de  deux  lettres  radicales, 
auxquelles  s'est  ajoutée  plus  tard  une  troisième,  qui  ne  fait 
que  modifier  par  des  nuances  le  sens  principal ,  parfois  même 
ne  sert  qu'à  compléter  le  nombre  ternaire.  Les  monosyllabes 
bilitères  obtenus  par  cette  analyse  auraient  servi,  dans  l'hypo- 
thèse que  nous  exposons,* de  souche  commune  à  des  groupes 
entiers  de  radicaux  trîlitères  offrant  tous  un  même  fond  de 
signification.  Ce  seraient  là,  en  quelque  sorte,  les  éléments 
premiers  et  irréductibles  des  langues  sémitiques.  En  effet, 
presque  tous  ces  radicaux  bilitères  sont  formés  par  onoma- 
topée, et,  s'il  est  permis  d'essayer  quelques  rapprochements 
entre  la  famille  indo-européenne  et  la  fÉftnille  sémitique,  c'est 
assurément  de  ce  côté  qu'il  faut  les  chercher. 

Aux  deux  lettres  ns,  par  exemple,  semble  atta^ée  l'idée  de 
gratter,  racler;  notts  les  retrouvons  dans  les  verbes  y)2,  ils, 
nna,nj,  Vna,  ona,  ona,  3?n5,  nia,  erna,  qui,  tous,  semblent 
offrir  un  sens  identique. 

Aux  deux  lettres  ns  semble  attachée  l'idée  de  séparation,  de 
rupture  ;  on  les  retrouve  dans  toute  la  série  :  lit ,  onD ,  tfit , 
«fne,  yiD,  pn»,  t^d,  did,  on»,  3?nD,  nit;  et,  avec  un  adou- 

^  Ajoutont  que  k  triUténté  ii*eidat  pas  le  moiiMyilalnsine ,  gHboe  A  la  ma- 
nière dont  les  langues  anciennes  envisagent  certains  groupes  d^artieulations.  IV, 
dans  les  inscriptions  cunéifonnes  persanes,  est  rqirésenté  par  un  seul  signe; 
dans  le  moi  patn»,  ces  deux  lettres  ne  forment  rédiement  qu'une  sede  articnlB- 
tion.  Prit,  en  sanscrit,  n'est  qu'un  monosyllabe  Utitère.  Les  liquides  et  les  aspirées 
ne  sont  réellement  que  des  demi-Yoyelles,  qui  ne  préjudideat  point  au  monosyl- 
lalHsme  des  racines. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  lll.  87 

craement  de  la  pr^aière  radicale  :  Kia,  nna,  ina,  erna,  nna, 
lia;  et,  par  Je  changement  du  i  en  sifflante  :  nsD,  nse, 

VïC,   DXD,   WD,   *?X3,  y»,    1»3,    KT3,    pT3,   ID,   ^M,    ma, 

^ia,  etc.  De  même  en  arabe  :  ^jh.  i^j^*  d^*  p^*  d^> 
^•i;*.  \i^^  etc. 

Les  deux  articulations  fondamentales  yp,  exprimant  Pidëe 
de  couper,  donnent  :  ysp ,  Dop ,  m ,  m) ,  dt9  ,  yu  >  ^n ,  lu , 
im,  lia,  np,  nia,  »ii3,  na,  ysn,  a»p,  nxp,  *|»p,  yxp,  i»p, 
m»,  Doa,  nna,  nnn,  nsn.  Arabe :la#,  oJsS,  ^,  Ukki,  Jia», 

^,  3s#,  M,  etc. 

Ainsi,  le  sens  nous  apparaît  partout  attaché  à  deux  articula- 
tions fondamentales,  qui  s'adoucissent,  se  fortifient,  se  com- 
plètent de  mille  manières,  selon  la  nuance  qu'il  s'agit  d'expri- 
mé, ysp  désigne  l'idée  de  briser  avec  plus  de  force  qu,e  na , 
et  Y*w  l'idée  de  séparation  avec  plus  d'éclat  que  Dis  ;  mais 
c'est  toujours  une  même  idée,  comme  c'est  toujours  un  même 
son  qui  fait  l'Ame  de  ces  diverses  séries.  On  arrive  ainsi  à  une 
langue  simple  et  monosyllabique,  sans  flexions,  sans  catégories 
^naimnatieales,  exprimant  les  rapports  des  idées  par  la  juxta- 
positiop  ou  l'agglutination  des  mots  ;  à  une  langue,  en  un  mot, 
assez  analogue  aux  formes  les  plus  anciennes  de  la  langue  chi- 
noise. Un  tel  système  devrait  sans  doute  être  ccmsidéré  comme 
logiquement  antérieur  k  l'état  actuel  des  langues  sémitiques. 
Hais  est-on  en  droit  de  supposer  qu'il  ait  réellement  existé? 
Voilà  sur  quoi  un  esprit  sage,  persuadé  qu'on  ne  saurait  de- 
viner a  priori  les  voies  infiniment  multi|des  de  l'esprit  humain , 
héâtera  toujours  à  se  prononcer. 

Gomment  concevoir,  en  effet,  le  passage  de  l'état  monosyl- 
labique à  l'état  trilitère?  Qudle  cause  assigner  à  cette  révo- 
lution 1 A  quelle  époque  la  placer?  Serait-ce ,  comme  le  disaient 
naïvement  les  anciens  linguistes,  lorsque  les  idées  se  multi- 


88  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

plièrent  et  qu'on  sentit  le  besoin  d'exprimer  plus  de  nuances, 
ou ,  conune  Gesenius  inclinait  à  le  croire  ^,  au  moment  de 
rintroductioo  de  l'écriture  ?  Est-ce  par  hasard ,  est-ce  d'un  com- 
mun accord  que  se  fit  cette  innovation  grammaticale  ?  On  ne 
pourrait  citer  un  seul  exemple  d'im  pareil  changement.  L'homme 
ne  complète  pas  plus  le  langage  qu'il  ne  l'invente  de  propos 
délibéré.  La  raison  réfléchie  a  bien  peu  de  part  dans  la  créa- 
tion et  dans  le  développement  des  langues.  Il  n'y  a  pour  elles 
ni  conciles  ni  assemblées  délibérantes  ;  on  ne  les  réforme  pas 
comme  une  constitution  vicieuse.  Les  idiomes  les  plus  beaux, 
les  plus  riches,  les  plus  profonds  sont  sortis,  avec  toutes  leurs 
proportions,  d'une  élaboration  silencieuse  et  qui  s'ignorait  elle- 
même.  Au  contraire,  les  langues  maniées,  tourmentées,  faites 
de  main  d'homme ,  portent  l'empreinte  ineffaçable  de  cette  ori- 
gine dans  leur  manque  de  flexibilité ,  leur  construction  pébible , 
leur  défaut  d'harmonie.  L'homme  primitif  put,  dans  ses  pre- 
mières années,  construire  sans  travail  l'édifice  du  langage; 
car  les  mots  facile  et  difficile  n'ont  pas  de  sens  appliqués  au 
spontané.  Mais  à  la  réflerion  tout  devient  impossible  ;  le  génie 
suffit  à  peine  aujourd'hui  pour  analyse  ce  que  l'esprit  de  l'en- 
fant créa  de  toutes  pièces  et  sans  y  songer. 

On  ne  saurait  donc  admettre  dans  les  langues  aucune  révo- 
lution artificielle  et  sciemment  exécutée.  Or  le  passage  de  l'état 
monosyllabique  à  l'état  triiitère  est  de  ceux  qui  n'auraient  pu 
se  faire  sans  une  très-grande  réflexion.  Les  seules  langues  mo- 
nosyllabiques que  nous  connaissions,  celles  de  l'est  de  l'Asie, 
ne  sont  jamais  sorties  de  leur  état.  Rien  n'autorise,  par  con- 
séquent ,  à  transformer  en  fait  historique  l'hypothèse  du  mono- 
syllabisme  primitif  des  langues  sémitiques ,  hypothèse  qui  n'est 
au  fond  qu'une  manière  commode  de  se  représenter  les  faits. 

>  rjehrgebâudê  dm-  hêbr.  Spr.  p.  1 85-i  86. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  III.  89 

Sans  doute  le  thème  fondamental  de  la  racine ,  dans  les  langues 
sémitiques  comme  dans  toutes  les  autres,  fut  généralement  mo- 
nosyllabique, puisqu'il  n'y  a  guère  de  motif,  comme  l'a  dit 
G.  de  Humboldt  ^,  pour  désigner,  tant  que  les  mots  simples 
suflSsent  aux  besoins,  un  seul  objet  par  plus  d'une  syllabe,  et 
que  d'ailleurs,  en  cherchant  à  reproduire  l'impression  du  de- 
hors, impression  rapide  et  instantanée,  l'homme  ne  dut  en 
saisir  que  la  partie  la  plus  saillante,  laquelle  est  essentielle- 
ment monosyllabique.  Mais  dans  la  synthèse  primitive  de  l'es- 
prit humain,  l'accessoire  ne  se  distinguait  pas  du  principal; 
l'idée  se  produisait  conmie  un  tout,  avec  l'ensemble  de  ses 
ciroonstances.  Le  Sémite  n'aura  pa^  commencé  à  exprimer  l'idée 
de  briser  par  le  monosyllabe  ne ,  d'où  seraient  dérivés  posté- 
rieurement yic ,  T)iD  »  etc.  Toutes  ces  variantes  du  thème  pri- 
mordial ont  dû  coexister  dès  l'origine ,  et  no  n'est  qu'une  abstrac- 
tion logique,  un  être  de  raison,  formant  il  est  vrai  l'essence 
des  mots  précités,  mais  n'ayant  jamais  eu  d'existence  isolée. 
De  même  pour  la  racine  i J ,  j'imagine  que  chacun ,  à  l'ori- 
gine, conjuguait  ce  verbe  à  sa  manière,  l'un  sur  le  type  lu, 
l'autre  sur  le  type  il J ,  un  troisième  sur  le  type  ma ,  et  ainsi 
la  variété  actuelle,  loin  d'être  l'épanouissement  de  l'unité  pri- 
mitive, n'est  que  la  continuation  peut-être  amoindrie  et  res- 
treinte de  la  variété  primitive* 

La  formation  des  catégories  grammaticales  prête  à  des  consi- 
dérations analogues  à  celles  que  nous  venons  de  développer. 
En  analysant  les  langues  les  plus  anciennes ,  on  voit  peu  à  peu 
s'effacer  les  limites  de  ces  catégories ,  et  on  arrive  à  une  ra- 
cine fondamentale  qui  n'est  ni  verbe,  ni  adjectif,  ni  substan- 
tif, mais  qui  est  susceptible  de  revêtir  ces  différentes  formes . 

*  Veber  àk  Venehkdênheii  dm  meniéhL  Spraehb.  (introd.  i  VE$$ai  fur  h  kawi)^ 
p.  GGGUXXH  et  Miiv.  ;  LsUn  à  Àhd-Réimt$ât,  p.  8&-85. 


90  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

EstHse  à  dire  que  dans  l'état  primitif  il  n'y  eût  aacune  di- 
vision des  parties  du  discours  ?  Non  certes.  Soutenir  qu'il  n'y 
avait  dans  l'état  primitif  que  des  noms  ou  que  des  verbes ,  est 
également  vrai  et  égal^nent  feux:  vrai,  parce  que  tous  les 
mots  pouvaient  en  effet  le  devenir  ;  faux ,  car  aucun  mot  ne 
l'était  par  sa  nature.  La  racine  indivise  réunissait  en  puis- 
sance tons  les  r6les  divers  que  les  progrès  de  la  réflexion  ont 
depuis  séparés. 

On  ne  peut  donc  envisager  la  supposition  d'un  état  mono- 
syllabique, bilitère  et  sans  catégories  grammaticales,  dans  les 
langues  sémitiques ,  que  conune  une  hypothèse  artificielle ,  satis- 
faisant à  ce  besoinxde  l'esprit  qui  nous  porte  à  expliquer  la 
complexité  actuelle  par  la  simplicité  primitive.  On  se  figure 
trop  souvent  que  l'élément  simple  relativement  à  nos  procédés 
analytiques,  a  dû  précéder  chronologiquement  le  tout  dont 
il  Isdt  partie.  C'est  là  un  reste  de  la  méthode  des  scolastiques, 
qui  domine  encore  toute  notre  philosophie ,  et  de  la  tendance 
qui  les  pilait  à  substituer  des  conceptions  logiques  aux  consi- 
dérations historiques  et  expérimentales.  Loin  de  débuter  par  le 
simple  ou  l'analytique,  l'esprit  humam  débute  en  réalité  par  le 
comjdexe  et  l'obseur;  son  premier  acte  renferme  en  germe  tous 
les  éléments  de  la  conscience  la  plus  développée  :  tout  y  est  en- 
tassé et  sans  distinctions.  L'analyse  trace  ensuite  des  degrés 
dans  cette  évolution  spontanée  ;  mais  ce  serait. une  grave  erreur 
de  croire  que  le  dernier  degré  auquel  nous  arrivons  par  l'a- 
nalyse ,  est  le  premier  dans  l'ordre  généalogique  des  faits. 

S  U. 

» . 

La  question  des  dialectes  est  résolue  à  notre  avis  par  les 
observations  qui  précèdent.  Il  semble  au  premier  coup  d'œil 
que  rien  n'est  plus  naturel  que  de  placer  l'unité  en  télé  des 


LIVRE  1,  CHAPITRE  III.  91 

diversités,  et  de  se  représenter  les  variétés  dialectiques  comme 
sorties  d'un  type  unique  et  primitif.  Mois  des  doutes  graves 
s'élèvent  quand  on  voit  les  langues  se  morceler,  avec  Tétat 
saufage  ou  baii)are,  de  village  à  vfllage,  je  dirais  presque  de 
fiunîHe  à  famille.  Le  Caucase  et  TAbysânie ,  par  exemple ,  pré- 
sentent sur  un  petit  espace  une  immense  quantité  de  langues, 
entièremmt  distinctes.  Le  nombre  et  la  variété  des  dialectes  de 
l'ibérique  étaient  pour  H.  de  Humboldt  un  perpétuel  sujet 
d'étonnement.  M«âs  ces  diversités  ne  sont  rien  en  comparaison 
de  cdles  qui  séparent  en  général  les  langues  de  l'Océanie  :  c'est 
là  que  l'état  sauvage  a  poussé  jusqu'aux  dernières  limites  ses 
effets  de  désunion  et  de  morcellement.  Chez  les  races ,  enfin , 
qui  sont  placées  au  plus  bas  degré  de  l'échdle  humaine,  le 
langage  n'a  rien  de  fixe ,  et  n'est  plus  guère  qu'un  procédé  sans 
tradition ,  dont  on  a  peine  au  bout  de  quelques  années  à  recon- 
naître l'identité. 

Ces  feits  nous  semMent  suffisants  pour  prouver  l'impossibilité 
d^une langue  homogène,  pariée «ur  une  sur&ce  considérable, 
dans  une  soéiété  peu  avancée.  La  civilisation  peut  seule  étendre 
les  langues  par  grandes  masses;  il  n'a  été  donné  qu'aux  so- 
ciélés  modernes  de  {sire  régner  un  idiome  sans  dialectes  sur 
tout  un  pays ,  et  encore  les  langues  arrivées  ainsi  à  l'universdité 
sont^^es  presque  toujours  des  langues  purement  littéraires, 
oemme  la  Im^va  t09emui,  commune  à  tous  les  hommes  instruits 
de  l'Italie.  Si  la  langue  grecque,  parlée  par  un  peuple  si  heu- 
reusement doué  de  la  nature,  a  compté  presque  autant  de 
dialectes  que  la  Grèce  comptait  de  peuplades  différentes  ^ 

'  Sans  doute  cette  divemlé  B*eu8tait  pa»  au  s^omeiit  où  les  Hellènes,  réunis 
eo  un  seul  corps  de  nation,  pénétraient  dans  la  Grèce.  Mais  une  troupe  envahis- 
sante est  d^ordinaire  peu  nombreuse,  et  du  moment  qu'elle  se  fixe  et  se  multi- 
plia, la  diversité  ne  tarde  pas  à  reprendre  ses  droits. 


93  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

peutr-on  croire  que  les  premiers  hommes,  cpii  se  possédaient 
à  peine  eux-mêmes  et  dont  la  raison  était  encore  comme  un 
songe ,  aient  obtenu  le  résultat  auquel  les  siècles  les  plus  ré- 
fléchis ont  eu  peine  à  atteindre  ?  Loin  donc  de  placer  l'unité 
à  l'origine  des  langues ,  il  faut  envisager  cette  unité  comme  le 
résultat  lent  et  tardif  d'une  civilisation  avancée.  Au  commen- 
cement ,  il  y  avait  autant  de  dialectes  que  de  familles ,  de  con- 
fréries, je  dirais  presque  d'individus.  Chaque  groupe  formait 
son  langage  sur  un  fonds  imposé  il  est  vrai,  mais  en  suivant 
son  instinct,  et  en  subissant  les  influences  que  le  climat,  le 
genre  de  vie,  les  aliments  exerçaient  sur  les  organes  de  la  pa- 
role et  les  opérations  de  l'intelligence.  On  pariait  par  besoin 
social  et  par  besoin  psychologique ,  sans  se  préoccuper  de  la 
conformité  du  langage  que  Ton  pariait  avec  un  type  autorisé  et 
général.  D'illustres  linguistes  ont  été  surpris  de  trouver  dans 
les  langues  réputées  barbares,  une  richesse  à  laquelle  attei- 
gnent à  peine  les  langues  cultivées.  Une  des  lois  les  plus  gé- 
nérales révélées  par  la  philologie  comparée,  est  que  loin  de  se 
développer  par  la  suite  des  ftges ,  les  langues  tendant  plutôt  à 
perdre,  en  vieillissant  des  mécanismes  précieux.  Rien  de  plus 
vrai,  pourvu  que  l'on  accorde  que  cette  variété  de. formes  et 
de  flexions,  c'est  l'indétermination  même.  Les  langues  qu'on 
peut  appeler  primitives  sont  riches  parce  qu'eUes  sont  sans  li- 
mites. Chaque  individu  a  eu  le  pouvoir  de  les  traita  presque 
à  sa  fantaisie;  mille, formes  superflues  se  sont  produites,  et 
coexistent  jusqu'à  ce  que  le  discernement  grammatical  vienne 
à  s'exercer.  C'est  un  arbre  d'une  végétation  puissante,. auquel 
la  culture  n'a  rien  retranché,  et  qui  étend  capricieusement  et 
au  hasard  ses  rameaux  luxuriants.  L'œuvre  de  la  réflexion ,  loin 
d'ajouter  à  cette  surabondance,  sera  toute  négative.  Elle  ne  fera 
que  retrancher  et  fixer.  L'élimination  s'exercera  sur  les  formes 


LIVRE  I,  CHAPITRE  III.  93 

inutiles;  les  superféiations  seroni  bannies;  la  langue  sera  dë- 
lenninëe,  réglée  »  et,  en  un  sens,  appauvrie. 

L'exubérance  des  formes,  rindétermination ,  i'extréme  va- 
riété, la  liberté  sans  contrôle,  caractères  qui,  si  on  sait  les 
entendre ,  sont  étroitement  liés  entre  eux ,  durent  constituer  les 
traits  distinctifs  de  la  langue  primitive  de  chaque  race.  La 
recension  grammaticale  n'esl  jamais  qu  une  simplification  dans 
la  richesse  excessive  des  langues  populaires  et  un  choix  parmi 
les  procédés  qui  faisaient  double  emploi.  On  trouve  dans  pres- 
que tous  les  idiomes  des  pronoms  et  des  verbes  qui  ne  possèdent 
point  la  série  complète  des  flexions ,  et  suppléent  à  leurs  lacunes 
en  empruntant  à  d'autres  mots  les  formes  qui  leur  manquent  : 
iyd^  ftoC;  ^/po»,  o&r,  À^xâi;  ferOy  tuU,  latum;  npef  et  nnef 
en  hébreu  ;  sn*»  et  tna  en  araméen.  Personne  ne  croit  sans 
doute  qaefero,  tuU,  latum  soient  les  temps  d'un  même  verbe. 
Ce  sont  trois  verbes  incomplets  dans  l'état  actuel  de  la  langue , 
et  qui,  après  avoir  vraisemblablement  existé  d'une  manière 
indépendante ,  n'ont  pu  échapper  à  l'élimination  des  super- 
fluités  qu'en  soutenant  leurs  débris  l'un  par  l'autre ,  et  formant 
un  verbe  factice,  qui  seul  est  arrivé  à  la  consécration  gram- 
maticale. Ainsi  un  langage  illimité,  capricieux,  indéfini,  tel 
parait  avoir  été  l'idiome  des  premiers  âges;  et  si  l'on  convient 
d'appliquer  aux  variétés  qui  se  produisaient  alors  le  nom  de 
dialectes ,  au  lieu  de  placer  avant  les  dialectes  une  langue  imi- 
que  et  compacte,  il  faudra  dire  au  contraire,  que  cette  unité 
n'est  résultée  que  de  l'extinction  successive  des  variétés  dialec- 
tiques. 

Est-ce  à  dire  que  tous  les  dialectes  eussent  dès  l'origine  leur 
existence  individuelle ,  qu'il  y  en  eût  un  qui  f&i  le  syriaque , 
un  autre  qui  fftt  l'hébreu,  un  autre  qui  fAt  l'arabe?  Non, 
sans  doute:  c'est  k  une  époque  bien  postérieure  que  telles  et 


9k  HISTOIRE  DES  LAJ4GUES  SÉMITIQUES. 

telles  propriétés  gpanunattcales  sont  devenues,  en  se  groupant, 
le  trait  distinctif  de  tel  et  tel  idiome.  Ces  propriétés  existaient 
d'abord  dans  un  mélange  qu'on  a  pu  prendre  pour  la  syn- 
dièse,  mais  qui  n'était  que  la  confusion.  L'esprit  humain  ne 
débute  ni  par  la  synthèse  ni  par  l'cinalyse ,  mais  par  le  syncré- 
tisme. Tout  est  dans  ses  premières  créations,  mais  tout  y  est 
comme  n'y  étant  pas,  parce  que  tout  y  est  sans  individualisa- 
tion ni  existence  distincte  de  parties.  Ce  n'est  qu'au  second  de- 
gré du  développement  intellectuel  que  les  individualités  com- 
mencent &  se  dessiner  avec  netteté,  et  cela,  il  faut  l'avouer,  aux 
dépens  de  l'unité,  dont  l'état  primitif  offrait  au  moins  quelque 
apparence.  Alors  c'est  la  multiplicité ,  la  division  qui  domine , 
jusqu'à  ce  que  la  synthèse  venant  ressaisir  les  éléments  isolés, 
qui  ayant  vécu  a  part  ont  désormais  la  conscience  d'eux- 
mépies,  les  assimile  de  nouveau  dans  une  unité  supérieure. 
En  un  mot,  —  existence  confuse  et  simultanée  des  variétés 
dialectiques ,  —  existence  indépendante  dos  dialectes , — fiision 
de  ces  variétés  dans  une  unité  plus  étendue ,  tels  sont  les  trois 
degrés  qui  correspondent  dans  la  marche  des  langues  aux  trois 
phases  de  toute  eristence ,  soit  individuelle ,  soit  collective. 

•  La  formation  des  dialectes  de  la  langue  grecque,  a  soulevé 
des  questions  analogues  à  celles  qui  viennent  d'être  traitées 
pour  les  langues  sémitiques,  et  les  meilleurs  grammairiens 
les  ont  résolues  dans  le  sens  que  nous  avoAs  indiqué.  Les  poèmes 
homériques  présentent  simultanément  employés  des  idiotismes 
qu!on  donne  pour  de  l'éolien ,  du  dorien ,  de  l'attique.  Si  la  dis- 
tinction des  dialectes  eût  été  parfaitement  nette  à  l'époque  de 
la  composition  de  ces  poèmes ,  un  pareil  mélange  eût  péché 
contre  toutes  les  règles  du  bon  sens.  Il  faut  donc  admettre 
pour  ces  siècles  reculés  un  état  d'indécision  où  coexistaient  le$ 
diverses  particularités  qui  sont  ensuite  devenues  la  possession 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IIL  95 

exclusive  de  tel  ou  tel  dkdecte  ^.  C'est  ainsi  que  de  vieux  mots 
français  tombes  «i  désuétude  dans  la  langue  cultivée,  sont  res- 
tés populaires  dans  quelques  provinces,  et  que  des  mots  d'usage 
commun  dans  l'ancien  allemand,  ne  sont  plus  employés  de  nos 
jours  que  dans  les  patois  looaux. 

Plusieurs  faits,  dont  il  faudrait  se  garder,  il  est  vrai,  d'exa^- 
gérer  la  signification,  se  réunissent  aux  inductions  qui  précè- 
dent pour  étaUir  la  promiscuité  primitive  des  dialectes  sémî-> 
tiques.  Ainsi  les  noms  propres  les  plus  anciens  des  histokes 
hébraïques  offrent  beaucoup  d'aramaîsmes  :  ex.  n^n ,  ni^n^ ,  etc. 
Les  firagments  archaïques  insérés  dans  la  Genèse,  les  masehal 
de  Baiaam,  le  cantique  deDébora,  renferment  aussi  des  traces 
noDQ^reuses  du  mâange  des  dialectea.  Il  faudrait  se  garder 
tentais  d'appliquer  le  même  raisonnement  au  livre  de  Job , 
ainsi  que  le  (iaisaient  les  anciens  ex^tes ,  et  de  conclure  des 
ardiismes  et  des  aramaismes  dont  est  semé  ce  livre  qu'il  a 
été  composé  avant  tous  les  autres  monuments  de  la  littérature 
hébraïque ,  et  à  une  époque  où  les  divers  idiomes  sémitiques 
n'étaient  pas  encore  distincts  ^.  Une  ligne  de  démarcation  trè»* 
sensible  sépare  les  aramtfsmes  des  morceaux  archaïques,  tels 
que  le  cantique  de  Débora ,  et  les  aramaîsmes  des  ouvrages 
qui  ont  été  écrits  sous  l'influence  chaldéenne.  C'est  en  ce  sens 
que  M.  Movers  a  pu  soutenir  ce  princq>e,  que  les  aramaîsmes 
dans  un  livre  hébreu  sont  la  preuve  d'une  très-récente  ou  d'une 
très-ancienne  composition'. 

Qudques  faits  établissent,  d'un  autre  c6té ,  la  séparation  des 

'  Gonf.  Matthic,  Gnmm.  rau,  de  la  kmgUB  gr§equê,  1 1,  p.  9  et  suiv.  (trad. 
Gttl  et  LongoeviHe)  ;  Am.  Pepon,  Origim  dm  tn  Hkêtri  dwktti greei paragmmla 
cm  fmOa  dtffdoqm»  {Sk$tn  àakmo.  (Mém.  de  Ykc  de  Turin ,  II*  série,  I.) 

*  Gonf.  J.  H.  Michaelis ,  notes  au  traité  de  la  PMê  ioerSt  det  Hébreux  de  Lowth , 
leçons  3*  et  33*. 

>  ZeiUekr^fir  PIUI.  und  kathol.  Thêol.  (Bonn),  XVI,  tb^. 


96  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

dialectes  sémitiques  à  une  époque  fort  reculée.  Lés  noms  des 
tribus  arabes,  mentionnés  dans  les  parties  les  plus  anciennes 
de  la  Genèse ,  sont  quelquefois  précédés  de  l'article  el,  et  nous 
offrent,  par  conséquent,  un  des  traits  caractéristiques  de  la 
langue  arabe.  Laban  (Gen.  xni,  U'j)  nomme  en  araméen  '^y 
Knnnt!;  le  monument  que  Jacob  a  appelé  en  hébreu  ny^:.  Ce 
n'est  là  sans  doute  qu'un  thème  étymologique  sur  le  nom  de 
Galaad,  fait  après  coup,  comme  on  en  rencontre  tant  dans  la 
Genèse  ;  mais  ce  passage  nous  atteste  au  moins  qu'à  l'époque  où 
la  tradition  se  forma,  les  deux  dialectes  étaient  parfaitement 
distincts. 

Il  faut  donc  comprendre  les  dialectes  en  linguistique ,  de  la 
même  manière  que  l'on  entend  en  histoire  naturelle  les  espèces 
constituées,  c'est-à-dire  comme  un  fait  actuel  et  désormais 
permanent,  sans  rechercher  si  les  diversités  présentes  exis- 
taient ou  non  à  l'origine.  Chaque  dialecte  porte  son  caractère 
naturel,  qui  suffit  pour  lui  assurer  une  existence  indépen- 
dante. Les  langues,  toutefois,  tenant  intimement  au  carac- 
tère variable  et  progressif  des  facultés  humaines,  n'ont  pas  la 
stabilité  des  espèces  de  la  nature.  Elles  participent  à  toutes 
les  révolutions  de  l'histoire  et  de  l'esprit  humain ,  et  peuvent , 
en  se  combinant  dans  des  proportions  diverses ,  engendrer  des 
idiomes  nouveaux ,  qui  sauront  eux-mêmes ,  par  l'originalité  des 
lois  du  mélange,  arriver  à  un  cachet  individuel.  Ce  sont  ces 
révolutions  que  nous  sdlons  exposer,  en  traçant  le  tableau  des 
fortunes  diverses  par  lesquelles  ont  passé  lei^  diverses  langues 
sémitiques,  depuis  les  temps  historiques  jusqu'à  nos  jours. 


LIVRE  DEUXIÈME, 

PREMIÈRE  ÉPOQUE 
DU  DÉYELOPPEMENT  DES  LANGUES  I^EMITIQUES. 

PÉRIODE   hébraïque. 


CHAPITRE    PREMIER 

BRANCHE  TiBAGHITE  (hÉBREv). 


S  I. 

L'histoire  générale  des  langues  sémitiques,  se  divise,  pour 
nous,  en  trois  périodes  bien  distinctes.  La  première,  représentée 
par  VhAreu,  s'étend  à  peu  près  jusqu'au  yi*  siècle  avant  notre 
ère,  c'est-à-dire  jusqu'au  moment  où  la  langue  hébraïque 
cède  à  l'influence  prépondérante  de  l'araméen.  La  seconde, 
que  nous  appellerons  atwnéenne,  et  qui  est,  en  quelque  sorte, 
le  moyen  âge  des  langues  sémitiques ,  s'étend  depuis  le  vi*  siècle 
avant  notre  ère  jusqu'au  vif  siècle  après  J.  G.,  c'est-à-dire  jus- 
qu'au moment  où  l'arabe  prend  une  importance  décisive  en 
Ori^st.  Enfin  la  troisième  période,  durant  laquelle  V arabe  ab- 
sorbe et  fait  oublier  toutes  ses  sœurs,  s'étend  depuis  le  siècle 
de  l'hégire  jusqu'à  nos  jours.  Cette  division  correspond,  comme 
on  voit,  à  la  division  même  des  dialectes  sémitiques  en  trois 
familles  :  famille  du  nord  ou  araméenne,  famille  du  milieu  ou 
I.  1 


98  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

chananéenne,  famille  du  sud  ou  arabe.  C'est  qu'à  vrai  dire,  ces 
trois  divisions  sont  moins  celles  de  trois  langues  distinctes  que 
de  trois  âges  d'une  même  langue,  de  troiâ  phases  par  lesquelles 
a  passé  le  langage  sémitique,  sans  jamais  perdre  le  caractère 
primitif  de  son  identité. 

Il  importe  d'ajouter  que  cette  division ,  pour  rester  véritable , 
ne  doit  être  prise  que  dans  un  sens  général,  et  avec  trois  res- 
trictions  importantjBS.  i^  Les  idiomes  remplacés  par  un  autre, 
rhébreu  par  Taraméen ,  le  syriaque  par  l'arabe ,  ne  disparais- 
sent pas  pour  cela  entièrement  :  ils  restent  langue  savante 
et  sacrée,  et,  à  ce  titre,  continuent  d'être  cultivés  longtemps 
après  avoir  cessé  d'être  vulgaires.  C'est  ainsi  qu'une  partie 
très-importante  de  la  littérature  syriaque  ne  s'est  produite  que 
depuis  l'hégire  ;  c'est  ainsi  que  des  ouvrages  essentiels  du  ca- 
non hébraïque  n'ont  été  écrits  qu'après  la  captivité ,  et  que  ces 
deux  langues  sont  encore  écrites  de  nos  jours  dans  les  reli- 
gions respectives  qui  les  ont  adoptées,  a®  Cette  succession  des 
trois  langues  sémitiques  ne  peut  signifier  que  chacune  d'elles 
ait  été  pariée  en  même  temps  dans  toute  l'étendue  dés  pays 
occupés  par  la  racé  sémitique;  elle  signifie  seulement  que 
chacun  de  ces  trois  dialectes  fut  tour  à  tour  dominant,  et  re- 
présenta, à  son  jour,  le  plus  haut  développement  de  l'esprit 
sémitique.  Toute  Thistoire  intellectuelle  des  Sémites,  en 
effet,  se  partage,  comme  l'histoire  des  langues  sémitiques  elles- 
mêmes,  en  trois  phases  :  hébraïque,  chaldéo-syriaquê  et  arabe. 
3*  Cette  division,  enfin,  ne  doit  point  être  entendue  d'une 
manière  absolue ,  mais  seulement  par  rapport  à  l'état  de  nos 
connaissances.  Ainsi,  il  se  peut  qu'il  y  ait  eu  à  Bab^one  un 
mouvement  de  littérature  sémitique,  parsdlèle  ou  antérieur  h 
celui  des  Israélites  et  des  Chananéens.  Mais  ce  mouvement, 
n'étant  représenté  par  aucun  texte  écrit  qui  soit  parvenu  jus- 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  99 

fà^h  MMis,  est  comme  s'il  s'était  pas  relativemei^  au  geive 
de  reeherehes  qui  doit  nous  occuper  î^i. 

Le  pays  de  Ghanaan  est  donc  le  premier  théâtre  sur  lequ^ 
ia  philologie  peut  étudier  le  développement  des  langues  sé- 
Hiitiques.  Autant  qu'il  est  donné  à  la  science  de  pénétrer 
le  mystère  des  races  primitives,  ce  pays  nous  apparaît  comme 
reeoufert  par  trois  couches  successives  de  population  :  P  Des 
races  sautages  et  sans  doute  non  sémitiques,  restées  dans  le 
souvenir  des  Hébreux ,  comme  antodithones  (ynMD  D^iVu),  sous 
les  mnns  de  NejUm,  Émm,  Refcûm,  Zoweim,  Zimzommim,  Étun 
hm,  races  gigantesques  et  titanieanes ,  objets  de  traditions 
fantastiques ,  et  représentant,  conune  les  habitaïUs  de  Flnde  an- 
térieurs à  la  race  brahmamque ,  cette  première  humanité  sau- 
vage que  partout  les  races  civilisées  paraissent  avoir  reneonti^ 
sur  leurs  pas  ^  Ces  races  disparurent  de  bonne  heure;  car  la 
table  an  k*  chapitre  de  la  Genèse,  qui  énumère  dans  ua  si 
grand  détail  toutes  les  tribus  chananéennes,  n'en  lait  aucune 
mention.  —  H"*  La  race  sémitique  de  Chanaan  (Amorrhéens, 
Héthéens,  Hévéens,  Phéréaéens,  Gergéséens,  Jébuséens),  dési- 
gnée par  les  Grecs  du  nom  de  Pliàfieimu,  mêlée  i*  de  restes 
de  Tancieniie  popidation,  tels  que  les  Enakim;  â*"  à  l'orient 
et  au  sud,  de  tribus  arabes  et,  par  conséquent,  sémitiques 
aussi  (Amaléldtes,  oip  ^:3,  ou  Orientaux,  les  mêmes  qui  (breoit 
plus  tard  appelés  Saracèneê,  etc. ^).  —  III^  Enfin,  rémigratien 
sémitftipie  de  Tharé,  venue  de  la  Ghaldée  septentrionale,  la- 
quelie,  à  diverses  époques,  traversa  le  pays,  y  laissa  plusieurs 
de  set  rBHDkeaux,  comme  lesEdimutes,  les  Ammonites,  les  Moa- 

'  Ci.  BflKheaH,  Zw  Gmhithfi  dtr  ItraOki^y  p.  iSS  et  suiv.;  Evdd,  A- 
idiicktt  de»  VoOse»  lmrael,i.  I,  p.  974  «t  suiv.;  Leogerke,  fimoan,  p.  178  et 
fliiiv. 

*  Ewtlil,  I,  p.  996  et  mW.;  Lengerke,  p.  soo  et  suiv.  ^ 


100  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

bites,  et  finit  par  s'y  établir,  quinze  cents  ans  environ  avant 
l*ère  chrétienne,  sous  le  nom  d'Israélites  ou  Beni-Israël,  en 
s'assimilant  ou  en  étouffant  les  races  antérieures.  Dans  ce  dé- 
nombrement ne  sont  pas  compris  les  Philistins,  dont  le  classe- 
ment ethnographique  offre  de  grandes  difficultés,  mais  qui 
semblent  se  rapprocher  des  Ghananéens. 

Uhébreu  nous  est  parvenu  comme  la  langue  particulière  des 
Beni-Israël.  Mais  on  ne  peut  douter  que  cette  langue  n'ait  été 
commune  à  beaucoup  d'autres  peuples,  et  spécialement  a 
toute  l'émigration  de  Tharé.  Le  nom  d* Hébreux  [ceux  d!au 
delà)  désigna  d'abord  toute  la  branche  de  cette  émigration  qui 
passa  l'Euphrate.  Nous  voyons,  il  est  yroi  [Genèse,  xxxi,  47), 
Laban,  qui  appartenait  à  la  même  famille,  mais  qui  n'avait 
pas  passé  l'Euphrate,  donner  à  un  monument  un  nom  ara- 
méen,.  tandis  que  Jacob,  Âbrahamide  émigré,  appelle  le  même 
monument  d'un  nom  purement  hébreu;  mais  il  y  a  dans  cet 
endroit  une  intention  d'étymologie  fictive  et  d'allitération  qui 
empêche  d'accepter  le  fait  comme  une  donnée  historique.  Si  l'on 
considère,  d'ailleurs,  que  le  phénicien  nous  apparaît  d'autant 
plus  semblable  à  l'hébreu  qu'on  remonte  plus  haut  vers  l'an- 
tiquité, on  est  amené  à  envisager  l'hébreu  moins  comme  la 
langue  particulière  d'une  tribu  que  comme  l'expression  com- 
mune du  génie  de  la  race  sémitique  à  son  premier  âge.  C'est 
en  hébreu  que  nous  sont  parvenues  les  archives  primitives  de 
cette  race,  devenues  par  une  remarquable  destinée  les  archives 
du  genre  humain.  C'est  en  hébreu  que  nous  sonf  parvenus 
leurs  premiers  dires  poétiques,  leurs  proverbes  les  plus  an- 
ciens. L'hébreu  est  ainsi ,  dans  la  race  sémitique ,  ce  qu'est  le 
sanskrit  dans  la  race  indo-européenne,  le  type  le  plus  pur,  le 
plus  complet  de  la  famille,  l'idiome  qui  renferme  la  clef  de 
tous  les  autres,  i'idiome  des  origines,  en  un  mot,  dépositaire 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  101 

des  secrets  historiques,  linguistiques  et  religieux  de  la  race  à 
liqueUe  il  appartient. 

C'est  un  fait  généralement  admis  que  les  Ghananéens ,  au 
moment  de  l'entrée  des  Benî-Israël  dans  leur  pays,  pariaient 
une  langue  fort  analogue  à  Théln^eu^.  Isaie  (xix,  18)  appelle 
lliébrea  langue  de  Chanaan.  Tous  les  anciens  noms  chana- 
aéens  d'hommes  et  de  villes,  tels  que  Abmilek,  Adoni-Bézek, 
KiriatSepher,  Kiriairleanm  sont  purement  hébreux ,.  et  d'une 
figure  si  caractérisée  qu'il  n'est  pas  permis  de  cseire  qu'on  les 
ait  traduits,  ou  hébraisés  d'après  un  procédé  d'ailleurs  très- 
Eatmilier  aux  Orientaux  dans  la  transcription  des  noms  propres. 
On  ne  voit  pas  que  les  Hébreux  et  les  Ghananéens  aient  ja- 
mais éprouvé  la  moindre  difficulté  pour  s'entendre.  Enfin,  plu- 
sieurs particularités,  l'emploi  de  u^  (la  mer),  par  exemple, 
pour  désigner  Toccident,  démontrent  que  la  langue  hébraïque 
n'a  pu  se  former  que  dans  la  région  géographique  où ,  depuis 
un  temps  immémorial,  nous  la  voyons  parlée. 

Ge  n'est  pas  sans  quelque  surprise  qu'on  arrive  à  ce  résul- 
tat. Que  deux  branches  aussi  distinctes  de  la  famille  sémitique 
que  l'étaient  les  Ghananéens  et  les  Israélites,  se  retrouvent, 
après  avoir  couru  les  aventures  les  plus  diverses,  parlant  le 
même  dialecte,  c'est  là  certes  un  fait  étrange,  et  l'on  con- 
çoit que  les  anciens  critiques,  tantôt  aient  soutenu  que  les 
Abrahamides,  à  leur  entrée  en  Palestine,  adoptèrent  la  langue 
du  pays,  tantôt  aient  nié  hardiment,  comme  Herder^,  que  l'hé- 
breu fût  la  langue  de  Ghanaan.  Ni  l'une  ni  l'autre  de  ces  deux 
opinions  ne  parait  acceptable.  La  difficulté  tient  peut-être  . 
à  ce  qu'on  s'est  exagéré  l'opposition  qui  dût  exister  dans  la 
haute  antiquité  entre  les  Israélites  et  les  Ghananéens.  Sans 

'  Cf.  Gesenius,  Geêchiehtê der  hebr.  Spr,  S  7;  Bochart,  Chanaany  i.  II,  c.  i. 
*  PMe  det  Hébreux,  dial.  z. 


103  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

admettre,  avec  MM.  Mover»  et  Lengerke ^ ,  c^e  les  Hébreux  et 
les  Ghananéens  aient  eu  pendant  longtemps  une  religion  à 
peu  près  identique ,  il  faut  avouer  que  ee  n'est  qu'à  une  ^oque 
rdativement  fiftodeme  que  les  jfteodcrs  arrivèrent  à  cet  esprit 
d^eidusion  qui  caractérise  les  instîtuti<ms  uKMsaiqiies.  Une 
foule  de  données  de  la  religion  phénicienne  se  retrouvent  dms 
l'ancien  culte  hébreu^.  A  Tépoque  patriarcale  «  on  voit  les 
Abrahamides  accepter  pour  saiarés  tous  les  lieux  que  les  GImk 
nanéens  prêtent  comme  tels,  arbres,  montagnes,  sources, 
bétyles  ou  i^h-d.  Après  la  sortie  des  Israélites  de  l'Egypte,  le 
conmierce  des  deux  races  devint  encore  bien  plus  profond.  Ge 
fiit,  sans  doute,  dans  ce  contact  intime  et  prolongé  de  deux 
didectes  trèfr^ressemblants  que  se  forma  l'hébreu  ^.  S'il  y  eut 
tentais  dans  cette  génération  un  dément  dominant,  nous 
croyons  que  ce  fut  l'élément  chananémi  :  il  est  naturel  «  en 
effet,  de  supposer  que  le  dialecte  particnli^  des  Abrahamides, 
lorsqu'ils  passèrent  l'Euphrate,  se  rapprochait  davantage  de 
l'araméen. 

Il  faut  dire  de  la  littérature  hébraïque  ce  que  nous  vencms 
de  dire  de  la  langue  hébraïque.  Bien  qu'elle  nous  soit  par- 
vemie  conmie  la  propriété  exclusive  des  Israélites,  cette  litté- 
rature est ,  k  beaucoup  d'égards ,  commune  aux  tribus  voiÂnes 
d'Israël.  On  est  obligé  de  si;q>poser  qu'avant  les  Israélites  d'au-* 
très  nations  sémitiques  possédaient  l'écritui^e  et  des  écrits. 

*  Movera,  Dig  Phamnier,  I,  p.  8-9  -etc.;  Lengerke,  Kenaan,  p.  937  et  suiv. 
'  Movera,  I,  p.  9s,  i3a-i33,  95&,  986,  3ia-39t,  539-558.  Les  plus 

grandes  prëcaatiotts  sont  toatefois  commandées  dons  ces  rapprocbemente.  Je  suis 
persuadé,  en  effet,  que  Phâoo  de  Byblos  et  les  aateors  andene  qui  ont  parlé  de 
la  Phénicie  ont  souvent  présenté  comme  phéniciennes  des  données  hébraïques 
grossièrement  altérées,  telles  que  llristoire  de  Jérombaal,  celle  d'Anobret,  ce 
qui  oonoeme  Thouro,  De4o,  Jao,  etc. 

*  Bertheau,  op.  cit.  p.  179. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  101 

Naik  part,  en  effet,  ai  ce  n'est  dans  des  traditions  modernes 
saos  aucwie  vakur,  les  Hébreux  ïie  se  donnent  conune  ayant 
uveatë  récriture  :  ils  l'ont  doae  empruntée  à  quoiqu'un  des 
peuples  avec  lesquels  ils  étaient  en  rapport,  sans  doute  aux 
Phéniciens ^  De  plus,  quelques  fragments  insârés  dans  les  his- 
toires hâiraîques  semblent  provenir  des  archives  d'un  peuple 
yciain  :  tds  sont,  par  ^cemple,  la  généalogie  si  exacte  des 
EdoDHtes  [Gen.  xxxvi),  le  récit  de  la  guerre  des  rois  iraniens 
contre  les  rois  de  la  vallée  de  Siddim  (Gen.  xiv),  où  Abraham 
figure  comn^e  un  étranger  :  Abram  l'Hâreu,  qui  hMuUt  la  die»- 
miedeMambri  VAmorrhien  (vers.  1 3) ,  les  curieux  synphronismes 
étaUis  [Nombr.  xiu^  sa)  entre  la  fondation  de  Hébron  et  celle 
de  Tanis  en  Egypte^.  Quoique  les  renseignements  que  les  Grecs 
ou  plutôt  les  Juifs  hellénistes  nous  ont  transmis  sur  l'ancienne 
littérature  phénicienne  ne  méritent  aucune  confiance  ',  on  ne 
peut  croire,  cependant,  que  l'écriture  n'ait  serri  aux  Phéni- 
ciens  qu'à  écrire  sur  le  métal  et  la  pierre ,  et  l'on  doit  supposer 
que,  dès  une  haute  antiquité,  ils  avaient  au  moins  des  annales, 
qui  auront  péri  lors  de  l'envahissement  du  pays  par  l'esprit 
grec« 

L'origine  de  l'écriture,  chez  les  Sémites  comme  chez  tous 
les  peuples,  se  cache  dans  une  profonde  nuit.  Ce  n'est  point 
ici  qu'il  convient  de  discuter  les  hypothèses  qui  ont  été  hasar- 
dées sur  ce  sujet,  ^'alphabet  sémitique  vient-il  des  hiéroglyphes 
de  l'Egypte,  comme  le  veulent  MM.  Hug,  Seyfiarth,   Ois- 

1  GeMniiis,  Geiek.  dtr  k$br.  'Spr.  mui  Sekr^,  S  Âi,  et  Mamtmmtaphœmeia, 
1.  L  c  t;  Ewald,  Gmek,  dm  VoOm  Iiraêf ,  I,  p.  67  et  «nv.;  Lengerke,  Kenam, 
p.  XXXIII  et  suiv. 

'•Jimld,  If  70-71  ;  Lengerke,  p.  xixui  et  suiv. 

'  Je  m'étoane  que  M.  Ewild  (p.  71)  admette  l*aiitbentîdté  des  paflBages  allé- 
gaés  par  loe^e.  Voir  la  dÛKrtatioii  de  M.  Tahbé  Groke  :  De  Plami  Jompki 
in  mtclmUnu  contra  Apûmem  afferendiêjide  et  auetoritaîe  (  18&6  ) ,  p.  81  et  auiv. 


10&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

hausen,  Lenonnant,  ou  des  caractères  cunéiformes  de  l'Assyrie  t 
Tient-il  des  uns  et  des  autres ,  comme  le  soutiennent  MM.  Lep- 
sius,  Lœwenstem?  Sont-ce  les  Hyksos,  ainsi  que  le  suppose 
M.  Ewald^,  qui  firent  passer  l'écriture  égyptienne  de  l'état 
phonétique  à  l'état  syllabique  ou  alphabétique ,  comme  les  Ja- 
ponais et  les  Coréens  l'ont  fait  pour  l'écriture  chinoise?  Ce 
sont  là  autant  de  questions  que  nous  ne  voulons  pas  aborder. 
Pour  affirmer  que  l'alphabet  sémitique,  tel  que  nous  le  con* 
naissons,  toujours  semblable  à  lui-même,  est  réellement  une 
création  des  Sémites ,  il  n'est  point  nécessaire  de  soutenir  que 
les  Sémites ,  en  le  créant ,  ne  se  sont  appuyés  sur  aucun  essai 
antérieur'.  D  suffit  que  l'idée  de  l'alphabétisme ,  cette  mer- 
veilleuse décomposition  de  la  voix  humaine,  leur  appartienne 
en  propre.  Or,  ceci  ne  peut  être  mis  en  doute.  L'alphabet 
sémitique  correspond  si  parfaitement  à  l'échelle  des  articula- 
tions sémitiques,  l'absence  d'une  notation  pour  les  voyelles 
tient  si  profondément  au  génie  des  langues  en  question ,  qu'il 
faut  supposer  que  l'alphabet  sémitique  a  été  taillé  sur  le  moule 
même  des  idiomes  qu'il  sert  à  peindre  aux  yeux.  Les  noms 
seuls  des  lettres,  qui  sont  presque  tous  sémitiques,  ne  four- 
nissent-ils point,  à  cet  égard,  la  plus  évidente  démonstration'? 

*  G€9ek,  cfeff  F.  /.  1. 1,  p.  47/1;  cf.  Lengerke,  op.  cit.  p.  376. 

*  Le  fait  depuis  longtemps  observé»  que  ia  forme  de  chaque  lettre  représente 
dans  les  anciens  alphabets  sémitiques  ce  que  le  nom  #  la  lettre  signifie,  est 
Tindice  d^un  procédé  analogue  à  cdui  des  écritures  hiéroglyphiques.  Mais  on  ne 
saurait  rigoureusement  condure  de  là  que  Talphabet  des  Sémites  soit  le  résultat 
de  la  simplification  graduelle  d^un  système  idéographique  antérieur.  Les  ressem- 
blances de  nom  et  de  forme  qu'on  a  signalées  entre  certains  caractères  sémiti- 
ques et  égyptiens  sont,  il  est  vrai ,  plus  significatives.  ^ 

'  Bertheau,  op.  cit,  p.  107;  Gesenius,  Ge»ch,  dm-  A«6r.  Spr.  mui  Sehr^^ 
S  60  ;  Lepsius ,  U^)er  die  Ânordfmng  vnd  VerwandUchqfï  det  SenUtiichtii ,  Indiêchen, 
^thitfinKmfAl^^enitehenundAU'jEgyptiichen  A^Aabet»  (Berlin,  i836);  Bun- 
sen, Outimef ,  I,  a5A  et  suiv.;  II,  1&-16. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  105 

Quel  est  le  peuple  sémitique  auquel  appartient  cette  inven- 
tion admirable?  L'antiquité  n*a  qu'une  voix  pour  en  faire  hon- 
neur à  la  Phénicie.  Mais  les  Phéniciens  ayant  été  les  seuls  in- 
termédiaires entre  les  races  sémitiques  et  le  reste  du  monde , 
ont  dû  passer  bien  souvent  pour  les  inventeurs  de  ce  qu'ils 
n'ont  feit  que  transmettre.  Les  Phéniciens  ne  sont,  en  géné- 
ral, que  les  courtiers  d'une  civilisation  qui  a  son  centre  à  Ba- 
k|flone.  Tout  porte  à  croire  que  Babylone ,  qui  a  donné  au 
monde  le  système  des  poids  et  des  mesures  ^,  a  créé  également 
l'alphabet  de  vingt-deux  lettres.  'A  Babylone ,  s'en  retrouvent 
les  plus  anciens  spécimens^;  l'antiquité  associe  souvent  l'As- 
syrie à  la  Phénicie  dans  le  suprême  honneur  de  cette  inven- 
tion'. A  Babylone,  enfin,  a  été  inventé,  selon  toute  apparence, 
le  système  cunéiforme ,  de  là  transporté  à  Ninive ,  puis  à  Ec- 
batane\  Hais  il  répugnera  toujours  de  croire  que  le  système 
sémitique ,  avec  sa  belle  économie ,  soit  sorti  de  l'exubérance 
mal  entendue  des  écritures  cunéiformes.  Il  y  a  un  abime  de 
l'un  de  ces  systèmes  à  l'autre.  L'écriture  égyptienne ,  malgré 
tous  ses  progrès ,  n'a  jamais  dépouillé  complètement  la  tache 
de  son  origine  hiéroglyphique;  l'écriture  cunéiforme  la  plus 
avancée,  celle  de  Persépolis,  est  à  une  distance  infinie  du  sys- 
tème sémitique.  Gomment,  d'ailleurs,  si  l'alphabet  de  vingt- 
deux  lettres  était  sorti  de  l'écriture  cunéiforme  par  un  progrès 
continu,  trouverait-on  à  Ninive  et  è  Babylone  les  deux  systè- 
mes employés  simultanément  dès  une  assez  haute  antiquité? 
Le  système  plus  compliqué,  après  avoir  produit  sa  dernière 

^  IkBékh,  MttrologiichêUnienuehmgm{fUa[^,  i838>. 

*  F.  Myrv,  p.  66. 

*  Diod.  Sic.  V,  LXiiT,  i  ;  Pline,  Vil,  56;  Beroee,  dans  les  Fragm,  hût  grac, 
de  Gh.  Mûiler,  t.  II,  p.  Â97. 

*  Jourmd  atiat.  juillet  1 8&5 ,  p.  34. 


106  HISTOIRE  DBS  LANGUES  SÉMITIQUES. 

siflnpiifieatîon  ,  n'aurait-il  pas  disparu,  laissant  la  place  à  l'al- 
phabet, qui,  dans  le  leste  du  monde»  devenait  fécriture  défi* 
nithre  et  universelle  du  genre  humain? 

S  n. 

L'histoire  <le  la  hmgue  hébraïque,  en  tant  que  langue  vi- 
vante, peut  se  diviser  en  trois  périodes  :  i""  période  ardiaîque, 
antérieure  à  la  rédaetion  définitive  des  écrits  qui  forment  ie 
canon  hébreu;  a**  période  classique,  âge  d*or  de  la  littérature 
,  hébraïque,  durant  laquelle  la  langue  nous  apparaît  parfaite- 
ment formée  et  pure  de  tout  mélange  étranger;  3""  période 
chaldéenne,  durant  laquelle  la  langue  s'altère  de  plus  en  plus 
par  le  mâfimge  des  idiomes  araméens,  qui  finissent  par  l'é- 
touffer. 

Il  est  diflkile  de  déterminer  avec  précision  jusqu'à  quelle 
antiquité  on  peut  suivre  l'état  de  la  langue  hébraïque  par  des 
monuments  certains.  Dans  aucune  littérature  peut-être ,  la  dis- 
tinction du  fond  et  de  la  forme  n*a  plus  d'importance,  car 
aucune  littérature  n'a  subi  autant  de  remaniements.  On  peut 
affirmer,  par  exemple,  que  nous  possédons  dans  les  livres  de 
l'Exode  et  des  Nombres  des  renseignements  tout  à  fait  audien- 
tiques  et  contemporains  sur  l'état  et  les  actes  des  Beni-Israël 
dans  le  désert  de  la  presqu'île  du  Sinaî  :  fauir-il  en  conclure 
que  les  livres  de  l'Exode  et  des  Nombres  nous  représentent  la 
langue  telle  qu'elle  existait  à  cette  époque?  Non,  certes.  La 
rédaction  définitive  des  livres  contenant  l'histoire  ancienne 
d'Israël  ne  remonte  pas  probablement  au  delà  de  l'an  760 
avant  J.  G.^  Antérieurement,  ces  livres  avaient  subi  plusieurs 
refontes ,  portant  sur  des  détails  de  style  et  d'arrangement.  H 

*  Ewaid,  Gsickiehtê  det  VoUtn  /«raàl,t.  I,  p.  laâ;  Lengerke,  Hlammui,  p.  c 
et  BuW.;  De  Wette,  Emlntumg,  S  169. 


LIVBE  II,  CHAPITRE  I.  107 

«C  émc  impeMble  d'étaUirrar  de  parais  docmneoto  des  coa- 
ckmoBs  plulol<^qae6  assurées.  L^opinioii  qm  attiibue  la  ré- 
daetioii  du  Pentatew^e  à  H<^se  eai  en  dehors  de  la  critique, 
et  se  doit  pas  Atre  discutëe  ici  :  cette  opinion,  du  reste,  pa- 
rait assat  moderne,  et  il  est  bien  certain  que  les  anciens  Hé- 
breux ne  songent  jamais  à  regarder  leur  législateur  comme 
un  biatorien^.  Les  récits  des  temps  antiques  leur  apparaissaient 
comme  des  œuvres  absolument  impersonnelles,  auxquelles  ik 
n*attacbaient  pas  de  nom  d'auteur. 

Toutes  les  recherches  relatives  à  l'état  archaïque  de  Thé^ 
breu  sont  subordonnées  à  une  question  préalable  :  A  quelle 
époque  les  Israélites  commencèrent-ils  à  écrire?  Cette  quea- 
tîaii,  qui  a  Csrt  préoceupé  les  exégètes^,  semble  susci^tible 
d'une  solution  assez  nette.  Dans  les  récits  de  l'époque  patriar- 
cale,  nan-seulement  on  ne  trouve  aucune  trace  d'écriture, 
mais  on  rencontre  à  chaque  page  des  coutumes  quien  suppo- 
sent l'absence  :  tels  sont  les  nummmentM  cdnpnémoratî£s  d'un 
Cttt,  tas  de  pierre,  arbres,  autds*  Les  premiers  paetêê  de  Jé- 
hovah  ne  correspondent  à  aucune  écriture ,  et  ne  sont  marqués 
que  par  des  mgnes  extérieur.  Le  mot  $igne  lui-même  (niK), 
auquel  les  Sémites  attachaient  des  idées  fort  complexes,  et  qui 
devait  plus  tard  devenir  l'équivalent  de  Uiera,  ne  désigne 
encore  qu'un  objet  ou  un  fait  associé  à  un  autre  d'une  manière 
arintraire.  —  Au  sortir  de  l'Egypte,  cep^idant,  nous  trouvons 


'  Les  eipreanoiiB  hidê  Mom,  ki  de  Jehovak  doimée  par  Mom  n^impliqaent 
(M  que  HoÎBe  lût  r^rdé  comme  Tauteur  de  Tensemble  historique  du  Penta- 
lèaqiié,  td  que  nous  le  poflsédons.  Cette  deniière  opinion  parait  cependant  éta- 
Mîe  è  répoqoe  de  rère  dvMieiM.  V.  de  Wette ,  1 1. 

'  GeBenins,  Gmtk,  ier  kebr.  Spraehe  wtd Sckr^,  S  & i  ;  Winer,  BibL  BêaiwtmrL 
art  S^rmbktmtt;  Ewald,  Gêteh.  det  Foft.  br.  1, 63  et  auiv. ;  Lengerke,  Kemum, 
p.  uxui  et  Biiiv. ;  Hitog,  Die  Eifiidmg  an  A^^kabeU  (Zurich,  i8fto);  Kopp , 

BÊmÊt  WHf  SfMtifwtH  utT  Y€ft§U  ^  t.  H ,  uRMHf  ■  fVMMffT. 


108  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

les  Israélites  en  possession  de  récriture,  au  moins  de  Pécii» 
ture  soleimelie ,  gravée  sur  la  pierre.  On  ne  peut  douter  que 
le  journal  des  campements  du  désert  et  quelques  antiques  Tho- 
ledoîh  n'aient  été  dès  lors  fixés.  Au  livre  des  Nombres  (ch.  xxi, 
V.  \k  et  37),  nous  voyons  cités  deux  fragments  de  chants 
populaires,  extraits  d'un  Lttre  des  guerres  de  Jéhovah,  qui  doit 
sans  doute  avoir  été  presque  contemporain  de  Moïse.  Beaucoup 
d'autres  relations  des  temps  mosaïques,  où  il  est  question  de 
l'emploi  de  l'écriture,  pourraient  être  considérées  oonune  des 
anachronismes  du  dernier  rédacteur,  attribuant,  suivant  l'u- 
sage des  historiens  naïfs,  aux  temps  anciens  des  traits  d'une 
époque  plus  moderne  ;  néanmoins ,  les  faits  précités  semblent 
suffisants  pour  prouver  que,  dès  lors,  les  Israélites  possédaient 
l'alphabet.  Certes ,  à  les  voir  entrer  en  Egypte  ne  sachant  point 
écrire  et  en  sortir  avec  l'écriture,  on  est  bien  tenté  de  croire 
qu'ils  durent  cette  révélation  à  l'Egypte  elle-même.  Néanmoins, 
la  différence  radicale  du  système  égyptien  et  de  celui  des  Hé- 
breux, et  plus  encore  l'évidente  parenté  de  l'alphabet  hébreu 
avec  l'alphabet  phénicorbabylonien  opposent  à  cette  induction 
des  difficultés  capitales.  Il  est  douteux  qu'aucune  des  hypo- 
thèses qui  ont  été  ou  seront  imaginées  pour  expliquer  ce  sin- 
gulier phénomène  historique  réussisse  jamais  à  satisfaire  une 
critique  exigeante  et  délicate. 

On  a  très-bien  aperçu,  dans  ces  dernières  années,  où  il  fal- 
lait chercher  l'analogie  des  procédés  qui  ont  présidé  aui 
transformations  successives  des  écritures  historiques  des  Hé- 
breux :  c'est  dans  l'historiographie  arabe.  Lorsque  Ton  com- 
pare ,  en  effet ,  les  unes  aux  autres  les  diverses  classes  d'histo- 
riens musulmans,  on  reconnaît  que  tous  ne  font  guère  que 
reproduire  un  fond  identique,  dont  la  première  rédaction  se 
trouve  dans  la  chronique  de  Tabari.  L'ouvrage  de  Tabari  n'est 


LIVRE  II,  GHAPHTRE  I.  109 

hm-^nàme  qu'un  recueil  de  traditions  juxtaposées,  sans  la 
moindre  intention  de  critique ,  mentionnant  avec  prolixité  les 
autorités  sur  lesquelles  Fauteur  s'appuie,  plein  de  répétitions, 
de  conteadictions,  de  dérogations  à  Tordre  naturel  des  faits. 
—  Dans  Ibn-«d-Atliir,  qui  marque  un  degré  de  rédaction  plus 
avancé,  le  récit  est  continu,  les  contradictions  sont  écartées,  le 
narrateur  choisit  une  fois  pour  toutes  la  tradition  qui  lui  paraît 
la  plus  probable  et  passe  les  autres  sous  silence.  Des  dires 
phis  modttmes  sont  insérés  ça, et  là;  mais  au  fond,  c'est  tou- 
jours la  même  histoire  que  dans  Tabari,  avec  quelques  va- 
riantes et  aussi  quelques  contre-sens,  lorsque  le  second  rédac- 
teur n'a  pas  parfaitement  compris  le  texte  qu'il  avait  sous  les 
yeu. —  Dans  Ibn-Khaldoun  enfin,  la  rédaction  a  passé,  si  j'ose 
le  dire,  une  fois  de  plus  au  creuset.  L'auteur  mêle  à  son  récit 
des  vue%  personnelles;  on  voit  percer  ses  opinions  et  le  but 
-qu'il  se  propose.  Les  interstices  des  documents  sont  remplis  par 
one  sorte  de  ciment  formé  de  rapprochements  et  de  conjectures 
souvent  arbitraires.  C'est  une  histoire  arrangée,  complétée, 
vue  à  travers  le  prisme  des  idées  de  l'écrivain. 

L'historiographie  hébraïque  a  traversé  des  degrés  analogues. 
Le  Deutéronome  nous  présente  l'histoire  arrivée  à  sa  dernière 
période,  l'histoire  remaniée  dans  une  intention  oratoire,  où  le 
narrateur  ne  se  propose  pas  simplement  de  raconter,  mais  d'é- 
difier. Les  quatre  livres  précédents  laissent  eux-mêmes  aper- 
cevoir les  sutures  de  fragments  plus  anciens,  réunis,  mais  non 
aitfJTUplAi  dans  un  texte  suivi.  Cette  hypothèse ,  présentée  d'abord 
comme  un  hardi  paradoxe  au  siècle  dernier,  est  maintenant 
adoptée  de  tous  les  critiques  éclairés  en  Allemagne  ^  On  peut 
diffiérer  sur  la  division  des  parties ,  sur  le  nombre  et  le  carac- 

'  Ewaid ,  Geteh.  de»  V,  Ura»l,  1 ,  79  et  suiv.  ;  Lengerke ,  Kenaan,  p.  mn  et suiv. 
p.  uni  et  ndv.;  De  Wette,  EmlnUingf  S  i5o  et  Boiv.;  Stâhelm,£n(iicA«  (h- 


lie  HISTOIRE  DBS  LANGUIS  SÉMITIQUES. 

tère  des  rëdaetioius  successives;  on  ne  peut  plus  douter  éoi 
procédé  qui  amena,  au  ?in*  siède  avant  notre  ère,  le  Penta- 
teuque  et  ie  livre  de  Josué  à  leur  état  définitif.  Il  est  clair 
qu'un  rédacteur  j^{uw{i(9  (c'estr^à-dire  employant  .dans  sa  nar* 
ration  le  nom  de  Jéhovah)  a  donné  la  dernière  fcnrme  à  ce  grand 
ouvrage  historique,  en  prenant  pour  base  un  écrit  SokistB 
(c'est^h-dire  où  Dieu  est  désigné  par  le  mot  iSbAtm),  dont  <m 
pourrait  encore  aujourd%ui  reconstruire  les  parties  essen^ 
tielles.  Ceci  n'enlève  rien ,  évidemment ,  à  k  vadeur  des  doeu-- 
ments  historiques  contenus  dans  ce  précieux  écrit  ;  mais  il  est 
clair  que ,  pour  l'histoire  de  la  langue ,  ce  n'est  pas  à  un  livre 
ainsi  rajeuni  que  l'on  peut  demander  des  témoignages  d'une 
haute,  antiquité. 

La  langue  générale  du  P^tateuque,  en  effet,  est  l'hébreu 
classique ,  sans  aucun  caractère  particulier  d'archaïsme.  Il  se- 
rait singulier  que  de  Moise  à  Jérémie ,  c'est-À-dire  pendant 
près  de  mille  ans,  l'idiome  des  Israélites  n'eût  point  éprouvé  de 
changement.  Les  deux  ou  trois  particularités  de  st^e  qu'on  a 
relevées  dans  le  Pentateuque  :  Kin  pour  K-^n ,  bçf  pour  hVk,  "iw 
employé  pour  les  deux  genres,  n'offrent  aucunement  le  carac- 
tère d'archaïsmes  ^  :  ce  sont  des  faits  isolés  provenant  des  haï»* 
tudes  particulières  de  l'auteur  ;  car,  en  soutenant  que  la  langue 
du  Pentateuque  est  identique  à  celle  de  tous  ies  écrits  hébreux 
de  l'époque  dassicpie ,  on  ne  prétend  pas  nier  que  le  style  de 
cet  ouvrage  (en  y  comprenant  le  livre  de  Josué)  ne  se  distingue 
nett^nent  de  celui  des  autres  livres  historiques,  des  livres  des 

Unuehungen  ûber  den  PenUUeueh,  1 843  ;  Tuch ,  Kommentar  ûber  die  Genesû,  Eini.; 
Mo¥m,  Hiêt,  etmomi  VeL  TeuL  Bfeslaa,  18&9. 

^  Le  premier  de  oee  îdiotiimm  se  retrouve  atUeun  q«e  daae  le  Peatateaqae 
(cf.  Gesenius  Thet.  aa  mot  {()n;  Lekrg^œude,  p.  901  ;  Ewald,  Kritûche  Gram" 
fiMrtft,  p.  1 76).  Les  rares  expressioiis  archiâqiies  oonservées  dens  ie rédi  san^  im- 
lédietemeiit  CTptkfwto  par  des  gloses.  Voir,  par  eieo^e,  Gêm.  mn,  ao. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  lit 

R0ÎB9  pflff  exemple.  Il  est  même  finale  de  trouver  entre  les 
pièees  diverses  qui  le  composent,  et  surtout  entre  les  deux  sé- 
ries <te  documents  ëlolûstes  et  jékovistesy  de  sensiUes  diflfé* 
rences  dans  le  choix  des  expressions  et  le  tour  du  récita  Ce 
qu'il  importe  de  maintenir,  c^est  funité  grammaticale  de  la 
bngne  hébraïque,  c'est  ce  Cût  qu'un  même  niveau  a  passé  sur 
les  monuments  de  provenances  et  d'âges  n  divers  qui  sont  entrés 
dans  les  archives  des  Israélites.  Sans  doute ,  il  serait  téméraire 
dTaftrmer  avec  H.  Movers^  qu'une  seule  main  a  retouché 
presque  tous  les  écrits  du  canon  hébreu  pour  les  réduire  à  une 
hmgue  uniforme.  Il  faut  reconnaître,  toutefois,  que  peu  de 
htlératures  se  présentent  avec  un  caractère  aussi  impersonnel , 
et  ont  moins  gardé  le  cachet  particulier  d'un  auteur  et  d'une 
époque  déterminée. 

Nous  serions  donc  tout  à  fait  privés  de  renseignements 
sar  les  temps  anciens  de  la  langue  hébraïque ,  si  des  livres  ré- 
digés k  une  époque  relativement  moderne  ne  renfermaient  des 
documents  textuels  d'une  bien  plus  haute  antiquité.  Le  Penta- 
teuque  et  les  livres  historiques  rapportent  souvent,  dans  leur 
forme  rhythmique,  des  dires  populaires,  dont  le  style  a  une 
physionomie  trè&^ancienne.  Le  livre  des  Psaumes ,  d'un  autre 
cAté,  contient  quelques  morceaux  qui  nous  font  atteindre  jus- 
qu'aux origines  de  la  nationalité  israélite,  de  même  que  le 
Kitâb  drAgâni,  rédigé  seulement  au  x*  siècle ,  nous  a  transmis 
avec  une  exactitude  suffisante  les  plus  vieux  souvenirs  de  la 
poésie  arabe  anté-islamique. 

Au  premier  rang  de  ces  antiques  fragments ,  il  faut  placer 
les  légendes  paraboliques  conservées  dans  la  Genèse,  remplies 
de  jeux  de  mots,  d'oppositions,  d'assonnances ,  fondées  presque 

'  De  W«lle,  Eàdmkmg,  p.  177  et  smv,;  Bwdd,  Gmek.  I,  77-78. 
*  RùL  flemwM  V0L  TMt  p.  1 1  et  mît. 


112  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

toujours  sur  des  étymoiogies  fictives,  et  destinées  à  donner 
bien  ou  mal  l'explication  de  noms  propres  dont  le  sens  était 
perdu  ;  souvent ,  devises  de  £aanille  ou  de  tribu ,  qui  s'attachaient 
comme  appendice  au  nom  propre ,  et  se  perpétuaient  par  le 
moyen  du  rhythme  ;  ou  sentences  proverbiales ,  renfermées  sous 
une  forme  énigmatique,  et  courant  dans  la  tradition  avec  plus 
ou  moins  de  variantes  ^  Tels  sont,  par  exemple,  le  dire  de 
Lémek,si  mystérieux  et  si  obscur,  conservé  au  quatrième  cha- 
pitre de  la  Genèse  (v.  sS-q/i);  le  récit  de  la  tour  da  Babel, 
plein  de  rimes  et  de  jeux  de  mots  [Gen.  xi,  tmt.);  la  devise 
étymologique  de  Japhet  {Gen.  ix,  95-97);  l^s bénédictions  de 
Nbé,  qui  ont  servi  de  type  aux  bénédictions  toujours  prover* 
biales  et  énigmatiqùes  qu'on  attribue  aux  autres  patriarches. 
Telles  sont  surtout ,  malgré  quelques  interpolations  plus  mo- 
dernes ,  les  deux  bénédictions  de  Jacob  et  de  Moïse  ^,  où  perce 
l'intention  de  recueillir  les  dictons  satiriques  .ou  laudatifs  qui 
avaient  cours  sur  chaque  tribu'.  Sans  doute,  le  style  de  tous 

'  Par  là  s^expliquent  les  analogies  qu^ofirent  entre  eux  certains  fragments  poé- 
tiques qui  ne  sont  évidemment  que  des  versions  différentes  d^un  même  morceau. 
Ainsi,  quelques  psaumes  sont  presque  la  répétition  d^autres  psaumes.  Ainsi,  les 
bénédictions  de  Jacob  et  cdles  de  Moise  ne  sont  que  des  variantes  d'un  thème 
identique.  Par  là  s'explique  aussi  Tincofaérence  grammaticale  de  ces  fragments; 
une  phrase  commencée  d'après  une  leçon  traditionnelle  a  été  souvent  adievée  sur 
une  autre.  Presque  tous  les  chants  ou  récits  antiques  subissent  de  ces  sortes  d'al- 
térations dans  la  mémoire  du  peuple. 

*  Je  ne  partage  pas  l'opinion  de  M.  Ewidd  (Ge$eh.  dm  V.  Itrael,  I,  p.  161), 
qui  regarde  la  bénédiction  de  Moïse  comme  une  imitation  de  celle  de  Jacob,  com- 
posée au  moment  de  la  restauration  du  mosaîsme,  sous  Josias,  dans  la  même  in- 
tention que  le  Deutéronome,  pour  raniiner  la  piété  des  fidèles.  Le  style  de  ce 
morceau  est  trop  irrégulier,  on  y  trouve  trop  de  lacunes  et  de  manques  de  soite 
pour  qu'on  puisse  le  rapprocher  des  cantiques  composés  avec  art  par  des  lettrés 
pieux,  tds  que  ceux  de  V Exode,  chap.  xv,  et  du  Deutér, ,  chap.  xzxii. 

'  Comparez  les  recueils  «naiogues  que  possèdent  les  Arabes,  et  en  particulier 
le  Raihàn  eMbàb  {Jùum,  amat.  Juin  i853,  trad.  de  M.  Sanguinetti). 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  113 

ces  morceaux  n'est  pas  également  archalcpe;  quelques-uns 
sont  écrits  dans  une  langue  assez  analogue  à  la  prose  envi- 
ronnante. La  plupart,  cepentlant,  présentent  des  idiotismes  qui 
semblent  appartenir  à  une  langue  plus  ancienne.  Ainsi ,  les 
deux  bénédictions  précitées  se  distinguent  par  un  tour  de 
phrase  tout  à  fait  à  part,  où  les  idées  sont  juxtaposées  plut6t 
que  construites.  On  y  rencontre  même  des  archaïsmes  d'ortho- 
graphe ^afiixes  en  n')  et  une  forme  grammaticale  qui  a  presque 
disparu  dans  la  langue  classique  et  ne  se  retrouve  plus  que 
dans  les  noms  propres,  je  veux  parier  des  noms  construits  en  ^  : 
"^la,  noK,  ^Wdp  (Gen.  xlk,  ii,  12). 

Certains  cantiques  ou  fra^ents  de  cantiques,  destinés  à  être 
appris  par  cœur^,  nous  ont  aussi  conservé  les  restes  d'une 
langue  plus  ancienne  que  la  prose  des  livres  historiques.  Sans 
doute,  la  plupart  des  morceaux  dont  nous  parlons  paraissent 
avoir  été  retouchés  ou  consignés  par  écrit  à  des  époques  rela- 
tivement modernes;  mais  leurs  obscurités  et  la  couleur  abrupte 
de  leur  style  suffisent  pour  les  distinguer  des  poèmes  qui  ont 
été  composés  par  des  lettrés  et  avec  réflexion.  Au  nombre  des 
monuments  les  plus  anciens  de  cette  poésie  traditionnelle,  il 
faut  mettre  le  psaume  Exsurgat  Det»  (Ps.  lxviii)  ,  admirable  série 
de  firagments  lyriques,  portant  tous  un  caractère  marqué  de 
circonstance,  tous  relatifs  à  un  même  sujet,  l'arche,  sa  marche 
dans  le  désert,  le  triomphe  de  Jéhovah  et  sa  protection  sur 
son  peuple^.  Tel  est  aussi  un  des  morceaux  les  plus  anciens 
de  la  littérature  hébraïque ,  le  cantique  de  Débora ,  dont  l'au- 
thenticité a  enlevé  les  suifirages  des  critiques  les  plus  difficiles. 

>  Cf.  Ewald,  Geick  dm  V.  hrady  I,  p.  ai. 

'  L'extrême  olMcurité  de  ce  morceau  et  de  toaUs  les  pièces  analogues  vient, 
en  grande  partie,  ce  me  semble,  de  la  faute  des  copistes  ou  des  rédacteurs  plus 
modernes,  qui^  ne  comprenant  pas  bien  le  texte  archaïque  qu'ils  avaient  sous  les 
yeux,  Testropiaient  ou  y  introduisaient  des  changements  arbitraires. 

I.  8 


114  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

• 

Tels  sont  enfin  les  VlifD  de  Balaam  et  les  fragments  de  chants 
populaires  sur  la  prise  d^Hésébon ,  rapportés  au  chapitre  xxi  du 
litre  des  Nombres  (y.  i/i-i5  et  37-30).  Quant  au  chant  si 
connu  de  Moïse  après  le  passage  de  la  mer  Rouge  [Ex&i,  xr), 
il  n  a  pas  la  même  physionomie  d'archaïsme  :  en  supposant  que 
le  début  de  ce  morceau  soit  antique ,  on  ne  peut  douter  qu'il 
n'ait  été  développé  d'une  façon  oratoire  à  une  époque  relative- 
ment moderne.  Il  en  faut  dire  autant  du  cantique  du  Deuté- 
ronome  (ch.  xxxii),  où  l'emploi  d'une  certaine  rhétorique  et 
l'intention  de  réchauffer  dans  les  âmes  le  zèle  du  mosaisme 
sont  plus  sensibles  encore. 

Enfin ,  les  noms  propres ,  témoins  si  sûrs  de  l'état  archaïque 
d'une  langue,  nous  ont  souvent  conservé  des  formes  et  des 
mots  hébreux  tombés  en  désuétude.  Ainsi ,  l'aptitude  à  former 
des  mots  composés  au  moyen  des  formes  construites  en  ^ 
et  en  1»  aptitude  que  les  langues  sémitiques  ont  perdue 
de  très-bonne  heure,  se  montre  dans  les  noms  propres  hé- 
breux et  phéniciens  :  MaUU-^edek,  Methu-^chaSl,  Haniùrbaal, 
Azrurbaal.  Les  noms  qui  commencent  par  la  préformante  \ 
tels  que  pns\  3pv\  etc.,  préformante  qui  n'est  restée  dans 
aucune  langue  sémitique  pour  les  substantifs^,  maïs  qui, 
dans  la  conjugaison,  indique  l'attribution  de  l'action  verbale 
à  une  personne,  nous  révèlent  un  des  secrets  les  plus  in- 
times de  la  formation  des  langues'  sémitiques.  Et  la  preuve 
que  ces  noms  appartiennent  à  une  langue  qui  n'était  déjà 
plus  comprise  des  Juifs  k  l'époque  de  la  rédaction  de  leurs  ou- 
vrages historiques,  c'est  que  la  plupart  d'entre  eux  servent 

m 

^  Un  certain  nombre  de  noms  <k  Tantiquiié  arabe,  cJ^yM»  o^t  Oy^t  ^• 
iont  forméa  de  ia  même  manière.  Maia  il  se  peut  queies  Arabes  aient"  forgé  cet 
noms,  pour  la  plupart  fabuleux,  d'après  Tanalogie  des  noma  bébreui  qu'îb  avaient 
adoptés. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  iii 

de  tbème  à  des  étyknolc^es  fictires.  Dénués,  comme  tom  I^ 
anciens,  do  sentiment  de  Tétymoiogie  scientifique,  n'y  cher- 
chant que  des  allitérations  et  des  jeux  de  mots \  les  écmains 
hélvreux  prirent  k  tAche  d'expliquer  tous  ces  noms  antiques  par 
la  langue  qui  se  pariait  de  leur  temps  :  ainsi ,  pp  fut  tiré  de 
nip,  te  de  bb^y  pwi  de  ^01^3  hk"),  à  peu  près  comme,  dans 
le  Cratyle  de  Platon^  Oreste  est  tiré  de  ùpttpà^^  et  Agamemnon 
de  kjau/lb§  éntfwvfi.  De  là ,  ces  légendes  étymologiques  ratta- 
chées, dans  la  Genèse,  à  la  naissance  de  tant  de  personna- 
ges'. Pour  expliquer  la  double  orthographe  du  nom  d'Abraham, 
Tauteur  (  Gm.  xtii  ,  7  )  a  recours  à  la  glose  D^13  î^Dn  m.  Pour 
rendre  compte  du  nom  chananéen  de  Maria  (^Gen.  xxii,  8, 1  A), 
fl  ioue  sur  le  proverbe  hébreu  :  hk^^  n^n'»  nna.  Quelquefois 
même  ces  explications  sont  empruntées  aux  langues  voisines 
de  l'hébreu.  Ainsi,  le  nom  de  la  manne^  est  tiré  de  ce  que  les 
Israélites,  à  la  vue  de  cette  substance,  s'écrièrent  :  î<în"îD; 

T 

«Qu'est-ce  que  cela?»  [Exod.  xvi,  i5,  3i).  Or,  le  mot  |D, 

>  M.  Lencfa  {SpraehphiL  derAUm^  UI ,  1 1 3  ;  1 8& ,  etc.)  a  rassemblé  dans  Homère, 
Eschyle,  etc.  un  grand  nombre  de  ces  étymoiogies  ou  plutôt  de  ces  calembours. 

*  Ce  procédé  de  la  légende  étymologique  est  commun  à  tous  les  peuples  de 
TantiqaHé,  et  a  donné  naissance  à  une  foule  de  mythes.  Les  anciens  ne  connais- 
saient généralement  que  leur  prc^re  langue ,  et  de  cette  langue  ils  ne  connaissaient 
qoe  la  forme  contemporaine  :  en  présence  d^un  mot  dont  la  signification  était  per» 
dae  ou  d''un  mot  étranger,  ils  ne  pouvaient  songer  à  en  chercher  Torigine  ailleurs 
qoe  dans  Tidiome  qu'ils  savaient.  L'anecdote  massait  au  besoin  pour  justifiei*  l*é- 
tymologie  ainsi  imaginée.  Soit  le  mot  byrm ,  par  exemple,  dont  Torigine  est  M*' 
demment  sémitique  (Kri1^3«  forteresse,  nom  de  plusieurs  villes  de  Syrie).  Un 
Grec  n^a  pu  chercher  Tétymologie  de  ce  mot  que  dans  jSdpaa.  De  là,  la  nécessité 
iTune  légende  où  il  entrât  du  cuir,  et  la  fable  de  la  peau  de  bœuf  qui  servit  à  dé- 
leminer  faire  de  la  citaâeBe  de  Carthage.  On  troute  chez  les  Barmans  une  feèie 
exactement  semblable  sur  le  nom  de  la  ville  de  Prome  (voy.  Joum.  dêi  tavatUs, 
t833,  p.  91-9»).  Les  myHioIogies  de  llnde,  de  la  Grèce,  des  Scandinaves,  des 
Kimris  offrent  d'innombrables  exemples  de  ce  procédé. 

^  La  vrate  origine  de  ce  nom  paraît  arabe  :  p[aJ\  ^,  <rdon  du  cieb.  V.  le 

8. 


116  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

qui  sert  de  base  à  cette  étymologiey  ne  3e  trouve  pas  en  hé- 
breu ,  mais  bien  en  aramëen ,  et  l'auteur  a  soin  de  i'éclaircir  par 
l'hébreu  K)n~nD.  Ces  jeux  étymologiques  nous  mettraient  sur 
la  voie  d'archaïsmes  importants,  si  l'on  pouvait  déterminer 
l'époque  à  laquelle  ils  sont  entrés  en  circulation.  Il  est  remar- 
quable qu'on  y  suppose  presque  toujours  la  bilitérité  primitive 
des  radicaux  :  ainsâ,  Il'p  joue  avec  '«n'^^ç  [Gen.  iv,  1),  n^  avec 
ona  (  Gen.  v,  39),  etc.  Quelques-unes  de  ces  légendes  nous  ont 
également  conservé  des  mots  ou  des  acceptions  de  mots  qui 
avaient  vieilli.  Ainsi  [Gen.  xv,  3),  l'auteur  voulant  jouer  sur 
le  nom  de  pïUsi  (Damas),  patrie  d'Eliézer,  fait  dire  à  Abraham 
^n^3  pvfD'p)  où  se  trouve  le  mot  pefD,  qui  avait  entière- 
ment  perdu  sa  signification,  et  qu'il  est  obligé  d'expliquer 
par^nk  «f']^  ''^Tî?^- 

S  m. 

Pour  trouver  des  monuments  de  la  langue  hébraïque  qui 
n'aient  subi  aucun  remaniement  postérieur,  il  faut  descendre 
jusqu'à  la  fin  de  l'époque  des  Juges,  au  siècle  de  Samuel 
(xi*  siècle  avant  l'ère  chrétienne).  Ce  moment  est  celui  où  la 
nation  israélite  arrive  à  la  réflexion ,  et  ioù  se  constitue  défini- 
tivement l'esprit  nouveau  qui  dominera  toute  la  période  des 
Rois,  esprit  plus  positif,  plus  étendu,  plus  ouvert  aux  idées 
étrangères,  mais  moins  spontané,  moins  naïvement  religieux, 
moins  poétique.  Israël  passe  de  l'état  de  tribu,  pauvre,  simple, 
ignorant  l'idée  de  majesté,  à  l'état  de  royaume,  avec  un  pou- 
voir constitué,  aspirant  à  devenir  héréditaire.  On  ne  peut  nier 
qu'il  n'y  ait  eu  à  cette  époque  en  Judée  un  mouvement  d'or- 

Sùmunuyë.  h.  ff.;  Niebuhr,  Ihwript.  de  V  Arabie ,  V*  part  ch.  xxt,  art  3;  Gese- 
niiM,  Winer,  #.  k.  v. 

1  Cf.  Geaeniut  7%M.au  mot  pjÛVi  Tnà^.KomtMnlar  ûber  diê  Gm.  a.  k,  l 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  117 

gaoisation  politique  trësHremarquable ,  provoqué  en  grande 
partie  par  l'imitation  de  Tétranger^  L'activité  intellectuelle 
s'en  trouva  fort  excitée ,  et  certes  ce  n'est  pas  un  siècle  ordi- 
naire qui  a  pu  produire  ce  caractère  si  complexe  de  David,  le 
type  le  plus  étonnant  peut-être  et  le  plus  achevé  de  la  nature 
sémitique  dans  ses  belles  et  ses  mauvaises  parties.  Samuel  écri- 
vit, et  les  chapitres  du  premier  livre  intitulé  de  son  nom  ou  son 
rftle  politique  est  exposé ,  portent  un  caractère  si  personnel 
qu'on  est  tenté  de  croire  qu'il  en  est  lui-même  l'auteur.. Il  est 
certain  du  moins  qu'il  grossit  le  dépôt  des  livres  qu'on  gardait 
dans  l'arche.  «Samuel,  est-il  dit,  proclama  devant  le  peuple 
la  constitution  du  royaume  (n3Vpn  DDtfD),  et  l'écrivit  dans  le 
l£rre(')DD3),  et  la  plaça  devant  la  face  de  Jéhovah»  (I  Sam.  x, 
9 5).  La  étaient  aussi ,  sans  doute,  le  livre  du  i^'*  (Jos.  x,  1 3  : 
II  Sam.  I,  i8),  anthologie  d'anciens  cantiques,  premier  noyau 
du  livre  des  Psaumes  ^  ;  le  livre  des  guerres  de  Jéhovah  (  Num. 
ixi,  i/i,  97),  contenant  les  plus  vieux  souvenirs  militaires 
dlsraël;  et  les  plus  anciennes  formules  de  la  Thora.  Tout 
porte  à  croire,  en  effet,  que  dans  la  pensée  du  peuple  hébreu 
à  cette  époque ,  il  n'y  avait  qu'un  mu/  livre ,  le  Uere  de  raUiance, 
déposé  dans  l'arche ,  et  qui  représentait  les  archives  toujours 
ouvertes  de  la  nation  '.  L'écriture  ne  servait  point  encore  à  des 
usages  privés  ni  à  l'expression  de  la  pensée  individuelle. 

Ce  n'est  qu'à  l'époque  de  David  et  de  Salomon ,  qu'on  voit 
apparaître  une  littérature  hébraïque,  dans  le  sens  spécial  que 
nous  donnons  à  ce  mot.  Toutes  les  traditions  juives  nous  attes- 

'    I  ScMI.  Tlll,  5,  90. 

'  A  peu  près  ce  qn^était  dans  les  couvents  du  moyen  Age  le  ndssd ,  sur  iel 
pages  Uandies  duquel  on  écrivait  les  contrats,  les  nouveaux  règlements,  tout  ce 
qu'il  importait  de  fixer  à  un  endroit  connu.  Le  curieux  épisode  du  Lrnrt  de  la  Ln 
trouvé  sous  Josias  (Il  B0g.  zzii) ,  nous  bit  assister  i  une  de  ces  interealations. 


119  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

teoi  ies  goûts  poétiques  de  David  ^  las  goûta  philosophiques  de 
SaJoDum.  Sans  doute»  la  liste  de  leurs  écrits  s'est  grossie,  pour 
le  premier,  de  toutes  les  compositions  lyriques  analogues  aux 
ûennes,  pour  le  second,  de  tous  les  écrits  scientifiques  et  phî* 
losopbiques  légués  par  l'antique  sagesse  des  Sémites.  Mais  ces 
légendes  mêmes,  et  plus  encore  les  œuvres  authentiques  qui 
portent  le  nom  de  David,  les  passages  historiques  qui  men<^ 
tipnnent  les  nombreux  écrits  de  Salomon ,  attestent  la  part  im^ 
portante  qu'ils  prirent  l'un  et  l'autre  au  travail  intellectuel  de 
leur  temps. 

Il  semble  du  reste  que  toutes  les  tribus  térachites  partici- 
paient, vers  cette  époque,  à  un  même  mouvement  intellectuel, 
dont  la  Palestine  était  le  centre,  et  qui  formait  un  ensemble 
littéraire  qu'on  pourrait  appeler  le  êticle  de  Salomon.  «Dieu^ 
doniyi  à  Salomon  une  science  et  une  sagesse  extraordinaires, 
et  un  esprit  aussi  étendu  que  le  sable  des  rivages  de  la  mer. 
Et  la  science  de  Salomon  surpassa  celle  de  tous  les  Arabes  et 
toute  la  science  de  l'Egypte.  Il  s'éleva  en  sagesse  au^essus  de 
tous  les  hommes ,  au-dessus  d'Ëthan  l'Ezrahide ,  de  Héman  ^, 
de  Calcol,  de  Darda,  fils  de  Mahol,  et  son  nom  se  répandit 
chez  les  nations  environnantes.  Et  Salomon  prononça  trois 
mille  moêchal  (proverbes  ou  paraboles),  et  composa  mille 
cinq  sckir  (chants  lyriques).  Et  il  traita  de  tous  les  arbres, 
depuis  le  cèdre  qui  croît  sur  le  Liban,  jusqu'à  l'hyssope  qui 
sort  des  murailles,  et  il  traita  des  quadrupèdes,  des  oiseaux, 
des  reptiles  et  des  poissons^.  Et  on  venait  de  tous  les  pays 

^  I  Reg.  ▼,  g  (in  Reg.  it,  39 ,  selon  la  Vulgate). 

'  Célèbres  poètes  et  chanteurs,  auxqud«on  attribue  (juelques  psaumes.  €onf. 
fiarald,  Di$  Dickta/^du  A,  B.  1 1,  p.  aia  et  suiv. 

'  '  fil.  Ewald  eatend  par  ]à  une  ceemograj^e  dans  le  genre  de  œlle  de  Kmm- 
wini,  ou  description  de  toutes  les  créatures,  en  commençant  parles  plus  (pindes 
et  fiMssant  par  le»  plus  petites.  Taime  mieux  croire  qu'il  s'agit  de  morajili»  tirées 


LIVH£  II,  CHAPITRE  I.  119 

«otendre  la  sâence  de  Salomon^  de  la  part  de  tous  les  rois 
qui  avaient  oui  parler  de  sa  sagesse.  »  La  légende  de  la  reine 
de  Saba,  caractérise  à  merveille  rémulatton  et  l'admiration 
que  le  premier  éveil  de  la  sagesse  sémitique  excita  dans  tout 
rOrient^  L'Idumée  surtout  semble  avoir  contribué  pour  une 
grande  part  à  ce  mouvement  de  philosophie  parabolique  ;  la 
science  de  Théman  (tribu  édomite)  devint  proverbiale'^;  le 
héros  et  les  inieriocuteurs  du  livre  de  Job  sont  Arabes  ou 
Iduméens«  Ce  livre  luinnème,  est  moins  une  production  israé- 
lite  qu'une  œuvre  purement  sémitique  :  on  n'y  trouve  pas  une 
allusion  au  mosaisme  ;  dans  les  parties  essentielles  du  poëme , 
Dieu  n'est  pas  désigné  une  seule  fois  par  le  nom  de  Jéhovah. 
Il  est  remarquable ,  du  reste ,  que  ce  développement  pro- 
iane  el  philosophique,  qui  caractérise  l'époque  de  Salomon, 
oVut  guère  de  suite  dans  l'histoire  intellectuelle  du  peuple 
hébreu.  Salomon  parait  avoir  eu  bien  moins  que  David  le  sen- 
timent de  la  grande  mission  d'Israël.  Le  but  d'Israël  n'était 
ni  la  philosophie ,  ni  la  science ,  ni  l'industrie ,  ni  le  commerce. 
En  ouvrant  toutes  ces  voies  profanes,  Salomon  fit  en  un  sens 
dévia*  son  peuple  de  sa  destinée  toute  religieuse.  Les  prophètes 
eurent  sous  son  règne  peu  d'influence  ;  il  arriva  à  une  sorte  de 
tolérance  pour  les  cultes  étrangers ,  directement  contraire  à  l'idée 
vraiment  Israélite  :  on  vit  sur  le  Mont  des  Oliviers  des  autels 

des  animaux  et  des  plantes,  analogaes  à  celles  que  nous  lisons  dans  les  Proverbe» 
(cL  m),  et  A  celles  du  Phftiohgui,  qui  furent  si  po{|uiaireB  au  moyen  âge. 
L^idée  d^one  science  descriptive  de  la  nature  est  toujours  restée  étrangère  aux 
Sémites.  (Voir  cependant  Job,  cfa.  zxxtii-xli.) 

*  Inutile  d^ajouter  que  les  traditions  des  Arabes,  des  Abyssins,  etc.  sur  Salo- 
maa,  n*0Dt  aucun  fondement  national,  et  sont  de  purs  emprunts  faits  aux  contés 
des  rabbins.  Hais  en  un  sens  pins  générai,  Salomon ,  pris  comme  représentant  de 
la  sagesse  gnomîque  des  Sémites,  est  bien  Tancétre  commun  de  tontes  les  pbilo- 
flopbies  de  TOrient. 

*  Jérém,  xliz,  7;  Obadia,  9;  Bameh,  m,  ss-aB. 


130  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

à  Molok  et  à  Astarté  !  Aussi  ses  ouvrages  se  perdirent-4l8  pour 
la  jplupart;  sa  mémoire  resta  douteuse;  la  largeur  dHdées  qu'il 
avait  un  moment  inaugurée ,  disparut  devant  la  réaction  pure- 
ment monothéiste  des  prophètes  »  (pii  seront  désonnais  les  vrais 
représentants  de  l'esprit  d'Israël. 

A  partir  de  David  et  de  Salomon,  la  langue  hébraïque 
nous  apparaît  irrévocablement  fixée,  et  n'éprouve  plus  que 
d'insignifiantes  modifications.  Le  fait  d'une  telle  immobilité, 
durant  près  de  cinq  siècles,  est  sans  doute  extraordinaire.  Mais 
il  n'a  rien  d'incroyable  pour  celui  qui  s'est  fait  une  idée  juste 
de  la  fixité  des  langues  sémitiques.  Ces  langues,  en  effet,  ne 
vivent  pas  comme  lés  langues  indo-européennes:  elles  sem- 
blent coulées  dans  un  moule  d^où  il  ne  leur  est  pas  donné  de 
sortir.  L'arabe  des  MoaUakât  ne  diffère  eh  rien  de  celui  qui 
s'écrit  de  nos  jours.  On  peut  supposer,  d'ailleurs,  qu'il  s'établit 
de  bonne  heure  dans  la  littérature  hébraïque,  coDune  dans 
toutes  les  littératures,  une  langue  des  Uvres,  chaque  écrivain 
cherchant  à  mouler  son  style  sur  celui  des  textes  autorisés.  La 
langue  pariée,  en  effet,  se  rapprochait  de  l'araméen,  et  c'est 
pour  cela  que  nous  voyons  les  prophètes  qui  sortent  des  rangs 
du  peuple,  Amos  par  exemple,  employer  beaucoup  plus  de 
formes  araméennes^  C'est  pour  cela  aussi  que  les  poésies  qui 
portent  un  caractère  familier,  comme  le  Cantique  des  cantiques, 
sont  pleines  d'aramaïsmes.  Il  résulte  de  ces  faits  que  la  litté- 
rature hébraïque,  comme  toutes  les  autres,  a  eu  son  époque 
classique,  durant  laquelle  les  écrivains  fixaient  une  langue, 
qui  pour  eux  était  celle  de  leur  temps,  mais  qui  devait  ensuite 
devenir  un  idiome  littéraire.  La  lecture  et  l'imitation  des  an- 
ciens sont  sensibles  chez  les  auteurs  du  temps  de  la  captivité, 

*  Ewaid,  Gramm,  der  hêbr,  Spr.  p.  3. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  131 

et  jios  encore  chez  ceux  qui  ont  écrit  depuis  la  restauration 
des  études  en  Judée  par  Esdras. 

Les  deux  siècles  qui  suivent  le  règne  de  Salomon  forment 
une  sorte  de  lacune  dans  l'histoire  de  la  littérature  hébraïque. 
Les  prophètes  de  Fécole  d'Elie  et  d'Elisée  n'écrivent  pas  :  leur 
direction  sévère  et  absolue  excluait  d'ailleurs  toute  culture 
en  dehors  de  la  religion  de  Jéhovah.  Sous  la  dynastie  de  Jéhu , 
au  contraire,  une  grande  révolution  s'opère  dans  l'esprit  du 
prophétisme ^  A  l'ancien  prophète,  homme  d'action,  faisant  et 
disant  les  rois  au  nom  d'une  inspiration  supérieure ,  succède 
le  prophète  écrivain ,  ne  cherchant  sa  force  que  dans  la  beauté 
de  sa  parole.  La  littérature  hébraïque,  limitée  jusque-là  au 
récit  historique,  au  cantique  et  à  la  parabole,  s'enrichit  ainsi 
d'un  genre  nouveau,  intermédiaire  entre  la  prose  et  la  poésie, 
et  auquel  nul  autre  peuple  n'a  rien  k  comparer.  Joël ,  vers  860, 
est  le  pltis  ancien  de  ces  étonnants  pubHcistes  dont  les  ouvrages 
nous  soient  parvenus.  Après  lui,  viennent  Amos  et  Osée,  dont 
la  manière  originale  et  individuelle  contraste  singulièrement 
avec  la  physionomie  si  impersonnelle  de  l'ancien  style  hébreu. 
Isaîe ,  enfin  (76  0-7  00),  donna  dans  ses  écrits  le  type  de  la  plus 
haute  perfection  que  la  langue  hébraïque  ait  jamais  atteinte. 
Tout  ce  qui  constitue  les  œuvres  achevées,  le  goût,  la  mesure, 
la  perfection  de  la  forme,  se  rencontre  dans  Isaîe,  et  atteste 
chez  lui  un  degré  de  culture  littéraire  inconnu  aux  psalmistes 
et  aux  voyants  des  âges  plus  anciens. 

Le  VIII*  et  le  vif  siècle  avant  notre  ère  nous  apparaissent 
ainsi  comme  l'âge  d'or  de  la  littérature  hébraïque.  Les  refermes 
d'Ezéchias  et  de  Josias ,  en  relevant  ou  plutôt  en  animant  d'un 
nouvel  esprit  le  mosaîsme,  donnèrent  à  l'écriture  un  élan  in- 
connu jusque-là.  A  cette  é{)oque  appartiennent  la  rédaction  dé- 

*  Ewaid,  Geëch,  det  V,  lir.  1. 10,  i**  part.  p.  976  et  suiv.  35 1  et  suiv. 


ISâ  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

finitive  du  Pentateuque  et  de  la  plupart  des  livres  historiques, 
le  recueil  des  Proverbes,  le  Deutéronome ,  un  grand  nombre 
de  psaumes,  et  enfin  les  écrits  de  la  plupart  des  prophètes. 
Jérémie  et  Ezéchiel  terminent  cette  première  période,  et  font 
la  transition  à  la  période  suivante.  Le  style  de  Jérémie  est  bien 
moins  pur  que  celui  d'Isaîe ,  et  Ezéchiel  >  qui  prophétisa  durant 
l'exil,  est  le  plus  incorrect  de  tous  les  écrivains  hébreux  ^  Sa 
manière  de  concevoir,  comparée  à  celle  des  poètes  de  la  bonne 
époque,  représente  une  sorte  de  romantisme,  et  signale  déjà 
le  tour  nouveau  que  l'imagination  des  Hébreux  prit  sous  l'ac- 
tion du  génie  babylonien  et  persan, 

La  langue  des  derniers  écrivains  de  cette  période,  se  rapi- 
proche  beaucoup  de  celle  des  ouvrages  composés  après  l'exil  : 
claire,  développée,  sans  force  ni  ressort,  elle  trahit  l'influence 
chaldéenne  par  une  tendance  à  la  prolixité  et  par  de  nombreux 
aramalsmes.  Ce  dernier  critérium,  toutefois ,  w  doit  pas  être  em- 
ployé sans  quelques  précautions,  lorsqu'il  s'agit  de  déterminer 
l'âge  des  différents  écrits  de  la  littérature  hébraïque.  Nous  avons 
déjà  dit  que  les  plus  anciens  fragments  de  la  poésie  des  Hé- 
breux présentent  des  aramaismes.  Trois  ouvrages  du  plus  grand 
caractère ,  le  livre  de  Job ,  le  Kohéleth  et  le  Cantique  des  can- 
tiques, offrent  la  contradiction  singulière  d'une  pensée  vraiment 
antique  et  d'un  style  qui  appartient  aux  plus  basses  •  époques. 
Ces  livres  décèlent  une  inspiration  vive  et  une  liberté  d^esprit 
presque  incompatibles  avec  les  idées  étroites  et  les  habitudes 
d'imitation  servile  qui  régnent  chez  les  Juifs  depuis  la  capti- 
vité. Je  croirai  difficilement ,  pour  ma  part ,  qu'un  poëme  phi- 
losophique comme  celui  de  Job,  une  idylle  aussi  passionnée 
que  le  Cantique  des  cantiques ,  une  œuvre  d'un  scepticisme  aussi 
hardi  que  le  Kohéleth,  aient  pu  être  composés  à  une  époque 

'  Gesenius,  GMch,  dm-  hêbr,  Spr,  p.  35  et  soiv. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  iU 

de  décadence  înteUectueUe  »  où  l'on  voit  déjà  percer  les  peti- 
tesses de  Teqprit  rabbinique.  Avec  leur  ton  dégagé  et  nuliemeot 
sacerdotal,  leur  sagesse  toute  profane,  leur  oubli  de  Jéhovi^, 
ces  ouvrages,  sont,  à  mes  yeux,  des  produits  de  l'époque  de 
Salomon,  moment  si  libre  et  si  brillant  dans  Tbistoire  du  gé- 
me  bébreu.  Peut-être  n'en  possédons-nous  qu'une  rédaction 
moderne,  où  le  style  primitif  aura  été  altéré.  Le  livre  de  Job 
en  particulier  a  subi  plusieurs  remaniements,  et  parait  avoir 
été  augmenté  et  complété  à  l'époque  de  l'exil.  Pour  les  ou* 
vrages  de  cette  nature,  qui  n'offiraient  pas  une  grande  impor* 
tance  religieuse,  il  y  avait  souvent  presque  autant  de  textes 
que  de  copies.  C'est  ainsi  que  le  livre  de  Judith ,  celui  des  Mac* 
chabées  et  certains  psaumes  nous  sont  parvenus  sous  des  formes 
tris-diverses. — Quant  au  Cantique  des  cantiques ,  cW ,  sous  le 
rapport  du  style,  un  monument  unique  et  tout  à  fait  isolé  :  on 
doit  croire  qu'il  se  rapprochait  de  la  langue  populaire ,  laquelle 
dès  une  époque  fort  ancienne  avait  beaucoup  d^analogie  avec 
l'araméen  ^ 

S  IV. 

Si  nous  ^ivisageons  dans  son  ensemble  le  développement 
de  l'esprit  bélnreu ,  nous  sommes  frappés  de  ce  haut  caractère 
de  p^ection  idisolue ,  qui  donne  à  ses  œuvres  le  droit  d'être 
envisagées. coBune  cloimqueB,  au  même  sens  que  les  productions 
de  la  Grèce,  de  Rome  et  des  peuples  latins.  Seul  entre  tous 
les  peuples  de  l'Orient,  Israël  a  eu  le  privilège  d'écrire  pour  le 
nMmde  entier.  C'est  certainement  une  admirable  poésie  que 
cdle  des  Védas ,  et  pourtant  ce  recueil  des  premiers  chants  de 

>  11.  Ëwald  suppose  que  cet  ouvrage  fui  écrit  dans  le  royaume  d'Israâ,  peu 
après  la  séparation  des  dii  tribus.  ( (r«>cA.  dm  F.  /tr.  t.  111,  i**  partie,  p.  178  et 
ssvantes.) 


13&  HISTOIAE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

la  race  à  laquelle  nous  appartenons  ne  remplacera  jamais ,  dans 
l'expression  de  nos  sensations  religieuses ,  les  Psaumes ,  œuvres 
d'une  race  si  différente  de  la  nôtre.  Les  autres  littératures  de 
rOrient  ne  sauraient  être  lues  et  appréciées  que  des  savants; 
la  littérature  hébraïque  est  la  Bible ^  le  livre  par  excellence,  la 
lecture  universelle  :  des  millions  d'hommes  répandus  sur  le 
monde  entier  ne  connaissent  pas  d'autre  poésie.  II  faut  faire , 
sans  doute,  dans  cette  étonnante  destinée,  la  part  des  réyolu- 
tions  religieuses,  qui,  depms  le  xvi*  siècle  surtout,  ont  fait  en- 
visager les  livres  hébreux  comme  la  source  de  toute  révélation. 
Mais  on  peut  affirmer  que  si  ces  livres  n'avaient  pas  renfermé 
quelque  chose  de  profondément  universel,  ils  ne  fussent  jamais 
arrivés  à  cette  fortune.  Israël  eut,  comme  la  Grèce,  le  don  de 
dégager  parfaitement  son  idée,  de  l'exprimer  dans  un  cadre 
réduit  et  achevé  ;  la  proportion ,  la  mesure ,  le  goût  furent  en 
Orient  le  privilège  exclusif  du  peuple  hébreu,  et  c'est  par  là 
qu'il  réussit  à  donner  à  la  pensée  et  aux  sentiments  une  forme 
générale  et  acceptable  pour  tout  le  genre  humain. 

Bien  que  le  développement  intellectuel  des  Juifs ,  à  l'époque 
que  nous  venons  de  parcourir,  présente  le  caractère  d'une  ré- 
flexion assez  avancée ,  il  faudrait  se  garder  d'y  chercher  quelque 
chose  de  scoiastique  ou  de  grammatical.  Avant  la  captivité ,  on 
ne  trouve  chez  les  Juifs  rien  qui  ressemble  à  une  école  ou  à  un 
enseignement  organisé.  La  rhétorique,  ou,  en  d'autres  termes^ 
la  réflexion  sur  le  style ,  qui  apparaît  en  germe  chez  les  Arabes 
aux  époques  les  plus  spontanées  de  leur  génie ,  ne  se  montre 
pas  chez  les  Juifs  avant  leur  contact  avec  les  Grecs ,  et  quant  à 
la  grammaire ,  ils  n'en  eurent  l'idée  qu'au  x*  siècle  de  notre 
ère,  à  l'imitation  des  Arabes.  Leur  belle  langue  ne  porte  au- 
cune trace  de  législation  artificielle.  A  la  vue  d'ouvrages  aussi 
imposants  par  leur  masse ,  la  richesse  de  leurs  détails  et  leur 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  125 

profonde  méthode  que  la  Gratnmame  critique  d'Ewai.d  ou  le  Syê- 
Urne  f%n$(mné  de  Gesenius,  on  pourrait  croire  qu'il  s'agit  d'un 
idiome  assujetti ,  dans  ses  moindres  détails ,  à  des  lois  inflexi- 
bles. Rien  pourtant  ne  serait  moins  exact.  Généralement,  les 
grammaire^  les  plus  prolixes  sont  celles  des  langues  qui  en  ont 
eu  icLmoins  :  car,  alors ,  les  anomalies  étouffent  les  règles.  On 
trouve  en  hébreu,  comme  dans  la  pli]q)art  des  langues  qui 
n'ont  point  encore  subi  de  culture  grammaticale ,  une  foule  de 
constructions  en  apparence  peu  logiques ,  des  changements  de 
genre,  des  phrases  inachevées,  suspendues,  sans  suite.  Il  se- 
rait également  superficiel  d'envisager  ces  anomalies  comme  des 
fmles,  puisque  nul  Hébreu  n'avait  l'idée  d'y  voir  des  trans- 
gressions de  rè^es  qui  n'existaient  pas,  et  de  chercher  des  bis 
rigoureuses  où  il  n'y  avait  que  choix  instinctif.  La  véritjé  est 
que  ces  irrégularités,  que  les  grammairiens  croient  expliquer 
par  des  anacoluthes ,  des  eUipses  de  prépositions ,  etc. ,  ne  sont 
que  des  inadvertances ,  ou  plut6t  des  libertés  d'une  langue  qui 
ne  connatt  qu'une  seule  règle  :  exprimer  avec  vivacité,  au  moyen 
de  ses  mécanismes  naturels ,  ce  qu  elle  veut  exprimer. 

En  ce  qui  concerne  l'orthographe ,  par  exemple ,  on  peut 
dire  que  les  Hébreux  ne  sont  jamais  arrivés  à  une  parfaite 
détermination,  et  ne  visent  d'ordinaire  qu'à  représenter  le 
son  par  le  âigne  le  plus  approchant.  De  là ,  de  nombreuses 
permutations  entre  les  lettres  équivalentes  :  |dd  =  ]t^  =  )BS , 
^3^  = '^SD ,  >]3  =  33 ,  "^si  =  ppi  ;  de  fréquentes  variétés  dans  la 
transcription  des  noms  géographiques  :  n^^tf  =  ^V^çf = \^p  ;  l'em- 
ploi plus  ou  moins  multiplié  des  lettres  quiescentes,  aban- 
donné au  caprice  de  l'écrivain  ;  la  surabondance  des  formes  du 
pronom  affixe  pour  une  même  personne ,  i  =  m,  etc.  Il  importe 
d'observer,  du  reste ,  que  plus  une  langue  est  ancienne  et  pri- 
mitive, moins  elle  a  d'orthographe;  car,  possédant  ses  racines 


1S6  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

en  elle-ttéme ,  dlè  se  trouTe ,  pour  ainsi  dire ,  face  k  face  arec 
f articulation  qu'il  s'agit  d'exprimer,  sans  avoir  à  se  préoccuper 
d'aucune  raison  antérieure  d'étymôlogie.  L'orthographe  ne  de- 
vient une  des  parties  les  plus  compliquées  de  la  grammaire 
que  pour  les  idiomes  qui,  comme  les  langues  romanes ,  ne  sont 
que  des  décompositions  de  langues  plus  anciennes,  et  ne  por-^ 
tent  point  en  elles-mêmes  la  raison  de  leurs  procédés. 

Le  même  esprit  d'indépendance  préside  à  la  syntaxe  et  à  la 
construction  générale  de  l'ancien  hébreu.  Les  auteurs  les  plus 
corrects  semblent  se  soucier  assez  peu  que  leur  phrase  rem- 
plisse un  cadre  parfait  et  déterminé.  Il  en  résulte,  dans  leur 
style,  une  naïveté  tout  enfantine  et  mille  finesses  de  langage, 
qui  seraient  effacée^  dans  une  période  plus  complète.  On  pour- 
rait citer  pour  exemples  toutes  les  constructions  que  Ton  ap- 
pelle pr^^nanteà^.  Ainsi,  lorsque  nous  lisons  au  ii*  chapitre  de  la 
Genèse  (v,  ai):  nânnn  "ïft^a  l'aoM  ==  i)îea  ferma  de  la  chair  en 
M.  placé,  notre  langue  scrupuleuse  n'est  point  entièrement 
satisfaite;  et,  cependant,  combien  ce  tour  n'esi-il  pas  plus  ex- 
pressif que  celui-ci  :  Dieujerma  la  place  vide  en  y  mettant  de  ta 
chair.  De  même,  Ib  ont  profané  à  terre  ton  êonctuaire  {Pê.  Lxxnr, 
7),  est  bien  plus  vif,  mais  moins  logique  que  :  Ils  ont  prcfâné 
ton  êanctuaire  en  le  renversant  à  terre.  Toutes  les  langues  offrent 
des  exemples  de  ces  sortes  de  constructions;  mais  je  douté 
qu'aucune  en  présente  d'aussi  fréquents  et  d'aussi  caractérisés 
que  l'hébreu. 

Il  en  faut  dire  autant  de  ces  nombreuses  phrases  suspen-^ 
du^,  interrompues ,  doublées  par  la  reprise  d'une  autre  phrase, 
véritables  négligences,  qui,  sans  nuire  à  la  clarté,  ajoutent  au 
naturel.  Dans  ce  passage ,  par  exemjile  :  nnte  2b  D'^fi^K  lVi|Dnn 

*  Voir  0<*âenius,  Lehrg.  der  hêbr,  Spr.  S  999  fr. 


LIVRE  H,  CHAPITRE  I.  127 

(I  SsfB.  I,  9)  =:  Dieu  lui  changea  un  autre  cœur,  il  y  a,  pour 
aîmn  dire,  deax  constructions  superposées  : 

et  a*    1T\H  3*?  D^ri^K  ^^înn 

L'auteur  a  commencé  sa  phrase  sur  le  premier  type,  et  l'a 
achevée  sur  le  second. — Autre  exemple  (P«.  xiii,  1  â)  :  Jusqu'à 
quand,  Jéhovah,  mouhUera»-tu  à  jamais^  ?  Il  y  a  encore  ici  deux 
phrases  qui  enjambent  l'une  sur  l'autre  : 

I*    Jusqu'à  quand  f  Jéhovah,  m*oubliera84a  1 

s*  I.  Jéhovah,  m'oublieras-tu  J  à  jamais? 

Les  caractères  généraux  de  la  langue  hébraïque  sont  émi- 
nemment  ceux  de  la  famille  sémitique,  dont  elle  est  le  type 
le  plus  parfait,  en  ce  sens  qu'elle  nous  a  conservé  des  traits  de 
physionomie  primitive  que  le  temps  a  effacés  dans  les  idiomes 
congénères.  Ainsi ,  les  racines  monosyllabiques  et  bilitères  y  sont 
plus  reconnaissables  que  partout  ailleurs;  la  raison  des  mots  y 
parait  mieux  à  nu ,  et  plusieurs  des  procédés  grammaticaux  qui , 
dans  les  autres  dialectes,  ont  pris  une  extension  considérable, 
ne  s  y  m<Hitrent  qu'en  germe'.  Le  mot  nD,  par  exemple,  qui 
d'interrogatif  est  devenu  négatif  en  syriaque  et  en  arabe,  se 
présente  régdièrelnent  en  hébreu  avec  le  premier  sens,  et 
semble  parf<Ms  se  rapprocher  do  second  par  des  nuances  in- 
sensibles. Plusieurs  locutions  elliptiques  et  défectives  dans  les 
langues  voisines ,  se  trouvent  en  hébreu  à  l'état  complet.  Enfin  ^ 
les  significations  des  mots  y  sont,  en  général,  moins  avancées, 
e'est-A-dire  qu'elles  ont  parcouru  moins  de  chemin  depuis  la 
signification  primitive.  Ainsi,  nnvf  en  hébreu ,  ngnîfie d^ier; en 

*  On  exptiqae  d^ordinaire  le  dernier  mot  de  ce  vereel  dans  le  sens  de  fromu. 
Mais  il  n^y  a  pas  de  raison  de  a^écarter  ici  de  la  signification  constante  du  mot  nS2  • 
'  Gesenîos,  Gmek.  dtr  hêbr.  Spr,  %  t6. 


138  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

araméen ,  K'ptf ,  a  passé  au  sens  d^habiter  par  toute  une  série  de 
nuances  intermédiaires  :  i""  délier;  â^ délier,  le  soir,  le  fardeau 
des  bétes  de  sonune ,  quand  on  s'arrête  en  voyage  ;  S""  s'arrêter 
dans  une  hôtellerie ,  dwenari^  ;  k^  habiter.  Il  est  vrai  que  sous 
d'autres  rapports  l'hébreu  semble  plus  riche  en  formes  et  plus 
cultivé  que  l'araméen;  mais  c'est  là  un  effet  de  la  grossièreté 
de  cette  dernière  langue  :  parié  par  un  peuple  moins  ingé^ 
nieux,  l'araméen  a  plus  marché  que  l'hébreu,  sans  toutefois  se 
perfectionner.  Le  mécanisme  des  temps  composés,  l'addition  de 
la  terminaison  emphatique ,  la  complication  des  particules ,  les 
locutions  pléonastiques ,  qui  caractérisent  le  chaldéen  et  le  sy- 
riaque ,  sont  évidenunent  les  indices  d'un  plus  long  dévelop- 
pement, que  la  pesanteur  de  l'esprit  national  a  empêché  de 
devenir  un  progrès. 

Les  hébraîsants  se  sont  demandé  si  la  langue  hébraïque  était 
une  langue  riche  ou  pauvre,  et  ont  diversement  répondu,  en 
donnant  chacun  d'assez  bonnes  preuves  en  faveur  de  leur  opi- 
nion. Toutes  les  langues,  en  effet,  sont  riches  dans  l^ordre  d'i- 
dées qui  leur  est  familier;  seulement,  cet  ordre  d'idées  est  plus 
ou  moins  étendu  ou  restreint.  L'hébreu ,  malgré  le  petit  nonibre 
de  monuments  qui  nous  en  restent ,  peut  sembler,  è  quelques 
égards ,  une  langue  d'une  grande  richesse.  Il  possède ,  pour  les 
choses  naturelles  et  religieuses,  une  ample  moisson  de  syno- 
nymes ,  qui  offrent  au  poëte  d'inépuisables  ressources  pour  le  pa- 
rallélisme. Il  suffit  de  citer  ce  psaume  alphabétique  [Pi.  cxix), 
divisé  en  vingt-deux  octaves  ou  cent  soixante-seize  versets ,  dont 
chacun,  sans  en  excepter  un  seul,  renferme  re}q)ression  toujours 
diversifiée  de  la  Un  de  Dieu.  On  a  compté  quatorze  synonymes 
pour  exprimer  la  conf4mce  en  Dieu;  neuf  pour  exprimer  le  par- 

^  Cf.  fioôXwnt ,  nataX^,  xardXviia. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  L  129 

dan  in  péchés;  vingt-cinq  pour  Yobsermtion  delà  loi^.  Les  sen- 
timents simples  de  l'âme,  comme  :  te  réjouir,  s'attrister,  espérer, 
lunr,  aimer,  craindre,  etc.  peuvent  également  se  rendre  d^une 
foule  de  manières,  pour  la  plupart  très-délicates.  Enfin,  les 
noms  exprimant  les  objets  et  les  phénomènes  naturels  pré- 
sentent, chez  les  Hébreux,  une  grande  richesse  de  nuances.  Le 
bœuf  peut  s'appeler  *]^K»  vj^Vk,  n^ef ,  np3.  Le  lion  compte  sept 
ou  huit  synonymes ,  suivant  ses  différents  &ges  :  nK  et  nnK , 
^aV  et  K^aS,  tt^^V,  ^nç^,  !«,  *î^D3,  ces  deux  derniers  pour  le 
lionceau.  Enfin ,  il  n'est  pas  d'espèce  de  pluie  qui  ne  soit  désignée 
par  un  nom  particulier  :  ncD  désigne  la  pluie  en  général , 
celle  à  laquelle  on  n'attache  d'autre  idée  que  d'arroser  la  terre  ; 
^D  désigne  des  pluies  continuelles  et  de  saison  ;  nn)^ ,  et  peut- 
être  mW^  les  premières  pluies,  qui,  en  Palestine,  tombent 
en  octobre  ;  Q^s^^")»  les  petites  pluies,  où  les  gouttes  sont  nom- 
breuses; wy^fpj  les  ondées  passagères;  nià^  et  >]^T")T,  des 
pluies  fortes  et  subites;  ^^3p,  l'inondation,  le  déluge;  Vt9,  la 
rosée  ou  pluie  fine;  tf^pVo,  la  pluie  du  soir,  qui  tombe  régu- 
lièrement au  printemps^.  Les  peuples  ont  généralement  beau- 
coup de  mots  pour  ce  qui  les  intéresse  le  plus.  11  est  naturel 
que  des  hommes  menant  la  vie  pastorale  ou  agricole ,  vivant 
femilièrement  avec  la  nature  et  les  animaux ,  aient  saisi  et  cher- 
ché à  exprimer  par  le  langage  des  nuances  qui  nous  échappent 
parce  qu'elles  nous  sont  indifférentes. 

Ces  exemples  suffisent  pour  prouver  que ,  dans  le  cercle 
d'idées  où  se  mouvait  l'esprit  des  Juifs ,  leur  langue  était  aussi 
riche  qu'aucune  autre.  Mais  ce  cercle,  il  faut  l'avouer,  ne  s'é- 

*  Geseniofl,  Gnek.  dtr  Mr.  Spr.  S  lA  ;  Preîswerk,  (rromm.  k&ir,  intr.  p.  nu- 
xxiii;  Herder,  BiaL  mtr  la  fM^  dêê  Hébrmucy  dial.  i. 

'  Yoyei  dans  Zacharie,  i,  t,  un  pMsage  on  plosienn  de  ces  synonymes  sont 
rapprorbÀ  avec  iniention. 

1.  û 


130  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

tendait  guère  au  delà  des  sensations  et  des  idées  morales  ou 
religieuses.  On  n'aperçoit  aucune  trace  de  nomenclature  philo- 
sophique ou  scientifique ,  si  ce  n'est  dans  le  Kohélelh ,  dont  la 
rédaction  parait  bien  moderne*  Du  reste,  il  est  évident  que 
tout  jugement  porté  sur  l'étendue  de  la  langue  hébraïque ,  ne 
saurait  être  que  relatif,  puisqu'une  grande  partie  des  richesses 
de  cette  langue  sont  perdues  pour  nous^  On  en  peut  juger 
par  le  nombre  des  Ano^  zlpvipAfa ,  et  aussi  par  la  quantité  de 
racines  essentielles  qui  se  trouvent  en  araméen  et  en  arabe ,  et 
qui  manquent  en  hébreu.  Leusden ,  avec  sa  patience  presque 
massorétique ,  a  fait  le  compte  des  mots  qui  se  trouvent  dans 
l'hébreu  et  le  chaldéen  de  la  Bible,  et  en  a  trouvé  cinq  mille 
six  cent  quarante-deux.  On  évalue  le  nombre  des  racines  hé- 
braïques à  cinq  cents. 

On  comprend  que ,  nonobstant  cette  apparente  pauvreté ,  Ja 
langue  hébraïque  ait  été  très-suffisante  aux  besoins  du  peuple 
qui  la  parlait,  quand  on  songe  combien  le  mécanisme  des  for- 
mes sémitiques  est  propre  à  suppléer  au  grand  nombre  des 
racines.  Il  semble  que  les  Sémites  aient  visé  à  l'éconranie  des 
radicaux ,  et  aspiré  à  tirer  de  chacun  d'eux ,  au  moyen  de  la 
dérivation ,  tout  ce  qu'il  pouvait  contenir.  C'est  en  ce  sens  que 
M.  Ewàld  a  pu  dire  avec  vérité  que  la  dérivation  des  formes 
(^Bildung)  est  le  procédé  dominant  des  langues  sémitiques^. 
Voir,  regarder,  mépriser,  pamrvoir  à,  éprouver,  parcAtre,  se  présent- 
ter,  mxmJlTeT,  foire  ^trouver,  sont  autant  d'idées  qui,  chez  nous, 
exigent  des  mots  différents,  et  qui,  en  hébreu,  s'expriment 
par  les  formes  verbales  de  la  racine  de  nifi  ;  prophète ,  vision, 

^  Sur  les  moyens  qui  nous  restent,  en  dehors  du  texte  biblique,  pour  com- 
pter le  dkliomudre  hébreu,  voy.  Gesemus,  Gtêck,  isrMr.  Spr.  S  i4 ,el  Hebr. 
vndehald,  Handwcerterbueh,  Vorr.  Gf.  A.  SchuHens,  De  iefeetAuê  koditrmM  Im^ 
guœ  hêbrsikœ,  et  Vakkenaér,  ObaenmL  mi  Orig,  grœeoê,  obs.  s  6. 

*  Gramm,  der  hebr,  Spr.  Su. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  tSi 

regard,  fin^e,  ^ipparmoe,  resiêmbkmoê,  en  seront  des 
substantifs  dérivés,  —  La  racine  DD,  marquant  l'idée  d'é* 
lévatioD,  produira':  numtêr,  faire  le  pmêéoU,  &eioer,  emêtruire 
«M  miiMOii^  ékoer  des  eafonU,  mettre  à  l'abri,  donner  la  vidoire, 
eSArer,  élever  k  voix,  lever  tm  tribut,  enlever,  offrir  im  eaerifiee, 
ê'miargmeâlir,  oolUtte,  tae^  orgweA,  eaerifice,  préseiU.  —  D^p  =^ 
itare  exprime  par  aes  différentes  formes  :  ee  lever,  exister,  fa- 
rtàtrv,  creitre,  demeurer,  pereMrer,  ratifier,  ee  bien  porter,  vivre, 
eomerver  vioaM,  vir^ier,  etgoindre,  construire,  rebâtir,  s'inmrger, 
ébver,  établir,  statmre,  hauteur,  dAoui,  subskmm,  chose,  lieu,  de* 
meure,  révolte,  ennemi,  moyen  de  résistmee,  adversaire.  Quelle 
épargne  de  racines  ne  permettent  pas  à  une  langue  des  piiv> 
cédés  de  dérivation  si  étendus  et  si  variés  I 

La  langue  hébraïque  connut-elle  la  variété  des  dialectes? 
On  n'en  peut  guère  douter  a  priori,  quand  on  voit  les  langues 
les  plus  cultivées  varier  avec  les  moindres  divisions  du  terri- 
toire, et  se  morceler,  pour  ainsi  dire,  sous  la  pression  de  Tor* 
gane  popuUdre.  G^endant,  presque  tous  les  ouvrages  bébreux 
qui  nous  restent  ayant  été  écrits  à  Jérusalem  et  dans  une  lan- 
gue regardée  conune  classique ,  aucun  témoignage  positif  ne 
nous  permet  d'établir  le  nombre  et  le  caractère  de  ces  différents 
dialectes.  Le  fait  rapporté  au  livre  des  Juges  (xii,  6)  atteste 
cbez  les  Éphraimites  une  variété  de  prononciation  relativement 
au  ST.  Mais  il  est  évident  que  ce  n'est  pas  là  une  raison  suffi- 
sante pour  constituer  un  dialecte  éphraîmite.  Les  bases  sur  ie^ 
(pelles  on  a  voulu  établir  des  dialectes  danite,  iduméen,  ju- 
daïque (de  la  tribu  de  Juda),  etc.  ne  sont  pas  plus  solides. 
Le  passage  d»  Nébémie  (xai,  a3-â&)  ne  prouve  qu'une  seule 
cbosé,  c'est  que  la  langue  d'Asdod,  ou  en  d'autres  termes,  celle 
des  Philistins,  différait  de  l'hébreu  pur,  ce  qu'on  savait  d'ailleurs. 
Enfin ,  les  tentatives  des  critiques  pour  retrouver  dans  le  style 

9- 


132  HISTOIRE  I>ES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

de  tel  livre  ou  de  tel  auteur  des  provincialismes  caractérisés  ne 
paraissent  avoir  amené  aucun  résultat  décisif  ^ 

On  doit  supposer  que  les  tribus  du  nord,  voisines  de  la 
Syrie,  pariaient,  dès  le  temps  du  royaume  d'Israël,  un  dialecte 
plus  rapproché  de  Taraméen  :  en  effet,  les  noms  des  deux 
villes,  rnl  et  n^ts^a,  nous  offrent  deux  mots  araméens  et  un 
duel  de  forme  chaldéenne.  Le  samaritain,  cpii  nous  repré- 
sente assez  bien  la  langue  vulgaire  de  ces  contrées ,  appartient 
au  groupe  araméen  plus  qu'au  groupe  chananéen  ou  hébreu. 
Enfin,  à  l'époque  de  l'ère  chrétienne,  nous  trouvons  encore 
dans  le  nord  de  la  Palestine  un  dialecte  différent  de  celui  de 
Jérusalem.  Le  mélange  de  races  étrangères  avec  les  Israélites, 
qui  eut  toujours  lieu  au  nord  de  la  Palestine  (o^^^n  V^ba,  le 
cercle  des  Gentils,  Galilœa  gentium)^  fut,  sans  doute,  la  cause 
de  ces  altérations. 

Il  faut  donc  s'en  tenir  à  ce  fait ,  qu'au-dessous  de  la  langue 
régulière ,  qui  seule  nous  a  été  transmise ,  il  existait  une  langue 
populaire,  sentant  le  patois,  chargée  de  provincialismes,  et 
variable  suivant  les  cantons.  Dialecte  et  incarrection  sont  deux 
idées  bien  voisines;  le  mot  même  de  dialecte  désignait,  à  son 
origine,  le  langage  usuel,  par  opposition  au  langage  écrit ^. 
Quelque  simple  que  soit  le  mécanisme  de  la  langue  hébraïque, 
on  peut  croire  qu'il  était  encore  trop  di£Bcile  pour  le  peuple, 
et  que  plusieurs  fautes  passées  en  usage  constituaient  çà  et  là 
des  idiotismes  locaux.  C'est  ainsi  que  dans  Ezéchiel,  Zacharie 
et  les  ouvrages  dont  le  style  est  le  moins  pur,  nous  trouvons 
souvent  des  formes  irrégulières  :  dk  pour  le  masculin ,  DfîN 
pour  le  féminin ,  D^niavf  in  pour  D^naçf  in ,  et  déjà  même  la  forme 

'  Cf.  Gesenius,  Ge$ch.  dêr  hêbr.  Spr,  S  i5. 

*  ft  xaS^  iifiipap  ètéXgHTos^  de  ètûiXéyoïtM  «diflcourirT».  G*êst  encore  le  sens  du 
mot  itiXtxTot  dans  Aristote. 


LIVRE  ir,  CHAPITRE  I.  133 

mAfohel,  qui  a  pris  beaucoup  d'importance  dans  l'hébreu  rab- 
binique^  Les  nombreuses  confusions  auxquelles  donne  lieu  la 
conjugaison  des  verbes  imparfaits  doivent  s'envisager  également 
comme  un  reste  de  ces  habitudes  indisciplinables  du  peuple, 
toujours  incapable  de  soumettre  sa  langue  à  un  mécanisme 
constant. 

Un  autre  fait  non  moins  digne  de  remarque,  c'est  l'ana- 
logie firappante  qu'ont  toutes  ces  irrégularités  provinciales  avec 
Taraméen.  Il  semble  que,  même  avant  la  captivité,  le  patois 
populaire  se  rapprochait  beaucoup  de  cette  langue ,  en  sorte 
qu'il  nous  est  maintenant  impossible  de  séparer  bien  nette- 
ment ,  dans  le  style  de  certains  écrits ,  ce  qui  appartient  au 
dialecte  populaire,  ou  au  patois  du  royaume  d'Israël,  ou  à 
l'influence  chaldéenne  des  temps  de  la  captivité.  Nous  pensons, 
du  moins ,  qu'on  ne  saurait  expliquer  par  cette  dernière  cause 
les  aramaïsmes  qui  se  trouvent,  soit  dans  des  pièces  fort  an- 
ciennes, telles  que  le  cantique  de  Débora  et  les  maschal  de 
Balaani ,  soit  dans  des  ouvrages  qui  semblent  appartenir  à  la 
meilleure  époque  de  la  poésie  hébraïque ,  comme  le  Cantique 
des  cantiques.  Nous  aimons  mieux  voir,  avec  M.  ËM^ald,  dans 
ces  aramaïsmes  des  locutions  populaires  ou  provinciales^.  Amos 
et  Osée ,  qui  appartiennent  au  commencement  du  vin*  siècle 
et,  par  conséquent,  à  une  époque  où  il  ne  peut  être  question 
d'influence  chaldéenne,  offrent  dans  leur  style  beaucoup  de 
particularités  semblables,  sans  doute  parce  que  tous  deux  se 
rapprochent  du  style  populaire,  et  peut-être  aussi  parce  que 
le  second  était  originaire  du  royaume  d'IsraëP.  11  est  à  remar- 

*  Cf.  Gesenius,  Ge$eh,  p.  56;  Lthrg.  der  hêbr,  Spr.  S  71,  6,  Anmerk. 

*  Cf.  Ewald,  KrititeKe  Gramm.  S  6;  Gninun,  der  Aé6r.  Spr,  S  5. 

^  Eidihoni  voyait  des  êomantamÊmet  dans  ces  particalarités  du  style  d^Amos  et 
d'Osée.  Bien  de  mieux  si  l'on  entend  par  êomaritam  la  langue,  toujours  fort  ara- 


134  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

qaer>  du  reste,  que  les  langues  sésiitiques  diffèrent  n^oins 
dans  la  bouche  du  peuple  que  dans  les  livres.  Uarabe  vnl- 
gaiore,  par  exemple»  se  rapproehe  beaucoup  plus  de  l'hébreu 
ou  du  syriaque  que  Tarabe  littérsd.  On  dirait  que  ks  méca- 
nismes plus  ou  moins  savants  qui  distinguent  entre  eux  ies 
différents  dialectes  sont  des  superfétations  de  luxe  auxquelles 
n'a  jamais  atteint  le  vulgaire.  Tant  il  est  vrai  que,  daii^  un 
sens  général ,  il  n^y  a  réellement  qu'une  seule  langue  sémi- 
tique! 

S  V. 

C'est  Vers  Tépoque  de  la  captivité  des  Juifs  à  Babykme 
(vi*  siècle  avant  J*  C.)  qu'il  faut  placer  l'extinction  de  l'hébreu 
comme  langue  vulgaire.  Cette  assertion  toutefois ,  conmie  toutes 
celles  qui  sont  relatives  à  l'apparition  et  à  la  di^arition  des 
langues ,  ne  doit  être  admise  qu'avec  beaucoup  de  restrictiona. 
Et  d'abord,  il  est  hors  de  doute  que,  longtemps  s^rès  la  captH 
vité,  l'hébreu  demeura  nooeseulement  la  2a9igwr  ^*le  des  lettrés 
(onefi),  mais  la  langue  nMe  de  l'aristocratie  restée  fidèle  à  la 
vieille  discipline  de  Juda.  En  second  lieu ,  il  n^est  plus  permis 
de  croire,  avec  les  anciens  mtiques,  se  fondant  sur  l'autotrité 
du  Talmud,  que  la  cause  de  ce  changement  d'idiome  ait  été 
le  séjour  de  cinquante  ou  soixante  ans  que  fit  à  Babyloae  une 
partie  du  peuple  juif.  La  transportation  n'atteignit  qu'un  trè»- 
petit  nombre  des  habitants  de  la  Judée  ^  ;  elle  frappa  la  tête 
de  la  nation ,  c'est-4-dire  la  classe  entière  oii  résidaient  la  tra~ 


maûée,  du  royaume  d^Israél  ;  mais  Cresenius  remarque  avec  raison  que  le  nom  de 
imnaritam  ne  s'emplde,  dans  Tuiage,  que  pour  désîgnfir  une  langue  de  forma- 
tion bien  plus  moderne. 

*  Voy.  Winer,  BM.  RhUmiai.  art.  Exil;  BerUwau,  Zur  Ge9eh.  àtr  hr,  p.  385 
et  suivantes. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  135 

ditioii  religieuse  et  la  culture  de  la  langue  sacrée.  Tout  ce 
qui  resta  devait  se  servir  d'une  langue  déjà  fort  altérée.  A  quel- 
ques lieues  de  Jérusalem ,  sur  les  terres  de  l'ancien  royaume 
d'Israël,  on  pariait  araméen  ou  à  peu  près.  Le  fond  de  la 
population  restée  en  Judée  suivit  donc  de  plus  en  plus  le 
penchant  naturel  qui  l'entratnait  vers  l'araméen.  Mais  ce  ne 
fut  pas  l'influence  de  Babylone  qui  opéra  ce  changement.  II 
est  douteux  que  l'idiome  sémitique  que  l'on  parlait  à  Baby- 
lone fût  l'araméen,  tel  qu'il  nous  est  connu  par  le  chaldéen 
bihlique.  €e  fut  bien  plutôt  l'influence  de  la  Syrie  cpii,  s'exer- 
çant  par  le  nord  et  ayant  conquis  d'abord  le  royaume  d'Israël , 
finit  par  envahir  la  Judée  elte^néme,  afliBÔblie  et  dépouillée 
de  ses  institutions  conservatrices  ^  Aussi  le  chaldéen  biblique 
n'est-il  jamais  présenté  comme  la  langue  de  Bab^one  ;  ce  n'est 
qu'à  l'époque  des  Septante  qu'on  donne  à  cotte  langue  le  nom 
tout  à  fait  fautif  de  chaldém^.  Quant  à  la  langue  vulgaire  de  la 
Palestine  y  elle  est  toujours  désignée  dans  le  Talmud  par  le 
nom  de  syriaque  (>D'11d)^ 

Ce  qui  prouve  bien  que  le  passage  de  l'hébreu  à  l'araméen 
s'opéra  pour  les  Juifs  en  Palestine  et  non  en  Bid)ylonie ,  c'est 
que  l'esprit  et  la  langue  de  Jérusalem  se  conservèrent  beau- 
coup mieux  durant  la  captivité  à  Babylone  qu'en  Judée.  Quel- 
ques-uns des  morceaux  les  plus  achevés  de  la  littérature  hé- 

*  J.  Fânt,  Ukrgtbmmiê  dtr  «rom.  Uiomêy  p.  1 1  et  siinr. 

'  Gemot,  ches  les  Grecs  heUénistes,  s'applique  même  à  Thëbrau  biblique,  et 
semUe  désigner  pour  eux  tout  ce  qui  n'est  pas  grec,  soit  hébreu,  soit  araméen. 
Yoy.  Delituch,  Je$unm,  p.  65-66. 

'  Les  mêmes  obserfafions  s'appliquent  au  changement  d'alphabet  L'qiinion 
d'après  laquelle  les  Juî&  auraient  adopté  à  Babylone  l'alphabet  carré,  est  mainte- 
nant abandonnée.  Cet  alphabet  parait  d'origine  syrienne,  et  l'époque  où  les  Juifs 
l'ont  substitué  à  leur  ancien  caractère  a  été  beaucoup  trop  rerulée  par  les  critiques 
de  ia  vieille  école. 


13&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

braîque,  les  fragments  réunis  à  la  suite  des  œuvres  dlsaie 
(ch.  XL-LXYi),  certains  psaumes,  ont  été  écrits  sur  les  bords 
de  l'Euphrate.  Babylone  (ou ,  pour  mieux  dire,  les  petites  villes 
groupées  autour  de  cette  grande  cité)  devint  dès  lors  comme 
une  seconde  capitale  du  judaïsme,  jusqu'au  moment  où,  après 
la  destruction  de  Jérusalem  par  les  Romains,  elle  en  devint 
le  centre  principal.  On  peut  même  supposer  avec  M.  EwaldS 
que  les  premières  bases  d'une  culture  savante  de  la  langue 
hébraïque  y  furent  posées  dès  une  époque  reculée  :  du  moins 
voyons-nous  les  restaurateurs  du  mosaïsme  et  des  études  an- 
ciennes en  Padestine ,  conune  Esdras ,  Néhémie ,  venir  tous  de 
l'Orient  et  s'indigner  à  leur  arrivée  de  l'ignorance  et  de  la 
corruption  de  langage  de  leurs  coreligionnaires  de  Judée 
(Néhém.  XIII,  s 3-3 5).  On  peut  dire  que  deux  fois  la  conti- 
nuation de  la  tradition  juive  s'est  faite  par  Babylone,  après  les 
deux  grandes  catastrophes  qui,  à  sept  siècles  de  distance,  rui- 
nèrent presque  entièrement  le  judaïsme  à  Jérusalem. 

Il  est  difficile ,  si  l'on  aspire  à  serrer  davantage  l'exposé  du 
oroblème,  de  déterminer  avec  rigueur  dans  quelle  proportion 
l'araméen  se  mêla  d'abord  au  langage  des  Juifs  et  à  quelle 
époque  il  devint  chez  eux  tout  à  fait  dominant.  Nous  accordons 
volontiers  à  M.  Fùrst^,  qui  a  exagéré  sur  ce  point  les  assertions 
les  plus  hardies  de  Gesenius^  et  de  Winer^,  que  la  langue  des 
Juifs  conserva  toujours  une  certaine  individualité  et  ne  fîit  ja- 
mais l'araméen  pur.  Mais  nous  ne  pouvons  admettre  avec  ce  sa- 
vant que  l'hébreu  soit  resté  langue  vivante  et  usuelle  jusqu'aux 
temps  des  Macchabées  et.4néme  de  l'ère  chrétienne.  C'est  un 

*  Geêch.  deë  V,  Jtr,  t.  III,  a*  part  p.  167-1 68;  cf.  Furat,  op.  cit.  p.  19-1 3,  et 
Kukur-  uni  LUeraturgmchiclUê  derJuden  m  Anm,  p.  s  etsuiv. 

*  Lehrgeb»  der  aram.  Idiome,  p.  3  et  suiv.  1 1  et  8uiv. 
"^  Geêch.  der  h^'.  Spr.  S  i3. 

*  Gramm,  de»  htbL  und  targ.  ChaUl,  p.  &  ;  BibL  ReaUvegri.  II ,  5oi. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  137 

Tait  incontestable  qu'à  l'époque  des  Macchabées  on  écrivait  en- 
core un  hâ)reu  assez  pur ,  et  que  l'hébreu  figurait  comme  langue 
oflGcielIe  sur  les  monnaies  ;  mais  de  ce  qu'on  écrivait  en  latin 
au  xiiï*  siècle ,  conclura-t-on  qu'on  parlait  latin  à  cette  époque  y 
et  de  ce  que  les  monnaies  de  plusieurs  états  de  l'Europe  por- 
tent de  nos  jours  des  légendes  latines,  conclura-tr-on  que  le 
latin  est  la  langue  vulgaire  de  ces  états?  Le  passage  de  Néhé- 
mie  (xiii,  â3-â/i),  souvent  cité  à  l'appui  de  la  thèse  que  nous 
combattons  :  «En  ce  temps-là,  je  vis  des  Juifs  qui  prenaient 
des  fenunes  asdodites ,  ammonites ,  moabites  ;  et  leurs  enfants 
pariaient  à  moitié  asdodite,  et  ils  ne  savaient  pas  parler  juif 
(n>'nn^),  mais  ils  pariaient  selon  la  langue  de  chacun  de  ces 
peuples;  »  ce  passage,  dis-je,  s'explique  par  le  purisme  de 
Néhémie ,  élevé  dans  les  écoles  d'Orient ,  et  prouve  bien  plutôt 
avec  quelle  irrésistible  puissance  s'opérait  en  Palestine  la  décom- 
position de  l'idiome  national»  Rien  n'établit,  d'ailleurs,  que  le 
mot  n't'iin^  signifie  l'hébreu  classique.  Ailleurs,  il  est  vrai  (Il 
Raie,  xvm,  s/i,  96),  ce  mot  désigne  la  langue  vulgaire  de  Jé- 
rusalem à  l'époque  d'Ezéchias;  mais  la  signification  des  noms 
de  langues  change  avec  les  langues  elles-mêmes.  Que  d'idiomes 
divers  n'ont  pas  représentés  tour  à  tour  les  mots  de  Utigua  ro^ 
mana,  lù^iua  gaUica,  linguajrancica! 

Un  autre  passage  de  Néhémie  (viii,  8),  malheureusement 
assez  obscur,  semble  appuyer  l'hypothèse  que  nous  défendons. 
«Les  lévites  lurent  dans  le  livre  de  la  loi  de  Dieu  ef'i&D 

T 

b^jff  Dlt^i ,  et  ils  expliquèrent  le  texte  qu'ils  avaient  lu.  ^  Toute 
la  difficulté  roule  sur  les  mots  h^ftf  D^&l  ^^tD ,  que  nous  n'avons 
pas  traduits  à  dessein.  Fautr-il  entendre  par  là  une  traduction 
en  langue  vulgaire ,  comme  l'a  voulu  M.  Hengstenberg ,  ou  un 
simple  commentaire  explicatif,  analogue  à  la  glose  que  les  Pères 
de  l'Eglise  faisaient  sur  les  textes  grecs  et  latins  des  Ecritures , 


138  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

et  saint  Ephrem  sur  la  version  syriaque  I  ou  bien  faut-il  tra- 
duire V^tr^  par  clairement,  distinctement,  Jidèlemmt,  comme  le 
font  les  anciennes  versions  de  la  Bible  ^  ?  Ce  dernier  sens  paratt 
préférable.  En  effet ,  on  ne  peut  citer  ni  en  hébreu  ni  dans  au- 
cune langue  sémitique  un  seul  passage  où  le  verbe  V)^  ait  te 
sens  de  traduire.  Le  mot  invariablement  employé  pour  cela  dans 
toutes  ces  langues  est  DJ'ih,  qu'on  trouve  déjà  dans  Esdras  (iv, 
7  ).  Le  verbe  ttnD  exprime  toujours  la  clarté,  la  distinction  {Nomhr. 
XV ^  3/i  ;  Lév.  xxiv 9  1  â).  L'expression  C^ncD  31)3  ae  trouve  dans 
la  paraphrase  d'Onkelos  avec  le  sens  à'écriture  claire  et  distonete 
{Exùd.  xxviii,  1 1  )^.  U  est  donc  difficile  de  tirer  du  mot  t^nsD  au- 
cune induction  solide  relativement  au  sujet  qui  nous  occupe  ; 
mais  les  mots  qu'ajoute  l'historien  K'ipDa  u^3n  ^ptr  dV&i  ,  prou- 
vent du  moins  avec  certitude  que  la  loi,  à  l'époque  de  Néhé- 
mie,  avait  besoin  d'une  glose  (cf.  NAén.  vni,  7,  9)  pour  étee 
comprise  ;  ce  qui  est  au  fond  tout  ce  qu'il  s'agit  de  démontrer. 
Les  fragments  chaldéens  insérée  dans  le  livre  d'Esdras ,  frag- 
ments qui  paraissent  extraits  d'un  grand  ouvrage  historique 
écrit  en  cette  langue  ',  ne  sont-ils  pas  eux-mêmes  la  meilleure 
preuve  de  l'importance  qu'avait  prise  parmi  les  Jui£s  l'idiome 
araméen  dès  les  premiers  temps  de  la  domination  persane? 

Quoi  qu'il  en  soit,  du  moment  que  l'on  envisage  l'hébreu  et 
l'araméen  moins  comme  deux  langues  que  comme  deux  âges 
d'une  même  langue ,  la  discussion  devient  bien  délicate ,  et  le 
point  de  dissentiment  presque  insaisissable.  C'est  comme  si 

*  Gesenius,  Getck.  der  %«6r.  Spr,  p.  &5;  S.  Luzxatto,  Proleg.  ad  una  gramm, 
raggionata  délia  Imgua  e6r.  p.  96. 

*  On  trouve  dans  le  chaldéen  du  livre  d^Eadras  (it,  18)  œ  même  mot  tf*lBP 

-  T   : 

avec  le  même  sens  que  dans  le  passage  de  Néhémie  que  nous  discutons.  Mais  le 
sens  du  passage  d^Esdras  est  moins  déterminé  encore,  et  le  v.  7  du  même  chapi- 
tre, qui  seul  pourrait  Fexpliquer,  parait  avoir  subi  quelque  altération. 
'.Ewald,  Getf À.  dei  V.Isr.l,  ttàh;  III,  »*  part.  p.  90 5. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  139 

Tofi  se  demandait  en  quelle  année  finit  le  latin  et  commence  le 
français.  Les  langues  ne  meurent  pas  à  un  jour  donné,  elles 
se  transforment  par  degrés  insensibles  «  et  on  ne  peut  indiquer 
le  point  précis  où  elles  doivent  change  de  nom.  Sous  Ezéchias , 
cent  vii^  ans  environ  avant  la  captivité,  les  deux  langues 
nmn>  et  rrdK  étaient  encore  parfaitement  distinctes,  et  Talra- 
méen  n'était  compris  que  des  lettrés  ^  Cependant  nous  avons 
vu  l'hébreu  des  derniers  temps  se  charger,  parmi  le  peuple  et 
chez  quelques  écrivains,  de  locutions  dialectiques  qui  se  rap- 
prochaient de  1  araméen.  L'enlèvement  et  la  transpcnrtation  à 
Babylone  de  toute  la  partie  éclairée  de  la  nation  durent  accé- 
lérer cette  révolution ,  et  l'on  peut  croire  qu'à  l'époque  du  re- 
tour des  exilés,  sous  Cyrus,  la  langue  de  la  Palestine  était  tout 
à  bit  corrompue ,  c'est-à-dire  aramaîsée.  Néanmoins  comme  il 
n'y  avait  pas  eu  un  moment  précis  ou  l'on  eût  quitté  l'héhreti 
pour  l'araméen,  c'était  encore  l'hébreu,  en  un  sens,  et  on 
pouvait  avec  vérité  iqppeler  cette  langue  nnm\  Les  savants, 
d'ailleurs ,  se  piquaient  de  parler  purement  l'ancienne  langue , 
et  cherchaient ,  sans  pouvoir  y  réussir,  à  corriger  l'accent  vicieux 
et  le  patois  du  peuple.  Déjà  la  lecture  de  la  loi  devait  être 
accompagnée  d'une  glose  ou  demi-traduction.  La  corruption  alla 
toujours  croissant,  jusqu'à  ce  que  le  contact  de  plus  en  plus 
r^té  des  Juifs  avec  les  nations  de  la  Syrie  acheva  de  donner 
à  la  langue  une  physionomie  complètement  araméenne. 

Ce  qu'il  importe  au  moins  de  maintenir,  c'est  que  le  chan- 
gement de  langue  qui  se  fit  à  cette  époque  chez  les  Juifs .  s'o- 
péra ,  non  par  l'adoption  d^une  langue  étrangère ,  mais  par  la 


'  La  preora  en  est  dans  Isaîe  (ixzti,  ii,  i3,  ou  D  Boi»,  itui,  96,  38). 
Les  envoyés  d^Eiécfaîas,  gens  saranfts,  parmi  lesqneb  figorenl  on  scribe  et  un 
faifllonographe,  prient  Rabsaké  de  parier  en  araméen ,  pour  qu^il  ne  soit  pas  rom  - 
pris  du  peuple  qui  les  entoure.  Rabsaké  au  contraire  s^obstîne  à  parier  juif. 


t/^0  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

corruption  successive  de  Fancien  idiome.  Les  Juifs  eux-mêmes 
avaient  certainement  conscience  de  ce  fait;  car  nulle  part  on  ne 
voit  qu'ils  aient  appelé  araméen  la  langue  qu'ils  parlaient  de- 
puis la  captivité.  Au  contraire,  ils  l'appelaient  toujours  hébreu 
{^païaliy  Tjif  éêpatSt  SiaXéxrCf)),  ou  la  langue  de  leurs  pires 
(  4  wdrpios  ^ùfvff)  ^  ;  à  peu  près  comme  le  grec  du  Bas-Empire 
pouvait  encore  s'appeler  du  grec ,  et  comme  les  langues  dérivées 
du  latin  au  moyen  âge  continuèrent  à  porter  le  nom  de  romanes. 
L'araméen  proprement  dit  semble  présenté  conune  une  langue 
étrangère  [Daniel,  ii,  &).  Il  faut  même  avouer  que,  l'araméen 
antérieur  à  l'ère  chrétienne  ne  nous  étant  connu  que  par  les 
fragments  d'Esdras,  de  Daniel  et  les  Tarjgums,  nous  n'avons 
aucun  moyen  de  savoir  si  la  langue  de  ces  écrits  est  identique 
d'un  côté  à  l'araméen  pur  et  de  l'autre  au  dialecte  vulgaire  des 
Juifs.  Je  doute  fort,  pour  ma  part,  que  le  chaldéen  du  livre 
d'Esdras  ou  même  du  livre  de  Daniel,  nous  représente  plus 
exactement  le  dialecte  propre  des  Juifs  que  les  parties  hébraï- 
ques de  ces  mêmes  livres.  L'Orient  a  si  peu  écrit  en  langue 
vulgaire ,  que  les  questions  relatives  aux  idiomes  parlés  et  à 
leurs  rapports  avec  les  idiomes  écrits  sont  presque  toujours  in- 
solubles. 

Que  l'hébreu,  du  reste,  ait  continué,  presque  jusqu'à  l'ère 
chrétienne ,  ^  être  écrit  par  les  Juifs ,  c'est  ce  qui  est  attesté 
par  de  nombreux  ouvrages.  Les  livres  d'Esdras,  de  Néhémie, 
d'Esther,  de  Jonas,  les  Chroniques  ou  Paralipomènes ,  les  pro- 
phéties d'Aggée,  Zacharie^,  Malachie,  le  livre  de  Daniel,  le 

*  I  Maceh.  ¥11,  91,  37;  XII,  37.  —  Jok.  t,  a;  xvii,  ao;  xix,  i3.  —  Aet.  xxi, 
ho;  xzii,  a;  xxti,  lA.  —  Joseph.  De  beUo  jud.  proœiû.  !;¥,  ti,  3;V,  1x1  3;  VI, 
II,  1.  —  ÀfUiqq,  XYIII,  vi,  10. 

'  M.  Ëwaid  semble  avoir  prouvé  que  le  livre  de  Zacharie  renferme  des  frag- 
ments de  prophètes  inconnus,  antérieurs  à  Texil.  Die  Proph,  de$A,B.i.l^  p.  3i8 
el  8uiv.  p.  3B9  et  suiv. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  Ul 

Kohéieth  ^ ,  plusieurs  psaumes ,  appartiennent  à  cette  période  » 
et  nous  conduisent  à  peu  près  jusqu'à  la  fin  du  ii*  siècle  avant 
J.  G.  L'époque  des  Macchabées  en  particulier  signale  conune 
une  renaissance  de  l'ancienne  langue ,  en  même  temps  que 
de  l'ancien  esprit.  Le  livre  de  Daniel  est  certainement  con- 
temporain d'Antiochus  Epiphane  ^.  U  n'est  mAme  pas  impossible 
que  quelques  psaumes  datent  de  cette  époque'.  Le  livre  de 
¥  Ecclésiastique,  de  Jésus  fils  de  Sirach,  dont  nous  n'avons  que 
la  traduction  grecque,  mais  dont  l'original  était  certainement 
en  langue  juive*,  fiit  composé  vers  l'an  160  avant  J.  G.  Le 
premier  livre  des  Macchabées  dut  être  écrit  dans  la  même 
langue  et  sous  le  règne  ou  après  la  mort  de  Jean  Hyrcan, 
vers  l'an  100  avant  J.  G.'.  Le  livre  de  Judith  fut  sans  doute 
composé  dans  la  même  langue  et  vers  le  même  temps  ''.  Mais 
il  est  fort  difficile  de  décider  si  ces  écrits ,  dont  il  ne  reste  que 
la  traduction  grecque,  furent  composés  primitivement  en  hé- 
breu ou  en  chaldéen.  Saint  Jérôme ,  qui  dit  en  avoir  vu  les 
textes,  «a  souvent  pris  des  traductions  ou  des  remaniements 

>  Voy.  cependant  d-dessus,  p.  las-iaS.  Le  livre  d^Esther,  ainsi  que  ceux  de 
Banich  et  de  Tobie,  dont  il  ne  reste  que  des  traductions  grecques,  paraissent 
provenir  des  commonaatés  juives  dispersées  dans  le  haut  Orient.  Ewald, 
Gndk.  m,  s*  part. p.  1&7,  s3o  etsuiv. 

*  Les  chap.  vii-zii  sont  pleins  d^aUusions  aux  diverses  péripéties  de  la  domi- 
nation grecque  en  Judée.  La  langue  renferme  plusieurs  mots  grecs  (111,  5,  7, 10, 
i5).  L^opînion  des  critiques  sérieux  est  unanime  à  cet  égard. 

'  Cest  Topinion  de  RosenmuBer,  Bengd,  Berlhold, Hitâg.Lengerke,  ojânion 
combatlne  par  Gesenius,  De  Wette,  Ewald,  etc.  et  sujette  à  de  graves  difficultés. 
Que  dire  de  M.  J.  Olshausen  {Die  P»abnên  erhlârty  Leipz.  i853),  qui  rapporte 
fensemUe  du  Livre  des  Psaumes  à  Tépoque  des  Macchabées  I 

*  On  trouve  des  fragments  du  texte  h^reu  dans  le  Talmud.  Cf.  Dukes,  RaNn- 

*  De  Wette,  Emlmlmgy  S  3oo. 

*  Bwaid,  Gêiek.  Ul ,  3*  part  p.  897, 5&  1 .  Le  Tafanud  mentionne  encore  quel- 
ques écrits  hébreux  de  cette  époque.  Dukes ,  Die  Spr.  àar  Mischnak,  p.  1  -s  ;  Fùrst , 


U2  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

postërieius  pour  les  originaux  ^  Les  idiotifiiiies  des  tradi.«tioBs 
grecques  prouvent  bien  qulelles  proviennent  d^un  original  sé- 
mitique ,  mais  ne  disent  rien  sur  le  dialecte.  Un  fait  bien  re- 
marquable, c'est  que  les  monnaies  juives  autonomes  portent 
des  légendes  en  hébreu  pur  jusqu'au  temps  de  Barcochébas 
(187  après  J,  C.)^ 

Les  écrits  de  ce  second  âge  de  la  littérature  hébraïque, 
accusent  en  général  un  grand  abaissement  dans  Tesprit  juif. 
Le  style  en  est  plat  et  sans  relief,  la  pensée  y  est  lourde ,  les 
idées  religieuses  plus  étroites ,  la  crédulité  moins  naïve ,  la  poésie 
moins  spontanée.  Un  genre  nouveau  de  fiction ,  emprunté  au 
symbolisme  de  la  Ghaldée  et  de  la  Perse ,  fait  invasion  de  toutes 
parts;  une  mythologie  étrange,  des  visions  apocalyptiques 
troublent  l'imagination  d'Israël ,  auparavant  si  sobre ,  si  pure. 
D'autre  part,  quand  on  veut  marcher  sur  les  traces  des  anciens, 
tout  se  réduit  à  une  imitation  pâle  et  froide  :  les  poètes  se  con* 
tentent  de  reproduire  ou  de  combiner  diversement  les  mi>tifs 
poétiques  des  vieux  psalmistes.  Nous  avons  ainsi  des  psaumes 
qui  ne  sont  guères  que  des  cantons,  formés  de  fragments  de 
psaumes  plus  anciens.  On  voit  des  lettrés,  des  hommes  d'étude, 
qui,  nourris  des  classiques  et  dénués  d'originalité,  ne  savent 
composer  qu'en  groupant  les  souvenirs  de  leurs  lectures.  La 
littérature  hébraïque,  en  un  mot,  devient  une  affaire  d'éru- 
dits ,  un  travail  de  docteurs ,  l'apanage  exclusif  d'une  classe 
d'hommes  séparés  du  peuple  et  parlant  une  langue  différente 
de  la  lanipie  populaire. 

KvUuir-  und  LUeratiwgnchiehte  der  Judm  m  i4n«n,  p.  i&'i5,  96-a5.  Enfin  la 
Miflchna  renferme  plosieors  fragments* écrits  en  hébreu  Mbiîqae,  qui  paraissent, 
également  de  Tépoque  des  derniers  Macchabées. 

'  De  Wette,  Endeitung,  S  3o8,  3io  a,  3i8,  SaB. 

'  Bayer,  D&  mmuntii  h^œa-êomaritanm ,  p.  a  1  ;  Eckhei ,  thetrina  namùrum  ve- 
tenfm,III,  ^^69;  de  Saulcy,  Rêch.  ttir  la  numimiuiiiqite  jndt^qw  (i85â). 


LIVRE  II,  CHAPITRE  L  l&S 

Quelquefois  pourtant  tes  imitations  ne  laissent  pas  d'être 
fort  heureuses,  et  de  rappeler  les  plus  belles  créations  des 
anciens.  Je  ne  parle  pas  seulement  des  œuvres  admirables  ins- 
pirées par  la  captivité  elle-même  à  des  hommes  nourris  dans 
Fancienne  écde,  telles  que  la  seconde  partie  du  livre  d'Isaîe 
(ch.  xiHLXVi),  les  psaumes  de  Teiil,  les  Lamentations,  qui  for- 
ment comme  un  brillant  prolongement  de  la  grande  époque 
du  géniie  hébreu.  Parmi  les  auteurs  appartenant  décidément  à 
la  seconde  période ,  il  en  est  qui  écrivent  encore  Thébreu  avec 
une  grande  pureté  :  tds  sont  Esdras,  Néhémie,  Malachie^ 
Souvent  même,  dans  les  pièces  lyriques,  les  formes  sont  plus 
finies,  Texpression  plus  travaillée,  et  c'est  ainsi  qu'une  extrême 
élégance  de  style,  une  symétrie  rigoureuse  et  réfléchie  dans 
)e  parallélisme,  une  pensée  calme  et  régulière  peuvent  être, 
pour  les  psaumes,  des  marques  d'une  composition  moderne. 
Le  roman  enfin  (car  la  littérature  hébraïque  n'a  pas  échappé 
au  siNrt  commun  qui  semble  condamner  toutes  les  littératures 
à  finir  par  ce  genre  de  compositions)  produit  les  jolis  récits  de 
Tobie,  de  Judith,  de  Susanne,  curieux  échantillons  de  la  lit- 
térature populaire  de  ce  temps. 

Quant  à  la  langue,  si  nous  l'avons  déjà  trouvée  empreinte 
de  chaldaîsme  dans  les  écrivains  qui  précèdent  immédiatement 
la  captivité,  cette  tendance  est  naturellement  bien  plus  pro- 
noncée dans  les  écrits  de  la  période  qui  nous  occupe.  On  en 
vint  bientôt  à  insérer  de  longs  fragments  chaldéens  au  mi- 
liea  d'ouvrages  hébreux.  Les  mots ,  les  formes ,  les  tours  chal- 
déens se  retrouvent  presque  à  chaque  ligne  ^.  En  voici  quelques 
exemples  : 

1^  Mots  «npruntés  au  chaldéen  :  {t>i,  ten^,  pour  ny; 

^  £widd,  GeMch.  III,  9*  part.  p.  fio5. 

'  Ccogliii,  Gmek,  det^  kebr,  Spr,  %  10,  5. 


U4  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMf^'IQUES. 

n^'^Z y  forteresse;  yn,  fin,  pour  «fçf;  yv^^^  fosse;  >)lD,y&i,  pour 
YÇ;  13^0,  (Buvre,  pour  nt^yp;.  "jap,  recevoir,  pour  n}?^. 

â""  Formes  de  noms  imitées  du  chaldéen  :  multiplication 
des  substantifs  abstraits  en  ni,  |1,  ]  ,  disVd,  royaume,  pour 
ns^DD;  r\^:f') ,  soin  ;  TloStf,  domination.  Emploi  de  la  termi- 
naison  emphatique  à  la  fin  des  substantifs  :  nisi,  cause,  pour 

T    T 

3^  Acceptions  particulières  imitées  du  chaldéen  :  "iÇB ,  dans 
le  sens  de  délivrer. 

k"*  Particularités  d'orthographe  :  multiplication  des  quies- 
centes  :  sf ilp  pour  Jûijp  ;  terminaisons  féminines  en  K  pour  n  . 

5**  Formes  grammaticales  et  particularités  de  syntaxe  :  Jû  et 
b^  pour  ^ttf K  et  h  ntf K ,  analogues  à  l'araméen  n  et  ^n  ;  em- 
ploi habituel  de  ^7  comme  marque  d  accusatif  ;  tours  analyti- 
ques et  prolixes  ;  système  de  conjonctions  plus  développé. 

Outre  ces  chaldaîsmes,  le  style  des  ouvrages  hébreux  des 
basses  époques  offre  encore  des  formes  particulières  dont  la 
plupart  se  retrouvent  dans  le  néo-hébreu.  Le  Kohéleth ,  sous  ce 
rapport,  fait  classe  à  part  et  signale  la  transition  entre  l'hé- 
breu ancien  et  la  langue  de  la  Mischna. 

1*  Mots  nouveaux:  PD^iî^Dn  on*?  pour  D^aen  ûn^;  ans,  livre; 
Cf-ilD,  commentaire;  i^IltfD,  chanteur. 

a°  Formes  et  orthographe  nouvelles  :  K^a^i  pour  naa^i; 
:fW*  pour  ^W)n'*  (nom  propre).  Addition  et  suppression  de 
Yh  :  hH)D  pour  ^1D  ;  on^Dn  pour  oniDKPi  ;  vf^  pour  »|^ko. 

3^  Acceptions  nouvelles  :  iw  devenu  synonyme  de  D^p; 
nlS'iK  pour  désigner  le  monde  païen;  ai^nn  dans  le  sens  de 
faire  des  UbéraUtés  religieuses. 

&"*  Locutions  et  phrases  nouvelles  :  D;>psf  niiSk  pour  nlKDS  ; 
ntfK  N&J,  épouser  une  femme,  pour  nts^K  npb. 

S""  Admission  de  mots  étrangers  à  la  famille  sémitique, 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  l&S 

surtout  persans  et  grecs  ^:  0^*18  =  tropaCieioo;,  mot  donné 
par  tous  les  auteurs  anciens  comme  persan  ^;  pncfa ,  lettre,  de 
^jXAjjj^  écrire,  qui  se  retrouve  dans  les  inscriptions  adbé- 
mënides';  D^on'iD  (E$th.  i,  3;  vi,  9;  Dan.  r,  3)  =  pehlvi, 
pardom,  sanskr.pratama,  trpâro^,  ou  peut-être  ^pArtfâot ,  mapè^ 
Tifioi(?);  yanB  y  friandises ,  également  persan;  isnisfnK  =aa- 
rpàbnisy  ^rpèhmf  et  autres  noms  de  dignités  persanes;  niaK , 
lettre;  U3  (u,  gaza)  =  pers.  ^;  ^^p'ps,  mot  moderne  em* 
ployé  dans  les  Chroniques  pour  >^Sf  ou  Mb)r\ ,  écarlate;  ni, 
Im;  Dans , /Mirole^  «entenee^  très-usité  en  chaldéen  et  en  syriaque, 
qui  se  retrouve  aussi  en  arménien ,  et  est  probablement  d'origine 
persane  :  selon  d'autres^,  ce  serait  le  mot  (pOéyfia  ;  |1D3'11  et 
^3piK  =  Japsix^^  ou  ^poLXJl^  {f^j^  en  arabe)  ^ 

Comparée  à  cet  hébreu  de  seconde  date ,  la  langue  classique 
avait  déjà  une  teinte  d'archaïsme ,  et  Ton  conçoit  qu'étrangers , 
conmie  les  anciens  en  général,  à  toute  idée  de  philologie,  les 
Juifs,  même  instruits,  devaient  se  trouver  embarrassés  devant 
certaines  locutions  tombées  en  désuétude ,  et  souvent  aussi  de- 
vant certaines  leçons  fautives  ou  douteuses  des  livres  antérieurs 
à  la  captivité.  D  est  certain  que ,  longtemps  avant  qu'on  eût 
cessé  d'écrire  en  hébreu,  les  Juifs  ne  comprenaient  déjà  plus 
les  passages  difficiles  de  l'ancienne  littérature.  On  en  trouve 
de  curieuses  preuves  dans  le  livre  des  Chroniques  ou  Parali- 


'  Cf.  P.  de  Bohlen ,  Synbolœ  ad  inttrprHiUi<mem  S,  codidt  ex  imgna  peftiea 
(Leipng,  iSaa);  P.  Bcetticher,  5if/ip2mi«nta  Uxici  arammei  (Berlin,  18&8); 
M.  Haog,  EHdànmg  peniêcKer  Wimrtêr  dêa  A.  T.,  dans  les  Jahrhûeher  der  hAL 
Wmenê^ufi  d'Ewald,  Y  (i853),  p.  i5i  etsmv. 

*  Y05.  nne  note  de  M.  Boscbmann,  dans  le  Comm»  de  M.  de  Hiunboldt,  t.  [1, 
p.  ft73-67&  (trad.  Galuaky). 

'  OppeKfdans  le  Jowm,  asiat.  septembre-octobre  i85i,  p.  333. 

^  Michaeiis,  ad  Gastelli  Lix.  ayr,  p.  7&A. 

"  BertheaQfZMr  Gttek,  der  1er,  ^.  98-39. 

I.  10 


l/k6  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

pomènes.  Le  compilateur  de  cet  ouvrage,  en  effet,  se  contente 
souvent  de  transcrire  les  livres  historiques  plus  anciens ,  en 
substituant  aux  expressions  obscures  ou  embarrassantes  de 
l'original  d'autres  expressions  plus  claires.  Or,  en  comparant 
son  ouvrage  au  texte  primitif  .que  nous  possédons ,  nous  trou- 
vons que  ses  éclaircissements  et  ses  conjectures  sont  loin  d*étre 
conformes  aux  règles  d'une  bonne  exégèse.  Gesenius  a  recueilli 
des  exemples  nombreux  de  ces  méprises  ^  Ainsi,  en  rappro- 
chant le  passage  du  premier  livre  des  Paralipomènes  (xx,  5) 
avec  le  deuxième  livre  de  Samuel  (xxi ,  1 9) ,  on  voit  le  compila- 
teur, embarrassé  par  une  leçon  douteuse  et  aussi  par  une  appa- 
rente contradiction ,  corriger  arbitrairement  son  texte  et  prendre 
la  seconde  partie  du  mot  "^pn^n  n'*^,  Bethléhémite,  pour  un  nom 
d'homme,  IiocAmt^  prétendu  frère  de  Goliath^.  Quant  aux 
passages  où  l'on  substitue  des  mots  et  une  orthographe  plus 
modernes  à  la  leçon,  ancienne ,  ils  sont  innombrables.  En  gé- 
néral, la  langue  de  cette  seconde  période  est  plus  facile  et 
plus  claire  que  celle  de  la  première,  et  il  n'est  pas  surprenant 
que,  dans  la  révision  des  textes  anciens,  on  cherchât  à  leur 
donner  le  même  caractère^.  Dès  l'époque  classique,  du  reste, 
nous  avons  vu  les  rédacteurs  des  livres  historiques  insérer  et 
expliquer  dans  leur  texte  des  dires  anciens ,  dont  ils  ne  com- 
prenaient pas  bien  ie  sens^. 

*  Gêieh,  der  hêln'.  Spr.  S  1 9,  3  ;  cf.  De  Wette,  EnUeitung,  S  rgo  6 ,  c ;  Movere, 
Krit»  Untertuchvngm  vber  die  Qiromk  (Bonn,  i83â). 

*  GeBenitts,  Thêê,  an  mot  ^Uvh'  D'autres,  cependant,  donnent  la  préférence 
A  la  leçon  des  Paralipomènes.  Winer,  BibL  Bealwœrt,  I,  /i38. 

^  Celte  tendance  à  adopter  de  préférence  la  leçon  la  plus  fadle  domine  tons 
les  travaux  exégétiques  des  premières  écoles  juives.  On  la  retrouve  dans  les  Sep- 
tante, dans  le  texte  samaritain,  dans  les  heris  des  Ma8Sorètes,etc  De  là  cette  r^e 
de  critique,  qn^il  faut  toujours  regarder  comme  plus  authentique  la  leçon  la  plu5 
difficile. 

*  Cf.  Ewald,  Geick,  des  V,  Inr,  I,  p.  78,  note. 


LIVRE  H,  CHAPITRE  I.  U7 

Oo  est  qudqae&is  surpris  que  les  philologues  modernes 
osent  se  pennettre  de  corriger  des  interprétations  ou  des  éty* 
melogies  fournies  par  les  Juifs  eux-mêmes,  ou  de  réformer 
les  traductioiis  qu'ils  ont  données  de  leurs  propres  livres  à  une 
époque  où  l'on  avait  à  peine  cessé  de  parler  hébreu.  Mais  l'é- 
tOBDement  diminue,  quand  on  songe  que  la^ critique  en  gé- 
néral, la  philologie,  et  surtout  la  science  étymologique  ne 
furent  jamais  le  domaine  de  l'esprit  antique  ^  Aucun  hellé- 
niste ne  peut  assurément  se  vanter  de  savoir  la  langue  grecque 
comme  Platon ,  et  pourtant  quel  est  celui  qui  prend  au  sérieux 
les  étjHiologies ,  ou,  pour  mieux  dire,  les  calembours  du  Cra^ 
tifh  et  du  dièdre  ?  Quel  est  le  latiniste  qui  se  fait  scrupule  de 
corriger  les  étymologies  de  Varron,  de  Gicéron,  d'Aulu-Gelle? 
Cette  hardiesse  doit  moins  étonner  encore  pour  les  langues 
orientales.  Les  peuples  qui  les  parlent  ont  toujours  eu  si  peu 
de  philologie  que  les  Européens,  tout  en  recevant  d'eux  des^ le- 
çons pour  l'usage  routîni^  de  la  langue,  les  surpassent  biea- 
tèt  de  beaucoup  p»ur  la  science  systématisée ,  et  ne  craignent 
pas  de  se  mettre  en  pleine  opposition  avec  eux  pour  Tinter- 
prélation  de  textes  un  peu  anciens ,  composés  dans  leur  langue 
maternelle. 

S  VI. 

On  a  coutume  de  clore  l'histoire  de  la  langue  hébraïque  k 
ia  composition  des  derniers  ouvrages  hébreux  écrits  avant  l'ère 
chrétienne ,  et  insérés  dans  le  Canon.  Mais  une  telle  manière 
de  voir  n'est  pas  suffisamment  justifiée,  puisque,  d'une  part, 
si  l'on  termine  l'histoire  de  la  langue  hébraïque  au  moment 
ou  elle  cesse  d'être  vulgaire,  il  faut  s'arrêter  beaucoup  plus 
tôt ,  et  que ,  de  l'autre ,  si  on  donne  place  dans  cette  histoire  à 

*  Cf.  Lflpwb,  SpraehphOêtoj^h»  êêt  Ah^,  III,  61  et  suiv. 

10. 


U8  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

l'hëbreu  artificiel  des  rabbins,  il  faut  descendre  beaucoup  plus 
bas,  ou,  pour  mieux  dire,  il  faut  venir  jusqu'à  nos  jours.  A  au- 
cune époque,  en  effet,  on  n  a  entièrement  cessé  d'écrire  en  hé-, 
breu  parmi  les  Juifs.  Sans  doute ,  il  y  a  eu  dans  cette  longue  sé- 
rie littéraire  d'importantes  lacunes;  sans  doute  aussi  le  nouvel 
hébreu ,  à  l'usage  des  rabbins,  diffère  notablement  de  l'hébreu 
biblique.  Mais  c'est  toujours  au  fond  la  même  langue,  ce  sont 
les  mêmes  formes  grammaticales,  c'est  le  même  vocabulaire, 
quant  à  ses  éléments  essentiels.  Ajoutons  que  les  autres  lan- 
gues parlées  et  écrites  par  les  Juifs  durant  la  première  moitié 
du  moyen  âge,  le  chaldéen  et  l'arabe,  avaient  tant  d'anidogie 
avec  cet  hébreu  aramaîsé  que  souvent,  sans  y  penser,  l'écri- 
vain glisse  de  l'un  à  l'autre ,  à  peu  près  comme  dans  les  ser- 
monnaires  du  xni*  et  du  xiv*  siècle,  le  latin  et  le  roman  se 
mêlent  souvent  dans  une  même  phrase. 

L'histoire  de  l'hébreu  po9t-iibUque  se  divise  en  deux  périodes 
tout  à  fait  distinctes.  Dans  la  première^  qui  s'étend  depuis  la 
clôture  du  canon  jusqu'au  xii*  siècle  de  l'ère  chrétienne,  l'hébreu 
est  écrit  encore ,  mais  rarement  et  à  de  longs  intervalles.  Le 
chaldéen  et  l'arabe  sont  les  langues  ordinaires  dont  se  servent 
les  Juifs,  même  pour  leurs  ouvrages  religieux.  Dans  la  seconde, 
au  contraire,  depuis  le  xii*  siècle  jusqu'à  nos  jours,  l'hébreu 
redevient  la  langue  littéraire  des  Juifs.  Nous  sortirions  de 
notre  plan  en  suivant  cette  histoire  dans  tous  ses  détails;  on 
ne  trouvera  ici  que  les  divisions  principales  et  les  traits  gé- 
néraux. 

La  Mischna ,  rédigée  à  Tibériade  au  second  siècle  de  notre 
ère,  mais  qui  renferme  des  fragments  beaucoup  plus  anciens  S 
est  le  monument  essentiel  et  caractéristique  de  la  première 

^  Fûrst,  KuUur'  unà  lÀteraturgeêcMehte,  p.  5,  1 1,  Sa  et  Buiv.;  Steiiuchneider, 
dans  VEncycL  d'Erach  et  Gruber,  art  Jûdischê  LUtnitm',  p.  365  et  suiv. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  149 

période.  La  langue  de  cette  seconde  Bible  est,  au  fond,  de  l'hé- 
breu, mais  très-fortement  aramaisé,  et  mêlé  de  formes  étran- 
gères à  l'hébreu  biblique.  H  est  difficile  de  dire  dans  quelle 
relation  était  cette  langue  avec  la  langue  vulgaire  du  temps. 
Les  talmudistes  identifient  quelquefois  la  langue  de  la  Mischna 
avec  la  langue  de  la  lui,  n'iin  ]wh.  D'un  autre  c6té ,  dans  la 
Mischna  elle-même ,  l'hébreu  biblique  est  appelé  exclusive- 
ment er^ipn  ]wh ,  la  langue  $ainte,  par  opposition  à  tDinn  ]wh 
==  iStûn&f  yXSa^a.  Mais  le  rédacteur  ne  range  la  langue  de 
son  propre  ouvrage  ni  dans  l'une  ni  dans  l'autre  de  ces  ca- 
tégories, et  il  est  probable  qu'il  l'envisageait  comme  se  rat^ 
tachant  plutôt  au  t^ipn  ]wh  qu'au  Dinn  ]wh.  Toujours,  en 
effet,  la  langue  écrite  est  distinguée  de  la  langue  vulgaire 
(^Ù3M  ^1DK*I3),  et  Rabbi  Jochanan,  le  collecteur  du  Talmud  de 
Jérusalem  vers  l'an  3oo ,  appelle  déjà  la  langue  de  la  Mischna 
D^3n  ]W^  =  la  langue  des  savante  ^ 

Un  dépouillement  complet  de  la  langue  de  la  Mischna ,  au 
point  de  vue  lexicographique ,  amène  à  classer  en  trois  groupes 
les  mots  de  cette  langue^  :  i®  mots  purement  hébreux;  3^  mots 
dialdéens;  3*  mots  étrangers  à  la  famille  sémitique,  surtout 
grecs  et  latins. 

*  Les  mots  hébreux  de  la  Mischna  ne  sont  pas  seulement  ceux 
qui  se  rencontrent  dans  les  livres  bibliques.  On  doit  donner  ce 
nom  à  une  foule  de  mots  et  de  formes  qui ,  sans  se  trouver 
dans  la  Bible,  n'en  appartiennent  pas  moins  à  l'hébreu,  et 
auraient,  certes,  autant  de  droit  de  figurer  dans  le  dictionnaire 
hébreu  que  tel  mot  ou  telle  forme  qui  ne  se  rencontrent  que 
dans  le  livre  d'Esther  :  on  peut  citer  pour  exemples  les  noms 
de  plantes  et  de  fruits  :  D^eaK,  poires,  ^l'in,  moutarde,  n^^i, 

*  Voy.  LonaUo,  ProUgomem,  p.  98-99. 

'  Dukes,  DieSprachê  dur  MuéKnak  (Efl8liii||;en,  18&6). 


150  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

4ntramUe,  et  une  fouie  d^autres  mots  vaigaires  ^.  Sous  ce  rap- 
port, il  faut  reconnattre  que  i'faëbreu  mischnique  a  une  iras- 
grande  importance  pour  i'exëgèse  ^.  Plusieurs  mots  douteux  de 
rhébreu  biblique  trouvent  dans  la  Miscbna  des  explications 
satisfaisantes  :  Gesenius  en  a  donné  un  curieux  exemple  pour 
le  mot  ^^^  (^Exod.  ix,  3 1  ),  Inmion  dejkur^.  Sourent  aussi  les 
mots  bibliques  figurent  dans  la  Miscbna  avec  des  significations 
fort  différentes  de  celles  qu'ils  ont  dans  la  Bible.  Ainsi  niK 
avec  le  sens  de  leUre;  nt^^m,  signifiant  rinténeur  de;  aho  = 
durani,  etc.  Plus  souvent  encore,  les  racines  biblkpies  four- 
nissent des  formes  et  des  dérivés  qui  manquent  dans  Tancien 
hébreu  :  mhn,  précepte;  pnt«tD,  remis,  de  nn,  frère;  «r*?nm, 
partager  en  trois,  etc. 

En  général,  lorsque  la  Miscbna  emprunte*  des  mots  au 
chaldéen,  elle  leur  donne  une  forme  bébraïque. —  On  trouve 
aussi  dans  la  Miscbna  un  assez  grand  noinbre  de  mots  latins 
«t  grecs  :  ces  mots  sont  même  entrés  assez  profondément  dans 
la  langue  pour  donner  lieu  à  des  dérivés,  tels  que  3DnD3,  es- 
ewfé  avec  Pépongè,  Ae  3^D,  éponge.  Les  mots  latins  ainsi  em- 
pruntés sont  peut-être  plus  nomlnreux  que  les  mots  grecs ,  ce 
qui  ferait  croire  que  la  langue  de  la  Miscbna  aurait  subi ,  au 
moins  partiellement,  Tinfluence  de  l'Italie.  Le  latin,  en  effet, 
na  joué  presque  aucun  rôle  en  Orient;  le  syriaque  n'a  ad- 
ans  dans  son  sein  qu'un  nombre  très-réduit  de  mots  latins,  et 
encore  presque  toujours  grécisés. 

L'ortbograpbe  de  la  Miscbna  diffère  beaucoup  de  l'ortho- 

'  €f.  J.  Th.  Hartmanni  Supplementa  m  Gtsenii  Lêxieon  Kebr.  e  "Mûehna  petUa , 
Rmtochii,  i8i3;  Gesenioa,  Gnch,  der  Aeftr.  i^.  p.  73-7/1,  et  Wâriêrkuek  dtr 
htbr.  Spr,  Vorr.  p.  uni;  Preiswerk,  Grûsmn.  hdbr,  Introd.  p.  xzii;  S.  Liuiatto, 
Prolegomeni,  p.  96  etsuiv. 

'  Delitisch,  /«turufi,  p.  89  et  suiv. 

'  Thêêaww  et  LeMc,  hmmi.  à  ce  mot. 


LIYJRE  II,  CHAPITRE  I.  ISl 

graphe  bibliqae ,  et  se  rapproche  du  chsddéen  ;  elle  tend  gé- 
nërsdement  à  adoacir  les  consonnes  dures  et  à  contracter  les 
mots  (w^Vk  pour  k'?  dh  iVk;  nnSK  pour  nnK  W).  Les  verbes 
dëfectifs  de  la  troisième  radicale  se  terminant  en  K  ou  en  n ,  et 
en  général  les  verbes  dits  imparfaits  tendent  à  se  confondre. 
Les  quadrilitères  sont  plus  nombreux  qu'en  hébreu  :  une  forme 
nouvelle,  dont  on  trouve  quelques  traces  douteuses  dans  la 
Bible,  la  forme  nUkpahd  prend  une  importance  considérable. 
Des  temps  composés  et  des  formes  analytiques  s'introduisent,  à 
rimitation  du  chaldéen  [yiv  ^n'^^n  ihH^=sif(wai8  m);  le  futur 
s'exprime  souvent  par  ladjonction  du  mot  l^M  (fiéXXùfPy  ail. 
werdend)  ;  les  relations  des  temps  sont  marquées  avec  plus  de 
précision  que  dans  l'ancienne  langue  ;  de  très-nombreuses  par- 
ticules, formées  avec  réflexion  (b>3t^3,  à  cause  de;  ^B^3 ,  vers,  etc.) 
rendent  possible  l'expression  des  choses  rationnelles  et  abs- 
traites. Le  substantif  revêt  un  nombre  de  formes  plus  consi- 
dérable ;  mais  cette  richesse  est  acquise  au  prix  de  Télégimce 
et  de  la  régularité.  La  physionomie  générale  du  discours  est 
cdle  du  chaldéen,  et  beaucoup  de  particularités  rappellent 
l'arabe  ndgaire.  On  sent  partout  l'action  des  principes  qui  ont 
fait  sortir  du  latin  les  langues  néo-latines,  mais  entravée  par 
la  roideur  qui  a  rendu  impossible,  dans  les  langues  sémitiques, 
toute  régénération  des  idiomes  éteints. 

La  langue  des  deux  Talmuds  (Gémares),  rédigés  le  pre- 
mier en  Palestine  au  iv*  siècle ,  l'autre  à  Babylone  au  v*  siècle , 
diflère  notablement  de  celle  de  la  Mischna.  C'est  décidément 
du  chaldéen ,  et  il  ne  peut  en  être  question  ici.  Le  chaldéen  est 
généralement  à  cette  époque  la  langue  écrite  des  Juifs.  Néan- 
moins on  ne  cesse  pas  pour  cela  d'écrire  en  hébreu.  De  nom- 
breux fragments  insérés  dans  le  Talmud  et  les  Midraschim 
rappellent  la  langue  mischnique,  quelquefois  même  l'hébreu 


152  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

biblique.  Les  prières,  les  morceaux' d'apparat,  les  discours  fu- 
nèbres^ sont  en  hébreu.  Le  livre  lettiruy  dont  la  date  est  in- 
certaine ,  il  est  vrai ,  mais  qui  paraît  antérieur  au  x*  siècle ,  est 
écrit  en  hébreu.  Les  Baraiethoth,  le  Seder  Ohm,  les  Halacoth 
Guedoloth  et  KetannaA,les  Piyutlm,  etc.  sont  rédigés  à  peu  près 
dans  le  style  de  la  Mischna. 

Il  est,  d'ailleurs,  presque  impossible  de  tracer  des  limites 
exactes  au  milieu  du  chaos  des  éléments  sémitiques  entre  les- 
quels le  judaïsme  ne  sut  jamais  faire  un  choix  exclusif.  Aucune 
des  grandes  compilations  qui  viennent  d'être  énumérées  n'est 
écrite  d'un  style  homogène.  La  Mischna ,  par  exemple ,  à  côté  de 
morceaux  presque  chaldéens,  en  renferme  d'autres  en  hébreu 
biblique  assez  pur,  et  sans  doute  écrits  avant  l'ère  chrétienne. 
Privé  de  langue  propre  comme  de  patrie ,  le  judaïsme ,  depuis  la 
dispersion ,  ne  cessa  de  flotter  entre  les  différents  idiomes  qu'il 
trouvait  derrière  lui  et  autour  de  lui ,  sans  en  admettre  décidé- 
ment aucun.  Il  fit  comme  un  homme  qui  écrirait  tour  à  tour  et 
à  la  fois  en  latin ,  en  français ,  en  italien ,  en  espagnol ,  se  mou- 
vant librement  dans  le  domaine  commun  de  ces  quatre  langues, 
sans  s'arrêter  franchement  à  l'un  des  dialectes.  Ayant  dans  son 
passé  deux  ou  trois  langues  sacrées  et  classiques,  cédant  d'ail- 
leurs à  la  tendance  naturelle  qu'ont  les  sectes  isolées  à  séparer 
la  langue  écrite  de  la  langue  parlée,  le  judaïsme  déploya  une 
inmiense  activité  intellectuelle ,  sans  arriver  à  une  forme  vrai- 
ment  communicable.  Une  sorte  d'obscurité  volontaire  plana  sur 
toute  sa  pensée;  une  langue  barbare  et  factice  couvrit  d'un 
voile  impénétrable  pour  les  profanes  sa  curieuse  littérature. 
L'extrême  concision  du  style,  jointe  à  des  abréviations  arbi- 
traires et  multipliées  qui  exigent  une  initiation  particulière, 

*  Cf.  Dakes,  Bablnni$che  Blumenk$e,  p.  9/17  et  soiv.;  S.  Luzzatto,  Prolegomeni, 
p.  100-101. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  153 

fait  presque  de  chaque  phrase  une  énigme;  d'înncmihrabies 
allusions  à  des  passages  de  la  Bible ,  changent  le  style  en  une 
mosaïque  de  phrases  détournées  de  leur  sens  naturel.  Aucun 
exemple  n*est  peut-être  plus  propre  à  faire  comprendre  ce  que 
serait  une  langue  artificielle ,  créée  par  des  savants ,  en  dehors 
de  l'usage  vulgaire,  et  à  montrer  à  quel  degré  d'obscurité  des- 
cend le  langage,  quand  il  se  sépare  de  ce  qui  est  l'unique 
source  de  la  vie  des  idiomes ,  je  veux  dire  les  besoins  et  les 
sentiments  populaires. 

Lorsque  les  Juifs  adoptèrent  la  culture  arabe ,  au  x*  siècle , 
l'arabe,  qui  déjà  devait  être  leur  langue  vulgaire  dans  les 
pays  musulmans ,.  devint  aussi ,  en  Orient  et  en  Espagne ,  leur 
.langue  littéraire.  De  Saadia  à  Maimonide,  ce  fut  surtout  en 
arabe  que  s'exprima  le  travail  intellectuel  qui ,  à  cette  époque , 
changea  si  profondément  l'esprit  du  judaïsme.  Cependant, 
même  durant  cette  période,  on  ne  cessa  pas  complètement 
d'écrire  en  hébreu  :  les  écrits  de  Menahem  ben-Serouk,  les 
hynmes  de  Salomon  ben-Gabirol  (Avicebron)  et  la  Yod  hazaka 
de  Maimonide  en  sont  la  preuve.  Vers  le  xi*  siècle,  d'un  autre 
€6té,  se  manifeste  parmi  les  Juifs  de  France  un  retour  vers 
l'ancienne  langue  hébraïque.  C'est  dans  cette  langue  qu'écrivent 
Raschi ,  les  Toêaphistes,  et  en  général  les  docteurs  des  écoles  de 
Troyes,  de  Dampierre  et  de  Ramrupt. 

La  renaissance  de  l'hébreu  devint  générale  quand  les  Juifs  de 
l'Espagne  musulmane ,  chassés  par  le  fanatisme  des  Almohades , 
se  réfugièrent  dans  l'Espagne  chrétienne ,  en  Provence ,  en  Lan- 
guedoc. L'arabe  alors  cessa  de  leur  être  familier,  et  une  nuée 
de  patients  traducteurs,  à  la  tête  desquels  il  faut  nommer  les 
Aben-Tibbon  de  Lunel ,  s'attachent ,  durant  tout  le  xiii*  siècle , 
à  faire  passer  en  hébreu  les  ouvrages  arabes  de  sciences ,  de 
philosophie,  de  théologie,  qui  avaient  servi  aux  études  de  l'âge 


15&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

précédent.  Pour  conserver  le  caractère  de  ces  ouvrages,  les 
traducteurs  se  trouvèrent  amenés  à  ajouter  aux  propriétés  de 
l'hébreu  ancien  une  foule  de  formes  et  de  mots  empruntés  k 
l'arabe ,  entre  autres  les  mots  techniques  de  science  et  de  phi- 
losophie^. Les  écrivains  originaux  du  xiii*  et  du  xiv*  âècl^y  in- 
troduisirent de  plus  presque  tout  le  vocabulaire  de  la  Mischna 
et  du  Talmud.  Telle  est  l'origine  de  la  langue  qu'on  a  nommée 
rabbintcfhphilosophicumn  Cette  langue  est  restée  jusqu'à  nos  jours 
la  langue  littéraire  des  Juifs  ;  on  pourrait  y  distinguer  des  va- 
riétés infinies ,  selon  que  les  auteurs  ont  modelé  leur  style  de 
préférence  sur  la  Bible ,  la  Mischna ,  la  Gémare ,  selon  qu'ils 
y  ont  mêlé  plus  ou  moins  de  mots  étrangers.  Vers  la  fin  du 
dernier  siècle  et  de  notre  temps,  quelques  Israélites,  en  Alle- 
magne et  en  Italie ,  ont  essayé  de  revenir  à  l'hébreu  biblique 
le  plus  pur,  et  ont  composé  dans  cet  idiome  des  pastiches  in- 
génieux. 

L'hébreu  rabbinique  est  donc,  à  beaucoup  d'égards,  ce 
qu'on  peut  appeler  une  langue  factice,  et  il  justifie  un  tel  nom 
par  ses  difficultés  et  ses  anomalies.  Cette  langue  est,  pour 
les  formes  grammaticales  comme  pour  le  dictionnaire,  bien 
plus  barbare  que  l'hébreu  mischnique ,  et  il  serait  difficile 
de  soumettre  à  une  classification  exacte  les  mots  de  toute  pro- 
venance qu'on  y  rencontre.  Lors  même  que  les  vocables  sont 
de  bon  aloi ,  ils  sont  souvent  détournés  de  leur  sens  et  appli- 
qués à  des  notions  métaphysiques  par  les  procédés  les  plus  ar- 
bitraires. Grâce  à  de  nombreux  barbarismes,  les  rabbins  ont 
ainsi  réussi  à  se  former  un  vocabulaire  scolastique  assez  com- 
plet. Exemples  :  *)«  [corps)  =  substance, penowne;  ^brn  (iîXif) 
=  matière;  DDlD  =  preuve  syllogistique ;  350  =  Vétat;  VSs  = 

*  Gonf.  J.  Goldenthal ,  Grtmdzûgê  tmd  Beiiràgê  zu  emem  sprackwrgl,  rabbùmek- 
philoêoph.  Wârîerhueh^  dans  les  Mémoires  de  T Académie  de  Vienne,  1 1  (i  85o). 


LIVRE  II,  CHAPITRE  1.  155 

la  êomme;  mV)^  =  ftmtvenalàé;  ^vn=:  k  conséquent;  p:f  = 
dio9e,  itre;  "iKlr)  :=  forme;  '«ttan  =  eoniuî&n  (  "«K^na  =  eondi- 
tûmndlement) ,  de  K^n ,  donner,  etc.  Une  foule  de  substantifs  et 
d*a(^ecti&  abstraits,  dérivés  des  racines  anciennes,  complètent 
ce  singulier  langage  :  fî)K^  =  hearUi;  Kt^^^^C  et  nvû^H  =  hu- 
mamié;  i)n/>^^z=z9oUiude;  '*^m^==mri(uel,  etc. 

On  voit  à  quel  degré  de  barbarie  devait  mener  le  besoin 
d'cqirimer  des  idées  étrangères  au  génie  de  l'ancien  hébreu. 
Il  en  sera  ainsi  toutes  les  fois  que  Ton  voudra  étendre  une 
langue  morte  au  delà  de  ses  limites  naturelles  et  la  développer 
artificiellement  en  dehors  de  sa  portée  primitive.  Le  latin  n'a 
pas  prouvé  un  autre  sort  entre  les  mains  des  scolastiques  ;  la 
langue  d'Albert  le  Grand  ou  de  Duns  Scot,  ne  ressemble  pas 
beaucoup  plus  à  celle  de  Gicéron  que  la  langue  des  rabbins 
à  celle  d'Isaîe  ou  de  David. 

Les  révolutions  de  la  langue  savante  des  Karaîtes  sont  à 
peu  près  les  mêmes  que  celles  de  la  langue  des  Rabbanites. 
Ainsi  nous  les  trouvons  d'abord  écrivant  un  chsddéen  analogue 
à  la  langue  du  Talmud  de  Jérusalem  (  Anan  ).  Puis,  nous  les 
voyons  se  servir,  dans  l'Asie  musulmane,  de  l'arabe  (R.  la- 
phet)^,  dans  l'empire  grec  et  la  Russie  méridionale,  d'une 
langue  savante  analogue  à  l'hébreu  mischnique  ou  au  rabbi- 
nko-pkâaêophicum ,  mais  encore  plus  mêlée  d'arabismes  (Aaron 
ben-£lia,  de  Nicomédie). 

Quant  à  la  langue  vulgaire ,  on  peut  dire  que  les  Juifs ,  de- 
puis fa  captivité  de  Babylone ,  en ,  ont  adopté  quatre  princi- 
pales :  le  chaldéen ,  l'arabe ,  l'espagnol  et  l'allemand.  L'arabe 
est  encore  parlé  par  les  Juifs  d'Afirique.  L'espagnol  et  l'alle- 

'  Ces  repieigacmanto  pMviemMnt  de  1»  «oUection  de  mannscrilB  karaîtes  rap- 
porlée  d^Égypte  par  M.  Munk.  Voir  la  description  sommaire  qu^en  a  donnée  ce 
avnl  oiîenlaliste ,  dans  les  ItroMêehê  AtmtAm  de  Jost,  t6& i ,  n"  t  o,  1 1 ,  i  a. 


156  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

mand  devinrent  réellement  au  moyeir  âge  des  langues  natio- 
nales pour  les  deux  grandes  fractions  du  peuple  juif,  qui  les 
pcHTtèrent  avec  eux  dans  leurs  diverses  migrations.  Ainsi,  la 
plupart  des  Juifs  de  l'Eun^e  centrsde  étant  originaires  de 
l'Alsace  et  de  TAllemagne  du  sud,  ont  parié  presque  jusqu'à 
nos  jours  un  jargon  allemand  mêlé  d'hébreu  (^JudentetUtch)  ^ 
plein  d'archaïsmes  et  même  d'altérations  artificielles  ^  Au  con- 
traire ,  la  langue  des  Juifs  de  Gonstantinople ,  qui  sont  venus 
d'Espagne,  est  encore  aujourd'hui  l'espagnol  du  xv*  siècle.  Par 
un  de  ces  caprices  qui  ne  se  rencontrent  que  dans  l'histoire 
du  peuple  juif,  les  deux  langues  susdites  sont  devenues  à  leur 
tour  pour  les  Israélites  deux  langues  mortes  et  respectées. 
Ainsi,  parmi  les  Israélites  français  qui  n'ont  pas  reçu  d'ins- 
truction ,  plusieurs  savent  encore ,  pour  les  avoir  entendu  ré- 
péter à  leurs  pères,  quelques  mots  espagnols  et  allemands;  ces 
mots  se  présentant  à  eux  comme  des  souvenirs  d'une  langue 
nationale ,  ils  les  prennent  pour  de  l'hébreu  K  L'habitude  où 
sont  les  Juifs  allemands  et  polonais  d'écrire  et  d'imprimer  le 
JudenieiUsch  en  caractères  hébreux  a  donné  lieu  à  une  méprise 
analogue ,  en  faisant  croire  que  l'usage  de  la  langue  hébraïque 
leur  est  encore  familier. 

Telle  est  cette  singulière  histoire ,  d'où  il  résulte ,  ce  me 
semble,  qu'on  peut  dire  en  toute  vérité  que  l'hébreu  n'est  ja- 
mais mort;  et,  en  effet,  de  nos  jours  encore,  il  s'imprime  plus 
d'ouvrages  en  cet  idiome  qu'en  plusieurs  langues  secondaires 
de  l'Europe.  J'ai  sous  les  yeux  le  premier  numéro  d'une  gazette 

'  JoBt,  dans  VEncycL  d*Ersch  et  Graber,  art  JudmtetUach.  Les  Karaîtes  de  h 
RuflBÎe  méndioaale  parlent  une  langue  tartare,  et  descendent  sans  doate  des 
Khoftrs,  nation  du  Daghestan,  qoi  adopta  le  judaïsme  au  ix*  siècle.  Plusieurs 
des  manuscrits  rapportés  par  M.  Munk  renferment  des  fragments  tartares  écrits 
en  caractères  hébreux. 

'  Je  dois  plusieurs  des  observations  qui  précèdent  à  Tobligeance  de  M.  Munk. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  157 

hébraïque ,  écrite  dans  on  style  imité  en  partie  de  celui  des  pro- 
phètes, et  imprimée  à  Jérusalem!  —  Pour  achever  le  tableau 
des  destinées  de  la  langue  d'Israël ,  il  nous  resterait  à  faire  l'his- 
toire de  la  philologie  hébraïque ,  ou ,  en  d'autres  termes ,  de 
la  connaissance  qu'on  a  eue  de  l'hébreu  ancien  aux  diverses 
époques.  Ici  encore ,  nous  serions  frappés  du  caractère  unique 
et  spécisd  de  l'histoire  qui  nous  occupe ,  de  ces  éclipses  et  de 
ces  renaissances  multipliées  »  dont  on  trouverait  difficilement 
un  autre  exemple.  Mais,  conune  un  tel  sujet,  traité  dans  tous 
ses  détails,  pourrait  sembler  en  dehors  de  notre  plan,  nous 
nous  bornerons  à  l'indication  des  faits  les  plus  généraux  ^ 

S  vn. 

L'histoire  de  la  philologie  hébraïque  peut  se  diviser  en  quatre 
périodes:  i"*  Etude  traditionnelle  de  la  langue,  depuis  le  mo- 
ment où  l'hébreu  cessa  d'être  compris  du  vulgaire  jusqu'aux 
premiers  grammairiens  juifs  au  x'  siècle.  3^  Période  de  la  phi- 
lologie juive ,  du  X*  siècle  au  xvi*.  3®  Premières  études  chré- 
tiennes, du  XVI*  au  XVIII*  siècle.  A*  Etudes  comparées  et  pure- 
ment scientifiques. 

Après  la  renaissance  momentanée  qui  signala  l'avènement 
des  Macchabées,  la  connaissance  de  l'hébreu  décline  rapide- 
ment. Le  grec ,  dont  l'influence  va  toujours  croissant  en  Orient , 
envahit  bientôt  la  Judée  elle-même.  Les  Juifs  hellénistes ,  qui 
ont  leur  centre  à  Alexandrie ,  substituent  pour  l'usage  religieux 
leur  traduction  à  l'original ,  et  cherchent  à  la  relever  par  des 

'  Yor,  pour  plus  de  détails,  Gesemos,  Gêieh,  der  hebr.  Spr.  p.  69  et  soiv.  ;  S. 
Lonatto,  Prolegomem  ad  «na  grammaiiea  raggimuUa  diUa  Vngtta  tbraiea,  ioit.; 
Mitach,  lêmnm,  $m  Ingoge  m  grammatieam  et  kxieographûtm  Ungum  htbrœœ, 
GrimiiMe,  t838, tib.  I. 


158  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

récits  merveilleux.  Les  paraphrases  chaldëennes,  d'au  aatre 
côté,  font  négliger  le  texte,  en  sorte  que  l'hébreu  n'a  peut-être 
été  jamais  moins  su  qua  lorigine  de  l'ère  chrétienne,  un  ou 
deux  siècles  après  le  temps  où  on  l'écrivait  encore.  Déjà  les 
méprises  des  traducteurs  grecs  désignés  du  nom  de  Septante, 
montrent  combien  la  connaissance  de  la  langue  ancienne  était 
affaiblie.  Plus  tard,  Philon  et  Josèphe  font  preuve  d'une  igno- 
rance bien  plus  profonde  encore.  Les  explications  qu'ils  don- 
nent de  certains  mots  hébreux  dépassent  les  plus  étranges  hsd- 
lucinations  des  anciens  en  fait  d'étymologie  ^  Il  faut  cependant 
faire  à  cet  égard  une  différence  entre  les  Juifs  de  Pales^tine  et 
ceux  d'Egypte.  Josèphe ,  par  exemple ,  qui  écrivit  d'abord  son 
histoire  en  syro-chaldaîque  ^,  ne  pouvait  être  complètement 
étranger  à  l'ancienne  langue.  Philon,  au  contraire,  n'en  savait 
évidemment  que  fort  peu  de  chose.  En  général ,  les  Juifs  qui 
formèrent  le  premier  noyau  du  christianisme,  paraissent  aussi 
avoir  été  fort  étrangers  à  l'hébreu ,  sans  doute  parce  qu'ils 
étaient  presque  tous  nés  en  Galilée  ou  en  Samarie.  Les  au- 
teurs du  Nouveau  Testament  ne  citent  jamais  que  la  vision 
grecque  de  la  loi  et  des  prophètes,  et  font  sur  cette  version 
plusieurs  raisonnements  dogmatiques  qui  xhanqueraîent  de  base 
dans  l'original^. 

Les  docteurs  mischniques  et  les  Talnmdistes  n'ont  pas  d'exé- 

^  Gesenius,  Ge$ch,  S  â3.  —  Ainsi  Josèphe  explique  le  nom  de  p^KI  (QQ^ii  lit 
Pou^ifA  avec  les  Septante)  par  7N"3ini  (pour  'jN'Dim)»  otàri  xar'  ëXsop  Tot? 
d-sotT  yévono  {AnJdq,  I,  xix,  8^).  —  Philon  décompose  O/Aiinrof  en  l^D^  ^s  = 
^6^  Xa^néios;  MaxeSAv  =  Q^mS;  T^^'tS,  ttapà  rov  ÇeiieaStUy  etc.  Gonf. 
Pseudo-Aristeam ,  in  Bibl.  Max,  Pa^,  t.  II,  p.  &66.  L^esprit  de  système  est  allé 
josqu^à  chercher  à  ces  extravagances  une  excuse  et  presque  une  juslificalioii  (De- 
iits8ch,l«fyrttn,  p.  106-107).     • 

'  ùé  6000  juà*  proœm.  1. 

^  Lami,  De  eruditione  apoêtolorum  (Florenti»,  1738),  p.  8,  167,  etc. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  L  15» 

gèse  régulière  :  les  observations  grammaticales  scmt  chez  eux 
très- rares;  ils  tendent  sans  cesse  à  substituer  des  procédés 
d'interprétation  artificiels  aux  moyens  herméneutiques  fournis 
par  la  philologie  ^  Cependant  Fétude  de  la  langue  sainte  est 
si  souvent  reconmiandée  dans  leTalmud,  qu'on  ne  peut  douter 
que  Fhébreu  ne  fût  devenu ,  depuis  la  dispei^sioh,  l'objet  d'une 
étude  plus  régulière  de  la  part  des  Juifs  ^.  Justinien,  dans  un 
édit  de  l'an  568 ',  leur  fait  un  reproche  de  cette  étude  excliJH 
sive ,  et  leur  ordonne  de  lire  les  traductions  grecques ,  pour  se 
convaincre  de  la  réalisation  des  prophéties. — Quant  aux  pre* 
miers  chrétiens,  sortis  d'une  branche  du  judaïsme  qui  igno- 
rait l'hébreu,  ils  restèrent  presque  entièrement  étrangers  à 
cette  langue^.  Origène  et  saint  Jérôme  furent  à  peu  près  les 
seuls  parmi  les  Pères  qui  y  donnèrent  une  attention  sérieuse; 
les  plaintes  sans  cesse  répétées  de  saint  Jérôme  contre  ses  dé- 
tracteurs prouvent  que  l'entreprise  d'en  appeler  à  la  vérité  hé^ 
braïque,  était  envisagée  comme  une  nouveauté  et  blâmée  de 
plusieurs  ^.  D'ailleurs ,  ni  Origène ,  ni  saint  Jérôme  ne  dépas- 
sèrent les  rabbins  leurs  maîtres,  et  ce  premier  essai  de  philo- 
logie hébraïque  chez  les  chrétiens  ne  fut  qu'un  r^et  de  celle 
des  Juifs. — Les  sectes  gnostiques  ne  cherchèrent  dans  l'hébreu 

'  Les  partisans  eidosife  da  Tdmud  firent  même  de  Topposition  au  mouvement 
grammaticd  qui  se  manifesta  dans  le  judaïsme ,  au  x*  siècle ,  sous  Tinfluence  arabe. 
yoftt  les  fragments  de  R.  Jona,  publia  par  M.  Monk,  Notice  wur  AhouhDoUi 
Mmrwàn  lin^Djanah,  et  sur  quelqum  outrée  grammairiêne  hébreux  du  x*  et  du 
II'  eièele,  p.  i6/i  et  suiv.  (Extr.  du  Joum,  aeioL  i85o.) 

'  Fnrst,  KuUur-  und  Literaturgeechtchte  der  Juden,  p.  96-98. 

'  NomIL  1&6. 

*  Le  texte  dté  par  Méliton,  Saint-Justin,  etc.  sous  le  nom  de  6  t^peûfoe^  n^est 
pas  le  texte  hébrea,  mais  la  version  littérale  d^Aquila.  Gesenias,  Geeeh.  der  hebr, 
SfTêdtêfî  s6. 

*  Cf.  Hieron.  Prologue  gdeatuê ,  Prœf,  ad  Eedr,  etNekem.,  Prirf.  ad  Job,  PrmJ. 
adleaiam. 


160  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

que  des  mots  magiques  pour  les  amulettes  et  les  pratiques  de 
la  théurgie  ^ 

Un  texte  dénué  de  voyelles,  et  par  conséquent  d'une  lec- 
ture fort  incertaine,  courait  plus  de  dangers  qu'un  autre,  en 
l'absence  d'études  grammaticales.  Il  résulte  de  l'ensemble  du 
Talmud  qu'il  y  avait  parmi  les  Juifs  une  lecture  reçue,  ensei- 
gnée traditionnellement,  peut-être  même  notée  par  quel- 
ques signes  (o'^DS^tD)  analogues  à  l'ancienne  ponctuation  des 
Syriens  et  à  celle  des  Samaritains^.  Le  précepte  souvent  ré- 
pété :  ni^rh  y^D  w^f  =  faites  haie  à  la  loi^j  se  rapporte  sans 
doute  à  un  premier  système  de  notation  des  voyelles.  Vers  le 
Vf  siècle ,  on  sentit  la  nécessité  de  fixer  la  tradition  par  des 
signes  plus  précis.  On  rapporte  d'ordinaire  aux  Masorètes  {'^hn 
n'iDD)  l'invention  des  points- voyelles ,  par  lesquels  on  essaya 
d'atteindre  ce  but.  Mais  il  semble  résulter  de  travaux  récents 
que  les  premiers  ponctuateurs  doivent  être  distingués  des 
Masorètes.  La  question  sera  traitée  avec  étendue  dans  notre 
second  volume,  quand  nous  ferons  l'histoire  comparée  des  pro- 
cédés de  vocalisation  employés  par  les  Sémites.  Il  suffit  de  dire, 
pour  le  moment,  que  le  système  des  points-voyelles  dit  masso- 
rétique  parait  remonter,  dans  ce  qu'il  a  d'essentiel,  au  com- 
mencement du  Vf  siècle  de  notre  ère ,  que  les  docteurs  juifs 
qui  donnèrent  à  la  philologie  hébraïque  ce  puissant  secours 
prirent  pour  modèle  la  ponctuation  syriaque,  qu'ils  habitaient 
plutôt  la  Babylonie  que  la  Palestine,  qu'enfin  ils  apparte- 
naient à  la  catégorie  des  docteurs  dits  Saboréens  ('•K'iisd)  et 

^  Laden  parle  de  Thébreu  comme  d^an  jargon  qni  ne  sert  que  pour  les  en- 
chantements :  ô  êi  ^ûwdt  Ttvof  tofftov;  ^eyy6(t8voç,  eJai  yévoîin'  a»  ÈSpait^ 
Il  <l>iHviKuv  (AUxamâer  »eu  Paeudomaniii ,  $t'6). 

•  Cf.  Dukes,  ne^N  pS  flIIDDH  DnOJip,  heramgegthen  mit  Einieitung 
und  Anmêrhmgen ,  p.  99. 

'  Pirke  Avoth ,  cap.  i ,  inil. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  L  161 

non  aux  Masorètes.  Il  faut  reçonnaitre  toutefois  que  la  vocali- 
sation n'était  point,  à  cette  époque,  aussi  complète  et  aussi 
régulière  que  dans  les  Bibles  modernes  :  les  grammairiens  du 
X*  et  du  XI*  siècle  paraissent  étrangers  aux  subtilités  qui  ren- 
dent si  compliquée  dans  nos  grammaires  la  théorie  des  voyelles; 
on  cbercberait  vainement  dans  leurs  écrits  la  trace  de  certains 
signes  qui  font  maintenant  partie  intégrante  du  système  gra- 
phique de  lliébreu  ^    • 

Quant  aux  Masorètes,  l'importance  de  leurs  travaux  est 
plutôt  critique  que  granunaticale.  Les  Masorètes,  en  effet, 
cherchent  uniquement  à  assurer  l'intégrité  du  texte.  Ils  en 
comptent  les  mots  et  les  lettres  ;  ils  comparent  les  manuscrits  ; 
ils  multiplient  les  notations,  pour  marquer  les  moindres  acci- 
dents de  lecture.  Mais  ils  s'occupent  peu  de  Texégèse ,  et  on  ne 
trouve  chez  eux  presque  aucune  trace  de  grammaire,  dans  le 
sens  que  nous  attachons  à  ce  mot. 

C'est  au  X*  siècle  qu'il  faut  placer  la  formation  définitive  de* 
la  grammaire  hébraïque.  Elle  fut  le  fruit  du  grand  ^louvement 
littéraire  de  l'Académie  des  Gueonim,  et  de  l'empressement  avec 
lequel  les  juifs  adoptèrent  la  civilisation  musulmane ,  bien  plus 
analogue  à  leur  génie  que  la  civilisation  européenne  et  chré- 
tienne^  Il  était  naturel  cpi'ils  voulussent  appliquer  à  leut*  langue 
sacrée,  si  voisine  de  l'arabe  sous  le  rapport  grammatical,  la 
cidture  cpie  les  musulmans  pratiquaient  •  sur  leur  idiome.  On 
doit  croire,  néanmoins,  qu'avanft  les  travauxcalcpiés  sur  ceux 
des  Arabes,  et  dont  le  Gaon  Saadia  al-Fayyoumi  (mort  en  9&â  ) 
est  regardé  comme  le  fondateur,  les  juifs  étaient  en  possession 

^  Lnzxatlo,  Prolegûm$m,  p.  is  ei  tuiv.;  Munk,  Notice  mtt  Aboukmiid,  p.  3-6 , 
39-Âo,  note;  Ewald,  JaMûehÊr  der  IM,  Win.  I,  p.  160  et  saiv.;  le  même, 
Kritkehe  Grtmm,  S  36;  Ewald  et  Dukes,  Beytràge  zwr  Gê$ch,  der  àlustm  Aîi$U- 
gung  und  Spraekerkiârtmg  dei  A,  T.  p.  i95,  i35,,  i&g-iSo,  167. 

I.  11 


163  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

des  éléments  d'un  enseignement  grammaticed.  M.  Ewald  ^  a 
ûbservé  avec  raison  que ,  chez  les  grammairiens  juifs  de  Té- 
poque  dont  il  va  être  question ,  la  forme  seule  de  l'enseigne- 
ment est  arabe;  la  plupart  des  termes  teclmiques  dont  ils  se 
servent  sont  hébréo-chaldéens,  et  quelques-uns  de  ees  termes 
ont  subi  des  altérations  si  considérables,  qu'on  doit  croire 
qu'ils  avaient  séjourné  longtemps  dans  les  écoles  avant  de  re- 
cevoir une  consécration  définitive.  M.  Munk,  d'un  autre  côté', 
a  savamment  établi,  que  les  Karaîtes  possédaient,  avant  Saadia, 
des  notions  grammaticales  assez  étendues;  or,  ces  notions,  ils 
ne  les  devaient  pas  aux  Arabes,  puisqu'ils  condamnaient  l'é* 
tude  de  la*  grammaire  arabe  comme  inutile  et  dangereuse  ^. 
On  est  donc  amené  à  supposer  chez  les  juifs  l'existence  d'une 
grammaire  traditionnelle ,  antérieure  aux  travaux  des  grammai- 
riens formés  à  l'imitation  des  Arabes.  Mais  ce  premier  germe 
resta  sans  développement ,  et  on  ne  saurait  partir  de  là  pour 
enlever  à  Saadia  ses  droits  au  titre  de  fondateur  de  la  gram- 
maire hébraïque. 

Ce  fut  surtout  dans  le  Magreb  que  le  mouvement  gramma- 
tical fondé  par  l'école  juive  d'Orient  porta  ses  fruits.  Menahem 
ben-Serouk,  de  Tortose,et  Dounasch  ben-Lébrât,  de  Fez, 
(960  ou  970)  composèrent  les  plus  anciens  travaux  de  lexico- 
graphie hébraïque.  Vers  la  même  époque,  Juda  HayyoudJ,  de 
Fez,  en  se  rendant  le  premier  un. compte,  exact  de  la  nature 
des  racines  défectives  et  de  la  permutation  ^s  lettres  faibles , 
posa  la  base  de  la  saine  philologie  hébraïque,  Enfin ,  Rabbi 
Jona  ben-Gannach,  de  Gordoue^  ou,  comme  il  s'appelait  en 
arabe,  Aboul-Walid  Merwan  Ibn-Djanah,  dans  la  première 

'  Ewald  et  Dukes,  Beytràge  zur  Geteh.  etc.  p.  1 93--1 9/1. 
^  Notice  «tir  AboukoaUd,  p.  &-10. 
^  Ibid,  p.  39 ,  note. 


LIVRE  H,  CHAPITRE  I.  163 

moilië  du  xi*  siècle ,  donna  ie  chef^l  œuvre  de  t^ette  école  en 
tencographie  et  en  graimnaire.  Juda  ben-Karisch  et  Salomon 
ben-GdlHrol  (rAvicébron  des  scolastiques)  marchèrent  dan«  la 
mâoie  Toîe  ^.  L'excellence  de  ces  premiers  essais  a  de  quoi  nous 
surprendre;  on  doit  reconnattre  qu'avant  les  travaux  tout  à 
fait  modernes ,  ceux  de  R.  Jona  n'ont  pas  été  dépassés.  Par 
on  c6té  surtout,  les  grammairiens  dont  nous  venons  de  parler 
se  montraient  fort  supérieurs  à  ceux  qui  les  ont  suivis ,  et 
préludaient  aux  plus  belles  tentatives  de  l'école  moderne ,  je 
veux  dire' par  leur  connaissance  de  l'arabe,  et  par  l'habitude 
qu'ils  avaient  de  demander  à  cette  langue  et  au  syriaque  l'ex- 
plication des  obscuiîtés  de  l'hébreu  ^.        . 

Les  travaux  de  cette  première  école  sont  presque  tous  écrite 
en  arabe.  Lorsque,  vers  la  fin  du  xii*"  siècle,  cette  langue  cessa 
<f être  parlée  des  juifs ,  on  se  porta  de  préférence  vers  des 
travaux  écrits  en  hébreu ,  empruntés  pour  le  fond  à  ceux  de 
Técole  arabe ,  mais  bien  inférieurs  pour  la  science  grammati* 
cale  et  .l'esprit  critique.  Les  Kimchi ,  de  Narbonne ,  sont  les  repré- 
sentants les  plus  célèbres  de  cette  nouvelle  série  de  travaux  : 
ie  ^bx  de  David  Kimchi  (composé  vers  l'an  isoo)  passa 
durant  tout  le  moyen  âge  pour  le  chef-d'œuvre  de  la  philo- 
logie juive.  Ce  ne  fut  qu'au  xvf  siècle ,  au  moment  où  la  science 
de  l'hébreu  allait  passer  entre  les  mains  des  chrétiens,  qu'on 
vit  la  renommée  des  Kimchi  effacée  par  celle  d'Elias  Levita 
(mort  à  Venise  en  i5&9),  qui  porta  la  méthode  rabbinique 
au  dernier  degré  de  perfection  dont  elle  était  susceptible,  et 
fut  le  maître  d'un  grand  nombre  d'hébraîsants  chrétiens. 

'  Poar  plus  de  détaife ,  voir  te  mémoire  de  M.  Mank  et  l*oavrage-  de  MM.  Dakes 
et  Ewald,  prédtés;  les  Prt^gomeni  de  M.  S.  Luiiatto,  et  tes  divers  travaux  de 
MM.  Dakes,  G^ger,  Rappoport,  sur  ce  premier  âge  de  la  grammaire  hébraïque. 

'  Voir  te  fragment  de  R.  JoDa  publié  par  M.  Munk  dans  le  mémoire  précité, 
p.  176  et  suiv. 


11 


164  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

■ 

Ainsi  se  continua  jusqu'aux  temps  modernes  la  tradition  de 
la  science  juive,  à  laquelle,  va  succéder  la  science  chrétienne, 
dont  la  critique  rationnelle  recueillera  à  son  tour  l'héritage. 
Jusqu  ici ,  en  effet ,  la  science  de  l'hébreu  a  été  la  possession 
exclusive  des  juifsw  Le  très-petit  nombre  de  chrétiens  qui  su- 
rent l'hébreu  durant  le  moyen  âge,  conmoie  Raymond  Martini, 
Nicolas  de  Lyre ,  Paul  de  Burgos ,  étaient  des  juifs  convertis 
ou  (ils  de  convertis.  La  formule  employée  à  cette  époque  à  pro> 
pos  de  tous  les  savants  hommes  :  t(  il  savait  le  grec  et  l'hébreu  y> , 
n'est  pas  d'ordinaire  plus  vraie  pour  la  seconde  de  ces  langues 
que  pour  la  première  ^  On  accorde  facilement  aux  autres  une 
science  qu'on  n'a  pas  soi-même.  D'aiUeurs,  savoir  l'hébreu 
au  moyen  âge,  c'était  savoir  bien  ou  mal  l'explication  d'un 
certain  nombre  de  mots  conservés  dans  les  versions  de  l'Écri- 
ture; or,  pour  cela,  les  Interpretationes  vocum  hebratcarum  de 
saint  Jérôme  et  autres  glossaires  de  ce  genre  étaient  suffisants^. 
Les  efforts  de  Raymond  LuUe  et  les  décrets  du  Concile  de 
Vienne  en  1 3 1 1  ne  réussirent  point  à  créer  une  étude  sérieuse 
de  l'hébreu.  Seul ,  l'ordre  de  saint  Dominique ,  en  vue  des  be- 
soins de  la  polémique  contre  les  juifs,  posi^éda  quelques  hommes 
initiés  à  la  science  des  rabbins. 

La  Renaissance ,  par  l'activité  universelle  qu'elle  excita  dans 
les  esprits ,  et  la  Réforme ,  par  la  valeur  qu'elle  attribua  au  texte 

'  Roger  Bacon ,  qui  surpassa  ses  contemporains  par  le  sentiment  philologique 
comme  par  Tidée  de  la  vraie  science  expérimentale,  mérite  peut-être  de  Êdre 
exception.  V.  Oput  majyu,  p.  Ai,  sqq.  et  EpûL  De  louée  5.  Script,  ad  CHemen- 
tem/F(édk  Jebb). 

*  Geipointsera  traité  avec  plus  de  déyeloppements  dans  mon  Mémoire  »w  VHmâf 
de  la  langue  grecque  dmi»  V occident  de  V Europe  t  depuù  la  fin  du  j*  eiède  juequ'à 
celle  du  ht',  couronné  par  TAcadémie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  en  i8&8. 
A  rhistoire  de  Tétude  de  la  langue  grecque ,  j*ai  joint  dea  renseignements  sur 
Tétude  de  Thébreu  et  de  Tarabe ,  ces  trois  langues  ayant  traversé  â  peu  près  les 
mêmes  destinées  dans  les  écoles  du  moyen  âge. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  L  165 

de  la  Bible ,  furent  les  deux  causes  qui  fondèrent  les  études 
hébraïques  dans  l'Europe  chrétienne.  Vers  la  fin  du  xv*  siècle 
et  au  commencement  du  xvi*,  un  yif  attrait  de  curiosité  en- 
tratiie  de  ce  côté  toute  l'opinion  "Savante.  L'Allemagne  surtout 
se  fit  dès  lors  de  la  science  de  l'hébreu  une  sorte  de  domaine 
propre,  dont  elle  n'a  pas  été  depuis  dépossédée.  Les  juifs  fu- 
rent naturellement  les  maitres  de  cette  nouvelle  génération 
dliébraisants.  li  fallait,  à  cette  époque,  pour  savoir  l'hébreu 
faire  de  longs  voyages,  s'attacher  à  un  rabbin  dont  on  écoutait 
les  paroles  comme  des  oracles,  et  dont  on  achetait  les  leçons 
à  prix  d'or.  Autant  l'opinion  généralement  r^andue  sur  la 
difficulté  de  Hiébreu  est  fausse  de  nos  jours,  autant  elle  était 
fondée  au  xvi*  siècle ,  et  quand  les  philologues  de  ce  temps 
nous  parlent  des  ^orts  héroïques  qu'ils  ont  dû  faire  pour 
acquérir  la  connaissance  de  la  langue  sainte ,  il  n'y  a  là  de 
leur  part  aucune  exagération. 

L'homme  dont  le  nom  mérite  le  plus  de  rester  attaché  à 
cette  révolution,  qui  devait  avoir  des  conséquences  si  graves 
dans  l'histoire  de  l'esprit  humain,  c'est  Reuchlin.  Ses  trois 
livres  De  rudimentis  hebrateis  (Pforzheim,  1 5o6)  furent  k  pre- 
mière grammaire  hébraïque  régulière,  composée  pour  l'usage 
des  chrétiens,  et  fixèrent  les  termes  techniques  employés  de- 
puis dans  les  écoles  européennes.  Trois  ans  avant  lui,  un  jeune 
moine  de  Tûbingen ,  Conrad  Pellicanus ,  avait  publié  à  Bâle 
un  essai  du  même  genre  ;  mais ,  privé  de  ressources ,  il  ne  ph)- 
duisit  qu'un  livre  trèis-imparfait,  et  se  remit  ensuite  à  l'école 
de  Reuchlin.  Buchsenstein ,.  Alphonse  de  Zamora^,  Sébastien 
Munster,  Santés  Pagnini,  Gleynarts,  Guillaume  Postel,  Jean 
Cinq-Ari>res,  Bellarmin  reprirent  les  mêmes  travaux  avec  des 
mérites  divers.  Mais  tous  furent  dépassés  par  les  deux  Buxtorf , 

'  Qudqaes-iim  de  ces  hébraisanls  étaient  des  juifs  baptisés. 


166  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

dont  les  écrits,  en  y  joignant  ceux  de  Saiomon  Glass,  sont 
le  répertoire  complet  de  la  science  hébraïque  du  xvf  et  du 
xvii'  siècle. 

Cette  première  école  est,  du  reste,  fortement  empreinte. de 
Tesprit  de  ses  mattres  :  elle  est  toute  rabbinique.  En  gram- 
maire, elle  recherche  presque  uniquement  les  changements 
minutieux  des  points-voyelles ,  la  formation  et  4a  dérivation  des 
mots,  sans  songer  à  la  structure  générale  dé  la  langue  ni  aux 
règles  de  la  syntaxe.  En  critique  et  en  herméneutique,  elle 
suit  aveuglément  les  interprétations  des  juifs.  Les  deux  Buxtorf , 
l'ancien  surtout,  sont  plutôt  des  talmudistes  que  des  philo- 
logues. Mais  c'était  beaucoup  d'avoir  prouvé  qu'en  dehors  du 
judaïsme  on  pouvait  dépasser  les  juifs  eux-mêmes  :  le  système 
rabbinique  acquiert  en  ces  nouvelles  mains  une  lucidité,  un 
ordre  systématique  qu'i}  n'avait  pas  dans  la. plupart  des  ou- 
vrages écrits  en  hébreu.  •        -  ' 

Alting,  Danz,  Neumann  tentèrent  les  premiers  de  marcher 
hors  des  voies  tracées  par  les  rabbins ,  mais  n'aboutirent  qu'à 
d'inutiles  subtilités.  Une  autre  écolo,  bien  pliis  hardie,  mais 
encore  moins  heureuse  dans  sa  harctiesse,  prétendit  se  débar- 
rasser entièrement  des  points-voyelles  et  de  tout  l'enseigne- 
ment des  juifs.  Déjà  dans  la  période  précédente,  s'étaient  ma- 
nifestés quelques  symptômes  de  révolte.  Elias  Levita  s'était 
attiré  les  anathèmes  de  la  synagogue ,  en  élevant  des  doutas 
sur  l'ancienneté  des  points-voyelles,  et  Jean  Forster,  élève  de 
Reuchlin,  avait  publié  en  i55â,  à  Bâle,  un  dictionnaire  ayant 
pour  titre  :  Dictùmarium  hebràicum  novum,  non  ex  Rabbinorum 
commentU,  me  nostratium  doctorum  stulta  imitaUone  descriptum^ 
sed  ex  ipgis  themuris  S.  Bibliorum  depromptum.  Louis  Cappel 
reprit  l'attaque ,  et  malgré  la  vive  opposition  de  Buxtorf  le 
jeune,  réduisit  la  Masore  à  sa  juste  valeur.  Malheureusement, 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  167 

la  sage  réserve  de  Gappel  ne  fut  point  imkée  par  la  plupart 
des  hébraisants  français.  Les  ouvrages  dé  cette  école,  repré- 
sentée par  Masdef  et  Houbigant,  sont  restés  superficiels  et  sans 
importance.  Richard  Simon  mérite  cependant  de  faire  excep- 
tion ,  et  on  peut  dire  que  Gappel  parmi  les  protestants ,  Simon 
parmi  les  catholiques,  jeussent  fondé  en  France  la  saine  exé- 
gèse, plus  d'un  siècte  avant  que  TAllemagne  Peut  créée,  si  Tes- 
prit  absolu  des  théologiens  du  xvii*  siècle  ne  s  y  fût  opposé  ^^  - 

Mais  les  travaux  les  plus  importants  de  cette  époque  sont 
ceux  qui  se  poursuivent  dans  les  langues  orientales,  voisines 
de  l'hébreu.  Postel-,  Erpenius ,  Pococke ,  Golius ,  pour  l'arabe  ; 
Assemani ,  Amira ,  Sionita ,  Louis  de  Dieu ,  pour  le  syriaque  ; 
Ludolf ,  pour  l'éthiopien ,  jetaient  les  fondements  d'autant  d'é- 
tudes, presque  ignorées  en  Europe  avant  eux,  ^t  préparaient 
des  ressources  inattendues  aux  hébraisants.  Déjà,  dès  la  pte- 
mière  moitié  du  xvn*  siècle ,  on  eut  l'idée  d'appliquer  ces  ré- 
sultats nouveaux  à  l'exégèse.  Louis  de  Dieu ,  Hotiinger,  Sen^ 
nert  et  Otho  (de  Marburg)  composèrent  des  ouvrages  où  la 
langue  hébraïque  était  enfin  rapprochée  de  ses  sœurs,  et 
édaircie  dans  ses  obscurités  par  les  autres,  langues  sémitiques. 
Les  Bibles  polyglottes ,  et  spécialement  celle  de  Walton ,  con- 
tribuèrent beaucoup  à  placer  les  esprits  è  ce  point  de  vue;  et 
provoquèrent  le  beau  Lexique  hepiagloUe  de  Gastel,  où  la  mé- 
thode comparative  était  appli<piée  avec  une  remarquable  fer- 
meté. 

Q  y  avait  dans  cette  innovation  le  gei*me  d'un  immense  pro- 
grès. Les  rabbins  et  leurs  disciples,  entre  plusieurs  dé&uts, 
avaient  celai  d'envisager  la  langue  hébraïque  isolément,  et 
sans  la  comparer  aux  idiomes  de  la  même  famille.  C'était 

'  ^mr  h  Iwniie  éliide  sur  Lotas  Gappel,  publiée  par  M.  Michel  Nicolas  dans 
la  hivue  de  TkMogie  de  Ciolani ,  mai  1 85&. 


168  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

peuplant  cette  comparaison  qui  avait  &it  le  mérite  des  plus 
anciens  philologues  juifs,  Saadia,  Ràbbi  Jona,  Juda  ben- 
Karisch,  qui,  versés  profondément  dans  la  langue  arabe,  en 
avaient  tiré  de, précieuses  lumières  pour  éclairer  les  difficultés 
de  rhébreu^  Mais  quand  les  juifs  cessèrent  d'étudier  Tarabe, 
on  retomba  dans  l'arbitraire  des  prétendues  explications  tra<p 
ditionnelles,  et  toute  espérance  de  progrès  sembla  fermée  pour 
l'interprétation  d'une  langue  morte  depuis  des  siècles  et  dans 
laquelle  on  ne  pouvait  espérer  de  découvrir  des  textes  nou- 
veaux. 

Ce  fut  le  célèbre  Albert  Scbuitens  qui  remit  en  œuvre ,  au 
xyin""  siècle,  d'une  manière  vraiment  efficace,  ce  puissant 
moyen  herméneuticpie.  Il  faisait  partie  de  la /grande  école  de 
philologie  hollandaise,  qui  avait  compté  ou  qui  comptait  en- 
core dans  son  sein  Hemsterhuys ,  Valckenaër,  Lennep ,  Ruhn- 
kenius,  Scheid,  et  dont  le  caractère  était  d'allier  l'étude  des 
langues  orientales  à  celle  des  langues  classiques.  La  philo- 
logie hébraïque  doit  à  Schultens  une  éterneUe  reconnaissance 
pour  la  vigueur  avec  laquelle  il  réalisa  son  idée  favorite  :  l'é- 
claircissement de  l'hébreu  par  l'arabe  ;  néanmoins  il  faut  re- 
connaître qu'il  appliqua  ce  principe  d'une  manière  beaucoup 
trop  exclusive.  Les  parallélismes  qu'il  croit  découvrir  entre 
les  deux  langues  sont  quelquefois  minutieux  et  forcés;  il  n6 
tient  pa^  assez  compte  des  autres  idiomes  sémitiques.  Si 
l'arabe,  en  effet,  fournit  de  grandes  lumières  pour  l'intelli- 
gence de  la  syntaxe  et  de  la  structure  générale  de  là  langue 
hébraïque ,  il  faut  reconnaître  que ,  pour  la  partie  lexicogra- 
phique ,  les  analogies  tirées  de  l'arabe  sont  fort  trompeuses  ; 

'  Déjà  les  Septante  ayaient  pratiqué  cette  méthode,  mais  d'une  manière  gros- 
sière, qui  ne  les  avait  menés  qu'à  des  erreurs.  (Gonf.  Gesenius,  Gmch.  \>.  78.) 
S.  Jérôme  n'en  eut  de  même  qu'un  vague  sentiment.  (iV<ç^.  m  UbrumJeb,) 


LIVRE  II,  CHAPITRE  I.  169 

laramëen  est  ici  un  guide  bien  plus  sûr  ^  Schultens  avait 
<railleuFB  le  tort  de  négliger  les  autres  moyens  herméneu- 
tiques, tels  que  la  tradition  juive  et  le  secours  des  anciennes 
versions.  Son  plus  illustre  élève  fut  Schnsder,  professeur  à 
Groningue,  qui  porta  la  grammaire  hébraïque  au  plus  haut 
point  de  perfection  qu'elle  eût  encore  atteint. 

Jusqu'ici ,  les  travaux  des  hébraîsaQts  avaient  été  considérés 
comme  un  appendice  de  la  théologie.  L'école  de  Schultens,  ^ 
en  suivant  dans  l'étude  de  la  littérature  hébraïque  une  mé- 
thode puremeqt  profane ,  se  plaça  la  première  au  point  de  vue 
de  la  science  impartiale  et  désintéressée;  mais  ce.(ut  l'école  alle- 
mande qui  ramena  définitivement  à  la  condition  de  toute  autre 
science  l'interprétation  de  la  Bible.  Dès  lors,  la  connaissance 
de  l'hébreu  rentra  dans  le  domaine  général  de  la  philologie  ^ 
et  participa  à  tous  les  progrès  de  la  criticpie  par  les  écrits  des 
deux  Michaëlis,  de  Simonis,  Storr,  Eichhom,  Vater,  Jahn, 
RosenmûUer,  Bauer,  Paulus,  de  Wette,  Winer,  et  surtout 
par  les  admirables  travaux  de  Gesenius  et  d'Ewald,  après  les- 
quels on  pourrait  croire  qu'il  ne  reste  plus  rien  à  faire  dans 
le  champ  spécial  de  la  littérature  hébraïque  ^. 

Le  trait  caractéristique  de  là  méthode  nouvelle  est  un  éclec- 

*  R.  Jona  avait  bieo  aperça  cette  vérité.  (Voir  le  fragment  publié,  par  M.  Munk  ; 
<p.cic.  p.  178.) 

*  Une  nouvelle  éeole,  ayant  pour  chefe  MM.  Juliiu  Fàmt  et  Delitiacfa,  et  se 
donnant  le  nom  ^higtorieihimaUftiqu$ ,  a  prétendu,  dans  ces  dernières  années, 
s'opposer  à  Técole  empûiqw  de  Gesenius  et  à  recelé  rafiouneUe  d*Ewald.  Si  Ton 
excepte  une  déférence  particulière  pour  Tautorité  de  la  tradition  juive  >  et  une 
tendance  fort  dangereuse  à  rapprocher  les  langues  indo-européennes  et  sémitiques , 
il  est  difficile  de  dire  quel  princqM  nouveau'MM.  Furst  et  Delitach  ont  introduit 
dans  le  mouvement  des  études  contemporaines.  On  peut  lire,. comme  manifeste 
de  cette  école,  Touvrage  de  M.  Delitzsch ,  leiurun,  aeu  lMg<tge  m  graimmatieam  et 
'axicogmpUam  Unguœ  hebrmeœt  contra  G.  Gnemum  et  IL  Ewiddum  (Grimmœ, 
1838). 


170  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

tisme  éclaire,  admettant  et  contrôlant  l'un  par  l'autre  tous 
les  moyens  que  les  écoles  antérieures  avaient  appliqués  isolé- 
ment et  d'une  manière  exclusive.  Elle  ne  rejette  pas  les  points* 
voyelles ,  comme  l'école  française  du  xnif  siècle  ;  elle  n'a  point 
pour  ces  signes  le  respect  superstitieux  de  l'école  rabbinique. 
Elle  ne  suit  pas  aveuglément,  comme  Buxtorf ,  la  tradition  des 
juifs  ;  eUe  ne  la  dédaigne  pas ,  comme  le  faisait  Schultens.  Tout 
ce  que  peut  accepter  une  critique  pénétrante  et  sévère ,  elle 
l'aecepte,  ne  se  proposant  d'autre  but  que  celui  que  doit  se 
proposer  chaque  branche  de  la  philologie  :  l'intelligence  aussi 
complète  qu'il  ejst  possible  de  l'une  des  faces  de  l'esprit  hu- 
main. 


LIVRE  H,  CHAPITRE  IL  171 


Mr    ■       t 


CHAPITRE  IL 


BRANCHB    GHANANÉENNE    {PHBPilCiBIi) 


SI. 


Llûstoire  des  langues  sémitiques,  telle  que  nous  l'avons 
entendue,  ne  saurait  être  que  l'histoire,  des  dialectes  de  cette 
famille  qui  ont  laissé  des  documents  certains,  à  partir  de  l'é- 
poque où  ces  documents  nous  permettent  d'atteindre.  Aussi 
avons-nous  dû  nous-  borner  jusqu'ici  à  raconter  la  série  des 
transformations  de  l'hébreu.  Avant  le  if  siècle  de  notre  ère , 
en  effet,  les  Juifs  seuls,  parmi  les  Sémites,  ont  écrit  pour- la 
postérité,  et  sans  eux  les  antiquités  de  cette  race  nous  se- 
raient profondément  inconnues.  Les  Phéniciens,  cependant, 
doivent  trouver  place  à  côté  des  Hébreux  dans  notre  première 
période  :  bien  qu'aucun  ouvrage  phénicien  n'ait  été  conservé, 
et  que  l'interprétation  des  monuments  épigraphiques  conçus 
en  cette  langue  soit  vraisembablement  destinée  -à  rester  tou- 
jours fort  imparfaite,  on  en  sait  assez  pour  parler  avec  assu- 
rance d'une  langue  phàiicienne,  droit  que  l'on  n'a  pas  pour  les 
autres  dialectes  sémitiques  de  ces  temps  reculés.  L'arabe ,  par 
exemple,  ne  commence  à  exister  pour  la  science  qu'au  vi""  siècle 
de  notre  ère,  quoique  cette  langue  possédât  sans  doute,  dès 
la  plus  haute  antiquité ,  ses  traits  distinctifs. 

Aucune  incertitude  ne  saurait  rester,  même  en  l'absence 
des  monuments  écrits,  sur  le  caractère  de  la  langue  phénix 


172  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

cienne  et  sur  ses  analogies  avec  l'hébreu^.  L'hébreu  était  la 
iaiigue  des  peuples  de  la  Palestine  au  moment  de  l'entrée  des 
Beni-Israël  en  ce  pays  (voir  ci-dessus,  p.  lot-ioa).  Or,  la 
table  ethnographique  du  x*  chapitre  de  la  Genèse,  si  précise  et 
si  exacte  quand  il  s'agit  des  nations  voisines  de  la  Palestine , 
établit  par  le  nom  de  Chanaan  ^  un  lieu  immédiat  de  parenté 
entre  toutes  les  populations  du  littoral  et  du  Liban,  depuis 
Hamat  et  Aradus  au  nord,  jusqu'à  Gérare  et  la  mer  Morte  au 
sud.  C'est  exactement  l'ensemble  des  populations  que  les  Grecs 
appelaient  Phéniciens,  nom  qui  se  retrouve  dans  la  plus  impor- 
tante de  leurs  colonies  :  Pomt^.Les  Phéniciens  se  désignaient 
eux-mêmes  par  le  nom  de  Cha$uian^;  ce  nom  se  lit  sur  des 
médailles^,  et  les  Hébreux  l'appliquaient  si  bien  à  l'ensemble 
des  populations  phéniciennes ,  que  le  mot  ckananéen  a  passé 
chez  eux  à  la  signification  générale  de  marchand.  [Prov.  xxxi, 
a&;  Job,  XL,  3.o;  Osée,  xii,  3;  Sophm.  i,  1 1;  Is.  xxiii^  8,  1 1; 
Ézéch.  xvii,  4.) 

^  Ce  fut  une  vérité  reconnue  des  anciens.  Nous  ne  répéWoi^  pas  ici  les  pas- 
sages souvent  cités  de  S.  Augustin,  de  S.  Jérôme,  de  Prisden.  On  peut  les  voir 
recueillis  par  Gesenius,  Monumenta  phœnicia ,  p.  33 1,  et  par  M.  Judas,  Étude 
dènomtrtUihtedêla  Umguephémeiefme,\Ay  àoi^,  i.  •      • 

*  Ge  nom  parait  signifier  le  boe  paye ,  mais  non,  comme  on  le  croit  d^ordinaire , 
par  opposition  à  Aram ,  «  le  haut  pays.  »  Voir  Movers ,  Die  Phcm.  II ,  i ,  p.  7  et  suiv.  ; 
Berthean,  Zur  Geech,  der  hr.  p.  i53  et  suiv.;  Lengerke,  Ketuian,  p.  a 5  et  suiv. 

'  Pœni  sermone  corrupto  quasi  I%œni.  (S.  Hieron.  In  Jerem,  v,  a5.) 

.*  XpSs,  oôtof  iXéysto  6  kyi^vàip,  6$ev  xai  ij  <S><upixii  ù^ifS  Xéyneu.  (GhoBro- 
boscus,  apud  Bekker,  Anecdota  grœca,  III,  p.  1 181.)  '!LvS,  o4xtH  jh  ^^twUji  ixa- 
Asiro. . .  ,T6  èdvtx6v  ra&mf  ItvSos.  (Steph.  Byiant.  au  mot  Xpâ.)  kèeX^of  Xya 
ToO  vpàrtov  (terovopMtrOépTOf  ^oivtxog,  (Philo  By]À,Sanck()maUmie fragmenta,  éd. 
OreUi,  p.  ho.)  Gf.  Herodien,  Utpi  popi^povi  A^£ta»^,  p.  19,  edit.  Lehr8.V.  Butt- 
mann.  Mythologue,  I,  a33;  Tuch,  Kommeniar  ùber  die  Gemne,  p.  a&&  et  suiv.; 
Knobel,  Die  VœlkerU^el  der  Geneeie,  p.  Sog-Sio. 

^  Barthélémy,  dans  les  Mém.  de  VAcad.  des  Inecr.  et  BeUee-Lettree ,  t.  XXX  , 
p.  A 16;  Eckhel,  Doetrtna  numorum  veterum,  pars  i,  t.  111,  p.  609. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  IL  17? 

De  ce  que  les  Phéniciens  parlaient  une  langue  sémitique, 
le  linguiste  est  invinciblement  porté  à  conclure  qu'ils  étaient 
eui-mémes  des  Sémites.  De  graves  difficultés  s'élèvent  ici  pour- 
tant aux  yeux  de  Thistorieu ,  et  le  tiennent  en  suspens  sur  IV 
rigine  réelle  de  ce  peuple  qui  a  joué  un  rôle  si  important  dans 
l'histoire  de  la  civilisation.  Et  d'abord ,  les  Hébreux  ont  repoussé 
obstinément  toute  fraternité  avec  Ghanaan,  et  l'ont  rattaché  à 
la  famille  ^e  Gfaam.  Le  critique  est  par  moments  tenté  d'être  de 
leur  avis.  Nous  l'avons  dit  en  commençant  :  le  caractère  propre 
des  Sémites  est  de  n'avoir  ni  industrie ,  ni  esprit  politique ,  ni 
organisation  municipale  ;  la  navigation  et  la  colonisation  leur 
semblent  antipathiques  ;  kur  action  est  restée  purement  orien- 
tale et  n'est  entrée  dans  le  courant  des  affaires  de  l'Europe 
qu'indirectement  et  par  contre-coup.  Ici,  au  contraire,  nous 
trouvons  une  civilisation  industrielle,  des  révolutions  politiques, 
le  commerce  le  plus  actif  qu'ait  connu  l'antiquité,  une  nation 
sans  cesse  rayonnant  au  dehors  et  mêlée  à  toutes  les  destinées 
du  monde  méditerranéen.  En  religion,  même  contraste  :  au 
lieu  de  ce  monothéisme  sévère ,  de  cette  haute  idée  de  la  divi- 
nité, de  ce  culte  épuré  qui  caractérise  les  peuples  sémitiques, 
nous  trouvons  chez,  les  Phéniciens  une  mythologie  grossière, 
des  dieux  bas  et  ignobles,  la  volupté  érigée  en  acte  religieux. 
Les  mythes  les  plus  sensuek  de  l'antiquité ,  les  cultes  phalli- 
ques, le  commerce  des  courtisanes,  les  infâme»  institutions 
des  galles  et  des  hiérodules  venaient  en  grande  partie  de  la 
Phénicie^.  Peut-être,  s'il  fallait  désigner  parmi  les  peuples  an- 
tiques celui  dont  la  physionomie  contraste  le  plus  avec  celle 

'  Gonf.  Moven,  Die  Phœmzim',  1,  p.  5s-55,  SgS  et  suiv.;  676-690,  etc. 
M.  More»,  ne  Vêtant  jamais  fait  une  iàéé  exacte  du  caractère  général  de  la  race 
sémitique  «  croit  néanmoins  retrouver  dans  la  religion  pliénicienne  les  traits  d^ane 
mythologie  commune  à  tous  les  Sémites.  {Ibid,  p.  5  et  suiv.) 


17&  HISTOIBE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

des  Sémites^  seraientH;e  les  Phéniciens  qu'on  senât  tenté  de 
nommer.  Et  pourtant  voilà  le  peuple  que  les  données  lingois* 
tiques  nous  montrent  comme  ayant  été  dans  la  firatenûté  la  plus 
étroite  avec  les  Hébreux. 

Des  preuves  nombreuses  établissent  que  les  Phéniciens  ne 
sont  pas  les  habitants  primitifs  de  la  terre  de.  Ghanaan.  Mais 
la  difficulté  n'est  par  là  que  reculée  ;  car  comment  supposer 
qu'un  peuple  doué  d'un  génie  si  fortement  caractérisé ,  ait  adopté 
la  langue  d'une  autre  race ,  certainement  fort  inférieure  en  ci- 
vilisation? Les  Phéniciens,  d'ailleurs,  ne  paraissent  avoir  été 
précédés  sur  le  sol  de  Ghanaan  que  par  des  peuplades  à  demi- 
sauvages  (Refaîm,  Zomzommim,  etc.)^  qui  n'appartenaient 
pas  elles-mêmes  à  la  race  sémitique.  11  faut  donc  admettre  que 
les  Phéniciens  ont  toujours  parié  uqe  langue  sémitique ,  avant 
commq  après  leur  arrivée  en  Ghanaan.  Mais  alors  comment 
expliquer  le  contraste  entre  la  langue  et  les  mœurs  ?  Il  faut 
avouer  que  dans  l'état  actuel  de  la  science,  il  n'est  point  pos- 
sible de  répondre  à  cette  question  d'une  manière  bien  satis- 
faisante. 

Au  fond,  le  problème  qui  nous  occupe  pour  la  Phénieie  est 
le  même  qui  s'est  déjà  présenté  à  nous  pour  la  Babylonie  et 
l'Assyrie.  Là  aussi,  nous  avons  trouvé  avec  étohnement,  à  cAté 
d'une  langue  sémitique,  une  civilisation  qui  n'a  rien  de  sémi- 
tique ni  même  d'arien.  Nous  avons  admis  un  premier  fond  de 
population ,  analogue  à  la  race  propre  de  l'Egypte-,  qui  donna 
aux  civilisations  des  bords  du  Tigre  et  du  bas  Euphrate  leur 
physionomie  industrielle,  commerciale  et  matérialiste.  Peut- 
être  la  même  explication  conviendrait-elle  à  la  Phénieie  ^  La 

^  Movere,  Di$  Pkœn,  II,  i,  p.  976  el  8uiv.;  Knobel,  IHê  VœUcerUfil  der  Ge- 
nesis ,  p.  Si o-3i  5 ;  d'Edutefn ,  daq»  VAtkmwum/raneaiB ,99  avril  1 85& ,  p.  366 , 
3*  col. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  IL  175 

dontmatîon  phëiûcieDDe  dans  la.Mëditerranëe  répond  à  celle 
des  peuples  maritimes  du  golfe  Persiqùe  dans  la  mer  d'Oman. 
La  couleur  obscène  des  religions  de  l'Assyrie  et  de  la  Phënicie, 
si  opposëe  k  la  pudeur  naturelle  des  Sémites  et  des  Ariens ,  le 
mythe  céphénien  de  Joppé  ^ ,  le  cuTte  couschite  de  Sandan  où 
Sandak  et  d'Adonis^,  les  généalogies  fabuleuses  quiibnt  des- 
cendre Agénor  et  Phénix  de  Bélus,  de  Libye,  d'iEgyptus,-  et  les 
mettent  en  raj^rt  avec  Géphée  et  les  Ethiopiens  ^,  la  légende 
qui  les  rattache  à  Menmon  ^,  s'expliquent  bien  dans  cette  hypo- 
thèse. Enfin  la  tradition  relative  ^u  séjour  des  Phéniciens  sur 
les  bords  de  la  mer.  Erythrée  y  avant  leur  établissement  sur  les 
cAtes  de  la  Méditerranée  ^ ,  s^éclaire  ainsi  d'un  jour  tout  nou- 
veau. Il  résulte  des  travaux  de  M.  Movers  et  des  récentes  dé- 
couvertes faites  II  Ninive  et  à  Babylone  cpie  la  civilisation  et  la 
religion  de  la  Phénicie  et  de  l'Assyrie  étaient  fort  analogues. 
D'un  autre  c6té,  la  plupart  des  critiques  modernes  admettent 
comme  démontré  que  le  séjour  primitif  des  Phéniciens  doit 
être  placé  sur  le  bas  Euphrate ,  au  centre  des  grande  établisse- 
ments commerciaux  et  maritimes  du  golfe  Persicpie  ^ ,  confor- 
mément au  témoignage  unanime  de  l'antiquité. 

Nous  tiendrons  donc  les  Phéniciens  pour  une  branche  de  la 
grande  famille  sémitico-couschite ,  que  nous  avons  déjà  trouvée 
en  Assyrie  et  en  Babylonie ,  que  nous  retrouverons  dans  l'Yémen 

'  D'Eckstêui,t»û{.  9*  col. 

'  MoTera,  Diê  Phœn,  I,  &5i  eC  soiv.;  Bœtlicher,  BMdim.  my^,  $emitieœ,  p.  i a , 
90  et  soir.;  d'Eckstem,  Atk»  97  mai  t856,  p.  488,  3* col. 
/  ^  iLiiobel,  op,  cit.  p.  3i  1. 

*  MoTers,  Die  PKœnkier,  II,  i,  977  et  suiv. 

^  Voir  Movers,  Die  Pkœnkier,  II,  i ,  p.  38  et  soiv.;  Bertheau,  Zur  Ge$ch.  der 
braaL  p.  1 63  et  stiiv. 

^  Movers,  Knobel,  Bertheau,  hc,  cit.;  Tuch,  Kommentar  ûber  die  Gen.  p.  9â4 
et  suiv.  Voir  cependant  les  objections  de  Hengstenberg,  De  rebuê  Tynottim ,  p.  93 
etsuiv. 


176  HISTOiaS  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

et  TEthiopie,  et  qui  fonne  un  contraste  si  frappant  avec  les 
Sémites  nomades  ou  Térachites.  Nous  pensons,  avec  M.  Grut- 
gniaut  ^ ,  que  cette  Camille ,  sortie  la  première  du  berceau  com- 
mun de  la  race  sémitique ,  c'estr4i-dire  des  montagnes  du  Kur^ 
distan,  se  civilisa  de  bonne  heure,  et  devint  poqr  ses  frères 
demeurés  pasteurs  un  objet  d'exécration.  Il  semble  qu'un  chan- 
gement aussi  profond  ne  put  s'opérer  que  par  Tinfluence  d'une 
population  distincte  des  Sémites  purs  et  antérieurement  établie 
en  Babylonie.  En  admettant  même  que  cetté^population  ait  fait 
usage  d'une  langue  sémitique  analogue  à  l'himyarite,  on  ne 
concevrait  pas  qu'elle  eût  paiié  un  dialecte  aussi  semblable  à 
celui  des  Térachites  que  l'est  le  phénicien.  On  peut  admettre, 
au  contraire ,  que ,  plus  fidèles  à  leur  langue  qu'à  leurs  croyances 
et  à  leurs  môeur;^,  leis  Phéniciens  soient  reAés  Sémites  par 
l'idiome,  alors  même  qu'ils  entraient  dans  les  voies  des  nations 
profanes,  et  tournaient  leur  activité  vers  le  hixe  €t  le  cônunerce. 
La  race  sémitique  offre  plusieurs  exemples  de  <;es  sortes  de 
transformations,  opérées  sous  l'influence  des  autres  peuples. 
En  est-il  de  plus  frappante  que  celle  du  peuple  juif,  devenant, 
par  suite  de  contacts  répétés  avec  les  étrangers,  la  nation  la 
plus  ouverte  aux  idées  du  dehors ,  et  n'exerçant  plus  guère 
d'autre  profession ,  dans  son  exil ,  que.  celle  qui  lui  était  d'abord 
à  peu  près  interdite  ?  S'il  est  vrai  de  dire  que  les  races  ne 
changent  point  leurs  inclinations  essentielles,  il  faut  avouer 
que  ces  inclinations  aboutissent  souvent  à  des, effets  tout  con- 
traires, selon  les  milieux  divers  où' elles  s'appliquent.  La  bas- 
sesse et  l'avilissement  de  l'Arabe  livré  au  commerce  et  aux 
métiers  manuels  dans  les  villes  de  Barbarie  forment  un  sin- 
gulier contraste  avec  la  fierté  naturelle  du  véritable  Arabe,  de 
l'Arabe  du  désert. 

>  RêligioM  de  VatUiquiléy  t.  U,  3*prtie,  p.  893-893. 


LIVRE  II,  CHANTRE  H.  177 

Quant  à  l'époque  de  rémigration  qui  porta  les  Phéniciens 
sur  les  cAtes  de  la  Méditerranée ,  il  est  permis  d'affirmer  qu'elle 
fut  antérieure  à  l'arrivée  des  Térachites  en  Palestine,  puis- 
que Abraham  trouva  partout  dans  ce  dernier  pays  dçs  établis- 
sements chananéens.  On  peut  donc  placer  l'événement  qui 
nous  occupe  .vers  l'an  âooo  avant  J.  C. ,  au  temps  de  la  domi- 
nation des  Hyksosen  E^^te.  Plusieurs  critiques,  frappés  de 
ce  synchronisme ,  ont  supposé  que  les  Hyksos  étaient  la  horde 
phénicieone  elle-même,  traversant  l'Egypte  et  se  fixant,  après 
son  expulsion  de  la  vallée  du  Nil,  dans  le  ,pays  de  Ghanaan  ^ 
L'affinité  que  les  Hébreux  étabjiissent  entre  Cham  et  Ghanaan 
semble,  du  moins,  signifier  qu'à  leurs  yeux  les  Ghananéens 
venaient  du  sud.  Peut-être  aussi  le  parti  pris  des  Hébreux  de 
faire  de  Ghanaan  une  race  maudite,  a-t-il  influé  sur  leur. eth- 
nographie ,  et  les  a-t-il  portés ,  malgré  l'évidente  similitude  du 
lan^ge,  à  retirer  les  Phéniciens  de  la  race  élue^e  Sem  pour 
les  rejeter  dans  la  famille  infidèle  de  Gham^.  Ges.  haines  de 
frères  n'ont  nuUe  part  été  plus  fortes  que  dans  la  race  juive , 
la  plus  méprisante  et  la  plus  aristocratique  de  toutes.  Bien.plus 
tard  et  jusqu'à  nos  jours,  ne  la  vit-on  pas  renier  toute  fra- 
ternité avec  les  Samaritains ,  •  et  k*aiter  dédaigneusement  de 
Çuthéens  cette  branche  moins  pure  et  moins  noble,  il  est  vrai, 
de  la  famille  israélite? 

>  Hamaker,  MiêdUama  phœmieia  (Leyde,  1838),  p.  179  et  suiv.,  soatint  le 
premier  cette  <^imon,  mais  avec  bien  peu  de  critique  et  de  philologie. 

*  Cette  intentiom  se  trahit  naîvetoent  dans  un  chant  populaire.  (Crm.  u,  aS- 
97;  oonf.  Tuch,  KommenUtr  Ûber  die,  Gmem,  p.  3&5;  Bertbeap,  Zwr  Ge$ch,  der 
brtuèUm,  p.  179  et  suiv.)  M.  de  Lengerke  suppose  que  le  passage  rdatif  â  la 
ihidédiction  de  Ghanaan  est  une  addition  du  dernier  rédacteur  du  Pentatenque. 
{Kmaan,  p.  cm,  note.) 


I.  13 


178  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

SU. 

Il  est  singulier  que  le  peuple  iBuquel  l'antiquité  attribue 
l'invention  de  l'écriture,  et  qui  certainement  l'a  transmise  à  tout 
le  mojide  civilisé,  ne  nous  ait  pas  lai&é  le  moindre  fragment 
de  littérature.  L'écriture  alphabétique,  si  merveilleusement 
simple ,  ne  fui  pas ,  conune  l'écritore  hiéro^yphique ,  une  in- 
vention de, prêtres,  mais  une  invention  d'industriels  et  de  mar- 
chands. Les  relations  étendues  de  Babylone  et  de  la  Phénicie 
réclamaient  cet  organe  si  commode  et  si  clair.  Sans  doute  les 
Phéniciens,  comme  les  Carthaginois,  possédèrent  des  livres 
écrits  dans  leur  langue  originale  ^;  mais  il  ne  paraît  pas  que  le 
travail  intellectuel  ait  atteint  chez  ces  deux  peuples  le  degré 
d'élévation  et  de  force  qui  fait  vivre  les  œuvres  de  l'esprit.  Leur 
littérature  tomba  dans  l'oubli  devant  celle  des  Grecs  et  des  La- 
tins, et  àeviqfie  thème  de  compositions  apocryphes ,  dont  s'em- 
parèrent avidement  les  apologistes  juifs  et  chrétiens.  On  ne 
peut  nier  toutefois  que  ces  compositions  ne  nous  aient  conservé^^ 
beaucoup  de  parcelles  authentiques  :  ainsi  l'ouvrage  de  Philon 
de  Byblos ,  mis  sous  le  nom  de  Sanchoniaton ,  bien  que  four- 
millant de  bévues  et  de  non-sens,  renferme  beaucoup  de  mots 
et  de  mythes  vraiment  phéniciens  ^.  Le  Périple  d'Hannoo  re- 
pose également  sur  un  fond  carthaginois. 

Les  monuments  épigraphiques  viennent  heureusement  com- 
bler en  partie  cette  lacune.  Un  grand  nombre  de  médailles  et 
d'inscriptions ,  trouvées  sur  le  sol  de  tous  les  pays  où  la  Phé- 
nicie a  eu  des  colonies  ou  des  comptoirs ,  en  Chypre ,  à  Malte ,  en 

^  Sur  la  littérature  carthaginoise ,  voir  Sailusie,  BeUumJugurtk.  c.  xrii;  Mine, 
Hiii.  nat.  XVIII,  t;  Cduroelle,  I,  i,  6  et  suiv.;  XII ,,i?,  a. 

^  Movera,  Die  Phomizier,  I,  191  et  suiv.;  Guigniaut,  BeUg.  de  ranliq.  t.  11, 
3*  part  p.  8.39  et  suiv. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  II.  179 

Sicile ,  en  Sardaigne ,  à  Marseille ,  en  Espagne ,  en  Cyrénaique , 
sur  tontes  les  côtes  barbaresqnes,  attirèrent  de  bonne  henre 
l'attention  des  savants^,  et,  bien  que  Tinteiprëtation  de  ces 
curieux  monilments  laisse  encore  beaucoup  à  désirer,  on  peut 
regarder  connue  deux  vérités  scientifiquement  démontrées: 
t^le  caractère  sémitique  de  la  langue  pfaénico-punique  ;  â^  l'affi- 
nité étroite  de  cette  langue  avec  l'hébreu  en  particulier.  Sans 
doute  un  grand  nombre  de  passages  des  textes  phéniciens  ne 
trouvent  pas  leur  explication  dans  l'hébreu  tel  que  nous  le  con- 
naissons ;  mais  il  faut  se  rappeler  que  cette  dernière  langue 
nous  est  parvenue  d'une  manière  fort  incomplète.  On  doit  sup- 
poser, d'ailleurs,  qu'en  se  développant  àpart  et  chez  des  peuples 
(^posés  de  caractère  et  de  mœurs ,  les  deux  langues ,  bien  qu'i- 
dentiques à  leur  origine,  devinrent  avec  le  temps  fort  diffé- 
rentes l'une  de  l'autre.  Le  phénicien  montre  en  général  une 
tendance  prononcée  vers  l'aramafsme  :  cela  peut  tenir,  il  est 
vrai ,  à  l'âge  relativement  moderne  des  inscriptions  qui  jious 
sont  parvenues  ;  mais  cela  tient  aus^i  à  un  trait  de  physio- 
nomie locale ,  qui  rapproche  cette  langue  du  samaritain  et  des 
dialectes  du  nord  de  la  Palestine.  L'inscription  de  Marseille , 
soit  à  cause  de  son  ancienneté^  soit  par  suite  de  son  origine 
carthaginoise ,  est  presque  de  lliébreu  pur. 

11  faut  donc  croire  que  le  phénicien ,  indépendamment  de 

■ 

'  Pour  rhûtoire  des  étades  phénidennes,  consulter  Gesenins,  Scr^twrœ  bi- 
gfUHgm pkœmieÛB  monmnentà  (Lipei»,  1887 ) ,  1. 1,  c.  i ;  un  artide de  M.  de  Sauley, 
dus  b  Bmme  de$  dêwc  mondu,  i5  décembre  i846,  et  M.  Judas,  Étude  démmè- 
infiM  iê  la  kmgm  phémâmnê  et  delà  langue  Ubyfue  (Paris,  1867),  1. 1,  cfaap.  i. 
L'Algérie  et  la  r^[ence  de  Tunis  ont  fourni^  dans  ces  derniers  tempe,  un  très- 
grand  nombre  d^inscriptions  :  TotiTrage  de  M.  Tabbé  Bourgade  intitulé  :  Toieon 
fer  de  la  langue  phémdeimey  Paris,  i85a ,  donne  la  mesure  de  ce  qu'il  est  permis 
d*attendre  d'un  soi  aussi  peu  exploré.  Mais  la  philologie  sérieuse  ne  s*est  pas  en- 
core appliquée  aux  textes  récemment  découverts,  et  c'est  le  sort  des  études  pbé- 
nidennes,  comme  de  presque  toutes  Celles  qui  impliquent  une  part  de  divination , 

19. 


180  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

sa  similitude  avec  l'hébreu ,  avait  des  formes  qui  lui  étaient 
propres  et  lui  assuraient  une  individualité  dans  le  sein  de  la 
famille  sémitique.  Mais  les  études  phéniciennes  ne  sont  pas 
assez  avancées,  ou,  si  Ton  veut,  les  textes  phéniciens  ne  sont 
pas  assez  nombreux,  pour  qu'il  soit  permis  de  détenniner  ces 
formes  avec  exactitude.  C'est  une  méthode  trop  concunode  que 
celle  des  épigraphistes  qui ,  à  l'appui  de  lectures  plus  ou  moins 
hasardées,  créent  de  leur  propre  autorité  des  formes  gramma- 
ticales ,  ou  combinent  arbitrairement  celles  qu'ils  trouvent  dans 
les  dialectes  voisins.  Des  rapprochements  nombreux ,  incontes- 
tables, fondés  sur  des  analogies  étendues,  peuvent-senls  justi- 
fier un  procédé  philologique  aussi  périlleux.  Ajoutons  qu'en 
confondant  des  inscriptions  écrites  à  des  époques  très-diverses, 
on  a  fait  coexister  dans  la  langue  phénicienne  des  formes  qui 
se  sont  peut-être  succédé  à  des  siècles  de  distance.  Gesenius, 
par  exemple,  admet  que  la  désinence  du  pluriel  était  tan- 
tôt o ,  tantôt  ],  Mais  qui  nous  assure  que  la  seconde  forme 
n'est  pas  d'une  époque  oi!l  le  phénicien ,  comn^e  l'hébreu ,  s'était 
fondu  dans  Taraméçu? 

Quelques  faits,  choisis  parmi  les  mieux  constatés,  feront 
comprendre,  ce  me  semble,  le  véritable  état  de  la  question 
relative  à  la  grammaire  phénicienne  et  le  degré  de  précision 
qu'il  est  permis  d'y  porter. 

1^  HéhraUmes  caractérisés  :  Emploi  du  niphal;  —  pluriels 
en  o  et  enn^ — article  rendu  par  n; —  salus  pour  trois  (saint 
August.  In  episU  ad  Rom.  vu,  3),  forme  qui  ne  se  trouve  qu'en 
hébreu.  —  kSùfviç  =  ^^nw,  forme  hébraïque.  —  Emploi  de  t 
et  ou,  comme  signe  de  l'état  construit,  dans  .la  formation  des 
noms  propres  composés  :  Hannibal,  Asdrubal,  et  peut-être  /Mo- 
de commencer  par  l'aventure.  (Voir  oependani  le  Mémain  mr  trmte^imtfnouvtUêt 
imeriptiom  puniquet  de  M.  Tabbé  Barges,  Paris,  i859.) 


LIVRE  II,  CHAPITRE  II.  181 

bal,  comme  dans  les  noms  Melchisedèch,  Methuschelach,  etc. — . 
Svffke  =1  tû^W  ;  —  Hannon  =  psn  ;  Hanna  =  niT\ ,  nom  de 
femme  très-commun  chez  les  Juifs  ;  —  AXi^a  =  jSoS;  (Plut. 
Quœst.  sympos.  IX,  ii,  3)  se  trouve  dans  Tinscription  de  Mar- 
seille sous  la  forme  y^^^j  comme  en  hébreu,  et  en  hébreu  seu- 
lement; —  'SvSux  =  Slxauos  =  p^lS.  — iXof ,  Bo/ivXo^,  ^hi^tyi 
=*?»,  '?ïrn'*3,  o^nSjc,  dans  Philon  de  Byblos^  — Formes  de 
noms  propres  exactement  parallèles  à  celles  des  Hébreux  : 
Hannibal  =  pnV;  Ahibal  =  n*aK;  làwbal  =  *?K'»n'»lt  ou 
SvanK;  ilii2a&ftmtw  3=  ^Knny  ;  Atârwal  et  Baléœsat  =  Sm^^itv 
et  )n^*iTy. —  Les  mots  usuels,  les  particules,  les  pronoms,  les 
formes  du  verbe  et  les  principales  flexions  du  phénicien  ap- 
partiennent à  l'hébreu  pur.  Cependant,  il  arrive  quelquefois 
que  les  acceptions  sont  légèrement  <liflférentes  dans  les  deux 
langues,  ou  que  des  mots  rares  et  poétiques  en  hébreu  sont 
usuels  en  phénicien.  Ainsi,  SvD,  faire,  usuel  en  carthagi- 
nois, est  poétique  en  hébrea;  ovs,  qui  signifie  en  hébreu 
fa$,  marche,  signifie  en  carthaginois  fied  ou  jambe^^  et  se  re- 
trouve dans  le  '  nom  africain  Namphamo,  que  saint  Augustin 
rend  par  bmdpedis  hommem,  et  que  Gesenius  explique  par  m^ 
TO^B  (pulchri  pedei  ejus)  '. 

3®  Aramawnes.  Terminaisons  emphatiques  en  K  (ÀX^a, 
B^a,  etc.*)  et  féminins  en  n  ;  —  rapport  d'annexion . ex- 

'  SaHtkomakmU  fuœfminlurJragmmUay  edid.  Orelli,  p.  sa ,  a6 ,  a8 ,  3a ,  38. 
ravone  qae  je  ne  dke  jamais,  sans^pelque  appréfaenaioii,  les  mots  phéniciens  de 
PUkm.  Dans  plusieurs  cas,  en  effet,  ce  faussaire  a  pu  donner  pour  phéniciens  des 
mots  hébreux,  de  même  qu*il  a  donné  pour  phéniciennes  des  idées  hébraïques. 
(Voir  Movers,  DieF^iœn,  I,  i3o-i3i,  etc.) 

'  Monk,  Mémoin  $ur  rbuer^tion  de  Maneitté  (/otm.  omuiL  nov.-déc.  1867, 
p.  &85).  Ce  mot  a  le  même  sens  &ï  ehkih.  (/otim.  ottaf.  juin  i838,  p.  5i3.) 

'  Gesenius,  Jtfbmim.  pAom.  p.  &ia. 

*  Gesenius,  Geick,  der  hebr,  6Jpr.  p.  170;  Ewald,  Kritùehe  Grammatik,  S  a3 , 
a;  Schultens,  /fuft't.  hnguœ  hebr.  p.  9. 


182  HISTOIRE  DES  LAN.GUES  SÉMITIQUES. 

primé  par  n  ou  T  ;  —  emploi  fréqueni  de  Taffixe  pléonastique  ; 
—  génitif  d'appartenance  marqué  par  *?,  sur  les  médailles, 
Hf^^^h  9  ^Y^ y  oa  en  grec  2i&>»/aw,  TiJpow;  —  changement 
du  e^  en  n  et  du  s  en  d  :  on  pour  oer  ;  Qèp  oi  Q>o{vuies  yh 
^vv  xeikouori.  (Plut.  Vita  SyÛœ,  .c.  xvii)  =  ITiébreu  IW; 
Tvpos,  aram.  ii»,  pour  Thébreu  •!«;  —  parfois  pluriels  en 
m  :  BeXo-fl/ftjyy  (xôpios  oipavoS);  Ififpamfynv  {oipayoi  Kàrt&n^cu) 
dans  Philon  de  Byblos  '  ;  —  î^T»  ==  Sidm  (pêcheries), 
de  lis,  en  syriaque  piscari^y  en  Hébreu  venari;  —  Bvpaa, 
nom  de  la  citadelle  de  Garthage,  =  iL^^d»  forteresse. — 
Gomme  le  samiiritain  et  le  dialecte  mendaite,  le  phénicien  a 
une  certaine  tendance  à  confondre  les  gutturales,  surtout  k 
ely. — Enfin,  la  particularité  du  dialecte  nuuronite  d'après  la- 
quelle a  se  prononce  o^  surtout  dans  les  finale^  emphatiques, 
se  retrouve  en  phénicien  :  Qoupéz=n'i\r\y  Aa^0j  =  KnKi', 

3**  ArahUmes.  Emploi  du  verbe  Jy  =  y<f ,  comme  verbe 
substantifs.  On  a  cm  reconnaître  l'article  Vk  sur  une  monnaie 
de  Tarse  et  dans  la  composition  de  quelques  mots  ^ 

6^  Caractères  propres  à  la  langue  phénicienne.  Ainsi  que  nous 
l'avons  dit  précédemment,  il  ne  faut  recourir  qu'avec  la  plus 
grande  sobriété  à  l'hypothèse  de  formes  propres  à  la  langue 
phénicienne.  Quelques  particularités  d'orthographe  peuvent 
seules  être  constatées  avec  certitude.  Le  trait  essentiel  de  l'or- 

*  Oreiii,  op.  cît  p.  10,  i&.  Peat-étrç  ces  deux  pluridb  araméeus  s'eiptiqueot- 
ila  par  TAge  relativement  moderne  de  Philon  de  Byblos. 

'  Ordti,  ûnd.  p.  iS;  Justin,  HÛL  XVUI,  m,  4. 
^  Movers,  Die  Phœnùsierf  I,  9&. 
^  Michaelis,  ad  Gastdli  Lex»  «yr.  p,  975-976. 
^  Munk,  Afi^  p.  68&,  5a5. 

*  Gesenius,  Momim,pkœn.  p.  98a,  336,  637;  Kopp,  ^ilder  und  SchnfUn  der 
Voneii^  I,  ai3,  a3û. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  II.  183 

thographe  phénicienne  est  ^absence  presque  complète  des  lel- 
très  quiescentes ,  même  dans  les  cas  où  elles  semblent  le  plus 
fortement  réclamée^  par  les  lois  grammaticales  des  langues  de 
la  même  famille.  C'est  Ui  un.caractère  de  haute  antiquité,  et  qui 
assure  à  l'écriture  phénicienne  la  priorité  sur  toutes  les  autres 
écritures  sémitiques;  en  effet,  plus  on  se  rapproche  des  temps 
modernes,  plus  on  voit  les  lettres .  quiescentes  se  multiplier, 
surtout  dans  le  samaritain  et  les  dialectes  du  Liban ,  avec  les- 
quds  le  phénicien  offre  d'ailleurs  tant  d'analogie.  Cette  obser- 
vation ne  s'applique  cependant  qu'au  7  et  au  ^  :  quant  à  la  ma- 
nière de  traiter  I'k,  le  phénicien  se  rapproche  des  autres  dialectes 
sémitiques,  et  en  particulier  de  Taraméen.  On  a  supposé  que 
le  y  jouait  en  phénicien,  et  particulièrement  dans  le  dialecte 
carthaginois  le  rôle  de  voyelle  ^  Effectivement,  nous  voyons 
les  Grecs,  lorsqu'ils  adoptent  l'alphabet  phénicien,  faire  de 
cette  lettre  la  voyelle  o.  En  samaritain  et  en  mendaite,  le  ^  de- 
vient aussi  parfois  quiescent^. 

L'âge  des  monuments  phéniciens  qui  nous  sont  parvenus  est 
fort  douteux.  En  général  >  ils  appartiennent  k  l'époque  des  Se- 
leucides  et  à  celle  des  Romainsw  Quelques  médailles  trouvées  en 
Cilicie  paraissent  remontet  à  Fépôque  persane  '.  L'inscription 
bilingue  du  Pirée  semble  contemporaine  d'Alexandre.  Mais  le 
monument  le  plus  ancien  comme  le  plus  important  de  la  langue 
phénicienne  est,  sans  4K>ntredit ,  l'inscription  de  Marseille.  Ce 
long  rituel.,  écrit  sur  une  pierre  de  Provence,  comme  une  loi 
officieUement  promulguée,  avec  les  noms  des  mjfètes,  ferait 
supposer,  au  premier  coup  d'œil ,  que  les  Phéniciens  étaient  sou- 
verains du  pays  quand  il  fut  écrit  II  faudrait',  dès  lors,  en 

'  Gesenios,  MimiÊim,  fihœn.  p.  &3i;  Judas,  Etude  démomtnOimy  p.  998,  etc. 
*  Dhlanann,  hi»tU,lmgum  êamatiL  p.  &-5'. 
'  Gflseniiu,  Momim.  phœn.  p.  SSg. 


18&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

recuier  là  date  au  delà  du  vi'  siè(je ,  époque  de  ranivée  des 
Grecs  sur  le  littoral  de  la  Gaule.  Telle  est ,  en  e^et ,  1  opîniou 
de  M.'  Tabbë  Barges.  M.  Movers^  M.  Munk^  et  M.  Ewald^ 
au  contraire,  penseort  que  le  texte  a  été  gravé  sous  la  domi- 
nation grecque  ;  mais  ils  diffèrent  en  ce  que  le  premier  suppose 
que  les  mffites  nommés  sur  la  pierre  sont  ceux  de  Garthage, 
et  que  1  mscription  de  Marseille  représenté*  un  décret  émané 
de  lauterité  carthaginoise,  tandis  que  M.  Munk  et  M.  Ewald  * 
croient  que  le  décret  -émane  du  comptoir  phénicien  ou  car- 
thaginois de  Marseille,  auquel  les  Grec»  pouvaient  très-bien 
laisser  son  administration  propre  et  ses  ^uffêtes  (jugés)*. 

Gette  absence  de  date  est  une  des  principales  difficultés  des 
études  phéniciennes.  On  confond  sous  un  même  nom  des 
textes  épigraphiques ,  écrits,  il  est  vrai,  dans  le  mdme  carac- 
tère, mais  dont  le  dialecte  peut  être  fort  diff^nt,  selon  les 
siècles  et  les  pays  auxquels  ces  textes  appartiennent.  Ainsi ,  Tins- 
cription  de  Marseille  est  en  hébreu  presque  puT;  l'inscription 
du  monument  égyptien  dit  de  Garpentras ,  est  tout  araméenne  / 
entre  ces  deux  extrêmes,  il  y  a,  sans  doute,  plusieurs  nuances 
intermédiaires,  et  c'est  une  erreur  de  méthode  de  réunir  en 
un  seul  ensemble' grammatical,  comme  l'a  fait  Gesenius,  les 
particularités  résultant  de  textes  aussi  divers.  ^ 

L'influence  grecque ,  si  profonde  et  si  continue  sur  les  côtes 
de  la  Phénicie,  sous  les  Séleucides,  amena  peu  à  peu,  au 
moins  dans  les  villes ,  l'extinction  de  la  langue  indigène  ^.  On 

'  Doê  Ojferweim  der  Karthager,  CommmUtrtur  Opferttrfel  von  ManeUk  (  Bres- 
lau,  18Û7). 

^  Jownal  miatique,  novembre-décembre,  18/17,  P*  ^^^  >  ^^^* 

^  Jahrlnieher  der  btbUsehen  Wiêsensclufi,  I ,  p.  a  1 7  et  suiv.  (  1 869  ). 

^  Telle  parait  être  aiusi  Topinion  de  M.  de  Saulcy,  Mém.  de  VAcad.  dn  Imcr. 
et  BeUet-Lettres ,  t.  XVII ,  i**  part.  p.  3 1 9. 

^  Gonf.  Movers,  dans  VEncycl  d^Ersch  et  Gruber,  art.  Pkenûzieny  p.  693  sqq. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  II.  185 

iroave  cependant  des  médailles  avec  des  inscriptions  phénir 
ciennes  jusqu'à  l'époque  des  AntoninsK  Le  fait  qui  s'était 
passé  en  Palestine  se  passait  d'ailleurs  en  I%énicie.  Là  langue 
allait  de  plus  en  plus  s'assimâant  à  l'araméen.  Un  «iècle  avant 
r^  chrétienne,  Méléag^  de  Gadare,  né  dans  le  pays»  op- 
pose très-nettement  le  phénicien  et  le  syriaque^,  tandis  qu'au 
V*  siècle,  Cyrille  et  Théddoret  identifient  expressément  l'un  et 
l'autre^.  On  peut  croire,  du  reste, que  plusieurs  des  particula- 
rités eçsentielies  du  phénicien  se  sont  conservées  dans  les  dia* 
lectes  du  Liban- 

S  m. 

La  plus  grande  réserve  est  commandée  dans  là  détermina- 
tion des  différences  qui  ont  xlû  exister  entre  les  deux  dialectes 
dn  phénicien,  le  dialecte  oriental  ou  phénicien  proprement 
dit,  et  le  dialecte  africain  ou' punique.  Il  est  impossible  que 
.deux  idiomes  séparés  de  si  bonne  heure  ne  soient  pas  devenus , 
avec  le  ^temps ,  quelque  peu  différents  l'un  de  l'autre.  Toute- 
(ois  y  quand  on  voit  l'espagnol  qui  $e  parle  en  Amérique  par- 
£adtement  identique  de  nos  jours  à  celui  de.  la  mèrp-patne,  on 
se  persuade  que  les  colonie^  formées  à  des  époques  historiques 
exercent  peu  d'influence  sur  les  révolutions  du  langage.  L'in- 
terprétation des  monuments  phéniciens  n'est  pa$,  du  reste, 
assez  avancée,  et  peut-être  ne  sera  jamais  assez  complète, 

■  Gefleniusi  Monum.  phœn.  p.  339. 

'  Branck,  Anaketa  VeL  Poeî,  I,  p.  87. 

kXX*  e/  fièp  X^pos  io9i,  ^Xàft  *  ei  ^  o^v  a^  yt  <bohi, 

*  (hptMiPoè  xai  S^pof  «ai  lËiô^pcmUctot  xtU  <S>oiwxKs  rf  'Lôpotp  yfjpwtM  fow^. 
(Theodoretns,  Quott  19  m  Judicu.  )  Tif  yXéamf  tf  x/'^cufénêt,  tovt'  iolt  rif 
S^pAW,  Urot  rif  xenà  n^r  UaXou&JivifV'  fuf  yàp  XaXovtrt  y'kéatnf  ^olpiMef  xai  Ua- 
XnvhpoL  (Gyrilius,  In  bmam;  0pp.  t.  IV,  p.  293.) 


186  '       HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

pour  qu'il  soit  pennis  de  statuer  quelque  chose  de  précis  sur 
la  distinction  qui  nous  occupe  en  ce  moment. 

Les  passages  puniques  du  Pcmuhu  de  Plaute  ont,  comme 
on  sait,  fort  exercé  les  interprètes  ^  Autant  la  physionomie  hé- 
braïque de  quelques  endroits  de  ces  fragments  est  indubi- 
table ,  autant  il  y  a  témérité  à  vouloir  donner  une  explication 
rigoureuse  de  morceaux  aussi  défigurés  par  les  cc^istes.  La 
bonne  méthode  n'interdit  pas  les  conjectures,  quand  .elles  ont 
un  degré. réel  de  probabilité;  mais  elle  sait  qu'en  combinant 
des  hypothèses  avec  des  hypothèses,  les  chances  d'erreur  se 
multiplient  rapidement  et  les  chances  de  vérité  diminuent  dans 
la  même  proportion.  En  général,  les  inscriptions  carthagi- 
noises se  rapprochent  plus  de  l'hébreu  que  les  inscriptions  d'O- 
rient ,  et  renferment  moins  d'aramaïsmes  :  ainsi ,  l'article  cartha- 
ginois est  toujours  n,  tandis  que  l'article  phénicien  est  souvent 
H .  Il  n'est  pas  rare  de  voir  ainsi,  une  colonie  conserver,  sa 
langue  plus  pure  que  la  métropole.  Fondée  par  une  émigra- 
tion de  la  noblesse ,  Garthage  sera  restée  fidèle  à  la  vieille  or- 
thographe ,  tandis  que  les  Phéniciens  4'Orient  auront  subi  la 
révolution  qui  fit  dominer  partout  leç  formes  araméennes;  à 
peu  près  conune  le  français  qui  se  parle  au  Canada  présente ,  de 
nos  jours,  un  certain  air  d'archaïsme.  Un  trait  de  la  différence 
des  deux  idiomes  qui  du  moius  parait  certain,  est  le  pas- 
sage du  son  0  à  Vok  en  carthagûnois  ^  :  Sn^te  pour  mW  ;  I^ffen 
{Pœnulus,  act.  V,  se.  ii,  v.  /i6)  pour  □'^KD'i;  Alonuth  (ikid.  act.  V, 


^  Voir  GeBÀniùs,  Momun.  phosn.  p.  357  ^  ^^*  ^  Wéz»  dans  le  Rhêmmdm 
Muêmm  fur  Philologie,  neue  Folge ,  Il  Jahrg.  a  Heft,  et  Hilxig,  t&ûi.  X  Jahrg. 
a  Heft;  Movers, Die pumechen  Stellen  itn  Panubu  (Bresiau ,  i845)  ;  Ewald,  dans 
la  ZêiUekr^  fur  die  Ktmde  dee  Morgenlandee ,  t.  IV  (i8/i3),  p.  &oo  et  suv.; 
t.  VI(i8A5),  p.  aaS  et  soiv.;  t.  VU  (485o),  p.  70  etsuiv. 

^  Geseoius ,  Monum,  phœn.  p.  &35-ft37. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  II.  187 

se.  I,  V.  1  )  pour  nwb»  ou  nU^'»^y  ;  SyA>  =  r\i^  (tW^.)  ;  Sains 
=  ef^i^  (V.  ci-dessus,  p.  1 80). 

L'oaage  de  la  langue  phénicienne  semble  s'élre  continue 
beaucoup  plus  longtemps  en  Afirique  qu'en  Orient.  Amobe, 
saint  Augustin ,  Procope  nous  attestent  que ,  de  leur  temps ,  les 
paysans  de  rAfrique  parlaient  encore  le  punique^.  Saint  Jérôme 
et  Priscien  moittionnent  également  le  punique  comme  une 
langue  vivante'.  On  doit  convenir,  toutefois,  que  l'inbabileté 
des  anciens  en  fait  de  philologie  comparée  enlève  beaucoup 
de  poids  à  ces  témoignages.  Qui  nous  assure  qu'ils  ne  prenaient 
pas  pour  du  punique  le  berber,  la  vieille  langue  indigène  de 
l'Afrique,  qui  eçt  encore  aujourd'hui  celle  des  Kabyles?  Les 
autorités  précitées  ne  suffiraient  donc  pas  pour  détruire  tous 
nos  doutes  :  les  preuves  tirées  des  noms  propres  que  nous 
fournissent  soit  les  inscriptions  latines ,  soit  les  martyrologes 
d'Afiâque^,  soit  les  ouvrages  de  saint  Augustin  et  de  saint  Cy- 
prien ,  sont  bien  plus  convainjcantesi  Ces  noms ,  quand  ils  ne  sont 
pas  latins ,  sont  en  généiol  sémitiques.  Je  n'en  citerai  qu'un 
seul  exemple  :  Namgidde,  nom  de  feoune  assez  fréquent  sur  les 
iascriptions,  et  que  j'explique  par  Klj  n»^  ou  m2  Dâr^,  Bona 
fbrtîma  ou  Bcna  fortima  ejuê,  par  analogie  avec  NamjAamo 
(Y.  plus  haut,  p.  181  ).  On  trouve  dans  le  Pomulm  le  nom  de 
nourrice  Gedderiefne,  qui  est  1^  même  renversé  ^ 


'  L*«  on  Yy  éqmvaliiifc  à  ou  diiiis  les  dialectes  popukires. 

'  GoqL  Gesenios,  Mbntim.  pJbom.  p.  3&o  et  sniv. 

^  Lingna  Poenomm,  quœ  chaidaec  vel  hebreane  gimilis  est  et  syrœ,  non  habet 
genus  nealmm.  hutU,  grammatkœy  1.  V,  c.  11 ,  p.  1 78  (  edit.  Krehl). 

*  Voir  VAJrka  àm»tùma  de  Morcelii.  Lefrinsoriptioiis  découvertes  par  M.  Léon 
Renier  foamiront  de  nouvelles  preuves  à  cette  assertion. 

^  Voir  Bevw  tavhéologique ,  février  i85s  et  L  Renier,  MéhngeÊ  d^épigraphie , 
p.  373  et  suiv.  Goof.  J.  Furst,  LSbn/mm  Saer,  cûnecrdantim ,  p.  1398;  Movers, 
Dm  Pkœniaer,  1,  636;  Ewald,  ZeiUekr^f.  d,  K,  d.  M,  t.  Vll,  p.  83. 


188  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Il  est  donc  probable  que  la  langue  punique  fut  paiiée  en 
Afrique  jusqu'à  l'invasion  musulmane.  Peut-être  la  facilité  avec 
laquelle  l'arabe  prit  possession  de  ces  contréei^  et  là  dispari- 
tion complète  du  latin  tenaient-elles  à  la  présence  de  cette  pre- 
mière  couche  sémitique.  L'arabe,  en  eflfet,  n'absorba  que  les 
dialectes  qui  lui  étaient  congénères ,  tels  que  le  syriaque ,  le 
chaldéen,  le  samaritain.  Partout  ailleurs,  il  né  put  effacer  les 
idiomes  établis. 

La  langue  punique  sembla  être  arrivée  sur  toute  la  côte 
d'Afirique  à  une  baute  importance  et  à  un  rôle  en  quelque 
sorte  universel.  M.  Mo  vers  a  établi  que  l'usage  de  cet  idiome 
s'étendit  à  la  Numidie  et  à  la  Mauritanie^  Les  villes  du  littoral 
étaient  presque  toutes  phéniciennes ,  comme  ^indiquent  le  nom 
de  la  ville  de  Cirtha,  les  noms  de  ports  où  entre  la  syllabe  Rue 
(vtily  cap)  :  Rusadir,  Rusicade,  Rusconia,  Rusam,  Rtuucm^ 
rum^  etc.  Les  anciens,  qui  n'avaient  en  général  que  des  notions 
vagues  sur  les  langues  étrangères ,  parlent  du  punique  avec  pré- 
cision et  l'envisagent  comme  la  langue  générale  de  l'Afrique.  Il 
se  peut  toutefois  que.  la  grande  extension  des  dialectes  sémi- 
tiques en  Afrique  ait  porté  à  exagérer  le  rôle  spécial  de  la 
langue  carthaginoise.  Longtemps  avant  la  fondation  de  Gar- 
thage^  l'influenee  de  la  race  cbananéenne  s'exerça  sur  tout  le 
nord  de  l'Afrique.  Les  formes  diverses  sous  lesquelles  l'alphabet 
sémitique  se  rencontre  dans  ces  parages,  sont  la  preuve  d'une 
action  prolongée  et  souvent  répétée  K  Les  trois  cents  villes  de 
Syriens  détruites  par  les  Pharusiens  et  les  Nigrites ,  dont  parle 
Strabon,  supposent  d'un  autre  côté  que  les  établissements  sé- 
mitiques s'avançaient  très-loin  vers  le  sud  '. 

'  Die  Phœn,  II,  ii,  p.  Adg  etsuiv. 

^  Ewalà,  Jahrbûeher  der  hAl  WUi,  I  (  1869) ,  p.  191^199  ;  Movers,  Diè  Ffuen. 
Uy  II,  p.  606  et  suiv.;  Judas, dans  le  Jm^m,  tmat,  ocl.  et  nov.*<tér.  1866. 
^  Hiimboldt ,  Cosmoê,  II ,  1 55 ,  USg  et  8uiv.  (  Irad.  franc.  ). 


LIVRE  II,  CHAPITRE  IL  -  189 

•  Quant  à  la  langue  des  Numides,. nous  ciroyons  avec  M.  Qua- 
tremèfe  et  M.  Môvers  ^  contre  Gesenius  ^,  qne  c  était  le  berber. 
Les  noms  numides  n'ont  aucune  analogie  sémitique.  La  syllabe 
HMy  qui  revient  d'une  façon  caractéristique  au  conunenoement 
de  ces  noms  :  Massyliens,  Manésylieng,  Masmma,  Masma,  Mai- 
sugrada,  etc.,  a  la.  signification  de  fis  en  berber,  et  correspond 
aux  mots  ^I  et  y^ ,  qui  entrent  dans  la  Composition  d'un  si 
grand  nombre  de  noms  arabes^.  Or  le  berber,  le  tonarik  et 
la  plupart  des  langues  indigènes  de  TAfrique  sqitentrionale 
semblent  appartenir  à  uâe  grande  famille  de  langues  qu'on 
peut  appeler  chamitiques ,  et  dont  le  copte  serait  l'idiome  prin- 
cipal. Le  mot  ilfâ«  précité  «e  retrouve  ^n  égyptien  avec  la  même 
yimiification ,  et  entre  dans  la  ^composition  de  beaucoup  de 
noms  propres  :  A-mums,  Tauth-^nums ,  peut-être  Mme^.  Quant 
aux  inscriptions  auxquelles  on  a  donné  à  tort,  depuis  Gesenius, 
le  nom  de  numUiques,  elles  forment  en  réalité  une  classe  d'ins- 
criptions carthaginoises.  Les^  vraies  inscriptions  numidiques  sont 
celles  auxquelles^  on  a  donné  le  nom  de  Ubyques,  celle  de 
Thou£^,  par  exemple,  dont  l'alphabet  semble  se  retrouver  en-- 
core  chez  les  Touariks  \ 

■  Quatremère ,  iMmal  de$  Savanl$,  juillet  i838;  Moyen,  Die  Fhom,  H,  ii  i 
p.  363  et  snii. ;  conf.  Addung,  Mithndaie,  UT  partie,  p.  hM']  ;  Hamaker,  M»- 
etUphofL  p.  917. 

*  Momm.  Phamieia,  p.  3&o. 

'  Il  eat  sîngalier  qu^à  c6té  des  Massésyliena,  etc. ,  on  retrouve  en  Numidie  des 
Banior»  (Plin.  Y,  1 ,  1 7 )  et  des  BaptovSai  (Ptol.  lY,  i) ,  Beni-Juba? 

*  Lepsius,  Chronologte  dêr  /Egypter,  I,  p.  Saô,  note. 

*  De  Sanky,  dans  le  Jtmnial  mat.  félrr.  1 8/i3 ,  mars  1  Sàg  ;  dans  les  Annalet  de 
rimgtiiiU  arelMogi^f  t.  XYII  (1 8&5),  p.  69 ,  et  dans  la  Revue  archéologique ,  no- 
vembre i845 ;  Jndas,  Etude  dénumetratioe  de  la  langue  fîhémc,  et  de  la  langue  U- 
hyque,  p.  9o5  et  suiv.,  et  Joum,  atioL  mai  iSh*];  Hovers,  Die  Phamisier,  H,  11, 
p.  &06-&08;  Barges,  Joum.  aeiaU  mars  1867,  et  Revue  de  T  Orient,  février  i853; 
0.  Blau,  dans  la  Zeitechr^  der  deutechen  morg.  GeeeU.  i85i,  p.  33o  et  suiv. 


190  HISTOIRE  BES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

On  croit  du  reste  que  la  langue  des  Libyens,  comme  celle 
des  Numides,  avait  de  grandes  analogies  avec  le  hetber  ^  La 
vieille  hypothèse  de  Saumaise  qui  prenait  pour  du  libyen  les 
six  vers  inintislligibles  placés  dans  le  PcBnulus  &  la  suite  des  dix 
vers  puniques ,  ne  mérite  pas  d'être  discutée.  Ces  six  vers  sont 
sans  doute  du  carthaginois  maoaronique,  comme  le  turc  du 
Bourgeois  Gmklhêmine,h  lusage  des  acteurs  qui  préféraient  un 
texte  buiiesque. 

.  C'est  aussi  bien  à  tort  qu'on  a  voulu  trouver  des  traces  dû 
phénicien  dans  le  maltais.  Ce  dialecte  n'est  qu'un  jargon  mêlé 
d'arabe  et  d'italien,  et  s'il  y  reste  des  vestiges  d'influence  car- 
thaginoise, ces  vestiges  sont  tout' à  fait  impossibles  à  ressaiâr. 

s  IV. 

* 

On  voit  que  c'est  surtout  par  la  famille  chananéenne  que 
les  langues  sémitiques  entrèrent,  durant  la  période  que  nous 
venons  dé  parcourir,  dans  Le  commerce  du  monde  entier.  Il  est 
difficile,  pour  une  antiquité  aussi  obscure,  de  faire  le  compte 
exact  de  ce  qu'elles  donnèrent  et  de- ce  qu'elles  reçurent.  Nous 
pouvons  affirmer  qu'entre  la  famille  arienne  et  la  famille  sémi- 
tique les  emprunts  se  réduisirent  à  peu  de  chose.  Mais  que  se 
passa-t-il  entre  les  langues  sémitiques  et  les  langues  chami- 
tiques  et  couschites  qui  en  plusieurs  endroits  les  précédèrent 
sur  le  sol  de  l'Afrique  et  de  l'Asie  t  Quelques  dialectes  sémi- 
tiques, tels  que  ceux  de  l'Irak,  de  l'Yémen,  de  l'Abyssinie, 
n'ont-ils  pas  conservé  des  débris  d'idiomes  plus  anciens?  Voilà 
ce  que  nous  ignorerons  sans  doute  à  jamais.  Trois  faits  me  pa- 
raissent seuls  susceptibles  d'être  établis  avec  certitude  :  i""  In- 
troduction d'un  certain  nombre  de  mots  égyptiens  dans  les 
langues  sémitiques,  et  en  particulier  dans  celle  des  Beni-Israêl; 

*  Movers,  op.  cit.  Il,  ii,  p.  363  et  suiv.,  A09,  etc 


LIVRE  II,  CHAPITRE  H.  191 

9*  passage  dun  grand  nombre  de  mots  sémitiques  «  aux  langues 
de  rOccideat  et  particulièrement  à  la  langue  grecque,  par  suite 
du  commerce  dés  Phéniciens  dans,  la  Méditerranée  ;  S""  intro- 
duction d'un  certain  nombre  de  mots  indiens  dans  les  langues 
sémitiques ,  par  suite  du  conunerce  avec  Opbir. 

!.  H.  Ewald  pense  que  quelque»-uns  des  mots  égyptiens 
qu'on  rencontre  dans  Thébreu ,  tel$  que  nTm  (  f»^  )  pyramide 
{Job,  III,  i&),  nsFiy  arche,  qu'on  trouve  dans  d'autres  langues 
sémitiques,  remontent* aux  Hyksos  ^  On  ne  peut  douter,  toute- 
fois ,  que  la  plupart  de  ces  mots  ne  proviennent  du  séjour  que  les 
Beni-Israël  firent  en  Egypte.  Presque  tous,  en  effet,  désignent 
des  objets  usuels,  des  mesures,  des  productions  naturelles  :  tels 
sont  HE^K  et  pn,  noms  de  mesure;  nDK,  coudée;  inK,  jonc 
du  Nil  =5^^I;  *)K\jEnft«,  spécialement  en  pariant  du  Nil  = 
l&^po  ;  ?^i>^p  =^ninl  ou  xot;t/;  peut-être  n)Dra,  nom  tle  lliip* 
popotame  ^.  Les  traducteurs  alexandrins ,  qui  savaient  le 
copte ,  ont  souvent  aperçu  ces  identités  et  réformé ,  d'après 
la  langue  qui  '  se  parlait  de  leur  temps ,  leé  archaïsmes 
des  transcriptions  hébraïques'.  Beaucoup  de  noms  propres 
et  de  ^oses  égyptiennes,  conservés  dans  la  Genèse,  tels  que 
les  noms  de  on ,  de  n)nB ,  les  mots  tïm  ,  n^3rB*n jss  ou  ^op- 
Ooftipôtpflxi  le  nom  de  Mtnse^  attestent  la  trace  profonde  que 
l'Egypte  laissa  dans  la  langue  et  les  souvenir»  des  Béni- 
Israël,  longtemps  même  après  leur  sortie  de  ce  pays.  H  est 

'  Geêek.  dm  V.  Ur.  Il,  p.  6,  Dote  (a*  édit). 

'  Gesemus,  GêiA. à&r  htbr, Spr, S 1 7,  i;  Bceckh,  Metrohguehe  DtUenttchmgn, 
p.  ihh  et  sniv.;  Berlheau,  Zur  Gêick,  der  Iwr,  p.  5i  ;  GhampoUioD,  Grammain 
égffitmm,  p.  98;  le  même,  iWnf  du  nfâU  hiérogL  I,  p.  59;  le  même,  VEfffpt» 
MUfl^PhivwMu,!,  i37;II,  aSS. 

'  VotrGeBeniiis,  Lbx.  Mon,  s.  y.  r)2DK> 

^  Lepniis,  Oirtmologi$  der  ^gypîer,  I,  3a6,  note;  Ghampolfion ,  L'Egypte  sous 
fet  Pkmwmê,},  10&;  Gromm,  égypt,  56,  iSa,  etc. 


192  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

remarquable,  du  reste,  que  la  piuparl  des  mots  ainsi  adoptés 
sont  transcrits  de  façon  à  montrer  que  l'auteur  israélite  leur 
prêtait  une  étymolog^e  hébraïque  et  voulait  leur  assigner  un 
sens  dans  sa  propre  langue,  conformément  à  une  habitude  très- 
commune  chez  les  peuples  étrangers  à  la  philologie  ^ 

En  revanche,  on  cite  quelques  mots  empruntés  par  le 
eopte  aux  langues  sémitiques  :  :kc&jiil01(^  =  ^Dâ  =.xâf|X9Xos; 
KOajEp  =  ne^J,  a^le;  EXOnî?^  ==b*K,  cerP;  \0Ji3=0\  la 

mer;  PkUœ  ou  ÉUfhmtme  =  ^^B ,  nom  sémitique  de  Tél^hant  ; 
sans  parier  de  quelques  mots,  tels  que  jul^ic  ==  Q^D,  par  les- 
quels on  [prétend  prouver  l'affinité  primitive  du  copte  et  des 
langues  sémitiques*  Le  nom  de  mesure  iwày  dpAt  l'origine  sémi- 
tique n'est  pas  douteuse ,  se  trouvait  aussi  en  Egypte  '. 

IL  Les  mots ,  ejnpruntés  anciennement  par  les  langues 
indo-européennes ,  et  en  particulier  par  le  grec ,  aux  langues 
sémitiques^,  sont: 

a.  Deâ  noms  de  végétaux  et  de  substances,  venus  pour  la 
plupart  de  l'Orient  en  Occident  :  ynn = fj^wrhs  (?)  ;  a^îK  = 

^wraos;  D^ann  =  ^voç;  naa^n  z=  ^aXScùm  [galbanum);  |Q3 
xôfAiPOv;  iDâ  =  xinrpo»;  1^  =  Kxmdpiaaos  ^  cupressus ;  njâb  = 
X/<Saevo$,  Xtêapoûriç;  io^  =  Xn'^ot/,  XrfSapoPy  ^éSapoVj  *1Û  (forme 
araméenne  n'iD)=/w;(i(Ja^;  "ïni=i'/Tpov;  ï)2^  z=ixéwa ^nJvlnfj 

^  Geaeïâus,  Lehrg^,  derhebr,Spr,  p.  59i. 
'  Bœtticher,  Wurzeyontkungm,  p.  7. 
^  LepsiiiB,  Chronologie  der  ^gypter,  p.  993. . 
*  Geseoius,  Geich,  der  hebr.  Spr.  S  18,  1  ;  Monum,phom,  p.  383-8&. 
^  On  remarquera  que  dans  ces  emprunte  fort  anciens  les  sons  ou  eio  corres- 
pondent à  Vv  grec.  De  môme  dans  les  noms  propres  :  ^^^  =  A^^oi;  qi^^^^s: 

AtGues;  îh  =  Aiî^^a;  "î^tfK  =  kaavpia;  "i^j  =  Ti&poSj  etc.  ;  comme  du  grec 
au  latin  :  y6^  s=z  nox;  a^=  tu.  (Voir  mes  EelaireiuemenU  tirée  du  kmgum  té- 
nùti^[ue»  iur  quelquet  pointa  d$  la  prononciation  grecque,  p.  18-19.) 


LIVRE  H,  CHAPITRE  IL  193 

Mtbniy  coma;  n9r»ltp  =  iM0or/a;  |1D3{?  =  it/vyoEfeoyy  xivvdfjtûffâov; 
riDptf  =  matéfiiPOs;:  p  =  (ubva;  |tf)e^  =i  ffoS^tiP  (mot  peu 
ancien)  ;  "19^  ==  cùœpa  ;  nst)  J  =  tn^vouKOi»  ;  le  verbe  ti0cu€ciaaeû , 
dans  Homère  {Odyn,  XIH,  ia6),  paratt  venir  de  tfsi,  par 
l'addition  du  redoublement  ti;  nctf^  =  ïeuntis;  i^bd  =  otfsr- 
Petpos;  i^tf  =  aijupis  (?);  13^0  =  ^0i?»  molt^  (?);  Qd*^3  = 
ewrcuma;  peut-être  ^CD  =  yétoKko».  H.  Bertheau  ^  remarquant 
que  la  plupart  des  mots  précités  sont  étrangers  à  la  langue 
homérique,  en  conclut  qu'ils  n'dnt  été  introduits  en  Grèce 
par  les  Phéniciens  que  vers  le  vin*  siècle  avant  J«  G.  Le  mot 
««&UXif^,qui  signifiait pmie dans  la  haute  antiquité  grecque^ 
me  paratt  venir  de  VVtf  {jrœia,  prœdaûn*)^  par  un  riedouble* 
ment  analogue  à  celui  de  rtBatSoia^eif\  le  son  chuintant  aura 
passé  au  son  k,  d'cq>rès  une  analogie  très-familière  au  sanscrit  : 
on  comprend  du  reste  que  le  nom  des  pirates  et  de  la  pira- 
terie soit  venu  des  Phéniciens.  Quant  à  la  ressemblance  de  p^ 
et  de  olvoÇf  que  les  anciens  philologues  expliquaient  par  un  pas- 
sage des  Sémites  aux  Grecs,  elle  doit,  au  contraire,  s'expliquer 
par  un  passage  des  Ariens  aux  Sémites  :  l'origine  sanscrite  du 
nom  du  vm  n'est  pas  douteuse. 

b.  Noms  d'animaux  :  Voa  ==  xel(inXof.  Quelque  autres  noms 
présentent  une  firappante  identité,  quoiqu'il  soit  difficfle  d'ex- 
pliquer cette  identité  par  un  emprunt  et  qu'on  ne  puisse  dire  de 
quel  c6té  l'emprunt  a  eu  lieu  :  ">^  et  nini  ==  turtur;  e^nn  r= 
taxui,  taxo;  yi^:=zwnms  (?);  DD  (tinea)  ==oi/ip. 

c.  Noms  d'objets  divers  :  n:D=:Mya,  d'origine  babylo- 
nienne: 13=  xijb^,  ndiiùç^  cadus;  '^hl  =  doUum  (?):  31^3  , 

syr.  JL^cbû  =  xkcûSôsy  xko€6s  (cage  d'oiseau);  }|3  =  xau69ir, 
XOBUPoip;  Mto  =  x^^  (^);  PÇ  =  ^^ixxos;  mB  izzzfnnna  (?)  ; 

*  Zmr  Gfiek.  dbr  Ifr.  p.  &^. 

'  Voir  rÛMcription  de  Téw ,daitt  BcBckh ,  Corpm  twer.  grme,  n*  3o&6. 
1.  i3 


19A  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

^3J=z=  vJSkoLy  véSka,s\  >U3=:  xit^pa;  nsaosi  ^o^fkâSxii;  pOM 
zzzbdévn^  à66viw  (?).  Hâtons-nous  d'ajouter  que,  pour  plu- 
sieurs des  mots  que  nous  venons  de  transcrire ,  ia  provenance 
est  incertaine ,  et  qu'ils  peuvent  aussi  bien  avoir  été  empruntés 

r 

par  les  Sémites  que  prêtés  par  ceux<<i  aux  peuples  ariens.  On 
a  supposé,  non  sans  cfuelque  raison,  que  le  mot  D^tf ,  boudier, 
était  le  mot  skoht,  ou  ichild,  introduit  par  le&  Seythes  ger- 
mains (Scolote^)  lors  de  leur  invasion  parmi  les  Sémites,  au 
VII*  «iècle  avant  notre  ère^.  Cependant,  il  faut  remarqua  que 
la  signification  de  b&uélier  attribuée  à  ce  mot  e^l  asses  dou- 
teuse, et  qu'il  figure  dans-  des  docum^its  dont  la  rédaction 
parait  antérieure  au  vu*  siècle. 

d.  Les  noms  des  lettres,  depuis  Ydlqfh  jusqu'au  tau,,  ont 
passé  des  Sémites  aux  Grecs,  avec  les  lettres  elles^-mémes. 

Tous  les  mots  précités  sont  évidemment  de  ceux  qui  se  trans- 
mettent facilement  d'un  peuple  à  l'autre  par  le  commerce  et  les 
relations  internationales.  Les  Phéniciens,  auxquels  les  Grecs 
rapportaient  l'origine  de  tous  les  arts  qu'ils  ament  reçus  de 
l'Orient^,  en  ont  dû  être,  les  principaux  et  presque  les  seuls 
introducteurs. 

III.  Les  npms  empruntés  par  les  langues  sémitiques  aux 
langues  ariennes  de  l'Inde,  par  suite  du  commerce  d'C^bir, 
c'est-à-dire  de  la  côte  de  Malabar,  sont  tous  des  noms  de 
substances  ou  d'animaux  amenés  de  ce  pays;  ainsi  :D^O)i^, 
paons ::=z^J^ ^  prononcé  selon  lesJiabitudes  du  Dékhan;  vftp, 
9mgez=:z  ^(mi  xifiros,  xnSos^  xetSos;  DB")D=  SRITRλ  xiçrna- 
<705,  carhasus;  D^SnK=:  fflTÇ,  daAs  les  dialectes  vulgaires, 
aghU,  dydXXoxov,  aloës;  ii^  =  HHét?  vdpSos;  n|?*î3  =  ^eX- 
Xiov,  correspondant  à  une  forme  sanscrite  madâhka,  selon 

*   Bergmann,  Le*  peuples  primit^s  de  la  race  de  hfite,  p.  6a. 

^  Alhéoée,  ïkipn.  lY,  p.  176;  XIV,  p.  687;  Hesychius,  au  molSoftS^fr. 


LIYRE  II,  CHAPITRE  II:  195 

M.  Latted;  on^n^K,  umdtU  =  ^t^^  prononcé  à  la  manière 
du  DékliaD;^d)i  on^^XMdsrqi^ff^l^iea^^/repotf^  On  peut 
y  ajouter  cran^^  9  wnre,  composé  de  ]t ,  dent,  et  D^ari ,  pour 
Q^n  s=^,  ^Zffp&oKl  {iXré^y  êlmr,  égypt.  «Ao),  quoique  cette 
étjBMlogte,  proposée  par  Benary  et  adoptée  par  Ben%  et  Ge* 
senins,  soit  rqetée  par  Pott  et  Pictet^ 

Quant  aux  mots  empruntés  par  les  Sémites*  aux  Grecs  avant 
Alexandre,  le  nombre  en  ejit  très-peu  considérable.  Si  Ton 
cMepte  le  nom  même  des  Grecs  (p=E=  JUFom^),  à  peine 
tro«fe-4^B  dans  les  monuments  de  la  langue  hébraïque  uté- 
rieurs  aux  Séleuddes  un  seul  inôt  dont  la  grécité  soit  évidente. 
On  a  cité  nix  {Cren.  xlix,  &)=  pidxeupay  d'après  le  Talmud; 

TbV=  syr.  {^^AddlSiiirr  Xafnrfl&;  Cfs^s  ou  làfy^t  (chsdd. 

MTipVe)  =  tiTfltXXa^,  «raXX(xxi/,  «roXXox/ip,  ou,  selon  d'autres, 
pelles^.  Mais,  aucune  de  ces  identités  n'est  démontrée. 

tJn  fait  beaucoup  plus  important  que  tous  ceux  qui  viennent 
d'être  cités,  est  la  transmission  qui  se  fit,  vers  le  viii*  siècle 
avant  notre  ère,  de  l'alphabet  sémitique  à  tous  les  peuples  du 
monde  ancien,  par  l'action  combinée  de  la  Phénicie  et  de  Ba- 
bylone.  Semé  sur  toutes  les  côtes  de  la  Méditerranée  jusqu'en 

Espagne^,  porté  vers* le  Midi  jusqu'au  fond  de  l'Ethiopie,  ga- 

• 

*  LaHen,  Induehe  AUmikumsktmdê ,  I,  95o,  989,  991,  53o,  538  et  suiv.; 
Hnmboidt,  Cogmoê,  II,  p.  1 3 1,  160,  476,  686-487,  493-694;  A.  Gnncm,  èmê 
le  /(Mm.  €f  ike  ro^al  oiioL  Society ,  vol.  XYI,  part  1  (  1 854 ) ,  p.  1 97,  note. 

*  Voir  ie  travail  de  M.  Pietet  sur  les  Doma  de  réléphant,  dam  le  Joum,  oiiat. 
«Hplembrft-odobre,  t843;  cf.  Laasen,  op.  èiu  p.  3i3-3i5. 

'  Gonf.  Geaeniua,  Geêck,  der  hebr,  Spr,  S  17,  4. 

*  L^alpfaabet  phénicien  était  devenu,  sous  diverses  formes,  Talphabet  commun 
de  Ions  les  peuples  méditerranéens,  avant  d^étre  remplacé  par  Talphabet  grec  et 
par  Valphabet  latin ,  c^est-é-dire  par  deux  transformations  de  lui-même.  Dans  le 
moimment  deTéos,  déjà  dté,  Texpression  xà  Çoivcxifut  (s.  e.  ypéfifutra)  désigne 
le  Claris  même  de  Tinscription.  Cf.  Franz,  Eletnenta  epigr.  gr.  {).  1 5 ,  1 1  o. 

i3. 


196  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

gnant  vers  TOrient  jusqu'au'  Pendjab  ^^  Talphabei  sémitique 
Alt  adopté  spontanément  par  tous  les  peuples  qui  le  connurent. 
Telle  était  la  perfection  avec  laquelle  les  articulations  de  Tor- 
gane  humain  y  étaient  analysées,  que  les  langues  indo-eu- 
ropéennes purent  se  Tapproprier  avec  de  très-légères  modi- 
fications, dont  la  plupart  étaient  en  germe  dans  la  fmne 
primitive.  Distinguant  plus  nettement  les  voyelles  et  les  con- 
sonnes, les  Grecs  et  les  Italiotes  furent  amenés  à  dégager  pl^- 
nement  la  valeur  de  voyelles  qui  était  en  puissance  dans  les 
lettres  ai^irées  de  Taiphabet  sémitique.  Ce  changement  même, 
ils  l'accomplirent  peu  à  peu ,  et  on  ne  saurait  dire  s'il  n'avait 
pas  déjà  commencé  à  s'opérer  chez  les  Phéniciens.  La  lettre 
A^  joue  souvent,  dans  l'orthographe  sémitique,  le  rftle  de  la 
voyelle  e.  La  lettre  ayin,  qui  correspond  à  Yomicron  de  l'alpha- 
bet grec,  semble  parfois,  en  phénicien,  devenir  quiescente. 
Le  heth,  qui  est  Yita  des  Grecs  Ioniens,  reste  loiigtemps  une 
aspiration  chez. les  Attiques,  et  garde  toujours  ce  rAle  chez  les 
Italiotes.  Le  va»,  qui  devient  de  plus  en  plus  voyelle  chez  les 
Sémites,  se  maintient  comme  aspiration  chez  les  Éoliens,  et  de- 
vient F  chez  les  Latins.  Une  foule  d'autres  analogies,  qu'il  serait 
trop  long  de  développer  ici ,  établiraient  que  les  plus  délicates 
nuances  de  l'alphabet  dont  nous  nous  servons  aujourd'hui  ont 
leur  origine  dans  la  manière  dont  les  anciens  Sémites  com- 
prirent la  représentation  graphique  de  la  voix. 

*  L'alphabet  tend  parait  se  rattacher  aux  alphabets  araméena.  Quant  au  déva- 
nAgari,  son  origine  sémitique  est  restée  trds- douteuse,  malgré  les  eflorts  de 
11.  Lepsius  pour  rétablir. 


LIVRE  TROISIÈME. 

DEUXIÈME  ÉPOQUE 
DU  DEVELOPPEMENT  DES  LANGUES  SEMITIQUES. 

PÉRIODE   ARAMÉENN^. 


CHAPITRE   PREMIER. 

L'ABAMÙll  BHTU  U8  MAINS  DBS  JUIFS. 

{cHÀLDiMH  BlBUiHJM,  TARWMIQÏJE,   TàLMVDIQOE;   STMChCHÀLBÀÏQVM ; 

SAMâRJTAJU.  ) 


$1. 

Cest  au  vi*  siècle  avant  Tère  chrétienne  que  nous  trouYons, 
dans  le  sein  des  langues  sémitiques>«  la  première  révolution 
dont  l'histoire  ait  le  droit  de  s'occuper.  L'araméen  ^  absorbe 

'  Le  nom  d^Aram  est  reité  preMjoe  inconnu  aox  Grecs  et  aux  RomainaJSirabon 
ait  le  aeul  écrîvam  anden  qm  rapplique  clairement  anx  S^friens  (p;  a8  et  54  o,  éd. 
Caaanbon). L*identîficatiott« déjàpropoeée per  Strabon  (1. 1,  p.  a8;  1.  XIII,  p.  ASi 
éd.  GManb.),  des  Araméens  aYec  les  Âfi^tot  d'Homère  (IL  B,  783)  et  d'Hésiode 
(Tkéog,  3o&)  et  avec  les  t^ifilSot  (Odjytt.  À,  86),  est  au  moins  douteuse.  Im 
nom  d*Aram,  vers  l'époque  des  Sâeocides,  iîit  remplacé  en  Orient  même  par 
oefan  de  Svp/s,  lequel  n'est  qu'une  forme  écourlée  d'Âtfvvp/a,  mot  Tsgue  sous 
lequel  les  Grecs  désignaient  toute  l'Asie  antérieure.  Le  nom  d^Aram  ne  se  perdit 
pourtant  pas  entîèremeot;  il  continua  de  désigner,  en  Orient,  ceux  des.  Araméens 
qui  n'adoptèrent  pas  le  christianisme,  tels  que  les  Nabatéens  et  les  habitant!  de 


198  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

toutes  les  langues  sémitiques  antérieures,  Tarabe  excepté,  et 
devient ,  pour  douze  cents  ans ,  l'organe  principal  de  la  pensée 
sémitique. 

Cette  prépondérance  décisive  de  la  langue  araméenne  vini  de 
l'importance  politique  que  prit  à  cette  époque ,  en  Orient ,  le 
bassin  du  Tigre  et  de  l'Euphrate.  Nous  nous  sommes  expliqués 
ailleurs  (p.  Sa  et  suiv.)  sur  les  races  qui  paraissent  s*étre  croi- 
sées pour  produire,  la  civilisation  assyrienne.  Cette  civilisation 
est  pour  nous  le  résultat  du  mélange  des  Chamites  ou  Gouschites 
avec  les  Sémites  et  les  Ariens ,  sur  les  bords  du  Tigre ,  comme  la 
civilisation  phénicienne  est  le  résultat  dû  mélange  des  Sémites 
et  des  Chamites  sur  les  côtes  de  la  mer  Rouge  et  de  la  Méditerra- 
née. Il  y  a,  en  effet,  dans  ces  deux  civilisations,  une  foule  de 
traits  qui  ne  se  laissent  expliquer  ni  par  le  caractère  sémitique  ni 
par  le  caractère  arien  pris  isolément.  Nulle  part  nous  ne  voyons 
les  Sémites  arriver  d'eux-mêmes  à  un  développement  d'art ,  de 
commerce,  de  vie  politique.  Le  paganisme  sémitique,  qui  a 
son  siège  à  Babylone ,  se  laisse  rattacher  presque  tout  entier 
à  la  mythologie,  soit  des  Couschites,  soit  de  l'Iran^.  L'idée  d'une 
grande  monarchie  absolue,  se  résumant  en  un^  seul  homme 
servi  par  une  vaste  hiérarchie  de  fonctionnaires,  idée  qui  fut 
d'abord  réalisée  dans  l'Asie  occidentale  par  l'Assyrie,  est  pro- 
fondément opposée  à  l'esprit  des  Sémites.  La  royauté  ne  s'éta- 
blit chez  les  Juifs  qu'à  l'imitation  des  étrangers,  et  fut  inces- 

Harnu.  C*eBt  ainsi  que  le  mot  ILaM^  )  est  devenu ,  pour  les  lencographes,  ty- 
nens,  synonyme  do  pmen  ou  êobim.  (Goof.  Quatremère,  Ménoire  tw  Im  Naè»- 
téen»,  p.  70  et  suiv.;  Lanew,  De  diakH.  Iktgum  $yriacm  reHqmif  p.  9  et  suiv.; 
ICnobel,  Di$  VmlkertiyBl  der  Gsimsm,  p.  a»9,  ado. 

*  >  Gonf.  Kunik,  dans  les  MéUmgm  'Mta^msf  de  i^Aoadémie  de  Saint-Pélen- 
bourg,  t  I,  p.  &oa  et  suiv.  M.  Movera  iui-mâme,  qui  a^  si  fort  eiagM.  retendue 
de  la  mythologie  sémitique ,  reeonoatf  les  emprunts  qu*eOe  a  faits  i  PSgypie  et 
aux  Ariens.  (IHe  Phœn.  I,p.  ix,  57,  19&,  3a3,  etc.) 


LIVRE  m,  CHAPITRE  I.  199 

ssnHoeat  combattue  par  les  prophètes,  vrais  représentants  de 
l'esprit  sëmitique  t  également  hostiles  à  la  royauté  laicpie,  à  la 
cîvflis^tion  matérielle  et  aux  influences  de  l'Assyrie.  D'un  autre 
côté  y  le  caractère  colossal  »  scientifique ,  industriel  de  la  civilisa- 
tion assyrienne  ne  conrient  pas  aux  Ariens ,  qui  nous  apparais- 
sent, dans  les  temps  anciens,  comme  peu  constructeurs  et  peu 
portés  vers  l'étude  des  sciences  physiques.  On  est  donc  amené 
à  placer,  sur  le  Tigre,  un  premier  fond  de  population  ana- 
logue à  celle  de  l'Egypte,  puis  une  couche  sémitique,  qui  fit 
de  sa  langue  la  langue  vulgaire  de  ces  contrées  ;  puis  enfin 
une  classe  politique  et  guerrière ,  sans  doute  peu  nombreuse 
et  d'origine  iranienne.  Ces  derniers  sont  les  vrais  ChMienê, 
dont  le  nom  s'est  iq>pliqué  à  un  pays  et  à  une  langue  sémitiques , 
à  peu  près  comme  les  nomsde  Ftwiee,  de  bùurgt^m,  etc.  d'ori- 
gine germanique,  désignent,  de  nos  jours,  des  pays  qui  n'ont 
rien  de  germain. 

Quelle  que  fût  la  race,  et  par  conséquent  la  langue  de  la 
classe  aristocratique  qui  portait  le  nom  de  Ghaldéens,  on  ne 
peut  douter  que  l'immense  majorité  de  la  population  de  l'As- 
syrie ne  pariât  habituellement  l'araméen.  Cette  langue,  en 
eflet,  représente  partout  la  conquête  assyrienne.  L'araméen 
était  la  langue  des  hauts  fonctionnaires  de  la  cour  d'Assyrie 
envoyés  par  Sanhérib  pour  parlementer  avec  Ezéchias.  (II  Reg. 
xvuL,  â  6  ;  h,  XXXVI ,  1 1 .  )  Plusieurs  des  briques  trouvées  dans  les 
ruines  de  Babylone  et. même  de  Ninive  portent  des  inscriptions 
en  langue  et  en  caractères  sémitiques ,  à  côté  des  caractères  cunéi- 
formes^. Lorsque  la  domination  des  Perses  eut  remplacé  celle 

'  Kepp»  BUiàBr  mid  Sehr^ïm  dêr  Vomit,  II,  i5&  et  suiv.;  Joiini.  oiùU,  juin 
i853,  p.  5i8»5so;  joifiet  1^53,  p.  77-78;  Layard<  DiwoMrîn  m  the  ruèu  of 
Nmmeh  amd  Babflon  (London,  i853),  p.  601,  606,  elc.;  Jo¥mal  qf^tkti  roif0l 
«natic Soekiy ,  t.  XVI,  i**  part.  (i856),p.  9i5  et  siiiv. 


800  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

des  Assyriens,  raraméeo  garda  toute  son  importance^.  Il  resta, 
dans  les  province^  occidentales  de  l'empire  ackéménide,  la 
langue  des  édits  et  de  la  correspondance  officielle,  laqudle, 
pour  les  besoins  de  la  chancellerie  persane,  devait  être  accom- 
pagnée d'une  tradujction  ^.  [Etdroê,  ir,  7 ;  m^  1  a.) 

Il  ne  reste  aucun  texte  indigène  de  Fancienne  langue  ara- 
méenne.  Nous  avons  exprimé  ailleurs  nos  doutes  sur  le  carac- 
tère araméen  de  la  langue  des  inscriptions  cunéiformes  dites 
assyriennes.  Les  mots  en  caractères  sémitiques,  trouvés  sur  les 
briques  de  Babylone,  sonC  trop  insignifiants  pour  être  envi- 
sagés comme  de  véritables  spécimens  d'une  langue»  Enfin ,  les 
inscriptions  et  les  papyrus  araméens  trouvés  en  Egypte  ne  sau- 
raient davantage  être  considérés  conune  des  restes  authentiques 
de  Tancien  araméen.  M.  Béer  a  établi  que  ces  curieux  textes 
sont  d'origbe  juive  et  que  la  langue  y  est  mêlée  d'hébreu  \ 
L'inscription  de  Garpentras ,  relativeau  culte  d'Osiris^^fait  peut- 

'  XénophoB  {Cifrtfp^  VU,  t,  3i  ),  et  en  général  les  anteois  grecs,  déâgnenl 
la  langue  de  Babylone  et  de  fAssyrie  par  Tadverbe  avpialL  Les  traducteors  greo 
à9  la  Bible  rendent  également  P^D*1K  par  avpwlL  Mais  la  dàiomination  de  Sffrig 
et,  en  général ,  les  renseignement!  linguistiques  des  andens  sont  trop  vagues  pour 
(ju^il  soit  permis  de  tirer  de  là  quelque  induction.  Dans  te  Tabnnd,  ^D^IO  dé- 
signe plus  particulièrement  le  syriaque  occidental  et  la  langue  de  la  Palestine. 
(M^iner,  Grammatût  du  Inbl,  und  targwn.  ChaUaiimiu ,  p.  3.) 

'  Le  passage  Eidr.  if,  7  :  «La  lettre  était  écrite  su  araméen  et  traduite  su  ara- 
méen ,  ii  n^offire  de  sens  qu'en  supprimant  dans  le  second  cas  Je  mot  n^D^lK  «  eomme 
Ta  fait  la  version  grecque  :  hypa^fi»  à  ^opoXéyot  ypdpiiv  avpu/Jl  xtâ  4pft<M»- 

^  Gonf.  E.  F.  F.  Béer,  hucriptionu  êtpapjfri  vHtroi  êomùiei,  qu&tqmt  m  jEgifplo 
r^imiiiwU,  edài  et  i$ieàm,  receneiti  et  ad  arigmam  kebrœo-^udàkam  relati,  part  I 
(Lipsi»,  i833). 

*  L'ol^ection  que  Gesenius  a  voulu  tirer  de  cette  circonstance  contre  le  senti- 
ment  de  Béer  n'est  pas  décisive.  On  possède,  en  grec,  des  proscynèmes  adresBés 
par  des  Juifs. à  une  divinité  égyptienne,  avec  quelques  réserves  destinées  a  satis- 
faire aux  scrupules  du  monotbéisme.  (Voir  Letronne,  Recueil  deemeeriptioni  grée- 


LIVRE  ni,  CHAPITRE  I.  301 

Atre  élection  à  la  loi  formulée  jpar  M.  Béer;  iniais,  en  tout 
cas,  il  est  impossible  d'attribuer  à  ce  monument  une  baute 
anti<pnté  ;  Land  et  Gesenius  le  rapportent  au  temps  des  der- 
niers Ptolémées ^  On  doit  avouer,  d'ailleurs,  que  pour  des  ins^ 
criptions  de  date  ou  de  provenance  incertaines,  émtes  dans 
des  idiomes  imparfaitement' connus,  la  distinction  rigoureuse 
des  dialectes  est  impossible ,  surtout  dans  line  famille  où  les 
traits  secondaires  sont  aussi  flottants  que  dans  le  groupe  sé- 
nntiqoe.  S'il  est  un  dialecte  qui  jôffire  une  anidog^  réelle  avec 
le  style  des  monuments  susdits,  c'est  le  samaritain. 

C'est  donc  aux  Juifs  que  nous  devons  tout  ce  qu'il  est  pos- 
iiUe  de  savoir  sur  l'ancien  idiome  araméen.  Sans  renoncer 
à  lliébreu  comme  langue  savante,  les  Juifs,  dès  l'époque  de 
la  captivité,  composèrent  en  araméen  des  ouvrages  importants, 
même  sur  des  sujets  sacrés  '.  Déjà  les  livres  bébreùx  écrits  ayant 
l'exil ,  nous  offrent  deux  très-courts  firagments  en  cette  langue  '  : 
i"*  dans  la  Genèse  (xxxt,  /17),  le  nom  de  I3r^3,  rendu  en  ara- 
méen par  Mnnntr  *)a^ ,  traduction  qu'il  faudrait  se  garder  de 
£aJre  remonter  jusqu'à  l'âge  patriarcbal ,  et  qui  n'a  de  valeur  que 
pour  l'époque  de  la  dernière  rédaction  du  Pentateuque ,  c'est- 
à-dire  pour  le  vin*  siècle  au  plus  tard;  a*"  dans  Jérémie  (x, 
1 1),  un  verset  qui  nous  représenterait  l'état  de  l'araméen  vers 

ftm  §t  latmei  de  VÉgypie,  t  II ,  p.  a5t  et  auiv.)  Je  dois  i  M.  Ifarîette  Tefllampage 
d*oiie  ÎDflcriptîdii,  rapportée  par  lui  d'Kg^te,  où  die  s^est  trouvée  jointe  à  des 
nooimients  du  temps  de  Darius,  et  qui  a  beaucoup  d^analogie  avec  cdie  du  me- 
nnmeDt  de  Garpeutras. 

'  /Lanâ,  Oêêirvaziom  nd  boitariiigoofimeo'^gixio  ehe  n  €omerva  a  CarpmUnuto 
(Roma,  i8a5)}  Gesenius,  MammmUa  pkœmeia,  p.  69  et  sniv.;  996  et  suiv.; 
cLBarÙÈëem^yiÊém.dêVAcad.dêêlmeript.etBeUêê'UttnB,  t  XXXII,  p.  787  et 


*  E«^,  GtÊcL  d»  V,  br.  m,  a*  partie,  p.  9o5. 

'  Les  anâens  noms  propres  syriens,  conservés  par  ies  historiens  hébreux,  ieb 
que  *iî3mn  1  l*?n^3i  n^oBrent  que  des  fonnes  purement  hébraïques. 


m» 


âOS  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Tan  ^00.  Mais  la  présence  de  e^  verset  aràméen  au  milieu  d'un 
ouvrage  hébreu,  sans  que  rien  ne  l'annonce  ni  ne  Texige,  est 
si  singulière ,  qu'on  est  tenté  de  croire  que  le  tafgum  a  été  par 
inadvertance  substitué  au  texte  pour  ce  verset  ^  La  forme  KpiK , 
pour  Kyr)K,  qu'on  y  trouve,  est  propre  aux  targums.  Le  dernier 
mot  de  ce  passage ,  hVk  ,  est  hébreu ,  et  semble  avoir  commencé 
un  verset  ;  tout  cet  endroit  porte  la  trace  de  quelque  erreur  du 
copiste. 

Le  plus  ancien  texte  suivi  que  nous  ayons  dans  la  langue 
à  laquelle  on  est  convenu  de  donner  le  nom  très -fautif  de 
ehaldéen  biblique,  ce  sont  les  fragments  que  Ton  trouve  dans  le 
livre d'Esdras  (iv,8 — vi^iSet  vii,i9 — vu,  116).  Quoique  la 
rédaction  définitive  de  ce  fivre,  comme  celle  des  Parsdipomènes 
avec  lesquels  il  fait  corps ,  ne  remonte  pas  au  delà  de  l'époque 
d'Alexandre ,  les  parties  chaldéennes  sont  évidemment  de  celles 
que  le  dernier  rédacteur  empruntait  à  des  documents  antérieurs 
et  contemporains  des  faits  rapportés  ^.  Nous  avons  donc  là  bien 
réellement  des  spécimens  de  la  langue  araméenne  au  temps 
de  Darius  fils  d'Hystaspe ,  de  Xerxès  et  d'Artaxerxès  Longue- 
Main,  c'est-à-dire  au  commencement  du  v*  siècle,  où  même 
à  la  fin  du  ?i*  siècle  avant  l'ère  chrétienne. 

A  partir  de  cette  époque ,  durant  un  espace  de  trois  cents 
ans  environ ,  nous  manquons  de  monuments  araméehs.  Il  faut 
arriver  au  livre  de  Daniel ,  composé  sous  l'influencé  des  persé- 
cutions d'Antiochus  Epiphane  (vers  cent  soixante  ans  avant  l'ère 
chrétienne)',  pour  en  trouver  de  nouveaux  spécimens.  Aussi 


'  La  dkpoàtion  des  nuiDuacritB  qui  renfarmelit  le  teite  hébreu  et  le  tai^fpuD 
expii^e  bien  cette  erreur..  Le  targum  y  mit  verset  par  verset  le  texte  hébreu ,  nos 
aucune  distinction. 

*  Ewald,  Geieh,  d,  V.  I$r,  I,  a&&  et  suiy.  ;  de  Wette,  EtMimg,  S  196  a. 

'  Aucun  doute  n^est  possible  à  cet  égard.  €onf.  'de  Wette,  EiMltmg,$9bb  et 
9  5  7  ;  de  Lengerke,  Dot  Bueh  IkuM  verdeutieki  wnd  amg^ltgt  (  Koenigsbery ,  1 8 35)  ; 


LIVRE  III,  CHAPlIl^RE  I.  203 

la  langue  des  parties  ckaldéennes  du  livre  de  Daniel  est^elle 
beaucoup  plus  basse  que  celle  des  fragments  ohàldëens  du  livre 
d'Esdras,  et  incline-t-^e  beaucoup  plus  vers  la  langue  du  Tel- 
mud.  On  y  trouve  des  mots  grecs  (^uXTi/pfosf,  svyjpoapiay  etc.), 
comme  on  trouve  dans  les. fragments  d'Esdras  des  mots  per- 
sans. Plusieurs  apocryphes  lurent  sans  doute  écrits  dans  la 
même  langue;  mais  les  Juifs  ayant  confondu  sous  un  seul 
nom  {iSpaûùni^)\Q  chaldéen  de  cet  Age  et  l'hébreu  proprement 
dit»  il  est  presque  toujours  difficile  de  décider,  en  Tabsence 
du  teitci  original,  quels  ouvrages  ont  été  écrits  en  hébreu,  et 
lesquels  en  chaldéen. 

C'est  une  questioii  fort  délicate  de  savoir  si  la  langue  Ara- 
méenne,  telle  que  les  Juifs  nous  l'ont  transmise,  doit  être  re- 
gardée comme  parfaitement  identique  à  l'idiome  qui  se  par- 
lait en  Aramée ,  ou  bien  comme  un  dialecte  corrompu  et  chargé 
d'kébraïsmes,  à  l'usage  des  Israélites.  La  vérité  parait  être  entre 
ces  deux  opinions  extrêmes^.  On  ne  peutdouter  que  les  Juifs, 
en  écrivant  l'araméen,  n'y  aient  porté  les  habitudes  de  leur 
<nthographe  (par  exemple,  emploi  de  n  pour  K  dans  une  foule 
de  cas),  et  introduit  même  des  formes  entièrement  hébraïques, 
comme  Thophal ,  qui  ne  se  trouve  dans  aucun  dialecte  araméen. 
Le  système  de  vocalisation  masorétique,  en  s'appliquant  aux 
fragments  d'Ësdras  et  de  Daniel ,  a  achevé  de  les  défigurer. 
Les  auteurs  de  la  ponctuation  ont  obéi  à  deux  tendances  éga- 


HilBg,  Dm  Buek  Damd  (Leipag,  i85o);  Ewald,  Die  Propheim  du  A,  Bmiâet, 
II ,  559  et  smY. 

>  nnlon,  au  contraire,  applique  flouvent  le  nàot  x^^<^^  ^  Thébreu  anden, 
sua  doute  parce  que,  peu  famitier  avec  les  choBes  orientaieB  et  ne  jugeant  des 
langues  que  par  l'alphabet,  il  prend  tout  ce  qui  n^est  pas  grec  pour  du  ekaidéen . 
(Cf.  Gesenius,  Gêtek,  der  Mr.  Spr.  p.  aSi.) 

*  Winer,  Granumatik  dm  bibl.  und  îargwn.  Chald.  p.  5  et  suiv.;  Furet,  hehr- 
gtb,  dtr  orom.  Idiome,  p.  3  et  suiv. 


80&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

iement  fâcheuses ,  ^  voulant  :  %"*  rapproeher  les  formes  dû 
chàldéen  biblique  du  diald^n  des  Targums,  au  moyen  de  ces 
innombrables  kerii  qui  chargent  sans  raison  les  marges  du  livre 
de  Daniel  ;  a""  modeler  la  ponctuation  du  chaldéen  sur  celle  de 
lliébreu;  exemples  :  "^Vd  pour.^^Vp,  nnDK  pour  n^DK  (Ari«  t, 
Lo);  n^in  pour  n^n  {Dm.  ii,  3i)»  etc.  Mais  on  ne  saurait  con* 
clure  de  là,  avec  H.  Hupfèld^,  que  le  chaldéen  des  luiis  ne 
fftt  qu'un  reflet  altëré  de  la  vraie  langue  araméenne^  pas  plus 
qu'on  n'est  en  droit  de  considérer,  avec  d'autres  philologues  \ 
les  particularités  précitées  comme  des  propriétés  grammaticales 
de  l'ancien  chaldéen.  En  l'absence  d'un  texte  indigène  qui  puisse 
servir  de  point  de  comparaison ,  toute  affirmation  à  cet  égard 
né  saurait  être  que  gratuite;  disons  seulement  que  l'opinion 
commune,  d'après  laquelle  le  chaldéen  biblique  serait  un  dia- 
lecte araméen  légèrement  hébraîsé,  nous  paraît  plus  conforme 
aux  lois  générales  qui  ont  rég^é  les  vicissitudes  du  langage 
parmi  les  Juifs. 

Le  manque  de  documents  authentiques  nous  interdit  égale- 
ment de  rien  prononcer  sur  la  division  et  le  caractère  des  dia- 
lectes araméens  avant  l'ère  chrétienne'.  Strabon  nous  atteste,  il 
est  vrai,  l'identité  des  deux  dialectes  parlés  en  deçà  et  au  delà 
de  l'Euphrate^;  mais  il  faut  avouer  que  les  différences  de  ces 
deux  dialectes  devaient  être  trop  délicates  pour  qu'un  étranger 
pût  en  être  juge  compétent.  Si  l'on  fait  al^straôtion  de  la  vocali- 

^  Thêol  SiMdùn  md  KriOcen,  III,  S91  et  soiv.  Cf.  L.  Hind,  D9  MUUÙÊmi 
bibUei  origme  H  auètoritate  critiea  (Lipsiœ ,  1 83o ). 

*  F.  Dieirich,  De  Hrmom  ehaUaiei propriekUe  (  Bfarburg,  1 938  )  ;  Wicheilttas , 
De  N,  T,  vere»  «yr.  onCipui,  p.  &  1  -49. 

">  DeWette,  £m2ràiii^, S  3s ;  Wmor»  BQd.  Reaimart.  Il,  p.  558,  aote  s,  et 
Grammatik  dee  hAL  fund  targum,  CkaMakmue,  p.  8-9;  Fûrat,  Lekrgtlb.  der  orom. 
Idieme,  p.  5  et  suîy. 

^  Edit.  Gasaub.  p.  58. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  I.  SOS 

satîon ,  élément  variable  et  peu  important ,  le  chaldéen  biblique 
et  le  syriaque  difièrent  si  peu  Fun  de  l'autre,  qu'il  est  presque 
superflu  de  leur  appliquer  des  noms  différents.  H.  Fûrst,  d'un 
autre  eôté»  semble  avoir  prouvé  que  c'est  la  langue  de  la  Syrie, 
et  non  celle  de  Babylbne ,  qui  nous  est  représentée  par  le  chal- 
déen biblique  ^  Cette  dernière  langue,  en  effet,  est  expressé- 
ment désignée  dans  la  Bible  par  le  nom  ê^araméen;  or,  la  Ba- 
byiimie  n'a  jamais  été  comprfôe  par  les  Hébreux  sous  le  nom 
d*iram. 

L'araméen  antérieur à^ l'ère cbi^tiennenous apparaît conune 
une  langue  relativement  plus  développée  que  l'hébreu,  mais 
bien  moins  noble  et  moins  parfaite.  Les  tours  y  sont  plus  clairs , 
plus  déterminés  ;  le  sens  y  est  moins  indécis  ;  mais  le  style  est 
lâche,  traînant,  sans  concision  ni  vivacité,  encombré  de  mots 
parasites.  On  sent  qu'une  grande  révolution  s'est  opérée  dans 
l'écrit  sémitique,  qu^il  a  gagné  en  réflexion  et  en  netteté,  mais 
perdu  en  hauteur  et  en  naïveté.  Ce  contraste  est  particulière- 
ment sensible  en  comparant  les  Targums,  ou  traductions  chal- 
déennes  de  la  Bible  faites  vers  l'époque  de  l'ère  chrétienne, 
au  texte  original.  La  langue  des  Targums,  on  ne  peut  le  nier, 
serre  la  pensée  de  plus  près  que  l'hâireu,  et  dit  mieux  ce 
qu'elle  veut  dire  ;  beaucoup  d'obscurités  ont  disparu  ;  une  foulé 
de  passages  ambigus  dans  le  texte  çont  ici  parfaitement  arrêtés. 
Mais,  par  combien  de  sacrifices  a  été  acheté  ce  mince  avan- 
tage 1  que  de  nuances  détruites  !  que  de  poésie  effacée  !  Nulle 
part  n'est  plus  sensible  cette  loi  qui  condamne  .les  langues  à 
perdre  presque  tous  leurs  caractères  de  beauté,  à  mesure 
qu'elles  se  prêtent  davantage  aux  besoins  pratiques  et  réfléchis 
de  l'esprit,  humain. 

C'était  une  thèse  généralement  reçue  dans  la  vieille  école , 

*  Yoîr  ô-deanu,  p.  i35. 


206  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

que  le  cfaaidéen  est  une  langue  plus  ancienne  que  Thébreu.  On 
s'appuyait  pour  le  prouver  sur  quelques  particularités  grammati- 
cales ,  telles  que  le  ^  conversif  hébreu ,  que  Ion  tire  du  verbe 
araméen  Kin;  sur  la  forme  des  noms  propres  archaïques  men- 
tionnés dans  la  Gen^e,  lesquels  se  rapprodbent  parfois  de  IV 
raméen  ;  suc  la  pauvreté  en  formes  grammaticales  et  sur  le 
caractère  monosyllabique  qui  distinguent  le  chakléen  el  le 
syrijtque;  enfin  sur  une  tradition  fort  répandue  chez  les  Juifs  \ 
les  Arabes^ ,  les  Syriens*  et  les  Pères  de  l'Eglise*,  d'après  la- 
quelle l'araméen  ou  le  syriaque  aurait  été  la  langue  du  pre- 
nlier  hmnoàe.  Cette  tradition  ne  mérite  pa»  d'être  discutée  : 
elle  doit  sans  doute  son  origine  aux  rabbins  qui ,  voyant  les 
faits  les  plus  anciens  de  la  Genèse  se  passer  aux  environs  de 
TAramée  et  Abraham  venir  de  la  Ghaldée ,  ont  conclu  que  k 
langue  primitive  ne  pouvait  être  que  le  chaldéen.  Quant  aux 
faits  grammaticaux  que  Ton  allègue,  ils  sont  loin  de  renfer- 
ma la  conséquence  qu'on  prétend  en  tirer.  Dans  le  langage 
de  la  philologie  moderne,  Tancienneté  d'un  idiome  signifie 
simplement  le  degré  de  développement  que  présente  cet  idiome 
dans  les  plus  anciens  monuments  qui  nous  en  restent.  Or,  la 
physionomie  générale  de  l'araméen  est  évidemment  celle  d'une 
langue  dévdoppée  plus  tard  que  l'hébreu  et  ayant  plus  lon- 
guement vécu;  ce  qui  n'empêche  pas  que  l'araméen  n'ait  pu 
conserver , des  traits  d'ancienneté  qui  manquent  dans  l'hébreu, 
à  peu  près  comme  le  latin,  postérieur  au  grec  par  son  rôle 


*■  s.  liQzzatto,  Ptolegomêni,  p.  86,  note;  Delifszch,  hntruny  p.  66-&7. 

*  Voir  les  témoignagos  reoMâUM  par  M.  Quatremèn^e,  ÈUtmin  mr  Im  IM»- 
témi,  p.  193  et  sniv. 

^  Voir  Aflsemani,  Bibl.  orient.  L  III,  i"  part.  p.  3i&;  Quatremère,  ihid. 
p.  91  etsuiv. 

*  Quatremère,  Und.  p.  ia4. 


n 


LIVRE  III,  GHAPIT&E  I.  307 

hûtorique  et  ses.  derniàres  tcansfonnations »  est,  en  un  sens», 
plos  archaïque  que  le  grec. 

S  n. 

Suivons  rhistoire  du  chaldéen  chez  les  Juifs,  puisque  aucun 
monument  ne  reste  pour  nous  attester  l'état  et  les  révolutions 
de  cette  langue  en  dehors  du  peuple  hébreu.  —  Le  dialdéen , 
tel  que  récrivaient  les  Juifs,  ver^  l'époque  de  l'ère  chrétienne, 
nous  est  bien  représenté  par  les  Targums  ou  paraphrases  de  la 
Bible ,  dont  les  plus  anciens  sont  ceux  d'Onkelos  ^  et  de  Jona- 
than.  Ces  Targums  paraissent  avoir  été  écrits  pour  la  plupart 
dans  le  siècle  qui  précéda  et  le  siècle  qui  suivit  la  naissance  de 
Jéaos-Gkrist.  Dès  une  époque  fort  ancienne,  on  sentit  le  besoin 
d'accompagner  la  lecture  du  texte  de  la  Bible  d'une  interpré- 
tatîao  vulgaire,  laquelle  devenait  parfois  une  glose  explica- 
tive, et  tendait  généralement  à  écarter  tes  difficultés,  à^adoucir 
les  endroits  considérés  comme  obscènes ,  à  favoriser  certaines 
opinions,,  surtout  les  idées  messianiques.  Quelques  exégètes 

■ 

>  On  a  cherché  différeates  explications  de  ce  nom  bixaire.  Je  suis  persuadé ,  pour 
ma  pari,  que  Dlbp^lX  (pour  Dl^pD^^K)  eai  une  abréviation  de  ^ofia  noXàv, 
tnàatABia  de  aïo  OV  »  nom  trèa-oo^pnoD  chez  les  Jnifii.  Afin  de  donner  à  ce  nom 
une  lermlnaiBon  masculine,  on  en  anra  fait  ÙvofiéxaXog,  forme  analogu/a  à  Ùpo- 
^âxpnog  et  ôyofiaxÀi?^,  et  justiûée  d*ailleurs  par  Tanalogie  du  nom  Schem-iob, 
On  comprend  que  Tm  soit  tombé  par  Fimpossibilité  de  le  prononcer  entre  n  et  )lr  ; 
OmMm  =  OnJUof  ;  de  même  que  ooMmaniortiis  est  devenu  D1*1Dlip  {EmUrw). 
Ce  qui  confirme  cette  ejplication ,  c'est  que  Onhekê  est  appelé  dans  le  Taknud  : 
OtdJoÊyfi»  de  Calomfme  {Avodazara,  foi.  1 1,  col.  i;  GiUm,  fol.  56,  col.  a).  Or, le 
■om  de  Gaknyme  (DID^^lVp  )«  très-commim  parmi  les  Juift  du  moyen  âge,  et 
qui  est  l'équivalent  de  5eA0m-fo6  ou  Ôpo^  nakàp^  passait  souvent  de  père  en  fils 
sons  la  ibrme  de  Sckem4ob,JU$  ék  Calomfme,  Le  Talmud  confond,  il  est  vrai,  à 
Tendroii  précité,  Onktbe  et  le  traducteur  grec  AquiUk  (d'7^P2^);  mais  cette  con- 
fusion est  comme  systématique  dans  te  Talmud ,  et  servit  peui-^Ére  à  éluder  For- 
donaanoe  de  Justinien  qui  obligent  lea  Juifs  à  faire  usage  de  hi  version  é^Afmia. 
(Gonf.  M^lf ,  BAI  Mrœa,  I ,  p.  968  çt  sniv.) 


208  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

ont  cru  voir  un  vestige  de  cet  usage  dans  le  livre  de  Néhé- 
mie  (viii,  8).  On  en  trouve  des  traces  beaucoup  plus  certaines 
dtas  le  Nouveau  Testament  :  le  verset  È>i  i/Xi  Xofiâ  oùSaxftctpi 
{Matih.  ixvii,  46)  est  cité  d'après  le  chaldéen.  U  est  probable 
que  Jésus  et  ses  pretniers  disciples  se  servaient  de  ces  traduc^ 
ttons  ;  peut-être  en  fotr-il  de  même  pour  Thistorien  Josèphe. 

On  admettait  généralement  jusqu'ici  que  la  langue  des 
Targums  représentait  à  peu  près  la  langue  vulgaire  de  la  Pa- 
lestine à  l'époque  du  Christ.  M.  Fûrsl^  a  élevé  contre  ce  seur 
timent  d'assez  graves  difficultés.  En  effet ,  la  paraphrase  d'On- 
kelos  est  le  plus  pur  monuinent  que  nous  ayons  de  la  langue 
araméenne^;  or  il  est  difficile  de' croire  que  le  peuple  de  la 
Palestine  parlât  un  idiome  aussi  dégagé  d'hâ)ra!smes.  La  langue 
de  Jonathan  est  fort  analogue  à  celle  d'Onkelos ,  un  peu  moms 
pure  cependant.  Au  contraire ,  l'idiome  du- Pseudo-Jonathan 
et  du  Targum  de  Jérusalem  est  très-altéré  et  plein  de  provb- 
ciaUsnâes  palestiniens'.  Quelques  autres  Targums,  ceux  des 
cinq  MegSOoih,  par  exemple,  sont  d'une  époque  beaucoup  pins 
moderne  et  postérieurs  au  Tdmud^. 

Pour  expliquer  ces  différences  de  style,  on  a  voulu  distin- 
guer dans  la  langue  ties  Targums  deux  dialectes ,  l'un  hahyhh 
mm,  représenté  par  le  Targum  d^Onkelos  et  celui  de  Jonathan  ; 
Ydxi\x^  fakètinien,  représenté  par  le  Pseudo-Jonathan  et  par 
le  Targum  de  Jérusalem^.  Mais  cette  hypothèse  ne  repose 

^  Fûrat,  Lihtfpk,  à/ÊT  aram.  Idiome ,  p.  5. 

*  Gopf.  MHner,  D$  (kMoio  ejtuqm  faraphtoii  eftoU.  (Ups.  i8io),  p.  8  et 
suiT.;  de  Wette,  EinkUmg,  S  58  et  S  3i,  notée. 

*  y^mér.  De  JiMoUMM  m  P^ntaL paraphr,  ckaUL  {Ex^^ 

termann,  DeMok  paraphnueo»  qua  JimaAtmiê  mm  dieitiir  (Bertin,  1899). 
'  DeWette,  EMtmg,  %  6ft. 

*  S.  Lumrtto,  Phâoxmmê,  mw  de  (Mdoêi  ckM.  Pua.  vtrt.  (Vienne,  i83o); 
Gesemus,  Gmek.  dtr  Mr.  Spr,  S  91  ;  Detitiscli,  /Minm,  p.  67. 


LIVRE  Jill,  CHAPITRE  I.  209 

sur  aiicun  fcndement  assuré,  et  nous  pensons,  avec  de  Wette, 
que  le  caractère  beaucoup  plus  pur  de  li(  langue  d'Onkelos  et 
de  Jonathan  ti^it  à  l'époque  plus  ancienne  où  ils  écrivaient,  au 
soin  qn'ib  prenaient  de  leur  style,  et  non  au  pays  où  ils  ont 
coiiqK>sé  leur  paraphrase.  La  différence  entre  la  langue  qu'on 
appelle  chaUienne  et  celle  qu'on  appelle  syriaque  n'est  guère 
qu'une  différence  de  prononciation.  D'une  part,  en  effet,  l'i- 
diome vulgaire  de  la  Palestine  est  nommé  synaque  dans  le  Tal- 
mud  S  et  divers  passages  ^e  Josèphe  nous  prouvent  que  les 
Juifs  et  les  Syriens  parlaient  la  même  langue^.  D'un  autre 
cAté,  les  mots  et  les  phrases  du  dialecte  vulgaire  de  la  Judée 
qui  nous  ont  été  conservés  dans  le  Nouveau  Testament  et  les 
écrits  de  Josèphe,  se  rapportent  à  la  prononciation  chaldéenne, 
et  non  a  la  prononciation  syriaque .  actuelle.  Ainsi  TaXtSà 
MoS(u^Mapa»aBd^  d6Sx,  etc.  Quelques  formes  cependant  sem- 
blent se  rapprocher  de  l'hâweu,  par  exemple  :  È(p^a6d:=:  nriBii 
{Mare,  vu,  34).  Ajoutons  que  plusieurs  des  expressions  ara- 
méennes  du  Nouveau  Testament  n'existent  pas ,  du  moins  avec 
le  même  sens,  en  syriaque  :  ainsi  les  mots  ÈXÏ  i/X)  hifià  aaêor 
xOctpi  [Matth.  XXVII,  /i6;  Marc,  xv,  34)  sont  transcrits  dans  la 
version  Peichiio  par  «AjJ(uaAJ^  jLufliï^^^i*)  ^^i*!,  et  ren- 
dus par  «Ajj^jaâ^j^  v^"^  ««oS^  ««oâs.  Dans  le  mot 
BooMpyi/ip  [Marc,  ni,  17),  la  racine  ui^  est  employée  dans 
un  sens  qu'elle  n'a  qu'en  chaldéen  :  la  version  Petehiio  a  dû 

rendre  ce  mot  par  :  JilttJ^f  4^1^,  vloï  jSpom^. 


1  Le  même  idiome  ert  appelé  n'^*11t^K*  Landau,  GeUt  und  Spraeke  der  Hê- 
hrm&Tf  p.  66-67,  note. 

*  Joseph.  Jk  USojwL  IV,  i ,  5;  ooof.  FAnt,  Uirgtb.  der  orom.  Idiome,  p.  5 
et  amY.  Jeaè^e,  en  on  endroit,  reconnaît  pourtant  Tinfluenee  du  bab^limim  sur 

b  lai^[{iie  des  Joifa  :  n(Uls  wapà  BtÊSvXontiofp  pM^^aBunétts t  t^uè»  (JUU^toOl) 
aMii9  jKoAoîHîfccy  (Antiq.  III,  fii,  a). 

I.  là 


SIO  HISTOIRE  DBS  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Nous  avons  déjà  fait  observer  que  le  dialecte  vulgaire  de^ 
Juifs  de  la  Palestine  >  (pioijQ[ue  plus  raj^roché  de  Taramëen 
que  de  Th^breu ,  était  désigné  par  les  Juifs  eux-mêmes  du  nom 
A^hébreu  :  éâpai<77/,  Tp  iêfMtS^,StaX4vrt^ ,  rp  ^marpi^  ^oipp^^  mais 
générabment  distingué  de  la  langue  sainte,  vipn  perb.  Il  y  a, 
ce  me  semble ,  beaucoup  d'exagération  dans  le  sentiment  de 
quelques  savants ,  qui  soutiennent  que  Thébreu  était  encore 
parlé  en  Judée  à  l^époque  de  Tère  chrétienne  ^.  On  peut  ad- 
mettre tout  au  plus  que  les  lettrés  pariaient  entre  eux  une  sorte 
d'hébreu  qui  était  à  l'hébreu  ancien  ce  que  le  latin  ecclésias- 
tique du  moyen  âge  était  au  latin  classique ,  une  langue,  en  un 
mot,  analogue  à  celle  de  la  Misehna'.  Le  Talmud  fait  parler 
en  chald^en  la  voix  céleste  qui  annonce  la  ruine  de  Jérusalem , 
et  nous  apprend  que,  dans  le  temple  même,  il  y  avait  des 
inscriptions  en  chaldéen  ^.  Le  (Aaldéen  enfin ,  opposé  au  grec 
et  aux  dialectes  grossiers  des  provinces,  devint  une  seconde 
langue  sainte ,  à  laquelle  on  voulut  trou¥er  dans  la  Bible  une 
sorte  de  consécration^. 

11  sera  difficile  de  résoudre  jamais  avec  .une  grande  rigueur 
cette  délicate  question  des  langues  de  la  Palestine,  vers  le 
temps  de  l'ère  chrétienne.  Dès  lors,  en  effet,  les  Juifs  fia- 
raissent  avoir  emqployé  simultanément  plusieurs  idiomes,  ou, 
pour  mieux  dire,  des  combinaisons  diverses  de  Thélureu  et  de 
l'araméen.  En  outre,  les  textes  qui  auraient  pu  nous  éclairer  sur 

'  Voir  plus  haut ,  p.  ilto. 

*  Fiîrst,  Ktdtur-  und  LUeraturgeickichte  der  Juden  m  Aiien,  p.  a&-98.  Je 
n'ai  pu  censuller  la  Getchichte  der  judûcKen  lÀteratur  m  Paltntma.und  Syrien, 
du  même  auleur,  ni  même  m^assurer  si  cet  ouvrage  a  paru.  S.  LuEzalto,  Prole- 
gùtn,  p.  96. 

*  Dukes ,  ùie  Sprache  der  Mùchnah ,  p.  10,  11. 

*  /W.  p.  4. 

-'  Midroêch  Rabba,  'jk. 


LITRE  m,  CHAPITRE  L  tll 

le  caraelère  de  la  langue  .parlée  à  cette  époque,  et  à  laquelle 
on  a  donné  le  nom  fort  impropre  de  mfro^kaldaïquê ,  ne  nous 
sont  parrenus  que  dans  des  traductions  grecques  ou  des  tra- 
dnetions  bâsraîques  :  tel  est  le  cas  pour  l'Histoire  de  la  guerrîs 
des  Juifs  de  Josèpbe^;  pour  la  Disw'»»^  nVac,  etc.  Quant  aux 
ouvrages  du  même  temps  qui  se  sont  perdus  tout  à  fait ,  le 
vague  des  expressions  par  lesquelles  les  Juifs  désignent  les 
dialectes  divers  de  leur  langue  écrite  ou  parlée  ne  permet,  le 
jkas  souvent,  aucune  détermination  rigoureuse  sur  la  langue 
en  laquelle  ils  étaient  ooipposés.  On  sait  pourtant  que  quelques- 
ans  de  ces  ouvrages,  tels  que  la  MegiUat  Taanit,  étaient  en 
<^ldéen. 

Dans  quelle  mesure  la  langue  grecque  était-elle  parlée  en 
Palestine,  conjointement  avec  le  syroH^haldaîque ?  Quelle  Ait, 
en  particulier,  la  langue  du  Christ  et  de  ses  premiers  disci* 
pies  ?  Ces  questions  ne  tiennent  pas  assez  intimement  à  uotfe 
sujet  pour  qu'il  soit  nécessaire  de  les  discuter  ici  ^.  Nous 
pensons  que  le  syro-chaldaîque  était  la  langue  la  plus  répan- 
due en  Judée,  et  que  le  Glirist  ne  dut  pas  en  avoir  d'autre  dans 
ses  entretiens  populaires^.  Il  est  certain,  cep^sdant,  que  tous 
les  monuments  primitifs  du  christianisme  qui  nous  restent, 
même  FEvangile  de  saint  Matthieu,  malgré  l'opinion  autre- 
fois généralement  répandue,  ont  été  écrits  en  grec.  Ces  ré- 
dactions diverses  n'ont-elles  pas  été  précédées  d'un  protévangile 
émt  en  syro-chaldaîque?  C'est  ce  qu'il  est  fort  difficile  de  déci- 


*  Proœm.  i  ;  conf.  Qmtra  Afion,  1. 1 ,  c.  ix. 

*  LB.  àeBMBi.DêlUlmguafreprmdi  Q^  17721);  Pfannknche, 
Udter  die  PaUnimiiehê  Landetêprache  m  dem  ZeUakar  Otriiti  und  àer  Apoitêh , 
dans  la  BAhoihèfUê  d'Ëichhoni,  part.  VIII,  p.  365  et  saiv.;  Wiseman,  Hortf 
tfft.  l'*  part,  append. 

3  EwMyJahrémêhétdefkibImêken  Wùmuelu^y  11,  p.  1 86  et  suiv.  (i85o). 

i/i. 


212  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

der^  —  Du  reste,  le  styie  du  Nouveau  Testament,  et  en  parti- 
culier des  Lettres  de  saint  Paul ,  est  à  demi  syriaque  par  le  tour, 
et  Ton  peut  affirmer  que ,  pour  ea  saisir  toutes  les  nuances , 
la  connaissance  du  syriaque  est  presque  aussi  nécessaire  que 
celle  du  grec.  L'habitude  de  porter  un  double  nom ,  connue  : 
Kti(pif  :^=  Uér pos,  Qa^ixaç  =  àiSuiJLOs\  TaSiOd  =  àopxàlgy  et 
plus  encore  laffectation  de  donner  aux  noms  hél^eux  une 
forme  hellénique ,  comme  :  Jamézzz,  Jason ,  Joieph  =  H^émffe, 
Saul  =  Paul,  prouvent  Tengouement  de  la  mode  bien  plutôt 
qu'une  pratique  usuelle  de  la  langue  grecque.  Les  dénomina- 
tions bilingues  des  lieux  publics,  comme  TaêSaOS  ^=  Ajd6- 
alpcoTov ,  la  triple  inscription  de  la  croix ,  l'usage  du  grec  dans 
les  décrets  et  les  actes  civils^,  n'attestent  également  qu'un  r61e 
officiel.  Josèphe,  liii-méme,  nous  apprend  que  ceux  de  ses 
compatriotes  qui  faisaient  cas  des  lettres  helléniques  étaient 
peu  nombreux,  et  que  lui-même  avait  toujours  été  empêché, 
par  l'habitude  de  sa  langue  tnaternelle,  de  bien  saisir  la  pro- 
nonciation du  grec  '. 

De  nombreux  témoignages  établissent,  du  reste,  que  la  Ga- 
lilée avait  un  langage  fort  différent  de  celui  de  Jérusalem^. 
Saint  Pierre  est  reconnu  à  son  accent  pour  Galiléen  (AfolM. 
XXVI,  73).  Un  passage  souvent  cité  du  traité  talmudique  Eru- 
bin,  attribue  à  la  corruption  du  dialecte  galiléen  la  défection 

*  n  est  remarquable  que  S.  Marc  seul  (t,  4i  ;  tii,  3/i;  if,  3&)  a  rhabiinde 
de  rapporter  les  paroles  du  Christ  en  syro-chiddaiqne.  S.  Matthieu  (xxtii,  &6  )  ae 
fait  peut-être  que  suivre  S.  Marc. 

*  Josèphe,  AntU  XIV,  x,  9;  XIV,  xii,  5;  Mischna,  GiUm,  vi,  8. 

^  Antt.  XX ,  sub  fio.  Ti^v  èè  ^épl  n^v  mpofpopà»  éxpISnar  wérpto€  ixèXvfft 

*  Cf.  Buxtorf,  laxkon  tabnmd,  rMm.  H  ehald.  s.  v.  V^Vs  et ooL  ^hf];  li^t- 
foot,  Horœhebndeœf  p.  i3i  et suiv. ;  Fûrst,  Lshrg^,  dtr  orom. Idiome, p.  i5*i6; 
Dukes  et  Ewaid,  Bêkrâg»  zur  Gaeh,  der  aU.  Àu»hg%mg,  p.  i&i. 


LIVRE  m,  CHAPITRE  L  213 

rdigîeose  de  ce  pays.  li  est  certain ,  du  moins  »  que  le  mouve- 
ment primitif  du  christianisme  se  produisit  comme  un  mou- 
rement  provincial ,  et  dans  un  dialecte  qui  paraissait  grossier 
aux  puritains  de  Jérusalem.  En  général,  les  premiers  disciples 
du  Christ  étaient  originaires  de  la  Galilée  et  de  Samarie,  deux 
pays  peuplés  en  grande  partie  d'étrangers  »  et  qui ,  sous  le  rap- 
port de  la  langue  comme  de  Torthodoxie ,  étaient  mal  £amés  à 
Jérusalem.  Toutes  les  particularités  que  nous  connaissons  du 
dialecte  gidiléen,  la  confusion  des  lettres  de  même  organe 
(3  =  1),  p  =  ^.),  Télision  des  gutturales,  la  fusion  de  plusieurs 
mots  en  un  seul,  etc.  rappellent  le  samaritain,  le  phénicien 
et  les  dialectes  du  Liban.  Peutrétre  la  langue  de  Jérusalem 
représentait^lle  mieux  le  chaldéen  proprement  dit,  tandis  que 
celle  de  la  Galilée  représentait  le  syriaque  ou ,  pour  mieux 
dire,  le  dialecte  maronite  avec  ses  habitudes  de  prononciation 
ouverte  et  mal  accentuée.  Assemani  et  M.  Quatremère  ^  ont 
prouvé  que  le  syriaque  resta  la  langue  vulgaire  dé  la  Pales- 
tine jusqu'à  une  époque  assez  avancée  de  Fère  chrétienne. 

S  III. 

Après  la  destruction  de  Jérusalem,  Babylone  devint  plus 
que  jamais  le  centre  du  judaïsme  ^,  et  le  chaldéen  contiqua 
d'être  la  langue  vulgaire  des  Juifs  dispersés  dans  tout  l'Orient. 
L'hébreu ,  si  l'on  peut  donner  ce  nom  au  langage  fortement 
aramalsé  de  la  Misehna ,  resta  pourtant  encore  la  langue  de  la 
théologie  pour  les  Tcmma,  ou  docteurs  mischniques ,  dont  lasérie 
s'étend  jusqu'au  iii*  siècle  de  l'ère  chrétienne.  Au  contraire, 
l'idiome  des  Amormm,  dçs  Sabarahn  et  des  premiers  Gueofim, 
qui  firent  la  gloire  des  écoles  de  Sera,  de  Néhardéa,  de 

'  BAL  oiittU.  I,  p.  171  ;  Mém,  êur  Im  Nabot,  p.  i3s  et  raiv. 

'  Cf.  FnnI,  CukiÊr'  und  LUêraturgtidUehiê  dêr  Jiidtn  m  Amen,  p.  1  el  stiiv. 


su  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Poumbedita,. jusqu'au  x*  siècle  de  notre  ère,  est  le  chaldéeo. 
Le  Taiinud  de  Jérusalem  (  iv*  siècle)  et  celui  de  Babylone  (  v^  siè* 
cle)  sont  rédigés  dans  cette  dernière  langue ,  si  Ton  peut  donner 
le  nom  de  langue  à  un  mélange  .de  tous  les  dialectes  parlés  par 
les  Juifs  aux  différentes  époques  de  leur  histoire,  et  chargé  de 
mots  et  de  formes  dont  la  pro¥enanoe  est  parfois  très^diflBcile 
è  expliquer. 

Les  questions  qui  nous  ont  tenus  en  sutt^OBs  à  propos  du 
chaldéen  biblique  et  du  chaldéen  targumique  se  reproduisent 
à  propos  du  chaldéen  talmudique*  La  langue  des  deux  Tal- 
muds  était-^Ue,  pour  les  Juifs,  un  idiome  savant  ou  un  idiome 
vulgaire?  et,  dans  cette  seconde  hypothèse,  faut-il  y  voir  la 
langue  de  la  Babylonie  au  nr*  çt  au  v'  siècle,  ou  seulement  un 
idiome  particidier  aux  Juifs  ?  Les  Talmudistes  eux-mêmes  di»* 
tinguent  nettement  la  latigue  de  la  loi,  ou  Thébreu  ancien  {}wh 
niir),  la  langue  dee  savants  (ona^n  ]wb)  et  la  langue  tmlgÊÙn 
(orin  ]W^)\  Si  l'on  entend  par  la  langue  des  savatUB  l'hébreu 
mischnique,  la  langue  vulgaùrt  serait  bien  le  chaldéen  talmu* 
dique.  Mais  il  se  peut,aussi  que  la  langue  des  savants  soit  le 
talmudique ,  et  que  les  mots  omn  ]wb  désignent  l'idiome  vul- 
gaire des  pays  divers  habités  par  les  Juifs.  Malgré  tous  ces 
doutes,  nous  croyons,  avec  M.  Fûrst^^  que  c'est  dans  les  deiu 
Talmuds ,  bien  plus  que  dans  les  Targums ,  qu'U  faut  chercher 
le  dialecte  vulgaire  des  Juifs  d'Orient,  durant  les  premiers 
siècles  de  l'ère  chrétienne  ;  autant  du  moins  qu'il  est  fenm 
de  conclure  d'un  monument  scolastique  à  un  idiome  vivant  et 
populaire. 

La  différence  sensible  qui  se  remarque  entre  la  langue  du 
Talmud  de  Babylone  et  celle  du  Talmud  de  Jérusalem  porte  à 

*■  Voir  à-dessus,  p.  1 49. 

'  Lehrg^Htude  dm-  amm.  idiotnê,  p.  17. 


LIVHE  m,  CHAPITRE  I.  245 

croire  que  ces  deux  textes  nous  représentent  deux  dialectes  dif- 
férents du  langage  vulgaire  des  Juifs ,  le  diale(^  babylonien  et 
le  dialecte  palestinien.  Cette  distinction  existe  même  dans  la 
pensée  des  Talmudistes,  qui  appellent  la  langue  de  Babylone 
»cmèm  (^OIn)  et  celle  de  la  Palestine  syriaque  (^0*110)^  Mais  il 
semble  que  si  la  langue  du  Talmud  de  Babylone  était  réelle- 
ment ridiome  particulier  des  indigènes  de  Hrak,  la  différence 
des  deux  dialectes  tahnudiques  serait  beaucoup  plus  tran- 
chée. Il  importe  d'observer,  d'ailleurs,  que  la  langue  du  Tal- 
mud n'est  nullement  homogène  :  toutes  les  nuances  de  l'idiome 
des  Juifs,  depuis  l'hébreu  pur  jusqu'au  chaldéen  le  phis  altéré 
s'y  retrouvent  :  les  compilateurs ,  en  réunissant  des  fragments 
d'époques  très-diverses,  ne  se  donnaient  pas  la  peine  d'eti 
changer  la  langue  pour  l'accommoder  au  style  général  de  la 
composition. 

Le  dépouillement  lexicographique  et  l'analyse  grammati- 
cale de  la  langue  talmudique ,  d'après  les  principes  de  la  phi-* 
lologie  jnoderne,  sont  encore  à  faire.  Certes,  l'étrange  barbarie 
de  ce  langage  et  le  mystère  dont  la  position  exiseptionnelle 
des  Israélites  devait  l'entourer  sont  bien  faits  pour  excuser  la 
négligence  des  savants.  On  ne  peut  nier,  cependant,  que  l'é- 
tude de  la  langue  des  Tahnuds  n'ait  une  véritable  importance. 
Cette  langue  remplit  une  lacune  dans  l'histoire  des  idiomes  sémi- 
tiques, et,  1ers  même  qu'on  l'envisagerait  seulement  comme 
un  dialecte  propre  aux  Juifs,  la  philologie  pourrait  en  tirer 
de  grandes  lumières  sur  la  langue  indigène  de  la  Babylonie. 
Il  n'est  même  pas  impossible  que  l'étude  des  inscriptions  eu- 
néîfohnes  assyriennes  reçoive  de  ce  cAté  quelque  secours  ;  un 

>  Dans  le  traiié  Nedanm,  66 ,  »,  on  fait  naître  un  quiproquo  entre  un  homme 
de  Babylone  et  une  femme  de  Jérusalem ,  parce  quMls  n^attachent  pas  le  même 
sens  à  un  même  mol. 


216         HISTOIRE  DBS  LANGUES  SÉMITIQUES. 

grand  nonai>re  de  radicaiu  que  possède  la  langoe  talnmdiqtte, 
et  qu'on  ne  trouve  ni  en  hébreu  ni  en  syriaque , 'paraissent 
avoir  appartenu  en  propre  à  Tlrak. 

Les  caractères  de  la  langue  tâimudique  sont,  au  fond,  ceux 
du  chaidéen,  mais  exagérés  et  dégénérant  en  superfétation  et 
en  caprice.  Une  scolastique  ténébreuse  y  multiplie  les  conjonc- 
tions composées  ( n3aVjr«)K,  quoique;  1  n^^M,  parce 

que,  etc.)  et  les  substantifs  abstraits.  Le  style,  tantôt  projixe  è 
l'excès,  tantôt  d'une  brièveté  désespérante,  manque  tout  à  fait, 
je  ne  dirai  pas  seulement  d'harmonie  et  de  beauté,  mais  de  rè- 
gle et  de  mesure;  la  pensée,  mal  gouvernée,  ou  ne  remplit 
pas  son  cadre  ou  le  déborde^  Une  foule  de  mots  étrangers, 
grecs,  latins,  ou  d'prigine  incertaine,  achèvent  de  faire  de  la 
langue  tâimudique  un  véritable  chaos.  Les  particules  surtout 
offrent  de  nombreuses  singularités  (k*i*13  a:iK,  à  cause  de; 
DiKinilte,  etJM^,  JTabard;  K3*iik,  au  contraire,  etc.).  Quant  aux 
formes  grammaticales,  quoique  moins  irrégulières,  elles  échap- 
pent souvent  à  toutes  les  analogies ,  et  semblent  justifier,  jus- 
qu'à un  certain  points  le  nom  de  langue  art^cidle,  qui  a  été 
donné  à  la  langue  du  Talmud,  comme  à  la  langue  rabbini- 
que^.  Ce  mot  ne  peut  signifier,  toutefois,  dans  le  cas  présent, 
une  langue  factice  ou  créée  pour  un  genre  particulier  de  spé- 
culation, comme  on  en  trouve  quelques  exemples  dans  les 
littératures  de  l'Asie  :  la  langue  des  Talmuds  a  évidemment  ses 
racines  dans  la  langue  usuelle  des  Juifs  de  Palestine  et  de  Ba- 
bykne;  mais,  toutes  les  fois  qu'une  langue  sort  ainsi  du  grand 
courant  de  l'humanité  pour  devenir  l'apanage  exclusif  d'une 
secte  ou  d'une  race  dispersée,  elle  tombe  fatalement  dans  l'ar^ 
bitraire  et  l'obscurité.  Les  langues  ont  besoin  du  grand  air 
pour  se  développer  régulièrement.  Ajoutons  que  la  scolastique 

'  Voir  ci-de«u8,  p.  i5/i. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  I.  217 

étrange  à  bqudle  le  chaldéen  judaïque  dut  servir  d'organe 
contribua  beaucoup  à  lui  donner  sa  physionomie  abrupte  et 
barbare.  Aucune  langue  n'aurait  résisté  à  une  pareille  torture. 
Cc»nhien  moins  une  langue  sémitique,  dont  le  génie  se  prétait 
si  pe«  aux  ceilibinaisons  réfléchies  et  au  raisonnement  I 

Le  chaldéen  resta  la  langue  écrite  des  Juifs  jusqu'au  x*  siècle 
de  notre  ère.  La  Masore  est  rédigée  dans  cette  langlie.  Au 
x*  siècle ,  le  chaldéen  judaïque  se  yit  dépossédé  par  l'arabe ,  et 
perdit  toute  existence,  même  littéraire.  En  effet,  quand  l'arabe 
cessa  à  son  tour  d'être  la  langue  des  Juifs,  au  xin^  siècle, 
ceux-ci  revinrent,  pour  leurs  compositions  savantes,  non  au 
chaldéen ,  mais  à  une  langue  calquée  sur  l'hébreu.  Cependant 
on  trouve  encore  quelques  ouvrages  écrits  en  chaldéen ,  par 
imitation  de  l'ancien  style  :  tel  est  le  Zohar,  dont  la  langue  est 
à  peu  près  la  même  que  celle  du  Talmud,  bien  qu'on  ne  puisse 
en  faire  remonter  la  rédaction  au  delà  du  xni*  siècle ,  comme  le 
prouvent  les  mots  romans  qui  s'y  rencontrent,  et  qui  semblent 
déceler  une  origine  espagnole. 

Jusqu'ici,  notre  exposé  de  l'histoire  des  langues  sémitiques 
n'a  guère  embrassé  que  l'histoire  de  la  langue  des  Juifs;  et 
pourtant  il  nous  reste  encore  à  parier  d'une  autre  branche  de 
la  bmille  israélite ,  je  veux  dire  des  Samaritains.  La  physiono- 
mie plus  araméenne  qu'hébraîipie  de  leur  langue,  jointe  à 
l'âge  relativement  moderne  des  monuments  qu'ils  nous  ont 
^transmis,  les  excluait  de  la  partie  de  cet  ouvrage  relative  au 
premier  ftge  des  langues  sémitiques. 

$IV. 

La  langue  et  la  religion  des  Samaritains  représentent  dans 
l'histoire  l'esprit  individuel  de  la  tribu  d'Ephralm^  La  Pales- 

*  JaynboU,  Camm,  m  hût  gmltk  iamaritanœ  (Leyde,  i846)/p.  6,  is,  etc. 


218  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Une  a  cela  de  commun  avec  la  Grèce,  la  Toscane  et  tons  les 
pays  qui  ont  vu  naître  des  civilisations  originales,  d'oilnr, 
dans  l'espace  de  quelques  lieues,  les  différences  de  caractère 
les  plus  tranchées.  Chacune  des  vallées  de  la  Grèce  avait  sa 
civilisation,  ses  mythes^  son  art,  sa  physionomie intelleetueile 
et  morale.  Une  critique  attentive  trouverait  peut-être  des  diffé- 
rences non  moins  sensibles  entre  chacun  des  cantons  de  la  Pa- 
lestine. La  prépondérance  tardive  de  la  tribu  de  Juda  n'effaça 
pas  ces  variétés  locales.  Éphralm,  avec  sa  montagne  de  Gari- 
zim ,  rivale  de  Sion ,  sa  ville  sainte  de  Béthel ,  ses  nombreux 
souvenirs  de  Tâge  patriarcsd,  était,  sans  contredit,  la  plus 
considérable  des  individualités  qui  luttaient  contre  l'action 
absorbante  de  Jérusalem.  La  rivalité  de  ces  deux  familles  prin- 
cipales des  Beni*-Israêl  date  des  époques  les  plus  reculées  de 

r 

leur  histoire.  Au  temps  des  Juges,  Ephralm,  par  le  séjour 
de  l'arche  à  Silo  et  par  son  importance  territoriale,  tint  vrai- 
ment l'hégémonie  de  la  nation.  L'idée  d'une  monarchie  Israé- 
lite faillit  un  moment  être  réalk^  par  Ephraîm  ^.  Après  k 
mort  de  Saûl ,  nous  voyons  cette  tribu  grouper  autour  d'elle 
toutes  les  tribus  du  Nord,  opposer  sans  succès  Isbosetb  h 
David ,  l'habile  et  heureux  champion  des  prétentions  de  Juda  ; 
puis,  après  la  mort  de  Salomon,  faire  enfin  triompher  ses 
tendances  séparatistes  par  le  schisme  du  royaume  d'Israël  et 
l'avènement  d'une  dynastie  éphraïmite  (976  avant  J.  G.  )^ 
Samarie,  bâtie  par  Omri,  vers  l'an  998,  devient  le  centre 
politique  de  la  fraction  dissidente,  et  lui  donne  son  tiom  ;  mais 
Sichem  (aujourd'hui  Naplouse)  en  resta  toujours  le  centre 
religieux;  et  c'est  encore  près  de  là,  au  pied  du  mont  Garizim, 

'  Tentative  d'Abimélek  {Juget,  ix). 

"   Les  prophètes  donnenl  souvent  au  royaume  dlsraël  le  nom  d^Éphraim.  (  h. 
VII,  9  et  suiv.;  Oëée,  iv,  17;  v,  9;  xii,  1  et  siriv.) 


.    LIVRE  IIL  CHAPITRE  I.  219 

q«e  se  cooserveni  les  derniers  restes  de  cette  finiction  du  peupie 
d'Israël ,  qui ,  si  elle  n*a  pas  eu  la  brillante  destinée  de  Juda , 
Ta  presque  égalé  par  sa  persévérance  et  sa  foi. 

Il  ne  semble  pas  que  le  royaume  d'Israël  ait  eu  d'abord  un 
dialeete  distinct  de  celui  de  Juda;  on  peut  croire  seulement  que 
le  dialecte  vulgaire  y  inclinait,  plus  qu'en  Judée,  vers  l'ara* 
méeo  \  Après  la  destruction  du  royaume  d'Israël  par  l'Assyrie 
(790  avant  J.  C),  les  colonies  amenéesde  la  haute  Asie  pour 
repeupler  le  pays,  y  apportèrent  une  langue  et  un  culte  com- 
plètement étrangers  aui  Israélites^.  U  parait  toutefois  que  ces 
bariare»  se  laissèrent  promptement  dominer  par  la  supériorité 
des  mdigènes ,  et  eurent  bientôt  adopté  la  religion  de  Jéhovah 
et  la  langue  d'Israël.  La  permission  de  retour  accordée  par 
Gyrus  s'appliqua  aux  dix  tribus  dissidentes  aussi  bien  qu'à 
la  tribu  de  Juda;  en  sorte  que  les  relations  des  populations 
de  la  Palestine  se  trouvèrent,  après  la  captivité,  à  peu  près 
ce  qu'elles,  étaient  auparavant^.  C'est  de  là  qu'on  peut  faire 
dater  l'existence  caractérisée  du  samaritain.  Cette  langue  n'est, 
au  fond,  que  l'hébreu  moins  pur  d^  tribus  du  Nord,  altéré 
par  deux  causes  :  i**  l'influence  de  plus  en  plus  croissante  des 
langues  araméennes  ;  a""  le  mélange  des  mots  non  sémitiques 
apportés  par  les  colons  étrangers. 

La  culture  littéraire  du  samaritain  ne  paratt  avoir  été  ni 
fort  ancienne,  ni  fort  brillante.  M.  Ewald^  suppose  que,  sous 
la  domination  des  Perses  et  sous  celle  des  Grecs,  il  y  eut  une 
série  d'historiens  samaritains  dont  on  retrouverait  des  débris 
incohérents  dans  la  Chronique  d'Aboulfath  et  le  livrf  de  Josué^, 

*  Voir  CMlèMOB,  p.  iSt. 

'  Bertheau,  Zur  Gê$ch,  lisr  l«r.  p.  358  et  suiv.;  4 00  «(  stiii. 
'  Ewald,  Gmek.  dm  V.  lar.  t.  lii,  3*  part  p.  too  «t  saiv. 

*  Ihii.  p.  S66-A7. 

^  Ce  livre  n*>i  rien  de  commun  avec  roiivrege  biblique  da  même  nom. 


330  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

ouvrages  composés  en  arabe  par  les  Samaritains ,  à  des  époques 
relativement  modernes.  Mais  il  faut  avouer  que  cette  antique 
littérature  aurait  laissé  bien  peu  de  traces.  La  version  du  Pen- 
tateuque ,  le  plus  ancien  des  écrits  samaritains  qui  nous  restent , 
version  que  la  plupart  des  critiques  rapportent  au  i"  siède  de 
noti'e  ère,  et  où  ce  trahit  f influence  du  Targum  d'Onkelos', 
présente  de  si  nombreux  arabismes,  qu'on  est  forcé  d'admettre 
qu'elle  a  subi  des  retouches  après  l'islamisme.  Un  savant  a 
même  osé  soutenir,  et  non  sans  de  bonnes  raisons,  qu'dle 
n'avait  été  composée  que  depuis  cette  époque^.  Les  hymnes 
publiées  par  Gesenius  sont  plus  modernes  encore,  et,  pour 
la  plupart,  certainement  postérieures  à  Mahomet'.  Les  livres 
historiques  que  posssédaient  les  Samaritains^  semblent  être 
perdus;  cependant,  il  existe,  dit- on,  à  Naplouse  quelques 
textes  inconnus  aux  savants  européens^. 

La  langue  dans  laquelle  sont  écrits  les  ouvrages  samaritains 
qui  nous  restent  est  un  dialecte  assev  grossier,  intermédiaire 
entre  l'hébreu  et  l'araméen,  et  caractérisé  par  l'irrégularité  de 
s(m  orthographe.  Le  trait  essentiel  des  patois  daùs  les  langues 

/  Gesenius,  De  Pèntatmichi samaritani origiinê ,  tnàoUy  auetoritaie (Habe,  1 8i5) ; 
Winer,  Ik  vériûmiê  PmUaL  êonutrit.  tnâole  (Lips.  1817).  Il  ne  faut  pas  confondre 
cette  venion  avec  le  texte  hébreu  du  Pentafeuqne  en  caractères  samaritains  qoe 
possèdent  aussi  les  Sançiaritains.  Ds  ont  en  outre  une  version  arabe,  feite  par 
Abou-Saïd  au  xi*  ou  xii*  siècle ,  diaprés  cdle  de  Saadia ,  et  que  publie  en  ce  moment 
M.  Kuenen  (t"  et  s*  livr.  Leyde,  i85i-5â).  Enfin  ils  paraissent  avoir  eu  une 
veraion  grecque  laite  au  11*  siècle,  en  Egypte,  et  calquée  sur  celie  des  Septante. 
(Voir  cependant  de  Wette,  Emkitimg,  %  hU  et  63  a.)  Toute  Texégèoe  samari- 
taine, connue  la  religion  samaritaine  elle-même,  n^est,  on  le  voit,  qn^une  contre- 
façon de  celle  des  Juifs. 

*  Frankd,  dans  les  Verhandbingm  der  entm  Venammhmg  inUtciher  OrimUt- 
tisto»  (Leipzig,  i8/i5)t  p*  10. 

^  Gesenius,  GormMaMmaràofia (lipe.  189&),  prsef.;  Juynboli,  op.  ciL  p.  61. 

*  Juynboli ,  Aid,  p.  55 ,  63 ,  etc. 

*  Robinson,  Palœitma,  III,  3s5,  397. 


r 


LIVRE  III,  CHAPITRE  I.  381 

sémitiques ,  je .  veux  dire  la  profusion  des  lettres  quiescentes 
et  la  permutation  des  gutturales  (k,  y,  n,  n),  s*y  retrouve, 
comme  dans  le  galilëen,  le  mendaîte  et  le  talmudique^  La 
prononciation  samaritaine  est  en  général  lourde ,  portée  à  con- 
fondre les  voyelles,  dominée  par  les  sons  ouverts  et,  en  parti- 
culier, par  les  sons  a  et  ouK 

La  copie  du  Pentateuque  hébreu,  en  caractères  samari- 
tains ,  se  distingue  par  les  mêmes  particularités  d'ortho- 
graphe que  le  dialecte  samaritain  lui-même  :  iirr^H  devient 

iMIfcn^V.  En  outre,  le  texte  se  rapproche,  dans  une  foule 
de  cas ,  du  texte  alexandrin  :  on  y  remarque  la  même  tendance 
À  adopter  la  leçon  la  plus  facile,  à  changer  certains  passages 
pour  écarter  les  difficultés  et  les  mots  obscurs.  C'est  ce  qui 
donne  une  grande  force  à  Topinion  de  Gesenius,  de  Wette, 
Ewald,  Hœvemick,  Winer,  JuynboU  et,  en  général,  des  cri- 
tiques modernes,  qui  placent  vers  Tépoque  de  Darius  Nothus 
ou  d'Alexandre  ^  au  moment  de  l'établissement  définitif  du 
culte  sur  le  mont  Garirim ,  l'introduction  du  Pentateuque  chez 
les  Samaritains;  contrairement  à  l'opinion  de  l'ancienne  école 
qui  croyait  que  l'existence  du  Pentateuque  samaritain  remon- 
tait au  schisme  des  dix  tribus ,  époque  où  le  corps  des  écritures 
hébraïques  n'avait  pas  la  forme  qu'il  offre  aujourd'hui. 

* 

*  Makrin,  dans  b  Cftrwfom.  mvibe  de  M.  de  Sacy,  I,  p.  il*  et  p.  3o3,  33a; 
Beojaimn  de  Todèle,  Itùmarium,  p.  39  (édit  Eltev.);  Fânk,  LàiÊrg.  àtr  otmm. 
IImnm,  p.  16-17. 

*  Bai^,  I«  SamarÛoMf  d«  iViflplMiM(Pari8,  i855),p.  55  etsuiv. 

'  On  s^eipliqiie  qoe  ks  SunaritainB  niaient  pas  adopté  les  antres  parties  da  canon 
jnif  :  ridée  d^nse  im^iration  uniforme  s*étendant  à  tous  les  livres  canoniques 
n^enstait  pas  à  cette  époqne.  Pour  Philon  de  même.  Moïse  seul  est  un  révâa- 
tenr;  les  prophètes  et  liagiographes  n'ont  qn'nne  inq[HFation  natnrdle,  comme 
celle  qa*il  s'attrilme  A  Ini-méme.  (Gonf.  de  Wetle,  KMnliMg,  %  x^a,) 


333  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Le  samaritain  resta  langue  vulgaire  jusqu'à  rînvasion  mu- 
sulmane. Vers  le  vui''  ou  le  ix''  siècle ,  il  fut  graduellement  al>- 
sorbé,  comme  tous  les  autres  dialectes  sémitiques,  par  l'arabe; 
mais  il  continua  d'être  compris,  et  même  écrit  en  certaines 
occasions  solennelles ,  par  les  prêtres ,  «ous  le  nom  d^kéhreu 
(  X^l^  )  ;  en  sorte  qu'à  partir  de  cette  ^oque~,  les  Samari- 
tains eurent  deux  langues  savantes  et  sacrées,  commentes  Juifs 
eux-mêmes.  Gomme  les  Juifs  aussi ,  ils  arrivèrent  à  opérer  une 
sorte  de  fusion  entre  ces  deux  langues  :  ainsi ,  les  coireapondances 
qu'ils  ont  entretenues  de  Naplouse  avec  les  savants  européens, 
Scaliger,  Huntington,  Ludolf,  M.  de  Sacy,  sont  écrites  dans 
une  sorte  d'hébreu  plein  d'aramaîsmes  et  d'arabismes^  Le 
même  mélange  s'observe  dans  quelques-unes  des  hymnes  pu- 
bliées par  Gesenius^.  Un  Essai*  de  grauunaire  samaritaine  et 
un  Traité  de  la  lecture  de  l'hébreu ,  écrits  en  arabe  au  \if  siè* 
cle ,  qui  se  trouvent  dans  un  manuscrit  d'Amsterdam  ',  seraient 
dignes  d'être  publiés.  Gomme  les  Juifs  et  les  Syriens ,  les  Sa- 
maritains écrivent  souvent  l'arabe  avec  lew  caractère  national, 
et  quelquefois»  à  l'inverse ,  le  samaritain  en  caractère  arabe  ^. 
Le  rhytbme  de  leurs  hymnes  est  tantôt  celui  des  Syriens, 
tantôt  celui  des  Arabes  ^. 

Gette  antique  branche  de  la  famille  sémitique  est,  de  nos 
jours,  à  la  veille  de  disparaître.  Les  persécutions,  la  inisère 

^  De  Sacy,  dans  les  Notices  et  Èxtrmtif  l.  XII,  p.  1 18.  Une  supplique  écrite 
dans  le  même  style  et  adressée  en  18(1  a  par  les  Samaritains  au  gouvernement 
français,  a  été  publiée  :  Awialeê  de  philotophie  chrétienne,  novembre  i853  ;  Rar^ 
gès,  op.  cit.  p.  35-36,  6A  et  suiv. 

*  Fr.  Ubiemann ,  Inêtàution9$  Unguœ  ëomaritanœ,  Prol<^.  p.  k? ui. 

^  Weijers,  Cotai.  Codd,  orient,  qui  in  BibL  hêt.  regii  Am$tdodami  asêtrmntur, 
p.  48. 

^  Juynboll,  op,  ctl.  p.  58,  59,  63,  etc. 

^  Gesenius,  Cartnina  «amanlmui,  p.  9. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  I.  333 

ei  le  prosélytisme  des  sectes  plus  puissantes  menacent  à  chaque 
instant  sa  frèie  existence.  En  1 8  s  o ,  les  Samaritains  étaient 
encore  au  nombre  d'environ  cinq  cents  ^  Robinson ,  qui  visita 
Naplouse  en  i838^,  n'en  trouva  plus  que  cent  cinquante. 
Dans  la  supplique  qu'ils  adressèrent  en  i8&a  au  gouverne- 
ment français.  Us  avouent  qu'ils  sont  réduits  à  quarante  fa- 
milles^. Le  vieux  prêtre  Schalmah  ben-Tabiah,  qui  correspon- 
dit avec  Grégoire  et  M.  de  Sacy,  vit  encore ,  mais  il  ne  paratt 
pas  qu'après  lui  la  connaissance  de  la  langue  et  des  traditions 
samaritaines  doive  se  continuer.  Les  nombreuses  émigrations 
de  Samaritains  qui ,  avant  et  après  l'ère  chrétienne ,  se  portèrent 
en  Egypte  et  en  Occident  ^,  n'ont  pas  laissé  de  postérité  ;  il 
est  probable  qu'elles  se  fondirent  dans  le  christianisme.  Les 
Samaritains  n'avaient  pas,  comme,  les  Juifs  leurs  frères,  cette 
pntfonde  ritalité  qui ,  même  après  que  les  sectes  ont  accompli 
leurs  destinées,  les  empêche  de  mourir. 

*  Notice»  et  ExtrmU,  t  XII,  p.  166. 
>  Péiœitina,  III,  397,  335. 

*  Bar^gès,  0p.  cit.  p.  69.  Il  faut  remarquef  pourtaat  qu^outre  les  Samaritaine 
de  Naploqse,  on  trouve  des  individus  de  la  même  secte  dûperaës  en  Palestine ,  eu 
Égjpte  et  en  Syrie. 

*  Juynboll,  op.  dt.  38  et  suiv.  ;  98  et  suiv. 


32&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 


CHAPITRE  IL 

L'ARAMAiSMB  PAÎBN  [NABATÉBNy  'SABIEn). 


S  I. 

Nous  avons  déjà  fait  observer  qu'on  ne  possède  aucun  mo- 
nument d*une  littérature  aramëenne  proprement  dite.  Tous 
les  textes  écrits  en  araméen  avant  Tère  chrétienne  appartien- 
nent aux  Juifs.  Le  développement  désigné  spécialement  comme 
syriaque,  et  dont  nous  aurons  bientôt  à  nous  occuper,  n'est 
araméen  que  par  la  langue  ;  pour  le  fond ,  il  est  purement  hellé- 
nique et  chrétien.  Ne  resterait-il  pas  cependant  quelque  trace 
d'une  cultuns  viaiment  araméenne?  Les  notions  que  nous  pos- 
sédons sur  les  Nabatiens  et  les  Sabiens  ^  les  livres  de  la  secte 
encore  existante  de  nos  jours  sous  le  nom  de  Noaûriem,  Sabiens 
ou  MendéxUes,  ne  recèleraient-ils  pas  quelque  souvenir  dune 
langue  et  d'une  littérature  indigène  de  la  Mésopotamie  et  de 
l'Irak  ?  C'est  ce  que  nous  allons  examiner,  en  profitant  des  sa- 
vantes redierches  de  MM.  Quatremère,  Larsow,  Kunik,  Ghwol- 
sohn  sur  ce  point  délicat  des  études  sémitiques. 

Le  nom  des  Nabatéenê ,  qui  désigna  d'abord  une  tribu  arabe 

'  Je  me  servirai  toujours  de  cette  forme  pour  reodre  le  nom  des  (jjol^  de 
I*Irak ,  afin  d^éviter  tonte  confusion  avec  les  Sabéens  (  H2tf  «  KID «  Lui')  de  Vknt- 
bie  méridionale  et  de  TEthiopie.  Cette  oonfusiim,  consacrée  par  les  noms  de  mh 
héitme  et  de  rêUgion  êobéêimt,  a  produit  bien  des  méprises. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IL    ^  225 

particulière ,  les  nns^  des  ëciivains^  hébreux  ^ ,  ne'  prend  une 
grande  importance  que  vers  Tëpoque  de  Tère  chrétienne.  Pour 
les  écrivains ^ecs  et  latins,  il  devient  alors  synonyme  d'^lroie». 
De  là ,  chez  les  géographes  aiiciens ,  d'étranges  variations  sur  les 
limites  du  pays  occupé  par  les  Nahatéens^  :  ce  pays  est  tantôt 
l'Arabie  du  Nord,  depuis  le  golfe  Pei:sique  jusqu'à  la  mer 
Rouge;  tantôt  Flrak  et  la  partie  de  TArabie  voisine  du  golfe 
Persique.  Les  écrivains  grecs  et  latinç  rangent  invariablement 
les  Nabatéens  parmi  les  Arabes  ;  les  écrivains  arabes ,  au  con- 
traire, identifient  à  peu  près  les  Nabatéens  et  lés  Syriens. 
L'edmographie  des  anciens  est  trop  vague  pour  que  cetjte  con- 
tradiction ait  beaucoup  d'importance.  Aux  yeux  de  l'histoire, 
le  développement  nabatéen  appartient  à  l'Aramée  :  l'Irak ,  où 
nous  le  voyons  localisé,  nous  apparaît,  dans  les  siècles  qui  pré- 
cèdent l'islamisme ,  comme  le  point  de  {iision  de  la  civilisation 
syrienne  avec  les  Arabes. 

Les  historiena  et  les  géographes  arabes  représentent  toujours 
les  Nabatéens  comme  un  peuple  savant  en  astronomie ,  en  agri- 
culture, en  médecine  et  surtout  en  magie;  quelquefois  même 
comme  les. inventeurs  de  toutes  les  sciences  et  les  civilisateurs 
du  genre  humain.  Or  il  est  tout  à  fait  hors  de  doute  que  les 
Nabatéens ,  dont  les  écrivain^  arabes  parient  en  ces  termes , 
sont  les  habitants  de  la  Ghaldée  et  de  l'Irak  '.  Il  est  certain , 
d'un  autre  côté,  que  le  nom  de  langue  nabatéerme,  chez  les 
auteurs  arabes  et  syriens ,  désigne  d'ordinaire  purement  et 
simplement  le  syriaque ,  on ^  pour  mieux  dire,  le  dialecte  orien- 
tal du  syriaque ,  qu'on  appelle  encore  de  lios  jours  chaldém  ^. 

* 

'  Ta«h,  KammêtUar  ûber  dk  Genen$  ;  ch.  izt,  v.  1-3  ;  Winer,  Gesenius,  t.  k.  v, 
'  Quatremère,  Métnoin  mr  2m  Nabatéenêf  i'*  et  a*  sect. 
''  IM.  p.  58  et  soiv. 

*  ÏM.  p.  91 ,  106  et  8Ùiv.;  LapBow,  De  diaket  Unguœ iyriacœ rtUqwù  {BeC' 
Un ,  1 84 1  ) ,  p.  7,  1 3 ,  sqq. 

j.  i5 


226  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Les  mots  nabatéens  qui  nous  ont. été  conservés  par  les  hisio^ 
riens  arabes  sont  presque  tous  syriaques.  Ce  n'est  pas  sans 
étonnement  qu'on  trouve  dans  lé  nombre  quelques  mots  grecs 
et  latins  ^ .  Mais  cette  singulière  confusion  s'explique  quand  on 
voit  que  le  nom  de  Naboléenk»  était  devenu  synonyme  de  fâien» 
et  d'EXXtyf  65 ,  comn^e  nous  le  verrons  plus  tard.  Les  mots  na- 
batëens  »  réciproquement ,  étaient  parfois  donnés  pour  des  mots 
grecs  ^. 

Quant  aux  renseignements  que  l'on  possède  sur  la  littéra- 
ture nabatéenne ,  ils  sont  d'une  remarquable  précision  en  ce 
qui  concerne  le  contenu  des  livres  et  le  nom  de  leurs  auteurs , 
mais  tout  à  fait  insuffisants  pour  la  détermination ,  même  ap- 
proximative, des  époques  où  ces  livres  furent  composés.  Nous 
savons  que  les  Nabatéens  possédaient  des  .ouvrages  d'agricul- 
ture, de  médecine,  de  botanique,  de  physique,  d'astrologie;, 
des  livres  spéciaux  sur  les  mystères,  sur  des  peintures  symbo- 
liques ;  un  livre  en  particulier  sur  les  aventures  de  Tammuz  ou 
Adonis  ;  des  traités  de  magie  et  d'enchantements  ;  des  ouvrages 
de  polémique  relatifs  au  culte  des  astres  et  au  monothéisme;  de 
nombreux  écrits  attribués  aux  patriarches  de  l'Ancien  Testa-^ 
ment,  Adam,  Noé,  etc.;  d'autres  que  l'on  prétendait  iiu^iiés 
par  le  soleil  et  la  lune;  de  petits  poèmes,  en  forme  d'épi- 
gramme,  sur  des  sujets  de  fantaisie^.  Le  seul  de  ces  ouvrages 
qui  nous  soit  parvenu  est  le  traité  intitulé  :  i^ftlaAjJl  à^MII  , 
ou  VAgrictitare  nabatéenne,  traduit  en  arabe  par  Ibn-Wah- 
schiyyah  le  Ghaldéen,  l'an  90&  de  notre  ère.  Il  est  surprenant 
qu'un  livre  aussi  important,  qui  renferme  des  documents  e^ 

'  Lanow,  ifricl. p.  is-iS,  15-17. 
'  Quatremère,op.  cit.  p.  io5-io6.      ' 

^  Bnd.  p.  108  et  suIy.;  Gonf.  Qm-Abi-Oceibia ,  UùL  dèt  médêciu,  c,  1,  traduit 
par  M.  Sanguinetti,  dans  \a  Journal  atiatiquê,  mars-avril  18&Â,  p.  s63. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  II.  227 

seatieis  sur  une  des  phases  les  plus  obscures  de  iliistoire  in- 
tellectaelle  de  TOrient,  n'ait  pas  encore  trouvé  d'éditeur. 

Toute  conjecture  sur  l'époque  de  la  compositioïi  de  ce  cu- 
rieux ouvrage  doit  être  interdite  jusqu'à  ce  qu'il  ait  été  pu- 
blié intégralement.  On  peut  croire,  en  effet,  que  le  texte  en  a 
été  remanié  et  complété  à  diverses  époques  ;  il  semble  que  le 
traducteur  arabe  lui-même  ne  s'est  pas  fait  faute  de  suivre  à 
cet  égard  l'exemple  de  ses  devanciers.  Dans  les  parties  que 
M.  Quatremère  a  examinées ,  ce  savant  orientaliste  n'a  rencontré 
aucune  citation  d'auteur  grec,  aucua  nom  de  villes  grecques, 
telles  que  Séleucie,  Gtésiphon,  etc. ,  aucun  trait  relatif  au  chris- 
tianisme; on  y  trouve,  au  contraire^  dé  nombreuses  mentions 
de  Ninive  et  de  Babylone  conmie  encore  existantes,  des  allusions 
aux  plus  anciennes  religions  de  l'Orient.  M.  Quatremère  en  con- 
clut la  haute  antiquité  de  l'ouvrage,  et  ose  même  le  rapporter 
aux  époques  florissantes  de  l'ancienne  monarchie  assyrienne. 
Ce  serait  sans  doute  un  phénomène  tout  à  fait  extraordinaire 
qu'une  littérature  scientifique  et  industrielle  se  développant  à 
une  époque  aussi  reculée.  Les  Sémites  purs  et  les  Ariens  au- 
raient cm  profaner  l'écriture  en  l'appliquant  à  ces  sortes  de 
sujets.  Avant  l'école  d'Alexandrie ,  aucune  branche  de  la  race 
arienne  n'a  eu  d'ouvrages  techniques  (les  poèmes  dans  le  genre 
de  ceux  d'Hésiode,  ni  même  les  ouvrages  des  anciennes  écoles, 
de  philosophie  ne  méritent  ce  nom);  quant  aux  Sémites,  si 
l'on  excepte  tes  Carthaginois  et  peut-être  les  Phéniciens ,  qui 
sortent  à  tant  d'égards  du  type  sémitique,  ils  lie  sont  arrivés  à 
ce  genre  de  littérature  que  vers  le  viii*  siècle  de  notre  ère  : 
jusque-là  il  ne  paraît  pas  que  ces  peuples  aient  envisagé  l'é- 
criture comme  pouvant  servir  à  autre  chose  qu'à  la  religion ,  à 
la  poésie,  à  la  philosophie,  à  l'histoire.  Les  Chinois,  au  con- 
traire, possèdent,  depuis  une  époque  reculée,  des  écrits  spé- 

t5. 


228  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

ciaux,  d'un  caractère  exact  et  pratique.  Peut-être  en  fut-il  de 
47iânie  pour  Babylone,  par  un  effet  du  caractère  industriel  et 
positif  des  Gouschites ,  qui  paraissent  avoir  fourni  le  premier 
fond  de  la  population  de  l'Irak.  Les  renseignements  que  les 
Grecs  nous  donnent  sur  ta  science  chaldéenne  répondent  parfai- 
tement à  ceux  que  les  Arabes  nous  ont  transmis  sur  la  science 
nabatéenne,  et  semblent  supposer  à  Babylone  un  centre  spécial 
de  travaux  dirigés  vers  les  mathématiques,  l'astronomie  et  les 
applications  usuelles,  deux  choses  tout  à  fait  antipathiques 
aux  instincts  primitifs  des  Sémites  et  des  Ariens, 

L'inexactitude  et  le  manque  de  critique  habituels  aux  écri- 
vains arabes  ne  permettent  pas,  du  reste,  de  prendre  trop  à 
la  lettre  ce  qu'ils  nous  disent  sur  le  compte  des  Nabatéens.  Il 
semble,  en  ^ffet,  que  dansl'idée  qu'ils  se  faisaient  de  la  litté- 
rature de  ce  peuple,  les  Arabes  ont  confondu  des  développe- 
ments essez  distincts^  bien  qu'analogues  par  certains  côtés. 
Ainsi ,  1  "^  on  peu^  croire  que  sous  le  nom  de  Nabatéens  ils  ont 
désigné  les  Syriens  non  convertis  au  christianisme,  et  en  par- 
ticulier l'école  païenne  et  hellénique  de  Harran.  Les  mots 
JLmÎ  )  et  ^U> ,  sont  donnés  comme  synonymes  par  les  lexi- 
cographes syriens^.  Tout  ce  que  nous  savons  des  études  de  Har- 
ran ^  s'accorde  parfaitement  avec  le  programme  des  études  na- 
batéennes.  M.  Larsow  a  très-bien  établi  que  les  mots  aramiens, 
nahatiem,  karranien»,  sabiens  étaient  souvent  employés  l'un  pour 
l'autre,  et  à  peu  près  synonymes  de  païens^,  La  plupart  des  ou- 
vrages scientifiques  attribués  aux  Nabatéens  appartiendraient, 

*  Larsow,  De  dialict,  Unguœ  iyriaeœ  reUquiù ,  p.  9-10.    • 

'  Voyez  surtout  BarhebreuB,  ChrotL  jyr.  p.  176-177  du  texte,  p.  180-181  de 

la  traduction. 

^  Larsow ,   op,  eit, .p.    11.    Il    est  remarquable   que    la   même   confusioii 

existe  en  éthiopien,  où  h/,^  (qram^en)  signifie,  à  la  fob  paSm  et  gnse.  (Conf. 

Ludolf,  Lex.  œth,  ».  k,  v.) 


LIVRE  ni,  CHAPITRE  II.  229 

dans  cette  hypothèse,  aux  Harraniens  :  les  ouvrages  sur  les 
mystères,  sur  les  peintures  symboliques,  sur  Tammuz,  etc., 
proviendraient  de  la  même  source.  —  d*  Peut-être  aussi  a-t-on 
placé  dans  la  littérature  nahâtéenne  quelques-uns  des  travaux 
traduits  du  grec,  ou  composés  par  des  Syriens  chrétiens  sur 
les  sciences  grecques,  au  vi%  vu*,  viii*  siècle,  ceux  de  Sergius 
de  Résaîn,  par  exemple  ^  —  3*  Il  se  peut  également  que  les 
Arabes  aient  regardé  comme  faisant  partie  de  la  même  littéra- 
ture quelques  ouvrages  de  Técole  syro-persane  neëtorienne,  qui 
excita  en  Perse,  sous  les  Sassanides,  un  assez  beau  mouve- 
ment d'études  philosophiques  et  théologiques ^.  Les  controverses 
relatives  au  culte  des  astres  et  au  monothéisme  sendïleht  ap- 
partenir à  «ette  école.  —  &''  Enfin ,  je  ne  doute  pas  qu'une  par- 
tie de  la  littérature  nabatéenne  ne  doive  être  cherchée  chez  les 
Sabieûs,  dont  les  restes  subsistent  encore  de  nos  jours  sous  le 
nom  de  Nasoréens,  Mendaîtes,  Chrétiens  de  Saint-Jean,  aux 
environs  de  Wasith,  de  Howaî^ah  et  de  Bassora.  Cette  dernière 
assertion ,  qui  est  la  base  des  idées  que  je  me  forme  sur  l'his- 
toire intellectuelle  et  religieuse  de  la  Chaldée,  demande  des 
développements  tout  particuliers. 

S  II. 

.  Et  d'abord,  sous  le  rapport  de  la  langue,  le  trait  que  les  Arabes 
donnent  comme  caractéristique  de  la  langue  nabatéenne',  la 
confusion  des  gutturales  n  et  n ,  K  et  y ,  est  aussi  le  fait  do- 
minant de  la  langue  des  Mendaîtes.  Sous  le  rapport  litté- 

*  Les  manuflcrits  du  Musée  britannique ,  relatifs  à  la  science  syriaque  de  cette 
éfotfoe,  ont  une  grande  andogié  avec  ce  que  nous  connaissons  de  la  science  des 
Nabaléens.  (Voir  dans  le  Journal  aaiatique,  avril  1869,  la  description  de  quel- 
ques-uns de  ces  manuscrits.) 

*  Gonf.  Assemani,  BAtioth.  orient,  L  III,  i**  part  p.  199-193,  aig,  639. 
^  Qoairemère,  op.  eit,  p.  100,  io3. 


230  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

raire,  les  ressemblances  entre  ce  qu'on  raconte  des  Nabatéens 
et  ce  que  nous  savons  des  livres  mendaites  soiit  bien  plus 
frappantes  encore.  L'habitude  d^attribuer  des  ouvrages  à  Adam 
et  aux  patriarches  se  retrouve  des  deux  côtés;  le  caractère  as- 
trologique et  magique  de  la  littérature  nabatéenne  convient  à 
merveille  aux  ouvrages  que  nous  possédons  des  sectaires  de 
Bassora.  Les  noms  d'auteurs  nabatéens  qui  nous  sont  connus  ^ 
et  qui  semblent  se  rattacher  les  uns  au  persan  ^  les  autres  au 
sémitique,  offrent  en  cela  la  plus  grande  analogie  avec  ceux 
des  Mendaîtes.  Il  est  vrai  que  les  livres  de  ces  derniers  trahis* 
sent  une  rédaction  postérieure  à  l'islamisme ,  et  que ,  par  leur 
extravagance,  ils  ne  répondent  guère  à  ce  qu'on  rapporte  du 
caractère  scientifique  et  positif  de  la  littérature  nabatéenne. 
Mais  d'abord,  il  est  certain  que  les  livres  mendaîtes  que  nous 
•possédons  ne  sont  qu'un  remaniement  de  textes  plus  andens  e,t 
probablement  plus  sensés  ;  en  outre ,  l'Orient  associe  parfois  la 
scimce  fantastique  et  la  science  véritable  dans  des  proportions 
qui  sont  pour  nous  un  mystère  ;  il  n'est  pas  impossible  qu'à 
une  doctrine  exacte  et  digne  de  la  Grèce ,  les  Nabatéens  aient 
associé  de  folles  imaginations  comme  celles  qui  remplissent  le 
Lwre  d'Adam  des  Mendaîtes. 

Ce  que  les  Grecs  et  les  Latins  nous  rapportent  de  la  science 
chaldéenne  présente  le  même  caractère  de  science  tantôt  réelle , 
tantôt  chimérique.  Sans  croire  outre  mesure  à  la  valeur  d'un 
mot  qui  servit  évidemment,  vers  l'époque  romaine,  k  cou- 
vrir le  plus  grossier  charlatanisme,  il  me  semble  difficile  de  ne 
pas  admettre  en  Ghaldée  un  certain  développement  sérieux  de 
sciences  mathématiques  et  astronomiques^;  les  poids,  les  me- 

'  Quatremère,  i6ti2.  p.  108,  119. 

*  Gastronomie  et  ia  médecine  du  Taimud  ont  lepr  source  dans  la  science  chal- 
déefme ,  nabaîéetme  ou  iahienne  de  la  Babylonie ,  et  fourniraient  pour  en  reconstruire 


LIVRE  Iir  CHAPITRE  IL  331 

sures ,  peut-4tre  les  notions  les  plus  essentielles  de  la  supputa- 
tion des  temps ,  sont  d'origine  babylonienne.  Tout  cela  suppose 
une  littérature,  qui  fut  sans  doute  sémitique  par  la  langue, 
quoique  non  sémitique  par  le  génie.  Or,  cette  littérature  je 
l'identifie  avec  celle  que  les  Arabes  attribuent  aux  Nabatéens  ' . 
Les  livres  chaldéens  cités  par  Bardesane  ^,  par  Moïse  de  Kho- 
rêne',  si  vivement  réfutés  par  saint  Ephrem^,  sont  pour  moi* 
des  livres  nabatéens.  Les  traditions  chaldéennes  qui  avaient 
cours  dans  l'antiquité  sous, le  nom  de  Béra^e^  provenaient,  ce 
me  semble ,  de  la  même  source.  Certes  la  critique  a  tout  droit 
de  suspecter  les  compositions  dé  l'époque  alexandrine,  qui, 
sous  4es  noms  de  Bérose ,  de  Manéthon ,  de  Sanchpniaton ,  pré- 
tendent nous  représenter  de  vieilles  littératures  disparues  pour 
jamids.  l^ais  il  est  incontestable,  d'un  autre  côté,  que  ces  lit- 
tératures ont  existé ,  et  que  les  misérables  compilations  dont 
nous  venons  de  parier ,  au  milieu  de  contre-sens  ^  d'impos- 
tares  sans  nombre ,  renferment  des  souvenirs  plus  ou  moins 
exacts  des  civilisations  tle  la  Ghaldée,  de  l'Egypte,  de  la  Pbé- 
nicie.  Il  faut  se  rappeler  que  ,•  dès  l'antiquité  la  plus  reçu* 
lée ,  on  a  écrit  en  Orient ,  et  qu'à  l'exception  peut-être  de  la 
Chine  et  de  l'Inde,  il  n'est  pas  un  seul  pays  de  l'Asie  pour 
lequel  nous  touchions  la  première  assise  du  travail  littéraire. 

Tédifice  de  précieux  renseignemento.  Voir  Fûrst,  Kuttur-  und  LUeraturgmchiclUe 
lier /mZm  m  ^nm ,  p.  &  0-5  9 . 

'  (kmf.  Kunik ,  BtéUnngu  anatàque»  de  TAcadémie  de  Saint-Péterabodrg ,  p.  679. 

*  Yeir  on  fingment  de  Bardefene,  que  j^ai  publié,  diaprés  un  psaDutcrit  du 
Musée  britannique  (/ournoi  asûu.  avril  iSSa). 

^  Par  exemple,  1;  I,  append.  p.  i35,  édiL  Levaillant.  En  général,  cependant. 
Moue  ne  die  les  'Ghfddéens  que  d'aprèsies  Grecs. 

*  AflMm.  BSbi.  oriênL  I ,  p.  1  aa  et  suhr.  On  trouve  un  grand  nombre  de  trai- 
tés omÈra  CkaUœo»,  composés  par  des  Syriens  chrétiens. 

*  Ce  nom  est  évidemment  le  nom  persan  Finmi;  Ut^ttl^s^  chei  les  Byiantins  ; 
Bérozê^  chei  les  Arméniens. 


232  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Partout  les  plus  anciens  documents  que  nous  possédions  en 
supposent  d'autres  plus  anciens  encore.  Si  de  grandes  précau- 
tions sont  commandées  dans  l'œuvre  difficile  de  reconstituer  la 
haute  antiquité  avec  des  rentes  altérés  et  souvent  falsifiés,  S 
serait  tout  à  fait  contraire  à  la  bonne  critique  de  prétendre  que 
ces  monuments,  relativement  modernes  pour  la  forme,  ne  nous 
font  point  atteindre,  pour  le  fond,  une  époque  antérieure  à 
cdie  de  leur  composition.  -Pourquoi  douter  de  l'existence  d'une 
littérature  en  Ghaldée,  quand  nous  voyons  en  Perse,  sous 
les  Arsacides  et  les  Sassanides,  un  remarquable  mouvement 
intellectuel  ;  quand  nous  voyons  Moïse  de  iQiorène,  si  crédule , 
mais  si  honnête,  s'en  référer  à  de  vastes  dépôts  d'archives 
chaddéenneS)  syria(}ues,  persanes  \ 'et  citer  sans  cesse  des  ou<- 
vrages  écrits  dans  ces  différentes  langues  longtemps  avant  lui  ? 
Enfin  la  religion  établit  entre  les  Nabatéens  et  les  Mendaîtes 
actuels  une  frappante  identité^.  Les  Nabatéens, ^i  effet,  sont 
généralement  rattachés  par  les  Arabes  à  la  religion  sabienne'. 
Or,  depuis  les  travaux  de  M.  Ghwolsohn ,  qui  ne  sont  encore 
connus  que  par  les  intéressantes  conununications  de  M.  Kunik^, 
il  n'est  guère  permis  de  douter  que  les  restes  de  la  religion 
sabienne  ne  doivent  être  en  grande  partie  cherchés  dans  les 


*  M.  Layard  a  découvert,  dans  le  palais  de  Koyouojik,  une  salle  qu*il  suppose, 
non  sans  raison,  avoir  été  un  dépôt  d^archives.  Rapproches  les  hatnhxa}  iiÇfQépat 
consultées  par  Ctésias,  et  le  passage  du  livre  à^Either,  u,  a3.  

*  Ce  rapprochement  n^a  pas  échappé  à  Tauteur  du  Kitâb  eUFihritt  :  i  jlS^h 


f  Jj^^ftS^  «JL?*  /Sa»  Aj|.  (Ms.  suppl.  arabe,  i/ioo',  fol.  9i&  v,)  Je  dois  la 
connaissance  de  ce  passage  à  une  communication  de  M.  Ghwolsohn. 

^  Quatremère,  op,  cil,  p.  63. 

^  Mélangée  atiaUquei  de  TAcadémie  de  Saint-Pétersbourg,  1. 1,  p.  63 1,  685. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IL  233 

livres  des  Mendaîtes^  Le  sabisme  lui-iiiéiiie ,  ainsi  nommé  à 
cause  des  fréquentes  ablutions  en  usage  dans  la  secte  ^,  ablu- 
tions qui  furent  peut-être  l'origine  de  la  faveur  qu'obtint  le 
btq^téme  diez  les  Juifs  à  l'époque  de  Jean  le  Baptiste  et  du 
Gbnst,  n'était  qu'un  débris  de  l'ancienne  religion  chaldéenne, 
fortement  altérée  par  le  mélange  des  idées  avestéennes  ou  gnos- 
tiques'.  Celte  religion  parait  avoir  joué  un  rÀle  important  dans 
l'histoire  du  gnosticisme,  et  avoir  même  compté  parmi  les 
sçctes  gnostiques.  Je  pense,  pour  ma  part,  que  les  Elchasattes, 
sur  lequels  les  OiXooo^oJ/xeva,  récemment  découverts  et  attri- 
bués (avec  raison,  selon  moi)  à  Origène^,  nous  ont  donné  de 
si  curieux  détails ,  n'étaient  autres  que  les  *  Sabiens  ou  Men^ 
daîtes.  Les  noms  de  leurs  révélateurs,  ÂX^ao-a/ et  Soêiaf ,  leurs 
pratiques  religieuses,  leurs  idées  sur  les  anges,  leur  théur- 
gie ,  conviennent  parfaitement  aux  sectaires  de  Bassora  ^.  C'est 
peut-étre>du  sein  de  la  même  école  que  sortit  Manès  et  le 
nianichéisme^.  Plus  tard,  au  vn* siècle,  nous  voyons  Mahomet 
fort  préoccupé  des  Sabiens  (^jpA^UâJi);  le  Coran  (ii,  89;  v, 
73,  XXII,  17)  les  place  pamd  les  peuples  qui  ont  une  révé- 

^  U  faudrait  également  tenir  compte  des  diverses  sectes  païennes  et  empreintes 
de  manichéisme,  encore  aujourdlmi  subsistantes  dans  la  région  du  Tigre  et  de 
ITophrate,  Schemsiés,  Jézidis,  adorateurs  du  feu  à  Diarbekir,  et  peut-être  No- 
sairieoB. 

*  Kunik,  op,  eii,  p.  6/17,^  653. 

^  ^ftdi  »  ou ,  diaprés  Toribographe  du  dialecte  mendaîte,  JLd}  >  Muêre,  bapti- 

Uare';  en  arabe  jJLkAàlî,  oî  Pai^ti6fUPou 
,  *  Édit  Miller,  p.  392  et  suiv. 

^  Tai  développé  ce  sujet  dans  le  humai  oiiatique  (nov.-déc.  i85d).  J^ai  appris 
depuis  que  M.  Ghwolsohn  était  arrivé  de  son  côté  au  même  résultat,  et  d'une 
manière  plus  démonstrative,  par  un  passage  du  Kitâb  el-Fikritt,  où  le  fondateur 
de  la  secte  des  MagUmla  est  nommé  ^^^»I  ou  ^«wJi  ==  AX^otoai  (  ms.  dté ,  foi.  9 1 U 
I.  i3). 

*  Le  Kitâb  ei-FikriMi  h\i  lui-même  ce  rapprochement  (fol.  91/i  v.). 


234  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

iation,  et  qu'il  fant  tolérer  au  même  titre  que  les  juifs,  les 
chrétiens  et  les  mages.  Leis  -spéculations  astrologiques  et  astro- 
nomiques, qui  étaient  en  très-grande  faveur  parmi  eux,  les 
firent  généralement  envisager  par  les  Arabes  comme  adorateurs 
des  astres.  Les  Arabes,  d'ailleurs,  en  vertu  d'une  idée  précon- 
çue et  assez  peu  justifiée  par  les  faits,  s'imaginant  que  Tastro- 
lÂtrie  avait  dû  être  la  religion  primitive  du  genre  humain, 
répandirent  Topinion  que  le  sabisme  était  la  plus  ancienne  des 
religions ,  et  qu'il  fut  un  temps  où  le  genre  humain  tout  en- 
tier était  sabien  K  Sabisme  devint  ainsi  synonyme  de  paganisme 
dans  TusagQ  des  écrivains  arabes  et  juifs,  surtout  de  Schah- 
ristani  et  de  Moïse  Maimonide.  Dans  la  traduction  arabe 
du  roman  de  Josaphat  et  Barlaam ,  le  mot  ZtXhivss  -est  rendu 
par  y^UaJl  2. 

Un  fait  singulier,  et  peut-être  unique  dans  l'histoire  de  l'es- 
prit humain,  vint  ajouter  encore  à  la  confusion  de»  sens  du 
mot  sabien.  On  sait  que  là  ville  de  Harran  ou  Garrhes  con- 
serva, jusqu'à  une  époque  très-avancée  du  moyen  ftge,  ia  tra- 
dition du  paganisme  et  de  la  science  hellénique ,  ce  qui  la 

fit  surnommer  ÉXXi/v^ttoXi^,  JlAj,di*9  jj^ju^te  (la  ville  des 

païens).  Or  le  khalife  Mamoun,  ayant  fait,  en  l'an  83o,  un 
voyage  à  Harran,  fot  surpris  et  mécontent  de  trouveir  dans 
cette  ville  une  religion  particulière ,  et  demanda  avec  colère 

^  Le  système  des  écrivains  arabes  à  cet  égard,  dév€loppé  par  Maimonide  dans 
le  Mcré  Nehaukm,  fut  admis  de  confiance  par  piusieurs  savants  du  xvli*  et  du 
xviii*  siède.  On  n'a  pas  assex  reqoarqné  que  tout  ce  qui  a  été  dit  sur  le  tabéÎMméj 
ou  culte  prétendu  des  astres,  repose  uniquement  sur  cette  fragile  base. 

'  Kunik,  p.  680;  Larsow,  p.  10-11.  C'est  sans  doute  par  une  confusion  ana- 
logue qu'Ibn-Kbaldoun  appelle  YAgrieuliure  nabatéérme  un  lwr$  det  Grect  (Qua- 
tremère,  p.  1 19.  et  suiv.).  Dans  les  traductions  du  grec  en  syriaque,  ËilAntrec  est 

souvent  rendu  par  ^.iâOÛPfilw  (geniei). 


LIVRE  m,  CHAPITRE  IL  S35 

aux  Harrafiiens  s'ils  étaient  juifs ,  chrétiens  ou  sectateurs  de 
quelque  autre  religion  mentionnée  dans  le  Coran.  Les  Harra- 
niens ,  dans  l'embarras,  se  rattachèrent  au  sabisme ,  mot  vague 
qui  ne  les  compromettait  pas ,  et  qui  était  déjà  devenu  à  peu 
près  synonyme  d^hetUnimne  ou  de  paganisme.  Ces  sortes  de  dé- 
guisements ne  sont  pas  rai'es  chez  les  sectes  secrètes  de  l'Orient  : 
les  Méndaltes  eux-mêmes  ayant  eu  besoin,  à  une  certaine 
^>oque,  de  se  faire  passer  pour  chrétiens,  substituèrent  des 
personnages  de  la  Bible  à  ceux  de  leur  mythologie. 

Ainsi  apparaît  dans  l'histoire  une  nouvelle  fatmille  de  Sa- 
biens ,  qui  n'a  rien  de  commun  que  le  nom  avec  la  véritable 
descendance  des  anciens  Sabiens.  M.  Ghwolsohn  et  M.  Kunik, 
à  qui  j'emprunte  le  récit  précédent  ^ ,  semblent  supposer  que 
,  les  Harraniens,  en  se  donnant  le  nom  de  Sabiens,  savaient 
qu'ils  prenaient  le  nom  précis  de  la  secte  actuellement  connue 
90US  le  nom  de  Mendaîtes.  Mais  il  est  probable  que  les  Harra- 
niens ignoraient  l'existefnce  de  cette  secte,  ou  qu'ils  ne  lui  ap- 
pliquaient pas  le  nom  de  Sabiens.  Ce  mot  avait,  sans  doute, 
perdu  pour  eux  sa  signification  spéciale ,  et  ils  le  prenaient 
dans  le  Coran,  sans  trop  savoir  ce  qu'il  désignait.  M.  Chwol- 
sohn  *^  regarde  l'acception  vague  du  mot  Sabiens  employé  dans 
le  sens  de  pmens  comme  postérieure  à  l'adoption  qu'en  firent 
les  Harraniens.  Mais  je  pense  que  cette  extension  de  signifi- 
cation s'était  opérée  antérieurement,  et  que,  quand  les  Har- 
raniens se  placèrent  dans  la  catégorie  des  Sabiens ,  ils  ne  fai- 
saient pas  bien  fortement  violence  au  langage  reçu.  Le  nom 
de  Sabiens  était  devenu  une  .sorte  de  cadre  large,  ou  tout  le 
inonde  trouvait  à  se  placer. 

L'influence  que  cette  école  è  demi-chaldéenne  et  à  demi- 

*  Kunik,  p.  656-57- 
>  IM.  p.  666. 


236  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

hellénique  a  exercée  sur  la  science  arabe ,  et  par  suite  sur  le 
développement  général  de  Tesprit  humain,  n*a  point  été  assez 
aperçue.  Je  pense  que  les  notions  fabuleuses  qu'on  lit  dans  les 
auteurs  musulmans,  et,  en  particulier,  dans  Ibn-Abi-Oceibia 
et  dans  le  Tarikh  el-hokamâ,  sur  les  origines  mythologiques  de  * 
la  science  et  de  la  philosophie  helléniques ,  notions  dont  on 
chercherait  vainement  la  trace  dans  les  auteurs  grecs '^  sont 
d'origine  sabienne  ou  harranienne.  Ibn-Âbi-Oceibia  cite  ex- 
pressément sur  ce  sujet,  tantôt  des  ouvrages  écrits  en  syriaque, 
tantôt  les  opinions  des  Chaldéens  et  des  Harraniens^.  Il  faut  sup- 
poser que  la  Ghaldée  fut,  dans  le»  premiers  siècles  de  notre 
ère,  le  théâtre  d'un  vaste  travail  de  fusion  entre  la  science  et 
les  traditions  de  la  Grèce ,  de  la  Judée  et  de  Babylone ,  ana- 
logue à  celui  dont  nous  retrouvons  la  trace  dans  le  faux  San- 
choniaton ,  danis  Méliton  ^,  etc.  L'école  de  Harran  ne  fit  sans 
doute  que  continuer  longtemps  après  là  disparition  des  écoles 
de  l'Irak  cette  discipline  étrange,  dont  les  monuments  ont 
péri ,  mais  que  le  Talmud  et  les  écrivains  arabes  nous  permet- 
traient de  reconstituer  presque  dans  son  intégrité. 

s  m. 

C'est  donc  chez  les  Mendaîtes  ou  Nasoréens  de  Wasith  et 
de  Bassora  qu'il  faut  chercher  les  restes ,  sans  doute  misérable- 
ment altérés,  de  la  vieille  littérature  ckaMéenne,  ou  fuéatéenne, 

'  Ces  notions  influèrent  même  sur  le  moyen  â^  et  sur  la  renaissance  par  une 
série  de  compositions  apocryphes  d^origine  arabe  et  juive.  La  physionomie  cbal- 
déenne  (jue  prennent  les  savants  grecs  sous  le  pinceau  des  artistes  italiens  du  xv' 
et  du  XVI*  siède,  qui  s^inspiraient  des  idées  de  Técole  de  Padoue,  tient  au  même  , 
'  cyde  de  légendes. 

^  Joum.  amt.  août-sept.  i85&,p.  181,  187-188  (trad.  Sanguinelti}. 

'  Voir  le  fragment  de  Méliton  que  j'ai  publié,  d'après  la  version  syriaque ,  au 
commencement  du  t.  il  du  SpieUêgiu^  Sokgmeme  de  M.  Tabbé  Pitra. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IL  937 

ou  Fabienne,  Une  critique  habile  et  une  philologie  exacte ,  ap- 
pliquées aux  monuments  de  cette  ancienne  secte ,  en  tireraient 
de  précieux  résultats.  Il  est  regrettable  que,  jusqu'ici,  un 
pareil  travail  n'ait  pas  tenté  quelque  patient  érudit.  Les  tra*- 
vaux  de  Norberg  sur  le  Livre  ikàam  sont  très-imparfaits;  les 
autres  livres  mendaîtes,  plus  intéressants  à  quelques  égards 
que  le  hwrt  SAAam,  ont  été  à  peine  examinés;  les  inscriptions, 
enfin ,  qui  semblent  devoir  être  rattachées  à  la  religion  ou  au 
dialecte  des  Mendaîtes ,  celles  des  plats  trouvé»  à  Babylone  ^ 
et  surtout  celle  d'Abouschadr^,  n'ont  pas  encore  été  l'objet  d'un 
travail  définitif. 

L'idiome  des  livres  mendaîtes  est  un  chaldéen  fort  corrompu 
et  très-analogue  au  talmudique  '.  C'est  à  tort  que  M.  Norberg 
a  voulu  le  rapprocher  du  syriaque  :  l'emploi  du  noim,  comme 
préformante  du  futur,  est  la  seule  particularité  syriaque  qu'on 
y  remarque.  Les  caractères  essentiels  du  dialecte  mendaîte 
sont  :  i""  l'emploi  constant  des  trois  lettres  quiescentes  comme 
voyelles,  même  comme  voyelles  brèves;  ces  lettres  s'attachent 
alors  à  la  consonne ,  ce  qui  donne  à  l'écriture  mendaîte  une 
physionomie  tout  à  fait  à  part  dans  la  série  des  alphabets  sé- 
mitiques ;  s''  la  coniusion  et  Télision  fréquente  des  gutturales , 
que  les  Mendaîtes  prononcent  toutes  conune  k  ;  cette  particu- 
larité, que  nous  avons  retrouvée  en  Galilée  et  dans  le  Liban, 
semble  avoir  été  spécialement  'propre  à  l'Irak  ;  elle  s'observe 

'  Voir  d-d68BU8,  p.  66,  note. 

*  Cette  curieuse  imcriptioii  a  été  publiée  etext>liquée  par  M.  P.  Dietrich  /dans 
Vappeodiee  G  des  (hMnn  de  M.  Bunsen.  L^emploi  des  lettres  quiescentes  comme 
appendices  des  consonnes  me  paraît  une  raison  tout  i  fait  décisive  pour  la  rap- 
porter au  dialecte  mendaîte. 

^  Cette  observation  est  de  M.  de  Sacy ,  /oNmoi  in  «aoanit ,  nov.  1 8 1 ^p.  65o 
etsoiv.;  Conf.  L.  T.  Burckbandt,  hn  Nazarému  ou  Mendaùm  (Strasboui^^,  i86o  ), 
p.  98  et  suÎY.;  Norberg,  Codêx  NoBarmuêy  Lexiditm  (Londini  Goth.  1816). 


238  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

dans^  la  langue  du  Talmud  et  sur  les  inscriptions  des  plats  dé-^ 
couverts  à  Babylone  par  M.  Layard^;  elle  était  caractéristique 
du  dialecte  nabatéen^;  3*  le  changement  des  lettres  douces  en 
fortes,  et  réciproquement;  k''  des  contractions  nombreuses, 
des  agglutinations  de  mots ,  une  tendance  à  n'écrire  que  ce 
qui  est  prononcé  ;  S""  le  redoublement  des  consonnes  remplacé 
par  l'emploi  du  naun,  comme  dans  le  chaldéen  biblique  ;  6®  une 
foule  d'irrégularités  et  d'anomalies  d'orthographe ,  telles  qu'on 
en  trouve  dafts  les  dialectes  qui  n'ont  pas  reçu  de  culture 
grammaticale.  Toutes  ces  particularités,  on  le  voit,  présen- 
tent la  plus  grande  analogie  avec  celles  qui  caractérisaient  le 
galiléen.  Parmi  les  dialectes  écrits ,  le  mendalte  est  certaine- 
ment le  plus  dégradé  de  la  famille  sémitique;  il  représente, 
dans  cette  famille,  le  patois,  la  langue  abandonnée  au  caprice 
du  peuple  et  ne  suivant  dans  son  orthographe  que  le  témoi- 
gnage de  l'oreille ,  sans  égard  pour  l'étymologie  ^. 

Tous  les  livres  mendaîtes  que  nous  connaissons  sont  d'une 
rédaction  postérieure  à  l'islamisme  ;  de  nombreuses  allusions 
à  Mahomet  et  à  ses  successeurs  ne  laissent  aucun  doute  à  cet 
égard.  D'autres  allusions,  mais  beaucoup  moins  évidentes,  en 
porteraient  la  composition  au  ix'  ou  au  i*  siècle.  Les  Mendaîtes 
reconnaissent  eux-mêmes  que  tous  leurs  livres  sacrés  furent 


'  Dûcmwnef ,  p.  5it-5ia.  Une  confusion  analogue  a  lieu  diez  plusieurs  tribus 
arabes,  cbes  les  Témimites,  par  exemple.  G^est  1^  défaut  appelé  jlâjû».  Yoy.  So- 
youthi,  Mmhir,  t  I,  fol.  isa  (n**  i3i6\suppl.  ar.);  Hariri^dans  S.deSacf, 
AiUhol.  grammaL  arabêf  p.  i  lo  et  sniv.  et  le  Kamou$,  à  ce  noot 

*  V.  à-dessus,  p.  999. 

^  La  contradiction  des  auteurs  arabes  et  syria<pes,  qui  présentent  le  noifs^ 
témit  les  uns  conune  le  dialecte  syriaque  le  plus  corrompu,  les  antres  comme  1» 
l^ns  pu#,  Veipliqne  tin  supposant  que  tantftt  ils  donnent  ce  nom  à  la  langue  des 
Mendaîtes,  tantôt  à  celle  des  lettrés  chaldéens  et  des  pseudo-Sabiens  de  Harran. 
(Conf.  Larsow,  p.  6-7,  i3;  Quatremère,  p.  96  et  suiv.;  Kunik,  p.  65o,  673.) 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IL  S39 

r 

détruits  dans  les  persécutions  qu'ils  eurent  à  souffrir  des  pre- 
miers musulmans.  On  peut  croire  que  la  nouvelle  rédaction 
reproduit  les  traits  essentiels  de  l'ancienne  ;  il  est  probable  ce- 
pendant que  plusieurs  des  fables  ridicules  qui  nous  choquent 
dans  les  livres  des  Mendaîtes  ne  se  trouvaient  pas  dans  le  texte 
primitif.  L'imagination  humaine  ne  s'arrête  pas  dans  la  voie 
de  l'extravagance  :  les  livres  gnostiques  connurent  aussi  cette 
progression  croissante  de  folie.  La  doctrine  de  la  Jlia^ri  2o^/a 
de  Valentin  nous  apparatt ,  dans  Irénée  et  dans  Origène ,  comme 
assez  grave  :  au  contraire,  la  rédaction  copte  qui  nous  est  re^ 
tée  de  cet  ouvrage  est  tellement  chargée  de  rêveries,  qu'on  a 
peine  à  croire  qu'un  homme  sensé  ait  jamais  pu  la  prendre 
au  sérieux. 

J'en  ai  dit  assez,  ce  me  semble,  pour  prouver  que  la  Ghal- 
dée ,  avant  l'islamisme ,  posséda  une  culture  indigène ,  et  qu'en 
dehors  des  ouvrages  chaldéens  composés  par  les  Juifs  et  de  la 
littérature  chrétienne  de  la  Syrie,  il  a  existé  une  vaste  litté- 
rature araméenne  profane  et  païenne ,  qui  a  presque  entière- 
ment disparu.  C'est  là  un  côté  du  développement  sémitique 
qui  a  été  beaucoup  trop  né^igé,  sans  doute  à  cause  de  la 
manière  incomplète  dont  nous  le  connaissons.  La  science 
aura  beaucoup  à  apprendre,  sur  ce  sujet,  de  l'ouvrage  de 
M.  Ghwolsohn,  Die  Ssabier  und  der  Ssabismus,  qui  se  publie  en 
ce  moment  sous  les  auspices  de  l'Académie  de  Saint-Péters- 
bourg. L'obscure  question  des  rapports  antiques  de  la  race  sé- 
mitique et  de  la  race  iranietine ,  dans  le  bassin  du  Tigre  et  de 
l'Euphrate,  y  trouvera  sans  doute  une  solution  aussi  satisfed*- 
sante  qu'il  est  permis  de  la  donner  dans  l'état  actuel .  de  nos 
connaissances  sur  l'Orient. 


S&O  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 


CHAPITRE  III. 

L'ARAMAÏSME  CHRETIEN  [sTRJAQVb). 


S  I. 

Autant  la  partie  profane  de  la  littérature  araméenne  nous 
est  parvenue  d^une  manière  obscure  et  fragmentaire ,  autant 
la  partie  chrétienne  de  cette  littérature  nous  est  connue  avec 
détail  et  par  des  monuments  authentiques.  On  donne  le  nom 
de  syriaque  à  Taraméen  ecclésiastique,  cultivé  danç  les  écoles 
d'Edesse  et  de  Nisibe,  et  qui  est  resté  jusqu'à  nos  jours  la  langue 
sacrée  de  quelques  chrétientés  d'Orient.  Ce  développement, 
un  des  mieux  connus  du  sémitisme ,  est ,  il  faut  l'avouer,  un 
des  moins  intéressants  pour  les  études  sémitiques  elles-mêmes. 
Cest  au  point  de  vue  des  études  grecques  et  chrétiennes  que 
le  syriaque  présente  une  importance  capitale.  Presque  tous  les 
docteurs  de  l'église  grecque ,  hérétiqueS'Ou  orthodoxes ,  ayant  été 
traduits  en  syriaque,  et  les  Syriens,  de  leur  côté,  ayant  pris 
la  part  la  plus  active  aux  controverses  de  la  théologie  grecque, 
une  foule  de  textes  intéressants  pour  l'histoire  des  premiers 
siècles  du  christianisme  ont  été  rendus  à  la  critique  par  les 
manuscrits  syriaques,  surtout  depuis  la  découverte  et  le  trans- 
port au  Musée  britannique  de  là  bibliothèque  de  Sa&cta-Maria 
Deipara.  La  littérature  grecque  profane  peut  même  avoir  beau- 
coup à  glaner  dans  cette  précieuse  collection  ^  Mais  ce  qu'il 

^  Voir  le  Jaumul  aiiatùiWf  avril  i853 ,  p.  agS  et  suiv. 


LIVRE  ni,  CHAPITRE  III.  ihi 

faut  y  chercher,  ce  n'est  pas  le. génie,  syriaque  lui-même.  Ni 
l'hellénisme ,  ni  le  christianisme  depuis  sa  transformation  hel- 
lénique, ne  convenaient  aux  Sémites;  la  Syrie  seule,  c'est-à- 
dire  de  tous  les  pays  sémitiques  le  plus  dénué  d'originalité , 
devait  se  prêter  à  cette  culture  étrangère,  et,  si  j'ose  le  dire , 
à  cette  abdication. 

On  ne  peut  douter  que,  de  trè^-bonne  heure,  il  ne  se  soit 
formé  une  littérature  chrétienne  en  langue  syriaque.  Ce  serait 
toutefois  une  confusion  que  de  rattacher  immédiatement  cette 
littérature  aux.  premiers  écrits  du  christianisme,  qu'on  peut 
supposer  avoir  été  composés  en  syro-chalda!que  ;  car,  n^algré  la 
grande  analogie  du  syriaque  et  de  la  langue' pariée  en  Palestine 
à  l'époque  du  Christ,  on  ne  voit  pas  le  lien  qui  unirait  la  pre- 
mière littérature  chrétienne  de  Judée  au  développement  qu'on 
appelle  syriaque ,  lequel  se  produit  au  n*  siècle ,  non  dans  la  Syrie 
proprement  dite ,  mais  en  Mésopotamie.  C'est  un  fait  assez  sin- 
gulier, il  faut  l'avouer,  qu'une  littérature  apparaissant  ainsi 
sans  antécédents,  et  sans  qu'aucune  tradition  nous  ait  été 
conservée  d'une  culture  nationale  antérieure.  Mais  la  surprise 
que  nous  cause  cette  brusque  apparition  n'est  qu'un  effeè  de 
l'igncNrance  où  nous  sommes  sur  les  anciennes  études  ara- 
méennes.  On  a  établi  ci-dessus  que  la  Chaldée  avait  possédé 
une  littérature  païenne  et  indigène,  antérieure  au  christia- 
nisme. La  Syrie^  proprement  dite  et  le  nord  de  la  Mésopo- 
tamie ne  paraissent  pas ,  il  est  vrai ,  avoir  participé  d'une  ma- 
nière efficace  au  mouvement  des' études  chaldéennes;  mais  on 
ne  peut  croire  qu'elles  y  soient  restées  tout  à  fait  étrangères. 
D  est  remarquable  que  les  plus  anciens  écrivains  syriaques 
dont  les  noms  soient  venus  jusqu'à  nous,  étaient  tous  des 
Chaldéens  vivant  sous  la  domination  des  Sassanides^  L'idée 

'  AMemmi,  Bihl  orient,  I,  mit. 

j.  16 


SIS         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

cTécnre  en  langue  araméenne  sur  les  choses  chrétiennes  sera 
venue  naturellement  dans  un  pays  qui  possédait  déjà  des  ou- 
vrages en  langue  indigène  sur  toutes  sortes  de  sujets. 

Les  inscriptions  en  langue  et  en  caractères  araméens,  qui 
se  lisent  encore  aujourdliui  sur  les  monuments  de  Palmyre 
et  de  Taîba ,  offrent  d'ailleurs  la  preuve  îrrécusahle  que-  la 
Syrie  employa  l'écriture  sémitique  avant  le  christianisme,  au 
moins  pour  les  besoins  usuels.  Les  quinzje  inscriptions  palmy- 
réniennes  connues  jusqu'ici  forment  une  série  qui  s'étend  de 
l'an  /19  à  l'an  â58  de  notre  ère.  Il  résulte  des  explications 
tentées  d'abord  par  Barthélémy  et  Swinton ,  complétées  depuis 
par  Kopp  et  Gesenius  ^ ,  que  la  langue  de  ces  inscriptions  est 
le  syriaque  à  peu  près  pur.  L'alphabet  dans  lequel  elles  sont 
écrites  jette  beaucoup  de  jour  sur  l'histoire  des  alphabets  sé- 
mitiques, en  établissant  que  le  caractère  carré  de  nos  B9>le5| 
qui  offre  les  plus  grandes  analogies  avec  celui  de  Palmyre ,  est 
originaire  de  Syrie.  On  savait  d'ailleurs  par  saint  Epiphane' 
que  Palmyre  possédait  un  alphabet  composé  de  vingt-deux 
lettres»  et  qui  ne  différait  pas  de  l'alphabet  syrien.  La  lettre 
que  Zénobie  écrivit  à  Aurélien  était  «  dit-on  «  en  syriaque  '. 
On  ne  peut  douter  cependant  que  le  grec  et  même  le  latin 
ne  fussent  pariés  à  Palmyre.  Presque  toutes  les  inscriptions 
palmyréniennes ,  en  effet,  sont  bilingues;  dans  les  textes  grecs 
et  syriaques,  on  trouve  plusieurs  mots  latins. 

Bardesane  et  son  fils  Harmonius  (deuxième  moitié  du  if 

*  Barthâemy,  R^êxioiu  mr  Pa^habêt  H  la  kmgw  dont  on  m  â^rvak  omir^mÊ 
à  Pahnyrê  (Paris,  i^hh),  dans  les  Mén,  de  VAoad.  d» Imcr^ êi  BêOm-Uuni , 
t.  XXVI,  p.  577  etsdv.;  Swinton,  PhiioêopkM  tnm$aetiom,  ÏLVm,  11,  p.  690 
et  suIy.;  Kopp,  BiUar  und  Sehr^tm  der  Vcrzêity  II;  G^senios,  Momon.  pkam, 
p.  80  et  aqq. 

*  Ado.  hœr.  1.  Il,  p.  699,  édit.  Petan. 

*  FlaY.  Vopiacus,  m  Vita  Aureî.  c.  xxtii,  xxx. 


LIVRE  m.  CHAPITRE  III.  S&8 

siide)  sont  les  plus  anciens  ëcrifains  syriaques  dont  les  noms 
nous  soient  connns.  On  peut  croire  que  Bardesane  écrivit  en 
grec  la  pliqiart  de  ses  ouvrages  philosophiques  ^.  Mais  il  est 
certain  que  lui  et  son  fils  écririrent  au  moins  des  hymnes  en 
syriaque ,  puisque  nous  voyons  saint  Éphrem  opposer  à  cette 
poésie  hétérodoxe  des  hymnes  orthodoxes,  composés  sur  le 
même  rhythme*.  Bardesane  et  Harmonius  nous  apparaissent 
ainsi  comme  les  créateurs  de  la  poésie  syriaque,  et  il  n'est  pas 
impossible  qu'imbus  comme  ils  Tétaient  de  la  langue  et  des 
idées  grecques,  ils  aient  emprunté  à  la  Grhte  le  prindpe 
du  ibythme  qui  est  resté  dans  la  littérature  syriaque  sous  le 
nom  de  rhylkiM  éphriméen.  Il  est  certain ,  du  moins ,  qu'avant 
eux  on  ne  trouve  chez  les  Sémites  aucune  trace  d'une  mé-^ 
trique  fondée  sur  des  procédés  réguliers,  tels  que  la  rime  et 
le  compte  exact  des  syllabes. 

Moïse  de  Khorène  cite,  dans  son  Histoire  d'Airminie^,  àewi 
chroniques  écrites  en  syriaque,  l'une  par  Bardesane,  l'autre 
par  Lérubna ,  qu'on  a  regardé ,  non  sans  raison ,  comme  un  dis- 
ciple de  Bardesane^.  Rien  n'empêche  d'admettre  l'authenticité 
de  ces  deux  ouvrages.  Une  observation  qui,  ce  me  semble, 
n*est  pas  sans  importance  pour  la  critique,  c'est  que  Bardesane 
se  rattache  directement  à  l'école  chaldéenne,  comme  le  prouvent 
ses  écrits  '  et  isurtout  les  réfutations  de  saint  EphreM  ^.  Ceci 

'  Aînsî  le  fragment  syriaque  du  Dêfaio,  qm  se  trouve  dans  le  n*  i&,658  du 
Muêéê  hrùmmqm  (Godd.  Add.),  est  traduit  du  grec  {Joumai  mmK.  avril  i85a, 
p.  «98);  oonf.  i.  Gallandi,  BAUoth.  grœeo-ioL  veL  Patnm,  I,  p.  680  et  auiv. 

primmê  kffmnohgut  (lipain,  1819). 
^  L.  n,  c  xxxTi,  ixn, 
«  Lavigerie,  Eiiat  mr  Vécolê  ehrétimm  d'Edmê  (Paria,  i85o),  p.  36. 

*  Voy.  Jaynud  onot  L  c« 

*  Aasemani,  BAL  orient  I,  p.  laa  et  aniv. 

16. 


2&4  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

me  confirme  dans  l'opinion  qu'il  faut  chercher  en  ChaM^ 
Forigine  de  la  littérature  syriaque,  et  que  cette  littérature 
n'est  autre  chose  que  le  prolongement  chrétien  de  la  littérature 
nabatéenne.  Selon  le  Kitâb  el^FtkrisOy  Manès  aurait  aussi  com- 
posé en  syriaque  la  plupart  de  ses  livres. 

D'autres  passages  de  Moïse  de  Khorène  pourraient  faire 
croire  à  l'existence  d'une  culture  syriaque  fort  antérieure  aux 
temps  dont  nous  venons  de  parler.  Moïse,  en  effet,  cite, 
comme  une  des  sources  de  son  histoire,  l'ouvrage  d'un  Sy- 
rien, Mar  Âbbas  Gatina,  qui,  vers  l'an  i5o  avant  Jésus- 
Christ,  aurait  écrit  en  syriaque  et  en  grec  les  Annales  d'Ar- 
ménie't  Mais,  outre  que  les  circonstances  de  ce  récit  sont 
tout  à  fait  fabuleuses,  le  nom  de  Mar  Abba8,  que  l'on  voit 
porté  par  plusieurs  évéques  de  Syrie ,  ne  peut  avoir  appartenu 
qu'à  un  chrétien'.  Il  est  donc  probable  que  le  livre  dont 
Moïse  a  fait  un  si  fréquent  usage  était  l'ouvrage  antidaté  de 
quelque  Syrien  de  l'école  d'Édesse.  Il  en  faut  dire  autant  des 
pièces  que  le  même  écrivain  a  tirées  des  archives  d'Edesse, 
et  qui ,  Iprsqu  elles  se  rapportent  à  des  époques  antérieures 
au  christianisme  ou  contemporaines  du  Christ,  portent  un 
caractère  évidemment  fabuleux^.  Quant  aux  citations  que  fait 
Moïse  des  historiens  chaUéens,  il  ^voue  lui-même  qu'il  les  em- 
prunte aux  auteurs  grecs ^  :  elles  ont,  par  conséquent,  peu 
d'intérêt  pour  la  question  qui  nous  occupe  ici. 

*  Gté  par  M.  Reinaud,  Géogrofhie  d'Abcufféda,  Introd.  p.  goclxi. 

*  L.  I,  ch.  Tiii  et  IX. 

*  Gonf.  Qaatremère,  Jourmd  dm  Savante,  juin  i85o,  p.  365. 

^   L.  II,  C  X,  XXTI,  XXTIII. 

*  L.  I,  c  II  et  T.  Voyes  cependant  1. 1,  append.  sur  Pioarasb. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  m.  3&5 


S  n. 


Le  plus  ancien  monument  que  nous  possédionç  de  la  iitté^ 
rature  syriaque  est  la  version  de  la  Bible  qu'on  appelle  Pe- 
sckiio  (simple),  version  faite  sur  l'hébreu  pour  l'Ancien  Testa- 
ment, et  sur  le  grec  pour  le  Nouveau  Testament.  La  da^  de 
cette  version  est  fort  incertaine;  on  la  place  ordinairement 
vers  l'an  aoo,  et  les  derniers  travaux  dont  elle  a  été  l'objet 
tendent  plutôt  à  reculer  cette  date  qu'à  l'abaissera  M.  Wichel- 
haus  pense  qu'elle  a  été  écrite  à  Nisibe  ou  dans  l'Âdiabène, 
d'où  elle  aura  été  portée  plus  tard  à  Edesse  et  dans  la  Syrie 
occidentale.  La  langue  de  la  Pesehùo  n'est  pas  sensiblement 
différente  de  celle  qui  est  devenue  classique  cbez  tous  les  écri- 
vains syriens.  On  y  trouve  cependant  quelques  archaïsmes, 
ou,  pour  mieux  dire,  quelques  particularités  du  chaldéen 
Inblique  et  targumique,  qui  ont  disparu  dans  le  syriaque  mo- 
derne (jftw,  par  exemple,  comme  marque  de  l'accusatif);  ce 
qui  explique  comment  saint  Ephrem  paraphrasant  devant  le 
peuple  d'Edesse  le  texte  de  cette  version ,  y  trouvait  des  mots 
inconnus  et  qui  exigeaient  un  conunentaire. 

Apràs  la  version  Peschito,  le  plus  ancien  texte  syriaque  daté 
que  nous  possédions  est  la  relation  du  martyre  des  saints  Zé- 
bina,  Lazare,  Maruthas,  etc.,  écrite  par  Isaïe  d'Arzun,  qui  en 
fîit  témoin  oculaire  vers  l'an  Sao^.  Saint  Ephrem,  vers  le 
miUeu  du  n*  siècle,  nous  apparaît  comme  le  repi'ésentant 
éminent  de  ce  premier  âge  de  la  littérature  syriaque.  Depuis 

'  Gonf.  Widielhaus,  De  Phii  TestamerUi  venûmê  mfriaca  antiqua,  ficom  iV- 
«eMto  voeani  (Halitf,  i85o);  Wiseman,  Eorm  wfriaem,  p.  io3.  H  ne  faatpas 
oonibodre  avec  la  IVtc&ito  une  andenne  Yenion  grecque,  dont  Tauteur  est  appelé 
par  les  Pères  &  Y^poi.  (Voy.  de  Wette,  Emitàiu^,  S  hh,  note  m,  et  S  64, 
note6;Routhy  jRtftijfttiiisfaerw,  I,  p.  118,  lâa.) 

'  Asaeni.  Bihl,  orime.  I ,  p..  1 7. 


SAS         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

lors  jusqu'au  n*  siècle ,  la  Syrie  est  le  théâtre  d'un  grand  tra- 
vail littéraire,  tout  empreint  d'hellénisme.  La  langue  se  charge 
de  mots  grecs  ;  les  abstractions  péripatéticiennes  en  altèrent  le 
véritable  caractère,  et  y  détruisent  de  plus  en  plus  les  traits 
essentiels  du  génie  sémitique. 

Au  viH*  et  au  ii*  siècle,  le  syriaque  acquiert  une  véritable 
importance  dans  l'histoire  de  l'esprit  humain,  comme  servant 
d'intermédiaire  entre  la  science  grecque  et  la  science  arabe, 
et  opérant  la  transition  de  l'une  à  l'autre.  J'ai  cherché  à  établir 
ailleurs  ^  que  presque  toutes  les  traductions  d'auteurs  greca  en 
arabe  ont  été  faites  par  des  Syriens  et  sbé  des  versions  sy* 
liaques.  Les  Nestoriens  de  Chaldée  nous  apparaissent  à  cette 
époque  comme  les  continuateurs  de  l'ancienne  culture  naba- 
téenne,  comme  les  initiateurs  des  Arabes,  et  par  les  Arabes  de 
tout  le  monde  musulman ,  à  la  philosophie.  La  médecine  fut 
en  Orient,  jusqu'au  x*  siècle,  l'apanage  exclunf  des  Syriens; 
dr,  la  médecine  était,  à  cette  époque,  le  but  suprême -et  le  ré- 
smné  de  la  science.  L'école  païenne  de  Harran,  de  son  côté, 
continuait  la  tradition  des  études  syro-helléniques,  surtout  en 
astronomie. 

Au  X*  siècle ,  c<munence  la  décadence  définitive  de  la  culture 
syriaque.  Les  musulmans,  instruits  d'abord  par  les  Syriens, 
deviennent  bien  supérieurs  à  leurs  maîtres,  et,  dès  le  xi*  siède, 
nous  voyons  les  Syriens,  à  leur  tour,  se  mettre  à  l'école  des 
musulmans.  Au  xiii*  siècle,  un  homme  vraiment  sij^érieur, 
Grégoire  Barhebrœus  (  Aboulfaradj  ) ,  par  sa  double  érudition 
arabe  et  syriaque ,  rend  un  éclat  momentané  à  la  littérature 
de  son  pays.  Après  lui,  tout  ne  fait  plus  que  déchoir;  l'arabe 
envahit  même  les  choses  sacrées ,  et  désormais  le  syriaque  ne 
sera  plus  qu'un  idiome  ecclésiastique,  continuant  sa  chétive 

'  2)0  pAtlofophia  jMT^tetica  opiufi^rot  ( Paris,  i85s). 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IlL  S&7 

exûteDce  dans  quelques  c<Hmnumoiis  de  rOrient.  L  usage  du 
caractère  syriaque  fut  toutefois  plus  persistant  que  celui  de  la 
langue  :  les  Maronites ,  en  adoptant  Tarabe ,  préférèrent ,  comme 
les  Juifs ,  récrire  avec  leur  alphabet  national;  on  donne  à  l'arabe 
écrit  de  la  sorte  le  nom  de  kandunÊm^^yi)^^  mot  dont  l'ori^ 
gine  est  tout  a  fait  inconnue» 

0  jest  assez  difficile  de  déterminer  le  moment  précis  où  le 
syriaque  di^aratt  comme  langue  ndgaire.  L'action  des  mu- 
suknans  en  Syrie  et  en  Mésopotamie  fut  si  puissante  et  »  ra- 
pide, la  résistance  de  la  population  indigène  fut  si  faible, 
qu'on  doit  croire  que  l'arabe  y  conquit  tout  d'abord  une  pré* 
pondérance  exdusive,  au  moins  dans  les  viUes.  L'an  853 ,  le 
khalife  Holewakkel  fit  un  édit  pour  ordonner  aux  juifs  et  aux 
chrétiens  d'apprendre  à  leurs  enfants  l'hébreu  et  le  syriaque, 
et  leur  interdire  l'usage  de  l'arabe  ^  Cet  édit  absurde,  qui  ne 
fut  pas  sans  doute  exécuté ,  prouve  du  moins  l'empressement 
avec  lequel  les  Syriens  étudiaient  la  langue  de  leurs  vain- 
queurs. Différents  passages  de  Jacques  de  Vitry  et  do  Brocard' 
établissent  qu'au  xm*  siècle  les  différentes  communions  dbré- 
tiennes  de  la  Syrie  parlaient  arabe,  mais  qu'elles  se  servaient 
pour  la  plupart  de  l'alphabet  syriaque ,  exactement  comme  de 
nos  jours.  Il  est  vrai  que  le  juif  Samuel  ben-Hofni,  chef  de 
l'académie  de  Sora,  au  commencement  du  xi*  siècle,  voulant 
engager  les  Jui&  à  cultiver  avec  soin  la  langue  hébraïque,  leur 
présente  comme  un  modèle  à  suivre  l'exemple  des  Syriens, 
«  qui,  ditF*il ,  n'ont  pas  abandonné  leur  langue  et  y  persévèrent^,  t) 

♦ 

'  Qaatraiière,  Mém,  tur  lu  NtdfoL  p.  i49. 

'.ApadBo9gare,(rattoJ9ti/MrFfieiiiooi,p.  1089,1090, 109a,  i09&ilf«iiène 
et  Doraiid,  7%«ta«nit  iiofwf  Amed,  t  III,  p.  976;  Basiia^,  Th6$aunu  nwimm. 
•edbMffC  L  IV,  p.  ail,  &3s-33. 

'  Mimk,  fioiiee  iwr  AhouUoaUd  Mêntmn  Bn^Djmah,  p.  167. 


2&8         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Barhebrœus  semble  aussi  parfois  laisser  croire  que  la  langue 
syriaque  était  parlée  de  son  temps  ^  Mais  on  peut  supposer 
que  les  passages  dont  il  s'agit  impliquent  seulement  Tusage 
que  les  savants  faisaient  de  l'ancienne  langue,  soit  dans  leurs 
écrits,  soit  dans  leurs  relations  les  uns  arec  les  autres. 

Plusieurs  voyageurs  modernes ,  entre  autres  Niebuhr  \  sou-r 
tiennent  que  le  syriaque  s*est  conservé  jusqu'à  nos  jours  comme 
langue  vulgaire  dans  quelques  villages  du  mont  Liban  et  dans 
les  environs  dej  Mossoul  et  de  Mardin;  mais  presque  tous  ceux 
qui  l'ont  affirmé  ignoraient  le  syriaque,  et  il  se  peut  que  le 
patois  qu'on  leur  a  donné  pour  un  reste  de  cet  idiome  ne 
fût  que  de  l'arabe  corrompu.  Un  prêtre  de  Damas,  que  j'ai 
vu  à  Paris,  m'a  nommé  le  village  de  ^j^»^,  à  douze  lieues  de 
Damas ,  comme  un  de  ceux  où  se  maintiendrait  encore  l'usage 
du  syriaque  :  déjà  Brown  ^  et  Volney  ^  avaient  signalé  le  même 
fait  pour  la  même  localité.  Burckhardt,  malgré  l'attention 
qu'il  donna  à  la  question  qui  nous  occupe ,  ne  put  découvrir 
rien  de  semblable;  il  trouva  seulement  quelques  monastères 
où  le  syriaque  était  parlé  avec  assez  de  facilité ,  à  peu  près 
comme  le  latin  devait  l'être  dans  les  couvents  du  moyen  âge  ^^ 

Ce  n'est  ni  en  Syrie,  ni  en  Mésopotamie,  c'est  au  delà  du 
Tigre,  chez  les  Nestoriens  des  montagnes  de  Djulameric,  aux 
environs  des  lacs  de  Van  et  d'Ourmia,  que  s'est  conservé  l'usage 
vulgaire  du  syriaque  ^  ;  encore  la  langue  s'y  est-elle  altérée  à  c& 

^  HiêL  Dffn»  p.  16;  Gtamm.  fyr.  nuUro  ^hrœmeo  (e<L  Berllieau).,  ppooenu 

*  Deicr^tùm  de  V Arabie,  p.  81.  On  peut  voir  les  atitorités  recaeiliies  par 
Hofimann,  Gramm.  «yr«Proi.  p.  3&,  sqq.;  M.  Quatremère,  Menu  eur  lu  Nabai. 
p.  1&8  etfluiv.;  Balbi,  AtloB  ethnogr.  3'  tabi. 

^  Trooeb  m  Africaf  Eg^t  and  Syria,  p.  &o5-&o6. 

*  Voyagee  en  Syrie,  1. 1,  p.  387,  4*  édiL 

*  Travelt  m  Syria  and  the  hohf  Land  (London,  i8aa),  p.  99. 

*  Gonf.  Rcodiger  dai»  la  Zeiieehr^fir  die  Kunde  dm  Mergmdandee,  i.  H» 


LIVRE  III,  CHAPITRE  III.  3&9 

point  que  les  livres  litur^qu'es  écrits  dans  le  dialecte  anctea 
oe  sont  plus  compris  des  fidèles  ni  même  souvent  des  prêtres. 
Les  missionnaires  américains,  établis  à  Ourmia,  ont  essayé  de 
rendre  à  ce  patois  quelque  régularité  en  le  réformant  sur  le 
modèle  du  syriaque  pur,  à  peu  près  comme  les  Grecs  modernes 
ont  dierché  à  ennoblir  leur  langue  en  la  ramenant  au  modèle 
de  la  langue  classique.  On  a  donné  le  nom  de  né(h-syriaque  à 
ridiome  ainsi  amendé  et  fixé  par  la  typographie.  Un  des  résul- 
tats les  plus  curieux  de  Texpérience  philologique  tentée  par  les 
missionnaires,  fut  la  facilité  avec  laquelle  les  Nestoriens  for- 
més à  leur  école  apprirent  l'hébreu  :  tant  il  est  vrai  que ,  même 
dans  leurs  rameaux  les  plus  écartés,  les  langues  sémitiques 
conservent  toujours  le  sceau  immuable  de  leur  unité. 

S  m. 

La  langue  syriaque  nous  apparaît,  ^ans  son.ensemble,  comme 
une  langue  plate,  claijre,  prolixe,  sans  harmonie,  chargée  de 
mots  étrangers.  Elle  na  point  cette  simplicité,  cette  tendance- 
à  représenter  toute  chose  par  le  côté  sensible,  qui  font,  en 
général,  le  charme  des  langues  sémitiques.  Les  relations  des 
idées,  si  parfaitement  exprimées  en  hébreu  par  un  petit  nom- 
bre de  flexions,  s'expliquent  longuement  et  lourdement  en 
syriaque  par  l'emploi  des  particules  et  des  périphrases.  Les 
racines,  qui  en  hébreu  sont,  pour  ainsi  dire,  à  fleur  de  terre, 
sont  ici  presque  oblitérées  ;  la  dérivation ,  si  régulière  en  hébreu 
et  en  arabe,  n'est  ici  qu'un  procédé  incertain.  On  dirait  par- 
fois un  de  ces  idiomes  qui ,  comme  les  langues  néo-latines ,  ont 
perdu  le  sentiment  de  leur  origine,  et  où  chaque  mot  figure 
pour  son  propre  compte,  indépendamment  de  la  racine  d'où 

Hefti  eld;in,Hefts;2^ttoeAf^<i0rI>.M.  G«Mti«eika^,t.IV,p.  ii3;t.VIl, 
p.  573-573;  t.  VIII,  p.  6ot»8&7-8&8;G.  BîUec, Erdhunde ,  t.  IX,  p.  681  etsiiiv. 


250         HISTOIRE  DES  LANGUES  SEMITIQUES. 

il  est  8orti«  Quand  on  «st  habitué  aux  belles  fonnes  de  l'hébreu , 
formes  si  parfaitement  adaptées  à  ce  qu'il  s'agit  d'exprimer  que 
la  pensée  hébraïque  traduite  en  une  autre  langue  n'est  plus 
elle-même  9  le  syriaque  fait  l'effet  de  oe  latin  barbare  par  le- 
quel les  modernes  cherchent  à  rendre  des  idées  tout  à  fait  étran- 
gères à  l'ancienne  latinité.  L'homme  de  goût  voit  avec  regret 
une  langue  d'enfants  chargée  de  mots  pédantesques  et  assujettie 
à  une  discipline  qui  n'était  pas  faite  pour  elle.  Par  sa  merveil- 
leuse flexibilité 9  l'arabe  est  parvenu  à  tout  dire,  et  à  tout  dire 
excellemment;  mais  le  syriaque,  renfermé  dans  une  grammaire 
bien  moins  riche,  presque  dénué  de  syntaxe,  ne  s'est  élevé 
aux  discussions  intellectuelles  que  péniblement  et  par  des  em- 
prunts contraires  à  son  génie.  Quoi  de  plus  choquant,  par 
exemple,  que  d'y  trouver  une  foule  de  particules  tirées  da 

grec  :  W>^==7^p;  \^\=^^^\  ^=^/;  ^=:  |u^;  yci^bâo 
=  ^3iXov\  uuoirf^âo  =  (làtki^a^  ;  tandis  que  la  particule 
est  d'ordinaire  l'élément  du  discours  qui  passe  le  moins  d'une 
langue  à  l'autre  et  tient  le  plus  profondément  au  génie  de 
chaque  idiome? 

L'Aramée,  confinant  de  tous  les  cdtés  à  la  race  indo^uro- 
péenn^,  semble  avoir  eu  pour  mission  d'en  accepter  et  d'en 
propager  l'influence  parmi  les  Sémites  et  d'inaugurer  au  sein 
de  la  race  sémitique  la  cidture  rationnelle ,  à  laquelle  il  est 
douteux  que  cette  race  fût  arrivée  d'elle-même.  La  Ghaldée, 
d'une  part ,  subit  très-profondément  l'action  religieuse  et  phi- 
losophique de  la  Perse  et  de  l'Inde^.  La  Syrie,  d'autre  part, 
adopta  le  corps  complet  de  l'encyclopédie  hellénique.  Malgré 

1  Le  même  emprimt  a  en  liea  ea  copie.  Voir  les  réflexions  de  M.  Bimsen 
sur  ce  sujet,  Ouûmeê,  II,  p.  SS-Sg. 

s  L^inflaeaœ  indieime  ne  saurait  élre  méconnae  dans  fes  doctrines  de  Barde- 
saae,  dans  ie  manicfaéisme  et  les  différentes  sectes  ipû  pullulèrent  en  Ghaldée  et 


LIVRE  m,  CHAPITRE  III.  S51 

ce«  paissants  secours,  rAramëe,  il  faut  Tavouer,  n'arriva  point 
à  des  résultats  bien  décisifs»  et  si  elle  mérite  une  place  dans 
lliistoire ,  c'est  uniquement  comme  ayant  transmis  le  fhunb^u 
des  études  grecques  aux  Arabj»  »  et  contribué  ainsi  à  fonder 
des  écoles  qui  ont  joué  un  rôle  si  important  dans  les  révolu- 
tions intellectuelle  de  l'humanité.  Quand  on  compare,  en  ef- 
fet, la  culture  arabe  k  la  culture  hébraïque,  à  côté  de  grandes 
analogies,  on  trouve,  dans  la  plus  moderne  de  ces  deux  civi- 
lisations, qudques  éléments  qui  manquent  entièrement  à  la 
plus  ancienne  :  des  habitudes  de  dialectique  et  de  discussion, 
un  développement  de  science  et  de  philosophie,  un  vaste  sys- 
tème de  graipmaire.  Or,  dans  toutes  ces  voies  nouvdles,  les 
Arabes  furent  précédés  par  les  Syriens ,  qui ,  de  leur  côté ,  eurent 
presque  toqours  les  Grecs  pour  initiateurs.  En  ce  sens,  il  est 

en  Pêne  aux  premien  aièdes  de  notre  ère.  Les  oaYrages  de  wmt  Éf^ireiii  en 
eftenl  des  preuves  noahreuses  (  Attemeni,  >BAL  mmd.  I ,  p.  1 1 8  et  suiv.).  Qaoi- 
qpe  le  beaddhisme  D^ait  pas  fiiit  à  Tooest  .de  Tlndus  les  conquêtes  merveSienses 
«pi^îl  fit  aa  Dord  et  â  Test,  il  est  certain  qu^il  dirigea  en  ce  sens  plusiears 
tentathres  (cf.  Benfey,  dans  YEncyek  d^Ersch  et  Gruber,  art  Indien,  p.  71). 
On  troure  un  fàiodmlÊ  ou  visiteur  syrien,  du  nom  de  Bud,  qui ,  vers  Tan  $70 , 

wy^^ea  dans  flnde,  traduisit  d^mdien  (  JuP^OI  ^M  )  en  syriaque  le  livre  de 
Galila  et  Dimna ,  et  composa  un  MtUêhquium,  c*e8t4-dire  probablement  un  recueil 
de  contes  imités  de  ceux  dellnde.  {Ajs6em.  Bibl.  or»mtIII,  i**  part  p.  919-930; 
coof.  Reînaud,  Mém,  tur  rinde,  p.  s  35.)  Saint  Epbrem  présente  toujours  le  ma- 
akbéiBBe  comme  une  doctrine  d'origine  indienne.  (Aasem.  1 1,  p.  199.)  Buddat 
6gare  tant^  comme  mettre,  tantôt  comme  diBci|4e  de  Mânes,  et  Scythianos  (ÇA- 
kya?) ,  le  propagateur  du  manichéisme  en  Ocddent,  voyage  dans  Tlnde.  D  n^est 
pas  impoanble  que  YEvangîk  de  Mimée  ou  Évangik  eekm  eaint  Tkanuu,  ne  fût 
qnelqae  soulra  bouddhique,  le  nom  de  Gotama  étant  devenu  ttarà  0»futv.  (Gonf. 
Pétri  Sîculi  HieL  Mamck.  p.  16,  99 ,  etc.  edid.  Giesder.)  Je  pense  que  plusieurB 
sectes  gnostiques,  surtout  les  FértOm  (oeox  qui  dépoeeeni  le  diangement  et  la 
oomiption,V.  PhUeeofkumêna,  p.  i3i,  édit  Miller),  se  rattachaient  de  très-près 
au  bouddhisme.  Q.  I.  J.  ^cjmidt,  Uém  die  Vermondtedutft  der gnoetieek-theosoph, 
Lekren  mit  dem  Buddhaiemue  (Leipog,  1898). 


S52  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

vrai  dédire  que  la  conscience  réfléchie  chez  les  Sémites  trouva 
en  Grèce  la  cause  indirecte  et  éloignée  de  son  apparition. 

Pour  ne  parler  ici  que  de  la  grammaire,  on  ne  voit  pas 
qu  avant  la  fondation  de  l'école  d'Édesse  il  ait  existé  aucun 
travail  de  grammaire  sémitique.  Les  premiers  essais  en  ce 
genre  furent  le  fruit  de  la  culture  hellénique,  qui  commença 
à  se  répandre  en  Syrie ,  au  v*  siècle ,  avec  le  nestorianîsme. 
Quelques  grammairiens  syriens  du  vi""  siècle  nous  sont  connus 
de  nom  ^  Mais  leurs  travaux  ont  été  effacés  par  ceux  de  Jacques 
d'Edesse  (deGSoàyoo)^.  Or,  Jacques  d'Edesse,  dont  la  vie 
se  passa  à  relever  en  Syrie  les  études  grecques  et  à  traduire 
des  ouvrages  de  philosophie  aristotélique ,  porta  naturellement 
dans  ce  travail  ses  habitudes  d'esprit.  Toute  la  grammaire 
syriaque  est  calquée  sur  celle  des  Grecs  ;  tous  les  termes  tech- 
niques sont  transcrits  du  grec  ou  formés  d'après  l'analogie 
des  termes  grecs  '. 

Jacques  d'Edesse  nous  apparaît  ainsi  comme  le  premier  ré- 
gulateur de  la  langue  syriaque.  Ce  fui  par  lui  que  le  dialecte 
idessien  arriva  à  ce  degré  de  perfection  grammaticale  qui  en  fit 
pour  la  Syrie  ce  que  le  dialecte  attique  était  pour  la  Grèce. 
Ses  différents  écrits  de  grammaire  nous  le  montrent  comme 
un  puriste,  une  sorte  de  Vaugelas,  occupé  à  instruire  le  pro- 
cès des  mots  et  à  déterminer  ceux  qui  devaient  être  maintenus 
ou  rejetés.  Enfin  ce  fut  entre  ses  mains  que  le  système  des 
voyelles  syriaques,  consistant  en  points  diversement  groupés 
au-dessus  et  au-dessous  de  la  ligne,  prit  un  certain  degré  de 
régularité  et  de  précision^.  Peut-être  l'invasion  musulmane, 

>  hssaaam,B{bl.orienL  t  III,  i'*part.  p.  956; cf.  tbii.  iga-igdetLiI,  &07. 

'  AsBem.  BtbL  orient  I,  h'jh» 

'  Gonf.  Hoffmaon,  Grmnm.  «yr.  Prol.  p.  97  et  suiv. 

«  Assem.  Bibl  orient  I,  A76,  678;  U,  336-337* 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IIL  253 

qui  menaçait  dëjà  de  fiaire  dominer  Farabe  sur  le  syriaque, 
contribuarV-eile  à  engager  Jacques  d'Édesse  dans  cette  voie  de 
travail  artificiel  »  qui  ne  commence  guère  pour  les  langues  que 
quand  leur  existence  extérieure  est  déjà  compromise. 

Quoiqu'il  en  soit,  depuis  Jacques  d*Edesse  jusqu'à  nos  jours, 
la  série  des  grammairiens  syriaques  n'est  plus  interrompue  \ 
Elie  de  Nisibe ,  au  xi*  siècle  \  surpassa  tous  ses  prédécesseurs , 
mais  fut  à  son  tour  surpassé ,  au  commencement  du  xiii*  siècle , 
par  Jean  Barzugbi  ',  que  l'on  regarde  comme  l'auteur  de  la 
première  grammaire  complète  de  la  langue  syriaque.  Barhe- 
bneus,  enfin,  porta  la  théorie  de  cette  langue  au  plus  haut 
dçgré  de  perfection  qu'elle  pût  atteindre  entre  les  mains  des 
indigènes.  Mais  il  faut  observer  qu'en  grammaire,  comme  en 
philosophie,  les  Syriens  ne  s'élevèrent  au-dessus  de  la  médio- 
crité que  sous  l'influence  des  Arabes,  devenus  leurs  maîtres 
après  avoir  été  leurs  disciples;  en  sorte  que  leur  grammaire, 
imitée  d'abord  de  celle  des  Grecs,  est,  chez  les  derniers  écri- 
vains que  nous  venons  de  nommer,  modelée  sur  celle  des 
Arabes. 

S  IV. 

La  langue  syriaque,  bien  que  remarquable  par  son  homo- 
généité, présentait  néanmoins,  dans  sa  forme  vulgaire,  quel- 
ques différences  locales.  La  trace  de  ces  variétés,  qui  tenaient 
surtout  à  la  prononciation  des  voyelles ,  est  difficile  à  saisir 
dans  le  style  écrit;  elle  ne  se  retrouve  guère  que  chez  les  g^os- 
sateurs  Bar-Ali  et  Bar-Bahlul ^,  qui,  cherchant  à  imiter  les  lexi- 

'  Hoffinann,  op.  cU,  p.  99  etsuiv. 

*  Aflsem.  B3>1.  wienL  t  III,  1"  part  p.  «65,  967. 

*  Ibid.  LU,  655;  L  ID,  i**  part.  p.  3o7-3o8. 

^  Voir  sur  ce  sujet  la  saTante  dissertation  de  M.  tarsow,  Tk  Halêekrum  Un- 
gttm  tfnaem  rtiiquut  (Berlin,  tSAi). 


su         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

cographes  grecs  et  en  particulier  Hésychins ,  se  bornent  presque 
à  citer  des  expressions  dialectiques.  En  classant  les  particulari- 
tés obtenues  par  le  dépouillement  de  ces  deux  auteurs,  M«.  Lar- 
sow  est  arrivé  à  reconnaître  l'existence  de  trois  dialectes  prin- 
cipaux :  dialecte  anmikn^  c'est-à-dire  nabatéen  ou  chaldéen 
( JLm9 j  JLùfe^) ;  didecte jinmricia/  ou  rustique  (JL^l)  JUil^); 
dialecte  Au  hauU  foy*  ou  des  montagnes,  probablement  du 
Dailem  (^^flibkf  JLii^)  ;  sans  parier  de  variétés  particulières 
aux  villes  d'Edesse,  de  Mossoul,  d'Antioche,  et  à  la  province 
de  Beth-Garmai. 

Barhebrœus,  dans  son  Hiâtoine  de»  Dyna$àe»  et  dans  les  SeoUe» 
de  sa  grammaire  métrique  ^,  classe  un  peu  différemment  les  dia- 
lectes syriaques;  il  en  reconnaît  trois:  i*  le  dialecte  armhiek 
(i(Mlt)^l)3,  le  plus  élégant  de  tous,  parié  par  les  habitante 
d'Édesse ,  de  Harran  et  de  la  Mésopotamie  ;  â*  le  dialecte  pa- 
le»Unien  (iuJw(kwAÂJl),  parié  dans  la  Syrie  proprement  dite,  à 
Damas,  dans  le  Liban;  S'^le  dialecte  chaldéo-nabatien  (SjjHùJ6 
i^kkfljJt),  le  plus  corrompu,  parlé  dans  les  régions  monta- 
gneuses de  l'Assyrie  et  dans  les  bourgs  de  l'Irak. 

Cette  divergence  n'a  rien  qui  doive  surprendre  ;  il  est  évi- 
dent qu'au  milieu  des  nombreux  patois  locaux  de  l'Aramée,  il 
n'y  avait  que  deux  variétés  bien  caractérisées  :  je  veux  dire  le 
syriaque  occidental ,  ou  syriaque  proprement  dit ,  et  le  syriaque 
oriental,  ou  chaldéen.  Barhebraeus,  dans  le  texte  de  sa  gram- 
maire métrique  ^,  ne  distingue  que  ces  deux  disdectes  :  d'une 


'  Hiêt  dyn,  p.  16-17  (édiL  Pococke);  Âssem.  BikL  orimU,  I,  ^76;  BeHheau, 
ad  Barhebnei  GrammaL  «yr.  métro  epkrœmêo,  p.  Qir^QS. 

*  Cette  dénomination  est  en  oontradicâen  avec  ceBe  de  \éù09\ ,  p>r  kiqaeUe 
Bar-Bahlul  et  Bar-Ali  déûgnent  ie  chaldém.  Mais  il  faut  se  rappeler  que  le  nom 
de  jLiM9|  désignait  aussi  les  Harraniens. 

'  Gramm.  9yr.  métro  epkrœmêo,  p.  3-fi  (é£t  Berikeau). 


LIVRE  III,  CHAPITRE  III.  355 

part,  «le  syriaque  proprement  dit,  ou  dialecte  d'Edeasea  : 
JLei9p}  JL^9QA  POif  JLiUo  ^  jiS.in%>;  de  l'autre ,  le 
dialecte  «  des  Orientaux ,  descendants  antiques  des  Chaldëens  »  : 

JL^^ISâf  jLId^Jd  jLid  JIIiémJ^v»  ^}  }oH^L  On  peut 
dire  que  les  dialectes  araméens ,  le  mendaîte  excepté ,  ne  dif- 
fèrent réellement  entre  eux  que  par  la  prononciation.  La 
particularité  la  plus  essentielle  du  syriaque  proprement  dit, 
l'emploi  du  nouit  comme  préformante  de  la  troisième  personne 
du  futur,  est  de  peu  de  conséquence ,  et  ne  se  rattache  à  au- 
cune analogie  vraiment  étendue.  Les  différences  dans  le  sys- 
tème des  voyelles  sont  encore  moins  importantes  :  elles  tiennent 
à  certaines  habitudes  d'organe  et  à  la  diversité  des  moyens 
employés  pour  la  notation  des  sons  vocaux.  En  somime,  le 
chaldéen  et  le  syriaque  ne  s'éloignent  pas  plus  l'un  de  l'autre 
que  le  dorien  de  l'éolien,  et  Michaêlis  a  pu  dire,  sans  trop 
d'exagération,  que  les  chapitres  chaldéens  du  livre  de  Daniel 
paraîtraient  écrits  en  syriaque,  s'ils  étaient  lus  par  un  juif 
allemand  ou  polonais  qui  prononcerait  le  kametz  comme  o  et 
le  cholem  comme  au  ^ 

Les  Orientaux  ont  jugé  assez  diversement  du  mérite  relatif 
et  du  degré  de  culture  des  différents  dialectes  syriaques.  L'au- 
teur du  Kitâb  el-Fihrisi,  s'appuyant  de  l'autorité  de  Théodore 
le  commentateur',  regarde  le  nabatéen  comme  le  plus  élégant 
des  dialectes  syriaques  (^\*^i  (^UJti  ^t)'.  On  a  vu,  d'un 
autre  côté,  que  Barhebraeus  accorde  la  première  place  ait  dia- 
lecte édessien,  et  traite  avec  mépris  le  chaldéen  ou  nabatéen. 

>  Cl  Hapfeld,  SUmImm  and  KriOsÊm,  HI,  p.  991  ;  Wîchdhâin,  Dt  N.  T.  vm. 
jyr.  màiqua^  p.  3&-37 ;  'Wîoer,  Gramm,  dm  ML  und  tmrg.  Çkaldmmmêf  p.  8-9. 

*  L'anteur  aiiin  déôgné  pir  les  Sjrieiis  est  Théodore  de  Mopraeste.  (Aasem. 
BM.  onmu,  III,  i"*  pul.  p.  3o.)  , 

*  Ils.  arabe,  anc  fonds;  876,  f.  i3  t.-i&.  Hadji  Khalfa,  en  copiant  ce  pas- 
sage, a  In  ^Li^mJI  ^  ^1  «  ««plus  élégant  qne  le  8yriaqne.n 


356         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Cette  ceataradictioo  nous  oblige  d'admettre  que ,  dans  les  pa^ 
sages  précités,  il  est  tantdt  question  du  langage  littéraire, 
tantôt  du  langage  rustique  de  la  Ghaldée.  Peut-être  même, 
sous  le  nom  de  nabatéen,  a-t-on  voulu  désigner  le  dialecte 
corrompu  des  Mendaïtes;  en  effet,  le  Kitâb  eUFArUt,  après 
le  passage  que  nous  venons  de  rappeler,  ajoute  que  le  nar 
batéen  que  Ton  parle  dans  les  villages  n'est  qu'un  syriaque 
sans  élégance ,  tandis  que  la  langue  des  livres  est  identique  à 
celle  de  la  Syrie  et  de  Harran^.  Hadji  Kbalfa,  en  reproduisant 
l'assortion  du  Kitâb  el-Fihrist,  semble  attribuer  la  corruption 
des  patois  de .  l'Irak  à  l'influence  du  persan  ^.  Quant  à  l'opi- 
nion de  Barhebraeus  sur  l'infériorité  du  chaldéen,  elle  n'est 
pas  exempte  de  partialité.  A  l'en  croire ,  les  Syriens  orientaux 
auraient  altéré  la  prononciation  ancienne,  laquelle  était,  sui- 
vant lui,  conforme  à  celle  des  Syriens  occidentaux^.  Or,  les 
plus  fortes  preuves  établissent,  au  contraire,  la  priorité  de  la 
vocalisation  des  Ghaldéens.  Cette  vocsdisation  est  bien  plus 
conforme  à  celle  du  chaldéen  biblique  et  aux  transcriptions 
anciennes  de  mots  syriens  qui  nous  ont  été  conservées,  soit 
par  les  écrivains  du  Nouveau  Testament ,  soit  par  les  auteurs 
grecs ^.  Barhebraeus  cite,  il  est  vrai,  plusieurs  particularités 
de  l'orthographe  chaldéenne  qui  accusent  une  tendance  à  mo- 
deler l'orthographe  sur  la  prononciation  vulgaire^.  Mais  ce 

*  Ib.  dté.  fol.  lA  :  viU^  j-^  c^yJt  «>l  *^  fSSji  <jôJt  JuJi  UU 

(jtTsM  ^,}y^  J^t  (^LJb  ^âIÎ  j^j  «>tyi^fj  Cf.  Larsow,  Jk  diaket,  Hagum 

nfr,  nUquiii,  p.  i3;  Qoàtremère,  Mém.  êw  ki  Nabot,  p.  96. 
'  Lexicon  hibUograph.  I,  p.  70-71  (edid.  Flu^l). 
'  Grtanm,  tyr.  métro  ephrœfnso,  proœm.;  Assem.  BAL  orimt.  U,  p.  A07. 
^  Âflflem.  Ibid,  t.  III ,  sk*  part.  p.  ggglxxtiu  et  suiv. 

*  Gonf.  Quatremère,  Mém.  tur  ht  NabaU  p.  166  et  siii?. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  III.  257 

ne  sont  là  <pie  des  .fautes  populaires,  dont  on  ne  retrouve  pas 
la  trace  dans  les  manuscrits  qui  nous  viennent  des  Syriens 
orientaux.    . 

Tout  nous  invite,  par  conséquent,  à  voir  dans  la  prononcia- 
tion lourde  et  grasse  {^tgXojvalofâos)  des  Syriens  occidentaux  une 
altération  provinciale.  Lliabitude  de  ne  pas  tenir  compte  de  la 
réduplication  des  lettres ,  la  suppression  des  pronoms  suffixes 
dans  la  lecture ,  tandis  qu'il  est  de  toute .  évidence  que  ces 
pronoms  ont  dû  anciennement  être  prononcés,  sont  autant  de 
caractères  d'une  langue  usée,  qui  se  retrouvent  également 
dans  le  mendaîte.  Quant  à  la  prononciation  de  la  comme  o, 
elle  semble  avoir  toujours  été  un  trait  spécial  des  patois  de 
la  Phénicie  et  du  Liban.  C'était  celle  des  Galiléens  :  NaCâipoiof 
=  NaÇapoui»;  Tdt&àpa  =  Tdiapa,  ÈT^t  =  ^n^K  etc.  C'était 
aussi  celle  des  Phéniciens  (v.  ci-dessus,  p.  i8si)  et  des  Syriens 
voisins  de  la  Palestine,  dès  une  assez  haute  antiquité  :  SeX^fi 

=:  «slSia.  donné  par  Méléagre  de  Gadare  comme  l'équivalent 
de  xaupe^.  Le  syriaque  ayant  d'abord  été  enseigné  en  Europe 
par  les  Maronites,  on  s'est  habitué  à  envisager  les  particulari- 
tés de  leur  prononciation  ^  comme  des  faits  essentiels  de  l'idiome 
de  la  Syrie  en  général. 

La  distinction  du  syriaque  occidental  et  du  syriaque  orien- 
tal ou  chaldéen ,  qui  domine  toute  l'histoire  de  la  langue  ara- 
méenne,  bien  qu'à  vrai  dire  cette  distinction  repose  sur  des 
faits  grammaticaux  de  peuM'importance,  dure  encore  de  nos 
jours.  Le  premier  de  ces  deux  dialectes  s'est  conservé  à  l'état 
de  langue  liturgique  chez  les  Maronites  et  les  Jacobites;  le 
second ,  chez  les  Nestoriens ,  aux  environs  de  Diarbékir  et  dans 


*  Voy.  à-dessus,  p.  iS5. 

*  Gonf.  WichelhauB,  De  N.  T.  tert,  wyr,  <m(.  p.  67,  Ag. 

1.  17 


258  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

le  Kurdistan  ^  Les  derniers  rensoignemeiits  venus  de  TOrient 
nous  apprenn^it  que  la  connaissance  du  syriaque  orientid  se 
perd  de  jour  en  jour,  et  que  les  prêtres  chaldéens  ne  com- 
prennent plus  leurs  lirres  d'offices  ^.  Les  Maronites  et  les  Ja- 
cobites  laissent  également  l'arabe  envahir  le  domaine  de  leur 
langue  sacrée  ;  les  Melchites ,  qui  suivent  le  rit  grec ,  ont  en- 
tièrement abandonné  le  syriaque,  et  se  sont  fait  une  litui^e 
mêlée  de  grec  et  d'arabe  '. 

Telle  est,  dans  son  ensemble,  l'histoire  des  langues  ara- 
mé^mes.  Ce  qui  frappe  au  premier  coap  d'œil  dans  ce  groupe 
de  langues ,  c'est  son  immobilité.  En  comparant  le  chaldéen  des 
fragments  d'Esdras ,  qui  nous  représentent  l'araméen  du  v*  siècle 
avant  l'ère  chrétienne,  au  syriaque  qui  s'écrit  encore  de  nos 
jours ,  à  peine  découvre-t-on ,  entre  des  textes  composés  à  de 
si  longs  intervalles ,  quelques  différences  essentielles.  Une  lé- 
gère tendance  à  l'analyse ,  l'emploi  plus  fréquent  des  préposi- 
tions ,  un  système  plus  riche  de  particules ,  un  grand  nombre 
de  mots  grecs  introduits  dans  la  langue,  tels  sont  les  seuls 
points  sur  lesquels  des  innovations  se  fassent  remarquer.  On 
peut  dire  que  la  langue  araméenne ,  entre  les  deux  limites  que 
nous  venons  d'indiquer,  ne  diffère  pas  plus  d'elle-même  que 
la  langue  d'Ennius  ne  diffère  de  la  langue  de  Gicéron.  Même 
ressemblance  entre  les  dialectes  locaux^.  On  trouverait  peu 

'  Le  nom  de  ChaldémB,  appli<{ué  à  cetle^chréiienté,  n^a  qu'une  valeur  ecdé- 
siasiique  et  ne  date  que  de  Tépoque  où  une  fraction  des  Nestoriens  du  Diarbéldr 
se  réunit  à  TÉglise  romaine.  (Gonf.  G.  Ritter,  Erdkundêf  IX,  p.  680-681.) 

*  Lettre  de  M.  Oppert,  dana  la  Zeiiickr^  der  êenÊuhtiii  moiyan/tfiwfc'n'ifa 
(;«M<Zt«Jk4^,  t  VII  (  i853),  p. /107. 

'  Assem.  Btbl.  orienL  t  III ,  9*  part.  p.  ccclxxtii  et  suiv. 

^  Il  n^est  pas  question  ici  des  idiomes  qui,  comme  le  talmudique  et  le  men- 
daïte,  ont  subi  des  influences  particulières,  et  se  sont  ainsi  écartés  du  type  gé- 
néral de  la  famille  à  laquelle  ils  appartiennent. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  HL  359 

d'exemples  d'une  homogénéité  comparable  à  celle  qui ,  depuis 
les  temps  antiques  jusqu'à  rinvasion  musulmane,  earactérise 
les  langues  parlées  dans  le  pays  compris  eaite  le  Tigre  et  la  côte 
orientale  de  la  Méditerranée.  La  révolution  que  l'arabe  a  réa- 
lisée pour  le  monde  sémitique ,  en  absorbant  les  dialectes  par- 
ticuliers et  s'imposant  comme  langue  savante  à  tous  les  peuples 
qui  tombèrent  dans  sa  sphère  d'activité ,  Taraméen  Tavait  pré- 
parée, mais  sur  une  échelle  beaucoup  moins  vaste.  Il  repré- 
senta à  son  heure  en  Orient  l'esprit  sémitique.  C'est  à  ce  nouveau 
point  de  vue  qu'il  convient  maintenant  de  nous  placer.  Le 
rayonnement  des  langues  sémitiques  en  Orient  s'étant  opéré 
presque  uniquement  par  l'araméen ,  nous  en  tirerons  l'occa- 
sion de  traiter  ici  en  général  du  rôle  extérieur  des  langues 
sémitiques,  des  influences  qu'eliies  ont  exercées  et  de  celles 
qu'ettes  ont  subies ,  depuis  le  vi*  siècle  avant  l'ère  chrétienïié 
josqu'è  l'apparition  de  l'islam. 


17. 


360  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 


CHAPITRE  IV. 

DES  INFLUENCES  EXT^BIEUBES 

EXERCEES  ET  SOBIES  PAR  LES  LANGUES  SEMITIQUES 

DURANT    LA    PERIODE    ARAM^ENNE. 


SI. 

On  ae  peut  dire  que  Taction  extérieure  des  Sémites  ait  été 
en  progrès  durant  la  période  que  nous  venons  de  parcourir. 
Le  rôle  colonisateur  de  la  Phénicie  finit  au  ix^  siècle  avant 
notre  ère  ^  et  dès  le  vi*  siècle,  l'importance  commerciale  et  ci- 
vilisatrice de  ce  pays  a  passé  tout  entière  à  la  Grèce.  Seuls ,  les 
Carthaginois  et  les  Juifs  représentent  encore  la  race  sémitique 
hors  des  limites  naturelles  du  sémitisme  et  sur  presque  tous 
les  points  de  l'ancien  monde. 

Bien  qu'on  manque  de  documents  précis  sur  les  Israélites 
qui  ne  profitèrent  pas  des  édits  de  Gyrus  et  restèrent  dans  le 
haut  Orient  ^,  on  ne  peut  douter  que  ces  exilés  ne  s  y  soient 
réunis  en  groupes  importants ,  et  qu'ils  n'aient  longtemps  con- 
tinué d'y  cultiver  la  langue  sainte  :  le  livre  de  Tobie  est  le 
plus  curieux  monument  de  cette  littérature  juive  des  provinces 
de  la  Médie  et  de  la  Perse.  L'Egypte ,  l'Arabie ,  TAbyssinie , 

'  Moven,  Die  Pftom.  t.  H,  a*  part  ch.  m. 

*  Les  chimères  <{ui,  i  diverses  époques,  ont  été  imaginées  sur  le  sort  des  dix 
tribus  et  leurs  établissements  au  Tibet,  en  Chine,  en  Amérique  (I),  ne  méritent 
pas  d^étre  discutées.  (Voy.  Ewald,  Guck.  dê$  V.  îmr.  t  III,  a*  part.  p.  99  et  suiv.) 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IV.  261 

TAsie  centnde ,  la  Chine  même  ^,  virent  également  fleurir  des 
commonautés  juives  assez  nombreuses ,  et  quelquefois  pres- 
que indépendantes.  Enfin ^  vers  l'époque  de  Tère  chrétienne, 
les  Juifs  couvrent  le  monde  entier  et  y  exercent  Tinfluence  la 
plus  décisive  ^.  Il  ne  paraît  pas  que  les  branches  de  l'émigra- 
tion juive  qui  se  dirigèrent  vers  l'Occident  aient  longtemps 
gardé  l'habitude  du  dialecte  sémitique  que  parlaient  leurs 
frères  de  Palestine  et  d'Orient  :  on  doit  croire  cependant  que 
les  nombreux  Syriens  qui  inondaient  l'empire,  et  qui  furent 
les  plus  ardents  propagateurs  du  christianisme  en  Grèce  et  en 
Italie,  conservaient  parfois  quelque  souvenir  du  syriaque'.  Par 
la  gnose ,  d'ailleurs ,  et*  par  la  liturgie  chrétienne^  mais  surtout 
par  les  versions  de  la  Bible,  l'hébreu  arriva  à  exercer  une 
action  sérieuse  sur  les  langues  de  notre  Occident.  Il  serait  in- 
téressant de  rechercher  les  tours  et  les  expressions  d'origine 
hébraïque  ^  qui  sont  entrés ,  par  ces  versions  et  en  particulier 
par  celle  de  saint  Jérôme ,  dans  la  moyenne  ou  la  basse  lati- 
nité, et,  par  suite,  dans  les  langues  modernes^. 

>  Voy.  de  Sacy,  Naticu  et  ExtrmU,  t  IV,  p.  699 ,  et  Mém.  de  VAeaâ,  de$  Inê- 
aipi,  et  BeUeê-LeUree ,  t  XLVIU ,  p.  SgA  et  suiv.  ;  de  Guignes ,  Und.  p.  763  et  suiv.; 
Volney,  Uhébreu  nmpl^,  p- 169  ;  Ign.  Kcegler,  Yenmkeiner  GeeekidUe  der  Judm 
m  Sma,  Hdie,  1806.  Sur  rinscription  hébréo-chiDoise  de  Khaï-fong-fou ,  publiée 
à  SÏÈm^im  en  i85i ,  voy.  Joum,  of  ihe  ammemi  OnenUd  SoeieUf,  vol.  lY,  p.  àkh- 
445  (New-York,  i85A). 

*  Les  témoignages  aliondent  En  est-il  de  pins  frappant  que  celui  du  plaidoyer 
/W  Flaeeo  (c.  xxviii),  ou  Gicéron  parie  avec  mystère  du  pouvoir  occulte  des 
Juifii,  et  présente  comme  un  acte  de  grand  courage  d^avoir  osé  s^opposer  à  leurs 
prétentions?  Sur  Texistence  presque  indépendante  de  certaines  synagogues  juives , 
voy.  rinscription  de  Gyrène,  dans  Bosckh,  Corpuê,  n®  536i;  cf.  n"  91 14  5,  dans 
les  Addenda  du  t  IL 

*  Jampridem  Syras  in  Tîberim  deBuxit  Orontes 

Et  Unguam  et  moras  vezit 

(JoTco.  &r.  m,  ▼.  6t.) 

*  Ainsi  géner^  de  gehemie  (gènes,  instrument  de  torture),  abbé^  de  abba,  etc. 

*  Gonf.  du  Gange,  Glou.  med,  et  vf,  latin.  Prœf.  S  xxv.  Les  UUre»  ehaidéennee 


963  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Lft  langue  araméenne,  d'un  autre  cMé,  acquit  en  P^nse, 
durant  l'^oque  qae  nous  Tenons  de  parcourir  y  une  ÎH^Msrtaiice 
qu  elle  n^y  avait  jamais  eue  jusque-là.  Du  mélange  des  deux 
races  sur  les  bords  du  Tigre  naquit  le  p^vi,  qui  devînt  la 
langue  officielle  de  la  Perse ,  lorsque  les  événements  eurent 
transporté  dans  les  provinces  occidentales  le  centre  de  rem- 
pûre^.  On  sait  qu'à  une  grammaire  purement  iranienne»  le 
pehlvi  joint  un  dictionnaire  en  grande  partie  sémitique.  Il  est 
même  remarquable  que  les  mots  sémitiques  qui  s  y  trouvent 
sont  des  plus  essentiels,  tels  que  ciel,  eauj  viBje,  waimn,  pire, 
mère,  eteur,  main,  etc.  Presque  tous  ces  mots  se  présentent  en 
pehlvi  sous  une  forme  araméenne,  souvent  méitae  avec  les 
particularités  des  dialectes  populaires  de  l'Irak  :  on  remarque, 
par  exemple,  que,  dans  les  mots  ainsi  empruntés,  toutes  les 
gutturales  se  confondent  en  K  :  mdnS  pour  mrh  ;  mD»  pour 
mon ,  etc. ,  comme  cela  a  lieu  chez  les  Sabiens  et  quelque- 
fois dans  la  langue  du  Talmud  ^. 

L'alphabet  araméen  arriva  dans  la  haute  Asie  à  un  r&le 
plus  considérable  encore.  Cet  alphabet,  dès  l'époque  assy- 
rienne, paraît  avoir  été  le  caractère  cursif  de  tout  l'Orient'. 
Sous  les  Achéménides ,  il  figure  sur  les  monnaies  des  provinces 

et  les  moto  prétendus  chaldéens,  qui  servaient  diez  les  Grecs  et  les  Romains  â 
des  usages  magiques,  étaient  d^ordinaire  des  signes  ou  des  mots  insignifiants, 
comme  les  lettres  grégeoiseê  et  arabiquu  du  moyen  âge.  Le  prestige  des  noms 
hébreux  ou  supposés  tels,  était  un  des  moyens  de  séduction  qu^employaient  les 
gnofitiques  auprès  des  gens  simples. 

'  Ifohl,  Livre  dst  Roû,  I,  p.  xiii-xiy. 

*  Mémoire  de  M.  MûBer  sur  le  peUvi  dans  le  Journal  (uiat,  avril  1889,  p.  397 
et  suiv.;  Zeiisehr^Jur  die  Kunde  dee  MorgetUandee ,  L  III,  p.  91  et  suiv.;  t.  lY, 
p.  s86;  Zeitechr^  der  deuttchen  morgenL  Geeellechi^,  t.  VII,  p.  3 1 5,  note; 
W.  Jones,  dans  les  Asiatie  Beeêorekee  de  la  société  de  Calcutta,  t.  Il,  p.  53. 

'  Lasse»,  dans  la  2»tsdU^>iM^  die  Kmde  dee  iÊargmdimdm,  t.  VI(i8&5), 
p.  56». 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IV.  363 

les  plus  reculées  de  l'empire  ^  Les  alphabets  zend,  pehlvi, 
arien  9  bactrien,  paraissent  aussi  d'origine  S43mitique^.  On  pent 
affirmer  que  toute  l'Asie ,  jusqu'au  Pendjab ,  a  reçu  l'alphabet 
cursif  de  l'Aramée,  comme  toute  l'Europe,  jusqu'au  fond  de 
l'Occident,  l'a  reçu  de  la  Phënicie;  c'est-4-dire  que,  d'un  bout 
du  monde  à  l'autre,  l'écriture  alphabétique  a  été  un  bienfait 
des  Sémites. 

L'action  de  l'Aramée  sur  la  Perse  s'exerça ,  du  reste ,  d'une 
manière  fort  inégale,  selon  les  époques.  Sous  la  dynastie 
achéménide ,  qui  représente  une  des  périodes  les  plus  indépen- 
dantes de  l'écrit  iranien,  l'influence  sémitique  fut  assez  faible; 
mais,  durant  le  court  intervalle  de  la  domination  grecque 
et  sous  les  Arsacides ,  les  influences  grecques  et  araméennes 
devinrent  très-«nvahissantes ' ;  les  princes  arsacides  prenaient, 
comme  un  titre,  le  nom  de  OiXAXvvss,  et  se  servaient,  en 
général,  du  grec ,  quelquefois  du  syriaque^,  sur  leurs  médailles 
et  leurs  monuments.  Sous  les  premiers  Sassanides ,  les  mêmes 
relations  se  continuèrent^.  Les  mots  araméens  sont  très-nom- 
breux dans  les  légendes  pehlvies  des  monnaies  de  ces  princes 
(par  exemple,  kdVd  ]HobDz=irex  regum);  les  noms  de  nombre 

*  GeMniiifl,  Minmm,  pkœn.  p.  7&;  de  Luynes,  Eêtai  nir  la  mmitmatiftie  di$ 
StUrtipû»  et  delà  Phéùdef  ê<m»  l»  roU  Achénénides  (Paris,  18&6). 

*  Lassen ,  2.  e.  et  Zur  Getchickte  der  griech.  und  mdothiftkiiehen  KcmigB  m  Bak- 
ferim,  JKiiM  und  Indien  (Bonn,  i838),  p.  89,  167,  i63,  166,  etc.;  Spiegel, 
Àvnt»,  t.  I,  9*  ExcQTS;  Raoul-Rochette,  Journal  du  Sao.  sept  i835,  p.  5^3; 
GcBonDB,  op,  eà,  p.  83-8A.  Voy.  cependant  E.  Bnrnonf,  Cmnmtnt.  but  le  Yaçna, 
L  I,introd.  p.  cl. 

*  De  Sicy,  Menu  eut  dioer$e$  antifuUét  de  la  Pêne,  p.  &i  et  suiv.;  Droysen, 
Geeck.  dm  HdlememuM,  t  II,  p.  789;  Wenrich,  De  aucL  grac.  venûmSme  et 
eemm.  eyr.  artdt,  etc.  p.  59  et  soiv. 

^  De  Loogpérier,  Mim.  eur  la  ehnmelogie  et  ^ieenographie  dee  roie  parthee  ar- 
(Paris,  i85&),  p.  5-6. 

*  Quatremère,  Mém.  eur  ke  Nabot,  p.  i36  et  sniv.;  de  Sacy,  lee.  cit 


S6&  HISTOIPR  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

qu'on  y  lit  sont  presque  tous  syriaques  ^  Au  contraire,  sous 
les  derniers  Sassanides,  à  partir  de  Cobad  (vers  5oo  de  J.  G.)^ 
les  mots  araméens  deviennent  rares  sur  les  monnaies.  Ce  fait 
tient  à  une  réaction  très-vive  de  Tesprit  national  de  la  Perse, 
qui  eut  lieu  principalement  sous  le  règne  de  Bahram  V  (  &  s  o- 
&/(o),  contre  l'influence  chrétienne,  soutenue  en  Perse  par 
les  Syriens.  Le  syriaque,  en  effet,  était  dès  lors  la  l«igue 
ecclésiastique  des  chrétiens  persans,  comme  elle  l'est  encore 
aujourd'hui.  Bahram ,  cédant  sans  doute  à  la  pression  de  l'es- 
prit public  et  aux  sollicitations  des  mages,  persécuta  violem- 
ment le  christianisme ,  proscrivit  le  syriaque ,  ordonna  que  le 
parsi  seul  (c^»^)  fût  parlé  à  sa  cour  et  enseigné  dans  les  écoles. 
Cette  réaction,  toutefois,  ne  fut  pas  décisive*;  le  magisme 
n'était  pas  assez  fort  à  cette  époque  pour  résister  aux  influences 
combinées  de  la  Syrie  et  de  l'empire  grec ,  agissant  dans  le  sens 
du  christianisme.  Sous  Firouz,  les  Nestoriens  de  Syrie  firent 
en  Perse  les  plus  grands  progrès  ;  et  sous  Ghosroès,  nous  voyons 
l'empire  sassanide  devenir  le  centre  d'un  vaste  mouvement  in- 
tellectuel dirigé  par  des  Grecs  et  des  Syriens  '.  Une  foule  d'Ira- 
niens venaient  s'instruire  à  Edesse,  ce  qui  fit  donner  à  l'école 
de  cette  ville  le  nom  d'école  des  Perses  ^.  L'enseignement  des 
académies  de  Nisibe  et  de  Gandisapor  était  grec  pour  le  fond 
et  se  donnait  en  syriaque.  Le  syriaque  devint  ainsi  en  Perse 


'*  Voy.  de  Longpérier,  Eêioi  êur  kê  nMuttn  de$  rott  pêne»  de  la  dyneietie 
nide  (Paris,  18/10),  et  les  mémoires  de  M.  Mordtmann  dans  la  ZeiUehrifï  der 
deutêdi.  morgefd.  GeêeUtch^,  IV  Band,  1  Hea(i85o)  et  VIII  Band,  1  Heft 
(185/1);  de  Sacy,  ouvr»  eUé,  p.  166  et  suiv. 

*  Ibn-Mokaffa  compte  le  syriaqae  parmi  les  langues  qui  étaient  pariées  à  la 
cour  de  Perse.  Voy.  Qiiatremère,  Mém,  eur  kê  NabaL  p.  98. 

'  Pai  recueilli  les  preuves  de  ce  fait  :  Pe  phUoe.  perip,  apud  Syroe,  S  â. 

^  Gonf.  Âssem.  BM.  orient,  t  I,  p.  ao3,  !i5if  606;  i,  II,  p.  Aos;  t  III, 
i'*  part  p.  996,  376;  Fabridus,  Btbl  med.  et  tnf.  Ia(m.  t.  IV,  p.  ao&,  note; 
Wiseman,  Horœ  $yr.  II*  part.  S  v,  oole. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IV.  365 

une  langue  savttite,  conjointement  avec  ie  grec'.  Qudqaes*- 
unes  des  productions  les  plus  remarquables  de  la  littérature 
des  Syriens^  par  exemple  YlntrodiKtian  à  la  logique  de  Paul 
le  Perse ,  dédiée  à  Ghosroès  ^,  les  ouvrages  philosophiques  et 
polémiques  de  Bud  et  d'Achudémeh  ' ,  proviennent  de  cette 
direction  d'études.  Un  siècle  après ,  la  Perse  tombait  définitif 
vement ,  par  la  conquête  musulmane ,  sous  la  dépendance  du 
génie  sémitique,  d'où  elle  ne  devait  sortir  que  vers  le  xi*  siècle, 
par  rétablissement  de  dynasties  indigènes  et  la  fondation  d'une 
nouvelle  littérature ,  profondément  empreinte ,  il  est  vrai ,  de 
sémitisme,  mais  pleine  de  souvenirs  nationaux  et  écrite  dans 
un  idiome  qui  pouvait  passer  pour  un  écho  assez  fidèle  de 
l'ancienne  langue  de  l'Iran. 

Les  influences  ^i  linguistique  sont  presque  toujours  réci- 
proques. En  même  temps  que  le  syriaque  préludait  en  Perse 
au  r61e  important  que  la  langue  arabe  devait  y  jouer  un  peu 
plus  tard,  il  chargeait  son  vocabulaire  de  mots  empruntés  à' 
l'idiome  iranien.  Ce  fait  se  remarque  déjà  dans  les  plus  an-* 
ciens  monuments  qui  nous  restent  de  la  langue  araméenne, 
les  firagments  d'Esdras.  Il  continua  de  se  produire  à  tous  les 
Âges-  de  la  langue  syriaque  et  du  chaldéen  talmudique ,  mais 
surtout  à  l'époque  des  Sassanides.  Ainsi  Jlâpu^»  =  persan  |<vm 
argent;  jLcowLd  =  persan  é^à^ grenier  public;  )euf  = 
persan  ^^  démon,  etc.  Les  noms  de  substances  étrangères  im- 
portées  par  le  commerce ,  qui  durant  l'âge  hébraïque  sont  pres- 
que tous  indiens,  sont  maintenant  persans.- Il  est  impossible 

'  Goof.  Cramer,  Da  êtudUê  quœ  vetere$  ad  aUarum  geiUkan  eontuiermt  Unguoê 
(Sundis,  18&&),  p.  10  et  suiv. 

'  De  phihê,  per^.  apud.  Sifrq»,  $  3 ,  et  Journal  oêiat.  avril  i859. 

'  Aflsem.  BibL  orûnt.  t  III,  i"*  part  p.  199  et  suiv.,  919  et  suiv.  L^hûto- 
riographo  persan  dté  par  Moïse  de  Khorène  (1.  II,  ch.  lux-ux),  porte  le  nom 
syriaque  de  Banoutna, 


366  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

de  déterminer  à  quelle  époque  les  langues  araméennes  se  sont 
enrichies  de  ces  dépouilles  étrangères.  La  forme  des  mots  four- 
nit cependant,  à  cet  égard,  quelques  indications.  Ainsi  plu- 
sieurs mots  terminés  par  un  k  en  pehlvi  et  en  kurde,  le  sont 
par  un  h  dans  le  persan  moderne;  or  ces  mots  ont  passé  dans 
le  syriaque  avec  le  son  k  :  Ju09<Hd  parkon  =  pehlvi  ^^^H29  * 
persan  ^j^.  —  JLdlLj  pique,  arabe  td>Aj  =  pehlvi  ^©t,  per- 
san Byfi^.  De  même  en  talmudique  :  pno")  voie  publique  =  per- 
san U^^ 

L'Arménie  subit,  encore  bien  plus  profondément  que  la 
Perse ,  l'influence  de  la  Syrie  durant  les  siècles  qui  s'écoulèrent 
depuis  la  fondation  du  christianisme  jusqu'à  l'invasion  musul- 
mane. Là ,  comme  en  Perse ,  le  syriaque  représenta  l'influence 
chrétienne,  et  joua  quelque  temps  le  rôle  de  langue  sacrée. 
Les  traductions  arméniennes  de  la  Bible  et  des  principaux  ou- 
vrages ecclésiastiques  furent  d'abord  composées  sur  le  syria- 
que ^.  A  partir  de  Mesrpb  et  de  Moïse  de  Khorène ,  il  est  vrai ,  une 
réaction  assez  vive  se  ^fait  sentir  contre  les  Syriens';  dès  lors 
la  partie  la  plus  éclairée  de  l'église  d'Arménie  se  place  sous  le 
patronage  de  Gonstantinople  et  abandonne  les  études  syriaques 
pour  les  études  grecques.  Néanmoins,  Moïse  de  iOiorène  re- 
connait  lui-même  que  l'origine  de  la  culture  arménienne  doit 
être  cherchée  en  Syrie,  qu'Edesse  fut  le  centre  et  le  point  de 
départ  commun  des  deux  églises,  que  les  annales  d'Arménie 

*  Mém.  de  M.  Mûller  sur  le  pehlvi,  dans  le  Joumai.  anoL  avril  iSSq,  p.  996 
et  suiv.;  ZeiUckr^fir  die  Kunde  det  Morgerdandet ,  L  lY,  p.  a83-fl8&;  Spiegel, 
Avetta,  t.  1 ,  3*  Excnrs ,  p.  979  ;  P.  Bcetticher^  Suppkmenêa  lexiâ  arammei  (Berol. 
t868). 

'  Gf.  Wenrich,  1k  auct,  grœe.  venwnihuê,  etc.  p.  &9  et  sniv.;  Qnatremère, 
Mém.  êur  bv  Nabat.  p.  189;  Ghahan  de  Girbied,  Reeh,  curieuêes  mr  Fhiiî.  ane. 
de  l'Aeie,  p.  97a  et  suiv. 

^  Moïse  de  Khorène,  HieU  d'Arm.  1.  HI,  c.  lxiv. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IV.  367 

forent  émtes  d'abord  par  des  Syriens.  Même  dans  les  siècles 
qui  suivirent  la  réaction  dont  je  viens  de  parier,  Finfluence 
syriaque,  bien  qae  moins  puissante,  ne  cessa  pas  entièrement 
de  s'exercer  en  Arménie  ^.  La  consécjuence  linguistique  de  ces 
relations  mutuelles  fut  l'introduction  d'un  certain  nombre  de 
mots  syriaques  dans  l'arménien ,  et  aussi  de  quelques  mots  ar- 
méniens dans  le  syriaque^. 

L'esprit  de  prosélytisme  des  Nestoriens  et  les  persécutions 
qui  les  forcèrent  à  refluer  vers  la  haute  Asie  propagèrent  bien 
jhâs  loin  encore  l'influence  de  la  langue  syriaque ,  et  la  por- 
tèrent en  Tartarie,  dans  le  Tibet,  dans  l'Inde  et  jusqu'en 
Chine'.  La  navigation  de  l'Océan  indien  et  la  colonisation  de 
llnde  furent,  dès  le^  temps  des  Ptolémées,  la  propriété  des 
Arabes  et  des  Syriens  ;  un  courant  d'émigration ,  sans  cesse  re- 
nouvelé, porta,  depuis  cette  époque,  les  dialectes  sémitiques 
sur  les  côtes  de  l'Hindoustan  :  il  en  est  résulté  des  patois  gros- 
siers \  dont  le  vrai  caractère  n'est  pas  bien  connu ,  mais  qui 
semblent  en  général  se  rattacher  à  l'arabe.  Aujourd'hui  encore 
il  existe  dans  l'Inde  une  chrétienté,  la  même  peut-être  que 
rit  Cosmas  Indicopleustès  au  vi*  siècle  ^,  qui  a  conservé  dans 
la  liturgie  l'usage  du  syriaque  ^. 

Quant  à  l'établissement  des  Nestoriens  syriens  en  Chine, 


'  Voir  un  passage  de  Samud  d^Ani,  se  ra|^rtamt  â  Tan  &90,  que  j^ai  dté 
diaprés  une  eomimimcatioa  de  M.  Dokarier.  (Joumud  onolifw,  nov.Hiéc  i853, 
p.  &3o.) 

*  Yoy.  Bœtticher,  Swppl  lex,  orom.  Cf.  ZêUt^ir^  ékr  deuttehên  morgwL  Ge- 
MlM4^,tVU,p.  3s&. 

-^  Aasanam,  BM.  onîml.  t  III ,  9*  part.  chap.  ix  et  x  ;  BecugU  de  voyagm  et mé- 
fiéUh  par  la  SocM  de  géographie,  L  IV,  p.  s5  et  suiv.  , 

*  Adelung,  lHUkrid.  I,  &19  et  sdv.;  Bail»,  Atiag  etknogr.  3*  Ubl. 
"  MonUauoon,  CoB.  mena  Painm  grœe.  Il,  178,  336. 

*  Qualremère,  Mém,  êur  Ut  NiAat,  p.  lâoi 


268  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

il  ne  saurait  être  désormais  révoqué  ea  doute.  M.  Reinaud 
a  ie  premier  ûgnaié  un  passage  du  Kitàb  el-Fîhrist,  qui  donne 
sur  ce  point  les  détails  les  plus  précis  ^.  Vers  la  fin  du  %iif 
siècle,  Barhebraeus  nous  parle  encore  d'un  métropolitain  de 
la  Chine  ^;  Guillaume  de  Rubruk^  et  Marco  Polo^  trouvent 
une  foule  de  Nestoriens  en  Mongolie  et  dans  tout  l'empire  chi^ 
nois.  Quelques  faits  curieux,  recueillis  par  M.  Quatremère, 
ét^lissent  que  la  langue  syriaque  était  à  cette  époque  une 
sorte  de  langue  savante  en  Tartarie  ^.  Enfin  Klaproth  et  Abel 
Rémusat  ont  supposé  que  l'alphabet  ouïgour»  dont  les  alpha- 
bets mongol,  kalmouk  et  mandschou  sont  dérivés,  venait  de 
Yeêtrangkeh  par  l'intermédiaire  des  Nestoriens^.  M.  Reinaud 
a  montré  que  les  Manichéens  ou  les  Sabiens  auraient  autant 
de  droits  que  les  Nestoriens  à  prétendre  à  cet  honneur  "^  ;  mais, 
dans  cette  dernière  hypothèse ,  l'origine  syriaque  de  l'alphabet 
en  question  n'en  serait  pas  moins  certaine. 

La  célèbre  inscription  syro-chinoise  de  Si-'gan-fou  serait, 
sans  contredit,  le  plus  curieux  témoignage  des  lointaines  péré- 
grinations exécutées  par  les  Syriens,  si  des  objections  graves 


'  Géographie  d^Ahcuyéda,  Introd.  p.  gdi  etsuiv.  ;  conf.  Astemani,  Le;  Benau- 
dot,  AncietmeÊ  relations  des  Indes  et  de  la  Chine,  p.  ss8  et  aoiv.;  de  Guigoes, 
dans  les  Màn.deVAcad.  des  Inscript,  et  BeUes-Lettres ,  t.  XXX,  p.  809;  F.  Nève, 
Etablissement  et  destntction  de  la  première  chrétienté  en  Chine  (Louvain,  18A6). 

'  Assemani,  Bibl.  or,  t.  II,  p.  955,  957;  t  III,  9*  part.  p.  dxxiu;  M.  de  Saq 
a  décrit  (Notices  et  extr,  L  XII,  p.  977  et  suiv.)  une  copie  d*un  manuscrit  sy- 
riaque de  la  Bible,  en  caractères  estranghelo,  trouvé  en  Chine. 

^  Recueil  de  la  Société  de  géographie,  t.  IV,  p.  3oi  et  suiv. 

^  Gfaap.  cxLTi  et  cxlix  de  sa  Belation,  La  forme  syriaque  du  nom  d^un  de  ces 
Nestoriens,  Marsarchis  (Mar  Sergius),  est  encore  reconnaissable. 

*  Mém,  sur  les  Nabat.  p.  lUU-iUb, 

*  Klaproth ,  Abhandkmg  ûher  die  Spraehe  und  Schrift  der  Uiguren  ( Paris,  1890); 
Abel-Rémusat,  Recherches  sur  les  langues  tartares,  t.  I,  p.  99  etsuiv. 

^  Géogr,  d'Abou^eda,  Introd.  p.  cgclxv. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IV.  269 

ne  rendaient  assez  douteuse  Fauthenticité  de  ce  document.  Les 
caractères  syriaques  qui  se  lisent  sur  les  bords  de  la  pierre 
ressemblent,  il  est  vrai,  à  Vestranghelo  du  tiii*  siècle;  mais  il 
est  lûen  difficile  de  rapporter  au  même  temps  les  caractères 
chinois  de  l'inscription,  qui  paraissent  beaucoup  plus  mo- 
dernes^* Ce  qui  augmente  les  incertitudes,  c'est  que,  dans 
l'édition  chinoise  de  l'inscription^  qui  fut  imprimée  en  16&& 
par  les  soins  des  jésuites,  et  que  possède  la  Bibliothèque 
impériale  (nouveau  fonds  chinois,  n^  3 67),  il  est  dit  que, 
lorsqu'on  découvrit  l'inscription,  elle  parut  écrite  en  anciens 
caractères  ichouan^^  d'une  forme  extraordinaire.  Il  résulte 
d'une  série  de  textes  très-importants  recueillis  par  M.  Stanislas 
Julien,  et  qu'il  a  bien  voulu  mettre  à  ma  disposition  :  1^  Que 
ni  les  Annales  de  la  dynastie  des  Thang,  ni  aucun  ouvrage 
chinois  connu  en  Europe  et  antérieur  à  l'arrivée  des  mission- 
naires, ne  parle  de  l'inscription  ni  du  décret  qu'elle  consacre  : 
or  on  sait  quelle  exactitude  les  Chinois  portent  dans  leurs  recueils 
historiques*  La  première  édition  de  la  Géographie  universelle 
de  la  Chine,  publiée  en  l'jlxk  par  l'ordre  de  l'empereur  Khien- 
long,  mentionne  (livre  CXXXVlll,  fol.  36-87)  P^^^  ^®  T^*~ 
rante  inscriptions  gravées  sur  pierre  à  Si-'gan-fou,  sans  citer 
la  nôtre.  —  a*  Que  les  temples  de  Ta-thsin,  qu'on  dit  avoir 
existé  à  Si-'gan-fou  et  dans  d'autres  parties  du  Céleste  Em- 
pire, ne  sont  pas  des  temples  chrétiens,  mais  des  temples  de 
religions  persanes,  soit  le  manichéisme,  soit  le  culte  du  feu. 


*  Tcik  «t,  da  moins,  Topimon  de  M.  Nenmann,  dans  la  Zgùiehr^  â&r 
âtmUekm  nwrgtidmd,  G^êdhelufi,  IV  Band,  p.  38  et  suiv.  (i85o). 

*  Les  caiaetèses  tehouan  sont  ceux  qui  ont  socoédé  à  récritore  idéographique. 
La  BiMioâièque  impéride  possède,  dans  le  nouTean  fonds  ebinois  (n*  i63),  le 
texte  des  six  litres  canoniques,  en  caractères  tehouan,  fort  différents  de  cenx  de 
Finscription. 


S70  WSTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Des  textes  nombreux  et  formels  rétablissent  ^  Le  pays  de  7a- 
thsin  est  certainement  la  Perse ,  et  c'est  tout  à  (ait  à  tort  que 
quelques  missionnaires  ont  voulu  y  voir  l'empire  romain  ou 
la  Judée  ^.  —  3^  Aucune  des  descriptions  anciennes  du  cou- 
vent bouddhique  où  l'on  dit  que  se  trouva  le  monument ,  ne 
le  mentionne  ;  la  première  description  qui  en  parie  est  celle 
de  la  Géographie  Impériide  (livre  GXXXIX,  fel.  aS,  édit  de 
fjUliy,  Par  une  rencontre  bi2arre,  ce  couvent  est  le  même 
où  le  célèbre  Hiouen-thsang  fit  ses  traductions  d'ouvrages  boud* 
dhiques,  de  6 &5  à  6 6&  :  or,  s'il  fallait  en  croire  l'inscription, 
ce  serait  précisément  à  la  même  époque  que  les  chrétiens  se 
seraient  établis  à  Si-'gan-fou  en  nombre  prodigieux.  Gomment 
donc  Hiouen-thsang,  qui  voyagea  pendant  dix-«ept  ans  pour 
étudier  les  religions  de  l'Occident,  et  dont  les  opinions  nous 
sont  connues  dans  le  plus  grand  détail,  grftce  h  la  traduc- 
tion de  sa  biographie,  donnée  par  M.  Julien,  a-tnd  ignoré 

*  G*eBt  ce  qui  rémiUe  en  ptfticoiier  du  texte  de  TEDcydopédie  bouddhique  Fê- 
tMm-foiy-4Et  (tiv.  XXXIX ,  fol.  1 8  ) ,  publiée  seul  la  dynastie  des  Song  (  entre  i  sG5 
et  1978),  par  Song-tehi^fan.  Gel  auteur,  i^rès  avoir  raconté  qu^on  établit  des 
temples  du  feu,  appelés  Ta-thiinr-Êêe  ou  temples  de  Ta-tkiin,  en  faveur  des  secta- 
teurs de  Sim-4oiMi  (Zoroastre),  dit,  en  note,  que  le  royaume  de  Ta4k9m  était 
la  Perse  (en  chinois  Pthiêê). 

'  Voir  surtout  la  description  du  royaume  de  Ta-thsin ,  dans  le  Tektm^imAdii 
(Histoire  des  peuples  barbares  y,  publiée  par  Tchathjmhhmo ,  qui  vivait  sous  les 
Song,  entre  les  années  960  et  1978.  (Nouveau  fonds  chinois  de  la  Bfl)l.  impér. 
n*  696,  ton.  VL)  Une  chose  curieuse  et  digne  de  remarque,  qui  a  éduqppé  à  la 
sagacité  des  missionnaires,  c^est  que  les  renseignements  qu^ib  donnent  sur  le 
royaume  de  Ta^thiin,  dans  leur  édition  chinoise  de  Tinscription  de  S^'gtm/oii, 
se  rapportent  précisément  à  la  Perse,  et  qu^il  serait  impossible  dVn  faire  Tap- 
plication  à  la  Judée. 

'  Voir  G. Pauthier,  Qmemodmmê,  p.  107-108.  M.  Paulhier^ocorde  trap  d*im- 
portanoe  à  ce  passage,  qui  peut  n^étre  qn^un  éeho  des  livres  des  nuflsiottBaires, 
ekqui,  d^aillenrs,  prouverait  tout  au  plus  la  réàUtéy  mm  non  VattAettêieité  dn 
monument. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IV.  S71 

jusqu'à  rexîstence  du  christianisme?  —  h^  G*est  sur  la  foi 
des  Jésuites  que  plusieurs  auteurs  chinois  du  xvni*  et  du 
m*  aède  ont  admis  Tanthenticité  de  Tinscription ,  et  expliqué 
le  nom  de  Toràmn  par  Jau-ie^a  (Juiœa).  Ainsi  on  la  voit  fi-< 
gurer  afee  de  longs  commentaires  dans  un  recueil  moderne , 
intitulé  KinrchirWWr^pien  (livre  GII,  fol.  i  et  suiv.).  Cette  don- 
née ,  comme  tant  d'autres ,  aura  passé  des  livres  publiés  par 
les  missionnaires,  dans  les  compilations  chinoises.  Un  passage 
du  dernier  volume  de  la  Géographie  Impériale  nous  apprend 
expressément  que  cette  identification  du  pajs  de  Jwi-te-ya  avec 
Tar4hm  provient  du  jésuite  Matthieu  Ricci.  —  5^  La  seule  au- 
torité considérable  aUéguée  dans  le  recueil  Kinr^hi-êo^ârfim  en 
fiiveur  de  l'inscription,  est  celle  de  Min-khieoa,  écrivain  du 
XI*  siècle,  qui  parle  du  temple  de  Pih-ne  (Perse)  fondé  à  Si- 
'gan-fou  en  faveur  du  religieux  barbare  04(hue,  dont  le  nom 
ressemble  à  celui  du  syrien  04(hpen,  désigné  dans  l'inscrip- 
tion. Nous  n'avons  pas  à  Paris  l'ouvrage  de  Min-khieou  :  il 
n'est  pas  impossible  que  le  passage  cité  par  le  compilateur 
chinms  ait  été  détourné  de  son  véritable  sens  ou  altéré  par 
les  Jésuites,  jaloux  d'établir  l'ancienneté  du  culte  dirétien 
en  Chine,  ce  qui  devait  leur  fournir  une  reccHnmandation  dé- 
cisive aux  yeux  des  Chinois.  En  effet,  si  l'inscription  a  été  fa- 
briquée, il  faut  supposer  que  les  faussaires  se  sont  servis  de 
documents  anciens  relatifs  aux  temples  de  Tordum,  documents 
que  par  un  contre-^ens  habile  ils  auront  fait  servir  à  leurs 
vues^.  —  Je  serais  entra tné  beaucoup  trop  loin  par  une  dis- 
cussion approfondie  de  cette  question,  secondaire  dans  le  sujet 

'  Ajoatoiis  eependant  qae  beaowup  de  oonsidératioiis,  et  en  partiaiiîer  le  rap* 
proèbemeiit  tiré  de  rintcription  hébréo-chmoise  de  Khai-lbng-lbu,  mititeat  pour 
le  eentimeiit  faToreUe  au  monmneiit  de  Si-*gm-feu.  V.  hunud  cf  ifce  mntÊÎetm 
Onental  Society,  vol.  III,  niimb.  ii  (  i853),  et  vol.  lY,  nninb.  ii  (iS5&), 


37S  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

qui  m'occupe.  J'espère,  d'ailleurs,  que  le  savant  sinologue  à 
qui  je  dois  tous  les  renseignements  nouveaux  qu'on  vient  de 
lire ,  se  chargera  lui-même  de  publier  et  de  discuter  les  nom- 
breux textes  dont  il  m'a  remis  la  traduction,  et  dont  quelques- 
uns  sont  fort  importants  pour  l'histoire  des  diverses  religions 
de  l'Orient. 

La  région  sémitique  de  l'Asie  et  de  l'Afrique  subit  encore 
bien  plus  directement  que  la  haute  Asie  l'influence  du  syriaque. 
L'Arabie  du  Nord  tira  presque  toute^  sa  civilisation  de  la  Ghal- 
dée.  M.  Quatremère  semble  avoir  démontré  que  les  Nabatéens 
de  Pétra  étaient  d'origine  araméenne^  Dans  le  Périple  de  la 
mer  Bouge,  attribué  à  Arrien  *,  le  roi  des  Nabatéens  s'appelle 
MaX/x^tf ,  forme  qui  tient  du  chaldéen  et  de  l'arabe.  A  l'époque 
de  l'enfance  de  Mahomet,  les  Koreischites ,  en  dém(^sant  la 
Gaaba,  y  trouvèrent  une  inscription  syriaque;  Mahomet  lui- 
même  sentit,  à  plusieurs  reprises,  l'importance  de  cette  langue 
pour  l'exécution  de  ses  projets^.  LTémen,  comme  peut-être 
l'Abyssinie ,  reçut  d'abord  le  christianisme  en  syriaque.  Le  sy- 
riaque y  fut  quelque  temps  la  langue  ecclésiastique,  et  l'un  des 
plus  anciens  caractères  employés,  au  moins  dans  le  premier  de 
ces  deux  pays,  fut  Vestranghelo,  désigné  par  le  nom  de  9oursi\ 
L'tle  de  Socotora  reçut  aussi  des  colonies  araméennes,  et  l'u- 


1  Màn.  êur  U$  Nabaléenê,  p.  8i-8a  ;  G.  Ritter,  ErdkmàiBy  XII,  p.  1 1 1  et  suit. 

>  P.  11  (édit  Hudflon).  Hirtiiu  {De  htXI/o  Alêxandn  c  j)  et  Dion  Cassas 
(Hitt.  rom,  XLVIII,  xli;  XLIX,  xxxii)  donnent  â  ce  nom  k  forme  parement 
chaldéenne,  Molesta.  Le  nom  âî'Aretai,  qa^ont  porté  quelques  rois  nabatéens,  est 
arabe  (o^l^)*  Quant  aux  înBcriptions  prétendues  nabatéennes  du  Sinaî,  voy. 
ci- dessous,  liv;  lY,  chap.  ii,  S  i. 

'  Quatremère,  op.  ctt.  p.  i33-i36,  iho-thi. 

*  Menu  de  VAead.  dst  In$er.  et  BdUi-LBUreê,  t  L,  p.  a66,  aSA  et  suit.  (Mém. 
de  M.  de  Sacy  )  ;  Walton,  Pralegg,  ad  BAL  PohfgL  p.  99. Voir  cependant  Ludoif, 
Hittœih.  i.  IV,  c.  1,  n*  aS. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IV.  273 

sage  du  syriaque  s'y  continua  au  moins  jusqu  au  vi*  siècle  ^ 
La  Nubie  enfin  employait  Talphabet  syriaque  conjointement 
avec  l'alphabet  copte  et  l'alphabet  ^c  ^. 

On  voit  quel  rôle  capital  la  langue  syriaque ,  devenue  l'ins- 
trument de  la  prédication  chrétienne,  joua  dans  toute  l'Asie, 
du  III*  au  IX*  siècle  environ  de  notre  ère.  Gomme  le  grec  pour 
l'Orient  hellénique  et  le  latin  pour  l'Occident,  le  syriaque  a 
été ,  on  peut  le  dire ,  la  langue  chrétienne  et  ecclésiastique  du 
haut  Orient.  Le  règne  trop  peu  remarqué  de  cette  langue 
comble  ainsi  une  lacune  dans  la  série  des  idiomes  qui  ont 
tour  à  tour  représenté  la  famiUe  sémitique,  et  servi  d'ins- 
trument aux  trois  grandes  religions  nées  dans  'son  sein.  De 
même ,  en  effet ,  que  l'hébreu  et  l'arabe  ont  parcouru  le  monde 
à  la  suite  du  judaïsme  et  de  l'islamisme,  on  peut  dire  que 
le  syriaque  est  arrivé  à  un  rang  distingué  dans  l'histoire,  par 
son  union  intime  avec  le  christianisme.  Mais  le  christianisme 
n'ayant  jamais  eu  en  Orient  qu'une  importance  secondaire ,  et 
ayant  cessé  de  très-bonne  heure  d'être  un  mouvement  sémi- 
tique pour  devenir  une  institution  grecque  et  latine ,  la  langue 
syriaque  a  en  des  destinées  moins  brillantes  que  ses  deux  sœurs , 
et  n'a  gardé  le  rôle  de  langue  sacrée  que  dans  de  très-petites 
églises,  tandis  que  l'hébreu  et  l'arabe  servent  d'organes  à  de 
vastes  sociétés  religieuses  répandues  dans  le  monde  entier. 

S  IL 

Une  action  bien  plus  féconde  que  toutes  celles  dont  nous 
venons  de  parler,  fut  l'influence  que  la  langue  grecque  exerça 

*  Mén.  de  VAcad.  dêt  Imcr.  t.  L,  p.  a 66;  Reinaud,  Géogr,  d^Ahou^ida,  Intr. 
p.  Gccuxxii;  AflBem.  BibL  wienL  t  III,  3*  part.  p.  dgiu. 

*  Voir  le  passage  da  Kitâb  eUFihrUi  cité  par  M.  de  Sacy.  (Mén.  de  VÀcad,  de 
Ifucr.  et  BeUet-LeUne ,  t.  L,  p.  s55.) 

i.  18 


iU  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

sur  les  langues  sémitiques,  et  en  particulier  sur  ied  langues 
araméennes ,  dans  l'intervalle  qui  s'écoula  entre  la  fondation 
de  la  monarchie  séleucide  et  l'invasion  musulmane.  Durant  près 
de  dix  siècles ,  le  génie  sémitique  souflrit  là  une  sorte  d'éclipsé 
et  abdiqua  son  individualité,  pour  subir  l'ascendant  de  la 
Grèce ,  jusqu'au  moment  où ,  par  l'islamisme ,  il  reprend  sa 
revanche ,  et  s'isole  plus  que  jamais  de  tonte  influence  indo- 
eurq>éenne.  A  l'exception  de  la  littérature  arabe,  tontes  les 
littératures  de  l'Asie  occidentale,  syriaque,  arménienne,  géor- 
giennes, éthiopienne,  copte,  portent  l'empreinte  de  l'influence 
grecque,  devenue  inséparable  de  la  religion  chrétienne.  L'idée 
même  du  travail  intellectuel  et  de  l'écriture  ne  vint  à  plu- 
sieurs des  peuples  de  l'Orient  que  par  leur  contact  avec  l'hel- 
lénisme chrétien.  Une  religion  porte  une  langue  avec  elle; 
l'écriture  est  d'ailleurs,  chez  les  Orientaux,  une  institution  re- 
ligieuse ,  et  Ludolf  a  observé  avec  justesse  que  l'initiation  d'un 
peuple  barbare  à  une  foi  nouvelle  est  d'ordinaire  suivie  de 
l'introduction  de  l'alphabet  ou  d'un  changement  dans  le  carac- 
tère nationaP.  De  là  ce  fait  remarquable,  que  le  plus  ancien 
monument  de  presque  toutes  les  littératures  chrétiennes  de 
l'Asie  est  une  version  de  la  Bible ,  révérée  presque  à  l'égal  du 
texte  sacré. 

Dès  l'époque  des  Séleucides,  la  Grèce  prit  possession  de  la 
Syrie  en  deçà  de  l'Euphrate,  et  y  réduisit  la  langue  syriaque 
à  un  rang  secondaire^.  Les  campagnes,  les  faubourgs  de  villes, 
et  quelques  localités  plus  rapprochées  de  l'Euphrate  ou  moins 

*  HUt.  mth.'\.  IV,  c.  I,  init. 

*  Gonf.  Wenrich ,  De  auckrum  grac,  venùmibui  et  eommentarm  eyriaei»,  etc. , 
p.  &  et  8uiv.  ;  Wicheihaufl,  De  N.  T.  venùme  tyr.  mU.  p.  97  et  soIy.,  77  et 
suiv.;  Droysen,  Geschichte  dee  Hdiemmui,  t.  II  (Hambourg,  i8&d),  p.  3i,  58 
et  suiv.f  Cramer,  De  ttudiù  quœ  twteret  ma  aharwn  gmêmm  emtulermt  tmgwu 
(SundiaR,  i84/i),  c.  t. 


LIVRE  ni,  CHAPITRE  IV.  875 

atteintes  par  l'inflaence  ^ecqne,  telles  que  Damas,  Palmyre, 
Bërée,  conservèrent  seuls  le  dialecte  araméen  ou  l'usage 
simultané  des  deux  langues.  Sous  la  domination  romaine  et 
byzantine,  l'hellénisme  pénétra  de  plus  en  plus  la  région  de 
rOronte  et  du  littoral.  Antioche,  Béryte  eurent  des  écoles 
grecques  rivales  des  plus  célèbres  de  f  empire.  La  littérature 
grecque  et  l'ég^e  grecque  reçurent  de  la  Syrie  leurs  plus 
illustres  représentants.  Cependant  la  langue  syriaque  ne  dis- 
parut entièrement  de  ces  contrées  que  dans  les  siècles  qui 
suivirent  la  conquête  musulmane. 

La  Phénicie,  la  Palestine,  l'fle  de  Chypre  ne  furent  pas 
aussi  complètement  envahies  par  l'hellénisme.  Jusqu'au  temps 
des  Antonins,  on  continua  à  frapper  des  monnaies  avec  des 
légendes  phéniciennes.  Dans  la  Palestine  et  l'tle  de  Chypre,  le 
syriaque  resta ,  jusqu'en  plein  moyen  âge  la  langue  d'une 
partie  de  la  population;  plusieurs  écrivains  syriaques  sont 
même  nés  dans  ces  deux  pays^  Le  judaïsme  palestinien,  d'un 
autre  côté,  opposa  à  l'esprit  grec  une  résistance  plus  énergique 
que  le  judaïsme  alexandrin.  Toutes  les  tentatives  des  Séleu- 

r 

ddes,  et  en  particulier  d'Antiochus  Epiphane,  pour  conquérir 
la  Judée  à  l'hellénisme ,  vinrent  se  briser  contre  l'invincible 
ténacité  des  vrais  Israélites.  Le  parti  nombreux  qui  s'était  formé 
à  Jérusalem  en  faveur  des  idées  grecques  ^,  dut  céder  devant  la 
recrudescence  d'esprit  national  représentée  par  la  famille  des 
Macchabées.  Tandis  que  les  Juifs  d'Egypte  acceptaient  pleine- 
ment la  langue  et  la  culture  helléniques,  ceux  de  Palestine 
restèrent  bien  plus  fidèles  à  l'hébraîsme  ;  l'influence  grecque 
ne  se  fit  jamais  sentir  chez  eux  que  d'une  manière  indirecte  ; 
l'idiome  sémitique  resta  toujours  leur  idiome  habituel.  Ceci 

*  Assemani,  BibL  orient,  t.  I,  p.  17t. 

*  11  Macch.  chap.  m,  iv,  ?. 

18. 


276  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

ne  doit  pas  s'appliquer,  il  est  vrai,  à  certaines  villes,  telles 
que  Gésarée ,  Scytbopolis ,  en  grande  partie  peuplées  d'étran- 
gers,  ni  aux  communautés  de  juifis  dits  hellénistes,  lesquels 
parlaient  grec  ou  du  moins  un  jargon  hellénique  (idd^ji^k), 
et  faisaient  usage  de  la  version  grecque  des  Ecritures ,  malgré 
Tanathème  des  rabbins  plus  sévères  de  Jérusalem  ^.  Mais  on 
ne  peut  supposer  que,  même  dans  ces  familles  moins  pures, 
les  études  grecques  aient  été  bien  florissantes  ;  les  fondateurs 
du  christianisme  en  particulier  paraissent  y  être  restés  'tout  à 
fait  étrangers^. 

La  numismatique  juive  présente  sous  ce  rapport  le  spectacle 
le  plus  instructif.  On  y  voit  Thébreu  reparaître  avec  toutes  les 
victoires  de  la  nationalité  israélite  et  céder  la  place  au  grec 
toutes  les  fois  que  cette  nationalité  souflre  quelque  défaite  : 
grecques  sous  les  Seleucides ,  hébraïques  sous  les  Asmonéens , 
grecques  sous  les  princes  dldumée ,  hébraïques  durant  la  pre- 
mière révolte,  grecques  après  la  soumission  de  Jérusalem, 
hébraïques  sous  Barcochébas  \  les  monnaies  juives  présen- 
tent, en  quelque  sorte,  le  tableau  des  luttes  de  la  Palestine 
pour  son  indépendance.  Après  la  catastrophe  qui  mit  fin  à 
l'existence  de  la  synagogue  de  Jérusalem ,  l'antipathie  des  Juifs 
d'Orient  pour  l'hellénisme  devint  de  plus  en  plus  déclarée. 
L'anathème  fut  prononcé  contre  celui  qui  enseignerait  à  son 

^  Voy.  Tdmad  de  Jérusalem,  Sota,  91,9.  Rabbi  Levi  bar  Gheita  s'indigne 
en  entendant  prier  en  heUénique  à  Gésarée  :  a  Eh  quoi  !  lui  répond  le  chef  de  la 
«synagogue,  veux-tu  donc  que  ceux  qui  ne  comprennent  pas  le  chaUéen  ne  prient 
«en  aucune  langue?  »  (Gonf.  Landau,  Geist  und  Sprache  der  Hehrœer,  p.  69  et 
suiv.)  Sur  Tacception  du  mot  ehaldém  dans  le  sens  de  hébreu,  v.  ct-dessos, 
p.  9o3,  note  1. 

'  Lami,  De  erudûione  apottokrum  (Florentiœ,  1738,  in-S**).  • 

^  De  Saulcy ,  Bech.  «tir  la  rmmiematique  judaïque  (  Paris ,  1 856  ) ,  p.  1 1 5 ,  1 5 1 , 
1 56 ,  etc. 


LIVRE  m,  CHAPITRE  IV.  277 

j 

fils  les  lettres  grecques  (rv»ir  nODn)^  Cette  étude  ne  fut  per- 
mise qu'aux  femmes,  en  guise  de  parure^,  et  il  ne  resta  d'autre 
trace  de  l'influence  grecque  en  Judée  qu'un  certain  nombre  de 
mots  grecs  et  latins  engagés  dans  la  langue  de  la  Mischna  et  du 
Talmud^ 

Il  est  remarquable ,  du  reste ,  que  les  mots  introduits  dans 
les  langues  orientales ,  par  l'effet  de  la  conquête  grecque ,  soht 
transcrits^  non  suivant  la  prononciation  de  la  langue  clas- 
sique ,  mais  suivant  les  analogies  du  dialecte  macédonien ,  qui 
se  rapprochait,  comme  on  sait,  des  patois  grossiers  de  la  Béo- 
tie  et  de  l'Éolide^;  ainsi  l't^  y  est  toujours  rendu  par  ou  : 
Tv^itsùxo  •=•  fTM\L(pw>iaL  (Dan.  m,  5,  i5);  %cpomo^J^Jd  = 
nhSiàvosy  comme  Q-ovyérfip^  xoSves^  en  éolien  et  en  béotien.  La 
diphtongue  oi  est  de  même  rendue  par  ou  :  qlL»9{  =  Kptavol, 
Or  on  sait  que  les  Béotiens  changeaient  régulièrement  oi  en 
t/,  et  que  cet  v,  ils  le  prononçaient  ou;  en  sorte  qu'ils  disaient 
xaki  pour  xaXo/,  xcàSs  pour  KokoU  ^.  Les  mêmes  particularités 
se  remarquent  dans  les  mots  grecs  empruntés  par  le  copte  ^. 
Ce  n'est  qu'à  une  époque  plus  moderne  que  la  prononciation 

'  Voir  la  cnrieiwe  fable  rapportée  â  ce  sujet  dans  le  Talmud,  Baba  Kama, 
89,  »;  Soia,  &9«  3;  Mmathoihy  6à,  s. 

«  rh  t3'»»Dn  Kiner  '•^do  n^iir  inn  nK  td*?^  dikV  iriD.  Talmud  de 

JénudeiB,  Vwky  3, 1. 

'  Gonf.  Dakes,  DièSprachê  ékr  MMmah,  p.  5 ,  9 ;  Landau ,  G^t  und Spraehe 
âgr  Hebrœar,  p.  71  et  suiv. 

*  Voir,  pour  plus  de  dévdoppements ,  mes  Eelairci$$emmt§  tirés  âss  hm^pm  êé- 
mitifUêt  fier  quelques  pomie  de  la prommeiatùm  grecque  (Paris,  18A9),  p.  19^ 
96  et  soiv.,  et  Seyffarth,  De  pnmmtialione  voeaUum  gresearum  Scriptturm  Saerœ 
velerQme  mkrfreliibue  utitaJUt,  %**  part 

*  ApoDonius,  Ikjrimomne,  p.  96,  laa,  etc.  (edit  Bekker);  Keûv&l.  Olxo- 
96i»4H,  TLepl  riis  yvncias  «pvÇopo^  r^t  iXhivtxiis  yXt&aans,  Tfu  €,  xc^.  €,  $t, 
(Saint-Pétersbourg,  i83o.) 

*  Voy.  Quatremère,  Journal  des  SaeauU,  juillet  18&9,  p.  &07-&0& 


278  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES, 

complètement  iotaciste  l'emporta  dans  les  transcriptions  de 
i'Orient*. 

L'Euphrate  peut  être  considéré  comme  la  limite  approxi- 
mative des  progrès  de  la  langue  grecque  en  Orient.  En  Mé- 
sopotamie ,  en  Arménie ,  en  Perse  même ,  les  études  helléni- 
ques furent  souvent  florissantes;  mais,  si  Ton  excepte  les  viUes 
fondées  par  les  Séleucides ,  jamais  la  langue  grecque  n'arriva , 
dans  ces  contrées,  à  l'importance  qu'elle  obtint  dans  la  région 
plus  rapprochée  de  la  Méditerranée.  Tandis  que  les  inscriptions 
grecques  abondent  dans  la  Syrie  en  deçà  de  l'Euphrate ,  à  peine 
le  recueil  de  MM.  Bceckh  et  Franz ^  en  foumit-il  deux  ou  trois, 
et  encore  singulièrement  barbares,  pour  la  Mésopotamie.  La 
langue  araméenne  demeura  toujours  la  langue  propre  du  pays. 
Au  iv"  et  au  v*  siècle,  le  syriaque  paratt  avoir  été  seul  en  usage 
dans  les  écoles  publiques  ^  ;  Saint  Ëphrem ,  la  gloire  de  l'église 
syrienne  à  cette  époque ,  ignorait  le  grec  ^  ;  Eusèbe  d'Emèse , 

'  D0  bonne  heure  cependant  on  y  voit  poindre  les  tendances  qui  ont  triomphé 
dans  la  formation  du  grec  moderne.  Ainsi  la  terminaison  tov  est  presque  toujours 
rendue  par  m  :  ]>1BiDD  =^  ^'oAtifpior  (Dan.  m,  7),  p^in^D  =  ^wiêptow, 
^^aaJL^  =  xj^Xxétov ,  etc. ,  comme  ^aSiiov  devient  paSèi  et,  dan^  des  transcrip- 
tions latines  du  moyen  âge,  rabdm  (Ms.  d^Avranches,  n**  aSio,  cui  cakem.) 

*  Corpui  Inscript,  grœc,  vol.  III,  p.  977.  D  est  remarquable  pourtant  que  plu 
sieurs  fleuves  de  Mésopotamie  et  d^Assyrie  portent  un  double  nom ,  grec  et  sy- 

riaque  :   ^^i  ou  Dmiafi  =  Sx/prot  (Assem.  Bibl.  or.  I,  p.  1 19,  &is ,  note); 

M'=^Lycu$;Zabate=Ci^pru$  (v.  d-dessus,  p.  6&).  Ces  deux  derniers  noms  pa- 
raissent  associés  dans  le  mot  KAnPOZABAÀAIÛN  d^une  inscrqition  de  Trêves, 
dont  je  dob  la  communication  à  M.  E.  LeblanL  La  région  du  Zab  fournissait  à 
Tempire  une  foule  de  gens  exerçant  les  petits  métiers  (^ynit) ,  et  dont  la  langue 
ordinaire  était  le  grec.  Les  Syriens  établis  en  Gaule,  dont  parle  Grégoire  de 
Tours  (Vin,  1  ;  X,  96),  étaient  sans  doute  des  Orientaux  pariant  grec 

'  Wiseman,  Hora  ayr.  a*  part.  S  5,  note;  Wichelhaus,  De  N.  T.  ofrt.  jyr. 
arU,  p.  81  et  suiv.;  Kopp,  Prof,  ad  Damoêeium,  «ep2  kpy&v 

*  Assemani,  BihUoiheca  orierUalisy  t.  I,  p.  39,  &&,  ^8.  La  légende  rapporte 
que,  dans  la  visite  que  fit  saint  Éphrem  h  saint  Basile,  les  deux  saints,  par  un 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IV.  379 

aon  conteD3|>orain ,  Ts^prit  dans  une  école  particulière ,  comme 
une  langue  savante  ^  Les  hommes  les  plus  instruits  de  la  Méso- 
potamie n  entendaient  souvent  que  le  syriaque  '  ;  la  traduction 
des  livres,  surtout  des  livres  ecclésiastiques,  était  une  fonction 
attitrée  dans  Tég^se  de  Syrie  '. 

Au  V*  siède ,  les  études  grecques  prirent  un  développement 
tout  nouveau  en  Mésopotamie ,  grâce  à  Técole  d'Edesse ,  qui 
était  devenue  Tasile  des  Nestoriens  ^.  Après  la  destruction  de 
Técole  nestorienne  d'Edesse,  en  489 ,  ces  études  passèrent  aux 
Jacobites  ou  monophysites,  et  ne  cessèrent  de  produire,  entre 
leurs  mains  d^assez  beaux  résuhats,  durant  les  vi* ,  vu*  et  viii*  siè- 
cles. L'initiation  des  Arabes  à  la  science  hellénique,  qui  se  fait 
surtout  au  IX*  siècle ,  est  en  grande  partie  l'œuvre  des  Syriens. 
Peu  à  peu  cependant  la  connaissance  de  la  langue  grecque 
aUait  en  déclinant  chez  ces  demies  ;  à  partir  du  xl*  siècle ,  on 
ne  trouve  plus  que  quelques  individus  isolés  qui  la  possèdent. 
Quant  aux  Arabes,  j'ai  essayé  de  prouver  que  jamais  les  études 
grecques  n'ont  été  cultivées  parmi  eux  ;  que  presque  toutes  les 
traductions  d'auteurs  grecs  en  arabe  ont  été  faites  du  syriaque , 
ou  du  moins  par  des  Syriens ,  et  qu'il  n'y  aurait  pas  beaucoup 
d'exagération  à  affirmer  qu'à  aucune  époque,  aucun  savant 
musulman  n'a  su  le  grec  ^. 

Indépendamment  des  Syriens  chrétiens,  quelques  villes 

minde,  se  donnèrent  réc^roquement,  Tun  la  fiicOité  de  parier  grec,  Tautre 
ede  de  parler  syriaque. 

'  Ta  tXXi/ipup  wouèevBêU  wapà  t$  mvtxûâha  i»  tf  È9é^  imhipaliamint  mu- 
èunif.  (Socrat  HùU  eeeki.  L  II,  c.  ix.) 

*  Qaatremère,  Mém.  $ur  tw  Nabot,  p.  i3&  et  soiv. 
'  Aasemani,  Bibl  orimit,  1 1,  Prol.  et  p.  ^76. 

*  De phUoiophia  feripaletica  apud  Syroê,  S  9.  Lea  faits  rapportés  par  Moïse  de 
Khorène,  sur  les' écoles  greoqaes  d^Edesse  antérieures  au  christianisme,  sont 
sans  doute  antidatés.  {Hùt  d^Arm.  L  1,  c.  yiii  et  ix;  1.  II,  c.  xxxriii.) 

^  De pkUoi,  per^,  tupndSfroe,  S  8. 


280  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

d'Orient  conservèrent  jusqu'en  plein  moyen  âge  la  tradition 
de  la'  science  et  de  la  langue  grecques.  Telle  fut  en  particu- 
lier la  ville  de  Garrhes  (Hartan),  où  ^hellénisme  continua 
de  fleurir  jusqu'au  xii*  siècle ,  au  milieu  d'une  population  qui 
n'ëtait  ni  chrétienne ,  ni  musulmane.  Les  nombreux  médecins  » 
astronomes,  mathématiciens,  philosophes,  traducteurs  d'ou- 
vrages grecs  en  syriaque  et  en  arabe ,  que  produit  la  ville  de 
Harran  vers  le  x*  siècle,  et  entre  lesquels  il  suffit  de  nommer 
Albaténi,  Thabet  ben-Korrah ,  Senan  ben-Thabet,  Thabet  ben- 
Senan,  attestent  la  présence  dans  cette  ville  d'une  école  active, 
restée  fidèle  aux  études  grecques ,  et  à  laquelle  appartient  sans 
doute,  dans  la  fondation  de  la  science  et  de  là  philosophie 
arabes ,  une  part  presque  aussi  considérable  qu'aux  Syriens  ja- 
cobites  et  nestoriens  ^ 

L'importance  que  prit  la  langue  grecque  en  Syrie,  soit 
comme  langue  vulgaire^  soit  conmie  langue  savante,  eut  pour 
effet  d'introduire  un  très-grand  nombre  de  mots  grecs  dans  la 
langue  syriaque.  L'emploi  de  mots  grecs  est  surtout  sensible 
chez  les  écrivains  monophysites ,  qui  poussent  l'affectation  de 
l'hellénisme  jusqu'à  la  pédanterie.  C'est  sans  doute  à  eux  qu'il 
faut  faire  remonter  l'usage  bizarre  de  marquer  dans  l'écriture 
syriaque  le  son  des  voyelles  par  les  lettres  grecques  A,  E,  H, 
O,  T  ainsi  figurées  :  ^,  "f",  oc,  ^^  *•,  pour  a,  e,  i,  o,  ou.  Mi- 
chaêlis  pense  que  cette*  notation  fut  déjà  employée  dans  la 
version  philoxénienne ,  ou  de  Xenaias  de  Mabug,  au  vi*  siècle^. 
Cependant  on  en  attribue  d'ordinaire  l'invention  à  Théophile 

*  Ibid,  p.  63.  En  attendant  Tfaistoire  de  Técole  païenne  de  Harran  promise  par 
M.  Ghwolflohn,  on  peut  lire  la  très-intéreseante  analyse  de  son  ouvrage  (jue 
M.  Kunik  a  donnée  dans  les  Mélangei  onatt^ttef  de  TAcadémie  de  Saint-Péters- 
bourg, t  I. 

*  Michaèiis,  Gramm.  tyr.  S  7. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IV.  281 

d'Edesse ,  au  vin*  siècle ,  et  Ton  suppose  que  ce  fut  pour  rendre 
l^us  exactement  les  noms  propres  dans  sa  traduction  syriaque 
d'Homère  qu'il  eut  recours  à  un  tel  expédient.  Quoi  qu'il  en 
soit,  Assemani  assure  n'avoir  trouvé  ce  système  employé  dans 
aucun  manuscrit  antérieur  à  l'an  861  ^ 

L'Arabie  elle-même,  si  fermée  dans  l'antiquité  comme  de 
nos  jours  aux  influences  du  dehors,  subit  à  un  degré  plus 
profond  qu'on  ne  serait  d'abord  tenté  de  le  supposer,  l'action 
de  la  langue  et  de  la  civilisation  helléniques.  Le  grec  était  la 
langue  commerciale  de  toute  La  côte  de  la  mer  Rouge  ;  à  l'é- 
poque des  Lagides  et  des  Romains,  toute  cette  côte  se  couvrit 
de  comptoirs  et  de  colonies  grecques  :  Socotora  devint  presque 
une  fie  grecque  ^.  Plusieurs  mots  grecs  s'introduisirent  dans 
l'arabe  à  une  époque  reculée  ;  ainsi  ^^  :=:  'ovpyoi.  D'autres 
y  pénétrèrent  par  le  persan  à  l'époque  des  Sassanides  ;  ainsi 
les  noms  de  monnaies,  jVJh»^  (^nyojpioy),  (jJé  (&€oX^$),  J^^ 
(JpaxfAi/)'.  M.  Letronne  a  démontré,  par  de  curieux  monu- 
ments épigraphiques ,  l'importance  que  la  langue  grecque  avait 
prise  en  Nubie  et  en  Abyssinie  dans  les  premiers  siècles  de 
notre  ère^.  D'un  autre  côté,  les  Arabes  des  environs  de  la 
Palestine  et  de  Pêtra  s'étaient  presque  fondus  dans  Ta  civili- 
sation grecque  et  romaine;  plusieurs  grammairiens  ou  per- 
sonnages politiques  de  l'époque  romaine,  tels  que  l'empereur 
Philippe ,  le  sophiste  Major,  le  grammairien  Phrynichus  ^,  por- 

'  Anemam,  BtbL  orwnt.  I,  p.  66,  ôai  ;  t.  III,  9*  part.  p.  ggglzxyiij. 

*  Droysen,  Geickiehte  dm  HeUmùnmiy  II,  6&5,  731,  7&6;  Reinaud,  Géogr. 
i^AboH^iiaf  introd.  p.  cgclkxxii. 

'  De  Longpérier,  JEifat  ff«r  fef  méiaSln  de$  roû  peneê  de  la  dynastie  sasêa- 
mà$y  p.  8. 

*  Jowmaldm  SanasU» yXDSÎ  \%^h^eiMém.deVAead,  de$Inicr,etBêQêê'L8Ure$, 
t.  IX  (nouvdie  série),,  p.  ia8  et  soiv.  V.  d-deBsoiu,  1.  lY,  c.  i,  S  5. 

*  Grsfenhan ,  Geseh,  der  klasê.  PkUol.  un  AUerthmn ,  III ,  p.  45-&6 , 1 96 ,  197. 


383  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

tent  rëpiibète  à^ Arabes.  La  dynastie  des  Odbeyna ,  qui  régna  à 
Pa}myre ,  et  dont  les  mœurs  semblent  toutes  grecques ,  est  une 
dynastie  arabe  ^  Il  en  faut  dire  autant  de  la  dynastie  des  Hâ- 
reth  (Aretas)'de  Pétra,  et  de  la  dynastie  d'Emèse,  où  nous 
trouvons  les  noms  évidemment  arabes  de  Sampneéramus ,  Azizj 
Jotape  (  i^àJ^e/^  ?) ,  JamhUque  (  «^UIç).  Les  rois  de  Ghassan  étaient 
dans  des  rapports  perpétuels  avec  la  cour  de  Gonstantinople , 
et  sans  cesse  opposés^  par  la  politique  byzantine ,  aux  rois  de 
Hira ,  qui  dépendaient  des  Sassanides  '.  Plusieurs  tribus  arabes 
recevaient  de  Gonstantinople  leur  phylarque  et  étaient  dans 
une  espèce  de  vasselage  vis-à-vis  de  Tempire  grec  '.  La  langue 
grecque  pénétrait ,  avec  le  christianisme ,  jusque  dans  les  par- 
ties les  plus  inabordables  de  l'Arabie  :  Grégentius ,  évéque  de 
Zhéfar,  écrivait  en  grec  une  polémique  contre  les  Juifs  et  dres- 
sait en  grec  le  code  des  lois  faomérites^.  Mahomet  fondait,  sur 
la  ressemblance  de  deux  mots  grecs ,  une  des  preuves  de  sa 
mission  ^. 

Quant  à  l'influence  de  la  langue  latine,  elle  fut. toujours 
presque  nulle  chez  les  peuples  sémitiques.  G'est  un  fait  général 
que  la  conquête  romaine  ne  put  détruire  l'usage  de  la  langue 
grecque  dans  aucun  des  pays  où  elle  le  trouva  établi.  Tandis 
qu'à  l'Occident  le  latin  s'étendait  sans  obstacle  jusqu'au  fond  de 
la  Bretagne ,  il  ne  réussit  pas ,  en  Italie ,  à  franchir  la  ligne 
des  colonies  grecques  établies  dans  le  midL  En  Orient,  de 

'  Gausiin  de  Perceval,  JSimr  «ht  l'hiêt,  de$  Arabm  ohuU  Piêlamitmê,  i.  U, 
p.  1 90  et  soiv.  ;  Saint-Martin ,  dauB  la  Biogr.  imw.  art  OdéuOk  et  ZéMt. 

'  Gausnn,  op.  cit,  II,  p.  119  et  suiv.;  Jounutl  anat.  oct  18&8,  p.  989,  3i8. 

'  Gauasin,  tM.  p*  3i6,  etc. 

^  Voir  ce  curieux  texte,  publié  a  la  suite  du  premier  volume  de  la  Literofiir- 
g§êekichi$  dêr  Artéer  de  M.  de  Hammer. 

'  Gonf.  d^Herbelot,  Bibl,  orimC  au  mot  Faraektiia;  Beinaud,  Mcnum,  arabn , 
ttirc*  et  persarn  du  cab.  du  due  de  Biacae ,  t  II ,  p.  78. 


LIVRE  III,  CHAPITRE  IV.  383 

même ,  ta  langue  grec4{ue  avait  de  trop  profondes  racines  pour 
qitelle  pût  être  expulsée  par  Tinfluence  d'un  pouvoir  dont 
le  centre  était  si  éloigné.  Aussi  le  latin,  réduit  à  un  usage  pu- 
rement officiel^  n'introduisit"- il  dans  les  diverses  langues 
sémitiques  qu'un  petit  nombre  de  mots  techniques  ^.  Il  est  re- 
marquable que  les  mots  relatifs  au  gouvernement  et  à  Tadmi- 
nistration  romaine  ont  passé  en  syriaque  dans  leur  traduction 

grecque  :  «xdclAAoJ^mJi  =  dvOôirarof  =procoMul;  {; 


avelpa  =  cohors;  jboûtt^i  =  tiy$i*eip  =r  prœ»eê,  etc.  ^. 


Les  mots  qui  sont  empruntés  plus  réellement  au  latin ,  }e 
sont  au  moins  dans  une  forme  grecque  :  U^A  =  (PpayéXkiov 

=ifiageUum;  \a*^S^  =  Xeyeoiv=ilegio,  etc.^.  Les  noms  pro- 
pres latins  sont  de  même  transcrits  dans  leur  forme  grecque  ; 

ainsi,  CaSns  =  Teùos  =  «£DCuJi^;  Clemens  =  KXniâiif  = 
.<^.»i%>w  j%  Quelques  moté  pourtant  semblent  pris  directe- 
ment du  latin;  ainsi,  quœstionarius  =  {v^d^kXfiUD»  chald. 
nroDip;  )lL*o  =  ve/tfut;  jUaÂS  =  centenarium^.  Mais  alors 

'  Valère  Ifaiinie,  II,  ii,  s  ;  saint  Aug.  De  âoîL  Dei,  xix,  7  ;  conf.  Cramer,  De 
étudie  quee  vtUree  ad  aUarum  genUum  eotUulernU  Ungtiae,  p.  8  et  miiv. 

*  Le  paasage  da  Midraeeh  TehiUim:  a  U  y  a  trois  langaes,  ie  latin  poor  la 
«gaerre,  le  grec  pour  Tusage  ordinaire,  Thébreu  pour  la  prière»,  a  trop  peu 
de  prédsion  pour  qu'on  puisse  en  tirer  de  conséquence  rigoureuse.  Divers  pas- 
si^ges  de  Josèphe  (De  heUejud,  Y,  ix,  9;  VI,  11,  1;  VI,  ti,  9)  prouvent  que  le 
latin  était  fort  peu  compris  en  Palestine  au  premier  siède  de  notre  ère.  D^autres 
passages  {AnU,  XIV,  x,  s;  XTV,  xu,  5)  établissent  seulement  que  les  décrets 
des  Romains,  relatifs  à  la  Judée,  étaient  rédigés  en  grec  et  en  latin. 

*  Gonf.  Quatremère,  dans  le  Journal  dee  Soo.  juillet  18&9,  p.  hoH. 

*  Une  inscription  latine  en  caractères  grecs  a  été  trouvée  dans  les  ruines  de 
Balbek.  (  De  Saulcy,  Vcyage  auUmr  de  la  Mer  Morte  et  dam  ke  terrée  bibUqttee ,  II , 
p.  616.) 

'  Gonf.  Wiseman,  Uorœ  syr,  a'  part.  S  5,  noie;  Jahn,  Elem.  aram,  linguœ, 
S  18,  IV. 


28/^  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

la  forme  est ,  en  général ,  très-altérée ,  et  souvent  même  elle 
a  traversé,  sans  qu'on  s'en  doute ,  le  grée  byzantin  :  «XDjLiai) 
:=  Awcûva,  eit.^.  Aucun  auteur  latin  n'a  éfé  traduit  dans  les 
langues  sémitiques  :  Orose,  le  seul  écrivaia  latin  ipie  con- 
naissent les  Arabes,  sera  sans  doute  arrivé  jusqu'à  eux  par 
quelque  traduction  grecque.  L'existence  même  de  Rome  est 
comme  un  mythe  pour  les  Orientaux,  et  son  nom  [Roum)  dési- 
gne pour  eux  le  monde  byzantin. 

*  Hoffmann,  Gram.  «yr.  p.  sa. 


LIVRE  QUATRIÈME. 

TROISIÈME  ÉPOQUE 
DU  DÉVELOPPEMENT  DES  LANGUES  SEMITIQUES. 

PÉRIODE  ARABE. 


CHAPITRE    PREMIER. 

BRANGflB  Ml^BIDIONALE ,  JOKTilNIDE  OU  SABl^ENNE. 

[eimyakitk,  Éthiopien.) 


SI. 

Les  cinq  ou  six  premiers  sièeies  de  Tère  ehrétienne  sont  l'é- 
poque de  décadence  de  la  race  séndtique.  Le  judaïsme ,  chassé 
violemment  de  sa  terre  natale ,  devient  de  plus  en  plus  co»no- 
polite.  Le  christianisme,  qui  n'est  un  produit  sémitique  que 
par  une  seule  de  ses  nombreuses  racines ,  se  fait  de  plus  en 
^plus  grec  et  latin ,  et ,  ainsi  transformé ,  revient  envahir  la  Syrie. 
Les  différents  dialectes  sémitique?  se  chargent  de  mots  étran- 
gers; appliqués  à  un  ordre-  d'idées  qui  n'a  rien  de  sémitique, 
ils  perdent  leur  grâce,  leur  flexibilité,  leur  richesse.  L'Arabie 
elle-même ,  la  seule  région  où  la  vie  ancienne  des  Sémites  se 
continuât  encore ,  était  pénétrée  de  jour  en  jour  par  les  in- 
fluences du  dehors.  Au  sud,  l'Yéraen  était  envahi  par  les  Abys- 


286  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

sins;  aa  nord,  les  royaumes  de  Petra,  de  Hira,  de  Ghassan  se 
trouvaient  entratués  dans  ie  mouvement  de  la  Syrie,  et, 
comme  elle,  relevaient  soif  de  Tempire  grec,  soit  des  Sassa- 
nides;  à  l'ouest,  le  Bahrein  était  occupé  par  les  Persans.  En 
religion ,  même  lutte  de  forces  opposées  et.  ayant  leur  point 
d'appui  hors  de  l'Arabie.  Les  Juifs,  d'un  côté,  exerçaient  un 
prosélytisme  actif  et  avaient  converti  des  pays  entiers  à  leur  foi; 
les  Syriens,  les  Grecs,  les  Abyssins,  d'un  autre  côté,  poussaient 
vivement  au  développement  du  christianisme,  et  bâtissaient 
des  kalis  (^«xAiyo-Za).  Le  Kaysar  et  le  Kem'a  étaient  conune 
deux  suzerains  auxquels  les  scheikhs  arabes  s'en  référaient 
dans  leurs  dissentiments.  On  pouvait  croire  l'originalité  sémi- 
tique éteinte  à  jamais,  quand  tout  à  coup  cette  originalité  se 
réveille  par  l'apparition  la  plus  étrange  et  la  plus  inattendue 
dont  l'histoire  ait  gardé  le  souvenir. 

Jamais  race ,  avant  d'arriver  à  la  conscience ,  ne  dormit  d'un 
sonuneil  si  long  et  si  profond  que  la  race  arabe.  Jusqu'à  ce  mou- 
vement extraordinaire  qui  nous  la  montre  tout  à  coup  conqué- 
rante et  créatrice ,  l'Arabie  n'a  aucune  phce  dans  l'histoire  po- 
litique, intellectuelle,  religieuse  du  monde.  Elle  n'a  pas  de 
haute  antiquité  ;  elle  est  si  jeune  dans  l'histoire ,  que  le  \f  siècle 
est  s6n  Âge  héroïque ,  et  que  les  premiers  siècles  de  notre  ère 
appartiennent  pour  elle  aux  ténèbres  antérhistoriques.  Tout 
ce  qu'elle  raconte  sur  les  origines,  sauf  peut-être  quelques 
généalogies,  elle  l'a  emprunté  aux  traditions  juives,  altérées 
par  des  rapprochements  aii)itraires  ou  des  erreurs  évidentes  '  : 
une  saine  critique  n'en  peut  guères  tenir  compte,  et  il  est 

'  G^eBt  ainsi  que  Belki$,\e  nom  de  la  reine  de  Saba,  est  venu,  par  le  change- 
ment des  points  diacritiqpes,  de  N/«auAf(,  nom  que  Josèphe  donne  â  cette  reÎDe. 
(de  Saey,  Ckr$$tom,  III,  53o.)  Le  nom  de  Co^fan  qLu  n^est  sans  doute  que  ce- 
lui de  lokian  ^jJûJLj  ,  altéré  de  la  même  manière ,  et  recueilli  de  la  bouche  d^m 
juif  qui  prononçait  le  k  romme  un  h  aspiré. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  I.  S87 

suq>renant  que  des  savants  distingués  aient  accordé  une  sé^ 
rieuse  confiance  à  des  documents  ailssi  défectueux.  Il  est  plus 
surprenant  encore  que  Ton  ait  présenté  si  longtemps  la  tra* 
dition  arabe  sur  les  patriarches  comme  parallèle  à  la  tracLition 
juive  et  lui  servant  de  confirmation ,  tandis  qu'il  est  indubitable 
que  la  tradition  arabe  n'est  en  cela  qu'un  écbo  altéré  de  la 
tradition  juive ^.  Les  Arabes,  en  effet,  n'ayant  pas  de  vieux 
souvenirs  écrits ,  et  trouvant  à  côté  d'eux ,  dans  les  premiers 
sièdes  de  notre  ère,  un  peuple  qui  en  avait ^  adoptèrent  de 
dmfiance  toutes  les  histoires  des  Juifs,  et  y  relevèrent  avec  avi* 
dite  les  traits  qui  de  près  ou  de  loin  se  rattachaient  à  l'Airabie , 
par  exemple,  ce  qui  est  relatif  à  Ismaël,  à  Kéthura,  aux  Ama-* 
lécites,  k  la  reinç  de  Saba.  La  célébrité  des  personnages  bi- 
bliques, d'Abraham,  de  Job,  de  Salomon,  ne  date  chez  les 
Arabes  que  du  v*  siècle.  Les  Juifs  [ki  gens  du  Uvre)  avaient  tenu 
jusque-là  les  archivés  de  la  race  sémitique,  et  les  Arabes- recon- 
naissaient leur  supériorité  en  érudition.  Le  Ikfre  des  Juifs  par- 
lait des  Arabes  et  leur  attribuait  une  généalogie;  il  n'en  &llait 
pas  davantage  pour  inspirer  à  ces  derniers  une  foi  entière  : 
tel  est  le  prestige  du  livre  sur  les  peuples  naïfs,  toujours  em- 
pressés de  se  rattacher  aux  origines  écrites  des- peuples  plus  ci- 
vilisés. Les  traditions  bibliques  sont  ainsi  arrivées  à  une  seconde 
consécration  aux  yeux  de  l'Orient.  Si  elles  paraissent  dans  le 
Onran  notablement  différentes  de  ce  qu'elles  sont  chez  les 
anciens  Hébreux,  c'est  que  les  Arabes  s'en  tenaient  à  des 
récits  populaires ,  faits  de  vive  voix  et  presque  toujours  apo- 

'  On  commet  la  même  faute,  quand  on  accorde  quelque  valeur  aux  récits 
de  Joeèphe  et  de  Moïse  de  Khorène  sur  les  temps  anciens  de  rhistoire  du 
monde.  Ces  auteurs,  en  effet,  n^avaient  entre  les  mains  aucun  document  que 
noua  n'ayons  nous-mêmes,  et,  quand  ils  ajoutent  quelque  chose  au  texte  de  la 
Bible,  ils  le  tirent  ou  de  Topinion  qui  avait  cours  de  leur  temps ,  ou  de  rapproche- 
ments fictifs,  ou  de  leur  propre  imaginatioD. 


288  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

ciyphes  ;  d'où  il  est  résulté  que  les*  histoires  du  Coran  res- 
semblent beaucoup  plus  aux  contes  des  rabbins  qu'à  la  Bible. 
La  cntique  ne  saurait,' en  tout  cas,  accorder  une  valeur  con- 
sidérable à  la  tradition  orale  chez  des  peuples  qui  n'ont  com- 
mencé à  écrire  qu'à  une  époque  très-moderne,  surtout  quand 
ces  peuples  étaient  dominas  par  l'ascendant  ^'une  face  bien 
plus  riche  en  souvenirs.  * 

L'islamisme  ne  fut  pas  la  cause,  comme  on  le  répète  sou- 
vent, mais  bien  l'effet  du  réveil  de  la  nation  arabe.  Ce  réveil 
est  antérieur  au  moins  d'un  siècle  à  Mahomet.  Dès  le  vi*  siède, 
la  langue  arabe,  qui  n'avait  été  fixée  jusque4à  jpar  aucun 
monument  écrit,  nous  apparaît  tout  à  coup  avec  ses  formes 
savantes  et  raffinées,  dans  des  poésies  frappées  au  coin  d'une 
smgulière  originalité.  Ce  fut  une  vraie  renaissance  du  sémitisme , 
une  floraison  inattendue  de  l'esprit  ancien ,  par  une  branche  qui 
jusque-là  était  restée,  concrètement  stérile.  Et  ce  qu'il  y  a 
de  remarquable  y  c'est  que  cette  nouvelle  littérature  sémitique , 
apparaissant  ainsi  dans  l'arrière-saison ,  est  peut-être  la  plus 
pure  de  toutes,  je  veux  dire  celle  où  se  dessinent  le  plss 
nettement  les  traits  de  la  race ,  sans  mélange  d'aucun  élément 
étranger.  Nulle  part  n'apparaissent  mieux  cet  extrême  égoïsme, 
ces  passions  indomptables,  cette  préoccupation  exclusive  de 
soi-même ,  qui  forment  le  fond  du  caractère  sémitique.  L'A- 
rabie offrait ,  pour  me  servir  de  la  belle  image  d'un  poète  hé- 
breu ^  le  spectacle  d'un  peuple  qui  n'a  point  étérémuide  d$89us 
sa  lie,  et  a  conservé  toute  sa  saveur.  C'est  que  la  vie  du  bédouin^ 
est,  par  excellence,  la  vie  du  sémite;  toutes  les  fois  que  la 

'  Jéréno.  xLviii ,  i  i . 

'  Ce  mot  désigne  TArabe  nomade,  par  opposition  à  TÂrabe  citadm,  qui, 
dans  Topinion  des  Arabes,  n'est  qu'un  Arabe  dégénéré.  Voir  sur  ce  point  les 
réflexions  ingénieuses  d'Ibn-Khaldoun,  dans  ses  Prol^;omhte$ ,  1.  Il,  cb.  i-tii. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  I.  389 

race  arabe  s'est  renfermée  dans  la  ?ie  citadine,  elle  y  a  perdu 
ses  qualités  essentielles,  sa  fierté,  sa  grftce,  sa  sévéïre  majesté^ 
et  ce  n*est  paâ  sans  raison  qu'aux  yeux  des  Arabes,  le  séjour 
au  désert  est  le  complément  nécessaire  de  toute  éducation 
distinguée.  L'islamisme  lui-même ,  qu'est-il'  autre  chose  qu'une 
réaction  du  monothéisme  sémitique  contre  la  doctrine  de  la 
trinité  et  de  l'incarnation ,.  par  laquelle  le  christianisme  cher- 
chait, en  suivant  des  idées  indo-européennes,  à  introduire 
en  Dieu  la  pluralité  et  la  vie? 

Les  traditions  ard>es  sur*  la  différence  des  idiomes  cahiamque 
et  ismaMique,  sur  l'adoption  de  la  langue  arabe  par  Yarob,  sur 
la  distinction  des  Ariba,  Montéarriba  et  Mtnutariba,  sur  la  prio- 
rité du  syriaque  relativement  à  la  langue  arabe  S  répandent 
bien  peu  de  lumières  sur  les  obscurités  qui  enveloppent  l'his- 
toire jNrimitive  des  langues  de  l'Arabie.  Les  vérités  qu'on  peut 
démêler  au-dessous  de  ce  tissu  de  fables  et  de  contradictions, 
tfdles  que  la  distinction  des  dialectes  de  ITémen  (>^  ^j^) 
et  de  l'Hedjaz  (iuA^I  ^^^^t^*?'  ^.arabepur);  la  prédominance  que 
prit^  vers  l'époque  de  l'islamisme,  le  dialecte  de  l'Hedjaz;  la 
primauté  littéraire  des  Syriens  sur  les  Arabes,  sont  de  celles 
que  |a  science  eût  découvertes,  lors  même  qu'elle  n'eût  pas 
eu  pour  se  fixer  à  cet  égard  i®  témoignage  des  historiens  mu- 
sulmans. L'absence  con^lète  de  critique  rend  le  témoignage 
de  ceux-ci  assez  léger,  quand  il  s'agit  d'époques  reculées  et 
de  &its  qui,  pour  être  bien  observés,  demandent  un  don  par- 
ticulier de  finesse  et  de  pénétration. 

C'est  par  la  langue  de  l'Yémen  que  nous  devons  commender 


de  Perceval,  Eêioi  twr  Vhki,  deê  Arabeê  avant  Vislanimne,  1 1,  p.  7 
et  niiv.  5o,  56  et  soiv.;  Fresnei,  dans  le  Jowmal  atiatique,  juin  i838,  p.  5s6 
et  niv.;  Ibn-Ehaldoim,  ProUgomèMêy  chapitre  traduit  par  M.  de  Sacy,  dans  son 
AtUMogiê  grammaticale  arabe,  p.  UoB  et  smv. 


1. 


*9 


990  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

l%Î8toire  des  iangaes  de  la  péninsule  arabe  et  de  rM>yssime. 
Les  recherches  de  M.  Fresnel  sur  les  idiomes  de  TArabie  mé- 
ridionale ,  ia  découverte  d'un  grand  nombre  (l'inscriptions  hi- 
myarites,  l'analogie  reconnue  entre  llumyarite  et  l'éthiopien 
ou  ghez  ont,  depuis  quelques  années,  renouvelé  ces  études 
et  ajouté,  on  peut  le  dire ,  une  nouvelle  branche  à  la  famille 
sémitique.  La  profonde  di£férehce  qui  sépare  le  dialecte  hî- 
myarite  de  l'arabe  suffirait,  en  effet,  pour  assigner  une  place 
distincte  à  la  langue  de  l'Yémen  :  toutefois,  la  science  n'est 
pas  assez  avancée  pour  qu'il  soit  permis  de  créer  une  pareille 
catégorie.  11  suffit  d'avertir  ici  qu'à  cAté  des  trois  groupes,  ara- 
méen,  chananéen  et  arabe,  une  classification  rigoureuse  des 
langues  sémitiques  en  placerait  peut- être  un  quatrième ,  le 
groupe  méridional,  qu'on  appellera,  si  l'on  veut,  côuschite 
jou  sabéen^  oceijq)aint  les  deux  c^tés  du  détroit  de  Bâb-el- 
Mandeb,  et  qui  paraît  avoir  eu,  depuis  la  plus  haute  anti- 
quité jusqu'à  nos  jours,  son  individualité  distincte.  Seulement, 
ce  groupe  n'ayant  pas  ilans  l'histoire  l'importance  des  trois 
autres,  l'himyarite  et  l'éthiopien  ne  figureront  longtemps  en- 
core dans  le  tableau  des  langues  séinitiques  que  comme  ayant 
préparé  l'avènement  de  l'arabe,  o'estr^-dire  du  rameau  sémi- 
tique qui  se  dév^eloppa  le  dernier,  et  arriva,  en  absorbant  les 
dialectes  congénères ,  à  la  domination  universdle. 

S  IL 

Tous  les  auteurs  arabes  s'accordent  à  dire  que  l'ancienne 
langue  de  l'Yémen  ou  langue  himyarite  différait  de  l'arabe 
maaddique  ou  de  Modhar,  à  tel  point  que  ceux  qui  pariaient 
ces  deux  langues  ne  pouvaient  souvent  se  comprendre  ^.  Le 

*  Pococke,  Specmên  hùt,  AriAum',  p.  i55  et  soiv.  (édit  White);  de  Sacy, 
AfUkoL  grammatieale  arabe ,  p. .  6 1 3. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  I.       - 

mot  i^fVr,  employé  généralement  pour  défigfner  un  (mrier 
iMffbare  et  inintelligible ,  ft*ap]^que  spécialement  à  la  langue 
de  FAbysome  et  de  ITémen  ^.  Les  lexicographe^  et  les  bisto* 
riens  arabes  nous  ont,  do  reste ,  conservé  un  grand  nombre  de 
mots  et  de  phrases  qui  attestent  cette  différence^  « 

Des  inductions  très-lortes  avaient  fait  penser  depuis  long- 
temps aux  savants  versés  dans  Fétude  des  langues  sémitiques 
que  les  restes  de  la  langue  himyarite  devaient  être  cherchés 
dans  le  g^ez  ou  Féthiopien.  Mais  jusqu^aux  découvertes  de  ces 
dernières  années,  on  ignorait  que  la  langue  himyarite  fût  en- 
core pariée  de  pos  jours  par  plusieurs  peuplades  de  l'Arabie 
méridionale.  En  18879  M.  Fulgence  Fresnel,  alors  consul  de 
France  à  D^edda,  obtint,  pour  la  première  fois,  une  connais- 
sance précise  de  l'idiome  parié  entre  le  Hadramaut  et  l'Oman, 
surtout  dans,  le  pays  de  Mabrah ,  à  Mirbat  et  à  Zhéfar  ^.  Cet 
idiome,  qu!il  nomma  Mali  (  JJCi^t],  du  nom  de  la  race  noble 
qui  le  parie ,  lui  apparut  stir-^le^amp  comme  un  dialecte  sémi- 
tique, notablement  différent  de  l'arabe  et  se  rapprochant  par- 
fois de  l'hébreu.  Des  preuves  très-fortes  l'amenèrent  également 


1  Mo^aka  d^ABtira,v.  t5;amf.  Preytag,  L«ap. ant,  Ua,  8.h.v.,  èldeSacy, 
AfiAeL  grwmm.  attb0,  p.  HF* 

'  Aux  eipnsaioBt  d^  munam^  4m  peut  «JMiter  une  phrase  lÔMyarite-eoiiser- 
vée  par  Ibii-Badraui,  dans  son  Commtmtairt  twr  h  pomm  d'Bm'Abiaim  (édîL 
de  M.  R.  Dosy,  Leydb,  tSkè)  p.  10,  el  qodqoes  eipresnona  recae^es  par 
M.  fa^bé  Bargèa  dans  rHîstoîre  de  Bem-Zeyan,  par  Ifdiammed  ben  AfadaSah 
el-Ténaci  (Jmimal  otielifM,  odohre  18&9).  ^ 

3  lammd  miaL  juin,  juiUet  et  décembre  i838;  conf.  Gesenins,  dans  VAttg^- 
mtmê  LitÊratia^Zeitiingj  de  Halle,  juiflet  18&1,  col.  869  et  suit.;  RcBdîfjer, 
Zmtêduftfir  im  Kwdê  det  Morgmlandm,  t  m ,  p.  a  88  et  aniv.  U  D*  Krapf  a 
donné,  dans  la  ZêUaekr^furdieWiMtmiÊdu^àêrSpKadiê  de  H«efer,  1 1  (t8&6), 
p.  3f  I  et  anivanles,  qudqaes  apedmens  de  la  même  langae:  La  physionomie  bar- 
bare defidiome  de  Mabrah ,  avait  dn  reste  .été  remarqaée  par  on  gnnâ  nombre 
d'historiens  et  de  géographes  arabes.  (G.  Bitter,  ErdkMmdêt  L  XII,  p.  Â3-&6.) 

«9- 


S92  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

à  y  voir  un  reste  de  rancienne  langue  himyarite  et  à  le  rap- 
procher par  conséquent  de  Tétbiopien. 

Vers  le  même  temps,  de  nombreuses  inscriptions,  prove- 
nant des  ruines  qui  couvrent  le  sol  dans  la  région  de  Mareb 
et  de  Sana  ^ ,  vinrent  jeter  un  grand  jour  sur  Thistoire  do 
ITémen.  Dès  le  commencement  de  notre  siècle,  on  connut 
quelques-unes  de  ces  inscriptions  par  Seetzen  ^.  Le  voyage  de 
Wellsted  et  Gruttenden,  entrepris  en  i83o  pour  explorer  les 
cfttes  de  TArabie,  en  augmenta  beaucoup  le  nombre^.  En 
iS&S,  1  exploration  de  M.  Tb.  Jos.  Arnaud,  poussée  jusqu'à 
Mareb  avec  un  admirable  dévouement,-  a  fourqi  elle  seule  cin- 
quante-six textes  nouveaux ,  dont  quelques-uns  d'une  grande 
étendue^. il  résulte  de  la  relation  du  courageux  voyageur  que 
la  mine  à  exploiter  sur  ce  point  est  en  qudique  sorte  infime,  et 
que  Tépigraphie  himyarite  est  destinée  à  devenir  une  des  bran- 
ches les  pluslriches  et  les  plus  intéressantes  des  études  de  l'O- 
rient. Malheureusement  les  préjugés  bizarres  des  habitants 
oppos^ont  longtemps  aux  recherches  des  difficultés  presque  in- 
surmontables,  et  seront  peut-être  plus  funestes  àia  conserva- 
tion des  monuments  que  ne  Font  été  jusqu'ici  des  siècles  d'oubU. 

Enfin,  deux  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  Berlin  ont 

'  Les  jBotean  arabes  «n  parlent  fréquemment  (  Vey.  de  Sacj,  Mài^  de  VAead, 
âmlmeryi,  L,  p.  a66  et  auiv.)- 

*  Fwndgryhtn  de$  OrimUê ,  II ,  aSa  et  auiv.  Niebuhr  eut  des  renseîgnemenfs  sur 
rexÎBtenoe  des  inscriptions  lômyarites;  mais  quoitpi'il  ait  dû.  passer  fort  pràs  de 
plusieurs  d'entre-eUes,  il  nVn  aperçut  aucune.  (Dmct^Cmmi  de  PArabiBf  p.  83.) 

'  J.  R.  Wellsted,  TraveU  m  Arobia  (London,  i838,  a  yiA.);  Journal  tftkê  fi. 
Géogr.  Soctfly,  vol.  VIII,  p.  676  (i838). 

*  Ces  inscripti(»is  ont  été  publiées  par  M.  Mohl  et  étudiées  par  If.  Fres- 
nel,  JùwwA  luiatiqw,  février-naars,  aYril-mai,  sept-oet  i8Â5.  M.  de  Wrede  a 
trouvé  depuis  une  nouvelle  inscription  dans  ta  vallée  de  Doan.  (Jomfèoi  agioL 
nov.  i865,  p.  396.)  On  peut  en  voir  une  autre  dans  la  Zmtêokr^fir  die  Ktnde 
dee  Morgefdamdeê ,  t  V  (»8&â),  p.  ao5  et  suiv. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  L  S»3 

fourni  à  M.  Rcediger^  des  alphabets  himyarites,  dont  la  con- 
formité avec  le  caractère  des  inscriptions  nW  pas  douteuse. 
Beaucoup  d'autres  manuscrits  arabes  et  persans  contiennent 
de  ces  sortes  d'alphabets;  mais  les  formes  en  sont  si  altérées, 
qu'il  est  difficile  d'en  tirer  quelque  secours  ^. 

Grftce  à  toutes  ces  découvertes,  on  peut  désormais  parier 
avec  certitude  de  la  Uuigue  et  de  la  littérature  ancienne 
de  rYémen.  Et  d'abord,  il  est  hors  de  doute  que  l'ehkili  ou 
mahri  nous  représente  d'une  manière  approximative  la  langue 
himyarite,  expulsée  d'une  grande  partie  de  son  domaine  par 
l'arabe  koreischite ,  lorsque  celui-ci  fut  devenu  ins^arable  de 
la  conquête  musulmane.  Edrisi  '  avait  déjà  identifié  la  langue 
du  Mafarah  avec  l'himyarite.  Un  proverbe  rapporté  par  le 
Sihah,  à  l'article  j^,  suppose  que  Zhéfar  était  par  excellence 
la  vflle  où  l'on  pariait  himyarite  :  jli^^Ulô  «|^à  (j^.  Celui 
qui  entre  à  Zhéfar  hmyarisé  (c'est-à-dire  park  la  kmgue  himyâ" 
riie)  K  Or,  Zhé&r  est  le  point  principd  où  se  continue  l'usage 
de  la  langue  ehkili.  On  comprend,  du  reste,  que  la  région  de 

'  ZeitMekrtftJur  dit  Kunde  de»  Morgmdandeê,  I,  3Bs  et  Buiv. 

*  Ilnd.  t.  V,  p.  ail  et suiv.;  Michdangelo  Land,  Su  gU  OnUreni  et  loro forme 
di  eerieen  Crovote  m' eodid  vatieam  (  Roma ,  1 8  ao  ).  Founnont  et  Aasemani  avaient 
pris  pour  des  caractères  himyarites  certaines  (brmnles  de  talismans  qi^^on  trouve 
en  t^  de  quelques  manuseiits  arabes,  par  exemple,  du  n*  889  A  de  Tauden 
fonds  de  la  BibL  imp.  et  des  n**  7 s 7,  789  du  Vatican.  (Voir  le  catalogue  publié 
par  le  card.  Mai,  dans  la  5er^plorKm  F^temiii  nova  coUeotio,  U  IV,  p.  608 ,  616.) 
J*ai  pa  comparer  ces  formules  dans  les  manuscrits  de  Rome  et  de  Paris  ;  j*en  ai 
reomnu  k  parfaite  identité;  mais  on  chercherait  vainement  la  moindre  analogie 
enbre  les  caractères  qui  les  composent  et  ceux  des  inscriptions  himyarites ,  tels 
qn^ils  noDs  sont  maintenant  connus.  Âssenumi  a  commis  une  erreur  pius  grave 
encore,  en  voulant  trouver  le  caractère  himyarite  dans  un  alphabet  secret  contenu 
dans  le  n*  993  du  Vatican.  (GataL  dté,  p.  Uhg^kbo.) 

*  Géographie  d^Eêriei,  trad.  Jaubert,  I,  p.  i5o. 

*  Le  sens  de  ce  proverbe  est  qu'on  est  amené  è  parler  le  langage  des,  gens 
avec  lesquels  on  vit,  à  peu  près  comme  Ton  dit  chez  nous  :  Ihrier  aïoec  lêe  loupe. 


29&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Mahrah,  regardée  par  les  Arabes  de  THedjaz  comme  tout  à 
fait  barbare, *et  qui,  jusqu'à  ces  dernières  années,  était  restée 
presque  fermée  à  ^isiamisme^  ait  pu  conserver ,  mieux  qu'au- 
cun autre  pays,  la  langue  primitive  de  TArabie  ntéridionale, 
depuis  longtemps  presque  effacée  dans  ITémen. 

Les  essais  de  grammaire  donnés  par  M.  Freanel  joints  au 
recueil  de  mots  et  de  phrases  que  Ton  doit  à  M.  Krapf  ont 
mis  hors  de  doute  le  caractère  sémitique  des  idiomes  du  Mafa- 
rah,  de  Mirbat  et  de  ^éfar.  Ces  dialectes  ',  il  est  vrai ,  sem- 
blent, par  moment,  se  rapprocher  du  copte ^,  et  bien  des  in- 
ductions porteraient  à  les  ranger  dans  la  fSamille  des  langues 
chamitiques  ;  mais  de  vagues  soupçons  ne  sauraient  évidem- 
ment balancer  Topinion  des  deux  savants  qui,  seuls  jusqu'ici, 
ont  connu  le  mahri,  ni  tenir  devant  les  faits  qu'ils  citent.  Les 
plus  graves  anomalies  que  présente  le  mahri,  au  pmnt  de  vue 
de  hi  grammaire  sémitique,  s'expliquent  par  la  corruption  in- 
séparaJ^le  d'un  langage  qui  n'a  jamais  été  écrit.  Presque  toutes 
les  particularités  d'organe  et  de  prononciation  qui  caràctérir- 
sent  le  mahri  se  retrouvent  dans  le  ghez ,  sans  que  l'on  songe 
pour  cela  à  mettre  en  doute  le  caractère  sémitique  de  cette  der- 
nière langue.  Ainsi,,  le  rôle  des  voydles  est,  en  mahri  et  en 
g^ez ,  fort  différent  de  ce  qu'il  est  dans  les  autres  dialectes  sé- 
mitiques, et  l'on  conçoit  que  les  langues  dont  nous  parlons 
aient  été  amenées  à  se  faire,  pour  la  notation  des  voyelles,  un 
systètne  tout  particulier  et  beaucoup  plus  compliqué  que  celui 
des  autres  idiomes  de  la  même  famille.  Le  mahri,  comme  le 
ghez,  possède  un  certain  nombre  d'articulations  qui  lui  sont 
propres,  et  d'où  résultent,  pour  les  mots  et  les  fonnes  séœi- 

^  /otimai oMol.  juin  i838,  p.  536. 

*  Voir  Gesenku,  dani  VAUgmmmê  ÏMeratiÊt'Ztùutng  de  HaHe,  juillet  i8âi, 
r4»l.  373-376. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  1.  295 

tiques ,  des  altérations  qui  ont  beaucoup  d'analogie  avec  celles 
que  l9ê  peu^des  celtiques  ont  fait  subir  au  latin.  Ainsi ,  Varti* 
cnlation  /  devant  une  consonne  se  change  en  u  :  v^po^r  m)^, 
ô^i  pour  vJktl,  comme  en  français  paume  pour  pabm.^,  sans 
parler  d'iye  foule  d'éliâons  et  de  chutes  de  consonnes. 

La  principale  analogie  du  mahri  avec  Tëthiopien ,  et  aussi, 
il  faut  le  dire,  avec  le  copte,  est  l'emploi  du  son  k  au  lieu  du 
son  t  aui  adjbrmantes  de  la  seconde  personne  du  prétârit  :  ^ , 
m,  p,  au  lieu  de  n,'  on,  }n^.  Gomme  en  éthiopien.  Je  rap^ 
port  d'annexion  c'y  exprime  par  t.  Les  seules  fonpes  du  verbe 
que  M.  Fresnel  ait  pu  reconnaître  sont  la  deuxième  et  la 
huitième  defr  Arabes ,  et  une  autre  forme  ayant  pour  carac- 
târietique  le  e;,  forme  dont  on  trouve  quelques  exemples  en 
hébreu  et  en  syriaque,  mais  qui  a  une  importance  capitale 
en  copte.  Le  système  de  la  conjugaison,  .dans  son  ensemble, 
est  sémitique,  avec  quelques  particularités  qui  se  rapprochent 
de  l'amharique  et  du  copte.  La  troisième  personne  plurielle 
du  prétérit  a  laissé  tomber  son  adformante ,  comme  cela  a 
lieu  en  mendaîte ,  et  même  en  syriaque  pour  la  prononciation. 
L'article  a  perdu  complètement  le  lamed,  conmie  en  phéni- 
cien '. 

En  général,  on  le  voit,  toutes  ces  analogies  font  rentrer 

^  Cette  particularité  se  remanjae  Clément,  selon  Gesenius  (/.  c),  en  phé- 
nicien et  en  amharique. 

'  Gesenins  retrouve  le  même  fiiit  dans  le*  patois  maltais  et  dans  le  samaritain 
moderne.' (Gonf.  Gesenius,  Carmma  êmàutriUma,  p.  63;  Uhlemann,  tmtiU  kng. 
«oMorî^  p.  38.) 

^  TdUe  est  dn  mcMna  Tassertion  de  If.  Fresnd.  (Jimnml  anaUque,  juin  i838, 
p.  997.)  D'antres  laits,  dtés  par  If.  Pad-âmile  Botta  (BeUuùm  d'mt  v&yage  dam 
PYémm,  Paris,  1861,  p.  i&i-i&a),  et  par  M.  Tabbé  Barges  (/Mcrtiai  éutol»^ , 
oct  1869,  p.  366-3&7),  établiraient  que  Tarticle  ee  prononce  aum  ou  «m, 
pour  tnU,  fi  Un  passage  formel  de  ^riri  (de  Sacy ,  ilfi(4.  gramm.  arabe,  p.  1 10) 
confirme  cette  dernière  opinion. 


296  .       HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

le  mahri  dans  la  dasse  des  dialectes  vulgaires»  tels  que  Tainha- 
riqne,  le  maltais,  le  samaritain,  le  mendaîte,  qui  n*ontpas 
été  lobjet  d'une  culture  grammaticale,  et  se  soitt  altérés  dsins 
la  bouche  du.  peuple  pendant  de  longs  siècles,  faute  d'avoir  été 
gardés  par  l'écriture  ^  On  peut  dire  que  cette  langug  occupe  à 
peu. près,  à  l'égard  du  ghez,  la  place  que  le  mendaite  occupe 
à  l'égard  du  syriaque.  Cependant  quelques  particularités,  par 
exemple,  la  présence  du, duel  à  toutes  les  personnes  du  veri>e, 
l'emploi  étendu  du  passif,  formé,  comme  en  arabe,  par  le 
simple  changement  des  voyeUes,  rappeUent  les  compUcatîons 
de  la  grammaire  arabe.  Un  certain  nombre  de  mots  ou  d'ac- 
ceptions de  mots  possédés  en  commun  par  le  mahri  et  l'hébreu, 
comme  o^D,  jcanbe^  qui  se  retrouve  en  phénicien^,  3^,  mr- 
mer,  etc. ,  rattachent  d'ailleurs  le  dialecte  dont  nous  parions 
aux  ftges  attriens  des  langues  sémitiques.  Pococke. avait  déjà 
remarqué,  d'après  les  renseignements  fournis  par  les  auteurs 
arabes,  que  la  langue  hîmyarite  s'oignait  moins  que  Tarabe 
proprèm^at  dit  de  l'hébreu  et  de  l'araméen  '. 


S  m. 

Le  déchiffrement  des  inscriptions  himyarites  n'est  pas  en- 
core assez  avancé  pour  qu'il  soit  permis  d'énoncer  un  jugement 
précis  sur  le  caractère  de  la  langue  dans  lac[uelle  elles  sont 
écjrites*  Il  résulte  pourtant  des  travaux  de  Rœdiger ^,  Gesenius  ^, 

^  L^espérance  de  trouver  des  ouvrages  écrits  en  mahri  n^est  pourtant  pas  oom- 
plétement  perdue.  V.  Krapf,  dans  la  Zeitiekrifi  de  Hœfer,  1. 1,  p.  3 1 5. 

*  Voy.  ci-dessus,  p.  i8i.  Gf.  ZeiUehrift.àe  Hoefer,  1. 1 ,  p.  3i i. 
^  Pococke,  Speemen  hkUniœ  Arabwnf  p.  167. 

*  ZmUekr^fir  die  Kunde  des  MargmUand»  {  Gœtlingue,  1837),  p.  33a  ei 
tfuiv.;  Venueh  ûber  die  Himf€irUiMcKen  SchnfimofiumeiUe  (Haiie,  18&1). 

*  AUgemeine  lÂteraUW'ZeUung  de  Halle,  juillet  18Â1,  coL  376  et  suiv. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  I.  297 

Fresnel  S  Ewald  ^,  que  cette  langue ,  comme  on  devait  s'y  at- 
tendre ,  est  fort  analogue  à  Téthiopien  et  au  mahri.  La  date 
des  inscriptions  qui  nous  l'ont  transmise  est  encore  incertaine'; 
mais  on  peut  affirmer  que  le  feit  seul  de  leur  existence  suffit 
pour  renverser  l'opinion  de  M.^de'Sacy,  qui  supposait,  d'après 
le  témoignage  des  auteifrs  arabes  »  que  l'écritufe  avait  été  intro» 
duite  dans  ITémen  par  les  Abyssins  chrétiens^.  C'est,  au  conr 
traire ,  l'alphabet  bimyarite  qui  doit  être  considéré  comme  le 
prototype  de  l'alphabet  ghez,  ptdsque  l'alphabet  himyaiite  pro- 
cède de  droite  à  gaucl^e ,  comme  tous  les  autres  alphabets  sémi- 
tiques ^,  et  qu'on  n'y  trouve  pas  encore  le  mécanisme  si  dé* 
licat  de  voyelles  qui  caractérise  l'alphabet  ghez.  Quoi  qu'il 
en  soit,  l'alphabet  bimyarite  est  certainement  le  même  que  les 
historiens  arabes  désign^ent  par  le  nom  de  musnad,  bien  que 
le»  notions  qu'ils  nous  donnent  à  cet  égard  soient  fort  contra- 
dictoires, et  que  même  le  nom  de  mtunad  ait^erri  à  dési- 
gner chez  eux  tous  les  caractères  inconnus  ^.  Il  est  probable , 

Woiinwl  ofûili^,  septHKt  i8&5,  p.  193  et  8uiY. 

*  Zeiiiehr^fir  die  Wiiâmiêduift  dtr  Spraehe  de  Hœfer,  t  I,  p.  996  et  suîv. 
Gfl  Bansen,  OutUnu,  L  I,  p.  ssa  et  suiv. 

'  M.  Bunsen  (ïbid.  p.  9^16-937)  paraît  en  exagérer' beaucoup  Tanliqoîté. 

*  ÈÊéÊH,  de  rAead,  dm  /fifcr.  et  B^fltt-Lettrvi,  1  L,  p.  s88  et  suiv.  L^erreur 
de  M.  de  Sacy  s'ex^^cpie  nalureliement  quand  on  songe  qn*aucnne  inscription 
himyarite  n*était  connue  à  l*époque  où  il  écrivit  son  mémoire.  Il  est  remarquable, 
du  reste,  que,  sans  avoir  vu  aucun  de  ces  monuments,  Tillustre  arabisant  ait  de^ 
viné  IHdentilé  de  Talphabet  bimyarite  ou  fmmad  avec  Tai^babet  ^es.  (ièûl. 
p.  976  et  suiv.) 

*  L^opinion  contraire  fut  soutenue  par  M.  de  Sacy,  et  même  d'abord  par 
M.  Fresnel.  Rasdiger  et  Gesenius  font  réfutée. 

*  Pooocke,  Speeûnen  Jùêt,  Andniin,  p.  160  et  suiv.  (édit  Wbite)  ;  de  Sacy,  dans 
les  Mém,  de  rAead.  des  huer,  et  BeUee-Lettree y  t  L,  p.  956  et  suiv.  ;  Quatremère, 
Beeh.  sur  la  langue  etlaUtL  de  rÉgypte,  p.  979  ;  Fresnel,  dans  le  Journal  aeiat. 
déc.  i8d8,  p.  556  et  suiv.;  Gaussîn  de  Perceval,  Eum  nw  VhàUnre  dee  Arabee 
owml  rûXomûmé,  1. 1,  p.  78,  81. 


298  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

éa  reste,  que  le  caractère  syriaque  estnmgkd^  fut  employé 
dans  ITémeû,  conjointement  avec  le  m»9i»ad,  surtout  par  les 
chrétiens  ^^ 

Gesenius  rattache  ralphabet  himyarite  à  la  souche  commune 
de* tous  les  alphabets  sémitiques,  à  lalphabet  phénicien ^ 
L'alphabet  himyarite -éthiopien  présente,  en  effet;  plusieurs 
traits  d'analogie  avec  l'ensemble  des  alphabets  sémitiques  ;'  par 
exemple ,  la  présence  de  Y  H  et  du  y ,  l'absence  de  voyelles  iso- 
lées, sans  parier  de  plusieurs  formes  de  caractères  tout  à  fait 
ressemblantes  à  celles  de  Tancien  phénicien^.  Si  l'éthiopien 
possède  quelques  lettres  inconnues  à  toutes  les  autres  langues 
sémitique^,  il  ne  faut  pas  s'en  étonner;  les  Orientaux  inventent 
avec  une  grande  facilité  des  caractères  nouveaux  pour  les  sons 
qui  ne  leur  paraissent  pas  suffisamment-rendus  par  les  carac- 
tères anciens:  témoin  l'ambarique,  qui  a  ajouté  sept  lettres  à 
l'alphabet  gfaeis  pour  exprimer  des  articulationii  qui  lui  appar* 
tiennent.  Toutefois,,  la  ligne  de  démarcation  qui  existe  entre 
le  caractère  himyarite-éthiopien  et  les  autres  alphabets  sémi- 
tiques est  si  profonde ,  ces  deux  séries  d'alphabets  ont  ^uivi 
des  lois  de  développement  si  différentes,  qu'il  faut  suppo- 
«r  ^  U  .ép^ïon,  ri  *  .  «.  li«.  «  a^.  ré.».»-  i  a., 
haute  antiquité.  Peut-être  la  tradition  du  séjour  des  Phéni- 
ciens en  Arabie  et  sur  les  bords  de  la  mer  Rouge  trouverait- 
elle  en  ceci  quelque  confirmation. 

U  faut  avouer,  au  moins ,  que  de  singuliers  rapports  existent 

'  De  Sacy,  op,  du  p.  s66 ,  s^6 ,  991  et  miiv. 

^  AUgmn.  UtêraifÊt'Zeitimg ,  lo«.  di  et  dans  VEneyd.  d'Erach  et  Ginber, 
U  II, p.  lia. 

^  La  ooDJeelure  de  Niebuhr,  qni  rattadiait  le  caractère  himyarite  aux  inacrip- 
lions  cunéifonnes  (Dwenpl.d«  VArâine,  p.  86),  et  celle  de  W.  Jones,  <{iii  ea 
cberdiait  Tori^ne  dans  le  dévan^ri  ( ybûu .  Anaorcftif,  11,  p.  7),  sont  main^ 
tenant  abandonnées. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  I.  299 

entre  la  position  ethnographique ,  historique  et  linguistique  de 
rVânen  et  celle  de  ia  Pfaénieie«  De  part  et  d'autre,  c'est  un 
désaccord  apparent  entre  la  langue  et  1»  race  :  cW,  avec  une 
langue  évidemment  sémitique,  une  civilisation  qui  n'a  rien 
de  sânitique*  Ajoutons  qu'on  trouve  chez  les  Himyarites  des 
articulations  contraires  à  toi:^s  les.  habitudes  de  la  pronon* 
ciation  arabe  S  et  une  foule  de  mots  dont  l'origine  sémitique 
ne  se  laisse  pas  apercevoir»  Pluâeurs  particularités  de  l'hi- 
myarite.  se  rappcnient  même  aux  dialectes  de  la  Phénicie  et  de 
l'Aramée  :  ainsi ,  la  forme  Aor  pour^^  J^  pour  nuàtrê,  dans  les 
accotions  de  y^^yfi ,  vj»>U9^;  l'emploi  d'une  terminaison  em- 
jdiatique  o,  conune  en  syriaque  '.  M.  Fresnel  croit  aussi  avoir 
retrouvé  dans  les  inscriptions  rapportées  par  M.  Arnaud  le 
nom  de  la  déesse  phénicienne  Astarté^. 

Si  l'en  se  rappelle ,  d*un  côté ,  que  l'ethnographie  hâ)ralque 
place  des  Gouschites  à  côté  des  Joktanides,  enfants  de  Sem, 
sur  le  sol  de  l'Arabie  méridianale  ^  ;  de  l'autre ,  que  le  Périple 
Je  la  mer  Rouge  mentionné  expressément  dans  l'Arabie  des 
diaketeg  légèrement  divers  et  des  hmguee  complètement  dis- 
tmctes^,  on  est  assei^porté  à  établir  une  division  ethnographique 
entre  l'Arabie  proprement  jdite  et  l'Yémen.  Le  nom  vague  de 
Saba  désignerait,  dans  cette  hypothèse,  la  civilisation  cousehite 

*  Niebuhr,  Dmct.  de  V Arabie,  p.  78. 

*  Presoel,  JomTud  atku.  8ept.-oct.  18&&,  p.  s  17.  La  m^ne  remarqae  avait 
à^jk  été  £nte  par  ka  iencographea  arabea.  Voy.  Fraytag,  Idx,  «roi.  kL  au  mol 
Jia^;  Geaenioa,  Les.  mon.  au  mot  ^93. 

'  P^E.  Botta,  Bdaiion  d'un  tHiyaga  dmtê  UYémM,  p.  1&1-1&3. 
^  Jtmnud  atÎÊtiqm,  aept.-DcL  i8&5,  p.  199  et  auiv.,  9s6  et  auiv.;  Ewald, 
dans  la  ZeitÉekr^  de  Hoefer,  1. 1.  p.  3oà. 

*  Goof.  Tach,  KammmiUKr  mbm*  im  Gmnify  ch.  x,  v«  6-7;*  Micfatëlia,  SpieiL 
geogr.  Hétr,  exttrœ,  I,  p.  i63  et  auiv. 

*  àtàpopa  èi  èp  atOr^  iBwn  MœrotiuShm'  mpà  pi»  M  mo^àp,  upà  iè' mai  TeAa/w# 
T^  yXoû99if  haXXéacopta.  (P.  is,  édiL  Hodaoo.) 


300  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

de  TArabie  mëridionalet  qui  devait  former  un  contraste  frap- 
pant avec  celle  des  Arabes  sémites  et  nomades.  Tout  ce  que 
nous  savons  du  caractère  de  la  civilisation  couschite  ^  s*ao- 
Gorde  parfaitement  avec  les  restes  encore  subsistants  de  cdle 
de  rYémen.  Les  immenses  ruines  de  Mareb,  de  Sana,  ne 
répondent  point  aux  mœurs  des  Sémjtes^  Le  Sémite  est  peu 
constructeur;  aussi  ces  vastes  monuments  n'offrent-ils  aucun 
sens  aux  yeux  de  la  population  arabe  qui  habite  maintenant 
parmi  leurs  débris,  et  lui  apparaissent-ils  comme  Tœuvre  de 
la  race  gigantesque  et  impie  des  Adites.  U  est  probable  que 
sous  ce  nom,  devenu  mythique,  se  cache, le  souvenir  de  Tan- 
cienne  civilisation  couschite.  M.  Gaussin  de  Perceval  admet 
ridentité  des  Sabéens  couschites  et  des  Adites  K  L'ehldli  est 
aux  yeux  des  indigènes  Teincienne  langue  d'Ad  et  de  Thamoud  '  : 
or  M.  Fresnel  admet  comme  incontestable  que  lehkfli  et  la 
langue  de  Mahrah  sont  un  reste  de  la  langue  de  Gousch  ^. 

M.  Lassen  a  montré  de  singulières  analogies  entre  la  cons- 
titution du  royaume  sabéen  et  celle  des  Nftrikas  (non  ariens) 
du  Malabar  ^  ;  il  regarde  comme  vraisemblable  qu'une  émigra- 
tion de  Malabars  a  formé  lin  des  éléments  de  la  population 
de  ITémen,  et  y  a  porté  le  régime  des  castes,  complètement 
inconnu  à  l'Arabie  proprement  dite.  Une  tle  qui  joue  dans 
l'Océan  indien  un  rôle  fort  analpgue  à  celui  de  Malte  dans  la 
Méditerranée,  l'ile  de  Socotora  [Dwîpa  Sukhatara,  Dioscoridis), 
tour  à  tour  phénicienne ,  grecque ,  syrienne ,  arabe ,  nous  ap- 

'  Voir  sur  ce  snjet  les,  conjectures  parfois  bien  hardies,  mais  toujours  ingé- 
oieuses  et  sayantes  de  M.  le  baron  d'Eckstdn  »  dans  ^ÀthenœumfrmifaiM ,  a»  anii  » 
37  mai  i85â. 

'  Emoi  $wr  VhiêL  dm  Aitabei  awuU  rwloimsiw»  1 1,  p.  65,  66. 

^  Journal  oiiatiquB,  juin  i838,  p.  5i  1. 

'  /6Û2.  juin  i838,p.  533,eljnyiet  i853,  p.  6o-63. 

'  Indiêche  AUerthunukunde ,  II,  58o-58i. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  I.      .  301 

paratt,  dans  la  haate  antiquité,  comme  tout  indienne  \  Les 
étymologîes  sanscrites  que  M.  de  Bohlen  a  voulu  attribuer  aux 
noms  couschites  n*ont  sans  doute  aucun  fondement  ;  il  résulte 
cc^pendani  des  recherches  de  ce  savant,  confirmant  celles  de 
Heeren  $  et  depuis  confirmées  par  cdles  de  M.  Lassen ,  que  de 
très-anciens  rapports  ont  dû  exister  entjre  l'Arabie  et  Tlnde  ^. 
En  admettant  l'hypothèse  de  M.  le  baron  d'Eckstein ,  qui  voit 
des  Couschites  dans  les  Soudras  ou  race  brune  de  l'Inde  (  Aoti- 
ob»),  ces  ra{^orts  s'expliqueraient  d'eux-mêmes  par  les  races 
couschites  communes  aux  deux  pays,  races  qui,  daiis  la  haute 
antiquité,  paraissent  seules  avoir  été  commerçantes  et  adon- 
nées à  la  navigation.  M.  Arnaud  li'hésite  pas  è  attribuer 
une  origine  indienne  aux  Akhdam,  qui  sont  en  quelque  sorte 
les  Bohémiens  de  l'Arabie  méridionale  ' ,  et  bien  qu'il  soit  dif- 
ficile d^admettre  ^  avec  ce  courageux  voyageur,  que  les  Akhdàm 
nous  représentent  l'ensenâile  de  l'ancienne  population  faimya- 
rite,  on  est  fort  tenté  d'y  voir  une  caste  de  cette  population, 
qui  aura  conservé ,  à  .travers  les  révolutions  du  pays ,  sa  ma-^ 
nière  de  vivre  et  l'exercice  exclusif  de  certaines  professions. 

Enfin ,  les  mœurs  anciennes  de  l'Yémen  n'ont  rien  de  com- 
mun avec  celles  des  Sémites..  Le  code  des  lois  homérites,  rédigé 
par  Grégentius,  évéque  de  Zhéfar,  nous  présenté  des  mœurs 
plus  afiricaines  qu'arabes,  une  grande  perversion  des  rapports 
sexuels,  une  pénalité  barbare  et  compliquée,  des  crimes  et  des 

.  ♦  ♦ 

'  Ijafgen,  Und.;  A»  de  Humboklt,  Cmnim,  II,  p.  161,  s5s.  M.  ]{œfer,  d'après 
PeiameD  du  Yocabolaire  de  Soootora,  foorni  par  WeUsted,  rattache  k  langue  ao- 
toeile  de  cette  fie  aa  phénicien.  (Dmv.  piU.  Ihê  d$  V Afrique ^  p.  157).  Mais  la 
phipart  des  mots  qu'il  dte  s'expliquent  .aussi  hien  par  l'arabe  ou  le  S3fnaque. 

*  De  Bohlen,  ZMs  Gmn$m  (Kffinigsbeiy,  i835),  p.  i93,  laS,  i4o,  ^99  et 
suiY.  ;  le  même,  Da»  ak$  hàim,  I ,  As^et  suir.  ;  Lassen ,  hditehê  AUeiilium$kmkdê, 
11,  58o  etsiÛT.  , 

'  Joumal  tuiaL  avril  18 5o ,  p.  876  et  suiv. 


302  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

prescriptions  inooimus  aux  Sémites.  La  cij%oneision ,  que  Ton 
trouye  dès'  la  plus  haute  antiquité  établie  dans  ITémen ,  dirers 
autres  usages  paiens  qui  s  y  conservent  encore  de  nos  jours ,  pin 
raissent  d'origine  couschite^.  Lokmaa^  le  rq)résentantinytfaique 
de  la  sagesse  adite ,  rappelle  Esope ,  dont  le  nom  a  semblé  à 
M.  Welcker  déceler  une  origine  éthiopienne  (  Aibwiro^,  Atâi(^)\ 
Dans  l'Inde  aussi,  la  littérature  des  contes  et  des  apologues 
paraît  provenir  des  Soudras.  Peut-être  ce  mode  de  fiction ,  carac- 
térisé par  le  rAle  qu'y  joue  l'animal  ^  nous  représente-t-41  on 
genre  de  littérature  propre  aux  Gouschites. 

Ici  se  manifeste  une  contradiction  dont  nous  ne  pensons 
pas  qu'il  soit  encore  donné  à  la  science  de  pénétrer  le  secret. 
D'un  côté ,  le  linguiste ,  en  voyaiit  tous  les  pays  désignés  oomaM 
couschites ,  là  Babylonie ,  l'Yémen ,  et  surtout  le  pays  de  Qnuçh 
par  exceUence,  l'Abyssinie,  parler  des  dialectes  sémitiques  fort 
analogues  entre  eux  et  constituant  dûs  la  famille  une  classe 
à  part,  serait  porté  à  £aire  des  Gouschites  une  subdivision  for- 
tement accusée  dans  le  groupe  sémitique.  Le  témoignage  de 
l'ethnographe  hébreu  [Gen.  x,  6),  qui  rattache  Gousch  à  la 
race  àfi  Gham,  ne  saurait  être  invoqué  oontre  cette  opinion, 
puisque  Ghanaan ,  qui  est  notoirement  sémitique ,  est  pareille^ 
ment  rattaché  à  Gham,  et  que,  d'ailleurs,  le  mot  de  CcntA 
parait  n'avoir,  dans  le  tableau  du  dixième  chapitre  de  la  Genèse, 

*  Knobel,  Die  Vœïkertqfel  dêr  Genetù,  p.  ùhU  et  snàv,   ■ 

*  Wetck«r, Kleme Sekr^Un, Il ,  p.  ^50  et  soiv.^  A. Wagener,  JSftot  «ur  1m  rap- 
porté mUrê  1m  apùlogvm  àe  l'Indê  et  ceux  de  la  Grèeê,  p.  &i  «t  biût.  (Eitnit  des 
Mhn,  de  VAeaà,  ié  Belgique,  sav.  étrangers,  t  XXV.)  D'Herbdot  avait  déjà  énris 
des  cÔDJectiires  aaalo^es  à  celle  de  M.  Wdcker.  {BikUoth,  orimU.  art  LaJbmM.) 
Quant  au  nom  de  Lokman,  M.  Derenbourg  a  ingénieusement  démontré  qn^il 
vient  de  «elui  de  Bdaam.  Foèfet  de  Loqmtm  le Stige  (Berlin,  i85o) ,  introduction. 
Inutile  d^ajonter  que  les  fables  attribuées  a  Lokman  sont  très-modernes. 

^  Le  cuite  et  la  |>réoccupation  constante  de  Taniroal  sont  un  des  traits  les  phis 
frappante  des  races  couschites  et  africaines. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  I.  80$ 

qu'un  sens  purmnent  géographique  ^  :  il  suffirait  de  supposer 
dans  la  famille  sémitique  une  scission  prçfpnde  et  anté-hi3to* 
rique ,  par  suite  de  laquelle  les  deux  branches  auraimt  perdu 
le  seqtiment  de  leur  unité.  D'un  autre  c6té,  l'ethnographie  et 
rhistoire  porteraient  à  séparer  profondément  les  Gouschites  des 
Sémites.  La  métn^olè  de  Gousch  parait  avmr  été  bien  plutAt 
TAbyssinie  que  ITémen,  à  tel  poînt  que  des  exégètes  de  preoDÎer 
ordre ,  tels  ,que  Gesenius ^9  ont  nié  (pion  dât  chercher  d^s 
Gouschites  aillwrs  qu'en  Afrique.  Gousch  est  présenté  par  Je- 
rémie  (un,  a3)  comme  un  pays  de  noirs,  et^ans  cesse  mis 
en  rapport  avec  l'Egypte  {h.  xx,  3-5  ;  xxxtu;  9).  La  civilisa* 
tion  couschite  se  rattache  4*ailleurs,  far  son  caractère  général, 
à  celle  de  l'Egypte ,  et  il  est  probable  qu'une  exploration  jrfus 
complète  des  langues  de  l'Abyssinie  et  de  TArabie  méridio- 
nale fera  apparaître  des  liens  secrets  entre  les  membres  ^ars 
de  cette  grande  famille,  qui,  étoufTée^en  Asie  par  les  peuples 
ariens  et  sémitiques,  n'est  arrivée  qu'en  Afrique  à  son  plein 
développement.  Dans  cette  hypothèse ,  ce  serait  par  des  émi- 
grations relativement  modernes  que  la  race  joktanide  (sémite) 
se  serait  superposée,  en  Arabie  et  en  Afrique,  à  la  race  cou- 
schite, et  nous  aurions,  dans  l'himyarite  et  le  mahri,  non  des 
langues  couschites ,  mais  des  langues  sémitiques  altérées  par 
une  influence  couschite.  Il  est  difficile  assurément  de  démêler 
un  réseau  de  complications  aussi  anciennes  ;  les  analogies  des 
Gouschites  avec  les  Sémites  d'une  part,  et  avec  les  Ghamites 
de  l'autre,  fourniront  toujours  un  semblant  de  preuve  à  ceux 
qui  veulent,  comme  M.  Lepsius',  chercher  de  ce  côté  le  lien 


^  Twh^  KammmUtriiber  iiê  GênemM,^.  99S, 
'    *  Theêounu,  au  mot  Cf)3.  « 

'  Zwei  ^traehvergkiehéndê  AbhmMtngm,  page  78,  80.  M.'Leprii»  a,  d'ail- 
leurs, beaucoup  insisté  sur  le  caractère  original  de  la  langue  et  de  la  fiviKflation 


30&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

des  différents  ^groupes  •  qu'une  ethnographie  pins  sévère  croit 
encore  devoir  tenir  pour  distincts. 

Ce  fut  riskmisme  qui  porta  le  coup  mortel  i  ia  langue  et 
à  la  civflisation  himyarites.  L*arabe  des  Koreischites ,  consacré 
par  ie  Coran,  absorba  rapidement  autour  de  lui  les  dialectes 
de  TÂrabie,  puis  les  autres  idiomes  sémitiqueà.  Néanmoins, 
comme  la  fait  observer  M.  Fresnel ^  cette  çpnquéte  fut  loin 
d'être  absolue ,  et  nulle  part  peut-être  renvahissement  de  la 
langue  et  de  la  religion  koreischites  ne  trouvèrent  plus  d'op- 
position €[ue  dans  i'Arabie  elle-même.  Plusieurs  tribus  indé- 
pendantes^ né  furent  jamais  soumiseii  que  nominalement,  et 
n'embrassèrent  l'islamisme  que  d'une  manière,  dérisoire.  De 
nos  jours ,  une  grande  partie  de  la  population  de  l'Arabie  ne 
comprend  pas  la  langue  à  laquelle  oh  domie  exclusivement,  le 
n<Hn  d^arabe,  et  ce  n'est  que  tout  récemment,  par  suite  de  l'inva- 
sion du  wahhabisme ,  que  les  habitai^ts  de  certains  cantons  sont 
devenus  musulmans.  Un  passage  du  Mouzkir,  de  Soyouthi^ 
prouve  que  la  langue  himyarite  se  parlait  encore  dans  l'Yémen 
au  XIV*  siède. 

S  IV. 

Longtemps  avant  la  découverte  de  la  langue  et  des  inscrip- 
tions himyarites ,  on  avait  remarqué  que  le  ghez ,  ou  langue 
savante  dé  TAbyssinie ,  est  un  reste  vivant  de  l'antique  langue 
de  ITémen.  L'Abyssinie,  en  effet,  au  point  de  vue  de  la  lin- 
guistique et  de  l'ethnographie,  est  inséparable  de  l'Arabie  mé- 
ridionale. Les  monuments  de  la  civilisation  éthiopienne ,  qui 
se  voient  encore  à  Axum ,  offrent  la  plus  grande  analogie  avec 

éUnopiennee.  BrkfB  au$  /Egifptin^  ^thiopim ,  etc.  ( Berlin ,  1 859 ) ,  p.  9 1 8  et  sui- 
Yantes,  967. 

*  Journal  oêiat,  juin  i838,  p.  536. 

*  Journal  oêUu,  oct.  1869,  p.  S&o  (art.  de  M.  Bai^ès). 


LIVRE  lY,  CHAPITRE  I.  305 

les  débris  de  la  civilisation  homérite ,  qui  se  voient  à  Mareb. 
Les  géographes  g^ecs  et  les  médailles  accouplent  sans  cesse 
TAbyssinie  et  ITémen ,  et  présentent  invariablement  les  kêaatf 
yo/ comme  une  population  arabe  ou  sabéenne^  Les  voyageurs 
modernes  sont  aussi  unanimes  pour  reconnaître  le  type  arabe 
de  celles  des  populations  abyssiniennes  qui  ne  se  rattachent 
pas  à  la  souche  africaine^ 

L'époque  du  passage  des  Sémites  d'Arabie  en  Abyssinie  est 
beaucoup  plus  difficile  à  établir  que  le  fait  m^me  de  leur  éinî- 
gration.  Ludolf  faisait  remonter  cet  événement  au  temps  de 
Josué.  M.  de  Sacy  concluait  de  la  tradition  de  la  reine  de  Saba, 
revendiquée  également  par  les  Himyarites  et  les  Abyssins ,  que 
l'émigration  n'avait  pu  avoir  lieu  qu'après  Salomon.  On  est  sur- 
pris qu'un  argument  aussi  faible  £^t  pu  faire  impression  sur 
un  savant  tel  que  M.  de  Sacy.  En  effet,  la  légende  de  la  reine 
de  Saba ,  comme  tous  les  autres  récits  bibliques ,  doit  sa  popu- 
larité dans  l'Abyssinie  et  l'Yémen  aux  Juifs ,  et  non  à  de  pré- 
tendus souvenirs  nationaux.  L'histoire  de  l'Abyssinie  ne  remonte 
avec  quelque  certitude  qu'à  la  première  moitié  du  iv*  siècle  de 
notre  ère,  c'est-à-dire  à  l'époque  où  le  christianisme  y  péné- 
tra'. Dès  ce  moment,  l'Abyssinie  nous  apparaît  conmie  plus 
avancée  dans  le  christianisme  et  mieux  organisée  que  ITémen. 
En  5  9  5,  le  nedjoêehi  (negus  ou  roi)  d'Abyssinie  envahit  l'Yémen , 

I  Ludolf,  Hktoria  atidopieay  1. 1,  c.  i,  9**  5  et  suiv.  et  GcMiMMnCartiM  m  Hi$t, 
«th,  p.  57,  S09  et  suiv.;  Âddung,  MiUiridaU,l,  p.  &os-&o3;  de  Sacy,  Mèn,  de 
PAcad.  de9  huer,  et  B^iee-Letiret  ^  t.  L,  p.  978  et  suiv.  ;  GeseniuB ,  dans  VEnejfcL 
d^'Ench  et  Gniber,  art.  ^thiop.  Spraeke,  etc.  t.  U ,  p.  111. 

*  Ritter,  Géogr.  de  rAfr,  t  I,  p.  998  (trad.  firaiiçaiae). 

*  Ludolf,  HiêL  œihiop.  L  III,  c.  11,  et  Gommanl.  m  Eût,  mlh,  ad  h.  L;  DiU- 
niaim,  Zeiteehr^ der  deutêcken  morgeidand,  GeeslUehtfi,  L  VII,  p.  3&5  (  i853); 
Letronne,  Matériaux  pour  l'histoire  du  ehrûtûmisme  m  Egypte,  en  Nuhie  et  en 
Ahyeemie  (Paris,  i83s). 

1.  210 


306  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

avec  le  secours  des  Grecs.  Pendant  cinquante  ans ,  les  Abyssins 
occupèrent  ce  pays,  et  essayèrent  vainement  d'y  introduire 
le  christianisme  ^  Dans  l'inscription  grecque  d'Axum',  le  roi 
Aîzanas  (vers  Tan  S&o  après  J.  G.)  s'intitule  roi  des  H(»néritesy 
des  Retdan^^  des  Ethiopiens,  des  Sabéens,  etc.  Dans  les  deux 
inscriptions  éthiopiennes  rapportées  par  Rûppell ,  le  roi  Tazéna 
(v''  siècle)  se  donne  exactement  les  mêmes  titres^.  Tous  ces 
faits,  évidemment  postérieurs  à  l'entrée  en  Abyssinie  de  la  race 
pariant  gfaez,  obligeraient  de  reporter  l'émigration  au  com- 
mencement de  l'ère  chrétienne  ;  mais  les  longues  listes  de  rois 
antérieurs  à  cette  époque,  listes  qui  sont,  du  reste,  en  partie 
fabuleuses ,  ne  laissent  aucune  place  pour  un  changement  de 
race  ou  de  dynastie,  bien  que  depuis  l'ère  chrétienne  les 
noms  propres  empruntés  h  l'Arabie  méridionale  y  deviennent 
plus  nombreux^.  Pline,  sur  l'autorité  de  Juba,  place  déjà  des 
Arabes  en  Ethiopie  ^.  Il  est  donc  probable  que  le  passage  de 
la  race  sémitique  sur  le  sol  afiricain  se  fit  par  une  infiltration 
lente  depuis  une  hante  antiquité ,  et  non  par  une  soudaine 
invasion.  De  là  à  l'hypothèse  de  Sait,  adoptée  par  M.  G.  Ritter '', 
hypothèse  d'après  laquelle  la  race  sémitique  serait  la  race  pri- 
mitive de  l'Abyssinie,  il  n'y  a  qu'une  nuance  :  il  faut  même 
reconnaître  que  la  civilisation  de  l'Abyssinie  a  toujours  eu  un 


*  GauBsia  de  Perceval,  Emoi  mr  rhùt.  dst  Arabat  avani  Vitlam,  I,  p.  i3i  e( 
0uiT.;  Johannsen,  Hiêteria  Jéàuma,  p.  89  etsuiv.  (Bonn,  i8s8). 

*  Frani,  apud  Bœckh,  Corjnu  huer,  grttc.  L  III,  p.  5i5  et  soiv. 

^  Babitants  du  canton  de  Réda ,  près  de  Sana ,  sdon  M.  Amand.  (/ramai  umi. 
avril  i85o,  p.  38i.) 

«  Dillmann,  ZeiUehr^  dit  D.  M.  G.  U  VII,  p.  356. 

'  /M.  p.  3&0,  359. 

"  ffttt.  naL  liv.  VI ,  c.  xuii,  n*  s. 

7  Sait,  A  Voyage  to  Abyuma  (181A),  p.  658;  G.  Ritter,  G^gr.  de  rAJhfW»  ^ 
t.  I,  p.  a83,  3o3-3oà  (trad.  franc.). 


LIVBE  IV,  CHAPITRE  I.  «07 

àegré  de  sapëriorité  sur  celle  6e  FY^iieii ,  et  qae  le  prenner 
de  ces  deux  pays  réclama  une  sorte  de  stuseraitieté  suf  l'antre , 
jasqa'au  temps  de  Mahomet. 

L'ëtode  de  la  langue  éthiopienne  on  ghez^  confirme ,  de  la 
manière  la  plas  âécime,  f  affinité  des  Abyssins  et  des  Himya^ 
rites.  Le  ghez  n'est,  'en  réalité,  qo^nn  dialecte  de  Tarabe  t  les 
particularités  qui  distinguent  l'arabe  de  toutes  les  autres  lan* 
gués  sémitiques ,  les  pluriels  brisés ,  le  mécanisme  des  cas  et 
des  Toyèllés  finales,  certaines  formes  du  veii)e,  s'y  retrotrreiit 
dans  ce  qu'efles  ont  d'essentiel.  Ces  procédés,  toutefoîa,  sont 
loin  d'avoir  atteint  dans  le  gbez  la  richesse  et  la  régularité 
qu'ils  ont  en  arabe;  par  sa  phyÂonomie  extérieure,  le  ghet 
semble  plutAt  se  rapprocher  de  la  simplicité  de  l'hébreu;  il 
possède,  d'ailleurs,  un  assez  grand  nombre  de  racines  qui, 
appartenant  également  à  l'hébreu  et  à  l'araméen ,  ne  figurent 
pas  dans  le  vocabulaire  arabe.  Tout  cela  rattache  le  ghez,  ou 
plutAt  l'himyarite ,  à  un  état  fort  ancien  des  langues  sémiti- 
ques. La  prononciation  seule  s'écarte  des  analogies  sémitiques; 
quelques  lettres,  comme  4*,  /H»  ^,  X ,  et  les  voyelles  du  sixième 
ordre ,  sont  fort  dures  et  presque  impossibles  à  prononcer  pour 
tout  autre  qu'un  Abyssin  ^.  Nous  avons  trouvé  la  même  contra- 
diction dans  le  mahri;  on  dirait  de  part  et  d'autre  une  langue 
sémitique  articulée  par  un  organe  non  sémitique. 

L'alphabet  ghez  a  longtemps  embarrassé  les  savants,  et  donné 
lieu  aux  hypothèses  les  plus  diverses.- Cet  alphabet  diffère  de 

^  Ce  nom  g  un  signifie  à  la  fois  Uhre  et  éaûgré.  Le  premier  mbs  parait 
préiérable;  les  Siamois  indépendanto  dmmciDt  à  leur  lan^e  oa  nom  anriogue 
{Thai,  libre).  Les  Abyssins  s^appeilent  emnoémes  /i'79'H^'}  ss^^jpasfén^  ou 

ï»/riXf(D^yTf  -^  Itgopifawifén ,  par  imitation  da  nom  grée  MUrtsu.  (Gonf. 
Lndoir,  ^i^irtjb.  I.  },ci.) 

*  Lndoir,  HuL  adh,  ).  I,  c.  xv,  n*  37;  Gramm.  œlh.  1.  I,  c.  1,  n"*  6. 


308  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

tous  les  autres  alphabets  sémitiques  par  le  nombre ,  la  valeur, 
le  nom  et  la  forme  des  letti^s,  par  la  direction  de  Técriture 
de  gauche  à  droite ,  et  surtout  par  le  mode  de  notation  des 
voyelles.  Chaque  consonne  renferme  virtuellement  un  a  bref, 
comme  en  sanscrit;  les  autres  voyelles  ne  s^expriment  ni  par  des 
quiescentes  ni  par  des  points,  mais  par  des  appendices  qui 
s'attachent  à  chaque  consonne  et  en  modifient  quelquefois  la 
forme,  doù  il  résulte  que  c'est  moins  un  alphabet  qu'un  syl- 
labaire de  deux  cent  deux  signes ,  représentant  chacun  une  syl- 
labe ouverte,  comme  ba,  bo,  etc.  Ludolf  crut  trouver  des  res- 
semblances entre  cet  alphabet  et  celui  des  Samaritains  ^  M.  de 
Sacy  essaya  de  démontrer  que  l'alphabet  éthiopien  dérivait  de 
Talphabet  des  Grecs,  ou  plutôt  de  celui  des  Coptes^.  M.  Lep- 
sius  voulut  le  tirer  du  dévanàgari  ' ,  et  il  faut  avouer  que  le 
système  des  voyelles  offire  dans  ces  deux  alphabets  beaucoup  de 
ressemblance.  —  La  découverte  des  inscriptions  himyarites  de 
l'Yémen  a  enfin  résolu  le  problème.  On  ne  peut  plus  douter  au- 
jourd'hui que  l'alphabet  éthiopien  ne  soit  identique  avec  l'ancien 
alphabet  himyarite  ou  musnad.  Ce  dernier  alphabet  se  retrouve 
sur  les  monuments  d'Aximfi*  comume  sur  ceux  de  Mareb,  et  il 
offre  d'ailleurs  la  plus  parfaite  similitude  avec  l'alphabet  ghez, 
sauf  en  ce  qui  concerne  la  direction  de  l'écriture  et  le  système 
des  voyelles.  Mais  le  premier  de  ces  deux  points  a  peu  d'im- 
portance en  paléographie,  puisque  les  alphabets,  à  une  haute 
antiquité,  procédaient  presque  indifféremment  dans  l'un  ou 


>  Hi$t  œth.  1.  IV,  c.  i. 

*  Mèn.  de  VAciid.  de$  Ituer.  et  BêUeê-Lettrei ,  t.  L,  p.  a8s.  Ce  fat  aussi  d'abord 
ropinion  de  Gesenius  {Hebf'.  Handwœrtm'hueh,  Voir.  p.  xxxr). 

'  Zwei  tprachverglêiekmdê  AbhandUmgmf  p.  76  et  suiv.  (Beriin,  i836). 

^  Voir,  sur  les  deux  inscriptioas  trouvées  par  RûppeO,  le  travail  de  M.  Boedi- 
ger,  dans  VAUgemems  LUeraUtt-Zeitmig  de  Halle,  juin  1839,  n^  loS-ioy. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  L  309 

Faatre  sens.  Quant  au  système  de  voyelles  employé  par  les 
Abyssins,  il  semble  d'invention  assez  moderne.  Ainsi  Talphabet 
ghes ,  en  apparence  si  rebelle  à  toute  classification ,  rentre  dans 
la  série  des  alphabets  sémitiques,  si,  conmie  on  est  porté  à  le 
croire,  le  caractère  bimyarite  nW  lui-même  qu'une  variante 
très-ancieime  du  pbénicien.  Les  ressemblances  que  Ton  a  cru 
trouver  entre  Talpbabet  ghez  d'une  part,  et  TalpheJbet  sama- 
ritain ,  ou  même  l'alphabet  grec ,  de  l'autre ,  se  trouvent  par  là 
eipCquées  ^  ;  puisque  ces  deux  derniers  alphabets  sont  eux- 
mêmes  des  (ormes  du  phénicien.  Cette  vérité  peut  être  d'un 
grand  secours  pour  l'histoire  de  l'écriture  ;  en  la  supposant  dé* 
montrée,  nous  aurions  dans  l'alphabet  ghez,  ou  plutôt  bimya- 
rite, une  forme  détachée  de  la  souche  des  alphabets  sémi- 
tiques,  à  l'époque  la  plus  ancienne  de  leur  formation. 

S  V. 

Il  paratt  donc,  contrairement  à  l'opinion  de  M.  de  Sacy, 
que  l'écriture  fat  connue  en  Abyssinie  avant  l'introduction  du 
christianisme  et  même  des  lettres  grecques  en  ce  pays  ^.  La 
seconde  partie  de  l'inscription  grecque  d'Adulis,  qui  relate  les 
hauts  faits  d'un  roi  d'Axum  du  ii*  siècle  de  l'ère  chrétienne  ^,  et 
qui  est  conçue  dans  le^style  de  la  mythologie  hellénique  (tgrpd^ 
rày  [iéyialov  Qre6v  (lou  Apnv,  6s  lu  xatH  iyéwricrt t^  A<t 

>  Geseniiu,  dans  r£iicycL  d^Ench  et  Graber,  t  II,  p.  1 1  s  ;  ie  même,  Monm- 
mmUa  phaniday  p.  8&-85;  Kopp,  KIder  tmd  Schr^ten  der  Vorzeit,  II,  3ds  et 
iuhr.;  Hapfdd,  ExerdUUmêê  œthiopicœ  (Lips^  i8s5). 

*  Socrate  {Hkt.  eeelêt,  1.  I,  c  zix)  rapporte  que  Fnmieatiiu,'rapôtre  de  TA- 
bjsBime,  fut  établi  gardien  des  ardÛYes  royales.  M.  de  Sacy  a  réroqné  en  doute 
cette  ciroonstaiice;  mais  fl  n*y  a  rien  d^iuYraisemblable  à  ce  qn^un  Grec  instruit 
ait  été  choisi  pour  présider  à  des  écritures  qui  probablement  étaient  tenues  en 
grec. 

'  Frans,  apud  Bœckh,  Corpm  huer.  grœ.  t.  III,  p.  5ia  et  sniv. 


SIO  HISTOIRE  l)ES  LANGUBS  SÉMITIQUES. 

xaà  t^  Ape<  Moà  tÇ  Uo<niSiift)^  Tioscription  grecque  trouvée 
à  Axum  par  Sait,  et  dans  laquelle  le  roi  Alsanas  s'appelle 
égalemeat  vîbs  BtoS  àpixrhou.  Àfeâv\  sont  la  preuve  de  rîm* 
portante  que  la  langue  et  les  modes  grecques  avaient  prises  en 
Ethiopie,  même  avant  la  domination  romaine^.  Le  roi  Zofkakê 
{^Za'Hakah)^  qui  régnait  à  Axum  à  l'époque  où  écrivait  Tau* 
teur  du  Périple  de  la  mer  Ratige,  c'est-à-^lire  au  ii*  siècle,  est 
qualifié  ypofipidto^  iXkfiP$xùiv  ((tiietpo^^  Selon  Kireher  '  et  H.  de 
Saey^,  l'alphabet  syriaque  aurait  été  également  employé  en 
Abyssinie  ;  mais  Ludolf  a  réfuté  sur  ce  point  l'opinion  de  Kir- 
eher :  en  effet,  la . chrétienté  d'Ahyssinie  relève  tout  entière 
du  patriarcat  d'Alexandrie,  et  non  de  l'apostolat  des  Syriens. 
Quant  aux  deux  inscriptions  d'Axum  écrites  en  caractères 
éthiopiens^,  elles  paraissent  postérieures  à  l'établissement  du 
christianisme,  bien  que  la  désignation  défis  de  Mars,  qui, 
probablement,  n'avait  pas  grand  sens  pour  les  Ethiopiens,  s'y 
retrouve  encore*  La  ressemblance  des  titres  que  s'y  donne  le 
roi  Tazéna  avec  ceux  que  se  donne  dans  l'inscription  grecque 
le  roi  Aisanas,  la  parfaite  identité  des  pays  énumérés  dans  les 
trois  inscriptions  comme  tributaires  du  roi  d'Axum,  prouvent, 

*  Fnutt,  Und,  p.  5i&  et  suiv.;  mir  le  même  titre,  dans  rinscription  de  Siioo, 
•  voy.  Letronne,  Journal  dm  Son.  février  i8s5,  p.  loo  et  suiv. 

*  Letronne,  Joumài  de$  Sav.  mai  i8a5;.le  même,  Mém,  de  VAcad.  dm  /nwr. 
et  Belkê'LeUrmf  t  DL,  p.  is8  et  soiv.,  et  Matériaux  pour  VhùL  du  chriiÈimùmm 
^Mgypis,  M  Nvbie  et  m  Ahymm,  p.  A4-53;  Droysen,  Ge$chielUe  dm  HéOmn- 
mm  (Sambourg,  i8A3),  t.  H,  p.  ^kh  et  soiv.;  Rittor,  Géogr.  dé  VJ^.  (tnd. 
française),  1 1,  p.  sôa  et  aoiv.  3ol  et  niiv. 

'  hreêirmm9  \mgum  «opt  c  ui,  p.  &6  et  auiv. 

^  Wm.dsVà(iaLdmhÊ».HBeSim-L^lbrm,Lh^^.%%k. 

^  M.  Isçtàm  a  égalemeat  trouvé  wm  inacriptioii  en  earactères  glies  à  Méroé 
{Bri^am  Sgfpisn,  Stkiopiem,  elc.p.  aao).  Quant  aux  iaacriptioiia  démotiqaea 
éthiopiennes,  les  renseignements  donnés  sur  ce  point  par  le  savant  voyageur  ne 
font  guère  cpi'exôter  notre  curiosilé.  (IM.  p.  a  18  et  suiv.  866.) . 


LIVRE  IV,  CHAPITOE  I.  311 

du  reste,  que  les  inscriptions  éthiopiennes  doivent  avoir  été 
gravées  fort  peu  de  temps  après  l'inscription  grecque^.  La 
langue  y  est  la  même  que  dans  les  plus  anciens  monuments 
de  la  littérature  éthiopienne,  et  l'alphabet  y  présente  déjà 
toutes  1^  particularités  qui  distinguent  l'alphabet  ghez  de  l'al- 
phabet himyarite,  je  veux  dire  la  direction  de  gauche  à  droite 
et  la  notation  des  voyelles.  Mais  cette  notation  est  loin  d'être 
parvenue  au  degré  de  régularité  qu'elle  atteignit  plus  tard; 
souvent  même  elle  est  omise,  et  Sait  prétend  avoir  vu  des  ins- 
criptions qui  n'en  offraient  aucune  trace  K 

D'ingénieuses  conjectures,  récemment  proposées  sur  l'his- 
toire des  FalMyân,  ou  Juifs  d'Abyssinie,  tendraient  à  attribuer 
encore  d'autres  origines  à  l'écriture  et  au  travail  littéraire  en 
Ethiopie.  Dans  un  mémoire ,  dont  la  publication  a  été  malheu- 
reusement interrompue  par  la  mort  de  l'auteur^,  M.  Philoxène 
Luzzatio  avait  entrepris  de  prouver  que  les  Falâsyftn  se  ifeitta- 
chent  à  une  colonie  de  Juifs  hellénistes,  qui  auraient  passé 
d'Egypte  en  Âbyssinie  avant  l'ère  chrétienne.  L'état  des  rites  et 
de  la  liturgie  de  cette  intéressante  communauté  religieuse,  qui 
ne  possède  ni  le  texte  hébreu  de  la  Bible  ni  le  Talmud ,  et  qui 

'  Roadiger,  dans  VÂUgemtme  Ut&ra$m^Zm$mg  deHidle,  juin  iSBg,  n~  io5- 
107;  Diilmann,  dans  k  Zeit$chr^  derdeiUidien  morg,  GeM.  t  VII,  p.  356  el 
suiv.  La  smgulière  ressemblance  de  rinacriptioii  grecque  et  des  deux  inscriptions 
éthiopiennes,  jointe  à  i^analogie  des  deux  noms  AtLonoê  et  Tazéna,  pourrait  faire 
croire  à  Tidentité  de  ces  deux  personnages.  Cependant  les  listes  des  rois  d^Étiiiopie 
sentent  s^y  opposer.  En  effets  elles  nous  fournissent  un  Taxéna  postérieur  d'une 
centaine  d'années  à  Tintrodudion  du  christianianie  en  Abyssinie  :  or  Aizanas  est 
très-prdbabiement  le  roi  sons  lequel  le  christianisme  pénétra  en  ce  pays. 

*  Gesenius,  dans  rJEf^yeL  d'Ersch  et  Gruber,  II ,  p.  119» 

'  Mém,  twr  In  Jwfr  d*Âlnf$$imê  ou  FaUtthoM,  dans  les  Arehioei  itraétitet,  i85a 
et  1 853.  La  suite  de  cette  puMication  est  annoncée.  GontrMer  les  vues  de  M.  Lui- 
latto  par  ceHes  de  M.  Marcua,  Mém,  nar  PéuMinenmU  dê$  Ju^  en  AbyamWf  dans 
le /otrmri  astati^ ,  juillet  1 839 ,  p.  5 1 . 


312  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

fait  usage  d'une  versiop  du  Pentateuque  en  langue  vulgaire, 
rend  cette  hypothèse  vraisemblable.  Mais  M.  Luzzatto  pensait 
de  plus  que  la  version  éthiopienne  du  Pentateuque  était  l'ou- 
vrage des  Falâsyftn  ;  or,  pour  admettre  une  thèse  aussi  nou- 
velle, il  faudrait  des  preuves  bien  démonstratives.  On  a  tou- 
jours cru,  jusqu'ici,  que  la  traduction  du  Pentateuque  en  ghez 
était  une  œuvre  chrétienne,  bien  que  les  Juifs  l'aient,  à  leur 
tour,  adoptée.  Les  Falâsyftn,  en  effet,  n'ont  pas  de  scribes, 
et  reçoivent  tous  leurs  manuscrits  des  chrétiens  ^  Il  faut  se 
rappeler,  d'ailleurs,  que  la  plupart  des  Juifs  d'Abyssinie  ne 
sont  pas  de  race  Israélite  ;  ce  sont  des  indigènes  qui  se  conver- 
tirent au  judaïsme,  comme  cela  eut  lieu,  pour  diverses  peu- 
plades de  l'Arabie ,  dans  les  siècles  qui  précédèrent  l'islamisme  : 
leur  langue,  indo-européenne,  selon  M.  Luzzatto,  africaine, 
selon  le  voyageur  Gh.  Beke  ^,  n'a  rien  de  sémitique.  Dès  lors , 
on  s'explique  conunent  les  Falftsyân  ont  adopté  si  facilement  la 
Bible  en  langue  vulgaire ,  et  aussi  comment  des  états  juifs  indé- 
pendants ont  subsisté  presque  jusqu'à  nos  jours  en  Abyssinie. 
On  ne  trouve,  en  effet,  d'états  juifs  indépendants  que  parmi 
les  prosélytes;  jamais  les  Israélites  dispersés  n'ont  cherché  à  se 
constituer  en  société  politique. 

Nous  admettrons  donc  que  la  littérature  éthiopienne,  telle 
qu'elle  est  parvenue  jusqu'à  nous,  est  tout  entière  postérieure 
à  l'établissement  du  christianisme  dans  l'Abyssinie.  Le  chris- 
tianisme s'est  toujours  montré  inséparable  d'une  certaine  cul- 
ture intellectuelle ,  mais  en  même  temps  destructeur  des  litté- 
ratures païennes  qui  l'avaient  précédé.  Voilà  pourquoi  tant  de 
peuples  en  Orient  semblent  n'avoii^  eu  de  lettres  que  sous  l'in- 

*  Gesenius,  dans  VEncycl  d'Ench  et  Graber,  1. 11,  p.  1 13. 

*  Dans  Touvrage  de  MM.  Nott  et  Gliddon,  T^peê  of  Manicmd  (Philadel- 
phie, i85&),  p.  i9s-is3. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  I.  313 

flaence  chrétienne.  Mais  la  preuve  que  le  christianisme  les 
trouva  déjà  en  possession  de  l'écriture ,  c'est  qae  ces  peuples, 
Abyssins ,  Arméniens ,  Syriens ,  ont  leur  alphabet  propre  :  or, 
toutes  les  nations  qui  ont  reçu  l'écriture  du  christianisme  ont 
pris  l'alphabet  grec  ou  latin.  En  outre ,  à  travers  le  remanie- 
ment chrétien  de  l'histoire  de  ces  peuples ,  on  aperçoit  presque 
toujours  les  traces  d'une  culture  nationale  antérieure. 

Le  plus  ancien  monument  de  la  littérature  éthiopienne, 
comme  de  presque  toutes  les  littératures  secondaires  de  l'O- 
rient, est  une  version  de  la  Bible,  devenue,  en  quelque  sorte, 
le  dépôt  classique  de  la  langue.  La  version  des  Abyssins  porte 
la  trace  de  plusieurs  mains ,  et  fut  faite  sur  le  texte  alexandrin , 
probablement  vers  le  temps  même  de  la  prédication  chrétienne , 
c'est-à-dire  dans  le  cours  du  n*  siècle  ^  Aux  siècles  suivants 
appartient  la  traduction  des  nombreux  livres  apocryphes  de 
l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  que  possèdent  les  Ethio- 
piens, du  livre  d'Hénoch,  par  exemple.  On  ne  peut  douter  qu'il  n'y 
ait  eu  à  cette  époque,  en  Abyssinie,  un  assez  grand  mouve- 
ment littéraire ,  et  le  travail  que  dut  subir  l'alphabet  ghez  pour 
arriver  définitivement  à  l'état  où  nous  le  voyons  en  serait  à  lui 
seul  la  preuve^.  L'Abyssinie,  d'ailleurs,  protégée  par  la  mer, 
ne  fut  point  atteinte  par  l'islamisme,  et,  seule  dans  le  monde 
sémitique ,  échappa  à  l'action  absorbante  de  l'Arabie.  Les  côtes  • 
il  est  vrai ,  furent  envahies  par  diverses  tribus  arabes  ;  mais  le 
Tigré  opposa  à  toutes  les  invasions  une  résistance  invincible. 
L'Abyssinie  resta  ainsi  dans  la  dépendance  de  l'ég^se  byzan- 
tine :  le  code  des  lois  homérites  ou  plutôt  abyssiniennes ,  ré- 
digé par  Grégentius  pour  le  roi  Abréha ,  au  vi*  siècle ,  est  en 

'  Lndolf',  BitL  œtk,  1.  UI.  ch.  it. 

*  Ewaid,  dans  la  Zmiickrifi  der  dmmehên  morgmlanHiehên  GeiêUtekùft,  t.  I  « 
p.  11  (18&6). 


3U  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

grec.  Le  patriarche  devait  toujours  être  étranger  ^  et  te  grand 
nombre  de  mots  grecs  (foi  se  retrouvent  dans  le  ghez  suflfirait 
pour  prouver  Timportance  que  prit  Theilénisme  dans  TAbyssi- 
nie  chrétienne  :  hMb^=(^9ipM;  5l'"fïH.^'î  =  SMvxov; 

A  partir  du  xiii'  siècle,  l'arabe  ayant  presque  entièrement 
remplacé  te  grec  dans  l'usage  des  églises  d'Orient,  et  en  par- 
ticulier de  l'Egypte,  ta  plupart  des  traductions  en  ghez,  au 
lieu  de  se  faire  du  grec ,  se  font  de  l'arabe  et  quelquefois  du 
copte.  En  général ,  la  littérature  éthiopienne  manque  d'origina- 
lité. Quelques  fragments  poétiques,  donnés  par  Ludolf ',  offrent 
cependant  un  rhy thme  caractérisé ,  qui  rappeUe  celui  des^  ma- 
schûl»  hébreux.  Au  xvi*  et  au  xvii*  siècle,  la  culture  éthiopienne 
déchoit  rapidement ,  par  suite  des  invasions  des  Gallas  et  des  mu- 
sulmans, et  aussi  par  l'effet  de  l'influence  des  Jésuites,  qui 
réussirent  à  cette  époque  à  s'introduire  en  Abyssinie.  Attirant 
à  eux  toute  l'instruction  et  hostiles  à  l'enseignement  indigène , 
ils  laissèrent  le  pays,  quand  ils  le  quittèrent,  dans  une  pro- 
fonde barbarie ,  dont  il  n'est  pas  sorti  jusqu'à  nos  jours. 

La  littérature  éthiopienne ,  telle  qu'elle  nous  est  connue ,  se 
compose  d'environ  deux  cents  ouvrages ,  presque  tous  traduits 
du  grec  ou  de  l'arabe.  Dans  l'état  actuel  des  études ,  il  est  im- 
possible d'établir  une  chronologie  rigoureuse  entre  ces  monu- 
ments divers ,  ni  de  déterminer  l'âge  et  le  caractère  de  leur 
style.  Il  ne  semble  pas,  du  reste,  qu'entre  les  plus  anciens 
et  les  derniers  monuments  de  la  littérature  ghez  il  y  ait,  sous 
te  rapport  de  la  langue ,  une  différence  notable.  Le  mélange  de 
mots  arabes  est  presque  le  seul  indice  d'une  composition  plus 

I  Gh.  Hitler,  Ghgr,  de  VAJr,  1 1,  p.  963,  966. 

*  liiiL  œtkiop.  1. 1,  c.  i,  n*  58;  1.  II,  c.  i? et  suiv.;  1.  III,  c.  m;  1.  IV,  c.  11, 
n^  a 6,  et  à  ia  fia  de  sa  grammaire  éthiopieone. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  I.  315 

moderne.  Le  ghez  devint  de  bonne  heure  une  Umgue  de  Uvres 
(^M  ^X'ih^)^  assez  éloignée  du  langage  vulgaire,  et  mo- 
delée sur  l'usage  ancien.  A  partir  du  uv^  siècle ,  d'ailleurs ,  le 
ghez  cessa  entièrement  d'être  parlé.  Cette  langue  était  le  dia* 
lecte  propre  du  pays  de  Tigré,  qui  fut,  durant  tout  le  moyen 
âge,  le  centre  de  la  civilisation  en  Abyssinie,  et  dont  le  roi 
résidait  k  Aium;  mais  vers  i3oo,  la  famille  Zagéenne,  dy- 
nastie axumite,  fut  remplacée  par  une  autre  qui  résidait  à 
Séwa,  où  l'on  parlait  Tambarique.  Dès  lors,  cette  dernière 
lajigue  devint  celle  de  la  cour  (  i\fli  YhM'y  langue  duroi)^ 
et  étouffa  peu  à  peu  l'ancien  idiome.  Le  ghez  resta  langue  sa- 
vante et  sacrée  ;  les  actes  officiels  de  la  cour,  et  même ,  dit-on , 
les  correspondances  privées ,  qui  sont  presque  toutes  composées 
par  un  écrivain  public  résidant  dans  chaque  ville  ou  village, 
sont  également  rédigées  en  ghez  avec  un  grand  mélange  de 
mots  amharfques  ^  L'arabe,  de  son  côté,  a  beaucoup  gagné 
en  Abyssinie  dans  ces  demies  siècles  ;  il  est  devenu  la  langue 
du  commerce  et  des  relations  extérieures,  et,  en  général ,  quand 
une  pièce  officielle  est  écrite  en  ghez ,  on  se  cr(Mt  obligé  d'en 
donner  parallèlement  la  traduction  arabe  ^. 

S  VI. 

A  côté  du  ghez,  qui  nous  représente  la  forme  classique  de 
l'idiome  des  Sémites  en  Abyssinie ,  se  rangent  plusieurs  dialectes 
également  sémitiques,  mais  tous  plus  ou  moins  altérés,  soit 
par  le  mélange  de  mots  étrangers ,  soit  par  le  manque  de  cul- 

^  U  parait  même  qae  le  ghez  est  encore  presque  vulgaire  dans  certaines  pro* 
vinces.  (Voir  cTAUbadie,  Joum,  OMit  juillei^août  i8&d,  p.  loB;  Ludolf,  Hiêt. 
mtkiof.  1. 1,  c.  it;  Addni^,  Jlfittr.  I,  p.  &07.) 

*  On  a  même  des  qpédmens  d*arabe  et  de  copte  écrits  en  caractères  éthio- 
piens. (Ludolf,  laç.  cU,  et  Gramm,  mikiop.  p.  &-5,  i**  édit) 


316  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

ture  littéraire.  En  premier  lieu ,  il  faut  nommer  Tambarique , 
qui  a  remplacé  le  ghez,  s'est  créé  quelque  littérature,  et  est 
devenu,  en  Abyssinie,  comme  une  seconde  langue  commune, 
avec  laquelle  on  peut  voyager  dans  presque  tout  le  pays.  L'amha- 
rique  offre,  pour  le  fond  du  dictionnaire  et  de  la  grammaire, , 
des  affinités  incontestables  avec  le  ghez  \  mais  aussi  des  parti- 
cularités qui  s'écartent  beaucoup  de  l'esprit  des  langues  sémi- 
tiques ,  et  surtout  une  prononciation  barbare ,  où  presque  toutes 
les  nuances  de  la  prononciation  sémitique,  au  moins  pour  les 
gutturales,  sont  absorbées.  U  faut  l'envisager,  en  tout  cas,  comme 
un  idiome  ancien,  parallèle  au  ghez,  et  non  dérivé  du  ghez, 
surtout  si  on  l'identifie  avec  la  Ke^Aopà  X^Çi$,  qu'Agatharchide 
donne  pour  langue  aux  Troglodytes  ^.  —  Après  l'amharique ,  il 
faut  nommer  la  langue  du  Tigré,  très- rapprochée  du  g^ez; 
l'adari,  l'afar,  le  somauli,  le  saho,  la  Tangue  des  Danakii  et 
des  Adaiel ,  la  langue  du  pays  de  Harar  ou  Hurrur  '. 

Ces  langues ,  dont  le  cercle  semble  s'élargir  tous  les  jours 
avec  les  recherches  nouvelles,  embrassent,  on  le  voit,  toute 
la  partie  nord  et  est  de  l'Abyssinie ,  et  la  côte  méridionale  du 
golfe  d'Aden  ;  elles  sont  la  preuve  la  plus  irrécusable  des  ra- 
mifications étendues  de  la  race  sémitique  au  delà  de  la  mer 
Rouge.  U  faudrait  pourtant  se  garder  d'attacher  trop  d'impor- 
tance à  ces  idiomes,  qui  n'ont  jamais  été  écrits,  et  onjL  subi 

^  Voir  la  grammaire  et  le  dictionnaire  de  cette  langue  publiés  par  Ludolf  (Franc- 
fort, 1698),  et  les  travaux  plus  récents  du  missionnaire  Isenberg  (Londres, 
18&1  ).  M.  Blumhardt  avait  annoncé  également  une  grammaire  et  un  vocabulaire 
amhariques;  je  ne  sais  s^ils  ont  paru.  Voir  aussi  Gesenius,  dans  YEneifcL  d^Ersch 
et  Gruber,  arL  Amhariichs  Spraehe. 

'  Hudson,  Gwgraphi  grœci  minorm,  I,  p.  &6. 

^  D^Abbadie,  dans  le  Joum,  atiaL  avril  1839  ^  juillet-août  i8A3;  Ewald, 
dans  la  ZeiUekrifiJur  die  Kunde  de»  Morgenlandee ,  t  V  (  tShh ) ,  p.  A 1  o  et  suiv. , 
et  les  divers  glossaires  recueillis  par  Sait,  dans  son  Vcyag9  en  Abyeemie. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  I.  317 

pendant  des  siècles  Faction  dissolvante  de  gosiers. barbares. 
M.  Ewald  conclut  de  l'étude  qu'il  a  faite  de  la  langue  saho^  que 
cette  langue  a  dû  se  détacher  du  tronc  commun  de  la  famille 
sémitique  à  une  époque  extrêmement  reculée,  parce  qu'elle 
offire  quelques  particularités  qui  semblent  appartenir  à  l'état 
le  plus  ancien  des  langues  sémitiques ,  la  terminaison  p  y  par 
exemple,  à  la  troisième  personne  plurielle  du  prétérit.  Mais 
l'organe  de  la  parole  humaine,  surtout  chez  des  races  aussi 
mêlées  que  celles  dont  nous  parlons,  n'a  pas  assez  de  fermeté 
pour  nous  avoir  conservé  des  empreintes  fort  anciennes.  A 
deux  ou  trois  siècles  de  distance,  une  langue  qui  n'est  pas  gar- 
dée par  l'écriture  n'est  plus  la  même  langue  dans  la  bouche  du 
peuple.  Ajoutez  que  la  langue  saho  ne  nous  est  connue  que 
par  les  renseignements  de  M.  d'Abbadie;  or,  la  représentation 
des  sons  d'une  langue  non  écrite,  faite  par  des  étrangers,  est 
toujours  singulièrement  défectueuse.  Que  deux  Français ,  ne  sa- 
chant pas  la  langue  anglaise ,  essaient  de  représenter,  tels  qu'ils 
croient  les  entendre,  les  sons  qui  sortent  de  la  bouche  d'un 
Anglais,  et  l'on  verra  combien  les  deux  transcriptions  différe- 
ront l'une  de  l'autre.  Que  dirait-K>n  du  philologue  qui ,  de  la 
langue  anglaise  écrite  de  la  sorte ,  voudrait  tirer  des  inductions 
sur  l'état  primitif  des  langues  indo-européennes?  Sans  doute, 
si  une  langue  sémitique,  écrite  depuis  la  haute  antiquité, 
nous  offrait  les  singularités  que  nous  présente  la  langue  saho , 
telle  que  la  transcrit  M.  d'Abbadie,  ce  serait  là  un  fait  capi- 
tal, qui  obligerait  de  créer  pour  cette  langue  une  catégorie  à 
part.  Mais  on  ne  peut  accepter  comme  des  données  authenti- 
ques les  particularités  qui  s<b  sont  présentées  à  l'oreille  d'un 
étranger.  L'arabe  le  plus  pur,  transcrit  sur  la  simple  audition , 

'  Loc.  cit.  p.  691  et  suiv.  Les  vues  de  M.  Ewald  ont  encore  été  eiagérées  par 
M.  de  Gobineau,  fiiMt  mr  VmégakUiéâm  rac$9  Aumomaf ,  1 1,  p.  &95  et  suiv. 


318  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

par  une  personne  étrangère  à  l'arabe,  ne  parattrait  guère 
moins  bizarre.  L'écriture  seule  peut  offrir  la  raison  étymolo- 
gique des  procédés  d'une  langue,  et  les  idiomes  écrits,  quoi 
qu'en  dise  M.  Ewald,  sont  seuls  des  témoins  sûrs  en  philologie. 
En  dehors  des  dialectes  sémitiques  qui  viennent  d'être  énu- 
mérés,  il  se  parle  encore  en  Abyssinie  un  très-grand  nombre 
de  langues  difficiles  à  classer.  Tels  sont  les  idiomes  des  nom- 
breuses tribus  de  Gallas  ^ ,  les  langues  de  la  famille  hamiângu, 
celle  des  Falâsyân,  ou  Juifs  d'Abyssinie,  etc.  La  variété  des 
langues  est  un  des  faits  les  plus  frappants  de  l'Abyssinie,  et 
un  de  ceux  qui  attirèrent  l'attention  des  premiers  explora- 
teurs^. De  tribu  à  tribu ,  et  presque  de  village  à  village,  ce 
sont  des  dialectes  différents.  La  publication  des  matériaux 
philologiques  rapportés  par  M.  d'Abbadie,  fournira  des  ren- 
seignements sur  le  caractère  de  ces  idiomes,  encore  trè»-peu 
connus.  Il  est  remarquable  que  les  dialectes  non  sémitiques  de 
l'Abyssinie ,  ceux  des  Gallas ,  par  exemple ,  présentent  des  par- 
ticularités sémitiques  analogues  à  celles  qu'offrent  le  copte  et 
le  berber  dans  la  conjugaison  et  la  théorie  des  pronoms  ' , 
et  semblent  accuser  à  l'ouest  de  la  mer  Rouge  un  grand  mé- 
lange des  races  sémitiques  et  africaines.  On  peut  croire  que, 
parmi  ces  mêmes  langues  non  sémitiques,  il  s'est  conservé  des 
restes  de  l'ancienne  langue  couschite,  qui  doivent  se  retrouver 

*  M.  d^Abbadie  (Joum.  oiiat.  avril  iSSg  et  jaiflet-août  18 A  3)  range  Ttibnonaia, 
langae  des  GaHas,  parmi  les  langues  dérivées  de  Tarabe.  M.  Ewald  {ZeitÊtàrfifir 
die  Kundê  deê  Morgefdtmdeê ,  t.  V,  p.  &19)  remarque,  avec  raison,  ce  qoe  celle 
assertion  a  de  surprenant;  les  Gallas,  en  effet,  sont  généralement  regardés 
comme  d^ongine  africaine.  Sur  Tethnograpbie  si  compliquée  de  rAbyssinie  et  de 
la  Nubie,  voir  Nott  et  Gliddon,  Typet  ofMankmd,  p.  igi  etsniv. 

^  Ludolf,  Hûi.  mUm^.  1. 1,  c.  iv,  n**  60  etsuiv.;  Adeluag  et  Vatcr,  Miéni. 
m ,  r*  part.  p.  1 16-1 1 7  ;  iy«  p.  Û99  et  sui>. 

^  V.  Charles  and  Lawrence  Tuischek,  A  grammar  ef  Un  gaUa  langwtgB  (Mu 
nich,  i8&5),  p.  39,  63,  etc. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  l.  319 

aussi  en  assez  forte  proportion  dans  plusieurs  des  idiomes 
sémitiques,  tels  que  le  somauli,  la  langue  des  Danakil  et  des 
Adaîel,  et  même  le  ghez.  Les  noms  des  mois  abyssins,  par 
exemple ,  qui  n'ofirent  aucune  analogie  sémitique  y  sont  peut- 
être  couschites.  Les  tribus  noires  de  la  Nubie,  qui  unissent, 
comme  les  Bischans  et  la  population  du  Sennaar,  la  couleur 
et  les  mœurs  de  la  race  africaine  au  type  dit  caucasien,  appar^ 
tiennent  sans  doute  à  la  même  race  S  à  laquelle  on  a  voulu 
rattacher  également  les  Ashantis  de  la  côte  de  Guinée ,  dont 
les  institutions,  d'après  Bowdich,  ne  sont  pas  sans  analogie 
avec  celles  de  TEgypte  et  de  TEtbiopie  ^. 

Toute  la  région  orientale  de  TAfrique,  jusqu'à  Mozam- 
bique, offire  des  traces  nombreuses  d'influence  sémitique^  Mais 
les  langues  indigènes ,  dont  la  principale  est  le  êuaheli  ^,  n'ont 
rien  de  sémitique.  C'est  à  tort  qu'on  a  cité ,  pour  appuyer  la 
thèse  contraire,  l'autorité  de  MM.  Krapf,  Ewald,  Pott,  de  Gar 
belentz^,  qui,  en  établissant  la  parenté  du  suaheli  avec  les 
autres  langues  de  la  Cafirerie  et  du  Congo ,  n'ont  en  garde  de 
Je  rapprocher,  au  moins  dans  ses  procédés  organiques,  des 
langues  sémitiques. 

M 

^  heçâuBjBriêfe ttuê Mgypten, elc. p.  ai  i,  990, 903, 966;  Knobel, Die  Vcstiur- 
tafd  der  Genens,  p.  966-967,  969,  960-961.  M.  d^Escayrac  de  Lautare  croit 
cependant  les  Biacharis  d^oiigine  arabe.  (Le  âéàert  et  h  Soudan ,  p.  967  et  suiv.) 

*  Biot,  dans  le  iwtmal  dee  SavmUe,  sept  1819;  Ritter,  Géogr.  de  VAJrifm, 
L  1,  p.  &63,  66A  etsniv.  (trad.  franc.). 

3  Ewaid,  Zeitechft  der  D.  M,  GeeeUtclutfiy  L I  (1 8 A7  ) ,  p.  &A  et  suiv.  ;  H.  C.  von 
der  Gabelentx,  3nd,  p.  938  et  suiv.;  Pott,  ihid,  t.  II  (1868),  p.  1  et  suiv.  199 
et  soif. 

*  A.  de  Gobineau,  op.  ctl.  p.  693  et  suiv. 


320  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 


CHAPITRE  IL 

branche  ismablite  oc  maaddique, 

[arabb,) 


S  I. 

L'Arabie  centrale,  la  vraie  Arabie,  n'a  point  encore  figuré 
jusqu'ici  dans  l'histoire  de  l'Orient;  et  pourtant,  c'est  là  que 
se  maintient,  avec  la  vie  nomade,  la  vraie  originalité  de  la 
race  sémitique.  Au  vi'  siècle  de  notre  ère,  un  monde  infini 
d'activité,  de  poésie,  de  raffinement  intellectuel,  se  révèle 
dans  un  pays  qui  n'avait  donné  jusque-là  presque  aucun  signe 
de  son  existence.  Sans  antécédents  ni  préparation,  on  ren- 
contre tout  à  coup  l'admirable  cycle  des  MoaUakÂt  et  du  Kitâb 
elr-Agâni;  une  poésie  barbare  pour  le  fond,  et  pour  la  forme 
d'une  extrême  délicatesse;  une  langue  qui,  dès  son  début, 
surpasse  les  finesses  des  idiomes  les  plus  cultivés  ;  des  subtilités 
de  critique  littéraire  et  de  rhétorique,  comme  on  en  trouve 
aux  époques  les  plus  fatiguées  de  réflexion  ^  Et  quand  on  voit  ce 
singulier  mouvement  aboutir,  au  bout  d'un  siècle ,  à  une  reli- 
gion nouvelle ,  à  la  conquête  de  la  moitié  du  monde ,  puis ,  de 
nouveau ,  à  l'oubli ,  n'est-on  pas  en  droit  de  dire  que  l'Arabie 
est,  de  tous  les  pays,  celui  qui  contrarie  le  plus  toutes  les  lois 

*  Voir  des  exemples  daos  r£wat  but  Vhiêtoire  dtê  Arabes  avant  raloMnime  de 
M.  Gaussin  de  Perceval ,  Il ,  609  et  suiv. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  II.  321 

(p'on  pourrait  être  tenté  d'assigner  au  développement  de  i*es- 
[Mit  bumain? 

Parmi  les  phénomènes  qne  présente  cette  apparition  inat- 
tendue d'une  conscience  nouvelle  dans  l'humanité,  le  plus 
étrange  et  le  plus  inexplicable  est  peutrétre  la  langue  arabe 
dle-méme.  Cette  langue,  auparavant  inconnue,  se  montre  à 
BOUS  soudainement  dans  toute  sa  perfection ,  avec  sa  flexibilité, 
sa  richesse  infinie ,  te&ement  complète ,  en  un  mot,  que  depuis 
ce  temps  jusqu'à  nos  jours,  die  n'a  subi  aucune  modification 
importante.  Il  n'y  a  ni  enfance,  ni  vieillesse  pour  la  langue 
arabe  ;  une  fois  qu\>B  a  signalé  son  apparition  et  ses  prodi- 
gieuses conquêtes,  tout  est  dit  sur  son  compte.  Je  ne  sais  si 
l'on  trouverait  un  autre  exemple  d*un  idiome  entrant  dans  le 
monde,  comme  celui-ci,  sans  état  archaïque,  sans  degrés  in- 
termédiaires ni  tâtonnements. 

Que  dès  la  plus  haute  antiquité  la  langue  arabe  ait  été  en 
possession  de  son  individualité,  et  ait  constitué  une  branche 
distincte  dans  la  sérœ  des  langues  sémitiques ,  c'est  ce  que  la 
seole  inspection  de  cette  langue,  à  défaut  de  témoignages  po- 
sitifs, suffirait  pour  prouver.  L'arabe,  en  effet,  possède  des  pro- 
cédés qui  lui  sont  tout  à  fait  propres ,  et  dont  on  ne  rencontre  pas 
le  germe  'dans  les  autres  langues  sémitiques  :  tel  est  le^éca- 
nisme  si  remarquable  des  pluriek  brisés,  qui  ne  se  retrouve  que 
dans  l'éthiopien;  teUes  sont  les  flexions  casuelles,  sans  parler 
d'une  série  de  formes  verbales  dont  on  chercherait  en  vain  la  trace 
dans  l'hébreu  et  l'araméen.  Tout  cela  suppose  que  l'arabe  s'est 
séparé  du  tronc  conunûn  de  la  famille  à  une  époque  où  ceUe-ci 
possédait  encore  ses  vertus  organiques.  Une  particularité  beau- 
coup moins  essentielle ,  il  est  vrai ,  mais  pourtant  digne  de  con- 
sidération ,  la  présence  du  lam  dans  l'article  al,  se  retrouve ,  dès 
une  époque  fort  ancienne ,  comme  signe  caractéristique  des  dia- 

K  SI 


322  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

lactés  arabes,  dans  les  noms  de  tribus  nniD^K ,  uvvsh  (jCiNiJl), 
oVûHb  (kv^^I  9  les  kXhjfjLouSrai  de  Ptolémée)S  peut-être  n^*iSK 
(  Gen.  XXV ,  &  ) ,  qui  figurent  parmi  les  plus  anciens  souvenirs 
de  la  géographie  des  Hébreux ,  et  dans  les  noms  de  divinités 
AXii^aetÀAiXâ(r(El-Lftt?),  conservés  par  Hérodote^  Cette  même 
forme  d'article  se  retrouve,  comme  arabisme,  dans  quelques 
mots  hébreux  :  Qip^K = |»yi)t  ;  e^^sa^K  =:  (ji».m£  ',  et  même  dans 
quelques  noms  araméens  ou  nabatéens  :  tf  p Vk  »  patrie  du  pro- 
phète Nahum ,  =r  j&^l ,  ville  près  de  Mossoul  ;  el-keroa  (^j^^) , 
nom  vulgaire  que  S.  Jérôme  donne  comme  l'équivalent  syriaque 
et  phénicien  de  l'hébreu  |vp^p^;  âx^curaf  =  ^y^Jl ,  nom  d'un 
hérésiarque  nabatéen  des  premiers  siècles.  Le  nom  Samptieerar' 
mu$,  porté  par  des  princes  d'une  dynastie  arabe  établie  à  Emèse, 
vers  l'époque  de  J.  G.  «  est  d'un  arabe  assez  pur  :  ^AjSÎ  ^^t>^ 
ou  i^pft  (jMb«û ,  le  Soleil  des  généreux  on  de  la  généronti^.  Il  en 
f^ut  dire  autant  du  nom  d'Àp^of  («^W»)  qu'on  retrouve  dès 
l'époque  des  Macchabées  (II  Macch.  v,  8;  Il  Cor.  xi,  Sa),  et 
qn'on  voit  porté  par  plusieurs  rois  nabatéens,  ainsi  que  du 
nom  d'ÉXv/xa;  (f^)»  T^^  prenait  le  magicien  Barjesu  [AtL 


'  Gonf.  JwÊhù  Mtol.  août  i8d8,  p.  917-S18.  Rapproehei  encore  k  nom  dei 
tioB  ÀAoAaiov  (Arriani  iWijpf.  Mar.  Erythr.  p.  3,  éd.  Hudson);  les  ÂAïAsfbi  (Agi- 
tharchidis  Peripl,  p.  60,  édit.  Hadson;  Diodori  Sic.  III,  65);  kX^aiêa^ios,  nom 
d*un  flcheikh  arabe  (Strab.  p.  5 18,  édit  Cas.).  L^asBimilation  du  hm s^eat faite 
dans  les  noms  des  koen^oi  et  des  kavaxaXfrcu  de  Ptolémée  et  de  Maràen  d*Bé- 
radée. 

'  Herodot.  HiitA,  i3i;  III,  8. 

'  Geaeniua,  Lekrg^.  der  hibr,  Spr.  p.  198  ;  Lêx.  mon.  à  ces  mots. 

*  Cf.  Niebuhr,  Deêcriptian  de  ^Arakiê,  1**  part.  chap.  ht,  art  3  ;  Winer,  Ml. 
BêahocÊrt.  au  âiot  WtmitrhmKn, 

^  Il  est  possible  que  le  nom  de  SaiiipnotnHilMff  ne  renfiorme  point  Tarlide,  et 
que  Vi  n^y  figure  que  pour  marquer  Tannexipn  des  denx  substantifr,  comme 
dans  les  noms  hébreux  et  phéniciens,  Mêlekiteé&eh,  Hatmîbaal^  etc.  En  toat 
le  mot  kêram  y  est  employé  dans  un  sens  ^*il  n^a  qiren  arabe. 


LIVRE  IV.  CHAPITRE  II.  '  3S3 

xni,  8).  Le  nom  X^Xdtiéo^  (v^)  ^^^^  scheikh  arabe,  dans  le 
Pét^k  cTArrien  \  nous  présente  une  forme  de  diminutif  propre 
à  la  langue  arabe  et  qu'on  ne  trouve  pas  dans  les  autres  dia- 
lectes fiémitiques.  Plusieurs  des  expressions  données  par  le 
Talmud  comme  arabes  se  rapportent  également  à  Tarabe  ko- 
reiscbite  ;  quelques-unes  cependant  semblent  appartenir  à  llii- 
myarite  ou  à  l'éthiopien  '. 

Les  singulières  inscriptions  qui  se  lisent  sur  les  rochers  dé 
certaines  vallées  du  Sina!,  et  dont  le  décbifirement  paratt  assez 
avancé ,  grâce  aux  recherches  de  MM.  Béer,  Gredner  et  Tuch  ^ 
ont  apporté  des  lumières  inespérées  au  problème  des  origines 
de  la  langue  arabe.  Il  résulte  du  beau  travail  de  M.  Tuch  que  la 
langue  de  ces  inscriptions  n'est  pas  l'araméen  (comme  le  suppo- 
sait M.  Béer,  qui  les  rapportait  aux  Nabatéens  de  Pétra),  mais 
bien  un  dialecte  arabe,  légèrement  infléchi  vers  Taràméent 
Les  mécanismes  les  plus  essentiels  de  l'arabe  s'y  retrouvent  : 
ainsi  les  voyelles  finales,  qui  formaient  jusqu'ici  un  trait  si 
exclusivement  propre  à  l'idiome  littéral  qu'on  avait  été  tenté 
d'y  voir  une  invention  des  grammairiens,  sont  notées,  dans  ces 
inscriptions,  par  des  quiescentes,  mais  omises  à  l'état  construit: 

4MI  iej^  etc.  M.  Tuch  fait  observer,  avec  raison,  que  la  même 

*  Apad  Httdflon ,  G^ogr,  grwei  Btm.  p.  f  3.  Rapproehei  aum  le  nom  de  Bami^ 
ftf M4$ ( Béni. ,,.?)  dans  Diod. Sic.  III ,  &&. 

*  Ddituch,  Jetunm,  p.  77r79»  note. 

^  E.  F.  Fw  Bear,  Aiirr^CibfMt  wUrêi  ktim$  $i  Ungua  kuauque  meognitù  ai 
MMtem  5èim  mo^  mumero  wrtalm.  Faadc  I  (lipais,  18A0);  Gredner,  dans 
les  EMfIb.  JaMùchtr,  18A1,  p.  908  et  suiv.;  F.  Tach,  dans  la  Zeitichrifi  der 
D.  M.  GeMeOêek^yt  III  (i8&9),p.  199  et  suiv.;  Bonsen,  Outlmet,  I,,33i  et 
toiv.  Les  rèreries  du  Rév.  Gh.  Forater  tàr  eea  mémea  ioacriptions  ne  mérite- 
raient pas  d^étre mentionnées,  d,  dans  certains  pays  et  dans  certaines  régions  de 
la  presse,  elles  n^avaient  été  prises  an  aérienx. 

91. 


33&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

particularité  se  remarque  dans  le  nom  propre  arabe  Dtfa  ou 
)D{Ef3,  conservé  dans  le  livre  de  Néhémie  (vi,  i,  6).  Ces  faits, 
qui  prouvent  dans  la  langue  arabe  une  si  longue  identité,  sont 
de  la  plus  haute  importance ,  si ,  comme  le  supposent  MM.  Tuch 
et  Credner,  les  inscriptions  dont  il  s'agit  remontent  aux  pre- 
miers siècles  de  l'ère  chrétienne,  ou  si,  comme  le  veut  M.  Bun- 
sen, eUes  appartiennent  aux  temps  ptolémalques.  On  ne  peut 
douter  au  moins  de  leur  antiquité  relative ,  puisque  Cosmas 
Indicopleustès ,  qui  les  vit  en  5  3  5 ,  les  représente  conune  écrites 
en  caractères  inconnus. 

L'arabe  se  distingue  de  tous  les  autres  dialectes  sémitiques 
par  une  délicatesse,  une  richesse  de  mots  et  de  procédés  gram- 
maticaux, qui  causent  la  plus  grande  surprise  à  ceux  qui  passent 
de  l'hébreu  et  du  syriaque  à  l'étude  de  l'idiome  littéral.  Les 
philologues  arabes  ont  imaginé ,  pour  expliquer  cette  richesse , 
une  hypothèse  peu  acceptable  assurément,  d'après  les  principes 
de  la  philologie  moderne,  mais  qui,  cependant,  mérite  d'être 
prise  en  considération  pour  la  part  de  vérité  qu'eUe  renferme.  La 
langue  arabe,  s'il  fallait  en  croire  Soyouthi^,  serait  le  résultat 

^  iàS\  >JLfr  Jy>^^  ^>LJÉ9,ch•II(80{^Larab.Il*l3l6^tI,p.ll6t.- 
117).  Yoid  le  paaBage  entier  de  Soyoafhi,  que  noos  donnons  comme  un  cnrien 
ipédmen  des  idées  des  Arabes  sar  la  formation  de  leur  propre  langue.  Pococke  en 
a  déjà  fidt  usage  (Sp$eimen  hût,  Asrab.  p.  1 67-158)  : 

ûîj^  JU ^jiy^  ^U  ,jV  Jy»  0^  i^i>^^  o^ j*^ èy^^ (^y^^ 

fJu^  ^Uîj  ^[éif  ,ijuj[,  ^y^:t  ïy\^  oyJi  ^:j^  u,Uo  j^^r 

^y[^\  JLiu  <ltr  0t  iâJi^  «J  ^\j^\^  JUuJf  0;lJt  ^t  LSLiy  ^\ 
qILï  Ujyi  JèJL  |Ju^  -ulft  <llt  J-  l4>4rf  ^  ^Uiktj  «yyJf  ^  ^ 

d\   (Jj^iVkj    ^yfÀj  U^l^  Q^  O^t  3^j  cmICÎ  ^ÛU»  ÏÛfjj  AA^ 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  II.  335 

de  la  fusion  de  tous  les  dialectes,  opérée  par  les  Koreischites 
aatour  de  la  Mecque.  Les  Koreischites,  d'après  ce  système, 
gardant  la  porte  de,  la  Gaaba  et  voyant  affluer  dans  leur  vallée 
les  diverses  tribus  attirées  par  le  pMerinage  et  les  institutions 
centrales  de  la  nation ,  s'approprièrent  les  finesses  des  dialectes 
qu'ils  entendaient  parler  autour  d'eux;  en  sorte  que  toutes 

j^l^  ^-U  ,^  ^^Uôl,  ^^AT^  1^^  <^yJî  ^  ^yj\  ^1 

Jli»  ^ôJ\  f^  03[^  ^^rfJf  *4?  j>  l^  c:>Uf  ÇÎ-.  ci©  o'y^' 

*^  oi  f^  '^  ^j)j  4V^  I4À*  j#^l  ^t  JiUf  ji> jfj  03!^  U«^  ^ 

4X—  S^  '^ji*  ^î  S>  -'^l)  *>^«^  J#'  Jl*  'iift*Jj  <H^  V^r*b 

4>A?  <-J>*^  ^'  ^'  1^1  *^  *^'  d^  *^'  Jîr*'^  Jy^  <^^^^  v^- 

<  ft^  J*r>  Oiî^  M^  vW^  ^'  ^'  V:)^  JIT^y  ^  J^'  <:H*^' 
^J^UIf  Ojf^^  v:H«>^'  u^  o'  V^fW  e^^^-il  3^*-^  u*'  O^J 

\ô^  o^^f  jiï  r^  ^  cM\^  jjôi  ^  jat  l^wl  oU^ 

t5^j  Â5j^  t>f^l  j  ^1  J^iJ  c:>liJ#l>  ^)x^  oUJ  j  #L^  U 


3S6  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

les  élégances  de  la  langue  arabe  se  trouvèrent  réunies  dans 
leur  idiome.  Les  Koreischites ,  d'ailleurs,  avaient,  de  temps  im- 
mémorial ,  la  réputation  d'être  ceux  des  Arabes  qui  parlaient  le 
mieux  {^j^^  é^'  )^  '^^^  prononciation  était  la  plus  pure  et  la 
plus  dégagée  de  provincialismes.  Us  étaient,  par  leur  position 
au  cœur  de  l'Arabie,  à  l'abri  des  influences  extérieures  de  la 
Perse,  de  la  Syrie,  des  Grecs,  des  Coptes,  des  Abyssins.  Or, 
dans  la  pensée  des  Arabes,  l'isolement  est  la  meilleure  garantie 

jLJt  ojo;  o'--"'  J^  W^lj  ^W^f  K^  ^^  '->^t  v^t  -îr^l 

ÎLjJII  c>iju  AJco  ^  jJ|;  (j^l  j  U  ^Ll  l^ÂAjfj  UjA^  L^;wa.lj 
Ci[^f  ,^)-C*J  (jl^^   c^y^^'  XjUa^  ^j)ft  Jfj  Lï  iSy^^  o*-   '^'^ 

o->Jf,  iU^ii  uJJijtf  ^^L  f^ir^of  e)U:  331^  ^t  0^  ^  y^ 

t^  t^JcJt  <-yJt  ^L«>t  txrf  0^  ^  ii^ÂsJî^  •^^[  Jjbf  ^  XcU->j 
n)ii-Kfaakloan  développe  des  idées  analogues  dans  ses  ProUgomàmê.  De  Sacy,  ^- 
liW)foyig yitwitwkiiwafe OTttfcf,  p.  liV'tiA,  &09-&10. 


LIVRE  iV,  CHAPITRE  it.  327 

de  la  pureté  d'an  idiome ,  ^altération  de  la  langue  se  présentant 
toujours  à  eux  comme  un  résultat  du  commerce  «tvec  Tétranger  ^. 
Cette  opinion  de  la  priceUence  du  langage  des  Koreischites  est 
idlement  enracinée  chez  les  grammairiens  arabes ,  qu'ils  n'ont 
pas  hésité  à  établir,  comme  critérium  de  la  noblesse  ou  de  la 
corruption  d'un  dialecte,  la '{Jus  ou  moins  grande  distance 
qui  sépare  la  tribu  qui  le  parle  du  pays  des  Koreischites.  Ils 
reconnaissent  cependant  que  quelques  autres  tribus  voisines 
des  Koreischites,  telles  que  celles  d'Asad,  de  HodheO,  de  Te* 
mim,  de  Kénana,  furent  également  admises  à  faire  autori^ 
daxis  l'œuvre  constitutive  de  la  langue  classique  ;  mais  ils  ex* 
duent  formellement  de  ce  travail  les  tribus  éloignées,  celles 
du  Bahrein ,  de  l'Yémen ,  de  Hira  et  de  Ghassan ,  dont  le  lan- 
gage avait  été  altéré  par  le  contact  avec  les  peuples  étrangers. 
En  écartant  ce  qu'il  y  a  dans  ce  système  d'idées  artificielles 
et'  conçues  a  priori^  il  reste  du  moins  établi  que  ce  fut  au  centre 
de  l'Arabie,  dans  l'Hedjai  et  le  Nedjed,  parmi  les  tribus  res- 
tées les  plus  pures ,  que  se  forma  la  langue  qui. a  depuis  porté, 
à  l'exclusion  de  tous  les  autres  dialectes,  le  nom  d'amie.  Qu'il 
y  eût  là,  parmi  quelques  tribus,  une  école  d'atticisme,  c'est 
ce  qu'on  ne  saurait  révoquer  en  doute.  Que  ce  foyer  de  cul- 
ture se  trouv&t  chez  des  tribus  bédouines,  et  non  chez  des 
Arabes  citadins,  c'est  ce  qui  est  également  incontestable;  Les 
Arabes  ont  toujours  cru  que  les  bédouins  conservaient  le  dé- 
pôt du  beau,  langage  et  des  belles  manière^;  la  langue  des 
villes  est  à  leurs  yeux  un  idiome  corrompu  et  indigne  du  nom 
d'arabe  K  Mais  jusqu'à  quel  point  le  rftle  capital  qu'ils  attri- 

1  C'est  la  théorie  iongoement  développée  par  Ibn-Khaldoan.  (De  Sacy ,  op.  «if. 
p.  liA  etraiv.  àog  et  aaiv.  &&6-/k&7.) 

*  Ibn-Khakloaii,  ibii.  p.  /ii6  et  soiv.  Les  scfaérifa  de  la  Mecque  envoient  leors 
fib  faire  leur  rhétorique  parmi  les  tribus  bédouines.  Aui  époques  florissantes  de 


338  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

buent  aux  Koreischites  est-ii  conforme  à  la  vérité  historiquel 
C'est  ce  quHl  est  difficile  de  décider.  On  ne  voit  pas  qoe  1  un- 
portance  littéraire  des  Koreischites  ait  été  fort  considérable 
avant  Tislamisme.  Les  poètes  les  plus  célèbres  de  cette  époque 
appartiennent  aux  tribus  de  TArabie  centrale,  aux  Kindiens, 
aux  Békrites,  aux  Taglibites,  aux  Dhobyftn,  aux  Gbatafan.  Les 
Arabes  eux-mêmes  ont  remarqué  que  les  Koreischites  n'eurent 
'  avant  l'islamisme  aucun  poète  distinguée  C'est  dans  la  rédac- 
tion du  Coran  que  l'influence  du  dialecte  koreischite  fut  déci- 
sive. Il  est  possible  que ,  pour  obéir  à  des  vues  préconçues  et 
faire  de  Koreisch  une  race  privilégiée ,  destinée  à  donner  à 
TArabie  son  prophète ,  on  éi  antidaté  l'influence  de  ceUe  tribu 
sur  la  formation  de  la  langue.  La  question  présente  est,  du 
reste,  subordonnée  h  une  autre  bien  plus  grave  :  Possédons- 
nous  des  textes  arabes  antérieurs  à  rislamism.e ,  dont  la  forme  soit 
assez  authentique  pour  nous  attester  l'état  de  la  langue  avant 
la  rédaction  du  Coran?  Et  celle-ci  dépend,  à  son  tour,  de  la 
solution  d'un  autre  problème  :  A  quelle  ^que  commençait-on 
à  écrire  dans  l'Arabie  centrale ,  et  d'où  venait  le  caractère  qui 
y  fut  adopté? 

La  dernière  question  a  été  résolue  d'une  manière  définitive 
par  M.  de  Sacy,  dans  le  mémoire  spécial  qu'il  y  a  consacié  K 
Il  résulte  des  textes  cités  par  cet  illustre  orientaliste  :  i^  que 

ridamisme,  les  famUles  opulentes  d^Afiriqae  et  d'Espagne  faisaient  paiement  fiûre 
â  ieon  fils  nne  sorte  de  voyage  littéraîre  dans  le  désert  (Voir  Aman,  Sobotm  et- 
MaUt,  not  p.  998.) 

*  ^-luAjf  j  VI  .Jijfj  ^OJbJlé  Là^/  jL-4iÙ-  O^t  c^l^' 

Ki$âb  W-i4gtlm\  I,  fol.  i5,  soi'  (supjd.  arab.  iàt6);  oonf.  Gaussin  dePeneval, 
BMià,  I,  369-353. 

'  Mém.  de  VAcad,  dêi  Imcr.  t.  L;  voir  aosst  Poeocke,  Sp9e.  kkU  Artà.  p.  161  et 
suiv.;  Gesenins,  dans  YEnofeL  dïrsch  et  Graber,  art.  Ar^,  Sekr^;  Fresnel, 
Jôuni.  mioL  décembre  i838,  p.  556  et  suiv.;  Gaussin  de  Perceval,  £st«t,  1. 1, 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  II.  339 

rémtnre  n'a  pas  été  connue  des  Arabes  de  THedjaz  et  du 
Ned^ed  plus  dW  siède  avant  l'hégire  ;  a^  que  l'alphabet  fut 
transmis  aux  Arabes  par  les  Syriens  ;  3*  que  l'écriture  resta., 
avant  l'islamisme,  et  même  assezr  longtemps  après,  l'apanage 
presque  exclusif  des  juifs  et  des  chrétiens.  L'opposition  de  l'^^ 
{litoimsj  indigène,  qui  ne  sait  pas  écrire)  et  des  c^Ufii  J^^t 
{le$  gms  du  Iwre,  les  gens  qui  lisent  et  écrivent ,  c'est-à-dire 
les  juifs  et  les  chrétiens  )  ^  suffisait  à  elle  seule  pour  indiquer 
ces  différents  résultats.  Une  inscription  du  temps  de  Trajan, 
trouvée  à  Rome ,  mentionne ,  il  est  vrai ,  un  copiste  pour  Vé- 
erilwre  arabe;  mais  M.  de  Sacy  suppose,  avec  raison,  qu'il 
s'agit  là  du  caractère  palmyrénien.  —  L'origine  syriaque  de 
l'alphabet  arabe  ne  saurait  non  plus  être  révoquée  en  doute; 
soit  que  l'on  compare  les  formes  de  l'ancien  alphabet  dit  cou- 
fyue  à  celles  de  Yestrœ^iheh;  soit  que  l'on  considère  l'orike  pri- 
mitif des  lettres  de  l'alphabet  arabe ,  ordre  qui  est  identique 
à  cdui  des  alphabets  hébreux  et  syriaques;  soit  que  l'on  ana- 
lyse le  nom  du  personnage  que  les  Arabes  donnent  unanime- 
ment comme  l'auteur  de  leur  alphabet,  Moramer,  nom  dans 
lequel  on  ne  peut  guère  méconnaître  le  titre  «*^âo  que  portent 
tous  les  prêtres  syriens  ;  soit  enfin  que  Ton  suive  les  pérégri- 
nations de  ce  Moramer,  qu'on  voit  d'abord  établi  à  Anbara , 
dans  llrak,  puiâ  à  Hira,  où  un  Koreischite,  d'autres  disent 
un  Kindien ,  apprend  de  lui  l'écriture ,  et  la  transporte  à  la 
Mecque  '.  M.  Fresnel  et  M.  Gaussin  de  Perceval  ont  démon- 
tré que  c'est  par  erreur  que  les  savants  arabes  ont  voulu  tirer 


p.  agi  et  suiv.  M.  de  Saey  apporta  qndqaes  restriettaiu  à  ton  prenuer  sentimeiit, 
dans  le  Jommàl  d»  Sammti ,  août  i8a5 ,  et  dans  le  ioim.  otûrt.  avril  1 897. 

■  De  Sacy,  Mém.  de  VAead,  d»  huer,  t  L,  p.  agÂ-agS. 

*  Goof.  Dm-Khal^o,  dans  la  Chrmlomatlttê  arabe  de  M.  de  Sacy,  t.  II ,  p.  $09 
et  nÙT. 


330  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMItlQUES. 

le  caractère  arabe  proprement  dit,  ou  djazm,  du  caractère 
musnai.  L'opinion ,  très-rëpandue  chez  les  Arabess,  d'après  la- 
quelle la  langue  et  l'écriture  syriaques  sont  la  langue  et  l'écri- 
ture primitives ,  tient  sans  doute  à  ce  fait ,  que  l'sdphabet  et  la 
première  culture  littéraire  leur  sont  venus  des  Syriens.  L'al- 
phabet des  inscriptions  sinaitiques,  qui  nous  représente  la  plus 
ancienne  écriture  arabe  connue,  se  rattache  lui-même  à  l'év- 
inmghelo. 

Il  faut  reconnaître,  d'ailleurs,  qu'avant  l'emprunt  fait  à 
Moramer,  plusieurs  alphabets  étrangers  étaient  usités  dans 
l'Hedjaz.  L'Arabie ,  à  cette  époque ,  offrait  le  .spectacle  singu- 
lier d'un  pays  où  toute  la  culture  intellectuelle  était  entre  les 
mains  d'étrangers.  Les  Juifs,  les  Syriens,  les  Himyarites,  les 
Abyssins  y  écrivaient  dans  leur  langue  et  dans  leur  alphabet  : 
l'exemple  de  Grégentius ,  évéque  de  Zhéfar,  prouve  même  que 
le  grec  était  usité  en  Arabie.  Quelques  Arabes  ^éclairés  s'ins- 
truisaient auprès  de  ces  étrangers,  et  appliquaient  à  la  langue 
indigène  les  divers  alphabets  qu'ils  voyaient  pratiquer  autour 
d'eux  ;  mais  ces  applications  n'avaient  aucune  régularité  :  les 
Arabes  eux-mêmes  l'ont  reconnu ,  et  unanimement  ils  ont  fait 
remonter  l'origine  de  leur  alphabet  propre  à  l'école  d'Anbara* 
Je  ne  citerai  pour  le  prouver  qu'un  seul  passage  d'un  poète 
Idndien ,  dont  j'emprunte  la  traduction  à  M.  Fresnel  : 

Ne  méconnaisBez  pas  le  service  que  vous  a  rendu  Ksdir ';  car  il  fiit 
pour  vous  un  bon  conseiller,  un  génie  lumineux. 

Ce  fiit  lui  qui  vous  apporta  le  caractère  d^azm,  à  Taide  duqnd  vous 
pouvez  retenir  ce  qui  était  confusément  éparpillé. 

Constater  ce  qui  était  perdn  dans  le  vague,  ressaisir  ce  qui  vous  édiap- 
pait  et  vous  eh  assurer  la  possession. 

'  Le  Kindien  qui  apprit  à  écrire  de  Moramer. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL  331 

Depuis  l«m,  vous  faites  aller  et  venir  les  kalâms,  et  vous  avei  des 
écrits  dignes  d'être  opposés  à  eeux  de  Ghosroès  et  de  César  *  ; 

Et  vous  pouvez  vous  passer  du  Mutnad  de  Himyar  et  de  ce  que  les  ka- 
Ums  faimyarites  alignaient  sur  des  feuiOets. 


S  n. 

L'origine  de  l'écriture  arabe  une  fois  constatée,  nous  pou- 
vons aborder  la  (piesûon  plus  difficile  de  l'authenticité  et  de 
l'intégrité  des  poèmes  arabes  antérieurs  au  Coran.  Cette  ques- 
tion,  il  faut  le  dire ,  a  été  tranchée  jusqu'ici  dans  le  sens  affir- 
matif ,  sans  aucune  restriction.  Les  Modiakât,  les  poésies  du 
Hamà$a,  du  Kitâb  d-Agâfii,  du  Divan  de$  Hodheilites,  ont  été 
acceptées  comme  remontant  réellement ,  pour  le  fond  et  pour 
la  forme,  à  l'époque  antérieure  à  Mahomet.  Pour  le  fond, 
aucun  doute  n'est  possible  :  ces  poèmes  nous  représentent , 
comme  on  parfait  miroir,  la  vie  anté--islamique;  ils  se  rappor- 
tent certainement  à  des  personnages  et  à  des  événements  réels. 
Sous  le  rapport  de  la  forme,  on  doit  croire  également  qu'ils 
nous  ont  été  conservés  avec  une  fidélité  suffisante ,  et  que  les 
altérations,  s'il  y  en  a,  n'affectent  que  les  plus  menus  détails. 
Mais  le  philologue  a  d'autres  exigences  que  l'historien  et  le 
littérateur.  L'historien  et  le  littérateur  parient  sans  hésiter  d'un 
poème  français  du  xn*  siècle ,  d'après  un  manuscrit  du  i,nf  ou 
du  xiv*;  le  philologue  n'ose  se  permettre  de  dépasser,  dans  ses 
conclusions,  l'époque  même  dn  manuscrit  et  la  province  où  il 
a  été  écrit.  De  même,  tout  en  accordant  aux  poèmes  anté- 
islamiques  une  véritable  authenticité,  on  peut  encore  se  de- 
mander si  ces  curieuses  compositions  nous  offirent  réellement 
une  langue  antérieure  à  celle  du  Coran  ;  si  on  doit  les  prendre 
conmic  des  textes  écrits  dès  leur  origine,  et  conservés  tels 

^  C'est-à-dire  des  PeraaDs  et  des  Grecs. 


332  HISTOIRE  DES  LAfiGUES  SÉMITIQUES. 

qu'ils  sortirent  de  la  bouche  de  leurs  auteurs.  Ici  la  tâche  du 
linguiste  devient  singulièrement  délicate.  La  critique  n'ayant 
pas  encore  été  appliquée  à  l'histoire  de  l'Arabie  anté-îslami- 
que,  ni  même  aux  premiers  temps -de  l'islam^,  les  plus  grandes 
précautions  sont  nécessaires  pour  éviter  à  la  fois  une  confiance 
excessive  et  un  scepticisme  exagéré. 

Et  d'abord,  il  ne  peut  être  question  ni  de  ces  prétendus 
poèmes  arabes ,  contemporains  de  Moïse  et  de  Salomon ,  que 
Schultens  acceptait  encore  \  ni  de  cette  ancienne  littérature 
parabolique  dont  Lokman* serait  le  représentant;  encore  moins 
de  la  singulière  opinion  qui  a  voulu  attribuer  au  livre  de  Job 
une  origine  arabe.  Il  est  probable  que ,  dès  la  plus  haute  an* 
tiquité ,  les  Arabes ,  conune  tous  les  peuples  sémitiques ,  eu- 
rent des  sages  et  une  littérature  de  proverbes ,  analogue  à  celle 
des  Israélites.  On  peut  m^e  croire  qu^  les  iivres  sapientiaux 
de  la  Bible  nous  ont  conservé  une  sorte  de  philosophie  com- 
mune à  toute  la  race  sémitique,  puisqu'on  voit  souvent  men- 
tionnés avec  honneur  par  les  Hébreux  des  sages  appartenant 
aux  tribus  arabes  qui  avoisinaient  la  Palestine  au  midi  et  à 
l'est'.  Mais  rien  n'autorise' à  supposer,  avec  Schultens^  et 
Seetzen^,  l'existence  d'une  littérature  arabe  proprement  dite, 

'  M.  CSaumn  de  Perceval  ne  s^est  proposé  que  de  recueillir  et  de  grouper  les 
textes  des  écrivaîiiB  arabes,  et  ce  plan  il  Ta  réalisé  avec  une  conscience  parfaite; 
mais  il  dédarë  lui-même  qu^il  a  écarté  les  questions  de  crkique  et  ce  qu^on  ap- 
pdle  phiksopiiie  de  Thistoire.  (T.  I,  préf.  p.  xu.) 

'  De Sacy,  Mém.  de  VAeod, dêi  huer,  t.  L,  p.  36i  et  suiv. ;  Wenrich,  De pauem 
ktbraieœ  atque  arabieœ  furigmef  Moh,  tMuhiofiie  cofiMiuu  atfuê  diMcrmûm  (Upsic. 
i8&3),p.  33  et  suiv. 

*  Voir  d-^essus,  p.  i  i8*i  19 .  On  peut  joindre  à  ces  noms  celui  du  roi  LmmA 
qui  figure  en  tète  d^un  fragment  de  poème  moral  (iVov.  xxxi,  1-9),  et  que  Rosen- 
mûiler  et  Gesenius  regardent  comme  arabe. 

*  Momanenta  tetmtiora  AraXnm  ( Leyde ,  1 7&0  ). 

*  FtMu^mifiidsf  Ortîmtf,!,  p.  117. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL  333 

que  les  musulmans  aurairat  détruite  par  haine  du  paganisme  : 
une  telle  hypothèse  est  en  contradiction  avec  ce  résultat,  dé^ 
sonnais  établi ,  que  Técriture  ne  fut  introduite  parmi  les  Arabes 
qu'un  siècle  environ  avant  Mahomet/ 

n  faut  accorder  un  plus  haut  degré  d'authenticité  aux  in- 
nombrables petits  discours  en  vers,  qu'on  trouve  dans  les  re- 
cueils dliistoire  et  de  poésie  anté-islamiques.  Tel  est,  en  effet, 
le  genre  le  plus  ancien  de  la  poésie  arabe  :  une  poésie  toute 
personnelle ,  exprimant  en  quelques  vers  une  situation  de  l'au- 
teur, et  se  rattachant  à  un  récit.  C'est  la  forme  primitive  de 
ia  poésie  sémitique ,  forme  qu'on  trouve  dans  les  plus  anciens 
monuments  de  l'histoire  hébraïque,  et  presque  dès  les  pre- 
miers jours  du  monde,  dans  la  chanson  de  Lémek  [Gen.  iv, 
aS-a/i).  Un  ancien  auteur  arabe  cité  par  Soyouthi,  dans  le 
curieux  ouvrage  intitulé  Mùuthir,  l'a  très-bien  remarqué  :  «  Les 
anciéhs  Arabes ,  dit-il ,  n'avaient  d'autre  poésie  que  les  vers  isclés 
que  chacun  prononçait  à  l'occasion  ^  ».  Soit  que  ces  petits  dis- 
cours poétiques  présentent  un  mètre  rigoureux,  soit  qu'ils 
affectent  seulement  la  rime  et  un  parallélisme  analogue  à  celui 
des  Hébreux  ^  il  semble  que  les  monuments  de  cette  nature 
ne  sont  susceptibles  que  d'une  demi-authenticité'.  L'histoire 
politique  et  littéraire  peut  en  tirer  de  précieuses  lumières; 
l'histoire  des  langues  ne  peut  s'en  autoriser.  Comment  suppo* 
ser,  en  effet,  que  des  poésies  de  circonstance,  antérieures  quel- 
quefois de  plusieurs  siècles  à  Mahomet,  aient  été  conservées, 
à  une  époque  où  l'écriture  était  rare  ou  inconnue?  La  tradition 
orale,  d'ailleurs,  est-elle  un  gardien  assez  fidèle  pour  nous 

(Si^.  ar.  n*  i3i6  V  t  II,  p.  3i&.)  €f.  Pococke,  .S^.  ki$L  Arab.  p.  t6&. 
*  Wanidi,  op.  di  p.  &o  et sniv. 
>  Goii£deSacy,tf^4ieri4ea4<.dMlîiMT.tft0tfl^I«iarw,^ 


33&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

attester  dans  ses  moindres  particularités  ie  style  de  morceaux 
aussi  peu  arrêtés?  Il  est  d'autant  plus  difficile  de  le  croire , 
que,  dès  qu'il  s'agit  d'aventures  antérieures  k  l'islamisme,  les 
conteurs  arabes  ne  font  guère  parler  leurs  personnages  autre- 
ment qu'en  vers  ou  en  prose  rimée.  Ce  n'est  donc  que  pour 
les  poèmes  réellement  composés  et  d'une  certaine  étendue, 
pour  les  koiidas,  qu'on  peut  agiter  les  questions  d'authenticité, 
dans  le  sens  complet  du  mot. 

Tout  nous  atteste  que  ce  genre  de  poésie  n'est  pa^  ancien 
àxet  les  Arabes.  On  en  attribue  généralement  l'invention  â 
Mohalhel,  qui  vivait  vers  la  fin  du  v*"  siècle,  et  qui  paratt  avoir 
introduit  dans  la  poésie  arabe  beaucoup  de  ra&iements  ^.  Il 
est  probable  que  cette  invention  coïncida  avec  l'établissement 
des  concours  poétiques  de  la  foire  d'Ocadh.  Imroulkais ,  le  plus 
ancien  des  auteurs  de  Moallakat,  naquit  vers  l'an  600^.  Tous 
les  noms  illustres  de  la  poésie  anté^islamique ,  ceux  de  Schan- 
fara,  de  Taabbata-scharran,  de  Tarafa,  d'Antara,  de  Hareth 
ben^Hillizé,  de  Zoheyr,  d'Amrou  ben-Kelthoum,  d'Ascba,  de 
Nabéga  Dhobyani,  de  Lébid,  s'échelonnent  entre  cette  époque 
et  le  commencement  de  l'islamisme.  Ce  qu'il  importe  de  re- 
marquer, c'est  que  les  œuvres  dont  nous  parlons  ne  sont  plus 
des  vers  isolés,  des  quatrains  de  circonstance,  des  ariettes, 
comme  ceux  qui  remplissent  les  anciens  recueils  de  poésies 
arabes,  mais  des  compositions  régulières,  portant  un  nom 

*  Pococke,  loc,  cit.  ;  de  Sacy,  dans  i«  Mém,  de  l'Acad.  dn  Imer.  et  BdUê-LtUrm^ 
U  L,  p.  35o  et  siiiv.;<]âu88in  de  Perceval,  Eêtai,  t.  II,  p.  980;  De  Hammer,  lÂ' 
t9ratiuiirge$chichte  der  Araber,  I,  p.  96,  98  etsuiv.;  M.  Fresnel  a  soutenu,  cspea- 
dant,  les  droits  de  priorité  de  Zoheyr  ben-Djinab.  {Premiire  lettre  eut  rimtmn 
dee  Arabei  mtagU  rùlam,  p.  76 ;  Seconde  lettre ,  p.  /i5  et  soiv.) 

'  Le  poëme  d^Ahou-Adina ,  qui  serait  de  Tan  A  60  environ  et  dont  M.  de  Sacy 

* 

{op.  cit.  p.  371-379)  et  M.  Wenrich  (opt  eit  p.  &9-&3)  ont  admis  Fandientidté, 
n'appartient  pas  i  la  catégorie  des  ktmdae. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL  335 

(faoteur,  et  offrant  les  caraetères  extérieurs  de  Tauthenticité 
la  plus  arrêtée. 

On  ne  peut  nier  cependant  que  la  lecture  de  ces  poèmes 
ne  fasse  naître  quelques  doutes,  non  sur  leur  origine  première, 
mais  sur  leur  intégrité  et  sur  la  nature  des  procédés  par  les- 
quels ils  nous  ont  été  transmis.  La  langue  des  Moallakat,  en 
effet,  bien  que  renfermant  beaucoup  de  tours  et  de  mots 
tombés  en  désuétude,  nW  pas  dans  son  ensemble  ce  qu'on 
peut  appeler  une  langue  arcbaîque;  sous  le  rapport  de  la 
grammaire,  c'est,  purement  et  simplement,  de  Farabe  littéral. 
Sans  doute,  ces  poèmes  sont,  depuis  longtemps,  devenus  obs- 
curs pour  les  Arabes  les  plus  instruits  ;  ils  sont  toujours  ac- 
compagnés d'amples  commentaires ,  et  les  meilleurs  commen- 
tateurs, Tébrizi  par  exemple,  proposent  souvent  deux  ou  trois 
explications  pour  un  même  vers ,  sans  qu'aucune  soit  la  bonne. 
Mais ,  de  ce  que  les  marges  de  Sophocle  ou  d'Aristophane  sont 
couvertes  de  scolies,  en  conclura-4-on  que  la  langue  de  ces 
auteurs  comparée  à  la  langue  classique  ofire  un  caractère  d'ar- 
chaisme?  Il  faut,  ce  me  semble,  distinguer  soigneusement  dans 
les  vieux  poèmes  l'obscurité  qui  provient  d'une  langue  ^ram- 
maùcalement  surannée  comme  c'est  le  cas  pour  Homère ,  En- 
nius,etc.,  et  celle  qui  provient  de  la  manière  ou  du  style  par- 
ticulier à  l'écrivain. 

Ajoutons  qu'on  trouve  à  peine  dans  les  ouvrages  dont  nous 
parions  quelques  vestiges  d'idiotismes  de  tribus,  et  de  ce 
qo^on  appelle,  dans  les  questions  de  littérature  ancienne, 
froprieta»  semumis.  Or,  il  serait  bien  extraordinaire  que  des 
poèmes  composés  plus  de  cent  cinquante  ans  avant  que  Tunité 
de  l'Arabie  fût  fondée,  sur  des  points  fort  éloignés  du  terri- 
toire arabe ,  chez  les  tribus  les  plus  diverses ,  n'eussent  conservé 
qu'une  si  faible  trace  de  leur  origine  provinciale.  Les  Arabes  eux- 


336  HISTOIRE  DBS  LANGUES  SÉMITIQUES. 

mêmes  reconnaissent  que  Tunité  de  la  langne  classiq[ae  n*a 
été  fondée  que  par  la  prépondérance  des  Koreischites*  et  grftce 
à  remploi  exclusif  du  dialecte  mekkois  dans  le  Coran.  Gom- 
ment donc  supposer,  longtemps  avant  Mahomet,  une  langue 
littéraire  unique,  s'étendant  d'un  bout  à  l'autre  de  TArabie, 
surtout  quand  il  est  constaté  que  les  Koreischites  n'eurent 
qu'une  faible  part  au  mouvement  de  la  poésie  anté-islamique? 
L'apparition  des  kasidas  coïncide  à  peu  près,  en  Arabie,  avec 
l'introduction  de  l'écriture  dans  ce  pays.  Cependant  les  auteurs 
de  Moallakat  n'apparaissent  nullement  conune  des  écrivains  ^  ; 
l'écriture  était  sans  doute ,  à  cette  époque ,  le  monopole  des 
chrétiens  et  des  juifs  dans  l'Heciyaz.  La  kasida,  d'ailleqrs,  est 
par  son  essence  un  poëme  récitatif  ;  les^  Arabes ,  comme  tous  les 
peuples  sémitiques ,  n'ont  jamais  connu  le  graiid  poëme  nar- 
ratif, celui  qui  réclame  le  plus  impérieusement  Técriture.  D  est 
donc  probable  que  les  poésies  ànté-islamiques  étaient  gardées 
uniquement  dans  la  mémoire ,  soit  de  leurs  auteurs ,  soit  de  la 
tribu  à  laquelle  elles  appartenaient  :  en  effet,  la  compilation 
des  principaux  Divan»  appartient  au  m*  siècle  de  l'hégire  ^. 
On  comprend  combien  un  pareil  mode  de  transmission  est  de 
nature  à  exciter  des  scrupules ,  surtout  quand  on  songe  que  les 
ouvrages  dont  U  s'agit  ont  dû  traverser,  pour  arriver  à  l'écri- 
ture, une  période  de  fanatisme  et  d'hostilité  contre  la  poésie, 
telle  que  fut  l'époque  de  Mahomet.  Certes  nous  sommes  dis- 
posés à  accorder  à  la  mémoire  arabe  une  ténacité  exception- 
nelle.  Mais  la  mémoire  ne  s'attache  point  à  des  particularité 
grammaticales.  La  tribu  de  Hodheil  pouvait  conserver  de  siècle 

*  Tarafa  (v.  3 1  de  sa  MoaU/aka  )  compare  les  jooes  de  sa  maltresse  au  papier 
(x^'"'^)  ^®  Damas,  ^UsjI  #f  ^y**  ^^  ^  ^^^  prouve  du  moins  qae  le  papier 
était  nne  substance  exotique  et  rare  en  Arabie  »  à  Tépoque  où  le  poème  fut  composé. 

*  Yoy.  Kosegarten,  Tkê  hiem$  af^HuzaHiê,  t  1,  préf.  Londres,  t85&. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL  337 

en  sîède  la  tradition  de  son  vaste  Divan,  et,  sans  le  vouloir, 
en  altérer  insensiblement  la  langue.  G*est  là,  du  reste,  une 
diwervation  qui  s'apfdique  à  toutes  les  collections  de  diants 
populaires  faites  par  des  littérateurs  :  ces  chants  peuvent  ap- 
partenir pour  le  fond  &  une  grande  antiquité;  mais,  dans  la 
forme,  ils  ofirent  rarement  une  langue  antérieure  à  Tépoque 
où  ils  ont  été  recueillis. 

Les  variantes  qu*offirent,  dans  les  diverses  compilations, 
les  poèmes  anté^idamiques  prouvent  bien  qu*on  ne  peut  les 
envisager  comme  des  ouvrages  écrits  et  fixés  une  fois  pour 
toutes  par  leur  auteur.  Ces  variantes ,  qui  proviennent  évidem- 
ment des  infidélités  de  la  mémoire,  et  qui  rarement  atteignent 
le  fond  de  la  pensée,  sont,  en.  un  sens,  des  garanties  de  la 
tradition  recueillie  par  les  philologues.  Mais  elles  prouvent 
aussi  que  le  linguiste  n*a  pas  le  droit  de  tirer  des  conséquences 
trop  rigoureuses  de  textes  conservés  par  un  procédé  aussi 
incertain.  La  bouche  est  mauvaise  gardienne  du  langage,  et 
les  pièces  qui  lui  sont  confiées  se  modifient  à  mesure  que  l'i- 
diome lui-même  subit  la  loi  du  changement 

L*examen  du  contenu  des  poèmes  anté-islamiques  confirme 
ces  doutes.  H  n'y  est  pas  fait  une  seule  allusion  aux  anciens 
cultes  de  l'Arabie,  si  bien  qil'en  les  lisant  on  serait  tenté  de 
croire  que  l'Arabie,  avant  Mahomet,  n'avait  aucune  religion. 
Quoique  les  poètes  fussent,  en  général  »  des  impies  et  des  épi- 
curiens avoués t  un  tel  silence  serait  inexplicable,  si  leurs  ou- 
vrages n'avaient  souffert,  après  la  prédication  musulmane,  une 
épuration  destinée  à  en  faire  disparaître  toutes  les  traces  de 
paganisme.  Les  généalogies,  qui  auraient  dû,  ce  semble, 
être  bien  plus  à  l'abri  de  la  censure,  n'y  échappèrent  pas.  Les 
familles  qui  s'étaient  appelées  Tem^aUât  et  Auê-Monât,  s'appe- 
lèrent, après  l'islamisme,  Tem~AOah  et  Aui-Attah,  afin  que  le 


338  HISTOIRE  DBS  LANGUES  SÉMITIQUES. 

nom  de  fausses  divinités  ne  souillât  pas  les  généalogies  arabes  ^ 
On  peut  affirmer  que  les  copistes  se  fussent  refusés  k  écrire  et 
les  grammairiens  à  commenter  des  passages  empremts.  d'idées 
païennes.  Or,  le  puritanisme  grammatical  ne  le  cède  guère, 
chez  les  Arabes,  au  puritanisme  religieux  ;  écrire  un  solécisme, 
ou  du  moins  ce  qu'il  regarde  oonmie  tel,  est  un  aussi  grand 
sacrifice  pour  un  bon  grammairien  arabe  que  d'écrire  le  nom 
d'une  fausse  divinité.  Envisageant  la  langue  arabç  comme  une 
sorte  de  révélation ,  créée  tout  d'une  pièce ,  les  gramnoAiriens 
et  les  copistes  ont  effacé  peut-être  bien  des  archaïsmes  qu'ib 
ont  dû  regarder  comme  des  fautes.  La  philologie  sans  critique 
procède  toujours  de  la  sorte  ;  manquant  du  sentiment  des  ré^ 
volutions  de  la  langue ,  elle  étend  sur  tous  les  Ages  un  niveau 
uniforme,  et  voudrait  astreindre  les  écrivains  des  siècles  passés 
è  des  rè^es  qui  n'existaient  pas  de  leur  temps. 

Avouons  toutefois  que  ces  considérations,  qui  seraient  dé- 
cisives pour  toute  autre  littérature ,  ne  le  sont  pas  autant 
quand  il  s'agit  de  l'arabe.  D'une  part,  la  fixité^  des  langues 
sémitiques ,  de  l'autre ,  les  miracles  de  mémoire  dont  les  Arabes 
se  sont  montrés  capables,  surtout  dans  la  conservation  de  leurs 
généalogies,  commandent  de  n'appliquer  qu'avec  la  plus  grande 
réserve  à  la  question  présente  les  lois  générales  de  la  philo- 
logie comparée.  La  littérature  hébraïque  nous  a  déjà  offert  un 
phénomène  analogue  :  U  aussi  nous  avons  été  frappés  de  Pi- 
dentité  grammaticale  qui  pourrait  faire  croire  au  premier  coup 
d'isil  qu'un  même  niveau  a  passé  sur  les  monuments  de  cette 

'  Kitâb  êUAgdni,  I ,  fol.  aSg  v""  (suppl.  ar.  1 6 1  /i  )  : 

l^Ljf  j  (jy5  of  0^  <J\  o-JJ-  c>jl^^UiJft  ^Jf  Jll  ^-  |JLj 

«;>%^l  «^93.  Gonf.  Gnuflsin  de  Perceval,  E$$m,  t.  Il,  p.  6&9;  Derenboar^, 
notes  sur  les  Séancêê  de  Hariri  (s*  édit.),  I.  II,  p.  196. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  U.  389 

littérature.  Il  est  certain  que  la  langue  arabe  s'est  fixée  de 
très-bonne  heure ,  et  que  le  purisme  a  été  de  mode  bien  avant 
Mahomet.  La  métrique  rigoureuse  des  anciennes  poésies  fournit 
one  autre  induction  en  faveur  de  leur  intégrités  L'origine  de 
la  métrique  arabe  est,  il  est  vrai,  fort  obscure.  Les  parties  poé- 
tiques du  Coran  (les  dernières  surates)  sont  écrites  dans  le 
rhythme  libre  de  l'ancienne  poésie  hébraïque ,  rhythme  fondé 
uniquement  sur  la  coupe  du  discours,  le  parallélisme  et  Tas- 
sonnance;  d'anciennes  poésies  arabes  sont  écrites  dans  lé  même 
rhythme^,  qui  est  la  véritable  forme  de  la  poésie  sémitique; 
mais,  quelque  hypothèse  qu^  l'on  adopte  sur  les  causes  qui 
portèrent  les  Arabes  à  introduire  dans  leurs  vers  le  mécanisme 
de  la  quantité,  il  est  impossible  que  cette  introduction  soit 
postérieure  à  l'islamisme.  On  a  donc  là  une  garantie  assez 
forte  contre  les  retouches  que  les  anciennes  kasidas  auraient  pu 
subir.  A  vrai  dire,  nous  pensons  que  les  Arabes  n'ont  jamais 
altéré  à  dessein  leurs  anciens  poèmes ,  et  que  les  modifications 
qui  s'y  sont  introduites  sont  de  celles  que  ne,  peut  éviter  un 
texte  transmis  sans  le  secours  de  l'écriture.  Dans  toute  la  dis- 
cussion qui  précède,  nous  n'avons  voulu  soulever  qu'un  pro- 
blème de  linguistique,  et  ce  problème,  nous  avons  cherché  k 
le  poser  plutftt  qu'à  le  résoudre.  Le  linguiste ,  opérant  sur  les 
particularités  les  plus  délicates  de  la  langue,. est  obligé  de 
porter  une  grande  sévérité  dans  la  discussion  des  sources. 
Mais  au  fond,  les  monuments  de  la  poésie  an  té-islamique 
n'auraient  rien  perdu  de  leur  valeur  historique  et  littéraire, 
même  dans  l'hypothèse  où  il  serait  établi  qu'ils  ne  peuvent 
être  invoqués  avec  assurance  en'  philologie  comparée ,  et  qu'on 
ne  possède  pour  l'arabe  aucun  testo  di  Ungua  absolument  irré- 
cusable, antérieur  à  la  rédaction  du  Coran. 

^  Gonf.  Wrarkh,  Dêponeoi  hâbr.  aiquê arab.  origmê ,  tte.  p.  io-As,  «45, 


99, 


3&0         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

S  in. 

Le  moment  de  la  rédaction  du  Coran  étant  le  moment  ca- 
pital de  l'histoire  de  la  langue  arabe,  il  importe  de  fixer  d'une 
manière  précise  les  degrés  par  lesquels  ce  livre  arriva  à  yne 
constitution  définitive.  Ecartons  d'abord  l'hypothèse  d'un  texte 
composé  avec  suite  et  régulièrement  écrit.  Les  Arabes ,  à  l'é- 
poque de  Mahomet,  n'avaient  pas  l'idée  d'un  ouvrage  de  longue 
haleine.  Un  homme  singulier,  antérieur  d'une  génération  au 
Prophète ,  et  qui  paraît  avoir  été  fort  supérieur  à  ses  contem- 
porains sous  le  rapport  intellectuel  et  religieux,  Waraka,  fils 
de  Naufal ,  était  arrivé ,  il  est  vrai ,  par  ses  rapports  avec  les 
juifs  et  les  chrétiens ,  à  un  assez  haut  degré  de  littérature  ;  il 
essaya  même  d'écrire  la  langue  arabe  avec  le  caractère  hébreu 
et  traduisit,  dit-on ,  en  arabe  une  partie  des  Evangiles-^;  mais 
ce  ne  fut  là  qu'un  phénomène  isolé;  La  plupart  des  faits  par 
lesquels  on  cherche  à  établir  que  les  Koreischites ,  à  l'époque 
de  l'idamisme ,  employaient  habituellement  l'écriture  '  »  sen- 
tent fort  la  légende ,  ou  du  moins  n'établissent  pas  qu'ils  écri- 
vissent des  livres  suivis. 

Mahomet  lui-même  savait-il  écrire?  Aucune  raison  ne 
porte  à  le  croire'.  Le  Coran,  dans  sa  forme  primitive ,  était  une 

1  Kùdbêl'Agém,  I,  foL  i6&  (suppl.  arabe,  thik)  :  ^^U^f  o,xi^  o'fj 

4>-xÇt  ^1  Xb  L  JUjC^Î  ^  «t^y^^  oJw<ai5  ^yJ\  (conf.  Gaïuttn  de 
Percerai,  fifiai,  1, 999I,  392).L*eiemplAire  derGotha,  dont  s'est aenri  M.  de  Ham- 
mer  (  LUeraturguehidUê  dêr  Arabêr,  I ,  p.  57  )  parle  qae  Waraka  tradidnt  TÉvangile 
de  rh^n-^u  en  arabe,  ce  «pii  pourrait  inspirer  des  doutes  sur  la  véracité  du  rédt 
Mais  cette  inexactitude  s'explique  par  la  fitûsse  opinion  où  sont  les  auteurs  arabes 
que  la  langue  sacrée  des  chrétiens,  A  Troque  de  la  prédication  de  Tislainisme, 
était  l'hébreu.  (Voir  le  passage  de  Soputhi,  dté  d-deasus,  p.  336,  note.) 

*  De  Sacy,  dans  les  Mémoim  de  rAeadhm  d»  Imer.HBêam-Uttrêi,  i.  L, 
p.  3o5  et  suiv. 

*  ndd.  p.  995  et  suiv. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL  3&1 

rédkUifm  fdiitôt  qu'une  lecture,  et  c  est  dans  ee  sens  qu'il  faut 
entendre  le  verbe  [^ ,  dans  plusieurs  dés  passages  où  on  Ta 
traduitpar  Kr0(sur.  m,  V.  loo;  lxxui,  v.  9o).  Il  n'est  pas  dou- 
teux que  certaines  parties  du  Coran  n'aient  été  écrites  du  vivant 
même  du  Prophète ,  mais  il  est  très-douteux  qu'elles  l'aient 
été  par  le  Prophète  lui-même.  Le  nom  du  plus  célèbre  de  ses 
secrétaires ,  Zeyd  ben-Thabet ,  nous  a  été  conservé ,  avec  de 
curieuses  anecdotes  qui  nous  font  assister,  pour  ainsi  dire ,  à 
la  rédaction  même  du  livre  révélé  ^.  L'ambiguité  avec  laquelle 
Mahomet  s'exprime  sur  l'écriture  (sur.  xxix,  /1/Î-&7;  Lxvm,  1; 
XGVi,  1-5)  prouve  qu'il  n'était  pas  fâché  de  laisser  croire  qu'il 
savait  écrire  par  une  grâce  divine,  sans  l'avoir  appris.  Un  très- 
curieux  passage  de  la. surate  xxix*(v.  kk-li'j)  ne  semblé  ex- 
plicable que  dans  ce  sens  '.  Peut-être ,  après  son  entrée  dans 
la  carrière  prophétique ,  se  fit-il  enseigner,  par  quelque  chré- 
tien ou  quelque  juif ,  les  premiers  éléments  de  l'alphabet; 
mais  il  est  certain ,  du  m'oins ,  qu'il  ne  connut  les  traditions 
juives  et  chrétiennes  que  par  des  récits  faits  de  vive  voix.  L'ex- 
trême incertitude  avec  laquelle  il  rapporte  ce  qu'il  a  ouï  dire , 
le  tour  si  libre  qu'il  y  donne ,  la  manière  dont  il  estropie  les 
noms  propres ,  montrent  qu'il  n'était  g^né  par  l'autorité  d'au- 

>  Td  est  le  rédt  migrant,  tiré  par  M.  de  Sacy  {Und,  p.  3o8)  da  commeQtaire 
0Or  Y  Aida:  «Voici  une  preuve  qae  Ton  metlait  par  écrit,  pour  le  prophète  lui- 
même,  tes  propres  révéiationa.  Quand  Dieu  fcii  eut  révélé  ce  verset  :  Ctux  dm 
ermfmiêt  qui  Htant  demtwréê  chez  9ux  pour  Mer  kê  hoiordê  dtt  eomlHUi,tiê  êmwU 
pa$  égaux  aux  autre$,  Abdallah  ben  Djahasch  et  le  fils  d'Oum-BIaktoum  lui  di- 
rent :  «  ApMre  de  Dieu ,  nous  sommes  avenues  ;  n*y  «4  il  pas  pour  nous  une  excep- 
«tion?»  Alors  Dieu  révâa  ces  mots  :  A  Vexeeption  de  emuc  qui  ùiU  qmiHiqitê  wfirmUé. 
AoasitAt  Mahomet  dit:  «Que  Ton  m*apporte  l'omoplate  et  rencrier,ir  et  Zeyd  y 
ajoota  ces  moto  par  ordre  du  prophète.  «D  me  semble,»  disait  Zeyd  en  rappor- 
tant cela,  «voir  enoMe  Pendroit  de  Tes  où  fut  iàitacette  addition;  c'était  près 
«d'une  fenie  qui  se  trouvait  duna  Tomoplale.» 

'  De  Sacy,  ibid,  p.  996. 


3&2  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

cuB  texte.  Bien  que  tout  ie  fon()  des  ÉTaqgiles  apocryphes  et 
des  traditioiiiB  rabbiniques  se  retrouve  dans  le  Coran,  ii  est 
inipM0dl>ie  d  y  découvrir  une  seuie  citation  textuelle  d'un  livre 
juif  ou  chrétien  ^' 

La  rédaction  du  Coran  se  présente  ainsi  à  nous  avec  des 
caractères  tout  à  fait  particuliers ,  et  dont  on  ne  trouve  Fana- 
logue  dans  avcune  autre  littérature.  Ce  n*est  ni  le  livre  écrit 
avec  suite ,  ni  le  texte  vague  et  indéterminé  arrivant  peo^  à  peu 
à  une  leçon  définitive ,  ni  la  rédaction  des  enseignements  du 
maître  &ite  après  coup  d'après  les  souvenirs  de  ses  disci* 
^  pies;  c'est  le  recueil  des  prédications,  et,  si  j'ose  le  dire,  des 
ordres  du  jour  de  Mahomet,  portant  encore  la  date  du  lieu 
où  ils  parurent  et  la  trace  de  la  circonstance  qui  les  provo- 
qua. Chacune  de  ces  pièces  était  écrite,  a^rèsla  réeùaiùm  du 
proph^,  sur  des  peaux,  sur  des  omoplates  de  mouton,  sur 
de»  os  de  chameau ,  des  pierres  unies,  des  feuilles  de  palmier, 
ou  conservée  de  inémoire  par  les  principaux  disciples,  que 
l'on  appelak  porteurs  'iu  Coran,  Quelques  zélés  sectaires  dé- 
sapproirvaient  même  les  rédaction»  par  écrit,  pensant  qu'elles 
feraîenè  tort  à  la  mémoire.  Ce  ne  fut  que  sous  le  khalifat 
d'Abou-Bekr,  après  la  bataâle  du  Yemàma,  où  périrent  un 
grand  nombre  de  porteurs  du  Coran ,  que  l'on  songea  à  ce  réu- 
nir le  Coran  entre  deux  ais»  et  à  mettre  bout  à  bout  les 
fragments  détachés  et  souvent  contradictoires  des  discours 
de  l'apôtre  de  Dieu.  Il  est  indubitable  que  cette  compilation, 
à  laquelle  présida  Zeyd  ben-Thabet,  le  plus  autorisé  des  se- 
crétaires de  Mahomet,  fut  exécutée  avec  une  parfaite  bonne 
fof.  Aucun  travail  de  coordination  ou  de  conciliation  ne  fut 

^  Gonf.  G.  Weil,  BMêdm  Leg9ndm  dm-  Mumlmmm$r  (Francfort,  i8&5);  Gé- 
ger,  W<uhal  Mohammed  aut  dem  Jndmthume  amfgmommml  (Bonn,  i833):'ëe 
Sacy,  Journal  dei  êooanU ,  mars  1 835. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  II.  343 

lente  :  on  mit  en  tête  les  plus  longs  morceaux  ;  on  réunit  à  h 
fin  les  plus  courtes  $utiU»,  qui  n'avaient  que  quelques  lignes, 
et  Texemplaire  type  fut  confié  à  la  garde  de  Ha&a',  fiUe  d'O- 
mar, Tune  des  veuves  de  Mahomet.  Une  seconde  récension  eut 
Ueu  sous  le  khidifat  d'Othman.  Quelques,  variantes*  d'ortho- 
graphe et  de  dialectes  s'étant  introduites  dans  les  exemplaires 
des  différentes  provinces,  Othnftn  nomma  une  commiasion, 
toujours  présidée  par  Zeyd,  pour  constituer  définitivement  le 
texte  d'après  le  dialecte  koreischite  ;  puis,  par  un  procédé  très- 
caractéristique  de  la  critique  orientale,  il  fit  recueillir  et 
brtier  tous  les  autres  exemplaires,  afin  de  couper  court  aux 
discussions.  Les  feuilles  de  Zeyd  elles-mêmes  furent  brûlées 
sous  le  khalifat  de  Merwan.  C'est  ainsi  que  le  Coran,  est  arrivé 
jusqu'à  nous  ^ans  variantes  I|ien  essentielles  K 

Certes,  un  tel  mode  de  composition  est  fait  pour  inspirer 
qudques  scrupules.  L'intégrité  d'un  ouvrage  longtemps  confié 
è  la  mémoire  nous  semUe  assex  mal  gardée.  Des  altérations 
et  des  interpolations  n'ont-elles  pu  se  glisser  dans  les  révincms 
successives  ?  Quelques  hérétiques  musulmans  ont  prévenu ,  sur 
ce  point,  les  soupçons  de  la  critique  moderne^.  M.  Weil,  de 
nos  jours,  a  soutenu  que  la  récension  d'Othman  ne  fut  pas 
purement  grammaticde ,  comme  le  veulent  les  Arahes ,  et  que 

'  De  Sacy ,  dans  les  Notion  et  extraite ^  L  VIII ,  p.  396  et  suiv.  ;  CaussÎD  de  Per- 
eeral,  Ei$aintr  Fhùt  àmArahei,  III,  378-879.  On  possède  des  manuscrits  dn 
Coran  presque  contemporains  d^Othman;  tel  est,  par  exemple  «  le  Coran  confis- 
que qui  faisait  partie  de  la  collection  de  M.  Marcel.  (V.  Qoatremère,  Mém,  $ur 
legoûtdet  Uvrei  chez  let  OrimUaux,  p.  9  et  suiv.;  Belin,  dans  le  Journal  atiat. 
dëc  185&,  p.  &91  et  suiv.)  En  tout  cas,  il  existe  des  exemplaires  où  Ton  a 
dMrdié  à  se  eonformer  dans  les  plus  menus  déta&  aux  copies  modèles  faites 
par  Tordre  d'Othman.  (V.  de  Sacy,  Notieu  et  extr,  t  IX,  p.  76  et  suiv.) 
^  *  Voir  les  curieux  extraits  donnés  par  M.  de  Sacy  d»eommentaire  sw  le  poëme 
ÀkUà,  ( Mém.  é$  fAead,  de$  hier,  et  BdIet'Lettree ,  t.  L ,  p.  899  et  suivantes ,  et  No- 
tkee  Hextraiu,  t.  VIII,  p.  333  et  suiv.) 


Uà         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

la  politique  y  eut  sa  part^.  Toutefois,  le  Coran  se  présente  & 
nous  avec  si  peu  d'arrangement ,  dans  un  désordre  si  complet , 
avec  des  contradictions  si  flagrantes  ;  chacun  des  morceaux 
qui  le  composent  porte  une  physionomie  si  tranchée,  que  rien 
ne  saurait,  dans  un  sens  général,  en  attaquer  l'authenticité. 
Pour  la  question  spéciale  qui  nous  occupe,  d'ailleurs,  il  suffit 
de  savoir  que  la  langue  du  Coran  représente  bien  rigoureu- 
sement le  dialecte  koreischiie  de  l'an  65 o  environ  de  l'ère 
chrétienne.  La  trihu  de  Koreisch  nous  apparaît  ainsi,  comme 
la  tribu  de  Juda  de  l'Arabie,  destinée  à  réaliser  l'unité'  de 
la  nation  et  à  élever  son  dialecte  au  rang  de  langue  sacrée. 
C'est  ce  dialecte,  en  effet,  irrévocablement  fixé,  qui  va  de- 
venir, par  la  conquête  musulmane,  la  languo  commune  de 
l'Arabie  et  l'idiome  religieux  d'une  fraction  si  importante  du 
genre  humain. 

Sous  le  rapport  du  style,  le  Coran  parut,  à  son  origine, 
une  grande  nouveauté ,  et  l'on  peut  dire  que  ce  livre  fut  le  signe 
d'une  révolution  littéraire  aussi  bien  que  d'une  révolution 
religieuse.  Le  Coran  représente,  chez  les  Arabes,  le  passage 
du  st^e  versifié  à  la  prose ,  de  la  poésie  à  l'éloquence,  passage 
si  important  dans  la  vie  intellectudle  d'un  peuple.  Au  com- 
mencement du  vu*  siècle,  la  grande  génération  poétique  de 
l'Arabie  s'en  allait;  des  traces  de  fatigue  se  manifestaient  de 
toutes  parts  ;  les  idées  de  critiqué  littéraire  apparaissaient  comme 
un  symptôme  de  mauvais  augure  pour  le  génie.  Antara,  cette 
nature  d'Arabe  si  franche,  si  inaltérée,  commence  sa  Mwdlakat, 
presque  comme  ferait  un  poète  de  décadence  :  «  Quel  sujet  les 
poètes  n'ontr-ils  pas  chanté  ? »  Un  immense  étonnement 

'  Mohammed  dtr  iVcpA«f ,  mn  Uben  md  mm  U^  (StuUgart»  i8&a);  Hû- 
tmtek^krUiêehê  Ekdmimg  m  den  Konm  (Bidefdd,  i8U);  GttcJUdkte  dêr  Chalt- 
/en,  L  I  (Mannheim,  i8/ï6),p.  168. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL  3&5 

accueillit  Mahomet,  quand  il  parut,  au  milieu  d'une  littérature 
puisée ,  avec  ses  vives  et  pressantes  récùaiiom.  La  première  fois 
(pi'Otba,  fils  de  Rébia,  entendit  ce  langage  énergique,  sonore, 
plein  de  rhythme,  quoique  non  versifié,  il  retourna  vers  les 
siens,  tout  ébahi  :  ^Quy  a-t-il  donc,  lui  demanda-t^n.  —  Ma 
foi,  réponditril,  MsJiomet  m'a  tenu  un  langage  tel  que  je  n'en 
ai  jamais  entendu  :  ce  n'est  ni  de  la  poésie ,  ni  de  la  prose ,  ni 
du  langage  magique,  mais  c'est  quelque  chose  de  pénétrant. 9 
Mahomet,  sans  doute  en  qualité  de  Koreischite,  n'aimait  pas  la 
prosodie  raffinée  de  la  poésie  arabe  K  II  répète  a  tout  propos 
qu'il  n'est  ni  iln  magicien,  ni  un  poète;  bien  que  son  style, 
limé  et  sententieux ,  eût  qudque  ressemblance  avec  celui  des 
magiciens^.  Il  faisait  des  fautes  de  quantité  quand  il  citait  des 
vers,  et  Dieu  lui-même  se  chargea  de  l'en  excuser  dans  le  Co- 
ran :  «  Nous  n'avons  point  appris  la  versification  à  notre  pro- 
phète ;  elle  ne  lui  convient  pas  ;  le  Coran  n'est  qu'une  prédi- 
cation et  une  récitation  éloquente'.  9  Certes^  il  nous  est  impos- 
sible aujounThui  de  comprendre  le  charme  si  puissant  de  cette 
éloquence.  La  lecture  suivie  du  Coran  (j'excepte  les  dernières 
surates)  est,  pour  nous,  à  peu  près  insoutenable;  mais  il  faut 
se  rappeler  que  l'Arabie  n'a  jamais  eu  aucune  idée  des  arts 
plastiques  ni  des  grandes  beautés  de  composition ,  et  qu'elle  fait 
consister  exclusivement  la  perfection  dans  les  détails  du  style. 
Les  conversions  les  plus  importantes,  celle  du  poète  Lébid,  par 
exemple,  s'opèrent  par  l'effet  de  certains  morceaux  du  Coran  ^, 

*  Gaumn,  Eaait  I,  353;  m,  S169. 

*  Gaw8iii,£fMt,  1,366. 

*  Sur.  xxxTi,  V.  69  :  ^J^  ul/^  y^'i  ^J ^  OJ-  Le  mot  ^A**!  q«  on 
traduit  d^ordinaire  par  Mbnt,  sônble  désigner  dans  le  Coran  Téloquence  en 
prose,  conformément  à  Tanalogie  du  mot  qLj  . 

*  .Comparai  le  curieux  récit  de  la  convernon  des  Témimites.  Caussin,  Euai, 
III,  p.  S70  et  stnv. 


3i6    .      HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

et  k  ceux  qui  lui  demandent  un  figfi^^j  IKhhomet  n*oppo6e 
d*autre  réponse  que  la  pureté  parfaite  de  Tarabe  qu'il  parie  et 
la  fascination  du  genre  nouveau  dont  il  a  le  secret^. 

M.  Weîl  a,  du  reste ^  observé  avec  raison  que,  sous  le  rap- 
port du  style,  le  Coran  se  divise  en  deux  parties  bien  distinctes: 
Tune 9  renfermant  les  dernières  surates,  est  écrite  dans  un 
rhythmefort  analogue  à  celui  des  poètes  et  des  parabolistes 
hébreux;  l'autre,  renfermant  les  premières  surates,  est  d'une 
prose  cadencée  qui  rappelle  la  manière  des  prophètes  dlsraél , 
dans  les  moments^  où  leur  ton  est  le  moins  élevé.  On  peut  sup- 
poser, avec  M.  Weil ,  que  las  morceaux ,  reqdendissants  de  poé- 
sie, qui  forment  les  dernières  surates  sont  l'œuvre  de  la  première 
période  de  la  vie  du  prophète,  période  de  conviction  naïve  et 
d'entraînement  spontané,  tandis  que  les  surates  placées  les 
premières,  pleines  de  politique,  chargées  de  disputes,  de  con- 
tradictions ,  d'injures ,  seraient  de  son  âge  pratique  et  réflé<^ , 
où  la  lutte  et  le  sentiment  des  difficultés  k  vaincre  avaient  terni 
la  délicatesse  première  de  son  inspiration.  Le  passage  de  la 
poésie  à  la  prose  se  serait  ainsi  opéré  dans  l'ftme  du  Prophète, 
au  moment  ou  il  ^'opérait  dans  la  conscience  même  de  l'A- 
rabie. 

Le  Coran ,  en  donnant  à  l'Arabie  un  texte  autorisé  et  re- 
connu de  tous,  joua  le  rôle  d'une  véritable  législation  gram- 
maticale. Le  prophète  a  déclaré  que  le  Coraa  est  écrit  dans 
l'arabe  le  plus  pur  (  cji^  j^^  a^*^  ^^^-  xvi ,  i  o  6  ;  xxvi,  1 9  5  )  ; 
chez  un  peuple  aussi  préoccupé  du  langage  que  Test  le  peuple 
arabe,  la  langue  du  Coran  devint  comme  une  seconde  re- 
ligion, une  sorte  de  dogme  inséparable  de  l'islamisme.  Peu 
d'idiomes  ont  reçu,  de  leur  vivant,  une  consécration  aussi  so- 

'  Le  iDot  AJ I ,  (pii  désigne  les  versets  du  Goran ,  veu4  dire  tigw  on  «ntscIp. 
^  Sur.  xxf  I ,  V.  1 95. 


LIVRE  lY,  CHAPITRE  II.  3&7 

lennelle.  L'arabe  da  Coran  «st,'  aux  yeux  du  musulman,  la 
langue  d'Ismaël,  révélée  de  nouveau  au  prophète;  cVst  la 
langue  que  Dieu  pariera  avec  sea  serviteurs  au  jour  du  ju- 
gement ^  ;  seid  entre  tous  les  idiomes ,  l'arabe  est  susceptible 
d'une  grammaire  toutes  les  autres  langues  ne  sont  que  des 
patois  grossien»^  incapables  de  règ^e.  Le  scheikh  Rifaa ,  d^s 
la  relation  de  son  voyage  en  France,  se  donne  beaucoup  de 
peine  pour  détruire  sur  ce  point  le  préjugé  de  ses  compa- 
triotes ,  et  leur  persuader  que  le  français  possè^  aussi  des  rè- 
^es,  des  délicatesses  et  une  académie. 

8  IV. 

On  peut  dire  que  la  rédaction  du  Coran  termine  lliistoirci 
de  la  langue  arabe,  puisque»  à  partir  de  ce  moment  (vers 
l'an  65o)  la  langue  n'a. plus  varié,  au  moins  dans  sa  forme 
littéraire  et  classique.  L'arabe  qu'écrivent  de  nos  jours  les 
hommes  instruits  de  tous  les  pays  musulmans  ne  diffère  en 
rien  de  celui  qui  sortit  de  la  récension  d'Othman.  Quelques 
(^rations  purement  extérieures  de  fixation  grammaticale, 
voilà  tout  ce  qui  reste  à  raconter  pour  achever  l'histoire  des 
révolutions  de  l'idiome  littéral. 

L'imperfection  de  l'alphabet  dans  lequel  était  écrit  le  Co- 
ran, exigea  tout  d'abord  quelques  réformes.  On  ne  saurait  dire 
si  cet  alphabet  était  le  caractère  depuis  appelé  coufique  du 
nom  de  la  ville  de  Coufa,  où  il  se  maintint  plus  longtemps 
qu^ailleurs,  ou  s'il  se  rapprochait  davantage  du  neikhi,  qu'on 
a  représenté,  Uen  à  tort,  comme  une  invention  moderne^. 

'  Pooocke,  Specùnen  hàt.  Arabum,  p.  i56. 

^  Les  médaifles  et  quelques-uns  des  plus  anciens  fragments  d^écriture  arabe  que 
Ton  possède,  une  pièce  de  Tan  ko  de  lliégire ,  deux  pièces  de  i*an  1 33 ,  les  mon- 
naies d^Abd-ei-Mélik,  de  Tan  75  environ ,  sont  en  neskhi,  (  Gonf.  de  Sacy,  Journal 


U8         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Quoi  qu'il  en  soit,  dérivé  certainement  de  Yeiiranghdo,  Tan- 
cien  alphabet  arabe  avait  le  double  défaut  des  alphabets  fa- 
tigués par  un  long  usage  et  appliqués  artificiellement  k  une 
langue  pour  laquelle  il$  ne^  furent  pas  créés.  D'un  c6té,  il  re-  • 
présentait  d  une  manière  incomplète  les  plHicularités  de  la 
langue  qui  l'avait  adopté;  de  l'autre ,  beaucoup  de  lettres  s'y 
ressemblaient  et  se  confondaient  entre  elles.  Ces  défauts  pro- 
duisaient dans  la  lecture  du  Coran  de  grandes  hésitations  et 
des  variantes  qui  effrayaient  les  puristes.  On  se  trouva  ainsi 
amené  à  créer,  pour  remédier  à  l'insuffisance  de  l'alphabet 
primitif,  deux  sortes  d'appendices  :  i**  des  points  diacrùiques, 
servant  à  distinguer  l'une  de  l'autre  les  lettres  qui  avaient  la 
même  figure  ;  9^,des  pamt^-vayeUeê  et  des  signes  oràu^rapkupi/es , 
destinés  à  marquer  le  son  des  voyelles  variables  et  certains 
accidents  de  prononciation. 

Les  histonens  arabes  nous  ont  transmis  d'intéressants  dé- 
tails sur  la  manière  dont  se  fit  cette  réforme ,  qu'on  attribue 
généralement  à  Âboul-Aswed,  mort  Tan  69  de  l'hégire  (688 
de  notre  ère)  ^  Il  est  certain,  du  moins,  que  l'innovation  re^ 
monte  au  premier  siècle  de  l'hégire,  que  les  exemplaires  du 
Coran  de  la  récension  d'Othman  ne  portaient  aucun  signe 
étranger  aux  lettres,  que  les  essais  d'Aboul-Aswed  éprouvè- 

oMiaL  mai  i8a3,  avril  1837;  /otimaldaf  SflMwCt,  avril  i8s5;  Mn».  dêFAeai. 
du  Inter.  nouv.  série,  i.  IX,  p.  66  et  suiv.)  Il  en  est  de  même  des  tesBères  eo 
verre  d^Osama,  fils  de  Zeyd,  al-Tonoukhi,  frappées  vers  Tan  97  de  Thégire,  et 
de  celles  d^Obeid-ÂlIah ,  fils  de  Khabkhab,  frappées  aa  commencement  da  11*  sîè- 
de.  (De  Sacy,  HÙm.  de  PAcad,  det  huer,  t  IX,  p.  7S-73,  note.)  La  carieose 
pièce  découverte  par  M.  Etienne  Barthélémy,  et  qui  parait  être  Toriginal  même 
de  la  lettre  que  Mahomet  adressa  au  vice-roi  d*Égypte,  Tan  6  de  Thégire,  est 
|dut6t  en  caractères  coufiques.  (ioumal  aiiat.  déc.  i85&.) 

*  De  Sacy,  dans  les  Mem.  de  VAeaà,  an  huer,  et  Belkê-LeUréê,  t  L,  p.  817  et 
suiv.,  et  dans  les  Notion  et  extraiu ,  t.  VIII,  p.  ago  et  suiv.;  I.  IX,  p.  .76  et  suiv. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL  349 

rient  d'abord  de  la  résistance  et  furent  biftmés  par  les  musul- 
mans rigides,  qufii  fallut  enfin  le  progrès  toujours  croissant 
des  iSaïutes  de  lecture  pour  qu'on  s'arrêtât  à  ces  expédients. 
L'opération,  en  effet,  n'était  pas  sans  importance  pour  le 
dogme  et  la  politique ,  puisqu'elle  obligeait  les  commentateurs 
et  les  lecteurs  à  adopter  un  sens  fixe  et  déterminé ,  tandis  que 
l'état  primitif  du  livre  leur  laissait  la  liberté  de  choisir  entre 
plusieurs  manières  de  lire  et  d'entendre.  Aussi  essaya-t-on  de 
satisfaire  les  scrupuleux,  en  écrivant  les  points-voyelles  et  les 
signes  orthographiques  avec  une  encre  différente  de  celle  du 
texte.  Quant  aux  points  diacritiques,  on  ne  les  distingue  jamais 
par  une  couleur  différente^  parce  qu'ils  sont  censés  ne  rien 
ajouter  au  texte ,  mais  seulement  en  faciliter  la  lecture  :  ils  ne 
sont  employés,  d'ailleurs,  que  d'une  manière  fort  irrégulière 
dans  les  manuscrits  ceufiques  ^  et  même  dans  beaucoup  de  ma- 
nuscrits cUTsife,  jusqu'au  xn*  ou  xiii*  siècle  ^. 

Malgré  ces  améliorations,  l'alphabet  arabe  resta  toujours 
un  caractère  fort  imparfait.  En  faut-il  d'autre  preuve  que  la 
nécessité  où  l'on  se  trouve,  dans  les  dictionnaires  géographi- 
ques, par  exemple,  d'épeler  les  mots,  en  sp^ifiant  la  voyelle, 
toutes  les  fois  qu'on  veut  arriver  à  quelque  rigueur  ?  La  trani^ 
cription  des  noms  propres  étrangers,  et,  en  particulier,  des 
noms  grecs ,  pour  lesquels  le  copiste  n'est  point  guidé  par  l'a- 
lialogie ,  est  devenue ,  dans  les  manuscrits  arabes ,  d'une  telle 
inexactitude ,  qu'une  foule  de  précieux  renseignements ,  trans- 
jms  par  les  musulmans  sur  les  littératures  et  l'histoire  de  l'an- 
tiquité, sont  pour  nous  lettre  close.  Les  langues,  enfin,  qui 
ont  adopté  l'alphabet  arabe,  telles  que  le  malay,  ont  subi  le 

*  Sur  les  dÎTenes  iDodificati<ni8  de  Talphabet  arabe,  voy.  de  Sacy,  Mém.  de 
FAead.  dm  huer.  H  BtUêê-LBUru ,  L  L,  p.  3o9  et  suiik;  Roeenmâlier,  h$tU.  ad 
fimdammUL  ImgwB  crMcœ,  S  it. 


350  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

contre-coup  de  ces  graves  défauts  ;  et  on  peut  dire  <pie  Tdk 
phabet  arabe ,  de  plus  en  plus  défiguré  par  les  caprices  des 
scribes  orientaux,  est  deyenu,  pour  les  langues  de  TAsie,  on 
véritable  agent  de  destruction. 

Le  moment  de  Tintroduction  des  points-voyelles  dans  récri- 
ture arabe  coïncide  avec  l'introduction  des  mêmes  signes  chei 
les  Syriens  et  les  Hébreux.  G^  essai  pour  améliorer  l'écri- 
ture sémitique  se  régularise  partout  nu  vii*  et  au  viii*  siècle. 
Un  tel  synchronisme  ne  peut  être  fortuit,  et  les  analogies  des 
trois  systèmes  de  vocalisation  sémitique  sont  d'ailleurs  trop 
profondes  pour  qu'il  n'y  ait  pas  eu  entre  les  trois  inventions 
de  nombreux  points  de  contact.  M.  de  Sacy,  qui  {>ensait  que 
le  système  des  Arabes  était  d'abord  plus  compliqué  et  plus 
ressemblant  à  celui  des  Hébreux  qu'il  ne  Test  aujourd'hui, 
avait  annoncé  un  travail  où  il  éclaircirait  ces  deux  vocalisa- 
tions l'une  par  l'autre  ^  ;  mais  il  ne  semble  pas. qu'il  ^ait  tenu 
sa  promesse.  Nous  reviendrons  sur  ce  sujet,  en  faisant,  dans 
notre  second  volume ,  l'histoire  des  systèmes  de  poinls-v oyelles 
dans  les  langues  sémitiques.  Il  suffit,  maintenant,  d'avoir  re- 
marqué la  tenda|y;e  commune  qui  poussait  les  Sémites  vers  le 
perfectionnement  artificiel  de  leur  alphabet. 
*  Un  autre  mouvement  bien  plus  remarquable  se  manifesta 
vers  le  même  temps  chez  les  divers  peuples  sémitiques;  je 
veux  parler  de  celui  qui,  les  porta  à  réfléchir  sur  leur  langue 
et  à  se  créer  une  grammaire.  C'est  un  instant  solennel  dans 
l'histoire  d'une  race ,  que  celui  où  elle  commence  à  étudier  pour, 
la  première  fois  l'instrument  dont  elle  s'est  servi  jusque-li 
d'une  manière  naïve  et  spontanée.  Si  la  race  sémitique  aborda 
bien  tard  ce  travail  d'analyse,  il  faut  l'attribuer,  sans  doute, 

>  Mém.  d$  PAead.  dêê  huer,  ût  Befkê-Lettr^g ,  t.  L,  p.8&8;  oonf.  Gcsenîus, 

dans  VEncifcL  d^Erech  et  Gniber,  t.  V,  p.  &5. 


LIVftE  IV,  CHAPITRE  IL  351 

à  ce  que  TapUiade  •grammaticale  est  toujours  en  proportion 
rigoureuse  avec  l'esprit  d'abstraction.  Ghex  la  race  brabma- 
nique,  qui  a  pousse  si  loin  toutes  les  études  spéculatives,  la 
granunaire  apparatt,  dès  les  époques  mythologiques,  comme  une 
annexe  des  Védas^  Son  origine  est  divine  (Indra  a  été  le  pre- 
mier grammairien)  ;  des  Csbles  sans  nombre  entourent  son  ber- 
ceau. La  Nirukti  de  Yaska,  qu'on  peut  regarder  comme  le 
plus  ancien  essai  de  grammaire  qui  soit  venu  jusqu'à  nous^ 
doit  être  au  moins  du  ni*  ou  ^af  siècle  avant  l'ère  chrétienne  ; 
or,  Yaska  cite  une  foule  de  travaux  qui  supposent  avant  lui  une 
longue  série  de  grammairiens.  Enfin ,  vers  le  n*  siècle  avant 
J.  €. ,  c'est-à-dire  à  une  époque  où  nulle  autre  race  ne  possé- 
dait d'institutions  grammaticales,  la  grammaire  indienne  at^ 
teint,  «ntre  les  mains  du  célèbre  Panini,  un  degré  de  perfe<> 
tion  qui  n'a  pas  été  dépassé.  La  Grèce-,  dès  l'époqUe  des 
sophistes ,  et  surtout  par  le  travail*  de  l'école  d'Alexandrie , 
réussit  à  son  tonr  à  se  créer  une  grammaire,  moins  profonde 
que  celle  des  Hindous ,  mais  témoignant  un  grand  esprit  d'ana- 
lyse et  d'observation. 

Les  Sémites,  au  contraire,  dont  l'infériorité  philosophique 
rdatîvement  aux  Ariens  est  trop  évidente  pour  être  contestée , 
n'ont  tenté  que  fort  tard  de  se  faire  une  grammaire ,  et  cela  est 
d'autant  plus  remarquable  que  9ur  d'autres  points  ils  sont  ar- 
rivés de  très4K)nne  heure  à  la  réflexion.  Pourquoi  les  Hébreux , 
par  exemple ,  si  merveilleusement  doués  en  tout  le  reste ,  qui , 
mille  ans  avant  J.  G.,  avaient  une  admirable  littérature,  ridie 
en  ouvrages  sur  des  sujets  divers,  n'ont-ils  pas  eu  de  gram- 
maire? Je  le  conçois,  à  la  rigueur,  pour  la  première  époque 
de  la  littérature  hébraïque  (la  période  antérieure  k  la  capti- 
vité), durant  laquelle  on  n'aperçoit  dans  les  écrits  de  ce  peuple 

^  A.  Welier,  Ahaimmêche  V^rUtungm,  p.  a 6  et  raîv.  198  etfoiv. 


352  HISTOIRE  DÈS  LANGUES  SÉMITIQUES. 

aucune  trace  de  rhétorique,  où  la  langue  a  conservé  toute  sa 
naïveté  9  où  le  divorce  entre  l'idiome  du  peuple  et  celui  des 
écrivains  ne  se  fait  guère  sentir  exicore.  Mais  dans  la  seconde 
période ,  où  la  littérature  est  prescjue  entièrement  tombée  entre 
les  mains  des  lettrés  de  profession ,  où  les  traces  de  composi- 
ticm  artificielle  sont  manifestes ,  où  les  savants  se  servent  d'une 
langue  déjà  morte ,  et  dont  le  modèle  ne  se  trouve  que  dans 
les  livres  anciens,  n'est-il  pas  étrange  que,  malgré  le  soin 
extrême  que  mettaient  les  Hébreux  à  la  conservation  de  leurs 
monuments  nationaux,  on  ne  voie  poindre  chez  eux  aucune 
idée  de  grammaire?  Et  quelques  siècles  plus  tard,  quand  la 
fièvre  du  scrupule  et  de  la  subtilité  s'empare  de  ce  peuple, 
qu'il  se  met  à  compter  les  lettres  de  ses  livres  sacrés,  à  les  enr 
tourer  de  points,  d'accents,  d'un  luxe  de  signes  qu'aucune 
autre  langue  n'a  connu ,  au  milieu  des  puérilités  de  la  Has- 
sore,  pas  une  trace  de  grammaire;  ce  n'est  qu'au  x*  siècle 
de  notre  ère,  sous  l'influence  et  à  l'imitation  des  Arabes,  qu'on 
voit  paraître  des  traités  réguliers  de  grammaire  hébïaique. 

Les  Syriens,  vers  le  v*  siècle,  nous  offrent,  il  est  vrai,  quel- 
ques essais  de  granunaire  ;  mais  ce  ne  fut  là  qu'une  tentative 
avortée ,  une  imitation  directe  des  Grecs  qui  resta  sans  consé- 
quence. La  grammaire  sémitique  ne  .se  fonde  rédlement 
que  vers  la  fin  du  vii*  siècle  de  notre  ère ,  au  moment  où  les 
Arabes,  en  possession  d'un  texte  classique  et  sacré,  se  voient 
obligés,  pour  en  assurer  l'intégrité,  de  l'entourer  d'appareib 
c<mservateurs« 

En  supposant  que  la  langue  du  Coran,  telle  qu'elle  résultait 
de  la  première  compilation  de  Zeyd,  faite  vers  6 3 &,  représen- 
tât parfaitement  la  langue  vulgaire  du  groupe  de  musulmans 
qui  se  serraient,  après  la  mort  de  Mahomet,  autour  d'Abou- 
Bekr  et  d'Omar,  U  faut  admettre  que  cette  langue  devint  bien- 


•• 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  II.  353 

t6tpre8cpie  étrangère  pour  les  croyants  pins  ou  mollis  convain- 
cus <{ui,  dans  les  années  suivantes,  embrassèreht  l'islamisme.  En 
effet,  douse  ou  quinze  ans  après;  notis  Pouvons  Zeyd  à  l'œuvre, 
en  vue  d'une  réforme^urtout  grammaticale  :  il  s'agit  de  couper 
court  aux  variantes  de  dialectes  et  de  conformer  l'orthographe 
de  tous  les  exemplaires  au  dialecte  de  Koreisch.  A  mesure  que 
la  foi  nouvelle  s'étendit  à  une  pliis  grande  diversité  de  tribus  et 
de  races,  il  devint  d'autant  plus  di£Bcile  dé  maintenir  la  pureté 
de  la  langue  sacrée:  Les  solécîsmes*  que  faisaient  les  nouveaux 
croyants  étaient,  pour  les  Arabes  de  la  vieille  école,  un  sujet 
de  perpétuelle  affliction^  Ibn-Khallican ,  dans  la  vie  d'Aboul- 
AswedS  rapporte  unefoule  de  piquantes  anecdotes,  qui  prou- 
vent l'impossibilité  oà  se  trouvaient  les  grossiers  soldats  des 
premiers  khalifes  d'observer  le^  délicatesses  du  dialecte  korei- 
schite  et  surtout  le  mécanisme  des  voyelles  finales.  Si  ce  mé- 
canisme faisait,  comme  on  doit  le  croire,  une  partie  essentielle 
du  dialecte  consacré  parle  Coran,  il  faut  reconnaître,  au  moins, 
que  la  plupart  des  tnbus  larabes  l'ignoraient ,  et  qu'au  vu*  siè- 
cle ,  comme  de  nos  jours ,  les  flexions  casuelles  étaient  négligées 
dans  la  langue  commune.  Les  fautes  que  les  lecteurs  commet- 
taient allaient  souvent  jusqu'à  changer  le  sens  du  texte.  La 
grammaire  fut  le  remède  que  Ton  opposa  aux  incorreotions 
qui  menaçaient  d'altérer  la  parole  de  Dieu^. 

Soyouthi  attribue  à  Aboul-Aswed  quelques  traités  sur  des 
questions  spéciales  de  grainmaire  ;  mais  il  est  douteux  que  ce 
patriarche  de  la  grammaire  arabe  ait  écrit  des  ouvrages  ex 
professo;  peut-être  méipe  dut-il  à  sa  grande  réputation  de 
passer  pour  le  chef  du  travail  qui  s'opéra  dans  les  écoles  de 

• 

*  Édît  de  SUne,  t  I,  p.  Uo. 

*■  De  Secy,  Màn,  de  VAeâd.  àm  hier,  t  L,  p.  di&  et  siriv.  338  et  suiv.;  de 
Htminer,  LitemlMrgêiekiehtê  ètr  Arabêr,  II,  197  et  soiv. 

1.  93 


»5i  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Basra  et  de  Geufa,  et  qui  non»  apparatt,  en  .général ,  comme 
anonyme.  Sibawaih  (vers  77a),  le  plus  ancieii  grammairien 
dont  les  écrits  nous  soient  parvenus,  résume  déjà  une  doo* 
trine  antérieure  :  on  prétend  même  quV  ne  fit  que  dévd<^ 
per  et  enrichir  de  quelques  observatiouB  les  traités  d'Abou* 
Amrou  Isa  Thakéfi ,  fik  d'Omar,  qui  lui  était  antérieur  d'une 
génération  ^  Quoi  qu  il  en  soit;  dans  l'ouvrage  de  Sibawaih, 
«t,  par  conséquent,  dès  la  seconde  moitié  du  vui"  siècle,  la 
grammaire  arabe  se  montre  à  peu  près  complète.  Les  nom- 
breux grammairiens  qui,  depuis,  se, sont  succédé,  n'ont  guère 
fôit  que  remanier  et  commenter  la  doctrine  de  leurs  devanriers. 
Des  influences  étrangères  présidèrent-elles  à  la  création  de 
la  grammaire  arabe?  Les  musulmans  reçurent-ils  dés  Syriens 
l'initiation  grammaticale,  comme  plus  tard  ils  reçurent  d^ox 
l'initiation  philosophique?  Ou  bien  peut-on  découvrir  dans 
le  trfivail  des  grammairiens  arabes  quelque  imitation  de  la 
grammaire  des  Grecs?  Il  faut,  ce, semble,  répondre  négative- 
ment à  ces  diverses  questions.  Si  des  Syriens  chrétiens  avaient 
été  les  fondateurs  de  la  discipline  grammaticale  chez  les  Arabes , 
il  .en  resterait  quelque  souvenir.  L'histoire  littéraire  des  Arabes, 
en  effet,  est  trè^-complète,  sinon  très-rexacte,  et  ilfstbieo 
certain  qu'un  fait  de  cette  importance  n'eût -pas  échaf^  aux 
chroniqueurs.  D'aiUeurs,  la  création  de  la  grammaire  arabe 
semble  avoir  été  une  œuvre  toute  musulmane.  La  conser- 
vation de  la  langue  du  Coran  est  l'objet  essentiel  que  se  pro- 
posent les  premiers  grammairiens  :  ceuxHsi  sont ,  en  génâ^al , 
pour  la  religipn  aussi  bien  que  pour  la  langue,  des  puritains, 
se  rattachant  à  Ali  et  à  l'ancienne  culture  de  i'Hedjaz  K  II  est 

'  De  Sacy,  AnihoL  grammat,  arabe,  p.  &o-&t. 

*  Ahoal-Atwed  passait  pour  avoil*  reça  les  premièreB  nokioils  de  grammaire. 
d^Ali  lui-même.  (Voy.  Fleiscker,  apad  Delitasdi,  J^hmtim»  p.  t4&-a45.) 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL  355 

vrai  que  h»  fonctions  dehâiib  ou  à* écrivain  étaient  d'ordinaire 
rempiies ,  dans  les  premiers  siècles  de  Tislamisme ,  par  des  Sy- 
riens chrétiens  ^  ;  niaiis  des  chrétiens  n'auraient  pas  eu  pour  la 
langue  sacrée  de  rishunisnie  l'amour  et  l'espèce  de  culte  qui 
ont  inspiré  les  travaux  de  la  granunaire  arabe*  Ce  n'est  que 
plus  tard,  sous  les  Abbasides^  brsque  Fesprit  arabe  s'est  fort 
affaibli  dans  l'Irak,  que  les  Syriens  deviennent  les  mattres  des 
musulmans,  et  cela  uniquement  pour  des  sciences  poaitives, 
qui  n'intéressaient  ni  la  religion,  ni  la  langue,  ni  la  litléra-* 
ture  proprement  dite. 

Les  mêmes  raisons  s'opposent  à  ce  qu'on  admette  une  in- 
fluence de  la  grfitaïunaire  des  Grecs  sur  cdle  des  Arabes.  Avant 
l'époque  des  Abbasides,  lés  Arabes  demeurèrent  étrangers 
aux  études  helléniques,  etsoaéme,- à  l'époque  où  ces  études  fui- 
rent cbex  eoK  le  plus  en  vogue ,  on  peut  dire  que  trè&-peu  de 
musulmans  ont  su  le  grec^.  Toutes  les  études  se  faisaient  sur 
des  traductions ,  et  ces  traductions  en  général  avaient  pour 
auteiirs^.des  Syriens  chrétiens.  Enfin  les  Arabes  ne  connu^'ent 
jamais  la  Grèce  que  par  des  ouvrages  de  jscience  et  de  philo- 
sophie; les- écrits  dé  littérature,  dliistoire,  de  graounàire  leur 
restèrent  étrangers;  et  comment  des  traités  théoriques  rela- 
tifs k  une  langue  qui  leur  était  inconnue  eussent-ils  pu  avoir 
pour  eux  quelque  sens  et  quelque  intérêt  ?  H  n'est  pas  impos- 
siUe,  sans  doute,  que  certaines  notions  générales,  telles  que 
ta  division  des  trois  parties  du  discours  (nom,  verbe  et  parti- 
cule), division  qu'on  attribue  à  Ali,  ne  soient  venues  origi- 
nairement de  la  Grèce,  et  que  la  grammaire  arabe  n'ait 
subt  de  la  sorte  une  influence  éloignée  du  Uepl  Èpfitfvsiag. 
Mais  tout  cela  se  fit  sans  conscience  distincte  et  sans  emprunt 

'  ¥oy.  JamrnU  maL  iuy?.-^éc.  i65i,  p.  639  et  s\^y. 
*  V.  d-deasus,  p.  379.  • 

â3. 


356  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

direôt.  Pour  les  études  que  les  Arabes  ont  empruntées  aux 
Grecs  par  rintermédiaire  des  Syriens,  telles  que  la  logique, 
la  métaphysique ,  Tastronomie ,  la  médecine ,  la  trace  de  To- 
rigine  grecque  est  parfaitement  sensible  :  une  foule  de  mots 
grecs  techniques  sont  transcrits  ou  traduits  de  façon  à  laisser 
deviner,  au  premier  coup  d'œil,  le  mot  original  ;  le  nom  de  la 
science  est  presque  toujours  grec;  led  divisions  et  les  catégo- 
ries sont  toutes  grecques.  Rien  de  semblable  dans  la  gram- 
maire et  la  rhétorique  musulmanes.  Le  nom  de  ces  deux  scien- 
ces, les  termes  techniques,  les  divisions,  les  conceptions  géné- 
rales sont  arabes ^  Enfin,  pour  les  autres  sciences,  les  Arabes 
reconnaissent  qu'ils  les  doivent  aux  anciens  Grecs  ((jl^I^^)* 
tandis  qu'ils  sont  convaincus  que  là  grammaire  est  un  privilège 
que  Dieu  leur  a  réservé ,  et  un  des  signes  les  plus  certains  de 
leur  prééminence  sur  tous  les  peuples.  < 

Nous  croyons  qu'il  faut  réduire  l'influence  grecque  chez 
les  Arabes  à  celle  qui  s'eïerça,  au  ix*  siècle,  pour  la  philo- 
sophie (  MÀmXi  )  et  les  sciences  naturelles.  AvanI  cette  influence 
et  en  dehors  de  cette  influence ,  les  Arabes  s'étaient  créé ,  dès 
la  fin  du  VII*  siècle ,  et  surtout  au  viti*,  des  branches  de  spécu- 
lations rationnelles  tirées  de  leur  propre  génie ,  telles  que  la 
grammaire  [^  ) ,  la  jurisprudence  (  jûU  ) ,  la  théologie  (  |»^) 
et  toute  la  jpolémique  des  premières  sectes  musulmanes*  C'est 
là ,  à  proprement  parler,  le  moment  de  l'apparition  de  l'esprit 
scolastique  parmi  les  Sémites.  Les  Syriens  n'étaient  arrivés,  an-* 
térieurement,  aux  spéculations'de  la  théologie  qu'en  embrassant 
l'heliénisme.  Quant  aux  Juifs,  s'il  est  vrai  qu'en  ceci,  comme 
en  toute  chose,  ils  ont  devancé  leur  race,  et  qu'ils  ont  donné 

'  Je  ne  puû  trooYer  àéààSi  les  rapprochements  tentés  par  M.  Reînaad  entre 
différentes  particularités  de  la  rhétorique  arabe  #t  de  la  rhétorique  grecque. 
y.  SAhwiw  dt  Hanri,  a'  édît  L  lî,  p.  ao5  et  suiv. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL  357 

dans  le  Talmud  le  premier  monument  sémitique  de  style  dis- 
cursif, il  faut  dire  que  la  destinée  de  ce  peuple,  au  moins  à 
partir  de  Fépoque  du  christianisme,  est  tro{>  particulière  pour 
qu'il  soit  permis  de  le  prendre  comme  mesure  des  aptitudes 
et  du  développement  de  la  famiUe  à  laquelle  il  appartient.  ' 

Sans  approcher  de  la  perfection  de  la  granunaire  sanscrite , 
la  grammaire  arabe  offre  une  analyse  du  langage  fort  digue 
d'occuper  Tattention  du  philologue.  Elle  me  semble  au  moins 
^gale  à  la  grammaire  des  Grecs ,  moins  complète  peut-être 
sous  le  rapport  de  la  thédrie  des  formes,  maiç  certainement 
bien  plus  riche  en  considérations  de  syntaxe.  Très-défectueuse 
dans  son  ensemble ,  ou  plutôt  presque  entièrement  dépourvue 
d'ensemble  et  de  plan,  la  grammaire  arabe  est  spirituelle  et 
subtile  dans  les  détails ,  pleine  de  petits  faits  bien  observés  et 
de  vues  ingénieuses  jetées  au  hasard.  Gomme  tous  les  gram- 
mairiens anciens  \  soit  de  la  Grèce ,  soit  de  l'Inde ,  les  gram- 
mairiens arabes  ne  savent  que  leur  propre  idiome,  et,  de  cet 
idiome,  ils  ne  connaissent  que  Tétat  moderne  et  classique.  De  là 
le  tour  absolu  de  leurs  démonstrations,  qui  semble  supposer 
qu'il  n'y  a  au  monde  qu'une  seide  langue.  Guidés  par  la 
structure  jparticuUère  des  dialectes  sémitiques,  les  grammai- 
riens arabes  ont  compris,  beaucoup  mieux  que  les  Grecs,  la 
recherche  du  radical  pur,  qui  se  cache  sous  la  variété  des 
formes  dérivées;  mais,  dans  cette  recherche  même,  ils  ont 
porté  des  habitudes  de  symétrie  qui  donnent  entre  leurs 
mains  l'air  d'un  paradoxe  au  plus  grand  principe  de  la  lexi- 
cographie sémitique,  la  trilitérité  des  racines.  Leurs  hypo- 
thèses les  plus  ingénieuses  ont  toujours  quelque  chose  d'arti- 

'  Voir  sur  ce  snjet  un  chapitre  mtéreflsant  de  M.  Egger  :  ApoWmiuê  Dy9coU. 
Eiêai  $ur  Vkàtoirêdei  théoriet  grammatieakt  dam  VoMiiqmté,  c.  ii,  Si  (Paris, 
i854.) 


258  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

ficiei  et  de  contraire  à  i'organisnie  vivant  de  la  parole  humaine; 
jamais  il»  ne  prament  la  langue  comme  nn  tout  qui  se  recom- 
pose et  ae  décompose  sans  cesse  par  .une  sorte  de  végétation ,  et 
où  chaque  état  a  sa  raison  dans  un  état  antérieur;  la  méthode 

historique  et  comparative  leur  manque  absolument. 

< 

De  quelque  manière  qu'on  l'envisage,  l'avènement  de 
l'arabe  à  la  domination  universelle  en  Orient  est  le  signal 
<fune  révolution  capitale  dans  l'histoire  des  langues  sémi- 
tiques. Ces  langues,  bornées  autrefois  à  l'eiqpression  des  sen- 
timents et  des  faits,  entrent  maintenant  dans  le  domaine  de  la 
pensée  abstraite  et  s'exercent  dans  les  genres  de  littérature  qui 
supposent  le  plus  de  réflexion  :  grammaire,  jurisprudence, 
théologie  scolastique,  philosophie,  histoire,  sciences  physiques 
et  Qpiathématiques,  écrits  techniques,  bibliographie.  De  là, 
d®  formes  compliquées,  un  jeu  de  particules  et  des  déli- 
catesses de  syntaxe,  inconnus  à  l'hébreu  et  à  l'araméen.  Le 
style  sémitique  n'avait  présenté  jusqu'ici  que  deux  formes  :  la 
forme  rhythmique  eu  poétique,  fondée  sur  le  parallélisme; 
la  forme  prosaïque ,  plus  libre  dans  sa  marche ,  mais  assujettie 
elle-même  à  une  certaine  coupe,  au  venet.  Le  verset,  jusqu'au 
Coran  inclusivement,  est  la  loi  suprême  du  stylé  sémitique. 
Or,  on  conçoit  combien  cette  forme ,  si  commode  pour  le  récit 
et  la  poésie ,  devenait  impossible  à  maintenir,  du  moment  que 
l'on  entrait  dans  la  voie  de  la  scolastique.  Un  raisonument 
est  impossible  dans  une  langue  morcelée  de  la  sorte;  aussi 
l'abandon  du  verset  répond-il  exactement  à  l'introduction  des 
discussions  théologiques  chez  les  Sémites.  Le  style  de  la  prose 
arabe  est  aussi  continu  que  celui  des  langues  indo-euror- 
péennes  les  plus  développées.  La  coupe  symétrique  des  œmmaUi 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  II.  359 

ne  fot  conservée  que  pour  certains  içorceaux  d'apparat ,  in- 
termédiaires entre  la  prose  et  la  poésie. 

La  poésie  elle-^néme  subit  une.  transformation  analogue  ;  elle 
avait  été  jusqne4à9  chez  leis  Sémites,  purement  rhythmique, 
ne  se  distinguant  de  la  prose  que  par  un  arrangement  de 
phrase  plus  artificiel ,  des  jeux  de  mots  et  de  lettres ,  et  une 
certaine  recherche  de  la  rime.  Destinée  à  exprimer  des  sentiments 
individuels  et  des  situations  passagères,  elle  flottait  dans  la 
tradition,  san»  arriver  jamais  à  un  texte  arrêté  syllabe  par  syl-^ 
labe.  A  partir  du  siècle  qui  précède  Tislamisme,  au  contraire, 
la  poésie  devient  savante,  compliquée,  assujettie  è  une  proso- 
die fort  éloignée  du  génie  primitif  des  langues  sémitiques. 
Une  singulière  originalité  d'inspiration  soutient  d'abord  ces 
compositions  un  peu  artificielles  dans  la  forme;  mais  après 
rîslamisme,  la  poésie,  dépréciée  par  le  Prophète,  privée  des 
institutions  qui  en  faisaient  la  vie ,  déchoit  rapidement.  Elle 
se  continue  encore  dans  le  désert  pendant  deux  ou  trois  géné- 
rations de  poètes  bédouins  presque  étrangers  à  l'islamisme; 
puis ,  les  progrès  de  la  religion  nouvelle ,  les  bouleversements 
politiques  et  l'abaissement  de  la  race  arabe. en  font  presque 
diiqparattre  lés  vestiges.  Transportée  du  désert  dans  les  cours 
de  Syrie,  de  Perse,  du  Khorasan,  du  Maroc,  de  l'Espagne,  la 
poésie  arabe  n'est,  entre  les  mains^de  Moténabbi,  d'Aboulal 
eide  leurs  imitateurs,  qu'un  simple  jeu  d'esprit,  et  tombe  de 
plus  en  plus,  par  suite  de  l'influence  persane,  dans  l'affectation 
et  le  mauvais  goût.  Mais  il  faut  se  rappeler  que  le  génie  sémi- 
tique n'est  pour  rien  dans  ces  misérables  subtilités.  Le  goût 
séniitique  est  de  lui-même  sobre,  grand  et  sévère,  et  n'a  rien 
de  commun  wec  ce  style  détestable  qu'on  s'est  habitué  à  ap- 
peler ûrimUd',  tandis  que  les  Persans  et  les  Turcs  devraient 
seok  en  porter  la  responsabilité. 


360  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Nous  avons  déjà  remarqué  la  tendance  qui  entratna ,  durant 
les  premiers  siècles  de  l'hégire,  toutes  les  langues  sémitiques  à 
se  fondre  dans  l'arabe.  Pour  expliquer  la  facilité  avec  laquelle 
se  fit  cette  fusion ,  il  faut  supposer  que  les  divers  dialectes  de 
la  famille  sémitique  possédaient,  à  l'époque  dont  nous  par- 
Ions,  ime  conscience  assez  développée  de  leur  unité.  Le  sen- 
timent qu'ont  les  peuples  de  la  parenté  linguistique  est  loin 
d*étre  aussi  étendu  que  celui  de  la  science.  L'affinité  du  fran- 
çais, de  l'allemand  et  du  russe  est  évidente  pour  le  savant; 
le  peuple  n'en  a  pas  la  conscience ,  et  aucune  circonstance 
ne  pourrait  amener  la  combinaison  de  l'une  de  ces  trois  lan- 
gues avec  les  autres.  Il  n'en  est  pas  de  même  pour  l'italien  et 
le  français  :  un  Français  et  un  Italien  iUettrés  sentent  qu'ils 
parlent'  au  fond  la  même  langue  :  si  la  France ,  l'Italie  et  l'Es^ 
pagne  étaient  réunies  dans  un  même  corps  politique,  une 
langue  commune  ne  tarderait  pas  à  s'établir.  Les  dialectes 
sémitiques  ne  différant  pas  beaucQup  plus  l'un  de  l'autre  que 
les  langues  néo-latines  ne  diffèrent  entre  elles,  on  compretfd 
qu'ils  n'aient  opposé  qu'une  faible  résistance  à  l'idiome  congé- 
nère qui  aspirait  à  les  absorber. 

Il  est  certain ,  en  effet ,  que  l'arabe  est  à  beaucoup  d'égards 
le  résumé  des  langues  sémitiques.  On  dirait  que  toutes  les 
ressources  lexicographiques  et  grammaticales  de  la  famille  se 
sont  donné  rendez-vous  pour  composer  ce  vaste  ensemble. 
L'hébreu,  le  syriaque,  l'éthiopien  n'ont  guère  de  procédés 
que  l'arabe  ne  possède  pareillement,  tandis  que  l'arabe  pos- 
sède en  propre  une  série  de  mécanismes  précieux.  Il  est  vrai 
que  plusieurs  des  propriétés  caractéristiques  de  l'arabe  se 
trouvent  d'une  façon  rudimentaire  dans  les  autres  langues 
sémitiques  :  ainsi  les  formes  modales  du  futur  sont  en  germe 
dans  le  futur  apocope  des  Hébredx  ;  les  ^flexions  finales ,  dans 


LIVRE  IV,  «HAPITRE  IL  361 

le^  terminaisons  paragog^ques  ou  emphatiques  de  l'hébreu  et 
de  Taraméen  ;  presqme  toutes  les  formas  du  verbe  régulière^ 
ment  employées  en  arabe  existent  en  hébreu  ou  en  syriaque 
à  l'état  de  formes  rares  et  anomales.  Mais  ce  ne  sont  là  que  des 
germes  à  peine  indiqués,  tandis  qu'en  arabe  ces  mécanismes 
sont  arrivés  à  l'état  de  procédés  réguUers,  et  constituent  im 
des  ensembles  grammaticaux  les  plus  imposants  que  jamais 
langue  soit  arrivée  à  revêtir. 

Ce  serait  une  <{aestion  Mvole  de  se  demander  si  l'arabe 
doit. être  envisagé  commue  supérieur  aux  autres  langues  sémi- 
tiques. L'arabe  exprime  parfaitement  l'ordre  d'idées  auquel  il 
est  approprié;  cet  ordre  est  tout  différent  de, celui  de  l'hé- 
breu et  du  syriaque.  Une  foule  de  nuances  que  l'hébreu  et  le 
syriaque  ne  rendent  que  d'une  manière  embarrassée,  ou  ne 
rendent  pas  du  tout,  ont  en  arabe  des  formules  grammaticales 
consacrées.  Le  style  arabe  a  une  ampleur,  une  liberté  que 
ne  connurent  point  les  langues  .sémitiques  plus  anciennes. 
Mais  ce  progressa  été  obtenu  au  prix  de  bien  des  défauts.  Les 
formes  sobres,  harmonieuses  de  l'hébreu  sont  détruites  :  le 
timbre  charmant  du  parallélisme,  qui  donne  à  la  poésie  hé- 
braïque une  grAce  inimitable ,  est  brisé.  Le  styk  asiatique  l'em- 
porte; de  petits  ornements  de  rhéteurs,  des  finesses  de  gram- 
mairiens'ont  remplacé  la  grave  beauté  du  style  antique.  On 
se  consolerait  de  ces  pertes,  si  l'arabe  les  eût  compensées  par 
l'acquisition  d'une  parfaite  netteté,  d'une  entière  détermina- 
tion ,  qualités  plus  nécessaires  à  la  mission  qu'il  avait  à  rem- 
plir. L'arabe  atteint ,  en  ce  sens ,  tout  ce  qu'il  est  permis  à  une 
langue  sémitique  de  réaliser  ;  mais  cela  même  est  assez  peu  de 
chose.  Avec  tous  les  efforts  de  sa  syntaxe,  l'arabe  n'arriva 
jamais  à  cette  limpide  pirécision  qui  semble  le  partage  exclusif 
des  langues  indo-européennes.  Comprendre  leur  idiome  litté- 


362  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

raire  a  toujours  été  un  travail  pour*  les  mugulmans.  Le  plus 
grand  nombre  de  ceux  qui  savent  lire ,  lisent  péniblement,  sans 
un  sentiment  vif  et  soudain  de  la  phrase,  à  peu  près  comme 
si  l'analyse  logique,  sur  laquelle  s'est  exercée  notre  enCance, 
restait,  pour  nous  le  travail  de  Tâge  mûr. 

La  prodigieuse  richesse  lexicographique  de  l'arabe  entraîne 
elle-même  beaucoup  plus  d'inconvénients  que  d'avantages. 
Elle  aboutit  à  une  latitude  vague  qui  nuit  beaucoup  à  la  clarté. 
On  éprouve  une  sorte  de  vertige  à  la  vue  de  ces  sens  divers 
et  presque  contradictoires,  qui,  dans  les  dictionnaires  arabes, 
se  pressent  sous  chaque  mot  ^  Un  tel  manque  de  rigueur 
serait  un  insu|)portable  défaut,  si  4es  dictionnaires  a'exagé* 
raient  un  peu  sous  ce  rapport  les  difficultés  réeUes  de  la  langue. 
L'arabe  n'a  pas  encore  et  n'asra  peutnêtre  jamais  un  die- 
tionnaire  composé  d'après  le  dépouillement  régulier  des  au* 
teurs  et  appuyé  d'exemples  :  les  lexicographes  européens  n'ont 
fait  jusqu'ici  que  suivre  pas  à  pas  les  lexicographes  orientaux; 
or  ceuxHîi  ont  procédé  dans  leur  travail  avec  beaucoup  de  pa- 
tience, il  est  vrai,  mais  avec  trop. peu  de  critique.  Gomone  les 
glossateurs  grecs  et  syriens,  ils  mentionnent  plus  volontiers  les 
significations  rares  que  les  significations  ordinaires  des  mots. 
Souvent  les  sens  qu'ils  enregistrent  ne  sont  pas  réels,  ou  du 
moins  n'ont  aucune  application  dans  l'usage  :  ce  sont  des  em- 
plois métaphoriques ,  des  explications  de  commentateurs  parfois 
erronées.  Enfin ,  une  grande  partie  des  mots  qu'ils  admettent 
dans  leur  recueil  semblent  être  des  expressions  provinciales, 
étrangères  ou  spéciales ,  qu'on  ne  rencontre  jamais^.  Tout  cela 

-*  Voir  un  curieux  exemple,  dans  le  KmMUi  ou  dans  le  Dictioiiiiaire  de  Freyli^ 
au  mot  ; 


*  Un  lexicographe  arabe  prétend  avoir  trouvé  dans  sa  langue  i  a,3o5,4 1 a  mois. 
Yoy.  Maith.  Norherg,  Defatà  Ungua  arab,  {OpùiC.  t  II,  p.  a 37.) 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  II.  363 

a  (ait  da  diciîoDaaire  arabe  un  singulier ^chaos,  où,  avec  un  peu 
de  bonne  volonté,  on  peut  trouver  tout  ce  que  l'on  désire.  En 
général,  il  iaut  tenir  pour  non  avenus,  en  philologie  com- 
parée ,  les  mots  et  les  significations  de  mots  arabes  dont  Teris- 
tence  n'est  pas  établie  par  un  exemple  et  qui  n'ont  pour  eux 
que  l'autorité  des  lexicographes  :  1  oubli  de  cette  règle  et  l'abus 
du  dictionnaire  aralbe  pour  l'éclaircissement  des  mots  sémiti- 
ques obscurs  ont  eu,  depuis  Schultens  jusqu'à  nos  jours,  les 
plus  graves  dangers. 

Une  méthode  de  compilation  ausâ  indigeste  explique  les 
faits,  en  apparence  légendaires,  que  l'on  cite  souvent  pour 
montrer  la  richesse  de  la  langue  arabe.  Un  philcdogue  com- 
posa, dit-on,  un  livre  sur  les  noms  du  lion,  au  nombre  de 
cinq  cents;  un  autre  sui'  ceux  du  serpent,  au  nombre  de  deux 
cents.  Firuzabadi ,  l'auteur  du  Kamou»,  dit  avoir  écrit  un  livre 
sur  les  noms  du  miel ,  et  assure  qu'appès  en  avoir  compté  plus 
de  quatre-vingts ,  il  était  encore  resté  incomplet.  Le  même  au- 
teur assure  qu'il  existe  au  moins  mille  mots  pour  signifier 
l'épée,  et  d'autres  (ce  qui  est  plus  croyable)  en  ont  trouvé 
plus  de  quatre  cents  pour  exprimer  le  malheur  ^  De  tels  faits 
cessent  de  paraître  extraordinaires  quand  on  songe  que  les 
synonymes  ainsi  recueillis  ne  sont,  le  plus  souvent,  que  des 
épithètes  changées  en  substantifs  Bt  des  tropes  employés  acci- 
dentellement par  un  poète.  D^iilleurs ,  cette  synonymie  exu- 
bérante se  remarque  surtout  dans  les  noms  des  choses  na- 
tgrdles  :  or  la  langue  arabe  n'est  pas  la  seule  qui  réunisse , 
pour  les  idées  de  cet  ordre,  un  grand  nombre  de  synonymes; 

'  Gonf.  Pooocke,  Spêc.  hàL  Arab.  p.  i58  (édit.  White).  On  trouvé  cbes  les 
•grammairiens  arabes  une  foule  d^anecdotespour  démonlrer  cette  richesse  de  syno- 
nymes. Cf.  de  Sacy ,  Chmt.  arabe ,  Il ,  p.  9- 1  o ,  et  le  commentaire  de  la  h  7*  séance 
deHariri,  i'*édif.  p.  55i. 


* 


36&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SEMITIQUES. 

le  lapon  compte,  dit-on,  plus  de  trente  mots  pour  désigner 
le  renne,  selon  son  sexe,* son  Age,  sa  couleur,  sa  taille;  nous 
avons  déjà  remarqué  une  richesse  analogue  dans  la  langue  hé- 
braïque^. Les  réserves  qui  viennent  d'être  faites  n'empêchent 
pas  que  l'arabe  ne  soit  encore,  sous  le  rapport  de  l'abon- 
dance des  synonymes,  un  pnénomène  entre  toutes  les  langues; 
la  lecture  des  poésies  arabes ,  où  reviennent  sans  cesse ,  pour 
tes  mêmes  objets,  des  mots  nouveaux  et  inconnus,  cause  d'a- 
bord une  surprise  désespérante ,  dont  on  se  r^net  peu  à  peu 
quand  on  songe  que  plusieurs  de  ces*  mots  seraient  inintelli-- 
gibles  pour  les  Arabes  eux-mêmes  sans  l'aide  du  commenta- 
teur. 

Une  discussion  vraiment  scientifique  de  la  masse  énorme 
de  racines  que  possède  l'arabe  et  dont  on  ne  trouve  pas  de 
traces  dans  les  autres  langues  sémitiques,  produirait  sans  doute 
de  curieux  résultats.  On  peut  croire  qu'il  y  a  là  un  fond  consi- 
dérable de  mots  primitivement  sémitiques,  qui  sont  sortis  de 
la  circulation  des  autres  dialectes.  Peutr^tre  faudrait-il  aussi  at- 
tribuer à  quelques-uns  de  ces  radicaux  une  origine  étrangère  : 
tous  présentent  cependant  le  grand  caractère  de  la  sémiticité, 
je  veux  dire  la  forme  trilitère.  Il  est  bien  remarquable  que 
l'hébreu  moderne  ou  rabbinique  renferme  de  même  une  foule 
de  radicaux  de  provenance  inconnue,  dont  plusieurs  lui  sont 
conununs  avec  l'arabe^.  Si  lliistoire  des  dialectes  de  l'Irak,  dia- 
lectes qui  exercèrent  à  la  fois  une  grande  influence  sur  la  for- 
mation de  l'hébreu  moderne  et  de  l'arabe,  nous  était  mieux 
connue,  nous  y  trouverions  probablement  l'explication  de  ce 
fait  singulier.  • 

*  Voy.  ci-dessus,  p.  198-119. 

*  Detitzsch,  Jnurufiy  p.  83  et  suiv.  96  et  suiv. 


LIVRE  IV^  CHAPITRE  H.  365 

S  VI. 

Cest  par  Tarabe  que  les  langues  sémitiques,  sortan^  du 
cercle  étroit  où  elles  s'étaient  tenues  renfennées  jusque-là, 
sont  arrivées  à  une  action  vraiment  universelle.  Jamais  con*- 
quêtes  ne  furent  plus  vastes ,  plus  soudaines.  La  langue  arabe 
est,  sans  contredit,  Tidiome  qui  a  envahi  la  plus  grande 
étendue  de  pays.  Deux  auffes  langues  seulement,  le  grec  et  le 
latin,  partagent  avec  die  l'honneur  d'être  devenues  langues 
universelles,  je  veux  dire  organes  d'une  pensée  religieuse  ou 
politique  supérieure  aux  diversités  de  races.  Mais  l'étendue 
des  conquêtes  du  latin  et  du  grec  n'approche  pas  de  celles  de 
l'arabe.  Le  latin  a  été  parlé  de  la  Gampanie  aux  Iles  Britan- 
niques; du  Rhin  à  l'Atias;  —  le  grec,  de  la  Sicile  au  Tigre, 
de  la  mer  Noire  à  l'Abyssinié.  Qu'est-ce  que  cela,  comparé  à 
'  l'empire  immense  de  la  langue  arabe,  embrasant  l'Espagne, 
f  Afirique  jusqu'à  l'équateur,  l'Asie  méridionale  jusqu'à  Java , 
la  BMsie  jusqu'à  Kazan?  Et,  n'est-ce  pas  à  bon  droit  qu'Er- 
penius  a  appliqué  à  cette  dernière  langue  la  prophétie  que 
Rome  n'a  pu  réaliser  : 

UlCra  Garamantas  et  IndoB 

Proferet  imperiom? 

Il  ne  saurait  entrer  dans  notre  plan  de  suivre  la  langue 
arabe  dans  ses  longues  pérégrinations  en  compagnie  de  l'isla- 
misme, pas  plus  qu'on  ne  se  croit  obligé,  pour  faire  l'histoire 
de  la  langue  latine ,  de  l'étudier  chez  les  scolastiques ,  les  hu- 
manistes de  la  Renaissance  et  les  modernes  qui  ont  continué 
de  s'en  servir  jusqu'à  nos  jours.  A  partir  de  Mahomet,  l'arabe 
littéral  subit  le  sort  des  langues  qui  cessent  de  s'appartenir 
pour  devenir  la  propriété  des  provinces  qu'elles  ont  conquises. 
Mais  ici ,  comme  partout  et  toujours ,  nous  voyons  éclater  ce 


366  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

caractère  dTtnvapabîlité  qui  est  la  loi  dominante  de  son  his- 
toire. Tandis  que  le  latin  produisit ,  en  se  décomposant ,  une 
nouvelle  série  de  langues,  d*abord  vidgaires ,  puis  ennoblies  à 
leur  tour  par  le  travail  des  écrivains»  Tarabe  ne  constitua  nulle 
part  de  dialectes  locaux  régulièrement  caractérisés.  La  race 
arabe ,  d'une  part ,  en  envahissant  l'Irak ,  la  Syrie ,  TAfirique , 
rJEspagne ,  conserva  partout  l'identité  du  détal  :  tdle  tribu 
perdue  au  fond  du  Soudan  parie  encore  de  nos  jours  un  arabe 
aussi  pur  que  celui  des  tribus  les  plus  raffinées  de  rHe<iyax. 
D'un  autre  c6té ,  en  Perse  et  dans  la  haute  Asie ,  l'arabe  ne  se 
répandit  guère  que  comme  langue  savante^,  et  conserva  na- 
turdlement  son  unité.  Le  style  des  écrivains  arabes  de  l'Inde  et 
du  Khorasan  est  le  même  que  celui  de  l'Espagne  et  du  Maroc. 
D'un  bout  à  l'autre  de- ce  vaste  cordon  formé  par  la  conquête 
musulmane 9  ce  sont  les  mêmes 'études,  les  mêmes  auteurs 
classiques ,  le  même  enseignement  grammatical.  L'absence  de 
nationalités  distinctei^  dans  le  sein  de  l'islamisme,  le  goût  pour 
les  voyages ,  la  dispersion  des  individus  étaient  les  causM  de 
cette  diffusion  universelle.  La  religion  mahométane  présente, 
du  reste,  le  même  fait  :  elle  est  homogène,  si  j'ose  le  dire, 
et  a  produit  bien  moins  de  schismes  et  de  sectes  que  toute 
autre  croyance,  conservant  en  cela  le  souverain  caractère  de 
la  race  sémitique ,  l'unité. 

De  même  que.  la  langue  arabe,  ainsi  devenue  la  langue 
commune  du  monde  musulman ,  n'a  pas  de  dialectes  provin- 
ciaux, de  même  elle  n'a  pas  d'époques  bien  caractérisées. 
Chaque  écrivain  a  porté  dans  son  style  un  degré  plus  ou  moins 
grand  d'élégance  et  de  correction;  mais  il  est  impossible  de 

'  L'arabe  est,  cependant,  plus  ou  moins  vulgaire  dans  quelques  pays  musul- 
mans, par  exemple,  en  Gircassie,  dans  certaines  parties  de  ta  Perse,  dans  Tar- 
cliîpel  de  la  mer  des  Indes,  etc. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL  -367 

classer  ces  diversités  par  ftge  et  par  pays.  La  manière  d'écrire 
imposée  par  l'islamisme  était  teKement  absolue,  et  la  langue 
arabe  se  présentait  avec  on  tel  prestige  de  perfection,  qu'au- 
cune des*  nations  qui  fadoptèrent  ne  songea  à  en  modifier 
les  règles  pour  se  fairer  un  instrument  mieux  approprié  à  sa 
pensée. 

La  Perse,  il  est  vrai,  ne  put  supporter  le  joug  de  l'esprit 
arabe ,  et  se  créa ,  au  sein  de  l'islamisme ,  une  religion  et  une 
litt^ture  accommodées  à  ses  instincts.  Mais  cette  réaction, 
elle  l'opéra  en  revenant .  à  la  cidture  de  sa  langue  natio- 
nale,et  non  en  forçant  l'arabe  de  se  plier  à  ses  habitudes. 
La  langue  iranienne ,  chassée  par  l'arabe  des  provinces  voi- 
sines du  Tigre ,  s'était  conservée  dans  les  provinces  orientales; 
au  II*  siècle ,  elle  reprit  une  nouvelle  vie  littéraire ,  par  l'in- 
fluence des  dynasties  indigènes,  Soffarides,  Samanides,  Gha^ 
névides^  Telle  est  l'origine  de  la  littérature  néo- persane, 
dont  le  génie  est,  en  général,  si  éloigné  du  goAt  sémitique. 
L'épopée,  la  poésie  mystique,  la  philosophie  panthéiste,  la 
mythcdogie  fantastique  ^  le  drame  même ,  furent  les  genres  où 
s'exerça  le  nouvel  idiome.  L'inflexibilité  de  la  langue  arabe 
resta  ainsi  sans  atteinte ,  et  toute  voie  à  la  création  de  langues 
néo-sémitiques  se  trouva  fermée  à  jamais.  "^ 

La  Perse  seule  eut  la  force  de  &ire  prévaloir  contre  l'arabe 
sa  propre  langue  dans  l'usage  littéraire,  parce  qu'elle  offre, 
sans  contredit,  l'individualité  la  plus  persistante  de  l'Orient  : 
ni  la  conquête  grecque,  ni  les  invasions  tartares,  ni  le  triomphe 
de  l'islamisme,  qui,  durant  dès  siècles,  semblèrent  l'avoir 
écrasée,  ne  purent  Tempécher  de  revenir  à  sa  vie  propre. 
La  littérature  turque  et  la  littérature  hindoustani  ne  sont 
qu'un  prolongement  et  une  imitation  de  la  littérature  per- 

*  Voy.  Mohl,  Le  Litre  dm  Roi* y  1 1,  préf.  p.  ht  et  suiv. 


S68  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

sane.  On  chercherait  vainement  d'autres  exemples  de  peuples 
assujettis  par  Fislamisme  qui  aient  réussi  à  se  créer  une  litté- 
rature nationale.  Le  christianisme  cependant  fit  quelque  contre- 
poids  à  cette  puissance  d'envahissement;  c'est  à  lui  que  l'ar- 
ménien ^  le  syriaque,  le  copte ,  l'éthiopien  furent  redevables  de 
leur  conservation,  au  moins  dans  l'usage  des  savants. 

En  même  temps  que  l'arabe  s'imposait  comme  langue  des 
livres  dans  les  répons  conquises  par  l'islamisme,  il  exerçait 
l'influence  la  plus  décisive  sur  presque  tous  les  idiomes  de 
l'Asie  méridionale  et  du  nord  de  l'AMque.  Ainsi ,  le  persan  se 
chargea  de  mots  arabes  et  adopta  l'alphabet  arabe.  Cet  em-. 
prunt  de  mot^  se  fît  d'abord  avec  assez  de  sobriété  :  le  style  de 
Fi^xlousi,  par  exemple,  est  de  l'iranien  presque  pur;  puis 
toute  mesure  fut  dépassée ,  et  l'on  se  mit  à  écrire  une  sorte 
de  langue  mixte,  où  presque  tous  les  mots  indigènes  étaient 
remplacés  par  des  mots  arabes,  la  grammaire  seule  restant 
persane  ^  Le  pédaptisme  ce  s'arrêta  pas  encore  là  :  il  devint 
.de  bon  goût  de  juxtaposer  les  deux  mots  synonymes  dans  les 
deux  langues;  exemple  :  (S^^  JUx.ât  j)^^  tXhtnj  (Mirkhond) 
=  iv  d^/pf  xeà  venatùme  SiorpiSsiv  ottendebat  ^=:r:  «il  passait 
son.  temps  à  la  chasse,  n 

Dans^Inde,  l'arabe  exerça  une  action  analogue,  depuis 
l'invasion  de  Mahmoud  le  Ghaznévide  (premières  années  du 
XI*  siècle  ) ,  surtout  par  l'intermédiaire  du  persan.  Les  nou- 
veaux conquérants  de  l'Inde  ne  parlaient  que  cette  dermère 
languo;  puis  il  se  forma  un  mélange  de  l'hindou!  et  de  la 

« 

'  W.  Jones  a  ch€0Bhé  à  faire  comprendre  ce  singaiier  mélange  par  Pexemple 
suivant:  a  La  véritable  kx  e$t  recta  ratio,  conforme  naturœ,  laquelle  en  comman- 
cidant  voeet  ad  officium,  ^n  défendant  a  fraude  detnreaL  »  (  Grammaire  pei^am, 
préf.  p.  uf .)  On  peut  rapprocher  du  même  fait  Thabitude  qu^avaient  les  rhéteurs 
cariovingiens,  surtout  les  Hibernais,  d^emer  leur  latin  de  mots  grecs,  ou  encore 
Tusage  des  sermons  mi-partie  français  et  latins,  au  tiv*  et  au  xv*  siède. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL  369 

langue  des  musulmans,  qui  s'est  ennobli  peu  à  peu,  et  est  ar- 
rivé, de  nos  jours,  à  une  grande  importance  en  Asie.  On  donne 
le  nom  d^hmdi  à  un  dialecte  de  l'hindoui  où  il  y  a  déjà  une 
assez  forte  proportion  de  mots  sémitiques.  Quant  à  Yhindou9' 
tam  (urdu  et  daUmi),  les  trois  quarts  des  mots  de  son  voca- 
bulaire sont  arabes  et  persans;  la  grammaire,  au  contraire, 
est  indienne,  légèrement  modifiée  par  le  persan ^  Pour  Récri- 
ture, Talphabet  arabe  l'a  emporté  sur  le  caractère  dévan&gari; 
la  métrique  arabe  a  de  même  pris  le  dessus ,  en  hindoustani 
comme  en  persan ,  sur  la  métrique  indigène. 

Le  turc  offire  un  phénomène  plus  frappant  encore  de  combi- 
naison linguistique  :  tout  en  conservant  la  grammaire  tartare , 
il  a  presque  sibandonné  son  vocabulaire  propre,  et  la  rem- 
placé par  une  masse  de  mots  empruntés  à  Tarabe  et  au  persan  ; 
en  sorte  que  souvent,  dans  une  phrase  turque,  sur  dix  mots, 
il  n  y  en  a  pas  un  de  turc.  De  là  le  phénomène  singulier  d'une 
langue  formée  par  le  mélange  de  trois  fanges  :  indo-euro- 
péenne et  sémitique  par  son  dictionnaire,  tartare  par  sa  gram- 
maire. —  La  Malaisie  enfin  participa  à  la  même  influence  :  de 
même  que ,  sous  l'action  des  idées  indiennes ,  elle  s'était  formé 
un  langage  mêlé  de  sanscrit  et  de  javanais ,  le  kawi  ;  de  même , 
elle  reçut,  avec  l'islamisme,  l'alphabet  arabe,  et  admit  une 
partie  du  vocabulaire  mêlé  que  les  musulmans  portaient  par- 
tout avec  eux.      / 

Cette  promiscuité  de  langues,  qui,  depuis  le  xiii*  siècle, 
règne  dans  l'Asie  musulmane ,  surtout  dans  les  cours ,  est  un 
fait  dont  l'histoire  du  langage  n'offre  peutrêtre  pas  un  second 
exemple  :  d'une  part,  une  langue  savante  et  sacrée  devenue 
partout  l'idiome  des  choses  religieuses  et  de  la  haute  littéra- 

*  Garcm  de  TasBy ,  Rudimentê  de  la  iangtte  kmdùuif  p.  9  el  suiv. ,  et  Rudimenii 
de  la  langite  fùnàmuianif  p.  7  et  suiv. 

I.  94 


370         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

ture  ;  de  Tautre ,  une  sorte  d'usage  commun  de  tous  les  ¥oe»- 
bulaires,  les  grammaires  seules  restant  distinctes  et  consti- 
tuant l'individualité  des  langues.  Ainsi,  quand  on  écrit  en 
persan,  on  peut,  à  volonté,  n'employer  que  des  mots  persans, 
comme  le  font  quelques  poètes  puristes,  ou  bien  s'employer 
à  peu  près  que  des  mots  arabes  traités  suivant  les  habitudes  de 
la  grammaire  persane,  comme  d'autres  le  font  par  pédaniisme. 
En  hindoustani ,  de  même ,  on  peut  n'admettre  que  des  mots 
d'origine  indienne ,  ou  les  remplacer  par  des  mots  presque 
exclusivement  persans  et  arabe».  Les  bouleversements  et  les 
mélanges  de  peuples  qui ,  depuis  f  idamiane,  ont  eu  lieu  dans 
l'Asie  occidentale,  eiq>liqttent  cet  étrange  phénomène.  En  En* 
rope,  chaque  pay»  épwuve  si  ûnpërieaaement  le  b«««n  de 
parler  une  seule  langue ,  que ,  peu  de  temps  aprèa  une  coih 
quête,  l'unité  ne  tarde  pas  à  s'établir  par  l'extinction  de  l'idiome 
des^  vainqueurs  ou  des  vaincus.  L'Asie,  aa  contraire,  est  nan 
turellement  polyglotte  ;  il  n'est  pas  rare  d'y  voûr  deux  ou  trois 
langues  pariées  sur  le  même  sol.  De  cet  usage  simidta&é  ré- 
sulte la  nécessité  d'une  connaissance  au  moîtts  sùperfieielk 
des  divers  idiomes,  et  de  cette  connaissance  superficielie«  le 
mélange  des  mots.  Le  pécule  est  toujours  tenté  de  mâer  les 
mots  des  diverses  langues  qu'il  sait;  quant  à  la  grammaire,  au 
contraire^  il  est  incapable  d'en  apprendre  une  autre  que  cette 
qu'il  a  apprise  tout  d'abord. 

En  cela  consiste,  à  vrai  dire,  la  différence  des  révolutions 
linguistiques  de  l'Europe  et  de  l'Asie  occidentale.. Les  com- 
binaisons de  langues  dans  le  genre  de  celles  que  nous  ve- 
nons de  décrire  sont  restées  à  peu  près  inccmnues  en  Europe  ; 
l'introduction  des  mots  français  dans  l'anglo-saxon ,  par  suite 
de  la  conquête  normande ,  présente  seule  quelque  chose  d'ana- 
logue. Les  révolutions  linguistiques  de  l'Europe  se  font  par  la 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  H.  STl 

grammaire;  un  esprit  nouveau  s'introduit  dans  un  idiome ^ 
le  détruit  et  le  recompose  sur  un  autre  plan«  En  Asie,  au 
contraire,  les  révolutions  se  font  par  le  dictionnaire,  et  la 
grammaire  reste  immuable,  comme  une  sorte  de  casier  vide, 
où  entrent  tour  à  tour  les  vocables  les  plus  divers.  Ob  peut 
dire,  sans  exagération,  qu'il  ny  a  plus  dans  l'Orient  musul* 
mas  qu'un  seul  dictionnaire,  composé  d'arabe,  de  turc  et  de 
persan.  Voilà  pourquoi  la  forme  des  lexiques  polyglottes, 
comme  celui  de  Meninski ,  est  la  seule  avantageuse  pour  les 
idiomes  modernes  de  l'Orient.  Un  dictionnaire  persan,  en 
effet,  pour  être  complet,  devrait  renfermer  tous  les  mots  arabes 
vraiment  usuels,  et  un  dictionnaire  turc  devrait  renfenner 
presque  tous  les  mots  arabes  et  persans. 

En  Afinque,  les  destinées  de  la  langue  arabe  ne  furent  pas 
moins  surprenantes.  La  race  arabe  trouvait  en  Afirique  un  sol 
merveilleusement  disposé  pour  la  recevoir.  Aussi ,  tandis  qu'en 
Asie  elle  ne  pouvait  dépasser  les  limites  de  la  Syrie  et  de 
l'Irak ,  la  Toyon»-nous  se  répandre  comme  par  une  sorte  d'infil- 
tration, vers  l'ouest,  sur  toutes  les  côtes  barbaresques ,  dans 
leSabara,  le  Soudan,jusqu'à  l'océan  Atlantique  et  la  Guinée, 
et  vers  le  sud,  jusqu'à  la  Cafi^erie^  La  pureté  avec  laquelle  la 
langue,  la  religion  et  les  mœurs  arabes  se  sont  conservées  dans 
ces  contrées  lointaines ,  est  un  fait  bien  remarquable ,  et  la 
meilleure  preuve  que  le  désert  est  la  vraie  patrie  de  l'Arabe, 
De  nos  jours  encore ,  l'islamisme  et  la  langue  du  Coran  font  de 
rapides  progrès  dans  la  partie  orientale  de  l'Afrique-,  du  côlé 

*  A  la  fin  du  xf*  siècle,  les  Portugais  tronwnt  les  Arabes  mdbnes  de  presque 
tout  le  liUoral  de  la  mer  des  Indes,  depuis  Sofab*  V.  Wakkenaer,  Hi$L  générah 
dmvvffagm,  t  I,  p.  iio,  isS,  i8&,  953,  160,  etc.;  G.  Ritter, ii/ri^  (tradocL 
fraiiç.>,  t  l,p.  «01,917. 

>  Ewald  el  Krapf ,  dans  la  ZeUmhrtft  àtr  D,  M.  Giiftkek^t .  l.  U 1 8/16  ) .  p.  &A 

q/i. 


372  HISTOIRe  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

de  Mozambiqae  et.  de  Madagascar.  Plusieurs  pays  du  Soudan, 
tels  que  le  Ouaday,  paraissent  avoir  été  récemment  convertis  \ 
et  la  propagande  arabe  chez  les  noirs  du  Sénégal  et  de  la 
Guinée  est  de  jour  en  jour  plus  active  ^.  L'islamisme  est  encore 
conquérant  de  ce  cAté,  et  on  peut  dire  que  l'apostolat  parmi 
les  races  noires  lui  semble  naturellement  dévolu.  La  présence 
de  la  langue  arabe  est  partout  en  Afrique ,  à  l'heure  qu'il  est , 
le  signe  d'une  certaine  civilisation,  et  c'est  grâce  à  l'arabe  que 
l'Afrique  possède  quelque  littérature'.  Aussi  cette  langue  a*t-elle 
exercé  sur  les  idiomes  indigènes  une  influence  considérable  :  le 
berber,  les  langues  du  Sénégal,  celles  de  la  Guinée  elles- 
mêmes  ^,  y  ont  emprunté  un  assez  grand  nombre  de  mots. 
Enfin  l'alphabet  arabe  est  devenu  celui  des  langues  de  l'A- 
frique qui  ont  tenté  de  se  fixer  par  l'écriture,  telles  que  le 
berber,  le  madécasse. 

L'Europe  n'échappa  point  à  cette  action  '  universelle  de  la 
langue  arabe.  On  sait  combien  de  mots  de  toute  espèce  les 
Espagnols  et  les  Portugais  ont  emprunté  à  l'idiome  de  leurs 
, voisins  musulmans'.  Les  autres  langues  romanes  contiennent 


etsuiv.;  t.  II!,  p.  3ii  eisavi.^^àaxisXeJinKrnalofAeAmêneanOnenialSoei^ 

vol.  IV,  numb.  ii ,  p.  4&9  et  saiv.  ;  d'Eacayrae,  owr.  cité,  p.  9&7-948 ,  &65  et  smv. 

^  PeiTOD ,  Voyag$  au  Ouaday  par  U  cheykh  Mohammed  el-Towm,  p.  7 1  et  smr, 

*  Bu!kiin  de  la  Société  de  géographie^  mare  et  avril  i85&,  p.  971  et  suiv.; 
G.  Rilter,  Afriqw  (trad.  firanç.),  1 1,  p.  &A9  et  suiv. 

*  M.  Cherbonneau  a  révélé  ud  curieux  mouvement  iitléraire  arabe  à  Tomboœ- 
iou.  {Jowm.  aeiat,  janv.  i853,  p.  98  et  suiv.)  La  différence  des  alphabets  da 
Soudan  oriental  et  du  Soudan  occidental  prouve,  du  reste,  que  la  première  ré- 
gion fut  initiée  à  la  culture  arabe  par  TOrient,  et  la  seconde  par  le  Magreb,  où 
8*était  formé  comme  un  second  centre  d^arabisme, aussi  actif  que  celai  d*Orient, 

*  Ritter,  Crique  (trad.  firanç.),  t  I,  p.  453. 

*  Voy.  Vettigioê  da  Hngoa  arabica  «m  Pùrtugal,  ou  Lexiem  etymolagieo  daepala- 
vrai  e  nomei  portuguezeê  que  tem  origem  arabica,  por  J.  de  Sousa,  annotado  por 
J.  de  Santo-Antonio  Moura,  Lisboa,  i83o,  in-â". 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  U.  373 

aussi  un  assez  grand  nombre  de  mots  arabes,  désignant  pres- 
que tous  des  choses  scientifiques  ou  des  objets  manufacturés  ', 
et  attestant  combien,  pour  la  science  et  l'industrie,  les  peu- 
ples chrétiens  du  moyen  âge  restèrent  au-dessous  des  musul- 
mans. Quant  aux  influences  littéraires  et  morales,  elles  ont 
été  fort  exagérées;  ni  la  poésie  provençale,  ni  la  chevalerie  ne 
doivent  rien  aux  musulmans.  Un^abtme  sépare  la  forme  et 
l'esprit  de  la  poésie  romane  de  la  forme  et  de  l'esprit  de  la 
poésie  arabe;  rien  ne  prouve  que  les  poètes  chrétiens  aient 
connu  l'existence  d'une  poésie  arabe,  et  on  peut  affirmer  que, 
s'ils  l'eussent  connue,  ils  eussent  été  incapables  d'en  com- 
prendre la  langue  et  l'esprit  ^. 

S  VIL 

Nous  n'avons  jusqu'ici  embrassé  dans  nos  recherches  que 
l'arabe  littéral,  c'est-à-dire  l'arabe  tel  qu'on  le  trouve  dans  les 
monuments  écrits  ;  il  nous  reste  maintenant  à  envisager  l'arabe 
dans  la  bouche  du  peuple,  et  d'abord  à  nous  faire  une  idée 
exacte  de  la  différence  cpii  sépare  les  deux  idiomes  et  des  cir- 
constances historiques  dans  lesquelles  cette  distinction  s'est 
produite. 

L'arabe  vulgaire  n'est,  au  fond,  que  l'arabe  littéral  dépouillé 
de  sa  grammaire  savante  et  de  son  riche  entourage  de  voyelles. 
Toutes  les  inflexions  finales  exprimant  soit  les  cas  des  subs- 
tantifs, soit  les  modes  des  verbes,  sont  supprimées.  Aux  méca- 

^  Voy.  A»  P.  Pihan,  Gh)i$aàr9  du  motê  fronçait  tiret  de  Varobt,  dupertan  et  du 
terc  (Paris,  18&7).  Certains  mots,  tds  que  mâmerie  {mahomerie,  ei,  par  suite, 
pratique  païenne  et  superstitieuse) ,  oMotMi  {hatchieekm,  Imveurs  de  hatchitek) , 
wmqmn  (d^^^^XLt»  un  paurre,  metchino)  ont  suivi  des  voies  fort  détournées 
pour  arriyfer  au  sens  que  nous  leur  donnons. 

*  Gonf.  R.  Doij,  Bedk.  tm  fhieU  poUtique  et  littéraire  de  VEepagne  pendmU  h 
moyen  4g*  y  t.  i ,  p.  609  et  suiv. 


S7t  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

fiMmes  délicats  de  ia  syntaxe  Utténde,  l'arabe  ndgaire  eo 
substitue  d'autres ,  beaucoup  plus  simples  et  plus  a&alytiqaes. 
Des  préfixes  ou  des  mots  isolés  marquent  les  nuances  que 
farabe  littéral  exprime  par  le  jeu  des  royelles  finales;  les 
temps  du  verbe  sont  déterminés  par  des  mots  que  l'on  joint  «ui 
aoristes  pour  en  préciser  la  signification.  Sous  le  rapport  lexi* 
cographique ,  l'arabe  vulgaire  a  laissé  tomber  également  cette 
surabondance  de  mots  qui  encombrent  plutôt  qu'ils  n'enridiîs^ 
ae&t  l'arabe  littéral.  11  ne  connaît  que  le  fonds  courant  des 
voeaUes  sémitiques ,  parfot$  légèrement  détournés  de  leur  si- 
^ification  ancienne.  Quelques  mots  étrangers,  différents  sdon 
les  différentes  provinces,  et  turcs  pour  la  plupart,  allèrent 
seuls  le  caractère  parfaitement  sémitique  de  cet  idiome,  parié 
encore  de  nos  jours  sur  une  immense  étendue  de  pays. 

On  aperçoit  déjà  un  fait  remarquable ,  c'est  que  Tarabe  vuT- 
gaire  est  resté  bien  plus  rapproché  que  farabe  littéral  de 
l'hébreu  et  du  type  essentiel  des  langues  sémitiques.  Les  pro^ 
eédés  grammaticaux  et  les  mots  que  l'arabe  littéral  ajoute 
au  trésor  commun  de  la  famûUe,  et  dont  le  caractère  serais 
tique  ei^  douteux ,  l'arabe  vulgaire  en  est  dépourvu.  Si  r<Mi  se 
rappelle  que  la  plupart  des  flexions  de  l'arabe  littéral  s'omet- 
tent dans  l'écriture  et  ne  tiennent  pus  au  système  e^Mitîel  de 
rt>rthograpfae ,  on  comprmdra  que  ce  n'est  pas  sans  d'aj^pa- 
rentes  raisons  que  plusieurs  orientolistes  ont  envisagé  l'avabe 
vulgaire  comme  le  véritable  idiome  arabe  >  tandis  que  l'arabe 
littéral  ne  serait  qu'une  langue  factice,  inventée  par  les  lettrés 
et  employée  par  eux  seuls.  Les  personnes  qui  adoptent  cette 
opinion  envisagent  les  mécanismes  de  l'arabe  littéral  oomase 
une  tentative  malheureuse  pour  assujettir  la  langue  alabe  à  des 
règles  étrangères,  et  supposent  que  les  grammairiens 'arabes , 
séduits  par  la  richesse  de  la  langue  grecque  et  prenant  pour 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL     '  376 

maflres  les  {pramnaînew  de  cette  dernière  langue,  auraient 
cherché  è  suppléa,  par  des  imitations  et  des  emprunts ,  à  ce 
qu'ils  croyaient  manquer  à  la  leur  ' . 

Certes  9  il  y  a  dans  cette  hypothèse  prise  à  la  lettre  quelque 
chose  d'inadmissible,  et,  pour  la  réfuter,  il  nous  suffirait  d'en 
appder  aux  observations  par  lesquelles  nous  croyons  avoir 
établi  que  les  préimdus  rapports  des  grammairiens  arabes 
avec  les  Grecs  n'ont  aucune  réalité  ^.  On  ne  peut  nier  cepen-^ 
dant  qae,  dans  un  sens  plus  large,  1  arabe  littéral  ne  ^ 
présente  k  nous  à  peu  près  comme  le  sansmt ,  je  veux  dire 
comme  une  de  ces  langues  aristocratiques  qui ,  dès  leur  plus 
haute  antiquité,  semblent  confinées  entre  les  mains  des  gram- 
mairiens ,  et  pour  lesquelles  on  est  tenté  de  se  poser  la  ques* 
ticm  :  Outilles  jamais  été  parlées  dans  la  forme  où  nous 
les  voyons  écrites?  Les  plus  anciens  monuments  >de  .la  langue 
vulgaire  de  l'Inde,  monusients  contemporains  d'Alexandre, 
sont  déjà  en  pâli.  De  graves  inductions  amèneraient  de  même 
à  regarder  i'arabe  vulgaire  comme  antérieur,  au  mmns  dans 
l'usage,  à  Taorabe  littérd.  Il  est  difficile  de  se  figurer  comment 
«ne  langue  aussi  savante  que  le  sanscrit  a  pu  être  vulgaire , 
et  on  se  demande  si  jamais,  dans  l'usage,  les  Arabes  ont  ftdt 
sentir  ces  flexions  légères,  qui  ne  sont  guère  que  des  indices 
de  rapports  grammaticaux.  Dans  l'un  et  l'autre  cas ,  nous  pen- 
sons qu'il  faut  fjBure  une  part  à  l'artifice.  Ismais,  sans  doute, 
la  langue  des  commentaires  de  Kulluka-Bhatta  n'a  été  une 
langue  de  conversation;  jamais  aucun  Arabe,  en  parlant,  ne 

'  Gonf.  Addnog,  Afittr.  I,  p.  38&;  Wald,  GmehitM^  mêmUil  Sprmokm, 
p.  ,697.  D^autres  ont  prétenda  trouver  Tanalogie  des  flexions  arabes  dans  Tétat 
empiiadqtte  des  Syriens.  Voy.  Tydisen ,  dans  les  CommeMMiemft  Soeinstii  Rgg. 
vollMigvniitfwaiiliam ,  t.  III,  p.  i83. 

'  Voy.  ci  dessus,  p.  354-356. 


376  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

sW  astreint  à  observer  toutes  les  nuances  de  Tarabe  littéral. 
On  peut  dire  que  la  langue  de  GicéroB  était  aussi  fort  di£K- 
rente  de  celle  qui  se  parlait  dans  les  rues  de  Rome,  sans  que 
Ton  songe  pour  cela  à  distinguer  deux  langues  latines.  Chaque 
homme,  suivant  sa  portée  intellectuelle,  se  taille,  en  quelque 
sorte,  dans  la  matière  commune  du  discours,  un  vétem^it  à 
sa  mesure.  Bien  des  personnes  n'ont  jamais  fait  usage  de 
certains  procédés  de  syntaxe  que  possède  la  langue  française , 
uniquement  parce  que  ces  procédés  s'appliquent  à  un  ordre 
d'idées  qui  est  au-dessus  d'elles.  Chaque  langue  contient  ainsi 
en  puissance  une  foule  de  richesses  grammaticales,  dont  l'i- 
diome ordinaire  ne  peut  donner  une  idée ,  et  qui  ne  se  dévoi- 
lent que  par  le  travail  des  lettrés.  De  là  ce  fait  général  dans 
toute  l'antiquité,  que  la  langue  savante,  telle  qu'elle  nous  a 
été  transmise  par  les  livres,  n'est  jamais  cooformeà  la  langue 
vulgaire ,  telle  qu'elle  nous  est  révélée  par  les  inscriptions  et 
les  langues  dérivées. 

En  supposant  que  les  grammairiens  arabes  aient  poussé  un 
peu  loin  la  subtilité  et  la  tendance  à  ériger  en  règ^e  des  pro- 
cédés dont  le  peuple  n'avait  qu'une  demi-conscience,  on  ne 
saurait  admettre  que  leur  réforme  ait  été  jusqu'à  toucher  à  la 
constitution  même  de  la  langue  et  à  y  introduire  des  méca- 
nismes qu'elle  ignorait  auparavant.  Une  pareille  tentative  se- 
rait absolument  inouïe  dans  l'histoire  des  langues.  Jamais  les 
grammairiens  n'ont  réussi  à  douer  un  idiome  de  propriétés 
étrangères  à  sa  nature.  Des  faits  nombreux  prouvent,  d'ail- 
leurs, que  les  procédés  caractéristiques  de  l'arabe  littéral 
étaient  partiellement  usités  dans  l'ancienne  langue  ^  :  i"*  Plu- 

^  Gonf.  de  Sacy,  Gramm.  arabe ,  1 1,  p.  3o5,  note,  et  p.  &o8,  note  (i**  édiL); 
Gesenius,  dans  VEncycl.  d^Erech  et  Gruber,  t.  V,  p.  65;  Derenbourg,  dins  le 
Journal  atiat.  août  i8&& ,  p.  S09  et  miiv. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL  377 

sieurs  de  ces  mécanismes  tiennent  aax  consonnes  elles-mêmes, 
et,  par  conséquent,  nont  pu  être  introduites  dans  la  langue 
avec  les  points-voyelles;  telles  sont,  par  exemple,  la  marque 
de  l'accusatif,  les  différences  des  cas  au  pluriel  et  au  duel,  la 
terminaison  particulière  du  duel,  etc.  —  s®  Lesrffexions  de 
l'arabe  littéral  sont  nécessaires  pour  expliquer  la  métrique  des 
anciennes  poésies,  métrique  dont  l'invention  ne  saurait  dans  au- 
cune hypothèse  être  regardée  conune  postérieure  au  mouvement 
des  écoles  de  Basra  et  de  Goufa.  —  3""  Dans  quelques  mots  fort 
usités,  comme 3^1 ,  ârty^l»  Ji^^»  i*  ^i  etc. ,  les  flexions  ca- 
suelles  s'expriment  par  des  lettres  quiescentes  et  s'observent 
même  dans  la  conversation.  —  k"*  L'éthiopien,  et  surtout 
l'amharique,  offrent  aussi  des  vestiges  non  équivoques  de  ces 
mêmes  flexions  ^.  —  S""  Les  renseignements  que  nous  possé- 
dons sur  les  premiers  grammairiens  nous  les  montrent  cons- 
tatant les  procédés  de  la  langue ,  mais  ne  cherchant  nullement 
à  l'enrichir  et  à  la  réformer.  —  6*  Quelques  passages  d'A- 
boulféda^  et  de  Djeuhari  '  prouvent  clairement  que  l'on  faisait 
parfois  sentir  les  voyelles  finales  dans  la  langue  de  la  conver- 
sation. —  7*  On  dit  qu'aujourd'hui  encore,  dans  l'Hedjaz, 
quelques  Arabes  observent  les  flexions  ;  mais  il  faudrait  vé- 
rifier si  le  fait  est  exact  et  si  cela  n'a  pas  lieu  par  affectation 
grammaticale.  Dans  le  Maroc,  on  emploie  aussi  quelques 
voyelles  finales,  en  particulier  des  hesra'^.  —  S""  Enfin  l'an- 
cienneté des  flexions  casuelles  a  reçu,  dans  ces  dernières  an- 
nées, une  confirmation  inattendue  du  déchiffrement  des  ins- 

• 

m 

f 

'  GeBOÛus,  dans  YEncytL  d^Endi  et  Gniber,  t  II ,  p.  1 13 ;  Ludolf,  Grtmmuir 
ika  œih.  1.  III,  c  th. 

'  AtmaUi  moêlemiei,  I,  /bSa,  &3&. 

^  S3uik,  aa  mot  J^  ;  de  Sacy ,  6rraiNm.  arabe ,  L  I ,  p.  &o8 ,  note  (  i"  édii. ). 
*  Gaottin  de  Perceval,  Gramm.  arabe  vulgaire,  p.  ig-so. 


378  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES, 

crî{)iîons  qtt  on  lit  sur  les  rochers  du  mont  Sinaî ,  déchiffrement 
que  l'on  doit  à  la  sagacité  de  M.  Tuch'.  Les  flexions  finales 
du  nominatif  et  du  génitif  sont  marquées  dans  ces  inscriptions 
par  les  lettres  quiescentes  i ,  i.  M.  Tuch  a  ingénieusement  fait 
dbserver  qu'on  trouve  une  trace  de  cet  usage  dans  le  nom 
arabe  otc^j  ou  ^utûi^  cité  dans  le  livre  de  N^iémie  (vi,  6) -. 
On  est  ainsi  amené  à  envisager  les  désinences  finales  comme 
une  particularité  antique  de  l'arabe^  qui  arriva  probablement 
assez  tard  à  une  législation  régulière  et  fut  toujours  né- 
gligée de  la  plupart  des  tribus  ^.  L^  anecdotes  racontées  par 
Ibn-Khallican  dans  la  vie  d'Aboul-Aswed  ^ ,  prouvent  que  (es 
gens  sans  instruction  ne  se  dirigeaient  dans  le  choix  de  ces 
finales  que  d'après  une  routine  assez  gro^ière.  Quand  on  con- 
naît la  fluidité  de  la  voyelle  chez  les  Arabes ,  on  ne  s'étonne 
pas  que  les  voyelles  de  jonction  iusaeot  sujatles  à  de  grandes 
inoertitudes ,  «t  que,  dans  beaucoup  de  cas,  les  porisles  aient 
pris  sur  eux  de  décider  si  c'était  dkamma^foAa  ou  ketra  qu'il 
Cedlait  employer.  En  tranchant  ces  prononciations  douteuses , 
ils  durent  souvent  attribua  à  des  voyelles  euphoniques,  qui 
savaient  d'abord  pour  objet  que  d'éviter  les  collisions  de  con- 
sonnes, des  significations  grammaticales  dont  le  peuple  n'a- 
vait qu^un  sentiment  très^ague.  Le  choix  de  la  voyelle  resta 
ainsi  une  sorte  de  délicatesse  et  de  rech^che;  au  lieu  de 
faire  sentir  nettement  un  a^  un  i  ou  un  o,  ia  plupart  des 

>  ZmUchnft  der  D.  M.  G.  t  III  (iShg),  p.  iSg.  V.  d-dessuA,  p.  393-394. 

^  Peat-étre  les  formes  Q^^D  et  03^0  au  nom  de  iVfDf  divinité  des  Ammo- 
nites,  se  rapportent^Ues  à  quelque  fleiion  analogue  à  la  numuUùm,  dont  tes  Hé- 
breux pouvaient  ne  pas  bien  saisir  la  valeur. 

^  De  môme,  en  italien,  Tusage  de  faire  sentir  ou  d^omettre  les  voyelles  finales 
{/are  oxxfary  eammmo  ou  eammmf  etc.)  dépend  des  provinces,  de  la  mode  ou  du 
caprice  de  chacun. 

«  De  Sacy,  Mém.  de  VAcad.  du  huor,  H  BeUa-LBUre» ,  l.  L,  p.  396  et  suiv. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL  379 

trikus  eo&iînuèrent  à  faire  entendre  un  e  indistinct,  sorte  de 
vojfelie  commune  que  les  langues  sémitiq^ies  emploient  pour 
presque  tous  les  sons  variables  dont  la  nature  n'est  pas  dbi- 
reaient  indiquée  par  une  quiescente.  Il  est  certain,  du  moins, 
que  les  voyelles  finales  de  Tarabe  n'ont  jamais  eu  ia  valeur 
de  véritables  déclinaisons  :  en  effet ,  elles  ne  varient  pas  selon 
la  Corme  des  noms;  elles  ne  s'écrivent  pas. comme  les  flexions 
essentielles  qui  marquent  le  genre,  le  nombre;  elles  ont 
quelque  chose  de  superficiel  et  dlnorganique.  II  n'y  a  pas ,  dans 
la  tbéorîe  gâftérale  des  langues,  de  mot  pour  exprimer  ce 
genre  particulier  d'accident  grammatical.  Le  mot  ^Sj^\ ,  par 
lequel  les  Arabes  le  désignent,,  signifie  explicatum^ ^  parce 
qu'en  réalité  ces  voyelles  légères  ne  sont  que  de  simples  ex- 
posants du  r61e  que  le  mot  joue  dans  la  phrase  :  cela  est  si 
«ni^  que,  d'après  l'opinion  des  Arabes,  le  verbe  est,  comme 
le  nom,  susceptible  d'être  dklmé,  ç'est-À-dire  de  recevoir  un 
expos»!  de  rapport 

La  flexion  finale  de  l'accusatif  '^  fait  seule  exception  au  ca- 
ractère de  faiblesse  que  présentent,  en  général,  les  désinences 
arabes.  On  la  trouve  employée  en  arabe  vulgaire,  comme  ter- 
minaison adverbiale.  L'bébreu  en  présente  aussi  des  traces 
non  équivoques,  soit  dans  le  n  paragogique  et  locatif,  nr^M, 
pefÈ  la  terre;  TtO'^lM ,  ver»  le  ciel;  soit  dans  la  terminaison  D  , 
D  des  adverbes  :  DDV,  aan,  OttfW^;  soit  même,  comme  l'a 

T  T  •  I     • 

supposé  M.  Munie ,  dans  quelques  substantifs ,  où  la  terminaison 
D  aurait  été  prise  à  tort  pour  un  affixe  ^. 

*  De  Sacy,  Gramm.  arabe,  I,  p.  990,  616. 

'  Dereidlwiirg,  /(Mm.  oiùâ.  aoAt  \8hk ,  p.  91&.  Le  ^erme  de  celte  fine  dln 
seralioB  étak  déjà  dos  Aboulurslid.  Gcnf.  Mnnk,  iMee  tir  ÀboiUwaM  ÈÊemm 
IbÊ^Djanah,  p.  ii3-ii6,  note. 

^  Munk,  ûnd.  Anx  exemples  ciiés  par  M.  Munk,  j^ajouterai  le  mol  QnB 
{7>fMm.  ▼,  ik),  où  Ton  peut  voir  tm  arabisme  caractérisé.  ^ 


380  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Ainsi,  sans  attribuer  aux  grammairiens  l'invention  des  mé- 
canismes de  l'arabQ  littéral ,  nous  reconnaissons  qu'il  y  a  dans 
ces  mécanismes  une  part  de  convention,  en  ce  sens  que  de  pro- 
cédés flottants,  indécis  ou  ne  convenant  qu'à  certains  miiis, 
les  puristes  ont  fait  des  procédés  fixes  et  réguliers.  Pour  le 
dictionnaire,  de  même,  ils  ont  sanctionné  l'intrusion  d'une 
foule  de  mots  de  toute  provenance,  que  le  peuple  n'employa 
jamais,  et  qui  firent  de  l'arabe  une  sorte  de  langue  artificielle, 
dans  le  genre  de  l'italien  académique  du  xvii*  et  du  xviii*  siè- 
cle. La  distinction  de  l'arabe  littéral  et  de  l'arabe  vulgaire  n'a 
pas  d'autre  origine.  Après  une  refonte  grammaticale ,  la  langue 
du  peuple  se  trouve  toujours  être  différente  de  celle  des  let- 
trés. Alors  seulement,  l'on  commence  à  parler  d'idiome  vul- 
gaire, par  opposition  à  l'idiome  savant.  Le  développement 
de  la  langue  est,  en  quelque  sorte,  scindé,  et  se  continue 
désormais  suivant  deux  lignes  de  plus  en  plus  divergentes, 
l'idiome  vulgaire  succédant  par  un  progrès  de  corruption  à 
l'idiome  primitif,  comme  l'idiome  savant  y  a  succédé  par  un 
progrès  de  culture.  Là  nous  semble  être  le  point  de  concilia- 
tion des  deux  hypothèses  qu'on  a  proposées  pour  expliquer  les 
rapports  de  l'arabe  vulgaire  et  de  l'arabe  littéral.  L'arabe  lit- 
téral n'est  pas,  comme  le  veulent  quelques  philologues,  un 
idiome  factice;  l'arabe  vulgaire,  d'un  autre  côté,  n'est  pas, 
comme  d'autres  l'ont  prétendu,  né  de  la  corruption  de  l'i- 
diome littéral;  mais  il  a  existé  une  langue  ancienne,,  plus 
riche  et  plus  synthétique  que  l'idiome  vulgaire ,  moins  réglée 
que  l'idiome  savant ,  et  dont  les  deux  idiomes  sont  sortis  par 
des  voies  opposées.  On  peut  compa^r  l'arabe  primitif  à  ce 
que  devait  être  la  langue  latine  avant  le  travail  grammatical 
qui  la  régularisa,  vers  l'époque  des  Scipions;  l'arabe  littéral, 
à  la  langue  latine  telle  que  nous  la  trouvons  dans  les  monu- 


LIVRE  IV.  CHAPITRE  IL  381 

ments  du  siècle  d'Auguste;  Tarabe  vulgaire,  au  latin  simplifié 
que  l'on  parlait  vers  le  vi*  siècle,  et  qui,  à  bien  des  égards, 
ressemblait  plus  au  latin  archaïque  qu'à  celui  de  Virgile  ou 
de  Gicéron. 

Quelques  circonstances,  je  ne  l'ignore  pas ,  semblent  attribuer 
au  fait  générateur  de  l'arabe  vulgaire  la  physionomie  d'une 
véritable  dissolution.  Les  historiens  arabes  donnent  pour  motif 
aux  institutions  grammaticales  qui  apparaissent  dès  la  fin  du 
vn*  siècle,  la  nécessité  d'opposer  une  barrière  à  la  corrup- 
tioû  toujours  croissante  de  l'idiome  classique.  Les  fautes  qui 
désolaient  Aboul-Âswed  étaient  des  fautes  contre  les  règles 
de  l'aiabe  littéral^.  Il  se  passa  chez  les  Arabes,  au  i"  siè- 
cle de  l'hégire ,  ce  qui  s'est  vu  toutes  les  fois  qu'une  grande 
masse  de  populations  diverses  se'  trouve  tout  à  coup  assujettie 
à  un  langage  trop  savant  pour  elle  ;  le  peuple ,  qui  ne  cherche 
qu'à  se  faire  entendre,  se  crée  un  idiome  plus  simple,  plus 
analytique,  moins  chargé  de  flexions  grammaticales.  L'arabe 
ne  sut  pas  échapper  complètement  à  la  tendance  qui  porte 
toutes  les  langues  à  se  dissoudre,  par  suite  de  l'incapacité  où  sont 
les  descendants  de  renfermer  leur  pensée  dans  les  formes  syn- 
thétiques du  langage  de  leurs  pères.  Mais  ce  qu'il  importe  de 
maintenir,  c'est  que  le  nouvel  idiome  n'arriva  jamais  à  se  faire 
considérer  conune  une  langue  distincte.  Les  Arabes  n'envisa- 
gent pas  l'arabe  littéral  et  l'arabe  vulgaire  comme  deux  lan- 
gues, mais  bien  comme  deux  formes,  l'une  grammaticale,  l'autre 
non  grammaticale ,  de  la  même  langue.  Il  y  a  d'ailleurs  de 
l'une  à  l'autre  tant  de  degrés  intermédiaires  qu'on  ne  peut 
dire  où  commence  l'arabe  vulgaire  et  où  finit  l'arabe  littéral. 

>  Voir  sa  vie  par  Ibn-KhaUican.  Gonf.  de  Sacy,  Mém,  de  fAead.  dm  huer,  «t 
fifttft-Ltfttn»,  t  L,  p.  39/b-395;  Ibn>Kha)doun ,  dans  de  Sacy,  AmhoL  grammat, 
onAe,  p.  &i6  et  suiv.  &66  et  soît. 


382  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

'  Dans  la  conTersaiion ,  il  est  vrai,  rictiome  vulgaire  a 
d'uniformité  :  il  est  de  mauvais  goût  d  y  employer  les  flexions 
de  Tarabe  littéral,  et  une  fpule  d'anecdotes  el  de  proveriies 
prouvent  l'antipathie  des  Arabes  pour  ce  genre  de  pédantisme. 
Mais  dans  le  style  écrit ,  chacun ,  selon  qu'il  a  plus  ou  Moins 
de  littérature ,  se  rapproche  de  l'arabe  littéral  pour  le  ehoîx 
des  mots  et  l'observation  des  règles  de  la  grammaire;  à  peu 
près  comme  les  Grecs  du  moyen  âge,  dès  qu'ils  prenaient  la 
plume ,  cherchaient  è  se  conCormer  à  la  langue  classique ,  ou  » 
comme  en  France  au  x*  siècle ,  on  n'avait  pas  l'idée  que  l'idiome 
vulgaire  f&t  susceptiUe  d'être  écrit.  On  peut  dire  que  la  dis- 
tinction de  l'arabe  littéral  et  de  l'arabe  vulgaire  n'est  rigou** 
reuse  que  dans  la  langue  parlée  ^  Le  style  écrit  flotte,  par  une 
infinité  de  nuances ,  entre  l'arabe  le  plus  pur  et  l'arabe  le  plus 
corrompu  :  il  y  a  le  style  tout  à  fait  n^igé  des  correspon- 
dances entre  gens  illettrés ,  qui  ne  difière  presque  pas  du  lan- 
gage vulgaire  ;  il  y  a  le  style  des  correspondances  soignées ,  des 
chansons,  des  contes,  qui  n'est  pas  encore  l'arabe  parfait,  et 
cq>endant  n'est  pas  non  plus  l'arabe  de  la  conrersation  ;  il  y 
a  enfin  le  style  tout  à  fait  grammatical ,  qu'un  petit  nombre 
d'hommes  dans  les  pays  musulmans  sont  aujourd'hui  capables 
d'écrire  avec  correction.  Au  fond,  la  principale  différence  des 
deux  langues  consistant  dans  la  manière  de  mettre  les  voyelles, 
un  même  texte  peut  être  considéré  conune  de  Tarabe  littéral 
ou  de  l'arabe  vulgaire,  selon  qu'on  le  prononce  avec  ou  sans 
les  désinences.  Il  n'y  a  pas,  ce  me  semble,  d'autre  exemple  d'un 
idiome  pouvant  ainsi  être  lu  de  deux  façons,  sans  que  cela 
influe  sur  l'orthographe  essentielle  du  discours  écrit, 

.   On  voit  donc  qu'il  n'y  a  nulle  ressemblance  entre  le  chan- 
gement qui,  de  l'arabe  littéral,  a  tiré  l'arabe  vulgaire,  et  le 

'  Gaussin  de  Percevais  Gramm.  arabe  vulg.  préf.  p*  viii. 


LIVRE  IV,  CHAFITRE  II.  âSS 

changement  qui ,  du  latin ,  a  tiré  les  langues  néo-4atines.  Dana 
ce  dernier  cas,  il  y  a  eu  décomposition  de  la  langue  ancienne 
et  apparition  d'un  idiome  nouveau.  Dans  l'arabe,  au  contraire, 
aucune  décoo^sition  analytique  n  a  eu  lieu.  L'arabe  vulgaire 
n'est  pas  de  Tarabe  littéral  désarticulé ,  si  on  peut  le  dire ,  puis 
reconsthiit  sur  un  nouveau  modèle.  Cest  une  forme  de  la 
langue  arabe  plus  simple,  plus  iiatcfle  et  plus  antique  en  un 
sens,  qui  seule  est  restée  vulgaire,  tandis  que  la  forme  litté- 
raire est  devenue  de  plus  en  plus  l'apanage  des  savants.  Nulle 
vie,  nulle  végétation  n'a  marqué  le  passage  de  Tune  de  ces 
langues  à  l'autre,  et  voilà  pourquoi,  t||dis  que  les  langues 
issues  du  latin  sont  arrivées  à  leur  tour  à  la  culture  Uttéradre, 
l'arabe  vulgaire  n'a  pas  eu  cette  fortune.  Il  n'a  pas  été  écrit, 
par  la  raison  qu'il  se  j^sentait  comme  une  variété  non  gram- 
maticale de  b  langue  commune;  or,  dès  que  l'on  écrit,  on 
trouve  tout  simple  de  le  faire  selon  les  règles.  C'est  une  des 
particularités  de  la  langue  arabe  d'admettre  ainsi  des  degrés 
dans  la  grammaire,  et  de  pennettre  de  se  soustraire  à  une 
partie  de  ses  [H^criptions.  Ibn-Kbaldoun  s'attadie  à  prouver 
que  l'on  peut,  sans  observer  les  désinences,  parier  un  arabe 
correct  et  tout  à  fait  différent  du  langage  vulgaire  des  Arabes 
dMniciliés;  il  cite,  pour  exemple,  les  Bédouins  de  son  temps, 
qui,  sans  observer  les  désinences,  parient  au  fond  l'idiome 
pur  de  Modbar^ 

svm. 

L'arabe  littéral  ou  l'arabe  écrit,  comme  toutes  les  langues 
savantes,  est  sans  dialectes;  l'arabe  vulgaire,  c'est-à-dire 
l'arabe  de  la  conversation,  parié  depuis  le  Tigre  jusqu'au  cap 
Blanc ,  ne  pouvait  manquer  d'en  avoir.  Chaque  province  a  ses 

*  De  Sacy ,  Anthoh  grmnmat.  arabe ,  p.  An,  A 1 6 ,  etc. 


38A  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

eipressions  préférées,  ses  tours  familiers,  ses  habitudes  parti- 
culières de  prononciation.  Les  divergences,  néanmoins,  sont 
assez  peu  considérables ,  et  il  faut  avouer  qu'une  langue  vul- 
gaire ,  parlée  sur  une  si  vaste  étendue  de  pays  et  offirant  un 
si  grand  caractère  d'unité,  constitue  un  phénomène  surpre- 
nant. C'est  là  la  meilleure  preuve  que  l'arabe  vulgaire  n'est 
pas ,  comme  on  a  pu  le  croire^  le  résultat  d'une  décomposition 
de  l'arabe  littéral  arrivée  vers  le  un*  siècle  :  car  si  l'idiome 
populaire  s'était  formé  à  une  époque  où  la  race  arabe  couvrait 
toute  la  surface  de  l'Asie  occidentale  et  de  l'Afrique ,  il  est  im- 
possible que  les  divMses  provinces  eussent  altéré  le  type  pri- 
mitif avec  autant  d'uniformité;  les  dialectes  du  Maroc,  du 
Soudan ,  de  l'Egypte  eussent  présenté  des  différences  bien  plus 
profondes.  Il  faut  donc  supposer  que  la  langue  commune  des 
Arabes  s'était  établie  avant  la  conquête  qui.  suivit  de  si  près  la 
prédication  de  l'islam. 

Nous  n'avons  que  des  renseignements  tle  seconde  main  sur 
les  dialectes  primitifs  de  l'Arabie.  Les  traits  qui  sont  donnés 
par  les  historiens  et  les  grammairiens  comme  caractéristiques 
de  chaque  tribu,  telles  que  Vanana  de  Témim,  le  teUéla  de 
Behra,  le  keskésa  de  Bekr,  etc. S  ne  sont,  pour  la  plupart, 
que  des  fautes  provinciales.  La  tradition  relative  à  la  forma- 
tion du  dialecte  koreischite,  déjà  rapportée  (p.  Sai-Sây), 
prouve,  toutefois,  que  l'arabe  était  loin  d'avoir  atteint  avant 
Mahomet  l'unité  qu'il  présenta  plus  tard.  Les  circonstances  de 
la  rédaction  du  Coran  (p.  3  AS)  sont  plus  frappantes  encore 
et  établissent  clairement  que  la  langue,  vers  le  milieu  du 
vii"  siècle,  n'avait  pas  d'ortho^aphe  universellement  acceptée. 
Les  lexicographes  arabes  et  les  commentateurs  des  poésies 

*  Voir  le  passage  de  Soyouthi ,  cité  plus  haut,  p.  daS ,  note ,  et  le  fragment  de 
Hariri,  publié  par  M.  de  Sacy,  AnihoL  gramm,  arabe ,  p.  /ilo-6i  i. 


LIVRE  IV,  CHAPITRE  IL  385 

anté-islamiques  founliraient  beaucoup  de  données  sur  les  dia- 
lectes des  tribus,  et  Tai^ct  seul  des  dictionnaires  arabes  in- 
dique suffisamment  que  des  éléments  de  provenance  fort  oppo- 
sée y  sont  recueillis.  En  tout  cas ,  ces  diversités  primitives  n'ont 
laissé  aucune  trace  dans  la  langue  que  les  musulmans  portèrent 
avec  eux  jusqu  aux  extrémités  du  monde ,  et  les  variétés  assez 
légères  qui  séparent  de  nos  jours  les  dialectes  arabes  n'ont 
guère  de  relation  avec  les  anciens  idiomes  de  l'Arabie. 

Les  dialectes  d'Arabie,  de  Syrie,  d'Egypte  n'offirent  entre 
eux  aucune  différence  grammaticale  ;  un  petit  nombre  de  locu- 
tions employées  communément  dans  telle  province,  et  inusitées 
quoique  le  plus  souvent  comprises  dans  une  autre,  forment 
presque  la  seule  nuance  qui  les  sépare.  Le  dialecte  de  l'Ara- 
bie est  le  plus  pur  de  tous.  A  la  cpur  de  Sana  dans  l'Yémen,  et 
parmi  les  Bédouins  du  désert  (^lf;«It  ç^),  on  parie,  ditr-on, 
une  langue  fort  rapprochée  de  Tarabe  littéral.  Nous  avons  déjà 
insisté  plus  d'une  fois  sur  ce  rôle  conservateur,  en  quelque 
sorte,  que  joue  le  désert  à  l'égard  de  la  race  arabe.  M.  d'Es- 
cayrac  de  Lauture  -a  été  frappé  de  trouver  au  Soudan  l'isla- 
misme bien  moins  altéré  de  superstitions  et  l'arabe  parlé 
avec  plus  de  pureté  que  dans  les  villes  de  l'Orient  ^  La  vie 
nomade  prête  singulièrement  aux  raffinements  de  la  parole, 
et  fait  accorder  un  grand  prix  à  l'éloquence  et  à  la  beauté  du 
discours. 

Le  dialecte  de  Barbarie  présente  des  particularités  plus  carac- 
térisées, mais  cpii  ne  vont  pas  jusqu'à  le  rendre  inintelligible 
pour  les  habitants  de  l'Arabie,  de  la  Syrie  ou  de  TÉgypte.  11  est 
remarquable ,  du  reste ,  que  ces  différences  proviennent  non  de 
modifications  intérieures  et  organiques,  mais  de  concrétions 
purement  extérieures.  Ainsi  en  Syrie  et  en  Egypte,  on  ajoute 

'  Le  dé$ert  et  le  Sondan ,  p.  ao& ,  a63 ,  34 1 . 

I.  25 


386  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

à  Taoriste  un  v  o^  ^^  f  '•  h"^*^!  v^s^^*  En  Barbarie,  le 
présent  se  marque  par  un  «f),  t^^^j  ou  par  la  particule  [;, 
suivie  de  Taffixe,  i^^^  >|;^;  en  Orient  par  l'addition  du  mot 
I>fr .  Le  rapport  d'annexion  ou  de  possession  se  rend  en  Bar- 
barie par  ^Isu  ou  jLd;  en  Orient  par  JL^  ou  JU. 

En  dehors  des  quatre  types  que  nous  venons  ée  nommer, 
et  qui ,  si  l'on  excepte  celui  de  Barbarie ,  méritent  à  peine  le 
nom  de  dialectes,  il  n'y  a  dans  la  langue  arabe  que  des  va- 
riétés locales.  L'étude  de  ces  variétés ,  hors  de  l'Arabie ,  n'au- 
rait, ce  semble,  que  peu  d'intérêt.  L'arabe  a  conservé  partout 
une  sorte  d'incorruptibilité;  nulle  part  il  n'a  formé  de  p»- 
tois  proprement  dits  :  le  peuple,  en  Orient,  s'exprime  avec 
correction,  et  ne  parie  point,  comme  les  gens  de  nos  cam- 
pagnes,  un  jargon  composé  de  barbaârismes ^.  Quelques  mots 
turcs,  francs  ou  berbers  troublent  seuls  la  pureté  de  TidioiDe 
primitif.  Si  l'influence  française,  s'exerçant  en  Asie  par  les  li- 
vres et  les  termes  scientifique»,  en  Afrique  par  la  conquête^ 
semble  devoir  porter  un  coup  plus  grave  à  l'intégrité  de  l'a- 
rabe, ce  préjudice  sera  amplement  compensé  par  la  renais- 
sance qui,  dans  les  pays  musulmans,  semble  s'opérer  sous  les 
auspices  de  la  France.  La  France  rendant  aux  nations  arabes 
une  culture  intellectuelle ,  les  ramenant  à  leur  pn^re  gram- 
maire qu'elles  avaient  oubliée ,  leur  imprimant  des  journaux  et 
des  livres,  voilà  certes  un  fait  qui  figurera  dans  l'histoire  des 
langues  sémitiques ,  et  dont  l'importance  ne  nous  échappe  que 
parce  qu'il  est  encore  trop  rapproché  de  nous.  L'Angleterre, 
d'un  autre  côté,  fait  beaucoup  pour  l'étude  de  l'arabe  dans 
ses  possessions  de  l'Hindoustan,  et  ce  n'est  pas  un  des  traits 
les  moins  propres  à  mettre  en  relief  la  destinée  singulière  de 

*  Voy.  A.  P.  Pihan ,  Élément»  de  la  langue  algérienne  (Paris,  1 85i)  «  p.  ho-U  i . 
'  GauBsin  de  Perceval,  Gramm.  arabe  vulg.  préf.  p.  tii-vhi. 


Li.VRE  IV,  GHAPITRB  IL  387 

r Arabie,  que  de  voir  Tklîoiae  de  Koreificii  revivre,.  eiHse  des 
msÀM  enropéenaesy  à  ^ger  et  à  Cidcatta! 

L'arabe,  qui  exerça  une  action  «i  ptofonde  sur  la  «langue 
des  peuples  asBujeUBs  à  rislanfisme,  a  très-peu  subi,  en  gé* 
néral ,  Tiafluenoe  des  langues  indigènes ,  dans  les  pays  qu'iicon*- 
quit.  La  raee  arabe,  si  ce  n'est  en  fi^gne,  ne  se  mâla  guère 
aux  peuples  vaiueus.  A  peine  citeraitHin  un  ou  deux  exemjdes 
de  dialectes  ard>es  tout  à  fait  défigurés  par  le  mélange  âté- 
lémeats  barbares.  La  physionomie  assez  distincte  du  dialecte 
tnapmtle,  sur  la  côte  de  Malabar,  vient  de  ce  que  l-émigration 
séflditique  sur  ee  point  eut  lieu  k  des  ^ques  trèsndiveraes  ^.  S'il 
se  produisît  ailleurs  des  adtérations  Garacténsées,^ce  fut  tou- 
jours par  le  fait  des  races  étrangères  qui  avaient  adopté  fislar- 
raisme,  et  non  par  le  fait  de  la  race  arabe  elle-même.  Ainsi, 
dans  TEi^gne  méridionale,  la  langue  arabe  étant  devenue 
celle  de  la  population  chrétienne  se  corrompit  et  forma  le  me- 
$tarobey  qui  a,  dit-On,  survécu  jusqu'au  dernier  siède  dans  les 
montagnes  de  Grenade  et  de  Sierra  Morena. 

Le  maltais  offre  un  autre  exemple  de  ces  patois  mélangés. 
Le  grand  nombre  de  langues  qui  se  sont  croisées  sur  le  sol  de 
rtle  de  Malte  a  pu  donner  te  vertige  aux  anciens  linguistes , 
qui  ont  voulu  tour  à  tour  retrouver  dans  le  maltais  la  langue 
des  différents  possesseurs  de  l'tle,  et,  en  particulier,  le  phéni- 
cien. C'est  le  sort  de  ces  petites  terres  isolées,  espèces  d'hôtel- 
leries, qui  ne  sont  pas  des  patries,  de  changer  de  langage 
suivant  les  hôtes  qui  s'y  succèdent ,  et  dont  chacun  y  laisse 
des  traces  de  son  passage.  Que  le  phénicien  et  le  carthaginois 
aient  été  longtemps  parlés  à  Malte,  c'est  ce  que  les  nombreux 
monuments  phéniciens  trouvés  sur  le  sol  de  l'tle  suffiraient  à 

'  Gonf.  Adelung,  Mithridate,  I,  âisi;  Baibi,  Atku  ethnographique,  3'  tabi. 
V.  ci-demis,  p.  267. 

:»5. 


388  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

prouver.  Mais  le  patois  auqaei  on  donne  de  nos  jours  le  nom 
de  maUais,  et  qui  n'est  plus  paiië  que  dans  les  campagnes 
(dans  les  villes  on  parie  anglais  ou  italien ),  n'est  que  de  l'a- 
rabe mêlé  d'italien,  d'allemand,  de  provençal.  Il  se  rapproche 
par  ses  idiotismes  spéciaux  de  l'arabe  du  nord  de  l'Afrique  ^ 
Ainsi  l'habitude  de  prononcer  l'a  long  conune  un  t  (&tô  =  vL) 
vient  certainement  de  Yimâlé  si  familier  aux  Mogrebins^.  L'em- 
ploi de  l'alphabet  italien  et  l'adoption  de  mots  étrangers  ont 
fait  du  maltais  un  jargon  très-barbare.  Des  mots  conune  libe- 
rana ,  «  délivre-nous  »  ;  ieruinah  (  futur  avec  préfixe  arabe  du 
verbe  ruinare)^  sont  des  monstres  tels  qu'on  en  chercherait  vai- 
nement dans  les  dialectes  dont  nous  avons  parcouru  l'histoire. 
Le  maltais  est,  avec  quelques  langues  de  i'Abyssinie,  le  seul 
exemple  qu'on  puisse  citer  d'un  dialecte  sémitique  tout  à  fait 
altéré,  et  ayant  admis  dans  son  sein  une  grande  masse  d'élé- 
ments hétérogènes  :  le  caractère  propre  des  langues  sémitiques 
est,  en  général,  de  recevoir  très-peu  de  chose  des  autres  et 
de  rester  presque  fermées  aux  influences  du  dehors. 

'  Gonf.  Michdantonio  Yassalli,  Grammatiea  deUa  Ungua  maUe$ê  (  Malte,  1837); 
Gesenios,  Venueh  wber  die  MàUeniche  Spraehe.  Beitrag  zur  arabiêchm  DiaJêkto- 
logie  (Leipng,  1810),  et  dans  VEneyel  d^Erach  et  Gruber,  t  Y,  p.  67  .et  aoiv.; 
de  Sacy,  Journal  du  SawmU,  avril  1899. 

*  De  Sacy,  Gramm,  arabe,  1 1,  p.  4i,  oole  (9*  édit). 


LIVRE  CINQUIÈME. 


GONCLDSIONS. 


CHAPITRE   PREMIER. 


LOIS  GÉNÉRALES  DU  DÉVELOPPEMENT  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 


S  I. 

Les  langues  sémitiques  ont»  au  point  de  vue  de  la  philo- 
logie comparée  9  l'avantage  d'offrir  à  l'observation  un'dévelop- 
pement  complet  et  définitivement  achevé.  Les  langues  indo- 
européennes continuent  encore  leur  vie  de  nos  jours  sur  tous  les 
points  du  globe ,  comme  par  le  passé  ;  les  langues  sémitiques , 
au  contraire  »  ont  parcouru  le  cercle  entier  de  leur  existence. 
On  peut  dire  qu'à  partir  du  xiv*  siècle,  depuis  la  disparition 
du  syriaque  et  du  ghez,  et  les  derpières  conquêtes  de  l'arabe 
en  Orient,  les  langues  sémitiques  n'ont  plus  d'histoire.  Il  y 
a  dans  le  mouvement  général  de  ces  langues  une  tendance 
secrète  vers  l'unité.  Nous  avons  déjà  vu  l'araméen ,  dans  les 
siècles  qui  précèdent  l'ère  chrétienne,  absorber  les  dialectes 
antérieurs  et  réaliser  l'unité  de  la  famille  sémitique ,  l'Arabie 


390  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

exceptée.  A  Tépoque  de  la  conquête  musulmane,  il  n*y  avait 
plus  guère  que  deux  langues  sémitiques ,  Taraméen  et  Farabe  : 
l'arabe,  à  son  tour,  absorbe  les  dialectes  de  l'Aramée  et  reste 
ainsi  Tunique  représentant  du  sémitisme.  De  U  ce  fait,  ab- 
solument unique  en  philologie,  d'une  famille  de  langues  se 
réduisant  avec  le  temps  à  un  seul  idiome,  qui  en  est,  en  quel- 
que sorte ,  le  résumé  et  l'expression  la  plus  parfaite.  A  l'heure 
qu'il  est ,  tout  ce  qui  9  écrit  de  sémitique  dans  le  monde  s'écrit 
sans  la  plus  légère  nuance  de  dialecte  :  les  idiomes  parlés 
eux-mêmes  diffèrent  assez  médiocrement  l'un  de  l'autre.  C'est 
là,  dis-je,  un  fait  étrange  et  qui  ne  pouvait  se  produire  que 
dans  une  fami&e  aussi  persistante  que  la  famille  sémitique.  Si 
les  langues  sémitiques  avaient  eu,  comme  les  langues  indo- 
européennes, la  facilité  de  former  des  langues  analogues  aux 
langues  néo-latines,  une  telle  absorption  n'eût  pas  été  pos- 
sible, ou  du  moins  l'arabe  se  fût  altéré  dans  la  bouche  de 
ceux  qui  l'avaient  adopté,  et  la  variété  eût  reparu  dans  les 
dialectes  dérivés.  Mais  la  famille  sémitique  devait  conserver 
jusqu'au  bout  ce  caractère  de  roideur  métallique,  si  j'ose  le 
dire,  qui  a  empêché  dans  son  sein  toute  vie  intérieure  déve- 
loppée. 

Quand  on  compare  les  idiomes  sémitiques,  indépendam- 
ment de  l'ordre  successif  dans  lequel  ils  nous  apparaissent,  on 
est.  frappé  de  l'étvoke  harmonie  qui  règne  entr^  leur  physio- 
nomie respective  et  la  situation  géographique  des  peuples  qui 
les  ont  pariés;  La  différence  que  produisent  à  cet  égard  quel- 
ques degrés  de  Ulitude  est  vraimeût  surprenante*  VaraméOi, 
parlé  au  nerd ,  est  pauvre ,  sans  harmonie ,  sans  formes  multi- 
pliées, louiHi  dans  ses  constructioiis,  dénué  d'aptitude  pour  la 
poésie ,  qui,  en  effet,  &'est  k  peine  fait  enlettdre  dans  ce  rude 
idiome.  V arabe,  au  contraire,  placé  à  .fautre  extrémiié,  se 


LIVRE  V,  CHAPITRE  I.  391 

distingue  par  une  incroyable  richesse;  à  tel  point  que  l'on  se- 
rait tenté  de  voir  quelcpie  surabondance  dans  l'étendue  presque 
indéfinie  de  son  dictionnaire  et  le  labyrinthe  de  ses  flexions 
grammaticales.  VhAreu  enfin,  placé  entre  ces  deux  extrêmes, 
tient  également  le  milieu  entre  leurs  qualités  opposées  ^  :  il  a 
le  nécessaire,  mais  rien  de  superflu;  il  est  limpide  et  facile, 
mais  sans  atteindre  à  la  merveilleuse  flexibilité  de  larabe.  Les 
voyelles  y  sont  disposées  dans  une  juste  proportion ,  et  s*en* 
tremettent  avec  mesure  pour  éviter  les  articulations  trop  ru- 
des ,  tandis  que  l'araméen ,  recherchant  généralement  la  forme 
monosyllabique,  ne  fait  rien  pour  éviter  les  chocs  de  con- 
sonnes, et  qu'en  arabe,  au  contraire,  les  mots  semblent,  à  la 
lettre ,  nager  dans  un  fleuve  de  voyelles ,  qui  les  déborde  de 
tontes  parts,  les  suit,  les  précède,  les  unit,  sans  permettre 
aucune  de  ces  rencontres  que  tolèrent  les  langues  d'ailleurs 
les  plus  harmonieuses.  Le  verbe,  par  exemple,  monosylla* 
bique  «n  araméen  (  ktal) ,  dbsyllabique  en  hébreu  (  kaial)  de- 
vient trissytiabique  en  arabe  [kaUda).  Enfin,  il  est  une  foule 
de  procédés  grammaticaux  qui  n'existent  pas  dans  l'araméen , 
sont  en  germe  dans  l'hébreu ,  et  ont  acquis  dans  l'arabe  tout 
leur  développement.  Si  l'on  s'étimne  de  rencontrer  de  si  fortes 
variétés  de  caractère  entre  des  idiomes  pariés  dans  une  région 
géographique  aussi  peu  étendue,  qu'on  se  rappelle  les  dia- 
lectes grecs ,  qui ,  sur  un  espace  bien  plus  restreint  encore , 
présentaient  des  différences  non  moins  profondes;  la  dureté 
et  la  grossièreté  du  dorien  à  côté  de  la  mollesse  ionienne, 
voiUi  les  contrastes  qu'on  trouvait  à  quelques  lieues  de  dis- 
tance chez  un  peuple  éminemment  doué  du  sentiment  des 
diversités. 

'  Gonf.  Ewdd,  Grammattk  der  héhr,  Spraehe,  p.  i-^;  Gesenius,  Getch.  der 
Mr.  ^rra^,  %  16. 


393  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

.  C'est  dans  les  circonstances  historiques,  en  effet,  bien  plus 
encore  que  dans  celles  du  climat,  qu'il  faut  chercher  les 
causes  efficaces  de  la  variété  des  langues.  Si,  d'un  côté,  les  ca- 
ractères de  famille  sont  immuables^  s'il  est  vrai,  par  exemple, 
qu'une  langue  sémitique  ne  pourra  jamais,  par  aucune  série 
de  développements,  atteindre  les  procédés  essentiels  des  lan- 
gues indo-européennes ,  d'un  autre  côté ,  dans  l'intérieur  des 
familles,  tout  est  flottant,  sans  moule  arrêté,  sans  limites  ab^ 
solues.  Les  familles  de  langues  se  montrent  à  nous  comme 
des  types  nettement  définis  et  réduits  à  disparaître  ou  à  rester 
ce  qu'ils  sont;  au  contraire,  chacun  des  individus  qui  les  com- 
posent a  la  faculté  de  développer  les  germes  qu'il  porte  en 
lui,  et,  sans  sortir  du  système  général  auquel  il  appartient, 
d'admettre  les  modifications  que  le  temps,  le  climat,  les  évé- 
nements politiques,  les  révolutions  intellectuelles  et  religieuses 
peuvent  exiger.  C'est  pourquoi,  tout  en  établissant  dans  les 
grandes  familles,  surtout  dans  la  famille  indo-européenne  et 
dans  les  rameaux  les  plus  compréhensifs  de  cette  famille ,  dès 
groupes  naturels  et  réellement  distincts  y  il  faut  renoncer  à 
chercher  dans  les  dialectes  secondaires  des  individualités  ca- 
ractérisées et  permanentes.  Pour  ne  parier  que  de  la  famille 
sémitique,  combien  ne  serait-il  pas  inexact  d'envisager  les 
langues  qui  la  composent  comme  des  êtres  identiques  à  eux- 
mêmes  pendant  toute  la  durée  de  leur  existence ,  lorsque  nous 
voyons  ces  idiomes,  depuis  leur  origine  jusqu'à  nos  jours,,  s'ac- 
commoder par  une  série  de  combinaisons  infinies  à  Tétat  in- 
tellectuel des  peuples  qui  les  ont  parlés!  Je  ne  fais  pas  de 
doute  que  l'ancien  arabe  ne  ressemblât  beaucoup  plus,  par 
sa  physionomie  générale,  à  l'hébreu  qu'à  l'arabe  littéral.  Il 
existe  un  certain  nombre  de  dialectes  flottants,  si  j'ose  le  dire , 
tels  que  le  phénicien,  le  samaritain,  le  syro-chaldaîque ,  le 


LIVRE  V,  CHAPITRE  I.  393 

palmyrénien ,  le  nabatéen ,  les  diverses  formes  de  Tidiome  rab* 
binique ,  qui ,  suivant  les  époques ,  se  rapprochent  de  Tara- 
méen,  de  l'hébreu,  de  l'arabe  même ,  et  que  l'on  peut  presque 
à  volonté  ranger  dans  l'une  ou  l'autre  de  ces  catégories.  Toute 
la  famille  sémitique  ressemble  à  un  tableau  mouvant ,  où  les 
masses  de  couleurs,  se  fondant  l'une  dans  l'autre,  se  nuan- 
ceraient, s'absorberaient ,  s'étendraient,  se  limiteraient  par  un 
jeu  continu.  C'est  une  action  et  mxe  réaction  réciproques,  un 
échange  de  parties  conununes,  une  végétation  sur  un  tronc 
conamun,  où  chacun  des  rameaux  isolés  s'assimile  tour  à  tour 
les  parties  qui  ont  servi  à  la  vie  de  l'ensemble,  s'accrott, 
fleurit,  se  dessèche,  meurt,  jselon  que  des  causes  extérieures 
favorisent  ou  arrêtent  son  développement. 

Dresser  une  fois  pour  toutes  la  statistique  d'une  famille  de 
langues,  en  assignant  d'une  manière  absolue  à  chacun  des 
idiomes  qui  la  composent  son  individualité  distincte ,  est  donc 
une  méthode  aussi  peu  philosophique  que  si,  pour  écrire  l'his- 
toire universelle ,  on  faisait  successivement  l'histoire  de  France , 
d'Italie,  d'Espagne,  et  qu'on  prétendit  trouver  dans  ces  an- 
nades,  prises  à  part,  des  ensembles  complets  et  parfaitement 
homogènes.  La  création  et  l'extinction  d^  idiomes  ne  se  fait 
pas  à  un  moment  précis  ni  par  un  acte  unique,  mais  par  d'in- 
sensibles changements,  au  milieu  desquels  le  point  de  tran- 
sition est  insaisissable.  Sans  doute,  il  y  a  un  certain  moule 
imposé ,  d'où  une  langue ,  quelles  que  soient  ses  transforma- 
tions, ne  peut  jamais  sortir;  mais  ce  moule  n'est  autre  que  le 
type  de  la  famille  à  laquelle  la  langue  appartient,  et  dont  au- 
cun effort  ne  saurait  l'affranchir.  Qu'après  toutes  ses  trans- 
formations ,  on  dise  que  la  langue  est  différente  ou  qu'elle  est 
la  même,  ce  n'est  là  qu'une  question  de  mots,  dépendant  de 
la  manière  plus  ou  moins  étroite  dont  on  entend  l'identité  : 


39A  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

l'être  vivant  qui,  par  un  intime  renouvellement,  a  changé 
plusieurs  fois  d'atomes  élémentaires ,  est  encore  le  même  être , 
parce  qu'une  même  forme  a  toujours  présidé  à  la  réunion  de 
ses  parties. 

Les  vues  de  Geoffroy  Saint-Hilaire  sur  la  dégradation  des  types 
sont  encore  plus  applicables  à  la  linguistique  qu'à  l'histoire  na- 
turelle. De  même  que  dans  le  règne  animal,  l'en  voit  un  or- 
gane très-développé  chez  une  espèce  diminuer  insensiblement 
chez  les  espèces  voisines  et  arriver  à  n'être  plus  qu'un  rudi- 
ment méconnaissable,  qui  finit  par  disparaître  à  son  tour  dans 
l'échelle  des  êtres;  de  même  la  philologie  démontfe  que  les 
procédés  grammaticaux  ont  leur  région  linguistique  et  s'éva- 
nouissent d'une  langue  à  l'autre  par  des  dégradations  suc- 
cessives. Tel  mécanisme  qui  dans  un  idiome  donné  offre  un 
développement  considérable ,  perdant  peu  à  peu  de  son  impor- 
tance, arrivera  dans  d'autres  langues  de  la  même  famille  à 
n'être  plus  qu'un  germe  insignifiant.  Souvent  même  ce  germe 
rudimentaire  devra  être  cherché ,  non  pas  dans  les  organes  qui 
semblent  parallèles ,  mais  en  suivant  des  analogies  plus  se- 
crètes. La  main,  instrument  de  préhension  chez  l'homme,  de- 
vient pied  chez  le  quadrupède,  aile  chez  le  cheiroptère,  tandis 
que  chez  l'oiseau  et  le  poisson  die  est  réduite  à  peu  de  chose 
ou  défigurée  ;  le  bras ,  au  contraire ,  devient  aile  chez  l'oiseau , 
nageoire  chez  le  poisson.  Les  fonctions  subissent  souvent  dans 
les  langues  des  interversions  non  moins  bizarres.  Ainsi,  les 
formes  du  verbe  sémitique ,  qui  semblent  analogues  aux  ffoix 
des  verbes  grecs  et  latins,  n*y  répondent  pas  en  réalité,  mais 
bi^  à  des  procédés  qui ,  dans  les  langues  indo-européannes , 
n'ont  qu'une  importance  secondaire,  tds  que  l'itératif,  le  fiic- 
titif ,  etc.  L'expression  des  temps  et  des  modes ,  pour  laquelle 
les  langues  ariennes  déploient  tant  de  ressources,  ne  se  fait 


LIVRE  V,  CHAPITRE  I.  395 

qu'indirectement  dans  les  langues  sémitiques  par  Temploi  des 
deux  aoristes  et  par  les  temûnaisons  finales  de  l'aoriste  se- 
cond. L'immense  variété  des  moyens  par  lesquels  les  races 
diverses  ont  résolu  le  problème  du  langage ,  et  b  prodigieuse 
souplesse  avec  laquelle  elles  ont  tiré  parti  des  mécanismes 
les  moins  ressemblants  entre  eux  pour  rendre  les  mêmes  caté- 
gories, sont  le  p^étuel  objet  de  Tadmiration  du  linguiste, 
et  la  meilleure  preuve  de  lunité  psychologique  de  l'espèce 
humaine ,  ou  pour  mieux  dire  du  caractère  nécessaire  et  absolu 
des  notions  fondamentales  de  l'esprit  humain. 

S  IL 

Les  langues  doivent  donc  être  comparées  aux  êtres  vivants 
de  la  nature ,  et  non  à  ce  règne  immuable ,  où  la  matière  et 
la  forme  participent  au  même  caractère  de  stabilité ,  où  l'ac- 
croissement se  fait  par  a^omération  extérieure ,  et  non  par 
intussusception  ;  leur  vie ,  comme  celle  de  l'homme  et  de  l'hu- 
manibé,  est  un  acte  d'assimilation  intérieure,  une  circulation 
nta  interrompue  du  dehors  au  dedans  et  du  dedans  au  dehors , 
un  fieri  perpétuel.  Quant  aux  formules  mêmes  de  leur  déve- 
loppement, rien  n'est  plus  difficile  que  de  prononcer  à  cet 
^;ard  des  aphorismes  absolus.  Les  lois  qui  ont  présidé  aux 
révolutions  d'une  famille  de  langues  ne  se  vérifient  pas  tou- 
jours dans  les  autres.  U  faut  avouer,  par  exemple ,  qu'on  ten- 
terait vainement  de  retrouver  dans  l'histoire  des  langues 
sémitiques  la  plupart  des  principes  les  mieux  établis  par  l'é- 
tude des  langues  indo-européennes.  Sur  une  foule  de  points, 
1^  langues  sénâtiques  paraissent  avoir  suivi  une  ligne  tout 
exposée;  c'est  ici  un  fait  très4mportant  pour  l'histoire  de 
l'esprit  huçiain,  et  qui  réclame  de  nous  une  attention  parti- 
culière. 


396  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Une  des  lois  qui  s'observent  le  plus  généralement  dans 
les  diverses  familles  de  langues,. et  surtout  dans  les  langues 
ariennes,  est  celle  qui  place  à  l'origine  la  synthèse  et  la  com- 
plexité ^  Bien  loin  de  se  représenter  l'état  actuel  comme  le 
développement  d'un  germe  primitif  moins  complet  et  plus 
simple  que  l'état  qui  a  suivi ,  les  plus  profonds  linguistes  sont 
unanimes  pour  placer  à  l'enfance  de  l'esprit  humain  des  lan- 
gues synthétiques,  obscures,  compliquées,  si  compliquées  même 
que  c'est  le  besoin  d'un  langage  plus  facile  qui  a  porté  les  gé- 
nérations postérieures  à  abandonner  la  langue  savante  des 
ancêtres.  Il  serait  possible ,  en  prenant  l'une  après  l'autre  les 
langues  de  presque  tous  les  pays  où  l'humanité  a  une  histoire , 
d'y  vérifier  cette  marche  constante  de  la  synthèse  à  l'analyse. 
Partout  une  langue  ancienne  a  fait  place  à  une  langue  vul- 
gaire, qui  ne  «constitue  pas,  à  vrai  dire,  un  idiome  nouveau, 
mais  plutôt  une  transformation  de  celle  qui  l'a  précédée  :  celle- 
ci  ,  plus  savante ,  chargée  de  flexions  pour  exprimer  les  rapports 
infiniment  délicats  de  la  pensée,  plus  riche  même  dans  son 
ordre  d'idées,  bien  que  cet  ordre  fût  comparativement  moins 
étendu,  image,  en  un  mot,  de  la  spontanéité  primitive,  on 
l'esprit  accumulait  les  éléments  dans  une  confuse  unité,  et 
perdait  dans  le  tout  la  vue  analytique  des  parties  ;  le  dialecte 
moderne,  au  contraire,  correspondant  à  un  progrès  d'analyse, 
plus  clair,  pkis  explicite,  séparant  ce  que  les  anciens  assem- 
blaient, brisant  les  mécanismes  de  l'ancienne  langue  pour 
dojmer  à  chaque  idée  et  à  chaque  relation  son  expression 
isolée. 

Peutron  dire  que  cette  loi,  qui  s'observe  d'une  manière  si 
frappante  dans  la  succession  du  pâli,  de  l'hindoui  et  dés  dia- 

'  J^ai  pitts  longuement  développé  ceci  dans  mon  essai  sur  ï  Origine  du  langage , 
p.  ig  et  suiv.  (Paris,  i8â8). 


trVRE  V,  CHAPITRE  I.  397 

lecies  modernes  de  l'Inde  au  sanscrit,  du  néo-persan  au  pehlvi 
et  an  zend ,  de  Tarmémen  et  du  géorgien  modernes  à  l'armé- 
oien  et  au  géorgien  antiques ,  du  grec  moderne  au  grec  ancien , 
des  langues  néo-latines  au  latin,  soit  universelle,  absolue,  et 
domine  également  toutes  les  familles  d'idiomes?  «En  fait  de 
langues ,  dit  Guillaume  de  Humboldt ,  il  faut  se  garder  d'asser- 
tions générales.»  L'aïiome  que  nous  venons  d'énoncer  souffre 
de  graves  exceptions,  reconnues  par  ceux^mémes  qui  l'ont  for- 
mulé. Fr.  Schlegel  n'ose  l'appliquer  à  certaines  langues  res- 
tées à  un  degré  inférieur  de  culture  ;  Abel-Rémusat  et  G.  de 
Humboldt  en  ont  également  excepté  la  langue  chinoise  ^ 
Nous  croyons  que,  sous  plusieurs  rapports,  les  langues  sémi- 
tiques doivent  participer  à  la  même  exception.  En  effet,  loin 
que  chez  elles  la  complication  soit  primitive ,  plus  on  remonte 
vers  leur  origine,  plus  elles  nous  apparaissent  avec  un  carac- 
tère de  simplicité  ;  au  contraire,  plus  on  s'éloigne  de  leur  ber- 
ceau ,  plus  elles  se  complètent  et  s'enrichissent.  Ceci  n'est  point 
une  hypothèse  relative  à  des  temps  anté-historiques ,  et  dont  la 
démonstration  doive  être  cherchée  en  dehors  des  faits  actuels 
de  la  langue.  Je  ne  parie  point  de  ces  inductions  hardies  au 
moyen  desquelles  on  cherche ,  avec  plus  ou  moins  de  probabi- 
lité, à  remonter  de  l'état  des  langues  sémitiques  qui  nous  est 
donné  par  les  plus  anciens  monuments  à  un  état  antérieur  plus 
simple  encore.  La  comparaison  des  langues  sémitiques,  telles 
que  nous  les  connaissons,* prouve  :  i""  qu'elles  sont  fort  inéga- 
lement développées,  ù^  que  celles-là  le  sont  davantage  qui 
ont  vécu  plus  longtemps  et  ont  pu  recueillir  les  acquisitions 
d'un  plus  grand  nombre  de  siècles.  Ainsi,  l'hébreu  serait  in- 
dubitablement arrivé  à  une  richesse  comparable  à  celle  de 

'  3dAege\,PkUo§ophiÊeke  VcrU$mtgmimbeê(mdereêberFliiloMphùdêrSpraehe 
(Vienne,  i83o),  p.  67;  Humboldt,  Lettr€  à  Àbel-Rémutût y  p.  78  et  sinv. 


398  HISTOIRE  I>ES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Tarabe ,  s'il  eût  fourni  une  aossi  longue  carrière  lat  iravorsë 
d*au8fti  favorables  circonstances.  L'hébreu  dit  rabbinique  en 
est  la  preuve;  seulement  le  dévdoppement,  au  lieu  d'être  un 
progrès,  est  devenu,  dans  cette  langue  artificielle  et  eidue  de 
l'usage  vivant  du  peuple ,  un  véritable  chaos.  L'hébreu  ancien 
possède  en  germe  presque  tous  les  procédés  qui  font  la  richesse 
de  l'arabe  ^  La  plupart,  il  est  vrai,  de  ces  procédés  manquent 
dans  l'araméen ,  qui  pourtant  a  plus  vécu  que  l'hébreu ,  mais 
dont  la  pauvreté  doit  être  attribuée  à  d'autres  causes,  comme 
il  a  été  ci-dessus  démontré^. 

Une  comparaison  attentive  des  Cormes  grammaticales  dans 
les  diverses  langues  sémitiques  prouverait  que  toutes  les  fonc- 
tions organiques  de  ces  langues ,  qui  n'ont  pas  subi  d'atrophie 
an  moment  même  de  la  formation  des  dialectes ,  ont  toujours 
été  se  développant  et  acquérant  plus  d'importance.  Les  formes 
du  verbe ,  au  nombre  de  trois  en  araméen ,  sont  au  nombre 
de  cinq  en  hébreu  et  au  nombre  de  neuf  en  arabe,  parce 
que  l'araméen,  dès  son  origine,  semble  s'être  coupé  la  voie 
du  progrès  dans  ce  sens  et  s'être  rigoureusement  limité  aui 
formes  essentielles  [kal,  pihel  ei  hiphil).  Mais  les  mécanismes 
qu'il  a  conservés ,  il  les  a  poussés  bien  au  delà  de  l'hébreu  : 
ainsi,  Vhithpahel  (cinquième  forme  des  Arabes),  qui  ne  joue  en 
hébreu  et  en  arabe  qu'un  rôle  secondaire ,  a  pris  une  prodigieuse 
extension  dans  l'araméen.  Le  procédé  qui  consiste  à  donner  un 
passif  è  chaque  forme  par  le  simple  changement  des  voyelles. 


*  €onf.  Gesenios,  Lehrg^fœudey  Vorr.  p.  tii. 
^  L.  II,  c.  1,  S  1  etc.  i]i,S3;l.  V,  c.  i,S  i« 

*  On  en  admet  ordinairement  ti'eiie,  et  quelquefois  quinxe,  mais  en  faisant 
figurer  dans  la  liste  les  formes  particulières  ou  anomales,  qui ,  si  on  les  comptait 
en  hébreu  et  en  araméen ,  porterait  le  nombri;  des  formes  dans  ces  deai  demièrps 
langues  à  un  chiffre  plus  élevé  que  celui  que  Ton  fixe  d^ordinaire. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  I.  399 

procédé  fti ,  en  arabe ,  s'applique  à  toutes  les  formes ,  n  ap- 
partient qu'à  deux  de  celles  de  Thébreu >  et  est  inconnu  à  la- 
raméen,  qui,  du  reste,  emploie  un  procédé  qu'on  peut  regar- 
ikr  comme  plus  avancé  et  plus  complet  que  celui  de  Fbébreu. 
Le  mécanisme  dn  JuiurJ^^uré,  qui  offre  en  arabe  tant  de  ri- 
cbesse  et  de  variété  et  supplée  presque  à  l'absence  des  modes, 
se  retrouve  à  l'état  rudimentaire  dans  les  futurs  apocopes  et 
paragogiques  de  l'hébreu ,  et  manque  en  araméen.  Les  temps 
conQfK)sés,  dont  l'hébreu  offre  qudque  trace  dans  l'emploi  du 
ww  canvemf  on  du  verbe  nsi ,  forment  un  procédé  régulièrement 
développé  en  araméen  et  en  arabe.  Il  en  est  de  même  de  la 
formation  du  présent  araméen  avec  n^K ,  mot  qui  se  retrouve 
dans  le  v^  des  Hébreux.  Le  nombre  duel ,  qui  se  rencontre  à 
peine  dans  le  syriaque  \  a  déjà  en  hébreu  une  certaine  im* 
portance  :  il  est  employé  dans  les  substantifs,  mais  ne  s'ap- 
plique ni  aux  verbes ,  ni  aux  adjectifs ,  ni  aux  pronoms ,  et ,  parmi 
les  substantifs  mêmes ,  ceux-là  seuls  en  sont  susceptibles  qui  ex- 
priment des  idées  duelles;  en  arabe,  au  contraire,  il  a  tout 
son  développement  et  se  retrouve  dans  le  pronom ,  l'adjectif,  le 
verbe.  L'état  emphatique ,  d'un  autre  côté ,  si  important  en  ara- 
méen, n'a  qu'un  rôle  insignifiant  en  hébreu,  et  se  confond,  en 
arabe,  avec  les  flexions  casuelles.  L'emploi  du  féminin  pour 
remplacer  le  neutre  et  le  pluriel  inanimé ,  la  construction  des 
termes  circonstanciels  et  inchoatifs ,  toute  la  théorie  des  com- 
pléments du  verbe  envisagés  comme  régimes  directs,  le  mé- 
canisme du  nuudar,  l'emploi  de  certaines  conjonctions  avec  des 
régimes  et  des  affixes,  toutes  propriétés  caractéristiques  de 

'  Le  syriaque  n^a  (pie  deui  eu  tro^s  mots  qui  prennenl  le  duel.  Quand  aux 
duels  du  chaldéen  biblique,  comme  ils  ne  sont  indiqués  que  par  les  points-voyelles, 
on  pourrait  croire  qu^id ,  comme  dans  beaucoup  d^autres  ras ,  les  Massorètes  ont 
cherché  è  modeler  le  ckaldéen  sur  Thébreu. 


&00  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Tarabc ,  se  retrouvent  en  hébreu ,  mais  seulement  à  Tëtat  rudi- 
mentaire.  Les  substantifs  formés  à  l'aide  de  terminaisons  finales 
exprimant  des  nuances  abstraites,  sont  assez  rares  en  hébreu 
et  très-conununs  en  araméen  et  en  arabe.  Enfin ,  grâce  à  une 
fécondité  exceptionnelle,  Tarâbe  a  ajouté  au  fond  conamun 
de  la  granunaire  sémitique  une  série  de  procédés  qui  lui  sont 
propres,  et  que  les  langues  ses  sœurs  ont  toujours  ignorés, 
comme  les  cas,  le  comparatif,  les  formes  particulières  des 
noms  d'unité,  d'individualité,  de  spécification,  d'abondance, 
les  pluriels  de  paucité ,  les  formes  d'adjectifs  ou  de  Serbes  pour 
exprimer  les  qualités  accidentelles  ou  habituelles,  les  défauts 
corporels,  les  couleurs,  le  désir,  l'affectation,  la  demande, 
l'intensité,  les  professions,  etc.  et  une  foule  d'autres  relations 
délicates  que  nos  langues  ne  savent  exprimer  qu'indirecte- 
ment. Aucune  langue  ne  l'égale  en  ce  genre  de  richesses;  c'est, 
par  excellence ,  la  langue  des  mécanismes  réglés  et  des  formes 
constantes. 

A  ce  progrès  de  richesse  et  de  développement  il  faut  aussi 
ajouter,  dans  les  langues  sémitiques,  un  progrès  d'adoucis- 
sement et  d'harmonie.  Les  langues,  en  général,  usent  peu 
^  peu  leurs  aspérités;  Gicéron,  dont  l'instinct  philologique 
était  parfois  assez  délicat,  a  fort  bien  établi  cette  vérité  pour 
la  langue  latine  [Orat.  ch.xLvii)^  ;  toute  la  dérivation  des  lan- 
gues romanes  repose  sur  le  même  principe.  On  ne  peut  pas 
dire  que  dans  les  langues  sémitiques  cette  loi  ait  la  même  im- 
portance que  dans  les  autres  familles ,  ni  qu'elle  y  ait  produit 
des  changements  comparables  à  ceux  qui  ont  signalé  le  pas- 
sage du  latin  à  l'italien,  du  sanscrit  au  pâli;  elle  s'y  vérifie 
pourtant  sur  de  nombreux  exemples.  L'hébreu  de  la  captivité 
a  déjà  des  formes  plus  douces  que  l'ancien  hébreu  ;  le  chal- 

'  Voir  anssi  Duclos,  Commentaire  de  la  gramm.  de  Pori-Rtnfalf  i'*pert,  chap.  t. 


LIVRE  V,  CHAl^ITRE  I.  4«1 

déen  de  la  même  époque  et  des  époques  postérieures  affai- 
blit encore  davantage  les  articulations,  et  enfin  Tarabe  ar- 
rive par  la  suite  du  temps  au  plus  haut  degré  d'harmonie. 
Les  sifflantes ,  par  exemple ,  ont  une  tendance  manifeste  à  s'a- 
doucir :  le  Y  se  change  en  tr  ou  en  T  :  pns  devient  pntr  ou 
pnT  ;  pn  devient  p^^T  ;  V^^^  devient  rVy .  Il  en  est  de  même  des 
gutturales  :  le  n  des  anciens  Hébreux  s'est  changé  «n  K  dans 
un  grand  nombre  de  fqrmes  et  de  mots  appartenant  à  l'hé- 
breu des  dernières  époques,  au  chaldéen  ou  à  l'arabe;  par 
exemple ,  dans  les  formes  Hiphd,  Hophal  et  Hitl^^abel,  dans  l'ar- 
ticle, dans  l'orthographe  de  plusieurs  mots  :  ])w  pour  pDn 
[Jérém.  lii,  i5).  Le  n  se  change  en  n,  le  9  en  H  :  D32^  =  D3K; 
b2  pour  ^KS,  forme  babylonienne  de  ^^3;  ]m  hébreu,  en  syria- 
que \p»i^»  etc.  Les  gutturales  sont  la  partie  la  plus  faible  d'une 
langue  et  celle  qui  tombe  le  plus  vite  ;  aussi  les  langues  ren-* 
ferment  d'autant  plus  de  gutturales  qu'elles  sont  plus  primi- 
tives. La  prononciation  forte  et  pleine  des  peuples  anciens 
s'affaiblit  dans  des  bouches  qui  s'ouvrent  à  peine  et  dévorent 
toutes  les  articulations  vives;  la  langue  grecque,  qui  à  son 
état  parfait  possède  si  peu  d'aspirations,  ep  avait  beaucoup 
plus  à  l'originel  Le  petit  nombre  de  dialectes  sémitiques 
qu'on  peut  envisager  comme  des  patois  populaires,  le  sama- 
ritain ,  le  galiléen ,  le  mendaîte ,  ont  pour  trait  caractéristique 
dé  neiger  les  différences  des  gutturales  et  de  les  confondre 
toutes  en  un  son  uniforme  et  adouci. 

Sffl. 

A  l'inverse  des  langues  indo-européennes ,  les  langues  sé- 
mitiques se  sont  enrichies  et  perfectionnées  en  vieillissant.  La 
synthèse  n'est  pas  pour  elles  à  l'origine ,  et  ce  n'est  qu'avec  le 

*  Matthi»,  Gramm.  rakomtée  de  la  ianguê  grteqtu,  t.  I,  p.  68  (inà.  fnmç.). 
1.  96 


&02  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

temps  et  par  de  longs  efforts  qu'elles  sont  arrivées  à  donner 
une  expression  complète  aui  opérations  logiques  de  la  pensée. 
Les  langues  sémitiques,  envisagées  dans  leur  ensemble,  sont 
des  langues  essentiellement  analytiques.  Au  lien  de  rendre 
dans  son  unité  l'élément  complexe  du  discours,  elles  préfèrent 
le  disséquer  et  l'exprimer  terme  à  terme.  Elles  ignorent  Tart 
d'établir  entre  les  membres  de  la  phrase  cette  réciprocité 
qui  fait  de  la  période  comme  un  corps  dont  les  parties  sont 
connexes,  de  telle  sorte  que  l'intelligence  de  l'un  des  membres 
n'est  possible  qu'avec  la  vue  collective  du  tout.  Elles  n'ont 
point  eu  à  secouer  le  joug  que  la  pensée  compréhensive  des 
pères  de  la  race  arienne  imposa  à  l'esprit  de  leurs  descendants. 
La  clarté  merveilleuse  avec  laquelle  la  race  sémitique  aperçut 
tout  d'abord  la  distinction  du  moi,  du  monde  et  de  Dieu, 
excluait  cette  vaste  et  confuse  intuition  des  rapports.  La  phrase 
hébraïque  est  un  chef-d'œuvre  d'analyse  logique,  et  on  est  sur- 
pris d'y  trouver  à  chaque  pas  les  tours  explicites ,  les  gaUicigmeB, 
si  j'ose  le  dire ,  qui  semblent  le  partage  des  langues  les  plus 
positives  et  les  plus  réfléchies. 

C'est  parce  que  les  langues  sémitiques  furent  analytiques 
dès  le  premier  jour  qu'on  ne  remarque  pas  chez  elles,  d'une 
manière  à  beaucoup  près  aussi  sensible  que  dans  les  langues 
indo-européennes ,  la  tendance  à  remplacer  les  flexions  par  le 
mécanisme  plus  commode  des  temps  composés  et  des  particules. 
Cette  loi  si  remarquable,  qui  a  déterminé,  dans  le  sein  de  la 
famille  indo-européenne ,  la  formation  de  deux  et  quelquefois 
de  trois  couches  de  langues  sur  un  même  fond  lexicographique 
et  grammatical,  n'est  pas  dominante  dans  les  langues  sémitiques. 
Ni  l'hébreu ,  ni  l'araméen ,  ni  même  l'arabe  n*ont  produit  d'i- 
diome dérivé  qui  soit  à  ces  anciens  idiomes  ce  que  le  prakrit, 
le  pâli;  l'hindoui,  l'hindoustani  sont  au  sanscrit,  ce  que  les 


LIVRE  V,  CHAPITRE  I.  &03 

langues  néo-latines  sont  au  latin.  Il  n*y  a  pas  de  langues  néo- 
sémitiques. L'arabe  vulgaire  seul  présente  quelque  analogie  avec 
les  langues  dérivées  dont  nous  venons  de  parler»  en  ce  sens 
que  les  terminaisons  riches  y  sont  tombées,  à  peu  près  comme 
dans  le  passage  du  gothique  et  de  Yalthochdeutsch  aux  moyens 
directes  allemands.  Mais  nous  nous  sommes  expliqués  ailleurs 
sur  ce  phénomène  (liv.  IV,  ch.  ii,  S  7);  nous  avons  montré 
que  les  voyeHes  finales ,  négligées  par  l'arabe  vulgaire ,  ne  sont 
pas  de  vraies  flexions,  et  que,  loin  d'envisager  cette  langue 
comme  un  débris  tronqué  de  l'idiome  antique,  il  fallait  y  voir 
la  vraie  forme  de  l'idiome  arabe,  privée  de  quelques  délica* 
tesses  il  est  vrai,  mais  exempte  aussi  de  toute  superfétation  et 
de  tout  règlement  artificiel. 

Est-ce  à  dire  qu'on  ne  trouve ,  dans  les  langues  sémitiques , 
aucune  trace  de  ce  penchant  qui  porte  le  peuple  à  simplifier 
l'ancienne  langue  pour  substituer  des  tours  plus  développés 
aux  tours  plus  complexes  du  vieil  idiome?  Non,  certes.  Un  grand 
nombre  de  faits  témoignent  que  les  langues  sémitiques,  comme 
toutes  les  autres,  ont  obéi  au  besoin  de  l'esprit  humain  qui, 
parallèlement  à  chaque  progrès  de  la  conscience,  exige  dans 
la  langue  un  progrès  de  clarté  et  de  détermination.  L'hébreu , 
le  type  le  plus  ancien  de  ces  idiomes ,  montre  une  tendance  mar- 
quée à  accumuler  l'expression  des  rapports  autour  de  la  racine 
essentielle  :  l'agglutination  y  est  un  procédé  constant;  non-seu- 
lement le  sujet,  mais  encore  le  régime  pronominal,  les  con- 
jonctions, l'article,  n'y  fonnent  qu'un  seul  mot  avec  l'idée 
même.  c(Les  Hébreux,  semblables  aux  enfants,  dit  Herder, 
veulent  tout  dire  à  la  fois.  Il  leur  suffit  presque  d'un  mot  où 
il  nous  en  faut  cinq  ou  six.  Chez  nous,  des  monosyllabes 
inaccentués  précèdent  ou  suivent  en  boitant  l'idée  principale  ; 
chez  les  Hébreux ,  ils  s'y  joignent  comme  inchoatif  ou  comme 

a6. 


&06  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

son  final,  et  l'idée  principale  reste  dans  le  centre,  formant 
avec  ses  dépendances  un  seul  tout  qui  se  produit  dans  une 
parfaite  harmonie  ^»  Un  des  traits  qui  distinguent  lliébreu 
des  temps  de  la  captivité  de  l'hébreu  classique,  est  une  certaine 
propension  à  remplacer  par  des  périphrases  et  souvent  pléonas- 
tiques les  mécanismes  grammaticaux  de  Tancienne  langue;  par 
exemple,  ^ef  ou  S  lefM  pour  le  rapport  d'annexion  :  ^W  ^pns  te  la 
vigne  de  moi,  qui  (est)  à  moi»  (Cont.  i,  6).  L'habitude  dont 
nous  parlons  est  encore  bien  plus  forte  dans  l'hébreu  mo- 
derne ou  rabbinique,  qui,  sous  ce  rapport,  ressemble  beau- 
coup à  l'araméen.  Or  l'araméen  est,  en  un  sens,  plus  analy- 
tique que  l'hébreu  :  il  est  même  fatigant  par  ses  longues  par- 
ticules, par  les  temps  pesamment  composés  de  ses  verbes  et 
les  pléonasmes  qui  allongent  inutilement  ses  phrases.  En  voici 

quelques  exemples  :  (Loua*  %*oif  riV^ilfv^  ^contra  eam 
quœ  ea  hestia  =  contre  cette  béte»  (Assem.  Bihl.  orient.  L  I, 

p.  &o,  cpl.  1,  1.  9i);  }  Y^ -1^  o^  ^in  eo  in  mari  =  dans  la 

mer»  {ihià.  t.  1,  p.  89,  col.  i,l.  5  afine)\  o^  JuLdl  00|d 
«m  iUo  tempore  in  eo  =  en  ce  temps»  (tfrtW.  t.  II,  p.  163, 

coL  9,  Un.  fdt.)^;  {om^?  OiJ^^^^f  ^ùtnor  ejus  Dei  =  h 

crainte  de  Dieu  »  [Peschito,  Rom.  m,  1 8)  :  l'hébreu  dit  en  deux 

p  ^     ^        p        "^  "^^  ^  ^ 

mots  :  D^n'>K  DHy  ;    ,  *-^-  «*#Mf  oC^^?  Oij^^j^^te  f!^de  eo 

de  ipso  qui  [est)  Dominus  Johannes  =  de  eodem  Domino  Jolumnev 
(Assem.  t.  II,  p.  ssS ,  col  9 , 1.  7).  L'hébreu  dirait  en  un  seul 
mot  ^n)3^D  «(mon  royaume»  ;  le  syriaque  le  dira  en  deux,  équi- 

'  Eiprit  de  la  poéik  dêê  Hébnux ,  1"  iM. 

^  On  aperçoit  tout  d^abord  Tanalogie  de  cet  emploi  du  pronom  avec  le  rôle  que 
joue  dans  la  bame  latinité  le  pronom  tUe,  d^oii  est  venu  Tartide  des  langues  ro- 
manes. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  I.  405 

valant  à  ciaq  :  JS^^*}  «*]LAâ!bkM  <^r^ifm  meiim  ^ut  (e«<)  mhxn 
(Micbaëlis,  Chre^i.  p.  19,  1.  s);  cNûûA.f  oC^»*}  ««CH  excelle 

qui  à  elle  le  nom  d'elle  =  celle  dont  le  nom»  (Barhebraeus, 

9        ^9     1^?  y^ 

Chron.  p.  ASq,  1.  a);  %ocu»0UQu;  Al) 


«pour  moi  qui  à  moi,  moi  Dionysius  =  pour  moi,  Diony- 
sius»  (Assem.  t.  II,  p.  907,  col.  1,  1.  â3-â4)^;  on  voit  jus- 
qu'où cette  langue  pousse  le  morcellement  du  discours.  La  re- 
lation du  génitif,  le  pronom  possessif,  le  pronom  relatif,  au 
lieu  de  s'exprimer  comme  en  hébreu  par  des  flexions  ou  des  ag- 
glutinations,  s'y  rendent  par  des  mots  froid^nent  entassés,  et 
au  milieu  desquels  l'on  semble  choisir  de  préférence  le  plus 
long  détour.  Enfin ,  pour  suppléer  à  l'imperfection  des  lan- 
gues sémitiques  dans  l'expression  des  iemps,  les  Araméens 
ont  recours  à  des  mécanismes  dont  l'hébreu  ne  possède  que 
le  germe  à  peine  indiqué. 

L'arabe,  tout  en  évitant  les  circonlocutions  pléonastiques 
de  l'araméen,  pousse  aussi  l'analyse  de  certaines  relations 
grammaticales  beaucoup  plus  loin  que  les  anciennes  langues 
sémitiques.  Des  particules  et  surtout  des  conjonctions  nom- 
breuses expriment  les  rapports  des  membres  de  la  phrase ,  dans 
cette  langue ,  avec  plus  de  précision  qu'en  hébreu  et  même  en 
syriaque.  Une  foule  de  mots  parasites,  jouant  le  simple  rôle 
d'exposants,  suppléent  à  ce  que  les  procédés  des  autres  langues 
sémitiques  ne  rendent  pas  avec  assez  de  clarté  :  «Xj,  par  exem- 
ple, pour  exprimer  le  prétérit  ;  Oy^ ,  vJLi^  ,^  »  «s^  «  ou  l'insépa- 
rable Jn ,  pour  marquer  le  futur.  On  trouve  même  quelquefois 
la  particule  (^  employée  pour  marquer  le  génitif,  comme 
dans  les  langues  les  plus  analytiques  :  4ttl  ^  ^SàiiS  (  Cw\ 

'  Cf.  Agrellîi  5i^feiMnta  «ifitlaxww  tyriocœ,  S  Sa  et  suiv.  ;  Michaëiis ,  Gramm. 
9yr.  p.  917;  Hoflnianni  Grumm.  tffr.  p.  3i6,  n"*  6. 


406  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

«ur.  ly,  V.  79)  <*la  libéralité  de  Dieu»;^uit  ^  ijÂ^'f^snr.  m, 

V.  99)  tcune  fosse  de  feu»^ 

Mais  c'est  surtout  dans  l'arabe  vulgaire  que  l'on  voit  se 
dessiner  avec  évidence  cette  liberté  impatiente  de  toute  gène, 
qui  porte  le  peuple  à  renoncer  aux  flexions  multipliées,  pour 
se  faire  une  langue  facile  et  claire.  Toutes  les  voyelles  fi- 
nales ,  indices  dé  rapports  grammaticaux  dans  l'arabe  littéral , 
ont  disparu  :  des  procédés  plus  grossiers  les  remplacent;  ce 
sont  des  mots  isolés,  destinés  à  marquer  les  rapports  des  idées 
avec  plus  de  détermination ,  mais  infiniment  moins  d'élégance. 
Le  mécanisme  de  Yétat  construit,  qui  a  tant  d'importance  en 
hébreu,  et  qui  en  araméen  est  déjà  à  demi  remplacé  par  des 
particules,  a  entièrement  disparu  en  arabe  vulgaire  :  la  rela- 
tion du  génitif  s'exprime  lourdement  par  s\Xm ,  JU  et  d'autres 
mots  signifiant  possession,  ou  par  JL^ ,  analogue  à  l'araméen 
^%mJ.  Le  relatif  (^«>JI ,  comme  le  latin  quod  ou  quant,  usurpe 
la  place  de  tours  plus  réguliers.  La  notation  des  temps  est  ar- 
rivée à  une  rigueur  à  peu  près  complète,  grâce  à  l'emploi 
de  particules  préfixes  et  de  mots  auxiliaires,  tels  que  jOt,  1^ 
pour  le  présent,  *>^  pour  le  futur*;  or  ces  mots,  comme  ceux 
qui  servent  à  marquer  le  génitif  (JIj^  excepté)  sont  tous  des 
mots  pleins  que  l'on  prive  de  leur  signification  pour  en  faire 
de  simples  signes  grammaticaux  '. 

Les  faits  qui  viennent  d'être  énumérés  sont-ils  sufiisanU 

'  Gonf.  de  Sacy,  Gramm,  arabe ,  t.  II,  p.  819;  RosenmuUer,  ImtiL adJwÊdam. 
UngtuB  arab.  p.  aoâ.  On  trouve  de  rares  exemples  de  cel  idiotisme  en  liébreu 
(Job^  IV,  i3;  Prov,  xxvi,  7);  conf.  Gesenius,  Lehrgebœude  der  hebr.  Sprache, 
$175,3.  Pour  ie  tour  analogue  en  syriaqtie ,  voy.  Hoffmann ,  Gramm,  »yr,  p.  S97, 
et  Agreilius,  Supplem,  9ynL  tyr,  S  57,  v. 

'  Causftin  de  Perceval,  6rrafnfn.  arabe  vulgaire^  p.  a8  et  suiv. 

^  Ibn-Khaldouu  a  très-bien  aperçu  ce  caractère  attafytiquc*de  i*arabe  vulgaire. 
(Voy.  de  Sacy,  Anthol.  grammat.  arabe ^  p.  hio  et  suiv.) 


LIVRE  V,  CHAPITRE  I.  407 

pour  ériger  la  tendance  à  l'analyse  en  lot  générale  des  langues 
sémitiques?  Nous  ne  le  pensons  pas.  Jamais  cette  tendance  n*a 
abouti,  dans  la  famille  dont  nous  parlons,  à  une  vraie  trans- 
formation du  système  grammatical.  On  peut  dire  que  les  lan- 
gues sémitiques  ont  connu  en  germe  les  deux  procédés  par 
lesquels  se  forment  les  langues  dérivées ,  mais  que  ces  procédés 
sont  restés  pour  elles  inféconds.  D'une  part,  nous  avons  vu  la 
loi  de  l'adoucissement  et  de  l'absorption  des  sons ,  qui  du  latin 
a  tiré  l'italien ,  n'amener,  chez  les  Sémites ,  que  de  purs  chan- 
gements  euphoniques ,  sans  atteindre  véritablement  le  fond  de 
la  langue.  D'un  autre  côté ,  la  loi  d'analyse  qui ,  dans  l'Eu- 
rope occidentale ,  a  substitué  à  la  syntaxe  latine  les  méca- 
nismes plats  des  langues  modernes ,  n'a  réussi,  dans  les  langues 
sémitiques,  qu'à  rendre  usuels  certains  procédés  commodes 
que  ces  langues  ne  possédèrent  pas  toujours  au  même  degré. 
Aucune  de  ces  deux  voies  n'a  conduit  à  une  altération  orga- 
nique et  à  la  création  d'un  idiome  nouveau. 

Telle  est,  sans  contredit,  la  diflPérence  la  plus  essentielle 
qui  sépare  l'histoire  des  langues  sémitiques  de  l'histoire  des 
langues  indo-européennes.  Ces  dernières  ont,  si  j'ose  le  dire, 
vécu  deux  âges  de  langues;  à  une  époque  de  synthèse  et  de 
complexité  a  succédé  pour  elles  une  époque  de  décomposition 
et  d'analyse.  Les  idiomes  sémitiques,  au  contraire,  n'ont  eu 
qu'une  seule  série  de  développement.  C'est  surtout  en  parlant 
de  ce  groupe  qu'il  est  vrai  de  dire  que  le  moule  d'une  famille 
de  langues  est  immuable  et  coulé  une  fois  pour  toutes.  Com- 
parées aux  langues  indo-européennes,  si  essentiellement  végé- 
tatives et  vivantes,  les  langues  sémitiques  sont  ce  qu'on  peut 
appeler  des  langues  inorganiques.  Elles  n'ont  pas  végété;  elles 
n'ont  pas  vécu  ;  elles  ont  duré.  L'arabe  conjugue  aujourd'hui  le 
verbe  exactement  de  la  même  manière  que  le  faisait  l'hébreu 


&08  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

aux  temps  les  plus  anciens;  les  racines  essentielles  n'ont  pas 
change  d'une  seule  lettre  jusqu'à  nos  jours,  et  on  peut  affir- 
mer que ,  sur  les  choses  de  première  nécessité ,  un  Israélite  du 
temps  de  Samuel  et  un  Bédouin  du  xu*  siècle  sauraient  se  com- 
prendre. Si  Ton  songe  que  nous  ayons  des  textes  hébreux  qui 
datent  bien  certainement  de  mille  ans  au  moins  avant  l'ère 
chrétienne;  que  dans  l'espace  de  trois  mille  ans,  par  consé- 
quent ,  ni  les  radicaux ,  ni  la  grammaire  sémitique  n'ont  subi 
d'altération  sensible,  n'est-on  pas  en  droit  d'en  conclure  que, 
par  cette  famille  de  langues ,  nous  touchons  vraiment  aitx  ori- 
gines de  l'humanité ,  et  que  la  forme  primitive  des  langues 
sémitiques  dût  être  assez  peu  différente  de  celle  que  nous  trou- 
vons dans  l'hébreu? 

Ce  caractère  d'immutabilité,  cette  absence  de  développement 
organique  est ,  à  vrai  dire ,  le  trait  fondamental  qui  distingue 
les  langues  sémitiques.  Le  manque  de  variété ,  la  ressemblance 
des  dialectes  entre  eux,  l'absence  d'individualités  fortement 
tranchées  telles  qu'on  en  trouve  dans  la  famille  indo-euro- 
péenne ,  se  rattachent  à  la  même  cause.  Les  langues  sémitiques 
n'ont  connu  qu'un  seul  type;  elles  y  sont  restées  comme  em- 
prisonnées; elles  n'ont  pu  ni  différer  d'elles-mêmes  à  leurs 
diverses  époques ,  ni  différer  les  unes  des  autres.  La  diversité 
des  physionomies  locales ,  dans  le  sein  d'une  même  race ,  est 
toujours  en  proportion  de  l'activité  qui  s'y  est  déployée  :  à  cinq 
cents  lieues  de  distance,  le  Russe  est  semblable  au  Russe;  à 
dix  lieues  de  distance ,  le  Grec  était  complètement  différent  du 
Grec.  L'identité  de  la  pensée  sémitique  n'exigeait  pas  dans  la 
langue  cette  aptitude  au  changement  que  supposaient  les  nom- 
breuses révolutions  intellectuelles  de  la  race  arienne.  L'idée 
qu'on  se  forme  trop  volontiers  d'un  Orient  immuable  est  ve- 
nue de  ce  qu'on  a  appliqué  à  tout  l'Orient  ce  qui  ne  convient 


LIYRE  V,  CHAPITRE  L  A09 

qu'aux  peuples  sémitiques.  Les  peuples  indo-européens  de 
l'Asie  ont  subi  au  moins  autant  de  transformations  que  ceux 
de  l'Europe;  l'Inde,  qu'on  regarde  comme  le  pays  de  l'im- 
mobilité^ est  certainement  l'un  des  points  du  monde  où  la 
langue ,  les  mœurs ,  l'esprit  se  sont  le  plus  souvent  modifiés. 
Pour  la  langue ,  comme  pour  les  habitudes  de  la  vie ,  les  peu- 
ples nomades,  au  contraire,  se  distinguent  par  leur  esprit 
essentiellement  conservateur. 

Des  causes  moins  efficaces  et  pourtant  décisives  dans  l'his- 
toire des  langues,  contribuèrent  à  assurer  aux  idiomes  sémi- 
tiques ce  privilège  d'inaltérabilité.  L'organe  sémitique  est 
d'une  remarquable  netteté  dans  l'articulation  des  consonnes. 
Livrant  les  voyelles  au  hasard  et  presque  au  caprice,  il  n'a 
jamais  fléchi  sur  ses  vingt-deux  articulations  fondamentales, 
et  l'alphabet  sémitique  est  resté  de  tous  points  semblable  à 
lui-même,  sous  le  rapport  phonétique  conune  sous  le  rapport 
graphique,  depuis  la  plus  haute  antiquité  jusqu'à  nos  jours. 
On  comprend  tout  d'abord  l'influence  capitale  que  cette  pro- 
priété doit  exercer  sur  les  destinées  d'une  langue.  S'il  est 
des  langues,  en  eflPet,  moins  résistantes  que  d'autres,  plus 
friables,  si  j'ose  le  dire,  et  plus  promptes  à  tomber  en  pous- 
sière, à  quoi  l'attribuer,  sinon  à  l'organe  du  peuple,  qui  ne 
sait  pas  les  maintenir  ou  qui  agit  sur  elles  à  la  manière  d'un 
corrosif?  Que  Ton  compare  la  fermeté  du  gothique ,  où  au- 
cune désinence  n'est  tombée,  et  qui  nous  représente  une 
langue  parfaitement  jeune  et  intacte,  à  la  déliquescence  de 
la  langue  anglaise ,  usée  comme  un  édifice  en  pierre  ponce , 
à  demi  rongée  par  des  organes  défectueux!  On  a  dit,  avec 
quelque  raison ,  que  le  français  n'est  que  du  latin  prononcé  à 
la  gauloise  :  il  est  certain,  du  moins,  que  la  difiérence  des 
dialectes  romans  n'a  eu  d'autre  cause  que  la  différence  de 


MO  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Torgane ,  ici  soutenant  les  finales  par  l'accent ,  là  éteignant  les 
voyelles  pleines  et  y  substituant  les  voyelles  nasales  et  Ye  muet. 
Si  les  peuples  occidentaux  avaient  eu  la  prononciation  aussi 
correcte  que  la  race  arabe ,  on  parlerait  encore  aujourd'hui  en 
France,  en  Italie  et  en  Espagne,  la  basse  latinité. 

Cet  agent  de  décomposition  manqua  tout  à  fait  aux  langues 
sémitiques  :  pas  une  lettre  ne  s'y  est  perdue.  Gardées  par  des 
bouches  fermes  et  précises ,  elles  tombèrent  très-rarement  dans 
le  jargon.  Les  trois  articulations  fondamentales  de  chaque  ra- 
cine restèrent  comme  une  sorte  de  charpente  osseuse  qui  les 
préserva  de  tout  ramollissement.  Le  système  d'écriture  sémi- 
tique, de  son  cAté,  n'a  pas  peu  contribué  à  ce -phénomène  de 
persistance.  On  ne  peut  pas  dire  que  les  Sémites  écrivent  d'une 
manière  aussi  parfaite  que  les  Indoreuropéens  :  ils  ne  repré- 
sentent que  le  squelette  des  mots  ;  ils  rendent  l'idée  plut6t  que 
le  son  ;  le  latin  et  l'italien ,  écrits  à  la  manière  sémitique ,  dif- 
féreraient à  peine  l'un  de  l'autre.  Mais  on  ne  peut  nier  que 
ce  système  d'écriture,  si  incommode  pour  l'étranger,  ne  soit 
excellent  pour  la  conservation  des  racines.  En  écartant  de 
l'orthographe  les  particularités  secondaires,  il  maintient  le 
radical,  comme  une  sorte  de  diamant  parfaitement  pur,  au 
travers  de  tous  les  accidents  grammaticaux.  Des  altérations 
comme  celles  qui  ont  tiré  oiseau  de  aviceUut,  et  août  de  A^ 
guêtu»,  seraient  impossibles,  au  moins  dans  la  langue  écrite, 
avec  le  système  d'orthographe  gardé  par  les  Sémites  jusqu'à 
nos  jours. 

L'intégrité  des  langues  sémitiques  fut  puissamment  pro- 
tégée par  une  autre  circonstance.  L'accent,  bien  que  les  idio- 
mes sémitiques  n'y  soient  pas  complètement  étrangers,  n'a  pas 
joué ,  dans  les  révolutions  de  ces  idiomes ,  un  rôle  aussi  essentiel 
que  dans  les  langues  indo-européennes.  Or  l'accent,  loin  de 


LIVRE  V,  CHAPITRE  I.  411 

servir  à  la  conservation  d^une  langue,  est,  pour  les  radicaux  et 
les  finales ,  une  cause  de  destruction  i  en  ce  sens  que  la  syllabe 
accentuée  dévore  autour  d'elle  les  syllabes  plus  faibles.  Les 
étranges  contractions  de  la  prononciation  anglaise,  la  chute 
des  finales  dans  le  français  et  dans  l'italien  du  nord,  n'ont  pas 
d'autre  originel  Cette  prépondérance  absorbante  de  certaines 
syUabesn'a  pas  lieu  dans  les  langues  sémitiques,  dont  la  pro- 
nonciation  est,  en  géùéral,  égale  et  unie. 

Les  langues  sémitiques,  d'ailleurs,  échappèrent  à  la  plus  rude 
épreuve  qu'une  langue  puisse  traverser,  je  veux  dire  du  change- 
ment de  prononciation  que  subit  un  idiome  lorsqu'il  est  adopté 
par  des  peuples  étrangers.  Qu'on  songe  à  ce  que  devint  le  latin 
dans  la  bouche  des  Gaulois ,  à  ce  que  devint  le  français  trans- 
porté en  Angleterre  par  la  conquête  normande  et  trahi  par  les 
oreilles  ang^o- saxonnes.  Je  dis  par  les  oreilles,  car  c'iBst  l'or- 
gane de  l'ouie,  bien  plus  que  celui  de  la  voix,  qui  règle  ces 
sortes  de  dégradations;  quand  l'Anglo-Saxon  écviydîi pedigree , 
pour  fiei  de  grue;  c'était  l'oreille  qui  rendait  un  faux  témoi- 
gnage sur  la  nature  du  son.  Les  langues  sémitiques  ne  con- 
nurent jamais  cette  torture.  Très-rarement  elles  passèrent  à 
des  peuples  de  race  étrangère.  Si  l'arabe  s'établit  conmne 
langui  savante  partout  où  se  répandit  l'islamisme,  il  ne  devint 
langue' vulgaire  en  Orient  que  dans  les  pays  déjà  sémitiques, 
et  en  Afrique  il  ne  fut  guère  parié  que  par  la  race  conquérante. 
En  Espagne,  à  Malte,  nous  le. voyons  adopté,  il  est  vrai,  par 
des  races  non  sémitiques;  mais  là  précisément  il  dégénère  en 
patois ,  comme  il  arrive  forcément  toutes  les  fois  qu'une  langue 
s'impose  à  des  peuples  vaincus. 

Une  exception  plus  grave  à  la  loi  que  nous  venons  de  signaler 
est  celle  que  présentent  l'amharique  et,  en  général,  les  dia- 

'  Voy.  Egger,  Notimu  élém.  de  grammaire  comparée,  ch.  ii ,  S  i . 


&lâ  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

iectes  sémitiques  parlés  au  sud  de  la  mer  Rouge.  Nous  avons 
là  des  dialectes  caractérisés  par  uue  prononciation  barbare, 
possédant  des  articulations  qu'on  chercherait  vainement  dans 
les  autres  idiomes  sémitiques,  et  présentant  toutes  les  irrégu- 
larités d*orthographe  qu'on  est  habitué  à  trouver  quand  une 
langue  passe  d'une  race  à  une  autre.  Si  les  peuples  qui  par- 
lent ces  idiomes  appartiennent  réellement  à  la  famille  syro- 
arabe  ou  sémitique,  il  est  certain  qu'ils  y 'occupent  une  position 
assez  isolée.  Indépendamment  de  l'exception  que  peuvent  of- 
frir les  dialectes  sémitiques  de  l'Arabie  méridionale  et  de 
l'Abyssinie,  on  trouve  encore,  au  cœur  même  du  sémitisme, 
quelques  traces  de  patois  grossièrement  altérés  :  tel  est,  par 
exemple,  le  dialecte  menda!te.  Mais  ce  sont  là  des  faits  trop 
peu  considérables  pour  porter  atteinte  à  la  loi  d'incorrupti- 
bilité qui  semble  dominer  les  langues  sémitiques.  Il  suffit, 
pour  établir  cette  loi,  i"  que  les  trois  grandes  branches  de  la 
famille  soient  restées  exemptes  de  toute  décomposition;  a®  que 
la  décomposition,  quand  elle  s'est  produite,  n'ait  eu  aucune 
efficacité  pour  la  formation  de  langues  dérivées.  Dès  lors  au- 
cune comparaison  n'eçt  possible  entre  les  faits  isolés  d'alté- 
ration  qu'on  peut  citer  dans  la  famille  sémitique  et  les  faits 
analogues  que  présente  la  famille  indo-européenne.  Ce  qui 
caractérise  cette  dernière,  c'est  que  la  corruption  y  est  féconde 
et  engendre  des  idiomes ,  qui ,  s'ennobiissant  à  leur  tour,  ar- 
rivent à  reconstituer,  avec  les  débris  de  la  vieille  langue,  un 
organisme  nouveau. 

S  IV. 

N'exagérons  rien  cependant,  et  tout  en  déniant  aux  langues 
sémitiques  la  faculté  de  se  régénérer,  reconnaissons  qu'elles 
n'échappent  pas  plus  que  les  autres  œuvres  de  la  conscience 


LIVRE  V,  CHAPITRE  I.  413 

humaine  à  la  nécessité  du  changement  et  des  modifications 
successives.  Ces  modifications  aboutissent  chez  elles,  non  pas  à 
créer  des  langues  différentes  Tune  de  Tautre ,  mais  à  produire 
deux  formes  de  la  même  langue  :  Tune  écrite ,  Tautre  parlée  ; 
l'une  savante,  Tautre  vulgaire.  L'extrême  régularité  de  l'ortho- 
graphe sémitique  fait  que  le  désaccord  entre  la  langue  écrite 
et  la  langue  parlée  ne  tarde  jamais  beaucoup  à  se  produire. 
L'écriture  a  toujours  été ,  chez  les  Sémites ,  une  chose  sacrée , 
qu'il  n'est  pas  permis  de  profaner  en  l'appliquant  à  un  jargon 
sans  règles  et  sans  analogies.  L'orthographe  sémitique  a ,  en 
général ,  été  fixée ,  non  par  la  prononciation  usuelle ,  mais  par  la 
raison  étymologique  et  grammaticale  :  un  fait  conune  celui  qui 
se  manifesta  en  France ,  au  xii*  siècle ,  une  langue  dérivée  qui 
entreprend  de  s'écrire  sans  tenir  compte  de  ses  origines ,  uni- 
quement d'après  le  témoignage  de  l'oreille;  ce  fait,  dis-je,  est 
presque  inconnu  en  Orient.  Il  est  vrai  que  les  qualités  de 
l'organe  sémitique  rendaient  le  divorce  entre  l'étpiologie  et 
la  prononciation  moins  sensible,  et  n'exigeaient  pas  ces  per- 
pétuelles concessions  qui  sont  devenues  chez  nous  nécessaires 
pour  maintenir  l'écriture ,  signe  invariable ,  en  rapport  avec 
roi^[ane  variable  de  la  voix.  On  peut  dire  néanmoins  que  très- 
rarement  les  Sémites  ont  écrit  comme  ils  parient.  L'hébreu 
était  déjà  une  langue  de  lettrés  à  l'époque  de  la  captivité; 
cinquante  ans  après  Mahomet,  l'idiome  du  Coran  avait  besoin 
de  granunaire  pour  être  correctement  parié. 

L'histoire  des  langues  établit  ce  curieux  théorème,  que, 
dans  tous  les  pays  où  s'est  produit  quelque  mouvement  intel- 
lectuel, deux  couches  de  langues  se  sont  déjà  superposées,  non 
pas  en  se  chassant  brusquement  l'une  l'autre ,  mais  la  seconde 
sortant  de  la  première  par  d'insensibles  transformations.  L'ana- 
lyse est,  en  général,  le  procédé  par  lequel  s'opère  cette  meta- 


kU  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

morphose  :  le  mot  d'analyse,  toutefois,  n'est  pas  assez  étendu 
pour  exprimer  la  loi  générale  dont  nous  parlons,  et  l'on  pour- 
rait, en  s'y  arrêtant,  s'exposer  h  de  graves  difficultés.  Ce  qui 
est  absolument  sans  exception,  c'est  le  progrès  en  détermi- 
nation et  par  suite  en  clarté  ;  le  système  des  langues  modernes 
accuse  un  état  très-réfléchi  et  une  conscience  très-distincte. 
Les  langues  les  plus  claires  ne  sont  pas  les  plus  belles ,  et  il  s'en 
faut  que  la  marche  qui  vient  d'être  signalée  soit  de  tout  point 
un  perfectionnement.  Mais,  de  quelque  manière  qu'on  l'ap- 
précie ,  le  fait  même  de  cette  marche  doit  être  envisagé  conmie 
nécessaire,  puisqu'il  existe  à  peine  une  partie  de  l'ancien 
monde  civilisé,  où  deux  langues,  depuis  les  temps  historiques, 
n'aient  ainsi  succédé  l'une  à  l'autre ,  correspondant  elles-mêmes 
à  deux  états  et  comme  à  deux  âges  de  l'esprit  humain. 

Les  langues  sémitiques,  qui  accomplirent  leur  révolution 
par  des  voies  si  différentes  de  celles  que  suivirent  les  langues 
indo-européennes ,  arrivèrent  en  ceci  au  m^ne  résultat.  L'hé- 
breu disparaît  à  une  époque  reculée,  pour  laisser  dominer 
seuls  le  chaldéen ,  le  samaritain ,  le  syriaque ,  dialectes  plus  plats 
et  plus  clairs ,  lesquels  vont  à  leur  tour  s'absoi4>er  dans  l'arabe. 
Mais  l'arabe^  de  son  côté,  est  trop  savant  pour  l'usage  vul- 
gaire d'un  peuple  illettré  ;  les  foules  entrées  de  gré-ou  de  force 
dans  l'islam  ne  peuvent  observer  les  flexions  délicates  et  va- 
riées de  l'idiome  koreischite;  le  solécisme  se  multiplie  et  de- 
vient de  droit  commun,  au  grand  scandale  des  grammairiens. 
De  là ,  à  cêté  de  l'arabe  littéral ,  qui  demeure  le  partage  exclu- 
sif des  écoles,  l'arabe  vulgaire  d'un  système  beaucoup  plus 
simple  et  moins  riche  en  formes  grammaticales.  Mille  notations 
déUcates  y  ont  disparu ,  et  la  langue  semble  rentrer  dans  l'an- 
eien  cercle  sémitique,  au  delà  duquel  elle  avait  fait  une  si 
brillante  excursion. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  L  415 

Mais  que  devient  la  langue  ancienne  ainsi  remplacée  dans  Tu- 
sage  vulgaire  par  le  nouvel  idiome?  Son  rôle ,  pour  être  changé , 
n*en  est  pas  moins  considérable.  Si  elle  cesse  d'être  l'ins- 
trument du  commerce  habituel  de  la  vie;  elle  reste  la  langue 
savante  et  presque  toujours  la  langue  sainte  du  peuple  qui  l'a 
décomposée.  Fixée  d'ordinaire  dans  une  littérature  antique , 
dépositaire  des  traditions  religieuses  et  nationales,  elle  sera 
désormais  la  langue  des  choses  de  l'esprit.  Chez  les  nations 
orientales,  où  le  livre  ancien  ne  tarde  jamais  à  devenir  sacré, 
c'est  toujours  à  la  garde  de  cette  langue  obscure ,  à  peine  con- 
nue, que  sont  confiés  les  dogmes  religieux  et  la  liturgie.  La 
race  sémitique ,  en  particulier,  ayant  marqué  sa  trace  dans  l'his- 
toire par  des  créations  religieuses,  c'est  principalement «omme 
langues  sacrées  que  les  langues  sémitiques  sont  arrivées  à  un 
rôle  important.  Grâce  au  judaïsme,  au  christianisme,  à  l'isla- 
misme, l'hébreu,  le  samaritain,  le  chaldéen,  le  syriaque,  le 
ghez,  l'arabe  littéral  vivent  encore  comme  organes  d'une  litur- 
gie, conune  idiomes  d'un  livre  sacré,  ou  d'une  version  de  la 
Bible  que  son  antiquité  a  entourée ,  aux  yeux  du  peuple ,  d'un 
prestige  de  sainteté.  C'est  à  la  forme  donnée  par  cette  première 
littérature  que  chaque  nation  a  voulu  demeurer  invariable- 
ment attachée. 

Le  même  fait  se  reproduit ,  mais  avec  des  modifications  pro- 
fondes, chez  les  nations  occidentales.  Ce  qui  est  langue  sa- 
crée pour  les  Orientaux ,  lesquels  ne  conçoivent  la  science  que 
sous  forme  religieuse,  est  langue  claseique  chez  les  nations 
européennes.  A  vrai  dire ,  ces  deux  rôles  ne  sont  pas  distincts  i 
soit  sous  forme  de  langue  sacrée,  soit  sous  forme  de  langue 
classique,  qu'elle  se  réfugie  dans  les  temples  ou  dans  les 
écoles,  la  langue  ancienne  reste  l'organe  de  la  religion,  de  la 
science,  souvent  même  des  actes  civils  et  administratifs,  c'est- 


616  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

à-dire  de  tout  ce  qui  s'élève  au-dessus  de  la  vie  ordinaire. 
C'est  ainsi  que  l'arabe  littéral  et  le  ghez  s'emploient  encore 
dans  les  lois,  dans  les  ordonnances ,  dans. toutes  les  pièces 
officielles.  Les  Arabes  mêmes,  pour  leur  correspondance  un 
peu  soignée ,  se  rapprochent  beaucoup  du  style  littéral  :  tant  U 
est  vrai  que  ces  peuples  regardent  la  langue  ancienne  comme 
étant  seule  susceptible  d'être  écrite. 

Ce  n'est  pas  que  l'idiome  vulgaire  ne  s'enhardisse  souvent, 
en  Asie  comme  en  Europe,  à  toucher  aux  choses  intellectuel- 
les. Toutefois,  lors  même  que  la  langue  moderne  s'élève  à  la 
dignité  de  langue  littéraire,  la  langue  ancienne  n'en  conserve 
pas  moins  un  caractère  spécial  de  noblesse.  Elle  subsiste  comme 
un  monument  nécessaire  à  la  vie  intellectuelle  du  peuple  qui 
l'a  dépassée ,  comme  une  forme  antique  dans  laquelle  la  pen- 
sée moderne  devra  venir  se  mouler,  au  moins  pour  le  travail 
de  son  éducation.  Les  langues  dérivées,  en  effet,  n'ayant  pas 
l'avantage  de  posséder  leurs  racines  en  elles-mêmes,  comme 
les  langues  de  première  formation ,  n'ont  d'autre  répertoire  de 
mots  que  les  langues  anciennes.  C'est  là  qu'au  xvi*  siècle  le 
français  alla  puiser,  comme  dans  son  domaine  propre,  une 
foule  de  vocables  inconnus  au  moyen  âge  ^  ;  c'est  là  encore  qu'il 
s'adresse  de  nos  jours,  lorsqu'il  profite  de  la  faculté  de  s'en- 
richir qui  lui  a  été  si  étroitement  mesurée. 

Les  Sémites,  en  revenant  sans  cesse  pour  l'usage  littéraire 
à  une  langue  morte,  n'ont  donc  fait  que  subir  la  loi  géné- 
rale qui  impose  à  tous  les  peuples  une  langue  classique,  et  les 
condamne  à  n'enseigner  guère  dans  leurs  écoles  qu'un  idiome 
depuis  longtemps  tombé  en  désuétude.  La  langue  moderne 
étant  toute  composée  des  débris  de  l'ancienne,  il  devient  im- 

*  La  réforme  du  grec  moderne  qui  8*esl  accomplie  de  no«  jours  a  fouroi  un 
nouvel  exemple  de  c«  phénomène. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  1.  417 

possible  de  la  posséder  d'une  manière  scientifique  y  à  moins  de 
rapporter  ces  fragm^its  à  l'édifice  où  ils  avaient  leur  valeur 
première.  L'expérience  prouve  combien  est  imparfaite  la  con- 
naissance des  idiomes  modernes  chez  les  personnes  tpii  n'ont 
point  étudié  la  langue  ancienne  d'où  ils  sont  sortis.  Le  secret 
des  mécanismes  grammaticaux,  des  étymologies,  et,  par  con- 
séquent, de  l'orthographe,  étant  tout  entier  dans  la  langue 
ancienne,  la  raison  logique  de  ces  mécanismes  est  insaisis- 
sable pour  ceux  qui  les  considèrent  isolément  et  sans  en  re- 
chercher l'origine.  La  routine  est  alors  le  seul  procédé  possible , 
comme  toutes  les  fois  que  la  connaissance  pratique  est  recher- 
chée à  l'exclusion  de  la  théorie.  C'est  donc^  un  fût  général 
que  chaque  peuple  trouve  sa  langue  savante  dans  les  condi- 
tions mêmes  de  son  histoire.  Il  est  inexact  de  donner  à  la  dé- 
nomination de  clasgique  un  sens  absolu  et  de  la  restreindre 
à  un  ou  deux  idiomes ,  comme  si  c'était  par  un  privilège  es- 
sentiel et  résultant  de  leur  nature  qu'ils  fussent  prédestinés  à 
faire  l'éducation  de  tous  les  peuples.  L'existence  des  langues 
classiques  est  une  loi  universelle  dans  l'histoire  des  littéra- 
tures, et  le  choix  de  ces  langues,  de  même  qu'il  n'a  rien  de 
nécessaire  pour  tous  les  peuples,  n'a  rien  d'arbitraire  pour 
chacun  d'eux. 


1. 


ay 


M9  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 


aHB^BeaB^Hsa^ 


CHAPITRE  IL 

LBS  LANGUES  siMITIQlIBS 

GOMPAR^BS  AUX  LANGUBS  DBS  AUTRES  PAMILLBS, 

BT,  EN  PARTICULIER,  AUX  LANGUBS  INDO-EUBOP^ENlfBS. 


S  I. 

Un  problème  s*e$t  souvent  offert  à  nous  dans  les  livres  pré- 
cédents :  la  distinction  des  langues  sémitiques  et  des  langues 
indo-européennes  est-elle  une  distinction  radicale,  absolue, 
impliquant  nécessairement  une  diversité  d'origine  et  de  race? 
Bien  qu  un  tel  problème  ne  puisse  se  résoudre  que  par  Texa- 
men  du  système  des  langues,  et  qu'il  se  rattache,  par  consé- 
quent, sous  bien  des  rapports  au  second  volume  de  oet  ou- 
vrage ,  nous  croyons  devoir  le  traiter  ici  :  le  terrain  sur  lequel 
pose  la  discussion  est,  en  effet,  plus  bistorique  que  philolo- 
gique, et  les  données  qu'on  est  obligé  d'invoquer  dans  le 
débat  appartiennent  à  l'ordre  de  considérations  qui  doit  trou- 
ver place  dans  la  première  partie  de  notre  essai. 

Deux  graves  questions  de  méthode  sont  impliquées  dans  la 
recherche  qui  va  nous  occuper  :  i^  Jusqu'à  quelle  limite  deux 
systèmes  de  langues  peuvent-ils  différer  sans  cesser  pour  cela 
d'appartenir  à  la  même  famille  naturelle?  â*"  Lors  même  que 
deux  systèmes  de  langues  sont  reconnus  pour  distincts,  jusqu'à 
quel  point  est-on  autorisé  à  conclure  de  là  que  les  peuples  qui 
les  parlent  ou  les  ont  parlés  appartiennent  à  des  races  primi- 


LIVRE  V,  CHAPITRE  II.  &19 

thremeat  âistîncies?  A  la  premièi^e  questioD,  il  faut  répondre, 
ce  mé  semble,  que  le  crkerium  de  la  distinction  des  &milles 
est  l'impossibilité  de  faire  dériver  l'une  de  l'autre  par  des  pro- 
cédés scientifiques.  Quelque  divers  que  soient  entre  eux  les 
groupes  qui  forment  la  famille  indo-européenne ,  on  explique 
parfaitement  comment  tous  se  rapportent  à  un  modèle  iden** 
tique  et  ont  pu  sortir  d'un  même  idiome  primitif.  Il  n'est  pas 
permis  d'en  dire  autant  des  langues  sémitiques  comparées 
aux  langues  indo-européennes,  ni  du  chinois  comparé  à  ces 
deux  familles.  On  n'expliquera  jamais  comment  le  zend  ou  le 
sanscrit  auraient  pu ,  par  des  dégradations  successives,  devenir 
l'hébreu,  ni  comment  l'hébreu  aurait  pu  devenir  le  sanscrit 
ou  le  chinois.  Il  y  a  évidenunent  entre  ces  trois  systèmes  (pour 
ne  point  parier  des  autres  )  une  séparation  qui  empêche  de 
les  envisager  comme  des  variétés  d'un  même  type ,  et  quelles 
que  puissent  être  les  hypothèses  futures  de  la  science  sur  les 
questions  d'origine,  le  principe  de  l'ancienne  école  :  (^Toutes 
les  langues  sont  dçs  dialectes  d'une  seule  »,  doit  être  abandonné 
à  jamais. 

Mais  de  cette  vérité  fondamentale  est*-on  en  droit  de  con- 
clure qu'il  n'y  eut  entre  les  peuples  qui  parlent  des  langues 
de  familles  diverses  aucune  parenté  primitive  ?  Voilà  sur  quoi 
le  critique  peut  hésiter  à  se  prononcer,  de  même  que  le  zoo- 
logiste, après  avoir  établi  la  distinction  scientifique  des  es- 
pèces ,  s'abstient  de  toute  conjecture  sur  le  fait  primitif  de 
leur  production.  On  concevrait,  à  la  rigueur  qu'une  même 
race,  scindée  dès  son  origine  en  deux  ou  trois  branches,  eût 
créé  le  langage  sur  deux  ou  trois  types  difl'érents.  Il  n'est  pas 
impossiUe  que  la  naissance  du  Langage  ait  été  précédée  d'une 
période  d'incubation ,  durant  laquelle  des  causes,  en  tout  autre 
temps  secondaires,  auraient  agi  d'une  manière  énergique  et 

Q7. 


/i20  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

creusé  les  abîmes  de  séparation  qui  nous  étonnent.  Les  ori- 
gines de  rhumanité  se  perdent  dans  une  telle  nuit  que  Tima- 
gination  même  n'ose  se  hasarder  sur  un  terrain  où  toutes  les 
inductions  semblent  mises  en  défaut.  Le  seul  problème  qu'il 
soit  permis  de  poser  est  donc  celui-ci  :  La  différence  qui  existe 
entre  les  langues  indo-européennes  et  les  langues  sémitiques, 
différence  qui  est  plus  que  suffisante  pour  ériger  ces  deux 
groupes  en  deux  familles  distinctes,  exclut-elle  toute  idée  d'un 
contact  primitif  entre  les  deux  races,  ou  bien  permetr^lle, 
dans  un  sens  plus  large,  de  les  rattacher  h  une  même  unité? 
Posé^dans  ces  termes,  le  problème  a  beaucoup  préoccupé 
les  linguistes,  et  inspiré,  surtout  en  Allemagne,  des  travaux 
fort  inégaux  en  mérite.  Klaproth  essaya  le  premier,  depuis  la 
création  de  la  philologie  comparée,  de  rapprocher  les  racines 
sémitiques  des  racines  indo- germaniques,  et  crut  avoir  dé- 
montré que  les  deux  familles  de  langues,  si  différentes  sous 
b  rapport  grammatical ,  possédaient  un  certain  nombre  de  ra- 
cines, dont  la  présence  de  part  et  d'autre  ne  pouvait  s'expliquer 
par  un  emprunt  ' .  Klaproth  n'avait  qu'un  sentiment  très-mé- 
diocre de  la  vraie  méthode  comparative  ;  son  essai  laisse  beaii- 
coup  à  désirer  :  cependant  la  distinction  qu'il  établit  entre  la 
comparaison  des  procédés  graitimaticaux  et  la  comparaison 
des  éléments  lexicographiques,  la  première  n'amenant  qu'à 
voir  des  différences  entre  les  deux  familles,  la  seconde  révé- 
lant des  analogies  inattendues,  devait  rester  dans  la  science. 
Bopp  ^  et  Norberg  ^  essayèrent  des  rapprochements  du  même 

*  Klaprotti,  Observaliom  tttt  fat  racines  de$  longuet  iéniliquet,  è  la  snite  de 
Touvrage  de  Mérian  :  Prine^^  de  V étude  comparative  de$  longtue  (Paris,  iSaS)» 
p.  aoQ-aSg;  le  même,  Aeia  polygloUa ,  p.  108. 

^  Wiener  Jahrhûcher  (i8a8),  t.  XLII,  p.  a6a  etsuiv. 

'  Nova  Àcta  Reg.  Societ.  êdentiarum  Upeaiœ,  vol.  IX,  p.  s 07  et  suiv. ,  et  dans 
le»  OpuMdUa  de  Norberg,  t.  Il ,  dissert,  xt  el  xri. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  II.  A21 

genre»  mais  avec  aussi  peu  de  succès.  M.  Lepsius  \  de  son 
cAté,  aborda  le  sujet  avec  une  méthode  plus  originale  que 
sûre ,  et  crut  découvrir  dans  le  sanscrit  et  lliébreu  des  traces 
d*un  germe  conmiun,  antérieur  au  plein  développement  de 
ces  deux  idiomes. 

Gesenius  et  son  école  portèrent  une  méthode  meilleure  dans 
ces  obscures  et  dangereuses  recherches  ^.  Les  rapprochements 
des  racines  sémitiques  avec  celles  du  sanscrit,  du  persan,  du 
grec,  du  latin,  du  gothique  occupent  une  place  importante 
dans  les  derniers  travaux  de  Tillustre  professeur  de  Halle.  Ce  ne 
sont  plus  cette  fois  des  parallélismes  superficiels  et  satisfaisants 
seulement  pour  l'oreille  :  ce  sont  de  vraies  analyses  étymo- 
logiques, conduites  d'après  la  méthode  qui  a  mené  les  études 
indo-européennes  à  de  si  beaux  résultats.  Persuadé  de  la  sé- 
paration radicale  des  deux  familles',  et  cherchant  beaucoup 
moins  à  les  fondre  l'une  dans  l'autre  qu'à  suivre  leurs  ana- 
logies respectives,  Gesenius  se  préserva  des  exagérations  où 
d'autres  devaient  tomber  après  lui.  Les  rapprochements  qu'il 
tente  dans  le  Lexiœn  manuale  sont ,  en  général ,  assez  judicieux  ; 
seulement  il  faut  avouer  qu'ils  prouvent  peu  de  chose  pour  la 
thèse  qu'il  s'agit  d'établir.  La  plupart  tombent  sur  des  racines 
dont  la  ressemblance  s'explique,  soit  par  l'onomatopée,  soit 
par  des  raisons  tirées  de  la  nature  même  de  l'idée.  Gesenius 
pensait,  du  rest#,  quç  pour  trouver  les  analogies  démonstra- 
tives, il  fallait  dépouiller  les  racines  sémitiques  de  leur  forme 
trilitère,  et  remonter  jusqu'au  thème  primordial  bilitère,  d'où 

'  Palœograpkie  aU  MiUelfir  dit  Sprad^onehung  (Bertin,  i834),  et  les  ou- 
vrages du  même  auteur  sur  les  rapports  du  copte  avec  les  langues  sémitiques  et 
indo-européennes.  (Voy.  ci-dessus,  p.  79-73.)  Gonf.  Wiseman .  Diêeimn  tm-  le$ 
rapporta  etUrt  la  êeitnee  H  la  religion  révélée  ^  dise.  1 ,  9*  part 

^  Gesenius,  Lexleon  mamuiàe,  pnef.  p.  vii-viii;  Grammatik  (11'  édit.),  p.  h. 

^  Getchiehte  der  hebr.  Sprache  (i8i5),  S  18. 


423  HISTOIRE  DBS  LANGUES  SÉMITIQUES. 

les  racines  actuelles  sont  dérivées  par  l'addition  d'ane  troi- 
sième consonne  accessoire  ^  ;  hypothèse  hardie  dont  la  valeur 
a  été  discutée  précédemment  (1.  I,  ch.  m,  S  i). 

Cette  hypothèse  qui,  si  elle  ne  menait  pas  à  de  grands  ré» 
sultats,  ne  pouvait  avoir  de  bien  graves  inconvénients  pour 
des  esprits  sages  comme  l'étaient  Gesenius  et  ses  âèves,  de- 
vait former  la  pierre  angulaire  des  prétentions  d'une  école 
qui  s'est  annoncée  comme  devant  changer  l'aspect  des  études 
exégédi^ues  en  Allemagne,  celle  de  MM.  Julius  Fûrst  et  De- 
litzsch^.  J'avoue  que  je  ne  puis  prendre  bien  au  sérieux  les 
travaux'  de  ces  deux  hébraîsants  :  le  désir  de  se  faire  une 
place  dans  le  monde  critique  par  de  hardies  nouveautés,  désir 
si  funeste  quand  il  s'agit  d'études  presque  épuisées  comme  les 
études  d'exégèse,  s'y  manifeste  trop  visiblement.  Le  grand 
mal  des  sciences  philologiques  en  Allemagne  est  cette  fièvre 
d'innovation  qui  fait  qu'une  branche  de  recherches,  amenée 
presque  à  sa  perfection  par  l'effort  de  pénétrants  esprits,  se 
trouve  en  a|)parence  démolie  le  lendemain  par  de  présomptueux 
débutants,  qui  aspirent,  dès  leur  coup  d'essai,  à  se  poser  en 
créateurs  et  en  chefs  d'école.  Groira-t-on  que  de  paradoxe  en 
paradoxe,  M.  Delitzsch  est  amené  à  trouver  un  profond  sen- 
timent de  la  philologie  comparée  dans  les  rêveries  de  Philon , 
des  Talmudistes  et  des  Pijutkm,  qui  expliquent  les   mots 


'  G^étiil  auMÎ  la  thèse  de  Uupfeld,  De  tmmdçmàa  nOiom  lêxkographim 
ùcœ  conmêWUnUo.  (Marboui^,  1897). 

^  Fûrst,  Lehrgehœtide  der  AranuBÛchen  Idiome  nUt  Bezug  auf  die  Indo-Germa- 
m^ehm  Sfraehen  (Leipiig,  i835),  Vorwort,  et  p.  3o  et  auiv.;  le  même,  JVfen- 
êefmûn  aramœiêeher  Gnamm  und  lâeder  (laeipzig,  i836),  p.  zif-xv;  le  mène, 
Libronim  Sacronsm  Comcordantia  (I4|»te,  18&0),  pnef.  et  Hehr,  und  ehaU/eJÊrk. 
Handmœrterbuch  (Leipng,  i85l,  1"  livr.)<  Fr.  DelitiBch',  /«mvikh,  mm  hmgtgÊ  im 
grammatieam  et  lexieographiam  Unguo'  hthrmeœi  cmtra  G.  Genmnm  ei  1/.  Ewol' 
dum  (Grimme,  i838). 


LIVRE  V,  CHAPITRE  II. 


A3S 


faélMreux  par  le  grec  \  et  à  faire  le  procès  au  grammairien 
Jada  Hayyoudj,  qui,  le  premier,  recomiat  la  trilitëritë  des 
racines*?  Noils  nous  refusons  à  voir  autre  chose  qa*un  jeu 
puéril  dans  les  analyses  de  racines  et  les  rapprochements 
que  proposent  les  deux  savants  précités.  Il  y  a  mille  hasards 
dans  le  vaste  champ  du  langage;  en  jouant  sur  ces  hasards,  il 
n'est  rien  qu'on  ne  puisse  soutenir.  Prenant  pour  accordé  que 
le  thème  de  toute  racine  sémitique  est  essentiellement  biii- 
tère,  et  procédant  d'une  façon  tout  arbitraire  à  l'élidiination 
de  la  troisième  radicale,  MM.  Fûrst  et  Delitzsch  instituent 
entre  le  thème  ainsi  cibtenu  et  les  racines  indo-européennes 
les  comparaisons  les  plus  forcées.  A  l'appui  de  mes  critiques 
contre  des  travaux  qui  ont  obtenu,  sinon  le  suffrage,  du 
moins  l'attention  de  quelques  hommes  s^eux',  je  suis  obligé 
de  citer  des  exemples  qui  fassent  sentir  au  lecteur  ce  qu'il  y  a, 
dans  une  pareille  méthode ,  de  peu  scientifique. 


np-a 

f 

w 

T 

H^a) 

r! 

*  ■*                         1 

T 

1^           1 

T 

W5 

-        T 

^ 

T 

^      • 

Kphen». 


goth.  lîiKi-iai. 

goth.  Uni-mi, 

fcndrevQ, 

vobhere. 


'  Genf.  ENikeB,  Diê  Sproehe  itr  AfocAncà,  p.  6o-6t.-  Il  est  douteux  qoe  ces 
ptpprodMmeoHiB  fimeiit  sérieax  poor  les  Talmndistet  eat-mémes.  Us  ne  relaient 
eeiiMUemeal  pM  poor  Aboiiiwatid,  qui  se  permet  sauvent  des  obsertations  ana- 
legMS.  (Vey.  Munk,  MMicê  9wr  AèomhMdid^  p.  176  et  soîy.). 

*  JinuMsi,  p.  loÔetsaÎT.,  181,190,  igSetsuiv. 

'  Pott,  dans  YEHeffcl.  d^Ersch  et  Graber,  arL  kd^gêrmmmehm-  SprmchMUmm, 


&2&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Il  est  clair  qu*avec  des  procédés  aussi  libres  dans  la  ma- 
nière de  traiter  les  racines  on  trouverait  des  arguments  pour 
toutes  les  thèses  étymologiques.  Lès  racines  sont  en  philologie 
ce  que  les  corps  simples  sont  en  chimie.  Sans  doute  il  est 
permis  de  croire  que  cette  simplicité  n'est  qu'apparente  et  nous 
cache  une  composition  ultérieure;  mais  c'est  là  une  recherche 
qui  est  comme  interdite  à  la  science ,  parce  que  l'objet  qu'il 
s'agit  d'analyser  ne  laisse  aucune  prise  à  nos  moyens  d'at- 
taque. Les  racines  des  langues  se  montrent  à  nous,  non  pas 
conune  des  unités  absolues ,  mais  comme  des  faits  constitués , 
au  delà  desquels  il  n'est  pas  permis  de  remonter.  Dans  les 
langues  sémitiques ,  bien  plus  encore  que  dans  toute  autre  fa- 
mille ,  il  faut  s'en  tenir  à  cette  prudente  réserve.  Nulle  part , 
en  effet  y  la  racine  ne  nous  apparaît  conune  plus  inattaquable, 
plus  saine,  plus  entière,  si  j'ose  le  dire.  C'est  un  tuf  dans 
lequel  aucune  infiltration  n'a  pu  pénétrer.  Depuis  plus  de 
mille  ans  avant  l'èr^  chrétienne,  les  racines  sémitiques  n'ont 
pas  subi  d'atteinte  :  les  radicaux  ^de  l'arabe  le  plus  moderne 
répondent,  consonne  pour  conscMine,  à  ceux  de  l'hébreu  le 
plus  ancien.  Il  ne  s'agit  pas  ici  de  ces  langues  vermoulues,  en 
quelque  sorte,  où  les  radicaux,  fatigués  par  un  long  usage, 
ont  perdu  presque  toute  empreinte,  comme  des  monnaies  sans 
effigie,  il  s'agit  de  langues  d'acier,  restées  exemptes  de  toute 
altération.    . 

Je  ne  puis  donc  envisager  que  comme  une  véritable  alchi- 
mie les  tentatives  du  genre  de  ceHes  de  M.  Delitzsch,  aspi- 

9*  secL  L  XVin ,  p.  8 ,  note,  a  consacré  quelques  réflexions  judidenses,  mais  trop 
indulgentes  peutrétre,  è  Tessai  de  M.  Delitzsch.  (Gonf.  Die  pÊman  und  tigmir 
maJe  Zahknethode  du  même  auteur,  Halle,  1867,  p.  i3o  et  suiv.  i63  et 
suiv.)  Une  lettre  de  M.  E.  Bumouf  à  M.  Delitisch,  publiée  par  M.  Fûrst,  Ubra- 
rum  Saer.  Coneord,  prœf.  p.  x,  note,  est  loin  de  renfermer  Papprobalion  entière 
<|ue  les  deux  hébrauants  voudraient  y  trouver. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  IL  &â5 

rant  à  porter  l^alyse  au  delà  des  limites  qui  lui  sont  natu- 
rellement assignées.  M.  Delitzsch  suppose  que  les  racines 
trilitères  se  sont  formées  par  Taddition  de  préfixes  ou  de  suf- 
fixes :  il  oublie  que  le  manque  absolu  du  mécanisme  des 
veibes  composés  de  prépositions  est  un  des  traits  qui  caracté- 
risent les  langues  sémitiques.  Gomment,  si  un  tel  mécanisme 
avait  présidé  à  la  formation  de  ces  langues ,  n  en  resterait-il 
pas  quelque  vestige?  Gonunent  un  organe  aussi  essentiel  se 
serait-il  complètement  atrophié?  M.  Pott,  dans  les  remarques 
qu'il  a  faites  sur  le  système  que  nous  critiquons,  observe  avec 
-raison,  que  les  consonnes  auxquelles  M.  Delitzsch  attribue 
le  rAle  de  préfixes  n'ont  rien  de  déterminé  et  ne  forment  pas 
de  catégories  significatives ,  en  sorte  que  toutes  les  lettres ,  à 
leur  tour,  peuvent  jouer  ce  rôle  ^  ;  il  aurait  pu  ajouter  que  ces 
préfixes  ne  figurent  en  aucune  façon  dans  la  liste  des  parti- 
cules sémitiques  :  or  cet  emploi  indistinct  de  toutes  les  lettres 
comme  préfixes ,  sans  qu'il  s'y  attache  aucune  acception  régu- 
lière, est  contraire  aux  principes  les  plus  simples  du  langage. 
Il  faut  dire  aussi  que  les  éléments  sur  lesquels  M.  Delitzsch 
pratique  ses  dangereuses  opérations  sont  loin  d'être  eux- 
mêmes  d'une  parfaite  authenticité.  Parfois  il  suppose  des  ra- 
cines fictives,  qui  n'ont  peut-être  jamais  existé;  trop  souvent 
enfin  il  cherche  des  exemples  de  racines  sémitiques  dans  l'hé- 
breu moderne  ;  or,  quel  que  soit  l'intérêt  de  cette  langue ,  il 
but  avouer  que  c'est  là  une  source  de  renseignements  bien 
su^ecte  pour  le  problème  qui  nous  occupe;  plusieurs  des 
mots  rabbiniques  que  M.  Delitzsch  compare  au  grec  et  au 
latin  ^  sont  empruntés  eux-mêmes  au  grec  et  au  latin  !  C'est 

>  Pott,  \oe.  eiL;  cf.  EwaM,  JaM.  dm-  h&L  Wùêentehafi,  IV  (iSSa).  p.  38-99. 
M.  Fûnt  avoae  du  reste  cel  étrange  principe.  (Libror.  Saer.  Coneord,  pref.  p.  xi.  ) 
'  Jnurun,  p.  107-108. 


â26  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

comme  si,  au  lieu  du  sanscrit,  on  avait  pris  pour  base  de  la 
philologie  indo-européenne  cette  langue  de  formation  tertiaire , 
mélëe  d'éléments  de  toute  provenance,  qu*on  appelle  hin- 
doustani. 

Malgré  l'affectation  de  MM.  Fûrst  et  Delitzsch  à  en  appeler 
sans  cesse  à  la  méthode  de  la  philologie  comparée,  nous 
croyons  donc  leur  tentative  en  contradiction  avec  les  principe»^ 
les  plus  arrêtés  de  cette  science.  Leur  procédé,  ils  ne  s'en 
cachent  pas,  est  celui  de  Platon  dans  le  Cratyh  :  supposant 
les  mots  formés  d'une  manière  logique ,  ils  aspirent  k  dresser 
la  théorie  absolue  du  langage,  à  en  trouver  le  secret  primitif 
et  à  éclaircir  toutes  les  langues  les  unes  par  les  autres  :  c'est 
reculer  volontairement  d'un  siècle  en  arrière.  On  ne  saurait 
non  plus  tenir  compte  de  l'essai  de  M.  Wûllnér^  qui  pré- 
tend déduire  le  Ibngage  de  l'interjection  et  prouver  ainsi  l'i^ 
dentité  primitive  de  toutes  les  familles  de  langues;  ni  de  cehii 
de  M.  Dietricb  (de  Marbourg)^.  qui  s'appuie  principalement 
sur  l'examen  de  certaines  catégories  de  mots,  tels  que  les  noms 
d'herbes,  de  membres  du  corps,  etc.;  ni  de  celui  de  M.  Bœt- 
ticher  ' ,  qui ,  tout  en  portant  dans  l'analyse  des  racines  sémi* 
tiques  une  méthode  meilleure  que  celle  de  MM.  Fôrst,  De- 
litzsch, Wûllner,  ne  me  pàratt  pas  avoir  satisfait  è  toutes  les 
exigences  d'une  sévère  philologie. 

*  U^fm'  die  VenDondttcKc^  de$  ïndogenmmùckm,  SemàUehen  und  Itbeta- 
nàehên,  ntbêt  êmer  EkUekitng  mbér  dm  Unpfmîg  dtr  Spréehe  ( MîkiBtiir,  i838) ; 
conf.  Pott,  ht.  âU 

*  Abhandlungenfûr  êemitûehe  Wortfonchung  (Leipzig,  18&&);  Abhandhmgen 
zur  h^àiêchm  GrammatA  (Leipzig,  18Â6). 

'  Wnne^ontiinngen  (HaBe,  t859),  et  On  the  clam^katkm  qf  êemitie  roott , 
appendice  B  au  t.  II  des  OutUnu  de  M.  Bunsen.  On  peut  rattacher  â  la  même 
méthode  le  HebréiêcKet  WnaruXadrU^but^  d'Emest  M«ier  -(Mannlieira,  i8&5). 
Je  ne  cite  pas  qneiqaes  essais,  écrits  en  français  et  kcmt  à  feit  dénués  de  valeur 
scieuliGque. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  H.  427 

A  o6të  de  ces  recherches  systëmatiques  et  témérdires ,  il  en 
est  d'aotres,  moins  ambitieuses,  dont  les  auteurs,  sans  aspirer 
à  révéler  le  mode  primitif  d*éclosion  des  langues  sémitiques  et 
indo-européennes,  se  contenteot  de  signaler  entre  les  deux  fa- 
milles, soit  des  analogies  générales,  soit  des  rapprochements 
de  détail,  et  concluent  de  ces  rapprochements,  non  une  dé- 
rivation positive ,  comme  le  voudraient  MM.  Fûrst  et  Delitzsch , 
mais  un  air  général  de  parenté,  une  aOinité  anté-grammati- 
cale.  Les  philologues  dont  nous  parlons  supposent  que  les 
peuples  sémitiques  et  indo-européens ,  sortis  d'un  même  ber- 
ceau ,  auraient  d*abord  parlé  en  commun  une  même  tangue 
rudimentaire ,  analogue  à  la  langue  chinoise,  dont  les  éléments 
se  retrouveraient  dans  les  radicaux  bilitères  de  l'hébreu;  ce 
sont,  en  effet,  ces  radicaux  bilitères  qui  offrent  avec  les  lan- 
gues indo-européennes  les  rapprochements  les  plus  accep- 
tables. Les  deux  races  se  seraient  séparées  avant  le  déve- 
loppement complet  des  radicaux ,  et  surtout  avant  l'apparition 
de  la  grammaire.  Chacune  aurait  créé  à  part  ses  catégories 
grammaticales,  sans  autre  rapport  qu'une  certaine  similitude 
de  génie.  Telle  est  l'opinion  à  laquelle  semblent  se  ranger 
MM.  Bopp,  G.  de  Humboldt,  Ewald,  Lassen,  Lepsius,  Benfey, 
Pott,  Keil,  Bunsen,  Kunik,  etc. ^  Elle  obtenait,  jusqu'à  un 
certain  point,  l'assentiment  de  M.  E.  Burnouf,  bien  que  cet 
excellent  esprit  hésitât  dans  une  voie  aussi  périlleuse,  et  n'ait 
pas  peu  contribué  à  m'inspirer,  sur  ce  point,  une  réserve 


'  CeUe  hypothèse  avait  été  entrevue  par  Fr.  Schlegel,  PhUoê,  VorUtungen 
mtbm.  aUr  diê  PkU.  der  Spr.  p.  8â.  Gonf.  Ewald,  Grammatik  der  hêbr.  Spraehe^ 
S  9  et  suÎY.  (  0*  édit.  Leipzig ,  1 835  )  ;  Lassen ,  MtieA«  AUo'Ûviumkuiiidf ,  1 ,  5s8  ; 
PoU,  dans  MEne^l.  d*Encb  et  Graber,  art  hêtgerm,  Sprachêtamm,  Le;  Kunik , 
dans  les  Mélm^m  anaiiqueM  de  VAead.  de  Smmt^^éttrMbomrg ,  I,  p.  5t5  et  suiv.; 
Bunsen,  OtUtineiy  t.  I,  p.  1711  et  aniv.  a&a  ei  suiv. 


Â28  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

qu  au  début  de  mes  études  philologiques  je  ne  gardais  pas 
autant  qu  aujourd'hui. 

sn. 

Observons  d'abord  que  sur  la  question  grammaticale  il  n'y 
a  qu'un  avis.  Les  linguistes  qui  ont  le  plus  exagéré  la  thèse 
des  affinités  entre  les  langues  indo-européennes  et  sémiti- 
ques, ont  reconnu  que  les  systèmes  grammaticaux  de  ces 
deux  familles  étaient  profondément  distincts ,  et  qu'il  est  im- 
possible de  faire  dériver  l'un  de  l'autre  par  les  procédés  de  la 
philologie  comparée.  Si  l'on  excepte  les  principes  communs  à 
toutes  les  langues ,  ou  du  moins  au  plus  grand  nombre ,  et 
qui  ne  sont  que  l'eitpression  même  des  lois  de  l'esprit  humain , 
à  peine  reste-t-il  un  mécanisme  grammatical  de  quelque  im- 
portance qui  se  trouve  dans  les  deux  familles.  La  formation 
de  la  conjugaison  par  l'agglutination  des  pronoms  personnels 
à  la  fin  de  la  racine  verbale  est  un  mécanisme  si  naturel  qu'on 
ne  peut  l'envisager  comme  une  particularité  démonstrative. 
11  existe,  sans  doute,  une  foule  d'idiotismes  d'expression  et  de 
syntaxe  qui  appartiennent  également  aux  deux  groupes  ^  ;  mais 
on  n'en  saurait  rien  conclure ,  puisque  ces  idiotismes  ont  tous 
quelque  raison  psychologique ,  et  que ,  d'ailleurs ,  les  langues  qui 
sont  parvenues  à  un  degré  de  culture  analogue  offrent  entre 
elles,  pour  le  tour,  des  ressemblances  plus  ou  moins  marquées. 

G.  de  Humboldt^,  signalant  les  différences  qui,  à  ses  yeux, 
ouvrent  un  abtme  entre  le  système  indo-européen  et  le  système 
sémitique,  place  en  premier  lieu  la  trilitérité  des  racines,  et 

'  Geseoius,  Geseh»  der  hebr,  Sprache,  S  i8,  3;  J.  A.  Eracsti,  0[micuia  philo - 
logiea  (Lugd.  Bat.  1776),  p*  171  etsuiv. 

*  Ueber  die  Ver$ehiedenheit  det  mêMchUchen  Spraehbaun,  %  93  (p.  cccxiiT  el 
suiv.  de  riotrod.  à  VEuai  tw  le  kami)'^  coof.  Ewaid,  Grammalik  der  hebr.  Spra- 
ehe  (a*  édit.)    p.  5  p(  suiv.;  Bopp,  Vergleichende  Grammatik,  p.  107. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  II.  429 

en  second  lieu  la  propriété  qa  ont  les  langues  sémitiques  d'ex- 
primer le  fond  de  Tidée  par  les  consonnes  et  les  modifications 
accessoires  de  Tidée  par  les  voyelles ,  si  bien  qu'on  peut  dire 
que  les  langues  sémitiques  sont  des  langues  dont  les  flexions 
se  font  par  l'intérieur  des  mots^  Ce  sont  là,  en  effet,  deux 
traits  essentiels ,  qui  se  rattachent  eux-mêmes  à  un  fait  plus 
général,  à  la  manière  abstraite  dont  les  Sémites  ont  conçu 
une  sorte  de  racine  imprononçable ,  attachée  à  trois  articula- 
tions et  se  déterminant  par  1^  choix  des  voyelles;  tandis  qu'au 
contraire,  la  racine  indo-européenne  est  un  mot  complet  et 
existant  par  lui-même.  La  grammaire  sémitique  nous  apparatt 
à  toutes  les  époques  comme  une  sorte  de  construction  archi- 
tecturale et  géométrique,  où  chaque  mot  est,  en  quelque 
sorte,  classé  par  sa  forme;  les  langues  ariennes  ont,  sous 
ce  rapport,  bien  plus  de  latitude  et  de  flexibilité.  La  manière 
de  traiter  le  nom  et  le  verbe  constitue  une  différence  non  moins 
profonde  entre  les  deux  familles.  L'état  construit  et  empha- 
tique des  substantifs,  les  tiovabrevises  formes  du  verbe,  l'ab- 
sence de  temps  déterminés,  l'expression  des  modes  par  des 
moyens  tout  à  fait  inconnus  aux  langues  indo-européennes ,  le 
manque  de  procédés  pour  former  des  mots  composés  et  des 
verbes  précédés  de  prépositions ,  sont  des  caractères  importants , 
qui  assignent  évidemment  à  la  grammaire  sémitique  une  place 
à  part.  On  n'expliquera  jamais ,  par  exemple ,  qu'un  groupe  de 
langues  allié  grammaticalement  aux  langues  indo-européennes 
manquât  si  radicalement  de  procédés  pour  distinguer  les  temps 
du  verbe ,  et  possédât ,  au  contraire ,  une  si  étonnante  variété 
de  moyens  pour  modifier  les  relations  verbales  subjectives 
(causatif,  désidératif,  putatif,  réciproque,  réfléchi,  etc.) 

'  Les  pluriels  brisés  et,  en  générai ,  les  mécanismes  de  lettres  senriles  insérées 
dans  le  corps  des  mots  se  rattachent  à  la  même  propriété. 


480  HISTOIRE  DBS  LANGUES  SÉMITIQUES. 

f 

Le  copte ,  je  le  sais ,  a  été  eavisagé  par  plusieurs  Imfpmiou , 
entre  autres  par  MM.  Lepsius,  Schwartze,  Bunsen ,' comme 
une  sorte  de  trait  d'union  entre  les  deux  systèmes  des  langues 
indo-européennes  et  sémitiques.  J'ai  exposé  ailleurs  (1.  I,  c.  ii, 
S  4)  les  raisons  qui  m'empêchent  d'adopter  ce  sentiment.  Les 
analogies  du  copte  avec  les  deux  familles  que  nous  venons  de 
nommer  sont  purement  extérieures  et  n'ont  rien  d'organique  : 
ce  sont  des  ressemblances,  et  non  de  véritables  affinités  lin* 
guistiques  ;  on  n'expliquera  jamais  comment  l'un  des  systèmes 
a  pu  engendrer  l'autre,  ni  comment  ils  peuvent,  tous  les  trois, 
procéder  d'un  même  type.  J'avoue,  d'ailleurs,  que  je  n'ai  ja- 
mais pu  me  faire  une  idée  claire  de  ce  que  serait^  en  philologie 
comparée ,  une  famille  de  langues  qui ,  par  sa  nature  et  i»^ 
dépendamment  de  tout  emprunt ,  fût  intermédiaire  entre  deux 
autres,  tenant  à  l'une  par  sa  grammaire,  à  l'autre  par  son 
dictionnaire.  Le  pehlvi,  le  persan  moderne,  l'hindoustani  nous 
offrent,  il  est  vrai,  un  vocabulaire  en  grande  partie  sémitique 
et  une  granmiaire  indo-européenne;  le  turc,  un  vocabulaire 
indo-européen  et  sémitique  accouplé  à  une  grammaire  tajr- 
tare  :  mais  ce  sont  là  des  phénomènes  de  mélange  relati- 
vement modernes  et  dont  la  raison  historique  se  laisse  aper- 
cevoir. Au  contraire,  quand  il  s'agit  de  langues  simples  et 
primitives,  on  ne  saurait  expliquer  que  la  gfammaire  d'une 
famille  se  retrouvât  dans  une  autre  famille ,  séparée  du  lexique. 
Pour  maintenir  cette  opinion,  il  faudrait  soutenir  que  les 
Ghamiteà  vécurent  en  société  avec  les  Sémites,  longtemps 
après  que  ceux-ci  se  furent  séparés  des  Ariens,  puisque  la 
grammaire,  qu'on  suppose  s'être  développée  à  une  époque 
plus  moderne,  est  analogue  entre  les  Ghamites  et  les  Sémites, 
différente  entre  les  Sémites  et  les  Ariens.  Mais  alors,  à  plus 
forte  raison,  le  dictionnaire,  qu'on  suppose  antérieur  à  l'appa- 


LIVRE  V,  CHAPITRE  IL  431 

riiion  de  la  granunaire,  devrait  être  analogue  chez  les  Sémites 
et  les  Chamites  :  or  le  dictionnaire  sémitique  et  le  diction- 
naire copte  n'ont  rien  de  commun.  Au  milieu  de  ces  profondes 
obscurités,  l'hypothèse  d'un  emprunt  très-^mcien  au  moyen 
duquel  les  langues  africaines ,  par  elles-mêmes  très-imparfaites , 
se  seraient  complétées  en  s'appropriant  le  système  sémitique 
de  la  conjugaison,  des  pronoms  et  des  noms  de  nombres,  est 
encore  peuirétre  la  plus  acceptable.  Le  copte ,  le  berber,  le  galla 
et  les  diverses  langues  de  l'Afrique  orientale  nous  apparaissent 
h  l'égard  des  langues  sémitiques  dans  une  même  position  de 
vassalité  ^ 

11  faut  donc  renoncer  à  chercher  un  lien  entre  le  système 
grammatical  des  langues  sémitiques  et  celui  des  langues  indo- 
européennes. Ce  sont  deux  créations  distinctes  et  absolument 
séparées.  Or,  dans  l'œuvre  du  classement  des  langues,  les 
considérations  grammaticales  sont  bien  plus»  importantes  que 
les  considérations  lexicographiques.  On  citerait  beaucoup  de 
langues  qui  ont  enrichi  ou  renouvelé  leur  vocabulaire,  mais 
bien  peu  de  langues  qui  aient  corrigé  leur  gnumnaire^.  Le 
syriaque  a  pu  combler  les  lacunes  de  son  dictionnaire  en  y  en- 
tassant des  mots  grecs,  jamais  suppléer  par  un  temps  nou- 
veau à  l'imperfection  de  son  système  de  conjugaison;  le  turc 

'  V.  d-dems,  p.  7^  et  soiv.  81, 3i8-3i9.  Cf.  Neaman,  Zmtieknfifmr diê K. 
<i8f  M.  t.  VI,  p.  961,  309-3 10,  etc.  M.  de  Siane  crail  avoir  retrouvé  en  berber 
ia  triiitérité  des  racines,  les  formes  du  verbes  et  les  particularités  des  verbes 
faibles  et  défeclifs. 

'  Une  expérience  vidgaire  confirme  ce  résultat  Un  bomme  transporté  bors  de 
sa  pcirie,  snrtont  si  on  le  su]^po8e  incapable  d'apprendre  une  langne  autrement 
que  par  Tusa^,  parviendra  au  bout  de  qjuelqne  temps  à  n'employer  que  des  mots 
reçus  dans  le  nouveau  pays  qu'il  babite.  Mais  lai  demander  de  se  désbabituer  de 
son  tour  étranger^  de  ses  idiotismes  nationaux,  c'est  lui  demander  llmpossible. 
Ces  tours  ont  vieilli  avec  lui ,  et  se  sont ,  en  quelque  sorte,  assimilés  à  sa  pensée. 


/i32  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

a  pu  charger  son  dictionnaire  de  mots  arabes  et  persans ,  ja- 
mais modifier  sa  grammaire  tartare.  Le  français  a  pu,  au 
xvi*  siècle,  s'enrichir  d'une  foule  de  mots  empruntés  artifi- 
ciellement aux  langues  anciennes ,  et  tous  les  efforts  des  poètes 
et  des  rhéteurs  de  ce  temps  n'ont  pu  lui  donner  le  simple  pro- 
cédé de  la  composition  des  mots;  si  bien  que,  pour  faire  des 
mots  composés,  nous  sommes  obligés,  comme  Ronsard,  de 
parler  grec  et  latin.  Les  langues  sémitiques  ont  de  même 
beaucoup  plus  changé  dans  leur  vocabulaire  que  dans  leur 
grammaire,  et  Ton  s'exposerait  à  de  grandes  erreurs,  si  l'on 
prenait  comme  des  éléments  primitifs  toutes  les  racines  que 
l'arabe ,  Taraméen ,  le  rabbinique  ajoutent  au  fonds  véritable- 
ment ancien  de  l'hébreu. 

La  grammaire  est  donc  la  forme  essentielle  d'une  langue, 
ce  qui  en  constitue  l'individualité.  Le  tort  de  l'ancienne  école 
était  de  négliger  cet  élément  essentiel  pour  suivre  la  voie  de 
l'étymologie,  voie  doublement  trompeuse,  d'abord  parce  que 
l'identité  des  racines  ne  peut  jamais  être  constatée  avec  une 
entière  certitude,  au  milieu  des  rencontres  fortuites  et  des 
homonymies  dont  le  langage  est  rempli;  en  second  lieu, 
parce  que,  de  l'identité  d'un  certain  nombre  de  radicaux,  on 
ne  saurait  rien  conclure  pour  l'affinité  originelle  des  langues 
auxquelles  les  radicaux  appartiennent,  puisqu'on  peut  tou- 
jours se  demander  s'il  n'y  a  pas  eu  quelque  emprunt  de  l'une 
à  l'autre.  Ces  considérations  ne  tendent  nullement  à  dépré- 
cier l'étymologie ,  quand  elle  est  conduite  suivant  une  méthode 
vraiment  scientifique,  mais  seulement  à  inspirer  une  crainte 
salutaire  sur  les  résultats  hâtifs  d'une  comparaison  verbale 
trop  complaisante,  qui  nous  ramènerait,  par  une  autre  voie, 
aux  temps  de  Goropius  Becanus  et  de  Court  de  Gébelin. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  II.  433 


S  m. 


On  ne  pent  nier  que  plusieurs  des  racines  essentielles  et 
monosyHabiques  des  langues  sémitiques  ne  se  prêtent  à  des 
rapprochements  séduisants  avec  les  racines  des  langues  arien* 
nés.  Le  tort  que  M.  Fûrst  et  son  école  ont  fait  à  cette  thèse 
par  leurs  analyses  artificielles  ne  doit  pas  nous  porter  à  rejeter 
d'autres  analogies,  qui  ont  frappé  les  meilleurs  esprits  et  sur 
lesquels  le  doute  n'est  pas  possible.  Nous  admettons  volontiers 
que  les  langues  sémitiques  et  indo-européennes  ont  en  réalité 
un  assez  grand  nombre  de  racines  communes,  en  dehors  de 
celles  qui  proviennent  d'un  emprunt  fait  à  une  époque  histo- 
rique. Seulement  est-on  en  droit  de  conclure  de  l'existence  de 
ces  racines  l'unité  primitive  ou  anté-grammaticale  des  deux 
familles?  Ici  le  doute  commence,  et  il  n'est  guère  permis  d'es- 
pérer que  la  science  arrive  jamais  sur  ce  point  à  des  résultats 
démonstratifs. 

La  plupart,  en  effet,  des  racines  coinmunes  aux  deux  fa- 
milles ont  une  raison  secrète  dans  la  nature  des  choses,  et 
souvent  on  peut  entrevoir  la  cause  qui  de  part  et  d'autre  a 
produit  l'identité.  Presque  toutes  ces  racines  appartiennent  à 
la  classe  des  onomatopées  bilitères  et  monosyllabiques,  que 
l'on  retrouve  sous  les  radicaux  trilitères  actuellement  existants, 
et  dans  lesquelles  la  sensation  originaire  semUe  avoir  laissé 
'  son  empreinte.  Est-il  surprenant  que ,  pour  exprimer  l'action 
matérielle,  l'homme  primitif,  encore  si  sympathique  avec  la 
sature ,  à  peine  séparé  d'elle ,  ait  cherché  à  l'imiter  et  que 
l'unité  de  l'objet  ait  partout  entraîné  l'unité  de  l'imitation? 
Sans  doutQ  cette  unité  a  dû  souffrir  de  nombreuses  excep- 
tions ;  car  le  fait  physique  offre  plusieurs  faces  sous  lesquelles  il 
a  pu  être  simultanément  envisagé.  Mais  parmi  ces  faces  il  en 

1.  98 


àià  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

est  une  qui  a  frappé  de  préférence  les  habitants  de  tous  les 
climats  ;  c'est  celle-là  qui  a  laissé  sa  trace  dans  la  langue  de 
tous  les  peuples,  et  est  restée  comme  le  témoin  des  impres- 
sions primitives  qui  déterminèrent  partout  Tapparition  du  fait 
de  la  parole. 

Quelques  exemples  vont  éclaircir  et  compléter  ma  pensée  ; 

La  racine  v^  ou  nV  sert  de  fond,  dans  les  langues  sémi- 
tiques, à  une  foule  de  radicaux  trilitères,  comme  »^by  ^^9, 

»^,  w)y  3^V,  ifjf  anS,  on^,  onS,  on^;  syriaque  :^,  ^, 

arabe  :  i^y  Jaii^  yi^  «â^yJ,  Jmj2.,  ir^^  etc.,  dans  lesquels 
se  retrouve  quelque  chose  de  la  signification  fondamentale  de 
lécher  ou  dWfer.  Que  le  choix  de  ces  deux  lettres  soit  par- 
faitement approprié  à  Faction  physique  qu'il  s  agissait  d'ex- 
primer, c'est  ce  qui  frappe  au  premier  coup  d'œil  :  la  langue 
et  la  gorge  étant  les  organes  qui  jouent  le  rôle  principal  dans 
la  déglutition ,  la  linguale  S  et  la  gutturale  ^  formaient  la  plus 
parfaite  imitation  qui  se  puisse  imaginer  de  l'action  d'avaler 
(v!;>,  guh).  Puis,  grâce  aux  procédés  flexibles  et  lâches  des 
langues  populaires,  la  racine,  avec  des  modifications  diverses 
et  en  s'adjoignaat  des  lettres  plus  ou  moins  appropriées  à  la 
nuance  qu'on  voulait  rendre,  a  désigné  tous  les  mouvements 
xle  la  bouche  et  les  actions  qui  s'opèrent  au  moyen  de  cet  or- 
gane. Or  cette  même  racine  v^  ou  rh  »  nous  la  retrouvons  dans 
la  plupart  des  langues  indo-européennes ,  avec  le  même  sens  : 
sanscrit:  fHS( lécher),  Hïï (goûter),  H)«h  (parier);  >e/;^«, 
Xi;^/t«aûi;  Ungo,  Ugurio,  lingua,  gula  (^/),  glutio;  kcken,  lechzen; 
to  liek;  teccare;  Ucher;  celt.  lonkan,  et,  avec  l'addition  des  la- 
biales b  et  m,  2rà ,  unhj  Jambere,  Xatfiôs,  Xdj^ù),  labium,  sanscr. 
(Sfq*,  pers.  «^J,  allem.  Uppe,  etc.  Nofis  ne  saurions  voir  un 


LIVRE  V,  CHAPITRE  IL  &36 

kasard  dans  ces  ressemblances  ;  1  mitatÎQn  de  1  action  naturelle 
a  ëté  évidemment  la  cause  commune  qui  a  détenniné  des  lan* 
guas  si  diverses  à  exprimer  la  miâme  idée  par  les  mâmes  arti- 
culations. 

Autfes  exemples  :  Vi\  ^Vk,  J3J3,  etc.  ei^riment  Tacclama- 
tion  d'une  multitude,  et  offirent  une  analogie  firappante  avec 
iXoXi/^eiv^  âXaXdUtv,  IcCksiios,  y'ulare,  ululare,  etc. ,  tous  imita- 

tifs  d*un  cri  prolongé.  Il  en  est  de  même  de  yr ,  syr.  f^^^t 

^  «(dangor  tubœ, ^^  %^\ ,  qui  correspondent  à  j3afi€x/yâ;,  jSot^ 
{siv,  |8od£&Fy  etc. 

Vd  est  la  base  de  radicaux  plus  nombreux  encore ,  marquant 
tous  l'action  de  tmXer.  Comparez  xin  =  ghmus,  gîomerare, 
gbbui,  jolkùûj  xjuiklvitù  y  ei^, 

13  =  idée  de  frapper.  Tis,  nns  =  cudere,  percutere,  quor 
iere,  etc. 

«•1?=  crier.  Cf.  xpcÉ^û»,  xvpuo'aGJ  (xpay=xjypi;y),  krâhen, 
p*7tf  1=  siffler  :  <rvpilojy  aipty^^  etc. 
*|^3  =  xoAfl6r7û;. 

T}?  j  l*??»  T2?  »  etc.=greifen,  carpo,  griffe,  dpndl^ta^  persan  : 
^|Xi^ = saisir. 

ehn  =  jiflpéar^eù  ;  Dt9*^n ,  hiérogrammate. 

yfV{  :=.  tamen ,  danza,  slave  :  iamec. 

2^b  (démembrement  du  radical  ^S),  balbutier,  et,  par 
suite  :  <tbalbutiendo  imitatus  est  per  ludibriun]\,  irrisit  ;  97  chald. 
:i^^^ ,  s  irrisit.  9  Cf.  yeTJùf^  X^^^f  x^^'^f  8^^-  hlalyan,  lachm. 

hi^i  (famille  Sdk,  ^ok,  nbo,  ^33,y!iZ,  hci,  marquant  faiblesse, 
chute).  Comparez  a<pd^^^  faih,  fallen,  et  peut-être  loin,  par 
transposition. 

On  peut  ajouter  à  cette  liste  les  mots  3M ,  fin,  dk  ,  mire, 

fl8. 


h36         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Le  &  et  Ym  sont  dans  presque  toutes  les  langues  les  deux  let- 
tres consacrées  aux  noms  du  père  et  de  la  mère ,  la  première 
à  cause  de  la  facilité  de  sa  prononciation  labiale,  la  seconde, 
parce  qu'elle  résulte  de  Taction  même  de  1  enfant  qui  suce  la 
i]|>amelie  (mofitma).  Dans  les  langues  indo-européennes,  les 
terminaisons  tri,  ter  [pitri,  mâtri,  mater,  etc.)  sont  des  suffixes 
attachés  aux  radicaux  pâ,  mâ^. 

Je  suis  fort  loin  assurément  d'attacher  la  même  valeur  à 
tous  ces  rapprochements.  Plusieurs  peuvent  n'être  que  l'effet 
du  hasard  :  l'échelle  des  sons  de  la  parole  humaine  est  trop 
peu  étendue ,  et  les  sons  se  fondent  trop  facilement  les  uns  dans 
les  autres,  pour  qu'en  un  cas  donné  il  soit  possible  de  pro- 
noncer avec  certitude  s'il  y  a  rencontre  fortuite  ou  véritable 
affinité.  Un  grand  nombre  de  faits  se  reliant  les  uns  aux  autres 
par  des  lois  phonétiques  .constantes,  comme  cela  a  lieu  dans 
le  sein  delà  famille  indo-européenne,  peuvent  seuls  produire, 
en  fait  d'étymologies ,  la  conviction  scientifique.  Je  n'oserais 
dire  que  cette  condition  soit  remplie  pour  les  exemples  qui 
viennent  d'être  cités  ;  mais  il  en  est  quelques-uns  où  l'on  ne 
peut  s'empêcher  de  voir  la  trace  d'un  des  procédés  qui  durent 
exercer  l'influence  la  plus  décisive  sur  la  formation  du  langage. 
Dès  lors  il  est  impossible  d'en  tirer  aucune  conséquence  sur 
l'unité  primitive  des  deux  familles,  puisque  les  mêmes  causes 
ont  pu  produire  de  part  et  d'autre  des  effets  semblables. 

N'effaçons  pas  les  faits ,  toutefois ,  pour  nous  soustraire  aux 
difficultés,  et  avouons  qu'il  existe  simultanément  dans  les 
langues  indo-européennes  et  les  langues  sémitiques  un  grand 
nombre  de  racines,  où  la  raison  d'onomatopée  est  beaucoup 

*  Gonf.  Bopp,  Ghiê.  êamcntum,  s.  h.  v.;  Gesenius,  Ldurgthéhidej  p.  ^79; 
Ewald,  Grammatik  âtr  A«6r.  Spr,  S  soi .  La  lettre  t  sert  aum  dans  plusieurs  lan- 
gues â  former  le  nom  du  père. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  II.  &37 

plus  difficile  à  saisir.  Voici  qneiqués-unes  des  assimilations  qui 
ont  été  proposées,  et  panni  lesquelles  il  en  est  d'assez  spécieuses  : 

p^  =  cornu,  allem.  ham,  celt.  kem. 

if^H^^Erde,  pehlvi  arta,  goth.  airtha. 

nnD,  numrir.  On  peut  supposer  avec  Gesenius  que  le  i  mé- 
diant  remplace  un  i  amolli,  comme  cfn  pour  cfn^,  de  sorte 
que  le  radical  sémitique  serait  mrt,  comme  dans  les  langues 
indo-européennes.  ^ 

vfp  (  remplir) = sanscr.  I|,  trrA^,  tgXnptfSf  ^iiiirXvfu  ^  plô- 
nus,  impiere,  Julien,  voU,  tojill,  polon.  pihfty. 

iVtf,  rh^^  etc.  =  Mi&w«,  salus? 

-^op,  îTD,  ^,  kù^,  g>t,  (jûU,  ^jbo=  sanscr.  fÎT^, 
pers.  (2yAtf0L«(  {^^^y9gM\  ),  fiicryoû,  misceo,  polon.  mtefteon^  to  mash, 
mischen,  celt.  meskan. 

^"13,  ")«,  n^s,  etc.  idée  de  creuser,  percer,  couper,  Jvo» 
curhu  Juii,  c^[^,  ^,  xeipcû. 

yOy  ILovd  et  ILovd  (volumen),  idée  de  rondeur =ctrea, 
circulus  (diminutif  de  circus)^  xipxos,  xipxtvofy  xuxXo^  (?). 

pVn,  idée  de  poli,  aba,  nSa,  arabe  :  i^,  «polivit,»  iAs^*, 
Rrasit,  totondit?)  z=  glaber,  cahus,  yXvxie  (p'jn,  agréable) 
7X01^^  yXhxpos^  glacieê,  glisco,  gluten,  allem.  ^Ja<<^  G2u^ 
gleissen,  glânzen. 

3^n ,  «  pinguis  fuit  )»  =  fppi ,  Xha  (  l'aspiration  initiale  étant 

tombée),  Xi^nda^,  Xinap6sy  âXei^. 

Racine  di3,  d^,  d^,  marquant  l'idée  de  réunion  =  cum, 
cumulus,  âfia^  aivy  sammt,  etc.  ^ 

'  V.  Geseiiiiis,  Ltxkm  mamak,  au  mot  DD^t  et«  en  généml,  aox  racines 

précitées.  .4  ^ 


&38         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Les  plas  frappants  des  rapprochements  de  ce  genre  s'obser- 
vent pour  les  pronoms  et  les  noms  de  nombre  ^,  dont  qudqiles- 
uns  présentent  dans  les  langues  ariennes,  sémitiques,  et  même 
dans  le  copte,  une  remarquable  identité. 

PR0H0H8. 

i"  pers.  sÎDg.     oiM*  —  lép  (béot.)  pour  iyw;je  pour  tb,  ego;  aUem. 

ich;  sanscr.  ak-am  :  rapprochement  douteux, 
i"  pers.  plur.     an^^wm-^vé,  nùê,  ceit  ny. 
9*  pers.  smg.     a»4ii  —  indo-eorop.  tu. 
■3*  pers.  sing.     kim,  U —  pers.  o,  edt.  han,  it. 

NOMS  DE  IfOnBB. 

1       Aad — sanscr.  ekaf 

9       «fMfywij  oa  ùia(ym)  —  sanscr.  iwi,  gotfa.  IjDa,  etc. 
3       ilat^  on  tiai  —  tri,  rparip,  etc.  par  le  changement  de  / 

enr. 

6  se$  —  sanscr.  soi,  é^,  wx,  etc. 

7  iha —  sanscr.  muptan,  êeptem,  etc.  ;  le  (  n*est  pas  essen- 

tiel :  goth.  êilnm,  aliem.  sieben,  angl. 

11  serait  impossible  de  donner  en  détail,  pour  chacune  de 
ces  racines,  la  cause  qui  a  déterminé  la  ressemblance.  Aussi 
bien  ne  peutr-on  exiger  du  linguiste  d'accomplir  une  tâche  qui 
surpasse  sans  doute  de  beaucoup  les  limites  du  savoir  hu- 
main. Dès  qu'on  t|  réussi ,  pour  un  certain  nombre  d'exem- 
ples ,  à  expliquer  l'homonymie ,  on  est  en  droit  de  tirer  l'in- 

'  Gonf.  Lepfliitt,  Uebêr  étm  Unprtmg  tuid  die  Verwandtêchifi  der  Zahhotmier  m 
den  Indogtmumûehmf  Semiiûchen  und  Kttptûcke»  Spraehên  (  Berlin,  1837). 

'  An  constitue  un  soutien  commun  à  la  plupart  des  pronoms  séndtiqnes.  fin 
araméen  et  en  arabe,  le  pronom  de  la  première  personne  est  awa;  mais  le  pro- 
nom affîxe  est  t  comme  en  hébreu  :  or  la  forme  du  pronom  affiie  est  plus  essen- 
tielle que  celle  du  pronom  isolé. 

'  Afin  de  rendre  le  parailélisme  plus  sensible,  je  franscris  la  chuintante  <eft 
par  la  sifflante  simple  f . 


LIVRE  V,  CHAPITRE  IL  439- 

dactioii  générale 9  que,  dans  les  das  non  exf4i([ués,  il  y  a  une 
raison  secrète  d'identité  ^  bien  que  cette  raison  ne  se  laisse  pas 
fiuâlement  apercevoir.  Une  foule  de  relations  d  onomatopée , 
qui  frappaient  vivement  la  sensibilité  des  premiers  hommes, 
nous  échappent.  De  même  que  chez  les  animaux  l'instinct  est 
d'ordinaire  en  raison  inverse  de  ce  qu'on  peut  appeler  l'intel- 
ligence; de  niéme  chez  llionune  primitif,  la  sensibilité  était 
d'autant  plus  fine  que  les  facultés  rationnelles  étaient  moins 
dével<^pées.  Le  sauvage  saisit  mille  nuances  qui  échappent 
à  Fattention  de  l'homme  civilisé.  H  faut  évidemment  admettre 
chez  les  ancêtres  de  l'espèce  humaine  un  sentiment  spécial 
de  la  nature ,  qui  leur  faisait  apercevoir  avec  une  délicatesse 
dont  nous  n'avons  plus  d'idée  les  qualités  qui  devaient  four- 
nir l'appellation  des  choses.  La  faculté  des  signes,  qui  n'est 
qu'une  sagacité  extraordinaire  à  saisir  les  rapports,  était  en 
eox  plus  exercée  ;  ils  voyaient  mille  choses  à  la  fois.  La  nature 
leur  pariait  plus  qu'à  nous,  bu  plutôt  ils  trouvaient  en  eux- 
mêmes  un  écho  secret  qui  répondait  à  toutes  ces  voix  du 
dehors,  et  les  rendait  en  paroles.  Est*il  surprenant  que  la  trace 
de  ces  impressions  fugitives ,  conservée  par  des  mots  qui  ont 
subi  tant  de  changements  et  qui  sont  si  loin^  de  leur  acception 
originelle,  soit  pour  nous  insaisissable?  Nous  devons  renoncer 
à  retrouver  le  sentier  capricieux  que  suivit  l'imagination  des 
créateurs  du  langage  et  les  associations  d'idées  qui  les  guidè- 
rent dans  cette  œuvre  spontanée,  où  tantèt  l'homme,  tantôt  la 
nature  renouaient  le  fil  brisé  des  analogies,  et  croisaient  leur 
action  réciproque  dans  une  indissoluble  unité. 

Il  ne  faudrait  pas  croire ,  d'ailleurs ,  que  l'imitation  par  ono- 
matopée ait  été  le  seul  procédé  qu'empk^èrent  les  premiers 
nomenclateurs  ;  toutes  les  langues  n'en  offrent  pas  de  traces 
également  sensibles,  et  c'est  un  penchant  funeste  &  la  science 


4&0  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

que  de  rattacher  de  force  toufs  les  faits  à  la  même  cause.  Uoe 
fouie  d'opérations  intellectuelles ,  actuellement  perdues ,  ou  ré- 
duites à  un  chétif  exercice  et  comme  à  Tétat  rudimentaire, 
durent  contribuer  pour  leur  part  au  travail  d'où  sortit  le  lan- 
gage, et  c'est  l'identité  de  ces  (^érations  qui  explique  com- 
ment, chez  des  races  diverses,  les  langues  présentent  souvent 
un  air  de  famille  et  des  analogies  de  détail*  Sans  doute,  on 
ne  peut  admettre  qu'il  y  ait  une  relation  intrinsèque  entre  le 
nom  et  la  chose.  Le  système  que  Platon  a  si  subtilement  dé- 
veloppé dans  le  Cratyle,  cette  thèse  qu'il  y  a  des  dénominations 
naturelles ,  et  que  la  propriété  des  mots  se  reconnaît  à  l'imita- 
tion plus  ou  moins  exacte  de  l'objet,  pourrait  tout  au  plus 
s'appliquer  aux  noms  onomatopiques ,  et  pour  ceux-ci  mêmes, 
la  loi  ^dont  nous  parlons  n'établit  qu'une  convenance.  Néan- 
moins, il  faut  maintenir  que  toute  appdlation  a  $a  cause  dans 
l'objet  appelé ,  et  que  le  hasard  n'eut  aucune  part  dans  l'œuvre 
constitutive  des  langues  ^  Jamais,  pour  désigner  une  chose 
nouvelle,  on  ne  prend  le  premier  nom  venu;  si  l'on  s'est  dé- 
cidé, à  l'origine,  pour  telle  ou  telle  articulation,  ce  choix  a 
eu  sa  raison  d'être.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  la  même 
raison  ait  existé  dans  des  lieux  divers  et  ait  produit  parallèle- 
ment des  mots  semblables  pour  la  même  idée. 

Ces  considérations  semblent  suffisantes  pour  expliquer  les 
ressemblances  verbales  que  l'on  observe  entre  les  langues  sé- 
mitiques et  les  langues  indo-européennes.  Le  hasard,  d'ailleurs, 
a  pu  amener  entre  les  mots  des  coïncidences  de  son  assez  firap- 

'  Les  analogies  secrètes  et  souvent  insaisissables  diaprés  lesquelles  le  peuple  et 
les  enfants  forment  les  8(^riquet8,  les  noms  de  lieux  et,  en  général,  tous  les 
mots  qui  ne  leur  sont  pas  imposés  par  Tusage,  sont  la  preuve  de  cette  vérité.  Le 
lendemain  du  jour  où  une  armée  s^ést  établie  dans  un  pays  inconnu ,  tous  les  en- 
droits importants  ou  caractéristiques  ont  des  noms,  sftns  qu^aucune  convention 
soit  intervenue  pour  cela. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  IL  4M 

pantes  pour  tromper  l'ëtymologiste.  Entre.  les  identités  réeUes 
et  les  homonymies  illusoires,  la  ligne  de  démarcation  est  bien 
difficile  à  saisir  ;  et  quel  est  le  philologue  qui  peut  être  assuré 
de  l'avoir  toujours  respectée? 

$  IV.  , 

Nous  pensons  donc  que  y  dans  Tétat  actuel  de  la  science  des 
langues,  la  bonne  méthode  conunandede  tenir  pour  dis- 
tinctes la  famille  sémitique  et  la  famille  indo-européenne.  Au- 
tant dans  l'intérieur  d'une  famille ,  l'étymologie  s'exerce  avec 
assurance;  autant  d'une  famille  à  une  autre,  toute  tentative 
de  rapprochement  étymologique  est  dangereuse*  L'étymologie 
reste  un  jeu  arbitraire ,  tant  que  l'on  n'a  point  déterminé  ex- 
périmentalement les  lois  d'après  lesquelles  les  sons  se  per- 
mutent en  passant  d'une  langue  à  l'autre  :  c'est  la  connais- 
sance de  ces  lois  qui  donne  à  la  philologie  comparée  dans  le 
sein  ^e  la  famille  indo-européenne  un  si  haut  degré  de  cer- 
titude. Or,  non-seulement  l'étymologie  sémitico-arienne  ne 
possède  pas  de  règles  analogues;  mais  on  ne  voit  aucune  pos- 
sibilité d'arriver  sur  ce  point  à  quelque  chose  de  satisfaisant. 
Jusque-là,  cependant,  il  est  clair  que  les  rapprochements 
entre  les  deux  familles,  livrés  à  l'appréciation  de  chacun  et 
au  jugement  si  trompeur  de  l'oreille ,  n'auront  aucun  carac- 
tère scientifique.  On  a  assimilé,  par  exemple,  la  nombreuse 
famille  de  racines  sémitiques  qui  a  pour  base  nD  (voir  ci-dessus, 
p.  86-87)  hijrangere,  brechen,  etc.  sans  remajrqner  que  la  ra- 
cine indo-européenne  à  laquelle  se  rapportent  ces  mots  est  rg 
et  non  fr  (sanscr.  0^9  fiffywpu,  Vf  on  le  b  initial  représentant 
l'aspiration  inséparable  de  Yr,  comme  ^péxos,  éol.  pour  pàlxof). 
De  même ,  on  a  mis  la  racine  "i^n ,  "in ,  exprimant  révolution  en 
cercle  et  durée,  en  rapport  avec  durare,  dauem,  totmum,  tour. 


hUi         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIOUES. 

san»  se  rendre  compte  de  la  signification  primitive  de  la  ra- 
cine dkri,  Jhur,  qui  ne  renferme  nullement  l'idée  de  mouv^ 
m^nt  circulaire  ^ 

Les  langues  les  plus  diverses  étant  le  produit  de  la  nature 
humaine,  partout  identique,  offrent  nécessairement  des  res- 
semblances; mais  des  ressemblances  ne  sont  pas  des  analogies 
organiques,  telles  qa'il  en  faut  pour  affirmer  la  parenté  pri- 
mitive des  langues.  Rapporter  à  une  même  origine  les  peuples 
entre  lesquels  on  trouve  quelque  élément  conmiun,  et,  comme 
on  trouve  de  ces  éléments  dans  toute  l'humanité,  en  conclure 
l'unité  primitive,  est  une  hypothèse  fort  commode  et  la  pr^oûère 
qui  se  présente  ;  car  on  s'adresse  toujours  aux  causes  extérieures 
avant  de  rechercher  les  causes  psychologiques.  L'unité  maté- 
rielle de  race  frappe  et  séduit  ;  l'unité  de  l'écrit  humain ,  con- 
cevant et  sentant  partout  de  la  même  manière,  reste  dans 
l'ombre.  En  un  sens ,  funité  de  l'humanité  est  une  proposition 
sacrée  et  scientifiquement  incontestable;  on  peut  dire  qu'il  n'y 
a  qu'une  langue,  qu'une  littérature ,  qu'un  système  de  traditions 
mythiques ,  puisque  ce  sont  les  mêmes  procédés  qui  partout  ont 
présidé  à  la  formation  des  langues ,  les  mêmes  sentiments  qui 
partout  ont  fait  vivre  la  littérature  et  la  poésie,  les  mêmes 
idées  qui  se  sont  partout  traduites  par  des  mythes  divers.  Mais 
faire  cette  unité  intellectuelie  et  morale  synonyme  d'une  unité 
matérielle  de  race,  c'est  rapetisser  un  grand  principe  aux 
minces  proportions  d'un  fait  d'intérêt  secondaire,  sur  lequel 
la  science  ne  dira  peut-être  jamais  rien  de  certain. 

D'un  autre  côté,  nous  reconnaissons  volontiers  que  rien, 
dans  ce  qm  précède,  n'infirme  l'hypothèse  d'une  affinité 
primordiale  entre  les  races  sémitiques  et  indo-européennes. 
On  ne  peut  dire  qu'une  telle  hypothèse  soit  rigoureusement 

^  Beafey,  Griêchiêdim  WurzêUêsioon^U,  p.  i&-i5,  3a6. 


LIVKE  V,  CHAPITRE  II.  443 

exigée  par  les  faits;  mais  elle  y  satisfait  et  rend  <;ompte  de 
plasieurs  particularités  sans  cela   difficilement  explicables. 
Qadqae  distincts,  en  effet,  que  soient  le  système  sémitique 
et  le  système  arien ,  on  ne  peut  nier  qu'ils  ne  reposent  sur  une 
manière  semblable  d'entendre  les  catégories  du  langage  hu- 
main, sur  une  même  psychologie ,  si  j'ose  le  dire ,  et  que ,  com- 
parés au  chinois,  ces  deux  systèmes  ne  révèlent  une  organi- 
sation intellectuelle  analogue.  Quant  au  tour  que  l'on  donne 
d'ordinure  à  cette  opinion ,  et  k  l'expression  A^antè-grammat^ 
cale  que  Ton  emploie  pour  désigner  l'affinité  dont  il  s'agit,  je 
ne  puis  l'accoter.  La  théorie  générale  du  langage  élève  contre 
cette  manière  de  concevoir  les  choses  d'insurmontables  diffi- 
cultés. S'il  est  absurde  de  supposer  un  premier  état  où  l'homme 
ne  paria  pas ,  suivi  d'un  autre  où  régna  l'usage  de  la  parole , 
il  ne  Test  pas  moins  de  supposer  le  langage  d'abord  ne  pos- 
sédant que  des  radicaux  purs,  puis  arrivant  par  degrés  à  la 
conquête  de  la  grammaire.  Le  chinois  qui  naquit  sans  gram- 
maire est  resté  sans  grammaire  jusqu'à  notre  temps  ^;  on  peut 
affirmer  que  les  langues  sémitiques ,  si  remarquables  par  leur 
immutabilité ,  n'eussent  jamais  réussi  à  se  donner  cet  élément 
essentiel ,  si  elles  ne  l'avaient  eu  dès  le  premier  jour.  Les  lan- 
gues sortent  complètes  de  l'esprit  humain  agissant  spontané- 
ment. L'histoire  des  langues  ne  fournit  pas  un  seul  exemple 
d'une  nation  qui ,  par  le  sentiment  des  défauts  de  son  lan- 
gage ,  se  soit  créé  un  idiome  nouveau ,  ou  ait  fait  subir  à  l'an- 
cien des  modifications  librement  déterminées.  Si  les  langues 
pouvaient  se  corriger,  pourquoi  le  chinois  ne  serait- il  point 
arrivé  à  développer  complètement  dans  son  sein  les  catégories 

I  Le  cldiiois  moderne  aUeîni,  il  est  vrai,  ime  pins  grande  détermioalion  que 
la  langue  andeone ,  mais  ne  poisède  point  le  principe  organique  de  la  grammaire , 
dans  le  sens  que  nous  attachons  à  ce  mot. 


ààU  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

grammaticales ,  que  nous  regardons  cpmme  essentielles  à  l'ex- 
pression de  la  conscience  ?  Pourquoi  les  langues  sémitiques  n'au- 
raient-^Ues  jamais  su  inventer  un  système  satisfaisant  de  temps 
et  de  modes,  et  combler  ainsi  une  lacune  qui  rend  si  perplexe 
le  sens  du  discours?  Comment  se  faitr-il  qu'après  des  siècles 
de  contact  avec  des  alphabets  plus  parfaits,  et  malgré  les  im- 
menses difficultés  qu  entraîne  Tabsence  de  voyelles  régulière- 
ment écrites,  les  Sémites  n'aient  jamais  réussi  à  s'en  créer  ?  C'est 
que  chaque  langue  est  emprisonnée  une  fois  pour  toutes  dans 
sa  grammaire  ;  elle  peut  acquérir  par  la  suite  des  temps  plus 
de  grâce,  d'élégance  et  de  douceur;  mais  ses  qualités  distino- 
tives^  son  principe  vital,  son  ftme,  si  j-ose  le  dire,  apparaissent 
tout  d'abord  complètement  fixés  ^ 

De  là  cette  conséquence ,  que  ce  n'est  pas  par  des  juxtapo- 
sitions successives  que  s'est  formé  le  langage;  mais  que,  sem- 
blable aux  êtres  vivants,  il  fut,  dès  son  origine,  en  possession 
de  ses  parties  essentielles^.  En  effet,  le  langage  se  montre  à 
nous,  à  toutes  les  époques,  comme  parallèle  à  l'esprit  humain. 
Or,  dès  le  premier  moment  de  sa  constitution,  l'esprit  humain 
fut  complet;  le  premier  fait  psychologique  renferma  d'une 
manière  implicite  tous  les  éléments  du  fait  le  plus  avancé. 
Est-ce  successivement  que  l'homme  a  conquis  ses  différentes 
facultés?  Qui  oserait  seulement  le  penser?  Nous  sonmies  auto- 

^  Gonf.  D'  >/^^fleman ,  Dûeourt  ntr  Jet  rapporté  entn  la  êdencê  et  la  rtUgitm 
réMe,  i*'  discours,  sur  Thistoire  des  bogues,  s*  part 

*  G^est  eu  ce  sens  que  G.  de  Humboldi  a  pu  dire  que  le  langage  arait  été 
donné  tout  fait  à  Thomme  (unmtUeAar  tit  âen  Menechen  g^egt) ,  et  que  Fr.  Schle- 
gel  Ta  appelé  une  création  d^un  seul  jet  {Hervùrbrmgung  m  Ganxen) ,  le  compa- 
rant à  un  poème  qui  résulte  de  Tidée  du  tout,  et  non  de  la  réunion  aionmtifue 
de  chacune  de  ses  parties.  Humboldt,  Utber  da$  vergkiehende  Spraehetnidium  m 
Beziehung  antfdie  venchiedenen  Epocken  der  Sprachenkmcidung ,  dans  les  Mém.  de 
TAcad.  de  Berlin  (classe  d'histoire  et  de  philol.),  i8so-i8ai,  p.  967.  Fr.  ScMe- 
gel ,  PhUoi.  Vorhêungen ,  p.  78 ,  80. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  IL  445 

risés  h  établir  une  rigoureuse  analogie  entre  les  faits  relatifs 
au  développement  de  l'intelligence  et  les  faits  relatifs  au  déve- 
loppement du  langage.  Il  est  donc  aussi  ridicule  de  supposer 
le  langage  arrivant  péniblement  à  compléter  ses  parties  que 
de  supposer  l'esprit  humain  cherchant  ses  facultés  les  unes 
après  les  autres.  Il  n'y  a  que  les  unités  fictives  et  artificielles 
qui  résultent  d'additions  et  d'agglomérations  successives. 

Sans  doute  les  langues,  comme  tout  ce  qui  est  organisé, 
sont  sujettes  à  la  loi  du  développement  graduel.  En  soutenant 
que  le  langage  primitif  possédait  les  éléments  nécessaires  & 
son  intégrité,  nous  sommes  loin  de  dire  que  les  mécanismes 
d'un  Age  plus  avancé  y  fussent  arrivés  à  leur  pleine  existence. 
Tout  y  était,  mais  confusément  et  sans  distinction.  Le  temps 
seul  et  les  progrès  de  l'esprit  humain  pouvaient  opérer  un  dis- 
cernement dans  cette  obscure  synthèse,  et  assigner  k  chaque 
élément  son  rMe  spécial.  La  vie ,  en  un  mot,  n'était  ici,  comme 
partout,  qu'à  la  condition  de  l'évolution  du  germe  primitif,  de 
la  distribution  des  rMes  et  de  la  séparation  des  organes.  Mais 
ces  organes  eux-mêmes  furent  déterminés  dès  le  premier  jour, 
et  depuis  l'acte  générateur  qui  le  fit  être ,  le  langage  ne  s'est 
enrichi  d'aucune  fonction  vraiment  nouvelle.  Un  germe  est 
posé ,  renfermant  en  puissance  tout  ce  que  l'être  sera  un  jour  ; 
le  germe  se  développe ,  les  formes  se  constituent  dans  leurs 
proportions  régulières ,'  ce  qui  était  en  puissance  devient  en 
acte;  mais  rien  ne  se  crée,  rien  ne  s'ajoute  :  telle  est  la  loi 
commune  des  êtres  soumis  aux  conditions  de  la  vie. 

Telle  fut  aussi  la  loi  du  langage.  Il  s'en  fallait  beaucoup , 
sans  doute,  que  l'expression  vague  de  la  pensée  des  premiers 
âges  égalât  en  clarté  l'instrument  que  s'est  fait  l'esprit  mo- 
derne. Mais  ce  rudiment  originaire  contenait  les  principes  qui 
se  sont  montrés  plus  tard,  et,  après  tout,  l'exercice  de  la 


U6         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

pensée  moderne  diffère  de  la  pensée  prûnitive  plus  pro(iMi- 
dément  que  la  langue  de  nos  jours  ne  diffère  des  idiomes 
antiques ,  sans  que  nous  admettions  dans  Tesprit  humain  l'ac- 
quisition d*aucun  élément  nouveau.  Les  linguiste  ont  depuis 
longtemps  renoncé  aux  tentatives  par  lesquelles  l'andienne 
philologie  cherchait  à  dériver  Tune  de  l'autre  les  parties,  es- 
sentielles du  discours.  Toutes  ces  parties  sont  primitives^  toutes 
coexistèrent  dès  l'apparition  du  langage,  moins  distinctes  sans 
doute ,  mais  avec  le  principe  de  leur  individualité.  Mieux  vaut 
supposer  à  l'origine  les  procédés  les  plus  compliqués  que  de 
faire  nattre  le  langage  par  pièces  et  par  morceaux,  et  de  sup- 
poser qu'un  seul  moment  il  ne  représenta  pas ,  dans  son  har- 
monie, l'ensemble  des  facultés  humaines  ^  La  grammaire  de 
chaque  race  fut  formée  d'un  seul  coup  ;  la  home  posée  par 
l'effort  spontané  du  génie  primitif  n'a  guère  été  dépassée. 

Rien  n'autorise  donc  à  admettre  deux  moments  dans  la 
création  du  langage,  un  premier  moment  où  il  n*aurait  eu 
que  des  radicaux ,  à  la  manière  chinoise ,  et  un  second  mo- 
ment où  il  serait  arrivé  à  la  granunaire.  L'affinité  anté-gram- 
maticale  de  deux  groupes  de  langue»  ne  présente,  par  consé- 
quent, à  l'esprit  aucune  idée  satisfaisante.  Ce  n'est  pas  sous 
cette  forme  que  je  me  représente  le  contact  primordial  des 
Sémites  et  des  Ariens.  Je  me  représente  plutôt  l'apparition  des 
langues  sémitiques  et  celle  des  langues  ariennes  comme  deux 
apparitions  distinctes ,  quoique  parallèles ,  en  ce  sens  que  deux 
fractions  d'une  même  race,  séparées  dès  leur  naissance,  les 
auraient  produites  sous  l'empire  de  causes  analogues ,  suivant 
des  données  psychologiques  presque  semblables ,  et  peut-être 

'  G.  de  Ruinboldt ,  LêWre  à  Ahel  RémuMot  ntr  la  nature  infirme»  grammali- 
eaJlêt  en  gMral,  9t  »ur  h  génie  de  la  langue  dUneùe  en  partkniier,  p.  i3,  79; 
yfiaemnk,  Dieeoureeité. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  IL  447 

«véc  une  certaine  conscience  réciproque  de  leur  œuvre.  Mais 
il  faut  avouer  qu'une  telle  hypothèse  resterait  sujette  à  bien 
des  doutes,  si  l'histoire  et  les  anciennes  traditions  de  la  race 
sémitique-  ne  fournissaient  quelques  indications  pour  résoudre 
le  problème  qui  nous  occupe,  et  sur  lequel  l'étude  des  langues, 
prise  isolément,  fious  laisserait  en  suspens. 

s  V. 

Remarquons  d'abcM^d  que  le  grand  dogme  de  l'unité  de 
l'espèce  humaine ,  dogme  qui ,  dans  sa  haute  signification  mo- 
rale et  religieuse,  est  tout  è  fait  au^lessus  de  la  critique,  et 
n'a  rien  à  craindre  des  découvertes  auxquelles  la  science  pour- 
rait arriver  sur  la  question  de  l'origine  matérielle  de  l'huma- 
nité ;  remarquons ,  di»-je ,  que  ce  dogme  appartient  en  propre 
aux  Sémites  et  est  la  conséquence  nécessaire  de  leur  mono- 
théisme^  La  race  indo-européenne ,  portée  è  voir  en  toute 
chose  la  diversité  plutôt  que  l'unité,  n'eut  qu'une  notion  con- 
fuse de  la  fraternité  humaine ,  avant  d'être  initiée  aux  dogmes 
juifs  et  chrétiens.  La  race  chamitique,  d'un^^autre  côté,  dans 
son  grossier  matérialisme,  n'avait  pas  de  cosmogonie  et  se 
croyait  i^sue  du-  limon  du  Nil.  La  race  sémitique  seule ,  par  sa 
foi  au  Dieu  unique,  devait  être  amenée  à  l'idée  d'un  Adam 
unique,  d'un  paradU  unique,  d'une  langue  primitive  unique.  ' 
Cette  croyance  domine  toutes  les  traditions  recueillies  dans 
les  premiers  chapitres  de  la  Genèse.  Un  thème  ethnographi- 
que tout  spécial  ((^ap.  x)  est  destiné  à  rattacher  au  même 
père  et,  par  conséquent,  à  mettre  en  rapport  les  unes  avec 
les  autres  les  races  les  plus  diverses.  L'idée  d'une  langue  pri- 
mitive unique  semble  si  naturelle  aux  Israélites  que ,  pour  ex- 
pliquer la  diversité  actuelle,  ils  ont  recours  au  mythe  le  plus 


6Ï8  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

bizarre  (ch«  xi,  v.  1-9).  Le  judaïsme,  quoique  renfermé  dans 
l'enceinte  d'une  tr3)u ,  le  ehrisiianisme  et  l'islamisme ,  qui  sont 
tout  à  fait  affranchis  d'ei^rit  national ,  proclament  hautement 
leur  propre  universalité ,  c'est-àniire  l'origine  unique  de  tous 
les  hommes,  également  créés  par  Dieu  et  appelés  h  l'adorer 
de  la  même  manière,  en  opposition  avec  les  religions  de  castes 
du  polythéisme.  L'égalité  devant  Dieu  a  toujours  été  le  dogme 
fondamental  des  Sémites  et  le  plus  précieux  héritage  qu'ils 
aient  légué  au  genre  humain. 

n  ne  peut  entrer  dans  la  pensée  de  personne  de  combattre 
un  dogme  que  les  peuples  modernes  ont  embrassé  avec  tant 
d'empressement,  qui  est  presque  le  seul  article  bien  arrêté  de 
leur  symbole  religieux  et  politique ,  et  qui  semble  de  plus  en 
plus  devenir  la  base  des  relations  humaines  sur  la  surface  du 
monde  entier.  Mais  il  est  évident  que  cette  foi  à  l'unité  re- 
ligieuse et  morale  de  l'espèce  humaine ,  cette  croyance  que 
tous  les  hommes  sont  enfants  de  Dieu  et  frères ,  n'a  rien  à 
faire  avec  la  question  scientifique  qui  nous  occupe  ici.  Aux 
époques  de  symbolisme,  on  ne  pouvait  concevoir  la  iratemité 
humaine  sans  supposer  un  seul  couplé  faisant  rayonner  d'un 
seul  point  le  genre  humain  sur  toute  la  terre.  Mais  avec  le 
sens  élevé  que  ce  dogme  a  pris  de  nbs  jours ,  une  teile  hypo- 
thèse n'est  plus  requise.  Toutes  les  Heligîons  et  toutes  les  phi- 
losophies  complètes  ont  attribué  à  l'humatiité  une  double 
origine ,  l'une  terrestre ,  l'autre  divine.  L'origine  divine  est  éri- 
demment  unique,  en  ce  sens  que  toute  l'humanité  participe, 
dans  des  degrés  divers ,  è  une  même  raison  et  h  un  même  idéal 
religieux.  Quant  à  l'origine  terrestre,  c'est  un  problème  de 
physiologie  et  d'histoire  qu'il  faut  laisser  au  géologue ,  au  phy- 
siologiste, au  linguiste  le  soin  d'examiner,  et  dont  la  solution 
n'intéresse  que  médiocrement  le  dogme  religieux.  La  science, 


LIVRE  V,  CHAPITRE  II.  &&9 

pour  être  indépendante,  a  besoin  de  n'être  génëe  par  aucun 
dogme,  comme  il  est  essentiel  que  les  croyances  morales  et 
religieuses  se  sentent  h  Fabri  des  résultats  aux<piels  la  science 
peut  être  conduite  par  ses  déductions  ^ 

De  ce  que  les  Sémites  se  crurent,  dès  Tépoque  la  plus  re- 
culée ,  en  rapport  de  fraternité  avec  les  autres  races ,  on  ne  sau- 
rait rien  conclure  pour  la  question  ethnographique,  puisque 
cette  fraternité ,  ils  l'admettaient  a  priori,  et  non  d'après  des 
renseignements  historiques.  La  critique^  toutefois,  peut  sans 
témérité  apprendre  aux  races  ce  qu'elles  ignoraient  elles-m^es 
sur  leur  propre  histoire  ;  elle  sait  voir  dans  les  traditions  ce 
que  la  croyance  naïve  n'y  voyait  pas.  Examinons  donc  si  les 
plus  anciens  souvenirs  des  Sémites ,  convenablement  interpré^ 
tés ,  ne  nous  aideraient  pas  à  retrouver  entre  eux  et  les  Ariens 
la  trace  d'une  parenté  dont  les  uns  et  les  autres  auraient  éga- 
laient perdu  la  conscience. 

Ces  traditions,  c'est  évidenunent  dans  les  premiers  chapitres 
de  la  Genèse  qu'il  faut  les  chercher.  A  côté  de  quelques  don- 
nées relativement  modernes  et  peut-être  empruntées  au  haut 
Orient,  les  premiers  chapitres  de  la  Genèse  nous  représentent 
dans  leur  ensemble  les  souvenirs  personnels  de  la  race  sémi- 
tique. Or,  on  ne  peut  nier  que  sous  deux  aspects  essentiels, 
sous  le  rapport  de  la  géographie  et  des  idées  mythiques,  ces 
premiers  chapitres,  jusqu'au  x*  inclusivement,  ne  nous  placent 
en  dehors  du  monde  sémitique ,  et-  ne  nous  rapprochent  fort 
du  berceau  des  peuples  ariens. 

n  a  été  établi  précédemment  (}.  I,  ch.  ii,  S  i)  que  la  plus 
ancienne  géographie  historique  des  Sémites  se  rapporte  à  l'Ar- 
ménie. C'est  là  que  nous  trouvons  cette  race,  au  moment  où, 

^  Voir  iet  excettentoB  réflexions  de  M.  A.  de  Humboidt  sur  ce  sujet,  tradoilas 
par  M.  GuigDiaat,  Coêmoê,  I,  p.  &9e-&39;  eonf.  t  II,  p.  i3i,  i3à-i35. 

1.  99 


450  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

pour  la  première  fois ,  nous  avoAs  quelque  connaissance  pré- 
cise de  ses  mouvements:  Mais  on  ne  peut  croire  que  rArménie 
soit  son  berceau  primitif  :  elle  garde  évidoBunent  le  souve* 
nir  d^uné  géographie  antérieure,  qui  ne  lui  représente  rien 
de  bien  distinct ,  et  flotte  mélëe  aux  vagues  souvenirs  de  son 
enfance.  A  1  origine ,  Thomme  apparatt  dans  un  pays  i'Éim 
ou  de  délices^  ^tué  à  VoriaU,  Là  se  trouve  un  jardin,  qui  sert 
à  l'homme  de  séjour.  Du  pays  d'Eden  sort  un  fleuve  qui  arrose 
le  jardin,  puis  se  divise  en  quatre  branches  ou  canaux.  Le 
nom  du  premier  fleuve  est  Fhiwn  ;  il  entoure  toute  la  terre  de 
HapUà,  où  est  lor  :  l'or  de  ce  pays  est  excellent;  là  se  trouve 
aussi  le  bedolak  (bdellium?)  et  la  pierre  de  MAoAom  (onyx?). 
Le  nom  du  second  fleuve  est  Gihan  :  il  entoure  toute  la  terre 
de  Couteh.  Le  nom  du  troisième  fleuve  est  Hiddikel (le  Tigre): 
il  coule  devant  TAssyrie.  Le  quatrième  fleuve,  c'est  le  Phrai 
(  Gen.  II ,  8-1  &  ).  Quand  Thomme  a  été  chassé  du  jardin  d'Edeo, 
Dieu  place  devant  le  jardin  des  Kruim  ou  griffons  (^y^ÔTns)  et 
une  épée  de  feu  (m,  â&).  Kaîn,  après  son  crime,  habite  une 
terre  de  Noi  ou  d'exil ,  à  l'orient  d'Eden  ^  ;  il  bfttit  une  première 
ville ,  qui  s'appelle  Hanok  (iv,  16-17  ).  Après  le  déluge ,  l'arche 
s'arrête  sur  les  montagnes  à!Ararat  (thi  ,  &  ).  Ici  nous  touchons 
la  région  occidentale  de  l'Asie ,  d'où  l'histoire  biblique  ne  sor- 
tira plus  désormais. 

Il  est  évident  que  cette  antique  géographie,  qui  ne  corres- 
pondait plus  à  celle  des  pays  habités  par  les  Sémites,  pefdit 
de  bonne  heure  sa  signification  pour  eux.  La  rédaction  même 

*  Les  exprewîoDB  Q*lpD  et  riD*ip  1  qui  reviennent  si  souvent  dans  ces  descrip- 
tions, sont  obecures.  Je  ne  puis  croire  qu^ib  ngnifieat  bien  rigourensement  i 
Fariêni ,  à  Porient  de...  Car  pourquoi  ne  trouverait-on  pas  aussi  quelquefois  Pex- 
pression  3*iyiDDi  à  VoeciduUT  II  me  semble  que,  dans  cette  géographie  fantas- 
tique, pour  orienter  les  lieux,  on  les  mettait  simplement  à  PorwU  les  uns  des 
autres,  sans  qu'on  attachât  à  cela  aucune  idée  bien  précise. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  II.  451 

de  la  Genèse  en  est  la  preuve.  On  est  porté  à  croire,  en  effet, 
que,  parmi  les  noms  inconnus  des  quatre  fleuves,  deux  au 
moins  ont  été  changés  par  les  derniers  rédacteurs  en  des  noms 
plus  connus  ^.  Le  Tigre  et  l'Euphrate  n'appartiennent  pas  au 
m^e  système  géographique  que  le  Phison  et  le  Gihon.  La 
même  chose  est  arrivée  dans  les  traditions  persanes.  La  mon- 
tagne saci^e  de  Bordj,  source  de  tous  les  fleuves,  et  TArvand, 
qui  en  découle,  ont  successivement  avancé  vers  l'occident,  de- 
puis rimaûs  jusqu'au  Tigre,  et  l'Euphrate  s'est  substitué  à 
son  tour  à  des  fleuves  plus  orientaux'.  Les  races  portent  avec 
ailles  leur  géographie  primitive  comme  leurs  dieux ,  et  appli- 
quent cette  géographie  aux  nouvelles  localités  où  elles  sont 
transplantées.  Des  quatre  fleuves  du  paradis ,  le  Gihon  et  le 
Phison  seuls  méritent  donc  d'être  pris  en  considération.  Mais 
ils  le  méritent  d'autant  plus  que  ces  deux  noms ,  comme  ceux 
de  Nod  et  de  Hanok,  ne  reparaissent  plus  une  seule  {bis  dans 
la  géographie  des  Hébreux. 

D  serait  peu  conforme  à  la  bonne  critique  de  donner  à  ces 
notions  primitives  une  rigueur  qu'elles  n'avaient  pas  dans 
Tesprit  de  ceux  qui  nous  les  ont  transmises.  Cependant,  si 
nous  cherchons  à  déterminer  le  pays  qui  satisfait  le  mieux  au 
thème  géographique  des  premiers  chapitres  de  la  Genèse,  il 
fout  avouer  que  tout  nous  ramène  à  la  région  de  l'Imaûs,  où 
les  plus  solides  inductions  placent  le  berceau  de  la  race  arienne^. 
Là  se  trouvent,  comme  dans  le  paradié  de  la  Genèse,  de  l'or, 
des  pierres  précieuses,  le  bdellium^.  Ce  point  est  peut-être 

'  £w^,  GwehkhU  dei  V.  Jfr.  I,  33i. 

*  Bumouf,  CommenL  «ur  k  Yaçna,  p.  a&7  et  tmy.  addit  ^  gluxi  et  eoi^'  ; 
Anquelil  du  Perron,  ZtndoMttay  t.  H,  p.  78,  890  et  soiv; 

'  Buraouf,  op,  dL  p.  s5o,  addit  clxxxt;  Lafiaea,  IftHBeheAUerthunukunde,  I, 
p.  5&6et8iiiT.;Â.deHamboldt,iifMe0farai8,  t  I,p.  i63;tn,p.  16,  377,890. 

*  Viema e$t  Bactianainqua bddimm  nommati$nmum  (Plin.  Hiit.  nat, XII,  1 9). 

29- 


/k^2         HISTOIRE  DES  LANGtIES  SÉMITIQUE^. 

celui  du  monde  où  Ton  peut  dire  avec  le  plus  de  vérité  que 
quatre  fleuves  sortent  d'une  même  source  :  quatre  immenses 
courants  d'eau,  Tlndus,  FHelvend,  TOxus,  le  laxarte,  s'en 
échappent,  et  se  répandent  de  Ih  vers  les  directions  les  plus 
opposées.  De  fortes  raisons  invitent  à  identifier  le  Phison  avec 
le  cours  supérieur  de  l'Indus^.  M.  Lassen  et  M.  d'Eckstein  ont 
démontré  que  le  pays  de  Havila  ne  peut  guère  être  que  la  ré- 
gion du  haut  Indus,  ce  pays  de  Darada  célèbre  dans  la  tra- 
dition grecque  et  indienne  par  sa  richesse,  et  où  l'on  trouve 
une  foule  de  noms,  entre  autres  celui  de  Caboul  (les  Cabolùœ 
de  Ptolémée),  qui  rappellent  celui  de  Havila  ^  Au  x*"  chapitre 
de  la  Genèse,  Havila  est  associé  à  Ophir  (v.  39),  qui  désigne 
certainement  la  c6te  de  Malabar,  et  aux  pays  de  Cousch  et  de 
Saba  (v.  7);  ces  deux  derniers  noms  correspondent  bien  à 
l'expression  grecque  AWionet,  qui  a  été  souvent  appliquée  à 
rinde ,  par  suite  de  la  tendance  qui  portait  les  anciens  ù  sup- 
poser rapprochés  les  uns  des  autres  les  pays  très-éloignés  d*eux. 
Le  Gihon  est  probablement  l'Oxus ,  bien  qu'on  ne  puisse  cher- 
cher un  argument  pour  cette  identification  dans  le  nom  de 
{jy^i^j  que  porte  encore  aujourd'hui  cette  rivière:  ce  nom, 
en  effet,  peut  provenir  de  la  tradition  biblique  elle-même,  par 
l'intermédiaire  des  juifs  et  des  musulmans'.  Le  pays  de  Cousch, 
que  baigne  le  Gihon,  est  peut-être  le  séjour  primitif  de  la 
race  couschite^,  dont  le  berceau  nous  apparaîtrait  ainsi  à  côté 

1  UopinioQ  qui  cherche  le  Gange  dans  Tan  des  fleuves  du  paradis  est  inad- 
missible. Ce  fleuve ,  comme  i*a  très-bien  dit  M.  d^Eckstein ,  est  tout  i  fait  en  ààton 
du  rayon  visuel  de  la  haute  antiquité.  {AikinœwnJra$tçaiMf  97  mai  i85â.) 

*  Lassen,  Ind.  AUêrthimëkmdê ,  I,  SaS  etsuiv.  SSg;  d'Eckstein,  loe.\nL 

'  Le  nom  de  (jj^ts^  ou  ^U^,  est  devenu  pour  les  Arabes  une  sorte  de 
nom  générique ,  qu'ils  appliquent  à  tous  les  grands  fleuves ,  le  Gange ,  TAraïc ,  etc. 
(Voy.  Gesenius,  The$.  au  root  pn^3  ;  Tuch,  KommuUar  uber  die  Gênent  ^  p.  77.) 

*'  D'Eckstein,  Ath,  françaû ,  as  avril,  97  mai,  19  août  i854. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  II.  iii3 

de  celui  des  deux  autres  races.  J'aime  mieux  pourtant  y  voir 
un  mot  de  géographie  vague ,  eâiployé  pour  désigner  un  pays 
oriental  ou  méridional  et  lointain  ^  :  tels  étaient  chez  les  anciens 
les  mots  SÉihiofie,  Stythie,  etc.  Le  manque  de  cartes  et  de 
toute  orientation  rendait  possibles  les  confusions  les  plus  bi- 
zarres ^.  Quant  aux  deux  fleuves  qui ,  entre  les  mains  du  rédac- 
teur de  la  Genèse,  sont  devenus  le  Tigre  et  TEuphrate,  Tun 
est  peut-être  THelvend,  le  mystérieux  Arvanda  du  Zend-Avesta, 
qui,  de  fuite  en  fuite,  à  une  époque  plus  moderne,  est  devenu 
aussi  le  Tigre  chez  les  Persans  ^. 

Le  nom  de  Noi  est  sans  doute  Un  mot  sémitique  signifi- 
catif comme  celui  d^Éden,  et  auquel  il  ne  faut  pas  attribuer 
de  valeur  géographique  précisé  ^.  Quant  à  la  ville  de  Hanok , 
de  toutes  les  conjectures  proposées  sur  ce  sujet,  la  moins  in- 
vraisemblable est  peut-être  celle  de  M.  de  Bohlen ,  qui  y  voit  la 
ville  de  Kanyakubdja  ou  Ganoge  (^ys),  dans  l'Inde  supé- 
rieure. 

Ainsi  tout  nous  invite  à  placer  l'Eden  des  Sémites  dans  les 
monts  Belourtag,  k  l'endroit  où  cette  chatne  se  réunit  &  l'Hi- 
malaya, vers  le  plateau  de  Pamir  ^  Si  les  découvertes  des 
voyageurs  contemporains  ont  prouvé  que  le  climat  et  les  pro- 
ductions de  ce  pays  sont  loin  de  répondre  aux  images  qu'on  se 

>  Battmaim,  MiftkohgvM,  I,  p.  96  et  sniv. 

s  Voir,  comme  exemj^e  de  cette  géographie  vagae,  le  voyage  d*Io  dans  le  Pro- 
méAk  d*EBckyle,  t.  707  et  suiv.  790  et  soiv. 

'  Bunioitf,  CommenL  $ur  le  Yaçna,  addit  p.  clkxxiu. 

*  Toch,  Kmmnêntar  ûbir  die  Gênait,  p.  111  et  sniv. ;  Winer,  BiM,  ReaiwctrL 
au  mot  NoéL  D'autres  voient  daua  le  pays  de  Nod  les  déserts  de  l'Asie  ceutraie. 
Bunsen,  Ouâhm,  H,  p.  lai. 

*  Lassen,  I.  e.;  d'Eckstein,  h  e,  Q  est  remarquable  que  Josèphe  et  les  pre- 
miers Pères  furent  conduits,  par  des  raisons  fort  différentes  des  nôtres,  è  {dacer 
le  paradis  terrestre  dans  la  même  région.  Voir  une  lettre  de  M.  Letronne,  pu- 
bliée par  M.  de  Humboldt,  HûL  de  la  géogr.  dm  iMNfMau  eontiÊmU ,  t.  III ,  p.  1 19. 


&5A  HISTOIHE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

fait  de  l'Edeji,  il  faut  se  rappeler  que  l'idée  de  délices,  atta- 
chée au  séjour  primitif,  peut  très-bien  être  une  conception  a 
priori,  amenée  par  le  penchant  naturel  des  peuples  k  placer 
Tâge  d*or  en  arrière.  Au  même  point  nous  ramènent,  selon 
£.  Burnouf ,  les  textes  les  plus  anciens  et  les  plus  authentiques 
du  Zend-Avesta  ^  Là  est  le  vrai  Mérou,  le  vrai  Bor^'  et  le  vrai 
fleuve  Arvanda,  d'où  tous  les  fleuves  tirent  leur  source,  sdon 
la  tradition  persane.  Là  est,  selon  l'opinion  de  presque  tous 
les  peuples  de  l'Asie,  le  point  central  du  monde,  l'ombilic,  le 
seuil  de  l'univers^.  Là  est  l'Outtara-Kourou ,  le  pays  des  bien- 
heureux, dont  parle  Mégasthène^.  Là  est  enfin  le  point  d'at- 
tache commun  de  la  géographie  primitive  des  races  sémitiques 
et  indo-européennes.  Cette  rencontre  est  certes  un  des  résul- 
tats les  plus  firappants  auxquels  ait  mené  la  critique  moderne; 
et,  ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable,  c'est  qu'on  y  est  arrivé 
de  deux  c6tés  à  la  fois  :  par  les  études  ariennes  et  les  études 
sémitiques,  qui,  d'ailleurs,  ont  si  peu  de  contact,  et  hal»- 
tuent  l'esprit  à  des  procédés  si  difiérents. 

Assurément,  il  faudrait  se  garder  d'attribuer  à  ces  inductions 
une  certitude  qu'on  obtient  si  rarement  dans  les  questions 
d'origine.  Pour  ne  mentionner  qu'une  seule  objection,  n'est-on 
pas  en  droit  de  craindre ,  en  voyant  l'étonnante  conformité  de 
la  géographie  mythologique  du  Boundéhesch^  avec  la  Genèse, 

*  Commetu.  sw  le  Yaçna,  addit  p.  Guuif  ;  Spiegd.,  Atuiay  I,  p.  61  etiniv. 
^  D'Ëckstein,  dam  VAÛmiaum  fnmçm^  97  mai  i8^&,  et  dans  ie  Carre»' 

pmdant,  95  juillet  i85&,  p.  507. 

^  L*ezactitade  de  M^gBsthène,  en  ced  pomme  ^r  bien  d^autrès  pointe,  a  été 
démontrée  par  les  études  modernes  sur  Tlnde.  (Lassen,  Zmkehrfifir  die  £widc 
de$  Morgenitmdet ,  t  II,  p.  6s.) 

*  Anquetil  du  Perron,  ZmdoMfta,  t  II,  P..390  et  suiv.  La  traduetkNi  du 
Boundâeuh  d^Ânqnetil,  ia  seule  qu'on  puisse  dter,  est  d^une  exactitude  suffisante 
pour  les  passages  qui  nous  occupent. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  II.  A55 

que  la  théorie  des  quatre  fleuves  n'ait  été  empruatée  par  les 
Juids  à  la  Perse?  En  combinant  les  données  du  Boundéheseh 
pehivi  avec  celles  des  livres  zends  bien  plus  anciens  ^  on  ar- 
rive à  une  théorie  primitive  des  eaiix ,  fort  analogue  à  celle 
des  Hébreux.  L'Arg  (le  laxarte),  le  Veh  (l'Oxus),  TArvand 
(i'Helvend)  et  le  Frat  sortent  d'une  même  source;  ils  coulent 
quelque  temps  en  commun  autour  du  monde ,  et  se  séparent 
ensuite  pour  arroser,  sous  des  noms  divers,  les  pays  les  plus  éloi«- 
gnés^.  L'opinion  desexégètes  qui,  conune  Gesenius,  Lengeri^e', 
voient  le  Nil  dans  le  Gihon ,  et  considèrent  le  passage  de  la  Ge- 
nèse relatif  aux  fleuves  du  paradis  comme  purement  mythique, 
se  trouverait  ainsi  confirmée.  Nous  aurions  dans  ce  curieux 
passage  une  traduction  hébraïque  de  la  vieille  opinion  persane^ 
d'après  laquelle  tous  les  fleuves  du  monde  sortent  d'un  même 
réservoir  :  l'Euphrate ,  le  Tigre ,  l'Indus  et  le  Nil  auraient  été 
choisis  comme  les  quatre  plus,  grands  courants  d'eau  que  con- 
nussent les  Hébreux,  et  l'induction  géographique  que  nous 
avons  tirée  de  ce  passage  sur  le  séjour  primitif  des  Sémites  sor 
rait  c(Mnplétement  anéantie. 

De  graves  raisons  s'opposent,  toutefois,  à  ce  qu'on  admette 
cette  explication.  Et  d'abord,  si  c'est  à  une  époque  relativement 
moderne  et  sur  i^ie  donnée  de  géographie  physique  a  priori 

•  ■  •  _  »  • 

'  fiimuMif,  op.  eU,  p.  S&7  et  surr.  addit.  CLxxit  et  9uiY.  ;  Anquetil ,  op.  eit,  II , 

p.  78. 

*  L^Inde  poesède  an  mythe  analogue  sur  le  mont  Mérou. 

^  Gesenius,  Thet,  s.  v.  pn^3;  Lengerke,  Kençum,^.  90  etsuiv. 

*  On  ne  peut  8aj^>08er  que  Temprunt  ait  eu  lieu  à  Finverse,  des  Persans  aux 
Hébreia;  car  cette  fiction,  si  €*en  est  une,  est  bien  plus  dans  le  goât  iranien  que 
dans  le  goût  sémitique.  D^ailieurs,  si  le  parsisme  eût  fait  quelques  emprunts  aux 
livres  des  Hébreu,  ce  qui  n^estpas  prouvé,  il  serait  surprenant  que  Vemprunl 
fût  tombé  sur  une  particnlarité  aussi  secondaire  et  qui  tient  une  aussi  (aible 
place  dans  Thistoire  biblique. 

■s 


&56  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

qae  les  Hébreux  ont  choisi  les  noms  des  ([uatre  flenves,  pour- 
quoi ,  parmi  ces  noms ,  en  trouve-i-on  deux  qui  ne  reparaissent 
pas  une  seule  fois  dans  leur  géographie  réelle  ?  Pourquoi , 
voulant  désigner  le  Nîl,  lui  auraientrils  appliqué  le  nom  de 
Gihon,  que  rien  ne  justifie,  tandis  que  ce  même  fleuve  est 
toujours  appelé  chez  eux  du  nom  de  llmtf?  Pourquoi,  ayant 
à  décrire  les  pays  arrosés  par  le  Nil,  auraient-ils  nommé  le 
pays  de  Gousch,  plut6t  que  celui  de  Mesraîm,  placé  à  leur 
porte  et  qu'ils  connaissaient  si  bien  î  Gomment,  enfin,  auraient- 
ils  songé  à  réunir  à  TEuphrate,  au  Tigre  et  au  Nil,  trois  flen- 
ves^  qui  leur  étaient  familiers ,  l'Iùdus ,  placé  en  dehors  de  leur 
sphère  géographique,  et  qui  n'est  pas  nommé  une  seule  fois 
dans  les  autres  documents  hébreux?  Je  suis  donc  porté  à  re- 
jeter sur  ce  point  l'explication  pqreinent  mythologique,  et  à 
maintenir  aux  fleuves  Au  paradis  une  valeur  géographique 
réelle.  Si  la  tradition  persane  nous  présente  un  thème  ana- 
logue ,  au  lieu  de  voir  dans  cette  rencontre  un  emprunt  fait 
par  la  Judée  à  la  Perse  ou  par  la  Perse  à  la  Judée ,  j'y  vois 
un  souvenir  commun  que  les  races  ariennes  et  sémitiques  ont 
conservé  de  leur  séjour  dans  Tlmaûs. 

Ce  fait  d'une  même  tradition  primitive  se  retrouvant  chez 
les  peuples  sémitiques  et  ariens  n'est  pas,  du  reste,  isolé. 
M.  Ewald  a  ouvert  à  la  science  une  voie  nouvelle,  en  signa- 
lant des  rapprochements  inaperçus  ou  mal  aperçus  jusqu'à  hu 
entre  les  plus  vieilles  traditions  hébraïques  et  celles  de  la 
Perse  et  de  l'Inde  ^  Ses  hardies  tentatives  ont  reçu  la  meilleure 
des  approbations  ;  les  deux  représentants  les  plus  accrédités 
des  études  ariennes,  M.  Lassen^  et  M.  Eugène  Bumouf  (ce 

1  G^êchiehu  dêt  VoUcêê  Imwl,  t.  I,  p.  3os  e(  suiv.  W.  Jones  et  Wiiford  avuent 
déjà  tenté  «ette  voie,  mais  avec  une  méthode  bien  aiiÂtraire. 
^  Indûche  Alterthuni$kunde ,  I,  SaS-Sag. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  IL  457 

d^rflier  avec  plus  de  réserve)  ^  en  ont  accepté  les  principaux 
résultats.  Le  contact  anté-bistorique  des  peuples  indo-euro- 
péens et  des  peuples  sémitiques  est  devenu  une  sorte  d'hypo- 
thèse reçue  dans  les  pluç  hautes  et  les  meilleures  régions  de 
la  science  allemande.  Sans  me  prononcer  sur  ce  point  avec  la 
même  assurance  que  M.  Ewald  et  M.  Lassen,  je  dois  dire  ce^ 
pendant  que  cette  hypothèse  me  .semble  n'avoir  contre  elle 
aucune  objection  décisive  et  servir  de  lien  à  beaucoup  de  faits 
qui ,  sans  cela ,  restent  inexpliqués. 

Parmi  ces  débris  de  l'héritage  commun  aux  Ariens  et  aux  Sé- 
mites, Ewald,  Lassen  et  Bumouf  placent  avant  tout  la  croyance 
à  un  état  primitif  de  perfection,  l'idée  d'ftges  fabuleux  qui  ont 
précédé  l'histoire,  et  quelques-uns  des  nombres  qui  expriment 
la  durée  de  ces  Ages.  Il  faut  avouer  que  les  récits  du  paradis, 
de  ji'atTbre  de  vie ,  de  la  faute  primilive ,  du  serpent  tentateur 
ont  de  grandes  analogies  avec  les  fables  brahmaniques  sur 
le  berceau  de  l'espèce  humaine  et  plus  encore  avec  certains 
mythes  du  Vendidad-Sadé;  or,  les  chapitres  de  la  Genèse 
où  sont  contenus  ces  récits  ont  été  écrits  avant  le  contact 
inteflectuel  des  'Hébreux  avec  les  peuples  ariens ,  et  tranchent 
fortement  avec  la  couleur  des  livres  conçus  sous  l'influence 
persane  depuis  la  captivité  K  M.  Ewald  et  M.  Lassen  mettaient 
également  au  rang  des  souvenirs  communs  aux  deux  races  la 

*  Bkâgaoata  Purâna,  t.  DI,  préf.  p.  ilyiii-xux. 

'  Avouons  cependant  que  la  description  da  jardin  d*Éden  semble  formée  snr 
le  modèle  des  parudit  persans,  ayant  au  centre  le  cyprès  pyramidal.  (Gonf.  A. 
de  Hnmboldt,  Cotmoê,  II,  p.  ti3  et  les  notes,  trad.  Galusky;  Lajard,  Mém,  sur 
h  asùê  êm  eyprk  pyramidal,  dans  les  Mém,  d$  VAead.'de$  ïmcr.  nouvelle  série, 
t.  XX,  u*  part  p.  139  et  suiv.;Tuch,  Kommtntar  uber  die  Genmi»,  p.  68.)  Ajou- 
tons que  les  premiers  chapitres  de  k  Genèse  sont  tout  à  fait  isolés  dans  la  tradi- 
tion israélite,  et  qn^il  n*y  est  fait  aucune  allusion  dans  les  antres  livres  hébreux; 
ce  qui  semble  favoriser  Thypothèse  d^un  emprunt. 


458  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

tradition  du  déluge.  M.  Lasseu  renonça  depuis  à  ce  gentiment  ^ 
en  présence  des  savantes  recherches  par  lesquelles  M.  Bur- 
nouf  '  crut  avoir  démontré  que  l'idée  du  déluge  est  étrangère  à 
rinde  et  s'est  introduite  dans  ce  pays  à  une  ^oque  relativement 
moderne ,  probablement  par  suite  de  rapports  avec  la  Ghaldée. 
H.  Ewald  a  maintenu  son  opinion  ^^  et  les  récents  travaui  de 
R.  RothS  A.  Weber\  Fr.  Windischmann  ^  A.  Kuhn\  fondés 
sur  l^tude  desVédas»  semblrat  lui  avoir  donné  gain  de  cause. 
Mais  il  est  possible  que  la  croyance  à  une  inondation  histo- 
rique tienne  à  des  événements  locaux  et  distincts ,  bien  plutôt 
qu'à  une  tradition  commune  :  en  effet,  ce  ne  sont  pas  seule- 
ment les  Ariens  et  les  Sémites ,  ce  sont  presque  tous  les  peu- 
ples qui  placent  en  tête  de  leurs  amudes  une  lutte  eontire  1'^ 
lement  humide ,  représentée  par  on  cataclysme  principal  '. 

J'ai  encore  plus  de  peine  à  accepter  le  système  de  M.  Ewald 
sur  les  âges  mythiques  et.  les  n<Hnbres  ronds  qu'il  pr^end  re- 
trouver dans  les  premières  pages  de  l'histoire  hébraïque.  Ce 
qui  caractérise,  au  contraire,  la  cosmogonie  des  Sémites, 
c'est  le  tour  historique  qu'elle  affecte,  lors  même  qu'elle  porte 
sur  un  terrain  évidemment  fabuleux,  c'est  l'absence  de  tout 
symbolisme  emprunté  aux  formes  animales  et  aux  métaux, 
c'est  une  extrême  sobriété  dans  l'emploi  des  jeux  de  nombres 

'  bid,  AU,  I,  Nachtnege,  p.  xciii. 

*  Bhâg.  fW.  t  m,  p.  XXXI,  Li ;  eonf.  F.  Nève,  La  ÈraUtion  mdimmê  dut  iéhgt 
don»  êafonm  laphtê  anammê  (Paris^  i85i). 

s  Gmck.  dm  V.  Urad,  a'édit  I,  36i,  ei Mrkuchêr  dm-  èîUifdbi  Wmmk- 
tclufi,  IV  (i85si),  p.  997. 

*  Mûmehemr  gglehrti  Amêigêm,  18&9,  p.  a6  et  soiv.;  iSSo,  p.  79. 
'  Indiêehê  Studim,  L  I  (  i85o),  p.  161  el  suiv. 

*  Unagtn  det  ariêdttn  VaQter  (Mûnchen,  tBSa),  p.  &  et  suiv. 

'  Zeitidir^fir  vergkkhMdêSprad^ûnehmg,  L  IV,  p.  88  (  i85&). 

*  Voir  rartide  DéUtgt  de  M.  A.  Maary,  dans  YEiieyelapddit  modêniê  de  M.  Léon 
Renier. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  IL  459 

qpi  caracténsent  toujours  les  créations  mythol^ques  a  priori. 
La  réalité  des  combinaisons  de  ce  genre  que  M.  Ewaid  croit 
découvris  dans  les  -  premiers  diapitres  de  la  Genèse  ^  est  loin 
d'être  démontrée.  Les  thèmes  numériques  ne  pouvaient  avoir 
de  3eBs  aux  yeux  des  peuples  primitifs  que  quand  ils  étaient 
nettement  avoués,  c'esinà-dire  quand  le  nombre  était  relevé 
avec  intention  dans  le  réât.  Or  cela  n'a  point  lieu  dans  les 
noiedoik  ltâ>raiqnes  :  le  namtoir  ne  fait  jamais  la  suppu- 
tation des  listes  qu'il  donne,  et  il  est  permis  de  croire  qu'il 
n'avait  pas  conscience  des  symétries  qu'on  lui  prête.  Ce  n'est 
pas,  à  mon  avis,  dans  des  rapprochements  aussi  peu  déci- 
sifs qu'on  peut  4rouver  la  preuve  d'une  cohabitation  primitive 
des  deux  races.  L'unité  de  constitution  psychologique  de  l'es- 
pèce humaine,  au  moins  ded  grandes  races  civilisées,  en  vertu 
de  laquelle  les  mêmes  mythes  ont  dû  apparaître  paraUèle- 
ment  sur  plusieurs  points' à  la  fois,  suffirait,  d'ailleurs,  pour 
expliquer  les  analogies  qui  reposent  sur  quelque  trait  général 
de  la  condition  de  l'humanité,  ou  sur  quelques^ms  de  ses 
instincts  les  plus  profonds. 

Il  est  d'autres  analogies  d'un  caractère  plus  précis,  qui 
s'observent  entre  le  cyde  des  traditions  sémitiques  et  des  fara- 
ditioBS  ariennes;  malheureusement,  aucune  de  ces  analogies 
n'est  de  nature  à  satisfaire  une  critique  exigeante.  Le  mythe 
des  fleuves  du  paradis,  dont  il  a  été  parlé  précédemment,  est 
sans  doute  le  rapprochement  le  plus  acceptable.  La  grande  im- 
pression produite  par  les  premiers  travaux  de  métallurgie ,  im- 
pression qui  se  retrouve  dans  tant  de  mythes  ariens ,  pourrait 
bien  s'être  également  conservée  dans  la  tradition  sur  Tubalcain 
(  Gm.  IV,  3  s  ).  Buttmann ,  d'ordinaire  moins  heureux  dans  ses 
comparaisons  entre  la  mythologie  gréco-latine  et  celle  des 

*  Comparer  les  Tues  analogoeB  de  M.  de  Leqgerke,  Ktmum,  p.  m  «t  suiv. 


460         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Hébreux ,  a  signalé  la  ressemblanee  du  nom  de  ce  personnage 
avec  celui  de  Vtdcam  ^  ^o-bhtavoÇf  comme  T(h4pfiiiis=Turm$ 
=  Terminus;  ou  'SeXxopés,  formes  éirosques).  Tàime  mieai 
voir  toutefois,  avec  le  baron  d'Eckstein^,  dans  le  nom  de  ce 
patriarche  de  la  métallurgie ,  un  souvenir  de  l'antique  corpo- 
ration deTubal  (Tibarènes,  Ghalybes),  analogue  aux  Telchines 
de  la  Grèce.  Les  Krubim,  que  Dieu,  suivant  le  récit  de  la  Cre- 
nèse,  fait  habiter  à  l'orient  du  paradis,  pour  en  garder  l'en- 
trée [Gen.  III,  â/i),  sont  très^probablement  le  Ganntda  on  les 
griffon»  (  kruh  =  y  pins  ) ,  gardiens  des  trésors  et  des  monts 
aurifères  dans  tous  les  mythes  ariens'.  L'idée  des  Krubin 
n'est  pas  sémitique,  et  la  racine  de  leur  nom  semble  indo- 
européenne {gfif,  greifm,  saisir).  On  pourrait  supposer,  il 
est  vrai,  que  les  Jui&  n'ont  connu  cet  être  fabuleux  que  par 
leurs  rapports  avec  l'Assyrie^  et,  s'il  s'agissait  uniquement  des 
Kruhm  employés  comme  motifs  d'ornementation  dans  l'ai^ 
chitecture  des  Hébreux,  la  question  devrait  sans  doute  être 
ainsi  résolue  ^  ;  mais  le  rôle  de  gardiens  de  la  porte  d'Eden  est 
trop  caractéristique  et  se  rattache  à.  de  trop  vieilles  idées 
pour  qu'une  telle  explication  soit  facilement  admissible.  Y  au- 
rait-il là  quelque  souvenir  de  l'empire  fabuleux  des  griffons 
et  des  Arimaspes  dans  l'Altaï,  ou  des  griffons  qui  gardent 
l'or  de  Kampila  (Havila)^?  Les  Seraphim  ont  de  même  la  plus 

'  MifihokguMy  I,  i6&.  La  rapprochement  de  /ouèol  =  Âv^AAaw  et  antres  pro- 
poeés  par  ButUnann  sont  tout  à  (ait  înadmiwnbies.  Cf.  Ewald,  /oM.  dgr  MIL 
Wiêê.  i85&,  p.  19. 

*  AlhmœwnifrQinçai»y  19  août  i85&,p.  775;co]if.  ^uài^Kommmtar vhtr èà 
Gênent,  p.  118-119. 

*  Tuch,  Und,  p.  96-97;  Geeeoina,  Thn.  s.  h.  v. 

*  JwujuÀ  cf  ihe  R,  ÀMtotie  Society,  Yol.  XVI,  part  1  (i856),  p.  98  et  suiv. 
G^eat  aussi  ropinion  de  M.  Layard.  M.  Ewaid  songe  plutôt  aui  sphinx  de  TÉ- 
gypte.  Dm  AUerthemer  dee  Voïkeê  hraM  (9*  édit),  p.  139. 

*  Schauffdberger,  Corpue  ScripU  Vet.  qui  de  hdia  «en^imia,  fiuc*  1,  p.  11, 


LIVRE  V,  CHAPITRE  IL  &61 

grande  analogie  avec  les  Sarpas  ou  encore  avec  les  Apsaras. 
La  longévité  des  premiers  patriarches  semble  un  écho  de  l'Out- 
tara-Kourou  ou  pays  des  Bienheureux ,  situé  au  nord  dé  Ca- 
chemire, et  dont  le  mythe  a  beaucoup  d'analogie  avec  celui 
des  Hyperboréens  chez  les  Grecs  ^  Enfin  ^  sous  Icbuorn  de  /»- 
phet,  j'ai  toujours  été  tenté,  je  1  avoue,  de  voir,  avec^les  anciens 
interprètes,  le  nom  du  titan  icheros^  autour  duquel  les  Hel- 
lènes groupèrent  tant  de  traditions  ethnographiques  ^.  Fils 
d'Uranus  et  de  Gaea ,  Japetus  s'unit  à  l'océanide  Ana;  il  a  pour 
fils  Atlas  et  Prométhée,  pour  petit-fils  Deucalion,  ie  père  de 
toute  l'humanité  post-diluvienne.  L'antiquité  de  ce  mythe  chez 
les  Grecs  ne  peut  guère  être  révoquée  en  doute  depuis  je  tra- 
vail de  M.  Vœlcker'.  Toutefois,  comme  on  ne  trouve  aucun 
vestige  du  nom  de  Japet  chez  les  autres  peuples  ariens^,  on 
pourrait  supposer  que  la  présence  de  cette  dénomination  ethno- 
graphique chez  les  HeOènes  et  les  Hébreux  proviendrait  d'un 
contact  des  Sémites  et  des  peuples  helléniques  au  sud  du  Cau- 
case ou  à  l'est  de  l'Asie  Mineure,  régions  où  se  localisent  pré- 
cisément les  mythes  de  Japet  ^. 

iiro;  A.  de  Hamboldt,  Ctmnoê,  t  II,  p.  170;  d^Eckstein,  Athêtuewm  français, 
l  e.  p.  777-778. 

>  Schaoffe&erger,  cp.  eU.  p.  98;  Lassen,  Zmtaektfifir  diê  K.  de  M.  t  If, 
p.  66;  Humboldt,  Goimof,  II,  p.  5o&;  Schwaobeck,  ComnmU,  de  Megastkene, 
p.  63. 

s  Knobd,  Die  Vœlkeritfd  dêr  Getmit,  p.  ai-aa;  Bnttmaim,  Mytkologus^  I, 
99a  et  auiv. 

'  Die  Mythologie  do$  Japeiiiehen  GeteMêchtn,  OîeMen,  1896. 

*  Lea  vnea  de  M.  Fr.  Windiachmann  sur  TidentificaticHi  de  Noé  et  de  Japhet 
avec  Nakuoeha  et  Yaydti,  de  la  légeode  indienne,  sont  bien  hasardées.  Unagm 
dêr  oriHthiH  VœUtor,  p.  7- 10.  Cf.  A.  Knhn,  Zoitiekr^firvêrgL  Sfracl^onekmgy 
p.  89-90. 

»  EwakI,  Gmek.  d»  V.  hr.  I,  33t  (1'*  édit),  37&-375  (9*  édit).  Les  rola- 
tîoos  inoontestaUes^  des  mythes  dleonium  et  d*Apamée-Kibotos  avec  Hénoch  et 
Noé  paraissent  primitives  i  M.  Ewald.  Und.  p.  3i&,  33i  (i"*  édit.),  356,  376 


«63  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

On  le  voit,  aucun  de  ces  rapprochements,  si  l'on  en  excepte 
celui  <les  fleuves  du  paradis,  n'offire  une  base  vraiment  scien- 
tifique. Tous  prêtent  au  doute  par  deux  cMés  :  d'abord,  l'iden- 
tité n  est  dans  aucun  cas  évidente  et  incontestable  ;  en  second 
lieu,  on  peut  toujours  se  demander  si  cette  identité  ne  pro- 
vient pas  d'un  emprunt  fait  à  une  époque  historique*  11  est  de 
la  nature  des  mythes  de  s'échanger  entre  les  races  avec  une 
grande  facilité;  en  f^udrait-fl  d'autre  exemple  que  l'étrange 
substitution  qui  s'est  faite  depuis  quelques  siècles,  dans  l'Inde 
musulmane ,  des  noms  et  des  souvenirs  bibliques  aux  noms  et 
aux  fables  indigènes?  Qui  sait  si,  à  une  haute  antiquité,  il  ne 
s'est  pçs  passé  quelque  chose  d'analogue  dans  l'Asie  occiden- 
tale ?  La  manière  dont  une  foule  de  mythes  assyriens  et  per- 
sans s'introduisirent  chez  les  Hébreux,  au  vi'  et  auvii*  siède 
avant  l'ère  chrétienne ,  porterait  à  le  croire.  Le  paganisme  <Ah 
scène  et  voluptueux  de  la  Phénicie  et  de  la  Syrie  nous  invite 
également  à  supposer  que  la  race  sémitique  établie  dans 
l'Aramée  accepta  des  cultes  étrangers  aux  idées  sémitiques, 
cultes  dont  le  centre  paraît  avoir  été  à  Babylone.  D  est  donc 
impossible  d'arriver  par  la  mythologie  comparée  à  une  entière 
certitude  sur  le  point  qui  nous  occupe,  ou,  pour  mieux  dire, 
il  faut  reconnaître  que,  pour  les  mythes  comme  pour  là  langue, 
un  abtme  sépare  les  deux  races,  et  qu'on  peut  à  peine  saisir 
entre  elles  quelques  liens  isolés.  Toutefois  l'hypothèse  à  la- 
quelle nous  avons  été  amenés  par  l'étude  des  langues  s'applique 
d'une  manière  non  moins  satisfaisante  à  l'étude  des  mythes, 

(9*  édit);iaArfr.  dêrhAL  Wia.  i85&^p.  1  et  19.  Je  n*y  peux  voir,  pour  ma 
part,  qu^un  effet  du  syncrétîame  qui,  dès  une  époque  aaseï  ancienne,  s^effiirça, 
en  Syrie  et  en  Asie  Mineure ,  de  fondre  la  mythologie  hellénique  avec  ka  tra- 
ditions des  Sémites ,  méthode  dont  on  trouve  tant  d^ezenples  dans  Pfaiion  de 
Byblos,  Moïse  de  Khorène,  etc.  Le  mythe  diluvien  de  Mabug  on  Hiérapoiis 
présente  une  combinaison  analogue  à  celle  des  labiés  dleomnm  et  d'Apamée. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  II.  463 

qui  sont  aussi  une  sorte  de  langage  primitif.  La  considération 
des  mythoiogies  n'aurait  pas  suffi,  sans  doute ,  pour  mettre 
sur  la  voie  d'une  parenté  primitive  entre  la  race  sémitique  et 
la  race  indo-«uropéenne  ;  mais  cette  parenté  étant  indiquée 
d'ailleurs,  la  question  des  mythes  s'en  trouve  fo(t  éclaircie. 

S  VI. 

L'étude  des  caractères  physiques  et  moraux  des  deux  races 
fournît  des  preuves  bien  plus  décisives  en  faveur  de  leur  unité 
primitive.  La  race  sémitique,  en  effet,  et  la  race  indo-euro- 
péenne, examinées  au  point  de  vue  de  la  physiologie  >  ne 
montrent  aucune  différence  essentielle;  elles  possèdent  en 
commun  et  h  elles  seules  le  souverain  caractère  de  la  beauté. 
Sans  doute,  la  race  sémitique  présente  un  type  très-prononcé, 
qui  fait  que  l'Arabe  et  le  Juif  sont  partout  reconnaissables  ^. 
Mais  ce  caractère  différentiel  est  beaucoup  moins  profond 
que  celui  qui  sépare  un  Brahmane  d'un  Russe  ou  d'un  Sué- 
dois :  et  pourtant  les  peuples  brahmaniques,  slaves  et  Scan- 
dinaves fi^ppartiennent  évidenunent  à  la  même  race.  Il  n'y  a 
donc  aucune  raison  pour  établir,  au  point  de  vue  de  la  phy- 
siologie, entre  les  Sémites  et  les  Indo-Européens  une  distinc- 
tion de  l'ordre  de  celles  qu'on  établit  entre  les  Caucasiens, 
les  Mongols  et  les  Nègres.  Aussi  les  physiologistes  n'ont-ils  pas 
été  amenés  à  reconnaître  l'existence  de  la  race  sémitique,  et 
l'ont-ils  confondue  sous  le  nom  commun  et  d'aiUeurs  si  dé- 
fectueux de  Caucasiens  avec  la  race  indo-européenne.  L'étude 
des  langues,  des  littératures  et  des  religions  devait  seule  ame- 
ner à  reconnaître  ici  une  distinction  que  l'étude  du  corps  ne 
révélait  pas. 

3ous  le  rapport  des  aptitudes  intellectuelles  et  des  instincts 

>  V.  Nott  et  Gtiddon,  7^  ofMmikmi,  p.  1 98  el  sniv.  fti  1  et  soiv. 


&6&         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

moraux ,  la  différence  des  deux  races  est  sans  doute  beaucoup 
plus  tranchée  que  sous  le  rapport  de  la  ressemblance  phy- 
sique«  Cependant,  même  à  cet  égard,  on  ne  peut  s'empêcher 
de  ranger  les  Sémites  et  les  Ariens  dans  une  même  catégorie. 
Quand  les  peuples  sémitiques  sont  arrivés  à  se  constituer  en 
société  régulière ,  ils  se  sont  rapprochés  des  peuples  indo-eu- 
ropéens. Tour  à  tour  les  Juifs ,  les  Syriens ,  les  Arabes  sont 
entrés  dans  l'œuvre  de  la  civilisation  générale,  et  y  ont  joué 
leur  rôle  comme  parties  intégrantes  de  la  grande  race  perfec- 
.tible;  ce  qu'on  ne  peut  dire  ni  de  la  race  nègre,  ni  de  la  race 
tartare,  ni  même  de  la  race  chinoise,  qui  s'est  créé  une  civi- 
lisation à  part.  Envisagés  par  le  côté  physique,  les  Sémites  et 
les  Ariens  ne  font  qu'une  seule  race,  la  race  blanche;  en-> 
visages  par  le  côté  intellectuel,  ils  ne  font  qu'une  seule  fa- 
mille, la  famille  civilisée  :  de  là  l'échange  d'idées  qui  s'est 
opéré  entre  eux ,  les  Sémites  ayant  prêté  aux  Ariens  des  idées 
religieuses  plus  simples  et  élevées,  les  Ariens  ayant  donné  aux 
Sémites  les  idées  philosophiques  et  scientifiques  qui  leur  man- 
quaient. L'histoire  morale  et  religieuse  du  monde  n'est  que  le 
résultat  de  l'action  combinée  de  ces  races.  On  expliquerait 
à  peine  comment  deux  espèces,  apparues  isolément,  se  mon^ 
treraient  aussi  semblables  dans  leur  constitution  essentielle, 
et  se  seraient  si  facilement  confondues  en  une  seule  et  même 
destinée. 

Ce  sont  là  des  considérations  qui  semblent  devoir  l'em- 
porter sur  celles  de  la  philologie  comparée.  Quand  il  s'agit 
du  fait  primitif  de  l'apparition  des  races ,  les  caractères  phy- 
siques et  moraux  ont  plus  de  valeur  que  les  caractères  lingui^ 
tiques.  Rien  n'empêche  que  des  peuples  sortis  d'un  même 
berceau ,  mais  scindés  dès  les  premiers  jours ,  ne  parlent  des 
langues  de  système  différent,  tandis  qu'il  est  difficile  d'ad- 


LIVRE  V,  CHAPITRE  II.  &65 

mettre  qae  des  peuples  offrant  les  mêmes  caractères  physiolo- 
giques et  psychologiques  ne  soient  pas  firères.  Nous  arrivons 
donc  par  toutes  les  voies  à  ce  résultat  probable ,  que  les  races 
sémitiques  et  ariennes  ont  cohabité  à  leur  origine  dans  la 
région  du  Belourtag  ou  de  THindoukousch  ;  qu'elles  se  sont 
divisées  de  très-bonne  heure,  et  avant  que  ni  Tune  ni  Tautre 
n*eût  trouvé  la  formule  définitive  de  son  langage  et  de  sa 
pensée;  mais  que  longtemps  après  cette  séparation,  elles  eu- 
rent ensemble  des  rapports  qu'on  peut  appeler  étroits,  du 
moins  si  on  songe  au  profond  isolément  dans  lequel  elles  vé- 
curent par  la  suite.  Plusieurs  des  traits  communs  que  nous 
avons  cherché  à  relever  entre  les  deux  races  supposent,  en 
effet,  une  conscience  trop  avancée  pour  qu'il  soit  permis  de 
les  croire  antérieurs  au  développement  complet  du  langage  ^ 
L'humanité,  comme  l'individu,  ne  saurait  se  souvenir  sans  la 
parole,  et,  si  les  traditions  communes  admises  par  MM.  Ewald 
et  Lassen  ont  quelque  réalité,  il  faut  reconnaître  que  le 
commerce  des  deux  races  se  prolongea  au  delà  des  premiers 
jours  de  leur  existence.  On  pourrait  comparer  ces  relations 
primitives  à  celles  de  deux  jumeaux ,  qui  auraient  grandi 
à  une  petite  distance  l'un  de  l'autre,  puis  se  seraient  séparés 
tout  à  fait  vers  l'ftge  de  quatre  ou  cinq  ans.  En  se  retrou- 
vant dans  leur  âge  mAr,  ils  seraient  conmie  étrangers  entre 
eux,  et  ne  porteraient  guère  d'autre  signe  de  parenté  que  des 
analogies  imperceptibles  dans  le  langage,  quelques  idées 
communes,  telles  que  le  souvenir  de  certaines  localités,  et 
par-dessus  tout,  un  air  de  famille  dans  leurs  aptitudes  essen- 
tielles et  leurs  traits  extérieurs. 

*  M.  Kanik  a  irè§-bien  «perçu  la  contradiction  où  sont  tombéa  à  cet  égard  ceux 
qui  ont  exagéré  lea  rebtions  primitÎYeB  dea  Sémites  et  des  Ariens.  (M/kmgu  atith 
tiapim  dêVAead,  de  Samt-PétêrdHfurg ,  t.  I,p.  Sig-Sao.) 

I.  3o 


&66  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Les  études  de  linguistique  et  d^ethnographie  comparées  ne 
sont  pas  assez  avancées  pour  qu'il  soit  pennis  d'énoncer  un 
jugement  semblable  sur  les  autres  grandes  races  de  l'ancien 
monde.  L'ingénieux  système  du  baron  d'Eckstein  ^  sur  les  mi- 
grations des  Gouschites  amènerait  à  penser  que  les  Gouschites 
et  les  Ghamites  se  trouvèrent  vis-à-vis  des  races  ariennes  et  sé- 
mitiques dans  une  situation  analogue  à  celle  des  races  ariennes 
et  sémitiques  vis-è-vis  l'une  de  l'autre ,  et  qu'ils  sortirent  éga- 
lement de  l'Hindoukousch  ;  mais  cette  hypothèse  est  loin  d*étre 
démontrée ,  et  je  ne  saurais  admettre  avec  le  savant  auteur  que 
te  nom  de  Gousch  ait  jamais  désigné  la  Bactriane.  Quant  aux 
idées  récemment  émises  par  M.  Max  Mûller  ^  sur  la  division 
des  langues  en  trois  familles,  sémitique,  arienne,  touranieime 
(cette  dernière  renfermant  tout  ce  qui  n'est  ni  arien  ni  sémi- 
tique!), et  sur  l'unité  originelle  de  ces  trois  familles,  il  est 
difficile  d'y  voir  autre  chose  qu'un  acte  de  complaisance  pour 
des  vues  qui  ne  sont  pas  les  siennes,  et  on  aime  à  croire  que 
le  savant  éditeur  du  Rig-Véda  regretterait  qu'on  discutât  trop 
sérieusement  un  travail  aussi  peu  digne  de  lui. 

Rien  ne  s'oppose ,  toutefois ,  à  ce  que  l'on  se  représente  les 
trois  ou  quatre  grandes  races  qui  figurent  dans  l'histoire  de 
la  civilisation  cpmme  sortant  d'un  berceau  unique ,  situé  dans 
rimaûs,  restant  quelque  temps  groupées  autour  de  ce  ber- 
ceau, et  là  formant  leur  langue  d'après  trois  ou  quatre  types 
différents,  mais  toujours  sur  un  certain  nombre  de  bases 
communes,  et  en  y  faisant  entrer  beaucoup  d'éléments  corn- 

*  Àthenmanjrançaii,  99  avril  et  17  mai  i856. 

*  Dans  les  (kulmn  de  M.  Bunsen ,  1 1 ,  p.  96d  et  suiv.  h'jZ  et  soît.  En  cri- 
tiquant ridée  systématique  de  Touvrage  de  M.  Mûller,  noue  rendons  jusiiee  à  b 
pénétration  avec  laquelle  Tauteur,  en  cela  d*aocord  avec  les  plus  habiles  india- 
nistes, a  montré  ies  ramiGcations  étendues  de  la  race  tartaro-finnoise  dans  Tlnde 
anté-brahmanique. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  IL  467 

muns.  La  Chine  seule  resterait  ainsi  en  dehors  de  la  grande 
famille  asiatico-europëenne.  Ici,  en  eifet,  ce  sont  de  tout  au- 
tres catégories  intellectuelles  :  tandis  que  Tarien,  le  sémitique, 
le  copte,  malgré  leurs  diversités,  accusent  une  manière  ana- 
logue de  résoudre  le  problème  du  langage,  le  chinois  prend 
les  choses  sur  un  autre  pied,  et  arrive  par  une  voie  entière- 
ment différente  au  même  résultat.  En  supposant  que  toutes  les 
ressemblances  de  détail  que  Ton  cherche  à  retrouver  entre  Ta- 
rien ,  le  sémitique ,  le  copte ,  ne  soient  qu'apparentes ,  il  res- 
tera au  moins  entre  ces  trois  systèmes  une  grande  et  profonde 
analogie ,  l'existence  d'une  grammaire.  Le  chinois ,  au  contraire , 
n'a  de  conunun  avec  les  autres  langues  de  l'Europe  et  de  l'Asie 
qu'une  seule  chose,  le  but  à  atteindre.  Ce  but,  qui  est  l'ex- 
pression de  la  pensée,  il  l'atteint  aussi  bien  que  les  langues 
grammaticales ,  mais  par  des  moyens  complètement  différents. 
La  civilisation  chinoise  nous  offre  également  le  spectacle  d'un 
développement  à  part ,  arrivant  par  ses  propres  forces  et  selon 
sa  mesure  à  un  résultat  qui  se  rapproche  beaucoup  de  la  ci- 
vilisation européenne.  Au  premier  coup  d'oeil ,  la  société  chi- 
noise parait  bien  moins  éloignée  de  la  société  européenne  que 
la  société  indienne;  et  cependant,  aux  yeux  d'un  observateur 
attentif,  c'est  la  même  constitution  intellectuelle  qui  a  produit 
le  monde  indien  et  le  monde  européen,  tandis  que  la  Chine 
est  arrivée  à  un  état  fort  ressemblant  à  celui  de  l'Europe ,  uni- 
quement par  ce  qu'il  y  a  de  nécessaire  et  d'universel  dans  la 
nature  humaine.  Si  les  planètes  dont  la  nature  physique  semble 
analogue  à  celle  de  la  terre  sont  peuplées  d'êtres  organisés 
comme  nous,  on  peut  affirmer  que  l'histoire  et  la  langue  de 
ces  planètes  ne  diffèrent  pas  plus  des  nôtres  que  l'histoire  et  la 
langue  chinoise  n'en  diffèrent.  La  Chine  nous  apparaît  ainsi 
comme  une  seconde  humanité,  qui  s'est  développée  presque  à 

3o. 


&68  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

i*insu  de  la  première ,  si  bien  que  de  ces  deux  humanités ,  Tune 
tendant  toujours  vers  l'ouest,  l'autre  restant  obstinément  murée 
dans  l'est  de  l'ancien  continent ,  ne  sont  guère  entrées  en  con- 
tact que  de  nos  jours. 

Quant  aux  races  inférieures  de  l'Afrique,  de  TOcéanie,  du 
Nouveau  Monde,  et  à  celles  qui  précédèrent  presque  partout 
sur  le  sol  l'arrivée  des  races  de  l'Hindoukousch ,  un  abîme  les 
sépare  des  grandes  familles  dont  nous  venons  de  parler.  Au- 
cune branche  des  races  indo-européennes  ou  sémitiques  n'est 
descendue  à  l'état  sauvage^.  Ces  deux  races  nous  apparaissent 
partout  avec  un  certain  degré  de  culture.  On  n'a  pas  d'ail- 
leurs un  seul  exemple  d'une  peuplade  sauvage  qui  se  soit  élevée 
h  la  civilisation.  Il  faut  donc  supposer  que  les  races  civilisées 
n'ont  pas  traversé  l'état  sauvage,  et  ont  porté  en  ellesHnémes, 
dès  le  commencement,  le  germe  des  progrès  futurs.  Leur  langue 
n'était-elle  pas  à  elle  seule,  un  signe  de  noblesse  et  comme  une 
première  philosophie?  Imaginer  une  race  sauvage  pariant  une 
langue  sémitique  ou  indo-européenne ,  est  une  fiction  contra- 
dictoire à  laquelle  refusera  de  se  prêter  toute  personne  initiée 
aux  lois  de  la  philologie  comf^arée  et  de  la  psychologie  géné- 
rale de  l'esprit  humain. 

Après  la  différence  du  langage,  celle  de  la  religion  est, 
sans  contredit,  la  plus  profonde  qui  sépare  les  peuples  sémi- 
tiques des  peuples  ariens.  Les  premières  religions  de  la  race 
indo-européenne  paraissent  avoir  été  purement  physiques'. 

*  La  profonde  dégradation  où  sont  tombées  certaines  faxniQes  enropéennes  iso- 
lées sur  le  continent  américain  et  dans  le  sud  de  TAfrique  ne  prouve  point  contre 
notre  thèse  ;  car,  outre  que  cette  dégradation  est  loin  dMire  aussi  profonde  et  aussi 
incurable  que  Tétat  sauvage,  ce  n^est  là  qu^un  fait  exeeptionnd,  comme  le  caréti- 
nîsme  endémique ,  dont  on  ne  saurait  rien  conclure  contre  les  aptitudes  générales 
des  races  civilisées. 

'  Ap  Weber,  Akadem.  Vorleiungen  ûher  mdisehe  Litm'aturgmekiekiê ,  p.  3&-35. 


LIVRE  V,  CHAPITRE  IL  469 

C'étaient  de  vives  impressions,  telles  que  celles  du  vent  dans 
les  arbres  ou  les  roseaux,  celles  des  eaux  courantes,  celles  de 
la  mer,  qui  prenaient  un  corps  dans  l'imagination  de  ces  peu- 
ples enfants.  L'Arien  n'arriva  pas  aussi  vite  que  le  Sémite  à  se 
séparer  du  monde;  longtemps  il  adora  ses  propres  sensations, 
et,  jusqu'au  moment  où  les  religions  sémitiques  l'initièrent  à 
une  notion  plus  élevée  de  la  divinité,  son  culte  ne  fut  qu'un 
écho  de  la  nature.  Le  polythéisme,  dans  toute  la  race  indo-eu- 
ropéenne ,  n'a  cédé  que  devant  la  prédication  juive ,  chrétienne 
ou  musulmane;  l'exemple  de  l'Inde,  restée  mythologique  jus- 
qu'à nos  jours  \  prouve  l'extrême  embarras  avec  lequel  l'esprit 
indo-européen  livré  à  lui-même  se  convertit  au  monothéisme. 
La  race  sémitique,  au  contraire,  y  arriva  évidemment  sans 
aucun  effort.  Cette  grande  conquête  ne  fut  pas  pour  elle  l'effet 
du  progrès  et  de  la  réflexion  philosophique  :  ce  fut  une  de  ses 
premières  aperceptions.  Ayant  détaché  beaucoup  plus  tôt  sa 
personnalité  de  l'univers,  elle  en  conclut  presque  immédiate- 
ment le  troisième  terme ,  Dieu ,  créateur  de  l'univers  ;  au  lieu 
d'une  nature  animée  et  vivante  dans  toutes  ses  parties,  elle 
conçut,  si  j'ose  le  dire,  une  nature  sèche  et  sans  fécondité. 
Ainsi  nous  revenons  à  la  différence  fondamentale  des  deux 
races,  signalée  par  M.  Lassen  :  l'une,  plus  subjective,  plus  in-^ 
dividuelle;  l'autre,  plus  objective,  plus  rapprochée  de  l'uni- 
vers, d'une  personnalité  moins  concentrée.  C'est  là,  certes,  une 
divergence  essentielle,  et  qui  devait  produire  deux  mouve- 
ments intellectuels  profondément  séparés.  Cependant  il  s'en 
faut  qu'elle  creuse  entre  les  deux  races  un  abtme  comparable 
à  celui  qui  existe  entre  le  caractère  psychologique  du  Chi- 
nois, du  Nègre  et  de  l'Européen.  On  s'explique  jusqu'à  un  cer- 

'  Le  PremSagar,  le  dernier  grand  poème  mythologique  de  la  race  indo-euro- 
péenne, porle  la  date  de  180A. 


&70  HISTOIRE  DES  I^ANGUES  SÉMITIQUES. 

tain  point  comment  la  divergence  des  Sémites  et  des  Ariens 
a  pu  se  produire,  sous  le  régime  des  causes  puissantes  qui 
agissaient  à  l'origine ,  et  dont  l'efficacité  était  centuplée  par 
lextréme  délicatesse  du  sujet  humain,  à  peine  sorti  des  langes 
de  ses  premiers  jours. 

De  même,  en  effet,  que  certains  accidents  extérieurs  qui 
sont  indifférents  à  l'homme  fait ,  exercent  sur  la  constitution 
impressionnable  de  l'enfant  une  influence  capitale  et  qui  déci^ 
dera  de  sa  vie  entière;  de  même  il  faut  admettre  qu'à  l'on- 
gine ,  au  moment  où  se  formait  l'individualité  des  races , 
la  nature  humaine  était  plus  flexible,  plus  disposée  à  rece- 
voir de  profondes  et  durables  empreintes.  Deux  tribus  ju- 
melles, habitant  à  quelque  distance  l'une  de  l'autre,  peut-être 
sur  les  deux  versants  de  la  même  montagne,  se  trouvaient 
déterminées  par  des  causes  à  peine  saisissables  à  des  habi- 
tudes entièrement  opposéees.  La  différence  du  genre  de  vie  et 
de  l'alimentation ,  par  exemple ,  a  pu  suffire  pour  amener  entre 
deux  groupes  des  différences  aussi  profondes  que  celles  qui  sé- 
parent le  Sémite  et  l'Arien.  La  vie  nomade  par  tribus  isolées, 
conséquence  de  la  vie  pastorale,  était  comme  imposée  au 
Sémite  ;  or  on  sait  quelles  habitudes  profondes  engendre  la 
vie  du  douar,  à  quel  point  cette  vie  développe  les  instincts  in- 
dividuels, combien  elle  fortifie  le  caractère  personnel,  mais 
aussi  combien  elle  rend  incapable  de  discipline  et  d'organisa- 
tion. Un  cercle  d'idées  assez  étroit,  des  passions  Iran-profondes, 
un  grand  sens  pratique ,  une  tendance  à  faire  prédominer  les 
considérations  de  l'intérêt  égoïste  sur  celles  de  la  moralité, 
une  religion  simple  et  pure,  tel  est  l'esprit  du  douar.  Notre 
habitude  d'envisager  la  vie  urbaine  comme  seule  propre  à  dé- 
velopper la  civilisation ,  nous  fait  en  général  concevoir  la  vie 
nomade  sous  de  très-fausses  couleurs.  Nous  ne  comprenons, 


LIVRE  V.  CHAPITRE  II.  471 

en  dehors  du  citadin,  que  le  paysan  à  demi  serf,  ne  recevant 
la  vie  sociale  d'aucune  institution ,  tel  que  l'a  créé  le  moyen 
âge;  or  c'est  là  un  genre  de  vie  assez  nouveau,  et  de  tous, 
peut-être,  le  plus  fermé  à  la  civilisation  :  c'est  celui  où  l'homme 
est  le  plus  isolé ,  et  participe  le  moins  à  la  vie  conmiune  de 
la  société.  On  peut  affirmer  que  le  genre  de  vie  du  Kirghiz , 
abstraction  fisdte  de  l'inégalité  des  races,  est  bien  plus  propre 
à  cultiver  l'individu  que  celui  de  nos  paysans.  La  vie  com- 
mune de  la  tribu  est,  en  effet,  conune  une  grande  école  à  la- 
quelle tous  assistent  ;  le  contact  perpétuel  et  intime  des  indi- 
vidus excite  à  un  haut  degré  certaines  facultés;  enfin,  si  une 
telle  vie  est  impropre  aux  spéculations  scientifiques  et  ration- 
nelles, elle  constitue  un  milieu  souverainement  poétique,  et 
où  les  grandes  idées  religieuses  trouvent  merveilleusement  à 
se  développer. 

La  différence  de  génie  de  l'Arien  et  du  Sémite  me  semble 
donc  suffisamment  expliquée  par  le  genre  de  vie  très-différent 
auquel  ces  deux  races,  par  suite  de  causes  qui  nous  échap- 
pent, ont  dû  être  toujb  d'abord  assujetties.  Il  ne  parait  pas, 
en  effet,  que  la  race  arienne  ait  primitivement  surpassé  les 
ntres  en  intelligence  ;  tout  au  contraire  :  elle  parait  avoir  été 
caractérisée  d'abord  par  une  certaine  pesanteur  de  corps  et 
d'esprit  ^  Les  Ghamites,  les  Gouschites,  les  Ghinois,  les  Sé- 
mites mêmes  devancèrent  de  beaucoup  les  Ariens  dans  ce 
qui  exige  de  l'industrie  et  un  esprit  délié ,  surtout  dans  ce  qui 
touche  au  bien-être  de  la  vie.  Ge  n'est  réellement  que  vers  le 
VII*  siècle  avant  notre  ère  que  les  Ariens  prennent  définiti- 
vement le  sceptre  intellectuel  de  ITiumanité ,  en  Europe  par 
la  Grèce,  en  Orient  par  la  Perse.  La  rudesse  des  premiers 

*  Voy.  Kimik,  dans  les  Mélangm  anatiqtm  dt  PAead.  de  Sainl'P^ittrAourg ,  t  I, 
p.  5o8  et  8iii¥. 


\ 


&73         HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

Pélasges ,  reztréme  grossièreté  de  leurs  idées  religieuse  sont 
aujourd'hui  reconnues.  Et  n'est-ce  pas  un  fait  singulier  que 
des  branches  essentielles  de  la  race  arienne ,  celles  qui  tiennent 
maintenant  la  tête  de  la  civilisation,  les  Celtes,  les  Germains, 
les  Slaves ,  ne  soient  sorties  de  leur  vie  purement  militaire  ou 
agricole  que  sous  l'influence  chrétienne  et  gréco-romaine,  et 
cela  à  des  époques  fort  rapprochées  de  nous?  Quelques  ra- 
meaux de  la  £amille  doq^  nous  parions,  telles  que  les  popula- 
tions^du  Caucase  et  certains  peuples  slaves,  sont  même  restés 
jusqu'à  notre  temps  dans  la  pure  barbarie.  La  grande  supériorité 
de  la  race  arienne  résidait,  d'une  part,  dans  sa  force  physique; 
de  l'autre,  dans  sa  profonde  moralité,  sa  haute  idée  du  droit, 
sa  puissance  de  dévouement,  la  facilité  avec  laquelle  l'individu 
s'y  sacrifiait  à  la  chose  publique,  et,  par  suite,  sa  capacité 
politique  et  militaire.  Cette  disproportion  entre  le  développe- 
ment intellectuel,  le  développement  moral  et  la  civilisation 
extérieure  s'observe  encore  de  nos  jours,  par  exemple,  chez  le 
paysan  breton  et  le  paysan  polonais,  unissant  une  moralité  très- 
délicate  et  un  sentiment  religieux  très-pur  à  un  extrême  béo- 
tisme  et  à  une  vie  en  apparence  peu  différente  de  celte  du 
sauvage.  C'est  assurément  un  étrange  spectacle  que  de  voir  l'Eu- 
rope chrétienne  du  moyen  âge,  si  supérieure  à  l'Orient  pour 
les  idées  poétiques ,  morales  et  religieuses ,  réduite  à  emprun- 
ter la  plupart  de  ses  industries  de  luxe  et  de -ses  inventions 
mécaniques  à  la  Chine,  par  l'intermédiaire  desTartares  et  des 
musulmans  ^ 


*  V.  Âbel  Rëmusat,  dans  le  /oumo/  asiatiqug,  1 1  (1899),  p.  i36  et  raiv.  Le 
goût  du  corfortable,  que  Ton  s^est  habitué  bien  à  tort  à  regarder  comme  une 
partie  de  la  civilisation,  ne  s^est  développé  chez  les  peuples  indo-européens  qu^à 
Tépoque  romaine  et  est  toujours  resté  étranger  aux  Sémites.  L^Inde  brah- 
tnanique  présentait  le  phénomène  d*hommes  arrivés  au  plus  haut  dévebppe- 


LIVRE  V.  CHAPITRE  IL  473 

Quant  aux  Gouschites  et  aux  Ghamites ,  s'ils  doivent  être  rap- 
portés à  la  grande  famille  arienne-sémitique ,  il  faut  dire  que 
leur  manque  d'idées  morales,  leur  culte  grossier  et  obscène 
tenaient  à  la  vie  citadine  qu'ils  menèrent  de  très-bonne 
heure  et  au  despotisme  unitaire  qui  détruisit  chez  eux  toute 
vie  publique,  conune  on  le  sait  pour  l'Egypte ,  l'Ethiopie,  Ni- 
nive,  Bab^one.  Avouons  toutefois  que,  sur  ce  point,  l'ethno- 
graphie et  la  linguistique  en  sont  enqpre  réduites  aux  conjec- 
tures ,  et  qu'en  voyant  les  civilisations  couschites  et  chamites 
présenter  un  caractère  si  tranché,  et  devancer  de  tant  de  siè- 
cles celles  des  peuples  ariens  et  sémitiques ,  on  est  tenté  de 
les  envisager  comme  l'œuvre  d'une  première  race  cultivée ,  qui 
précéda  dans  l'Asie  occidentale  et  le  nord-est  de  l'Afrique  l'éta- 
blissement des  races  ariennes  et  sémitiques,  de  même  que  les 
Ghinois  devançaient  également  dans  l'Asie  orientale  la  civili- 
sation des  Sémites  et  des  Ariens  ^ 

En  réunissant  ces  aperçus  divers,  voici  le  système  qu'on 
serait  amené  à  se  former  sur  l'apparition  de  l'humanité  et  la 
succession  des  races  de  l'ancien  continent  : 

1^  Races  inférieures,  n'ayant  pas  de  souvenirs,  couvrant  le 
soi  dès  une  époque  qu'il  est  impossible  de  rechercher  histori- 
quement et  dont  la  détermination  appartient  au  géologue.  En 
général ,  ces  races  ont  disparu  dans  les  parties  du  monde  où 

ment  intdleebid  et  pbiioeophiqae,  et  vivant  d^une  façon  tonte  primitive  :  l*Arabe 
bédouin  réonit  axjuà  un  trè»-grand  ni£Bnement  d^esprit  à  l^esstence  ia  ^ub  misé- 
rable. Aux  beliee  époques  de  la  civilisation  grecque,  le  confortable  privé  était  à 
peu  près  inconnu. 

'  Le  commerce,  la  navigation,  l'industrie,  paraissent  être  restés  fort  longtemps 
le  monopole  de  ces  peuples.  Les  Sémites  et  les  Ariens  ne  s^adonnèrent  au  com- 
merce  que  tard,  et  quand  ib  eurent  déjà  perdu  une  partie  de  leur  noblesse  et  de 
leur  pureté.  On  peut  dire  sans  exagération  que  la  Gbine  avait  conservé  sa  supé- 
riorité industridle  sur  TEurùpe  jusqu'aux  grands  progrès  dans  les  sciences  d*ap- 
plieation  qui  ont  signalé  le  commencement  de  notre  siècle. 


&7&  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

se  sont  portées  les  grandes  races  civilisées.  Partout,  en  effet, 
les  Ariens  et  les  Sémites  trouvent  sur  leurs  pas,  en  venant 
s'établir  dans  un  pays ,  des  races  à  demi  sauvages  qu'ils  exter- 
minent, et  qui  survivent  dans  les  mythes  des  peuples  plus  ci- 
vilisés sous  forme  de  races  gigantesques  ou  magiques  nées 
de  la  terre,  souveht  sous  forme  d'animaux.  Les  parties  du 
monde  où  ne  se  sont  pas  portées  les  grandes  races,  TOcéa- 
nie,  l'Afrique  méridionale,  l'Asie  septentrionale,  en  sont 
restés  à  cette  humanité  primitive,  qui  devait  offrir  les  plus 
profondes  diversités,  mais  toujours  une  incapacité  absolue 
d'organisation  et  de  progrès. 

3**  Apparition  des  premières  races  civilisées  :  Chinois ,  dans 
l'Asie  orientale;  Gouschites  et  Ghamites  dans  l'Asie  occiden- 
tale et  l'Afrique.  Premières  civilisations  empreintes  d'un  ca- 
ractère matérialiste  :  instincts  religieux  et  poétiques  peu  déve- 
loppés ;  faible  sentiment  de  l'art ,  mais  sentiment  très-rafliné 
de  l'élégance  ;  grande  aptitude  pour  les  arts  manuels ,  et  pour 
les  sciences  mathématiques  et  astronomiques;  littératures 
exactes,  mais  sans  idéal;  esprit  positif,  tourné  vers  le  négoce, 
le  bien-être  et  l'agrément  de  la  vie  ;  pas  d'esprit  public  ni  de 
vie  politique;  au  contraire,  une  administration  très-perfection- 
née  et  telle  que  les  peuples  européens  ne  l'ont  eue  qu'à  l'é- 
poque romaine  et  dans  les  temps  modernes;  peu  d'aptitude 
militaire;  langues  monosyllabiques  et  sans  flexions  (égyptien, 
chinois);  écriture  hiéroglyphique  ou  idéographique.  Ges  races 
comptent  trois  ou  quatre  mille  ans  d'histoire  avant  l'ère  chré- 
tienne. Toutes  les  civilisations  couschites  et  chamites  ont  dis- 
paru sous  l'effort  des^  Sémites  et  des  Ariens.  En  Chine,  au 
contraire,  ce  type  primitif  de  civilisation  a  survécu  et  est  venu 
jusqu'à  nous. 

3"  Apparition  des  grandes  races  nobles,  Ariens  et  Sémites, 


LIVRE  V,  CHAPITRE  IL  475 

venant  <le  Tlmaûs.  Ces  races  apparaissent  en  même  temps 
dans  l'histoire,  la  première  en  Bactriane,  la  seconde  en  Ar- 
ménie,  deux  mille  ans  environ  avant  l'ère  chrétienne.  Très- 
inférieures  d'abord  aux  Gouschites  et  aux  Ghamites  pour  la 
civilisation  extérieure ,  les  travaux  matériels  et  la  science  d'or- 
ganisation qui  fait  les  grands  empires,  elles  l'emportent  infi- 
niment sur  eux  pour  la  vigueur,  le  courage ,  le  génie  poétique 
et  religieux.  Les  Ariens  eux-mêmes  l'emportent  tout  d'abord 
sur  les  Sémites  par  l'esprit  politique  et  militaire ,  et  plus  tard 
par  l'intelligence  et  l'aptitude  aux  spéculations  rationnelles; 
mais  les  Sémites  conservent  longtemps  une  grande  supériorité 
religieuse,  et  finissent  par  entraîner  presque  tous  les  peuples 
ariens  à  leurs  idées  monothéistes.  L'islamisme,  sous  ce  rapport, 
couronne  l'œuvre  essentielle  des  Sémites,  qui  a  été  de  simpli- 
fier l'esprit  humain ,  de  bannir  le  polythéisme  et  les  énormes 
complications  dans  lesquelles  se  p^ait  la  pensée  religieuse 
des  Ariens.  Une  fois  cette  mission  accomplie,  la  race  sémi- 
tique déchoit  rapidement,  et  laisse  la  race  arienne  marcher 
seule  à  la  tête  des  destinées  du  genre  humain. 

Ainsi  la  philologie  comparée ,  aidée  par  l'histoire ,  arrive , 
non  pas  certes  à  résoudre,  mais  à  circonscrire  le  problème 
des  origines  de  l'espèce  humaine.  Elle  établit  avec  une  en- 
tière certitude  l'unité  de  la  grande  race  indo-européenne; 
or  cette  race  étant  évidemment  destinée  à  s'assimiler  toutes  les 
autres ,  avoir  établi  l'unité  de  la  race  indo-européenne ,  ce  sera , 
aux  yeux  de  l'avenir,  avoir  établi  l'unité  du  genre  humain.  — 
Elle  rattache  d'une  manière  très-vraisemblable  à  la  race  indo- 
européenne la  race  sémitique,  inséparable  de  la  première 
dans  l'histoire  de  la  civilisation.  —  Elle  permet  de  rapporter 
à  la  même  famille  les  races  chamites  et  couschites,  et  arrive 
ainsi  à  montrer  comme  possible  l'unité  de  toutes  les  races  qui 


&76  HISTOIRE  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

ont  fondé  la  civilisation  dans  l'ouest  de  l'Asie,  dans  l'Europe, 
dans  le  nord  et  l'est  de  l'Afrique.  —  Elle  fixe  avec  une  vraisem- 
blance presque  égale  à  la  certitude  le  point  de  départ  de  la 
race  arienne  dans  l'Hindoukousch  ou  le  Belourtag,  et  elle 
rattache  volontiers  à  ce  même  point  le  berceau  de  la  race  sé- 
mitique. —  Elle  répugne  à  en  faire  autant  pour  la  race  chi- 
noise, et  surtout  pour  les  races  inférieures  qui  durent  former 
la  première  couche  de  la  population  du  globe.  —  Elle  établit 
d'une  manière  approximative  l'ordre  chronologique  selon  le- 
quel ces  races  diverses  sont  entrées  dans  l'histoire,  et  la  date 
relativement  moderne  de  l'apparition  des  races  civilisées.  — 
Enfin,  elle  attend  sur  tous  ces  points  des  lumières  nouvelles 
de  l'étude  encore  si  peu  avancée  des  idiomes  de  l'Asie  cen- 
trale et  de  l'Afrique ,  prête  à  renoncer  devant  les  faits  à  toute 
hypothèse  préconçue,  et  persuadée  que,  dans  l'état  actuel  de 
la  science,  tout  système  ne  peut-être  que  provisoire,  si  l'on 
compare  le  peu  que  l'on  sait  à  la  masse  énorme  de  ce  qu'il  est 
encore  possible  de  savoir. 

On  arrive  ainsi  à  écarter  les  idées  absolues  que  certaines 
écoles  philosophiques,  celle  de  Hegel,,  par  exemple,  se  sont 
formées  sur  le  développement  de  l'humanité;  car  si  la  race 
indo-européenne  n'était  pas  apparue  dans  le  monde,  il  est 
clair  que  le  plus  haut  degré  du  développement  humain  eût  été 
quelque  chose  d'analogue  à  la  société  arabe  ou  juive  :  la  phi- 
losophie, le  grand  art,  la  haute  réflexion,  la  vie  politique 
eussent  à  peine  été  représentés.  Si,  outre  la  race  indo-euro- 
péenne ,  la  race  sémitique  n'était  pas  apparue ,  l'Egypte  et  la 
Chine  fussent  restées  à  la  tête  de  l'humanité  :  le  sentiment  mo- 
ral, les  idées  religieuses  épurées,  la  poésie,  1  mstinct  de  l'infini 
eussent  presque  entièrement  fait  défaut.  Si,  outre  les  races 
indo-européennes  et  sémitiques,  les  races  chamites  et  chi- 


LIVRE  V,  CHAPITRE  IL  A77 

noises  n'étaient  pas  apparues ,  l'humanité  n'eût  pas  existé  dans 
le  sens  vraiment  sacré  de  ce  mot ,  puisqu'elle  eût  été  réduite  à 
des  races  inférieures ,  à  peu  près  dénuées  des  facultés  transcen- 
dantes qui  font  la  noblesse  de  l'homme.  Or,  à  quoi  tientr-il 
qu'il  ne  se  soit  formé  une  race  aussi  supérieure  à  la  race 
indo-européenne  que  celle-ci  est  supérieure  aux  Sémites  et 
aux  Chinois?  On  ne  saurait  le  dire.  Une  telle  race  jugerait 
évidemment  notre  civilisation  aussi  incomplète  et  aussi  défec- 
tueuse que  nous  trouvons  la  civilisation  chinoise  incomplète  et 
défectueuse.  L'histoire  seule  a  donc  le  droit  d'aborder  ces  dif- 
ficiles problèmes;  la  philosophie  a  priori  est  incompétente  pour 
cela,  et  si  la  philologie  a  quelque  valeur,  c'est  parce  qu'elle 
fournit  à  l'histoire  ses  renseignements  les  plus  authentiques  et 
les  plus  sûrs.  Âi-je  besoin  d'ajouter  que  la  foi  dans  les  desti- 
nées supérieures  de  l'humanité  n'est  point  troublée  par  un 
tel  résultat?  A  son  plus  humble  degré,  la  nature  humaine  est 
divine,  en  ce  sens  qu'elle  atteint  l'infini  selon  une  très-faible 
mesure.  Dans  ses  plus  hautes  régions,  l'humanité  est  mille 
fois  plus  divine,  en  ce  sens  qu'elle  participe  au  monde  idéal 
d'une  manière  bien  plus  élevée.  Mais,  alors  même,  un  abtme 
la  sépare  du  terme  auquel  elle  aspire,  et  on  aurait  tort  de 
prétendre  qu'elle  n'eût  pu,  sans  sortir  des  conditions  mêmes  de 
son  existence ,  être  plus  puissamment  organisée  pour  atteindre 
sa  fin. 


FIN  DE  LA  PREMlàRE  PARTIE. 


TABLE  ANALYTIQUE. 


LIVRE  PREMIER. 

QUESTIONS  D'ORIGINE. 


CHAPITRE  PREMIER, 

GiRACràBB  gMrAL  DBS  PBCPLB8  BT  DBS  LAVGUBS  sAllITIQUBS. 


S  I. 

Berceau  primitif  des  langueB  sémitiques. — Unité  de  cette  famille  de  bogues. 
— Du  nom  de  aMci^iist  ;  combien  il  est  défectueux.  —  Du  Me  de  la  race 
sémitique  dans  lliistoire  :  ce  Me  est  plutôt  rdigieui  que  politique.  — Vues 
de  M.  Laasen  sur  le  caractère  mÊbjwet^àeUi  race  sânitiqne.  —  Le  mono- 
tkéitme  résume  et  explique  tous  les  caractères  de  la  race  sémitique.  —  La 
race  sémitique  aperçut  tout  d*abord  Tunité  divine. — Exception  apparente 
pour  les  Phéniciens.  —  Simplicité  des  religions  sémitiques. — Les  Sémites 
n^ont  pas  de  mythologie.  —  Intolérance  rdigieose  des  peuples  sémitiques. 
—  Le  prophétisme  chei  les  Sémites.  —  Les  Sémites  nVnt  ni  science,  ni 
philosophie  ;  ils  manquent  de  curiosité  :  la  phiïosophie  arabe  n'est  pas  un 
produit  sémitique.  —  La  poésie  sémitique,  essentiellement  subjective, 
sans  variété.  —  L'esprit  sémitique  manque  du  sentiment  des  nuances.  — 
Manque  d*arts  plastiques  cfaes  les  Sémites.  —  Ds  n'ont  pas  d'épopée.  — 
Absence  de  vie  politique  :  vie  patriarcale.  —  La  vie  arabe,  type  de  la  vie 
sémitique.  —  Infériorité  militaire  des  Sémites  :  incapacité  d'organisation. 
— Caractère  ^joiste  et  passionné  des  Sémites.  —  La  race  sémitique  se  re- 
connaît à  des  caractères  natifs  :  elle  comprend  l'unité,  non  la  variété. 
— Les  langues  sémitiques  n'ont  qu'un  seul  type i 

S  IL 

Simplicité  des  langues  sémitiques. — Mes  sont  peu  propres  aux  spéculations 
rationnelles.  —  Leur  caractère  physique  et  sensuel.  —  Absence  de  pé- 


480  TABLE  ANALYTIQUE. 

riode  et  de  grande  construction.  —  Les  langues  sémitiques  sont  plus  poé- 
tiques qu^oratoireiw  —  Elles  manquent  de  perspective  et  de  ce  que  nous 
appelons  ie  $tyle.  —  Le  venêt,  coupe  naturelle  du  discours  sémitique.  — 
Sens  matérid  de  presque  toutes  les  racines  sémitiques.  —  Combien  les 
langues  sémitiques  sont  restées  rapprochées  de  leurs  origines 17 


CHAPITRE  IL 

BXTBH8ION  PRIMlTnrB  DU  DOMAINB  DBS  LUIGUBS  StoTIQDBS. 


S  L 

Les  langues  sémitiques  sont  rarement  sorties  de  la  régbn  où  on  les  voit  éta- 
blies depuis  les  temps  historiques.  —  Anciens  mouvements  de  la  race  sé- 
mitique. —  Émigration  des  Térachites.  —  Position  d'Our-Kasdim  ou  Ar- 
phaxad  dans  le  pays  des  Kurdes.  —  Passage  dé  TEuphrate;  Sémites 
Hébreux. — Les  souvenirs  primitifs  des  Sémites  se  rapportent  à  TArménie. 
—  Du  mythe  de  la  tour  de  Babel.  —  Cause  présumée  des  migrations  sé- 
mitiques :  grands  empires  non  sémitiques  sur  le  Tigre. — Races  avec  les- 
quelles les  Sémites  furent  primitivement  en  contact  :  Ariens,  Couschites, 
NefiUm,  Refabn,  etc.  —  Les  Sémites  se  mêlent  peu  aux  autres  races. — 
Divisions  primitives  de  la  race  sémitique.  —  Genre  de  vie  des  anciens 
Sémites  nomades,  Beni-Israél,  Hyhsoê,  Philistins.  —  Différence  entre  ie 
mode  de  propagation  de  la  race  sémitique  et  celui  de  la  race  arienne  :  la 
race  sémitique  a  peu  de  force  d^eipansion.  7—  Les  Sémites  ont  conservé 
longtemps  le  sentiment  de  leur  unité.  —  De  la  table  du  x*  chapitre  de  la 
Genèse  ;  elle  est  géographique  et  non  ethnographique.  —  Les  noms  de 
Japhet,  Sem,  Cham  représentent  trois  sones;  signification  étymologique 
de  ces  noms.  —  Le  nom  de  Sem  a  été  pris  à  tort  comme  un  nom  de 
race 95 

S  IL 

On  a  trop  étendu  le  domaine  de  la  race  sémitique.  —  Hypothèses  gratuites 
sur  les  migrations  des  Sémites  vero  Toccident — Limites  de  la  race  sé- 
mitique du  càté  de  Touesl  et  du  nord.  —  L^Asie  Mineure  est  en  général 
arienne;  système  de  Fréret.  —  Cariens  et  Lydiens.  —  Sémites  sur  le  ver- 
sant méridional  du  Taurus  :  Erembes,  Solymes,  Gilide,  Chypre.  —  Po> 
sition  ethnographique  de  rArmcnie.  —  Les  Ariens  n^ont  guère  pénétré 
au  cœur  du  sémitisme.  —  Opinions  diverses  sur  les  Philistins  :  ils  semblent 


TABLE  ANALYTIQUE.  hS\ 

Pages. 

venir  de  VÛe  de  Crète.  —  De  la  kogoe  des  Philistins.  —  Hypothèse  d'éta- 
blissemeois  sémitiques  en  Crète,  en  Carie,  etc ^« . .  r 61 

S  UL 

Frontière  orientale  des  langues  sémitiques.  —  Mélange  des  races  et  des  lan> 
gués  sur  les  bords  du  Tigre.  —  1*  Séjour  primitif  des  Sémites  au  delà  du 
Tigre.  —  a*  Conschites  ou  Céphènes  sur  le  Tigre;  Ninive  et  Babylone. 
Analogie  de  la  langue  des  inscriptions  babyloniennes  avec  Tidiome  de 
Mahrah.  —  3*  Kasdes  ou  Chaldéens  primitif  d^Our-Kasdim  et  d^Ar- 
phaxad,  ariens.  —  &*  A  Tépoque  d^Âbraham,  Iraniens  dans  la  plaine  de 
Sennaar.  —  5*  Au  yiii'  siède  avant  Tère  chrétienne,  apparition  de  la  puis- 
sance assyrienne  parmi  les  Sémites;  caractère  non  sémitique  de  cette 
puissance.  Les  noms  ninivites  ne  sont  pas  sémitiques.  —  6*  Dynastie  ba-  > 
bylonienne,  anidogue  â  celle  de  Ninive.  —  7*  Au  vu*  siède,  apparition  * 
des  Kasdim  à  Babylone.  Hypothèses  sur  Torigine  des  Kasdim.  Rappro- 
chement avec  les  Kurdes,  la  Gordyène  :  caractère  arien  de  la  langue 
kurde.  Comment  les  Kasdim  sVtablirent  à  Babylone.  Comment  le  nom 
de  Chaldéen  en  vint  à  désigner  une  caste  de  prêtres.  —  8*  La  race  indo- 
européenne a  seule  été  conquérante.  Le  fond  de  la  population  de  TAssy- 
rie  et  de  Babylone  était  sémitique  et  pariait  une  langue  sémitique.  — 
9*^  De  Topinion  diaprés  laquelle  la  langue  des  inscriptions  cunéiformes 
assyriennes  et  babyloniennes  ^rait  sémitique.  Opinion  de  M.  Lassen  et  de 
M.  E.  Bumouf.  Objections  contre  cette  opinion.  Les  langues  sémitiques 
ont  toujours  été  écrites  avec  leur  alphabet  propre.  Cet  alphabet  se  re- 
trouve i  Ninive  et  à  Babylone,  à  côté  des  caractères  cunéiformes.  Hypo- 
thèse de  deux  caractères,  Tun  monumental,  Tautre  cursif.  Caractère  in- 
décis du  dialecte  sémitique  que  Ton  a  cru  retrouver  sous  les  inscriptions 
de  la  deuxième  espèce.  Insuffisance  de  la  méthode  appliquée  â  ce  pro- 
blème. —  10*  Fusion  de  Tiranien  et  du  sémitique,  sous  les  Achéménides; 
pehlvL  Point  où  se  forma  le  pehlvi.  Langue  de  TAdiabène  i  Tépoque  de 
Tère  chrétienne 5i 

S  rv. 

Frontières  des  langues  sémitiques  du  côté  de  Tisthme  de  Suez.  —  Position 
du  copte  ou  de  T^^yptien  vis-à-vis  des  langues  sémitiques. —  Opinion  de 
MM.  Lepsius,  Schwartie,  Benfey,  Bunsen,  etc  sur  la  parenté  du  copte 
avec  les  langues  sémitiques.  Opinion  contraire  de  MM.  Pott,  Ewald ,  etc 
—  Examen  des  rapprochements  grammaticaux  que  Ton  a  tentés  entre  les 
deux  systèmes  de  langues  :  andc^es  de  syntaxe,  analogie  des  pronoms  et 
des  noms  de  nombre,  analogie  dans  les  formes  grammaticales.  —  Ques- 

I.  3i 


482  TABLE  ANALYTIQUE. 

■Ta  ^m  m 

tion  de  philologie  générale  engagée  dans  le  débat  —  Le  système  copte 
et  le  système  sémitique  ne  dérivent  pas  Tim  de  Tautre.  —  La  civilisation 
égyptienne  n^est  pas  sémitique.  —  Influence  des  Sémites  en  Egypte  : 
Hyksos.  —  Existence  d^une  famille  de  peuples  et  de  langues  chamiti- 
ques.  —  Le  berber  semble  appartenir  à  cette  famille.  -^  La  position  du 
herber  vis-à-vis  des  langues  sémitiques  est  la  même  que  ceUe  du  copte.  — 
Influence  continue  de  la  race  sémitique  sur  le  nord  de  ^Afrique  ;  pour^ 
quoi  Tarabe  ne  fut, conquérant  que  de  ce  côté 73 


CHAPITRE  III. 

ORIGINE  DES  DIALBCTB8. HYPOTUiSB  D'CIfB  LAJrGUE  sillITIQITB  PRIHITIYB. 


S   I. 

Les  langues  sémitiques  apparaissent  dès  la  plus  bante  antiquité  divisées  en 
dialectes.  —  Ces  dialectes  ne  dérivent  pas  Ton  de  rautre.^-En  qud  sens 
Tun  peut  être  regardé  comme  plus  ancien  que  Tantre.  ^-Hypothèse  d'un 
prototype  commun  des  langues  sémitiques.  —  Réduction  des  radicaui  tri- 
litères  à  un  thème  bilitère  et  monosyllabique.  —  Kétat  monosyllabiqae 
a-t-ii  existé  réellement?  —  Les  langues  sont  nées  complètes ,  et  n^ont  subi 
aucune  réforme  artifiddle.  —  De  la  naissance  des  catégories  gramma- 
ticales. —  La  simplicité  n^est  pas  antérieure  â  la  complexité  :  dîslinction 
de  Tordre  logique  et  de  Tordre  historique 83 

S  II. 

Application  des  mêmes  principes  à  la  question  des  dialectes.  —  Les  dialectes 
se  multiplient  avec  Tétat  sauvage  ou  barbare.  —  L^unité  dans  les  langues 
est  le  résultat  de  k  cirilisation.  —  Liberté,  exubérance,  indétermination 
des  langues  primitives;  la  réflexion  élimine  et  simplifie.  —  Les  dialectes 
n^ont  pas  été  précédés  d^une  langue  unique.  —  Confusion  primitive  des 
traits  caractéristiques  de  chaque  dialecte  :  analogie  tirée  des  dialectes 
de  la  langue  grecque.  —  Faits  qui  semblent  prouver  une  promiscoité  an- 
denne  des  langues  sémitiques.  —  Faits  qui  établissent  la  séparation  des 
dialectes.  —  Les  dialectes  comparés  aux  espèces  en  histoire  natorelie. .     90 


TABLE  ANALYTIQUE.  A83 

LIVRE  DEUXIÈME. 

PRBMIÈBB  EPOQUE  DU  D^TBLOPPEVBIVT  DBS  LA56CES  sâflTIQUES. 

PERIODE  H^BRAiQUE. 


CHAPITRE  PREMIER. 

BRANCHE  TéRACHITB. 
{EiBRBV.) 


s  I. 

Trois  période»  dans  l^hîstoire  des  iangaes  sémitiques.  —  Trois  régions  géo- 
grapbiqaes  dans  la  même  famifle. —  Restrictions. — Populations  du  pays 
de  Ghanaan  :  Refiûm,  Chananéens,  Térachikes.  —  Vyi>reu,  langue  par- 
ticulière des  Beni-IsFaêl  ;  poaîKion  de  ThAreu  dans  la  famille  sémitique 
analogue  A  celle  du  sanscrit  dans  la  famille  indo-européenne. — La  langue 
chananéenne  devait  être  fort  ressemblante  A  Thébreu.  Explication  de  cette 
apparente  tbgularité.  —  La  littérature  hébraïque  commune,  â  quelques 
^rds,  A  tous  les  Sémites.  Existence  d^andennes  littératures  sémitiques. 
—  Origine  de  récriture  chez  les  Sémites.  L'écriture  alphabétique  leur 
appartient  en  propre.  E31e  parait  venir  de  Babylone,  mais  ne  dérive  pas 
de  récriture  cunéiforme. ; 97 

S  U. 

Trois  périodes  dans  Thisloire  de  la  langue  hébraïque.  —  Période  ardiaïque. 
Age  des  plus  anciens  monuments  hébreux.  A  quelle  époque  les  braélites 
ontp-ils  commencé  A  écrire?  Anciens  écrits  hébreux  perdus. — Transforma- 
tions successives  du  corps  des  écritures  historiques  des  Hébreux  :  analogies 
prises  de  Thistoriographie  arabe.  Mode  de  composition  du  Pentateuque. 
. —  Caractère  de  ta  langue  du  Pentateuque.  —  Unité  grammaticale  de  la 
langue  hébrakpe»  —  Fragments  antiques  contenus  dans  les  livres  histo- 
riques et  dans  le  Livre  des  Psaumes  :  dires  paraboliques ,  chanson  de  Lémek , 
bénédictions  des  patriarches,  cantique  de  Débora,  paraboles  de  Balaam, 
psaume  Saturgat,  etc.  —  Archaïsmes  conservés  dans  les  noms  propres; 
légendes  étymologiques 1 06 

S  III. 
Siède  de  Samuel  :  révolutions  qui  s^opèrent  à  cette  époque  chez  les  Béni- 

3i. 


484  TABLE  ANALYTIQUE. 

Israël.  —  Le  Ltuiv  de  ïa  Loi.  —  L*écritiire  prend  plus  d^importanee.  — 
Epoque  de  David  et  de  Salomoa;  commencemeot  de  It  littérature  propre- 
ment dite.  —  Les  tribus  yoisines  de  la  Palestine  participent  à  ce  mouYe- 
ment — La  littérature  à  laqndle  semble  présider  Sabmon  est  un  fait  isolé 
dans  riûstoire  d^Israâ.  —  Époque  dasaiqve  de  Tbébreu  :  il  s^établit  une 
langue  des  livres.  —  Les  prophètes,  style  nouveau.  —  Renaissance  do 
mosaïsme  sons  Josias.  —  La  langue  indine  vers  Taraméen  :  de  Tâge  du 
Cantique  des  Cantiques,  de  Job ,  du  Kchâith 116 

S  IV. 

Perfection  absolue  de  la  littérature  -hébraïque;  son  universalité.  —  Aiea  de 
grammatical  dans  Thébreu  classique  ;  pas  d^orthogrgphe  rigoureufle.  —  Li* 
berté  de  Thébreu  dans  la  construction  de  la  phrase  ;  inoorrectîoiu,  cons- 
tructions prégnantei ,  phrases  inachevées  ou  doublées.  —  En  qud  sens  les 
procédés  de  Tbébreu  sont  moins  avancés  que  ceux  des  autres  langues  sé- 
mitiques. —  La  langue  hébraïque  est  riche  dans  l'ordre  des  choses  nato- 
rdles  et  religieuses,  pauvre  en  abstractions.  Manière  iacomp&ète  dont  les 
richesses  de  cette  langue  nous  sont  connues.  Ressources  des  langues  sémi- 
tiques pour  suppléer  au  nombre  des  radnes.  —  Des  dîidectas  de  Thébrea  : 
de  la  langue  du  royaume  d^Israël;  samaritain,  galiléen.  — De  la  langue 
populaire  en  opposition  avec  la  kngue  écrite.  —  Affinité  des  idiotîsmes 
provinciaux  et  popidaires  avec  Taraméen , 1  a3 

S  V, 

Epoque  de  Textinction  de  Thébreu  comme  langue  vulgaire  :  substitution  gra- 
duelle de  Taraméen  à  Thébren.  —  Ce  changement  ne  se  fait  pas  à  Baby- 
lone,  mais  par  Tinfluence  de  la  Syrie  sur  la  Palestine.  —  La  culture  de 
rhébrou  dassique  se  continue  à  Babylone  et  reflue  de  là  en  Palestine. 
Purisme  des  scribes.  —  Difficulté  de  préciser  Tépoque  où  finit  Tusage  vul- 
gaire de  rhébreu. — L^hébreu  se  conserve  comme  langue  écrite  :  difficulté 
de  discerner,  dans  Thistoire  des  langues  orientales,  les  idiomes  pariés  des 
idiomes  écrits.  —  Ouvrages  h&reux  composés  entre  la  captivité  et  Tavé- 
nement  du  christianisme.  Renaissance  de  Tépoque  des  Macchabées.  — 
Style  des  écrits  de  ce  temps;  la  littérature  tombe  entre  les  mains  des  sa- 
vants de  profession;  imitation  souvent  heureuse  des  anciens.  La  langue 
s^empreint  fortement  de  chaidaîsme.  Mots  nouveaux ,  emprunts  aux  langues 
non  sémitiques.  —  L^hébrou  ancien  n*est  plus  bien  compris  ;  méprises 
que  commettent  les  scribes  en  remaniant  les  textes  classiques;  droit  qu^a 
la  philologie  moderne  de  réformer  les  interprétations  des  anciens i3& 


TABLE  ANALYTIQUE.  485 

S  VI. 

Les  Jaifi»  cootinuent  jusqif  à  nos  jours  à  écrire  en  bébreu.  —  Hébreu  rabbi- 
nique.  —  Deux  périodes  dans  son  bistoire.  —  Langue  de  la  Mûchna  :  sa 
rdation  avec  Tidiome  vulgaire.  —  Mots  bébreux  anciens  conservés  dans  la 
Miscbna  ;  mots  duAdéens  ;  mots  grecs  et  latins. — Caractères  grammaticaux 
de  la  langue  de  la  Miscbna  :  tendance  à  k  décemposition  analytique.  — 
Hétérogénéité  du  langage  savant  des  Jui6  :  mélange  dliébreu  et  de  cfaai- 
déen  :  difficultés  de  cette  langue.  -^  L^arabe  devient  la  langue  savante  des 
Juifs  3  on  ne  cesse  pas  néanmoins  d^écrire  en  bébreu.  —  Renaissance  de 
rbébreu  au  xui*  siède  :  style  appelé  rabbinieo-^hUoêophieum,  —  Retour  à 
iliâ>reu  blbliqut.  —  En  qud  sens  rhâ>i4u  rabbini(jpie  est  une  kngue 
factice.  —  Résolutions  de  la  langue  savante  4es  Karaîtes.  —  Langues  vul- 
gaires adoptée  par  les  Jui6  depuis  la  captivité  de  Babylone 1 67 

S  VU.. 

Coup  d'ceil  sur  rbistoire  de  Tétudeet  de  Tinterprétation  de  Tbébreu. — Dé- 
cadence de  cette  étude,  ven  y^KMjue  de  Tère  chrétienne,  par  suite  de 
rinfluenoe  hellénique,  l^orance  de  Philon  et  des  premiers  chrétiens  en 
fait  d^bébrfu.  —  Exégèse  des  docteurs  mischniques  et  talmudiques;  édit 
de  Justinien.  —  Études  chrétiennes  :  Origène,  S.  Jérôme,  les  Gnostiques. 
—  Invention  d'un  système  de  poinfcs-voydles,  attribuée  aux  Masorètes; 
quelle  en  est  la  véritable  origine.  Travaux  critiques  des  Masorètes.  — 
Fondation  de  la  grammaire  hébraïque ,  au  x*  siècle ,  sons  Tinfluence  arabe  ; 
Saadia.  D*un  enseignement  grammatical  traditionnel  avant  Saadia.  — 
Éo9le  juive  du  Magréb  ;  excellence  de  ces  premiers  travaux.  —  Les 
Kimchi.  —  Études  chrétiennes  durant  le  moyen  flge.  —  Renaissance.  La 
sdenee  de  Fbébreu  passe  des  Juifs  aux  Chrétiens  ;  première  école  toute 
rabbinique  :  Reuchlin,  les  Ruxtorf.  —  Révolte  contre  la  Masore,  école 
française.  —  Travaux  dans  les  langues  orientales  voisines  de  rbébreu  ; 
application  de  ces  travaux  à  Pédaircissement  de  Thébreu  :  Scbnltens  et 
l'école  hollandaise.  —  L*étude  de  Thébreu  se  détache  peu  i  peu  de  la 
théologie  :  école  aflemande * 167 

CHAPITRE  IL 

BRANCHE  CHAlfilfiSNlfB  {fEÉNICIEn). 


$  I. 

Caractère  sémitique  de  la  langue  phénidende.  —  Identité  des  Phénidens  et 


A86  TABLE  ANALYTIQUE. 

des  Ghananéens.  —  Gontradictîoii  aj^nrente  :  le  caractère  de  la  dvilûfr- 
tion  des  Phénidena  n^eat  paa  aémittqae.  Problème  analogue  en  Babylo- 
nie  :  influence  présumée  d*une  race  couachite  ou  chamite  :  rapporta  de  la 
Phénide  aY«c  la  région  du  bas  £upbrate.  —  Gomment  les  Phénidens  se 
séparèrent  profondément  desTérachites,  tout  en  leur  restant  unis  par  la 
langue.  —  Époque  de  TarriTée  des  Phénidens  en  Ghanaan;  leur  rapport 
avec  les  Hyksos.  —  Pourquoi  les  Hébreux  ont  rattaché  les  Ghananéens  i 
la  race  chamitique 171 

S  IL 

De  la  littérature  phénidenne  :  pourquoi  il  n'en  est  rien  resté. — Monuments 
épigraphiques.  —  Ges  monuments  établissent  définitivement  le  caractère 
sémitique  du  phénicien  et  ses  affinités  «particulièrea  avec  Thébreu.  —  La 
langue  phénidenne  est  d'autant  plus  semblaUe  à  Thébreu  qu'dle  est  plus 
andenne  :  elle  incline  peu  à  peu  vers  Taraméen.  —  Que  le  phéniden  a 
eu  des  formes  propres,  distinctes  de  celles  de  l'hébreu.  Hâ»raismes  ca- 
ractérisés, aramaismes  et  arabismea.  —  Traita  caractéristiques  du  phéni- 
den.—  Age  des  monuments  phénidens  et,  en  particulier,  de  l'inscription 
de  Bfarseille.  —  Extinction  du  phéniden  en  Phénide 1 78 

$  III. 

Différence  du  phéniden  et  du  punique.  —  Le  paessige  du  Pcmulm.  —  L^ 
punique  plus  semblable  à  l'hébreu  que  le  phéniden.  —  Le  punique  parié 
jusqu'à  l'invasion  musulmane.  —  Extension  du  punique  sur  la  eftte  bar- 
baresque.  —  Influence  chananéenne  sur  tout  le  nord  de  TAftique.  —  De 
la  langue  des  Numides  :  sas  analogies  avec  le  berber  et  les  langues  cfaami- 
tiques  :  des  inscriptions  numidiques,  dites  UbtfquêM. — De  la  langue  libyque. 
— Vaine  tentative  pour  trouver  du  phéniden  dans  le  maltais i85 

S  IV. 

Gommeroe  des  langues  sémitiques  avec  les  autres  iamflles  de  langues ,  dorant 
la  période  hébréo-phénidenne.  —  Rapports  inconnus  avec  les  langues 
chamitiques  et  cousdûtes  dans  l'Irak,  TYémen ,  l'Ethiopie.  -^  Trois  fûts 
certains  :  1*  Introduction  d'un  certain  nombre  de  mots  égyptiens  dans  les 
langues  sémitiques,  et,  en  particulier,  dans  celle  des  Beni-Israël  :  rédpro- 
quement,  quelques  mots  sémitiques  introduits  dans  l'égyptien.  —  a*  Pas- 
sage d'un  assez  grand  nombre  de  mots  sémitiques  aux  langues  de  l'Ocd- 
dent,  et  particulièrement  à  la  langue  grecque,  par  suite  du  commerce  des 
Phénidens  dans  la  Méditerranée.  —  3*  Introduction  d'un  certain  nombre 
de  mots  indiens  dans  les  langues  sémitiques,  par  suite  du  commerce 


TABLE  ANALYTIQUE.  A87 

Pagw. 
d'OpInr.  —  Les  empnmtB  des  Sémites  aux  Grecs  très-peu  considérables. 

—  TransnxissioD  de  Taiphabet  phénicieD  à  tous  les  peuples  de  la  Méditer- 

Fsnée;  perfection  de  cet  alphabet;  modifications  que  lui  font  subir  les 

Grecs  et  les  Italiotes , 190 


LIVRE  TROISIÈME. 

DEUXlàME  frOQUE  DU  oiTELOPPEMEIfT  DBS  LANGUES  SEMITIQUES. 

PâlIODB  ARAM^ENNE. 


CHAPITRE  PREMIER. 

L^ARAM^  ENTRE  LES  SAINS  DES  IUIF8. 
{CHALDiBN  MIBUQVMf  TÀBQVUlQVEy  TALMUDIQVB ;  87IUh€BALDAiQVB ;  SAMAUTAIN.) 


S  I. 

L^araméen  devient  Toigane  prîncipai  de  la  pensée  sémitique.  —  Causes  de 
cette  prépondérance.  —  Caractère  mixte  de  la  dviliiation  assyrienne.  — 
Fond  sémitiqne  de  la  population  de  rAssyrie.  —  Importance  de  Taraméen 
dans  rempire  assyrien  et  dans  Tempire  achéménide.  —  Il  ne  reste  aucun 
monument  indigène  ie  Tanden  araméen.  Age  et  provenance  des  inscrip- 
tions et  des  papyrus  araméens  trouvés  en  %ypte.  —  Nous  ne  connaissons 
Taraméen  que  par  les  Juifii  :  du  verset  chaldéen  de  Jérémie.  —  Frag- 
ments cfaaldéens  du  Livre  d^Esdras;  Age  de  ces  finigments.  —  Fragments 
cfaaldéens  du  livre  de  Danid;  leur  date.  —  Le  chaldéen  biblique  est-il 
exactement  Tanden  araméen?  Hébraîsmes  qu'on  y  remarque.  —  De  la 
dividon  des  dialectes  araméens  avant  Tère  chrétienne;  le  chaldéen  hi- 
blique  représente  le  dialecte  de  Syrie.  —  Caractères  généraux  de  Tara- 
méen.  —  Opinion  répandue  sur  Tandenneté  du  chaldéen 197 

S  IL 

Targnms.  —  Hypothèse  de  deux  dialectes  dans  les  Targums  :  Tun  babylomen , 
Tantre  palutimm.  —  Les  particularités  de  la  langue  juive  A  cette  époque 
rappellent  tantôt  le  chaldéen ,  tantôt  le  syriaque. — Opinion  de  quelques  sa- 
vants sur  rusage  de  Thébreu  en  Palestine  jusqu'à  Tère  chrétienne. — Langue 
appelée  $yro-ehald(nque,  —  Les  Juife  empioydent  des  combinaisons  di- 
verses de  rfaébreu  et  de  Taraméen.  —  De  Tusage  du  grec  en  Palestine.  — 


&88  TABLE  ANALYTIQUE. 

Pages. 

De  la  langaê  du  Christ  et  de  aes  premiers  disciples  :  influence  syrkqoe 
dans  le  style  du  Noaveau  Testament  —  Dialecte  particulier  de  la  Galilée.  S07 

8  m. 

Après  la  destruction  de  Jérusalem,  Babylone  devient  le  centre  du  jadaiane. 
— Talmud.  —  Rapports  de  la  langue  du  Talmud  avec  la  langue  vulgaire 
des  Juifs  et  avec  la  langue  de  Tlrak.  —  Différence  de  la  langue  du  Tal- 
mud de  Jérusalem  et  du  Talmud  de  Babylone.  —  La  langue  des  Taimods 
n^est  pas  homogène.  —  Importance  d^un  dépouillement  scientifique  de  la 
langue  des  Talmuds.  —  Caractères  de  la  langue  du  Talmud.  —  Le  cfaal^ 
déen  dépossédé  par  Tarabe  dans  Tusage  des  Juifs.  —  Ouvrages  écrits  en 
chaldéen  poetérievement  à  cette  époque si3 

S  rv. 

Sanaritaûn — Le  samaritain  représente  Tindividualité  de  la  tribu  d^Ephraûn. 
Rôle  de  cette  tribu  dans  Thistoire  du  peuple  hébreu.  —  De  la  langue  par- 
ticulière du  royaume  d^IsraëL  —  Mélange  d^étrangers  dans  le  nord  de  la 
Palestine,  par  suite  des  conquêtes  assyriennes.  —  D*une  ancienne  litté- 
rature samaritaine. — Version  samaritaine  du  Pentateuque,  Hymnes;  âge 
de  ces  monuments.  —  Caractères  de  la^langue  samaritaine.  —  Du  texte 
hébreu  du  Pentateuque  eonservé  par  les  Samaritains  ;  époque  de  rintro- 
duction  du  Pentateuque  chez  les  Samaritains.  —  A  quelle  époque  le  sa- 
maritain cessa  d*étre  vulgaire.  —  Idiome  mille  des  correspondances  sa- 
maritaines. —  État  actuel  des  études  ches  les  Samaritains S17 

CHAPITRE  II. 

LrARiMAISHE  PAÏEN  {NABATéWN,  SABiBN). 


S  I. 


PoBflibîlité  de  ressaisir  quelque  trace  d^une  littérature  araméenne  propre- 
ment dite.  —  N^téens.  -^  Renseignements  fournis  par  les  écrivains 
arabes  sur  îa  littérature  nabatéenne.  —  La  langue  nabatéenne  était  Tara- 
méen.  —  Caractère  de  la  littérature  nabatéenne.  —  Époque  à  laquelle  on 
peut  rapporter  VAgrieuItwn  nabaté&nnê.  —  D^nne  littérature  technique 
et  scientifique  à  Babylone.  —  Dévdoppements  divers  que  les  Arabes  ont 
confondus  sous  le  nom  de  Nabatéens  :  école  de  Harran. . .- âs& 

S  II. 
Identité  des  Nabatéens  avec  les  Sabiens  ou  Mendaites  :  i^essenMuioes  sous 


TABLE  ANALYTIQUE.  489 

lenj^ori  de  la  langoe  et  de  ia  litténtare. — La  seieDcedUWmm,  iden- 
tifiée avec  eeile  des  NabatéeDS  :  réfleiions  sur  iea  andemies  littératures 
perdues  de  TOrieut  —  Analogies  de  rdigioo  entre  ks  Nabatéens  et  les 
Mendaîtes.  —  Du  sabisme;  travaux  de  M.  Ghwolsohn.  t-Ja  nom  de  so- 
6iniie  deinent  synonyme  depagamiiiiis  et  ^hMimm.  —  Pseudo-Sahîens 
de  Harran.  —  Influence  de  la  science  sabienne  ou  hanranienne  sur  la 
sdenee  et  la  philosopbie  arabes 999 

S  m. 

Les  Mendiilffl  on  Nasoréens  envisagés  comme  un  reste  des  Nabatéens  et  des 
Sabiens.  — Lmv  d^Adam;  inscription  d^Abouscbadr.  —  Caractère  de  Ti- 
diome  mendaîte,  patois  sémitique.  —  Époque  de  la  réjbction  des  livres 
mendaîtes.  —  Importance  de  cette  branche  des  études  sémitiques a 36 


CHAPITRE  IIL 

L'iBAMAÏSME  CHRimif  {sTHIÀQUB), 


S  L 

Le  ifriaqfÊê,  ou  araméen  ecclésiastique  d'Édesse  et  de  Nisîbe,  représente  le 
côté  chrétien  de  la  littérature  araméenne.  —  La  Syrie  manque  d'origina- 
lité comme  pays  sémitique.  —  Formation  d^une  littérature  chrétienne  en 
Syrie  :  essais  pour  la  rattacher  à  la  littérature  chaldéemie.  —  Preuves 
d^une  cultqjre  Wigène  en  Syrie  :  inscriptions  de  Palmyre.  —  Premiers 
écrivains  syriens  :  Bardesane  et  Hannonius.  —  Récits  de  Moue  de  Kbo- 
rêne  sur  une  littérature  syriaque  antérieure  an  ^ristianisme %ào 

S  U. 

Version  Pêtchito.  —  Saint  Ephrem.  —  Grand  mouvement  littéraire  en  Syrie. 
— La  langue  araméenne  perd  son  caractère. — Les  Syriens  fondateurs  de  la 
science  arabe. — Décadence  de  la  culture  syria^e.  *-  Barhebraus.  —  Le 
syriaque  étouffé  par  farabe. — KandumnL  —  Aqudle  ^>oque  le  syriaque 
di^Mrat  comme  langue  vulgaire.  —  Persistance  de  Tusage  du  syriaque 
dans  quelques  localités  de  TOrient,  en  pa^cufier  chet  les  Nestoriens  du 
Kurdistan;  efforts  des  missionnaires  américains  pour  le  faire  revivfe.  a 65 

S  III. 

Caractères  généraux  de  k  langue  syriaque.  —  RAle  de  TAramée  dans  la  race 
8émiti(pie«  Les  influences  de  Tlnde ,  de  la  Perse ,  de  la  Grèce  s*y  rencontrent 


490  TABLE  ANALYTIQUE. 

•     Pajfcs. 

Gommeocement  des  discninoiis  rationnelles  chec  lee  Steites. — Prenùen 
essaÎB  de  grammaire  chez  les  Sémites.  Jacques  d^Édesse;  autres  gnmmair 
riens  syriens;  comparaison  avec  les  grammairiens  arabes a&g 

S  IV. 

Des  dialectes  du  syriaque;  traces  de  ces  dialectes  dans  les  leneographes;  ran- 
«eignements  fournis  par  Barfaebrœus.  ^-  Syriaque  occidental  et  syriaque 
oriental  ou  chaldéen.  —  Opinion  des  Orientaux  touchant  la  prééminence 
de  Tun  sur  Tautre.  —  Le  chaldéen  est  resté  plus  fidèle  que  le  syriaque  à 
Tancienne  prononciation.  —  La  prononciation  des  Syriens  occidentaux 
rattachée  à  celle  de  la  Phémde  et  du  Liban.  —  Emploi  liturgique  des 
deux  dialectes  syriaques. —  Immobilité  et  homogénéité  des  langues  ara- 
méennes.  —  Rôle  absorbant  de  Taraméen  parmi  les  dialectes  sémitiques; 
il  prâude  aux  destinées  de  Tarabe 353 

CHAPITRE  IV. 

DES  INFLUBlfGES  EXERGUES  ET  SUBIES  PAR  LES  LANGUES  SÉMITIQUES 

DURANT  LA  PI^RIODE  ARAMiENNE. 


S  I. 

Action  extérieure  des  Sémites  durant  cette  période.  —  Jni&  répandus  dans  le 
monde  entier.  Influence  que  Thébreu  exerce  sur  les  langues  occidentales 
par  les  traductions  de  la  Bible  et  la  litugie.  *—  Importance  de  Taraméen 
en  Perse  :  mois  sémitiques  dans  le  pehlri.  L^aiphabet  araméem  se  répand 

"  comme  alphabet  cursif  dans  tout  TOrient  —  Virissitodes  diverses  de  Tin- 
fluence  araméenne  en  Perse.  Littérature  syrienne  sous  les  Sassanides. 
Lutte  continuelle  de  la  Perse  contre  le  sémitisme.  —  Influence  des  idiomes 
iraniens  sur  les  langues  sémitiques;  emprunt  de  mots,  date  de  ces  em- 
prunts. —  Influence  de  la  Syrie  sur  rArménie ,  et  réciproquement  ^In- 
fluence des  Nestoriens  danssla  haute  Asie,  dans  Tlnde,  en  Chine  :  origine 
de  Talphabet  oigour.  Discussion  sur  Tauthenticité  de  Tinscription  de  Si- 
*gan-fou.  —  Influence  des  Syriens  en  Arabie  :  Nabatéens  dePétra.  Les 
Syriens  dans  TYémen ,  dans  Tile  de  Soootora.  —  Importance  du  syriaque 
comme  instrument  de  la  prédication  chrétienne  en  Orient  Pourquoi  le 
syriaque  a  eu  des  destinées  moins  brillantes  que  Thébreu  et  Tarabe. ....   s6o 

S  11. 

Action  exercée  par  la  hmgue  grecque  sur  les  langues  araméennes.  Edipse  du 


TABLE  ANALYTIQUE.  491 

Pagw. 

géaie  sëmitîqae  devant  ThifliieiMe  de  TheUéDisme  ei  du  chrittianisme. 
LittéraUires  nées  de  eette  double  inflnenee.  —  La  Syrie  en  deçà  de  TEu- 
pbrate  détient  tonte  greoqoe.  Le  syriaque  le  oonserve  cependant  en  Phé- 
nicie,  en  Paleitine,  dans  Ttle  de  Chypre.  — *  Résistance  que  le  judaïsme 
palestinien  oppose  â  l'hellénisme.  Juifs  hellénistes  :  Intle  du  grec  et  de 
riiâiren  sur  les  monnaiss  juives.  Après  la  destruction  de  Jéruadem,  les 
Juifs  renoncent  à  la  culture  grecque.  Mots  grecs  introduits  dans  la  lan- 
gue des  Juifs.  —  Dialecte  auquel  se  rapportent  les  transcriptions  des  mots 
grecs  introduits  i  cette  époque  dansies  langues  orientale!.  —  Llidlénisme 
au  delà  de  rEDq>hrate.  Études  grecques  chei  les  Nestoriens  et  lei  Jacdûtes. 
Décadence  des  études  grecques  en  Syrie.  Les  savants  arabes  n'ont  pas  su 
le  grec  La  tradition  complète  de  rfaellémsnie  antique  se  continue  à  Har- 
ran.  Mots  grecs  en  syriaque  :  système  de  points*voydles  empruntés  au  grec. 
—  Influence  grecque  en  Arabie.  —  Influence  du  latin  en  Orient  :  eHe  ne 
s'exerce  guère  que  par  l'intermédiaire  du  grec 373 


LIVRE  QUATRIÈME. 

TROlSliME  liPOQUE  DU  D^ELOPPBHENT  DES  LANGUES  SÉMITIQUES. 

PÉRIODE  ARABE. 


CHAPITRE  PREMIER. 

BRAlfCHE  MiBIDIOlfALB,  JOKTAinDB  OU  SABÉENNE. 

(jr/irrAJt/rs,  BTBiopiBn,) 


S  I. 

Décadence  du  sémitiame  dans  les  premiers  siècies  de  l'ère  chrétienne.  Réveil 
du  sémitisme  par  l' Arafaû.  —  L'Arabie  n'a  pas  de  haute  antiquité  :  les  tra- 
ditions arabes  «e  sont  qu'une  eonirefaçon  des  traditions  biUiqnes.  — *  Le 
développement  arabe  est  peat«étre  la  plus  pore  ci.preasion  du  génie  sém^ 
tique.  —  L'idanûsme  est  une  réaction  sémitique.  —  Anciennes  traditions 
sur  la  division  des  races  dL  des  langues  de  l'Arabie.  —  L'Yémen  occupe 
dans  l'Arabie  une  place  à  part 986 

S  IL 

Distinction  de  l'himyarite  et  de  Tarabe  proprement  dit.  —  Analogies  de  l'hi- 


492  TABLE  ANALYTIQUE. 

Pagw. 

myarite  aves  le  ghei.  —  M.  Fresod  trouve  un  reste  de  Taiicien  himja- 
rite  dans  YêhkiU,  —  Découverte  de  nombreuMs  inscriptions  himyariles. 
—  Alphabets  himyarites  fournis  par  les  manuscrits.  —  Identité  de  la  lan- 
gue du  pays  de  Mahrah  et  de  TebLili  avec  Thimyarite.  —  Garadères  gé- 
néraux du  mahri;  ses  analogies  avec  le  ghes;  analogies  éloignées  avec  le 
copte;  prononciation  barbare.  Traits  qui  rapprochent  le  mahri  de  Thébreu.  sgo 

S  m. 

La  langue  des  inscriptions  himyariques  se  rapproche  de  Téthiopien  et  du 
mahri.  —  L^alphabet  himyarique  est  Tanden  mnmad  et  le  prototype  de 
Talphabet  ghez.  Cet  alphabet  se  rattache  â  la  série  des  alphabets  sémi^ 
tiques.  —  Rapports  de  rYémen  avec  la  Phénicie.  —  Civilisation  sabéenne 
du  midi  de  TArabie,  profondément  diverse  de  celle  des  Sémites.  Ruines 
de  Mareb.  Les  Adites.  —  Relations  entre  Tlnde  et  TArabie  méridionale. 
Socotora.  —  Hypothèse  d*une  race  couschite  répandue  sur  toutes  les  côtes 
de  la  mer  d^Oman.  —  Les  Akhdam,  —  Analogies  des  mœurs  de  ITémen 
avec  celles  des  Gouschites.  Lokman.  —  Position  ethnographique  des  Gou- 
schites.  —  L^himyarite  al)sori>é  par  Tarabe  proprement  dit 996 

S  IV. 

Rapports  de  rAbyssinie  et  de  TArabie  méridionale.  —  Époque  du  passage 
des  Sémites  en  Abyssinie.  —  Rapports  entre  le  ghes  et  Tarabe;  physio- 
nomie antique  du  ghes.  —  La  prononciation  du  ghez  n*est  pas  sémitique. 
— Origine  de  Talphabet  ghes  ;  comment  il  est  venu  de  Thimyarite.  Époque 
antique  â  laqueHe  ces  deux  alphabets  se  sont  détachés  de  la  souche  des  al- 
phabets sémitiques 3o& 

S  V. 

Antiquité  des  lettres  grecques  en  Abyssinie  :  inscriptions  grecques  d^Adidis  et 
d^Axum,  Inscriptions  éthiopiennes  d^Axum.  —  Faidiyén  on  Juife  d*Abys- 
sinie;  leur  origine.  —  La  littérature  ghes  est  toute  chrétienne.  — Ver- 
sion éthiopienne  de  la  Rible;  mouvement  littéraire  de  TAbyssiiâe. — 
L^  Abyssinie  n^est  pas  atteinte  par  Tidamisme  :  elle  reste  dans  la  d^ten- 
dance  de  Yéffiae  byzantine.  Mots  grecs  en  éthiopien.  —  Influence  de 
Parabe  sur  le  ghes.  —  Décadence  de  la  culture  littéraire  en  Abysânie.  — 
Le  ghes  remplacé  par  Tambarique.  Il  se  conserve  c(»nme  langue  savante 
et  officielle 809 

S  VI. 
Autres  dialectes  sémitiques  de  TAbyssinie.  —  Amharique  :  caractère  propre 


TABLE  ANALYTIQUE.  493 

PagM. 
de  cette  langue.  —  Langue  da  Tigré,  taho,  etc.  —  Diffusion  de  la  race 

aémitiqae  ao  sad  de  la  mer  Ronge.  —  Vues  de  M.  Ewald  sur  la  langue 

saho  :  objections.  —  Dialectes  non  sémitiques  de  TAbyssinie.  —  Variété 

des  langues  en  Âbyssinie.  —  Particularités  sémitiques  qu^on  trouve  même 

dans  les  dialectes  non  sémitiques,  tels  que  le  galla. — Vestiges  de  langues 

oouscfaites.  —  Les  langues  du  Zanguebar  ne  sont  pas  sémitiques 3i 5 


CHAPITRE  II. 

BEAHCHB  ISHA^ITB  OU  HiADDIQUE. 

(abàme,) 


S  L 

La  Traie  originalité  sémitique  se  conserve  en  Arabie.  —  Subite  apparition 
du  génie  arabe.  —  La  langue  arabe  n*a  ni  enfance  ni  vieillesse.  —  Que 
Tarabe  possède  depuis  une  haute  antiquité  son  existence  individuelle  : 
preuves  tirées  des  particularités  de  la  grammaire  arabe,  et  des  noms  pro- 
pres arabes  conservés  par  les  auteui^  hébreux  et  grecs.  —  Inscriptions  du 
Sinai  écrites  en  un  dialecte  arabe  :  date  de  ces  inscriptions.  —  Forma- 
tion de  la  langue  arabe.  Système  des  grammairiens  arabes;  fusion  des  dia- 
lectes à  la  Mecque. — L^arabe  se  forme  cfaei  les  tribus  bédouines  du  centre 
de  TArafaie.  —  De  Tinfluence  rédle  des  KoreischiteB  sur  la  formation  de 
Tarahe.  —  Époque  moderne  de  Tintroduclion  de  récriture  dans  THedjax. 
Origine  syrienne  de  récriture  arabe.  L^écriture  reste  longtemps  en  Arabie 
Tapanage  exclusif  des  Jui6  et  des  Chrétiens 3ao 

S  II. 

Critique  des  textes  arabes  antérieurs  au  Coran. — Pièces  certainement  apocry- 
phes. — Petits  poèmes  de  circonstance ,  d^une  authenticité  douteuse. — Des 
Jkandof .  Ce  genre  n^est  pas  ancien  en  Arabie.  Doutes  sur  Tintégrité  et  le 
mode  de  transmiasion  de  ces  poèmes.  —  La  langue  des  ka$idaê  n^est  pas 
précisément  archaïque.  Elle  renferme  peu  de  provindalismes.  —  Les 
jkafâdof  n^étaient  pas  écrites  par  leurs  auteurs,  mais  gardées  dans  la  mé- 
moire des  tribus;  époque  de  la  compilation  des  Dnmnw.  Réflexions  sur 
les  recueib  de  chants  populaires.  — Variantes  quVflrent  les  diverses  com- 
pilations des  poèmes  anté^slamiques.  —  Nulle  allusion  au  paganisme  : 
les  poèmes  anté-blamiques  ont  dû  subir  une  censure  religieuse  et  gram- 
maticde.  —  Restrictions  aux  doutes  qui  précèdent  :  fixité  des  langues  se- 


4M  TABLE  ANALYTIQUE. 

mitiques,  métriqoe  des  anciennes  poésies.  — Valeur  historique  et  tittéraire 
de  ces  poésies 33i 

S  m. 

Le  Coran.  —  Mode  de  rédaction  da  Coran.  Récitations  «  secrétaires  de  Ma- 
homet —  Mahomet  savait-il  écrire?  Porteurs  du  Coran.  —  Première 
compilation  du  Coran,  sous  Ahou-Bekr. —  Récension  d'Othman;  réduc- 
tion de  la  langue  au  dialecte  koreischite.  —  Doutes  sur  Tintégrité  du 
Coran.  —  Le  directe  koreischite  devient  Tarabe  par  excellence.  —  Nou- 
veauté du  style  du  Coran  ;  passage  de  la  poésie  â  la  prose.  —  Deux  styles 
dans  le  Coran.  —  Le  Coran  devient  une  loi  grammaticale  autant  que 
religieuse;  la  langue  arabe  regardée  comme  une  révélation 3/io 

5  IV. 

Travail  de  fixation  grammaticale.  —  Réforme  de  récriture  arabe  :  points 
diacritiques  et  points-voyelles.  Aboui-Aswed.  Imperfection  de  Talphabet 
arabe.  —  Simidtanéité  de  l'introduction  des  points-voyelles  dans  toutes 
les  langues  sémitiques.  —  Création  de  la  grammaire  arabe.  Pourquoi  la 
race  sémitique  n*a  eu  de  grammaire  que  si  tard.  —  Causes  qui  produi- 
sirent la  grammaire  arabe.  —  Premiers  traités  de  grammaire  arabe.  — ' 
Les  Syriens  n'enrent  aucune  part  dans  cette  œuvre.  La  grammaire  arabe 
est  une  création  toute  musulmane.  —  La  grammaire  des  Grecs  n'a  exercé 
aucune  influence  sur  celle  des  Arabes.  L'influence  grecque  sur  les  Arabes 
n'est  sensible  que  pour  la  pbUosophie  et  les  ariences  naturdles.  Branches 
de  spéculations  rationndles  propres  aux  Arabes.  Apparition  de  l'esprit 
scolastique ches  les  Sémites. — Qualités  et  défauts  de  la  gnumnaire  arabe, 
comparée  â  celle  des  Hindous  et  des  Grecs. 3&7 

S  V. 

Révolution  dans  les  longues  sémitiques,  signalée  par  l'avènement  de  l'arabe. 
Changement  dans  le  style  ;- abandon  du  verset  —  Changement  dans  le 
rhythme  poétique;  décadence  de  la  poésie  sémitique;  influence  persane. 
—  Fusion  de  tous  les  dialectes  sémitiques  dans  l'arabe.  Les  dialectes  sémi* 
tiques  avaient  la  conscience  de  leur  unité.  —  L'arabe  envisagé  comme  le 
résumé  des  langues  sémitiques  :  en  quel  sens  il  est  en  progrès  sur  les 
autres  langues  sémitiques  :  ses  défauts.  —  Richesse  lexicographique  de 
l'arabe  :  inconvénients  de  cette  richesse.  Manière  dont  se  sont  formés  les 
dictionnaires  arabes.  Synonymie  exubérante  de  l'arabe.  Radicaux  de  pro- 
venance douteuse;  rapprochements  avec  le  rabbinique 358 


TABLE  ANALYTIQUE.  495 

Paget. 
5  VI. 

Conquêtes  de  Tarabe  comme  langue  savante  et  comme  langue  vulgaire.  — 
Uarabe  ne  produit  pas  de  dialectes  locaux.  —  Unité  de  Tarabe  littéral.  — 
L^arabe  littéral  n^a  pas  d^époques  caractérisées.  —  Uarabe  étouffe  le  dé- 
veloppement des  littératures  nationales.  La  Perse  se  révolte  contre  Tes- 
prit  arabe.  Renaissance  littéraire  du  persan.  Résâstance  du  christianisme. 

—  Influence  de  Tarabe  sur  les  langues  de  !*Âsie  et  de  TAfrique.  —  Mé- 
lange de  mots  arabes  dans  le  persan.  —  Influence  de  Tarabe  dans  Tlnde  : 
bindi,  hindoustani.  —  Influence  de  Tarabe  sur  le  turc.  —  Influence  sur 
le  m^y.  —  Promiscuité  de  langues  dans  TAsie  musulmane.  Les  révolu- 
tions linguistiques  se  font  en  Europe  par  la  grammaire;  en  Asie,  par  le 
dictionnaire.  —  Destinées  de  Tarabe  en  Afrique.  L^arabe  est  encore,  de 
nos  jours,  conquérant  de  ce  côté.  —  Influence  de  Tarabe  rar  les  langues 
africaines.  —  Influence  sur  les  langues  de  TEurope 365 

S  VII. 

Différence  de  farabe  littéral  et  de  Tarabe  vulgaire.  —  L^arabe  vdgaire  plus 
conforme  au  type  général  des  langues  sémitiques.  —  Opinion  diaprés  la- 
qudle  les  mécanismes  propres  de  Tarabe  littéral  seraient  une  invention 
des  gnummairiens.  Réfutation  de  cette  opinion.  —^  La  langue  savante  dans 
l^antiqmlé  toiqours  différente  de  La  langue  vulgaire. —  Faits  qui  prouvent 
Tanciennelé  des  mécanismes  de  Tarabe  littéral  :  inscriptions  sinaïtiques. 

—  Manière  dont  il  convient  d^envisager  les  voy^es  findes;  ce  ne  sont  pas 
de  Tildes  flexions.  Exception  pour  la  finale  de  Taccusatif.  —  En  quoi  a 
consisté  fcenvre  des  grammairiens.  —  Tendance  de  Tarabe  à  la  décom- 
position :  le  nonvd  idiome  n^arrive  pas  â  se  faire  envisager  comme  on 
idiome  m  gmarti .  Degrés  insensibles  de  Tarabe  littéral  à  Tarabe  vidgaire. 

—  Différence  entre  le  mode  de  dérivation  de  Tarabe  vulgaire  et  des  lan- 
gues néo-latines.  ^-  L^arabe  admet  des  degrés  dans  la  grammaire 378 

S  Vin. 

Dialectes  de  Tarabe  vulgaire  :  pourquoi  ces  didectes  diffèrent  médiocre- 
ment Tun  de  Tautre.  —  Des  ondeus  dialectes  de  TArabie.  —  Pureté  des 
didectes  actuels  de  TArabie.  —  Dialecte  de  Barbarie.  —  Unité  et  incor- 
ruptibilité de  Tarabe,  même  dans  sa  forme  vulgaire.  —  Influenoas  ^ran- 
gères. — Patois  arabes  :  mapotde ,  mosarabe ,  maltais.  Combien  les  langues 
sémitiques  sont  restées  fermées  aux  actions  du  dehors 383 


496  TABLE  ANALYTIQUE. 


LIVRE  CINQUIÈME 


CONCLUSIONS. 


CHAPITRE  PREMIER. 

LOIS  Giff^BALKS  DU  Di&VELOPPBHBNT  DBS  LANGUES  Si&MITIQUBS. 

S  I. 

Les  langues  sémitiqnes  ont  parcouru  le  cerde  entier  de  leur  dévdoppement 
*—  Tendance  de  ces  langues  vers  Tunité.  —  Phénomène  d'une  famille  de 
langues  réduite  â  un  seul  idiome;  causes  de  ce  phénomène.  —  Influence 
du  climat.  —  Influences  historiques. — Fluctuations  dans  le  sein  de  chaque 
famille  de  langues.  —  Impossibilité  de  tracer  d'une  manière  absolue  le 
tableau  des  dialectes.  —  Végétation  intérieure  des  langues.  Loi  de  la  dé- 
gradation rudimentaire  des  oignes  et  de  la  permutation  des  fondions. .  389 

S  II. 

Les  lois  du  développement  des  langues  sémitiques  ne  sont  pas  celles  du  déve- 
loppement des  langues  ariennes.— Marche  de  la  spthèse  à  Tanalyse  dans 
les  langues  ariennes.  Exceptions  à  cette  loL  EUe  ne  s'applique  pas  aux 
langues  sémitiques.  —  Les  langues  sémitiques  sont  d'autant  plus  dévdop- 
pées  qu'elles  ont  plus  vécu.  Marche  des  procédés  grammaticaux  de  l'hébreu 
à  l'araméen  et  de  l'araméen  à  l'arabe.  —  Progrès  d'adoucissement  et 
d'harmonie;  élinon  des  gutturales SgS 

S  m. 

Les  langues  sémitiques  sont  des  langues  naturdlement  analytiques.  D  n^y  a 
pas  de  langues  néo-sémitiques.  —  Restrictions  à  cette  loi  :  substitution  de 
tours  plus  développés  à  des  tours  plus  complexes  :  flexions  remplacées  par 
des  particules,  en  hébreu  moderne,  en  araméen,  en  arabe,  en  arabe  vul- 
gaire. Le  progrès  analytique  n'a  point  abouti  dans  les  langues  sémitiques 
à  la  création  de  nouveaux  idiomes.  —  Immutabilité  et  homogénéité  des 
langues  sémitiques  :  contraste  avec  les  langues  ariennes.  —  Causes  de  cette 
immutabilité  :  fermeté  de  l'organe  sémitique.  —  Le  système  d'écriture 
sémitique  excellent  pour  la  conservation  des  radicaux. — L'aocent  n'a  point 
eu  de  rôle  essentiel  dans  les  transformations  des  langues  sémitiques.  — 
î^es  langues  sémitiques  ont  rarement  passé  â  des  peuples  étrangers.  — 


TABLE  ANALYTIQUE.  497 

EmptioDS  aax  k»^  précédentoB.  —  Les  langues  sémitiques  ne  renaissent 
pas  après  s^étre  décomposées 4oi 

S  IV. 

Les  modifications  des  langues  sémitiques  aboutissent  à  créer  deux  formes  de 
la  même  langue.  Tune  écrite,  Tautre  parlée.  Superposition  de  deux  cou- 
cbes  de  langues  dans  tous  les  pays  où  Thumanité  a  une  histoire.  —  Rôle 
de  la  langue  ancienne,  religieux  en  Orient,  classique  en  Occident.  — 
La  langue  ancienne,  répertoire  obligé  de  la  nouvelle.  —  L'existence  des 
langues  dassiques  est  un  fait  général  :  impossibilité  de  cultiver  et  d'enno- 
blir les  langues  modernes,  sans  recourir  à  Tidiome  classique /i  f  2 


CHAPITRE  H. 

LB8  LANGUES  SEMITIQUES  GOMPAbEbS  AUX  LANGUES  DBS  AUTRES  FAMILLES, 
ET,  EN  PABTICULIBB,  AUX  LANGUES  INDO-EUROPEENNES. 


S   1. 

La  distinction  des  laides  sémitiques  est-dle  une  distinction  absolue?  Cri- 
térium de  la  distinction  des  familles  de  langues  :  impossibilité  de  dériver 
Tune  de  Tautre: — Est-on  en  droit  de  conclure  de  la  diversité  des  langues 
la  diversité  primitive  des  races?  —  Essais  pour  résoudre  le  problème  des 
rdations  primitives  entre  la  race  sémitique  et  la  race  arienne.  Klaproth, 
distinction  entre  les  rapports  lexioograpbiques  et  les  rapports  grammati- 
caux. —  Bopp,  Norberg,  Lepsius.  —  Gesenius  :  rapprodiements  entre  les 
radicaux  bilitères,  —  MM.  Jub'us  Fûrst  et  Delitzscb.  Critique  de  leur 
méthode.  Inaltérabâité  des  racines  sémitiques.  Réfutation  du  système 
de  MM.  Fnrst  et  Ddilisch  sur  les  préfixes  des  racines  sémitiques.  —  Es- 
sais de  MM.  Wûllner,  Dietricfa,  Meier,  Rœtticfaer.  Tentatives  plus  réser- 
vées :  hypothèse  d'une  affinité  anté-grammaticale  entre  les  langues  sémi- 
tiques et  les  langues  ariennes 4 1 8 

S  IL 

Comparaison  entre  la  grammaire  sémitique  et  la  grammaire  indo-euro- 
péenne. —  Difiérence  radicale  de  Tune  et  de  Tautre.  Analogies  apparentes  ; 
expiieation  de  ces  anidogies.  —  Traits  qui  établissent  une  séparation 
abaolne  entre  les  deux  systèmes.  —  Réfutation  de  l'hypothèse  d'après 
laquelle  la  grammaire  copte  formerait  le  lien  des  deux  systèmes.  — 

I.  ♦   39 


498  TABLE  ANALYTIQUE. 

Pages. 
ImporUnce  prépondérante  de  la  grammaire  dans  la  clasBification  des  lan- 
gues. Danger  des  comparaisons  étymologiques 698 

S  m. 

Rapprochements  entre  les  racines  essentidles  et  monosyllalnqpieB  des  langues 
sémitiques  et  des  langues  ariennes.  —  Pour  la  plupart  des  racines  com- 
munes, on  saisit  la  raison  qui  a  produit  Tidentité.  Onomatopée.  Exemples 
de  racines  imitatives  communes  aux  deux  races.  —  Racines  semblables 
dans  les  deux  familles  pour  lesqueQes  il  n^est  pas  facile  de  saisir  une  rai- 
son d'onomatopée  :  rapprochements  des  pronoms  et  des  noms  de  nombre. 

—  Dâicatesse  avec  laqudle  les  premiers  hommes  saisissaient  les  qualités 
appeilatives  des  choses.  Richesse  des  procédés  qui  présidèrent  i  la  création 

du  tangage.  Toute  dénomination  a  eu  sa  raison  d'être 433 

S  IV. 

L'étymologie  sémitico-arienne  ne  se  réduit  à  aucune  loi  constante.  Ressem- 
blances provenant  de  Tunité  psychologique  de  Tespèce  humaine.  —  Une 
affinité  primordiale  entre  les  langues  sémitiques  et  les  langues  ariennes 
n'est  pas  impossible.  —  Objections  contre  l'expression  atUé-grammaUeak , 
dont  on  se  sert  pouc  caractériser  cette  affinité.  Le  langage  a  été  créé  tout 
d'une  pièce.  Les  langues  ne  modifient  pas  essentidlement  leur  grammaire.  - 
Évolution  du  germe  primitif.  —  Manière  dont  on  peut  se  représenter 
l'affinité  primitive  des  langues  sémitiques  et  des  langues  ariennes hhi 

S  V. 

Examen  des  traditions  communes  aux  peuples  ariens  et  aux  peuples  sémi- 
tiques. —  Le  dogme  de  Tunité  de  l'espèce  humaine  est  une  idée  sémitique. 

—  En  quel  sens  cette  croyance  est  sacrée  et  incontestable.  —  Traditions 
primitives  des  Sémites  renfermées  dans  les  dix  premiers  chapitres  de  la 
Genèse.  —  Géographie  légendaire  des  Sémites  :  les  quatre  fleuves;  sub- 
stitutions de  noms  qui  s'y  sont  opérées.  —  Cette  géographie  nous  transporie 
dans  l'Imaûs,  au  berceau  même  de  la  race  arienne.  Le  Phison  et  le  pays 
de  Havila  cherchés  dans  la  région  du  haut  Indus;  le  Gihon  identifié  avec 
l'Oxus.  Du  pays  de  Gousch  ;  du  pays  de  Nod  et  de  la  ville  de  Hanok.  — 
L'Éden  des  Sémites  dans  le  Belourtag.  —  Objections  contre  ce  systkne. 
Hypothèse  d'après  laquelle  la  théorie  des  quatre  fleuves  aurait  été  em- 
pruntée à  la  Perse.  —  Réponse.  —  La  géographie  du  paradis  ne  porte  pas 
les  caractères  d'une  construction  mythologique  a /^rîbni. —  Autres  traditions 
communes  aux  Ariens  et  aux  Sémites  :  idées  de  M.  Ewald  ;  opinion  de 
iMM.  Lassen  et  Burnouf.  Analogie  des  tradilions  des  deux  races  sur  les 


TABLE  ANALYTIQUE.  &99 

origines  de  rhomanité.  —  De  la  tradition  da  dâoge.  —  S|Btème  de 
M.  Ewald  sur  les  Agée  et  les  combinaisons  numériques  dans  les  Thohdoth 
des  Hébreux,  —r  Rencontre  des  deux  races  sur  certains  mythes  particu- 
liers :  Tubalcaîn ,  KrMmy  Sen^kim,  longévité  des  patriardies,  Japbet  et 
lapetos.  —  Possibilité  d^un  commerce  mythologique  entre  les  races.  — 
Gonduflion Uk'j 

S  VL 

Les  Ariens  et  les  Sémites  comparés  sous  le  rapport  des  caractères  physiques. 
La  distÎDction  des  deux  races  n*est  pas  fondée  sur  la  physiologie.  —  Les 
Ariens  et  les  Sémites  comparés  sous  le  rapport  int<^ectad  et  mord  :  leur 
action  mutuelle  et  leur  part  dans  rœnvre  commune  de  la  cârilisation.  — 
Hypothèse  de  relations  probngées  entre  les  deux  races  dans  les  tempe 
anîé-historiques.  —  Position  des  races  couschites  et  chamites  vis-i-ris  des 
races  sémitiques  et  ariennes. — L'Imaûs  envisagé  comme  point  de  départ 
commun  des  races  dviiisées. — La  Chiné  en  debon  de  la  &miBe  asiatico- 
européenne.  —  Des  races  inférieures  :  jamais  les  races  sémitiques  et 
ariennes  ne  sont  descendues  à  Tétat  sauvage. — Manière  de  se  représenter 
les  différences  primitives  des  Ariens  et  des  Sémites  :  différences  psycho- 
logiques et  religieuses.  —  Causes  qui  ont  pu  produire  ces  différences. 
Sensibilité  de  Thomme  primitif.  Influence  du  genre  de  vie.  Conséquen- 
ces de  la  vie  nomade.  —  Les  Ariens  et  les  Sémites  devancés  par  les 
Chamites,  les  Couschites  et  les  Chinois  en  tout  ce  qui  touche  à  la  dviK- 
sation  matéridle;  la  supériorité  des  Ariens  et  des  Sémites  était  surtout 
morale  et  religieuse.  —  Vues  sur  la  succession  des  races  de  Tanden  con- 
tinent Trois  couches  :  i*  races  inférieures;  a*  races  dviiisées  dans  le  sens 
matérid  :  Chinois,  Couschites,  Chamites;  3*  races  dviiisées  dans  le  sens 
intellectud,  moral  et  religieux  :  Ariens  et  Sémites.  — Vues  sur  Tunité  et 
le  séjour  primitif  de  ces  diverses  races.  —  Élimination  de  toute  idée 
conçue  a  priori  sur  le  dévebppement  de  Thumanité &63