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Full text of "Histoire générale, physique et civile de l'Europe, depuis les dernières ..."

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HISTOIRE 

GÉNÉRALE , PHYSIQUE ET CIVILE 

DE L'EUROPE. 

TOME XII. 



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Imprimerie de p. j. de mat 

A BRUXELLES. 



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HISTOIRE 

GÉNÉRALE, PHYSIQUE ET CIVILE 

DE L'EUROPE, 

DEPUIS LES DERNIÈRES ANNÉES DU GINQUIÈBfE SIÈCLE 
JUSQUE VERS LE MILIEU DU DIX-HUITIÈME; 



PikR 



M. LE COMTE DE LACÉPÈDE, 



oKAiTD'ca^ix o« l'oeoes kotal db la i.£aion-D'aoHVjn;a , 

l'oV DBS PBOrBSSBimS-ASlITHUTBATBUBS OO HUSBOll s'hISTOIBB XATDBBLLB, 

ttBBBBB DB l'aCAABMIB BOTALB DBS SCIBVCB8 , DB I.A SOClExi BOTALB OB LOUBEBS", 

ET DB TOOTBS LES •OC1£tKS SAVAVTES DB l'bDEOPB, 



TOME DOUZIÈME. 




BRUXELLES, 

P. J. DE MAT, A LA LIBRAIRIE FRANÇAISE ^T ETRANGERE^ 

GBAVDS PLACSy M** 11 88. 

1826. 



. ■ . ^ ''mzeaby QOO^ 






• •••••••• •• 



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EISTOIRE 

GÉNÉRALE, PHYSIQUE ET CIVILE 

DE L'EUROPE, 



DEPUIS LES DERNIÈRES ANNÉES DD CINQUIÈME SIÈCLE 
JUSQUE TERS LE MILIEU DU DIX-HUITIÈME. 



SUITE DE LA VE^GT-UNIÈME ÉPOQUE, 

DEPUIS 1498 JUSQUES EN l53o. 



Le jour va paraître ; la trompette du roi se fait enten- 
dre j les Français et les Suisses se rangent sous leurs 
drapeaux. 

Les Suisses ont, à la droite des Français, un très-grand 
avantage; les bandes noires reculent devant eux. Ils 
arrivent jusques à Partillerie ; mais Bourbon les repousse 
à la tête de quelques compagnies d'hommes d'armes, et 
PartîUerie française les foudroie. 

Ils cèdent, au centre, à la valeur héroïque du roi ; mais, 
à la gauche de l'armée française , ils enfoncent et disper- 
sent le corps des aventuriers. Le duc de Vendôme , le 
comte de Saint-Pol, Aubigny, Chabannes , Vandenesse et 
leurs hommes d'armes soutiennent l'effort de dix mille 
Helvétiens; et L'Alviane paraît avec la cavalerie véni- 
tienne. « La bataille est perdue, lui crient les fuyards de 
» l'aile gauche. — Eh bien! enfants, suivez-moi ; nous 
if^ la regagnerons, » leur répond L'Alvîane. Son calme 
ToM. XII. . 1 



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2 HISTOIRE DE L'ISUROPE* 

les rassure : ils se rallient sous ses ordres, rencontrent 
un détachement de Suisses qui tourne le camp, Fatta- 
quent , Pëcrasent, et chargent la colonne qui aUait acca- 
bler le duc de Vendôme et ses compagnons. Les Suisses,, 
pressés entre tant de combattants, se portent vers la 
droite française, longent le front de Parmée, en es- 
suient tout le feu , se trouvent au milieu des lansquenets 
du corps de bataille , et se battent en furieux. Épuisés 
néanmoins par leur acharnement, ne pouvant plus con- 
server Pespoir de la victoire , repoussés mais non vaincus, 
ils se retirent, à pas lents, s'arrêtent de distance en dis- 
tance , et lancent vers les Français des regards mena- 
çants. 

Le vainqueur les admire ; François défend qu'on les 
poursuive ; il espère les revoir marcher sous ses dra- 
peaux. 

« J'ai assisté à dix-huit batailles, s'écrie Trivulce; 
» mais je viens de voir le combat des géants. » La France 
proclame François I®' le brave des braves, Bayard le 
modèle des chevaliers, et le duc de Bourbon le premier 
des capitaines. Je voua veux encore assurer , écrit le roi 
à la régente, sa mère, que mon frère le connétable et 
monsieur de Saint-Pol ont aussi bien rompu bois que 
gentilshommes de la compagnie , quels qu^ils soient; et 
de ce y en parle comme celui qui Va vu , car ils ne «V- 
pargnaient non plus que sangliers échauffés* 

Et cependant vingt mille hommes des plus valeureux 
de l'univers étaient gisants sur le champ de bataille. Le 
duc de Châtelleraut et le prince de Bourbon Carenci 
étaient parmi ces glorieuses victimes d'un prêtre furi- 
bond; les Suisses veulent l'immoler aux mânes de leurs 
compatriotes : il échappe à la mort qu'il a si bien méri- 
tée ; mais en fuyant vers l'Allemagne il entraine Fran- 
çois Sforce, frère de Maximilien , et emporte avec lui 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. ligS — l53o. 3 

Pinfemal espoir de nouvelles discordes horriblement 
sanglantes ( iô'i5 )• 

Les Suisses y en eifet y pouvaient rentrer en Italie plus 
formidablea que jamais } Varmée du pape et celte du roi 
d'Espagne étaient encore campées sur les bords du Pô ; 
et Ton s'attendait k voir l'empereur descendre du haut 
des Alpes avec des forces imposantes. 

La ville de Milan, cependant, présenta ses clefs au vain- 
queur des Helvétîens. Plusieurs Français avaient élé 
égorgés dans son enceinte ; l'armée demandait à grands 
cris le pillage de la ville. François P' eut la sagesse de 
se çonteiiter d'une amende considérable qu'il distribua à 
ses soldats. 

Il s'avança vers Pavie , et Bourbon forma le siège du 
château. Le duc Maximilien s'était renfermé dans cette 
place 9 qui était très-forte, avec ses généraux, ses con- 
seillers, une garnison nombreuse et des munitions abon- 
dantes : le succès du siège paraissait devoir décider de 
celui de la guerre. Pierre de Navarre fut retiré presque 
mourant de dessous les ruines d'une casemate qui avait 
sauté en l'air plus tôt qu'il ne l'avait cru ; Bourbon de- 
manda une entrevue à son parent Jean de Gonzague- 
Mantoue, à qui Sforce avait confié la défense du château. 
Jean persuada à Maximilien de céder à la fortune du 
vainqueur ; et le duc eut la lâcheté de remettre au roi les 
châteaux de Milan et de Crémone j d'accepter une pen- 
sion de 3o,ooo ducats, et de se retirer en France. 

L'armée espagnole s'enfuit en désordre vers le 
royaume de Naples ; Léon X , livré à la merci des Fran- 
çais, fut obligé de restituer les duchés de Parme et de 
Plaisance, que Jules II avait envahis sur le duché de Mi- 
lan; et leis Suisses conclurent à Fribourg un traité de 
paix perpétuelle avec la France. 

Le roi allait porter ses armes dans le royaume de Na- 
ples , et Bourbon le pressait d'aller à Rome punir le pape 



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4 HISTOIRE DE L^EUROFE. 

de ses intrigues contre la France ; mais il était plus facile 
à François P'^ de vaincre que de bien user de sa victoire. 

Le pape ëtait à Bologne; le roi va le trouver. Le pon- 
,tife, bien plus adroit que le monarque, le comble d'é- 
loges, d'honneurs et de prpmesses, Fëblouit, le trompe , 
le fait consentir k différer la conquête du royaume de 
Naples jusques après la mort du roi d'Espagne, et ob- 
tient qu'il renoncera à la pragmatique sanction, si odieuse 
à la cour de Rome, et qu'il acceptera, un concordat pour 
les élections, la discipline et le gouvernement de l'Église 
gallicane, dont le pontife suprême désire si vivement de 
détruire ou du moins d'affaiblir les anciennes préroga- 
tives. 

François P' retourha en France après avoir signé ce 
malheureux traité.^ Il nomma le duc de Bourbon son 
lieutenant général en Italie ; et voulant lui donner une 
marque extraordinaire delà reconnaissance publique, il 
lui accorda une prérogative qui seule prouverait com- 
bien étaient funestes les idées que l'on avait encore sur la 
nature et les progrès de l'industrie ; il lui conféra le 
droit de créer des métiers dans toutes les villes du 
royaume. Le parlement n'enregistra les lettres patentes 
qui décernaient ce droit, regardé comme régulier , qu'c/i 
considération de la vertu extraordiruiire de Bourbon. 

On avait admiré dans le connétable les talents du 
grand capitaine; on admira bientôt dans ce prince le mo- 
dèle des administrateurs. Ne voulant rien négliger pour 
faire pardonner aux Français leur victoire et chérir leur 
domination , il forma un conseil composé de Français et 
d'Italiens, justes , intègres, sages et instruits ; il les char- 
gea d'examiner avec le plus grand soin les requêtes qui 
lui seraient présentées, donna chaque jour des audien- 
ces, et ne refusa jamais d'entendre un Milanais à quel- 
que heure qu'il se présentât. 

Habile à pénétrer les intrigues des cours, il découvrit 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS— i53o. 5 

bientôt atec quel art perfide Lëon X cherchait secrète- 
ment à exciter l'Europe contre la France : il se hâta d'en 
avertir son roi , mais François I«" comptait encore sur les 
promesses de son infidèle allié. 

Un orage terrible allait cependant éclater sur la Lom- 
hardie; les dispositions de Henri VIII avaient bien changé 
relativement à la France ; Wolsey Pavait rendu jaloux 
de François. Deux bills que le prélat avait provoqués , 
l'un pour interdire l'exportation des laines non fabri- 
quées , et l'autre pour empêcher les membres du parle- 
ment de s'absenter avant la fin de la session sans un congé 
formel, sous pein& de perdre leisra honoraires, avaient 
donné à ce ministre une sorte de popularité, et ajouté à 
son influence sur son souverain. Il avait été noftmé car- 
dinal par la protection du monarque français ; mais fl ne 
pouvait pardonner à François I^ de lui av>èir été con- 
traire, lorsqu'il avait désiré d'obtenir l'évéché de Tournai, 
dont il était administrateur, et de s'opposer à ce qu'il 
conservât l'administration d'un siège aussi riche. « H 
» n'est pas impossible, avait-il écrit à yempereur, de 
» détacher Henri VIII des intérêts de la France , et de 
» Pisngager à renouveler son «ncienne alliance avec 
» l'Espagne , malgré les perfidies de Ferdinand. » Maxi- 
milieu avait envoyé â Londres un ambassadeur milanais, 
chargé de demander le secours de l'Angleterre en fa- 
veur de François Sfbrce réfugié en Allemagne. Henri 
VIII, entraîné par l'ambitieux cardinal , avait rejeté les 
avis de ses plus sages conseillers , et fait passer de grosses 
sommes à François Sforce , qui avait promis à Wokey 
de lui payer une pension annuelle de 10,000 ducats lors- 
qu'il serait monté sur le trône ducal de Milan. Le fou- 
gueux cardinal de Sion était venu, déguisé, en Angleterre 
pour négocier avec Henri ; et le vieux roi d'Espagne , 
n'espérant pas de conserver le royaume de Naples tant 
que les Français auraient le Milanais , réunit les plus 



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6 HISTOIRE DB L'EUROPE. 

grands efforts à ceux du pape, de Pempereur et des deux 
cardinaux de Sîon et Wolsey, 

Maximilien , aidé des subsides de PEspagne , de FAn- 
gleterre et des Pays-Bas, rassemble trente mille hommes» 
Le cardinal de Sion , à force d'argent , d'intrigues et de 
calomnies contre la France qu'il abhorre, obtient un 
grand nombre de soldats de cinq petits cantons qui 
n'avaient pas encore accédé à la paix de leurs confé- 
d^vés avec le roi de France, L'empereur paraît en 
Italie} la Lombardie veut se délivrer d'une domination 
étrangère : les Milanais les plus riches et les plus puis- 
sants s'empressent de se rendre au camp de l'empereur; 
les nombreux partisans qu'ils laissent dans Milan et 
dans toutes les autres villes du duché, doivent égorger 
les Français et appeler les Impériaux. Tous lés dangers 
environnent Bourbon; plusieurs officiers généraux le 
pressent de mettre en sûreté et sa personne et sa petite 
armée : il prend la résolution héroïque de sauver Milan, 
ou de s'ensevelir sous ses ruines (i5i6). 

Il ouvre, en son nom , un emprunt considérable que 
sa réputation de loyauté fait réussir très-promptement , 
rassemble six mille pionniers, rétablit les fortifications 
de Milan, parvient à mettre dans les intérêts de la France 
Albert de La Pierre , capitaine reiiommé du canton de 
Zurich, et obtient par son influence la permission de 
lever un corps de douze mille Suisses. 

Lautrec, cependant, tâche en vain de défendre suc- 
cessivement contre l'armée impériale les bords du 
Mincio, de POglio et de l'Adda. Il rentre dans Milan 
avec des troupes affaiblies et découragées; les Suisses 
n'arrivent pas; Bourbon va, avec une faible escorte , 
trouver les Vénitiens campés auprès de Brescia, fait 
passer dans leurs âmes toute son énergie , se met à leur 
tête, tient la campagne, manœuvre avec habileté, dis- 
pute le terrain avec une admirable constance, apprend 



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VINGT-UNIÈMB ÉPOQUE. légS — l53o. 7 

que, diaprés ses ordres. Milan est fortifié et approvi- 
sionné, ravage le pays que les ennemis doivent par- 
courir, et ne se retire dans la ville qu'il veut défendre, 
qu'après avoir détruit ou enlevé toutes les subsistances 
sur lesquelles ils comptaient. 

Les soldats, dont il presse la marche, ne veulent pas 
se renfermer dans une place aussi vaste et aussi fsiible 
que Milan; leurs chefs obtiennent avec peine qu'on 
envoie des députés pour examiner l'état de la ville. 
Bourbon conduit lui-même ces députés sur les rem- 
parts, leur montre les ouvrages immenses qu'il a fait 
construire , les magasins qu'on à remplis de provisions^ 
le plan de défense qu'il a préféré, les précautions qu'il 
a prises contre les désordres. Les députés font a leurs 
compatriotes le rapport le plus favorable. Deux ou 
trois mille Suisses, néanmoins, ne veulent pas se sou- 
mettre aux fatigues d'un long siège; mais les autres 
Helvétiens arrivent à Milan, où Bourbon s'empresse 
de leur faire compter une montre de trois mois. 

Le connétable veut alors attaquer Fempereur , campé 
très-près de la ville f les Suisses refusent de le suivre. 
« Nous vous aiderons, lui disent*ils, à soutenir un 
» siège, mais nous ne voulons pas nous égorger avec 
» ceux de nos compatriotes qui sont au service de 
» l'empereur. » Bourbon , bien loin de montrer la plus 
faible inquiétude, licencie avec fierté ces guerriers in- 
dociles. Albert de La Pierre obtient seul, avec sa com- 
pagnie de trois cents hommes, la permission de rester 
sous les drapeaux de la France. 

Maximilien fait sommer les habitants de Miian de 
lui ouvrir leurs portes. « Si vous résistez, dît le héraut , 
» l'empereur vous traitera comme Frédéric Barberousse; 
» votre ville sera brûlée, et l'on sèmera du sel sur se» 
» cendres et ses débris. »^ 

Ces terribles menaces retentissaient encore dans les 



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murs de Milan, et un abîme s'ouvrait sous les pieds de 
l'empereur. 

Quatorze mille Suisses étaient dans son armée ; il 
leur devait un mois de solde. Le colonel Jacques Staffer , 
accompagné d'un grand nombre d'o£Siciers , se présente 
devant la porte de la tente impériale , et demande avec 
arrogance la paie de ses compatriotes. Maximilien , 
dont le trésor est vide , fait de grandes promesses. « De 
y^ l'argent, sire, dit Stàffer, ou nous allons passer sous 
» les étendards de Bourbon. » L'empereur se trouble , 
pâlit, rappelle en frémissant la haine héréditaire des 
Helvé tiens contre sa maison, et le malheur de son beau-* 
père Ludovic Sforce , livré aux Français par les Suisses* 
« Dès ce soir, dit-il au colonel, j'irai dans votre quar- 
» tier avec le cardinal de Sion. » Les Suisses s'éloignent. 
Il se sauve dans le quartier des Allemands. 

On surprend des lettres de Trivulce, adressées à 
plusieurs capitaines helvétiens , on les porte à Maxi- 
milien; il lit : « Dans deux jours tout sera prêt pour 
» l'exécution du projet dont nous sommes convenus. » 
Trompé par cette ruse de Trivulce, il s'échappe de 
son camp pendant la nuit, et s'enfuit jusques à Trente. 

La confusioji et le désordre régnent dans l'armée 
impériale. Les Suisses pillent Saat-Angelo et Lodi. 
Bourbon les repousse avec sa cavalerie. Le cardinal de 
Sion ranime les lansquenets et les Suisses. Le margrave 
de Braùdebourg se met à leur tête. Bourbon, dont les 
Vénitiens se sont séparés, montre néanmoins la conte- 
nance la plus fière, et se retranche sur les bords de 
l'Adda. Les Impériaux, en proie à la disette, sont con- 
traints d'abandonner le Milanais. La cavalerie française 
les poursuit, sous les ordres du comte de Saint-Pol, 
d'Anne de Montmorenci et de Thomas de Foix. (i5i6) 
Ils taillent en pièces l'arrière-gai'de ennemie; et l'armée 
impériale achève de se dissiper. 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l53o. 9 

La gloire de Bourbon , et la grande influence qu'elle 
devait lui donner, éveillèrent Penvie. Des courtisans 
ambitieux résolurent de le perdre. Leurs discours per- 
fides firent entrer un peu de jalousie dans Pâme même 
de François I®' , qui voulait que les plus belles palmes 
ornassent sa couronné. Ils parvinrent à arracher au 
monarque une décision bien contraire aux intérêts de 
la France. Le connétable, suivant Marillac, secrétaire 
de ce prince, reçut Pordre de repasser en France, et de 
laisser le commandement des Milanais au maréchal de 
Lautrec. La cour était à Lyon. Le roi, dit dans ses 
mémoires le maréchal de Fleuranges , lui fit merpeil- 
leuaement bonne chère. Mais bientôt , pour le malheur 
de la France, le monarque , cédant aux insinuations de 
la personne qui avait encore le plus d'empire sur 
lui, parut oublier les services éclatants qu'il devait à 
Bourbon. 

Louise de Savoie , duchesse d'Angoulême, n'avait 
que quarante ans. Elle était encore belle. On admirait 
sa taille svelte et élégante. Elle réunisssait des talents 
rares pour le gouvernement à beaucoup d'esprit et de 
sagacité. Mais ambitieuse, avide, galante et vindicative, 
elle ne pouvait modérer ni la vivacité de ses goûts, ni 
la violence de ses passions. Depuis long-temps elle 
aimait le connétable, et elle espérait d'autant plus de 
triompher de son indiflférence qu'elle voulait payer son 
amour, en le mettant à la tête de tout le gouvernement. 
Ses nouvelles tentatives ne furent pas heureuses. Quel- 
que ambitieux que fût Bourbon, il était trop indépen- 
dant pour consentir à devoir son élévation à l'amour. 
Il ne répondit pas aux avances de Louise, Il parait, que 
son éloignement eut les apparences du mépris. L'amante 
outragée ne respira que la vengeance : elle voulut acca- 
bler d'humiliations le plus fier des hommes j elle fit 
porter tout le crédit dont il avait joui sur le chancelier 



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10 HISTOIRE DE L'eUROPB. 

Duprat, Pamiral BonnÎTet et le maréchal de Chatillon ; 
et le roi lui-même , embrassant nue querelle dont il 
ignorait le motif ^ devint aussi injuste qu'ingrat envers 
le connétable. Non seulement on ne voulut pas payer 
à Bourbon les arrérages des 24,ooo livres qu'il avait 
comme connétable, des i4,ooo étus qu'il devait recevoir 
comme gouverneur du Languedoc, et d'autres i4,ooo 
écus attachés à sa charge de chambrier de France; mais 
encore on lui refusa le remboursement des sommes 
qu'il avait empruntées pour sauver le Milanais, et cepen- 
dant la vénalité des charges, que le chancelier Duprat 
n'avait pas rougi de faire introduire dans la magistrature, 
était une source de richesses aussi abondante que cor- 
rompue. 

Bourbon dédaigna de se plaindre ; mais sa belle-mère , 
la fameuse Anne de France, que l'on avait vue gouver- 
ner le royaume avec tant d'éclat, et qui vivait encore , 
s'indigna de la conduite du ministère. Pleine du souvenir 
de son ancienne puissance, elle reprocha avec amertume 
à Louise de Savoie l'ingratitude que l'on montrait en- 
vers un héros. La mère de François 1*^^ répondit avec 
hauteur à la fille de Louis XI ; la querelle fut vive : elle 
partagea la cour. François I*"^ conjura les deux princesses 
de se réconcilier. On donna à la duchesse douairière de 
Bourbon les plus grandes promesses ; mais on ne les tint 
pas : la paix ne fut qu'apparente , et les ressentiments 
ne cessèrent de s'accroître. 

Susanne de Bourbon, la fille de la duchesse douairière, 
donna un fils au connétable. François V^ alla à Moulins 
avec sa m^e et sa cour, la plus brillante de l'Europe , 
pour tenir le jeune prince sur les fonts de baptême avec 
Anne de France. La magnificence du connétable étonna 
le monarque; les tournois, les joutes, les courses de 
bague, les parties de chasse, les spectacles, les bals, les 
illuminations, les festins somptueux se succédèrent pen- 



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VINGT-UNIBMB ÉPOQUE. 14^8 — l53o. 11 

dant quinze jours. BOurbou avait réuni autour de lui 
cinq cents gentilshommes y vêtus de velours , décorés 
d^uue chaîne d'or ; et le concours des autres nobles invités 
fut si grand que, malgré la vaste étendue du château et 
le nombre des maisons de la ville, on dressa des tentes 
dans les jardins, dans 1^ parc, dans les places publiques, 
dans les rues et même dans les champs. 

(1617) Louise de Savoie, blessée de tant d'éclat, et les 
favoris, bassement envieux , s'empressèrent de ranimer 
dans Fâme de François les préventions et la rivalité. Le 
connétable , dont la fierté s'élevait à mesure qu'on cher- 
chait à la. rabaisser , ne cessait de déplorer très- haut les 
désordres du gouvernement , le relâchement de la disci- 
pline militaire, les malheurs de la monarchie, livrée à 
tant d'avidité et d'ambition. Une aversion très-forte 
naquit bientôt entre un roi enjoué, ouvert, vif, indis- 
cret et inappliqué , et un prince sérieux, réservé, grave, 
pilident et ami du travail. 

Le chancelier Duprat, qui désirait d'acquérir deux 
belles terres du connétable., tâcha de recouvrer ses bon- 
nes grâces. Bourbon lui témoigna le plus profond mépris. 
Duprat , que Beaucaire a appelé le plus méchant des 
hommes, jura une haine mortelle au connétable (i5i8). 

Les suites de cette haine, qui devait être si fatale à la 
France, furent suspendues par la naissance du dauphin. 
Des fêtes magnifiques furent données à Amboise ; elles 
peignaient l'es mœurs du siècle. 

Les tournois furent terminés par un siège et par un 
combat. Le connétable et le duc de Vendôme assiégèrent 
une ville de bois, entourée de fossés , et défendue par le 
duc d'Alençon. Le roi et le maréchal de Fleuranges 
s'introduisirent dans là place, et firent une sortie contre 
Vendôme et Bourbon. On se servit, dit ce maréchal de 
Fleuranges dans ses mémoires, de gros chinons faits de 
bois et de cercles de fer , et de boulets qui étaient de 



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grosses balles pleines de vent... qui frappaient à tra- 
vers de ceux qui tenaient le siège , et les ruaient par 
terre sans leur faire aucun mal; et était chose fort plai- 
sante à voir les bonds qu'elles faisaient.^. Mais le passe- 
temps ne plut pas a tous , car il y eut beaucoup et af- 
folés et de tués... 

Quelque temps après , au milieu d'un de ces jeux 
militaires si analogues aux mœurs libres, gaies, folâtres 
et belliqueuses de la cour de François P', un tison ardent 
lancé au hasard , pendant une attaque nocturne simulée, 
rencontra la tête de ce prince, le blessa si dangereusement 
qu'on craignit pour sa viej et ce fut, suivant plusieurs 
historiens, à la suite de cette blessure qu'imitant Pusage 
des Suisses et des Italiens, il porta les cheveux courts et 
la barbe longue, et établit^uoe mode que la cour, îes no- 
bles et les militaires s'empressèrent d'adopter. 

L'ami de la France , Alexandre Stuart, duc d'Albanie , 
était allé en Ecosse, où il avait pris le titre de régent et 
de protecteur du royaume pendant la minorité du roi 
son œveu. Des factieux persuadèrent à la reine douai- 
rière, remariée au comte d'Angus, que son fils Jacques V 
avait tout k craindre dé Pambition du duc d'Albanie , et 
qu'elle devait Femmener en Angleterre, où ce jeune 
prince serait en sûreté auprès de Henri VIII, frère de la 
reine Marie; mais les projets des factieux furent déjoués 
par le duc^ qui s'assura de la personne du «jeune mo- 
narque , et confia son éducation à trois personnes dignes 
de l'estime de la nation. 

Le cardinal Wolsey exerçait plus que jamais, dans la 
Grande-Bretagne, une grande et double puissance, Fau- 
torité pontificale d'un légat du siège apostolique , et le 
pouvoir royal de. Henri , dont ce premier ministre avait 
toute la confiance. Plus orgueilleux que jamais, il ne' pa- 
raissait en pi^|lic qu'avec la pompe d'un souverain. Son 
liabit était de soie , disent Ijs historiens \ des broderies 



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VINGT-UNIÈME EPOQUE. légS — l53o. l3 

d'or rehaussaient les harnais de ses chevaux; et l'on 
portait devant li^i, comme autant de trophées, la croix, 
les masses et le chapeau de cardinal. 

L'archevêque de Cantorhéry , blessé de tout le crédit 
et de toute l'ostentation de Wolsey, se retira de la cour, 
et donna sa démission de la charge de chancelier. Cette 
dignité fut donnée au cardinal, que d'ailleurs le monar- 
que ne cessait^, en quelque sorte, d'accabler de prébendes, 
de gardes-nobles et d'autres places lucratives. 

Ferdinand, roi d'Espagne, ayant cessé de vivre, son 
petit-fils Charles, archiduc d'Autriche, monta sur les 
trônes d'Arragon et de Castille. L'empereur Maximilien, 
grand-père du nouveau roi, essaya en vain d'engager son 
petit-fils à se liguer avec lui contre François P'. Charles 
montrait déjà un grand caractère ; et il ne devait pas entrer 
dans sa prudente politique de faire la guerre à la France, 
pendant qu'il pouvait encore craindre qu'on ne cherchât 
à ébranler dans la péninsule la domination si récente et 
encore si peu affermie d'un prince étranger à la nation 
espagnole. 

Maximilien fit les mêmes efforts auprès de Henri VIII; 
il lui proposa , pour l'engager à entrer dans la ligue 
qu'il méditait , de lui résigner l'empire , et de lui céder 
tous ses droits sur le duché de Milan. Le roi d'Angle- 
terre le refusa, le pria de lui réserver sa bonne volonté 
pour un temps plus favorable j et , ce qui est remar- 
quable, lui envoya néanmoins une somme d'argent, 
que l'empereur accepta ( i5i6 ). 

Non seulement cependant le roi Charles ne se ligua 
pas contre la France, mais encore il conclut à Noyon, 
avec François V^ , un traité de paix , auquel l'empereur 
accéda. 

Depuis long-temps, le temps et les progrès de l'as- 
tronomie avaient montré combien le calendrier était 
défectueux. Léon X et le concile de Latran désiraient 



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l4 HISTOIRE DE L'eUROFE. 

de le voir reformer; le pape adressa un bref à tous les 
princes de l'Europe, pour les inviter à envoyer à Rome 
les plus habiles mathématiciens. 

François de La Rovère avait réussi, par le moyen des 
troupes espagnoles, à reprendre le duché dUrbin , dont 
il avait été dépouillé en faveur de Laurent de Médicis , 
neveu du pape. François I«', paraissant oublier et l'ini- 
mitié secrète et la mauvaise foi du pontife , lui fournit 
des troupes pour reprendre le duché d'Urbin , maria 
Catherine , héritière de Bologne , avec Laurent ; et le 
pape , un moment reconnaissant , lui accorda un 
dixième du revenu du clergé de France , sous le pré- 
texte de la guerre que le monarque français devait 
faire aux musulmans avec l'empereur et le roi des 
Espagnes(i5i7). 

Mais quel grand événement se prépare en Allemagne! 
Quels orages vont menacer cette puissance romaine , 
dont les anciennes usurpations paraissaient inattaqua- 
bles , et qui devait néanmoins être un jour réduite à 
de justes bornes , par le progrès des lumières que Tim- 
primerie avait si fort accéléré , et dont le pontife de 
Rome ne pouvait pas se résigner à reconnaître l'in- 
fluence inévitable! 

Léon X avait nommé trente-un nouveaux cardi- 
naux ; parmi ces princes de l'Église romaine , on voyait 
Laurent Campegge, l'un des plus savants et des plus habi- 
les prélats de cette époque, Thomas de Vio, connu sous 
le nom de Cajetan , théologien renommé et général 
des dominicains , Adrien-Florent d'Utrecht, qui avait 
été précepteur de Charles, roi d'Espagne, et devait être 
pape sous le nom d'Adrien VI , et Gilles de Viterbe , 
célèbre général des augustins. Mais , malgré le savoir de 
ces conseillers nés du saint-siége et l'étendue de son esprit, 
Léon X n'était pas assez élevé au-dessus de son siècle 
pour prévoir toutes les conséquence d'une entreprise 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — i53o. l5 

dont une civilisation plus avancée pouvait rendre le 
succès bien plus difficile que jamais. Manquant d'argent 
pour faire achever la basilique de Saint-Pierre , il ima- 
gina d'en demander pour l'exécution de cette grande 
croisade contre les Turcs , que les princes chrétiens 
ne paraissaient pas pressés de commencer. Il résolut 
de vendre , sous le prétexte de cette croisade , des indul- 
gences plénihres k tous ceux qui voudraient 'obtenir Je 
pardon de leurs péchés. On nomma, pour chaque 
royaume, des prêtres qui devaient faire retentir les 
chaires de toute l'efficacité des indulgences , et des col- 
Lecteurs qu'on chargea d'en recevoir la valeur. Le pré- 
lat Arcimbold fut envoyé en Allemagne par le pontife 
de Rome j le clergé germanique et toute la nation 
allemande s'étaient opposés plus d'une fois à ce trafic 
des indulgences , qu'ils regardaient comme une profa- 
nation. Léon X , pour éviter de nouveaux obstacles , 
avait commencé par gagner secrètement Parchevêque 
de Mayence , le cardinal Albert de Brandebourg , qui 
réunissait au siège électoral l'archevêché de Magdebourg 
et l'évêché dllalberstadt ; il lui céda une partie consi- 
dérable des sommes que la vente des indulgences rap- 
porterait , non seulement dans les trois diocèses du 
cardinal , mais dans ceux qui relevaient de ses deux 
métropoles. Le commissaire Arcimbold , rassuré par 
la protection de l'électeur de Mayence, remplit l'Alle- 
magne d'agents qui se livrèrent sans aucune retenue à 
ce commerce d'indulgences plénières, regardé comme 
si scandaleux et si funeste par les chrétiens les plus 
pieux et leg plus éclairés. Un dominicain nommé Jean 
Tetzel , aussi* avide qu^emporté , se distingua parmi les 
délégués d' Arcimbold par son avarice et son inpudence: 
la Saxe surtout était en proie à ces collecteurs cupides 
et déboutés. Mais, pendant qu'aveuglés par leurs pas- 
sions ils sacrifiaient ainsi' les intérêts sacrés de là reli- 



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l6 HISTOIRE DE x'bUROPE. 

gîon chrétienne , Puniversité saxonne de Wittemberg 
comptait parmi ses professeurs un homme d'un rare 
savoir , d'une éloquence persuasive , et dont on avait 
souvent admiré la forte dialectique : il se nommait Martin 
Luther, de Pordre des augustins. Son évèque , son 
provincial, l'université dont il était membre, son sou- 
verain Frédéric-le-Sage, électeur de Saxe, et l'empereur 
Maximilien lui-même le pressèrent d'attaquer les abus 
multipliés dont gémissaient les véritables amis de l'É- 
glise. Il s'éleva contre ces abus avec force, mais en té- 
moignant un profond respect et la plus grande soumis- 
sion pour le chef de cette Église qu'il voulait défendre 
contre ceux qui en compromettaient le caractère sacré 
et la pureté évangélique. 

Le pape ne crut pas devoir redouter un simple doc- 
teur en théologie; il ne vit pas que ce moine, dont il 
entendait parler pour la première fois , était l'interprète 
de cette opinion publique dont il est si dangereux de 
braver la puissance. Au lieu de réprimer les excès de 
Tetzel et de ses co-délégués , il cita Luther devant son 
tribunal , le menaça de l'excommunier s'il ne paraissait 
pas ; et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine que l'élec- 
teur de Saxe et l'université de Wittemberg obtinrent 
qu'on suspendît l'eflfet de la citation pontificale (1517). 

Une diète se réunit à Ausbourg: le légat du pape eut 
la maladresse d'y reparler de la croisade contre les Turcs, 
et de demander pour cette croisade le dixième du revenu 
du clergé et le vingtième de celui des laïques; les états, 
au lieu d'accorder ces taxes , se plaignirent avec véhé- 
mence des violations sans cesse renouvelées du concordat 
de i447 , des annates, de la vente des indulgences et de 
plusieurs autres exactions de la cour de Rome. 

Luther se présenta dans la même ville devant le car- 
dinal Cajetan , chargé par Léon X d'examiner la doctrine, 
et de l'obliger, sous peine d'anathème, à révoquer les thè- 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l53o. I7 

ses quMl avait soutenues et les ëcrits qu'il avait publia 
contre Tetzel, et la vente des indulgences: le cardinal 
employa en vain les promesses et les menaces. « Je ne 
» pourrai me rétracter, dit Luther , qu'autant que je 
» serai convaincu de mes erreurs. » Le légat ne voulut 
entrer dans aucune discussion; Luther appela de la cita« 
tîon du pape à un concile général et libre, et se relira à 
Wittembei'g. 

Pendant les commencements de cette dissidence, qui 
devait avoir de si grands résultats, une maladie funeste 
régna en Angleterre avec tant de fureur, que, suivant 
plusieurs historiens, un grand nombre de personnes 
moururent trois heures après en avoir été attaquées, et 
que l'on vit périr la moitié ou au moins le tiers des ha- 
bitants de plusieurs villes. 

Le roi de France, cependant, qui avait un grand désir 
de recouvrer la ville de Tournai, parvint à gagner le car- 
dinal Wdsey, dont l'influence sur Henri VIII était plus 
grande que jamais ; l'amiral Bonnivet, Etienne Poncher, 
évêque de Paris, et Villeroi furent envoyés en Angle- 
terre, et ils convinrent bientôt d'un traité d'après lequel 
le dauphin devait épouser Marie , fille de Henri VIII , dès 
qu'il aurait atteint sa quatorzième année ; la dot de cette 
princesse serait de 5oo,ooo écus d'or; son douaire égale- 
rait celui qu'avaient eu les deux femmes de Louis XII , 
Anne de Bretagne et Marie d'Angleterre; la ville de 
Tournai serait restituée à la France; François P' ferait 
compter 600,000 écus à Henri VIII; ces deux princes au* 
raient une entrevue auprès d'Ardres en Picardie; et les 
plénipotentiaires français remirent au cardinal des lettres 
patentes par lesquelles le roi de France s'obligeait à payer 
k son cher ami le cardinal archevêque d'Torck une pen- 
sion de 10,000 livres pour le dédommager de l'adminis- 
trationde l'évêché de Tournai (i5i8), 

Wolsêy reçut d'ailleurs de Léon X l'administration 
T0M.XII. 3 



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l8 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

des évêchés de Bath et de Wels, fut chargé avec son col- 
lègae le cardinal Laurent Campegge de la distribution 
des indulgences plénières dans la Grande-Bretagne, et ac- 
céda , au nom de Henri YIII, à une ligue par laquelle le 
pape , Pempereur et les rois de France , d'Espagne et 
d'Angleterre , s'engagèrent à défendre ceux de leurs états 
respectifs que les Turcs attaqueraient. 

Peu de temps après la conclusion de cette ligue défen- 
sive y l'empereur Maximilien cessa de vivre : ce fut vers 
la fin du long règne de ce prince que la noblesse immé- 
diate fut exclue des diètes et retranchée du corps des états ^ 
et que l'on vit les premières postes d'Allemagne, établies 
par les soins de François de La Tour-Taxis. 

Sous le même règne on découvrit les mines d'argent 
de Joachims-Thal en Bohême : les comtes de Schlick^ 
propriétaires et seigneurs de ces mines, firent frapper 
des écus d'argent auxquels on donna le nom de ffialer^ 
à cause du mot ÛuU, vallée, et pour indiquer la vallée de 
Joachim , dont l'argent était extrait. 

Ce fut aussi Maximilien qui se servit de l'habile géné- 
ral tyrolien George , comte de Fronsberg, pour créer un 
corps d'infanterie toujours entretenu , distribué en plu- 
sieurs régiments, sous-divisé en enseignes et en escoua- 
des, toujours exercé au maniement des armes, et soumis 
à une discipline rigoureuse; les soldats de ce corps étant 
armés de longues piques, on les avait nommés lantz- 
hnechts (lansquenets) ; ceux de ces soldats auxquels on 
avait donné des chevaux avaient été appelés réitéra (ca- 
valiers), et distingués, par ce nom, des hommes d armes 
ou gendarmes, presque toujours tirés du corps de la no- 
blesse. 

La mort de Maximilien fut suivie d'un interrègne de 
six mois pendant lequel la chambre impériale continua 
ses séances sous le nom et l'autorité des deux vicaires nés 
de l'empire, l'électeur de Saxe et Louis V, dit fe Paci- 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — j53o. 19 

fique, électeur palatin, qui conclut avec les trois élec- 
teurs ecclésiastiques, pour leur défense commune et la 
conservation des droits électoraux, une union célèbre 
connue sous le nom A^ Union électorale du Rhin, et qui 
devait, pendant près de trois siècles, faire partie des con- 
stitutions fondamentales de l'empire (1619). 

L^électeur de Mayenee convoqua à Francfort la diète 
électorale : tous les électeurs y assistèrent en personne , 
excepté le jeune Louis, roi de Bohême et de Hongrie, 
qui n'avait pas encore atteint l'âge de majorité réglé par 
la bulle d'or, et dont le suffrage fut administré en son 
nom par les états de Bohême. 

Les trois princes les plus puissants de l'Europe bri- 
guaient cette couronne impériale que Maximilien avait 
portée pendant vingt-six ans , le roi d'Espagne, le roi de 
France et le roi d'Angleterre : le premier avait pour lui 
la qualité de petit-fils de Maximilien , son titre d'Alle- 
mand, la possession des états de la maison d'Autriche , et 
ses partisans avaient répandu plus de 2,000 marcs d'or 
parmi les électeurs et les principaux princes de la nation 
germanique. « Le roi d'Espagne, disaient les légats de 
» Léon X , n'est pas éligible : il a la couronne de Naples; 
» et une constitution du pape Clément IV la déclare in- 
» compatible avec le diadème impérial. » D'un autre 
côté, les états germaniques ne voyaient qu^en tremblant 
pour leurs droits et leur liberté la puissance de Charles , 
qui réunissait à l'Autriche et aux Pays-Bas la Sicile, 
Naples et toutes les Espagnes. 

Les partisans de François I®' rappelaient ses victoires, 
son courage chevaleresque, la franchise de son caractère, 
sa générosité , sa fidélité à sa parole : il avait prodigué 
une grande partie des trésors de la France pour obtenir 
des voix; le pape avait joint aux sollicitations du monar- 
que les recommandations les plus pressantes; mais il en- 
gageait secrètement les électeurs à faire tomber leur choix 



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20 HISTOIRE DE L'EUROPE, 

sur un ni€imbre de leur collège; et Henri VIII était, pour - 
Charles et pour François, un concurrent d'autant plus 
redoutable qu'il avait fait distribuer des sommes considé- 
rables en Allemagne. 

Les électeurs de Trêves et de Brandebourg paraissaient 
cependant décidés en faveur de François I®' : l'électeur 
palatin était près de se réunir à eux ; mais les menaces 
de la ligue de Souabe, dévouée au roi d'Espagne, et les 
instances de son frère Frédéric le déterminèrent en fa- 
veur de Charles, pou» lequel l'électeur de Mayence et 
celui de Cologne devaient voter. Bohême et Saxe allaient 
se prononcer : les électeurs offrirent la couronne impé- 
riale à Frédéric-le-Sage; il la refusa^ et, après avoir écarté 
François P' sous prétexte qu'il serait contr^nre à la di- 
gnité de la nation germanique de placer un étranger sur 
son trône , il réunit tous les suffrages sur le roi d'Espagne^ 
archiduc d'Autriche, 

L'électeur de Trêves, néanmoins, ne cessant de parler 
des dangers qui allaient menacer la liberté des états sous 
le règne d'un prince jeune, ambitieux, et dont la puis- 
sance personnelle surpassait les forces réunies de l'empire 
germanique, il fut convenu qu'on ferait signer à Charles 
une capitulation dans laquelle on exprimerait l'étendue 
de ses obligations et les bornes de ^on autorité; les am- 
bassadeurs souscrivirent à cet engagement, et ce mo- 
narque, âgé seulement de dix-neuf ans, fut proclamé 
sous le nom de Charles-Quint (iSig)* 

Léon X se hâta d'autant plus de le reconnaître pour 
empereur élu , et de le dispenser de la constitution de 
Clément lY , qui interdisait la réunion dç la couronne 
de Naples et du diadème de l'empire , que Charles et 
les électeurs avaient paru ne faire aucune attention à 
cette constitution pontificale. Charles -Quint non seule- 
ment fut peu sensible à cet empressement, mais encore , 
montrant déjà combien il voulait défendre l'indépen- 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. ligS — l53o. 21 

dance de l'empire contre les prétentions romaines, il 
se refusa' à suivre l'exemple de ses prédécesseurs, et ne 
prêta pas le serment d^obédience au chef suprême de 
PÉglise. , 

S'étant embarqué en Espagne pour se rendre dans les 
Pays-Bas, et craignant les effets de Ventrevue que Hen- 
ri VIII devait avoir avec François I«', regardé mainte- 
nant par l'empereur comme un rival redoutable, il avait 
cru devoir s'arrêter pendant quelques^ jours en Angle- 
terre; il savait que Wolsey était le véritable monarque 
de la Grande-Bretagne fil désirait vivement de le gagner; 
il avait appris avec quel soin la république de Venise, le 
pape et même le roi de France recherchaient l'assenti* 
ment de ce cardinal archevêque , que Henri VIII consi- 
dérait comme l'arbitre de l'Europe et comme le plus 
habile des ministres ; il connaissait son orgueil , son avi- 
dité, son ambition fil résolut de flatter plus que personne 
ces passions si faciles a séduire; il n'ignorait pas que 
Wolsey , peu content des dignités les pliîs élevées, d'une 
fortune immicnse et qui s'accroissait chaque jour, et de la 
plus grande autorité à laquelle pût prétendre un sou- 
verain de l'Angleterre, aspirait à la tiare pontificale. 
François P' lui avait promis les suffrages d'un grand 
nombre de cardinaux, lorsque le siège de Rome devien- 
drait vacant. Charles-Quint allait lui donner, pour cette 
triple couronne si désirée, des espérances plus grandes 
encore* 

Il avait concerté secrètement avec lui son débarque- 
ment en Angleterre. 

Henri VIII venait d'arriver à Cantorbéry; on lui an- 
nonce que l'empereur est à Douvres. VVolsey reçoit l'or- 
dre d'aller complimenter Charles-Quint. Le roi. va le 
visiter le lendemain , et le mène à Cantorbéry, où Char- 
les voit pour la première fois sa tante, l'infante Catherine, 
reine d'Angleterre. L'empereur acheva de gagner le 



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22 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

cardinal, en lui promettant plus que jamais de seconder 
ses projets pour le pontificat suprême , et alla à Sandwich 
s'embarquer pour la Flandre. 

Jamais y depuis Charlemagne , les princes d'Allemagne 
n'avaient eu à leur tête un prince aus^i puissant que Char- 
les-Quint. Non seulement toute l'Autriche, les Pays-Bas, 
la Sicile et Naples lui obéissaient, mais il commandait à 
toutes les Espagnes ; et les trésors d'une grande partie du 
Nouveau-Monde allaient lui appartenir. 

Quelle était cependant , relativement à lui , la véritable 
position politique de ces Espagnes? 

Son grand -père maternel Ferdinand, le vainqueur 
des Maures et le conquérant de Grenade, avait abusé de 
la victoire d'une manière bien funeste aux peuples de la 
péninsule. Des Maures courageux défendaient leur in- 
dépendance expirante au milieu de ces hautes montagnes 
nommées Alpujarraa ou Alpuxarras, et qui s'étendent 
sur les rives méridionales de l'Espagne dans ce royaume 
de Grenade qui venait de succomber depuis la rade d'AI- 
meric jusques à SetteniL La fortune avait trahi leui*s 
efforts généreux. Ferdinand ordonna que ceux qui ne 
voudraient pas recevoir le baptême payassent une taxe 
de lo écus d'or par famille, et se retirassent en Afrique. 
Quels malheurs devait produire l'aveugle intolérance du 
siècle ! quatre-vingt mille Maures abandonnèrent leurs 
belles et fertiles vallées, et portèrent leur industrie sur 
les bords africains en maudissant l'auteur de tous leurs 
maux. Ferdinand étendit sa cruelle tyrannie : un décret 
anti-évangélique ordonna à tous les Maures des Espagnes , 
sous peine d'être réduits en esclavage , de se faire bap- 
tiser ou de quitter la péninsule dans trois mois. Un grand 
nombre de ces musulmans , moins braves que les quatre- 
vingt mille Grenadins des Alpuxarras, feignirent de se 
faire chrétiens j ils reçurent l'eau baptismale, mais ils 
restèrent fidèles, dans leurs cœurs, à la foi de leurs pères i 



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VINGT-UNIEME ÉPOQUE. 1498 — l55o. 23 

les mystères du christianisme furent px'ofanës; l'un des 
vices les plus odieux, la basse et sacrilège hypocrisie, 
dégrada un nombre immense d'habitants de l'Espagne; 
le Soudan d'Egypte, irrité du décret, menaça d'exter- 
miner tous les chrétiens de ses états ; et Ferdinand et Isa- 
belle ne purent calmer son trop juste courroux que par 
une honteuse ambassade et de honteux présents (i5oi). 
Quatre ans plus tard, les états de Castille, assemblés 
à Tori) , rendirent à leur patrie un service éclatant ; ils 
promulguèrent un code auquel on travaillait depuis 
vingt ans, dont le but principal était la réforme des 
nombreux abus introduits par les guerres civiles , et au- 
quel on devait donner le nom de leges tauricea, à cause 
de la ville de Toro, où les états avaient tenu leurs séancés.> 
(i5o5) Mais l'Espagne était près de subir une grande 
calamité : elle allait perdre un de ses plus grands 
hommes. 

Christophe Colomb, dès le commencement du seizième 
siècle , avait éprouvé une de ces déplorables et hox'ribles 
injustices auxquelles uùe envie acharnée et de lâches 
intrigues des cours n'ont que trop sauvent condamné le 
génie. Depuis long*temps, des plaintes nombreuses reten- 
tissaient sans pudeur contre le voyageur héroïque autour 
du trône de Ferdinand et d'Isabelle. Colomb avait dédai- 
gné de revenir se justifier ; l'adroite jalousie et la perfide 
calomnie avaient trompé Isabelle et son époux. On lui 
avait donné pour successeur, dans le gouvernement des 
terres lointaines qu'il avait découvertes, le violent Bove- 
vîUa ; on ne rougit pas, en Amérique, de condamner à 
mort Colomb et ses frères, de les charger de fers et de les 
envoyer comme d'indignes criminels en Europe, où- 
leur jugement devait être confirmé. Dès que Colomb fut 
en mer, les Espagnols qui le cbndui|aient voulurent lui 
ôter les fers qui déshonoraient leur patrie; il s'y opposa. 
11 débarqua à Cadix comme un criminel ; mais bientôt 



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24 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

la nation espagnole le reçut comme un glorieux triom- 
phateur. Ferdinand et Isabelle furent justes; indignes 
contre les ennemis de Colomb , ils voulurent lui faire 
oublier son injuste captivité ; ils promirent solennelle- 
ment dé le venger ; on ne lui rendit pas néanmoins son 
gouvernement : il semble qu'on se méfia de son âme 
élevée , et qu'on craignit la vengeance d'un homme in- 
justement outragé, et dont l'empire immense s'accroî- 
trait chaque jour (i5oi). 

(i5p2) 11 fit néanmoins un quatrième voyage en Amé- 
rique; forcé de relâcher à Saint-Domingue, malgré la 
défense qu'on lui avait faîte d'entrer dans un des ports 
de ce royaume qu'il avait donné à l'JÇspagne , il se hâta 
de s'éloigner de cette île immense qui devait être pour 
la postérité un des monuments de son génie, et où l'in- 
gratitude contemporaine lui avait fait subir de si cruels 
affronts. Trente-deux vaisseaux chargés d'or partaient 
pour la métropole ; Colomb voulut en vain retarder 
leur départ. Il leur annonça en vain une tempête vio- 
lente et prochaine; vingt-un vaisseaux et seize millions 
furent engloutis dans la mer. Trois ans après, ce grand 
homme , de retour en Espagne , mourut à Valladolid , 
âgé de soixante-cinq ans; Gênes, qui s'honorait de lui 
avoir donné la naissance , lui érigea une statue : le 
monde célébra sa gloire. 

Deux ans plus tard, un autre homme d'un grand 
génie et d'un grand caractère brilla sur les marches du 
trône, et tint d'une main ferme le gouvernail du royau- 
me : il se nommait François Ximenès. Quelle diffé- 
rence néanmoins dans sa renommée ! il gouverna un 
beau royaume : mais Colomb avait, en quelque sorte, créé 
un monde nouveau. 

Simple cordelier dans le couvent solitaire de Castanel, 
où il s'était livré avec un grand succès à l'élude des lan- 
gues orientales, nommé ensuite confesseur de la reine 



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> VINGT-UNliMB ÉPOQUE. légS — l5So. !l5 

n-Bsabelle, et promu à Tarclieyèchë patriarcal de Tolède, 
t^f l'un des plus riches de la cbrétientë, il avait ëtabli dans 
V la Nouvelle-Castille , à Alcala de Hénarès , une univer- 
; sîté à laquelle il avait donne une belle bibliothèque, et 
] qui obtint bientôt une grande réputation. Ayant ensuite 
: rëuni à Tolède des hommes savants dans plusieurs lan^ 
. gués, et particulièrement dans ITiébreu, Parabe, le 
grec et le latin, il avait travaillé pendant long-temps 
avec eus à une édition de la Bible, que la postérité recon- 
naissante a nommée la polyglotte de Ximenes^ qui ren- 
ferme le texte hébreu, la version grecque des Septante j 
nue traduction littérale, la VuLgate de saint Jérôme, les 
paraphrases chaldaïques duOnkeloa , célèbre rabbin du 
premier siècle et condisciple de saint Paul, et pour la 
perfection de laquelle il avait acquis, à des prix énormes, 
des manuscrits hébreux , grecs et latins. Sa réputation 
s'accrut avec tant de rapidité que Jules II le nomma 
cardinal, et que le roi Ferdinand le choisit pour son 
premier' ministre. 

(1607) Il commença l'exercice de ses fonctions politi- 
ques en faisant abolir un impôt très-onéreux nommé a 
cavale, et qu^on avait continué pour la guerre de Gre- 
nade j il se montra ensuite magnifique dans son patrio- 
tisme ; on voyoit fleurir sur le rivage africain, vis-à-vis 
de Carthagène, et dans le royaume de Trémecen, la 
ville musulmane d^Oran. Le cardinal imagina de la con- 
quérir pour l'Espagne dont elle inquiétait les rivages, et 
voulut payer seul toutes les dépenses de cette nouvelle 
guerre; il s'embarqua avec quatorze mille hommes com- 
mandés par Pierre de Navarre , qui était encore au ser- 
vice de l'Espagne; le général attaqua les Maures avec sa 
valeur et son habileté ordinaires; vingt mille musulmans 
périrent sur le champ de bataille; la ville fut emportée 
d'assaut; un butin immense appartint au vainqueur. 
Ferdinand, déjà jaloux de Ximenès, et perfide envers 



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26 HISTOIRE DB L'eUROPE. 

ceux qui le servaient comme envers ses ennemis, avait 
écrit à Pierre de Navarre : « Empêchez le bon homme 
» de repasser aussitôt en Espagne; il faut user, autant 
» qu'on le pourra, et sa personne et son argent. » Mais 
le bon homme revenait triomphant. Le roi alla au-devant 
de lui jusques à quatre lieues de Séville, le combla d'é- 
loges et Fembrassa* 

Quelque temps après, le cardinal prévoyant une grande 
stérilité et ne cessant jamais d'employer ses grands reve- 
nus de la manière la plus noble, la plus généreuse et la 
plus utile, fit construire des greniers publics à Tolède, à 
Alcala, à Torrelaguna , où il était né, et les fit remplir de 
b]|£ à ses dépens. 

Dans une autre circonstance, il dépensa une somme 
énorme pour faire conduire les eaux d'une fontaine dans 
cette Torrelaguna où il avait vu le jour. 

La conquête d'Oran avait augmenté son désir et son 
espoir d'afiaiblir les forces des musulmans de l'Afrique, 
trop voisins des côtes espagnoles. Pierre de Navarre prit 
Bugie dans le royaume d'Alger, battit un grand nombre 
de Maures , bâtit des forts pour assurer sa conquête , et 
répandit une si grande terreur parmi les musulmans 
qu'Alger, l'ancienne Césarée de Mauritanie et de Numi- 
die, où avaient régné, plus de quinze siècles auparavant, 
Syphax, Massinissa, Jugurtha et Juba, Trémecen et 
Tunis, élevée dans Keirwan presque sur les ruines de 
l'ancienne Carthage, s'empressèrent, pour éviter la ser- 
vitude ou leur ruine, de se rendre tributaires de la cou- 
ronne d'Espagne. Pierre de Navarre se rendit maître aussi 
de Tripoli ; et, depuis les rivages de Trémecen jusques au 
golfe de la Sydre , on voyait flotter l'étendard d'Arragon 
et de Castille. 

Les armes de Pierre de Navarre avaient conquis pour 
les Espagnols une grande partie de l'Afrique septentrionale^ 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. l498«^l53o. 37 

le iKivigateur Ponce de Léon dëcourrit pour eux la Flo- 
ride dans PAmérique du Nord (1 5 12). 

Un autre navigateur, Vasco Nugnès de Balboa, fameux 
par la quantité dW qu'il avait ramassée pendant ses di- 
verses expéditions dans le Nouveau-Monde j et qu'on a 
évaluée à plus d'un million de marcs, découvrit, Tannée 
suivante , la mer du Sud ou le grand Océan, et , suivant 
les idées du siècle, en prit possession au nom du roi 
d'Espagne (i5i5). 

Ferdinand ayant cessé de vivre après ces grandes , nom- 
breuses et diverses conquêtes, Ximenès , que ce prince 
avait nommé régent, s'empressa de faire reconnaître 
pour roi de Castille (i5i6), le jeune Charles, souverain 
des Pays-Bas, et qui n'avait encore que seize ans ; Ximenès 
en avait quatre-vingts ; et les grands du royaume crurent 
aisément que la vieillesse lui avait ôté cette force de carac- 
tère qui lui avait donné un si grand pouvoir. Ils veulent 
renverser son autorité , et vont en armes lui demander 
de quel droit il gouverne. « En vertu du testament du feu 
» roi, répond le cardinal. — La reine Jeanne vit encore, 
» disent les grands; Ferdinand n'était qu'administrateur 
» de la Castille, il n'a pu vous nommer régent.» Ximenès 
les mène sur un balcon , leur montre une batterie formi- 
dable, ordonne qu'on tire : « Voilà mes droits, leur 
» dit-il; osez les contester. » Les grands, étonnés de 
tant d'audace, craignent d'opposer la force à la force; 
ils envoient des députés en Belgique ; ils portent au nou- 
veau roi des plaintes amères contre Ximenès. Charles lui 
envoie les pouvoirs les plus étendus ; on s'attendait à l'in- 
surrection la plus dangereuse. Le cardinal redouble de 
hauteur ; les grands sont contraints de dévorer leur res- 
sentiment. Ximenès les avait comptés et séparés de la na- 
tion ; il avait engagé cette nation , qu'il voulait délivrer de 
l'oppression des grands, à se former en compagnies, à 
s'exercer au maniement des armes, et à se montrer 



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V8 HISTOIRE DE L^EXJROPE. 

toujours prête à défendre les droits du trône et les 
siens. 

Pourquoi une barbare et sacrilëge politique l'a-t-il 
porté à soutenir Pinfernal tribunal de ^inquisition, çt à 
faire subir une mort cruelle aux Maures et aux Juifs qui 
n^avaîent embrassé le christianisme que par force et sans 
aucune conviction , et qui, ne pouvant plus résister au 
trouble de leur esprit et de leur cœur, revenaient à la 
religion dans laquelle ils avaient été élevés ! 

Plus juste et plus humain envers les Indiens du Nou- 
veau-Monde, il n'apprît pas sans frémir sous quelle af- 
freuse tyrannie les Espagnols, répandus dans l'Amérique, 
les faisaient gémir pour assouvir leur sanguinaire ava- 
rice. Il fit publier des règlements pour faire cesser cette 
horrible et vile cruauté ; la soif de l'or l'emporta sur son 
autorité; ses ordres n'avaient été que trop exécutés en 
Espagne pour le malheur des Maures et des Juifis-j ils 
ne purent l'être en Amérique pour sauver les Indiens; 
et, avant peu d'années, de nouvelles découvertes et de 
trop faciles victoires allaient étendre les plus odieuses 
violences sur d'autres contrées du Nouveau-Monde, aussi 
immenses que dignes d'un meilleur sort. 

Cependant Ximenès, ayant appris que son jeune mon- 
arque avait débarqué à Villa viciosa dans les Asturies, se 
mit en roule pour aller au-devant de lui ; mais il fut 
surpris à Roa par une maladie qui le conduisit au tom- 
beau (i5i7). 

Plusieurs Espagnols avaient, comme lui, cultivé avec 
succès les sciences et les lettres. Les progrès des lumières , 
causes et effets de ceux de la civilisation, et devenus cha- 
que jour plus rapides, s'étaient répandus au-delà des 
Pyrénées avec l'imprimerie. Deux poètes , Jean Boscan, 
natif de Barcelone , et son ami Garcilasso de la Vega , 
nommé par «es compatriotes le prince des poètes lyri- 
ques , avaient perfectionné la poésie espagnole, en y in- 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. ligS — l55o. 29 

Iroduisant de l'ordre et le bon goût. Don Diego Hurtado 
de Mendosa , comte de Tendila , était célèbre dans les let- 
tres et dans les sciences. 

Charles, arrivé à Valladolid, y fut proclamé roi par les 
états de Casdlle, conjointement avec sa malheareuse 
mère, la reine Jeanne, qui ne cessait de pleurer Phi- 
lippe son époux , et dont le temps ne pouvait ni guérir 
la démence ni calmer la douleur. Mais voyez ce Charles 
qui , fort de l'assentiment de la nation , avait soutenu 
son ministre avec tant de fermeté contre les grands du 
royaume, se soumettre maintenant aux conditions que 
lui imposent les états qui représentent cette nation dont 
il sait qu'il tire sa véritable puissance j il jure en pré- 
sence des. cortès qui l'exigent, de ne naturaliser aucun 
étranger, de ne point faire sortir d'argent d'Espagne, 
d'exclure les Flamands et ses autres sujets non castillans, 
des charges, des dignités, des bénéfices de la Gastille, et 
de ne pas mettre à l'enchère les revenus de la couronne 
(i5i8). 

De nouveaux navigateurs découvrent un vaste empire 
dans le continent américain, et placent un nouveau dia- 
dème sur la tète de ce Charles qui déjà réunit tant de 
couronnes. Et remarquez que ces expéditions lointaines, 
encore si périlleuses, qui portaient si loin les limites de 
la domination espagnole, n'étaient dues qu'au courage 
entreprenant de quelques particuliers qui tentaient la 
fortune} si le succès couronnait leurs efforts, les pays 
qu'ils avaient découverts appartenaient au gouverne- 
ment, auquel ils étaient d'ailleurs obligés de payer le 
quint ou la cinquième partie des richesses qu'ils recueil- 
laient. Si le sort leur était contraire , le gouvernement 
ne leur donnait aucun dédommagement de leur ruine. 
Malheureusement combien d'hommes avides, de sol- 
dats licencieux, d'aventuriers corrompus prenaient part 
à ces expéditions, dpnt une si grande quantité d'or et 



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5o HISTOIRE DE l'EUROPE. 

d'argent devait être le prix ! combien de crimes devait 
produire cette soif des richesses, assez grande pour faire 
surmonter tant d'obstacles et de périls, lor^ue l'audace 
ou plutôt la férocité n'était retenue ni par les principes 
sacrés de la morale, ni par la crainte de l'autorité su- 
prême trop éloignée, ou trompée par trop d'intrigues, 
pour venger la justice blessée et l'humanité outragée. 

Les rivages du riche empire mexicain sont découverts, 
suivant les uns par Femand de Cordoue, suivant les au- 
tres par Jean de Grigalva, natif de Cuellar en Espagne, et 
envoyé pour faire de nouvelles découvertes par Velas- 
quez, gouverneur de Cuba : un noble espagnol, né à 
Metelin dans l'Estramadure , était depuis quelque temps 
auprès de Velasquez ; il s'était signalé par plusieurs ex- 
ploits qui annonçaient des talents militaires et une grande 
intrépidité; il se nommait Femand ou Ferdinand Çor- 
tez. La gloire devait un jour réunir son nom à celui de 
Colomb. 

Velasquez l'engage à commander une expédition pour 
conquérir, dans le fond du golfe immense à l'entrée 
duquel est l'île de Cuba, ce Mexique nouvellement dé- 
couvert : Cortez part avec six cents soldats espagnols , 
dix-huit chevaux et quelques pièces de campagne. Quel 
génie ou quel enthousiasme pour faire entreprendre, 
avec aussi peu de forces, une conquête telle que celle que 
la fortune lui réserve ! 

Il aborde à la ville mexicaine de Tabasco , remporte 
une victoire sur les Indiens, fonde la ville de Vera-Crux , 
et attaque la république de Tlaacala ou Tlaxcallan, 
dont les cantons, gouvernés par des caciques chargés de 
conduire leurs concitoyens aux combats , obéissaient à 
un sénat souverain dont les membres étaient choisis par 
les citoyens assemblés dans les districts ; il bat les guer- 
riers de cette république , dont on a vanté la bonne foi 
et l'austérité des mœurs; elle s'allie avec lui, et lui 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498-^ l55o. 5l 

fournit un corps de six mille hommes à la tête desquels 
il s'avance vers Mexico y la capitale de Pempire. 

Le Mexique s'étendait à plus de cinq cents lieues de 
Forîent à Poccident : les pays voisins obéissaient à son 
empereur ou lui payaient tribut ; des armées nombreu- 
ses étaient répandues verà les frontières ; la civilisation 
avait fait d'assez grands progrès dans l'intérieur de cette 
immense contrée ; de riches mines d'or et d'argent , des 
droits particuliers et des salines établies dans plusieurs 
endroits de ces nombreux rivages formaient les revenus 
de l'empire ; l'ordre régnait dans la perception et dans 
l'emploi de ces revenus ; différents tribunaux rendaient 
la justice; un grand nombre d'écoles étaient ouvertes 
aux deux sexes ; on cultivait avec soin l'astronomie; les 
Mexicains observaient les ombres des gnomons aux sol- 
stices et aux équinoxes; au lieu de la seiàaine ils avaient 
une petite période de cinq jours ; vingt jours composaient 
chacun de leurs mois j dix -huit de ces mois, auxquels ils 
ajoutaient cinq jours complémentaires, formaient l'an- 
née, qui était ainsi composée de trois cent soixante jours , 
et commençait au solstice d'hiver au moment où le soleil 
recommence sa course brillante dans les cieux , et où la 
nature se renouvelle. « Il y a lieu de penser , dît mon 
» illustre collègue M. le marquis de La Place dans son 
» excellent Précis de Phistoire de l'astronomie, qu'ils 
y> composaient de la réunion de cent quatre ans un 
» grand cycle dans lequel ils intercallaîent vingt-cinq 
» jours. » L'usage de ce siècle ou de ce grand cycle 
suppose la connaissance d'une durée de l'année tropique 
plus exacte que celle d'Hipparque, ce célèbre astronome 
grec auquel Pline a donné tant d'éloges, et qui florissaît 
«ous les rois d^Égypte Ptolémée Philométor et Ptolémée 
Évergètes ; et cette année tropique était à peu près la 
même que l'année adoptée par les astronomes du calife 
Almamon , le digne fils du fameux Aaron-al«Raschild. 



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32 

Ces connaissances leur avaient ëtë transmises ,en tout 
ou en partie, à une époque ou à des époques inconnues, 
par des navigateurs des peuples de FAsie ou de Forient 
de TAfrique ; et ces transmissions sont confirmées par 
les pyramides qu'ils avaient construites , et qui rappe- 
laient celles de PÉgypte y ainsi que par les temples 
qu'ils avaient élevés , et qui avaient de si grands rap- 
ports avec ces pyramides. 

Quelle analogie, d'ailleurs, n'a-t-on pas remarquée 
entre leurs dogmes et leurs rites et ceux de plusieurs 
nations de l'Asie ou d'autres parties du monde ! ils 
reconnaissaient un Etre suprême; ils admettaient une 
seconde vie avec ses récompenses et ses peines; ils in^ 
voquaient des puissances inférieures qui avaient leurs 
temples et leurs idoles; les aspersions d'une eau sacrée 
contribuaient à effiacer leurs fautes; ils avaient des pro- 
cessions, des pèlerinages, des expiations, des péniten- 
ces, des macérations , des jeûnes ; leurs prêtres pétris- 
saient une pâte particulière , en formaient l'image d'une 
de leurs divinités , la faisaient cuire , la plaçaient sur 
un autel, lui rendaient des hommages, la découpaient 
ensuite , et en donnaient aux assistants des fragments 
vénérés. Pourquoi retrouvons-nous aussi une horrible 
ressemblance entre les bûchers de la superstition asia- 
tique et l'usage barbare qu'avaient les Mexicains d'immo- 
ler des prisonniers de guerre devant l'idole de leurs 
Vitzlipuzli ? 

Mexico , leur capitale , était bâtie sur plusieurs îles 
au milieu d'un grand lac autour duquel on voyait, à 
une certaine distance , un grand cercle de montagnes : 
elle communiquait avec la terre par trois grandes chaus- 
sées habilement construites , et dont la plus longue 
avait une lieue et demie de longueur ; sa population 
était au moins de deux cent mille âmes; les rues étaient 
larges , droites , et réunies par plusieurs ponts ; des 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l53o^ 55 

canots' naviguaient en grand nombre entre les îles; 
les maisons étaient vastes et construites en pierres; 
huit grands temples s'élevaient au-dessus de ces mai- 
sons; on remarquait les places, les marchés, les bou- 
tiques remplies d'ouvrages sculptés d'or et d'argent , 
de vaisselle de terre vernissée , d'étoffes de coton et de 
tissus de plumes de diverses couleurs ; les ventes et 
les achats se faisaient par des échanges ; le maïs et le 
cacao servaient de monnaies pour les objets de la plus 
petite valeur ; des magistrats présidaient aux mar- 
chés et jugeaient les contestations entre les négociants. 
On voyait, dans les palais de l'empereur Montézuma, 
des colonnes de jaspe 3 des étangs couverts d'oiseaux 
d'eau , une ménagerie pour les oiseaux de proie , un 
arsenal d'arcs , de flèches , de frondes , de sabres de 
bois garnis de cailloux tranchants : un de ces palais de 
l'empereur était èonsacré à l'entretien des nains, des 
bossus , des personnes contrefaites ou estropiées ; un 
autre de ces palais impériaux était entouré de grands 
jardins où l'on cultivait des plantes médicinales; des 
officiers du prince distribuaient ces plantes salutaires 
aux malades; des médecins tenaient une espèce de re- 
gistre des effets de ces remèdes ; ils en rendaient compte 
au souverain; et ce qui est bien digne d'être observé, 
c'est que tous ces développements des sciences , de 
l'industrie , de la morale et de l'économie publique 
avaient été produits, ou du moins conservés par un 
peuple qui ne 'connaissait pas l'usage du fer, et qui, 
privé de l'avantage immense de l'écriture alphabétique, 
n'avait pas même l'espèce d'écriture hiéroglyphique 
ou iconographique de ses voisins les Chinois , et ne 
transmettait,, aux personnes éloignées ou a leur posté^ 
rite, leurs idées, leurs sentiments, leur histoire, leurs 
découvertes et leurs opérations que par les combi- 
naisons plus ou moins variées de noeuds plus ou moins 
ToM. XII. 3 



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54 HISTOIRE DE l'eUROPE. 

nombreux faits sur dés cordons particuliers, ou par 
quelques autres signes convenus, plus ou moins analo- 
gues au;^ nœuds de ces cordons* 

Tel est Tempire que Corlez veut conquérir avec six 
cents Espagnols, Le hasard lui présente une Américaine, 
qui lui inspire autant d'attachement que dç confiance, 
se dévoue à ses intérêts , et , aussi remarquable par 
son esprit et sa prudence que par sa beauté , apprend 
facilement l'espagnol, prend le nom de Dona Maria, 
et lui sert de guide , d'interprète et de conseiller fi- 
dèle; Les Mexicains pouvaient aisément envelopper les 
Espagnols de troupes ou plutôt d'armées nombreu- 
ses , les faire prisonniers , Qu les percer de leurs 
flèches, Mais les arts de l'Europe l'emportent sur ceux 
de l'Amérique, Les Espagxiols venaient de l'extré- 
mité du monde sur de hauts bâtiments : les tempêtes 
les avaient respectés j iU paraissaient commander aux 
vents. Quelques-uns d'eux étaient montés sur des cour- 
siers rapides, impétueux, et qui semblaient ne respi- 
rer que la guerre. Ces étrangers, qui maîtrisaient avec 
tant d'empire les mouvements les plus fougueux de ces 
animaux, étaient couverts de fer. Ils maniaient la foudre; 
rien ne pouvait résister à leur tonnerre : le ciel com- 
battait avec eux. L'étonncment des Mexicains devient 
une admiration superstitieuse , et bientôt un eflfroi reli- 
gieux. Leur terreur fait des demi-dieux de tous les 
Espagnols. Cortez arrive sur les bords du lac de 
Mexico en triomphateur céleste. Les chaussées pou- 
vaient être facilement défendues ou détruites. Les Mexi- 
cains reçoivent les Espagnols avec crainte et respect. 
Montézuma reconnaît son maître dans Cortez, et Mexico 
est conquis. 

Les Mexicains , néanmoins, voient bientôt que si les 
Espagnols ont un grand courage et des armes supérieu- 
res, ce ne sont pas des dieux} leur frayeur se dissipe^ 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l53o, 35 

L'empereur apprend qu'une nouvelle troupe d'Espa- 
gnols vient joindre ceux de la capitale. Il ordonne se- 
crètement à un de ses généraux de les attaquer sur leur 
route. La victoire resta fidèle aux Espagnols. Cortez, 
informe de la déroute des Mexicains, redouble d'audace , 
se rend au palais ayec une escorte et son interprète 
Doua Maria , parle avec force à l'empereur , prodigue 
les promesses et les menaces, séduit, persuade, ou plu- 
tôt remplit Montëzuma d'une nouvelle terreur, l'em- 
mène prisonnier dans son quartier , et l'oblige à se 
reconnaître publiquement vassal du roi d'Espagne. 

Montézuma, devenu tributaire, remet à Cortez, pour 
l'hommage auquel il vient de se soumettre , 600,000 
marcs d'or pur, qui, d'après la valeur actuelle de l'or 
en Europe, vaudraient plus de éoo millions, une grande 
quantité de pierres précieuses , un grand nombre d'ou- 
vrages d'or , et tout ce que l'industrie mexicaine avait 
fabriqué de plus rare. Cortez en réserve le quint pour 
son souverain , garde un auti^ cinquième pour lui , et 
distribue le reste à ses guerriers. 

La discorde, cependant, en armant les Espagnols les 
uns contre les autres, paraît près de les anéantir, d^e 
venger les Mexicains, et de leur rendre l'indépendance. 
Velasquez, jaloux de la gloire militaire, de la puissance 
et des richesses de Cortez, envoie mille Espagnols et 
deux pièces de canon pour faire prisonnier le vain- 
queur qu'il déteste , s'emparer de ses trésors et conquérir 
sa puissance. Le courage , la hardiesse et l'habileté de 
Cortez sauvent ses richesses, son pouvoir, sa liberté et 
peut-être sa vie. Il laisse cent hommes à Mexico pour 
garder Montézuma, marche avec ses autres guerriers au- 
devant de ses compatriotes, défait les premiers qui l'at- 
taquent, gagne par ses dons ou ses promesses les autres 
soldats de Velasquez , et revient avec eux vers Mexico. 

Les cent hommes qu'il y avait laissés avaient commis 

3. 



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36 HISTOIRE DE l'eUROPE* 

le plus grand des for£aits. Sous prétexte d'une coHspi^ 
ration chimérique, ils avaient réuni dans une fête per- 
fide deux raille principaux Mexicains, les avaient plongés 
dans l'ivresse en leur prodiguant des yins et des liqueurs 
fortes d'Europe, et, après les avoir bassement dépouil- 
lés de leurs ornements d'or et de leurs pierreries , les 
avaient lâchement égorgés. 

Les Mexicains furieux ne voient plus, dans les Espa- 
gnols^ que de cruels et perfides brigands. Us brûlent de 
punir les vils assassins de leurs compatriotes; ils pren- 
nent les armes au nombre de plus de cent mille. Leur 
empereur cesse de vivre; ils élisent à sa place QuaTiuti- 
moc, que les Européens appell^it Gndnwzin* Cortez 
est obligé de sortir de Mexico. Les chaussées sont rom- 
pues. On a écrit que lès Espagnols avaient remplacé des 
portions détruites de ces chaussées étroites en entassant 
les cadavres des Mexicains qui avaient youlu les pour- 
suivre, et qu'ils avaient immolés; ils ont perdu tous les 
trésors qu'ils avaient rassemblés. Cortez veut reprendre 
la capitale; il fait construire sur les rives du lac des bri^ 
gantins, qu'il arme d'une partie de son artillerie. Les 
Mexicains couvrent ce lac protecteur de milliers de ca- 
nots; les brigantins brisent ou renversent ces frêles et 
légères embarcations. Les Mexicains, néanmoins, com- 
battent avec un courage digne du plus heure^ux succès; 
mais Gatimozin est pris, et la consternation s'empare 
de la capitale, et s'étend sur tout l'empire. 

La féroce avidité des Espagnols ne connaît plus de 
bornes. Gatimozin est étendu sur des charbons ardents ; 
on veut le forcer à révéler dans quel endroit du lac il 
a fait jeter les trésors de l'état : il souffre sans se plain- 
dre, et se tait. « Et moi, suis-je sur un lit de roses ? )> 
dit-il à un Mexicain auquel on fait subir la même tor- 
ture, et qui jette les cris de la douleur la plus vive. 
Cortez a ordonné ou n'a pas empêché xet horrible et si 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498— l55o. 3; 

criminel traitement. Ses palmes ne pourront jamais de" 
rober son nom à Fanathème des amis de la justice et de 
Pliumanît(f. 

Les MexicaDis abattus ne peuvent plus opposer au- 
cune résistance. Leur capitale est prise (i52i); tout le 
reste de Pempire, la Castille d'or, le Darien et toutes les 
contrëes voisines se soumettent aux Espagnols. 

Mais à quel dur esclavage ils vont être condamnes ! 
ceux qui sont établis dans les domaines réservés à la 
couronne sont destinés aux travaux publics; ceux qui 
sont attachés aux possessions des particuliers sont bien 
plus malheureux encore : on ne leur donne aucun sa- 
laire; leur nourriture est mauvaise et insuffisante; on 
leur impose des services au-dessus des forces des plus 
robustes. Le ciel leur envoie un protecteur. Barthélemi 
de Las Casas avait, avec son père, accompagné Colomb 
dans le premier voyage de cet immortel navigateur. Tou- 
ché de la dopceur des Indiens, il avait embrassé' Pétat 
ecclésiastique, pour leur faire connaître cette religion 
évangélique et cette morale divine dont fe bonté" de ces 
Américains les rendait si dignes. Révolté des traitements 
barbares sous lesquels ils gémissent^ indigné de voir des 
chrétiens s'avilir par tant de crimes, et exercer tant de 
cruautés sur ceux qu'ils ont, par la plUs injuste des con- 
quêtes, dépouillés de tous leurs biens et réduits a la plus 
dure des servitudes, il prend la généreuse résolution de 
tout faire pour briser le joug sous lequel ils éprouvent 
tant de souffrances. Avec quelle admirable constance il 
brave les fatigues, les dégoûts, les dangers ! avec quel 
zèle, si digne du Dieu au nom duquel it parle, il va d^Amé- 
rique en Europe, et d'Europe en Amérique pour con- 
soler ces Indiens si infortunés et devenus ses enfants, 
ou pour adoucir la férocité des tyrans qui les oppriment ! 
Voulant, dans sa courageuse entreprise , donner à ses pa- 
roles l'autorité d'un caractère vénéré par la nation espa- 



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38 HISTOIRE DE L^EUROFE. 

gnole, il accepte Péyèché de Chiappa dans ce Mexique 
désolé par tant de forfaits : mais bientôt voyant que 
toute Finfluence d'un successeur des apôtres ne peut rien 
contre Tavarice et la cruauté de tant d'Espagnols y aux- 
quels leurs passions si avides n'ont laissé de chrétien que 
le nom 9 et ne voulant pas que la résidence à laquelle sa 
dignité l'oblige l'empêche de continuer ces voyages évan- 
géliques que lui commandent la justice et l'humanité, 
il se démet de son évèché , et, dans la sainte ardeur qui 
l'embrase, il se détermine enfin à citer au tribunal de l'u- 
nivers ces indignes Espagnols qui, dans le Nouveau- 
Monde, déshonorent leur héroïque nation; il les accuse, 
devant l'Europe, l'Amérique et la postérité, d'avoir fait 
périr quinze millions d'Indiens, et il consigne cette ter- 
rible accusation, qui doit traverser les siècles, dans un 
livre qu'il intitule Traité de la tyrannie des Eapagnola 
dans les Indes , et dont personne n'ose nier les redouta- 
bles assertions. Sa voix accusatrice parvient jusques au 
manarque des Espagnes. Les nations de l'Europe parta- 
gent l'indignation du vertueux prélat; les fers des Mexi- 
cains sont rompus; mais leurs terres ne leur sont pas 
rendues. 

Vers le temps de la conquête du Mexique, Magellan, 
célèbre navigateur, quitte le service du Portugal, dont le 
gouvernement l'a mécontenté, passe à celui de Charles- 
Quint,, part de Séville avec cinq vaisseaux assez petits 
pour naviguer dans le Guadalquivir, découvre la Terre 
de Feu à l'extrémité de l'Amérique méridionale, passe, à 
force de persévérance et d'audace, par le détroit auquel on 
a donné son nom , arrive dans le grand Océan nommé 
merduSud, s'avance vers le nord , passe la ligne, et dé- 
couvre deux grands archipels situés sous la zone torride 
et voisins du Japon et de la Chine, celui des îles Marian- 
nés ou des Larrons, et celui des îles Philippines, dans 
Tune desquelles il est rais à mort par ses matelots, que la 



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VINGT-tTNIÈMB ÉPOQUE. 1498 — l53o. Sg 

dlireté de son commandement ou toute autre cause avait 
fait révolter (162 1). 

Les ëtats de Cîiarles s'étendaient en Amérique et en 
Asie ; mais que son autorité était faible sur des Espagnols 
m éloignés de leur patrie, et livrés à des passions aussi 
aveugles qu'impétueuses ! qu'elle était aussi peu étendue 
dam» la péninsule espagnole, où les grands et la nation 
avaient donné au pouvoir royal des limites souvent très- 
étroites ! La Castille n'avait appris qu'avec peine la nomi- 
nation de Charles-Quint à l'empire^ et son élévation à la 
tète du corps germanique, qui croyait quelquefois avoir 
hérité de l'empire romain. On avait voulu l'empêcher 
d'aller en Allemagne se faire couronner. Tolède, Ma- 
drid, Salamanque, Toro, Murcie et Cordoue avaient re- 
&sé de souscrire à un don gratuit de 600 millions de raa- 
ravédis (i5 millions de francs ou environ). On l'avait 
retenu malgré lui à Valladolid. 11 avait été contraint de 
jurer qu'il reviendrait en Espagne, qu'il s'y marierait, 
qu'il réformerait sa maison, qu'il priverait les étrangers 
de leurs pensions et de leurs emplois, qu'il 'défendrait, 
sous peine de perdre la vie , la sortie hors dé l'Espagne 
de l'or et de l'argent, qu'il ne nommerait à la régence que 
des Espagnols, et qu'il déclarerait, par un décret solen- 
nel , l'Espagne indépendante de l'empire romain. 

Charles, néanmoins, avait commencé de violer sa pro- 
messe; des Flamands étaient restés à la tête des affaires; 
son ancien précepteur, le cardinal Adrien -Florent, évê- 
que de Tortose , mais étranger , avait été chargé de la 
régence. La nation s'insurgea; les principales villes du 
royaume formèrent une confédération soUs le nom de 
las germanets, ou de communautés, ou de sainte ligue 
{êontajuntay Les confédérés s'erti parèrent du château 
de Tordesillas, où la reine Jeanne, cette victime touchante 
de son amour pour feu son épouK l'archiduc Philippe, 
cette folle qu'on aimait autant qu'on la respectait, passait 



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4o HISTOIRE DE L'EUROFE» 



1 



de tristes jours prolongés par sou malheur même. Elle 
était l^hëritière de la couronne de Castille; son nom 
fut mis à la tète de tous les actes de la confédéra- 
tion. La duchesse de Medina-Sidonia , épouse du gou- . 
yerneur de PAndalousie, maintint cette province sous 
l'autorité de Charles; mais Marie Pacheco, épouse de I 
don Jean de Padilla, soutenait et animait la sainte ligue I 
avec autant d'habileté et de prudence que de courage et 
d'activité. Elle écrivit à François I^ et à tous les états 
peu favorables à Charles -Quint; elle épuisa toutes ses 
ressources personnelles pour fournir aux confédérés la 
solde de leurs soldats, et osa même , dans un moment où 
ils étaient de nouveau embarrassés pour payer leurs trou- 
pes, faire fondre et convertir en monnaie l'or et l'argent 
des nombreux vases sacrés et des grands reliquaires des 
riches églises de Tolède. 

Le roi d'Angleterre, cependant, avait débarqué à Ca^ 
lais, et s'était rendu auprès d'Ardres dans une maison su- 
perbe quoique construite en bois, avec la reine et sa sœur, 
la reine -douairière de Fr'ance, la veuve de Louis XXL 
Fj^ançoîsP'^ et Henri VIII se rendirent à cheval dans une 
vallée voisine de la ville, mirent pied à terre, se saluèrent, . 
et, se prenant par le bras, marchèrent ensemble jusques 
à une tente magnifique de drap d'or, sous laquelle ils 
eurent leur première conférenceii 

Il y eut des joutes et des tournois. On avait élevé des 
amphithéâtres pour les dames; les deux i^ois entrèrent 
dans la lice : Henri jouta contre Montmorenci qu'il ne 
put démonter, Fleuranges et Grandville; des bals, des 
mascarades et d'autres fêtes suivirent les tournois. Les 
deux monarques étalèrent tant de magnificence que l'on 
donna au lieu de leur entrevue le nom de Champ du 
Drap d^Or» 

Dans le commencement de leur séjour auprès d^Ar- 
dres, suivant les mémoires de Fleuranges, on prenait 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l55o* 4l 

pour leur sûreté toutes les précautions qu'aurait pu dicter 
]a plus grande défiance. Lorsque les deux rois allaient 
l'un vers Faulre, on comptait ceux qui devaient les ac- 
compagner , ou vérifiait le nombre de leurs gardes, on 
déterminait la place jusques à laquelle ces gardes s'avan- 
ceraient. Le roi d'Angleterre entrait dans Ardres, pour 
visiter la reine de France, dans le même temps que le 
monarque français entrait dans Guisnes pour voir la 
reine d'Angleterre-, et ils repartaient à la même heure. 
François I®', ennuyé de tant de gênes et de tant de soins , 
qaeson courage et sa loyauté lui faisaient regarder comme 
si inutiles, prend avec lui deux gentilshommes et un 
page, va à Guisnes, trouve sur le pont du château le 
gouverneur et deux cents archers de la garde anglaise : 
« Rende^vous à moi, leur dit- il; je vous fais mes pri- 
» sonniers, et qu'on me conduise à mon frère le roi 
» d'Angleterre. » On le guide auprès de Henri. Mon 
frère f dit ce prince ;à François I*', vous me faites le 
meilleur tour que Jamais homme fit à autre, et m^ mon* 
irez la grande fiarice que je dois avoir en vous; je me 
rends voire prisonnier dès cette heure, et vous baille ma 
foi. 11 tire de son cou un collier estimé iâ,ooo angelots, 
le donne au roi de France , le prie de le porter pendant 
tout le jour pour l'amour de son prisonnier. François P' 
l'accepte, le met à son cou, prie Henri de recevoir un 
bracelet qui valait, dit Fleuranges, le double du collier. 
Les deux rois passent quelques heures ensemble; Fran- 
çois retourne à Ardres. Le lendemain, Henri VIII y vient 
sans gardes et sans escorte ; et l'on ne pensa plus à aucune 
précaution. 

Malgré tant de confiance , d'égards mutuels, d'intelli- 
gence apparente, de divertissements et de jeux, l'ambi- 
tion de Wolsey rendit les suites des entrevues des deux 
monarques bien différentes de ce qu'avait pensé une 
grande partie de l'Europe. Seize jours après son retour à 



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43 HISTOIRE DK l'eUROPE. 

Calais, Henri VIII partit pour Gravelines, où il trouva 
l'empereur et l'archiduchesse Marguerite, Ils eurent en- 
semble de longues conférences. Henri repartit pour la 
Grande-Bretagne, et Charles-Qjaintalla k Aix-la^hapelle, 
où il fut sacré par Pélecteur de Cologne , et couronné par 
les trois électeurs ecclésiastiques. 

Cependant les opinions de Luther se répandaient dans 
la Germanie; il supplie de nouveau Léon X de faire exa- 
miner sa doctrine par des commissaires. Le pontife, aveu- 
glé sur la disposition générale des esprits , et bien éloigné, 
malgré sa politique, de prévoir les suites de son inflexible 
résistance, non seulement refuse Luther , mais encore lui 
fixe un dernier délai, et déclare que, si Luther ne se ré- 
tracte pas avant l'expiration de ce délai , il sera excom- 
munié comme hérétique, et livré à la vengeance de 
l'autorité civile. Luther, encouragé par la protection de 
l'électeur de Saxe et de plusieurs autres princes, renou- 
velle son appel à un concile général: Léon X fait brûler 
les livres du docteur à Rome , à Louvain, à Cologne et à 
Mayence. Luther, n'écoutant plus que son ressentiment 
et une sorte de désespoir, brûle lui-même à Wittemberg 
le recueil du droit canon ou ecclésiastique romain , ainsi 
que la bulle qui le condamne; et quelle guerre fatale au 
siège de Rome commence avec cet acte d'hostilité I 

Charles-^Quint convoque une diète à Worms : les 
états lui accordent une armée de vingt mille hommes 
pour le voyage de Rome, mais à condition qu'elle ne 
servira qu'à la sûreté et à la pompe' de son couronne- 
ment, et que les contingents germaniques seront four- 
nis en nature , et non pas en argent. 

La diète prend ensuite des mesures pour consolider 
l'existence de la chambre impériale ; elle donne un 
nouveau règlement au sujet de la composition de cette 
chambre , des appointements de ses membres , de la ma- 
nière de procéder, les abus des cours inférieures, ceux 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE* ligS — i53o. 43 

des tribunaux ecclësiastiques , la justice de Westphalie, 
la juridiction austrégale des membres immédiats de 
l'empire, la pragmatique sanction, relative à la paix 
publique , et le rétablissement du conseil de régence de 
l'empire. Ce conseil de régence devait remplacer Tem- 
pereur , en cas d'absence , dans l'exercice de toute son 
autorité, excepté la collation des grands fiefs dcmnant 
Yoix à la diète , et sauf les droits des vicaires ordinaires 
de l'empire, l'électeur Palatin et Télecteur de Saxe. 
Le siège de ce conseil fut établi à Nuremberg } il devait 
être composé d'un lieutenant général de Fempereur , 
et de vingt-deux assesseurs ou conseillers. Ces asses- 
seurs devaient être deux députés de l'empereur , un 
électeur en personne , cinq députés des autres électeurs , 
un prince ecclésiastique et un prince séculier en per- 
sonne , deux députés de l'Autriche et de la Bourgogne 
( Franche-Comté ), un comte et un prélat en personne, 
deux députés des villes impériales et six députés des 
anciens cercles. 

Les électeurs renouvellent leurs anciennes confédéra- 
tions, et concluent une nouvelle union électorale pour 
la' conservation de leurs états , le maintien de leurs 
privilèges, la liberté publique, la' gloire de ^empereur 
et celle d^ l'empire. 

C'est devant cette diète de Worras que Luther avait 
obtenu de paraître pour défendre sa doctrine; il venait 
d'être excommunié solennellement. Charles- Quint, 
qui veut ménager le pape^ fait dire secrètement à 
Luther de ne pas venir à la diète. Le docteur, néan- 
moins, se présente devant l'assemblée des états germa- 
niques , et expose ses opinions avec autant d'éloquence 
que de courage; l'empereur le presse en vain de les 
abandonner; il continue de les défendre avec respect 
pour le chef, et les état» de l'empire, mais avec chaleur* 
et fermeté* Le nonce du pape et les partisans de la 



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44 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

cour de ftome pressent l'empereur de le faire arrêter; 
mais Charles avait accordé un sauf-conduit à Luther ; il 
ne veut pas violer sa parole impériale; il lui donne vingt- 
un jours pour se retirer à Wittemberg» Son défenseur^ 
rélecteur de Saxe , le fait enlever secrètement pendant 
qu^l traverse la grande forêt de Thuringe ; et le réfor- 
mateur est conduit au château de Wartberg près d'Eîse- 
nach , où il est inconnu de ceux même qui sont char- 
gés de le garder. L'empereur , afiPectant alors un grand 
zèle pour la cour de Home y met au ban de Pempire 
Luther , ses fauteurs , ses adhérents , défend la distri- 
bution de ses livres, et néanmoins la nouvelle doctrine 
ne cesse de se répandre , pénètre dans les Pays-Bas et 
jnème en Danemarck. 

Les écrivains qui veulent plaire au pape s'empres- 
sent alors de réfuter les opinions de Luther. Le roi 
d'Angleterre lui-même , persoanellement iiTité contre 
ce docteur , parce qu'il avait maltraité les œuvres de 
saint Thomas d'Âquin, pour lesquelles ce monarque 
et son premier ministre avaient manifesté une estime 
particulière , se déclare le chevalier dé l'Église romaine, 
et compose un livre contre ce que Luther avait écrit 
au sujet du nombi^e des sacrements institués par Jésus, 
des indulgences et de l'autorité pontificale. Le doyen 
de Westminster présente cet ouvrage à Léon X au 
milieu d'nn consistoire. Le pape applaudit au zèle de 
Henri ; et, du consentement des cardinaux, lui donne 
le titre de défenseur de lafoL 

Chaque jour plus content de Charles-Quint, il se 
ligue en secret avec ce prince pour enlever Je Milanais 
à François 1**' , et le rendre à la maison de Sforce, 
augmente ses troupes sous divers prétextes, et prend six 
mille Suisses à sa solde. Le roi de . France soupçonne 
la nouvelle alliance de Léon et de Charles, et fait lever 
vingt-quatre mille Suisses, dont il donne le comman- 



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VINGT-UNlèME ÉPOQUE. 1498 — l53o. 45 

demeut au comte de Lautrec , frère de Françoise de 
lobe, yicomtesse de Châleaubriant , et dont le roi ad- 
mirait yiyement la beautë. On a écrit que la passion 
de François !«' pour la vicomtesse avait d'autant plus 
déterminé ce prince à choisir Lautrec , pour commander x 
en Italie et y remplacer le connétable, que la duchesse 
d'Angoulême avait favorisé de tout son crédit une no- 
mination qui devait ramener à la cour ce duc de Bour* 
bon pour lequel elle conservait le sentiment le plus 
tendre. Quels gouvernements que ceux où de tels inté- 
rêts décident du sort des nations! 

Lautrec , devenu gouverneur du Milanais , ne voit 
que trop combien ses subordonnés sont mécontents. 
Leur funeste disposition se manifeste par des insurrec- 
tions dans plusieurs villes. Lautrec , au lieu de remon- 
ter à la source du mal , et de faire aimer les Français 
par la justice et la modération, sévit contre les insurgés; 
les esprits s'aigrissent de plus en plus ; il n'est parvenu 
qu'à entasser de nouvelles substances combustibles sur 
d'immenses foyers : il le reconnaît trop tard , et, voyant 
le nombre de ses ennemis s'accroître à chaque instant, 
il vient à la cour de France annoncer que le Milanais 
va échapper au roi si on n'envoie de grands secouts 
en Italie. Sa sœar et ses amis le pressent de repartir ; 
on lui promet 3oo,ooo ducats qu'il a demandés. Prosper 
Colonne avait investi Parme à la tète de l'armée de la 
ligue ; Lautrec l'oblige à lever le siège , et le poursuit 
jusques au-delà des frontières du duché. Il croit pou- 
voir alors retirer la garnison de cette ville de Parme , 
et l'employer ailleurs. Les habitants se soulèvent et 
se déclarent pour le pape. Les 3oo,ooo ducats n'arri- 
vent pas ; vingt mille Suisses se débandent faute de paie; 
Prosper Colonne poursuit à son tour les Français, et les 
chasse du Milanais^ à l'exception d'un petit nombre de 
places peu importantes. 



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46 HISTOIRE DE L^BUROPE. 

Léon X, de son côte, s'empare de plusieurs forteresses, 
et meurt presque subitement, ne pouvant, suivant plu- 
sieurs historiens , résister à la joie extrême que lui don- 
n^ent les succès de la ligue. Il avait favori^ avec une no- 
ble générosité les progrès des arts et des lettres ; il avait 
encouragé par de grandes marques d'estime ceux qui les 
cultivaient avec honneur. La postérité reconnaissante lui 
a pardonné bien des fautes. L'enthousiasme et la flat- 
terie l'ont traité comme un Auguste, et ont appelé son 
siècle le siècle de Léon X. 

Le jour même où les cardinaux entrèrent dans le 
conclave pour donner un successeur à Léon X, ils 
donnèrent une grande preuve de l'influence secrète de 
Charles-Quint en nommant pape le cardinal Adrien-Flo- 
rent, son ancien précepteur, et le régent du royaume 
d'Espagne (i5t22). 

Les troupes des Florentins, cependant, en apprenant 
la mort de Léon X , leur compatriote , s'étaient retirées 
dans leur patrie» Leduc deFerrare avait repris quelques 
places de la Romagne, et François-Marie de La Rovëre 
était rentré dans le duché dlJrbin ( 1 52 1 ). Lautrec aurait 
pu triompher des ennemis de la France s'il avait été se- 
couru; mais François P'. ne joignait pas à la loyauté d'un 
chevalier et à la valeur d'un héros la prévoyance et la 
sagesse d'un grand roi. Il dissipait les trésors de l'état 
dans le luxe et les plaisirs. Les remparts des villes fron- 
tières tombaient en ruines; la discipline militaire péris- 
sait. François abandonnait les rênes de l'état à des favoris 
ou à la duoliesse sa mère, bien plus capable de conduire 
des intrigues de cour que de gouverner un empire; et 
il était obligé de défendre la Picardie et la Flandre. 
Charles-Quint avait déjà montré, malgré lui , la superbe 
envie d'être l'empereur et le suzerain de la chrétienté ; il 
voulait être le véritable successeur de Charlemagne , et 
même surpasser d'autant plus sa puissance que Colomb , 



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VINGT-UNLIÈME ÉPOQUE. légS — l53o. Aj 

G)rtez et Magellan ayaient déplacé pour lui les colonnes 
d'Hercule, et les avaient portées à l'extrémité d'un nou- 
veau monde* François I'^' avait enfin reconnu la vaste 
ambition de Charles, et, digne chevalier français, avait 
résolu de braver sa puissance colossale. La rivalité que 
le désir d'obtenir l'empire romain avait fait naître entre 
ces deux princes était devenue plus vive que jamais* 
Charles brûle du désir d'attaquer François ; il saisit plu- 
sieurs prétextes; il suppose que le roi de France a excité 
contre lui Robert de La Marck, prince de Sedan et sou- 
verain de Bouillon, qu'il vient d'humilier, rassemble une 
nombreuse armée , en donne le commandement au comte 
de Nassau, et lui ordonne de marcher vers la Champa- 
gne. François fait dire à Henri VIH que, d'après leurs 
conventions, il ne doit pas différer de prendre les armes 
et de se réunir à lui contre Charles-Quint dont les trou- 
pes vont entrer dans la France. Henri ne veut qu'être 
arbitre entre les deux monarques, et propose aux deux 
souverains d'envoyer des plénipotentiaires à Calais , oà 
le cardinal Wolsey se trouvera comme représentant du 
médiateur. Charles, sûr du cardinal, accepte avecjoie 
la proposition de Henri; François P' ne la rejette pas; 
mais les hostilités commencent, malgré les négociations. 

Au moment oh le connétable de Bourbon apprend que 
la Champagne est envahie par une armée d'Allemands , 
' il surmonte , par l'effort le plus patriotique , la douleur 
dans laquelle l'avait plongé la mort de l'épouse qu'il 
avait tant aimée, Susanne de Bourbon. H oublie tous les 
sujets de mécontentement qu'on lui a donnés ; il lève 
dans ses domaines six mille hommes d'infanterie, et 
huit cents hommes de cavalerie , et les mène à son sou- 
verain. ' 

Mézières, ou plutôt Bayard, renfermé dans cette ville, 
devient le rempart de la France. Le chevalier sans peur 
et sans reproche défend cette mauvaise place avec tant 



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48 HISTOIRE DB L'EUROFE. 

d'art et de courage qu'il donne le temps à François P' de 
rassembler les principales forces du royaume. 

Un préjugé barbare, ridicule et funeste ne permet- 
tait pas aux nobles de servir à la tète de Pinfanterie. Le 
prince du sang , comte de Saint-Pol , rend à la France un 
des plus grands et des plus durables services : il s'élève 
au-dessus de ce vieux préjugé féodal, s'arrache aux plai- 
sirs, prend le commandement de six mille aventuriers , 
qu'on nomme les six mille diables , les discipline, donne 
un exemple mémorable qui devait rendre l'infanterie 
française si redoutable, marche au secours de Mézièi*es, 
et va camper au pont de Favergy. Les assiégés avaient 
épuisé leurs munitions de guerre et de bouche. Saint- 
Pol réunit quatre cents hommes d'armes aux six mille 
diables, se met à la tète d'un convoi nombreux , arrive à 
Attîgny-sur-Aisno avant le jour, en repart la nuit sui- 
vante soutenu par l'armée du duc d'Alençon , gagne les 
hauteurs qui dominent Mézières , et parvient à jeter dans 
la place le convoi et un secours de mille hommes. 

Le comte de Nassau lève le siège , et va porter la guerre 
en Picardie ; les Impériaux brûlent les bourgs , les vil- 
lages , les châteaux et les moissons. D'Alençon et Saint- 
Pol, qui les poursuivent, arrivent assez tôt k Mouzon 
pour y éteindre l'incendie que le bâtard de Savoie avait 
allumé en l'évacuant, y établissent une forte garnison, 
et vont joindre le roi , qui campait à Fervaques, auprès 
des sources de la Somme. 

Le duc de Vendôme fait échouer les entreprises du 
comte de Nassau sur Guise et sur Vervins, et l'oblige à se 
retirer en Flandre. 

François P' peut enfin venger les Français de la 
Champagne et de la Picardie. Ses troupes inondent les 
Pay»-Bas ; mais c'est Charles-Quint qu'il cherche , c'est ce 
rival qu'il veut combattre et vaincre. 

Combien la passion méprisée de la duchesse d'Angou- 



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VINGT-UNlèMB ÉPOQUE. ligS — i55o. 49 

léme y la haine, qui dans son cœur a succëdë à Pamour^ 
et son envie de diriger les armées comme le cabinet vont 
attirer de malheurs sur la France 1 Elle veut se venger 
de Bourbon ; elle^ veut Fempècher d'ajouter à sa gloire. 
Depuis Philippe- Auguste, le connétable a toujours com- 
mandé Payant-garde de Parmée. François I^', cédant aux 
instances de sa mère, donne le commandement de Pa- 
vant-garde audncd'Alençon, celui de Parrière-garde au 
duc, de Vendôme, et veut que Bourbon serve sous ses 
ordres au corps de bataille. Bourbon ressent profondé- 
ment un changement qu'il regarde comme un outrage, 
se croit dégradé de sa dignité, et, ne pouvant malgré sa 
prudence ordinaire cacher son indignation, répète sou- 
vent le mot d'un courtisan à Charles VII : L'offre de 
trois retournes comme le vôtre ne pourrait ébranler ma 
fidélité, mais bien un affront. 

L^armée française cependant s'avance vers les Pays- 
Bas ; le duc de Vendôme et le comte de Saînt-Pol pren* 
nent Bapaume et Landrecies. François I®', qui veut for- 
cer Charles-Quint à combattre , veut que Saint-Pol jette 
un pont sur PEscaut entre Bouchain et Valenciénnes , à 
une petite distance des ennemis. Saint-Pol profite de 
l'obscurité de la nuit, et exécute avec tant de célérité 
l'ordre audacieux qu'il a reçu, qu'à la pointe du jour il 
est établi avec ses six maille diables au-delà du fleuve, der- 
rière un marais, et prêt à soutenir les efforts des Impé- 
riaux jusques après Parrivée de l'armée du roi. Charles 
commande au comte de Nassau d'enlever Saint-Pol et sa 
troupe : Nassau s'élance avec quatre mille hommes de 
cavalerie et douze mille lansquenets ; mais la contenance 
fière et menaçante de Saint-Pol Pétonne. Il hésite, et 
bientôt il voit l'armée française achever de passer le 
fleuve, et se déployer de manière à l'envelopper. « Sire, 
» ne laissez pas échapper la victoire, s'écrie le duc de 
» Bourbon ; voilà le moment d'attaquer. —Nous n'avons 
ToM. XII. 4 



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5o HISTOIRE DE L^EUROPE. 

» besoin que de nos hommes d'armes, disent avec feu. 
» La Trëmouille, Chabannes et Bayaixl , pour commeii- 
» cer la déroute de l'ennemi. » Les Suisses conjurent le 
roi de leur permettre de combattre : malheureusement 
le duc d'Alençon et le marëchal de Chatillon veulent 
qu'on résiste au vœu de l'armée; qu'on attende qu'un 
brouillard épais soit dissipé, et qu'on reconnaisse la po- 
sition des Impériaux* On ne sait par quelle fatalité 
François I*', qui désirait si ardemment de battre son 
rival, adopta l'avis d'Alençon et de Chatillon. Nassau 
profite de l'inaction des Français, se retire sans être pour- 
suivi; et néanmoins l'empereur, frappé du danger qu'il 
vient de courir, quitte son armée pendant la nuit , s'é- 
loigne de l'Escaut, va vers l'intérieur des Pays-Bas, et 
François P' est consolé trop aisément par la fuite de 
Charles d'avoir perdu les avantages immenses que lui 
aurait donnés la victoire la plus facile. 

Les négociations continuaient à Calais ; les plénipoten- 
tiaires ne pouvaient convenir d'aucun arrangement ; les 
ambassadeurs de France menaçaient de se retirer. Wol- 
sey , qui n'avait pas renoncé à la tiare et qui espérait la 
tenir un jour de l'influence de l'empereur, ne savait 
comment arrêter les progrès des Français dans les Pays- 
Bas. Il parvient à faire adopter une trêve ; et peut-être la 
guerre aurait-elle été bientôt terminée, si Françoise' 
n'avait pas appris que ses troupes venaient de prendre 
Fontarabie;il veut garder cette conquête importante, 
par laquelle il espère de parvenir à reprendre la Navarre 
pour Henri d'Albret , son allié. Les hostilités continuent 
avec violence : Wolsey persuade à son souverain de se 
déclarer contre François !•' , avec lequel Henri VIII au- 
rait dû se liguer plus étroitement que jamais pour em- 
pêcher le trop puissant Charles-Quint d'asservir l'Eu- 
rope. Le roi d'Angleterre s'engage à attaquer les Fran- 
çais avec une armée de quarante mille hommes, et à 



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VINGT-UNIEME ÉPOQUE. 1498 — l55o. 5x 

donner eu mariage à Fempereur la princesse Marie, déjà 
fiancée avec le dauphin* 

Bourbon s'empare de Bouchain : les Impériaux pres- 
sent le siège de Tournai ; le roi marche au secours de la 
place; mais les pluies de Pautomne et le débordement des 
rivières rendent les communications presque impratica- 
bles , et liobligent à reprendre la route de ses états* Son 
avant-garde, son corps de bataille et une partie de son 
arrière -garde avaient traversé la petite rivière de Ry 
à deux lieues de L'Écluse. Le duc de Vendôme, qui cou- 
vrait la marche , allait passer avec un corps de cavalerie : 
tout d^un coup on voit se rompre les ponts établis sur la 
chaussée, qui est environnée de marais. Vendôme est sé- 
paré du reste de l'armée , et va être attaqué par un corps 
considérable dimpériaux sorti de Douai : il range en 
bataille sa cavalerie avec tant de hardiesse et d'habileté 
que les Impériaux, qui ne peuvent avoir aucune con- 
naissance des accidents arrivés sur la chaussée, n'osent 
l'attaquer , et se retirent. 

Bientôt après, Bourbon, Vendôme et Saint-Pol sur- 
preni^ent la ville d'Hesdin. Bourbon se retire à Moulins , 
où sa gloire blessée et son ambition déçue ne lui rappel- 
lent que trop fortement l'injustice et l'ingratitude dont 
il a été l'objet, et le duc de Vendôme va dans la ville 
d'Amiens surveiller pendant l'hiver les opérations des 
généraux de l'empereur, et préparer une nouvelle cam- 
pagne. 

Wolsey venait de montrer, en Angleterre, jusques à 
quel degré on pouvait voir s'élever et sa vengeance et sa 
tyrannie. Le duc de Ôuckîngham, dont les passions 
étaient violentes , avait dit que, si le roi mourait sans en- 
fants, il réclamerait la couro^nne en qualité de descendant 
d'Anne de Glocester, petite-fille d'Edouard III, et que, 
s'il montait sur le trône, Wolsey recevrait le châtiment 
qu'il méritait à tant d'égards. Ce discours est rapporté au 

4. 



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52 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

cardinal : la perte de Buckingham est résolue» Wohey 
découvre , à force d'argent , que le duc est en correspon- 
dance avec un moine nommé Hopkins , qui prétend avoir* 
le don de prophétie, et donne à Buckingham Fespéranoe 
de monter sur le trône de la Grande-Bretagne j il fait 
enfermer dans la Tour de Londres le comte de Northum- 
berland, beau- père du duc, sous prétexte qu'il avait ré- 
clamé desgardes'-nôblea, auxquelles il n'avait pas droit; 
il nomme le comte de Surrey, gendre de Buckingham^ 
gouverneur d'Irlande, afin de l'éloigner de la capitale. 
On accuse le duc de complot et de haute trahison devant 
une cour composée de vingt-un pairs, un duc, un mar« 
quis, sept comtes et quatorze barons , présidés par le duc 
de Norfolk, nommé sénéchal ou grand-steivart pour 
cette affaire. Hopkins, un nommé Knevit, que le duc 
a<vait chassé de chez lui , et deux autres témoins dépo- 
sent contre l'accusé : on le condamne à souffirir la mort 
des traîtres. Le duc de Norfolk ne prononce la sentence 
que les larmes aux yeux. Buckingham proteste de son 
innocence, prie Dieu de pardonner à ses juges, re- 
çoit un message par lequel le roi commue sa peine en 
celle d'être décapité, monte avec calme sur l'échafaud; 
et le peuple , qui le plaint et le regrette, maudit le car- 
dinal, et recherche avec avidité les écrits violents publiés 
contre le minisire qu'il abhorre. 

Vendôme était toujours è Amiens. Trente hommes 
d'armes de sa compagnie , commandés par d'Estrées , 
avaient battu douze cents lansquenets, et s'étaient ren- 
fermés dans la ville de Dourlens. Le comte de Bures les 
assiégeait, et voulait laver dans leur sangla honte des 
lansquenets. Vendôme ordonna à Saint-Pol de prendre 
deux mille Suisses à Abbeville, et d'aller au secours des 
trente braves. Les Suisses refusèrent de marcher. Ven- 
dôme indigné les cassa ignominieusement, fit rassembler 
les garnisons d^Hesdin, de Montreuil et de Corbiepar 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUB« légS — l55o. 55 

Antoine de La Ville-sur-Illon, digne fils da célèbre 
Dbmpjulien et de la duchesse de Mont-Saint-Ange^ 
cousine germaine de la'grand'mère de Vendôme, obligea 
le comte de Bures .à se sauver en désordre sons le canon 
d^Arras, prit et rasa cinq ou six châteaux, dont les 
garnisons dévastaient la frontière ; mais eut la douleur de 
perdre Téligny, qui fut tué en faisant mordre la pous- 
sière à quatre cents Flamands* 

Henri YIII avait fait de grands préparatifs pour at- 
taquer la Picardie. Le sire de La Trémouille, gouverneur 
de la Bourgogne, eut ordre de joindre Vendôme avec sa 
compagnie]d'hommes d'armes et deux mille Suisses. Le 
comte de Guise , gouverneur de Champagne , arriva 
auprès du duc avec six mille fantassins. Vendôme voulut 
alors prévenir les Anglais et tes Impériaux. Le comte 
de Saint-Pol brûla Bapaume, que les alliés avaient repris, 
écrasa un gros corps de Flamands qui défendaient le 
poste de L'Écluse, et recueillit un butin immense dans 
le pays ennemi. 

L^armée d'Angleterre, commandée par le duc de SuflFolk, 
et celle des Impériaux , conduite par le comte de Bures, 
se réunirent auprès d'Ardres, et commencèrent le siège 
d'Hesdin. De Biez , à qui la défense de cette place avait 
été confiée, repoussa toutes les attaques des assiégeants. Le 
comte de Saint-Pol, le comte de Guise et Pont-Dormi inter- 
ceptèrent leurs convois, battirentleurs partis, les harce- 
lèrent jusque dans leurs lignes. Affaiblis par la disette , 
les désertions et les maladies, les alliés levèrent le siège. 
N'ayant pas osé attaquer la ville de Guise , dans laquelle 
Saint-Pol s'était jeté , s'étant présentés devant Corbie , 
dans laquelle ils trouvèrent encore Saint-Pol, qui les 
avait prévenus, déconcertés par l'admirable activité de 
ce jeune prince, ils erraient en Picardie sans savoir quel 
parti prendre. Vendôme, qui ne les avait pas perdus 
de vue, leur coupa les subsistances, les contraignit à se 



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54 

retirer dans l'Artois; et les comtes de Saint*Pol et de 
Guise y ayant fait une niarche forcée 9 surprirent les 
Anglais qui se rafraîchissaient au pas, les mirent en 
désordre, et en tuèrent un grand nombre. 

(i523) Charles-Quint était revenu par mer en Es- 
pagne ; il y avait fait publier une amnistie générale en 
faveur de ceux qui avaient pris part à la sainte union. 
Mais quelle amnistie ! quatre-vingts personnes en avaient 
été exclueâ, et huit députés des villes qui s'étaient con- 
fédérées avaient péri sur Péchafaud : une haine secrète 
et qui pouvait devenir terrible s'alluma dans le cœur 
des Espagnols. Charles était trop politique pour ne pas 
prévoir les dangers qui allaient naître autour de lui ; 
il renonça aux systèmes d'un conseil sanguinaire* 

D'Ayala avait été proscrit comme chef du conseil 
de la Santa-Junta. Son fils, un des pages du monarque, 
vend sod cheval pour secourir son père; on le dénonce 
à l'empereur. Charles le loue et le récompense : on vient 
lui apprendre la retraite d'un autre proscrit. « Allez 
» plutôt lui dire que je suis ici, dit Charles-Quint; il 
» a bien plus à craindre de moi que je n'ai à craindre 
» de lui. » Ces traits furent divulgués : la haine qu'il 
avait inspirée se calma ; il reconquit l'amour et le res- 
pect de la nation espagnole. 

Son protégé François-Marie Sforce avait formé dans 
le Milanais une armée d'Italiens et d'Allemands. Lautrec 
le poursuivait avec ses hommes d'armes et six mille 
Suisses qu'il avait réunis , en leur promettant une 
grande partie des sommes qu'il attendait de la France ; 
il les atteignit près de Milan dans un endroit nommé 
la Bicoque, couvert de vergers, entouré de canaux , et 
dans lequel ils s'étaient retranchés. Les Français, malgré 
leur audace, jugèrent la position des ennemis inatta- 
quable. Les Suisses, persuadés que la victoire leur livrerait 
Milan , et que le pillage de cette^grande ville suppléerait 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l55o. 55 

à la paie qui leur était due, demandèrent à grands cris 
leur solde ou le combat. « Il ne faut que quelques jours, 
» leur dit Lautrèc, pour affamer Tarmëe de Sforce 
» et Foblîger à se rendre. — De l'argent ou le combat ! 
» crièrent-ils de nouveau avec une sorte de fureur. — 
» Combattez donc, )> leur répondit le général. 

Us se précipitèrent sur les retranchements, bravèrent 
le feu d'une artillerie formidable, pénétrèrent au milieu 
des ennemis; mais les Impériaux redoublèrent d'efforts. 
lies Suisses, comme saisis d'une terreur soudaine, sorti- 
rent des retranchements avec précipitation : en vain les 
hommes d'armes de France avaient forcé les retranche- 
ments, pris les ennemis à dos, et mis le désordre dans 
leurs rangs; en vain les généraux français montrèrent 
aux Suisses le succès de cette cavalerie , et voulurent les 
ramener au combat. Les Suisses passèrent une rivière 
sans être poursuivis par les Impériaux , qui étaient aux 
prises avec les escadrons de France. Lautrec les suivit, 
les conjura de rester. Point ctargent, dirent-ils; et ils 
partirent pour leurs montagnes. 

Lautrec, abandonné par les Helvétiens, ne peut plus 
défendre le Milanais contre les Impériaux ; les Français 
ne conservent que le château de Milan et celui de Novarre. 

Le marquis de Pescaire etProsper Colonne, généraux 
de l'empereur, accompagnés des Fiesque et des Adome, 
se présentent devant Gênes. Pierre de Navarre, arrivé 
deux jours auparavant avec deux mille hommes, veut 
défendre la place; Octavien Frégose, gouverneur pour 
François P*, cherche à donner à Navai-re le temps de 
préparer la défense de la ville, et négocie avec Colonne. 
Pendant ce temps Pescaire donne un assaut, entre dans 
Gênes, la livre au pillage, fait prisonniers le gouver- 
neur Pierre de Navarre el tous les officiers français. An- 
toine Adorne est élu doge, fait venir de l'artillerie de 
Pise, se rend maître des forts, dont les garnisons obtien- 



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56 HISTOIRB DE L^EUEOFE« 

Hent la liberté de retourner en France ; et Tëtat de Gênes 
est perdu pour les Français comme le duché de Milaù. 

Lautrec arrive .en France; le roi refuse de le voir. La 
comtesse de Châteaubriant parvient à obtenir une audience 
pour son frère. Le monarque reproche à Lautrec la perte 
du Milanais. Sire , lui dit Lautrec, vcftre gendarmerie a 
servi âix-huit mois sans recevoir un sou de voére épargne. 
Les Suisses, dont vous connaissez le génie y n'ont point 
été payés; ma seule adresse les a retenus plusieurs mois 
dans votre armée , menaçant toujours de quitter : ils 
m^ont forcé à donner un combat sanglant. J'enprévoyais 
la suite; mais f ai du le hasarder malgré le peu dappct- 
rence du succès : voilà tout mon crime. ^'^N^avezr^ous 
pas reçu, reprend le roi , 4:00y0Oo ducats que foi donné 
ordre de vous envoyer? — J'en ai reçu les lettres , répond 
Lautrec, mais l'argent n'est pas venu. Le roi fait appe- 
ler le surintendant des finances : il se nommait Jacques 
de Baulne, seigneur de Semblançay. François I®' avait 
en lui une si grande confiance qu^il Pappelait son père. 
Sire, dit Semblançay, Je n'ai pas envoyé T argent en 
Italie parce que Madame a exigé que je le lui donnasse: 
elle s'est chargée de pourvoir à tout, et j'ai sa quittance^ 
Le monarque irrité passe dans ^appartement de sa mère : 
leur entrevue reste secrète. On fait le procès à Semblan- 
çay : il est condamné, au bout de deux ans, à être pendu 
pour avoir mal administré les finances du royaume; mais 
la sentence ne parle point des 4oo,ooo ducats. Quel gou-* 
vernement que celui où la mère du roi peut obliger un 
ministre à lui remettre les fonds nécessaires pour le suc- 
cès de la guerre et la conservation d'une grande province, 
et où le monarque ne s'informe pas si ce ministre a exé- 
cuté l'ordre si important qu'il lui avait donné ! 

Les troupes de Charles- Quint s'étaient emparées du 
château de Milan; mais, malgré les plaisirs au milieu 
desquels François V"^ passait sa vie, et qui paraissaient 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l53o. 67 

Punique objet de ses pensëes et de son afiFection^ il n'a- 
vait pas renoncé au duché de Milan. L'amiral Bonniret 
s'empara des passages des Alpes; le pape, à la prière de 
son ancien élève, qui désirait d'avoir le temps de termi- 
ner ses préparatifs, somma le roi de consentir à une trêve 
de plusieurs années avec l'empereur, sous le prétexte de 
donner à ce prince la facilité de défendre l'Italie mena- 
cée de nouveau par les Turcs. 

Mais bientôt il ne fut plus question des Turcs, et il se 
forma contre les Français une nouvelle ligue composée 
de Cbarles, de Gênes, de Florence, de Sienne, dé Luc- 
ques, de Venise, qui avait abandonné les Français après 
leurs désastres > et d'Adrien VI, qui ne pouvait résister à 
l'influence de Charles, mais qui aurait voulu ne se mêr 
1er que de ses devoirs religieux ; il mourut peu de temps 
après, et avait mérité l'épitapbe si remarquable qu'on 
grava sur sa tombe : Ici repose Adrien VI, qui li estima 
rien de plus malheureux pour lui que de commander 
(i523). 

Adrien avait souvent témoigné à Charles-Quint sa re- 
connaissance et son affection , et particulièrement en lui 
conférant l'administration perpétuelle des grandes maî- 
trises des ordres militaires d'Espagne, en lui donnant le 
droit de présentation aux évèchés de ses royaumes de la 
péninsule, et en lui remettant le tribut de huit mille 
onces d'or qu'il devait au siège de Rome en qualité de 
roi«deNaples; mais ce qui est le plus remarquable dans 
le règne de ce pontife, c'est qu'à une époque où l'Europe 
entière s'occupait des opinions dé Luther et des autres 
adversaires de la toute-puissance pontificale , il ait fait 
réimprimer le commentaire sur le quatrième livre des 
sentences, qu'il avait publié lorsqu'il était professeur à 
Louvain , et qu'il ait voulu qu'on laissât dans cet ouvrage 
que le pape n'est pa3 infaillible, et qu'il peut errer dans 
les questions relatives à lajbi* 



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58 

Aticun pontife de Rome n'aurait été plus disposé que 
lui à s'arranger avec la Germanie) et à faire droit aux ré- 
clamations élevées par l'Allemagne tout entière. L»a 
mort le surprit lorsqu'il s'occupait^ avec les intentions 
les plus louables , de la fameuse délibération de la diète 
de Nuremberg. Cette diète avait été convoquée (i52a) 
par les lieutenants généraux de l'empereur et présidents 
du conseil de régence, le comte palatin Frédéric et l'ar- 
chiduc Ferdinand, frère de Charles-Quint, qui lui avait 
cédé les états héréditaires de la maison d'Autriche situes 
en Allemagne. Elle avait, suivant le vœu du pape, dé- 
crété l'envoi d'une armée de vingt-quatre mille hommes 
au secours de Louis , roi de Hongrie et de Bohème y 
que les Turcs menaçaient de très-près , et dont l'archi- 
duc Ferdinand avait épousé la sœur 5 elle avait aussi 
défendu de prêcher la doctrine de Luther : mais , se 
mettant pour ainsi dire à la place de ce terrible adver- 
saire de Rome , elle avait fait rédiger les cent griefs 
de la nation germanique contre le siège apostolique, 
et déclaré que, si le pontife suprême ne se déterminait 
pas incessamment à les redresser , les états seraient obli- 
gés d'y porter remède par eux-mêmes, et de la manière 
qui leur paraîtrait la plus efficace. Une nouvelle diète, 
convoquée dans la même ville de Nuremberg , avait 
fait de vains efforts pour empêcher la lecture des livres 
de Luther ; et l'électeur de Saxe , les ducs de Brunswick 
et les princes d'Anhalt, partisans zélés de ce théologien, 
s'étaient réunis à Juterbock pour se concerter sur les 
moyens de se garantir des décrets rendus par la diète 
de Worms contre les adhérents de Luther. Il est vi'ai- ^ 
semblable que si Adrien VI avait vécu il aurait , par 
des concessions vivement désirées , maintenu une grande 
partie de l'Europe dans la dépendance spirituelle de 
son trône' pontifical ; mais , malheureusement pour la 
paix de l'Église et la tranquillité de la chrétienté, les 



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VINGT-UNIÈME EPOQUE. légS-^lSSo. 5q 

moyens de conciliation et de douceur adoptes par Adrien 
furent abandonnes par son successeur le cardinal Jules 
de Médicis, archevêque de Florence, fils naturel de 
Jules I^ de Médicis , cousin germain de Lëon X , et 
connn sous le nom de Clément VIT. 

"VNTolsey avait fait de nouveau d'inutiles efforts pour 
monter sur la chaire apostolique ; ne voulant pas néan- 
moins perdre la faveur de Charles-Quint, il dissimula 
son ressentiment, et obtint d'être nommé légat à latere 
pour toute sa vie, par le pape Clément VII (i523). Il 
crut d^autantplus devoir paraître se contenter d'un aussi 
faible dédommagement qu'il avait conçu des craintes sur 
la dorée de sa puissance, si détestée de presque tous les 
Anglais* Il avait eu plus de peine qu'il ne l'avait ima- 
giné à obtenir une partie des sommes qu'il désirait de 
faire entrer dans le trésor de Henri VIII ; le parlement 
avait été convoqué j le clergé, réuni séparément, avait 
consenti à donner, pour soutenir une guerre contre la 
France , la moitié de son revenu payable en cinq ans. 
Wolsey avait osé ensuite demander à la chambre des 
communes le cinquième de tous les biens laïques, payable 
en quatre années ; la chambre avait uniquement décidé 
que ceux qui possédaient vingt livres de rente annuelle 
et au-dessus donneraient deux schellings par livre ; ceux 
qui avaient plus de deux livres, un schelling par livre, 
et ceux dont le bien était au-dessous de cette somme, ou 
qui n^auraient pas atteint l'âge de seize ans, quatre sous 
par tête payables en deux années. Le cardinal , irrité du 
rejet de sa* proposition , s'était rendu dans la chambre des 
communes, et lui avait demandé la raison de son refus : 
on lui avait répondu qu'on ne délibérait point en pré- 
sence des étrangers, et il s'était retiré, blessé profondé- 
ment de la juste fermeté des représentants du peuple. 

Le souverain dont il exerçait la puissance suprême 
éprouva vers le même temps , en Allemagne , un désagré- 



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60 HISTOIRE DE t'SUEOFE. 

ment auquel il fut vivement sensible. La doctrine de 
Luther ou la rëformation faisait des grands progrès ; 
Zuricb , persuadé par les sermons de Zuingle , avait re- 
noncé à plusieurs articles de la croyance romaine. Lu- 
ther ne cessait d'écrire pour la défense de ses opinions re- 
ligieuses; il publia une réponse à Fouvrage de Henri VIII, 
et) dans la chaleur de ses sentiments exaltés par la manière 
dont ses ennemis l'avaient traité, il parla avec mépris de 
récrit du roi d'Angleterre. Ce monarque se plaignit aux 
princes de Saxe de l'insolence de Luther; il demanda 
qu'on l'empêchât de publier sa traduction de la Bible 
en hollandais ) mais on n'eut aucun égard à ses prières. 

Son ennemi François V^, dominé en esclave par l'en- 
vie d'être seul l'auteur des triomphes de ses armées , 
avait fait perdre , par une démarche imprudente , au 
duc de Vendôme l'occasion d'enlever, auprès de la ville 
de Guise, le duc d'Arschot et son armée. Vendôme ne 
pense plus qu'à sauver Thérouenne, assiégée par le comte 
de Fienne ; il prend et brûle la forteresse de Bailleul- 
le-Mont , fait lever le siège de Thérouenne , poursuit 
le comte de Fienne , inspire une telle frayeur à l'infan- 
terie flamande qu'elle s'enfuit en criant : Saupe quipeutl 
et va écraser l'arrière-garde ennemie, lorsque Chabot 
de Brion survient, et lui défend de la part du roi de 
hasarder le combat. 

Mais quels malheurs vont faire craindre pour la 
France la folle passion de la duchesse d'Angoulême et 
la corruption d'un indigne ministre ! Madame avait es- 
péré d'être plus heureuse dans son amour pour le con- 
nétable ; après la mort de la duchesse de Bourbon , elle 
s'était flattée de remplacer cette princesse ; mais voyant 
s'évanouir ce projet si cher à son cœur , elle brûla du 
désir de venger son amour. 

La place de chancelier de France était remplie par 
cet A^ntoine Duprat que l'ancienne noblesse de sa fa- 



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ViNGT-UNlàMB ÉPOQUE. légS— i53o. 6l 

mille y . Tune des plus distinguées de PAuvergne , ses 
talents et son esprit avaient fait nommer successive- 
ment lieutenant général au bailliage de Montferrand ^ 
ayocat général au parlement de Toulouse, premier pré- v 
sident du parlement de Paris , et qui , ayant perau sa 
femme, devait, après avoir occupé les sièges épiscopaux de 
Meaux , d'Albi , de Valence , de Die , de Gap , devenir ar- 
chevêque de Sens, cardinal et légat à latere. Jamais minis- 
tre ne fut plus ambitieux ni plus avare, ne voulut plus 
fortement favoriser le despotisme, et ne mérita davantage 
la haine de ses contemporains et celle de la postérité. 
Après avoir engagé François P*^ à sacrifier la pragmati- 
que sanction, et à conclure à Bologne un concordat avec 
Léon X, il persuada à ce monarque, trop livré à ses plai- 
sirs pour être en garde contre les conseils les plus funes- 
tes, de remplir le trésor royal en vendant les charges de 
Perdre judiciaire , en augmentant les tailles, en établis- 
sant de nouveaux impôts sans le consentement des états 
généraux , et par conséquent en violant les droits antiques 
et sacrés de la nation. Il osa blasphémer contre la sainteté 
des lois, en disant au monarque que sa volonté était la loi 
suprême , et que ceux qui réclamaient les lois contre 
cette volonté royale, comme par exemple les parlements , 
ces nobles dépositaires et ces défenseurs courageux des 
lois du royaume, étaient les ennemis de Pétat et du 
• prince. Ne voulant laisser aucun vestige de la liberté na- 
turelle et de la franchise primitive des terres , s^inquié- 
tant fort peu de la force qu^il allait donner à la féodalité 
contre le trône , et abandonnant le système anti-féodal 
suivi par les rois de France depuis Hugues Capet , il 
établit la maxime de : Nulle terre sans seigneur. Il 
excellait surtout, a dit l'historien de la maison de Bour- 
bon, dans Vart honteux de détourner le sens de la loi et 
de V appliquer à ses vues. 
Le connétable détestait cet homme si dangereux. Il 



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62 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

l'accablait de ses mépris. Le chancdîer ayait j ur é sa perte. 
La duchesse d'Angoulême ne roagit pas d^ se liguer 
avec Dupnit contre le duc de Bourbon; son ressenti- 
ment: Favait aveuglëe. 

Le chancelier, à force d^examiner les titres de la 
maison de Bourbon, se persuade qu'en abusant de quel- 
ques mots insérés dans les actes, et en interprétant les 
clauses les phis claires, il pourra parvenir à dépouiller 
le connétable de l'immense fortune dont il jouit, et la 
transporter à la duchesse d'Angoulême ou au roi. 
Enchanté de sa découverte, il court chez Madame, lui 
explique d'après son système la nature des biens de la 
maison de Bourbon, lui dit qu'elle est en droit d'en ré- 
clamer la plus grande partie , comme la plus proche 
parente de Susanne de Bourbon, l'épouse que le con- 
nétable a perdue; et que le reste des biens du connéta- 
ble est réversible à la couronne* Madame sent renaître 
tout son amour ; elle admire l'habileté du chancelier y 
loue son zèle, adopte son projet, et ne doute pas que 
Bourbon, ami de la magnificence, n'aime mieux l'é- 
pouser et confondre ainsi ses droits avec ceux de la mère 
du monarque, que de tomber du sommet de l'opulence 
dans une misère profonde. 

Elle envoie au connétable le comte de Saint~PoL 
« Trouvez bon, lui dit ce prince, que Madame pour- 
» suive ses droits en justice : choisissez le tribunal; si 
)> les juges prononcent en sa faveur, elle vous abandon- 
» nera l'usufruit des biens qu'elle réclame. » Les amis 
de Bourbon, effrayés du crédit de Madame, le pres- 
sent d'épouser cette princesse; ils lui vantent l'esprit, 
les richesses, le crédit, la puissance de Madame, a L'hon- 
» neur m'est plus cher que la fortune, dit le fier et 
» austère Bourbon; on ne me reprochera jamais de 
» m'être avili au point de partager mon lit avec une 
» femme sans mœurs. » 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQU£. légS — i53o. 63 

Peut-être ces paroles outrageantes furmt-elles con- 
nues de Madame. Quoi qu^il en soit, la jalousie entre 
dans son cœur avec tons ses poisons. Le connétable 
désire en effet la main de la fille de Louis XII, madame 
Renée de France, sœur cadette de Claude, épouse de 
François I'''". La reine souhaite viyement d'avoir pour 
beau-frère le héros de la France; elle espère trouver 
dans ce prince un appui contre une belle-mère hau- 
taine, impérieuse, et qui Paccable du poids de son au- 
torité; le roi paraît approuver cette alliance; la France 
entière forme des vœux pour le succès de ce mariage; 
l'amour au désespoir repousse une union qui lui est 
odieuse. Madame force le roi à rejeter la proposition du 
connétable, et lui arrache la permission de plaider con- 
tre ce prince devant le parlement de Paris. 

Les plaidoiries ont le plus grand éclat; les juges vont 
décider à qui appartiendront le Bourbonnais, l'Auver- 
gne, la Marche, le Forez, la souveraineté de Dombes, le 
duché de Châtelleraut , le comté de Clermont en Beau- 
voisis et un grand nombre d'autres terres. Madame les 
réclame comme fille de Marguerite de Bourbon, et cou- 
sine germaine deSusanne, dont le connétable est devenu 
veuf. Montholon , le vertueux défenseur du connéta- 
ble , invoque la loi salique ; reconnue et observée dans 
la maison de son client dès le temps des Archambaud , 
sires de Bourbon, les pactes de famille confirmés par les 
rois de France , et un grand nombre d'autres monu- 
ments. Anne de France , la fille de Louis XI, la mère de 
Susanne, cette princesse qui avait gouverné pendant si 
long-temps le royaume, vivait encore. Elle réunit tous 
ses efforts à ceux de son gendre; elle rappelle avec cha- 
leur, en faveur du duc, cette loi salique qui l'a exclue du 
trône. La France attend avec anxiété la fin de ce grand 
procès. Il semble qu'elle prévoit combien sa destinée 
peut dépendre de celle du connétable ; Madame a pour 



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64 HISTOIRE DB l'EUROFE. 

elle les courtisans, vendus à la faveur; le duc réunit les 
vœux des princes du sang, des sages et du peuple ; ils ap- 
plaudissent aux raisonnements du courageux Montho- 
Ion. Les juges en paraissent frappés. L'acharné Duprat 
£adt alors réclamer les droits de la couronne* 

Anne de France allait cesser de vivre; le chagrin la 
conduisait au tombeau. Elle disposa, en faveur de son gen- 
dre ) de tous les biens qu'elle tenait de la libéralité de son 
père et de la reconnaissance de son frère Charles YIII. 
Sa mort donne de nouvelles armes à Duprat; l'avocat 
général Lizet demande, au nom du procureur génial, 
qu'on lui communique les titres des deux parties con- 
tre lesquelles il veut poursuivre l'action du roi. L'issue 
du procès était indi£Férente à Madame, pourvu que le 
connétable fût ruiné et expiât ses mépris dans le mal- 
heur ; Lizet réclame comme appartenants à la couronne, 
à laquelle ils auraient dû revenir, et dont les droits sont 
inaliénables et imprescriptibles , les duchés et les autres 
domaines du connétable ou d'Anne de France. Il corn* 
mente les actes les plus solennels, en discute les termes^ 
en interprète les expressions de la manière la plus diffé- 
rente des acceptions reçues. Le probe, habile et zélé 
Montholon parle en vain avec la plus grande énergie 
contre les prétentions de l'avocat général; le parlement 
ordonne par un arrêt que les parties soient appointées 
au conseil, et tous les biens en litige mis en séquestre» 

Bourbon , réduit à la misère , ne profère aucune 
plainte : on a écrit qu'Anne de France , ne pouvant cal- 
mer son ressentiment contre la duchesse d'Angoulème, 
avait conseillé , en mourant ^ à son gendre d'avoir recours 
à Charles-Quint , et d'épouser la sœur de ce prince. 
Quoi qu'il en soit, lors de la prise d'Hesdin, il avait 
comblé d'égards la comtesse de Rœux , épouse de Ferri 
de Croy , chevalier de la Toison-d'Or et chambellan 
de l'empereur Maximilien; il avait entretenu une cor- 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l53o. 65 

respondance assidue avec celte dame : elle n'ignorait 
aucun des chagrins dont il ëtait dévore; il Pavait priée de 
ne pas les laisser ignorer à Charles-Quint. L'empereur 
avait appris avec une grande joie que Bourbon, éloigné des 
conseils et du commandement des armées , poursuivi par 
la calomnie et par Pingratitude , était menacé de per- 
dre tous ses biens. Combien il s'était félicité de Pim- 
polilique d'un rival qui laissait opprimer le plus grand 
capitaine de son royaume dans le temps où il avait le 
plus de besoin de ses services ! quel espoir ne conçoit- 
il ^as lorsqu'il apprend par la comtesse l'arrêt du par- 
lement , la ruine du duc et le désir de vengeance qui, 
en étoufiant dans Pâme du prince le plus sacré des de- 
voirs y peut le rendre infidèle à sa patrie et à son roi ! 

Le système féodal n'avait que trop accoutumé l'Eu- 
rope à ne voir , dans la révolte des princes et des grands 
vassaux, qiie le besoin de rétablir, par les armes, des 
droits méconnus et l'exercice de cette indépendance 
qui réduisait la suzeraineté à de vains titres; L'af- 
freuse et si imprudente persécution de la duchesse 
d'Angoulême et l'inconcevable légèreté du monarque 
avaient porté au comble l'irritation du duc j le déses- 
poir s'était emparé de lui : Charles-Quint lui témoigne 
le plus tendre intérêt, lui rappelle que sa grand'mère, 
Marie de Bourgogne, était cousine germaine de Susanne, 
plaint ses malheurs, voue à l'exécration les injustices 
dont Bourbon est la victime , et lui présente les espé- 
rances les plus propres à séduire un cœur percé de 
tant de traits envenimés. 

Il lui envoie son chambellan Adrien de Croy , comte 
de Beanrein et fils de la comtesse de Rœux : Beaurein 
traverse une grande partie du royaume déguisé en 
paysan , et n'allant que la nuit ; il arrive auprès du con- 
nétable , qui était dans ces domaines qu'on voulait lui 
enlever ; il lui parle au nom de son souverain ; il 
ToM. XII. 5 



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66 .HISTOIRE DE l'eUROPE, 

s'insinue dans son esprit avec la plus grande adresse, 
le flatte, l'^^cît^j Penflamme , se sert avec habileté des 
passions les plus nobles et les plus généreuses pour 
achever de le séduire, lui montre par ses respects que 
l'empereur ne veut traiter avec lui que comme un 
puissant allié , et le rend criminel lorsqu'il croit n'être 
que grand. 

Bourbon ébloui , égaré , hors de lui-même , oublie 
et ses serments et sa patrie : il appelle à son épée de 
la tyrannie de Madame; mais, Français et descendant 
de saint Louis , il ne promet qu^en frémissant d'accéder 
à la ligue oflfensive et défensive de Henri VIÏI et de 
l'empereur , et de consentir au partage de la France : 
il régnera sur les provinces qui forment ses domai- 
nes et sur plusieurs autres provinces ; il épousera Éléo- 
nore d'Autriche , veuve du roi de Portugal : elle 
héritera de l'empire autrichien si l'empereur et l'ar- 
chiduc , son frère , meurent sans enfants mâles j elle 
portera au duc 20,000 écus de rente, une dot de 
200,000 écus ,600,000 écus de bijoux et de diamants , 
et Bourbon lui assignera le Beaujolais pour douaire. 

Ce traité n'est que verbal : mais tels étaient l'esprit du 
temps, les prétentions des grands vassaux et l'aveugle- 
ment de Bourbon, que, lorsqu'il vient de violer par sa 
rébellion la plus sainte des promesses, il croit encore 
qu'on regardera sa parole comme inviolable. 

Quelles espérances cette fatale convention n'inspire- 
t-elle pas à l'empereur ! il sait quel mal ont fait à la 
France , dans un si grand nombre de circonstances , les 
grands vassaux de la couronne , et particulièrement les 
ducs de Bourgogne , dont il descend par sa grand'mère; 
il ne doute pas que Bourbon , plus grand capitaine que 
ces ducs, plus estimé de la noblesse, plus chéri des 
armées , ne porte encore des coups plus funestes à cette 
patrie qu'il vient d'abandonner. 



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VINGT-UNIEME ÉPOQUE. 1498 — l55o. 67 

Beaurein va en Angleterre annoncer à Henrî VIII 
Tadhésion de Bourbon à la ligne : îl lui fait connaître 
les promesses faites à Bourbon. Et moi, dit Henri, qu'au- 
rai-je donc ? — Sire, vous aérez, roi de France* — ^hl 
il y aura bien à faire que monsieur de Bourbon rréo- 
béisse. 

Bourbon ëtait à Montbrison : son ami Jean de Poi- 
tiers , comte de Saint- Vallier , était auprès de lui : le 
duc Charles lui rëvèle , sous le sceau du secret , ses 
coupables promesses. « Quoi ! lui dit Saint-Vallier plein 
» de trouble , de douleur et d'effroi , Bourbon substi- 
»• tuera le nom de traître à celui de héros! il veut jus- 
» tifier les fureurs de ses ennemis par des fureurs plus 
» noires! Eh ! que vous a fait la France à qui vous sem- 
» blez plus grand dans vos malheurs, pour porter le 
» fer et le feu dans son sein 7 Ainsi la vertueuse reine 
» qui vous honore de son amitié , ses tendres enfants 
T) dont vous devriez être le défenseur , ces princes dont 
» vous êtes la gloire , cette noblesse qui a concouru 
» avec tant de courage à vos triomphes , ce bon peuple 
» qui les a tant célébrés , seront les victimes de vos 
/> attentats ! Votre aveugle ressentiment ne distinguera 
» pas des millions dMnnocents d'avec deux ou trois 
» coupables ! vous brûlez d'être le fléau et l'horreur de 
» rétat. Ah ! que j'envie le sort de ce frère généreux 
» dont vous pleurez tous les jours la perte , et que vous 
)) dites que je remplace dans votre cœur ! Magnanime 
» Châtelleraut , vous ne serez pas témoin de tant de 
» calamités ; vous ne verrez pas la dégradation du 
» héros de votre race, ni les maux de cette patrie pour 
» laquelle vous avez versé tout votre sang. » A mesure 
que Saint-Vallier prononce ces admirables paroles , 
conservées par l'histoire , la terreur pénètre pour la 
première fois dans le cœur de Bourbon : il éclate en 
sanglots. Les barbares! s'écrie -t- il , ils m^ont tout 

5. 



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68 HISTOIRE DE X<^£UROF£. 

èrdevé ; ils ne m* ont laissé que la pauvreté , V oppro- 
bre et le désespoir. Saint-Vallier le serre dans ses bras , 
et lui arrache la promesse de renoncer à ses indignes 
projets. 

Mais Forage qui agite i^ârn^ de Bourbon se dissipe ; 
son repentir s'éianouit : il revoit Pindigence , le mépris , 
Pabandon €t tous les maux auxquels Font cond^imné 
Pinjustice et la tyrannie d'une femme ; sa haine renaît 
arec plus de violence; il sera criminel , mais il sera 
vengé ! Quelle trahison envers la France que celle de 
la mère du roi \ 

François I®' s'arrache cependant aux perfides attraits 
de la volupté ; il redevient roi de 5'rance et héros : il va 
passer de nouveau les Alpes; il ne déposera les armes 
que lorsqu'il aura enlevé à ses ennemis toutes leurs con- 
quêtes ; toujours jaloux néanmoins de la gloire de Bour- 
bon, dont il ignore le crime, il veut le laisser en France 
avec le titre de lieutenant général. 

Bourbon forme alors deux projets; ou il enlèvera le 
roi sur la route de Lyon, ou, lorsque le monarque sera 
engagé dans le Milanais, que l'empereur attaquera la 
Guyenne et le Languedoc, et que le roi d'Angleterre 
envahira la Normandie et la Picardie, il rassemblera 
mille gentilshommes, les réunira à six mille fantassins, 
se joindra à douze mille lansquenets impériaux, se por- 
tera vers les Alpes, et coupera à François I*^ toute com- 
munication avec la France. 

Mais ses criminelles intrigues ont transpiré; le roi 
apprend que Beaurein est entré dans le royaume déguisé 
en paysan y et qu'il a eu avec le duc des conférences se- 
crètes et nocturnes; il conçoit de grands soupçons, et, 
croyant néanmoins n'avoir rien à craindre de Bourbon 
s'il le mène avec lui, «J'ai pensé, après de mûres ré- 
» flexions, lui écrit-il, que vos services me seraient 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l53o. 69 

» plus Utiles en Lombardie qu'en France ; tenez jrous 
» prêt à m'accompagner au delà des Alpes. » 

Bourbon, frappé comme d'un coup de foudre, depuis 
long-temps agité par la violence de ses passions, et tour- 
menté par ses remords , tombe malade à Moulins. Il ré* 
pond néanmoins à François I**" qu'il obéira; mais, peu 
de temps après, il écrit que ses maux augmentent, et 
prie le roi de le dispenser de la campagne d^Italie. 
' Les soupçons du monarque s'accroissent : il veut les 
éclaircir lui-même; il va à Moulins; il trouve le con- 
nétable dans son lit, souffrant et affaibli ; vivement ému, 
et ne doutant pas que le chagrin ne soit la- cause de la 
maladie du connétable, il veut qu'on le laisse seul avec 
lui: « Calmez vos craintes, lui dit-il; j'ai du regret 
» au malheureux procès qu'on vous a intenté; si le ju*- 
» gement ne vous est pas favorable,. je vous rendrai tous 
» vos biens; je vous en donnerai de plus grands encore. 
» On m'assure que vous entretenez des liaisons secrètes 
» avec l'empereur; il cherche à profiter de vos chagrins 
)» pour vous séduire; mais vous êtes de la maison de 
» France et de la race de Bourbon, qui n'a jamais pro- 
» duit de traîtres. » 

Le connétable exprime vivement sa reconnaissance: 
« Je remercie Dieu, ajoute-t*il, de m'a voir fait naître 
» sous- un prince que la calomnie ne peut trpmper. y> 

Mais à quel rôle s'est réduit ce grand capitaine et ce 
grand homme d'état! Il est v^rai , continue-t-il, que 
{empereur, informé par le hruit publie de la situcUion 
oîije me trouve réduit, rrCa envoyé Beaureinpour rrHof-* 
frir un asile dans ses états et une fortune convenable à 
ma naissance; mais je sais reconnaître de vains com* 
pliments; et comme je savais que votre Majesté devait 
passer par Moulins pour se rendre en Italie, J'ai cru 
devoirattendre qi^elle fut ici pour lui révéler moi-même 
ce secret , plutôt que de le confier à une lettre. 



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fjO HISTOIB.E P£ L'eUROPE. 

Le loyal François I«' n'a plus d^inqaiétude. Me sui- 
vrez-^ous en Italie ? dit-il à Bourbon. — Non seule- 
ment en Italie , répond le prince , jnais au bout du 
monde ; les médecins m! assurent que je serai bientôt 
eh état de supporter le mouvem£nt de la litière ; je me 
sens déjà mieux ; les bontés de votre Majesté achetée- 
ront bientôt de me guérir. 

Le monarque témoigne à 8e3 ministres la vive satis- 
faction qu^il éprouve j ils ne l'en pressent pas moins 4e 
faire arrêter le connétable : François rejette leur avis; 
mais il demande à Bourbon une promesse écrite d'être 
toujours fidèle à son roi ; Bourbon s'empresse de la 
signer. 

Si le monarque avait, dans ce moment, ordonné la 
levée du séquestre qui réduisait au plus grand dénue- 
ment le prince le plus puissant et le plus riche de l'Eu- 
rope, le connétable, suivant plusieurs historiens, aurait 
abjuré son crime. Mais rien ne devait soustraire la 
France et son roi aux effets si funestes de la haine de 
Madame. 

Peu de jours après le départ du monarque, le conné- 
table envoie au roi, Pierre de Bretonnières, seigneur de 
Watry, que François P' avait laissé auprès de Bourbon 
sous le prétexte d'avoir des nouvelles plus fréquentes de 
la santé du prince. « Annoncez au roi, dit-il , que je vais 
» me mettre en route. » François V' , qui était à Lyon , 
inquiet après plusieurs jours de ne pas voir arriver le 
connétable, lui renvoie Watry, et ordonne à cet envoyé 
de faire partir le connétable de gré ou de force. 

Bourbon s'était mis en marche avec toute sa maison; 

mais il séjourne dans presque tous les bourgs , et affecte 

d'être chaque jour plus malade ; il rencontre Watry à 

Saint-Géran. « Vous voyez, lui dît-il, avec quel zèle 

» j'exécute les ordres du roi, malgré la maladie qui 
» m'accable. » 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l55o. 71 

Il arrive à La Palisse; la nuit survient : il feint de 
se trouver très-mal; un grand tumi^lte règne dans la 
maison ; on va, on vient , on pleure, on se désole, on jette 
de grands cris : « Le prince, dit-on à Watry , n'a peul- 
» être plus qu'un moment à vivre. »I1 demande à voir la 
connétable ; on l'introduit dans la chambre de Bourbon. 
« Vous voyez, lui dit le prince d'une voix qui paraissait 
» presque éteinte , l'extrémité où je suis réduit. Les mé- 
» decins m'ordonnent d'aller respirer l'air de la contrée 
» où je suis né : c'est ma dernière ressource; mais j'y 
» compte peu. Allez informer le roi du regret que j'ai 
» de ne pouvoir lui rendre de nouveaux services. » 

A peine Watry est-il parti pour Lyon que le duc 
monte à cheval , gagne Chantelle , place forte du Bour- 
bonnais, située près des confins de l'Auvergne, fait 
placer l'artillerie sur les remparts, rassemble des muni- 
tions et des vivres, et se prépare à la défense la plus 
vigoureuse. 

Watry lui apporte une lettre du roi remplie de re- 
proches et de menaces. « On a voulu attenter à ma liberté^ 
» lui dit le prince. C'est ici que je confondrai l'impos- 
» ture et la calomnie devant le bâtard de Savoie et le 
» maréchal de Chabannes : je les attends. Portez-leur ces 
» lettres, et remettez celle-ci au roi. » Ahl le perfide! 
dit François !•' enrecevfint la lettre du duc; ma honte 
aurait dû lui crever le cœur; mais, puisqu'il veut périr, 
quHl périsse. Il veut que le bâtard de Savoie et le maré- 
chal de Chabannes aillent le chercher à la tète de quatre 
compagnies d'hommes d'armes; il leur ordonne de l'a- 
mener mort ou vif. 

Le duc, imitateur trop fidèle des ducs de Bourgogne, 
et que son audace n'abandonne pas plus que son ressenti- 
ment, veut traiter avec son souverain comme il avait 
traité avec l'empereur, roi des Espagneset de Naples; il 
dicte une dépêche en quelque sorte diplomatique. Qu^il 



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73 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

plaise au roi, lit-on dans cette dépêche, défaire rendre 
les biens de feu monsieur de Bourbon; il promet de le 
bien et loyalement servir, et de bon cœur, sans lui faire 
faute , en tous endroits où il plaira audit seigneur; et 
de cela il Ven assurera jusque au bout de sa vie • aussi 
plaise audit seigneur pardonner à ceux à qui il en veut 
pour cette affaire. 

Antoine de Chabannes, éyèque d'Autun, ami zélé, 
mais conseiller trop violent de Bourbon, ose se charger 
de présenter cette dépêche an monarque. On l'arrête 
avant qu'il arrive à Lyon; aiti saisit la dépêche; on la porte 
à François I**. 

Le roi s'indigne de la fierté du duc, qui veut lui dicter 
des lois. Deux grands personnages, que le duc avait voulu 
faire entrer dans la conjuration, et auxquels un de ses 
secrétaires avait confié ses projets et son alliance avec 
Charles-Quint et Henri VIII, révèlent ces secrets au 
chancelier Duprat devant la duchesse d^Angoulême. Bien 
loin de mourir de douleur, comme l'a dit un historien, 
lorsqu'il voit les suites teiTibles des conseils qu'il avait 
donnés à Madame, il éprouve une joie féroce en se pré- 
parant à sceller la proscription du prince qu'il abhorre. 

On répand le bruit que Bourbon a voulu non seule- 
ment livrer la France aux étrangers, mais encore ar- 
rêter le roi , renfermer dans une étroite prison la mère 
du monarque , et faire massacrer le fils de France. Fran- 
çois P' fait marcher des troupes pour envelopper 
Chantelle. 

Bourbon venait d'apprendre que l'évêque d'Autun 
était dans les fers, que la conjuration avait été révélée, 
que le bâtard de Savoie et Chabannes marchaient pour 
l'arrêter , et que les provinces qui l'entourent sont iûon^ 
déés de soldats. Il prend une résolution hardie : il sort de 
Chantelle, qu'il ne peut plus espérer de défendre , se 
sépare secrètement de sa maison , se déguise à l'entrée 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l55o. yS 

de la nuit, ne garde avec lui que le courageux Pompe- 
rant , qui avait tué un favori du roi , que la colère du 
monarque poursuivait sans relâche , et qui avait dévoué 
sa vie à Bourbon; fait attacher à rebours les fers de leurs 
chevaux, décide qu'il se dira le valet de chambre de Pom- 
perant, et dirige sa fuite vers le Dauphiné et la Savoie, 
au milieu des pays occupés par Parmée d'Italie, et en 
suivant par conséquent les routes sur lesquelles il suppose 
qu'on ne croira pas devoir le poursuivre. 

Montagnac deTausannes avait pris un chemin opposé, 
à la tète de la maison du prince, précédé de quelques 
flambeaux, monté sur le cheval de bataille du duc, et 
revêtu de ses habits. Il s'arrête lorsque le jour paraît, dé- 
couvre son stratagème aux officiers de Bourbon, qui 
croyaient avoir suivi le duc, leur déclare que le connéta- 
ble a disparu, et les remercie, au nom du prince, de 
leurs fidèles services. Tous ces officiers fondent en larmes , 
ne s'occupent que du sort du plus généreux des hommes, 
et forment la résolution d'aller le joindre lorsqu'ils con- 
naîtront l'asile qu'il aura choisi. 

Les obstacles et les dangers se renouvellent sans cesse 
autour du prince fugitif: il change souvent de route, 
choisit les chemins les moins fréquentés , ne marche que 
la nuit , se cache pendant le jour dans des châteaux dont 
les maîtres lui sont dévoués , et néanmoins apprend à 
chaque instant qu'il est environné d'émissaires qui le 
cherchent. Il s'enfonce dans les montagnes de l'Auvergne, 
dans celles du Gévaudan, dans celles des Cévennes, arrive 
aux bords du Rhône, presque vis-à-vis la ville de Vien- 
ne, entre dans un bac, et se trouve au milieu de douze 
ou quinze soldats, dont plusieurs reconnaissent Pompe- 
rant. Le prince peut à peiné cacher son inquiétude : le 
bac parvient cependant. à la rive gauche du fleuve. Il se 
jette avec son compagnon dans les bois voisins de Saint- 
Antoine, se présente au château de Nanti, et demande 



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74 HISTOIRE DE l'eÛROPE. 

l'hospitalité, ta vieille dame à laquelle le château appar- 
tient, reconnaît Pomperant. Ne seriez-vous pas, lui 
dit-elle, de ces gens qui ont fait les fous apec monsieur 
de Bourbon? — Je voudrais, dit Pomperant, avoir perdu 
tout mon bien et être avec lui. — « Je viens de rencontrer 
» à une lieue du château, dit quelqu'un qui arrive, le 
» prévôt de Phôtel, qui, avec ses archers, cherche le 
» duc de Bourbon* » Pomperant, par son sang-froid et sa 
gaité, cache aux assistants l'agitation du prince; ils 
montent à cheval peu de temps après , courent toute la 
nuit au travers des montagnes, s'arrêtent dans une espèce 
de désert, passent le Rhône huit lieues au-dessus de 
Lyon, et arrivent heureusement à Saint-Claude, où le 
cardinal de La Baume vient chercher Bourbon avec une 
escorte pour le conduire k Besançon. 

Un grand nombre des serviteurs du duc, qui se sont 
sauvés comme lui à force d'adresse et de persévérance, 
viennent le joindre en Franche-Comté. Ils lui remettent 
une somme de 100,000 livres qu'ils avaient cousue dans 
leurs habits et qu'on leur avait confiée à Cliantelle. H 
avait emporté avec lui ses pierreries^ et voilà tout ce qui 
lui reste de cette fortune immense enviée même par des 
souverains. 

Avec quelle douleur il apprend qu'indépendamment 
de Kévêque d'Autun on a arrêté le comte de Saint- Val- 
lier , François d'Escars , seigneur de la Vauguion , époux 
de l'hérilière de la branche de Bourbon-Carency, Ai- 
mar de Brie, le seigneur de Lallières, et Popillon, 
chancelier du Bourbonnais! « Chaque jour, lui dit-on, 
» on arrête d'autres prévenus ; les prisons sont remplies 
» de Français et d'étrangers accusés d'avoir conspiré 
» avec vous : le parlement instruit leur procès. » Bour- 
bon frémit de courroux. 

François I<" , cependant , ne voit que trop la grandeur 
de la perte qu'il vient de faire : il paraît se laisser fléchir 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. ligS — l53o. ^5 

par les larmes de la duchesse de Lorraine , sœur du con- 
nélable. Imbaut va par son ordre trouver le duc de 
Bourbon. « Le roi vous promet , dit-il au prince, la 
» restitution actuelle et entière de tous les biens de votre 
» maison, le remboursement de votre créance sur le 
» trésor royal, le rétablissement de vos appointements 
» et de vos pensions, une amnistie générale pour tous 
» vos partisans : revenez servir Pétat comme votre ser- 
» ment vous y oblige. » Si la fermeté du monarque 
avait égaJé sa loyauté et son courage héroïque, Charles 
de Bourbon aurait volé vers lui , et serait redevenu son 
sujet le plus dévoué et le plus £dèle; mais il ne pense 
quWec eflfroi à lahaioe de Madame et k celle de Duprat : 
il ne veut pas porter sa tête sur Péchafaud. Imbaut , 
désolé de la résolution du duc , lui demande Fépée de 
connétable et le collier de Pord^e de Saint-Michel. L'é- 
pée , répond le prince , le roi me l'a ôtée au voyage de 
Valenciennes lorsqu'il a disposé du commandement de 
V avant-garde en faveur de monsieur é^ Alençon ^ pour 
le collier, je Vai laissé à Chantelle, sous le cJievet de 
mjon lit» 

Bourbon refuse le collier de la Toison-d'Or, que lui 
oflFre Charles-Quint. Il aurait dû, en Pacceptant, prêter 
serment à Pempereur ; et sa fierté augmentant avec son 
infortune , il veut être Pallié de Charles-Quint et non 
pas son vassal. 

Il part suivi de quatre-vingts chevaux, traverse une 
partie de P Allemagne, arrive en Italie, s'arrête un mo- 
ment dans les états de son cousin germain Gonzague , 
marquis de Mantoue, qui lui fait présent d'équipages 
magnifiques , et va à Plaisance , où il confère sur les opé- 
rations de la campagne avec Lannoy , vice-roi de Naples , 
Pescaîte, le duc d'Urbin et les autres généraux de Pem- 
pereur. Combien ses grandes vues ajoutent à la haute 
opinion qu'ils avaient de son génie ! 



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76 HISTOIRE DE L'eUROPE. 

Charles-Quint le nomme son lieutenant général en 
Italie. Bourbon part pour le Milanais , résolu de mourir 
ou d'efifacer son crime par les plus grands succès. 

Bonnivet, choisi par François P' pour commander 
au-delà des Alpes, entre en Italie, vers la fin de l'au- 
tomne, à la tète^ de quarante mille hommes ( i523 )• Il 
espère de mériter par de brillants exploits la charge de 
connétable, vacante par la défection de son ennemi. Ses 
progrès sont rapides : il conquiert presque tout le Mila- 
nais ; mais il fait la faute de s'arrêter a^ milieu de ses 
victoires, de laisser respirer les alliés, et de donner le 
temps à Charles de Bourbon de préparer sa perte. 

Douze mille lansquenets, sous les ordres de Fustcm- 
berg , étaient entrés dans la Champagne ; ils n'étaient 
soutenus par aucune cavalerie ; ils avaient compté sur 
celle que le duc de Bourbon devait leur amener. Claude, 
frère du duc de Lorraine, comte de Guise et époux 
d'Antoinette de Bourbon, sœur du duc de Vendôme , 
les harcelle à la tète de quelques compagnies d'hommes 
d'armes , les fatigue , leur coupe les vivres , les chasse vers 
la Lorraine , les poursuit jusque sous les murs de Neuf- 
chàtel, où étaient sa belle-sœur la duchesse de Lorraine, 
sœur du duc de Bourbon , et la comtesse de Guise ; et les 
Français, qu'il commande en grand capitaine, combat- 
tant en héros sous les yeux des deux princesses et des 
dames de leur suite, remportent sur les lansquenets une 
victoire complète. 

Trente-cinq mille Anglais ou Impériaux avaient en- 
vahi la Picardie , arraché les arbres , détruit les moissons, 
brûlé les châteaux , les bourgs et les villages. La Tré- 
mouille n'a qu'un petit nombre de soldats pour la dé- 
fendre: sa campagne, digne de ses grands talents mili- 
taires, est citée comme un chef-d'œuvre de stratégie. 
Mais, malgré tous ses efforts, il ne peut empêcher les 
alliés de s'approcher de l'Oise et de faire naître dans 



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VINGT-UNIBMB ÉPOQUE. légS — l53o. ^rj 

Paris lea plus grandes alarmes. Le roi, qui <ltait toujours 
à Lyon, envoie le duc de Vendôme avec quatre cents 
lances et de grands pouvoirs au secours de la capitale et 
de la Picardie j et l'ennemi, craignant d'être enveloppé, 
évacue la province qu'il a si horriblement ravagée. 

Bourbon paraît alors à la tète de l'armée que les alliés 
avaient en Italie; on voyait sous ses ordres, ou plutôt 
Gharles-Quint avait associé au commandement de cette 
armée, le brave et chevaleresque Charles de Lannoy, 
vice-roi de Naples, le duc de Milan, le ducd'Urbin, 
et ce fameux Ferdinand-François d' Avalos , marquis de 
Pescaîre , si renommé , non seulement pour ses talents 
de grand capitaine à une époque ou l'on comptait un 
grand nombre de générau:^ habiles, mais encore pour son 
esprit supérieur, le culte qu'il avait voué aux sciences 
et aux lettres , et l'amour que lui avait inspiré sa femme 
Victoria Colonna, célèbre par sa beauté, sa vertu et son 
talent poétique. 

Bourbon succédait à Prosper Colonne, que l'on regar- 
dait comme l'un des restaurateurs de l'art de la guerre, 
et qui, n^ayant jamais voulu rien donner au hasard ni à 
une audace téméraire, avait excellé dans le choix des 
postes, la science des campements, et ce talent si rare et 
si admirable de multiplier ses forces par la manière de 
les employer, et de rendre vains, sans courir aucun ris- 
que , les efforts des armées les plus nombreuses et les 
plus aguerries. Bourbon joignait à une habileté pareille 
toute Pimpétuosité française, lorsqu'il fallait achever 
d'abattre et de vaincre un ennemi déjà affaibli et dé- 
couragé. Il communique son ardeur aux troupes et aux 
généraux. 

L'amiral Bonnivet, cet ennemi personnel de Bourbon ,. 
qai s'était réuni contre ce prince à Madame et au chan- 
celier Duprat, s'était fortifié dans le poste de Biagrassa, 
bloquait en quelque sorte Milan, et avait établi autour de 



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78 HISTOIRE DE L'BUROPE. ! 

lui une partie de ses troupes de la manière la plus proprd 
à favoriser le blocus. 

Le marquis de Pescaire attaque Bayard dans le village 
de Rebec : le chevalier sans peur fait une retraite admi^ 
rable ; mais il accable de reproches Bonnivet, qui l'avait 
chargé , maigre sa résistance , de la défense d'un poste 
presque entièrement ouvert, et ne sacrifie son ressenti- 
ment qu'au danger de l'armée. 

Les alliés s'emparent de la fertile Lomelline^ de la- 
quelle Bonnivet tirait ses subsistances ; le général français, 
près d'èlre affamé ^ laisse dans le camp de Biagrassa les 
troupes nécessaires pour le défendre et inquiéter Milan, 
repasse le Tésin, et prend position entre Vigevano et Mor- 
tapa, où. il veut attendre quatre cents lances, six mille 
Suisses et six mille Grisons , qui viennent le joindre et 
vont lui donner une grande supériorité sur les alliés. 

Bourbon détache Jean de Médicis contre les Grisons, 
qui sont forcés de retourner dans leurs montagnes. Il 
s'approche lui-même de la Sesîa pour empêcher les Suisses 
de passer cette rivière. Des maladies contagieuses régnaient 
dans le camp retranché. Un corps d'Impériaux et de jeu- 
nes habitants de Milan l'attaquent et s'en emparent; mais 
les dépouilles des Français, portées en triomphe dans 
Milan, j' produisent des miasmes délétères qui se répan- 
dent avec tant de fureur qu'en peu de temps plus de cin- 
quante mille personnes succombent à ce fléau terrible. 

Les ennemis des Français ne sont pas seuls victimes de 
cette affreuse calamité ; les fuyards de Biagrassa portent 
la contagion dans le camp de Bonnivet, et son armée, 
privée des renforts qu'elle attendait et épuisée par les fa- 
tigues de la campagne , est en proie à toutes les horreurs 
de la disette et d'une sorte de peste. 

Les Suisses, ennuyés d'attendre inutilement les quatre 
cents lances que François V^ leur avait promises, et qui 
devaient les escorter jusques au camp de Bonnivet, par- 



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VINGT-UNIEME ÉPOQUE. ligS— l53o. 79 

tent seuls et arrivent sur les bords de la Sesia. Qaelle n'est 
pas la douleur de Tamiral lorsqu'un envoyé de ces Suisses 
) lui dëclare qu'ils ne se sont avances si loin de leurs asiles, 
sans cavalerie et sans cesse exposés au danger d'être taillés 
en pièces par les alliés ^ que pour recueillir ceux de leurs 
compatriotes qui servent sous ses drapeaux et les^amener 
dans leurs pays, et lorsque ces Helvétiens, dont on lui 
annonce la défection , se jettent en foule dans la rivière 
pour aller joindre les enseignes de leur patrie qui flot- 
tent sur la rive opposée ! 

Bonnivet n'a plus d'autre parti à prendre que de ra- 
mener en France leis déplorables débris de cette armée 
qui devait conquérir l'Italie ; mais Bourbon combat contre 
les Français , et Bonnivet va éprouver à quels malheurs il 
a condamné sa patrie en se réunissant aux ennemis de 
Bourbon. 

Le duc apprend que l'amiral a jeté un pont sur la 
Sesia, entre Romagnano et Gattinara. Les alliés se met- 
tent en route pendant la nuit; ils arrivent au point du 
jour à la vue de Romagnano : les équipages français com- 
mençaient à défiler sur le pont ; Bonnivet, voyant qu'il 
ne peut éviter de combattre , se place à l'arrière-garde 
avec le comte de Saint-Pol , dont sa tendresse pour son 
frère n'a pu altérer la fidélité ni le dévouement , Bayard , 
Vandenesse et d'autres braves chevaliers. Il dirige la re- 
traite avec autant d'intelligence que de valeur. Un coup 
de mousquet qu'il reçoit au bras ne l'empêche pas de 
continuer de donner des ordres; mais, affaibli par la 
perte de son sang et ne pouvant plus se tenir à cheval, il 
appelle Saint-Pol , Bayard et Vandenesse , et leur remet le 
commandement. 

Mais comment soutenir, avec un petit nombre d'hom- 
mes d'armes , les efi'orts de Bourbon et de Pescaire, et 
donner le temps à l'artillerie , aux équipages et à l'in- 
fanterie de passer la Sesia ? Vandenesse est tué à la tête 



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8o HISTOIRE DE L^EUROPE. 

de Partillerîe qu'il conduit ; Bayard est frappé d'une 
balle qui lui casse les vertèbres : il sent qu'il ne lui 
reste que quelques instants de vie; il ordonne qu'on 
le place au pied d'un arbre, le visage tourné vers l'en- 
nemi. Bourbon arrive auprès de lui ; .il voit le héros ex- 
pirant en proie .aux plus vives douleurs et entouré 
d'omis et d'ennemis qui fondent en larmes; il ne peut 
retenir les siennes. — Ah! Bayard, lui dit-il, que je vous 
plains/ — Ce n'est pas moi qu'il faut plaindre, mon- 
seigneur; je meurs en homme de bien$ mais c'est vous 
qui portez les armes contre votre serment, votre roi et 
votre patrie. » 

Bayard meurt assuré d'une gloire immortelle; Bour- 
bon envie le sort du héros, sent le remords qui déchire 
son âme , s'élance comme un trait , et brûle du désir 
de prendre Bonnivet, qu'il accuse de tous ses maux. 

Son frère, le comte de Saint-Pol, fait des prodiges 
pour soutenir l'arrière-garde. Couvert de poussière , de 
sang et de fumée , il combat comme Bayard , voit tom- 
ber auprès de lui Beauvais surnommé /^ Brave , n'est 
entouré que de cadavres, et va recevoir comme Bayard, 
la mort la plus glorieuse , lorsque Lorge , posté sur 
les bords de la Sesia avec un corps d'arquebusiers, 
fait faire une décharge si terrible, que les bataillons 
espagnols reculent quelques pas. Saint-Pol saisit cet in- 
stant, presse le passage des siens, et ne se retire que le 
dernier. 

Quels regrets ce prince éprouve en rencontrant au- 
près de Suze les quatre cents lances si long-temps atten- 
dues, et qui auraient donné la victoire aux Français! 
Combien il gémit sur la malheureuse négligence d'un 
monarque ti'op dominé par ses plaisirs , ou la coupable 
désobéissance de ses ministres! 

Pendant les désastres qui accablaient l'armée d'Italie , 
le parlement de Paris j ugeait ceux qui, sortis du royaume, 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS— l55o. 81 

portaient, ayec Bourbon, les armes contre la France. Il 
les condamna à mort, et leurs biens confisques furent 
abandonnés à Fayidité de quelques courtisans. Mais lors* 
qu^il s'occupa des prévenus de complicité avec le duc, 
qu^on avait arrêtés, il ne prononça qu'un seul airêt de 
mort; et ce fut le comte de Saint-Vallier qu'il condamna 
à perdre la tète. Le violent et sanguinaire Duprat de« 
vint furieux en apprenant le jugement qui ne pronon- 
çait la mort que contre un accusé. Quel malheur pour 
un roi qu'un ministre tel que Duprat ! Le ci. ..ncelier 
fascina l'esprit de François P'j le monarque viola l'in- 
dépendance des jugements, si nécessaire à l'existence 
de la société tout entière, oublia que le cœur des rois 
est le sanctuaire de la clémence , adressa au parlement 
des reproches amers; mais bientôt, secouant le joug du 
chancelier, redevenant lui-même, et voulant réparer 
sa faiblesse par un acte digne de sa bonté et de son hé- 
roïsme chevaleresque , il fit grâce au comte de Saint- 
Vallier* 

Il ne restait plus que Bourbon à juger. Le roi alla 
siéger au parlement sur son lit ou irâne de justice , ac- 
compagné des princes , des pairs et d'autres grands du 
royaume. L'avocat général Pierre Lizet tâcha de prou- 
ver à la cour qu'elle était en droit dé prononcer sur-le- 
champ l'arrêt de mort du coupable , attendu l'énormité 
et la publicité de l'attentat : mais le parlement, ne vou- 
lant pas s'écarter des formes tutélaires de l'innocence 
et de la sûreté publique, rendit contre Charles, duc de 
Bourbon, un décret de prise de corps, et envoya des 
huissiers à Moulins et à Lyon^ pour sommer le prince 
de comparaître devant la cour. 

Bourbon ne répondit à la sommation qu'en se présen- 
tant sur la frontière du royaume ayec une armée vic- 
torieuse. On ne pensa plus qu'à le repousser. 

Il ne doutait pas qu'en s'avançant vers Lyon il ne 
ToM. Xll. 6 



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82 HISTOIRE DE L^BUROFE. 

vit son parti se relever, la noblesse de ses domaines 
montera cheval pour le joindre, et lés provinces com- 
prises dans ses apanages se déclarer en sa favear. Charles- 
Quint, roi des Espagnes, et Henri VIII, roi d'Angleterre, 
occuperaient les forces de la France , Fun du côté des 
Pyrénées , et l'autre vers les frontières de la Picardie. 
Les gendarmes ou hommes d'armes étaient a&iblis, 
dispersés dans l'intérieur du royaume , et presque tous 
démontés. François P' n'avait d'ailleurs dans son infan- 
terie ni Suisseâ ni Allemands, et ne pouvait opposer 
à l'ennemi que des bandes indisciplinées d'aventuriers 
nationaux. 

Le plan de Bourbon est adopté avec empressement 
par Henri YIU et Charles-Quint : et voici les proposi- 
tions qu'ils adressent au duc. On réunira à ses anciens 
domaines la Provence et le Dauphiné. L'empereur les 
érigera en royaume; quelques autres provinces appar- 
tiendront à Charles-Quint. Le reste de la monarchie 
française sera à ïlenri VIII, qui prendra le titre de roi 
de France , et auquel Bourbon rendra hommage. 

Le duc refusa de souscrire à l'article qui le déclarait 
vassal de Henri VIII. 

Les souverains d'Italie, qui s'étaient confédérés pour 
chasser les Français au-delk des Alpes, et particulière- 
ment le pape Clément VII, ne voyaient qu'avec beau- 
coup de peine la conquête de la France entreprise pour 
le roi d'Angleterre. Bourbon cependant , à la tête de 
dix-huit mille hommes , ne doutait pas du succès de ses 
armes : mais Charles-Quint fit deux grandes fautes ; il 
exigea que Bourbon commençât ses opérations par le 
siège de Marseille, et il donna à ce prince pour adjoint 
au commandement, ou plutôt pour surveillant , le mar- 
quis de Pescaire , qui , craignant de voir sa gloire mili- 
taire effacée par celle d'un étranger dont la renommée 
vantait les exploits, eut le malheur de cesser de mériter 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498— l53o. , 85 

le titre de grand homme, et ne regardait le duc que 
comme un traioifage ^ , oprèa avoir trahi son roi, 
trompait Pempereur en exagérant le crédit dont il jouis- 
sait en France. 

Bourhon, s^élevant au-dessus ,du désagrément que 
Charles4^uint venait de lui donner, consomma son 
crime et passa les Alpes. 

Il prit Antibes, Fréjus, Draguignan, Brignoles, la 
ville d'Aix, pénétra jusques au Rh&ne, et pi'oposa de 
marcher à Lyon, où il entretenait des intelligences, et 
d^aller ensuite dans les provinces de ses apanages qui 
lî'attendaient que sa présence pour s'insurger en sa 
faveur. 

Quels dangers menaçaient François V'^l Pescaire le 
sauva. Il força le duc à faire le siège de Marseille, qui 
devait affaiblir Parmée impériale et donner aux Fran- 
çais -le temps de se reconnaître. Bourbon dissimula son 
chagrin , craignit de décourager ses troupes , affecta 
de regarder comme facile la prise de Marseille, et Pat- 
taqua avec d'autant plus d'ardeur qu'il brûlait du désir 
de pouvoir marcher vers le Bourbonnais. 

Il fit dresser une batterie formidable qui devait ré- 
duire en poudre les murs de la ville et hâter sa conquête. 
Mais Chabot de Brion était dans la place avec deux cents 
lances, dont le plus grand nombre avaient fait partie 
de la compagnie de Bayard, et les Marseillais, indignés 
à la vue d'un Bourbon rebelle, et des Espagnols, aux- 
quels ils avaient voué une haine implacable depuis 
qu'Alphonse , roi d'Arragon , avaient surpris et pillé 
leur ville , avaient résoin de périr plutôt que de se ren- 
dre. Ils avaient rasé leurs faubourgs et les murs de 
leurs bastides ou maisons de campagne, trop voisines 
de la ville. Ils élevaient des plates-formes, creusaient 
des fossés , construisaient des bastions , portaient du 
canon jusque sur les clochers. Les vieillards, les femmes, 

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84 HISTOIRE DE l'eUKOPE. 

les enfants, les plus riches comme les plus pauvres^ 
maniaient la pioche, apportaient les matériaux, en- 
levaient les décombres, exécutaient des travaux souter- 
rains, les opposaient aux mines des assiégeants. Le 
canon de Bourbon ouvrit deux larges brèches; mais 
quel ne fut pas son étonnement lorsque, au-delà des 
murs que ses foudres venaient de renverser^ il aperçut 
des retranchements hérissés de canons et de combattants ! 
Impatient de tant de résistances, il eut recours à un 
moyen odieux dont Phistoire, justement sévère envers 
le prince ennemi de sa patrie, a conservé le souvenir. 
Il paya des scélérats qui parvinrent à s'introduire dans 
la ville où ils devaient mettre le feu pendant qu'il 
donnerait l'assaut. Ces lâches incendiaires furent pendus 
sur les remparts. 

L'argent , les munitions de guerre et celles de bouche 
commençaient à manquer. Le camp retentissait de mur- 
mures contre Bourbon; et Pescaire lui-même, qui savait 
combien ces murmures étaient injustes, aveuglé plus 
que jamais par cette indigne jalousie aussi funeste à 
ceux qui l'éprouvent qu'à ceux qui en sont l'objet , 
décrie sourdement Bourbon, comme un furieux dis- 
posé à sacrifier l'armée à son désespoir, et souvent 
même l'insulte par d'outrageantes railleries. Charles- 
Quint, qui devait envahir la Guyenne, demeurait dans 
ses états; Henri VIII n'avait pas envoyé le subside de 
100,000 ducats qu'il avait promis, et ne faisait aucun 
préparatif pour attaquer la Picardie. Lannoy, qui avait 
rassemblé près de neuf mille hommes auprès d'Asli y 
ne passa pas les Alpes; la flotte espagnole ne parut dans 
la Méditerranée que pour être battue par la flotte fran- 
çaise. Quels terribles remords dut ressentir Bourbon! 

Rien ne put néanmoins ébranler sa constance : son 
artillerie fit une nouvelle brèche plus large que les 
premières. Il ne fallait plus que forcer un retranche- 



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VINGT-UNlibMB ÉPOQUE. 1498— l53o. 85 

ment palissade^ il ordonna aux lansquenets de se pré- 
parer à l'assaut. « Nous ne combattons qu'en rase cam- 
pagne, » répondirent-ils. Les Italiens et les Espagnols, 
prévenus par Pescaire, refusent de marcher. « Je pro- 
» mets, dit Bourbon, 5oo ducats et le commandement 
» de cinq cents hommes au guerrier qui montera lèpre- 
» mier à Passant. » L'armée garde un profond silence. 
Il supplie Pescaire de disposer les Espagnols à l'attaque 
qu'il a décidée. Pescaire demande que la brèche soit 
examinée de nouveau. Sept soldats se présentent^ on 
lés charge de cet examen périlleux : quatre sont tués , 
trois ne sont que blessés dangereusement; ils rapportent 
qu'entre la brèche et le retranchement intérieur il y 
a un fossé très-large, rempli de feux d'artifice, bordé 
d'arquebusiers, et défendu par plusieurs batteries de 
canon. Ce récit frappe les officiers généraux. « Retour- 
» nous dans le Milanais, dit Pescaire qui ne peut dis- 
» simuler sa joie j nous l'avons laissé dépourvu de 
» soldats; on pourrait y prévenir notre retour. » Bour- 
bon au désespoir apprend que François I«', qu'on a 
laissé respirer , approche avec quarante mille hommes- 
Il se résout en frémissant à lever le siège de Marseille, 
veut cacher la retraite qui l'indigne, fait allumer de 
grands feux dont le vent porte la fumée sur la ville , 
embarque sa grosse artillerie, ordonne que les pièces 
de campagne soient emportées sur des mulets, s'éloigne 
rapidement, mais ne peut empêcher les maréchaux 
de Ghabannes et de Montmorenci d'entamer so» arrière- 
garde, ni les paysans provençaux de massacrer ceux 
de ses soldats qui s'écartent du gros de l'armée, a Fran- 
» çois I*"", lui dit-on, précipite ses pas au travers des 
» Alpes pour envahir la Lombardie.. » Lannoy réclame 
son secours : il arrive à Milan, poursuivi de près par 
l'avant-garde française. Les fortifications tombaient en 
ruines. Il est obligé de sortir de cette capitale. Ses traa- 



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86 HISTOIRE DE L'EUROPE. 

pes, accablées de fatigue, ne peuvent soutenir le poids 
de leurs armes. La route de Milan à Lodi est couverte 
de cuirasses ) d'arquebuses , de chevaux mourants, de 
guerriers tombes de faiblesse, et invoquant la mort. 

François P^, séduit par de mauvais conseils, fait le 
siège de Pavie, ou commandait Antoine de Lève, brave 
et habile général. Bourbon respire; mais il ne peut op- 
poser au monarque français que quelques troupes épar- 
ses dans les places de la Lombardie. Il n'a ni magasins, 
ni argent , ni crédit ; il conçoit un projet des plus hardis. 
Le frère de la duchesse d'Ângoulème, son implacable 
ennemie, Charles III, duc de Savoie, avait ouvert avec 
empressement les barrières de l'Italie aux Français; mais 
il avait eu ensuite à se plaindre de sa sœur^ et Bourbon 
découvre qu'il penche secrètement pour l'empereur : 
c'est à ce prince qu'il, imagine' d'avoir recours. En vain 
Lannoy et Pescaire combattent une résolution dont le 
premier redoute des suites funestes, et le second craint 
un trop heureux succès. Bourbon informe l'empereur 
de son entreprise, part pour Turin, parle avec tant d'é- 
loquence au duc de Savoie, lui expose avec tant de force 
ses besoins,' ses vues, ses desseins, lui montre une si 
noble confiance, que Charles III et son épouse Béatrix 
de Portugal lui donnent en secret leurs pierreries et tout 
l'argent qu'ils ont à leur disposition. 

Il vole alors en Allemagne, y rassemble un grand 
nombre de lansquenets que sa renommée attire sous ses 
drapeaux, réunit à ces guerriers endurcis aux travaux, 
soumis à la discipline la plus sévère et pleins de dévoue^ 
ment pour leur général, cinq cents cavaliers de la Fran* 
che-Comté, connus par leur courage, traverse les Alpes 
cottieones, entre dans le Milanais à la tête de plus de 
douze mille hommes, et, par la grandeur et la rapidité 
de ses succès, imprime à Lannoy et à Pescaire lui-même 
une nouvelle admiration mêlée de respect. 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l55o. 87 

Cette Allemagne cependant) qui avait fourni à Bourbon 
un si grand nombre de braves soldats, était plus agitée 
que jamais par les dissensions religieuses, ou plutôt par 
les espérances ou les craintes politiques que faisaient 
nsdtre les opinions soutenues par Luther et ses amis avec 
un succès toujours croissant. Cet homme si extraordi- 
naire ajoutait au charme de ses discours celui d'un art 
qu'il avait cultivé avec soin, et dont les effets enchan- 
teurs secondent si bien les sentiments religieux. Il aimait 
à faire chanter, dans les réunions dont il était Pâme, des 
motets spirituels, des cantiques pieux et des psaumes 
qu'il avait mis en musique avec tant d'habileté que le 
fameux Haendel s'est souvent félicité d'avoir étudié ces 
compositions. Les moyens de persuasion qu'il employait 
avec autant de persévérance que d'ardeur augmentaient 
à un si haut degré le nombre et l'enthousiasme de ses 
partisans que les ordres les plus sévères de la cour im- 
périale étaient sans force contre leur zèle et leur con- 
stance. Les rescrits de Charles-Quint étaient regardés 
comme des attentats contre la liberté des états, et lorsque 
le légat Campegge voulut s'élever avec énergie contre 
les amis et les protecteurs de Luther : « Ayez-vous ou- 
yf blié , lui répondirent les membres de la diète , tous lea 
» sujets de plainte que la cour de Rome a donnés à l'em- 
» pire : que le pape convoque un concile dans lequel on 
)> puisse discuter et la nouvelle doctrine de Luther et 
» les griefs de la nation germanique contre les pontifes 
)> de Rome. » 

Il se forma néanmoins à Ratisbonne , sous les auspices 
de l'archiduc Ferdinand et du légat Campegge, une con- 
fédération de princes d'Allemagne, dont le but était de 
faire exécuter les décrets de la diète de Worms contre 
Luther et ses adhérents. 

N'oublions pas une autre confédération de princes de 
l'empire germanique qui eut lieu vers le même temps à 



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88 HISTOIKE DE L'EUROPE. 

Heîdelberg : ils prirent des mesures pour bannir Pivro- 
gnèrie de leurs cours. « Mais nous ne youlons pas nous 
» y soumettre, déclarèrent-ils formellement, lorsque 
» nous voyagerons en Saxe , en Poméranie , dans le Meo- 
» klenbourg , et dans les Pays-Bas, où il est d'usage de 
» boire avec excès. » 

Pendant que les états de la Grermanie luttaient contre 
Pautorité de Charles-Quint, la puissance de ce prince 
s'étendait dans le Nouveau-Monde, et les pavillons de 
PEspagne allaient flotter sur les rivages des vastes contrées 
où Por était si abondant. 

Dès Pannée i5o2 Christophe Colomb, venant de dé- 
couvrir la province de Honduras, avait appris qu'il exis- 
tait vers POccident un grand empire où les mines d'or 
étaient très-multipliées. Vingt-deux ans plus tard, Fran- 
çois Pizarre, parti de Panama avec Diègue d'Almagro-, 
découvrit l'empire du Pérou, y entra à la tête d'un petit 
nombre d'aventuriers espagnols, et commença la con- 
quête de ces contrées fameuses, où la nature a élevé de 
si grands monuments de sa puissance, où elle a répandu 
Por et l'argent avec tant de profusion , où des Incas ré- 
gnaient dans des palais magnifiques, où l'industrie avait 
déjà fait assez de progrès pour construire de larges rou- 
tes, longues de cinq cents lieues, dont l'Inca Etahlualipa, 
trahi par la fortune, devait oSrir des monceaux d'or pour 
sa rançon, qui, dans moins de cent ans, devait envoyer dans 
PEspagne européenne plus de mille trois cents millions de 
livres d'or, et où l'exécrable avidité du vainqueur devait 
entasser plus de ruines et joncher de plus de cadavres les 
campagnes ravagées que les terribles éruptions des im- 
menses volcans des Andes , et les tremblements de terre 
si fréquents dans ces contrées équatoriales. 

Pendant le commencement de cette horrible invasion, 
Antoine de Lève défendait Pavie avec une grande valeur 
et une constance plus admirable encore j il avait repoussé 



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VINGT -UNIÈME ÉPOQUE. ligS— l53o. 89 

les e£Ports des Français, apaisé les séditions des Aller 
mands, fait supporter avec courage tous les malheurs de 
la disette. François I«^ avait juré de prendre la ville ou 
de mourir sous ses remparts; et, néanmoins, rempli 
d'une confiance funeste , il avait divisé ses forces et en- 
voyé une grande partie de ses troupes en Ligurie, ou 
vers le royaume de Naples qu'il voulait conquérir. Il 
savait à la vérité que Bourbon , Lannoy et Pescaire man- 
quaient de subsistances et d'argent; mais Bourbon avait 
harangué les Allemands, et obtenu par la magie de son 
éloquence et de sa réputation qu'ils se contenteraient, 
pendant quelques jours, du peu de subsistances qu'on 
pourrait leur procurer. Les Espagnols avaient consenti 
à servir sans aucune solde pendant un mois, et les hom- 
mes d'armes ou les gendarmes impériaux faisaient de gé- 
néreux efforts pour rétablir leurs équipages à leurs dé- 
pens. 

Bourbon s'approcha de Milan à la tète de près de 
vingt mille hommes. Voyant que François I*' n'aban- 
donnait pas le siège de Pavie pour venir au secours de la 
garnison française de la capitale du Milanais, et ne pou- 
vant compter sur son armée que pendant un mois , il 
passa le Lembro, et marcha vers le camp du roi de 
France (i524). La Trémouille, Chabannes, le maréchal 
de Foix , Louis d'Ars et tous les vieux capitaines de 
François P', qui connaissaient la situation presque dés- 
espérée de Bourbon , voulaient que le roi se retranchât 
dans un poste avantageux , et laissât le duc se consumer 
en efforts inutiles ; mais l'esprit de chevalerie l'emporta 
sur la prudence. François I*^ ne voulut pas paraître re- 
culer devant un sujet rebelle ; Bonnivet lui promit la 
victoire, et le monarque résolut de continuer le siège. 

Des revers cependant commençaient à remplacer ses 
succèsj un détachement qu'il avait envoyé vers Gênes , 
et rappelé en Lombardie, venait d'être surpris et défait. 



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90 HISTOIRE DE L' 

Pesôaire avait pris sous les yeux du roi une ville défen- 
due par une forte garnison; un Palaviccini, attaché au 
service de France , avait été vaincu aux portes de Cré- 
mone ; les Grisons , inquiétés dans leur pays , avaient 
rappelé Pélite de leurs soldats y et l'armée française était 
épuisée par les fatigues d'un siège entrepris au milieu de 
rhiver, et qui durait depuis quatre mois. 

François I«' , d'ailleurs , croyait avoir vingt--six mille 
fantassins et treize cents lances; et à la honte d'un grand 
nombre d'officiers , dont un défaut inconcevable d'ordre, 
de surveillance et de discipline empêchait de découvrir 
le brigandage , et qui , cachant avec soin les vides des 
compagnies ) dérobaient la paie qu'aucun soldat ne récla- 
mait, l'armée royale comprenait à peine la moitié de 
ces treize cents lances et de ces vingt-six mille fantassins. 

Et quelle n'était pas l'influence de l'esprit chevaleres- 
que sur lès résolutions de François I"' ! « Que huit Fran- 
)> çais à la tête desquels je serai , fait-il dire à Pescaire , 
» combattent contre vous et huit Espagnols ; voyons à 
» qui demeurera le prix de la valeur, et si vous refusez 
» le cartel que je vous propose , je vous oflFre vingt mille 
» écus pour que vous engagiez une action générale avant 
» le terme de vingt jours. —Je ne puis disposer de ma 
» vie sans le congé de l'empereur , lui répond Pescaire ; ' 
» mais que votre Majesté garde son argent pour racheter 
» quelque prisonnier; je l'assure qu'avant vingt jours la 
» bataille lui sera livrée. » 

Bourbon avait pénétré jusques aux bords d'une petite 
rivière très-profonde et très-près des lignes de Parmée 
du roi ; le corps de bataille des Français, commandé par 
le monarque lui-même, était placé sur des hauteurs ; à 
la droite le duc d'Alençon occupait un parc dit de Mi- 
rabelle ; à la gauche le maréchal de Chabannes s'était 
fortifié dans un faubourg; la tête du camp, ses derrières 
et le flanc gauche étaient défendus par des fossés et des 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l53o, 91 

bastions, et le flanc droit étant couvert par les murs 
très-ëpais du parc, on ne pouvait jeter du secours dans 
Pavie qu'eu forçant, sous les yeux du roi, ou le passage 
du Tësin ou le parc de Mirabelle. 

Bourbon pousse ses retranchements jusques à qua- 
rante pas des lignes des Français, les tient en quelque 
sorte assièges entre Pavie et son armëe , les inquiète par 
des escarmouches sans cesse renouvelées , foudroie leur 
camp avec toute son artillerie, et Antoine de Lève le 
seconde par de fréquentes sorties. François P' répond au 
feu de la place et à celui de Bourbon ; mais ses troupes, 
par une suite de leur position, sou&ent bien plus que 
les Impériaux ; le découragement se répand parmi ces 
troupes fatiguées ; la désertion suit le découragement; le 
danger devient extrême j le valeureux François I" le 
contemple avec calme. 

Clément VII, dont les dispositions secrètes étaient 
bien plus favorables aux Français qu'aux Espagnols, lui 
fait parvenir un message : « Les Impériaux, lui fait-il 
» dire , n'ont de subsistances que pour quelques jours ; 
ï> ils vont se dissiper; levez le siège et choisissez une 
» position avantageuse , d'où vous jouirez sans peine et 
» sans danger des fruits de la victoire. » 

Bourbon, en grand capitaine, redoute cette résolu- 
tion, qui rendrait sa perte infaillible. Il prend la déter- 
mination la plus audacieuse; il bravera tous les périls ; il 
attaquera le roi. 

Avant deux heures du matin l'armée impériale s'é- 
branle, et se porte vers le parc de Mirabelle, où était le 
quartier du duc d'Alençon : Bourbon commande les Al- 
lemands, Pescaire les Espagnob, et Lannoy les Italiens ; 
chaque soldat a eu ordre de mettre une chemise par- 
dessus ses armes pour être- reconnu facilement des siens 
au milieu des ténèbres de la nuit ; un détachement de 
sapeurs doit renverser les murs du parc : il abat trente 



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92 HISTOIRE DE L'eUROPE. 

toises de murailles; les Impériaux entrent en foule par 
cette brèche sous les ordres du marquis du Guast ; les 
uns surprennent la garnison du château et dégorgent ; 
les autres s'avancent yers Pavie; Chabot de Brion les 
charge et les bat ; mais du Guast n'en pénètre pas moins 
dans la place, de laquelle il doit ressortir avec Antoine 
de Lève et toute la garnison pour prendre les Français 
à dos. 

Galiot de Genouillac, grand-maître de l'artillerie de 
France*) foudroie l'armée ennemie : il dirige ses batte- 
ries avec tant d'habileté qu'à chaque instant on voit di^ 
paraître des files entières d'Impériaux ; ils se jettent en 
désordre dans un chemin creux où ils espèrent trouver 
un abri; François P' croit qu'ils prennent là fuite; et, 
désespéré de les voir échapper à ses coups , se hâte, mal- 
gré tous les efforts de Genouillac, de sortir de ses retran- 
chements à la tète de ses gendarmes, et cette terrible 
artillerie française , qui seule aurait détruit l'armée en- 
nemie, se trouve masquée et forcée de suspendre ses 
foudres. 

Bourbon voit la démarche si imprudente du roi, et 
passe de la plus grande inquiétude à la joie la plus vive : 
il rallie les Allemands, Lannoy les Italiens, Pescaire les 
Espagnols; ils s'avancent dans l'espérance d'envelopper 
le roi ; d'Alençon et Chabannes accourent à l'instant ; 
Chabannes prend la droite et d'Alençon la gauche; Cha- 
bannes a sous ses ordres l'armée et les bandes noires, 
ces troupes si braves et si aguerries , et qui comprennent 
cinq ou six mille soldats ; dix ou douze mille Suisses se 
rangent en bataille entre le roi et le duc d'Alençon. 

Bourbon promet les plus grandes récompenses à celui 
qui lui amènera vivant ce Bonnivet qu'il regarde comme 
la cause de tous ses malheurs, et attaque les bandes noi- 
res placées entre l'aile droite et le corps de bataille; les 
lansquenets de Bourbon se jettent avec fureur contre 



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VINGT'UNlèME ÉPOQUE. ligS — i55o. q5 

leurs compatriotes ^ les soldats des bandes noires, qu'ils 
regardent comme dés traîtres , et en font un horrible 
carnage ; on voit tomber sous leurs coups le comte de 
Vaudemont , frère du duc de Lorraine , et Richard de 
La Pôle, duc de Suffolk, Phéritier de la branche royale 
d'Yorck , et surnommé Rose-Blanche. 

Le maréchal de Chabannes avait renversé deux fois la 
cavalerie napolitaine qui lui était opposée : Bourbon, 
vainqueur des bandes noires , prend en flanc le brave 
maréchal; l'aile droite effrayée prend la fuite; l'intré- 
pide Chabanneâ, malgré son grand âge, résiste à l'en- 
nemi avec un courage admirable, a son cheval tué sous 
lui, parvient à se dégager, se met à la tête de quelques 
fantassins qui combattent encore j et ne se rend au mar- 
quis de Gastaldo que lorsqu'il est enveloppé par un gros 
escadron. Mais quelle barbarie et quelle honte pour les 
ennemis de la France ! un officier espagnol nommé Bu- 
zarto demande à Gastaldo de partager la rançon du ma- 
réchal : Gastaldo le refuse ; Buzarto tire un coup d'ar- 
quebuse à la tête de l'héroïque vieillard, l'étend mort à 
ses pieds, et sa lâche férocité reste impunie. 

Pendant la défaite de son aile droite, François I" 
veut réparer sa funeste témérité par des prodiges de 
valeur : il enfonce un escadron nombreux , immole de 
sa propre main le marquis de Saint -Ange , dernier 
rejeton du fameux Scanderberg , roi ou prince d'Alba- 
nie, fait mordre la poussière à plusieurs autres ennemis, 
et, secondé des Suisses et de l'élite de sa noblesse, est 
près d'arracher la victoire aux Impériaux : mais depuis 
long-temps Pescaire s'était occupé des moyens d'arrêter , 
au milieu d'une bataille, la fougue irrésistible de la 
gendarmerie française , qu'on surnommait P Invincible : 
il avait choisi dans l'infanterie espagnole quinze cents ou 
deux mille basques aussi légers que dispos ; il les avait 
exercés pendant tout l'hiver aux mouvements les plus 



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9^ 

précis et aux évolutions les plus rapides : c'est avec ces 
basques si dévoués, si adroits, si prompts et si courageux , 
qu'il veut l'emporter sur les redoutables gendarmes 
de France; ils volent vers les rangs les plus serrés de la 
cavalerie française , font feu , se dispersent , vont re- 
charger leurs armes derrière l'escadron de Pescaire , 
reviennent faire une décharge '«nssi meurtrière que la 
première , et ne cessent de répéter cette manœuvre si 
hardie , mais dont la rapidité de leurs mouvements 
écarte de leurs tètes presque tout le danger : les gen- 
darmes et leurs chevaux , frappés par un ennemi qui 
paraît et disparait comme l'éclair, tombent les uns sur 
les autres sans pouvoir se défendre : François I*" ne voit 
qu'un moyen de garantir ses cavaliers de coups si meur- 
triers , si répétés , et comme portés par une main invi- 
sible; il ordonne à ses escadrons de s'étendre. Les bas- 
ques s'élancent au milieu des rangs et jusque sous les 
chevaux des gendarmes , choisissent leurs victimes , 
dirigent particulièrement leurs armes contre les géné- 
raux et le9 capitaines, et dans moins d'une demi-heure 
la mort moissonne le sage et brave La Trémouîlle, 
qu'elle avait respecté dans tant de combats , Louis d'Ars, 
Tournon , Tonnerre et un grand nombre d'autres illus- 
tres chefs ; les gendarmes qui leur survivent se rallient et 
combattent avec d'aAtant plus d'ardeur qu'ils veulent 
les venger et sauver le roi , dont la valeur est plus 
héroïque que jamais ; on voit accourir autour du mo- 
narque un nombre très-considérable d'officiers et de 
gentilshommes qui ont quitté l'aile droite vaincue ou 
l'aile gauche , à laquelle l'infâme duc d'Alençon donne 
l'ordre de la retraite sans oser attendre Bourbon , qui 
vient l'attaquer , et abandonnant au milieu des plus 
grands périls le roi , qui avait tout fait pour lui : la 
fuite du duc d'Alençon entraine la retraite des Suisses; 
Bourbon les poursuit et en massacre une grande partie. 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUB. légS-^iSSo. gS. 

Le maréchal de Montmorenci, détaché la veille avec 
cent hommes d^armes et deux ou trois mille fantas- 
sins pour garder le passage de Santo-^Lazaro , avait été 
oublié dans son poste : il entend les coups redoublés 
de Partillerie , ne prend conseil que de son zèle , préci- 
pite sa marche , arrive sur le champ de bataille , voit 
en rougissant de honte et de colère le duc d'Alençon, 
qui fuit avec toute l'aile gauche , charge avec fureur 
Farmée victorieuse, défait un bataillon de lansquenets, 
mais est enveloppé , blessé et pris par la cavalerie 
italienne. 

François I*' continue de combattre à la tête dWe 
troupe d'élite et comme le plus vaillant des preux j les 
basques, dont les munitions sont épuisées, ne reparais- 
sent plus ; Pescaire ne peut résister aux efforts du mo- 
narque et des braves qui veulent le délivrer ou mourir 
avec lui : il est blessé, renversé , foulé aux pieds des 
chevaux; Lannoy, qui tâche de le secourir, est re- 
poussé par les Français. Mais tous les corps de l'armée 
impériale se réunissent contre François I"', et sa troupe 
animée par le plus noble désespoir ; Antoine de Lève, 
du Guast , Castaldo dégagent Pescaire et rétablissent le 
combat. Bourbon , à la tête de ses lansquenets , ouvre 
l'escadron que conduisait le roi; les princes, les grands 
officiers de la couronne , les principaux chefs se serrent 
autour du monarque et veulent lui faiçe un rempart 
de leurs corps : plusieurs de ces héros meurent percés 
de coups. Ainsi succombent , couverts d'une gloire im- 
mortelle , Hector de Bourbon , vicomte de Lavedan , 
Chaumont , Bussi d'Amboise , Rohan de Fontenai , 
François de Duras, le bâtard de Savoie', les deux prin- 
ces de San-Severino , le maréchal de Foix. 

Bonnivet^ séparé de l'escadron du roi par une violente 
attaque des lansquenets , pouvait échapper à la mort 
par la fuite ; mais il voit le champ de bataille inondé 



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96 HISTOIRE DE l'bUROPE. 

du sang des Français. Je ne survivrai pas , dit-il j à 
cette grande destruction. Il lève la visière de son cas- 
que, se précipite au milieu des ennemis, ne pare aucun 
' des coups qu'on lui porte , et reçoit enfin la mort qu'il 
appelle à grands cris. 

Bourbon arrive : il voit son ennemi étendu à ses 
pieds. AW I misérable , s'écrie-t-il , c^est toi qui es la 
cause de la perte de la France et de la mienne. Il 
s'éloigne ; mais il est entouré des corps sanglants de sqa 
parents , de ses amis , des braves avec lesquels il a si 
souvent combattu; et un remords terrible déchire Pâme 
du malheureux vainqueur. 

François I*' s'était fait un rempart de cadavres ; ceux 
qui osent franchir cette sanglante barrière trouvent la 
mort sous son bras redoutable. Il lutte seul contre une 
armée ; mais son cheval , mortellement blessé , l'en- 
traîne dans sa chute. Il se relève malgré le poids de 
ses armes et la douleur de ses blessures ; il continue de 
se battre en furieux j il aime mieux mourir que de 
tomber vivant entre les mains des ennemis qui l'entou- 
rent. Pomperant , le fidèle compagnon de Bourbon , 
accourt, se range auprès de lui, et le défend. « Cédez 
>> à la nécessité , sire , et consentez à vivre. Le duc de 
» Bourbon est peu éloigné ; rendez-vous à ce prince. » 
Non y non y plutôt mourir mille fois que de donner 
ma foi à un traître. Ou est le vice-roi P ou est-il ? 
Lannoy paraît j le roi lui remet son épée. Lannoy la re- 
çoit à genoux , et lui en présente une autre. 

Bourbon sollicite la grâce de paraître devant le sou- 
verain qu'il a trahi et fait prisonnier. Il est victorieux; 
son cœur est déchiré comme par une furie vengeresse. 
Pomperant l'accompagne, Pomperant qui a sauvé la vie 
et au prince et k François I^^. Bourbon tombe aux ge- 
noux du roi; François P' paraît touché, le relève, lui parle 
avec bonté, et comble Pomperant de caresses. Combien 



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VINOT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498— l53o. 97 

dans ce moment il s'élève au-dessus de ceux qui Pont 
vaincu! Il écrit à sa mère : Tout est perdu ,. madame y 
fors Vhonneur. Sa constance brave la fortune : cette 
grande victime des rigueurs du sort paraît calme sous 
ses coups. L^armée victorieuse ne le voit qu'avec enthou- 
siasme : eUe admire avec émotion son affabilité et ses 
grâces martiales; elle célèbre les prodiges de valeur qui 
ont illustré sa défaite. Lannoy craint que Bourbon , à la 
tête des lansquenets, qui montrent le plus grand intérêt 
pour le monarque, ne lui arrache son prisonnier, ne le 
ramène en France, ne répare son crime : il se hâte de con- 
duire le roi à Pizzighitone et de lui donner pour garde 
l'infanterie espagnole commandée par Alarcon (iSqô). 
La nation française, que la funeste nouvelle de la 
captivité du roi avait plongée dans la consternation, se 
relève indignée contre Louise de Savoie : elle lui repro- 
che son avarice, son orgueil , sa haine , qui a forcé le duc 
de Bourbon à devenir rebelle j elle l'accuse de tous les 
maux de la France. On ne parle qu'avec horreur du 
chancelier Duprat, l'instrument servile des passions de 
la duchesse ; on demande sa tête ; on veut ôter la régence 
à la mère du roi. La fermentation devient extrême; et, 
à l'approtohe des orages terribles qui menacent le royaume, 
on veut déférer le commandement suprême au duc de 
Vendôme. 

Une députation solennelle le conjure de sauver' la pa- 
trie. Le duc frémit en prévoyant la guerre civile qu^allu- 
merait son élévation à la régence. « Je vais à Lyon, dit-il 
» aux députés, recevoir les ordres de madame la régente, 
» qui m'appelle pour travailler k la liberté du roi et à 
)> votre salut. » Louise de Savoie admire d'autant plus 
le noble sacrifice de Vendôme que son âme ambitieuse 
n'aurait peut-être jamais pu s'élever à un dévouement si 
généreux : elle le nomme chef de tous le& conseils; elle 
ne veut gouverner que de concert avec lui. 

ToM. xn. 7 



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gS HISTOIRE DE L^^UROPE. 

Ils n'ont pas de troupes à opposer aux armées de Char 
les-Quint, à celles de Henri VIII, à quinze mille Alle- 
mands, qui menacent les frontières du royaume. Un 
grand sentiment leur inspire une grande pensée : ils ra- 
chètent aux dépens de Uétat tous les prisonniers faits à 
Pavie. Le trésor public est épuisé^ mais la France recou- 
vre des soldats et des chefs* 

La régente adresse ensuite des négociateurs secrets au 
roi d'Angleterre : elle savait que l'amitié de Henri VIII 
pour Charles-Quint était depuis quelque temps très-re- 
froidîe. L'effet ordinaite d«s coalitions était arrivé : l'in- 
térêt particulier du souverain l'avait emporté sur l'intérêt 
général de la ligue. Non seulement Henri avait cessé de 
payer le subside de 100,000 écus par mois qu'il avait 
promis, mais il avait demandé le remboursement des 
sommes qu'il avait prêtées à Charles-Quint. 

Peu de jours après que Henri eut appris la défaite de 
Pavie, il assembla son conseil. Le roi d'Angleterre doit-il 
profiter de ce désastre pour faire valoir ses droits sur la 
France , et conquérir ce royaume , ou secourir au con- 
traire le roi prisonnier pour contre-balancer le pouvoir 
impérial, dont l'accroissement répand de si vives alarmes? 
Telle est la grande question sur laquelle le conseil déli- 
bère. Le roi , le cardinal Wolsey et tout le conseil se dé- 
terminent en faveur du roi captif. 

Henri VIII envoya des ambassadeurs en Espagne. Ils 
réclamèrent l'exécution du traité de VVindsor, d'après 
lequel les prisonniers devaient appartenir à celui dont ces 
prisonniers auraient usurpé ou envahi les états; ils de- 
mandèrent, en conséquence, que François I" fût livré à 
Henri VIII. L'empereur répondit en termes vagues, 
qu'on regarda comme un refus; la cour d'Angleterre 
publia , dans une sorte de manifeste, les sujets de plaintes 
que Henri avait contre Charles-Quint. On fit connaître 
à la régente de France les dispositions de Henri; et 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l53o. 99 

LoQÎse de Savoie s'empressa d'envoyer deux ambassa- 
dears à Londres. 

Wolsey convînt avec eux d^un traité, dont la première 
disposition fut une ligue offensive et défensive entre les 
deux rois et les amis des deux monarques. La régente 
s'engagea, au nom de son fils, à payer deux millions 
d'écas dW à différents termes, à faire compter ensuite 
au roi d^Angleterre une pension annuelle de 100,000 
écus , et à prendre les mesures nécessaires pour le paie- 
ment du douaire de Marie, sœur de Henri VIII et reine 
douairière de France, ainsi que des arrérages de ce douaire. 
Les Écossais furent compris dans l'arrangement; Louise . 
de Savoie s'obligea à ne pas consentir au retour du duc 
d'Albanie en Ecosse pendant la minorité de Jacques V ; 
et la régente promit, d'ailleurs, au cardinal de Wolsey les 
arrérages de la pension qui lui avait été accordée pour le 
dédommager de l'administration de l'évêché de Tournai, 
et une gratification de 100,000 écus d'or. 

Elle n^osa pas convoquer les états généraux pour faire 
donner une sanction solennelle à un traité si important 
que le salut de la France paraissait attaché à son exécu- 
tion; mais il fut approuvé par les parlements de Paris , de 
Toulouse et de Bordeaux. Les seigneurs qui auraient 
paru aux états et les villes qui y auraient envoyé des dé- 
putés s'engagèrent par des lettres patentes à observer 
l'arrangement dont on était convenu; et François V^ 
envoya une ratification écrite de sa main et datée du 
27 décembre i525 , de l'acte qui pouvait l'aider à réparer 
tant de malheurs. 

Charles-Quint, l'heureux rival de ce roi malheureux , 
mais qui était destiné à ne rien faire de grand que par ses 
généraux ou ses ministres, subissait toute l'influence de 
son siècle sans lui imprimer aucun caractère. Les eflFets de 
la révolution luthérienne n'avaient pas encore ouvert les 
yeux des peuples, et Charles-Quint croyait, avec un grand 

7- 



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100 HISTOIRE DE l'eUROPE, 

nombre de ses contemporains , que la dissimulation et la 
ruse pouvaient encore tromper pendant long-temps les 
nations, et faire partie de Fart de régner. Il afiFecta d'abord 
la plus grande modération , et défendit qu'on célébrât par 
des réjouissances publiques la victoire de Pavie; mais bien- 
tôt il montra toute son ambition et toute' sa hauteur. 

Beaurein porte en Italie à Pinfortuné monarque les 
conditions auxquelles veut le soumettre son implatcable 
ennemi : il avait reçu Pordre de les communiquer à 
Bourbon.'L'Europe étonnée ne parlait qu'avec admiration 
de ce prince, qui, exilé , pi^oscrit , plongé dans la misère 
la plus profonde , s'était élevé par son génie , ses talents 
et son caractère bien au-dessus du trône, que la politique 
de l'empereur voulait ériger pour lui sur les débris de 
la monarchie française. Il se rend à Pizzighitone. On lit 
à François I®' les propositions de Charles. « Vous renon- 
» cerez, lui dit-on de la part de l'empereur, qui croit 
» être devenu l'arbitre du monde, à tous vos droits sur 
» le royaume de Naples, le Milanais, le comté d'Asti, 
» la seigneurie de Gênes ; vous céderez la suzeraineté des 
» comtés de Flandre et d'Artois j vous restituerez la Bour- 
» gogne et ses dépendances; vous rendrez au duc de 
» Bourbon les provinces qui lui ont appartenu ; vous y 
» ajouterez la Provence et le Dauphiné j ces provinces 
» fonneront pour ce prince un royaume indépendant; 
» vous paierez au roi d'Angleterre toutes les sommes 
» que lui doit la maison d'Autriche. » 

* François I*' devient furieux, tire son épée, s'écrie : Il 
vaut mieux pour un roi finir ainsi ; et Alarcon, qui le 
garde à vue, peut à peine arrêter son bras. « La liberté 
» m'est bien chère, ajoute-t-il avec force; mais j'aime 
» mieux subir une prison perpétuelle que d'accepter 
» ces honteuses conditions. Si j'étais d'ailleurs assez lâche 
» pour m'y soumettre, les états généraux de mon 
» royaume me désavoueraient : ils ne consentiront ja- 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. ligS — l53o. lOl 

» mais à Paliënation d'une seule province. Je désire nëan- 
» moins conclure une étroite alliance avec Pempereur : 
» j'épouserai la reîne douairière de Portugal; je retien- 
» drai la Bourgogne comme une dot de cette princesse ; 
» je rendrai au duc de Bourbon tous ses domaines ; je 
» lui en accorderai de nouveaux ; je le dédommagerai de 
» la main d'Éléonore d'Autriche en lui donnant celle de 
» ma sœur la duchesse douairière d'Alençon } je céderai 
» le royaume de Naples, la seigneurie de Gênes, le comté 
» d'Asti, le duché de Milan; je renoncerai même à la 
» suzeraineté de l'Artois et delà Flandre ; je paierai une 
» forte rançon; et, lorsque l'empereur ira se faire cou- 
» ronner en Italie, je joindrai à ses troupes une flotte et 
» une armée; mais je n'ajouterai rien à ces grands sa- 
» crifices. » 

Lannoy voyait cependant avec une vive inquiétude 
que Bourbon fût, plus que Charles-Quint, le maître de la 
personne de François l". Il s'empressa d'imposer de 
fortes contributions aux divers états de l'Italie, de payer 
les lansquenets trop dévoués à Bourbon et de les renvoyer 
en Allemagne. Il licencia aussi les Italiens , dont il se 
méfiait, et ne garda avec lui que les Espagnols et quel- 
ques corps allemands attachés depuis long-temps à l'em- 
pereur. Ges précautions extrêmes pouvaient le perdre. 
A peine son armée suffisait-elle pour garder le roi et 
Pizzighitone. L'Italie, menacée du joug de Gharles- 
Quint, pouvait réunir ses forces , délivrer François I®' et 
chasser les Impériaux. Lannoy sentit son imprudence ; il 
résolut de transférer en Espagne le roi son prisonnier. 

« Messieurs, dit-il aux généraux réunis dans un conseil 
» de guerre , je ne puis répondre de la personne du roi 
» de France. Le comte de Saînt-Pol, le comte de Vaude- 
» mont et le marquis de Saluées correspondent avec le 
» comte Francisque de Pontrème , cet homme si puis- 
» sant dans le Milanais. Les princes qui environnent la 



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J02 



» Lombardie sont ennemis secrets de l'empereur j il est 
» indispensable d'éloigner François I*' des intrigues des 
» Français et de leurs partisans , et de le transférer dans 
» un des châteaux du royaume de Naples. » 

Bourbon et Pescaire ne soupçonnent pas le véritable 
projet de Lannoy, ne doutent pas qu'ils n'influent sur la 
destinée du monarque à Naples aussi bien qu'à Pizzighi- 
tone, louent la prévoyance de Lannoy, adoptent ses 
vues, escortent eux-mêmes jusques à Gênes le malheu- 
reux monarque, et ne le quittent qu'après l'avoir vu 
s'embarquer. 

Mais la flotte française dominait dans la Méditerranée; 
Lannoy ne pouvait lui opposer que des galères mal ar- 
mées. Il parvient à persuader au roi qu'une entrevue avec 
l'empereur hâtera le moment de sa liberté plus que tou- 
tes les négociations conduites de loin; que sa présence à 
Madrid peut seule empêcher le mariage si redouté par 
François I®' , de Bourbon avec la sœur de Charles, cette 
princesse qu'il désire pour lui-même , et que rien n'é- 
galerait la générosité de l'empereur. 

François P' , chevalier aussi loyal que brave , s'aban- 
donne à Lannoy, fait désarmer ses propres galères, et les 
confie à ce vice-roi , qui le conduit a Carthagène. 

Bourbon, furieux de la tromperie de Lannoy, passe 
en Espagne , et s'avance vers Tolède , où Charles-Quint 
était avec toute sa cour. L'empereur sort au-devant de 
lui avec les grands du royaume, l'embrasse, le place à 
sa gauche et le conduit au palais qui lui est destiné. 

Quelle douleur pour François P' ! Tous les honneurs 
sont prodigués à son sujet rebelle , et Charles-Quint 
n'a pas encore daigné le visiter. Détenu dans un vieux 
château , à peine peut-il respirer pendant quelques mo- 
ments l'air de la campagne, monté sur une mule et 
entouré de soldats qui ne le perdent pas de vue. Son 
âme se flétrit; il ne peut plus lutter contre îe chagrin 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. ligS — i53o. io3 

qui le dévore; la fièvre le saisît ; il est près de succomber 
à ses maux , et la mort va le délivrer de toutes ses dou- 
leurs. 

Charles-Quint tremble de voir sa proie lui échapper, 
va voir François I®' , lui prodigue les plus grandes pro- 
messes et le rappelle à la vie. Mais bientôt il reprend 
toute sa dureté, et lorsque les forces du monarque trahi 
par. le sort paraissent revenir, il déclare de nouveau 
qu^il ne lui rendra la liberté que lorsqu^il se sera sou- 
mis aux conditions qu'il lui a fait notifier. 

La nation espagnole , noble , magnanime et chevale- 
resque comme François I®^, témoigne la plus grande 
vénération au royal prisonnier. Lorsque Bourbon paraît, 
on le montre avec mépris; on s'écrie : f^oilà le traître 
à son roi et à sa. patrie; et Charles-Quint ayant prié le 
marquis de Villena de prêter son palais à Bourbon : « Je . 
» vous obéirai, sire, lui dit le marquis; mais lorsque 
» Bourbon en sera sorti j'y mettrai le feu, comme à 
» un édifice souillé par la présence d^un traître. » 

La colère de Pescaire surpassa celle de Bourbon , lors- 
qu'il apprit que Lannoy avait conduit François I*"" en 
Espagne : il adressa à ce général les plus sanglants re- 
proches; il écrivit avec fierté à Charles-Quint, auquel 
il ne pouvait pardonner de ne l'avoir pas laissé usur- 
per le comté de Carpi, et, ne mettant plus de bornes à 
ses prétentions à une époque où le succès avait si sou- 
vent couronné l'audace, il exprima son ressentiment 
avec un éclat qui devait annoncer de bien grands 
événements. 

Un grand mouvement agitait l'Angleterre. Wolsey, 
ayant besoin d'argent pour les affaires du gouverne- 
ment, et ne voulant pas avoir recours au parlement, 
dont il avait déjà éprouvé des refus, avait publié un 
décret, au nom du roi , pour lever dans tout le royauma 
le sixième des revenus laïques et le quart des revenus 



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lo4 HISTOIRE DE l'eUROPE. 

du clergë. Une clameur universelle s'éleva dans la 
Grande-Bretagne contre cette violation de la grande 
charte. Le roi alarmé déclara par une proclamation qu'il 
n'exigerait jamais aucune somme de ses sujets, et qu'il 
se bornait à leur demander de payer la contribution 
qui lui était nécessaire, par forme de bienveillance ^ 
comme sous le règne d'Edouard IV. Les magistrats de 
Londres répondirent que Richard III avait aboli l'ex- 
pédient de la bienveillance. « Richard III , dit le cardî- 
» nal, était un tyran et un usurpateur, dont les lois 
» prétendues ne peuvent porter aucun préjudice à la 
)) prérogative royale. » Un soulèvement eut lieu dans 
le voisinage de la capitale. Quelques-uns des insurgés 
furent arrêtés ; le roi , désirant de montrer combien il 
était loin de vouloir opprimer le peuple , dit à son con- 
seil que personne ne serait puni pour cette insurrection* 
Il parut désapprouver la conduite de Wolsey ; il s'éleva 
à l'instant , de toutes les parties de l'Angleterre, la plainte 
la plus vive contre le cardinal. Allen, son chapelain et 
le servile instrument de ses crimes , fut poursuivi pour 
ses extorsions devant une cour de judicature. Les voix 
qui accusaient le prélat retentirent jusques au trône, et, 
triste condition des rois auxquels la vérité ne peut par- 
venir ! Henri VIII était persuadé que le peuple anglais 
vivait heureux et content sous l'administration -de 
Wolsey. Désabusé tout d'un coup , et apprenant sous 
combien d'oppressions son ministre avait fait gémir 
l'Angleterre , il éprouva la colère la plus violente, 
Wolsey eut recours, pour l'apaiser, aux plus basses sou- 
missions. « Je n'ai rien fait, sire, lui dit-il en se jetant 
» à ses genoux, que pour accroître la puissance de vo- 
» tre Majesté. Ces richesses qui ont excité l'envie, je ne 
» les ai amassées que pour vous. Voyez le testament 
» que je présente à votre Majesté : tout ce que je possède 
» doit vous appartenir. » Le caractère de Henri VIII 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — i53o. io5 

continue de se manifester : sa colère s'apaîse j il accepte 
de Wolsey le palais d^Harapton- Court, que le cardinal 
venait de faire élever; il lui donne à la place celui de Ri- 
chmont; il lui promet PaflFection la plus durable. Il 
avait eu de la jeune Elisabeth Blount, un fils naturel 
nommé Henri Fitz-Roi, et qu'il aimait d'autant plus 
qu'il n'avait pas de fils légitime. Le cardinal l'engage à 
témoigner toute sa tendresse k cet enfant si chéri ; et 
quoique Henri Fitz-Roi n'eût encore que six ans, le roi, 
d'après l'avis de son adroit ministre, le crée duc de 
Richmont et de Sommerset, comte de Nottingham, 
lieutenant général des pays situés au-delà de la Trent, 
et gouverneur des frontières. 

François P', le nouvel allié de Henri VIII, languis- 
sait toujours dans sa prison. La belle et éloquente du- 
chesse d'Alençon, cette sœur si dévouée du roi de France, 
était venue en vain à Madrid, sur la foi d'un sauf-con- 
duit impérial , pour négocier avec Chàrles-Quint , et 
dans l'espérance d'obtenir la délivrance de son souve- 
rain et du frère qu'elle chérissait si tendrement. Elle 
avait désespéré, après bien des conférences, de toucher 
le vainqueur; mais elle ne pouvait se résoudre à s'éloi- 
gner de son frère encore malade. Le sauf-conduit qu'on 
lui avait accordé expirait cependant dans cinq jours, 
et Charles-Quint attendait avec impatience le moment 
où il pourrait renfermer dans la mkrcLQ prison le mo- 
narque et sa sœur. Bourbon indigné , et qui d'ailleurs 
n'avait pu voir la duchesse avec indifférence , donna 
secrètement avis à cette jprincesse du péril qui la mena- 
çait : madame d'Alençon se résout malgré elle à partir; 
elle embrasse en pleurant son malheureux frère. Fran- 
çois I*' avait pris la résolution magnanime de se sacrifier 
au salut de sa patrie. « Ma sœur, dit-il à la duchesse, 
» portez en France cet acte solennel; j'abdique la cou- 
» ronnej je délie mes sujets du serment de fidélité j 



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lo6 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

» qu'ils me regardent comme mort, et que mon fils 
» monte sur le trône. » La duchesse l'admire, part 
pour la France, emporte ce monument de gloire et 
de dévouement, et, s'éloigriant avec la plus grande 
rapidité , passe les Pyrénées et parvient dans la Guyenne 
(i526). 

Charles-Quînt apprend Pabdîcation de François ; il 
craint de perdre tous les avantages de la victoire ; il 
n'exige plus de conditions aussi dures ^ il ne demande 
plus le Dauphiné et la Provence pour Bourbon j il 
renonce à voir la France divisée en deux royaumes; il 
presse Bourbon de céder à François I^^ la main d'Eléo- 
nore d'Autriche avec laquelle il était déjà fiancé , et 
lui promet de lui donner le Milanais, dont ses géné- 
raux ont presque entièrement dépouillé François Sforeci 

Le duc céda aux instances de Pempereur ; mais , 
trompé dans son attente , il conçut pour Charles— Quint 
une haine profonde. 

Jamais cependant Fempereur n'avait eu plus de be- 
soin de ce grand capitaine. Pescaire n'avait cessé , dans 
les emportements de son ambition vivement blessée , 
de proférer cofttre l'empereur les 'plaintes les plus fortes 
et les nienaces les plus audacieuses. L'Italie , qui détes- 
tait la puissance de Charles , crut voir un libérateur 
dans le général qu'on regardait comme invincible. 
Jérôme Morone , dont la vieillesse n'avait affaibli ni 
le génie ni le courage , et qui , rempli des maximes 
de Jules II , ne respirait que pour délivrer un jour 
l'Italie des étrangers qu'il nommait les barbares, entreprit 
de séduire Pescaire. « Nous avons pour nous, lui dit-il, 
» le pape , la république de Venise , tous les partisans de 
» François Sforce. Imitons les Siciliens ! Les Impériaux 
» sont dispersés dans le Milanais; que l'Italie soitven- 
» gée , qu'ils soient tous égorgés : la couronne de Naples 
» sera placée sur votre tête! » 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l55o. IO7 

Pescaire , ëbloui par Féclat du diadème , promit d'a- 
bandonner l'empereur , et d'exterminer son armée; 
mais dès qu'il crut que la cour de Madrid avait reçu 
des indices de la conspiration, sa fermeté s'évanouit; 
il fut saisi de crainte; et , deux fois traître, il révéla à 
Charles-Quint toute la conspiration. L'empereur, fei- 
gnant de le croire innocent , le chargea de punir les 
coupables. Pescaire ne rougit pas de faire arrêter et 
d'interroger lui-même Morone. Poursuivant avec achar- 
nement François Sforce, il acheva de lui enlever taus 
ses états, excepté le château de Milan et celui de Cré- 
mone; et il se croyait à la veille d'obtenir la dépouille 
de ce prince , lorsque la mort le frappa presque subi- 
tement , et délivra d'un perfide l'Italie et Charles- 
Quint. 

Clément VII et la république de Venise , enhardis 
par cet événement, prirent les armes pour exterminer 
les Aoldâts espagnols et allemands qui , depuis la bataille 
de Pavie, dominaient avec tant d'insolence dans un si 
grand nombre de contrées italiennes. 

Charles- Quint n'avait plus que Bourbon à opposer 
à ses ennemis. Il lui promit de nouveau de lui donner 
le Milanais, lorsque François Sforce aurait été jugé et 
condamné comme coupable de félonie. Il le déclara géné- 
ral de ses troupes ; il lui annonça des secours; mais 
par cette politique qui accompagne presque toujours la 
méfiance de la faiblesse ou de l'infériorité , il ne lui 
donna qu'un renfort de huit cents hommes et 100,000 
ducats. 

A peine Bourbon fut-il arrivé à Barcelone, où il 
devait s'embarquer pour l'Italie , qu'il reçut de l'em- 
pereur une copie du traité que ce prince venait de 
signer avec François I*"". En connaissant ce traité fu- 
neste, l'Europe vit sur le bord de quel abime les pas- 
sions de Louise de Savoie avaient entraîné la France. 



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lo8 HISTOIRE DE L'EUROPE. 

"Voici les principales conditions de ce traite honteujc^ 
que la postérité reprochera sans cesse à l'ambitieuse e| 
vindicative Louise. 

Le roi donnera pour otages ses deux fils, le daupliin 
et le duc d'Orléaiis , ou le daxtphin et le duc de Ven- 
dôme , le comte de Saint-Pol , le duc d'Albanie y le 
comte de Guise y le comte de Laval , le marquis de 
Saluces , le maréchal de Lautrec y -le comte de Rieu:3C , 
le sire de Brézé , le maréchal de Montmorenci , le 
seigneur de Brion et le maréchal d'Aubigny. 

L'empereur gardera ces otages jusques au moment où 
le roi, rentré dans son royaume, aura ratifié le traite, 
et l'aura fait approuver par les parlements , les princi- 
pales villes de France et les grands -officiers de la cou- 
ronne. 

Le roi abandonne à l'empereur le duché de Bour- 
gogne , le comté de Charolais , ses droits de propriété 
sur PArtois , le Tournaisis, Lille, Douai et d'autres 
grandes villes flamandes , et ses prétentions sur le duché 
de Milan , le royaume de Naples , le comté d'Asti , les 
châtellenies de Péronne , Roye et Montdidier , les 
comtés de Boulogne et de Guignes , Ponthieu et plu- 
sieurs villes situées près des rives de la Somme. 

Il renonce à l'hommage dû à la France pour la Flan- 
dre et l'Artois. 

Il fera en sorte que Henri d'Albret cède le royaume 
de Navarre, et que le duc de Gueldre assure sa succession 
à l'empereur et à ses descendants. 

Il ne donnera aucun secours aux princes de Wur- 
temberg ni aux comtes de La Marck. 

Il rendra , dans le terme de six semaines , au duc de 
Bourbon tous les biens meubles et immeubles que ce 
prince a possédés, et tous les revenus de ces domaines^ 
saisis depuis sa sortie de France. Le duc de Bourbon 
jouira de ces biens quoique vivant hors du royaume et 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l55o. J09 

acx^me étant aa service de l'empereur. Ce prince nom- 

cxiera des lieutenants pour gouverner ses provinces en 

sou nom : il revendiquera juridiquemient ses droits sur 

\sk Provence* Les partisans rentreront dans leurs biens 

oonfisqués avant l'expiration de six semaines ^ et en 

jouiront quand même ils seraient hors du royaume et 

sittachés au service de Charles-Quint; le seigneur de 

Saint- Vallier- et Pévêque d'Autun seront élargis sans 

délai. 

Louise de Savoie envoya ses deux petits-fils en Espa- 
gne. François I*' fut contraint de jurer que, si les condi- 
tions du traité n'étaient pas exécutées, il rentrerait dans 
sa prison. La liberté lui fut rendue, et il reparut au mi- 
lieu de cette Fi-ance qu'il avait tant regrettée. 

A peine eut-il repris les rênes du gouvernement qu'il 
donna au comte de Saint-Pol le gouvernement du Dau- 
phiné et une pension de 24,ooo livres, au maréchal de 
Montmorenci le gouvernement du Languedoc et la charge 
de grand-maître de France, et à Chabot de Brion le gou- 
vernement de la Bourgogne et la dignité d'amiral. 

Le comte de Lannoy vint de la part de l'empereur de- 
mander l'exécution du traité de Madrid; les notables du 
royaumie, rassemblés à Cognac auprès du roi, dirent au 
comte avec véhémence : « Le roi n'est pas le maître de 
» démembrer le royaume; nous ne le soufiFrirons pas ; 
» et s'il l'ordonnait nous refuserions de lui obéir. De- 
» puis Clovis, dirent les députés de Bourgogne, nous ne 
» sommes gouvernés que par des ducs de la maison de 
» France; nous voulons persévérer dans notre droit : si 
» le roi nous abandonne, nous prendrons les armes, nous 
» conquerrons notre liberté et nous saurons bien nous 
» soustraire à une domination étrangère. » 

La sainte ligue se formait cependant de plus en plus 
entre le pape, les Vénitiens, François Sforce et Fran- 
çob P' , qui renonçait au Milanais en faveur de ce duc. 



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IIO HISTOIRE DE l'eUROPE. 

Des ambassadeurs du roi de France dëclarèrent à la diète 
de Spire que Charles-Quint, vassal du roi pour plusieurs 
provinces, avait violé , en le retenant prisonnier, les lois 
féodales et les lois de la guerre reconnues par les princes 
chrétiens; que leur souverain reprendrait ses fers et se 
soumettrait à la plus dure captivité plutôt que de man- 
quer à sa parole , mais que la volonté de la nation fran- 
çaise et le salut de Pétat lui interdisaient cette démarche, 
et qu'en conséquence il offrait à Charles-Quint deux 
raillions d'or pour la Bourgogne et la délivrance de ses 
enfants. 

Pendant cette ambassade, Antoine de Lève et le mar- 
quis du Guast assiégeaient François Sforce dans le château 
de Milan. Cette ville était livrée par les Impériaux à tou- 
tes les horreurs que peuvent inspirer Favarice , la 
cruauté et la débauche la plus effrénée. Ils se partageaient 
les familles comme un troupeau d'esclaves destinés à 
leurs infâmes désirs. Les outrages et les coups punis- 
saient le plus léger murmure, et l'on faisait périr dans 
les supplices ceux qui cherchaient à s^échappen Le cri 
des malheureux Milanais était parvenu jusques à Charles- 
Quint; et ce que la postérité n'a rappelé qu'avec exécra- 
tion, le silence de Charles parut approuver cette atroce 
barbarie. 

Ou ne comptait néanmoins que dix mille Impériaux 
pour assiéger le château, et faire gémir la ville sous des 
maux si affreux. Une armée de trente mille confédérés 
soldés par le pape et la république de Venise s'avançait 
vers cette cité si indignement traitée. Bourbon arriva 
dans ses murs désolés; il n'y trouva que des bourreaux 
et des. victimes. 

Les magistrats et les principaux citoyens, encouragés 
par le souvenir de la justice et de la douceur avec les- 
quelles il les avait gouvernés, se traînèrent vers lui vêtus 
de deuil et plongés dans la douleur la plus profonde. Ils 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l53o. 111 

se précipitèrent à ses pieds, ils le saluèrent comme leur 
nouveau souverain; ils lui rappelèrent ses bienfaits; ils 
lui peignirent leur épouvantable situation ; ils implorè- 
rent son secours. 

Bourbon , vivement ému , versa des larmes sur leur 
sort, les consola, les encouragea, rejeta tous leurs mal- 
heurs sur les circonstances qui avaient empêché Parmée 
de recevoir sa solde. « J^ai apporté, ajouta-t-il, de grandes 
» sommes d'Espagne; mais elles ne suffisent pas pour 
» payer ce qu'on doit aux troupes. Faites un dernier ef- 
» fort; trouvez une somme de 3o,ooo ducats; je ferai 
» sortir Parmée de votre ville : vous avez été souvent 
» trompés par de perfides promesses; mais, j'en atteste 
» le ciel, je serai fidèle à la mienne. » 

Les Milanais vendirent tout ce qui leur restait, réuni- 
rent 3o,ooo ducats, les portèrent au prince. Bourbon les 
distribua à une partie des troupes qui passèrent dans les 
faubourgs; mais celles qui restèrent dans la ville conti- 
nuèrent d'autant plus de commettre les plus horribles 
désordres que les généraux espagnols, aussi jaloux que 
Pescaire de la gloire de Bourbon, encourageaient en se- 
cret leur horrible licence dans l'espoir que Bourbon en- 
treprendrait de la réprimer, et recevrait la mort des 
soldats révoltés. 

Le ducd'Urbin, repoussé à une attaque d'un des fau- 
bourgs, s'éloigna avec précipitation, malgré un renfort 
de cinq milles Suisses. François Sforce , qui n'avait plus 
de vivres que pour un jour, fut contraint de se rendre; 
Bourbon, maître du château que l'on regardait commet 
la plus forte pUce d'Italie , et que trois armées ennemies 
n'avaient pu sauver, en donna le commandement à Mon- 
tagnac de Tausannes. Il disposa de la charge de chancelier 
du Milanais en faveur de l'évêque d'Autun, et distribua 
tous les emplois vacants aux nobles français qui s'étaient 
attachés à sa destinée; mais, pour se maintenir dans la sou- 



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113 HISTOIRE D£ L^EUROPE. 

Teraineté du Milanais , il avait à lutter non seulement 
contre les forces de la ligue, mais encore contre les intri- 
gues des généraux de Pempereur , et tout ce que Charles- 
Quint put rassembler de soldats, de vaisseaux, d^argent 
et de munitions fut donné au comte de Lannoy, qui s'en 
servit pour attaquer le pape du côté de Rome. 

Le duc écrivit alors à George, comte de Fronsberg, qui 
lui avait été si utile dans la campagne de Pavie. De quelle 
influence jouissait alors ce célèbre Tyrolien ! Il joignait 
à une taille gigantesque, à une force extraordinaire, à 
un courage indomptable, un grand amour de sa patrie, 
beaucoup d'habileté dans l'art de la guerre, et une re- 
nommée acquise par des exploits merveilleux ainsi que 
par une générosité sans bornes envers les militaires. Par- 
tisan fougueux des opinions de Luther, il détestait la 
religion catholique, avait horreur de ses ministres, vou- 
lait étrangler le pape de ses propres mains et montrait 
avec une complaisance féroce le cordon tissu d'or et de 
soie qu'il avait préparé pour ce forfait. 

A peine le comte de Fronsberg eut-il fait entendre 
son terrible cri de guerre que seize mille hommes , dont 
la plupart avaient combattu sous Bourbon , accoururent 
sous ses enseignes. Leur enthousiasme était presque 
égal à celui de leur chef. Fronsberg s'avança avec d'au- 
tant plus de rapidité vers Milan que son fils était dans 
cette capitale avec le duc de Bourbon. Le pape Clé- 
ment VII lui opposa son parent Jean de Médicis, un 
des meilleurs capitaines de l'Italie, que se§ compatriotes 
fee plaisaient à nommer V InvinciJ}le , et que les Alle- 
mands appelaient le grand diable. Ce général parvint 
en harcelant les soldats de Fronsberg à les arrêter dans 
le Mantouan, et par de savantes manœuvres il les con- 
traignit à se renfermer dans le parc de Governolo, où 
le défaut de vivres les obligerait bientôt à se rendre. 
Mais, rentrant vers la nuit dans son camp, il reçut un 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE, 1498 — l53o, ll3 

coup de boulet dans une jambe qu^il fallut lui couper : 
et quelque fermeté qu^il montrât pendant Popération , 
il ne put y survivre. 

Bourbon } prêt à faire sa jonction avec Fronsberg, 
et voulant arracher son armée à Paf&euse licence sous 
laquelle les Milanais éps&uvaient les plus grands des 
malheurs 9 obtint de ses soldats qu^ils se contentassent ^ 
pour abandonner la ville qu'ils avaient souillée par tant 
de crimes, du paiement de cinq montres. Mais quels 
ordres terribles il se crut obligé de donner ! et quelle 
punition de son manque de foi ! Plusieurs citoyens de 
Milan furent saisis, empriscmnés et appliqués à la ques- 
tion pour découvrir où ils avaient caché les déplorables 
restes de leur fortune. 

Charles-Quint avait en vain demandé une partie des 
sommes dont il avait besoin aux états de Castille, assem- 
blés à Valladolid. « Nous ne pouvons disposer des biens 
» consacrés à la religion , avait répondu le clergé. Nous 
» dérogerions à nos privilèges en payant un tribut , 
)) avait dit la noblesse. Comment pourrions-nous four- 
» nir de nouvelles sommes, s'était hâté de dire le 
» troisième ordre, puisque nous n'avons pas encore 
» payé le don gratuit de 4oo,ooo ducats, accordé au 
» roi pour son mariage? » 

Jérôme Morone obtint sa grâce pour 20,000 écus. 
Bourbon voulut le voir, s'entretint long-temps avec lui, 
admira son génie, devina facilement combien il pou- 
vait seconder les vues secrètes qu'il avait osé concevoir , 
le fit son ministre, et, persuadé qu'il ne s'attacherait 
une armée que l'empereur ne payait plus que par l'at- 
trait d'un butin immense, forma une entreprise digne 
par ses dangers de son grand courage , et résolut d'aban- 
donner ses communications avec le Milanais, de s'en- 
foncer dans le pays ennemi, de franchir de grandes ri- 
vières, de traverser les Apennins, de repousser trois 
ToM, XIL 8 



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Il4 HISTOIRE DE I^'eUROFE. 

armées, de braver tous les obstacles, d'arriver jusques 
à Rome, et de livrer à ses soldats toutes les richesses 
de cette capitale du monde chrétien. 

Mais une puissance bien plus redoutable que l'armée 
de Bourbon et que toutes celles de Charles-Quint s'éle- 
vait contre le pape, en Allemagne, et s'étendait dans le 
nord de l'Europe. Les opinions de Luthei; acquéraient 
chaque jour plus, d'empire. Ses prédications, celles de 
ses disciples, et ses écrits aussi pleins de chaleur que 
ses discours, étaient accueillis avec enthousiasme par un 
nombre toujours croissant de prosélytes. Ses partisans, 
à son exemple, tonnaient du haut des chaires contre 
les indulgences, la primauté du pape, le pouvoir de 
ce pontife , le purgatoire , les vœux monastiques , la 
communion sous une seule espèce , le célibat des prêtres. 
Luther, conformément k sa doctrine, avait quitté l'habit 
de religieux augustin, et épousé une religieuse nommée 
Catherine de Bore (i 525). L'imprimerie avait produit 
une grande partie de ses effets inévitables. La raison 
voulait remonter à toutes les origines, examiner tons 
les faits, soumettre toutes les prétentions à sa critique. 
Elle se montrait dans toutes les productions de l'esprit ; 
elle en dirigeait les pensées, elle en réglait les expres- 
sions; elle tâchait de seconder le sentiment des conve- 
nances*, elle favorisait cette aurore de bon goût que 
commençait à faire naître l'étude des chefs-d'œuvre de 
la Grèce et de Rome. On voyait fleurir Jean du Bellay , 
frère de deux capitaines célèbres, et plus célèbre lui- 
même par ses poésies, ses autres ouvrages, ses négocia- 
tions, sa nomination à l'évêché de Paris, sa promotion 
au cardinalat, l'avantage d'avoir eu auprès de lui le 
fameux Rabelais, et l'amitié qui le liait avec Budé. 

L'Europe savante admirait l'érudition, la sagesse, 
la modestie et les autres vertus de ce Budé, qui se fit 
tant d'honneur par ses écrits, et particulièrement par 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. ligS — l53o. Il5 

ses Commentaires sur la langue grecque et par son 
Traité surles anciennes monnaies, qu'Érasme le nommait 
le prodige de la France. Ce fut lui qui, réuni avec 
Jean du Bellay, conseilla à François I*', ce zélé protec- 
teur des lettres et des arts , la fondation de ce collège 
de France , dont un si grand nombre d'illustres pro- 
fesseurs devaient accroître ou maintenir la gloire jus- 
ques à nos jours. 

Le collège de Montaigu de la capitale de la France 
avait été illustré par la présence de cet Érasme , qui 
avait reflidu à Budé une justice si éclatante. Ce philoso- 
phe était allé ensuite à Orléans, où il avait étudié le 
droit, avait pris le doctorat à Bologne, voyagé à Venise, 
à Padoue, à Rome, passé quelque temps en Angleterre, 
composé chez le chancelier Thomas Morus cet Éloge de 
la Folie qui devait avoir tant de lecteurs, enseigné le 
grec à Oxford , reçu à Baie de Charles-Quint une pen- 
sion de 200 florins et le titre de conseiller d'état, refusé 
les oflFres brillantes de François P' , qui voulait l'attirer 
à Paris, et de Clément VII, qui désirait de le voir à 
Rome et de le nommer cardinal ; et il employait la £n 
de sa vie à revoir ses nombreux ouvrages relatifs à tant 
de sujets divers, sacrés ou profanes, écrits avec tant 
d'élégance et de pureté, et si dignes de marquer une 
des plus belles époques dans les progrès des lettres. 

Le vieux Grec André- Jean Lascaris, surnommé Rhyn- 
dacène , et descendant d'anciens empereurs d'Orient , 
vivait encore lorsque Bourbon allait porter à Rome le fer 
et le feu ; il avait plus de quatre- vingts ans. Louis XII, 
qui l'avait attiré dans l'université de Paris , l'avait envoyé 
deux fois ambassadeur à Venise. Léon X, son ancien 
ami, l'avait appelé à Rome, et lui avait donné la direc- 
tion d'un collège de Grecs. François P' l'avait engagé à 
venir de nouveau à Paris, et il jouissait en France de la 
reconnaissance des savants de l'Europe, auxquels il avait 

8. 



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Il6 HISTOIRE DE l'eUROPE. 

£ipporté l)es plus beaux manuscrits grecs échappes â la 
barbarie des Turcs, 

Les médecins, partageant avec les autres savants Payan- 
tage d^entendre les auteurs grecs , étudièrent avec soin 
les ouvrages d'Hippocrate/ Nicolas Leonicenus de Vicence 
professa àPadoue et à Ferrare la médecine hippocratique, 
et traduisit en latin les ouvrages du père de la médecine. 
Thomas Linacer de Cantorbéry, médecin de Henri VIII, 
et qui avait fréquenté les écoles italiennes , fonda à Ox- 
ford et à Cambridge une chaire de médecine hippocrati- 
que et galénique , et fit établir à Londres le collège des 
médecins, qui succéda aux évêques dans le droit de 
dpnner des diplômes aux candidats , et de les admettre 
à l'exercice de Part de guérir. 

Bourbon cependant s'était mis en route , malgré le dé- 
nuement extrême des vingt-cinq mille hommes qu'il 
conduisait et les rigueurs de Phiver. Il avait harangué 
ses soldats : « Je vais vous mener , leur avait- il dit , dans 
» une contrée où vous pourrez vous enrichir à jamais. )> 
« — Nous vous suivrons partout, » s'étaîent-ils écriés 
pleins de confiance dans leur général. L'Europe étonnée 
attendait avec impatience le dénouement de la grande et 
mystérieuse entreprise. Quels malheurs la traversent! 
douze cents fantassins italiens et cent trente cavaliers 
aux ordres du comte de Cajazze s'effraient des dangers 
qui les environnent, désertent et passent sous les ensei- 
gnes ennemies. Le comte de Fronsberg, frappé d'une 
attaque d'apoplexie , s'arrête avec une escorte dans une 
petite ville du Plaisantin. Les Espagnols, enrichis des 
dépouilles de Milan, et qui ont touché cinq montres, 
demandent à grands cris de l'argent, tuent l'officier gé- 
néral qu'on leur envoie pour les apaiser, et ne sont 
calmés par Bourbon qu'avec beaucoup de peine; le 
marquis de Saluées se jette avec douze mille hommes 
dans les places que le duc paraît menacer j le duc d'Ur- 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE, ligS — l53o. II7 

lïin suit Bourbon a^ec une armée presque égale à la 
sienne ; mais il se tient à une distance si grande des Im- 
périaux, que rien ne les empêche d'étendre leurs quar- 
tiers et de forcer ks habitants des campagnes à leur four- 
nir des subsistances. 

Bourbon arrive aux portes de Bologne , assure qu'il se 
rend dans le royaume de Naples pour le défendre contre 
les alliés, et demande des vivres. Clément VII consterné 
oSre une partie de ses trésors au comte de Lannoy pour 
obtenir une nouvelle trêve j Bourbon, qui veut surprendre 
le pape et ne confier son secret à personne, écrit à Lannoy 
que la paix avec Clément VII est devenue indispensable , 
et donne à son armée l'ordre de se remettre en marche 
( 1627 ). Les Allemands ne peuvent supporter l'idée de 
souffrir de nouveaux travaux, de nouveaux périïs, de 
nouveaux besoins ; ils remplissent le camp de cris me- 
naçants; les Espagnols se joignent à eux ; ils courent à la 
tente de Bourbon : le duc n'a que le temps de s'échap- 
per ; un de ses gentilshommes qui ne peut s'enfuir est 
massacré par les insurgés ; Bourbon obtient quelque se- 
cours du duc de Ferrare, le distribue à son armée, et 
achève d'apaiser l'insurrection en. lui abandonnant sa 
vaisselle, ses bijoux, sa garderobe, ses équipages, ses 
armes, un cheval de bataille, une casaque de toile d'ar- 
gent, tout ce qui lui restait de son immense fortune. 

Il parle à ses troupes : h Nous ne voulons pas d'autre 
»■ chef que vous, s'écrient-elles avec transport; nous 
» renverserons le mond^ entier sous vos ordres. » Tous 
les murmures cessent; les soldats voient avec enthou- 
siasme le duc de Bourbon endurant les mêmes fatigues 
qu'eux , supportant la même misère* Je suis un pauvre 
çhevaUer^je n^ai rien non plus, que vous, lui faisaient- 
ils dire dans la chanson guerrière dont retentissaient les 
airs, et qui commençait par ces mots castillans : Colla y 
calUiy Julio'Cesar^ Hanmbal^ Scipion, vipa lafama 



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ii8 

de Bourbon. Le général se mêlait à leurs jeux militaires; 
il chantait avec eux , et les soldats transportés s'étour- 
dissaient sur leurs besoins et leurs fatigues extrêmes. 

Le pape , comptant sur l'exécution de la trêve qu'il 
avait payée si cher, avait licencié ses troupes; il apprend 
avec efiroi que Bourbon poursuit sa route; il envoie le 
seigneur Fieramosca pour le prier de sortir de ses états. 
« Je suis entraîné, répond le duc, par une troupe de 
» furieux qui me mettraient en pièces si je rebroussais 
» chemin ; mais j'espère que la famine et les dangers 
» les rebuteront bientôt, et les feront rentrer en eux- 
» mêmes. » 

Il arrive au pied des Apennins ; Lannoy le fait som- 
mer de se conformer à la trêve qu'il vient de conclure. 
Les Espagnols veulent massacrer Penvoyéde Lannoy ; le 
marquis du Guast se retire secrètement du camp 9 et va 
dan3 le royaume de Naples; les Espagnols, dont il était 
colonel général, le jugent et le condamnent comme 
traître et déserteur. 

Lannoy écrit à Bourbon que le pape consent à lui 
donner 60,000 ducats pour ses troupes, et qu'il ajou- 
tera 20,000 ducats à la somme que promet le pontife. 
Bourbon ne daigne pas lui répondre; Lannoy veut aller 
le trouver dans son camp, et se vante de lui enlever 
les Espagnols si Bourbon continue de ravager les états 
de PÉglise romaine; mais il n'oâe dépasser Florence. 
Bourbon demande qu'on ajoute 6,000 ducats aux 80,000 
qu'on lui a oflferts. Lannoy hiî répond qu'il lui portera 
lui-même cet argent, et qu'ils fondront ensuite sur les 
états des Vénitiens. Bourbon lui assigne un rendez-vous 
dans un village; mais à peine son courrier est-il parti 
qu'il se met en marche, et avant deux jours il a franchi 
les Apennins, au milieu desquels il eût été si facile à ses 
ennemis de faire périr ses troupes. Lannoy ne trouve 
au village indiqué par Bourbon que des paysans ruinés 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE, ligS— l53o. II9 

par les horribles brigandages des Impériaux, et qui 
veulent tuer le vice-roi. Il reçoit d^autres rendez- vous, 
où Bourbon n^a garde de se trouver, et, fatigué d^être 
le jouet de ce prince , il prend enfin le parti de rester à 
Florence. 

Le duc d'Urbin arrive dans la Toscane presque en 
même temps que Bourbon; il veut la préserver des 
maux qui ont accablé la Lombardie ; mais la république 
de Sienne, rivale acharnée de Florence, fait offrir à 
Bourbon des vivres, des munitions, de Pargent, des 
pionniers; elle le presse de former le siège de la ville 
qu'elle hait : Bourbon néanmoins, que rien ne peut 
détourner de son plan, ne voit que la ville de Rome; 
il veut accabler le pape avant que les alliés du siège apo- 
stolique puissent le secourir; il écrit au pontife : « Je n'ai 
» pu déterminer mon armée à la paix; j'ai pris le parti 
» de l'accompagner pour la contenir. Je vous supplie 
» de ne pas ménager vos trésors; écartez du centre de 
» vos états l'orage qui vous environne. » 

Clément VII , rassuré par la puissance de la France , 
de L'Angleterre, de Venise, et par la division qui règne 
parmi les Impériaux, passe des plus grandes alarmes 
à une sécurité si extraordinaire qu'il ne fait aucun pré- 
paratif pour la défense de sa capitale, empêche les 
Romains de sortir de leur ville, et se contente d'excom- 
munier Bourbon et son armée. 

C'est auprès d'Arezzo que le prince révèle enfin à sou 
armée le grand projet qu'il a formé. « C'est à Rome que 
-» je vous conduis, » s'écrie-t-il. A l'instant les plus vifs 
applaudissements l'inten»ompent. Ses soldats croient déjà 
posséder les trésors du pape et de l'Église; leur enthou- 
siasme est au plu» haut degré. Bourbon , profitant de leur 
aixieur , s'avance avec une rapidité égale à son audace , et 
il arrive devant la capitale de la chrétienté lorsqu'on le 
croit encore au fond de la Toscane. La consternation 



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120 HISTOIRE DE L^EUROPB. 

s'empare de la ville de Rome. Renzode Géré, qui s'était 
signalé contre Bourbon au siège de Marseille, secondé 
de du Bellay et de quelques autres officiers français^ 
élève des retranchements dans la partie de la ville la 
plus exposée. On arme tous les habitants en état decom-. 
battre 5 des évêques, des religieux, des prêtres parcourent 
les rues de Rome la croix à la main, annoncent de 
prompts secours, et exhortent le peuple à défendre la 
religion et la patrie, 

Bourbon voit qu'il doit remporter une prompte vic- 
toire ou succomber au milieu des horreurs de la faim 
sous le fer des alliés qui le suivent de près : il ordonne 
que l'assaut commence dès le lendemain à la pointe du 
jour. 

A peine les ténèbres sont-elles dissipées qu'il paraît 
armé de toutes pièces et revêtu, par^lessus ses armes, d'une 
casaque blanche destinée à le faire remarquer de plus 
loin : il choisit pour trois attaques différentes trois corps 
d'élite, le premier composé d'Allemands, le second d'Es- 
pagnols et le troisième d'Italiens. Un brouillard épais 
disparaît, et les Romains voient l'armée impériale rangée 
en bataille et prête à tenter l'escalade. Bourbon donne le 
signal, arrache une échelle des mains d'un soldat, l'ap- 
plique à une brèche , et a'élance le premier en élevant sa 
pique; un coup d'arquebuse ou de mousquet le renverse 
raortelleûient blessé. « Capitaine Jonas, dit -il d'une 
» voix expirante, couvrez-moi d'un manteau; que mon 
» armée ignore la mort de son général. » 

Le prince d'Oralage reçoit son dernier soupir : les 
Impériaux, ne voyant pas leur chef au milieu des pé- 
rils, soupçoniient leur malheur : les larmes du capi- 
taine Jonas trahissent le fatal secret. <( Nous n'avons 
» plus qu'à le venger, » s'écrie le prince d'Orac^e^ 
La douleur et la rage transportent les soldats; tout re- 
tentit de ces cris terribles : au scmgl au carnage ! a la 



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VINGT-UNIEME ÉPOQUE. légS — l53o. 121 

sciel Jamais leur valeur ne s^est signalëe par autant de 
prodiges : les Romains, forcés de poste en poste, fuient 
de toutes parts, et les rués sont inondées du sang des 
victimes que là fureur des Impériaux immole aux mânes 
de leur chef. 

Le pape, qui, pendant Tattaque, était demeuré pro- 
sterné devant l'autel de Saint-Pierre, peut à peine se 
sauver dans le château Saint-Ange avec quatorze cardi- 
naux; Rome est livrée pendant deux mois à tout ce que 
Pavarice, la cruauté et la dissolution la plus infâme 
peuvent inspirer de plus barbare à des hommes sans frein. 
On frémit en voyant dans les historiens les horribles 
tableaux de la férocité la plus avide, la plus dégoûtante, 
la plus exécrable; toutes les richesses accumulées dans 
les églises, dans les monastères, dans les palais des papes, 
des cardinaux, des princes, et dans les maisons de tant 
d'habitants connus par leur opulence, sont la proie du 
brigandage le plus corrompu et le plus sanguinaire. 

Bourbon, du sein de la mort, semble encore donner 
des lois à Rome vaincue : son corps est déposé dans une 
église au milieu des trophées et d'une garde nombreuse; 
les soldats viennent en foule couvrir son cercueil de 
fleurs et de lauriers ; ils le conduisent comme en triom- 
phe au château de Gaëte , où Bourbon est représenté 
debout , le bâton de général à la main , dans l'attitude 
la plus fièré , et où une épitaphe célèbre rappelle ses 
hauts faits et ses victoires. 

Charles-Quint eut la politique de ne parler de Bour- 
bon que comme d^un allié fidèle qui lui avait rendu 
des services éclatants , et d'un héros comparable aux 
plus grands hommes de Pantiquité. 

La cour de François V^ ne sût pas dissimuler là joie 
que lui causait la mort d'un prince qui lui avait inspiré 
tant dWroi ; le peuple de Paris fut juste ; la conquête 
de Rome ne put lui faire oublier la trahison du duc ; il 



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122 HISTOIRE DE l'eUROPE. 

teignit de jaune , en apprenant sa mort ^ la porte de 
son hôtel; le roi montra pour le vil chancdier Duprat 
une faiblesse que la postérité ne lui a pas pardonnée : 
un arrêt du parlement, rendu d'après les ordres du 
monarque comme si Bourbon avait été vivant, et pro- 
noncé en présence de Frai;içois P^ , des princes du sang, 
des pairs et des grands-officiers de la couronne , priva 
le connétable du nom de Bourbon , comme ayant no- 
toirement dégénéré des mœurs et fidélité des antécés- 
seurs de ladite maison, confisqua ses biens; et le roi 
donna à Todieux chancelier , Fauteur de tant de maux , 
les riches baronies de Thiers et de Thori-sur-PAUier, 
qa^il convoitait depuis long-temps. 

Le roi de France, cependant, et celui d'Angleterre 
avaient signé plusieurs traités ; les deux rois devaient 
envoyer des ambassadeui*s à l'empereur ; ces ambassa- 
deurs feraient des offres convenables pour obtenir le 
renvoi des otages , demanderaient le paiement des som- 
mes dues à l'Angleterre par Charles^uint, et lui décla- 
reraient la guerre si, dans vingt jours , il n'avait pas fait 
une réponse satisfaisante; la princesse Marie serait donnée 
en mariage à François I*' ou à son fils le duc d'Orléans ; 
chacune des deux puissances alliées fournirait un con- 
tingent dans les Pays-Bas ; une flotte serait armée à 
frais communs; on traiterait comme ennemi le roi de 
Portugal ou tout autre prince qui soutiendrait la cause 
de Charles-Quint ; le pape et les Vénitiens seraient 
compris dans la ligue ; le roi d'Angleterre renoncerait 
pour lui et pour ses successeurs à toute prétention sur 
la couronne ou le territoire de France ; François P' et 
ses successeurs paieraient , indépendamment des deux 
millions accordés par le traité de Moore , une pension 
perpétuelle de' 5o,ooo écus qui commencerait à' la 
mort de Henri VIII, et donneraient tous les ans au roi 
d'Atigleterre du sel de Brouage pour une valeur de 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l55o. 123 

1 5,000 ëcus ; les traités seraient signés par les arche- 
vêljues , évêques , princes , ducs , comtes , barons et 
autres seigneurs des deux royaumes , par les parle- 
ments de Paris , Toulouse , Rouen et Bordeaux , ainsi 
que par les cours de judicature anglaise , et confirmés 
comme une constitution perpétuelle et inviolable par 
les états généraux de France et le parlement d'Angle- 
terre. 

Bientôt après on apprit que le pape , assiégé dans le 
château Saint-Ange, avait été contraint de capituler; 
qu'il s'était engagé a payer 100,000 ducats d'or le jour 
de la signature de la capitulation , 5o,ooo dans vingt 
jours et 260,000 dans deux mois; il devait rester pri- 
sonnier jusques après le paiement des premiers i5o,ooo 
ducats. 

Le château Saint-Ange fut remis comme un dépôt 
aux officiers de l'empereur , et le pape ordonna qu'on 
livrât aux Impériaux les villes d'Ostie , de Cività-Vec- 
chia et de Città-di-Castello. Les gouverneui's de ces 
villes n'obéirent pas. Le pape était hors d'état de payer 
les sommes qu'il avait promises ; il resta prisonnier; 
et Charles-Quint faisait faire en Espagne des prières 
solennelles pour la délivrance du pontife. Les maladies 
contagieuses que la famine , l'anarchie et le carnage 
avaient fait naître dans Rome , pénétrèrent dans le châ- 
teau Saint-Ange. Clément VU , et les cardinaux qui 
étaient prisonniers avec lui , obtinrent à force de prières 
d'être transférés au Belvédère , où ils furent gardés par 
les Espagnols. On les ramena au château Saint-Ange 
lorsque la température de l'hiver éloigna les dangers 
de la contagion. 

Les Florentins secouèrent le joug des Médicis , les 
chassèrent de leur ville, brisèrent les statues de Léon X 
et de Clément VII, et, dirigés par le gonfalonier Cap- 



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124 HISTOIRE DE L^ByROPE» 

poni , rétablirent le gouvememeat démocratique tel 
qu'il existait avant 1 5 1 2 . 

Les rois de France et d'Anglet^re étaient convenus de 
porter la guerre en Italie pour secourir Clément VII ; 
et les troupes anglaises ne pouvant y être transportées 
qu'avec beaucoup de temps et de dépenses ^ il avait 
été réglé que François I«^ se chargerait seul d'y faire 
la guerre, et recevrait tous les mois une somme de 
Henri VIII. Lautrec se mit en marche à la tête de l'ar- 
mée française destinée pour Rome y et le cardinal 
Wolsey quitta l'Angleterre pour conférer à Amiens 
avec François P'. Le cardinal avait une suite de mille 
chevaux richement caparaçonnés ; on lui rendit les 
mêmes honneurs qu'à une tête couronnée; Françoise' 
lui adressa des lettres , l'appela son grand and , lui 
donna le pouvoir de mettre en liberté les prisonniers 
de tous les endroits où il passerait, excepté ceux qui 
seraient détenus pour trahison , pour un rapt ou pour 
un meurtre. Il fut convenu que les marchands anglais 
jouiraient en France de certains privilèges , que les 
deux monarques ne consentiraient à la convocation 
d'aucun concile général et ne recevraient aucune bulle 
pendant la captivité dû pape , et qu'on exécuterait tout 
ce qui serait déterminé en France par les principaux 
membres de l'Église gallicane, et en Angleterre par 
le cardinal légat , avec le concours du clergé. « Nous 
)> insistons sur le rétablissement de Sforce , et sur la 
» liberté des otages, déclarèrent les deux monarques 
» à l'empereur. Nous réclamons le paiement des som- 
» mes que Charles-Quint a empruntées de Henri Vlll 
» ou de son père, ainsi que des 5oo,ooo écus qu'il a 
» promis de donner s'il manquait à épouser la prin- 
» cesse Marie , et le remboursement de la pension due 
» par la France , en vertu du traité de Windsor; nous 
» demandons non seulement que le pape soit mis en 



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VINGT-UNIÈMB ÉPOQUE, 1498 — l53o. 125 

^ liberté , mais encore que Tempereur répare le dom- 
» mage que les troupes impériales lui ont fait éprou- 
» ver. — Je n'ai jamais refusé, répondit Charles-Quint, 
» -de reconnaître les dettes contractées envers le roi 
» d'Angleterre ; j'informerai ce monarque des raisons 
y^ d'après lesquelles je me crois dégagé de la convention 
» portée dans le contrat de mariage , et j'ai envoyé des 
» ordres pour metlre le pape en liberté. » Charles- 
Quint, néanmoins, avait résolu de faire conduire le 
pape en Espagne , et de le détenir dans la prison où le 
roi de France avait été renfermé. Il fit de vains efforts 
pour produire du refroidissement entre Henri VIII et 
François I**' et pour gagner le ministre qu'il avait trompé 
deux ibis en lui promettant la papauté. 

Pierre de Navarre et César Frégose bloquèrent Gènes 
par terre ; André Doria , amiral de France , ferma l'entrée 
du port avec ses galères; .les Génois pressés par la disette, 
et n'espérant aucun secours de l'empereur , ouvrirent 
leurs portes, aux Français. Le palais du doge Antoine 
Adorne fut pillé, et Théodore Trivulce nommé gou- 
verneur. 

Lautrec, auquel se réunit le marquis de Saluées , s'em- 
para de Vigevajio, d'Alexandrie et de Pavie; fut reçu 
dans Parme et Plaisance, vit le duc de Ferrare et le duc 
de Mantoue se déclarer pour lui , et s'avança vers 
Naples. \ 

Le marquis de Moncade, qui commandait les troupes 
impériales, n'eut plus d'espérance de conserver la ville 
de Rome; il conclut un nouveau traité avec le pape. Le 
pontife promit de ne point agir contre sa Majesté impé- 
riale dans les affaires de Milan ou de Naples , d'accorder à 
Charles-Quint une croisade et une dîme qui serait per- 
çue dans tous les états de ce prince, de payer dans un 
terme très-court 67,000 écus aux troupes allemandes, de 
donner la 'moitié de cette somme aux Espagnols, et 



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126 HISTOIRE DE l'EUHOPE. 

d'acquitter dans nn temps que l'on détermina ce qui 
restait dû à l'empereur. 

On devait le conduire dans un lieu de sûreté hors des 
murs de Rome; deux cardinaux furent remis comme 
otages ; mais le pape , craignant d'être retenu prisonnier 
encore long-temps, se déguisa, parvint à s'échapper, 
se réfugia à Orviette , et protesta contre une convention 
arrachée par la violence. 

Avant ce temps , on avait vu se préparer en Angleterre 
un événement dont les suites, liées avec les grands ré- 
sultats des opinions de Luther, devaient avoir une si 
grande importance relativement à la puissance des pontifes 
de Rome, déjà si éhranlée. 

Henri YIII avait attribué la mort de ses deux fils à la 
colère du ciel irrité de son mariage avec la veuve de son 
frère. Il avait été frappé des doutes qui s'étaient élevés 
sur la légitimité de sa fille; il craignait qu'après sa mort 
il ne s'élevât de grands troubles civils pour la succession 
à la couronne. Catherine d'Arragon n'avait plus d'attraits 
pour lui; il désirait d'être uni à une femme plus aima- 
ble, qui lui donnât des garçons dont la légitimité fût 
incontestable. Ses passions étaient impétueuses, et vrai- 
semblablement la beauté d'Anne de Boulen (Bolen ou 
Boley»), qui, après avoir été élevée en France, était deve- 
nue une des demoiselles d'honneur de la reine Catherine, 
avait déjà séduit son cœur. Très-érudît en théologie, il 
avait lu les ouvrages de saint Thomas d' Aquin ; cette lec- 
ture lui avait donné des scrupules, et ils n'avaient pas 
été peu augmentés par le cardinal Wolsey, à qtii la reine 
avait souvent reproché sa conduite, qui la détestait, et 
qui voulait se venger de l'empereur, neveu de cette 
princesse. 

Le roi demanda que l'archevêque Warham consultât 
les évêques d'Angleterre au sujet de son mariage avec 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l53o. 127 

Catherine d'Arragon; les évèques déclarèrent que cette 
union ëtait contraire à la décence publique et à la loi di- 
vine; elle avait été permise par une bulle de Jules II, 
mais sur la requête de Catherine et de Henri qui n'a- 
vait alors que douze ans , et sous le faux prétexte* de 
maintenir la paix entre FEspaghe et l'Angleterre , ainsi 
que de conserver la bonne intelligence entre Isabelle de 
Castille et Henri VII , morts Pun et Pautre avant la con- 
sommation du mariage , contre laquelle d'ailleurs Henri 
Vin avait protesté. 

Le roi envoya à Rome son secrétaire Knight, chargé 
d'engager le pape à signer quatre bulles pour autoriser 
le cardinal Wolsey à terminer avec quelques évèques 
anglais PafiFaire à laquelle le roi attachait tant d'intérêt, 
annuler le mariage contracté entre Henri VIII et Cathe- 
rine, attendu que celui de cette princesse avec Arthur, 
frère de Henri, avait été consommé, permettre à 
Henri VIII d'épouser une autre femme, et déclarer 
irrévocables ces décisions pontificales. Knight ne put 
pas parvenir à voir le pape, gardé étroitement par les 
Espagnols; mais il lui fit passer un mémoire auquel Clé- 
ment VII répondit favorablement. Le secrétaire du mo- 
narque anglais, et Gregorio Casali , ambassadeur de ce 
princeà Rome, se rendirent à Orviette, lorsque Clément 

VII s'y fut réfugié. Le pape voulut d'abord gagner du 
temps; mais, vivement pressé par les députés de Henri 

VIII et par le cardinal Lorezzo Pucci, il signa la bulle 
relative à VVolsey , ainsi que celle qui permettait à 
Henri VIII d'épouser une autre femme que Catherine , 
et promit d'en signer une troisième qui casserait le ma- 
riage du roi avec la princesse d'Arragon, lorsqu'il aurait 
examiné cette afiaire avec plus de soin; mais il avait daté 
les deux premières du temps auquel il était encore pri- 
sonnier dans le château Saint- Ange, et Henri ne voulut 
pas en faire usage , dans la crainte que le pape ne parût 



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128 HISTOIRE DE L'eUROPE. 

les avoir accordées dans Pespérance d'obtenir sa libeii^té 
par le secours du roi d'Angleterre. 

Tous les malheurs attachés à la captivité de ce pontife 
lui avaient inspiré une telle crainte qu'il refusa de pren- 
dre part de nouveau à la ligue de la France, de l'Angle- 
terre et de Venise , et qu'il résolut de ne plus être que 
médiateur entre les puissances belligérantes. 

Pendant que Charles-Quint s'occupait av^c tant d^at- 
tention de cette guerre d'Italie, ou plutôt de l'état gé- 
néral de l'Europe, dont il avait espéré de dominer sur 
une si grande partie , des navigations audacieuses et des 
hasards heureux agrandissaient l'empire immense du 
Nouveau-Monde, qui reconnaissait son pouvoir. L'Es- 
pagnol Jean Bermudez découvrit à deux cents lieues de 
la côte de la Caroline, dans l'Amérique septentrionale 
et vers le trente-deuxième degré de latitude, les îles si 
nombreuses qui ont conservé son nom , que la nature a 
favorisées d'une température si douce, de récoltes si fer- 
tiles, d'une verdure si belle, d^oranges si grosses, d'ar- 
bres si élevés, mais dont l'admirable climat est souvent 
troublé par des orages violents et des ouragans terribles 
(1527). L'année suivante , un autre Espagnol nommé 
André Vidaneta découvrit, au milieu des mers loin- 
taines de l'Asie et auprès des rives orientales des Moluques, 
une vaste contrée, située entre l'équateur et le neuvième 
degré de latitude méridionale, et à laquelle on a donné 
le nom de Nouvelle-Guinée; mais le trône espagnol, 
dont l'autorité s'étendait ou paraissait s'étendre à de si 
grandes distances au-delà des colonnes d'Hercule, allait 
être attaqué plus que jamais par les forces réunies des 
monarques de deux grandes nations. Charles-Quint était 
assis sur ce trône et entouré des grands de son royaume, 
lorsque les hérauts de François P' et de Henri VTII lui 
déclarèrent la guerre au nom de leurs souverains. « Votre 
» roi , répondit Charles-Quint au héraut d'Angleterre , 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l53o. 129 

» a Toulu me marier avec une princesse qu^il avait l'in- 
» tentîon de faire déclarer bâtarde , en obtenant de di- 
» vorceravec la reine ma tante. Cette résolution est un 
» effet de Pambition démesurée et du ressentiment du 
» cardinal Wolsey, pour l'élévation duquel à la papauté 
» je n^ai pas voulu porter le trouble dans le monde 
» chrétien; je n'ai jamais refusé de payer ce que je de- 
^> vais au roi Henri; ses ambassadeurs n'ont jamais eu 
» de pouvoirs pour m'en donner une décharge valable; 
» et par le traité de Madrid , le roi de France s'est chargé 
» de Pindemniser. Bien loin de refuser la princesse 
» Marie, je l'ai fait demander par mes ambassadeurs; 
» non seulement son père n'a pas voulu l'envoyer en 
» Espagne, mais encore il a offert sa main au roi d'É- 
» cosse; je ne dois donc pas les 5oo,ooo francs que je 
» me suis engagé à payer si je ne consentais pas à épou- 
» ser cette princesse; et d'ailleurs le roi d'Angleterre a-t-il 
» exécuté tous les articles du traité de Windsor ? » 

Se tournant ensuite vers le héraut du roi de France : « Je 
» m'étonne, dit-il, que François I«' ait oublié si tôt les ser- 
» ments pour l'assurance desquels il m'a donné en otage 
» ses deux enfants, et qu'il mette si vilaine tache à son 
» honneur. S'il ne peut autrement dégager sa foi , qu'il 
» revienne tenir prison en Espagne ; jusque là il n'est 
» pas recevable à m'appeler au lieu d'honneur. Je l'ai 
» défié par Calvimont , mon ambassadeur auprès de lui, 
» à un combat corps à corps pour terminer nos diffé- 
» x*ents, et voilà qu'il cherche à cacher la confusion de 
» son refus en me suscitant une guerre générale. » 

Charles-Quint fit arrêter les ambassadeurs de France; 
François I*' fit enfermer dans le châtelet l'ambassadeur 
espagnol qui était à sa cour ; mais ils furent bientôt re- 
lâchés ; et quand l'Espagnol fut près de partir, le roi de . 
France , l'ayant fait venir dans la grande salle du palais , 
lui dit, en présence d'une assemblée nombreuse : « Calvi- 
ToM. XII. 9 



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i5o 

» mont ne m'a jamais déclaré ce que l'empereur prétend 
» lui avoir ordonné de me dire. Au reste, ces appels ne 
» se font pas par des paroles vagues qu'on peut suppo- 
» ser, mais par des écrits authentiques et signés. Remet- 
» tez celui-ci à votre monarque; et voici ce qu'il con- 
» t ient : Si r empereur dit de moi que, pour ma déliif ronce 
» ou dans toute autre occasion, devant ou après, j* ai 
)> fait chose qiCun gentiïlwmme , aimant son honneur , 
» ne doit faire , je lui en donne le démenti , et lui mande 
» qu^au lieu d'explications et de justifications pour ne 
» pas retarder la définition de nos différents , il rn^as- 
» sure le cJiamp, et j^ y porterai les armes. » 

L'empereur envoya sa réponse par unlieVaut. Appor- 
tez-vous, lui dit le roi avec vivacité , la signification du 
temps et du lieu du combat? Le héraut demande à lire 
un long écrit; François I", impatienté, exigea trois 
fois une réponse précise et formelle à son cartel ; trois 
fois le héraut rappelle l'ordre qu'il avait reçu de lire 
l'écrit qu'on lui avait remis. Le roi, transporté de colère, 
le congédia en le chargeant de reprocher à Charles-Quint 
son injustice et sa lâcheté. 

L'Europe, cependant, était gouvernée par ces deux 
monarques et par Henri VIII ou plutôt le cardinal Wol- 
sey; mais ce ministre était parvenu à ce haut degré de 
puissance que suivent si souvent les disgrâces et les 
chutes. 

Hugues de Mepdoza, ambassadeur d'Espagne à Lon- 
dres, voulut se retirer. Wolsey , on ne sait par quel mo- 
tif, lui dit que le héraut avait excédé sa commission, et 
serait puni sévèrement à son retour en Angleterre. Men- 
doza s'empressa d'informer Charles-Quint de la déclara- 
tion du cardinal. Le héraut anglais , qui était encore en 
Espagne, obtint une copie authentique de la lettre de 
l'ambassadeur espagnol, repassa secrètement en Angle- 
terre , se rendit directement auprès du roi , et lui montra 



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VINGT-UNÎÈME ÉPOQUE. 1498 — l53o. l3i 

la lettre de Mendoza. Henri, irrité contre le cardinal, lui 
reprocha sa hardiesse dans les termes les plus forts. 
Wolsey, en plein conseil, se justifia en disant qu'il avait 
cru remplir les intentions du roi ; mais le monarque lui 
adressa une réprimande des plus séyères ; et le crédit de 
ce ministre commençant à diminuer depuis cette épo- 
que , ce fut en vain qu'il s'opposa , avec l'ambassadeur de 
France, à la trêve de huit mois sollicitée par l'archi- 
duchesse Marguerite, gouvernante des Pays-Bas. D'ail- 
leurs, le commerce de ces Pays-Bas avec l'Angleterre 
était trop avantageux à la nation anglaise pour que 
l'intérêt de ces importants échanges ne l'emportât pas 
sur toute autre considération (1628). Quelque faible que 
fût l'autorité du parlement contre celle de Henri et de 
Wolsey, elle devenait une puissance presque irrésistible 
lorsqu'elle se confondait avec l'opinion publique, et ré- 
clamait surtout les droits de ce commerce, regardé déjà 
comme si nécessaire à la prospérité britannique et à la 
valeur de toutes les propriétés. Tels sont les grands ré- 
sultats des gouvernements représentatifs, quelque in- 
complets et quelque défectueux qu'ils puissent être : ils 
arrêtent les grandes erreurs des cabinets, et leur donnent 
des ressources inconnues aux princes absolus. Vers le 
même temps où Henri VIII, éclairé par le négoce an- 
glais , admettait une trêve avec l'archiduchesse Margue- 
rite, François I*' avait trouvé, dans une représentation 
imparfaite, des secours qu'il n'aurait osé espérer sans son 
intervention : il avait eu besoin de deux millions d'écus 
d'or. Ses finances étaient épuisées, ses domaines engagés, 
presque tous les Français plongés dans la misère qu'a- 
mène une longue guerre malheureuse : il convoque à 
Paris les principaux membres du clergé , de la noblesse , 
de la magistrature et du tiers-état. La duchesse d'An- 
goulême,la sœur du roi, devenue reine de Navarre par 
son mariage avec d'Albret, et les princesses du sang, 

9- 



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l32 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

étaient dans les tribunes. « Levez la main, dît le chance- 
» lier Duprat, qui venait de recevoir le chapeau de car- 
» dinal, et jurez de tenir votre délibération secrète. » 
Le roi prend alors la parole : il rend compte de son ad- 
ministration ; il parle de ses succès avec réserve , de ses 
malheux's avec fermeté, 4e ses fautes avec franchise. 
« Que n'ai-je pas souflFert, ajoute-t-il , dans ma prison de 
» Madrid , d'un homme impitoyable ! Mais j'abdiquerai 
» Ja couronne avant de consentir au démembrement de 
» la monarchie. » L'amiral Chabot lit Pacte solennel 
par lequel il avait prié la nation de le regarder comme 
mort, et de couronner son fils. Un cri d'admiration s'é- 
lève dans l'assemblée. « J'ai besoin , dit le roi , de nou- 
» veaux subsides pour continuer la guerre ou pour 
» délivrer mes enfants d'une rigoureuse captivité. Si la 
». nation épuisée ne peut subvenir à des dépenses qui 
» m'eflFraient plus que personne , qu'elle me permette 
» de reprendre mes fers. Je me croirais indigne du 
» trône et de la vie si, père dénaturé, je jouissais plus 
» long-temps d'une liberté achetée aux dépens de celle 
» de mes enfants. N'ayez égard qu'au salut de l'état , à 
» qui tous les Français et moi le premier devons le sa- 
» crifice de nos biens, de notre liberté et de notre vie. » 
L'attendrissement de tous les membres de l'assemblée 
était extrême. « Sire, dit le cardinal de Bourbon, l'É- 
» glise gallicane vous supplie d'accepter une partie des 
» biens qu'elle tient de la piété des rois vos prédéces- 
» seurs : elle n'a pas jugé à propos de solliciter la per- 
» mission du saint-siége pour vous prier d'agréer, à 
» titre de don gratuit, la somme de i,5oo,ooo livres; 
» mais, pleine de confiance dans vos promesses, elle 
» vous conjure, sire, de briser les fers du souverain 
» pontife qui gémît dans une horrible prison, d'extir- 
» per les semences de luthéranisme qui commencent à 
» germer dans vos états, et de vouloir bien conserver et 



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viNGT-UîîriÈME ÉPOQUE. 1498 — i55o. i33 

» protéger les droits et les privilèges dont elle est en 
» possession depuis tant de siècles. — Sire, dit le duc dé 
» Vendôme au nom de la noblesse' elle vous offre la 
» moitié de ses biens ; si la moitié ne suffit pas , la totalité 
» avec nos épées , et notre sang jusques à la dernière 
» goutte; mais je supplie votre Majesté d'observer que je 
» ne puis m'engager que pour les gentilshommes qui sont 
» ici et qui environnent votre trône. Qu'il plaise donc à 
» votre Majesté d'ordonner aux baillis d'assembler la 
» noblesse de leurs districts; et j'ose lui répondre qu^l 
» n'y a pas un seul Français , honoré du titre de gentil- 
» homme , qui ne se fasse un devoir sacré de suivre notre 
» exemple, — • Votre Majesté a excédé son pouvoir, dît 
» ensuite le président de Selve , en disposant de sa cou- 
)) ronne sans la participation de ses sujets : un contrat 
» mutuel lie le souverain et son peuple par des noeuds 
» indissolubles , ou du moins qui ne peuvent être rom- 
» pus que par un consentement mutuel. La France en^ 
» lière, sire, et je le proteste au nom de tous les ordres 
» du royaume, se jetterait entre vous et les Pyrénées 
» pour vous empêcher de retourner à Madrid ; le dé- 
» membrement dje la Bourgogne violerait les lois fonda- 
>v mentales de la monarchie et entraînerait sa chute : la 
» magistrature vous offre tous les biens dont elle est en 
» possession. — La capitale, sire , s'écrient le prévôt des 
» marchands et les échevins de la ville de Paris, a vu 
» naître vos enfants : elle les regarde comme les siens ; 
» elle réclame l'honneur de contribuer à leur rançon 
» dans une proportion bien plus forte que les au- 
» très villes du royaume. — Braves Français, ô mes 
» enfants , dit François P*" , dont l'émotion la plus vive 
» lui permet à peine de se faire entendre , comment ré- 
» pondre à tant d'amour et de zèle ? Quoi ! c'est vous 
» qui me conjurez de prendre tous vos biens ! Que pour- 
» raî-je faire pour vous prouver toute ma reconnais- 



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l34 HISTOIRE DE L'EUROPE. 

» sance ? Dites-moi ce que vous désirez de mes soins 
)) pour assurer voire bonheur 5 averlissez-moi surtout 
» des fautes qui peuvent m^être échappées; vous me ver- 
» rez les réparer sur-le-champ. » Quelle nation que la na- 
tion française ! et quel roi fut plus digne d'elle que Fran- 
çois P' dans ce moment de dévouement sublime ! 

Le roi fait oflFrir à Pempereur les deux millions d'or, 
Charles-<Quint , ne sachant que trop que cette somme 
est presque égale à tout le numéraire que la France ren- 
ferme, exige qu'elle soit comptée en un seul paiement, 
ou demande .pour otages le duc de Vendôme, le comte 
de Saint-Pol, le'duc de Guise , les maréchaux de Lautrec 
et de Montmorenci, Pamiral Chabot , le comte de Laval, 
le comte de Rieux, les généraux et les hommes d'état 
les plus distingués du royaume. François P' offre pour 
caution.de ces deux millions d'écus les plus riches ban- 
ques de l'Europe, ainsi que les terres que la maison de 
Bourbon possède dans les Pays-Bas, et qui sont estimées 
plus de 5oo,ooo écus d'or; Charles-Quint témoigne la 
méfiance que lui dicte sa politique, et la négociation 
échoue (i528). 

Lautrec, cependant, bloquait dans la ville de Naples 
les restes de cette armée qui avait saccagé la ville de 
Rome. Le prince d'Orange la commandait. L'empereur 
chargea le duc de Brunswick de lever et de conduire 
en Italie douze mille lansquenets et six cents hommes 
d'armes j François P' voulut lui opposer une armée 
égale, et en donna le commandement au comte de 
Saint-Pol (François de Bourbon). Mais le monarque si 
digne de sa nation avait disparu : l'amour des plaisirs 
l'avait subjugué de nouveau; sa passion pour Anne de 
Pisseleu, qui devait être duchesse d'Étampes , l'occupait 
trop fortement pour qu'il n'abandonnât pas à ses mi- 
nislres la conduite des affaires. Plus soigneux de s'en- 
richir, suivant plusieurs historiens , que de procurer des 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l53o. l35 

succès à la France, ils ne firent les préparatifs de la 
nouvelle campagne qu^avec autant de lenteur que de 
'^^glîgcncej et le comte de Saînt-Pol ne put obtenir que 
la moitié des douze mille hommes qu^on lui avait pro- 
mis. Les Italiens, alliés de la France , voulant ravir à 
l'empereur les fruits des victoires de ses généraux, mais 
craignant de trop favoriser l'agrandissement de la France, 
mirent dans les opérations militaires des incertitudes , 
des lenteurs, des défiances, des réserves , des précautions 
excessives, qui sauvèrent les troupes de l'empereur, 
faibles, découragées, et bien peu capables de défendre 
la Lombardie et le royaume de Naples. Le duc de Bruns- 
wick néanmoins , obligé de lever le siège de Lodi , était 
retourné dans sa patrie, indigné contre les généraux 
espagnols, dont il n'avait reçu que des dégoûts j et les 
Impériaux paraissaient près de succomber sous les 
armes des Français et des confédérés, lorsque l'insou- 
ciance de François I*' et l'orgueilleuse et insensée im- 
politique de ses favoris renouvelèrent en grande partie 
les malheurs qu'avait produits la fatale rébellion du 
connétable. André Doria, l'un des plus habiles amiraux, 
ne pouvant supporter plus long-temps la manière dont 
le traitaient les ministres de François P' , à qui ces fa- 
voris infidèles voulurent même persuader de le faire 
arrêter, résolut d'abandonner le parti de la France, de 
favoriser celui de Charles-Quint , et néanmoins de 
rendre l'indépendance à Gênes , sa patiûe. Antoine Doria 
parvint à se saisir dans le port de cette ville des galères 
du roi. André attaqua ensuite avec cinq cents hommes 
cette cité, si portée à le seconder et à secouer un joug 
étranger, toujours si pesant pour elle , força le gouver- 
neur Trivulce à se retirer dans le château , l'obligea à 
se rendre, et fit démolir les fortifications de la place. 
Les Génois, enchantés d'une révolution vivement dé- 
sirée, assiégèrent Savone, que les Français avaient dé- 



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i56 

membrée de leur territoire, la prirent et en comblèrent 
le port* 

Mais un danger plus grand que des forces étrangères 
menaçait la république; c^était la division entre les 
nobles et les principaux des plébéiens. On adopta une 
forme de gouvernement dont l'expérience devait prou- 
ver la sagesse, et qui devait être conservée avec peu de 
changements importants pendant deux siècles et demi* 
On agrégea aux familles les plus illustres, toutes celles 
qui, nobles ou plébéiennes, avaient été admises dans 
la magistrature. On régla que Fétat serait régi par un 
doge élu pour deux ans, huit gouverneurs et un sénat 
ou conseil de quatre cents personnes. Ubert Catanès fut 
élu doge; André Doria fut nommé censeur à vie. On 
érigea une statue à ce libérateur de Gênes. La république 
fut indépendante; mais André, devenu chef de la flotte 
impériale, donna à Charles-Quint Pempire de la Mé- 
diterranée, si nécessaire à la France et qu'elle aurait 
pu conserver avec tant de facilité. L'armée de Lautreo, 
abandonnée à elle-même, perdaitçhaque jour de sa force. 
Elle éprouvait tous les malheurs que produisent la 
fanrîne et les maladies contagieuses. Lautrec fut victime 
de ces funestes maladies. Il succomba d'autant plus 
promptement à leurs atteintes que la cruelle position 
de ses troupes l'accablait de chagrin. 

La mort de ce célèbre général ajouta le décourage- 
ment le plus morne aux effets terribles de la famine 
et de la contagion. Le marquis de Saluées, qui prit le 
commandement après Lautrec, leva le blocus de Naples; 
poursuivi dans sa retraite, il ne put échapper au prince 
d'Orange, qui fit mettre bas les armes aux soldats ainsi 
qu'aux oflBciers subalternes, et leur permit de sortir du 
royaume de Naples, mais s'empara des drapeaux, de 
l'artillerie, et retint prisonnier le marquis de Saluées 
et les chefs de tous les corps. 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l55o. iS/ 

Les malheureux soldats et leurs officiers, accablés de 
fatigue et de misère , gagnèrent péniblement la Lom- 
bardie en mendiant leur paîn ; ils étaient exténués , 
sans armes, sans habits j le comte de Saint -Pol, ne pou- 
vant pas réunir à sa petite armée ces restes déplorables 
de celle qui avait répandu la terreur dans l'Italie , leur 
donna tous les secours dont il put disposer , et les fit 
reconduire en France. 

Les ministres de François I*' Pavaient, pour ainsi dire, 
abandonné comme les autres généraux sous lesquels les 
Français avaient combattu; et cependant il avait en tête 
le célèbre Antoine de Lève, qui de simple soldat était 
devenu le chef des forces de Charles-Quint. Les fatigues 
de la guerre et de violents accès de goutte ne permet- 
taient à de Lève que de se faire porter sur un brancard ; 
mais on ne le voyait pas moins aller avec rapidité d'une 
place à une autre, et étonner ses ennemis par l'audace 
de ses manœuvres. Et telle était encore la férocité avec 
laquelle se faisait la guerre que, s'emparant sans pitié 
des biens et de la subsistance des malheureux que ses 
armes soumettaient à son autorité , il n'exigeait de ses 
soldats que du courage et de l'obéissance, leur livrait 
non seulement les trésors des plus riches, mais encore 
les femmes les plus belles , voyait cette infâme licence 
grossir ses bataillons de militaires qui désertaient les 
étendards des souverains de l'Europe, pour le butin, 
la débauche et l'impunité qui leur étaient assurés sous 
ses enseignes, et que , ne demandant à l'empereur ni 
hommes ni argent, il réglait seul toutes ses opérations. 

C'est en combattant contre ce chef intrépide et impi- 
toyable que le comte de Saint-Pol devait conquérir le 
Milanais pour le rendre à François Sforce, à qui le roi 
de France l'avait cédé. Ce prince enleva aux ennemis 
toutes les places qu'ils occupaient au midi du Pô , passa 
ce fleuve auprès de Crémone , se réunit aux confédérés 



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l38 , HISTOIRE DE L^EUROPE. 

cominandé9 par le duc d'Urbin, se trouva à la tête de 
yingt mille hommes ^ contraignit Antoine de Lève, qui 
avait à peine dix mille combattants, à évacuer Novarre, 
Sant-Angelo, Vigevano et d'autres positions, voulait le 
poursuivre et l'attaquer dans Milan ^ mais cédant au vœu 
des confédérés , entreprit le siège de Pavie. Dès que Far- 
tillerie eut ouvert une brèche, le comte de Saint-Pol 
réclama pour les Français P honneur de monter les pre- 
miers à Passant 5 le duc d^Urbin le demanda pour les 
confédérés. Le sort décida en faveur des alliés; n^ais au 
nioment où les bataillons d'Urbin allaient s'ébranler, 
Lorge , qui devait les soutenir avec les Français et qui 
ne put modérer leur impatience, s'élança entre la brèche 
et les alliés, et emporta la place; la garnison fut passée 
au fil de Pépée , la ville livrée au pillage , et une sorte 
de terrible hécatombe expia la fameuse, défaite. 

Le prince avait chargé Montéjan de prendre trois 
mille Suisses à Alexandrie , et de les conduire à Gênes 
pour recouvrer une place si importante pour la France. 
Il apprit que les Suisses , ne recevant aucune solde , 
étaient partis pour leurs cantons ; et quels funestes effets 
de la légèreté du roi, de sa prodigalité pour ses plaisirs, 
de son insouciante et aveugle confiance dans l'habileté 
de ministres, de l'avidité la plus coupable! L'entretien du 
corps cotnmandé par le comte de Saint-Pol ne devait 
coûter par mois que 60,000 ducats ; le roi d'Angleterre 
en payait la moitié; les ministres ne rougissaient pas de 
n'envoyer à cette armée que de petites sommes dévorées 
pendant la route par les subalternes à qui on les confiait. 
Maîtresses, ministres, courtisans, trésoriers, tous s'effor- 
çaient de piller un trésor public dans lequel la nation 
avait, malgré tousses malheurs, versé si généreusement 
des sommes si fortes, et que paraissaient abandonner 
à leurs infâmes désirs l'imprévoyance, la faiblesse et 
l'incurie du monarque. La mère du roi leur donnait 



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VINGT-UNIÈMB ÉPOQUE. légS — i53o. iSg 

si ouvertement l'exemple de celle avarice si coupable, 
et Pindigne chûnceliei* Duprat le suivait avec tant d'im- 
pudence, que Ton devait trouver 400,000 ëcus d'or 
dans les coffres du chancelier et i,5oo,ooo dans ceux 
de la duchesse. 

Saînt-Pol voulut reprendre Gênes, et secourir Tri- 
vulce, qui défendait encore le château de cette ville : 
trompé sur Pétat de cette place , et surtout sur les dis- 
positions des Génois, il crut pouvoir avec peu de trou- 
pes les faire rentrer sous Pobéissance de la France; il se 
mit en marche, ne conduisant que sa compagnie de cent 
lances et deux mille hommes d'infanterie; mais, en 
s'enfonçant au milieu des montagnes de la Ligurie, il 
rencontra Philippin Doria, qui, à la tète de montagnards 
jeunes et agiles, l'attendait à chaque défilé, écrasait ses 
soldats sous une grêle de balles, et s'échappait ensuite 
sur des rochers escarpés, où ne pouvait les suivre une 
infanterie pesamment armée. Plusieurs des soldats de 
Saint-Pol abandonnèrent leurs drapeaux : le prince néan- 
moins continua sa route avec audace, pénétra jusques 
à Novi , fut obligé d'y laisser son artillerie et un grand 
convoi de vivres , arriva à force de constance jusque sous 
les murs de Gênes , vit les remparts couverts de citoyens ' 
armés pour leur indépendance, ne reconnut que trop 
dans quelle erreur où Pavait jeté, n'osa pas, malgré sa 
valeur impétueuse, attaquer sans canons une place aussi 
bien défendue, revint sur ses pas plein de douleur, re- 
partit quelque temps après pour la Ligurie avec toute son 
armée, fut informé de la reddition de Savone, conjura 
en vain le duc d'Urbin de marcher avec lui au secours 
du château de Gênes , apprit que ce château , rendu par 
Trivulce, venait d'être rasé, perdit tout espoir de réussir 
par la force ouverte à rendre Gênes à sa patrie, et fit 
tenter inutilement d'enlever André Doria. François I*'^ , 
se dérobant pendant quelques moments aux plaisirs dans 



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l4o HISTOIRE DE l'eUROPE. 

lesquels il ëLait plongé , écrivit de sa main au sénat de 
Venise pour le prier d'unir ses troupes à celles du comte 
de Saint-Pol, afin de tenter la conquête de Gènes : le sénat 
y consentit , mais demanda qu'on entreprît auparavant 
le siège de Milan , que Saint-Pol avait proposé : ce prince 
pressa en vain le duc d'Urbin de Paider à exécuter le 
plan convenu entre le roi et la république ; les Italien» 
redoutaient trop les succès des Français; ils craignaient 
trop de voir leur puissance rétablie dans la Ligurie et 
dans le port de Gênes , si important sous les rapport», 
militaires, politiques et commerciaux : Saint-Pol n'ob-- 
tint que des refus. 

Mais la guerre y bien plus désastreuse que celle que 
pouvaient porter en Italie les armes de la France ou de 
l'Espagne, la guerre qu'avait déclarée au siège de Rome 
l'opinion si hautement manifestée dans un si grand nom- 
bre de contrées de l'Allemagne, du nord de l'Europe, de 
la France , de l'Angleterre et de l'Ecosse , acquérait cha- 
que jour une force nouvelle. 

Henri VIII avait sollicité du pape la dissolution de son 
mariage avec plus d'instance que jamais, et la vivacité de 
ses passions avait imprimé une grande chaleur à ses de- 
mandes : Etienne Gardiner , secrétaire du cardinal W^ol- 
sey, et Edouard Fox étaient allés à Orviette; ils avaient 
réclamé une nouvelle commission pontificale qui donnât 
au cardinal légat le pouvoir d'annuler le mariage avec 
Catherine , en déclarant néanmoins légitime la fille née 
de ce mariage : cette commission devait être suivie d'une 
bulle qui confirmerait la décision du légat, dissoudrait le 
mariage , autoriserait le monarque anglais à épouser une 
autre femme; et, ce qui est remarquable , ils avaient été 
chargés de faire connaître au pape les qualités éminentes 
d'Anne de Boulen, pour laquelle Henri VIII avait déjà 
conçu une passion violente; le pape, qui redputait encore 
l'armée de Lautrec, avait prolongé la négociation et 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE, légS — i53o. l4l 

adressé au roi d^ Angleterre une lettre écrite en chif- 
fres, dont personne ne put deviner le sens à la cour de 
Henri VIII. Pressé par ce monarque , dont il était difficile 
de modérer l'impatience, il nomma Wolsey et le cardinal 
Campegge ses légats h latere , les institua ses vice-gérents 
pour TafiFaire du divorce, les revêtit de toute son autorité, 
remit à Campegge une décrétale pour annuler le mariage 
du roi; mais, ne voulant ni déplaire à Charles-Quint^ 
avec lequel il voulait d'autant plus terminer ses différents 
que Parmée française était ruinée , ni rompre avec 
Henri VIII dans la crainte d'être forcé à accepter toutes 
les conditions qu'il plairait à l'empereur de lui imposer , 
il ne vit que ce qiie la politique ordinaire des faibles lui 
conseillait relativement à un souverain redevenu très- 
fort , et ne parut pas se douter des dangers bien plus 
grands dans lesquels allait le précipiter une opinion im- 
mense, dominatrice, et secondée par Henri VIII, aussi , 
impétueux que mécontent : il ordonna à Campegge de 
difiFérer le plus possible la conclusion de l'affaire pour 
laquelle il allait quitter l'Italie, de ne communiquer la 
décrétale qu'au roi et à W<dsey, et de ne prononcer la 
sentence de divorce que lorsqu'il aurait reçu de nouveaux 
ordres écrits de sa propre main* 

Campegge, arrivé en Angleterre, crut devoir com- 
mencer par exhorter le roi à vivre en bonne intelligence 
avec la reine et à renoncer au divorce : ses avis ayant 
été mal reçus , il voulut persuader à Catherine de con- 
sentir à sa séparation, u Je suis femme légitime du roi, 
» répondit-elle, et je continuerai de l'être jusques au 
» moment où une sentence du pape aura décidé le con- 
» traire. » 

Le légat déclara alors qu'il avait besoin de nouveaux 
ordres pour continuer la procédure, n'en reçut aucun 
pendant plusieurs mois, tâchait de calmer la vive impa- 
tience de Henri en lui montrant la décrétale, maisrefu- 



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l42 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

sait, en citant les ordres formels du pontife suprême, de 
la communiquer à aucun membre du conseil. 

Henri VIII se plaignit au pape de ce refus. « La décré- 
» taie, répondit Clément VII, ne doit être publiée que 
)> lorsque les légats auront rendu une sentence conforme 
» aux désirs de votre Majesté. » 

Le pape continuait cependant ses négociations ayec 
Charles -Quint, et ne cherchait qu^un prétexte pour 
rompre avec les rois de France et d'Angleterre, dont la 
puissance ne PeflFrayait plus; les deux monarques décou- 
vrirent ces négociations, et se plaignirent de la duplicité 
,du pontife. « Je n'ai d'autre intention , dit-il , que de 
» garder la neutralité. » Et il envoya en Angleterre 
François Campana, chargé ostensiblement d'assurer 
Henri VIII de sa bonne volonté, et secrètement de re- 
commander à Campegge de. brûler la décrétale et de 
prolonger de plus en plus l'affaire du divorce. Le légat 
Campegge trouva facilement des prétextes pour reculer 
la décision si iiésirée par Henri : ce monarque , fatigué 
de tant de lenteurs , envoya auprès du pape de nouveaux 
députés , sir François Bryan et Pierre Vannes. « Nous 
» avons ordre , dirent-ils à Clément VII , de proposer à 
» votre Sainteté différents expédients pour faciliter la 
» conclusion du divorce ; notre souverain vous.offre une 
» garde de deux mille hommes si votre Sainteté peut 
» être intimidée par les menaces de Charles -Quint; 
» mais si elle ne pense qu'aux intérêts de Pempereur, si 
» elle refuse d'accorder à notre roi la satisfaction qu'il 
» demande, qu'elle redoute le parti que prendra l'An- 
» gleterre : le royaume entier cessera de la reconnaître 
» elle et ses successeurs; le peuple anglais n'attend que la 
» permission de son roi pour secouer le joug del'obéis- 
» sance à l'autorité pontificale. Vous allez braver deux 
» formidables ennemis, François et Henri; et le roi d'An- 
» gleterre ne s'étant engagé dans la guerre de la sainte 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — i55o. l43 

'» ligue que pour délivrer votre Sainteté de prison, la 
» chrétienté ne verrait qu'avec horreur son ingratitude^ 
» si elle s'engageait dans une alliance contre son libéra- 
» teur.— Je me trouve placé, dit le pape, danslasitua- 
» tion la plus dangereuse; je ne puis en sortir que par 
» une protection particulière du ciel. » 

Les députés proposèrent ensuite les questions suivantes 
aux plus habiles canonistes romains : Si la reine prenait 
le voile de religieuse , le roi aurait-il la liberté d'épouser 
une autre femme ? Si le roi et la reine faisaient des vœux 
religieux, le pape pourrait^il accorder au roi une per- 
mission de se remarier pendant la vie de Catherine ? Et 
enfin le pontife suprême pourrait-il accorder à Henri VIII 
la permission d'avoir deux femmes? On n'a pas connu 
les réponses des canonistes à ces trois questions. 

Une maladie dangereuse survint à Clément VII. Le car- 
dinal W^olsey se hâta de recommencer ses intrigues pour 
obtenir la tiare. Henri écrivit à plusieurs cardinaux en 
faveur de son minisire. François I**' promit à Wolsey que 
tous les cardinaux ou toute la faction de France le soutien- 
draient ; et Gardiner reçut l'ordre de protester contre la 
décision du conclave si VVolsey n'était pas nommé, et de 
faire ensuite élire ce prélat par les cardinaux ses partisans. 
Mais la santé de Clément VII se rétablit, et toutes les dé- 
marches favorables à Wolsey ne servirent qu'à montrer 
au pape, dans ce cardinal, un rival d'autant plus dangereux 
que Clément VII n'était que fils naturel de Julien I«' de 
Médicis,, et que l'empereur l'avait quelquefois menacé 
de le faire déposer à cause de sa naissance illégitime. 

La crainte que Wolsey avait inspirée au pape né fit 
qu'augmenter l'envie secrète qu'avait le pontife de s'op- 
poser aux désirs de Henri VIII, et néanmoins la résolution 
qu'il avait prise de paraître disposé à les seconder. Il 
amusa ce monarque par de vagues promesses, remit à 
Gardiner un bref par lequel il déclarait qu'il ne révoque- 



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i44 

rait jamais les pouvoirs qu'il avait donnés aux légats ; et 
l'évêché de Winchester étant devenu vacant, il s'empressa 
d'en faire expédier les bulles en faveur de Wolsey , pour 
lequel Henri VllI avait demandé ce siège épiscopal. 

Mais l'empereur, bien assuré des sentiments du pontife, 
protesta, au nom de sa tante Catherine, contre tout ce que 
décideraient en Angleterre, au sujet du divorce , deux lé- 
gats, dont l'un était entièrement dévoué à Henri VIII , et 
dont l'autre possédait l'évêché anglais de Salisbury ; et les 
ministres du roi ayant voulu engager le pape à rejeter la 
protestation , Clément VII répondit qu'il ne pouvait re- 
fuser à la reine ce que le dernier des sujets de la Grande- 
Bretagne aurait le droit de demander. 

Les ministres de Henri écrivirent alors à ce prince que, 
si les légats ne prononçaient pas promptement en Angle- 
terre, il était à craindre que la cause ne fût évoquée à 
Rome. Henri VIII ordonna que la cause fût plaidée sans 
délai devant les légats. On lut le bref par lequel le pape 
s'engageait à ne pas révoquer les pouvoirs qu'il avait con- 
férés, à Wolsey et à Campegge. On le trouva conçu en 
termes équivoques. Gardiner reçut l'ordre de dire à 
Clément VII que le bref avait été mouillé lorsqu'on Pa- 
vait porté en Angleterre , que l'écriture avait été presque 
entièrement effacée, et qu'on priait sa Sainteté d'en signer 
un second rédigé en termes précis et formels. Le pape 
éluda toutes les sollicitations : les députés anglais furent 
rappelés. Henri pressa les légats de procéder conformé- 
ment à leur commission ; ils tinrent une première séance 
dans laquelle ils choisirent des adjoints pour les aider à 
examiner les preuves ; et Wolsey , comme pour montrer 
son impartialité , céda la présidence à Campegge, quoique 
plus ancien cardinal que ce prélat. Le roi et la reine pa- 
rurent devant eux. Lorsque Catherine fut nommée , elle 
se leva, se jeta à genoux devant Henri, et s'écria d'une 
voix touchante : « Je suis une pauvre femme étrangère 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE, llgS— l55o» l45 

» dans vos ëtats, où je ne puis trouver uî conseil désin- 
» tëressë ni juge impartial* J'ai ëté votre femme pendant 
» plus de vingt ans ; je vous ai donné plusieurs enfants y 
» et je me suis toujours attachée à vous plaire» J'étais 
» vierge lorsc^ue vous m^avez épousée ; j'en appelle à ce 
» sujet à votre conscience. Si j'ai fait quelque faute, je 
» consens d'en souffrir la h^nte. Nos pères ont toujours 
)) été regardés comme des princes sages , qui, sans doute 
» avaient consulté les conseillers les plus habiles lorsqu'ils 
» ont conclu notre mariage. Je ne puis donc me soumettre 
» à la cour devant laquelle je parais. Mes avocats sont 
» vos sujets ; ils n'osent parler librement en ma faveur. 
y> Je demande que la cause soit différée jusques au mo- 
)» ment où j'aurai eu le temps de faire venir d'autre 
» avocats d'Espagne, » ' 

La reine se leva ensuite, fit une profonde révérence 
au monarque, et se retira, quoique l'huissier demandât 
qu'elle restât devant la cour. Henri VIII prit alors la 
parole. « Catherine, dit-il, a toujours été une femme très- 
» soumise, fidèle à ses devoirs, pourvue d'excellentes qua- 
)> lités. Mais depuis les observations qui m'ont été faites 
» au sujet de mon union avec cette princesse par l'évêque 
» de Tarbes, ambassadeur de France, ma conscience a 
» été agitée. Je résolus de faire prononcer sur la légitimité 
» de mon mariage, non seulement pour la tranquillité de 
» mon ânM, mais encore pour la sûreté de la succession 
» au trône. Je témoignai en confession les scrupules 
» que j'épi?ouvaÎ3 à l'évêque de Lincoln. Je demandai que 
» l'archevêque de Caritorbéry recueillît à cet égard les avis 
» des.évêques d'Angleterre. Ils ont signé qu'ils désapprou- 
• » vaient mon mariage. » 

L^évêque de Rochester déclara qu'il n'avait pas sîgné. 
L'archevêque de Cantorbéry prétendit que ce prélat 
avait trouvé bien qu'un autre écrivît son nom, L'évêque 
le nia formellement. 

ToM. XIL 10 



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l46 HISTOIRE DE L'eUROPE. 

La reine fut alors citée de nouveau; elle appela au pape; 
on la déclara contumace» 

Les légats firent connaître les objets suivants sur les- 
quels la discussion devait rouler. Le prince Arthur et le 
roi étaient frères. Le prince Arthur avait épousé Cathe- 
rine et consommé le mariage. Henri , en vertu d^une dis- 
pense, avait épousé la veuve d'Arthur. Le mariage avec la 
femme de son frère était défendu par les lois divines et 
humaines. 

Les avocats du roi, en insistant sur la 4»nsommation 
du mariage d'Arthur , s'exprimèrent d'une manière si 
indécente, que l'évèque de Rochester en témoigna son 
mécontentement. Wolsey reprocha à l'évèque d'avoir 
osé interrompre les avocats; une vive altercation eut 
lieu entre le prélat et le cardinal. Mais, suivant quel- 
ques historiens , l'enquête fit fortement présumer que 
le prince Arthur avait habité avec la reine. 

Le pape , cependant , avait ratifié un traité de paix 
conclu à Barcelone avec Charles-*Quint. Ce monarque 
s'était engagé à rendre au souverain pontife Ravenne 
et les autres états dont il s'était emparé , et à rétablir 
dans Florence la puissance de la maison de Médicis ; 
et le pape avait promis de couronner Charles Y empe- 
reur , et de lui donner l'investiture du royaume de 
îiaples. La cause de François Sforce devait être l'objet 
d'un nouvel examen ; et on était convenu secrètement 
de plusieurs mesures pour arrêter les progrès des Turcs 
et ceux des luthériens, dont les opinions étaient bien 
plus dangereuses pour l'autorité pontificale que les 
armes des musulmans. Clément Vil cédant alors , sans 
crainte , aux désirs de Charles-Quint , évoque à son 
tribunal la cause du divorce de Henri VIII, dont Cam- 
P^gg® j V^^ ^* artifices, avait trouvé le moyen d'éloigner 
la décision , et le monarque fut sommé de paraître dans 
quarante jours devant la cour pontificale , sous peine 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS— l53o. l^J 

des censures ecclësiastiques. Henri VIII , dont le plan 
de résistance à la cour de Rome était peut-être déjà 
arrêté, eut la politique de dissimuler le ressentiment 
violent qu^alluma dans son âme la bulle d'évocation, 
ne voulut pas permettre qu'elle lui fût signifiée for- 
mellement, mais fit dire aux légats qu'ils étaient les 
maîtres d'obéir aux ordres du pape. Clément VII, 
redoutant une partie dés effets de cette politique , 
s'empressa , par un nouveau bref , de révoquer les 
censures de la bulle d'évocation , et de prolonger j us- 
qnes au jour de Noël le terme de la citation de Henri } 
mais les résolutions de ce prince ne furent pas chan* 
gées ; et ce moment vit disparaître presque toute son 
affection pour Wolsey. 

( 1629 ) Le cardinal , ou pour conserver quelque 
espérance de réconciliation avec l'empereur, ou pour 
nuire aux vues d'Anne de Boulen , attachée à la doc- 
trine de Luther , et qui pouvait lui enlever la faveur 
du roi, s'était conduit, pendant tout le cours du procès, 
avec une tergiversation et une froideur qui venaient 
enfin de frapper les yeux de Henri. L'empereur n'avait 
d'ailleurs négligé aucun moyen de ruiner le cardinal 
dans l'esprit du monarque anglais ; il avait fait répandre 
de faux bruits sur le compte de ce premier ministre; 
ses émissaires avaient remis à Henri des lettres qui blâ- 
maient le divorce , et qu'on supposait écrites par le 
caMinal à Clément VII ; et Anne de Boulen n'attri- 
buait qu'à la négligence et à la mauvaise volonté du 
légal le peu de succès de l'affaire à laquelle elle devait 
prendre tant d'intérêt. Son père, créé vicomte de Ro- 
chefcM^t, l'avait éloignée de la cour pendant le procès; 
mais elle y reparut à la grande satisfaction de Henri, 
lorsque la commisrion fut annulée. 

Les deux cardinaux furent néanmoins reçus du mo- 
narque aussi favorablement qu'à l'ordinaire ; mais il 

•10. 



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l48 HISTOIRE DE l'eUROFE. 

eut occasion de connaître Thomas Grailmer , docteur 
en théologie, et dont on vantait beaucoup la science, la 
piété et la modération ; il lui ordonna de suivre la coiir ; 
et ne cachant plus son ressentiment contre Wolsey , il lui 
envoya demander le grand sceau et le remit à Thomas 
Morus, déjà fameux par ses lumières et soia intégrité. 

Campegge, prévoyant la chute prochaine de son col- 
lègue j prit congé du roi et repartit pour Fltalie. Les 
commis de la douane visitèrent avec d'autant plus de 
soin son bagage, que le roi avait donné, dit-on, des 
ordres secrets pour faire chercher, parmi les objets que 
le cardinal emportait, la bulle décrétale que Ton avait 
brûlée à Pinsu du monarque* Il se plaignit de leur 
conduite comme d'un outrage fait à un légat du siège 
apostolique. « Mes officiers ont fait leur devoir , lui 
» répondit Henri VHL Je suis surpris que vous pre- 
» niez le titre de légat du pape, lorsque vos pouvoirs 
» ont été révoqués , et encore plus qu'étant ëvèque 
» de Salisbury , vous ignoriez les lois du royaume , 
» et portiez ce titre de légat sans ma permission. » 

Wolsey fut traité bien plus sévèrement. Haies, procu- 
reur général, présenta à la cour cLu banc du roi une in- 
formation contre ce cardinal , accusé d'avoir violé le 
statut pfœmunire. Wolsey reconnut sa fsiute , et eut 
recours à la clémence royale; il fut ordonna qu'il serait 
privé de la protection de sa Majesté , que tous ses biens 
seraient confisqués , et que son palais de Wittehall serait 
saisi, ainsi que toutes les richesses qu'il y avait amassées. 
Wolsey vit avec effroi que la bonté du monarque pou- 
vait seule le retenir sur le bord de l'abîme; il s'humilia, 
implora sa grâce ; et Henri VIII , qui paraît n'avoir 
voulu que lui montrer avec quelle facilité il pouvait 
briser toute sa puissance , lui accorda son pardon y le 
rétablit dans la jouissance du temporel de l'archçvè-' 
ché dTorck et de l'évêché de Winchester , lui fit ren- 



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VINGT-UNliCMB ÂFOQUE. légQ — l53o. liQ 

dre une valeur de 6,000 livres en meubles, en vaisselle 
ou en argent, et lui adressa, ainsi qu'Anne de Boulen, 
des messages propres à le cons<^er et même à lui ren- 
dre Fespërance* 

Mais les ennemis de cet ancien favori du roi étaient 
trop nombreux , trop irrités et trop puissants ; ils pré- 
sentèrent contre lui, à la chambre des lords, une accu- 
sation de haute trahkon. « Il a abusé , dirent-ils , des 
» pouvoirs de légat ; il a agi tyranniquement dans la 
» place de clîancelierj il a expédié des ordres importants, 
y^ et même exécuté des traités sans la participation du 
y^ monarque; on Fa vu dans plusieurs circonstances se 
» conduire despotiquement comme un souverain étran- 
» ger , plutôt que comme un ministre d'Angleterre ; 
» il s'est rendu coupable d'extorsion et de corruption; 
» il a osé s'égaler et même se préférer à son souverain, 
» en mettant dans plusieurs ordres ou instructions : Ego 
» etrex meus, moi et mon roi; et enfin, il a exposé la 
» vie du prince en lui parlant à l'oreille et en respirant 
» près de son visage, dans un temps où il était infecté 
» d'une maladie honteuse. )> 

La chambre des lords adopta un bill contre le cardinal. 
Cebill fut porté à la chambre des communes; un mem- 
bre de cette chambre, Thomas CromweU, qui avait été 
attadié à Wolsey , le défendit avec tant de force que le 
biU ne fut pas admis. Mais le cardinal, accablé sous le 
poids des accusations et de l'opinion publique, n^opposa 
aucun courage à son malheur et tomba dangereusement 
malade. Le roi, touché du sort de celui qui avait été si 
puissant, lui envoya un rubis par son médecin, le doc- 
teur Butls, lui fit dire qu'il n'avait conservé aucun res- 
sentiment contre lui, lui promit une nouvelle marque 
de son affection, et le cardinal, recouvrant la santé, ob- 
tint la permission d'aller passer quelque temps dans sa 
maison de Richmont.. 



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x5o HISTOIRE DB L^BUROPE. 

Saiat-Pol , cependant , s^était emparé avec rapidité' 
dans la Lombardie, de Mortare, de Sant-Angelo, de 
Colombono, de Vigevano, de Biagrassa, de presque tous 
les postes d'Antoine de Lève. Le général des Impériaux 
n'avait plus que la yille de Corne et celle de Milan; 
Saint-Pol, qui n'avait point renoncé à l'espoir de recon- 
quérir la ville dé Gènes et son territoire y presse les alliés 
d'attaquer avec lui la capitale du Milanais. Le duc d'Ur- 
bin, qui connaît les intentions secrètes du gouvernement 
vénitien, et qui sait combien peu le sénat de la républi- 
que est disposé à sacrifier ses trésors et ses troupes pour 
les projets d'un monarque prêt à l'abandonner afin d'ob- 
tenir la paix, combat avec force la proposition du comte 
de Saint-PoL « Milan, dit-il,. est défendu par Antoine de 
» Lève; sa garnison est une armée; les habitants de cette 
» grande ville brûlent de punir leurs oppresseurs; mais 
» que peut-on attendre d'une multitude sans armes? 
» contentons-nous de bloquer cette capitale, c'est par la 
» disette et non par la force que nous devons réduire les 
» Impériaux. » 

Le conseil de guerre adopte l'avis du duc d'Urbin^ 
On décide que les Vénitiens occuperont Cassano^ les 
Français Biagrassa , et les troupes de François Sforce la 
ville de Pavie. 

Mais des mesures si lentes irritent l'impatience natu- 
relle du comte de Saint-Pol; il ne doute pas que l'impi- 
toyable Antoine de Lève ne garde pour ses soldats tous 
les vivres qui leur seront nécessaires , dussent tous les ha- 
bitants expirer dans les horreurs de la faim. Il ne peut 
se résoudre à se condamner à une longue inaction qui 
lui paraît honteuse. « Puisque vous ne voulez pas, dit-il 
» avec chaleur aux chefs des alliés , profiter de votre su- 
» périorité et vaincre vos ennemis, je vais me séparer 
» de vous; je porterai le théâtre de la guerre en Ligurie. 
» Je ne trahirai pas l'honneur et les intérêts de la France 



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VINGT-iTNI&MB ÉPOQUB. iégS — i53o. lâl 

» en perdant une campagne dans un indigne repos* Après 
» avoir conquis tant de places pour les sdliës, il est bien 
» temps que je recouvre celles que la France a perdues. 
» Vous avez assez de troupes pour contenir Antoine de 
)» Lève et le resserrer dans son asile; voilà les ordres de 
)» mon souverain. Il m'autorise à suivre ma résolution^ 
» je ne l'exécute qu'à regret j mais je vous ai mis dans^ 
» une position où vous pouvez voas passer du secours 
» de la France (x529). » 

Il part de Biagrassadès le commencement de juin pour 
se rendre à grandes journées devant Gènes. Il avait des 
intelligences dans la ville j on lui avait promis de lui en 
ouvrir les portes dès qu'il se présenterait. Il avait avec lui 
dix mille combattants : il arrive à Landriano, à quelques 
lieues de Milan. Un orage violent survient pendant la 
nuit; Saint-Pol ne peut passer la rivière qui est débordée. 

Antoine de Lève apprend que les Français sont comme 
assiégés par une grande inondation ; il donne à ses sol- 
dats le signal du départ , leur ordonne de mettre des 
chemises sur leurs habits , afin de se reconnaître dans 
les ténèbres, leur promet une victoire facile, et, tour- 
menté par une violente attaque de goutte, se fait porter 
sur un brancard à la tête de son armée. 

Saint-Pol avait envoyé deux compagnies de chevau- 
légers sur la route de Milan, pour lui donner à tout mo- 
ment des nouvelles de l'ennemi; elles rencontrent les 
colonnes impériales, mais prennent une route différente 
de celle qui les aurait conduites auprès du prince qu'elles 
auraient prévenu de l'approche de l'ennemi. 

Saint-Pol est debout toute la nuit; il voit, à la pointe 
du jour, les eaux de la rivière baissées; il se met en route 
pour Pavie. Le comte Guy de Rangone conduit l'avant- 
garde; l'artillerie le suit; viennent après l'artillerie , le 
corps de bataille et l'arrière-garde, commandée par le 
prince- lui-même* Un accident funeste arrête leur mar- 



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l52 

che : un des plus gros canons s'enfonce dans la yase ; on 
manque d'outils pour le relever : on est obligé de démolir 
une maison , et de chercher dans ses décombres le fer né- 
cessaire pour retirer le canon. Le prince met en vain la 
main à l'œuvre pour encourager les travailleurs. La dé- 
charge d'un corps d'arquebusiers espagnols lui apprend 
que l'ennemi est sorti de Milan pour l'attaque : l'étonne- 
mentet la confusion s'emparent des Français. L'avant- 
garde était déjà éloignée; Saint-Pol montre une fermeté sa- 
périeure au danger qui l'environne : il détache des hommes 
d'armes pour contenir les arquebusiers espagnols , des- 
cend de cheval , saisit une pique y se met à la tète de deux 
mille lansquenets 9 et leur donne l'exemple de la plus 
grande valeur. Pendant que le feu de ces lansquenets 
écarte les arquebusiers espagnols , toute l'armée d'An- 
toine de Lève arrive et attaque le comte de Saint-Pol : 
le prince résiste avec un admirable courage; mais deux 
régiments italiens, soudoyés par la France, prennent la 
fuite sans tirer un seul coup. Saint-Pol maintient en 
vain le combat avec ses lansquenets et ae^ honmies d'ar-* 
mes qui ont mis pied à terre. Sa troupe s'éclaircit de plus 
en plus ; il dirige sa retraite vers une cassine , située au^ 
delà d'un canal : ses hommes d'armes font inutilement 
des prodiges de bravoure pour arrêter l'ennemi et donner 
à Saint-Pol le temps de sauver son infanterie et son ar- 
tillerie : ils sont accablés pat le nombre. L'ennemi passe 
le canal; Antoine de Lève étend ses bataillons, enveloppe 
les troupes de France, les presse vivement. Saint-Pol 
combat en homme intrépide ; ses lansquenets découragés 
baissent leurs armes et se rendent aux Impériaux. Le 
prince dont l'audace s'accroît avec ses malheurs , remonte 
à cheval avec ses hommes d'armes, veut s'ouvrir un che- 
min au travers de l'armée victorieuse, renverse tout ce 
qui se présente,^ parvient à un canal rempli de fange, 
s'élance pour le franchir, comme Annebaut et une grande 



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VINGT-UNliMB ÉPOQUB« ligS — i53o. l53 

partie de son escadron, est mal secondé par son cheval, 
dont la fatigue est extrême, tombe au milieu de Peau 
bourbeuse et n'en est retiré que par Pennemi qui le con- 
duit dans une cassine peu éloignée. Annebaut,qui n'a 
pu secouïlr le prince, ose tenter de le délivrer, arrive 
par un chemin détourné avec les hommes d'armes les 
plus déterminés, attaque la cassine, ne peut continuer de 
lutter contre les Impériaux dont le nombre s'accroît à 
chaque instant, et se retire désespéré à Pavîe , où Pavant- 
garde de France était arrivée. Cette avant-garde apprend 
la défaite et la captivité de son général ; la douleur Pé- 
gare ; les soldats x[ui la composent désertent et tâchent de 
regagner la France. 

De quel traité honteux François P* aurait pu préser- 
ver cette France malheureuse, s'il avait réuni à cette 
valeur héroïque, dont il avait donné tant de preuves 
sur les champs de bataille, le courage plus rare de sacri- 
fier de vains plaisirs à son devoir et à sa gloire , et si, 
s'arrachant aux charmes d'une volupté coupable, il 
avait pris les rênes de son gouvernement, secondé Pélan 
généreux des Français, relevé sa royale bannière, et 
forcé son rival, trop politique pour résister à de si 
grands et si nobles efforts , à ne réclamer que d'honora- 
bles conditions ! Mais Madame voulait conserver le pou- 
voir à tout prix ; et il était dans la destinée de son fils 
et de la France de lui devoir de nouveaux malheurs , 
et un déplorable abandon de leur honneur et de leur 
dignité. 

On la voit paraître à Cambrai avec l'archiduchesse 
Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas; elle 
va y consentir aux sacrifices les plus douloureux. Voici 
ce traité où Charles-Quint triomphe de François I®', 
bien plus qu'à Pavie; et cependant les Turcs menaçaient 
d'envahir la Hongrie et l'Autriche , et les mouvements 
des luthériens lui inspiraient déjà de grandes alarmes. 



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i54 

L'empereur cessera pour le présent ses demandes sur 
la Bourgogne; le roi de France paiera deux millions 
d'ëcus d'or pour la rançon de ses enfants; ses troupes 
sortiront d'Italie ; il cédera à Charles la suzeraineté de 
la Flandre et de P Artois,* il rendra le comté d'Asti et 
tout ce qu'il a conservé dans le Milanais; il renoncera 
à toutes ses prétentions sur le royaume de Naples; il 
épousera la reine Éléonore, sœur de l'empeteur; il 
rétablira les héritiers du duc de Bourbon dans la pos- 
session de tous les biens que la confiscation leur a enle- 
vés (iSsg). 

11 fut d'ailleurs convenu que, sur les deux millions 
d'écus d'or, François !•' paierait à Henri VIII 5oo,ooo 
écus que Charles-Quint devait au roi d'Angleterre , et 
retirerait un joyau que l'archiduc Philippe, père de 
l'empereur, avait engagé à Henri VIII pour 5o,ooo écus» 
Henri VIll fit à François P', son allié, la remise des 
5oo,ooo écus, et donna le joyau à son filleul Henri II, 
fils de François I®'. 

Charles-Quint cependant avait convoqué une diète à 
Spire; les états promirent de secourir contre les Turcs 
l'archiduc Ferdinand, frère de l'empereur et roi de 
Hongrie et de Bohème , en vertu de son mariage avec 
Anne, sœur et héritière du roi Louis, tué à la bataille 
de Mohacz. 

Se transformant ensuite en concile, ils condamnèrent 
les anabaptistes comme convaincus d'une ancienne hé- 
résie, établirent contre eux la peine de mort, et après 
cet acte d'une sanguinaire intolérance, comme s'ils avaient 
voulu montrer la lutte établie dans l'opinion publique 
contre les anciennes et les nouvelles idées relatives à la 
liberté des cultes , ils arrêtèrent non seulement que les 
membres du corps germanique ne pourraient pas être 
inquiétés pour cause de religion jusqu'à la tenue d'un 
concile général, mais encore que ceux qui avaient em- 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. ligS— i55o. l55 

brassé la nouvelle doctrine pourraient la faire enseigner 
dans leurs terres ou ëtats, en maintenant la. messe et 
ne s^écartant pas du dogme de l^glise catholique con- 
cernant PEucharistie. Cet acte de la diète de Spire déplut 
à l'électeur de Saxe, au margrave de Brandebourg du 
rameau d'Anspacb , aux ducs de Lunebourg, au land- 
grave de Hesse, au prince d'Anhalt, à quatorze villes 
impériales qui professaient ouvertement le luthéranisme. 
Ils protestèrent contre ce décret, envoyèrent leur pro- 
testation à Charles-Quint, et reçurent à cause de cette 
démarche le titre à!& protestants qu^ils adoptèrent comme 
un titre d'honneur. Désirant ensuite de prévenir les 
dissensions qui pourraient s'élever entre leurs théolo- 
giens, concernant différents points de doctrine, ils or- 
donnèrent à leurs principaux docteurs de rédiger un 
formulaire qui servirait de règle à la croyance des pro- 
testants, et ils se liguèrent à Schmalkalden d^une ma- 
nière plus étroite que jamais, pour défendre leurs droits 
et la liberté de leur conscience. 

Charles- Quint, qui s'était embarqué à Barcelone 
avec neuf mille hommes, avait débarqué à Gènes, et 
s'était rendu à Bologne où était Clément VII, ne voyait 
plus dans les ducs de Milan et de Ferrare, dans les Génois 
et dans les Vénitiens abandonnés par François P^ , que 
des feudataires obéissants ou des républiques soumises. 
Leurs ambassadeurs étaient à Bologne; Charles-Quint 
prononça sur leurs intérêts; il parla en maître. Gènes 
se tut, et Venise même ajourna son ressentiment. Il or- 
donna que les Vénitiens lui remettraient les places qu'ils 
avaient conservées dans le royaume de Naples, et ren- 
draient au pape Ravenne et Cervia. Il accorda le duché 
de Milan à François Sforce, sous la condition de lui 
payer une somme considérable : il promit de prononcer 
sur les prétentions du pape et du duc de Ferrare. Les 
Florentins seuls osèrent défendre leur indépendance; ils 



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l56 HISTOIRE BB L^EUROPE» 

résolurent de répandre jusques à la dernière goutte de 
leur sang pour rejeter la domination des Médicis que le 
pape et Pempereur voulaient leur imposer. Charles- 
Quint, fidèle aux principes de conduite qu'il avait adop- 
tés, ne prit pas le commandement du corps d'armée qui 
devait combattréles Florentins; il se contenta d'ordonner 
au prince d'Orange de faire le siège de leur capitale. Les 
affaires d'Allemagne prenaient d'ailleurs à chaque in- 
stant un caractère plus grave; les protestants demandaient 
à grands cris un concile général; Charles-Quint le leur 
avait comme promis, pendant qu'il était encore en 
guerre avec la France et ses alliés. Mais Clément VII ne 
prévoyait qu'avec de vives alarmes la réunion de ce con- 
cile ; les souverains et ceux qui les entouraient n'avaient 
encore que des idées bien imparfaites de la puissance de 
l'opinion publique. Le pape parvînt à persuader à l'em- 
pereur qu'il calmerait l'agitation de la Germanie sans la 
convocation d'un concile général; et Charles-Quint, 
après avoir été couronné par le pape, roi d'Italie, et 
trois jours après empereur romain , se hâta de partir 
pour l'Allemagne. 

Le prince d'Orange, son général, s'étant emparé de 
plusieurs places de la Toscane , était venu camper dans 
le voisinage de Florence. Dès le moment où les Espa- 
gnols qui étaient sous ses ordres avaient aperçu cette ca- 
pitale, ils s'étaient écriés, en agitant leurs lances : jP/o- 
rence, prépare tes superbes étoffes; nous venons tes 
acheter à la mesure de nos piques! le siège de cette ville 
dura dix mois. Les assiégés , commandés par Malatesta 
Baglioni, firent plusieurs sorties avec beaucoup de cou- 
rage (i53o). Dans une de ces sorties, le prince d'Orange 
fut tué d'un coup d'arquebuse : il était de la maison de 
Châlons. Sa principauté passa au fils de sa sœur , René 
comte de Nassau, et Ferdinand ou Ferrante de Gon- 
zague lui succéda dans le commandement de l'armée 



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VINGT-UNIEME EPOQUE. légS — l55o. 167 

impériale. Les Florentins furent enfin obligés de capitu- 
ler} ils consentirent^ malgré eux, à recevoir de Pempe- 
rewr le gouvernement qu^il lui plairait de leur donner. 
Charles -Quint, par un décret solennel, déclara chef 
de la république, Alexandre de Médicis, fils naturel 
de Laurent II, et qui n'avait encore que vingt ans, ses 
fils, leurs descendants, et, à leur défaut, le plus proche 
parent. 

Charles-Quint, arrivé en Allemagne, convoque une 
diète k Ausbourg; la plupart des électeurs et dès princes 
de Pempire y assistent en personne : les protestants y 
présentent une confession de foi. L'empereur charge les 
théolc^iens catholiques de l'examiner j les protestants ne 
peuvent s'entendre avec les théologiens. Charles-Qùi|it, 
qui cherche des prétextes pour étendre son pouvoir , me- 
nace ceux qui ne veulent pas adopter les arguments des 
catholiques, fait placer des gardes aux portés de la ville, 
et paraît approuver les mesures violentes que lui propo* 
sent le légat Càmpegge et même l'électènr de Brande* 
bourg; mais le landgrave de Hesse s'échappe d'Aus- 
bour^ : l'empereur voit s'avancer la guerre civile la plus 
sanglante, il chaitige de système; et, malgré ses arrange- 
ments secrets avec le pape, il promet solennellement 
d'engager le pontife suprême à convoquer incessamment 
un concile général, ou à réunir du moins un. concile 
national germanique pour réformer les abus qui s'é* 
taient introduits dans l'Église. On défend aux états 
de s'inquiéter mutuellement pour des objets reli- 
gieux; on enjoint aux protestants de s'en tenir aux 
articles de leur confession que l'on a nommée confession 
é^Ausbourg. On leur prescrit de n'y ajouter aucune 
nouveauté, et on leur donné six mois pour se réunir à 
l'Église catholique. Les états luthériens redoutant, néan- 
moins, les intentions de l'emperesur et celles de plusieurs 
états catholiques, s'assemblent dé nouveau à Schmalkal- 



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l58 HISTOIRE DE L'BUROPÉ. 

den , y forment pour cinq ans une confédération plus 
étroite ) promettent de défendre leur religion et leur 
liberté, et conviennent de réclamer le secours des rois 
de France, d^ Angleterre et de Danemarck. Charles^Quint 
n'avait pas pré vu, dans sa politique tortueuse, et si infé- 
rieure. à Pesprit du siècle, quel coup fimeste porterait à 
Pautorité impériale et à la force de Punité germanique 
cette intervention des souverains étrangers dans les affai- 
res intérieures de ^Allemagne* 

Les objets relatifs à la réforme des abus religieux ne 
furent pas les seuls dont s'occupa cette célèbre diète 
d'Ausbourg; elle rendit plusieurs décrets importakits sur 
les affaires civiles ; elle fixa à Spire le siège de la cbambre 
impériale, promit au roi Ferdinand de Hongrie et de 
Bohème des secours contre les Turcs , régla Phabillement 
de tous les ordres de citoyens , interdit les excès de bois* 
son, défendit les jurements, prohiba les compagnies 
privilégiées de commerce^ s'opposa à toute espèce de mo- 
nopole, réduisit à cinq pour cent les intérêt£tdé l'argent, 
et ordonna de punir les bouffons qui ne seraient pas 
au service des électeurs ou des princes de l'eqxpire (i55o). 

Dans la même année, le conseil de.r^ence cessa 
d'exister, et l'on vit l'empereur investir le roi Ferdi- 
nand , son frère , de l'archidiiché d'Autriche et du duché 
dé Wurtemberg, ériger en duché le .marquisat de Man- 
toue en faveur de Frédéric de Gonzaîgae, >qui épousa 
Marguerite Paléologue, nièce et héritière de Jean-George 
Paléologue, marquis de Montferrat, donner i l'électeur 
de Brandebourg la co-investiture dud'^cfaé de Pomé* 
rahie , et, ce qui est bien plus digne d'attention vers le 
commencement du seizième si^le , élever à la dignité 
de comte de l'empire les Fuggérs , riches^ banquiers de 
la ville d'Ausbourg. 

Anne de Boulen continuait de paraiti^e avec éclat à la 
cour d'Angleterre, d'où on avait écarté la reine Ca- 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l53o. 169 

therîne : son empire sur le cœur et Pesprit de Henri YIII 
s'accroiâsait chaque jour, et elle était sans cesse Pobjet 
des hommages de tous ceux qui voulaient plaire au 
monarque. Le docteur Cranmer avait ëcrit un livre en 
faveur du divorce, et accompagné les deux ambassa- 
deurs envoyés par le roi d^ Angleterre à Bologne, où 
étaient encore le pape et Pempereur. Clément VII, en 
témoignant un grand désir de satisfaire Henri VIII, avait 
demandé le consentement de Charles-Quint, et Pem- 
pereur avait déclaré qu'il n'abandonnerait jamais la 
cause de sa tante Catherine. 

Henri VIII envoie alors des homnies éclairés consulter 
les universités de Paris, d'Angers, d'Orléans, de Bourges, 
de Toulouse, de Padoue , de Ferrare et de Bologne; elles 
répondent que la dispense accordée par le pape Jules II, 
étant contraire à la loi de Dieu , le mariage de Henri 
avec Catherine ne peut être valide. Les universités d'Ox- 
ford et de Cambridge discutent vivement l'opinion des 
universités de France et d'Italie; l'opposition qu'on 
manifeste contre cette opinion vient particulièrement 
de ceux qui redoutent PaflPection d'Anne de Boulen pour 
la doctrine de Luther; la majorité des universités de 
Cambridge et d'Oxford souscrit néanmoins à la décision 
de celles d'Italie et de France. 

Henri VIII engage alors les principaux prélats et plu- 
sieurs pairs d'Angleterre à écrire au pontife de Rome-, 
à lui rappeler les obligations qu'il avait eues à leur sou* 
verain, et les délibérations d'un si grand nombre de 
savantes universités, à se plaràdre du peu d'égard que 
la cour dé Rome avait eu pour ces décisions , et à lui 
déclarer que, puisqu'il refusait de rendre justice à leur 
roi, ils se regarderaient comme abandonnés par le saint- 
siège, et auraient recours à d'autres moyens d^>btenir 
cette justice que tîenrî VIIÏ réclamait en ' vain depuis si 
long-temps. 



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l6o HISTOIRE DB L'EUROPB. 

La lettre est signée par le cardinal Wolsey ^J'arche- 
yèque de Gantorbëry j quatre évèques^ deux ducs, deux 
marquis, treize comtés , deux vicomtes, yingt-trois ba- 
rons , vingt-deux abbës et onze membres de la chambre 
des communes* 

Le pape, dans sa réponse, tâche de justifier sa con- 
duite J mais le roi, par une proclamation, dâfend à tous 
les Anglais de faire venir de Rome ou de tout autre en- 
droit aucun acte contraire à sa prérogative royale, et de 
publier en Angleterre aucun acte de cette nature, sous 
peine d'encourir son indignation et d'être puni comme 
infracteur des statuts et des loisj il ordonne aussi qu'on 
réunisQie dans un imprimé les décisions des universités 
en £aiveur de son divorce, et qu'on réponde au livre 
que Fisher, évêque de Rochester, avait publié pour 
soutenir la validité du mariage de Catherine. 

Le cardinal Wolsey , qui avait signé la lettre adressée 
au pape, avait reçu indépendamment de son pardon 
des appointements considérables , et obtenu la permis- 
sion de reprendre sa place parmi les pairs du royaume ; 
mais un bill avait confirmé la confiscation de ses biens 
en faveur de la couronne, et Henri Vlll établit en son 
propre nom le collège que le cardinal avait fondé dans 
l'université d'Oxford ; non seulement Wolsey écrit en 
vain au roi, dans les termes les plus soumis, pour le 
supplier de laisser subsister la fondation qu'il avait faite , 
mais encore Anne de Boulen et ses autres ennemie, le 
trouvant trop rapproché de la cour , obtiennent qu'il 
soit relégué dans son archevêché; il obéit aux ordres 
qu'il reçoit, mais il se rend à Yorck à petites journées, 
escorté de plus de cent cavaliei*s, cherchant pour la 
première fois à paraître affable, distribuant des aumônes 
çivec beaucoup de libéralité, et donnant sa bénédiction 
pontificale à tous ceux qui accouraient sur la route 
pour voir un cardinal et un ancien légat qui avait joui 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l53o. l6l 

d^uiie si grande puissance; il était destiné néanmoins à 
donner une leçon bien plus forte à l'orgueil, à Fayarice 
et à Fambition. 

Il était depuis peu de temps à Yorck^ lorque l<e comte 
de Northumberland ^ gouverneur des marches, et sir 
Walter Walsh, gentilhomme de la chambre du roi, 
arrivent dans cette ville et l'arrêtent pour crime de 
haute trahison ; il montre autant de crainte que de trou- 
ble : on lui accorde quelque temps pour se préparer à se 
rendre à Londres. Il part enfin , le cœur brisé de dou- 
leur. Le c(»nte de Northumberland le remet entre les 
mains du comte de Slirewsbury , chambellan de la mai- 
son du roi* «J'ai ordre, lui dit ce chambellan, de vous trai- 
» ter avec beaucoup de respect, et de vous assurer que si 
y> sa Majesté est obligée, pour la satisfaction de quelques 
)» personnes, de faire instruire vôtre procès, elle ne 
» doute pas de votre innocence. » Cette assurance ne 
peut rendre au cardinal le courage qui l'a abandonné; 
son abattement est extrême. On le conduit avec autant 
d'égards que de douceur ; il est attaqué d'une dyssente- 
rie au château de Sheffi^ î îl 7 séjourne quinze jours : 
sir Guillaume Kingston , capitaine des gardes du roi , et 
connétable de la Tour , vient le trouver ; vingt-quatre 
gardes qui ont été précédemment au service du cardinal 
accompagnent Kingston. Ce connétable met un genou 
en terre en saluant l'archevêque, et lui présente un 
message par lequel le roi lui recommande de ne pas 
faire plus de diligence que sa santé ne peut le lui permet- 
tre. Le cardinal n'en reste pas moins inconsolable, et sa 
maladie augmente; il essaie néanmoins de continuer son 
voyage ; il arrive à l'abbaye de Leicester ; ses forces sont 
près de s'évanouir ; il sent que sa fin approche; il fait 
venir sir Guillaume Kingston. « Si j'avais été, lui dit-il 
» d'une voix mourante, aussi attentif au service de 
» Dieu que je l'ai été à celui du roi, il ne m'aurait pas 
ToM. XII. 11 



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l63 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

» abandonné dans ma vieillesse ; mais telle est la récom- 
» pense que j^ai méritée. Je vous prie de me recomman- 
» der Irès-humblement à sa Majesté. Je supplie le roi de 
» se souvenir de tout ce qui s'est passé entre nous au 
» sujet de la reine Catherine; et il jugera lui-même si je 
» lui ai donné ou non un juste sujet de se plaindre. 
» C^est un prince dont le courage est digne de son rang ; 
» mais il courrait plutôt le danger de perdre la moitié 
» de son royaume que d'être arrêté dans ses projets. Je 
» me suis souvent mis à genoux devant lui pendant 
» trois heures pour le détourner de s'abandonner a ses 
» volontés et à ses passions , sans avoir pu y réussir. Si 
» jamais vous êtes admis à son conseil , sir Kingston, 
)) faites une sérieuse attention aux avis que vous lui don- 
» nerez. Lorsqu'une fois il a pris un parti , il ne peut 
» être détourné de le suivre. L^exemple de la Bohême 
» doit lui faire connaître combien il doit être attentif à 
» s'opposer aux luthériens, et combien il est à crain- 
» dre que toute la puissance séculière ne soit renversée 
» par leurs artifices... » Sa parole s'arrête, sa vie s'é- 
teint, et il ne reste plus qu'un nom détesté de l'homme 
qui avait réuni tant de grandeur , de richesses et de pou- 
voir ( i55o ). 

Ces opinions de Luther , que Wolsey regardait comme 
si dangereuses, faisaient des progrès bien rapides dans 
le nord de l'Europe ; les troubles qui avaient agité la 
Suède et le Danemarck n'avaient pas peu contribué à y 
introduire le luthéranisme. 

Dès i5o2, Stenon-Sture avait repris le titre et les fonc- 
tions d'administrateur du royaume de Suède; le roi 
Jean de Danemarck avait fait de vains efforts pour réta- 
blir son autorité parmi les Suédois ( i5o3 ). Swanjte- 
Nilson-Sture, maréchal du royaume, succéda à Stenon , 
fixa l'inconstance des Suédois , déjoua toutes les tentati- 
ves du roi Jean pour régner de nouveau sur la Suède ^ 



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VINGT-UNIEME ÉPOQUE* 1498 — l53o, l63 

gouverna pendant neuf ans ses compatriotes, mérita 
leur reconnaissance, obtint leur amour, et emporla 
leurs regrets dans la tombe. 

Son fils Stenon-Sture II fut élu pour le remplacer': 
mais il ne l'emporta qu'avec Eric Troll, qui réunît les 
suffrages des prélats et des nobles les plus expérimentés 
( i5i2 ). Un parti nombreux, mécontent du choix de 
Stenon , voulait même rappeler le roi Jean de Dane- 
marck sur le trône de Suède, lorsque ce prince mourut , 
dans le Jutland , des suites d'une chute de cheval : les 
Danois l'avaient aimé. Il eut pour successeur un monstre : 
son fils Christiem II fut couronné roi de Danemarck à 
Copenhague par l'archevêque de Lunden, et roi de 
Norwége à Anslo par l'archevêque de Drontheim (i5i3). 
Époux d'Isabelle d'Autriche sœur de Charles-Quint, il 
fit venir des Pays-Bas un certain nombre de cultivatejurs 
qu'il plaça dans l'île d'Amac, et qui devaient apprendre 
aux Danois à préparer le laitage et à cultiver le^ légumes 
(i5i5). Il inspirait encore de la reconnaissance ; mais 
ayant perdu sa maîtresse nommée Dy vecke , il fait déca- 
piter Torben-Oxe, gouverneur de Copenhague, soup- 
çonné d'être l'auteur de sa mort (i5i7). Sigebrite, mère 
de Dy vecke, conserve sur l'esprit du monarque l'in v 
fluence que lui avait donnée l'amour du prince pour sa 
fille j et Christiem n'en reçoit que les conseils les plus 
funestes. 

Stenon-Sture, voulant se réconcilier avec Éric Troll , 
avait procuré l'archevêché d^Upsal à Gustave , fils d'E- 
ric. A peine néanmoins ce prélat est-il installé qu'il se 
ligue contre son bienfaiteur avec le roi Christiem; il 
refuse de prêter serment de fidélité à l'administrateur 
de Suède. Stenon-Sture l'assiège dans son château de. 
Steke : l'archevêque de Lunden obtient, par le roi de- 
Danemarck, du pape Léon X une commission formelle 
en vertu de laquelle il excommunie l'administrateur 

11. 



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l64 HISTOIRE DE l'jÇUROPE. 

comme chef de rebelles et tyran du clergé. Stenon-Sture 
n'en presse pas moins le siège du château. L'archevêque 
d'Upsal négocie avec lui pour gagner du temps : une 
flotte danoise débarque près de Stockholm ; Steuon-Sture 
vole aux Danois, les force à^e rembarquer, revient 
triomphant devant Steke , prend le château , et oblige 
Tarchevêque à renoncer à son siège. 

Le roi Christiern néanmoins fait une nouvelle des- 
cente ; Stenon Fattaque , et remporte la victoire. Chris- 
tiern lui demande des otages pour conférer avec lui j il 
les obtient, et, commençant le cours de ses perfidies, il 
les regarde comme ses prisonniers, et emmène en Dane- 
marck ces otages , parmi lesquels Phistoire a remarqué 
Gustave Éric-Son , de la lïiaîson de Wasa , et dont une si 
grande gloire devait récompenser le patriotisme. 

( i5i8) Il conquiert Pile d^OEland ; mais il est battu 
devant Calmar ( i5i9 ). Il reçoit cependant des renforts 
d'Allemagne , de France et d'Ecosse^ et fait une nouvelle 
descente en Suède. Son général Otton Krumpen rencon- 
tre près de Bogesund en Westrogothie l'armée de l'admi- 
nistrateur : un combat sanglant est livré. Stenon-Sture 
reçoit une blessure mortelle ; les Danois ne rencontrent 
plus que de faibles obstacles : la Suède n'a plus de chef. 
Les états s'assemblent à Upsal ; l'archevêque Gustave 
Troll reparaît avec les marques de sa dignité ( i52o) ; il 
détermine l'assemblée à se soumettre à Christiern. Le 
général danois Otton Krumpen donne des lettres de sû- 
reté^àtous ceux qui en demandent, soit pour leur per- 
sonne, soit pour leurs biens. 

Mais la courageuse Christine Gyllenstierna , veiive de 
Stenon-Sture, refuse d'accéder à la convention dlJpsal : 
elle se ren&rme dans Stockholm, ranime le courage des ' 
citoyens, et se prépare à soutenir un siège. La ville de 
Lubecky qui craint l'accroissement de la puissance de 
Christiern, envoie des secours à Christine. Cette femme 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l53o. l65 

forte engage les paysans à prendre les armes contre les 
Danois» Christiem met à la voile , arrive devant Calmar 
qui lui ferme ses portes, et va former le siège de Stock- 
holm : les habitants de cette capitale se défendent avec 
courage pendant plusieurs mois; mais des évêques leur 
persuadent d^écouter les magnifiques promesses que leur 
fait Christiern; ils se rendent à ce prince ; il fait son en- 
trée dans la ville au milieu des acclamations -des citoyens 
trompés. L'archevêque d'Upsal , Gustave Troll, cou- 
ronne le nouveau roi. Mais écoutez un horrible récit. 
Christiem conçoit une affreuse idée : il croit se voir 
près d'être renversé de son nouveau trône tant que les 
membres des principales familles de Suède verront le 
jour : leur perte est résolue ; il ose communiquer à son 
conseil le noir projet qu'il vient de former : ses vils con- 
seillers tremblent, et la terreur leur dicte une coupable 
approbation. L'archevêque d'Upsal, qui ne rougit pas 
de s'associer au crime de Christiern , rappelle au sénat 
l'excommunication prononcée par l'archevêque de Lun- 
den contre l'administrateur Stenon-Sture et contre ses 
adhérents, et dénonce, comme coupables d'hérésie, ceux 
dont la mort est jurée. On arrête ces nobles et malheu- 
reuses victimes : une indigne commission les condamne 
à périr;, on les amène dans la place publique : dfôux évê- 
ques sont parmi eux. Christiern empêche que des prêtres 
ne consolent, par leurs prières, leurs derniers moments : 
leurs têtes tombent en présence du peuple qui fond en 
larmes. Le barbare monarque défend qu'on leur donne 
la sépulture, ordonne que leurs corps soient jetés sur 
des bûchers, tort de Stockholm, ne respirant que la 
haine et la cruauté , fait dresser des gibets dans toutes les 
villes qu'il travei'se , immole à sa méfiance plus de six 
cents Suédois, et se dévoue à Pexécration de tous les siè- 
cles (1620). 

De retour en Danemarck^ il nomme au siège vacant 



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l66 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

de Lunden Dideric Slagheck^ son ministre sanguinaire. 
Un nonce du pape vient se plaindre de la mort des évê- 
ques massacres à Stockholm; Christiern, qui redoute les 
menaces du nonce, rejette l'assassinat des prëlats sur 
Slagheck; et, comme cet archevêque de Lunden n'avait 
pas encore reçu ses bulles de Rome , Christîern le fait 
brûler vif. Un autre Gustave, fils d'Éric Wasa, duc de 
Gripsholm , et que Christiern avait retenu comme otage 
malgré la foi donnée, s'était échappé depuis long-temps 
de sa prison : il veut délivrer sa patrie de la tyrannie 
qu'il abhorre. Quels dangers ne court-il pas pour échap- 
per à la proscription qui le poursuit! Il trouve enfin un 
asile parmi les Dalécarliens ; il réveille facilement dans 
leurs âmes généreuses les nobles sentiments qui l'ani- 
ment. Ils forment une petite armée à la tête de laquelle 
il s'empare de plusieurs places. Son parti grossit chaque 
jour; ses forces deviennent presque égales, à celles des 
Danois (i522). Il prend le titre d'administrateur de la 
Suède : les Lubeckois lui envoient des vaisseaux. 

Les états du Jutland, ne voulant plus supporter le joug 
sanglant de Christiern , lui déclarent qu'ils renoncent à 
son obéissance, et offrent la couronne à son oncle Frédé- 
ric , duc de Holstein-Sleswig. L'insurrection se répand 
avec rapidité dans \es autres provinces danoises. Chris- 
tiern est obligé de prendre la fuite, s'embarque à Copen- 
hague , emmène avec lui Sigebrite , cette femme odieuse 
qui a perverti son âme, et va errer dans l'Allemagne 
(i523). 

Gustave Wasa, le glorieux libérateur de sa patrie , est 
élu roi de Suède par les états du royaume assemblés à 
Stregnetz. Stockholm et le château de cette capitale re- 
connaissent son pouvoir; toute la Suède lui obéit : il 
impose de fortes taxes aux églises, et par le moyen de ces 
contributions , approuvées surtout par le grand nombre 
de luthériens répandus dans ses états , il paie les dettes 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. ligS — l53o. 167 

de l'état et l'entretien de ses troupes sans demander aax 
Suédois des impôts qu'ils n'auraient pu supporter. Jean 
Magnus, envoyé par ïe pontife de Rome, déclare Gustave 
Troll justement déposé du siège d'Upsal. Le roi lui 
donne cet archevêché; mais, par plusieurs édite, il res- 
treint l'autorité ecclésiastique, et la subordonne pour 
plusieurs circonstances à l'autorité civile. Ayant convo- 
qué le sénat à Stockholm , il le détermine à mettre à la 
disposition de la couronne les deux tiers des dîmes , l'ar- 
genterie et les cloches des églises. Des membres du clergé 
engagent des paysans dans une révolte qui doit éclater à 
Upsal. La présence de Gustave dissipe tous les troubles ; 
les états se réunissent (i526). Gustave propose aux évê- 
ques de céder à la couronne leurs châteaux : un acte 
solennel leur en fait une loi. L'archevêque Magnus et 
l'évêque de Lincoping refusent de s'y soumettre (1527). 
Ils sortent du royaume : l'archevêque se retire à Dantzick, 
et l'évêque en Pologne. Le grand-maréchal , plusieurs 
autres nobles catholiques et l'évêque de Scara avaient 
formé un parti dans la Dalécarlîe. Gustave s'empresse de 
se montrer dans cette province , remplie de tant de sou- 
venirs de son glorieux dévouement à sa pairie; et le 
parti du grand-maréchal se dissipe. 

Les progrès du luthéranisme s'accroissent chaque jourj 
Gustave non seulement le protège comme détruisant dans 
les mains du clei'gé un pouvoir qu'il redoute pour l'au- 
torité royale , mais encore l'embrasse ouvertement , 
nomme deux fameux disciples de Luther, Olaiis et Lau- 
rent Pétri , l'un pasteur de Stockholm et l'autre arche- 
vêque d'Upsal, se fait couronner par cet archevêque lu- 
tliérien ( i528), tient un concile national à OErebro, 
capitale de Néricie, fait recevoir la confession d'Aus- 
bourg, abolit l'exercice du culte catholique , et réunit au 
domaine royal tous les biens du clergé (1529). 

Une révolution semblable venait d'avoir lieu en Dane* 



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I 



l68 HISTOIRE DB L^EUROFE. 

marck. Frédéric P' , roi de Danemarck et de Norwége , 
embrasse le luthéranisme, autorise la liberté de con- 
science par un éditqui porte que cJiacundoit se conduire 
en aa croyance comme devant en rendre raison a son 
Dieu, assemble les états à Odensée , fait confirmer son 
édit malgré les réclamations des éyèques, permet aux re- 
ligieux de quitter leurs cloîtres, ainsi qu^aux prêtres de 
qe marier, défend aux prélats 4^ s'adresser pour les 
affaires ecclésiastiques à d'autre tribunal qu'au sien 
( 1527), et voit d'abord la vUle de Malmoé, et ensuite 
les autres villes du Danemarck, renoncer publiquement 
à toute obéissance envers l'Église romaine. 

Voilà donc le Danemarck et la péninsule Scandinave 
qui ne^reconnaissent plus l'autorité du pape. 

Cette autorité était nulle dans la Russie, où le rît 
latin était détesté. Vassili IV, qui régnait sur cette grande 
contrée depuis la mort de son père Jean ou Ivan III ^ 
avait résolu de prévenir Mahmet-Amin , kan deKasan^ 
qui se préparait à faire la guerre aux Russes. Son frère 
Dmitri, parti à la tète de cent mille hommes, avait 
éprouvé toutes les vicissitudes auxquelles le peu de civi- 
lisation d'un peuple expose ses armées. Surpris par le» 
Tar tares, il les avait surpris à son tour; et, victime d'une 
nouvelle surprise , dont on est étonné qu'il n'ait pas su 
se garantir , il avait vu ses soldats taillés en pièces. Vassili 
n'en donna pas moins un asile à Midiel Glinski , gouver- 
neur de Lithuanie, que le sénat de Pologne faisait pour- 
suivre. 

Alexandre , grand-duc de Lithuanie , ayant été élu 
roi de Pologne après la mort de Jean Albert, son frère 
( i5oi), et ayant confirmé la réunion du grand-duché 
avec la couronne, avait ordonné à Glinski de marcher 
contre les Tartares. Frappé par une paralysie et presque 
mourant, il s'était fait porter au milieu de son armée , 
avait été témoin de la défaite des ennemis, et avait expiré 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l53o. 169 

en rendant grâces au ciel de la victoire de ses guerriers. 

Sîgismond, frère d'Alexandre, ayant étë élevé sur le 
trône, Glinski avait voulu s'ériger en souverain de la 
Lîthuanie ( i5o6). Dénoncé au sénat de Pologne, il avait 
assassiné son accusateur et emmené en Russie un grand 
nombre de Lithuaniens. Sigismond P' réclama en vain 
le coupable et les autres fugitifs, et déclara d'autant plus 
promptement la guerre à la Russie qu'il demandait aux 
Russes plusieurs villes qui avaient appartenu à la Po- 
logne. !Les Russes soutinrent avec tant de vigueur l'atta- 
que des Polonais que Sigismond fut obligé de demander 
la paix (iSog). Mais il suscita contre eux le kan de la 
Crimée, et sous un léger prétexte fit enfermer la reine , 
veuve d'Alexandre et sœur du grand-prince de Russie. 
La guerre recommença eutre les Russes et les Polonais. 
Vassili assiégea Smolensko, en gagna les habitants^ doQt 
la plupart étaient Russes, animés d'un esprit ardent d'in- 
tolérance , ennemis des Latins ou catholiques de la 
communion romaine, et parmi lesquels Glinski avait 
beaucoup d'intelligences, et fut reçu dans la ville «omme 
un libérateur. 

Les hostilités continuèrent entre les deux souverains 
de Russie et de Pologne pendant plusieurs années : elles 
furent enfin suspendues par une trêve de cinq ans (i523). 

Le grand-prince profita de cette trêve pour agir avec 
une trèsTgrande force conlre Kasan. Mahmet-Amin était 
mort. Le grand-prince lui avait donné pour successeur 
Chikh-Aleijmais Sip-Guerei, fils de Mildi-Guerei, kan 
de Crimée , avait enlevé à Chikh-Alei la principauté de 
Kasan* Vassili rassembla contre lui cent cinquante mille 
hommes, divisa en deux corps cette armée si nombreuse, 
et qui devait être composée de presque tous les sujets en 
état de porter les armes, et ordonna qu'un de ces corps 
s'avançât par terre vers Kasan, et l'autrQï|)ar les fleuves. 
Ce second corps fut détruit sur le Wolga par un stra- 



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17a HISTOIRE DE L^EUROPE. 

tâgème des Tchërémisses. Le premier l'attendit en vain 
sur les bords de la Siaga , fut attaqué par les Tartares , 
les repoussa avec courage ; mais ses provisions avaient 
été perdues sur le Wolga, ainsi que Partillerie, lors de 
la destruction du second corps, et la famine le réduisit 
à quelques faibles restes qui regagnèrent avec peine 
Moscou. 

De si grandes pertes réduisirent pendant six ans Vassili 
au repos : il recommença la guerre aussitôt qu'il crut 
ses forces assez renouvelées pour seconder sa vengeance 
(1 550)5 il envoya contre Kasan une armée commandée 
par trente vaivodes. Les remparts de la ville étaient , 
comme les maisons , formés de pieux et de poutres ; les 
assiégeants y mirent le feu ; les assiégés demandèrent la 
paix; les vaivodes Paccordèrent, et Vassili , dont la santé 
était devenue très-mauvaise , confirma la paix conclue 
par ses généraux. 

On avait découvert des intelligences entre le roi de 
Pologne et le réfugié Michel Glinski : on avait arrêté 
cet ancien gouverneur ; mais Vassili épousa Hélène , 
nièce du prisonnier, et la liberté ainsi que la confiance 
du grand-prince furent rendues à Glinski. C'est de cette 
Hélène que naquit Jean ou Ivan IV, successeur de Vas- 
sili, son père, et monté sur le trône à Fâge de quatre 
ans sous la tutelle de sa- mère, à laquelle le grand-prince 
en mourant donna Glinski pour conseiller. - 

Pendant ces événements , et dans le voisinage de la 
Russie, une guerre ruineuse avait duré pendant dix 
ans entre la république de Pologne et l'ordre Teuloni- 
que : le traité de Thorn, conclu en i466, avait partagé 
la Prusse en deux parties , dont l'une avait été réunie à 
la couronne de Pologne et l'autre conservée à l'ordre 
Teutonique, à la charge de foi et hommage envers le 
roi et la république; les grands-maîtres de l'ordre avaient 
néanmoins refusé le serment de fidélité à la Pologne , et 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l53o. I7I 

employé toutes leurs forces pour recouvrer la Prusdè 
polonaise ; un nouveau traité de paix termina les hosti- 
lités (i525) : il fut conclu à Cracovie entre la l'épublique 
et Albert, margrave de Brandebourg du rameau d'An- 
spach et de Bareuth, et grand-maître de Pordre Teuto- 
nique. Les progrès de luthéranisme, embrassé par le 
grand -maître , facilitèrent cet arrangement : il fut 
convenu que la Prusse proprement dite cesserait de dé- 
pendre de Tordre, qu^elle serait érigée en duché séculier 
et souverain en faveur d^Albert, de ses frères, de leurs 
descendants mâles à perpétuité, et qu'ils en jouiraient 
comme d'un fief libre et héréditaire sous la mouvance 
de la couronne de Pologne. Les états de la province ap- 
prouvèrent le traité : il fut ratifié par les chevaliers qui 
composaient le conseil de l'ordre et possédaient des com- 
manderies dans le nouveau duché. Ces commanderies 
furent transformées en seigneuries héréditaires dans 
leurs familles; le duc Albert épousa une princesse de 
Danemarck, et un grand nombre de ses anciens cheva- 
liers se marièrent à son exemple. 

Les commandeurs et les chevaliers teutoniques répan^ 
dus en Allemagne protestèrent contre l'arrangement : la 
dièle reçut leurs plaintes; le duc Albert et ses adhérents 
furent mis au ban de l'empire; on ordonna aux prin- 
ces voisins de la Prusse d'attaquer ce grand-maître et ces 
chevaliers; mais ces princes avaient embrassé le luthé- 
ranisme comme Albert, et ne pensèrent qu'à réunir 
comme lui à leurs domaines les biens ecclésiastiques de 
leurs états. 

Les chevaliers allemands élurent pour leur grand- 
maître Gautier de Cronberg , et le siège de la grande- 
maîtrise fut transporté à Mergentheim dans le cercle de 
Franconie. 

Mais la ville de Thorn recevait une bien grande illus- 
tration de l'astronome fameux qui était né dans ses 



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172 HISTOIRE DE 

murs : Copernic y avait reçu le jour en i475 j il y apprit 
ks langues grecque et latine, continua ses études à 
Cracovie, et, brûlant du désir de partager la réputation 
de Regiomontanus, il alla en Italie, où Fastronomie 
était enseignée avec succès. Disciple à Bologne de Domi- 
nique Maria, il obtint une place de professeur à Rome, 
où il fit plusieurs observations, et ne quitta cette ville 
que pour aller à Fravenberg , où son oncle , évêque de 
Warmie, lui donna un canonicat, et où il passa trente- 
six ans à observer, à méditer, à établir une théorie qui 
devait rendre son nom immortel. Fatigué de Fextrême 
complication du système de Ptolomée, « il chercha, dit 
» un des plus dignes rivaux des Newton et des Lagrange, 
» mon illustre collègue et ami , M. le marquis de La 
» Place, dans son Précis de l'histoire de Fastronomie, 
» il chercha dans les anciens philosophes une disposition 
» plus simple de Funivers : il reconnut que plusieurs 
» d^ntre eux avaient mis Vénus et Mercure en mou- 
» vement autour du soleil; que Nicétas, au rapport de 
» Cicéron , faisait tourner la terre sur son axe , et par 
» ce moyen affranchissait la sphère céleste de Finconce- 
» vable vitesse qu'il fallait lui supposer pour accomplir 
)> sa révolution diurne; Aristote et Plutarque lui appri- 
» rent que les pythagoriciens faisaient mouvoir la terre 
» et les planètes autour du soleil, qu'ils plaçaient au 
» centre du monde. Ces idées lumineuses le frappèrent : 
» il les appliqua aux observations astronomiques que 
» le temps avait multipliées ; et il eut la satisfaction de 
» les voir se plier sans effort à la théorie du mouvement 
» de la terre; la révolution diurne du ciel ne fut qu'une 
>) illusion due à la rotation de la terre, et la précession 
» des équinoxes se réduisit à un mouvement dans Faxe 
» terrestre ; les cercles imaginés par Ptolomée pour ex- 
» pliquer les mouvements directs et rétrogrades des pla- 
» nètes disparurent; Copernic ne vit dans ces singuliers 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE* 1498 — l55o. I73 

» phénomènes que* des apparences produites par la com- 
» binaison du mouvement de la terre autour du soleil 
» avec celui des planètes ; et il en conclut les dimensions 
» respectives de leurs orbes, jusqu^alors ignorées; enfin 
» tout annonçait dans ce système cette belle simplicité 
» qui nous charme dans les moyens de la nature lors- 
» que nous sommes assez heureux pour les^connakre. » 
Cest vers la fin de Fépôque à laquelle appartient Co- 
pernic qu'il faut rapporter le commencement des grands 
progrès de la science des végétaux , Pune des trois im- 
menses branches de la science de la nature. C^est vers 
i55o qu'Antoine Musa Brassavolus, médecin et profes- 
seur de Ferrare, conseilla l'établissement de jardins de 
botanique à son prince le duc Alphonse d'Est : cette belle 
institution devait être bientôt imitée. Il est curieux de 
rapprocher tous les grands établissements de ce genre 
que devait faire naître l'exemple d'Alphonse d'Est ; l'on 
doit aimer à voir d'un seul coup d'œil se montrer , 
s'accroître et s'embellir, dans la suite de trois siècles, les 
jardins consacrés à l'étude des plantes à Venise par Cor- 
naro, à Gênes par Doria, à Rome par les Borghèse, les 
Barberini, lesFarnèse, Pie V et Michel Mercati j à Pise 
par le grand-duc de Toscane , Côme de Médicis , et sous 
le professorat de Luc Ghini ; à Padoue par le sénat véni- 
tien et sous la direction de Louis Anguillara; en France 
par le cardinal du Bellay ^ et en quelque sorte par Bellon, 
qui les enrichit ; à Bologne par le fameux Aldrovande; 
à Leyde par Théodore Auger Cluyt; à Leipsick par 
l'électeur de Saxe; dans les états de l'empereur Maxi- 
milien II , par Charles de L'Écluse; à Montpellier par 
Pierre Richer de Belle val, qui les obtint de la muni- 
ficence du grand Henri; en Angleterre par Gérard; 
dans la capitale de la France par Jean Robin ; à Giessen 
par le landgrave de Hesse , à la demande de Louis Jun- 
germann; à Rînteln par Ernest de Schawenbourgj au-. 



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174 

près de l'université d'Altfort par le rfénat de Nuremberg 
et par les soins de ce Louis Jungermann, à qui on avait 
dû celui de Giessen; à Paris, ce grand et admirable mp- 
nument d'histoire naturelle , dont les bases ont été po- 
sées par Louis XIII à la prière de son médecin Guy de 
La Brosse; à Messine par Pierre Castellij à Groningue 
parle professeur Abraham Munting; à Oxford, à Co- 
penhague et à Upsal j à Blois par le duc Gaston d'Orléans; 
à Amsterdam par Jean Commelin : le jardin des frères 
Sherard, décrit par Dillenius, celui de CUfford, auquel 
Linné a donné l'immortalité en le décrivant , et un grand 
nombre d'autres qui, dans les deux mondes, ont aug- 
menté les richesses botaniques à un tel degré, qu'au 
moment où j'écris plus de douze mille pkntes sont cul- 
tivées avec succès. 

L'enthousiasme qu'inspiraient, vers la fin de notre 
vingt-unième époque, l'étude de l'astronomie et celle 
d'un des trois règnes de la nature et de quelques autres 
^iences , ne donnait que plus de force à celui que faisaient 
naître les lettres, les beaux-arts et tous les ouvrages du ta- 
lenl et du génie : ceux même qui étaient assis sur les trô- 
nes, non seulement les protégeaient et les honoraient, mais 
les admiraient au point de chercher à les imiter. La posté- 
rité doit , à ce sujet, rappeler avec reconnaissance la belle 
Marguerite de Valois, sœur de François I«', épouse en pre- 
mières noces du duc d'Alençon , et en secondes noces de 
Henri II d'Albret, roi de Navarre et prince de Béarn : 
cette princesse , célèbre par sa tendre affection pour son 
frère et par le voyage qu'elle fit à Madrid pour y soula- 
ger les douleurs du monarque prisonnier, a mérité dans 
les lettres une réputation que lui envieraient plusieurs 
des simples citoyens qui les ont cultivées avec honneur. 
Ses ouvrages imprimés ont obtenu un succès indépendant 
de sa couronne, et l'on se plaît à citer, parmi ces ouvrages, 
VHeptameron ou les Nouvelles de la reine de Navarre. 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l55o. 176 

Une nièce de c^ttè princesse , Anne ^ fille de Jean de 
Foix-Candale , comte d^Astarac , et d'Anne de Navarre , 
sœur du roi Henri d'Albret , avait épousé LadislasYI ou 
VII, roi de Hongrie et de Bohème , et fils de Casimir IV , 
roi de Pologne (1602) : la reine Béatrix , veuve de Mathias, 
roi de Hongrie , avait en vain fait retentir ce royaume de 
ses plaintes contre Ladislas , qui lui avait promis sa main 
pour prix du trône qu'elle lui avait procuré (i5o6). Anne 
de Foix-Candale était morte en donnant le jour à un fils, 
et sa rivale la reine Béatrix avait cessé de vivre deux ans 
après la mort de la reine Anne dans Pile d'Ischia au 
royaume de Naples, où elle s'était retirée. 

En i5i4, le cardinal Thomas Erdod, archevêque de 
Strigonie, lui persuada de consentir k la publication 
d'une croisade contre les Turcs : un grand nombre de 
paysans reçurent des armes ; mais depuis long-temps 
leurs cœurs étaient ulcérés par les cruels traitements 
de leurs seigneurs : le désir de la vengeance s'allume 
avec force dans leurs âmes ; ils tournent contre ceux 
qu'ils regardent comme leurs tyranrf le fer qu'ils ont 
reçu pour combattre les Turcs ( i5i4); ils immolent 
à leur terrible ressentiment plusieurs de ces seigneurs 
qu'ils détestent ; Jean ZapolskJ marche contre eux , les 
rencontre auprès de Temeswar , remporte une grande 
victoire et fait prisonniers leurs chefs George Sekel ou 
le Sicule, et Grégoire, son frère : ils périssent dans des 
tourments affreux ; leur supplice augmente la fureur 
des paysans , et ce n'est qu'en surmontant les plus gran- 
des difficultés que les généraux de Ladislas parviennent à 
éteindre un vaste incendie. 

Peu de temps après , Ladislas cessa de vivre. 11 avait 
fait recueillir par le jurisconsulte Verbeuzi les lois et 
les coutumes de la Hongrie , sous le titre de Jua consue- 
iudinarium Hungariœ. 

Son fils Louis II lui succéda à l'âge de dix ans; il ne 



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176 HISTOIRE DE L^EVROPE. 

put opposer autun obstacle aux intrigues des grands. 
Les factions déchirèrent la Hcmgrie j et ^orgueilleuse 
ambition de ses magnats la plongea dans les plus grands 
malheurs, en. irritant ^par un crime le trop puissant 
empereur des Turcs. 

Combien le trône de. cet empereur avait été ensan- 
glante ! 

Dès Pan i5io, le^ grand sultan Bajazet U avait fait 
étrangler, pour une désobéissance', un de ses fils, 
nommé Atkan. Mahomet, an autre de ses fils, avait mon- 
tré un grand désir de s'instruire'; il était devenu suspect à 
son père. Bajazet II avait fait empoisonner secrètement le 
jeune prince , et jeter à la mer, renferme dans un sac 
de cuir , le secrétaire qui avait donné le poison. Bientôt 
après, il reçoit un coup de poignard au moment où il 
sortait du sérail pour aller à la mosquée. La blessure 
n'est pas mortelle; mais il ordonne qu'excepté les mem- 
bres du divan et les officiers du sérail, personne ne 
puisse approcher de Pempereur des Turcs , sans que 
deux chiaoux ne lui tiennent les bras. 

Tourmenté par d'horribles douleurs de goutte , il 
veut abdiquer l'empire en faveur de son fils aîné 
Ahmed. Sélim, son second fils, prend les armes contre 
lui , est vaincu par son père et contraint de prendre 
la fuite (i5ii). Mais, l'année suivante, il est rappelé 
par les janissaires. Bajazet lui abandonne un trône 
qu'il ne peut plus lui disputer , part pour se retirer 
dans la Thrace à Didimotique sur l'Hèbre, et meurt 
empoisonné avant d'avoir terminé sa route. Ahmed 
soutient ses droits les armes à la main; il est pris dans 
un combat , et étranglé par ordre de son frère. Sélim 
fait périr de la même manière son autre frère Korkud, 
malgré le goût de ce prince infortuné pour l'étude et la 
vie paisible ( i5i4). 

La Perse était gouvernée par Schah Ismaël Sophi , 



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VINGT-UNlèME ÉPOQUE. 1498 — l53o. I77 

fils de Scheik Kaidar, et arrière-petit-fils de Séphi ou 
Sophi , qui avait rétabli la secte d^Ali dans ce royaume. 
Ce prince , après s^être rendu maître de Bagdad , et 
avoir mis en fuite Morad-Beg , fils d^ Al van , avait con- 
quis le Khusistan, le Khôrasan et le Maourenhaar, où 
régnaient des Tartares de la famille de Tamérlan. Sélim 
marche contre lui, le bat dans les plaines de Chalderon, 
lui enlève Tauris, capitale de FAderbidgiane, continue 
pendant deux ans la guerre contre ce monarque, tourne 
ensuite ses armes contre Kansou-Algouri , ou Carapson- 
Gouri. Le sultan d^Égypte , dont POrient admirait 
la valeur et la prudence , est secondé par deux traîtres , 
le«gouverneur de Damas et celui d'Alep, livre bataille 
aux Égyptiens , et remporte une victoire long-temps 
disputée par Kansou , qui périt dans le combat après 
«voir tué de sa main un grand nombre de ses en- 
nemis. 

Toumambaï ou Tomonbay est élu par les mameluks 
pour succéder à Kansou-Algouri. Sélim poursuit ses 
succès avec ardeur , bat Toumambaï auprès de la ville 
du Caire , s^empare de cette capitale , et , aussi féroce 
vainqueur que fils et frère dénaturé , ordonne qu'on 
saisisse tous les mameluks ( i5i6); trente mille isont 
prisonniers ; on les conduit sur les bords du Nil , et 
rhorrible Sélim les fait tous égorger. 

Une nouvelle bataille , gagnée aux portes du Caire, 
fait tomber dans ses fers le brave et malheureux Tou- 
mambaï ; il ordonne qu'il soit pendu j et le royaume 
d'Egypte n'est plus qu'une province de l'empire otto- 
man ( t5i7 ). Fier de ses victoires , il veut ajouter 
un nouveau royaume a sa grande conquête. ( i5i8 ) 
Il attaque de nouveau la Perse j il s'empare du Diarbeck 
et de plusieurs places de Syrie ou d'autres contrées , * 
que Sophi P' avait conquises. La mort interrompt ses 
vastes projcfts ; il cesse de vivre sur la route d'Andri- 
ToM. XIL 12 



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1/8 HISTOIBE DE l'EUROPB. 

nople , dans l'endroit même où y fils et sujet rebelle , 
il avait combattu contre son père Bajazet II ( i552o). 
Soliman II y fils unique de Sélim, monte sur le trône 
des Ottomans. Il étouffe une révolte de Syrie par la 
mort du gouverneur de Damas, qui voulait se rendre 
indépendant; il avait fait proposer au jeune Louis , roi 
de Hongrie, de proroger la trêve que Sélim avait con- 
clue avec Ladislas. Les conditions qu'il avait exigées 
pour ce renouvellement étaient , k la vérité, très-onéreu- 
ses ) mais le3 grands de Hongrie , ministres de Louis, 
ne se contentent pas de rejeter ces conditions^ et, d'après 
plusieurs historiens , ils font couper le nez et les oreilles 
aux ambassadeurs du sultan. Soliman II, furieux, jure de 
les venger. Jaloux, d'ailleurs, de la renommée militaire 
de son bisaïeul Mahomet II , il prépare contre les chré- 
tiens une grande expédition. Belgrade était leur boule- 
vart contre les forces ottomanes. Mahomet II, le vain- 
queur de Constantinople , lé destructeur de l'empire 
grec , n'avait pas pu s'emparer de Belgrade , à la tête 
de quatre cent mille hommes. Soliman II ne doute 
pas qu'il ne soit plus heureux. Il fait assiéger la place 
par ses généraux , et la prend en personne après six se- 
maines de siège ( i52i ). Salenkemen, Peter waradin et 
plusieurs autres villes succombent comme Belgrade ; 
et le pays que défendaient ces places devient le théâtre 
des ravages des Turcs. 

Un autre boulevart de la chrétienté existait près des 
côtes de l'Asie. L'île de Rhodes, possédée par les chevaliers 
de Saint-Jean de Jérusalem , était l'asile ou plutôt la for- 
teresse redoutable de valeureux ennemis des musulmans, 
et c'est du port de cette île fameuse que sortaient sans cesse 
ces escadres menaçantes qui portaient le fer, le feu et la 
désolation sur les rives musulmanes. Les vaisseaux de l'or- 
dresouslemagistèred'£merid'Amboise,frère du célèbre 
cardinal , avaient remporté plusieurs avantages sur ceux 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. légS — l53o* I79 

de Campson-Gouri, sultan d'Egypte. Plus tard, le grand- 
maître Fabrice Carrelto avait fait un traité d'alliance con- 
tre Pempereur de Constantinople avec Ismaël, roi de Perse. 
Il était du plus grand intérêt des Turcs de détruire ces 
remparts qui avaient si noblement résisté, sous le grand- 
maître Pierre d'Aubusson, à toutes les forces de Maho- 
met IL Soliman croit aisément qu'il est destiné à Fem- 
porter sur son bisaïeul à Rhodes comme à Belgrade. Le 26 
juin i532 la flotte , composée de quatre cents bâtiments, 
paraît devant l'île des braves chevaliers. Ils avaient pour 
grand-maître l'illustre Philippe de Villiers de L'Ile-Adam. 
Il avait en vain sollicité des secours du pape et des princes 
de la chrétienté. Sa valeur, sa prudence, son génie mili- 
taire et le brillant courage de ses chevaliers défendront 
seuls cette île, dont le salut est si important pour un grand 
nombre de royaumes chrétiens. Le bailli de Martinengue 
et La Fontaine, ingénieur français, sont chargés des 
fortifications. 

Cent cinquante mille Turcs ouvrent la tranchée devant 
la capitale de l'île. La résistance héroïque des chevaliers 
abat l'ardeur des musulmans. Soliman arrive, et sa pré- 
sence ranime l'espérance des siens. Il fait donner à la 
place l'assaut le plus violent ; tous ses efforts sont repous- 
ses. Le grand-maître et les chevaliers s'immortalisent. 
Abandonnés cependant par toute la chrétienté, ils ne 
peuvent plus opposer à un ennemi , dont les forces im* 
menses s'accroissent chaque jour, que des bras affaiblis par 
des fatigues inouïes, la disette et les maladies; des combats 
répétés à chaque instant ajoutent à leur enthousiasme, 
mais diminuent chaque jour le nombre de ces guerriers 
couverts de tant de gloire. Soliman les admire, leur offre 
les conditions les plus avantageuses : le vénérable grand- 
maître refuse de se rendre j il veut s'ensevelir sous les 
ruines de Rhodes. Mais le conseil de l'ordre est d'avis de 
capituler; et, le 25 décembre, Soliman fait son entrée dans 

12. 



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l8o HISTOIRE DE L^EUROPE. 

cette yille (i522), monument éternel de Phéroïsme des 
chevaliers , et témoigne au grand-maître tout ce que lui 
inspire la défense la plus mémorable. 

(i523) L^année suivante, mourut un prince dont Soli- 
man devait redouter les forces, et surtout cette puissance 
si grande que donne l'affection des peuples j la Perse 
perdit le schah Ismaël Sophi, premier du nom. Il n'avait 
que trente-huit ans j il avait repris Tauris sur SoUman, 
et, ce qui est bien plus digne d'éloges, il avait gouverné 
avec tant de justice et de douceur , que sa mort inspira les 
regrets les plus vifs a tous les habitants de son royaume. 
Il avait achevé d'établir dans ses états la doctrine des shu- 
tes ou des aJidea, perfectionnée par Haïdar, et opposée 
& celle des sonnites ou traditiormairea suivie par les 
Turcs, et ordonné qu'en conséquence les Persans por- 
tassent une étoffe rouge autour de leurs turbans. Cette 
opposition dans l'opinion, rendue plus sensible par une 
différence dans le costume , produisit un grand schisme 
entre les Turcs et les Persans. Celte désunion était bien 
peu conforme aux règles de la sage tolérance que devait 
proclamer un jour en Europe une civilisation plus avan* 
cée, et qui était trop peu connue dans les contrées orien- 
tales vers le commencement du seizième siècle ; mais 
elle ne servit pas faiblement les vues politiques de Sophi 
et de ses successeurs contre des voisins aussi dangereux 
que les Turcs. 

Schah Thamas ou Thwnasp, fils aîné de Sophi, suc- 
céda à son père , et soutint dans le Khorasan plusieurs 
guerres contre les Usbecks. Soliman laissa passer un 
grand nombre d'années sans l'attaquer; il poursuivait en 
Hongrie ses projets de conquête contre les chrétiens; la 
réputation^de valeur héroïque que les Français s'étaient 
acquise, malgré tous les malheurs dont la guerre les 
avait accablés, frappa vivement l'attention de l'empereur 
des Turcs j il désira de ne pas les rencontrer comme auxi- 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE. 1498 — l53o, 181 

liaires.dans les rangs des Hongrois qu'il voulait subju-* 
guer : il leur donna une marque d'estime; il dispensa 
tous ceux qui étaient établis dans ses états du tribut qu'il 
exigeait de ses autres sujets chrétiens pour leur laisser le 
libre exercice de leur religion* 

II s'avança ensuite dans la Hongrie, arriva à la plaine 
de Mohatz auprès de la ville de Cinq-Églises , y rencontra 
l'armée de Louis y et lui livra bataille. Sept évêques com- 
mandaient sept corps de Hongrois; PaulTomori, évêque 
de Colocza, était à la tête de l'armée. Son imprudence 
entraîna la défaite des chrétiens; Louis II et les sept évê* 
ques périrent les armes à la main. Les tètes, des prélats 
furent portées à Soliman; le corps du jeune Louis ne 
fut trouvé que deux mois après dans un marais pro- 
fond. 

. Bude ouvrit ses portes att vainqueur; les Ottomans y 
firent un butin iinmense, et la fameuse bibliothèque 
que Mathias avait formée avec tant de soin fut brûlée par 
les Turcs. 

(i5a6} Louis n'avait pas eu d'enfants de Marie, sœur 
de Charles-Quint. Jean, fils d'Etienne Zapolski,vaivode de 
Transylvanie, fut élu roi par les états de Hongrie , assem- 
blés comme à l'ordinaire dans la plaine de Rakos près 
de Pesth; mais Ferdinand, archiduc d'Autriche et beau- 
frère de Louis par Anne, safemme, réclama la couronne 
en vertu d'un traité conclu entre l'empereur Maximilien 
et le roi Ladislas (iSa/). Etienne Battori, palatin de Hon- 
grie, se déclara pour lui, convoqua une diète à Presbourg 
et le fit proclamer roi. Ferdinand, d'ailleurs, avait été élu 
roi de Bohème par les états de ce royaume, auxquels il 
avait confirmé leur droit d'élire le monarque, leurs au- 
tres prérogatives et les décrets du concile de Bâle relatifs 
à la communion sous les deux espèces ; il attaqua son ri- 
val auprès de Tqkay , le défit et l'obligea à se réfugier en 
Pologne. 



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l83 UISTOIRB'DE l'EUROPE. 

Zapolskî prit un parti désespéré et indigne d'un Hon- 
grois j il eut recours à la protection de Pempereur des 
Turcs. 

(1529) Ferdinand avait repris la ville de Bude ; Soliman 
s'en empara une seconde fois. La capitulation accordée 
par le sultan donnait à la garnison le droit de sortir libre 
de la place. Soliman ^ horriblement infidèle à sa parole, 
la fait massacrer dans sa retraite; et de quels ordres féro- 
ces il va se rendre coupable ! Altenbourg est pris d'assaut. 
Soliman en fait égorger tous les habitants sans distinction 
d^âge ni de sexe ; il s'avance j usques à Vienne ; il en forme 
le siège à la tète de deux cent cinquante mille hommes. 
Le prince palatin Frédéric lui oppose la plus admirable 
résistance; il soutient vingt assauts dans vingt jours; le 
succès couronne sa valeureuse constance; Soliman a perdu 
quatre-vingt mille hommes ; il est forcé de lever le siège. 
11 traverse de nouveau la Hongrie, Pinonde de sang dans 
sa colère, et, fatigué de n'être pas suivi avec assez de ra- 
pidité parles milliers d'esclaves qu'il traîne , il commande 
impitoyablement qu'on assomme tous ceux qui n'ont pas 
assez de force pour le suivre. 

Le grand-maître de Saint-Jean, dont la renommée 
avait tant célébré la défense de Rhodes contre la puis- 
sance de Soliman, et que devait venger le prince Frédéric, 
erre avec ses chevaliers et quatre ou cinq mille hommes 
sur cette Méditerranée témoin , depuis tant de siècles, de 
tant de catastrophes. On voit flotter de rivage en rivage 
ses nobles étendards, que la gloire et le malheur rendent 
sacrés. Il va d'abord dans cette île de Candie que son or- 
dre a si souvent défendue; il se rend ensuite à Messine, 
et, chassé de la Sicile par la peste, il arrive à Bayes, et 
va conférer avec le pape sur les destinées de son ordre. 

Clément VU, en montant sur le trône pontifical , donne 
au respectable Philippe la ville de Viterbe, comme un 
asile provisoire; la contagion contraint le grand-maître à 



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VINGT-UNIÈME ÉPOQUE* légS — i53o. l83 

1 ^abandonner. Les chevaliers se dispersent; Villiers de 
Li^le-Adam obtient enfin de Charles-Quint Pile de Malte, 
celle de Goze , et la ville africaine de Tripoli j Pempereur 
se réserve, pour lui et ses successeurs au royaume de Si- 
cile, le choix de Pun des trois candidats que l'ordre doit 
présenter pour Pévêché de Malte. 

(i53o) Le grand-maître s'embarque avecvses cheva- 
ïters'j ils arrivent sur cette île dont les rochers, si 
différents des champs fertiles de Rhodes , sont à peine 
couverts, dans quelques endroits, d'une légère couche de 
terre. L'Ile- Adam travaille à la fortifier; il meurt chargé 
d'années et entouré de respects ; on grave sur sa tombe 
ces mots remarquables : C^est ici que repose la vertu 
victorieuse de la fortune. 

Cette fortune, secondée par l'intrépidité, afccordaît 
de grandes faveurs à cet Emmanuel dit VHeureux qui 
gouvernait le Portugal. Voulant étendre les conquêtes 
qu'il devait à ses grands navigateurs, il confia des vais- 
seaux à Pierre-Alvarez Cabrai ou Capral, grand seigneur 
de son royaume, et qui découvrit pour son souverain, 
dans l'Amérique méridionale, et garnit de plnsiisurs 
forts, ce riche et immense pays du Brésil dont les riva- 
ges ont près de douze cents lieues de longueur (i5oo). 

Mais les succès des Portugais dans les Indes orientales 
avaient excité l'envie des Vénitiens. Le grand commerce 
qu'ils faisaient en Europe, par le moyen des épiceries et 
d'autres productions asiatiques qu'ils allaient chercher 
en Egypte, avait beaucoup diminué depuis que les Por- 
tugais , ayant bravé les tempêtes autour du cap de Bonne- 
Espérance, étaient arrivés sur les rivages de la fariieuse 
péninsule des Indes; ils parvinrent aisément à exciter 
contre leurs rivaux Kansou-Algouri, sultan de l'Egypte, 
dont la prospérité était menacée , et l'engagèrent à se li- 
guer, pour écarter les Portugais des mers indiennes, avec 
le roi de Calicut, ennemi des Portugais, qu'il redoutait; 



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l84 HISTOIRE DE L'EUROPE* 

mais un des amiraux du Portugal, LopezSuarez, prit 
la Tille de Cranganor, située sur la côte de Malabar, 
et dépendante du roi indien, en brûla une partie, et 
n'épargna Pautre que parce qu'elle était habitée par un 
certain nombre des chrétiens des contrées orientales , 
connus sous le nom de chrétiens de Saint-Thomas 
(i5o4). 

François d'Almuyda ou d'Almeida, nommé l'année 
suivante par Emmanuel yice-roi des possessions portu- 
gaises dans l'Inde, remporta plusieurs victoires contre 
les habitants des royaumes de Narsingue, de Quiloa, 
de Cananor et de Cochin^ il y forma plusieurs établisr 
sements, et Laurent d'Almuyda son fils découvrit les 
nombreuses îles Maldives et la grande île de Ceylan , 
située près de l'extrémité méridionale de la péninsule 
des Indes (i5o6). 

Vers le même temps , le Portugais Tristan de Cûna 
reconnaît près de la côte orientale d'Afrique une île 
bien plus grande encore que celle de Ceylan , l'île de 
Saint-Laurent ou de Madagascar , dont la longueur est 
de plus de trois cents lieues. 

. Une yiolente sédition trouble la paix du Portugal. 
Ce mouvement pouvait devenir dangereux, et ébranler 
le centre d'un empire qui commençait de s'étendre 
jusques aux extrémités du monde. Les causes de cette 
insurrection étaient les distinctions aussi impoliliques 
qu'odieuses qui existaient entre les anciens et les nou- 
veaux chrétiens. Emmanuel eut la sagesse d'en recon- 
naître l'injustice j il détruisit par un édit ces distinctions 
humiliantes, déclara qu'il ne mettrait aucune différence 
entre les Juifs convertis au christianisme et les anciens 
chrétiens, promît de les admettre sans aucune différence 
à tous les emplois civils et ecclésiastiques ; et le retour 
de la tranquillité fut le prix de son équité et de sa pru- 
dence (1607^. 



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VINGT-^rNlÉME ÉPOQUE. ligS— i55o. l85 

Jacques Signera forma un établissement portugais 
dans Fîle de Sumatra (i5o8) , contracta des alliances, au 
nom de son souverain, avec plusieurs chefs de la partie 
occidentale de cette îlej et Alphonse d'Albuquerque 
s'empara de Pile d^Ormuz, dans le golfe* Persique, sur- 
prit la ville de Goa sur la côte de Malabar, et, s^avan- 
çant toujours vers Forient, soumit une grande partie de 
la presqu^île de Malaca, déjà découverte ou reconnue 
par Jacques Sigùera. Les Portugais découvrirent Java 
et Bornéo ; et François Serrano parvint aux Moluques , 
ces îles si fameuses par la production des épiceries (i5ii)« 

Deux grandes pertes interrompirent tant de succès : 
don Juan de Menesez, auquel le roi Emmanuel devait 
les conquêtes portugakes en Afrique, mourut sur le 
rivage africain dans Azamor, dont il était gouverneur 
(i5i4)j et d'Albuquerque , vice-roi des Indes orienta- 
les, victime d'indignes intrigues et rappelé en Europe 
malgré ses grands services, mourut de chagrin à Goa , 
regretté des Portugais et des Indiens, et triste exemple 
du soin avec lequel les rois doivent favoriser tous les 
moyens de faire triompher la vérité (i5i5)« 

Cette grande injustice n'éteignit pas néanmoins le 
zèle des Portugais ; l'amour de leur patrie et celui de la 
gloire remportèrent dans leurs âmes. En 1617, Fer- 
dinand Perez d'Andpade ou d'Andrada, s'avançant vers 
l'Orient avec huit vaisseaux plus loiii que ses compatrio- 
tes, parvînt jusques aux côtes méridionales du grand 
empire delà Chine (iSiy). Il obtint la permission d'en- 
trer avec deux bâtiments dans le port de Canton , alla 
trouver l'empereur , déploya auprès de ce souverain le 
caractère d'ambassadeur du roi de Portugal , et conclut 
un traité d'alliance entre les Portugais et les Chinois* 
De grands malheurs suivirent son départ : Porgueil, 
qui irrite si aisément toutes les nations , produisit ces 
funestes événements. Les Portugais que d^Andyade avait 



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l86 HISTOIRE DE l'EUROPB. 

laissés en Chine se comportèrent avec tant d'insolence 
que l'empereur les fit arrêter; on les jeta dans des pri- 
sons, dont ils ne devaient plus sortir. Une flotte portu- 
gaise, qui ignorait la conduite de ses compatriotes et le 
ressentiment dis l'empereur, parut près des rives chinoi- 
ses : la flotte des Chinois la poursuivit, la fit prisonnière , 
et lés Portugais qui montaient cette malheureuse flotte 
furent massacrés. 

Les besoins du commerce amenèrent néanmoins une 
réconciliation ; et les Chinois permirent aux Portugais 
de bâtir, à vingt lieues de Canton, la ville de Macao, 
qui devait être gouvernée par un officier de la Chine et 
un' officier du Portugal. 

Une autre découverte importante augmenta les rela- 
tions utiles, le commerce et la puissance de la nation 
portugaise : Antoine Correa reconnut le Pégu , et forma 
une alliance entre son souverain et le roi de cette con- 
trée de l'Inde, où l'on trouvait en abondance des bois de 
senteur, des graines recherchées, de l'or et des pierre^ 
précieuses ( i52o ). 

Emmanuel ne vécut pas long-temps après avoir pro- 
curé cet avantage à ses peuples ; il mourut à Lisbonne 
d'une maladie épidémique^ Elisabeth, s^ seconde fille, 
qu'il avait eue de sa seconde femme Marie de Castille, 
reçut la main de Charles - Quint ; et la sœur de cet 
empereur, troisième femme d'Emmanuel , épousa Fran* 
çois P' après la mort du monarque portugais. L'in- 
fluence que donnèrent au Portugal les immenses résul- 
tats de lointaines et hardies navigations a fait nommer 
le règne d'Emmanuel l'âge d'or de la nation portugaise ; 
et ce prince , voulant montrer tout le prix qu'il atta- 
chait à ces fameuses explorations et aux scienceis néces- 
saires à ce grand art de la navigation qui avait porté si 
loin les limites de son empire, avait fait placer une 
sphère sur l'écusson de ses armes. 



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ViNGT-tJNIÈMB ÉPOQUE. 1498-^ l55o. 187 

Jean III j fils d'Emmanuel et de sa seconde femme^ 
Marie de Castîlle, succéda à son père; il n'avait que dix- 
neuf ans. Charles-Quint, son beau-frère, crut pouvoir 
profiter de sa jeunesse, et réclama la possession de ces 
Moluquès que le commerce des épiceries les plus dési- 
rées devait rendre si précieuses. Le pape Alexandre VI, 
déployant sur le Nouveau-Monde, nouvellement décou- 
vert, et sur P Asie, encore si peu connue, cette autorité 
suprême et cette puissance temporelle que ne voulaient 
pas reconnaître les souverains de l'Europe, avait partagé 
la terre comme son domaine, et distribué les contrées 
asiatiques ou américaines aux princes européens qu'il 
avait cru devoir favoriser. Il avait donné à l'Espagne là 
part du globe où étaient les Moluquès. Charles-Quint ne 
craignit pas de faire valoir cette singulière donation ; il 
savait que le pape tremblait secrètement devant sa puis- 
sance impériale ; il croyait n'avoir rien à redouter de la 
cour romaine, et son ambition était extrême : on nomma 
des géographes qui ne purent s'accorder sur la véritable 
position de la ligne tracée par la main du pontife, et qui 
devait, aux yeux de celui qui se croyait l'arbitre su- 
prême des peuples et des rois, déterminer les droits des 
Espagnols et dés Portugais. Mais Charles-Quint avait 
besoin d'argent , et il céda à son beau-frère toutes ses 
prétentions pour un million de ducats ( i524 )• 

Ici se termine la vingt-unième époque. Pendant que 
j'achevais de l'écrire, un des plus grands malheurs que 
je pusse craindre m'a frappé avec la rapidité de la fou- 
dre. Une terrible apoplexie foudroyante m'a enlevé dans 
un instant la belle-fille la plus aimée. Sa douceur, sa 
bonté, sa bienfaisance si grande, ses talents, les vertus 
les plus aimables, le charme inexprimable attaché à ses 
paroles et à son angélique physionomie, faisaient le 
bonheur de son époux et de son beau-père. Elle n^aurait 
pas eu la beauté en parlage, qu'on n'aurait pu la voir 



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1-88 HISTOIRE PÈ L'EUROPE. 

ni Pentendre sans la chérir* Sa mort a condamné mon 
fila et moi à une douleur étemelle* Elle a renouvelé 
toutes les plaies de mon cœur* Ceux qui la connaissaient 
ont partagé vivement mes regrets ; ceux qui me liront et 
qui ne seront pas insensibles plaindront le beau-père, ou 
plutôt le père infortuné de mon jiilphonsine ^ ^t^ en 
attendant que j'aille rejoindre mon père, ma femme et 
mon enfant, mon âme sera un peu soulagée lorsque je 
penserai k la pitié que mes malheurs inspireront* 



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VINGT-DEUXIÈME EPOQUE, 

DEPUIS l53o JUSQUES EN 1689. 



Nous approchons des temps modernes ; les lumières se 
rëpandent j la civilisation s'accroît j les grands événe- 
ments sont plus près de nous ; on peut mieux les obser- 
ver, leur enchaînement se développe avec plus de facilité : 
les causes qui les produisent , les circonstances qui les 
modifient, les résultats qui en dépendent sont mieux 
connus. On a besoin de moins de paroles pour raconter : 
quelques traits suffisent pour peindre les hommes et les 
nations. 

Jean III régnait toujours sur le Portugal. On a écrit 
que d'affreux désastres avaient marqué le commence- 
ment de son règne j des tremblements de terre boule- 
versèrent Lisbonne et plusieurs villes voisines ; le Tage 
déborda ; les eaux de ce grand fleuve couvrirent au loin 
les campagnes ; plus de trente mille personnes périrent 
sous les décombres des édifices emportés par les inonda- 
tions, ou renversés par d'hoiTibles secousses. Le roi et 
la reine furent obligés de se réfugier sous des tentes. 

Jean III ne pouvait que réunir tous ses efforts pour 
diminuer les maux d^un fléau inévitable. Mais quels 
malheurs d'un autre genre ce prince, privé, par le voile 
épais d'une erreur funeste, du pur éclat de la lumière 
évangélique, introduisit volontairemmit dans un royaume 
qui méritait un meilleur sort ! l'enthousiasme d^un zèle 
aveugle qui n'était encore que trop commun, quelque 
opposé qu'il fût aux préceptes de Jésus , le détermina k 



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190 HISTOIRE DB L'eUROPB. 

établir l'inquisition dans ses états. Les Portugais, anx- 
quels ce tribunal ëtaîi odieux y le pressèrent en vain de 
renoncer à ce fatal projet; l'inquisition régna à Lis- 
bonne, d'où elle devait étendre son empire dans tous 
les pays de la domination portugaise ; Goa , dans les 
Indes orientales , devait surtout voir élever ses bûchers , 
et le pape Paul III confirma ce cruel établissement 
(i536). 

Vers le même temps, un enthousiasme religieux porté 
au plus haut degré donna naissance à une société que la 
politique pontificale adopta avec empressement, dans l'es- 
poir de l'opposer aux terribles attaques dirigées contre 
sa puissance temporelle par preaque tous les souverains 
de l'Europe, et coittre son pouvoir spirituel par le nom- 
bre toujours croissant des adhérents de Luther, Le génie 
combina tous les ressorts qui devaient animer cette so- 
ciété naissante. Elle était destinée à présenter l'admirable 
modèle de cette unité d'intentions, de cet accord de vo- 
lontés et de cet ensemble de mouvements qui sont de si 
grands éléments de la force et de la durée : elle allait 
acquérir une influence immense, en se montrant ornée 
de toutes les vertus et de tous les talents, et portant avec 
l'adresse la mieux calculée l'étendard du Christ; s'adres- 
sant avec habileté à tous les caractères, ménageant toutes 
les passions, se conformant à toutes les habitudes, tâ- 
chant de pénétrer jusques à tous les cœurs, recherchant 
la confiance la plus entière, paraissant ne vouloir domi- 
ner que par des services , se servant des préjugés les plus 
superstitieux , elle devait se répandre avec une merveil- 
leuse rapidité, et se montrer jusques aux extrémités de 
la terre avec modestie, mais avec une sorte d'éclat, avec 
douceur, mais avec constance, avec une grande humi- 
lité chrétienne, mais avec le désir secret de commander 
au monde. 

Saint Ignace de Loyola fut le premier fondateur de 



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VINGT-DEUXIÈMB ÉPOQUE. l53o — iSSg. 191 

cette institutioa, qui allait devenir si fameuse, et dont il 
était bien loin de prévoir la grandeur et la chute. 

Il était né au château de Loyola dans la province de 
Guipuscoa,d^une famille noble et ancienne : il avait porlé 
les armes et concouru avec valeur à la défense de Pampe- 
lune, assiégée par les Français ; un boulet de canon Pavait 
blessé grièvement; il avait passé le temps de sa convales- 
cence à lire la vie d^un grand nombre de saints ; il voulut 
les imiter y et son imagination ardente s'allumant pins 
que jamais, il alla à Péglise de Notre-Dame de Montferrat, 
fit la veille des armes, s'arma chevalier de la Vierge, 
voulut se battre contre un Maure qui ne partageait pas 
ses opinions sur celle à laquelle il venait de consacrer 
son bras, et partit pour la Terre-Sainte à Fâge de trente- 
deux ans ou environ (i535). 

Il revint en Espagne, s'arrêta à Barcelone pour y 
apprendre le latin, alla ensuite faire d'autres études à 
Alcala et à Salamanque, et se rendit ensuite à Paris, où 
il étudia la grammaire an collège de Montaigu , la philoso- 
phie à celui de Sainte-Barbe , et la théologie à l'école des 
dominicains. 

Bientôt il forma le dessein de fonder un ordre dont la 
règle devait avoir beaucoup de rapports avec celle que 
l'on suivait au collège de Montaigu , et il s'associa Pierre 
Lefèvre, qui lui avait appris la philosophie, saint Fran- 
çois-Xavier, qui enseignait cette même philosophie au 
collège de Beauvais, Jacques. Lainez, qui réunissait à 
beaucoup de connaissances un esprit très-étendu, une 
grande finesse, une politique adroite et une ambition 
aussi vaste que cachée, Alphonse Salmeron ^ qui, dit-on, 
avait à un trè^-haut degré le talent de la parole, Nicolas- 
Alphonse Bobadilla, Simon Rodriguez, Espagnol comme 
Bobadilla, Salmeron et Lainez, et quelques autres per- 
sonnes que recommandaient leur piété on leurs lumiè- 
res ; ils se réunirent le jour de l'Assomption dans 



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19a HISTOIRE DE L^BUROPE. 

l'église de Montmartre, se lièrent par de saintes promes- 
ses, se dévouèrent au service de la religion , se consacrè- 
rent au bien dePhumanité, réunirent aux trois vœux 
que prononçaient ceux qui entraient dans un monastère 
ou dans un ordre religieux un quatrième vœu d'obéis-^ 
sance absolue au pontife suprême, et, quelques années 
après, allèrent à Rome se jeter aux pieds du pape (i534). 
Alexandre Famèse, Romain, et cardinal évèque d'Ostie, 
avait, depuis trois ans, succédé sous lé nom de Paul III au 
pape Clément VU : il vit combien la société instituée par 
saint Ignace pouvait être utile au siège apostolique , et la 
confirma sous le nom de compagnie de Jésus (i54o). 
Saint Ignace fut nommé le premier général de cet ordre : 
il lui donna de fameuses constitutions auxquelles il pa- 
raît que travailla principalement Jacques Lainez , qui le 
remplaça dans le généralat, et se fit déférer, dans la pre- 
mière congrégation ou assemblée de son ordre tenue après 
la mort de saint Ignace, une autorité absolue, un pouvoir 
perpétuel et le droit d'avoir des prisons pour maintenir 
sa puissance* 

La société de Jésus venait à peine d'être confirmée par 
le pape que le roi de Portugal Jean III conçut pour ce 
nouvel ordre une estime profonde , et résolut de le ré- 
pandre dans ses états : il demanda avec instance des mem- 
bres de cet institut, et on lui envoya de Rome saint 
François-Xavier et Simon Rodriguez* 

Antonio Faria y Souza et Fernand - Mindez Pinto 
avaient découvert Camboge entre la Chine, laCochin- 
chine et le royaume de Siam , l'ile d'Hainan au sud de la 
province chinoise de Canton, et les îles Likéjo : ce même 
Pinto , Diego Jamoto et Christophe 3orello étaient par- 
venus jusques à cet empire du Japon , plus oriental en- 
core que la Chine , et dont le célèbre Vénitien Marco 
Paulo, dans son voyage aux extrémités de l'Asie, avait 
entendu parler sous le nom de Zipangri (i542). Jean 111 



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VINGT-DEUXifeMB ÉPOQUE. i53o — iSSg. igî 

imagina de faire partir pour ^Orient Saint François- 
Xavier, et de le charger d^aller prêcher PÉvangile dans 
cet empire japonais ainsi que sur la côte de Comorin y 
à Malaca et aux îles Moluques : il voulut que Simon Ro- 
driguez restât en Portugal , y fondât plusieurs maisons de 
son ordre, et il conçut un si grand enthousiasme pour 
cet institut naissant qu^il en prononça les vœux, se crut 
soumis au pontife suprême et à toutes les règles de la com- 
pagnie de Jésus, et ne voulut conserver sa couronne 
qu'après avoir obtenu du pape tme permission que 
Paul III fut ravi de pouvoir accorder. 

On a écrit que les orangers vivant en pleine terre étaient 
encore inconnus en Portugal avant i448, et que 'des 
marchands portugais les apportèrent alors de la Chine 
dans leur patrie, où le climat les a depuis favorisés au 
point de leur donner des fruits excellents ; mais on voit, 
dans le Traité des arbres et arbrisseaux de mon célèbre 
confrère M, Desfontaines, que, suivant IVL Galesîo, Po- 
ranger ordinaire de la Chine et des îles de la Sonde a dû 
être introduit en Europe par les Vénitiens ou les Génois 
entre le dixième et le treizième siècle, et que, dès le 
quinzième, la culture de cet arbre était répandue dans les 
royaumes de Naples et de Sicile, en Ligurie, en Espagne 
et en Portugal. 

Le jésuite-roi mourut cependant à Lisbonne d'une 
attaque d'apoplexie à Page de cinquante-cinq ans (i 557) • 
on lui érigea un tombeau sur lequel il fut représenté 
avec l'habit de l'ordre dont il avait voulu partager l'obéis- 
sance ail général et au chef suprême , le pontife romain. 
Comment ce fondateur de l'inquisition a-t-il pu être le 
même prince que celui qui, suivant plusieurs historiens, 
répondait à ses ministres lorsqu'ils lui proposaient d'éta- 
blir un nouvel impôt : « Examinons d'abord s'il est né- 
» cessaire de lever de l'argent, et voyons ensuite quelles 
» sont les dépenses superflues ?» 

ToM. XII. i3 



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19^ HISTOIRE DE L^EUROPE. 

Il avait perda tous ses enfants mâles; Sébastien ^ né 
d'un infant, cinquième fils de Jean III, succéda à son 
grand-père : il n'avait que trois ans; il régna sous la tu- 
telle de sa grand'mère Catherine d'Autriche, veuve de 
Jean III et sœur de Charles*Qnint; cinq ans plus tard, 
Catherine céda les rênes du gouvernement a son beau- 
frère le cardinal Henri de Portugal , grand-oncle du jeune 
roi (i562)« Don Alessio Menesez, d'abord après la mort 
du roi Jean , dont il avait été le ministre , avait empêché , 
d'après les ordres de Catherine , que l'éducation du jeune 
monarque ne fût confiée aux jésuites , dont il redoutait 
les principes et l'ambition; mais lorsque le cardinal Henri 
exerça la régence, les jésuites le firent nommer légat à 
lalere par le pape, parvinrent faicilement à obtenir sa 
confiance, et bientôt le soumirent à toutes leurs volontés. 
Séduit par leurs conseils, ou plutôt cédant à leur auto- 
rité, il obligea les seigneurs qui leur étaient opposés à se 
retirer de la cour, et la reine Catherine elle-même fut 
contrainte de s'éloigner de son fils. S'emparant avec ha- 
bileté de l'esprit de leur royal élève, ils le détachèrent 
de sa mère, de ses parents, des plus fidèles serviteurs de 
sa couronne, obtinrent' aisément un grand nombre d'or- 
donnances favorables à l'accroissement de leur ordre et 
de leur pouvoir ; et désirant, disent plusieurs historiens, 
d'être seuls interprètes des lois, se firent donner le pri- 
vilège d'occuper seuls les chaires de droit du royaume. 
La nation fit entendre de violents murmures; les jésuites 
s'alarmèrent; Sébastien avait déjà vingt ans : sa valeur 
naturelle, bien loin d'avoir été amortie par l'éducation 
qu'il avait reçue, avait pris un caractère chevaleresque; 
l'enthousiasme militaire s'était emparé de son esprit; les 
jésuites imaginèrent, pour détourner les grands et l'ar- 
mée des affaires intérieures, qu'ils voulaient continuer 
de diriger, d'engager Sébastien à porter la guerre en 
Afrique. 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — iSSg» 1q5 

Le vaste empire de Maroc n^ëtaît plus gouverné par 
la dynastie des princes Mérinides. Le shérif Hamet avait 
été élevé sur le trône, et son petit-fils Mohammed avait 
conquis le royaume de Fez, fait un traité d'alliance avec 
le roi d'Angleterre Henri VIII, et rempli son trésor des 
dépouilles d'un grand nombre de villes africaines. Sé- 
bastien passe le détroit, attaque les Maures, remporte 
quelques avantages, revient en Portugal, brûle du désir 
de faire de grandes conquêtes dans l'empire africain, et , 
plein d'espérance du plus heureux succès, ne néglige 
aucun préparatif (i574). Muley-Mohammed, ayant été 
dépouillé de sa couronne par Muley-Molach , vient en 
Portugal implorer l'assistance de Sébastien. Le jeune roi 
lui proniet avec empressement de le rétablir sur son 
trône (1577). La reine Catherine fait d'inutiles efforts 
pour le détourner de cette audacieuse entreprise} plu- 
sieurs grands du royaume se joignent à elle; maisles jé- 
suites croient avoir besoin de cette expédition, et Sébas- 
tien persiste dans son projet. 

(1678) Il débarque en Afrique avec l'élite de sa no- 
blesse, et campe à deux lieues d'Arzile. Molach vient à 
lui avec cent mille hommes : on n'en compte que vingt 
mille dans l'armée chrétienne; un combat terrible s'en- 
gage : les Portugais ont d'abord^ l'avantage; mais, enve- 
loppés par les Maures, ils sont taillés en pièces. Sébastien 
montre la plus grande valeur : le danger qui le menace 
accroît sa force et son courage; les musulmans l'entou- 
rent, le saisissent malgré ses efforts, se disputent le roi 
prisonnier, et sont près de tourner les armes les uns 
contre les autres. Un Maure s'approche. « Dieu vous a 
» donné, s'écrie-t-il , une victoire complète, et vous 
» voulez vous égorger pour un captif. » D'un coup de 
cimeterre il renverse le roi de son cheval ; les Maures 
massacrent le monarque, et son cadavre sanglant et 
déchiré est entièrement méconnaissable. 

*5. 



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jgG HISTOIRE DE L^EUROPE« 

Le cardinal Henri est proclamé roi à la place de son 
neveu j mais il a soixante-sept ans : il est faible et infirme. 
L'Europe s'attend à voir bientôt la mort le précipiter 
du trône sur lequel on Va placé; et les souvenirs s'occu- 
pent des prétentions de ceux qui veulent lui succéder. 

Cette Afrique septentrionale, où Sébastien avait péri 
les armes à la main y avait été le théâtre sanglant de la 
guerre. Soliman II, ce terrible empereur des Turcs , 
avait exercé sur les rives septentrionales africaines cette 
influence si redoutable que lui donnaient ses nombreuses 
armées , et la possession de l'Egypte. (i554) Il avait 
perdu une bataille contre Thamasp, schah ou roi de 
Perse; mais il avait repris auparavant la ville de Tauris. 
Sacrifiant à sa passion pour Roxelane un de ses plus 
habiles généraux, le visir Ibrahim, qu'elle détestait, il 
avait fait étrangler ce ministre; mais il avait attaché à son 
service le fameux pirate Chairouddin, connu sous le 
nom de Barberousse , et l'avait nommé son amiral. 
Barberousse justifia le choix de Soliman, parcourut la 
Méditerranée avec cent galères , détruisit plusieurs villes 
chrétiennes, se jeta sur l'Afrique, chassa Muley-Hassan 
du royaume de Tunis^ ne put empêcher Charles-Quint 
de reprendre la capitale du royaume , et de rétablir 
Muley-Hassan sur son trône ( i535). Mais, envoyé trois 
ans plus tard par Soliman pour commander sur la Mer 
Rouge et sur les mers voisines, il s'empara pour le sul- 
tan du royaume d'Yem^n, reparut quelque temps après 
dans la Méditerranée^ se montra devant Messine, prit la 
ville de Reggio, conduisit sa flotte menaçante à l'embou- 
chure du Tibre, fit trembler la ville de Nice, ravagea 
les îles de Gigio, d'Ischia, de Lipari , et rentra dans le 
port de Constantinople à la tète de sept mille prisonniers 
(i545). 

La guerre se ralluma bientôt entre les Turcs et les 
Persans : une victoire , remportée par les Turcs près de 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o — 1689. I97 

Van en Arménie, termina celte guerre (i548). Peu d'an- 
Jïées s'écoulèrent avant que Soliman ne reprît ses projets 
sur la Hongrie. Le pacha Méhemet se rendît maître de 
la vUle et de tout le bannet de Temeswar; mais une con- 
quête, que Soliman regardait comme bien plus impor- 
tante, était Pobjet de son désir le plus ardent Plus il 
avait admiré les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem 
dans la mémorable défense de Rhodes, plus il connais- 
sait leurs véritables forces, et plus il avait vu avec peine 
ces chevaliers travailler à rendre Malte un boule vart aussi 
dangereux que Rhodes pour les ennemis des chrétiens. 
Le pacha Sinan et le fameux Dragut avaient assiégé la 
nouvelle capitale des chevaliers. Obligés de lever le 
siège, ils avaient attaqué le château de Goze, contraint 
le gouverneur, qui s'était rendu lâchement, à porter 
sur ses épaules jusques à leurs vaisseaux les meubles de 
son logement , et embarqué ce gouverneur , chargé de 
fers, avec tous les habitants de l'île ; ils furent plus heu- 
reux devant Tripoli que devant Malte. Gaspard Valier , 
maréchal de l'ordre, défendit avec la plus grande valeur 
cette place africaine ; mais une partie de la garnison se 
souleva, et il fut obligé de capituler. Strozzi, général 
des galères de l'ordre, devint la terreur des musulmans; 
il conduisit des escadres entières de Turcs dans le port 
de Malte, et y amena l'abondance. François de Lorraine, 
grand-prieur de France , ayant, avec quatre galères, at- 
taqué devant l'île de Rhodes six galères musulmanes, ui^ 
chevalier gascon , éleetrisé par les exemples de son 
brave général, s'élança dans une galère turque, mit le 
feu aux poudres, et la fit sauter avec lui : une autre 
galère ennemie fut coulée à fond j trois autres prirent 
la fuite : la sixième fut prise ; et François de Lorraine 
rentra à Malte couvert de blessures , ainsi que de gloire , 
et célébrant en héros l'héroïque dévouement de son 
frère d'armes. Jean de La Valette Pariaot, nommé grand- 



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igS HISTOIRE DE l'eURQFE* 

maître après la mort de Claude de La Sangle, prit en 
moins de cinq ans cinquante vaisseaux des Turcs. La co- 
lère se réunit à la politique; et Soliman II , irrité , veut 
chasser de Malte comme de Rhodes les chevaliers de 
Saint- Jean de Jérusalem. Une flotte, composée de plus 
décent cinquante vaisseaux, et chargée de trente mille 
hommes de débarquement, paraît à la vue de Pile (i 565). 
A peine la descente est-elle opérée que le fort de Saint- 
Elme est attaqué : cen,t trente chevaliers le défendent 
avec un courage digne de Tadmiration des siècles ; le fort 
n'est emporté que lorsque le dernier de ces vaillants 
guerriers est mis hors de combat. Le grand-maître s'im- 
mortalise dans la défense des autres forts et de sa capitale* 
Le vice-roi de Sicile lui amène un renfort de six mille 
hommes; le pacha Mustapha^ général des Turcs, fait 
rembarquer ses troupes; mais, se repentant bientôt de 
sa résolution, il se hâte de les ramener à terre : les che* 
valiers les mettent en déroute; les musulmans fuient en 
désordre sur leurs vaisseaux. Soliman furieux ordonne 
qu'on construise une nouvelle flotte : il ira lui-même 
venger l'honneur de ses armes, porter le fer et le feu 
dans Malte, anéantir cet asile des chrétiens. 

Ui;! incendie terrible, allumé, suivant plusieurs his- 
toriens, par des émissaires du grand-maître, consume 
l'arsenal et les chantiers du sultan. Soliman est obligé 
d'ajourner sa vengeance. 

Le digne chef des braves chevaliers fait relever le fort 
Saînt-Elme, construit auprès de ce fort une nouvelle 
ville à laquelle il donne son nom, et l'Europe recon- 
naissante confirme à cette cité, qu'entourent de redouta- 
bles fortifications, le nom si glorieux de Im Valette. 

Soliman II veut faire retomber son courroux sur les 
chrétiens de Hongrie; il commence le siège de Sigeth , 
à la tète d'une grande armée partie d'Andrinople; mais 
il est attaqué d'une fièvre maligne qui l'entraîne au tom- 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — iSSg. 199 

l^eau. Les Turcs cachent sa mort : ils emportent d'assaut 
Sigeth et Giule (i566), 

Séiimll, fils de Soliman, est proclamé grand-sultan 
aux acclamations de toute Tarmëe, 

Il conclut avec Fempereur une trêve de huit ans; 
il confirma le traité de paix que son père avait fait 
avec les Vénitiens j mais , bientôt infidèle à sa pro- 
messe, il fit attaquer Fîle de Chypre par Mustapha , 
et la prise de Famagouste entraîna celle de toute Pile 
( i568 ). 

Les chrétiens cependant allaient être vengés. 

Don Juan d'Autriche , fils naturel de Charles-Quint, 
commandait leur flotte. Il n^avait encore que vingt-qua- 
tre ans; mais il avait déjà montré le caractère et les talents, 
d'un des plus grands capitaines. Quelle gloire il allait 
acquérir! Il attaqua la flotte turque auprès de Lépante , 
et gagna sur elle la célèbre bataille de ce nom , qui 
porta un coup si terrible à la puissance ottomane. 
Quelle rage Soliman II eût éprouvée, s'il eût prévu 
cette catastrophe ! Plus de trente' mille Turcs périrent 
dans le combat; plus de trois mille musulmans furent 
faits prisonniers. Les chrétiens prirent ou coulèrent à 
fond soixante vaisseaux et plus de cent cinquante galè- 
res. Don Juan voulait profiter de la consternation des 
Turcs, poursuivre sa victoire, s'emparer de Constan- 
tinople , chasser les musulmans de la Thrace et de la 
Grèce , les repousser en Asie , assurer la tranquillité 
de l'Europe. Les Turcs paraissaient ne pouvoir oppo- 
ser aucun obstacle à leur jeune et habile vainqueur. 
Le conseil de don Juan ne partagea pas son noble 
enthousiasme. 

Sélim II ne survécut que trois ans à la défaite de 
Lépante; il mourut à cinquante-deux ans, d'une apo- 
plexie produite par le goût immodéré qu'il avait eu 
pour |e vin, malgré le Coran, et par ses autres excès. 



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200 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

Amurath III , son fils aîné , lui succéda. Par quelle 
horrible cruauté il commença son règne ! II ordonna 
qu'on massacrât ses cinq frères : il voulut voir tomber 
leurs têtes } il exigea que les sultanes leurs mères fus- 
sent présentes à ce forfait; une de ces sultanes désespé- 
rées se poignarda. Quelle exécrable politique ! quel 
afiFreux gouvernement ( 1674 ) ! 

Vers le même temps, Thamasp , le despote de la Perse, 
mourut empoisonné par tme de ses femmes. Son fils 
Ismaël II était dans une prison depuis vingt-trois ans ^ 
on lui en ouvrit les portes , on le plaça sur le trône : 
il fit mourir son frère Haïdor ; des murmures violents 
s'élevèreilt ; quelle infernale dissimulation employa sa, 
férocité ! Il feignit une maladie dangereuse : il fit courir 
le bruit de sa mort ; il immola ou poursuivit jusque 
dans les contrées étrangères les grands qui avaient mon- 
tré de la joie en apprenant cette nouvelle; les autres 
grands du royaume ne purent supporter plus long-< 
temps tant de crimes : il fut étranglé. Quels e£Fets du 
despotisme (1577)! 

Mohamet Rhodabendeh, fils aine de Thamasp, rem- 
plaça son frère Ismaél II. 

Amurath III occupait toujours ce trône de Con- 
stantinople sur les marches duquel il avait si inhumai- 
nement fait couler le sang d^e tous ses frères. Un homme, 
payé peut-être en secret par le sultan ou par ses minis- 
tres, se présenta devant Amuradi : « Pai vu en songe, dit- 
» il, une main divine tracer des mots remarquables sur 
» la porte du divan j elle a écrit : f^ainqueur de la 
» Perse. » Amurath accepta la prédiction et déclara 
la guerre à Mohamet Khodabendeh (1678). 

Pendant que les Turcs et les Persans combattaient 
près de leurs frontières , Ibrahim , pacha du Caire , 
subjugua les Maronites qui habitaient dans les vallées 
et sur les hauteurs du mont Liban, ainsi que dans les 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — xSSg. 201 

contrées voisines , et que Sëlîm II avait en vain voulu 
soumettre. 

Tokmak cependant , général de l'armée de Kho- 
dabendeh, battit les Turcs dans la plaine de Chaldéron. 

Les armes persanes ne furent pas aussi heureuses 
contre les Tartares. Arez-Bey, général du schah, fut 
défait, pris et pendu à Schamachie, mais veng'é bien- 
tôt après par Fémir Hamzeh Mirza, fils aîné du roi 
de Perse, et qui remporta sur les Tartares une grande 
victoire ( i585 ). 

Khodabendeh vint à mourir ; son fils Hamzeh lui 
succéda. Il s'était distingué dans la guerre contre les 
Turcs; il les avait battus peu de jours avant la mort de 
son père. Il forma le dessein de reprendre Taurîs : il 
s'empara aisément de la ville ; mais la garnison se retira 
dans la citadelle , et résolut de s'ensevelir sous ses rui- 
nes; le roi de Perse donna plus de soixante assauts; il 
allait marcher contre une armée turque qui venait au 
secours de la citadelle , lorsqu'il fut assassiné par un 
eunuque séduit par le frère du schah. Ce fratricide 
nommé Ismaêl III remplaça sa victime , et leva le siège 
de la citadelle de Tauris. 

Craignant le même sort que celui qu'il avait fait subir 
à son aîné, il allait immoler Abbas , son frère, lorsque 
le gouverneur de cet Abbas le fit assassiner. Ce troisième 
fils de Khodabendeh fut proclamé souverain de la Perse 
( i586). Son nom est resté fameux parmi les Persans; 
le surnom de grand lui a été donné. Il commença par 
déclarer la guerre aux Usbecks, et par s'emparer du 
Khorasan, qu'ils avaient conquis sur ses prédécesseui's. 
Ses succès ne troublèrent pas sa raison : il fit la paix 
avec les Turcs, et leur céda l'Arménie et deux autres 
provinces (iSSg). Mais, par un mélange remarquable* de 
ce détestable abus de la force, si commun dans l'Orient, 
et des vues d'un souverain qui pense à la véritable pros- 



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202 HISTOIRE DE l'eUROPE. 

përitë de sa patrie 9 il enleva yingt-^enx mille familles 
arméniennes, les établit dans plusieurs contrées de ses 
états, les y réunit en colonies, et désira que leur indus- 
trie et leur activité , servant d'exemples aux Persans, 
tirassent le parti le plus avantageux des richesses natu- 
relles de la Persç. Son espoir ne fut pas trompé : les 
Arméniens, transplantés dans son royaume, répandi- 
rent le conunerce persan dans tout le monde connu à 
cette époque , et bâtirent une ville nommé Sulfa ou 
Julfa. L'année suivante , Schah Abbas déclara Ispahan 
la capitale de ses états , et y commença , dans la grande 
et belle place du Meidan ou marché , un vaste et su- 
perbe palais. 

La Pologne avait été gouvernée, pendant plus de qua- 
rante ans, par un monarque qui avait pu servir de modèle 
au Schah Abbas. Sigismond P' avait, pendant ce long 
règne, usé de tout son pouvoir et de toute son influence 
pour embellir les principales villes de son royaume, 
polir les mœurs des braves Polonais, leur inspirer le 
goût des sciences, des lettres et des arts, et hâter le plus 
possible dans sa patrie les progrès de la civilisation. Son 
fils Sigismond II avait été désigné son successeur. Il 
monta, après son père, sur ce trône de Pologne que Si- 
gismond V^ avait occupé si glorieusement. Ce ne fut 
qu'après sa proclamation que, suivant un antique usage, 
on fit les funérailles de son père. Des guerriers armés de 
toutes pièces, conformément à d'anciennes règles, en- 
trèrent à cheval dans l'église, coururent au grand galop 
vers le catafalque, et brisèrent sur la tombe royale, au 
son des trompettes et des timbales , le sceptre, le globe , 
la couronne, un cimeterre, un javelot et une lance. Le 
nouveau roi était présent , comme le prescrivait le rit 
antique ( i548 ). La sagesse des anciens Polonais avait 
voulu que les nouveaux monarques vissent combien les 
grandeurs humaines sont fragiles. 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — iSSg^ 2o5 

Sigismond II , veuf depuis trois ans d^Élisabeth , fille 
de Pempereur Ferdinand P' , donna sa main sans con- 
sulter le sénat à Barbe Radzivil, fille de George Radzivil 
Castellan de Wilna ( lôig ). La diète tenue à Petricau, 
et à laquelle ce mariage ne parut pas convenable, pressa 
Sigismond de le rompre. Le roi opposa à la demande de 
la diète Tindissolubilité du mariage* « Je mé charge de 
» la faute, s'il y en a une, s'&ria le primat, archevêque 
» de Gnesne ; et tous les membres de la diète sont à cet 
» égard dans la même disposition que moi. » 

Le plus jeune des sénateurs, Raphaël Leczinski, pa- 
latin de Brescie, se leva, et^ parlant avec force au mo- 
narque : « Avez- vous donc oublié, lui dit-il, à quels 
» hommes vous prétendez commander ? Nous sommes 
» Polonais, et les Polonais, si vous les connaissez, se 
» font autant de gloire d'honorer les rois qui respectent 
» les lois que d'abaisser la hauteur de ceux qui les mé- 
» prisent. Prenez garde qu'en trahissant vos serments 
» vous ne nous rendiez les nôtres. Le roi votre père 
» écoutait nos avis , et c'est à nous à faire en sorte que 
» désormais vous vous prêtiez aux désirs d'une républi- 
» que dont vous paraissez ignorer que vous n'êtes que le 
» premier citoyen. » 

Sigismond parvint à jeter la division parmi les nobles; 
l'opposition au mariage fut oubliée. 

Les chevaliers de l'ordre Teutonique , qui n'avaient 
ni partagé ni approuvé la défection d'Albert de Bran- 
debourg, avaient nommé grand -maître Walther de 
Cronberg. Thierri de Cléen, maître des chevaliers en 
Allemagne et en Italie, et, en cette qualité, prince de 
l'empire , s'était démis de sa place, qui^avait été réunie 
à la grande-maîtrise. Le siège de cette dignité suprême 
avait été établi à Mergentheim en Franconie; et Wolf- 
gang Schuzbar , dit Milchling, avait succédé à Cronberg 
(i543). 



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204 HISTOIRE DE l'eUROPE* 

L'archevêque de Riga, neveu du roi de Pologne, gé- 
missait emprisonné par les ordres du maître de l'ordre 
Teutonique en Livonie. Sigîsmond porta la guerre dans 
cette province pour délivrer son neveu; Pempereur 
et le roi de Danemarck firent relâcher l'archevêque 
(i556). La Livonie cessa pour un moment de craindre les 
armes polonaises ; mais elle avait aussi les Russes pour 
voisins. 

Hélène 9 veuve de Vassîli IV , et mère ainsi que tutrice 
de Ivan ou Jean IV , fils de Vassili, s'était abandonnée à 
sa passion pour le knias ou knée Obolenski , dit Out- 
china. Son oncle et son conseil Michel Glinski lui avait 
fait de grands reproches sur sa conduite. EUe lui avait 
supposé de mauvais desseins contre l'état, et lui avait 
fait crever les yeux. George , frère de Vassîli , indigné 
de la conduite de la régente , réclama le trône , fut pris, 
et mourut dans les fers. André II , frère de Vassili , soup- 
çonné de vouloir venger' la mort de George et craignant 
pour sa vie, leva une armée, abandonna ses troupes au 
moment de livrer une bataille , se remit à la discrétion 
de la régente, et subit le même sort que son aîné. Hé- 
lène mourut quelque temps après (i538) , laissant le 
grand-prince son fils, âgé de neuf ans, entre les mains 
de trois tyrans qui avaient usurpé toute l'autorité. 
Chouiski, le plus puissant de ces trois^ hommes sangui- 
naires, proscrivait ou envoyait à la mort tous ceux qui 
lui étaient suspects. Siméon Belski engagea Sip-Guereî, 
kan de Crimée , à porter la guerre à Moscou ; mais les 
Tartares prirent la fuite devant les Russes. 

Ivan IV, parvenu à l'âge de quatorze ans, ne peut 
supporter le féroce despotisme de ses trois maîtres , et 
prononce leur arrêt de mort; mais, s'abandonnant à des 
passions impétueuses que des favoris avides de pouvoir 
s'efforcent d'enflammer de plus en plus, il est bien loin 
de consoler la Russie de tous les maux que lui ont fait 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o — 1689. 2o5 

subir les trois usurpateurs. Il se fait couronner solen- 
nellement par le métropolitain ( 1 545) /prend le titre 
de tzar 9 et donne sa main à Anastasie , fille de Roman 
louriewitch. Ce mariage sauve la Russie et Ivan TV. 
Anastasie, par son esprit , ses yertus, sa douceur et le 
charme inexprimable de ses paroles , calme l'impétuo- 
sité de son caractère. Il se livre aux soins da gouver- 
nement; il publie dans une assemblée de nobles un 
nouveau code , que Ton nomme loudehnih : des profes- 
seurs et des maîtres étrangers sont attirés dans ses états ; 
^imprimerie y est introduite. Il donne des règles pour 
la discipline militaire ; il ordonne que les arcs soient 
remplacés par des armes à feu. Désirant de garantir à 
jamais la Russie de la puissance des Tartares, il veut 
leur opposer une milice toujours subsistante, toujours 
régulièrement organisée, toujours prête à se conformer 
aux intentions du prince; et, ne prévoyant pas les dan- 
gers qu'il prépare pour ses successeurs, il crée les stre- 
litz , et forme sa garde d'une partie de ces nouveaux 
guerriers.. • 

Plein de confiance dans les troupes qu'il vient de for- 
mer, il attaque la principauté de Kasan, où régnait au mi- 
lieu des divisions et des troubles lédiguer, fils de Kasim, 
souverain d'Astracan. Il s'attend à un siège très-long; et, 
comme dans les contrées où il porte la guerre les rigueurs 
de l'hiver peuvent exercer avec la plus grande rapidité 
l'influence la plus funeste, il fait élever vis-à-vis de Kasan 
un camp ou plutôt une ville de bois, une vaste réunion 
de maisons, dont les différentes pièces préparées, taillées et 
assemblées a Moscou , avaient été démontées et transpor- 
téesà la suitede l'armée, et dont la construction est très-pro- 
pre à garantir les soldats russes des intempéries délétères. 

Les habitants de Kasan se défendent avec le plus grand 
courage; la place néanmoins est emportée dès le mois 
d'octobre : un grand nombre d'assiégés sont massacrés. 



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206 HISTOIRE DE L'EUROFE. 

lëdîguer veut en yain mourir les armes à la main : il 
tombe entre les mains du yainqueur. Le tzar admire sa 
valeur et le traite en roi. lëdiguer embrasse la religion 
chrëtienne ^ est baptisé sous le nom de Siméon, et devient 
le meilleur ami du souverain de la Russie (i554). 

La prise de Kasan entraîne celle d'Astracan y et la 
soumission d^un nombre immense de Tar tares, qui ren- 
dent hommage au tzar Ivan IV • 

La guerre de Tartarie était terminée depuis long- 
temps. Les Russes entrent en Livonie (iSSg), et emmè- 
nent captifs le maître de Pordre Teutonique et un grand 
nombre de Livoniens et d'Allemands. La Pologne seule 
peut défendre contre les Russes cette Livonie si exposée 
à leurs attaques. Gothard Kethler, nouveau maître des 
chevaliers teutoniques livoniens, embrasse le luthéranis- 
me, cède la Livonie au roi Sigismond II et à la républi- 
que de Pologne, et se réserve uniquement la Gourlande 
et le Semigalle, qui sont érigés en duchés héréditaires 
pour lui et ses descendants sous la suzeraineté de la Polo- 
gne (i56i); et Pordre Teutonique ne possède plus que les 
terres et les fiefs qu'il avait en Allemagne. 

Les années se succèdent, et la Russie continue d'avoir 
un sort prospère , heureuse sous le gouvernement d'Ivan . 
Anastasie vivait toujours , et son admirable influence ga- 
rantissait le bonheur des Russes : ils la perdent en i563 , 
et leur félicité disparait. Les Russes la pleurent ; mais 
Ivan retombe dans sa férocité. 

Il désira de remplacer Anastasie. 11 fit demander au roi 
Sigismond la main de sa fille Catherine. Sigismond la lui 
refusa, et des historiens russes ont écrit que le monar- 
que polonais, joignant l'outrage au refus, avait envoyé 
au tzar une jument magnifiquement enharnachée. Quoi 
qu'il en soit, la guerre fut bientôt déclarée entre la 
Russie et la Pologne. Ivan IV entra dans la Lithuanie, 
prit d'assaut la ville de Polotsk, et fit conduire prison- 



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VINGT-DEUXIÈME EPOQUE. l55o — xSSg. 207 

niers à Moscou l'évèque , le commandant militaire et les 
principaux habitants de cette malheureuse ville* 

Vers le même temps, un grand acte législatif honora 
le règne de Sigismond II , et la guerre de sa patrie con- , 
tre la Russie en pressa la présentation à la diète. Depuis 
long-temps une loi excluait des charges, dignités et con- 
seils, ceux qui n^étaient pas de la communion de PÉglise 
romaine ou qui avaient été excommuniés par le pape 
ou par les évêques. Une nouvelle loi proposée par le 
monarque et adoptée par la diète de Wilna, déclara que 
« non seulement les nobles et les seigneurs de la com- 
» munion romaine , mais encore tous ceux de Tordre 
» équestre et des nobles lithuaniens ou russes d'origine, 
» pourvu qu'ils fussent chrétiens, seraient admis d'une 
» manière égale aux honneurs et aux dignités tant du 
» sénat que de la couronne, et à toutes les charges 
» nobles (i563). » 

Plus tard, Sigismond voulant rendre plus complète 
et plus intime la réunion de la Lithuanie avec la Pologne, 
abandonna tous les drpits que la famille des Jagellons 
pouvait avoir sur le grand-duché, et régla, avec le con- 
sentement des Polonais et des Lithuaniens, que la Lithua- ^ 
nie appartiendrait à la république de Pologne, qu'elle 
conserverait tous ses droits , qu'elle formerait sous un 
même monarque un gouvernement égal du gouverne- 
ment polonais, et que tous les grands-officiers de cette 
province seraient inscrits selon leur rang dans les ma- 
tricules du sénat de Pologne (i568). 

Dans l'année où Sigismond termina cette opération 
si utile à la Pologne et à la Lithuanie, Ivan IV donna 
à la Russie un spectacle singulier et barbai'e ; il déposa 
l'autorité suprême au milieu d'une assemblée nom- 
breuse , et ne pouvant la transmettre à aucun de ses en- 
fants, trop jeunes pour pouvoir gouverner, il donna 
les rêne3 du gouvernement au tartare lédîguer qu'il 



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208 HISTOIRE DE l'eUROPE» 

aimait, lui céda le titre de tzar, ne garda que celui 
de grand-prince , se retira dans un palais yoisin de Mos- 
cou, et y forma un corps nombrejix de satellites féroce» 
toujours prêts à exécuter ses ordres sanguinaires contre 
ceux qui lui étaient suspects. lédiguer, qui le connaissait 
bien , se prêta à cette extravagante fantaisie, accepta le 
titre de tzar, mais ne cessa de prendre les ordres d^Ivan 
et de remplir imiquement les fonctions de son premier 
ministre. Cette position bizarre ne satisfit pas long-temps 
Ivan IV : il reprit la conduite des afifaires. 

On lui fit croire que la ville de Novogorod entrete- 
nait des intelligences secrètes avec le roi de Pologne. Il 
partit comme un furieux , entra à cheval dans la ville , 
et entouré de ses satellites, se précipita sur ceux qu'il 
rencontra dans les rues, et pendant cinq semaines fit 
subir chaque jour d^horribles supplices à plus de cinq 
cents citoyens. 

Son exécrable frénésie lui fit exercer les mêmes 
cruautés dans la ville de Tever et dans celle de Moscou. 

La Suède disputait la Livonie à la Pologne. Ivan vou- 
lut Penlever et à la Pologne et à la Suède. Son armée 
entra dans la Livonie; les Tartares de Crimée, excités 
par les Polonais, firent une irruption en Russie, péné- 
trèrent jusques aux faubourgs de Moscou, y mirent le 
feu. L'incendie fut terrible;* on a écrit que plus de 
cent mille personnes avaient péri dans les flammes. 
Quelle destinée que celle de la capitale russe ! le feu 
avait mêlé ses ravages à ceux d'un tyran exécrable (iSy i). 

Les Russes punirent les Tartares; Vorotinski rem- 
porta sur eux une grande victoire. Ivan leur accorda 
la paix. 

Une trêve existait avec la Pologne ; mais cette répu- 
blique royale perdit son premier défenseur : Sigismond 
II ou Auguste mourut à Knyssin dans la Podlaquie, âgé 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o— 1689. ^^9 

de cinquante-deux ans (1572). La dynastie des Jagellons 
s'éteignit avec lui, après avoir duré cent quatre-vingt-six 
ans. Il ëtait affable, populaire, gracieux, instruit, ami 
des lettres et des sciences. Il méditait long-temps ses pro- 
jets, et les exécutait avec promptitude : les opinions de 
Luther firent, sous son règne, de grands progrès en 
Pologne. 

Plusieurs princes firent des démarches pour obtenir 
la couronne de Pologne ; les suffrages parurent incer- 
tains dans la diète, entre Parchiduc Ernest, fils de 
Tempereur Maximilien, et Henri de Valois, duc d^ Anjou, 
frère du roi de France Charles IX* La crainte de la puis- 
sance de la maison d^ Au triche, dont les états touchaient 
le royaume de Pologne , et Phabileté de Jean de Montluc, 
ambassadeur de France , firent donner la préférence au 
duc d'Anjou, qui d'ailleurs avait, dès Page de dix-huit 
ans , gagné deux batailles et montré ce caractère belli- 
queux si analogue à celui des Polonais (iS^S), Des am- 
bassadeurs de Pologne portèrent au prince français le 
décret d'élection* Il signa dans la cathédrale de Paris les 
pacta conventa ou les conditions de sa nomination , à là 
fin desquelles on remarquait la promesse que faisait le 
nouveau monarque , de relever les Polonais de leur ser- 
ment de fidélité, s'il manquait aux engagements qu'il 
venait de contracter. Il fut couronné à Cracovie, dès le 
mois de février de l'année suivante (i574). Il avait pro- 
mis par un des articles des pacta conventa de maintenir 
le libre exercice du culte des dissidents, ou de ceux qui 
n'étaient pas de la communion romaine; il se refusa à 
jurer de nouveau l'observation de cet article. Les dis- 
sidents connaissaient toute son aversion pour les opinions 
qu'ils avaient adoptées; leur mécontentement devint ex- 
trême^ et, suivant plusieurs historiens, la guerre civile 
allait ensanglanter la Pologne, lorsque Henri apprit la 
mort de son frère Charles IX, et «'échappant furlive- 

ToM. xn. i4 



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210 HISTOIRE DE l'eUROPE. 

ment de la Pologne, se hâta de prendre la route de 
France dont la couronne lui appartenait. 

Les Polonais attendirent pendant treize mois le retour 
de Henri, déclarèrent le trône yacant dans la diète de 
Stenezice , élurent , pour remplir ce trône , Etienne 
Battori de Somlio, prince de Transylvanie, à condi- 
tion qu'il épouserait la princesse Anne, sœur de Sigis- 
mond II, ou Sigismond Auguste, et choisirent seize sé- 
nateurs pour le suivre et l'assister de leurs conseils 
(,575). 

Etienne Battori , tournant ses armes contre les Russes 
qui avaient envahi la Livonie et une partie de la Lithua- 
nie, s'empara de Polocz et se ligua avec la Suède. Pon tus 
de la Gardie, gentilhomme languedocien et général des 
troupes du roi de Suède Jean III, dont il avait époosé 
la fille naturelle , entra dans la Carélie et la conquit pres- 
que tout entière. Les Tar tares , d'un autre côté, rempor- 
tèrent de grands avs^ntages sur les Russes. Ivan lY, 
effrayé des progrès de ses ennemis, imagina de s'adresser 
au pape Grégoire XIII , et de lui demander sa médiation 
pour la paix avec la Pologne. Le pape, d'autant plus 
aise d'établir une correspondance avec la Russie que le 
nord de l'Europe échappait à son autorité, chargea le 
père Antoine Possevin, jésuite, né à Mantoue, d'aller 
négocier un traité entre le tzar et la Pologne, et de tra- 
vailler à la réunion de l'Église grecque avec l'Église 
latine. Possevin n'obtint aucun succès relativement à 
cette réunion des deux Églises qui aurait donné un si 
grand accroissement au domaine spirituel du pape et à la 
puissance pontificale, mais parvint, à force de démar- 
ches et de soins, à faire conclure une trêve de dix ans 
entre la Pologne et la Russie} et le tzar n'eut plus à 
combattre d'autre puissance européenne que la Suède , 
auprès de laquelle le pape avait perdu toute son influence 
(i582). 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE, l53o — iSSg. 211 

Un nouvel acte de férocité d^Ivan répandit beffroi 
dans la Russie. Un noir soupçon entra dans son âme; il 
se persuada que son fils aîné avait formé un complot 
pour le détrôner; il punit de mort ceux qu^il regarda 
comme des complices, et, ne voulant écouter aucune 
justification de son fils, il lui déchargea sur la tête un 
coup dont le prince mourut au bout de quatre jours. 

A peine cet accès de fureur fut-il passé que la nature 
dëcliira son âme par le plus cruel des remords; son dés- 
espoir violent le précipita dans la tombe et vengea ses 
nombreuses victimes. 

(i584) Il avait désigné pour son successeur son fils 
Fédor ou Théodore; Fédor fut élu et couronné; mais 
Pesprit de ce prince était faible : Boris-Godononf , frère 
de la tzarine Irène, se rendit maître du gouvernement, 
après être parvenu, par ses intrigues et ses calomnies, 
à faire périr ou écarter touis ceux qui pouvaient opposer 
quelque obstacle à son ambition. 

(i586) Il vit arriver de Constantinople Jérémie, pa- 
triarche de cette capitale. Ce chef suprême de PÉglise 
grecque venait recueillir des aumônes pour racheter 
son siège pontifical que le gouvernement turc avait 
vendu à Théolepte. Boris lui demanda d'ériger un pa- 
triarcat en Russie ; Jérémie y consentit. Le métropoli- 
tain ou métropolite Job fut institué patriarche* Il ter 
moigna une grande reconnaissance à Boris, et, à son 
exemple, le clergé russe s'attacha aux intérêts du ministre 
tout-puissant; Boris crut alors pouvoir, par un nouveau 
crime, parvenir au rang suprême; Fédor avait un frère 
unique nommé Dmitri; Boris, sous un prétexte spé- 
cieux, fit reléguer ce Dmitri dans sa principauté d^Ou- 
glitz, Vj fit assassiner, et persuada à son. souverain que 
ce frère unique du tzar s'était coupé la gorge dans un 
délire extrême. 

La vie de l'imbécile Fédor était le seul obstacle qui 

i4. 



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312 HISTOIRE DB l'eUROPE. . 

empêchât Boris de porter la couronne; ce prince mourut 
à l'âge de quarante-neuf ans; il était le dernier rejeton 
de la maison de Rurik, qui avait régné pendant sept 
cent trente-six ans sur la Russie, et donné cinquante- 
deux souverains à cette vaste contrée. On déféra le trône 
à Irène, veuve de Fédor; mais elle préféra le séjour 
d'un monastère. Boris fut alors nommé tzar dans une 
assemblée de seigneurs russes dont il avait gagné le plus 
grand nombre par d'immenses libéralités; et le peuple 
que son ambition, pendant le dernier règne, n'avait pas 
eu besoin de frapper, et dont au contraire il avait cru 
devoir se déclarer le protecteur , le vit avec plaisir cein- 
dre le diadème dé Russie. 

(iSgS) Etienne Battori était mort depuis long-temps; 
il était parvenu à discipliner des Cosaques, et en avait 
formé un corps de cavalerie destiné pareillement à com- 
battre les Tartares. On avait vu l'Ukraine, cette province 
si importante que les ravages de ces mêmes Tartares 
avaient changée en solitude , se repeupler par ses soins. 
H avait établi le grand tribunal de la couronne de Po- 
logne, et ne pensant qu'aux privilèges de ces nobles Po- 
lonais auxquels il devait le trône , et qui seuls jouissaient 
des droits de citoyens, il avait proposé et fait adopter 
une loi dite perpétuelle , et d'après laquelle aucun Polo- 
nais ne pouvait être anobli sans le consentement de la 
diète. 

(1687) Sigismond III, fils de Jean III, roi de Suède, 
et petît-fils par sa mère de Sigismond II ou Auguste, 
fut proclamé successeur d'Etienne Battori. L'archiduc 
Maximilîen,qui, lors de l'élection de Sigismond III, avait 
réuni plusieurs suffrages, voulut s'emparer par la force 
du trône qu'il ambitionnait; mais le palatin Zamoski 
battit deux* fois l'arcjiiduc , l'obligea à se renfermer dans 
la ville de Witzen en Silésie, s'empara de la ville, fit 
Maximilien prisonnier; et la liberté ne fut rendue à ce 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — 1689. ^^^ 

prince que lorsque, par un acte solennel, il eut renoncé à 
la couronne de Pologne (iSSg). 

Quatre ans après cette renonciation, Sigismond III 
réunit le sceptre de la Suède à celui de la Pologne (iSgS). 

Dès i544, les ëtats'.de ce royaume de Suède, cédant à 
leur admiration et à leur reconnaissance, avaient déclaré 
la couronne héréditaire dans la maison de Gustave Wasa, 
L^éloignement des Suédois pour la cour de Rome était 
si grand à cette époque, et ils craignaient si vivement de 
voir renaître parmi eux la puissance des papes, que Pan- 
née suivante ils applaudirent avec transport à la propo- 
sition que Gustave adressa au sénat ,^et par laquelle , aussi 
éloigné que la plupart de ses. contemporains de cette 
tolérance si évangélique, si conforme aux droits des ci- 
toyens, si nécessaire au maintien des idées véritablement 
religieuses et de la prospérité publique, il engagea les 
sénateurs à jurer non seulement qu^ils, conserveraient le 
luthéranisme, avec un clergé indépendant de Rome, 
des archevêques, des évèques, des prêtres et des diacres 
mariés, mais encore qu'ils ne souflfriraient aucune autre 
religion dans le royaume de Suède. 

(1 545) Quinze ans plus tard, Gustave cessa de vivre 
après un règne de trente-sept ans. Il mourut adoré du 
peuple et révéré de la noblesse } il laissa son royaume en 
paix avec tous se^ voisins^ la Suède fortifiée par une air 
liance avec la France, les Suédois enrichispar un com- 
merce très^étendu, le domaine royale agrandi , le trésor 
rempli des sommes nécessaires à la prospérité de Pétat , 
les villes frontières fortifiées, les arsenaux garnis d'abon- 
dantes provisions , des escadres nombreuses dans ses 
ports. Quelle douleur ce grand roi a dû éprouver , s'il 
aprévr de quelle manière son fils gouvernerait la Suède 
(i56o)! 

Quels troubles cependant avaient agité le Danemarck 
pendant le long et glorieux règne de Gustave Wasa ! 



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2l4 HI8TOIRE DE L'eUROPE. 

( i655) Frédéric I« était descendu dans la tombe; les 
opinions religieuses divisent les Danois. Ib ne peuvent 
s'accorder sur le choix d'un monarque ; les luthériens 
portent Chrîstiern III, fils aîné de Frédéric, et qui pro- 
fesse leur doctrine. Les catholiques veulent mettre sur le 
trône Jean, frère cadet de Christiern, et qui n'a pas em- 
brassé le luthéranisme; les états s'assemblent à Gopen* 
liague; les évêques obtiennent un décret favorable à la 
religion romaine; mais l'élection du roi est ajournée 
jusques après l'arrivée des députés de Norwége, et le 
sénat conserve le gouvernement. 

La ville de Lubeck, dont les opérations commerciales 
avaient si fort augmenté les richesses et la puissance , 
veut profiter des divisions qui régnent dans le Dane- 
marck , pour accroître son influence sur le commerce de 
la Baltique. Marc Meyer, bourgmestre de Lubeck, et 
George Wullen Wever, un des magistrats de cette ré- 
publique, demandent que les Hollandais soient exclus de 
ce commerce, et, ne pouvant faire adopter leurs vues 
par le sénat de Danemarck, ils imaginent de rétablir sur 
son trône le féroce Christiern II, que la mort n'avait ^as 
encore délivré des furies, et qui était toujours renfermé 
dans le château de Sonderbourg de l'île d'Alsen; ils met- 
tent à la tête des troupes de terre de leur république 
Christophe d'Oldenbourg, parent de Christiern. 

Christophe ravage le Holstein , passe dans l'île de 
Sélande, s'empare de Rotchild , entre dans Copenhague 
dont les habitants lui ouvrent les portes , pendant que la 
flotte de Lubeck bloque dans le port de cette capitale la 
flotte des Danois, fait proclamer Christiern II, soumet 
Malmoê, y assemble les états et y fait renouveler la pro- 
clamation de Christiern. 

Le sénat assemblé à Rye s'empresse alors d'élire roi de 
Danemarck Christiern III, duc de Holstein-Sleswig et 
fils de Frédéric ; le nouveau monarque reçoit le serment 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — 1089. 2l5 

de fidélité de la noblesse et du clergé du Jutland , conduit 
une armée dans Pile de Fionie , dont Christophe d'Ol- 
denbourg a conquis une grande partie, la soumet et 
revient sur le continent; Christophe y ramène son armée 
et s'en empare de nouveau. Un de ses officiers, nommé 
Clément, enlre dans le Jutland ety fait de grands progrès. 
Christiern III fait prisonnier Clément, dont la tête 
tombe sur Péchafaud. Les paysans qui avaient favorisé 
l'invasion de l'ennemi perdent une partie des droits dont 
ils jouissaient, et deviennent presque des esclaves des 
nobles. La Suède envoie des secours à Christiern; les 
troupes de ce prince ont des succès en Scanie; le bourg- 
mestre Meyer est pris dans Uelsimboui^g; on le conduit 
à Varberg; il parvient à faire égorger la garnison et se 
rend maître de la place (i535). Christiern gagne nne 
bataille contre les insurgés, s'empare de toute la Fionie , 
et va former le siège de Copenhague; ce siège est long et 
mémorable; pendant qu'il dure encore, Christiex'n fait 
un traité d'alliance avec la Suède ; ses armes font de nou- 
veaux progrès; Meyer, forcé dans Varberg , est décapité 
dans la Sélande. Un traité de paix est conclu avec les 
Lubeckois ; ils abandonnent les insurgés. Copenhague se 
rend après avoir soufifert tous les malheurs de la famine, 
et obtient la conservation de ses privilèges. Christiern 
convoque les états et y fait adopter un recez qui abolit la 
religion catholique dans tout le royaume. Les évêques 
sont destitués; on nomme à leur place, d'après l'avis de 
Lnther, de^ surintendants qui ne reprennent le titre 
d'évêques que quelque temps après leur institution 
( 1557). Christiern est couronné par Jean Bugenha , pas- 
teur luthérien et professeur dans l'université de Wit- 
temberg. On rédige un formulaire de foi et de discipline ; 
Luther l'approuve ; un décret du roi et du sénat le 
sanctionne, et on l'envoie dans tout le royaume. 
Dans la même année , une diète tenue à Copenhague 



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2l6 HISTOIRE DB L^EUROFE. 

réunit au Danemarck la Norwége^ qui cesse d'avoir un 
conseil d'état particulier. 

Quatre ans après cette réunion, Ghristiem conclut à 
Fontainebleau, par ses ambassadeurs, et avec François !•', 
un traité d'alliance, dans lequel les deux princes se don- 
nent le titre de frère ( i54:i )j et, en i545, il charge les 
professeurs de Copenhague de traduire la Bible en da- 
nois, d'après la version allemande de Luther. On lui 
doit d'ailleurs la correction des lois danoises, leur dispo- 
sition dans un meilleur ordre, la diminution des lon- 
gueurs des procédures, des encouragements donnés aux 
sciences, aux lettres, aux arts, à l'agriculture, à l'in- 
dustrie, au commerce. Mais les paysans étaient esclaves, 
et les nobles avaient droit de vie et de mort sur ces liial- 
heureux serfs. 

Frédéric II, que son père Christiem III avait fait 
couronner, dès 1 542, conformément au rit adopté par 
la réforme religieuse , monta sur le trône sans éprouver 
aucun obstacle ( iSSg ). Réuni avec son oncle Adol- 
phe , duc de Holslein , il résolut de soumettre ses 
voisins , les Dithmarses , prit d'assaut leur ville de 
Meldorp, gagna sur eux une bataille sanglante, et leur 
enlevant l'indépendance qui leur était si chère , il eut 
le triste avantage de les contraindre à reconnaître son 
autorité. 

Éric XIV gouverna la Suède peu de temps après 
cette expédition du roi de Danemarck. Qu'il était dif- 
férent de son illustre père ! il était aussi extravagant que 
cruel (i56i). Sa conduite tyrannique souleva l'Estonie, 
qui se donna à la Russie. Son frère, le duc Jean , ayant 
épousé une fille du roi de Pologne, Sigismond II, qui 
était alors en guerre avec la Suède (i565),,Éric , irrité de 
cette alliance , l'assiégea dans Âbo , le força de se rendre , 
l'envoya prisonnier avec sa femme dans le château ^e 
Gripsholm, fit mettre k mort plusieurs personnes de la 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — 1689. 217 

suite de son frère, et en égorgea lui-même quelques- 
unes. Il offrit sa main sanglante et dëshonorëç à Elisabeth, 
reine d^ Angleterre , à Marie , reine d'Ecosse , à Christine , 
fille du landgrave de Hesse; il n^éprouva que des mépris 
(i563). Le roi de Danemarck, Frédéric II, déclara la 
guerre à la Suède; les deux nations eurent des succès 
(1 566). Eric, n'ayant pas obtenu, à la bataille de Swastera, 
les avantages sur lesquels il avait compté, accusa Nilson- 
Sture de s'être conduit comme un lâche pendant le 
combat, et le fit promener dans les rues de Stockholm, 
avec une couronne de paille sur la tête, au milieu des 
huées d'une populace trompée. La noblesse connaissait 
trop bien ses intérêts pour ne pas ressentir vivement 
un outrage qui tendait à l'avilir. Une juste crainte l'em- 
porta sur la folie d'Éric; il voulut faire oublier sa 
faute, nomma Nilson- Sture son ambassadeur auprès 
de Charles III, duc de Lorraine, et même rendit la 
liberté au duc Jean son frère; mais sa barbare démence 
le ressaisit bientôt. Nilson-Sture revint de son ambas- 
sade, et Eric XIV, l'ayant rencontré par hasard, lui 
plongea un poignard dans le sein. Nilson-Sture re- 
tira le poignard de sa main défaillante et le présenta 
au roi ; Éric ordonna à ceux qui le suivaient d'achever 
de massacrer cet infortuné ; fit immoler vingt-six parents 
de sa victime, et , effrayé de tant de crimes, s'échappa du 
palais, s'enfonça au milieu de bois épais, et y resta ca- 
ché pendant trois jours sous l'habit de paysan. Sa maî- 
tresse le trouva dans la forêt sauvage , tâcha de calmer 
les terreurs qui l'agitaient, le ramena dans sa capitale; 
et Pehrson, l'affreux ministre du monarque, apaisa son 
trouble, et lui rendit sa féroce sécurité (1567). 

Éric , toujours jaloux des apanages de ses frères , réso- 
lut de les faire périr. Ils devaient tomber sous les coups 
des assassins le «jour où il avait décidé qu'il épouserait 
sa maîtresse. Avertis du funeste complot, ils l'assiègent 



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2l6 

dans Stockholm, le forcent à capituler, ^obligent à re- 
noncer à la couronne , et le renferment dans le château 
de la capitale. Pehrson, que le tyran avait soustrait à un 
arrêt de mort prononcé contre lui, subit la peine de ses 
conseils perfides, et meurt dans un cruel supplice. 

Jean III, monté sur le trône dont il venait de con- 
traindre son frère à descendre , termina , par un traité de 
paix , la guerre avec le Danemarck (1570). 

D'ambitieux partisans d'Eric ayant tenté plusieurs 
fois de briser ses fers et de lui rendre la couronne, 
Jean III eut recours à un forfait pour terminer aes inquié- 
tudes, et fit empoisonner sou frère. 

Il avait épousé Catherine, fille du roi de Pologne 
SigismondI". Il entreprit , à la sollicitation de cette prin- 
cesse , de rétablir la religion catholique dans le royaume. 
Il fit composer une nouvelle liturgie dans laquelle il 
permit aux évéques et aux prêtres mariés de garder 
leurs femmes , accorda aux laïques la communion sous les 
deux espèces, et autorisa la célébration de l'office divin 
dans la langue vulgaire. Cette liturgie fut rejetée par le 
pape comme trop contraire aux opinions catholiques, et 
par les protestants comme trop favorable à ces mêmes 
opinions. Jean III, peu éclairé par cette double opposi- 
tion, et trop imbu de l'intolérance religieuse qui régnait 
encore avec tant de force, employa la violence pour faire 
adopter sa liturgie, et parvint à faire décréter par les 
états que ceux qui ne se conformeraient pas à cette or- 
donnance religieuse seraient punis de mort (i582). Ce 
décret allait exciter un soulèvement général, et Charles, 
frère du roi et duc de Sudermanie, allait se mettre à la 
tête des insurgés lorsque , par un arrangement , le décret 
fut annulé , et chacun conserva le droit de suivre libre- 
ment la religion qu'il croirait la meilleure. 

La reine Catherine étant morte l'année suivante, le 



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VINGT-DEUXIBME ÉPOQUE. l53o — iSSg, 319 

roi Jean professa de nouveau le luthëranisme que cette 
princesse lui avait fait abjurer. 

(1692) Ce prince ayant cesse de vivre, son fils, dëjà roi 
de Pologne sous le nom de Sigismond III , fut déclaré roi 
de Suède. Son oncle, le duc Charles de Sudermanie, 
gouverna en son nom jusques en 1694, où Sigismond fut 
couronné k Upsal par ^archevêque. Il fut obligé de jurer 
à son sacre qu'il maintiendrait la confession d'Ausbourg; 
et il ne put obtenir que la faculté de faire exercer le 
culte catholique dans la chapelle du château qu'il ha- 
biterait. 

Le luthéranisme faisait de nouveaux progrès dans 
la Germanie. Charles-Quint avait convoqué les élec- 
teur» à Cologne , leur avait dit que l'administration de 
ses royaumes héréditaires ne lui permettrait pas de 
résider habituellement en Allemagne , et avait obtenu 
d'autant plus aisément que son frère unique , Ferdi- 
nand, roi de Hongrie et de Bohême et archiduc d'Au- 
triche, fût nommé roi des Romains, que le conseil de 
régence avait été aboli ( i53i ). L'électeur de Saxe, 
Jean I*»', qui se trouvait, par cette élection, privé de 
ses droits de vicaire de l'empire pendant l'absence de 
Charles-Quint, et qui avait espéré d'employer cette 
autorité de vicaire en faveur du luthéranisme , protesta 
contre cette nomination , et soutint qu'elle était con- 
traire aux lois, aux usages et à la liberté de Pempire 
germanique. Les alliés de Schmalkalden adoptèrent sa 
protestation , renouvelèrent leur ligue et s'adressèrent 
aux rois de France et d'Angleterre , pour obtenir la 
convocation d'un concile libre et général. François I*^, 
empressé de favoriser tout ce qui pouvait , en divisant 
l'Allemagne , diminuer l'influence et les forces de 
Charles-Quint , se déclara de nouveau le protecteur de 
la liberté germanique , et promit aux confédérés de 
Schmalkalden de metti*e des sommes d'argent à leur 



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220 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

disposition , s'ils étaient attaqués. Il crut même devoir 
protéger dans ses états les partisans des nouvelles doc- 
trines, ne pas s^opposer à , l'accroissement des antago- 
nistes du pape dont il était mécontent , et comme 
plusieurs de ces luthériens ou protestants cultivaient 
avec éclat les sciences et les lettres y il le plaça dans 
le collège de France qu'il venait de fonder et où il 
désirait d'établir un enseignement plus étendu et plus 
parfait d'un grand nombre d'objets étudiés dans l'uni- 
versité. 

Ces dispositions favorables ne furent pas secondées 
par les luthériens d'Allemagne. Jean I*" , électeur de 
Saxe , avait adopté leurs principes , et soutenait avec 
zèle leur indépendance ; et néanmoins les effets des 
anciennes habitudes de sa famille et de l'éducation qu'il 
avait reçue ne lui avaient pas permis de secouer les 
funestes préjugés de cette intolérance qu'il reprochait 
si fortement à l'Église romaine , et contre laquelle il 
avait pris les armes avec ses alliés. 

Un curé de Zurich , nommé Ulric ou Hnldrich 
Zuingle , avait prêché avec chaleur en faveur des opi- 
nions de Luther. Il avait recommandé la lecture de 
ses livres et parlé avec force contre les indulgences , 
l'invocation des saints y le sacrifice de la messe , plu- 
sieurs lois ecclésiastiques, les vœux religieux, le célibat 
des prêtres, les jeûnes ordonnés par l'Église. Jean Faber, 
grand-vicaire de l'évêque de Constance , ayant paru 
aux Zurichois vaincu par Zuingle , avait eu avec ce 
grand-vicaire une dispute solennelle sur les principes 
de la réformation dans une assemblée générale ; la 
doctrine du pasteur, avait été reçue dans tout le canton 
de Zurich. Les images avaient été brisées , les autels 
renversés, les cérémonies de l'Église romaine abolies 
et les cloîtres ouverts. Les cantons de Berne , de Bâle 
et de Schaffliouse , adoptant la réformation , s'élaient 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o— 1689. 221 

liguas avec celui de Zurich pour la défendre et la faire 
prévaloir dans les autres cantons de THelvétie. Us s'ar 
dressèrent à la ligue de Schmalkalden , et demandèrent 
d'être admis dans cette confédération ; ils en auraient 
augmenté la force ^ mais leurs opinions différaient 
sur quelques points de celles de Luther, et Pintolérant 
électeur de Saxe fit refuser leur demande. 

Une guerre civile et religieuse s'alluma alors entre 
les cantons de la Suisse ; une grande bataille fut livrée. 
Les catholiques battirent Parmée des protestants. Zuin- 
gle fut tué dans ce combat. Une paix heureuse ter- 
mina néanmoins ces cruelles dissensions ; et chaque 
canton fut déclaré libre de suivre la religion qu'il 
préférerait. 

De nouveaux liens qui resserrèrent l'union de Schmal- 
kalden , l'intérêt que leur témoignaient François V*^ 
et Henri VIII , et la crainte inspirée par les Turcs 
qui menaçaient plus que jamais les états héréditaires 
de la maison d'Autriche , déterminèrent cependant l'em- 
pereur à changer de politique. Il commit l'électeur 
palatin , Louis V , dit le Pacifique , et le cardinal 
Albert de Brandebourg , archevêque électeur de 
Mayence, pour traiter avec les confédérés protestants 
( i532 ). Des conférences purent lieu à Nuremberg, 
et il fut convenu que les protestants ne seraient plus 
inquiétés relativement à leurs doctrines ; qu'ils ensei- 
gneraient dans leurs chaires et publieraient dans leurs 
livres les dogmes contenus dan3 la confession ^Aus- 
bourg, dans son supplément et dans son apologie ; 
qu'ils conserveraient les biens ecclésiastiques, à con- 
dition de ne pas envahir lôs revenus des églises étran- 
gères j que la juridiction des tribunaux de l'çmpire 
serait suspendue dans les affaires de religion , et qu'on 
introduirait dans la chambre impériale des avocats et 
des procureurs protestants. Les luthériens , de leur 



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223 

côté^ s'engagèrent à ne protéger ni les zuingliens ni 
les anabaptistes , k conserver pour Pempereur le res- 
pect et Tobéissance qu^ils lui devaient, à aider Fempire 
de leurs biens et de leurs conseils, et à contribuer 
aux secours que la diète croirait devoir accorder à Pem- 
pereur contre les musulmans. 

La diète de Ratisbonne vota, en effet , des secours très- 
considérables contre les Turcs , en s'occupant d'un 
code criminel, nommé depuis constitution Caroline, 
et qui devait servir de base à la jurisprudence criminelle 
de toute la Germanie. Charles- Quint se mit à la tète 
de l'armée destinée à combattre les musulmans ; les 
états protestants fournirent le triple ou du moins le 
double du contingent auquel ils avaient été imposés, 
pendant que la noblesse immédiate s'exempta du ban et 
de l'arrière-ban, en payant un don gratuit nommé 
subsidium cJvaritativum ; et l'armée impériale défit les 
troupes de Soliman II, qui avaient ravagé l'Autriche et 
laStyrie(i552). 

Les rois de France et d'Angleterre avaient cru devoir 
proclamer une ligue contre les Turcs ; mais ils se gar- 
dèrent bien de trop favoriser la cause de Charles-Quint, 
qu'ils regardaient comme l'ennemi de l'indépendance 
européenne. François I®' néanmoins demanda de l'ar- 
gent au clergé de France pour subvenir aux dépenses 
d'un armement dirigé contre ceux qui voulaient asser- 
vir les chrétiens. Le clergé, fidèle à ses anciens princi- 
pes, et toujours prêt à s'opposer aux usurpations du 
pontife de Rome , se plaignit de plusieurs abus de la 
chancellerie romaine, de l'excessive augmentation des 
annates, de l'imposition réitérée de cette taxe sur le 
même bénéfice, et des nominations simoniaques aux- 
quelles donnait lieu le nouveau con<K>rdat. Le roi promit 
de faire cesser ces désordres, et le clergé lui accorda un 
double décime. 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. x53o — 1689. 225 

Ce fut vers le même temps que le monarque français 
trouva une grande condescendance dans les Bretons. On 
était convenu sous la reine Anne que, si la postérité de 
cette princesse venait à s'éteindre , le duché de Bretagne 
apparliendraitaux branches collatérales des anciens ducs. 
Ces conditions furent abolies sans qu^on entendît s^éle- 
ver aucune réclamation ; et cette province fut déclarée 
réunie définitivement à la couronne. 

Mais un événement bien plus important pour la 
politique de PEurope, dont le repos était lié plus que 
jamais avec la liberté ou l'asservissement des opinions 
religieuses , produisait en Angleterre de bien grands 
changements; les écrits et les sermons de Wiclef et de 
ses disciples avaient préparé depuis long-temps un grand 
nombre d'Anglais à recevoir les' opinions des protestants. 
La nation opprimée par la puissance pontificale, et dont 
le respect pour le chef de l'Église chrétienne avait été si 
fort altéré par la conduite de tant de papes, attendait 
avec impfitience que des circonstances favorables la dé- 
livrassent d'un joug qui lui était devenu insupportable; 
et il ne faut jamais perdre de vue que le succès des plus 
grands changements n'est dû. qu'à une révolution déjà 
faite dans les affections ou dans les esprits. Henri YIII 
connaissait les dispositions des peuples de son royaume , 
et aussi fatigué de la politique de Clément VU que 
poussé par une passion violente, il forme la résolution 
de se soustraire à la juridiction de Rome , et de se con- 
tenter, relativement à son divorce, de la décision de 
son parlement et de celle du clergé d'Angleterre. Il con- 
voque le clergé et le parlement ; le chancelier ouvre la 
session des chambres ; il déclare que le roi ne désire la 
dissolution de son mariage que pour dissiper les scru- 
pules de sa conscience , et afin d'empêcher qu'après sa 
mort la succession au trône ne pût être contestée ; il 
produit un grand nombre de traités écrits par les plus 



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'324 HISTOIRE DE L^EUROFE. 

habiles théologiens de l'Europe , des extraits de plusieurs 
auteurs anciens et modernes , et les décisions des univer- 
sités d'Angleterre, de France et dltalie. 

D'un autre côté, le roi communique ses desseins à 
l'assemblée des évêques , qui déclarent unanimement 
que le mariage de Henri YIII a été contraire à la loi de 
Dieu. Les prélats n'en sont pas moins accusés d'avoir 
violé les lois du royaume en reconnaissant Fautorité du 
cardinal Wolsey, convaincu d'avoir exercé les pouvoirs 
de légat en Angleterre, sans une permission particulière 
du roi, et d'avoir, en cette qualité, conféré des bénéfices 
contre les statuts. Ils allèguent en vain, pour leur justi- 
fication, que le roi avait consenti à voir le cardinal exer- 
cer le pouvoir de légat ; ils sont déclarés coupables de la 
désobéissance dont on les accuse; les objets qui leur 
appartiennent sont confisqués, à la grande satisfaction 
du peuple anglais, qui, suivant les historiens de la 
Grande-Bretagne, gémissait depuis trop long -temps 
sous la tyrannie ecclésiastique ; et voyant que la nation 
n'a plus d'égards ni pour leur autorité ni pour celle du 
pape, ils implorent la clémence du monarque, lui of- 
frent un présent de plus de 100,000 livres sterling, et 
après quelques délais et quelques oppositions, donnent 
au roi le titre de chef suprême de l'Église, autant que ce 
titre peut s'accorder avec la loi de Jésus-Christ. Henri 
VIII leur accorde une amnistie qu'il étend ensuite aux 
laïques^ mais dans laquelle il ne comprend les collèges et 
les monastères que lorsqu'ils ont payé au trésor royal 
une somme considérable. 

Le pape, voyant l'empereur mal disposé en sa faveur, 
les Turcs menacer l'Allemagne d'une invasion, la ré- 
formation envahir une grande partie de l'Europe, et la 
plus grande union subsister entre les rois de France 
et d'Angleterre, prend un parti bien différent de celui 
qu'animaient embrassé ses fougueux prédécesseurs, et 



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VINGT-DBXTXIÈME ÉPOQUE. l55o — 1689. 225 

attend en silence une occasion favorable de recouvrer 
son crédit. 

Henri VIII , cependant , désirait vivement que Cathe- 
rine consentît à leur séparation. II lui envoie plusieurs 
lords et plusieurs évêques pour Rengager à révoquer son 
appel* « Consentez, lui dirent-ils , à voir votre affaire 
y> d^idée par quatre ecclésiastiques et quatre séculiers. 
» — - Je demande à Dieu, répond-elle, d'apaiser les 
» troubles de la conscience du roi; mais je suis sa 
» femme légitime, et j'en conserverai les droits jusques 
» au moment où Rome aura prononcé le contraire. » 

Henri lui fait demander de choisir une maison pour sa 
résidence : « Dans quelque endroit qu'on me conduise, 
y> dit^elle, j'aurai I9 qualité de la femme de Henri. » 
Elle alla à Moore, ensuite à East-Hamstead, et enfin à 
Ampthill. 

Les éyêques, pour diminuer le fardeau qu'ils s'étaient 
imposé en accordant au roi plus de 100,000 livres 
sterling , veulent faire payer une partie de cette somme 
par le clergé inférieur. L'érêqué de Londres veut réu- 
nir quelques prêtres pour cet objet, dans la maison col- 
légiale de Saint-Paul; tous ceux de la capitale s'y ren- 
dent en tumulte , accompagnés d'un grand nombre de 
laïques. « Nous n'avons eu aucune part, disent-ils à 
» l'évèque, auxbienfaits du cardinal, nous n'avons pas 
» encouru les peines portées par le siatixt prœmunire ; 
» nos revenus ne sont que trop médiocres pour nous 
» faire subsister» Les évèques et les abbés qui possèdent 
» de riches bénéfices doivent être seuls punis : nous 
» n'avons fait aucune faute; nous ne devons pas acheter 
» de pardon. » 

Ils s'irritent de plus en plus, enfoncent les portes, com- 
mettent plusieurs autres violences. Les officiers de l'é- 
Têque les menacent d'un châtiment sévère ; le désordre 
s'accroît ; les domestiques de l'évèque sont très-maltraités. 
ToM. XII. i5 



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326 

Le prélat effraj^ëleur promet de ne demander aucune pour- 
suite contre leur insurrection, les bénit et les renvoie. 
Mais, au lieu de tenir sa parole, il porte plainte au chan- 
celier : on arrête quinze prêtres et cinq laïques. Henri VIII, 
alarmé d'un mouvement aussi violent que celui des prê- 
tres de Londres, croit devoir convaincre les Anglais que, 
a'il a secoué le joug du pape, il né veut pas qu'on soit 
rebelle aux lois de la religion; et cédant dans cette cir- 
constance., comme dans un si grand nombre d'autres, à 
la fougue de ses sentiments , il se jette dans cette barbare 
intolérance si puissante à cette époque, et si analogue à 
son caractère. Il ordonne qu'on exécute à la rigueur les 
lois contre les hérétiques ; et deux ecclésiastiques et un 
avocat périssent dans les flammes. 

Le parlement s'étant assemblé vers le commencement 
de l'année suivante, les communes supplièrent néanmoins 
le roi de consentir à la réfbrmation de plusieurs abus in- 
troduits dans les immunités du clergé. « Avant d'accorder 
» mon consentement à une proposition aussi importante, 
» répondit le monarque, je veux entendre ce que le clergé 
» pourra dire pour sa défense. » Le résultat des délibéra- 
tions fut un statut remarquable. « Depuis le règne du 
» dernier roi, lisait-on dans ce statut, on a envoyé à Rome 
» plus de 160,000 liv. pour les annates, premiers fruits , 
» palliums, et bulles d'évêcliés. Les annates, dans leur 
» origine étaient une contribution destinée à soutenir la 
» guerre contre les infidèles : n'étant plus employées pour 
» cet objet, elles ne seront plus payées. On ne donnera 
» pour les bulles des évêchés que cinq pour cent de leurs 
» revenus; si le pape refuse d'accorder ces bulles, le roi 
» présentera l'évêque élu au métropolitain de la province 
» ecclésiastique ; et si ce métropolitain refuse de le consa- 
» crer, sous le prétexte que le nouveau prélat n'aurait pas 
» reçu de Rome ses bulles ou son pallium , deux évèques 
» nommés par le monarque consacreront le nouvel élu 



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VINGT-DEUXIÈMB ÉPOQUE. l55o— -^iSSg. 22; 

» qui sera tenu comme légitimement consacré. Le Roi 
» aura 9 pendant un certain temps, le pouvoir de confir- 
» mer ou d'annuler le statut ; et si sa Ma j esté , pendant 
» ce temps, fait un arrangement avec le pape , et que, sous 
» le prétexte de cet arrangement, le pontife romain 
» veuille fatiguer le royaume par. des excommunications 
» ou des interdits, ces censures seront vaines ; il sera dé- 
» fendu aux ecclésiastiques de les publier, et il leur sera 
» ordonné de célébrer Foffice divin, comme si elles n^a- 
» vaient pas été lancées. » 

Henri VIII reçut une lettre du pape. « J'ai appris, lui 
» écrivait Clément VII, que votre Majesté s'est séparée 
» de la reine, et a pris pour sa femme une autre per- 
» sonne nommée Anne, au grand scandale des hommes 
» religieux , et au mépris du saint-siége apostolique de- 
» vaut lequel la cause est toujours pendante : j'exhorte 
» votre Majesté à faire revenir auprès d'elle la reine 
» Catherine, et à renvoyer Anne; c'est l'unique moyen 
» d'éviter de rompre avçc l'empereur, résolu de ne 
» pa3 souffrir que sa tante soit outragée, et de maintenir 
» entre les chrétiens l'union qui seule fait leur force 
» contre les infidèles. » 

Le docteur Bennet partit pour Rome en qualité d'am- 
bassadeur. Il présenta au pape les décisions des théolo- 
giens et des universités , et- une lettre dans laquelle Henri 
VIII lui disait qu'il ne se soustrairait à son autorité qu'atf- 
tant qu'il y serait forcé, mais qu'il priait Clément VII 
de se conformer à l'opinion de tant d'habiles docteurs, 
et de remplir son devoir en ne suivant que les mouve- 
ments de sa conscience. 

Clément VII fit sommer le roi de comparaître à Rome, 
soit en personne, soit par procureur, pour répondre 
sur l'appel de la reine. Edouard Kame fut envoyé au- 
près du pape en qualité à^excusateur de Henri VIII. 
Bonnei: l'accompagna. « Les principes du droit canon , 

i5. 



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2a8 HISTOIRE DE L'EUROPE. 

» et les prërogatîves de la couronne d'Angleterre, dirent- 
» ils, n'ont pas permis à Henri VIII de venir lui-même 
» auprès du pontife. » 

Les plus modères des cardinaux conseillaient au pape 
d'agir avec prudence , et de ne pas risquer de perdre l'o- 
bédience de l'Angleterre en voulant plaire à Charles- 
Quint. Clëment VII se plaignit du statut contraire aux 
annates. « Le roi, dirent les ambassadeurs anglais, est 
» autorisé à révoquer cet acte; il dépend de votre Sain- 
» teté de le faire annuler. » Rovîdelius, savant cano- 
niste de Bologne, fut chargé de plaider la cause du roi : 
les débats furent longs. La demande de Henri ne fut ni 
reje^tée ni admise. Le pape et les cardinaux lui écrivirent 
pour l'engager à envoyer de nouveau un procureur 
l'hiver suivant; et les membres du sacré collège, qu'on 
avait attirés dans le parti «du monarque, chargèrent 
Bonner de dire à Henri VIII que son affaire ne serait 
jugée que dans le consistoire des cardinaux, et que le roi 
ne devait pas craindre la décision de Clément VII, de- 
venu dévoué aux intérêts de la France. Ce pontife négo- 
ciait en effet avec François I®»", au sujet du mariage du 
duc d'Orléans, second fils du roi de France, avec Cathe- 
rine de Médicis, parente de Clément VII (i532). 

Un homme que ses ouvrages et particulièrement ses 
histoires de deux rois d'Angleterre , et son Utopie ou 
plan d'une république à l'imitation de celle de Platon, 
ont rendu célèbre , et que sa probité et sa vertu coura- 
geuse ont bien plus illustré, Thomas Morus occupait 
, alors la place de chancelier d'Angleterre : redoutant 
une rupture totale avec la cour de Rome, et méprisant 
la conduite d'Anne de Boulen, il rendit les sceaux du 
royaume à Henri VIII, qui les donna à sir Thomas Aud- 
ley. Anne fut nommée marquise de Pembroke, et ac- 
compagna Henri VIII , dans les entrevues que ce prince 
eut avec François l^^ à Boulogne et ensuite à Calais, et 



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viNGT-DRUXiÈtfE. EPOQUE» i53a— iSSg. 229 

où le roî d'Angleterre donna Perdre de la Jarretière au 
connétable Anne de Montmorenci, ainsi qu'à Pamirad 
Philippe de Chabot , et le roi de France^ celui de Saint- 
Michel aux ducs de Norfolk et de Suffolk. 

Hetiri VIII, étant revenu en Angleterre, y épousa se- 
crètement Anne de Boulen : le mariage fut bénit par 
Rowland Lée, nommé ensuite évèque de Coventry,*et 
en présence du fameux Granmer ou Grammer,. qui 
avait depuis peu succédé à Warham dans l'archevêché 
de Cantorbéry; le duc de SufFolk, celui de Norfolk, le 
père d'Anne, sa mère et ses frères assistèrent aussi à lisk 
cérémonie» 

• Le pape, cependant, avait proposé au roî de faire inr 
struire la cause du divorce dans un lieu, neutre par un 
légat et deux auditeurs de rote : il s'était réservé de pro- 
noncer le jugement, et il avait demandé une trêve de 
quatre ans, avant l'expiration de laquelle il convoque- 
rait un concile général. Sir Thomas EUiot porta la ré- 
ponse de Henri au pontife de Rome, (c Je ne puis, disait 
» Henri VIII , prendre de résolution relativement à la 
» paix sans le secours du roi de France; l'état actuel de 
» la religion en Allemagne n'est pas compatible avec un 
» concile œcuménique j je ne pourrais envoyer de pro- 
» cureur hors de mes états sans nuire aux prérogatives 
» de ma couronne et* agir contre les lois du royaume ; 
» mais votre Sainteté pourrait remettre la décision de 
» l'affaire du divorce au clergé d'Angleterre , et confir- 
» merait sa décision. » Clément VII, mécontent de la 
réponse du roi , ordonna au doyen de la rote d'envoyer 
à Henri VIII une nouvelle sommation pour qu'il eût à 
s'expliquer sur l'appel de la reine Catherine : Karne dé- 
clara que, si le pape ne révoquait pas l'ordre qu'il avait 
donné, le roi, qui ne pouvait attendre aucune justice à 
Rome, où dominaient les intérêts de Charles-Quint, ap- 
pellerait de la décision pontificale aux plus savants 



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23o • HISTOIRE DE L^EUROPE, 

théologiens et aux universités; que toutes les procédures 
étaient nulles, que son prince était un souverain indé- 
pendant, et que l'Église d'Angleterre était une église 
libre sur laquelle le pape n'avait aucune autorité. 

La nation anglaise était résolue de concourir vivement 
avec son monarque à toutes les mesures qui tendraient à ' 
détruire l'autorité papale en Angleterre : le parlement 
adopta, en conséquence, un statut qui défendait d'appeler 
à Rome sous peine d'encourir les châtiments prononcés 
par la loi prœntunire (i533). 

On réunit les prélats de la province ecclésiastique 
de Cantorbéry : ils déclarèrent que le pape n'avait pas 
eu le pouvoir d'accorder des dispenses contre la loi de 
Dieu, et que la consommation du mariage de Catherine 
avec Arthur avait été prouvée; les prélats de l'archevê- 
ché ou de la province d'Torck énoncèrent la même opi- 
nion; l'archevêque de Cantorbéry, avec la permission 
du monarque, fit sommer Catherine de comparaître à 
Dunstable : cette princesse refusa de s'y rendre ; Cran- 
mer déclara son mariage avec Henri nul, comme con- 
traire à la loi de Dieu; le monarque annonça l'unioit 
qu'il avait contractée avec Anne de Boulen, devenue 
enceinte-; le primat confirma * cette union; on signifia 
à Catherine les sentences de l'archevêque ; elle ne vou- 
lut pas s'y soumettre : mais le roi ordonna qu'elle n'au- 
rait plus d'autre titre que celui de princesse douairière 
de Galles, et fit notifier son divorce et son nouveau 
mariage à l'empereur et à plusieurs autres princes de 
l'Europe, 

Clément Vil irrité cassa les sentences de l'archevêque , 
et prononça que le roi serait excommunié s'il ne re- 
nonçait, avant la fin de septembre, à tout ce qu'il avait 
fait contre l'autorité du saint-siége; il eut néanmoins 
à Marseille une entrevue avec François I**; les intérêts 
de sa famille l'emportaient sur toute autre considéra- 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o— iSSg. 25 l 

tton ; il y termina Paffaire du mariage de sa parente 
Catherine de Mëdicîs avec le duc d'Orléans, à qui son 
père cëda tous les droits qu'il avait sur diverses pro- 
vinces d'Italie 9 et qui devait, par les soins du pontife 
suprême, avoir un état souverain composé des duchés 
de Milan et d'Urbin, ainsi que des villes et des territoi- 
res de Plaisance, Parme, Modène, Reggio, Pise et 
Livourne. 

Henri VIII, d'après les désirs de François P*^, avait 
envoyé h Marseille Etienne Gardiner , évêque de "Win- 
chester-, François^Bryan, sir Jean Wallop et Edouard 
Bonner; le roi de France pria le pape de satisfaire le 
roi d'Angleterre : mais Clément VII crut devoir , pour 
la dignité du saint*siége, exiger que la cause fût jugée 
dans un consistoire dont on exclurait les cardinaux de 
la faction de l'empereur. « Le roi d'Angleterre , dit 
» Bonner au pape, a appelé au futur concile de toutes 
» les sentences que votre Sainteté aurait rendues ou 
» pourrait rendre contre lui. » Clément VII prit l'avis 
des cardinaux, et, quelques jours après, dit à Bonner que 
l'appel de Henri VIII n'était pas recevable; Bonner fit 
notifier au pape l'acte par lequel l'archevêque de Can- 
torbéry avait appelé au concile le plus prochain de la 
sentence pontificale qui avait cassé son jugement : Clé- 
ment VII fut si irrité de cette notification qu'il le me- 
naça, suivant les historiens, de le faire jeter dans une 
chaudière de plomb fondu ; François I"' , paraissant par- 
tager l'indignation du souverain pontife , lui promît 
de l'aider à faire punir une démarche que le pape re- 
gardait comme un outrage ; mais Bonner s'échappa. 

Le roi de France, de retour déns sa <5apitale , envoya 
Jean du Bellay ^ évêquo de Paris, faire de nouvelles 
propositions au monarque atiglais : Henri VIII consen- 
tit à laisser prononcer sur son affaire des juges qui se 
réuniraient à Cambrai , et qu'on ne pourrait soupçor 



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232 HISTOIRE DE l'eUROPE. 

ner de partialité; Jean du Bellay, enchante de la pro- 
messe de Henri , s'eïnpressa de partir pour Rome, malgré 
la rigueur de l'hiver, les mauvaises routes et les autres 
obstacles qui rendaient encore les voyages si peu faciles ; 
le pape demanda que Henri VIII fît mettre par écrit et 
signât rengagement quMl venait de prendre; un cour- 
rier partit pour l'Angleterre, et le pape fixa le jour où 
le courrier devrait être revenu ; le jour indiqué s'écoular 
sans que le courrier fût de retour; Pévèque de Paris 
supplia le pape d'accorder un délai de six jours ; mais 
les ambassadeurs de Charles-Quint avaient fait de si 
grandes menaces que Clément VII effrayé tint un con- 
sistoire, déclara valide le mariage de Henri avec Cathe- 
rine, enjoignit à ce prince de reprendre sa femme sous 
peine d'encourir les censures ecclésiastique^^ et porta un 
coup bien funeste k la puissance pontificale ; sa précipi- 
tation fut d'autant plus impolitique que, deux jours après 
le consistoire, le courrier apporta à l'évèque de Paris 
ce que le pape avait demandé; plusieurs cardinaux fu- 
rent d'avis de révoquer la sentence; mais Charles-Quint 
avait vivement désiré un décret qui, en paraissant favo- 
riser la cause de sa tante ^ pouvait nuire et au monarque 
ailglais, qu'il n'aimait pas, et au pape dont il désirait 
de voir diminuer la puissance ; subs partisans empêché- 
rent Clément VII d'annuler sa décision, et l'Angleterre 
fut totalement séparée de Rome. 

Le parlement déclara nul le mariage de Henri avec 
Catherine, ordonna que la succession au .trône passerait 
aux descendants mâles ou femelles d^Anne, femme lé- 
gitime du roi , confirma le statut qui supprimait les 
annates, prononça que le pape n'aurait aucune part i 
la nomination on à la confirmation des évêques ; presn 
çrivit que, lors de la vacance d'un siège épiscôpal, le roi 
expédierait un congé d'élire, décida que si l'élection 
n'était pas faite doui^ jours apx-ès la date de cette per- 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — 1689. 255 

mission , le pouvoir de nommer serait dévolu au roi^ 
régla que Pévêque ëlu ferait serment d'obéissance au 
monarque , qui le recommanderait à Parchevêque pour 
la consécration, soumit Pélu ou Farchevêque qui refu- 
serait d'exécuter les ordres du souverain , à toutes les 
peines portées dans Pacte prœnumirey défendit de s'a- 
dresser à Pévêque de Rome pour des bulles, des pal- 
liums, ou toute autre affaire ecclésiastique, abolit le 
denier de saint Pierre, ainsi que les procurations, dé- 
légations, bulles et dispenses venant de la cour romaine^ 
donna à l'archevêque de Cantorbéry le pouvoir d'ac- 
corder toutes les dispenses qui ne seraient pas contraires 
à la loi de Dieu, sous la condition qu'une partie de l'ar- 
gent qui en proviendrait serait portée au trésor royal, 
et étendit la juridiction de cet archevêque ou primat dur 
toutes les maisons religieuses (i554). Les membres du 
parlement jurèrent ensuite de maintenir, la succession à 
la couronne, telle qu'ils venaient de la régler; et les 
chambres furent ajournées. 

Quelques membres du clergé, plusieurs moines et 
quelques autres mécontents avaient néanmoins voulu 
profiter de la faiblesse d'esprit d'une Elisabeth Barthon; 
ils avaient prétendu que, inspirée par le Saint-Esprit, 
elle prophétisait, le lui avaient presque persuadé à elle- 
même, l'avaient instruite à contrefaire des extases, à 
tenir, au milieu des convulsions qu'ils appelaient une 
sainte agitation , des discours qu'ils feignaient de regarder 
comme des oracles du ciel, lui dictaient des pèlerinages, 
et lui inspiraient les déclamations les plus violentes con- 
tre les nouvelles doctrines qu'elle nommait des hérésies 
abominables , et particulièrement contre le divorce du 
roi. Ces manœuvres parurent mériter l'attention du 
gouvernement; les chambres déclarèrent que ces intri- 
gues étaient une conspîratioii contre la vie du roi et con- 
tre la couronne. Elisabeth Barthon, que l'on connaissait 



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sSi HISTOIRE DE l'eUROFB. 

SOUS le nom de la Vierge de Kent, fut condamnée , ainsi 
que plusieurs de ses complices, comme coupable de 
haute trahison. Elle avoua son imposture , rejeta son dé- 
lit sur ceux qui avaient abusé de son ignorance, demanda 
pardon k Dieu et au roi, supplia les assistants de prier 
pour elle , ainsi que pour ceux qui devaient partager son 
supplice, et fut exécutée à Tybum. 

Fisher, évêque de Rochester, et quelques autres per- 
sonnes attachées aux intérêts de Catherine , avaient sou- 
tenu la malheureuse prophétesse avec beaucoup de zèle. 
Lorsque l'imposture de cette fille fut découverte, on pressa 
en vain Fisher de reconnaître sa faute et de demander au 
roi un pardon qui ne serait pas refusé à son âge et a ses 
infirmités. Il fut déclaré coupable de complicité avec 
Elisabeth Barthon, et condamné, comme plusieurs autres 
fauteurs de la Vierge de Kent, à perdre ses biens, qui 
seraient confisqués au profit du monarque , et à rester en 
prison tant qu'il plairait à Henri VIII. 

Le roi envoya des commissaires dans tout le royaume 
pour recevoir, conformément au bîU du parlement, le 
serment des ecclésiastiques; ils devaient jurer qu'ils se- 
raient fidèles au roi, à la reine Anne et à leurs héritiers ou 
successeurs; qu'ils ne reconnaissaient le pape que comme 
un autre évêque; qu'ils prêcheraient la pure doctrine de 
l'Écriture sainte , et qu'ils prieraient publiquement pour 
le roi, chef de l'Église anglicane, pour la reine Anne et 
pour l'archevêque de Cantorbéry. La plus grande partie 
des abbés , prieurs et autres moines se soumirent à ce 
serment; tous les évêques le prêtèrent excepté celui de 
Rochester. Thomas Morus ne voulut prêter que la partie 
du serment relative à la succession au trône. Cranmer 
demanda que sa proposition fut acceptée ; mais le carac- 
tère intolérant et tyrannîque de Henri l'émïporta. Tho- 
mas Morus et Fisher furent renfermés dans la Tour; on 
leur interdit l'usage du papier et des plumes, et Fisher, 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o— 1689. 235 

maigre sa yîeîUesse, n'avait pour se couvrir que de mau- 
vais haillons. 

Le parlement ayant été réuni de nouveau , non seule- 
ment confirma au roi le titre de chef suprême de l'^Église 
et lui accorda les annates, les premiers fruits et les dëcî- 
mes de tous les bénéfices, njais encore, cédant à la terrible 
influence d'un cruel et violent despotisme, exclut d'une 
amnistie générale, qu'il proclama, Fisher et Thomas Mo- 
rus , déclara coupables de haute trahison ceux qui di- 
raient, écriraient, et, ce qui est horriblement absurde, 
penseraient quelque chose au préjudice du roi et de la 
reine, et priva ces malheureux de tousles droits d'asile. 

Le roi ordonna, par une proclamation, que le nom du 
pape fut retranché de tous les livres et de tous les endroits 
où ce liom indiquait une autorité qu'il ne voulait plus 
voir reconnaître ; et tous les prélats renoncèrent à l'obéis- 
sance envers l'évêque de Rome. Mais l'indépendance du 
pouvoir du pape n'était pas le seul objet religieux des dé- 
sirs des Anglais j les principes de la réformation étaient 
répandus en Angleterre, malgré les poursuites qu'avaient 
éprouvées ceux qui les avaient adoptés. Les livres de 
Luther y étaient entre les mains d'un grand nombre de 
personnes; et la Bible fut traduite en anglais. L'évêque 
de Londres fit brûler cette Bible publiée en langue vul- 
gaire; et, par une barbarie sacrilège, on fit périr des ré- 
formés au milieu des flammes; mais ils souffrirent la 
mort avec courage. On les regarda comme des martyrs; 
leurs cendres furent honorées; elles inspirèrent cet en- 
thousiasme que la douceur et le temps peuvent seuls 
apaiser; et d'ailleurs Anne de Boulen, le secrétaire d'état 
Cromwell, et même l'archevêque Cranmer favorisaient 
les protestants. 

Ces disciples de Luther avaient cependant pour enne- 
mis le duc de Norfolk, Longland, évêque de Lincoln, 
et Gardîner, évêque de Winchester, qui avait néan 



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256 HISTOIRE DE L^EUROPB. 

moins défendu le divorce du roi, et publie à ce sujet s<^ 
livre De la véritable et de la fausse obéissance. Plu- 
sieurs ecclésiastiques 9 prêchant devant le monarque, 
mêlaient à leurs sermons des invectives contre les nou- 
velles doctrines; et quoique Henri VIII eût rejeté l'au- 
torité pontificale, il ne cessa* de soutenir avec zèle les 
dogmes catholiques qu'il avait défendus dans son livre 
contre Luther. 

Les dissensions religieuses avaient, à cette époque, des 
résultats d'autant plus importants qu'elles étaient plus 
que jamais mêlées avec la politique. La fameuse ligue de 
Souabe avait , pendant plus de quarante ans, rendu les 
plus grands services à l'empereur. Mais un grand nom- 
bre de ses membres avaient embrassé la religion protes- 
tante. Charles-Quint craignit, dit-on, de ne plus. trouver 
dans cette confédération le même zèle pour ses intérêts. 
La ligue fut dissoute peu de temps après; et l'on accusa 
Charles-Quint d'avoir été l'auteur principal , quoique se- 
cret, de cette révolution; mais cette ligue de .Souabe 
avait chassé de ses états le duc Ulrîc de Wurtemberg , et 
avait rendu vaines toutes les tentatives que ce prince avait 
faites pour i^ecouvrer ses possessions. Lorsque cette associa- 
tion eut cessé d'exister, le duc Ulric, réuni au landgrave 
de Hesse, fit un traité avec François I*"^, qui leur fournit 
les sommes nécessaires pour lever une armée de vingt- 
cinq mille hommes. Ces princes entrèrent dans le Wur- 
temberg, défirent les troupes autrichiennes à la bataille 
de Laufifen, auprès de Heilbronn, et s'emparèrent de tout 
le duché (i 534). 

La chambre impériale avait recommencé ses pour- 
suites contre les protestants, sous le prétexte que la 
transaction de Nuremberg #ne concernait que l'exercice 
delà religion luthérienne^ et n'autorisait pas la posses- 
sion des biens ecclésiastiques dont les protestants s'étaient 
emparés; mais les anabaptistes, chassés des Pays-Bas et 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o — 1689. 267 

même de la Saxe^ se rassemblent en Westphalie, sar* 
prennent la ville de Munster, fondent un état souverain 
à la tête duquel ils placent Jean Bocold, tailleur de 
Leyde , et , bloques par Pevêque de Munster et par 
ses alliés, refusent de se rendre et se dévouent à toutes 
les horreurs de la famine. 

Clément VII fait proposer aux princes protestants 
de convoquer un concile général à Bologne ou à Man- 
toue ou à Plaisance, à condition qu'ils se soumettent aux 
décrets de cette assemblée. « Nous ne reconnaîtrons 
» pas de concile , répondent les princes , à moins qu'il 
» ne soit libre, indépendant du pape , et que nous n'y 
» soyons entendus comme parties principales , et non 
» comme accusés. » / 

La division s'accroît entre le roi des Romains et l'élec- 
teur de Saxe, le chef de la ligue des états protestants. 
La guerre civile menace la Germanie ; l'électeur de 
Mayence et George , duc de Saxe, se présentent comme 
médiateurs. Une nouvelle convention est conclue à 
Cadan en Bohème (i534). L'électeur de Saxe et ses 
alliés reconnaissent Ferdinand d'Autriche comme roi 
des Romains; mais , à l'avenir, aucun roi des Romains 
ne pourra être élu du vivant de l'empereur que lors- 
que tous les électeurs réunis collégialement seront con- 
venus de la nécessité de cette élection. Il est défendu 
à la chambre impériale de se saisir des causes qui con- 
cerneraient la religion directement ou indirectement. 
Tous les arrêts qu'elle peut avoir rendus à cet égard 
sont annulés. Le duc Ulric gardera le duché de Wur- 
temberg , et le possédera , ainsi que ses descendants 
m&les, comme un arrière-fief d'empire relevant de la 
maison d'Autriche , qui pourra réunir ce duché à ses 
domaines à l'extinction de la postérité mâle du duc 
Ulric , de son fils Christophe et de son frère le duc 
George. 



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I 



238 

Vers Fépoque où l^on sîgna cette conyention si favo- 
rable aux protestants , dout la politique de Clément VII , 
si peu prévoyante, si peu élevée et si dévouée aux 
intérêts de sa famille, ne cessait d'augmenter le nombre 
et l'influence , ce pontife de Rome termina sa vie agi- 
tée et nialheureuse. Il avait confirmé deux ordres reli- 
gieux, celui des Capucins, établi par Mathieu Boscbi , 
et celui des Barnabitiss , fondé par trois nobles milanais; 
il avait été bien aise d'augmenter ces milices spirituelles 
qui, mêlées dans tous les rangs de )a société et entière- 
ment dépendantes de la cour de Rome , répandirent 
dans un si grand nombre de contrées les principes, les 
maximes et l'esprit du gouvernement pontifical; et, 
d'un autre côté, fidèle aux goûts et aux habitudes de 
sa famille , il avait aimé les lettres et augmenté la 
bibliothèque du Vatican, d'un grand nombre de volu- 
mes précieux. 

Les cardinaux lui donnèrent à l'unanimité pour suc- 
cesseur Alexandre Farnèse , évêque d'Ostie et doyen 
du sacré collège : il prit le titre de Paul III; et la poli- 
tique romaine parut un peu changer ( i534 )• Le nou- 
veau pape fut convaincu de la nécessité de convoquer un 
concile général pour arrêter les succès toujours crois- 
sants des ennemis de l'autorité pontificale. Les résultats 
de ce concile, si important pour Paul III , n'étaient pas 
les seuls auxquels Charles-Quint dût prendre un très- 
grand intérêt : le fameux Cortez continuait d'agrandir 
en Amérique ce vaste et si riche empire du Mexique 
qu'il avait conquis pour Charles-Quint ( i554 ). On 
avait reconnu par ses ordres les cotes mexicaines qu'ar- 
rose le grand Océan , cette mer immense , si long- 
temps nommée Mer Pacifique , et sur lesquelles la 
ville d'Acapulco , port occidental du Mexique, devait 
voir arriver ou partir tant de vaisseaux du Pérou, du 
Chili , des Philippines , de la Chine , des Indes , de 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — 1689. ^Sg 

l^A.frique et de PEurope, chargés d'une si grande quan- 
tité dHndiennes^ de soieries, d'ëpîceries, de pierreries 
et de perles. 

Un autre évënement, bien heureux pour Pempereur, 
lui inspira la pensée de paraître enfin à la tète de ses 
troupes. 

Muley-ITascen , roi de Tunis et d'Alger , avait été 
dëtrôné par le fameux pirate Barberousse :' il s'était 
réfugié en Espagne auprès de l'empereur. Charles-Quint 
lui avait promis de le rétablir sur son trône: il veut 
tenir une promesse dont les conséquences peuvent lui 
être si avantageuses; il rassemble une flotte de quatre 
cents voiles, arrive sur les côtes d'Afrique , enlève aux 
ennemis quatre-vingt-dix vaisseaux ou galères et trois 
cents pièces de canon, remporte sur terre une seconde 
victoire, écrase ou disperse cent mille combattants , 
prend Tunis par escalade , détruit l'ancienne Hippone , 
rend le trône à Muley-Hascen , lui impose un tribut , 
garde plusieurs villes maritimes, part pour Naples , 
y est reçu en triomphe à la tète de vingt mille chrétiens 
qu'il a rendus à la liberté , et prend pour sa devise les 
deux colonnes d'Hercule avec le mot ultra. 

Pendant cette expédition, les nouvelles opinions reli- 
gieuses faisaient de grands progrès en France : on ne cessait 
d'y publier des livres dans lesquels on combattait les dog- 
mes de l'Église romaine; on employait, contre plusieurs 
pratiques qu'elle recommande, le ridicule, cette arme si 
dangereuse parmi les Français; on attaquait l'autorité du 
pape et les richesses du clergé ; on accablait les moines de 
plaisanteries dont l'eflfet était d'autant plus général qu'elles 
étaient grossières. Les femmes embrassaient les nouvelles 
doctrines avec ardeur ; la spirituelle Marguerite, sœur du 
roi, veuve du duc d'Alençon et reine de Navarre, leur 
donnait l'exemple : elle conférait dans son royaume les 
bénéfices, les dignités ecclésiastiques et les places dans les 



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24o HISTOIRE DE JL^EU&OPE* 

collèges à ceux qui lui paraissaient les plus dbposés & ^r- 
tager ses sentiments. Plusieurs cërëmonies de PÉglise 
romaine furent abolies dans ses états. Jean Calvin, né à 
Noyon, qui avait étudié avec succès à Paris, ji Orléans, à 
Bourges, et dont les idées religieuses étaient encore plus 
éloignées des opinions de PÉglise romaine que celles de 
Luther, était vivement protégé parla reine Marguerite. 
Lorsque ce réformateur se crut obligé de sortir de France 
et de se retirer à Bàle, ce fut Marguerite de France qui 
engagea son frère François P' à ne pas refuser la dédicace 
du fameux livre publié par le célèbre novateur, et inti- 
tulé Institutions. 

Et cependant de nouveaux actes de cette intolérance, 
qui devait couvrir de sang et de cendres un si grand nom- 
bre de contrées européennes, allaient souiller la capitale 
de la France, les provinces de ce royaume et leur monar- 
que égaré par un affreux fanatisme. Non seulement Fran- 
çois I**' confirme les lois barbares existantes contre les 
hérétiques, bannit de sa présence les courtisans attachés 
aux nouvelles doctrines, assiste avec ses trois enfants à une 
procession solennelle, exhorte les assistants à persévérer 
dans la foi catholique, les engage à prendre garde que la 
peste de Phérésie ne corrompe leurs familles, leur ordonne 
de dénoncer aux magistrats ceux qui en seraient infestés^ 
mais encore six malheureux protestants sont brûlés à petit 
feu ; et des bûchers ou des potences s^élèvent dans toute 
la France , suivant les historiens , contre les nova- 
teurs. 

'(( Comment pourriez-vous avoir confiance dans Tassis- 
» tance de François !•'? s'empresse de faire dire Padroit 
» Charles-Quintaux confédérés de Schmalkalden. Voyez 
» comme il persécute cruellement vos frères. » Fran- 
çois P' ne néglige rien pour rassurer ces confédérés dont 
l'alliance lui est si nécessaire. Mais combien doivent gémir 
les amis de la justice et de Phumanité, en lisant la réponse 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o — iSSg. 24l 

du monarque français , et en voyant combien la différence 
des opinions pouvait faire regarder ceux qui suivaient leur 
conscience comme innocents ou coupables ! « Les héréti- 
» ques que Ton punit en France, dit François P' aux con- 
» fédères, sont aussi éloignés de votre créance que de la 
» romaine ^ puisqu'ils s'efforcent de renverser les autels , 
» de chasser Jésus-Christ de nos temples et de démolir 
» tout-à-fait PÉglise au lieu d'en réparer les ruines. » 

Le roi de France, néanmoins, reçoit favorablement un 
ambassadeur du grand-sultan Soliman, qui était venu lui 
offrir Palliance de cet empereur des Turcs. Des libelles 
sont bientôt répandus dans toute 1^ Allemagne, et accusent 
François I*' de Ji'avoîr qu'une religion hypocrite , puis- 
qu'il n'hésite pas de devenir Pami du plus grand ennemi 
de la chrétienté. Charles-Quint voulait , par tous les 
moyens possibles , diminuer les forces de François I*"^, 
qui se préparait à porter de nouveau la guerre en Italie. 

François Sforce, duc de Milan, avait appris que ses 
liaisons secrètes avec la France avaient été découvertes et 
dénoncées à l'empereur. Effrayé de la vengeance qu'il 
redoutait, il avait cherché à se justifier par un crime. 
Merveille, agent de François I^', est accusé d'un meurtre, 
et perd la tête sur un échafaud par ordre du duc de Mj- 
lan. Le roi veut punir cet outrage ; il demande à son 
oncle Charles III , duc de Savoie , de traverser ses états 
pour entrer en Lombardie. Charles III avait épousé 
Béatrixde Portugal, belle-sœur de Charles-Quint. Cette 
princesse, entièrement dévouée à l'empereur, détache son 
mari des intérêts de la France. Elle lui persuade de re- 
fuser à François I«' le passage réclamé par ce prince. Le 
roi de France , offensé du refus de sou oncle , s'empare 
de la Savoie et de tout le Piémont. Les Genevois, encou- 
ragés par les succès des armes françaises , achèvent d'a- 
bolir dans leur ville l'exercice de la religion catholique, 
renversent les croix, brisent les images, chassent les 
ToM. XII. 16 



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242 

prêtres et les religieux, s'ërigent en république; et les 
Bernois se rendent maib^es du pays de Vaud et de Pévêché 
de Lausanne. 

Le duc de Milan cesse de vivre , la dynastie des Sforce 
est éteinte. François I*" reprend sur le Milanais les droits 
auxquels il n'avait renoncé, par le traité de Cambrai, 
qu'en faveur d'un prince qui n'existe plus et qui n'a pas 
laissé d'enfants. 

Cbarles-Quint avait fait prendre possession du duché 
devenu vacant, comme d'un fief dévolu à sa directe ou 
sa suzeraineté. François I**^ aurait pu aisément chasser les 
faibles garnisons impériales qui occupaient les princi- 
pales forteresses du Milanais; mais, fidèle aux règles 
féodales , il préfère de demander à l'empereur l'investi- 
ture du duché. Charles-Quint fait des promesses vaines; 
il s^engage à conférer le Milanais au second ou au troi- 
sième fils de France; mais il demande que le roi l'aide à 
détruire le luthéranisme en Allemagne, et la puissance 
ottomane en Hongrie ; et, pendant une négociation qu'il 
prolonge et qui trompe François !•% il rassemble une 
armée formidable. 

Il va k Rome lorsque ses forces sont réunies. On l'y 
reçoit avec magnificence; il se montre au milieu d'un 
consistoire général, et prononce un étrange discours. » 
« Vous connaissez, dit-il, tous les efibrts que j'ai faits en 
y> faveur de la religion catholique ; je n'ai trouvé que 
» des obstacles de la part du roi de France. Quel besoin 
» ai -je de rappeler les tentatives de ce monarque pour | 
» soulever les princes d'Allemagne , les secours qu'il a I 
» donnés aux protestants rebelles, les encouragements 
» par lesquels il a invité l'empereur des Turcs à atla- 
» quer la Hongrie, et ravager les pays chrétiens, les 
» écrits qu'il a fait répandre dans toute la Germanie 
» pour exciter la haine des peuples contre leur chef, 
» et me faire regarder comme l'auteur de toutes les 



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YINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — iSSg. 243 

» guerres, pendant que je n^ai ce^sé de faire les plus 
» grands sacrifices au maintien ou au rétablissement 
» de la paix? Dans ce moment encore il pçut éviter la 
» guerre; qu'il retire son armée du Piémont, et j'in- 
» vestirai du duché de Milan le duc d'Angôulême son 
» troisième fils : si cet arrangement ne lui convient 
» pas, qu'il consente à épargner le sang chrétien. Je 
» lui ofire le combat corps à corps, k pied ou à cheval,. 
» sur la terre ou sur Peau, à Tépée ou au poignard ; 
» qu'il l'accepte, ou je lui ferai une guerre à outrance, 
» et je ne poserai les armes que lorsque je l'aurai rendu 
» le plus pauvre gentilhomme du monde. Qui pour- 
» l'ait en effet résister à ma puissance? qui pourrait 
» s'opposer à mes nombreuses armées? seraient-ce les 
» généraux et les soldats français? ils sont si peu à 
» craindre que, si les miens leur ressemblaient, j'irais 
» les mains liées et la corde au cou implorer la miséri- 
» corde de mon ennemi. Réunissez-vous donc à moi, 
» très-saint Père , vous et le sacré collège et tous les 
» princes chrétiens dont les ambassadeurs sont ici pré* 
» sents, et combattons l'allié des infidèles et le pertur- 
» bateur de la chrétienté. » 

Paul III, extrêmement étonné du discours de Charles- 
Quint, fait des vœux pour la paix, et ne s'engage qu'à 
la neutralité. 

« Il faut que l'empereur s'explique , dirent en sortant 
» du consistoire les ministres de France à ceux de 
» Charles-Quint. Il a parlé d'un combat corps à corps ; 
» a-t-il prétendu défier le roi? — Bien des choses ont 
» pu échapper à notre souverain dans la chaleur de son 
» discours , répondirent les ministres impériaux ; ne 
» pensez qu'à l'intention où il est de donner l'investi- 
ture du Milanais à l'un des fils de France. » 
L'empereur convoqua une seconde assemblée. « Mon 
discours , dit-il , a été bien mal entendu et plus mal 

16. 



» 



» 



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244 HISTOIRE DE l'eUROPE. 

» interprété. Je n'ai pas eu l'intention de défier le roi. 
» Je me garderai bien de me hasarder contre un prince 
» dont je connais la valeur, s'il ne survient pas un plus 
» grand motif de combat. » 

Charles-Quint allait sortir de l'assemblée ; un des 
ambassadeurs de France s'avance vers lui, l'arrête et lui 
dit : «( Sauvez-moi, sire, de la disgrâce de mon souverain; 
» je lui ai porté de votre part des paroles qui restent 
» sans exécution. Est-ce votre faute ? est-ce la mienne ? 
» Il m'accusera de précipitation ou d'infidélité; feut-il 
» qu'un ministre exact et zélé soit victime des jeux de 
» votre politique? Je demande à votre sacrée Majesté 
» qu'elle déclare devant sa Sainteté s'il n'est pas vrai 
» qu'elle m'ait promis le Milanais pour le duc d'Or- 
» léans. — J'ai fait cette promesse, répondit l'empereur, 
» mais sous des conditions qui n'ont pas été remplies. 
» — On peut les remplir. — Cela est impossible. — 
» Pourquoi donc votre Majesté les a-t-elle prescrites ? » 
Charles- Quint ajoute une réponse vague, salue le pape, 
et, peu de jours après, va joindre son armée. 

Elle est composée de cinquante mille fantassins et de 
trente mille hommes de cavalerie; Antoine de Lève , 
Femand de Gonzague , le marquis du Guast et le duc 
d'Albe la commandent. Charles-Quint va entrer dans la 
Provence; elle avait fait partie du second royaume de 
Bourgogne; ce royaume avait appartenu aux empereurs 
romains. La seconde Jeanne d'Anjou, reine de Naples 
et comtesse de Provence , avait d'ailleura adopté Adol- 
phe, roid'Arragon, dont Charles-Quint descendait par 
sa mère; l'empereur ne cessait de dire que cette Provence 
lui appartenait, annonçait l'invasion qu'il allait faire 
dans cette province, paraissait ne pas douter du succès 
de ses armes, et se plaisait à faire connaître de quelle 
manière il avait décidé d'user de sa conquête. Le pape, 
qui redoutait l'accroissement de la puissance de l'empe- 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o — iSSg. 245 

reur, ou' le reasentiment de François I*", essaya en vain, 
par Pintermédiaire du cardinal TriVulce, de suspendre 
la guerre et de faire adopter un arrangement entre la 
France et Charles-Quip^t; Fempereur promettait la vic- 
toire à ses soldats , les harangua en plein champ , et leur 
montra les dépouilles de la France comme un hutin 
assuré. 

Pendant qu'il entrerait lui-même dans le midi de la 
France à la tète^ de sa grande armée , les Flamands de- 
vaient s'araucer dans la PicM'die et menacer Paris. Le 
roi réunit une légion de six mille hommes et trois cents 
gendarmes, en donna le commandement au duc de 
Vendôme, lui recommanda d'éviter un engagement dé- 
cisif, et voulut aller lui-même s'opposer à Charles-Quint : 
il résolut de laisser pénétrer l'ennemi dans le royaume, 
et de ruiner ensuite ses troupes par des combats partiels 
et le défaut de vivres ; il plaça Anne de Montmorenci 
vers Avignon , derrière la Durance, à la tête du gros de 
l'armée , et occupa Valence avec un corps de réserve que 
commandait le comte de Saiht-Pol. Une mesure terrible 
fut alors ordonnée : l'humanité la condamne avec hor- 
reur lorsqu'elle n'est pas indispensable pour la défense 
de son pays; l'héroïsme se l'impose, et la postérité 
l'admire en frémissant, lorsqu'elle peut seule garantir 
la patrie de l'oppression des armes étrangères. 

Des détachements français dévastèrent la Provence. 
On renferma dans les villes capables de quelque résis« 
tance les meubles, lés blés, les vins, les provisions de 
toute espèce; on conduisit dans le fond de bois écartés, 
épais et presque impénétrables, les bestiaux qu'on ne 
put mettre en sûreté : les moulins furent détruits; les 
puits furent bouchés. Mais ce qui a excité une généreuse 
indignation , ce sont les cruautés inutiles qui furent 
commises par des capitaines barbares, et là bassesse avec 
laquelle quelques-uns de ces capitaines se déshonorèrent 



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246 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

en faisant, racheter par les malheureux habitants les 
effets qu'ils leur laissaient. 

Cependant, maigre les efforts de Vendôme , les Fla- 
mands et les Brabançons se répapdaient dans la Picardie* 
Un capitaine brave, mais imprudent, ayant obtenu de 
Montmorenci la permission d'attaquer un parti ennemi, 
avait été battu et fait prisonnier. François I*' attendait 
le dauphin ; ce jeune prince était peu éloigné : une ma- 
ladie dont on ignorait la nature le retenait encore. Le 
cardinal de Lorraine devait venir avec lui : le prélat 
arrive seul auprès du roi ; le monarque Pinterroge } le 
cardinal ne répond que par des larmes. « Mon fils est 
» mort, » s'écrie le roi au désespoir ; et le malheureux 
père est près d'expirer de douleur. <c Le dauphin a été 
» empoisonné , » disent des Français désolés. On accuse 
Catherine de Médicis , qui cependant n'avait que dix-sept 
ans, d'avoir voulu assurer le trône à son mari le duc 
d'Orléans; on accuse l'empereur d'avoir voulu se dis- 
penser de donner le Milanais à ce duc d'Orléans , devenu 
dauphin de France; on arrête un sujet de Charles-Quint, 
le comte Sébastien de MontécucuUi ; on le juge à Lyon 
en présence de plusieurs princes du sang , des ambassa- 
deurs étrangers et de tous les prélats qui se trouvent 
dans cette ville; on lui fait subir une horrible torture : 
c'est au milieu de cette affreuse souffrance, que la bar- 
barie seule peut infliger , et qui a tant de fois fait con- 
damner l'innocence, que MontécucuUi avoue qu'il a 
mis de l'arsenic dans un vase plein d'eau, que le dau- 
phin l'a bu; qu'il devait attenter de même à la vie du 
roi et de ses autres fils; qu'Antoine de Lève et Ferdinand 
de Gonzague l'ont porté à ce crime , et que des ques- 
tions de l'empereur lui avaient fait croire que ce mon- 
arque partageait les intentions de ses généraux. Cet 
étranger s'occupait, dit-on, de médecine : on trouve 
dans ses papiers un mémoire sur les poisons ; on le 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o — 1689. H^n 

condamne au supplice d'être tire à quatre chevaux; et 
cependant il était bien constaté que le dauphin avait, 
dans la ville de Tournon , joué long-temps à la paume ; 
qu'excédé de chaleur et mourant de soif, il avait bu un 
verre d'eau très-fraîche , et qu'il avait été saisi par une 
violente pleurésie. Combien les juges de MontécucuUi 
auraient été malheureux, s'ils eussent réfléchi à tous les 
faux aveux que pouvait arracher une totture supérieure 
à toutes les forces humaines ! 

François I"' fait venir auprès de lui son fils le nouveau 
dauphin. Il l'embrasse; il pleure; il déplore la perte 
qu'il a faite ; il l'exhorte, en gémissant, à imiter les ver- 
tus de son frère : les assistants fondent en larmes; Henri 
est profondément ému ; François est abîmé dans sa 
douleur. 

Le bruit se répand cependant que Charles-Quint s'a- 
vance pour attaquer le roi de France. François P' veut 
remplir tous ses devoirs de roi : il se. rend avec Henri au 
camp de la Durance. 

Mais il s'en fallait de beaucoup que l'empereur voulût 
hasarder une bataille : il ne songeait qu'à un départ de- 
venu nécessaire ; il avait en vain commencé le siège de 
Marseille. La farine manquait à ses troupes; un grand con- 
voi parti de Toulon avait été pris par les Français ; l'ar- 
gent était aussi rare que les vivres. André Doria apporta 
quelques subsistances à l'empereur ; mais combien elles 
étaient peu proportionnées aux besoins ! Charles-Quint vit 
qu'il lui était impossible d'espérer le plus léger succès : 
il ne pensa plus qu'à une prompte retraite. Son artille- 
rie et ses gros bagages furent embarqués sur les galères 
de Doria, et il se hâta de prendre par terre le chemin 
d'Italie. 

La marche de son armée ressembla bientôt à une 
fuite ; les soldats, tourmentés par la faim et par les ma-» 
ladies que produit la disette, jetaient leurs armes pour 



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2^8 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

pouvoir fSchapper plus vite aux maux de la famine. 
Les paysans, embusques dans les montagnes, ramassaient 
ces at*mes des Impériaux , et s'en serraient pour ven- 
ger sur des étrangers qu'ils avaient en horreur la déso- 
lation de leurs campagnes et la destruction de leurs chau- 
mières. 

L'empereur suivait tristement le bord de la mer , con- 
duisant au milieu des alarmes les débris d'une armée 
que les fatigues , les maladies et la faim ne cessaient de 
diminuer. Il arriva à Gènes , s'embarqua sur les galères 
de Doria avec les soldab qu'il put réunir , et se dirigea 
vers l'Espagne. Le malheur le poursuivait : une tempête 
furieuse battit sa flotte , et la mer engloutit six de ses galè- 
res qui portaient ses équipages. Voulant cacher sa honte, 
il écrivit à plusieurs princes d'Allemagne, et même au roi 
d'Angleterre, que son départ de Provence n'était qu'un 
stratagème ; mais les cadavres des Impériaux, abandonnés 
sur la route qu'il venait de faire suivre, auraient seuls 
prouvé les désastres de son armée. 

Le roi avait voulu poursuivre en personne cette armée 
fuyant, pour ainsi dire , avec tant de précipitation ; mais 
Anne de Montmorenci lui représenta combien il était 
inutile de chercher à se défaire d'une armée qui se dé- 
truisait elle-même , et François P' crut d'ailleurs devoir 
envoyer au duc de Vendôme dix mille hommes de pied 
et un corps de cavalerie. Les Impériaux , en entrant en 
Picardie, avaient pillé les hameaux, les villages, les 
bourgs , et les avaient ensuite livrés aux flammes. Bray 
sur la Somme avait éprouvé le même sort. La dévasta- 
tion et l'incendie menaçaient aussi Saint-Riquier ; mais 
les habitants de celte ville, encouragés parleurs femmes 
qu'un noble désespoir venait d'armer , s'étaient défendus 
avec la plus grande valeur et avaient sauvé leurs familles 
et leur cité. 

On s'afflige lorsqu'on voit que les incendiaires étaient 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE* l55o — 1689. a^g 

commandes par un comte de Nassau et par Adrien de 
Croy , comte de Rœux, et grand-maître de la maison de 
l^empereur. 

Le duc de Vendôme osa tenir la campagne contre ceé 
dévastateurs, malgré le petit nombre de ses troupes. Il 
obligea ceux des ennemis qui avaient traversé la Somme 
à repasser ce fleuve; il s'avança même au-delà de cette 
Somme, dont la rive droite présentait tant de ruines, 
pénétra jusques aux frontières des Pays-Bas, et, l'esprit 
du siècle voilant d'une manière terrible les droits sacrés 
de Phumanité, crut devoir traiter ces frontières impé- 
riales comme Nassau avait traité la Picardie. 

Les forces réunies de Nassau et de Rœux le contraigni- 
rent néanmoins à revenir sur la rive gauche de la Somme. 
Il vit avec douleur combien ses soldats, malgré tout leur 
courage etleur dévouement, étaient peu en état de défendre 
une grande partie delà Picardie; il ordonna en conséquence 
aux habitants des villes qui ne pouvaient pas soutenir un 
siège de les évacuer, et d'emporter avec eux les métaux 
précieux , les vivres et les fourrages. Une sorte de terreur 
panique porta un si grand désordre dans l'évacuation de 
la ville de Guise, dont les habitants devaient se réfugier 
dans le château, une des meilleures places de la pro- 
vince , que le comte de Nassau les surprit au milieu du 
trouble et de la confusion , en massacra un grand nom- 
bre, s'empara de la ville , somma la garnison du château 
de se rendre, et la vit , au lieu de combattre, se sauver 
par les créneaux et les fossés. Les gentilshommes de cette 
garnison, qui ne surent ni défendre leur patrie ni mou- 
rir pour elle, furent dégradés de noblesse, et traînèrent 
leurs jours dans l'opprobre. 

La prise du château de Guise répandit la consternation 
dans la Picardie, la Champagne et l'Ile-de-France; mais 
Vendôme, dont aucun désastre ne pouvait abattre le cou- 



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25o HISTOIRE DE l'eUROPE» 

rage, ne cessa de harceler l'ennemi et de se préparer k lu 
défense des places qui pourraient être attaquées. 

Les Impériaux s'approchent de Saînt-Quentîn ; Ven- 
dôme ordonne au maréchal de Fleurauges de se jeter 
dans cette ville avec sa compagnie de cent hommes d'ar- 
mes. Nassau qui, en s'avançant vers Saint-Quentin, n'a- 
vait voulu que dérober aux Finançais son véritable projet, 
commande une marche forcée pour investir Péronne. 
Vendôme dit au capitaine Sercus d'entrer dans Péronne 
avec faille hommes de la légion de Picardie} Sercus part 
au milieu de la nuit, marche en silence guidé par les 
flammes des villages et des châteaux qu'incendie l'en- 
nemi , s'avance enveloppé par les nuages de fumée qui 
se répandent au loin dans la campagne , échappe aux re- 
gards des Impériaux, et arrive heureusement dans Pé- 
ronne. Le maréchal de Fleuranges, averti du danger de 
cette ville, s'empresse de se réunir à Sercus avec sa com- 
pagnie, et, protégé parla fumée épaisse qui rend la nuit 
des plus obscures, pénètre avec le même bonheur que 
ce capitaine dans la place dont les Impériaux désirent 
vivement de s'emparer. 

Les vivres allaient manquer dans Péronne, et malgré 
l'arrivée de Sercus et du maréchal , les habitants efiFrayés 
voulaient abandonner des murs qu'ils ne croyaient pas 
pouvoir défendre contre une armée redoutable. Le ma- 
gnanime d'Estourmel était dans ses terres, auprès de la 
ville menacée; il s'y rend avec sa femme, ses enfants, 
ses grains, son argent et les sommes qu'il a eu le temps 
d'emprunter de ses voisins, rassemble les habitants sur 
la place publique : « Suivez, leur dit-il, l'exemple de 
» vos intrépides ancêtres; Péronne est surnommée la 
» Pucelle, elle n'a jamais été prise; vous ne voudrez pas 
» lui ôler un titre si glorieux. Acceptez tout ce que je 
^ possède ; laissez-moi partager et vos travaux et votre 
» gloire. Et comment ces travaux pourraient-ils être 



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VINGT-DEUXIÈMB ÉPOQUE. l53o — 1689. 25l 

» longs? Vendôme ne va-t-il pas voler à notre secours? » 
Les habitants électrisës jurent entre ses mains de vaincre 
ou de mourir. 

Ils ont bientôt avec eux le comte de Dammartin, le 
baron de Saisseval, le commandeur d'Humîères, Bou- 
lainvilliers , Moyencourt, Du Coudrai, et le capitaine 
Damiette; ils n'oublieront pas que leur ville est regardée 
comme la clef du royaume; et néanmoins, celte clef du 
royaume, ce rempart de la capitale n'était défendu que 
par un mur, un fossé, quelques tours, un vieux châ- 
teau et les marais qui l'environnaient. 

Soixante-douze pièces de canon devaient battre ces 
faibles fortifications ; mais le maréchal de Fleuranges 
cherchait depuis long-temps une occasion de montrer 
ses talents et sa constance ; il était résolu de repousser les 
Impériaux ou de s'enterrer sous les ruines de Péronne. 

Nassau assiège un château fort très-voisin de la ville. 
Fleuranges faisait brûler un faubourg de Péronne qui 
pouvait nuire à la défense de la place ; Nassau fait dire 
aux défenseurs du château fort qu'il a pris Péronne, 
que par ses ordres ses troupes incendient la ville, et 
qu'ils seront tous passés au fil de l'épée s'ils ne se ren- 
dent à discrétion. La garnison épouvantée ouvre les por- 
tes du château fort; mais Nassau, cruellement barbare^ 
en fait pendre une partie. 

Un meunier de Péronne, né sujet de l'empereur, par- 
vient à sortir de la ville, pénètre jusques à la tente de 
Nassau , et lui indique les moyens de dessécher promp- 
tement les marais qui font la force de la place. Les avis 
de cet infâme transfuge ne sont que trop suivis; des 
tranchées et des rigoles font écouler les eaux des marais; 
les Impériaux s'approchent du fossé, et les assiégés sont 
obligés de remplacer par des moulins à bras les moulins 
à eau qui leur servaient à moudre le blé nécessaire a 
leur subsistance. 



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253 HISTOIRE DB l'eUROFE. 

On apprend à Paris la trahison du meunier et les 
malheurs de Përonne; l'alarme se répand dans la capi- 
tale. Si Péronne est emportée, la frontière sera ouverte : 
Vendôme est à Ham; mais comment avec un petit nom- 
gre de soldats découragés pourra-t-il arrêter dans les 
plaines de la Picardie une grande armée victorieuse? 

Le cardinal du Bellay , évèque et gouverneur de 
Paris y assemble les notables de cette grande ville. 
« Péronne, leur dit- il, va peut-être succomber; les for- 
» ces de Tennemi sont immenses, et ses projets terri— 
» blés : le péril est grand , les ressources sont faibles 
» et éloignées. Rien cependant n'est encore désespéré, 
» si vous prenez à l'instant une résolution généreuse. » 
L'assemblée accorde l'argent nécessaire pour lever une 
garnison de dix mille hommes, soudoyer cinquante 
mille pionniers, former un nombreux équipage d'ar- 
tillerie, et remplir de grands magasins de vivres et de 
munitions. 

Le comte de Nassau, pendant ce temps, avait fou- 
droyé les vieux murs de Péronne : trois larges brèches 
sont ouvertes; l'assaut est prêt; Fleuranges est sommé 
de se rendre. « Le comte de Nassau , répond le maré- 
» chai , n'entrera dans la ville qu'en passant sur les 
» corps de la garnison et des habitants* » Le général 
des Impériaux donne le signal : ses troupes se sur- 
passent dans les trois attaques; elles sont partout repous- 
sées ; Nassau , pendant cinq Jours , fait agrandir les 
brèches; un nouvel assaut général est ordonné le 26 
août ; les assiégés se couvrent d'une gloire immortelle ; 
les citoyens, les soldats, les volontaires, les officiers, les 
généraux, les femmes même montrent le plus noble 
héroïsme; l'ennemi se retire dans ses lignes avec une 
grande perte ; Nassau , irrité de tant de résistance , re- 
double le feu de son artillerie : il veut brûler la ville ; 
on lance une quantité immense de grenades sur des mai* 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — iSSg. 253 

sons presque toiites construites en bois; ces maisons 
s'enflfilmment; la ville allait être réduite en cendres : 
une pluie extraordinaire et soudaine tombe et éteint les 
flammes. 

Nassau fait creuser de vastes mines : elles sont éven- 
tées. 

Mais les munitions de guerre sont épuisées dans la 
ville : le maréchal voit avec la plus vive douleur qu'il 
ne lui reste pas assez de poudre pour soutenir le nouvel 
assaut dont il est menacé : un soldat adroit et déterminé 
sort de la place par ordre de Fleuranges , traverse sans 
ètjre reconnu les quartiers des Impériaux, arrive à Ham, 
et demande à Vendôme un prompt secoures d'hommes 
et de munitions. 

Vendôme n'avait encore réuni que dix mille hom- 
mes , et ne pouvait attaquer la grande armée de Nassau : 
mais il choisit quatre cents arquebusiers, leur confie à 
chacun dix livres de poudre , les fait partir pendant la 
nuit pour Péronne, et leur donne pour escorte deux 
cents hommes de cavalerie : cette escorte est commandée 
par le célèbre Claude, duc de Guise, le frère de René 11^ 
duc de Lorraine. Son parent et son ami, Antoine de 
La Ville-sur-IUon, le fils du brave duc de Mont-Saint- 
Ange , est sous les ordres du duc de Guise. 

Claude, favorisé par les ténèbres, arrive auprès des 
lignes des Impériaux ; les arquebusiers , guidés par le 
soldat de Fleuranges, traversent en silence les marais 
et gravissent contre les murs de la ville à l'aide de cordes 
que les assiégés s'empressent de leur tendre; le duc de 
Guise, pour protéger leur entrée, voltige autour des 
lignes ennemies, et fait retentir ces lignes du son de tou- 
tes les trompettes du camp de Vendôme qu'il avait ame- 
nées; les Impériaux étonnés courent aux postes qu'ils 
croient le plus menacés par les Français; les arquebusiers 
achèvent de pénétrer dans Péronne j le jour paraît; le 



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254 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

comte de Nassau sort en vain de ses lignes avec toute sa 
cavalerie pour envelopper le duc de Guise : le prince 
rentre.dans le camp de Ham sans avoir perdu un seul 
homme* 

Nassau , maigre l'arrivée du secours , fait sommer une 
seconde fois le maréchal de Fleuranges de lui ouvrir les 
portes : il lui offre la vie ainsi qu'à la garnison et aux 
habitants; mais il se réserve le droit de faire* piller Pé- 
ronne pendant trois jours ; le maréchal ne répond à 
cette insulte que par un profond mépris» 

Une nouvelle mine fait sauter une tour du château : 
Boulainvilliers et plusieurs autres principaux officiers 
ont péri glorieusement en la défendant ou sous les dé- 
bris de cette tour , soulevée avec violence par une grande 
explosion ; les assiégés élèvent à la hâte, derrière les 
brèches, des retranchements et des bairicades ; leurs for- 
ces cependant ^'affaiblissent; Vendôme, qui n'est que 
trop instruit de leur position , informe François ï" du 
sort qui menace les admirables défenseurs de Péronne ; 
mais Nassau compte ses pertes, désespère de s'emparer 
d'une ville dont les habitants et les soldats combattent 
en héros, lève le siège, se retire avec précipitation, et 
va cacher dans les Pays-Bas la douleur qu'il éprouve. 

Un nouveau courrier de Vendôme annonce au roi la 
délivrance et la gloire de Péronne : le monarque arri- 
vait à Lyon; la Provence et la Picardie ont vu fuir les 
ennemis de la France; la patrie est sauvée* François P^, 
ravi de ces grands et si heureux événements, pénétré 
de la valeur héroïque des Français, vivement touché de 
leur amour et de leur fidélité, ordonne qu'on rende 
au ciel de solennelles actions de grâces. 

Les Savoyards, trompés par la fausse nouvelle d'une 
victoire remportée eu Provence par Charles-Quint, 
s'étaient insurgés conti-e les Français : le comte de Saint- 
Pol alla en Savoie avec six mille lansquenets; il rendit 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o — iSSg. 255 

à la France la barrière des Alpes : mais quelle rigueur 
l'histoire a dû reprocher à ce prince, ou plutôt aux 
farouches erreurs de son siècle ! il abandonna à ses sol« 
dats les biens des insurgés. 

Une fille du duc de Vendôme, la princesse Marie, 
avait été fiancée avec Jacques V , roi d'Ecosse : la re- 
nommée ayant annoncé dans les états de ce monarque 
les préparatifs formidables de Charles-Quint, Jacques V, 
ému du péril qui menaçait le roi son allié, leva une 
armée de seize mille hommes , fit voile vers les côtes 
de Normandie , fut trois fois repoussé par les vents 
contraires, céda le commandement de sa flotte et de 
son armée , se jeta dans une barque , braya la tem- 
pête, aborda à Dieppe, traversa le royaume, et arriva 
auprès de François P' au moment où la victoire , la 
gloire et le bonheiir venaient de succéder aux alarmes : 
il vit Magdeleine de France, fille du roi son ami, fut 
frappe de sa beauté , oublia qu'il était fiancé avec la 
princesse de Vendôme, demanda la main de Magde* 
leine , l'obtint d'un monarque qui ne résista pas aux 
instances d'un prince si dévoué, emmena en Ecosse 
celle qu'il aimait , mais eut le malheur de la perdre . 
avant la fin de la première année de leur union. 

L'esprit du quinzième siècle, qui inspirait souvent 
tant de barbarie, dicta aussi à François P' un ordre 
adressé au parlement de Paris contre celui qui, à Rome , 
au milieu d'un consistoire pontifical , l'avait défié , me- 
nacé et outragé. Il voulut que la cour des pairs jugeât 
Charles-Quint comme un vassal coupable de félonie en- 
vers son suzerain* Il alla au parlement, accompagné des 
princes du sang , des pairs du royaume et des grands- 
ofiQciers de la couronne. <( Le roi , dit l'avocat du mo- 
» narque, n'a jamais pu cédera meaaire Charles^ Au- 
» triche la suzeraineté des comtés de Flandre, d'Artois 
» et de Charolais. Le domaine de la couronne est inalié^ 



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û56 

» nable ; sa Majesté a garanti les droits sacrés dont 
)> ellfe est dépositaire, en protestant secrètement contre 
» les traités de Madrid et de Cambrai : d'ailleurs , 
» qnand Charles d'Autriche aurait acquis quelques droits 
)> sur la suzeraineté de ces comtés en vertu de ces trai- 
» tés de Cambrai et de Madrid , il en serait déchu pour 
» ayoir violé ces conventions* Je demande \lonc y au nom 
)> du souverain, que les trois comtés soient saisis et 
» réunis à la couronne. 

La cour rendit un arrêt conforme aux conclusions 
de l'avocat du roi. 

Le duc de Vendôme mourut d'une pleurésie a 
Amiens, après avoir pourvu à la sûreté de Thérouenne, 
et donné , par des soins multipliés , au monarque qui 
voulait conquérir la Flandre et l'Artois , les moyens 
d'ouvrir avec succès la campagne dès ^e milieu du^mois 
de mars. La France regretta viveihent un prince si 
recommandable par la franchise de son caractère. Son 
âme pure et élevée avait toujours dédaigné les basses 
intrigues qui n^avaient que trop régné à la cour de 
France : la Picardie , l'Ile-de-France et la capitale ^ho- 
noraient comme leur sauveur; et , aussi grand citoyen 
qu'habile capitaine , il aurait sacrifié sa fortune , son 
sang et sa vie pour la patrie qu'il adorait. 

Son fils Antoine de Bourbon hérita de sa bonté et 
de sa franchise comme de ses titres et de ses biens (i536). 
Une amitié très-étroite l'unissait au dauphin : ils accom- 
pagnèrent tous les deux François l" dans cette im- 
portante campagne de Flandre, si bien préparée par 
le magnanime duc de Vendôme , que la nation venait 
de perdre. Le comte de Saint-Pol , le duc de Montpen- 
sier et le prince de La Roche-sur-Yon étaient aussi dans 
l'armée française que le maréchal de Montmorenci com- 
mandait sous les ordres du roi. 

Le monarque prit Hesdin , dont le château était 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE, l55o — 1689. 267 

regardé comme la plus forte place des Pays-Bas : îl s^em- 
pare de Lillers et de Saint- Venant ; il battit et dispei^sa 
les troupes impériales qui ^attendirent» 

Mais, pendant ces succès, les généraux français qui 
faisaient la guerre en Italie n^avaient pu. lutter avec 
avantage contre le génie du marquis du Guast, parent 
du fameux Pescaire , et héritier de ses talents ainsi que 
de sa fortune. Il ne leur restait plus que Turin et 
Pignerol : ils manquaient d^argent , de vivres , de mu- 
nitions de guerre, et ils avaient perdu la confiance des 
soldats. 

François I®' crut devoir envoyer en Italie une par- 
tie de la gendarmerie qui combattait sous ses ordres* 
Le comte de Bures entra alors dans la France septen- 
trionale à la tète de quarante mille Impériaux , prit 
d'assaut la ville de Saint-Pol , dont les nouvelles for- 
tifications n'étaient pas encore achevées , fit passer au 
fil de l'épée la garnison, qui était de quatre mille hom- 
mes , se rendit maître de Montreuil , et forma le siège 
de Thérouenne. Montmorenci eut Pordre de jeter des 
troupes et des munitions dans cette ville si importante , 
et conçut le projet d'attaquer le comte de Bures dans 
ses lignes* L'armée française s'avançait : on voyait à 
sa tète le dauphin , le due de Vendôme , le duc de Mont- 
pensier et le prince de La Roche-sur-Yon , lorsque 
Marie d'Autriche, reine de Hongrie et gouvernante des 
Pays-Bas, fit proposer au roi une trêve de trois mois 
pour les frontières de la Flandre et de la Picardie 

C1557). 

François P' l'accepte et ordonne à son armée de 
marcher en Italie : elle traverse la France avec une 
rapidité d'autant plus admirable qu'elle venait de faire 
une, longue et pénible campagne. Montmorenci force 
lé passage de Suze , défendu par dix mille hommes , 
fait lever au marquis du Guast le blocus de Pignerol , lui 
ToM. XII. 17 



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258 HISTOIRE DE l'eUROPE. 

enlève ses meilleurs postes et ses tnagasins ; le contraint 
à se réfugier sous le canon d'Asti j et , au moment où 
une grande bataille allait couvrir d'une nouvelle gloire 
les troupes françaises , Montmorenci , le dauphin , le 
duc de Vendôme et celui de Montpensier , un ordre 
de François I*' fait suspendre un combat aussi désiré 
par les Français que redouté par les ennemis. 

Bientôt le monarque vient prendre le commandement 
de ses troupes victorieuses. On Va blâmé de n'avoir pas 
profité de l'enthousiasme de ses soldats et de la conster- 
nation des Impériaux , et d'avoir: accepté une trêve de 
dix ans. Charles -Quint garde le Milanais; maîîs Fran- 
çois 1®^ conserve le Piémont, la Savoie et la Bresse, et il 
ne reste que le comté de Nice au duc de Savoie. 

La chambre impériale de Spire avait donné de nou- 
veaux sujets de plainte aux protestants de l'Allemagne 
par ses décrets contre la ville de Hambourg , celle de 
Lindau et le nouveau duc de Prusse. Les protestants 
renouvelèrent à Schmalkalden leur confédération, ad- 
mirent dans leur association un grand nombre de nou- 
veaux membres, établirent une milice perpétuelle pour 
la défense de leurs droits, et en donnèrent le comman- 
dement à l'électeur de Saxe et au landgrave de Hesse , 
qu'ils nommèrent capitaines généraux de leur ligue. La 
maladresse de la chambre impériale et 'la politique de 
Charles-Quint, constante dans le désir d'augmenter le 
pouvoir de l'empereur, mais vacillante, variable et 
dissimulée dans celui de diminuer la puissance pontifi- 
cale , faisaient faire chaque jour de nouveaux progrès 
au luthéranisme germanique; et la force de la confédé- 
ration armée devint tout d'un coup d'autant plus grande 
que le roi d'Angleterre s^en déclara le protecteur , et que 
François P', empressé de favoriser , dans les états de son 
rival ^ des opinions qu'il redoutait dans les sîens,^et qu'il 
avait voulu détruire en France par une cruelle barba- 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — iSSg. 269 

rie, accéda à cette fameuse ligue par le ministère de son 
ambassadeur Martin du Bellay, prince d'Yvetot et Vnn 
des frères du cardinal évèque de Paris. 

Les nouveaux succès de Punion de Schmalkalden ef- 
frayèrent Charles-Quint : il pressa les protestants d'Al- 
lemagne d'assister au concile que le pape Paul III venait 
de convoquer à Mantoue. « Nous ne reconnaîtrons pas^ 
». dirent les luthériens dans un manifeste, une assem-* 
» blée réunie dans une ville trop éloignée ; nous y se- 
» rions exposés à trop de périls ; et d'ailleurs quels 
» résultats pourrions-nous attendre d'un concile aveuglé- 
» ment dévoué au pape et à l'empereur ? » 

La confédération publia ensuite un règlement relatif 
à l'emploi des biens ecclésiastiques, des articles qui con- 
cernaient le culte, un projet de police religieuse, et un 
nouveau livre symbolique destiné à servir de commen- 
taire, d'apologie et de suite à la confédération d'Ans- 
bourg. 

Le roi d'Angleterre approuva les raisons qui avaient 
empêché la confédération de reconnaître le concile de 
Mantoue ; les luthériens, assemblés de nouveau à Bruns- 
wick et à Eisenach , convinrent de récuser désormais la 
juridiction de la chambre impériale dans les affaires de 
religion. Le roi de Danemarck adhéra, comme ceux de 
France et d'Angleterre, à la ligue protestante; et, malgré 
la sainte ligue de Nuremberg, formée par l'archevêque 
de Mayence, celui de Saltzbourg, le duc de Bavière et 
quelques autres princes catholiques, la confédération de 
Schmalkalden ne cessait d'acquérir une force nouvelle 
( i538). 

Charles-Quint crut cependant devoir renoncer aux 
armes et ne recourir qu'aux négociations contre une 
union qu'il redoutait chaque jour davantage. Louis, 
électeur palatin , et Joachim II, électeur de Brandebourg, 
reçurent des pleins pouvoirs de l'empereur et du roi 

17. 



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26o HISTOIRE DE L^BUROPE. 

des Romains; ils se réunirent à Francfort ayec des en- 
voyés de la ligue luthérienne : on convint d'une espèce 
de trèye de quinze mois* La juridiction de la chambre 
impériale devait être suspendue relativement à toutes 
les aiFaires de l'Église pendant la durée de cette trêve. 
Le décret de la diète de Nuremberg et Pédit de pacifica- 
tion de Ralisbonne de 1 53 2 seraient observés jusques à la 
première diète générale ; des docteurs sages «t éclairés 
des deux partis examineraient les points de doctrine, sur 
lesquels les protestants différaient des catholiques, et en 
rendraient compte à la diète. Le pape Paul III, qui ne 
pouvait pas se persuader combien l'opinion de PEurope 
était changée relativement à la puissance pontificale, an- 
nula la convention de Francfort, comme attentatoire à 
son autorité. 

Charles-Quint frappa en Espagne un coup bien plus 
remarquable ; il avait demandé un don gratuit considé- 
rable aux états de Castille , convoqués à Tolède. La no- 
blesse opposa la plus grande résistance aux désirs du 
monarque ; les états n'accordèrent que 12 millions paya- 
bles en trois ans. Charles-Quint craignit une insurrec- 
tion et n'osa pas insister ; mais il exclut la noblesse des 
états généraux. EUe ne doit aiH)ir, déclara le monar- 
que 9 aucune pari au gouvernement ni a la législation 
de la république , puisquelle n'en paie pas les cJujrges. 

L'année précédente , Diéço de Almagro avait décou- 
vert pour le roi d'Espagne la vaste contrée du Chili, 
dont le grand Océan arrose un rivage de trois cents 
lieues , et dont la fertilité est aussi grande que sa tempé- 
rature est agréable* Il avait montré, en s'en emparant, 
autant de cruauté que de valeur ; et , féroce compagnon 
du barbare Pîzarre, il devait bientôt s'irriter contre lui 
et le faire assassiner. 

Le caractère ardent de Henri VIII , ce caractère si 
ennemi de toute résistance, avait fait élever des écha- 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. 355o — iSSg. 261 

fauds dans la Grande-Bretagne» Le& n>oines déyoués au 
pape avaient osé insulter le roi ; il résolut, de l'avis de 
son conseil, de faire exécuter à la rigueur les lois qu'ils 
avaient violées, Fîsher, évèque.de Rochester, avait été 
arrêté parce qu'il n'avait pas voulu reconnaître la supré- 
matie religieuse du monarque. Le souvenir des soins 
qu'il avait donnés à l'éducation de Henri , dont il avait 
été le précepteur, n'avait pas empêché qu'il ne fût ren- 
fermé dans une prison. Paul III le nomma cardinal pour 
le récompenser de sa fidélité à l'Église romaine. Henri 
ordonna qu'on demandât de nouveau à cet évêque le ser- 
ment qu'il n'avait pas voulu prêter. Fisherle refusa une 
seconde fois ; il fut condamné , et perdit la tête sur un 
échafaud. Rich , solliciteur général , eut la lâcheté d'en- 
gager une conversation perfide avec le fameux Thomas 
Morus sur la suprématie royale. Les réponses de l'an- 
cien grand-chancelier, réunies aux griefs qu'on avait 
déjà contre lui, parurent suffisantes pour sa condamnar 
tion. L'admiration des Anglais pour ses talents et ses 
lumières, et leur respect pour son intégrité, ne purent 
lui sauver la vie. Il conserva jusques à son dernier 
moment non seulement le calme d'une âme élevée, mais 
encore la douce gaité de son caractère. Les véritables 
amis de Henri YIII déplorèrent Paveuglement du monar^ 
que ( i535 ). 

Lorsque Paul III apprit la mort de Thomas Morus , 
du cardinal Fisher et de plusieurs moines, il prépara 
contre Henri une huile d'excommunication dans la- 
quelle, fidèle aux absurdes prétentions de ses prédéces- 
seurs, il déliait tous les sujets du roi de leur serment de 
fidélité, mettait son royaume en.inta:dit, ordonnait à 
tous les ecclésiastiques de sortir de ses états, com^mandait 
à la noblesse de prendre les armes contre le monarque 
excommunié, défendait à tous les chrétiens de commu- 
niquer avec les Anglais, annulait tous les traités contractés 



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262 

arvec Henri , et déclarait les enfants d'Anne de Boulen 
illégitimes et incapables de succéder an trône. Il eut 
néanmoins la prudence de différer la publication de cette 
bulle , qui devait lancer toutes les foudres de PÉglise 
romaine, jusques au moment où il serait sûr que son 
arrêt serait soutenu par les armes impériales. 

Henri, animé de plus en plus contre les moines qui 
avaient tenu contre lui 4es discours les plus audacieux , 
se détermina $ d'après Pavis de son conseil, à ordonner 
une visite générale des monastères. Thomas Cromwell , 
nommé à cet effet visiteur général, et ses substituts, 
examinèrent les titres, les revenus, les règles, les mœurs 
des religieux et des religieuses. Combien d'irrégularités, 
de vices, de débauches, d'impostures ne dirént-ils pas 
avoir trouvés dans les couvents! plusieurs historiens an- 
glais ont accusé leurs rapports d'exagération. Mais les 
visiteurs, menaçant les religieux et les religieuses de la 
sévérité des lois, leur insinuèrent que, pour éviter le 
châtiment, et même cacher leurs désordres, ils devaient 
abandonner leurs maisons au roi , qui pourvoirait à 
leur subsistance. Un grand nombre de prieurs suivirent 
cet avis avec le consentement de leurs moines. Le roi 
ordonna l'impression des rapports qu'il avait reçus. Sui* 
vant ces récits des visiteurs, plusieurs couvents étaient par- 
tagés en factions, qui exerçaient les unes sur les autres les 
cruautés les plus barbares. Les moines faisaient un trafic 
honteux de reliques et d'images. On avait trouvé, dans 
plusieurs de leurs maisons , des instruments propres à 
fabriquer de la fausse monnaie. Un grand nombre de 
religieuses étaient enceintes. Beaucoup d'abbés et de 
moines avaient des correspondances criminelles avec 
des femmes mariées, entretenaient des filles publiques, 
ou étaient coupables de blesser, dans leurs infâmes dé- 
bauches, les lois de la nature. Le roi, en qualité de chef 
de l'Église anglicane , releva de leurs vœux tous les 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — l58g. 265 

moines qui s'ëtaient engagés ayant Page de yingt-quatre 
ans 9 et permit à tous les autres de quitter leurs couyents 
et de yiyre en séculiers. 

Au commencement de Tannée suiyante, la malheu- 
reuse reine Catherine tomba malade à Kimbolton. Le 
roi s'empressa de lui adresser un message; elle lui fit 
paryenir une lettre très-tendre. « Mon cher seigneur et 
» mari, lui écriyit-elle, je yous pardonne toutes les 
» peines que yous m'ayez faites. Accordez votre affec- 
)> tion à votre fille Marie. Ayez soin des trois dames 
» qui sont auprès de moi. Daignez ordonner qu'on 
H. donne quelque gratification à mes domestiques. Je 
>y proteste que mes yeux voue désirent plue que toute 
» autre chose. » 

Peu de temps après avoir reçu cette lettre , Henri VIII 
apprit la .mort de Catherine; il en parut touché; il 
témoigna des regrets. Des historiens anglais ont repro- 
ché à la reine Anne de Boulen d'avoir fait éclater une 
grande joie en recevant la nouvelle de la mort de Ca- 
therine. 

Le roi obtint du parlement un acte qui supprimait 
tous les couvents dont le revenu n'excédait pas 200 li- 
vres sterling et donnait à la couronne les biens de ces 
monastères. D'après cette loi, le monarque eut un sup- 
plément de revenu de 62,000 livres, et un capital de 
5oo,ooo livres en vases, ornements et autres objets, qui 
avaient appartenu aux couvents ou aux églises supprimés. 

Le clergé réuni en convocation proposa de publiisr 
une nouvelle traduction de la Bible en anglais; et malgré 
l'opposition de Gardiner, évêque de Winchester , et de 
ses partisans , Henri VIU consentit d'autant plus aisé- 
ment à la proposition du clei^é, qu'Anne de Boulen 
l'avait fortement recommandé^. Le parlement fut alors 
ajourné par le monarque, après avoir été réuni pen- 
dant six ans. 



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264 HISTOIRE DE L^EUROPE, 

Quel terrible événement va saccéder ! Anne de Boulen 
mit au monde un fils mort avant sa naissance. Henri, 
aussi superstitieux que violent ^ regarda cet accident 
comme un jugement du ciel; il commença de se dégoû- 
ter d'autant plus de la reine qu'il avait été frappé de la 
beauté de Jeanne Seymour, l'une des dames attachées à 
cette princesse. La conduite d'Anne de Boulen avait été 
quelquefois légère et inconsidérée; le duc de Norfolk, 
son ennemi , et tous ceux qui étaient attachés à la religion 
catholique, irritèrent la jalousie naturelle de Henri. Lady 
Rochefort , belle-sœur de la reine , qu'elle détestait, porta 
la scélératesse jusques à vouloir persuader au roi qu'Anne 
entiretenait une correspondance criminelle avec lord Ro- 
chefort, son propre frère. Le duc de Norfolk fut assez 
criminel ou assez trompé pour appuyer la dénonciation 
de l'affreuse lady Rochefort. Les partisans de la cour de 
Rome accusèrent Anne de Boulen, non seulement d'in- 
ceste avec son frère, mais d'un commerce coupable avec 
Henri Norris, premier gentilhomme de la chambre du 
roi, Weston et Breaton, ofiBcîers de la chambre de sa Ma- 
jesté , et un musicien nommé Marc Smetton. On ne put 
réunir contre la reine que quelques circonstances singu- 
lières déclarées au lit de la mort par lady Wingfield; mais 
le plus grand trouble était dans l'esprit de Henri , et son 
cœur était déjà vivement épris de la belle Seymour. Il 
avait, dit-on, remarqué que dans un tournoi la reine 
avait jeté son mouchoir à l'un de ses prétendi^s amants, 
dont la sueur était excessive ; il retourna brusquement à 
White-Hall. La reine Anne est renfermée dans- son ap- 
partement, et l'on conduit à la Tour de Londres ses pré- 
tendus complices. Anne de Boulen , qui ne connaît que 
trop le caractère de Henri , se prépare à la mort, reçoit 
les sacrements, et, saisie tout d'un coup d'une maladie 
convulsive, perd la tête et tient pendant quelque temps 
des discours insensés. On la mène à la Tour; elle proteste 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o — 1689. 265 

de son innocence, se jette à genoux, appelle du jugement 
des hommes au jugement de Dieu, Tous les' courtisans 
abandonnent la reine; le seul Cranmer,archeyéquede 
Cantorbéiy, veut prendre sa défense : le roi ne lui per- 
met pas de paraître devant lui. L'archevêque écrit au 
monarque : sa lettre n'obtient rien. Norris, Weston,Brea- 
ton et Smetton sont interrogés dans la salle de Westmin- 
ster. Les trois premiers jurent qu'ils sont innocents; le 
lâche Smetton , trompé par Fespoir qu'on lui a donné de 
son pardon, dit qu'il a été criminel avec la reine. Les 
quatre accusés sont déclarés convaincus et condamnés à 
la mort des traîtres. La reine et son frère sont conduits 
devant vingt-huit pairs, à la tête' desquels est le duc de 
Norfolk, l'ennemi et l'accusateur de cette princesse. On 
l'accuse de correspondance criminelle avec le comte de 
Rochefort et les autres prévenus, ainsi que d'avoir con- 
spiré contre la vie du roi; elle soutient son innocence 
avec courage ; elle répond avec fermeté à toutes les allé- 
gations. Les prévenus continuent de nier avec force le 
crime qu'on leur reproche. Smetton ne paraît pas; il 
n'est pas confronté avec la reine , et l'on croit plus que 
jamais qu'il n'a porté qu'un faux témoignage. Anne de 
Boulen est néanmoins déclarée coupable; on la condamne 
à être brûlée ou décapitée , à la volontée au roi. Son frère 
le comte de Rochefort et les autres accusés sont condam- 
nés à mort. 

Mais quelle conduite que celle de Henri! La mort de 
celle qu'il a tant aimée ne lui suffit pas; il veut faire dé- 
clarer illégitime sa fille Elisabeth. « Avant son mariage, 
» dit-il, Anne de Boulen était engagée par un contrat 
» avec lord Piercy , devenu depuis comte de Northum- 
» berland. )> Le comte jure sur l'eucharistie que cet acte 
n'a jamais existé; mais Anne, entraînée par la promesse 
de sa grâce, ou par la crainte d'être brûlée, dit que le 
contrat a été passé. L'archevêque de Cantorbéry, pénétré 



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266 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

de douleur 9 et plusieurs autres personnes, reçoivent son 
aveu. Son mariage avec Henri est déclaré nul. Anne de 
Boulenn'a donc pas pu être adultère, pensent avec ter- 
reur tous les amis de la justice. 

Les ordres néanmoins sont donnés pour sou exécu- 
tion; elle conjure la femme du lieutenant de la Tour de 
Londres de demander pardon de sa part à la princesse 
Marie, des duretés qu'elle avait pu lui faire souffrir; 
elle communie avec piété, proteste de nouveau de son 
innocence, se plaint de ce qu'on a différé son exécution 
de quelques heures, prie Dieu de conserver le roi, fait 
des vœux pour que la conduite du monarque ne soit pas 
jugée défavorablement par le peuple, prend congé de 
tous les spectateurs, réclame leurs prières, et^ubitle 
coup mortel. On propose à Norris de lui accorder sa 
grâce s'il veut confesser son crime et accuser la reine. 
« Ma conscience ne me reproche rien, répond-il; et je 
» mourrais mille fois avant d'accuser une personne in- 
» nocente. » 

Les condamnés sont décapités , excepté Smetton qui 
est pendu; et, ce qu'on a eu tant de peine à croire, 
dès le lendemain de l'exécution d'Anne de Boulen, 
Henri VIII épouse Jeanne Seymour. 

Les amis de la princesse Marie l'engagèrent à écrire 
une lettre très-soumise à son père; le roi exigea qu'elle 
souscrivît l'acte de suprématie , la renonciation à l'évè- 
que de Rome, et la nullité du mariage de sa mère. Marie 
fit tous ses efforts pour en être dispensée ; mais voyant 
Henri VIII inflexible, elle signa les trois articles. 

Elisabeth, âgée de quatre ans, fut dépouillée du titre 
de princesse de Galles; Henri eut néanmoins beaucoup 
de soin de son éducation , et lui donna de grandes mar- 
ques de tendresse* 

Le parlement déclara cependant illégitimes les enfants 
nés des deux mariages du roi , confirma la condamna- 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE, l55o — iSSg. 267 

tion d'Anne de Boulen, ordonna qu'après la mort de 
Henri la couronne passerait à ses enfants issus de la reine 
Jeanne ou de toute autre femme qu'il aurait épousée; 
donna au monarque le pouvoir de régler l'ordre dans le- 
quel ses enfants lui succéderaient; et, pour ôter au pape 
toute espérance de recouvrer sa juridiction spirituelle 
en Angleterre, soumit à des peines très-graves tous 
ceux qui tenteraient de rétablir cette autorité pontificalci 

Le clergé , réuni dans une conpœatioriy confirma la 
sentence qui avait déclaré nul le mariage de Henri VIII 
avec Anne de Boulen; et, malgré les eflforts d'un grand 
nombre de membres de la seconde chambre de cette 
convocation, c'est-à-dire du clergé du second ordre, 
Gromwell déclara, par ordre du monarque, que les rites 
et les cérémonies de l'Église seraient réformés et réglés 
d'après l'Écriture sainte. 11 présenta, peu de jours après, 
à la conpocation une suite d'articles que Henri VIII avait 
rédigés lui-même, sur divers points de la doctrine reli- 
gieuse^ et au sujet desquels le monarque demandait l'avis 
du clergé. Les débats furent très- vifs; à la tète des amis 
de la réforme étaient Cranmer , archevêque de Cantor- 
béry , et Latimer, évêque de Worcester; et dans le parti 
opposé , on distinguait surtout Lée, archevêque d'Yorck, 
l'évêque de Londres, et Gardiner, évêque de Winches- 
ter. La convocation convint néanmoins de constitutions 
religieuses qui renfermaient les articles suivants : 

« L'Écriture sainte et les symboles des apôtres de Nicée 
» et de saint Athanase sont les fondements de la foi. Le 
» baptême est nécessaire ainsi que la pénitence qui com- 
» prend la contrition, la confession auriculaire et l'a- 
» mendement de vie. Le vrai corps de Jésus-Christ est 
» présent dans l'eucharistie; la justification est acquise 
» par la génération dans la contrition, la foi et la cha- 
» rite; les images doivent être conservées dans les égli- 
» ses, mais on ne doit point leur rendre V adoration qui 



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268 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

» n^appartieht qu'à Dieu : les saints doivenjt être hono- 
» rëS) mais on ne doit pas croire qu'ils puissent accorder 
» ce que Dieu seul peut donner. On peut les invoquer 
» sans superstition 9 et conserver leurs fêtes, mais quel- 
» ques-unes de ces fêles doivent être retranchées par 
» l'autorité du roi. On retiendra les usages ordinaires 
» de l'Église, tels l'eau bénite, le pain bénit, les cierges 
» de la Chandeleur, les cendres du premier mercredi de 
» carême, les palmes du dimanche des Rameaux, les pro- 
» sternations devant la croix, le jour du vendredi saint, 
» la consécration des fonts, les exorcismes et les béné- 
» dictions. On priera pour les âmes des défunts ; on don- 
)> nera des aumônes pour dire des messes et faire leurs 
» obsèques; mais le lieu où elles sont et les peines qu'el- 
» les peuvent souffrir n'étant pas certifiés par l'Écri- 
» ture , on doit s'en rapporter entièrement à la clémence 
» de Dieu. On rejettera les notions ridicules dupurga- 
» toire, et l'opinion de ceux qui croient que les âmes 
» peuvent en être délivrées par des indulgences du pape, 
» et des messes dites à des autels particuliers au devant 
» des images privilégiées. » 

Ces constitutions ecclésiastiques, que Henri VIH corri- 
gea en quelques endroits de sa main, furent signées par 
l'archevêque de Cantorbéry , dix-sept évêques, quarante 
abbés ou prieurs, et cinquante archidiacres ou députés 
de la seconde chambre du clergé , parmi lesquels l'his- 
toire a distingué le nom de Polydore Virgile, né à Urbin 
en Italie, mais archidiacre de Welss, et auteur d'une 
Histoire d'Angleterre, ainsi que de l'ouvrage intitulé 
De inventoribus rerum. 

Henri YIII ayant communiqué à la convocation la som- 
mation qu'il avait reçue pour se présenter devant le 
concile de Mantoue, la convocation décida qu'aucun 
concile général ne pouvait être assemblé qu'avec le 
consentement de tous les souverains de la chrétienté, 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. iSSo—lSSg. 269 

et le roi protesta contre celui que le pape avait con- 
voqué. 

Bientôt cependant le clergé séculier, offensé de ce que 
le roi avait fait un règlement sur la conduite des ecclé- 
siastiques sans l'intervention d'une convocation, fâché 
de perdre non seulement son, autorité, mais une partie 
de ses revenus par la suppression de ce qu'il retirait des 
images , des reliques et des pèlerinages ; fatigué des impôts 
dont on le chargeait, obligé de payer le cinquième de 
son revenu pour les réparations de ses domaines, le 
dixième! pour l'éducation de jeunes clercs, et le quator- 
zième de ce même revenu ecclésiastique pour des cha- 
rités, ne se regardant plus que comme l'esclave du mo- 
narque et de son vice-régent, se joignit aux réguliers 
pour répandre dans le peuple un esprit de mécontent 
tement. Les abbés qui redoutaient la suppression de leurs 
riches monastères secondèrent fortement, quoiqu'en 
'secret, le clergé séculier. 

La révolte éclata dans le comté de Lincoln. Plus de 
vingt mille hommes s'assemblèrent sous la conduite du 
docteur Makrel , prieur de Barlim , et qui prit le nom de 
Colonel'Sapetier. Us jurèrent d'être fidèles à Dieu, au 
roi et à l'état. Us se. plaignirent de ce que plusieurs mai- 
sons religieuses avaient été supprimées par l'avis de per- 
nicieux conseillers. « Nous sommes , dirent-ils , traités 
» avec dureté depuis certains actes du parlement; quel- 
» ques évêques ont bouleversé la foi ; nous devons crain-> 
» dre qu'on enlève l'argenterie et les joyaux de nos 
» églises, et nous supplions d'autant plus le roi de con- 
» «ulter la noblesse sur nos griefs, que nous le recon- 
» naissons pour le chef suprême de l'Église, auquel les 
» dîmes et les premiers fruits des bénéfices appartien- 
» nent de droit. » 

Henri VIII répondit avec violence à leur pétition , et 
chargea Charles Brandon, duc de Suffolk, de marcher 



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270 HISTOIRE DE L^EUROPE, 

contre eux à la tête de quelques troupes. Plusieurs chefs 
^des révoltes assurèrent en secret le duc de Suffolk qu'ils ne 
s'étaient joints à eux que pour les ramener par degrés à 
leur devoir. « Si le roi , ajoutèrent-ils ^ veut accorder une 
)> amnistie aux insurgés , ils se disperseront bientôt; » 
Henri, informé qu'un autre soulèvement venait d'éclater 
dans le comté. d'Yorck, publia une amnistie en faveur 
des révoltés de Lincoln, qui se séparèrent. Quelques-uns 
d'eux, néanmoins, allèrent se réunir à ceux d'Yorck; 
Robert Aske les commandait; les mystères de la passion 
étaient peints sur leurs drapeaux ; deis prêtres étaient à 
leur tête , le crucifix à la main. Ils forcèrent un grand 
nombre dfe possesseurs de fiefs à se joindre à eux ; ils ré- 
tablirent les moines dans les couvents dont on les avait 
chassés ; et le peuple des comtés de Richmont , de 
Durham, de Lancastre et de Westmoreland prit les armes 
en leur faveur. 

Le comte de Shrewsbury arme alors ses vassaux, et 
reçoit le titre de lieutenant du roi contre les insurgés. 
Le duc de Suffolk surveille le comté de Lincoln; plusieurs 
autres pairs ont des commissions pour lever des troupes, 
et le roî assemble une armée. 

Robert Aske cependant réduit le château de Pontefract, 
se rend maître de HuU , s'empare d'Yorck, et oblige les 
nobles des environs à se réunir à lui. Un héraut de 
Henri VIII le trouve assis entre l'archevêque d'Yorck et 
lordDarcy, qu'il avait faits prisonniers dans Pontefract: 
il les avait contraints à déclarer avec serment qu'ils s'en- 
gageaient dans le pèlerinage de grdce, c'est-à-dire l'insur- 
rection pour l'amour de Dieu, la conservation du roi et 
de sa famille, la purification de la noblesse, l'expulsion 
des conseillers de basse origine, le rétablissement de l'É- 
glise , la destruction des hérétiques. 

Aske, informé du contenu de la proclamation royale, 
ne veu< pas permettre qu'elle soit lue publiquement. 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — iS8q. 27 1 

Il marche à la tète de plus de trente mille, hommes 
contre le comte de Shrewsbury, auquel le duc de Norfolk 
et le marquis d'Exeter avaient amené des renforts, et 
qui néanmoins était bien éloigné de pouvoir le combattre. 

Norfolk, qui fait des vœux secrets pour le succès des 
insurgés, entretient avec quelques-uns de leurs chefs une 
correspondance qu'il cache avec soin. D'après ses conseils 
ils adressent au roi une pétition. Le monarque leur pro- 
pose d'envoyer trois cents députés à Doncaster : ils 
consentent à les envoyer; mais ils leur donnent des in- 
structions écrites, et dont ces députés ne peuvent pas 
s'écarter. Ne cachant plus aucune de leurs prétentions, 
ils demandent qu'on leur accorde un pardon général sans 
exception; que le roi convoque un parlement à Yorck; 
qu'une cour de justice soit établie dans le nord de l'An- 
gleterre; que les habitants des comtés septentrionaux ne 
soient pas obligés de poursuivre leurs procès à Londres ; 
que certaines lois , rendues depuis peu à la charge du 
peuple, soient annulées ; qu'on déclare la princesse Marie 
légitime; que V autorité du pape soit rétabUe; que l'on 
relève les monastères supprimés; que les luthériens et 
tous les novateurs soient punis sévèrement; que Thomas 
Cromwell et le chancelier soient chassés de la cour et du 
parlement ; qu'on emprisonne Lée et Leighton, commis- 
saires pour la suppression des couvents, et qu'on leur fasse 
rendre compte de leurs violences et de leurs extorsions. 

Le roi rejeta ces demandes; mais, d'après l'avis de 
Norfolk, il leur promit une amnistie générale sans ex- 
ception, et la convocation du premier parlement dans le 
nord dé l'Angleterre. Les chefs des insurgés acceptèrent 
ces conditions, et leur armée se dispersa malgré les ef- 
forts des moines et de quelques fanatiques. Aske eut ordre 
de se rendre auprès du roi , qui le reçut bien; mais le 
caractère emporté de Henri ne lui permit pas de voir 
qu'il allait commettre une de ces fautes qui peuvent ren- 



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272 HISTOIRE DE l'eUROPE. 

verser les trônes en détruisant la confiance. Il ne voulut 
pas tenir la parole qu^il avait. donnée aux insurges; et 
lorsque lord Darcy arriva à Londres, on le renferma 
dans la Tour. 

Les mécontents du nord reprirent aussitôt les arvjnes; 
deux gentislhommes) Musgrave et Tilby, se mirent à 
leur tête. Le duc de Norfolk les mit en déroute j Tilby 
et soixante-dix de ceux qui le suivaient furent pendus 
sur les murs de Carlisle; d'autres insurgés eurent le 
même sort. Les passions féroces de Henri s'irritèrent : 
il ordonna, malgré l'amnistie, et sous le prétexte d'une 
conspiration, d'arrêter Robert Aske, lord Darcy, Hus- 
sey et plusieurs autres personnes qui jouissaient d^une 
grande considération. La terreur se répandit dans toute 
FAngleterre (i557). 

La reine accoucha d'un prince qui fut nommé 
Edouard, et que le roi, ravi de cet événement, créa 
prince de Galles, duc de Comouailles et comte de Ches- 
ter ; mais, le surlendemain de cette naissance, la reine 
cessa de vivre. La mort de cette princesse consterna 
Henri VUI : néann^oins sa^ politique et sa haine contre 
les moines remplaçant bientôt son chagrin, il résolut de 
supprimer tous les monastères ; il ordonna qu'on visitât 
de nouveau tous les couvents, et qu'on éclairât le peu- 
ple non seulement sur les mœurs des moines, mais 
encore sur les moyens qu'ils employaient pour entre- 
tenir la superstitioii. Un grand nombre d'abbés, de 
prieurs et d'autres religieux furent déclarés convaincus 
d'avoir entretenu des correspondances avec les insurgés, 
et exécutés comme des traîtres. On montra plus que 
jamais les couvents comme souillés de débauches, d'adul- 
tères et d'horreurs qui répugnent à la nature j on brûla, 
on détruisit publiquement les prétendues reliques aux- 
quelles les moines avaient attribué les pouvoirs les plus 
propres à augmenter leur crédit et leurs richesses. 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — 1689. ^7^ 

On donna des pensions à tous les moines qui sorti- 
rent de leurs monastères j les biens et les trésors de 
leurs maisons passèrent au domaine royal. La chasse 
très-riche de saint Thomas Becquet, archevêque de 
Cantorbëry, fut brisée; et le roi prescrivit, comme chef 
de rÉglise, que les os de cet archevêque fussent consu- 
mes; que son nom fût supprimé dans le calendrier, et 
que Foffice du jour de sa fête fût retranché du bréviaire 
des ecclésiastiques. 

La cour du pape, en apprenant les actes de Henri, 
remplit la ville de Rome de satires contre ce prince 
(i538). On le nomma le tyran le plus infâme et le plus 
sacrilège ; on Paccusa dWoir violé les cendres des morts, 
déclaré la guerre à Dieu et à ses saints, sacrifié à sa 
vengeance des prêtres consacrés au Seigneur , enlevé 
tout ce que la piété des siècles précédents avait consa- 
cré dans les temples : on le comiparait à Ballhazar, à 
Nérpn, à Dioclétien, à Julien TApostat. 

Il y avait alors à Rome un Anglais nommé Renaud 
Pool ou Polua, parent des maisons royales dTorck et 
de Lancastre, et célèbre par son esprit, ses talents et ses 
lumières ; il avait quitté ^Angleterre pour ne pas re- 
connaître la suprématie ecclésiastique du roi, et s'était 
retiré aifprès du pape, qui Pavait nommé cardinal. 
Les. espions de Henri lui firent savoir qu'on envoyait 
d'Angleterre à Polus la relation de tout ce qui se passait 
dans le royaume, et que ce cardinal était soupçonné d'a- 
voir écrit les satires les plus spirituelles publiées contre 
le roi. Henri furieux fit tomber sa vengeance sur la 
famille de Polus ; et le pape , publiant contre ce mo- 
narque la fameuse bulle qu'il avait préparée, offrit la 
couronne d'Angleterre à Jacques , roi d'Ecosse. 

Henri exigea que les évêques et les abbés renonças- 
sent par de nouveaux serments à l'autorité du pape. 
L^archevêque Cromwell lui présenta une nouvelle tra- 
ToM. Xn. 18 



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274 HISTOIRE DE L^BUROPE. 

duclion de la Bible destinée à être répandue dans toutes 
les églises; le roi ordonna au clergé de lire en anglais 
l'oraison dominicale, la confession de foi et les dix 
commandements de Dieu; les ecclésiastiques reçurent 
aussi du monarque l'ordre de recommander les bonnes 
oeuvres aux fidèles, de faire connaître que les reliques 
et les rosaires n'étaient pas nécessaires au salut, d'ôter 
des églises les images auxquelles les dévots faisaient des 
offrandes, de ne laisser brûler des cierges que devant la 
représentation de Jésus-Christ, et de retrancher les mots 
priez pour nous des invocations adressées aux saints 
(i538). 

Le docteur Taylor soutint dans une chaire de Londres 
la présence réelle dans l'eucharistie, Jean Nicholson , 
dit Lambert, lui présenta par écrit les raisons qui l'a- 
vaient déterminé à être d'une opinion contraire; l'ar- 
chevêque Cranmer s'efforça de convaincre Lambert de 
son erreur : celui-ci en appela au roi. Le monarque 
entreprit de le réfuter dans une grande salle de West- 
minster , en présence des évêques et des juges ; les prélats 
donnèrent les plus grands éloges à la science de Henri. 
Lambert fut traité avec mépris et déclaré convaincu 
d'hérésie ; mais il préféra la mort à une rétractation ; 
et, par une cruauté plus affreuse encore que la loi atroce 
réprouvée par les principes évangéliques, et qu'on lui 
appliqua, il fut brûlé à Smithfield avec des circonstances 
^ifont horreur 9 disent les historiens. 

Les flatteries des théologiens inspirèrent à Henri VIII 
une nouvelle tyrannie. Il résolut de faire punir rigou- 
reusement tous ceux qui oseraient avoir des sentiments 
religieux différents des siens : c'est dans cette terrible 
disposition qu'on lui apprit la correspondance secrète 
du cardinal Polus avec plusieurs Anglais. On prétendit 
même que ce cardinal aspirait à la couronne, devait 
quitter la pourpre romaine, et voulait épouser la prin- 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — iSSg, 276 

cesse Marie; on dénonça Henri de Courtenay, marquis 
d^Exeteret petit-fils d^Édouard IV , Henri de La Pôle et 
trois autres grands personnages : ils furent jugés, déclarés 
convaincus et exécutés pour haute trahison. La férocité 
de Henri croissait, et la texTeur se répandait de plus en 
plus dans le royaume. 

Le parlement fut convoqué dans ces funestes circon- 
stances j le roi proposa un bill qui ordonnait la peine de 
mort contre tous ceux qui nieraient la transsubstantiation 
dans Peucbaristie, soutiendraient la nécessité de la commu- 
nion sous les deux espèces , prétendraient que les prêtres 
peuvent se marier , assureraient que les vœux de chasteté 
peuvent être violés, voudraient fairç regarderies messes 
particulières comme inutiles, et diraient que la confession 
auriculaire n'est pas nécessaire au salut. Gardiner, évêque 
de Winchester, que Pon accusait d'une grande dissimu- 
lation, et qu'on soupçonnait de s'être réconcilié secrète- 
ment avec le pape , avait persuadé au monarque que 
personne ne pouiTait le regarder comme hérétique tant 
que ce prince soutiendrait ces six articles, qui, suivant le 
prélat, distinguaient les vrais catholiques des novateurs. 
Cranmer s'opposa en vain pendant trois jours au bill pro- 
posé. La loi fut adoptée par les deux chambres; les Anglais 
la nommèrent le statut de sang. 

Le parlement confirma d'ailleurs au monarque la pos- 
session des maisons religieuses, supposa qu'il en emploie- 
rait les biens à des fondations pieuses, et l'autorisa à ériger 
de nouveaux évêchés. 

On avait supprimé ou on supprima dans l'Angleterre et 
dans le pays de Galles six cent quarante-cinq monastères, 
quatre-vingt-dix collèges, deux mille trois cent soixante- 
quatorze chantreries ou chapelles libres, cent dix hôpi- 
taux, et les revenus de tous ces établissements montaient, 
suivant des historiens anglais, à 161,100 livres sterling. 

Henri se servit des fonds de ces établissements pour 

18. 



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276 HISTOIRE DE l'EUROPE. 

augmenter, dans les universitës d^Oxford et de Cambridge, 
le nombre des collèges et celui des professeurs, et pour 
fonder plusieurs évêchés. 

Le parlement, dans la même session, régla les rangs de 
la noblesse, confirma la sentence prononcée contre le 
marquis d'Exeter , et ceux qui avaient été exécutés avec 
lui, condamna pour le même crime la marquise d'Exeter 
à qui le roi fit grâce, et la comtesse de Salisbury , mère 
du cardinal Polus , et ne permit pas à ces deux princesses 
du sang royal de défendre leur cause. Ce même parle- 
ment, qui venait par cet exercice si injuste et si odieux 
du pouvoir, envers deux princesses du sang royal, 
de montrer à quelle terreur il élait livré , se dés- 
honora aussi par un. acte des plus attentatoires aux 
droits de la nation et aux libertés publiques. Il ordonna 
qu'avec quelques limitations une proclamation du roi ou 
un acte du conseil, dans un temps de minorité, eussent 
la même force quhm acte du parlement. Et ce ne fut pas 
une dictature plus ou moins durable qu'il établit ainsi en 
faveur de Henri VIII, puisqu'il prévit le temps d'une 
minorité ; il transporta au monarque la puissance législa- 
tive des chambres, et déclara indirectement leur convo- 
cation et leur existence inutiles (iSSg). 

Shaxton , évêque de Salisbury, et Latimer , évêque de 
Worcester, s'étaient opposés comme Cranmer aux six 
articles religieux ; ils abdiquèrent leurs sièges pour éviter 
le ressentiment du roi; mais ils n'en furent pas moins 
renfermés dans la Tour. Des commissaires furent envoyés 
dans les provinces pour punir, suivant la rigueur des 
lois, ceux qui condamnaient ces six articles. Cinq cents 
personnes furent arrêtées dans la seule ville de Londres; 
mais le chancelier représenta avec tant de force les suites 
funestes de cette persécution, que le monarque fit élargir 
tous ceux qui avaient été arrêtés et défendit de continuer 
les recherches qu'il avait ordonnées. 



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VINQT-DEUXIÈME ÉJPOQUE. l53o — 1689. 277 

Dans la même année les Gantois, insurgés contre 
Tempereur, s'adressèrent à François I*", réclamèrent 
son secours, lui ofiErirent de grandes sûretés pour la 
durée de leurs engagements, et lui promirent d'avoir 
bientôt gagné en sa faveur toutes les villes de la Flandre. 
Les conseillers du monarque lui représentèrent que, 
comme suzerain des Flamands, il leur devait sa protec- 
tion. Le roi objecta la trêve de dix ans à laquelle il avait 
consenti avec Charles-Quint. « J'aime mieux, ajouta- 
» t-il, tenir une parole donnée librement que d'obtenir 
» l'empire de l'univers. » Il refusa la prière des Gan- 
tois , et envoya leurs lettres à l'empereur. 

Charles-Quint vit combien il lui importait d'arriver 
promptement dans cette Flandre'dont il voulait se pres- 
ser d'arrêter les soulèvements. Il craignit lés tempêtes de 
la mer ou les vents contraires. Il ne voulut pas traverser 
l'Allemagne, dont les princes protestants pouvaient le 
retarder pendant long-temps; il rendit un bel hommage 
à la loyauté de François I", et imagina de passer par la 
France; en demandant l'agrément du roi, il lui fit insi- 
nuer qu'il donnerait l'investiture du Milaniais à Charles , 
duc d'Orléans, second fils du monarque français. Des 
conseillers de François proposèrent d'exiger des gages 
de la promesse de Charles. Le duc de Montmorenci, qui 
Tenait d'être fait connétable , représenta cette précaution 
comme indigne de la magnanimité du roi. François I*' 
s'empressa d'adopter l'avis du connétable, et donna à 
Charles-Quint toutes les sûretés qu'il désirait. Sa santé, 
dérangée par des suites funestes de sa passion pour les 
plaisirs, ne lui permit d'aller que jusques à Loches au- 
devant de Charles. Mais ses deux fils s'avancèrent Jus- 
ques à Bayonne. L'empereur fut reçu avec magnificence; 
on a évalué à 4 millions ce que coûtèrent les chasses, les 
tournois, les festins, les spectacles qu'on lui donna; il 
roulait montrer le plus grand calme; mais il ne pouvait 



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278 HISTOIRE DE l'eUROPE. 

pas cacher, dans tous les instants, des alarmes que ne mé- 
ritait pas le caractère chevaleresque de François I*'^. Le 
jeune duc d'Orléans s'élança un jour , en jouant, sur la 
croupe du cheval de Perapereur , jeta les feras autour de 
Charles, et lui dit en riant: Je vous fais mon prisonnier. 
On vit Charles-Quint se troubler et pâlîr. • 

Un autre jour François I®*^ lui montra la duchesse d'É- 
tampes, et lui dit : « Voyez-vous, mon frère, cette belle 
» dame? elle est d'avis que je ne vous laisse pas sortir 
» de Paris avant que vous n'ayez révoqué le traité de 
» Madrid. — Si le conseil est bon, il faut le suivre, » 
répondit Charles-Quint en fronçant le sourcil; mais le 
lendemain, étant auprès de la duchesse, il laissa tomber 
un très-beau diamant de son doigt. La duchesse le ra- 
massa, et le lui présenta. <( Gardez-le, madame, lui dit- 
» il; je suis heureux de pouvoir orner une aussi belle 
» main. » 

Il ne donna aucun écrit relatif à la cession du Mila- 
nais ; il ne répondit que par des équivoques à ce que le 
connétable de Montmorenci lui insinua à ce sujet dans 
une fête qu'il lui donna à Chantilli. La loyauté de Fran- 
çois I*"^ fut inébranlable; Charles-Quint sortit de France, 
au milieu des honneurs, comme il y était entré ; et Fran- 
çois eut la gloire de se venger en noble chevalier des 
traitements qu'il avait éprouvés à Madrid. 

Mais quel coup terrible la perfidie de l'empereur a 
porté au roi de France ! il a écrit à toutes les conts de 
l'Europe des lettres datées du Louvre : « Le roi et moi , 
» dit-il dans ces lettres si indignes d'un monarque, unis 
» désormais par les liens de la plus étroite alliance , som- 
» mes convenus de réunir nos. forces pour accabler les 
» hérétiques et les musulmans. » Le roi d'Angleterre , 
les princes protestants d'Allemagne et Soliman II ne vi- 
trent plus dans François I" qu'un monarque qui sacri- 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o — lôSg. 279 

fiait la liberté de FEurope et les intérêts de ses états à 
de chimériques espérances. Le roi, indigné de tant de 
fausseté, envoya des ambassadeurs à Conslantinople et 
à Venise pour désabuser ses alliés. Charles-Quint les fit 
assassiner (i54i). François I" se plaignit en vain à toutes 
les cours de FEurope de tant d'atrocités; elles gardèrent 
leurs préventions funestes. Soliman seul lui fut fidèle. 
Le roi de France, furieux contre Fempereur, lui déclara 
la guerre. 

Charles-Quint, par des diminutions d'impôts, des fa- 
veurs et des promesses dont il était prodigue , était par- 
venu à calmer le ressentiment des Flamands; mais une 
grande calamité accabla son royaume d'Espagne. Une 
horrible famine, suivie de maladies cruelles, emporta la 
onzième partie des habitants de ce royaume. Pendant ces 
malheurs de la péninsule, il y eut à Worms un colloque 
entre Eck , docteur catholique , et Philippe Melanchton , 
le disciple et Fami de Luther, avec lequel il avait rédigé 
la fameuse confession d'Ausbourg. Celte conférence eut 
lieu en présence de Nicolas Granvelle , commissaire de 
Fempereur , et du nonce du pape. Calvin y assista. 

Le colloque fut rompu dèsle troisième jour et transféré 
à Ratisbonne, où Charles-Quint présida en personne la 
diète germanique. Le cardinal Contarini, légat du pape, 
était parvenu à gagner Fesprit des princes protestants, au 
point qu'on allait s'accorder sur la plupart des articles 
contestés; mais le pape Paul III eut la maladresse de casser 
tous les actes du colloque, sous le prétexte qu'une assem- 
blée dé séculiers ne pouvait pas traiter des matières de 
religion. Charles-Quint convint alors avec la diète de de- 
mander au pape la prompte convocation d'un concile 
général et libre , au défaut duquel l'empereur réunirait 
un concile national qu'il présiderait lui-même, à Fexem-. 
pie de ses prédécesseurs; et si l'une ou l'autre de ces as- 
semblées ecclésiastiques ne pouvait pas avoir lieu, une 



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28o HISTOIRE DE l'eUROPB. 

diète générale terminerait les arrangements relatifs à la 
religion. 

En attendant ces,arrangements, les décrets de la diète 
de Nuremberg et les édits de Ratisbonne i552, et de 
Francfort i55g ^ continueraient d^être exécutés; les 
protestants resteraient en possession des biens ecclésias- 
tiques . à condition qu'ils en emploieraient les reyenus 
d'une manière conforme à la destination de ces biens, 
et particulièrement a l'entretien des églises et des écoles. 
La chambre impériale ne pourrait plus refuser les 
assesseurs protestants qui lui seraient légitimement 
présentés, ni exclure de s.on sein les membres qui em- 
brasseraient le luthéranisme (i54o). 

Ce fut après avoir assisté au colloque de Ratisbonne 
que Calvin fut rappelé avec honneur à Genève, où il 
dressa un formulaire de confession de foi , de discipline 
ecclésiastique et de catéchisme, qu'il y fit passer en loi. 

On ne comprend pas par quelle politique Charles- 
Quint, au milieu des circonstances critiques où se trou- 
vait l'Europe, des dissensions religieuses, delà défaite 
de son frère le roi Ferdinand par les Turcs, de la prise 
de Bude par Soliman II, des grands préparatifs que faisait 
François I®' pour l'attaquer au nord et au midi de la 
France, et des fléaux qui avaient ravagé les Espagnols, 
imagina de déclarer la guerre aux Algériens, et d'aller 
en personne faire le siège de leur capitale. La valeur de 
ces Africains et plusieurs grandes tempêtes lui firent per- 
dre son armée, sa flotte, et l'obligèrent à revenir honteu- 
sement en Espagne. 

Nous ne devons pas passer sous silence que ce fut après 
cette entreprise si funeste qu'il crut, au moment surtout 
où il allait soutenir une nouvelle guerre contre la France , 
devoir employer, afin de conserver la x'éputation qui lui 
paraissait nécessaire , une précaution bien extraordi- 
naire pour le souverain d'un si grand nombre d'états : 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — iSSg. 281 

Pierre d^Arezzo, dit FArétin , vivait en Italie; il était 
fameux par ses ouvrages obscènes et par ses poésies sati- 
riques; les princes et les grands n^avaient trouvé d'autre 
moyen de prévenir les traits acérés qu^il lançait contre 
eux qu'en le comblant de présents ; on le nommait le 
fléau des princes. Charles-Quint , de retour en Espagne 
après ses x^e vers, lui envoya une chaîne d'or de la valeur 
de cent ducats : « Voilà, ditPArétin, un don bien petit 
» pour une si grande sottise. » François P' avait ordonné, 
pour un climat bien différent de celui de PAfrique, une 
expédition bien plus utile que l'entreprise pour laquelle 
l'empereur avait voulu acheter le silence de l'Arétin. 
Depuis long-temps deux navigateurs vénitiens, Jean Ca- 
bot et son fils Sébastien, avaient été chargés par le roi 
d'Angleterre Henri VII de découvrir un passage pour 
aller sur les côtes d'Asie par l'Amérique septentrionale, 
ou le continent boréal , situé au nord-ouest de l'Europe; 
ils avaient découvert Prima- Vista et l'île Saint-Jean. Le 
Portugais Gaspard de Portréal avait vu les bords du 
grand fleuve Saint-Laurent. Les Basques, les Bretons et les 
Normands, audacieux navigateurs, se hasardaient, avec 
de faibles barques, jusque sur le banc de Terre-Neuve, 
et y péchaient une grande quantité de morues qu'ils rap- 
portaient en France. François I" fit partir Vorazani, 
qui arbora les armes de France sur quelques rivages de 
l'Amérique septentrionale. Jacques Cartier reconnut une 
vaste contrée arrosée par le large fleuve de Saint-Lau- 
rent, découvert depuis un grand nombre d'années; il lui 
donna le nom de Canada , et Roberval découvrit l'île 
Royale et l'Acadie qui devait servir à donner une ac- 
tivité nouvelle au commerce des pelleteries et des four- 
rures (Î542). 

François I*"", cependant, avait formé plusieurs armées 
pour attaquer l'empereur; le duc d'Orléans compiandait 
une de ces armées; .il entra dans le Luxembourg et s'en 



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-283 HISTOIRE DE L'eUROPE. 

empara; mais, ayant appris que le dauphin se préparait 
à livrer une grande bataille aux Impériaux, il distribua 
ses troupes dans les places frontières , et se hâta de partir 
pour se trouver à cette bataille, dont il voulait partager 
la gloire ; le combat cependant n'eut pas lieu , et les en- 
nemis reprirent Luxembourg. 

L'empereur avait annoncé qu'il allait se mettre à la 
tête de ses troupes. François !•' le crut, et s'avança jus- 
ques à Montpellier, dans l'espérance de rencontrer sou 
rival sur un champ de bataille, et de se mesurer corps 
à corps avec lui; mais l'empereur ne parut pas. Le 
dauphin fit alors le siège de Perpignan ; les assiégés lui 
opposèrent une grande résistance. Des maladies épîdé- 
miques emportèrent un grand nombre de Français j des 
pluies succédèrent à de fortes chaleurs. Le roi ordonna 
à son fils de lever le siège ; le dauphin, affligé de renon- 
cer à son entreprise lorsque son frère , dont il était ja- 
loux, avait réussi dans la sienne, fut pendant plusieurs 
mois malade grièvement. 

Vers le temps de cette maladie, un jugement célèbre 
donna une grande leçon. 

Le chancelier Poyet avait servi le ressentiment du roi 
contre Tamîral Chabot, dont le monarque avait ordonné 
le jugement; il avait, pour plaire au monarque, violé 
les lois, soustrait l'amiral à ses juges naturels, formé une 
commission pour le juger, composé ce tribunal illégal 
des magistrats qu'il crut disposés à seconder ses vues, et, 
par une suite de ses instances , de ses efforts et de mesu- 
res réprouvées par la justice. Chabot avait été privé de 
ses charges, dégradé; et, quoique le roi l'eût rétabli 
ensuite dans ses biens et honneurs, il était mort de 
chagrin. Le crédit du chancelier s'affaiblit avec le temps; 
des refus auxquels il se crut obligé déplurent à la du- 
chesse d'Étampes; elle régnait sur François I***^ en sou- 
veraine absolue; elle rappela le procès de l'amiral et 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOC^UE. l55o — lôSg. 283 

demanda le jugement du chancelier. Le roi ne put ré- 
sister à la duchesse; le parlement commença le procès de 
Poyet; des juges soutinrent qu'il avait gêne leurs suffra- 
ges et usé même de violence avec eux lors du jugement 
de Chabot. Un arrêt lui ôta sa charge de chancelier , le 
déclara inhabile à remplir aucun oflBce royal, le con- 
damna à cent mille livres d^amende , et ordonna qu'il fût 
confiné dans telle prison et sous telle garde qu'il plairait 
au roi de déterminer. 

Les légats du pape proposèrent à la diète gerinanique 
de Spire de convoquer un concile à Trente; les princes 
catholiques y consentirent; mais les protestants préten- 
dirent qu'il n'y aurait à Trente ni sûreté ni liberté pour 
leurs théologiens; et ils soutinrent que, le pape étant 
partie dans les discussions sur lesquelles le concile géné- 
ral devait prononcer, l'empereur seul devait convoquer 
cette assemblée, et la diriger comme avoué suprême de 
l'Eglise chrétienne. 

L'électeur de Saxe nomma à l'évêché de Naumbourg, 
et le donna, non pas à Jules de Pflug que le chapitre avait 
^lu^ maïs au ministre Amsdorf. 

Dans la même année , une transaction eut lieu entre 
Antoine , duc de Lorraine, et l'empereur Charles-Quint. 
Le duché de Lorraine fut déclaré un état souverain, 
libre, indépendant, et exempt de la juridiction des 
tribunaux germaniques sous la protection de l'empire, 
sauf la mouvance de fiefs particuliers, pour lesquels il 
fut convenu que le duc paierait un tiers du contingent 
électoral. 

Le roi d'Angleterre avait épousé deux ans auparavant, 
et par les conseils de Cromwell , la princesse Anne de 
Clèves. Il avait reçu le portrait de celte princesse, peint 
par le célèbre Holbeîn. Informé qu'elle avait débarqué 
à Roch ester, il voulut la voir sans être connu; elle lui 
parut affreuse. Se souvenant néanmoins qu'elle était belle- 



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284 HISTOIRE DE L^EUROPB. 

sœur du duc de Saxe, chef de la ligue de Schmalkalden^ il 
n'osa pas lui refuser sa main. Mais son aversion pour elle 
augmenta chaque jour ; et il la supportait d!autant moins 
qu'elle n'avait aucune connaissance dans Part de la mu- 
sique pour lequel Henri VIII élait passionné. 

Le parlement approuva, sur la proposition du monar- • 
que, la nomination de commissaires chargés d'examiner 
les articles contestés de la croyance religieuse, et la sup- 
pression en Angleterre de l'ordre de Saint-Jean de Jéru- 
salem. On regardait ces chevaliers comme dépendants du 
pape et de l'empereur ; leurs hiens furent réunis à ^la 
couronne : on assigna des fonds pour leur subsistance 
(i54o). 

Le roi nomma Cromwell comte d'Essex ; mais ce vice- 
gérant était haï des nobles, qui ne lui pardonnaient pas 
ce qu'ils appelaient sa basse naissance. Les catholiques 
romains le détestaient; le roi. ne pouvait lui pardonner 
de l'avoir fait consentir à épouser la princesse de Clèves. 
Le duc de Norfolk et l'évêque Gardiner dirent au monar- 
que que tout le royaume regardait le vice-gérant comme 
l'auteur de toutes les mesures qu'on blâmait. « Il a trompé 
» votre Majesté dans l'affaire de son mariage, ajoutè- 
» rent-ilsj elle s'attirera l'affection de la nation en le 
» sacrifiant au ressentiment du peuple anglais. » 

Henri résolut d'abandonner Cromwell à la vengeance 
de ses ennemis; le duc de Norfolk, au nom du roi, arrêta 
le vice -gérant à la table du conseil. On le conduisit à 
la Tour; on refusa d'entendre sa défense. Un bill du 
parlement le déclara coupable de plusieurs hérésies et 
trahisons , et le condamna à subir le genre de mort que 
le monarque ordonnerait. 

On connut le désir qu'avait le roi de voir dissoudre son 
mariage avec Anne de Clèves; il le souhaitait d'autant plus 
ardemment qu'il était devenu très-amoureux de Cathe- 
rine Howard, fille de lord Edmond, ^t nièce du duc de 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o— iSSg. 285 

Norfolk. La chambre des pairs et un comité des commu- 
nes supplièrent sa Majesté, par une adresse, d^ordonner 
qu'on examinât la validité de son mariage : une commis- 
sion fut nommée à ce sujet; on entendit des témoins; on 
reçut des déclarations du roi , des membres du conseil 
prité, de Cromwell, de quatre autres pairs ou baronnets, 
des médecins de la reine, et de quelques dames de la cham- 
bre. On dit qu'il y avait eu un contrat de mariage entre 
la reine et le duc de Lorraine. « Le roi, ajouta-ton, ayant 
» épousé la reine contre sa volonté, n'a pas donné un 
» consentement pur, intérieur, et complet, et n'a pas 
» consommé le mariage. » Ces motifs furent adoptés avec 
chaleur par les partisans du pape : Cranmer craignit 
pour sa vie , et partagea leur ayis. Le mariage fut déclaré 
nul, sa dissolution prononcée, et la sentence présentée 
aux deux chambres, qui l'approuvèrent. Trois pairs 
notifièrent le bill à la princesse de Clèves , qui ne parut 
pas très-mécontente. Le roi, par des lettres patentes, la 
déclara sa sœur adoptive, lui donna la préséance sur 
toutes les dames, excepté sa femme et sa fille, lui assigna 
pour son entretien une terre de trois mille livres de rente, 
lui laissa la liberté de rester en Angleterre ou de retour- 
ner dans sa patrie, et la princesse écrivit à son frère qu'elle 
approuvait tout ce qui s'était passé. 

Le parlement, après avoir diminué les peines portées 
dans le statut de sang, contre les ecclésiastiques qui viole- 
raient le vœu de chasteté, adopta un bill d'après lequel 
tout ce qui serait ordonné par le roi , en matière de 
religion, aurait force de loi, pourvu qu'il ne prescrivît 
rien de contraire aux lois du l'oyaume. La conscience re- 
ligieuse des Anglais fut ainsi soumise au monarque auquel 
on reconnut une sorte d'infaillibilité. Toujours empressé 
de se conformer à tous les projets du prince, le parle- 
ment régla qu'un mariage déjà consommé ne pourrait 
être dissous à raison d'un contrat précédent , ni de tout 



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286 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

autre empêchement qui ne proviendrait pas de la loi di- 
vine; et le clergé de la province métropolitaine de Can- 
torbéry accorda au roi le cinquième de ses revenus, en 
reconnaissance de ce qu'il avait délivré FÉglise d'Angle- 
terre de la tyrannie du pape. 

Ce don du clergé n'empêcha pas Henri de demander 
un subside aux deux chambres. Le parlement, malgré 
sa servilité , montra un grand étonnement de cette 
demande , formée par le monarque dans un temps de 
paix, et après avoir retiré des sommes immenses de 
la suppression des monastères. De violents débats s'éle- 
vèrent à ce sujet dans la chambre des communes ; mais 
on représenta les dépenses que le roi avait faites pour 
mettre les côtes maritimes en état de défense , et le sub- 
side fut voté ( i54o ). 

Cromwell cependant était toujours en prison. 11 avait 
écrit au roi les lettres les plus soumises; il avait im- 
ploré sa grâce ; le roi avait paru ému ; mais les sollici- 
tations du duc de Norfolk , l'ennemi de Cromvrell , cel- 
les de l'évêque de Winchester et la beauté de Cathe- 
rine Hovrard l'emportent sur les anciens sentiments 
du mons^rq'ue. Le roi ordonne que Cromvsrell soit [dé- 
capité sur l'esplanade de la Tour. On conduit à l'écha- 
faud celui qui a été si puissant; héros de la tendresse 
paternelle , Cromvrell fait à son fils le plus grand des 
sacrifices; il veut détourner de dessus une tête si chère 
la foudre de ses ennemis : il renonce à prouver son 
innocence. « Je remercie le ciel , s'écrie-t-il , de ce 
» que je vais souffrir la mort pour les fautes que j'ai 
» commises : j'ai offensé Dieu et le roi qui m'avait 
» élevé de la poussière : j'ai été séduit ; mais je meurs 
» dans la religion catholique ; et que ceux qui assistent 
)> à mon supplice prient pour le roi, pour la patrie et 
» pour Cromvrell. » 

Le monarque ne peut s'empêcher de donner des 



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VINGT-ÛEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — 1689. 287 

larmes à sa mort : l'Angleterre consternée rappelle 
que Cromwell s'était élevé par ses talents et son esprit, 
qu'il avait soutenu la prospérité avec modération, que 
tous ceux qui l'avaient obligé avaient éprouvé sa recon- 
naissance , que son intégrité n'avait jamais été soupçon- 
née , et l'on redoute que de grands malheurs ne tombent 
sur Catherine Howard , sur Norfolk et sa famille. 

Plusieurs Anglais reçoivent la mort pour avoir refusé 
de reconnaître la suprématie du roi ; un lord est con- 
damné pour magie j trois prêtres sont brûlés pour avoir 
soutenu la doctrine de Luther. 

Les flammes de leur bûcher, au milieu desquelles 
ils prient pour leurs persécuteurs, sont en quelqye sorte 
les horribles flambeaux d'hyménée à la lueur desquels 
Henri VHI déclare son mariage avec Catherine Ho- 
ward. 

Quel mariage sinistre ! le roi était allé à Yorck j un 
nommé Lassels se rend à Londres; il va trouver Cranmer; 
il avait une sœur au service de la duchesse douairière 
de Norfolk; il révèle à l'archevêque tout ce que sa sœur 
lui a appris de la conduite de Catherine. « Elle a vécu, 
» dit-ii , avant son mariage dans le plus grand désor- 
» dre; elle a entretenu une correspondance scandaleuse 
-» avec deux hommes nommés Deirham et Mannock; et, 
» malgré le haut i*ang où elle est montée , elle continue 
» de se livrer à ses plaisirs criminels. » Cranmer , sur- 
pris et effrayé de cette révélation , en parle au chancelier 
et à quelques autres membres du conseil privé(i54i): ils 
lui conseillent d'en instruire le roi d'abord après son 
retour. L'archevêque redoute presque également de 
garder le silence et d'informer Henri VIII de la dénon- 
ciation; il se décide cependant à exposer cette dénon- 
ciation dans un mémoire, et le remet au roi : Henri VIII 
regarde la révélation comme une atroce calomnie dont 
il veut faire punir sévèrement les auteurs ; Lassels est 



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!l88 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

interrogé par le garde du sceau privé, répèle ce qu'il 
a dit à Çranmer, eX fait venir sa sœur, qui confirme 
tout ce qu'il a avancé. On arrête Deirham et Mannock : 
ils avouent qu'ils ont eu un commerce coupable avec la 
reine. « Lady Rochefort , ajoutent- ils , celle qui a 
» accusé son mari d'inceste avec Anne de Boulen , a 
» été notre principale confidente : elle a d'ailleurs in- 
» troduit dans la chambre de, la reine un nommé Cul- 
» peper qui y amassé cinq heures de la nuit. » La reine 
interrogée commence par tout nier , mais finit par 
avouer qu'avant son mariage elle avait accordé ses faveurs 
à plusieurs hommes; le roi répand des larmes de déses- 
poir; Deirham , Mannock et Culpeper sont exécutés; 
la reine est renvoyée au parlement ; deux pairs ecclé- 
siastiques et deux pairs laïques l'interrogent; elle renou- 
velle ses aveux ; le parlement la déclare coupable ; 
les deux chambres demandent qu'elle soit punie de 
mort, et que la même peine soit infl.igée à lady Roche- 
fort , complice de ses débauchea , à la duchesse douai- 
rière de Norfolk , grand'mère de la reine , au père de 
Catherine , à sa mère, à la duchesse de Bridge-Water, 
à cinq autres femmes et à quatre hommes pour n'avoir 
pas informé sa Majesté de la vie dissolue de Catherine 
Howard,; le roi donne son consentement ; tous ceux 
qui ont été déclarés coupables sont .condamnés à mort 
par un bill jjaiieinder , qui en même temps ordonne 
la peine du crime de haute trahison contre ceux qui 
auraient connaissance des débauches d'une reine et 
manqueraient à le déclarer, contre toute jeune personne 
qui , sollicitée d'épouser le roi , tromperait le monar- 
que au sujet de sa virginité, contre toute reine ou prin- 
cesse de Galles qui se laisserait séduire , contre tout 
homme qui aurait l'audace de chercher à séduire la reine 
ou une princesse, contre tous ceux qui favoriseraient cette 
intrigue criminelle, et enfin contre toute personne qui, 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o— 1689. ^^89 

instruite de la mauvaise conduite d'une fille demandée 
en mariage par le roi , ne s'empresserait de la révéler. 

Catherine Howard monta sur Péchafaud : elle protesta 
qu'elle n'avait jamais souillé 4a couche du roi j lady Ro- 
chefort eut aussi la tête tranchée ; maïs le peuple de 
Londres s'éleva avec tant de force contre la sévérité du 
bill, que Henri VIII n'osa pas continuer de le faire exé- 
cuter : quelques-uns des parents ou alliés de Catherine 
furent seulement retenus pendant long-temps en prison. 
Ainsi périt la cinquième femme de Henri; et un grand 
nombre d'Anglais virent dans sa mort le châtiment de 
celle de Cromwell ( i54:2). 

Le parlement d'Angleterre confirma un acte par le-, 
quel celui d'Irlande venait d'ériger cette grande île en 
royaume : mais Henri VIII désirait de réunir aussi sur 
sa tête la couronne d'Ecosse, ou du moins de faire re- 
connaître son droit de supériorité sur ce royaume comme 
Edouard I®' en avait joui , et de forcer Jacques V à re- ' 
noncer à la suprématie du pape; il préteiidit que la 
trêve avait été violée, publia un manifeste, et envoya en 
Ecosse une armée commandée par le duc de Norfolk ; 
Gordon et dix mille Écossais ne purent empêcher Nor- 
folk de ravager tout le pays voisin de la Twed; les 
Anglais se retirèrent à Berwick à cause de la rigueur de 
la saison; Jacques réunit quinze mille hommes et un 
corps d'artillerie, parut pendant peu de temps à la tête 
de l'armée , et en donna le commandement à son favori 
Olivier Sinclair : les nobles écossais , irrités du choix 
de ce général qu'ils détestent , refusent de servir sous ses 
ordres; la plus grande confusion règne dans le camp ; 
trois cents cavaliers anglais se présentent; on les prend 
pour l'avant-garde de Norfolk; la terreur panique saisit 
les Écossais; ils prennent la fuite sans combattre; les 
Anglais les poursuivent, font prisonniers Sinclair, plu- 
sieurs lords , deux cents gentilshommes , huit cents 
ToM. XII. 19 



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SgO HISTOIRE DE L^EUROPE. 

soldats^ €t s'emparent de tout le bagage et de toute l'ar- 
tillerie. 

Cette défaite ) Pinsnrrection de la noblesse et la haine 
quelle avait contre Jacques V causèrent un si grand 
chagrin à ce prince qu'il cessa bientôt de vivre, laissant 
son royaume à Marie Stuart qui venait de naître^ et 
qu'il avait eue de sa seconde femme, Marie de Lorraine, 
fille de Claude de Lorraine, duc de Guise. 

Henri jugea les circonstances favorables pour réunir 
les couronnes d'Angleterre et d'Ecosse par le mariage 
de Marie Stuart, avec Edouard, prince de Galles : un 
grand nombre de prisonniers écossais étaient à Londres; 
on leur parla de cette union; ils parurent disposés à la 
favoriser ; on leur permit de retourner en Ecosse, à con- 
dition qu'ils reviendraient en Angleterre si le projet de 
Henri ne pouvait pas réussir. 

L'héritier présomptif de la couronne que l'on venait 
de placer sur le berceau de Marie était Jacques Hamilton, 
comte d'Aran : il favorisait la réforme religieuse, et était 
odieux au clergé d'Ecosse ainsi qu'à la reine douairière , 
aveuglément dévouée à l'autorité du pontife de Rome : 
les sentiments religieux de cette princesse étaient sans 
cesse animés par l'archevêque de Saint- André, David 
Beàton; ce prélat, d'un caractère violent et d'une am- 
bition extrême, persécutait les réformés et avait reçu 
le chapeau de cardinal comme -une récompense de son 
zèle ardent pour les intérêts de la cour pontificale. Ne 
doutant pas de réussir dans toutes ses vues au milieu des 
troubles de sa patrie, il produisit un faux testament par 
lequel le feu roi le nommait régent ou vice-roi pendant 
la minorité de Marie; la reine douairière et ses amis 
soutiennent ses prétentions; mais les partisans de la ré- 
forme engagent le comte d'Aran à r^lamer la régence 
comme premier prince du sang , et sa demande est for- 
tement appuyée par Arcbibald Douglas > comte d'An- 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — iSSg. 291 

gus, et son frère Guillaume, qui reviennent d'Angleterre 
après un exil de quinze ans. 

Le testament est examine par le parlement d'Ecosse. 
La fausseté de cet acte est reconnue , et le comte d'Aran 
est nommé régent du royaume. Un ambassadeur de 
Henri vient proposer au parlement le mariage d'Edouard 
et de Marie j la proposition est acceptée, les deux Dou- 
glas et quelques autres ambassadeurs sont envoyés à 
Londres; un traité est signé; la jeune reine doit être 
élevée en Ecosse jusques à Page de dix ans, et le parle- 
ment écossais doit choisir trois otages qui resteront en 
Angleterre. 

Mais Beaton redouble toutes ses intrigues ; le clergé 
lui fournît une contribution très-forte : ils soulèvent 
le peuple. Le mariage de Marie avec Edouard amènerait, 
disent-ils, l'esclavage de l'Ecosse. L'ambassadeur d'An- 
gleterre est insulté par la populace , et le régent ne peut 
le protéger. 11 somme les prisonniers écossais de revenir 
à Londres. Un seul tient sa promesse; il se nomme Gil- 
bert Kennedy , comte de Cassils. Henri VIII le compare 
à Régulus, et le renvoie sans rançon ( i543). 

Là reine douairière et le cardinal invitent Mathieu 
Stuart , comte de Lennox , à revenir de France , où il 
résidait depuis quelque temps. On lui promet la main 
de la reine douairière. « Et c'est lui, ajoute-t-on, quisuc- 
» cédera à Marie, si cette jeune princesse vient à mourir, 
». le mariage du père du comte d'Aran étant sujet à 
» quelques objections. » 

Lennox arrive en Ecosse , lève des troupes, se prépare 
à distribuer aux partisans des Français les sommes que 
François I*' lui a remises, et veut retirer la jeune reine 
des mains du régent. Mais le faible comte d'Aran s'effraie, 
s'arrange avec la reine douairière et l'archevêque, em- 
brasse leur parti, et abjure la doctrine de la réfor- 
ma tion. 



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292 HISTOIRE DE L^EUHOPE. 

Le cardinal et Marie de Lorraine redoutent alors 
Lennox, dont ils n'ont plus besoin. La reine douairière 
prie secrètement François !«' de rappeler Lennox ; le 
cardinal engage le comte d'Aran à lever un corps de 
troupes; Lennox se prépare à se défendre, fortifie Dum- 
barton et Glascow; les deux partis néanmoins se récon- 
cilient en apparence. Mais Lennox, informé d'une con- 
spiration tramée contre sa personne, se retire dans la 
forteresse de Dumbarton et y apprend ce que la reine 
douairière a écrit contre lui à François P^« 

Pendant cette guerre civile d'Ecosse, les feux de l'in- 
surrection commençaient à s'allumer en France. Fran- 
çois I«' avait aboli la gabelle, ou le monopole du sel, 
dans les provinces qui avaient gémi sous cet impôt des- 
tructeur ; mais il avait établi un droit sur le «el devenu 
marchandise ; et ce droit , qui s'étendait sur toutes les 
provinces du royaume , pesait par conséquent sur celles 
qui, n'ayant pas été soumises à la gabelle, n'avaient reçu 
aucun soulagement par la suppression de ce monopole. 
Les habitants de l'Aunis, de la Saintonge et du Poitou 
refusent de payer le nouveau droit. La Rochelle, Bor- 
deaux et presque toutes les villes qui bordent la Garonne 
et la Dordogne suivent leur exemple ; les têtes s'exal- 
tent 3 les percepteurs sont repoussés; l'insurrection de- 
vient menaçante ; elle est près de s'étendre : on se plaint 
amèrement de la cour. « Le luxe des favoris et celui des 
» maîtresses, s'écrie-t-on, sont des fléaux plus ruineux 
» que' la guerre elle-même. » François !«' accourt, il 
parle aux mécontents, les écoute, défend toutes pour- 
suites, pardonne les résistances, diminue le droit, et 
l'ordre est bientôt rétabli. 

Une guerre bien plus générale allait embraser l'Eu- 
rope. Chai-les-Quint, redoutant les armes et les alliés 
de François I", avait désiré vivement de contracter une 
alliance étroite avec l'Angleterre. Henri VIII ne pouvait 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o — 1689. SgS 

jàrdoi^ner'au rai de France les railleries piquantes du 
monarque français sur ses divers mariages. Charles et 
Henri signent un traité par lequel ils conviennent d'en- 
voyer des ambassadeurs au roi de France. « Les Turcs, 
» lui dirent ces ambassadeurs ^ sont entrés dans la chré- 
» tienté à votre sollicitation. Nous vous demandons de 
» rompre toute communication avec ces infidèles ; répa- 
» rez le^ dommage qu'ils ont fait en Europe 5 cessez 
» toute hostilité contre l'empereur ; rendez les places 
» que vous avez prises avec le secours des musulmans ; 
» payez ce que vous devez au roi d'Angleterre ; remettez 
» entre ses mains , pour sûreté de la pension que vous 
» lui avez promise , les comtés de Ponthieu , Boulogne , 
» Mbntreuil, Ardres et Thérouenne; rendez le duché de 
)> Bourgogne à l'empereu]^ ; et si vous refusez ces condi- 
» tions , les deux monarques ne cesseront de vous faire 
» la guerre que lorsque Henri VHI sera en possession 
» de la couronne de France et que Charles-Quint sera 
» maître d'Abbe ville, de Bray, de Corbie, de Péronne, 
)y de Ham , de Saint-Quentin et de la Bourgogne^ » 

L'empereur , devenu l'allié de Henri VIII , dont sa 
politique lui fait oublier la conduite envers sa tante , 
et qui ne veut pas cesser d'augmenter le nombre des 
ennemis des Français, compte assez 'sur son influence 
pour vouloir que le pape entre dans la ligue qu'il vient 
de former avec le plus grand ennemi de la puissance 
romaine. 

Il est curieux de voir de quelle manière il presse 
Paul III , dans une espèce de manifeste , de se déclarer 
contre François I*"*. « Le roi de France , dit-il , ne songe 
» qu'à faire du mal , et je ne pense qu'à faire du bien j 
» il est injuste, et je ne demande que mon droit ; il a 
r> conjuré la ruine de la chrétienté par son alliance 
» avec le Turc, et j'ai entrepris de la défendre; il viole 
y* tous les traités de paix , et je lui pardonne ses offenses; 



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29^ HISTOIRE DE L^EUROPE. 

» il veut tout envahir, et je me contente de ce qui m'ap-- 
» partient ; il opprime des chrétiens, et je les protège; 
» il attaque l'Église de Rome, et je me fais gloire de la 
» défendre, 

» — C'est ce protecteur de l'Église , répond Fran- 
» çois 1°' dans un autre manifeste, qui a retenu Clé- 
» ment VII en prison pendant plus de six mois ; c'est ce 
» prince x^eligieux qui, dans ^expédition de Tunis, a 
» sacrifié la vie d'une multitude de ses sujets chréliens 
» au barbare assassin de dix de ses frères, l6 bey de 
» Tunis, dont il s'est déclaré Pallié; c'est le protecteur 
» des opprimés qui a abandonné à l'empereur des Turcs 
» la reine Elisabeth de Hongrie ainsi que le fiis de cette 
» veuve du roi Zapolski, et lui a proposé de partager 
» avec lui les états de l'orphelin ; c'est ce prince catho- 
» lique qui tolère les sectaires d'Allemagne, ne les em- 
)x pêche pas de dépouiller les églises, et leur permet de 
» ruiner le clergé, pourvu qu^ils lui accordent des 
» secours pour dévaster la France ; c'est ce grand ami 
» des lois et de l'humanité qui a fait assassiner mes 
)> ambassadeurs; c'est ce zélateur du saint -siège qui 
» s'allie au roi d'Angleterre et le soutient dans son apo- 
» stàsie. » Le pape, malgré ces manifestes, voit d'un côté 
l'homme le plus ambitieux et le plus dissimulé , et de 
l'autre l'allié de Soliman II et des lutliériens d'Allema- 
gne; il garde la neutralité. Charles -Quint mécontent 
refuse l'investiture des duchés de Parme et de Plaisance 
à Pierre-Louis Farnèse, que le pape avait eu d'une con- 
cubine pendant sa jeunesse, et auquel ce pontife avait 
donné ces deux duchés. 

L'empereur, sous divers prétextes, attaque les états 
de Martin, duc de Gueldre et de Juliers. Martin les 
défend avec courage ; plusieurs princes voisins accou- 
rent à son secours. François P' lui accorde la main de 
sa nièce Jeanne d^Albret, fille tle Marguerite, reine de 



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viNGT-DEUxiÈMB ÉPOQUE. i55o — 1689. agS 

Navarre. Jeanne n^avait que onze ans; le mariage n'est 
pas consommé. Martin revoie à la défense de ses états ; 
il ne reçoit pas les renforts sur lesquels il comptait; 
plusieurs de ses sujets, séduits par Pargent de l'Espagne y 
se conduisent de manière à lui faire craindre des trahi- 
sons. Ses duchés sont envahis; il va se jeter aux pieds de 
Charles-Quint qui lui rend le duché de Juliers, garde 
celui de Clèves, et le mariage du duc avec Jeanne d'Al* 
Ibretest entièrement rompu. 

Un grand événement politique et militaire attire vers 
les côtes de Provence l'attention de la France et celle de 
l'Europe. François de Bourbon, comte d'Enghien, neveu 
et fils adoptif du comte de Saint-Pol , avait été nommé 
par le roi pour commander la flotte française qui devait 
se réunir dans la Méditeri'anée à celle de Soliman. II 
n'avait que vingt-trois ans; mais on louait son courage^ 
son instruction , son éloquence militaire , son caractère 
réfléchi , sa bonté et son amour de la gloire. Il avait été 
reçu à Marseille avec enthousiasme. Bientôt on voit ar- 
river la flotte turque dans le port; elle est composée de 
cent douze galères; le vieux et fameux Barberousse, qui, 
à force de génie et d'audace, est devenu roi d'Alger, et 
capilan-pacha ou grand-amiral de l'empire ottoman, 
commande cette superbe flotte. On s'étonne de voir le 
croissant briller à côté de la croix et des fleurs de lis dans 
ce port de Marseille si voisin d'Aîgues-Mortes, où saint 
Louis, l'aïeul du roi et du comte d'Enghien, s'était em- 
barqué pour combattre à outrance les sectateurs de Ma- 
homet. Les progrès du commerce, et par conséquent 
ceux de la civilisation, avaient fait naître bien des idées 
nouvelles. La politique avait changé; les craintes inspirées 
par l'ambition de Charles-Quint avaient ouvert les portes 
de l'Europe occidentale à ces Turcs barbares et féroces , 
mais dont les victoires et les conquêtes étaient l'objet de 
l'admiration générale. 



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396 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

Le comte d^Enghien distribue des présents magaifi- 
ques à Barberousse et aux officiers de ce général ; il donne 
le signal du départ; les flottes réunies arrivent devant 
Nice, que les Français veulent enlever au duc de Savoie. 
La garnison, après deux jours de défense, se retire dans 
le château que Von regarde comme imprenable. Les 
Turcs, furieux de ne pas trouver un riche butin dans la 
ville, veulent la brûler j ce n'est qu'avec la plus grande 
peine que d'Enghien la préserve d'un terrible incendie; 
et son humanité le rend odieux au capitan-pacha. Les 
français et les Turcs attaquent le château avec une ar- 
deur égale, mais ils sont toujours repoussés. Les ministres 
de François l^^ avaient envoyé trop peu de munitions à 
Farmée de Provence. Le roi n'avait pas pensé à leur de- 
znauder quels ordres ils avaient donnés. La poudré" et le 
plomb manquent aux guerriers du comte d'Enghien. Le 
baron de La Garde va, de sa part, prier Barberousse de lui 
donner une partie de ses abondantes provisions. « Voyez 
» laBtupidité de ces chiens de chrétiens, dit avec mépris 
» le capitan-pacha; ils s'embarquent pour une expédi- 
» tion sans s'être assurés des instruments de la victoire; 
» ils n'ont pas honte de me demander des munitions 
» pour me priver de mes moyens d'attaque et de défense^ 
» et me livrer désarmé à l'ennemi. Non, ils n'obtien- 
.» dront rien. Et toi, dit-il au baron de La Garde, si tout 
» autre se fût chargé, d'une pareille commission , je ne 
)) lui aurais répondu qu'en le faisant mettre à la chaîne. » 

Cependant le marquis du Guast s'approchait de Nice à 
la tête d'une puissante armée. Le comte d'Enghien , dont 
leà troupes sont sans munitions, ne peut l'attendre dans 
ses lignes; il abandonne smx entrepi^isè et congédie Bar- 
berousse. Le capitan-pacha, en se retirant vers Constanti- 
nople, saccage les cotas de la Toscane, du royaume de 
Naples, de la Sicile, et emmène un grand nombre de 
prisonniers. 



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VIKGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — iSSg. 297 

La situation politique de cette belle Toscane avait bien 
changé. 

Alexandre de Médicis, fils naturel de Laurent II, avait 
ét^ reconnu chef de Pétat de Florence; les Florentins 
avaient néanmoins conservé le droit de nommer leurs 
magistrats; mais François Guichardin et Baccio Valori , 
ayant été élevés à la magistrature , abandonnèrent les 
intérêts de leurs concitoyens, trahirent leurs serments^ 
résolurent de sacrifier les libertés des Florentins à la 
maison de Médicis, et, à la sollicitation du pape Clé- 
ment VII, firent un décret d'après lequel Alexandre 
devait être proclamé duc de Florence et investi de la puis- 
sance absolue (i552). On est affligé de trouver, parmi les 
auteurs de ce décret coupable , ce François Guichardin , 
auquel on a dû une histoire célèbre d'Italie pendant la 
fin du quinzième siècle et le commencement • du sei- 
zième. 

Combien les Florentins regrettèrent la liberté qu'ils 
s'étaient laissé ravir! La cruauté et les débauches 
d'Alexandre le rendirent si odieux que ses parents, Lau- 
rent de Médicis et Philippe Strozzi, le firent assassiner. 

Le sénat élut, pour successeur d^ Alexandre, un autre 
Médicis nommé Côme , et qui descendait de Laurent , 
frère puiné de Cônje , dit PAncien. Il fut déclaré chef 
de la ville de Florence et de ses dépendances ; on dit au 
peuple qu^in conseil allait limiter le pouvoir de Côme , 
qu'on avait fixé la somme que le trésor public lui four- 
nirait pour soutenir sa dignité^ et le peuple l'agréa 
(1537). 

Les ennemis des Médicis et du pouvoir arbitraire , peu 
rassurés parle décret du sénat, rassemblèrent des troupes 
pour chasser de Florence ces Médicis qu^ils haïssaient et 
qu^ils craignaient. Ils s^ approchèrent de la ville avant que 
toutes leurs forces ne fussent réunies. A leur tête était 
Philippe Strozzi , qui ne voulait que des égaux et ne pou- 



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298 HISTOIRE DE l'eUROFE. 

Tait souffrir un maître. Côme marcha contre eux, les 
surprit, les tailla en pièces. Strozzi, fait prisonnier, 
écrivit sur les* murs de sa prison ce vers de Virgile, qui 
si souvent a fait pâlir la tyrannie : Exoriare aliquU, 
nostria ex oasibua, ultor, et se donna la mort pendant 
qu'on instruisait son procès (i'SSS). D'autres prisonniers 
furent exécutés secrètement ou en public, C&me par- 
donna à un grand nombre. 

Cinq ans plus tard, il travailla avec succès à Pindépeti- 
dance de sa patrie, et obtint de Gbarles-Quint, pour 
i5o,ooo écusd'or, la restitution des citadelles de Flo- 
rence et de Livourne, retenues depuis treize ans par ce 
monarque. II mérita , vers le même temps, un autre genre 
de gloire, en rétablissant la fameuse université de Pise, 
que les guerres civiles ou étrangères avaient détruite ; il y 
réunit les professeurs les plus célèbres de la Lombardie , 
leur donna des statuts, fonda quarante places gratuites 
pour de jeunes Toscans peu fortunés , créa une chaire de 
botanique; et, ce qui montre combien d'erreurs et de 
préjugés dominaient encore les esprits, il établit une 
chaire à^aatrohgie qu'il confia à un carme nommé Julien 
Ristori de Prato (i543). 

Les lumières, cependant, s'accroissaient chaque jour; 
des navigations lointaines ne cessaient de concourir aux 
progrès de la civilisation, et le Portugais Fernand ou 
Ferdinand de Sotto venait de découvrir, pour l'empereur 
Charles-Quint, ce grand fleuve du Mississîpi qui a tant 
de rapports avec le Nil' de l'Egypte, coule pendant plus 
de mille lieues sur le vaste continent de l'Amérique sep- 
tentrionale, l'eçoit la rivière des Illinois, l'Ohio , le rapide 
Missouri, et se jette par plusieurs embouchures dans le 
golfe du Mexique. 

La campagne était ouverte depuis plusieurs mois, en 
Picardie, entre les Français et les Impériaux; le duc de 
Vendôme était parvenu^ malgré les eiSbrts des ennemis, 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — iSSg. 299 

à ravitailler la ville de Thérouenne, enclavée en pays en- 
nemi ; et le comte d^Aumale , prince lorrain , et un des 
officiers généraux qui servaient sous ses ordres , s'était 
distingué par la valeur la plus brillante et un grand nom- 
bre de succès. Vendôme fit raser les fortifications de Lîl- 
1ers et d'un grand nombre de châteaux de PArtois dont 
il s'était emparé, et alla joindre François I®^ qui s'avan- 
çait à la tête de son armée. Le roi prit Landrecies, le 
fortifia et y fit entrer une garnison composée de soldats 
d'élite, sous les ordres de deux capitaines aussi habiles 
qu'intrépides, La Lande et d'Essé de Montalembert. 

Charles-Quint ose former trois sièges à la fois, ceux de 
Luxembourg, de Landrecies et de Guise. La bravoure de 
la garnison de Luxembourg rend vaines les attaques des 
Impériaux ; et les défenseurs de Landrecies opposent à 
Charles-Quint une telle résistance, qu'il est obligé de 
rappeler auprès de lui le corps d'armée qui faisait le siège 
de Lille; La Lande, Montalembert et leurs soldats bravent 
avec une constance héroïque et le fer des ennemis et les 
maux de la disette. Le roi, qui veut les délivrer, vient 
camper à Saint-Souplex ; plus de cent mille guerriers, 
qui ont fait la guerre avec gloire, sont rassemblés sur les 
bords de la Sambre : François I*' et Charles-Quint sont à 
leur tête. Le roi de France a sous ses ordres ses deux fils; 
François de Bourbon, comte de Saint-Pol, tous les autres 
princes du sang, l'amiral Annebaut, maréchal de Frçince, 
le comte d'Âumale, Brissac et Langey. Charles-Quint 
voit parmi ses généraux Fernand de Gonzague, le duc 
d'Albe et le comte de Bures ; ces deux superbes rivaux 
préparent une grande et sanglante bataille. Charles-Quint 
ordonne à un corps de troupes campé au-delà de la Sambre 
de passer la rivière et de se réunir au gros dé l'armée ; le 
comte de Saint-Pol profite habilement de cette manoeu- 
vre, entre dans Landrecies avec l'amiral, renouvelle la gar- 
nison et y fait conduire un convoi immense par le brave 



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5oO HISTOIRE DE L^EUROPE. 

Langey, dont Faudace impose à rennemî. François l^^ 
regarde cet avantage comme une grande victoire , croit la 
saison trop avancée pour continuer la campagne avec des 
forces trop inférieures, se détermine à la retraite, en com- 
bine les dispositions avec habileté , les exécute avec suc- 
cès et repousse brillamment Fernand de Gonzague, qui 
ose le poursuivre. 

Les armes de Charles-Quint et ses intrigues avaient 
obtenu en Allemagne, sur les luthériens qu'il n'aimait 
pas et qu'il craignait, un avantage qui pouvait lui être très- 
utile pendant quelque temps, mais devenir ensuite bien 
funeste à la tranquillité de la Germanie, en augmentant 
les inquiétudes et les mécontentements des réformés; la 
diète de Nuremberg n'avait eu aucun égard aux deman- 
des ni aux protestations des alliés de Schmalkalden ; elle 
n'avait rien stipulé en leur faveur; elle les avait obligés 
à refuser de reconnaître ses décrets, et l'empereur avait 
déterminé d'autant plus aisément cette décision, que 
cette assemblée offrant le premier exemple de la cumu- 
lation de plusieurs suffrages sur une même tête, le car- 
dinal Albert de Brandebourg avait exercé le suffrage de 
Mayence dans le collège électoral, et celui de Magdebourg 
dans le collège des princes. 

La diète de Spire fut plus favorable aux luthériens : 
Charles-Quint croyait avoir besoin d'eux pour obtenir 
de Fempire les secours qui lui étaient nécessaires con- 
tre les Turcs et les Français leurs alliés. Les décrets ren- 
dus en leur faveur par les diètes précédentes furent 
confirmés; on dispensa de prêter serment "sur des reli- 
ques les luthériens qui seraient nommés assesseurs de la 
chambre impériale, et la diète accorda à l'empereur des 
secours considérables, non seulement contre les musul- 
mans, mais encore contre François !•'', dont elle ne 
voulut pas admettre les ambassadeurs. 

Mais le pape reprocha vivement à Charles-Quint sa 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o— iSSg. 5oi 

condescendance envers ks réformés; ce monarque s'ex- 
cusa facilement en dévoilante Paul III sa véritable pensée* 
Le pontife vit aisément combien peu Charles-Quint ai- 
mait les luthériens j un traité secret eut lieu entre le 
pape et l'empereur : ils résolurent la destruction de ces 
luthériens auxquels l'empereur avait de si grandes obli- 
gations , et le pape lui promit douze mille hommes pour 
l'aider à soumettre les confédérés de Schmalkalden. Char- 
les-Quint néanmoins, toujours fidèle à sa politique perfide, 
n'en employa pas moins tous les moyens qui étaient en 
son pouvoir pour détacher de l'alliance de François I*^ 
le luthérien Ghristiern III, roi de Danemarçk, et pour 
faire une paix particulière avec ce monarque. 

Une campagne remarquable a lieu en Italie entre ses 
troupes et celles de François I"^ l'armée française y était 
inférieure à celle des Impériaux , et, ce qui est bien plus 
fâcheux, l'insubordination et le désordre régnaient dans 
cette armée. Le roi en confie le commandement au 
comte d'Enghien; mais il ne peut lui donner ni ren- 
forts ni argent. Le jeune prince n'a de ressources que 
dans son génie. Il arrive en Italie; sa présence seule in- 
spire la confiance ; et la confiance rétablit d'autant plus 
aisément l'ordre et la discipline, qu'il est très-juste, 
ferme, et que sa libéralité et l'affabilité de son accueil 
tempèrent l'austérité du commandement. Les officiers 
généraux, consultés et honorés par d'Enghien, oublient 
leur jalousie : officiers et soldats, tous sont sûrs qu'au- 
cune de leurs belles actions ne sera oubliée, qu'aucun 
de leurs services ne restera sans récompense; l'émula- 
tion , l'honneur et le patriotisme animent tous les guer- 
riers (i544). 

Le prince convoque un grand conseil de guerre. On 
décide qu'on fera le siège de Carignan;mais l'on n'est en- 
core qu'au mois de janvier , et l'hiver était si rude, dans 
les contrées italiennes voisines des Alpes ou des Apen- 



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3o2 HISTOIRE DE L^EUROPB. 

nins que , d'après plusieurs historiens, le vin gelait dans 
les tonneaux , et qu'on ne pouvait Pen retirer qu'à coups 
de hache. Les Français néanmoins osent tenir la campa- 
gne, prennent Paillesol, Crescentin, Desannes, s'empa- 
rent d'autres postes, bloquent Garignan, et , pendant la 
nuit , brûlent un pont de bateaux établi sur le Pô, et 
par le moyen duquel Quiers , Asti et d'autres villes fai- 
saient parvenir des munitions dans la place bloquée. 
Le froid est si grand, dans cette nuit où le pont est livré 
aux flammes, que plusieurs soldats ont les mains et les 
pieds gelés; mais l'exemple du jeune général redouble 
l'ardeur de l'armée et lui fait braver l'intempérie de 
la saison, comme la fatigue et les dangers* 

Le marquis d\i Guast commandait les troupes impéria- 
les dans la Lombardîe; aussi audacieux que son oncle 
Pescaire, il voulait, d'après les ordres de Charles-Quint, 
non seulement chasser les Français de l'Italie, mais en- 
core passer les Alpes, s'emparer de Lyon et s'avancer 
vers Paris. Son armée était composée de vieilles troupes, 
plus nombreuses d'un tiers que celles d'Enghien; et 
dix mille lansquenets devaient le joindre à Yvrée. Il ne 
pouvait supporter l'idée qu'un jeune prince pût lutter 
contre un général aussi expérimenté que lui, annonçait 
avec dédain que ceyo/ifybi^ serait bientôt son prisonnier, 
et déshonorant ses grands talents par ce caractère féroce 
qui lui avait fait assassiner les ambassadeurs de Fran- 
çois I*"^, il osait préparer un traitement infâme pour les 
compagnons du prince, ordonnait qu'on forgeât une 
grande quantité de chaînes, et, après en avoir chargé 
les Français, devait faire servir ces prisonniers d'orne- 
ment à son triomphe , et les envoyer ensuite comme for- 
çats sur les galères de l'empereur, 

D'Enghien laisse une forte garnison dans Viraeur 
jette un pont de bateaux sur le Pô, près d'un village ap- 
pelé les Sablons, s'avance Jusques à Villastellan , coupe 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE, l55o — iS8q. 3o5 

ainsi toute communication entre Quiers et Carignan, que 
le poste de Villeneuve , dont il était le maître , achève de 
bloquer, s^empare de Carmagnole, et resserre encore 
plus fortement la garnison de la ville qu'il veut prendre. 

Il voit cependant qu'il ne peut renverser les projets 
menaçants de son adversaire qu'en remportant une 
grande victoire j et François I*»' lui a défendu expressé- 
ment de hasarder une bataille. Il envoie au monarque 
Biaise de Montluc , de la maison de Montesquieu , et que 
des exploits audacieux et un grand nombre de blessures 
avaient déjà rendu célèbre. Le prince écrit au monarque : 
« Les choses en sont venues au point qu'il faut attaquer 
» incessamment l'ennemi ou lever le blocus de Cari- 
» gnan et évacuer le Piémont. Des conseils timides ne 
» peuvent qu'augmenter l'audace des Impériaux et dé- 
» courager les Français; je connais, sire, le zèle de vo- 
» tre armée, j'ose répondre de la victoire; et il ne faut 
» qu'un grand succès dans le Piémont pour relever le 
» courage de la France et la rendre invincible. » Fran- 
çois P' admire la noble confiance du comte d'Enghîen 
mais il n'ose donner seul une décision dont les suites 
peuvent influer sur le sort de la monarchie; il convoque 
un conseil et permet à Montluc d'y entrer. 

Le conseil est composé du roi, du comte de Saint- 
Fol, de l'amiral Annebaut, de Gouffier de Boissy de 
Galiotde Genouillac, grand-écuyer, et de quelques au- 
tres chevaliers de Pordre de Saint-Michel, qui ont blan- 
chi dans les armées. Le dauphin y assiste ; mais , quoi- 
qu'il ait déjà vingt-six ans et qu'il ait commandé les 
troupes françaises avec honneur , il n'est appelé que pour 
écouter et acquérir l'expérience des affaires. 

Le roi fait lire la lettre du comte d'Enghien. « Quoi l 
» dit le comte de Saint-Pol, à la veille des dangers où 
» la France , attaquée par toutes les forces de l'empereur 
» et du roi d'Angleterre, va être exposée avant six 



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5o4 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

» semaines , on parle de hasarder des batailles ! que de- 
» viendra le royaume si, dans ces terribles circonstan- 
» ces, n'ayant à opposer à Pinvasion de Pennemi que des 
» troupes inférieures en nombre, en discipline , en ex- 
» périence, nous venons à perdre en Piémont les vieilles 
» bandes qui sont notre unique ressource ? les avantages 
» de la victoire peuvent-ils être comparés avec les suites 
» d'une défaite ? peut-on , pour Pespérance de quelques 
» conquêtes éloignées du centre du royaume et difficiles 
» k conserver, risquer la perte de plusieurs provinces, 
» et peut-être la chute de Pélat ? Donnez, sire, je vous 
» en conjure , les ordres les plus absolus au comte d'En- 
» ghien, qu'il se tienne sur la défensive, dût-il aban- 
» donner quelques places au-delà des Alpes, et même le 
» Piémont tout entier. » 

D'Annebaut et les autres conseillers parlent avec force 
dans le sens du comte de Saint-Pol. Monlluc est au dés- 
espoir} il ose interrompre le grand-écuyer, le comte de 
Saint-Pol lui impose silence. « Vous venez, lui dit le 
» monarque, d'entendre les raisons qui m'obligent à ne 
» pas hasarder de bataille en Italie.-^ Ah! sire, répond- 
» il, encouragé par un signe du dauphin, s'il m'était 
» permis de parler ! —J'y consens , reprend le roi j ex- 
» pliquez-vous, — Quel bonheur pour moi ! s'écrie alors 
» Montluc transporté de joie-, de parler devant un roi 
» soldat qui, dans tous les hasards de la guerre, n'a ja- 
)> mais écouté que la voix de l'honneur ! c'est ce même 
» honneur qui parle au cœur de votre général et de ses 
braves officiers. Nous brûlons d'obéir à sa voix impé- 
rieuse; et la noble ardeur qui nous enflamme est un 
» gage assuré de la victoire. Vos bandes du Piémont sont 
» invincibles; quel désespoir pour ces bandes si valeu- 
» reuses, si, après tant de rencontres dont elles sont 
» sorties victorieuses, on se défie de leur courage, on les 
» condamne à l'inaction! qui oserait assurer que le sol- 



» 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE* l55o — 1689. 5o5 

)» dat indigne n^abandonnera pas ses drapeaux plutôt 
» que d'obéir à des ordres qui proclameraient sa honte ? » 
Le discours de Montluc est accompagné de mouvements 
rapides et de gestes menaçants , comme s'il eût été au mi- 
lieu des ennemis. La physionomie du roi montre l'im- 
pression profonde qu'il reçoit de l'enthousiasme de 
Montluc j il croit entendre encore le soldat français le 
proclamer vainqueur. « Quoi ! monsieur , dit le comte 
» de Saint-Pol au monarque , voudriez^vous changer 
» d'opinion pour l'amour de ce fou enragé, qui ne veut 
» que se battre, sans s^embarrasser de ce que deviendra 
» l'état ? — ^Mon cousin, ce fou dit de si bonnes raisons que 
>> je ne sais, foi de gentilhomme, quel parti prendre.» 
Ânnebaut, qui a observé le geste du dauphin, dit au roi: 
« Avouez, sire, que vous mourez d'envie de lui permet* 
» trede combattre; je ne puis répondre de la victoire, 
» mais je réponds sur ma tête de l'intrépidité des bandes 
» du Piémont que j'ai eu l'honneur de commander. » 
Le roi lève les mains au ciel, se recueille un moment , 
et se tournant vers Montluc : Qu'ils combattent , s'é- 
crie-t-il, qu^ïU combattent, de par Dieu! Il s'approche 
alors de l'héroïque envoyé, et lui mettant la main sur l'é- 
paule : « Montluc, ajouta-t-il, recommandez-moi bien à 
» mon cousin d'Enghien et à mes autres capitaines; je 
» ne me rends à leurs vœux que par l'estime que je fais 
» de leur courage et de leur zèle ; qu'ils justifient ma 
» confiance en battant l'ennemi. Les circonstances où je 
» me trouve sont telles que je n'eus jamais plus besoin 
» de l'assistance valeureuse de tous les Français. Dites 
» aussi à mes bandes d'Italie que je leur enverrai bientôt 
» de l'argent. » Montluc, en sortant du conseil, crie de 
toutes ses forces à la foule des courtisans : Bataille I ba- 
taille I qui veut en tdterse hâte départir. Ils s'empres- 
sent de supplier le monarque de permettre qu'ils aillent 
verser leur sang dans les campagnes d'Italie. Le vieux 
ToM. XIL 20 



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3o6 HISTOIRE DE L^EUROFE. 

BoutièreS) qui avait commande les bandes du Piémont 
avaut le comte d^Enghien, Pami et Pémule de Bayard y 
partage Tardeur des jeunes chevaliers, abandonne sa re- 
traite et va servir sous les ordres du jeune général qui 
Va remplacé. D^Enghien Padmire, Pembrasse , Passocie 
aux honneurs du commandement et lui confie Payant- 
garde. 

Il quitte Carmagnole, et s'avance à la rencontre des 
Impériaux. Le son des tambours et des trompettes l'a- 
vertit de Papproche de Pennemi : il se saisit d'une col- 
line du haut de laquelle il découvre l'armée de du Guast. 
Ce général avait fait la faute de laisser derrière lui les 
bandes espagnoles occupées à retirer d'un bourbier plu- 
sieurs pièces de canon. Enghien va donner le signal du 
combat; les officiers généraux le conjurent de ne pas 
hasarder une action contre des forces trop supérieures : 
ils lui rappellent la bicoque et Pavie ; ils lui parlent avec 
tant de feu que, malgré les cris de l'armée, qui demande 
la bataille, il cède et reprend la route de Carmagnole, 
triste , rêveur et inquiet. Le soldat témoigne avec force 
tout ce qu'il éprouve} le prince convoque un grandcon^ 
seil : il montre combien il se repent d'avoir laissé échap- 
per l'occasion la plus favorable d'attaquer les Impériaux. 
Les officiers généraux veulent de nouveau le dissuader 
de combattre; mais les volontaires, qui ont quitté la 
France pour acquérir une nouvelle gloire au milieu des 
hasards des combats , s'élèvent avec chaleur contre l'o- 
pinion des officiers généraux. « Je suis résolu a livrer 
» bataille, » s'écrie le prince avec une noble fermeté. 
Son ardeur s'empare de toutes les âmes; tous s'écrient : 
Combattons. 

L'armée reçoit avec transport l'ordre de se mettre en 
marche à une heure après minuit. 

Le jour commence à paraître ^ d'Enghien volt que du 
Guast s'est emparé de la colline; l'artillerie du général de 



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viNGT-DEftJXiÈME ÉPOQUE. i55o — iSSg. So; 

Charles-Quint est arrivée ; toutes ses bandes sont réunies. 
A sa droite on voit six mille Espagnols commandés par 
don Raymond de Cardone , et soutenus par huit cents 
cavaliers de la même nation^ confiés au prince de Sul- 
mone de la maison de Lannoy ; dix mille lansquenet^ 
occupent le centre; du Guast les protège avec huit cents 
cavaliers d'élite ; dix mille fantassins et huit cents cava- 
liers levés en Italie composent l'aile gauche; deux bat- 
teries de dix pièces de canon sont placées aux deux ex- 
trémités de la colline^ et menacent de foudroyer ceux qui 
attaqueraient la droite ou le centre des Impériaux. 

A la droite de l'armée française sont quatre mille Gas- 
cons des plus agiles et des plus valeureux de leur nation. 
De Thais , colonel général de l'infanterie , les comman- 
de; et ils sont soutenus par quatre compagnies de che- 
vau-légers aux ordres du célèbre Paul de La Barthe , 
seigneur de Thermes et colonel général de la cavalerie 
légère* Toute cette droite doit obéir à Boutières, qui 
conduit un escadron d'élite de quatre-vingts gendarmes. 
Au premier rang de l'infanterie gasconne on remarque 
uagrand nombre de gentilshommes volontaires qui n'ont 
pu trouver de chevaux dans le camp. 

Quatre mille Suisses sont au centre, soutenus par le 
brave d'Ossun et cent cinquante che van-légers; à la gau- 
che , que commande Clermont de Dampierre , paraissent 
quatre mille fantassins d'Italie, cinq mille Gruériens et 
cinq cents archers à cheval; deux batteries, chacune de 
huit pièces de canon , et dirigées par les capitaines Caillac 
et Mailly, défendent le corps de bataille et le centre. 
D'Enghien, avec quatre compagnies de gendarmes et plus 
de cent volontaires des maisons de France les plus illus- 
tres, veut soutenir l'aile gauche. 

Cependant Montluc, à la tête de huit cents arquebu- 
siers agiles et adroits, s'avance dans la plaine pour escar- 
moucher avec l'ennemi *, du Guast oppose des soldats 

20. 



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3o8 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

d^élite à c«s enfants perdus : ils combattent pendant cinq 
heures ^ soutenus par les détachements qui se succèdent 
des deux côtés. 

Le général de Charles-Quint emploie toutes les ruses 
de Part pour prendre en flanc l'armée française; d'En- 
ghien fait échouer tous ses efforts par des manœuvres 
plus rapides et plus savantes; du Guast donne alors le 
signal de la bataille générale : ses lansquenets s'ébran- 
lent, et marchent contre les Suisses; les Gascons se réu- 
nissent à ces alliés des Français, et s Wancent avec eux 
contre les lansquenets ; Par tillerie impériale les foudroie : 
ils s'arrêtent un moment. Les lansquenets s'élancent 
alors sur eux^ le combat est terrible; on se bat à, coup 
de piques : les lansquenets reculent; Boutières se jette sur 
eux avec ses quatre-vingts gendarmes, pénètre dans leurs 
rangs et les met en désordre. Thermes attaque avec furie 
et renverse la cavalerie italienne, qui veut prendre en 
flanc l'infanterie gasconne : il se précipite au milieu du 
bataillon italien; mais son cheval est tué sous lui; il 
tombe sous son coursier; et, malgré sa valeur admirable, 
on le fait prisonnier. Les Suisses et les Gascons néan- 
moins achèvent de mettre en déroute les lansquenets, et 
contiennent le bataillon italien qui vient de prendre le 
brave Thermes. 

Mais de quelle honte va se couvrir la gauche du comte 
d'Enghien! Les bandes des Espagnols s'avancent fière- 
ment jd'Enghieii, par une charge impétueuse, les met 
en désordre. Quelle est cependant son indignation, lors- 
qu'il voit les fantassins gruériens et italiens s'éloigner, en 
fuyant , du champ de bataille! Leurs officiers désespérés 
sont restés seuls à leurs postes, où ils veulent mourir. 

Les Espagnols se rallient, et manœuvrent pour enve- 

• lopper l'escadron du prince ; d'Enghien les chai^ge de 

nouveau avec la même audace et le même succès. Mais 

comment pourrait-il lutter long-temps cQntre cinq mille 



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VINGT-DBTXTXIÈME ÉPOQUE. l55o — 15%* Sog 

Espagnols arm& de pîques, et un grand nombre d^ar- 
quebusiers? Les hommes et les chevaux tombent autour 
de lui; à peine lui reste-t-il cent cavaliers. Il s'était avancé 
de manière qu'il ne peut voir ni son centre ni son aile 
droite; il les croit repoussés. Le désespoir le saisit : il ne 
veut pas survivre à la défaite; il va se jeter de nouveau 
dans les rangs ennemis, et y chercher la mort, son uni- 
que espérance. Les bandes espagnoles reculent devant 
lui; des cavaliers arrivent : « La victoire, s'écrient-ils, 
)> a couronné Paile droite et le centre. » D'Ossnn paraît 
avec quelques escadrons de cavalerie légère : il charge 
les Espagnols en flanc; le comte d'Enghien achève de les 
mettre en déroute. Les Suisses et les Gascons accourent }: 
les Gascons usent de la victoire avec humanité : mais les 
Suisses se souviennent que, six mois auparavant, les 
Impériaux ont égorgé la garnison suisse de Mondovi , 
malgré la belle défense qu'elle avait faite, et la capitula- - 
tion qu'elle avait obtenue. Ils s'écrient : Mondovi ! 
Mondopil et, animés par la vengeance , massacrent les 
prisonniers. Les Français ne peuvent sauver que trois 
raille de ces Impériaux que le courroux des Suisses veut 
immoler aux mânes de'leurs compatriotes. Quinze mille 
morts, presque tous de l'armée de l'empereur, sont 
couchés sur le champ de bataille de CerîsoUes. On ap- 
porte au comte d'Enghien deux cents drapeaux , quinze- 
piècesde canon, la caisse militaire, les munitions prépa- 
rées pour ravitailler Carignan, tous les équipages de 
l'armée impériale , et des chariots chargés de ces chaînes 
que du Guast n'avait pas rougi de faire forger pour les, 
Franç£Hs. 

A la suite de ces chariots viennent, prisonniers des> 
vainqueurs, trois généraux de Charles-Quint, Alisprand 
de Madruce, don Raymond de Gardone, et le prince 
Charles de Gonzague. D'Enghien les traite avec tous tes 
égards dus au courage malheureux , et reçoit chevaKeFS 



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sur le champ de bataille Châtillon^ d'Andelot et les an- 
tres officiers ou volontaires qui se sont le plus distingues* 

Du Guast, suivant plusieurs auteurs, avait perdu la 
tète en voyant les lansquenets défaits par les Suisses et 
les Gascons. Il craint que les Français , irrités par la vue 
des chaînes infâmes qu'il a osé préparer, ne le traitent 
comme un assassin. Il fuit, et essuie dans son infortune 
toutes les humiliations méritées par Parrogance et par la 
cruauté. Les bourgeois d'Asti refusent de lui ouvrir les 
portes de leur ville. Il va à Milan ; il y entre honteux et 
désespéré. Il s'arrache les cheveux et la barbe; il se tient 
long-temps caché dans son palais (i544). 

Revenu du trouble où l'a jeté sa défaite, il veut en 
vain lever de nouvelles troupes. On refuse de servir sous 
ses drapeaux. Les Italiens font même des vœux pour les 
Français, et on veut prendre les armes en leur faveur. 

D'Enghien désire de recueillir tous les fruits de sa 
victoire. « Permettez, sire, écrit-il à François I*", que, 
» laissant sept mille hommes devant Garignan, je me 
» rende maître du Milanais, et même du royaume de 
)> Naples, dont le peuple déteste la domination de Pem- 
» pereur. Je n'ai besoin pour les recouvrer que d'une 
» modique somme. » 

Le roi est tenté d'adopter le vaste projet du prince; 
mais son conseil lui représente que Charles-Quint et le 
roi d'Angleterre menacent d'envahir le nord de la France 
avec cent mille hommes; et François P' ordonne au 
comte d'Enghien d'envoyer en France les vieilles bandes 
gasconnes et suisses qui ont si puissamment contribué à 
la victoire de GerisoUes, lorsqu'ils ont pris la ville de 
Garignan. 

La garnison de cette place souffrit avec une constance 
admirable toutes les horreurs de la famine; elle ne de- 
manda à capituler que lorsqu'elle manqua entièrement 
de vivres. D'Enghien exigeait qu'elle se rendît à discré- 



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VINGT-DEUXIÈMB ÉPOQUE* l53o — 1689. 3ll 

tion. (( Nous périrons tous les armés à la main, répondit 
» le gouverneur Pyrrhus Colonne, plutôt que de subir 
» des conditions indignes de nous ; et que pourrait 
» ajouter la' honte que vous voudriez nous imprimer à 
» la gloire que vous avez acquise k Cerisolles ? » Le comte 
d^Enghien insista ; il voulait avoir quatre mille prison- 
niers, de plus. Mais les Suisses déclarèrent que, si le siège 
se prolongeait, ils quitteraient le camp, à moins qu^on ne 
leur payât la solde qui leur était due depuis trois mois; 
et le prince, qui n'avait pas d^argent à leur donner, fut 
obligé de permettre à la garnison de Carignan de se reti- 
rer, à condition que, pendant six mois, elle ne servirait 
pas contre la France. 

Les soldats impériaux, en sortant de la ville qu'ils 
avaient si bien défendue , tombaient de défaillance. Leur 
valeur et leur misère touchèrent vivement le comte 
d'Enghien; il leur donna des vivres et des voitures pour 
les conduire au-delà de PAdda. 

Ce général, si favorisé par la victoire, envoya au se- 
€K>urs de sa patrie Pélite de son armée, les vieilles bandes 
suisses et gasconnes; et, plus grand par le sacrifice delà 
nouvelle gloire qu'il avait tant ambitionnée que par les 
succès dus à son génie , il ne garda autour de lui que trois 
mille Suisses, quelques compagnies de gendarmes et un 
corps de milices. Il n'en parvint pas moins à s'emparer 
d'Albe à la vue du marquis du Guast , qui avait abandonné 
le voisinage des montagnes pour secourir cette ville avec 
les débris de l'armée vaincue à Cerisolles, plusieuris gar- 
nisons de son gouvernement , et la cavalerie envoyée par 
le grand-duc de Florence ; à effectuer sa jonction avec 
le célèbre Pierre Strozzî , qui .avait levé en faveur des 
Français un grand corps d'infanterie ; à se rendre maître 
du fief des Langues , et à conquérir tout le Montferrat^ 
excepté Casai. 

Il allait continuer ses conquêtes , lorsque le roi lui 



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3l2 HISTOIRE DE l'eUROPE. 

envoya l'ordre d'accorder une suspension d'armes au 
marquis du Guast. Il quitta bientôt après PItalie y reçut 
le gouvernement du Languedoc ; et le vainqueur de 
Cerisolles voulut servir en France comme simple vo- 
lontaire. 

François P*^, persuadé que les intérêts de Henri VIII 
rompraient bientôt l'alliance qu'il avait contractée trop 
légèrement avec Charles-Quint, ne lui opposa que peu 
de forces. Mais il réunit un grand nombre de troupes en 
C^iampagne, pour arrêter l'empereur, dont les vastes 
projets lui donnaient une vive inquiétude. Son armée 
néanmoins n'était que de cinquante mille hommes, et 
ses soldats étaient bien moins exercés aux hasards de la 
guerre que les vieilles bandes de Charles-Qaint. Le dau- 
phin commandait cette armée. L'amiral Annebaut était le 
conseil de ce prince : on voyait sous les ordres de l'héri- 
tier présomptif de la> couronne le duo d'Orléans , le duc 
de Montpensier, le prince de La Roche-sur-Yon, ainsi 
qu'un très-grand nombre de nobles du royaume j et le 
roi était à peu de distance avec le comte de Saint-Pol et 
Claude de Lorraine , duc de Guise. 

Henri VIII descendit en Picardie, où il fut joint par 
dix mille lansquenets. Il forma le siège de Boulogne et 
de Montreuil. Le duc de Vendôme réunit les garnisons 
des autres places de son commandement , harcela l'en- 
nemi , le fatigua sans cesse , battit ses partis, repoussa ses 
détachements, lui enleva souvent les vivres qu'il faisait 
venir des Pays-Bas, attaqua avec Villebon, d'Étrées et d'Ec- 
quevilly un convoi parti d'Aire sous l'escorte de huit 
cents hommes de cavalerie , de quatre cents lansquenets , 
de quatre pièces de canon; s'empara du convoi ^ prit les 
canons et les drapeaux, fit huit cents prisonniers, et obli^ 
gea les Anglais à lever le siège de Montreuil. 

La ville de Boulogne fut moins heureuse que celle de 
Montreuil; les habitants offrirent de défendre seuls leur 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o — iSSg, 3l3 

patrie; et le dauphin accourait des bords de la Marne pour 
livrer bataille aux Anglais. Mais le commandant de la 
place se crut oblige de capituler. 

Charles-Quint cependant s^était empare de Luxem- 
bourg, de Commercy, de Ligny. Il faisait le siège de 
Saint-Dizier. Le comte de Sancerre le défendait avec tant 
de courage et d'habileté que le défaut de vivres aurait 
obligé Charles-Quint à renoncer à son entreprise, si le 
chifiû:e du duc de Guise, gouverneur de la province, n'é- 
tait tombé entre les mains de Antoine Perrenot de Gran- 
velle, un des ministres de Pempereur. Ce ministre 
écrivit au comte de Sancerre au nom de Guise , que le 
roi, ne voulant perdre ni la brave garnison de Saint- 
Dizier ni son digne commandant, lui ordonnait de ca- 
pituler. Sancerre obéit; et l'empereur s'avança vers Paris 
en côtoyant la Marne. 

Le dauphin le suivait sur la rive opposée. Mais plus 
Charles-Quint s'enfonçait dans la Champagne, et plus les 
vivres devenaient rares dans son camp. Son armée dimi- 
nuait chaque jour, et il allait être forcé de fuir une se- 
conde fois d'un royaume qui, depuis les Francs, a toujours 
fini par dévorer ses envahisseurs, lorsque la duchesse 
d'Étampes, qui ne prévoyait que trop le sort que lui ré- 
servait, après la mort du roi , Diane de Poitiers, duchesse 
de Valentinois et favorite du dauphin, et qui voulait 
opposer à cette favorite une grande puissance du duc 
d'Orléans, à la cour duquel elle espérait trouver un 
asile, et même une assez grande autorité, oublia tous 
ses devoirs, au point d'entretenir la correspondance la 
plus intime et la plus criminelle avec l'ennemi le plus 
dangereux de son paya et du monarque qui avait tant 
fait pour elle. La duchesse d'Étampes rendait compte à 
Charles-Quint des projets du dauphin, des résolutions 
du conseil^ des mouvements de l'armée ; ce prince lui 
laissait espérer que le duc d'Orléans serait duc de Milan, 



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3l4 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

on souverain des Pays- Bas; et, par ses coupables intri- 
gaes j elle fit livrer à l'empereur les places d'Épemay 
et de Château-Thierry, où étaient les magasins de l'armée 
française. 

La consternation se répand dans la capitale; plusieurs 
habitants de Paris fuient en désordre, les uns vers la 
Loire, et les autres à Pextrémité de la Normandie. 
L'armée cesse d'avoir confiance dans l'amiral Annebaut; 
elle redemande le connétable de Montmorenci, dont l'ha- 
bileté a, dans le temps , sauvé la capitale. On fortifie à 
la hâte Meaux, Lagny, et les autres postes qui peuvent 
couvrir Paris. On trace un camp sur Montmartre; le 
dauphin se retranche à la Ferté-sous- Jouare ; et le roi , 
parcourant les rues de la capitale , crie aux plus timi- 
des : Gardez-vous de la peur , je voua gartuiUrtd du 
maL La prise des magasins d'Épemay et de Château- 
Thierry n^empêche pas cependant l'armée de Charles- 
Quint d'éprouver bientôt une seconde fois tous les 
maux de la disette. C'est ce défaut des subsistances 
nécessaires qui a renversé si souvent chez tous les peu- 
ples, et à toutes les époques , les calculs de la politique, 
les projets de l'ambition, les combinaisons militaires 
des généraux les plus habiles. L'empereur , au lieu de 
marcher sur Paris , conduit ses troupes vers Soissons ; 
mais il espère en vain de s'y procurer les vivres dont 
il a besoin. Il a l'air d'accorder la paix, devenue bien 
plus importante pour lui que pour François I«' , et 
signe le traité de Crépy que la perfide duchesse d'Étam- 
pes parvient à faire considérer comme l'événement le 
plus heureux , par un monarque qu'elle domine , dont 
le courage est . encore digne de l'ancienne chevalerie , 
mais dont le caractère est plus afiÎEdbli que jamais par 
de honteux plaisirs. 

D'après cette convention , le roi renonce à l'alliance 
avec les Turcs et rend toutes les conquêtes qu'il a faites 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o — 1689. 3l5 

depuis la trêve dernière : Charles-Qaînt promet de 
donner le Milanais ou le3 Pays-Bas au duc d'Orléans, 
lorsque ce prince aura ëpousé la fille ou la nièce de 
l'empereur; François I*'^ s'engage à joindre plusieurs pro- 
vinces à l'apanage du duc d^Orlëans, et le monarque^ 
dont les yeux sont fascines par celle qui l'a séduit , 
ne voit pas qu'il consent en quelque sorte au partage 
de la France. 

Le dauphin proteste en secret contre un acte qui 
lui donne pour égal celui qui devait être son premier 
sujet. Le duc de Vendôme, le comte d'Enghien, Fran- 
çois de Lorraine , comte d'Âumale et fils de Claude duc 
de Guise , signent la protestation; et le comte d'Enghien 
engage le parlement de Toulouse, la capitale de son 
gouvernement , à. protester comme l'héritier du trône 
contre le traité de Crépy. 

Lorsque François I*"^ peut échapper à l'influence de 
la duchesse d'Étampes, et s'arracher à l'attrait de plai- 
sirs funestes, il se montre encore digne d'être le roi 
des braves. Il profite du traité de Crépy, qui ne lui laisse 
d'autre jennemi apparent que l'Angleterre , pour atta- 
quer Henri VIII en roi de France. Il fait équiper dans 
les divers ports du royaume une flotte formidable. 
L'Europe, qui croyait la France épuisée, apprend avec 
étonnement que François P' a réuni sur l'Océan cent 
cinquante gros navires dont on a écrit que l'amiral portait 
cent canons ; soixante vaisseaux d'un rang inférieur , 
et vingt-cinq galères arrivées de la Méditerranée. L'An- 
gleterre ne peut lui opposer que des forces navales infé- 
rieures. Annebaut commande la flotte du roi de France, 
attaque celle des Anglais, la bat, la contraint à se réfugier 
au milieu des éoueils , fait une descente dans l'île de 
Wight ; mais, ne profitant pas de sa victoire, aban- 
donne ce poste , dont la possession avait répandu les 
alarmes dans la Grande-Bretagne, engage avec la flotte 



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5i6 

anglaise un combat dont le succès est inâ(k;is y et rentre^ 
dans les ports de France. 

Le marëchal de Biez , qui commande Pàrmëe de terre, 
est encore moins heureux que Pamiral Annebaut. Il 
pénètre dans les contrées dont les garnisons de Calais et 
de Guignes tirent leurs subsistances. Admirablement 
secondé par le duc de Vendôme, le duc de Montpen- 
sier, le prince de La Roche-sur-Yon , et le vainqueur 
de CerisoUes , qui ne refusent pas d'être sous les ordres 
du maréchal , il n'est arrêté ni par les lignes profondes , 
ni par les retranchements , ni par les forts que les An- 
glais ont construits. Il force partout Pennemi et lui fait 
un grand nombre de prisonniers ; mais les chemins 
sont si mauvais que l'on ne peut transporter l'artillerie 
destinée à foudroyer les remparts de Calais. L'armée 
française est contrainte d'abandonner les forts qu'elle a 
conquis et de retourner dans ses cantonnements , aux 
environs de Boulogne. 

Une maladie contagieuse des plus meurtrières , et à 
laquelle on a donné le nom de peste , se répand dans ces 
cantonnements, immole phaque jour un grand nombre 
de victimes, s'étend dans la Picardie, pénètre auprès d'Ab- 
beville , à Farmoutiers où était le roi, et donne la mort 
au duc d'Orléans, qui avait bravé la contagion, et que 
son père, désolé et élevé par sa vive tendresse au-des- 
sus de tous les dangers , voit expirer dans ses bras 
(i545). 

Dans un instant , tous les projets de la duchesse d'É- 
tampes sont renversés ; la France qui la hait, et qui ne 
connaît que trop les liaisons du duc d'Orléans avec 
l'étranger , n'éprouve aucun regret. Mais que de sang 
un horrible fanatisme répandait dans le midi du 
royaume ! Les principes évangéliques de la tolérance 
religieuse étaient encore méconnus par l'ignorance du 
plus grand nombre, et par ces passions trop humaines-, 



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'vingt-deuxième époque, i55o — iSSg. Siy 

qui, dans leur audâce et leur délire, se permettent tous 
les crimes sous le prétexte sacrilège de venger les intérêts 
du cieL L^esprit de la réforme s'était répandu dans le 
Languedoc et dans la Provence. La chaleur du soleil 
et la vivacité naturelle des habitants de ces provinces 
méridionales avaient imprimé une ardeur extraordi- 
naire à des sentiments déjà très-exaltés par tous le» 
motifs de la réforme , par ^toutes les causes de la résis- 
tance , par tous les projets ambitieux. Les protestants 
se réunissaient dans des temples ; leur opposition à des 
dogmes , à des maximes, à des cérémonies, à des usages 
de UÉglise romaine , parut à leurs adversaires une at- 
taque des plus dangereuses contre leur influence, leurs 
richesses et leur pouvoir. Les ennemis des protestants 
présentèrent à François I®*^ leur croyance et leurs assem- 
blées comme des actes de rébellion contre l'autorité 
publique. Le roi ne pouvait distinguer les conseils de 
la sagesse et les préceptes du divin auteur du chris- 
tianisme , au milieu des intrigues, des erreurs et des 
agitations violentes. Il ne vit pas que Pemploi de la force 
avait toujours donné une nouvelle énergie aux opi- 
nions , et surtout aux opinions religieuses. Il eut Ife 
malheur de permettre qu'on prît les armes contre les 
novateurs, lui qui avait si fort recherché l'alliance de 
ceux de la Germanie. 

Lp parlement d'Aix, facilement porté comme les au- 
tres parlements du royaume à rendre des arrêts généraux 
que , dans des temps plus éclairés, on aurait regardés 
comme des usurpations de la puissance législative , avait 
ordonné contre les novateurs des dispositions barbares 
à force d'être sévères. Un premier président de ce parle- 
ment, aussi violent que sanguinaire, et dont la postérité 
a voué à l'exécration l'épouvantable cruauté, appliqua 
ces dispositions atroces aux Vaudois rassemblés dans plu- 
sieurs vallées alpines de la partie orientale de la Provence. 



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3l8 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

On frémit quand on lit dans un historien célèbre , le ver- 
tueux président à mortier du parlement de Paris, Jac- 
ques-Auguste de Thou , la manière horrible dont fut 
exécuté cet arrêt effroyable. Vingt-deux bourgs ou vil- 
lages furent brûlés ou saccagés avec une inhumanité, 
dit Pillustre historien, dont l'histoire des peuples les 
plus barbares présente à peine des exemples. « Les mal- 
» heureux habitants, surpris pendant la nuit, et pour- 
» suivis de rochers en rochers à la lueur des feux qui 
» consumaient leurs maisons , n'évitaient une embûche 
» que pour tomber dans une autre. Les cris pitoyables 
» des vieillards, des femmes et des enfants, loin d'amollir 
» les cœurs des soldats forcenés de rage comme leurs 
» chefs, ne faisaient que les mettre sur la trace des fugi- 
» tifs, et marquer les endroits où ils devaient porter 
» leur fureur. » La soumission la plus entière ne pré- 
servait ni les hommes du supplice , ni les femmes des 
excès de la plus infâme brutalité. Il était défendu , sous 
peine de mort, de leur donner asile j les maisons furent 
rasées, les jardins détruits, les bois coupés. On égoi'gea 
plus de sept cents hommes à Cabrières; toutes les femmes 
que Pon put saisir furent renfermées dans un grenier 
l'empli de paille, auquel on mit le feu, et celles qui ten- 
taient de se dérober aux flammes furent repoussées avec 
les piques des bourreaux. 

Tant d'horreurs parvinrent enfin jusques au monar- 
que; il suspendit l'exécution de l'arrêt, mais il était trop 
tard; les champs devenus déserts étaient couverts de 
cendres et d'ossements. 

Une grande puissance préservait les luthériens ou 
protestants d'Allemagne d'un sort semblable à celui des 
protestants de Provence. L'empereur, qui ne cherchait 
qu'à diminuer les forces des états germaniques , demanda 
à la diète de Worms de nouveaux secours contre les 
Turcs, quoique son frère Ferdinand, roi des Romains, 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o— 1689. Sig 

eût conclu avec eux une trêve de cinq ans; mais les luthé- 
riens refusèrent de traiter d^aucune affaire tant qu'une 
loi formelle et perpétuelle n'aurait pas pourvu, à leur 
sûreté. Ferdinand obtint un décret de la diète, d'après 
lequel des docteurs protestants devaient avoir de nou- 
velles conférences avec des théologiens catholiques, et le 
résultat de leurs discussions serait présenté à la diète pro- 
chaine, qui prononcerait sur les dissensions religieuses. 
La diète ordonna alors que le denier commun continue- 
rait d'être levé, et que le produit en serait employé 
contre les Ottomans, lorsqu'on leur déclarerait de nou- 
veau une guerre offensive; mais le roi des Romains, les 
commissaires de l'empereur et l'ambassadeur de Fran- 
çois I®' firent de vains efforts pour que les luthériens 
promissent de se soumettre au concile de Trente, que le 
pape venait de convoquer. « Nous voulons, dirent les 
» protestants, un concile national qui traite les affaires 
)) de religion par une conciliation amiable, et non par 
» une autorité que nous ne reconnaissons pas. » 

Ce fameux concile de Trente s'ouvrit néanmoins le i5 
décembre i545; et peu de temps après mourut Luther 
(i546). La nature l'avait doué d'une force d'esprit ex- 
traordinaire; son érudition était vaste, son talent remar- 
quable, son éloquence véhémente, son caractère inébran- 
lable; son influence devait être bien plus funeste à la 
puissance du pape que le schisme de l'Angleterre; il 
attacha son nom à une des époques les plus importantes 
de la civilisation. 

Catherine Pair, sixième femme de Henri Vlll, favo- 
risait cette réformation dont Luther avait été l'auteur; 
mais, craignant de contredire les idées religieuses du roi 
d'Angleterre, elle n'osa pas employer son crédit pour sau- 
ver trois protestants poursuivis par Gardiner , évêque de 
Winchester, et qui furent brûlés à Windsor. Ce prélat, 
le duc de Norfolk et les autres ennemis de la réformation, 



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320 

avaient j ur ë la perte de Cran mer, qu'ils regardaient comme 
le chef des novateurs* Norfolk et Gardiner présentèrent 
même au monarque une suite de chefs d'accusation qu'ils 
avaient fait dresser par les chanoines de Cantorbéry et 
par quelques juges de paix du comte de Kent. Le roi les 
communiqua à l'archevêque , dont les réponses franches, 
la conduite exemplaire, et la manière généreuse de traiter 
ses ennemis , inspirèrent au monarque une grande admi- 
ration pour sa modération et ses autres vertus (i543). 

L'année suivante le parlement s'occupa, sur la pro- 
position de Henri VIII, d'un des objets les plus im- 
portants dans une monarchie héréditaire. Il régla la 
succession au trône. Il fut décidé par une loi que la cou- 
ronne appartiendrait, après la mort de Henri , d'abord à 
Edouard, prince de Galles et à sa postérité; secondement 
aux enfants que le roi pouiTait avoir de la reine ré- 
gnante ,^ou de toute autre femme légitime ; troisièmement 
à la princesse Marie, proche parente de Charles-Quint, 
dont Henri VIII était devenu l'allié, et aux enfants de 
cette princesse; et enfin à la princesse Élisalbeth, ainsi 
qu'à ses descendants; mais le même bill soumit Marie 
et Elisabeth à toutes les conditions qu'il plairait à leur 
père de leur imposer, et ordonna que, si elles désobéis-* 
saient au monarque ou mouraient sans enfants, Henri 
réglerait l'ordre de succession au trône, soit par un tes- 
tament, soit par des lettres patentes. 

Le même parlement statua que tous les sujets de la 
couronne renonceraient, par un nouveau serment, et 
sous des peines sévères, à l'autorité de l'évêque de Rome; 
que les titres de roi d'Angleterre, de France et d'Ir- 
lande, de défenseur de la foi, de chef suprême des Égli- 
ses anglaise et irlandaise , seraient attachés à la couronne 
d'Angleterre; que le monarque pourrait nommer des 
commissaires pour examiner et changer les constitutions 
ecclésiastiques, et que les cours ecclésiastiques ne pour- 



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VINGT-DEUXIEME ÉPOQUE, l53o — iSSg, 321 

raient Juger personne au sujet des fameux six articles, 
que lorsque Paccusation aurait été approuvée par douze 
jurés et affirmée par eux en présence des commissaires 
du roi, nommés pour cet objet. 

Henri , après la session du parlement , fit une nouvelle 
faute en politique : toujours rempli de Pespoir de sou- 
mettre FEcosse à P Angleterre, il imagina de répandre 
la terreur de ses armes parmi les Écossais , et de les obli- 
ger ainsi à consentir au mariage qu'il leur avait fait pro- 
poser de leur jeune reine avec son fils le prince de Gal- 
les. Des troupes anglaises s'embarquèrent à Newcastle, 
descendirent à Leith , marchèrent à Edimbourg , n'atta- 
quèrent pas le château, mais pillèrent la ville et en 
brûlèrent les maison», revinrent à Leilh, réduisirent 
cette ville en cendres et se rembarquèrent. Cette expé- 
dition de barbares rendit Henri encore plus odieux aux 
Écossais. 

La reine douairière , cependant , n'aimait pas Mathieu 
Stuart, comte de Lennox; elle avait prévenu contre lui 
ses parente de la maison de Lorraine, et plusieurs autres 
personnes très-influentes de la cour de François I®' ; le 
roi de France abandonna Lennox. 

Le comte crut alors devoir sonder les dispositions de 
Henri VHI à son égard ; Henri reçut favorablement ses 
avances; le comte de Gienarchi, l'évêque de Caithness, 
frère de Lennox, et deux autres députés du comte, se ren- 
dirent à Carlisle; ils promirent aux commissaires du roi 
d'Angleterre de faire prêcher la parole de Dieu dans leur 
patrie , d'empêcher que la jeune reine ne fût emmenée 
hors de l'Ecosse avant qu'elle ne pût être remise entre les 
mains du monarque anglais , d'employer tout leur crédit 
pour faire donner à Henri VHI le protectorat de l'E- 
cosse, et de laisser comme otages en Angleterre l'évêque 
de Caithness et Hugues' Cunningham. « Les armées de 
» Henri, dirent alors les commissaires, ne feront aucun 
ToM. Xn. 21 



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322 HISTOIRE DE l'eUROPE, 

» ravage sur vos terres ; Lennox aura la rëgence d'É- 
» cosse sous la direction de Henri; il recevra sur les reve- 
» nus de la couronne une pension convenable pour le 
» soutien de sa dignité; il épousera lady Marguerite 
» Douglas, nièce de Henri VHI, et le monarque sou- 
» tiendra les prétentions du comte de Lennox à la cou- 
» ronne d^Écosse, si la jeune reine vient à mourir. » 

Le comte ratifia à Londres le traité conclu à Carlisle : 
il promit de livrer aux Anglais Pile de Bute et le châ- 
teau deDumbarton^dontle gouverneur Striveling devait 
avoir une pension , et il mit à la voile avec six cents sol- 
dats anglais ; mais Striveling y fidèle à sa patrie , n'ayant 
pas voulu les recevoir dans son château , ils ravagèrent 
l'île d'Aran , celle de Bute , Kintyre et quelques autres 
villages, retournèrent à Bristol, et apprirent en arri- 
vant dans cette ville que Henri était parti pour le con- 
tinent. 

( i544) Le roi d'Angleterre, revenu dans la Grande- 
Bretagne après aîvoir été obligé de lever le siège de Mon- 
treuil , et de se retirer vers Calais , fit élever des fortifica- 
tions à Gravesande et à Tilbury, pour défendre la Ta- 
mise; il prit toutes les précautions nécessaires pour 
repousser l'invasion dont il se croyait menacé ; et néan- 
moins il envoya en Ecosse un corps de troupes sous les 
ordres du comte de Lennox, de lord Dacres et de sir Tho- 
mas Warlhon. Plusieurs contrées écossaises furent rava- 
gées comme pendant les guerres déjà si anciennes des 
Bretons contre les Pietés et les Calédoniens. Mais le 
comte d'Angus , ayant réuni plusieurs guerriers écossais 
pour la défense de leur pays , attira les Anglais dans une 
embuscade à Ancram, et les attaqua avec tant de courage 
qu'ils furent entièrement défaits , et que presque tous 
leurs chefs furent tués ou faits prisonniers (i545). 

Ce fut Pannée suivante que les deux monarques de 
France et d'Angleterre désirèrent vivement de terminer 



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VINGT-PEUXIÈME ÉPOQUE. l55o— iSSg. 525 

la guerre, François I*" craignait de voir recommencer 
les hostilités avec l'empereur, et Henri VIII, ayant 
éprouvé dans son tempérament un changement qui lui 
faisait croire qu'il était près de la fin de sa vie, ne vou- 
lait pas laisser une guerre difficile et des plus dispen- 
dieuses au jeune prince qui devait lui succéder j il 
redoutait d'ailleurs l'ambition de Gharles-Quint , sa 
puissance et les projets du pape; et il désirait d'opposer 
à l'empereur et au pontife de Rome l'alliance de la 
France et celle des luthériens de la Germanie. 

(i546) Des plénipotentiaires de France et d'Angle- 
terre se réunirent à Campes, entre Guines et Ardres, 
et ils consentirent à un traité d'après lequel François 1*' 
dut payer à Henri VIII deux millions d'écus d'or, et 
Henri garder Boulogne et son territoire jusques au mo^ 
ment où le paiement serait effectué. 

Lorsque la paix fut publiée à Londres, on fit, pour 
remercier le ciel , une procession solennelle où l'on vit 
paraître de riches ornements, une grande quantité d'ar- 
genterie et de nombreux joyaux des églises; mais le roi 
d'Angleterre s'appropria toutes ces richesses. Un bill du 
parlement avait d'ailleurs réuni à la couronne les biens 
des collèges et des hôpitaux, sous le prétexte que les in- 
tentions de ceux qui les avaient donnés n'avaient pas été 
suivies. Le roi n'avait excepté que l'université d'Oxford 
et celle de Cambridge : il avait obtenu des subsides du 
parlement et de la convocation du clergé; et néanmoins 
il fut obligé d'imposer une nouvelle taxe à titre de bien- 
ifeillancè ( 1 5 46 ) . 

Voilà le moment que choisit Charles-Quint pour exé- 
cuter le grand projet qu'il avait conçu ; il n'avait rien 
à craindre, pendant long-temps, ni de l'Angleterre, i^i 
die la France, ni de la Turquie, les trois seules puis- 
sances qui pouvaient le contraindre à partager ses troupes. 
Il va réunir toutes ses forces pour écraser les protestants 

21. 



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324 HISTOIRE DE L^EUROPBi '^ 

d'Allemagne; la diversité des idées religieuses le touche 
peu; il verrait même, avec un grand plaisir secret, le 
triomphe des opinions les plus propres à détruire cette 
autorité pontificale qui ne peut que diminuer la puis- 
sance de Fempereur d'Occident et du roi de Naples et 
d'Italie. Mais il va se servir d'un prétexte sacré pour 
vaincre les protestants par les catholiques , attaquer ces 
derniers lorsque leurs succès même les auront affaiblis, 
élever un pouvoir absolu sur la ruine des deux partis , 
et changer le gouvernement impérial de la Germanie 
en ce despotisme qu'il a toujours voulu réunir avec la 
monarchie européenne, premier objet de son ambition 
démesurée. Les haines qu'il a fait naître entre les princes 
catholiques et les princes luthériens vont servir raer- 
veilleusemenl ses projets; aveuglés par une sorte de 
fanatisme , ils ne verront aucun danger et combattront , 
pour avoir des fers, avec la même ardeur que leurs an- 
cêtres auraient combattu pour leurs droits et leur indé- 
pendance. 

Il gagne d'ailleurs, par ses intrigues et ses promesses, 
le fameux luthérien Albert, margrave de Brandebourg, 
du Rameau.de Bareith ou de Gulmbach, qui ne respi- 
rait que la guerre et le carnage , et le duc Maurice , chef 
de la branche Albertine de la maison de Saxe , luthé- 
rien comme Albert, mais ancien rival de l'électeur de 
Saxe, son cousin. 

Le colloque de Ratisbonne ne produit aucun résultat : 
Charles-Quint, au milieu de la diète de cette ville, presse 
les protestants de se soumettre aux décisions du concile 
de Trente; ils renouvellent ce qu'ils ont dît contre la 
nature de cette assemblée , et demandent à l'empereur 
avec fierté quels sont les motifs des armements qu'il 
fait. <i Je ne cherche, répond Charles-Quint, qu'à réta- 
» blir la paix et le bon ordre dans l'empire. Les états 
» qui concourront avec moi à ce but salutaire pourront 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o — iSSg. 525 

» compter sur ma bienveillance ; mais je déploierai toute 
» la rigueur des lois contre les états réfractaires âmes 
» volontés, et je leur ferai sentir tout le poids de mon 
» autorité, » 

Les alliés de Schmalkalden sortent alors de la diète et 
prennent les armes; le duc de Wurtemberg s^empare 
des gorges du Tyrol , d'Aùsbourg et de Donawerth ; 
rélecteur de Saxe et le landgrave de liesse s'avancent vers 
Ratisbonne avec une armée de plus de quatre-vingt 
mille combattants ; Charles-Quint ne peut encore leur 
opposer que neuf mille hommes j en vain prononce-t-il 
la sentence du ban contre l'électeur et le landgrave : ik 
y répondent en déclarant formellement la guerre à 
Charles-Quint , et en s'approchant de ses retranche- 
ments; les Impériaux vont être taillés en pièces; c'eji 
est fait de Charles, et la face de l'Europe va être changée; 
Je landgrave de Hesse presse le signal de l'attaque; mais 
l'électeur de Saxe manque de cette résolution énergique 
qui sauve ou détruit les empires; ses généraux et ses 
ministres, presque tous vendus à l'empereur et au duc 
Maurice, l'emportent deux fois sur les instances du 
landgrave et des autres alliés; l'électeur a la faiblesse de 
céder à leurs avis perfides ; il laisse échapper l'occasion 
la plus favorable que la fortune pût lui offrir , et l'em- 
pereur est sauvé. 

Charles-Quint profile sans délai de cette faute énorme : 
il réunit les troupes qui lui arrivent d'Italie et des Pays- 
Bas ; les princes catholiques s'empressent d'y joindre 
leurs guerriers ; le pape lui envoie un corps de dix 
mille hommes ; le duc Maurice jetlèîlemasque et envahit 
la Saxe, que l'électeur Pavait chargé de défendre : cet 
électeur, Jean-Frédéric II , vole dans l'électorat, le re- 
prend, et enlève même à Maurice une grande partie de 
la Misnie; mais l'armée des alliés se sépare , et la forcé 
si redoutable des luthériens semble s'évanouir. 



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5a6 HISTOIRE DE L^EUBOPE. 

Pendant que les protestants se défendent avec tant de 
courage en Allemagne, combien les partisans de la ré- 
forme sont persécutés en Ecosse par le cardinal Beaton 
sous l'autorité du régent ! Plusieurs de ces amis des nou- 
velles opinions sont condamnés au supplice du feu 
comme hérétiques : on voit monter sur le bûcher un 
ministre protestant nommé Wishart, et dont les histo- 
riens ont loué la piété et les lumières; le régent lui- 
inème et plusieurs autres grands personnages avaient en 
vain intercédé en sa faveur; le cardinal Beaton a la 
cruauté de se tenir à une fenêtre de son palais , et de 
voir les derniers moments du malheureux ministre, 
dont la plupart même des catholiques admirent la con- 
stance héroïque. 

Les partisans des nouvelles doctrines éprouvent en 
Angleterre la même barbarie; le roi souffrait d'un ul- 
cère très-douloureux : la violence du mal qu^il éprouve, 
sa grosseur toujours croissante , et ses autres infirmités 
irritent son caractère despotique et sanguinaire; on ne 
l'approchait plus qu'en tremblant ; il ordonne qu'on 
poursuive, suivant toute la rigueur des lois, ceux dont 
les opinions religieuses diffèrent de celles qu'il a établies 
ou conservées* Une dame d'un esprit rare et d'une grande 
vertu, Anne Askew, est accusée dé nier Ia présence réelle 
du Christ dans l'eucharistie; elle préfère la mort à l'ab- 
juration ; on prétend qu'elle entretient avec la reine une 
correspondance religieuse; le chancelier Wriotheslay 
espère trouver dans les aveux d'Anne Askew un sujet 
d'accusation contre la reine, ou contre d'autres protec- 
teurs de la réfortnàtion; il la soumet à la torture la plus 
violente; elle la supporte avec le plus grand courage, 
n'avoue rien , est condamnée au feu , et tous ses membres 
ayant été disloqués par l'horrible torture , on la porte 
sur le bûcher. 

Les ennemis de l'archevêque de Cantorbéry croient 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — 1689. 327 

pouvoir renouveler leurs plaintes contre ce primat : ils 
présentent au roi une accusation dirigée contre Tarche- 
vèque; le roi la reçoit, permet qu'elle soit examinée le 
lendemain dans son conseil, mais, pendant la nuit, mande 
secrètement Granmer , lui apprend les démarches de ses 
ennemis , et lui demande de quelle manière il compte 
se défendre. « Je supplie votre Majesté, sire, répond 
» l'archevêque, de ne me donner que des juges qui 
» puissent entendre le sujet de l'accusation. -—Vous êtes 
» un insensé , lui dit le monarque , de prendre si peu 
» de soin de votre sûreté : si vous allez en prison, vos 
» ennemis trouveront un grand non^bre de faux té- 
» moins pour vous perdre. Mais, puisque vous ne voulez 
» pas avoir soin de vos affaires , c'est à moi à y veiller. 
» Paraissez demain devant le conseil qui va vous citer; 
» soutenez votre privilège de conseiller privé , et de- 
» mandez qu'on vous confronte vos accusateurs; si l'on 
» insiste pour que vous soyez renfermé dans la Tour de 
» Londres , appelez au roi en personne, et montrez cet 
» anneau royal que je vous remets. ;> 

L'archevêque parait à la barre du conseil. « Nous 
» avons reçu , lui disent les juges, diverses informations 
» qui prouvent que c'est à vous et à vos chapelains que 
» l'on doit les progrès des hérésies introduites en Angle- 
» terre. » Cranmer se justifie, réclame son privilège de 
conseiller privé ; et, voyant néanmoins qu'on veut l'en- 
voyer à la Tour, montre au conseil l'anneau que le roi 
lui a donné. 

Les conseillers se hâtent d'aller auprès du monarque. 
Henri VIII leur reproché avec sévérité leur conduite 
envers le primat de l'Angleterre, met la main sur sa 
poitrine, et déclare, par la foi qu'il doit à Dieu, qu'il 
regarde l'archevêque comme le plus fidèle de ses sujets. 

.La reine cependant favorisait la réformation; des 
ministres protestants prêchaient souvent dans l'appar- 



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328 HISTOIRE DE l'euROPB. 

tement de cette princesse; le roi en était informé et ne 
s'y opposait pas : elle disputait même quelquefois ayec 
lui sur des sujets religieux. Elle porta un jour la dispute 
si loin que le monarque en fut blessé. Il témoigna son 
mécontentement à Gardiner, qui, saisissant avec empres- 
sement une occasion de perdre les protecteurs de la ré- 
forme, augmenta le ressentiment du roi par de perfides 
insinuations; le chancelier se joignit au prélat, a La 
» reine, dirent-ils, et les principales dames qui Pen- 
» tourent, non seulement favorisent les novateurs, mais 
» encore elles étaient en correspondance avec Anne 
» Askew. Elles joignent la trahison à Thérésie. » Leurs 
artifices se multiplient : la violence naturelle du roi 
sMrrite^avec une grande rapidité; on' a la hardiesse de 
lui présenter quelques articles destinés à former une ac- 
cusation contre la reine; et, dans son espèce de délire , 
Henri YIII met sa signature au bas de cet écrit. Cet acte, 
destiné à être si fatal à Catherine , est perdu par le chan- 
celier ; le hasard le fait tomber entre les mains d'un 
Anglais impartial qui le porte à la reine. Cette malheu- 
reuse princesse frémit en le lisant : elle voit k l'instant 
levée sur sa tète la hache terrible qui a fait tomber celles 
d'Anne de Boulen et de Catherine Howard.Son inno- 
cence ne peut calmer son effroi; une fièvre violente la 
saisit. Henri court auprès d'elle; la présence et les dou- 
leurs de la reine réveillent sa tendresse ; il lui parle 
avec amour. La fièvre s'apaise, le mal se dissipe; Cathe- 
rine va chez le roi; elle amène la conversation sur des 
sujets religieux. « Je connais, dit-elle à Henri, la fai- 
» blesse de mon sexe; je veux à ce sujet, comme à tout 
» autre, me soumettre à la supériorité de votre juge- 
» ment. Je n'ai jamais eu la folle présomption de dis- 
» puter sérieusement contre vous ; je n'ai voulu que vous 
» distraire de vos souffrances, et profiter de vos grandes 
» lumiè]^*es. » Le roi, flatté, satisfait et attendri, l'em- 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o— iSSg. 529 

Irasse, lui promet de ne jamais cesser de Paimer, des- 
cend avec elle dans le jardin. Le chancelier parait avec 
des gardes; il venait arrêter la reine et plusieurs de ses 
dames. Le roi irrité commence par lui parler bas ; mais 
bientôt, ne pouvant plus se contenir, il Paccable d'in- 
jures et lui ordonne de sortir de sa présence. La reine , 
qui ne devine pas pourquoi le chancelier est venu au 
palais, intercède en sa faveur. <( Pativre femme ! s'écrie 
» Henri , tu ne sais pas de quelle manière ils reconnais- 
» sent les services que tu leur rends! » L'évêque de 
Winchester est exclu du conseil, et n'a plus aucune 
part aux faveurs du monarque. 

Bientôt le malheur tomba sur le duc de Norfolk et sur 
son fils , le comte de Surrey. Leurs ennemis dirent au roi 
que Surrey aspirait à la main de la princesse Marie. « 11 a 
» des vues sur la couronne, ajoutèrent-ils; un jour il 
» voudra la ravir au prince de Galles; et votre Majesté 
» doit savoir qu'il porte les armes d'Edouard-le-Confes- 
» seur sans aucune brisure. » 

Le poison de l'accusation ne pénètre que trop facile- 
ment dans l'âme soupçonneuse de Henri. D'ailleurs la 
division, qui perd les familles comme les royaumes, était 
. dans la maison du duc de Norfolk. La duchesse sa femme, 
qui , dépuis quelques années , était séparée d'avec lui, porte 
la jalousie et la haine jusques à devenir son accusatrice; 
celle que l'on disait sa concubine devient perfide, et 
réunit son accusation à celle de la duchesse. Sa fille Ma- 
rie, duchesse douairière de Richmont, détestait son 
frère; elle accuse le comte de Surrey. Sir Richard South- 
well charge formjellement ce comte d'avoir manqué 
de fidélité au roi; Surrey le nie, et défie Southwell au 
combat. On ne peut néanmoins que rapporter des ex- 
pressions de mécontentement, et rappeler ces armes 
d'Édouard-le-Confesseur, adoptées x>av Surrey, pendant 
que son père , le duc de Norfolk, ne porte celles d'An- 



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33o 

gleterre qu'avec un lambel d'argent. Mais le héraut 
d'armes avait autorisé l'écusson deSurrey, et, depuis plu- 
sieurs années, le monarque connaissait cet écusson , et 
n'avait pas témoigné qu'il le désapprouvât. 

Le roi cependant, fortement prévenu contre les Nor- 
folk, croit leur perte nécessaire à la succession de ses 
enfants au trône : le comte de Sarrey est jugé parlesjuges 
ordinaires, déclaré convaincu, et décapité dans la place 
de la Tour. Son père s'efforce en vain de toucher le roi 
par les lettres qu'il lui adresse : le parlement s'assemble ; 
on lui présente un bill A^atteinder contre le duc de Nor- 
folk. Le parlement l'adopte; le monarque le sanctionne; 
le chancelier, le comte d'Hereford, le lord Saint Jean et 
le lord Roussel sont nommés commissaires ; le warrant 
de mort est envoyé au lieutenant de la Tour , et le duc 
allait perdre la tète sur l'ëchafaud, lorsqu'un grand évé- 
nement suspend l'exécution du bill. 

Henri sent approcher le terme de sa vie ; il fonde le 
collège de la Trinité dans l'université de Cambridge pi 
donne à la ville de Londres l'hôpital de Saint-Barthé- 
lémy, le revenu de l'église du Christ, et 5oo marcs de 
rente; il fait son testament : il laisse la couronne à son 
fils le prince Edouard et à sa postérité, et, à leur défaut, à 
la princesse Marie , et à la princesse Élisabetli si Marie 
meurt sans enfants. Il veut que , si Elisabeth ne laisse pas 
de descendants, la couronne passe à ses nièces Françoise 
et Éléonore, filles de sa sœur cadette Marie, qui avait 
épousé Louis XII , roi de France. Il exclut du trône 
d'Angleterre les enfants de sa sœur aînée, Marguerite, 
reine d'Ecosse ; il ordonne que ses filles Marie et Elisabeth 
perdentleurs droits à la couronne, si elles se marient sans 
le consentement du conseil prive. 11 laisse à chacune de 
ces princesses 10,000 livres de dot, et une pension de 
3,000 livres jusques à leur mariage. Il lègue à la reine 
5,000 livres en argenterie, et 1,000 livres sterling, indé- 



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VINGT-DEUXifeMB ÉPOQUE. l53o — 1689. 55l 

pendamment de son douaire j il laisse 600 livres de rente 
au doyen et au chapitre de Windsor , pour Fentretien de 
treize pauvres chevaliers. Il prescrit à ses exécuteurs 
testamentaires de payer ses dettes; il leur commande de 
réparer toutes les injustices qu'il peut avoir commises 
sans le savoir. Il fait des legs en faveur de ces exécuteurs 
testamentaires 9 et de ses plus fidèles domestiques, et il 
confirme tous les dons et toutes les promesses qui, au 
jour de son décès, n'auraient pas été revêtus des forma- 
lités nécessaires. 

Cranmer s'était éloigné de Londres pour ne prendre 
aucune part à l'injuste bill proposé contre le duc de Nor- 
folk, qui néanmoins était son ennemi déclaré. Henri 
désire de l'avoir auprès de lui dans ses derniers moments. 
Il veut que ce soit l'archevêque qui l'exhorte et lui parle 
de la miséricorde céleste; il demande qu'il vienne. 
Cranmer arrive; le roi ne pouvait plus parler, et, quel- 
ques minutes après, il expire dans la cinquante-cinquième 
année de son âge, et après avoir régné près de trente-huit 
ans (1547).- 

La mort de Henri sauve la vie de Norfolk; mais elle ne 
la rend Jias au comte de Surrey. 

Le chancelier déclare le parlement dissous. 

Les dififérences des opinions religieuses avaient divisé 
la nation anglaise. Henri était parvenu à inspirer aux 
deux partis le désir d'obtenir sa protection. La passion 
qui les dominait leur avait fait rechercher cet appui par 
les soumissions les plus basses. Ces lâches et viles complai- 
sances les avaient asservis. Henri avait obtenu l'autorité 
la plus despotique, et, endurci par sa violence, il avait 
violé sans remords et la justice et l'humanité. 

Deux mois plus tard , le roi de France cessa de vivre. 
Il mourut victime de son amour pour les plaisirs : on est 
étonné quand on lit dans les historiens qu'il laissa dans 
ses cofires 4oo,ooo écus, que les dettes du royaume 



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533 HISTOIRE DE l'eUROPE. 

étaient acquittées, et qu'il était dû au trésor un quartier 
des revenus de la couronne. Combien de ventes de charges 
et d'autres mesures funestes avaient contribué à cet état 
des finances ! 

Au reste, la postérité a pardonné bien des fautes au mo- 
narque qui a favorisé l'instruction publique, ranimé 
l'étude des langues grecque et latine , fondé le collège 
royal de France , honoré les savants, les hommes ^e let- 
tres et les artistes; enrichi les bibliothèques de livres et 
de manuscrits recueillis à grands frais; élevé à Fontaine- 
bleau, à Ghambord, à Saint-Germain, des monuments 
dignes du siècle qui avait vu renaître les arts; orné les 
maisons royales de tableaux précieux et de statues anti- 
ques et modernes ; protégé les progrès des lumières et de 
la civilisation , et obtenu le titre glorieux de restaurateur 
des lettres, 

Henri II succéda à François I" ; il avait vingt-neuf ans. 
Mais 'dans quel embarras le jetèrent quatre factions qui 
divisaient la cour, cherchaient à enlacer le monarque, 
et ambitionnaient le pouvoir sans qu'aucune de leurs dé- 
marches eût pour but le bonheur de la nation! Un esprit 
élevé aurait pu aisément prévoir, dès cette époque, tous 
les malheurs qui allaient accabler la, France. A la tête du 
premier de ces partis est le fameux Anne de Montmo- 
renci, que François P' avait disgracié quelque temps 
après avoir récompensé ses grands services par l'épée de 
connétable, et que Henri II, qui avait pour lui une 
grande affection, s'était empressé de rappeler de son 
exil. Le second parti avait pour chef ce François de 
Guise, duc d'Aumale, surnommé Ze Balafré, dont la 
renommée devait surpasser celle de Claude de Lorraine 
son père, et que l'on devait regarder comme le plus 
grand capitaine de son siècle. Ces deux factions puissan- 
tes et rivales désiraient vivement le pouvoir, mais vou- 
laient la gloire du roi et de la France. Elles étaient 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. i55o — iSSg. 533 

dirigées par deux grands ' hommes. Les deux autres 
étaient conduites par deux -femmes, l'épouse et la maî- 
tresse du roi. 

Diane, fille de Jean de Poitiers , comte de Saint-Val- 
lier, avait, bien jeune encore, touché François I*"^ par 
ses larmes et sa beauté , et obtenu la grâce de son père , 
condamné à mort comme complice du connétable de 
Bourbon. Elle avait épousé, dès Page de quatorze ans, 
liOuis de Brézé, comte de Maulevrier, seigneur d'Anet, 
gouverneur et grand-sénéchal de Normandie , dont elle 
devint veuve après en avoir eu deux filles. Son liabileté, 
son adresse et ses charmes étaient exti^êmes. Née au com- 
mencement du seizième siècle , elle avait plus de quarante 
ans; et néanmoins elle exerçait sur le monarque le plus 
grand empire que puissent donner Pesprît et la beauté. 
Venue à la cour de François I®' après son veuvage, elle 
avait obtenu, dit-on, de se charger en quelque sorte de 
l'éducation de Henri , qui n'était encore que duc d'Or- 
léans, et qui n'avait été l'objet de presque aucun soin. 
Elle l'appelait son chevalier; elle lui avait inspiré les sen- 
timents les plus tendres et les plus confiants. Ses parti* 
sans formaient la troisième faction. 

Le quatrième parti était aux ordres de la reine. 

Catherine de Médicis, long -temps dédaignée, veut 
sortir de sa nullité. Son caractère était souple, et sa dis- 
simulation profonde; elle caresse la grande-sénéchale 
qu'elle déteste , le connétable qu'elle regarde comme son 
plus grand ennemi, mais auquel elle demande sans cesse 
des conseils, et le duc d'Aumale dont elle redoute l'am- 
bition el le génie. Aucun moyen ne la rebute, pourvu 
qu'elle croie pouvoir s'approcher de son but. 

Rien n'égalait l'avidité de ces quatre factions pour tou- 
tes les places qui venaient à vaquer. Des agents, répandus 
dans toutes les parties du royaume^ prévenaient les chefs 
des partis de la mort des fonctionnaires. Des médecins 



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534 

de la capitale rendaient compte de Pëtat des malades qui 
pouvaient laisser des places vacantes. Les partisans de la 
duchesse d'Étampes, qu'on avait exilëe y ne se rachetè- 
rent de Pexil , de la prison ou de la mort qu'en cédant 
à de nouveaux favoris, les uns des ch&teaux et des terres, 
les autres des charges ou des dignités. L'ambition rendait 
si imprudents ceux qui étaient en faveur, que même 
les amis de Diane persécutaient ceux de la duchesse d'É« 
tampes. 

Le roi luttait encore avec force , mais souvent sans suc- 
cès, contre les importunités , les faux rapports et les 
conseils funestes. Il avait mis beaucoup d'ordre dans 
l'emploi de son temps. Le connétable de Montmorenci 
lui avait remis un tableau des différentes occupations que, 
dans sa jeunesse, il avait vu Louis XII attacher aux diffé- 
rentes heures de la journée. Il se levait ordinairement à 
sept heures, et, pendant qu'on l'habillait, il causait fa- 
milièrement avec les seigneurs de sa cour. Il s'entretenait 
surtout avec ceux qui arrivaient de leurs tenues, et s'in- 
formait de leurs familles, du prix des denrées, de l'ad- 
ministration de la justice et de tout ce qui pouvait in- 
téresser le peuple. Il travaillait ensuite avec les quatre 
secrétaires d'état, se faisait lire les dépêches des ambas- 
sadeurs, ainsi que les rapports des gouverneurs des pro- 
vinces, signait les réponses , renvoyait les discussions au 
conseil, le présidait lorsque les affaires étaient impor- 
tantes, entendait la messe à dix heures, recevait toutes 
les requêtes qu'on voulait lui présenter , se mettait à ta- 
ble vers midi, passait dans l'appartement de la reine, y 
trouvait les dames et les demoiselles, y entretenait une 
conversation générale, joutait devant les fenêtres de Ca- 
tlierine et sous les yeux des dames, ou courait la bague 
et jouait à la paume , tenait quelquefois un second con- 
seil , soupait, assistait chez la reine à un nouveau cercle 
où l'on dansait , et se couchait à dix heures. 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. i53o— iSSg. 335 

Il réduisit à Pancien nombre les conseillers des parle- 
ments, que la vénalité des charges avait tant multipliés 
sous le règne de son père. Il ordonna qu'ils ne pussent 
être reçus qu'à l'âge de trente ans, et après avoir été 
examinés par les chambres assemblées. 

Il fit publier une ordonnance touchant le port d'armes 
et les attroupements d'une multitude de gens de guerre 
déserteurs de leurs drapeaux et répandus dans les diffé- 
rentes provinces. Il en recommanda l'exécution aux sei- 
gneurs qui avaient le droit de faire rendre la justice dans 
leurs terres, et qu'on nommait hauts-justiciers. EflFrayé 
du nombre d'assassins , de contrebandiers , de vagabonds, 
de mendiants et d'autres gens sans aveu qui infestaient 
la France, il attribua, par un édit, la connaissance de leurs 
crimes ou délits aux prévôts des maréchaux du royaume, 
aidés de sept juges choisis dans les tribunaux; il voulut, 
par ce même édit , qu'ils jugeassent sans appel. Le parle- 
ment de Paris fit des remontrances contre l'établissement 
de ces cours prevôtales , et ne consentit à l'enregistrer 
ii^ attendu la malice du temps. 

Un autre édit, monument atroce d'un siècle si horri- 
blement intolérant, et par conséquent si rebelle aux 
saintes lois de l'Evangile , condamna les hérétiques à être 
- brûlés vifs. 

Henri, cédant aux idées chevaleresques dont il avait 
hérité de son père, comme il avait subi le joug d'une dé- 
plorable intolérance, permit le duel judiciaire à Fran- 
çois de Vivonne, seigneur de la Chateigneraye , et a Guy 
de Chabot , seigneur de Jarnac. 

Il se laissa ensuite entraîner dans une de ces démarches 
politiques qui ne montrent que de la faiblesse ou des 
projets ultérieurs encore mal concertés, et qui ont pro- 
duit si souvent des efibts funestes. Au lieu de se déclarer 
avec courage et franchise en faveur des alliés de Schmal- 
J^alden , les anciens amis de son père, et d'empêcher, en 



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336 HISTOIRB DE L^BUROPE. 

les secourant, leur perte et l'agrandissement excessif de 
la puissance de Charles-Quint, il se contenta de la plus 
singulière des diversions, fit proposer à l'empereur de 
grandes difficultés sur l'exécution des différents traités 
existants, crut lui inspirer la crainte d'une guerre non- 
Telle et arrêter les armes sous lesquelles Charles Toulait 
accabler les luthériens d'Allemagne. L'empereur, bien 
loin de suspendre sa marche, força l'électeur palatin ^ 
le duc de Wurtemberg, et les villes impériales de la Haute 
Allemagne, à renoncer à la ligue de Schmalkalden , et à 
payer des amendes considérables. Il s'avança ensuite par 
la Bohême contre l'électeur de Saxe , que le margrave 
Albert attaquait du côté de la Franconie. L'électeur battit 
le margrave à Rochlitz^et le fit prisonnier. Il aurait sauTé 
la liberté germanique j mais que pouvait son courage 
contre des trahisons sans cesse renouvelées? Ses perfides 
ministres et ses infâmes généraux lui persuadent de divi- 
ser ses troupes : il ne s'est réservé que quinze mille hom- 
mes, n est surpris par l'armée impériale près de Muhl- 
berg sur l'Elbe, défait, blessé et contraint de se rendre 
prisonnier, après avoir fait des prodiges de valeur. L'em- 
pereur, sans consulter les électeurs de l'empire, sans 
observer aucune forme judiciaire , condamne à mort 
comme félon le malheureux Jean -Frédéric. Le com- 
mandant de la forte placede Wittemberg, effrayé par cette 
condamnation, ouvre les portes de la ville à l'empereur. 
Charles-Quint fait alors grâce de la vie à son prisonnier, 
mais il l'oblige à se démettre entre ses mains de l'élec- 
torat, du duché de Saxe et des états patrimoniaux que 
ce prince , si digne d'un meilleur sort, possède dans la 
Thuringe; il lui assure, pour lui et pour ses enfants, un 
revenu annuel de 5o,ooo florins, et raie de sa main, 
sur la convention originale, l'obligation de se soumet ti*e 
au concile de Ti^ente, que Jean-Frédéric refuse constam- 
ment de reconnaître; mais il se réserve le droit de pro- 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — 1689. 357 

longer sa captivité aussi long-temps que cel^ pourra lui 
convenir. C^est de ce prince infortuné que sont descendues 
les maisons de Weimar, Gotha , Meinungen, Hildbourg- 
hausen et Gobourg. 

Le landgrave de Hesse est forcé de se soumettre au 
vainqueur; il s'oblige à demander pardon à genoux ^ à 
congédier ses troupes , à raser ses forteresses hors une 
seule, à renoncer à toute ligue contraire à Fempereur , à 
reconnaître les décisions et les décrets impériaux , à li- 
vrer son artillerie, à remettre ses munitions de guerre, 
à payer ime amende de i5o,ooo florins d'or. On lui pro- 
met la paix et une amnistie complète; mais, par une in- 
digne supercherie, on substitue dans la convention un 
mot à un autre. Gette infâme falsification , que se hâte de 
montrer le cardinal de Granvelle, ne garantit le land- 
grave que d'une prison perpétuelle, et le duc d'Albe fait 
ce prince prisonnier au nom de l'empereur. 

Toute la ligue de Schmalkalden est dissoute: les états qui 
en faisaient partie sont accablés d'amendes et de contri- 
butions. Gharles-Quint, ayant convoqué une diète géné- 
rale à Ausbourg, s'y présente en conquérant, et, violant 
sans crainte les droits et la liberté de la diète, remplit la 
ville et les environs de troupes italiennes et espagnoles. 
Au milieu de cette diète ainsi asservie, il investit avec 
une grande solennité le duc Maurice de l'électorat et 
du duché de Saxe, qui passent ainsi de la branche Ernes- 
tine dans la branche Albertine. Il fait ensuite rédiger un 
formulaire de foi chrétienne par deux érêques, et par 
Jean Agricola, ancien disciple de Luther, dont il avait . 
néanmoins abandonné une partie de la doctrine en s'éri- 
geant en chef d'une secte que l'on nomma secte des Ano- 
méena, ou des chrétiens sans loi. Ge formulaire, revu 
par des dominicains espagnols, et même par lesaint- 
fliége, est appelé intérim, parce qu'il doit servir d'acte 
symbolique en attendant la décision d'un concile gêné- 
ToM. XII. 22 



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338 HISTOIRE DE L^EUROPE. 

rai. Entièrement conforme aux dogmes de PÉglise catho- 
lique y il permet cependant aux prêtres mariés de garder 
leurs femmes, et aux laïques de continuer de receyoir le 
calice dans la sainte cène. 

Charles-Quint exige que les états protestants acceptent 
ce formulaire : la crainte des armes de Pempereur et 
Pespérance d'un agrandissement engagent plusieurs de 
ces états luthériens a recevoir Vinterim; mais le coura- 
geux JeanrFrédéric de Saxe le rejette avec fermeté, quoi- 
que dans les fers. Son exemple est suivi par quelques 
autres princes et par les villes de Constance et de Mag- 
debourg. L'empereur les met au ban de l'empire, et 
le roi des Romains, Ferdinand d'Autriche, s'empare de 
Constance. 

Ne connaissant plus de bornes à sa puissance, qu'un 
vil égoïsme , la corruption et la perfidie ont rendue pres- 
que absolue , il prescrit à la diète des décrets qui inter- 
disent aux protestants tous les emplois de la chambre 
impériale, et ordonnent aux électeurs et aux autres états 
de l'Allemagne de placer le titre et les armes de l'empe- 
reur sur les monnaies qu'ils feront frapper j et, par un 
acte bien plus extraordinaire d'un pouvoir qui veut se 
mettre au-dessus des lois fondamentales, il attache au 
corps germanique, sans consulter aucun prince ni aucun 
état de l'Allemagne, les dix-sept provinces des Pays- 
Bas, prescrit à ces provinces de fournir un double con- 
tingent électoral , les institue comme formant le cercle 
de Bourgogne, et leur donne tous les droits et tt)utes les 
prérogatives des autres membres de l'empire. Aucun 
prince, aucun état de la Germanie n'osent réclamer con- 
tre cette grande usurpation de Charles-Quint. La terreur 
les contraint au silence ; mais quels dangers pourra faire 
naître un jour leur ressentiment secret ! 

Le fils du pape Paul III, Louis Farnèse, duc de 
Parme, et que ses exactions et ses dérèglements avaient 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l55o— iSSg. 55q 

rendu odieux, est assassiné par ses courtisans; son cada- 
dre, jeté par les fenêtres du palais, est déchiré avec 
fureur par la populace ; des soldats espagnols , comman- 
dés par Ferdinand de Gonzague , se présentent à 1 ^instant 
de l'assassinat pour occuper le duché ; et Charles-Quint 
déclare qu'il ne veut que conserver l'élat de Parme et de 
Plaisance à son gendre, Pierre-Louis-Octavio Farnèse, 
fils de celui qu'on a poignardé, et époux de Marguerite 
d'Autriche. 

Le pape cependant ne doute pas que les intrigues de 
Charles-Quint n'aient dirigé les poignards qui ont donné 
la mort à Louis Farnèse ; il veut venger la mort de son 
fils; il craint d'ailleurs que le concile général qu'il a 
transféré à Bologne, et que l'empereur veut voir réunir 
à Trente, ne soit traité par ce prince comme la diète 
d'Aushourg, que ce monarque, devenu si redoutable, 
ne se rende maître des délibérations du concile, et ne 
les dirige contre lui. « Je suis déterminé, dit-il à l'am- 
)> bassadeur de Henri II, à me dévouer aux Français, à^ 
» les rappeler en Italie; et si, dans le cours de ma nou- 
» velle entreprise, je me trouve exposé à des désagré- 
» ments personnels^ je me retirerai en France et j'y de- 
» manderai un asile. » Le roi de France parut saisir 
avidement ces ouvertures ; et bientôt les négociations 
commencées entre Henri II et Paul III prirent une bien 
plus grande étendue. Pierre de Tolède, viçe-roi de Na- 
ples, avait voulu y établir l'inquisition; le peuple irrité 
l'avait poursuivi jusque dans un des châteaux de la capi- 
tale. L'occasion parut favorable pour que les Français 
s'emparassent du Milanais, reconquissent le royaume de 
Naples et chassassent de l'Italie les troupes de celui qui 
tenait les princes de cette belle contrée, et le pape lui- 
même, sous sa dure et despotique domination. La fac- 
tion des Guise appuya fortement ce projet du conseil de 
Henri II. Le jeune cardinal, Charles de Lorraine, alla à 



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54o HISTOIRE DE L^EUROFE^ 

Rome et distribua à ses collègues les cardinaux un d 
grand nombre de bénéfices français^ qu'il obtînt une 
accession solennelle du sacré collège aux conquêtes pro- 
jetées , et même une grande espérance de yoir son oncle 
le cardinal Jean de Lorraine, frère du feu duc Antoine 
et prince d^un grand mérite, remplacer dans le temps 
le pape Paul III , qui avait plus de quatre- vingts ans. 

Charles-Quint, qui n'ignorait pas ses succès, fut ac- 
cusé d'avoir envoyé des agents dans la Guyenne pour y 
augmenter les troubles produits par l'impôt de la gabelle 
mis sur le sel, que cette province regardait comme une 
denrée de première nécessité , par la sévérité avec laquelle 
on exigeait le paiement de cette taxe nouvellement éta- 
blie, et par la fortune scandaleuse qu'avaient si prompte- 
ment acquise les percepteurs de cette gabelle si odieuse. 

Jj'insurrection éclata avec violence dans l'Angoumois , 
le Poitou , la Marche, la Saintonge, le pays d'Aunis et le 
Bordelais. Les habitants des campagnes prirent les armes, 
se jetèrent sur lés gabeleursj et, poussés par cette fureur 
aveugle qui rend les guerres civiles si afiEreuses, pillèrent, 
massacrèrent et brûlèrent, souvent sans distinction d'a- 
mis et d'ennemis. Le peuple des villes partagea l'égare- 
ment des habitants des campagnes : les Bordelais les 
moins fortunés repoussèrent la garnison du château du 
Ha, massacrèrent le commandant du fort, Tristan de 
Monneins , qui était resté hors des murs de son ch&tean 
pour parlementer, déchirèrent son corps, en enterrè- 
rent les lambeaux au milieu d'une couche de sel , et for- 
cèrent plusieurs conseillers du parlement à se montrer 
parmi eux habillés en matelots et la pique à la main. 

Le roi donna des lettres patentes par lesquelles il pro- 
mit aux communes de la Guyenne de leur faire rendre 
justice au sujet des concussions des gabeleura ou officiers 
de la gabelle. Ces lettres apaisèrent les communes, et tout 
rentra dans l'ordre; mais le parlement, reprenant ses 



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VINGT-DÊuXliME ÉPOQUE. i53o — iSSg. S4i 

fonctions, condamna plusieurs séditieux au bannisse- 
ment, d'autres insurgés aux galères, ou à la pqtence, ou 
à la roue, et fit tirer à quatre chevaux le premier qui 
avait sonné le tocsin. 

Henri II envoya alors deux corps de troupes vers la 
Guyenne. Le duc d'Aumale, François de Lorraine, qui 
commandait un de ces deux corps, déploya peu de sévé- 
rité, et rétablit entièrement le calme dans le Poitou, la 
Saintonge, PAunis€t d'autres provinces qu'il parcourut. 
Le connétable de Montmorenci, qui était à la tète du 
second corps, fut bien moins politique; et combien de 
germes funestes au roi de France furent semés par les 
ordres cruels que donna le connétable dans une province 
aussi importante que la Guyenne ! 

Il entra dans Bordeaux avec ses bataillons , l'épée nue , 
la lance en arrêt, les tambours battants, et les enseignes 
étant déployées : il désarma les habitants et forma un 
tribunal de quelques maîtres ^e requêtes et de quelques 
conseillers des parlements d'Âix et de Toulouse ; cent 
bourgeois , regardés comme les chefs des séditieux , 
furent exécutés ; deux colonels des communes voisines 
expirèrent sur la roue , et une couronne de fer ardent 
sur la tête. La ville fut condamnée à payer 200,000 li- 
vres et à perdre tous ses privilèges; le parlement fut 
interdit comme ne s'étant pas opposé assez promptement 
aux désordres ; on ordonna de raser l'hôtel-de-ville et 
d'élever à sa place une chapelle , où l'on célébrerait 
tous les jours l'office des morts pour le repos de l'âme 
de Tristan de Monneins. Les jurats et cent vingt nota- 
bles, couverts d'habits de deuil , déterrèrent avec leurs 
ongles le corps de ce commandant, ie portèrent sur 
leurs épaules devant l'hôtel du connétable, se mirent 
à genoux , crièrent Miséricorde I demandèrent pardon 
à Dieu , au roi et à justice, et inhumèrent le cadavre dans 
le choeur de la cathédrale. 



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342 

Le connétable, précédé par le prévôt des maréchaux 
et par plusieurs archers , parcourut ensuite la Guyenne 
et plusieurs contrées voisines , cassant les privilèges des 
villes , ordonnant de briser les cloches , imposant des 
amendes , et faisant attacher prevôtalement à des four- 
ches patibulaires ceux que Pon accusait d'avoir le plus 
favorisé la sédition. 

Une grande partie des privilèges révoqués fut, quel- 
que temps après, rendue aux villes'; la gabelle fut même 
abolie, à condition que lés provinces paieraient à la 
place des sommes que Pon détermina (i548). Mais 
avec quelle amertume on conserva le souvenir de la 
conduite du connétable , si différente de celle du duc 
d'Aumale ! et quels sinistres désirs de vengeance pou- 
vaient à chaque instant inonder la France de nouveaux 
malheurs ! 

L'Angleterre était dirigée par un nouveau gouverne- 
ment, Edouard VI , âgé seulement de dix ans , avait 
succédé à Henri VIII : le testament de son père avait fixé 
sa majorité à dix-huit ans , établi un conseil suprême 
de seize exécuteurs te.*tamentaires régents du royaume, 
et créé un second conseil composé de douze membres, 
et chargé d'aider par ses avis les régents d'Angleterre, 
lorsque ces derniers désireraient d'avoir son opinion. Le 
comte d'Hereford , oncle du jeune Edouard, fut nomnié 
protecteur du royaume et gouverneur de la personne 
du roi ( 1547 ) ; les régents, sous le prétexte de remplir 
les intentions du dernier monarque , donnèrent de nou- 
velles pairies à d'anciens pairs , et créèrent des pairs du 
royaume : le comte d'Hereford devint duc de Sommerset; 
son frère sir Thomas Seymour fut créé baron Sudley ; 
le nouveau duc de Sommerset eut la place de trésorier et 
celle de maréchal, vacantes par la condamnation du duc 
de Norfolk ; et l'on confia au baron Sudley la charge 
d'amiral. 



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VINGT-DEUXIÈME ÉPOQUE. l53o — 1689. 545 

Peu de temps aprè^^ Edouard fut couronné, et Pon 
publia une amnistie dans laquelle on excepta de la grâce 
royale le duc de Norfolk, le cardinal Polus, Edouard 
Courtenay , fils aîné du marquis d'Exeter , et trois autres 
personnes. 

Le chancelier Wriotheslay, qui venait d^être nommé 
comte de Southampton, déplaisait au protecteur par son 
caractère altier, et Finquiétait par son ambition, ainsi 
que par ses opinions religieuses, très-difiFérentesde celles 
de Sommerset. Une faute du chancelier débarrassa le pro- 
tecteur de ses craintes : il donna une commiission sous le 
grand sceau à quelques-uns de ses substituts pour in- 
struire et juger en son absence des causes de la chancellerie, 
et il leur attribua cette fonction sans le consentement du 
roi et des régents. Les juges du royaume, consultés à ce 
sujet par le conseil, déclarèrent que, si le chancelier avait 
délégué son pouvoir sans Pagrément du monarque et des 
régents deFAngleterre, il méritait de perdre sa place et 
d'être condamné à Pamende et \ la prison. Le chancelier, 
informé de cette déclaration, s'emporta dans le conseil 
contre les juges, les conseillers et le protecteur. On le 
condamna aux arrêts , et on ne lui rendit la liberté qu'a- 
près lui avoir ôté les grands sceaux et lorsqu'il eut donné 
caution pour le paiement de l'amende à laquelle il serait 
condalnné. 

Le protecteur, délivré de son adversaire, représenta 
aux régents qu'il était nécessaire que ses pouvoirs fussent 
déterminés , afin qu'il pût traiter avec les ambassadeurs 
des puissances étrangères. Des lettres patentes le déclarè- 
rent gouverneur de la personne du jeune roi , protecteur 
de son royaume et de ses sujets, et l'investirent du pouvoir 
d'appeler au conseil tous ceux qu'il jugerait convenable 
d'y faire entrer , et de confirmer , annuler pu changer , 
avec les conseillers qu'il lui plairait de choisir, tout 
ce qu'il voudrait maintenir , abolir ou réformer. 



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544 

Les partisans de la reforme religieuse se livraient ce- 
pendant à la plus grande joie : ils soutenaient leur doc- 
trine dans les chaires des églises et dans celles des ëcoles ; 
et ils redoutaient d^autant moins les lois de sang qui exis- 
taient encore, que le monarque, élevé dans leurs prin- 
cipes par le docteur Coxe, donnait, malgré sa grande jeu- 
nesse , des preuves d^un esprit supérieur , et se montrait 
entièrement opposé à toute persécution. Le protecteur et 
Parchevêque de Cantorbéry professaient d'ailleurs les 
dogmes de la réforme. 



FIN DU TOME POUZlÈMB. 



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TABLE 



DU TOME DOUZIÈME. 



Adrien VI , pape , 4^ , 57 à 
59. 

Adorne (Antoine), doge de Ve- 
nise, 55, I35. 

Albert, margrave de Brande- 
bourg , 171 , 3^4 f 336. 

Albert de La Pierre , 7. 

Albret(Henrid'), 108, i3u 

Alexandre , grand-duc de Li- 
tuanie , et roi de Pologne , 
168. 

Alexandre VI , pape 187. 

Alençon ( le duc d' ), 1 1, 48 à 
5o, 9a, 94,95. 

Alphonse d'Est , 173. 

Alphonse d'Albuquerque > 1 85. 

Amurath III , 200. 

André- Jean-Lascaris, 11 5. 

Andrien de Croy, comte de 
Beaurain , 65. 

Angus ( le comte d' ) , 322. 

Annebaut, i53 , 299, 3i5. 

Anne de France , fille du roi 
Louis XI , 10 , €3 , 64* 

Anne de Glèyes , 283 à 285. 
ToM. XII. 



Anne de Foix-Gandale , 175. 
Anne de Pisseleu , duchesse 

d'Etampes, i34, 278, 3i4, 

3i6, 334. 
Anne de Boulen , 126 , i4o , 

147 , i58, 159, 227, 228, 

232 à 235 , 262 , 263 à 

266. 
Anne Askew , 326 à 328. 
Antoine de la Ville-sur-Illon, 

53, a53 
Antoine Fana y Souza , 192, 
Antoine , duc de Lorraine , 

283. 
Arezzo ( Pierre ) , dit TAréUn , 

28.1. 
Arthur d'Angleterre, 146 , 

23o. 
Aske (Robert) , 270 à 272. 
Aumale ( le comte d' ) , prince 
< lorrain, 299. 

B. 

Bajazet II, 176. 
Barberousse, 196, 239, 295. 
Bayard , 2 , 47 > 78 à 80. 
/ 



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u 



TABLE. 



Beaton ( David ) , 290 , 291 y 
326. 

Bëatrix de Portugal^ s^i. 

Bermudez ( Jean ) , 1 28. 

Boimivet, amiral^ 11 ^ 19 > 
89 à 96. 

Boris - Godonouf , 2 1 1 ^ 2 1 2. 

Bouillon (Robert delà Marck , 
prince de Sedan ^ et souve- 
rain de ) , 47. 

Bourbon Carenci ( le prince 
de), 2, 

Bourbon ( Charles III, duc de), 
connétable , i à 1 2 , 45 , 4? 
à5i , 60 à78, 89 à io3, 
io5à ii4; ii6à 121. 

Bourbon (Antoine de ), duc de 
Vendôme , 256 , 267 , 299 , 

3l2. 

Brézé ( Louis de ) , comte de 

Maulevrier , 333. 
Bucidngbam (leduc de), 5 1 , 52. 
Budé, ii4* 

c. 

Calvin (Jean ) , 240 , 27g. 
Campson-Gouri , sultan d'É- 

gypte, 179- 

Catanès ( Ubert ) , doge de Gê- 
nes , i36. 

Catherine de Bore , 1 14* 

Catherine d'Autriche , 194 , 
195, 

Catherine d'Arrtigon , 126 , 

127, i4oà i43> 144 à ï4^> 

i58 à 162, 225, 227 à 
235, 263. 
Catherine de Médicis, 328, 
2ii , 246, 333, 334. 



Catherine Howard, 284, 286, 

287 à 289. 
Catherine Parr, 319,326,327 

3329. 
Cerisolle ( bataille de ) , sons 

François I«' , 3o6 à 309. 
Chabannes ( le maréchal de ) , 

I, 5o , 71, 72, 85, 89 à 

93. 
Chabot, amiral, i32 , i34, 
. 282, 

Charlçs III , duc de Savoie, 86. 
Charles , duc de Sudermanie , 

2l8. 

Charles-Quint , i3, 18 à 20 ^ 
27 à 29 , 38 à 58 , 64 à 125 , 

128 a i4o, 142, 143 , 146^ 

i53à i58, i83, 196,219, 

à 222, 23o, 236, 238,240 

à 25i , 255 à 260, 277 à 

a83 , 292 à 295 , 298 à 3t5, 

3i8, 323 à 325, 336 à 

34o« 
Charles , duc d'Orléans , et 

fils de François I" , 277 , 

281 , 282. 
Charles de Lorraine , cardinal , 

339 , 34o* 
Châtelleraut ( le duc de) , 2. 
Chatillon ( le maréchal )f 5o» 
Chikh-AIei , kan de Kasan , 

169. 
Christiern II, roi de Dane- 

marck, i65, 166, 2i4» 
Christiern III , roi de Dane- 

marck^ 214 à 216 , 3oi. 
Christine GjUenstiema > 164 > 

i65. 



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TABLE. 



"J 



Christophe d'Oldenboarg^ m^, 

Christophe Colomb ; ^3 , a4 > 

88. 
Clément VII, pape , 127 i4o 

à 147 > i55 , i59, 182 y 223 

à 238. 
Colonne (^Prosper ) , 4^ ^ 55 , 

Copernic , 171 à 173. 

Correa (Antoine), 186. 

Craumer^ ou Crammer^ ar- 
chevêque de Gantorbéry , 
229^230^ 233, 235,275, 
285, 287, 326, 327, 33 1 , 
344. 

Gromwell ( Thomas ) , i^g , 
235 , 262 , 27 1 , 283 à 
287. 

D. 

Deirham , 287 , 288. 
Diane de Pdttiers > 3i3 , 333. 
Dideric Slagheck, i66. 
Diego Jamoto , 192. 
Dmitri , prince russe , i68« 
Don Juan de Menesez , i85. 
Don Juan d'Autriche , 1.99. 
Doria ( Antoine ), i35. 
Doria ( André ) , amiral , i35 , 

i36, 139,247. 
Doria ( Philippin) , 139. 
Du Guast , marquis, 3o2, 

3o6 à 3ia. 
Duprat (Antoine }, chancelier , 

II , 60 à 64 9 72 , 75,81, 

97,1 32, 139. 
DyyecLe, femme, i63. 



E. 



Edouard VI, fils de Henri VIU, 
et roi d'Angleterre ,272, 
290 y 320, 321 , 33o, 342 , 
343. 

Elisabeth d'Angleterre , 265 , 
266, 33o. 

Elisabeth Barthon, ou la Vierge 
de Kent , 233 , 234. 

Ëmeri d'Amboise, 178. 

Emmanuel , dit l'Heureux , 
roîde Portugal, i83ài86. 

Erasme , 1 1 5. 

Éric Troll , i63. 

Éric XIV, roi de Suède, 216 
à 218. 

Estourmel, 25o. 

Etienne Battori , roi de Polo- 
gne, 210. 

F. 

Fédor , ou Théodore , czar de 
Russie, 211, 212. 

Ferdinand V, le Catholique , 
roi d'Espagne, 5, i3, 22 
à 27. 

Ferdinand , archiduc d'Autri- 
che , roi de Hongrie , de Bo- 
hême , et des Romains > i54 , 
i58, 181 , 182,219, ^^9 
3i8, 319, 338. • 

Ferdinand Perez d'Anduade , 
ou d'Andrada , i85. 

Ferdinand François d'Avalos, 
marquis de Pescaire, 77 à 
80, 83 à 87,88a 96,100 
à io3, 106, 107 , m. 



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IV 



TABLE, 



Feraand G)rtez; 3o à 38 , 

2381 
Fernand de Gonzague^ i56, 

244, 246. 
Ferrare ( le duc de ) , i55. 
Fisher , évêqae de Rochester, 

234 > 261. 
Fernand - Mîndez Pinto , 

192. 
François I", roi de France, 

I à 4, 9 à 12, 17, 19, 

4o,4>> 44^57,60 à 86,89 

à io3 y io5 à 109 , 121 à 
126, 129 à i4o, i53, i54> 
222 , 223 , 23 1 , 236 , 239 
à 258 , 277 à 279, 281 à 
283, 292 à 296, 3o3à3i8, 
821, 322 , 323, 33i, 332. 

François de la Rovère, ^i , 
46. 

François d'Almayda, ou d'Al- 
meîda, 184. 

François de Lorraine, 197. 

François-Xavier, 191 à 193. 

François de Guise , duc d' Au- 
male , dit le Balafré , 332 , 
341, 342. 

Françoise de Foix , 45 , 56* 

Frëdéric-le-Sage , électeur de 
Saxe , 16 , 20. 

Frédéric , duc de Holstein- 
Sleswig, 166. 

Frédéric I«' , roi de Dane- 
marck et de Norwége , 168 , 
2i4« 

Frédéric II , roi dé Danemarck, 
216* 

Frégose ( César ) , 1 25. 



G. 

Gardiner , évêque de Winches- 
ter, 235, 263, 267, 275, 
284 , 319 ,' 320 , 328 , 329. 

Gaspard Valier ,197. 

Gatimozîn, 36. 

Gautier de Cronberg, 171. 

Gonzague , marquis de Man- 
toue,75, i58. 

Grégoire XIII, pape ,210. 

Guichardin ( François ) , 297. 

Guillaume Kingston, conné- 
table d'Angleterre, 161, 162. 

Guise ( Claude de Lorraine, 
duc de), 76, 108, i54, 
253, 290, 3i2, 332. 

Gustave Wasa, 164, 166, 167, 

2l3. 

H. 

Hamet, empereur* de Maroc, 

195. 
Hamilton ( Jacques ) , comte 

d'Arran, 290, 291. 
Hamzet , despote de la Perse, 

201. 

Hélène, femme de Vassili IV, 
roi de Pologne , 170, 204. 

Hereford ( le comte d' ) , 342. 

Henri VHI, roi d'Angleterre,, 
5, t2, i3, 17, 18, 19 à 

22, 40 à 42, 44> ily^^j 
60, 66, 67,82,98, io3 à 
io5, 124 à 128, i4oà 142, 
145 à i5o, i54> i58à i6a, 
223 à 235 , a59, 260 à 276, 



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TABLE. 



283 à 291 9 2g3, 3i2, 319 
à 3^3 y 326 à 33o« . 

Henri y cardinal ^ et roi de Por- 
tugal, 194 à 196. 

Henri de Valois , duc d'Anjou , 

209, 2IO. 

Henri II , roi de France , 332 
à 335, 339 à '342, 

I. 

lédiguer , 207 , 2o8, 

Isabelle , reine de Castille, 23. 

Ismaël II, despote de la Perse, 

Ismaël III, roi de Perse, 201. 



Jacques V, roi d'Ecosse, 12, 

99,255, 273, 289,290. 
Jacques Lainez, 192. 
Jean III, roi de Suède, 218, 

Jean I", électeur de Saxe, 

2I9à22I. 

Jean , roi de Danemarck , 162, 

i63. 
Jean , ou lyan IV, czar de 

Russie , 1 70 , 204 à 208. 
Jean III, roi dfe Portugal, 187, 

189, 190, 192, 193. 
Jean de La Valette Parizot, 

grand-maître de Saint-Jean, 

197 > 198. 
Jean de Poitiers , comte de 

Saint- Vallier, 67, 68, 74, 

81, 109, 333. 
Jean-Frédenc , duc de Saxe, 

258, 336, 337. 



Jean du Bellay , cardinal , 1 14> 
ii5. 

Jean-George Paléologue, mar- 
quis de Monferrat , 1 58. 

Jeanne , mère de Gharles- 
Quint, 29. 

Jeanne Seymour^ 264, 266, 
272, 

Joachim II , électeur de Bran- 
debourg, 259. 

K. 

Kansou-Algouri, sultan d'E- 
gypte, 177, i«3. 

L. 

Ladislas VI, ou VII, roi de 
Hongrie et de Bobême, 175. 

Lannoy (Charles de), vice-roi 
de Naples , 75 , 77 , 84 , 85, 
86, 91 à 97, loi à io3, 
109, 112, 117 à 119. 

La Trémouille, 5o, 76, 89, 

94- 
Latimer, évêquede Worcester, 

267 , 276, 
Lautrec ( le maréchal de ) , 6, 

9, 45, 54 à 56, 108,124, 

125, i34ài36. 
Laval (le comte de) , 108, 134. 
liée, archevêque d'Yorck, 267, 

271; 
Lefèvre ( Pierre ) , 191. 
Léon X, pape, 3, i3 à 18, 

19, 20, 4^ à 4^' 
Lève (Antoine de), 86, 88, 

91 à 95, iio, i38, i5o à 

i55, 246. 



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V 



TABLE. 



Louis V, dît le Pacifique, élec- 
teur palatin, i8, 221. 

Louis , roi de Bohême et de 
Hongrie, 19, 58. 

Louis II, roi de Hongrie, 175, 
178, 180, i8i, 

Louis , électeur palatin , 269. 

Louis Farnèse , duc de Parme, 
338. 

Louise de Savoie , duchesse 
d'Angoulême , 9 à 1 2 , 45 , 
48, 49, 60 à 65, 70, 75, 
77 à 79, ia7, 108, 109, 
i53. 

Luther ( Martin ) , 16, 17,4* 
à 44 > 58, Go, 87, 162,215, 
216, 219 a 221, 235, 236, 
319. 

M. 

Magellan , 38* 

JVIalatesta, Baglioni, i56. 

Mannock , 287 , 288. 

Marco Paulo, 192. 

Marguerite, archiduchesse, gou- 
vernante des Pays-Bas, i3i, 
i53. 

Marguerite de Valois, 174, 
239 , 240. 

Mahmet-Amin, kan de Kasan, 
168, 169, 

Marie Pacheco, ^o* 

Marie d'Angleterre , 263 , 266, 
271 , 32Ô, 329, 33o. 

Marie Stuart, 290. 

Marillac ,9. 

Makrel, ou le Q)lonel-Save- 
tiér , 269. 



Martin, duc de Gueldre , 294^ 
295. 

Maurice ^ duc de Saxe, 337. 

Maximjlien , empereur d'Alle- 
magne, 5 à 8, i3, i8. 

Médicis ( Jean de ) , 78 , 112, 
II 3. 

Médicis (Alexandre de ) , 1.57 , 

297- 
Médicis ( Corne de ) , 297, 298. 

Melanchton ( Philippe), 27g. 

Mendoza ( Hugues de ) , 1 3o ^ 
i3i. 

Michel Glinski, 168, 169, 2o4« 

Mildi-Guerci , kan de Crimée , 
169. 

Mohamet-Khodabendeh , 200, 
201. 

Mohammed , roi de Fez, igS. 

Montluc ( Biaise de ) , 3o3 à 
3o6, 

Montmorenci (le maréchal <)e), 
85, 95, 108. 

Montmorenci (Anne de) , con- 
nétable, 229, 245 à 254, 

256, 257 , 3i4, 332, 341, 
342. 

Montézuma, 33 à 36. 
Montpensier ( le duc de) , 256 , 

257, 3l2, 

Morone ( Jérôme ) , 1 06 , 1 07 , 

ii3. 
Morus ( Thomas ) , 228 , 234 , 

235, 261. 
Muley-Hascen , roi de Tunis 

et d'Alger, 239. 
Musa Brassavolus ( Antoine ) , 

173. 



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TABLE. 



VI} 



N. 



Nassau (le comte de), prince 
d'Orange, 4^? 120, i34, 
i56,24gà254* 

Nîlson-Sture , 217. 

Norfolk ( le duc de ) , 52, 229, 
264, 265, 271 , 272, 284, 
285,287, 289, 319,320, 
329 a 33 1 , 342. 

Noms ( Henri ) , 264 à 266. 

Northumberland (le comte de), 
i6i. 

o. 

Orléans ( Henri , duc d' ), 108, 
122 , i54, 228, 23i , 246 , 
247, 256, 281 , 282, 299, 
3i2,3i5. 

P. 

Paul UI, pape, 192, 193, 
238, 243, 259, 261 , 273, 
279, 293 , 3oi , 339, 340. 

Pavie (bataille de ), sous Fran* 
çoîs 1^^ , 90 à 96. 

Pe'ronne (le sîége de), sous 
Fi-ançois I*' , 256 à 254- 

Pétri ( Laurent) , 167. 

Philippe de Yilliers de Tlle- 
Adam , grand - maître de 
Saint-Jean, 179, 182, i83. 

Piercy, comte de Northum- 
berland , 265. 

Piene de Navarre, 5, 25 à 27 , 
55, 125. 

Pierre de Bretonnières, seigneur 
deWatry,70,7i. 

Pierre - Alvarez Gabrul , ou 
Gapral, i83« 



Polus, ou Pool (Renaud), 273. 
Polydore Virgile, historien, 

268. 
Pomperant , 73, 74, 96. 

R. 

Rabelais, 11 4* 

Rangone (Guy de) , 1 5 1 . 

Rieux ( le comte de) , 1 34- 

Roberval, 281. 

Rochefort ( Lady de ), 264 , 

288 , 289. 
Rochefort (lord), 264. 
Rœux ( Andrién de Croy, 

comte de), 249* 
Roi^elane, 196. 

"s. 

Saint-Ange ( le marquisr de ), 

Saint Ignace de Loyola, fon- 
dateur de l'ordre de Je'sus , 
190 à 192. 

Saînt-Pol ( François de Bour- 
bon , comte de ), t , 47 à 54 , 
62,79, 8o> 108, i34, 137 
à i4o, i5o à i52, à^5 , 

299- 
Saluées (le marquis de), i36. 

Scbah Ismaël Sophi/ 1 76, 1 77, 

ï8o. 
Scheiner ( Mathieu ) , cardinal 

de Sion ,5,8. 
Sébastien , roi de Portugal , 

1947195- 
Sëlim , sultan , 1 76 , 177. 

SélimH, 199. 

Seymour (Thomas) , baron de 
Sudley, 342. 

/. 



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8, 



Viîj TABLE. 

Sforcc( François), a, 5,54, Tristan de Cuna, 184. 

106, 109, m, 137, 146, Trivulce (Théodore), a 

i5o, i55, 241 , a42« ia5, iSg. 

Sforce ( Maximilîen ) , duc de Trivulce (le cardinal) , ^45. 

Milan , 3. Troll ( Gustave ), archevê(iue , 

Shrewsbury(lecomtede), 161, i63 , 164, 167. 

270. Toumambaï , ou Tomonbay , 

Sigebrite, femme, i63, 166. 177. 
Sigismond I" , roi de Pologne, jj 

169, 20a. 
SîgîsmondII,roi de Pologne, Ulric, cure de Zuricb, 220, 

ao3, 2o6à209, 216. 
Sigismond III , 2 1 2 , 2 1 9* 
Siguera (Jacques), i85. 
Simon Rodrîguez, 191 à 193. 
Sinclair ( Olivier ), 289. 
Soliman II, 177 a i8a, 196 a 

199- 
Sotto (Ferdinand de ), 292. 

Stenon-Sture , 162. 

Stenon-Sture II , i63, 164* 

Stuard (Alexandre) , duc d'Al- 
banie , io8« 

Stuard ( Mathieu), comte de 
Lennox , 991 , 292 , 32i , 

322. 

Suffolk ( Richard de la Pôle, 

duc de), dit la Rose-Blanche, 

93,229. 
Suffolk (Charles Brandon , duc 

de), 269, 270. 
Surray ( le comte de ) , 329. 
Susanne de Bourbon , 10 , 47* 
Swante-Nîlson-Sture ,162. 

T. 

Tetzal(Jean) i5. 



221. 
Ulric, duc de Wurtemberg, 

236,237. 
Urbîn(leduc d'), 111, 119, 

i38, 139, i5o. 

V. 

Vasco Nugnès, 27. 

Yassili IV , roi de Russie , 168 

à 170. 
Velasquez , 3o. 
Vendôme ( le ducde ), i , 1 1 ^ 

48 à 53, 60, 77, 97, 108, 

134,245 à 25(5. 
Vidaneta( André), 128. 

"w. 

Wiclef , 225. 

Wolsey , cardinal , 5 , 12,17, 
21 , 5o à 52 , 59, 98, io3 à 
io5, 127, i4oài49, 160 à 
162. 

Z. 



Zapolski, 182. 
FIN DE LA TABLE DU TOME DOUZIÈME. 



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